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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Le requérant est né en 1968 et il est actuellement détenu dans une prison à Tbilissi. A. La genèse de l’affaire Avant les élections législatives du 1er octobre 2012, qui aboutirent à un changement de gouvernement, le requérant, qui était l’un des dirigeants du parti alors au pouvoir, le Mouvement national uni (MNU), avait exercé pendant plusieurs mois en 2012 la fonction de Premier ministre de la Géorgie. Auparavant, entre 2005 et 2012, il avait été ministre de l’Intérieur. Après la victoire de la coalition politique Rêve géorgien aux élections législatives d’octobre 2012 et la formation d’un nouveau gouvernement, le requérant fut élu secrétaire général du MNU, qui devint la principale formation d’opposition du pays. B. L’incident du 30 novembre 2012 Entre le 1er novembre 2012 et le 21 mai 2013, date à laquelle il fut inculpé d’infractions pénales et arrêté (paragraphe 17 ci-dessous), le requérant effectua cinq voyages officiels entre la Géorgie et divers autres pays et revint toujours comme prévu. Le 30 novembre 2012, lors d’un voyage en Arménie où il prévoyait d’assister à un séminaire international du Parti populaire européen, le requérant tenta de franchir la frontière de l’État géorgien à l’aéroport international de Tbilissi en utilisant un passeport prétendument faux. Après avoir enregistré le passeport dans la base de données électronique pertinente, un agent de la police des frontières du ministère géorgien de l’Intérieur, Z.D., releva une divergence entre la photographie se trouvant dans le passeport, qui correspondait parfaitement à l’apparence du requérant, et les autres données figurant dans ce document de voyage, notamment le nom de « Levan Maisuradze », qui n’étaient pas les mêmes que les données relatives à l’identité du requérant enregistrées dans la base de données électronique. L’agent de police rendit le passeport problématique à l’assistant personnel du requérant, demandant des explications. L’assistant rapporta immédiatement du bureau du requérant un autre passeport qui avait été émis au vrai nom de celui-ci et qui correspondait à toutes ses autres données d’identification. Après vérification de l’authenticité de ce deuxième document de voyage, le requérant fut autorisé à franchir la frontière géorgienne. Le même jour, le 30 novembre 2012, la police des frontières du ministère de l’Intérieur ouvrit une enquête pénale sur cet incident. Le chef de la police des frontières se rendit immédiatement à l’aéroport de Tbilissi pour interroger l’agent Z.D. qui avait découvert le passeport prétendument faux que le requérant détenait. Comme l’enquête l’établit ultérieurement et comme plusieurs témoins le confirmèrent, le chef de la police des frontières, alors qu’il se trouvait à l’aéroport, reçut soudain un appel du requérant sur son téléphone mobile. Usant de son statut et de ses relations personnelles de longue date au sein de la hiérarchie du ministère de l’Intérieur, le requérant tenta de faire pression sur le chef de la police des frontières. Il exigea catégoriquement qu’aucune enquête ne fût menée sur l’incident du passeport et que l’agent Z.D. ne fût jamais cité comme témoin. Selon des déclarations ultérieures faites par le chef de la police des frontières dans le cadre de l’enquête, le requérant proféra au cours de la conversation téléphonique qui eut lieu entre eux des menaces visant sa carrière et sa personne, et prononça des paroles obscènes. Les 1er et 7 décembre 2012, interrogé par des enquêteurs du ministère de l’Intérieur au sujet de l’incident, le requérant nia avoir présenté à la police des frontières un passeport au nom de « Levan Maisuradze » et affirma qu’il ne possédait que quatre passeports, deux ordinaires et deux diplomatiques, tous émis sous son vrai nom. C. La procédure pénale ultérieure Le 13 décembre 2012, de nouvelles poursuites pénales furent engagées contre le requérant et le gouverneur de la région de Kakhétie pour détournement de fonds et abus d’autorité. Tous deux comparurent le même jour devant le parquet général, comme le prévoyait la procédure, et ils furent entendus comme témoins. Le 18 janvier 2013, une troisième procédure pénale fut ouverte par le parquet de la République autonome d’Adjarie concernant un autre incident d’abus d’autorité imputé au requérant. Le 13 février 2013, le requérant et le gouverneur de la région de Kakhétie furent entendus comme témoins dans le cadre de la deuxième procédure pénale. Le 20 mai 2013, ces trois procédures pénales (paragraphes 11, 13 et 14 ci-dessus) furent jointes. Le 21 mai 2013, le ministère public convoqua le requérant et le gouverneur de la région de Kakhétie pour les entendre à nouveau. Tous deux furent arrêtés à l’issue de leur interrogatoire. Le requérant fut arrêté au motif qu’il était soupçonné d’achat de votes (article 164 § 1 du code pénal), de détournement de biens appartenant à autrui (article 182 § 3 du code pénal), d’abus d’autorité (article 332 du code de procédure pénale) et d’atteinte à l’inviolabilité du domicile d’autrui (article 160 du code pénal). D’après le dossier, le policier ayant procédé à l’arrestation expliqua dûment au requérant, qui était assisté d’un avocat de son choix, la nature des accusations portées contre lui ainsi que ses droits procéduraux. Le requérant fut également informé des raisons de son arrestation, notamment du risque que, en tant que personne particulièrement influente ayant par le passé occupé plusieurs fonctions de haut niveau dans l’appareil d’État, il fît obstruction au bon déroulement de l’enquête et, eu égard à sa précédente tentative de franchir la frontière géorgienne à l’aide d’un faux document de voyage, du risque qu’il prît la fuite avant la tenue du procès. Le même jour, à savoir le 21 mai 2013, l’épouse du requérant quitta la Géorgie. Plus tard dans la journée, une perquisition menée sur autorisation d’un juge dans l’appartement du requérant conduisit à la découverte d’importantes sommes d’argent liquide (paragraphe 20). Le 22 mai 2013, le procureur en charge du dossier du requérant demanda au tribunal de Koutaïssi d’ordonner le placement en détention provisoire du requérant à titre préventif. Il avança d’abord des arguments pour établir le risque de fuite de l’intéressé. D’après le procureur, ayant précédemment occupé les fonctions de ministre de l’Intérieur et de Premier ministre de Géorgie, le requérant avait développé un réseau étendu de contacts personnels, tant dans le pays qu’à l’étranger. Le procureur ajouta que le requérant détenait deux passeports diplomatiques en cours de validité établis à son nom et que ceux-ci lui permettaient de bénéficier de procédures simplifiées pour se rendre dans n’importe quel pays étranger ainsi que d’autres privilèges réservés aux diplomates. En outre, il apparaissait que le requérant détenait aussi un faux passeport (paragraphe 10 ci-dessus). De surcroît, le procureur estima que le départ précipité de l’épouse du requérant de Géorgie le 21 mai 2013, après que celui-ci eut été convoqué par l’autorité d’enquête, permettait également de soupçonner le requérant de chercher à fuir à l’étranger. Le procureur souligna aussi que, lors de la perquisition de l’appartement du requérant menée le 21 mai 2013, d’importantes sommes d’argent liquide – 54 200 euros (EUR), 33 100 dollars américains (USD, environ 28 560 EUR) et 29 000 lari géorgiens (GEL, environ 11 270 euros) – avaient été découvertes, ce qui, d’après le procureur, étayait également le soupçon que le requérant s’apprêtait à fuir le pays. Le procureur présenta ensuite des arguments visant à démontrer que le requérant risquait d’entraver l’enquête. Il expliqua de nouveau que l’intéressé, grâce aux diverses fonctions de haut niveau occupées précédemment dans l’appareil d’État, avait encadré et supervisé de nombreux fonctionnaires employés dans plusieurs administrations publiques. D’après le procureur, considérant que les infractions en cause étaient étroitement liées aux fonctions publiques passées du requérant et que la majorité des témoins importants lui avaient été hiérarchiquement subordonnés, il existait un risque avéré que le requérant influençât ces personnes. À l’appui de ses arguments, le procureur invoqua l’incident du 30 novembre 2012, lorsque le requérant avait réussi à identifier le numéro de téléphone portable du chef de la police des frontières et qu’il l’avait appelé et avait fait pression sur lui de manière grossière et obscène en proférant des menaces visant sa personne et sa carrière (paragraphe 11 cidessus). Par une décision du 22 mai 2013, à l’issue d’une audience à laquelle les deux coaccusés et leurs avocats participèrent, le tribunal de Koutaïssi libéra le gouverneur de la région de Kakhétie en fixant une caution de 20 000 GEL (environ 7 770 EUR) et maintint le requérant en détention. Dans les motifs de cette décision, l’article 205 du code de procédure pénale figurait comme base légale de la détention. Quant aux éléments établissant la nécessité de la mesure de détention, le tribunal de Koutaïssi indiqua qu’il accueillait les arguments du ministère public tirés des risques de fuite et d’entrave à l’enquête (paragraphes 20 et 21 ci-dessus). S’il reconnaissait qu’en se rendant aux interrogatoires le requérant avait fait preuve d’une attitude coopérative à l’égard des enquêteurs, le tribunal considéra néanmoins que l’intéressé pouvait user de sa position sociale importante, résultat des diverses fonctions de haut niveau qu’il avait exercées dans le passé, pour entraver la conduite de l’enquête. Le tribunal souligna que les témoins qui devaient être entendus avaient été ou étaient encore sous l’autorité hiérarchique directe du requérant ainsi que sous l’influence personnelle de celui-ci. Il précisa à cet égard que le requérant était déjà soupçonné d’avoir tenté d’influencer certains témoins, notamment le chef de la police des frontières et l’agent Z.D., dans le cadre de la procédure pénale en cours (paragraphe 11 cidessus). Dans sa décision du 22 mai 2013, le tribunal de Koutaïssi déclara que, en application de l’article 208 du code de procédure pénale, l’audience préliminaire commencerait le 15 juillet 2013. Le requérant interjeta appel de la décision du 22 mai 2013. Il plaida que son placement en détention provisoire était abusif, le tribunal de Koutaïssi ne s’étant selon lui fondé sur aucun élément ou argument précis établissant les risques supposés d’entrave à l’enquête ou de fuite. Par un arrêt du 25 mai 2013, la cour d’appel de Koutaïssi rejeta l’appel du requérant pour défaut de fondement et confirma que le tribunal avait correctement apprécié les faits pertinents et appliqué les dispositions juridiques. Le 2 juillet 2013, le procureur demanda au tribunal de Koutaïssi de différer l’audience préliminaire jusqu’au 11 septembre 2013. Il justifia sa demande par la nécessité de prendre des mesures d’enquête supplémentaires. Le requérant, représenté par trois avocats, et le gouverneur de la région de Kakhétie, coaccusé, consentirent en partie à cette demande. Par une décision du 5 juillet 2013, le tribunal de Koutaïssi fit partiellement droit à la demande et reporta l’audience préliminaire au 23 août 2013. Le 12 août 2013, les avocats du requérant demandèrent un nouveau report de l’audience préliminaire. Ils plaidèrent que le dossier était volumineux et qu’il leur fallait davantage de temps pour préparer la défense de leur client. Le procureur objecta que le requérant tentait de retarder la procédure et de réduire le temps consacré à l’examen de l’affaire au fond. Le 14 août 2013, le tribunal de Koutaïssi fit entièrement droit à la demande du requérant et fixa la nouvelle date d’audience au 12 septembre 2013. Le 12 septembre 2013, le tribunal de Koutaïssi ouvrit l’audience préliminaire. D’après le procès-verbal d’une séance ultérieure de l’audience préliminaire, tenue le 25 septembre 2013, le requérant demanda que sa détention provisoire fût remplacée par une mesure de contrainte non privative de liberté. À l’appui de sa demande, il soutint que le ministère public n’avait avancé aucun argument nouveau susceptible d’établir l’existence des risques de fuite ou d’entrave à l’enquête. À titre de garanties supplémentaires assurant qu’il comparaîtrait au procès, il indiqua qu’il était le secrétaire général d’un parti politique important, qu’il avait publiquement fait la promesse de coopérer avec les autorités et qu’il avait jusqu’à présent toujours comparu devant les autorités d’enquête. Il ressort d’un enregistrement audio de la séance en question que le requérant plaida que l’autorité d’enquête avait déjà interrogé tous les témoins et que son maintien en détention n’était donc plus nécessaire. Le ministère public répondit que le risque que l’accusé exerçât des pressions indues sur les témoins perdurait, car ceux-ci devaient encore déposer devant la formation de jugement. Le procureur rappela au tribunal l’incident du faux passeport, lorsque le requérant avait réussi à menacer un haut responsable de la police des frontières (paragraphe 11 ci-dessus). Le même jour, le 25 septembre 2013, le tribunal de Koutaïssi examina et rejeta la demande du requérant tendant à ce qu’il fût mis fin à sa détention provisoire. Après avoir entendu les arguments des parties, le tribunal annonça sa décision oralement afin qu’elle fît l’objet d’un enregistrement audio. Il ressort de cet enregistrement que le juge déclara brièvement, sans donner aucune explication, qu’« il y a[vait] lieu de rejeter la demande tendant à ce qu’il fût mis fin à la détention provisoire ». Par un jugement du 17 février 2014, le tribunal de Koutaïssi reconnut le requérant coupable de la majorité des infractions qui lui étaient reprochées. Il fut ainsi déclaré coupable d’achat de votes (article 164 § 1 du code pénal), de détournement d’un montant élevé de fonds (article 182 §§ 2 a), d) et 3 b) du code pénal, ces dispositions étant invoquées à l’appui de plusieurs chefs d’inculpation) et d’atteinte à l’inviolabilité du domicile d’autrui (article 160 § 3 b) du code pénal). Le tribunal considéra que l’infraction d’abus d’autorité (article 332 § 2 du code pénal) était superflue et il la rejeta. Le requérant fut condamné à cinq ans d’emprisonnement. Le 21 octobre 2014, la cour d’appel de Koutaïssi confirma la condamnation du requérant du 17 février 2014 dans son intégralité. En son état actuel, le dossier indique que le requérant s’est pourvu en cassation et que la procédure y afférente est pendante devant la Cour suprême. D. L’allégation du requérant selon laquelle il a été extrait de prison le 14 décembre 2013 et la procédure ultérieure Selon le mémoire complémentaire présenté par le requérant et versé au dossier après la communication de l’affaire à l’État défendeur, le requérant fut subitement extrait de sa cellule de prison le 14 décembre 2013, vers 1 h 30. Les gardiens qui l’accompagnaient lui auraient couvert la tête d’une veste, l’auraient mis dans une voiture et conduit vers une destination inconnue. Le trajet aurait duré dix minutes, puis le requérant aurait été escorté dans un bâtiment. Après avoir amené le requérant dans l’une des pièces, les gardiens auraient ôté la veste qui lui couvrait la tête. Le requérant aurait alors vu deux personnes : le Procureur général, O.P., et le chef de l’administration pénitentiaire, D.D. Le requérant indique que lors de cet entretien le Procureur général lui proposa un marché, l’invitant notamment à révéler la « vérité » sur les circonstances ayant entouré la mort, le 3 février 2005, de l’ancien Premier ministre Zurab Zhvania (lequel, selon une version officielle des événements, était mort dans un appartement en location à la suite d’une intoxication au monoxyde de carbone causée par un système de chauffage au gaz qui n’avait pas été ventilé de manière appropriée) et à fournir des informations sur des comptes bancaires secrets que l’ancien président de la Géorgie détenait. Il affirme avoir refusé le marché, qualifiant les suggestions de O.P. de théorie du complot et d’absurdités. Le requérant ajoute que le Procureur général répondit en le menaçant d’une détérioration de ses conditions de détention s’il ne consentait pas à coopérer avec les autorités. Le requérant aurait été ramené à sa cellule de prison vers 3 heures. Le 17 décembre 2013, lors d’une audience publique devant le tribunal de Tbilissi, qui examinait alors le fond de l’affaire pénale dirigée contre le requérant en présence du ministère public et de représentants des médias, le requérant fit une déclaration sur ce qui s’était passé le 14 décembre 2013. Il décrivit en détail la conversation qu’il avait eue de nuit avec le Procureur général. Le même jour, le Premier ministre géorgien fit les commentaires suivants en public : il qualifia de purs mensonges les allégations du requérant selon lesquelles il avait été extrait de prison durant la nuit pour être interrogé par le Procureur général et déclara qu’aucune enquête ne serait menée relativement à ces allégations et que le requérant devrait plutôt « consulter un psychiatre ». Par la suite, paraphrasant le commentaire d’une autre personne publique, le Premier ministre fit la remarque suivante : « Après tout, c’est quoi le fond de cette histoire d’enlèvement [du requérant] à la prison ? [Le Procureur général] l’a-t-il violé, ou que s’est-il passé ? » Le parquet général publia une déclaration officielle dans le même sens, qualifiant les allégations du requérant de « mensongères » et « absurdes ». Le 18 décembre 2013, le ministre des Prisons déclara publiquement ce qui suit : « [le requérant] n’a pas été extrait de prison (...) Aucune enquête n’a été ouverte sur des allégations si frivoles ». Le ministre ajouta que les enregistrements effectués par les systèmes de surveillance de la prison, qui pouvaient faire la lumière sur le point de savoir si le requérant avait été extrait de sa cellule, puis ramené dans celle-ci, aux heures indiquées du 14 décembre 2013 ne pourraient être divulgués qu’en cas d’ouverture d’investigations pénales sur les allégations du requérant. En revanche, d’autres hauts responsables de l’État, notamment le président du Parlement et le ministre de la Justice, reconnurent immédiatement après l’incident du 14 décembre 2013 qu’il fallait ouvrir une enquête pénale approfondie et impartiale à ce sujet. Le 19 décembre 2013, le Défenseur des droits de Géorgie rendit visite au requérant en prison, où ils discutèrent de cet incident de manière détaillée. À la suite de cet entretien, le Défenseur des droits fit une déclaration publique sur la nécessité d’ouvrir une enquête pénale afin d’établir tous les faits et souligna que le requérant était prêt à coopérer. Le 20 décembre 2013, le requérant soumit au ministre des Prisons une demande formelle, dont le parquet général et le tribunal de Tbilissi furent aussi informés, visant à ce que les enregistrements vidéos du système de surveillance de la prison de la nuit du 14 décembre 2013 fussent communiqués à son avocat. Il affirmait que ces enregistrements démontreraient la nécessité d’ouvrir une enquête pénale sur son extraction de prison, illégale selon lui, qui avait eu lieu cette nuit-là. Le 15 janvier 2014, le Défenseur des droits invita à nouveau les autorités à enquêter sur les allégations du requérant. Le même jour, le ministre des Prisons déclara que les enregistrements réalisés par le système de surveillance de la prison où se trouvait le requérant et correspondant à la nuit du 14 décembre 2013 n’étaient plus disponibles, car ils avaient été automatiquement détruits dans les vingt-quatre heures suivant l’enregistrement. Le 6 mars 2014, le requérant demanda au parquet général si une enquête pénale avait ou non été ouverte au sujet de l’incident du 14 décembre 2013. Le 14 avril 2014, le ministère public l’informa qu’une enquête interne menée par l’inspection générale du ministère des Prisons n’avait pas confirmé que le requérant aurait été irrégulièrement extrait de prison. Aucun autre détail sur cette enquête interne ne fut donné. Le 10 mai 2014, un membre du Parlement publia des documents montrant que des primes importantes avaient été versées en décembre 2013 à plusieurs responsables de la prison où le requérant était détenu. Le parlementaire laissa entendre que ces responsables avaient été récompensés financièrement pour leur participation à l’extraction du requérant de sa cellule. Le 19 mai 2014, L.M., conseillère principale de D.D., le chef de l’administration pénitentiaire, fit une déclaration publique confirmant la véracité des allégations du requérant. Elle déclara : « [M]ême un enfant sait que [le requérant] a été extrait de sa cellule de prison par D.D. ». Elle affirma également qu’elle avait été en contact avec plusieurs agents de l’administration pénitentiaire qui lui avaient confirmé lors de conversations privées qu’ils avaient reçu de D.D. l’ordre de cacher les enregistrements de surveillance vidéo correspondant à la nuit du 14 décembre 2013. Le lendemain, le 20 mai 2014, D.D. démit L.M. de ses fonctions. Quelques jours plus tard, le 23 mai 2014, lui-même démissionna de son poste de chef de l’administration pénitentiaire. E. La réaction de la communauté internationale aux poursuites pénales dirigées contre le requérant Le requérant a produit de nombreux articles de presse contenant des entretiens avec divers hauts responsables du régime géorgien actuel (deux Premiers ministres successifs, plusieurs ministres, des membres du Parlement appartenant à la coalition au pouvoir, etc.) pour prouver qu’il avait fait l’objet de persécutions motivées par des considérations politiques. Il s’est également référé à plusieurs déclarations officielles de la communauté internationale, dans lesquelles celle-ci exprimait ses préoccupations au sujet des poursuites pénales et des arrestations dont certains anciens hauts responsables de l’État, dont lui-même, avaient fait l’objet. Par exemple, le président de la Commission européenne fit une déclaration publique le 12 novembre 2012 après avoir rencontré le Premier ministre géorgien. Cette déclaration contenait le passage suivant : « Les élections en Géorgie ont été organisées de façon satisfaisante et reconnues comme libres et équitables (...) La démocratie ne se limite pas aux élections, elle est la culture des relations politiques dans un environnement démocratique. À cet égard, les situations de justice sélective doivent être évitées, car elles pourraient porter atteinte à l’image du pays à l’étranger et affaiblir l’État de droit. » Lors de sa visite en Géorgie le 26 novembre 2012, la Haute représentante de l’Union européenne pour la politique étrangère et de sécurité commune déclara publiquement ce qui suit : « L’Union européenne appelle tous les acteurs de la vie politique géorgienne à défendre les valeurs européennes de la démocratie, de la liberté et de l’État de droit. Il ne doit pas y avoir de justice sélective, ni de vengeance contre des rivaux politiques. Les enquêtes sur des actes répréhensibles passés doivent être menées de manière impartiale et transparente et dans le respect des garanties procédurales, et elles doivent être perçues comme telles. » Dans le but d’apporter un élément supplémentaire qui, selon le requérant, prouve que le gouvernement actuel se livrait à la persécution de son adversaire politique, le requérant cite l’extrait suivant d’une résolution adoptée le 1er octobre 2014 par l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe (« l’APCE ») : « Il convient de noter que, deux ans après, presque tous les dirigeants de l’ancien parti au pouvoir ont été arrêtés ou font l’objet de poursuites ou d’enquêtes : l’ancien Premier ministre et secrétaire général du MNU, [le requérant], l’ancien ministre de la Défense, [B.A.], et l’ancien maire de Tbilissi et directeur de campagne du MNU, [G.U.], sont en prison (détention provisoire). Les autorités judiciaires ont inculpé l’ancien Président, [M.S.], et décidé in absentia la détention provisoire à son encontre, tout comme pour [D.K.], ancien ministre de la Défense, et [Z.A.], ancien ministre de la Justice. » Le 12 mai 2014, à la suite de sa visite en Géorgie du 20 au 25 janvier 2014, le Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe publia un rapport. Il se pencha sur une série de problèmes que ce pays rencontre en matière de droits de l’homme, notamment sur les allégations de poursuites pénales injustifiées dirigées contre des membres de l’ancien parti au pouvoir, le MNU. L’extrait pertinent du rapport sur lequel le requérant attire l’attention et qui fait spécifiquement référence à l’incident du 14 décembre 2013 se lit ainsi : « 37. Les affaires concernant [le requérant], [B.A.] et [G.U.] – tous trois membres du MNU ou lui étant associés – ont été abordées par le Commissaire lors de sa visite. [Le requérant], ancien Premier ministre et secrétaire général du MNU, fut arrêté le 21 mai 2013. Il allègue que, le 14 décembre 2013, il fut emmené, les yeux bandés, à l’extérieur de la prison par des individus non identifiés et conduit à la direction pénitentiaire du ministère des Prisons, où il fut menacé par la personne qui était alors le Procureur général (...) Des ONG actives dans le domaine des droits de l’homme demandèrent l’ouverture d’une enquête sur ces allégations et observèrent avec préoccupation que l’enquête interne du ministère des Prisons n’avait pas clarifié la situation et avait soulevé davantage de questions, notamment celle de l’indisponibilité des enregistrements vidéos réalisés par des caméras de surveillance de la prison. À cet égard, le ministère a expliqué au Commissaire que, étant donné que [le requérant] n’avait présenté sa plainte que le 17 décembre – trois jours après l’incident allégué –, les enregistrements vidéos n’étaient plus disponibles parce qu’ils étaient automatiquement écrasés toutes les vingt-quatre heures. » Dans les conclusions pertinentes de son rapport, le Commissaire lançait l’appel suivant aux autorités géorgiennes concernant les allégations susmentionnées de poursuites pénales indûment motivées : « 41. Le Commissaire souhaite souligner que le système judiciaire doit être suffisamment solide pour que son bon fonctionnement ne soit pas perturbé par les changements de pouvoir caractéristiques de toute véritable démocratie. La persistance d’allégations et d’autres informations indiquant des lacunes qui entacheraient les enquêtes pénales et les procédures juridictionnelles dans des affaires concernant des opposants politiques est source de préoccupation, car elle peut faire douter de l’issue de ces affaires, même si les poursuites engagées et les condamnations définitives sont fondées sur des motifs solides. Les autorités géorgiennes doivent traiter ces problèmes de manière systémique, afin de respecter les garanties d’un procès équitable pour tous et d’accroître la confiance du public dans les institutions responsables de l’application des lois. » À l’appui de son grief selon lequel l’ouverture des poursuites pénales le concernant était inspirée par des mobiles politiques indus, le requérant se réfère également au rapport publié le 9 décembre 2014 par le Bureau des institutions démocratiques et des droits de l’homme de l’OSCE (« le BIDDH ») dans le cadre de ses activités d’observation des procès en Géorgie. Le BIDDH a initié le projet d’observation en question en février 2013, se concentrant sur la surveillance de quatorze procédures pénales sans lien entre elles dirigées contre des hauts responsables du gouvernement précédent, notamment le requérant. Dans son rapport, le BIDDH identifie d’abord, dans le cadre de l’ensemble des quatorze procédures pénales, plusieurs lacunes relatives aux garanties d’un procès équitable (par exemple le principe de l’égalité des armes entre les parties, la présomption d’innocence, la perception d’une influence indue du pouvoir exécutif sur le ministère public et le recours excessif à la détention provisoire), puis il énonce plusieurs recommandations à l’intention des autorités géorgiennes sur la manière d’améliorer globalement le système de justice pénale. Le 18 décembre 2014, le Parlement européen adopta une résolution sur l’approbation de l’accord d’association entre l’Union européenne et la Géorgie. L’extrait pertinent de cette résolution, cité par le requérant luimême à l’appui de ses arguments, est ainsi libellé : « [Le Parlement européen] s’inquiète que de nombreux responsables du gouvernement précédent et certains membres de l’opposition actuelle aient été accusés d’infractions pénales et soient mis aux arrêts ou en détention préventive ; s’inquiète également du recours potentiel au système judiciaire pour lutter contre les opposants politiques, ce qui pourrait (...) saper les efforts déployés par les autorités géorgiennes dans le domaine des réformes démocratiques ; rappelle qu’une opposition politique de valeur est capitale dans l’instauration du système politique équilibré et développé auquel aspire la Géorgie. » Enfin, le requérant cite des extraits de la résolution sur l’abus de la détention provisoire dans les États parties à la Convention européenne des droits de l’homme, adoptée par l’APCE le 1er octobre 2015. Les passages en question se lisent ainsi : « 7. Les motifs abusifs de détention provisoire suivants ont été constatés dans un certain nombre d’États parties à la Convention européenne des droits de l’homme, en ce qu’ils visent : 1. à exercer des pressions sur les détenus pour les contraindre à avouer une infraction ou à coopérer d’une autre manière avec le ministère public, y compris en témoignant contre un tiers (par exemple le cas de Sergueï Magnitski, en Fédération de Russie, et certains cas de dirigeants de l’opposition en Géorgie, comme l’ancien Premier ministre (...), [le requérant]) ; 2. à discréditer ou à neutraliser par d’autres moyens des concurrents politiques (par exemple les cas de certains dirigeants du Mouvement national uni (MNU) en Géorgie) ; (...) Les causes profondes du recours abusif à la détention provisoire sont notamment les suivantes : (...) 4. la possibilité de rechercher la juridiction la plus favorable, donnée au ministère public, qui peut être tenté d’élaborer diverses stratégies pour s’assurer que les demandes de détention provisoire dans certaines affaires sont traitées par un juge qui, pour diverses raisons, devrait se montrer « accommodant » (par exemple en Géorgie, en Fédération de Russie et en Turquie) ». F. Informations concernant d’autres procédures pénales distinctes dirigées contre le requérant Après la communication de la présente affaire à l’État défendeur, le requérant informa la Cour pour la première fois que quatre autres procédures pénales avaient été ouvertes contre lui. Ces nouvelles affaires n’étaient aucunement liées à la principale procédure pénale qui avait servi de fondement à la détention provisoire initialement contestée par le requérant en l’espèce (paragraphes 3 et 8-33). En particulier, le 28 mai 2013, le requérant fut inculpé d’abus de pouvoir par l’usage de menaces ou de la force (article 333 § 3 b) du code pénal) pour le rôle qu’il aurait joué, en sa qualité de ministre de l’Intérieur, dans l’organisation et l’encadrement des forces de police qui avaient violemment dispersé une manifestation pacifique le 26 mai 2011. Par un jugement du 27 février 2014, le tribunal de Tbilissi le reconnut coupable de cette infraction après avoir établi qu’il avait donné l’ordre direct aux forces de police de disperser les manifestants par un recours excessif à la force. Le 11 août 2014, la cour d’appel de Tbilissi confirma le jugement de la juridiction de première instance. D’après les dernières observations du requérant qui figurent dans le dossier, la procédure est actuellement pendante devant la Cour suprême. Le 8 mars 2014, le parquet général engagea de nouvelles poursuites contre le requérant sur le fondement de l’article 332 § 2 (abus d’autorité commis par un haut responsable de l’État) et de l’article 341 (falsification de documents officiels). Cette nouvelle procédure pénale concernait le rôle allégué du requérant, en sa qualité de ministre de l’Intérieur, dans une affaire de 2006 qui avait trait à la dissimulation d’un homicide et dans laquelle étaient impliqués plusieurs de ses proches collaborateurs, des hauts responsables du ministère de l’Intérieur, ainsi que sa femme (Enoukidze et Guirgvliani c. Géorgie, no 25091/07, §§ 15 et suiv., 26 avril 2011). Le 20 octobre 2014, le tribunal de Tbilissi reconnut le requérant coupable des deux infractions en cause après avoir établi que celui-ci avait personnellement contribué à entraver la conduite de l’enquête dans cette affaire d’homicide. Cette procédure est actuellement en cours devant une juridiction supérieure. Le 28 juillet 2014, le requérant fut accusé d’une autre infraction sur le fondement de l’article 333 § 3 b) du code pénal. Cette accusation portait sur son rôle en tant que ministre de l’Intérieur dans l’organisation et l’encadrement d’une descente de police effectuée le 7 novembre 2007 dans les locaux d’une société privée de radiodiffusion et de télévision, Imedi Media Holding, ainsi que dans le retrait ultérieur, considéré comme illégal, de la licence de radiodiffusion de cette société (pour plus de détails, voir Akhvlediani et autres c. Géorgie (déc.), no 22026/10, 9 avril 2013). Enfin, le 5 août 2014, d’autres poursuites furent encore engagées contre le requérant sur le fondement de l’article 333 § 3 b) du code pénal. Il était accusé d’avoir ordonné à plusieurs hauts responsables de la police de soumettre un membre du Parlement à des mauvais traitements en guise de représailles pour des déclarations insultantes et diffamatoires que ce parlementaire aurait faites publiquement au sujet de la femme du président de la Géorgie. Selon le dernier exposé des faits présenté par le requérant, ces deux dernières procédures pénales sont toujours pendantes devant la juridiction de jugement. II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS Après l’entrée en vigueur, le 1er octobre 2010, du nouveau code géorgien de procédure pénale (« le CPP »), qui a remplacé l’ancien code de procédure pénale du 20 février 1998 et considérablement modifié la procédure applicable à l’enquête et au procès pénal, les tribunaux internes ont abandonné la pratique qui consistait à préciser une date limite dans leurs décisions ordonnant le placement en détention provisoire de personnes poursuivies. L’article 194 § 1 du CPP, dont les dispositions font partie d’un chapitre énonçant les règles générales applicables aux audiences, prévoit qu’une décision prise par une juridiction lors d’une audience peut être prononcée oralement et doit être inscrite au procès-verbal de l’audience. Le deuxième paragraphe de cet article ajoute que toutes les décisions orales doivent être motivées. L’article 205 § 1 du CPP dispose qu’une mesure préventive de détention provisoire ne peut être prise que « lorsqu’elle constitue le seul moyen d’empêcher l’accusé a) de fuir ou d’entraver le cours de la justice, b) de faire obstacle à la recherche des preuves et c) de récidiver. » D’après le deuxième paragraphe du même article, la durée de la détention provisoire d’un accusé ordonnée en vertu du premier paragraphe ne doit pas excéder neuf mois. À la fin de cette période maximale, qui est calculée à compter de l’arrestation de l’accusé jusqu’au prononcé d’un jugement au fond par la juridiction de première instance, l’accusé doit être libéré. D’après l’article 206 §§ 3 et 6 du CPP, le procureur doit présenter la demande de placement en détention provisoire au juge compétent dans les quarante-huit heures suivant l’arrestation de l’accusé. La demande doit être examinée lors d’une audience pleinement contradictoire. Le juge rend ensuite une décision écrite motivée dont l’accusé a le droit d’interjeter appel devant une juridiction supérieure (article 207 du CPP). En vertu de l’article 206 §§ 1 in fine, 8 et 9 du CPP, après la décision initiale d’imposer une mesure provisoire de contrainte telle que la détention, une partie a le droit de demander à tout stade de la procédure, notamment lors de l’audience préliminaire, la modification ou la levée de la mesure en se fondant sur des circonstances nouvellement révélées. La juridiction doit alors examiner la recevabilité de la demande dans les vingt-quatre heures en ayant particulièrement égard au point de savoir s’il s’agit véritablement de circonstances nouvellement révélées ; elle peut se dispenser de tenir une audience, mais elle doit néanmoins prononcer une décision écrite motivée. La notion d’audience préliminaire a été introduite, parmi d’autres nouveautés, dans le CPP en 2010. Il s’agit de réunir les parties à la procédure – l’accusation et la défense – avant que l’affaire pénale ne soit examinée au fond. Comme l’indique le chapitre XXII du CPP, qui contient les règles applicables à l’audience préliminaire, les principaux objectifs de cette audience sont notamment de permettre à la juridiction de jugement de maîtriser la conduite de l’affaire, d’améliorer la qualité du procès grâce à la préparation préliminaire, de décourager les démarches inutiles avant le procès, de favoriser le règlement amiable de l’affaire. La période entre l’arrestation de l’accusé et l’ouverture de l’audience préliminaire ne doit normalement pas excéder soixante jours (article 205 § 3 du CPP). C’est le délai accordé aux parties – accusation et défense – pour bâtir leur argumentation, bien préparer les éléments de preuve, interroger les témoins, etc. Durant cette période de soixante jours, chacune des parties peut toutefois présenter au juge une demande dûment motivée tendant au raccourcissement ou à la prolongation de ce délai de préparation (article 208 § 3 du CPP). Le juge doit statuer sur la demande dans les trois jours après que les parties ont eu la possibilité d’échanger leurs points de vue (article 208 § 3 du CPP). Quoi qu’il en soit, si l’audience préliminaire n’a pas été ouverte après les soixante jours normalement prévus ou à la fin d’une autre période autorisée par le juge conformément à la procédure décrite ci-dessus, l’accusé doit être libéré (article 205 § 3 du CPP). Comme le prévoit l’article 219 § 4 du CPP, la juridiction de jugement doit prendre des décisions procédurales nombreuses et variées lors de l’audience préliminaire ; elle doit notamment statuer sur toute demande d’une partie visant à l’imposition, à la modification ou à la levée d’une mesure de contrainte provisoire, telle que la détention. Cette disposition spécifique, contrairement à l’article 206 du CPP (paragraphe 63 ci-dessus), est muette sur la forme que doit revêtir une décision relative à la détention prise par un juge lors de l’audience préliminaire, notamment sur le point de savoir si une telle décision doit être écrite ou orale, motivée ou non.
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Le requérant est né en 1964 et réside à Konya. Le 8 juin 1993, le requérant obtint un diplôme universitaire en « langue et littérature arabes » à l’Université de Damas, en Syrie. Le 16 août 1993, le Conseil de l’enseignement supérieur turc (« le YÖK ») reconnut le diplôme du requérant comme équivalent à une licence (diplôme représentant en Turquie quatre ans d’études). Après avoir obtenu la reconnaissance de son diplôme syrien, le requérant s’inscrivit à l’Institut des sciences sociales de l’Université turque de Selçuk (Konya) pour y poursuivre ses études de master en « langue et rhétorique arabes ». Le 17 octobre 1996, il termina ses études et obtint son diplôme de master. Entre-temps, en 1996, il présenta sa candidature auprès du ministère de l’Éducation nationale (« le ministère ») pour un poste d’instituteur. Son dossier ayant été retenu, il fut nommé par une décision du 25 décembre 1996 du ministère en tant qu’instituteur. Le 14 mai 1997, il prit effectivement ses fonctions en tant qu’instituteur stagiaire dans une école de l’enseignement primaire à Aralık (Iğdır). Du 30 juin au 22 août 1997, il suivit avec succès une formation pédagogique, organisée par le ministère pour les aspirants instituteurs. Cependant, le 2 avril 1997, le YÖK prit la décision de ne plus accorder de certificats d’équivalence pour les diplômes de théologie ou en relation avec la théologie, obtenus à l’étranger, et ce, en invoquant le niveau insuffisant de l’enseignement dispensé. Le 16 juillet 1997, le YÖK élargit le champ d’application de cette dernière décision. Il décida de ne plus accorder de certificats d’équivalence non seulement pour les diplômes de théologie mais aussi pour tout autre diplôme obtenu dans un établissement d’enseignement supérieur où la théologie est enseignée. Il décida également d’annuler les certificats d’équivalence précédemment délivrés par lui, dont celui délivré au requérant, toujours au motif que le niveau de l’enseignement dispensé par l’Université de Damas était insatisfaisant par rapport à celui des universités turques. C’est ainsi que, le 30 juillet 1997, le ministère de l’Éducation nationale annula la nomination du requérant, en se fondant sur cette dernière décision du YÖK. Le 1er septembre 1997, il fut effectivement démis de ses fonctions. Le 4 octobre 1997, le requérant saisit le tribunal administratif d’Erzurum d’une demande en annulation des décisions du YÖK et du ministère. Par une décision du 10 décembre 1997, modifiant celle du 16 juillet 1997, le YÖK décida de ne pas annuler les certificats d’équivalence dûment accordés, mais de les assortir d’une mention précisant que ceux-ci ne seraient pas valables pour la nomination des instituteurs et professeurs selon l’article 43 de la loi no 2547 relative à l’enseignement supérieur. Le 29 décembre 1997, considérant que la demande d’annulation de la décision du YÖK relevait de la compétence du Conseil d’État, le tribunal administratif d’Erzurum renvoya l’affaire à ce dernier. Le 5 mai 1998, faisant suite à sa décision du 10 décembre 1997, le YÖK décida de ne pas annuler la reconnaissance du diplôme de licence du requérant, au motif que ce dernier avait déjà obtenu son diplôme de master. Il rétablit donc le certificat d’équivalence de diplômes, mais en y apposant une annotation se traduisant comme suit : « Ce certificat n’est pas valable pour la nomination des instituteurs et professeurs ». Dans ses observations adressées au Conseil d’État, le YÖK expliqua que le requérant, bien que diplômé de « langue et littérature arabes », avait suivi un programme universitaire incluant l’enseignement de la théologie, au sein d’une université où la théologie est enseignée. Le 3 février 1999, le Conseil d’État débouta le requérant. Il considéra qu’il n’y avait plus lieu de se prononcer sur la validité de l’équivalence, celle-ci ayant entre-temps été reconnue par le YÖK. Quant à la décision du ministère d’annuler la nomination, il considéra qu’elle était conforme au droit, étant donné qu’à la suite de la décision du YÖK du 5 mai 1998 et au vu l’article 45 § 2 de la loi no 1739 sur l’Éducation nationale, il était clair que l’équivalence délivrée au requérant ne lui permettait pas juridiquement d’exercer le métier d’instituteur/professeur. Le 19 janvier 2000, par une majorité de quatorze voix contre trois, l’assemblée plénière des chambres administratives du Conseil d’État (Danıştay İdari Dava Daireleri Genel Kurulu) confirma le jugement attaqué. Les juges dissidents émirent, de leur côté, une opinion divergente en estimant que la compétence du YÖK était limitée par les dispositions législatives en vigueur à la reconnaissance des diplômes à l’étranger, et ne permettait pas au YÖK d’apposer des annotations visant, comme celle en cause, à limiter leur champ d’application. Selon eux, c’était au ministère de l’Éducation qu’il appartenait de vérifier si les personnes ayant obtenu l’équivalence de leur diplôme remplissaient les qualifications requises pour être instituteur. Le 25 décembre 2003, le recours en rectification formé par le requérant fut rejeté. Cet arrêt fut notifié au requérant le 12 février 2004. II. LE DROIT INTERNE PERTINENT L’article 7 de la loi no 2547 du 4 novembre 1981 relative à l’enseignement supérieur définit les missions du YÖK. Selon l’alinéa p) de cette disposition, le YÖK a notamment pour mission de constater l’équivalence des diplômes d’enseignement supérieur obtenus à l’étranger. Le passage pertinent de l’article 43 de la loi no 2547 se lit ainsi : « b) Pour les universités dispensant un enseignement dans les mêmes domaines (...), la question de l’équivalence quant aux éléments tels que l’enseignement, les méthodes, le contenu et la durée de la formation et les modalités d’évaluation, ainsi que la question de l’équivalence des titres et droits acquis au terme des études, sont régies par Conseil de l’enseignement supérieur, sur recommandation du Conseil interuniversitaire, et pour les voies de formation des enseignants, en collaboration avec le ministère de l’Éducation nationale pour la vérification des éléments indiqués. (...) » Le règlement du 14 juillet 1996 sur l’équivalence des diplômes obtenus à l’étranger, en vigueur à l’époque des faits, définissait les modalités de la reconnaissance des diplômes. Ledit règlement ne prévoyait pas la possibilité d’une annulation ou d’une modification d’un certificat d’équivalence déjà accordé par le Conseil de l’enseignement supérieur. L’article 45 § 2 de la loi no 1739 sur l’Éducation nationale se traduit comme suit : « Les professeurs/instituteurs sont nommés par le ministère de l’Éducation nationale, parmi les diplômés des organismes d’enseignement supérieur qui les forment ou parmi les diplômés des organismes d’enseignement [situés] à l’étranger et dont l’équivalence du diplôme est reconnue. » L’article 48 de la loi no 657 sur les fonctionnaires d’État énonce les conditions d’accès à la fonction publique, parmi lesquelles figure la possession d’un diplôme lié à la fonction. L’article 98 b) de cette même loi indique qu’il est mis fin à la fonction de l’agent en cas de perte des conditions d’accès à la fonction publique ou lorsque la non-réalisation de ces conditions apparaît postérieurement.
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Le requérant est né en 1948 et réside à Andorra La Vella. Par un jugement du 17 décembre 1999, rendu après la tenue d’une audience publique, le Tribunal de Corts condamna le requérant à une peine de cinq ans de prison dont un an de prison ferme et le reste en liberté conditionnelle pour trois délits d’abus sexuels commis pendant l’exercice de ses fonctions de médecin. En application de l’article 37 du code pénal en vigueur à cette époque, le requérant fut également condamné à une peine accessoire d’interdiction perpétuelle d’exercer sa profession de médecin. Ce jugement fut confirmé en appel par un arrêt du 19 juillet 2000 rendu par le Tribunal supérieur de justice d’Andorre. Le 29 octobre 2003 le requérant bénéficia d’une mesure de grâce générale adoptée par les coprinces de la Principauté. L’article premier de la mesure de grâce prévoyait une remise de huit mois pour les peines de prison relatives aux délits ou contraventions commis avant le 19 septembre 2003. La disposition excluait expressément de cette remise toute autre peine imposée par les tribunaux pénaux andorrans. La cumulation de cette mesure avec d’autres remises de peines qui lui étaient applicables permirent au requérant de ne pas purger de peine de prison. La peine accessoire, quant à elle, ne fut pas concernée par la mesure de grâce. Le nouveau code pénal, adopté le 21 février 2005, modifia dans son article 38 § 2 les dispositions relatives aux peines accessoires, interdisant que leur durée dépasse celle de la peine principale. Par ailleurs, la deuxième disposition transitoire de ce nouveau code pénal prévoyait, dans son premier alinéa, la possibilité d’introduire un recours en révision, dans la forme établie dans les articles 253 et suivants du code de procédure pénale, pour les personnes condamnées par un jugement définitif à une peine privative ou restrictive de la liberté, dont l’exécution était en cours au moment de l’entrée en vigueur du nouveau code pénal. S’appuyant sur ces dispositions, le requérant présenta un recours de révision. Par un arrêt du 15 juillet 2009, le Tribunal supérieur de justice d’Andorre rejeta le recours. Il rappela le contenu de la deuxième disposition transitoire et nota que le texte se référait exclusivement aux peines privatives ou restrictives de liberté, ne prévoyant pas de révision pour les peines d’interdiction d’exercer une profession. Au demeurant, il rappela que ledit recours de révision n’était ouvert que pour des critères limitativement énumérés auxquels le cas d’espèce ne répondait pas. Le requérant introduisit une action en nullité qui fut rejetée par une décision du 24 septembre 2009 rendue par le même tribunal. Dans leur décision, les magistrats notèrent que la disposition litigieuse, à savoir la deuxième disposition transitoire, était suffisamment précise quant à l’ouverture du recours en révision exclusivement aux personnes condamnées par un jugement définitif à une peine privative ou restrictive de la liberté. Il ne leur appartenait pas d’élargir l’application de ce texte légal aux peines privatives de droits, parmi lesquelles figurait l’interdiction d’exercer une activité professionnelle. Invoquant les articles 10 (droit à un procès équitable) et 29 (droit au travail) de la Constitution, le requérant saisit le Tribunal constitutionnel d’un recours d’empara. Par une décision du 1er février 2010, la haute juridiction déclara le recours irrecevable comme étant dépourvu de contenu constitutionnel. S’agissant du grief tiré du droit au travail, le Tribunal constitutionnel rappela que l’article 29 de la Constitution ne faisait pas partie des articles pouvant être invoqués dans le cadre d’un recours d’empara. Pour ce qui était des griefs tirés du droit à un procès équitable, le Tribunal constitutionnel observa premièrement que les décisions a quo étaient suffisamment motivées par des arguments cohérents. Concernant l’existence d’un éventuel droit du requérant à la révision de sa condamnation, bien que la haute juridiction notât que le rejet indu d’une telle révision était susceptible de constituer une violation de l’article 10 de la Constitution ainsi que de l’article 6 de la Convention, elle considéra que les quatre hypothèses prévues à l’article 253 du code de procédure civile avaient été dûment examinées par le Tribunal supérieur de justice dans son arrêt du 15 juillet 2009. Ses conclusions devaient être considérées comme « raisonnées et raisonnables », aucune violation de l’article 10 de la Constitution ne pouvant ainsi être décelée. Certes, la deuxième disposition transitoire du nouveau code pénal permettait d’introduire un recours de révision aux personnes ayant été condamnées à des peines privatives de liberté en application du principe de la loi pénale plus favorable. Cependant, même si la peine d’interdiction d’exercer une profession pouvait avoir un impact négatif sur la vie de la personne condamnée, le Tribunal constitutionnel nota qu’en droit andorran elle ne faisait pas partie des peines privatives de liberté. Il en allait d’ailleurs de même en ce qui concernait le droit des États voisins. Dans ces circonstances, la haute juridiction estima que la décision du Tribunal supérieur de justice ayant rejeté le recours de révision du requérant ne pouvait pas être considérée comme étant arbitraire. Au demeurant, elle rappela qu’il ne lui appartenait pas de compléter ni d’interpréter des dispositions légales qui déterminaient, de façon claire et précise, les cas exceptionnels prévus par le législateur pour entamer la procédure en révision. Le requérant interjeta un recours de súplica contre cette décision. Le Tribunal constitutionnel rejeta son recours le 15 mars 2010, rappelant que ce recours n’avait pas pour objet la révision de l’affaire et constatant qu’en l’espèce le requérant n’avait pas fourni de nouveaux éléments de fait ou de droit pouvant justifier un écartement de la décision contestée. II. LE DROIT INTERNE PERTINENT A. Le code pénal du 11 juillet 1990, en vigueur lorsque le requérant fut condamné L’article 37 du code pénal en vigueur lorsque le requérant fut condamné disposait : « En sus de ces peines peuvent être infligées les peines accessoires suivantes : (...) L’interdiction temporaire ou définitive d’exercer les droits publics, une profession ou une charge ». (...) B. Loi qualifiée 9/2005, du 21 février 2005, du code pénal Cette loi prévoit dans ses dispositions pertinentes : Article 7 Application de la loi pénale dans le temps La loi pénale n’a pas d’effets rétroactifs. Cependant, les lois pénales qui favorisent l’accusé ont des effets rétroactifs. En cas de doute sur quelle loi est la plus favorable, l’accusé doit être écouté. 2 Pour déterminer la loi applicable dans le temps, les infractions pénales sont considérées commises lorsque l’action ou l’omission punissable a lieu, indépendamment du moment où leur résultat ait lieu. La peine ou la mesure de sécurité cesse d’être exécutée lorsque l’infraction pour laquelle elle a été imposée a cessé d’être prévue par la loi comme infraction pénale. Dans ce cas, les antécédents et toutes les conséquences pouvant en découler restent annulés d’office. Lorsqu’une loi postérieure réduit la peine ou la mesure de sécurité prévue pour une infraction, la personne condamnée en application de la loi antérieure bénéficie également de la disposition la plus favorable. Le tribunal qui a prononcé le jugement doit réviser d’office le jugement affecté par la nouvelle loi plus favorable. La loi modifiant les règles de prescription est applicable rétroactivement lorsqu’elle est favorable à l’accusé. Article 38 § 2 Peines accessoires pour les délits « 2. Dans les cas où il y ait un rapport avec le délit commis, le tribunal peut infliger pour une durée non supérieure à celle de la plus grave des peines principales infligées dans le jugement, une ou plusieurs des peines suivantes : a) Interdiction d’exercer des droits publics, des fonctions publiques, des droits de la famille, une profession ou une charge ». (...) Deuxième disposition transitoire « Les personnes condamnées par un jugement définitif à une peine privative ou restrictive de liberté dont l’exécution ne soit pas suspendue ni accomplie dans sa totalité au moment de l’entrée en vigueur de ce code, pourront entamer une procédure de révision dans la forme établie dans les articles 253 et suivants du code de procédure pénale. Pourront aussi entamer une procédure de révision dans le délai d’un an à partir de l’entrée en vigueur de ce code, les personnes condamnées à une peine privative ou restrictive de liberté dont l’exécution se trouve totalement ou partiellement suspendue si la fin de la suspension ne s’est pas produite à la date d’entrée en vigueur de ce code ». C. Loi qualifiée de modification du code de procédure pénale, du 10 décembre 1998 L’article 253 de cette loi se lit ainsi : « Les jugements définitifs rendus par les tribunaux peuvent faire l’objet d’un recours de révision dans les cas suivants : Lorsque le jugement est fondé sur un document ou un témoignage déclarés faux ultérieurement par un jugement également définitif. Lorsque le jugement est en contradiction avec un autre jugement définitif prononcé pour le même fait délictueux, dont une seule personne peut être l’auteur. Lorsqu’après le prononcé du jugement un fait soit connu démontrant de manière incontestable l’innocence du condamné. Lorsqu’un jugement d’un tribunal supérieur accorde une réduction de la peine ou des avantages dont le condamné ne peut pas bénéficier du fait de ne pas avoir interjeté un recours, malgré le fait de se trouver dans la même situation de fait du requérant bénéficiaire ».
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE La requérante est née en 1988. Elle réside à Gyöngyöspata, village de 2 800 personnes, dont environ 450 sont, comme elle, d’origine rom. Le 6 mars 2011, le Mouvement pour une Hongrie meilleure (Jobbik Magyarországért Mozgalom), parti politique de droite, organisa une manifestation à Gyöngyöspata. À cette occasion, l’Association civile d’autodéfense pour un avenir meilleur (Szebb Jövőért Polgárőr Egyesület) et deux groupes paramilitaires de droite (Betyársereg et Véderő) organisèrent, du 1er au 16 mars 2011, des marches dans le quartier rom du village. La mobilisation des forces de police autour de ces événements les 6, 9 et 10 mars 2011 fut considérable. Le 10 mars 2011 vers 11 heures, le président de l’organisme local d’autoadministration de la minorité rom, J.F., informa la police que le maire de la commune et lui-même avaient été menacés par des inconnus. Le maire signala les mêmes faits et expliqua que, plus tôt dans la journée, une cinquantaine de membres de la minorité rom avaient dû faire face à une quinzaine de membres de l’Association civile d’autodéfense qui avaient été rejoints par quatre ou cinq inconnus, dont l’un avait une hache et un autre un fouet. Il ressort du dossier que quatre hommes passèrent à proximité de la maison de la requérante, à peu près à la même heure, en hurlant : « Rentrez à l’intérieur, sales tsiganes de merde ! » En réponse, la requérante, en présence de sa fille, et les connaissances avec qui elle se trouvait alors dans son jardin demandèrent aux quatre hommes de partir et leur firent observer qu’il s’agissait de leur village. L’un des hommes persista à les menacer en hurlant qu’il construirait une maison dans le quartier rom « avec leur sang ». Il se dirigea vers le grillage en brandissant une hache en direction de la requérante, mais il fut retenu par un de ses compagnons. Vers 14 heures le même jour, les agents de police K.K. et A.B. interpellèrent et fouillèrent quatre hommes, S.T., F.W., Cs.F. et G.M. Le maire de Gyöngyöspata identifia deux d’entre eux, S.T. et F.W., comme ayant participé à l’incident du matin. Les deux hommes étaient membres de Betyársereg. S.T. déclara à la police qu’il était le chef de l’un des « clans » au sein de l’organisation et expliqua que certains membres de son groupe, au nombre d’environ deux cents, avaient l’intention de se rendre à Gyöngyöspata pour « mettre de l’ordre dans le problème rom » et qu’il était venu « en reconnaissance » dans le village. Plus tard dans la journée, S.T., qui était à ce moment-là en état d’ébriété avancé, fut à nouveau repéré par la police alors qu’une femme de sa connaissance l’entraînait hors du quartier rom. Interrogé par la police, il déclara qu’il voulait seulement jouer au football avec les enfants roms. Le 7 avril 2011, la requérante déposa auprès du service régional de la police du comté de Heves une plainte contre X pour actes de violence contre un membre d’un groupe ethnique, harcèlement et tentative de coups et blessures aggravés. La police ouvrit une enquête pour harcèlement avec violences, infraction punie par l’article 176/A (2) du code pénal. Parallèlement, le parquet du district de Gyöngyös ouvrit une enquête pour harcèlement sur la base des déclarations de J.F., le président de l’organisme local d’autoadministration de la minorité rom. Le 12 avril 2011, la requérante fut entendue en qualité de témoin sur ces événements. Elle déclara que trois hommes et une femme étaient passés à proximité de sa maison et que l’un d’eux, qui brandissait un fouet, avait menacé de construire une maison avec son sang. Les services de police de Gyöngyös, à la demande de l’avocat de la requérante, informèrent celle-ci tout d’abord qu’une procédure pénale avait été ouverte pour harcèlement à la suite de la plainte déposée par J.F., puis que sa plainte avait été jointe à cette procédure. Le 14 juillet 2011, les services de police de Gyöngyös abandonnèrent les poursuites au motif que le harcèlement n’était punissable que s’il visait une personne clairement identifiée et que la responsabilité pénale ne pouvait être établie sur la base de menaces proférées « en général ». Considérant toutefois que le comportement reproché était « asocial », la police ouvrit une procédure pour des délits mineurs. Le 14 septembre 2011, lors d’une audience dans le cadre de cette dernière procédure, S.T. et cinq autres personnes, C.S.F., F.W., G.M., A.B.I. et I.N.I., comparurent devant le tribunal de Gyöngyös pour trouble à l’ordre public. Les six personnes poursuivies nièrent toutes avoir menacé des membres de la communauté rom. Entendu en qualité de témoin, J.F. répéta que deux des personnes poursuivies avaient brandi une hache et un fouet et menacé les habitants du quartier rom de les tuer et de peindre leurs maisons avec leur sang. L.T., le maire de Gyöngyöspata, témoigna que l’une de ces personnes se trouvait à Gyöngyöspata le 10 mars 2011 mais il ne fut pas en mesure d’attester que les menaces proférées étaient dirigées contre les Roms. Un autre témoin, P.F., indiqua que trois des personnes poursuivies avaient participé à l’incident et que c’était I.N.I. qui avait menacé les habitants du quartier rom. La requérante, qui fut également entendue en qualité de témoin, affirma que S.T. et F.W. étaient armés et que S.T. avait déclaré qu’il allait « peindre les maisons avec le sang [de la requérante] ». À une date non précisée, cette dernière versa au dossier pénal des extraits de commentaires publiés sur un site Internet de droite dans lesquels S.T. était désigné comme l’homme qui avait « rétabli l’ordre parmi les Roms de Gyöngyöspata grâce à un simple fouet ». Lors d’une autre audience, le 5 octobre 2011, l’avocat de la requérante demanda que la procédure pour délits mineurs soit suspendue parce qu’une procédure pénale contre X était pendante. Le 7 octobre 2011, après que des vices de procédure eurent été reprochés au service régional de police du comté de Heves dans le cadre de l’enquête sur la plainte de J.F., le parquet de Gyöngyös informa la requérante qu’il avait ouvert une procédure distincte pour harcèlement sur la base des allégations formulées dans sa plainte. Dans le cadre de cette procédure, l’avocat de la requérante demanda au parquet de Gyöngyös, le 20 octobre 2011, d’ouvrir une enquête pour « actes de violence contre un membre d’un groupe ethnique », infraction punie par l’article 174/B (1) du code pénal. Il estimait en effet que les menaces proférées contre la requérante avaient été motivées par son origine rom, ce que confirmait la présence au moment des faits de différents groupes paramilitaires qui « inspectaient » le quartier rom dans le but de « réprimer la criminalité tsigane ». Le 3 novembre 2011, le parquet rejeta la demande, considérant qu’à ce stade de la procédure, il n’était pas possible d’établir l’usage de la force, élément matériel de l’infraction d’« actes de violence contre un membre d’un groupe ethnique » telle que définie par l’article 174/B (1) du code pénal dans sa version en vigueur au moment des faits. Le 28 novembre 2011, la requérante réitéra sa demande, apparemment sans succès. Les autorités chargées de l’enquête établirent l’identité des personnes qui étaient passées à proximité de la maison de la requérante et celle de l’auteur allégué de l’infraction, S.T. Les services de police entendirent également un certain nombre de témoins, dont les connaissances de la requérante qui étaient présentes au moment de l’incident, mais seuls deux d’entre eux firent des déclarations pertinentes pour l’affaire. S.T. refusa de témoigner. Le 2 février 2012, après avoir constaté que S.T. avait refusé de témoigner et que la déposition de I.B. avait permis d’établir l’existence de menaces mais sans préciser si elles avaient été dirigées contre une personne déterminée, les services de police de Gyöngyös conclurent qu’aucun des témoignages ne corroborait les allégations de menaces à l’endroit de la requérante et mirent fin à l’enquête pour harcèlement. La requérante contesta cette décision, arguant que les témoins avaient clairement signalé que S.T. avait proféré des menaces dégradantes, menaces dont il ressortait sans équivoque des circonstances de l’espèce qu’elles étaient dirigées contre elle. Elle reprochait également aux autorités chargées de l’enquête de ne pas avoir entendu S.T. et deux autres personnes soupçonnées des infractions en question. Le 21 mars 2012, le parquet de Gyöngyös confirma la décision du 2 février 2012 au motif que les témoignages n’avaient pas permis d’établir si S.T. était armé au moment des faits, ni si les menaces et insultes qui avaient été proférées avaient été dirigées contre la requérante. Il en conclut que ni le harcèlement ni les « actes de violence contre un membre d’un groupe ethnique » ne pouvaient être établis. Cette décision, notifiée à la requérante le 2 avril 2012, l’informait également de la possibilité de former une accusation privée substitutive. Le 1er juin 2012, la requérante, agissant en qualité d’accusatrice privée substitutive, saisit le tribunal de Gyöngyös, qui déclara l’action recevable le 13 juin 2012. Le 6 novembre 2012, cette procédure fut classée sans suite après que la requérante eut renoncé, selon elle par peur de représailles, à l’accusation. II. LE DROIT INTERNE PERTINENT Les dispositions pertinentes du code pénal en vigueur au moment des faits étaient ainsi libellées : Actes de violence contre un membre d’un groupe national, ethnique, racial ou religieux Article 174/B « (1) Quiconque use de la violence contre une personne du fait de l’appartenance de cette dernière à un groupe national, ethnique, racial ou religieux, ou la contraint par la violence ou la menace à faire ou ne pas faire quelque chose ou à tolérer un certain comportement, se rend coupable d’une infraction passible d’une peine pouvant aller jusqu’à trois ans d’emprisonnement. » Harcèlement Article 176/A « (1) Quiconque harcèle régulièrement une autre personne, en particulier en la contactant contre son gré, personnellement ou au moyen des réseaux de télécommunication, dans le but de l’intimider ou de troubler sa vie quotidienne de manière arbitraire, se rend coupable d’un délit passible d’une peine pouvant aller jusqu’à un an d’emprisonnement, pour autant que le fait ne constitue pas une infraction plus grave. » Le 19 avril 2011, le commissaire parlementaire pour les droits des minorités nationales et ethniques publia un rapport sur les événements qui s’étaient déroulés à Gyöngyöspata en mars 2011. On peut y lire : « Malgré les différences entre les uniformes portés par les manifestants, la population rom n’a pas été en mesure de déterminer si les insultes avaient été proférées par des membres de l’Association civile d’autodéfense ou par ceux d’un autre groupe (...) Nombre des personnes concernées ont dit que, même s’il y avait une certaine différence de comportement entre les membres de l’Association civile d’autodéfense, ceux de Védegylet et ceux de Betyársereg, leur attitude à tous était ouvertement hostile aux Roms. Cette attitude s’est essentiellement exprimée par le biais de violences verbales : des phrases telles que « Vous allez mourir », « Nous allons faire de vous du savon » ou « Nous peindrons les murs avec votre sang » ont été proférées. Aucune violence physique n’est à déplorer, essentiellement parce que la population Rom n’a pas cédé à la provocation. Plusieurs Roms ont affirmé qu’un membre de Betyársereg avait menacé et attaqué une jeune femme rom en brandissant un fouet et que seule l’intervention des connaissances de ce dernier avait permis d’éviter l’agression. » Concernant la manifestation organisée par le parti politique le 6 mars 2011, le médiateur observait ce qui suit : « L’organisateur de l’événement avait fait la déclaration nécessaire auprès des services de police de Gyöngyös le 2 mars 2011. Concernant le but de l’événement, la demande était ainsi libellée : « Nous manifestons dans l’intérêt de la population locale de Gyöngyöspata terrorisée par la population rom locale qui tire ses moyens de subsistance de la criminalité (...) » Il ressort clairement de cette déclaration que le but de l’événement n’était pas d’offrir une tribune aux membres locaux et nationaux d’un parti politique pour qu’ils puissent s’adresser aux manifestants mais d’« envoyer un message » aux criminels présumés au sein de la population rom. » Concernant l’attitude des forces de police, le rapport relevait notamment : « Selon la police, « il n’a pas été possible de limiter les déplacements des membres de l’Association civile d’autodéfense dans le quartier rom car le droit civil à la liberté de circulation ne peut être entravé. Les forces de police et la population locale ont en effet pu constater qu’ils [les membres de l’Association civile d’autodéfense] ne violaient pas la loi ». À mes yeux, la présence menaçante d’un groupe paramilitaire et les marches qu’il a organisées ne sont pas assimilables à des « patrouilles » ni à des actions de surveillance ou de prévention des dangers. La police a donc méconnu la loi. Les forces de police peuvent être « félicitées » pour avoir empêché, en deux semaines de présence continue, tout acte de violence contre les personnes et les biens et pour avoir limité les agressions au niveau verbal. Je tiens cependant à souligner qu’elles auraient pu faire preuve de « plus de fermeté » pour apaiser les tensions ethniques, malgré les lacunes et les contradictions de la législation en la matière. »
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Le requérant est né en 1972 et réside à Budapest. Il affirme être catholique pratiquant. Selon les pièces du dossier, il est de profession enseignant de religion. I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE A. La procédure pénale menée contre le requérant Soupçonné d’utilisation abusive d’explosifs, le requérant fut arrêté le 2 juin 2005. Le 11 mai 2007, le parquet général le renvoya devant le tribunal régional du comté de Pest pour y être jugé des chefs d’incitation à un meurtre aggravé et de détention illégale d’armes à feu et d’explosifs. (…) Le 28 février 2014, le requérant fut reconnu coupable et condamné à la réclusion à perpétuité avec possibilité de libération conditionnelle après 30 ans. Le 2 juillet 2015, la juridiction de deuxième instance annula ce jugement et renvoya l’affaire devant la juridiction de première instance, où elle est actuellement pendante. B. La détention provisoire du requérant et son assignation à résidence Dans le cadre de la procédure ci-dessus, le tribunal de district de Kaposvár ordonna le placement du requérant en détention provisoire. (…) Le 2 février 2012, la détention provisoire du requérant atteignit la durée légale maximum de quatre ans. Le 23 janvier 2012, le tribunal métropolitain de Budapest assigna le requérant à résidence, avec surveillance policière constante, dans l’appartement de Mme I.T, une proche du requérant. Aux termes de la décision, le requérant était autorisé à quitter l’appartement de 8 heures à 16 heures tous les deuxièmes mercredis du mois. Le tribunal estima que les motifs justifiant la détention du requérant demeuraient valables et que l’application d’une mesure moins restrictive n’était due qu’à l’expiration de la durée légale maximum de quatre ans de la détention provisoire. Il rejeta également la demande d’élargissement du requérant, dans laquelle ce dernier s’engageait à ne pas quitter son domicile, estimant que les arguments relatifs aux problèmes de santé de sa mère et à la situation financière modeste de son hôte ne pouvaient servir de fondement à une demande de mesure moins restrictive. (…) Le 21 décembre 2012, le tribunal de Budapest rejeta la demande du requérant visant à l’obtention de l’autorisation de quitter le lieu de son assignation à résidence tous les dimanches de 7 heures à 11 heures pour se rendre à la messe, ainsi que les 27 et 28 décembre 2012 et les 2 et 4 janvier 2013. Relevant que le requérant était de profession enseignant de religion, le tribunal estima que la restriction apportée à l’exercice par l’intéressé de ses convictions religieuses n’était pas disproportionnée. La cour d’appel confirma cette décision le 24 janvier 2013. Elle considéra que les convictions religieuses du requérant ne justifiaient pas que lui soit accordée l’autorisation de quitter le domicile où il était assigné à résidence et que de telles autorisations étaient généralement le reflet d’un changement intervenu dans la situation personnelle du détenu. Elle précisa qu’une telle demande ne pouvait être accordée que si elle concernait un lieu et un but précis. (…) Le requérant fut assigné à résidence jusqu’au 8 novembre 2013, date à laquelle il fut placé en détention provisoire dans le cadre d’une procédure pénale concernant une autre infraction. Le requérant fut de nouveau placé en détention provisoire à partir du 2 juillet 2015, après la décision de la juridiction de deuxième instance d’annuler sa condamnation et de renvoyer à la juridiction de première instance. II. LE DROIT INTERNE PERTINENT La loi XIX de 1998 sur le code de procédure pénale est ainsi libellée : Article 129 « (2) La mise en détention provisoire d’un prévenu ne peut être ordonnée au cours d’une procédure relative à une infraction passible d’emprisonnement qu’aux conditions suivantes : (…) b) si, en raison d’un risque de fuite ou d’évasion, ou pour toute autre raison, il existe un motif raisonnable de croire que la participation du prévenu aux actes de procédure ne peut être garantie autrement, c) s’il existe un motif raisonnable de croire que, s’il restait en liberté, le prévenu pourrait empêcher, entraver ou compromettre l’administration de la preuve, en particulier par subornation ou intimidation des témoins ou par destruction, falsification ou obscurcissement de preuves matérielles ou de documents, (…) d) s’il existe un motif raisonnable de croire que, s’il restait en liberté, le prévenu pourrait achever l’infraction tentée ou planifiée ou commettre une autre infraction passible d’emprisonnement. » Article 130 « (2) À la place de la détention provisoire, le tribunal peut ordonner une détention domiciliaire, une assignation à résidence ou une ordonnance restreignant la liberté de mouvement du prévenu. » (…) Article 138 « (1) En cas d’assignation à résidence, le prévenu ne peut quitter l’habitation désignée par le tribunal et l’espace clos adjacent que dans le respect des motifs, horaires et distances précisés par la décision du tribunal, en particulier pour pourvoir à ses besoins quotidiens élémentaires ou pour se faire soigner. (2) En tant que mesure coercitive, la décision d’assignation à résidence, de même que sa durée, son maintien et sa cessation, est régie par les dispositions applicables à la décision de placement en détention provisoire, à son prolongement, à son maintien et à sa cessation. » Article 210 « (1) Le juge d’instruction tient une audience si la demande concerne les questions suivantes : a) la [première] décision de mesure coercitive impliquant une restriction ou une privation de la liberté personnelle (...), b) le prolongement d’une mesure de détention provisoire ou d’assignation à résidence, si de nouveaux éléments [par rapport aux décisions précédentes] ont été avancés [par le parquet] pour justifier le prolongement de la mesure (...) » (…) Le décret commun no 6/2003. (IV. 4.) IM–BM du ministère de la Justice et du ministère de l’Intérieur est ainsi libellé : Article 1 « (1) Si le tribunal ordonne l’assignation à résidence de l’accusé, il désigne l’habitation et l’espace clos environnant qui constitueront le lieu habituel de résidence de l’accusé en tant que lieu d’exécution de l’assignation à résidence. (2) S’il ordonne l’assignation à résidence, le tribunal informe l’accusé qu’il ne peut quitter l’habitation que dans le respect des motifs, horaires et destinations précisés dans la décision du tribunal. »
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Le requérant est né en 1961. A. La condamnation et l’internement du requérant Le 6 novembre 2002, le tribunal de district (Bezirksgericht) de Zurich condamna le requérant à cinq mois d’emprisonnement pour conduite en état d’ivresse. Toutefois, sur la base d’une expertise des Services psychiatriques (Psychiatrische Dienste) du canton des Grisons du 10 juin 2002, il prononça également son internement en application de l’ancien article 43 ch. 1 al. 2 du Code pénal suisse (« CP ») et suspendit l’exécution de la peine (article 43 ch. 2 al. 1 CPS ; paragraphe 23 ci-dessous). L’expertise constatait l’échec des thérapies antérieures, l’absence d’évolution favorable des caractéristiques psychopathologiques, une forte dépendance à l’alcool et en déduisait un risque élevé de récidive faisant courir un grave danger pour la sécurité publique. Le tribunal de district souligna que les antécédents du requérant, qui avait fait l’objet de nombreuses poursuites depuis 1982, de mesures ambulatoire puis stationnaire restées sans résultats, justifiaient le prononcé de la mesure la plus incisive, à savoir l’internement. Par jugement du 9 mars 2004, après avoir entendu le requérant, la cour d’appel (Obergericht) du canton de Zurich réduisit la peine à quatre mois et demi d’emprisonnement et confirma pour le surplus le jugement de l’instance précédente. Il considéra l’internement du requérant justifié à la lumière du danger qu’il représentait pour la sécurité publique. La cour se fonda sur l’expertise du 10 juin 2002 et demanda une deuxième expertise, rendue le 5 décembre 2003. Celle-ci confirma largement les conclusions de la première expertise, en particulier l’échec des thérapies antérieures et l’absence d’évolution positive auprès du requérant. Elle estima que le risque que le requérant commette une nouvelle infraction grave était relativement faible. Compte tenu de qui précède, elle considéra qu’une nouvelle mesure n’était pas indispensable. Depuis le 30 novembre 2004, le requérant était interné au sein du pénitencier de Pöschwies, à Regensdorf, jusqu’à sa libération, le 17 janvier 2012. L’Office de l’exécution judiciaire (Amt für Justizvollzug) du canton du Zurich refusa sa libération les 22 décembre 2005 et 20 décembre 2006. Le recours dirigé contre cette deuxième décision fut rejeté par la direction de la justice et de l’intérieur (Direktion der Justiz und des Innern) du canton de Zurich le 7 juin 2007. B. La procédure devant la cour d’appel et la Cour de cassation, aboutissant au premier arrêt du Tribunal fédéral Le 21 mai 2008, le requérant adressa une demande de libération à la cour d’appel. S’estimant incompétente, elle n’entra pas en matière et renvoya la demande à l’office de l’exécution judiciaire. La cour d’appel, qui examinait par ailleurs la conformité de l’internement au nouveau droit des sanctions entré en vigueur au 1er janvier 2007 (art. 64 al. 1 CPS ; paragraphe 23 ci-dessous), suspendit cette procédure jusqu’à la décision de l’office de l’exécution judiciaire. Le 1er juillet 2008, l’office de l’exécution judiciaire rejeta la demande de libération. Le 9 septembre 2008, le requérant adressa une seconde demande de libération à la cour d’appel, rendant attentif au caractère urgent de sa demande. Par décision du 1er octobre 2008, elle se déclara à nouveau incompétente. Ayant repris l’examen de la conformité de l’internement au nouveau droit après la décision du 1er juillet 2008, elle ordonna la poursuite de cette mesure sur la base du nouveau droit. Par arrêt du 15 décembre 2008, la Cour de cassation (Kassationsgericht) du canton de Zurich rejeta le recours en nullité (Nichtigkeitsbeschwerde) du requérant. Elle estima que le requérant ne pouvait pas se prévaloir d’un droit à obtenir en tout temps un contrôle directement judiciaire de la légalité de l’internement. La procédure en vigueur, d’abord interne à l’administration via un recours auprès de l’autorité supérieure, dont la décision peut dans un second temps être portée devant le tribunal administratif (Verwaltungsgericht) du canton de Zurich, était conforme à l’article 5 § 4 de la Convention, si bien que c’était à bon droit que la cour d’appel avait décliné sa compétence. Le requérant déposa un recours auprès du Tribunal fédéral. Il fit valoir que le système zurichois, reposant sur les articles 64a et suivant CPS (l’examen de la libération doit être conduit par l’« autorité compétente »), rendait « illusoire » toute possibilité d’obtenir une décision judiciaire dans un « bref délai », conformément à l’article 5 § 4 de la Convention. Il devait pouvoir accéder directement à un tribunal. Par arrêt du 25 février 2009, le Tribunal fédéral débouta le requérant, considérant qu’il n’y avait pas lieu de modifier sa jurisprudence relative aux articles 64a et suivant CPS, jugés conformes à la Convention. Sous l’ancien comme sous le nouveau code, il n’existait pas de droit à saisir en tout temps un juge afin de faire contrôler la légalité d’un internement prononcé à l’origine par un tribunal. La procédure introduite en parallèle par le requérant et se déroulant d’abord devant une autorité interne à l’administration cantonale garantissait une protection suffisante au regard de l’article 5 § 4 de la Convention. C. La procédure devant l’office de l’exécution judiciaire, la direction de la justice et de l’intérieur et le tribunal administratif, aboutissant au second arrêt du Tribunal fédéral Le 21 août 2008, l’office de l’exécution judiciaire auditionna le requérant personnellement en présence de son avocat dans le cadre de l’examen annuel d’office de la légalité de l’internement. Le même jour, le requérant formula une demande de libération ainsi que l’octroi d’un assouplissement de l’exécution de son internement, notamment l’octroi de vacances non-accompagnées, le passage à un régime de semi-liberté et l’octroi de l’assistance judiciaire. Il conclut son acte de recours en demandant un traitement particulièrement accéléré de ses griefs (« besonders beförderliche Behandlung »). Le 7 octobre 2008, tenant compte de l’audition du requérant du 21 août 2008 ainsi que d’un rapport de thérapie du 22 juillet 2008 et d’un rapport du service psychiatrique-psychologique du 30 juillet 2008, l’office de l’exécution judiciaire refusa la libération du requérant au terme de l’examen annuel d’office. Quant à la demande de libération et aux autres griefs formulés par le requérant, ils furent rejetés le 5 décembre 2008. Contre chacune des deux décisions, le requérant interjeta un recours auprès de la direction de la justice et de l’intérieur. Elle rejeta le recours contre la première décision le 22 janvier 2009, et le second le 5 mars 2009. Par cette dernière décision, l’assistance judiciaire lui fut accordée. Le requérant porta les deux décisions devant le tribunal administratif, demandant d’être entendu. Ce tribunal décida de joindre les deux procédures. Par arrêt du 15 juillet 2009, il rejeta les recours. Le tribunal administratif fit siens les considérants de l’arrêt du Tribunal fédéral du 25 février 2009. Il ajouta que s’il était vrai que le système mis en place dans le canton de Zurich entraînait forcément une durée globale de la procédure plus longue, elle restait « raisonnable » (« angemessen »), notant qu’un mois et demi s’étaient écoulés entre l’audition du requérant dans le cadre de l’examen annuel d’office le 21 août 2008 et la décision de l’office de l’exécution judiciaire du 7 octobre 2008. Ensuite, deux mois et demi s’écoulèrent entre le recours du requérant déposé le 10 novembre 2008 et la décision de la direction de la Justice et de l’Intérieur du 22 janvier 2009. Il souligna que le requérant avait saisi plusieurs autorités en parallèle et qu’il avait fallu attendre certaines décisions. Le principe de célérité n’aurait en sus pas la même portée dans le cadre de l’examen d’office qu’en cas de demande de libération s’appuyant sur une modification des circonstances, et il vaudrait en réalité essentiellement pour le prononcé, à l’origine, de la sanction par un tribunal. Le tribunal administratif estima par ailleurs que l’établissement d’une nouvelle expertise n’était pas nécessaire, notant que le requérant ne le demandait pas. Il renonça aussi à tenir une audience, rejetant la demande expresse du requérant, en considérant comme suffisant le fait qu’il avait été entendu personnellement en présence de son avocat dans le cadre de l’examen annuel d’office le 21 août 2008 (paragraphe 16 ci-dessus). Il ajouta que les articles 5 § 4 et 6 § 1 de la Convention ne conféraient pas un tel droit au cours d’une procédure concernant une demande de libération d’une mesure d’internement. Il confirma au demeurant la légalité de l’internement, considérant que les circonstances n’avaient pas évolué depuis les dernières décisions rejetant les demandes de libération du requérant. Il estima que, depuis l’arrêt de la cour d’appel du 9 mars 2004, il n’y aurait pas eu de développement significatif dans la situation du requérant, ce que le requérant ne prétendait par ailleurs pas non plus (« Diesbezüglich belegt der Beschwerdeführer keine wesentlichen Veränderungen bei sich seit dem obergerichtlichen Urteil vom März 2004, weshalb auf die bestehenden Berichte und Gutachten abgestellt werden darf »). Enfin, le tribunal administratif accueillit favorablement la demande d’allègements dans l’exécution de l’internement et renvoya la cause à l’office de l’exécution judiciaire pour nouvelle décision. Le requérant déposa un recours auprès du Tribunal fédéral. Il fut débouté par arrêt du 25 janvier 2010. Le Tribunal fédéral approuva les calculs des délais opérés par le tribunal administratif. Il constata en outre que quatre mois et demi s’étaient écoulés entre le recours au tribunal administratif et l’arrêt de ce dernier (2 mars – 15 juillet 2009). Dans l’ensemble, la procédure avait duré 11 mois jusqu’à la première décision judiciaire. Il fallait tenir compte de la jonction des deux procédures par le tribunal administratif, et du fait que les juridictions précédentes se seraient basées sur des expertises antérieures (« haben auf frühere Gutachten abgestellt »). En conclusion, selon le Tribunal fédéral, une telle durée était « longue, mais pas injustifiable » (« lange, aber nicht [...] unvertretbar »). Il confirma pour le surplus l’arrêt du tribunal administratif, soulignant que l’article 5 § 4 de la Convention ne conférait aucun droit à une audience. D. Libération conditionnelle du requérant Le requérant fut libéré de manière conditionnelle par une décision de l’exécution judiciaire en date du 17 janvier 2012. II. LE DROIT INTERNE PERTINENT Les articles 43 et 45 du code pénal (CP) du 21 décembre 1937 (version en vigueur jusqu’au 31 décembre 2006) sont libellés comme il suit : Article 43 « 1. Lorsque l’état mental d’un délinquant ayant commis, en rapport avec cet état, un acte punissable de réclusion ou d’emprisonnement en vertu du présent code, exige un traitement médical ou des soins spéciaux et à l’effet d’éliminer ou d’atténuer le danger de voir le délinquant commettre d’autres actes punissables, le juge pourra ordonner le renvoi dans un hôpital ou un hospice. Il pourra ordonner un traitement ambulatoire si le délinquant n’est pas dangereux pour autrui. Si, en raison de son état mental, le délinquant compromet gravement la sécurité publique et si cette mesure est nécessaire pour prévenir la mise en danger d’autrui, le juge ordonnera l’internement. Celui-ci sera exécuté dans un établissement approprié. Le juge rendra son jugement au vu d’une expertise sur l’état physique et mental du délinquant, ainsi que sur la nécessité d’un internement, d’un traitement ou de soins. En cas d’internement ou de placement dans un hôpital ou un hospice, le juge suspendra l’exécution d’une peine privative de liberté. (...) » Article 45 « 1. L’autorité compétente examinera d’office si et quand la libération conditionnelle ou à l’essai doit être ordonnée. En matière de libération conditionnelle ou à l’essai de l’un des établissements prévus à l’art. 42 ou 43, l’autorité compétente prendra une décision au moins une fois par an, en cas d’internement selon l’art. 42 pour la première fois à l’expiration de la durée minimum légale de la mesure. (...) » Les articles 64 et 64b du CP du 21 décembre 1937 (version en vigueur dès le 1er janvier 2007) sont libellés comme il suit : Article 64 « 1. Le juge ordonne l’internement si l’auteur a commis un assassinat, un meurtre, une lésion corporelle grave, un viol, un brigandage, une prise d’otage, un incendie, une mise en danger de la vie d’autrui, ou une autre infraction passible d’une peine privative de liberté maximale de cinq ans au moins, par laquelle il a porté ou voulu porter gravement atteinte à l’intégrité physique, psychique ou sexuelle d’autrui et si : a. en raison des caractéristiques de la personnalité de l’auteur, des circonstances dans lesquelles il a commis l’infraction et de son vécu, il est sérieusement à craindre qu’il ne commette d’autres infractions du même genre, ou b. en raison d’un grave trouble mental chronique ou récurrent en relation avec l’infraction, il est sérieusement à craindre que l’auteur ne commette d’autres infractions du même genre et que la mesure prévue à l’art. 59 semble vouée à l’échec. (...) » Article 64b « 1. L’autorité compétente examine, d’office ou sur demande : a. au moins une fois par an et pour la première fois après une période de deux ans, si l’auteur peut être libéré conditionnellement de l’internement et, si tel est le cas, quand il peut l’être (art. 64a, al. 1) ; (...) » L’article 100 de la loi sur le Tribunal fédéral (LTF) du 17 juin 2005 est libellé comme il suit : Article 100 « 7. Le recours pour déni de justice ou retard injustifié peut être formé en tout temps. » L’article 59 de loi sur la procédure administrative du canton de Zurich du 24 mai 1959 est libellé comme il suit (traduction de l’allemand non officielle de la Cour) : « § 59. Le tribunal administratif, ses présidents ou ses juges uniques peuvent, d’office ou sur requête d’une partie, ordonner une audience orale. Celle-ci peut avoir lieu en parallèle à l’instruction écrite ou la remplacer (...). »
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE La liste des parties requérantes figure en annexe. Les faits de la cause, tels qu’ils ont été exposés par les parties, peuvent se résumer comme suit. Le 23 août 1990, M. G. Olivieri, M. S.V., M. A.R. et M. G.V., salariés de la municipalité de Bénévent, déposèrent chacun un recours devant le tribunal administratif régional (« le TAR ») de Campanie (voir tableau en annexe) visant à obtenir la rectification des calculs relatifs à leur ancienneté de service et la condamnation de la collectivité locale au versement des différences de rétribution. Chaque salarié présenta conjointement une demande de fixation de l’audience (istanza di fissazione dell’udienza). Le 26 février 2008, le greffe du TAR signifia à chaque partie, en application de l’article 9, alinéa 2 de la loi no 205 du 21 juillet 2000, un avis portant sur l’obligation de présenter une nouvelle demande de fixation de l’audience, sous peine de péremption du recours. Les requérants, dont les héritiers de S.V., A.R. et G.V., intervenus dans les respectives procédures entre juillet et septembre 2008, déposèrent aux mêmes dates une nouvelle demande de fixation de l’audience (voir tableau en annexe). En même temps, les requérants, sur le fondement de la loi no 89/2001 dite loi « Pinto », introduisirent un recours devant la cour d’appel de Naples pour se plaindre de la durée excessive de la procédure administrative. La cour d’appel de Naples, entre février et avril 2009 (voir tableau en annexe), déclara les recours irrecevables. Elle constata qu’au cours de la procédure juridictionnelle administrative, les requérants n’avaient pas présenté une demande de fixation en urgence de la date de l’audience (istanza di prelievo), nouvelle condition de recevabilité des recours « Pinto », introduite avec le décret-loi no 112 du 25 juin 2008. Le 4 novembre 2011, la Cour de cassation rejeta les pourvois des requérants pour les mêmes raisons. II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS A. Quant aux obligations des parties à une procédure devant le tribunal administratif régional La procédure devant le tribunal administratif régional (TAR) était réglementée, à l’époque des faits, par la loi no 1034 du 6 décembre 1971. En particulier, l’article 19, premier alinéa, disposait que : « Dans les affaires devant les tribunaux administratifs régionaux, jusqu’à l’adoption d’une loi spéciale sur la procédure, les règles de procédure des sections juridictionnelles du Conseil d’État sont observées (...) ». Selon ces règles de procédures, dans les deux ans de l’introduction du recours, la partie requérante devait présenter une demande de fixation de l’audience (istanza di fissazione dell’udienza), sous peine de péremption (Article 40 du décret royal no 1054 du 26 juin 1924). Suite au dépôt de cette demande, le juge saisi avait l’obligation de fixer l’audience. La partie requérante pouvait également déposer une demande de fixation en urgence de la date de l’audience (istanza di prelievo). Dans ce cas, le juge avait la faculté d’accorder la priorité au recours, anticipant la date de l’audience (article 51 du décret royal no 642 du 17 août 1907). Pour les recours pendants de plus de dix ans, le greffe du tribunal administratif régional devait notifier aux parties un avis portant sur l’obligation de déposer une nouvelle demande de fixation de l’audience afin d’éviter la péremption de l’affaire (Article 9 de la loi no 205 du 21 juillet 2000). L’Assemblée plénière de la Cour de cassation a statué, dans son arrêt no 28507/05 du 15 décembre 2005, que : « (...) dans le système en vigueur avant la loi 205/2000 (...) le procès administratif ne mettait à la charge de la partie requérante, après le dépôt du recours, que (...) la présentation, dans un délai de deux ans à partir du dépôt du recours (...), d’une demande tendant à la fixation de l’audience ; suite au dépôt de cette demande, le déroulement du procès était soumis au pouvoir d’initiative du juge. Par conséquent, le dépôt de la demande prévue par l’article 54, deuxième alinéa, du décret royal no642/1907 (istanza di prelievo), ne constitue pas une obligation de faire, son but exclusif étant celui de signaler l’urgence du recours afin d’en obtenir l’examen anticipé, renversant l’ordre chronologique d’inscription au rôle des demandes de fixation de l’audience (...) » Pour ce qui est de l’obligation de présenter une demande de fixation de l’audience (istanza di fissazione dell’udienza), l’article 9, alinéa 2, de la loi no 205/2000 prévoit que : « (...) 2. Il incombe au Greffe de notifier aux parties constituées, après dix ans de la date d’introduction des recours, un avis portant sur l’obligation des parties demanderesses de présenter une nouvelle demande de fixation de l’audience (istanza di fissazione dell’udienza) avec la signature des parties dans un délai de six mois à partir de la date de notification du même avis. Les recours pour lesquels la nouvelle demande de fixation de l’audience n’a pas été présentée, à l’expiration du délai indiqué, se heurtent à la péremption prévue à l’article 26, dernier alinéa, de la loi no 1034 du 6 décembre 1971, introduit par l’alinéa 1 du présent article. » B. Quant à la satisfaction équitable pour violation du droit à une durée raisonnable du procès administratif Le droit et la pratique internes pertinents relatifs, en général, à la loi no 89 du 24 mars 2001, dite «la loi Pinto », figurent dans l’arrêt Cocchiarella c. Italie ([GC], no 64886/01, §§ 23-31, CEDH 2006-V). En ce qui concerne son application à la durée des procédures juridictionnelles administratives, l’Assemblée plénière de la Cour de cassation, dans l’arrêt no 28507/05, avait statué que : « (...) conformément à l’approche exprimée à maintes reprises dans la jurisprudence de la Cour de Strasbourg, [la Cour de cassation] est déjà revenue sur l’interprétation jusqu’à présent dominante et a affirmé que la violation du droit à une durée raisonnable des procédures judicaires doit être examinée en considérant la période de temps s’étant écoulée à partir de l’introduction de la procédure. Cela trouve également application dans les procédures devant le juge administratif, le défaut ou le dépôt tardif de la demande de fixation urgente de la date de l’audience n’ayant aucune incidence. Cette interprétation (...) doit être confirmée, en considérant que (...) l’existence d’un instrument d’accélération du procès ne suspend ni ne diffère l’obligation de l’État de statuer sur la demande, ni n’entraîne l’attribution à la partie requérante d’une responsabilité pour le dépassement du délai raisonnable dans la résolution de l’affaire, le comportement de la partie ne pouvant entrer en ligne de compte que dans l’appréciation du préjudice subi. » Par la suite, le décret-loi no 112 du 25 juin 2008, entré en vigueur le même jour (puis converti, sans aucune modification substantielle sur ce point, par la loi no 133 du 6 août 2008), a prévu dans son article 54, alinéa 2, que : « (...) La demande de satisfaction équitable pour se plaindre de la violation prévue par l’article 2, premier alinéa (de la loi no 89 du 24 mars 2001), dans une procédure devant le juge administratif ne peut pas être introduite si, dans ladite procédure, une demande au sens de l’article 51, deuxième alinéa, du décret royal no 642 du 17 août 1907 (istanza di prelievo) n’a pas été déposée. »
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE La requérante est née en 1963 et réside à Lisbonne. Elle est journaliste et chroniqueuse judiciaire pour la chaîne de télévision portugaise SIC (Sociedade Independente de Comunicação, S.A.). A. Le reportage à l’origine de l’affaire Le 12 novembre 2005, le journal télévisé de 20 heures diffusa un reportage réalisé par la requérante sur une affaire judiciaire. Ce reportage concernait la condamnation par le tribunal de Sintra de monsieur E., un homme d’origine capverdienne âgé de 18 ans à l’époque des faits, à quatre ans et demi de prison pour le vol aggravé d’un portable dans le cadre d’une procédure pénale qui avait été ouverte contre plusieurs individus (procédure interne no 1044/04.9PCSNT). Dans son reportage, la requérante défendait l’innocence du jeune homme et dénonçait l’erreur judiciaire que constituait sa condamnation. Pour appuyer sa thèse, elle y interrogeait plusieurs juristes et des personnes qui étaient intervenues au cours de la procédure. Couvrant des prises de vue de la salle du tribunal de Sintra où l’audience publique avait eu lieu, des extraits de l’enregistrement sonore de l’audience réalisé par le tribunal lui-même, accompagnés d’un sous-titrage, étaient également diffusés dans le reportage, notamment l’interrogatoire d’un témoin à charge et de deux témoins à décharge. Pour la retransmission de ces extraits, les voix des trois juges qui composaient la chambre du tribunal, ainsi que celles des témoins, avaient été déformées. Ces séquences étaient suivies de commentaires de la requérante cherchant à démontrer que monsieur E. avait été condamné en dépit du fait qu’il n’avait été reconnu par aucune des victimes au cours du procès et qu’il soutenait qu’il travaillait au moment où le vol en question avait été commis. Pour le reportage, la requérante avait cherché à obtenir des déclarations des juges qui étaient intervenus au cours du jugement mais ceux-ci n’avaient pas souhaité s’exprimer. Après la diffusion du reportage, le président de la chambre qui avait jugé l’affaire saisit le parquet dénonçant l’absence d’autorisation pour la transmission des extraits de l’enregistrement sonore de l’audience et des prises de vues qui avaient été faites dans la salle d’audience. Les personnes dont les voix furent retransmises ne saisirent pas les tribunaux pour dénoncer une atteinte à leurs droits à la parole. B. La procédure pénale (procédure interne no 1985⁄05.6TAOER) À une date non précisée, le parquet près le tribunal d’Oeiras entama des poursuites pour désobéissance (desobediência) contre la requérante et trois responsables du journal de 20 heures de la chaîne de télévision SIC. Par une ordonnance du 4 septembre 2007, le parquet présenta ses réquisitions à leur encontre. Il considéra que les accusés avaient diffusé l’enregistrement sonore de l’audience qui avait eu lieu dans le cadre de la procédure devant le tribunal de Sintra, sans l’autorisation de celui-ci, enfreignant l’article 88 § 2 b) du code de procédure pénale et l’article 348 § 1 a) du code pénal. La requérante et les trois autres accusés sollicitèrent l’ouverture de l’instruction devant le tribunal d’instruction criminelle d’Oeiras, demandant une décision de non-lieu (despacho de não pronúncia). Dans son mémoire, la requérante soutenait, entre autres, que la divulgation de l’enregistrement sonore d’une audience effectué par les services du tribunal n’était pas punie par l’article 88 § 2 b) du code de procédure pénale et que seules l’étaient les prises d’images ou de sons en direct d’une audience et leur diffusion ultérieure. Par une décision du 14 décembre 2007, le tribunal d’instruction d’Oeiras rejeta la demande de la requérante, confirmant les charges du parquet à son égard du parquet à son égard. L’affaire fut renvoyée devant le tribunal d’Oeiras. À une date non précisée, la requérante présenta son mémoire en défense (contestação). Elle réfutait avoir procédé à l’enregistrement de l’audience et alléguait que son reportage avait eu pour objectif de dénoncer une erreur judiciaire grave ce qui primait, eu égard à la liberté de l’individu, sur tout acte illicite qui aurait pu être commis. Elle estimait aussi que l’interprétation de l’article 88 § 2 b) du code de procédure pénale faite par les juridictions avait porté atteinte à la liberté de la presse. Par un jugement du 6 août 2008, le tribunal d’Oeiras jugea la requérante coupable de désobéissance considérant que cette dernière avait violé l’interdiction légale de diffuser sans autorisation du tribunal, l’enregistrement sonore de l’audience qui avait eu lieu au tribunal de Sintra. Il estima que les extraits qui avaient été divulgués n’apparaissaient pas comme des éléments indispensables au reportage, que la liberté de la presse n’était pas absolue et que, dans la mesure où elle était juriste de formation et journaliste spécialisée dans les affaires judiciaires, la requérante savait que leur transmission était interdite par la loi. Le tribunal condamna ainsi cette dernière à une peine de 60 jours-amende au taux journalier de 25 euros (EUR), soit un total de 1 500 EUR, ainsi qu’au paiement des frais de justice. Pour fixer sa peine, il tint compte du fait que la requérante avait déjà fait l’objet d’une condamnation pour désobéissance dans le cadre d’une autre affaire. À une date non précisée, la requérante attaqua le jugement devant la cour d’appel de Lisbonne. Elle contestait les faits qui avaient été considérés comme établis par le tribunal d’Oeiras et son interprétation de l’article 88 § 2 b) du code de procédure pénale en réitérant que l’interdiction de diffuser des prises de sons ou d’images d’une audience ne se pose que lorsque la procédure est pendante et non après qu’elle ait été conclue. Le 26 mai 2009, la cour d’appel de Lisbonne prononça son arrêt, confirmant le jugement du tribunal d’Oeiras. Quant aux faits, elle estima que la requérante savait que la transmission des extraits était soumise à une autorisation du tribunal. Elle considéra ensuite qu’il n’y avait pas eu violation de la liberté de la presse et qu’il s’agissait, en l’occurrence, de protéger les droits à la parole (direito à palavra) et à l’image d’autrui. À une date non précisée, la requérante saisit le Tribunal constitutionnel d’un recours en inconstitutionnalité, objectant l’inconstitutionnalité de l’article 88 § 2 b) du code de procédure pénale. Par un arrêt du 15 février 2011, le Tribunal constitutionnel rejeta le recours de la requérante, en concluant ainsi : « (...) pour la diffusion de l’enregistrement sonore par la voie de la presse, l’exigence d’une autorisation s’explique, tant pour la protection du droit à la parole que pour la sauvegarde des objectifs légitimes visant la réalisation de la justice qui sont poursuivis avec l’enregistrement sonore. Ainsi, les conditions ayant déterminé l’enregistrement étant remplies, les intérêts en cause se concentrent, d’un côté, et en particulier, sur la sphère privée de l’auteur des déclarations, lequel contrôle ses propos et leur utilisation et, d’un autre côté, sur l’intérêt de la bonne administration de la justice qui doit garantir à celui qui, par obligation légale, a vu ses paroles enregistrées dans le cadre d’une procédure, que le titulaire de celle-ci empêche leur diffusion à des fins autres que celles prévues par la loi. C’est aussi pour cette raison que se justifient l’autorisation du juge et la prévision du crime de désobéissance. Partant, il n’est pas excessif que celui qui a été obligé de témoigner en vertu de la loi et dont les déclarations ont été enregistrées, sans pouvoir s’y soustraire, confiant sa parole au tribunal au cours d’une audience, puisse s’attendre à une protection renforcée. Il n’est pas disproportionné que celui qui s’est vu confier des déclarations au cours d’un procès puisse dûment suivre les déclarations recueillies en vertu d’une imposition légale, vérifiant la fin qui leur est donnée. L’exigence d’une autorisation judiciaire pour la diffusion de l’enregistrement sonore des déclarations faites au cours d’une audience, sans aucune limite temporelle, demeurant au-delà du terme de la procédure dans le cadre de laquelle l’audience a été réalisée, ne constitue pas une solution non conforme et excessive. Elle est justifiée au nom de la protection du droit à la parole et pour des raisons de bonne administration de la justice, ce qui légitime l’intervention venant contraindre la liberté d’expression. L’obligation d’une autorisation judiciaire, dans les circonstances du cas d’espèce, ne viole pas le principe de la proportionnalité, étant donné qu’elle se limite à ce qui est nécessaire pour préserver le droit à la parole et à la bonne administration de la justice. » Le Tribunal en déduisit que l’interprétation de l’article 88 § 2 b) du code de procédure pénale selon laquelle il est interdit de diffuser l’enregistrement sonore d’une audience d’un tribunal, sans son autorisation, était conforme à la Constitution et ne violait pas, en particulier, l’article 38 de la Constitution garantissant la liberté de la presse. II. LE DROIT INTERNE PERTINENT Les dispositions internes pertinentes en l’espèce se lisaient ainsi au moment des faits : Article 38 de la Constitution « 1. La liberté de la presse est garantie. La liberté de la presse a les corollaires suivants : a) la liberté d’expression et de création pour les journalistes et leurs collaborateurs, ainsi que la participation des premiers à l’orientation éditoriale des organes de communication pour lesquels ils travaillent, à moins que ces derniers ne soient de nature doctrinale ; b) tout journaliste a accès aux sources d’information, dans les conditions prévues par la loi. Son indépendance et le secret professionnel sont protégés. Il a également le droit d’élire les membres des conseils de rédaction ; (...) » Article 88 du code de procédure pénale « 1. Les organes de presse peuvent, dans les limites de la loi, rapporter la teneur des actes de procédure non couverts par le secret de l’instruction (segredo de justiça) (...) Il n’est toutefois pas autorisé, sous peine de désobéissance simple, de : a) reproduire des pièces de procédure ou des documents versés au dossier d’une procédure jusqu’au jugement en première instance, excepté si ces pièces ont été obtenues par le biais d’une requête mentionnant le but d’une telle demande ou si l’autorité judiciaire en charge de la phase de procédure en cause a expressément autorisé une telle reproduction ; b) transmettre ou enregistrer des images ou des prises de sons concernant la pratique de tout acte de procédure, notamment de l’audience, sauf si l’autorité judiciaire indiquée à l’alinéa précédent l’autorise par ordonnance ; cela étant, il n’est pas autorisé de transmettre ou d’enregistrer des images ou des prises de sons concernant une personne qui s’y oppose ; (...) » Article 348 du code pénal « 1. Quiconque ne respecte pas un ordre ou un mandat légitimes, régulièrement communiqués ou émanant des autorités ou d’un fonctionnaire compétents, sera puni d’une peine d’emprisonnement pouvant atteindre un an ou d’une peine pouvant atteindre 120 jours-amende : a) si une disposition légale sanctionne en l’espèce la désobéissance simple (...) » III. LE DROIT INTERNATIONAL PERTINENT La Recommandation Rec(2003)13 du Comité des Ministres du Conseil de l’Europe aux États membres, sur la diffusion d’informations par les médias en relation avec les procédures pénales, se lit ainsi : « (...) Rappelant que les médias ont le droit d’informer le public eu égard au droit de ce dernier à recevoir des informations, y compris des informations sur des questions d’intérêt public, en application de l’article 10 de la Convention, et qu’ils ont le devoir professionnel de le faire ; Rappelant que les droits à la présomption d’innocence, à un procès équitable et au respect de la vie privée et familiale, garantis par les articles 6 et 8 de la Convention, constituent des exigences fondamentales qui doivent être respectées dans toute société démocratique ; Soulignant l’importance des reportages réalisés par les médias sur les procédures pénales pour informer le public, rendre visible la fonction dissuasive du droit pénal et permettre au public d’exercer un droit de regard sur le fonctionnement du système judiciaire pénal ; Considérant les intérêts éventuellement conflictuels protégés par les articles 6, 8 et 10 de la Convention et la nécessité d’assurer un équilibre entre ces droits au regard des circonstances de chaque cas individuel, en tenant dûment compte du rôle de contrôle de la Cour européenne des droits de l’homme pour garantir le respect des engagements contractés au titre de la Convention ; (...) Désireux de promouvoir un débat éclairé sur la protection des droits et intérêts en jeu dans le cadre des reportages effectués par les médias sur les procédures pénales, ainsi que de favoriser de bonnes pratiques à travers l’Europe, tout en assurant l’accès des médias aux procédures pénales ; (...) Recommande, tout en reconnaissant la diversité des systèmes juridiques nationaux en ce qui concerne les procédures pénales, aux gouvernements des États membres : de prendre ou de renforcer, le cas échéant, toutes mesures qu’ils considèrent nécessaires en vue de la mise en œuvre des principes annexés à la présente recommandation, dans les limites de leurs dispositions constitutionnelles respectives, de diffuser largement cette recommandation et les principes qui y sont annexés, en les accompagnant le cas échéant d’une traduction, et de les porter notamment à l’attention des autorités judiciaires et des services de police, et de les mettre à la disposition des organisations représentatives des juristes praticiens et des professionnels des médias. Annexe à la Recommandation Rec(2003)13 – Principes concernant la diffusion d’informations par les médias en relation avec les procédures pénales Principe 1 – Information du public par les médias Le public doit pouvoir recevoir des informations sur les activités des autorités judiciaires et des services de police à travers les médias. Les journalistes doivent en conséquence pouvoir librement rendre compte et effectuer des commentaires sur le fonctionnement du système judiciaire pénal, sous réserve des seules limitations prévues en application des principes qui suivent. Principe 2 – Présomption d’innocence Le respect du principe de la présomption d’innocence fait partie intégrante du droit à un procès équitable. En conséquence, des opinions et des informations concernant les procédures pénales en cours ne devraient être communiquées ou diffusées à travers les médias que si cela ne porte pas atteinte à la présomption d’innocence du suspect ou de l’accusé. (...) Principe 6 – Information régulière pendant les procédures pénales Dans le cadre des procédures pénales d’intérêt public ou d’autres procédures pénales attirant particulièrement l’attention du public, les autorités judiciaires et les services de police devraient informer les médias de leurs actes essentiels, sous réserve que cela ne porte pas atteinte au secret de l’instruction et aux enquêtes de police et que cela ne retarde pas ou ne gêne pas les résultats des procédures. Dans le cas des procédures pénales qui se poursuivent pendant une longue période, l’information devrait être fournie régulièrement. (...) Principe 8 – Protection de la vie privée dans le contexte de procédures pénales en cours La fourniture d’informations sur les personnes suspectées, accusées ou condamnées, ainsi que sur les autres parties aux procédures pénales devrait respecter leur droit à la protection de la vie privée conformément à l’article 8 de la Convention. Une protection particulière devrait être offerte aux parties qui sont des mineurs ou d’autres personnes vulnérables, aux victimes, aux témoins et aux familles des personnes suspectées, accusées ou condamnées. Dans tous les cas, une attention particulière devrait être portée à l’effet préjudiciable que la divulgation d’informations permettant leur identification peut avoir à l’égard des personnes visées dans ce Principe. »
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Les requérants sont nés respectivement en 1978, 1980 et 2007. Ils fuirent l’Arménie en raison des craintes de persécution liées à l’activité de journalisme du premier requérant et à son engagement politique. Arrivés en France le 4 octobre 2009, ils déposèrent des demandes d’asile qui furent rejetées par l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA), le 21 décembre 2009, puis par la Cour nationale du droit d’asile (CNDA), le 28 février 2011. Les demandes de réexamen qu’ils déposèrent par la suite furent également rejetées. Le 3 mai 2011, le préfet du Loiret prit à l’encontre des requérants des arrêtés rejetant leurs demandes de titres de séjour et leur faisant obligation de quitter le territoire. Le 18 octobre 2011, le tribunal administratif d’Orléans, saisi par les requérants, refusa d’annuler ces arrêtés. Arrêté par la police à l’occasion d’un vol dans la soirée du 16 février 2012, le premier requérant fut placé, le jour même, en garde à vue. Les deuxième et troisième requérants furent interpellés, le lendemain, au centre d’accueil des demandeurs d’asile (CADA) de Chaingy où la famille résidait. Les requérants furent conduits, le même jour, au centre de rétention administrative (CRA) de Toulouse-Cornebarrieu. Les arrêtés de placement en rétention pris contre les deux premiers requérants sont ainsi libellés : « Considérant que la mise en œuvre immédiate de [l’arrêté portant obligation de quitter le territoire] n’est pas possible en raison des modalités d’organisation de [leur] départ vers [leur] pays d’origine ; Considérant que [les requérants] ne présent[ent] pas de garanties de représentation suffisantes en ce qu’[ils] n’[ont] pas présenté de passeport valide, qu’[ils] ne dispos[ent] ni d’une domiciliation stable, ni de ressources suffisantes, qu’[ils] n’[ont] pas exécuté la précédente mesure d’éloignement prise à [leur] encontre et qu’[ils] s’oppos[ent] formellement dans [leur] procès-verbal d’audition à être reconduit dans [leur] pays d’origine. » Les deux premiers requérants contestèrent leurs arrêtés de placement en rétention et formèrent, en parallèle, un référé suspension. À cette occasion, ils firent valoir qu’ils disposaient d’un domicile fixe dans un CADA, qu’un proche était disposé à les accueillir et qu’en tout état de cause, ce placement méconnaîtrait l’intérêt supérieur de l’enfant. À cet égard, ils signalèrent que leur enfant, trop jeune pour être laissé seul, dut les accompagner dans toutes leurs démarches administratives et qu’il fut ainsi amené à côtoyer des policiers armés en uniforme. Le 21 février 2012, le président du tribunal administratif de Toulouse rejeta sans audience la requête en référé, estimant : « Il résulte des dispositions [légales internes] que la contestation de la légalité des décisions portant placement en rétention prises en exécution de mesures d’éloignement est entièrement régie par une procédure particulière présentant, ellemême, le caractère d’une procédure d’urgence et ne relève pas de l’office du juge des référés (...) ; qu’il suit de là que les requérants ne sont pas recevables à solliciter du juge des référés qu’il prononce (...) la suspension de la mise à exécution des décisions de placement en rétention administrative prises en exécution d’obligations de quitter le territoire français, laquelle aurait, en l’occurrence, des effets équivalents à celle de l’annulation au fond de cette même décision. » Le même jour, le tribunal administratif de Toulouse rejeta la requête en annulation du placement en rétention administrative introduite par les deux premiers requérants aux motifs suivants : « Considérant qu’il est constant que [les requérants] ne peu[vent] présenter ni document d’identité, ni titre de voyage en cours de validité ; que s’[ils] f[ont] valoir qu’[ils] disposent d’un domicile fixe dans un centre d’accueil des demandeurs d’asile, il ressort des pièces du dossier que ce centre [leur] a demandé de quitter les lieux où [ils] se maintien[nent] indûment depuis le mois de juin 2011 ; que [les intéressés] ne justifi[ent] pas davantage de ressources licites ; qu’enfin, depuis la notification du jugement du tribunal administratif d’Orléans du 18 octobre 2011 rejetant sa requête dirigée contre l’arrêté du préfet du Loiret du 2 mai 2011, [les requérants] se soustrai[ent] à cette mesure d’éloignement ; que, dans ces conditions, le choix de l’autorité préfectorale de [les] placer en rétention administrative au lieu de [les] assigner à résidence (...) n’est pas entaché d’erreur manifeste d’appréciation. » Répondant plus spécifiquement au moyen soulevé par les requérants tiré de l’intérêt supérieur de l’enfant, le tribunal administratif le jugea inopérant, les décisions attaquées ne se rapportant qu’à la situation personnelle de ses parents. Le préfet ayant saisi le juge des libertés et de la détention du tribunal de grande instance de Toulouse pour obtenir la prolongation de la mesure de rétention, les deux premiers requérants tentèrent de faire intervenir volontairement le troisième requérant à l’instance. Le 22 février 2012, le juge des libertés et de la détention autorisa la prolongation de la rétention des requérants pour une durée de vingt jours, après avoir déclaré irrecevable l’intervention volontaire à l’instance faite au nom du mineur et avoir rejeté le moyen tiré de l’incompatibilité des conditions de rétention avec la présence d’un enfant mineur aux motifs suivants : « Attendu qu’il n’appartient pas à l’autorité judiciaire d’interférer dans la gestion des centres de rétention administrative. » Cette décision fut confirmée, le 24 février 2012, par le premier président de la cour d’appel de Toulouse qui précisa notamment : « (...) le centre de rétention administrative de Cornebarrieu où se trouve l’enfant est agréé pour recevoir les familles et comporte toutes les infrastructures nécessaires au confort d’une famille avec enfant. Ainsi, toute la famille est réunie et dispose, dans un secteur autonome et séparé du reste des retenus, des pièces pour elles seules (sic) et à leur usage exclusif. De surcroît, il existe une aire de jeu sur le site comme dans les squares. Enfin, un médecin et une infirmière sont disponibles tous les jours au centre de rétention administrative de Toulouse et les époux A.B. ne justifient pas s’être vu opposer une fin de non-recevoir lorsqu’ils ont demandé à leur présenter leur enfant, demande dont l’existence n’est également pas démontrée. Les dispositions conventionnelles, spécialement l’article 8, n’apparaissent donc pas avoir été méconnues. » Le 24 février 2012, les requérants saisirent la Cour, en vertu de l’article 39 du règlement, d’une demande de suspension de la mesure de placement en centre de rétention dont ils faisaient l’objet. Le 29 février 2012, la Cour décida de ne pas faire application de la mesure provisoire demandée. Le 5 mars 2012, les requérants furent libérés après avoir manifesté leur volonté de retourner en Arménie et avoir sollicité à cette fin le bénéfice d’une aide au retour volontaire. Ils ne quittèrent cependant pas le territoire français en raison de l’état de santé du troisième requérant. Le 13 juillet 2012, le premier requérant fut d’ailleurs admis au séjour en sa qualité de parent d’enfant malade. Par deux arrêts du 15 novembre 2012, la cour administrative d’appel de Bordeaux annula les arrêtés de placement en rétention administrative du 17 février 2012 prononcés à l’encontre des deux premiers requérants. Elle jugea de manière similaire pour chacun des deux époux : « 4. Considérant que l’article L. 561-2 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile prévoit, par dérogation aux cas dans lesquels un ressortissant étranger est susceptible d’être placé en rétention, la faculté de prendre une mesure d’assignation à résidence lorsque l’étranger présente des garanties propres à prévenir le risque qu’il se soustraie à son obligation de quitter le territoire français ; qu’en vertu des dispositions du 3o du II de l’article L. 511-1 du même code, ce risque doit être notamment regardé comme établi, sauf circonstance particulière, dans les cas où l’étranger s’est soustrait à l’exécution d’une mesure d’éloignement ; que le constat par l’autorité administrative de faits relevant du 3o du II de l’article L. 511-1, s’il est de nature à faire présumer l’existence d’un risque que le ressortissant étranger se soustraie à son obligation de quitter le territoire, ne dispense pas cette même autorité, avant toute décision de placement en rétention, de l’examen particulier des circonstances propres à l’espèce ; que, s’agissant des étrangers parents d’enfants mineurs ne présentant pas de garanties suffisantes de représentation, visés à l’article L. 562-1 de ce code, et conformément aux objectifs de l’article 17 de la directive 2008/115/CE, le recours au placement en rétention ne doit constituer qu’une mesure d’exception réservée au cas où l’étranger ne disposerait pas, à la date à laquelle l’autorité préfectorale prend les mesures nécessaires à la préparation de l’éloignement, d’un lieu de résidence stable ; Considérant que pour la transposition de la directive précitée, l’article L. 562-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, créé par la loi no 2011672 du 16 juin 2011, prévoit que : « Dans les cas prévus à l’article L. 5511, lorsque l’étranger est père ou mère d’un enfant mineur résidant en France dont il contribue effectivement à l’entretien et à l’éducation dans les conditions prévues à l’article 371-2 du code civil depuis la naissance de celui-ci ou depuis au moins deux ans et lorsque cet étranger ne peut pas être assigné à résidence en application de l’article L. 561-2 du présent code, l’autorité administrative peut prendre une décision d’assignation à résidence avec surveillance électronique, après accord de l’étranger. La décision d’assignation à résidence avec surveillance électronique est prise par l’autorité administrative pour une durée de cinq jours. La prolongation de la mesure par le juge des libertés et de la détention s’effectue dans les mêmes conditions que la prolongation de la rétention administrative prévue au chapitre II du titre V du présent livre. » ; Considérant qu’il ressort des pièces du dossier qu’à la date de la décision attaquée, M. [A.B.] qui était accompagné de son épouse et de leur fils âgé de quatre ans [A.B.], était hébergé depuis plusieurs années au foyer du centre d’accueil des demandeurs d’asile de Chaingy, et que l’enfant était scolarisé ; que Mme [A.A.B.] a été interpellée le 16 février 2012 dans ce foyer, où la famille se maintenait irrégulièrement alors que la direction du centre lui avait demandé de quitter les lieux à la suite du rejet des demandes de réexamen de leur situation au regard de l’asile par décision du 28 juillet 2011 de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides ; que pour prononcer la mise en rétention, le préfet du Loiret s’est borné à constater que M. [A.B.] ne présentait pas de garanties de représentation suffisantes en ce qu’il n’avait pas présenté de passeport valide, ne disposait ni d’une domiciliation stable ni de ressources suffisantes et n’avait pas exécuté la précédente mesure d’éloignement prise à son encontre ; qu’il ne ressort pas de la décision attaquée que le préfet ait recherché, au regard de la présence de l’enfant, si une mesure moins coercitive que la rétention était possible pour la durée nécessairement brève de la procédure d’éloignement ; que dans ces conditions, sa décision est entachée d’une erreur de droit et doit pour ce motif être annulée ; Considérant qu’il résulte de ce qui précède que, sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens de la requête, M. [A.B.] est fondé à soutenir que c’est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Toulouse a rejeté son recours tendant à l’annulation de la décision du 17 février 2012 le plaçant en rétention administrative ; ». II. LE DROIT ET LA PRATIQUE PERTINENTS CONCERNANT LA RÉTENTION DES ÉTRANGERS, EN PARTICULIER CEUX ACCOMPAGNÉS DE MINEURS A. Droit et pratique internes pertinents Droit interne pertinent En France, il existe différents types de mesure d’éloignement visant les étrangers. La principale mesure d’éloignement est l’obligation de quitter le territoire français. Conformément à l’article L. 511-4, 1o du code de l’entrée, du séjour des étrangers et du droit d’asile (CESEDA), elle ne peut pas concerner l’étranger mineur de dix-huit ans. En pratique cependant, si les parents du mineur font l’objet d’une obligation de quitter le territoire, il arrive fréquemment que ce dernier soit éloigné avec eux. Un étranger peut également être éloigné du territoire s’il fait l’objet d’une interdiction judiciaire du territoire (Code pénal, art. 131-30, al. 2) ou s’il doit être remis aux autorités compétentes d’un État membre de l’Union européenne en application du règlement CE no 343/2009 du 18 février 2003 dit « Dublin II ». Là encore, même si les parents du mineur sont les seuls à faire l’objet de telles mesures d’éloignement, cette situation conduit fréquemment à ce que celui-ci soit renvoyé avec eux. Si l’étranger frappé d’une mesure d’éloignement ne peut pas être immédiatement renvoyé de France et s’il présente des garanties de représentation effectives propres à prévenir le risque qu’il se soustraie à cette obligation, l’autorité administrative peut l’assigner à résidence jusqu’à ce qu’existe une perspective raisonnable d’exécution de son obligation (CESEDA, art. L. 561-1 à L. 561-3). L’étranger frappé d’une mesure d’éloignement peut également être maintenu dans un centre de rétention le temps pour l’administration d’organiser son éloignement. La décision initiale de placement est prise par le préfet pour une durée qui était de 48 heures jusqu’à la loi no 2011-672 du 16 juin 2011 relative à l’immigration, à l’intégration et à la nationalité, puis de cinq jours après l’entrée en vigueur de cette loi (CESEDA, art. L. 551-1). Cette décision peut être contestée devant le tribunal administratif. Si l’éloignement de l’étranger n’a pu intervenir au cours de cette première période, la décision initiale de placement en rétention peut être prolongée à deux reprises par le juge des libertés et de la détention de quinze jours jusqu’à la loi du 16 juin 2011 et de vingt jours après l’entrée en vigueur de cette loi (CESEDA, art. L. 552-7). Le juge des libertés et de la détention peut, à titre exceptionnel, ordonner l’assignation à résidence de l’étranger lorsque celui-ci dispose de garanties de représentation effectives (CESEDA, art. L. 552-4). Avant la loi du 16 juin 2011, la rétention ne pouvait dépasser trentedeux jours ; après l’entrée en vigueur de cette loi, la durée maximale de rétention est de quarante-cinq jours. L’article L. 554-1 du CESEDA précise néanmoins : « Un étranger ne peut être placé ou maintenu en rétention que pour le temps strictement nécessaire à son départ. L’administration doit exercer toute diligence à cet effet. » L’article R. 553-3 du CESEDA précise les normes auxquelles doivent répondre les centres de rétention administrative. S’agissant plus précisément de la rétention des mineurs, le décret no 2005617 du 30 mai 2005 relatif à la rétention administrative et aux zones d’attente modifia le CESEDA en ajoutant à cette disposition l’alinéa suivant : « Les centres de rétention administrative susceptibles d’accueillir des familles disposent en outre de chambres spécialement équipées, et notamment de matériels de puériculture adaptés. » En vertu d’un arrêté du 21 mai 2008 pris en application de l’article R. 553-3 du CESEDA, les centres de rétention administrative (CRA) de LilleLesquin 2, Coquelles, Lyon, Rouen-Oissel, Marseille, MetzQueuleu, Nîmes, Saint-Jacques de la Lande (Rennes), Perpignan, Hendaye, Le MesnilAmelot 2 et Toulouse-Cornebarrieu furent ainsi « habilités à recevoir des familles ». La loi précitée du 16 juin 2011 prit en compte la possibilité d’accueillir des mineurs en rétention en introduisant l’alinéa suivant à l’article L. 553-1 du CESEDA : « Il est tenu, dans tous les lieux recevant des personnes placées ou maintenues au titre du présent titre, un registre mentionnant l’état civil de ces personnes ainsi que les conditions de leur placement ou de leur maintien. Le registre mentionne également l’état civil des enfants mineurs accompagnant ces personnes ainsi que les conditions de leur accueil. (...) » Le 6 juillet 2012, le ministre de l’Intérieur adopta une circulaire visant à définir les mesures pouvant se substituer au placement des mineurs accompagnant leurs parents en rétention administrative en vue de l’éloignement du territoire français. Cette circulaire indique notamment que les autorités administratives doivent veiller, dans le cas de familles parentes d’enfants mineurs, à appliquer la procédure d’assignation à résidence plutôt que le placement en rétention. Dans un rapport commun intitulé « Centres et locaux de rétention administrative », publié en 2010, l’Assfam, Forum Réfugiés, France terre d’asile, La Cimade et l’Ordre de Malte, des organisations non gouvernementales (ONG) spécialisées dans l’assistance aux étrangers, rappelèrent que, malgré l’absence de texte autorisant la rétention des mineurs, trois cent dixhuit enfants « accompagnant » leurs parents furent privés de liberté au cours de l’année 2009. Leur âge moyen est de huit ans. Les ONG soulignent que les enfants ne font pas l’objet d’une mesure administrative de placement en rétention et qu’il s’agit d’une rétention sans aucune base juridique. Elles font également remarquer que les disparités en termes de gestion matérielle de l’accueil des familles sont flagrantes entre les différents CRA habilités à recevoir des familles. L’absence totale de directives sur ce qui est indispensable pour un enfant entraîne un manque d’harmonisation des conditions d’enfermement des familles dans les CRA. Cette tâche est confiée au chef de centre. Il est de sa responsabilité d’adapter la gestion quotidienne de son CRA aux besoins particuliers d’une famille accompagnée d’enfants, sans le soutien de personnels spécifiquement formés à cette fin. Conditions d’accueil du centre de rétention de ToulouseCornebarrieu a) Attestation de l’adjoint au chef du centre de rétention de ToulouseCornebarrieu Dans une attestation datée du 21 février 2012, l’adjoint au chef du centre de rétention de Toulouse-Cornebarrieu décrit le centre en les termes suivants : « (...) la zone famille du CRA de Toulouse-Cornebarrieu est équipée des matériels spécifiques suivants : - 1 maxi cosy - 1 siège W-C - 3 réhausseurs pour les repas - 1 chauffe biberon - 1 gigoteuse premier âge - 2 transats repas - 2 chaises hautes - 1 table à langer - 5 lits de camps (enfants + 3 ans) - 6 lits bébé à barreaux + matelas - 1 frigo (top) pour conservation des biberons, laitages et lait enfant - 1 baignoire bébé - 1 trotteur (jouet) Par ailleurs, l’OFII présent sur le site tient à disposition des enfants qui séjournent au centre différents types de jeux et notamment des barils de jeux type « LEGO » enfants, crayons de couleurs et supports de dessin ainsi que des peluches. Les parties communes et les salles de jeux et de détente sont placées sous vidéo surveillance et des interphones permettent de contacter en permanence les effectifs de police. Accès aux soins : une permanence médicale est assurée tous les jours de la semaine par des infirmières et du lundi au vendredi par des médecins. La maintenance et le contrôle des jeux extérieurs (jeux type jardin public) est assuré par le titulaire du marché multitechnique. En ce qui concerne les couches et produits d’hygiène, ils sont fournis par le prestataire du marché Hôtellerie au fur et à mesure des besoins avec un stock sur site permanent. Pour ce qui est de l’alimentation des enfants, le prestataire restauration fournit le lait et/ou les repas correspondant à l’âge des enfants (sur conseils éventuels du service médical). » b) Rapport du contrôleur général des lieux de privation de liberté À la suite d’une visite effectuée au centre de rétention administrative de Toulouse-Cornebarrieu du 17 au 20 mars 2009, le contrôleur publia un rapport. Il nota, tout d’abord, que le centre figurait dans une zone non constructible compte tenu des servitudes aéronautiques et de l’exposition au bruit. Il releva, ensuite, que le centre, de construction récente, offrait des conditions matérielles d’hébergement satisfaisantes et décrivit son organisation ainsi : « La zone de rétention regroupe cinq zones d’hébergement dites zones de vie et une zone collective. Le secteur d’hébergement est composé de cinq ailes distinctes : • zone A capacité 30 places pour les hommes ; • zone B capacité 20 places pour les hommes (pour les femmes jusqu’au 11 mars 2009) ; • zone C capacité 16 places pour les femmes (pour les familles jusqu’au 11 mars 2009) ; • zone D capacité 30 places pour les hommes ; • zone E capacité 30 places pour les hommes. Les cinq zones de vie (sauf la zone C où les chambres peuvent communiquer) sont construites sur le même schéma avec des chambres à deux lits comportant chacune un bloc sanitaire (lavabo, douche, wc) ; dans chaque zone on trouve une salle de détente avec un baby-foot, une salle de télévision et une cour de détente. » Concernant plus spécifiquement les chambres de la zone C destinées à héberger les familles, le contrôleur nota qu’elles avaient une superficie de 26,46 m² avec une salle d’eau de 4,84 m² comprenant une douche identique à celle des autres zones et deux lavabos et un w.-c., et qu’elles disposaient de deux fenêtres mesurant chacune 1,40 mètre sur 1,20 mètre. Le contrôleur observa que « les chambres ne sont pas verrouillées la nuit, ce qui peut créer chez certaines personnes retenues un sentiment d’insécurité ». Quant à l’accès aux soins, le contrôleur constata que : « (...) l’unité médicale est (...) composée d’un praticien hospitalier à temps plein et de cinq infirmières. Un médecin vient pour remplacer le médecin en poste lors des congés. Il y a tous les jours un médecin disponible. Par ailleurs, une préparatrice en pharmacie vient une demi-journée par mois sous l’autorité d’un pharmacien hospitalier (...). Actuellement le service est ouvert du lundi au vendredi de 7 heures 30 à 18 heures 30 et les samedis, dimanches et jours fériés de 8 heures à 16 heures 30. (...) En dehors des heures d’ouverture du service, il est fait appel au centre 15. » c) Rapports des ONG Dans leur rapport commun de 2006 sur les centres et locaux de rétention administrative, l’Assfam, Forum Réfugiés, France terre d’asile, La Cimade et l’Ordre de Malte mirent l’accent sur le problème majeur du centre de rétention de Toulouse-Cornebarrieu : son implantation en bord de piste de l’aéroport de Toulouse-Blagnac avec pour conséquence d’importantes nuisances sonores supérieures aux limites légales. Ils notèrent ainsi : « Un très grand nombre d’avions décollent ou atterrissent chaque heure, à quelques mètres seulement du CRA. Il n’est absolument pas possible pour deux personnes, sauf à hurler, de communiquer entre elles dans les cours de promenade lorsqu’un avion décolle. Quand la température est clémente, les retenus passent de longs moments dans les cours et sont donc régulièrement exposés à des niveaux sonores supérieurs aux limites légales qui régissent d’autres lieux. » Le rapport précise toutefois que l’isolation phonique est à peu près correcte à l’intérieur des bâtiments et que les conditions de rétention sont relativement bonnes comparées à d’autres centres. Dans le rapport de 2007 sur les centres et locaux de rétention administrative, les ONG relevèrent : « Les chambres n’excèdent pas deux places hormis pour les chambres réservées aux familles qui sont plus spacieuses et équipées de couchages pour les enfants. Chaque chambre d’environ 12,5 m2 est équipée d’un coin toilette et d’une salle d’eau avec douche et lavabo. Le mobilier dans les chambres se compose de lits métalliques, de tables de nuit et d’un ensemble table-chaise solidaire, le tout étant fixé au sol. Toutes les chambres sont pourvues de fenêtres en verre sécurit donnant sur l’extérieur et laissant entrer une lumière naturelle. La partie supérieure de celles-ci est coulissante et permet d’aérer l’espace. Le système servant à la fois au chauffage et à la climatisation, matérialisé dans chaque chambre par une bouche d’air, est assez bruyant et empêche certains retenus de dormir. (...) D’une manière générale même si ce centre de rétention est de facture moderne il reste d’un aspect intérieur et extérieur très froid et clinique. Hormis un petit patio intérieur dans une zone interdite d’accès aux retenus où végètent difficilement quelques plantes le reste est un patchwork de murs blancs, de carrelage blanc et de grillages galvanisés en guise de faux plafond. Les jours de beau temps les rais de soleil entrant par les baies vitrées réchauffent un peu le lieu mais ce dernier reste irradié par une lumière crue augmentant le stress, l’angoisse et accentuant ce sentiment prégnant d’enfermement avant un sort incertain. » Le rapport précise, en outre, que le secteur famille est un « lieu de drame et d’angoisse », « extrêmement traumatisant pour les jeunes enfants qui après plusieurs jours en rétention s’étiolent, ou au contraire deviennent très énervés et difficilement gérables pour leurs parents ». Le rapport 2010 des mêmes ONG décrit le centre comme suit : « Le bâtiment, d’un seul tenant, est construit en bordure des pistes de l’aéroport de Toulouse Blagnac. Les bâtiments de béton sont entourés de grillages surmontés de barbelés. L’ensemble est sous étroite surveillance vidéo contrôlée depuis le poste de police à l’entrée du centre. Cinq secteurs constituent les « unités de vie », dont un est réservé aux femmes et un second aux familles. Chaque secteur est équipé d’une cour dite de promenade faite de murs en béton et de grillages renforcés de barbelés. (...) Bien que le centre de rétention soit de facture récente (2006), il se dégrade rapidement. » Dans le rapport 2011, les ONG expriment l’avis qu’au centre de rétention de Toulouse-Cornebarrieu, « ce ne sont pas les conditions matérielles qui posent problème ». Selon elles, le centre est impersonnel et anxiogène, « la proximité avec l’aéroport et le bruit incessant d’avions en phase de décollage et d’atterrissage ajout[ant] à l’angoisse des personnes qui attendent d’être fixées sur leur sort ». Les ONG affirment que cet environnement est « dévastateur » pour les enfants retenus en rétention qui sont « confrontés à la violence de la rétention même s’ils sont cantonnés dans un secteur spécial », ils « côtoient les autres retenus, les policiers armés et en uniforme [et] sont confrontés à la souffrance de leurs parents ». Les ONG précisent enfin que, pendant la journée, il est difficile pour les enfants de se reposer entre les « haut-parleurs qui annoncent les rendez-vous aux visites, à l’infirmerie ou aux repas, [et] deux décollages d’Airbus A380 ». Jurisprudence Les juridictions internes se sont prononcées à plusieurs reprises sur la pratique du placement en rétention administrative d’enfants accompagnant leurs parents, en vue de leur éloignement. a) Jurisprudence judiciaire Par une ordonnance du 23 octobre 2007 (no 87/2007), le premier président de la cour d’appel de Rennes statua sur l’appel interjeté par le procureur de la République en vue de l’annulation de l’ordonnance de libération du juge des libertés et de la détention concernant une famille avec un nourrisson. Le procureur faisait valoir que le fait de maintenir les requérants dans « des locaux spécialement aménagés pour recevoir les familles ne constituait pas un traitement inhumain ». La cour d’appel confirma l’ordonnance de première instance au motif suivant : « même s’il disposait d’un espace réservé à « l’accueil » des familles, le centre de rétention reste un lieu où sont détenus les étrangers, en vue de leur éloignement du territoire français, pour une durée pouvant atteindre trente-deux jours ; que dans le cas particulier de l’espèce, le fait de maintenir, dans un tel lieu, une jeune mère de famille, son mari et leur bébé âgé de trois semaines, constitue un traitement inhumain au sens de l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’Homme en raison, d’une part, des conditions de vie anormales imposées à ce très jeune enfant, quasiment dès sa naissance, et, d’autre part, de la grande souffrance, morale et psychique, infligée à la mère et au père par cet enfermement avec le nourrisson, souffrance qui, par sa nature et sa durée (...), dépasse le seuil de gravité requis par le texte précité, et qui, en outre, est manifestement disproportionnée au but poursuivi, c’est-à-dire la reconduite à la frontière des époux (...) » Dans une autre ordonnance, le 29 septembre 2008 (no 271/2008), le premier président de la cour d’appel de Rennes considéra que « même s’il dispose d’un espace réservé à l’accueil des familles, le centre de rétention reste un lieu d’enfermement (...), le fait de maintenir, dans un tel lieu, une très jeune mère de famille, son mari et leur bébé âgé d’un an, constitue un traitement inhumain au sens de l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme ». Ce même président releva notamment que cet enfermement est, pour une famille, source de « grande souffrance morale et psychique » qui « dépasse le seuil de gravité requis par la Convention ». Dans un arrêt du 10 décembre 2009 (Bulletin 2009, I, no 250), la Cour de cassation censura cette ordonnance. Elle considéra que les motifs employés par la cour d’appel étaient impropres à caractériser, en l’espèce, un traitement inhumain ou dégradant. Dans une ordonnance du 21 février 2008, la cour d’appel de Toulouse (no 08/00088) ordonna la libération immédiate des requérants au motif que : « le fait de maintenir dans un tel lieu une jeune mère de famille, son mari et leur bébé de deux mois et demi constitue un traitement inhumain au sens de l’article 3 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme en raison, d’une part, des conditions de vie anormales imposées à ce très jeune enfant quasiment dès sa naissance, après avoir été gardé en garde à vue avec sa mère et, d’autre part, de la grande souffrance morale et psychique infligée à la mère et au père par cet enfermement, souffrance manifestement disproportionnée au but poursuivi, c’estàdire à la reconduite à la frontière (...) » Cette décision fut censurée par la Cour de cassation qui décida, dans un arrêt du 10 décembre 2009 (Bulletin 2009, I, no 249) que : « ne constitue pas un traitement inhumain ou dégradant le maintien provisoire en rétention administrative d’une famille composée d’un homme, une femme et leur enfant âgé de quelques mois, dans l’attente d’une reconduite d’office à la frontière légalement prévue dès lors que cette mesure privative de liberté est régulièrement ordonnée par l’autorité judiciaire sous son contrôle et qu’elle s’exécute dans un espace du centre de rétention spécialement réservé aux familles dont il n’est pas démontré que l’aménagement soit incompatible avec les besoins de la vie d’une famille et de la dignité humaine. » b) Jurisprudence administrative Saisi par le Groupe d’information et de soutien des immigrés (GISTI) et la Cimade qui demandaient l’annulation du décret du 30 mai 2005 « en tant qu’il organise le placement en rétention administrative de familles, y compris de mineurs », le Conseil d’État, dans un arrêt du 12 juin 2006 (no 282275), rejeta les requêtes des deux associations. Concernant la rétention des familles, il considéra que l’article 14 du décret en cause n’avait pas pour objet ni pour effet de permettre aux autorités préfectorales de prendre des mesures privatives de liberté à l’encontre des familles des personnes placées en rétention mais qu’il visait seulement à organiser l’accueil de ces familles. Le Conseil d’État en conclut que le pouvoir réglementaire était compétent pour édicter de telles dispositions qui n’étaient contraires ni au CESEDA ni à la Convention de New York sur les droits de l’enfant. Dans un jugement du 8 septembre 2011, le tribunal administratif de Lyon annula un arrêté de placement en rétention, après avoir constaté que la famille concernée n’avait visiblement aucune intention de se soustraire à l’obligation de quitter le territoire qui leur avait été notifiée. Dans un jugement du 29 octobre 2011, le tribunal administratif de Melun annula l’arrêté de placement en rétention au motif « qu’aucune disposition légale ou réglementaire du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile n’autoris[e] le placement en rétention par l’autorité préfectorale d’enfants mineurs d’un étranger, lui-même placé en rétention, sans que ce dernier ait manifesté la volonté de garder ses enfants auprès de lui ». Dans deux jugements des 3 et 4 février 2012, le tribunal administratif de Melun annula comme contraire à l’article 8 de la Convention les placements en rétention de deux familles, estimant qu’une assignation à résidence était possible et partant que les mesures portaient une atteinte disproportionnée au droit des intéressés à une vie familiale normale. Commission nationale de déontologie et de la sécurité (CNDS) La CNDS s’est prononcée à plusieurs reprises contre le placement en rétention administrative de mineurs étrangers. Dans un avis adopté le 13 juin 2005 (saisine no 2004-87), elle observa notamment, à propos d’une famille de ressortissants algériens composée de trois enfants, que les enfants mineurs sont qualifiés d’« accompagnants » de leurs parents qui font l’objet de mesures de reconduite et subissent des conditions de rétention pendant plusieurs jours sans aucune base légale et sans garantie. Dans cette affaire, la famille avait été maintenue dans des locaux qui ne bénéficiaient pas d’espace famille. La CNDS constata que « [l]e souci de ne pas séparer les enfants de leurs parents qui a été mis en avant auprès de la Commission par les responsables administratifs de la décision prise à l’encontre de la famille A.B. a eu pour conséquence de faire subir aux enfants la violence et le traumatisme dus aux conditions (...) de rétention de leurs parents. » La Commission précisa qu’il était attendu du législateur et du pouvoir réglementaire qu’ils rendent effective l’application en France de l’article 2 de la Convention des droits de l’enfant (voir infra), (CNDS – Rapport 2005, pp. 278-305). Le 20 octobre 2008, la CNDS adopta un nouvel avis à la suite de sa saisine concernant la rétention d’une famille avec enfants (saisine no 2007121). Dans cette décision, la CNDS affirma que « si l’intérêt supérieur de l’enfant dicte qu’il ne soit pas séparé de ses parents dont l’expulsion est inévitable, la Commission estime que le même intérêt supérieur de l’enfant interdit son placement en rétention. » Elle demanda en conséquence, lorsqu’un tel cas se présente, de recourir à l’assignation à résidence des parents et de leurs enfants ou à leur placement en résidence hôtelière. Dans un avis adopté le 17 novembre 2008 (no 2007-113), la CNDS recommanda que les mineurs ne soient plus placés dans des centres de rétention lorsque les parents font l’objet d’une mesure d’éloignement. Enfin, dans un avis adopté le 14 décembre 2009 (saisine no 2009121) concernant la rétention d’une famille de ressortissants russes et de leurs trois enfants mineurs, la CNDS recommanda que, « conformément à l’article 37 de la Convention internationale des droits de l’enfant, lorsque des parents font l’objet d’une mesure d’éloignement et que l’assignation à résidence n’est pas possible, la location de chambres d’hôtel surveillées par les services de police ou de gendarmerie soit privilégiée, à moins que le placement des enfants chez des parents ou amis ne puisse être envisagé. » Défenseure des enfants Dans ses deux derniers rapports d’activité (2008 et 2009), avant son rattachement au Défenseur des droits, la Défenseure des enfants soutint que les enfants qui n’ont pas commis d’infraction ne doivent pas être placés dans un lieu privatif de liberté, tel qu’un centre de rétention. Elle rappela que les conditions de rétention des familles étaient très préjudiciables pour les enfants (amaigrissement, symptômes d’angoisse, troubles du sommeil ...), même si la détention se fait dans un centre de rétention comprenant un espace réservé aux familles. Elle affirma à plusieurs reprises que les centres de rétention administrative sont inadaptés à la vie d’enfants même si des espaces familles ont été créés dans certains d’entre eux : les enfants qui vivent une rupture avec leur milieu scolaire et leur environnement quotidien présentent une grande souffrance psychique. Selon elle, il conviendrait de ne recourir à la rétention qu’à titre tout à fait exceptionnel pour les familles avec enfants et privilégier l’assignation à résidence des parents et de leurs enfants ou à défaut leur placement en résidence hôtelière pendant le temps de la procédure administrative. Cela permettrait aux parents de répondre devant les autorités de leur situation et aux enfants de continuer à avoir la vie la plus équilibrée possible dans un moment délicat de la vie de leur famille et ce, tout en évitant de séparer les enfants de leurs parents. Défenseur des droits À la suite de l’arrêt Popov c. France (nos 39472/07 et 39474/07, 19 janvier 2012), le Défenseur des droits a agi de façon à la fois individuelle et générale s’agissant des familles en centres de rétention administrative. D’une part, à chaque fois que la présence d’enfants en centre de rétention administrative lui était signalée, l’intervention du Défenseur des droits a été systématique et s’est traduite par des visites sur place et des demandes aux préfets afin que soit privilégiée, pour ces familles avec enfants, une assignation à résidence. D’autre part, après plusieurs rencontres avec le ministère de l’Intérieur, une circulaire du 6 juillet 2012 a été adoptée, visant à définir les mesures pouvant se substituer au placement des mineurs accompagnant leurs parents en rétention administrative en vue de l’éloignement du territoire français. B. Le droit international pertinent Convention internationale relative aux droits de l’enfant du 20 novembre 1989, ratifiée par la France le 7 août 1990 Les dispositions pertinentes de ce traité sont les suivantes : Article 2 « (...) 2. Les États parties prennent toutes les mesures appropriées pour que l’enfant soit effectivement protégé contre toutes formes de discrimination ou de sanction motivées par la situation juridique, les activités, les opinions déclarées ou les convictions de ses parents, de ses représentants légaux ou des membres de sa famille. » Article 3 « 1. Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu’elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l’intérêt supérieur de l’enfant doit être une considération primordiale. (...) » Article 37 « Les États parties veillent à ce que : (...) b) Nul enfant ne soit privé de liberté de façon illégale ou arbitraire. L’arrestation, la détention ou l’emprisonnement d’un enfant doit être en conformité avec la loi, n’être qu’une mesure de dernier ressort, aussi brève que possible ; c) Tout enfant privé de liberté soit traité avec humanité et avec le respect dû à la dignité de la personne humaine, et d’une manière tenant compte des besoins des personnes de son âge. En particulier, tout enfant privé de liberté sera séparé des adultes, à moins que l’on estime préférable de ne pas le faire dans l’intérêt supérieur de l’enfant. (...) » Conseil de l’Europe a) Comité des Ministres Dans sa recommandation Rec(2003)5 aux États membres sur les mesures de détention des demandeurs d’asile (adoptée le 16 avril 2003, lors de la 837e réunion des Délégués des Ministres), le Comité des ministres recommanda : « (...) Avant de recourir aux mesures de détention, il faudrait envisager d’autres mesures, non privatives de liberté, applicables au cas particulier. (...) En règle générale, les mineurs ne devraient pas être placés en détention, sauf s’il s’agit d’une mesure de dernier recours et, dans ce cas, pour une durée la plus courte possible. (...) Si des mineurs sont détenus, ils ne doivent pas l’être dans des conditions carcérales. Tout doit être mis en œuvre pour qu’ils soient libérés le plus rapidement possible et placés dans une autre structure. Si cela s’avère impossible, des dispositions spéciales adaptées aux enfants et à leur famille doivent être mises en place. » Le 4 mai 2005, le Comité des Ministres adopta vingt principes directeurs sur le retour forcé des étrangers en situation irrégulière (CM(2005)40add). Le chapitre III notamment traite de la détention préalable à l’éloignement et recommande l’adoption du principe suivant : « Principe 10. Conditions de la détention préalablement à l’éloignement (...) le principe de l’unité de la famille devrait être respecté et donc les familles installées en conséquence. (...) Principe 11. Enfants et familles Les enfants ne doivent être placés en détention que s’il s’agit d’une mesure de dernier recours et pour la durée la plus courte possible. Les familles détenues préalablement à leur éloignement devraient bénéficier de lieux d’hébergement séparés afin de préserver leur intimité. Les enfants, qu’ils soient en détention ou non, ont droit à l’éducation et aux loisirs, notamment le droit de jouer et de s’adonner à des activités récréatives appropriées à leur âge. L’éducation offerte pourrait dépendre de la durée de la détention. Les enfants séparés devraient être accueillis dans des institutions dotées d’un personnel et d’installations qui tiennent compte des besoins spécifiques des personnes de leur âge. L’intérêt supérieur de l’enfant doit être une considération primordiale dans les cas de détention préalable à l’éloignement. » b) Assemblée parlementaire Dans la recommandation 1985 (2011) du 7 octobre 2011 sur « Les enfants migrants sans-papiers en situation irrégulière : une réelle cause d’inquiétude », l’Assemblée affirma la nécessité pour les États de s’abstenir en principe de placer en rétention des enfants migrants, l’intérêt supérieur de l’enfant devant toujours être pris en considération lorsque la rétention est envisagée. Quand celle-ci, à titre exceptionnel, s’avère nécessaire, elle doit être prévue par la loi et assortie de toutes les mesures de protection juridique et de recours judiciaire nécessaires, et n’intervenir qu’en dernier ressort, seulement après examen de toutes les alternatives à la rétention. L’éventuel placement en rétention doit être de la plus courte durée possible et l’enfant ne doit pas être séparé d’un parent, sauf circonstances exceptionnelles. Les installations doivent être adaptées à l’âge de l’enfant, des activités et une assistance éducative adéquates doivent également être mises à disposition, dans des installations autres que celles des adultes, ou prévues pour recevoir les enfants avec leurs parents ou d’autres membres de leur famille. c) Commissaire aux droits de l’Homme À la suite de sa visite du 5 au 21 septembre 2005, le commissaire aux droits de l’Homme publia, le 15 février 2006, un rapport sur le respect effectif des droits de l’Homme en France (CommDH(2006)2). Il constata, à propos de l’enfermement des mineurs dans les centres de rétention, que la place des enfants n’était pas dans une structure fermée ne proposant que peu d’activités, peu voire pas de sorties, dans un environnement précaire où leur sécurité ne peut être garantie. Il recommanda que des solutions alternatives soient proposées aux familles avec enfants (paragraphe 196). Il nota à ce sujet que l’assignation à résidence, disposition prévue par la loi, était « peu utilisée » (paragraphe 257). Aussi, le Commissaire rappela que le placement d’enfants en centre de rétention est contraire à la Convention de New York et à la loi française qui prévoit qu’un mineur ne peut faire l’objet d’une mesure de reconduite. Il constata toutefois qu’en France, cela était devenu possible par un vide juridique et justifié par le souci de ne pas séparer les enfants de leurs parents expulsés. Selon lui, les problèmes juridiques et humains que pose la présence d’enfants en rétention paraît totalement sous-évaluée par les autorités françaises (paragraphe 255). Il ajouta enfin qu’en tout état de cause, aucun enfant ne devrait être enfermé au motif que ses parents n’ont pas les papiers nécessaires à leur séjour en France, tout spécialement dans « des lieux où règnent le surpeuplement, le délabrement, la promiscuité et de très fortes tensions » (paragraphe 257). Dans son rapport du 20 novembre 2008 (CommDH2008(34)), le Commissaire remarqua que, « malgré la recommandation du rapport de 2006, la présence d’enfants accompagnant leurs parents en centre de rétention administrative [s’était] accrue. » Il ajouta qu’il était regrettable que les centres de rétention administrative et les zones d’attente à la frontière soient les seuls lieux en France où des mineurs de moins de treize ans sont privés de liberté. Il constata enfin que le problème de la rétention de très jeunes enfants était toujours sous-évalué et il invita les autorités à ne recourir à la rétention administrative de familles que dans des cas d’extrême nécessité afin de ne pas créer un traumatisme irrémédiable pour les enfants. d) Comité européen pour la prévention de la torture (CPT) Lors de sa visite de nombreux centres de rétention administrative en France (Palaiseau, Vincennes 1 et 2, Marseille, Toulouse-Blagnac 2 et Toulouse-Cornebarrieu), en 2006, le CPT souleva, auprès du gouvernement français, la question de la présence de familles, et en particulier de mineurs dits « accompagnants », dans ces lieux de privation de liberté. Il releva que ce type de situation n’était pas exceptionnel. Ayant été interpellées sur les conditions matérielles d’accueil, les autorités françaises reconnurent que « le mobilier présent à ce jour dans les chambres n’est pas toujours pleinement adapté aux enfants en bas âge (...) ». Union européenne a) Législation de l’Union européenne La Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne a acquis une force juridique contraignante avec l’entrée en vigueur du Traité de Lisbonne le 1er décembre 2009. Son article 24 se lit comme suit : Article 24 : Droits de l’enfant « (...) 2. Dans tous les actes relatifs aux enfants, qu’ils soient accomplis par des autorités publiques ou des institutions privées, l’intérêt supérieur de l’enfant doit être une considération primordiale. (...) » Dans la « directive accueil » du Conseil européen (2003/9/CE), adoptée le 27 janvier 2003, l’Union européenne donna une définition des personnes vulnérables nécessitant particulièrement l’attention des autorités : « CHAPITRE IV DISPOSITIONS CONCERNANT LES PERSONNES AYANT DES BESOINS PARTICULIERS Article 17 « Principe Général (...) les mineurs, les mineurs non accompagnés, les handicapés, les personnes âgées, les femmes enceintes, les parents isolés accompagnés de mineurs et les personnes qui ont subi des tortures, des viols ou d’autres formes graves de violence psychologique, physique ou sexuelle. (...) » Article 18 « Mineurs L’intérêt supérieur de l’enfant constitue une considération primordiale pour les États membres lors de la transposition des dispositions de la présente directive relatives aux mineurs. (...) » Le 16 décembre 2008, le Parlement et le Conseil adoptèrent la « directive retour » 2008/115/CE relative aux normes et procédures communes applicables dans les États membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier (Journal officiel no L. 348 du 24/12/2008 pp. 0098‑0107). Aux termes de ce texte, le recours à la rétention aux fins d’éloignement doit être limité et subordonné au respect du principe de proportionnalité en ce qui concerne les moyens utilisés et les objectifs poursuivis (Considérant 16). Les ressortissants de pays tiers placés en rétention doivent être traités humainement et dignement dans le respect de leurs droits fondamentaux et conformément aux dispositions du droit national et du droit international poursuivis (Considérant 17). L’article 15 § 1 de la directive « retour » permet de placer une personne en rétention afin de préparer le retour ou de procéder à l’éloignement, à moins que d’autres mesures suffisantes, mais moins coercitives, puissent être appliquées efficacement. La rétention est autorisée, en particulier lorsqu’il existe un risque de fuite ou lorsque le ressortissant concerné d’un pays tiers évite ou empêche la préparation du retour ou de la procédure d’éloignement et s’il existe une perspective raisonnable d’éloignement dans un délai raisonnable. L’article 16, paragraphe 3, requiert qu’une attention particulière soit accordée à la situation des personnes vulnérables, parmi lesquelles figurent les mineurs et les mineurs non accompagnés. L’article 17, paragraphe 1, de la même directive prévoit que les mineurs non accompagnés et les familles comportant des mineurs ne sont placés en rétention qu’en dernier ressort et pour la période appropriée la plus brève possible. Quant aux conditions du placement en rétention des mineurs, l’article 17, paragraphes 3 et 4, prévoit que : « 3. Les mineurs placés en rétention ont la possibilité de pratiquer des activités de loisirs, y compris des jeux et des activités récréatives adaptés à leur âge, et ont, en fonction de la durée de leur séjour, accès à l’éducation. Les mineurs non accompagnés bénéficient, dans la mesure du possible, d’un hébergement dans des institutions disposant d’un personnel et d’installations adaptés aux besoins des personnes de leur âge. (...) » Cet article fait également référence à la nécessité de tenir compte en premier lieu de l’intérêt supérieur de l’enfant. La directive 2013/33/UE du 26 juin 2013 établissant des normes pour l’accueil des personnes demandant la protection internationale (également appelée directive « accueil ») abroge, avec effet au 21 juillet 2015, la directive 2003/9/CE. Elle prévoit que les demandeurs ne peuvent être placés en rétention que dans des circonstances exceptionnelles définies de manière très claire et dans le respect des principes de nécessité et de proportionnalité en ce qui concerne tant la forme que la finalité de ce placement en rétention (Considérant 15), et n’autorise la rétention dans des cas particuliers que si d’autres mesures moins coercitives ne peuvent être efficacement appliquées lorsque cette mesure sera jugée nécessaire sur la base d’un examen au cas par cas (Article 8 § 2). Une disposition spécifique est dédiée, dans cette directive, à la rétention des personnes vulnérables, telles que les mineurs et les mineurs non accompagnés : les États membres doivent s’assurer que ce type de demandeurs bénéficie d’une attention particulière et prévoir pour eux de nombreuses autres garanties juridiques et procédurales. Selon les dispositions de l’article 11, paragraphes 2 et 3 : « 2. Les mineurs ne peuvent être placés en rétention qu’à titre de mesure de dernier ressort et après qu’il a été établi que d’autres mesures moins coercitives ne peuvent être appliquées efficacement. Ce placement en rétention doit être d’une durée la plus brève possible et tout doit être mis en œuvre pour libérer les mineurs placés en rétention (...) Les mineurs non accompagnés ne peuvent être placés en rétention que dans des circonstances exceptionnelles. Tout doit être mis en œuvre pour libérer le plus rapidement possible le mineur non accompagné placé en rétention. » La directive « accueil » affirme l’obligation de placer les enfants étrangers dans des lieux d’hébergement appropriés pour mineurs. Lorsque ces derniers sont placés en rétention, ils ont la possibilité de pratiquer des activités de loisirs, y compris des jeux et des activités récréatives adaptés à leur âge (Article 11, paragraphe 2). b) Rapports et résolutions i. Rapport publié par la commission des libertés civiles, de la justice et des affaires intérieures du Parlement européen (LIBE) En décembre 2007, cette commission publia une étude, intitulée « Conditions des ressortissants de pays tiers retenus dans des centres (camps de détention, centres ouverts, ainsi que des zones de transit), avec une attention particulière portée aux services et moyens en faveur des personnes aux besoins spécifiques au sein des 25 États membres de l’Union Européenne » (PE 393.275), analysant la mise en pratique de la directive « accueil ». Les auteurs du rapport mirent en lumière que l’enfermement des mineurs est pratiqué dans une grande majorité d’États (France, Allemagne, Belgique, Grande‑Bretagne, République Tchèque, Slovaquie, Portugal, Luxembourg, Espagne, Lettonie, Estonie, Irlande, Grèce, Malte, Chypre). Le rapport présente une étude exhaustive des conditions d’accueil des personnes vulnérables dans les pays membres de l’Union européenne. Ainsi, l’Autriche apparaît comme le seul État n’ayant jamais recours à la rétention pour les mineurs et la Suède la limite à soixante-douze heures. En revanche, la Belgique, la France et le Royaume-Uni, entre autres, recourent quasiment systématiquement à la rétention pour les mineurs migrants accompagnés. Ils constatèrent par ailleurs que, malgré la séparation d’espaces réservés aux familles avec enfants et des conditions matérielles améliorées (salles de jeux, jouets, etc.), il n’en demeure pas moins que la promiscuité, les conditions de vie stressantes, le régime alimentaire, le rythme de vie, la destruction de l’intimité et l’environnement matériel et humain ne sont pas du tout adaptés à la vie d’enfants. Il ressort de leurs entretiens avec les intervenants des centres de rétention, que l’enfermement des enfants a des conséquences néfastes à court et long terme et que cette expérience s’avère traumatisante sur le plan psychologique dans leurs relations avec leurs parents et l’image qu’ils en reçoivent dans un centre de détention. À propos de la France, le rapport releva que l’atmosphère dans les centres de rétention s’était dégradée avec en particulier un nombre important d’actes de désespoir incluant des atteintes à l’intégrité physique des personnes. Aussi, l’amélioration des conditions d’accueil des familles a entraîné une banalisation du placement en détention de personnes pour lesquelles l’enfermement même peut être remis en cause. Les auteurs du rapport ajoutèrent : « La présence d’enfants dans ces lieux de privation de liberté même si elle se fait dans des zones familles et au nom du principe de non-séparation des familles, est apparue particulièrement choquante. » ii. Résolution du Parlement européen du 16 janvier 2008 vers une stratégie européenne sur les droits de l’enfant (2007/2093(INI)) Le Parlement rappelle, dans sa résolution, que « la détention administrative des enfants migrants doit être une mesure exceptionnelle » tout en soulignant que « les enfants accompagnés de leurs familles seront détenus uniquement en dernier ressort, pour la période la plus courte possible, et si cela est dans leur intérêt supérieur conformément à l’article 37, point b), de la Convention des Nations Unies relative aux droits de l’enfant, et que les mineurs non accompagnés ne doivent pas être détenus ou refoulés ». C. Alternatives à la détention Selon l’organisation non gouvernementale « International Detention Coalition », il a été constaté que cette option n’est envisagée en France que dans 5 % des cas (voir le rapport intitulé : « EU : Survey : Alternatives to Detention of Asylum Seekers in EU Member States »). Nombre d’organisations gouvernementales et non gouvernementales préconisent l’alternative à la détention. Haut-Commissariat pour les réfugiés (HCR) Dès 1999, le HCR adopta les « Principes directeurs sur les critères et les normes applicables quant à la détention des demandeurs d’asile » et recommanda que la détention de tout demandeur d’asile reste une mesure d’exception et que toute alternative à la détention soit envisagée. Concernant plus particulièrement les mineurs accompagnant leurs parents, le HCR précisa : « Principe directeur 6 (...) Toutes les alternatives à la détention devraient être étudiées dans le cas des enfants accompagnant leurs parents. Les enfants et ceux qui sont directement chargés de leur éducation ne devraient pas être détenus à moins que ce ne soit le seul moyen de maintenir l’unité de la famille. (...) » Autres sources Dans un rapport de décembre 2008 intitulé « Immigration detention report : Summary of observations following visits to Australia’s immigration detention facilities », la Commission australienne des droits de l’Homme (Australian Human Rights Commission) constata qu’aucun enfant n’était plus détenu dans les centres de rétention pour immigrés en Australie mais que certains, les enfants accompagnant leurs parents, notamment, étaient détenus dans des lieux alternatifs à la détention. La Commission recommanda que les autorités appliquent une présomption contre la détention des mineurs en matière d’immigration, la détention ne devant intervenir qu’en mesure de dernier recours et pour la période la plus courte possible. L’intérêt supérieur de l’enfant devrait primer dans la décision de le détenir. Dans un rapport publié le 18 juin 2005 (EUR 45/015/2005), intitulé « United Kingdom – Seeking asylum is not a crime : detention of people who have sought asylum », Amnesty International estima que la détention des familles accompagnées d’enfants n’est pas nécessaire et qu’elle est disproportionnée par rapport au but recherché. L’ONG rappela que Her Majesty’s Inspectorate of Prisons for England and Wales, lors d’une visite de centres de détention en 2003, s’était prononcée contre l’enfermement des familles, recommandant que les détentions d’enfants soient décidées en dernier recours et pour une période la plus brève possible. Le rapport de LIBE précité (paragraphes 64 et 65) préconise que des alternatives au logement en centres collectifs soient privilégiées, la vie en centre de rétention étant considérée néfaste pour les enfants (manque de repères, environnement hostile, dépression des parents). Il a par ailleurs été constaté un risque de « déparentalisation » avec perte d’autorité des parents sur leurs enfants.
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Les premier et deuxième requérants, ressortissants russes d’origine tchétchène, sont nés respectivement en 1981 et 1989. Le troisième requérant est né en France en 2010. A. Quant aux faits survenus en Fédération de Russie tels qu’exposés par les requérants Le premier requérant explique avoir commencé à travailler comme chauffeur de taxi en 2003 dans la ville de K., proche de son village. Le 9 mai 2004, jour de la fête nationale, il accepta de conduire quatre soldats à Grozny. Bien qu’ayant réussi à passer sans encombre à l’aller les postes de contrôles russe et tchétchène à la frontière, il fut arrêté au retour au poste de contrôle russe près du village de G. Après avoir vérifié ses papiers et effectué une fouille à corps, les soldats inspectèrent la voiture du requérant et y découvrirent une arme que celui-ci nie avoir jamais possédée. Convaincus que le requérant aidait les combattants tchétchènes en « faisant passer des armes à l’ennemi », ils le frappèrent violemment en lui ordonnant de révéler ses liens avec la rébellion puis, face au silence du requérant, ils le conduisirent dans une cave. Ce dernier y resta seul durant une période de quatre à cinq heures, sans boire ni manger, puis quatre personnes cagoulées, portant des chaussures militaires, firent irruption dans sa cellule. Ils l’interrogèrent à nouveau tout en le frappant, dans un premier temps, avec leurs pieds, leurs poings ainsi que la crosse de leur kalachnikov. Dans un second temps, ils le firent asseoir sur une chaise en lui attachant les mains et les pieds puis ils commencèrent à lui arracher un ongle avant de lui couper plusieurs phalanges des doigts jusqu’à ce qu’il perde connaissance. Le premier requérant reprit conscience dans le domicile d’un couple de personnes âgées du village de G. Ces personnes lui expliquèrent l’avoir trouvé en sang près d’une rivière. Le requérant resta environ trois jours chez eux après quoi ses proches, prévenus par le fils du couple qui l’avait recueilli, vinrent le chercher. Le 13 mai 2004, les parents du premier requérant le conduisirent à l’hôpital de K. où il séjourna durant trois semaines dans le service de traumatologie. Le certificat médical délivré par cet établissement hospitalier le 30 mai 2004 indique que le requérant souffrait d’une « déchirure traumatique définitive des II, III et V doigts au niveau de la phalange principale, main droite ; [d’un] traumatisme de la main droite ; [d’un] dysfonctionnement de la fonction de préhension de la main droite ». À sa sortie de l’hôpital, le requérant s’installa chez ses parents qui résidaient également dans le village de N. Durant trois mois, du personnel soignant vint lui rendre visite pour renouveler ses pansements et ses médicaments. Le premier requérant resta chez ses parents jusqu’en septembre 2006. Durant cette période, les autorités russes effectuèrent des contrôles réguliers dans le village. Si, dans les premiers temps, le premier requérant se cachait lors de ces contrôles et sortait, en général, très peu de chez ses parents, entre 2005 et 2006, il commença à se déplacer un peu plus librement. Il rencontra la requérante en mai 2006 et l’épousa quelques mois plus tard. Au début du mois de septembre 2006, alors qu’il était allé rendre visite à l’une de ses tantes résidant à N., le premier requérant apprit par sa femme que des militaires s’étaient présentés au domicile familial à sa recherche. Craignant pour sa vie, il entra alors dans la clandestinité, changeant de lieu tous les jours. Les autorités retournèrent à plusieurs reprises au domicile de ses parents et se présentèrent également chez sa tante. À la fin du mois de septembre 2006, I.U., un ancien camarade de classe du requérant qui travaillait pour le FSB (service fédéral de sécurité russe), remit à la mère de ce dernier une convocation pour interrogatoire à la Direction des affaires intérieures de K. le 1er octobre 2006. Il revint, au début du mois d’octobre, pour leur donner une convocation similaire pour le 12 octobre 2006. Ayant obtenu les coordonnées du premier requérant par sa mère, il le contacta pour lui dire qu’il s’agissait d’une « affaire sérieuse » et pour lui conseiller de ne pas se rendre à ces convocations mais également de prendre la fuite. Le premier requérant vécut caché de janvier 2007 à mai 2008, les recherches des autorités à son égard se poursuivant. En mai 2008, I.U. revint chez les parents du requérant. Il leur expliqua que si le requérant était retrouvé, il risquait d’être tué, et leur dit de le convaincre de fuir. C’est dans ces circonstances que les requérants décidèrent de quitter la Fédération de Russie. B. Quant aux faits survenus en France Peu après leur arrivée en France en juin 2008, les requérants déposèrent chacun une demande d’asile. Ces demandes furent rejetées par deux décisions de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) du 12 janvier 2009, les propos des requérants étant jugés peu crédibles et leurs réponses trop vagues. Les requérants interjetèrent appel de ces décisions. Outre les convocations pour les 1er et 12 octobre 2006, ils produisirent le certificat médical délivré en Russie le 30 mai 2004 et un autre certificat médical établi en France le 30 décembre 2010. Ce second certificat indique que le requérant présente les lésions suivantes : une « amputation totale de l’auriculaire D, amputation P1 de l’annulaire D, amputation de P1 du majeur D, amputation de P1 de l’index D » qui sont, selon le médecin, « compatibles avec les violences subies décrites ». Le 29 septembre 2010, naquit le troisième requérant, M., l’enfant des premier et deuxième requérants. Le 1er février 2011, la Cour nationale du droit d’asile (CNDA) débouta les requérants, en motivant sa décision concernant le premier requérant en les termes suivants : « Considérant, toutefois, que l’exposé qu’il fait de l’ambiance qui régnait à Grozny le 9 mai 2004 après-midi, sereine et avec un relâchement des contrôles d’identité, jour où le président Khadirov a été tué dans un attentat au stade de Grozny, est incompatible avec la situation à cette date ; qu’en outre, l’intéressé n’a pas tenu un discours constant s’agissant de la manifestation des recherches à son encontre ; qu’au surplus, les deux convocations du juge d’instruction de K. pour les 1er octobre et 12 octobre 2006 sont dépourvues de garanties d’authenticité suffisantes ; que les certificats médicaux produits ne peuvent être regardés comme établissant un lien entre les constatations relevées lors des examens du requérant et les sévices dont celui-ci déclare avoir été victime ; qu’il suit de là que ni les pièces du dossier, ni les déclarations faites en séance publique devant la cour ne permettent de tenir pour établis les faits allégués et pour fondées les craintes énoncées. » Le 18 février 2011, les requérants firent l’objet de deux décisions préfectorales de refus de séjour assorties d’une obligation de quitter le territoire. Le 5 avril 2011, ils déposèrent une demande de réexamen de leur demande d’asile. Ils firent valoir être toujours recherchés par les autorités et versèrent à l’appui de leur demande un procès-verbal de perquisition daté du 27 janvier 2011 et émis par le juge d’instruction du service chargé des enquêtes de la division des affaires intérieures de K. ainsi que de nouvelles convocations émises par la Direction des affaires intérieures de K. à l’encontre du premier requérant, qualifié de « suspect ». Le 29 avril 2011, l’OFPRA rejeta leurs demandes aux motifs que les documents produits se rapportaient à des faits précédemment soutenus et, partant, n’étaient pas recevables. Interpellés le 23 mai 2011, les requérants furent placés, le jour même, dans la zone « famille » du centre de rétention de Toulouse-Cornebarrieu avec leur enfant âgé de sept mois. Par une ordonnance du 24 mai 2011, confirmée en appel le 27 mai suivant, le juge des libertés et de la détention ordonna la prolongation de leur maintien en rétention pour une durée de quinze jours supplémentaires. Le 28 mai 2011, les requérants saisirent la Cour d’une demande de mesure provisoire sur le fondement de l’article 39 de son règlement. Le 30 mai suivant, le président de la section à laquelle l’affaire fut attribuée décida d’indiquer au Gouvernement français, en application de la disposition précitée, qu’il était souhaitable de ne pas renvoyer les requérants vers la Fédération de Russie pour la durée de la procédure devant la Cour. La date à laquelle les requérants furent remis en liberté n’est pas connue mais la rétention a duré au moins sept jours. Le 16 mars 2015, les requérants formèrent une nouvelle demande de réexamen de leur demande d’asile. Ils firent valoir que le domicile des parents du requérant avait fait l’objet de plusieurs perquisitions et que lors d’une perquisition le 17 décembre 2013, des hommes masqués et armés avaient brutalisé son père lors d’un interrogatoire. Ce dernier serait décédé le lendemain d’une crise cardiaque. Le 30 mars 2015, l’OFPRA rejeta la demande. Par une décision du 9 mai 2016, la CNDA confirma cette décision aux motifs suivants : « Considérant toutefois que les déclarations évasives et peu circonstanciées faites par [le requérant] lors de son audience devant la Cour n’ont pas permis d’établir les faits nouveaux allégués et les recherches dont il ferait toujours l’objet en Fédération de Russie depuis son départ du pays en 2008 ; qu’il n’a pas clairement indiqué à quelle fréquence ses parents auraient été interrogés à son sujet après son départ ni les raisons pour lesquelles, alors qu’il allègue plusieurs perquisitions subies par ses parents depuis lors, il n’a produit qu’un seul procès-verbal de perquisition daté du 5 juillet 2012 ; qu’ainsi relevé ci-dessus, ce document se rapporte à des faits datant de près de trois ans et est produit uniquement en copie, sans être accompagné d’une argumentation pertinente, alors même que figurent sur le site internet de l’Université fédérale de l’État du Sud-Ouest de la Russie, des modèles d’actes officiels de procédure pénale, aisément téléchargeables, dont un procès-verbal de perquisition similaire à celui produit par le requérant ; que l’intéressé a évoqué en des termes succincts les circonstances dans lesquelles des individus armés et masqués auraient fait irruption au domicile de ses parents le 17 décembre 2013 et les auraient interrogés à son sujet ; que les trois témoignages émanant des proches du requérant versés au dossier pour étayer ses dires se bornent à répéter, en termes généraux, convenus et stéréotypés, les allégations du requérant et n’apportent aucun élément nouveau pertinent quant à la situation personnelle et actuelle du requérant ; que si [le requérant] verse à l’appui de sa demande des certificats de décès de son père en date du 21 janvier 2014, ces documents permettent uniquement d’établir que ce dernier est décédé d’une crise cardiaque le 18 décembre 2013 et non que ce décès serait survenu dans les circonstances alléguées par le requérant, à savoir le lendemain d’une perquisition menée dans des conditions violentes au domicile familial ; qu’au surplus, alors que le requérant déclare avoir eu connaissance du décès de son père dès le 18 décembre 2013 et avoir obtenu les certificats de décès versés au dossier en janvier 2014, il n’a pas été en mesure d’expliquer les raisons pour lesquelles il n’a introduit sa demande de réexamen devant l’Office que le 16 mars 2015 (...) » II. LE DROIT ET LA PRATIQUE PERTINENTS CONCERNANT LA RÉTENTION DES ÉTRANGERS, EN PARTICULIER CEUX ACCOMPAGNÉS DE MINEURS A. Le droit français La rétention des étrangers en vue de leur expulsion est encadrée principalement, en droit interne, par les dispositions du code de l’entrée, du séjour des étrangers et du droit d’asile (CESEDA). Les dispositions pertinentes du CESEDA, la jurisprudence y afférente et les avis de plusieurs autorités administratives indépendantes sont résumés dans l’exposé du droit interne fait dans l’arrêt A.B. et autres c. France (no 11593/12, §§ 19-30 et 41-59). S’agissant plus précisément des conditions d’accueil au centre de rétention de Toulouse-Cornebarrieu, il est renvoyé aux paragraphes 31 à 40 de l’arrêt A.B. et autres c. France précité. B. Droit international pertinent et éléments de droit comparé Le droit international pertinent et les éléments de droit comparé relatifs à la rétention des mineurs étrangers sont présentés dans les paragraphes 60 à 91 de l’arrêt A.B. et autres précité. III. DOCUMENTS INTERNATIONAUX CONCERNANT LA SITUATION DANS LA RÉGION DU NORD CAUCASE Les principaux documents internationaux concernant la situation dans la région du Nord Caucase sont présentés dans les affaires Aslakhanova et autres c. Russie (nos 2944/06, 8300/07, 50184/07, 332/08 et 42509/10, §§ 43-59, 18 décembre 2012) et I c. Suède (précité, §§ 2739). Les données plus récentes disponibles confirment que la situation dans la région du Nord Caucase demeure très instable en raison des conflits persistants entre les forces gouvernementales et les rebelles. Dans un rapport intitulé Human Rights and Democracy: The 2012 Foreign & Commonwealth Office Report – Russia publié le 15 avril 2013, le Foreign and Commonwealth Office britannique relève : “Throughout the year, there were also reports of grave human rights violations committed by state security forces, including allegations of extrajudicial killings, torture and disappearances.” De même, le Département d’État américain, dans son Country Reports on Human Rights Practices – Russia, publié le 19 avril 2013, note : “Rule of law was particularly deficient in the North Caucasus, where conflict among government forces, insurgents, Islamist militants, and criminal forces led to numerous human rights abuses, including killings, torture, physical abuse, and politically motivated abductions. (...) Politically motivated disappearances in connection with the conflict in the Northern Caucasus continued (see section 1.g.). (...) Government forces engaged in the conflict in the North Caucasus reportedly tortured and otherwise mistreated civilians and participants in the conflict (see section 1.g.). (...) Some of the methods reportedly used included beatings with fists, batons, or other objects. In the Caucasus, torture was reportedly committed by local law enforcement agencies as well as in some cases by federal security services. Reports from human rights groups claimed that electric shocks and suffocation were used most often, as those techniques are less prone to leave evidence.”
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Les requérantes sont nées respectivement en 1974, 2009 et 2011 et résident à Strasbourg. La première requérante est d’origine tchétchène. Après la disparition de son mari, membre d’un groupe armé de résistance, elle fit l’objet de menaces. En 2011, craignant pour sa vie et celle de sa première fille, elle quitta la Russie pour la Pologne où elle forma une demande d’asile. Peu de temps après son arrivée en Pologne, elle fut informée par une voisine que deux hommes, l’un parlant russe, l’autre tchétchène, la cherchaient. Elle décida alors de se réfugier en France en octobre 2011, sans attendre l’issue de la procédure d’asile engagée. Le 10 octobre 2011, la requérante se présenta à la préfecture du BasRhin pour y déposer une demande d’asile. Elle se vit remettre une autorisation provisoire de séjour et proposer un hébergement d’urgence dans un hôtel à Strasbourg. Le 8 décembre suivant, elle donna naissance à sa seconde fille, issue d’une relation avec un homme en Pologne au début de l’année 2011. Le 19 janvier 2012, le préfet du Bas-Rhin, constatant que la requérante avait déjà déposé une demande d’asile en Pologne, prit à son encontre un arrêté de réadmission vers ce pays en application du Règlement CE no 343/2009 du 18 février 2003 dit « Dublin II ». La requérante fut en outre invitée à se présenter, sous huitaine, auprès des services de la police aux frontières ou à entrer en contact avec ce service pour organiser son départ ainsi que celui de ses enfants vers la Pologne. La requérante contesta cet arrêté devant le tribunal administratif de Strasbourg. En parallèle, elle forma, le 24 février 2012, un référé aux fins notamment d’obtenir la suspension de l’exécution de cet arrêté. Cette demande fut rejetée par ordonnance le 1er mars 2012, au motif que la requérante, qui ne faisait l’objet d’aucune mesure de placement en rétention ni de contrainte ou de convocation en vue de son embarquement à destination de la Pologne, n’établissait pas l’urgence de l’affaire. Le 20 avril 2012, le tribunal administratif rejeta le recours au fond de la requérante. Interpellée avec ses filles à son hôtel le 18 avril 2012, la requérante fut placée au centre de rétention administrative (CRA) de Metz-Queuleu en exécution d’un arrêté du préfet du Bas-Rhin du jour même. Dans cet arrêté, le préfet motivait sa décision de placement en rétention ainsi : « Considérant que, par courrier en date du 19 janvier 2012, notifié à l’intéressée le 30 janvier 2012, [la requérante] a été invitée à se présenter, sous huitaine, auprès des services de la DDPAF du Bas-Rhin ou à entrer en contact avec ce service, afin d’organiser son départ ainsi que celui de ses enfants vers la Pologne ; que, toutefois, l’intéressée n’a pas jugé utile de donner suite à cette invitation visant à éviter la réadmission de [la requérante] et de ses enfants sans mise en œuvre de mesures coercitives ; que ces circonstances ne peuvent laisser augurer de perspectives raisonnables d’exécution volontaire de cette mesure de la part de [la requérante] ; qu’au surplus, l’intéressée est démunie de tout document d’identité ; qu’ainsi, malgré le fait qu’elle dispose d’un logement de nature toutefois précaire puisque temporairement mis à disposition dans le cadre du dispositif d’urgence, la situation de l’intéressée ne permet guère la mise en œuvre de solutions alternatives au placement en rétention ; qu’en tout état de cause, l’intéressée et ses enfants seront, pour une durée inférieure à cinq jours à compter de la notification du présent arrêté, maintenues dans un centre de rétention administrative pourvu des infrastructures nécessaires à l’accueil des familles, conformément à l’article R. 5533 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, étant toutefois précisé que ces diligences ont été menées afin de réduire au maximum la durée de cette rétention, notamment en raison de la présence des enfants de l’intéressée, la date effective de la réadmission ayant été fixée dès le lendemain du placement en rétention, c’est-à-dire au 19 avril 2012 ; Considérant qu’eu égard à l’ensemble de ces éléments, l’intéressée ne présente pas de garanties de représentation suffisantes susceptibles de justifier son assignation à résidence ; » Le 19 avril 2012, la requérante refusa d’embarquer sur un vol vers la Pologne. Elle fut de nouveau placée avec ses filles au CRA de Metz-Queuleu en vue d’une nouvelle tentative de réadmission prévue pour le 26 avril suivant. Saisie par la requérante, le tribunal administratif de Nancy, le 20 avril 2012, refusa d’annuler l’arrêté de placement en rétention. S’agissant du moyen tiré de l’absence de nécessité de la mesure de placement en rétention en méconnaissance de l’article 8 de la Convention, il statua selon les termes suivants : « que l’intéressée, faisant l’objet d’une décision de réadmission (...), ne s’est pas présentée aux services de police en vue de préparer son départ volontaire vers la Pologne ainsi qu’elle y était invitée par courrier (...) ; que le préfet du Bas-Rhin indique également que l’intéressée, logée dans différents hôtels par le Samu social, ne disposait ni d’un logement stable, ni de documents d’identité ; qu’ainsi le préfet n’a pas commis d’erreur d’appréciation en estimant que la requérante ne présentait pas de garanties de représentation suffisantes justifiant son assignation à résidence au lieu d’un placement en rétention, nonobstant le fait qu’elle ait deux enfants en bas âge ; que, compte tenu notamment de la présence des fillettes, le préfet a pris toute mesure pour que le maintien au centre de rétention de l’intéressée n’excède pas un jour, son départ étant prévu le 19 avril 2012, soit le lendemain de son placement en rétention ; que, dans ces conditions, le préfet du Bas-Rhin, qui a tenté de ménager un juste équilibre entre les différents intérêts en présence, n’a pas porté une atteinte disproportionnée au droit de [la requérante] au respect de sa vie familiale normale ; » Concernant le moyen tiré d’une violation de l’article 3 de la Convention, le tribunal estima que : « Considérant que les stipulations de l’article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ne font pas obstacle à ce qu’en vue de l’exécution d’une mesure d’éloignement, l’autorité administrative place une famille, composée d’enfants mineurs, dans un centre de rétention, mais seulement qu’au préalable, celle-ci apprécie les conséquences d’une telle mesure sur les enfants, alors même que le centre a vocation à accueillir des familles, en tenant compte des modalités et de la durée de la rétention et de l’âge des enfants, en privilégiant l’intérêt supérieur de ces derniers conformément aux stipulations précitées de l’article 3-1 de la convention internationale des droits de l’enfant ; qu’en l’espèce, il ressort des pièces du dossier que le centre de rétention de Metz-Queuleu, qui est habilité à accueillir des familles en application de l’article R. 553-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, comporte quatorze places pour les familles, réparties dans deux bâtiments communiquant entre eux par une cour où sont installés des jeux pour enfants ; que toujours selon ces mêmes pièces, et ainsi que le fait valoir le préfet, sans être contredit, du matériel de puériculture est mis à disposition des parents, en lien avec les infirmières travaillant dans le centre de rétention, et chaque chambre comprend des lits pour enfants, lesquels disposent d’une télévision, de jeux et de livres ; que si la requérante fait valoir que les autres personnes placées dans le centre de rétention peuvent être aperçues de la cour et que l’appel de leur nom par haut-parleur peut avoir des effets perturbants sur les enfants, ces effets potentiellement perturbants, invoqués de manière stéréotypée, ne sont pas établis en l’occurrence pour les deux fillettes, âgées de quatre mois et deux ans alors que le préfet du Bas-Rhin a limité à un jour la durée du placement en rétention, soit le temps strictement nécessaire pour mettre à exécution la mesure d’éloignement, que, dans ces conditions, et alors même qu’en s’opposant à son embarquement dans l’avion au départ de Roissy, l’intéressée a entraîné une prolongation de la durée de rétention initialement prévue, cette circonstance étant postérieure à la décision attaquée, [la requérante] n’est pas fondée à soutenir qu’elle et ses enfants ont subi un mauvais traitement dont le seuil de gravité est de nature à le faire regarder comme méconnaissant les stipulations de l’article 3... ». Le 21 avril 2012, le juge des libertés et de la détention du tribunal de grande instance de Metz autorisa la prolongation de la rétention des requérantes pour une durée de vingt jours, estimant notamment que « même si l’intéressée est mère de deux jeunes enfants, les décisions préfectorales doivent pouvoir trouver application et à cette fin, il y a lieu de prolonger la rétention administrative d’une durée de vingt jours ». Cette décision fut confirmée par le premier président de la cour d’appel de Metz le 23 avril 2012 aux motifs suivants : « l’administration justifie qu’un deuxième éloignement sera réalisé le 26 avril 2012 ; qu’il apparaît ainsi que la rétention de l’intéressée dure le temps strictement nécessaire à la réalisation effective de son éloignement ; que la rétention de l’intéressée se déroule dans des locaux adaptés à l’accueil des familles et en particulier des enfants en bas âge ; qu’enfin, si l’assignation à résidence doit être envisagée comme solution alternative à la rétention administrative et ce d’autant plus si des enfants en bas âge sont concernés par la mesure, en l’espèce, celle-ci ne peut trouver à s’appliquer en raison de la non-possession par l’intéressée d’un passeport ou de tout document d’identité valide susceptible d’être remis aux autorités françaises (...) » Le 24 avril 2012, la requérante saisit la Cour d’une demande de mesure provisoire en vertu de l’article 39 du règlement de la Cour. Le jour même, le juge faisant fonction de président fit droit à la demande en indiquant au gouvernement français de trouver une alternative à la rétention administrative de la requérante et de ses deux filles. En exécution de cette mesure provisoire, le préfet de la Moselle, par une décision du 25 avril 2012, ordonna l’assignation à résidence de la requérante dans le département de la Moselle. La requérante ne quitta le centre de rétention en compagnie de ses deux enfants que le lendemain. Elle explique avoir préféré, la décision lui ayant été notifiée tardivement à 21 h 30, rester une nuit supplémentaire au centre pour ne pas dormir dehors. Le Gouvernement affirme que la requérante aurait pu être prise en charge le 25 avril 2012 par l’association Réseau éducation sans frontières (RESF) mais qu’elle a préféré rester au centre. Le 26 avril 2012, la requérante quitta le CRA en compagnie de ses filles. Ne connaissant personne dans le département de la Moselle, elle retourna, le jour même, à Strasbourg où elle fut interpellée dans le train par la police aux frontières. Le procureur de la République décida alors de poursuivre la requérante devant le tribunal correctionnel pour séjour irrégulier et non-respect de la mesure d’assignation à résidence dans le département de la Moselle. Le même jour, le représentant de la requérante fit parvenir au préfet de la Moselle une demande tendant à ce que soit modifié le département sur le territoire duquel la requérante devait être assignée. Le 30 avril 2012, l’arrêté d’assignation à résidence en Moselle fut en conséquence abrogé et le préfet du Bas-Rhin adopta un nouvel arrêté assignant la requérante dans ce département. Par un jugement du 12 septembre 2012, le tribunal correctionnel de Strasbourg reconnut la requérante coupable des faits qui lui étaient reprochés et la condamna à une peine d’un mois d’emprisonnement avec sursis. II. LE DROIT ET LA PRATIQUE PERTINENTS CONCERNANT LA RÉTENTION DES ÉTRANGERS, EN PARTICULIER CEUX ACCOMPAGNÉS DE MINEURS A. Droit et pratique internes pertinents La rétention des étrangers en vue de leur expulsion La rétention des étrangers en vue de leur expulsion est encadrée principalement, en droit interne, par les dispositions du code de l’entrée, du séjour des étrangers et du droit d’asile (CESEDA). Les dispositions pertinentes du CESEDA, la jurisprudence y afférente et les avis de plusieurs autorités administratives indépendantes sont résumés dans l’exposé du droit interne fait dans l’arrêt A.B. et autres c. France (no 11593/12, §§ 19-30 et 41-59). Conditions d’accueil du centre de rétention de Metz-Queuleu a) Rapport du contrôleur général des lieux de privation de liberté À la suite d’une visite effectuée au centre de rétention administrative de Metz-Queuleu du 9 au 11 mars 2010, le contrôleur publia un rapport dont les points pertinents sont les suivants : « la zone « rétention » (...) comprend : - sept bâtiments d’hébergement, chacun d’une capacité de quatorze personnes, répartis en quatre zones : la zone 1 comprend deux bâtiments (le 1 et le 2) réservés pour les femmes et les familles, qui sont hébergées dans une chambre à neuf places (la chambre « grande famille ») et dans une chambre à cinq places (la chambre « petite famille ») ; la zone 2 comprend un seul bâtiment (le 3) réservé aux hommes. Ce bâtiment a accueilli un temps deux personnes atteintes par le virus H1 N1 et isolées des autres retenus ; les zones 3 et 4 comprennent chacune deux bâtiments (respectivement, les 4 et 5 et les 6 et 7) réservés aux hommes. Au temps de la visite, le bâtiment 4 n’était pas en service à la suite de dégradation d’une fenêtre et en attente de sa réparation. Les zones sont chacune entourées d’une clôture constituant quatre enceintes différentes. Une porte grillagée permet d’accéder à chacune de ces enceintes. En journée, les hommes retenus ont un libre accès aux zones 2, 3 et 4. La zone 1 est strictement sectorisée et dispose d’un portillon qui lui est propre. La nuit, les personnes retenues ne peuvent pas sortir de leur zone. - une vaste cour extérieure délimitée en trois parties avec : aux abords des deux bâtiments de la zone 1, une aire de jeux pour les enfants aménagée avec deux toboggans, deux balançoires et une échelle de corde, ainsi que deux bancs et une poubelle ; une cour centrale empruntée par les hommes pour tout déplacement hors de la zone « rétention », dans laquelle se trouvent trois bancs, une poubelle et trois distributeurs de boissons et de friandises ; deux terrains de sport réservés, libres d’accès en journée depuis les zones réservées aux hommes. Le CRA est éclairé la nuit par soixante-dix-neuf projecteurs (quarante-trois de 150 W, quinze de 140 W et vingt et un de 50 W). Vingt-quatre caméras (neuf mobiles et quinze fixes) sont réparties dans le centre et à ses abords et visualisent principalement tous les secteurs de circulation, y compris les couloirs d’accès aux chambres. Il n’y a pas de caméras dans les chambres. Les écrans de contrôle se trouvent à la vigie. L’enregistrement est automatique ; l’effacement aussi, après trente-deux-jours, à moins qu’un évènement particulier n’exige la conservation des images. (...) Les chambres familles La chambre « grande famille » est située dans le bâtiment numéro un et peut accueillir jusqu’à neuf personnes. Sa superficie est de 36,5 m². Elle est meublée d’un lit double et de six lits simples, d’un placard à trois portes comprenant une étagère et des patères. Chaque tête de lit est surmontée d’un luminaire mural. La télévision en état de marche est murale sans télécommande. Sur un des lits simples, on retrouve pêle-mêle des livres d’enfants, des pièces de jeu de société, quelques jouets Lego, une peluche, un jeu de cartes. Quatre affiches de prévention sont présentes sur les murs. Un pan de mur de couleur orange tente d’égayer un peu l’atmosphère de cette pièce. Deux baies vitrées coulissantes à ouverture limitée permettent un ensoleillement direct de la pièce. Le bloc sanitaire comprend un lavabo avec miroir, une douche carrelée et un WC à l’anglaise séparé en inox. La chambre « petite famille » comprend un lit double, deux lits simples et, au temps de la visite, deux lits enfants en toile. L’ameublement et les luminaires sont identiques en dehors du placard constitué de deux portes. Il n’y a pas de jeux. Sa surface totale est de 25,7 m². Le bloc sanitaire est identique au précédent et comprend un lavabo avec miroir, une douche carrelée et un WC à l’anglaise en inox. (...) [Dans le réfectoire] il n’y a pas de chaise haute pour les nourrissons et jeunes enfants ; (...) Le centre ne dispose pas de chauffe-biberon ou de chauffe-« pots ». Pour l’alimentation nocturne, les biberons sont donc donnés à température ambiante. (...) CONCLUSION (...) S’il est possible de téléphoner et de recevoir des appels à tout moment du jour et de la nuit, le positionnement des « points phone » et leur défaut de protection visuelle et phonique ne permettent cependant aucune confidentialité aux conversations. Celles-ci sont, de surcroît, sans cesse perturbées par les appels diffusés toute la journée au moyen de hauts parleurs au volume sonore élevé. (...) Le manque d’activités et d’espace de parole renforce l’anxiété ambiante et complexifie la gestion du centre. Les quelques éléments de jeux pour les enfants, présents dans les chambres familles, sont dégradés et en nombre insuffisant. Les caméras de vidéosurveillance, la « vigie » surplombant la zone de rétention, les relations par le biais d’interphone et de hauts parleurs font du nouveau centre « un espace sécuritaire déshumanisé » pour reprendre une expression entendue lors de la visite ; » b) Rapport des ONG Dans leur rapport commun de 2012 sur les centres et locaux de rétention administrative, l’Assfam, Forum Réfugiés, France terre d’asile, La Cimade et l’Ordre de Malte notèrent concernant le centre de rétention de Metz-Queuleu : « Au total 8 familles ont été enfermées dans le centre de Metz en 2012, soit 34 personnes dont 18 enfants. Ce chiffre est en forte diminution par rapport à 2011 (35 familles pour 142 personnes dont 73 enfants) et 2010 (27 familles pour 125 personnes dont 66 enfants). Cette baisse a été amorcée par la jurisprudence de la CEDH (arrêt Popov c. France, nos 39472/07 et 39474/07, 19 janvier 2012) qui a été retenue à plusieurs reprises par les juridictions locales. Puis, c’est la circulaire du 6 juillet 2012 obligeant l’administration à privilégier avant tout une mesure d’assignation à résidence qui a permis des placements beaucoup plus rares des familles au centre de rétention de Metz-Queuleu. À noter toutefois que le CRA de Metz-Queuleu est l’un des seuls centres à avoir vu des familles placées après la circulaire du 6 juillet 2012 (1 famille en septembre 2012 puis 3 au cours du premier semestre 2013), au motif que les membres de la famille présentaient un risque de fuite (n’ayant pas respecté les conditions de leur assignation à résidence ou ayant effectué un refus d’embarquement). » B. Droit international pertinent et éléments de droit comparé Le droit international pertinent et les éléments de droit comparé relatifs à la rétention des mineurs étrangers sont présentés dans les paragraphes 60 à 91 de l’arrêt A.B. et autres c. France précité.
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Le requérant est né en 1971. Dans le cadre d’une enquête sur un réseau international de prostitution, il fut procédé à des interceptions de correspondances téléphoniques en application de l’article 706-95 du code de procédure pénale, notamment sur la ligne d’un téléphone portable : du 6 août 2009, 17 heures, au 19 août 2009, 20 heures 39, sur le fondement d’une ordonnance du juge des libertés et de la détention de Chambéry du 5 août 2009, qui autorisait les interceptions pour deux semaines ; du 28 août 2009 au 11 septembre 2009, sur le fondement d’une ordonnance du même juge, du 26 août 2009. Deux conversations avec une personne utilisant un portable appartenant à une certaine I.K., enregistrées le 4 septembre 2009, apparurent de nature à mettre le requérant en cause : l’une entre une certaine R.G. et un certain Kiril, identifié par la suite comme étant le requérant ; l’autre entre cette même femme et un homme, dans le cadre de laquelle ledit Kiril fut évoqué en des termes qui laissaient entendre qu’il participait à ce réseau de prostitution. A. L’information L’arrestation du requérant, son transfèrement en France, sa mise en examen et son placement en détention provisoire Une information fut ouverte le 2 octobre 2009, des chefs de proxénétisme aggravé en bande organisée, traite des êtres humains en bande organisée et participation à une association de malfaiteurs en vue de la préparation d’un crime. Un mandat d’arrêt fut décerné contre le requérant le 28 juillet 2010 par le juge N.C., vice-président chargé de l’instruction au tribunal de grande instance de Lyon. Interpelé en Allemagne en vertu de ce mandat préalablement converti en mandat d’arrêt européen, le requérant fut remis aux autorités françaises le 16 décembre 2010 à 11 heures 45, présenté au procureur de la République de Strasbourg et placé immédiatement en « rétention » à Strasbourg. Le 20 décembre 2010 à 10 heures 56, il fut présenté pour la première fois à B. G., le juge d’instruction chargé de l’information, qui le mit en examen des chefs précités. Le même jour vers 17 heures, le juge des libertés et de la détention de Lyon, saisi par le juge d’instruction, entendit le requérant, ordonna son placement en détention provisoire et décerna un mandat de dépôt à son encontre. Bien que les faits poursuivis aient revêtu une qualification criminelle, les interrogatoires et confrontations réalisés dans le cadre de l’instruction ne furent pas enregistrés, en raison de l’exception prévue par le septième alinéa de l’article 116-1 du code de procédure pénale, dans sa version alors applicable. Le 29 décembre 2010, le requérant interjeta appel de l’ordonnance du 20 décembre 2010 devant la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Lyon. Il argua notamment de la nullité du mandat d’arrêt délivré à son encontre et de la violation de l’article 5 §§ 1 c) et 3 de la Convention à raison du délai de quatre jours entre son placement en rétention et sa comparution devant le juge. Il souleva en outre une question prioritaire de constitutionnalité (« QPC ») relative à la conformité à l’article 66 de la Constitution (« Nul ne peut être arbitrairement détenu. L’autorité judiciaire, gardienne de la liberté individuelle, assure le respect de ce principe dans les conditions prévues par la loi ») notamment, des dispositions du code pénal permettant de priver de liberté la personne arrêtée ou détenue en vertu d’un mandat d’arrêt ou d’un mandat d’amener durant un tel délai sans intervention d’un magistrat du siège. La chambre de l’instruction confirma l’ordonnance du 20 décembre 2010 par un arrêt du 13 janvier 2011, au motif notamment que ce délai de quatre jours n’était pas excessif au regard du temps nécessaire pour s’assurer de la complète information du juge mandant par le procureur de la République de Strasbourg, procéder à la levée de l’écrou de l’intéressé et organiser matériellement un transfert entre deux villes distantes de près de 500 kms, impliquant la mise à disposition d’un véhicule administratif et d’une escorte policière et ce, en pleine période hivernale. Par un autre arrêt du même jour, la chambre de l’instruction transmit la QPC à la chambre criminelle de la Cour de cassation, qui la renvoya au Conseil constitutionnel le 29 mars 2011, lequel, le 24 juin 2011, décida que les textes qui lui avaient été soumis étaient conformes à la constitution (sauf une réserve dénuée de pertinence en l’espèce ; décision no 2011-133 QPC). Il releva tout d’abord que le délai critiqué était prévu par la loi et qu’en cas de dépassement, la personne était, « sauf circonstances insurmontables » libérée sur ordre du juge d’instruction. Il releva ensuite que cette privation de liberté se fondait sur un mandat d’amener ou d’arrêt pris par un juge d’instruction, lequel conservait ensuite la maîtrise de son exécution jusqu’à présentation de l’intéressé devant lui. Le pourvoi en cassation formé le 21 janvier 2011 par le requérant sur le fondement notamment d’une violation de l’article 5 §§ 1 c) et 3 fut rejeté par un arrêt de la chambre criminelle de la Cour de cassation du 28 avril 2011, au motif, sur ce point, que « la personne mise en examen ne saurait, à l’occasion de l’exercice d’une voie de recours portant sur la détention, présenter des demandes étrangères à son unique objet » et que le moyen ne pouvait donc être accueilli même si la chambre de l’instruction avait à tort cru devoir répondre à l’exception de nullité de l’arrestation et du placement en détention. La requête en annulation d’actes de procédure Le 17 juin 2011, le requérant avait saisi la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Lyon d’une requête en annulation de divers actes de procédure, dont le titre privatif de liberté, les interrogatoires et confrontations réalisés au cours de l’instruction et diverses interceptions de correspondances téléphoniques. Il présenta deux QPC portant respectivement sur les articles 64-1, alinéa 7, et 116-1, alinéa 7, du code de procédure pénale, en application desquels les interrogatoires et confrontations n’avaient pas fait l’objet d’un enregistrement audiovisuel. Le 6 septembre 2011, la chambre de l’instruction rejeta pour l’essentiel la requête en annulation (sauf un point relatif aux interceptions de correspondances téléphoniques), reprenant notamment le motif susmentionné de son arrêt du 13 janvier 2011. Par deux autres arrêts du même jour, elle transmit les QPC à la Cour de cassation. Le 14 septembre 2011, le requérant se pourvut en cassation sur le fondement notamment de l’article 5 § 3 de la Convention, des articles 6 § 1 et 14 de la Convention et du principe constitutionnel d’égalité. Le 18 janvier 2012, la Cour de cassation renvoya les QPC au Conseil constitutionnel et sursit à statuer dans l’attente de la décision de ce dernier. Par une décision du 6 avril 2012 (no 2012-228/229 QPC), le Conseil constitutionnel déclara les septièmes alinéas des articles 64-1 et 116-1 du code de procédure pénale inconstitutionnels, jugeant qu’en faisant exception au principe de l’enregistrement audiovisuel des interrogatoires en matière criminelle lorsqu’ils sont menés dans le cadre d’enquêtes ou d’instructions portant sur des crimes relevant de la criminalité organisée ou d’atteintes aux intérêts fondamentaux de la Nation, ils portaient atteinte au principe d’égalité. Il précisa que l’abrogation de ces dispositions prendrait effet à compter de la publication de sa décision et serait applicable aux auditions de personnes gardées à vue et aux interrogatoires des personnes mises en examen qui seraient réalisées à compter de cette date. Par un arrêt du 10 mai 2012, la chambre criminelle de la Cour de cassation rejeta le pourvoi du requérant. S’agissant de l’article 5 § 3 de la Convention, elle jugea que la chambre de l’instruction avait justifié sa décision dès lors que les motifs qu’elle avait retenus établissaient que la durée de privation de liberté subie par le requérant avant qu’il soit traduit devant le juge d’instruction mandant, « magistrat habilité à statuer en toute impartialité sur la légalité et le bien-fondé de celle-ci », était compatible avec les exigences de brièveté résultant notamment de ce texte. La Cour de cassation rejeta ensuite le moyen tiré de violations de la Convention (le requérant invoquait les articles 6 et 14 de la Convention ainsi que, plus largement, le droit à un procès équitable et l’interdiction de la discrimination) et de la Constitution résultant de l’application des septièmes alinéas des articles 64-1 et 116-1 du code de procédure pénale en la cause du requérant. D’une part, elle retint que le Conseil constitutionnel avait précisé que l’abrogation de ces dispositions ne s’appliquerait qu’aux auditions des personnes gardées à vue et aux interrogatoires des personnes mises en examen réalisées à compter de la publication de sa décision, de sorte que le moyen était à cet égard devenu sans objet. D’autre part, elle constata que le requérant n’avait pas été entendu pendant une mesure de garde à vue et que, s’il n’avait pas bénéficié d’un enregistrement audiovisuel de ses interrogatoires par le juge d’instruction « il n’en [était] résulté aucune atteinte à ses droits conventionnellement protégés, qu’il s’agisse de ses droits de la défense ou de celui à un procès équitable, dès lors [qu’il avait] été mis en mesure d’être assisté par un avocat, qu’il a[vait] eu la possibilité de vérifier la transcription sur les procès-verbaux, authentifiée par un greffier, des questions posées et des réponses données, de demander toute rectification et de contester, à tous les stades de la procédure, le sens et la portée de ses propos transcrits ». La Cour de cassation considéra ensuite que le délai de 14 jours de l’article 706-95 du code de procédure pénale courait à partir non de la date de l’ordonnance du juge des libertés et de la détention autorisant des interceptions téléphoniques mais du jour de la mise en place effective de ces mesures, de sorte que la chambre de l’instruction avait à bon droit conclu que ce délai avait été respecté en l’espèce. Enfin, elle jugea que « la méconnaissance des formalités substantielles auxquelles est subordonnée la garde à vue et l’absence d’enregistrement audiovisuel des auditions ou interrogatoires ne peuvent être invoquées à l’appui d’une demande d’annulation d’acte ou de pièce de procédure que par la partie qu’elles concernent », de sorte que le requérant ne pouvait faire grief à l’arrêt attaqué d’avoir déclaré n’y avoir lieu à annulation des auditions en garde à vue et interrogatoires par le juge d’instruction d’autres personnes que lui. B. La condamnation du requérant Par un jugement du 28 octobre 2011, le tribunal correctionnel de Lyon déclara le requérant coupable des faits qui lui étaient reprochés, écartant cependant la qualification de traite des êtres humains. Il le condamna à quatre ans d’emprisonnement et au paiement d’une amende de 10 000 euros. Par un arrêt du 20 juillet 2012, la cour d’appel de Lyon confirma le jugement sur la culpabilité et condamna le requérant à six ans d’emprisonnement avec une période de sûreté aux deux tiers, au paiement d’une amende de 10 000 euros et à une interdiction de séjour d’une durée de cinq ans sur les territoires de la Savoie et du Bas-Rhin. Le pourvoi formé par le requérant – sur le moyen unique de l’inapplicabilité de la loi pénale française – fut rejeté par un arrêt de la chambre criminelle de la Cour de cassation du 12 juin 2013. Le requérant fut libéré le 12 juin 2015, après avoir purgé sa peine. II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS À l’époque des faits de la cause, les articles 64-1 et 116-1 du code de procédure pénale étaient ainsi libellés : Article 64-1 « Les interrogatoires des personnes placées en garde à vue pour crime, réalisés dans les locaux d’un service ou d’une unité de police ou de gendarmerie exerçant une mission de police judiciaire font l’objet d’un enregistrement audiovisuel. (...) [septième alinéa] Le présent article n’est pas applicable lorsque la personne est gardée à vue pour un crime mentionné à l’article 706-73 du présent code ou prévu par les titres Ier et II du livre IV du code pénal, sauf si le procureur de la République ordonne l’enregistrement. (...) » Article 116-1 « En matière criminelle, les interrogatoires des personnes mises en examen réalisés dans le cabinet du juge d’instruction, y compris l’interrogatoire de première comparution et les confrontations, font l’objet d’un enregistrement audiovisuel. (...) [septième alinéa] Le présent article n’est pas applicable lorsque l’information concerne un crime mentionné à l’article 706-73 du présent code ou prévu par les titres Ier et II du livre IV du code pénal, sauf si le juge d’instruction décide de procéder à l’enregistrement. (...) » L’article 706-73 du code de procédure pénale contient une liste des crimes et délits qui relèvent de la criminalité et de la délinquance organisées. Quant aux titres I et II du livre IV du code pénal, ils concernent les crimes et délits d’atteinte aux intérêts fondamentaux de la Nation et de terrorisme. L’exposé des motifs du projet de loi tendant à renforcer l’équilibre de la procédure pénale, dont sont issus les articles 64-1 et 116-1 ci-dessus, précise ce qui suit : « (...) Le caractère contradictoire de la procédure pénale doit être renforcé sur de nombreux points. Il est ainsi prévu, comme c’est le cas actuellement pour les mineurs et comme cela existe dans de nombreux pays étrangers, de rendre obligatoire l’enregistrement audiovisuel des interrogatoires des personnes majeures gardées à vue dans le cadre d’affaires criminelles, afin de permettre la consultation de ces enregistrements en cas de contestation (article 6). Ces enregistrements sécuriseront ainsi les procédures, tout en constituant une garantie à la fois pour les justiciables et pour les enquêteurs, en prévenant les mises en causes injustifiées dont ces derniers font parfois l’objet. Dans la même logique, il est prévu que le juge d’instruction devra procéder à l’enregistrement audiovisuel des interrogatoires des personnes mises en examen dans les procédures criminelles (article 7). La mise en œuvre de ces garanties nouvelles constituant une charge très importante pour les services enquêteurs et pour les juridictions, son entrée en vigueur est différée au premier jour du quinzième mois suivant la publication de la loi : jusqu’à cette date, l’enregistrement ne constituera qu’une faculté (article 16). De même, la nécessité de concilier ces garanties avec les exigences d’efficacité de la procédure conduit à prévoir que l’enregistrement sera facultatif s’il s’agit de faits relevant de la criminalité organisée ou des atteintes aux intérêts fondamentaux de la Nation, infractions qui font déjà l’objet de règles procédurales particulières. (...) » Comme indiqué précédemment, le Conseil constitutionnel a déclaré les septièmes alinéas des articles 64-1 et 116-1 du code de procédure pénale inconstitutionnels par une décision du 6 avril 2012 (no 2012-228/229 QPC), lesquels sont en conséquence abrogés. Il a jugé qu’en faisant exception au principe de l’enregistrement audiovisuel des interrogatoires en matière criminelle lorsqu’ils sont menés dans le cadre d’enquêtes ou d’instructions portant sur des crimes relevant de la criminalité organisée ou d’atteintes aux intérêts fondamentaux de la Nation, ces dispositions portaient atteinte au principe d’égalité. Les articles 130, 130-1 et 133 du code de procédure pénale étaient ainsi rédigés : Article 130 « Lorsqu’il y a lieu à transfèrement dans les conditions prévues par les articles 128 et 129, la personne doit être conduite devant le juge d’instruction qui a délivré le mandat dans les quatre jours de la notification du mandat. Toutefois, ce délai est porté à six jours en cas de transfèrement d’un département d’outre-mer vers un autre département ou de la France métropolitaine vers un département d’outre-mer. » Article 130-1 « En cas de non-respect des délais fixés par les articles 127 et 130, la personne est libérée, sur ordre du juge d’instruction saisi de l’affaire, à moins que sa conduite ait été retardée par des circonstances insurmontables. » Article 133 « La personne saisie en vertu d’un mandat d’arrêt est présentée dans les vingt-quatre heures suivant son arrestation devant le juge d’instruction ou à défaut le président du tribunal ou le juge désigné par celui-ci pour qu’il soit procédé à son interrogatoire et qu’il soit le cas échéant statué sur son placement en détention provisoire dans les conditions prévues par l’article 145. À défaut, la personne est remise en liberté. Les dispositions de l’article 126 sont applicables. Si la personne est arrêtée à plus de deux cents kilomètres du siège du juge d’instruction qui a délivré le mandat, elle est conduite dans les vingt-quatre heures suivant son arrestation devant le procureur de la République du lieu de l’arrestation qui reçoit ses déclarations après l’avoir avertie qu’elle est libre de ne pas en faire. Mention est faite de cet avis au procès-verbal. Le procureur de la République informe sans délai le magistrat qui a délivré le mandat et requiert le transfèrement. Si celui-ci ne peut être effectué immédiatement, le procureur de la République en réfère au juge mandant. Lorsqu’il y a lieu à transfèrement, la personne doit être conduite à la maison d’arrêt indiquée sur le mandat dans les délais prévus à l’article 130. Les dispositions de l’article 130-1 sont applicables. » Le juge d’instruction peut, selon les cas, décerner mandat de recherche, de comparution, d’amener ou d’arrêt. Le mandat d’arrêt est l’ordre donné à la force publique de rechercher la personne à l’encontre de laquelle il est décerné et de la conduire devant lui après l’avoir, le cas échéant, conduite à la maison d’arrêt indiquée sur le mandat, où elle sera reçue et détenue (article 122 du code de procédure pénale). Comme les mandats de comparution et d’amener, il peut être décerné à l’égard d’une personne à l’égard de laquelle il existe « des indices graves ou concordants rendant vraisemblable qu’elle ait pu participer, comme auteur ou complice, à la commission d’une infraction, y compris si cette personne est témoin assisté ou mise en examen ». Aux termes de l’article 80-1 du code de procédure pénale, « à peine de nullité », le juge d’instruction ne peut mettre en examen que les personnes à l’encontre desquelles « il existe des indices graves ou concordants rendant vraisemblable qu’elles aient pu participer, comme auteur ou comme complice, à la commission des infractions dont il est saisi ». Il ne peut procéder à cette mise en examen qu’après avoir préalablement entendu les observations de la personne ou l’avoir mise en mesure de les faire, en étant assistée par son avocat, soit dans les conditions prévues par l’article 116 relatif à l’interrogatoire de première comparution, soit en tant que témoin assisté conformément aux dispositions des articles 113-1 à 113-8 du code de procédure pénale. Le juge d’instruction ne peut procéder à la mise en examen de la personne que s’il estime ne pas pouvoir recourir à la procédure de témoin assisté.
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Le requérant est né le 1er janvier 1995. En juin 2008, alors âgé de treize ans et demi, il fut accusé d’actes d’abus sexuel sur un enfant de huit ans pour des faits survenus le 6 juin 2008. Entendu le 11 juin 2008 par le procureur de la République, il reconnut les faits qui lui étaient reprochés. A. Les procédures pénales diligentées contre le requérant pour abus sexuel et séquestration Le 2 juillet 2008, le requérant fut inculpé du chef d’abus sexuel sur mineur sur le fondement de l’article 103 §§ 1 et 4 du code pénal (CP). Le 18 février 2010, la cour d’assises pour mineurs d’Üsküdar tint sa première audience. Elle y entendit le requérant, alors âgé de quinze ans, en sa défense. L’intéressé nia les faits qui lui étaient reprochés. À l’issue de l’audience, la cour d’assises décida de placer le requérant en détention provisoire, compte tenu de l’existence de forts soupçons quant à la commission de l’infraction reprochée et du fait que celle-ci était régie par l’article 100 § 3 du code de procédure pénale (CPP). Un juge vota contre le placement en détention provisoire du requérant : il observait que l’intéressé avait été entendu, qu’il disposait d’une adresse fixe et qu’il était scolarisé. Il estimait par conséquent qu’il devait être jugé libre. La cour d’assises fixa la prochaine audience au 17 mars 2010. Le 10 mai 2010, la cour d’assises pour mineurs reconnut le requérant coupable de tentative de viol avec violence ayant porté atteinte à l’intégrité psychique de la victime ; elle le condamna à cinq ans et dix mois d’emprisonnement sur le fondement de l’article 103 §§ 2, 4 et 6 du CP. Avec le prononcé de la sentence, la cour ordonna aussi le maintien en détention du requérant. Le 10 mars 2011, la Cour de cassation cassa la décision de première instance au motif que la question de la qualification juridique des faits n’avait pas été dûment examinée. Le 6 mai 2011, le requérant fut mis en liberté. Le 21 juin 2011, à l’issue de la deuxième audience après renvoi, la cour d’assises pour mineurs reconnut le requérant coupable d’abus sexuel avec violence ayant porté atteinte à l’intégrité psychique de la victime, et elle le condamna à la même peine d’emprisonnement. Le requérant forma un pourvoi contre cette décision. Les parties n’ont pas renseigné la Cour sur l’issue de ce recours. Entre-temps, le 23 février 2011, le requérant avait été inculpé pour séquestration, toujours pour les mêmes faits survenus le 6 juin 2008. Le 22 mai 2012, le tribunal pour mineurs de Kartal reconnut le requérant coupable des faits reprochés et le condamna à trois ans d’emprisonnement. Le requérant forma un pourvoi contre ce jugement. Les parties n’ont pas fourni d’informations sur l’issue de ce recours. B. Les violences subies par le requérant lors de sa détention et les enquêtes et procédures y relatives Le 18 février 2010, le requérant fut incarcéré à la prison pour mineurs de Maltepe (Istanbul) et passa sa première nuit dans une « cellule d’observation ». Le 19 février 2010, le conseil d’administration et d’observation de la prison, composé notamment d’un psychologue et d’un enseignant, se réunit pour décider du choix du dortoir devant accueillir le requérant et opta pour le dortoir C-12. Pour ce faire, il tint compte des critères suivants : caractère sociable ou non de l’intéressé ; statut de détenu ou de condamné ; existence ou non d’antécédents judiciaires ; situation sociale, économique et culturelle ; nature de l’infraction reprochée et âge. Les éléments suivants ressortent des informations fournies par le parquet de Kartal au ministère de la Justice : le requérant avait été placé dans un dortoir accueillant les mineurs détenus pour des infractions à caractère sexuel ; ce dortoir accueillait au total dix-sept détenus mineurs ; les parties communes, à l’exception des chambres, douches et toilettes, étaient sous surveillance vidéo ; le dortoir était équipé d’un bouton d’appel d’urgence ; les détenus avaient la possibilité de rencontrer à tout moment le psychologue et le travailleur social de l’établissement ; après son placement dans le dortoir C-12, le requérant avait reçu quatre visites au parloir et deux visites ouvertes. Les 27 et 31 mars 2010, le requérant, âgé de quinze ans, fut victime d’abus sexuels de la part d’un de ses codétenus, M.B., âgé de dix-sept ans. Selon un procès-verbal établi le 3 avril 2010 par l’administration pénitentiaire, le bouton d’appel d’urgence du dortoir C-12 a été actionné ce jourlà à 14 heures et les surveillants se sont immédiatement rendus dans le dortoir. M.B. aurait alors déclaré que ses codétenus allaient l’accuser d’avoir agressé sexuellement le requérant et aurait demandé à sortir du dortoir pour s’expliquer. Il aurait en outre été révélé que les codétenus M.Y. (âgé de dix-sept ans et huit mois), A.Z.B. (âgé de seize ans et dix mois) et H.İ.B. (âgé de seize ans et huit mois) avaient frappé le requérant avec un bâton au motif que celui-ci ne les avait pas mis au courant de l’agression sexuelle plus tôt. Les codétenus du requérant mis en cause auraient été provisoirement placés dans des « cellules d’observation ». Le requérant fut transféré le 3 avril 2010 à l’hôpital pour y subir un examen médical. Le rapport établi à cette occasion indiquait l’absence de fissure anale, ainsi que la présence d’ecchymoses dans la zone périanale, de traces de coups sur les jambes et également de nombreuses traces de coups, formées probablement avec un objet long, et d’ecchymoses sur le fessier. Le 5 avril 2010, le conseil d’administration et d’observation de la prison décida le transfert du requérant dans le dortoir B-6. Le 7 avril 2010, la commission disciplinaire de l’administration pénitentiaire infligea à M.B., M.Y., A.Z.B. et H.İ.B. une sanction disciplinaire consistant en trois jours d’isolement. Elle considérait, à la lumière des déclarations du requérant, de ses agresseurs et des témoins, ainsi que des rapports médicaux, que les agressions sexuelles et physiques sur la personne du requérant étaient établies. En outre, la commission disciplinaire relevait que, lors de son audition, l’intéressé avait indiqué porter plainte contre tous ses agresseurs. Le 8 avril 2010, l’administration pénitentiaire informa le procureur de la République de Kartal que le requérant portait plainte contre ses agresseurs. Le 14 avril 2010, le requérant fut entendu par le procureur de la République de Kartal, en présence d’un psychologue et d’un avocat. Il expliqua que M.B., qui aurait été le responsable du dortoir, était entré dans sa chambre et lui avait proposé une relation sexuelle, qu’il s’y était refusé et que M.B. l’avait alors giflé et avait abusé de lui par la contrainte. En quittant la chambre, M.B. aurait menacé de le frapper s’il rapportait ces faits aux autres détenus. Quatre jours après cette première agression, M.B. aurait récidivé : dans la nuit, il l’aurait vu dans les toilettes, lui aurait donné des coups, l’aurait conduit dans la chambre et l’y aurait à nouveau agressé sexuellement. Le requérant ajouta que ses codétenus avaient été informés de ces incidents et que M.Y., A.Z.B. et H.İ.B. lui avaient reproché de s’être comporté de manière immorale et l’avaient alors giflé et frappé à coups de pied et à l’aide d’un bâton. Le requérant termina sa déposition en indiquant qu’il ne voulait porter plainte ni contre M.B. ni contre M.Y., A.Z.B. et H.İ.B. Le procureur recueillit aussi les déclarations de M.B. et des autres codétenus mis en cause. Toujours le 14 avril 2010, le requérant subit un examen médical à l’institut médicolégal. L’examen révéla la présence de deux ecchymoses, l’une de 10 cm sur 15 cm sur la hanche gauche et l’autre de 7 cm sur 15 cm sur la hanche droite, toutes deux en voie de guérison. D’après le rapport établi à cette occasion, ces ecchymoses pouvaient être traitées par des soins médicaux simples. Le rapport conclut en outre que le requérant était en mesure de se défendre sur le plan physique ou psychique. Le même jour, le procureur de la République de Kartal rendit une ordonnance de non-lieu concernant M.Y., A.Z.B. et H.İ.B. au motif que la poursuite des faits reprochés était liée au dépôt d’une plainte par la victime et que, en l’occurrence, celle-ci avait indiqué ne pas porter plainte contre ses agresseurs. Quant à M.B., il transmit le dossier au parquet d’Üsküdar. Le 2 juin 2010, le procureur de la République d’Üsküdar inculpa M.B. pour abus sexuel qualifié et pour séquestration. Il lui reprochait d’avoir tenté d’obtenir des relations sexuelles par voie de menace, de violence et de ruse. Le 14 septembre 2010, la cour d’assises pour mineurs d’Üsküdar tint sa première audience. Elle entendit M.B., ainsi que le requérant, le père de ce dernier et des témoins. M.B. nia les faits qui lui étaient reprochés. Il déclara qu’il était détenu à la prison pour mineurs de Maltepe dans le cadre d’une autre affaire d’abus sexuel et qu’il y était responsable du dortoir C-12. Il indiqua que, en cette qualité, il avait adressé des avertissements au requérant en raison d’un nonrespect par celui-ci des règles du dortoir. Il ajouta qu’il avait frappé son codétenu parce que ce dernier aurait proféré des insultes à l’encontre de sa mère. Selon lui, c’était pour cette raison que l’intéressé l’avait accusé d’abus sexuels. Le père du requérant déclara que son fils l’avait informé des faits litigieux lors de sa visite à la prison et précisa qu’il était souvent frappé par ses codétenus. Le requérant expliqua que, le 27 mars 2010, l’accusé l’avait réveillé en pleine nuit et lui avait proposé une relation sexuelle, ce à quoi il se serait refusé. M.B. lui aurait alors asséné plusieurs gifles, et il aurait pris peur. M.B. l’aurait alors déshabillé et aurait tenté d’avoir une relation sexuelle avec lui. Après l’agression, M.B. aurait déclaré : « Ne dis rien à personne [sinon] je te frappe ». Le requérant déclara avoir subi les mêmes traitements quatre jours plus tard, dans la nuit du 31 mars 2010. Il précisa que M.B. l’avait interpellé dans les toilettes, qu’il avait refusé d’avoir une relation sexuelle avec lui et que M.B. l’avait alors giflé et menacé de raconter la première agression aux autres détenus. Il ajouta que les codétenus présents à l’audience en qualité de témoins l’avaient accusé d’avoir eu des rapports sexuels consentis et l’avaient frappé pour cette raison. Entendus en qualité de témoins lors de la même audience, H.İ.B. et A.Z.B. indiquèrent qu’ils avaient giflé le requérant parce que celui-ci ne les aurait pas mis au courant de la situation plus tôt. Le 24 mai 2012, M.B. fut reconnu coupable d’agression sexuelle et condamné à huit ans et neuf mois d’emprisonnement. Sa condamnation devint définitive le 4 novembre 2013. II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS A. Le code pénal L’article 86 du CP se lit comme suit: Coups et blessures volontaires « (1) La personne qui, volontairement, inflige des souffrances corporelles à autrui ou qui est la cause d’une dégradation de l’état de santé d’autrui ou de sa capacité de perception est punie d’une peine de un à trois ans d’emprisonnement. (2) Sur plainte de la victime, l’auteur des coups et blessures est puni d’une peine de quatre mois à un an d’emprisonnement ou d’une peine d’amende judiciaire lorsqu’une intervention médicale simple suffit à réparer les conséquences des coups et blessures volontaires [sur la victime] (...) » (3) Lorsque l’infraction de coups et blessures volontaires est commise ; a) à l’encontre des ascendants, descendants, époux ou [frères et sœurs], b) à l’encontre d’une personne qui n’est pas en mesure de se défendre sur le plan physique ou psychique, c) dans le cadre de la fonction publique exercée par l’auteur, d) par abus de l’autorité dont dispose un agent de la fonction publique, e) avec une arme, sans qu’un dépôt de plainte soit exigé, la peine à infliger est augmentée de moitié. Selon la jurisprudence de la Cour de cassation, les mineurs ne relèvent pas automatiquement de la catégorie de victimes indiquées à l’alinéa b) du paragraphe 3 de l’article 86 du CP. Malgré l’âge mineur de la victime, la Cour de cassation exige que l’on recherche si la victime est en mesure de se défendre sur le plan physique ou psychique (voir en ce sens, les arrêts du 11 novembre 2008 (E. 2008/26752-K. 2008/18844, concernant une victime âgée de moins de douze ans) et du 16 février 2011 (E. 2009/33778-K 2011/2926, concernant une victime âgée de treize ans), tous deux rendus par la 2e chambre criminelle de la Cour de cassation). Par un arrêt du 15 mai 2008 (E. 2008/1918-K. 2008/8792), la 2e chambre criminelle a néanmoins considéré que la victime âgée de six ans n’était pas en mesure de se défendre physiquement et relevait par conséquent de la catégorie de victime indiqué à l’alinéa c). Les autres dispositions pertinentes en l’espèce du CP, telles qu’en vigueur à l’époque des faits, prévoyaient ce qui suit. L’abus sexuel sur mineur était puni de trois à huit ans d’emprisonnement (article 103 § 1 du CP). S’il y avait un acte de pénétration, la peine prévue était de huit à quinze ans d’emprisonnement (article 103 § 2 du CP). Lorsque l’abus sexuel sur un mineur de moins de quinze ans était commis par violence ou menace, la peine était augmentée de moitié (article 103 § 4 du CP). En cas d’atteinte à la santé physique ou psychique de la victime en raison de l’agression, la peine minimale était de quinze ans (article 103 § 6 du CP). B. Le code de procédure pénale L’article 100 §§ 1 et 2 du CPP se lit comme suit : « 1. S’il existe des preuves concrètes qui démontrent l’existence de forts soupçons quant à la commission de l’infraction [reprochée] et un motif de détention provisoire, la détention provisoire peut être ordonnée à l’égard d’un suspect ou d’un accusé. La détention provisoire ne peut être prononcée que proportionnellement à la peine ou la mesure préventive susceptibles d’être prononcées eu égard à l’importance de l’affaire. Dans les cas énumérés ci-dessous, l’existence d’un motif de détention provisoire est présumée : a) s’il existe des faits concrets qui font naître le soupçon d’une fuite (...), b) si les comportements du suspect ou de l’accusé font naître le soupçon d’un risque de destruction, dissimulation ou altération des preuves, d’une tentative d’exercer des pressions sur les témoins ou les autres personnes (...) » Pour certaines infractions énumérées à l’article 100 § 3 du CPP, dont l’infraction reprochée au requérant, il existe une présomption légale quant à l’existence des motifs de détention. L’article 141 § 1 d) se traduit comme suit : « 1) Dans le cadre d’une enquête ou d’un procès relatifs à une infraction, les personnes qui : (...) d) même régulièrement placées en détention provisoire au cours de l’enquête ou du procès, ne sont pas traduites dans un délai raisonnable devant l’autorité de jugement et concernant lesquelles une décision sur le fond n’est pas rendue dans ce même délai, (...) peuvent demander à l’État l’indemnisation de tous leurs préjudices matériels et moraux. » L’article 142 § 1 du CPP se lit comme suit : « La demande d’indemnisation peut être demandée dans les trois mois suivant la notification à l’intéressé que la décision ou le jugement est devenu définitif et dans tous les cas de figure dans l’année suivant la date à laquelle la décision ou jugement est devenu définitif. » Par des arrêts rendus en 2012 (arrêts du 4 avril 2012 (E. 2011/15700 – K. 2012/9187) et du 15 mai 2012 (E. 2011/20114 – K. 2012/12183), la Cour de cassation s’est prononcée en matière de demandes d’indemnisation fondées sur l’article 141 § 1 d) du CPP pour défaut de comparution devant la juridiction compétente dans les plus brefs délais (prévue à l’article 94 du CPP). Bien que l’article 142 du CPP dispose que la demande d’indemnisation est présentée après que la décision sur le fond de l’affaire est devenue définitive, la Cour de cassation a posé le principe suivant dans ces arrêts : « dans certaines circonstances où l’article 141 du CPP permet de solliciter une indemnisation, il n’est pas nécessaire d’attendre une décision définitive sur le fond de l’affaire. Lorsque la demande n’est pas liée à l’issue de la procédure et qu’elle n’a pas d’effet sur la décision à rendre, elle peut être introduite avant qu’une décision définitive ne soit rendue ». C. Les développements jurisprudentiels récents Dans deux arrêts récents datés du 16 juin 2015 (E. 2014/21585 – K. 2015/10868 et E. 2014/6167 – K. 2015/10867), la 12e chambre civile de la Cour de cassation a étendu le principe posé par elle dans ses arrêts de 2012, indiquant qu’il n’était pas non plus nécessaire d’attendre une décision définitive sur le fond de l’affaire pour se prononcer sur les demandes d’indemnisation pour durée excessive de la détention provisoire subie dans le cadre d’une affaire. III. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNATIONAUX PERTINENTS Le droit et la pratique internationaux pertinents en l’espèce sont exposés ci-après. A. Les extraits du 11e rapport général d’activités (CPT/Inf(2001)16) du Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (CPT) « Violence entre détenus L’obligation de prise en charge des détenus qui incombe au personnel pénitentiaire englobe la responsabilité de les protéger contre d’autres détenus qui pourraient leur porter préjudice. En fait, des incidents violents entre détenus sont courants dans tous les systèmes pénitentiaires ; ils comprennent une grande variété de phénomènes, allant de formes subtiles de harcèlement à des intimidations patentes et des agressions physiques graves. (...) Les détenus soupçonnés ou condamnés pour infractions à caractère sexuel sont particulièrement exposés à un important risque d’agression de la part d’autres détenus. Parer à de tels actes représentera toujours un défi difficile à relever. Une politique de séparation de tels détenus du reste de la population carcérale est souvent la solution retenue. Toutefois, les détenus concernés peuvent payer un prix élevé pour leur – relative – sécurité, en termes de programmes d’activités nettement plus limités qu’en régime de détention ordinaire. Une autre approche consiste en une politique de dispersion des détenus concernés au sein de l’établissement pénitentiaire. Pour qu’une telle approche réussisse, l’environnement nécessaire pour une intégration effective de tels détenus dans des quartiers de détention ordinaire doit être garanti ; en particulier, le personnel pénitentiaire doit être sincèrement engagé à réprimer de manière ferme toute manifestation d’hostilité ou acte de persécution à l’égard de ces détenus. Une troisième approche peut consister en un transfert des détenus vers un autre établissement, assorti de mesures visant à dissimuler la nature de leurs infractions. Chacune de ces politiques présente ses avantages et ses inconvénients, et le CPT ne tend pas à se prononcer en faveur d’une approche spécifique plutôt que d’une autre. En effet, déterminer la politique à mettre en œuvre dépendra des circonstances particulières entourant chaque cas. (...) Grands dortoirs (...) En outre, le risque d’intimidation et de violence est élevé. De telles modalités d’hébergement peuvent faciliter le développement de sous-cultures criminogènes et faciliter le maintien de la cohésion d’organisations criminelles. (...) » B. Les extraits du 14e rapport général d’activités (CPT/Inf (2004)28) du CPT « 103. Il convient d’accorder une attention particulière à l’affectation de mineurs appartenant à différents groupes d’âge afin de répondre au mieux à leurs besoins. Des mesures appropriées devraient également être prises pour bien séparer ces groupes d’âge et ainsi prévenir toute influence non désirée ou domination et tout abus. (...) Tous les efforts devraient être faits pour éviter de placer les mineurs dans de grands dortoirs, car l’expérience du CPT a montré qu’ils sont alors exposés à un plus grand risque de violence et d’exploitation. Les grands dortoirs devraient être progressivement supprimés. » C. Sur la question de la vulnérabilité des mineurs Le préambule de la convention internationale des droits de l’enfant (défini par l’article premier comme étant « tout être humain âgé de moins de dix-huit ans, sauf si la majorité est atteinte plus tôt en vertu de la législation qui lui est applicable ») du 20 novembre 1989 (...) renvoie à ces déclarations et rappelle que la nécessité d’accorder une protection spéciale à l’enfant a été reconnue dans la déclaration universelle des droits de l’homme, dans le pacte international relatif aux droits civils et politiques (en particulier aux articles 23 et 24), dans le pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (en particulier à l’article 10) et dans les statuts et instruments pertinents des institutions spécialisées et des organisations internationales qui se préoccupent du bien-être de l’enfant. Plusieurs textes internationaux ou régionaux postérieurs reposent sur la reconnaissance de la nécessité de prendre en compte la vulnérabilité des mineurs. Ainsi, par exemple, la Convention du Conseil de l’Europe sur la protection des enfants contre l’exploitation et les abus sexuels du 25 octobre 2007 (...) énonce dans son préambule que « tout enfant a droit, de la part de sa famille, de la société et de l’État, aux mesures de protection qu’exige sa condition de mineur », l’enfant étant défini comme « toute personne âgée de moins de dix-huit ans » (article 3 a)). On peut également évoquer la Recommandation CM/Rec (2008)11, sur les règles européennes pour les délinquants mineurs faisant l’objet de sanctions ou de mesures, et la Recommandation CM/Rec (2009)10, relative aux lignes directrices du Conseil de l’Europe sur les stratégies nationales intégrées de protection des enfants contre la violence, adoptées par le Comité des ministres du Conseil de l’Europe les 5 novembre 2008 et 18 novembre 2009 respectivement. La seconde souligne que « la fragilité et la vulnérabilité des enfants, ainsi que leur dépendance à l’égard des adultes pour leur croissance et leur développement, justifient un investissement accru de la part de la famille, de la société et de l’État dans la prévention de la violence à l’encontre des enfants » ; la première souligne l’extrême vulnérabilité des mineurs privés de liberté (annexe à la Recommandation, § 52.1). Tout récemment encore, le CPT a mis en exergue la vulnérabilité particulière des mineurs dans le contexte de la privation de liberté (vingt-quatrième rapport général du CPT, 20132014, janvier 2015, les mineurs privés de liberté en vertu de la législation pénale, paragraphes 3, 98 et 99).
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE La requérante, S.C. Britanic World S.R.L., est une société de droit roumain, ayant son siège à Mizil. A. Le contrat de vente litigieux Le 21 septembre 2001, la requérante devint propriétaire de quatre terrains à Ceptura, dans le département de Prahova. Les contrats de vente furent signés pour la requérante par C.B., son directeur général, qui était employé en vertu d’un contrat de travail. Le 5 décembre 2003, C.B. conclut, par acte notarié, un contrat par lequel il vendait à la société G. un des terrains, d’une superficie de 18 000 m2 (« le contrat de vente »). Pour conclure le contrat au nom de la requérante, C.B. se prévalut d’un pouvoir donné par le gérant. Toutefois, selon la requérante, ce pouvoir n’autorisait C.B. à conclure des actes juridiques qu’avec l’accord du gérant. En 2005, le gérant licencia C.B., estimant qu’il y avait eu faute de sa part. B. La procédure pénale Le 3 mars 2005, la requérante saisit le parquet près le tribunal de première instance de Mizil (« le parquet ») d’une plainte pénale contre C.B. Elle alléguait que ce dernier avait commis un faux en écriture privée s’agissant du pouvoir en vertu duquel il avait conclu le contrat de vente. Le 9 juin 2005, le parquet rendit un non-lieu au bénéfice de C.B., au motif qu’il n’avait pas commis l’infraction reprochée. Pour arriver à cette conclusion, le parquet avait examiné les pouvoirs donnés à C.B. par la requérante, plus précisément le pouvoir no 1027 émis et authentifié en 2000, ainsi que trois pouvoirs nos 3036, 3081 et 3082 signés par C.B. et, pour deux d’entre eux, co-signés par le directeur économique de la requérante. L’ordonnance de non-lieu fut confirmée, sur contestation de la requérante, par un jugement du 5 septembre 2005 du tribunal de première instance de Mizil (« le tribunal de première instance ») et par un arrêt définitif du 3 octobre 2005 du tribunal départemental de Prahova (« le tribunal départemental »). Les parties pertinentes de l’arrêt du tribunal départemental sont ainsi rédigées : « Il résulte incontestablement des actes et documents versés au dossier que l’intimé C.B. a agi comme mandataire (împuternicit) de S.C. Britanic World S.R.L. Mizil dont il a été le directeur général entre 2000 et 2005. Ainsi qu’il résulte du pouvoir authentifié no 1027/22.09.2000, l’intimé a été mandaté pour représenter la société dans les transactions commerciales tant envers les partenaires qu’envers le notaire public. Il n’a pas été possible d’établir en quoi consistait le faux allégué par la demanderesse, dans la mesure où, en vertu du pouvoir, l’intimé avait un droit de signature sur les contrats conformément aux stipulations du pouvoir (avea drept de semnătură proprie pe contracte conform celor stipulate în procură). » C. Action en annulation du contrat de vente Le 13 mai 2005, la requérante assigna la société G. et C.B. devant le tribunal de première instance en annulation du contrat de vente et du pouvoir no 3081. Après un premier cycle procédural, le tribunal de première instance rejeta l’action par un jugement du 4 décembre 2006. La requérante interjeta appel devant le tribunal départemental. Dans son mémoire en défense communiqué aux autres parties, C.B. indiqua, entre autres, que le gérant de la requérante avait déposé une plainte pénale contre lui auprès du parquet pour les mêmes faits, mais qu’il avait bénéficié d’un non-lieu. Il ne ressort pas du dossier que la société G. ait demandé la production des décisions rendues dans la procédure pénale. Par un arrêt du 10 avril 2007, le tribunal départemental fit droit à l’appel et annula le contrat de vente. Le tribunal jugea que C.B. avait conclu le contrat sur la base du pouvoir no 3081 qui n’avait pas été authentifié au préalable par un notaire, ce qui était une condition de forme nécessaire pour la conclusion d’un acte de vente notarié. En outre, le tribunal nota que le contrat de vente ne faisait pas mention du pouvoir authentifié no 1027. Cet arrêt fut confirmé, sur pourvoi en recours de la société G., par la cour d’appel de Ploieşti (« la cour d’appel »), par un arrêt définitif du 10 octobre 2007. Dans cet arrêt, la cour d’appel fit mention de la déposition faite par un témoin lors de la procédure pénale susmentionnée. D. La contestation en annulation La société G. saisit la cour d’appel d’une contestation en annulation contre l’arrêt définitif du 10 octobre 2007. La contestation en annulation était fondée sur le fait que la cour d’appel n’aurait pas examiné deux motifs de recours. Par un arrêt du 21 janvier 2008, la cour d’appel rejeta la contestation en annulation comme mal fondée, au motif que tous les motifs de recours avaient été dûment examinés. E. La première demande de révision Le 27 février 2008, la société G. saisit la cour d’appel d’une demande de révision de l’arrêt du 10 avril 2007 du tribunal départemental fondée sur l’article 322 § 7 du code de procédure civile (« le CPC »), dans sa rédaction en vigueur au moment des faits (paragraphe 26 ci-dessous). Elle faisait valoir qu’elle avait entre-temps et accidentellement appris de C.B. l’existence de la procédure pénale pour faux à l’encontre de ce dernier (paragraphe 12 cidessus) et qu’il y avait contradiction entre les décisions définitives rendues dans les deux procédures. Par un arrêt du 8 mai 2008, la cour d’appel déclara la demande de révision irrecevable, au motif que les dispositions légales invoquées n’étaient pas applicables, puisque les parties, l’objet et la cause des deux procédures en cause n’étaient pas identiques. F. La seconde demande de révision À une date non précisée en 2008, la société G. saisit le tribunal départemental d’une seconde demande de révision de son arrêt du 10 avril 2007 fondée sur les dispositions de l’article 322 § 5 du CPC (paragraphe 26 ci-dessous). Plus précisément, elle s’appuya sur l’existence de documents nouveaux dont elle n’avait pas eu connaissance, à savoir les décisions pénales confirmant le non-lieu au bénéfice de C.B., dont il lui avait envoyé les copies par la poste. Par un arrêt du 11 juin 2008, le tribunal départemental déclara la demande de révision irrecevable, au motif que les conditions légales de la révision n’étaient pas remplies en l’espèce. Plus précisément, le tribunal estima que les documents nouveaux présentés par la société G. n’avaient pas été retenus par la requérante au sens de l’article 322 § 5 du CPC et qu’il n’y avait pas eu de circonstances exceptionnelles empêchant la société G. de se les procurer. La société G. forma un pourvoi en recours. Par un arrêt du 27 novembre 2008, la cour d’appel fit droit à son pourvoi, accueillit sa demande de révision et cassa l’arrêt du 10 avril 2007. Par voie de conséquence, la cour d’appel confirma le jugement du tribunal de première instance du 4 décembre 2006. La cour d’appel jugea que la société G. avait été dans l’impossibilité objective de se procurer les décisions en cause, puisque la législation sur la protection des données personnelles et sur l’accès aux informations publiques l’empêchait d’accéder à des décisions judiciaires rendues dans des procédures auxquelles elle n’avait pas été partie. Sur le fond, elle jugea que les décisions rendues dans le cadre de la procédure pénale avaient un caractère déterminant pour la procédure civile, dans la mesure où elles prouvaient que C.B. avait un droit de signature en ce qui concernait les contrats notariés (« avea drept de semnătură proprie pe contractele notariale »). Pour ces raisons, elle écarta les conclusions de l’arrêt du 10 avril 2007 du tribunal départemental qui avait jugé que le pouvoir de C.B. aurait dû être authentifié. II. LE DROIT INTERNE PERTINENT Les dispositions pertinentes du CPC, dans leur rédaction en vigueur au moment des faits, étaient ainsi rédigées : Article 1081 « Si la loi ne dispose pas autrement, le tribunal peut sanctionner, selon les dispositions du présent article, les actes suivants commis dans le cadre de la procédure, ainsi : (...) d’une amende judiciaire de 30 à 500 lei : (...) e) le défaut de présentation d’un document ou d’une chose, par celui qui le détient, dans le délai fixé à cette fin par le tribunal ; » Article 172 « (1) Quand une partie fait valoir que la partie adverse détient un document relatif au litige, le tribunal peut ordonner sa présentation. » Article 175 « Si le document est conservé par une autorité ou une tierce personne, le tribunal décide qu’il soit produit, dans un délai fixé à cette fin (...) » Article 322 « La révision d’une décision devenue définitive devant la juridiction d’appel ou à défaut d’appel, ainsi que d’une décision rendue par la juridiction du pourvoi en recours lorsqu’elle examine le fond [de l’affaire] peut être demandée dans les cas suivants : (...) si, après le prononcé de la décision, sont découverts des éléments de preuve écrits [qui avaient été] retenus par la partie adverse ou qui n’ont pas pu être présentés en raison d’un événement indépendant de la volonté des parties ou si la décision d’une juridiction sur laquelle est fondée la décision dont la révision est demandée a été annulée ou modifiée ; (...) s’il existe des décisions définitives contraires, rendues par des juridictions de même degré ou de degrés différents, dans le même litige, entre les mêmes personnes, ayant la même qualité (...) »
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Le requérant est né en 1977 et réside à Athènes. Pendant ses études en Turquie (1994-1999), le requérant devint un activiste politique soutenant des thèses procommunistes et prokurdes. En 1997, il ouvrit une librairie-café, qui fut fréquentée par des personnes favorables à ces thèses. En 2000, les autorités de police turques arrêtèrent le requérant, et le procureur poursuivit ce dernier pour atteinte à l’ordre constitutionnel de l’État (article 146 du code pénal turc). Le requérant fut aussi placé dans les « cellules blanches » (cellules d’isolement) de la prison de Kandra. Il entama une grève de la faim, qu’il mena durant 171 jours et qui entraîna un syndrome de Wernicke-Korsakoff, pathologie pouvant causer des dommages irréversibles à la santé et être fatale. La vie du requérant étant en danger, les autorités turques consentirent à remettre celui-ci en liberté. En 2002, le requérant s’enfuit en Grèce, où il déposa une demande d’asile le 15 janvier 2002. Le 18 février 2002, le secrétaire général du ministère de l’Ordre public, se prononçant en première instance, rejeta cette demande, avec une motivation sommaire. Le 21 mars 2002, le requérant introduisit un recours contre ce rejet devant le ministre de l’Ordre public. Le 29 janvier 2003, il se présenta devant la Commission consultative d’asile, qui l’avait convoqué, et déposa plusieurs documents établissant qu’il avait été victime de tortures en Turquie en raison de ses opinions politiques, dont un rapport médical établi par le Centre médical grec pour la réhabilitation des victimes de torture, ainsi qu’un document d’Amnesty International. Le même jour, la Commission consultative d’asile émit un avis favorable au requérant. En application de l’article 3 § 5 du décret présidentiel no 61/1999 (sur la procédure d’examen de la demande d’asile), à la suite de cet avis favorable, le ministre de l’Ordre public devait prendre la décision d’accorder ou non la protection internationale au requérant dans un délai de quatrevingt-dix jours. Toutefois, à la date de saisine de la Cour, le ministre n’avait pris aucune décision et n’avait ainsi ni entériné ni désapprouvé l’avis de ladite commission. De 2003 à 2015, le requérant vécut à Athènes et se présenta tous les six mois aux autorités de police pour faire renouveler sa carte de demandeur d’asile. Selon le droit interne, cette carte ne constituait pas un titre de séjour et n’offrait donc pas tous les droits en découlant : elle permettait seulement au demandeur d’asile de ne pas être expulsé et de résider sur le territoire avec un « statut toléré » pendant la durée de l’examen de sa demande. Plus précisément, d’après le droit interne, le demandeur d’asile n’avait pas le droit d’exercer une activité professionnelle libérale, d’avoir accès à une formation professionnelle, de se marier, d’obtenir le permis de conduire, d’avoir un compte bancaire et de solliciter un regroupement familial. En 2003, alors qu’il résidait à Athènes, le requérant fut rejoint par son épouse, qui venait de Turquie. Toutefois, la présence de celle-ci sur le territoire ne devint légale qu’en 2008, lorsque l’intéressée obtint un permis de travail pour une durée limitée. En 2010, le couple eut un fils. En 2011, l’épouse du requérant retourna à Istanbul, avec l’enfant, en raison de problèmes de santé. En 2012, le couple divorça. Entre-temps, le 5 août 2005, le bureau d’Interpol de Turquie avait formulé une demande d’extradition à l’encontre du requérant. Celle-ci était fondée sur des accusations similaires à celles qui avaient été émises en 2000 et qui avaient été examinées par les autorités grecques lors de la procédure d’examen de la demande d’asile. Le 12 mars 2013, le requérant fut arrêté à Patras. Le 26 mars 2013, la chambre d’accusation de la cour d’appel de Patras examina la demande d’extradition et se prononça à l’unanimité en faveur de son rejet. Elle fondait sa décision sur le risque couru par le requérant, en cas d’extradition, de subir de mauvais traitements en raison de ses opinions politiques. Elle relevait, en outre, que la nature des infractions pour lesquelles l’extradition était sollicitée était indiquée, dans la demande des autorités turques, de manière vague et abstraite. Plus précisément, la chambre d’accusation prenait en considération les éléments suivants : - le fait que le requérant était poursuivi devant les juridictions turques et qu’il devait être entendu au sujet de sa participation à une « organisation terroriste armée » et pour l’assassinat du fondateur d’une autre organisation terroriste ; - les allégations du requérant, reproduites dans un document établi par son avocat en Turquie, selon lesquelles : a) les accusations portées contre lui avaient comme fondement ses idées pro-kurdes et de gauche et son engagement politique ; b) il avait été arrêté à six reprises entre 1992 et 1996, avait subi des tortures et avait reçu des menaces de mort ; c) les aveux qu’il avait faits en 2000, d’après lesquels il avait tenté de renverser l’ordre constitutionnel en Turquie, étaient le résultat de la torture endurée dans un commissariat de police ; d) les accusations de participation à une organisation terroriste et d’assassinat avaient été « construites » par les autorités de police turques ; e) pendant sa détention provisoire, alors qu’il aurait été à son trentième jour de grève de la faim, il avait à nouveau subi des tortures et, alors qu’il aurait été mourant et aurait souffert du syndrome de Wernicke-Korsakoff, diagnostiqué par un médecin légiste, il avait été libéré sous condition pour une période de six mois ; - le rapport du Centre médical grec pour la réhabilitation des victimes de torture, qui attestait que le requérant avait été examiné le 25 juillet 2002 et qu’il avait été constaté que celui-ci avait subi des tortures ayant entraîné des séquelles physiques et psychiques ; - le certificat médical établi par l’hôpital « Georgios Gennimatas » qui attestait que le requérant souffrait de troubles de la mémoire et de la concentration, en raison du syndrome de Wernicke-Korsakoff qu’il présentait, et qui recommandait des examens d’IRM ; - un document établi par la branche grecque d’Amnesty International à l’attention du ministre de l’Ordre public, appuyant la demande d’asile du requérant, qui indiquait que la Turquie pratiquait systématiquement la torture et que la vie de l’intéressé serait en danger en cas de renvoi vers ce pays. Le 27 mars 2013, le procureur interjeta appel contre la décision de la chambre d’accusation de la cour d’appel de Patras devant la Cour de cassation. Le 26 avril 2013, la Cour de cassation confirma la décision attaquée. Dans l’intervalle, le requérant avait accompli de multiples démarches aux fins d’obtention d’une décision définitive. Il avait ainsi écrit au médiateur de la République les 21 mars et 25 juin 2012 et au ministre de l’Ordre public les 19 novembre 2013, 16 juin 2014 et 27 février 2015. Par ailleurs, dans plusieurs lettres échangées entre différentes autorités (entre autorités de police ou entre celles-ci et d’autres instances) les 23 février 2007, 16 octobre 2012, 14 novembre 2012 et 28 janvier 2015, il était précisé que la demande d’asile du requérant était encore pendante devant le ministre de l’Ordre public. II. LE DROIT INTERNE PERTINENT Les paragraphes pertinents en l’espèce de l’article 3 du décret présidentiel no 61/1999, relatif à la procédure de reconnaissance du statut de réfugié d’un étranger, à la révocation de la décision de reconnaissance et l’expulsion et à l’approbation du regroupement familial, dispose : « 3. En cas de rejet de la demande d’asile, le demandeur a le droit d’introduire un recours devant le ministre de l’Ordre public dans un délai de trente jours à compter de la date de la notification de la décision. La décision de rejet doit indiquer de manière détaillée les motifs du rejet, le délai pour l’exercice du recours, ainsi que les conséquences de l’expiration du délai. Le contenu de la décision est annoncé oralement au demandeur dans une langue qu’il comprend (...). (...) Le ministre se prononce sur le recours dans un délai de quatre-vingt-dix jours à compter de la date de l’exercice de celui-ci et à la suite d’un avis donné par une commission de six membres, composée du représentant du Conseil juridique de l’État auprès du ministère de l’Ordre public, (...) en tant que président, et d’un diplomate de carrière, du représentant du Conseil juridique de l’État auprès du ministère des Affaires étrangères et d’un officier supérieur de la police hellénique (...). Participent aussi à cette commission un représentant du barreau d’Athènes (...) et le conseiller juridique du bureau grec du Haut-Commissariat des Nations unies pour les Réfugiés (...) » L’article 4 du décret no 189/1998 relatif aux conditions permettant d’autoriser le travail de réfugiés (aboli en avril 2016) prévoyait : « 1. Les étrangers demandeurs d’asile et ceux qui résident provisoirement pour des raisons humanitaires peuvent travailler à titre provisoire pour couvrir leurs besoins de subsistance immédiats dans les conditions suivantes : (...) c) Après examen du marché de travail concernant un métier spécifique, il s’est avéré qu’aucun intérêt pour l’exercer n’a pas été manifesté par un ressortissant grec, un ressortissant de l’Union européenne, un réfugié ayant déjà obtenu ce statut et un ressortissant étranger d’origine grecque. » En outre, par une circulaire no 19000/442 du 19 octobre 2012, le ministre du Travail faisait obligation aux demandeurs d’asile sollicitant un permis de travail de produire un document émis par l’Organisme pour l’emploi de la main d’œuvre (OAED) attestant qu’il n’y avait pas de ressortissants grecs, de ressortissants de l’Union européen, de réfugiés ayant déjà obtenu ce statut et de ressortissants étrangers d’origine grecque qui étaient chômeurs et qui avaient manifesté l’intérêt à travailler dans des branches de métiers spécifiques qui étaient aussi recherchées par les demandeurs d’asile. III. LE DROIT EUROPEEN PERTINENT L’article 18 du Règlement (UE) no 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 (établissant les critères et mécanismes de détermination de l’État membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des États membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride) dispose : « 1. L’État membre responsable en vertu du présent règlement est tenu de: a) prendre en charge, dans les conditions prévues aux articles 21, 22 et 29, le demandeur qui a introduit une demande dans un autre État membre; b) reprendre en charge, dans les conditions prévues aux articles 23, 24, 25 et 29, le demandeur dont la demande est en cours d’examen et qui a présenté une demande auprès d’un autre État membre ou qui se trouve, sans titre de séjour, sur le territoire d’un autre État membre; c) reprendre en charge, dans les conditions prévues aux articles 23, 24, 25 et 29 le ressortissant de pays tiers ou l’apatride qui a retiré sa demande en cours d’examen et qui a présenté une demande dans un autre État membre ou qui se trouve, sans titre de séjour, sur le territoire d’un autre État membre; d) reprendre en charge, dans les conditions prévues aux articles 23, 24, 25 et 29, le ressortissant de pays tiers ou l’apatride dont la demande a été rejetée et qui a présenté une demande auprès d’un autre État membre ou qui se trouve, sans titre de séjour, sur le territoire d’un autre État membre. Dans les cas relevant du champ d’application du paragraphe 1, points a) et b), l’État membre responsable est tenu d’examiner la demande de protection internationale présentée par le demandeur ou de mener à son terme l’examen. Dans les cas relevant du champ d’application du paragraphe 1, point c), lorsque l’État membre responsable avait interrompu l’examen d’une demande à la suite de son retrait par le demandeur avant qu’une décision ait été prise sur le fond en première instance, cet État membre veille à ce que le demandeur ait le droit de demander que l’examen de sa demande soit mené à terme ou d’introduire une nouvelle demande de protection internationale, qui ne doit pas être considérée comme une demande ultérieure prévue par la directive 2013/32/UE. Dans ces cas, les États membres veillent à ce que l’examen de la demande soit mené à terme. Dans les cas relevant du champ d’application du paragraphe 1, point d), lorsque la demande a été rejetée en première instance uniquement, l’État membre responsable veille à ce que la personne concernée ait la possibilité ou ait eu la possibilité de disposer d’un recours effectif en vertu de l’article 46 de la directive 2013/32/UE. »
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Le requérant est né en 1958 et réside à Focşani. Le 11 décembre 2010, le requérant s’était rendu dans le hall de la Maison de la Culture de Focşani afin de discuter avec l’un des représentants d’un parti politique qui devait se réunir ce jour-là dans le bâtiment en question. Pendant qu’il attendait l’arrivée de son interlocuteur, vers 14h, il fut appréhendé par des policiers présents sur place, qui, l’interrogeant sur sa présence sur place, se rendirent compte qu’il n’avait pas d’invitation pour participer à la manifestation en question ni de pièce d’identité sur lui et par conséquent l’informèrent qu’il devait se rendre au poste de police pour être identifié. Le requérant rétorqua : « Pourquoi devrais-je me rendre à la police, suis-je là pour mettre des bombes ? » Une deuxième équipe de police arriva sur place pour prendre en charge le requérant et l’amener au poste de police où son identité fut vérifiée par l’un des policiers, tandis qu’il attendait avec l’autre dans la voiture de police. Environ vingt minutes plus tard et, selon les dires du requérant, sans aucune explication il fut transporté à l’hôpital psychiatrique de Focşani par une troisième équipe de police. Le procès-verbal rédigé par l’un des policiers qui l’avait accompagné à l’hôpital et qui fut présenté au médecin de garde, se lisait ainsi dans ses parties pertinentes : « Année 2010, mois 12, jour 11, à 14h30, à Focşani, Vrancea... Aujourd’hui, à la date et heure mentionnées ci-dessus, alors que nous étions dans l’exercice de nos fonctions, nous avons conduit Ulisei Grosu à l’hôpital psychiatrique ... Il a été appréhendé dans la Maison de la Culture par une équipe de police ... et a eu un comportement récalcitrant. Au même moment, [le requérant] a affirmé vouloir poser une bombe à la Maison de la Culture. Pour cette raison, il a été amené à l’hôpital psychiatrique. [Le requérant] ne présente pas de traces de violence sur son corps et n’a pas subi des violences. » Le requérant fut examiné par un médecin de l’hôpital psychiatrique en question, qui estima qu’il n’y avait pas de raisons médicales de le faire interner. Cette mention fut enregistrée dans le registre des internements de l’hôpital à 14h35. Le requérant ayant également déclaré qu’il refusait l’internement, il fut autorisé à quitter l’hôpital. Le registre des internements porte la mention manuscrite « refus l’internement » de la main du requérant. Le 21 février 2011, le requérant saisit le parquet près le tribunal départemental de Vrancea d’une plainte pénale contre les policiers qu’il accusait de l’avoir illégalement privé de sa liberté le 11 décembre 2010 et d’avoir commis un faux en écriture publique, en méconnaissance des articles 189 et 289 du code pénal. Il se plaignait également de T.N., un cadre dirigeant de parti politique, qui aurait instigué les policiers à le priver de sa liberté. Il faisait valoir que c’était à tort que les policiers avaient précisé, dans le procès-verbal dressé après l’incident, qu’il était agité et qu’il aurait affirmé qu’il allait poser une bombe. Le requérant soulignait que le seul motif pour lequel il avait été emmené de force par les policiers de la Maison de la Culture était qu’il avait auparavant envoyé une pétition aux parlementaires de son département, dénonçant certains abus des représentants du parti politique en question qui, craignant de nouvelles contestations, auraient donné l’ordre aux policiers de l’évacuer du bâtiment pendant le déroulement de la manifestation. Trois policiers des équipes ayant conduit le requérant au poste de police et à l’hôpital déclarèrent devant le parquet que le requérant avait été écarté de la Maison de la Culture de Focşani et amené au siège de la police en raison de ce qu’il n’avait pas justifié de son droit de participer à la réunion qui s’y tenait, et du fait qu’il s’était agité et avait insinué y être présent pour poser une bombe. Un des policiers déclara aussi que le requérant aurait affirmé vouloir retourner à la Maison de la Culture pour poser la bombe. Le requérant fut lui aussi entendu par le parquet le 27 avril 2011. Il expliqua qu’il avait été interpellé, le 11 décembre 2010, à la Maison de la Culture, par deux hommes qui, vu qu’il ne portait pas sa pièce d’identité, l’avaient confié à une équipe de police qui l’avait amené au bureau de police. Arrivé sur place, malgré son insistance, il n’avait pas été autorisé à sortir de la voiture de police, et n’avait pas été fouillé ni entendu au sujet de l’incident. Après 10-15 minutes d’attente, il avait été remis à une autre équipe de police qui, sans lui poser une question, l’avait transporté à l’hôpital psychiatrique. Interrogés par le médecin de service sur la raison de cette mesure, les policiers s’étaient consultés avec le commissariat et avaient ensuite rédigé un procès-verbal alléguant que le requérant aurait voulu poser une bombe à la Maison de la Culture. Le requérant précisa ensuite qu’il admettait que les deux premières équipes de police aient fait leur devoir, mais qu’il estimait que l’équipe qui l’avait transporté à l’hôpital psychiatrique avait agi illégalement. Le requérant indiqua qu’à ce stade de l’enquête, il ne souhaitait pas demander de dommages et intérêts. Par une décision du 10 juin 2011, le parquet rejeta la plainte du requérant et rendit une décision de non-lieu à l’égard des policiers et de T.N. Il soulignait que les policiers qui avaient conduit le requérant au poste de police et ensuite à l’hôpital psychiatrique de Focşani avaient respecté la loi et avaient agi dans le cadre de leurs attributions, conformément à la loi no 487/2002 sur la santé mentale. Il nota que le requérant avait eu un comportement agressif le 11 décembre 2010 et que les policiers avaient estimé à juste titre qu’il devait être amené à l’hôpital psychiatrique afin d’être traité. Sur plainte du requérant, cette décision fut confirmée le 15 juillet 2011 par le procureur hiérarchiquement supérieur du même parquet. Par un jugement du 24 octobre 2011, le tribunal départemental de Vâlcea fit droit à la plainte du requérant et renvoya l’affaire au parquet pour qu’il complète son enquête initiale et qu’il ouvre des poursuites pénales à l’encontre des policiers pour privation illégale de liberté et pour faux en écritures publiques. En particulier, le tribunal estima que le parquet n’avait pas établi, en s’appuyant sur des preuves concluantes, la raison pour laquelle le requérant avait été éloigné de force du hall de la Maison de la Culture et transporté d’abord au poste de police et ensuite à l’hôpital psychiatrique. Le parquet entendit à nouveau les policiers et le dirigeant du parti politique nommés par le requérant dans sa plainte. Il estima que les faits avaient été correctement établis lors de la première enquête et en réitéra les conclusions, notamment le fait que le requérant avait été conduit à l’hôpital parce qu’il était devenu agressif et que les policiers avaient estimé, à juste titre, qu’il pouvait être soigné à l’hôpital. Le procureur considéra que les policiers avaient agi dans le cadre de leurs compétences et en conformité avec les dispositions de la loi no 487/2002 sur la santé mentale. En conséquence, le 30 décembre 2011, le parquet rejeta à nouveau la plainte du requérant et rendit une nouvelle décision de non-lieu à l’égard des policiers et de T.N. Cette décision fut confirmée le 27 janvier 2012 par le procureur hiérarchiquement supérieur. Par un jugement définitif du 26 mars 2012, le tribunal départemental de Vâlcea, dans une formation différente de celle qui avait siégé le 24 octobre 2011, rejeta la plainte du requérant contre les décisions du parquet, qu’il estima bien-fondées et conformes à la loi. II. LE DROIT INTERNE PERTINENT La loi no 487 du 11 juillet 2002 sur la santé mentale et la protection des personnes ayant des troubles psychiques (« la loi no 487/2002 »), dans sa version applicable à l’époque des faits, régissait l’internement non volontaire d’une personne. Elle prévoyait que l’internement non volontaire pouvait se faire à la demande de la police, entre autres en indiquant les circonstances ayant conduit à cette demande et les antécédents médicaux connus (article 47). La décision relative à l’internement non volontaire était susceptible d’un recours judiciaire « auprès du tribunal compétent selon la loi », formé par le malade ou par son représentant (article 54). Si le psychiatre considérait qu’il n’y avait pas de raisons d’interner la personne concernée, il ne devait pas la retenir en observation contre son gré et devait préciser la raison sur la fiche médicale (article 51). Une présentation exhaustive de la législation en vigueur et de la pratique interne pertinente relative à la protection des personnes atteintes de troubles psychiques figure dans les arrêts C.B. c. Roumanie (no 21207/03, § 37, 20 avril 2010), Parascineti c. Roumanie (no 32060/05, §§ 25 et 29, 13 mars 2012) et Cristian Teodorescu c. Roumanie (no 22883/05, §§ 30-40, 19 juin 2012). La loi no 487/2002 a été amplement modifiée par la loi no 129/2012 puis republiée au Journal Officiel no 487 du 17 juillet 2012 (B. c. Roumanie (no 2), no 1285/03, §§ 51-52, 19 février 2013). Cette nouvelle version n’était pas en vigueur à l’époque des faits de l’espèce. L’article 31 de la loi no 218 du 23 avril 2002 sur l’organisation et le fonctionnement de la police roumaine (« loi no 218/2002 ») est ainsi libellé : (1) Dans l’exercice de ses fonctions prévues par la loi, l’agent de police est investi de l’exercice de l’autorité publique et a les droits et obligations principaux suivants : a) de vérifier et d’établir l’identité des personnes qui ne respectent pas les lois ou contre lesquelles il y a des indices qu’elles se préparent à commettre ou ont déjà commis un acte illicite ; b) de conduire au poste de police ceux qui, par leurs actions, mettent en danger la vie des autres, l’ordre public ou d’autres valeurs sociales ; à l’égard des personnes soupçonnées d’avoir commis des actes illicites, dont l’identité n’a pu être établie selon la loi, le policier est autorisé à utiliser la force si les ordres qu’il a donnés ne sont pas respectés ; la vérification de l’identité de ces catégories de personnes et la prise des mesure légales se font dans un délai maximum de 24 heures, en tant que mesure administrative ; c) d’inviter au poste de police les personnes dont la présence est nécessaire pour l’exercice des attributions de la police, en les informant en écrit de la raison et de la finalité de cette invitation ... »
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Le requérant est né en 1971 et réside à Prăjeşti. À l’époque des faits, il travaillait en Belgique et exerçait également la fonction de conseiller communal de Prăjeşti où il habitait avec sa famille depuis plusieurs années. Le 20 décembre 2007, le requérant rentra de Belgique en Roumanie. A. Les incidents des 28-29 décembre 2007 Le 28 décembre au soir, après une visite dans la famille du requérant, sa belle-mère appela les services d’urgence pour se plaindre de ce que son beau-fils était agressif depuis son retour en Roumanie. Elle fut invitée à se présenter au poste de police de Prăjeşti où une équipe l’attendait déjà. Vers 21h-22h, les policiers se rendirent au domicile du requérant. Une heure après, une ambulance arriva également. N’arrivant pas à convaincre le requérant de les suivre, les forces de l’ordre et l’ambulance quittèrent les lieux vers 2h-3h du matin. Le lendemain matin, 29 décembre 2007, vers 9h, un véhicule de la mairie de Prăjeşti s’arrêta devant la maison du requérant pendant que celui-ci était en train de déblayer la neige dans sa cour. Le maire de Prăjeşti, le policier en chef et son adjoint de la commune et d’autres personnes descendirent du véhicule et s’approchèrent du requérant. Alors qu’il sortait de sa cour, le requérant fut immobilisé par les policiers qui lui passèrent des menottes aux mains et ensuite aux chevilles et l’amenèrent au service de psychiatrie de l’hôpital départemental de Bacău (paragraphe 20 ci-dessous). Le procès-verbal rédigé par deux des policiers responsables du transport à l’hôpital fait état de ce que le requérant avait été agressif avec les membres de sa famille et les voisins dès son retour en Roumanie et qu’il s’était montré violent pendant l’intervention de la police et lors du transport en voiture. Les policiers expliquèrent qu’ils l’avaient conduit à l’hôpital en vue de son internement et pour lui assurer un traitement adéquat. B. Séjour à l’hôpital psychiatrique Selon la fiche médicale d’observation clinique générale rédigée lors de l’admission du requérant à l’hôpital, le requérant fut admis à l’hôpital le 29 décembre 2007 à 10h30, avec le diagnostic suivant : « trouble psychotique aigu ». Il avait été amené à l’hôpital par sa famille et la police en raison d’un « épisode psychotique aigu ». L’internement avait été sollicité par l’épouse du requérant « pour traitement ». Le médecin psychiatre C.C. confirma par son paraphe ces mentions. Pendant l’enquête pénale ouverte sur plainte du requérant (voir paragraphe 17 ci-dessous), son épouse déclara que C.C. l’avait obligée à donner son accord pour l’internement. Selon les dires du requérant, il fut interné de force le jour même sans avoir été examiné par un médecin psychiatre. Il se vit injecter des sédatifs et fut ensuite mis dans une camisole de force et placé dans l’une des salles de l’hôpital où il y avait sept autres personnes souffrant de diverses maladies psychiques. Les vitres de la pièce en question étaient cassées et il faisait froid. L’épouse du requérant fut autorisée à lui rendre visite pendant trente minutes le lendemain de son internement. Les proches du requérant n’eurent pas la permission de lui rendre visite à l’hôpital pendant les premiers jours de son internement. Du 29 décembre 2007 au 11 janvier 2008, le requérant se vit administrer des sédatifs. De ce fait, il raconte n’être devenu lucide que dix jours après son internement. Il se rendit alors compte que, pendant qu’il était inconscient, il avait reçu un coup à l’oreille gauche, qui saignait gravement et pour lequel il n’avait reçu aucun traitement. Ce n’est que le 10 janvier 2008 qu’il fut examiné par des médecins de l’hôpital de Bacău qui constatèrent qu’il souffrait d’une sinusite et d’une infection de l’oreille droite (mastoïdite droite). Il fit ultérieurement l’objet d’une intervention pour traiter cette infection. Le requérant resta à l’hôpital psychiatrique jusqu’au 15 janvier 2008. Il fut ensuite admis jusqu’au 3 mars 2008 dans divers établissements médicaux pour soigner une sinusite et une infection de l’oreille droite (mastoïdite droite) ainsi qu’à l’Institut national du diabète, ces maladies ayant été diagnostiquées pendant son internement psychiatrique. Du fait de son séjour à l’hôpital, le requérant n’a pu retourner en Belgique pour reprendre son travail. C. Plainte pour mauvais traitement Le 20 janvier 2009, s’appuyant sur les dispositions générales du code pénal incriminant l’abus d’autorité commis par des fonctionnaires publics, le faux et l’usage de faux en écritures publiques, le requérant déposa auprès du parquet près le tribunal de Bacău une plainte pénale contre le maire de Prăjeşti, les cinq policiers qui l’avaient amené de force à l’hôpital psychiatrique et C.C., le médecin psychiatre de l’hôpital. Il se plaignait à la fois de la manière dont il avait été interpellé et transporté à l’hôpital, des conditions de son séjour à l’hôpital, et du défaut de traitement médical adéquat, ce qui avait affecté gravement sa santé et avait prolongé jusqu’au 3 mars 2008 son séjour à l’hôpital en raison des nouvelles maladies contractées, notamment un diabète et une mastoïdite. Il faisait valoir en outre que le maire avait cherché – à l’aide des policiers et du médecin en cause – de le faire apparaître aux yeux du public comme souffrant de troubles mentaux afin de l’écarter de la vie politique en vue des élections municipales de mai et juin 2008. Il se constitua partie civile et demanda 40 000 euros (EUR) de dommages-intérêts. Le 19 mars 2009, à la demande de la police, le requérant subit un examen psychiatrique et une évaluation psychologique à l’institut départemental de Médecine légale de Bacău. Selon les conclusions de l’examen psychiatrique, le requérant souffrait d’un trouble de la personnalité de type instable (tulburare de personalitate de tip instabil). L’évaluation psychologique montra qu’il avait une « personnalité dysharmonique avec tendances accentuées d’hyper persévérance et une accentuation des tendances spécifiques aux troubles de type paranoïaque et compulsif » (configuraţie de personalitate structurată dizarmonic, cu accentuarea tendinţelor de hiperperseverenţă ... o accentuare a tendinţelor specifice tulburărilor de personalitate de tip paranoid şi compulsiv). L’institut départemental de Médecine légale de Bacău adressa le 14 avril 2009 à la police un rapport contenant l’historique médical du requérant et les conclusions des deux évaluations. Entre mars et juin 2009, les enquêteurs entendirent le requérant, son épouse, sa belle-mère, les policiers impliqués, un membre de la famille du requérant qui lui avait rendu régulièrement visite à l’hôpital et un villageois qui avait assisté à l’interpellation du requérant. Ainsi, le 7 mai 2009, B.D., un des policiers impliqués dans les incidents, décrivit ainsi l’intervention du 28 décembre 2007, au soir : « Quand je suis arrivé sur place, [le requérant] se trouvait sur le balcon de sa maison, cria et nous adressa des mots vulgaires et grossiers. Sa mère sortit de sa maison voisine et nous expliqua que son fils criait constamment depuis des jours, ne dormait pas la nuit, regardait la télévision et écoutait de la musique très bruyante et effrayait son épouse et ses enfants. » Ensuite, il décrivit l’interpellation du requérant du 29 décembre 2007 : « Après des pourparlers [le requérant] sortit de sa cour et, à ce moment, avec les agents [P.V.] et [P.I.], nous l’avons menotté et avons essayé de le faire monter dans la voiture de la mairie de Prăjeşti pour le transporter à [l’hôpital]. Il est devenu très agressif et a commencé à donner des coups de pied à la voiture et pour cela nous lui avons mis des menottes aux pieds. Ensuite nous l’avons fait monter dans la voiture et l’avons transporté à [l’hôpital]. Pendant le transport, il a été agressif et nous a adressé des injures. » Deux autres policiers, G.V. et R.I. firent des déclarations similaires (respectivement les 8 et 16 avril 2009). A.I., le maire de la commune, appelé sur les lieux par les policiers à la demande expresse du requérant, décrivit dans des termes similaires l’interpellation du requérant du 29 décembre 2007. Le 3 juin 2009, la belle-mère du requérant fit une déclaration devant la police, dont les parties pertinentes se lisent comme suite : « Le 28 décembre 2007 j’ai rendu visite à ma fille. À cette occasion j’ai vu que [le requérant] avait changé ; il était agité, ne dormait pas la nuit, était fatigué et stressé. Il n’était violent avec personne. J’ai suggéré à ma fille qu’il aurait besoin d’un contrôle à l’hôpital, mais je n’ai pas discuté de cela avec [le requérant].Vers 21h, depuis ma maison, j’ai appelé le 112 et j’ai expliqué que mon beau-fils était agité, qu’il était revenu récemment de l’étranger et que nous souhaitions le faire interner à l’hôpital. Mon interlocuteur m’a invité à me présenter au poste de police de Prăjeşti pour attendre l’arrivée de l’ambulance. Quand je suis arrivée au poste de police, les agents m’attendaient déjà et nous sommes allés ensemble chez [le requérant]. Une demi-heure plus tard, l’ambulance est arrivée également. Nous avons essayé ensemble de rentrer dans la maison et de discuter avec mon beau-fils, mais nous avons échoué, car il s’est enfermé dans la maison avec sa famille... Je l’ai vu sur le balcon, il demandait pourquoi nous étions là, mais nous ne sommes pas arrivés à parler avec lui, car nous étions toujours dans la rue. Le lendemain j’ai entendu dans le village que mon beau-fils aurait été interné. » À une date non précisée, l’épouse du requérant déclara qu’en sa présence, le requérant avait été interpellé de force par la police, qu’on lui avait passé des menottes aux mains et aux pieds et qu’on l’avait fait monter dans la voiture. Elle n’avait pas été informée qu’il allait être transporté à l’hôpital psychiatrique. Elle suivit la voiture de police dans la voiture d’un villageois qui avait proposé de l’aider. Arrivée à l’hôpital, elle ne fut pas autorisée à voir son mari et fut obligée par C.C. à signer la feuille d’internement du requérant. Le 12 juin 2009, le cousin du requérant déclara à la police qu’il avait rendu régulièrement visite au requérant pendant son internement à l’hôpital et que celui-ci se plaignait de la façon dont il avait été interné. Il ajouta ce qui suit sur le traitement médical dispensé à l’hôpital : « De ce que j’ai vu, je ne trouve pas normale la façon dont il a été traité à l’hôpital. C’est avec beaucoup d’efforts et insistance [de la part de la famille] que Dr. [C.] a accepté d’effectuer des analyses médicales approfondies ... car l’état de santé [du requérant] se détériorait constamment ; on a refusé son transfert et quand finalement ce transfert a été approuvé, on a constaté que [le requérant] souffrait de maladies assez graves qui ont engendré des traitements de longue durée dans des hôpitaux de Bucarest. » Le 9 mars 2009, la police recueillit aussi la déclaration d’un villageois qui était présent lors de l’interpellation du requérant. Il expliqua que six policiers avaient dû le retenir car il était très agité, mais qu’il n’avait pas été frappé par les agents pendant l’incident. Le 9 octobre 2009, le parquet rendit une décision de non-lieu. Le procureur retint que, dès son retour de l’étranger, le 20 décembre 2008, le requérant avait commencé à être violent envers les membres de sa famille et envers les voisins. Sa belle-mère fut amenée à appeler la police, le 28 décembre au soir, puis à se rendre au poste de police pour décrire le comportement agressif du requérant. L’équipe de police fut accueillie par le requérant qui leurs adressa des injures, devint violent et s’enferma dans la maison avec son épouse et leurs enfants. Il lança des denrées alimentaires en direction des policiers qui essayaient de le calmer. Le procureur retint aussi que le lendemain matin, vers 9h, cinq policiers étaient revenus car le requérant avait agressé sa mère. Le requérant, qui était rentré dans sa cour, refusait de parler avec les policiers, exigeant la présence d’un conseiller local et ensuite du maire, qui se rendirent sur place. Discutant avec véhémence avec le maire, le requérant sortit de sa cour et les policiers saisirent l’occasion pour le menotter, le faire rentrer dans la voiture de la mairie (car la police locale ne disposait pas d’un véhicule) et l’amener à l’hôpital psychiatrique. Cette décision du procureur fut confirmée, le 19 novembre 2009, par un procureur du parquet hiérarchiquement supérieur et, sur plainte du requérant, par un jugement du tribunal de première instance de Bacău du 27 avril 2010. Par un arrêt définitif du 25 novembre 2010, la cour d’appel de Bacău fit droit au recours du requérant, annula toutes les décisions rendues antérieurement et renvoya l’affaire au parquet près le tribunal de première instance de Bacău afin d’ouvrir des poursuites pénales contre les personnes mises en cause par le requérant dans sa plainte pénale. Elle nota que les autorités compétentes n’avaient pas effectué d’enquête pénale effective susceptible d’élucider les circonstances de l’incident dénoncé par le requérant. Elle nota en particulier qu’un sérieux doute subsistait en l’espèce quant à la nécessité d’employer un nombre aussi élevé de membres des forces de l’ordre pour immobiliser le requérant et l’amener contre son gré dans un hôpital psychiatrique. Elle nota par ailleurs qu’aucune expertise de l’état de santé mentale du requérant n’avait été effectuée par l’Institut de médecine légale d’Iaşi, autorité assermentée en la matière, et cela, malgré l’existence de rapports d’évaluation contradictoires sur l’état de santé mentale du requérant (elle se referait à un rapport de 2007 selon lequel le requérant présentait des troubles psychiques et à un rapport de 2009 selon le requérant était apte à porter une arme). Le 11 mai 2011, se fondant sur les preuves recueillies lors de l’enquête pénale, le parquet rendit une nouvelle décision de non-lieu qui reproduisait à la lettre le raisonnement de la décision du procureur du 9 octobre 2009 (paragraphe 26 ci-dessus). Ensuite le procureur nota que, selon une expertise médicale datant du 22 mars 2011, effectuée à la suite de l’arrêt rendu par la cour d’appel, le requérant souffrait de « trouble affectif bipolaire – épisode aigu hypomaniaque avec éléments délirants interprétatifs ». Son état psychique nécessitait une surveillance et un traitement spécialisé sans internement. Selon les dires du requérant, la décision du procureur ne lui fut jamais communiquée. Il en obtint copie en juin 2013, lorsque le greffe de la Cour lui fit parvenir les observations du Gouvernement et leurs annexes. Le requérant s’était présenté à maintes reprises au bureau du procureur afin d’obtenir une copie du rapport de l’expertise médicale du 22 mars 2011 ainsi que des informations sur l’avancement de l’enquête. Le rapport d’expertise parvint également au requérant avec les observations du Gouvernement. En juin 2012, le requérant fut élu conseiller municipal de la commune de Prăjeşti. II. LE DROIT INTERNE PERTINENT La loi no 487 du 11 juillet 2002 sur la santé mentale et la protection des personnes ayant des troubles psychiques (« la loi no 487/2002 »), dans sa version en vigueur à l’époque des faits, régissait l’internement non volontaire d’une personne. Elle prévoyait que l’internement non volontaire pouvait se faire à la demande de la famille ou de la police, entre autres en indiquant les circonstances ayant conduit à cette demande et les antécédents médicaux connus (article 47). La décision relative à l’internement non volontaire était susceptible d’un recours judiciaire « auprès du tribunal compétent selon la loi », formé par le malade ou par son représentant (article 54). La loi no 487/2002 a été amplement modifiée par la loi no 129/2012 puis republiée au Journal Officiel no 487 du 17 juillet 2012 (voir B. c. Roumanie (no 2), no 1285/03, §§ 51-52, 19 février 2013 et Atudorei c. Roumanie, no 50131/08, §§ 82-84, 16 septembre 2014). Cette nouvelle version n’était pas en vigueur à l’époque des faits de l’espèce. Une présentation exhaustive de la législation en vigueur et de la pratique interne pertinente relative à la protection des personnes atteintes de troubles psychiques figure dans les arrêts C.B. c. Roumanie (no 21207/03, § 37, 20 avril 2010), Parascineti c. Roumanie (no 32060/05, §§ 25 et 29, 13 mars 2012), Cristian Teodorescu c. Roumanie (no 22883/05, §§ 30-40, 19 juin 2012) et Atudorei (précité, §§ 73-87).
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Le requérant est né en 1944 et réside à Selvino. Le 10 juillet 2001 naquit L., le fils du requérant et de C.M. En août 2006, en raison de conflits incessants déchirant le couple, le requérant et C.M. décidèrent de se séparer. Le requérant quitta le domicile familial. Dès son départ, C.M. manifesta une forte opposition à toute relation entre lui et l’enfant. A. Procédure tendant à l’établissement des modalités d’exercice du droit de visite du requérant à l’égard de son fils Le 22 janvier 2007, en raison de difficultés rencontrées dans l’exercice de son droit de visite, le requérant saisit le tribunal pour enfants de Brescia (« le tribunal »). Il se plaignait que C.M. ne lui permettait pas de voir leur fils, et il indiquait que celui-ci était toujours allaité et qu’il dormait encore avec sa mère. Il sollicitait la garde exclusive de l’enfant, et il demandait au tribunal d’ordonner une expertise aux fins d’évaluation des capacités de C.M. à exercer son rôle parental. C.M. contesta la thèse du requérant. À l’appui de ses dires, elle affirmait que celui-ci souffrait d’un trouble délirant de type paranoïaque et qu’il ne s’était jamais occupé de leur fils. Elle demandait la déchéance de l’autorité parentale de son ex-compagnon et la tenue des rencontres père-fils en milieu protégé. Par une décision du 8 mai 2007, le tribunal ordonna une expertise psychologique des parents et de l’enfant. Le 2 octobre 2007, le tribunal rejeta la demande de C.M. visant à un remplacement de l’expert nommé par lui. Le 2 janvier 2008, le rapport d’expertise fut déposé au greffe. Selon l’expert, la garde de l’enfant devait être confiée aux deux parents, lesquels devaient suivre une procédure de médiation familiale. Toujours selon l’expert, il était par ailleurs souhaitable que l’enfant rencontrât son père sans la présence de sa mère. Par une décision du 22 juin 2008, le tribunal confia la garde de l’enfant aux deux parents, fixa sa résidence chez sa mère et octroya au requérant un droit de visite à raison de deux jours par semaine. Il ordonna aux parents de respecter ses prescriptions, et il les invita à se montrer coopérants. En outre, le tribunal condamna le requérant à payer une pension alimentaire de 750 euros (EUR) par mois. Les deux parties interjetèrent appel de cette décision, le requérant pour se plaindre du montant de la pension alimentaire et C.M. pour contester le droit de visite qui avait été accordé à son ex-compagnon. Le 15 décembre 2008, la cour d’appel de Brescia confirma la décision du tribunal. Le requérant saisit à nouveau le tribunal, se plaignant que C.M. ne lui permettait pas de voir leur fils hors sa présence. Par une décision du 28 avril 2009, le tribunal ordonna au requérant de payer la pension alimentaire qu’il était tenu de verser. Par ailleurs, il chargea les services sociaux d’organiser des rencontres en milieu protégé entre l’enfant et le requérant, lesquelles devaient s’ajouter à celles déjà fixées dans sa décision du 22 juin 2008. Le 23 mars 2010, saisi par le requérant, le tribunal ordonna que l’enfant passât le week-end de Pâques chez celui-ci, sans la présence de C.M. Il précisait que, en cas de non-exécution de sa décision, il confierait la garde exclusive de l’enfant au requérant. C.M. demanda la révocation de cette décision. Cette demande fut rejetée. À une date non spécifiée, se plaignant de difficultés persistantes dans l’exercice de son droit de visite, le requérant saisit à nouveau le tribunal. Plus précisément, il se plaignait que C.M. ne le laissait jamais seul avec l’enfant. Le 8 avril 2010, le tribunal entendit l’enfant. Celui-ci affirma qu’il avait été heureux de passer le week-end de Pâques avec son père et d’avoir pu dormir chez lui. Il demanda au juge de pouvoir passer un week-end sur deux avec son père. Par une décision du 27 avril 2010, le tribunal prit acte de l’absence de collaboration de la mère avec les services sociaux et du non-respect par elle de ses prescriptions, soulignant que ce comportement ne permettait pas au requérant d’exercer son droit de visite. Il releva également que l’enfant avait manifesté son souhait de passer plusieurs week-ends avec son père et ses regrets de ne pas avoir pu passer plus de temps avec lui. Il notait à cet égard que cela était perçu par l’enfant comme un manque d’intérêt du requérant pour lui. Le tribunal souligna également que C.M. avait sciemment œuvré à empêcher toute relation entre le requérant et l’enfant. Par conséquent, il octroya au requérant un droit de visite et d’hébergement d’un week-end sur deux et de deux après-midi par semaine. Il chargea les services sociaux de veiller au respect de ses prescriptions. La mère continua à s’opposer à toute rencontre en son absence entre l’enfant et le requérant. Ce dernier ne fut pas en mesure d’exercer son droit de visite tel qu’établi par le tribunal. Il ressort des rapports déposés par les services sociaux que le requérant a pu rencontrer son fils entre mai et juillet 2010 mais que celui-ci n’a pas passé les vacances du mois d’août 2010 avec son père en raison d’une indisponibilité de ce dernier. Le 19 novembre 2010, le requérant indiqua aux services sociaux qu’il ne voulait plus avoir de contacts avec son fils au motif que C.M. était toujours présente lors des visites. À partir de cette date, il refusa ainsi de participer aux rencontres, de parler à l’enfant au téléphone et de passer des vacances avec lui. Le 25 janvier 2012, C.M. ayant formulé l’intention de déménager à Turin avec l’enfant, le parquet saisit le tribunal à ce sujet. À cette occasion, il demanda l’ouverture d’une procédure de déchéance de l’autorité parentale du requérant. Il indiquait que ce dernier avait interrompu tout rapport avec l’enfant et qu’il n’avait pas versé la pension alimentaire. Il ajoutait qu’il s’était opposé à la possibilité que son fils passât ses vacances sur le lieu d’enfance de C.M. et qu’il avait sollicité un changement d’école du mineur sans motiver sa requête par un véritable projet éducatif. Le requérant s’opposa à la demande du parquet. Le 23 février 2012, il s’adressa au tribunal afin d’obtenir la garde exclusive de l’enfant en raison d’une impossibilité d’exercer son droit de visite. Le tribunal décida de joindre les deux procédures. Entre-temps, le requérant avait sollicité du tribunal l’autorisation de voir son fils pendant le week-end de Pâques et le 1er mai. Le tribunal avait alors jugé qu’il n’y avait pas lieu d’examiner cette demande. Concernant le week-end de Pâques, il observait que le requérant avait déjà été autorisé à passer les vacances avec son fils. S’agissant du 1er mai, il relevait que l’intéressé ne voyait plus son fils depuis novembre 2010 et que sa décision du 27 avril 2010 lui avait reconnu un droit de visite très élargi. Par une décision du 29 mai 2012, prenant en considération la situation économique difficile de C.M., le tribunal autorisa celle-ci à s’installer à Turin, sa ville natale, sise à 200 kilomètres de Bergame. À cet égard, il relevait que, à Turin, C.M. avait la possibilité de vivre dans un appartement sans payer de loyer et qu’elle pouvait être aidée par une partie de sa famille. Quant à la thèse du requérant selon laquelle il n’aurait plus de contacts avec son fils en cas de déménagement de son ex-compagne, le tribunal soulignait que l’intéressé n’exerçait plus son droit de visite depuis novembre 2010 et que ce comportement n’était pas justifié, même au regard de l’opposition manifestée par C.M. aux rencontres père-fils. Il observait également que la distance de 200 kilomètres n’empêcherait pas le requérant de voyager jusqu’à Turin pour voir l’enfant. Par conséquent, le tribunal chargeait les services sociaux de Turin de programmer, dans un premier temps, des rencontres en milieu protégé tous les quinze jours et, dans un deuxième temps, des rencontres sans surveillance. Il précisait que le voyage entre Bergame et Turin serait à la charge du requérant pour les allers et de C.M. pour les retours. Le requérant interjeta appel. Par une décision du 6 juillet 2012, la cour d’appel rejeta la demande de C.M. par laquelle celle-ci sollicitait la déchéance de l’autorité parentale de son ex-compagnon. Elle observa par ailleurs que, en tant qu’avocate, C.M. pouvait travailler plus facilement à Turin, relevant qu’elle y disposait d’un appartement. Par conséquent, elle confirma la décision du tribunal, estimant que le déménagement de C.M. et de l’enfant n’aurait pas pour effet d’empêcher le requérant d’exercer son droit de visite. À partir de septembre 2012, les services sociaux de Turin essayèrent de se mettre en contact avec le requérant. Le 28 septembre 2012, ce dernier informa les services sociaux qu’il ne voulait pas participer aux rencontres en milieu protégé avec son fils, aux motifs que le tribunal lui avait reconnu à plusieurs reprises un droit de visite qui n’aurait jamais été respecté et qu’il ne voulait plus rencontrer l’enfant en présence des agents des services sociaux ou bien de son ex-compagne. Ultérieurement, les services sociaux rencontrèrent le requérant le 6 novembre 2012 et le 7 février 2013. Selon les services sociaux de Turin, le comportement du requérant, qui d’après eux ne s’était pas montré disponible pour rencontrer son fils dans les conditions fixées par le tribunal, expliquait l’inexécution de la décision rendue par ce dernier le 29 mai 2012. B. Procédures pénales engagées contre C.M. Par un jugement du 21 mars 2014, le tribunal de Bergame condamna C.M. à six mois de réclusion avec sursis pour inexécution des décisions du tribunal concernant le droit de visite du requérant les 13 et 17 février 2010 et le 3 mars 2012. Le 17 juillet 2014, le requérant déposa une nouvelle plainte contre C.M. au motif que cette dernière omettait de lui donner toute nouvelle de son fils. C. Procédures pénales engagées contre le requérant Par un jugement du 19 décembre 2012, le requérant fut condamné à six mois d’emprisonnement par le tribunal de Bergame pour les délits de non-respect d’une décision judiciaire (article 388 du code pénal), violation des obligations d’assistance familiale (article 570 du code pénal), lésions corporelles (article 582 du code pénal), injures (article 594 du code pénal) et menaces (article 612 du code pénal) en raison de non-paiement de la pension alimentaire, d’abandon d’enfant et de violence à l’encontre de son ex-épouse. Le requérant interjeta appel de cette décision. Par un arrêt du 9 décembre 2014, la cour d’appel de Brescia réforma le jugement du tribunal : elle acquitta le requérant pour le délit de non-respect d’une décision judiciaire, prononça un non-lieu pour le délit de lésions corporelles et réduisit la peine à trois mois d’emprisonnement. Le requérant se pourvut en cassation. Par une ordonnance du 29 décembre 2015, la Cour de cassation le débouta. Par une décision du 2 février 2016, le juge des investigations préliminaires de Turin classa sans suite la plainte pour délit de dénonciation calomnieuse, prévu à l’article 368 du code pénal, déposée par C.M. à l’encontre du requérant, ainsi que la plainte similaire déposée par ce dernier à l’encontre de son ex-compagne. II. LE DROIT INTERNE PERTINENT Le droit interne pertinent se trouve décrit dans l’arrêt Strumia c. Italie, no53377/13, §§ 73-78, 23 juin 2016.
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Le requérant est né en 1973 et réside à Verbania (Italie). En 2006, il était employé comme mécanicien par une société de réparation de véhicules d’Arad, la société I.R. Il était en période probatoire. Dans la nuit du 8 au 9 juillet 2006, vers 2 heures, il fut interpellé par deux agents de police du bureau de l’ordre public ; selon ces derniers, le requérant conduisait un tracteur sur la voie publique et était en état d’ébriété (voir paragraphe 11 ci-dessous). Le requérant refusa de décliner son identité et tenta de s’enfuir. Il fut immobilisé lorsque quatre autres équipes de la police routière arrivèrent sur place. Le requérant fut ensuite conduit à l’hôpital départemental d’Arad en vue d’un examen d’alcoolémie qui révéla un taux de 1,35 gramme d’alcool par litre de sang à 3 heures 20 et 1,20 gramme d’alcool par litre de sang à 4 heures 20. Les parties ont versé au dossier une copie d’une déclaration manuscrite du requérant, partiellement illisible. Il y indique avoir été arrêté par la police dans la nuit du 8 au 9 juillet 2006 en vue de son identification et conduit à l’hôpital. Cette déclaration porte une mention manuscrite en haut de la page « donnée en ma présence, 09 07 2006, 2 heures 30, agent G. Gh. » (dată în faţa mea, 09 07 2006, ora 0230, Ag. G. Gh.) ainsi que la signature et le tampon de l’agent de police. La déclaration est également signée en bas de la page par le requérant. Le 9 juillet 2006, la police routière dressa à son siège un procèsverbal de constat en présence du requérant et de deux témoins, H.T. et G.A. Le requérant refusa de lire et de signer le procèsverbal. Selon le procès-verbal, le requérant fut arrêté alors qu’il conduisait un tracteur dans la nuit du 8 au 9 juillet 2006. Il descendit du tracteur en état d’ébriété visible, se montra récalcitrant et tenta de fuir. Il fut arrêté et immobilisé par quatre équipes de policiers. Il fut ensuite conduit à l’hôpital départemental en vue d’un test d’alcoolémie, qu’il refusa dans un premier temps, mais accepta par la suite. Le procès-verbal faisait état des précisions données par le requérant lors de son interpellation et à l’hôpital, selon lesquelles il ne conduisait pas le tracteur et n’avait aucune information supplémentaire à cet égard. Au moment de la rédaction du procès-verbal, le requérant indiqua également qu’il ne possédait pas de permis de conduire valable et qu’il avait récemment été condamné à une peine de prison avec sursis pour des infractions routières. Les parties ont également versé au dossier la copie d’une déclaration manuscrite du requérant, selon laquelle il conduisait le tracteur dans la nuit du 8 au 9 juillet 2006 vers une station de lavage, qu’à son retour il avait été arrêté par la police et qu’il avait été ensuite conduit à l’hôpital en vue d’un test d’alcoolémie ; il déclarait également avoir bu une bière et ne pas être en possession d’un permis de conduire valable. Cette déclaration porte une mention manuscrite en haut de la page « donnée en ma présence, 09 07 2006, 8 heures, agent G. Gh. » (dată în faţa mea, 09 07 2006, ora 0800, Ag. G. Gh.) ainsi que la signature et le tampon de l’agent de police. La déclaration est également signée en bas de la page par le requérant et porte comme mention la date « 09.08.2006 » qu’il a écrite lui-même. Le 9 août 2006, le parquet près le tribunal de première instance d’Arad (« le parquet ») confirma l’ouverture de poursuites pénales à l’encontre du requérant des chefs de vol et de conduite d’un véhicule en état d’ivresse et sans permis de conduire. Il ressort du dossier pénal du requérant que le parquet le cita à comparaître en vue de la présentation de son dossier pénal et de son audition, prévues les 18 mai et 8 juin 2007, mais qu’il ne se présenta pas. Des vérifications furent faites, sans succès, à son domicile et à son lieu de résidence habituelle. Le 18 juin 2007, le parquet, se fondant sur la déclaration de sa sœur, selon laquelle il aurait probablement quitté le pays, nota qu’il n’avait pas communiqué de nouvelle adresse alors qu’il avait connaissance de l’enquête pénale à son encontre et conclut qu’il se soustrayait aux poursuites (se sustrage urmăririi penale). Par un réquisitoire du 19 juin 2007, le parquet renvoya le requérant en jugement. L’affaire fut enregistrée par le tribunal de première instance d’Arad (« le tribunal de première instance ») qui entendit le requérant à l’audience du 8 novembre 2007. Il nia les accusations à son encontre et déclara ne pas avoir conduit le tracteur lors de l’incident, mais avoir seulement accompagné un collègue dont il ne put pas donner le nom. Une tierce personne les avait également accompagnés ; le requérant ne connaissait que son sobriquet. Le collègue avait garé le tracteur et était parti. Le requérant s’était rendu dans un restaurant où il avait bu une bière, en attendant le retour de son collègue. Celui-ci était revenu et lui avait remis les clés du tracteur en vue de les remettre à Ş.V., le chauffeur du tracteur. Il était en train de vérifier que les portes du tracteur étaient fermées lorsqu’il fut interpellé par la police. Il modifia sa déclaration antérieure (paragraphe 12 cidessus), au motif qu’il l’avait faite sous la contrainte. À une date postérieure, il déclara qu’il avait sorti le tracteur du garage pour le faire laver. À une date non précisée, le tribunal de première instance entendit H.T., A.T., Ş.V. et G.A. comme témoins. Par un jugement du 31 janvier 2008, le tribunal de première instance déclara le requérant coupable de vol, de conduite en état d’ivresse et de conduite sans permis valable et, faisant application des règles relatives à la récidive, le condamna à une peine de six ans de prison ferme. Le tribunal se fonda sur le procès-verbal de la police (paragraphes 10 et 11 cidessus) et sur les déclarations des témoins H.T., A.T., Ş.V. et G.A., ainsi que sur les deux déclarations du requérant (paragraphes 9 et 12 ci-dessus). S’agissant des déclarations contradictoires faites par le requérant pendant la procédure, le tribunal s’exprima en ces termes : « Le tribunal, prenant note des précisions apportées par (...) la représentante de la partie lésée (la propriétaire du tracteur) selon laquelle le véhicule était lavé d’habitude par la personne qui l’utilisait (le chauffeur) et non pas par le mécanicien, estime qu’il est peu crédible qu’un samedi, à 2 heures du matin, l’inculpé ou même un collègue mécanicien se soient déplacés vers une station de lavage alors que leurs fonctions étaient de remédier aux mauvais fonctionnements et non pas de laver les véhicules qui leur avaient été confiés. De plus, le tribunal note qu’il n’y a eu à aucun moment un accord entre l’inculpé et le témoin Ş.[V.] parce que ce dernier était à l’étranger au moment des faits (...) Le tribunal estime également que l’inculpé n’a pas fourni d’explication logique s’agissant de la modification de la déclaration qu’il a faite pendant l’enquête. Partant, il écarte la déclaration de l’inculpé devant le tribunal car inexacte (nereală) et contradictoire, ce qui prouve son défaut de sincérité et sa mauvaise foi. » Le requérant interjeta appel, en alléguant notamment une violation de ses droits de la défense, en raison du défaut d’information quant aux accusations à son encontre et de l’absence d’un avocat lors de la déclaration qu’il avait faite au début de l’enquête. Par un arrêt du 29 mai 2008, le tribunal départemental d’Arad rejeta son appel comme mal fondé. Le tribunal ne répondit pas aux arguments du requérant tirés de la violation des droits de la défense, mais estima qu’à la lumière des éléments de preuve au dossier, le tribunal de première instance avait à juste titre écarté la déclaration du requérant niant les faits reprochés. Le requérant introduisit un recours, en réitérant les arguments soulevés en appel. Par un arrêt du 11 décembre 2008, la cour d’appel de Timişoara (« la cour d’appel ») rejeta son pourvoi comme mal fondé. S’agissant des éléments de preuve examinés, les parties pertinentes de l’arrêt sont ainsi rédigées : « Il ne fait aucun doute au vu des éléments de preuve recueillis que l’inculpé Sîrghi Marinică a commis les trois infractions qui lui ont été reprochées. Ainsi, le témoin A.G. a déclaré qu’il était chauffeur de taxi et qu’il était de service le soir de l’incident ; il a vu un véhicule arrêté à droite et a observé un individu descendre de la cabine et commencer à courir sur les rails du train et quand il est rentré de sa course, il a appris des policiers que l’individu en cause avait été attrapé et qu’il était en état d’ébriété (f[euille] 29 dossier des poursuites pénales et f[euille] 50 dossier de première instance). De même, le témoin H.T. a indiqué qu’il avait observé une voiture de police qui, utilisant le gyrophare et la sirène, avait stoppé un véhicule immatriculé à Bihor et qui se déplaçait vers Pecica ; le chauffeur était descendu du véhicule sur l’insistance des policiers ; plusieurs équipes de polices étaient venues parce que le chauffeur a essayé à un moment donné de fuir vers le stade U.T.A. ; il était manifeste que le chauffeur avait consommé de l’alcool et il a déclaré aux policiers qu’il n’avait pas de papiers d’identité et qu’il s’appelait Sîrghi Marinică (f[euille] 23 dossier des poursuites pénales). Parallèlement, le témoin A.T. a déclaré qu’il était de service dans la nuit du 8 au 9 juillet 2006 et qu’à un certain moment un tracteur était sorti par la porte d’accès de la société ; se trouvait au volant le mécanicien de la société I.R. qu’il connaissait parce qu’il y était logé et qu’il connaissait sous le nom d’Ariel, mais son vrai nom était Marinică (f[euille] 26 dossier des poursuites pénales). Il résulte de la note no 45/07.12.2007 de la société I.R. Arad que dans la soirée du 8 juillet 2006 aucune autre personne n’a effectué des réparations et qu’aucune autre personne n’a conduit un tracteur (f[euille] 37 dossier de première instance). En corroborant ces moyens de preuve avec le procès-verbal de constat des infractions (f[euilles] 6-8 dossier des poursuites pénales), il résulte que l’inculpé a fait sortir le tracteur des locaux de la société I.R. et l’a conduit sur la voie publique et qu’il a ensuite été stoppé par la police. L’argument en défense de l’inculpé selon lequel la nuit de l’incident il aurait amené le tracteur à une station de lavage à Grădişte ne peut être retenu. D’un côté, ses allégations n’ont été corroborées par aucun élément de preuve. De l’autre côté, il est difficile de croire qu’une nuit du samedi à dimanche, à 2 heures, quelqu’un amènerait un véhicule à une station de lavage. Vu qu’il résulte de la note no 86.234/19.07.2006 du préfet de Botoşani (...) du département des permis de conduire et d’immatriculation des véhicules que l’inculpé n’est pas enregistré comme possédant un permis de conduire (f[euille] 16 dossier des poursuites pénales), c’est à juste titre que les premiers juges ont jugé l’inculpé coupable de l’infraction de conduite d’un véhicule sur la voie publique sans être possesseur d’un permis de conduire, prévue par l’article 78 § 1 de l’ordonnance d’urgence no 195/2002 (dans sa rédaction [en vigueur] au moment de la commission des faits). Vu qu’il résulte du bulletin d’analyse toxicologique d’alcoolémie no 724/10.07.2006 rédigé par le service départemental de médecine légale d’Arad que l’inculpé avait un taux d’alcoolémie de 1,35 ‰ au premier examen et de 1,20 ‰ au second examen (f[euille] 17 dossier des poursuites pénales), c’est à juste titre que les premiers juges ont jugé l’inculpé également coupable de l’infraction de conduite d’un véhicule sur la voie publique sous l’empire d’un état alcoolique qui dépasse la limite légale prévue par l’article 78 § 1 de l’ordonnance d’urgence no 195/2002 (dans sa rédaction [en vigueur] au moment de la commission des faits). Vu que l’inculpé a fait sortir le véhicule des locaux de la société I.R. sans avoir le consentement d’un représentant de cette société ou de la société propriétaire I.I. et l’a ainsi conduit sans droit sur la voie publique, c’est à juste titre que les premiers juges ont jugé l’inculpé également coupable de l’infraction de vol d’usage prévue par l’article 208 §§ 1 et 4 du code pénal. » Ensuite, s’agissant des droits de la défense du requérant, l’arrêt de la cour d’appel énonce : « L’article 197 § 2 CPP n’inclut pas dans les cas de nullité absolue le fait pour les autorités de l’enquête (organele de urmărire penală) d’omettre d’informer le suspect des faits qui font l’objet de l’affaire, de leur qualification juridique, du droit à un défenseur ou du droit de ne pas faire de déclarations, tout en attirant son attention sur le fait que ses déclarations peuvent être utilisées à son encontre. Ainsi, cette omission représente un cas de nullité relative, qui selon l’article 197 § 4 CPP, ne rend l’acte nul, dans les conditions du premier paragraphe, que si elle a été invoquée lors de la réalisation de l’acte à laquelle la partie était présente ou lors de la première audience régulière (la primul termen de judecată cu procedura completă) lorsque la partie n’était pas présente. Or, l’inculpé n’a pas invoqué le motif de nullité relative lors de la première audience régulière. » Le requérant a été représenté par des avocats de son choix lors de la procédure devant les juridictions nationales. II. LE DROIT INTERNE PERTINENT Les dispositions pertinentes du code de procédure pénale (« CPP »), en vigueur au moment des faits, étaient ainsi libellées : Article 6 – Garantie du droit à un défenseur « 1. Le droit à un défenseur est garanti au suspect, à l’inculpé et aux autres parties pendant le procès pénal. (...) Toute partie au procès pénal a le droit d’être assistée par un avocat pendant l’intégralité du procès. Les autorités judiciaires ont l’obligation d’informer le suspect et l’inculpé, avant la première déclaration, du droit d’être assisté par un conseil, en en faisant mention dans le procès-verbal d’audition. Dans les cas et les conditions prévus par la loi, les autorités judiciaires ont l’obligation de faire le nécessaire pour assurer l’assistance juridique du suspect ou de l’inculpé s’il n’a pas d’avocat de son choix. » Article 171 – L’assistance du suspect ou de l’inculpé « 1. Le suspect ou l’inculpé a le droit d’être assisté par un avocat pendant l’intégralité de l’enquête pénale et du procès et les autorités judiciaires ont l’obligation de l’informer de ce droit. L’assistance judiciaire est obligatoire quand le suspect ou l’inculpé est mineur, placé dans un centre de rééducation ou dans un institut médico-éducatif, quand il est placé en garde à vue ou en détention provisoire, même dans une autre affaire, quand il fait l’objet d’une mesure de sûreté d’internement médical ou a été obligé de suivre un traitement médical, même dans une autre affaire, ou quand l’autorité en charge de l’enquête pénale ou le juge estime que le suspect ou l’inculpé ne peut pas assurer seul sa défense ou dans d’autres cas prévus par la loi. Devant le juge, l’assistance judiciaire est obligatoire également dans les cas où la loi prévoit pour l’infraction en cause la réclusion à perpétuité ou une peine de prison de cinq ans ou plus. Quand l’assistance juridique est obligatoire, un conseil est désigné d’office si le suspect ou l’inculpé n’a pas choisi d’avocat. » Article 197 – Les manquements qui entraînent la nullité « 1. Les manquements aux dispositions légales qui régissent le déroulement du procès pénal n’entraînent la nullité de l’acte que s’il y ont causé un préjudice qui ne peut être réparé que par l’annulation de cet acte. Les dispositions relatives à la compétence selon la matière et la qualité de la personne, à la saisine de la juridiction, à la composition de celle-ci et à la publicité de la séance de jugement sont prévues sous peine de nullité. De même, sont prévues sous peine de nullité les dispositions relatives à la participation du procureur, à la présence du suspect ou de l’inculpé et à leur assistance par un défenseur, lorsque celle-ci est obligatoire selon la loi ainsi qu’à la réalisation du rapport d’évaluation dans les affaires concernant des inculpés mineurs. La nullité prévue au paragraphe 2 ne peut être couverte d’aucune manière. Elle peut être invoquée à tout stade de la procédure et peut même être examinée d’office. Le manquement aux dispositions légales autres que celles prévues au paragraphe 2 n’entraîne la nullité de l’acte dans les conditions du paragraphe 1 que s’il a été invoqué lors de la réalisation de l’acte lorsque la partie est présente ou lors de la première audience régulière (la primul termen de judecată cu procedura completă) lorsque la partie n’était pas présente lors de la réalisation de l’acte. Le tribunal examine d’office les manquements, à tout stade de la procédure, si l’annulation de l’acte est nécessaire pour la découverte de la vérité et la juste conclusion de l’affaire. »
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE A. L’origine de la présente affaire Le requérant est né en 1962 à Jendouba, en République tunisienne (« la Tunisie »), et réside à Versoix, dans le canton de Genève. Les faits de la cause, tels qu’ils ont été exposés par les parties, peuvent se résumer comme suit. Le 22 avril 1992, selon ses affirmations, le requérant aurait été arrêté à son lieu de résidence, en Italie, par la police italienne, qui l’aurait conduit au consulat de Tunisie à Gênes, où il se serait vu remettre un acte d’accusation selon lequel il constituait un danger pour la sécurité de l’État italien. Il aurait ensuite été ramené à Tunis par des agents tunisiens. Le requérant aurait ensuite, selon ses allégations, été arbitrairement détenu et torturé à Tunis, dans les locaux du ministère de l’Intérieur, du 24 avril au 1er juin 1992, sur ordre d’A.K., alors ministre de l’Intérieur. Il aurait subi la position dite « poulet rôti » durant toute la période de détention, la privation des besoins physiologiques élémentaires, notamment de sommeil, des coups sur la plante des pieds avec une batte de baseball ainsi que des coups sur tout le corps avec des fils de téléphone. Le requérant allègue présenter un ensemble de lésions et troubles physiques et psychologiques, médicalement attestés ; le lien de causalité entre les sévices décrits ainsi que les lésions et troubles aurait été estimé plausible. Après avoir subi en Tunisie en 1992 les tortures alléguées, le requérant aurait fui ce pays pour se réfugier en Suisse en 1993, année lors de laquelle il déposa une demande d’asile politique. Le requérant résiderait depuis lors dans le canton de Genève. Le 8 novembre 1995, les autorités suisses octroyèrent l’asile politique au requérant. B. La plainte pénale contre le ministre de l’Intérieur en fonction au moment des faits allégués Le 14 février 2001, alors qu’A.K. était hospitalisé en Suisse, le requérant déposa contre lui une plainte pénale devant le procureur général du canton de Genève (« le procureur général ») pour lésions corporelles graves, séquestration, injures, mise en danger de la santé, contraintes et abus d’autorité. Le requérant se constitua partie civile dans le cadre de cette procédure. Le 19 février 2001, le procureur général classa la plainte au motif qu’A.K. avait quitté le territoire suisse et n’avait pas pu être interpellé par la police. C. La procédure civile contre la Tunisie et le ministre de l’Intérieur en fonction au moment des faits allégués Le 22 juillet 2003, le requérant allègue qu’il « [demanda] à un avocat tunisien de le représenter dans le but d’introduire une action civile en dommages-intérêts contre [A.K.] et la République de Tunisie. Le 28 juillet 2003, l’avocat [informa] [le requérant] que ce type d’action n’avait jamais abouti et lui conseilla de ne pas déposer une telle requête. » Le dépôt d’une telle action civile était prétendument impossible en Tunisie. Par assignation du 8 juillet 2004, le requérant saisit le tribunal de première instance du canton de Genève (« le tribunal de première instance ») d’une demande en dommages-intérêts dirigée contre la Tunisie et A.K. Il conclut au paiement de 200 000 francs suisses (CHF), avec intérêts à 5 % dès le 1er juin 1992, en réparation du préjudice moral né des actes de torture qu’il alléguait avoir subis. Le requérant soutenait que les conditions de la réparation du tort moral prévues par les articles 82 et suivants du code des obligations et des contrats de la Tunisie, applicables en vertu de l’article 133 al. 2 LDIP, étaient remplies. Le 9 juin 2005, une audience fut tenue devant le tribunal de première instance, à laquelle aucun des défendeurs ne comparut ni a été représenté. Par jugement du 15 septembre 2005, le tribunal de première instance déclara la demande irrecevable au motif qu’il n’était pas compétent à raison du lieu. La partie pertinente du jugement a la teneur suivante : « [S]’agissant d’une action en responsabilité civile fondée sur des actes illicites qui auraient été perpétrés en Tunisie par les défendeurs au préjudice du demandeur, les juridictions helvétiques, faute de domicile ou de résidence habituelle en Suisse des défendeurs, faute également d’un acte illicite ou d’un résultat dommageable survenus en Suisse, ne sont internationalement pas compétentes, à raison du lieu, pour connaître du litige en vertu des art[icles] 2 et 129 [de la loi fédérale sur le droit international privé du 18 décembre 1987 (LDIP ; voir paragraphe 24 ci-dessous)]. » La compétence des tribunaux suisses au titre du for de nécessité selon l’article 3 de la loi fédérale sur le droit international privé du 18 décembre 1987 (LDIP ; voir paragraphe 24 ci-dessous) n’était pas non plus donnée en l’espèce, faute de lien de rattachement suffisant entre la cause et les faits d’une part, et la Suisse d’autre part. Le tribunal de première instance se prononça à cet égard de la manière suivante : « La totalité des actes pour les suites desquels le demandeur, ressortissant tunisien, réclame une indemnité pour tort moral, lui auraient été infligés, selon ses dires, en Tunisie en 1992, au sein des locaux du Ministère de l’intérieur tunisien, par l’État tunisien et ses agents. Le seul fait qu’à raison de ces actes, le demandeur a requis et obtenu en 1995 l’asile politique en Suisse, pays dans lequel il est domicilié depuis lors, ne constitue pas, en l’état actuel de la jurisprudence, un lien de rattachement suffisant permettant de retenir, contre les défendeurs, un for de nécessité en Suisse et à Genève. » Par acte daté du 16 novembre 2005, le requérant interjeta appel devant la cour de justice du canton de Genève (« la cour de justice »). Son appel fut rejeté par arrêt du 15 septembre 2006. La juridiction cantonale considéra, après avoir retenu que l’appelant avait démontré ne pas pouvoir intenter d’action civile en Tunisie : « Le sort du présent appel dépendant en l’espèce de l’immunité de juridiction des parties intimées, la question de l’existence d’un for de nécessité au domicile de l’appelant peut toutefois rester indécise. » La juridiction cantonale fut ainsi d’avis que les défendeurs bénéficiaient de l’immunité de juridiction, car les actes de torture avaient été accomplis iure imperii et non iure gestionis. Se référant à l’arrêt rendu par la Cour dans l’affaire Al-Adsani c. Royaume-Uni ([GC], no 35763/97, CEDH 2001XI), elle estima en outre que le requérant ne subissait aucune violation de son droit d’accès à un tribunal. Le requérant adressa au Tribunal fédéral un recours en réforme daté du 20 octobre 2006, par lequel il demandait au Tribunal fédéral de dire que les juridictions du canton de Genève étaient compétentes à raison du lieu et de constater que les défendeurs ne bénéficiaient pas de l’immunité de juridiction. Concernant la compétence des juridictions suisses, il exposait que l’institution du for de nécessité de l’article 3 de la LDIP (voir paragraphe 24 ci-dessous) avait pour but d’éviter les dénis de justice, notamment en cas de persécutions politiques, et qu’il avait suffisamment démontré qu’il ne pouvait raisonnablement agir devant les tribunaux étrangers. Quant à l’immunité de juridiction de la Tunisie et d’A.K., le requérant soutenait que l’exercice de la puissance publique ne comprenait pas la faculté de commettre des crimes internationaux tels que la torture. À ce propos, il précisait que la définition même de la torture à l’article 1er de la Convention des Nations unies contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants du 10 décembre 1984 (ciaprès : « Convention contre la torture » ; voir paragraphes 26 et suivants ci-dessous) excluait toute immunité. Par arrêt du 22 mai 2007, dont les motifs ont été portés à la connaissance du requérant le 7 septembre 2007, le Tribunal fédéral rejeta le recours. Reprenant la motivation du jugement de première instance, la haute juridiction considéra que les tribunaux suisses n’étaient de toute façon pas compétents à raison du lieu. La teneur de l’arrêt du Tribunal fédéral, en ses passages pertinents, est la suivante : « 3.3 En l’absence de for ordinaire, il s’agit d’aborder le problème sous l’angle de l’art. 3 LDIP, concernant le for de nécessité (...). Aux termes de cette dernière disposition, lorsque la LDIP ne prévoit aucun for en Suisse et qu’une procédure à l’étranger se révèle impossible ou qu’on ne peut raisonnablement exiger qu’elle y soit introduite, les autorités judiciaires ou administratives suisses du lieu avec lequel la cause présente un lien suffisant sont compétentes. L’application de cette norme attributive de compétence suppose ainsi la réunion de trois conditions cumulatives : premièrement, les autorités suisses ne sont pas compétentes en vertu d’une autre disposition, deuxièmement, une action à l’étranger est impossible ou ne peut être raisonnablement exigée et troisièmement, la cause présente un lien suffisant avec la Suisse. En l’espèce, la première condition est incontestablement remplie. La réalisation de la deuxième condition apparaît plus délicate, mais il n’est pas nécessaire d’approfondir cette question, en raison de la troisième condition à laquelle il convient de consacrer de plus amples développements. 4 L’art. 3 LDIP, qui doit être interprété restrictivement (...), constitue une soupape de sécurité destinée à éviter des dénis de justice, en cas de conflit négatif de compétence. A cet égard, le Conseil fédéral a relevé, dans l’interprétation authentique qu’il a donnée de cette disposition qu’« il y a des affaires qui présentent des liens si faibles avec la Suisse qu’il ne se justifie pas de mettre en route toute l’organisation judiciaire pour les régler. Mais l’article 3 apporte une exception à ce principe. Les autorités suisses doivent se déclarer compétentes même dans des affaires où les liens avec notre pays sont très minces, lorsqu’il est impossible d’agir ou d’introduire un recours à l’étranger. Il appartient au demandeur ou au recourant de faire la preuve de cette impossibilité. Lorsque cette preuve a été rapportée, la compétence revient à l’autorité du lieu avec lequel la cause présente un lien suffisant. S’il y a plusieurs fors concurrents en Suisse, c’est la première autorité saisie qui est compétente. Évidemment, l’impossibilité d’agir et de poursuivre la procédure à l’étranger ne peut être examinée qu’à la lumière des circonstances concrètes et à celle des éventuelles conséquences qui en résulteraient pour le justiciable dans le cas particulier ; il appartiendra en dernier ressort au juge d’admettre ou non sa compétence » (...). Si l’art. 3 LDIP peut ainsi sembler porter en lui-même un paradoxe, puisqu’une procédure qui ne peut être rattachée à un for ordinaire en Suisse s’avère, par la force des choses, sans connexité particulière avec ce pays, de sorte que la détermination d’un « lien suffisant » peut être très délicate, et le but fixé à la loi, d’empêcher un déni de justice formel, difficilement atteint, cette disposition légale n’est toutefois pas lettre morte, et la jurisprudence cantonale a notamment admis son application en matière de droit de la famille, des successions et de la poursuite pour dettes et la faillite (...). Par ailleurs, la doctrine relève que le for subsidiaire doit notamment être reconnu dans des situations de persécutions politiques (...). En revanche, la jurisprudence et la doctrine n’apportent guère d’enseignement pour ce qui est d’une action en responsabilité civile pour la réparation des dommages consécutifs à des crimes contre l’humanité, la vie et l’intégrité corporelle, commis à l’étranger, par des auteurs étrangers. 5. ...Or, en l’espèce, le demandeur se plaint d’actes de torture qui auraient été commis en Tunisie, par des tunisiens domiciliés en Tunisie, à l’encontre d’un tunisien résidant en Italie. L’ensemble des caractéristiques de la cause ramène en Tunisie, sauf la résidence en Italie à ce moment-là. Les faits de la cause ne présentent donc aucun lien avec la Suisse, si bien que la question de savoir si le lien avec ce pays est suffisant ou non ne se pose pas. Dans ces circonstances, il n’est pas possible d’admettre la compétence des tribunaux helvétiques, sauf à violer le texte clair de l’art[icle] 3 LDIP [voir paragraphe 24 ci-dessous]. Que le demandeur ait ensuite choisi de venir en Suisse ne peut rien y changer, car il s’agit d’un fait postérieur à la cause, et qui n’en fait du reste pas partie. (...) Dès lors que l’incompétence des tribunaux suisses découle déjà du défaut de lien suffisant de la cause avec la Suisse, le recours doit être rejeté, sans qu’il soit nécessaire d’examiner la question de l’immunité de juridiction. » Le 14 mai 2007, le Conseil municipal de Versoix donna son consentement à la naturalisation du requérant, qui fut confirmée par la Ville de Versoix, le 25 mai 2007, à la suite du préavis favorable du canton de Genève du 6 novembre 2006, confirmé par l’autorisation de l’Office fédéral des migrations du 21 mai 2007. II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES ET INTERNATIONAUX PERTINENTS A. Le droit interne La loi fédérale sur le droit international privé du 18 décembre 1987 (LDIP ; RS 291), dans sa teneur alors en vigueur, dispose en ses parties pertinentes ce qui suit : Article 2 – En général « Sauf dispositions spéciales de la présente loi, les autorités judiciaires ou administratives suisses du domicile du défendeur sont compétentes. » Article 3 – For de nécessité « Lorsque la présente loi ne prévoit aucun for en Suisse et qu’une procédure à l’étranger se révèle impossible ou qu’on ne peut raisonnablement exiger qu’elle y soit introduite, les autorités judiciaires ou administratives suisses du lieu avec lequel la cause présente un lien suffisant sont compétentes. » Article 129 – Acte illicite « 1 Les tribunaux suisses du domicile ou, à défaut de domicile, ceux de la résidence habituelle ou de l’établissement du défendeur sont compétents pour connaître des actions fondées sur un acte illicite. 2 Lorsque le défendeur n’a ni domicile ou résidence habituelle, ni établissement en Suisse, l’action peut être intentée devant le tribunal suisse du lieu de l’acte ou du résultat. 3 Si plusieurs défendeurs peuvent être recherchés en Suisse et si les prétentions sont essentiellement fondées sur les mêmes faits et les mêmes motifs juridiques, l’action peut être intentée contre tous devant le même juge compétent ; le juge saisi en premier lieu a la compétence exclusive. » Art. 133 II. Droit applicable « 1 Lorsque l’auteur et le lésé ont leur résidence habituelle dans le même État, les prétentions fondées sur un acte illicite sont régies par le droit de cet État. 2 Lorsque l’auteur et le lésé n’ont pas de résidence habituelle dans le même État, ces prétentions sont régies par le droit de l’État dans lequel l’acte illicite a été commis. Toutefois, si le résultat s’est produit dans un autre État, le droit de cet État est applicable si l’auteur devait prévoir que le résultat s’y produirait. 3 Nonobstant les alinéas précédents, lorsqu’un acte illicite viole un rapport juridique existant entre auteur et lésé, les prétentions fondées sur cet acte sont régies par le droit applicable à ce rapport juridique. » Les articles 41 et suivants du code des obligations suisse prévoient la responsabilité pour acte illicite : Chapitre II : Des obligations résultant d’actes illicites Article 41 A. Principes généraux / I. Conditions de la responsabilité « Celui qui cause, d’une manière illicite, un dommage à autrui, soit intentionnellement, soit par négligence ou imprudence, est tenu de le réparer. Celui qui cause intentionnellement un dommage à autrui par des faits contraires aux moeurs est également tenu de le réparer. » B. Le droit et la pratique internationaux pertinents Compétence universelle en matière civile a) La Convention des Nations Unies contre la torture de 1984 La Convention contre la torture a été ratifiée par la Suisse le 2 décembre 1986 et est entrée en vigueur le 26 juin 1987. L’article premier est libellé comme il suit : Article 1 « 1. Aux fins de la présente Convention, le terme ‘torture’ désigne tout acte par lequel une douleur ou des souffrances aiguës, physiques ou mentales, sont intentionnellement infligées à une personne (...) lorsqu’une telle douleur ou de telles souffrances sont infligées par un agent de la fonction publique ou tout autre personne agissant à titre officiel ou à son instigation ou avec son consentement exprès ou tacite. (...) » L’article 5 de cette convention prévoit une compétence universelle pour poursuivre et punir les actes prohibés : « 1. Tout État partie prend les mesures nécessaires pour établir sa compétence aux fins de connaître des infractions visées à l’art. 4 dans les cas suivants : a) Quand l’infraction a été commise sur tout territoire sous la juridiction dudit État ou à bord d’aéronefs ou de navires immatriculés dans cet État ; b) Quand l’auteur présumé de l’infraction est un ressortissant dudit État ; c) Quand la victime est un ressortissant dudit État et que ce dernier le juge approprié. Tout État partie prend également les mesures nécessaires pour établir sa compétence aux fins de connaître desdites infractions dans le cas où l’auteur présumé de celle-ci se trouve sur tout territoire sous sa juridiction et où ledit État ne l’extrade pas conformément à l’art. 8 vers l’un des États visés au par. 1 du présent article. La présente Convention n’écarte aucune compétence pénale exercée conformément aux lois nationales. » Les articles 6 et 7 de cette convention se rapportent également à la compétence au sens pénal : Article 6 « 1. S’il estime que les circonstances le justifient, après avoir examiné les renseignements dont il dispose, tout État partie sur le territoire duquel se trouve une personne soupçonnée d’avoir commis une infraction visée à l’art. 4 assure la détention de cette personne ou prend toutes autres mesures juridiques nécessaires pour assurer sa présence. Cette détention et ces mesures doivent être conformes à la législation dudit État ; elles ne peuvent être maintenues que pendant le délai nécessaire à l’engagement de poursuites pénales ou d’une procédure d’extradition. Ledit État procède immédiatement à une enquête préliminaire en vue d’établir les faits. Toute personne détenue en application du par. 1 du présent article peut communiquer immédiatement avec le plus proche représentant qualifié de l’État dont elle a la nationalité ou, s’il s’agit d’une personne apatride, avec le représentant de l’État où elle réside habituellement. Lorsqu’un État a mis une personne en détention, conformément aux dispositions du présent article, il avise immédiatement de cette détention et des circonstances qui la justifient les États visés au par. 1 de l’art. 5. L’État qui procède à l’enquête préliminaire visée au par. 2 du présent article en communique rapidement les conclusions auxdits États et leur indique s’il entend exercer sa compétence. Article 7 L’État partie sur le territoire sous la juridiction duquel l’auteur présumé d’une infraction visée à l’art. 4 est découvert, s’il n’extrade pas ce dernier, soumet l’affaire, dans les cas visés à l’art. 5, à ses autorités compétentes pour l’exercice de l’action pénale. Ces autorités prennent leur décision dans les mêmes conditions que pour toute infraction de droit commun de caractère grave en vertu du droit de cet État. Dans les cas visés au par. 2 de l’art. 5, les règles de preuve qui s’appliquent aux poursuites et à la condamnation ne sont en aucune façon moins rigoureuses que celles qui s’appliquent dans les cas visés au paragraphe 1 de l’art. 5. Toute personne poursuivie pour l’une quelconque des infractions visées à l’art. 4 bénéficie de la garantie d’un traitement équitable à tous les stades de la procédure. » L’article 14 de cette convention prévoit le droit, pour les victimes de torture, d’obtenir réparation : Article 14 « 1. Tout État partie garantit, dans son système juridique, à la victime d’un acte de torture, le droit d’obtenir réparation et d’être indemnisée équitablement et de manière adéquate, y compris les moyens nécessaires à sa réadaptation la plus complète possible. En cas de mort de la victime résultant d’un acte de torture, les ayants cause de celle-ci ont droit à indemnisation. Le présent article n’exclut aucun droit à indemnisation qu’aurait la victime ou toute autre personne en vertu des lois nationales. » b) Doctrine Il existe un débat dans la doctrine quant à la question de savoir si l’article 14 de la Convention contre la torture est d’application extraterritoriale. Pour certains auteurs, cette disposition ne prévoit pas d’obligation d’exercer la compétence universelle, mais n’interdit pas non plus aux États, compte tenu de son paragraphe 2, et de l’objet et du but de la convention, de prévoir une telle obligation (voir Manfred Nowak/Elizabeth McArthur, The United Nations Convention against Torture : A Commentary, Oxford University Press 2008, p. 494, et Kate Parlett, Universal Civil Jurisdiction for Torture, European Human Rights Law review, issue 4 (2007), p. 398). D’autres auteurs soutiennent que l’article 14 s’applique aux actes de torture commis à l’étranger étant donné qu’il ne prévoit pas de limitation géographique (Christopher Keith Hall, The Duty of States Parties to the Convention against Torture to Provide Procedures Permitting Victims to Recover Reparations for Torture Committed Abroad, European Journal of International Law, vol. 18 no. 5 (Nov. 2007), p. 926 ; Alexander Orakhelashvili, State Immunity and Hierarchy of Norm : Why the House of Lords Got It Wrong, European Journal of International Law, vol. 18 no. 5 (Nov. 2007), p. 957). D’autres auteurs encore estiment qu’aucune conclusion ne peut être tirée de l’article 14 concernant la question de savoir si un État partie est obligé de mettre à la disposition des victimes de torture des remèdes pour des actes qui ont été perpétrés en dehors de sa jurisdiction (voir, par exemple, Paul David Mora, The Legality of Civil Jurisdiction over Torture under the Universal Principle, German Yearbook of International Law, Vol. 52, 2009, p. 373). c) Travaux préparatoires de la Convention contre la torture et déclarations des États lors de la ratification Aucun élément concret ne ressort des travaux préparatoires de l’article 14 de la Convention contre la torture quant à la question de la compétence universelle en matière civile. Lors des délibérations en 1981, le groupe de travail a accepté la proposition des Pays-Bas d’inclure, après l’expression « torture », les mots « commise dans tout le territoire sous sa juridiction » (« committed in any territory under its jurisdiction »). Par contre, lors de l’adoption de cette convention, cette phrase a disparue pour des raisons inconnues (Manfred/McArthur, op.cit., p. 457). Lors de leur ratification de la Convention contre la torture, les ÉtatsUnis ont émis la déclaration suivante : « It is the understanding of the United States that Article 14 requires a State Party to provide a private right of action for damages only for acts of torture committed in territory under the jurisdiction of the State Party » (reproduit dans: Mora, op.cit., p. 375). » Lors de la soumission au Sénat du projet de ratification de la Convention contre la torture, le Président des États-Unis a fait les observations qui suivent : « The negotiating history of the Convention indicates that Article 14 requires a State to provide a private right of action for damages only for acts of torture committed in its territory, not for acts of torture occurring abroad. Article 14 was in fact adopted with express reference to « the victim of an act of torture committed in any territory under its jurisdiction. » The italicized wording appears to have been deleted by mistake. This interpretation is confirmed by the absence of discussion of the issue, since the creation of a « universal » right to sue would have been as controversial as was the creation of « universal jurisdiction », if not more so. » (« Summary and Analysis of the Convention against Torture and Other Cruel, Inhuman or Degrading Treatment or Punishment » in « Message from the President of the Unites States transmitting the Convention against Torture and Other Cruel, Inhuman or Degrading Treatment or Punishment, » 20 May 1998 10th Congress, 2nd Session, reproduit dans : Nowak/McArthur, op.cit., pp. 460-461). » d) Pratique du Comité contre la torture des Nations Unies Le Comité contre la torture des Nations Unies, l’organe en charge de mettre en œuvre la Convention contre la torture, a critiqué l’approche étroite du Canada dans ses 4ème et 5ème rapports périodiques en 2005. Selon l’une des membres du Comité (Madame Gaer) : « 64. Les travaux préparatoires ne furent pas aussi simples que décrits. Cependant, ayant été impliqué dans les négociations, l’État partie pourrait peut-être avoir des informations supplémentaires à partager avec le Comité. Selon ce qu’a compris le Comité, la phrase « dans tout territoire sous sa juridiction » fut supprimée de l’article 14 sans qu’aucune raison n’ait été mentionnée. Le Canada indiqua qu’aucun pays ne prévoyait une telle disposition. Toutefois, les États-Unis et leurs affaires relevant de l’Alien Tort Claims Act (loi sur les actions en responsabilité délictuelle des étrangers) offraient l’opportunité aux victimes d’intenter des actions civiles. Elle [Mme Gaer] se demande si, à la lumière de ces considérations, l’État partie pourrait reconsidérer cette question » (traduction fournie par la Cour ; source officielle : Summary Record of the second part (public) of the 646th Meeting, Consideration of Reports submitted by States Parties under Article 19 of the Convention (continued), CAT/C/SR.646/Add.1, 13 mai 2005). » Le Comité s’est exprimé comme il suit dans ses observations finales concernant le Canada : « [Le Comité est préoccupé par] l’absence de mesures effectives d’indemnisation au civil des victimes de torture dans toutes les affaires ; [Le Comité recommande que] l’État partie revoie sa position concernant l’article 14 de la Convention en vue d’assurer l’indemnisation par la juridiction civile de toutes les victimes de torture » (Conclusions et recommandations du Comité contre la torture, Canada, CAT/C/CR/34/CAN, 7 juillet 2005, §§ 4g) et 5f). » Dans ses observations finales concernant le 6ème rapport périodique dudit État en 2012, le Comité a réitéré sa position dans les termes qui suivent : « Le Comité reste préoccupé par l’absence de mécanismes efficaces permettant à toutes les victimes de torture d’obtenir réparation au civil, y compris une indemnisation, situation principalement due aux restrictions prévues par la loi sur l’immunité des États (art. 14). L’État partie devrait veiller à ce que toutes les victimes de torture puissent avoir accès à des recours et obtenir réparation, quel que soit le pays où les actes de torture ont été commis et indépendamment de la nationalité de l’auteur ou de la victime. À cet égard, l’État partie devrait envisager et modifier la loi sur l’immunité des États pour supprimer tous les obstacles qui empêchent les victimes de torture d’obtenir réparation » (CAT/C/CAN/CO/6, 25 juin 2012 § 15). » En 2012, le Comité a émis l’Observation générale no 3 (2012) relative à l’Application de l’article 14 par les États parties (CAT/C.GC/3, 13 décembre 2012). Dans celle-ci, le Comité a réitéré sa position antérieure, soutenant que l’article 14 ne contient pas de limitation géographique : « 22. En vertu de la Convention, les États parties sont tenus de poursuivre ou d’extrader les auteurs présumés d’actes de torture qui se trouvent sur tout territoire sous leur juridiction et d’adopter la législation nécessaire à cette fin. Le Comité considère que l’application de l’article 14 ne se limite pas aux victimes de préjudices commis sur le territoire de l’État partie ou commis par ou contre un ressortissant de l’État partie. Le Comité a salué les efforts des États parties qui ont offert un recours civil à des victimes soumises à la torture ou à des mauvais traitements en dehors de leur territoire. Cela est particulièrement important quand la victime n’est pas en mesure d’exercer les droits garantis par l’article 14 sur le territoire où la violation a été commise. En effet l’article 14 exige que les États parties garantissent à toutes les victimes de torture et de mauvais traitements l’accès à des moyens de recours et la possibilité d’obtenir réparation. » S’agissant des obstacles pratiques et juridiques inhérents au droit à une réparation pour actes de torture, le Comité s’est exprimé comme il suit : « 38. Les États parties à la Convention ont l’obligation de garantir que le droit à réparation soit effectif. Les facteurs susceptibles de faire obstacle à l’exercice du droit à réparation et d’empêcher la mise en œuvre effective de l’article 14 sont notamment : l’insuffisance de la législation nationale, la discrimination exercée dans l’accès aux mécanismes de plaintes et d’enquête et aux procédures de recours et de réparation ; l’insuffisance des moyens mis en œuvre pour obtenir l’arrestation des auteurs de violation présumés, les lois sur le secret d’État, les règles de la preuve et les règles de procédure qui entravent la détermination du droit à réparation ; la prescription, l’amnistie et l’immunité ; le fait de ne pas assurer une aide juridictionnelle suffisante et des mesures de protection aux victimes et aux témoins ; la stigmatisation et les incidences physiques, psychologiques et autres de la torture et des mauvais traitements. En outre, la non-exécution par un État partie de jugements rendus par une juridiction nationale, internationale ou régionale ordonnant des mesures de réparation pour une victime de torture constitue un obstacle majeur à l’exercice du droit à réparation. Les États parties devraient mettre en place des dispositifs coordonnés pour permettre aux victimes d’obtenir l’exécution de jugements hors des frontières de l’État, notamment en reconnaissant la validité des décisions de justice rendues par les tribunaux d’autres États parties et en aidant à retrouver les biens détenus par les responsables. » En ce qui concerne plus spécifiquement la question des immunités, le Comité a considéré ce qui suit : « 42. De même, le fait d’assurer l’immunité, en violation du droit international, à tout État ou à ses agents ou à des acteurs extérieurs à l’État pour des actes de torture ou de mauvais traitements est directement en conflit avec l’obligation d’assurer une réparation aux victimes. Quand l’impunité est permise par la loi ou existe de fait, elle empêche les victimes d’obtenir pleinement réparation car elle permet aux responsables de violations de rester impunis et dénie aux victimes le plein exercice des autres droits garantis à l’article 14. Le Comité affirme qu’en aucune circonstance la nécessité de protéger la sécurité nationale ne peut être invoquée comme argument pour refuser aux victimes le droit à réparation. » Dans plusieurs communications individuelles devant le Comité contre la torture, la question de la compétence universelle par rapport à l’article 14 s’est posée. Dans l’affaire Marcos Roitmann Rosenmann c. Espagne (no 176/2000), le requérant a fait valoir que la façon de traiter la demande d’extradition du Général Pinochet, qui résidait alors au Royaume-Uni, aurait violé l’article 14 de la Convention contre la torture. Par une décision du 30 avril 2002, le Comité a déclaré irrecevable ce grief pour les motifs qui suivent : « 6.6 En ce qui concerne le point c) [l’objection fondée sur l’absence de compétence ratione personae du Comité], le Comité note que les allégations du requérant pour ce qui est des actes de torture commis par les autorités chiliennes sont ratione personae justiciables au Chili et dans d’autres États sur le territoire desquels le général Pinochet peut se trouver. Dans la mesure où le général Pinochet n’était pas en Espagne au moment de la présentation de la communication, le Comité tend à considérer que les articles de la Convention invoqués par le requérant ne s’appliquent pas ratione personae à l’Espagne. En particulier, le droit du requérant en vertu de l’article 13 de la Convention de porter plainte et d’obtenir que sa cause soit examinée immédiatement et impartialement, ainsi que son droit à indemnisation en vertu de l’article 14 de la Convention seraient justiciables devant l’État responsable des actes de torture, à savoir le Chili et non pas l’Espagne. » Dans l’affaire Z. c. Australie (no 511/2012, décision du 26 novembre 2014), le Comité contre la torture a été amené à examiner une communication individuelle introduite par une ressortissante australienne, d’origine chinoise, faisant valoir qu’elle aurait été torturée par la police lors d’une visite en République populaire de Chine (ci-après « la Chine ») entre 1999 et 2000. Elle avait en vain essayé d’intenter action en réparation civile devant les tribunaux australiens contre, entre autres, l’ex-président de la Chine et un membre du parti communiste dudit pays. Pour des raisons d’immunité des membres du gouvernement d’un autre État, l’action avait été rejetée par les tribunaux australiens. Le Comité, saisi de l’affaire, a réitéré son approche relative à l’application géographique de l’article 14 de la Convention contre la torture, mais a rejeté l’affaire pour le même motif que les instances internes (renvois omis) : « 6.3 Le Comité prend note de l’argument de l’État partie qui affirme que la communication est irrecevable ratione personae en vertu de l’article 22 de la Convention parce qu’elle suppose que le Comité détermine si la Chine elle-même a violé l’article 14 en ne permettant pas à la requérante d’exercer un recours utile, et la Chine n’a pas fait la déclaration prévue à l’article 22. Le Comité note également que la requérante fait valoir que l’article 14 s’applique quel que soit le lieu où les actes de torture ont été commis et que, étant donné que les tribunaux australiens ne se sont pas déclarés incompétents au nom de l’exception de forum non conveniens, l’État partie est tenu de garantir l’exercice du droit à une indemnisation juste et adéquate. Le Comité rappelle son Observation générale no 3 (2012) relative à l’application de l’article 14 par les États parties, dans laquelle il considère que « l’application de l’article 14 ne se limite pas aux victimes de préjudices commis sur le territoire de l’État partie ou commis par ou contre un ressortissant de l’État partie» et que « l’article 14 exige que les États parties garantissent à toutes les victimes de torture et de mauvais traitements l’accès à des moyens de recours et la possibilité d’obtenir réparation ». Toutefois, il observe que, dans les circonstances particulières de l’affaire, l’État partie n’est pas en mesure d’établir sa compétence pour connaître d’actes commis en dehors de son territoire par les agents d’un autre État. En conséquence, le Comité considère que, dans l’affaire à l’examen, la demande de réparation et d’indemnisation de la requérante est irrecevable. » La nature spécifique de la torture et d’autres crimes en droit international Dans l’arrêt du 20 juillet 2012 relatif aux Questions concernant l’obligation de poursuivre ou d’extrader (Belgique c. Sénégal), C.I.J. Recueil 2012, p. 422, la Cour internationale de Justice (C.I.J) a réitéré la nature spécifique en droit international du crime de torture en vertu de la Convention contre la torture : « 68. Ainsi qu’il est précisé dans son préambule, l’objet et le but de la convention est « d’accroître l’efficacité de la lutte contre la torture (...) dans le monde entier ». En raison des valeurs qu’ils partagent, les États parties à cet instrument ont un intérêt commun à assurer la prévention des actes de torture et, si de tels actes sont commis, à veiller à ce que leurs auteurs ne bénéficient pas de l’impunité. Les obligations qui incombent à un État partie de procéder à une enquête préliminaire en vue d’établir les faits et de soumettre l’affaire à ses autorités compétentes pour l’exercice de l’action pénale s’appliquent du fait de la présence de l’auteur présumé sur son territoire, quelle que soit la nationalité de l’intéressé ou celle des victimes, et quel que soit le lieu où les infractions alléguées ont été commises. Tous les autres États parties à la convention ont un intérêt commun à ce que l’État sur le territoire duquel se trouve l’auteur présumé respecte ces obligations. Cet intérêt commun implique que les obligations en question s’imposent à tout État partie à la convention à l’égard de tous les autres États parties. L’ensemble des États parties ont « un intérêt juridique » à ce que les droits en cause soient protégés (Barcelona Traction, Light and Power Company, Limited (Belgique c. Espagne), deuxième phase, arrêt, C.I.J. Recueil 1970, p. 32, par. 33). Les obligations correspondantes peuvent donc être qualifiées d’« obligations erga omnes partes », en ce sens que, quelle que soit l’affaire, chaque État partie a un intérêt à ce qu’elles soient respectées. De ce point de vue, les dispositions pertinentes de la convention contre la torture sont comparables à celles de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide, au sujet desquelles la Cour a fait observer ce qui suit : « Dans une telle convention, les États contractants n’ont pas d’intérêts propres ; ils ont seulement tous et chacun un intérêt commun, celui de préserver les fins supérieures qui sont la raison d’être de la convention. » (Réserves à la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1951, p. 23.) (...) Selon la Cour, l’interdiction de la torture relève du droit international coutumier et elle a acquis le caractère de norme impérative (jus cogens). » Dans l’affaire relative aux Activités armées sur le territoire du Congo (République démocratique du Congo c. Rwanda) [compétence et recevabilité, arrêt du 3 février 2006, C.I.J. Recueil 2006, p. 6], la C.I.J. a été amenée à examiner la question de savoir si elle était compétente pour trancher un litige qui porte sur une norme de jus cogens, à savoir l’interdiction de génocide, en dépit d’une réserve du Rwanda excluant sa compétence insérée au traité prévoyant le règlement par la Cour. Elle a rejeté sa compétence en s’exprimant dans les termes qui suivent : « 64. La Cour commencera par réaffirmer que « les principes qui sont à la base de la convention [sur le génocide] sont des principes reconnus par les nations civilisées comme obligeant les États même en dehors de tout lien conventionnel » et que la conception ainsi retenue a pour conséquence « le caractère universel à la fois de la condamnation du génocide et de la coopération nécessaire « pour libérer l’humanité d’un fléau aussi odieux » (préambule de la convention) » (Réserves à la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1951, p. 23). Il en résulte que « les droits et obligations consacrés par la convention sont des droits et obligations erga omnes » (Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine c. Yougoslavie), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 1996 (II), p. 616, par. 31). La Cour observe toutefois qu’elle a déjà eu l’occasion de souligner que « l’opposabilité erga omnes d’une norme et la règle du consentement à la juridiction sont deux choses différentes » (Timor oriental (Portugal c. Australie), C.I.J. Recueil 1995, p. 102, par. 29), et que le seul fait que des droits et obligations erga omnes seraient en cause dans un différend ne saurait donner compétence à la Cour pour connaître de ce différend. Il en va de même quant aux rapports entre les normes impératives du droit international général (jus cogens) et l’établissement de la compétence de la Cour : le fait qu’un différend porte sur le respect d’une norme possédant un tel caractère, ce qui est assurément le cas de l’interdiction du génocide, ne saurait en lui-même fonder la compétence de la Cour pour en connaître. En vertu du Statut de la Cour, cette compétence est toujours fondée sur le consentement des parties. (...) Dans la mesure où la RDC [République démocratique du Congo] a en outre soutenu que la réserve du Rwanda est en conflit avec une norme impérative du droit international général, il suffit à la Cour de constater qu’il n’existe actuellement aucune norme de cette nature qui imposerait à un État de consentir à la compétence de la Cour pour régler un différend relatif à la convention sur le génocide. La réserve du Rwanda ne saurait donc être regardée comme dépourvue d’effets juridiques sur une telle base. La Cour conclut de ce qui précède que, eu égard à la réserve du Rwanda à l’article IX de la convention sur le génocide, cette disposition ne saurait constituer une base de compétence de la Cour dans la présente espèce. » La Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés de 1951 La Convention des Nations unies relative au statut des réfugiés du 28 juillet 1951 est entrée en vigueur le 22 avril 1954. Elle a été ratifiée par la Suisse le 21 janvier 1955 et est entrée en vigueur pour la Suisse le 21 avril 1955. La disposition pertinente pour la présente affaire a la teneur suivante : Article 16 – Droit d’ester en justice « 1. Tout réfugié aura, sur le territoire des États contractants, libre et facile accès devant les tribunaux. (...) » C. Le droit comparé La présente affaire soulevant des problèmes juridiques complexes, la Cour a estimé opportun de procéder à une analyse comparative concernant deux volets de questions, à savoir la compétence universelle en matière civile pour les actes de torture, d’une part, ainsi que le principe du for de nécessité, d’autre part. L’analyse prend en compte le droit et la pratique internes de vingt-six États contractants (l’Allemagne, l’Autriche, l’Azerbaïdjan, la Belgique, la Bosnie-Herzégovine, la Bulgarie, l’Espagne, l’Estonie, la France, la Grèce, l’Irlande, l’Italie, la Lettonie, le Luxembourg, Malte, la Moldavie, la Pologne, le Portugal, la République tchèque, la Roumanie, le Royaume-Uni, la Russie, la Serbie, la Slovénie, la Turquie et l’Ukraine), ainsi que de deux pays non membres du Conseil de l’Europe (le Canada et les États-Unis). La compétence universelle en matière civile a) Compétence universelle en matière civile au sens stricte L’analyse des éléments pertinents du droit interne des États couverts par l’étude permet d’aboutir à une conclusion très claire, à savoir : à l’époque actuelle, aucun des États contractants étudiés ne prévoit de compétence internationale universelle devant les juridictions civiles, que ce soit pour des actes de torture ou pour d’autres actes criminels ou délictuels, même si une partie de la doctrine juridique semble préconiser cette solution. En Italie, il n’y a aucune norme du droit positif ni une jurisprudence claire qui conférerait aux juridictions civiles une compétence universelle pour les demandes en dommages-intérêts dans des cas de torture et de crimes contre l’humanité. Cependant, une partie de la doctrine juridique italienne considère que certaines décisions des tribunaux italiens iraient dans la direction d’une reconnaissance d’une telle compétence. Il s’agit de l’arrêt de la Cour de Cassation dans l’affaire Ferrini (6 novembre 2003, 11 mars 2004), concernant la responsabilité de l’Allemagne pour l’arrestation du demandeur sur le territoire italien et sa déportation en Allemagne pendant la Seconde Guerre mondiale, ainsi qu’une série de jugements et d’arrêts subséquents rendus contre l’Allemagne par des juridictions italiennes pendant la période allant de 2004 jusqu’à 2008. L’un de ces jugements accordait l’exequatur en Italie à un jugement d’un tribunal grec ordonnant à l’Allemagne d’indemniser les victimes du massacre de Distomo (Grèce) du 10 juin 1944. Ces jugements italiens ont été à l’origine de l’arrêt de la C.I.J. du 3 février 2012 dans l’affaire Immunités juridictionnelles de l’État (Allemagne c. Italie, Grèce (intervenant)), Recueil C.I.J. 2012, p. 99), qui a reconnu la violation, par l’Italie, du droit international coutumier garantissant aux États l’immunité juridictionnelle. Le fait que l’Allemagne fût accusée d’une violation du jus cogens ne fut pas considéré comme décisif par la C.I.J. Au Royaume-Uni, dans l’affaire Jones v. Saudi Arabia ([2006] UKHL 26), la Chambre des Lords a jugé que l’article 14 de la Convention contre la torture n’établissait pas une compétence universelle en matière civile, et qu’il n’y avait aucune preuve de ce que les États auraient reconnu en droit international une obligation d’exercer une compétence universelle concernant les demandes alléguant des violations du jus cogens. De même, ni la jurisprudence ni la doctrine n’indiquaient l’existence d’un consensus sur ce point. La Chambre des Lords distingua la présente espèce d’une autre affaire qu’elle avait auparavant examinée, Pinochet (no 3), concernant l’ancien dictateur chilien, au motif, justement, que l’affaire Pinochet avait pour objet des poursuites pénales qui, elles, relevaient de la compétence universelle conformément à la Convention contre la torture (§§ 25-32 de l’arrêt). La Chambre des Lords ne décela donc aucune raison d’écarter l’applicabilité de la règle de l’immunité absolue des États pour les actes commis par leurs représentants agissant dans leur capacité officielle. Cette affaire aboutit devant la cour de céans qui conclut à la non-violation de l’article 6 § 1 de la Convention (Jones et autres c. Royaume-Uni, nos 34356/06 et 40525/06, 14 janvier 2014). Se tournant vers les États non membres du Conseil de l’Europe, il y a lieu de noter que les juridictions du Canada disposent d’une compétence universelle pour examiner les demandes civiles, mais uniquement en matière de terrorisme, conformément à la loi de 2012 sur les victimes du terrorisme. Cette compétence est toutefois soumise à la condition que la victime soit canadienne, ou qu’elle ait sa résidence permanente au Canada, ou que l’action civile ait un « lien réel et substantiel avec le Canada ». En revanche, la compétence universelle ne s’applique pas aux actions pour dommages subis du fait d’autres violations du droit international, y compris la torture (sauf s’il est démontré qu’elle a eu lieu dans le cadre d’actes de terrorisme). Dans l’affaire Bouzari v. Islamic Republic of Iran ([2004] OJ No. 2800 Docket No. 38295), la cour d’appel de l’Ontario a jugé que l’article 14 de la Convention contre la torture n’obligeait pas le Canada à garantir des recours de nature civile pour des actes de torture commis en dehors de son territoire. En l’espèce, le demandeur, un Canadien d’origine iranienne, avait saisi les tribunaux canadiens d’une demande en dommagesintérêts pour avoir été torturé par des représentants de l’État iranien. La cour d’appel a entériné la solution retenue par la juridiction inférieure selon laquelle il n’existait aucun « lien réel et substantiel » entre la province d’Ontario et l’action litigieuse. Elle a conclu qu’il n’existait parmi les États aucune pratique internationale suffisamment répandue qui justifierait la reconnaissance de la compétence civile des tribunaux canadiens dans une telle situation. Parmi tous les États couverts par la présente étude, seuls les ÉtatsUnis prévoient, au niveau fédéral, une compétence universelle pour les demandes civiles en dommages-intérêts subis en liens avec des faits de torture, et ce, sur la base de deux lois fédérales, à savoir l’Alien Tort Statute de 1789, et le Torture Victim Protection Act de 1991. Le premier donne compétence aux cours fédérales pour « any civil action by an alien for a tort only, committed in violation of the law of nations or a treaty of the United States ». En d’autres termes, il n’est pas nécessaire que l’acte incriminé soit commis sur le territoire des États-Unis ou par un ressortissant dudit État. Cette loi n’avait jamais vraiment été mise en œuvre jusqu’à l’affaire de principe Filártiga v. Peña-Irala du Second Circuit Court of Appeals en 1980 [630 F.2d 876 (2d Cir. 1980)]. Dans cette affaire, la cour a accepté la plainte des parents d’une victime qui avait été torturée à mort à Paraguay, plainte dirigée contre l’auteur des actes infligés qui avait son domicile alors aux États-Unis. Le tribunal a estimé que la compétence fédérale pourrait être exercée « whenever an alleged torturer is found and served with process by an alien within our borders » (ibidem., at 878). Le Torture Victim Protection Act prévoit ce qui suit : « An individual who, under actual or apparent authority, or color of law, of any foreign nation subjects an individual to torture shall, in a civil action, be liable for damages to that individual... » (Section 2 (a) § 1). Il ressort de ces deux lois que des affaires peuvent a priori être portées devant les tribunaux des États-Unis sans lien juridictionnel avec ledit pays. Pour qu’un tribunal puisse procéder avec une telle affaire, il faut néanmoins que la personne assignée en justice doive se trouver sous la juridiction des États-Unis au moment de l’introduction de l’action. Par ailleurs, même si la compétence du tribunal est admise, il existe d’autres obstacles juridiques. En réalité, il apparaît qu’environ 80 % des affaires introduites sur la base de ces deux actes aient été rejetées pour différentes raisons, comme la doctrine de l’’act of State’, l’immunité souveraine ou le forum non conveniens (Nowak/McArthur, op.cit., p. 494). Par ailleurs, le champ d’application de l’Alien Tort Statute s’est vu rétrécir au cours de ces dernières années. Dans l’affaire Kiobel v. Royal Dutch Petroleum Co., des ressortissants nigérians, ayant obtenu le statut de réfugiés aux États-Unis, ont saisi des tribunaux américains sur la base de l’Alien Tort Statute, alléguant que des corporations néerlandaises, britanniques et nigériannes avaient aidé ou facilité les violations du droit international commises par le gouvernement nigérian [Kiobel v. Royal Dutch Petroleum Co., 133 S. Ct. 1659 (2013)]. Le 17 avril 2013, la Cour suprême a statué comme suit : « We therefore conclude that the presumption against extraterritoriality applies to claims under the ATS, and that nothing in the statute rebuts that presumption. « [T]here is no clear indication of extraterritoriality here, » Morrison, 561 U. S., at ___ (slip op., at 16), and petitioners’ case seeking relief for violations of the law of nations occurring outside the United States is barred. IV On these facts, all the relevant conduct took place outside the United States. And even where the claims touch and concern the territory of the United States, they must do so with sufficient force to displace the presumption against extraterritorial application. See Morrison, 561 U. S. ___ (slip op. at 17–24). Corporations are often present in many countries, and it would reach too far to say that mere corporate presence suffices. If Congress were to determine otherwise, a statute more specific than the ATS would be required. » b) La possibilité de se constituer partie civile dans une procédure pénale sur la base du principe de compétence universelle en matière pénale La question de la compétence universelle des juridictions civiles doit être distinguée de la possibilité de se constituer partie civile dans une procédure pénale engagée devant les juridictions pénales sur la base du principe de compétence universelle en matière pénale. Par exemple, en Belgique, la compétence universelle des juridictions pénales nationales est régie par l’article 12bis du titre préliminaire du code de procédure pénale, modifié par la loi du 5 août 2003. Cet article permet aux juridictions pénales belges d’étendre leur compétence à des infractions n’ayant pas de lien de rattachement avec le territoire national, soit en application d’une règle de droit international – comme en dispose la Convention contre la torture –, soit en application d’une règle de droit international coutumier pour ce qui est des crimes de génocide et des crimes contre l’humanité. La victime d’une infraction qui invoque la compétence universelle des juridictions belges ne peut pas se constituer partie civile ab initio, car les poursuites sont engagées uniquement sur décision du procureur fédéral. En revanche, si ce dernier décide d’ouvrir l’action publique, alors la victime d’actes de torture ou d’autres crimes contre l’humanité peut joindre la procédure « en se constituant partie civile », afin d’obtenir réparation des préjudices subis (article 67 du code d’instruction criminelle). De même, en Espagne, la loi organique sur le pouvoir judiciaire prévoit la compétence universelle des tribunaux espagnols (en matière pénale) pour certains crimes commis à l’étranger par des citoyens espagnols ou par des non-ressortissants, sous certaines conditions, y compris les crimes contre l’humanité et les actes de torture. Dans le cadre d’une procédure pénale, les victimes des crimes peuvent se constituer parties civiles (accusatrices) et demander réparation au titre des préjudices subis (article 112 du code de procédure pénale). En Irlande, la loi reconnaît également la compétence universelle en matière pénale pour la torture et les crimes contre l’humanité, et le schéma général national de l’indemnisation des victimes du crime s’applique en principe dans les affaires examinées par les tribunaux irlandais sur ce fondement ; toutefois, il n’y a eu à ce jour aucun exemple pratique d’une telle indemnisation prononcée par le Criminal Injuries Compensation Tribunal. Le for de nécessité a) L’étendue géographique Les règles de compétence internationale en matière civile de dix-sept États européens à l’étude (l’Azerbaïdjan, la Bosnie-Herzégovine, la Bulgarie, l’Espagne, la Grèce, l’Irlande, l’Italie, la Lettonie, Malte, la Moldavie, la République tchèque, le Royaume-Uni, la Russie, la Serbie, la Slovénie, la Turquie et l’Ukraine) ne reconnaissent pas le for de nécessité. À cet égard, il y a lieu de noter que l’Irlande et le Royaume-Uni, en tant que pays de droit anglo-saxon (common law), possèdent une autre règle qui s’applique dans des situations similaires (bien qu’allant dans une direction opposée), à savoir le forum non conveniens (cf. infra). Ceci est également vrai pour les États-Unis. Par ailleurs, les règles de compétence internationale en matière civile de neuf États européens à l’étude (l’Allemagne, l’Autriche, la Belgique, l’Estonie, la France, le Luxembourg, la Pologne, le Portugal et la Roumanie) reconnaissent soit expressément le for de nécessité, soit un principe portant un autre nom mais entraînant des conséquences très similaires sinon identiques. En France, il existe un chef de compétence des juridictions nationales en cas de « risque de déni de justice » (le déni de justice est prohibé par les articles 4 du code civil et 434-7-15 du code pénal). Ce cas de compétence n’a été admis que très exceptionnellement, mais c’est dans ce cadre-là qu’est abordée la question de l’existence d’une compétence pour connaître des actions civiles intentées par des victimes d’infractions pénales particulièrement graves telles que crimes de guerre, déportations, tortures, séquestrations arbitraires, ou encore atteintes lourdes à la santé des personnes et à l’environnement dues aux activités d’entreprises multinationales, etc. Parmi les États non membres du Conseil de l’Europe, le for de nécessité est reconnu par le code civil du Québec (au Canada), mais la jurisprudence interne l’a récemment introduit dans le droit interne de certaines autres provinces canadiennes. Au Québec, le for de nécessité est prévu par l’article 3136 du code civil québécois, qui dispose : « Bien qu’une autorité québécoise ne soit pas compétente pour connaître d’un litige, elle peut, néanmoins, si une action à l’étranger se révèle impossible ou si on ne peut exiger qu’elle y soit introduite, entendre le litige si celui-ci présente un lien suffisant avec le Québec » (libellé en vigueur depuis 1991). Par un arrêt du 2 février 2010, rendu dans l’affaire Van Breda at al. v. Village Resorts Limited, la cour d’appel de l’Ontario a, pour la première fois, reconnu la possibilité du for de nécessité dans une province anglophone. Dans cette affaire, portant sur des dommages corporels subis à l’étranger, la cour d’appel a jugé que « là où il n’y a pas d’autre for où le demandeur pourrait raisonnablement demander la protection de ces droits, le tribunal dispose d’une discrétion résiduelle pour se déclarer compétent ». b) Champ d’application matériel Avec l’exception de l’Allemagne, dans tous les États à l’étude appartenant à la catégorie des pays reconnaissant un for de nécessité, celuici s’applique sans distinguer la nature du litige. Par exemple, en Belgique, la notion de for de nécessité a été introduite par la loi du 16 juillet 2004 portant le code de droit international privé. L’article 11 dudit code dispose que : « Nonobstant les autres dispositions de la présente loi, les juridictions belges sont exceptionnellement compétentes lorsque la cause présente des liens étroits avec la Belgique et qu’une procédure à l’étranger se révèle impossible ou qu’on ne peut raisonnablement exiger que la demande soit formée à l’étranger. » Le champ d’application matérielle de cet article comprend l’ensemble de la matière civile et commerciale visée par le code, qu’il s’agisse des questions relevant des règles de compétence générales ou des questions relevant des règles de compétence spéciales, telles que les obligations non contractuelles. Au Luxembourg, la jurisprudence a admis qu’en dehors des règles de compétence ordinaire, les juridictions luxembourgeoises « sont accessibles aux étrangers n’ayant au pays ni domicile ni résidence, du moment qu’ils ne disposent d’aucun autre moyen pour la sauvegarde de leurs droits » (Tribunal d’arrondissement de Luxembourg, 30 juin 1961, Pas., XVIII, 372). En Pologne, le for de nécessité a été d’abord établi par la jurisprudence de la Cour suprême dans des affaires concernant le droit de succession des biens meubles laissés en Pologne par des étrangers. Par la suite, il a été codifié par l’article 1099-1 § 1 du code de procédure civile qui, lui, s’applique dans toutes les affaires civiles sans les distinguer selon leur contenu matériel ou leur objet. Enfin, en Estonie, au Portugal et en Roumanie, la loi ne prévoit pas non plus de distinction qui serait fondée sur la nature ou le contenu du litige. c) Conditions d’application En ce qui concerne les conditions d’application du for de nécessité, l’analyse comparative menée par la Cour a relevé que, dans tous les États reconnaissant le for de nécessité, son application est toujours subordonnée à deux conditions cumulatives, à savoir, d’une part, l’impossibilité de fait ou de droit de porter le litige devant les juridictions d’un autre État et, d’autre part, l’existence à tout le moins d’une certaine proximité (ou de certains liens de rattachement) du litige avec l’État du for saisi. En ce qui concerne cette deuxième condition, il s’avère que les éléments de proximité formant un lien de rattachement sont les suivants. En Allemagne, ce sont, entre autres, la nationalité, la résidence habituelle, la possibilité d’exécution du jugement, l’applicabilité du droit allemand. Par ailleurs, les éléments de rattachement admis par les tribunaux peuvent varier selon la nature du litige. Dans le cas d’un divorce, la nationalité ou la résidence habituelle suffiront ; en revanche, dans un litige de délit civil, la nationalité allemande ne suffira pas, tandis que la résidence habituelle ou la possibilité d’exécution du jugement en Allemagne suffiront. En Autriche, ce sont la nationalité, la résidence légale, la résidence habituelle, ou le lieu de siège d’un établissement. En Belgique, l’article 11 du code de droit international privé exige que la cause présente « des liens étroits avec la Belgique ». Cette exigence sera satisfaite si le demandeur est de nationalité belge, ou si son domicile ou sa résidence habituelle se trouvent en Belgique. La doctrine indique que tout autre élément de l’affaire peut être avancé pour établir une connexion avec la Belgique, comme par exemple la localisation de biens sur le territoire belge. En Estonie, aux termes de l’article 72 du code de procédure civile, c’est la nationalité estonienne du demandeur, le fait qu’il réside en Estonie, ou le fait que « l’affaire a[it] des liens étroits avec l’Estonie pour une autre raison » qui sont considérés comme liens de rattachement suffisants. En France, la jurisprudence exige que le litige présente avec la France une certaine attache (à déterminer par le tribunal). En Pologne, l’article 1099-1 § 1 du code de procédure civile prévoit que l’affaire doit présenter « un lien suffisant avec l’ordre juridique polonais ». La doctrine fournit certains exemples non exhaustifs d’un tel « lien suffisant », par exemple la résidence permanente ou temporaire des parties se trouve en Pologne, l’objet du litige se trouve sur le territoire polonais, le jugement peut être exécuté en Pologne, le demandeur a un intérêt juridique d’obtenir la protection judiciaire en Pologne, etc. D’autre part, la doctrine souligne qu’un « lien suffisant » implique quelque chose de plus que n’importe quel lien de proximité. Au Portugal, il doit y avoir un facteur de rattachement « suffisamment fort » entre le litige et l’ordre juridique portugais. Ce facteur, qui est déterminé et précisé par la jurisprudence, peut-être d’ordre personnel (nationalité portugaise ou résidence habituelle au Portugal) ou d’ordre patrimonial (le fait que le bien immeuble ou meuble en question se trouve au Portugal). En Roumanie, selon l’article 1069 du code de procédure civile, est compétent le tribunal « du lieu avec lequel le litige présente un lien suffisant ». Cette condition est analysée en fonction des faits de l’espèce ; un tel lien peut être, par exemple, la citoyenneté ou la résidence en Roumanie. Au Canada, l’application de l’exigence de proximité varie selon la province. L’article 3136 du code civil québécois exige que « le litige (...) présente un lien suffisant avec le Québec ». D’autres provinces n’exigent aucun lien de rattachement. En effet, le Yukon, la Nouvelle-Écosse et la Colombie Britannique ont adopté, avec quelques amendements mineurs, la loi modèle de 1994 sur la compétence judiciaire et le transfert de procédures, dont l’article 6 prévoit le for de nécessité sous la seule condition de l’impossibilité de porter l’action devant les tribunaux en dehors de la province en question. À ce jour, les juridictions canadiennes n’ont appliqué le principe du for de nécessité que dans deux affaires civiles. Une seule d’entre elles, Bouzari v. Bahremani ([2013], ONSC 6337), concernait des allégations de torture commise à l’étranger. Le demandeur dans cette affaire était le même que dans l’affaire Bouzari v. Islamic Republic of Iran (paragraphe 52 ci-dessus). Quant au défendeur, il s’agissait d’un particulier et, dès lors, l’immunité de l’État ne s’appliquait pas. Le juge de l’Ontario saisi de l’affaire a établi que l’Ontario était bel et bien le for de nécessité conformément à la jurisprudence ontarienne, car il n’y avait pas de base raisonnable sur laquelle le requérant aurait pu engager une action dans l’État où la torture avait prétendument eu lieu (c’est-à-dire en Iran). Le juge a déclaré que la charge de la preuve était passée dans le camp du défendeur, il appartenait de démontrer qu’il existait un for plus approprié pour examiner la demande. En 2015, la cour d’appel de l’Ontario a cependant annulé cette décision, considérant que le Royaume-Uni constituerait un for plus approprié, conformément au principe anglo-saxon du forum non conveniens (cf. infra). d) Le forum non conveniens Dans les États dotés d’un système juridique anglo-saxon (l’Irlande, le Royaume-Uni, ainsi que les États-Unis), le principe de for de nécessité n’existe pas. Leur systèmes de droit international privé comportent un autre principe, celui du forum non conveniens, qui est en quelque sorte l’opposé exact du for de nécessité. En vertu de ce principe, une juridiction nationale peut décliner sa compétence au motif qu’une juridiction, également compétente, située dans un autre État, serait objectivement un for plus approprié pour connaître d’un litige, c’est-à-dire devant lequel le litige peut être tranché de manière adéquate au regard des intérêts de toutes les parties et des fins de la justice (arrêt de 1986 de la Chambre des Lords, Spiliada Maritime Corporation/Cansulex Ltd, 1987, AC 460, spéc. p. 476). En particulier, une juridiction anglaise qui décide de décliner sa compétence en application de l’exception du forum non conveniens surseoit à statuer de telle sorte que la procédure, ainsi provisoirement suspendue, est susceptible d’être reprise dans l’hypothèse où il s’avérerait, notamment, que le for étranger n’est pas compétent pour connaître du litige ou que le demandeur n’a pas accès à une justice effective devant ce for.
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE La requérante est une société de droit portugais dont le siège social se trouve à Paço de Arcos. Le magazine « Visão », dont la société requérante est propriétaire depuis le 10 décembre 2008, publia le 7 octobre 2004 un article d’opinion sous le titre « L’éveil du président ? ». Dans cet article, le journaliste affirmait ce qui suit : « (...) M. fait preuve d’une grande précision lorsqu’il se borne à travailler sur les actes et les erreurs du gouvernement et de l’opposition. II est vrai qu’il a un problème avec P.S.L. [le Premier ministre], ou P.S.L. avec lui. C’est pourquoi, peut-être, le Premier ministre a sommé un peu lâchement son plus fidèle serviteur, R.G.S., le ministre des Affaires parlementaires, d’accuser M. d’être un menteur et un manipulateur et de le menacer de porter plainte contre lui devant la Haute autorité [pour la communication sociale]. Pour la simple raison qu’il n’est pas possible de revenir à l’époque de la censure, il propose désormais que dans la réglementation future des médias soit prévu le principe du contradictoire pour (...) le commentaire politique ! C’est-à-dire que l’opinion cesse d’être subjective pour être soumise à ces nouvelles règles du journalisme ! Une loi taillée sur mesure pour M. ! S’agirait-il d’un délire provoqué par la consommation de drogues dures ? D’une nouvelle originalité portugaise ? Ou tout simplement d’une bavure innommable ? ». Le 25 septembre 2007, P.S.L., Premier ministre du Portugal du 12 juillet 2004 au 12 mars 2005, saisit le tribunal d’Oeiras d’une action en responsabilité civile contre la société Edimpresa-Editora, Lda, ancienne propriétaire du magazine « Visão », et contre l’auteur de l’article. Il alléguait que l’article litigieux lui imputait la consommation de drogues dures et portait atteinte à sa réputation. D’après les dépositions de quatre des témoins indiqués par le demandeur, interrogés au cours des audiences tenues au tribunal d’Oeiras, l’article litigieux entretenait la confusion sur la consommation de drogues dures par celui-ci, d’autant plus que cette rumeur circulait à l’époque dans le milieu politique et social. Le tribunal d’Oeiras conclut comme suit son verdict du 28 mai 2010 sur les faits de la cause : « (...) Comme l’ont dit plusieurs témoins avec connaissance de cause en raison de leurs fonctions, une rumeur circulait [attribuant] au demandeur la consommation de drogues dures. L’article visait ainsi à faire écho à cette rumeur, la propager ou, pour ceux qui n’en étaient pas au courant, éveiller le doute des lecteurs. » Par un jugement prononcé le 22 septembre 2010, le tribunal d’Oeiras, faisant partiellement droit aux prétentions du demandeur, conclut que celui-ci avait subi une atteinte à sa réputation et condamna la société requérante, solidairement avec l’auteur de l’article, à payer 30 000 euros (EUR) au demandeur pour le préjudice moral causé par ladite atteinte, en application des articles 484 et 70 du code civil. Le tribunal d’Oeiras se prononça comme suit : « L) Le texte élaboré par la [requérante] créait un doute au sujet de la consommation de drogues dures par le demandeur, et il visait à communiquer cette allégation à l’opinion publique de façon à discréditer et à désavouer celui qui venait de prendre ses fonctions en tant que Premier ministre (...). M) Et il avait pour but de démontrer l’incapacité du demandeur à assumer les responsabilités de l’État ou à gérer les affaires étatiques, diminuant la confiance du public en sa capacité pour l’exercice de fonctions publiques. N) Et il visait à humilier et à ruiner l’image du demandeur. (...) » Le 4 octobre 2010, la société requérante interjeta appel de cette condamnation devant la cour d’appel de Lisbonne. Le 25 octobre 2010, le demandeur interjeta également appel du jugement : il considérait que le montant de la réparation était insuffisant eu égard au préjudice qu’il estimait avoir subi. Par un arrêt du 21 juin 2011, la cour d’appel de Lisbonne confirma le jugement du tribunal d’Oeiras, considérant que l’atteinte à la réputation de l’intéressé avait été commise avec dol. Elle releva notamment : – que l’article litigieux imputait indirectement au Premier ministre la consommation de drogues dures ; – que la partie de l’article correspondant à cette imputation ne relevait pas de l’exercice du droit d’informer et était, par conséquent, illicite ; – que l’article faisait naître un doute sur la consommation de drogues dures par le Premier ministre et qu’il ne se bornait pas à émettre une critique objective de la politique du gouvernement. La cour d’appel de Lisbonne s’exprima comme suit : « L) Le texte élaboré par la [requérante] créait un doute au sujet de la consommation de drogues dures par le demandeur, et il visait à communiquer cette allégation à l’opinion publique de façon à discréditer et à désavouer celui qui venait de prendre ses fonctions en tant que Premier ministre (...). M) Et il avait pour but de démontrer l’incapacité du demandeur à assumer les responsabilités de l’État ou à gérer les affaires étatiques, diminuant la confiance du public en sa capacité pour l’exercice de fonctions publiques. N) Et il visait à humilier et à ruiner l’image du demandeur. » « (...) En fait, étant établi que l’article litigieux soulevait un doute au sujet de la consommation de drogues dures par le demandeur force est de constater que [la requérante] porta atteinte à la réputation du demandeur se plaçant sous l’empire de la loi de la presse, du statut du journaliste et de l’article 484 du code civil. (...) » « (...) Compte tenu des faits établis en l’espèce, force est de constater que l’allégation [par la requérante] d’une simple critique objective à l’activité politique du pays manque d’appui factuel. (...) » La cour d’appel considéra en outre, en se référant aux dépositions de plusieurs témoins entendus au cours du procès, que des rumeurs sur la consommation de drogues dures par le Premier ministre, P. S. L., circulaient à l’époque de la publication de l’article précité. À cet égard, la cour d’appel s’exprima comme suit : « La question de l’existence ou non de rumeurs sur la consommation de drogues dures par [le demandeur], bien qu’elle ne figure pas dans la décision spécifiant les faits à établir (base instrutória), fut largement discutée tout au long de l’interrogatoire des témoins, car les conseils des parties les ont interpellés à ce sujet (...) ce qui signifie que les deux parties ont voulu clarifier cet aspect (...) » Le 29 juin 2011, la requérante et l’auteur de l’article se pourvurent en cassation devant la Cour suprême de justice. Par un arrêt du 14 février 2012, la Cour suprême de justice confirma l’arrêt de la cour d’appel de Lisbonne, considérant que l’article publié le 7 octobre 2004 avait constitué une attaque de nature personnelle à l’encontre du demandeur et qu’elle devait, dès lors, être qualifiée d’illicite. La Cour suprême de justice souligna que la société requérante, en publiant l’article litigieux, avait fait naître un doute inacceptable à l’égard du Premier ministre, puisque l’article laissait penser au public que ce dernier était un consommateur de drogues dures. Recherchant si la société requérante avait agi de bonne foi, la Cour suprême de justice estima que celle-ci ne s’était pas bornée à publier une critique politique sur un sujet d’intérêt général mais qu’elle avait dirigé une attaque personnelle et gratuite contre le Premier ministre. La Cour suprême de justice expliqua que, d’une part, l’affirmation litigieuse était dénuée de toute base factuelle puisque l’auteur de l’article n’avait pas dûment vérifié ses informations avant de le rédiger, et que, d’autre part, sous prétexte de critiquer le projet de modification législative proposé par le Premier ministre, l’article s’était mué en un commentaire visant directement l’intéressé. La Cour suprême de justice considéra ainsi comme établi que l’imputation de consommation de drogues dures dirigée contre le Premier ministre était injuste et que l’article litigieux n’avait pas été rédigé en conformité avec les règles déontologiques auxquelles sont soumis les journalistes. Par conséquent, alors qu’il n’existait pas de hiérarchie entre le droit de l’intéressé à la protection de l’honneur et le droit de la requérante à la liberté d’expression, elle décida en l’occurrence de faire prévaloir le premier sur le second. À cet égard, elle s’exprima comme suit : « (...) Les citoyens en général, et les journalistes en particulier, doivent pouvoir débattre ouvertement des questions d’intérêt général, sous peine de transformer la critique publique en [activité à] risque. Ils doivent pouvoir le faire sans considération du choc, de l’amertume, des traumatismes ou des troubles émotionnels que la critique peut engendrer. En effet, la protection du droit au respect de la réputation d’autrui est réduite de façon automatique lorsqu’il s’agit d’hommes politiques. (...) Les journalistes doivent pouvoir jouir d’une plus grande latitude pour des exagérations et (...) des provocations (...). L’activité journalistique doit cependant observer les principes déontologiques qui la régissent, dans le respect de la bonne foi, de manière à fournir des informations exactes et dignes de confiance. (...) L’article examiné ici, dans la partie portant sur (...) le « délire provoqué par la consommation de drogues dures », ne se place pas dans le champ de la critique objective et sérieuse (...). L’imputation n’étant pas (...) légitime, le conflit de droits entre les droits de la personnalité (direitos de personalidade), d’une part, et le droit à la liberté d’expression, d’autre part, se résout en l’espèce au détriment de la liberté d’expression (...) ». « (...) Le texte litigieux avait pour but de créer dans l’opinion un doute au sujet de la consommation de drogues dures par le demandeur, de façon à soulever des réserves sur celui qui venait de prendre ses fonctions en tant que Premier ministre, sur sa capacité à prendre les responsabilités de l’État, et en mettant en cause l’image et le prestige du demandeur et attaquant sa respectabilité d’homme politique (...) ». « Les déclarations de fait sont vraies ou fausses et elles supposent la nécessité de leur preuve. En revanche, les jugements de valeur ne pouvant certes être dénués d’une base factuelle n’imposent pas, en principe, la recherche de leur véracité, de leur caractère faux, ou de leur motivation émotionnelle ou rationnelle, pourvu que leur origine subjective soit immédiatement perceptible pour les destinataires. » « Le devoir de démonstration ne correspond pas au fait historique raconté ni à sa démonstration scientifique ou même judiciaire. Il sera satisfait par les exigences déontologiques des journalistes, qui ne devront pas se contenter de leur impression subjective, et observer des exigences qui imposent une base objective de laquelle puisse découler une croyance basée sur la vérité et dotée du même effet que celle-ci. (...) » Dans la mise en balance effectuée en l’espèce, la Cour suprême de justice a cité la jurisprudence de la Cour, notamment l’affaire Oberschlick c. Autriche, De Haes et Gijsels c. Belgique, Colombani et autres c. France, et Radio France et autres c. France. En exécution de l’arrêt de la Cour suprême de justice, la société requérante versa le 5 mars 2012 au demandeur l’intégralité du montant des dommages et intérêts auxquels elle avait été condamnée, soit 30 000 EUR. II. LE DROIT INTERNE PERTINENT Les dispositions pertinentes de la Constitution sont les suivantes : Article 26 « 1. Toute personne a droit (...) à l’honneur et à la réputation (...) et au respect de l’intimité de sa vie privée et familiale (...) ». Article 37 « 1. Toute personne dispose du droit (...) d’informer, de s’informer et d’être informée, sans interdictions ni discriminations ». Article 38 « 1. La liberté de la presse est garantie. La liberté de la presse implique : a) la liberté d’expression (...) pour les journalistes (...) ». Au moment des faits, les dispositions pertinentes du code civil se lisaient ainsi : Article 70 Protection générale de la personne « 1. La loi protège les individus contre les atteintes ou les menaces d’atteintes illicites envers leur personnalité physique ou morale. Sans préjudice à la responsabilité civile qu’engagerait l’atteinte, la personne visée peut demander des mesures adaptées aux circonstances de l’affaire dans le but d’éviter l’exécution d’une menace ou d’atténuer les conséquences d’une atteinte. » Article 335 Conflit de droits « 1. En cas de conflit entre les mêmes droits ou entre des droits de même nature, leurs titulaires devront faire des concessions dans la mesure du nécessaire pour que tous les droits produisent également leurs effets, sans défavoriser aucune des parties. » Article 483 Principe général « Quiconque, par un dol ou une faute simple, porte atteinte de manière illicite à un droit d’autrui ou à une quelconque disposition légale ayant pour but la protection des intérêts d’autrui doit indemniser la personne lésée pour les dommages résultant d’un tel acte. (...) » Article 484 Atteinte au respect et à la réputation « Quiconque énonce ou fait connaître un fait susceptible de porter atteinte au respect et à la réputation d’une personne physique ou morale répondra des dommages causés. » Article 487 Faute « (...) La faute est appréciée, à défaut d’autre critère prévu par la loi, selon le critère de la diligence d’un bon père de famille, en fonction des circonstances de chaque espèce. »
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Le requérant est né en 1977 et réside à Istanbul. A. La mise en détention provisoire du requérant Le 17 mars 2009, un juge de la cour d’assises d’Erzurum délivra un mandat d’arrêt contre le requérant, qui était soupçonné d’avoir mené des activités visant à provoquer la sécession d’une partie du territoire national en 1993 et 1994. Le 15 mai 2009, le requérant fut arrêté à Tuzla, un quartier d’Istanbul, situé à environ 1 200 km d’Erzurum, et traduit devant un juge du tribunal d’instance pénal de Tuzla. Le juge vérifia à cette occasion que le requérant était bien la personne visée par le mandat d’arrêt. Faisant application de l’article 94 § 1 du code de procédure pénale (« le CPP »), il ordonna ensuite le placement de l’intéressé en détention provisoire en vue d’assurer la comparution de ce dernier devant la cour d’assises d’Erzurum dans les vingtquatre heures. Le 12 juin 2009, la représentante du requérant contesta le mandat d’arrêt. Faisant observer que son client était détenu depuis le 15 mai 2009 à Istanbul, à la prison de Maltepe, et qu’il n’avait toujours pas été transféré à Erzurum, elle sollicitait son transfert vers cette ville dans les plus brefs délais. Le 25 juin 2009, le parquet d’Erzurum s’adressa au parquet de Tuzla, lui demandant de recueillir la déposition de l’intéressé et de libérer celui-ci. Le 26 juin 2009, le requérant fut entendu par le procureur de la République de Kartal. Le même jour, il fut traduit devant le tribunal d’instance pénal de Kartal, lequel ordonna sa remise en liberté. Toujours le même jour, le procureur de la République d’Erzurum rendit une ordonnance de non-lieu concernant le requérant. Il relevait qu’une ordonnance de non-lieu avait été rendue le 15 juillet 1994 au sujet des mêmes faits reprochés à ce dernier. Le requérant ne fut mis en liberté que le 29 juin 2009, soit trois jours après la décision du tribunal d’instance pénal de Kartal. B. L’action en indemnisation introduite par le requérant Le 7 juillet 2010, le requérant introduisit une action en indemnisation devant la cour d’assises de Kartal sur le fondement de l’article 141 du CPP. Il demandait 5 000 livres turques (TRY - environ 2 564 euros (EUR) à l’époque) pour dommage matériel et 15 000 TRY (environ 7 692 EUR à l’époque) pour dommage moral ainsi que des intérêts moratoires sur ces sommes. Dans sa requête, il alléguait que la durée de son incarcération, qu’il qualifiait d’excessive, et son maintien en détention du 26 au 29 juin 2009, selon lui contraire à la décision du tribunal d’instance pénal de Kartal relative à sa remise en liberté, lui avaient causé un préjudice. Par un jugement du 15 septembre 2011, la cour d’assises de Kartal conclut que la détention de l’intéressé entre le 15 mai 2009 et le 29 juin 2009 avait été irrégulière. Elle considérait qu’il y avait lieu d’octroyer au requérant 798,94 TRY (environ 327 EUR à l’époque) pour dommage matériel et 1 200 TRY (environ 492 EUR à l’époque) pour dommage moral ainsi que des intérêts moratoires sur ces sommes. À une date inconnue, le requérant se pourvut en cassation contre ce jugement. Par un arrêt du 27 mai 2013, la Cour de cassation rejeta le pourvoi en cassation formé par le requérant. II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS Les dispositions pertinentes en l’espèce du CPP, telles qu’en vigueur à l’époque des faits, étaient ainsi libellées : Article 94 « Lorsqu’une personne arrêtée dans le cadre d’une instruction ou d’un procès en vertu d’un mandat d’arrêt délivré par un juge ou un tribunal ne peut être déférée dans les vingt-quatre heures devant le juge ou le tribunal compétent, elle doit être traduite dans le même délai devant un juge du tribunal d’instance pénal le plus proche. Dans le cas où elle n’est pas remise en liberté, elle doit être placée en détention provisoire pour être déférée dans les plus brefs délais devant le juge ou le tribunal compétent. » Article 98 « Au stade de l’instruction, le juge du tribunal d’instance pénal peut délivrer, sur demande du procureur de la République, un mandat d’arrêt contre un suspect qui ne s’est pas présenté à une convocation ou qui ne peut être convoqué. (...) » Article 141 § 1 d) « 1) Dans le cadre d’une enquête ou d’un procès relatifs à une infraction, les personnes qui, : (...) d) même régulièrement placées en détention provisoire au cours de l’enquête ou du procès, ne sont pas traduites dans un délai raisonnable devant l’autorité de jugement et au sujet desquelles une décision sur le fond n’est pas rendue dans ce même délai, (...) peuvent demander à l’État l’indemnisation de tous leurs préjudices matériels et moraux. » Article 142 § 1 « La demande d’indemnisation peut être présentée dans les trois mois suivant la notification à l’intéressé du caractère définitif de la décision ou du jugement et dans tous les cas de figure dans l’année suivant la date à laquelle la décision ou le jugement est devenu définitif. » La Cour renvoie à son arrêt Salih Salman Kılıç c. Turquie (no 22077/10, § 11, 5 mars 2013) pour un aperçu de la jurisprudence de la Cour de cassation turque en matière d’interprétation et d’application des articles 94, 141 et 142 du CPP.
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Le requérant est né en 1947 et réside à Mardin. Il est le père de Nusret Kalkan, né en 1977 et décédé en 2008. Le 28 août 2008, alors qu’il se rendait sur une aire de pique-nique à Mardin pour y voir sa famille, Nusret Kalkan, membre de l’organisation armée illégale PKK, fut blessé par balle par les forces de sécurité. Il succomba à ses blessures lors de son transfert à l’hôpital public de Diyarbakır. Le procureur de la République de Midyat fut immédiatement informé. Il se rendit sur les lieux de l’incident vers 17 heures et ouvrit d’office une enquête pénale. Un procès-verbal de constat sur les lieux fut dressé. Il indiquait que la distance entre Nusret Kalkan et le gendarme auteur du tir était de 7,50 mètres au moment où celui-ci avait fait feu. Il ajoutait que la douille n’avait pas été retrouvée et que, selon l’équipe d’experts en recherche criminelle de la gendarmerie nationale de Midyat, elle était probablement tombée dans le ruisseau proche. Il précisait également que Nusret Kalkan avait tenté de s’enfuir en direction d’un bois. Les gendarmes trouvèrent dans un minibus dans lequel Nusret Kalkan avait été conduit à l’hôpital un chargeur et quinze cartouches de 9 mm. Leurs recherches sur l’aire de pique-nique leur permirent également de découvrir dans un sachet en plastique trente-huit cartouches, dont vingt-huit hors d’usage, et quinze explosifs en mauvais état. Ils ne trouvèrent pas d’arme sur les lieux. Un croquis de l’état des lieux de l’incident fut réalisé. Des clichés des lieux furent pris. Les membres de la famille du requérant présents sur les lieux de l’incident furent conduits au parquet de Midyat pour déposer en tant que témoins. Selon le requérant, ils ne furent remis en liberté que le lendemain. Ces témoins affirmèrent que Nusret Kalkan avait rejoint le PKK environ huit ans plus tôt, qu’ils ne l’avaient pas vu depuis plusieurs années et que sa venue sur l’aire de pique-nique les avait surpris. Ils ajoutèrent que Nusret Kalkan était en vêtements civils le jour de l’incident et qu’il n’était pas armé. Ils précisèrent qu’ils avaient soudain entendu un tir unique, non précédé d’une sommation, et que l’intéressé avait été touché d’une balle dans le dos. Le casier judiciaire de Nusret Kalkan fut vérifié. Il indiquait que l’intéressé était un membre actif du PKK depuis 2001, qu’il avait participé à plusieurs actes terroristes et qu’il était un fugitif recherché par les autorités. Il précisait notamment que Nusret Kalkan faisait l’objet d’un mandat d’arrêt depuis le 3 juillet 2007. Le gendarme E.D. fut entendu. Il fit notamment la déclaration suivante : « Nous avons reçu l’ordre de prendre position sur l’aire de pique-nique d’Özışık, à Mardin, en raison d’une information selon laquelle deux terroristes du PKK, Nusret Kalkan et Sabri Açıkça, allaient se rendre sur les lieux. Vers 16 heures, nous étions sur place. J’ai tout de suite reconnu Nusret Kalkan, car je l’avais déjà vu sur les photos des terroristes recherchés. Il était seul et armé. Lorsqu’il s’est approché de moi, j’ai lancé à voix haute : « Halte ! Gendarmerie ! Rends-toi ! » Il a alors sorti son arme et s’est mis à courir. Il courait vers les personnes qui étaient en train de pique-niquer. J’ai alors tiré une fois pour l’arrêter. Il était environ à quinze mètres de moi. Mon but n’était pas de le tuer mais seulement de l’arrêter. Il était en train de s’enfuir et, s’il entrait dans le bois, on ne pourrait plus l’arrêter. C’est pour cela que j’ai tiré. Son arme n’a pas été retrouvée sur les lieux. Je pense que quelqu’un l’a prise et l’a cachée ou jetée dans le ruisseau. » Un autre gendarme ayant participé à l’opération, M.U., fut également entendu. Il s’exprima ainsi : « Je fais partie du commandement de la gendarmerie de Mardin. Nous avons été informés de la présence de trois terroristes dans le secteur d’Özışık. Nous nous y sommes rendus avec une équipe de huit soldats. Nous étions en tenue civile par mesure de discrétion. Nous avons commencé à attendre. J’attendais avec mon commandant, E.D. Les autres ont pris position autour de l’aire de pique-nique. Vers 17 heures, nous avons vu une personne qui marchait vers nous. C’était Nusret Kalkan. Il avait la chemise ouverte et un pistolet à la ceinture. Comme mon commandant l’avait déjà vu sur des photos, il l’a tout de suite reconnu. Lorsqu’il s’est approché de nous, à environ trois mètres, mon commandant a lancé à voix haute : « Halte ! Rends-toi ! » Nusret Kalkan a mis la main sur son pistolet et a commencé à courir. Mon commandant a alors tiré pour le blesser et l’empêcher ainsi de prendre la fuite. Nusret Kalkan a reçu la balle dans le haut du corps, car il s’était baissé. Il était environ à sept mètres de nous. Nous ne sommes pas intervenus tout de suite, car nous pensions qu’il y avait d’autres terroristes dans le secteur. Les proches de Nusret Kalkan l’ont porté dans un minibus et ils ont pris la route en direction de Nusaybin. Nous avons arrêté le minibus. Il y avait quatre personnes qui accompagnaient le blessé. Nous avons demandé s’ils connaissaient Nusret Kalkan. Après vérification, nous avons demandé à deux personnes de descendre du véhicule. L’une d’elles était la sœur de Nusret Kalkan. L’autre personne était un jeune homme qui a dit ne pas connaître le blessé. Un policier et moi-même sommes montés dans le minibus afin d’emmener le blessé à l’hôpital public de Nusaybin. Par la suite, [Nusret Kalkan] a été transféré en ambulance d’abord à l’hôpital public de Mardin puis à l’hôpital public de Diyarbakır. D’après ce que j’ai vu, Nusret Kalkan était bien armé. Il portait son arme à la ceinture, dans un étui blanc. » Le procès-verbal de l’opération rédigé par la gendarmerie fut examiné. Les passages pertinents en l’espèce se lisent comme suit : « Le 28 août 2008, nous avons appris que les familles Sanamali et Kalkan allaient pique-niquer sur l’aire de pique-nique d’Özışık, à Mardin. Selon nos informations, Nusret Kalkan et Sabri Açıkça, deux terroristes recherchés, devaient également s’y rendre. Vers 16 heures, nous étions sur les lieux. Nous les avons sécurisés. Nous avons commencé à attendre et à surveiller l’endroit. L’un des gendarmes, qui avait déjà vu des photos de Nusret Kalkan, l’a identifié. Il a constaté qu’il était armé et qu’il portait son arme dans un étui à la ceinture. Il lui a ordonné à voix haute de se rendre immédiatement. Nusret Kalkan ne s’est pas rendu. Il a pris la fuite avec son arme à la main. Il courait vers les personnes qui étaient en train de pique-niquer, en direction du bois. Comme il n’y avait pas d’autre moyen de l’arrêter, le gendarme a tiré un seul coup de feu. Nusret Kalkan a été blessé. Il n’a pas pu être sauvé. Il est décédé lors de son transfert de l’hôpital public de Mardin à l’hôpital public de Diyarbakır. » À l’hôpital public de Diyarbakır, un examen externe du corps de Nusret Kalkan fut effectué en présence du procureur de la République. Une autopsie classique fut également pratiquée sous la supervision du procureur. Le rapport d’autopsie mentionnait qu’il s’agissait d’une personne mesurant 1,76 m et pesant 70 kg. Il indiquait également la présence de l’orifice d’entrée d’une balle dans le dos et d’un orifice de sortie au niveau du poumon gauche. Le rapport concluait que la mort était due à une hémorragie pulmonaire et digestive causée par l’impact d’une balle tirée à longue distance. Le 25 septembre 2008, le requérant porta plainte contre les forces de sécurité ayant participé aux événements du 28 août 2008. Il affirma que celles-ci auraient pu procéder autrement pour arrêter son fils sans tirer sur lui. Selon le requérant, Nusret Kalkan n’était pas armé et il était en civil. Le requérant ajouta que, selon les dires des témoins oculaires, les forces de sécurité avaient ouvert le feu sur son fils sans aucune sommation. Il soutint également que les autorités étaient au courant de sa venue et qu’elles auraient dû mettre en place toutes les mesures nécessaires à la protection du droit à la vie du jeune homme. Le 12 janvier 2009, le procureur de la République de Midyat rendit une ordonnance de non-lieu au motif que les forces de sécurité avaient fait usage de la force conformément à l’article additionnel 2 de la loi no 3713 relative à la lutte contre le terrorisme. Dans ses motifs, il mentionnait que celles-ci, informées de la venue de Nusret Kalkan, s’étaient rendues sur les lieux et qu’elles avaient aperçu le fils du requérant muni d’un étui à pistolet. Pensant qu’il était armé, elles l’auraient sommé verbalement de s’arrêter. Le fils du requérant aurait refusé d’obéir à la sommation. Il se serait mis à courir vers un bois en se baissant pour tenter de s’échapper. Les forces de l’ordre auraient alors tiré une seule fois pour l’arrêter, le touchant mortellement. Le 2 février 2009, le requérant contesta cette décision par l’intermédiaire de son avocat. Le 19 février 2009, la cour d’assises de Mardin annula l’ordonnance de non-lieu et renvoya le dossier au parquet de Midyat. Le procureur de la République de Midyat déféra devant la cour d’assises de Midyat le gendarme E.D., auteur du tir. Il requit l’acquittement de celui-ci au motif qu’il avait fait usage d’une arme à feu dans le respect de la loi pour arrêter un suspect recherché en train de s’enfuir malgré une sommation de se rendre immédiatement. À une date non précisée, le requérant se constitua partie intervenante au procès. Lors des audiences de la cour d’assises, plusieurs personnes furent entendues. Elles s’exprimèrent notamment comme suit : L’inculpé, le gendarme E.D. : « J’ai agi conformément à la loi. J’ai averti Nusret Kalkan à voix haute avant de tirer. Il ne s’est pas arrêté et a commencé à courir pour s’enfuir. J’ai tiré en visant ses jambes, mais il a reçu la balle dans le dos, car il s’était baissé. Si on l’avait laissé entrer dans le bois en direction de la montagne, il nous aurait été impossible de le rattraper. Il était bien armé. D’ailleurs, le chargeur de son pistolet a été retrouvé par la suite dans le minibus. Je demande mon acquittement. » La partie intervenante, Ramazan Kalkan : « Je n’ai pas vu ce qui s’est passé le jour de l’incident. Au regard des faits, je demande la condamnation du gendarme qui a tué mon fils. » L’avocat de la partie intervenante : « Nous souhaitons la condamnation du gendarme E.D. Il n’y a aucun élément dans le dossier prouvant que Nusret Kalkan était armé. D’ailleurs, aucune arme n’a été retrouvée sur les lieux de l’incident. Les autorités auraient dû l’arrêter sain et sauf. Or elles ont préféré lui tirer dessus et l’ont blessé mortellement d’une balle dans le dos. » Le témoin Ş.S. : « Alors que nous étions depuis environ une heure sur l’aire de pique-nique, j’ai entendu un coup de feu. J’ai vu quelqu’un à terre. Il était à cinq, six mètres de moi. Nous avons couru vers lui pour lui porter assistance. Nous l’avons porté dans mon véhicule. Je n’avais jamais vu la victime auparavant, je ne la connaissais pas. Sur la route, les forces de l’ordre nous ont arrêtés. Ils ont procédé à une vérification d’identité et nous ont demandé où on allait. On leur a expliqué ce qui s’était passé. Ils ont voulu savoir qui était blessé. İ.K. leur a dit que c’était son frère. Ils ont alors demandé si c’était bien Nusret Kalkan. Elle a répondu par l’affirmative. Ils ont ordonné à tout le monde de descendre du véhicule. Ils l’ont fouillé, puis İ.K., deux gendarmes en civil et moi avons pris la route pour aller à l’hôpital de Nusaybin. Je ne sais pas ce qui s’est passé par la suite. La victime ne portait qu’un pantalon et un T-shirt. Je n’ai vu ni arme ni étui ni chargeur. Je n’ai entendu aucune sommation précédant le coup de feu. » Le témoin K.S. : « İ.K. avait organisé un pique-nique et nous nous y sommes rendus avec les enfants. J’étais à cent mètres du lieu de l’incident. Je n’ai entendu qu’un seul coup de feu. Je n’ai pas tout de suite réalisé que c’était un tir d’arme à feu. Je n’ai pas vu ce qui s’est passé. On m’a dit que mon mari, Ş.S., avait accompagné un blessé à l’hôpital. » Le témoin H.K. : « Nusret Kalkan était mon beau-frère. Il y a environ huit, neuf ans, avant d’aller à Istanbul, il était souvent placé en garde à vue. Il est allé là-bas pour étudier dans de meilleures conditions. Je ne sais pas comment il est arrivé sur l’aire de pique-nique. Alors que j’étais en train de m’occuper des enfants, j’ai entendu un coup de feu. Je n’ai pas vu ce qui s’est passé. Je ne savais même pas que c’était mon beau-frère qui avait été blessé. Je l’ai appris par la suite. » Le témoin D.K. : « Nusret Kalkan était mon frère. Quand il vivait à Mardin, il était souvent placé en garde à vue. Il est allé étudier à Istanbul, mais il a eu les mêmes problèmes là-bas. Il y a environ trois, quatre ans, il a rejoint le PKK. Le jour de l’incident, je ne savais pas que mon frère allait venir nous voir. Je l’ai vu se diriger vers nous, il était en civil, il était à cinquante mètres environ de moi. Il n’était pas armé. J’ai soudain entendu un coup de feu. Mon frère est tombé par terre. Les forces de l’ordre sont arrivées. J’ai tout de suite compris que c’étaient les soldats qui avaient tiré sur mon frère. Je ne les avais pas vus avant. Je ne les avais pas non plus entendus. Il n’y a eu aucune sommation avant le coup de feu. Nous avons transféré [Nusret Kalkan] à l’hôpital dans un minibus. Les forces de l’ordre nous ont arrêtés en cours de route. Elles nous ont dit qu’un blessé avait besoin de sang. Je leur ai dit que j’étais son frère et que je pouvais lui donner mon sang. Ils nous ont fait attendre environ une demi-heure. Puis ils nous ont annoncé que le problème était réglé et qu’il n’y avait pas besoin de sang. Deux soldats nous ont ensuite accompagnés à l’hôpital. » Le témoin Z.G. : « Nusret Kalkan était le fils de ma tante. D’après ce que j’ai entendu, il faisait partie du PKK. Le jour de l’incident, à la fin du pique-nique, j’ai entendu un coup de feu. Je n’ai pas vu ce qui s’est passé. On m’a dit que Nusret Kalkan avait été touché d’une balle. » Le témoin N.K. : « Je croyais que mon frère vivait à Istanbul. Le jour de l’incident, j’ai appris qu’il faisait partie du PKK. Entre 15 et 16 heures, j’ai entendu un coup de feu. J’ai vu quelqu’un tomber à terre. Il était derrière moi, à quatre ou cinq mètres. Il n’était pas armé. Je ne savais même pas que c’était Nusret Kalkan qui avait été blessé. On a couru vers lui pour l’aider et à ce moment-là les forces de l’ordre en civil nous ont entourés. » Le témoin A.D. : « Je ne connais pas Nusret Kalkan. Le jour de l’incident, j’étais sur les lieux pour participer à un pique-nique organisé. Je n’ai pas vu ce qui s’est passé. » Le témoin Ş.K. : « J’habite à Istanbul. Nusret Kalkan était mon beau-frère. Je ne l’avais pas vu depuis longtemps. Je savais qu’il avait rejoint le PKK. Le jour de l’incident, j’étais sur les lieux. Soudain, j’ai entendu un coup de feu. J’ai vu quelqu’un à terre, blessé. J’ai couru vers lui avec quelques autres qui étaient sur place. Je me suis alors rendu compte que c’était mon beau-frère. Il portait un jean et un T-shirt. Il n’avait pas d’arme sur lui. Je n’ai pas entendu d’autre bruit que celui du tir. Nusret Kalkan était à environ trente mètres de moi. » Le témoin S.K. : « Nusret Kalkan était mon grand frère. Tout ce que je sais, c’est qu’il vivait à Istanbul depuis de longues années. Je ne sais pas ce qu’il y faisait. Je n’avais aucun contact avec lui. J’étais sur l’aire de pique-nique avec mes parents. J’ai entendu un seul coup de feu. Quelqu’un qui était environ à vingt mètres de moi est tombé à terre. Il était habillé d’un jean et d’un T-shirt. J’ai appris par la suite que c’était Nusret. Je n’ai pas vu s’il marchait ou s’il courait au moment où on lui a tiré dessus. Je n’ai entendu aucun bruit précédant le tir. Il n’y avait personne autour de lui au moment du tir. » Le témoin İ.K. : « Nusret Kalkan était mon frère. Il était un membre actif du PKK. Je pique-niquais avec mes parents le jour de l’incident. Soudain, j’ai entendu un coup de feu. Quelqu’un qui était à vingt ou trente mètres de moi est tombé à terre. J’ai couru vers lui et j’ai vu que c’était Nusret. Il m’a demandé de l’emmener à l’hôpital. Il portait un jean et un T-shirt. On a tout de suite pris la route pour le conduire à l’hôpital. Les gendarmes nous ont arrêtés en cours de route. Ils voulaient savoir qui était la personne blessée. Ils ne nous ont pas laissés repartir tout de suite. On a perdu environ vingt minutes. Des soldats nous ont accompagnés à l’hôpital. Puis on a perdu du temps pour trouver le chemin de l’hôpital. » La cour d’assises releva que Nusret Kalkan avait reconnu son appartenance au PKK lors d’une audition le 5 mars 1999, qu’il avait déclaré qu’il en était fier et que, à moins d’être arrêté, il continuerait ses activités. La cour d’assises nota également que, lors de sa déposition en date du 7 avril 2006, un membre du PKK avait reconnu Nusret Kalkan sur photo et l’avait désigné comme étant un membre armé du PKK notamment actif dans la région de Savur, à Mardin. Selon lui, l’intéressé avait participé à une opération armée dirigée contre les forces de l’ordre en 2005 à Nusaybin. La cour d’assises ajouta que quatre autres témoignages de membres du PKK, recueillis à des dates différentes, avaient confirmé cette déposition et que celle-ci avait également permis de comprendre que Nusret Kalkan était entré dans l’organisation en 2001 et qu’il y utilisait le pseudonyme Agit. La cour d’assises releva également que Nusret Kalkan était recherché par la justice depuis le 3 juillet 2007 dans le cadre d’un procès pénal dirigé à son encontre pour appartenance à une organisation illégale armée et pour activités visant à provoquer la sécession d’une partie du territoire national. Le 15 octobre 2009, la cour d’assises de Midyat décida de dispenser E.D. de toute sanction pénale au motif que celui-ci avait agi dans le cadre de la loi. Elle s’exprima notamment comme suit : « (...) Le jour de l’incident, l’accusé E.D. était en mission pour arrêter Nusret Kalkan, un membre d’une organisation illégale armée, à savoir le PKK. [L’intéressé] était activement recherché par la justice. E.D. avait pris position avec son équipe sur l’aire de pique-nique d’Özışık, à Mardin. Ils avaient été informés que Nusret Kalkan viendrait sur les lieux. Ils ont sécurisé les lieux et, dès que E.D. l’a vu, il l’a sommé à voix haute de s’arrêter et de se rendre immédiatement. Nusret Kalkan a commencé à courir vers le bois pour s’enfuir. Afin de l’en empêcher, E.D. lui a tiré dessus. Nusret Kalkan, ayant été formé par l’organisation terroriste, a tenté d’éviter le tir en se baissant et en faisant des zigzags. Il a reçu la balle dans le dos et a été blessé. Ses proches l’ont tout de suite porté dans un minibus pour l’emmener à l’hôpital. Les forces de l’ordre ont arrêté le minibus et ont accompagné le blessé à l’hôpital. La fouille du véhicule appartenant à Ş.S. a permis de découvrir un chargeur et des cartouches mais aucune arme n’a été trouvée. Étant donné que Nusret Kalkan était recherché par la justice en tant que membre actif d’une organisation illégale armée, qu’il n’avait pas obtempéré à la sommation qui lui avait été faite à voix haute de s’arrêter immédiatement et qu’il avait tenté de s’enfuir en courant vers le bois, le prévenu, qui a tiré un seul coup de feu en visant ses jambes dans le seul but de l’arrêter, était bien dans son droit de faire usage de son arme, ce qu’il a fait conformément aux règles régissant l’utilisation des armes à feu en cas de nécessité (...) » Le même jour, par l’intermédiaire de son avocat, le requérant se pourvut en cassation de l’arrêt du 15 octobre 2009. Le 4 juillet 2012, la Cour de cassation confirma l’arrêt de première instance en interprétant celui-ci comme étant une décision d’acquittement. II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS L’article 448 du code pénal sanctionne l’homicide volontaire par une peine de vingt-quatre à trente ans de réclusion. L’article 452 de ce code énonce que, en cas de décès survenu à la suite de coups et blessures infligés sans intention de donner la mort, l’auteur est passible d’au moins huit années de réclusion. Quant au pouvoir des forces de l’ordre de faire usage d’armes à feu, l’article 7 § 1 a) de la loi no 2803 du 12 mars 1983 relative à l’organisation, à la compétence et aux attributions de la gendarmerie donne pour mission aux gendarmes de prendre toutes les mesures nécessaires à la sauvegarde de l’ordre et de la sécurité publics ainsi qu’à la prévention de la contrebande et de la commission d’autres délits. Dans ce contexte, l’article 11 de ladite loi habilite les gendarmes à faire usage d’armes à feu dans l’exercice de leurs fonctions, selon les cas prévus par le droit interne à cette fin. L’article 40 du règlement d’application de la loi no 2803 susmentionnée énonce que recourir à une arme à feu ne signifie pas forcément faire feu et que le tir doit être l’ultime recours. Il précise que la priorité doit être donnée à l’usage des moyens de défense non létaux, propres à contenir et contrôler l’individu dangereux, et que, lorsque ces moyens se révèlent inefficaces, il faut avancer vers l’individu en présentant l’arme à des fins dissuasives. Il préconise d’utiliser la crosse en cas d’échec et, si le but n’est toujours pas atteint, les parties « davantage contondantes ou coupantes » de l’arme, et, enfin, en dernier recours seulement, de faire feu. En tout état de cause, toujours selon le même article, le recours à une arme à feu implique trois phases consécutives : d’abord, l’agent des forces de l’ordre tire trois coups de sommation en l’air, puis il vise les pieds de l’individu en cas de refus d’obtempérer ; le feu à volonté n’est autorisé que s’il n’y a aucun autre moyen de contrôler la situation. Cependant, l’article 40 de ce règlement n’exclut pas de pouvoir déroger à cette règle en fonction des particularités de chaque situation. Il admet qu’il peut y avoir des cas justifiant que l’on ouvre directement le feu sur l’individu. Il précise qu’il est alors impératif de dresser un procès-verbal expliquant clairement les raisons ayant nécessité un tel geste. Par ailleurs, selon l’article additionnel 2 de la loi no 3713 relative à la lutte contre le terrorisme, tel qu’amendé par la loi no 5532 du 29 juin 2006, lorsque les membres d’organisations terroristes n’obtempèrent pas à une sommation et tentent d’utiliser une arme, les forces de l’ordre peuvent utiliser leurs armes à l’encontre des cibles, d’une manière équilibrée et proportionnée, afin de parer au danger. Enfin, la partie pertinente en l’espèce de l’article 16 de la loi no 2559 relative aux attributions et obligations de la police, tel qu’il a été modifié par la loi no 5681 publiée au Journal officiel le 14 juin 2007, se lit comme suit : « La police (...) c) peut faire usage d’armes à feu aux fins d’arrêter une personne faisant l’objet d’un mandat de détention ou d’arrestation (...) ou un suspect en flagrant délit, dans la mesure nécessaire à cet effet. Avant de faire usage d’armes à feu, la police (...) doit d’abord dire « halte ! » (...) Si la personne continue à fuir, la police peut tirer un coup de sommation. Si, nonobstant ces avertissements, la personne continue à fuir et si aucun autre moyen de l’arrêter n’est envisageable, la police peut faire usage d’armes à feu aux fins d’arrêter la personne, dans la mesure nécessaire à cet effet (...) » Pour les principes internationaux concernant l’utilisation des armes à feu par les forces de l’ordre, voir l’arrêt Aydan c. Turquie (no 16281/10, §§ 47-48, 12 mars 2013).
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Le requérant est né en 1937 et réside à Casatenovo (Lecco). Les faits de la cause, tels qu’ils ont été exposés par les parties, peuvent se résumer comme suit. Le requérant fut salarié de la société IBM pendant 32 ans, dont 23 en tant que dirigeant. En novembre 1994, la direction de la société lui signifia son licenciement avec préavis d’un an à partir du 1er janvier 1995. Le licenciement prit effet le 17 juin 1996. La procédure interne Sur le déclassement professionnel Se considérant victime de déclassement professionnel, le requérant introduisit, à une date non précisée, une requête en urgence devant le juge d’instance de Milan (pretore), au sens de l’article 700 du code de procédure civile (CPC), afin d’obtenir la suspension conservatoire (provvedimento cautelare) de l’acte de déclassement. Le juge fit droit à sa demande. En août 1995, il entama une procédure au fond en demandant la réintégration dans son poste de « directeur consultant produits », l’attribution d’un bureau individuel et une indemnisation en raison de la réduction salariale subie. Dans son mémoire, la société indiqua, entre autres, que le licenciement du requérant faisait partie d’un plan de licenciement collectif. Par décision du 29 août 1997, le juge d’instance condamna la société à indemniser le requérant de la différence salariale non versée entre mai 1995 et juin 1996, en rejetant le restant de la demande, l’objet du litige ayant cessé d’exister suite à la prise d’effet du licenciement. Le 13 octobre 1998, suite à l’appel introduit par la société défenderesse, le tribunal de Milan infirma cette décision. Sur le licenciement Le 11 janvier 1995, le requérant contesta sans succès le licenciement par voie extrajudiciaire devant la direction départementale du travail (DPT). En 1999 et en 2004, deux tentatives de transaction auprès de la DPT échouèrent. Le 3 septembre 2004, le requérant assigna en justice la société devant le juge du travail de Milan, en demandant la déclaration de nullité ou d’inefficacité du licenciement et la réintégration dans son poste sur le fondement de l’article 18 de la loi no 300 du 20 mai 1970. Il contesta notamment la violation des garanties prévues aux articles 4, 5 et 24 de la loi no 223 du 23 juillet 1991 relative aux normes en matière de chômage technique, mobilité, allocations de chômage, mise en œuvre de directives communautaires, placement de main-d’œuvre et des autres dispositions relatives au marché du travail. Cette loi transpose en droit interne la règlementation communautaire en matière de licenciements collectifs. Le 12 mai 2005, le juge déclara le recours irrecevable. Il observa que la relation de travail avait cessé sans aucune réserve formulée par le requérant. En outre, il estima que la question litigieuse était liée aux conclusions de la décision du juge d’instance du 1997, ayant acquis depuis force de chose jugée. Le 24 juin 2005, le requérant fit appel de la décision, en demandant également la saisine de la Cour de Justice de l’Union européenne (CJUE) d’une question préjudicielle sur la compatibilité de la loi no 223/1991 avec la directive 98/59/CE. Le 23 janvier 2007, la cour d’appel de Milan, tout en les déclarant recevables, rejeta sur le fond les allégations du requérant. Elle estima que, en vertu de l’article 4, paragraphe 9, de la loi no 223/1991, la catégorie des dirigeants ne pouvait bénéficier de la protection découlant de la loi no 223/1991. Le 13 novembre 2007, le requérant se pourvut en cassation. Dans l’unique moyen, il attaqua l’exclusion des dirigeants comme étant contraire à la législation européenne, en particulier à l’article 1 de la directive 98/59, tel qu’interprété par la CJUE. Les parties pertinentes de son mémoire sont rédigées dans les termes suivants : « Moyen – Violation ou mauvaise application de la loi La cour d’appel de Milan, dans l’arrêt attaqué, après avoir correctement censuré la décision rendue par le juge de première instance, dans la partie où il avait considéré que la force de chose jugée d’une décision rendue en matière de déclassement professionnel trouvait à s’appliquer dans une procédure portant sur une demande de nullité du licenciement et sur l’application de la réintégration (reintegrazione nel posto di lavoro), a violé ou fait une mauvaise application de la loi, en considérant que l’article 24 de la loi 23/7/1991 no 223 n’était pas applicable à la catégorie des dirigeants. Et ce, en vertu du renvoi à l’article 4, paragraphe 9, selon lequel : « Une fois obtenu l’accord syndical, ou à l’issue de la procédure aux sens des paragraphes 6, 7 et 8, l’entreprise a la faculté de placer sur les listes de mobilité les salariés, les ouvriers et les cadres dont les postes sont excédentaires (omissis) ». Ceci, sans ambigüité aux yeux de la cour (d’appel), permit d’exclure la catégorie des dirigeants. (...) Cette interprétation est clairement absurde si on considère que la (...) loi 223/91 représente la transposition de la directive de la Communauté européenne (aujourd’hui directive 98/59/CE), adoptée sur le fondement de la résolution du Conseil européen du 21 janvier 1974 tendant au rapprochement des législations des États membres en matière de licenciements collectifs. Or, ladite directive, notamment son article 1, non seulement ne fait aucune distinction entre catégories de travailleurs, mais elle ne concède pas non plus la faculté aux États membre de faire une quelconque distinction au moment de sa transposition dans le système national. Aux fins du calcul du quorum qui définit le champ d’application d’un licenciement collectif, on retrouve dans la directive une uniformité d’application à l’égard de tous les travailleurs employés par de sociétés privées, à condition qu’ils n’aient pas été licenciés pour des raisons individuelles et, en plus, selon l’interprétation de cette disposition (article 1 de la directive) rendue par la Cour de Justice (CJUE), elle empêche aussi qu’une norme interne ou nationale puisse exclure, même temporairement, une catégorie déterminée de travailleurs du calcul du nombre de travailleurs employés. Précise et décisive, à cet égard, a été la décision rendue par la deuxième section de la Cour de Justice le 18.01.07 dans l’affaire C-385/05 relative à la question préjudicielle soulevée par le Conseil d’État français : « L’article 1, alinéa 1a), de la directive 98/59/CE du Conseil, du 20 juillet 1998, concernant le rapprochement des législations des États membres relatives aux licenciements collectifs, doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une réglementation nationale qui exclut, fût-ce temporairement, une catégorie déterminée de travailleurs du calcul du nombre de travailleurs employés prévu par cette disposition ». (...) En outre, il y a lieu de relever que la Cour Constitutionnelle a établi depuis longtemps (arrêts no 113/1985 et no 389/1989) que les décisions d’interprétation de la Cour de Justice doivent être aussitôt appliquées, comme les normes de droit communautaire et considérées comme jus superveniens. Cela dit (...), il faut considérer que le passage prévu à l’article 4, alinéa 9, de la loi 223/91, dans la partie où il énumère les catégories que l’employeur peut placer dans les listes de mobilité, et où il n’apparait pas celle des dirigeants, devait soit être écarté par la cour d’appel de Milan, soit, au moins, faire l’objet (...) d’un renvoi préjudiciel à la Cour de Justice, par ailleurs demandé par le requérant, au sens de l’article 234, paragraphe 2, TCE, dans le but de vérifier la conformité de la législation nationale, qui soutenait la doctrine d’exclusion des dirigeants, aux dispositions de la directive. Attendu - que, pourtant, la décision attaquée doit être nécessairement infirmée pour violation ou mauvaise application de la loi et que, au sens de l’arrêt de la Cour Constitutionnelle no 170/1984, il doit être fait application de l’arrêt d’interprétation de la Cour de Justice du 18/01/2007 rendu sur l’article 1 de la directive 98/59/CE, qui semble confirmer l’inexistence d’une exclusion de catégories de travailleurs de la protection réelle contre les licenciements collectifs ; - que, à titre subsidiaire, cette estimable Cour de cassation, aux sens de l’article 234, paragraphe 3, TCE, peut adresser une question préjudicielle à la Cour de Justice en vue de connaître si l’article 4, paragraphe 9, de la loi no 223/91 est ou non conforme aux dispositions de l’article 1 de la directive 98/59/CE, dans la mesure où son application semble limiter celle de la directive, en excluant la catégorie des dirigeants du calcul des travailleurs licenciés ; En considérant Tout ce qui vient d’être exposé, l’ingénieur Gino Trevisanato, ut sopra représenté, domicilié et défendu, Demande Que cette très illustre Cour suprême, contrariis rejectis, Veuille À titre principal Relever le conflit flagrant entre la législation européenne directement applicable, à savoir l’article 1 des directives 92/56/CE et 98/56/CE du Conseil, et la disposition prévue à l’article 4, alinéa 9, de la loi no 223 du 1991 qui, dans la décision contestée, est prise comme fondement de l’exclusion d’application de la loi 223/91 à l’égard des dirigeants ; Relever qu’il faut appliquer, aux sens des arrêts de la Cour Constitutionnelle nos 113/1985 et 389/1989, l’interprétation fournie par la Cour de Justice en date du 18/01/2007 selon laquelle l’article 1, no 1, let. a) de la directive du Conseil 98/56/CE du 20/07/1998 doit être interprété dans le sens qu’il s’oppose à une législation nationale qui exclut, même temporairement, une catégorie déterminée de travailleurs du calcul de travailleurs employés, prévus par cet article et, à cet effet et a fortiori, du calcul des travailleurs licenciés, également prévus par cette disposition. Infirmer la décision no75 de la cour d’appel de Milan, rendue le 23/01/2007, qui n’a pas écarté la disposition mentionnée en faveur de la législation communautaire, en violant de cette manière ou en faisant une mauvaise application de la loi qui, aux sens de l’article 384 du code de procédure civile, comporte la formulation du principe de droit, à appliquer par le juge de renvoi, ou la décision au fond, compte tenu de l’existence d’un licenciement collectif, aux sens de l’article 24 de la loi no 223 du 1991, régulièrement contesté en vertu de la loi. À cet égard, on rappelle que, comme dans les recours de première et deuxième instances, les demandes concernent la vérification et la déclaration de nullité et/ou d’inefficacité du licenciement pour violation des articles 4, 5, et 24 de la loi no 223 du 1991 et l’application qui s’ensuit, prévue à l’article 5, troisième paragraphe, de l’article 18 de la loi 300/1970 qui prescrit la réintégration en service du requérant et le versement d’une indemnité (...). À titre subsidiaire Vu l’article 224, paragraphe 3, TCE, Suspendre la présente procédure et Poser à la Cour de Justice (CJUE) une question préjudicielle portant sur la conformité de la norme interne, à savoir l’article 4, paragraphe 9 de la loi 223/1991, qui a permis d’exclure la catégorie des dirigeants de la protection sur les licenciements collectifs prévues, au contraire, pour tous les travailleurs salariés dans les directives 92/56/CE et 98/59/CE, et notamment du calcul prévu à l’article 1 des directives mentionnées. (...) » Le 28 octobre 2010, la Cour de cassation, conformément à l’article 366bis du CPC, applicable en vertu de l’article 27, alinéa 2, du décret législatif no 40/2006 et de l’article 47 de la loi no 69/2009, déclara le pourvoi irrecevable faute de formulation adéquate et appropriée du point de droit (quesito di diritto). Le 20 avril 2011, le requérant introduisit une demande en révision devant la Cour de cassation, déclarée irrecevable le 22 décembre 2011. Sur l’action en responsabilité contre la présidence du Conseil des ministres Le 29 août 2013, sur le fondement de l’article 2 de la loi no 117/1988 relative à la responsabilité civile des magistrats dans l’exercice de leurs fonctions, le requérant présenta une action en responsabilité contre la présidence du Conseil des ministres devant le tribunal de Milan. Le recours a été déclaré irrecevable le 22 janvier 2015. II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS La procédure devant la Cour de cassation est réglée par les articles du Titre III, chefs I et III, du code de procédure civile (CPC). L’article 360 CPC prévoit les cas où un pourvoi peut être formé contre une décision prononcée en appel (ou, dans des cas exceptionnels, prononcée en première instance) pour application incorrecte de règles de droit. La version de l’article applicable au moment des faits était ainsi libellée : « Art. 360 (Décisions susceptibles de pourvoi et motifs de recours) Les arrêts prononcés en appel ou en première instance peuvent être contestés par le biais d’un pourvoi en cassation : 1) pour des motifs relatifs à la juridiction ; 2) pour des violations des normes sur la compétence, lorsque le règlement de compétence n’est pas prescrit ; 3) pour des violations ou des mauvaises applications de normes de droit et de contrats ou accords collectifs nationaux de travail ; 4) pour nullité de l’arrêt ou de la procédure ; 5) pour un défaut de motivation ou une motivation insuffisante ou contradictoire sur un fait contesté et décisif pour le jugement (...) » Le décret législatif no 40 du 2 février 2006 a introduit l’article 366bis CPC relatif aux conditions de forme d’un pourvoi en cassation. Il était libellé ainsi : « Art. 366bis (Formulation des moyens de droit). – Dans les cas prévus à l’article 360, 1er alinéa, numéros 1) - 4), l’indication de chaque moyen doit se conclure, sous peine d’irrecevabilité, avec la formulation de la question en droit. Dans le cas prévu à l’article 360, 1er alinéa, numéro 5), la formulation de chaque moyen doit contenir, sous peine d’irrecevabilité, l’indication claire du fait contesté à propos duquel la motivation est critiquée comme étant défaillante ou contradictoire, ou les raisons pour lesquelles la motivation insuffisante n’est pas propre à justifier la décision. » Suite à l’introduction de l’article 366bis CPC, la jurisprudence de la Cour de cassation a fait l’objet d’une analyse approfondie de la part du service de documentation, des études et du rapport de la Cour de cassation (ufficio del massimario e del ruolo) qui a publié deux rapports (nos 25 et 89 de 2008) portant sur les modalités de présentation et de formulation de la question en droit, ainsi que sur sa place, y compris sur le plan formel, au sein du mémoire. En particulier, dans l’arrêt no 7258 du 26 mars 2007, l’assemblée plénière (Sezioni Unite) de la Cour de cassation a jugé que : « (...) il est irrecevable, pour violation de l’article 366bis du code de procédure civile, introduit par l’article 6 du décret législatif no 40 du 2006, le pourvoi en cassation dans lequel la présentation de chaque motif n’est pas suivie par la formulation d’une question en droit explicite, apte à circonscrire la décision du juge dans les limites d’une acceptation ou rejet de la question formulée par la partie. » Par la suite, la Cour de cassation, toujours en assemblée plénière (Sezioni Unite), a développé ce point dans l’arrêt no 3519 du 14 février 2008. Elle a notamment indiqué que : « (...) la question (...) doit être la clé de lecture des raisons présentées et permettre à la Cour (de cassation) de répondre à celle-ci en fixant la ‘regula iuris’ qui doit être en tant que telle susceptible de trouver application dans des cas similaires, au-delà de l’affaire litigieuse soumise à l’examen du juge qui a prononcé la décision contestée. Ceci signifie que la Cour (de cassation) doit pouvoir comprendre de la lecture de la seule question, considérée comme synthèse logico-juridique du moyen, l’erreur de droit que le juge du fond aurait commise et, selon la thèse du requérant, la règle à appliquer. » Le décret législatif no 40/2006, est entré en vigueur le 2 mars 2006. L’article 27, alinéa 2, du décret a prévu l’application de l’article 366bis CPC : « (...) aux pourvois en cassation contre les arrêts et autres décisions publiés à partir de la date d’entrée en vigueur du présent décret. » L’article 366bis CPC a été abrogé, sans effet rétroactif, par l’article 47 de la loi no 69 du 18 juin 2009, entrée en vigueur le 4 juillet 2009.
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE La requérante, non-voyante, est née en 1989 et réside à Istanbul. Le 15 juin 2004, elle postula au concours d’entrée au conservatoire national de musique turque rattaché à l’université technique d’Istanbul (« le conservatoire ») pour l’année scolaire 2004-2005. Le 21 et le 31 août 2004, elle passa les épreuves de sélection en jouant du bağlama. Le 7 septembre 2004, le département de musique de la direction du conservatoire rendit public la liste des personnes reçues au concours d’entrée au conservatoire, liste sur laquelle figurait le nom de la requérante. Sur ce, la requérante saisit une commission médicale de l’hôpital public de Büyükçekmece pour l’obtention d’un rapport médical établissant qu’elle était apte à être élève au conservatoire. Le 9 septembre 2004, cette commission médicale établit un rapport aux termes duquel la requérante fut diagnostiquée comme présentant une hypermétropie avec nystagmus et amblyopie sévère bilatérale. La commission conclut qu’il convenait que la requérante soit déférée devant une instance médicale supérieure. Le 16 septembre 2004, une commission médicale de l’hôpital d’enseignement et de recherches de Bakɪrköy (« l’hôpital de Bakɪrköy ») rédigea un rapport médical concluant que la requérante pouvait recevoir une éducation et une instruction dans les sections du conservatoire où la vue n’était pas requise. Le même jour, le directeur du conservatoire écrivit une lettre à la requérante : « Comme nous l’avons expliqué à plusieurs reprises à votre mère, votre père et vous-même, n’ayant pas fourni un rapport d’un hôpital public entièrement équipé (tam teşekküllü devlet hastanesi) confirmant que vous pouvez être élève au conservatoire (...), votre inscription n’a pu être faite. (...) Votre rapport d’un hôpital public portant la mention d’acceptation en tant qu’élève au conservatoire est attendu d’urgence. (...) » Le 20 septembre 2004, le père de la requérante écrivit à la direction du conservatoire pour l’informer que le jour même, le rapport médical demandé avait été transmis au conservatoire. Ce jour, la direction du conservatoire écrivit au médecin chef de l’hôpital de Bakɪrköy. Se référant au rapport émis par la commission médicale de cet hôpital le 16 septembre 2004, elle informa le médecin chef que parmi les sept sections du conservatoire, aucune ne pouvait être considérée comme ne requérant pas la vue. Cette lettre indiquait que pour être à même de recevoir une instruction dans l’une quelconque des sections du conservatoire, un élève devait soumettre un rapport médical mentionnant qu’il était apte pour ce faire. La direction du conservatoire demanda au médecin chef d’établir un nouveau rapport médical tenant compte de la circonstance qu’aucune des sections du conservatoire ne pouvait être considérée comme ne requérant pas la vue et de préciser en conséquence si l’intéressée était ou non apte à recevoir une éducation au sein du conservatoire. À une date non mentionnée, le conservatoire refusa la demande d’inscription de la requérante. Le 24 septembre 2004, les parents de la requérante agissant en son nom et pour son compte, saisirent le tribunal administratif d’Istanbul (« le tribunal administratif ») d’une action contre le rectorat de l’université technique d’Istanbul afin d’obtenir l’annulation de la décision du conservatoire portant refus d’inscription de leur fille. Ce recours fut assorti d’une demande de sursis à exécution de la décision attaquée. Dans sa requête, l’avocat de la requérante argua que sa cliente avait, le 21 août 2004, réussi le concours d’admissibilité au conservatoire en passant devant une commission composée de huit enseignants et que le 31 août 2004, elle avait réussi le concours d’admission définitive, avec les félicitations du jury, en passant devant une commission composée de vingt enseignants. Citant les conditions d’admission au conservatoire, à savoir : ne pas avoir 15 ans révolus, être diplômé de l’enseignement élémentaire, disposer des spécificités physiques requises pour jouer de l’instrument choisi et pour lequel l’inscription est demandée, ne pas avoir de handicap dans sa constitution physique empêchant l’enseignement dans la section choisie, réussir au concours de talent et de niveau, l’avocat de la requérante argua que celle-ci satisfaisait à l’ensemble de ces conditions. Il soutint que son inscription au conservatoire avait été refusée au seul motif qu’elle était non-voyante, ce qui était contraire au droit et au principe d’égalité. À l’appui de sa requête, l’avocat de la requérante invoqua l’article 42 de la Constitution, les articles 4, 7, 8 et 27 de la loi fondamentale no 1739 sur l’éducation nationale (« loi no 1739 ») et l’article 9 du décret-loi no 573 sur l’enseignement spécialisé. Il cita en outre le nom d’anciens élèves non-voyants, diplômés de ce même conservatoire. Dans un mémoire en défense du 12 octobre 2004, le rectorat de l’université technique d’Istanbul argua que le père de la requérante n’avait soumis, lors de sa demande d’inscription, aucun document faisant référence à la cécité de sa fille. Il lui reprocha d’avoir dissimulé celle-ci, d’avoir agi comme le parent d’un enfant ne présentant pas de handicap et ainsi, d’avoir cherché à tromper le bureau des inscriptions. Il indiqua que l’article 4 des principes régissant l’admission et l’inscription au conservatoire posait la condition de « l’absence de handicap ». Il soutint en outre que la requérante n’avait pas soumis un rapport médical attestant qu’elle pouvait être élève au conservatoire, exigence imposée à tous les autres candidats. Ainsi, il affirma que le refus d’inscription de la requérante n’était pas dû à sa cécité mais tenait au fait qu’elle n’avait pas soumis l’ensemble des documents nécessaires à son inscription, dans les délais pour ce faire. Il précisa que si le rapport médical soumis par la requérante stipulait qu’elle pouvait étudier dans les sections du conservatoire ne requérant pas la vue, il n’existait pas de sections de ce type. Enfin, il fit valoir que, faute d’équipements adaptés et de personnel enseignant ayant l’expertise nécessaire, le conservatoire n’était pas en mesure d’offrir une éducation aux élèves non-voyants ni d’ailleurs à toute autre personne présentant un handicap, quel que soit la nature de celui-ci. À cet égard, il précisa qu’en 1976, au début de ses activités, le conservatoire avait souhaité faire des tentatives en matière d’éducation aux élèves non-voyants mais, en l’absence d’enseignants connaissant l’alphabet braille, il fut renoncé à ces tentatives. Le 14 octobre 2004, le tribunal administratif rejeta la demande de sursis à exécution estimant que les conditions énumérées à l’article 27 § 2 de la loi sur la procédure administrative no 2577 (« loi no 2577 ») tel que modifié par la loi no 4001, n’étaient pas réunies. Le 26 octobre 2004, agissant en son nom et pour son compte, les parents de la requérante formèrent un recours contre cette décision devant le tribunal administratif régional d’Istanbul. Ils arguèrent qu’en vertu de l’article 27 § 2 de la loi no 2577, deux conditions étaient requises pour obtenir un sursis à l’exécution : l’existence d’un dommage difficilement réparable ou irréparable et la contrariété apparente à la loi de l’acte administratif en cause. Selon eux, dans les circonstances présentes, il était évident que le refus d’inscription de leur fille au conservatoire ferait naître pour celle-ci un dommage difficilement réparable. Ils soutinrent également que ce refus était contraire à la loi. Dans leur mémoire, ils précisèrent que la requérante était diplômée de l’école élémentaire et, hormis sa cécité, disposait de toutes les spécificités physiques requises pour jouer du bağlama. En outre, elle avait réussi le concours d’entrée au conservatoire et il avait été établi par un rapport médical qu’elle n’avait aucun handicap pouvant l’empêcher de suivre un enseignement dans le département de musique. Ils soutinrent que le bien-fondé de ce rapport médical ne pouvait être contesté, que d’autres élèves avaient remis des rapports médicaux provenant d’établissements semblables à celui ayant établi le rapport de la requérante et que le conservatoire les avait acceptés. Selon eux, la circonstance que le rapport ne mentionnait pas spécifiquement que la requérante puisse être une élève de conservatoire, ne saurait invalider ce rapport. Ils affirmèrent en outre que l’argument de l’administration intimée selon lequel le rapport médical n’avait pas été remis dans les délais était fallacieux et soutinrent que ce rapport avait été remis au conservatoire le lundi 20 septembre 2004, soit le premier jour ouvrable suivant la réception de la lettre du conservatoire en faisant la demande. Les parents affirmèrent par ailleurs que la requérante remplissait toutes les conditions requises pour obtenir son inscription et avait remis les documents qui lui avaient été demandés dans les délais pour ce faire. Ils arguèrent que la seule raison pour laquelle son inscription avait été refusée tenait en sa cécité. En réponse à l’administration intimée qui se défendait en affirmant qu’il n’y avait pas de sections du conservatoire où la vue n’était pas requise, les parents de la requérante indiquèrent le nom de quatre anciens élèves diplômés du conservatoire et non-voyants. Ils soutinrent que le fait d’être non-voyant n’était pas un obstacle pour jouer un instrument de musique, qu’il existait de nombreux musiciens non-voyants et que l’argument avancé par le conservatoire selon lequel aucun enseignant ne connaissait le braille n’était pas valable au regard de l’avancée des technologies et des systèmes informatiques en matière de conversion du braille. Enfin, les parents de la requérante firent valoir que la mesure contestée était contraire au principe d’égalité constitutionnel et aux textes internationaux. Le 28 octobre 2004, le tribunal administratif régional d’Istanbul rejeta ce recours estimant que les conditions pour un sursis à l’exécution énoncées à l’article 27 § 2 de la loi no 2577 n’étaient pas réunies dès lors que l’exécution de la décision litigieuse n’était pas de nature à causer un dommage irréparable ou difficilement réparable et que cette décision n’était pas contraire à la loi. Le 29 novembre 2004, le médecin chef de l’hôpital de Bakɪrköy écrivit à la direction du conservatoire pour l’informer de la révision du rapport médical du 16 septembre 2004. La mention initiale, « peut recevoir une éducation et une instruction dans les sections du conservatoire où la vue n’est pas requise », fut remplacée par la mention : « ne peut recevoir une éducation et une instruction ». Le 11 mars 2005, agissant en son nom et pour son compte, les parents de la requérante saisirent le procureur de la République de Bakɪrköy d’une plainte contre l’hôpital d’enseignement et de recherches de Bakɪrköy, son médecin chef et les autres médecins ayant modifié le rapport médical du 16 septembre 2004, pour abus de fonction. Ils firent valoir que les médecins avaient de manière arbitraire, sans ausculter leur fille, modifié ce rapport médical. Ils affirmèrent que le but de cette modification était que la procédure intentée contre le rectorat de l’université d’Istanbul se conclût en faveur de celui-ci. Le même jour, ils saisirent l’ordre des médecins d’Istanbul d’une demande tendant à l’ouverture d’une enquête de ce fait. Le 23 mai 2005, la direction départementale de la santé rattachée à la préfecture d’Istanbul adopta une décision portant refus d’autorisation des poursuites contre le médecin chef mis en cause. Dans sa décision, elle mentionna que les conclusions du rapport avaient été modifiées à la demande de la direction du conservatoire et qu’il n’y avait en l’occurrence aucune faute ni abus de fonctions. Le 4 juillet 2005, les parents de la requérante agissant en son nom et pour son compte, saisirent le tribunal administratif régional d’Istanbul d’un recours aux fins d’annulation de cette décision et obtention d’une autorisation de poursuites contre le médecin chef mis en cause. Selon leurs dires, ils n’obtinrent pas gain de cause au terme de ce recours. Le 18 juillet 2005, ils déposèrent un mémoire devant le tribunal administratif d’Istanbul tendant à l’annulation de la décision portant refus d’inscription de la requérante. Ils y invoquèrent l’article 15 de la loi no 5378 du 1er juillet 2005 sur les personnes handicapées (« loi no 5378 ») mettant selon eux un terme à toutes les formes de discrimination en matière d’éducation. Le 14 octobre 2005, le tribunal administratif rejeta le recours de la requérante. La motivation du tribunal peut se lire comme suit en ses passages pertinents en l’espèce : « (...) Les principes régissant les concours d’admission et les inscriptions au conservatoire national de musique turque de l’université d’Istanbul ont été acceptés par le sénat de l’université (...) sur demande de l’assemblée de section, après avoir été débattus à l’assemblée du conservatoire et jugés conformes par la commission d’enseignement de l’université. (...) Parmi ces principes figure la condition que les candidats ayant réussi aux concours pour l’inscription au conservatoire n’aient pas d’infirmité physique empêchant un enseignement dans la section [dans laquelle ils ont été admis]. En outre, cette condition est énoncée dans le formulaire remis aux candidats et listant les documents requis pour l’inscription définitive. La soumission d’un rapport établi par un hôpital entièrement équipé et mentionnant « peut être élève au conservatoire », est stipulée être obligatoire. Au terme de l’examen du dossier, il ressort que [l’intéressée] a réussi le concours d’entrée et obtenu le droit de s’inscrire. Toutefois, alors que le rapport de l’hôpital public de Büyükçekmece avait conclu qu’un rapport d’une commission médicale supérieure devait être obtenu, elle a saisi une commission médicale équivalente pour obtenir un rapport, à savoir l’hôpital d’enseignement et de recherches de Bakɪrköy. Il ressort de la défense de l’administration intimée que dans les années 1970, lors de sa création, l’école avait, aux fins de tests, inscrit quelques élèves non-voyants mais, faute de personnel enseignant connaissant l’alphabet braille et eu égard aux diverses difficultés rencontrées, il fut mis un terme à cet essai. Les élèves non-voyants ne furent plus acceptés. Il est établi que l’administration avait écrit au médecin chef de l’hôpital de Bakɪrköy pour obtenir des informations quant au sens à donner au rapport médical y délivré et que, par la suite, les conclusions de ce rapport avaient été modifiées. Il n’y avait pas de contrariété au droit dans la décision de l’administration intimée de refuser l’inscription de la requérante dès lors qu’elle n’avait pas été en mesure de soumettre un rapport d’un hôpital public entièrement équipé comportant la mention qu’elle pouvait être élève au conservatoire. Les allégations en sens contraire de la requérante sont dénuées de fondement. (...) » Le tribunal administratif prit cette décision à la majorité, contre l’avis du président du tribunal qui adopta une opinion contraire aux termes de laquelle, se référant à l’article 42 de la Constitution et à la loi no 1739, il indiquait que nul ne pouvait être privé de son droit à l’éducation et à l’instruction. Selon lui, il ne faisait aucun doute qu’il relevait de la responsabilité des administrations de veiller à préparer un cadre propice à l’éducation et à l’instruction qui serait conforme aux besoins des personnes non-voyantes. Faisant référence aux arguments en défense de l’administration intimée qui avait fait une tentative d’intégration d’élèves non-voyants en 1976, il releva qu’il était possible d’offrir un enseignement musical aux personnes non-voyantes. Il souligna à cet égard qu’il existait de nombreux musiciens célèbres non-voyants. Selon lui, priver les personnes de leur droit à l’éducation et à l’instruction n’était pas conciliable avec un état de droit social. Il estima en conséquence que la mesure administrative en cause n’était pas conforme au droit. Le 9 novembre 2005, le conseil d’administration de l’ordre des médecins d’Istanbul écrivit au père de la requérante en réponse à sa saisine datée du 11 mars 2005 (paragraphe 23 ci-dessus). Ce courrier peut se lire comme suit en ses passages pertinents en l’espèce : « 1. Les deux rapports objets de l’enquête ont un contenu similaire. Toutefois, le fait pour l’administration de l’hôpital de n’avoir pas assumé le premier rapport et de procéder à la modification demandée, sur indication contraignante de l’administration du conservatoire (...), ne peut être considéré comme une attitude correcte. Il ressort de la lettre du 22.10.2004, no 5821, adressée par la direction du conservatoire (...) au médecin chef de l’hôpital (...) que, « dans la mesure où, dans ces sections, l’enseignement est destiné aux élèves voyants, nous ne disposons en outre d’aucun cadre pour les élèves non-voyants (moyen, matériel, structure technique, cadre enseignants). C’est pourquoi il n’est pas question que les élèves voyants et les élèves non-voyants suivent des cours communs ». (...) Lorsque sont prises en compte les conventions internationales et les dispositions législatives, le comportement escompté de l’administration n’est pas de forcer au changement d’un rapport établi par un hôpital et par ce biais d’entraver le droit à l’éducation et à l’instruction d’un citoyen non-voyant. (...) En conclusion, le médecin chef a modifié la forme du rapport, [mais] son contenu est le même, de sorte qu’aucune faute ne peut être imputée au médecin chef de l’hôpital. Il convient de saisir les voies de recours administrative et judiciaire pour obtenir le droit réclamé (...). » Le 18 avril 2006, les parents de la requérante, agissant en son nom et pour son compte, saisirent le Conseil d’État d’un recours en cassation contre la décision du tribunal administratif du 14 octobre 2005 (paragraphe 27 cidessus). Dans leur requête, ils soutinrent que cette décision était contraire à la Constitution, à la loi no 1739, à la loi no 5378 et à plusieurs textes et déclarations internationaux. Ils arguèrent du caractère fallacieux de l’argument en défense de l’administration intimée selon lequel le conservatoire ne possédait pas de section ne requérant pas la vue et citèrent les noms d’anciens élèves musiciens, non-voyants, diplômés du conservatoire. Ils demandèrent à ce que la décision de première instance soit infirmée suivant les arguments développés dans l’opinion du président du tribunal administratif. Le 4 janvier 2007, le rectorat de l’université technique d’Istanbul soumit son mémoire en défense. Il soutint que le rapport médical de la requérante mentionnait qu’elle pouvait suivre un enseignement dans les sections du conservatoire ne requérant pas la vue mais qu’il n’existait pas de telles sections au sein du conservatoire. Enfin, il affirma que la requérante n’avait pas satisfait à l’ensemble des conditions requises pour obtenir son inscription. Par un arrêt du 19 février 2008, notifié à l’avocat de la requérante le 28 avril 2008, le Conseil d’État rejeta le pourvoi en cassation et confirma la décision attaquée après avoir relevé que celle-ci ne sortait pas de la compétence du tribunal administratif, n’était pas contraire à la loi et ne méconnaissait pas les règles de procédure. Il ressort en outre de l’arrêt du Conseil d’État que le juge rapporteur se prononça en faveur de l’acceptation du pourvoi en cassation. Dans son avis sur le pourvoi, le procureur général près le Conseil d’État, se référant à l’article 42 de la Constitution et aux articles 4, 7 et 8 de la loi no 1739, énonça également que les établissements responsables de l’éducation et de l’enseignement avaient l’obligation de tenir compte des personnes ayant besoin d’un enseignement spécialisé et de prendre les mesures nécessaires à leur éducation. Dans les circonstances de l’espèce, il estima que le refus d’inscription de la requérante – qui avait passé avec succès le concours d’entrée au conservatoire et remplissait les conditions prévues par la loi –, était contraire aux dispositions constitutionnelles et législatives et devait donc être annulé. Selon les informations transmises à la Cour par la requérante, après le rejet de sa demande d’inscription au conservatoire, elle a poursuivi sa scolarité dans une école ordinaire avant d’intégrer le département de musique de la faculté des beaux-arts de l’université de Marmara. II. LE DROIT INTERNE ET INTERNATIONAL PERTINENTS A. Le droit interne pertinent L’article 42 de la Constitution turque dispose que nul ne peut être privé de son droit à l’éducation et à l’instruction. La loi fondamentale no 1739 du 24 juin 1973 sur l’éducation nationale, publiée au journal officiel le 26 juin 1973, dispose notamment : « Deuxième section Principes fondamentaux de l’éducation nationale turque I. Généralité et égalité (...) Article 4. Les établissements d’enseignement sont ouverts à tous sans discrimination fondée sur la langue, la race, le sexe, le handicap ou la religion. (...) II. Droit à l’éducation (...) Article 7. Chaque citoyen turc a le droit à l’éducation primaire. Les citoyens bénéficient des établissements d’enseignement supérieurs aux établissements d’enseignement primaire dans la mesure de leur intérêt, de leur capacité et de leur aptitude. (...) V. Égalité des chances et des moyens Article 8. En matière d’éducation (...) tout le monde bénéficie de l’égalité des chances et des moyens. (...) Des mesures spéciales sont prises pour élever les enfants ayant besoin d’un enseignement spécialisé et de protection. » Le 1er juillet 2005, fut adoptée la loi no 5378 relative à la modification de la loi sur les personnes handicapées, certaines autres lois et certains décrets-lois. L’article 15 de cette loi, dans sa rédaction en vigueur à l’époque de son adoption, disposait notamment : « L’accès à l’éducation des [personnes] handicapées ne peut être entravé sous aucun prétexte. Les enfants, les jeunes et les adultes handicapés se voient offrir, en prenant en compte leur situation particulière et leurs différences, une possibilité égale d’éducation dans des environnements communs avec ceux qui ne sont pas handicapés. Un centre d’information et de coordination des [personnes] handicapées est créé aux fins de traiter de sujets tels que la mise à disposition, dans l’enceinte de l’établissement d’enseignement supérieur, des moyens et du matériel [destinés à] faciliter la vie éducative des étudiants d’université handicapés, la préparation de matériel d’enseignement spécifique, [la préparation] de cadres d’éducation, de recherches et d’accueil adaptés aux [personnes] handicapées. (...) Les démarches nécessaires pour la fabrication de livres en braille, de [livres] audio, de [livres] électroniques, de films sous-titrés et du matériel similaire, destinés à répondre aux (...) besoins éducatifs et culturels des [personnes] handicapées, sont menées conjointement par le ministère de l’éducation nationale et le ministère de la culture et du tourisme. » Le 6 février 2014 fut adoptée la loi no 6518. L’article 73 de cette loi modifia l’article 15 de la loi no 5378 comme suit, en ses passages pertinents en l’espèce : « L’accès à l’éducation des [personnes] handicapées ne peut être entravé sous aucun prétexte. Les enfants, les jeunes et les adultes handicapés se voient offrir, sans discrimination, en prenant en compte leur situation particulière et leurs différences, une possibilité d’éducation, leur vie durant, dans des environnements communs, fondée sur [le principe d’] égalité. Des planifications (...) sont faites dans le système éducatif général permettant aux [personnes] handicapées de recevoir une éducation à tous les niveaux. Les mesures nécessaires sont prises pour intégrer les [personnes] handicapées qui, pour différentes raisons ont commencé tardivement les programmes d’éducation (...). Des centres d’information et de coordination sont créés pour traiter de sujets tels que la mise à disposition dans l’enceinte des établissements d’enseignement supérieur, des moyens et du matériel (...) de cours adaptés aux [personnes] handicapées, des cadres d’éducation, de recherches et d’accueil adaptés ainsi que la résolution des problèmes qu’ils rencontrent durant leur scolarité [ce], aux fins d’assurer une participation effective des étudiants d’université qui sont handicapés (...). (...) Les démarches nécessaires pour la fabrication de livres en braille, de [livres] audio, de [livres] électroniques, de films sous-titrés, traduits en langue des signes (...) et du matériel similaire, destinés à répondre aux (...) besoins éducatifs, sociaux et culturels des [personnes] handicapées, sont menées conjointement par le ministère de l’éducation nationale et le ministère de la culture et du tourisme. » B. Textes européens et internationaux pertinents La Charte sociale européenne La Charte sociale européenne, dans sa version révisée du 3 mai 1996, ratifiée par la Turquie le 27 juin 2007, dispose notamment : « Article 15. En vue de garantir aux personnes handicapées, quel que soit leur âge, la nature et l’origine de leur handicap, l’exercice effectif du droit à l’autonomie, à l’intégration sociale et à la participation à la vie de la communauté, les Parties s’engagent notamment : à prendre les mesures nécessaires pour fournir aux personnes handicapées une orientation, une éducation et une formation professionnelle dans le cadre du droit commun chaque fois que possible ou, si tel n’est pas le cas, par le biais d’institutions spécialisées publiques ou privées ; (...) » Le rapport explicatif de la Charte sociale européenne (révisée) dispose, en ses passages pertinents en l’espèce : « Article 15 – Droit des personnes handicapées à l’autonomie, à l’intégration sociale et à la participation à la vie de la communauté (...) Selon cette disposition, les Parties doivent avoir pour but de développer une politique cohérente pour les personnes handicapées. Cette disposition repose sur une approche moderne, approche qui correspond à celle de la Recommandation no R (92) 6 du Comité des Ministres du Conseil de l’Europe, de la façon d’assurer la protection des personnes handicapées, par exemple en prévoyant que l’orientation, l’éducation et la formation professionnelles soient organisées chaque fois que possible dans le cadre de plans généraux plutôt que par des institutions spécialisées. L’article ne prévoit pas seulement la possibilité pour les Parties d’adopter des mesures positives en faveur des handicapés, mais dans une large mesure les oblige à le faire. (...). » La Convention des Nations Unies relatives aux droits des personnes handicapées La Convention des Nations Unies relatives aux droits des personnes handicapées, adoptée par l’Assemblée générale des Nations Unies le 13 décembre 2006 dispose notamment, en ses passages pertinents en l’espèce : « (...) Article 2 Définitions Aux fins de la présente Convention : (...) On entend par « discrimination fondée sur le handicap » toute distinction, exclusion ou restriction fondée sur le handicap qui a pour objet ou pour effet de compromettre ou réduire à néant la reconnaissance, la jouissance ou l’exercice, sur la base de l’égalité avec les autres, de tous les droits de l’homme et de toutes les libertés fondamentales dans les domaines politique, économique, social, culturel, civil ou autres. La discrimination fondée sur le handicap comprend toutes les formes de discrimination, y compris le refus d’aménagement raisonnable ; On entend par « aménagement raisonnable » les modifications et ajustements nécessaires et appropriés n’imposant pas de charge disproportionnée ou indue apportée, en fonction des besoins dans une situation donnée, pour assurer aux personnes handicapées la jouissance ou l’exercice, sur la base de l’égalité avec les autres, de tous les droits de l’homme et de toutes les libertés fondamentales ; (...) Article 24 Éducation Les États Parties reconnaissent le droit des personnes handicapées à l’éducation. En vue d’assurer l’exercice de ce droit sans discrimination et sur la base de l’égalité des chances, les États Parties font en sorte que le système éducatif pourvoie à l’insertion scolaire à tous les niveaux et offre, tout au long de la vie, des possibilités d’éducation qui visent : a) le plein épanouissement du potentiel humain et du sentiment de dignité et d’estime de soi, ainsi que le renforcement du respect des droits de l’homme, des libertés fondamentales et de la diversité humaine ; b) l’épanouissement de la personnalité des personnes handicapées, de leurs talents et de leur créativité ainsi que de leurs aptitudes mentales et physiques, dans toute la mesure de leurs potentialités ; c) la participation effective des personnes handicapées à une société libre. Aux fins de l’exercice de ce droit, les États Parties veillent à ce que : a) les personnes handicapées ne soient pas exclues, sur le fondement de leur handicap, du système d’enseignement général et à ce que les enfants handicapés ne soient pas exclus, sur le fondement de leur handicap, de l’enseignement primaire gratuit et obligatoire ou de l’enseignement secondaire ; b) les personnes handicapées puissent, sur la base de l’égalité avec les autres, avoir accès, dans les communautés où elles vivent, à un enseignement primaire inclusif, de qualité et gratuit, et à l’enseignement secondaire ; c) il soit procédé à des aménagements raisonnables en fonction des besoins de chacun ; d) les personnes handicapées bénéficient, au sein du système d’enseignement général, de l’accompagnement nécessaire pour faciliter leur éducation effective ; e) des mesures d’accompagnement individualisé efficaces soient prises dans des environnements qui optimisent le progrès scolaire et la socialisation, conformément à l’objectif de pleine intégration. Les États Parties donnent aux personnes handicapées la possibilité d’acquérir les compétences pratiques et sociales nécessaires de façon à faciliter leur pleine et égale participation au système d’enseignement et à la vie de la communauté. À cette fin, les États Parties prennent des mesures appropriées, notamment : a) facilitent l’apprentissage du braille, de l’écriture adaptée et des modes, moyens et formes de communication améliorée et alternative, le développement des capacités d’orientation et de la mobilité, ainsi que le soutien par les pairs et le mentorat ; b) facilitent l’apprentissage de la langue des signes et la promotion de l’identité linguistique des personnes sourdes ; c) veillent à ce que les personnes aveugles, sourdes ou sourdes et aveugles - en particulier les enfants - reçoivent un enseignement dispensé dans la langue et par le biais des modes et moyens de communication qui conviennent le mieux à chacun, et ce, dans des environnements qui optimisent le progrès scolaire et la sociabilisation. Afin de faciliter l’exercice de ce droit, les États Parties prennent des mesures appropriées pour employer des enseignants, y compris des enseignants handicapés, qui ont une qualification en langue des signes ou en braille et pour former les cadres et personnels éducatifs à tous les niveaux. Cette formation comprend la sensibilisation aux handicaps et l’utilisation des modes, moyens et formes de communication améliorée et alternative et des techniques et matériels pédagogiques adaptés aux personnes handicapées. Les États Parties veillent à ce que les personnes handicapées puissent avoir accès, sans discrimination et sur la base de l’égalité avec les autres, à l’enseignement tertiaire général, à la formation professionnelle, à l’enseignement pour adultes et à la formation continue. À cette fin, ils veillent à ce que des aménagements raisonnables soient apportés en faveur des personnes handicapées. (...) » Cette Convention a été signée le 30 mars 2007 et ratifiée par la Turquie le 28 septembre 2009.
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Le requérant est né en 1952. Il est détenu dans l’aile psychiatrique de la prison de Turnhout. En février 1990, le requérant fut arrêté et placé en détention préventive pour des faits qualifiés de meurtre. Le 13 mars 1992, considérant qu’il ne pouvait pas être tenu pénalement responsable de ses actes, la chambre du conseil du tribunal de première instance de Malines décida l’internement du requérant sur la base d’un rapport d’expertise psychiatrique établi le 20 septembre 1991 par un collège de trois psychiatres. La commission de défense sociale (« CDS ») d’Anvers ordonna dans un premier temps le placement du requérant dans la section de défense sociale de la prison de Merksplas. Le 20 juillet 1993, le requérant fut transféré vers l’aile psychiatrique de la prison de Turnhout. Entre 1993 et 1999, la CDS confirma à intervalles réguliers le maintien du requérant à Turnhout. Le Dr K., psychiatre du service psychosocial de la prison de Turnhout, établit des avis succincts lors de chaque demande de permission de sortie du requérant. Ces avis écrits de quelques lignes furent établis en moyenne une à deux fois par an. À partir de 1994, le Dr K. constata que le requérant ne posait pas de problèmes disciplinaires, qu’il n’avait pas de problèmes d’humeurs ni de symptômes psychotiques malgré la persistance d’une personnalité narcissique et il donna à chaque fois un avis positif sur les demandes de permission de sortie du requérant. Le 8 novembre 1999, A.W., un psychologue clinique, établit un rapport détaillé de seize pages sur l’état de santé mentale du requérant à la demande de la CDS. Le rapport conclut que le risque de récidive n’était pas élevé et proposa le reclassement du requérant dans un établissement ouvert, assorti d’un traitement et d’un suivi psychologique en vue d’une libération conditionnelle ultérieure. Entre 1999 et 2009, la CDS ordonna régulièrement le maintien du requérant à Turnhout. Le Dr E.V., psychiatre du service psychosocial de la prison de Turnhout, établit des avis succincts lors de chaque demande de permission de sortie ou de mise en liberté du requérant. Le Dr E.V. relevait que le requérant ne posait pas de problème, qu’il n’avait pas de problème d’humeur ni de symptômes psychotiques mais qu’il avait toujours des traits narcissiques. Il se prononça à chaque fois en faveur du maintien à Turnhout, considérant que le reclassement devait se faire étape par étape. Le 23 septembre 2009, à l’audience devant la CDS statuant sur la demande de mise en liberté du requérant, l’avocat du requérant demanda à la CDS d’ordonner de manière urgente un nouveau rapport circonstancié (omstandig deskundig verslag) de l’état de santé mentale du requérant. Le même jour, la CDS décida une nouvelle fois le maintien du requérant à la prison de Turnhout et ordonna de procéder à une évaluation des risques (risicotaxatie) afin de déterminer le danger que représentait le requérant. Le 11 février 2010, le Dr J.D.L., psychiatre du service psychosocial de la prison de Turnhout, rendit un avis d’une page en faveur du maintien du requérant à Turnhout. Il revint sur le parcours du requérant depuis son internement. S’agissant des résultats de l’évaluation récente des risques, effectuée sur décision de la CDS, le psychiatre conclut que le requérant présentait un risque élevé de récidive sur le test HCR-20 (Historical, Clinical, Risk Management) et que son score se trouvait à la limite de la psychopathie sur le test PCL-R (Psychopathy Check List - Revised). Au niveau clinique, il ne pouvait pas décrire un trouble psychiatrique chez le requérant. Toutefois, il observait qu’il s’agissait d’un homme très intelligent qui essayait de manipuler les gens. Le 8 mars 2010, H.W., psychologue du service psychosocial de la prison de Turnhout, établit un rapport de quatre pages. Elle y revint sur le parcours du requérant, sur le déroulement de sa détention ainsi que sur ses perspectives de reclassement. Elle constata que le requérant ne faisait pas de lui-même appel au service psychosocial de la prison, mais que dans le cadre de l’évaluation des risques, il avait été convoqué à cinq reprises et qu’il avait à chaque fois bien coopéré en répondant à toutes les questions posées. Au vu des résultats des tests HCR-20 et PCL-R auxquels elle avait procédé, il fallait conclure que le risque de récidive était très élevé. Aussi, un traitement n’était pas vraiment possible et le plan de reclassement du requérant présentait peu de chances de succès. H.W. était dès lors d’avis que le requérant devait rester à Turnhout. La procédure de mise en liberté litigieuse Le 18 mars 2010, la CDS rejeta la demande de mise en liberté du requérant au motif que son état de santé mentale ne s’était pas suffisamment amélioré et qu’aucune possibilité de réadaptation ne présentait de garanties suffisantes pour la société contre le danger qu’il représentait. Le requérant fit appel de cette décision au motif que la CDS n’avait pas répondu à sa demande d’obtenir une expertise psychiatrique circonstanciée et que ceci aurait violé son droit à un procès équitable. Le 22 avril 2010, la Commission supérieure de défense sociale (« CSDS ») considéra qu’il ressortait du dossier et des débats que l’état de santé mentale du requérant ne s’était pas suffisamment amélioré et que les conditions de son reclassement n’étaient pas remplies. La décision attaquée ne violait pas, selon la CSDS, les droits de la défense. En outre, elle déclara irrecevable le recours du requérant en ce qu’il demandait de procéder à une expertise psychiatrique circonstanciée. Elle constata, surabondamment, que le Dr J.D.L. avait établi un rapport d’expertise le 11 février 2010. Le requérant se pourvut en cassation. Il allégua qu’il n’était pas possible pour la CDS et la CSDS de se prononcer sur l’amélioration de l’état de santé mentale du requérant sans qu’il y ait un rapport d’expertise récent et détaillé de son état de santé mentale. L’absence d’un tel rapport aurait violé son droit à un procès équitable. Le 15 juin 2010, la Cour de cassation rejeta le pourvoi. Dans la mesure où le pourvoi contestait la décision de la CSDS de ne pas procéder à une expertise psychiatrique circonstanciée, il était irrecevable étant donné qu’un pourvoi n’était possible que contre la décision rejetant une demande de mise en liberté. Aussi, l’article 6 de la Convention n’était pas applicable à la procédure relative à une demande de mise en liberté. Enfin, la Cour de cassation considéra que : [traduction] « La [CSDS] apprécie souverainement, en fait, si l’état de santé mentale de l’interné s’est suffisamment amélioré et si les conditions d’un reclassement sont remplies. Cette appréciation n’exige pas nécessairement une expertise circonstanciée. Dans cette mesure, le moyen qui est déduit d’une autre prémisse juridique, manque en droit. » II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS Le droit et la pratique internes en matière d’internement sont décrits de manière détaillée dans l’arrêt Van Meroye c. Belgique (no 330/09, §§ 36-60, 9 janvier 2014). Les extraits pertinents de documents internes et internationaux relatifs à la situation en Belgique en matière d’internement figurent dans l’arrêt L.B. c. Belgique (no 22831/08, §§ 72-74, 2 octobre 2012). En l’espèce, les dispositions particulièrement pertinentes de la loi du 9 avril 1930 de défense sociale à l’égard des anormaux, des délinquants d’habitude et des auteurs de certains délits sexuels (« loi de défense sociale ») sont les suivantes : Article 16 « La commission [de défense sociale] peut, avant de statuer par application des articles 14 et 15, prendre l’avis d’un médecin de son choix appartenant ou non à l’administration. L’interné peut aussi se faire examiner par un médecin de son choix, et produire l’avis de celui-ci. Ce médecin peut prendre connaissance du dossier de l’interné. (...) » Article 18 « La commission [de défense sociale] se tient informée de l’état de l’interné et peut à cet effet se rendre au lieu de son internement ou y déléguer un de ses membres. Elle peut, soit d’office, soit à la demande du procureur du Roi, de l’interné ou de son avocat, ordonner la mise en liberté définitive ou à l’essai de l’interné, lorsque l’état mental de celui-ci s’est suffisamment amélioré et que les conditions de sa réadaptation sociale sont réunies. Si la demande de l’interné ou de son avocat est rejetée, elle ne peut être renouvelée avant l’expiration d’un délai de six mois prenant cours à la date du rejet définitif. (...) » Une nouvelle loi du 5 mai 2014 relative à l’internement des personnes entrera en vigueur au plus tard le 1er janvier 2016. Cette loi prévoit, en son article 66, que la libération définitive peut être octroyée à la personne internée à l’expiration du délai d’épreuve suivant la libération à l’essai. Selon l’article 48 § 1er 4o de cette loi, le dossier sur la base duquel la chambre de protection sociale (actuellement dénommée la commission de défense sociale) se prononce sur une demande de libération à l’essai contient, entre autres, un rapport multidisciplinaire psychosocial et psychiatrique récent. Selon l’article 51 § 2, la chambre de protection sociale peut aussi ordonner, par ordonnance motivée, un examen psychiatrique médicolégal complémentaire.
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Le requérant est né en 1976 et réside à Cluj-Napoca. A. La genèse de l’affaire Le 10 octobre 2005, le requérant prêta trois cent mille euros aux époux G. Un contrat de prêt fut authentifié par un notaire à cette occasion. Le prêt fut assorti d’une garantie hypothécaire portant sur deux immeubles sis à Turda dont les époux G. se déclarèrent être propriétaires. Le requérant fit inscrire la garantie hypothécaire dans le livre foncier. Le 27 novembre 2006, faute de remboursement du crédit à l’échéance prévue d’un commun accord entre les parties, le tribunal de première instance de Turda autorisa l’exécution forcée du contrat de prêt. Le 11 décembre 2006, le requérant déposa une demande de saisie immobilière auprès d’un huissier de justice. Le 14 mai 2009, l’huissier organisa une vente aux enchères des deux immeubles susmentionnés qui furent finalement adjugés au requérant. B. La contestation des mesures d’exécution forcée Le 21 mai 2009, l’administration des finances publiques de Turda (ci-après « A.F.P. Turda ») contesta la procédure d’exécution forcée et demanda l’annulation de toutes les mesures d’exécution prises, l’annulation de la garantie hypothécaire prévue dans le contrat de prêt, la radiation de l’hypothèque du livre foncier, ainsi que le sursis à l’exécution forcée du contrat de prêt litigieux. Elle indiquait que les deux immeubles avaient été achetés par les époux G. le 4 février 2004, mais que le contrat de vente avait été annulé par une décision définitive du 20 janvier 2005 du tribunal de première instance de Turda dans un procès opposant le couple en question aux autorités financières de l’État roumain. Elle précisait que la décision susmentionnée avait été inscrite au livre foncier le 19 juillet 2006, que les autorités avaient procédé à la saisie des immeubles le 12 septembre 2008, que celle-ci avait été inscrite dans le livre foncier en tant qu’hypothèque légale de second rang et que les époux G. avaient ainsi perdu le droit de propriété sur les deux immeubles. Enfin, l’A.F.P. Turda affirmait que les recherches entreprises par l’huissier dans le cadre de la procédure d’exécution forcée avaient montré que les immeubles mentionnés dans le livre foncier avaient été démolis entre-temps et qu’un nouveau bâtiment avait été construit à leur place. À l’audience du 11 juin 2009, le requérant déposa un mémoire en défense. Il plaida d’abord l’irrecevabilité de l’action, arguant que les dispositions régissant la procédure civile ne permettaient pas de vérifier la validité du contrat de prêt conclu avec les époux G. au moyen de la procédure de contestation des mesures d’exécution forcée. Il soutint ensuite que les autorités financières n’avaient pas fait inscrire dans le livre foncier leur action en annulation de la vente réalisée en 2004 et que la décision définitive de justice du 20 janvier 2005 n’avait été inscrite dans le livre foncier aux fins de l’opposabilité aux tiers que très tard, à savoir le 19 juillet 2006. En outre, il mentionna qu’il avait accompli des diligences avant la signature du contrat de prêt du 10 octobre 2005 et que, dans ce contexte, les autorités fiscales de la mairie de Turda avaient délivré un certificat fiscal attestant que la famille G. n’avait pas de dettes et ne détenait pas d’immeubles saisis. Enfin, il s’opposa au sursis à l’exécution. Par un jugement du 18 mars 2010, le tribunal de première instance de Turda, après avoir écarté les arguments soulevés par le requérant, accueillit l’action de l’A.F.P. Turda et fit droit à toutes les demandes de cette dernière. Le 6 juillet 2010, le requérant, par l’intermédiaire de l’avocate l’ayant représenté devant le tribunal de première instance de Turda, forma un recours contre le jugement du 18 mars 2010. Il réitéra ses arguments présentés dans le mémoire en défense devant le tribunal de première instance (paragraphe 11 ci-dessus). Le 26 août 2010, la partie défenderesse déposa un mémoire en défense présentant ses arguments tendant à la conclusion que son action était recevable et que les époux G. avaient perdu le droit de propriété sur les immeubles constituant la garantie dans le cadre du contrat de prêt. Elle demanda que l’affaire fût jugée même en son absence. Son mémoire en défense ne fut pas communiqué au requérant. À une date non précisée, le requérant envoya une demande de report de l’audience du tribunal départemental de Cluj fixée au 1er septembre 2010. Il fondait cette demande par la nécessité d’engager un avocat à même de le représenter devant la juridiction de recours. À cet égard, il indiquait qu’il avait l’intention d’engager un avocat différent de celui qui avait rédigé sa demande et ses moyens de recours en juillet 2010, et il ajoutait qu’il avait subi une intervention chirurgicale au mois d’août 2010 et qu’il n’avait dès lors pu se déplacer. Il produisait un certificat médical daté du 31 août 2010. Il demanda en outre que tout éventuel mémoire déposé par la partie adverse lui fût communiqué. Lors de l’audience du 1er septembre 2010, le tribunal départemental de Cluj prit acte de ce qu’aucune partie n’était présente aux deux appels faits à deux heures différentes et de ce que l’A.F.P. Turda avait déposé un mémoire en défense. Il mit l’affaire en délibéré et, sur la base « des moyens invoqués et des pièces du dossier (actele şi lucrările) », rendit le même jour un arrêt définitif rejetant le recours du requérant. L’arrêt ne comportait aucune mention de la demande d’ajournement du requérant. C. Les informations présentées par les parties Sur demande du requérant du 31 mai 2011, le greffe du tribunal de première instance de Turda informa l’intéressé que sa demande d’ajournement ne portait pas le tampon d’enregistrement du tribunal départemental, qu’elle n’était ni numérotée ni reliée au dossier et qu’elle était simplement agrafée à la couverture du dossier avec le deuxième exemplaire du mémoire en défense de l’A.F.P. Turda. Dans le cadre des observations écrites transmises dans la présente requête, le Gouvernement a déposé une lettre du tribunal départemental de Cluj du 29 août 2013 détaillant les modalités d’enregistrement des documents versés dans un dossier pénal. Dans cette lettre, le tribunal mentionnait que tout document déposé par les parties était enregistré dans la base de données électroniques Ecris et transmis à la formation de jugement, y compris le jour de la dernière audience. Il indiquait aussi que si le document était envoyé par la poste l’enveloppe était également reliée au dossier. Il précisait en outre que, dans la procédure objet de la présente requête, le dernier acte déposé et enregistré dans la base de données Ecris était le mémoire en défense de l’A.F.P. Turda du 26 août 2010. Le tribunal estimait qu’un document tel celui agrafé à la couverture du dossier n’avait pu être déposé qu’après la fin du procès. II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS L’article 86 du code de procédure civile en vigueur à l’époque des faits (« le CPC ») prévoyait que la communication des demandes et de tous les actes de procédure était réalisée d’office par le tribunal. L’article 116 du CPC disposait que la partie défenderesse devait déposer au dossier un mémoire en défense et plusieurs copies correspondant au nombre de demandeurs. Cet article ne contenait aucune mention expresse quant à la communication de ce mémoire à la partie adverse. L’article 118 du CPC prévoyait que le mémoire en défense était obligatoire. Conformément à l’article 156 du CPC, le tribunal pouvait ajourner l’audience une seule fois pour cause d’impossibilité d’exercer les droits de la défense, sur demande dûment motivée. Lorsque le tribunal refusait d’ajourner l’audience pour cette raison, il reportait le prononcé de sa décision, sur demande de la partie intéressée, afin de permettre à cette dernière de déposer des conclusions écrites. L’article 298 du CPC disposait que les règles de procédure prévues pour le jugement en premier ressort étaient également applicables au stade de l’appel dans la mesure où elles ne dérogeaient pas aux dispositions spécifiques régissant cette voie de recours. L’article 308 du même code prévoyait que les moyens de recours étaient communiqués à la partie adverse, qui devait verser un mémoire en défense au plus tard cinq jours avant l’audience. Cet article ne contenait aucune mention expresse quant à la communication de ce mémoire à l’autre partie. L’article 316 du CPC prévoyait que les règles de procédure prévues pour le jugement en appel étaient également applicables au stade du pourvoi en recours dans la mesure où elles ne dérogeaient pas aux dispositions spécifiques régissant cette voie de recours. La cour d’appel de Bucarest, dans sa décision no 123/2005, a jugé que, bien que le CPC ne l’ait pas prévu expressément, un tribunal avait l’obligation de communiquer le mémoire en défense à la partie adverse, et cela même en instance d’appel. Cette obligation ressortait, d’après la cour d’appel, de l’article 116 du CPC, qui imposait à la partie défenderesse de produire au dossier un nombre de copies de ce mémoire correspondant au nombre de demandeurs dans l’affaire. La cour d’appel a également conclu que le défaut de communication du mémoire en défense particulièrement au demandeur qui, habitant loin du tribunal et ayant demandé à être jugé en son absence, avait sollicité de manière expresse pareille communication – s’analysait en la méconnaissance des droits de la défense et du principe du contradictoire régissant le procès civil. En outre, la cour d’appel a jugé que, en communiquant la demande d’appel du demandeur, accompagnée des pièces l’étayant, à la partie défenderesse, mais non le mémoire en défense de la partie défenderesse, accompagné des pièces le soutenant, au demandeur, la juridiction d’appel avait méconnu le principe de l’égalité des armes consacré par l’article 6 de la Convention (voir « Le code de procédure civile annoté », G. Boroi et A. Spineanu-Matei, édition All Beck, 2005, p. 216). Par sa décision définitive no 608 du 1er juillet 2008, la cour d’appel de Craiova a également jugé qu’un tribunal avait l’obligation de communiquer le mémoire en défense à la partie adverse, et cela même en instance d’appel. Elle a conclu que le défaut de communication du mémoire en défense particulièrement au demandeur qui était absent et qui n’était pas représenté par un avocat – s’analysait en la méconnaissance des droits de la défense et du droit à un procès équitable garantis par l’article 6 § 1 de la Convention et par la Constitution (voir « www.jurisprudenta.org »). Par sa décision définitive no 3104 du 4 juin 2009, la Haute Cour de cassation et de justice a jugé que, en cas de dépôt par une partie d’une demande d’ajournement justifiée par l’impossibilité de comparaître à l’audience pour des raisons médicales, même effectuée après l’audience mais avant le prononcé de la décision, le fait pour le tribunal de se prononcer sur le fond de l’affaire sans examiner ladite demande méconnaissait les droits de la défense de la partie en question et, de ce fait, le droit à un procès équitable garanti par l’article 6 de la Convention (voir « www.scj.ro »). Le nouveau CPC, entré en vigueur le 15 février 2013, dispose, en son article 206, que la communication du mémoire en défense déposé par la partie adverse au demandeur est obligatoire.
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Le requérant est né en 1950 et réside à Thessalonique. Le 16 octobre 2008, le requérant saisit les autorités de l’urbanisme d’une demande tendant à faire déclarer comme arbitraires, et devant par conséquent être détruites, certaines parties d’un centre commercial en construction avoisinant sa propriété. Il se plaignait, entre autres, que le plan initial de construction, prévoyant que ce centre comporterait deux étages, avait été modifié de manière irrégulière en ajoutant un niveau supplémentaire destiné à abriter au sous-sol une station d’électricité publique. Les autorités d’urbanisme ayant rejeté le 12 mars 2009 la demande du requérant, celui-ci introduisit un recours en annulation contre ce rejet devant la cour d’appel administrative de Thessalonique. Il soutenait que la décision des autorités d’urbanisme était insuffisamment motivée car celles-ci n’avaient pas répondu de manière adéquate à ses allégations précises concernant les infractions au code de l’urbanisme qu’il étayait par un rapport d’expertise. Par un arrêt no 1075/2012, la cour d’appel administrative débouta le requérant. Elle releva que la décision des autorités d’urbanisme était motivée de manière concise mais suffisante eu égard au contenu des allégations du requérant. Le 1er octobre 2012, le requérant se pourvut en cassation contre cet arrêt devant le Conseil d’Etat. Il soutenait que l’arrêt de la cour d’appel administrative était erroné et comportait des lacunes dans ses motifs. Se conformant à l’article 12 de la loi no 3900/2010 (voir « le droit interne pertinent » ci-dessous), le requérant précisait dans son pourvoi, dans une section spécifique de celui-ci, qu’il n’y avait pas de jurisprudence du Conseil d’Etat relative à la question sous examen. En outre, il soutenait que cet article, dans la mesure où il posait comme condition de recevabilité du pourvoi, la divergence avec la jurisprudence des juridictions suprêmes grecques et des tribunaux administratifs, méconnaissait l’article 26 de la Constitution (principe de la séparation des pouvoirs) car il élevait la jurisprudence au rang de source de droit. Le 18 décembre 2014, le Conseil d’Etat rejeta le pourvoi (arrêt no 4588/2014) au motif que les conditions de recevabilité prévues par l’article 12 de la loi no 3900/2010 ne se trouvaient pas remplies. Le Conseil d’Etat souligna que conformément à l’article 12 de la loi no 3900/2010, l’auteur du pourvoi a l’obligation procédurale, sous peine de voir son pourvoi déclaré irrecevable, de démontrer par des allégations précises et pour chaque moyen en cassation, que le Conseil d’Etat ne s’était pas déjà prononcé sur une question juridique spécifique, à savoir sur une question d’interprétation d’une disposition d’une loi déterminante pour se prononcer sur l’affaire pendante. Alternativement, il faut démontrer que les motifs de la décision attaquée étaient en contradiction avec une jurisprudence bien établie d’au moins une des trois juridictions suprêmes (Cour de cassation, Conseil d’Etat, Cour des comptes), ou de la Cour suprême spéciale, ainsi qu’avec des décisions définitives des juridictions administratives. Dans ce dernier cas, ces décisions devaient être mentionnées explicitement et les questions juridiques sur lesquelles elles se prononçaient devaient être déterminantes pour la solution du litige. Compte tenu de leur contenu et de leur but, ces dispositions n’étaient pas contraires à l’article 26 de la Constitution. Le Conseil d’Etat se référa à cet égard à sa jurisprudence bien établie en citant ses arrêts nos 4439/2012, 4987/2012, 3008/2013, 4368/2013, 4474/2013, 4482/2013, 4578/2013, 1303/2014, 1372/2014, 1584/2014 et 4160/2014. Quant à l’allégation du requérant selon laquelle il n’y avait pas de jurisprudence du Conseil d’Etat en la matière, ce dernier releva que le requérant ne précisait pas à l’égard de quelle question, notamment juridique, il y avait absence de jurisprudence. II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS L’article 95 §§ 1 et 3 de la Constitution prévoit : « 1. Relèvent de la compétence du Conseil d’État notamment : a) L’annulation des actes exécutoires des autorités administratives, sur recours pour excès de pouvoir ou violation de la loi ; b) La cassation sur recours des décisions des tribunaux administratifs, comme prévu par la loi ; c) Le jugement des litiges administratifs de pleine juridiction qui lui sont soumis en vertu de la Constitution ou des lois ; d) L’élaboration de tous les décrets de caractère réglementaire. Le jugement de certaines catégories d’affaires relevant du contentieux d’annulation du Conseil d’État peut être confié par la loi à des tribunaux administratifs ordinaires, selon leur nature ou leur importance. Le Conseil d’État est compétent en dernier ressort, comme prévu par la loi. » L’article 12 de la loi no 3900/2010 (relative à l’accélération de la procédure devant le Conseil d’Etat) ajouta à l’article 58 du décret no 18/1989 (portant codification des lois relatives au Conseil d’Etat), l’alinéa suivant : « Le pourvoi est permis seulement lorsque son auteur soutient, par des allégations concrètes contenues dans le pourvoi, qu’il n’existe pas de jurisprudence du Conseil d’Etat en la matière ou que l’arrêt attaqué est contraire à la jurisprudence du Conseil d’Etat ou d’une autre cour suprême ou à une décision définitive d’une juridiction administrative. » L’article 12 fait partie d’un ensemble de dispositions par lesquelles la loi no3900/2010 tendait à réduire les retards dans le déroulement des procédures devant les juridictions administratives et notamment devant le Conseil d’Etat. La loi no 3900/2010 cristallise en termes législatifs les propositions faites par le Conseil d’Etat lui-même en vue de modifier la procédure devant lui afin de l’accélérer et désengorger son rôle. Plus particulièrement, en ce qui concerne l’article 12, le rapport introductif de la loi précisait qu’afin de faire face aux volumes énormes des voies de recours introduites devant les juridictions, le plus souvent par l’Etat, il a fallu adopter un critère objectif consistant en la limitation par voie législative des moyens de recevabilité des pourvois en cassation et des appels. Le but était aussi de permettre au Conseil d’Etat de juger dans de très brefs délais des affaires qui posent des problèmes d’un intérêt général et de créer ainsi rapidement une ligne jurisprudentielle que les juridictions administratives inférieures pourront utiliser dans des affaires similaires. Compte tenu du fait que la mission fondamentale du Conseil d’Etat était l’unité de la jurisprudence, les recours devaient être recevables uniquement s’il n’existait aucune jurisprudence pertinente, soit lorsqu’il y avait une contradiction entre l’arrêt attaqué et la jurisprudence du Conseil d’Etat ou d’une autre juridiction suprême. Le projet de loi a été critiqué par les partis de l’opposition au Parlement, par le service juridique du Parlement, ainsi que par une partie de la doctrine. Les critiques les plus virulentes soulignaient que l’article 12 transformerait la jurisprudence du Conseil d’Etat en source de droit, en introduisant l’institution de « précédent » du droit anglo-saxon, et rendrait pratiquement impossible tout revirement de jurisprudence sauf par acte législatif. Commentant le projet de loi, la Commission nationale des droits de l’homme affirmait que la nouvelle disposition aurait pour effet de rendre impossible le revirement de la jurisprudence et l’évolution interprétative du droit ainsi que l’adaptation de celui-ci au droit supranational et au changement des conditions sociales. La disposition devrait aussi inclure, comme motif de recevabilité du pourvoi ou de l’appel, la contradiction de l’arrêt attaqué avec la jurisprudence d’une cour internationale ou européenne faisant naître des règles protectrices des droits de l’homme contraignantes. Il serait aussi opportun d’enlever la référence à la « décision définitive d’une juridiction administrative » et d’y inclure celle d’une jurisprudence « constante » du Conseil d’Etat et d’autres juridictions suprêmes. La Commission nationale relevait cependant que, même avec ces modifications qui étaient indispensables, le problème du « gel » de la jurisprudence n’était pas adéquatement traité. Par un arrêt no 2456/2012 du 5 juillet 2012, le Conseil d’Etat se prononça sur la constitutionnalité de cette nouvelle disposition en ces termes : « En adoptant le paragraphe 1 de l’article 12 de la loi no 3900/2012, le législateur tendait à désengorger le rôle du Conseil d’Etat d’un grand nombre de pourvois qui ne soulevaient pas des questions juridiques importantes, afin que (...) la justice dans des affaires soulevant de sérieux problèmes juridiques soit rendue de manière plus rapide et efficace. Au lieu d’exclure complètement l’examen de cassation de certaines catégories d’affaires, le législateur a opté pour la limitation, sur la base d’un critère objectif, des moyens qui pourraient être invoqués de manière recevable. En soulageant le Conseil d’Etat de l’engorgement de son rôle, ce qui avait rendu son fonctionnement critique, et en dissuadant l’introduction de pourvois qui n’ont pas pour but la résolution de problèmes juridiques importants, la disposition litigieuse (...) donne la possibilité au Conseil d’Etat d’exercer efficacement ses compétences constitutionnelles en tant que juridiction suprême dans les cas où cela s’impose par excellence (...). Par conséquent, la disposition litigieuse n’est pas contraire aux articles 20 § 1 et 95 § 1 b) de la Constitution, ni aux articles 6 et 13 de la Convention (...). » Cet arrêt a été confirmé plus récemment par plusieurs arrêts postérieurs du Conseil d’Etat, dont les arrêts nos 1547/2012, 4439/2012, 4987/2012, 3008/2013, 4368/2013, 4474/2013, 4482/2013, 4578/2013, 1303/2014, 1372/2014, 1584/2014 et 4160/2014. Par un arrêt no 4328/2012, le Conseil d’Etat précisa que le terme « allégations » contenu à l’article 12 de la loi no 3900/2010 devait s’entendre comme comprenant celles qui se référaient à une question juridique déjà examinée, relevant de l’interprétation des dispositions légales appliquées par l’arrêt attaqué et non seulement de la subordination des circonstances de fait à la disposition litigieuse. L’allégation selon laquelle il n’y avait pas de jurisprudence du Conseil d’Etat par rapport aux mêmes circonstances de fait avait trait à la subordination des faits aux dispositions appliquées et non aux questions juridiques ayant fait l’objet de l’examen. Au fil des ans, le Conseil d’Etat a développé sa jurisprudence en la matière. Ainsi, aux fins de recevabilité de la voie de recours, il exige que celui qui interjette appel ou se pourvoit en cassation précise et justifie, dans son acte introductif d’instance que, pour chacun des moyens soulevés (arrêt no 737/2015), une question juridique déterminante pour la solution du litige soit posée, et que soit la réponse donnée par la juridiction inférieure était en contradiction avec la jurisprudence constante du Conseil d’Etat ou d’une autre juridiction suprême, soit il n’y avait pas de jurisprudence existante. Le demandeur doit, en outre, indiquer dans son acte introductif d’instance les arrêts pertinents (arrêts nos 2961/201 et 386/2015) et doit les produire, sauf s’il s’agit des arrêts du Conseil d’Etat ou d’une autre juridiction suprême (arrêts nos 4725/2014 et 3475/2011). La jurisprudence doit porter sur la question sous examen et non sur une question similaire ou analogue (arrêts nos 1591/2014, 4163/2012 et 2961/2010). Il suffit que la jurisprudence n’ait pas été renversée ; elle n’a pas besoin d’être constante (arrêts nos 3008/2013 et 2756/2014). La question juridique invoquée par le demandeur doit être déterminante pour trancher l’affaire sous examen et non porter sur un aspect secondaire de celle-ci (arrêts nos 3475/2011, 915/2012 et 3971/2011). Dans un arrêt no 3008/2013, le Conseil d’Etat a précisé que la contrariété d’un arrêt à sa jurisprudence doit porter exclusivement sur l’interprétation d’une disposition législative ou d’une règle de droit indépendamment du fait que cette interprétation soit contenue dans la partie principale des motifs (μείζονα πρόταση) ou dans la partie secondaire (ελάσσονα πρόταση) de ceux-ci. Enfin, le Conseil d’Etat a jugé que la condition prévue par l’article 12 de la loi précitée doit être remplie pour chacun des moyens de cassation invoqués par celui qui se pourvoit devant lui (arrêt no 1519/2013). Une partie de la doctrine considère que l’article 12 établirait des conditions de recevabilité extrêmement sévères pour l’introduction d’un pourvoi devant le Conseil d’Etat. Elle ajoute que la manière dont ce dernier a appliqué cet article a rendu ces conditions plus restrictives, au point de rendre inopérante la protection judiciaire des justiciables. En ce qui concerne l’absence de jurisprudence, le Conseil d’Etat ne se contente pas de relever cette absence invoquée par la partie concernée mais qualifie cette invocation de vague, sans indiquer comment la partie concernée peut démontrer que cette condition négative se trouve remplie. La même partie de la doctrine affirme que le Conseil d’Etat ne contrôle plus la subordination des faits à la règle de droit pertinente, ni la suffisance et le caractère adéquat des motifs de l’arrêt attaqué, ni la violation des règles de procédure telles l’omission du tribunal de répondre à un moyen déterminant.
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Les requérants sont nés respectivement en 1989, 2000 et 1999. Ils résident à İzmir. Le 24 août 1987, la mère des requérants, Selma Civek, se maria avec H.C. Par la suite, les relations entre les époux se dégradèrent. Du 11 au 18 février 2009, Selma Civek, victime de la violence de son mari, résida avec ses trois enfants dans un centre d’accueil pour femmes battues à Ankara. Le 18 février 2009, elle rentra chez elle avec ses enfants, de son propre chef. Le 14 octobre 2010, elle fut à nouveau victime de violences conjugales. Le même jour, elle déposa une plainte auprès du parquet de Dikili, alléguant que son mari l’avait blessée au bras avec un couteau et qu’il l’avait menacée de mort. Les passages pertinents de sa déposition se lisent ainsi : « Je suis mariée avec H.C. depuis 23 ans. Il ne travaille pas. Il boit tout le temps. Il me bat souvent. Il dit qu’il finira par me tuer. L’année dernière, il a couru derrière moi avec un couteau. J’ai préféré quitter le domicile conjugal. Je suis partie chez ma famille à Ankara. Il a continué à me harceler. Je suis alors allée au « Refuge pour femmes d’Ankara ». J’y suis restée environ un mois et demi. Le père de H.C. est venu me rendre visite. Il m’a assuré que son fils allait cesser d’être violent avec moi. H.C. m’a également suppliée de rentrer à la maison. Il m’a promis qu’il allait trouver du travail et s’occuper de nous. J’ai accepté de rentrer à la maison pour mes enfants. Une semaine après mon retour, il a recommencé à boire et à être violent. Le 14 octobre 2010, Monsieur H.A.S. m’a appelée pour savoir quand je pouvais passer m’occuper de son jardin. C’est quelqu’un que je connais depuis maintenant cinq ans. Il m’arrive de discuter au téléphone avec lui. Il n’y a aucune relation sentimentale entre nous. Mon mari le connaît aussi. Si je l’appelle de temps en temps, c’est parce qu’il m’écoute. Or mon mari ne m’écoute jamais. Il est violent avec moi. Bref, ce jour-là, mon mari a vu que je discutais avec quelqu’un au téléphone. J’ai préféré lui dire que c’était mon frère pour éviter une nouvelle dispute. Il m’a pris le téléphone des mains et a rappelé le dernier numéro. H.A.S a répondu en disant « Je t’écoute mon cœur ». Mon mari a raccroché aussitôt et a commencé à me battre. Il ne m’a pas cru quand je lui ai dit qu’il n’y avait aucune relation autre qu’amicale entre H.A.S. et moi. Il a pris un couteau et m’a ordonné de monter avec lui sur sa motocyclette. On est allé chez H.A.S. Il a commencé à me donner des coups de poing. Il m’a mis le couteau sous la gorge. J’ai cru un moment qu’il m’avait égorgée. Par réflexe, j’ai repoussé le couteau et c’est à ce moment-là que j’ai été blessée au bras droit. Les voisins n’ont rien pu faire pour me sauver car il me menaçait en me plaçant le couteau sous la gorge. Ce sont les gendarmes qui m’ont sauvée. J’ai fait un malaise après l’incident. Je vais divorcer. Je n’en peux plus. » H.C. fut également entendu : « Selma Civek est mon épouse. Je l’ai entendue parler au téléphone à voix basse. Elle disait à son correspondant « D’accord mon amour, entendu mon cœur, je vais venir te voir mon chéri ». Elle ne s’est pas rendu compte que je l’écoutais. Dès qu’elle m’a vu, elle a aussitôt raccroché. Je lui ai demandé qui était au téléphone. Elle m’a dit que c’était sa mère. Je ne l’ai pas crue. J’ai rappelé le dernier numéro. Un homme a répondu en disant « Mon cœur ». Quand il a entendu ma voix, il a tout de suite raccroché. J’ai rappelé mais il n’a pas répondu. J’ai noté le numéro et je l’ai composé avec mon portable. J’ai remarqué que c’était un numéro déjà enregistré sur mon téléphone au nom de H.A.S. C’est quelqu’un que je connais. Je me suis senti très mal. J’ai perdu le contrôle de moi-même. J’ai attrapé ma femme par le bras et je l’ai forcée à monter sur la moto avec moi. Nous sommes allés chez H.A.S. J’ai sorti mon couteau et je l’ai placé sous la gorge de mon épouse. Elle a voulu s’enfuir et s’est coupée au bras. La gendarmerie est intervenue pour que je la laisse partir et c’est ce que j’ai fait. Presque tous les hommes auraient réagi comme moi. Sinon, quelles seraient nos valeurs dans ce monde ? Je souhaite porter plainte contre mon épouse et contre H.A.S. » Le 15 octobre 2010, H.C. fut placé en détention provisoire. Le même jour, le tribunal de grande instance de Dikili prit contre H.C. une injonction de s’abstenir de tout comportement violent ou menaçant envers sa conjointe et une injonction de quitter le domicile conjugal immédiatement, de s’en tenir éloigné pour une durée de trois mois et d’en laisser la jouissance à sa conjointe. Ces mesures étaient assorties d’un avis avertissant H.C. qu’il s’exposait à une arrestation et à une peine d’emprisonnement en cas de manquement aux obligations imposées par le tribunal. Par un acte d’accusation du 19 octobre 2010, le procureur de la République de Dikili inculpa H.C. de coups et blessures sur la personne de Selma Civek. Le 10 novembre 2010, Selma Civek engagea une procédure de divorce, alléguant qu’il existait de profonds désaccords entre elle et son époux H.C., que celui-ci buvait beaucoup, qu’il n’assumait pas ses responsabilités de mari et de père et qu’il lui faisait subir des violences attestées par des rapports médicaux. Le 12 novembre 2010, Selma Civek retira sa plainte et H.C. fut remis en liberté. Cette remise en liberté fut accompagnée d’une mesure de contrôle judiciaire, à savoir une obligation de se rendre au commissariat de police ou à une brigade de gendarmerie tous les mardis et vendredis à 17 heures. Le 13 novembre 2010 furent notifiées à H.C. l’injonction de s’abstenir de tout comportement violent ou menaçant envers sa conjointe et l’injonction de quitter le domicile conjugal immédiatement, de s’en tenir éloigné et d’en laisser la jouissance à sa conjointe. Le 23 novembre 2010, Selma Civek fut entendue, à sa demande, par les officiers de police judiciaire de la gendarmerie : « Ma voisine A. m’a dit que mon mari était allé la voir pour me transmettre un message. Il veut que je quitte le domicile conjugal rapidement faute de quoi il va me tuer. Mon mari ne veut pas que je travaille. Malgré les mesures de protection, il ne cesse de me déranger. Il tourne autour de la maison matin et soir. Je n’ai même plus la possibilité d’emmener les enfants à l’école. Il continue d’appeler pour proférer des menaces de mort. Ce matin, alors que je partais travailler, il est venu. Il a vu Monsieur A.B. qui était également venu me chercher pour aller travailler. Il a commencé à crier sur lui. Il lui a dit « De quel droit tu es venu à la maison chercher ma femme ! ». A.B. a préféré ne pas répondre. Peu de temps après, il s’est cette fois-ci rendu dans les champs. Comme il a vu que je travaillais et qu’il y avait du monde autour de moi, il est reparti après avoir dévisagé tout le monde. H.C. me harcèle tout le temps. Mon état de santé psychologique s’est dégradé. J’en ai assez de vivre cette situation angoissante. Il faut que je continue à travailler ; lui, il ne travaille pas et ne s’occupe pas des enfants. Je suis en difficulté. Je souhaite porter plainte contre lui. Je ne souhaite pas de règlement amiable, je veux qu’il soit jugé et condamné. » Le 17 décembre 2010, Selma Civek porta plainte une nouvelle fois contre H.C. Elle affirmait que son mari continuait de menacer de la tuer. Le même jour, le procureur de la République de Dikili inculpa H.C. de menaces de mort et de manquement aux obligations édictées par l’ordonnance de protection. L’acte d’accusation, dans ses parties pertinentes en l’espèce, se lit comme suit : « H.C. menace de tuer son épouse Selma Civek. Le témoignage d’A., la voisine de Selma Civek, confirme cette situation. Le 21 novembre 2010, il aurait rendu visite à A. pour lui dire : « Tu dis à Selma Civek de me laisser les enfants et de quitter le domicile conjugal, faute de quoi je vais la tuer ». L’intéressé harcèlerait également au téléphone Selma Civek en l’appelant et en lui envoyant des messages avec des menaces de mort. Le 23 novembre 2010, il aurait en outre été vu autour du domicile conjugal malgré les mesures de protection prises le 15 octobre 2010. Les éléments de l’infraction de menace de mort et de manquement aux obligations édictées par l’ordonnance de protection sont constitués. » Le 26 décembre 2010, la gendarmerie recueillit les témoignages des requérants, dont les passages pertinents se lisent comme suit : Rabia Merve Civek : « Mon père appelle tout le temps à la maison. Lorsqu’il appelle le soir, il est ivre. Il crie sur maman. Il la menace de mort. Il veut qu’elle quitte la maison. » Hayriye Pınar Civek : « Mes parents ne s’entendent pas du tout. Mon père ne cesse de harceler ma mère au téléphone. Il lui envoie des messages aussi. Il l’injurie. Il lui dit même qu’il va finir par la tuer. C’est quelqu’un d’irresponsable. Il est souvent ivre. Il ne s’occupe pas de nous. » Yaşar Civek : « Mon père et ma mère ne cessent de se quereller depuis longtemps. Mon père menace de la tuer si elle demande le divorce. Il lui crie dessus tout le temps. Il pense qu’elle a plusieurs amants et que l’un d’entre eux va finir par le tuer un jour à la demande de ma mère. » Le 10 janvier 2011, le procureur de la République de Dikili inculpa une nouvelle fois H.C. d’injures, menaces et non-respect des mesures de protection. Le 14 janvier 2011, alors qu’elle rentrait de son travail, Selma Civek fut assassinée en pleine rue par son mari H.C. de 22 coups de couteau. À l’issue d’une instruction pénale, le procureur de la République déposa auprès de la cour d’assises de Bergama un acte d’accusation de meurtre avec préméditation à l’encontre de H.C. Devant la police, le parquet et la cour d’assises, H.C. avoua son crime. Il dit avoir tué son épouse en raison de son infidélité. Il prétendit que, le jour de l’incident, il avait demandé à son épouse pourquoi elle le trompait et comment elle pouvait continuer à regarder ses enfants dans les yeux, ce à quoi elle avait répondu qu’elle n’avait aucun compte à rendre car il n’était pas en réalité le père de ses enfants. Il ajouta qu’il avait alors perdu le contrôle de lui-même et qu’il l’avait poignardée plusieurs fois pour défendre son honneur. Le 29 mars 2012, la cour d’assises de Bergama reconnut H.C. coupable d’assassinat et le condamna à la réclusion criminelle à perpétuité. Le 11 février 2014, la Cour de cassation confirma l’arrêt de la cour d’assises en toutes ses dispositions. II. LE DROIT ET LA PRATIQUE PERTINENTS Le droit et la pratique internes ainsi que le droit international et les éléments de droit comparé pertinents sont décrits dans l’arrêt Opuz c. Turquie (no 33401/02, CEDH 2009). La Convention du Conseil de l’Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique (Convention d’Istanbul), adoptée par le Comité des Ministres le 7 avril 2011 et entrée en vigueur le 1er août 2014, impose aux États qui y sont parties de tout faire pour lutter contre les violences faites aux femmes sous toutes leurs formes et de prendre des mesures afin de les prévenir, de protéger ses victimes et d’en poursuivre les auteurs. Cette Convention a été ratifiée par la Turquie le 14 mars 2012.
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Le requérant est né en 1980. Le requérant fut incarcéré à la prison d’Ioannina le 25 février 2014. Le 26 février 2014, il fut transféré à la prison de Komotini pour assister à une procédure judiciaire le concernant, où il séjourna jusqu’au 11 mars 2014, date à laquelle il retourna à la prison d’Ioannina. Le 20 juin 2014, il fut transféré à la prison de Trikala où il resta jusqu’à sa libération le 24 novembre 2015. A. Les conditions de détention selon la version du requérant À la prison d’Ioannina, le requérant fut placé dans la chambrée 4, d’une surface de 45 m², qui comprenait 22 lits en son sein et 8 lits dans le couloir attenant (30 détenus au total). Il séjourna aussi dans la chambrée 5, d’une surface de 24 m², qui comprenait 18 lits mais où certains détenus étaient obligés de dormir par terre (22 détenus au total). Le requérant dormit par terre pendant plusieurs jours. En ce qui concerne les conditions de détention dans cette prison, le requérant se prévaut des constats de la Cour dans les arrêts Nisiotis c. Grèce (no 34704/08, 10 février 2011), Taggatidis et autres c. Grèce (no 2889/09, 11 octobre 2011), Samaras et autres c. Grèce (no 11463/09, 28 février 2012), Tzamalis et autres c. Grèce (no 15894/09, 4 décembre 2012), Niazai et autres c. Grèce (no 36673/13, 29 octobre 2015) et Koutsospyros et autres c. Grèce (no 36688/13, 12 novembre 2015). Le 20 juin 2014, le requérant fut transféré à la prison de Trikala. Il fut placé dans une cellule de 11,30 m² accueillant trois à quatre détenus et équipée de trois lits, d’une table, de trois chaises et d’une poubelle occupant une surface de 3 m². Il séjourna aussi pendant onze mois dans une chambrée de la nouvelle extension de la prison mesurant 32,80 m², accueillant entre six et onze détenus et équipée de cinq lits doubles superposés, de trois tables et dix chaises. Le requérant souligne qu’il devait passer seize heures par jour dans ces cellules ou ces chambrées. Selon le règlement de la prison, les détenus devaient rester dans leurs cellules, ou plutôt sur leurs lits, de 11 h 30 à 14 h 45, puis de 18 h 30 à 8 h 30 le lendemain. Le requérant affirme que le chauffage central de la prison ne fonctionnait que deux heures par jour et que l’eau chaude n’était fournie que pendant une heure, ce qui était insuffisant pour couvrir les besoins d’un si grand nombre de détenus. Le nettoyage des cellules et des espaces communs incombait aux détenus qui devaient acheter les produits nettoyants avec leurs propres deniers. Il n’y avait pas de réfectoire et les détenus étaient obligés de prendre leurs repas sur leurs lits. La nourriture était pauvre en quantité et en qualité. Enfin, la prison manquait d’assistant social et d’effectifs suffisants d’agents pénitentiaires pour assurer la sécurité des détenus. B. Les conditions de détention selon la version du Gouvernement La prison d’Ioannina, d’une capacité officielle de 60 personnes, en accueillait 201 pendant la période de détention du requérant qui fut logé dans les chambrées 1 et 4, mesurant chacune 5 m x 10,20 m et d’une capacité de 28 détenus. Toutefois, pendant la période précitée, chaque chambrée accueillait entre 35 et 37 détenus. La prison de Trikala fut construite en 2007. Le requérant fut placé dans les cellules 9 et 10 mesurant chacune 13,6 m², toilette incluse, (11,29 m² sans toilette) et dans une chambrée de l’aile C2, mesurant 32,10 m² (les toilettes étant situées à l’extérieur des chambres). Pendant toute la durée de sa détention, le nombre des détenus ne dépassa pas trois par cellule et dix par chambrée. À de rares occasions, pendant une période non spécifiée en 2014, la cellule accueillit un détenu supplémentaire et, du 8 octobre au 31 décembre 2014, il y eu un ou deux détenus supplémentaires dans la chambrée. Dans un document fourni par la prison, il est indiqué que du 1er janvier au 24 novembre 2015, le nombre de détenus dans la chambrée de l’aile C2 n’avait pas dépassé dix personnes et, à partir du 5 mai 2015, elle était occupée par six à neuf détenus. Le requérant travailla au sein de la prison du 23 juillet au 14 septembre 2015 et suivit des cours à « l’école de la deuxième chance » du 8 octobre 2014 à la fin de l’année scolaire, puis du 14 septembre 2015 jusqu’à la date de sa libération. Chaque chambrée avait trois fenêtres et était équipée de quatre tables, dix chaises, dix lits, six à dix téléviseurs, des étagères et trois poubelles. En dehors de chaque chambrée, il existait des toilettes (de 14,30 m²) équipées de deux éviers et deux douches. Les chambrées et les toilettes étaient suffisamment éclairées et l’eau chaude était fourni quotidiennement. Le nettoyage était assuré par les détenus eux-mêmes sous la surveillance d’agents pénitentiaires et était soumis au contrôle trimestriel des services compétents de la Santé publique de la région de Trikala. Tous les quatre mois, il y avait des travaux de désinfection. Les cellules dans lesquelles le requérant avait séjourné étaient équipées d’une fenêtre, d’une table, de trois chaises, de trois lits, d’un à deux téléviseurs et d’une toilette incluant un évier et une douche. La demande du requérant de changer de cellule fut accueillie. En revanche, il ne demanda jamais à changer de chambrée. Les détenus pouvaient prendre leurs repas soit à la cantine, soit dans leurs cellules et chambrées, qui étaient équipées de tables et de chaises en nombre suffisant. Le chauffage était allumé quatre heures par jour avec possibilité de prolongation en fonction des conditions météorologiques et l’eau chaude n’avait jamais manqué. Les détenus pouvaient aussi obtenir, à leur demande, des couvertures supplémentaires. Le requérant ne visita que rarement le dispensaire de la prison et n’eut pas besoin de prescription pharmaceutique. Pour l’exercice physique des détenus toutes les ailes de la prison étaient équipées de téléviseurs diffusant des programmes sportifs et des films, d’appareils de musculation et de ballons de football et de basketball. Enfin, il y avait une bibliothèque pourvue de livres grecs et étrangers. Les détenus disposaient de neuf heures par jour pour faire du sport, travailler pour ceux qui avaient des postes de travail, suivre des cours à « l’école de la deuxième chance » ou participer à différents programmes éducatifs. Les chambrées et les cellules restaient ouvertes pendant onze à douze heures par jour. Le 24 novembre 2015, date de la libération du requérant, la prison accueillait 581 détenus et 623 au 31 décembre 2015. II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS Pour le droit et la pratique internes pertinents voir l’arrêt Kanakis c. Grèce (no 2) (no 40146/11, §§ 62-67, 12 décembre 2013). Dans un rapport, relatif à la situation économique et pénitentiaire de la prison de Trikala en 2013, soumis au ministère de la Justice et établi par le directeur de la prison, ce dernier relevait que les bâtiments de cette nouvelle prison étaient modernes et bien équipés. La prison avait une capacité de 600 détenus, mais avec la construction de dix chambrées supplémentaires (pouvant accueillir chacune dix détenus), ladite capacité s’est étendue à 700 personnes. Cette capacité a été périodiquement dépassée entraînant de sérieux problèmes. Les chambrées pour dix personnes ne remplissaient plus les conditions d’hygiène et de sécurité nécessaires et devraient être supprimées dès que possible. Au 31 décembre 2013, le nombre de détenus s’élevait à 752. Dans un document adressé par le ministère de la Justice au Parlement dans le cadre du contrôle parlementaire et portant sur la capacité de toutes les prisons sur le territoire grec et le nombre de détenus au 1er avril 2014, il est indiqué que la prison de Trikala, d’une capacité de 700 détenus, en accueillait à cette date 733. Dans un document établi par le directeur de la prison de Trikala, ce nombre s’élevait à 581 à la date de la libération du requérant et à 623 au 21 décembre 2015. III. LES CONSTATS DU COMITE EUROPEEN POUR LA PREVENTION DE LA TORTURE ET DES PEINES OU TRAITEMENTS INHUMAINS OU DEGRADANTS (CPT) Dans son rapport du 5 juillet 2013, établi à la suite de sa visite du 4 au 16 avril 2013, le CPT relevait ce qui suit en ce qui concerne la prison d’Ioannina. Il existe quatre grandes chambrées dans la prison d’Ioannina, chacune d’une surface de 50 m² et accueillant 30 personnes environ. Cinq chambrées plus petites, situées au rez-de-chaussée et mesurant entre 15 m² et 32 m², accueillaient entre 8 et 18 détenus. Au total, 176 détenus séjournaient dans ces neuf chambrées, tandis que 56 autres détenus devaient dormir dans les couloirs, certains sur des lits superposés (parfois deux par lit), d’autres par terre sur des matelas. Il y avait une absence totale d’intimité pour les détenus placés dans les couloirs. En bref, selon le CPT, les conditions de détention étaient essentiellement les mêmes que celles décrites par la Cour dans son arrêt Samaras et autres c. Grèce (précité).
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Le requérant est né en 1975. Il est actuellement détenu à la prison de Ploieşti. A. L’arrestation du requérant et la procédure pénale engagée à son encontre Le 4 novembre 2009, des poursuites pénales furent ouvertes à l’encontre du requérant, chef de la section pénale du tribunal départemental de Prahova. Il était soupçonné de corruption passive et de recel de malfaiteurs pour avoir ordonné la libération de deux personnes placées en détention provisoire contre d’importantes sommes d’argent qu’il avait demandées et reçues en septembre et octobre 2009, par l’intermédiaire de l’avocate V.I.P. Dans la nuit, après avoir été entendu, le requérant fut placé en garde à vue. Le 5 novembre 2009, la direction nationale anti-corruption (« DNA ») mit le requérant en examen. Le même jour, il fut placé en détention provisoire par la cour d’appel de Bucarest, siégeant en formation de juge unique. En ce qui concerne l’application en l’espèce de l’article 143 du code de procédure pénale (« CPP »), qui exige que le dossier contienne des éléments permettant de soupçonner l’intéressé d’avoir commis les délits reprochés, le juge s’exprima dans les termes suivants : « Comme déjà exposé, la culpabilité de l’inculpé ressort des enregistrements [des conversations] téléphoniques, des enregistrements audio-vidéo, ainsi que des déclarations de V.I.P, de I.S. et de E.M. (...) Bien que l’inculpé Rebegea Dumitru n’ait pas reconnu les accusations et ait nié avoir touché une quelconque somme d’argent, ces allégations sont manifestement mal fondées et elles sont infirmées par les autres preuves, notamment par la déclaration de V.I.P. qui a exposé de manière détaillée ses actions et quelles sommes d’argent ont été versées à Rebegea Dumitru. Les conversations téléphoniques et les rencontres fréquentes de l’inculpé avec V.I.P. qui ne peuvent être aucunement contestées, étant prouvées de manière objective par les enregistrements réalisés, montrent qu’ils avaient un certain intérêt à voir résolue favorablement la situation des inculpés Z.S. et F.N.P. Il est vrai que l’inculpé n’a pas été interpelé lors d’un flagrant délit, mais son honnêteté est sérieusement mise en cause par le fait qu’après le prononcé des décisions en cause [par l’inculpé], celui-ci a téléphoné à ou rencontré V.I.P. » Le juge constata en outre que les conditions prévues par l’article 148 f) du CPP étaient réunies, le maintien en liberté du requérant constituant un danger pour l’ordre public. Le même jour, la DNA publia un communiqué de presse, ainsi libellé : « Les procureurs de la direction nationale anti-corruption effectuent des poursuites pénales à l’encontre de Rebegea Dumitru, juge au tribunal départemental de Prahova, président de la section pénale, contre lequel on a retenu (în sarcina căruia s-au reţinut) deux infractions de corruption passive et deux infractions de recel de malfaiteurs. De la décision de mise en examen des procureurs, ressort la situation de fait ci-dessous. Au cours du mois de septembre 2009, l’inculpé Rebegea Dumitru, en sa qualité de juge au tribunal départemental de Prahova, a réclamé la somme de 25 000 euros et a accepté la promesse de se voir offrir 3 000 euros afin de remettre en liberté un inculpé placé en détention provisoire. Sur la somme réclamée, le juge a touché, par un intermédiaire, dans l’intervalle juillet-octobre 2009, la somme totale de 21 000 euros, en deux fois. De même, au cours du mois d’octobre 2009, Rebegea Dumitru, en sa qualité de juge au tribunal départemental de Prahova, a réclamé la somme de 20 000 euros, dont il a touché, par un intermédiaire, 9 000 euros, afin de remettre en liberté un autre inculpé placé en détention provisoire. Les deux personnes ont été remises en liberté par le juge Rebegea Dumitru. L’inculpé a été informé des accusations portées contre lui, conformément à l’article 6 § 3 du code de procédure pénale. Eu égard au fait que, en vertu des dispositions de l’article 95 § 1 de la loi no 303/2004 portant sur le Statut des juges et des procureurs, republiée, la Section pour les juges du Conseil supérieur de la magistrature a approuvé le placement en garde à vue et en détention provisoire, le 5 novembre 2009, les procureurs ont ordonné la mise en garde à vue de l’inculpé Rebegea Dumitru pour 24 heures et, le 5 novembre 2009, la cour d’appel de Bucarest a ordonné le placement en détention provisoire de celui-ci pour 29 jours. Lors de l’enquête, les procureurs ont collaboré avec des officiers de la direction générale d’information et de protection interne du MAI (ministère de l’Intérieur). Nous entendons préciser que la mise en examen est une étape du procès pénal prévue par le code de procédure pénale et nécessaire en vue d’une proposition de placement en détention provisoire, action qui ne peut aucunement aller à l’encontre du principe de la présomption d’innocence. » Le 8 novembre 2009, la Haute Cour de cassation et de justice confirma définitivement la décision du 5 novembre 2009 de la cour d’appel de Bucarest. Par réquisitoire du parquet du 26 novembre 2009, le requérant fut renvoyé en jugement du chef des accusations retenues par le parquet le 4 novembre 2009. Par un jugement du 23 février 2012, la cour d’appel de Bucarest condamna le requérant à une peine d’emprisonnement de sept ans pour corruption passive et le relaxa du chef de recel de malfaiteurs. Le requérant forma un pourvoi contre ce jugement. Dans son arrêt du 27 mai 2013, la Haute Cour de cassation et de justice condamna le requérant à une peine d’emprisonnement de cinq ans et demi du chef de corruption passive et de recel de malfaiteurs. B. Les conditions de détention du requérant à la prison de Mărgineni Du 28 mai 2013 au 18 mars 2014, le requérant fut incarcéré à la prison de Mărgineni. Il fut transféré ultérieurement à la prison de Jilava, puis à la prison de Ploieşti. Les conditions de détention telles que décrites par le requérant Le requérant fut placé dans une cellule de 10 m² avec trois autres codétenus, dont certains fumeurs. Selon ses dires, la cellule ne bénéficiait pas d’un éclairage naturel adéquat en raison des dimensions et de l’emplacement de la fenêtre. Par ailleurs, il conteste, sans plus de précisions, les allégations des représentants de l’administration nationale des prisons (« ANP ») qui soutiennent que la nourriture offerte aux détenus était de bonne qualité et qu’il n’y avait pas de problèmes concernant le chauffage. Les conditions de détention telles que décrites par le Gouvernement Le Gouvernement, renvoyant à une lettre envoyée par l’ANP, indique que, le 28 mai 2013, le requérant a été incarcéré à la prison de Mărgineni. Il précise que, du 28 mai au 12 juillet 2013, il a été placé dans la cellule no 55 de l’aile E5 qui a une superficie de 13, 18 m², soit seul, soit avec un autre détenu. Du 12 au 19 juillet 2013, il a été transféré dans la cellule no 31 de l’aile E3 qui avait une superficie de 39, 98 m², était dotée de 13 lits et dans laquelle étaient placés en moyenne onze détenus. Du 19 juillet au 2 septembre 2013, il a été placé à nouveau dans la cellule no 55. Du 2 au 6 septembre 2013, le requérant a été placé dans la cellule no 18 de l’aile E2 qui avait une superficie de 43, 30 m², était dotée de trente lits et dans laquelle étaient placés en moyenne vingt-cinq détenus. Du 6 septembre 2013 au 18 mars 2014, il a été placé dans la cellule no 16 de l’aile E qui avait une superficie de 53, 65 m², était dotée de trente lits et dans laquelle étaient placés en moyenne vingt-cinq détenus. Les cellules dans lesquelles le requérant a été incarcéré étaient pourvues d’éclairage artificiel, d’un système qui assurait correctement le chauffage, de toilettes, de rangements pour les effets personnels et de tables et chaises pour prendre les repas, et d’eau potable. L’intéressé a eu accès aux douches deux fois par semaine. Des actions de désinsectisation et de dératisation étaient menées une fois par trimestre ou suivant les besoins. La nourriture était de bonne qualité et vérifiée quotidiennement par les responsables de la prison et un représentant des détenus. II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES ET INTERNATIONAUX PERTINENTS Le droit et la pratique internes pertinents en l’espèce ainsi que les conclusions du Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (CPT) rendues à la suite de plusieurs visites effectuées dans des prisons de Roumanie, tout comme ses observations à caractère général, sont résumés dans l’arrêt Iacov Stanciu c. Roumanie (no 35972/05, §§ 113-129, 24 juillet 2012). Les dispositions pertinentes en l’espèce de la loi no 275/2006 sur l’exécution des peines ainsi que la jurisprudence fournie par le Gouvernement sont décrites dans l’affaire Cucu c. Roumanie (no 22362/06, § 56, 13 novembre 2012). Les conclusions du rapport établi par l’Association pour la défense de droits de l’homme – le comité Helsinki (« Apador – CH ») à la suite d’une visite effectuée le 28 août 2013 à la prison de Mărgineni sont décrites dans l’affaire Necula c. Roumanie (no 33003/11, § 30, 18 février 2014). Le rapport fait état en particulier du problème de surpeuplement carcéral, de l’absence d’eau courante qui n’était fournie que trois fois par jour pendant une ou deux heures, absence qui engendrait des conditions d’hygiène précaires, ainsi que la dégradation des cellules et de la cuisine de la prison.
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Le requérant est né en 1969 et réside à Pitești. A. L’incident du 2 septembre 2009 Le matin du 2 septembre 2009, vers 8 heures, un particulier appela la police et signala que le requérant, qui semblait être en état d’ivresse, faisait du tapage en compagnie d’un autre homme. Ce jour, vers 8 heures 30, une équipe de deux policiers de proximité (agenţi de poliţie comunitară) se rendit à l’endroit où se trouvait le requérant, à savoir devant un bloc d’appartements de la cité de Războieni, à Piteşti. Les policiers lui demandèrent de décliner son identité ce qu’il refusa de faire. L’équipe de policiers de proximité se retira. Peu après, des policiers du commissariat de police no 3 de Piteşti arrivèrent sur place et invitèrent le requérant à les suivre au siège du commissariat de police. Face à son refus, les policiers firent usage d’un spray irritant, lui passèrent les menottes, et l’emmenèrent de force au commissariat, dans une voiture de police. La décision définitive du 20 mars 2012 du tribunal départemental d’Argeş décrit ainsi cet épisode : « D’après le requérant, à ce moment, il a été insulté, on lui a pulvérisé du gaz irritant, on l’a immobilisé et on l’a fait monter de force dans la voiture de la police pour le conduire au commissariat de police no 3 et lui imposer une amende. L’agent de police M. – dans sa déclaration versée au dossier, à la page (...) reconnaît qu’il a fait usage du gaz irritant afin d’immobiliser la partie lésée, fait confirmé par [le policier] P. selon lequel « nous l’avons conduit de force au commissariat de police ». Le requérant affirme qu’une fois arrivé au commissariat, les policiers qui l’avaient amené, ainsi que plusieurs autres, qui s’étaient joint à eux, se mirent à le frapper à coups de poing et de pied, alors qu’il était tombé par terre. Ses vêtements furent déchirés. L’épouse du requérant s’était rendue au commissariat de police, accompagnée par leur fils et demanda qu’on le relâche. Se servant des documents d’identité présentés par la famille du requérant, les policiers lui infligèrent une amende contraventionnelle pour trouble à l’ordre public. Le procès-verbal fut dressé en présence de trois témoins assistants (martori asistenţi). Une enquête fut également ouverte à son encontre du chef d’outrage. Le requérant contesta, par la suite, le procès-verbal lui infligeant une sanction contraventionnelle et obtint gain de cause par un jugement du 19 mars 2010 du tribunal de première instance de Piteşti, qui devint définitif par la suite. Selon ce jugement, le procès-verbal contesté n’avait pas été régulièrement établi, principalement en raison du fait que l’agent de police qui l’avait dressé n’était pas présent sur place lorsque les faits reprochés au requérant avaient été commis et que, dans ces circonstances, il n’avait pas procédé aux vérifications nécessaires. Après lui avoir infligé ladite amende, les policiers laissèrent partir le requérant. La décision définitive du 20 mars 2012 du tribunal départemental d’Argeş décrit ainsi cette deuxième séquence de l’incident du 2 septembre 2009 : « L’agent de police S. (page...) précisa que la partie lésée est restée au commissariat de police environ 10 à 15 minutes, pendant lesquelles il proféra des injures, des menaces « en hurlant et en criant ». Le témoin F. déclara qu’il ne savait pas ce qui s’était passé dedans, mais seulement que 20 minutes après, le requérant était sorti du commissariat. La famille de la partie lésée, à savoir son fils (...) et son épouse (...), arrivés au commissariat l’ont aperçu allongé à terre, le T-shirt déchiré, le visage rouge et pleurant. Le policier S. a déclaré que le requérant avait été filmé avec une caméra vidéo pendant le temps où il était resté au commissariat de police et qu’il avait mis cet enregistrement à la disposition des enquêteurs. » D’après la décision définitive du 25 mars 2013, à peine sorti dans la rue, le requérant proféra des injures à l’adresse des policiers. Alors, les policiers S. et G. partirent à sa poursuite afin de le ramener à l’intérieur du commissariat. Le requérant affirme qu’il fut rattrapé par ces policiers, qui firent à nouveau usage d’un spray irritant en visant son visage, le firent tomber à terre et le frappèrent à coups de poing et de pied, alors que les gens qui passaient dans la rue disaient aux policiers d’arrêter de le frapper. Un des deux policiers lui coinça la jambe contre le trottoir surélevé et le frappa jusqu’à lui causer une fracture du fémur. La décision du 20 mars 2012 du tribunal départemental d’Argeş décrit ainsi cette dernière séquence de l’incident du 2 septembre 2009 : « Un troisième épisode de l’agression alléguée par la partie lésée s’est déroulé devant le siège du commissariat de police no 3, au carrefour se trouvant à proximité, lorsque, après le départ de la partie lésée, qui continuait à proférer des injures et des menaces, l’agent de police S. et l’inspecteur G. partirent à sa poursuite dans l’intention de le ramener au commissariat. L’intimé P. a affirmé qu’avec l’agent M., ils avaient pris la voiture [de la police] dans l’intention de faciliter le transport du requérant au commissariat ; une fois dans la rue, il avait aperçu la partie lésée tombée à côté du poteau de signalisation lumineuse destiné à guider le déplacement des véhicules. » Ramené dans la cour du commissariat de police, le requérant fut déposé à terre, puis attrapé par les mains et les pieds, en dépit du fait qu’il accusait une très forte douleur au pied, et transporté à l’intérieur. À ce moment, il n’arriva plus à maîtriser ses sphincters à cause de la douleur et ressentit un fort sentiment d’humiliation. Sa femme demanda aux policiers d’appeler une ambulance pour l’emmener à l’hôpital, ce qu’ils refusèrent. Par la suite, les policiers permirent à la famille du requérant de l’emmener à l’hôpital dans leur voiture personnelle. B. Les blessures constatées chez le requérant Le requérant fut hospitalisé du 2 au 17 septembre 2009 en raison de sa fracture du fémur gauche et subit plusieurs interventions chirurgicales. Le rapport médico-légal dressé le 28 septembre 2009 indiqua, sur la base de l’examen médical du requérant et des documents établis lors de son hospitalisation, qu’il nécessitait environ 90 jours de soins médicaux, si aucune complication n’intervenait. Un complément d’expertise médico-légale réalisé à une date non-précisée, en décembre 2009, porta à 120 jours le nombre de jours de soins médicaux nécessaires au rétablissement du requérant. Le rapport précité établit également que le requérant présentait des lésions traumatiques, dont notamment une fracture comminutive du fémur gauche, la tuméfaction de la cuisse gauche et des crépitations osseuses. Selon ledit rapport, ces lésions ont été produites par coup avec ou contre un objet dur (prin lovire cu sau de corp dur), et pouvaient dater du 2 septembre 2009. À la demande de l’avocat du requérant, le 12 décembre 2012, un rapport d’expertise médico-légale extrajudiciaire fut établi par le médecin légiste A.F. Les conclusions de ce rapport excluaient que le requérant ait pu se fracturer le fémur en tombant tout seul et en heurtant le sol. Ces conclusions sont ainsi rédigées dans leurs parties pertinentes en l’espèce : « (...) Constantinescu Răzvan Laurenţiu a présenté en date du 2 septembre 2009, une fracture comminutive du fémur gauche, à 1/3 distale. Compte tenu des caractéristiques morphologiques de cette fracture décrites dans les documents médicaux et visibles sur les radiographies présentées par l’intéressé, cette fracture a pu se produire uniquement par coup direct (prin mecanism direct de lovire activă). Il est exclu qu’elle se soit produite par collision contre une surface rigide (fiind exclus mecanismul de lovire de plan dur). Le fémur est un os d’une résistance particulièrement élevée qui ne cède qu’à des forces cinétiques de grande intensité appliquées au niveau de quelconque segment. Dans le chapitre intitulé Discussion du cas, nous avons présenté toutes les modalités selon lesquelles les fractures peuvent survenir ; les forces qui agissaient sur l’os et son moyen de réagir à celles-ci, ainsi que le trait de la fracture, respectivement. Eu égard aux données théoriques et aux ouvrages de spécialité, la fracture présentée par M. Constantinescu le 2 septembre 2009 a été causée par l’application d’un coup ayant une force cinétique particulièrement élevée, qui a vaincu la structure de résistance du fémur, de sorte que ce dernier s’est fracturé selon un trait comminutif au niveau de l’impact. En théorie, la seule possibilité qu’une fracture de type comminutif au fémur puisse résulter d’une collision avec un objet dur ou une surface rigide, à la suite d’une chute, serait dans le cas d’un os pathologique (ostéoporose ou affections générées par des tumeurs). Or tel n’est pas le cas de M. Constantinescu, qui ne souffre d’aucune affection de ce type et qui était âgé de 40 ans à la date de l’incident. (...) » C. La procédure pénale contre les policiers accusés par le requérant Le 21 octobre 2009, le requérant porta plainte au sujet des violences auxquelles il avait été soumis. Premier non-lieu à l’égard des policiers et sa contestation avec succès auprès du tribunal départemental Par décision du 31 août 2010, le parquet près le tribunal départemental d’Argeş rendit un non-lieu à l’égard de trois policiers (S., M. et P.), principalement du chef de l’infraction de comportement abusif (purtare abuzivă) prévue à l’article 250 du code pénal en vigueur à l’époque des faits, en considérant que le requérant s’était cassé la jambe en tombant tout seul. Par la même décision il déclina également sa compétence en ce qui concernait le quatrième policier, G., qui avait un rang supérieur. Sur contestation du requérant, le procureur en chef confirma cette décision. Le 29 novembre 2010, le parquet près la cour d’appel de Piteşti rendit un non-lieu également à l’égard de G., au motif que ce dernier, qui était simplement parti avec le policier S. à la poursuite du requérant pour le ramener au commissariat de police, n’avait aucunement provoqué les blessures constatées par la suite sur la personne du requérant. Ce dernier s’était blessé accidentellement en tombant tout seul, sans être poussé par quiconque. Le parquet fonda sa décision sur les dépositions d’un des trois témoins assistants ayant signé le procès-verbal de contravention dressé le 2 septembre 2009 (voir le paragraphe 11, ci-dessus), qui avait déclaré avoir vu le requérant courir, heurter une bordure et tomber. Après un premier recours hiérarchique rejeté, le requérant contesta le premier non-lieu devant le tribunal départemental, en se plaignant de ce que le parquet n’avait pas fait d’investigations sérieuses au sujet de sa plainte. Par décision définitive du 11 mars 2011, le tribunal départemental d’Argeş accueillit ce recours et renvoya l’affaire devant le parquet, en considérant que les investigations n’avaient pas été complètes. Le tribunal constata que les témoins proposés par le requérant n’avaient pas été entendus et que les policiers accusés n’avaient pas été questionnés quant à l’ensemble des faits dénoncés. Le tribunal observa également que la convocation du requérant et des témoins qu’il avait proposés pour être entendus n’avait pas été régulièrement faite. En particulier, le tribunal constata que les citations à comparaître en question n’avaient pas été envoyées par la poste ou par des agents procéduraux spécialement désignés à cette fin, comme l’exigeait le code de procédure pénale en vigueur à l’époque, mais par des agents de police du commissariat de police no 3, donc du même commissariat que celui où travaillaient les policiers accusés. Le tribunal précisa qu’il ne saurait ignorer ce dernier détail et ordonna que le requérant et ses témoins soient convoqués et entendus dans le respect des règles de procédure. Enfin, le tribunal renvoya l’affaire devant le parquet près le tribunal départemental afin que des poursuites pénales soient entamées (în vederea începerii urmăririi penale faţă de făptuitori) et que plusieurs actes d’enquête soient réalisés, notamment l’audition du requérant, l’administration des preuves demandées par lui et l’interrogatoire des policiers accusés au sujet de l’ensemble des faits allégués. Complément d’enquête, deuxième non-lieu et décision du tribunal départemental du 20 mars 2012 infirmant ce non-lieu À la suite de la décision du 11 mars 2011, du tribunal départemental d’Argeş, le parquet procéda à un complément d’enquête, consistant principalement à exploiter aux fins de l’enquête le contenu de l’enregistrement audio-vidéo qui avait été déposé au dossier par le policier S. le 29 juin 2010. Le 28 juillet 2011, le requérant se plaignit au procureur du manque d’impartialité des enquêteurs chargés de son affaire et travaillant au même commissariat de police que les policiers accusés. Un rapport de constatation technico-scientifique fut établi le 12 août 2011. Ce rapport portait sur le contenu numérique d’un CD-ROM, déposé au dossier par le policier S. D’après ce rapport, le disque en question contenait un fichier créé le 4 mai 2010. Ce fichier numérique comportait 11 minutes et 33 secondes d’enregistrement audio-vidéo. Ledit rapport fit état de la transcription des conversations enregistrées et de neuf planches photographiques résultant des captures d’écran pratiquées sur l’enregistrement vidéo. Selon la transcription contenue dans ledit rapport, l’échange verbal entre le requérant et les policiers ne contenait pas d’injures ou de menaces qui soient proférées par le requérant. Ce dernier demandait aux policiers d’arrêter de le frapper et disait ne pas pouvoir marcher, car il avait très mal au pied gauche, ce pourquoi il implorait l’aide des policiers. L’extrait des transcriptions en question contenait un échange, qui eut lieu peu après le début de l’enregistrement, tel que contenu dans le fichier, entre le requérant et des policiers non-identifiés par ledit rapport, et est ainsi rédigé : « R.[L.]C. : Qu’est-ce que j’ai fait, bonnes gens ? - Tu t’es moqué de nous... et nous nous moquons de toi... c’est simple R.[L.]C. « Et à ce point vous me tapez ? Comme ça ? - Oui... et pire si...(...) - Tu pleurniches R.[L.]C. Pourquoi me tapez-vous ? - Tu pleurniches comme une femme en couches » Un second non-lieu fut rendu par le procureur, le 18 août 2011 au sujet uniquement d’un des policiers accusés, à savoir P., alors que pour deux autres – à savoir S. et M. – le parquet près le tribunal départemental déclina sa compétence en faveur du parquet près le tribunal de première instance de Piteşti. Cette décision fut confirmée, sur recours hiérarchique du requérant, le 5 octobre 2011. Le requérant contesta ce non-lieu et obtint gain de cause par décision du tribunal départemental du 20 mars 2012. Le tribunal infirma le non-lieu du 18 août 2011 en raison de lacunes dans l’enquête et des insuffisances du raisonnement de la décision du procureur. Le tribunal constata également que le parquet ne s’était conformé que partiellement aux instructions données par le juge dans sa décision définitive du 11 mars 2011. La principale lacune identifiée par le tribunal départemental consistait dans le fait que le rapport de constatation technico-scientifique établi le 12 août 2011 n’identifiait pas les personnes, mis à part le requérant, qui parlaient sur l’enregistrement. Considérant que ce rapport était, dès lors, incomplet, le tribunal estima qu’une expertise criminalistique à ce sujet était nécessaire. En outre, le tribunal nota que le parquet n’avait pas ordonné d’expertise médico-légale visant à établir comment les lésions traumatiques constatées chez le requérant le 2 septembre 2009 avaient été causées exactement. Par conséquent, le tribunal renvoya l’affaire devant le parquet près le tribunal départemental afin que des poursuites pénales soient entamées et que les actes d’enquête soient réalisés. Complément d’enquête et troisième non-lieu À la suite de la décision du 20 mars 2012, du tribunal départemental d’Argeş, le requérant dénonça le manque de diligence des enquêteurs après ladite décision. Il fit notamment valoir qu’aucune mesure d’enquête n’avait été prise pour faire avancer l’enquête. Par décision du 2 juillet 2012, le procureur en chef du parquet près le tribunal départemental d’Argeş fit droit à la réclamation du requérant et ordonna que l’enquête soit finalisée pour le 10 août 2012. Le parquet procéda à un complément d’enquête. Le 14 août 2012, le rapport de constatation technico-scientifique du 12 août 2011 fut complété sur demande du procureur. Le parquet demanda au laboratoire d’expertises criminalistiques d’effectuer des captures d’images sur l’enregistrement vidéo à la 4ème minute de cet enregistrement, et plus précisément des images captées dans l’intervalle allant de 4 minutes 20 secondes à 4 minutes et 30 secondes. Par un procès-verbal dressé le 18 septembre 2012, à part le requérant, sept autres personnes qui apparaissaient sur l’enregistrement en question furent identifiées, dont les policiers S., P. et G. contre lesquels le requérant avait porté plainte. Le chef du commissariat de police avait également été identifié sur cet enregistrement, ainsi que deux autres policiers. En réaction à ces révélations, le requérant sollicita qu’ils soient également interrogés au sujet des violences dénoncées par lui. Les 25 et 26 septembre 2012, les deux policiers susmentionnés furent entendus par le procureur. Parmi les sept personnes identifiées sur l’enregistrement, six, au total, étaient des policiers. Selon le complément de rapport, deux autres personnes apparaissant sur cet enregistrement ne purent pas être identifiées. Le 4 octobre 2012, le parquet rendit un non-lieu à l’égard des policiers accusés et déclina sa compétence pour ce qui était de l’accusation d’outrage portée à l’égard du requérant, accusation jointe entre-temps à l’enquête contre les policiers. Ce non-lieu fut confirmé le 25 novembre 2012, par le procureur en chef, puis par une décision définitive du 25 mars 2013 du tribunal départemental d’Argeş, au motif que la force appliquée par les policiers pour interpeller le requérant avait été rendue nécessaire par son propre comportement agressif et qu’il n’était pas exclu que la fracture qu’il avait subie à cette occasion ait été causée par sa chute. S’agissant des six témoins oculaires qui avaient déclaré avoir vu que les policiers frappaient le requérant dans la rue, le tribunal considéra que leurs dépositions ne pouvaient pas être retenues car elles n’étaient pas corroborées par d’autres moyens de preuve. S’agissant de l’injonction faite au parquet par la décision de justice du 20 mars 2012 d’entamer des poursuites pénales, le tribunal départemental considéra, dans sa décision du 25 mars 2013, qu’elle ne s’imposait pas automatiquement au procureur, mais seulement dans l’hypothèse où ce dernier estimait qu’il était en possession de tous les éléments requis par la loi afin d’entamer des poursuites pénales, ce qui n’était pas le cas en l’espèce. II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES ET INTERNATIONAUX PERTINENTS Les dispositions pertinentes en l’espèce du droit interne et les constatations et les recommandations du Comité européen pour la prévention de la torture pertinentes en la matière sont, en partie, résumées dans les arrêts Şercău c. Roumanie (no 41775/06, §§ 53, 55 et 57, 5 juin 2012), Antochi (no 36632/04, §§ 28-31, 12 juillet 2011), Carabulea c. Roumanie (no 45661/99, § 82, 13 juillet 2010) et Vereş c. Roumanie, no 47615/11, § 40, 24 mars 2015). L’avis du Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe sur le règlement indépendant et efficace des plaintes contre la police, publié le 12 mars 2009 (CommDH(2009)4) est cité dans l’arrêt Anton c. Roumanie (no 57365/12, § 31, 19 mai 2015). Dans son rapport établi à la suite de sa visite en Roumanie du 31 mars au 4 avril 2014, publié le 8 juillet 2014 (CommDH(2009)4), le Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe considère qu’il est crucial que la Roumanie établisse un mécanisme indépendant et efficace en matière de plaintes contre la police.
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Les requérants sont nés respectivement en 1978, 1976 et 1979 et résident à Petroş et Haţeg. A. Les événements du 1er janvier 2011 à la station de ski « Parâng » Dans l’après-midi du 1er janvier 2011, une altercation survint entre les trois requérants et les quatre gendarmes de la station de ski de Parâng (« la station »), à la suite de l’interpellation par un gendarme d’E.O.N., un proche des requérants qui aurait utilisé sa luge sur une piste de ski. Les trois requérants furent immobilisés, menottés et conduits au poste de gendarmerie de la station. Vers 16 heures, un procès-verbal de contravention visant E.O.N. fut dressé par un gendarme dans les locaux du poste. À 16 h 16, les trois autres gendarmes établirent des rapports sur les circonstances de l’emploi de la force et des moyens dont ils disposaient contre les requérants. Les rapports mentionnaient que les requérants étaient sous l’influence de l’alcool et s’étaient montrés violents. Vers 16 h 20, les trois requérants furent soumis à des fouilles corporelles. À des heures non précisées, les gendarmes rédigèrent des rapports sur les événements de l’après-midi. À 20 heures, les gendarmes dressèrent un procès-verbal au même sujet. Les faits y étaient, en substance, relatés comme suit : – Les gendarmes de la station avaient été répartis en deux patrouilles de deux gendarmes chacune. Une de ces patrouilles avait interpellé le dénommé E.O.N., qui était descendu avec une luge sur une piste de ski, et l’avait conduit au poste de gendarmerie afin de dresser un procès-verbal de contravention. Trois hommes du groupe qui accompagnait E.O.N. étaient venus rapidement au poste de gendarmerie dans l’intention de l’en sortir. Deux de ces hommes avaient pénétré dans le poste de gendarmerie, où ils avaient agressé et injurié le gendarme I.A. Le gendarme B.M., qui s’était posté devant la porte pour tenter de les empêcher d’entrer, avait été mis à terre par un homme du groupe, qui lui avait porté un coup de poing au visage. Les trois hommes avaient tenté de fuir, mais ils avaient été appréhendés par les deux gendarmes avec l’aide des pisteurs-secouristes présents et des gendarmes de la deuxième patrouille, qui avaient été appelés entre-temps en renfort. Les trois hommes s’étaient montrés agressifs et avaient injurié les gendarmes lorsque ceux-ci les avaient conduits au poste de gendarmerie. En conséquence, les gendarmes avaient employé la force à leur encontre et les avaient menottés. Au cours des événements, les gendarmes avaient été l’objet d’agressions d’ordre psychique, physique et verbal de la part des épouses des trois hommes. Le procès-verbal indiquait, en substance, qu’ensuite : – Les gendarmes avaient fait des démarches en vue de l’identification des trois hommes (les requérants de la présente requête), qui n’étaient pas en possession de leurs pièces d’identité. Ces derniers avaient fait des déclarations écrites. Le requérant Hoalgă avait déposé dans le sens que les deux autres étaient entrés dans le poste de gendarmerie afin d’intervenir en vue de la libération d’E.O.N. et qu’ils avaient bousculé un gendarme. Il avait précisé que dans cette bousculade, le deuxième gendarme avait reçu un coup de poing au visage. Les deux autres requérants avaient déclaré qu’ils étaient intervenus afin de libérer E.O.N. Le procès-verbal exposait en outre les déclarations de six témoins oculaires, y compris E.O.N., qui avaient confirmé la version des faits présentée par les gendarmes. E.O.N. avait reconnu, lui aussi, que les trois requérants avaient bousculé les gendarmes et que le requérant Hoalgă avait porté un coup de poing au visage de l’un d’entre eux. Enfin, le procès-verbal mentionnait que les requérants Hoalgă et Săcârcea avaient soutenu que leurs dépositions avaient été faites sous la pression. Les requérants avaient, tous les trois, refusé de signer le procès-verbal. Dans ces conditions, le procès-verbal leur avait été lu dans son intégralité, en présence d’un témoin. Le 1er janvier 2011, à une heure non précisée, l’inspection départementale de la gendarmerie informa le parquet près le tribunal de première instance de Petroşani sur les événements et les personnes impliquées. Le 2 janvier 2011, des procès-verbaux de contravention furent dressés à l’encontre des requérants Săcârcea et Leleşan pour avoir pénétré illégalement dans le poste de la gendarmerie de la station de ski de Parâng et pour avoir refusé d’obtempérer quand les agents de l’État leur avaient demandé de sortir. D’après les informations fournies par le Gouvernement, les contestations formées par les deux requérants contre ces procès-verbaux ont été rejetées par des décisions définitives des tribunaux nationaux des 22 juin 2011 et 14 mars 2013, respectivement. B. Les examens médicaux Selon un certificat médicolégal du 4 janvier 2011, tel que complété les 11 et 24 janvier et le 8 février 2011, le requérant Hoalgă présentait plusieurs excoriations au niveau du front et de l’œil droit et deux hématomes frontaux et temporaux, ainsi que des ecchymoses et des excoriations au niveau du dos, de la hanche, des jambes, du bras droit et des doigts des deux mains, qui avaient nécessité 35 à 36 jours de soins médicaux. Ces lésions avaient été provoquées par des coups répétés avec un objet contondant. Selon un certificat médicolégal du 4 janvier 2011, tel que complété le 12 janvier 2011, le requérant Leleşan présentait un polytraumatisme du thorax avec fracture d’une côte ainsi que de multiples ecchymoses et excoriations au niveau des deux jambes et de l’épaule gauche qui avaient nécessité 21 à 22 jours de soins médicaux. Ces lésions avaient été provoquées par des coups répétés avec un objet contondant. Selon un certificat médicolégal du 4 janvier 2011, tel que complété les 11 et 24 janvier et le 8 février 2011, le requérant Săcârcea présentait des ecchymoses et des excoriations au niveau du front, du nez, de la tête, des bras et des jambes qui avaient nécessité 35 à 36 jours de soins médicaux. Ces lésions avaient été provoquées par des coups répétés avec un objet contondant. Selon un certificat médicolégal du 6 janvier 2011, tel que complété le 20 janvier 2011, le gendarme B.M. présentait un traumatisme cranio-facial, une excoriation de la main gauche, des ecchymoses discrètes des paupières, une excoriation du genou gauche et une contusion scapulaire gauche qui avaient nécessité 23 à 24 jours de soins médicaux. Ces lésions avaient été provoquées par des coups avec un objet contondant. C. L’enquête disciplinaire contre les gendarmes Le 3 janvier 2011, le requérant Leleşan déposa une plainte auprès de la direction générale départementale de la gendarmerie dénonçant les mauvais traitements qu’il aurait subis de la part des gendarmes à la station de ski de Parâng deux jours auparavant. Le même jour, l’épouse du requérant Leleşan et E.O.N., lequel était accompagné par son père, demandèrent une audience à l’inspecteur en chef de la gendarmerie, qui les accueillit le jour même. E.O.N. déclara qu’il n’avait pas été frappé par les gendarmes, mais que sa déposition du 1er janvier 2011 avait été donnée sous la pression. L’épouse du requérant Leleşan déclara que les gendarmes les auraient menacés avec un pistolet. Le même jour, une commission d’enquête interne fut créée au sein de la direction générale départementale de la gendarmerie et chargée de vérifier les allégations susmentionnées. Du 4 au 24 janvier 2011, la commission fit plusieurs démarches : elle étudia les documents concernant la mission de protection de l’ordre public des gendarmes impliqués dans les événements, leurs rapports concernant les événements rédigés le 1er janvier 2011, ainsi que leurs rapports relatifs à l’emploi de la force dressés le même jour, les nouveaux rapports dressés le 4 janvier 2011 à la demande de la commission d’enquête, et les dépositions faites par les requérants à cette occasion ; elle entendit sept témoins oculaires qu’elle avait identifiés et consigna le contenu des discussions avec trois autres témoins oculaires et avec le requérant Leleşan, qui avait refusé d’indiquer d’autres témoins oculaires. La commission prit contact par téléphone avec le requérant Săcârcea et avec E.O.N., qui refusèrent tous deux de rencontrer les membres de la commission. Le requérant Hoalgă ne put être joint par téléphone. Dans son rapport du 24 janvier 2011, la commission d’enquête indiqua en substance ceci : – Les allégations du requérant Leleşan et de son épouse ainsi que celles de E.O.N. concernant l’emploi injustifié de la force par les quatre gendarmes étaient contredites par les rapports des gendarmes et par les dépositions des témoins oculaires, qui avaient déclaré que les gendarmes avaient dû employer la force uniquement afin d’immobiliser les trois requérants qui étaient devenus agressifs, l’un d’entre eux ayant même mis à terre et frappé l’un des gendarmes. Les allégations du requérant Leleşan au sujet de son agression ainsi que celles des autres requérants, selon lesquelles ils seraient restés à l’intérieur du poste de gendarmerie pendant environ une heure, durée qui aurait été émaillée de hurlements de douleur, étaient infirmées par les déclarations de plusieurs témoins oculaires qui se trouvaient au même moment dans le bureau des pisteurs-secouristes, bureau qui avait un mur commun avec le poste de gendarmerie et qui permettait d’entendre facilement ce qui se passait de l’autre côté. Ces témoins avaient nié avoir entendu des cris ou d’autres bruits provenant du poste de gendarmerie. D’autres témoins avaient déclaré qu’à aucun moment, les gendarmes n’avaient utilisé leurs armes et cela, alors même que les personnes qui assistaient aux événements les y encourageaient. La commission d’enquête conclut que la préparation de la mission des gendarmes avait respecté les dispositions légales, que ceux-ci avaient bénéficié de la formation adéquate en la matière, et qu’ils avaient appliqué les procédures prescrites pour la situation créée, de sorte qu’aucune faute disciplinaire ne pouvait leur être imputée. La commission nota en outre que la plainte du requérant s’apparentait à une plainte pénale du chef de comportement abusif et nota que, d’ailleurs, le parquet militaire était déjà saisi d’une telle plainte pénale. D. L’enquête pénale menée par les autorités sur la plainte pénale des requérants En janvier 2011, les trois requérants déposèrent des plaintes pénales contre les quatre gendarmes de la station de ski de Parâng, dénonçant les mauvais traitements prétendument subis de leur part le 1er janvier 2011. Ils complétèrent celles-ci par la suite, précisant que leurs chefs de plainte étaient les suivants : comportement abusif (article 250 du code pénal (« CP »), atteinte à l’intégrité corporelle (article 181 du CP), abus d’autorité contre des particuliers (article 246 du CP), faux (article 289 du CP) et privation illégale de liberté (article 189 du CP). Ces plaintes furent déposées auprès de la police de Petroşani, du parquet près le tribunal de première instance de Petroşani et du parquet militaire près le tribunal militaire de Timişoara (ci-après « le parquet militaire »). Les requérants se constituèrent parties civiles et furent représentés par un avocat tout au long de la procédure. Dans leurs plaintes et explications ultérieures, les trois requérants donnèrent leur version des faits, qui peut se résumer comme suit : – Le 1er janvier 2011, ils se trouvaient sur une piste de ski de la station de Parâng avec leurs familles et plusieurs amis. Vers 15 h 30, un gendarme interpella E.O.N., un ami des requérants, et l’invita à le suivre au poste de gendarmerie de la station. Devant le refus de celui-ci de faire suite à cette invitation, le gendarme le prit par le col de sa veste et le poussa en direction du poste. Le requérant Leleşan intervint, en demandant les raisons de l’interpellation de son ami. Le gendarme se retourna vers lui, l’attrapa par ses vêtements et le poussa en direction du poste de gendarmerie. – Les deux autres requérants, arrivés entre-temps devant le poste, sollicitèrent la libération de leurs amis. Ils furent frappés et ensuite immobilisés à terre et menottés par trois autres gendarmes. Sous la menace d’un pistolet, ils furent ensuite conduits, tour à tour, à l’intérieur du poste. – Pendant quatre heures, les gendarmes portèrent, à plusieurs reprises, des coups de poing et de pied aux trois requérants menottés. Ils furent également frappés au moyen d’objets contondants (matraque, manche à balai) ou bien se virent cogner la tête contre les murs. Le requérant Săcârcea perdit connaissance et les gendarmes durent l’asperger d’eau afin qu’il reprenne connaissance. Les gendarmes obligèrent les requérants à laver le plancher et les murs salis de sang. – Les requérants furent ensuite forcés à faire des dépositions conformes à la volonté des gendarmes. – Vers 23 h 30, après l’arrivée des supérieurs des gendarmes et d’un officier judiciaire de la gendarmerie, les requérants furent autorisés à quitter le poste de gendarmerie. – Les requérants n’avaient été agressifs et n’avaient proféré de menaces ou d’injures à l’encontre des gendarmes à aucun moment de la journée. – Le lendemain, ils se présentèrent à l’hôpital de Hunedoara où on décida leur hospitalisation jusqu’au 7 janvier 2011. Le requérant Hoalgă fut hospitalisé à nouveau du 12 au 19 janvier ; on diagnostiqua un traumatisme thoraco-abdominal et une hémorragie sous-conjonctivale. Les requérants versèrent au dossier des certificats médicolégaux (paragraphes 18-20 ci-dessus) et des photographies prises avant l’incident, afin de montrer qu’ils ne présentaient alors aucune trace d’agression, et des photographies prises après leur rétention dans le poste de gendarmerie, illustrant les traces de violence visibles sur différentes parties de leurs corps. Ils versèrent également un enregistrement vidéo présentant plusieurs gendarmes qui essayaient de faire entrer de force une personne dans le poste de la gendarmerie, alors que cette personne s’y opposait fermement en s’accrochant à la porte d’entrée, ainsi que trois autres enregistrements dans lesquels ils dénonçaient les mauvais traitements qu’ils auraient subis de la part des gendarmes. D’autres photographies présentant le poste de gendarmerie de la station de ski de Parâng ainsi qu’un gendarme dont la prothèse dentaire s’était détachée furent versés au dossier. L’affaire fut renvoyée devant le parquet militaire. Par une décision du 28 mars 2011, le parquet militaire ouvrit des poursuites pénales contre les gendarmes. Le 29 mars 2011, le parquet militaire entendit les requérants, qui confirmèrent et complétèrent la version des faits présentée dans leurs plaintes. Le requérant Leleşan précisa qu’il ne s’était pas opposé à entrer dans les locaux de la gendarmerie à l’invitation des agents de l’État, mais que les deux autres requérants y avaient opposé une certaine résistance sans pour autant riposter avec violence. Il mentionna pour la première fois que les gendarmes auraient repeint une partie des murs salis de sang. Les requérants Hoalgă et Săcârcea ajoutèrent que le chef des gendarmes, arrivé sur place dans l’après-midi et très énervé d’avoir dû faire le déplacement, leur avait porté des coups aux jambes et des coups de poing à la tête. Le requérant Hoalgă affirma que, par peur, il avait refusé d’entrer dans les locaux de la gendarmerie à l’invitation des gendarmes ; que, après avoir assisté à l’immobilisation violente du requérant Săcârcea, il avait essayé de s’échapper, mais sans succès ; et que, une fois à l’intérieur du poste de gendarmerie, le requérant Săcârcea avait été frappé au dos et à la tête avec une manche de balai. Le requérant Săcârcea mentionna qu’il avait dit aux gendarmes qu’il refusait d’entrer dans le poste de gendarmerie et qu’il était prêt à leur donner sa pièce d’identité si des mesures à son encontre devaient être prises. Les requérants déclarèrent tous qu’ils n’étaient pas sous l’influence de l’alcool le 1er janvier 2011 et que, d’ailleurs, leur religion d’appartenance interdit la consommation d’alcool. Le 29 mars 2011, le parquet militaire entendit six témoins oculaires proposés par les requérants, témoins qui faisaient partie du groupe qui les accompagnait le jour de l’incident. Ces témoins confirmèrent la version des faits des requérants et la plupart d’entre eux mentionnèrent que les requérants étaient sortis du poste de gendarmerie « vers 23 h 30 » ou « après [une durée d’] environ huit heures ». Le 13 avril 2011, le parquet entendit également les quatre gendarmes impliqués dans l’incident. Leur version peut se résumer ainsi : – L’un d’eux avait interpellé E.O.N., afin de le conduire au poste de gendarmerie et de dresser un procès-verbal de contravention au motif que celui-ci avait illégalement fait de la luge sur une piste de ski. Deux des requérants avaient pénétré dans le poste de gendarmerie et bousculé un gendarme. Le requérant Hoalgă avait porté un coup de poing au visage à un autre gendarme et l’avait renversé. Les autres gendarmes étaient alors intervenus afin de conduire tous les requérants à l’intérieur du poste. À cette fin, ils avaient dû employer la force (immobilisation des bras par flexion, emploi des menottes et immobilisation à terre), en raison de l’opposition violente des requérants. Le gendarme I.A. précisa qu’au cours de l’immobilisation du requérant Săcârcea, qui était devenu très violent, celui-ci était tombé par terre, sur le ventre et qu’il lui avait alors mis un genou dans le dos pour lui passer les menottes ; et que, une fois à l’intérieur du poste, après dix minutes, ils avaient démenotté les requérants et procédé à leur identification, à leur fouille corporelle et à d’autres mesures préalables requises pour l’ouverture d’une procédure pour outrage. Les gendarmes nièrent avoir d’une quelconque manière agressé, menacé ou injurié les requérants. L’un des gendarmes affirma que les formalités avaient pris fin vers 22 ou 23 heures avec la présentation du procès-verbal de constat du délit pénal d’outrage et la consignation des mentions souhaitées par les requérants. Le 27 avril 2011, le parquet militaire entendit six témoins oculaires proposés par les gendarmes, dont certains qui les avaient aidés à immobiliser les requérants. Ces témoins confirmèrent la version des faits des gendarmes. Le 26 avril 2011, le parquet militaire ordonna la réalisation d’une expertise médicolégale à l’égard du gendarme qui avait déposé un certificat médical attestant qu’il présentait des lésions, y compris des traumatismes dentaires, qui avaient nécessité plusieurs jours de soins médicaux (paragraphe 21 ci-dessus). De l’expertise médicolégale réalisée le 12 mai 2011, il ressortit : – que le gendarme présentait plusieurs lésions, qui avaient nécessité sept à huit jours de soins médicaux ; – qu’on ne pouvait pas établir de lien de causalité entre les lésions précitées et les problèmes qui avaient été identifiés lors d’un contrôle dentaire (prothèse dentaire détachée), d’autant plus qu’aucun traumatisme n’avait été décelé dans la zone bucco-dentaire. Par une décision du 17 mai 2011, le parquet militaire rejeta la demande des gendarmes tendant à la réalisation d’expertises médicolégales à l’égard des requérants. Le 30 juin 2011, le parquet militaire entendit M.P., un officier de gendarmerie qui s’était déplacé le 1er janvier 2011 au poste de gendarmerie de la station de ski de Parâng. En substance, il déclara notamment ceci : – Il n’avait pas aperçu de traces de violence sur les requérants, ni de sang sur les murs, comme ceux-ci l’affirmaient, ni non plus de mobilier cassé ou d’autres dégâts, ni rien qui laissât à penser que les murs avaient été fraîchement repeints. Il était demeuré sur place jusqu’à l’arrivée de S.B., officier judiciaire de la gendarmerie. Le même jour, le parquet militaire entendit S.B., qui donna en substance les indications suivantes : – Il était arrivé au poste de gendarmerie de la station de ski de Parâng vers 23 heures, et y était demeuré environ trente minutes. Sa tâche était de vérifier les documents préalables établis par les gendarmes et de les transmettre à un procureur. Il n’avait pas remarqué de traces de violence sur les requérants ; en revanche, un gendarme lui avait montré une prothèse dentaire qui se serait détachée à la suite des agressions subies de la part des requérants. Le 22 juillet 2011, le parquet militaire ordonna la réalisation d’un test polygraphique à l’égard des gendarmes. Les questions portaient sur d’éventuels mauvais traitements de leur part ou des actions d’effacement des traces de tels traitements. Le 4 août 2011, les gendarmes furent soumis au test du polygraphe auprès de la direction départementale de police de Timişoara. Ils nièrent tout mauvais traitement sur la personne des requérants, sans que le test ne révèle de signes de mensonge ou de simulation. Les requérants ou leurs représentants ne purent ni assister à ce test, ni proposer préalablement des questions à poser aux intéressés. Le 14 novembre 2011, le parquet militaire entendit V.S., le chef du poste de gendarmerie de la station de ski de Parâng. Celui-ci déclara notamment qu’il était arrivé au poste vers 18 heures et y était demeuré jusqu’à 22 heures. Le rapport de la commission d’enquête interne de la gendarmerie portant sur les événements du 1er janvier 2011 (paragraphe 25 ci-dessus) ainsi que les rapports d’appréciation interne des quatre gendarmes furent versés au dossier. À une date non précisée, le Service départemental d’information et de protection interne (« SIPI ») du ministère de l’Intérieur envoya une réponse à la demande du parquet militaire sur les informations dont il était en possession à l’égard des événements du 1er janvier 2011. Les informations recueillies par le SIPI peuvent se résumer comme suit : – Lorsque les gendarmes de la station de ski de Parâng avaient interpellé et conduit E.O.N. au poste de gendarmerie en vue de l’application d’une sanction contraventionnelle, une altercation verbale éclata entre les gendarmes et les proches d’E.O.N., et des injures furent proférées envers les gendarmes. E.O.N. et ses proches étant devenus récalcitrants, la situation avait dégénéré, le gendarme B.M. ayant été agressé physiquement et mis à terre. Par une décision du 28 novembre 2011, le parquet militaire clôtura les poursuites pénales ouvertes contre les quatre gendarmes. Dans ses motifs, le parquet écarta tout d’abord les seules preuves directes de l’affaire, à savoir les dépositions des témoins à charge et à décharge, qu’il considéra comme étant subjectives car faites par des proches des requérants d’un côté, et par des gendarmes de l’autre. S’agissant du restant des preuves recueillies, le parquet nota que seules les photographies qui montraient les requérants avant l’incident sans aucune trace de violence pouvaient être prises en compte, car elles étaient datées du 1er janvier 2011. En revanche, les photographies montrant des traces de violence visibles sur différentes parties du corps des requérants et la photographie montrant un gendarme présentant une prothèse dentaire détachée n’étaient pas datées et ne pouvaient dès lors être prises en compte. Tel était également le cas pour les enregistrements vidéos produits au dossier par les requérants, enregistrements qui d’ailleurs ne faisaient apparaître aucun acte d’agression à leur encontre. Furent également écartées les dépositions du supérieur hiérarchique des gendarmes et de l’officier judiciaire de la gendarmerie, en raison du fait que ceux-ci faisaient partie de la même structure militaire que les gendarmes. Le parquet nota en outre que la réponse du SIPI et les résultats du test du polygraphe confirmaient la version des faits des gendarmes. Il prit note également des bonnes appréciations obtenues par les gendarmes dans l’exercice de leurs attributions. Le parquet cita également le rapport de l’enquête interne de la gendarmerie invoqué par les gendarmes à l’appui de leurs arguments. Au vu de tous les éléments ainsi retenus, le parquet considéra : – que les gendarmes avaient agi en conformité avec les dispositions des articles 19 et 29 de la loi no 550/2004 sur l’organisation et le fonctionnement de la gendarmerie, qui autorisent les gendarmes à rétablir l’ordre et à employer la force et les moyens dont ils sont dotés à cette fin en cas d’actes de violence : en l’espèce, l’action d’immobilisation des gendarmes avait été rendue nécessaire par le comportement des requérants ; – que, par conséquent, les gendarmes n’étaient pas coupables de comportement abusif, l’élément intentionnel faisant défaut ; – que les gendarmes n’avaient pas privé les requérants de liberté de manière illégale : les requérants avaient été conduits au poste de gendarmerie en vue de l’ouverture d’une procédure pénale pour outrage, et un certain laps de temps était nécessaire pour les fouilles corporelles, le recueil de leurs déclarations écrites et la rédaction des procèsverbaux de contravention. Au sujet du chef des gendarmes – dont, après l’ouverture des poursuites pénales, les requérants Hoalgă et Săcârcea avaient dit que, arrivé sur place dans l’après-midi, il leur avait porté des coups aux jambes et des coups de poing à la tête –, à la lumière des conclusions exposées antérieurement, le parquet militaire décida également un non-lieu. Les requérants contestèrent la décision du parquet devant le procureur en chef du parquet et, ultérieurement, devant le tribunal militaire de Timişoara. Ils soutenaient : – que c’était à tort que le parquet avait refusé de joindre l’affaire à la procédure distincte portant sur l’outrage allégué par les gendarmes (paragraphe 50 ci-dessous) ; – que le parquet avait méconnu le principe de l’égalité des armes, en se fondant sur un rapport d’enquête disciplinaire interne de la gendarmerie, ainsi que sur les résultats d’un test polygraphique réalisé en marge de la procédure pénale, sans que les requérants ou leurs représentants aient pu formuler préalablement des questions à poser aux intéressés ; – que le parquet avait omis de procéder à des confrontations entre les témoins ou à un examen croisé des photographies, des documents médicaux et des déclarations des témoins ; – que le parquet avait examiné les faits uniquement sous le chef de comportement abusif, omettant de se prononcer sur le délit pénal d’atteinte à l’intégrité physique ; – que leur privation de liberté n’était pas compatible avec les dispositions de l’article 143 du code de procédure pénale régissant la garde à vue et de l’article 5 §§ 1 et 3 de la Convention ; – que le parquet avait négligé de vérifier si le temps qu’ils avaient effectivement passé dans les locaux de la gendarmerie était réellement nécessaire pour le recueil de leurs déclarations écrites ou l’établissement des procès-verbaux. Par une décision du 4 janvier 2012, le procureur en chef du parquet militaire confirma la décision du 28 novembre 2011. Au sujet des critiques d’ordre procédural, il considéra : – que le parquet militaire était compétent pour examiner les plaintes des requérants dirigés contre les gendarmes, et qu’il ne s’imposait pas de joindre la procédure avec celle portant sur le délit pénal d’outrage ; – que les arguments des requérants s’apparentaient plutôt à une critique de l’interprétation faite des preuves instruites dans le dossier ; – que, si le test du polygraphe ordonné par le procureur militaire ne constituait pas un moyen de preuve prévu par le code de procédure roumain, il représentait néanmoins une méthode scientifique communément acceptée au niveau européen et international et un procédé sûr de détection des comportements simulés ; que, eu égard aux conditions spécifiques dans lesquelles le test se déroule, le principe du contradictoire ne peut être assuré et qu’en tout état de cause, en l’espèce, le test du polygraphe n’avait été qu’un élément, corroboré par d’autres preuves instruites dans le dossier ; – pour ce qui était du rapport d’enquête interne de la gendarmerie, que les conclusions du parquet militaire étaient fondées sur les preuves instruites par lui-même et non sur ledit rapport ; que, toutefois, ledit rapport était un acte de l’autorité nationale pour laquelle travaillaient les prévenus, rapport concernant les mêmes événements que ceux qui faisaient l’objet des poursuites pénales, et que, dès lors, il ne pouvait pas être ignoré par le parquet militaire. Eu égard à ces considérations, le procureur en chef conclut que le principe de l’égalité des armes n’avait pas été méconnu en l’espèce ; et cela d’autant plus que le parquet avait instruit toutes les preuves pertinentes, qu’il avait communiqué aux parties les mesures d’instruction prises, qu’il avait assumé un rôle actif et que les avocats choisis des parties avaient eu la possibilité d’assister aux différents actes de poursuite pénale. Sur le fond, au vu des pièces du dossier, le procureur en chef conclut : – que face aux réactions véhémentes et au refus farouche des suspects d’obtempérer aux injonctions justifiées des gendarmes, la riposte de ces derniers par le recours à la force était légitime ; – que les requérants n’avaient été retenus dans le poste de gendarmerie que pour l’accomplissement des opérations procédurales réglementaires ; et que, partant, ils n’avaient pas subi une privation de liberté illégale au sens de l’article 189 du code pénal et de l’article 5 de la Convention. Cette décision fut confirmée en dernier ressort par le tribunal militaire de Timişoara, le 16 mai 2012, après audition des requérants et des quatre gendarmes impliqués dans les événements. Le tribunal cita l’article 27 de la loi no 550/2004 sur l’organisation et le fonctionnement de la gendarmerie. E. La procédure pénale concernant le délit pénal d’outrage Le 3 janvier 2011, la direction de la gendarmerie de Hunedoara saisit le parquet près le tribunal de première instance de Petroşani d’une plainte pénale contre les requérants du chef d’outrage (article 239 du code pénal) et d’outrage aux bonnes mœurs et d’atteinte à l’ordre public (article 321 § 1 du code pénal) au sujet des événements du 1er janvier 2011, pour l’agression supposée de deux gendarmes. Le 10 avril 2012, le parquet près le tribunal de première instance de Petroşani rendit une décision sur cette plainte. Sur le plan de la culpabilité, le parquet énonça qu’il ressortait des déclarations des gendarmes et des huit témoins à charge que le requérant Hoalgă avait mis à terre un gendarme et lui avait porté un coup de poing, et que les requérants Leleşan et Săcârcea avaient frappé un autre gendarme ; et que les preuves instruites en l’espèce avaient permis d’établir que les requérants, après avoir été immobilisés par les gendarmes, étaient demeurés dans les locaux de la gendarmerie pour faire des dépositions jusqu’à environ 22 heures. Parvenu ainsi à la conclusion que les requérants étaient bien coupables des faits reprochés, le parquet estima toutefois que leurs agissements ne présentaient pas une dangerosité sociale élevée, qui eût appelé une condamnation pénale : d’après les documents médicaux produits au dossier, l’un des gendarmes n’avait pas eu besoin de soins et le deuxième n’en avait eu besoin que quelques jours. En conséquence, le parquet décida de clore les poursuites pénales engagées contre les requérants et de leur infliger à la place des amendes administratives, d’un montant de 800 lei roumains (ROL) pour les requérants Leleşan et Săcârcea et 1 000 ROL pour le requérant Hoalgă. II. LE DROIT INTERNE PERTINENT Les dispositions pertinentes du droit interne sur les mesures préventives dans le cadre d’un procès pénal, à l’époque des faits, figurent dans l’arrêt Creangă c. Roumanie [GC] (no 29226/03, § 58, 23 février 2012). En vertu de la loi no 550/2004 sur l’organisation et le fonctionnement de la gendarmerie, la gendarmerie est une structure militaire rattachée au ministère de l’Intérieur. Les gendarmes ont la qualité de militaires. Les poursuites à leur encontre pour des faits prohibés par la loi pénale relèvent, en vertu de leur qualité de militaires actifs, de la compétence des parquets et des tribunaux militaires. Les articles pertinents de la loi sont ainsi libellés : Article 19 « Les attributions de la gendarmerie nationale, à travers ses structures spécialisées, sont les suivantes : a) la protection, par les moyens et méthodes prescrits par la loi, de la vie, de l’intégrité corporelle et de la liberté de [toute] personne, de la propriété publique et privée, et des intérêts légitimes des citoyens, de la communauté et de l’État (...) (c) le rétablissement de l’ordre public lorsque celui-ci a été troublé par des actions ou faits contraires à la loi (...) (e) le maintien de l’ordre public à titre préventif et la découverte des délits pénaux (infracțiuni), y compris dans les stations de montagne (...) (q) le constat des contraventions et l’application des sanctions contraventionnelles, selon la loi. (r) l’accomplissement, dans les conditions prévues par la loi et sur le fondement de l’article 214 du code de procédure pénale, des actes nécessaires pour l’ouverture des poursuites pénales du chef de délits pénaux constatés au cours de l’accomplissement de missions spécifiques. » Article 27 « 1. Dans la mise en œuvre de ses attributions, selon la loi, le personnel militaire de la gendarmerie nationale est investi de l’exercice de l’autorité publique. En vue de la mise en œuvre de ses attributions, le personnel susmentionné a les droits et les obligations suivants : (...) b) identifier toute personne contre laquelle il y a des indices raisonnables qu’elle a commis, est en train ou prévoit de commettre des faits qui constituent un délit pénal (infracțiune), ou une contravention, ainsi que les personnes demandant à [entrer] dans un périmètre à accès légalement restreint. (...) » Article 29 « Dans l’exercice de leurs attributions professionnelles, le personnel militaire de la gendarmerie nationale utilise (...) les menottes (...) dans les cas suivants : a) pour empêcher ou neutraliser les actions agressives de [toutes] personnes troublant gravement l’ordre public, si elles ne peuvent l’être par d’autres moyens légaux ; b) à l’encontre de [toutes] personnes ayant pénétré illégalement dans les locaux des autorités publiques ou d’autres institutions d’intérêt public ou privé et qui se refusent à quitter immédiatement ces locaux, en dépit des avertissements et sommations [délivrés] ; ou à l’encontre de [tout] groupe organisé entravant le déroulement normal des activités sur les voies de communication, dans un espace public ou dans d’autres endroits importants ; c) pour immobiliser les personnes ou les groupes qui provoquent du désordre et mettent en danger la vie, l’intégrité physique ou la santé d’autrui, portent atteinte à la propriété privée ou publique, commettent des actes d’outrage envers les forces de l’ordre ou d’autres dépositaires de l’autorité publique, ou troublant gravement l’ordre public par des actes de violence. » Article 33 « L’usage des moyens prévus à l’article 29 se fait de manière graduée et ne doit pas dépasser les besoins réels pour l’immobilisation des personnes turbulentes ou agressives ou pour la neutralisation des actions illégales ; il cesse aussitôt que le but de la mission a été atteint. » Les dispositions pertinentes du code de procédure pénale, tel qu’en vigueur à l’époque des faits, sont ainsi libellées : Article 214 Les actes accomplis par les autorités habilitées à constater des délits pénaux (infracțiuni) « 1. Sont tenus de procéder à l’audition de l’auteur présumé des faits (făptuitor) et des témoins oculaires ainsi que de dresser des procès-verbaux sur les circonstances concrètes de la commission d’un délit pénal (infracțiune) : (...) (c) les officiers et les sous-officiers de la gendarmerie nationale, pour les délits pénaux constatés dans l’exercice de leurs missions spécifiques (...) Les actes accomplis sont transmis au procureur dans un délai de trois jours après la découverte des faits constituant un délit pénal, sauf si la loi dispose autrement. En cas de flagrant délit, les mêmes autorités ont l’obligation de déférer aussitôt au procureur l’auteur allégué des faits, ainsi que les actes dressés et les éléments matériels de preuve. Les procès-verbaux dressés par ces autorités constituent des éléments de preuve. »
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Les requérants, MM. Abdullah Bilen et Cihan Çoruk, sont nés respectivement en 1983 et 1981 et résident à İzmir. Les requérants étaient, au moment des faits, membres du mouvement de jeunesse du Parti travailliste (Emek Partisi), baptisé Jeunesse travailliste (Emek Gençliği). Le 5 juin 2003, ils furent interpellés par les gendarmes alors qu’ils collectaient des fonds en faveur des victimes du tremblement de terre, qui eut lieu le 1er mai 2003 dans le département de Bingöl, dans le cadre d’une campagne organisée par le mouvement du Parti travailliste tout en distribuant des tracts émanant de ce dernier qui critiquaient la politique du gouvernement à l’égard du peuple kurde. Le 5 juin 2003, les dépositions des requérants furent recueillies par la gendarmerie de Bornova. Ils affirmèrent avoir distribué les tracts litigieux dans le simple but de soutenir les victimes du tremblement de Bingöl, sans aucune intention idéologique. Le requérant M. Çoruk ajouta qu’il n’était pas membre d’un parti politique, mais qu’il savait que les tracts litigieux appartenaient à un parti politique légal, en l’occurrence Emeğin Partisi. Le 6 juin 2003, la gendarmerie de Batman adressa une lettre au procureur de la République de Batman, indiquant que les requérants avaient, sans autorisation des autorités compétentes, distribué des tracts émanant d’un parti politique (Emeğin Partisi) dans le cadre d’une campagne destinée à soutenir les victimes du tremblement de terre de Bingöl. Le 22 juin 2004, le tribunal d’instance d’İzmir rendit une ordonnance pénale infligeant à chacun des requérants une amende de 86 694 000 livres turques (TRL - environ 50 euros (EUR)) pour avoir distribué des tracts sans l’autorisation des autorités compétentes. Le 1er septembre 2004, l’ordonnance fut notifiée aux requérants. Le 8 septembre 2004, le représentant des requérants contesta l’ordonnance pénale. Dans son mémoire, il invoqua l’article 10 de la Convention et allégua que l’infliction d’une amende aux requérants par voie d’ordonnance pénale à raison de la distribution de tracts émanant d’un parti politique était illégale. À cet égard, il se référa notamment : – à l’article 44 de la loi sur les associations, en ce que celui-ci exonérait selon lui de l’obligation d’autorisation préalable la distribution de tracts émanant des partis politiques ; – à la directive du 30 avril 1997 adressée par la direction générale de la sûreté au préfet d’Ankara, qui selon lui confirmait cette exemption pour la distribution de tracts des partis politiques. Le 13 octobre 2004, le tribunal correctionnel d’İzmir rejeta l’opposition des requérants au terme d’un examen sur dossier sans se prononcer sur l’argument des requérants tiré de l’absence de base légale de la sanction. Le jugement fut notifié à l’avocat des requérants le 20 octobre 2004. II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS Les ordonnances pénales L’article 566 § 1 de l’ancien code pénal, en vigueur à l’époque des faits, se lisait comme suit : « Quiconque, même par négligence ou inexpérience, risque de susciter, d’une manière quelconque, un danger pour des personnes ou de graves dommages pour les biens, sera puni de quinze jours d’arrêts au moins ou d’une amende légère de (...) au moins » Les dispositions pertinentes du code de procédure pénale, en vigueur à l’époque des faits, étaient ainsi libellées : Article 302 « A l’exception des cas prévus par la loi, la procédure d’opposition se déroule sans audience. Le procureur de la République est entendu si nécessaire. Si l’opposition est accueillie, la même juridiction examine le bien-fondé de l’affaire. » Article 343 (relatif au pourvoi dans l’intérêt de la loi) « Lorsqu’il est avisé qu’il a été rendu, par un juge ou par un tribunal, un arrêt ou un jugement devenu définitif sans passer par l’examen de la Cour de cassation, le ministre de la Justice peut donner un ordre formel au parquet de la République pour que celui-ci demande à la Cour de cassation d’annuler l’arrêt ou le jugement dont il s’agit. (...) » Article 386 « 1. Le juge d’instance statue sans tenir d’audience par une ordonnance pénale sur les infractions du domaine de compétence des tribunaux de police. L’ordonnance pénale peut uniquement porter sur la condamnation à une amende légère ou lourde ou à une peine d’emprisonnement de trois ans au maximum ou à l’interdiction temporaire d’exercer une profession et un métier ou une saisie (...) (...) » Article 387 « Si le juge pénal voit un inconvénient à statuer sans audience, il peut fixer une date pour la tenue de celle-ci. » Article 390 « 1. Une audience est tenue en cas d’opposition formée contre une ordonnance pénale portant sur une peine d’emprisonnement légère. (...) En cas d’opposition formée contre une ordonnance portant sur une condamnation à une amende légère ou lourde ou à une interdiction temporaire d’exercer une profession et un métier ou une saisie (...), le président du tribunal correctionnel ou le juge examine l’opposition en application des articles 301, 302 et 303 [du présent code] (Ce paragraphe fut abrogé par le jugement du 22 octobre 2004 rendu par la Cour constitutionnelle). » Par un arrêt rendu le 30 juin 2004, la Cour constitutionnelle, à l’unanimité, a déclaré l’article 390 § 3 de l’ancien code de procédure pénale non conforme à l’article 36 de la Constitution et l’a annulé. Elle a considéré que l’absence d’audience devant le tribunal correctionnel, appelé à se prononcer sur l’opposition formée contre une ordonnance pénale, méconnaissait le droit à un procès équitable et restreignait les droits de défense tels que prévus aux articles 6 de la Convention et 36 de la Constitution. Tout en soulignant la légitimité de la procédure d’ordonnance pénale, elle a relevé qu’une audience devait avoir lieu devant le tribunal correctionnel. Le 1er juin 2005, les nouveaux codes pénal et de procédure pénale sont entrés en vigueur. Ils ne contiennent aucune disposition sur l’ordonnance pénale. La distribution de tracts L’article 534 de l’ancien code pénal incriminait la distribution de tracts dans les lieux publics ou accessibles au public sans autorisation préalable, dans les situations où une telle autorisation était exigée. Le nouveau code pénal, entré en vigueur le 1er juin 2005, ne contient plus une telle disposition. La loi relative aux partis politiques ne contient aucune disposition relative à la distribution de tracts. Elle prévoit néanmoins en son article 121 que les dispositions du code civil, de la loi sur les associations et des autres textes législatifs concernant les associations sont applicables aux partis politiques dans la mesure où elles ne sont pas incompatibles avec ses propres dispositions. Avant la modification législative apportée par la loi no 4778 du 2 janvier 2003 portant modification de plusieurs textes législatifs, l’article 44 §§ 1 et 2 de la loi no 2908 sur les associations du 6 octobre 1983, intitulé « publication des tracts », prévoyait une obligation de dépôt préalable du texte des tracts émanant des associations auprès de l’administration préfectorale et du parquet. Aux termes du 4ème paragraphe dudit article, cette disposition ne s’appliquait pas aux partis politiques. En revanche, l’article 44 de la loi no 2908, tel qu’il était en vigueur à l’époque des faits, ne prévoyait aucune obligation de dépôt préalable pour distribution de tracts pour les associations, dont les partis politiques depuis le 11 janvier 2003, date d’entrée en vigueur de la modification législative susmentionnée. La loi no 2908 a été abrogée, finalement, par la loi no 5253 relative aux associations depuis le 23 novembre 2004, date d’entrée en vigueur de cette dernière. Il ressort du dossier que la directive du 30 avril 1997 adressée par la direction générale de la sûreté (ministère de l’Intérieur) à l’attention du préfet d’Ankara clarifiait la pratique concernant l’exemption de l’obligation d’autorisation pour la distribution de tracts émanant des partis politiques. Par ailleurs, dans une affaire sensiblement similaire à celle de la présente espèce, la Cour de cassation turque avait infirmé, en 2007 il est vrai, mais à propos de faits s’étant déroulés en 2000, à une époque où les mêmes dispositions légales pénales et civiles que celles applicables dans la présente affaire étaient en vigueur, un jugement émanant d’un tribunal de première instance, estimant qu’en application de l’article 44 de la loi no 2908, les partis politiques n’étaient pas soumis à une autorisation préalable pour la distribution des tracts (voir Çaralan c. Turquie ((déc.), no 28889/02, 8 novembre 2007)).
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Le requérant est né en 1942 et réside à Ankara. Il est le président directeur général de Ali Osman Özmen İnşaat A.Ş., une société anonyme de construction et de travaux publics. À l’époque des faits, celle-ci réalisait un complexe immobilier (350 000 m2 de surface habitable et 150 000 m2 de travaux divers) pour le commandement des forces spéciales, dans le cadre d’un contrat signé avec le ministère de la Défense. Le 29 avril 2004, le requérant fut entendu par le procureur militaire près la présidence de l’état-major (« le procureur militaire ») au sujet des chefs d’inculpation suivants : corruption, fraude dans les opérations d’appels d’offres publics, obtention frauduleuse de versements en violation du plafond contractuel, incitation répétée à l’abus de pouvoir dans l’exercice de fonctions publiques, faux, usage de faux et escroquerie. Le 30 avril 2004, le tribunal militaire près la présidence de l’état-major à Ankara (« le tribunal militaire ») ordonna, à la demande du procureur militaire, la détention provisoire du requérant sur le fondement de l’article 71, alinéas 1/A et B et 2/A, de la loi no 353 sur l’établissement et la procédure des tribunaux militaires. Le tribunal militaire fonda sa décision sur les motifs suivants : – l’existence, d’après les éléments contenus dans le dossier d’instruction, de preuves plausibles (notamment lettres de dénonciation, dépositions des autres accusés, factures, CD et agendas personnels du requérant dans lesquels figuraient les montants des pots-de-vin) que le requérant avait commis une infraction ; – le risque de fuite et la nature du crime reproché nécessitant une peine lourde. Le tribunal militaire rejeta l’application des alinéas 1/C et D du même article au motif que le requérant n’était pas militaire. Le 7 mai 2004, le tribunal militaire du commandement des forces aériennes près la présidence de l’état-major rejeta la demande d’opposition formée par le requérant le 6 mai 2004 et approuva la décision de placement en détention provisoire. Les 26 mai, 4 juin, 2 juillet, 2 août, 1er septembre et 4 octobre 2004, le procureur militaire examina d’office la question du maintien de la détention provisoire du requérant et prolongea celle-ci. Les 25 mai, 4 et 30 juin, 23 juillet, 27 août et 29 septembre 2004, le requérant présenta des demandes de mise en liberté devant le tribunal militaire, lesquelles furent rejetées les 3 juin, 2 juillet, 3 août, 1er septembre et 4 octobre 2004. Le 2 août 2004, il fit également une demande de cet ordre devant le même tribunal ; en raison de l’impossibilité de réunir les membres du tribunal militaire, le tribunal militaire du commandement des forces aériennes près la présidence de l’état-major examina la demande et la rejeta. Pour statuer, les deux tribunaux se basèrent sur la gravité des chefs d’inculpation, sur l’avancée de l’enquête et la proportionnalité de la durée de la détention aux faits reprochés. Le requérant forma plusieurs oppositions devant le tribunal militaire du commandement des forces aériennes près la présidence de l’état-major et le tribunal militaire du commandement général de la gendarmerie les 7 mai, 8 juin, 5 juillet, 3 septembre et 5 octobre 2004. L’opposition du 11 août 2004 fut examinée par le tribunal militaire. Les trois tribunaux approuvèrent toutes les décisions de refus de mise en liberté les 7 mai, 10 juin, 6 juillet, 13 août, 6 septembre et 8 octobre 2004. Dans ses demandes de mise en liberté et oppositions, le requérant dénonçait l’incompétence du tribunal militaire pour le juger dans la mesure où il n’était pas lui-même militaire. Par ailleurs, il soutenait que les conditions requises par les lois internes pour un placement en détention provisoire n’étaient pas réunies et que cette mesure n’était pas conforme aux dispositions de la Convention. Par un acte d’accusation présenté le 3 décembre 2004, le procureur militaire intenta une action pénale à l’encontre de trente-neuf personnes, dont le requérant. Il demanda la condamnation du requérant en application des dispositions suivantes : – articles 213/1, 80, 219/4 et 37 du code pénal et articles 16/2 et 251/1 de la loi no 353 par le renvoi de l’article 135 du code pénal militaire ; – articles 240, 64 et 80 du code pénal par le renvoi de l’article 144 du code pénal militaire ; – articles 64, 339/1, 80, 504/7, 522, 71 et 74 du code pénal ; – article 143 du code pénal militaire. Dans son acte d’accusation, le procureur militaire s’appuyait sur plusieurs preuves, telles que lettres de dénonciation, dépositions des autres accusés, factures, CD, agendas personnels du requérant et rapports d’expertises graphologiques. Le 5 janvier 2005, le tribunal militaire se déclara incompétent ratione materiae au profit de la cour d’assises d’Ankara en ce qui concernait les chefs d’inculpation tels que faux, usage de faux et escroquerie, aux motifs que ceux-ci ne constituaient pas des délits militaires, qu’ils n’étaient pas liés à des délits de ce type et qu’ils n’avaient pas été commis contre des militaires. Il refusa par ailleurs la demande de mise en liberté du requérant en précisant que la compétence en la matière était désormais détenue par la cour d’assises. Le 6 janvier 2005, le tribunal militaire décida la mise en liberté du requérant concernant uniquement le chef de fraude dans les opérations d’appels d’offres publics ; dans les faits, l’intéressé ne fut pas mis en liberté immédiatement. En ce qui concernait les chefs d’inculpation pour lesquels il s’était déclaré incompétent, le tribunal militaire répéta que c’était la cour d’assises qui était compétente. Le 12 janvier 2005, il rejeta la demande du requérant pour les mêmes motifs. Le 24 janvier 2005, le tribunal militaire décida la mise en liberté du requérant. Dans les faits, celui-ci continua à être détenu pour la procédure devant la cour d’assises d’Ankara. À une date non précisée, le procureur militaire forma un pourvoi devant la Cour de cassation militaire. Le requérant, quant à lui, forma une opposition contre la décision de maintien en détention pour la procédure devant la cour d’assises d’Ankara. Le 18 février 2005, le procureur général près la Cour de cassation militaire rejeta le pourvoi du procureur militaire et l’opposition formée par le requérant. Le 17 mars 2005, la 9e chambre de la cour d’assises d’Ankara rejeta la demande de mise en liberté présentée par le requérant, eu égard à la nature de l’infraction, à l’état des preuves et aux chefs d’inculpation définis dans la décision d’incompétence du tribunal militaire. Le 18 mars 2005, la 10e chambre approuva cette décision. Le 4 avril 2005, le parquet militaire rendit une décision de non-lieu concernant le chef d’inculpation de faux et d’usage de faux. Le 14 avril 2005, le requérant fut mis en liberté. Le 21 juin 2007, le tribunal militaire rendit son verdict à l’égard de vingt-six prévenus, dont le requérant. Celui-ci fut condamné à des peines de prison d’une durée totale de plus de quarante ans pour neuf chefs d’accusation, tels que corruption, incitation à la corruption, collusion visant à réceptionner des travaux ou marchandises non conformes aux contrats et incitation répétée à l’abus de pouvoir dans l’exercice de fonctions publiques. Il fut également condamné à payer au Trésor public un montant de 6 888 462 915 282 livres turques (soit 3 958 886 euros à l’époque des faits), assorti d’intérêts moratoires au taux légal, pour l’indemnisation des dommages causés. Le requérant se pourvut en cassation. Il soutint notamment que le tribunal militaire n’avait pas compétence pour le juger en tant que civil pour les actes qui lui étaient reprochés. Le 29 juillet 2008, la Cour de cassation militaire cassa le jugement. Les parties n’ont pas informé la Cour de la suite des procédures menées devant les juridictions militaires pour les chefs d’accusation susmentionnés et devant la cour d’assises d’Ankara pour les chefs d’inculpation tels que faux, usage de faux et escroquerie. II. LE DROIT INTERNE PERTINENT A. Le code pénal militaire L’article 135 du code pénal militaire renvoie aux dispositions concernées du code pénal en cas de commission du délit de corruption par des personnes militaires. L’article 143 de ce code prévoit une peine d’emprisonnement d’au moins trois ans pour les personnes qui réceptionnent ou font réceptionner des marchandises ou des travaux non conformes aux contrats. En cas de prévision d’une peine plus lourde par les lois pénales, celles-ci seront appliquées. Selon l’article 144 du code, en cas de négligence de la personne à laquelle un ouvrage militaire est confié, les dispositions du code pénal prévoyant d’autres actes et d’autres peines seront également appliquées. B. Le code pénal L’article 213 prévoit une peine allant d’un à trois ans d’emprisonnement pour corruption active. L’article 504 prévoit une peine allant de deux à cinq ans d’emprisonnement pour escroquerie aggravée. C. Loi no 353 sur l’établissement et la procédure des tribunaux militaires À l’époque des faits, l’article 9 de la loi no 353 sur l’établissement et la procédure des tribunaux militaires énonçait la règle générale pour la compétence des tribunaux militaires. Il était rédigé comme suit : « À moins que la loi n’en dispose autrement, les tribunaux militaires sont chargés de statuer sur les affaires relatives aux infractions à caractère militaire commises par des militaires ou contre des militaires, ou commises soit dans des locaux militaires, soit dans le cadre du service militaire et des missions qui s’y rapportent. » Les termes « dans des locaux militaires » ont été annulés par la Cour constitutionnelle, statuant sur un recours en annulation, dans une décision du 15 mars 2012. La Cour constitutionnelle a noté que l’article 145 de la Constitution avait été modifié le 7 mai 2010 par l’article 15 de la loi no 5982, que les termes « dans des locaux militaires » n’y figuraient plus et que, par conséquent, l’article 9 de la loi no 353 était contraire à l’article 145 de la Constitution. Avant la modification du 7 mai 2010, l’article 145 de la Constitution était rédigé comme suit : « La justice militaire est assurée par les tribunaux militaires et les tribunaux de discipline militaire. Ces tribunaux sont chargés de statuer sur les affaires relatives aux infractions à caractère militaire commises par des militaires ou contre des militaires, ou commises soit dans des locaux militaires soit dans le cadre du service militaire et des missions qui s’y rapportent. Les tribunaux militaires sont également chargés de connaître des infractions, commises par des personnes civiles, qui sont des infractions militaires énoncées par une loi particulière ou qui ont été commises contre des militaires, soit pendant l’accomplissement de fonctions énumérées par la loi soit dans des locaux militaires également précisés par la loi. La loi détermine la compétence en temps de guerre ou d’état de siège des tribunaux militaires quant aux infractions et aux personnes ; elle réglemente leur création et le détachement éventuel de juges et de procureurs civils auprès de ces tribunaux durant ces périodes. Eu égard aux nécessités de la fonction militaire, la loi réglemente la création et le fonctionnement des organes de la juridiction militaire, les questions liées au statut des juges militaires, les relations des juges militaires assumant des fonctions de procureur militaire avec le commandement dans le ressort duquel se trouve le tribunal où ils exercent, l’indépendance des tribunaux et les garanties dont bénéficient les juges. » À l’époque des faits, l’article 12 de la loi no 353, intitulé « infractions mixtes », prévoyait une exception à la règle générale concernant la compétence des tribunaux militaires. Il était rédigé dans les termes suivants : « Lorsque l’infraction commise est prévue par le code militaire, et qu’elle a été commise conjointement par des personnes soumises à la compétence des tribunaux judiciaires et des personnes soumises à la compétence des tribunaux militaires, tous les accusés sont jugés devant le tribunal militaire ; lorsque l’infraction commise n’est pas prévue par le code militaire, la compétence revient aux tribunaux judiciaires. » Par une décision du 20 septembre 2012, la Cour constitutionnelle, statuant sur un recours en annulation, a supprimé, dans un premier temps, les termes « lorsque l’infraction commise est prévue par le code militaire » et « tous les accusés sont jugés devant le tribunal militaire ». Constatant que le restant de l’article 12 ne pourrait plus être appliqué, elle a finalement décidé de l’annuler entièrement. Dans ses attendus, la Cour constitutionnelle, se référant au rapport explicatif sur l’article 145 de la Constitution modifié le 7 mai 2010 par l’article 15 de la loi no 5982, a noté que l’article précédent était critiqué dans les documents internationaux au motif que le champ de compétence de la juridiction militaire était très large et qu’il avait été réaménagé à la lumière des critères de l’état démocratique de droit. Elle a également noté que, par la nouvelle disposition, le champ de compétence des juridictions militaires pour les infractions militaires était limité, comme dans les pays développés, aux infractions commises par les militaires dans le cadre de leur mission, et que la Constitution garantissait, hormis en temps de guerre, aux personnes non militaires de ne pas être jugées par les tribunaux militaires. Selon l’article 16/2 de la loi no 353, les procureurs militaires sont tenus d’évaluer la perte concernant le Trésor public, de faire apparaître cette évaluation dans l’acte d’accusation, de diligenter une enquête et d’entamer une procédure devant les tribunaux militaires. L’article 251/1 de la loi no 353 prévoit la déduction de la période de détention provisoire de la peine d’emprisonnement définitive. Les alinéas 1/A et B et 2/A de l’article 71 de la loi no 353 énumèrent les situations nécessitant le placement en détention provisoire. Les alinéas 1/C et D concernent les militaires. Selon l’article 75 de cette même loi, le procureur militaire doit examiner d’office, tous les trente jours au moins à compter de la date du placement en détention, s’il est nécessaire de prolonger la détention provisoire. Dans l’affirmative, il doit informer l’accusé de la date de l’examen suivant. À la date prévue pour l’examen, l’accusé peut également demander que la question du maintien de la détention soit examinée. Dans ce cas, le procureur militaire doit transmettre la demande à la juridiction compétente en y joignant son avis écrit. Le commandant de détachement, le supérieur de l’institution militaire, le procureur militaire et l’accusé peuvent formuler une opposition devant le tribunal militaire le plus proche, dans un délai de trois jours. La décision rendue sur cette opposition est définitive. D. L’indépendance des juges et procureurs militaires La justice militaire se compose de juges et de procureurs. Tout magistrat a vocation à être nommé au cours de sa carrière à des fonctions tant du siège que du parquet. Les termes « juge militaire » (askeri hâkim) utilisés dans les dispositions normatives relatives au statut de la magistrature couvrent en principe aussi bien les magistrats du siège que ceux du parquet. La Constitution Les dispositions de la Constitution pertinentes en l’espèce se lisent comme suit : Article 9 « Le pouvoir judiciaire est exercé au nom de la nation turque par des tribunaux indépendants. » Article 19 « Toute personne a droit à la liberté et à la sécurité. Nul ne peut être privé de sa liberté sauf dans les cas suivants et selon les formes et dans les conditions définies par la loi (...) Les personnes placées en détention ont le droit de demander à être jugées dans un délai raisonnable et à être mises en liberté pendant le cours de l’enquête ou des poursuites. La mise en liberté peut être subordonnée à une garantie en vue d’assurer la comparution de l’intéressé à l’audience pendant tout le cours du procès ou l’exécution de la condamnation. Toute personne privée de sa liberté pour quelque motif que ce soit a le droit d’introduire un recours devant une autorité judiciaire compétente afin qu’elle statue à bref délai sur son sort et ordonne sa libération immédiate si elle constate que la privation [de liberté] est illégale. Le préjudice subi par toute personne victime d’un traitement contraire aux dispositions ci-dessus doit être réparé par l’État. » Article 138 « Les juges sont indépendants dans l’exercice de leurs fonctions ; ils statuent selon leur intime conviction, conformément à la Constitution, à la loi et au droit. Aucun organe, aucune autorité, aucune instance ni aucun individu ne peut donner des ordres ou des instructions aux tribunaux et aux juges dans l’exercice de leur pouvoir juridictionnel, ni leur adresser des circulaires ou leur faire des recommandations ou des suggestions. » Article 139 « Les juges et procureurs sont inamovibles et ne peuvent être mis à la retraite avant l’âge prévu par la Constitution, à moins qu’ils n’y consentent ; ils ne peuvent être privés de leurs traitements, indemnités et autres droits (...), pas même en cas de suppression d’un tribunal ou d’un poste. » Article 145 (tel qu’amendé par l’article 15 de la loi no 5982 du 7 mai 2010) « La justice militaire est assurée par les tribunaux militaires et les tribunaux de discipline militaire. Ces tribunaux sont chargés de statuer sur les affaires relatives aux infractions à caractère militaire commises par des militaires ou contre des militaires, ou commises dans le cadre du service militaire et des missions qui s’y rapportent. Sauf en cas de guerre, les personnes non militaires ne peuvent pas être jugées par les tribunaux militaires. (...) Eu égard aux nécessités de la fonction militaire, la loi réglemente la création et le fonctionnement des organes de la juridiction militaire, les questions liées au statut des juges militaires, les relations des juges militaires assumant des fonctions de procureur militaire avec le commandement dans le ressort duquel se trouve le tribunal où ils exercent, l’indépendance des tribunaux et les garanties dont bénéficient les juges. » Les règles législatives pertinentes La loi no 357 relative aux « juges militaires » pose le principe de l’indépendance de la magistrature et reprend les termes des articles 138 et 139 de la Constitution. L’article 16 de la loi no 357 dispose que les juges et procureurs militaires sont mutés par un décret signé par le ministre de la Défense et le Premier ministre et approuvé par le président de la République (« décret tripartite »). Il précise en outre les périodes dans la carrière des intéressés durant lesquelles les mutations ne peuvent avoir lieu. L’article 232 du CP en vigueur à l’époque des faits incriminait la tentative d’influencer, de donner des ordres ou d’exercer des pressions sur les juges. La peine prévue allait, selon les circonstances, de six mois à cinq ans d’emprisonnement. Lorsque l’auteur de l’infraction était un fonctionnaire, la peine devait être assortie d’une interdiction d’exercer toute fonction publique. La même incrimination a été reprise par l’article 277 du nouveau code pénal qui érige en infraction « la tentative d’influencer les personnes exerçant une fonction judiciaire ». La composition des tribunaux militaires L’article 2 de la loi no 353 relative aux tribunaux militaires, tel qu’applicable à l’époque des faits, se lisait ainsi : « Sauf dispositions contraires de la présente loi, les tribunaux militaires se composent de deux magistrats militaires et d’un officier (subay üye). » Les termes « et d’un officier » ont été supprimés par la Cour constitutionnelle, statuant sur un recours en annulation, dans une décision du 7 mai 2009 publiée au Journal officiel le 7 octobre 2009. La Cour constitutionnelle a estimé que le juge officier, contrairement aux juges militaires, ne présentait pas toutes les garanties requises dans la mesure où il n’était pas dispensé de ses obligations militaires durant son mandat et qu’il était soumis à l’autorité de ses supérieurs. Par ailleurs, elle a jugé incompatible avec l’article 9 de la Constitution le fait qu’aucune disposition n’empêchait les autorités militaires de nommer un officier différent pour chaque affaire. À la suite de cet arrêt, la législation a été modifiée. L’article 2 de la loi no 353 se lit désormais comme suit : « Sauf dispositions contraires de la présente loi, les tribunaux militaires se composent de trois magistrats militaires. » L’appréciation des juges et procureurs militaires Selon l’article 12 de la loi no 357 relative aux « juges militaires », tel qu’en vigueur à l’époque des faits, la promotion, l’avancement et la prise d’échelon des « juges militaires » (aussi bien du siège que du parquet) étaient fonction de leurs fiches d’appréciation, et notamment de la « fiche d’appréciation professionnelle » (mesleki sicil belgesi) et de la « fiche d’appréciation officier » (subay sicil belgesi). Cette disposition prévoyait que, relativement à « la fiche d’appréciation d’officier », les juges et procureurs étaient soumis à l’appréciation du commandant de l’unité militaire au sein de laquelle se trouvait le tribunal. Elle énonçait également que les juges expérimentés étaient les appréciateurs directs des juges qui travaillaient avec eux et que les procureurs étaient les appréciateurs directs de leurs adjoints et substituts. Les compétences qui devaient faire l’objet de la « fiche d’appréciation officier » étaient décrites comme suit : « 1. L’apparence générale, la situation sociale et la capacité à représenter l’institution ; la conformité aux principes de justice et d’équité ; la conformité et la soumission aux règles de la discipline militaire ; les connaissances professionnelles, les connaissances militaires de base et la culture générale ; l’esprit d’équipe et la capacité à former, à expliquer et à convaincre ; la vitalité, la résistance, la volonté et la persévérance ; les facultés intellectuelles et la capacité à juger et décider ; la capacité à planifier, exécuter, suivre et surveiller les tâches ; la liberté et la créativité ; la capacité à diriger et le leadership. » Par un arrêt du 8 octobre 2009, la Cour constitutionnelle a jugé contraire au principe de l’indépendance des tribunaux (mahkemelerin bağımsızlığı) une partie de ce dispositif et elle a annulé les dispositions de l’article 12 de la loi no 357 concernant la « fiche d’appréciation officier ». La Cour constitutionnelle avait été saisie par voie d’exception d’inconstitutionnalité par la Haute Cour administrative militaire, dans le cadre de trois recours introduits par des magistrats militaires qui contestaient leur appréciation d’officier et en demandaient l’annulation. Les intéressés considéraient que même la simple éventualité qu’un haut gradé pût être tenté d’exercer une influence indue sur les magistrats par le biais de « la fiche d’appréciation officier » portait atteinte à l’apparence d’indépendance que la justice se devait de présenter. La Cour constitutionnelle a relevé que les juges militaires étaient soumis à une notation des chambres militaires de la Cour de cassation appelées à exercer un contrôle sur leurs jugements. Elle a constaté que, si cette notation constituait leur appréciation professionnelle et visait à vérifier leur compétence, l’appréciation « administrative » (fiche d’appréciation officier) émanant des juges expérimentés et des officiers suscitait quant à elle des appréhensions quant au respect de l’exigence d’indépendance des tribunaux inscrite dans la Constitution. Partant, selon la haute juridiction, ce dispositif était contraire à la Constitution et devait être annulé pour autant qu’il concernait les magistrats du siège. La Cour constitutionnelle a en effet estimé qu’il n’était pas nécessaire de statuer sur la conformité à la Constitution du système d’appréciation des procureurs, étant donné que la réponse à cette question n’était pas utile à la résolution des affaires dont la Haute Cour administrative militaire se trouvait saisie. L’arrêt a été publié au Journal officiel le 8 janvier 2010 et a produit ses effets le même jour. Le 22 avril 2012, l’article 12 de la loi no 357 a été modifié de façon à mettre l’appréciation des procureurs militaires en conformité avec la Constitution.
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Le requérant est né en 1985 et réside à Moscou. Depuis 2002, le requérant aurait passé régulièrement quelques mois par an en Russie. Le 16 janvier 2011, il serait de nouveau rentré en Russie et y serait resté. A. Les poursuites pénales engagées en Ouzbékistan à l’encontre du requérant, l’arrestation et la condamnation de ce dernier en Russie Les charges pénales retenues à l’encontre du requérant en Ouzbékistan Le 14 mai 2012, les autorités ouzbèkes accusèrent le requérant d’avoir créé et dirigé une branche locale de l’organisation illégale « Mouvement islamique du Turkestan » et d’avoir détenu et distribué des documents subversifs (actes réprimés par les articles 159 § 3 a) et b) et 244-2 § 1 du code pénal ouzbek). Le 15 mai 2012, le tribunal de la ville de Goulistan (Ouzbékistan) ordonna, par contumace, la mise en détention du requérant. Le 10 juillet 2012, le ministère de l’Intérieur de l’Ouzbékistan délivra un mandat d’arrêt à l’encontre du requérant. Le 14 mars 2013, les autorités ouzbèkes complétèrent les charges portées à l’encontre du requérant : celui-ci fut inculpé d’atteinte à l’ordre constitutionnel de la République d’Ouzbékistan, d’entrée ou de sortie illégale du territoire national, de fabrication ou divulgation de matériel portant atteinte à la sécurité et à l’ordre publics, ainsi que de création et direction d’organisations religieuses extrémistes, séparatistes, fondamentalistes ou d’autres organisations interdites et de participation à de telles organisations (articles 159 § 3 b), 223 § 2 b), 244-1 § 3 a) et 244-2 § 1 du code pénal ouzbek). L’arrestation, le premier placement sous écrou extraditionnel et la condamnation du requérant en Russie Entretemps, le 1er mars 2013, le requérant avait été appréhendé à Moscou, muni d’un faux passeport. Après son identification, le ministère de l’Intérieur de l’Ouzbékistan avait informé les autorités russes de son intention de demander l’extradition du requérant eu égard aux charges pénales pesant contre ce dernier. Le 4 mars 2013, le tribunal du district Lublinski de la ville de Moscou, se basant sur l’article 60 de la Convention de Minsk et sur l’article 108 du code pénal russe, avait autorisé la mise en détention provisoire du requérant jusqu’au 29 avril 2013 en vue de son extradition vers l’Ouzbékistan. Par une lettre du 26 mars 2013, le service du procureur général de l’Ouzbékistan demanda à son homologue russe d’ordonner l’extradition du requérant. La lettre avait été envoyée par télécopie et reçue par le service du procureur russe le 27 mars 2013. Dans cette même lettre, le service du procureur général de l’Ouzbékistan s’engageait à ne pas remettre le requérant à un État tiers sans le consentement de la Fédération de Russie, à ne le poursuivre que pour les infractions qui constituaient la base de son extradition et à le laisser libre de quitter le territoire de la République d’Ouzbékistan lorsqu’il aurait purgé sa peine. Le service du procureur général ouzbek citait les articles 16, 17 et 24 du code de procédure pénale ouzbek qui disposaient que l’égalité des parties à la procédure sans aucune discrimination était assurée, que les tortures, la violence ou tout autre traitement inhumain ou dégradant étaient interdits et que le droit à la défense était garanti au prévenu et à l’accusé. Il assurait également que, le cas échéant, le requérant aurait accès aux soins médicaux, que son droit à la défense serait respecté et que les poursuites pénales dirigées contre lui n’étaient pas politiquement motivées et ne seraient pas discriminatoires. Enfin, il indiquait que la procédure pénale menée à l’encontre de l’intéressé serait conforme à la législation nationale et aux accords internationaux conclus par l’Ouzbékistan. Dans l’intervalle, le requérant avait été inculpé de tentative de vol, de vol de passeport et d’usage de faux dans le cadre d’une enquête pénale ouverte par les autorités russes. Par une décision du 23 avril 2013, le tribunal du district Zamoskvoretski de la ville de Moscou ordonna sa détention provisoire sur la base des charges dirigées contre lui en Russie. Le 24 avril 2013, le service du procureur Lublinski de la ville de Moscou décida que, eu égard à la décision de placement en détention de l’intéressé dans le cadre de l’affaire pénale russe, le maintien de la détention provisoire imposée lors de l’examen de la demande d’extradition vers l’Ouzbékistan n’était plus nécessaire. Le 5 décembre 2013, le tribunal du district Zamoskvoretski de la ville de Moscou reconnut le requérant coupable des charges pénales dirigées contre lui par le procureur russe et le condamna à un an et six mois d’emprisonnement. Le requérant fut placé dans la colonie pénitentiaire noIK2 de la région de Kostroma. B. La procédure d’expulsion du requérant Par une décision du 22 juillet 2014, le ministère de la Justice de la Fédération de Russie considéra que la présence du requérant sur le territoire russe était indésirable pour une période allant jusqu’au 31 août 2017. La décision était prise sur la base de l’article 25.10 § 4 de la loi no 114-FZ du 15 août 1996 relative aux modalités d’entrée et de sortie du territoire de la Fédération de Russie et de l’article 31 § 11 de la loi no 115-FZ du 25 juillet 2002 sur le statut juridique des ressortissants étrangers dans la Fédération de Russie. Le 18 août 2014, le bureau du service fédéral russe des migrations (« le SFM ») de la région de Kostroma prit un arrêté d’expulsion à l’encontre du requérant en se basant sur la décision du 22 juillet 2014 du ministère de la Justice. Le requérant allègue que l’arrêté d’expulsion ne lui a pas été notifié et que son avocate en a appris l’existence par hasard en consultant son dossier administratif auprès de la colonie pénitentiaire noIK2. En outre, l’intéressé a soumis à la Cour une copie d’une lettre de l’administration de la colonie susmentionnée adressée au bureau du SFM de la région de Kostroma, datée du 8 avril 2014, par laquelle l’administration pénitentiaire demandait au SFM d’établir des documents de voyage et des titres de transport pour le requérant en vue de l’éloignement de ce dernier. L’avocate du requérant introduisit un recours en annulation de l’arrêté d’expulsion. Elle arguait notamment que l’examen de la demande d’extradition de son client n’était pas encore terminé, et elle soutenait que l’expulsion priverait ce dernier de la possibilité de se prévaloir des garanties offertes par les recours judiciaires contre une éventuelle décision d’extradition et serait une extradition « de fait ». Elle avançait ensuite que l’expulsion du requérant exposerait celui-ci à un risque de mauvais traitements en Ouzbékistan, précisant que l’intéressé y était accusé d’infractions à caractère religieux, et elle se référait, à l’appui de sa thèse, à la jurisprudence de la Cour et à des rapports d’organisations internationales. Le 6 octobre 2014, le bureau du SFM de la région de Kostroma suspendit la procédure d’expulsion du requérant eu égard à la mesure provisoire indiquée par la Cour en application de l’article 39 de son règlement. Le 12 décembre 2014, le tribunal du district Sverdlovski de la ville de Kostroma rejeta le recours du requérant contre l’arrêté d’expulsion du 18 août 2014. Le tribunal relevait, entre autres, les éléments suivants : « L’existence de rapports d’organisations internationales sur les tortures et les mauvais traitements en Ouzbékistan ainsi que d’arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme constatant des violations de la Convention du fait de l’expulsion vers l’Ouzbékistan d’individus dont l’extradition est demandée pour des [imputations d’infractions] à caractère politique ou religieux n’est pas un motif péremptoire permettant de déclarer un arrêté d’expulsion non conforme à la loi. Une situation politique difficile dans un État ne peut pas servir de fondement pour un refus absolu d’appliquer les lois de la Fédération de Russie portant sur l’expulsion des ressortissants de l’État en question dont la présence sur le territoire russe est reconnue indésirable. L’arrêté contesté est pris en tenant compte de la personnalité de l’intéressé, de son comportement sur le territoire de la Fédération de Russie et eu égard à l’incompatibilité de sa présence sur le territoire russe avec les intérêts de l’État. Le bien-fondé des charges pénales dirigées à l’encontre de l’intéressé en Ouzbékistan ainsi que le risque [pour celui-ci] d’être soumis à des tortures et traitements dégradants seront évalués dans le cadre de la procédure d’examen de la demande d’extradition (...) et de celle ouverte à la suite de la demande d’asile temporaire [introduite par l’intéressé] (...) » L’avocate du requérant interjeta appel. Citant largement la jurisprudence de la Cour et des rapports d’organisations internationales sur la situation en Ouzbékistan, elle réitérait ses arguments quant à un risque pour le requérant d’être soumis à des mauvais traitements en cas d’expulsion vers l’Ouzbékistan. Elle indiquait, ensuite, qu’il n’avait pas été procédé à l’expulsion de son client seulement en raison de l’indication de la mesure provisoire par la Cour et que l’intéressé avait été privé de la possibilité d’exposer ses arguments lors de la prise de l’arrêté d’expulsion. Le 25 mars 2015, la cour régionale de Kostroma rejeta l’appel en faisant siennes les conclusions du tribunal de première instance. Elle considérait que la prise d’un arrêté d’expulsion à l’encontre d’un ressortissant étranger dont la présence sur le territoire russe avait été reconnue indésirable ne pouvait dépendre de l’issue d’une procédure d’extradition. La cour régionale indiquait que ni les arrêts de la Cour sur le risque de tortures encouru par les individus dont l’extradition vers l’Ouzbékistan était demandée ni les rapports d’organisations internationales sur la situation dans ce pays ne faisaient partie des éléments à prendre en compte lors de l’adoption d’un arrêté d’expulsion. C. La procédure d’asile temporaire et le placement du requérant sous écrou extraditionnel La demande d’asile temporaire Dans l’intervalle, le 26 août 2014, le requérant, qui se trouvait toujours dans la colonie pénitentiaire noIK2, avait envoyé par la poste une demande aux fins d’obtention d’un « asile temporaire » (временное убежище) qu’il justifiait par l’existence d’un risque d’être soumis à des traitements inhumains et dégradants en cas de renvoi vers l’Ouzbékistan. Par une lettre du 8 septembre 2014, le SFM de la région de Kostroma avait retourné sa demande au requérant au motif que celui-ci aurait dû la déposer en personne auprès d’un des bureaux du SFM. Le 17 septembre 2014 et le 22 septembre 2014 respectivement, le requérant et son avocate réintroduisirent la demande d’asile temporaire en décrivant à cet égard la situation des droits de l’homme en Ouzbékistan comme étant déplorable et en réitérant leur assertion d’un risque de tortures et de traitements inhumains et dégradants encouru par l’intéressé en cas d’extradition. Le 26 décembre 2014, le SFM de la région de Kostroma avait rejeté la demande du requérant. Ce dernier avait alors contesté cette décision auprès du bureau central du SFM. Par une décision du 1er avril 2015, le bureau central du SFM avait annulé la décision du 26 décembre 2014. La Cour ne dispose pas de copie de cette décision. Le 27 avril 2015, le bureau du SFM de la région de Kostroma accorda au requérant un asile temporaire jusqu’au 27 avril 2016 et en informa l’avocate de l’intéressé. La décision en question se fondait principalement sur un bref résumé de celle prise par le bureau central du SFM le 1er avril 2015. Elle ne comportait pas d’analyse de la situation personnelle du requérant ni d’évaluation du risque encouru par ce dernier en cas d’expulsion vers l’Ouzbékistan et elle se bornait à évoquer la mesure provisoire indiquée par la Cour en application de l’article 39 de son règlement. Le deuxième placement du requérant sous écrou extraditionnel Entretemps, par une décision du 29 août 2014, le procureur adjoint du district Ponazirevo de la région de Kostroma avait ordonné le placement du requérant sous écrou extraditionnel pour deux mois, sur le fondement de l’article 466 § 2 du code de procédure pénale russe (« le CPP »). L’avocate du requérant avait formé un recours contre cette décision. En invoquant la jurisprudence de la Cour constitutionnelle russe et de la Cour, elle arguait que la détention de son client n’avait pas été autorisée « selon les voies légales » au sens de l’article 5 § 1 de la Convention. Le 26 septembre 2014, le tribunal du district Charyinski de la région de Kostroma avait confirmé la décision du procureur contestée. Par une décision du 28 octobre 2014, le tribunal du district Galitch de la région de Kostroma avait reconduit la détention provisoire du requérant jusqu’au 28 février 2015. Le requérant n’avait pas fait appel de cette décision. Le 25 novembre 2014, la cour régionale de Kostroma avait rejeté l’appel formé par l’avocate du requérant contre la décision du 26 septembre 2014. Elle relevait que, en application de l’article 466 § 2 du CPP, si la demande d’extradition se fondait sur une ordonnance de détention délivrée par un tribunal du pays demandeur, la mise en détention de la personne dont l’extradition était requise était possible sur le fondement d’une décision d’un procureur de la Fédération de Russie pour une durée maximale de deux mois. Elle soulignait que la prolongation de la détention au-delà de cette durée de deux mois pouvait être décidée uniquement par un tribunal. Elle se référait à cet effet au paragraphe 21 de la directive no 11 de l’assemblée plénière de la Cour suprême de la Fédération de Russie, en date du 14 juin 2012, relative à l’extradition des personnes à des fins de poursuites pénales, de mise en œuvre d’une sentence pénale ou d’exécution de peine. Le 28 février 2015, le requérant avait été remis en liberté. Il avait ensuite été placé dans un centre de détention temporaire pour ressortissants étrangers situé dans la région de Kostroma. Le 2 mars 2015, le tribunal du district Léninski de la région de Kostroma avait ordonné l’élargissement du requérant ; celui-ci avait été remis en liberté le jour même. II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS A. Sur l’expulsion L’article 25.10 de la loi no 114-FZ du 15 août 1996 relative aux modalités d’entrée et de sortie du territoire de la Fédération de Russie dispose en son paragraphe 4 que la présence d’un individu sur le territoire de la Fédération de Russie peut être reconnue indésirable dans le cas où l’individu en question présente un danger pour la défense ou la sécurité de l’État, l’ordre public ou la santé nationale, ainsi qu’aux fins de protection de l’ordre constitutionnel, des mœurs et des droits et intérêts légitimes d’autrui. Le paragraphe 6 du même article prévoit que l’individu n’ayant pas quitté le territoire de la Russie de son plein gré est expulsé du territoire national. B. Sur la détention à des fins d’extradition et le contrôle juridictionnel de pareille détention Le chapitre 54 du CPP (« extradition d’une personne aux fins de poursuites pénales ou pour l’exécution d’une peine ») traite de la procédure d’extradition. Suite à la réception d’une demande d’extradition non accompagnée d’une ordonnance de détention prise par une juridiction étrangère, il appartient au procureur de décider s’il y a lieu de prendre une mesure préventive contre la personne dont l’extradition est requise. La mesure doit être appliquée en conformité avec la procédure consacrée (Article 466 § 1). Si la demande d’extradition est accompagnée d’une ordonnance de détention prise par une juridiction étrangère, le procureur peut assigner la personne concernée à résidence ou la placer en détention, sans qu’il soit nécessaire que la validité de cette ordonnance ait été constatée par un tribunal de la Fédération de Russie. Pour plus de détails sur le droit et la pratique internes relatifs à la détention à des fins d’extradition, il est renvoyé à l’arrêt Akram Karimov c. Russie (no 62892/12, §§ 6987, 28 mai 2014). Dans sa directive no 11 du 14 juin 2012, relative à l’extradition des personnes à des fins de poursuites pénales, de mise en œuvre d’une sentence pénale ou d’exécution de peine, l’assemblée plénière de la Cour suprême de la Fédération de Russie a formulé des recommandations quant à l’application de l’article 466 § 2 du CPP. Les paragraphes 19 et 21 de la directive se lisent ainsi : « 19. Il convient d’attirer l’attention des tribunaux sur le fait que, conformément à l’article 62 § 1 de la Convention relative à l’entraide judiciaire et aux relations judiciaires en matière civile, familiale et pénale, le délai de la détention provisoire d’une personne avant la réception de la demande d’extradition ne doit pas dépasser un mois. Si l’État demandeur est partie au Protocole à [cette Convention], le délai susmentionné ne peut dépasser quarante jours (...) Les tribunaux doivent prendre en compte les délais susmentionnés lors du calcul de la durée de la détention de la personne [qui a eu lieu] avant la réception de la demande d’extradition. Il convient d’expliquer aux tribunaux qu’en absence de demande d’extradition, une mesure préventive sous forme de placement en détention est ordonnée et reconduite par la suite, y compris après la réception de la demande d’extradition, uniquement par un tribunal russe [qui doit indiquer] pour quel délai et jusqu’à quelle date une telle mesure est ordonnée (reconduite) (voir les articles 97 § 2, 108, 109 et 128 du CPP). Au cas où une demande d’extradition dûment établie n’est pas parvenue à la Fédération de Russie dans le délai prévu par l’accord international [auquel elle est partie], la personne [détenue] doit être élargie (...) Si la demande d’extradition est assortie d’une ordonnance de détention d’un tribunal étranger, le procureur peut, en application de l’article 466 § 2 du CPP, ordonner la mise en détention de la personne concernée, sans que l’ordonnance de détention soit confirmée par un tribunal, pour une durée ne dépassant pas deux mois à partir du moment auquel la personne a été appréhendée (article 109 § 1 du CPP). La reconduction de la mesure restrictive [de liberté] est effectuée exclusivement par un tribunal. L’ordonnance de mise en détention peut faire l’objet de l’appel prévu par l’article 125 du CPP. » III. LES RAPPORTS DES INSTITUTIONS DES NATIONS UNIES ET DES ORGANISATIONS NON GOUVERNEMENTALES SUR L’OUZBÉKISTAN Un certain nombre de rapports adoptés avant 2015 et relatifs à la situation en Ouzbékistan sont résumés dans l’arrêt Egamberdiyev c. Russie (no 34742/13, §§ 3031, 26 juin 2014, avec les références qui y sont citées). Les parties pertinentes en l’espèce des observations finales sur le quatrième rapport périodique présenté par l’Ouzbékistan adoptées le 20 juillet 2015 par le Comité des droits de l’homme des Nations unies (CCPR/C/UZB/CO/4) se lisent ainsi : « State of emergency and counter-terrorism The Committee, while noting that a draft State of Emergency Act has been prepared, remains concerned (CCPR/C/UZB/CO/3, para. 9) that existing regulations on states of emergency do not comply with article 4 of the Covenant. It also remains concerned (CCPR/C/UZB/CO/3, para. 15) about: (a) the overly-broad definition of terrorism and terrorist activities that is reportedly widely used to charge and prosecute members or suspected members of banned Islamic movements; (b) legal safeguards for persons suspected of, or charged with, a terrorist or related crime and allegations of incommunicado detention, torture and long prison sentences in inhuman and degrading conditions in respect of such persons (arts. 4, 7, 9, 10, 14, 18 and 19) (...) Deaths in custody The Committee is concerned about reports of deaths in custody and denial of adequate medical care. It is also concerned about the lack of effective and independent investigations into such cases (arts. 2 and 6) (...) Torture The Committee remains concerned that the definition of torture contained in the criminal legislation, including article 235 of the Criminal Code, does not meet the requirements of article 7 of the Covenant, as it is limited to illegal acts committed with the purpose of coercing testimony and therefore in practice is restricted to acts of torture committed only by a person carrying out an initial inquiry or pretrial investigation, a procurator or other employee of a law-enforcement agency, and results in impunity for other persons, including detainees and prisoners. The Committee is also concerned that the State party continues to grant amnesties to persons who have been convicted of torture or ill-treatment under article 235 of the Criminal Code (arts. 2 and 7) (...) The Committee remains concerned about reports that torture continues to be routinely used throughout the criminal justice system; that, despite the existing legal prohibition, forced confessions are in practice used as evidence in court, and that judges fail to order investigations into allegations of forced confessions even when signs of torture are visible; that persons complaining of torture are subjected to reprisals and family members are often intimidated and threatened to ensure that complaints are retracted; and that the rate of prosecution is very low and impunity is prevalent (arts. 2, 7 and 14) (...) Liberty and security of person The Committee remains concerned that the State party retains the 72-hour period of detention of persons suspected of having committed an offence before bringing them before a judge, and therefore welcomes the State party’s statement that the length of custody may be reduced to 48 hours in the future. It is also concerned about deficiencies in the application of the legislation governing judicial control of detention (habeas corpus) in practice, particularly allegations of: (a) forging the time or date of detention to circumvent the legal period of detention: (b) habeas corpus hearings in the absence of the detainee, especially in politically-related cases; (c) violations of the right of detainees to a lawyer, including to a lawyer of their choice, and deficient legal representation provided by State-appointed defence lawyers (arts. 9 and 14). Freedom of conscience and religious belief The Committee remains concerned (CCPR/C/UZB/CO/3, para. 19) that the legal provisions prohibiting proselytism and other missionary activities continue to be in force. It is also concerned about reports of (a) unlawful arrests, detentions, torture and ill-treatment and convictions on religious extremism related charges of independent Muslims practising their faith outside registered structures; (b) arrest for “illegal religious activity”, detention, fines and prison sentences for Christians and members of other minority religions conducting peaceful religious activities outside registered structures; (c) censorship of religious materials and restrictions on their use only inside buildings of registered religious groups (art. 7, 9, 10, and 18). » Les parties pertinentes en l’espèce du rapport mondial 2015 de Human Rights Watch se lisent ainsi : « Authorities imprison religious believers who practice their faith outside state controls. In July, the Initiative Group of Independent Human Rights Defenders (IGIHRD) estimated that more than 12,000 persons are currently imprisoned on vague charges related to “extremism” or “anti-constitutional” activity, with several hundred convicted in the past 12 months. » Dans la partie de son rapport 2014/2015 concernant l’Ouzbékistan, Amnesty International s’exprime ainsi : « La torture et les autres mauvais traitements restaient monnaie courante dans l’ensemble des centres de détention. Les autorités rejetaient toujours toute accusation de torture portée contre des responsables de l’application des lois ou des agents des services de la sûreté nationale. Elles n’ont pas enquêté de manière effective sur les informations crédibles et persistantes faisant état de telles violations des droits humains. Des personnes condamnées pour atteinte à la sûreté de l’État ou à la législation antiterroriste ont vu leurs peines arbitrairement prolongées. Nombre d’entre elles n’avaient pas accès aux soins médicaux rendus nécessaires par leur état de santé. Les personnes rapatriées de force étaient exposées à un risque bien réel de mauvais traitements, y compris de torture. » En avril 2015, Amnesty International a publié le rapport « Secrets et mensonges : des « aveux » extorqués sous la torture en Ouzbékistan », qui fait état d’une large pratique de recours à la torture par les autorités ouzbèkes pour extorquer des aveux aux détenus.
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A. Les circonstances de l’espèce La liste des requérants, ainsi que les informations pertinentes sur les procédures en cause figurent en annexe. Les requérants se plaignent de la durée des procédures engagées devant les juridictions pénales, ainsi que de l’absence d’un recours effectif à cet égard. B. Le droit interne pertinent La loi no 4239/2014, intitulée « satisfaction équitable au titre du dépassement du délai raisonnable de la procédure devant les juridictions pénales, civiles et la Cour des comptes », est entrée en vigueur le 20 février 2014. Elle introduit, entre autres, un nouveau recours indemnitaire prévoyant l’octroi d’une satisfaction équitable en raison de la prolongation injustifiée d’une procédure devant les juridictions pénales. L’article 3 § 1 dispose : « Toute demande de satisfaction équitable doit être introduite devant chaque degré de juridiction séparément. Elle doit être présentée dans un délai de six mois après la publication de la décision définitive de la juridiction devant laquelle la durée de la procédure a été, selon le requérant, excessive (...) ».
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A. Les circonstances de l’espèce La liste des requérants, ainsi que les informations pertinentes sur les procédures figurent en annexe. Les requérants se plaignent de la durée des procédures engagées devant les juridictions pénales et civiles. B. Le droit interne pertinent La loi no 4239/2014, intitulée « satisfaction équitable au titre du dépassement du délai raisonnable de la procédure devant les juridictions pénales, civiles et la Cour des comptes », est entrée en vigueur le 20 février 2014. La loi précitée introduit, entre autres, un nouveau recours indemnitaire visant à l’octroi d’une satisfaction équitable pour le préjudice moral causé par la prolongation injustifiée d’une procédure devant les juridictions pénales et civiles. L’article 3 § 1 dispose : « Toute demande de satisfaction équitable doit être introduite devant chaque degré de juridiction séparément. Elle doit être présentée dans un délai de six mois après la publication de la décision définitive de la juridiction devant laquelle la durée de la procédure a été, selon le requérant, excessive (...) »
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I. LES CIRCONSTANCES DE L ’ ESPÈCE Les faits de la cause, tels qu’ils ont été exposés par les parties, peuvent se résumer comme suit. A. La genèse de l’affaire Le 18 janvier 1977, la requérante conclut avec la société « Alexandros S.A. Entreprises Hôtelières » un contrat par lequel cette dernière loua à la requérante, pour une période allant jusqu’au 30 novembre 1983 (prolongée au 30 novembre 1985), un complexe hôtelier, l’Alexander Beach, près du cap Sounion. Toutefois, il s’avéra qu’avant de conclure le contrat du 18 janvier 1977, la société « Alexandros S.A. Entreprises Hôtelières » avait loué le même hôtel à une autre société, la « Xenodoheia Pyramis S.A. », pour une durée de neuf ans, et avec laquelle elle avait déjà un contentieux judiciaire. En exécution d’un jugement no 3931/1979 du tribunal de grande instance d’Athènes, rendu entre les sociétés « Alexandros S.A. Entreprises Hôtelières » et « Xenodoheia Pyramis S.A. », la requérante fut évincée au profit de la société « Xenodoheia Pyramis S.A. ». B. Procédures litigieuses L’action de la requérante tendant à la reconnaissance de ses créances Le 16 avril 1980, la requérante introduisit une action contre la société « Alexandros S.A. Entreprises Hôtelières » devant le tribunal de grande instance d’Athènes pour dommages-intérêts. Lors de l’audience du 5 juin 1980, cette dernière forma une demande reconventionnelle. Le 16 septembre 1983, par une décision (no 12800/1983) avant dire droit, le tribunal de grande instance ordonna l’administration des preuves. Le 21 mai 1986 par le jugement no 3288/1986, le tribunal de grande instance accueillit en partie l’action de la requérante et fit en partie droit à la demande reconventionnelle. Les 26 juin et 31 juillet 1986 respectivement, la société « Alexandros S.A. Entreprises Hôtelières » et la requérante interjetèrent appel contre ce jugement. Le 10 novembre 1986, par l’arrêt no 9542/1986, la cour d’appel d’Athènes infirma le jugement en ce qui concernait les deux parties. Le 19 janvier 1987, la requérante se pourvut en cassation. Par un arrêt du 28 décembre 1988 (no 1940/1988), la Cour de cassation cassa l’arrêt de la cour d’appel, en ce qu’elle rejetait l’action de la requérante, et renvoya l’affaire devant la cour d’appel du Pirée. La date à laquelle ledit arrêt a été mis au net et certifié conforme ne ressort pas du dossier. Le 17 février 1989, la requérante demanda la fixation d’une nouvelle date d’audience devant la cour d’appel du Pirée. Le 18 mars 1990, par une décision avant dire droit (no 395/1990), cette juridiction déclara l’irrecevabilité de l’audience de l’affaire et reporta son examen jusqu’à la fin de la procédure de liquidation de la société « Alexandros S.A. Entreprises Hôtelières », laquelle fut mise en liquidation, le 26 novembre 1987 (jugement no 4376/1987). Entretemps, le 14 février 1990, le tribunal de grande instance d’Athènes mit fin à la procédure de liquidation de ladite société (jugement no 473/1990). Le 4 juillet 1990, la requérante demanda la fixation d’une nouvelle date d’audience. Il ressort du dossier que la procédure est encore pendante devant ladite juridiction. Procédure relative à la première mise en liquidation de la société « Alexandros S.A. Entreprises Hôtelières » Le 30 mars 1988, la requérante annonça sa créance à l’encontre de la société « Alexandros S.A. Entreprises Hôtelières » (έγγραφη αναγγελία), après la mise en liquidation de cette dernière le 26 novembre 1987. Cette créance n’a pas été reconnue par le syndic de liquidation. Le 18 décembre 1989, la requérante saisit le tribunal de grande instance d’Athènes d’une opposition tendant à faire reconnaître sa créance à l’encontre de ladite société. Par un jugement du 21 mars 1990 (no 2444/1990), le tribunal de grande instance d’Athènes rejeta l’opposition de la requérante comme irrecevable. Le 30 mars 1990, la requérante interjeta appel contre ce jugement devant la cour d’appel d’Athènes. Par une décision du 5 septembre 1990 (no 9680/1990), la cour d’appel infirma le jugement du 21 mars 1990 et ordonna la requérante à faire prouver par témoins la somme réclamée. Le 7 juillet 1995, la requérante demanda la fixation d’une nouvelle date d’audience devant la cour d’appel d’Athènes, la révocation de la décision no 9680/1990 et précisa qu’elle limitait sa prétention à la somme accordée par le jugement du tribunal de grande instance d’Athènes du 21 mai 1986 (no 3288/1986), lequel était devenu entretemps, selon elle, définitif. L’audience du 25 janvier 1996, fut ajournée sur demande de la société défenderesse pour le 19 septembre 1996. Le 19 septembre 1996, l’audience devant la cour d’appel d’Athènes fut ajournée en raison des élections législatives. Le 10 mars 1997, la requérante demanda la fixation d’une nouvelle date d’audience. Le 5 mars 1998, par une décision avant dire droit, la cour d’appel d’Athènes rejeta la demande comme irrecevable (décision no 1750/1998). Elle considéra, qu’à supposer même que l’appel de la requérante du 31 juillet 1986 eût été encore pendant, l’irrecevabilité de la demande était le résultat de la mise en liquidation de la société « Alexandros S.A. Entreprises Hôtelières ». De plus, à supposer même qu’il s’agissait d’une réintroduction de l’appel contre le jugement no 2444/1990, la demande devait être déclarée irrecevable, faute d’avoir apporté par témoignage les preuves sollicitées par la cour d’appel. La demande de la requérante devait de toute manière être rejetée car l’appel du 31 juillet 1986 contre le jugement no 3288/86 du 21 mai 1986 était toujours pendant, suite à l’interruption de la procédure pour cause de faillite de la partie adverse. Le 4 décembre 2000, la requérante se pourvut en cassation. Le 9 septembre 2003, elle produisit une copie de son pourvoi et demanda la fixation de l’audience. L’audience devant la Cour de cassation eut lieu, après l’ajournement de l’audience initiale du 24 janvier 2005, le 19 septembre 2005. Le 24 octobre 2005, par une décision avant dire droit la Cour de cassation ajourna l’audience (décision no 1508/2005), la requérante n’ayant pas convoqué le syndic de liquidation. Le 20 mars 2007, la requérante demanda la fixation d’une nouvelle date d’audience. L’audience fixée au 3 mars 2008 fut ajournée. Le 4 mars 2008, la requérante demanda la fixation d’une nouvelle audience. Par un arrêt du 12 janvier 2009 (mis au net et certifié conforme le 11 mars 2009) (no 43/2009), la Cour de cassation rejeta le pourvoi comme irrecevable, au motif que la décision de la cour d’appel attaquée n’était pas définitive et ne pouvait pas faire l’objet d’un pourvoi. Selon la Cour de cassation, en rendant cette décision, la cour d’appel ne s’était pas dégagée de l’affaire, notamment par rapport à l’appel du 30 mars 1990, car après la procédure de l’examen des témoins, l’examen de l’appel pouvait être poursuivi et un arrêt définitif rendu dans l’affaire. Procédure relative au règlement amiable suite à la première mise en liquidation de société « Alexandros S.A. Entreprises Hôtelières » Entretemps, le 12 janvier 1990, eut lieu, à l’insu de la requérante, un règlement amiable - fictif selon la requérante - au profit de la société « Alexandros S.A. Entreprises Hôtelières » mise en liquidation. Ce règlement fut ratifié par un jugement du tribunal de grande instance d’Athènes le 14 février 1990 (no 473/1990), lequel mit fin également à la procédure de liquidation de cette dernière société. Les 21 mars et 10 avril 1990, la requérante forma respectivement une tierce opposition contre ce règlement qu’elle dénonçait comme fictif, dolosif et nul, ainsi qu’une demande d’annulation dudit règlement devant le tribunal de grande instance d’Athènes. Le 11 décembre 1990, après trois ajournements, la requérante demanda la fixation d’une nouvelle date d’audience. L’audience fut fixée, après deux ajournements, au 24 avril 1991. Le 17 juillet 1991, le tribunal de grande instance d’Athènes rejeta la tierce opposition ainsi que la demande de la requérante (jugement no 2601/1991). Le 31 mars 1992, la requérante interjeta appel contre ce jugement devant la cour d’appel d’Athènes. Le 9 février 1993, la requérante demanda la fixation d’une audience. Le 29 octobre 1993, la cour d’appel infirma le jugement et ordonna un complément de preuves au moyen de témoignages (décision no 6735/1993). Il ressort du dossier que la requérante ne fit aucune demande de fixation d’une nouvelle date d’audience. Procédure relative à la seconde mise en liquidation de la société « Alexandros S.A. Entreprises Hôtelières » Entretemps, le 3 juin 1993, la société « Alexandros S.A. Entreprises Hôtelières » fut une nouvelle fois mise en liquidation (jugement no 1660/1993). Le 12 octobre 1993, la requérante annonça sa créance à l’encontre de la société « Alexandros S.A. Entreprises Hôtelières ». Le 5 décembre 1994, la requérante déclara limiter sa prétention à la somme qui lui avait été reconnue par le jugement du tribunal de grande instance d’Athènes du 21 mai 1986 et lequel était devenu entretemps, selon elle, définitif. Ladite créance n’a pas été reconnue par le syndic de liquidation. Le 3 janvier 1995, la requérante, saisit le tribunal de grande instance d’Athènes d’une opposition tendant à faire reconnaître sa créance à l’encontre de la société « Alexandros S.A. Entreprises Hôtelières ». Le 22 avril 1996, le tribunal de grande instance d’Athènes par une décision avant dire droit (no 5963/1996) décida de surseoir à statuer jusqu’à la fin de la procédure à l’époque pendante devant la cour d’appel d’Athènes (décision no 9680/1990). Il ressort du dossier que la procédure est pendante devant ladite juridiction. II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS La loi no 4239/2014, intitulée « satisfaction équitable au titre du dépassement du délai raisonnable de la procédure devant les juridictions pénales, civiles et la Cour des comptes », est entrée en vigueur le 20 février 2014. La loi précitée introduit, entre autres, un nouveau recours indemnitaire visant à l’octroi d’une satisfaction équitable pour le préjudice moral causé par la prolongation injustifiée d’une procédure devant les juridictions civiles. L’article 3 § 1 dispose: « Toute demande de satisfaction équitable doit être introduite devant chaque degré de juridiction séparément. Elle doit être présentée dans un délai de six mois après la publication de la décision définitive de la juridiction devant laquelle la durée de la procédure a été, selon le requérant, excessive (...) »
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE La requérante est née en 1973 et réside à Istanbul. A. La procédure pénale initiée par la requérante Le 18 juillet 2006, la requérante saisit le procureur de la République de Gaziosmanpaşa (« le procureur de la République ») d’une plainte contre son conjoint pour viol, blessures volontaires, torture, privation de liberté, menaces, injures, ainsi que pour violences physiques, verbales, sexuelles, émotionnelles et économiques. Dans sa plainte, elle déclara être mariée depuis 1997, avoir subi des violences conjugales depuis lors et que ses trois enfants avaient également été victimes de violences physiques et verbales de la part de son conjoint. Elle affirma avoir été empêchée par son mari de sortir de la maison, de consulter un médecin et de saisir les instances judiciaires. Elle décrivit certaines violences qu’elle dit avoir subies, faisant état d’une fracture de la cheville gauche et de blessures au pied droit suite aux coups portés avec un bâton par son mari, de lacérations aux lèvres avec un rasoir, d’une lacération de la joue au canif, d’une brûlure à la hanche gauche, de coups de poings et de brûlures de cigarettes sur les bras. Elle dit également avoir été contrainte à des actes sexuels non désirés et avoir été violée à de multiples reprises par son mari. Elle précisa que son conjoint avait été marié trois fois avant de l’épouser, qu’il avait battu ses ex-épouses et avait purgé une peine de quinze mois de prison pour avoir blessé par balle l’une d’elles. Elle affirma s’être enfuie, ne supportant plus cette situation et craignant pour sa vie. Elle déclara que la vie de ses fils et la sienne étaient en danger. Elle demanda à être déférée à l’institut médico-légal pour que soient établies les violences dont elle avait été victime. Le jour même, le procureur de la République écrivit à l’institut médico-légal de Gaziosmanpaşa pour demander l’établissement d’un rapport médico-légal au regard des allégations de la requérante portant sur les violences sexuelles qu’elle aurait subies. Il demanda également à l’institut médico-légal de vérifier si les conditions énoncées aux articles 86, 87 et 88 du code pénal (réprimant les atteintes à l’intégrité physique de la personne) étaient réunies. Ce jour, l’institut médico-légal établit un rapport rédigé en ces termes : « À l’auscultation médicale de M. [G.] ont été constatées : une enflure de 3 x 0,5 cm à l’avant-bras droit au niveau de la partie arrière du poignet, une enflure de 1,5 cm ainsi que deux lésions de 1 cm (provenant de l’extinction d’une cigarette) sur [la partie] latérale arrière de l’avant-bras, une enflure de 2 cm provenant selon les dires de l’intéressée d’une fracture de l’auriculaire gauche, un léger bleu sous l’œil droit (...), cicatrice (...) au coin de la mandibule gauche, une ecchymose de 3 x 2 cm sur la partie arrière du genou droit (...), cicatrices anciennes de 4 x 2 cm autour des deux chevilles, cicatrice ancienne sur le pied (...) droit (provenant de l’extinction d’une cigarette) (...) Il a été constaté que l’hymen a complètement disparu, que [la personne] n’est pas vierge (...) (...) La personne doit faire l’objet d’un examen psychiatrique (...) » Le 19 juillet 2006, la requérante fut déférée au service de psychiatrie de la faculté de médecine de l’université d’Istanbul. Ce jour, le service de psychiatrie l’ayant examiné écrivit au procureur de la République. Le document ainsi transmis peut se lire comme suit en ses passages pertinents : « Son histoire : neuf ans plus tôt, la patiente a été enlevée de force par son mari, qu’elle a épousé (...) Dès le début de ce mariage, son époux a fait preuve de violences physiques, psychologiques et sexuelles. Ces dernières années, ces violences se sont accrues. Environ une semaine plus tôt, après que son mari ait à nouveau fait preuve de violences à son endroit, elle s’est enfuie secrètement de chez elle. Elle s’est rendue auprès de sa sœur qui, en raison de menaces de son mari, n’a pas voulu l’héberger (...) Sur les conseils donnés par le muhtar et le commissariat de police, elle a saisi le refuge pour femmes (...) Particulièrement depuis la naissance de son dernier enfant (...) son époux lui fait subir de très graves violences physiques, verbales et sexuelles. Un an plus tôt, l’attachant par les mains et les pieds, il l’a frappé à coups de bâton et son pied s’est cassé. Son mari ne l’ayant pas autorisé à bénéficier d’une aide médicale, elle n’a pu guérir tout à fait. Elle a déclaré que son mari lui avait fait subir des actes de torture : il a éteint des cigarettes sur son corps, l’a coupé avec un rasoir, l’a frappé avec un bâton, l’a contrainte (...) à des relations sexuelles (...) Il fut observé que la patiente avait honte lorsqu’elle racontait les actes sexuels auxquelles elle avait été contrainte (...) Diagnostic : (...) Trouble dépressif majeur et stress post-traumatique chronique (...) Il apparaît que les troubles liés à un stress post-traumatique perdurent depuis au moins un an de sorte que la maladie est chronique (...) En conclusion : il est estimé que le trouble dépressif et le stress post-traumatique chronique que présente M. [G.] sont liés aux évènements qu’elle a vécus (...) viol au sein du mariage, blessures, torture, acte sexuel contraint (...), entrave à la liberté et autres violences (...) » Le 21 juillet 2006, la requérante écrivit au procureur de la République pour demander la désignation d’un avocat par le barreau d’Istanbul, en charge de la représenter. Le 24 juillet 2006, le barreau d’Istanbul désigna un avocat chargé de représenter la requérante. Le 27 juillet 2006, le procureur de la République saisit l’institut médico-légal d’une demande tendant à l’établissement d’un rapport dans lequel seraient stipulés si les lésions relevées dans le rapport du 18 juillet 2006 étaient de nature à mettre la vie de l’intéressée en danger, si elles avaient occasionné des fractures osseuses et s’il pouvait être remédié aux blessures par une intervention médicale simple. Le 7 septembre 2006, le procureur de la République envoya une convocation à l’époux de la requérante pour qu’il fût auditionné. Le 15 septembre 2006, l’institut médico-légal établit un rapport aux termes duquel les lésions constatées n’engageaient pas le pronostic vital de la requérante et étaient de nature à pouvoir être traitées par une intervention médicale simple. Il fut en outre décidé qu’elle devait être déférée à la commission des experts de l’institut médico-légal pour avis, afin que fût déterminé si elle présentait des blessures de nature à la faire souffrir physiquement, troublant sa santé ou sa capacité de perception. Le 21 septembre 2006, la requérante déposa devant le procureur de la République et réitéra avoir fait l’objet de violences conjugales. Elle dit également que l’année précédente, elle avait déposé plainte de ce fait, mais ne pas connaître les suites données à celle-ci. Le jour même, le procureur de la République demanda à l’institut médico-légal d’établir un nouveau rapport afin que fût déterminé si l’intéressée avait vécu ce dont elle se plaignait et si les événements vécus n’avaient pas perturbé sa capacité de perception. Le 17 octobre 2006, le procureur de la République écrivit à nouveau à l’institut médico-légal pour lui demander d’établir un rapport déterminant si les conditions énoncées aux articles 86, 87 et 88 du code pénal, réprimant les atteintes à l’intégrité physique, étaient réunies. Le 18 octobre 2006, il écrivit au tribunal correctionnel de Gaziosmapaşa (« le tribunal correctionnel ») pour lui demander de délivrer un mandat d’amener contre le conjoint de la requérante qui n’avait pas répondu à sa convocation (paragraphe 15 ci-dessus). Le jour même, le tribunal correctionnel rejeta cette demande après avoir rappelé au procureur de la République que cet acte relevait de sa compétence et ne requérait pas une décision du tribunal. Le 6 novembre 2006, le conjoint de la requérante transmit un mémoire en défense au procureur de la République dans lequel il nia l’ensemble des faits qui lui étaient reprochés. Le 23 novembre 2006, le procureur de la République émit un mandat d’amener contre le conjoint de la requérante. Le 7 décembre 2006, le procureur de la République écrivit à la direction de l’institut médico-légal pour demander l’établissement d’un rapport définitif, à lui remettre en priorité. Le 15 décembre 2006, le conjoint de la requérante fut auditionné par le procureur de la République. Dans sa déposition, il déclara que son épouse et lui vivaient des difficultés et que, de ce fait, elle avait quitté le domicile conjugal en 2004 avant de le réintégrer en 2005. Il dit que cinq à six mois plus tôt, elle avait à nouveau quitté le domicile conjugal et avait vécu avec un autre homme. Il nia l’avoir maltraitée, frappée ou contrainte à des relations sexuelles et réfuta les accusations portées contre lui. Il affirma ne pas connaître l’origine des blessures de son épouse et qu’elles pouvaient avoir été infligées par d’autres, à l’époque où elle avait quitté le domicile conjugal. Ce jour, le procureur de la République entendit trois voisins du couple. Ils déclarèrent ne pas avoir été témoins de ce qui avait pu se passer entre la requérante et son époux, ne pas savoir si elle avait été frappée ou non. L’un des témoins déclara qu’en 2006, la requérante avait quitté le domicile avec un de ses enfants pour un motif qu’il ignorait en laissant ses deux autres enfants, que son mari l’avait retrouvée et ramenée. Le 15 janvier 2007, un médecin du centre orthopédique et de réhabilitation sportive de Fuliya établit un rapport dont il ressort que la requérante s’était présentée le 13 juillet 2006 et avait été auscultée. À l’examen de son pied gauche, avaient été relevés : un gonflement sur la partie latérale et dorsale, des douleurs aux articulations et des entraves. Au test de marche, une douleur au soulèvement des orteils fut constatée. Après la consultation, une thérapie physique et une rééducation furent conseillées pour réduire le gonflement et les douleurs et pour ramener à la normale les fonctions des articulations. Le 17 janvier 2007, la requérante fut entendue par le procureur de la République. Dans son témoignage, elle déclara réitérer l’ensemble des déclarations qu’elle avait faites auparavant et décrivit à nouveau les actes de violences physiques et sexuelles infligés par son mari. Son avocat dit que sa cliente avait intenté une action en divorce devant le tribunal de la famille de Gaziosmanpaşa et qu’une décision portant mesure de protection avait été adoptée à son endroit. Il demanda le placement en détention du suspect. Le 26 janvier 2007, une commission d’experts de l’institut médicolégal établit un rapport définitif concluant que la santé mentale de l’intéressée avait été altérée en raison de la situation dans laquelle elle s’était trouvée. Le rapport de la commission expose que l’article 102/5 du code pénal (incriminant l’agression sexuelle) trouvait à s’appliquer. Le 5 mars 2008, le procureur de la République écrivit au centre orthopédique et de réhabilitation sportive de Fuliya et demanda que lui fussent transmis tous les documents médicaux afférents à la santé de la requérante. Le 20 octobre 2008, l’avocat de la requérante écrivit au procureur de la République pour demander que l’instruction se termine au plus tôt, soulignant que la plainte de sa cliente avait été déposée en 2006 et qu’il n’y avait toujours pas eu de décision rendue. L’avocat soutint que le fait que la procédure n’eût pas abouti était contraire à la Convention, à l’équité et à l’interdiction de la discrimination. Ce jour, le procureur de la République écrivit à l’institut médico-légal pour demander l’établissement d’un rapport définitif déterminant, au regard de l’article 86/1 du code pénal, si la requérante souffrait physiquement et si sa santé ou sa capacité d’appréhension était ou non altérée. Sur ce, le 28 novembre 2008, une commission d’experts de l’institut médico-légal écrivit au procureur de la République et demanda à ce que l’intéressée lui fût déférée pour auscultation. Le 22 février 2012, le procureur de la République inculpa l’ex-époux de la requérante pour blessures et requit sa condamnation en vertu des articles 86/1 et 53 du code pénal. Il ressort de l’acte d’accusation qu’il était reproché à l’accusé d’avoir blessé la requérante en la frappant, de l’avoir blessée au point qu’elle présentait de ce fait un stress post-traumatique ainsi qu’une altération de sa santé mentale. L’acte d’accusation mentionnait en outre que ces blessures ne mettaient pas la vie de la requérante en danger et qu’il pouvait être remédié à celles-ci par une intervention médicale simple. Une note fut apposée au bas de l’acte d’accusation du procureur de la République d’après laquelle une décision additionnelle concluant au non-lieu à poursuivre pour les faits d’insultes, menaces et agression sexuelle avait été adoptée. B. Les procédures devant le tribunal de la famille Le 31 août 2006, la requérante saisit le tribunal de la famille de Gaziosmanpaşa (« le tribunal de la famille ») d’une action en divorce. Le 6 septembre 2006, la requérante saisit le tribunal de la famille d’une demande d’adoption d’une ordonnance de protection en vertu de la loi no 4320 relative à la protection de la famille (« loi no 4320 »). Le jour même, le tribunal de la famille fit droit à cette demande. D’après la décision du tribunal, le mari de la requérante avait interdiction pendant une durée de six mois d’avoir tout comportement de nature violente ou effrayante à son endroit et à l’endroit de ses enfants (article 1/a de la loi no 4320) et de les déranger par le biais de communications (article 1/d de la loi no 4320). Il fit également l’objet d’une mesure d’éloignement du domicile commun. La décision du tribunal mentionnait que tout manquement aux injonctions ainsi faites ouvrirait la voie à une peine privative de liberté. Le 24 septembre 2007, le tribunal de la famille prononça le divorce et accorda l’autorité parentale sur les enfants à la mère. Les enfants furent par ailleurs placés sous protection auprès des services sociaux par une décision pouvant notamment se lire comme suit : « Il ressort de l’examen du document 2006/16611 du procureur de la République de Gaziosmanpaşa que l’enquête menée sur plainte de la demanderesse contre l’intimé pour coups, menaces, contrainte à des relations sexuelles [et] insultes est toujours pendante. Il ressort du rapport de l’institut médico-légal [que la demanderesse] présentait un stress post-traumatique (...) et que sa santé mentale avait été altérée en raison de ce qu’elle avait vécu (...) La copie de l’enregistrement de l’émission diffusée sur la chaine TGRT à laquelle la requérante a participé a été demandée. Dans le courrier en réponse, il fut mentionné que la requérante avait participé à l’émission « la voix de la femme » le 12.10.2005, qu’elle y avait déclaré avoir été enlevée par son mari (...) [et] avoir été frappée durant toute la période de son mariage, raison pour laquelle elle s’était enfuie de la maison (...) Après avoir été conservé une année aux archives, l’enregistrement a été effacé. Au vu des preuves rassemblées, des déclarations des témoins et du rapport de la présidence de l’institut médico-légal, [il ressort que] l’intimé a fait preuve de violences à l’égard de la demanderesse, (...) que la demanderesse a, pendant un temps, vécu avec un autre homme et qu’en participant à une émission de télévision, elle a parlé de son mari, de son mariage. Après que la requérante ait vécu un temps avec Y. (...) les parties se sont retrouvées (...) Le mariage est altéré dans ses fondations (...) de sorte qu’il convient d’admettre qu’il est impossible que les parties [se réconcilient]. Il est admis que les deux parties sont également responsables de l’échec du mariage. La requérante et ses enfants sont toujours dans un refuge. Aucun des deux [parents] ne semble à même de pouvoir s’occuper des enfants. Il a [donc] été jugé approprié de placer les enfants sous protection (...) Les deux parties ayant été jugées également responsables, leurs demandes [respectives] d’indemnisation du préjudice moral sont rejetées. Il est jugé approprié d’allouer à la requérante une pension alimentaire (...) » Le 14 décembre 2007, ce jugement de divorce devint définitif. Le 1er novembre 2012, la requérante saisit à nouveau le tribunal de la famille d’une demande tendant à l’adoption de mesures préventives. À l’appui de sa demande, elle argua avoir divorcé en 2007 et être constamment menacée de violences et de mort de la part de son ex-mari. Le 9 novembre 2012, le tribunal de la famille fit droit à cette demande et, en vertu de l’article 5 de la loi no 6284 relative à la protection de la famille et à la prévention des violences contre les femmes (« loi no 6284 »), il fut interdit à l’ex-conjoint de la requérante, pendant une durée de six mois, de tenir des propos à l’endroit de son ex-épouse ou d’avoir des comportements relevant de la menace, de la violence, de l’insulte, de l’humiliation ou du dénigrement. Il lui fut également interdit, durant ce laps de temps, de la déranger par le biais de communications ou de tout autre moyen. Le tribunal lui enjoignit en outre, durant la même période, à ne pas s’approcher du domicile de la requérante et à remettre à la police les armes qu’il pouvait être autorisé à porter en vertu de la loi. La décision du tribunal précise que tout manquement aux injonctions ainsi faites ouvrirait la voie à une peine privative de liberté. Le 10 octobre 2013, la requérante saisit à nouveau le tribunal de la famille d’une demande d’adoption de mesures préventives. Elle déclara avoir déjà demandé des mesures préventives, que la durée de celles-ci était échue, que les menaces de la part de son ex-mari persistaient et que sa vie était toujours en danger. Le 11 octobre 2013, le tribunal de la famille fit droit à cette nouvelle demande et ordonna des mesures préventives similaires à celles précédemment décidées (paragraphe 41 ci-dessus). Le 19 juin 2014, la requérante saisit à nouveau le tribunal de la famille d’une demande de mesures préventives. Le jour même, il fut fait droit à sa demande et le tribunal de la famille ordonna des mesures similaires à celles précédemment décidées (paragraphes 41 et 43 ci-dessus) mais ce, pour une durée de deux mois. C. Le rapport d’enquête sociale de la fondation le « Toit pourpre » (Mor Çatɪ Kadın Sığınma Vakfı) Le 6 mars 2014, la fondation « le Toit pourpre », qui avait recueilli la requérante ainsi que ses enfants le 14 juillet 2006, établit un rapport d’enquête sociale dont les passages pertinents en l’espèce peuvent se lire comme suit : « Mme M. a saisi le centre d’information de la fondation (...) le 14 juillet 2006 pour violences au sein de la famille, risques d’être tuée/de mort (...). Il a été établi qu’elle avait besoin d’un refuge, elle avait été orientée vers le refuge (...) avec ses enfants (...) Le jour même, ils furent acceptés. Mme M. s’est partiellement remise. Elle a pris un logement et a quitté le refuge le 29 août 2008. Le 11 février 2008, les enfants avaient été placés sur décision du juge aux affaires familiales et avec l’accord de Mme M. dans un foyer de l’État. Depuis ce jour, et dès lors que sa situation économique ne l’en empêche pas, elle rend régulièrement visite à ses enfants et les soutient. Depuis qu’elle a pris un logement, ses enfants [viennent chez elle] le week-end et pendant les vacances. Elle maintien des liens personnels très serrés [avec eux]. À son arrivée au refuge Mme M. ne savait ni lire ni écrire (...) M. qui a été contrainte au mariage en ayant été enlevée et violée par son conjoint, a vécu des violences graves dès le début de son mariage. Il ressort de ce qu’elle a raconté qu’elle a été frappée alors que ses mains et ses pieds étaient liés, qu’elle a été contrainte à des relations sexuelles (...), qu’elle a été blessée avec des objets contondants telle qu’une lame de rasoir, que des cigarettes étaient éteintes sur son corps, qu’elle a eu des os brisés (...), [qu’elle a été] rabaissée, violée, affamée, emprisonnée, privée d’accès à des soins, isolée [et] menacée. Suite aux fractures de ses pieds, elle a dû se trainer pendant un an sur ses mains (...) Elle avait encore des difficultés à tenir sur ses pieds lorsqu’elle est parvenue [chez] nous. M. a été obligée de vivre dans un village d’Istanbul sans électricité ni eau, au bord de la famine, luttant dans ces mauvaises conditions pour élever ses enfants (...) Elle a essayé de s’enfuir. À chaque fois, faute de soutien, elle a été retrouvée par son mari, [elle a] été ramenée à la maison et elle a subi des violences encore plus lourdes. Durant le mariage, les enfants ont également subi la violence physique et verbale du père (...) Bien qu’ils aient eu l’âge d’être éduqués, ils n’ont pas été envoyés à l’école (...) À leur arrivée au foyer, M. et ses enfants présentaient tous les signes liés au fait d’avoir subi de graves violences. Ayant été empêchée par son mari de voir un médecin, elle n’a pu faire soigner ses pieds (...) c’est pourquoi elle ne pouvait s’appuyer sur ses pieds (...) Elle avait des bleus sur le visage, en particulier vers les yeux. Pendant les deux années et demi durant lesquelles [elle] est restée au refuge, elle a bénéficié de plusieurs soutiens psychologiques, elle a été examinée par un orthoptiste, elle a été orientée vers une psychothérapie. Même après avoir quitté le foyer, M. a maintenu ses liens avec le centre d’information. Elle a utilisé le soutien social et psychologique ainsi que le soutien juridique [qu’elle recevait] pour mener une vie sans violence. Elle a parfois été menacée par son mari et a exercé de ce fait des voies de recours juridiques. En raison du handicap que constitue son état de santé Mme M. a des difficultés à trouver un emploi stable (...) elle a besoin d’une aide socio-économique. Conclusions : (...) Mme M. (...) a franchi des étapes importantes pour mener une vie sans violence (...) Elle a également besoin d’une aide médicale. Elle est asthmatique et a été diagnostiquée comme présentant une maladie pulmonaire obstructive chronique (...) Suite à une information parue dans la presse en avril 2013 la concernant, le centre de prévention et de suivi des violences a assuré que le ministère couvrirait tous ses besoins. Sur ce, nous avons préparé un rapport d’enquête sociale (...) et avons remis une analyse de [ses] besoins (...) Bien qu’une année se soit écoulée depuis, il n’y a eu aucune amélioration dans les conditions actuelles de Mme M. (...) Suite à sa requête pour une aide matérielle temporaire en vertu de la loi no 6284, (...) elle a reçu une réponse selon laquelle elle recevait de temps en temps une aide de la préfecture et une aide [pour cause de] chômage. Dans le même écrit, il a été précisé que lorsque Mme M. a été informée que l’aide matérielle temporaire qu’elle recevait était prélevée de celui qui l’avait violenté elle a déclaré qu’elle n’en voulait pas (lorsque Mme M. a appris au cours de l’entretien qu’elle a eu au centre de prévention et de suivi des violences que l’aide matérielle temporaire serait prélevée de celui qui l’avait violenté, elle a déclaré ne rien vouloir pensant que cette personne allait devenir violente). (...) le fait que son ex-mari n’a toujours pas été arrêté, le fait que la sécurité de la vie de Mme M. soit toujours un problème, signifie qu’elle doit vivre sous la menace, sur le qui-vive, (...) qu’elle est condamnée par la justice à être une victime toute sa vie (...) » II. LE DROIT INTERNE ET INTERNATIONAL PERTINENTS A. Le droit et la pratique internes pertinents Le droit interne pertinent La loi pénale no 5237 du 26 septembre 2004 publiée au Journal officiel le 12 octobre 2004, dispose notamment : « Blessures volontaires Article 86. (1) Toute personne qui inflige volontairement des souffrances corporelles à autrui ou qui est à la cause de la dégradation de son état de santé ou de sa capacité de perception est punie d’une peine d’un an à trois ans d’emprisonnement. (Deuxième alinéa additionnel – 31.05.2005/article 4) (2) Une peine de quatre mois à un an de prison ou une peine d’amende judiciaire, sur plainte de la victime, est appliquée dans le cas où l’acte de blessure volontaire est léger au point que son impact sur autrui peut être supprimé par une intervention médicale simple. (3) Si l’acte de blessure volontaire est infligé a) aux ascendants, descendants, conjoint ou à la fratrie, (...) (...) (Mention modifiée : 5328-31.03.2005/article 4) « la peine est augmentée de moitié, sans exiger une plainte. » (...) Blessure volontaire causée par un comportement négligent Article 88. 1) Lorsque la blessure volontaire a été causée par un comportement négligent, la peine à infliger peut être réduite de 2/3. Dans l’application de cette disposition, seront prises en compte les conditions liées à la mort volontaire causée par un comportement négligent. » L’article 102/5 de cette loi, telle qu’en vigueur à l’époque des faits, disposait : « Agression sexuelle (...) 5) Une peine qui ne peut être inférieure à dix ans de prison est infligée lorsque [en raison] de l’infraction la santé physique ou mentale de la victime a été affectée. » L’article 102 de la loi pénale no 5237 a par la suite été modifié par la loi no 6545 du 18 juin 2014. La loi no 4320 du 14 janvier 1998 relative à la protection de la famille, dans sa rédaction initiale, est décrite dans l’affaire Opuz c. Turquie, (no 33401/02, § 70, CEDH 2009). Telle que modifiée par la loi no 5636 du 26 avril 2007, cette loi disposait, en ses passages pertinents en l’espèce : Article 1 « Lorsque le juge du tribunal de la famille est informé par le parquet général ou la victime – qu’un conjoint ou qu’un enfant ou qu’un autre membre de la famille vivant au domicile familial ou qu’un membre de la famille à l’endroit duquel un jugement de séparation a été rendu ou qui a légalement le droit de vivre séparé ou qui, bien que marié, vit séparé de fait – subit des violences domestiques, il peut, en tenant compte de la nature du problème, prendre d’office, en sus des mesures prévues dans la loi civile, une ou plusieurs des mesures énumérées ci-dessous, ou des mesures analogues s’il le juge opportun, [à savoir] : [Enjoindre au] conjoint fautif ou [à] l’autre membre de la famille ; a) à s’abstenir de tout comportement violent ou menaçant envers les membres de la famille ; b) à quitter le domicile conjugal, l’attribuer aux autres membres de la famille et à ne pas s’approcher du domicile où vivent ensemble les membres de la famille ou [à ne pas s’approcher de leur domicile] séparé ou de leur lieu de travail ; c) à ne pas endommager les biens des membres de la famille ; ç) à ne pas déranger les membres de la famille par le biais de moyens de communication ; d) à remettre aux forces de l’ordre les armes à feu ou [les armes semblables] ; e) à ne pas se présenter au domicile et sur le lieu de travail de la victime des violences sous l’emprise de l’alcool ou d’autres produits stupéfiants, et à ne pas faire usage de tels produits en ces lieux ; La durée de validité des mesures susmentionnées ne peut excéder six mois et l’époux violent ou l’autre membre de la famille est averti (...) qu’en cas de manquement aux mesures prononcées [il s’expose] à une détention et à une peine d’emprisonnement. Le juge peut ordonner au conjoint violent ou à l’autre membre de la famille, si celui-ci assurait la subsistance de la famille ou y contribuait, de payer une pension alimentaire (...), s’il n’a pas été préalablement condamné à une pension alimentaire en vertu la loi civile. Les demandes formulées au titre de cette loi et les mesures d’exécution des décisions ne sont pas soumises aux frais de justice. » Article 2 « Le tribunal adresse un exemplaire de l’ordonnance de protection au procureur général, qui en contrôle l’exécution avec l’assistance des forces de l’ordre. En cas de non-respect d’une ordonnance de protection, [il incombe] aux forces de l’ordre d’enquêter d’office, sans qu’il soit nécessaire que les victimes déposent plainte (...) [Il incombe] au parquet général de déclencher l’action publique devant le tribunal correctionnel contre le conjoint ou les autres membres de la famille qui ne respecte[nt] pas l’ordonnance de protection. De plus, même si son action constitue une infraction distincte, le conjoint ou les autres membres de la famille qui ne respectent pas l’ordonnance de protection, sont passibles d’une peine de trois mois à six mois de prison. (...) » La loi no 4320 a été remplacée par la loi no 6284 du 8 mars 2012 relative à la protection de la famille et à la prévention des violences contre les femmes, publiée au journal officiel le 20 mars 2012. Cette loi peut se lire comme suit, en ses passages pertinents en l’espèce : Première partie « (...) But, champ et principes fondamentaux Article 1. (1) Le but de cette loi est la protection des femmes, des enfants, des membres de la famille ayant subi des violences ou risquant de subir des violences et de toute personne victime de poursuites individuelles insistantes ainsi que la définition de la procédure et des principes relatifs aux mesures à prendre pour la prévention de la violence à l’endroit de ces personnes. (2) Dans l’application de cette loi et l’offre de services requis, les principes ci-dessous doivent être respectés : a) La Constitution de la République de Turquie et les conventions internationales auxquelles la Turquie est partie, en particulier la Convention du Conseil de l’Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique ainsi que les autres dispositions législatives sont prises comme fondement. b) Une procédure conforme aux droits fondamentaux de l’homme, sensible à l’égalité homme-femme, conforme au principe de l’état de droit social, équitable et rapide est suivie pour le soutien et les services à donner aux victimes de violences. c) (...) les mesures prises pour les victimes de violences et les auteurs de violences doivent être exécutées de manière à convenir à l’honneur (...) ç) (...) les mesures spéciales visant à prévenir les violences à l’encontre des femmes fondées sur le sexe et à protéger les femmes des violences fondées sur le sexe, ne peuvent être interprétées comme étant discriminatoires. (...) Deuxième partie Principes relatifs aux mesures de protection et [aux mesures] préventives (...) Les décisions portant mesures de protection pouvant être adoptées par le juge Article 4. Le juge peut décider, à propos des personnes protégées par cette loi, l’une des mesures de protection ci-dessous, plusieurs d’entre elles ou des mesures analogues : a) La modification du lieu de travail. b) Dans le cas où la personne est mariée, la définition d’un lieu de résidence séparé du lieu de résidence commun. c) Dans le cas où les conditions énoncées dans la loi no 4721 du 22/11/2001 sont réunies et sur demande de la personne protégée, la mention au registre foncier du domicile familial. ç) Dans le cas où la vie de la personne protégée est en danger et qu’il est avéré que les autres mesures pour prévenir ce danger ne seront pas suffisantes et, sur le fondement du consentement éclairé de la personne, le changement de l’identité et des autres informations et documents concernant la personne, en vertu des dispositions de la loi no 5726 du 27/12/2007 relative à la protection des témoins. Les décisions portant mesures préventives pouvant être adoptées par le juge Article 5. Le juge peut décider, à propos des personnes auteures de violences, l’une des mesures préventives ci-dessous, plusieurs d’entre elles ou des mesures analogues (...) : a) De ne pas tenir de propos ou avoir des comportements envers la victime de la violence de nature à menacer, insulter, humilier ou dénigrer. b) L’éloignement immédiat du domicile commun ou du lieu où elle [la victime] se trouve et l’attribution du domicile commun à la personne protégée. c) De ne pas s’approcher des personnes protégées, du domicile où se trouvent ces personnes, de l’école et du lieu de travail. ç) La présence d’un accompagnateur lors de l’entretien [avec l’enfant] si une décision antérieurement adoptée établit une relation personnelle avec l’enfant, la limitation de la relation personnelle [avec l’enfant] ou sa levée. d) Dans les cas jugés nécessaires, [l’interdiction de] s’approcher des proches, des témoins et des enfants de la personne protégée, même si elle n’a pas été victime de violences, exception faite des cas d’établissement de relations personnelles. e) De ne pas endommager les biens personnels et les meubles de la personne protégée. f) De ne pas déranger la personne protégée par des moyens de communication ou tout autre moyen. g) La remise [à la police] des armes dont la conservation ou le port est légalement autorisé. (...) » La pratique interne pertinente Le 12 mai 2009, la 2e chambre civile de la Cour de cassation a adopté un arrêt (E. 2009/170, K. 2009/9411) aux termes duquel elle aboutit aux constatations et conclusions suivantes : « (...) Sur plainte de N.B [qui déclarait] faire l’objet de « menaces [et] insultes téléphoniques », le procureur de la République de Ödemiş a demandé le 8 avril 2008 que le suspect E.B. fasse l’objet des mesures [inscrites] à l’article 1 de la loi no 4320 (...) Le 14 avril 2008, le Tribunal de Grande Instance de Ödemiş, statuant en qualité de tribunal de la famille [décida] que E.B. époux de N.B. ne devait pas avoir de comportements violents pendant un mois, [adopta une mesure] d’éloignement du domicile, [et décida] qu’il devait payer une pension de 125 TRY. Ce jugement a fait l’objet d’un pourvoi de la part de l’intimé (...) La loi no 4320 a été adoptée aux fins de mettre un terme à la violence au sein de la famille, en particulier [aux fins] de protéger la femme et l’enfant. Il est établi, au regard de la jurisprudence constante de la Cour de cassation, que les jugements du tribunal de la famille, de courte durée et [relatifs] aux mesures provisoires [sont insusceptibles de faire l’objet] de la voie de recours en opposition et en pourvoi. Toutefois, les décisions insusceptibles de faire l’objet d’un recours sont les décisions relatives aux personnes auxquelles cette loi peut s’appliquer, ceux dont les liens du mariage perdurent. Dans le cas d’espèce, il est constaté que les parties ont divorcé le 14.11.2007 (...) Il ne peut être pris de mesures en vertu de la loi no 4320 à l’endroit des personnes divorcées. Pour cette raison, la décision est clairement en violation de la loi et doit être infirmée (...) » En mars 2012, sous l’égide de la direction du développement stratégique rattachée au ministère des politiques familiales et sociales fut publié un rapport intitulé « Kadına yönelik şiddetin önlemesinde mevzuattaki ve uygulamadaki noksanlıkların tespitine ilişkin TBMM raporları » (« Les rapports de la Grande Assemblée Nationale de Turquie relatifs à l’identification des insuffisances de la loi et de la pratique concernant la prévention des violences contre les femmes »). Les passages pertinents en l’espèce de ce rapport sont les suivants : « Lors de la réunion de la commission sur l’égalité des chances entre les hommes et les femmes de la Grande Assemblée Nationale de Turquie du 14.10.2009, il fut décidé de créer une sous-commission en charge d’établir si des carences [existent] dans la pratique de la prévention des violences contre les femmes (...) Deuxième partie Présentations faites par les experts entendus lors des réunions de la sous-commission (...) E.K., juge au 8e tribunal de la famille d’Ankara La juge E.K. du 8e tribunal de la famille d’Ankara a été entendue par la sous-commission (...) (...) Lors de la réunion, E.K. a fait des propositions quant aux modifications pouvant être apportées à la loi no 4320 (...) et à la loi no 4787 relative à la création, à la mission et à la procédure des tribunaux de la famille. Ces propositions peuvent être listées comme suit : (...) 13) [Elle déclara] que dans les [affaires] de violences entre époux divorcés et au sein de couples non mariés, il y avait des doutes quant à l’applicabilité de la loi no 4320 (...), qu’il y avait un vide dans la loi à ce propos, qu’il [existait] des opinions contraires entre les chambres civiles et les chambres pénales de la Cour de cassation quant à l’applicabilité des mesures de protection prévues dans la loi no 4320. E.K. a mentionné qu’elle-même appliquait les mesures de protection prévues par la loi no 4320 dans les [affaires] de violences entre époux divorcés ou au sein de couples non mariés. Elle dit que ces mesures étaient prononcées sur le fondement de l’article 1 de la loi civile en vertu duquel le juge était créateur de droit, de la CEDAW ainsi que de la Convention sur la prévention des violences faites aux femmes. Elle déclara qu’en vertu de l’article 9 § 5 de la Constitution, les conventions internationales avaient force de loi et faisaient partie de l’ordre juridique interne. Pour dépasser ce problème dans la pratique, il faut que les couples divorcés ou qui vivent sans être mariés bénéficient aussi de cette protection et qu’une disposition en ce sens soit inscrite dans la loi. (...) Quatrième partie Appréciation et propositions de solution (...) Au regard du champ juridique (...) 17) Afin de prévenir les violences contre les femmes il convient de procéder à des arrangements dans les lois concernées afin que la protection offerte par la loi no 4320 ne bénéficie pas seulement aux personnes victimes de violences au sein de la famille mais également aux personnes divorcées ou qui vivent ensemble sans être mariées (...) (...) » Rapport de l’organisation non-gouvernementale Human Rights Watch Le 4 mai 2011, l’organisation non gouvernementale Human Rights Watch publia un rapport intitulé « “He loves you, he beats you”: Family Violence in Turkey and Access to Protection » («“Il t’aime, il te bat” : la violence familiale en Turquie et l’accès à la protection »), dans lequel furent relevés, entre autres choses, les lacunes que présentaient la loi no 4320. Les passages pertinents de ce rapport à cet égard sont les suivants : « II. Legal Reforms and Gaps (...) Law 4320 on the Protection of the Family: Uncertainties and Gaps Turkey entered the vanguard of countries offering civil mechanisms to protect against domestic violence with its 1998 adoption of Law 4320 on the Protection of the Family (...) This law (as amended in 2007) established a protection order system whereby a person subjected to abuse by a family member living under the same roof can apply directly or through a prosecutor for an order from a family court. A family court judge can issue a protection order for a maximum of six months and the order can require that the offender refrain from violence and threats; vacate the home; stay away from the home or school of the victim and their children; refrain from damaging property or contacting the victim; surrender weapons; or refrain from using intoxicating substances in the house. The order can be renewed for six months if there is a new violation. The judge can order other measures “deemed appropriate,” and can require the abuser to make maintenance payments to the victim. The intent is that these orders be issued quickly, within days at most, since the women are often in extremely dangerous situations. In practice, a woman might go to police, who should fill out a risk assessment form and explain to her how the protection procedure works. In March 2008 a detailed regulation on the implementation of Law 4320 further stipulated details of this mechanism, stating that law enforcement agents must monitor compliance with the order, including visiting the house weekly, and that no fee should be charged for a protection order. According to the law and its amendments, protection orders are available to a spouse, child, or other family member living under the same roof as an abuser, even if a married couple is separated. However, views vary among officials charged with implementing the law as to what constitutes a spouse or other “family” members for purposes of protection orders. This variation in turn undermines the law’s effectiveness by making access to protection against violence essentially a lottery for many women. The strictest reading of this provision would result in protection orders being available only to spouses married under the Civil Code, as opposed to fairly common religious marriages, which are not recognized in law. A more liberal reading would enable divorced women, and those married in religious ceremonies only to access protection orders as well. Prosecutors, judges, and law enforcement officers in the same cities and even the same court houses sometimes hold conflicting views on the scope of eligibility for protection orders. Several judges told Human Rights Watch they feel they have a great deal of discretion in terms of eligibility, enabling them to grant orders to divorced, unmarried, or religiously married women. However, the prosecutors whom Human Rights Watch spoke to argued that there is no such discretion, and that only spouses married under the Civil Code are eligible (...) (...) In three interviews in Diyarbakır, southeast Turkey, the three main authorities involved in handling protection orders gave different answers about eligibility. A family judge in Diyarbakır told Human Rights Watch “we apply Law 4320 to religious marriages as well, as long as people are living together.” The chief prosecutor in Diyarbakır told Human Rights Watch: “When couples are not married [officially], maybe in Ankara some get a case, but not here since it is not written in the law [4320].... Personally I believe it probably should be in the law, but since it is not, we don’t do it.” (...) Human Rights Watch documented several cases in which women needed protection, but did not get a protection order because officials handling their cases took a narrow view of the law (...) (...) The deputy director of the Directorate General on the Status of Women told Human Rights Watch: We have come a long way with this law [4320] but now we need to focus on the implementation and what is needed in practice.... It should be possible for the law to change to include other women, because laws need to be created by society. Some lawyers use international conventions, such as Convention on the Elimination of all Forms of Discrimination Against Women (CEDAW), to argue there should be no discrimination against women in terms of their eligibility for protection orders. However, some judges have dismissed this argument, in one case saying, “National law is our law, don’t come to us with this,” and in another, “International law does not apply to our traditions.” This is despite article 90 of the Turkish Constitution, which states that national law cannot override international agreements that pass into law. Other judges have cited regional or international law as a basis for granting protection orders to unmarried applicants. A judge in a highly publicized case from Istanbul ruled that, “Even though the parties are not officially married, they live together with the same intention.” He referred to European and international human rights standards, explaining, “Turkey has an obligation in international law to protect women from violence.” (...) » B. Le droit international pertinent Le droit international pertinent est décrit en partie dans l’affaire Opuz (précitée, §§ 72-82). Le 7 avril 2011, le Comité des ministres du Conseil de l’Europe a adopté la Convention sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique (Convention d’Istanbul). Cette Convention a été ratifiée par la Turquie le 14 mars 2012 et est entrée en vigueur le 1er août 2014. Elle peut se lire comme suit en ses passages pertinents en l’espèce : « (...) Reconnaissant que la violence à l’égard des femmes est une manifestation des rapports de force historiquement inégaux entre les femmes et les hommes ayant conduit à la domination et à la discrimination des femmes par les hommes, privant ainsi les femmes de leur pleine émancipation ; Reconnaissant que la nature structurelle de la violence à l’égard des femmes est fondée sur le genre et que la violence à l’égard des femmes est un des mécanismes sociaux cruciaux par lesquels les femmes sont maintenues dans une position de subordination par rapport aux hommes ; (...) Article 4 – Droits fondamentaux, égalité et non-discrimination Les Parties prennent les mesures législatives et autres nécessaires pour promouvoir et protéger le droit de chacun, en particulier des femmes, à vivre à l’abri de la violence, aussi bien dans la sphère publique que dans la sphère privée. Les Parties condamnent toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes et prennent, sans retard, les mesures législatives et autres nécessaires pour la prévenir, en particulier : – en inscrivant dans leurs constitutions nationales ou toute autre disposition législative appropriée, le principe de l’égalité entre les femmes et les hommes, et en assurant l’application effective dudit principe ; – en interdisant la discrimination à l’égard des femmes, y compris le cas échéant par le recours à des sanctions ; – en abrogeant toutes les lois et pratiques qui discriminent les femmes. (...) Article 5 – Obligations de l’État et diligence voulue Les Parties s’abstiennent de commettre tout acte de violence à l’égard des femmes et s’assurent que les autorités, les fonctionnaires, les agents et les institutions étatiques, ainsi que les autres acteurs qui agissent au nom de l’État se comportent conformément à cette obligation. Les Parties prennent les mesures législatives et autres nécessaires pour agir avec la diligence voulue afin de prévenir, enquêter sur, punir, et accorder une réparation pour les actes de violence couverts par le champ d’application de la présente Convention commis par des acteurs non étatiques. (...) Chapitre IV – Protection et soutien Article 18 – Obligations générales Les Parties prennent les mesures législatives ou autres nécessaires pour protéger toutes les victimes contre tout nouvel acte de violence. Les Parties prennent les mesures législatives ou autres nécessaires, conformément à leur droit interne, pour veiller à ce qu’il existe des mécanismes adéquats pour mettre en œuvre une coopération effective entre toutes les agences étatiques pertinentes, y compris les autorités judiciaires, les procureurs, les services répressifs, les autorités locales et régionales, ainsi que les organisations non gouvernementales et les autres organisations ou entités pertinentes pour la protection et le soutien des victimes et des témoins de toutes les formes de violence couvertes par le champ d’application de la présente Convention, y compris en se référant aux services de soutien généraux et spécialisés visés aux articles 20 et 22 de la présente Convention. (...) Chapitre VI – Enquêtes, poursuites, droit procédural et mesures de protection Article 49 – Obligations générales Les Parties prennent les mesures législatives ou autres nécessaires pour que les enquêtes et les procédures judiciaires relatives à toutes les formes de violence couvertes par le champ d’application de la présente Convention soient traitées sans retard injustifié tout en prenant en considération les droits de la victime à toutes les étapes des procédures pénales. Les Parties prennent les mesures législatives ou autres nécessaires, conformément aux principes fondamentaux des droits de l’homme et en prenant en considération la compréhension de la violence fondée sur le genre, pour garantir une enquête et une poursuite effectives des infractions établies conformément à la présente Convention. Article 50 – Réponse immédiate, prévention et protection Les Parties prennent les mesures législatives ou autres nécessaires pour que les services répressifs responsables répondent rapidement et de manière appropriée à toutes les formes de violence couvertes par le champ d’application de la présente Convention en offrant une protection adéquate et immédiate aux victimes. Les Parties prennent les mesures législatives ou autres nécessaires pour que les services répressifs responsables engagent rapidement et de manière appropriée la prévention et la protection contre toutes les formes de violence couvertes par le champ d’application de la présente Convention, y compris l’emploi de mesures opérationnelles préventives et la collecte des preuves. Article 51 – Appréciation et gestion des risques Les Parties prennent les mesures législatives ou autres nécessaires pour qu’une appréciation du risque de létalité, de la gravité de la situation et du risque de réitération de la violence soit faite par toutes les autorités pertinentes afin de gérer le risque et de garantir, si nécessaire, une sécurité et un soutien coordonnés. Les Parties prennent les mesures législatives ou autres nécessaires pour que l’appréciation mentionnée au paragraphe 1 prenne dûment en compte, à tous les stades de l’enquête et de l’application des mesures de protection, le fait que l’auteur des actes de violence couverts par le champ d’application de la présente Convention possède ou ait accès à des armes à feu. (...) Article 53 – Ordonnances d’injonction ou de protection Les Parties prennent les mesures législatives ou autres nécessaires pour que des ordonnances d’injonction ou de protection appropriées soient disponibles pour les victimes de toutes les formes de violence couvertes par le champ d’application de la présente Convention. Les Parties prennent les mesures législatives ou autres nécessaires pour que les ordonnances d’injonction ou de protection mentionnées au paragraphe 1 soient : – disponibles pour une protection immédiate et sans charge financière ou administrative excessive pesant sur la victime ; – émises pour une période spécifiée, ou jusqu’à modification ou révocation ; – le cas échéant, émises ex parte avec effet immédiat ; – disponibles immédiatement ou cumulativement à d’autres procédures judiciaires ; – autorisées à être introduites dans les procédures judiciaires subséquentes. Les Parties prennent les mesures législatives ou autres nécessaires pour que la violation des ordonnances d’injonction ou de protection émises conformément au paragraphe 1 fasse l’objet de sanctions pénales, ou d’autres sanctions légales, effectives, proportionnées et dissuasives. (...) » Lors de l’examen de l’état d’avancement de l’exécution de l’arrêt Opuz précité, au cours de la 1222e réunion (11-12 mars 2015) des Délégués des Ministres, les décisions suivantes ont été adoptées : « Décisions Les Délégués Mesures individuelles invitent les autorités turques à fournir des informations à jour sur la situation actuelle de la requérante, en particulier sur la question de savoir si elle bénéficie toujours de mesures de protection et dans l’affirmative, si elles sont effectivement mises en œuvre ; Mesures générales notent les mesures prises entre 2005 et 2010 pour prévenir les violences domestiques, y compris le plan spécial d’action nationale, les mesures législatives, le renforcement des moyens et les mesures de formation et de sensibilisation ; notent cependant que des rapports font état que ces mesures sont inadéquates pour garantir une réponse appropriée des autorités nationales dans les affaires de violence domestique et qu’il existe par conséquent un sérieux retard dans la mise en œuvre des mesures requises pour exécuter cet arrêt ; tout en se félicitant à cet égard de la ratification de la Convention sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique (Convention d’Istanbul), soulignent que des mesures complémentaires sont nécessaires pour exécuter cet arrêt ; invitent les autorités turques à procéder à une évaluation détaillée de l’impact des mesures adoptées à ce jour et à fournir des informations à jour, y compris sur le résultat de cette évaluation, sur les mesures complémentaires envisagées et/ou prises en conséquence pour mettre en œuvre cet arrêt ; décident, à la lumière de ces considérations, de transférer cette affaire en procédure de surveillance soutenue. »
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Le requérant était né en 1956 et résidait, à l’époque des faits, à Chişinău. A. Les poursuites pénales à l’encontre du requérant et les mauvais traitements allégués Le 18 août 2005 vers 19 heures, le requérant eut un différend avec A.A., son voisin de palier. Étant en état d’ivresse, il menaça ce dernier avec son arme et effectua un tir dans le mur. Ensuite, le requérant rentra chez soi. Peu de temps après, les forces de l’ordre, alertées par A.A., se rendirent sur place et demandèrent au requérant d’ouvrir la porte de son appartement. Au bout d’un moment, ce dernier entrouvrit la porte ; les agents d’une unité spéciale entrèrent alors de force dans l’appartement et arrêtèrent l’intéressé. Lors des fouilles dans l’appartement, les policiers saisirent un pistolet et une arme de chasse appartenant au requérant, trouvés respectivement dans la chambre de celui-ci et dans un coffre situé au sous-sol. Selon le requérant, lors de son arrestation, les policiers lui assénèrent des coups avec leurs armes, ainsi que des coups de pied et de poing. Les coups auraient été portés à la tête et au corps et auraient entraîné chez le requérant des vomissements et des saignements à la tête et au visage. Par la suite, le requérant fut conduit au commissariat de police de Centru (Chișinău). D’après l’intéressé, les policiers continuèrent à le maltraiter au commissariat. À cause des coups reçus, le requérant aurait perdu connaissance. Le même jour à 22 h 25, un médecin examina le requérant. Dans le procès-verbal correspondant, il fit état des constats suivants : « Vêtements sales, dans la région orbitale gauche – une ecchymose de couleur violette, œdème dans la région orbitale des deux côtés, dans la région nasale – une plaie fraîche saignante. (...) Ébriété alcoolique. » Le 19 août 2005 à 2 h 41, une équipe du service d’aide médicale urgente se déplaça, à la demande de la police, au siège du commissariat afin de soigner le requérant. Selon l’attestation correspondante, celui-ci présentait une contusion sur la partie gauche de la cage thoracique et était en état d’ébriété. Le 22 août 2005, le requérant, qui était placé en détention provisoire, tenta de se suicider. Le 30 août 2005, une commission d’expertise légale psychiatrique l’examina. Les experts constatèrent la présence chez lui des ecchymoses dans la région suborbitale, d’une hémorragie du globe oculaire gauche, des traces de contusion des tissus mous du visage et des excoriations sur la main droite. Étant donné que le requérant se plaignait d’insomnie, de céphalées et avait des difficultés à se concentrer, la commission ordonna une expertise psychiatrique plus approfondie avec hospitalisation. Entre le 13 septembre et le 25 octobre 2005, le requérant fut interné dans l’hôpital clinique de psychiatrie. Auprès des médecins, il se plaignit d’avoir subi en prison un état psychotique de courte durée, survenu, selon lui, à la suite des mauvais traitements infligés par les policiers. Il affirma également que, pendant sa détention, il avait perdu connaissance et avait eu des vomissements répétés. Selon les conclusions du neurologue du 16 septembre 2005, le requérant se trouvait dans un état consécutif à un traumatisme crânien aigu. Dans le rapport final dressé le 25 octobre 2005, les experts psychiatres notèrent, entre autres, que le requérant décrivait en détail son arrestation et les maltraitances des policiers. En outre, ils conclurent que le requérant ne souffrait pas de maladies psychiques chroniques et estimèrent qu’il était pénalement responsable. Par un jugement du 22 décembre 2005, le tribunal de Centru (Chișinău) jugea le requérant coupable d’avoir commis l’infraction prévue à l’article 155 du code pénal (« menaces de mort ou d’atteinte grave à l’intégrité physique ou à la santé »). Le tribunal le condamna à une amende de 6 000 lei moldaves (environ 400 euros à l’époque des faits). Selon une attestation médicale du 24 mars 2006, le requérant souffrait, entre autres, d’une insuffisance vertébro-basilaire post-traumatique consécutive à la contusion cérébrale répétée subie en août 2005 et du syndrome asthéno-dépressif stable décompensé. B. La plainte pénale contre les policiers Le 18 août 2006, le requérant déposa une plainte auprès du parquet général dénonçant, entre autres, les mauvais traitements subis lors de son arrestation et pendant sa détention au commissariat. Le 25 septembre 2006, le procureur en charge de l’affaire classa sans suite la plainte. Il s’appuyait sur la déposition du policier ayant mené l’enquête pénale engagée contre le requérant, qui soutenait que, au moment de son arrestation, ce dernier était en état d’ivresse, que celui-ci avait refusé durant quarante minutes d’ouvrir la porte de son appartement et que les agents de l’unité spéciale avaient dû employer la force physique à l’encontre du requérant afin de l’immobiliser. Le 17 novembre 2006, le procureur hiérarchique infirma la décision du 25 septembre 2006. Il estimait que l’enquête avait été superficielle et renvoya l’affaire. Par la suite, le procureur en charge de l’enquête interrogea la mère et la nièce du requérant. Celles-ci affirmaient avoir vu le requérant respectivement les 19 et 20 août 2005, soit le lendemain et l’après-lendemain de son arrestation, et soutenaient que celui-ci avait de multiples blessures au visage. Le procureur recueillit entre autres la déposition du procureur chargé de l’enquête pénale à l’encontre du requérant, qui soutenait que ce dernier ne lui avait soumis aucune plainte de mauvais traitements infligés par des policiers. Le 16 janvier 2007, le procureur en charge de l’affaire classa sans suite une nouvelle fois la plainte du requérant. Il notait que, lors de l’arrestation de ce dernier, les agents de l’unité spéciale avaient employé la force physique, car celui-ci était en état d’ébriété et détenait des armes à feu. Par une décision du 7 mai 2007, un juge d’instruction du tribunal de Râșcani (Chișinău) annula, sur contestation du requérant, la décision du 16 janvier 2007. Il considérait que l’enquête n’avait pas été approfondie. Par une ordonnance du 28 juin 2007, le procureur décida à nouveau de classer sans suite la plainte. Par rapport aux décisions antérieures adoptées par le parquet, il ajoutait que l’avocate du requérant à l’époque des faits ne se rappelait plus des circonstances de l’affaire et que, lors de son expertise psychiatrique achevée le 25 octobre 2005, le requérant ne s’était pas plaint d’avoir subi des mauvais traitements de la part des policiers. Le 3 octobre 2007, un juge d’instruction du tribunal de Râșcani (Chișinău) annula, sur contestation du requérant, l’ordonnance du 28 juin 2007. Il estimait que l’enquête était incomplète, qu’il était encore nécessaire d’examiner tous les documents médicaux antérieurs à l’internement du requérant dans l’hôpital psychiatrique et qu’il existait suffisamment d’éléments pour engager des poursuites pénales. Par une ordonnance du 20 novembre 2007, le procureur adopta un autre classement sans suite. Le texte de cette ordonnance était quasi-identique à celui de l’ordonnance précédente du 28 juin 2007. Le 19 février 2008, un juge d’instruction du tribunal de Râșcani (Chișinău) annula, sur plainte du requérant, la dernière ordonnance du parquet. Il jugeait que l’enquête diligentée par le procureur avait été superficielle. Par une ordonnance du 26 mai 2008, le procureur classa sans suite l’affaire. Outre le fait de reproduire le texte des ordonnances précédentes, il ajoutait que, selon le directeur des locaux de détention provisoire où le requérant avait été placé, ce dernier n’avait formulé aucune plainte concernant les mauvais traitements allégués. Le 21 juillet 2008, le procureur hiérarchique annula cette ordonnance au motif que l’enquête diligentée avait été superficielle et incomplète. Il estimait que la conclusion selon laquelle le requérant n’avait pas été maltraité était hâtive et qu’elle ne tenait pas compte de la documentation médicale existante à l’égard de celui-ci. Par une ordonnance du 6 octobre 2008, le procureur adopta un sixième classement sans suite. Il faisait référence aux déclarations de quatre témoins ayant aperçu le requérant peu de temps après l’arrestation de celui-ci, qui soutenaient ne pas avoir vu de blessures sur le visage ou le corps du requérant. Il citait également la déclaration d’un des avocats du requérant ayant rencontré ce dernier trois ou quatre jours après son arrestation, qui affirmait n’avoir vu qu’une tâche rouge sur le visage de son client. Le procureur réitérait enfin son constat selon lequel, lors de l’arrestation du requérant, les agents de l’unité spéciale avaient dû employer la force contre ce dernier, car celui-ci était en état d’ivresse et détenait des armes à feu. Le 21 octobre 2008, le requérant contesta cette ordonnance. Par un non-lieu définitif du 15 janvier 2009, un juge d’instruction du tribunal de Râșcani (Chișinău) confirma le classement sans suite du 6 octobre 2008. Le juge estimait qu’aucune infraction n’était caractérisée dans ses éléments constitutifs. Il tenait entre autres compte du fait que le requérant s’était plaint de maltraitances après sa condamnation pénale et que rien n’avait empêché celui-ci de formuler ses griefs avant la fin de son procès. II. LE DROIT INTERNE PERTINENT Les dispositions pertinentes en l’espèce de la loi sur la police du 18 décembre 1990 en vigueur à l’époque des faits se lisaient comme suit : « Article 14. Conditions et limites de l’usage de la force, des moyens spéciaux et de[s] arme[s] à feu Les agents de police sont en droit d’employer la force physique, les moyens spéciaux et [les] arme[s] à feu dans les cas et selon les modalités prévus par la présente loi. L’usage de la force, des moyens spéciaux et de[s] arme[s] à feu doit être précédé d’un avertissement concernant l’intention de les employer et un temps suffisant doit être accordé pour la réponse, hormis les cas où le retard dans l’usage de la force, des moyens spéciaux et de[s] arme[s] à feu met directement en danger la vie et la santé des citoyens et des agents de police ou peut engendrer d’autres conséquences graves. (...) Lorsque l’usage de la force ne peut être évité, les agents de police sont dans l’obligation de s’efforcer de causer le moins de dommages possible à la santé, à l’honneur, à la dignité et aux biens des citoyens, ainsi que d’assurer l’octroi des soins médicaux aux victimes. En cas de blessures ou de décès des citoyens à la suite de l’usage de la force physique, des moyens spéciaux [ou] de[s] arme[s] à feu, l’agent de police est tenu d’en informer son chef direct afin que ce dernier en informe le procureur. L’abus de pouvoir (...) [dans] l’usage de la force, des moyens spéciaux et de[s] arme[s] à feu est puni, conformément à la loi. Article 15. L’emploi de la force physique Les agents de police sont autorisés à employer la force physique, y compris les procédés spéciaux de lutte, afin de mettre fin aux infractions et de neutraliser la résistance opposée aux demandes légales, seulement lorsque les méthodes non violentes ne leur permettent pas de remplir leurs obligations. »
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I. Les circonstances de l’espèce Le requérant est né en 1936 et réside à Athènes. Le 31 décembre 2005, le requérant saisit la Comptabilité générale de l’État d’une demande tendant à obtenir le réajustement du montant de sa retraite. Le 23 janvier 2006, la Comptabilité générale de l’État rejeta sa demande. Le 28 avril 2006, le requérant saisit la Cour des comptes d’un recours contre la décision de la Comptabilité générale de l’État. Le 16 mai 2008, la Cour des comptes donna gain de cause au requérant (arrêt no 1186/2008). Le 24 juillet 2009, l’État se pourvut en cassation devant la formation plénière de la Cour des comptes contre l’arrêt no 1186/2008. Le 6 mars 2013, la formation plénière de la Cour des comptes rejeta le pourvoi (arrêt no 1083/2013). Cet arrêt fut notifié au requérant le 15 mai 2013. II. Le droit interne pertinent La loi no 4239/2014, intitulée « satisfaction équitable au titre du dépassement du délai raisonnable de la procédure devant les juridictions pénales, civiles et la Cour des comptes », est entrée en vigueur le 20 février 2014. La loi précitée introduit, entre autres, un nouveau recours indemnitaire visant à l’octroi d’une satisfaction équitable pour le préjudice moral causé par la prolongation injustifiée d’une procédure devant la Cour des comptes. L’article 3 § 1 dispose : « Toute demande de satisfaction équitable doit être introduite devant chaque degré de juridiction séparément. Elle doit être présentée dans un délai de six mois après la publication de la décision définitive de la juridiction devant laquelle la durée de la procédure a été, selon le requérant, excessive (...) »
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Le requérant est né en 1980 et réside à Bucarest. Le 28 août 2002, le requérant fut placé en détention afin de purger une peine de dix ans de prison pour des délits liés au trafic de drogue. À partir du 28 février 2008, il fut détenu dans le quartier de haute sécurité de la prison de Bucarest-Rahova. A. L’incident du 27 novembre 2008 et l’origine des blessures du requérant Le 27 novembre 2008, vers 12 h 30, le requérant et quinze autres détenus furent sortis de leurs cellules et escortés par cinq gardiens de prison cagoulés vers la cour de la prison pour leur promenade journalière. Le requérant était le dernier dans la file. Alors qu’ils se trouvaient encore dans l’un des couloirs de la prison, une altercation survint entre deux détenus, M.Mi. et M.Ma., qui se trouvaient au début de la file des détenus, à environ quinze mètres du requérant : M.Mi., notamment, attaqua M.Ma. avec un couteau au niveau de la gorge. Deux autres détenus, M.M.G. et R.C., intervinrent dans l’altercation qui opposait les deux premiers. Lors de cet incident, le requérant fut blessé. Les explications des parties divergent quant à l’origine de ses blessures. La version du requérant Au vu de l’incident, le gardien commandant l’escorte fit appel au groupe spécial d’intervention. Une dizaine de membres de ce groupe, portant eux aussi des cagoules, arrivèrent sur place, demandèrent aux détenus de s’allonger sur le sol et les immobilisèrent en utilisant la force. L’un des agents cagoulés procéda à la fouille des détenus, en commençant par le requérant. Un couteau artisanal fut retrouvé sur lui. Au vu de ce fait, le membre du groupe d’intervention frappa plusieurs fois le requérant jusqu’à ce que ce dernier tombe par terre. Par la suite, le sous-commissaire J.I.D. et une ou deux autres personnes cagoulées frappèrent le requérant. D’autres personnes portant aussi des cagoules frappèrent les autres détenus qui étaient allongés par terre. Le commandant de la section de détention, M. V., et les responsables de la prison, L.V.S. et C.R.C., assistèrent au déroulement des évènements sans intervenir. Environ trente minutes plus tard, les détenus furent escortés jusqu’au cabinet médical de la prison. Dans le cabinet médical, en présence de l’assistante médicale, M.V. demanda au requérant d’écrire une déclaration dans laquelle il indiquait avoir été battu par d’autres détenus qu’il ne pouvait pas identifier. Étant donné qu’il se sentait mal, le requérant accepta d’écrire cette déclaration. La version du Gouvernement Eu égard à la situation de tension résultant de l’altercation, qui menaçait de s’étendre à toute la section de détention et qui mettait en danger la sûreté de la prison, les membres du groupe d’intervention arrivèrent sur place afin de rétablir l’ordre. Ils agirent dans le cadre fixé par l’article 159 alinéa 4 de l’arrêté du gouvernement (HG) no 1897/2006 le règlement concernant l’organisation et la mise en exécution du service de garde, d’escorte et de surveillance des détenus dans les prisons (regulamentul privind organizarea și executarea serviciului de pază, escortare și supraveghere a deținuților din penitenciare), en faisant usage des moyens d’immobilisation à leur disposition, à savoir les menottes et la force. L’intervention fut proportionnée à la résistance physique active ou passive des détenus et s’arrêta dès qu’elle cessa d’être nécessaire. Le requérant fut blessé par les autres détenus lors de l’altercation, sans que la confusion de la mêlée permette par ailleurs d’établir si l’intéressé avait été victime ou agresseur. Le requérant fut interrogé immédiatement après l’incident et il déclara avoir été frappé par les autres détenus. Les autres détenus furent également interrogés et aucun ne déclara avoir été frappé par les membres du groupe d’intervention ou par les surveillants pénitentiaires. B. L’état de santé du requérant à la suite de l’incident du 27 novembre 2008 Le requérant fut examiné au cabinet médical de la prison à 13 h 45. À cette occasion, il fut noté qu’il présentait des ecchymoses au niveau de la clavicule gauche et de la joue (pomete) droite et qu’il se plaignait de douleurs dans la région lombaire gauche. Il regagna ensuite sa cellule de détention. Le 28 novembre 2008, à 0 h 36, le requérant fut admis en urgence à l’hôpital universitaire de Bucarest. Un diagnostic de polytraumatisme consécutif à une agression remontant à douze heures et d’hématome périrénal gauche fut établi. Le même jour, à 12 heures, il fut transféré à l’hôpital public B. Il ressort de la fiche médicale du requérant, établie le même jour à 13 h 30, qu’outre le traumatisme lombaire gauche et l’hématome périrénal gauche, l’intéressé présentait « de multiples contusions sur le tronc (trunchi) et sur les membres ». Le requérant fut opéré en urgence. Lors de l’intervention chirurgicale, un hématome rétropéritonéal volumineux ainsi qu’une rupture rénale gauche furent découverts, ce qui mena à l’ablation de son rein gauche. Après l’intervention chirurgicale, le requérant suivit un traitement antibiotique et anti-inflammatoire. Selon sa fiche médicale, son évolution post-opératoire fut lente et difficile, mais favorable. Le requérant fut hospitalisé à l’hôpital public B. jusqu’au 5 décembre 2008, date à laquelle il fut transféré à l’hôpital pénitentiaire de Bucarest-Rahova. Le 8 décembre 2008, le requérant demanda à quitter l’hôpital, contre l’avis des médecins. Il fut transféré à l’infirmerie de la prison de BucarestRahova. Un traitement médical lui fut administré et il fut soumis à des examens urologiques réguliers. Le 30 décembre 2008, après avoir examiné le requérant et son dossier médical, l’Institut national de médecine légale « Mina Minovici » établit un certificat médicolégal, avec les conclusions suivantes : « (...) Dima Gheorghe présente des lésions traumatiques : « rupture du rein gauche avec hématome rétropéritonéal ; choc hémorragique », lésions pouvant avoir été produites par des coups au moyen d’un objet contondant. Les lésions peuvent dater du 27 novembre 2008. Elles nécessitent 30 à 35 jours de soins médicaux. Les lésions subies ont mis sa vie en danger. Suite à la perte de son rein gauche, il souffre à présent d’une infirmité posttraumatique ». Le requérant fut classé dans la catégorie des personnes souffrant d’un handicap majeur temporaire. Le 30 janvier 2009, le requérant fut transféré à la prison de Giurgiu. Le 18 janvier 2010, il fut mis en liberté conditionnelle. C. Les rapports d’incident dressés à la suite de l’incident du 27 novembre 2008 Le jour de l’altercation, un rapport d’incident fut dressé au nom du requérant afin de constater que la fouille avait permis de découvrir sur lui un couteau artisanal. Il n’était pas fait mention dans ce rapport de sa participation à l’altercation survenue entre les détenus. D’autres rapports d’incident furent dressés aux noms des quatre détenus ayant participé à l’altercation. Le 28 novembre 2008, M. V. informa par écrit le juge de l’exécution des peines délégué auprès de la prison qu’une altercation avait eu lieu le 27 novembre 2008 entre les détenus M.Mi., M.Ma. M.M.G. et R.C. Il nota également qu’un couteau artisanal avait été trouvé sur le requérant. M.V. expliqua dans sa note écrite qu’en raison de la situation de tension créée, les membres du groupe spécial d’intervention avaient été appelés pour mettre fin au conflit, conformément aux dispositions légales en la matière. Il ajouta que des moyens d’immobilisation avaient été utilisés et que « l’action avait été proportionnée à la résistance physique active ou passive des détenus, et qu’elle avait cessée dès qu’elle n’avait plus été nécessaire ». Il précisa que les détenus avaient été présentés au cabinet médical pour y être examinés et soignés. Le dossier ne permet pas de savoir si le juge délégué a donné une suite quelconque à cette information. Toujours le 28 novembre 2008, les mêmes informations furent transmises au département de la sûreté de la détention et du régime pénitentiaire de l’Administration nationale des prisons. Le 28 novembre 2008, l’administration de la prison de BucarestRahova saisit le parquet près le tribunal départemental de Bucarest du conflit du 27 novembre 2008 et l’informa du nom des quatre détenus impliqués. Elle indiqua qu’un couteau artisanal avait été trouvé sur le requérant. L’acte de saisine fut transféré au parquet près le tribunal de première instance de Bucarest, compétent pour mener une enquête à propos de l’affaire. Aucune preuve ne fut jointe à l’acte de saisine. Le 11 février 2010, le parquet près le tribunal de première instance de Bucarest rendit un non-lieu en faveur de toutes les personnes impliquées dans l’incident du chef de coups et blessures, au motif qu’aucune personne lésée n’avait déposé de plainte préalable et n’avait voulu reprendre pour son propre compte la plainte déposée par l’administration de la prison. D. La plainte pénale du requérant contre les cadres de la prison et les membres de l’équipe d’intervention Le 8 décembre 2008, le requérant déposa une plainte pénale auprès du parquet près le tribunal départemental de Bucarest contre les souscommissaires J.I.D. et M.V., le commissaire C.R.C., l’inspecteur L.V.S. et les membres du groupe d’intervention. Il les accusait de mauvais traitements et de torture, d’abus de fonction et de coups et blessures, délits punis par les articles 267 et 2671, 246 et 182 du code pénal (CP) en vigueur à l’époque des faits. Il soutint que lors de l’incident du 27 novembre 2008, il avait été frappé par J.I.D. et M.V. et par les membres du groupe spécial d’intervention, qui portaient des cagoules (« mascați ») et qu’il avait subi de ce fait de graves lésions corporelles. Il souligna également que, bien qu’elles aient assisté à l’incident, les autres personnes mises en cause n’étaient pas intervenues pour mettre fin aux mauvais traitements. Il expliqua qu’après l’incident, on l’avait menacé de le priver d’examen médical pour le contraindre à déclarer qu’il avait été battu par les autres détenus. L’enquête menée par le parquet contre les cadres de la prison a) L’enquête menée par le parquet compétent La plainte du requérant fut transférée au parquet près la cour d’appel de Bucarest (« le parquet ») qui était compétent pour examiner l’affaire, en raison du grade des fonctionnaires mis en cause. Le parquet interrogea les cadres de la prison mis en cause. Ces derniers déclarèrent que les détenus s’étaient mutuellement agressés et qu’ils n’étaient intervenus qu’afin de mettre fin à l’incident et d’immobiliser les détenus. Le requérant demanda à plusieurs reprises, en février, mars et avril 2009 que l’enquête soit accélérée. On lui répondit que l’enquête était en cours auprès du parquet compétent. Sur demande du requérant, le parquet interrogea certains des détenus qui avaient participé à l’incident ou qui avaient pu voir les faits dénoncés : certains déclarèrent que lors de l’incident, les détenus s’étaient blessés mutuellement et que le groupe spécial d’intervention n’était intervenu que pour mettre fin à l’incident ; d’autres déclarèrent avoir vu J.I.D. et M.V. frapper le requérant, et d’autres enfin déclarèrent avoir été frappés par les membres du groupe d’intervention. Le requérant indiqua au parquet que l’activité dans la prison était surveillée par des caméras de vidéosurveillance et lui demanda d’entreprendre les démarches pour obtenir l’enregistrement vidéo de l’incident et de le verser comme preuve au dossier de l’enquête. À la demande du parquet, par une lettre du 19 mai 2009, la prison de BucarestRahova informa les enquêteurs que les enregistrements n’étaient conservés que pendant dix jours et que ceux du 27 novembre 2008 avaient déjà été détruits. Par une ordonnance du 11 janvier 2010, le parquet près la cour d’appel de Bucarest rendit un non-lieu en faveur de J.I.D., M.V., C.R.C. et L.V.S. des chefs de mauvais traitements et de torture. Il ordonna la disjonction des poursuites contre les membres du groupe spécial d’intervention concernant les blessures du requérant. Pour justifier le nonlieu, le parquet nota qu’il ne ressortait pas avec certitude des déclarations des témoins que le requérant avait été agressé par les accusés et que, dès lors, le doute devait profiter à ces derniers. Le requérant contesta cette ordonnance auprès du procureur général du parquet près la cour d’appel de Bucarest, qui rejeta sa contestation par une résolution du 1er février 2010. b) La contestation du non-lieu du 11 janvier 2010 devant les juridictions internes Se fondant sur l’article 2781 du code de procédure pénale (CPP), le requérant contesta le non-lieu du 11 janvier 2010 devant la cour d’appel de Bucarest (« la cour d’appel ») et demanda l’ouverture de poursuites pénales contre les personnes qu’il accusait. Soutenant que l’enquête pénale réalisée dans l’affaire n’avait pas été correcte, impartiale et objective comme il l’aurait fallu pour pouvoir découvrir la vérité, il demanda notamment que les témoins soient interrogés par la cour d’appel, que l’enregistrement vidéo de l’incident soit versé comme preuve au dossier et qu’une nouvelle expertise médicolégale soit réalisée. Par un arrêt du 1er avril 2010, la cour d’appel rejeta sa contestation et confirma le non-lieu rendu dans l’affaire. Elle jugea qu’il ne ressortait pas des déclarations des témoins que les accusés avaient agressé le requérant ou favorisé son agression. Elle nota également que d’après les déclarations des gardiens et des détenus, une altercation avait eu lieu entre les détenus et que deux détenus avaient utilisé des couteaux lors de l’incident. Selon elle, le requérant avait participé activement à l’incident. Elle souligna enfin que l’enquête restait ouverte dans la mesure où l’ordonnance contestée avait disjoint certains aspects de ceux visés par le non-lieu. Le requérant forma un pourvoi en recours contre cet arrêt. Il exposa que le parquet n’avait pas mené une enquête propre à permettre de découvrir la vérité. À cet égard, il fit remarquer que le parquet n’avait pas identifié toutes les personnes impliquées dans l’incident et que sur les vingt détenus présents lors de l’incident, seulement huit avaient été interrogés. Il releva également que l’enregistrement vidéo de l’incident n’avait pas été versé comme preuve au dossier, alors qu’il représentait, selon lui, la preuve la plus importante dans l’affaire. Il ajouta que l’enquête n’avait pas été conduite avec diligence, dans la mesure où lui-même comme les autres témoins n’avaient été interrogés que quatre mois après les faits, qu’aucune confrontation n’avait eu lieu entre les témoins et qu’aucune parade d’identification des personnes impliquées n’avait été organisée. Par un arrêt définitif du 7 juin 2010, la Haute Cour de cassation et de justice (« la Haute Cour ») rejeta le pourvoi en recours du requérant. Se référant aux déclarations des mis en cause, elle nota qu’un incident était survenu le 27 novembre 2008 pendant lequel les détenus s’étaient mutuellement frappés. Se référant aux mêmes déclarations, elle nota que « l’intervention des forces spéciales était nécessaire et légitime, proportionnée à l’agressivité des détenus et limitée à l’immobilisation des agresseurs ». La Haute Cour jugea également qu’il ne ressortait pas des déclarations des détenus que les accusés étaient intervenus dans le conflit. La poursuite de l’enquête contre les membres du groupe spécial d’intervention a) L’enquête menée du chef de torture et de mauvais traitements Le dossier de l’affaire fut renvoyé au parquet près le tribunal départemental de Bucarest, compétent pour mener l’enquête contre les membres du groupe d’intervention accusés de mauvais traitements, torture et coups et blessures. Le parquet identifia les membres du groupe d’intervention qui avaient été appelés à rétablir l’ordre le 27 novembre 2008 en les personnes d’A.S., M.F., B.C., V.I., P.I. et N.O. Interrogés par le parquet en mai 2010, ces derniers déclarèrent que le 27 novembre 2008, une altercation avait eu lieu à la prison de Bucarest-Rahova entre des détenus, qui s’étaient mutuellement agressés. Ils déclarèrent qu’ils étaient intervenus afin de maîtriser la situation et que leur action avait été proportionnée à l’agressivité des détenus et limitée à l’immobilisation des agresseurs. Le détenu M.Mi. fut interrogé. Il déclara que l’incident du 27 novembre 2008 avait débuté entre lui et un autre détenu. Il indiqua que « d’autres personnes portant des cagoules » (mascati) étaient arrivées sur les lieux de l’incident, accompagnées de J.I.D. et M.V. Ces personnes cagoulées avaient commencé à frapper les détenus avec les poings, les pieds et des bâtons. Il déclara avoir vu les « cadres de la prison » battre le requérant et les détenus R.C. et B.C. Le détenu S. F. déclara avoir vu, lors de l’incident, deux membres du groupe d’intervention frapper « une seule fois » le requérant au niveau de la rate et du foie. Se fondant sur les témoignages susmentionnés, par une ordonnance du 23 juillet 2010, le parquet près le tribunal départemental de Bucarest rendit un non-lieu en faveur des membres du groupe spécial d’intervention des chefs de mauvais traitements et de torture. Il estima qu’il ne ressortait pas des preuves du dossier que les accusés aient soumis le requérant à des mauvais traitements ou à des actes de torture. Par la même ordonnance, le parquet disjoignit de ce non-lieu la question des blessures du requérant en tant que telles et renvoya le dossier de l’affaire au parquet près le tribunal de première instance de Bucarest afin que l’enquête soit continuée du chef de « coups et blessures graves ». Le 7 août 2010, cette ordonnance fut communiquée au requérant, qui ne la contesta pas. b) L’élargissement de l’enquête en direction des détenus Le 3 septembre 2010, le dossier fut enregistré auprès du département 19 de la Police (« la police »), qui mena l’enquête sous la surveillance du parquet près le tribunal de première instance de Bucarest. Le 6 avril 2011, le police proposa au procureur dudit parquet de décliner sa compétence au profit du parquet près le tribunal départemental de Bucarest, en raison de la qualité de fonctionnaires des membres du groupe spécial d’intervention mis en cause. Par une ordonnance du 7 juin 2011, le parquet près le tribunal de première instance écarta la proposition de la police et lui renvoya le dossier afin qu’elle continue l’enquête du chef de coups et blessures graves, au motif que par l’ordonnance du 23 juillet 2010 avait indiqué qu’il n’était pas établi que les lésions du requérant avaient été causées par les membres du groupe spécial d’intervention. Il demanda que des actes d’enquête soient réalisés afin de déterminer si les faits avaient été commis par les détenus. Plusieurs détenus furent interrogés. Ils déclarèrent tous que le 27 novembre 2008, une altercation avait eu lieu entre trois ou quatre détenus se trouvant au début de la file, que les membres du groupe spécial d’intervention étaient arrivés sur place et qu’ils avaient mis tous les détenus à plat ventre avant de procéder à une fouille. Concernant la suite des évènements, les détenus M.Mi., M.Ma., S.F., C.C.R., P.M.N. et U.G. déclarèrent avoir vu les membres du groupe d’intervention frapper le requérant après avoir trouvé sur lui le couteau artisanal. M.M.G., B.C.I. et N.E.V. déclarèrent ne pas avoir remarqué si c’était l’un des détenus ou le requérant, qui avait été frappé par les membres du groupe spécial d’intervention. Interrogés à leur tour en août 2012, les membres du groupe spécial d’intervention déclarèrent maintenir leurs déclarations antérieures concernant l’altercation qui avait eu lieu entre les détenus. Les agents A.S. N.O. et B.C. déclarèrent que ni eux même ni leurs collègues n’avaient agressé le requérant et qu’ils n’avaient pas observé qui avait frappé ce dernier lors de l’incident du 27 novembre 2008. L’agent N.O. précisa que pour rétablir l’ordre, des moyens d’immobilisation avaient été utilisés. L’agent en chef B.C. ajouta que les membres du groupe spécial d’intervention étaient intervenus afin d’immobiliser les détenus impliqués dans le conflit et plus particulièrement ceux sur lesquels des armes blanches furent retrouvées. L’agent A.S. déclara que les membres du groupe d’intervention avaient agi conformément au règlement applicable pour rétablir l’ordre, que les détenus avaient été mis à terre, que des menottes avaient été utilisés et que la force physique employée avait été d’une intensité proportionnée à la résistance physique des détenus. Le parquet versa au dossier de l’enquête toutes les déclarations antérieures des détenus qui avaient été interrogés dans les dossiers concernant les accusations de mauvais traitements et de torture, ainsi que d’autres écrits, comme par exemple, des certificats médicolégaux, les rapports d’incident et des rapports sur les activités des détenus. Le parquet examina les demandes de preuve formulées par le requérant et admit une partie de celles-ci. Il rejeta la demande du requérant de faire réaliser une nouvelle expertise médicolégale et celle concernant la présentation de l’enregistrement des caméras de vidéosurveillance, au motif qu’il avait été établi en 2009 que celui-ci n’existait plus. Toutefois, le parquet près le tribunal de première instance demanda à la prison de Bucarest-Rahova des renseignements complémentaires concernant les enregistrements vidéo. Le 29 novembre 2012, la prison informa le parquet que ceux-ci étaient effacés automatiquement si, dans le délai de stockage de dix jours, aucune demande visant à conserver les images n’était exprimée, soit par la personne privée de liberté, soit par les organes habilités. Elle précisa qu’il n’y avait pas de norme interne spécifique en la matière à la prison de Bucarest-Rahova et que les dispositions applicables de façon générale au niveau de l’administration pénitentiaire ne prévoyaient la conservation des enregistrements par gravure sur DVD que sur demande expresse à la suite d’un incident. La prison ajouta qu’aucune disposition légale ne lui faisait obligation d’archiver électroniquement la totalité des enregistrements de vidéosurveillance. Le 6 décembre 2012, le parquet près le tribunal de première instance de Bucarest rendit un non-lieu en faveur de tous les détenus, au motif qu’il ne ressortait pas des preuves du dossier que les détenus aient agressé le requérant. Pour se prononcer ainsi, le parquet nota d’abord que la seule déclaration dans laquelle le requérant avait affirmé avoir été blessé par les autres détenus était sa première déclaration, effectuée immédiatement après l’incident, en présence de M.V. Or, selon le parquet, cette déclaration n’était pas valable, compte tenu de l’état de santé de l’intéressé à ce moment-là et de la présence de M.V. lors de la déclaration, ce dernier ayant été par la suite accusé de mauvais traitements. Le parquet nota ensuite qu’il ressortait des rapports établis par l’administration de la prison à la suite de l’incident du 27 novembre 2008 que la bagarre n’avait opposé que quatre détenus entre eux et que le requérant n’en faisait pas partie. De même, il ressortait des mêmes documents que le seul fait reproché au requérant lors de l’incident était d’avoir eu sur lui un couteau artisanal. Le parquet considéra que ces informations concordaient avec le fait que le requérant était le dernier dans la file des détenus lors de la sortie et avec les déclarations des détenus, qui avaient affirmé avoir vu les membres du groupe spécial d’intervention cagoulés frapper l’intéressé après avoir trouvé sur lui le couteau artisanal. Le parquet prit également en compte le fait que, bien que tous les membres du groupe spécial d’intervention aient déclaré ne pas avoir frappé le requérant, ils avaient admis avoir utilisé la force physique pour mettre fin à l’incident. Le parquet nota ensuite que le seul moyen de preuve objectif, à savoir l’enregistrement vidéo du jour de l’incident, n’avait pas été sauvegardé par les représentants de la prison, malgré l’incident qui s’était produit et la gravité des lésions subies par le requérant. Comme une telle preuve aurait pu disculper les membres du groupe spécial d’intervention et infirmer les allégations du requérant, le fait de n’avoir pas pris les mesures nécessaires pour la sauvegarde de l’enregistrement jetait un doute, pour le parquet, sur la crédibilité des déclarations des cadres de la prison. Compte tenu, par ailleurs, des lésions très graves qu’il avait subi, l’omission des autorités de la prison de dresser un rapport constatant sa participation à la bagarre entre les détenus venait encore, aux yeux du parquet, en faveur de l’intéressé. Par la même décision, le parquet renvoya l’affaire au parquet près le tribunal départemental de Bucarest pour poursuivre l’enquête contre les membres du groupe d’intervention du chef de comportement abusif. c) L’enquête menée contre les membres du groupe d’intervention du chef de comportement abusif Le 21 juin 2013, se fondant sur l’article 10 lettre d) du code de procédure pénale (CPP), le parquet près le tribunal départemental de Bucarest rendit un non-lieu en faveur des membres du groupe d’intervention, au motif que les éléments constitutifs du délit de comportement abusif n’avaient pas été prouvés en l’espèce. Le parquet nota qu’il ressortait des preuves du dossier que les membres du groupe spécial d’intervention étaient venus mettre fin à un affrontement entre les détenus. Il releva également qu’il résultait des déclarations du requérant et des autres détenus que le visage des membres du groupe spécial d’intervention était masqué par des cagoules, ce qui rendait leur identification impossible. Partant, étant donné le caractère strictement personnel de la responsabilité pénale – qui ne peut pas être engagée à titre collectif ou pour le fait d’autrui –, le parquet estima que la condamnation des intéressés était impossible. Il considéra, enfin, que toutes les preuves avaient été instruites et qu’aucun élément de nature à engager la responsabilité pénale de quiconque n’était susceptible de venir le compléter, de sorte que le non-lieu s’imposait. Sur contestation du requérant, le procureur en chef du parquet confirma ce non-lieu. Le requérant saisit le tribunal départemental de Bucarest contre le non-lieu du 21 juin 2013 susmentionné (paragraphe 60 ci-dessus). Par un jugement définitif du 21 octobre 2013, se référant à l’article 3 de la Convention, le tribunal départemental de Bucarest accueillit la demande du requérant et renvoya l’affaire au parquet près le tribunal départemental de Bucarest pour ouvrir des poursuites pénales et continuer l’enquête. Il expliqua que l’État devait mener une enquête effective sur les allégations défendables de mauvais traitements. Il indiqua au parquet qu’il devait clarifier les circonstances dans lesquelles les enregistrements vidéo avaient été effacés, interroger tous les détenus qui avaient assisté à l’incident en tant que témoins en leur rappelant les conséquences juridiques d’une fausse déclaration et interroger les personnes mises en cause pour qu’elles précisent qui avait frappé le requérant. d) Les poursuites pénales contre les membres du groupe spécial d’intervention et contre J.I.D. Le 15 janvier 2014, le parquet près le tribunal départemental de Bucarest ouvrit des poursuites pénales (începerea urmăririi penale) in rem du chef de comportement abusif. Le 18 février 2014, le même parquet ouvrit des poursuites pénales contre les membres du groupe spécial d’intervention A.S., M.F., B.C., V.I., P.I. et N.O., du chef de comportement abusif. Les suspects furent informés de l’accusation portée contre eux et interrogés. Le parquet interrogea vingt et un témoins. Il identifia la société qui avait installé le système de vidéosurveillance à la prison de BucarestRahova et sollicita plus de renseignements sur les moyens et la durée de stockage des images enregistrées. Le 8 août 2014, le requérant fut mis à l’épreuve d’un polygraphe. Ses réponses ne permirent de relever aucun signe caractéristique d’un comportement simulé. Le 24 septembre 2014, les membres du groupe spécial d’intervention furent à nouveau interrogés. Ils déclarèrent que J.I.D. avait agressé le requérant lors de l’incident. Le 1er octobre 2014, le requérant fut lui aussi à nouveau entendu. Par une ordonnance du 13 octobre 2014, en prenant en compte les nouvelles déclarations des membres du groupe spécial d’intervention, le parquet près la cour d’appel de Bucarest annula d’office le non-lieu rendu le 11 janvier 2010 dans sa partie concernant les faits imputés à J.I.D. (paragraphe 34 ci-dessus). Le parquet cita dans son ordonnance la déclaration de M.F. formulée dans les termes suivants : « Après avoir rétabli l’ordre, le chef du groupe a appelé en urgence l’officier de service, J.D. [J.I.D.]. Ce dernier est arrivé très rapidement. Je pense [qu’il était] accompagné de son adjoint. (...) J. D. [J.I.D.] a fouillé Gheorghe Dima et a trouvé sur lui un couteau. À ce moment-là, il a commencé à le piétiner, à l’insulter et à lui demander s’il savait qui il [J.I.D.] était dans la prison pour oser ainsi lui créer des problèmes. » Le 14 octobre 2014, la cour d’appel de Bucarest confirma la légalité de la réouverture des poursuites pénales à l’encontre de J.I.D. et l’affaire fut transférée au parquet près le tribunal départemental de Bucarest pour continuer l’enquête. Le 21 octobre 2014, le directeur de la prison de Bucarest-Rahova fut entendu. Par une ordonnance du 28 janvier 2015, le parquet près le tribunal départemental de Bucarest engagea l’action pénale contre J.I.D. du chef de conduite abusive, infraction punie à présent par l’article 296 §§ 1 et 2 du nouveau code pénal combiné avec l’article 194 § 1 lettres a) et e) du même code. Le 2 mars 2015, J.I.D. fut informé de l’accusation pénale formulée à son égard et interrogé. Le 6 avril 2015, le chef du département de la sûreté de la détention et du régime pénitentiaire de la prison de Bucarest-Rahova fut entendu. Le même jour, deux membres du groupe spécial d’intervention, A.S. et B.C., furent interrogés. Le 8 avril 2015, le parquet ordonna de soumettre A.S. et B.C. à l’épreuve d’un polygraphe. Ce test fut programmé pour le 14 avril 2015. Le 9 avril 2015, J.I.D. et le témoin A.G. se virent notifier leur convocation devant les organes d’enquête. D’après les renseignements fournis par les parties, l’enquête reste à ce jour pendante devant le parquet. II. LE DROIT INTERNE PERTINENT Les dispositions du code de procédure pénale en matière de recours hiérarchique et juridictionnel contre les décisions du parquet sont décrites dans l’arrêt Dumitru Popescu c. Roumanie (no 1) (no 49234/99, §§ 43-45, 26 avril 2007). La disposition pertinente de la loi no 275 du 4 juillet 2006 concernant l’exécution des peines se lit ainsi : Article 4 « 1. Il est interdit de soumettre une personne se trouvant en exécution d’une peine privative de liberté à des actes de torture, à des traitements inhumains ou dégradants ou à d’autres mauvais traitements. La méconnaissance des dispositions de l’alinéa 1 sera punie conformément à la loi pénale. » III. LES RAPPORTS DU COMITÉ EUROPÉEN POUR LA PRÉVENTION DE LA TORTURE ET DES PEINES OU TRAITEMENTS INHUMAINS OU DÉGRADANTS (CPT) Le rapport du 11 décembre 2008 adressé au gouvernement de la Roumanie par le CPT après la visite effectuée par celui-ci du 8 au 19 juin 2006 dans différents établissements pénitentiaires se lit comme suit : « 74. Le CPT tient à exprimer ses préoccupations en ce qui concerne la présence permanente de groupes spéciaux d’intervention portant des cagoules dans certains quartiers de détention. Le Comité note avec satisfaction que le port de la cagoule (et d’un uniforme distinct) avait été abandonné peu avant la visite dans la prison de Craiova, sans pour autant avoir des effets négatifs au plan de la sécurité. Par contre, la délégation a constaté à la prison de Bucarest-Jilava que les membres cagoulés du groupe spécial d’intervention, qui étaient affectés en permanence aux tâches de surveillance, d’escorte et de fouille dans le quartier de détention réservé aux détenus qualifiés de dangereux, y imposaient une atmosphère très pesante. Il convient d’ajouter que les membres des groupes d’intervention étaient vêtus d’un uniforme noir bien distinct et équipés de matraques et de gaz lacrymogène parfaitement en évidence. De l’avis du CPT, aucune circonstance ne peut justifier une telle pratique en milieu carcéral. Cette pratique déshumanise les relations entre le personnel et les détenus, et introduit un puissant élément d’intimidation. En outre, le port d’une cagoule fait obstacle à l’identification de suspects potentiels si et lorsque des allégations de mauvais traitements sont formulées. À la fin de la visite, la délégation a demandé aux autorités roumaines confirmation que la pratique mentionnée plus haut avait été définitivement abandonnée à la prison de Craiova ; elle a également demandé si des mesures similaires avaient été prises dans la prison de Bucarest-Jilava ainsi que, s’il y avait lieu, dans tout autre établissement pénitentiaire. Dans leur lettre du 26 octobre 2006, les autorités roumaines ont souligné qu’à la suite de la visite, des mesures ont été prises afin que ces groupes ne soient plus affectés aux tâches de surveillance, de fouille et d’escorte des détenus dans les prisons. Il s’agit là d’un développement qui mérite d’être salué. Cela étant, les autorités roumaines ne semblent pas avoir pris de mesures en ce qui concerne le port de la cagoule par les membres de ces groupes. Le CPT recommande qu’il soit interdit à tous les membres des groupes spéciaux d’intervention de porter des cagoules, quelles que soient les circonstances, dans l’exercice de leurs fonctions dans un environnement carcéral. De plus, il importe qu’un membre de l’équipe dirigeante des établissements pénitentiaires visés soit présent lors de toute opération à risque effectuée par ces groupes. » Du 5 au 16 septembre 2010, le CPT effectua une visite dans différents établissements pénitentiaires, parmi lesquels les sections pour les détenus placés en régime de sécurité maximale de la prison de Poarta Albă et la section pour mineurs de la prison de Bucarest-Rahova. Dans son rapport du 24 novembre 2011 adressé au Gouvernement de la Roumanie à la suite de cette visite, le CPT nota ce qui suit : « 107. À la prison de Poarta Albă, des membres du groupe spécial d’intervention de l’établissement pouvaient être appelés pour des opérations d’escorte de certains détenus placés dans les quartiers de haute sécurité ainsi que des opérations de fouilles dans les cellules en renfort des surveillants. Ces personnels étaient vêtus d’uniformes et cagoules noirs, sans signe d’identification, et étaient équipés de menottes, matraque et gaz lacrymogène. La prison de Bucarest-Rahova disposait également d’un groupe spécial d’intervention, dont les membres ne portaient pas une cagoule mais un casque (avec visière) sur lequel était apposé un numéro d’identification. La délégation a recueilli des informations contradictoires sur la question de savoir si ce groupe spécial intervenait, ou non, dans la section pour mineurs ; les interventions du groupe spécial n’étant pas consignées dans un registre spécifique, ces informations n’ont pas pu être vérifiées avec la précision nécessaire. Le CPT tient à souligner qu’il est en principe opposé au port des cagoules par des fonctionnaires dans une enceinte pénitentiaire. Cela peut notamment faire obstacle à l’identification de suspects, si des allégations de mauvais traitements sont formulées par des personnes privées de liberté. Le CPT admet néanmoins que pour des intérêts opérationnels et/ou de sécurité, le port d’un autre dispositif protégeant le visage peut s’avérer nécessaire. Toutefois, dans ce cas, un signe distinctif sur l’uniforme devrait permettre, en tout temps, l’identification des personnels concernés. Le Comité recommande aux autorités roumaines de prendre les mesures nécessaires à la lumière des remarques qui précèdent. De plus, le CPT recommande que toutes les interventions des groupes spéciaux soient consignées de manière détaillée dans un registre spécifique. Ces groupes d’intervention ne devraient pas être utilisés pour effectuer des tâches relevant habituellement du personnel de surveillance. »
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Le requérant est né en 1973 et réside à Drobeta Turnu-Severin. En 2000, le parquet près le tribunal départemental de Mehedinţi (« le parquet ») se saisit d’une affaire de trafic de drogue. Par un réquisitoire du 19 octobre 2000, le parquet renvoya en jugement R.G.G. et R.A. (« les époux R. »), Ş.G., qui était l’épouse du requérant, ainsi que D.F. et décida de poursuivre l’enquête pénale concernant le requérant, qui était entretemps parti à l’étranger. Par un jugement du 20 juin 2001, le tribunal départemental de Mehedinţi condamna les époux R., Ş.G. et D.F. à diverses peines de prison, qui furent ensuite majorées, lors des voies de recours, par la cour d’appel de Craiova et la Haute Cour de cassation et de justice. Dans le cadre de cette procédure, les époux R., Ş.G. et D.F. firent des déclarations qui incriminaient le requérant. Le 30 avril 2003, le requérant fut identifié par les autorités espagnoles auxquelles il déclara une fausse identité et fut renvoyé en Roumanie. Le 1er mai 2003, le requérant fut placé en garde à vue par ordonnance du parquet et, le 2 mai 2003, en détention provisoire pour une durée de cinq jours. Le 6 mai 2003, dans le cadre de la procédure pénale à l’encontre du requérant, le parquet entendit comme témoins les époux R., Ş.G. et D.F. qui purgeaient leurs peines de prison à la prison de Drobeta TurnuSeverin. À l’exception de R.A., ils revinrent sur les déclarations qu’ils avaient faites dans le cadre de la procédure pénale à l’issue de laquelle ils avaient été condamnés pour trafic de drogue et indiquèrent qu’ils n’avaient pas connaissance de l’implication du requérant dans un tel trafic. Le parquet procéda également à l’audition des témoins F.L.S., B.D.A., H.P.N., Ş.B. et C.I.M. Certaines de leurs déclarations incriminaient le requérant. Par un réquisitoire du 17 mars 2004, le parquet renvoya le requérant en jugement pour trafic de drogue. Selon le parquet, il aurait distribué du cannabis à plusieurs personnes qui s’occupaient de sa vente. Le parquet se fonda notamment sur les déclarations faites par les époux R. dans le cadre de la procédure les visant, sur la déclaration faite par R.A. dans le cadre de la procédure à l’encontre du requérant ainsi que sur les déclarations de B.D.A. et F.L.S. Le parquet cita également les rapports des expertises scientifiques effectuées en 2000 sur les substances trouvées aux domiciles des époux R. et de Ş.G., qui avaient relevé la présence du cannabis. Devant le parquet, le requérant nia les faits qui lui étaient reprochés. À une date ultérieure non précisée, le requérant quitta le sol roumain. L’affaire fut enregistrée par le tribunal départemental de Mehedinţi (« le tribunal départemental ») qui entendit, en la présence de l’avocat choisi par le requérant, tous les témoins indiqués dans le réquisitoire. Le requérant n’était pas présent parce qu’il avait entretemps été placé en détention provisoire en Espagne pour diverses infractions. Par un jugement du 21 octobre 2004, le tribunal le condamna à une peine de six ans d’emprisonnement pour trafic de drogue et fausse déclaration d’identité. Ce jugement fut annulé, sur appel du requérant, par un arrêt de la cour d’appel de Craiova (« la cour d’appel ») du 20 avril 2005, qui renvoya l’affaire devant le tribunal départemental pour que le requérant soit régulièrement cité à comparaître. L’affaire fut enregistrée à nouveau par le tribunal départemental, qui entendit le requérant, qui était, à une date non précisée, rentré en Roumanie. Il nia les faits qui lui étaient reprochés. Le tribunal entendit également C.I.M., Ş.G., D.F., H.P.N. et Ş.B. comme témoins. Ces derniers modifièrent les déclarations faites pendant l’enquête pénale, en faisant valoir, entre autres, que les policiers les avaient forcés à signer sans les lire et qu’elles ne correspondaient pas à la réalité des faits. Ils indiquèrent ne pas avoir connaissance de l’implication du requérant dans le trafic de drogue. Les époux R., B.D.A. et F.L.S. ne se présentèrent pas devant le tribunal, en dépit des mandats de comparution délivrés par celui-ci. À l’audience du 27 avril 2006, le tribunal départemental prit acte des informations communiquées par la police selon lesquelles les témoins B.D.A. et F.L.S. n’avaient pas pu être localisés. Le tribunal demanda aux parties si elles souhaitaient la lecture en audience publique des déclarations antérieures de ces témoins, en application de l’article 327 § 3 du code de procédure pénale (« le CPP »). L’avocat du requérant déclara, en présence de ce dernier, qu’il avait connaissance de ces déclarations et qu’il ne souhaitait pas leur lecture. Par un jugement du 4 mai 2006, le tribunal départemental condamna le requérant à une peine de quatre ans et six mois de prison pour trafic de drogue et fausse déclaration d’identité. Le tribunal se fonda sur les déclarations faites par R.G.G. dans le cadre de la procédure pénale le visant ainsi que lors de l’enquête pénale visant le requérant. Il se fonda également sur les déclarations que R.A., F.L.S., B.D.A., C.I.M. et D.F. avaient faites lors de l’enquête pénale visant le requérant ainsi que sur la déclaration que R.A. avait faite lors du premier cycle procédural. Le tribunal estima que si certains témoins avaient modifié leurs déclarations, leurs nouvelles déclarations n’étaient pas convaincantes. S’agissant du défaut de comparution de plusieurs témoins, les parties pertinentes du jugement se lisent ainsi : « Même si les témoins R.G.G., R.A., B.D.A. et F.L.S. ont été entendus pendant l’enquête pénale et à l’occasion du premier cycle procédural devant le tribunal, ils n’ont pas pu être entendus de nouveau à l’occasion de la nouvelle procédure parce que les époux R. sont partis à l’étranger, que les deux autres témoins sont partis de leur ville [d’origine] et que leur nouvelle adresse n’est pas connue, comme il résulte des procèsverbaux de recherche versés au dossier. (...) Le requérant interjeta appel. Par un arrêt du 21 septembre 2006, la cour d’appel fit partiellement droit à l’appel et acquitta le requérant du chef de fausse déclaration d’identité. La cour d’appel confirma en revanche sa condamnation pour trafic de drogue et maintint la peine de prison prononcée par le tribunal départemental. L’arrêt de la cour d’appel comporte, entre autres, les parties suivantes : « Le fait que les témoins en cause ont modifié les déclarations faites pendant l’enquête pénale, en soutenant devant le tribunal qu’il n’avaient pas eu connaissance du contenu de ces déclarations quand ils les ont signées et qu’en réalité l’inculpé Şerban Gilă Sandu n’était pas impliqué dans l’acquisition et la distribution du cannabis ne peut pas être retenu en faveur du requérant, dans la mesure où aucun de ces témoins n’indique la personne auprès de laquelle il s’était procuré la drogue, alors qu’il est certain qu’ils ont été surpris en train de la vendre ou en la détenant pour leur propre consommation, et que, antérieurement, les témoins R.G.G., D.F. et Ş.G. avaient été condamnés pour la même infraction et avaient déclaré que la drogue provenait de l’inculpé Şerban Gilă Sandu. » Cet arrêt fut confirmé par un arrêt définitif du 21 février 2007 de la Haute Cour de cassation et de justice (« la Haute Cour »). Les parties pertinentes de l’arrêt sont ainsi rédigées : « S’agissant de la critique selon laquelle la condamnation a été prononcée à tort sur la base d’éléments de preuve qui n’étaient pas concluants, la Haute Cour note que les arguments de l’inculpé selon lesquels il n’a pas participé à l’acquisition ou à la mise en vente de la drogue (...) ne sont pas fondés, sa culpabilité étant prouvée par les déclarations des coparticipants (coparticipanţilor) Ş.G., R.G.[G.], D.F. et R.A. qui ont été antérieurement condamnés pour ces faits, [déclarations] qui sont corroborées par les déclarations des témoins entendus en la cause, qui ont toutes été faites pendant l’enquête, et dont il ressort, sans le moindre doute, que l’inculpé s’est procuré de la drogue à risque qu’il avait vendue par l’intermédiaire des époux R. et de sa propre épouse (...) Les arguments de l’inculpé ont été examinés par la juridiction d’appel qui les a écartés de manière motivée, de même que la juridiction de premier ressort qui a analysé en détail les déclarations des témoins, et particulièrement les modifications des déclarations faites pendant l’enquête, [en retenant que] certains des participants avaient déjà été condamnés et avaient déjà purgé leurs peines et d’autres avaient bénéficié des décisions de non-lieu, ce qui leur ôtait tout intérêt à adopter une conduite processuelle sincère. » Le requérant purgea une partie de sa peine et fut remis en liberté conditionnelle le 7 avril 2010. II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS Les dispositions pertinentes du CPP, en vigueur au moment des faits, sont résumées dans l’affaire Prăjină c. Roumanie (no 5592/05, §§ 26-27, 7 janvier 2014). En particulier, l’article 327 était ainsi rédigé, dans son troisième paragraphe : « S’il n’est plus possible d’entendre l’un des témoins, le tribunal procède à la lecture de la déclaration que ce témoin a faite pendant l’enquête pénale et en tient compte pour le jugement de l’affaire. » S’agissant notamment de la présence du défenseur du suspect (învinuit) ou de l’inculpé aux actes de l’enquête pénale, l’article 172 § 1 du CPP l’autorisait, de même que la possibilité de formuler des demandes ou de déposer des précisions écrites. L’absence du défenseur n’empêchait pas la réalisation de l’acte, s’il était prouvé que le défenseur avait été informé de la date et de l’heure de celle-ci. Un amendement opéré par la loi no 235/2006 visant à circonscrire la présence du défenseur aux seuls actes qui « impliqu[aient] l’audition ou la présence du suspect ou de l’inculpé » a été déclaré inconstitutionnel par la Cour constitutionnelle. Dans sa décision du 20 novembre 2007, celle-ci a jugé qu’un tel amendement s’analysait comme une limitation injustifiée des droits de la défense.
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Dans le cadre d’une procédure d’exécution judiciaire entamée à l’encontre de M.B.M., ex-époux de la requérante, la Trésorerie générale de la sécurité sociale (« la TGSS ») procéda le 30 septembre 2003 à la vente aux enchères d’un local commercial appartenant à M.B.M. et à la requérante en raison d’une absence de paiement de dettes contractées par le premier. À l’issue de cette vente, le local fut acquis par un tiers, G. La requérante et son ex-époux engagèrent chacun une procédure pour contester le résultat de cette vente aux enchères. A. La procédure entamée par la requérante devant le juge du contentieux administratif no 25 de Madrid D’une part, la requérante entama une procédure en contentieux administratif devant le juge du contentieux administratif no 25 de Madrid. Par un jugement du 8 mai 2006, celui-ci fit droit aux prétentions de la requérante et, reconnaissant l’existence d’un défaut de procédure (défaut de notification du prix de vente fixé pour le local), annula la vente aux enchères. La procédure d’exécution judiciaire menée à l’encontre de l’exépoux de la requérante suivit quant à elle son cours. En appel, par un jugement du 15 décembre 2006, le Tribunal supérieur de justice de Madrid confirma le jugement attaqué, qui devint ainsi définitif. Par une décision du 23 mars 2007, le juge du contentieux administratif no 25 de Madrid ordonna l’exécution de son jugement du 8 mai 2006 dans un délai de dix jours. Le 20 avril 2007, G., le tiers acquéreur du local en cause, fut autorisé à inscrire ce bien exclusivement à son nom au registre foncier de Madrid. B. La procédure entamée par l’ex-époux de la requérante devant le juge du contentieux administratif no 1 de Madrid D’autre part, M.B.M. forma un recours en contentieux administratif devant le juge du contentieux administratif no 1 de Madrid. Par un jugement rendu le 31 juillet 2006, ce juge rejeta le recours et décida de ne pas déclarer la nullité de la vente aux enchères. Il relevait que le défaut de procédure allégué par M.B.M. n’aurait porté préjudice, le cas échéant, qu’à l’ex-épouse de ce dernier et qu’il appartenait à l’intéressée d’introduire les recours pertinents. Il précisait que M.B.M. avait dûment reçu notification du prix de vente et que les enchères devaient donc être considérées comme régulières à son égard. C. La procédure d’exécution du jugement du 8 mai 2006 rendu par le juge du contentieux administratif no 25 de Madrid Le 4 juin 2007, la requérante sollicita l’exécution du jugement du 8 mai 2006 (incidente de ejecución) et demanda l’inscription au registre foncier de ce jugement devenu définitif, et ce afin d’éviter la vente du bien à des tiers de bonne foi. La TGSS s’opposa aux prétentions de la requérante, alléguant que la vente aux enchères avait été déclarée conforme à la loi par le jugement rendu le 31 juillet 2006 par le juge du contentieux administratif no 1 de Madrid. Par une décision du 9 octobre 2007, le juge du contentieux administratif no 25 de Madrid rejeta la demande d’exécution formulée par la requérante au motif qu’elle était incongrue. Il soulignait que, par son jugement du 8 mai 2006, il s’était borné à annuler la vente aux enchères et que la TGSS pouvait alors poursuivre la procédure d’exécution forcée menée à l’encontre de M.B.M. La requérante forma un recours (súplica) contre cette décision, invoquant entre autres les articles 105 et 107 de la loi 29/1998 du 13 juillet relative à la juridiction contentieuse administrative (« la LRJCA »). Par deux décisions rendues les 28 et 31 janvier 2008, le juge du contentieux administratif no 25 de Madrid rejeta ce recours, considérant que les droits de la défense de la requérante avaient été respectés. La requérante fit appel. Par un arrêt du 12 novembre 2008, le Tribunal supérieur de justice de Madrid la débouta au motif que la décision du 31 janvier 2008 n’était pas susceptible de recours puisque le montant en jeu était inférieur à celui prévu par la loi pour pouvoir faire appel. Par une décision du 2 juin 2010, notifiée le 14 juin 2010, le Tribunal constitutionnel déclara irrecevable le recours d’amparo formé par la requérante au motif qu’il était dépourvu « d’importance constitutionnelle spéciale ». II. LE DROIT INTERNE PERTINENT L’article 118 de Constitution espagnole est ainsi libellé : « Il est obligatoire de respecter les jugements et autres décisions définitives des juges et tribunaux, ainsi que de collaborer, à [la] demande [de ceux-ci], pendant le procès et lors de l’exécution de ce qui aura été décidé ». Les parties pertinentes en l’espèce des articles 105 et 107 de la LRJCA disposent ce qui suit : Article 105 « 1. L’exécution d’un jugement ne pourra être partiellement ou totalement suspendue. En cas de causes d’impossibilité matérielle ou légale d’exécuter un jugement, l’organe chargé de l’exécution notifiera [l’impossibilité] à l’autorité judiciaire (...) afin que, après avoir entendu les parties et ceux considérés comme intéressés, le juge ou le tribunal apprécie l’existence ou non de ces causes et adopte les mesures nécessaires pour assurer une effectivité optimale de la décision d’exécution, fixant le cas échéant une indemnisation si la pleine exécution n’était pas possible. (...) ». Article 107 § 1 « Si le jugement définitif annule totalement ou partiellement l’acte contesté, le juge ou le tribunal décidera, à la demande d’une partie, l’inscription de ce jugement dans les registres publics (...) ».
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Le requérant est né en 1966 et était détenu à la maison d’arrêt d’Erzurum à la date de l’introduction de la requête. Les faits de la cause, tels qu’ils ont été exposés par les parties, peuvent se résumer comme suit. A. La procédure relative à la condamnation pénale du requérant Le 19 mai 2002, le requérant fut expulsé d’Iran où il résidait et rentra en Turquie. Lors de son entrée sur le territoire turc, la police des frontières releva que l’intéressé était en possession d’un faux passeport et qu’il était recherché par les juridictions turques pour appartenance à une organisation illégale, à savoir Anadolu Federe İslam Devleti (« l’État islamique fédéré d’Anatolie », ciaprès « l’AFİD »). Le requérant fut alors placé en garde à vue. Le même jour, le requérant fut examiné par un médecin qui ne décela aucune lésion corporelle sur sa personne, et il fut ensuite remis à la direction de la sûreté d’Ağrı. Le 20 mai 2002, le requérant fut interrogé par les membres des forces de l’ordre et reconnut à cette occasion être l’un des principaux dirigeants de l’AFİD. En application de l’article 31 de la loi no 3842 du 18 novembre 1992, cet interrogatoire se déroula en l’absence d’un avocat, au motif que l’intéressé se trouvait accusé d’une infraction qui relevait de la compétence des cours de sûreté de l’État. Le requérant fut de nouveau examiné par un médecin qui ne releva aucune trace de coups et blessures sur son corps. Le 21 mai 2002, il fut transféré à la direction de la sûreté de Doğubeyazıt. Après un troisième examen médical qui ne révéla aucune anomalie, il fut entendu par le procureur de la République de Doğubeyazıt, devant lequel il confirma sa déposition faite au cours de son interrogatoire par les policiers. Il indiqua que le but de l’AFİD était de remplacer l’ordre actuel par un système fondé sur la charia. Le même jour, le requérant fut traduit devant le juge d’instance pénale qui ordonna son placement en détention provisoire. Devant le juge, il confirma sa déposition faite devant les policiers, reconnaissant son appartenance à l’organisation illégale et déclarant en être un membre actif de haut rang. Il déclara également avoir été condamné par les juridictions pénales allemandes à une peine d’emprisonnement de trois ans pour incitation à la haine et à la violence par le biais d’une organisation illégale. Par un acte d’accusation du 3 juin 2002, le procureur de la République près la cour de sûreté de l’État d’Erzurum requit la condamnation du requérant pour appartenance ou aide et assistance à une organisation illégale armée, sur la base de l’article 68 § 1 du code pénal et de l’article 5 de la loi no 3713 relative à la lutte contre le terrorisme. À l’audience du 27 août 2002 devant la cour de sûreté, assisté de son avocat, le requérant revint sur ses dépositions et contesta toutes les accusations portées à son encontre. Il dit avoir été torturé et obligé de boire à une ou deux reprises de « l’eau sucrée » lors de sa garde à vue. Les juges de la cour de sûreté demandèrent au procureur de la République la copie des dépositions de R.K., S.A.B., K.K., N.K., T.G. et S.B, accusés dans le cadre d’une autre procédure pénale relative à la même organisation, qui avaient été recueillies par la police entre le 2 novembre 1998 et le 4 novembre 1998 en l’absence d’un avocat. Au cours de l’audience du 19 novembre 2002, le procureur de la République présenta son réquisitoire, à l’issue duquel il demanda la condamnation du requérant. Lors de l’audience du 26 décembre 2002, le conseil du requérant demanda à la cour de sûreté la convocation de K.K., N.K., S.A.B. et S.B., qui, lors de leur garde à vue, avaient désigné son client comme étant l’un des principaux responsables de l’organisation. Tenant compte des copies des dépositions de ces quatre personnes déjà obtenues et des pièces versées au dossier, la cour de sûreté refusa de convoquer les intéressés, estimant qu’il n’y avait pas lieu de les entendre à l’audience. Elle rejeta également la demande d’élargissement de l’instruction. Les juges de la cour de sûreté prirent également connaissance d’un rapport de la direction générale de la sûreté du 13 août 2002 qualifiant l’AFİD d’organisation armée illégale. Le conseil du requérant critiqua ce rapport en ce qu’il aurait été en contradiction avec un autre rapport datant du 8 mai 2002 qui, selon lui, avait qualifié l’organisation d’illégale mais non d’armée. La cour de sûreté accorda alors au requérant un délai supplémentaire de vingt-quatre jours pour présenter ses observations complémentaires. À l’audience du 21 janvier 2003, le conseil du requérant contesta notamment la manière dont les dépositions à charge des six personnes accusées précitées avaient été obtenues. Il soutint que les éléments figurant dans ces déclarations n’avaient aucune valeur probante, au motif que celles-ci avaient été recueillies sous la contrainte. Il soumit à cet égard les rapports des examens médicaux effectués sur ces personnes à l’issue de leur garde à vue. Il ajouta que les contenus de ces dépositions avaient été contestés le 5 novembre 1998 par les intéressés devant le procureur de la République et devant le juge d’instance pénale près la cour de sûreté de l’État d’Istanbul. À la même audience, le requérant prit également la parole pour plaider non coupable et demander son acquittement. Par un arrêt du 21 janvier 2003, la cour de sûreté de l’État d’Erzurum déclara le requérant coupable des faits qui lui étaient reprochés et le condamna à une peine d’emprisonnement de dix-huit ans et neuf mois, en application de l’article 168 § 1 du code pénal et de l’article 5 de la loi no 3713. Dans sa motivation, la cour de sûreté prit notamment en compte : les aveux concordants du requérant recueillis lors de la garde à vue ainsi que devant le procureur de la République et le juge d’instance pénale ; le rapport de la direction générale de la sûreté qualifiant l’organisation en cause d’illégale et d’armée ; un arrêt de principe de la Cour de cassation du 18 décembre 2000 relatif à la qualification juridique de cette organisation (dans le cadre d’une affaire similaire concernant des membres de l’AFİD qui avaient été déclarés coupables, par la cour de sûreté de l’État d’Istanbul, d’avoir tenté de mener des opérations terroristes) ; les dépositions recueillies devant la police des six personnes accusées précitées qui avaient désigné le requérant comme étant l’un des hauts dirigeants de l’organisation (ci-après « les témoins à charge ») ; et enfin la condamnation du requérant par les juridictions pénales allemandes. Le 20 février 2003, le requérant se pourvut en cassation contre l’arrêt du 21 janvier 2003 en demandant la tenue d’une audience. Il contestait les éléments de preuve sur lesquels la cour de sûreté s’était appuyée pour le condamner. Il soutenait notamment que les dépositions des six personnes susmentionnées avaient été obtenues par la police sous la contrainte et qu’elles n’avaient aucune valeur probante. Il affirmait que la cour de sûreté, en refusant d’entendre K.K., N.K., S.A.B. et S.B, l’avait privé de son droit d’interroger ou de faire interroger les témoins à charge. Le requérant alléguait en outre que les juges de cette juridiction étaient partiaux. À la suite d’une audience tenue le 3 juillet 2003, la Cour de cassation confirma en toutes ses dispositions l’arrêt attaqué. Sa décision fut prononcée le 9 juillet 2003, en l’absence du requérant et de son représentant. Le texte intégral de l’arrêt de la Cour de cassation fut versé au dossier de l’affaire se trouvant au greffe de la cour de sûreté de l’État d’Erzurum et ainsi mis à la disposition des parties. B. La procédure relative à l’application de la loi no 4959 sur la réintégration des membres des organisations terroristes (« la loi no 4959 ») Le 26 août 2003, le requérant introduisit devant la cour de sûreté de l’État d’Erzurum un recours pour demander sa remise en liberté en application de l’article 4 a) de la loi no 4959 qui dispose que les personnes qui n’avaient pas participé aux infractions commises par une organisation terroriste et qui s’étaient rendues d’elles-mêmes sans résistance armée ou qui s’étaient retirées volontairement de cette organisation n’étaient pas condamnées à une peine, à la condition de déclarer leur volonté de bénéficier de cette loi. Le même jour, l’avocat du requérant forma également un recours aux mêmes fins. Il estimait que l’article 4 a) de la loi no 4959 s’appliquait au cas de son client. Il indiquait que l’article 3 a) du même texte excluait du champ d’application de l’article 4 a) précité les personnes qui avaient fait partie de l’unité de direction au plus haut niveau de l’organisation ou qui avaient de facto dirigé celle-ci dans son ensemble, et il avançait que son client ne pouvait pas être considéré comme étant visé par cette disposition puisqu’il n’aurait pas exercé de responsabilités quant à la direction générale de l’organisation. À l’audience du 26 septembre 2003, le requérant déclara qu’il reconnaissait le bien-fondé des accusations portées contre lui et de la motivation exposée par la cour de sûreté dans son arrêt de condamnation. Il indiqua aussi qu’il confirmait la teneur des dépositions qu’il avait faites devant les policiers, le procureur de la République et le juge d’instance pénale. De plus, il allégua qu’il n’avait pas endossé de responsabilités liées à la direction de l’organisation dans son ensemble et qu’il n’était pas membre de l’organe de décision de l’organisation. Il demanda par conséquent à bénéficier de la loi no 4959. En raison de la suppression des cours de sûreté d’État par une loi du 30 juin 2004, l’affaire fut attribuée à la cour d’assises d’Erzurum. Le 26 août 2004, considérant que le requérant n’occupait pas dans l’organisation une position suffisamment élevée pour lui permettre de diriger l’ensemble de l’organisation, la cour d’assises d’Erzurum décida, en application de l’article 4 c)-1 de la loi no 4959, de réduire de deux tiers la peine encourue par l’intéressé. Elle condamna ce dernier à six ans et neuf mois d’emprisonnement. Le 5 avril 2005, la Cour de cassation infirma l’arrêt de la cour d’assises au motif que la loi no 4959 ne s’appliquait pas au cas du requérant. La haute juridiction relevait que le requérant était membre de l’organe de décision et vice-président de l’organisation illégale. Elle considérait en outre qu’il n’existait pas suffisamment d’éléments de preuve quant à l’aide et l’effort qui auraient été fournis par l’intéressé aux fins de dissolution de l’organisation illégale. Par un arrêt du 28 juin 2005, la cour d’assises d’Erzurum se conforma à l’arrêt de la Cour de cassation et rejeta le recours formé par le requérant. Elle condamna le requérant à douze ans et six mois d’emprisonnement en application des dispositions de la nouvelle loi pénale entrée en vigueur le 1er juin 2005. Le 26 octobre 2005, la Cour de cassation confirma ce dernier arrêt. C. La saisine du ministère de la Justice par le requérant Entre-temps, par une requête du 22 janvier 2003, le requérant avait saisi le ministère de la Justice d’une plainte contre les juges de la cour de sûreté de l’État d’Erzurum qui, selon lui, avaient pris leur décision avant même d’examiner ses moyens de défense. Le 26 juin 2003, le ministère de la Justice avait décidé que, en l’absence de preuves, il n’y avait pas lieu de poursuivre les juges mis en cause. D. La plainte du requérant contre les policiers l’ayant interrogé Également le 22 janvier 2003, le requérant avait déposé une plainte pour torture devant le procureur de la République d’Ağrı contre les policiers qui l’avaient interrogé lors de sa garde à vue. Le 27 mars 2003, le procureur avait rendu une ordonnance de nonlieu au motif que les trois examens médicaux effectués sur la personne du requérant lors de la garde à vue n’avaient permis de constater aucune trace de coups et blessures. Le 10 juin 2003, la cour d’assises d’Ağrı avait rejeté l’opposition formée par le requérant. II. LE DROIT INTERNE PERTINENT Un exposé des dispositions pertinentes en l’espèce du droit turc concernant la présence d’un avocat lors de la garde à vue figure entre autres dans les arrêts Göç c. Turquie ([GC], no 36590/97, § 34, CEDH 2002V), et Salduz c. Turquie ([GC], no 36391/02, §§ 27-31, CEDH 2008).
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Le requérant est né en 1976 et réside à Kairouan (Tunisie) Il quitta son pays au moment de la « révolution tunisienne » et entra irrégulièrement en France au mois de février 2011. Interpellé par les services de police français le 4 mars 2011, il fit l’objet, le lendemain, de deux arrêtés, l’un prévoyant sa reconduite à la frontière et fixant la Tunisie comme pays de destination, et l’autre ordonnant son placement en rétention administrative. Par un jugement du 9 mars 2011, devenu définitif faute d’appel, le tribunal administratif de Pau confirma la légalité de ces décisions. Pour des raisons qui n’ont pas été communiquées à la Cour, la mesure d’éloignement ne fut jamais mise à exécution et le requérant fut remis en liberté. Le 7 octobre 2011, à une heure inconnue dans l’après-midi, le requérant fut à nouveau interpellé. Il fit l’objet, à 17 heures, d’un second arrêté de placement en rétention en vue de l’exécution de l’arrêté de reconduite à la frontière du 5 mars 2011. Le 9 octobre 2011, il contesta la légalité de l’arrêté de placement en rétention devant le tribunal administratif de Bordeaux. L’audience fut fixée au 11 octobre suivant à 13 heures. À 4 heures du matin le 11 octobre, le requérant fut renvoyé vers la Tunisie et ne put donc assister à l’audience. Le tribunal administratif rejeta néanmoins sa requête, le même jour, aux motifs suivants : « Considérant (...) que [le requérant] soutient que le recours contre la décision de placement en rétention a nécessairement un effet suspensif de l’exécution de la mesure de reconduite à la frontière ; que, cependant, pour regrettable que soit l’exécution par le préfet de la mesure de reconduite préalablement au jugement de la légalité de l’arrêté de placement en rétention, en tout état de cause cette circonstance n’entache pas d’illégalité la décision attaquée de rétention, en l’absence de texte législatif ou réglementaire prévoyant le caractère suspensif de ce recours. » Saisie par le requérant par l’intermédiaire de son avocat, la cour administrative d’appel de Bordeaux, le 20 mars 2012, annula l’arrêté du 7 octobre 2011 en tant qu’il prévoit que « le recours juridictionnel contre la décision de placement en rétention administrative ne suspend pas l’exécution de la mesure d’éloignement ». La cour administrative d’appel jugea notamment : « Considérant qu’aux termes de l’article 5-4 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales : « Toute personne privée de sa liberté par arrestation ou détention a le droit d’introduire un recours devant un tribunal, afin qu’il statue à bref délai sur la légalité de sa détention et ordonne sa libération si la détention est illégale. » ; Considérant que ces stipulations impliquent qu’un étranger faisant l’objet d’un placement en rétention ne puisse être effectivement éloigné avant que le juge n’ait statué sur le recours qu’il a, le cas échéant, introduit contre la mesure de placement ; que, dès lors, en ne prévoyant pas, en dehors du cas visé à l’article L. 512-3 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile dans lequel le placement en rétention est contesté devant le juge en même temps que l’obligation de quitter le territoire français, que le recours devant le juge contre une mesure de placement en rétention administrative suspend l’exécution de la mesure d’éloignement tant que le juge n’a pas statué, ledit code, dans sa rédaction issue de la loi no 2011-672 du 16 juin 2011, est incompatible avec ces stipulations ; qu’il s’ensuit qu’en tant qu’il précise que « le recours juridictionnel contre la décision de placement en rétention administrative ne suspend pas l’exécution de la mesure d’éloignement », l’arrêté litigieux est entaché d’illégalité et doit être annulé ; (...) » Le 4 mars 2013, le Conseil d’État annula l’arrêt de la cour administrative d’appel et, réglant l’affaire au fond, rejeta la requête présentée par le requérant devant la juridiction d’appel. Il motiva sa décision en ces termes : « (...) 4. Considérant qu’il ressort des dispositions du paragraphe III de l’article L. 512-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile que le législateur a organisé une procédure spéciale permettant au juge administratif de statuer rapidement sur la légalité des mesures relatives à l’éloignement des étrangers, hors la décision refusant le séjour, lorsque ces derniers sont placés en rétention ou assignés à résidence, ainsi que sur la légalité des décisions de placement en rétention ou d’assignation à résidence elles-mêmes ; que le président du tribunal administratif ou le magistrat désigné à cette fin statue alors au plus tard soixante-douze heures à compter de sa saisine ; qu’en vertu de l’article L. 512-3 du même code, lorsque le tribunal administratif est saisi d’une demande d’annulation d’une obligation de quitter le territoire français, cette mesure ne peut être exécutée d’office avant que le tribunal n’ait statué ; que les stipulations de l’article 5, paragraphe 4 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, qui garantissent le droit d’une personne privée de liberté de former un recours devant un tribunal qui statue rapidement sur la légalité de la détention, n’ont ni pour objet ni pour effet de conduire à reconnaître un caractère suspensif aux recours susceptibles d’être exercés contre les mesures de placement en rétention administrative prises pour assurer l’exécution des décisions, distinctes, qui ont ordonné l’éloignement des étrangers placés en rétention ; qu’il résulte de ce qui précède que la cour administrative d’appel de Bordeaux a commis une erreur de droit et que le ministre est fondé à demander l’annulation de l’arrêt qu’il attaque en tant que cet arrêt a annulé l’arrêté du 7 octobre 2011 du préfet de la Gironde en tant qu’il indique que « le recours juridictionnel contre la décision de placement en rétention administrative ne suspend pas l’exécution de la mesure d’éloignement » et a réformé dans cette mesure le jugement du 11 octobre 2011 ; (...) Considérant, ainsi qu’il a été dit, que les stipulations de l’article 5 paragraphe 4 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales n’ont ni pour objet ni pour effet de conduire à reconnaître un caractère suspensif au recours exercé par M. [M.] contre la décision le plaçant en rétention administrative ; qu’elles n’impliquent pas davantage la suspension de l’exécution de la décision distincte qui avait ordonné sa reconduite à la frontière, dont, au demeurant, il ne demande pas l’annulation et qui était devenue définitive après le rejet du recours qu’il avait formé contre elle devant le tribunal administratif de Bordeaux ; (...) » II. LE DROIT PERTINENT A. Le droit de l’Union européenne L’article 15 de la Directive 2008/115/CE du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 2008 relative aux normes et procédures communes applicables dans les États membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier dispose : « 1. À moins que d’autres mesures suffisantes, mais moins coercitives, puissent être appliquées efficacement dans un cas particulier, les États membres peuvent uniquement placer en rétention le ressortissant d’un pays tiers qui fait l’objet de procédures de retour afin de préparer le retour et/ou de procéder à l’éloignement, en particulier lorsque : a) il existe un risque de fuite, ou b) le ressortissant concerné d’un pays tiers évite ou empêche la préparation du retour ou de la procédure d’éloignement. Toute rétention est aussi brève que possible et n’est maintenue qu’aussi longtemps que le dispositif d’éloignement est en cours et exécuté avec toute la diligence requise. La rétention est ordonnée par les autorités administratives ou judiciaires. La rétention est ordonnée par écrit, en indiquant les motifs de fait et de droit. Si la rétention a été ordonnée par des autorités administratives, les États membres : a) soit prévoient qu’un contrôle juridictionnel accéléré de la légalité de la rétention doit avoir lieu le plus rapidement possible à compter du début de la rétention, b) soit accordent au ressortissant concerné d’un pays tiers le droit d’engager une procédure par laquelle la légalité de la rétention fait l’objet d’un contrôle juridictionnel accéléré qui doit avoir lieu le plus rapidement possible à compter du lancement de la procédure en question. Dans ce cas, les États membres informent immédiatement le ressortissant concerné d’un pays tiers de la possibilité d’engager cette procédure. Le ressortissant concerné d’un pays tiers est immédiatement remis en liberté si la rétention n’est pas légale. Dans chaque cas, la rétention fait l’objet d’un réexamen à intervalles raisonnables soit à la demande du ressortissant concerné d’un pays tiers, soit d’office. En cas de périodes de rétention prolongées, les réexamens font l’objet d’un contrôle par une autorité judiciaire. Lorsqu’il apparaît qu’il n’existe plus de perspective raisonnable d’éloignement pour des considérations d’ordre juridique ou autres ou que les conditions énoncées au paragraphe 1 ne sont plus réunies, la rétention ne se justifie plus et la personne concernée est immédiatement remise en liberté. La rétention est maintenue aussi longtemps que les conditions énoncées au paragraphe 1 sont réunies et qu’il est nécessaire de garantir que l’éloignement puisse être mené à bien. Chaque État membre fixe une durée déterminée de rétention, qui ne peut pas dépasser six mois. Les États membres ne peuvent pas prolonger la période visée au paragraphe 5, sauf pour une période déterminée n’excédant pas douze mois supplémentaires, conformément au droit national, lorsque, malgré tous leurs efforts raisonnables, il est probable que l’opération d’éloignement dure plus longtemps en raison : a) du manque de coopération du ressortissant concerné d’un pays tiers, ou b) des retards subis pour obtenir de pays tiers les documents nécessaires. B. Le droit interne pertinent Outre l’existence d’une mesure d’éloignement, le renvoi d’un étranger suppose, dans la plupart des cas, un placement en centre de rétention administrative dans l’attente de la mise en œuvre de la mesure d’éloignement. En France, le placement en rétention administrative est décidé par une autorité administrative, puis il est éventuellement prolongé par un juge judiciaire, le juge des libertés et de la détention (JLD). Le contentieux de l’éloignement et celui de la rétention administrative sont distincts. Le contentieux de l’éloignement relève de la compétence des juridictions administratives (sauf exceptions sans pertinence dans le cadre de la présente affaire) : la mesure d’éloignement étant décidée par une autorité administrative, l’examen de la légalité de la décision relève du juge administratif. Le contentieux de la rétention administrative ressortit actuellement à la compétence des juridictions administratives et des juridictions judiciaires, les juges de ces différents ordres intervenant de façon combinée. L’imbrication des compétences des juridictions administratives et judiciaires Le juge administratif n’intervient que s’il est saisi d’un recours de l’étranger contre l’arrêté de placement en rétention. Il exerce un contrôle sur la légalité interne et externe de l’arrêté de placement en rétention. Dans le cadre de la légalité externe, il s’assure de la compétence de l’auteur de la décision, de la motivation de celle-ci et de la régularité de la procédure ayant conduit à son adoption. Au titre de la légalité interne, il effectue essentiellement un contrôle de la nécessité du placement en rétention, qui s’apprécie au regard de raisons objectives : l’impossibilité de trouver immédiatement un moyen de transport vers le pays de renvoi et l’absence de garanties de représentation suffisantes de l’intéressé. Il peut également rechercher si le placement en rétention constitue une atteinte disproportionnée au droit de l’intéressé à mener une vie personnelle et familiale normale. Il est également compétent pour tout litige relatif aux conditions matérielles d’exécution. La rétention administrative étant une privation de liberté et le juge judiciaire étant le garant de la liberté individuelle (art. 66 de la Constitution), le JLD est également compétent (code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (CESEDA), art. L. 552-1). Il intervient lorsqu’il est saisi par le préfet aux fins de statuer sur la demande de prolongation du maintien en rétention. Il vérifie notamment la régularité des actes antérieurs au placement en rétention (par exemple, la régularité de l’interpellation, de la garde à vue, de l’acheminement au lieu de rétention ou de la notification des droits). Il est incompétent pour se prononcer sur la mesure d’éloignement qui a fondé la rétention administrative mais il s’assure que l’étranger est effectivement susceptible de faire l’objet d’une mesure d’éloignement et il contrôle la nécessité du maintien en rétention compte tenu des diligences de l’administration. Ordre d’intervention des juridictions administratives et judiciaires De 1998 à 2011, le JLD intervenait à l’issue de 48 heures de privation de liberté, saisi par l’administration elle-même, qui sollicitait le prolongement du placement en rétention. Le juge administratif pouvait être saisi de la légalité de l’arrêté de placement en rétention, dans un délai de deux mois, et n’avait pas de terme précis pour statuer. Il pouvait, par contre, être saisi par la voie de la procédure d’urgence en référé. Aucun de ces recours n’était suspensif de la mesure d’éloignement. La loi no 2011-672 du 16 juin 2011 relative à l’immigration, à l’intégration et à la nationalité, applicable lors des faits de la présente requête et toujours en vigueur, a inversé l’ordre d’intervention des juges administratif et judiciaire. Ainsi, le juge administratif, que la personne concernée peut saisir d’un recours en annulation dans un délai de 48 heures, intervient pour contrôler la légalité de la mesure de placement en rétention. Il est contraint de rendre sa décision dans un délai de 72 heures. Ce n’est qu’à l’issue de cinq jours, à compter de la décision de placement en rétention, que le JLD est désormais saisi par l’administration aux fins de prolongation de la rétention. À cette occasion, il peut contrôler les conditions de privation de liberté et ordonner ou non une prolongation de cette privation pour un délai de vingt jours, renouvelable une fois. Le juge administratif ne peut plus être saisi par la voie du référé, les dispositions relatives à la contestation de l’arrêté de placement étant exclusives de toute autre procédure. Cette modification législative avait notamment pour objet de mettre fin à des situations où une mesure d’éloignement, déclarée légale par le juge administratif, ne pouvait être exécutée du fait de la libération de l’étranger par le JLD en raison d’une irrégularité liée à la procédure civile ou pénale (rapport no 2814 de M. Mariani, fait au nom de la commission des lois, déposée le 16 septembre 2010). L’interversion de l’ordre d’intervention des juges administratif et judiciaire a eu pour conséquence qu’une part non négligeable d’étrangers ont été éloignés avant même qu’un juge ait pu examiner les conditions de leur interpellation. Le juge administratif, saisi le premier, refuse effectivement de connaître des conditions d’interpellation de l’étranger, qu’il estime au cœur de la compétence judiciaire. Le 7 mars 2016, la loi no 2016-274 relative au droit des étrangers en France a été adoptée. Dans un souci de mieux coordonner l’action des deux ordres de juridiction, l’article 33 de cette loi confie au JLD la compétence exclusive pour apprécier la légalité de la décision de placement en rétention et avance à 48 heures au lieu de cinq jours son intervention pour prolonger la mesure de rétention. Ce texte s’appliquera aux décisions prises à compter du 1er novembre 2016 (art. 67). Dispositions internes pertinentes Les dispositions pertinentes du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (CESEDA) sont ainsi libellées : Article L. 512-1 « I. ― L’étranger qui fait l’objet d’une obligation de quitter le territoire français et qui dispose du délai de départ volontaire mentionné au premier alinéa du II de l’article L. 511-1 peut, dans le délai de trente jours suivant sa notification, demander au tribunal administratif l’annulation de cette décision, ainsi que l’annulation de la décision relative au séjour, de la décision mentionnant le pays de destination et de la décision d’interdiction de retour sur le territoire français qui l’accompagnent le cas échéant. L’étranger qui fait l’objet de l’interdiction de retour prévue au troisième alinéa du III du même article L. 511-1 peut, dans le délai de trente jours suivant sa notification, demander l’annulation de cette décision. L’étranger peut demander le bénéfice de l’aide juridictionnelle au plus tard lors de l’introduction de sa requête en annulation. Le tribunal administratif statue dans un délai de trois mois à compter de sa saisine. Toutefois, si l’étranger est placé en rétention en application de l’article L. 551-1 ou assigné à résidence en application de l’article L. 561-2, il est statué selon la procédure et dans le délai prévus au III du présent article. II. ― L’étranger qui fait l’objet d’une obligation de quitter le territoire sans délai peut, dans les quarante-huit heures suivant sa notification par voie administrative, demander au président du tribunal administratif l’annulation de cette décision, ainsi que l’annulation de la décision relative au séjour, de la décision refusant un délai de départ volontaire, de la décision mentionnant le pays de destination et de la décision d’interdiction de retour sur le territoire français qui l’accompagnent le cas échéant. Il est statué sur ce recours selon la procédure et dans les délais prévus au I. Toutefois, si l’étranger est placé en rétention en application de l’article L. 551-1 ou assigné à résidence en application de l’article L. 561-2, il est statué selon la procédure et dans le délai prévus au III du présent article. III. ― En cas de décision de placement en rétention ou d’assignation à résidence en application de l’article L. 561-2, l’étranger peut demander au président du tribunal administratif l’annulation de cette décision dans les quarante-huit heures suivant sa notification. Lorsque l’étranger a fait l’objet d’une obligation de quitter le territoire français, le même recours en annulation peut être également dirigé contre l’obligation de quitter le territoire français et contre la décision refusant un délai de départ volontaire, la décision mentionnant le pays de destination et la décision d’interdiction de retour sur le territoire français qui l’accompagnent le cas échéant, lorsque ces décisions sont notifiées avec la décision de placement en rétention ou d’assignation. Toutefois, si l’étranger est assigné à résidence en application du même article L. 561-2, son recours en annulation peut porter directement sur l’obligation de quitter le territoire ainsi que, le cas échéant, sur la décision refusant un délai de départ volontaire, la décision mentionnant le pays de destination et la décision d’interdiction de retour sur le territoire français. Le président du tribunal administratif ou le magistrat qu’il désigne à cette fin parmi les membres de sa juridiction ou les magistrats honoraires inscrits sur la liste mentionnée à l’article L. 222-2-1 du code de justice administrative statue au plus tard soixante-douze heures à compter de sa saisine. Il peut se transporter au siège de la juridiction judiciaire la plus proche du lieu où se trouve l’étranger si celui-ci est retenu en application de l’article L. 551-1 du présent code. Si une salle d’audience attribuée au ministère de la justice lui permettant de statuer publiquement a été spécialement aménagée à proximité immédiate de ce lieu de rétention, il peut statuer dans cette salle. L’étranger peut demander au président du tribunal administratif ou au magistrat désigné à cette fin le concours d’un interprète et la communication du dossier contenant les pièces sur la base desquelles la décision contestée a été prise. L’audience est publique. Elle se déroule sans conclusions du rapporteur public, en présence de l’intéressé, sauf si celui-ci, dûment convoqué, ne se présente pas. L’étranger est assisté de son conseil s’il en a un. Il peut demander au président du tribunal administratif ou au magistrat désigné à cette fin qu’il lui en soit désigné un d’office. Il est également statué selon la procédure prévue au présent III sur le recours dirigé contre l’obligation de quitter le territoire français par un étranger qui est l’objet en cours d’instance d’une décision de placement en rétention ou d’assignation à résidence en application de l’article L. 561-2. Le délai de soixante-douze heures pour statuer court à compter de la notification par l’administration au tribunal de la décision de placement en rétention ou d’assignation. » Article L. 512-3 « Les articles L. 551-1 et L. 561-2 sont applicables à l’étranger faisant l’objet d’une obligation de quitter le territoire français dès l’expiration du délai de départ volontaire qui lui a été accordé ou, si aucun délai n’a été accordé, dès la notification de l’obligation de quitter le territoire français. L’obligation de quitter le territoire français ne peut faire l’objet d’une exécution d’office ni avant l’expiration du délai de départ volontaire ou, si aucun délai n’a été accordé, avant l’expiration d’un délai de quarante-huit heures suivant sa notification par voie administrative, ni avant que le tribunal administratif n’ait statué s’il a été saisi. L’étranger en est informé par la notification écrite de l’obligation de quitter le territoire français. » Article L. 551-1 « À moins qu’il ne soit assigné à résidence en application de l’article L. 561-2, l’étranger qui ne peut quitter immédiatement le territoire français peut être placé en rétention par l’autorité administrative dans des locaux ne relevant pas de l’administration pénitentiaire, pour une durée de cinq jours, lorsque cet étranger : 1o Doit être remis aux autorités compétentes d’un État membre de l’Union européenne en application des articles L. 531-1 ou L. 531-2 ; 2o Fait l’objet d’un arrêté d’expulsion ; 3o Doit être reconduit à la frontière en exécution d’une interdiction judiciaire du territoire prévue au deuxième alinéa de l’article 131-30 du code pénal ; 4o Fait l’objet d’un signalement aux fins de non-admission ou d’une décision d’éloignement exécutoire mentionnée à l’article L. 531-3 du présent code ; 5o Fait l’objet d’un arrêté de reconduite à la frontière pris moins de trois années auparavant en application de l’article L. 533-1 ; 6o Fait l’objet d’une obligation de quitter le territoire français prise moins d’un an auparavant et pour laquelle le délai pour quitter le territoire est expiré ou n’a pas été accordé ; 7o Doit être reconduit d’office à la frontière en exécution d’une interdiction de retour ; 8o Ayant fait l’objet d’une décision de placement en rétention au titre des 1o à 7o, n’a pas déféré à la mesure d’éloignement dont il est l’objet dans un délai de sept jours suivant le terme de son précédent placement en rétention ou, y ayant déféré, est revenu en France alors que cette mesure est toujours exécutoire. » Article L. 552-1 « Quand un délai de cinq jours s’est écoulé depuis la décision de placement en rétention, le juge des libertés et de la détention est saisi aux fins de prolongation de la rétention. Le juge statue dans les vingt-quatre heures de sa saisine par ordonnance au siège du tribunal de grande instance dans le ressort duquel se situe le lieu de placement en rétention de l’étranger, sauf exception prévue par voie réglementaire, après audition du représentant de l’administration, si celui-ci, dûment convoqué, est présent, et de l’intéressé ou de son conseil, s’il en a un. L’étranger peut demander au juge des libertés et de la détention qu’il lui soit désigné un conseil d’office. Toutefois, si une salle d’audience attribuée au ministère de la justice lui permettant de statuer publiquement a été spécialement aménagée à proximité immédiate de ce lieu de rétention, il statue dans cette salle. » Article R. 552-17 « L’étranger en rétention qui demande, hors des audiences prévues aux articles R. 552-9 et R. 552-15, qu’il soit mis fin à sa rétention saisit le juge des libertés et de la détention par simple requête adressée par tout moyen au juge. À peine d’irrecevabilité, la requête est motivée et signée de l’étranger ou de son représentant, et accompagnée de toutes les pièces justificatives. Il est procédé comme il est dit à la section 1 du présent chapitre. Toutefois, le juge peut rejeter la requête sans avoir préalablement convoqué les parties s’il apparaît qu’aucune circonstance nouvelle de fait ou de droit n’est intervenue depuis le placement en rétention administrative ou son renouvellement, ou que les éléments fournis à l’appui de la demande ne permettent manifestement pas de justifier qu’il soit mis fin à la rétention. » L’article L. 521-2 du code de la justice administrative prévoit : « Saisi d’une demande en ce sens justifiée par l’urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d’une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d’un service public aurait porté, dans l’exercice d’un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. Le juge des référés se prononce dans un délai de quarante-huit heures. »
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE A. L’opération « Pieuvre » et l’arrestation de Plamen et Yordan Stoyanovi Au petit matin du 10 février 2010, les forces spéciales du ministère de l’Intérieur lancèrent une opération d’envergure visant à l’arrestation de plusieurs membres d’un groupe de type mafieux soupçonnés d’avoir organisé et dirigé un vaste réseau de prostitution et d’être mêlés à différentes affaires d’extorsion, d’appropriation de fonds publics, de racket, de fraude fiscale et de blanchiment d’argent. L’opération fut baptisée « Pieuvre » et reçut une large couverture médiatique. Certains groupes d’intervention du ministère furent accompagnés de caméramans et de photographes lors de l’arrestation des différentes personnes soupçonnées d’appartenir à cette organisation de malfaiteurs. Plusieurs photographies des personnes arrêtées furent publiées dans la presse écrite et parurent sur des sites Internet. Le 10 février 2010, vers 6 h 30, un premier groupe d’intervention du ministère de l’Intérieur, constitué de plusieurs agents cagoulés et lourdement armés, se rendit près de la maison habitée par M. Yordan Stoyanov, sa compagne, Mme Antonia Ivanova, leurs deux filles mineures, Emilia et Monika, et le fils aîné de la famille, Veselin, âgé, au moment des faits, de dix-huit ans. Yordan Stoyanov expose ce qui suit : il a été réveillé par des bruits suspects ; il s’est rendu au premier étage de sa maison, a ouvert la fenêtre donnant sur le jardin et a aperçu un policier masqué qui braquait son arme contre lui ; il a entendu les cris : « Police », « Ne bouge pas », « Par terre », « Ouvre » ; sur ce, il s’est allongé par terre et a dit aux policiers qu’il y avait des enfants dans la maison ; il a été menotté par un policier qui était entré par la fenêtre de la maison. Ce requérant précise qu’il était tout nu. Yordan Stoyanov ajoute que d’autres policiers, masqués et armés, sont entrés par la porte de la maison, ont monté l’escalier et se sont rendus dans la chambre de sa compagne et de leurs deux filles âgées de deux et quatre ans. Antonia Ivanova expose que ses enfants auraient été brusquement réveillées par les cris des hommes armés et se seraient blotties contre elle. Toutes les trois auraient été effrayées par les hommes cagoulés et armés. Les policiers auraient pénétré dans la chambre du fils aîné de Yordan Stoyanov, Veselin, l’auraient immobilisé de force et l’auraient menotté. Au bout d’une heure, la compagne et les deux filles de Yordan Stoyanov auraient été autorisées à quitter la maison familiale pour se rendre chez un proche parent. Yordan Stoyanov, qui aurait été toujours nu et menotté, se serait caché derrière une porte afin de ne pas être aperçu par ses filles. À leur sortie de la maison, quelques policiers auraient braqué leurs armes sur les deux enfants et leur mère. Pendant ce temps, un deuxième groupe d’intervention de la police avait pénétré dans l’immeuble où se trouvait l’appartement de Plamen Stoyanov. Ce dernier, déjà réveillé par l’appel téléphonique de la compagne de son frère, aurait été appréhendé dans l’entrée de son logement, immobilisé et menotté. Les policiers, accompagnés d’un caméraman, seraient entrés dans l’appartement et auraient réveillé son épouse, Petranka Stoyanova, et leur fils cadet, Plamen, alors âgé d’onze ans. L’enfant aurait été en état de choc. Plamen Stoyanov, qui était en sous-vêtements et portait des menottes, fut photographié. Quelque temps après, le fils de Plamen Stoyanov aurait été autorisé à quitter l’appartement pour aller à son école, située juste en face de l’immeuble. Les requérants indiquent qu’ils ont été profondément marqués par l’introduction de la police dans leurs domiciles respectifs. Mme Petranka Stoyanova, épouse de Plamen Stoyanov, expose que, depuis les événements en cause, elle a des troubles du sommeil, elle a peur de sortir seule, elle craint pour ses enfants et elle s’est vu prescrire des médicaments anxiolytiques. Elle précise qu’elle a dû consulter un pédopsychologue parce qu’elle était préoccupée par le comportement de son fils mineur, Plamen. Après l’arrestation de son père, le garçon se serait renfermé sur lui-même, aurait refusé d’aller à l’école, aurait mal dormi pendant la nuit et se serait souvent caché sous son lit pendant la journée. Les médecins lui auraient prescrit de la mélatonine pour réguler son sommeil. Mme Antonia Ivanova, compagne de Yordan Stoyanov, expose qu’elle dort très mal depuis l’arrestation de son compagnon et qu’elle se réveille au moindre bruit. Ses deux filles mineures, Emilia et Monika, auraient été profondément affectées par les événements, auraient craint le retour des policiers et lui auraient demandé si leurs parents étaient des gens honnêtes. Le fils aîné de Yordan Stoyanov, Veselin, aurait consulté à deux reprises une psychothérapeute. Il aurait souffert d’anxiété et aurait eu des troubles du sommeil. B. Les perquisitions des logements de Plamen et Yordan Stoyanovi Toujours le 10 février 2010, entre 6 h 30 et 9 heures, un policier enquêteur avait procédé à la perquisition de l’appartement de Plamen Stoyanov sans l’autorisation préalable d’un juge. M. Plamen Stoyanov fut assisté de son avocat et la perquisition fut effectuée en la présence de deux témoins et d’un expert. La partie requérante a présenté à la Cour le procès-verbal dressé par l’agent de police à cet effet. Le formulaire de procès-verbal comportait une phrase standard invitant le propriétaire des lieux, en l’occurrence Plamen Stoyanov, à présenter aux policiers tous les objets, documents ou systèmes informatiques contenant des informations relatives à l’enquête pénale en cours menée par le service national de l’instruction. Dans l’appartement, le policier enquêteur découvrit et saisit trois téléphones mobiles, trois ordinateurs portables, deux pistolets et des munitions pour ceux-ci. Le requérant remit son permis de port d’armes. De même, après l’arrestation de Yordan Stoyanov, les policiers avaient procédé à la perquisition de sa maison. Aucune des parties n’a présenté le procès-verbal dressé à l’issue de cette perquisition. Il ressort des autres documents du dossier que les policiers ne disposaient pas d’autorisation préalable d’un juge pour procéder à la perquisition. M. Yordan Stoyanov expose que les agents de police l’ont amené dans chaque pièce de sa maison, ont fouillé partout et ont jeté tous les objets par terre. Les policiers découvrirent et saisirent des cartes à puce, les cartes bancaires de la famille, les armes dudit requérant, des CD contenant des photos de famille, des ordinateurs portables et des documents. Le requérant allègue que les policiers ont également saisi des objets de valeur comme sa montre et des bijoux en or. L’avocat du requérant, qui arriva devant la maison vers 9 heures, n’aurait pas été autorisé à y entrer et n’aurait pas assisté à la perquisition. Le 11 février 2010, les procès-verbaux des perquisitions des logements familiaux de Plamen et Yordan Stoyanovi furent présentés pour approbation à deux juges du tribunal de la ville de Sofia. Par deux décisions du même jour, les juges donnèrent leur approbation pour les mesures d’instruction effectuées. La partie pertinente en l’espèce de la décision concernant la perquisition de la maison de Yordan Stoyanov se lisait comme suit : « La présente procédure se déroule en application de l’article 161, alinéa 2 du code de procédure pénale. Elle a été diligentée par le procureur chargé de l’enquête pénale no 2/10 (...) qui demande l’approbation du procès-verbal daté du 10 février 2010 de perquisition et saisie effectuées dans le logement sis à Sofia, Kremikovtsi, rue Tsar Kaloyan, habité par Yordan Dimitrov Stoyanov. Sont avancées, comme raisons justifiant les mesures en cause, l’urgence du cas d’espèce et la nécessité de retrouver des objets revêtant une certaine importance pour la procédure pénale susmentionnée. Le tribunal, après avoir pris connaissance de ladite demande, des documents joints à celle-ci et ayant pris en compte les dispositions de la loi, constate ce qui suit : La demande est justifiée. Il ressort des documents du dossier qu’une mesure d’instruction urgente a été effectuée – en l’occurrence, perquisition du logement en question et saisie d’objets s’y trouvant. L’urgence dans le cas d’espèce découle du caractère même des poursuites pénales, relatives à une infraction pénale punie par l’article 321, alinéa 3 en relation avec l’alinéa 1 du même article et avec l’article 26 du code pénal, étant donné que la perquisition du logement en cause et la saisie des objets s’y trouvant étaient les seuls moyens pour préserver et recueillir des preuves matérielles relatives à la procédure pénale en cause. La demande a été introduite dans les délais prévus à cet effet. » La partie pertinente en l’espèce de la décision concernant la perquisition de la maison de Plamen Stoyanov se lisait comme suit : « La demande d’approbation d’un procès-verbal de perquisition et saisie a été introduite par un représentant du parquet de la ville de Sofia chargé de la supervision des poursuites pénales en cause. Le procès-verbal présenté a été dressé par l’organe compétent chargé d’effectuer les mesures d’instruction urgentes immédiatement après l’obtention d’informations sur la commission d’une infraction pénale. À l’occasion de la détention d’un groupe d’individus inculpés pour la commission d’infractions pénales graves, il a été procédé à des vérifications supplémentaires relatives aux ressources financières des membres du groupe et les organes d’enquête ont découvert un autre groupe d’individus, placés plus haut dans la hiérarchie des structures criminelles, qui s’occupait de blanchir de l’argent généré par l’activité criminelle en utilisant des entreprises légalement constituées. Une des personnes appartenant à ce dernier groupe était (...) Plamen Dimitrov Stoyanov, alias « le grand frère Dambov », directement impliqué dans la faillite de l’usine Kremikovtsi par le biais de deux de ses entreprises, dans des contrats d’échange et d’achat de nombreux terrains dans tout le pays. Les enquêteurs ont immédiatement pris des mesures visant à la localisation des logements, bureaux et autres immeubles utilisés par [Plamen Dimitrov Stoyanov] dans lesquels il pouvait y avoir des objets permettant d’établir les circonstances ayant trait à ladite enquête pénale. Ainsi a été localisé un logement particulier, à savoir l’appartement no 3, sis à Sofia, Kremikovtsi, bâtiment 33, au premier étage. Y ont été saisis : téléphone mobile de marque Nokia (...), téléphone mobile de marque Nokia (...), ordinateur portable de marque Sony Vaio (...), ordinateur portable de marque Sony Vaio (...), ordinateur portable de marque Dell (...), téléphone mobile de marque Vertu avec une carte SIM de l’opérateur mobile (...), pistolet de marque Beretta (...) avec un chargeur contenant quinze cartouches (...), permis de port d’armes, pistolet de marque Glock (...) avec deux chargeurs contenant au total trente cartouches (...), chargeur vide pour pistolet Walther (...). Les objets susmentionnés pourraient avoir un lien avec l’objet de l’enquête pénale et il était nécessaire de les saisir par la mesure d’instruction en cause et un procès-verbal a été dressé à cet effet. La mesure d’instruction a été effectuée en la présence de témoins qui ont signé le procès-verbal. Une procédure pénale a été ouverte à l’encontre de Plamen Dimitrov Stoyanov pour des infractions punies par l’article 321, alinéa 3 [en relation avec l’alinéa 1 du même article] du code pénal. Après l’ouverture des poursuites pénales, le procureur supervisant l’enquête a formé une demande d’approbation devant le tribunal de la ville de Sofia. Compte tenu de ces circonstances, j’estime qu’il y avait des raisons suffisantes pour procéder à la perquisition et à la saisie d’objets dans l’appartement (...) sans mandat judiciaire préalable pour la mesure d’instruction en cause, qui doit être considérée comme urgente. Il s’ensuit que la demande d’approbation doit être accueillie. » C. La détention de Plamen et Yordan Stoyanovi et les poursuites pénales menées à leur encontre Toujours le 10 février 2010, Plamen et Yordan Stoyanovi avaient été placés en détention pour vingt-quatre heures en application de l’article 63 de la loi sur le ministère de l’Intérieur. À la fin des perquisitions dans leurs domiciles respectifs, Plamen et Yordan Stoyanovi furent conduits séparément dans les locaux d’un des services du ministère de l’Intérieur et puis dans le bâtiment du service de l’instruction à Sofia. À 18 h 40, M. Yordan Stoyanov, qui était assisté par un avocat de son choix, fut inculpé de participation à une organisation de malfaiteurs, infraction pénale réprimée par l’article 321, alinéa 3, point 2 du code pénal (ci-après « le CP »), pour la période comprise entre 1997 et 2010. À 19 h 50, M. Plamen Stoyanov, assisté de son avocat, fut inculpé du même chef. Les deux ordonnances d’inculpation, délivrées par un même procureur, énuméraient le leader et les membres principaux présumés du groupe criminel en cause, ainsi que les actes reprochés à ce groupe. Les deux requérants furent interrogés après leur inculpation, en la présence de leurs avocats respectifs, sur les accusations portées à leur encontre. Ils nièrent toute implication dans les activités du groupe criminel en question. Le 12 février 2010, le tribunal de la ville de Sofia décida de placer les deux requérants en détention provisoire. Le 18 février 2010, statuant sur l’appel des requérants, la cour d’appel de Sofia infirma cette décision au motif que la détention des deux requérants était illégale pour absence de raisons plausibles de les soupçonner de participation à une organisation de malfaiteurs. La cour d’appel ordonna la libération des requérants. Le 27 février 2014, statuant sur une demande formulée par les deux requérants, le tribunal pénal spécialisé, compétent en la matière, décida de clore les poursuites pénales. Le tribunal constata que l’affaire pénale était demeurée au stade de l’instruction préliminaire plus de deux ans après l’inculpation des deux requérants et que le parquet avait omis de faire avancer la procédure dans le délai supplémentaire qui lui avait été accordé. D. La couverture médiatique de l’opération « Pieuvre » et les propos de divers responsables politiques L’opération « Pieuvre » avait attiré l’attention des médias. Dans les jours qui suivirent l’arrestation de Plamen et Yordan Stoyanovi, plusieurs journaux publièrent des articles à ce sujet. Les journalistes se référaient souvent aux deux requérants en utilisant le sobriquet « les frères Dambov ». Différents sites Internet publièrent une photo de M. Plamen Stoyanov, menotté, portant un tee-shirt et un caleçon, assis devant l’entrée de son immeuble en compagnie de deux policiers armés. Sur le site du quotidien Monitor, ladite photo fut accompagnée du commentaire suivant : « L’une des personnes arrêtées a été emmenée en sous-vêtements par les antimafieux ». Le 10 février 2010, le ministre de l’Intérieur donna une interview téléphonique pour le programme du matin de la télévision nationale. La partie pertinente en l’espèce de la conversation se lisait comme suit : « Le présentateur : Bonjour, Monsieur le ministre ! Pourriez-vous nous donner davantage d’informations à propos des personnes arrêtées, les frères Dambov, liés à [l’usine] Kremikovtsi (...) ? Qui sont les autres détenus, qu’est-ce que vous pouvez ajouter ? (...) Le ministre : Il s’agit d’un groupe criminel extrêmement bien organisé, [agissant] sur le territoire du pays, qui a réussi à créer dans les dix dernières années « la pieuvre », dont on parle aujourd’hui (...), par fraude à la TVA, blanchiment d’argent, trafic d’influence et tout ce qui est lié à cette partie du code pénal. (...). Le présentateur : Qui est au sommet de cette pyramide ? Le ministre : Je ne dirai pas, pour l’instant, qui se trouve au sommet de la pyramide. Je peux dire que tous les [individus] arrêtés hier soir et aujourd’hui sont des personnes qui se trouvent aux niveaux élevés de cette organisation criminelle hiérarchisée. Vous savez que ce matin ont été arrêtés les frères Dambov qui étaient à l’entrée et à l’issue de [l’usine] Kremikovtsi ces dernières années, mais aussi le « Tracteur », « Marcello » (...). Le présentateur : De quoi exactement s’occupe-t-il, ce « Tracteur », pas d’agriculture, je suppose ? Un peu plus d’informations sur lui ? Le ministre : Ils s’occupent tous des activités qui viennent d’être énumérées et ce sont des personnes qui exerçaient l’influence nécessaire pour que cette organisation criminelle ne soit pas embêtée pendant ces dix dernières années (...)» Le même jour, le quotidien Trud publia un article sur l’opération « Pieuvre ». L’article citait, entre autres, les propos suivants du Premier ministre, tenus un peu plus tôt devant les journalistes : « Je suis sûr que les preuves, rassemblées par le ministère de l’Intérieur durant l’opération « Pieuvre », tiendront devant les tribunaux. » Le 12 février 2010, avant l’examen de la demande de placement en détention des suspects arrêtés au cours de l’opération « Pieuvre », le ministre de l’Intérieur déclara aux journalistes qu’il y avait suffisamment de preuves rassemblées à l’encontre des détenus. Ces propos furent publiés sur le site www.mediapool.bg. Le 18 février 2010, le site d’information www.news.bg publia un article intitulé « Ts. demande douze ans au minimum pour les pieuvres ». La partie pertinente en l’espèce de l’article se lisait ainsi : « Une éventuelle peine de douze ans pour les « pieuvres » est le minimum que devraient obtenir [les membres] d’une telle organisation criminelle. C’était l’opinion exprimée par le ministre de l’Intérieur Ts. Ts., cité par le site pro.bg. [Le ministre] a appelé à avoir confiance dans le système judiciaire bulgare et à espérer une audience objective devant la cour d’appel. (...) » Le 19 février 2010, le site www.vesti.bg publia un article dans lequel étaient rapportés les propos du ministre de l’Intérieur selon lesquels les frères Plamen et Yordan Stoyanovi étaient placés « à l’entrée et à la sortie » de l’usine métallurgique Kremikovtsi parce qu’ils y auraient importé du métal recyclé et en auraient exporté les résidus de la production métallurgique. Les deux premiers requérants auraient ainsi « siphonné » l’entreprise. Le 22 mars 2010, le ministre de l’Intérieur fut l’invité du programme du matin de la télévision nationale. Le présentateur lui posa des questions sur plusieurs opérations du ministère visant au démantèlement de différents réseaux présumés de criminels. Invité à commenter les suites de l’opération « Pieuvre », le ministre tint les propos suivants au sujet des frères Plamen et Yordan Stoyanovi : « Prenons, par exemple, les frères Dambov, qui sont devenus des héros médiatiques. (...) Ils figurent dans les registres policiers de 1994 pour coups et blessures, de 1995 pour extorsion, puis pour atteintes à l’ordre public. Et tout d’un coup, ils deviennent les gens les plus honnêtes qui soient, soucieux du rétablissement économique du pays et de l’usine Kremikovtsi. Vous comprenez que c’est tout simplement ridicule. (...) » Des propos similaires du ministre furent publiés les 24 février et 2 mars 2010 par deux sites Internet. Le 17 mai 2010, sur le plateau du programme du matin de la télévision nationale, lors d’un entretien portant sur les nouvelles opérations policières contre le crime organisé, le ministre de l’Intérieur fut invité par le présentateur à commenter les interviews données par les requérants, en particulier par M. Plamen Stoyanov, à propos de l’affaire concernant la faillite de l’usine métallurgique Kremikovtsi. La partie pertinente en l’espèce de la transcription de l’interview se lit comme suit : « Le ministre : En observant le comportement de l’un des frères Dambov, je pense qu’on est dans la bonne direction parce que toute cette nervosité et toute cette publicité ne sont pas inhérentes à une personne pure et innocente. (...) Le présentateur : Est-ce que les preuves rassemblées tiendront devant les tribunaux ? Le ministre : Vous savez que, lors de l’examen des demandes [portant sur] leur détention provisoire, le tribunal a estimé qu’il n’y avait pas suffisamment de preuves ; cela ne nous décourage pas, mais nous rend encore plus déterminés et je suis convaincu que tout ce que nous faisons, non seulement dans le cadre de l’enquête concernant les frères Dambov, mais aussi en lien avec tous les autres groupes criminels, (...) donnera des résultats. » Le même jour, les sites www.dir.bg et www.mediapool.bg publièrent des articles qui reprenaient ces propos du ministre de l’Intérieur. E. Le gel des biens des requérants en application de la loi de 2005 sur la confiscation des produits d’activités criminelles (ci-après « la loi de 2005 ») Entre-temps, après l’ouverture des poursuites pénales contre Plamen et Yordan Stoyanovi, la commission chargée de l’application de la loi de 2005 (ci-après « la commission ») avait entamé une procédure de confiscation de biens à l’encontre des requérants. Dans le cadre de cette procédure, en avril 2010, la commission demanda aux tribunaux compétents l’application de mesures conservatoires sur plusieurs biens appartenant aux requérants, qui pourraient faire l’objet d’une future confiscation en application de la loi de 2005. Les demandes de la commission furent examinées entre avril 2010 et mars 2011, par trois degrés de juridiction – le tribunal de la ville de Sofia, la cour d’appel de Sofia et la Cour suprême de cassation, qui se prononcèrent sans tenir des audiences. Les demandes furent partiellement recueillies par les tribunaux qui imposèrent diverses mesures conservatoires concernant plusieurs biens meubles et immeubles, des parts sociales détenus dans un certain nombre de sociétés et des comptes en banque appartenant à Plamen Stoyanov, Petranka Stoyanova, Dimitar Plamen Stoyanov, Plamen Plamenov Stoyanov, Yordan Stoyanov, Veselin Stoyanov, Monika Stoyanova, Emilia Stoyanova, Ekometal Inzhenering EOOD, SB-Solid OOD et Ekosors Energy EOOD. Par des décisions du 5 novembre 2013 et du 28 mai 2014, la commission décida de mettre fin aux procédures de confiscation diligentées à l’encontre des requérants en application de la loi de 2005. À la suite de ces décisions, toutes les mesures conservatoires imposées sur les biens des requérants, personnes physiques et sociétés commerciales, furent levées par des décisions judiciaires en date des 12 et 28 novembre 2013 et des 31 mai et 25 septembre 2014. II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS A. Le code de procédure pénale (ci-après le CPP) Les articles 160 à 163 du CPP régissent la perquisition et la saisie effectuées au cours des poursuites pénales. Le texte de ces dispositions et un résumé de la jurisprudence interne en leur application peuvent être trouvés dans l’arrêt Gutsanovi c. Bulgarie, no 34529/10, §§ 59 et 60, CEDH 2013 (extraits). B. La loi de 2005 sur la confiscation des produits d’activités criminelles (ci-après « la loi de 2005 ») La loi de 2005 était en vigueur entre mars 2005 et novembre 2012, puis elle fut remplacée en 2012 par une nouvelle loi sur la confiscation des produits d’activités illégales. D’après le paragraphe 5 des dispositions transitoires de la nouvelle loi, toutes les procédures de confiscation pendantes à la date de l’entrée en vigueur de ce texte continuaient à être régies par les dispositions de la loi de 2005. Celle-ci prévoyait des mesures et des procédures de gel et de confiscation des biens acquis directement ou indirectement par le biais d’activités criminelles. Un résumé des dispositions pertinentes de cette loi, ainsi que de la jurisprudence interne pertinente en son application, peut être trouvé dans la décision Nedyalkov et autres c. Bulgarie (déc.), no 663/11, §§ 33-61, 10 septembre 2013. L’article 32 de la loi de 2005 prévoyait que la responsabilité de l’État pour les dommages causés par ses organes et ses fonctionnaires au cours de la procédure de confiscation pouvait être engagée dans les cas prévus par la loi sur la responsabilité de l’État. Dans une décision du 29 avril 2014, la Cour suprême de cassation a confirmé que la responsabilité de la commission spécialisée pour des dommages résultant de l’imposition de mesures conservatoires sur des biens pouvait être engagée devant les juridictions civiles sur la base de l’article 1 de la loi sur la responsabilité de l’État (Определение № 305 от 29.04.2014г., на ВКС по ч. гр. д. № 2099/2014г., III г.о., ГК). La Cour suprême de cassation a entériné cette jurisprudence dans une décision du 9 juillet 2014 (Определение № 423 от 9.07.2014г., на ВКС по гр. д. № 3914/2014г., I г.о., ГК). C. La loi sur la responsabilité de l’État et des communes pour dommages (ci-après la loi sur la responsabilité de l’État) Un résumé des dispositions de la loi sur la responsabilité de l’État et de la jurisprudence des tribunaux internes pertinentes en l’espèce en matière de compensation des dommages subis au cours d’une procédure de confiscation sous le régime de la loi de 2005 figure dans la décision Nedyalkov et autres, précitée, §§ 62-68. L’article 2, alinéa 1 de la loi sur la responsabilité de l’État, dans sa rédaction en vigueur à l’époque des faits, donnait la possibilité à tout intéressé d’introduire un recours en dommages et intérêts en cas de détention « illégale », ce qui impliquait l’existence d’une décision des juridictions internes constatant l’illégalité de la détention au regard du droit interne, voire l’acquittement de l’intéressé ou l’abandon des poursuites pénales menées à son encontre. La jurisprudence des tribunaux internes en la matière a été résumée dans les arrêts Kandjov c. Bulgarie (no 68294/01, §§ 35-39, 6 novembre 2008) et Botchev c. Bulgarie (no 73481/01, §§ 37-39, 13 novembre 2008). D. Autres dispositions pertinentes Le droit et la pratique interne pertinents concernant le délit de diffamation ont été résumés dans l’arrêt Gutsanovi, précité, §§ 70-74.
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Le requérant est né en 1937 et réside à Paris. À l’époque des faits, le requérant était depuis près de quinze ans le responsable de l’émission « Libre journal » diffusée sur Radio Courtoisie. Au début de l’émission du 14 novembre 2006, il fit une intervention consacrée à la situation de la radio depuis le décès de son fondateur, Jean Ferré. Le requérant relata tout d’abord le déroulement d’une réunion organisée par la radio le dimanche précédent pour célébrer son 19ème anniversaire, au cours de laquelle L., le nouveau vice-président du conseil d’administration de l’association en charge de la gestion de la radio depuis le 12 juillet 2006, aurait, avec le concours de gardes du corps, fait en sorte que les personnes présentes ne puissent pas s’exprimer. Il critiqua ensuite la décision de ce dernier, prise selon lui contre l’avis du conseil d’administration provisoire, de s’attribuer le contrôle de la ligne éditoriale de la radio. Le requérant conclut enfin son intervention par le propos suivant : « Voilà les faits tels qu’ils sont. Ils sont graves. Ils sont d’autant plus graves que la situation financière de la radio a donné lieu à certaines... j’allais dire acrobaties... enfin, disons, à certains comportements dont l’orthodoxie demande à être vérifiée, et tout ceci me plonge dans une grande inquiétude. Alors, j’avais évidemment le choix de me taire et de couvrir ce qui s’est passé. Je ne l’ai pas fait, parce que je crois que la situation est gravissime et que je ne voudrais pas être le responsable, pour m’être tu, d’une situation qui nous verrait, par exemple, privés du droit d’émettre, parce que nous nous serions comportés d’une manière qui n’est pas conforme à l’engagement que nous avons pris vis-à-vis du CSA [Conseil Supérieur de l’Audiovisuel], que ça soit sur le plan de notre fonctionnement, ou que ce soit sur le plan de la gestion de nos finances. Donc, je crois qu’il faut que cette crise se dénoue. Il faut qu’elle se dénoue d’une manière aussi convenable que possible. Et je crois qu’il serait digne que [L.] se retire. Je le dis très exactement. Je n’ai rien, absolument rien, contre [L.]. Je le connais un peu. J’ai fait quelques émissions avec lui. J’ai toujours eu des relations courtoises et correctes. Et j’ai même... C’est moi qui lui ai confié les statuts, pour qu’il voit avec Jean Ferré comment on pourrait faire en sorte qu’ils fonctionnent, le jour, hélas, que l’on pouvait craindre où Jean Ferré aurait disparu. Voilà, j’avais une confiance tout à fait raisonnable dans [L.]. Cette confiance, je ne l’ai plus. Je ne l’ai plus, pour les raison que je viens d’expliquer. Et maintenant, je souhaite tout simplement que la raison revienne, que certaines attitudes cessent, que les patrons d’émission s’unissent autour de la radio, fassent vraiment autour d’elle une haie d’honneur et non pas un comité d’honneur, comme l’a dit [L.], mais une véritable haie d’honneur, pour la protéger et pour la faire vivre, et que les personnes qui croient que nous sommes une caserne ou une administration comprennent qu’ils n’ont plus leur place dans cette radio : car nous sommes la radio libre du pays réel et de la francophonie, nous ne sommes pas la radio soumise du pays réel et de la francophonie. Voilà ce que je voulais dire. Ça a été un peu long, mais c’était nécessaire. » Le 9 février 2007, L. déposa une plainte avec constitution de partie civile qui conduisit à la désignation d’un juge d’instruction. Le 3 mai 2007, une ordonnance de référé désigna un administrateur judiciaire, avec pour mission de convoquer une assemblée générale en vue de l’élection d’un nouveau conseil d’administration et d’assurer la gestion courante de l’association gérante de la radio. Au soutien de sa décision, le juge des référés releva l’existence « d’une crise de succession à radio Courtoisie à la suite du décès de Jean Ferré en octobre 2006 » et justifia notamment sa décision par le souci d’« éviter de nouvelles dissensions ». Par une ordonnance du 8 février 2008, le juge d’instruction renvoya le requérant devant le tribunal correctionnel du chef de diffamation publique envers un particulier, infraction prévue par les articles 23, 29, alinéa 1, et 32, alinéa 1, de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse. Lors des débats devant le tribunal correctionnel, le requérant produisit une lettre en date du 15 septembre 2006, adressée aux responsables d’émission par le trésorier de la radio, attirant leur attention sur la situation financière « très préoccupante » de la radio. Il produisit également une note de l’expert-comptable de la radio, en date du 11 juillet 2007, confirmant la mauvaise situation financière de l’association gérant la radio au 31 décembre 2006. La partie civile produisit une seconde expertise comptable, datée du 12 juillet 2007, contredisant la note de l’expert-comptable de l’association. Par un jugement du 17 févier 2009, le tribunal correctionnel de Paris déclara le requérant coupable de diffamation publique envers un particulier, aux motifs qu’il imputait à la partie civile des agissements pouvant revêtir une qualification pénale ou, à tout le moins, emporter la mise en œuvre de sa responsabilité. Le tribunal rappela que le propos du requérant s’inscrivait dans un contexte de « dissensions » et de « crise de succession » au sein de la radio, en citant les termes de l’ordonnance de référé du 3 mai 2007. Il considéra en outre que le requérant n’était pas mu par une « animosité de nature personnelle » à l’égard de la partie civile, mais par le souci d’informer ses auditeurs. Il releva également le caractère peu précis et « allusif » de son propos. Toutefois, le tribunal jugea que le requérant ne pouvait pas bénéficier de l’excuse de bonne foi en l’absence d’éléments sérieux permettant de justifier ses accusations, et ce même s’il s’était exprimé sur une situation qui le concernait personnellement et non en qualité de journaliste. Le requérant fut condamné à une amende de 1 000 euros (EUR) assortie d’un sursis, ainsi qu’à payer à L. les sommes de 1 500 EUR à titre de dommages-intérêts et de 2 000 EUR au titre des frais irrépétibles en application de l’article 475-1 du code de procédure pénale. Il interjeta appel de cette décision. Par un arrêt du 27 mai 2010, la cour d’appel de Paris confirma intégralement le jugement et condamna le requérant à payer à L. la somme de 2 000 EUR au titre des frais exposés en appel. Par un arrêt du 1er mars 2011, la Cour de cassation déclara le pourvoi du requérant irrecevable, aux motifs que celui-ci avait donné à son avocat un pouvoir pour agir en cassation daté du 25 mai 2010, alors que l’arrêt de la cour d’appel avait été rendu le 27 mai. Le mandat établi et signé par le requérant était ainsi rédigé : « Le 25 mai 2010, Je soussigné Claude Reichman, né le 12 mai 1937 à Metz (57), 165 rue de Rennes, 75006 Paris, chirurgien-dentiste, donne procuration, à Maître Michel Septier, avocat à la Cour, 7 rue Léon Vaudoyer, 75007, Paris, pour se pourvoir en cassation contre l’arrêt du 27 mai 2010 de la chambre 7, pôle 2, de la cour d’appel de Paris. Bon pour pouvoir. » La Cour de cassation considéra « qu’une telle lettre visant une décision de justice non encore prononcée, partant indéterminée, ne saurait constituer un pouvoir spécial au sens de l’article 576 du code de procédure pénale ». II. LE DROIT INTERNE PERTINENT Les articles pertinents du code de procédure pénale (CPP) sont les suivants : Article 568 « Le ministère public et toutes les parties ont cinq jours francs après celui où la décision attaquée a été prononcée pour se pourvoir en cassation. (...) » Article 576 « La déclaration de pourvoi doit être faite au greffier de la juridiction qui a rendu la décision attaquée. Elle doit être signée par le greffier et par le demandeur en cassation lui-même ou par un avoué près la juridiction qui a statué, ou par un fondé de pouvoir spécial ; dans ce dernier cas, le pouvoir est annexé à l’acte dressé par le greffier. Si le déclarant ne peut signer, le greffier en fera mention. Elle est inscrite sur un registre public, à ce destiné et toute personne a le droit de s’en faire délivrer une copie. » Ces dispositions ont été réformées par la loi no 2011-94 du 25 janvier 2011, entrée en vigueur le 1er janvier 2012. Les nouvelles dispositions, non applicables aux faits de l’espèce, ne reprennent pas la condition de la production d’un mandat spécial, lorsque la déclaration de pourvoi a été formée par l’avocat du demandeur au pourvoi. Le droit interne pertinent concernant les dispositions en cause de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse a notamment été rappelé dans l’arrêt Prompt c. France (no 30936/12, §§ 25 et 26, 3 décembre 2015).
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Le requérant est né en 1997 et réside à Craiova. Le 24 mars 2009, la commission départementale de protection de l’enfance délivra au requérant, atteint de dystrophie musculaire progressive de Duchenne (myopathie de Duchenne), un certificat attestant qu’il souffrait d’un handicap grave de premier degré. Sur la base de ce certificat et en application des dispositions de la loi no 448/2006 relative à la protection et la promotion des droits des personnes handicapées (« la loi no 448/2006 »), la mère du requérant entama des démarches auprès de l’Autorité nationale pour la protection des personnes handicapées (l’« ANPH ») afin d’obtenir, au nom du requérant, le remboursement des intérêts afférents à un prêt bancaire pris en vue de l’aménagement de l’habitation imposé par la maladie de ce dernier. Par une lettre du 28 mai 2009, l’ANPH confirma que tous les documents exigés par la loi avaient été déposés et qu’elle pourrait rembourser les intérêts légaux si un contrat de prêt bancaire était conclu. Le 15 décembre 2009, le requérant, par l’intermédiaire de sa mère, signa un contrat de prêt auprès d’une banque. Les attributions de l’ANPH ayant, entre-temps, été transférées aux services sociaux départementaux (Direcţia Generală de Asistenţă Socială şi Protecţia Copilului Dolj, « la DGASPC »), la mère du requérant demanda à cet organisme de signer un contrat de remboursement des intérêts afférents au prêt bancaire. Par deux lettres des 13 octobre et 15 novembre 2010, la DGASPC refusa de signer ce contrat aux motifs que le requérant avait omis de joindre plusieurs documents à sa demande et que le projet de travaux serait irrégulier. Le 23 novembre 2010, le requérant, par l’intermédiaire de sa mère, assigna la DGASPC devant les tribunaux internes, en dénonçant le refus par cet organisme de conclure le contrat susmentionné. Il soutenait que tous les documents avaient été déposés auprès de l’ANPH, ce que celle-ci avait d’ailleurs confirmé le 28 mai 2009. Il réclamait 40 139 lei roumains (RON), soit environ 9 000 euros selon le taux de change de la Banque nationale roumaine, à titre de réparation du préjudice moral qu’il estimait avoir subi en raison du refus par la DGASPC de conclure le contrat. Il alléguait que ce refus lui avait causé des difficultés financières qui auraient contraint sa mère à conclure des prêts supplémentaires. Dans un mémoire déposé en vue de l’audience du tribunal du 2 février 2011, la mère du requérant reprochait à la DGASPC d’avoir fait preuve de mauvaise foi. Elle estimait avoir subi de ce fait un préjudice moral et en demandait réparation. À l’appui de sa demande, elle plaidait que la méconnaissance illégale de la loi par la partie défenderesse avait été pour elle une source de stress. Un certificat médical délivré le 1er février 2011 et concernant la mère du requérant fut versé au dossier. Par un jugement du 23 février 2011, le tribunal départemental de Dolj, se fondant sur les dispositions de la loi no 554/2004 relative au contentieux administratif, fit en partie droit à la demande du requérant et ordonna à la DGASPC de conclure le contrat prévoyant le remboursement des intérêts afférents au prêt bancaire. Il constatait que le requérant avait fourni tous les documents prévus par les dispositions légales, ainsi que l’ANPH l’avait déjà exposé dans sa la lettre du 28 mai 2009, et que le projet de travaux était régulier. En conséquence, il jugeait que l’intéressé était en droit de conclure un tel contrat. En revanche, il le déboutait de sa demande de dédommagement pour préjudice moral au motif qu’il n’avait pas apporté, comme l’exigeait l’article 1169 du code civil, la preuve qu’il avait subi une quelconque souffrance psychique. Il ajoutait que le certificat médical délivré le 1er février 2011 concernait la mère du requérant et non ce dernier. Le 5 avril 2011, le requérant forma un recours contre ce jugement, reprochant au tribunal son interprétation restrictive en matière de preuve. Il plaidait qu’une démonstration supplémentaire de son traumatisme psychique était inutile. Il arguait notamment que les preuves exigées par le tribunal ayant statué en premier ressort pour étayer sa demande de dédommagement au titre du préjudice moral pouvaient être logiquement déduites du refus injustifié et illégal de la DGASPC de conclure ledit contrat. Il assurait que tout retard dans la conclusion de ce contrat générait automatiquement pour lui des souffrances tant physiques que psychiques, puisqu’il était atteint d’une maladie incurable et que la seule possibilité de prolonger son espérance de vie était d’améliorer la qualité de son environnement, ce à quoi devaient contribuer les aménagements envisagés pour sa nouvelle habitation, par exemple un espace d’hydrothérapie. En outre, il avançait que les souffrances physiques ou psychiques de sa mère, seule adulte de la famille, avaient une influence sur sa qualité de vie. Le requérant déclarait que le retard dans la signature du contrat avec la DGASPC avait conduit sa mère à conclure un nouveau prêt pour le paiement des intérêts, que cela avait provoqué l’arrêt des travaux dans le nouveau logement et rendu impossible l’amélioration de sa qualité de vie. Il estimait que le montant des dommages-intérêts pour préjudice moral devait être fixé en fonction du retard pris par la conclusion du contrat avec la DGASPC et de l’importance que cette procédure revêtait pour lui. Le requérant versa au dossier trois déclarations, écrites par différentes personnes de son entourage, attestant des conséquences négatives, notamment sur son état psychique, du refus de la DGASPC de conclure le contrat litigieux. Ainsi, son médecin traitant exposait en détail la maladie dont souffrait le requérant et l’importance de l’amélioration du milieu environnant pour sa situation médicale. Il attestait que l’état psychique et physique du requérant avait, dans les derniers mois, souffert de l’impossibilité de déménager dans un logement adapté, de nature à contribuer à l’amélioration de sa qualité de vie. Son kinésithérapeute écrivait que, certains jours, le requérant était triste car il ne comprenait pas pourquoi : – il lui était toujours impossible de déménager dans la nouvelle maison censée être adaptée à son état et pourquoi il devait continuer à habiter un appartement de deux pièces situé au dixième étage d’une résidence avec sa mère, sa sœur et sa grand-mère gravement malade ; – sa famille et lui devaient continuer à dormir à quatre dans un canapé et deux lits superposés dans l’appartement alors que dans sa nouvelle maison il aurait pu avoir sa chambre à lui et plusieurs animaux que sa mère lui aurait achetés ; – il ne pouvait pas bénéficier de sa « piscine », seul endroit où il aurait pu se déplacer seul ; – sa sœur de quatorze ans devait encore le porter pour l’emmener aux toilettes ce qui l’attristait et la fatiguait ; – sa mère, qui parfois pleurait, avait dû engager un procès contre un organisme public qui était censé défendre les droits des enfants et notamment les droits de ceux ayant des problèmes de santé. Enfin, la psychopédagogue scolaire du requérant décrivait l’impasse émotionnelle et l’état d’anxiété dans lesquels celui-ci se serait trouvé au cours des années scolaires 2009-2010 et 2010-2011. Selon elle, cette souffrance était la conséquence, d’une part, du retard dans l’accomplissement d’un rêve, à savoir la finalisation par la mère du requérant d’une maison où ce dernier pourrait se déplacer avec aisance, jouer avec sa sœur ou inviter ses camarades de classe ou ses amis et, d’autre part, de la tension qui serait éprouvée par la mère et qui affecterait l’intéressé en raison de son empathie pour elle et du lien fort existant entre eux. Par un arrêt définitif du 4 mai 2011, la cour d’appel de Craiova rejeta le recours du requérant. Elle jugeait que la demande visant à l’octroi d’un dédommagement au titre de préjudice moral n’était pas étayée. L’arrêt de la cour d’appel est ainsi libellé en ses parties pertinentes en l’espèce : « (...) Ainsi que la juridiction ayant statué en premier ressort l’a correctement jugé, les éléments de preuve présentés dans l’affaire n’ont pas permis d’établir que les conditions de la responsabilité civile délictuelle, à savoir les souffrances psychiques du requérant et leur lien de causalité avec le refus de la partie défenderesse d’accepter la documentation en vue de la conclusion du contrat portant engagement de versement des intérêts, étaient réunies en l’espèce. Les documents produits par le requérant devant la juridiction de recours comportent des déclarations extrajudiciaires qui ne peuvent pas constituer la preuve de [ses] souffrances psychiques, étant donné qu’elles n’ont pas été administrées de manière directe devant la juridiction ayant statué en premier ressort, ce qui leur confère un caractère extrajudiciaire. » Le 7 juillet 2011, un contrat portant sur le remboursement des intérêts afférents au prêt bancaire fut conclu entre le requérant, représenté par sa mère, et la DGASPC. II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS A. Le code civil Les dispositions pertinentes en l’espèce du code civil, en vigueur à l’époque des faits, se lisent ainsi : Article 998 « Toute personne qui a commis un acte causant un dommage à autrui est tenue de réparer ce dommage. » Article 999 « Chacun est responsable du dommage qu’il a causé non seulement par ses actes, mais encore par sa négligence ou par son imprudence. » Article 1169 « Toute personne qui présente une demande en justice est tenue d’apporter des preuves à l’appui de cette demande. » Article 1170 « La preuve peut être apportée sous forme d’actes, de témoignages, de présomptions, de déclarations d’une partie ou de serments. » Article 1199 « Les présomptions sont des conséquences que la loi ou le magistrat tire d’un fait connu à l’égard d’un fait inconnu. » La jurisprudence et la doctrine roumaines considèrent de façon unanime que l’engagement de la responsabilité civile délictuelle requiert la réunion de plusieurs conditions, à savoir un préjudice, un fait illicite, une faute et un lien de causalité entre le fait et le préjudice. Les dispositions du droit interne n’établissent pas de hiérarchie entre les différents moyens de preuve. Les tribunaux apprécient librement la valeur de chacun d’entre eux selon leur intime conviction et leur conscience, à la lumière de l’ensemble des preuves du dossier. La doctrine assimile les présomptions aux éléments de preuves indirects (Gabriel Boroi et Mirela Stancu, Drept procesual civil, éditions Hamangiu, 2015, p. 490). B. Le code de procédure civile Les dispositions pertinentes en l’espèce du code de procédure civile, en vigueur à l’époque des faits, se lisent ainsi : Article 112 « La demande introductive d’instance doit contenir : (...) les moyens de preuve invoqués à l’appui de chaque grief (...)» C. Les dispositions pertinentes de la loi no 554/2004 sur le contentieux administratif Les dispositions pertinentes en l’espèce de la loi no 554/2004 sur le contentieux administratif sont libellées comme suit : Article 1 § 1 « Quiconque estime qu’une autorité publique a porté atteinte à ses droits ou à ses intérêts légitimes par un acte administratif ou par une absence de réponse dans le délai légal à une requête dont il l’a saisie peut demander à la juridiction administrative compétente l’annulation de l’acte, la reconnaissance du droit ou de l’intérêt légitime en question et la réparation du préjudice qu’il a subi. L’intérêt légitime peut être tant public que privé. » Article 8 « 1. Quiconque estime qu’un acte administratif porte atteinte à ses droits légaux ou à ses intérêts légitimes, n’est pas satisfait de la suite donnée à une plainte portée par lui [devant les autorités compétentes], ou ne reçoit pas de réponse à une demande dans le délai visé à l’article 2 § 1 h) [30 jours à compter de l’enregistrement de la demande si la loi ne prévoit pas un autre délai], peut saisir les juridictions administratives pour demander l’annulation totale ou partielle de l’acte, la réparation du préjudice causé et, le cas échéant, une réparation pour préjudice moral. Quiconque estime que le défaut de réponse à une demande dans le délai légal, le refus injustifié de répondre à la demande ou le refus de procéder à une opération administrative nécessaire à l’exercice ou à la protection d’un droit ou d’un intérêt légitime porte atteinte à ses droits ou à ses intérêts légitimes peut saisir les juridictions administratives. » D. La pratique des tribunaux internes en matière d’octroi de dommages-intérêts Dans l’affaire Manuela Ştefănescu c. Roumanie ((déc.), no 11774/04, §§ 19-22, 12 avril 2011) figure un résumé de jurisprudence interne, à jour en 2009, dans le domaine des dommages-intérêts pour préjudice moral réclamés en cas de méconnaissance du droit d’obtenir des informations d’intérêt public, droit garanti par la loi no 544/2001 sur l’accès aux informations d’intérêt public. Ainsi, selon la majorité des tribunaux, l’article 22 de la loi no 544/2001 ne dispensait pas les personnes lésées demandant des dommages-intérêts pour préjudice moral d’en apporter la preuve conformément à l’article 1169 du code civil ; à défaut, leurs demandes de dommages-intérêts étaient rejetées comme non prouvées. Dans le cadre de la présente requête, le Gouvernement a fourni plusieurs exemples récents de jurisprudence interne portant sur l’octroi de dommages-intérêts dans différents domaines. Il ressort en premier lieu des exemples produits que, en principe, les juridictions nationales soumettent les demandes de réparation des dommages à des règles de recevabilité distinctes : des preuves directes doivent être rapportées pour démontrer l’existence d’un dommage matériel mais ne sont pas exigées pour démontrer l’existence d’un dommage moral qui est appréciée par la juridiction chargée de l’affaire (jugement no 392 du 24 septembre 2013 du tribunal départemental de Bihor et jugement définitif no 422 du 5 décembre 2013 du tribunal de première instance de Reşiţa). En deuxième lieu, plusieurs des décisions produites par le Gouvernement indiquent que les juridictions nationales ne requièrent pas des intéressés qu’ils apportent la preuve de leurs souffrances psychiques lorsqu’elles sont causées par les faits illicites d’autrui. De telles décisions ont notamment été prises dans les domaines suivants : – en matière d’atteinte à l’intégrité corporelle ou de décès de la victime, dans des procédures pénales, et des procédures civiles engagées après la clôture d’une procédure pénale (jugement définitif no 83 du 1er février 2011 du tribunal de première instance d’Oneşti, jugement no 4181 du 23 juin 2011 du tribunal de première instance de Botoşani, jugements no 210 du 28 mars 2012 et no 392 du 24 septembre 2013 du tribunal départemental de Bihor, jugements définitifs no 194 du 11 mai 2012, no 246 du 20 juin 2013, no 31 du 5 février 2013, no 422 du 5 décembre 2013, no 461 du 19 décembre 2013 du tribunal de première instance de Reşiţa, jugement définitif no 9666 du 25 octobre 2012 du tribunal de première instance d’Arad, jugement no 561 du 26 novembre 2013 du tribunal de première instance de Caransebeş, et jugements no 8 du 22 janvier 2014, no 13 du 23 janvier 2014 et no 25 du 5 mars 2014 du tribunal de première instance de Podu Turcului) ; – en matière d’erreur judiciaire (jugements no 1666/D du 5 décembre 2008 et no 238/D du 25 février 2010 du tribunal départemental de Satu Mare et arrêt no 394 du 22 mars 2013 de la cour d’appel de Iaşi) ; – en matière de condamnation politique pendant le régime communiste (jugements no 110 du 7 juin 2010 et no 238 du 18 octobre 2010 du tribunal départemental de Teleorman) ; – en matière de responsabilité contractuelle dans le domaine de l’assurance automobile (jugements no 1170 du 17 mai 2012, no 1901 du 18 septembre 2012, no 336 du 21 janvier 2013 du tribunal départemental d’Arad) ; – en matière de responsabilité civile délictuelle des personnes physiques ou morales privées en raison de l’atteinte portée au droit à l’image, à la réputation à la dignité ou à l’honneur (jugement no 3360 du 25 septembre 2007 du tribunal de première instance de Piatra-Neamţ, jugements no 22213 du 20 décembre 2011, et no 3751 du 8 mars 2013 du tribunal de première instance de Iaşi, jugement no 1460 du 1er avril 2014 du tribunal de première instance de Suceava, jugement no 1203 du 25 mars 2013 du tribunal de première instance de Rădăuţi, jugement no 7796 du 21 mai 2013 du tribunal de première instance de Iaşi, jugement no 895 du 4 décembre 2013 du tribunal de première instance de Lieşti, et jugement no 1115 du 21 mai 2014 du tribunal de première instance de Caransebeş) ou pour diverses autres raisons, comme, par exemple, la négligence médicale, la méconnaissance des droits des personnes atteintes d’un handicap, ou l’accident du travail (jugement no 6004 du 27 septembre 2007 du tribunal de première instance du 6e arrondissement de Bucarest, jugements no 504 du 12 février 2010 et no 2495 du 4 mars 2014 du tribunal départemental de Bucarest, jugement no 7447 du 30 novembre 2010 du tribunal de première instance de Botoşani, jugement no 5989 du 4 juillet 2012 du tribunal de première instance du 5e arrondissement de Bucarest, jugement no 15172 du 26 septembre 2012 du tribunal de première instance de Iaşi, jugement no 13640 du 13 juin 2013 du tribunal de première instance du 1er arrondissement de Bucarest, jugement no 74 du 5 juillet 2013 de la cour d’appel de Iaşi, et jugement no 4064 du 1er avril 2014 du tribunal de première instance du 2e arrondissement de Bucarest) ; S’agissant plus spécifiquement des faits illicites commis par des autorités publiques, les juridictions internes ont présumé dans plusieurs affaires que ces faits avaient causé aux intéressés un préjudice moral, sans demander la production de preuves directes à cet égard (jugement définitif no 3350 du 22 septembre 2010 du tribunal départemental de Maramureş, jugement définitif no 678 du 28 mai 2013 du tribunal départemental de Neamţ, jugements définitifs no 73 du 14 mai 2012 et no 1535 du 22 octobre 2012 de la cour d’appel de Iaşi, jugements définitifs no 38 du 20 juin 2013 et no 99 du 30 janvier 2014 du tribunal départemental de Covasna, jugement définitif no 4750 du 20 novembre 2012 de la cour d’appel de Cluj, jugement définitif no 31 mars 2014 du tribunal départemental de Brăila, jugements définitifs no 1163 du 26 juin 2008 et no 1507 du 14 mai 2014 du tribunal départemental de Bucarest).
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Les requérants furent poursuivis pour différentes infractions du code pénal et mis en détention provisoire, entre avril et octobre 2013, à la sous-direction de la police des étrangers à Thessalonique faute de disponibilité dans un établissement pénitentiaire. A la date d’introduction de la requête, ils étaient toujours détenus au premier étage et dans la cellule no 3 de la sous-direction de la police des étrangers de Thessalonique. Les requérants affirment que les toilettes et la douche étaient insalubres. Les lieux n’étaient pas nettoyés. La plupart des détenus étaient des fumeurs, polluant ainsi l’air au sein de leur cellule. Les requérants relèvent l’absence de restauration des détenus par le service pénitentiaire et notent que chacun d’eux avait uniquement droit à 5,85 euros par jour pour commander et se faire livrer des repas de l’extérieur. Cette somme ne pouvait leur garantir trois repas par jour ni du point de vue de la qualité ni de celui de la quantité. Le 5 février 2014, les requérants déposèrent, en vertu de l’article 572 du code de procédure pénale, une requête auprès du procureur près le tribunal correctionnel de Thessalonique dans laquelle ils se plaignaient de leurs conditions de détention ; ils ne reçurent aucune réponse. II. LE DROIT INTERNE ET LA PRATIQUE NATIONALE ET INTERNATIONALE La Cour se réfère à ce sujet notamment aux paragraphes 16-22 de l’arrêt Aslanis c. Grèce (no 36401/10, 17 octobre 2013). L’article 284 du CPP prévoit : « 1. Celui qui fait l’objet d’un mandat de détention provisoire est conduit à la prison réservée aux prévenus et est présenté au directeur de celle-ci (...). » L’article 66 § 6 du décret présidentiel no 141/1991 est ainsi libellé : « Il n’est pas permis de détenir des prévenus et des condamnés dans les commissariats de police, excepté pendant le temps absolument nécessaire à leur transfert en prison ou lorsque leur transfert immédiat vers une prison n’est pas possible. »
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Le requérant est né en 1976 et réside à Topraisar. A. La première procédure pénale à l’encontre du requérant Le 4 mars 2009, des policiers arrêtèrent le requérant au volant d’une voiture. Après vérification, ils constatèrent que les plaques d’immatriculation du véhicule étaient fausses. Le requérant fut conduit au poste de police, où il signa un procès-verbal dans lequel il reconnaissait les faits. La police transmit le dossier au parquet, qui renvoya le requérant devant le tribunal de première instance de Constanţa pour répondre de l’infraction de mise en circulation d’un véhicule avec de fausses plaques d’immatriculation. À l’audience du 13 janvier 2011 devant le tribunal de première instance, le requérant, qui était présent, nia les faits qui lui étaient reprochés. Par un jugement du 2 février 2011, le tribunal le condamna à une peine d’un an d’emprisonnement. Le tribunal nota également que le requérant avait bénéficié d’une libération conditionnelle qui lui avait permis la mise en liberté avant la date d’expiration normale d’une précédente peine d’emprisonnement de treize ans. Compte tenu de la nouvelle peine infligée pour l’infraction au code de la route, le tribunal révoqua la libération conditionnelle. Par un arrêt définitif prononcé le 10 juin 2011 en l’absence du requérant, la cour d’appel de Constanţa rejeta le pourvoi formé par ce dernier. Entre-temps, le 6 juin 2011, le requérant était parti à l’étranger. Le 14 juin 2011, le tribunal de première instance de Constanţa délivra un mandat d’arrêt à l’encontre du requérant. Ce dernier étant introuvable, la police diffusa un avis de recherche, le 20 juin 2011, en vue de son arrestation. B. La seconde procédure pénale à l’encontre du requérant Le 27 mars 2009, le requérant fut à nouveau arrêté au volant de la même voiture. Après vérification, les policiers constatèrent que les nouvelles plaques d’immatriculation apposées sur le véhicule étaient fausses. En outre, ils relevèrent que le requérant conduisait la voiture sans permis dès lors que ce dernier avait été suspendu dans le cadre de la première procédure pénale. La police ouvrit une enquête de flagrance et conduisit le requérant au poste de police. L’intéressé y signa un procès-verbal dans lequel il déclarait reconnaître les faits, et il indiqua également l’adresse de son domicile. Le 15 avril 2009, la police transmit le dossier au parquet près le tribunal de première instance de Mangalia. Le 21 juin 2011, la police demanda à la préfecture, à l’Administration nationale des prisons, au service local de l’état civil, à l’agence locale pour l’emploi et au ministère de la Défense des renseignements concernant le requérant et son domicile. D’après les réponses fournies par ces institutions, l’adresse du requérant était toujours celle indiquée dans la déclaration faite par l’intéressé le 27 mars 2009 (paragraphe 12 ci-dessus). La police se déplaça également au domicile des parents du requérant et de la compagne de ce dernier, qui déclarèrent que leur proche était parti à l’étranger sans indiquer d’adresse ni de numéro de contact. Par un réquisitoire du 10 octobre 2011, le parquet renvoya le requérant devant le tribunal de première instance de Mangalia des chefs d’accusation de conduite sans permis et d’utilisation de fausses plaques d’immatriculation. Le requérant ne fut présent à aucune audience. Le tribunal désigna un avocat commis d’office et demanda au service local de l’état civil et au ministère de l’Intérieur des informations concernant l’adresse du requérant. Aucun changement de domicile n’ayant été enregistré auprès des autorités administratives ou judiciaires, le tribunal envoya les citations à comparaître à l’adresse indiquée par le requérant dans sa déclaration du 27 mars 2009 et à celle de la mairie de son domicile. Par un jugement du 23 novembre 2011, le tribunal de première instance condamna le requérant à une peine d’emprisonnement d’un an et deux mois pour les infractions susmentionnées. En l’absence de pourvoi, ce jugement devint définitif. Le 24 décembre 2012, le requérant fut arrêté en France sur la base d’un mandat d’arrêt européen et extradé vers la Roumanie. En février 2013, il fut transféré à la prison de Poarta Albă. C. La demande de réouverture de la procédure Le 8 mars 2013, le requérant introduisit une action devant le tribunal de première instance de Mangalia par laquelle il dénonçait sa condamnation par défaut prononcée le 23 novembre 2011 (paragraphe 16 ci-dessus) et demandait la réouverture de la procédure engagée à son encontre. Il exposait qu’il n’était pas au courant de l’existence de cette procédure et qu’il n’avait jamais été entendu par le parquet et le tribunal au sujet des infractions qui lui étaient reprochées. Par un jugement du 28 mai 2013, le tribunal rejeta cette action. Il estimait, eu égard aux pièces du dossier de la procédure qui avait abouti à la condamnation du requérant par défaut, que les conditions pour la réouverture de cette procédure n’étaient pas réunies. Le tribunal soulignait que la procédure de citation à comparaître avait été respectée et que les autorités judiciaires avaient déployé de multiples efforts pour signifier les citations au requérant. Il relevait que ce dernier avait fait des déclarations reconnaissant les faits dans le cadre de la procédure de flagrance le visant, et il considérait par conséquent que l’intéressé était au courant de l’existence des poursuites. Il concluait que le requérant s’était volontairement soustrait à la justice. Par un arrêt définitif du 1er octobre 2013, la cour d’appel de Constanţa rejeta le pourvoi du requérant. D. Les conditions de détention du requérant Le requérant fut détenu à la prison de Poarta Albă du 28 février 2013 au 26 janvier 2016, date à laquelle il bénéficia d’une mesure de liberté conditionnelle. La version du requérant Le requérant indique qu’il a partagé une cellule insalubre et mal aérée avec plus de trente détenus. Il ajoute que l’eau potable n’était fournie que quatre fois par jour pour des durées allant de trente minutes à une heure maximum. Il affirme également que la cellule était uniquement pourvue de deux toilettes et de cinq lavabos défectueux et qu’aucune intimité pour l’hygiène personnelle et les besoins physiologiques n’était possible. La version du Gouvernement Le Gouvernement indique que le requérant a été détenu successivement dans des cellules de 57 m2, 50 m2 et 56 m2, qu’il aurait partagées avec quarante, trente-trois et trente-neuf détenus respectivement. Il précise que, en raison de l’absence de raccordement au réseau de distribution d’eau potable, la prison disposait d’une pompe à eau et que l’administration pénitentiaire a dû ponctuellement recourir à l’instauration d’un programme de distribution d’eau. Quant à l’eau chaude, elle aurait été fournie deux fois par semaine. Toutes les cellules auraient disposé de fenêtres et de sanitaires en état de fonctionnement. Le Gouvernement indique aussi que l’administration de la prison a fourni aux détenus du matériel et des produits de nettoyage. Il ajoute que les matelas et les autres éléments mobiliers étaient nettoyés et désinfectés régulièrement. II. LE DROIT INTERNE PERTINENT Les dispositions pertinentes en l’espèce du code de procédure pénale (le « CPP ») en vigueur à l’époque des faits étaient ainsi libellées : Article 70 § 4 « L’accusé ou l’inculpé est informé de l’obligation de prévenir par écrit, au maximum dans les trois jours, les autorités judiciaires de tout changement d’adresse. » Article 5221 « En cas d’extradition d’une personne jugée et condamnée par défaut, l’affaire pourra être réexaminée par le tribunal de première instance, à la demande de la personne condamnée. » Les dispositions générales de la loi no 275/2006 sur l’exécution des peines (« la loi no 275/2006 ») en vigueur au moment des faits sont décrites dans l’affaire Cucu c. Roumanie (no 22362/06, § 56, 13 novembre 2012). Les conclusions du Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (« le CPT ») émises à la suite de plusieurs visites effectuées dans des prisons de Roumanie, ainsi que ses observations à caractère général, sont résumées dans l’arrêt Iacov Stanciu c. Roumanie (no 35972/05, §§ 125-127, 24 juillet 2012). Dans son dernier rapport concernant la Roumanie, publié le 24 septembre 2015, le CPT a souligné que la surpopulation demeurait un problème important dans les établissements pénitentiaires du pays. Il a relevé que, au moment de sa visite, la population carcérale s’élevait à 32 428 détenus pour 19 427 places, et il a demandé aux autorités roumaines, pour deux des trois prisons visitées, de prendre les mesures qui s’imposaient pour faire respecter la norme de 4 m² d’espace de vie par détenu dans les cellules collectives.
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Le requérant est né en 1966 et réside à Timişoara. Il était balayeur de rue, employé par une société publique assurant le service de nettoyage des espaces publics de la ville de Timişoara (« la société »). Le 3 janvier 2002, le requérant fut licencié. Il contesta la décision et la cour d’appel de Timişoara fit droit à son action. Après avoir été réintégré, il démissionna au motif qu’il était victime d’harcèlement de la part de la direction de la société. Par un arrêt définitif du 12 mai 2005, la cour d’appel de Timişoara condamna la société à lui verser des dommages et intérêts en raison du refus de lui restituer le livret de travail. Le 1er juin 2005, le requérant demanda à être réintégré comme balayeur, mais la société lui répondit qu’aucun emploi n’était disponible. Le requérant s’inscrit comme demandeur d’emploi auprès de l’Agence départementale pour l’emploi. Le 18 août 2005, l’Agence l’informa qu’on lui avait attribué un emploi de balayeur dans la même société et l’invita à se rendre au siège de cette dernière pour les formalités d’embauche. Le 31 août 2005, le requérant saisit le parquet près le tribunal de première instance de Timişoara d’une plainte pénale avec constitution de partie civile contre les dirigeants de la société. Il accusait ces derniers d’abus dans l’exercice de leurs fonctions, infraction prévue par l’article 246 du code pénal, alléguant qu’ils refusaient de l’embaucher et lui témoignaient une attitude hostile motivée par son appartenance à la minorité Rom. Il exposait que ce refus privait sa famille nombreuse de toute source de revenu. Le 2 février 2006, le parquet rendit un non-lieu au motif qu’il n’y avait aucun indice de culpabilité des dirigeants de la société. Le 18 août 2006, le procureur en chef du parquet accueillit la contestation du requérant. Observant que le parquet n’avait administré aucune preuve, il ordonna la poursuite des investigations. Dans la lettre accompagnant la décision du procureur en chef, il était précisé que le requérant avait la possibilité de contester cette décision devant un tribunal dans un délai de vingt jours à compter de la date de sa communication. Le 22 février 2006, le parquet rendit un deuxième non-lieu au motif que le requérant ne se serait pas présenté à la société pour être réembauché. Le 4 juin 2006, le procureur en chef du parquet accueillit la nouvelle contestation du requérant. Il estima que le parquet n’avait pas suffisamment vérifié la version des faits présentée par le requérant qui alléguait qu’il avait été empêché d’accéder dans les locaux de la société. La lettre rappelait que la décision du procureur en chef pouvait être contestée devant un tribunal dans un délai de vingt jours à compter de sa communication. Le 16 janvier 2008, le parquet rendit un troisième non-lieu estimant qu’il n’y avait aucun indice de culpabilité des dirigeants de la société. Le 11 avril 2008, le requérant contesta ce non-lieu. La contestation fut rejetée le 16 mai 2008 par le procureur en chef du parquet qui considéra que les preuves administrées étayaient le non-lieu. Le 11 juillet 2008, la décision fut communiquée au requérant. Il était de nouveau précisé que le requérant avait la possibilité de contester cette décision dans un délai de vingt jours à compter de sa communication. Le 29 juillet 2008, le requérant contesta cette décision devant le tribunal de première instance de Timişoara. Par un jugement du 15 septembre 2008, le tribunal rejeta le recours du requérant comme étant tardif. Observant que le procureur en chef n’avait pas répondu au requérant dans le délai légal de vingt jours qui lui était imparti, le tribunal estima que le requérant aurait dû saisir les juridictions internes à l’issue de ce délai. Le tribunal conclut qu’en introduisant son action le 29 juillet 2008, le requérant avait dépassé le délai légal pour s’adresser aux juridictions internes. Il jugea que l’omission du procureur en chef de répondre dans le délai légal et la communication tardive de sa décision n’avaient pas d’incidence sur le calcul du délai. Le requérant forma un pourvoi. Il affirma que son recours n’était pas tardif dès lors qu’il l’avait introduit avant l’expiration du délai de vingt jours calculé à partir de la date de la communication de la décision du procureur en chef (le 11 juillet 2008 – paragraphe 15 ci-dessus). Il ajouta qu’il était expressément précisé dans la lettre accompagnant cette décision qu’il disposait d’un délai de vingt jours pour s’adresser au tribunal. Il estima que la méconnaissance par le procureur en chef du délai de réponse ne pouvait entrainer aucune conséquence négative pour lui et conclut que l’interprétation de la loi par les juridictions internes l’avait privé de son droit d’accès à un tribunal. Par un arrêt définitif du 28 novembre 2008, le tribunal départemental de Timişoara rejeta le pourvoi. En raison de l’agravation de plusieurs maladies neorologiques dont il souffre, le requérant est, depuis le mois d’octobre 2012, en incapacité totale et permanente de travail. II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS Les dispositions pertinentes du code de procédure pénale (CPP) concernant les recours disponibles pour contester une décision du parquet, telles qu’en vigueur à l’époque des faits, se lisaient comme suit : Article 275 § 1 – Droit de déposer une plainte « Toute personne peut se plaindre d’une mesure ou d’un acte qui, dans le cadre des poursuites pénales, a porté atteinte à ses intérêts légitimes. » Article 277 – Délai de traitement de la plainte « Le procureur traite la plainte dans un délai de vingt jours à compter de la date de sa réception et communique immédiatement sa décision au plaignant. » Article 278 – Plainte contre un acte du procureur « Une plainte contre une mesure ou un acte d’instruction pénale accomplis par le procureur (...) donne lieu à une décision du procureur en chef du parquet. » La loi no 281 du 26 juin 2003 (publiée au Journal officiel le 1er juillet 2003) a introduit dans le CPP le nouvel article 2781, qui était ainsi libellé : Article 2781 – Plainte auprès du tribunal contre une décision de non-lieu rendue par le procureur « 1. Après rejet d’une plainte déposée en vertu des articles 275 et 278 du code de procédure pénale contre une décision de non-lieu rendue par le procureur, la personne lésée ou toute autre personne dont les intérêts légitimes sont lésés peut, dans un délai de vingt jours à compter de la date de la communication de la décision, déposer une plainte auprès du tribunal compétent pour trancher l’affaire en première instance. Si le procureur en chef du parquet (...) n’a pas répondu à la plainte dans le délai de vingt jours mentionné à l’article 277, le délai de vingt jours prévu au premier paragraphe pour saisir les juridictions court à compter de l’expiration du délai dont le procureur avait disposé pour répondre à la plainte. » S’agissant de l’interprétation et de l’application de l’article 2781 du CPP, la pratique judiciaire a connu deux points de vue. Selon le premier, en cas d’absence de réponse du procureur en chef du parquet, le non-respect du délai de vingt jours pour introduire un recours devant les juridictions n’entrainait pas le rejet du recours pour tardivité et, par conséquent, les juges étaient tenus d’examiner son bien-fondé. Ce point de vue a été adopté par les cours d’appel de Constanta et d’Oradea qui, dans des arrêts définitifs rendus les 13 mars et 17 avril 2008 respectivement, ont considéré, se fondant sur les dispositions de l’article 6 § 1 de la Convention, que l’absence de réponse du procureur en chef dans le délai prévu par la loi n’entrainait pas la déchéance du droit de saisir un tribunal. D’autres cours et tribunaux ont adopté un point de vue contraire et considéraient qu’à défaut de recours dans le délai de vingt jours prévu par le second paragraphe de l’article 2781 du CPP précité, l’intéressé était forclos de contester une ordonnance du parquet. Ce point de vue se retrouve dans la motivation de l’arrêt définitif du 19 septembre 2005 de la Haute Cour de cassation et de Justice. Constatant une interpretation divergente de l’article 2781 du CPP, la Commission pour l’harmonisation de la pratique judiciaire, composée des réprésentants des plus hautes autorités judiciaires du pays, adopta, le 4 juin 2008, le premier point de vue et décida qu’en l’absence de réponse du procureur en chef, l’interprétation correcte de l’article 2781 du CPP était celle qui autorisait l’intéressé à saisir les juridictions internes d’un recours contre une mesure du parquet même après l’expiration du délai de vingt jours. Le 6 avril 2009, les Sections réunies de la Haute Cour de cassation et de Justice, examinant un pourvoi dans l’intérêt de la loi introduit par le procureur général pour harmoniser la jurisprudence divergente, se rallièrent au second point de vue et jugèrent qu’à l’expiration du délai de vingt jours, l’intéressé était déchu du droit de saisir les juridictions d’un recours contre une mesure du parquet.
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Le requérant est né en 1974 et réside à Oradea. A. Le placement en garde à vue du requérant et l’enquête judiciaire Le 16 décembre 2003, aux alentours de 21 heures, le requérant fut interpellé par deux agents de police qui étaient accompagnés d’une femme, I.S. Les agents lui demandèrent de présenter une pièce d’identité. Le requérant répondit qu’il n’en avait pas sur lui. Les agents de police procédèrent alors à une fouille corporelle sommaire, au cours de laquelle ils trouvèrent sur lui une somme d’argent, une pièce d’identité à son nom et deux téléphones portables. Le requérant indiqua que les deux téléphones étaient les siens, mais I.S. déclara que l’un des téléphones lui appartenait. Le requérant fut conduit au commissariat de police. Par une décision du même jour, le requérant fut placé en garde à vue pour une durée de vingt-quatre heures, au motif qu’il était soupçonné d’avoir soustrait un téléphone portable au cours d’une altercation. Vers 22 h 30, la police judiciaire examina, en présence de I.S. et de deux témoins, les lieux où le requérant aurait arraché son téléphone portable à I.S. Entendue le soir même, I.S. déclara notamment que le requérant était vraisemblablement en état d’ébriété, qu’il l’avait injuriée, qu’il avait tiré sur ses vêtements et qu’elle s’était échappée en courant. Elle dit qu’elle avait ensuite constaté que son téléphone portable n’était plus accroché autour de son cou. Elle indiqua qu’elle avait peu après croisé une patrouille de police à laquelle elle avait présenté les faits. Vers 1 heure du matin, le requérant fut entendu par la police judiciaire. Il déclara qu’il avait rencontré une femme dans la rue mais qu’il ne l’avait pas agressée, et qu’il ne pouvait pas expliquer comment il était entré en possession du deuxième téléphone portable. Lors de cette audition, le requérant n’était pas assisté par un avocat, mais il fit mentionner dans la déclaration qu’il serait représenté par un avocat commis d’office. Au cours de la nuit, la police judiciaire procéda à la confrontation du requérant avec I.S. Cette dernière exposa que le requérant avait découvert le téléphone portable accroché autour de son cou en tirant sur ses vêtements, qu’il le lui avait arraché et qu’il lui avait ensuite dit qu’elle pouvait partir. Le requérant répondit qu’il n’avait pas rencontré I.S. ce soir-là. Le 17 décembre 2003, des poursuites pénales furent engagées contre le requérant du chef de vol avec violences. Par une décision du tribunal départemental de Bihor du même jour, l’intéressé fut placé en détention provisoire pour une durée de trente jours. Le 5 janvier 2004, la police judiciaire entendit D.P., témoin oculaire des événements, en présence de l’avocat du requérant. D.P. déclara que, le soir de l’incident, le requérant avait interpellé une femme, qu’il l’avait attrapée par le col de sa veste et qu’il lui avait demandé une cigarette. Il indiqua que la femme s’était enfuie en appelant à l’aide. Il dit que c’est à ce moment-là qu’il avait aperçu sur le trottoir un téléphone portable et qu’il avait vu le requérant s’en emparer. Il ajouta que le requérant lui avait alors demandé d’aller remettre une veste à un ami et qu’il lui avait expliqué que lui-même allait attendre la femme pour lui restituer le téléphone portable. Au cours de l’enquête, quatre autres témoins furent entendus. B. Le procès de première instance Par un réquisitoire du 20 mai 2004, le requérant fut renvoyé en jugement du chef de vol avec violences (article 211 du code pénal, le « CP » - paragraphe 27 ci-après). Le 18 octobre 2004, le tribunal départemental de Bihor auditionna le requérant ainsi que I.S. I.S. déclara qu’il était impossible que le requérant eût su, avant de l’aborder, qu’elle avait un téléphone portable. Elle dit que c’est en tirant sur ses vêtements qu’il avait arraché le cordon auquel le téléphone était accroché. Selon elle, le téléphone portable s’était ainsi retrouvé entre les mains du requérant et ce dernier lui avait dit qu’elle pouvait partir. Le requérant maintint qu’il n’avait pas rencontré I.S. le 16 décembre 2003. Il admit néanmoins que, comme l’avait affirmé D.P. dans la déclaration faite au cours de l’enquête (paragraphe 12 ci-dessus), il avait attrapé I.S. par le col et qu’il lui avait demandé une cigarette. Il ajouta que, en revanche, il ne se souvenait plus de la suite des événements. Le 29 novembre 2014, le tribunal procéda à l’audition de D.P., seul témoin oculaire des événements. Un deuxième témoin, qui avait été entendu au stade de l’enquête, ne se présenta pas à l’audience. Le tribunal lut à haute voix sa déclaration écrite. Il n’apparaît pas que le requérant ou son avocat se soient opposés à cette lecture. Par un jugement du 31 janvier 2005, le tribunal départemental de Bihor, après avoir entendu les parties à ce sujet, procéda à la requalification juridique des faits et condamna le requérant à une peine de trois ans d’emprisonnement avec sursis pour vol aggravé (articles 208 § 1 et 209 e) et g) du CP – paragraphe 27 ci-après). Le tribunal prit acte de la conciliation des parties quant à l’accusation de coups et blessures (article 180 du CP – paragraphe 27 ci-après) et prononça la relaxe de ce chef. Après avoir analysé l’ensemble des pièces du dossier, et notamment les déclarations faites devant lui et au cours de l’enquête par le requérant, par I.S. et par D.P., le tribunal jugea que le requérant était coupable d’avoir volé le téléphone portable appartenant à I.S. après une altercation avec celle-ci. Il considéra cependant que le requérant avait agressé I.S. dans le seul but d’obtenir une cigarette, qu’il n’avait pas eu l’intention de lui arracher son téléphone portable et qu’il ignorait préalablement l’existence de ce dernier. C. L’appel Par un arrêt du 19 avril 2005, sur appel du requérant et du parquet, la cour d’appel d’Oradea confirma le jugement du tribunal départemental. Elle estima que rien ne justifiait de retenir l’infraction de vol avec violences à l’encontre du requérant. Aucune preuve ne fut administrée à ce stade de la procédure. D. Le recours devant la Haute Cour de cassation et de justice (« la Haute Cour ») Le parquet forma un recours (recurs) contre cet arrêt et sollicita la condamnation du requérant pour vol avec violences. Le requérant forma également un recours, répétant notamment que l’élément intentionnel du délit de vol aggravé faisait défaut. Il soutenait que les violences en cause n’avaient pas pour but de s’approprier le téléphone portable de la victime. La Haute Cour n’administra aucun moyen de preuve. Les juges n’entendirent pas le requérant. Les débats eurent lieu le 9 décembre 2005, en présence du requérant qui était assisté par un avocat de son choix. Le procureur et l’avocat du requérant furent invités à plaider. Le requérant, utilisant la possibilité de prendre la parole en dernier, acquiesça aux conclusions de son avocat. Par un arrêt du même jour, la Haute Cour fit droit au recours formé par le parquet, cassa les deux décisions et, statuant à nouveau sur le fond, condamna le requérant à cinq ans de prison ferme pour vol avec violences, infraction punie par l’article 211 du CP (paragraphe 27 ci-après). La Haute Cour se fonda sur la déclaration de la victime, sur la reconnaissance partielle des faits par le requérant et sur la déclaration du témoin oculaire D.P., pour juger que le vol, par le requérant, du téléphone portable de la victime, après une altercation avec celle-ci, était constitutif de l’infraction de vol avec violences. Elle considéra comme déterminantes la circonstance que le requérant avait indiqué à la victime qu’elle pouvait partir, au moment où, après avoir tiré sur ses vêtements, il s’était retrouvé avec le téléphone portable entre les mains (paragraphes 10 et 16 ci-dessus), et la circonstance que l’intéressé avait déclaré, lors de son interpellation par les agents de police, que les deux portables lui appartenaient (paragraphe 5 in fine ci-dessus). E. Le recours extraordinaire du requérant À une date non précisée, le requérant forma un recours extraordinaire (revizuire) contre le jugement du tribunal départemental de Bihor, tel que modifié par l’arrêt de la Haute Cour. Il demandait l’audition de plusieurs témoins ainsi qu’une nouvelle audition de la victime et de D.P. Il estimait que ces moyens de preuve étaient susceptibles d’apporter de nouvelles informations sur les faits. Par un arrêt du 22 juin 2006, le tribunal départemental de Bihor rejeta le recours extraordinaire du requérant, considérant que les dispositions qu’il invoquait n’étaient pas applicables en l’espèce et qu’il demandait l’administration de nouveaux moyens de preuve à l’égard de faits et de circonstances déjà connus des premiers tribunaux. II. LE DROIT INTERNE PERTINENT Les dispositions du CP en vigueur à l’époque des faits sont ainsi libellées : Article 180 – Coups et blessures « 1. Les coups ou autres actes de violence causant des souffrances physiques sont passibles d’une peine d’emprisonnement comprise entre un et trois mois ou d’une amende. (...) L’action pénale est déclenchée par la plainte préalable de la partie lésée (...) La conciliation entre les parties exclut la responsabilité pénale (...). » Article 208 – Vol « 1. Le fait de [soustraire] un bien meuble à la possession ou à la détention d’autrui, sans son consentement et dans le but de se l’approprier injustement, est puni d’une peine d’emprisonnement comprise entre un et douze ans (...). » Article 209 – Vol aggravé « Le vol commis dans les conditions suivantes : (...) e) dans un espace public ; (...) g) pendant la nuit ; (...) est puni d’une peine d’emprisonnement comprise entre trois et quinze ans. » Article 211 – Vol avec violences « 1. Le vol commis avec violences ou menaces ou en rendant la victime inconsciente ou incapable de se défendre ainsi que le vol suivi par l’usage de tels moyens afin de conserver le bien volé ou d’effacer les traces de l’infraction ou pour [permettre au] malfaiteur [de] fuir est passible d’une peine d’emprisonnement comprise entre trois et dix-huit ans (...) Le vol commis avec violences dans les circonstances suivantes : (...) b) pendant la nuit ; c) dans un espace public (...) est puni d’une peine d’emprisonnement comprise entre cinq et vingt ans. » Les dispositions pertinentes en l’espèce du code de procédure pénale (le « CPP ») en vigueur à l’époque des faits sont ainsi libellées : Article 341 « Avant de clore les débats, le président de la formation de jugement doit donner la parole en dernier à l’inculpé présent. Lorsqu’il s’exprime en dernier, l’inculpé ne peut pas être interrogé. S’il fait état de nouveaux faits ou circonstances qui présentent un caractère essentiel pour le jugement de l’affaire, le tribunal ordonne la reprise de l’enquête judiciaire. » Article 38514 « La juridiction statuant sur le recours (recurs) examine l’arrêt attaqué en se fondant sur les pièces du dossier (lucrărilor şi materialului) et sur tout autre écrit nouveau présenté devant elle. La juridiction de recours doit répondre à tous les moyens de recours soulevés par le procureur et les parties. » Article 38515 « Lorsqu’il statue sur le recours, le tribunal peut (...) faire droit au recours, infirmer la décision attaquée et (...) a) confirmer le jugement rendu en premier ressort, lorsque l’appel a été illégalement admis (...) b) prononcer la relaxe de l’inculpé ou la clôture du procès pénal (...) c) ordonner que l’affaire soit rejugée par le tribunal dont la décision a été infirmée pour une des raisons prévues à l’article 197 § 2 [Les nullités] (...) Lorsque la juridiction saisie du recours est la Cour suprême de justice [devenue la Haute Cour de cassation et de justice], si l’administration de preuves s’impose, celle-ci renvoie l’affaire en jugement devant le tribunal dont la décision a été cassée (...) d) retenir l’affaire pour la juger à nouveau [si la décision est infirmée] pour d’autres raisons que celles prévues à la lettre c). » Article 38516 « Lorsque le tribunal ayant statué sur le recours retient l’affaire pour la juger à nouveau, conformément à l’article 38515 § 2 d), il se prononce également sur les questions relatives à l’administration des preuves et fixe une date pour la tenue des débats (...). » Article 38519 « Après la cassation, l’affaire est rejugée conformément aux dispositions des chapitres I [Le procès – Dispositions générales] et II [Le procès en première instance] du titre II de la Partie spéciale, qui s’appliquent mutatis mutandis. » En septembre 2006, le CPP a été modifié. En particulier, les dispositions suivantes ont été ainsi amendées : Article 38514 « 1. Lorsque le tribunal statue sur le recours, il doit interroger l’inculpé présent, conformément aux dispositions du chapitre II [Le procès en première instance] du titre II de la Partie spéciale, lorsque ce dernier n’a pas été entendu par les juridictions ayant statué sur le fond et en appel ou encore lorsque ces juridictions n’ont pas prononcé antérieurement une décision de condamnation. » Article 38516 « Lorsque le tribunal qui a statué sur le recours retient l’affaire pour la juger à nouveau conformément à l’article 38515 § 2 d), il se prononce également, par une décision, sur les questions relatives à l’administration des preuves et fixe une date pour la tenue des débats. Lors des débats, le tribunal doit entendre l’inculpé présent, conformément aux dispositions du chapitre II du titre II de la Partie spéciale, lorsque ce dernier n’a pas été entendu par les juridictions ayant statué sur le fond et en appel, ou encore lorsque ces juridictions n’ont pas prononcé antérieurement une décision de condamnation. »
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A. Les circonstances de l’espèce La liste des requérants, ainsi que les informations pertinentes sur les procédures restant en litige figurent en annexe. Dans le cadre des procédures relatives aux requêtes nos 63070/13 et 73318/13, les juridictions internes, à savoir respectivement la cour administrative d’appel d’Athènes et le tribunal administratif de première instance d’Athènes, ont ordonné aux requérants, par des décisions avant dire droit, à produire des pièces supplémentaires et ont sursis à statuer sur le fond dans l’attente. Les requérants se plaignent de la durée des procédures qu’ils ont engagées devant les juridictions administratives, ainsi que de l’absence d’un recours effectif à cet égard. B. Le droit interne pertinent La loi no 4055/2012, intitulée « procès équitable et durée raisonnable », est entrée en vigueur le 2 avril 2012. Les articles 53 à 58 de la loi précitée introduisent un nouveau recours indemnitaire visant à l’octroi d’une satisfaction équitable causé par la prolongation injustifiée d’une procédure administrative. L’article 55 § 1 dispose : « Toute demande de satisfaction équitable doit être introduite devant chaque degré de juridiction séparément. Elle doit être présentée dans un délai de six mois après la publication de la décision définitive de la juridiction devant laquelle la durée de la procédure a été, selon le requérant, excessive. (...) »
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Le requérant est né en 1960 et réside à Constanţa. Le fils du requérant, âgé de 18 ans, était employé depuis sept mois comme soudeur dans le port de Constanţa par la société U., spécialisée dans la métallerie, la construction et l’entretien des bateaux. Le matin du 1er septembre 2005, le chef de chantier envoya le fils du requérant réaliser seul des travaux de polissage de métaux et de nettoyage dans un compartiment fermé de la cale d’un bateau en construction. Au cours de l’après-midi, un collègue se rendit au poste de travail du fils du requérant et découvrit le jeune homme inanimé, tenant dans la main droite une lampe électrique branchée sur secteur. Le médecin légiste conclut que le jeune homme était décédé de mort violente par électrocution. Le requérant déposa une plainte pénale, estimant que le chef de chantier et les dirigeants de la société étaient responsables de la mort de son fils. Il soutenait qu’ils avaient enfreint les dispositions légales relatives à la sécurité au travail en envoyant son fils effectuer des tâches pour lesquelles il n’aurait pas été qualifié et, de surcroît, pour lesquelles il n’aurait pas disposé d’un équipement de protection. Le jour de l’accident, le parquet ouvrit une enquête et entendit plusieurs employés de la société comme témoins. Le 6 septembre 2005, le parquet ordonna une expertise des outils dont la victime s’était servie le jour de l’accident. Le 16 novembre 2005, l’inspection départementale du travail conclut que l’accident était dû à l’utilisation inappropriée de la lampe. Elle relevait que la société U. n’avait pas assuré à la victime une formation sur la sécurité au travail et ne lui avait pas non plus fourni un équipement de protection adapté. Elle indiquait que les éléments dont elle disposait ne lui permettaient pas d’identifier les personnes responsables de la sécurité au travail sur le chantier. Toutefois, elle infligea à la société une amende contraventionnelle pour les manquements susmentionnés aux règles de sécurité. L’expertise ordonnée par le parquet confirma la cause de la mort et indiqua que l’électrocution était due au contact avec la lampe, qui était défectueuse et qui n’avait pas été correctement branchée sur secteur. Le 22 février 2006, le parquet demanda un supplément d’expertise afin d’identifier les équipements de sécurité dans la société U. et les personnes responsables de la sécurité sur le chantier. L’expert remit son rapport au parquet le 20 mars 2006. Il y indiquait les noms de deux ingénieurs responsables de la sécurité. Il estimait que la victime avait commis une erreur en utilisant une lampe branchée sur secteur au lieu d’une lampe portative. L’expert déplorait le fait que, après l’accident, la société avait envoyé à la casse les autres lampes utilisées pour éclairer le chantier, au nombre de dix-huit, supprimant ainsi la possibilité de poursuivre les recherches et éventuellement d’identifier les personnes responsables du branchement défectueux de la lampe en question. Au cours du mois de mars 2006, la police judiciaire entendit des responsables de la société, dont les deux ingénieurs, qui affirmèrent qu’ils n’étaient pas au courant des défauts présentés par la lampe en cause. À diverses dates au cours des mois d’octobre et de novembre 2006, le procureur S.C. entendit les collègues de la victime et les responsables de la société, qui avaient déjà été auditionnés. Le 6 décembre 2006, il se déporta au motif qu’il entretenait des relations d’amitié avec le directeur de la société U. Le requérant, qui s’était plaint à plusieurs reprises de lenteurs et d’une ineffectivité de l’enquête, demanda un complément d’expertise et l’audition de nouveaux témoins. Le 19 janvier 2007, le parquet rejeta ces demandes. Le 22 janvier 2007, le parquet rendit un non-lieu concernant les chefs d’homicide involontaire et de non-respect des dispositions légales relatives à la sécurité au travail. Il estimait que le seul responsable de l’accident était le fils du requérant au motif que celui-ci n’avait pas signalé les défauts de la lampe, avait essayé de la réparer et l’avait ensuite utilisée sans équipement de protection. Sur contestation du requérant ainsi que de la mère et de la sœur de la victime, le procureur en chef confirma le non-lieu. Le 18 février 2008, le requérant et les autres membres de la famille contestèrent le non-lieu devant le tribunal de première instance de Constanţa. Ils exposaient que la société U. avait manqué à son obligation de former son employé sur les règles de sécurité au travail. Ils alléguaient que les collègues de leur proche et les responsables de la société étaient au courant de l’utilisation de la lampe défectueuse, mais qu’ils n’étaient pas intervenus pour prévenir la victime du danger qu’elle courait. Enfin, ils se plaignaient d’une absence d’audition de certains témoins et d’une disparition de preuves matérielles. À la demande de l’avocat des plaignants, l’examen de la contestation, prévu le 12 mars 2008, fut ajourné au 14 mai 2008 pour la préparation de la défense. Par un jugement rendu à cette dernière date, le tribunal de première instance de Constanţa rejeta la contestation, estimant qu’elle était tardive. Les plaignants formèrent un pourvoi, et la sœur de la victime demanda le dépaysement de l’affaire pour cause de suspicion légitime. Le 20 août 2008, la Haute Cour de cassation et de justice accueillit cette demande et renvoya le dossier au tribunal départemental de Călăraşi. À la demande de l’avocat des plaignants, l’examen du pourvoi, prévu le 21 octobre 2008, fut ajourné au 4 novembre 2008. Par un arrêt rendu à cette dernière date, le tribunal départemental accueillit le pourvoi et, observant que le non-lieu avait été communiqué tardivement au requérant, jugea que la contestation avait été introduite dans le délai légal. Il renvoya le dossier pour un examen au fond au tribunal de première instance de Călăraşi. À la demande de l’avocat des plaignants, l’examen de la contestation, prévu le 16 décembre 2008, fut ajourné au 13 janvier 2009 pour la préparation de la défense. Par un jugement rendu à cette dernière date, le tribunal de première instance de Călăraşi rejeta la contestation, estimant que le seul responsable de l’accident était le fils du requérant. La famille de la victime, dont le requérant, forma un pourvoi devant le tribunal départemental de Călăraşi. À la demande de l’avocat des plaignants, l’examen du pourvoi, prévu le 5 mars 2009, fut ajourné au 30 avril 2009. Par un arrêt du 26 mai 2009, le tribunal départemental accueillit le pourvoi au motif que l’enquête avait été incomplète. Il relevait que le parquet avait ignoré l’absence de formation sur la sécurité au travail. Il critiquait les expertises, qu’il estimait avoir été insuffisantes, ainsi que le refus du parquet d’interroger certains témoins. Par conséquent, le tribunal départemental renvoya le dossier au parquet près le tribunal de première instance de Călăraşi et ordonna l’ouverture de poursuites contre la société U., son directeur et un ingénieur des chefs d’homicide involontaire et de manquements à la législation sur la sécurité au travail. Le parquet de Călăraşi renvoya le dossier au parquet de Constanţa, estimant que ce dernier était compétent. À la demande du requérant, le 3 juin 2010, le parquet de Constanţa entendit deux témoins. Le 5 août 2010, le parquet près le tribunal de première instance de Constanţa ordonna une expertise de la lampe. Le laboratoire d’expertise criminelle de Bucarest répondit que l’expertise demandée ne relevait pas de son domaine de compétences. Par une lettre du 2 novembre 2011, le parquet demanda à la société U. quel était le nom de la personne responsable des installations électriques sur le chantier et de quelle manière les outils électriques étaient distribués aux ouvriers. Entre les mois de janvier et de mai 2012, des policiers entendirent des témoins qui avaient déjà été auditionnés, en l’occurrence des membres de la famille de la victime et des collègues de travail. Ceux-ci réitérèrent leurs déclarations. Répondant à plusieurs mémoires du requérant qui se plaignait de lenteurs de l’enquête, le parquet informa ce dernier que les agents de la police judiciaire avaient indûment retardé l’enquête et que des mesures avaient été prises pour permettre une finalisation rapide de celle-ci. Le 13 juin 2012, le parquet rendit un non-lieu pour cause de prescription de la responsabilité pénale relativement aux infractions à la législation relative à la sécurité au travail. Le parquet écarta également le chef d’homicide involontaire, estimant que l’électrocution était due à la négligence de la victime. Sur contestation du requérant, le procureur en chef du parquet confirma ce non-lieu. Le requérant saisit le tribunal de première instance de Constanţa d’une contestation contre le non-lieu. Il dénonçait des lenteurs de l’enquête qui, selon lui, avaient entraîné la prescription de la responsabilité pénale relativement aux infractions liées à la sécurité au travail. Le 20 septembre 2012, le tribunal de première instance de Constanţa déclina sa compétence en faveur du tribunal de première instance de Călăraşi. Dans un mémoire versé au dossier le 19 décembre 2012, le requérant indiquait qu’il avait l’intention de réclamer à la société U. le versement d’indemnités pour le préjudice matériel et moral provoqué par le décès de son fils, dont le montant allait selon lui être précisé après l’infirmation du non-lieu. Par un jugement définitif du 27 décembre 2012, le tribunal de première instance de Călăraşi rejeta la plainte du requérant. Il confirma la prescription de la responsabilité pénale relativement aux infractions à la législation sur la sécurité au travail et le non-lieu pour l’infraction d’homicide involontaire. À cet égard, le tribunal constatait que le fils du requérant n’avait pas reçu de formation spécifique pour les tâches qui lui avaient été confiées ni d’équipement de protection, mais considérait toutefois que le décès était dû à la propre négligence de la victime au motif que, de par sa formation de soudeur, celleci devait être au courant de l’interdiction d’utiliser la lampe dans des espaces fermés et de l’obligation de travailler avec un équipement de sécurité. II. LE DROIT INTERNE ET LE DROIT INTERNATIONAL PERTINENTS A. Le droit et la pratique internes Selon l’article 9 du code de procédure pénale (CPP) en vigueur à l’époque des faits, l’action publique était exercée aux fins de sanction du coupable d’une infraction pénale. L’article 10 g) du CPP précisait que la prescription faisait obstacle à l’exercice de l’action publique dès lors que, en application de l’article 121 du code pénal (CP) en vigueur à l’époque des faits, la prescription ôtait leur caractère délictueux aux faits poursuivis. Les articles 14 et 15 du CPP prévoyaient que l’action civile jointe à l’action pénale avait pour but de faire engager la responsabilité civile de l’inculpé et de la partie civilement responsable. La constitution de partie civile pouvait se faire par déclaration expresse de la partie lésée, pendant l’information pénale, ainsi que devant le tribunal, jusqu’au moment de la lecture publique de l’acte d’accusation. L’article 19 du CPP disposait que, si elle ne s’était pas constituée partie civile dans la procédure pénale déclenchée contre la personne responsable, la victime d’une infraction pouvait saisir séparément la juridiction civile pour la réparation de son préjudice. En cas d’action séparée, il était sursis au jugement de l’action civile tant qu’il n’avait pas été définitivement statué sur l’action pénale. L’essentiel du régime de la responsabilité civile délictuelle en cas d’accident du travail est décrit dans les décisions Draganschi c. Roumanie ((déc.), no 40890/04, § 18, 18 mai 2010) et Cucu c. Roumanie ((déc.), no 39442/07, § 31, 17 mai 2011). Les articles 34 à 39 de la loi no 90/1996 sur la sécurité au travail, en vigueur à l’époque des faits, prévoyaient des peines d’amende ou d’emprisonnement d’un maximum de trois ans en cas de non-respect des dispositions légales relatives à la sécurité au travail. La loi no 346/2002 a mis en place un régime d’assurance en cas d’accident du travail et prévoit, en cas de décès de l’assuré, la possibilité pour ses successeurs d’être indemnisés. B. Le droit international L’article 7 b) du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, ratifié par la Roumanie le 9 décembre 1974, énonce ce qui suit : « Les États parties au présent Pacte reconnaissent le droit qu’a toute personne de jouir de conditions de travail justes et favorables, qui assurent notamment: (...) b) La sécurité et l’hygiène du travail ; » L’article 3 de la Charte sociale européenne (révisée), ratifiée par la Roumanie le 7 mai 1999, énonce : « En vue d’assurer l’exercice effectif du droit à la sécurité et à l’hygiène dans le travail, les Parties s’engagent, en consultation avec les organisations d’employeurs et de travailleurs : à définir, mettre en œuvre et réexaminer périodiquement une politique nationale cohérente en matière de sécurité, de santé des travailleurs et de milieu de travail. Cette politique aura pour objet primordial d’améliorer la sécurité et l’hygiène professionnelles et de prévenir les accidents et les atteintes à la santé qui résultent du travail, sont liés au travail ou surviennent au cours du travail, notamment en réduisant au minimum les causes des risques inhérents au milieu de travail ; à édicter des règlements de sécurité et d’hygiène ; à édicter des mesures de contrôle de l’application de ces règlements ; à promouvoir l’institution progressive des services de santé au travail pour tous les travailleurs, avec des fonctions essentiellement préventives et de conseil. » Le Comité européen des Droits sociaux, qui examine le respect de la Charte sociale européenne par les États membres, a conclu dans son rapport national rendu en 2009 que la situation de la Roumanie concernant la politique nationale en matière de santé et de sécurité au travail pour la période 2004-2007 n’était pas conforme à l’article 3 § 1 de la Charte sociale européenne (révisée) au motif qu’il n’était pas établi que la politique nationale en matière de santé et sécurité au travail incluait de manière adéquate la formation, l’information, la garantie de qualité et la recherche. Le Comité européen des Droits sociaux a également constaté une baisse durable du nombre d’accidents du travail, mais il a relevé que le nombre d’accidents mortels demeurait trop élevé. Il a également observé que, parce qu’il laissait le soin aux employeurs d’enquêter sur tous les accidents du travail mineurs et que le montant des amendes était relativement faible, le système de déclaration des accidents n’était pas suffisamment efficace dans la pratique pour être conforme aux prescriptions de l’article 3 § 3 de la Charte sociale européenne (révisée). Par conséquent, il a conclu que la situation de la Roumanie n’était pas conforme à cette disposition, au motif que les mesures prises pour réduire le nombre excessif d’accidents mortels étaient insuffisantes.
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Les requérants sont nés respectivement en 1963, en 1976 et en 1965, et ils résident à Antalya. Le 9 août 1984, les frères Ali, Tahir, Hacı et Hasan Öztünç furent tués par balle. Le premier était le père de Şükrü Öztünç et le second le père de Lezgin Öztünç. La Cour n’a pas connaissance d’un éventuel lien de parenté entre Nebi Öztünç et les défunts. Le jour des faits, les quatre frères s’étaient rendus sur la prairie de Meydanikoli dans le but de se faire recenser par l’officier d’état civil. Sur le chemin du retour vers leur village, ils avaient été victimes de tirs d’armes à feu à l’entrée du pont de Tuzluca. Une enquête fut ouverte d’office par le parquet. Dans ce cadre, les corps furent autopsiés et d’autres examens scientifiques furent réalisés. Il fut conclu que les défunts avaient été victimes de tirs provenant de quatre armes différentes, toutes à canon long. Les soupçons se portèrent très rapidement sur les membres de la famille Aydemir, qui étaient des gardes de village (köy korucusu). Un membre de cette famille avait été assassiné à une date antérieure et plusieurs membres de la famille Öztünç avaient alors été inculpés d’homicides volontaires. Des mandats d’arrêt furent émis à l’encontre de plusieurs suspects le 22 août 1984. Le 7 juin 1985, le juge d’instruction de Beytüşşebap en charge de l’affaire renvoya neuf personnes en jugement devant la cour d’assises de Hakkari : Abubekir, Tahir, Hüsnü, Bahri, Musa, Abdulkerim, İbdan et Cemal Aydemir ainsi que Süleyman Tarhan. L’un des accusés fut arrêté et placé en détention provisoire pendant vingt-sept jours en 1987. Quant aux autres accusés, ils ne purent être appréhendés. À des dates non précisées, les décès de Abdulkerim, de İbdan et de Cemal Aydemir mirent fin aux poursuites engagées contre eux. Le 16 juillet 2002, tous les accusés, à l’exception de Musa Aydemir, se présentèrent à la cour d’assises de Hakkari. Ils demandèrent que l’acte d’accusation leur fût communiqué et qu’un délai leur fût accordé pour préparer leur défense. À l’issue de l’audience, la cour d’assises fit droit à leur demande. Elle ordonna en outre leur placement en détention provisoire. Lors de l’audience du 27 juillet 2002, les accusés présents nièrent toute implication dans le meurtre des proches des requérants. Ils déclarèrent par ailleurs que, ayant déménagé après les faits, ils ignoraient être sous le coup d’un mandat d’arrêt. À l’issue de l’audience, les juges ordonnèrent la remise en liberté des accusés détenus, eu égard à l’éventualité que ceux-ci pussent bénéficier des dispositions de la loi no 4616 prévoyant des réductions en matière d’exécution des peines prononcées en raison de certaines infractions commises avant le 23 avril 1999 (paragraphes 31 et 32 ci-dessous). Toutefois, le 27 juin 2003, les accusés ne s’étant pas présentés aux audiences suivantes, la cour d’assises délivra contre eux de nouveaux mandats d’arrêt. Deux officiers d’état civil présents à Meydanikoli le jour des faits furent entendus par la cour d’assises en qualité de témoins de la défense. Ils déclarèrent que le jour où les quatre frères furent tués par balles, Abubekir Aydemir s’était senti mal, qu’il avait décidé de rester un peu sur place et que les autres accusés étaient repartis sans l’attendre. L’intéressé n’aurait repris la route que bien après le départ des protagonistes et donc de l’agression mortelle des requérants. Le 29 mars 2005, la cour d’assises acquitta Süleyman Tarhan de toutes les charges pesant contre lui. En revanche, elle reconnut Abubekir, Tahir, Hüsnü, Bahri et Musa Aydemir coupables d’homicides volontaires avec préméditation et les condamna à une peine de prison à perpétuité. Pour ce faire, elle s’appuya sur divers éléments de preuve, dont les dépositions de témoins à charge. S’agissant des déclarations des deux officiers d’état civil qui avaient témoigné en faveur d’Abubekir, elle estima que leur récit était peu cohérent et en contradiction flagrante avec d’autres éléments de preuve, et qu’il ne pouvait dès lors y être prêté foi. Elle nota également que l’accusé avait de l’influence du fait de sa qualité de agha (chef/seigneur) du village, ce qui pouvait, d’après elle, expliquer la teneur des dépositions des deux témoins. Elle ajouta que cet élément était en outre de nature à expliquer pourquoi l’intéressé n’avait pas été retrouvé et arrêté malgré les mandats délivrés contre lui à cet effet. Elle précisa de plus que les accusés ne s’étaient présentés devant elle « qu’après l’adoption de deux lois d’amnistie dont le champ d’application couv[rait] les faits » qui leur étaient reprochés, faisant ainsi référence à la loi no 4616. En marge de sa condamnation, la cour d’assises émit un mandat d’arrêt contre les condamnés. Enfin, elle décida qu’il ne serait statué sur l’application de la loi no 4616 qu’une fois la condamnation devenue définitive. L’arrêt fut déféré à la Cour de cassation d’office et sur pourvoi de l’avocat des requérants. Le 14 juin 2005, conformément à la pratique en vigueur après l’adoption du nouveau code pénal, le parquet près la Cour de cassation renvoya l’affaire en première instance au motif que la condamnation devait être réexaminée à la lumière de la nouvelle législation afin qu’en fussent appliquées les éventuelles dispositions plus douces. Le 18 octobre 2005, après avoir entendu les conclusions de l’avocat des requérants, la cour d’assises de Hakkari condamna les mêmes accusés à une peine de réclusion criminelle à perpétuité aggravée. Elle décida à nouveau de surseoir à statuer sur le bénéfice éventuel de la loi no 4616. En outre, elle rejeta la demande de l’avocat des intéressés tendant à la levée des mandats d’arrêt délivrés en marge de l’arrêt du 29 mars 2005. Le 30 juin 2006, la Cour de cassation, saisie à nouveau d’office et sur pourvoi du représentant des accusés, cassa l’arrêt déféré au motif que la cour d’assises n’avait pas entendu les accusés après le renvoi et qu’elle s’était bornée à recueillir la plaidoirie en défense de leur avocat. L’affaire est actuellement pendante devant la cour d’assises de Hakkari, qui tient régulièrement des audiences. Les accusés n’ont toujours pas pu être présentés à la justice malgré l’émission des mandats d’arrêt. Les proches des accusés ont été interrogés par la gendarmerie aux fins de la localisation des accusés et plusieurs perquisitions ont été réalisées, sans succès. Parallèlement à cette procédure pénale, les requérants déposèrent, en 2005, une plainte contre les gendarmes de Beytüşşebap, les accusant de ne pas rechercher activement les fugitifs. Celle-ci déboucha sur un non-lieu le 9 mai 2006. Une nouvelle plainte fut déposée. Le 22 février 2008, elle déboucha elle aussi sur un non-lieu. II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS Les aspects pertinents en l’espèce de la loi no 4616 La loi no 4616 du 21 décembre 2000 prévoit, notamment, au bénéfice des personnes condamnées à la peine de mort, à la réclusion criminelle à perpétuité ou à une autre peine d’emprisonnement supérieure à dix ans pour des infractions commises avant le 23 avril 1999, une réduction de dix ans de la durée de détention à subir au regard de la réglementation relative aux modalités d’exécution de la peine. Cette réduction est considérée comme étant une « mesure de libération conditionnelle ». Selon la Cour de cassation, les personnes condamnées à une peine de réclusion criminelle à perpétuité aggravée ne peuvent bénéficier de la réduction de peine susmentionnée dès lors que cette peine est prononcée en remplacement de la peine de mort en raison de la suppression de celle-ci. La condamnation par contumace L’article 247 § 3 du code de procédure pénale dispose qu’un accusé en état de fuite (kaçak sanık) ne peut être condamné par contumace que s’il a déjà été interrogé par la juridiction de jugement. Le recours individuel devant la Cour constitutionnelle Depuis le 23 septembre 2012, tout individu peut introduire un recours individuel devant la Cour constitutionnelle en invoquant les droits et libertés fondamentaux protégés par la Constitution et/ou par la Convention européenne des droits de l’homme. Le fonctionnement de ce mécanisme est décrit dans la décision Hasan Uzun c. Turquie ((déc.), no 10755/13, §§ 16 à 27, 30 avril 2013). Le premier arrêt de la Cour constitutionnelle relatif à des allégations de violation du droit à la vie a été rendu le 17 septembre 2013 (requête no 2012/752). Dans cette affaire, qui concernait un décès survenu lors du tremblement de terre de Van, les plaignants reprochaient à plusieurs agents publics des négligences dans l’exercice de leurs fonctions relatives aux immeubles menaçant la sécurité publique. Ils dénonçaient également une absence de poursuites pénales à l’encontre de ces agents. La Cour constitutionnelle a considéré que le droit à la vie avait été violé sous son aspect procédural. Elle a alloué une indemnité de 20 000 livres turques (TRY) aux proches du défunt et adressé une copie de son arrêt au parquet de la Cour de cassation afin que la violation et ses conséquences fussent réparées.
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Les requérants sont nés respectivement en 1972 et 1979 et résident à Sofia. Le requérant, M. Anton Petrov, est un homme d’affaires. La requérante, Mme Krasimira Ivanova, est la compagne de M. Anton Petrov. À l’époque des faits pertinents, elle était enceinte. A. L’opération policière « Les effrontés » et sa couverture médiatique En décembre 2009, les services du ministère de l’Intérieur lancèrent une opération visant au démantèlement d’un groupe présumé de malfaiteurs qui aurait organisé et effectué plusieurs enlèvements sur le territoire du pays au cours de la période 2007-2009. L’opération policière fut nommée « Les effrontés ». Le 17 décembre 2009, dans le cadre de cette opération M. Anton Petrov fut arrêté par les forces de l’ordre. Le lendemain, il fut inculpé de participation à un groupe criminel organisé ayant pour activité principale l’enlèvement et la séquestration de personnes (article 321, alinéa 3 du code pénal). L’opération policière « Les effrontés », de décembre 2009, reçut une large couverture médiatique. Les articles publiés dans la presse écrite et les reportages sur les chaînes de télévision mentionnaient le requérant tantôt par ses nom et prénom, tantôt par son sobriquet « le Hamster ». Il était désigné comme dirigeant et trésorier d’un groupe impliqué dans plusieurs cas d’enlèvement, dont certains étaient très médiatisés. Le jour de l’arrestation du requérant, dans une interview donnée pour le quotidien « 24 chasa », le ministre de l’Intérieur, Ts.Ts., aurait déclaré que le requérant avait également participé dans la réalisation des enlèvements et qu’il était parmi ceux qui procuraient les véhicules pour les enlèvements. Dans une interview pour le même journal, consacré à la suite de l’opération « Les effrontés », publié le 1er février 2010, le ministre de l’Intérieur déclara : « Puisque nous et le parquet avons inculpé le Hamster, il a fait partie de ce groupe criminel ». Le 28 avril 2010, le Premier ministre et le ministre de l’Intérieur eurent un entretien avec les victimes de quelques enlèvements attribués au groupe criminel « Les effrontés ». Réagissant à une réplique du ministre de l’Intérieur sur les condamnations antérieures de deux des membres présumés du groupe en question, K. et P., le Premier ministre prononça les propos suivants : « Ils seront maintenant décorés de quinze à vingt ans de prison ... ». Ces propos furent repris dans le titre d’un article publié le lendemain dans le quotidien « 24 chasa » qui s’intitulait « Les effrontés seront décorés de 15 à 20 ans de prison ». Les poursuites pénales à l’encontre du requérant furent clôturées par une ordonnance de non-lieu du parquet de la ville de Sofia du 17 août 2010. B. L’opération policière « Pieuvre » Au petit matin du 10 février 2010, les forces spéciales du ministère de l’Intérieur lancèrent une opération d’envergure visant à arrêter les membres d’un groupe de type mafieux soupçonnés d’avoir organisé et dirigé un vaste réseau de prostitution et d’être mêlés à différentes affaires d’extorsion, appropriation de fonds publics, racket, fraude fiscale et blanchiment d’argent. L’opération fut baptisée « Pieuvre » et reçut une large couverture médiatique. Certains groupes d’intervention du ministère furent accompagnés de caméramans et photographes lors de l’arrestation des différentes personnes soupçonnées d’appartenir à cette organisation. Plusieurs photographies des personnes arrêtées furent publiées dans la presse écrite et apparurent sur des sites internet. Dans le cadre de cette opération, le 10 février 2010, vers 6 heures, une équipe d’intervention du ministère de l’Intérieur fit irruption dans la maison des requérants et y effectua une perquisition sans présenter un mandat à cet effet. À cette heure-ci, les seules personnes qui se trouvaient dans la maison étaient Mme Ivanova, la fille mineure de M. Petrov, âgée de cinq ans, et la grand-mère de M. Petrov, âgée de quatre-vingts ans. Les policiers qui pénétrèrent dans la maison étaient cagoulés et lourdement armés. Mme Ivanova allègue qu’elle fut stressée par l’entrée de ces hommes dans la maison et qu’elle avait peur pour l’enfant qu’elle portait, pour sa belle-fille et pour la grand-mère de son compagnon. La maison des requérants fut perquisitionnée. Les requérants affirment qu’un caméraman aurait filmé l’intérieur de leur logement. Cet enregistrement aurait été livré aux médias par le service de presse du ministère de l’Intérieur et il aurait été utilisé par les médias dans leur couverture de l’opération « Pieuvre ». Le 11 février 2010, à 16 h 55, M. Petrov et son avocat se rendirent au palais de justice à Sofia. Ils furent ensuite conduits au service de l’instruction de Sofia où, à 22 h 05, le requérant fut inculpé de participation à un groupe criminel armé ayant pour activités principales le recel de biens volés, la fraude fiscale, le proxénétisme et le racket (article 321, alinéa 3 du code pénal). Mme Ivanova n’a été ni arrêtée ni inculpée dans le cadre de cette enquête pénale. Le 12 février 2010, le tribunal de la ville de Sofia décida de placer M. Petrov et ses complices présumés en détention provisoire. Sur l’appel du requérant, le 18 février 2010, la cour d’appel de Sofia, décida de le libérer sous caution. L’intéressé fut relâché le lendemain. Le requérant n’a pas précisé si les poursuites pénales à son encontre sont encore pendantes. C. La couverture médiatique de l’opération « Pieuvre » Les propos du ministre de l’Intérieur Entre février et octobre 2010, le ministre de l’Intérieur fit plusieurs interventions devant les médias concernant l’opération « Pieuvre ». La plupart de ses propos visaient directement ou indirectement le dirigent présumé du groupe criminel en cause, Alexey Petrov. Le 15 février 2010, le quotidien « Standart » publia les propos suivants du ministre : « Dans les deux opérations « Les effrontés » et « Pieuvre », on retrouve les mêmes personnes. Un exemple typique est le « Hamster ». Tout le monde sait qui est la personne qui contrôle la plupart des gens dans les milieux de l’assurance et des vols de voitures. Mais les agissements du Hamster ne sont pas à l’insu de celui qui se trouve au niveau supérieur, et c’est notamment Alexey Petrov, alias « le Tracteur ». (...) Le fait qu’Alexey Petrov a été agent d’infiltration n’est que de la poussière dans les yeux. On peut affirmer sans hésitations que la mafia a fait infiltrer l’un de ses hommes dans l’État. (...) » Les propos des autres responsables politiques Le 18 février 2010, le quotidien « Standart » publia les propos suivants du secrétaire du ministère de l’Intérieur : « Nos petits films (sur les opérations policières « Les effrontés » et « Pieuvre ») sont parmi les plus vus sur YouTube. Nous avons battu les compagnies cinématographiques. » Le 19 février 2010, le site d’information en ligne www.vsekiden.com publia des propos du Premier ministre sur la décision de la cour d’appel de Sofia de relâcher une partie des détenus au cours de l’opération « Pieuvre », y compris M. Petrov. La partie pertinente de l’article se lit ainsi : « Je ne veux pas commenter les décisions du tribunal, c’est ainsi qu’ils ont raisonné, c’est ainsi qu’ils ont décidé », c’était le commentaire du premier ministre B.B. concernant la décision de la cour d’appel de Sofia de libérer cinq des personnes détenues au cours de l’opération policière « Pieuvre ». Les seuls qui demeurent derrière les barreaux sont l’ex-agent de l’Agence nationale de sécurité Alexey Petrov, présumé d’être le fondateur et le dirigeant du groupe criminel, et l’homme d’affaires M.D. D’après B., le fait que des personnes soient maintenues en détention signifie que les preuves rassemblées à l’heure actuelle sont suffisantes. » Le même article citait également les propos suivants de V.S., leader du parti politique « Ataka », député à l’Assemblée nationale et membre de sa commission pour le contrôle des activités de l’Agence nationale de sécurité : « L’opération « Pieuvre » doit être menée jusqu’au bout », a insisté le leader d’Ataka. « Ce qu’Alexey Petrov a affirmé hier ne correspond pas à la réalité. (...) Cet homme adore l’exagération et s’attribue un rôle qui est plus légendaire que le sien. Ce sont des spéculations. Il ne fait que spéculer en affirmant que c’est une affaire politique. C’est une véritable affaire criminelle, de banditisme et de gangsters. » Les propos des représentants du parquet Entre février et juillet 2010, le procureur général, son adjoint, le procureur de la ville de Sofia, et le procureur S.K., responsable de l’enquête pénale ouverte à la suite de l’opération « Pieuvre », donnèrent des interviews aux différents médias. Les commentaires des procureurs concernaient le déroulement de l’enquête et le seul suspect mentionné dans leurs propos était Alexey Petrov, soupçonné d’avoir dirigé le groupe criminel en cause. II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS Le droit interne pertinent concernant la responsabilité de l’État pour dommages a été résumé dans l’arrêt Gutsanovi c. Bulgarie (no 34529/10, § 67, CEDH 2013 (extraits)).
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE La requérante est née en 1940 et réside à Diyarbakır. Le 7 novembre 2008, sa fille, Fatma Babatlı, fut tuée par son mari, S.B., qui se donna également la mort. Fatma Babatlı était mère de sept enfants, tous mineurs au moment des faits. A. Les évènements ayant précédé le décès de Fatma Babatlı La première plainte pénale de Fatma Babatlı Le 16 juillet 2008, la fille de la requérante saisit le procureur de la République de Diyarbakır (« le procureur de la République ») d’une plainte contre son mari. Elle déclara être mariée depuis dix-sept ans et subir depuis lors de graves violences de la part de son mari. Elle indiqua que ses enfants étaient également victimes de violences. Elle dit ne plus supporter celles-ci et s’être installée chez son père de ce fait. Elle dit également craindre son mari et vouloir bénéficier de la loi no 4320 relative à la protection de la famille (« loi no 4320 »). Le jour même, Fatma Babatlı fut entendue par le procureur de la République qui établit un procès-verbal d’audition. À cette occasion, elle réitéra sa plainte, précisa avoir sept enfants, être mariée depuis dix-sept ans et être victime de violences récurrentes de la part de son mari. Fatma Babatlı déclara en outre que trois jours auparavant elle et ses enfants avaient à nouveau été battus. Elle demanda l’établissement d’un rapport médico-légal. Elle dit craindre pour sa vie et celle de ses enfants et demanda à ce que son mari soit éloigné de leur domicile. Le 17 juillet 2008, l’institut médico-légal de Diyarbakır établit un rapport d’après lequel, lors de son auscultation, Fatma Babatlı avait déclaré subir les violences de son mari depuis le jour de son mariage, qu’elle n’en avait parlé à personne et qu’elle n’avait pas consulté de médecin de ce fait. Aux termes de ce rapport : « (...) De nombreuses et anciennes ecchymoses de 2-10 cm, de couleur mauve-vert, ont été observées sur la zone du zygoma gauche et de la mandibule gauche, sur le côté gauche de la zone lombaire et sur la partie extérieure du bras gauche (...). Conclusion : Les blessures constatées sur la personne : Sont de nature légère de sorte que leur impact sur la personne peut être résorbé par une intervention médicale simple ; Ne sont pas de nature à mettre la vie de la personne en danger ; Aucun os brisé sur le corps de la personne (...). » Le 18 juillet 2008, saisi d’une demande d’application de mesures de protection en vertu de la loi no 4320 par le procureur de la République, le tribunal de la famille de Diyarbakır (« le tribunal de la famille ») fit droit à cette demande. Pour ce faire, il constata que des témoignages établissaient que S.B., époux de Fatma Babatlı, avait fait preuve de violences à son endroit. Il ordonna en conséquence à S.B. de respecter les mesures suivantes, pendant six mois : - l’interdiction de tout comportement de nature violente ou effrayante à l’endroit de F.B., - l’éloignement du domicile conjugal et l’attribution de celui-ci à son épouse et aux autres membres de sa famille, - l’interdiction de s’approcher du domicile ou du lieu de travail où se trouvaient ces personnes, - l’interdiction de déranger son épouse par le biais de communications, - l’interdiction de s’approcher du domicile où elle vivait ou de son lieu de travail sous l’emprise de l’alcool ou de stupéfiants et l’interdiction de faire usage de ces substances en ces lieux. La décision du tribunal mentionnait que tout manquement aux injonctions ainsi faites ouvrirait la voie à une peine privative de liberté. Le 24 juillet 2008, la déposition de Fatma Babatlı fut recueillie au commissariat de police de Çarşı (« le commissariat »). À cette occasion, elle réitéra avoir été victime de violences de la part de son mari. Elle dit notamment ceci : « (...) parce que j’ai peur de mon mari, j’ai quitté la maison avec les enfants et je vis actuellement chez ma mère (...). Je demande à ce que mon mari soit éloigné du domicile. Je ne peux pas retourner chez moi (...) parce que j’ai peur que mon mari revienne. De plus, la santé mentale de mon mari est perturbée (...). Parce que j’ai sept enfants, on m’a dit qu’il n’y avait pas de lieu approprié pour moi dans un refuge (...). » Ce jour, la déposition de la requérante fut également recueillie au commissariat. À cette occasion, elle dit que sa fille subissait des violences de la part de son mari depuis seize ans, qu’elle avait déjà vu son gendre frapper sa fille et qu’il lui était arrivé de se couper lui-même avec un rasoir. Elle déclara que la vie de sa fille était en danger et qu’elle s’était réfugiée chez elle. Au cours de la même journée, furent recueillis les témoignages des sœurs de Fatma Babatlı, lesquelles déclarèrent qu’elle était victime des violences de son mari, qu’elle présentait des bleus sur le corps, qu’elle avait supporté cette situation pour ne pas briser son foyer mais que depuis un an, ses problèmes s’étaient accrus. Le 25 juillet 2008, fut recueilli le témoignage de S.B. qui nia avoir jamais été violent à l’égard de son épouse. Il déclara qu’elle souffrait de diabète et tombait donc souvent, raison pour laquelle elle présentait des bleus. Le 6 août 2008, la décision du tribunal de la famille du 18 juillet 2008 (paragraphe 10 ci-dessus) fut notifiée à S.B. Le 7 octobre 2008, le procureur de la République inculpa S.B. pour blessure simple en vertu des articles 53, 86/2 et 86/3 a) de la loi pénale. Il ressort de l’acte d’accusation que S.B. avait blessé la victime d’une façon pouvant être résorbée par une intervention médicale simple, suite à une dispute survenue le 16 juillet 2008. Le 21 octobre 2008, le tribunal correctionnel de Diyarbakır (« le tribunal correctionnel ») accepta l’acte d’accusation du procureur. Le 30 décembre 2008, après le décès de S.B., le tribunal correctionnel adopta une décision mettant un terme à la procédure. La deuxième plainte pénale de Fatma Babatlı Le 26 juillet 2008, Fatma Babatlı et ses deux sœurs se rendirent au palais de justice pour assister à une comparution de son fils. En sortant du palais de justice, elles furent prises à partie par S.B. Le jour même, des policiers recueillirent leurs dépositions. Elles déclarèrent que S.B. attendait devant le palais de justice, qu’il avait sorti un rasoir et l’avait posé sur son cou en accusant sa femme d’être responsable de ce qui arrivait à leur fils et qu’il les avait frappées toutes les trois avec l’aide de son frère, avant d’être interpellé par des policiers. Elles déclarèrent se porter plaignantes. Fatma Babatlı déclara en outre qu’elle vivait séparée de son mari depuis douze jours, qu’elle avait intenté une action en divorce et qu’elle ne souhaitait pas se rendre dans un refuge pour femmes. Le soir même, trois rapports médico-légaux furent établis décrivant les blessures que Fatma Babatlı et ses sœurs présentaient. Selon ces rapports, Fatma Babatlı présentait sur la partie arrière du bras droit une rougeur, un œdème et un gonflement de 3-4 cm dus à un coup. Si. K. présentait quant à elle une ecchymose et une rougeur sur le torse dues à un coup. Enfin, Sa. K. présentait une rougeur étendue sur le torse due à un coup. Le 18 août 2008, saisi d’une demande d’application de mesures de protection en vertu de la loi no 4320 par le procureur de la République, le tribunal de la famille adopta une nouvelle décision contenant les mesures d’injonctions suivantes, faites à S.B., pour une durée de six mois : - l’interdiction de tout comportement de nature violente ou effrayante à l’endroit de son épouse, - l’éloignement du domicile conjugal et l’attribution de celui-ci à son épouse et aux autres membres de sa famille, - l’interdiction de s’approcher du domicile ou du lieu de travail où se trouvaient ces personnes à moins de 300 mètres, - l’interdiction de déranger son épouse par le biais de communications. La décision du tribunal mentionnait que tout manquement aux injonctions ainsi faites ouvrirait la voie à une peine privative de liberté. Le 9 septembre 2008, le procureur de la République enjoignit à la direction de la sûreté départementale de Yenişehir de procéder à l’audition de S.B. et de son frère pour les faits de violences survenus devant le palais de justice. Le 12 septembre 2008, l’institut médico-légal de Diyarbakır établit trois rapports qui, reprenant le descriptif des blessures de Fatma Babatlı et de ses sœurs, tel que mentionné dans les rapports médicaux du 26 juillet 2008 (paragraphe 21 ci-dessus), conclurent que ces blessures étaient légères et pouvaient être résorbées par une intervention médicale simple. Le 12 octobre 2008, la décision du tribunal de la famille du 18 août 2008 (paragraphe 22 ci-dessus) fut notifiée à S.B. Le 25 novembre 2009, le procureur de la République inculpa B.B., frère de S.B., pour blessures volontaires sur la personne de Fatma Babatlı. Le même jour, il adopta une décision complémentaire de non-lieu à poursuivre concernant la plainte des sœurs de la défunte, celles-ci y ayant renoncé suite au décès de S.B. Le 23 janvier 2010, le tribunal correctionnel accepta l’acte d’accusation du procureur de la République par lequel B.B. était poursuivi pour blessure simple. Le 20 avril 2010, le tribunal correctionnel reconnut B.B. coupable de blessures volontaires sur la personne de Fatma Babatlı et le condamna en conséquence à une peine de cent-vingt jours-amende, réduit à cent jours-amende pour bonne conduite. Cette peine fut en outre commuée en une peine d’amende judiciaire de 2000 livres turques, assortie d’un sursis au prononcé du jugement. La troisième plainte pénale de Fatma Babatlı. Le 8 octobre 2008, le procureur de la République écrivit à la direction départementale de la sûreté de Sur pour ordonner l’arrestation et le placement en garde à vue de S.B., pour une durée ne pouvant excéder vingt-quatre heures, en raison de la violation par celui-ci, le soir même, des injonctions adoptées à son endroit en vertu de la loi no 4320. Le 9 octobre 2008, des policiers établirent un procès-verbal d’après lequel la veille, vers 23 h, S.B. avait été arrêté. Ce procès-verbal énonce notamment : « Suite à l’annonce faite vers 23 h, le 08.10.2008, selon laquelle une bagarre était survenue au sein d’une famille (...) les équipes se rendirent sur les lieux et s’entretinrent (...) avec la victime Fatma Babatlı qui déclara que son mari la battait (...), que la dernière fois qu’il l’avait battue elle avait porté plainte et avait obtenu du tribunal de la famille (...) une mesure d’éloignement du domicile pour une durée de six mois (...). [Elle dit] que ce soir il était entré de force dans sa maison et l’avait frappé et qu’elle se portait plaignante (...). La personne concernée fut appelée et attendue dans la rue (...). S.B. arriva alors avec, à la main, un couteau dont le manche [mesurait] 9,5 cm et la lame 11 cm, pointée sur son cou. Il s’approcha (...) en criant « laissez-moi tranquille (...) », « pour qui vous prenez-vous », « je me couperai ». Il fit un esclandre et avec le couteau qu’il tenait à la main, il tenta de se couper le cou. Il résista à son interpellation en se frappant la tête et le corps (...) contre les murs (...). Le couteau lui fut retiré des mains de force (...). Il fut menotté et placé en garde à vue. À son arrivée au commissariat, (...) il se jeta contre les murs (...), il continua à menacer sa femme en disant « quelle que soit la peine [qu’on m’infligera], cette nuit j’irais à la maison ou alors tuez-moi » (...). Un couteau dont le manche [mesurait] 15 cm et la lame 53 cm fut saisi sur lui (...). » Ce jour, le commissaire de police de Çarşı établit un procès-verbal décrivant également, en des termes sensiblement similaires, l’intervention policière. Il ressort en outre de ce procès-verbal que le procureur de la République de garde fut informé des événements par téléphone ainsi que le tribunal de la famille. Au cours de la même journée, la déposition de Fatma Babatlı fut recueillie à deux reprises au commissariat : une première fois, à environ une heure du matin et une seconde fois, à 11 h 26. Au cours de cette seconde déposition, elle fit les déclarations suivantes : « (...) Mon mari m’a toujours battue (...). Avec l’espoir que cela s’arrangerait peut-être j’ai patienté, mais je n’ai jamais vu mon mari s’améliorer. Les derniers temps, il a accru ses violences. Il rentrait à la maison sous l’emprise de l’alcool et de la drogue et me frappait. Il m’insultait. J’ai 7 enfants de cette union (...). Il battait également mes enfants. Ne le supportant plus, j’ai déposé plainte le 18.07.2008 (...). Le tribunal a adopté une mesure préventive de six mois en vertu de la loi no 4320 (...). Depuis lors, sans respecter cette décision, mon mari a continué à me déranger (...). Le 08.10.2008, vers 22 h 30, il est venu ivre à la maison (...). De peur, je n’ai pas ouvert la porte. Il m’a dit qu’il voulait parler (...), j’ai ouvert la porte. À peine entré, mon mari (...) a commencé à me frapper. Il a poussé mon fils de trois ans contre un mur (...). J’ai voulu prendre mon enfant. Il a recommencé à me frapper. Puis, sortant devant la porte, il a commencé à injurier Allah et son prophète. Un passant dans la rue l’a entendu et l’a [interpellé]. Sur ce, mon mari a commencé à l’injurier et a dit aux enfants dans la maison de lui apporter son couteau. Les enfants lui ont apporté. Craignant qu’il attaque [ce] citoyen, j’ai fermé la porte du jardin. Il s’est tourné vers moi et a dit qu’il allait me tuer ou un membre de ma famille avec ce couteau. Je me suis enfuie dans la maison et j’ai refermé la porte (...). J’ai ensuite appelé le 115 et j’ai demandé de l’aide. Dans l’intervalle, mon mari avait fui. Les policiers sont venus (...), ils m’ont demandé de l’appeler sur son portable. Je l’ai appelé et lui ai dit de venir à la maison (...). Lorsqu’il est venu et a vu les policiers, il a pointé son couteau sur sa gorge et a menacé de se tuer (...). Les policiers lui ont pris le couteau de force (...). Je crains pour ma vie (...). Je me porte plaignante (...). Ma déposition du 08.10.2008 est juste. On m’a demandé si je voulais ou non être installée dans un refuge pour femmes. Mais je ne veux pas aller dans un refuge pour femmes. J’ai 7 enfants, c’est pourquoi je ne veux pas aller dans un refuge pour femmes. » Un rapport médico-légal daté du même jour établit que Fatma Babatlı présentait une ecchymose et une hypérémie au niveau du coude gauche dues à un trauma consécutif à un coup. Toujours le même jour, S.B. fut entendu au commissariat. Il déclara s’être rendu chez son épouse parce qu’ils s’étaient réconciliés et qu’il voulait voir ses enfants. Il dit qu’il s’était légèrement disputé avec son épouse et qu’elle avait dû prendre peur parce qu’il avait un peu haussé le ton. Il dit également qu’il était revenu lorsque sa femme l’avait appelé pour lui dire que la police était à la maison et que, voyant les policiers, il avait porté un couteau à son cou parce qu’il était peiné et que, sur le moment, il avait voulu mourir. Au cours de cette journée, S.B. déposa également devant le procureur de la République qui lui lut le rapport médico-légal décrivant les blessures de sa femme (paragraphe 33 ci-dessus). Il déclara alors : « (...) C’est la troisième fois que je me présente devant vous. Je réitère ma déposition faite au commissariat. Nous étions réconciliés, j’étais venu à la maison. Il y a eu quelques cris entre nous. N’ai-je donc pas le droit de crier un peu sur ma femme ? Puis, je suis parti de la maison (...). Je lui ai seulement retourné le bras lors de notre dispute. Lorsqu’elle m’a repoussé, j’ai immédiatement retiré ma main (...). » Au terme de cette audition, le procureur de la République déféra S.B. devant le tribunal correctionnel pour blessures volontaires, tentative de blessures volontaires avec une arme, menaces avec une arme, mauvais traitements et manquement à la loi no 4320. Il demanda son placement en détention provisoire. Sur ce, S.B. fut entendu par le tribunal correctionnel. Il dit regretter ses agissements, reconnaître s’être mal comporté vis-à-vis de sa femme et de la police et qu’il ne le ferait plus. Il déclara qu’il était dans cet état à cause de l’alcool mais qu’il allait arrêter de boire, qu’il allait mieux se comporter vis-à-vis de sa femme et de ses enfants. Il dit également que ses déclarations présentes étaient vraies et que ces précédentes déclarations au commissariat et devant le procureur avaient été faites pour échapper à ce qui lui était reproché. Le tribunal correctionnel estima qu’il convenait de rejeter la demande de placement en détention du procureur de la République, au vu notamment de l’état des preuves et compte tenu de ce qu’une détention provisoire n’était pas une sanction mais une mesure de prévention. Il ordonna donc la libération immédiate du suspect si celui-ci ne faisait pas l’objet d’une détention, d’une condamnation ou d’un mandat d’amener pour une autre infraction. Cette libération était assortie d’une mesure de contrôle judiciaire consistant pour S.B. à se présenter deux fois par semaine au commissariat de police et en un avertissement, faute de respecter ce contrôle judiciaire, qu’il pourrait être immédiatement détenu. Le 13 octobre 2008, le tribunal de la famille, saisi d’une demande d’application de mesures de protection en vertu de la loi no 4320 par le procureur de la République, adopta une nouvelle décision énonçant les injonctions suivantes à S.B., pour une durée de six mois : - l’interdiction de tout comportement de nature violente ou effrayante à l’endroit de son épouse, - l’éloignement du domicile conjugal et l’attribution de celui-ci à son épouse et aux autres membres de sa famille, - l’interdiction de s’approcher du domicile ou du lieu de travail où se trouvaient ces personnes, - l’interdiction de porter atteinte aux biens des membres de la famille, - l’interdiction de déranger son épouse par le biais de communications, - la remise aux forces de l’ordre des armes ou objets similaires qu’il détiendrait. La décision du tribunal mentionnait que tout manquement aux injonctions ainsi faites ouvrirait la voie à une peine privative de liberté. Le 17 novembre 2008, suite au décès de S.B., le procureur de la République adopta une décision de non-lieu à poursuivre s’agissant des faits de manquement à la loi no 4320, blessures, mauvais traitements et menaces avec une arme. La quatrième plainte pénale de Fatma Babatlı À une date non mentionnée, Fatma Babatlı écrivit à nouveau au procureur de la République pour se plaindre de son mari. Elle affirma que celui-ci faisait l’objet d’une mesure d’éloignement de son domicile pour une durée de six mois mais qu’il avait réussi à enlever deux de ses enfants devant chez elle et refusait de les lui restituer. Elle dit qu’il avait également essayé d’enlever sa fille, qu’il avait frappé son fils et qu’il avait menacé de le tuer ainsi qu’elle-même. Elle affirma que la vie de ses enfants et la sienne n’étaient pas en sécurité et demanda une aide urgente. Le 20 octobre 2008, Fatma Babatlı déposa à nouveau plainte auprès du procureur de la République. Le procès-verbal de déposition établi ce jour énonce : « (...) j’ai déjà porté plainte contre mon mari parce qu’il me battait. Au terme de cette plainte, le tribunal de la famille lui a ordonné le 18.07.2008 de s’éloigner de la maison pendant 6 mois. (...) mon mari a enlevé deux de mes enfants devant la maison. Mes enfants [doivent] aller à l’école mais mon mari ne me les rend pas (...). Il a également essayé d’enlever ma fille Y.B., mais elle a eu peur et s’est enfuie (...). Il lui a dit « je vais vous [cribler] de balles » et il l’a injuriée. Le même jour, il m’a appelée. Il m’a dit « les enfants sont avec moi, je vais te les envoyer » (...). Cela fait deux jours et il n’a toujours pas envoyé les enfants. Lorsque je l’ai appelé il a dit « je n’envoie pas les enfants, vas porter plainte à la police ». Environ une semaine plus tôt, il aurait battu mon fils R. et lui aurait dit « je vais te tuer toi, ta mère et ta tante ». Mon fils me l’a raconté. Mon mari m’a dit « ne me demande pas de pension alimentaire, je divorcerais de toi en un jour, je vais prendre les enfants [à ma charge], s’il le faut je les rejetterais dehors ». Je me porte plaignante contre S.B. qui me menace et menace ma famille, qui ne respecte pas la décision d’éloignement et qui a frappé mon enfant (...). » Le 5 novembre 2008, le procureur de la République écrivit à la direction de la sûreté de Sur pour demander que l’adresse du suspect fût déterminée, qu’il fût entendu en sa défense et que les déclarations des enfants fussent recueillies. Le 15 janvier 2009, suite au décès de S.B., le procureur de la République adopta une décision de non-lieu à poursuivre concernant la plainte de la défunte. B. Le décès de Fatma Babatlı et l’enquête pénale subséquente Le 7 novembre 2008, deux policiers dressèrent un procès-verbal d’après lequel, le jour même, vers 11 h 45, une femme s’était approchée d’eux alors qu’ils étaient en faction devant le commissariat pour les informer qu’un homme avait tué une femme. Ils se rendirent sur les lieux où ils virent deux corps à terre et une arme à feu près de l’homme. Ils appelèrent une ambulance et les équipes compétentes. Vers 12 h 10, les équipes de la sûreté arrivèrent sur place et établirent un procès-verbal d’examen des lieux ainsi qu’un croquis. Le jour même, à 13 h 30, le procureur de la République établit un procès-verbal d’examen des lieux d’après lequel, suite à une querelle entre deux époux, le mari avait tiré sur sa femme avant de se tirer dessus. Blessé, il fut conduit à l’hôpital. Au cours de la même journée, les policiers recueillirent les dépositions des témoins. L’une d’elle déclara qu’elle avait vu un homme et une femme se disputer dans la rue, que l’homme avait un pistolet à la main, qu’elle avait pris peur et s’était enfuie. Elle dit avoir alors entendu des coups de feu. Les policiers recueillirent également la déposition de deux des enfants de la défunte. K.B., sa fille, née en 1994, déclara : « (...) ils se disputaient tout le temps, généralement parce que mon père buvait. Depuis un an, ces disputes se sont accrues. Mon père buvait tout le temps et battait ma mère. C’est pourquoi ma mère a saisi le commissariat. Mon père a eu une peine d’éloignement du domicile (...). Il venait devant la maison, enlevait mes [frères et sœurs] et voulait rentrer dans la maison mais ma mère ne le lui permettait pas. Mon frère aîné R. ne venait pas à la maison à cause du comportement de mon père. Il mentait à mes [frères et sœurs] pour que ceux-ci disent à ma mère qu’il allait lui tirer dessus, ainsi que sur mon frère R. Une semaine avant, il m’a conduit chez ma tante et m’a demandé pourquoi je ne venais pas chez lui. Je lui ai répondu que c’était parce qu’il buvait. Il m’a aussi dit qu’il allait tuer ma mère. Mon père aurait acheté une arme, il la cachait chez ma tante. Je n’ai pas vu l’arme mais il l’aurait montrée à mes [frères et sœurs] (...) Je porte plainte contre mon père (...). » R.B., fils de la défunte, né en 1993, déclara quant à lui : « (...) ils se disputaient tout le temps. Mon père a toujours bu et frappé ma mère (...). Lorsque je m’interposais, il me frappait également (...). Environ une semaine plus tôt, il m’a frappé au visage avec un petit pistolet noir (...). Il nous menaçait tout le temps et disait qu’il allait nous frapper (...). Depuis environ deux mois, il vivait chez sa sœur (...). De temps en temps, il venait à la maison pour nous menacer, il disait « je vais vous tuer », « je vais vous découper ». Ma mère a intenté une procédure en divorce qui est pendante. Ma mère a saisi le commissariat (...). Je me porte plaignant contre mon père (...). » Ce jour, à 15 h 20, un procès-verbal d’examen du corps de Fatma Babatlı et d’autopsie fut établi concluant qu’elle était morte suite à une blessure par balle ayant brisé sa boîte crânienne, provoqué une hémorragie cérébrale, des blessures aux organes internes ainsi qu’une hémorragie interne. Le 10 novembre 2008, le tribunal pour enfants de Diyarbakır adopta une décision de placement en urgence des enfants de la défunte sous protection, dans un centre des services sociaux. Le 2 décembre 2008, le procureur de la République écrivit au tribunal d’instance de Diyarbakır aux fins de demander la désignation d’un tuteur pour les enfants de la défunte. Le 13 janvier 2009, la requérante saisit le procureur de la République d’une plainte pour manquement aux devoirs. Elle demanda l’identification et l’engagement de poursuites contre les fonctionnaires qui, malgré toutes les plaintes de sa fille, n’avaient pas, selon elle, mené d’enquête effective et dont les manquements avaient conduit à sa mort. Elle invoqua les articles 2, 3, 6, 13 et 14 de la Convention. La requérante lista les différentes plaintes déposées par sa fille, contre son mari. Elle fit valoir qu’en l’espace de trois mois et demi à compter de la date de sa première plainte, elle avait déposé quatre autres plaintes contre son mari. Chaque fois, elle déclara que ses enfants et elle étaient victimes de violences, qu’elle était menacée de mort et elle demanda une protection. La requérante soutint que les trois ordonnances du tribunal de la famille adoptées au bénéfice de sa fille avaient été des décisions de pure forme. En effet, selon elle, la première ordonnance contenait des injonctions valables six mois de sorte qu’en vertu de la loi no 4320, son gendre aurait dû être placé en détention dès le premier manquement à ces injonctions. Faisant référence à la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination contre les femmes (CEDAW) et aux évolutions de la législation interne, telle que la loi no 4320, la requérante argua que ces évolutions étaient vaines : la violence dont sa fille avait été victime ayant été qualifiée de « blessure simple ». Selon la requérante, même le dernier acte de violence pour lequel les forces de l’ordre intervinrent ne fut pas jugé suffisant pour que son gendre fût placé en détention. Pour elle, les cris de détresse de sa fille ne furent pas entendus et la législation existante ne fut pas utilisée de manière suffisante ou effective. Elle argua ainsi que de nouvelles ordonnances de protection furent adoptées alors même que la durée des injonctions prononcées au titre de la loi no 4320 n’était pas encore expirée. Le 13 février 2009, le procureur de la République adopta une décision de non-lieu à poursuivre S.B. du fait d’homicide volontaire, celui-ci étant décédé. Le 23 octobre 2009, la requérante fut entendue par le procureur de la République. Elle déclara réitérer le contenu de sa plainte (paragraphe 51 ci-dessus) et se porter plaignante contre l’État car, selon elle, tous les fonctionnaires étaient fautifs. Le 2 février 2011, le procureur de la République adopta une décision de non-lieu à poursuivre estimant qu’il n’y avait pas de preuves susceptibles de créer un doute suffisant pour que des fonctionnaires fussent poursuivis. Le 3 février 2011, la requérante saisit la cour d’assises de Siverek d’un recours en opposition contre cette décision faisant valoir que le procureur s’était prononcé sans examiner les informations et documents qui lui avaient été présentés. Elle argua en outre que les dispositions légales pour assurer la protection de sa fille n’avait pas été utilisées de manière efficiente et que les fonctionnaires n’avaient pas dûment exercé leurs fonctions. Le 4 avril 2011, la cour d’assises rejeta ce recours estimant que la décision du procureur était conforme à la procédure et à la loi. II. LE DROIT INTERNE ET INTERNATIONAL PERTINENT A. Le droit et la pratique interne pertinent Dispositions législatives pertinentes La loi no 4320 du 14 janvier 1998 relative à la protection de la famille, dans sa rédaction initiale, est décrite dans l’affaire Opuz c. Turquie, (no 33401/02, § 70, CEDH 2009). Les passages pertinents de cette loi, telle que modifiée par la loi no 5636 du 26 avril 2007, sont énoncés dans l’arrêt M.G. c. Turquie (no 646/10, § 48, 22 mars 2016). La loi no 4320 a été remplacée par la loi no 6284 du 8 mars 2012 relative à la protection de la famille et à la prévention des violences contre les femmes, publiée au journal officiel le 20 mars 2012. Le règlement relatif à la mise en œuvre de la loi relative à la protection de la famille, paru au journal officiel le 1er mars 2008 disposait notamment : « Transmission de l’ordonnance préventive au procureur de la République et mise en œuvre. Article 15. (1) Le tribunal transmet une copie de l’ordonnance préventive au procureur de la République (...). (2) Le procureur de la République surveille l’exécution de cette décision par le biais des forces de l’ordre. En fonction de son contenu, l’ordonnance préventive est envoyée en urgence aux forces de l’ordre (...). (3) Le devoir de surveillance des forces de l’ordre débute à la date à laquelle l’ordonnance de protection a été rendue. Les forces de l’ordre informent les intéressés en fonction du contenu de l’ordonnance de protection. Cette information fait l’objet d’un procès-verbal et un contrôle est effectué pendant la durée de l’ordonnance quant au respect des mesures [préventives]. Ce contrôle implique, au regard de la personne au bénéficie de laquelle l’ordonnance a été adoptée : a) la visite une fois par semaine du logement où elle se trouve ; b) l’établissement de liens avec ses proches (...) ; c) une demande d’informations auprès de ses voisins ; ç) l’obtention d’informations auprès du muhtar du lieu de résidence ; d) des recherches autour du logement où elle se trouve ; (4) Si, au terme des contrôles effectués dans les conditions énoncées ci-dessus ou de [toute] autre manière, il est établi que la personne à l’encontre de laquelle l’ordonnance de protection a été adoptée ne la respecte pas, cette situation est inscrite dans un procès-verbal. En se fondant sur ce procès-verbal, les forces de l’ordre déclenchent une enquête d’office et transmettent le document dans les plus brefs délais au procureur de la République. (5) Le procureur de la République déclenche des poursuites devant le tribunal correctionnel contre le mari ou les autres membres de la famille qui ne respectent pas l’ordonnance de protection. » Rapport de l’organisation non-gouvernementale Human Rights Watch Le 4 mai 2011, l’organisation non-gouvernementale Human Rights Watch publia un rapport intitulé « “He loves you, he beats you”: Family Violence in Turkey and Access to Protection » («“Il t’aime, il te bat” : la violence familiale en Turquie et l’accès à la protection »). Ce rapport énonce, dans ses passages pertinents en l’espèce : « (...) Prevalence of Domestic Violence in Turkey (...) In January 2009, the Turkish Hacettepe University published the first-ever comprehensive nationwide survey on the prevalence of domestic violence against women in Turkey. Comprising interviews with over 12,000 women in all regions of Turkey, it found that 42 percent of women in Turkey aged 15-60, and 47 percent of women in rural areas, had experienced physical and/or sexual violence by their husbands or partners at some point in their lives. This means at least eleven million women have faced or are facing physical or sexual violence in Turkey. This did not include other forms of violence, or violence by other family members. The study also found that only 8 percent of women who have experienced sexual or physical violence seek help from any institution, NGO, or other source of support. A different academic study conducted in 2009 concludes that only around 3 percent of women told the muhtar (elected village or neighborhood official), police, gendarme, a lawyer, or public prosecutor about their experience of domestic violence. (...) Reforms and Civil Society Efforts Turkey has in recent years passed major legislative reforms in the area of women’s human rights including: adopting the Law on the Protection of the Family 1998; the Turkish Civil Code, reformed in 2001; and the reform of the Turkish Penal Code in 2004-05 (...). (...) II. Legal Reforms and Gaps The Turkish government’s response to domestic violence is full of contradictions, and gains and gaps explored below. On the one hand, parliament has adopted crucial changes to the Penal and Civil Codes that remove discriminatory provisions and banish the possibility that someone who kills a woman allegedly to preserve family “honor” could get a reduced sentence. On the other hand, gaps remain in the laws, and many law enforcement officials emphasize preserving the family as a unit, rather than protecting domestic violence survivors. (...) The government’s inconsistent response to domestic violence and women’s rights reflects a wider societal ambivalence about women’s changing roles. As one advocate put it, many people in Turkey believe “the rise of women is the fall of family”. (...) Penal and Civil Code Reforms Turkey has undertaken major Civil and Penal Code reforms in the past fifteen years, many of which constitute impressive gains for women’s rights (...). As a result of the reforms, Turkey’s Civil and Penal Codes now include: • A general principle of gender equality under the Penal Code; • Increased sentences for murders in the name of “custom,” (replacing the prior provision that reduced sentences for “honor” murders); • Even though there is no specific article regulating the crime of domestic violence, article 96 of the new Penal Code stipulates that anyone causing torment to their spouse or family members will be sentenced to three to eight years in prison. Article 232 of the Penal Code provides for imprisonment of up to one year for the maltreatment of anyone living under the same roof; (...) Anti-Violence Programming The legal realm is not the only sphere of progress on violence against women in Turkey: in recent years, a number of government agencies, NGOs, and media outlets have launched programs and campaigns to address the topic (...). The Directorate General also trains police officers, members of the judiciary, and health workers, and works with religious officials to garner support in combating domestic violence. Their efforts appear to be paying off (...). (...) III. Failings in Implementing the Protection Law There is no doubt that the legal framework for protection from violence has improved. However, as this chapter shows, there are serious shortcomings in the way it is implemented. In 2009, a large study by academics concluded that 57 percent of women in Turkey as whole, but only 35 percent in the east, are aware of the Family Protection Law. Of those women who had heard of the law, only 7.5 percent knew someone who had actually benefited from it. Human Rights Watch research indicates that even those women who do know about protection orders face barriers that prevent them seeking help and protection. Human Rights Watch research suggests that all too often police, prosecutors, or judges to whom women might turn for help send them back to the abusive situation, push for reconciliation, ask for medical records, or delay the process significantly. If a judge does eventually issue a protection order, police monitoring often falls short. (...) Police and Gendarmerie Response to Reports of Abuse (...) Law enforcement officers often prioritize preserving family unity, and push battered women to reconcile with abusers rather than pursuing criminal investigations or assisting women in getting protection orders. Human Rights Watch documented this tendency in every city visited for research. In most cases documented, police officers or gendarmerie sent women back to violent husbands or family, or summoned the husband to pressure the couple to reconcile. In some cases, police sent women back to batterers multiple times, even when they returned to report more attacks on themselves or their children. While important progress has been achieved in some areas, such as improved awareness of the law among law enforcement personnel through law enforcement trainings and public pressure, much remains to be done before abused women can count on their complaints and safety being taken seriously. (...) Role of Judges and Prosecutors Usually, a woman who is experiencing violence will go first to the police, who should then refer her to the family court to apply for a protection order. She can also apply to the prosecutor’s office for a family court to issue a protection order. The 2007 amendment to Law 4320 made it possible for a prosecutor to start a protection order process on his or her own initiative as well. The prosecutor forwards the request to a family judge, who issues or refuses the order. The decision is passed back to the prosecutor, who is responsible for monitoring its implementation through the police. This section shows the problems that women face at this stage of the procedure. For example, the decision-making process can be too slow for an emergency measure; prosecutors are sometimes reluctant to forward a request to a judge or start the process on their own accord; and judges may take too long to decide whether to grant an order. Another common problem is that family judges may demand medical or other forms of evidence, which are not required for a protection order. Reluctance and Slow Decisions by Family Courts Protection orders are meant to be emergency measures adopted when there is imminent risk of family violence. Speed is essential, and delays by prosecutors and judges can defeat their purpose. Human Rights Watch documented cases where the process took anywhere from two days up to six months due to inaction and reluctance on the part of prosecutors and judges to interfere with “family matters.” (...) Monitoring Compliance with Protection Orders Protection orders are only helpful if they are enforced, which requires diligence and action on the part of law enforcement officials. Once issued, police or the gendarmerie are responsible for informing the respondent of the issued order, and obligated to conduct regular checks of the home. If it appears the abuser is violating the order, law enforcement officers must investigate and refer the matter to prosecutors to initiate criminal proceedings. The spouse or family member who has not abided by the protection order can be sent to prison for three to six months. The government issued a regulation in March 2008 on implementation of Law 4320, stipulating that law enforcement officers should check up on recipients of protection orders once a week. These proactive checks are vital for victim safety. Violence can escalate after abusers learn of protection orders and may be determined to defy the orders, making this a particularly risky time. (...) we documented cases in Diyarbakır and throughout the country in which women successfully petitioned for protection orders only to have their effectiveness undermined when police did not monitor enforcement. (...) If, through proactive checks or reports from the abuser, the police or gendarmerie learns that an abuser is violating a protection order, they are required to investigate and refer the matter to a prosecutor quickly. The law authorizes the prosecutor to then file suit against the accused in a magistrate’s court. The spouse who has violated the order can be sentenced to prison for three to six months. In practice, it is rare that police initiate, and a prosecutor takes forward, such a procedure against the violator of a protection order (...). (...) IV. Inadequate Shelters (...) Shelters for family violence survivors, sometimes called guest houses, differ in size, set-up, and quality, and are run by different groups, including central government social services agency (SHÇEK guest houses), municipalities, governorships, and NGOs. All forms of shelters are covered by a 2001 regulation specifying who can open a shelter, services that should be provided, basic building requirements, and shelter rules. This report shows the need for more shelters, broader eligibility rules, and adequate regulation of shelter quality. Number of Shelters The number of shelters that must be available in Turkey is governed by Municipality Law No. 5393, which states, “The Greater City Municipalities and the municipalities having population more than 50,000 shall open houses for women and children welfare.” Estimates vary as to the actual numbers of shelters, but by all accounts there are far less than the number required under this law. According to NGOs, there are 52 shelters; according to the Directorate General on the Status of Women, there are 37 SHÇEK shelters, and 25 shelters run by NGOs, governorships, and local authorities, totaling 62 shelters. However, there are at least 166 cities with over 50,000 inhabitants, so more than 100 cities certainly do not comply with the law. Besides that, there are many more municipalities within those cities with over 50,000 inhabitants, which do not run shelters. The shelters needed to fulfill the requirement runs into the hundreds. (...) Children up to 12 can usually stay with their mother in shelters. The child can be taken away from the mother if she has to stay in the shelter for a long time, and placed into a designated ‘hostel’ (...). » Rapports de recherches de l’Université Hacettepe En 2009, l’université Hacettepe et le ministère de la famille et des politiques sociales publièrent un rapport intitulé « Domestic Violence against women in Turkey » (« La violence domestique contre les femmes en Turquie »), lequel expose, en ses passages pertinents en l’espèce : « The inadequate number of women’s counselling centers and shelters is one of the important problems brought up by people working in this field (...). (...) At the moment, the number of shelters in our country is 49, including those connected to SHÇEK. This is far from adequate when considering the population of the country (...). One of the most important points brought up in the interviews is the deficiency of the services provided at the shelters or women’s guesthouses besides the low number of shelters (...). Actually, as mentioned in the previous section, the women who experienced violence also emphasized the insecurity created by the ‘temporary’ state as one of the problems around applying to shelters. (...) Chapter 8. An Overview of the Results Violence at home: at father’s home, at husband’s home The research findings indicate that domestic violence against women is widespread throughout the country. Women are not only exposed to violence from their spouses or intimate partners, but they are also exposed to physical and/or sexual violence by people from their close environment. Results of the research show that, 75 percent of physical violence experienced by women before 15 years of age is being perpetrated by members of their families (...). In their childhood and youth, women are being exposed to physical violence by their fathers, mothers and brothers. In later years of their lives violence continues in physical and/or sexual form, perpetrated by these women’s boyfriends, fiancés, and husbands and, rarely by persons unknown to them. Nationwide, the percentage of ever-married women who reported to have experienced physical partner violence during their lifetime is 39 percent, and almost half of these women (46 percent) stated that they had experienced severe forms of physical violence such as hitting with fist, kicking, choking and threatening with a weapon like a knife or gun (...). Moreover, the results show that one of 10 women reported to have been exposed to violence during pregnancy. Fifteen percent of ever-married women in Turkey reported that they had experienced sexual violence by a husband or partner at least once in their lifetime. This proportion of women that were ever exposed physical or sexual violence, or both, that is 42 percent demonstrates that these two forms of violence are often experienced together. It also reveals that physical violence is a common form of violence in women’s lives (...). (...) Women’s physical and mental health is severely being affected by the violence they are exposed to. The results show that 24 percent of ever-married women in Turkey were injured as a result of the physical or sexual violence by their husband or partner. Nationwide, most of the women who were injured due to violence stated that injuries had occurred several times. Overall, 58 percent of women who had been injured by violence reported that they had been injured at least three times. Thirty-three percent of women that had experienced physical or sexual violence reported that they had thought about committing suicide and 12 percent of women reported that they had attempted to commit suicide. Proportions of those who had never experienced sexual or physical violence are 11 and 3 percent respectively. These results indicate that suicide attempts among women who have experienced physical or sexual partner violence are 4 times more than among those who have never experienced such violence. (...) Violence is transferred from one generation to the next (...) in Turkey, domestic violence against women is a phenomenon that is learned during socialization process and consequently, it is transferred from one generation to the next one. Female and male children who learn the violence against women as a natural part of life in the socialization period are affected by violence in different ways. On the one hand, this may cause the male children to perpetrate violence against their sisters, girlfriends, partners or any other women in their lives and causes them to perceive this as normal behavior. On the other hand, it may make female children accept violence more easily (...). (...) Women are all alone... In Turkey, half of the women (51 percent) who have experienced violence reported that they had not told anybody about their experiences. Among the important reasons for this silence are: that women who are exposed to violence experienced it many times rather than once; that they do not believe they can get support about the violence they are subjected to; that they care about their children; and that the violence in the society is regard as a “private family issue”. In addition to family relations, the acceptance of the violence as normal and common act –partly due to the way the media tackles the issue – and the physical and mental damage that all family members suffer due to violence make women feel insecure and helpless (...). » En 2015, l’université Hacettepe et le ministère de la famille et des politiques sociales publièrent un nouveau rapport, lequel expose en ses passages pertinents en l’espèce : « Chapter 14. Conclusion and Recommendations (...) 1. Overview of the research results Violence against women is still widespread. The first result of the Research on Domestic Violence against Women in Turkey is that throughout Turkey, the violence experienced by women is still widespread. Women, whether their marriage or relationships continue or not, are generally being subjected to violence by men who are closest to them. These men include their husbands or fiancés/betrotheds/boyfriends in the first place and are followed by their fathers, brothers and relatives. The research findings are similar in patterns with the findings of the research conducted in 2008. The following findings are among the mutual findings of the two researches: women experience violence from their fathers and this violence is continued by their husbands; women experience violence mostly from their family members, especially the men closest to them. Violence is always very close to women: Violence against women by husbands/intimate partners Among the women interviewed in the research, 38 percent of ever-married women reported having been subjected to lifetime physical and/or sexual violence by their husbands or intimate partners. Physical violence is the first form of violence that comes to mind among the forms of violence that women experience by their intimate partners. For nearly one out of every ten women, physical violence also continues during pregnancy. Overall, the prevalence of physical violence has not changed much within the last twenty-year period. The prevalence of physical violence, which was found to be 36 percent in this research, was 39 percent in the 2008 research, 35 percent in another research conducted around the same time and 34 percent in the research conducted in 1994. The physical violence within the last 12 months which was found to be 8 percent according to this research was 10 percent in the 2008 research. Throughout the country, 12 percent of women reported being subjected to lifetime sexual violence by their husbands or intimate partners. Thirty-eight percent of women have experienced either physical or sexual violence in their lifetime. This situation points out that, just as was observed in the 2008 research, physical and sexual violence are mostly experienced concomitantly. Five percent of women have been subjected to sexual violence within the last 12 months (7 percent in the 2008 research). Forty-four percent of ever-married women reported having been subjected to acts of emotional violence/abuse such as threatening, swearing, being insulted and humiliated by their husbands or intimate partners. The prevalence of lifetime emotional violence/abuse and emotional violence/abuse within the last 12 months are the same with the findings of the 2008 research (for both researches 44 percent and 25 percent, respectively). The results of the 2014 research reveal the importance of marriage and the age at first marriage for the experienced violence. Among the ever-married women aged 15-59 interviewed in the survey, 26 percent were married before completing the age of 18. Half of the women who were married before the age of 18 are being subjected to physical and/or sexual violence and nearly one-fifth of them are being subjected to sexual violence. These results clearly demonstrate that women who are married early experience violence more prevalently. Divorced/separated women are another group who experience violence more prevalently. Nearly three-fourths of divorced/separated women reported being subjected to lifetime physical and/or sexual violence. These results point out that women want to end their marriages when they experience violence or ending the marriage itself might be the reason for violence. The prevalence of physical and/or sexual violence among never-married but ever-partnered women being at 7 percent highlights the existence of violence in relationships other than marriage in where the violence increases (...). (...) Legal improvements regarding the combat against violence and problems faced during the implementation There have been legal improvements regarding the combat with violence against women in the period between the two researches. The ratification of the Council of Europe Convention on Preventing and Combating Violence against Women and Domestic Violence (İstanbul Convention); Law No. 6284 on the Protection of the Family and the Prevention of Violence against Women, which is based on the İstanbul Convention and other legal regulations in effect, coming into force and the establishment of Violence Prevention and Monitoring Centers (ŞÖNİM) as stated in article 14 of Law No. 6284, where the services and activities are defined, are the primal steps taken for combating violence against women. (...) Police stations/police and women’s guesthouses/shelters are the most widely known institutions that provide services in the field of violence against women. Regarding the applications made to the police, women’s statements not being taken (81 percent), and women not being alone during the statement taking process (18 percent another police officer, 14 percent their family, 3 percent their husbands) are among the problems encountered during the application process. Referral of women subjected to violence to another institution/organization by the police is the most common implementation (40 percent). However, the fact that 27 percent of the applications resulted in women’s reconciliation with their husbands points out that there are still problems in this field. The Violence Prevention and Monitoring Centers which started to provide services in 2012 and which are still operative as a pilot scheme in certain provinces are the least known institutions. (...). » B. Les textes internationaux pertinents Le droit international pertinent est décrit en partie dans l’affaire Opuz (précitée, §§ 72-82). Le 11 mai 2011, fut signée la Convention sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique (Convention d’Istanbul). Cette Convention a été ratifiée par la Turquie le 14 mars 2012 et est entrée en vigueur le 1er août 2014. Les passages pertinents de cette Convention sont en partie exposés dans l’affaire Y. c. Slovénie (no 41107/10, § 72, CEDH 2015 (extraits)). Elle énonce en outre : « (...) Article 3 – Définitions Aux fins de la présente Convention : a. le terme « violence à l’égard des femmes » doit être compris comme une violation des droits de l’homme et une forme de discrimination à l’égard des femmes, et désigne tous les actes de violence fondés sur le genre qui entraînent, ou sont susceptibles d’entraîner pour les femmes, des dommages ou souffrances de nature physique, sexuelle, psychologique ou économique, y compris la menace de se livrer à de tels actes, la contrainte ou la privation arbitraire de liberté, que ce soit dans la vie publique ou privée ; b. le terme « violence domestique » désigne tous les actes de violence physique, sexuelle, psychologique ou économique qui surviennent au sein de la famille ou du foyer ou entre des anciens ou actuels conjoints ou partenaires, indépendamment du fait que l’auteur de l’infraction partage ou a partagé le même domicile que la victime ; (...) » Au terme de l’examen de l’état d’avancement de l’exécution de l’arrêt Opuz précité, lors de la 1222e réunion (11-12 mars 2015) des Délégués des Ministres, l’arrêt fut transféré en procédure de surveillance soutenue (voir M.G., précité, § 55 pour un exposé de la décision en cause). Lors de sa quarante-sixième session, du 12-30 juillet 2010, la CEDAW a adopté ses Observations finales concernant la Turquie, lesquelles peuvent se lire comme suit, en leurs passages pertinents en l’espèce : « Violence à l’égard des femmes Le Comité prend note avec satisfaction des mesures prises pour lutter contre la violence à l’égard des femmes, telles que les amendements au Code pénal turc, la publication d’une circulaire du Premier Ministre énonçant les mesures à prendre et les institutions responsables, la création du Comité de surveillance de la violence contre les femmes, l’adoption du Plan d’action national de lutte contre la violence à l’égard des femmes dans la famille, ainsi que plusieurs programmes de sensibilisation et de formation. Il note que l’État partie met au point un nouveau plan d’action contre la violence à l’égard des femmes. Toutefois, le Comité est préoccupé par la persistance des cas de violence à l’égard des femmes, notamment de violence familiale, qui touche 39 % des femmes vivant sur le territoire de l’État partie. Il note l’existence de la loi no 4320 relative à la protection de la famille tout en constatant qu’il n’existe pas de législation générale sur la violence à l’égard des femmes. Le Comité constate également qu’il existe un nombre limité de centres d’accueil dans l’État partie (57) et craint que ces centres ne disposent pas des installations et des ressources nécessaires. Le Comité demande instamment à l’État partie de continuer de s’occuper en priorité d’adopter toutes les mesures voulues pour mettre fin à la violence à l’égard des femmes, en application de la recommandation générale no 19 du Comité. Il demande à l’État partie d’évaluer et de renforcer sa loi no 4320 pour pouvoir promulguer une législation générale s’appliquant à toutes les formes de violences à l’égard des femmes, notamment la violence familiale, et de veiller à ce que ladite législation interdise la violence à l’égard des femmes sous toutes ses formes, de faire en sorte que les femmes et les filles qui sont victimes de violences bénéficient sans délai de moyens de recours et de protection tels que des mesures conservatoires et que les auteurs de violences fassent l’objet de poursuites et de sanctions. Dans l’esprit de ses observations finales précédentes (2005), le Comité recommande à l’État partie de développer les activités et les programmes de formation des représentants des pouvoirs publics et de l’appareil judiciaire, des agents des forces de l’ordre et des prestataires de soins de santé, afin qu’ils puissent répondre à toutes les formes de violence à l’égard des femmes et les combattre tout en offrant aux victimes un soutien approprié. Il recommande également la poursuite des campagnes de sensibilisation du public à toutes les formes de violence à l’égard des femmes et des filles. Le Comité recommande en outre à l’État partie de mettre en place des services supplémentaires de soutien psychologique et d’autres services d’accompagnement des victimes de violences, notamment de nouveaux centres d’accueil, et de veiller à ce que les ressources allouées permettent de prendre les mesures nécessaires. Il demande à l’État partie de renforcer ses liens de coopération avec les organisations non gouvernementales qui luttent contre la violence à l’égard des femmes. (...) » Le 9 décembre 2014, la CEDAW publia le septième rapport périodique de la Turquie, préparé par la Direction générale sur le statut des femmes et le Ministère de la famille et des politiques sociales (KSGM). Ce rapport énonce, en ses passages pertinents en l’espèce : « (...) La Convention du Conseil de l’Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique (Convention d’Istanbul), que la Turquie a été la première à ratifier en 2012, adopte le principe de non-discrimination fondée sur le sexe. La loi no 6284 sur la prévention de la violence à l’égard des femmes et la protection de la famille, basée sur la Convention d’Istanbul et entrée en vigueur en 2012, couvre l’ensemble des femmes, des enfants et autres membres de la famille, ainsi que les victimes de harcèlement persistant. (...) Le Plan d’action national pour l’égalité des sexes (2008-2013) et le Plan d’action national pour la lutte contre la violence domestique à l’égard des femmes (2007-2010) ont été mis en œuvre pour transposer dans la pratique la législation actuelle et mobiliser les institutions et agences concernées afin qu’elles remplissent leur mission pour parvenir à l’égalité des sexes. Le Plan d’action national pour la lutte contre la violence domestique à l’égard des femmes a été actualisé et mis en œuvre pour les années 2012 et 2015 (...). (...) Le Ministère de la famille et des politiques sociales a engagé des travaux juridiques afin de combattre la violence à l’égard des femmes et a préparé à cet effet la loi no 6284 sur la prévention de la violence à l’égard des femmes et la protection de la famille (...). Cette loi, approuvée à l’unanimité par l’Assemblée générale de la Grande Assemblée nationale de Turquie le 8 mars 2012, est entrée en vigueur le 20 mars de cette même année. La loi élargit le concept de violence sexiste et définit ceux de « violence », « violence domestique » et « violence à l’égard des femmes » de manière à y intégrer les actes de violence physique, verbale, sexuelle, économique et psychologique. Des mesures de prévention et de protection concernant les victimes, les auteurs de violence et les auteurs potentiels sont détaillées dans la loi. Les pouvoirs locaux et les autorités responsables de l’application des lois sont également habilités à promulguer des ordonnances conservatoires en accord avec les juges aux affaires familiales, dans les limites des dispositions légales. Cette approche permet l’adoption de mesures de prévention et de protection même durant les week-ends et les vacances. La loi garantit également la confidentialité et la sécurité des victimes et prévoit, en cas de besoin, d’accompagner l’ordonnance conservatoire de la dissimulation, sur demande ou ex officio et dans l’ensemble des documents officiels, de toute information ou détail qui permettrait d’identifier les personnes ou les autres membres de la famille sous protection. La loi établit par ailleurs les sanctions à imposer aux auteurs de violence, de manière à renforcer l’efficacité et le pouvoir dissuasif des ordonnances conservatoires dans l’hypothèse où l’auteur y contreviendrait. Dans ce contexte, la loi prévoit la condamnation de l’auteur à une contrainte par corps de trois à dix jours et de 15 à 30 jours pour chaque récidive. La loi énonce également la mise en place de centres de prévention et de suivi de la violence (ŞÖNİM), qui dispensent des services et un soutien et contrôlent activement le respect des ordonnances de protection et de prévention. Il est prévu dans les dispositions de la loi que les ordonnances conservatoires peuvent donner lieu à des poursuites en recourant à des outils et méthodes techniques sur la base d’une décision de justice (...). (...) Tenant compte des préoccupations soulignées au paragraphe 23 des Observations finales, le nombre de centres d’accueil publics, qui était de 43 durant la période couverte par le sixième rapport, est passé à 48, pour une capacité totale de 1 014 places en 2011 (...) Actuellement, il existe près de 129 centres d’accueil pour les femmes, d’une capacité totale de 3 365 personnes (...). Seules cinq provinces ne disposent pas de centres d’accueil, et les autorités ont redoublé d’efforts pour combler cette lacune. En mai 2014, 39 352 personnes, dont 26 980 femmes et 12 372 enfants, ont bénéficié des centres d’accueil rattachés au ministère. (...) Dans le cadre de la loi no 6284, en date de mai 2014, 31 828 ordonnances de protection et 198 961 ordonnances préventives avaient été promulguées, ainsi que 3 231 peines de contrainte par corps. (...) Un nombre croissant de programmes de formation, proposés à tous les segments de la société et notamment aux prestataires de services et aux décideurs politiques, traitent de l’intégration d’une démarche soucieuse d’égalité entre les sexes, transposant le cadre juridique existant dans la pratique pour prévenir la violence à l’égard des femmes et modifier les attitudes et mentalités (...). (...) Le Plan d’action national de lutte contre la violence domestique à l’égard des femmes a été mis en œuvre entre 2007 et 2010. Des réunions périodiques permettent de contrôler l’application des mesures définies dans ce plan d’action. Ce dernier a été actualisé avec la participation et les contributions des institutions et organisations publiques pertinentes, d’ONG et de centres universitaires de recherche sur les femmes. Le Plan d’action de lutte contre la violence domestique à l’égard des femmes 2012-2015 est entré en vigueur le 10 juillet 2012. La phase de mise en œuvre du plan d’action se poursuit et fait l’objet de réunions d’évaluation et de suivi semestrielles. (...) L’enquête nationale sur la violence domestique à l’égard des femmes en Turquie (2008) est la plus exhaustive de toutes celles menées à l’échelon national à ce jour, en termes de détermination de la prévalence de ces violences, de leurs formes, causes et conséquences ainsi que des facteurs de risque (...). L’actualisation de l’enquête a démarré en 2013 et les résultats devraient en principe être publiés fin 2014. (...) Une analyse d’impact sera menée en 2014 afin de déterminer le niveau de mise en œuvre des dispositions de la loi no 6284 et l’importance des ordonnances de prévention et de protection promulguées dans le cadre de cette loi pour prévenir les violences à l’égard des femmes. (...). » Le résumé du contre-rapport préparé pour la 64e pré-session du groupe de travail de la CEDAW (2015), soumis par le comité exécutif pour le forum des ONG à la CEDAW énonce notamment : « (...) Violence (...) Therefore, despite having ratified the Council of Europe Convention on preventing and combating violence against women and domestic violence in 2011, (almost) all legal regulations concerning gender – and the way in which they are applied – are developed in order to protect the family as an institution, rather than women. As a result of this approach, the problem of violence against women has been much more protracted and the number of women murdered has increased significantly since 2002 (...). According to the official information provided by the Minister of Justice in 2009, murders of women increased by 1,400% during the period 2002-2009, and no data has been disclosed to the public containing statistics after that period. Despite the fact that there is a lack of official data on instances of violence against women throughout the last 5 years, the number of incidents is estimated to be far higher. According to the statistics collected between 2010-2014 by the Bianet, an independent communication network, 1134 women were murdered, 735 women were raped, 986 women were sexually assaulted and 1395 women were wounded. (...) In respect of protection measures for victims of gender-based violence, both the number of women’s shelters and the support services provided to women subjected to violence are extremely inadequate. This also contributes to the continuing cycle of violence. (...). »
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Les requérants sont nés respectivement en 1967, 2003 et 1989 et résident à Iaşi, à Ulieş et à Curtea de Argeş. A. Le contexte général des affaires Les requérants sont des enfants nés hors mariage. À l’époque de leur naissance, le code de la famille (« CF ») prévoyait que l’action en recherche de paternité de l’enfant né hors mariage appartenait à l’enfant et pouvait être introduite en son nom par sa mère ou par son représentant légal dans un délai d’un an à compter de la naissance de l’enfant, ou, dans le cas de la cohabitation de la mère de l’enfant avec le père présumé, à partir de la fin de cette cohabitation. Dans les présentes affaires, les mères des requérants n’ont pas valablement introduit les actions en recherche de paternité dans le délai légal. Le 8 novembre 2007, la loi no 288/2007 portant modification du CF (« la loi no 288/2007 ») entra en vigueur. Cette loi compléta l’article 60 du CF avec un quatrième alinéa selon lequel le droit de l’enfant d’introduire une action en recherche de paternité était imprescriptible. L’article II de la même loi prévoyait que ses dispositions, y compris celles régissant l’action en recherche de paternité, étaient également applicables aux enfants nés avant l’entrée en vigueur de la loi (paragraphe 41 ci-dessous). Par une décision du 9 décembre 2008, la Cour constitutionnelle déclara inconstitutionnel l’article II de la loi no 288/2007. Elle jugea que le principe de non-rétroactivité de la loi civile ne permettait pas l’application des dispositions de la nouvelle loi aux personnes nées avant son entrée en vigueur (paragraphe 44 ci-dessus). B. Les circonstances spécifiques à chacune des affaires La requête no 25057/11 a) La première action en recherche de paternité engagée par le premier requérant En 2001, se fondant sur les dispositions du CF telles qu’en vigueur à la date de sa naissance, le premier requérant saisit le tribunal de première instance de Iaşi d’une première action en recherche de paternité contre R.R.L. Dans le cadre de cette action, R.R.L. invoqua la prescription du droit du requérant d’engager l’action, faute de l’avoir introduite dans le délai d’un an à partir de sa naissance. Le requérant souleva une exception d’inconstitutionnalité de l’article 60 du CF quant au délai d’un an prévu pour l’introduction d’une action en recherche de paternité. Par une décision du 6 mai 2003, la Cour constitutionnelle rejeta l’exception et jugea que le délai de prescription était conforme à la Constitution, compte tenu de la nécessité d’assurer la sécurité des rapports juridiques et la bonne administration de la justice. Le 8 septembre 2003, le requérant renonça à son action. b) L’action en recherche de paternité fondée sur les dispositions du CF complété par la loi no 288/2007 Le 6 mai 2008, se fondant sur l’article 60 § 4 du CF tel que prévu par la loi no 288/2007, le premier requérant saisit le tribunal de première instance de Iaşi d’une nouvelle action en recherche de paternité contre R.R.L. Par un jugement du 4 mars 2010, le tribunal de première instance de Iaşi fit droit à l’action du requérant et constata que R.R.L. était son père. Le tribunal fonda son jugement sur les dépositions des témoins entendus et sur les conclusions de deux expertises médicolégales qui établissaient qu’il existait entre le requérant et R.R.L. des ressemblances spécifiques au lien de filiation entre un père et son fils. R.R.L. interjeta appel de ce jugement, en soutenant que les résultats des expertises n’étaient pas fiables, qu’il n’avait pas eu de relation avec la mère du requérant et que la présente procédure, engagée si longtemps après la naissance de l’enfant, lui avait causé des désagréments au niveau personnel et social. Par un arrêt du 25 octobre 2010, le tribunal départemental de Iaşi rejeta l’appel de R.R.L. en faisant valoir que le tribunal de première instance avait correctement établi les faits. R.R.L. forma un pourvoi en recours devant la cour d’appel de Iaşi, en alléguant que la procédure de citation devant le tribunal départemental n’avait pas été correctement réalisée et qu’une expertise ADN aurait dû être ordonnée. La cour d’appel soumit d’office au débat des parties l’exception portant sur la tardiveté de l’action, en se référant à la décision de la Cour constitutionnelle du 9 décembre 2008 (paragraphe 10 ci-dessus). Le requérant releva dans ses observations écrites que, lors de l’introduction de l’action, l’article 60 § 4 du CF prévoyait que l’action en recherche de paternité était imprescriptible et que les juridictions qui avaient examiné l’action auparavant n’avaient pas soumis cet aspect au débat des parties. Par un arrêt définitif du 9 février 2011 rendu à la majorité, la cour d’appel déclara l’action prescrite. Pour en décider ainsi, la cour d’appel nota que, par la décision du 9 décembre 2008, la Cour constitutionnelle avait fait prévaloir le principe de non-rétroactivité de la loi civile. Elle expliqua également que l’article 8 de la Convention n’avait pas été violé par le rejet de l’action pour tardiveté, étant donné que le droit du requérant d’engager une telle action s’était éteint avant la ratification de la Convention par la Roumanie, de sorte qu’il n’avait aucune espérance légitime de voir réaliser son droit. Dans une opinion séparée, l’un des juges de la cour d’appel considérait que l’action n’était pas prescrite, les intérêts de l’enfant privilégiés par le législateur lors de l’adoption de la loi no 288/2007 devant prévaloir sur le principe de non-rétroactivité de la loi civile. Il ajoutait que la décision de la Cour constitutionnelle susmentionnée n’avait pas remis en cause l’article 60 § 4 du CF et que la loi devait être interprétée afin de produire des effets juridiques. Il relevait en outre que, puisque l’action en recherche de paternité était un droit personnel extrapatrimonial, ce droit était imprescriptible. La requête no 34739/11 a) L’action en établissement de paternité engagée par la mère de la deuxième requérante Le 27 mars 2004, la mère de la deuxième requérante saisit le tribunal de première instance de Târgu-Mureş d’une action engagée en son nom propre contre B.C. pour établir sa paternité à l’égard de la requérante. Faute pour la mère de la requérante d’avoir satisfait à la demande du tribunal de faire réaliser une expertise médicolégale dans un certain délai, par un jugement définitif du 14 mars 2006, le tribunal de première instance constata la péremption de l’action. b) L’action en recherche de paternité engagée par la deuxième requérante Le 3 mars 2008, se fondant sur les articles 56, 59 et 60 § 4 du CF tel que modifié par la loi no 288/2007, la deuxième requérante, représentée par sa mère, saisit le tribunal de première instance de Târgu-Mureş d’une action en recherche de paternité contre B.C. Ce dernier contesta les allégations de la requérante et, en se référant à l’article 60 alinéa premier du CF, souleva une exception de prescription de l’action. Par un jugement du 9 novembre 2009, le tribunal de première instance rejeta l’action, sans administrer de preuves, au motif qu’elle était prescrite, faute d’avoir été introduite dans le délai d’un an à partir de la naissance de l’enfant. Il fonda son jugement sur la décision de la Cour constitutionnelle du 9 décembre 2008 et expliqua que le délai de prescription appliqué en l’espèce était justifié par la nécessité d’assurer la sécurité des rapports juridiques et la bonne administration de la justice. La deuxième requérante interjeta appel, en soutenant que les articles de loi sur lesquels elle avait fondé son action n’avaient pas été déclarés inconstitutionnels et que les droits extrapatrimoniaux (nepatrimoniale) étaient par leur nature imprescriptibles. Elle invoqua également l’article 8 de la Convention, en expliquant que le délai de prescription prévu par la loi au moment de sa naissance restreignait son droit d’établir son ascendance. Par un arrêt du 25 mai 2010, le tribunal départemental de Mureş fit droit à son appel et ordonna le renvoi de l’affaire en première instance pour qu’elle soit jugée au fond. Le tribunal départemental jugea que le délai de prescription appliqué en l’espèce était contraire aux intérêts supérieurs de l’enfant, qui ne pouvait pas voir sa filiation paternelle établie légalement. B.C. forma un pourvoi en recours, en faisant valoir, entre autres, que l’article 8 de la Convention protégeait non seulement les intérêts de l’enfant mais également ceux du prétendu père contre les actions abusives en établissement de paternité. Par un arrêt définitif du 24 novembre 2010, rendu à la majorité, se fondant sur la décision de la Cour constitutionnelle du 9 décembre 2008, la cour d’appel de Mureş fit droit au recours de B.C., rejeta l’appel de la deuxième requérante et maintint le jugement rendu en première instance. L’un des juges de la cour d’appel, dans une opinion séparée, estima que le fait d’avoir déclaré l’action prescrite contrevenait à l’article 8 de la Convention, lequel imposait à l’État l’obligation de prendre des mesures législatives afin de faire prévaloir la réalité biologique et sociale sur de simples présomptions. Il ajouta que la requérante restait dans l’incertitude quant à sa propre identité et ne pouvait pas établir son statut civil en ce qui concernait son ascendance. La requête no 20316/12 La mère du troisième requérant et M.M., son père présumé, vécurent ensemble de 1987 jusqu’au décès de ce dernier, le 11 juillet 2004. Le 10 janvier 2011, se fondant sur les articles 59 et 60 du CF, le troisième requérant saisit le tribunal de première instance de Curtea de Argeş d’une action en recherche de paternité contre feu M.M., représenté dans la procédure par ses héritiers légaux, M.A., P.P. et D.C.V. Il faisait valoir que sa mère et M.M. avaient entretenu une relation notoire et que, dans le cercle de leurs amis proches, il était connu comme étant le fils de M.M., qui avait d’ailleurs contribué à son entretien. Par un jugement du 22 mars 2011, le tribunal de première instance rejeta l’action de ce requérant pour tardiveté, en faisant application de l’article 60 alinéa 3 du CF, tel qu’en vigueur à la date de la naissance du requérant. Ce dernier interjeta appel. Il releva entre autres que le rejet de son action pour tardiveté, en application de la décision de la Cour constitutionnelle du 9 décembre 2008, portait atteinte à son droit protégé par l’article 8 de la Convention. Il cita l’affaire Kroon et autres c. Pays-Bas (27 octobre 1994, série A no 297C). Il ajouta que, en vertu de l’article 20 de la Constitution, la Convention était d’application directe en droit interne. Par un arrêt du 30 juin 2011, le tribunal départemental d’Argeş rejeta l’appel du troisième requérant. Se référant à l’article 147 (1) de la Constitution, le tribunal départemental nota que, à partir du 31 août 2008, les dispositions de la loi no 288/2007 avaient cessé de produire des effets juridiques et que, dès lors, le droit applicable au requérant était celui défini à l’article 60 § 3 du CF. Il expliqua également que le fait de ne pas étendre l’imprescriptibilité de l’action aux personnes nées avant l’entrée en vigueur de la loi no 288/2007 poursuivait un but légitime, à savoir s’assurer du respect du principe de la non-rétroactivité de la loi civile prévu par l’article 15 (2) de la Constitution. Il ajouta que le législateur avait également pris en compte l’intérêt supérieur de l’enfant. Pour ce qui était de la violation alléguée de l’article 8 de la Convention, le tribunal départemental nota ensuite que l’existence d’un délai de prescription n’était pas en soi contraire à l’article 8. Se référant aux faits de l’espèce, il releva que le père présumé du requérant était déjà décédé et que, avant son décès, il avait été en relation avec l’intéressé. Il jugea que la non-reconnaissance légale du requérant avait seulement des conséquences matérielles, le requérant n’étant pas en mesure de bénéficier des biens de celui-ci. Il estima également que l’affaire Kroon et autres, précitée, n’était pas applicable en l’espèce. Le troisième requérant forma un pourvoi en recours en se référant également à l’article 8 de la Convention. Par un arrêt définitif du 16 novembre 2011, la cour d’appel de Piteşti confirma le rejet de son action pour tardiveté. Elle jugea que les dispositions de la loi no 288/2007 n’étaient pas applicables en l’espèce compte tenu du libellé de la décision du 9 décembre 2008 de la Cour constitutionnelle. Elle indiqua que l’argument du requérant tiré de l’article 8 de la Convention en combinaison avec l’article 20 (2) de la Constitution n’opérait pas en l’espèce, étant donné que la réalité biologique des liens entre le père présumé et l’enfant n’avait été prouvée devant aucune instance. II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS A. La Constitution Les dispositions pertinentes de la Constitution se lisent ainsi : Article 15 « (2) La loi ne dispose que pour l’avenir, à l’exception de la loi portant dispositions en matière pénale ou contraventionnelle plus favorables. ». Article 20 « (1) Les dispositions constitutionnelles relatives aux droits et libertés des citoyens seront interprétées et appliquées en concordance avec la Déclaration universelle des droits de l’homme, avec les pactes et les autres traités auxquels la Roumanie est partie. (2) En cas de non-concordance entre les pactes et les traités portant sur les droits fondamentaux de l’homme auxquels la Roumanie est partie, et les lois internes, les réglementations internationales ont la primauté, sauf le cas des dispositions plus favorables prévues par la Constitution ou les lois internes. » Article 26 « (1) Les autorités publiques respectent et protègent la vie intime, familiale et privée. » Article 147 « (1) Les dispositions des lois et ordonnances en vigueur, ainsi que celles des règlements, qui ont été déclarées inconstitutionnelles cessent leurs effets juridiques dans un délai de 45 jours à partir de la publication de la décision de la Cour constitutionnelle si, pendant cette période, le parlement ou le gouvernement, selon le cas, n’a pas modifié les dispositions inconstitutionnelles pour qu’elles soient en accord avec la Constitution. Pendant ce délai, les dispositions déclarées inconstitutionnelles sont suspendues de droit. (...) (4) Les décisions de la Cour constitutionnelle sont publiées au Moniteur officiel. À partir de la date de leur publication, les décisions sont généralement obligatoires pour l’avenir. » B. Les dispositions légales pertinentes sur l’état des personnes Le décret no 31/1954 sur les personnes physiques et les personnes morales en vigueur à l’époque des faits Selon l’article 8 du décret no 31/1954 susmentionné, la personne devient majeure et acquiert la pleine capacité d’exercice à l’âge de dix-huit ans. Selon l’article 11 du même décret, le mineur qui n’a pas atteint l’âge de quatorze ans est dépourvu de toute capacité d’exercice. Le CF en vigueur avant le 8 novembre 2007 Les dispositions pertinentes du CF en vigueur à l’époque de la naissance des requérants étaient ainsi libellées : Article 56 « La filiation à l’égard du père peut être établie (...) par déclaration de reconnaissance [de la part du père – n.n.] ou par décision de justice. » Article 59 « L’action en recherche de paternité de l’enfant né hors mariage appartient à l’enfant et peut être introduite en son nom par sa mère (...) ou par son représentant légal. (...) » Article 60 « (1) L’action en recherche de paternité doit (poate) être introduite dans un délai d’un an à compter de la naissance de l’enfant. (...) (3) En cas de cohabitation de la mère de l’enfant avec le père présumé ou lorsque ce dernier avait participé à l’entretien de l’enfant (a prestat copilului întreținere), le délai d’un an commence à courir à la fin de la cohabitation ou de l’entretien. » Les modifications apportées par la loi no 288/2007 La loi no 288/2007 portant modification du code de la famille (« la loi no 288/2007 ») entra en vigueur le 8 novembre 2007. Elle apporta les modifications suivantes : Article I « (...) (5) L’article 60, après le troisième alinéa, sera complété par un nouvel alinéa, l’alinéa 4, ainsi rédigé : ‘L’action qui appartient à l’enfant ne se prescrit pas au cours de la vie de celui-ci.’ » Article II « Les dispositions de la présente loi concernant (...) l’action en recherche de paternité de l’enfant né hors mariage sont également applicables aux enfants nés avant l’entrée en vigueur de la loi, même si les procédures sont en cours de jugement. » Les modifications apportées par la loi no 287/2009 portant nouveau code civil La loi no 287/2009 portant nouveau code civil (« la loi no 287/2009 »), entrée en vigueur le 1er octobre 2011, prévoit ce qui suit : Article 424 : L’établissement de la paternité par décision de justice « Lorsque le père (...) ne reconnaît pas l’enfant, la filiation paternelle de ce dernier peut être établie par décision de justice. » Article 425 : L’action en recherche de paternité «(1) L’action en recherche de paternité pour un enfant né hors mariage appartient à l’enfant et peut être introduite en son nom par sa mère, même si elle est mineure, ou par son représentant légal. (...) » Article 427 : Le délai de prescription « (1) Le droit à l’action en recherche de paternité ne se prescrit pas pendant la vie de l’enfant. (...) » La loi no 71/2011 concernant la mise en application de la loi no 287/2009 La loi no 71/2011 relative à la mise en application de la loi no 287/2009 portant nouveau code civil (« la loi no 71/2011 »), entrée en vigueur le 1er octobre 2011, abrogea la loi no 288/2007. La disposition pertinente de la loi no 71/2011 relative à la mise en application de la loi no 287/2009 se lit ainsi : Article 47 « L’établissement de la paternité (...) est régi par les dispositions du code civil et produit les effets prévus par celui-ci seulement dans le cas des enfants nés après son entrée en vigueur. » C. La jurisprudence de la Cour constitutionnelle Par une décision no 1345 du 9 décembre 2008, publié au Moniteur officiel le 23 décembre 2008, la Cour constitutionnelle déclara inconstitutionnel l’article II de la loi no 288/2007, en faisant prévaloir le principe de non-rétroactivité de la loi civile. Elle motiva son arrêt en ces termes : « En examinant les motifs d’inconstitutionnalité invoqués, de la perspective [de la méconnaissance de l’article 15 alinéa 2 de la Constitution quant à la non-rétroactivité de la loi], la Cour [constitutionnelle] constate que les dispositions de l’article II de la loi no 288/2007 concernant l’action en recherche de paternité de l’enfant né hors mariage contreviennent aux dispositions constitutionnelles de l’article 15 alinéa 2, la non-rétroactivité étant un principe constitutionnel, prévu de manière expresse, le législateur ne pouvant pas adopter en matière civile des normes juridiques avec une application rétroactive, indifféremment s’il s’agit des lois matérielles ou des lois de procédure. Ainsi, l’inconstitutionnalité de la disposition légale est due à l’application de la nouvelle loi aux enfants nés avant son entrée en vigueur, même si la demande est en cours de jugement, dans la mesure où elle est appliquée à un droit né sous l’empire de l’ancienne loi. » Afin d’éviter une pratique divergente ou le non-respect de ses décisions, la Cour constitutionnelle présente dans ses décisions les effets que celles-ci doivent produire (voir, par exemple, les décisions no 665 du 5 juillet 2007 et no 1039 du 5 décembre 2012, dans lesquelles la Cour constitutionnelle a précisé les effets des constats d’inconstitutionnalité pour l’avenir). III. LE DROIT INTERNATIONAL PERTINENT La Convention internationale relative aux droits de l’enfant adoptée par l’assemblée générale des Nations Unies, le 20 novembre 1989, entrée en vigueur le 2 septembre 1990, prévoit notamment ce qui suit : Article 7 « 1. L’enfant est enregistré aussitôt sa naissance et a dès celle-ci le droit à un nom, le droit d’acquérir une nationalité et, dans la mesure du possible, le droit de connaître ses parents et d’être élevé par eux. » IV. AUTRES TEXTES ÉMANANT DU CONSEIL DE L’EUROPE La Convention européenne sur le statut juridique des enfants nés hors mariage adoptée le 15 septembre 1975 a été ratifiée par la Roumanie le 30 novembre 1992. Cette Convention se lit ainsi dans sa partie pertinente en l’espèce : Article 3 « La filiation paternelle de tout enfant né hors mariage peut être constatée ou établie par reconnaissance volontaire ou par décision juridictionnelle. » Le Rapport explicatif de cette Convention indique à l’égard de son article 3 précité ce qui suit : « 16. Cet article énonce deux modes de constatation ou d’établissement de la filiation paternelle qui sont exposés ci-après ; il pose également la règle générale selon laquelle l’action en recherche de paternité doit, dans tous les cas, pouvoir être introduite. (...) La détermination des personnes ou autorités qui peuvent ou doivent agir en vue d’établir la paternité d’un enfant né hors mariage ainsi que celle des délais dans lesquels une telle action peut être intentée est laissée à l’appréciation des législations internes. » Le comité d’experts sur le droit de la famille (CJ-FA) a préparé un « livre blanc » sur les principes relatifs à l’établissement et aux conséquences juridiques du lien de filiation adopté par le Comité européen de coopération juridique (CDCJ), lors de sa 79e réunion plénière du 11 au 14 mai 2004. Le principe no 8 était ainsi libellé : « 1. Si la filiation paternelle n’est établie ni par présomption ni par reconnaissance volontaire, la législation doit prévoir la possibilité d’introduire une action pour qu’elle soit établie par décision judiciaire. L’enfant ou son représentant ont le droit d’introduire une action en vue d’établir la filiation paternelle. Ce droit peut également être accordé à l’une ou à plusieurs des personnes suivantes: – la mère; – la personne prétendant être le père; – toute personne justifiant d’un intérêt spécifique; – autorité publique ; Les États peuvent fixer des délais à l’engagement d’une action visant à établir la filiation paternelle. » Le même rapport indiquait également ce qui suit : « Le paragraphe 3 de l’article 8 mentionne la possibilité de fixer des délais pour l’engagement d’une action afin de permettre à la situation familiale des personnes concernées de se stabiliser avec le temps. Par conséquent, même le droit de l’enfant d’engager une action visant à établir sa filiation paternelle peut être limite (il peut ainsi l’être notamment dans le temps, après que l’enfant a atteint l’âge de la majorité). »
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Le requérant est né en 1975 et réside à Sântana. En 2010, une procédure pénale pour évasion fiscale fut menée à son encontre. Du 10 mai au 8 juin 2010, il fut placé en détention provisoire au dépôt de police d’Arad. Le 8 juin 2010, il fut transféré à la prison d’Arad, où il fut détenu jusqu’au 14 décembre 2010, quand il fut remis en liberté. A. La version du requérant s’agissant des conditions de détention Dans sa lettre initiale adressée à la Cour, le requérant décrivit les conditions de détention comme suit : Au dépôt de police d’Arad, la cellule mesurait 12 m2, comportait trois lits ainsi que deux fenêtres, munies de barreaux intérieurs, qui mesuraient 40 cm x 50 cm. Il n’y avait pas de toilettes et les détenus devaient utiliser un seau à cette fin. L’accès aux toilettes n’était possible que deux fois par jour pour dix minutes à 6 h et à 18 h. Les gardiens refusaient de permettre aux détenus l’accès aux toilettes en dehors de ces horaires. L’accès aux douches était possible deux fois par semaine. Le requérant avait le droit de sortir de sa cellule une heure par jour, dans la cour de promenade et une heure pour regarder la télévision. La nourriture était de mauvaise qualité et le requérant n’a pas reçu d’objets d’hygiène personnelle. S’agissant de la prison d’Arad, la cellule mesurait 16 m2 et contenait six lits superposés pour cinq personnes. Le requérant indiqua également que plusieurs meubles s’y trouvaient (une armoire, un porte-manteau, trois tables de nuit, trois petits bancs et une table). La nourriture était servie dans des récipients sans couvercle. La cellule était en outre infestée de punaises et de cafards. Le requérant avait accès à la cour de promenade pour une durée de trois heures par jour. En outre, le transport des détenus de la prison aux tribunaux se faisait dans des conditions inhumaines, dans la mesure où les fourgons utilisés pour le transport n’avaient que deux petites fenêtres et transportaient quarante personnes, l’air devenant ainsi irrespirable. Dans son formulaire de requête, il se plaignit des « conditions inhumaines tant au dépôt de police d’Arad qu’à la prison [d’Arad] » sans donner d’autres indications à l’exception de celles relatives aux problèmes d’accès aux toilettes au dépôt de police. Il rappela qu’en dehors des horaires d’accès aux toilettes, les détenus devaient utiliser un seau pour satisfaire leurs besoins physiologiques. B. La version du Gouvernement Au dépôt de police d’Arad, le requérant fut détenu dans plusieurs cellules de 13 m2 qu’il ne partagea qu’avec deux autres détenus. Les cellules disposaient d’illumination naturelle et artificielle (ampoules électriques) et d’aération par les fenêtres, ainsi que de deux radiateurs qui assuraient une température entre 18o et 22o C. Les cellules ne disposaient pas de toilettes, mais les détenus pouvaient utiliser les toilettes à tout moment entre 6 h et 18 h. Les toilettes étaient nettoyées deux fois par jour ou en cas de besoin. La nourriture était servie trois fois par jour et faisait l’objet de contrôles systématiques ; les détenus pouvaient en outre recevoir de la nourriture de l’extérieur. Ils bénéficiaient de soixante minutes de promenade par jour dans la cour de promenade ou pouvaient regarder la télévision ou pratiquer des activités récréatives. À la prison d’Arad, le requérant bénéficia d’un espace personnel d’au moins 3,5 m2. Les cellules disposaient de toilettes, d’illumination naturelle et artificielle (ampoules électriques), d’aération par les fenêtres, ainsi que d’eau potable. Le requérant avait accès aux douches deux fois par semaine et à la cour de promenade trois heures par jour. La nourriture faisait l’objet de contrôles réguliers. Les cellules ont été en outre désinfectées deux fois pendant la détention du requérant. S’agissant des conditions de transport, elles étaient conformes aux exigences législatives et étaient ainsi adéquates. II. LE DROIT INTERNE ET INTERNATIONAL PERTINENTS Les dispositions générales de la loi no 275/2006 sur les droits des personnes détenues (« la loi no 275/2006 »), en vigueur au moment des faits, sont décrites dans l’affaire Cucu c. Roumanie (no 22362/06, § 56, 13 novembre 2012). Les conclusions du Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (« le CPT ») émises à la suite de plusieurs visites effectuées dans des prisons de Roumanie et ses observations à caractère général, sont résumées dans l’arrêt Iacov Stanciu c. Roumanie (no 35972/05, §§ 113-129, 24 juillet 2012). Dans son dernier rapport, publié le 24 septembre 2015, à la suite de sa visite du 5 au 17 juin 2014, le CPT a fait les constats suivant en ce qui concerne les cellules du dépôt de la police d’Arad : « 35. (...) Les locaux et équipements étaient généralement délabrés et vétustes (murs, lits, matelas, éclairage) dans les dépôts de Bucarest et d’Arad. L’accès à la lumière naturelle était insuffisant dans la plupart les dépôts visités ((...), et dépôt d’Arad se trouvant en sous-sol (...)). Les cellules étaient généralement mal aérées. (...) Toutes les cellules visitées, à l’exception de celles du dépôt d’Arad, étaient équipées d’une annexe sanitaire, partiellement cloisonnée, avec douche, W-C. et lavabo (...) Au dépôt d’Arad, les cellules n’étaient pas équipées d’annexe sanitaire, et les détenus n’étaient pas autorisés à se rendre aux toilettes de 22 heures à 6 heures du matin et devaient utiliser des seaux pour satisfaire leurs besoins naturels ; les toilettes et douches communes (en mauvais état d’entretien) étaient accessibles pendant la journée sur demande. »
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Le requérant est né en 1976 et réside à Curtea de Argeş. Le requérant est le père d’un garçon, A.I., né le 2 mai 2010, de son mariage avec B.A.M. (« la mère »). Tant le requérant que B.A.M. sont avocats. Le 20 janvier 2011, la mère demanda au tribunal de première instance de Piteşti (« le tribunal de première instance ») le divorce et l’octroi de l’autorité parentale sur l’enfant. Le requérant introduisit une demande reconventionnelle afin de se voir reconnaître un droit de visite. Par un jugement non définitif du 17 juin 2011, le tribunal de première instance prononça le divorce, octroya l’autorité parentale à la mère et reconnut au requérant un droit de visite au domicile de l’enfant deux samedis par mois de 16 heures à 20 heures et deux vendredis par mois de 16 heures à 18 heures. Par un arrêt du 31 janvier 2012, le tribunal départemental d’Argeş (« le tribunal départemental ») fit partiellement droit à l’appel du requérant et, en application des dispositions du nouveau code civil récemment entré en vigueur (paragraphe 43 ci-dessous), octroya l’autorité parentale aux deux parents, établit le domicile de l’enfant chez la mère et reconnut au requérant un droit de visite à exercer à son propre domicile deux samedis par mois de 9 heures à 12 heures 30 et deux dimanches par mois de 16 heures 30 à 19 heures. Par un arrêt définitif du 18 juin 2012, la cour d’appel de Piteşti (« la cour d’appel ») fit droit au recours de la mère et confirma le jugement du 17 juin 2011. A. L’établissement du droit provisoire de visite Entre-temps, le 2 juin 2011, le requérant avait saisi le tribunal de première instance d’une action en référé contre la mère en vue de l’établissement d’un droit provisoire de visite. Il faisait valoir que la mère l’empêchait de voir son fils pendant la procédure de divorce. Par une ordonnance du 27 juin 2011, le tribunal de première instance fit droit à son action et ordonna à la mère de permettre au requérant d’emmener son fils à son propre domicile, ou ailleurs, deux samedis et deux dimanches par mois, de 10 à 18 heures, et cela jusqu’au prononcé d’une décision définitive dans le cadre de la procédure de divorce. Le tribunal estima que le jeune âge de l’enfant permettait un programme de visite dans la journée assorti de l’obligation pour le requérant de ramener le soir l’enfant au domicile de la mère. En application des dispositions procédurales en vigueur au moment des faits, cette ordonnance était exécutoire par provision (paragraphe 42 ci-dessous). Par une décision avant dire droit du 1er juillet 2011, le tribunal départemental d’Argeş prononça, à la demande de la mère, un sursis à l’exécution de l’ordonnance du 27 juin 2011, au motif, entre autres, qu’en raison de son jeune âge, l’enfant avait besoin de la présence permanente de sa mère et qu’un changement d’environnement pouvait avoir des conséquences négatives sur son développement. Le tribunal départemental prit en considération le fait que la mère s’était entretemps pourvue en recours contre l’ordonnance du 27 juin 2011. Par un arrêt du 29 juillet 2011, le tribunal départemental rejeta le pourvoi en recours de la mère. Le tribunal jugea, entre autres, que l’âge de l’enfant ne pouvait pas faire obstacle à ce que le requérant passe quelques heures dans la journée avec lui. Le 10 août 2011, la mère saisit le tribunal départemental d’une demande de sursis à l’exécution de l’arrêt du 29 juillet 2011, en application des dispositions procédurales en la matière (paragraphe 42 ci-dessous). Par une décision avant dire droit du 11 août 2011, le tribunal départemental fit droit à sa demande ; le tribunal nota également que l’enfant était alors âgé de quatorze mois et jugea que son intérêt supérieur devait prévaloir. Par un arrêt du 24 août 2011, le tribunal départemental rejeta la contestation en annulation de la mère contre l’arrêt du 29 juillet 2011 susmentionné. B. L’exercice du droit provisoire de visite L’exécution forcée de l’ordonnance du 27 juin 2011 À la demande du requérant, par un jugement avant dire droit du 3 août 2011, le tribunal de première instance revêtit l’ordonnance du 27 juin 2011 de la formule exécutoire. Le requérant s’adressa ensuite à l’huissier I.V. pour que ce dernier l’assiste dans la procédure d’exécution forcée de cette ordonnance. Les 6, 14, 20 et 28 août 2011, le requérant tenta, en compagnie de l’huissier de justice et d’un assistant social (ce dernier uniquement le 28 août), d’exercer son droit de visite dans les modalités prévues par l’ordonnance du 27 juin 2011. La mère était absente de son domicile ou elle s’opposa à ce que le requérant emmène l’enfant avec lui. Le 20 août 2011, le requérant put voir son fils pendant quelques minutes au siège de la police, que l’huissier avait appelée à intervenir en raison de l’opposition de la mère. Par un jugement avant dire droit du 1er septembre 2011, le tribunal de première instance prononça, à la demande de la mère, un sursis à l’exécution. Le tribunal nota, entre autres, que le jeune âge de l’enfant justifiait la présence permanente de sa mère ainsi qu’un programme et un environnement stables et que tout changement pouvait avoir des conséquences négatives sur son développement. Par un jugement du 1er novembre 2011, le tribunal de première instance fit droit à la contestation à l’exécution de la mère. Le tribunal jugea que la poursuite de l’exécution forcée portait atteinte aux intérêts de l’enfant et annula les actes d’exécution accomplis les 6 et 28 août 2011. Sur pourvoi en recours de la mère, le tribunal départemental, par un arrêt du 15 mars 2012, modifia le titre exécutoire du requérant, lui ajoutant l’obligation de ramener l’enfant au domicile de la mère. Par une décision avant dire droit du 19 avril 2012, le tribunal départemental prononça, à la demande de la mère, un sursis à l’exécution de son arrêt du 15 mars 2012, en application des dispositions procédurales relatives au paiement d’une caution (paragraphe 42 ci-dessous). Les 25 mars, 7 avril, 10 et 16 juin 2012, le requérant tenta de nouveau, en compagnie de l’huissier de justice, de voir son fils et de l’emmener pour passer quelques heures avec lui. À chaque reprise, la mère n’était pas à son domicile et, lorsque l’huissier tenta de la contacter par téléphone, elle ne répondit pas. Par un arrêt du 7 juin 2012, le tribunal départemental rejeta la contestation en annulation de la mère contre l’arrêt du 15 mars 2012. Démarches auprès de l’administration Entre-temps, tant le requérant que la mère de l’enfant s’étaient adressés à la direction départementale d’assistance sociale et de protection de l’enfance (la « DGASPC ») pour obtenir de l’aide. En réponse à la demande du requérant, une équipe de la DGASPC formée de deux inspecteurs et d’un psychologue, assistés par un assistant social de la mairie, se rendit, le 24 août 2011, au domicile de la mère pour évaluer la situation de l’enfant. Le 30 août 2011, la mère se rendit au siège de la DGASPC pour apporter des clarifications supplémentaires. Le 5 septembre 2011, la DGASPC rendit un rapport d’enquête sociale et constata que la mère s’occupait bien de l’enfant et qu’elle ne s’opposait pas de mauvaise foi à ce que le requérant rencontre ce dernier. En outre, il fut relevé que le tribunal départemental avait prononcé, le 11 août 2011, un sursis à l’exécution de l’arrêt du 29 juillet 2011 (paragraphe 15 cidessus) et que la compétence pour résoudre le litige revenait aux juridictions. Par une lettre du 9 septembre 2011, la DGASPC informa le requérant des conclusions du rapport du 5 septembre 2011. Il fut en outre informé que la compétence de la DGASPC était limitée à l’exécution des décisions de justice rendues en vertu de la loi no 272/2004 sur la protection de l’enfant et ne s’étendait pas à d’autres décisions, entre autres relatives aux relations entre un parent et l’enfant. Le requérant saisit de nouveau la DGASPC pour contester les conclusions du rapport. Le 30 septembre 2011, une équipe de la DGASPC, formée d’un inspecteur, d’un psychologue et d’un conseiller juridique, assistés par l’assistant social de la mairie se rendit de nouveau au domicile de la mère. Un nouveau rapport d’enquête sociale, rendu le 7 octobre 2011, confirma que la mère s’occupait bien de l’enfant. Le psychologue qui avait fait partie de l’équipe de la DGASPC rendit séparément, le 18 octobre 2011, un rapport d’évaluation psychologique ; il en ressort que la mère avait été conseillée, lors de la visite, du risque de l’apparition du syndrome d’aliénation parentale en raison de l’absence du père ou de la présentation de ce dernier de manière négative. Par une lettre du 9 novembre 2011, la DGASPC informa le requérant des conclusions des rapports des 7 et 18 octobre 2011. Il était fait état, entre autres, de l’absence d’éléments inquiétants en ce qui concerne le développement de l’enfant et du fait que la mère avait été dûment informée des circonstances dans lesquelles peut apparaître le syndrome de l’aliénation parentale. La DGASPC lui conseilla d’essayer de trouver une solution à l’amiable avec la mère. Le 21 décembre 2011, le tribunal départemental saisit la DGASPC et lui demanda d’assister les parties, en leur fournissant une consultation psychologique spécialisée (consultanţă psihologică-specialitate juvenilă). Le 20 janvier 2012, tant le requérant que la mère de l’enfant se rendirent au siège de la DGASPC en vue de rencontrer un psychologue. Lors de cette réunion, le psychologue les conseilla et recommanda à ce que l’enfant garde un contact quasi permanent avec les deux parents. Plaintes pénales Entre-temps, le requérant avait également formé une plainte pénale contre la mère pour refus de présentation de l’enfant en août 2011. Par deux décisions des 11 mai et 25 juillet 2012, le parquet rendit des non-lieux. Ces décisions furent confirmées, le 15 octobre 2012, par la cour d’appel, qui jugea que le refus de la mère de permettre au requérant de voir son fils en août 2011 était justifié par des raisons objectives. C. Les démarches du requérant afin de voir son fils après le divorce L’exécution forcée du jugement du 17 juin 2011 À l’issue de la procédure de divorce, le tribunal de première instance revêtit le jugement du 17 juin 2011 de la formule exécutoire, par un jugement avant dire droit du 25 octobre 2012. Le requérant s’adressa ensuite à l’huissier G.I. pour que ce dernier l’assiste dans la procédure d’exécution forcée du jugement. Il ressort des procès-verbaux d’exécution rédigés par G.I. les 3 novembre et 1er décembre 2012, que le requérant put voir son fils et jouer avec lui au domicile de la mère, mais cette dernière s’opposa à ce que le requérant parte seul avec l’enfant. Les 17 novembre 2012 et 16 février 2013, le requérant ne vit pas son fils puisque ce dernier était dans la maison de sa grand-mère maternelle, qui avoisinait la maison de la mère, mais le requérant refusa d’y entrer. Les 5 janvier et 2 février 2013, le requérant put emmener son fils à son domicile et dans un centre commercial respectivement, cela en présence de la mère que l’enfant avait réclamée. Enfin, le 7 octobre 2013, ni la mère, ni n’enfant n’étaient à leur domicile. Il ressort également des documents fournis par les parties que les 19 novembre et 11 décembre 2012, G.I. demanda à la mairie de désigner un représentant pour être présent lors de l’exécution forcée. Ces demandes sont restées sans réponse. Les parties n’ont pas informé la Cour d’autres tentatives d’exécution après octobre 2013. Démarches auprès de l’administration Entretemps, le 30 octobre 2012, la mère s’adressa à la DGASPC et fit valoir que le mineur refusait d’être seul avec le requérant ; elle demanda à ce que le requérant soit conseillé par des spécialistes sur l’attitude à adopter dans de telles situations. Le requérant fut invité, le 1er novembre 2012, à se présenter au siège de la DGASPC, mais ne s’y présenta pas. Il s’y rendit toutefois, le 8 novembre 2012, et s’entretint avec un psychologue. Ce dernier le conseilla et recommanda l’aide d’un psychothérapeute spécialisé dans les problèmes de la famille et du couple, en raison de la charge émotionnelle que le requérant et la mère de l’enfant gardaient après leur divorce. Plaintes pénales Entretemps, le requérant déposa plusieurs plaintes pénales contre la mère pour refus de présentation de l’enfant. Ces plaintes étaient relatives au refus d’exécution tant de l’ordonnance du 27 juin 2011 que de l’arrêt du 18 juin 2012 susmentionnés et visaient quinze tentatives d’exécution en 2012 et 2013. Elles furent toutes jointes dans le même dossier du parquet près la cour d’appel de Piteşti. Par un réquisitoire du 27 juin 2013, le parquet renvoya la mère en jugement devant la cour d’appel. Par une décision du 22 avril 2014, la cour d’appel acquitta la mère, au motif qu’elle n’avait pas agi avec l’intention d’aliéner l’enfant du requérant, mais que la mise en œuvre du droit de visite avait été rendue impossible par des raisons objectives, telle la maladie de l’enfant ou la peur créée à ce dernier par le requérant. Le requérant aurait interjeté appel et l’appel serait pendant devant la Haute Cour de cassation et de justice. Entretemps, le 20 mars 2014, le parquet près la cour d’appel de Piteşti mit en mouvement l’action pénale à l’encontre de la mère, sur plaintes pénales du requérant, pour refus de présentation de l’enfant à six autres reprises en 2013. Le dossier serait toujours pendant au parquet. II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS Les dispositions pertinentes du droit interne en vigueur au début de la période visée en l’espèce sont décrites dans les affaires Lafargue c. Roumanie (no 37284/02, §§ 64-69, 13 juillet 2006) et Costreie c. Roumanie (no 31703/05, §§ 55-58, 13 octobre 2009). En particulier, l’article 581 § 2 du code de procédure civile disposait qu’une ordonnance rendue dans le cadre d’une procédure de référé était provisoire et exécutoire. Selon l’article 582 l’ordonnance rendue par voie de référé était susceptible de recours et la juridiction saisie du recours pouvait prononcer un sursis à l’exécution jusqu’au prononcé du recours, à condition que la personne intéressée consignât une caution d’un montant fixé par le tribunal. En outre, l’article 403 autorisait de manière générale les tribunaux à prononcer le sursis à l’exécution jusqu’à l’issue de la contestation à l’exécution ou d’une autre demande relative à l’exécution forcée, toujours à condition que le débiteur consignât une caution. Le 1er octobre 2011 un nouveau code civil est entré en vigueur. Il prévoit à l’article 483 que l’autorité parentale est exercée en commun par les deux parents. Selon l’article 398 § 1, le tribunal qui se prononce sur l’octroi de l’autorité parentale sur l’enfant dans le cadre d’une procédure de divorce peut l’accorder à un seul des parents pour des motifs justifiés et dans l’intérêt supérieur de l’enfant. Le rôle et les compétences des autorités locales en ce qui concerne l’assistance sociale et la protection de l’enfance ainsi que les dispositions pertinentes de la loi no 272/2004 sur la protection de l’enfant sont décrites dans l’affaire Amanalachioai c. Roumanie (no 4023/04, §§ 56 et 59, 26 mai 2009).
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE La requérante est née en 1963 et réside à Varsovie. Elle est journaliste. Le 17 juin 2007, avec un coauteur (R.P.), la requérante publia dans l’hebdomadaire national Wprost un article intitulé « La Marraine » (Matka chrzestna). La thèse principale de l’article était qu’à l’origine de la mafia polonaise se trouvait la police secrète communiste, qui l’avait créée et protégée à ses débuts dans les années 80. Ensuite, l’article indiquait que les agents de l’État devenus, après 1989, membres des services de police du régime démocratique avaient continué de protéger leurs anciens collègues engagés dans le crime organisé florissant. Un passage de l’article en question se lisait ainsi : « Comment le Service de la sécurité de la République populaire de Pologne a créé la mafia en Pologne. Cette affaire démontre comment, dans les années 90, la mafia s’était bâtie en Pologne” a dit le ministre de la Justice Z.Z. au sujet du meurtre du général M.P. Les derniers faits établis par les enquêteurs dans cette affaire et les documents de l’Institut de la mémoire nationale démontrent que la criminalité organisée sous la Troisième République de Pologne est l’œuvre des agents de la sécurité (esbecy). La liquidation formelle des structures communistes du service de la sécurité (bezpieka) n’a pas signifié la fin du réseau déjà établi entre les fonctionnaires des services secrets et la clandestinité criminelle, mais aussi avec des personnes arrivées en politique sous la Troisième République, qui plus est en première ligne ». Une des personnes à qui l’article faisait référence, le sieur R.B., déposa devant le tribunal de district de Varsovie un acte d’accusation privé pour diffamation, en vertu des articles 212 § 2 et 216 § 2 combinés du code pénal (CP). Le 16 août 2010, le tribunal de district de Varsovie condamna la requérante pour calomnie à raison de deux propos contenus dans l’article contesté. Il jugea en effet que, contrairement aux allégations figurant dans l’acte d’accusation concernant l’article entier, seuls deux propos tenus par la requérante revêtaient un caractère mensonger. Le passage en question se lisait ainsi : « Le témoin à décharge principal de E.M., accusé d’avoir commandité le meurtre de M.P. devant un tribunal américain, est aujourd’hui R.B. Cet ancien colonel de l’Agence de sécurité intérieure (Agencja Bezpieczeństwa Wewnętrznego), mis à la porte de son poste il y a un an et demi, et ancien directeur du bureau des investigations de l’Office de protection de l’État (Zarząd Śledczy Urzędu Ochrony Państwa), a rendu possible la fuite de E.M. de Pologne, ce qui lui a garanti l’impunité pendant plusieurs années ». Le premier propos retenu à l’appui de cette condamnation était l’affirmation selon laquelle R.B. avait été renvoyé pour une cause déshonorable du service de l’Agence de sécurité intérieure (Agencja Bezpieczeństwa Wewnętrznego). Le tribunal a jugé que R.B. avait démissionné lui-même. Or, les termes utilisés par les auteurs suggéraient clairement et de façon mensongère que le renvoi avait pour cause une incompatibilité manifeste avec le service pour des motifs suspects. Le passage en question de l’arrêt se lisait ainsi : « Les auteurs de l’article ont constaté que R.B. était « un ancien colonel de l’Agence de sécurité intérieure, mis à la porte (wyrzucony) de son poste il y a un an et demi ». Cette constatation s’avère être totalement fausse, étant donné que la partie civile, comme indiqué dans l’ordre no 1594 du 24 juillet 2005, a ellemême demandé son licenciement auprès du chef de l’Agence de sécurité intérieure. Il ne fait aucun doute que le terme « mis à la porte » est diamétralement opposé au terme « licencié » et pour chaque lecteur cela signifie que cette personne a été, contre son gré, expulsée des rangs d’une structure ou institution. Il s’agit d’un terme clair et précis qui ne laisse pas de doutes d’interprétation en ce qui concerne la fin du parcours professionnel de la personne en question. Lorsque le lecteur apprend que ladite personne a été mise à la porte, il ne voit que deux explications possibles : ou bien cette personne a fait quelque chose qui l’a disqualifiée en tant que fonctionnaire de l’Agence de sécurité intérieure, à savoir elle a commis une faute disciplinaire, une infraction ou a fait preuve d’un comportement extrêmement immoral, ou bien elle a fait preuve d’un réel manque de compétences au point qu’il était impossible de lui trouver un autre poste ou mission au sein de l’Agence. Car c’est bien dans de telles circonstances que l’employeur « met à la porte » le salarié tel que le fonctionnaire public. Il ne pourrait pas s’agir de licenciement par le chef de l’Agence, par exemple pour des raisons de santé. Dans un polonais correct, on ne dirait jamais « mise à la porte » en parlant d’une déclaration unilatérale d’intention de l’employeur même si elle est faite contre la volonté du salarié. Le terme « mis à la porte » a une évidente connotation péjorative et se réfère aux mesures à caractère punitif et dénonciateur lorsque l’évaluation du salarié est si mauvaise que sa « mise à la porte » est la seule possibilité. C’est cette qualité d’être le sujet des actions répressives de l’employeur, sous forme de « mise à la porte » (le licenciement à caractère punitif) que les accusés ont attribuée à la partie civile, de manière contraire à la vérité. Selon le tribunal, il s’agit ici d’une calomnie. » Le tribunal a, ensuite, examiné l’affirmation selon laquelle R.B. avait rendu possible la fuite de E.M., libéré après avoir dans un premier temps été arrêté pour soupçon de participation et incitation à conspiration envers l’ancien chef du Service de la police nationale, M.P. Cette manière de formuler la phrase donnait à croire que le départ de E.M. à l’étranger avait eu lieu dans des conditions illégales grâce à des mesures illégalement prises par R.B. à cette fin. Or, aux yeux du tribunal, ceci ne correspondait pas à la réalité, E.M. étant simplement parti après sa libération, qui n’était assortie d’aucune interdiction de quitter le pays. Le passage en question de l’arrêt se lisait ainsi : « L’inexactitude de cette information (que l’accusateur avait rendu possible la fuite de E.M. de Pologne) est évidente car, à l’heure de la publication de l’article en question, il était de notoriété publique et était devenu l’objet d’autres articles et de débats publics que E.M., arrêté comme étant suspecté d’avoir un lien avec le meurtre du général M.P., a été libéré sans qu’aucune accusation n’eût été retenue contre lui à la suite d’une réunion de plusieurs procureurs de haut grade, dont le procureur national K.N., et a ensuite rapidement quitté la Pologne. Ces évènements ont été décrits en partie dans un autre article publié par les accusés plusieurs mois avant la publication de « La Marraine ». E.M. a été libéré et son départ à l’étranger était tout à fait légal. On peut avoir différentes opinions sur l’opportunité de la décision de le libérer ; cela est néanmoins sans importance étant donné qu’au moment de son départ il n’existait aucune restriction le concernant et qu’il a pu franchir librement la frontière polonaise. Les accusés ont écrit que R.B. avait rendu possible la fuite de E.M. de Pologne. Cette formulation indiquait que E.M. n’avait pas pu partir tout seul et que quelqu’un avait dû rendre possible son départ, en surmontant ou contournant certains obstacles. Même en supposant que l’utilisation du mot « fuite » est une exagération rédactionnelle et signifie, en fait, un départ libre et légal à l’étranger par crainte d’une inculpation ou d’une arrestation, l’utilisation du terme « a rendu possible la fuite » démontre qu’il s’agit d’un départ qui normalement n’aurait pas été possible et que R.B. avait créé cette possibilité. Or tel n’était pas le cas. Il ressort du témoignage de M. que E.M. n’a pas été soumis à des restrictions de sa liberté individuelle et que non seulement il n’était pas nécessaire de faciliter son départ, mais il n’existait aucun moyen juridique permettant de l’empêcher. Dans cette situation, l’affirmation selon laquelle R.B. avait facilité le départ suggérait que ce dernier était impossible à réaliser sans l’aide de R.B., et elle créait chez le lecteur l’impression que ce dernier avait permis de surmonter certains obstacles juridiques ou physiques pouvant empêcher le départ de E.M. et que, par conséquent, il avait placé l’intérêt de E.M. audessus des valeurs qu’il devait promouvoir dans le cadre de ses fonctions et en dehors de celles-ci. Il est évident que cette supposition aurait pu dégrader l’image de R.B. aux yeux du public, en mettant en cause sa loyauté envers l’État et l’institution qui était son employeur. » Le tribunal de district distingua entre déclarations factuelles et jugements de valeur en se référant à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme et estima qu’il ne s’agissait pas d’allégations de faits mais de jugements de valeur lors de la description de la manière dont l’ancienne police communiste avait prétendument créé les soubassements du crime organisé en Pologne. Le tribunal de district retint également que le contenu général de l’article, notamment la description de la manière dont l’ancienne police communiste avait prétendument créé les soubassements du crime organisé en Pologne dans les années 90, n’avait aucune incidence ni sur la réputation du plaignant ni sur la responsabilité pénale de la requérante. Le tribunal de district condamna ainsi la requérante au paiement d’une amende de 14 000 zlotys polonais (PLN - 3 500 euros (EUR)) et d’une somme à verser à des œuvres caritatives de 10 000 PLN (2 500 EUR), l’équivalent de trois mois de son salaire, qu’il a considérées comme proportionnées à la gravité de l’injure commise et adéquatement dissuasives afin que la requérante ne commette pas autres délits du même genre. La requérante se vit également contrainte de rembourser au plaignant la moitié des frais de procédure de première instance. La requérante interjeta appel. Le 1er février 2011, le tribunal régional de Varsovie accueillit l’appel et modifia le jugement attaqué, en réduisant le montant de l’amende de 14 000 PLN à 7 000 PLN et le montant de la somme à payer à des œuvres caritatives de 10 000 PLN à 5 000 PLN. Dans ses motifs, le tribunal régional estima que la peine imposée à la requérante par le tribunal de première instance était manifestement disproportionnée, en observant que le salaire mensuel de la requérante était approximativement de 8 000 PLN alors qu’elle avait trois enfants à sa charge et un prêt au logement à rembourser; or, indiqua-t-il, la sévérité de l’amende devait être déterminée à la lumière de la situation de l’accusée vue dans son ensemble, en ayant notamment égard à ses revenus, à ses obligations familiales et à son pouvoir d’achat. Ensuite, le tribunal examina les dires de la requérante et de son coaccusé selon lesquels ni lui ni elle n’avaient connaissance des modifications apportées à leur texte original soumis à l’éditeur, modifications dont étaient selon eux précisément issus les éléments retenus à l’appui de leur condamnation par le tribunal de première instance. Le tribunal ne les a pas jugés crédibles, d’autant plus qu’ils n’avaient introduit cette affirmation qu’au stade de l’appel (article 452 § 2 du code de procédure pénale). Pour le reste, les juges d’appel partagèrent entièrement les conclusions de fait et de droit du tribunal de première instance. L’amende et la somme à verser à des œuvres caritatives furent prises en charge par une fondation, la Fundacja Niezależne Media, qui procéda à leur paiement directement sur les comptes indiqués par la requérante. II. LE DROIT INTERNE PERTINENT Les dispositions du code pénal concernant la calomnie (zniesławienie) Selon l’article 212 § 1 du CP, quiconque impute à autrui (...) un comportement ou des qualités susceptibles de le rabaisser aux yeux de l’opinion publique ou de mettre en péril la confiance nécessaire à l’exercice de sa fonction, de sa profession ou d’une activité donnée, est passible d’une peine d’amende ou d’une mesure restrictive de liberté. Selon l’article 212 § 2 du CP, lorsque l’infraction ainsi définie est commise par des moyens de communication de masse, son auteur est passible d’une amende, d’une mesure restrictive de liberté ou d’une peine d’emprisonnement pour une durée d’un an au maximum. Dans un arrêt du 30 octobre 2006 (affaire P 10/06), la Cour constitutionnelle, statuant sur une question préjudicielle du tribunal de district de Gdansk, a déclaré l’article 212 §§ 1 et 2 du code pénal conforme à l’article 14 et à l’article 54 alinéa 1 pris en combinaison avec l’article 31 alinéa 3 de la Constitution, considérant : – que les libertés et les droits définissant la dignité de l’homme, y compris la protection de sa réputation et de sa vie privée, méritent de jouir de la priorité par rapport à la liberté d’expression, fût-ce au prix d’une restriction de cette dernière ; – qu’il n’y avait aucune raison de supposer que la protection des droits de la personne à travers le seul droit civil serait aussi efficace que le droit pénal ; – que, partant, le recours au droit pénal pour assurer la protection des droits de la personne n’était pas contraire aux dispositions pertinentes de la Constitution. Selon l’article 216 § 1 du CP, quiconque diffame une tierce personne en sa présence, ou même en son absence mais publiquement ou avec l’intention que l’injure lui soit communiquée, est passible d’une peine d’amende ou d’une mesure restrictive de liberté. Selon l’article 216 § 2 du CP, lorsque l’infraction ainsi définie est commise par des moyens de communication de masse, son auteur est passible d’une amende, d’une mesure restrictive de liberté ou d’une peine d’emprisonnement pour une durée d’un an au maximum.
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Les requérants sont des ressortissants turcs résidant à Hakkari. Les faits de la cause, tels qu’ils ont été exposés par les parties, peuvent se résumer comme suit. Le 3 septembre 2008, vers 22 h 15, M. Reşat Çiçek, fils et frère des requérants, fut tué lors d’une opération militaire lancée par l’unité des opérations spéciales de la gendarmerie de Yüksekova. Une enquête pénale fut ouverte dès le lendemain matin, le 4 septembre 2008. Le même jour, à 10 heures, le procureur de Yüksekova et les membres de l’unité de la gendarmerie exerçant les fonctions de police judiciaire se déplacèrent sur le lieu de l’incident. Selon les rapports établis le 4 septembre 2008 par les gendarmes de l’unité de police judiciaire, les commandos de la gendarmerie, avertis qu’un petit nombre de militants du PKK (Parti des travailleurs du Kurdistan, organisation armée illégale – le « PKK »), dont un dénommé Diyar, allaient commettre un attentat, s’étaient postés en embuscade le long de la route reliant le village de Suüstü au village de Büyükçiftlik. Toujours selon les rapports, deux gendarmes, positionnés après le premier pont passé le village de Suüstü, avaient aperçu, dans la lumière des phares d’une voiture qui serait passée sur la route, les silhouettes de trois personnes franchissant le pont à pied et s’apprêtant à passer sous celui-ci. Les deux gendarmes les auraient sommées de s’arrêter en leur criant : « Halte ! Gendarmerie ! » Les inconnus auraient alors ouvert le feu en direction des gendarmes et ceux-ci auraient riposté. Une des trois personnes serait décédée sur place et les deux autres se seraient enfuies en courant par le ruisseau. L’équipe qui avait été mise en place sur le lieu de l’incident était composée de treize gendarmes, dont trois sous-officiers (un major, un adjudant-chef et un adjudant) et dix brigadiers-chefs (ou « sergents experts », uzman çavus), et d’un officier (commandant d’escadron), tous des militaires professionnels. Selon le procès-verbal de l’examen technique du lieu de l’incident et des croquis effectués le 4 septembre 2008 sous l’autorité du procureur par un gendarme, adjudant-chef de la section de police judiciaire, le corps du défunt se trouvait à huit mètres de la route et à dix-sept mètres du pont, sur un terrain avec quelques saules. Autour du corps et entre le corps et la route dix douilles de 7,62 mm appartenant à des fusils d’assaut de type kalachnikov auraient été recueillies. À une dizaine de mètres du corps toujours dans la même direction par rapport au pont, vingt et une douilles de calibre 5,56 mm fabriquées par l’usine d’armement de l’État (MKE) auraient été retrouvées près d’un arbre. Sur le défunt, on aurait recueilli deux cartouches de calibre 7,62 mm non utilisées appartenant à des fusils d’assaut de type kalachnikov, un paquet de cigarettes, un téléphone mobile, un couteau de poche et une carte d’identité au nom de Reşat Çiçek. Toujours selon le procès-verbal, les fusils utilisés par les gendarmes lors de l’incident étaient un M16 appartenant à Z.S., l’adjudant-chef, et un HK 33 appartenant à M.A.A., l’un des brigadiers-chefs. Le 4 septembre 2008, sur autorisation du juge d’instance pénal de Yüksekova, l’unité de police judiciaire de la gendarmerie établit que Reşat Çiçek avait, dans la journée du 3 septembre 2008, passé plusieurs appels à chacun des correspondants « Di », « Diyar2 » et « Iskender ». Entre-temps, toujours le 4 septembre 2008, à 12 h 10, un médecin de l’hôpital de Yüksekova effectua en présence du procureur un examen externe détaillé du corps du défunt. Il observa la présence de multiples orifices d’entrée et de sortie de balles sur la tête, le cou, la poitrine et l’abdomen. Le 4 septembre 2008 encore, à 15 h 45, une autopsie classique fut pratiquée par l’institut médicolégal de Hakkari. Elle permit de conclure que Reşat Ciçek avait été touché par cinq balles de fusil d’assaut à la tête, à la poitrine et à l’abdomen, et que les projectiles avaient atteint séparément des organes vitaux : le cerveau, le cœur, les poumons et le foie. L’autopsie révélait aussi la présence de trois blessures par des balles de gros calibre ou des éclats d’explosif, dont cinq auraient eu des impacts distincts et immédiatement mortels. Enfin, toutes les balles auraient été tirées de loin, c’est-à-dire à plus de 75 cm de distance pour des fusils à canon long. Le 11 septembre 2008, le parquet de Yüksekova recueillit les dépositions des treize membres de la gendarmerie ayant participé à l’opération du 3 septembre 2008. Le 11 septembre 2008, le commandant d’escadron, M.B., fut entendu par le parquet. Dans sa déposition, il indiquait que, le jour de l’incident, il avait reçu l’ordre de son commandant de brigade (le général-brigadier) de prendre position entre le village de Suüstü et celui de Büyükçiftlik avec trois équipes en raison d’une information selon laquelle un petit nombre de terroristes du PKK devaient se retrouver près du ruisseau Akocak. Il précisait qu’il était parti vers 18 h 30 avec trois équipes pour l’endroit mentionné, que sept équipes au total participaient à cette opération, qu’il avait placé l’équipe no 7, composée de treize personnes, à l’endroit où l’incident en cause s’était déroulé par la suite, qu’il avait placé deux autres équipes dans d’autres endroits de passage potentiels des militants du PKK et qu’il était resté avec l’équipe no 7. Il indiquait que, vers 19 h 45, ils avaient entendu, venant du premier emplacement, des gendarmes lancer à voix forte : « Halte ! Couche-toi au sol ! Gendarmerie !» Toujours selon M.B., des coups de feu avaient alors été tirés sur les gendarmes et une des balles avait ricoché, le manquant lui-même de peu. Les gendarmes auraient riposté. L’affrontement n’aurait pas duré plus de dix secondes. M.B. précisait qu’il se trouvait à 100 mètres du lieu exact de l’accrochage et qu’il avait demandé par talkie-walkie aux soldats de l’emplacement no 1 ce qui s’était passé. L’un des soldats aurait répondu qu’il avait vu trois terroristes, qu’après la sommation des gendarmes les terroristes avaient ouvert le feu sur eux et qu’ils avaient immédiatement riposté. Le soldat lui aurait également dit que l’un des terroristes était tombé sous les balles devant eux et que les deux autres, probablement touchés, s’étaient enfuis en suivant le ruisseau. M.B. déclarait en outre que le soldat lui avait demandé l’autorisation de tirer sur les fuyards et qu’il la lui avait accordée. Quelques minutes plus tard, il se serait rendu avec les autres gendarmes à l’endroit de l’accrochage et il aurait vu par terre le corps d’un des terroristes. Il aurait immédiatement informé de la situation le centre de l’opération de la brigade et l’officier de liaison au commandement de la brigade lui aurait donné l’ordre de placer les soldats à des points stratégiques afin d’empêcher la fuite des autres terroristes. M.B. aurait ordonné aux gendarmes de se positionner comme indiqué par l’officier de liaison. Tout le monde serait resté sur place toute la nuit. Au lever du jour, les troupes auraient mené des recherches dans la zone afin de vérifier si l’un des deux terroristes en fuite avait succombé à ses blessures. Les recherches n’auraient pas abouti et les gendarmes auraient pris les précautions d’usage afin de préserver l’intégrité de la scène de l’incident en attendant l’arrivée du procureur. Dans les dépositions qu’ils avaient faites devant le parquet le 11 septembre 2008 – séparément mais, en majeure partie, dans les mêmes termes – le sous-officier Z.S. et le brigadier-chef M.A.A., deux gendarmes qui avaient occupé la position no 1 et qui avaient ouvert le feu lors de l’incident, déclaraient que, le 3 septembre 2008, vers 18 h 30, leur équipe no 7 avait reçu l’ordre de se préparer pour une opération et qu’ils avaient quitté la caserne au coucher du soleil. Ils indiquaient que leur commandant les avait placés sur le côté gauche de la route, sous un arbre, et qu’ils étaient les plus proches du pont. Deux autres équipes auraient été placées ailleurs. Au bout d’une heure, les phares d’un véhicule franchissant le pont en direction de Büyükçiftlik auraient éclairé fugitivement une silhouette d’homme. Tout de suite après le passage du véhicule, trois personnes auraient franchi le pont et seraient descendues de la route. Z.A. et M.A.A. disaient avoir crié : « Gendarmerie ! Couchez-vous au sol ! » Ces personnes auraient répondu par des tirs en rafales vers les gendarmes tout en s’enfuyant dans le ruisseau qui passait sous le pont. Z.A. et M.A.A. auraient riposté et touché l’une des trois personnes et, probablement d’après eux, touché aussi l’une de celles qui s’enfuyaient par le ruisseau. Ils auraient ensuite informé le commandant de l’escadron, M.B., qui serait alors arrivé sur les lieux. Les gendarmes seraient restés sur place jusqu’à l’aube. Le terroriste qu’ils pensaient avoir blessé n’aurait pas été retrouvé. Toujours le 11 septembre 2008, les onze autres gendarmes ayant fait partie de l’équipe no 7 déposèrent eux aussi devant le parquet, quasiment dans les mêmes termes. Ils indiquaient de plus que le commandant M.B. se trouvait dans l’équipe no 7 et que, une heure après leur arrivée, ils avaient entendu des soldats lancer à voix forte : « Halte ! Gendarmerie ! Couche-toi ! » Ils ajoutaient également que quelques gendarmes se trouvant près du commandant de l’escadron (y inclus le brigadier-chef chargé de la protection rapprochée du commandant) avaient rejoint quelques minutes après l’accrochage l’endroit où se trouvait le corps de la personne tuée, selon eux, par les tirs des gendarmes. Dans sa déposition faite devant le parquet le 12 septembre 2008, un ex-militant du PKK, M.A., décrivait ses activités au sein de cette organisation et fournissait des renseignements sur plusieurs actions terroristes que des militants de sa connaissance auraient menées. Il indiquait notamment que les deux commandants régionaux du PKK, R.Z. et M.R., après avoir renoncé à une attaque planifiée contre le maire de Büyükçiftlik parce que celui-ci en aurait été informé, avaient chargé les militants Diyar et Alisir de tuer un habitant du village de Suüstü, T.O. Il ajoutait que Diyar et Alisir, accompagnés de Reşat Çiçek, qui aurait collaboré avec le PKK, s’étaient rendus chez T.O., mais que leur plan avait échoué car T.O., averti de la chose, se serait enfermé chez lui sous la protection de sa famille. Il relatait en outre que, à leur retour, Diyar, Alisir et Reşat Çicek avaient été piégés par les gendarmes, que Reşat Çiçek avait été tué, et que Diyar et Alisir avaient réussi à s’échapper, blessés respectivement seulement à la jambe et au dos car la plupart des balles auraient percuté les chargeurs et d’autres objets métalliques qu’ils portaient sur eux. Il assurait avoir vu Diyar et Alisir dans la montagne attendre l’arrivée des mules pour leur transfert dans un camp éloigné du PKK. Le 2 décembre 2008, les requérants portèrent plainte contre les gendarmes ayant participé à l’opération. Ils leur reprochaient d’avoir tué Reşat Çiçek d’une façon arbitraire. Ils contestaient la version des faits donnée par les gendarmes dans leurs dépositions, sans toutefois en développer une autre. Le 13 février 2009, le procureur de la République de Yüksekova rendit une ordonnance de non-lieu au motif que les forces de l’ordre avaient agi en état de légitime défense, conformément à l’article 25 du code pénal. Il indiquait ce qui suit : le jour de l’incident, les gendarmes, informés d’un déplacement de certains membres du PKK, avaient lancé une opération militaire à proximité du village de Büyükçiftlik ; le sergent spécialiste M.A.A. et l’officier Z.S. avaient aperçu trois militants du PKK et les avaient sommés de ne plus bouger ; les militants avaient ouvert le feu sur les deux gendarmes, lesquels avaient riposté pour se défendre ; l’un des assaillants, Reşat Çiçek, touché par balles, était mort sur place et les deux autres militants avaient réussi à s’échapper. Le 3 mars 2009, les requérants formèrent opposition contre ce non-lieu. Ils soutenaient que Reşat Çiçek était berger et que le dossier ne contenait aucune preuve qu’il eût apporté aide et assistance au PKK et participé à une opération de cette organisation la nuit de l’incident. Ils alléguaient que l’enquête pénale n’avait pas suffisamment éclairci la question d’une planification par des militants du PKK de l’assassinat de T.O. ni celle de la prétendue fuite de deux militants du PKK, ceux qui auraient accompagné Reşat Çiçek. Par une décision du 31 mars 2009, le président de la cour d’assises de Van rejeta l’opposition des requérants au motif que l’enquête menée par le parquet était satisfaisante et ses conclusions fondées, et que le dossier ne contenait aucune preuve ni aucun indice nécessitant l’ouverture d’une action pénale. II. LE DROIT ET LA PRATIQUE PERTINENTS L’article 448 du code pénal sanctionne l’homicide volontaire par une peine de vingt-quatre à trente ans de réclusion. L’article 452 de ce code énonce que, en cas de décès survenu à la suite de coups et blessures infligés sans intention de donner la mort, l’auteur est passible d’au moins huit années de réclusion. En revanche, selon l’article 25 du code pénal, quiconque se trouvant placé dans l’obligation de repousser une attaque illégitime dirigée contre lui ou contre d’autres personnes agit d’une façon proportionnée à l’attaque ne sera pas puni pour son acte. Quant au pouvoir des forces de l’ordre de faire usage d’armes à feu, l’article 7 § 1 a) de la loi no 2803 du 12 mars 1983 sur l’organisation, la compétence et les attributions de la gendarmerie donne pour mission aux gendarmes de prendre toutes les mesures nécessaires à la sauvegarde de l’ordre et de la sécurité publics ainsi qu’à la prévention de la contrebande et de la commission d’autres délits. Dans ce contexte, l’article 11 de ladite loi habilite les gendarmes à faire usage d’armes à feu dans l’exercice de leurs fonctions, selon les cas prévus par le droit interne à cette fin. L’article 40 du règlement d’application de la loi no 2803 susmentionnée énonce que recourir à une arme à feu ne signifie pas forcément faire feu et que le tir doit être l’ultime recours. Il précise que la priorité doit être donnée à l’usage des moyens de défense non létaux, propres à contenir et contrôler l’individu dangereux et que, lorsque ces moyens se révèlent inefficaces, il faut avancer vers l’individu en présentant l’arme à des fins dissuasives. Il préconise d’utiliser la crosse en cas d’échec et, si le but n’est toujours pas atteint, les parties « davantage contondantes ou coupantes » de l’arme, et enfin, en dernier recours seulement, de faire feu. En tout état de cause, toujours selon le même article, le recours à une arme à feu implique trois phases consécutives : d’abord, l’agent des forces de l’ordre tire trois coups de sommation en l’air, puis il vise les pieds de l’individu en cas de refus d’obtempérer ; le feu à volonté n’est autorisé que s’il n’y a aucun autre moyen de contrôler la situation. Cependant, l’article 40 n’exclut pas de pouvoir déroger à cette règle en fonction des particularités de chaque situation. Il admet qu’il peut y avoir des cas justifiant que l’on ouvre directement le feu sur l’individu ; il précise qu’il est alors impératif de dresser un procès-verbal expliquant clairement les raisons ayant nécessité un tel geste. Par ailleurs, la partie pertinente en l’espèce de l’article 16 de la loi no 2559 sur les attributions et obligations de la police, tel qu’il a été modifié par la loi no 5681 publiée au Journal officiel le 14 juin 2007, se lit comme suit : « La police (...) c) peut faire usage d’armes à feu aux fins d’arrêter une personne faisant l’objet d’un mandat de détention ou d’arrestation (...) ou un suspect en flagrant délit, dans la mesure nécessaire à cet effet. Avant de faire usage d’armes à feu, la police (...) doit d’abord dire « halte ! » (...) Si la personne continue à fuir, la police peut tirer un coup de sommation. Si, nonobstant ces avertissements, la personne continue à fuir et si aucun autre moyen de l’arrêter n’est envisageable, la police peut faire usage d’armes à feu aux fins d’arrêter la personne, dans la mesure nécessaire à cet effet (...) » Pour les principes internationaux concernant l’utilisation des armes à feu par les forces de l’ordre, voir les arrêts Ülüfer c. Turquie (no 23038/07, § 41, 5 juin 2012), et Aydan c. Turquie (no 16281/10, §§ 47-48, 12 mars 2013).
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Le requérant est né en 1988 et est détenu à Cahul. A. Les mauvais traitements allégués et l’enquête y relative Le 13 mars 2009, le requérant fut arrêté dans un appartement situé à Chișinău, avec cinq autres personnes. Il était soupçonné d’avoir commis un vol à main armée en réunion, avec violence. Lors de l’arrestation, les policiers lui auraient asséné des coups de poing, de pied et de bâton. Ensuite, ils l’auraient conduit à un commissariat de police à Chişinău, où ils auraient continué à le rouer de coups dans le but de lui arracher des aveux. Ils lui auraient mis sur la tête un sachet en plastique afin de l’empêcher de respirer. Le 16 mars 2009, le requérant comparut devant un juge d’instruction du tribunal de Comrat, qui ordonna son placement en détention provisoire pour une période de dix jours. À cette audience, l’avocate du requérant signala la présence de lésions sur le corps de son client et demanda l’ouverture d’une enquête à ce sujet. Le même jour, le requérant porta plainte pour coups et blessures auprès du parquet et demanda qu’une expertise médicolégale fût effectuée. À une date non spécifiée, les autorités ouvrirent une instruction pénale concernant les faits allégués. Le 18 mars 2009, le médecin légiste dressa, sur demande du parquet de Comrat, un rapport d’expertise médicolégale, faisant état des constats suivants : « [Le requérant se plaint de] douleurs thoraciques, lombaires, à l’articulation du genou gauche, dans la zone temporale droite. (...) Suffusion de forme ovale, mesurant 1,80 cm sur 5 cm, de couleur violet foncé aux nuances jaunâtres sur la paupière supérieure de l’œil droit. Dans la région du nez, une érosion cutanée de forme ovale de 1,20 cm sur 2 cm, aux bords irréguliers, dont la surface est recouverte d’une croûte de couleur brun foncé. Dans la région de l’articulation du genou gauche, une érosion ronde aux bords irréguliers, mesurant 1,50 cm sur 2 cm, dont la surface est partiellement recouverte d’une croûte de couleur brun foncé. Aucune autre lésion n’a été constatée lors de l’examen. » Ce rapport ne comprenait pas de qualification de la gravité des lésions corporelles constatées. Le 2 avril 2009, l’avocate s’entretint avec le requérant. Celui-ci lui affirma que les policiers continuaient à le battre, en particulier avec des bouteilles en plastique remplies d’eau afin de ne pas laisser de traces visibles sur son corps. Dans une plainte adressée au parquet général le 2 avril 2009, l’avocate du requérant dénonça les mauvais traitements dont ce dernier s’était plaint lors de leur dernière rencontre. Elle demandait une expertise médicolégale approfondie, ainsi que l’ouverture de poursuites à l’encontre des personnes responsables des mauvais traitements allégués. Le 9 avril 2009, une nouvelle expertise médicolégale fut effectuée. D’après le rapport correspondant, qui n’a pas été communiqué au requérant, aucune lésion corporelle visible n’avait été constatée sur le corps de ce dernier. Première procédure relative aux allégations de mauvais traitements Le 30 avril 2009, le parquet général adopta une ordonnance de classement sans suite concernant les faits dénoncés dans la plainte du 2 avril 2009. Il s’appuyait sur la version livrée par quatre policiers en charge de l’enquête pénale engagée contre le requérant, qui soutenaient que ce dernier n’avait pas été soumis à des mauvais traitements. Le parquet faisait également référence aux conclusions du rapport médicolégal du 9 avril 2009. Sur plainte du requérant, le 4 juin 2009, le procureur hiérarchique confirma l’ordonnance du 30 avril 2009. Le 15 juin 2009, le requérant contesta la décision du 4 juin 2009. Le 6 juillet 2009, le juge d’instruction I.M. du tribunal de Buiucani accueillit partiellement la contestation du requérant. Il estimait que l’ordonnance de classement sans suite du 30 avril 2009 était prématurée et mal fondée. Le juge notait que les autorités compétentes avaient superficiellement interrogé le requérant concernant les faits allégués. Il reprochait également au parquet de ne pas avoir cherché à savoir si un contrôle médical des organes internes du requérant était ou non nécessaire, de ne pas avoir entendu le médecin légiste et de ne pas avoir répondu aux allégations du requérant selon lesquelles celui-ci avait subi des mauvais traitements le 13 mars 2009. Le juge d’instruction annula l’ordonnance du 30 avril 2009 et ordonna une investigation supplémentaire. Le 30 juillet 2009, le parquet général rendit une ordonnance de classement sans suite, dont le contenu était similaire à celui de l’ordonnance du 30 avril 2009 (paragraphe 12 ci-dessus). Le 17 août 2009, le requérant contesta cette ordonnance devant le juge d’instruction. Par un jugement définitif du 21 septembre 2009, le juge d’instruction M.D. du tribunal de Buiucani rejeta cette contestation au motif que l’enquête des autorités avait été complète et objective. Seconde procédure relative aux allégations de mauvais traitements Dans l’intervalle, le 28 mai 2009, l’avocate du requérant s’était plainte au procureur général de l’absence de réponse du parquet à la plainte du requérant du 16 mars 2009. Le 12 juin 2009, le parquet de Buiucani rendit une ordonnance de classement sans suite au sujet des allégations de mauvais traitements du requérant. Le contenu de cette ordonnance était similaire à celui de l’ordonnance du 30 avril 2009 (paragraphe 12 ci-dessus). Le 26 juin 2009, l’avocate du requérant contesta l’ordonnance du 12 juin 2009 devant le procureur général. Elle mettait en exergue le fait que, selon le rapport d’expertise médicolégale du 18 mars 2009, des blessures avaient été constatées sur le corps du requérant. Elle demandait en outre au parquet d’ordonner une expertise médicolégale complète afin de déterminer la gravité des lésions corporelles du requérant, ainsi que l’état de ses organes internes, qui pouvaient être affectés sans que des traces extérieures de blessures fussent visibles. Elle indiquait enfin que la plainte initialement introduite par le requérant le 16 mars 2009 n’avait toujours pas été examinée par le parquet. Le 3 juillet 2009, le procureur hiérarchique annula l’ordonnance de classement sans suite du 12 juin 2009. Le 14 juillet 2009, le parquet de Buiucani rendit une nouvelle ordonnance de classement sans suite. Il faisait référence aux déclarations de cinq policiers selon lesquelles, lors de l’arrestation du requérant et de ses complices présumés, ils avaient employé la force contre certains suspects qui auraient résisté et qui auraient ensuite été immobilisés au sol. Le parquet notait de plus que les lésions corporelles constatées chez le requérant dans le rapport d’expertise médicolégale du 18 mars 2009 étaient sans préjudice pour la santé de l’intéressé. Il faisait également référence aux conclusions du rapport d’expertise médicolégale du 9 avril 2009 selon lesquelles aucune lésion corporelle n’avait été constatée sur le corps du requérant. Sur plainte du requérant, par une ordonnance du 12 août 2009, le procureur hiérarchique confirma l’ordonnance du 14 juillet 2009. Par une décision définitive du 10 septembre 2009, le juge d’instruction M.D. du tribunal de Buiucani rejeta la contestation du requérant contre les ordonnances des 14 juillet et 12 août 2009. Il estimait que les décisions contestées étaient motivées et fondées. B. Les procédures relatives à la détention provisoire du requérant Après son arrestation le 13 mars 2009, le requérant fut maintenu en détention provisoire tout au long de son procès. Pendant l’instruction de l’affaire qui fut achevée à une date non spécifiée en août 2009, la privation de liberté du requérant fut prolongée tous les dix à trente jours. Lors de la phase judiciaire de l’affaire pénale de l’intéressé, la détention provisoire de celui-ci fut prolongée tous les trois mois. Les motifs retenus par le juge interne étaient à chaque fois essentiellement les mêmes et tenaient à la gravité de l’infraction reprochée – qualifiée de très grave en droit interne –, à la complexité de l’affaire, ainsi qu’aux risques, en cas d’élargissement, de fuite, d’entrave à la justice, de commission de nouvelles infractions et de trouble à l’ordre public. Les deux dernières prolongations de la détention provisoire du requérant avant l’introduction de la présente requête furent ordonnées par le tribunal de Comrat dans ses décisions du 30 novembre 2009 et du 26 février 2010. Par sa décision du 26 février 2010, le tribunal prolongea notamment la privation de liberté de l’intéressé jusqu’au 2 juin 2010. La motivation de ces deux décisions était quasi identique et commune au requérant et à ses trois coaccusés. Le requérant contesta ces jugements, arguant que le parquet n’avait présenté aucune preuve plausible étayant le risque de fuite ou de commission de nouvelles infractions. Il ajoutait qu’il était étudiant et qu’il avait un domicile fixe, et il demandait l’application à son encontre d’une mesure préventive autre que la détention. Dans son dernier recours, il indiquait également que les victimes et les témoins clés avaient déjà été auditionnés et que, dès lors, sa détention était fondée, selon lui en violation de l’article 5 de la Convention, sur la seule gravité de l’infraction reprochée. Le 14 décembre 2009 et le 5 mars 2010 respectivement, la cour d’appel de Comrat rejeta les recours du requérant comme mal fondés. Le 30 juin 2011, le tribunal de Comrat jugea le requérant coupable et le condamna à huit ans d’emprisonnement. Par un arrêt du 19 mars 2013, la cour d’appel de Cahul aggrava, sur appel du parquet, la peine infligée au requérant et condamna celui-ci à dix ans d’emprisonnement. La Cour n’a pas été informée de la suite de la procédure. II. LE DROIT INTERNE PERTINENT Les dispositions pertinentes en l’espèce de la loi sur la police du 18 décembre 1990 en vigueur à l’époque des faits se lisaient comme suit : « Article 14. Conditions et limites de l’usage de la force, des moyens spéciaux et de[s] arme[s] à feu Les agents de police sont en droit d’employer la force physique, les moyens spéciaux et [les] arme[s] à feu dans les cas et selon les modalités prévus par la présente loi. L’usage de la force, des moyens spéciaux et de[s] arme[s] à feu doit être précédé d’un avertissement concernant l’intention de les employer et un temps suffisant doit être accordé pour la réponse, hormis les cas où le retard dans l’usage de la force, des moyens spéciaux et de[s] arme[s] à feu met directement en danger la vie et la santé des citoyens et des agents de police ou peut engendrer d’autres conséquences graves. (...) Lorsque l’usage de la force ne peut être évité, les agents de police sont dans l’obligation de s’efforcer de causer le moins de dommages possible à la santé, à l’honneur, à la dignité et aux biens des citoyens, ainsi que d’assurer l’octroi des soins médicaux aux victimes. En cas de blessures ou de décès des citoyens à la suite de l’usage de la force physique, des moyens spéciaux [ou] de[s] arme[s] à feu, l’agent de police est tenu d’en informer son chef direct afin que ce dernier en informe le procureur. L’abus de pouvoir (...) [dans] l’usage de la force, des moyens spéciaux et de[s] arme[s] à feu est puni, conformément à la loi. Article 15. L’emploi de la force physique Les agents de police sont autorisés à employer la force physique, y compris les procédés spéciaux de lutte, afin de mettre fin aux infractions et de neutraliser la résistance opposée aux demandes légales, seulement lorsque les méthodes non violentes ne leur permettent pas de remplir leurs obligations. » Les dispositions pertinentes en l’espèce du code de procédure pénale sont ainsi libellées : « Article 176. Motifs justifiant d’ordonner des mesures préventives Des mesures préventives peuvent être prises par le procureur (...) ou, selon le cas, par le tribunal seulement dans le cas où il existe suffisamment de motifs raisonnables de croire qu’un inculpé (...) risque de se soustraire à la justice, d’entraver l’établissement de la vérité pendant la procédure pénale ou de commettre une nouvelle infraction ; sinon, le tribunal peut appliquer pareilles mesures afin de garantir l’exécution du jugement de condamnation. La détention provisoire et d’autres mesures préventives peuvent être ordonnées seulement lorsqu’il existe des soupçons raisonnables quant à la commission d’une infraction (...). Pour se prononcer sur la nécessité d’appliquer des mesures préventives, les autorités de poursuite et le tribunal prennent en compte les critères supplémentaires suivants : 1) la nature et le degré du dommage causé par l’infraction ; 2) la personnalité de l’inculpé (...) ; 3) son âge et son état de santé ; 4) son activité professionnelle ; 5) sa situation familiale et l’existence ou non de personnes à sa charge ; 6) sa situation économique ; 7) l’existence d’un lieu de résidence permanente ; 8) toute autre circonstance essentielle (...) »
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I. Les circonstances de l’espèce Les requérants sont nés respectivement en 1956 et 1953 et résident à Athènes. Les faits de la cause, tels qu’ils ont été exposés par les parties, peuvent se résumer comme suit. Le 13 décembre 2004, les requérants firent l’objet de poursuites pour trafic de stupéfiants, possession et direction d’un local (débit de boissons) où des stupéfiants étaient consommés. Le 4 janvier 2005, la juge d’instruction demanda et reçut du greffe de la cour d’appel criminelle d’Athènes le dossier concernant une autre procédure relative à des stupéfiants qui était pendante à l’encontre des requérants. Le 12 janvier 2005, la juge d’instruction émit deux mandats d’arrêt contre les requérants. Les requérants n’avaient pas au préalable été cités à comparaître pour exposer leur défense. Le 31 janvier 2005, les requérants se présentèrent d’eux-mêmes au commissariat de Psychiko. Le 1er février 2005, la juge d’instruction les plaça en détention provisoire afin de prévenir la commission de nouvelles infractions. Le 7 février 2005, les requérants introduisirent un recours contre les mandats de mise en détention provisoire devant la chambre d’accusation du tribunal correctionnel d’Athènes. Le 18 mars 2005, la chambre d’accusation rejeta les recours des requérants (décision no 797/2005). Le deuxième requérant fut mis en liberté le 29 juillet 2005. Le 12 octobre 2005, le premier requérant, se prévalant de l’article 6 de la Convention, demanda la fixation prioritaire de l’audience dans son affaire. Le 6 décembre 2005, fut notifiée aux requérants la citation à comparaître devant la cour d’appel criminelle d’Athènes, siégeant comme juridiction de première instance en formation de trois juges, avec deux autres coaccusés. Le 18 janvier 2006, la chambre d’accusation de la cour d’appel d’Athènes ordonna la prolongation de la détention provisoire du premier requérant pour une durée supplémentaire de six mois (décision no 90/2006). L’audience devant la cour d’appel criminelle d’Athènes, siégeant comme juridiction de première instance en formation de trois juges, commença le 20 janvier 2006 et reprit le 27 janvier 2006. Le 30 janvier 2006, la cour d’appel déclara coupables les requérants de certains des actes incriminés (arrêt no 248/2006). Le 30 janvier 2006, les requérants interjetèrent appel. Le premier requérant fut mis en liberté le 31 janvier 2006. L’audience devant la cour d’appel criminelle d’Athènes composée de cinq membres et statuant en appel, eut lieu le 20 avril 2007. Elle fut cependant reportée au 21 septembre 2007 en raison de l’hospitalisation du premier requérant suite à une attaque cérébrale. Le 21 septembre 2007, l’audience reprit. Elle continua le 24 septembre 2007 mais fut ajournée au 16 mai 2008 en raison d’une maladie soudaine d’un autre co-accusé. À cette dernière date, elle fut à nouveau ajournée au 6 février 2009 en raison de l’état de santé du deuxième requérant, puis au 16 octobre 2009 en raison de l’absence de certains témoins, puis au 5 mars 2010 en raison d’un empêchement de l’avocat du deuxième requérant. Le 5 mars 2010, la cour d’appel suspendit l’audience pour la continuer le 17 mars 2010, date à laquelle elle reporta à nouveau l’audience au 17 septembre 2010 en raison de l’hospitalisation de l’avocat d’un co-accusé. L’audience fut encore reportée au 21 janvier 2011 en raison d’un empêchement de l’avocat du premier requérant. Le 26 janvier 2011, la cour d’appel criminelle acquitta les requérants (arrêt no 219/2011). L’arrêt fut mis au net le 14 mars 2011. II. Le droit interne pertinent La loi no 4239/2014, intitulée « satisfaction équitable au titre du dépassement du délai raisonnable de la procédure devant les juridictions pénales, civiles et la Cour des comptes », est entrée en vigueur le 20 février 2014. Elle introduit, entre autres, un nouveau recours indemnitaire prévoyant l’octroi d’une satisfaction équitable en raison de la prolongation injustifiée d’une procédure devant les juridictions pénales. L’article 3 § 1 dispose : « Toute demande de satisfaction équitable doit être introduite devant chaque degré de juridiction séparément. Elle doit être présentée dans un délai de six mois après la publication de la décision définitive de la juridiction devant laquelle la durée de la procédure a été, selon le requérant, excessive (...) »
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE A. La mise en détention de la requérante en vue de son expulsion administrative La requérante est née en 1964. Le 26 décembre 2014, elle fut arrêtée et placée dans les locaux du Service de la répression de l’immigration clandestine de Kordelio (Thessalonique). À une date non précisée, la requérante introduisit des objections contre sa détention devant le tribunal administratif de Thessalonique. À une date non précisée, le président du tribunal administratif de Thessalonique rejeta les objections. Le 27 janvier 2015, la requérante formula de nouvelles objections contre sa détention devant le tribunal administratif de Thessalonique. Elle demandait l’examen de la légalité de celle-ci, eu égard, entre autres, aux conditions de détention insupportables. Le 28 janvier 2015, la présidente du tribunal administratif de Thessalonique rejeta les objections. Le 1er février 2015, la requérante fut expulsée vers l’Albanie. B. Les conditions de détention de la requérante La version de la requérante La requérante allègue que bien que les locaux du Service de la répression de l’immigration clandestine de Kordelio (Thessalonique) sont destinés à accueillir des personnes pour une courte durée, elle y séjourna pendant une longue période. Elle affirme que sa cellule était surpeuplée, qu’elle y était détenue avec au moins dix autres femmes, qu’elle disposait de moins de 3 m² d’espace personnel et qu’elle dormait sur un matelas posé au sol qu’elle partageait régulièrement avec une autre détenue. La requérante dénonce également les mauvaises conditions d’hygiène ainsi que le fait que les cellules n’étaient pas suffisamment éclairées. Il n’y avait, en outre, aucune possibilité de s’exposer au soleil et de se promener. Elle n’avait pas accès à la lumière naturelle car les fenêtres de la cellule étaient trop petites et couvertes de feuilles de laminage. La version du Gouvernement Le Gouvernement affirme que le Service de la répression de l’immigration clandestine de Kordelio (Thessalonique) disposait de deux cellules réservées aux femmes, d’une capacité totale de quinze personnes. La superficie totale des cellules était de 39 m², soit 13 m² et 26 m² respectivement. Pendant la période en cause, dix personnes environ y étaient détenues et la requérante disposait d’un espace personnel de 3,9 m². Les détenues avaient accès 24 heures sur 24 à des toilettes et une douche à l’eau chaude. Les cellules disposaient des fenêtres de 0,30 x 3,00 m, qui donnaient à l’extérieur, de l’éclairage artificiel et d’un système d’aération. Le Gouvernement ajoute que les locaux étaient nettoyés quotidiennement, désinfectés une fois par semaine, désinsectisés et dératisés une fois par mois et repeints trois fois par an. Les lits étant interdits dans les locaux de détention, un double matelas était offert à chaque détenue, ainsi que deux ou trois couvertures. L’organisation médicale non-gouvernementale « PRAKSIS » rendait régulièrement visite aux détenues qui pouvaient être transférées, si besoin, à l’hôpital. Elles recevaient deux fois par jour des visites de leurs proches et la communication avec leurs avocats avait lieu sans entraves. Deux télévisions étaient installées dans les locaux et les journaux et les magazines étaient autorisés. II. LE DROIT ET PRATIQUE INTERNES PERTINENTS Pour le droit et la pratique internes pertinents, se référer aux arrêts A.F. c. Grèce, (no 53709/11, 13 juin 2013), Kavouris et autres c. Grèce (no 73237/12, 17 avril 2014) et de los Santos et de la Cruz c. Grèce (nos 2134/12 et 2161/12, §§ 21-25, 26 juin 2014). III. LES CONSTATS DU COMITÉ EUROPÉEN POUR LA PRÉVENTION DE LA TORTURE ET DES PEINES OU TRAITEMENTS INHUMAINS OU DÉGRADANTS Dans son rapport du 25 juillet 2013, suite à sa visite en Grèce du 4 au 16 avril 2013, le Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants soulignait qu’il avait à plusieurs reprises constaté que les espaces de détention dans les commissariats de police n’étaient pas appropriés pour détenir des personnes pour de longues périodes. Toutefois, des personnes continuaient à séjourner dans ces commissariats pendant plusieurs mois. Il recommandait l’adoption de mesures urgentes pour remédier à cette situation. Dans son rapport du 1er mars 2016, suite à sa visite en Grèce du 14 au 23 avril 2015, ledit Comité rappelait que dans le passé il avait vivement critiqué les conditions de détention dans de nombreux commissariats de police, notamment dans la région de l’Attique, et qu’il avait souligné que la plupart de locaux visités étaient totalement inadaptés pour la détention des personnes pour des périodes de plus de vingt-quatre heures. L’utilisation des commissariats de police pour la détention des migrants en situation irrégulière et des personnes en détention provisoire pendant des mois pouvait être considérée comme constituant un traitement inhumain et dégradant. Le Comité notait que le changement de politique avait amélioré considérablement la situation en ce qui concernait notamment le surpeuplement et recommandait aux autorités, entre autres, de veiller à ce que les commissariats de police ne soient utilisés que pour une détention de courte durée, à savoir pas plus de quelques jours, et d’éviter, dans la mesure du possible, d’y détenir des migrants en situation irrégulière.
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A. Les circonstances de l’espèce Le requérant est né en 1922 et réside à Londres. Les faits de la cause, tels qu’ils ont été exposés par les parties, peuvent se résumer comme suit : Première procédure Le 28 août 1998, le requérant introduisit une action devant le tribunal administratif de première instance d’Athènes contre la caisse d’assurance complémentaire et de prévoyance du personnel de la Radiophonie et Télévision Grecque et du Tourisme (Ταμείο Επικουρικής Ασφάλισης και Πρόνοιας Προσωπικού Ελληνικής Ραδιοφωνίας - Τηλεόρασης και Τουρισμού), tendant à la reconnaissance d’une allocation pour la période allant du 1er octobre 1984 au 30 septembre 1998. Le 31 janvier 2000, ledit tribunal rejeta l’action (jugement no 877/2000). Cet arrêt fut notifié au requérant le 13 septembre 2000. Le 8 novembre 2000, le requérant interjeta appel contre le jugement no 877/2000. Le 15 mai 2002, l’audience devant la cour administrative d’appel d’Athènes fut ajournée sur demande de l’avocat du requérant. L’audience fixée au 23 octobre 2002 fut de nouveau ajournée en raison des élections municipales. Une nouvelle audience devant ladite juridiction fut fixée au 20 janvier 2003. Le 19 février 2003, par décision avant dire droit (no 664/2003), la cour administrative d’appel ordonna aux parties la production de pièces supplémentaires. L’audience du 19 janvier 2004 fut ajournée, suite à la demande de la caisse d’assurance, au 27 septembre 2004. Le 21 octobre 2004, la cour administrative d’appel d’Athènes accepta partiellement l’appel (arrêt no 3351/2004). Seconde procédure Le 6 avril 2006, le requérant introduisit une action devant le tribunal administratif de première instance d’Athènes contre la caisse précitée, tendant à la reconnaissance d’une allocation pour la période allant du 1er janvier 2005 au 31 décembre 2005. Le 15 septembre 2010, ledit tribunal rejeta l’action (jugement no 14896/2010). B. Le droit interne pertinent La loi no 4055/2012, intitulée « procès équitable et durée raisonnable », est entrée en vigueur le 2 avril 2012. Les articles 53 à 58 de la loi précitée introduisent un nouveau recours indemnitaire visant à l’octroi d’une satisfaction équitable causé par la prolongation injustifiée d’une procédure administrative. L’article 55 § 1 dispose : « Toute demande de satisfaction équitable doit être introduite devant chaque degré de juridiction séparément. Elle doit être présentée dans un délai de six mois après la publication de la décision définitive de la juridiction devant laquelle la durée de la procédure a été, selon le requérant, excessive. (...) »
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A. Les circonstances de l’espèce La requérante est née en 1954 et réside à P. Penteli. Les faits de la cause, tels qu’ils ont été exposés par les parties, peuvent se résumer comme suit. Le 30 mars 1976, « Ioniki et Laiki Banque de Grèce société anonyme » (ci-après « la banque ») émit une garantie bancaire (εγγυητική επιστολή) au bénéfice du devancier de la requérante, G.F. Première procédure Le 10 mars 1983, la banque obtint du tribunal de première instance (arrêt no 7195/1983) un ordre de paiement contre G.F. pour le remboursement d’une somme de 29 004 174 drachmes (85 118, 63 euros) au total. Le 8 juin 1983, G.F. forma une opposition contre ledit ordre de paiement devant le tribunal de première instance. L’audience initiale fut fixée au 1er février 1984, date à laquelle elle a été annulée. Le 12 avril 1985, la banque demanda la fixation d’une date d’audience. Une nouvelle audience fut fixée au 8 septembre 1985, date à laquelle elle a été reportée de nouveau. L’audience fut fixée au 21 octobre 1987, après demande de la banque en date du 29 juillet 1987. Le 2 novembre 1987, le tribunal de première instance rejeta l’opposition, car le requérant fut considéré comme ne s’étant pas présenté à l’audience, au motif que, bien qu’il y fut représenté par un avocat, il n’ait pas déposé de mémoire (προτάσεις) (jugement no 9187/1987). Le 4 mars 1990, G.F. forma une opposition contre le jugement par défaut (ανακοπή ερημοδικίας). À l’audience du 25 avril 1990, G. F ne comparut pas devant le tribunal. Le 8 juin 1990, par une décision avant dire droit le tribunal de première instance ordonna la répétition de l’audience et la production de certains documents par la banque (décision no 3285/1990). Le 17 juillet 1992, après la demande de fixation d’une date d’audience par la banque le 21 octobre 1991, le tribunal de première instance fit droit à l’opposition contre le jugement par défaut et renvoya l’affaire devant le Tribunal de grande instance, lequel était compétent en l’espèce (décision no 4588/1992). Le 31 mars 1993, G.F. demanda la fixation d’une nouvelle date d’audience. L’audience fut fixée, après un ajournement, au 19 janvier 1994. Le 29 mars 1994, le Tribunal de grande instance rejeta l’opposition (jugement no 4320/1994). Le 29 juillet 1997, G.F. décéda. Le 20 septembre 2004, la requérante, s’étant substituée entretemps à son devancier, se pourvut en cassation contre le jugement no 4320/1994. L’audience devant la Cour de cassation eut lieu au 22 février 2006. Le 9 mai 2006, la Cour de cassation annula le jugement attaqué et renvoya l’affaire devant le tribunal de grande instance (arrêt no 901/2006). Le 28 juin 2006, la requérante demanda la fixation d’une nouvelle date d’audience. Le 6 septembre 2006, elle déposa son mémoire ampliatif (πρόσθετοι λόγοι). L’audience fut fixée au 9 mai 2007 et elle fut reportée à cette date au 14 mai 2008. Par sa décision no 6535/2008 du 10 octobre 2008, le tribunal de grande instance sursit à statuer jusqu’à ce que la Cour de cassation se prononce sur un pourvoi de la banque dans le cadre d’une seconde procédure concernant la même affaire (voir § 49 ci-dessous). Le 4 février 2010, la requérante demanda la fixation d’une nouvelle date d’audience. Le 20 avril 2011, le tribunal de grande instance fit droit à l’opposition de la requérante et annula l’ordre de paiement no 7195/1983 (jugement no 1824/2011). Le 19 septembre 2011, la banque ALPHA, qui avait succédé entre-temps à la Banque « Ioniki et Laiki Banque de Grèce société anonyme », interjeta appel. Le 22 novembre 2012, la Cour d’appel rejeta le recours comme infondé (arrêt no 5956/2012). Seconde procédure Le 29 mars 1990, la banque obtint du Tribunal de première instance (arrêt no 3221/1990), un ordre de paiement contre G.F., pour le remboursement d’une somme de 58 112 358 drachmes (170 542, 24 euros) au total. Le 20 janvier 1992, G.F. forma une opposition devant le tribunal de grande instance contre ledit ordre. Le 21 février 1992, G.F. déposa son mémoire ampliatif (πρόσθετοι λόγοι). Le 2 septembre 1992, par une décision avant dire droit, ledit tribunal ordonna au G.F. la production à l’audience de tout élément de preuve susceptible d’étayer ses allégations (décision no 2982/1992). Le 1er novembre 1993, G. P demanda la fixation d’une date pour l’audition des témoins. Il ressort du dossier que l’audition des témoins n’ait pas eu lieu dans le délai imparti à cet effet. Le 29 juillet 1997, G.F. décéda. Le 24 février 2003, la requérante, qui s’était substituée entretemps à son devancier, demanda la fixation d’une nouvelle date d’audience, ainsi que d’un nouveau délai pour l’administration des preuves. Le 19 mai 2004, par une décision avant dire droit le tribunal de grande instance fit droit à la demande de la requérante (décision no 3089/2004). Le 5 octobre 2004, la requérante demanda la fixation d’une nouvelle date d’audience. L’audience fut fixée au 15 décembre 2004, date à laquelle elle fut reportée au 20 avril 2005. Le 1er août 2005, le tribunal de grande instance annula partiellement l’ordre de paiement no 3221/1990 (jugement no 4892/2005). Le 5 septembre 2005, la requérante interjeta appel contre ledit arrêt. Le 14 mars 2006, la banque ALPHA, qui avait succédé entre-temps à la Banque « Ioniki et Laiki Banque de Grèce société anonyme », interjeta également appel contre ledit arrêt. Le 30 juin 2006, la requérante déposa son mémoire ampliatif. Le 31 janvier 2007, la Cour d’appel, statuant sur les deux recours, fit droit au recours de la requérante et annula le jugement attaqué. Statuant sur le fond, elle annula l’ordre de paiement (arrêt no 545/2007). Le 22 avril 2007, la banque se pourvut en cassation. Le 21 septembre 2009, eut lieu l’audience de la Cour de cassation, après deux ajournements d’office. Le 25 novembre 2009, la Cour de cassation rejeta le pourvoi (arrêt no 2206/2009). Cet arrêt fut mis au net et certifié conforme le 15 décembre 2009. B. Le droit interne pertinent La loi no 4239/2014 La loi no 4239/2014, intitulée « satisfaction équitable au titre du dépassement du délai raisonnable de la procédure devant les juridictions pénales, civiles et la Cour des comptes », est entrée en vigueur le 20 février 2014. La loi précitée introduit, entre autres, un nouveau recours indemnitaire visant à l’octroi d’une satisfaction équitable pour le préjudice moral causé par la prolongation injustifiée d’une procédure devant les juridictions civiles. L’article 3 § 1 dispose : « Toute demande de satisfaction équitable doit être introduite devant chaque degré de juridiction séparément. Elle doit être présentée dans un délai de six mois après la publication de la décision définitive de la juridiction devant laquelle la durée de la procédure a été, selon le requérant, excessive (...) »
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LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE La requérante est née en 1945 et réside à Bucarest. Le 26 octobre 2001, la requérante conduisit son mari aux urgences, celui-ci ayant subi une fracture à la jambe droite. Après examen, le médecin C.S.T. nota par erreur dans le dossier médical que la jambe présentant une fracture était la gauche. Le mari de la requérante fut hospitalisé. Le 30 octobre 2001, le mari de la requérante subit une intervention chirurgicale aux fins d’implantation d’une tige métallique dans la jambe fracturée. Au cours de l’intervention, le chirurgien A.H. se rendit compte que la jambe gauche, qui était d’ailleurs paralysée depuis plusieurs années des suites d’un accident vasculaire cérébral, ne présentait aucune fracture. Il y implanta néanmoins une tige et opéra ensuite la jambe droite, fracturée, en implantant une deuxième tige. Le 13 février 2002, après avoir énuméré toutes les affections médicales du mari de la requérante, les autorités compétentes attestèrent que celui-ci souffrait d’un handicap grave. A. La plainte pénale déposée par la requérante Le 5 avril 2002, la requérante déposa une plainte pénale contre A.H., le chirurgien ayant opéré son mari en octobre 2001, des chefs d’atteinte grave à l’intégrité corporelle et de faux et usage de faux. Elle se constitua également partie civile, à hauteur de 500 millions d’anciens lei roumains (ROL), au titre du dommage moral. Elle alléguait, entre autres, que l’intervention chirurgicale erronée avait conduit à une invalidité permanente constatée par un certificat médical (paragraphe 8 ci-dessus). Sa plainte fut enregistrée le 8 avril 2002. Le 24 mars 2003, des poursuites pénales furent engagées contre le chirurgien du chef d’atteinte involontaire à l’intégrité physique. Le parquet entendit les médecins C.S.T. et A.H., ainsi que trois témoins. Il ordonna également la réalisation de deux expertises médicolégales, qui furent effectuées les 19 février 2003 et 7 septembre 2004. La deuxième expertise, qui fut confirmée par la commission d’avis et de contrôle de l’Institut national de médecine légale le 17 septembre 2004, conclut que l’intervention chirurgicale n’avait pas conduit au classement du mari de la requérante dans la catégorie des personnes présentant un handicap grave, mais qu’elle avait cependant nécessité de 25 à 38 jours de soins médicaux supplémentaires. Le dossier médical concernant les soins prodigués au mari de la requérante et des informations concernant les attributions professionnelles des médecins furent versés au dossier de l’enquête. Les 22 novembre 2004 et 23 mars 2005, les poursuites furent ouvertes contre C.S.T., puis élargies contre le chirurgien A.H., des chefs de négligence dans l’exercice de la profession et de faux. Par une lettre du 24 juin 2005, après le décès de son mari survenu le 17 avril 2005, la requérante informa les autorités qu’elle entendait poursuivre la procédure. Elle précisa qu’elle estimait le préjudice subi à 80 000 RON, dont 17 500 RON pour le dommage matériel et 62 500 RON pour le dommage moral. Par un réquisitoire du 1er juillet 2005, les deux médecins furent renvoyés en jugement des chefs de négligence dans l’exercice de leur profession et de faux. Les poursuites furent closes pour les autres chefs d’accusation. Par un jugement du 17 décembre 2007, le tribunal de première instance du quatrième arrondissement de Bucarest condamna les deux médecins à des peines d’emprisonnement, respectivement de sept et de neuf mois, avec sursis, du chef de négligence dans l’exercice de leur profession, tout en constatant qu’ils bénéficiaient de la grâce. De plus, le chirurgien A.H. fut condamné à une peine de neuf mois d’emprisonnement avec sursis pour faux. Enfin, les deux médecins furent condamnés conjointement au paiement d’une indemnité s’élevant à 6 000 nouveaux lei roumains (RON – soit environ 1 700 EUR selon le taux de change de la Banque nationale roumaine), au titre du dommage moral, ainsi qu’au remboursement des frais judiciaires correspondant aux honoraires d’avocats engagés par la requérante pour un montant de 400 RON. Pour ce faire, le tribunal conclut que les médecins C.S.T et A.H. avaient fait preuve de négligence, méconnaissant ainsi les attributions professionnelles définies dans leurs fiches de poste. Le tribunal souligna aussi que le médecin C.S.T. avait noté dans le dossier médical du mari de la requérante que la jambe présentant une fracture était la gauche. Il releva par ailleurs que le chirurgien A.H. avait omis de vérifier les informations figurant dans le dossier médical au moment de leur inscription ou, à tout moment, avant l’intervention et que, en outre, il avait sciemment omis de mentionner la réalisation de l’intervention chirurgicale sur la jambe gauche dans la feuille de sortie de l’hôpital. Le tribunal constata que ces omissions avaient conduit à la réalisation d’une intervention chirurgicale inutile qui, bien que n’ayant pas provoqué de troubles de la mobilité, avait pourtant nécessité de 25 à 38 jours de soins médicaux supplémentaires. Il considéra qu’une réparation morale devait être accordée au mari de la requérante pour les souffrances subies à raison des soins supplémentaires occasionnés et du désagrément psychologique provoqué par le fait que l’intéressé s’était vu opérer une jambe qui ne présentait pas de fracture. La requérante, ainsi que les autres parties, interjeta appel de ce jugement. Dans son appel, la requérante critiqua les nombreuses demandes faites par les inculpés au motif que celles-ci, selon elle, tendaient à la prolongation de la procédure en vue de l’obtention d’un constat de prescription des faits, et elle dénonça le montant des dommages accordés, qu’elle qualifiait de faible. La procédure fut suspendue du 7 novembre 2008 au 15 mai 2009 dans l’attente de la décision de la Haute Cour de cassation et de justice au sujet d’une exception d’inconstitutionnalité soulevée par les inculpés. Par un arrêt du 3 juillet 2009, le tribunal départemental de Bucarest constata la prescription de la responsabilité pénale des deux médecins, mais confirma leur condamnation au paiement de l’indemnité pour dommage moral. Le tribunal départemental estima que la somme allouée par le tribunal de première instance était adéquate par rapport au nombre de jours de soins médicaux supplémentaires résultant de l’intervention chirurgicale litigieuse. Par un arrêt définitif du 19 octobre 2009, la cour d’appel de Bucarest confirma l’arrêt du tribunal départemental. L’arrêt fut mis au net le 9 décembre 2009. B. La procédure devant l’ordre des médecins Dans l’intervalle, par une décision du 18 octobre 2002, l’ordre des médecins de Bucarest avait constaté que le médecin A.H. était responsable d’une faute médicale au motif qu’il avait établi le dossier médical du mari de la requérante de manière superficielle et qu’il avait omis de prendre les mesures préopératoires exigées. Il infligea un blâme à l’intéressé. Sur contestation de la requérante, le 20 mars 2003, l’Ordre national des médecins confirma la décision susmentionnée.
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Les requérants sont nés respectivement en 1998 et 2003 et résident à Strasslach. Ils sont les enfants d’Oliver et Simone Kahn, l’ancien gardien de but de l’équipe nationale de football allemande et son ancienne épouse. A. La genèse de l’affaire Les premières quatre publications Dans le magazine « neue Woche » du 3 juillet 2004 (no 28/2004) fut publiée une photo montrant le requérant (âgé alors de 2 ans) dans les bras de son père. Une semaine plus tard, dans le même magazine du 10 juillet 2004 (no 29/2004), furent publiées quatre photos montrant les requérants avec leurs parents en maillot de bain en vacances à la plage ou au bord d’une piscine. Les photos accompagnaient un article intitulé « Photos exclusives – Olli Kahn – vacances de réconciliation avec Simone et les enfants » et annoncé sur la page de couverture du magazine. La semaine suivante, dans l’édition du même magazine du 17 juillet 2004 (no 30/2004), furent publiées quatre photos montrant les requérants avec leurs parents dans un bateau en vacances, le requérant avec son père dans une piscine et les requérants avec leur père en train de jouer au football. Les visages des requérants n’étaient pas visibles ou étaient pixellisés. Les photos accompagnaient un article intitulé « Olli Kahn – Simone de nouveau enceinte ? – les photos révélatrices » et annoncé sur la page de couverture du magazine. Dans l’édition de la semaine suivante du même magazine (no 31/2004) du 24 juillet 2004, fut publiée une photo montrant le requérant sur les genoux de son père dans le cadre d’un article intitulé « Olli Kahn – le drame du divorce – désormais Simone décide elle-même de sa vie » et annoncé sur la page de couverture du magazine. Sur demande des requérants, l’éditeur s’engagea après chaque publication par écrit à ne plus publier les photos, mais refusa de signer une déclaration en vertu de laquelle il s’engagerait à ne plus publier aucune photo des requérants. L’interdiction de publication prononcée par le tribunal régional Par la suite, les requérants saisirent le tribunal régional de Hambourg d’une demande tendant à obtenir à l’encontre de l’éditeur une interdiction générale de publier des photos les montrant. Par deux jugements du 21 janvier 2005, le tribunal régional condamna l’éditeur à s’abstenir de publier, faire publier ou diffuser autrement toute photo montrant les requérants sous peine d’astreinte (Ordnungsgeld) pouvant aller jusqu’à 250 000 EUR. B. Les publications litigieuses La deuxième série de publications a) La cinquième publication Dans l’édition du 7 juillet 2007 du même magazine (no 28/2007) furent publiées deux photos montrant les requérants avec leurs parents dans le cadre d’un article intitulé « Fuite vers le Japon – va-t-il maintenant planter là ses enfants ? » Le 18 juillet 2007, les requérants saisirent le tribunal régional d’une demande tendant à l’infliction d’une astreinte à l’encontre de l’éditeur. Concernant le montant de l’astreinte, ils s’en remirent à l’appréciation du tribunal tout en demandant une astreinte substantielle (spürbar). Le 12 septembre 2007, le tribunal régional condamna l’éditeur au paiement de deux astreintes concernant chacun des requérants et d’un montant individuel de 5 000 EUR en vertu des jugements du 21 janvier 2005 et imposa les frais à l’éditeur. Il rappela que le montant d’une astreinte était fixé en vue de l’objectif de celle-ci, de la nature, la portée et durée de la violation (Verstoß), du degré de faute, de l’avantage que l’éditeur tirait de la violation et du danger que représentaient les actes de violation passés et futures pour la personne lésée. Appliquant ces critères au cas devant lui, le tribunal régional releva, d’une part, qu’il s’agissait d’un premier manquement de l’éditeur à l’interdiction de publication qui, en plus, avait eu lieu quelques années après le prononcé de l’interdiction, mais observa, d’autre part, que l’éditeur avait agi avec négligence grave et que les requérants mineurs bénéficiaient d’une protection accrue. Il conclut que le montant de l’astreinte était suffisant mais aussi nécessaire, compte tenu de l’importance et de l’intensité de l’atteinte et de la nécessité de garantir le respect de l’interdiction de publier par l’éditeur. b) La sixième publication Dans le magazine « Viel Spaß » du 11 juillet 2007 (no 29/2007), du même éditeur, fut publiée une photo montrant les requérants avec leur père lors d’une promenade, qui accompagnait un article intitulé « Le célèbre gardien de but Olli Kahn veut aller à l’étranger – se sépare-t-il de ses enfants ? ». Le 21 septembre 2007, les requérants demandèrent au tribunal régional d’infliger à l’éditeur une nouvelle astreinte. En ce qui concerne le montant de celle-ci ils s’en remirent à l’appréciation du tribunal tout en indiquant une somme minimale de 40 000 EUR. Le 23 novembre 2007, le tribunal régional infligea à l’éditeur deux nouvelles astreintes de 7 500 EUR concernant chacun des requérants. Il observa qu’il y avait lieu d’augmenter l’astreinte car il s’agissait d’un deuxième manquement à l’interdiction de publier. Le fait que les requérants n’avaient pas encore dénoncé la première violation devant le tribunal régional lorsque la présente photo paraissait et que les deux publications concernaient deux magazines différents dont étaient responsables deux rédacteurs distincts n’était pas de nature à influer sur l’infliction des astreintes. À une date non précisée, la cour d’appel de Hambourg rejeta le recours de l’éditeur contre cette décision. c) La septième publication Dans le magazine « neue Woche » du 19 juillet 2008 (no 30/2008) fut publiée une photo montrant le requérant avec son père en train de jouer au golf, dans le cadre d’un article intitulé « Retour par amour après l’adultère – peut-elle lui faire un jour de nouveau confiance ? » et annoncé sur la page de couverture du magazine. Le requérant ne semble pas avoir entrepris de démarches judiciaires à cet égard. d) La huitième publication Dans l’édition du 4 octobre 2008 du même magazine (no 41/2008) fut publiée une photo montrant les requérants avec leurs parents à la fête de la bière de Munich, dans le cadre d’un article intitulé « Oliver Kahn et sa Simone – et maintenant un bébé pour leur bonheur parfait ? » et annoncé sur la page de couverture du magazine. Les visages des requérants étaient pixellisés. À une date non précisée, les requérants demandèrent au tribunal régional d’infliger à l’éditeur une nouvelle astreinte d’un montant égal ou supérieur à 40 000 EUR. Le 13 juillet 2009, le tribunal régional condamna l’éditeur à payer deux astreintes de 15 000 EUR. Il releva qu’en dépit de la pixellisation des visages des requérants, les lecteurs savaient qui était montré sur la photo. Si la fête de la bière était certes un événement public, le tribunal souligna que cela ne signifiait pas que les requérants avaient cherché l’attention du public puisqu’il s’agissait d’une visite privée. Sinon les requérants courraient le risque de ne plus pouvoir se rendre à de telles manifestations en famille, ce qui était incompatible avec le principe même que les situations enfantsparents devaient être protégées. Le tribunal régional nota aussi que le fait que le père des requérants s’était prononcé en public sur sa relation avec ses enfants ne changeait rien à ce constat car il s’agissait d’un droit personnel. Il conclut qu’il y avait lieu d’augmenter les astreintes parce qu’il s’agissait de la troisième violation de l’interdiction de publier, que les astreintes déjà imposées n’avaient pas empêché l’éditeur de publier de nouveau une photo et que les requérants étaient mineurs. Cependant, l’imposition d’une astreinte de 40 000 EUR, comme l’avait réclamé les requérants, aurait été à ses yeux disproportionnée. Le 17 août 2009, la cour d’appel de Hambourg rejeta le recours de l’éditeur et confirma la décision du tribunal régional. Elle releva en particulier que même si des interdictions de publier générales étaient soumises à des limites immanentes, il n’y avait pas de circonstances dans le cas devant elle qui auraient pu justifier une nouvelle publication en dépit de l’interdiction de 2005. Elle estima que la pixellisation des visages des requérants était sans importance puisque le texte sous la photo mentionnait leurs noms. Cela montrait au contraire que l’éditeur avait été conscient qu’il n’avait pas le droit de publier la photo. e) La neuvième publication Pendant la procédure devant la Cour fédérale de justice (voir paragraphe 35) le magazine « neue Woche » du 3 juin 2009 (no 24/2009) publia une photo montrant la requérante avec son père, dans le cadre d’un article intitulé « Disparait-il de nouveau de la vie de sa famille ? » et annoncé sur la page de couverture du magazine de la manière suivante « Oliver et Simone Kahn. Nouveau drame ? Laisse-t-il sa famille toute seule ? ». Le 21 juillet 2009, la requérante saisit le tribunal régional d’une demande tendant à l’infliction d’une nouvelle astreinte à l’éditeur dont le montant devait être égal ou supérieur à 60 000 EUR. Ultérieurement, la requérante retira sa demande. La procédure litigieuse Le 27 décembre 2007, en raison des publications parues jusque-là, les requérants demandèrent au tribunal régional de Hambourg de condamner l’éditeur au paiement d’au moins 40 000 EUR à titre de compensation pécuniaire à chacun d’eux pour la publication, sans leur consentement, de dix photos (requérante) et cinq photos (requérant) respectivement. Ils soutenaient que ces publications avaient porté gravement atteinte à leur droit au respect de la personnalité. a) Les jugements du tribunal régional Par deux jugements du 11 juillet 2008, le tribunal régional fit droit à la demande des requérants et leur accorda les sommes réclamées. Il rappela les conditions selon lesquelles une compensation pécuniaire pouvait être allouée, à savoir l’existence d’une grave violation du droit à la protection de la personnalité (Persönlichkeitsrecht), un comportement fautif de l’auteur, l’absence d’autres moyens pour obtenir satisfaction ainsi qu’un besoin inévitable (unabwendbares Bedürfnis) d’octroyer une compensation pécuniaire au regard des circonstances de l’espèce. Le tribunal releva que la publication des photos ne remplissait pas les conditions prévues aux articles 22 et 23 de la loi sur les droits d’auteur dans le domaine artistique (voir paragraphe 41) et avait enfreint le droit des requérants à leur image. Il estima aussi qu’il s’agissait d’une violation grave du droit des requérants à la protection de leur personnalité car toutes les photos montraient les requérants dans des situations particulièrement protégées contre les ingérences, à savoir des situations dans lesquelles les requérants se trouvaient en présence de leurs parents ou en vacances. Or la protection de la sphère privée concernant les relations parent-enfant était plus forte que celle concernant la sphère privée d’adultes. Par ailleurs, l’éditeur avait publié des photos de manière continue sur une période de quatre ans et certains reportages avaient été publiés après que le tribunal eut prononcé une interdiction de publication générale en janvier 2005. Le tribunal régional poursuivit que les requérants n’avaient pas d’autres moyens pour obtenir satisfaction. En particulier, les demandes de s’abstenir (Unterlassungsansprüche) ne s’étaient pas avérées effectives car l’éditeur avait publié des photos en dépit de l’interdiction de publication générale déjà prononcée par le même tribunal dans ses jugements de 2005. En outre, l’existence de ces jugements n’aurait pu entrer en compte quant à l’octroi d’une compensation pécuniaire que s’ils avaient été publiés et s’ils avaient eu d’autres effets compensatoires au bénéfice des requérants. Le tribunal régional conclut qu’au vu des circonstances de l’espèce il existait un besoin inévitable pour octroyer une compensation pécuniaire, à laquelle l’interdiction de publication générale déjà prononcée ne faisait pas obstacle. Alors que l’octroi d’une compensation pécuniaire avait à la fois un aspect compensatoire et un aspect préventif, les demandes de s’abstenir ne pouvaient pas avoir d’effets réparateurs pour l’intéressé. De plus, lorsqu’il s’agissait de publications de photos, la personne visée n’avait pas d’autres possibilités que de demander une compensation pécuniaire. Il s’ensuivait, d’après le tribunal régional, que dans de tels cas, les conditions pour l’octroi d’une compensation pécuniaire devaient être moins strictes que pour d’autres violations du droit à la protection de la personnalité. L’éditeur interjeta appel de ces jugements. b) Les arrêts de la cour d’appel Par deux arrêts du 4 novembre 2008, la cour d’appel de Hambourg annula les jugements du tribunal régional du 11 juillet 2008. Elle admit que l’éditeur avait violé d’une manière persistante le droit à l’image des requérants. Avec la publication du 4 octobre 2008 l’éditeur avait pour la troisième fois (vis-à-vis de la requérante) et pour la quatrième fois (vis-à-vis du requérant) de suite violé l’interdiction de publication générale prononcée par le tribunal régional le 21 janvier 2005, et ce en dépit des astreintes déjà infligées. Il n’y avait cependant pas lieu d’allouer une compensation pécuniaire car il n’existait pas de besoin inévitable d’une telle compensation. Le tribunal régional avait en effet prononcé une interdiction de publication générale, en vertu de laquelle les requérants pouvaient demander la fixation d’astreintes à l’encontre de l’éditeur. La cour d’appel exposa que le droit à une compensation pécuniaire revêtait un caractère subsidiaire et ne pouvait pas être retenu lorsqu’il existait d’autres possibilités de protéger les droits de la personnalité. Tel était le cas devant elle. La compensation pécuniaire servait à la satisfaction de la victime et à la prévention. Son montant visait à protéger la victime contre d’autres violations et à lui procurer une satisfaction pour les violations déjà subies. D’après la cour d’appel, la procédure d’astreinte qui était à la disposition des requérants et dont ceux-ci s’étaient déjà servis en l’occurrence tenait suffisamment compte de ces deux aspects. Par ailleurs, l’article 890 du code de procédure civile prévoyait des astreintes allant jusqu’à 250 000 EUR et une contrainte par corps allant jusqu’à deux ans de détention, si bien que les requérants avaient à leur disposition des moyens de protection effectifs contre de futures violations de leur droit à l’image. La cour d’appel réfuta l’argument des requérants d’après lequel la procédure d’astreinte n’avait pas d’effet de satisfaction au motif que les astreintes étaient perçues par le Trésor public. Comportant des éléments pénaux la procédure d’astreinte tenait compte non seulement de la faute du débiteur mais aussi de l’étendue du préjudice du créancier et, partant, de l’idée de la satisfaction. À l’instar d’une peine pénale, le montant d’une astreinte qui correspondait au degré de faute de l’auteur constituait une satisfaction suffisante et ne laissait plus de place à l’octroi d’une autre forme de compensation pécuniaire. Le fait que les astreintes devaient être payées au Trésor public n’y changeait rien. Par ailleurs, l’aspect préventif auquel correspondait la procédure d’astreinte prévalait clairement en l’espèce car les publications prises individuellement ne constituaient pas des violations graves du droit à la protection de la personnalité. La cour d’appel n’autorisa pas le pourvoi en cassation. c) Les décisions de la Cour fédérale de justice Le 9 juin 2009, la Cour fédérale de justice rejeta les demandes des requérants du 29 décembre 2008 tendant à l’autorisation du pourvoi en cassation, au motif que les requérants n’avaient pas démontré que leurs affaires revêtaient une importance fondamentale ou qu’elles commandaient une décision par elle pour garantir une jurisprudence uniforme ou une interprétation évolutive du droit. Elle précisa qu’elle ne motivait pas davantage sa décision (VI ZR 339/08 et 340/08). Le 30 juin 2009, la Cour fédérale de justice rejeta les recours en audition (Gehörsrüge) des requérants. Elle exposa les principes régissant la question de savoir si le droit à une compensation pécuniaire à la suite d’une violation persistante du droit à l’image était exclu lorsque l’intéressé avait la possibilité de faire prononcer des astreintes à l’encontre de l’auteur des publications. En l’espèce, les photos n’avaient pas porté gravement atteinte au droit des requérants à leur propre image. Les requérants ne pouvaient être identifiés sur les photos que par le biais des photos de leurs parents et par les textes accompagnant les photos. Ils ne couraient guère le risque d’être reconnus à d’autres occasions. Le sujet déterminant des reportages n’était par ailleurs pas les requérants, mais la relation de leurs parents, les conséquences de l’échec du mariage de ceux-ci sur la famille et les dispositions professionnelles de leur père. La Cour fédérale de justice ajouta qu’elle avait déjà admis que l’existence de titres exécutoires et de menaces d’astreinte puisse influer sur une demande d’indemnisation, voire l’exclure en cas de doute (arrêt du 25 mai 1971, no VI ZR 26/70). La question de savoir si une compensation pécuniaire devait être allouée ne dépendait pas uniquement de la gravité de l’ingérence, mais aussi des circonstances de l’espèce. Il était vrai que des reportages pouvaient avoir plus d’impact sur l’épanouissement d’une personne lorsqu’il s’agissait d’enfants, si bien que la sphère à l’intérieur de laquelle ceux-ci pouvaient se sentir libres et s’épanouir devait être davantage protégée. Cependant, d’après la Cour fédérale de justice, la fonction réparatrice d’une compensation pécuniaire serait fondée sur une vision trop économique si l’on exigeait que les sommes fixées dussent être perçues par les intéressés eux-mêmes. En l’espèce, la procédure d’astreinte permettait d’obtenir une satisfaction suffisante. d) La décision de la Cour constitutionnelle fédérale Le 23 septembre 2009, une chambre de trois juges de la Cour constitutionnelle fédérale décida de ne pas admettre les recours constitutionnels des requérants (nos 1 BvR 1681/09 et 1742/09). Elle estima que la jurisprudence des tribunaux civils d’après laquelle il n’y avait pas lieu d’allouer une indemnisation pécuniaire à la suite d’une violation grave du droit à la protection de la personnalité si l’ingérence pouvait être compensée autrement, ne se heurtait pas au droit constitutionnel. Les décisions attaquées n’étaient pas fondées sur l’idée que la violation du droit à la protection de la personnalité fût insignifiante et n’appelât pas de sanction ; elles avaient au contraire explicitement tenu compte du poids particulier de la violation de ce droit, mais avaient estimé que la possibilité pour les requérants de procéder à l’exécution forcée des titres exécutoires obtenus à l’encontre de l’éditeur constituait une autre voie suffisante pour obtenir satisfaction. Les tribunaux civils avaient conclu que les violations particulièrement persistantes du droit à la protection de la personnalité commises en dépit des ordonnances de s’abstenir commandaient en premier lieu une protection préventive, qui pouvait être obtenue à l’aide des titres exécutoires. En parvenant à cette conclusion ils n’avaient, aux yeux de la Cour constitutionnelle fédérale, méconnu ni la portée du droit à la protection de la personnalité, tel que garanti par l’article 2 § 1 combiné avec l’article 1 § 1 de la Loi fondamentale (voir paragraphe 40), ni l’obligation positive de l’Etat en découlant de protéger l’individu contre les ingérences de tiers. II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS A. La Loi fondamentale Les dispositions pertinentes de la Loi fondamentale (Grundgesetz) sont ainsi rédigées : Article 1 § 1 « La dignité de l’être humain est intangible. Tous les pouvoirs publics ont l’obligation de la respecter et de la protéger. » Article 2 § 1 « Chacun a droit au libre épanouissement de sa personnalité pourvu qu’il ne porte pas atteinte aux droits d’autrui ni n’enfreigne l’ordre constitutionnel ou la loi morale [Sittengesetz]. » B. La loi sur les droits d’auteur dans le domaine artistique L’article 22 § 1 de la loi sur les droits d’auteur dans le domaine artistique (Gesetz betreffend das Urheberrecht an Werken der bildenden Künste und der Photographie – Kunsturhebergesetz) dispose que les images ne peuvent être diffusées qu’avec l’autorisation expresse de la personne concernée. L’article 23 § 1 point 1 de la loi prévoit des exceptions à cette règle lorsque les images en cause relèvent de l’histoire contemporaine (Bildnisse aus dem Bereich der Zeitgeschichte), à condition que leur publication ne porte pas atteinte à un intérêt légitime (berechtigtes Interesse) de la personne concernée (article 23 § 2). C. Le Code de procédure civile L’article 890 § 1 du Code de procédure civile permet au juge de fixer une astreinte pour exécuter l’obligation d’un débiteur de ne pas faire dont le montant peut aller jusqu’à 250 000 EUR. Selon l’article 793 du Code de procédure civile, une décision rendue dans une procédure d’exécution forcée peut être attaquée au moyen d’un recours immédiat (sofortige Beschwerde). D. La jurisprudence pertinente de la Cour fédérale de justice Dans un arrêt du 6 octobre 2009 (VI ZR 314/08), cité par les parties, la Cour fédérale de justice a considéré qu’il n’existait pas de droit en vertu duquel une personne pouvait demander une interdiction de publication générale des photos d’une personne mineure jusqu’à sa majorité. Elle rappela sa jurisprudence constante notamment depuis deux arrêts rendus le 13 novembre 2007 (VI ZR 265/06 et 369/06), d’après laquelle l’admissibilité de la publication d’une photo dépendait dans chaque cas de la mise en balance de l’intérêt du public à être informé et de l’intérêt de la personne concernée de voir sa sphère privée protégée. Or une telle mise en balance ne pouvait pas être effectuée lorsque ni la photo ni le contexte dans lequel celle-ci devait être publiée n’étaient connus ou, s’agissant de photos déjà connues, lorsque leur publication pouvait s’avérer licite dans un contexte différent de celui qui faisait l’objet de l’interdiction de publication. La Cour fédérale de justice souligna que cette jurisprudence s’appliquait aussi à des photos montrant des enfants même si ceux-ci bénéficiaient d’une protection plus ample de leur vie privée à cet égard. La Cour fédérale de justice souligna que l’intéressé dans l’affaire devant elle n’était pas sans protection car, d’après sa jurisprudence constante, la violation du droit à la personnalité donnait droit à une compensation s’il y avait une atteinte grave à ce droit qui ne pouvait pas être réparée autrement. À cet égard devait être pris en compte l’importance et la portée de l’atteinte ainsi que le but, la raison d’agir et le degré de faute de la personne agissant. La Cour fédérale de justice rappela que la violation répétée et persistante du droit à l’image dans le but d’en tirer un profit économique pouvait être considérée comme une violation grave du droit à la personnalité justifiant l’octroi d’une compensation pécuniaire. Elle fit référence à plusieurs arrêts dont un arrêt du 12 décembre 1995 (VI ZR 223/94) dans lequel elle avait accordé une compensation pécuniaire à la personne victime de publications illicites répétées même si chaque publication de photo en soi n’atteignait pas le seuil de gravité nécessaire. La Cour fédérale de justice ajouta que dans ses décisions du 9 juin 2009, rendues dans la présente affaire (voir paragraphes 36-38), elle n’avait pas indiqué qu’elle acceptait la pratique de la cour d’appel de prononcer des interdictions à caractère général. Elle précisa qu’elle ne s’était pas prononcée au sujet de l’admissibilité de telles interdictions générales car les jugements ayant prononcé cette interdiction étaient définitifs. Cette circonstance avait déterminé l’appréciation juridique de l’affaire.
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Le requérant est né en 1970 et réside à Puerto del Rosario (Las Palmas). A. Le contexte de l’affaire Le 4 novembre 1999, Mme F. réclama une partie d’un terrain inclus dans le lot no 951 ou bien dans le lot no 2527 qui appartiendraient à P. Par une décision du 22 janvier 2001 du juge de première instance no 2 de Puerto del Rosario (révisée ultérieurement à deux reprises en 2004) rendue dans le cadre d’une procédure civile enregistrée sous le no 506/1999, Mme F. se vit reconnaître la propriété du terrain réclamé. Le 22 mai 2001, P. vendit ses propriétés à D. Mme F. demanda que son terrain fût inscrit au registre foncier, inscription qui fut refusée, la propriété acquise n’étant pas suffisamment précise. Le 6 avril 2004, Mme F. présenta une demande « en interprétation » (aclaración) de la décision du 22 janvier 2001 devant le juge no 2 pour qu’il précise que son terrain avait fait partie du lot 951 et que P. (ancien propriétaire) avait été correctement cité, faute de quoi l’inscription ne pouvait pas avoir lieu. Le 12 juillet 2004, le juge no 2 indiqua que le terrain de Mme F. faisait partie du lot no 951 et que les citations à P avaient été faites correctement. Mme F. présenta alors les décisions du 22 janvier 2001 et du 12 juillet 2004 devant le registre foncier et demanda de nouveau l’inscription de son terrain. Le fonctionnaire du registre foncier constata que ni D. - ni P. - n’avaient été cités, et suspendit la procédure d’inscription. Mme F. présenta alors une nouvelle demande en interprétation devant le juge no 2. Le 10 mars 2005, ce dernier informa alors D. de l’existence de la procédure. Le requérant, avocat de la société D. – la partie adverse –, présenta une demande en annulation de la procédure. Cette demande fut déclarée irrecevable par une décision rendue le 14 avril 2004 par le juge de première instance no 2 de Puerto del Rosario (ci-après « le juge de première instance no 2 »). Le recours d’amparo présenté par la suite fut aussi déclaré irrecevable. Entre-temps, le 29 juin 2005, le juge de première instance no 2 avait informé le responsable des services du registre foncier de Puerto del Rosario que l’existence de la procédure no 506/1999 avait été portée à la connaissance de la société D. le 10 mars 2005. Le responsable en question estima toutefois qu’il ne ressortait pas des documents fournis que la société D. avait été correctement citée et entendue dans la procédure, et il suspendit la procédure d’inscription foncière. Le 26 juillet 2005, Mme F. présenta alors un recours contre la décision précitée du responsable des services du registre foncier de Puerto del Rosario. Par une décision du 27 avril 2006, la direction générale des registres et des notaires fit droit à la demande de Mme F. et ordonna audit responsable de procéder à l’inscription du droit de propriété de Mme F. sur le terrain en cause. L’inscription en cause fut alors faite en faveur de Mme F. Le 24 juillet 2006, la société D., représentée par le requérant, présenta devant le juge de première instance no 13 de Las Palmas une demande civile tendant à la déclaration de nullité de la décision du 27 avril 2006 prise par la direction générale des registres et des notaires. Dans cette demande, le requérant indiquait, entre autres, que les faits tels qu’exposés par le juge de première instance no 2 dans sa décision du 22 janvier 2001 (révisée ultérieurement) ne reflétaient pas la réalité. Il contestait aussi, entre autres, la décision du juge de première instance no 2 en ce que ce dernier aurait attribué la propriété du terrain en cause à Mme F. sans en informer en temps utile la société D. – qui était selon lui propriétaire du bien en cause. La teneur de la demande était la suivante : « La décision [adoptée par le juge de première instance no 2 de Puerto del Rosario le 12 juillet 2004, en interprétation] est radicalement nulle en raison de divers motifs tels que l’inexactitude de son contenu (il est indiqué que la demande de réparation a été formulée dans un délai de deux jours alors qu’en vérité elle a été introduite trois ans, deux mois et quatorze jours après la notification de l’ordonnance), (...) l’inexistence du paragraphe 3 de l’article 202 de la loi hypothécaire [auquel elle fait référence] ou l’affirmation selon laquelle les notifications au titulaire du droit foncier prévues par la loi ont été effectuées alors que ces dernières n’ont jamais eu lieu. (...) Le juge de première instance no 2 de Puerto del Rosario a volontairement décidé de fausser la réalité, ayant pour seul objectif de donner une apparence de légalité à ce qui n’était qu’une tentative illégitime d’usurper à [la société] D. une partie du terrain que celle-ci avait préalablement acquis. Le juge n’a pas hésité à mentir en affirmant que la demande avait été présentée dans les délais (..) et que les notifications prévues par la loi hypothécaire avaient été effectuées. (...) Loin de se contenter de l’interminable succession d’infractions commises dans la procédure, le juge de première instance no 2 de Puerto del Rosario a décidé d’en commettre encore une. (...) Au vu de la demande, le juge de première instance no 2 de Puerto del Rosario a décidé de faire un pas en avant dans son injustifiable façon de procéder, en rendant une décision dans laquelle, sans aucune honte, elle a décidé de procéder à la notification de l’existence de la procédure [no 506/1999] à [la société] D. Sur la base du rapport mensonger émis par [le juge de première instance no 2 de Puerto del Rosario], dans lequel figurent des indications fausses et malintentionnées, la direction générale des registres et des notaires, par une décision du 27 avril 2006, a accueilli le recours présenté [par Mme F.] et ordonné l’inscription au registre foncier du terrain en cause. » Par un jugement du 14 novembre 2006, le juge de première instance no 13 de Las Palmas débouta la société D. Cette dernière, représentée par le requérant, fit appel. Le requérant précisa dans son mémoire qu’il aurait dû porter plainte au pénal contre le juge de première instance no 2 pour délits de prévarication et de faux en écriture mais qu’il avait finalement décidé de présenter une demande civile, ce qui selon lui avait été une grave erreur de sa part étant donné qu’il avait été inculpé pour calomnies (paragraphe 21 ci-dessous). Par un arrêt du 10 octobre 2008, l’Audiencia provincial de Las Palmas, faisant droit à la demande de la société D., déclara nulle la décision du 27 avril 2006 de la direction générale des registres et des notaires et ordonna l’annulation de l’inscription foncière effectuée en application de ladite décision. B. La procédure pénale objet de la présente requête Entre-temps, le 27 juillet 2006, le juge de première instance no 13 de Las Palmas avait communiqué la demande civile présentée par le requérant le 24 juillet 2006 (paragraphe 18 ci-dessus) au procureur en chef du Tribunal supérieur de justice des îles Canaries. Celui-ci décida d’ouvrir une procédure pénale pour délit présumé de calomnie à l’encontre du requérant. Par un jugement du 28 avril 2008, le juge pénal no 4 de Las Palmas condamna le requérant à une peine d’amende de 30 euros (EUR) par jour pendant neuf mois, assortie d’une peine de substitution de privation de liberté dont les modalités étaient les suivantes : le non-versement du montant de l’amende dû pour deux jours, soit 60 EUR, entraînait une privation de liberté d’un jour. Le juge pénal s’exprima dans les termes suivants : « PREMIÈREMENT.- « (...) Sous cet angle, on n’aurait pas pu critiquer la demande qui, tout en [étant abrupte], mettait en évidence une possible erreur dès le début de la procédure numéro 506/1999 en raison de la confusion entre deux propriétés immatriculées, la numéro 2 527 et la numéro 951 (...), mais ceci est justement le sujet decidendi sur lequel l’organe juridictionnel saisi doit statuer (...). Mais mettre en évidence des prétentions légitimes moyennant des arguments plus ou moins frappants, comme [le requérant] le fait par exemple dans le treizième point de la partie « faits » de sa demande, dans lequel il s’exprime comme suit : « loin de se contenter de l’interminable succession d’infractions commises dans la procédure, le juge de première instance nº 2 de Puerto del Rosario a décidé d’en commettre encore une (...) », est une chose, et employer des expressions qui objectivement portent sérieusement atteinte à l’honneur du juge de première instance nº 2 de Puerto del Rosario et lui imputer au moins deux faits punissables dont nous parlerons par la suite en est une autre. En ce sens, l’avocat, et en même temps accusé, n’a eu aucun embarras à employer des expressions telles que « l’inexactitude de son contenu (...) » ou « le caractère faux lorsqu’elle affirme que » (...) (en se référant au contenu d’une décision judiciaire) ou à affirmer que « le juge de première instance nº 2 de Puerto del Rosario a décidé volontairement de fausser la réalité, ayant pour seul objectif de donner une apparence de légalité à ce qui n’était qu’une tentative illégitime d’usurper à [la société] D. une partie du terrain que celle-ci avait préalablement acquis » [et que la juge] n’a pas hésité à mentir ni « à faire un pas en avant dans son injustifiable façon de procéder, en rendant une décision dans laquelle, sans aucune honte, elle a décidé de procéder à la notification de l’existence de cette procédure à [la société] D. » [Le requérant se réfère aussi] au « rapport fallacieux dressé par [le juge de première instance no 2] contenant des déclarations fausses formulées avec l’intention de nuire ». (...) ». DEUXIÈMEMENT.- Quant aux faits caractérisant la conduite de l’accusé, la jurisprudence relative aux conditions requises pour le délit de calomnie est bien établie et exige : a) L’imputation d’un fait constitutif d’un délit à une personne, ce qui équivaut à attribuer ou imputer à cette personne ou à mettre sur son dos une infraction pénale d’un niveau grave et déshonorant (...). b) L’imputation doit être fausse, subjectivement inexacte et sans rapport avec la réalité ou bien formulée en connaissance de sa fausseté ; le caractère faux de l’imputation doit être déterminé fondamentalement sur des paramètres subjectifs, selon le critère aujourd’hui dominant de « l’intention effective de nuire », sans oublier la présomption d’innocence. c) Des imputations générales, vagues ou analogues ne sont pas suffisantes, il faut qu’elles se réfèrent à un fait évident, concret et déterminé, précis dans sa signification et pouvant faire l’objet d’une qualification juridique pénale ; l’imputation doit être dirigée contre une personne concrète et bien individualisée (...). Il ne peut pas s’agir d’un simple soupçon ou d’une faible supposition ; la fausse allégation doit contenir les éléments requis pour la définition du délit imputé, selon la description du type de délit, sans qu’il y ait besoin pour autant d’une qualification juridique de la part de son auteur. d) Il faut enfin un élément subjectif consistant en l’intention de rendre infâme, de diffamer, de blâmer ou d’offenser [la personne visée par] le délit, la volonté de porter préjudice à l’honneur d’une personne, l’animus infamandi [c’est-à-dire la volonté de diffamer] révélateur de la mauvaise intention consistant en l’attribution à autrui de la commission d’un délit, ayant pour but le discrédit ou la perte de l’estime publique (...) À la lumière de cette jurisprudence et se tournant vers le cas d’espèce, il n’y a pas de doute que l’accusé impute à la juge la commission d’un délit de faux en écriture, [au motif d’un] récit des faits mensonger, en rapport avec un délit de prévarication ou, à tout le moins, d’imprudence grave. (...) Et ces affirmations sont fausses dans la mesure où la décision du 12 juillet 2004, rendue par le juge de première instance no 2 n’a fait que redresser, à la demande de Mme F., des erreurs matérielles contenues dans la décision du 22 janvier 2001 et « ordonner l’annulation de l’inscription contradictoire, qui correspond à la propriété numéro 951 ». (...) Les deux erreurs détectées sont purement matérielles, et donc susceptibles d’être redressées à tout moment, c’est-à-dire [que] la décision du 12 juillet 2004 est cohérente avec la situation de fait établie par la décision précédente, décision qui ne peut pas être attribuée au [juge de première instance no 2] qui s’est trouvé devant une situation (...) déjà jugée, de façon juste ou erronée, trois ans avant que [Mme F.] n’en demande le redressement. Il se trouve que, dans cette situation juridique [qui n’offrait pas de marge de manœuvre], à partir de la décision de redressement d’erreurs du 12 juillet 2004 et à la suite de l’inscription effectuée par le responsable des services du registre foncier, le juge [de première instance no 2] a pris une série de décisions qui peuvent être discutables ou non, mais qui en tout état de cause ne doivent absolument pas accueillir les insultes et les expressions diffamatoires proférées par écrit dans la demande du requérant. L’avocat aujourd’hui accusé doit savoir que, indépendamment de la question de l’exactitude des décisions (...), lesdites décisions étaient susceptibles de recours moyennant lesquels les vices de procédure auraient dû être [invoqués] (...). En définitive, avec le chapelet d’expressions versées par l’accusé, qui vont bien au-delà du droit légitime de défense, et tout en oubliant la condition faillible des [êtres] humains (...), [le requérant] a sciemment choisi la voie de l’insulte et de la diffamation, [et ce] sans méconnaître, étant donné ses connaissances juridiques, la portée de ses expressions ni, par conséquent, [le fait que celles-ci pouvaient tomber sous le coup des qualifications] juridiques du faux et de la prévarication (...) ». Le requérant fit appel. Par un arrêt du 19 avril 2010, l’Audiencia provincial de Las Palmas confirma le jugement attaqué. Elle précisa ce qui suit : « (...) [les expressions utilisées par le requérant], (...) mis à part le discrédit inutile et inopportun à l’égard du juge (...) de première instance nº 2 de Puerto del Rosario, impliquent aussi une attaque directe et injustifiée à l’encontre d’une telle professionnelle du pouvoir judiciaire qui, en ce qui nous intéresse, n’était absolument pas nécessaire, ni pour soutenir juridiquement la prétention civile formulée postérieurement à la conduite d[u juge] dans la procédure (...), ni pour défendre les droits ou intérêts de [la société commerciale représentée par l’avocat] ; sans oublier que la conduite que l’accusé attribue, de manière définitive et opiniâtre au juge en cause, pourrait tomber sous le coup du délit de prévarication (article 446 § 3 du CP), délit qui peut être poursuivi d’office et qui consiste en l’adoption d’une décision injuste qui enfreint une règle [légale] de manière manifeste, constituant une entorse grossière, claire et évidente du droit allant au-delà de la simple décision erronée (et évidemment au-delà de la simple décision contraire aux intérêts de la partie plaignante). La demande qui a donné lieu à la procédure civile contient des imputations de ce genre puisque l’on accuse le juge, sans aucun fondement, d’avoir menti et d’avoir volontairement faussé, dans l’intention de nuire, la réalité au moment de prendre des décisions dans une procédure [portant sur un droit] de propriété, avec le seul but de donner une apparence de légalité à ce que [le requérant] considère comme une tentative illégitime d’usurper à son client une partie de la propriété que celui-ci avait préalablement acquise. Cette imputation d’un délit, malintentionnée, disproportionnée, inutile et injustifiée, va au-delà de la critique légitime que l’on peut faire au sujet des procédures judiciaires et, bien entendu, met en évidence que tous les éléments qui composent le délit de calomnie sont réunis en l’espèce – ce que le juge pénal avait exposé dans le deuxième point de la partie « fondements juridiques » du jugement attaqué. Il ne reste plus qu’à dire, ou plutôt à rappeler, que les décisions adoptées par le juge de Puerto del Rosario (...) peuvent être approuvées ou non, peuvent être mises en cause dans un procès civil postérieur et peuvent même être finalement corrigées lors de ce dernier. Cela ne justifie pas pour autant l’abus commis par l’avocat dans la demande civile, ni l’imputation délictuelle non méritée, insensée et dépourvue de la moindre base factuelle et légale faite à l’encontre de la [juge], qui s’est bornée à s’acquitter de son obligation en agissant conformément à la loi et dans l’étendue de ses fonctions juridictionnelles ». Le requérant saisit le Tribunal constitutionnel d’un recours d’amparo sur le fondement des articles 24 (droit à l’équité de la procédure) et 20 § 1 a) et d) (droit au respect de la liberté d’expression) de la Constitution. Par une décision du 28 juin 2010, la haute juridiction rejeta le recours, faute pour le requérant de démontrer que son recours revêtait une « importance constitutionnelle spéciale » II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS La loi organique portant sur le pouvoir judiciaire (ci-après « LOPJ »), dans ses parties pertinentes en l’espèce relatives au régime disciplinaire des avocats, dispose ce qui suit : Article 552 « Lorsque les avocats et avoués, dans les procédures dans lesquelles ils interviennent, manquent aux obligations dont ils doivent s’acquitter en application de [la présente] loi ou des lois de procédure, ils peuvent être sanctionnés selon les dispositions de ce chapitre, pourvu que le fait ne constitue pas un délit » Article 553 « Les avocats et les avoués sont aussi sanctionnés disciplinairement pour leur conduite procédurale devant les juges et les tribunaux lorsque : 1e) dans leurs plaidoiries, ils manquent de respect (en s’adressant oralement ou par écrit, ou bien de fait) envers les juges et tribunaux, procureurs, avocats, greffiers ou tout intervenant ou toute autre personne ayant un rapport avec le procès (...) ». Article 554 « 1. Les sanctions pouvant être infligées aux personnes mentionnées dans les deux dispositions précédentes sont : a) Avertissement. b) Amende dont le montant maximum sera celui prévu par le code pénal pour les peines infligées aux contraventions. La sanction d’amende sera infligée en fonction de la gravité et des circonstances des faits commis (...) ». Les dispositions pertinentes en l’espèce du code pénal relatives au délit de calomnie sont libellées comme suit : Article 205 « Constitue une calomnie le fait d’imputer un délit à autrui en sachant que c’est faux ou en mépris flagrant de la vérité. » Article 206 « Les calomnies sont punies d’une peine d’emprisonnement allant de six mois à deux ans ou d’une peine de douze à vingt-quatre mois-amende, si elles sont répandues avec publicité ou, autrement, d’une peine de six à douze mois-amende. » Article 207 « Celui qui est accusé d’un délit de calomnie est exempté de toute peine s’il prouve [l’exactitude] du fait délictuel qu’il imputait à autrui. » Article 215 « 1. Nul n’est condamné pour calomnies ou injures si ce n’est sur le fondement d’une plainte déposée par la personne offensée par le délit [imputé] ou par son représentant légal. La procédure est engagée d’office lorsque l’offense est dirigée contre un fonctionnaire public, une autorité ou un de ses agents sur des faits concernant l’exercice de ses fonctions. Nul ne peut former une action pour des calomnies ou des injures proférées lors d’un procès sans l’autorisation préalable du juge ou du tribunal qui connaît ou a connu de la procédure. Le pardon de l’offensé ou, le cas échéant, de son représentant légal éteint l’action pénale, sans préjudice des dispositions de l’article 130 § 1, 5e, alinéa 2 de ce code. » Article 216 « Dans les délits de calomnie ou d’injure, il est considéré que la réparation du dommage comprend également la publication ou la divulgation du jugement de condamnation, aux frais de la personne condamnée pour ces délits, dans les délais et sous la forme que le juge ou le tribunal estiment comme étant les plus convenables, après audition des deux parties. » La jurisprudence du Tribunal constitutionnel en la matière prévoit ce qui suit : Décision 55/2009 du 23 février 2009 « (...) 3. Le grief relatif à la prétendue atteinte au droit à la liberté d’expression doit également être rejeté [art. 20 § 1 a) de la Constitution espagnole (ci-après « la CE »)]. Ce Tribunal a déjà déclaré auparavant que l’exercice de ladite liberté par les avocats des parties, dans le cadre de la procédure judiciaire, « s’entend comme étant une liberté d’expression renforcée dont l’importance constitutionnelle spécifique résulte de sa connexité directe avec l’effectivité d’un autre droit fondamental, le droit à la défense du requérant (article 24 § 2 de la CE). (...) Toutefois, cette caractéristique de la liberté d’expression de l’avocat dans l’exercice de défense de son client doit être appréciée dans le cadre dans lequel elle est mise en œuvre et compte tenu de la finalité justifiant son régime privilégié. [Cette liberté] ne permet néanmoins pas la méconnaissance du respect dû aux autres parties présentes à la procédure et à l’autorité et à l’impartialité du pouvoir judiciaire, que l’article 10 § 2 de la Convention érige en tant que limites explicites à la liberté d’expression (...) ». Selon cette jurisprudence, afin d’apprécier si les sanctions disciplinaires infligées aux avocats dans l’exercice de leurs fonctions de défense sont conformes au droit à la liberté d’expression, il faut considérer si les expressions utilisées par ces derniers étaient justifiées en raison des exigences de l’exercice du droit de défense, en tenant compte des circonstances de l’espèce, car ces dernières peuvent justifier une plus grande agressivité dans les arguments sans autres limitations que l’insulte et les propos malséants ou discrédit inutiles (...). Comme ce Tribunal l’a déclaré, la libre expression d’un avocat dans l’exercice de la défense de son client, « pourvu que soient exclus l’insulte et les propos malséants », doit être protégée par ce Tribunal lorsque, dans le cadre de [cet exercice], sont émis des affirmations et des jugements de valeur destinés à solliciter des organes judiciaires la protection des citoyens dans l’exercice de leurs droits et intérêts légitimes ».
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Le premier requérant, le syndicat Eğitim ve Bilim Emekçileri Sendikası, Eğitim-Sen, a été fondé en 1995 et a son siège à Ankara. Les autres requérants, membres de ce syndicat, à savoir E. Barikan, M. Arda, A. Nesne, B. Bayır, B. Kutlu et E. Cebeci, sont nés respectivement en 1975, en 1974, en 1979, en 1977, en 1973 et en 1975. E. Barikan, A. Nesne, B. Bayır et B. Kutlu résident à Istanbul, M. Arda à Ankara et E. Cebeci à Samsun. A. Le déroulement des évènements en cause Le 2 novembre 2005, le syndicat requérant appela tous ses membres à participer à une manifestation et à une déclaration à la presse, prévues le 26 novembre 2005 à Ankara, pour revendiquer la reconnaissance d’un droit à une éducation de qualité et gratuite. Selon le Gouvernement, les autorités apprirent que des membres du syndicat requérant viendraient en masse à Ankara, pour y défiler dans les parcs et sur les avenues principales, et pour s’arrêter devant le bâtiment du Ministère de l’Éducation nationale où une déclaration à la presse serait lue. Le 21 novembre 2005, la préfecture d’Ankara envoya une lettre d’avertissement au syndicat requérant. Elle lui demanda de remplir la condition du préavis au préfet, prévue par l’article 10 de la loi no du 6 octobre 1983 relative au déroulement des réunions et manifestations (« la loi no 2911 »), et lui rappela l’interdiction de manifester dans certains lieux, prévue par l’article 22 de cette loi. Elle annonça qu’en cas de contravention à la loi, la manifestation serait empêchée et une action pénale serait entamée contre les organisateurs et les participants. Le 23 novembre 2005, la préfecture envoya une déclaration à la presse. Elle y annonça que, faute de répondre aux conditions prévues par la loi no 2911, la manifestation était illégale et serait empêchée, et qu’une action publique serait entamée contre les organisateurs et les participants. Le 25 novembre 2005, le préfet de police d’Ankara avisa le commandement de la gendarmerie de la même ville que le syndicat requérant avait informé l’opinion publique de la tenue d’une grande manifestation le lendemain à Ankara, indiquant que cette information avait été relayée par la presse. Le préfet précisait que le syndicat requérant avait été informé le 21 novembre 2005 de l’illégalité de la manifestation et de l’interdiction de la maintenir. Il ajoutait que, d’après les informations transmises par le syndicat requérant à ses sections locales, les participants à la manifestation qui venaient d’Istanbul devaient s’arrêter sur l’aire de repos d’une station-service située après le péage d’Ankara. Le préfet demandait au commandement de la gendarmerie de prendre les mesures de sécurité nécessaires, de procéder à des contrôles d’identité et d’empêcher les véhicules des manifestants de se rendre à Ankara. Le 26 novembre 2005, vers 5 heures du matin, un groupe de manifestants, dont faisaient partie les requérants membres du syndicat, fut bloqué par les forces de sécurité sur l’autoroute menant d’Istanbul à Ankara alors qu’il se rendait à la manifestation. Les manifestants sont restés pendant toute la journée au même endroit. Selon les requérants personnes physiques, vers 16 heures, sur l’autoroute, les forces de sécurité les avaient arrosés avec de l’eau sous pression, avaient jeté des bombes lacrymogènes et avaient dirigé sur eux un engin blindé. Le procès-verbal d’arrestation du 26 novembre 2005, établi et signé par cinq gendarmes, indiquait que, le même jour, les requérants personnes physiques étaient arrivés à l’hôpital public d’Ankara à 19 h 20 et que leurs avocats s’étaient déplacés à l’hôpital et s’étaient entretenus avec les gendarmes. Il mentionnait que le procureur de la République de garde avait ordonné que ces requérants fussent remis en liberté après leur audition. Le procès-verbal précisait que E. Barikan avait été remis en liberté à 20 h 45, mais qu’il était resté en soins à l’hôpital en raison de ses blessures, et que les cinq autres requérants s’étaient rendus avec leurs avocats dans les locaux de la gendarmerie de Kazan pour y être auditionnés. Il ressort de l’audition des requérants personnes physiques, en date du 26 novembre 2005, ce qui suit : – A. Nesne contesta les faits qui lui étaient reprochés. Il affirma notamment qu’il avait été aspergé avec de l’eau sous pression et du gaz lacrymogène sans avoir reçu de sommation. L’heure de l’audition de ce requérant ne figurait pas dans le procès-verbal ; – E. Barikan fut entendu à 20 h 40. Il fit usage de son droit de garder le silence ; – E. Cebeci contesta les faits qui lui étaient reprochés (le reste du procèsverbal est illisible). L’heure de l’audition de ce requérant ne figurait pas dans le procès-verbal ; – B. Bayır et M. Arda furent entendus (le reste du procès-verbal est illisible). Un procès-verbal de constat des dégâts établi le 26 novembre 2005, à 18 h 30, par quatorze gendarmes, détaillait les détériorations subies par un véhicule blindé des forces de l’ordre : selon ce procès-verbal, les rétroviseurs avaient été endommagés, de même que l’avant du véhicule par un jet de pierres, et le pare-brise, les protections pare-balles situées à l’avant droit et à l’avant gauche, l’essuie-glace droit et un garde-boue avaient été brisés. Le 27 novembre 2005, un procès-verbal d’incident fut établi et cosigné par quatorze gendarmes. Selon ce procès-verbal, le 25 novembre 2005, à la suite de la notification d’un ordre de la préfecture d’Ankara informant de la tenue d’une manifestation illégale, à l’appel du syndicat Eğitim-Sen, au centre-ville d’Ankara le 26 novembre, il avait été ordonné d’arrêter les véhicules des manifestants en provenance d’Istanbul sur l’autoroute, et les forces du commandement de la gendarmerie, les forces de sécurité et un engin blindé avaient été réunis sur les lieux, le jour en question, à partir de 4 heures. Le même jour, à partir de 4 h 30, les premiers bus de Eğitim-Sen sont arrivés au péage d’Ankara pour la manifestation. Au total, cinquante-trois bus et un véhicule prévu pour la diffusion d’annonces vocales se sont arrêtés au péage. Les manifestants sont descendus des bus et ont commencé à attendre sur l’autoroute. Le même jour, à partir de 11 heures, le groupe de manifestants a bloqué les véhicules circulant sur l’autoroute. Le groupe a continué à scander des slogans. Les manifestants ont été avertis d’un éventuel recours à l’usage de la force s’ils n’obtempéraient pas aux ordres des forces de sécurité. Le même jour, à 13 heures, les forces de sécurité ont arrosé le groupe avec de l’eau sous pression provenant de l’engin blindé, depuis une distance de 30 mètres. Plusieurs sommations de dispersion ont été adressées à ce groupe, qui n’a pas obtempéré et qui a adopté des comportements plus violents en scandant des slogans ; les forces de sécurité sont alors intervenues à l’aide de l’engin blindé en arrosant les manifestants avec de l’eau sous pression, et elles ont jeté des bombes munies de capsules à gaz lacrymogène. Une voie de circulation a pu être ouverte dans chaque sens de circulation de l’autoroute pour fluidifier le trafic. Le groupe des manifestants a attendu à une station d’essence jusqu’au lendemain, le 27 novembre 2005, à 4 h 30, et s’est ensuite mis en route en direction d’Istanbul. B. Les rapports médicaux de MM. E. Barikan, M. Arda, A. Nesne, B. Bayır, B. Kutlu et E. Cebeci Le 26 novembre 2005, à la suite de l’incident, les requérants membres du syndicat se rendirent à l’hôpital public d’Ankara pour y subir des examens. Les rapports médicaux correspondants, à l’exception de celui concernant E. Barikan qui fut établi ultérieurement, étaient datés du même jour. Le rapport médical concernant A. Nesne, établi à 16 heures, se lisait comme suit : « Chirurgie cérébrale : l’état de santé général du patient est normal, [le malade] est conscient et coopératif (...). Il n’y a pas d’asymétrie faciale (...). [Le patient présente] un œdème sur le nez, un œdème intraorbital à gauche, une incision suturée de deuxtrois centimètres sur le muscle à gauche (...). Oreilles, nez, gorge : (...) perforation septale, hématome et hémorragie active. (...) Les fonctions neurales bilatérales et faciales sont intactes. (...) gonflement de la paupière supérieure gauche, coupure suturée de trois centimètres sur le sourcil gauche, fracture nasale (...). » Le rapport médical de E. Cebeci indiquait ce qui suit : « Chirurgie cérébrale : l’état de santé général du patient est normal, [le malade] est conscient et coopératif. (...) œdème péri-orbital à gauche et ecchymose. (...) Pas d’asymétrie faciale (...). Œil : le patient a été vu aux urgences. (...) œdème et ecchymose sur la paupière supérieure gauche. (...) » Le rapport médical de B. Bayır était libellé comme suit : « Œil : (...) les zones péri-orbitales : ecchymose et incision suturée d’un centimètre sur la paupière supérieure. Œdème et ecchymose sur la paupière inférieure. Chirurgie cérébrale : l’état de santé général du patient est normal, [le malade] est conscient et coopératif. (...) œdème et ecchymose péri-orbitaux à droite. Incision suturée sur l’œil droit. (...). » Le rapport médical de B. Kutlu mentionnait ce qui suit : « Chirurgie cérébrale : l’état de santé général du patient est normal, [le malade] est conscient et coopératif (...). Pas d’asymétrie faciale. (...) Incision de huitdix centimètres (illisible). (...) Lésion sur la région temporo-pariétale du cuir chevelu. (...) Le cuir chevelu est suturé. » Le rapport médical de M. Arda se lisait comme suit : « Le pronostic vital (...) est engagé. [Le patient] a été transféré en pneumochirurgie. (...) Le patient a été traité en urgence en raison d’une fracture du sternum résultant d’une blessure due à une explosion. Hématome sur le sternum, fracture du sternum avec déplacement. Quinze jours de repos préconisés (...). » Le rapport médical de E. Barikan, établi le 16 février 2006, mentionnait ce qui suit : « Fracture ouverte de la cuisse droite. Trois mois de repos préconisés (...). » Les éléments suivants ressortent des nombreux rapports médicaux présentés par le requérant E. Barikan : l’intéressé a été hospitalisé au service d’orthopédie de l’hôpital Acıbadem d’Istanbul du 23 au 29 janvier 2008 pour une fracture du tibia droit causée par l’utilisation d’une arme (rapport médical du 28 janvier 2008) ; il a ensuite été hospitalisé du 18 février au 13 mars 2008, puis le 5 avril 2008 pour la fracture du tibia, et il a été opéré à cinq reprises ; il a de nouveau été hospitalisé à l’hôpital Acıbadem du 28 novembre au 19 décembre 2008, toujours pour la fracture à la jambe droite, et il s’est vu prescrire un repos de vingt jours (rapport médical du 19 décembre 2008). C. La procédure engagée par le syndicat requérant à l’encontre du préfet de police d’Ankara et des forces de sécurité Le 29 novembre 2005, le syndicat requérant porta plainte, au nom de ses adhérents ayant participé aux événements du 26 novembre 2005, auprès du procureur général près la Cour de cassation contre le préfet de police d’Ankara et contre les forces de sécurité intervenues pour bloquer les personnes ayant répondu à son appel à manifester. Dans sa plainte, le syndicat alléguait, d’une part, que les forces de sécurité avaient empêché ses membres d’exercer leur droit à la liberté de réunion en les arrêtant sur l’autoroute au péage d’Ankara et, d’autre part, qu’elles avaient fait usage de la force de manière disproportionnée en bloquant d’autres manifestants pendant cinq heures à Güvenpark à Ankara. Le syndicat demandait l’ouverture d’une enquête pénale à l’encontre des forces de sécurité intervenues dans cet incident. Le 1er décembre 2005, le syndicat requérant présenta au parquet les rapports médicaux des requérants personnes physiques. Le 2 décembre 2005, le procureur général près la Cour de cassation transmit la plainte du syndicat au ministère de l’Intérieur et lui demanda l’autorisation d’ouvrir des poursuites à l’encontre du préfet et des forces de sécurité mis en cause. Le ministère de l’Intérieur désigna trois enquêteurs, à savoir le préfet d’Ankara, le commandant de la gendarmerie d’Ankara et le directeur de la direction de la sûreté d’Ankara. Ces enquêteurs recueillirent un nombre de dépositions, et rédigèrent un rapport le 14 février 2006. Concernant les incidents survenus près du péage sur l’autoroute d’Ankara, le rapport indique que les manifestants avaient scandé des slogans. Les forces de l’ordre les avaient sommés de cesser leur action dans la mesure où la manifestation n’avait pas été autorisée. Si les manifestants ne se conformaient pas à l’ordre, les forces de l’ordre allaient utiliser la contrainte. Les manifestants avaient jeté des pierres sur les véhicules blindés et s’en étaient pris à ces véhicules avec des bâtons également. Certains manifestants avaient grimpé sur les véhicules blindés. Lors des manœuvres effectués par ces véhicules, les manifestants se trouvant sur les véhicules étaient tombés et s’étaient blessés. D’autres manifestants étaient montés sur les barrières des péages. Après avoir averti les manifestants de se disperser, les forces de l’ordre avaient utilisé des canons à eau contre eux et ceux se trouvant sur les barrières des péages étaient tombés sur le sol. Les personnes blessées avaient été transférées dans les hôpitaux. Des renforts de police avaient également été demandés. Par la suite, en sus des canons à eau, des bombes à gaz avaient été utilisées pour disperser les manifestants. Le rapport conclut qu’une force graduelle et proportionnée avait été utilisée par la police à l’encontre des manifestants. Malgré les avertissements, la manifestation s’était déroulée en dehors des lieux désignés et du trajet prévu à cet effet. Les manifestants avaient empêché le trafic et le déplacement des piétons. Les gendarmes avaient agi conformément à la loi pour disperser les manifestants qui, se trouvant sur l’autoroute Ankara-Istanbul, avaient fermé cette autoroute. Le 2 mars 2006, sur base de ce rapport, le ministère décida qu’il n’y avait pas lieu d’engager des poursuites à l’encontre du préfet et des forces de sécurité mis en cause, en application de l’article 4 de la loi no 4483 du 2 décembre 1999 sur la procédure relative aux poursuites contre les fonctionnaires et autres agents de la fonction publique (« la loi no 4483 »). Le 26 avril 2006, le syndicat requérant s’opposa à cette décision devant le Conseil d’État, soutenant que sa demande remplissait toutes les conditions requises par l’article 4 de la loi no 4483. Il invoquait les articles 3, 10, 11 et 13 de la Convention et demandait la prise d’une décision sur le bien-fondé de sa plainte. Par un arrêt du 26 septembre 2006, le Conseil d’État rejeta l’opposition du syndicat requérant aux motifs que sa plainte ne se fondait sur aucun élément délictuel justifiant une action pénale et que les forces de sécurité avaient agi dans les limites des pouvoirs qui leur étaient conférés conformément à la loi no 2559 du 14 juillet 1934 sur les fonctions et compétences de la police (« la loi no 2559 »). Le 11 octobre 2006, cet arrêt fut notifié au premier requérant. D. Les procédures engagées par les requérants personnes physiques La procédure engagée par l’ensemble des requérants personnes physiques Entre-temps, le 30 mars 2006, les requérants membres du syndicat avaient porté plainte devant le procureur général près la Cour de cassation en se fondant sur les rapports médicaux les concernant. Ils demandaient l’ouverture de poursuites pénales à l’encontre des forces de sécurité impliquées dans l’incident et du préfet de police d’Ankara. Le 9 mars 2007, en l’absence de suite donnée à leur plainte, lesdits requérants s’enquirent de l’avancement de la procédure auprès du parquet général. Le 12 mars 2007, le procureur général près la Cour de cassation leur répondit en se bornant à se référer à la décision rendue par le ministère de l’Intérieur le 2 mars 2006 dans le cadre de la procédure engagée par le syndicat requérant. La procédure engagée par le requérant E. Barikan Entre-temps, le 29 mai 2006, le requérant E. Barikan avait déposé une plainte pénale devant le procureur de la République de Kazan contre les forces de l’ordre. Il reprochait à celles-ci d’avoir fait un usage disproportionné de la force à son égard et d’avoir abusé de leurs pouvoirs lors de l’incident du 26 novembre 2005. Le 17 mai 2007, le procureur de la République rendit une décision de non-lieu. Après avoir constaté que le requérant en question souffrait d’une fracture de la cuisse droite, il relevait que l’enregistrement des caméras de vidéosurveillance ne permettait pas de dire si cette blessure avait ou non résulté d’un usage abusif de la force par les gendarmes. Compte tenu du nombre important de personnes s’étant trouvées sur les lieux de l’incident, le procureur estimait qu’E. Barikan avait pu se casser la jambe en tentant de s’enfuir. Il concluait, en se référant aux dispositions de la loi no 2559, que, eu égard aux éléments du dossier, la force utilisée par les gendarmes n’avait pas dépassé les limites de la légitime défense. Le 26 septembre 2007, le président de la cour d’assises de Sincan confirma la décision du procureur de la République. E. La procédure pénale engagée à l’encontre des requérants personnes physiques Dans l’intervalle, par un acte d’accusation daté du 7 juillet 2007, le procureur de la République de Kazan avait intenté une action pénale dirigée entre autres contre les requérants personnes physiques pour participation à une manifestation en violation de la loi no 2911 du 6 octobre 1983 relative au déroulement des réunions et manifestations (« la loi no 2911 ») , atteinte à des fonctionnaires dans l’exercice de leurs fonctions et atteinte aux biens publics. Le procureur joignait à son acte d’accusation, en tant que pièces à conviction, le procèsverbal de déroulement de l’incident, un enregistrement vidéo des faits litigieux, ainsi que le procès-verbal de constat des dégâts. Par un jugement du 24 juillet 2008, le tribunal correctionnel de Kazan acquitta les requérants membres du syndicat. Concernant les chefs d’atteinte à des fonctionnaires dans l’exercice de leurs fonctions et d’atteinte aux biens publics, il relevait qu’il ne ressortait pas des photographies ni des enregistrements vidéo versés au dossier que ces requérants s’en étaient pris aux forces de l’ordre ou bien avaient endommagé leur véhicule, qu’il n’y avait pas d’éléments de preuve concrets et convaincants permettant d’étayer les chefs d’accusation retenus et que lesdits requérants devaient bénéficier à cet égard du principe selon lequel « le doute profite à l’accusé ». Concernant le chef de participation à une manifestation en violation de la loi no 2911, le tribunal soulignait ce qui suit : les accusés étaient membres du syndicat Eğitim-Sen ; pour attirer l’attention de l’opinion publique sur la défense des intérêts économiques, démocratiques, sociaux, culturels, juridiques et professionnels de ses membres, le syndicat en question avait prévu d’organiser le 26 novembre 2005, à Ankara, une manifestation au cours de laquelle une déclaration à la presse devait être lue ; les véhicules à bord desquels se trouvaient les accusés avaient été arrêtés, ce qui avait empêché les intéressés de se rendre à Ankara et de participer à la lecture de la déclaration à la presse du syndicat Eğitim-Sen qui devait s’y tenir ; conformément à l’article 90 de la Constitution, les conventions internationales valablement signées et entrées en vigueur, telles la Convention, avaient valeur de loi ; la Convention primait sur la loi nationale ; en outre, conformément à l’article 10 de la Convention toute personne avait droit à la liberté d’expression sans qu’il puisse y avoir ingérence d’autorités publiques et sans considération de frontière, et conformément à l’article 3 de la loi no 2911, toute manifestation pacifique et non armée pouvait être organisée sans obtention d’une autorisation au préalable ; par ailleurs, l’action menée par le syndicat Eğitim-Sen ne constituait pas une infraction au regard des conventions internationales liant la Turquie, et notamment de la Convention. Enfin, l’annulation de plano d’une manifestation pacifique constituait une atteinte à la liberté d’expression, condition sine qua non de l’existence d’une société démocratique ; par conséquent, il convenait d’acquitter les requérants accusés du chef de participation à une manifestation en violation de la loi no 2911. Aucune des parties au procès pénal ne s’étant pourvue en cassation, le jugement du tribunal correctionnel acquit force de chose jugée. II. LE DROIT INTERNE PERTINENT A. La Constitution L’article 34 de la Constitution dispose : « Chacun a le droit d’organiser des réunions et des manifestations pacifiques et non armées sans autorisation préalable. Le droit d’organiser des réunions et des manifestations ne peut être limité qu’en vertu de la loi et pour des raisons de sécurité nationale ou d’ordre public ou dans le but d’empêcher la commission d’un délit, de préserver la santé publique ou les bonnes mœurs ou de protéger les droits et libertés d’autrui. Les formes, conditions et procédures applicables à l’exercice du droit d’organiser des réunions et des manifestations sont fixées par la loi. » B. La loi no 2911 du 6 octobre 1983 relative au déroulement des réunions et manifestations L’article 3 de la loi no 2911 dispose que l’organisation d’une réunion ou d’une manifestation sans armes et sans violences, conformément à la loi, ne requiert aucune autorisation préalable. L’article 6 de cette loi donne compétence au préfet ou au sous-préfet pour réglementer le lieu et l’itinéraire que doivent emprunter les participants à la réunion ou à la manifestation. L’article 10 prévoit que le préfet ou le sous-préfet doit être informé au moins quarante-huit heures avant la manifestation. L’avis d’information contient, en particulier, le but de la manifestation, le lieu, le jour ainsi que l’heure de début et de fin de la manifestation. L’article 22 précise qu’il est interdit de manifester sur les voies publiques et les autoroutes, dans les parcs publics et devant les lieux de culte et les bâtiments et les infrastructures assurant un service public ainsi que leurs dépendances. Il est également interdit de manifester à une distance de moins d’un kilomètre de la Grande Assemblée nationale de Turquie. Les manifestants doivent se conformer aux mesures prises par le préfet ou le sous-préfet, et ne peuvent pas empêcher le bon déroulement de la circulation des personnes et des transports publics. L’article 23 punit le port d’armes à feu – même celles faisant l’objet d’une autorisation – ou de produits explosifs, lors des réunions et manifestations. Aux termes de l’article 24 : « Si une réunion ou une manifestation débutée dans le respect de la loi (...) se transforme en une réunion ou manifestation contraire à la loi : (...) b) La plus haute autorité civile locale (...) envoie les commandants locaux de la sûreté ou l’un d’eux sur les lieux des évènements. Ce commandant avertit la foule qu’elle doit se disperser conformément à la loi et qu’en cas de non-dispersion, il sera fait usage de la force. Si la foule ne se disperse pas, elle sera dispersée par le recours à la force. (...) (...) En cas d’attaque ou de résistance active contre les forces de l’ordre ou les lieux et personnes qu’elles protègent, il sera recouru à la force sans qu’il soit besoin [de procéder à] un avertissement. (...) Si une réunion ou une manifestation débute contrairement à la loi (...) les forces de l’ordre (...) prennent les précautions nécessaires. Le commandant des forces de l’ordre avertit la foule qu’elle doit se disperser conformément à la loi et qu’en cas de non-dispersion, il sera fait usage de la force. Si la foule ne se disperse pas, elle sera dispersée par le recours à la force. » C. La loi no 4483 du 2 décembre 1999 sur la procédure relative aux poursuites contre les fonctionnaires et autres agents de la fonction publique La loi no 4483 dispose en son article 9 que les décisions rendues par les organes administratifs compétents sur les demandes d’ouverture d’enquêtes pénales formulées par les parquets et mettant en cause un fonctionnaire sont susceptibles d’opposition dans un délai de dix jours. Elle dispose en outre que les juridictions administratives sont seules compétentes pour connaître de telles oppositions et que leurs décisions sont définitives. Dans le cas d’une décision d’un organe administratif portant refus d’ouvrir une enquête, la même loi prévoit que, après confirmation de cette décision par les juges administratifs, le parquet est lié par la position des juges et ne peut que classer l’affaire sans suite ; il s’agit là d’un acte purement formel, qui se borne à entériner la décision définitive de l’organe administratif. Dans la pratique, il arrive que les parquets rendent des « ordonnances de non-lieu » à la suite du refus opposé à une demande d’ouverture de poursuites contre un fonctionnaire. Pareilles ordonnances sont caduques et la voie pénale de l’opposition, théoriquement ouverte contre celles-ci, ne saurait entraîner l’ouverture de poursuites pénales en dépit de la décision de refus d’ouverture d’une enquête prise par l’organe administratif. La position des chambres répressives de la Cour de cassation le confirme dans les termes suivants: « L’ouverture de poursuites pénales contre des fonctionnaires pour des délits tombant sous le coup de la loi no 4483 (...) requiert une « autorisation ». En application de l’article 4 de la loi no 4483, les procureurs de la République saisis d’une plainte ou d’une dénonciation relative à de tels délits (...) demandent l’autorisation d’ouvrir une instruction et se bornent à administrer les preuves susceptibles de disparaître (...). Si l’autorisation requise est refusée, le parquet peut prendre une décision de « classement sans suite » de la plainte ou de la dénonciation (...), mais il lui est impossible de rendre une « ordonnance de non-lieu à poursuivre », au sens de l’article 172 du code de procédure pénale (...), car aucune instruction pénale n’est censée avoir été ouverte auparavant. Le fait que l’instance répressive appelée à connaître d’une opposition formée contre une telle ordonnance statue sur le bienfondé du recours au lieu de conclure à un « classement sans suite » est contraire à la loi (...) » (voir, par exemple, les arrêts no 2006/10703 du 10 mai 2006 et no 2006/14865 du 4 octobre 2006 de la haute juridiction). Jusqu’à la promulgation, le 2 janvier 2003, de la loi d’amendement no 4778, la procédure susmentionnée s’appliquait à toute forme de délit commis dans l’exercice de la fonction publique, à l’exception des cas de flagrant délit passibles de peines d’emprisonnement ferme. Depuis cette date, selon l’article 2 de la loi no 4483, les poursuites pour mauvais traitements (article 243 de l’ancien code pénal et articles 94 et 95 du nouveau code pénal du 26 septembre 2004) et recours excessif à la force (article 245 de l’ancien code pénal et article 256 du nouveau code pénal) par des agents de l’État sont exclues du champ d’application de la loi no 4483 (consulter Çamçı et autres c. Turquie, no 25172/02, §§ 21-22, 24 février 2009). À l’heure actuelle, l’instruction de tels actes relève du droit commun, donc de la compétence des procureurs de la République.
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Le DTP est un parti politique qui a été dissous par la Cour constitutionnelle le 11 décembre 2009. M. Ahmet Türk, né en 1942, et Mme Aysel Tuğluk, née en 1965, étaient coprésidents du DTP. M. Sedat Yurtdaş, né en 1961, était président adjoint du DTP. M. Halit Kahraman, né en 1977, était président de l’antenne du DTP à Ceylanpınar. M. Mehmet Salih Sağlam, né en 1970, et M. Abdulkadir Fırat, né en 1958, étaient membres du conseil d’administration de cette antenne. M. Ahmet Ay, né en 1967, était membre du conseil d’administration de l’antenne du DTP à Mersin. M. Bedri Fırat, né en 1956, était président de l’antenne du DTP à Erzurum. M. Fehtah Dadaş, né en 1967, était président de l’antenne du DTP à Karaçoban. M. Hüseyin Bektaşoğlu, né en 1944, était président de l’antenne du DTP à Erzincan. A. Le DTP Le DTP fut fondé le 9 novembre 2005. Il appartenait au mouvement des partis politiques de gauche pro-kurdes de Turquie. De nombreux partis issus de ce mouvement furent dissous par la Cour constitutionnelle ou décidèrent de s’autodissoudre à la suite de l’engagement d’une procédure de dissolution. Les principaux partis appartenant à ce mouvement sont les suivants : – le HEP (Halkın Emek Partisi – Parti du travail du peuple), fondé le 7 juin 1990 et dissous par la Cour constitutionnelle le 14 juillet 1993 (Yazar et autres c. Turquie, nos 22723/93, 22724/93 et 22725/93, CEDH 2002II) ; – le DEP (Demokrasi Partisi – Parti de la démocratie), fondé le 7 mai 1993, dissous par la Cour constitutionnelle le 16 juin 1994 (Dicle pour le Parti de la démocratie (DEP) c. Turquie, no 25141/94, 10 décembre 2002) ; – le ÖZDEP (Özgürlük ve Demokrasi Partisi – Parti de la liberté et de la démocratie), fondé le 19 octobre 1992 et dissous par la Cour constitutionnelle le 14 juillet 1993 (Parti de la liberté et de la démocratie (ÖZDEP) c. Turquie [GC], no 23885/94, CEDH 1999VIII) ; – le HADEP (Halkın Demokrasi Partisi – Parti démocratique du peuple), fondé le 11 mai 1994 et dissous par la Cour constitutionnelle le 13 mars 2003 (HADEP et Demir c. Turquie, no 28003/03, 14 décembre 2010) ; – le DEHAP (Demokratik Halk Partisi – Parti populaire démocratique), fondé le 24 octobre 1997 ; le 29 avril 2003, le procureur général engagea une action en dissolution contre ce parti ; lors de son congrès du 19 novembre 2005, le DEHAP a décidé de s’autodissoudre. Le DTP était membre associé du Parti socialiste européen, et membre observateur de l’Internationale socialiste. Son programme et ses statuts définissaient ce parti comme suit : le DTP était un parti de masse à tendance de gauche, défendant des valeurs démocratiques telles que la liberté, l’égalité, la justice, la paix, le pluralisme, la participation, le multiculturalisme et l’humanisme. Dans son programme, le DTP proposait de remplacer un système politique autoritaire, centralisé et hiérarchique par un système politique démocratique, horizontal, local et pacifique. Il prônait les valeurs universelles, la non-discrimination, la lutte contre le racisme et l’égalité des sexes, et visait à instaurer une société démocratique et écologique. Il déclarait que la République de Turquie avait été fondée par les Turcs, les Kurdes et différents groupes ethniques, et que la fraternité puisait ses racines dans l’histoire commune de ces peuples. Lors des élections législatives du 22 juillet 2007, le DTP présenta des candidats indépendants sous l’étiquette « Mille espoirs » afin de contourner le seuil national de 10 % (Yumak et Sadak c. Turquie [GC], no 10226/03, § 23, CEDH 2008). Vingt et un candidats de « Mille espoirs » furent élus et rejoignirent le DTP après les élections. Le DTP constitua ainsi un groupe parlementaire. Parmi ces députés, vingt avaient été élus dans des circonscriptions de l’Est ou du Sud-Est de Turquie. Le DTP participa également aux élections locales organisées le 29 mars 2009. Avec un score national de 5,70 % selon les résultats des conseils départementaux, cette formation s’imposa comme la quatrième force politique du pays et renforça son statut de premier parti dans le Sud-Est de la Turquie. En effet, il remporta les huit villes les plus importantes du SudEst et de l’Est de la Turquie, à savoir Diyarbakır, Batman, Siirt, Şırnak, Hakkari, Van, Iğdır et Tunceli. Au total, les candidats de ce parti remportèrent les élections locales dans 99 municipalités. B. La procédure devant la Cour constitutionnelle La demande de dissolution du DTP Le 16 novembre 2007, le procureur général près la Cour de cassation (« le procureur général ») demanda à la Cour constitutionnelle de dissoudre le DTP et de prononcer à l’encontre des membres de ce parti qui seraient reconnus comme responsables d’avoir entraîné, par leurs actes et propos, la dissolution du DTP l’interdiction d’être membres fondateurs, adhérents, dirigeants ou trésoriers d’un autre parti politique pour une période de cinq ans. En outre, à titre de sanction accessoire, il requit, dans l’intérêt du bon déroulement de la procédure, l’adoption des mesures provisoires suivantes : – l’interdiction pour le DTP de participer aux futures élections législatives ; – l’interdiction pour les membres, dirigeants, maires ou députés affiliés au DTP de participer aux futures élections législatives sur la liste d’un autre parti politique ou à titre indépendant ; – le versement sur un compte bancaire bloqué des aides financières que le Trésor pouvait destiner au DTP ; – l’interdiction de toute adhésion au parti. Dans son réquisitoire, le procureur général reprochait au DTP d’être un centre d’activités portant atteinte à l’intégrité de l’État et à l’unité de la nation, au sens de l’article 68 § 4 de la Constitution. À l’appui de sa demande, il invoquait notamment deux catégories d’activités du DTP : – les activités menées lors de la création de ce parti ; le procureur se fondait principalement sur des entretiens menés avec Abdullah Öcalan, chef du PKK (Parti des travailleurs du Kurdistan, organisation illégale armée), dans lesquels celui-ci expliquait sa conception à la fois de la création d’un parti politique et de son organisation et de son programme ; le procureur en déduisait que le DTP avait été fondé sur les directives de Abdullah Öcalan ; – les activités menées à la suite de la création du parti, qui avaient été décrites en 141 rubriques ; il s’agissait notamment d’actes et de propos de certains dirigeants et de certains membres du DTP. La défense des requérants Le 12 février 2008, les représentants du DTP présentèrent leurs observations écrites en défense. Ils invoquaient les textes internationaux relatifs à la protection des droits de l’homme, notamment la Convention, et précisaient que ces textes étaient partie intégrante de la législation turque. Ils rappelaient ensuite la jurisprudence des organes de la Convention, qui avaient, selon eux, conclu à la violation de l’article 11 de la Convention dans de nombreuses affaires portant sur la dissolution de partis politiques en Turquie. Ils soutenaient que la dissolution du DTP n’était ni fondée sur un besoin social impérieux ni nécessaire dans une société démocratique. Par ailleurs, les représentants du DTP réfutaient la thèse du procureur général selon laquelle ce parti constituait un centre d’activités portant atteinte à l’intégrité de l’État et à l’unité de la nation. Ils soutenaient que les critères établis par la loi no 2820 portant réglementation des partis politiques (« la loi no 2820 ») et nécessaires pour qualifier un parti politique de « centre d’activités » anticonstitutionnelles n’étaient pas réunis en l’espèce. Ils exposaient également leur point de vue sur la notion d’État unitaire et la diversité culturelle en Turquie. Les représentants des requérants alléguaient que le parquet avait évoqué à tort les entretiens menés avec M. Öcalan dans la mesure où ceuxci auraient été réalisés dans un cadre légal. Par ailleurs, ils arguaient que le parquet se référait à des rapports d’entretien qui avaient été diffusés sur des sites Internet – dont l’authenticité restait d’après eux contestée – alors que les entretiens eux-mêmes auraient eu lieu sous le strict contrôle des autorités pénitentiaires. Ils ajoutaient que, à supposer même que la teneur de ces rapports fût véridique, ceux-ci mettaient l’accent sur une résolution pacifique de la question kurde et ne contenaient aucun appel à la violence. Selon eux, le parquet n’avait présenté que de simples extraits des entretiens en en modifiant le sens et sans tenir compte de leur intégralité. Quant aux activités énumérées en 141 rubriques qui auraient été menées à la suite de la création du parti, les représentants des requérants affirmaient que seules trois d’entre elles avaient fait l’objet d’une décision définitive, dont l’une était antérieure à la fondation du parti. Selon les représentants, alors que 30 activités se seraient trouvées dans la phase d’instruction préliminaire, les procédures concernant 91 autres étaient toujours pendantes. S’agissant de 14 autres activités, les juridictions de première instance auraient rendu leur verdict, dont un acquittement et une décision de classement. Par ailleurs, les représentants des requérants soutenaient que le parquet n’avait invoqué aucune déclaration de l’assemblée générale ou du comité exécutif du groupe parlementaire du DTP, au sens des articles 101 et 103 de la loi no 2820. Selon eux, les déclarations émanant d’individus ne liaient pas la personnalité morale du parti et ne pouvaient par conséquent pas être invoquées à l’appui de la thèse selon laquelle le DTP était devenu un centre d’activités anticonstitutionnelles. En outre, les représentants des requérants reprochaient au parquet de s’être borné à rassembler des preuves susceptibles d’étayer sa demande de dissolution, en omettant de présenter les preuves démontrant que les dirigeants du DTP défendaient une position pacifique. Ils ajoutaient que les familles kurdes avaient gardé la structure d’une famille élargie et qu’elles avaient toutes des proches dans les montagnes. En outre, ils exposaient que, lors d’un entretien, Mme Tuğluk avait répondu à des journalistes qui posaient la question de savoir si le DTP était contre les actes de violence perpétrés par le PKK, en déclarant ce qui suit : « Nous ne laisserons pas la violence guider nos actions politiques. Nous défendons d’ailleurs la position selon laquelle la violence ne constitue pas une solution. Les armes doivent se taire et le PKK doit déposer les armes. Toutefois, nos déclarations unilatérales sont insuffisantes. Sur ce point, si le gouvernement envisage d’élaborer une solution, nous souhaitons non seulement participer à ce processus, mais également y jouer un rôle actif. En ce XXIe siècle, nous pouvons trouver une solution à nos problèmes par la démocratie et non par la violence. C’est pourquoi la violence doit absolument cesser. En ce premier quart du XXIe siècle, la voie de la lutte armée n’a plus cours ! Nous souhaitons que le problème kurde soit résolu. Nous souhaitons parvenir à ce que ceux qui sont dans les montagnes déposent les armes. Nous sommes prêts à payer le prix de [notre objectif]. Nous souhaitons travailler ensemble pour vivre ensemble (...) » De même, les représentants des requérants exposaient que Mme Emine Ayna (ancienne coprésidente du DTP) s’était exprimée comme suit dans une interview qu’elle avait donnée au quotidien Taraf : « [Les membres du PKK] mènent une lutte armée. Nous, en revanche, nous essayons de faire de la politique. Nous ne préconisons absolument pas le recours aux armes (...) » En outre, à la question « Pourquoi ne dites-vous pas que [le PKK] est une organisation terroriste ? », Mme Ayna aurait répondu comme suit : « Quand on traite les gens dans les montagnes de « terroristes », cela légitime les décès. On dit : « Puisqu’il s’agit d’un terroriste, on doit le tuer. » En outre, quand on traite [ces personnes] de terroristes, cela justifie les erreurs commises. Quand [ces personnes] ont été bombardées, quand elles ont subi les bombes chimiques, quand elles ont été brûlées, quand elles ont été enterrées sans sépulture, on n’avait pas besoin de reconnaître ses erreurs puisqu’il s’agissait de « terroristes » (...). Les termes « terreur » et « terroristes » ont pour effet de justifier ces types de pratiques inhumaines et leur emploi ne fait pas progresser les choses. Le PKK n’est pas la cause du problème kurde, il en est le résultat. » S’agissant de l’ensemble des activités reprochées au DTP, les représentants des requérants déclaraient notamment que celles-ci étaient de nature pacifique et humaniste, qu’elles étaient menées dans le cadre des droits et libertés, et que, en mettant l’accent sur la fraternité des peuples et l’unité du pays, elles visaient au renforcement du consensus social nécessaire à la démocratisation du pays et à la paix dans la région. Il s’agissait à leurs yeux de questions d’intérêt général de la plus haute importance. Les représentants des requérants soulignaient également l’absence de définition objective et universellement acceptée de la notion de terrorisme. Enfin, ils contestaient le cadre légal et le système de contrôle des partis politiques en Turquie, qui privilégiaient, selon eux, systématiquement la dissolution des partis politiques pacifiques. Par ailleurs, à titre accessoire, les représentants des requérants présentèrent un recours d’inconstitutionnalité contre les articles 78, 80, 81, 101 et 103 de la loi no 2820. Les jugements avant dire droit Le 27 décembre 2007, la Cour constitutionnelle rejeta, à la majorité, toutes les mesures provisoires demandées par le parquet (paragraphe 9 ci-dessus). Le 21 mai 2008, elle rejeta, à l’unanimité, le recours d’inconstitutionnalité formé par le DTP contre les articles 78, 80, 81, 101 et 103 de la loi no 2820. C. La dissolution du DTP Après avoir tenu audience, la Cour constitutionnelle prononça, le 11 décembre 2009, à l’unanimité, la dissolution du DTP. Cet arrêt de 176 pages fut publié au Journal officiel le 31 décembre 2009 et entraîna ipso facto la liquidation et le transfert au Trésor public des biens du parti en application de l’article 107 § 1 de la loi no 2820. Par ailleurs, la Cour constitutionnelle décida, à titre de sanction accessoire et en application de l’article 84 de la Constitution, de déchoir M. Türk et Mme Tuğluk, coprésidents du DTP, de leur qualité de député. Elle indiquait que ces personnes avaient entraîné, par leurs déclarations et leurs activités, la dissolution du DTP. Se fondant sur l’article 69 § 9 de la Constitution, elle prononça également à l’encontre de trente-sept membres du DTP, dont les requérants, l’interdiction d’être membres fondateurs, adhérents, dirigeants ou trésoriers d’un autre parti politique pour une période de cinq ans. La décision prise par la Cour constitutionnelle de dissoudre le DTP se fondait sur les éléments de preuve énumérés ci-dessous. Les éléments de preuve recueillis lors des perquisitions effectuées dans les locaux du parti La Cour constitutionnelle a noté que, dans le cadre des investigations judiciaires, les tribunaux avaient ordonné la perquisition des locaux du parti dans différentes villes (Mardin, Siirt, Kocaeli, Van, Izmir, Balıkesir, Urfa, Istanbul et Aǧrı) et que ces perquisitions avaient permis aux autorités de saisir de nombreux éléments de preuve en relation avec le PKK. En particulier, les autorités saisirent de nombreuses photos représentant M. Öcalan et des membres du PKK tués par les forces de sécurité ainsi que des combattants en campagne, qui étaient fixées aux murs ou sur des panneaux ou exposées dans des endroits spécialement aménagés à cette fin, une grande quantité de publications de propagande du PKK, dont certaines avaient été écrites par le chef de l’organisation terroriste et étaient interdites, les textes de slogans, de décisions prises par le PKK ou de communiqués publiés par celui-ci, des notes sur des entretiens ayant eu lieu entre Abdullah Öcalan et ses avocats, des pancartes de propagande de l’organisation terroriste ou de son chef, des affiches et des enregistrements vidéo, des cocktails Molotov destinés à être utilisés lors de manifestations illégales et diverses armes artisanales. Les éléments de preuve se rapportant aux manifestations ou réunions organisées par le DTP La Cour constitutionnelle a observé également qu’il ressortait des procès-verbaux pertinents que, lors du premier congrès ordinaire de l’assemblée des jeunes du DTP tenu à Istanbul le 12 décembre 2006, il était exposé des posters montrant Abdullah Öcalan et des membres du PKK tués au cours d’affrontements armés ainsi que des affiches du PKK/KONGRA-GEL, et que des slogans favorables au PKK et incitant à la violence avaient été scandés, tels que « Dent pour dent, sang pour sang, nous sommes avec toi, Öcalan », « Öcalan Salut ! Salut ! Mille saluts à İmralı! [nom de l’île sur laquelle était détenu Abdullah Öcalan] », « Öcalan représente notre volonté politique », « Le PKK est le peuple, le peuple, c’est ici ». Il est également établi qu’une bannière portant le symbole de l’organisation terroriste PKK/KONGRA-GEL et des posters représentant Abdullah Öcalan avaient été brandis pendant la réunion par des personnes au visage camouflé, et que ni les dirigeants du parti ni le conseil n’avaient fait la moindre remarque à ce sujet. La Cour constitutionnelle a considéré que l’absence d’intervention tant de la part des dirigeants du parti que de son conseil d’administration face aux nombreux actes de propagande en faveur de l’organisation terroriste qui auraient été observés lors du premier congrès ordinaire de l’assemblée des jeunes du DTP démontrait l’existence d’un lien entre le DTP et l’organisation terroriste PKK. Par ailleurs, la Cour constitutionnelle a considéré comme établi que, lors du meeting organisé le 21 mars 2007 par la direction de l’antenne du DTP à Mersin à l’occasion de la fête du Nevroz, des personnes au visage camouflé avaient brandi des portraits de Abdullah Öcalan et des affiches comportant des slogans tels que « Vive l’armée du peuple, HPG-APO-KKK-PKK », « La jeunesse sacrifiera sa vie pour Apo », « Kirkouk est le cœur du Kurdistan », « HPG [Forces de défense populaire, une branche armée du PKK] (...) », « Je veux Öcalan » et des symboles du PKK, et que H.B., membre du conseil d’administration de l’antenne du DTP à Mersin, avait invité les participants à respecter une minute de silence pour les terroristes tués, et que de nombreux participants avaient lancé des slogans en faveur du PKK et de son chef tels que « Biji serok Apo ! » (« Vive le président Abdullah Öcalan », en kurde), « Şehit namırın » (« Les martyrs sont immortels », en kurde) », « Dent pour dent, sang pour sang, nous sommes avec toi, Öcalan ». La Cour constitutionnelle a indiqué que, selon le commissaire du gouvernement présent au meeting, la direction locale du DTP, à la suite de son intervention, n’avait enjoint qu’une seule fois les participants à ne pas scander des slogans illégaux et que les dirigeants du parti et le conseil d’administration n’étaient pas suffisamment intervenus. Par ailleurs, elle a noté qu’il ressortait des documents concernant le meeting organisé à Van par la direction de l’antenne locale du DTP le 1er septembre 2006, à l’occasion de la journée de la paix, qu’une minute de silence avait été respectée pour des terroristes tués, que les participants avaient scandé des slogans comme « Biji serok Apo », « Les martyrs sont immortels », « Dent pour dent, sang pour sang, nous sommes avec toi, Öcalan », et qu’ils avaient brandi une affiche montrant des photos de membres du PKK. La Cour constitutionnelle a considéré que l’absence d’intervention des cadres du parti face à ces activités déployées lors d’un meeting organisé par la direction locale du DTP démontrait l’existence d’un lien entre ce parti et le PKK. Les autres éléments de preuve Parmi les autres éléments de preuve, la Cour constitutionnelle a pris en compte : – l’élection à la présidence du DTP, lors du deuxième congrès du DTP organisé le 8 novembre 2007, de N.D., condamné définitivement en tant que dirigeant d’une organisation terroriste et par conséquent interdit d’adhésion à un parti politique en application de l’article 11 de la loi no 2820 ; – la qualité de membre du conseil d’administration de l’antenne du DTP à Şehitkamil (Gaziantep) de A.Y., en dépit de sa condamnation définitive pour aide et soutien à une organisation terroriste ; – le fait que, entre le 15 février 2006 et le 31 mars 2006, les cadres départementaux du DTP ont organisé en soutien à Abdullah Öcalan des réunions ayant donné lieu à de nombreuses actions en faveur du PKK ; en particulier, le 15 février 2006, les dirigeants de l’antenne du parti à Malatya ont participé à une marche en brandissant des torches et en lançant des slogans tels que « Biji serok Apo !», « Frappe, guérilla, frappe, fonde le Kurdistan ! », « Dent pour dent, sang pour sang, nous sommes avec toi, Öcalan » et « Salut, mille saluts à İmralı » ; par ailleurs, ils auraient lu un communiqué comportant des slogans en faveur du PKK ; de plus, le 26 mars 2006, lorsque les dirigeants se sont rendus à la morgue de l’hôpital civil de Malatya pour récupérer les corps de quatorze terroristes tués par les forces de sécurité, ils auraient lancé des slogans similaires ; en outre, le 31 mars 2006, lors d’un rassemblement en présence des membres du conseil d’administration du DTP de Malatya, une déclaration faite à la presse aurait contenu les propos suivants : « (...) Quatorze guérilleros ont été tués dans la campagne des environs de Muş-Bingöl par des armes chimiques (...) Les corps des martyrs tués dans le Kurdistan d’Iran, de Syrie et d’Irak n’ont pas été restitués aux familles alors même que celles-ci sont venues dans ce but (...) » ; – les démarches de cinquante-six maires du DTP visant à empêcher l’arrêt des programmes de ROJ TV diffusés sous la direction de l’organisation terroriste. Les actes de membres et de dirigeants du parti La Cour constitutionnelle a également pris en compte les événements suivants. Lors des funérailles de terroristes du PKK tués par les forces de sécurité, Halit Kahraman, président de l’antenne du DTP à Ceylanpınar, et Mehmet Salih et Abdülkadir Fırat, membres du conseil d’administration de cette antenne, avaient, à la suite d’appels lancés par le PKK, organisé le 3 avril 2006 la fermeture des magasins du centre-ville de Ceylanpınar afin de protester contre ces décès. Pour la Cour constitutionnelle, il ressortait des éléments de preuve versés au dossier que Ahmet Ay, membre du conseil d’administration du DTP à Mersin, avait conduit un rassemblement illégal au cours duquel les participants avaient protesté contre un prétendu empoisonnement du chef du PKK, lancé des slogans tels que « Vive le président Öcalan, le HPG, le Kurdistan » et brandi des symboles de l’organisation terroriste. Par ailleurs, cette même personne aurait signé une pétition, adressée au Secrétariat général des Nations unies, au Conseil de l’Europe, à la présidence de la République de Turquie et à la présidence de l’Assemblée nationale de Turquie. Cette pétition aurait comporté la phrase suivante : « Moi, originaire du Kurdistan, considère que Sayın Abdullah Öcalan représente une volonté politique au Kurdistan. » Par ailleurs, il ressort du dossier que l’intéressé a été inculpé de propagande en faveur d’une organisation terroriste au sens de l’article 7 § 2 de la loi relative à la lutte contre le terrorisme. Les parties pertinentes de l’arrêt de la Cour constitutionnelle, pour autant qu’elles concernent M. Ahmet Türk, se lisent comme suit : « 3– Les actes de Ahmet Türk a– Communiqué de presse dont [Ahmet Türk] a donné lecture le 18 janvier 2006 à Diyarbakır lors d’une réunion à laquelle étaient présents les dirigeants du DTP et les maires élus sous cette étiquette Selon le texte du communiqué de presse, le procès-verbal et des images sur CD, les propos tenus par Ahmet Türk, président du DTP, dans son communiqué de presse lu à Diyarbakır lors d’une réunion à laquelle les dirigeants et les maires du DTP ont participé sont les suivants : « (...) Au moment où nous faisons beaucoup d’efforts en vue d’une solution et d’une paix permanentes et d’un cessez-le-feu définitif, il apparaît que l’aggravation des mesures d’isolement de Sayın Öcalan accroît les inquiétudes sociales (...) Le rôle joué par Öcalan dans l’évacuation des groupes armés en dehors du pays et l’admission de la Turquie en 1999 comme pays candidat à l’entrée dans l’Union européenne et, de manière plus générale, dans la résolution démocratique du problème kurde est aujourd’hui une réalité reconnue par tous (...) Il est clair que le durcissement de l’isolement [de Abdullah Öcalan] est la cause d’une grande inquiétude au sein du peuple. Comme si son emprisonnement depuis près de sept ans dans la prison spéciale d’İmralı, construite pour lui seul, n’était pas suffisant, on lui interdit désormais de jouir des droits consacrés par le droit national et international. Comme son droit à communiquer n’est pas entièrement reconnu, il ne peut rencontrer ni sa famille ni ses avocats. (...) Eu égard à l’emplacement de la prison, il est impossible de concilier sa détention au secret avec les normes du droit et de l’équité. D’ailleurs, il n’est pas compréhensible qu’une telle peine ait pu être infligée à Öcalan, qui est détenu dans une cellule individuelle. » L’évocation élogieuse par le président du DTP, Ahmet Türk, dans son communiqué de presse, du rôle joué par le chef de l’organisation terroriste par rapport au problème kurde et à la candidature de la Turquie à l’entrée dans l’Union européenne et le fait qu’il a qualifié les problèmes subis par le chef de l’organisation terroriste d’isolement et qu’il a fait part de son point de vue à l’opinion publique démontrent le lien politique et idéologique qui existe entre le DTP et l’organisation terroriste et son chef. D’ailleurs, le 1er tribunal de police de Diyarbakır a qualifié les propos de Ahmet Türk de crime consistant à « faire l’éloge du crime et du criminel » et, par son arrêt no E.2006/548 K.2007/49 du 28 février 2007, il a infligé à l’intéressé une peine d’emprisonnement de six mois en vertu de l’article 215 § 1 du code pénal. b– Déclarations faites au cours de la cérémonie de prestation de serment à l’Assemblée nationale turque le 4 août 2007, dans le cadre d’un reportage tourné dans le jardin de l’Assemblée et diffusé sur la chaîne NTV Il ressort des procès-verbaux et des analyses de textes et d’images sur CD que Ahmet Türk, qui a participé en tant que candidat indépendant aux élections du 22 juillet 2007 et qui a adhéré au DTP après son élection, a tenu ces propos dans le jardin de l’Assemblée lors de l’entretien qu’il a accordé à la chaîne NTV au cours de la cérémonie de prestation de serment à l’Assemblée nationale turque : « (...) à présent, s’il s’agit de résoudre définitivement le problème, je dois être à un poste où je peux être efficace. Mais si je dis à certains « voilà, je le condamne, c’est un terroriste », que restera-t-il de mon influence, quelle sera ma contribution à la résolution du problème ? À présent, il faut débattre correctement de cela (...) Nous voulons vraiment que cette violence prenne fin, mais on me dit « commencez par condamner [le terrorisme] » ; or, si je le condamne, je n’aurai plus aucune influence sur le peuple (...) » Les déclarations de Ahmet Türk, député DTP de Mardin, selon lesquelles il ne pouvait pas condamner les actes de l’organisation terroriste, et la fonction de président du DTP qu’il a exercée avant et après son élection montrent le lien qui existe entre lui-même et le parti qu’il représente avec l’organisation terroriste. » Pour la Cour constitutionnelle, il ressort des éléments de preuve figurant au dossier que Ali Bozan, président de l’antenne du DTP à Mersin, membre du conseil d’administration du DTP, a donné lecture d’un communiqué de presse intitulé « À la presse et à l’opinion publique » lors de la manifestation du 15 février 2006 organisée par la direction de l’antenne du DTP à Mersin pour commémorer l’anniversaire de l’arrestation de Abdullah Öcalan. Dans ce communiqué, ce dernier était présenté comme le chef d’un peuple. La Cour constitutionnelle a considéré que cet événement démontrait la proximité entre le DTP et l’organisation terroriste PKK et son chef. Elle a noté également que M. Bozan avait été condamné par une décision du 20 mars 2008 du 3e tribunal de police de Mersin en raison des propos mentionnés ci-dessus. Par ailleurs, elle a estimé établi que, lors des funérailles d’un terroriste, M. Bozan avait tenu un discours dans lequel il qualifiait le défunt de « martyr ». Elle a indiqué que ce discours avait fait l’objet d’une condamnation pénale le 6 décembre 2007. Elle a indiqué que, selon les éléments du dossier, Aydın Budak, maire de Cizre élu sous l’étiquette du DTP, avait tenu, le 14 janvier 2006, un discours dans lequel il avait notamment déclaré : « (...) le Premier ministre punit Öcalan, qui représente la volonté politique de millions de Kurdes, en l’emprisonnant dans une cellule et en interdisant les visites de sa famille ; mais ce n’est pas comme cela qu’il va résoudre le problème kurde ; qu’il sache que les Kurdes ont conscience de son sale jeu et qu’il ne va pas réussir. À la fin, la volonté kurde triomphera, les exigences d’une République démocratique seront réalisées en Turquie (...) » La Cour constitutionnelle a considéré que l’affirmation selon laquelle le chef de l’organisation terroriste représentait la volonté politique des Kurdes démontrait la proximité des membres du DTP avec l’organisation terroriste et son chef. Elle a également noté que le tribunal correctionnel de Cizre avait considéré les propos de cette personne comme étant « de la propagande en faveur de l’organisation et de ses buts, ce qui constitue un crime », et qu’il avait condamné l’intéressé par un arrêt du 9 juin 2006 à une peine d’emprisonnement d’un an et trois mois en vertu de l’article 220 du code pénal. Après avoir examiné un discours de M. Budak, prononcé le 16 juin 2006, la Cour constitutionnelle a notamment souligné que : « Le fait que Aydın Budak (...) a déclaré que la rébellion des terroristes dans les montagnes se fondait sur une cause juste, que le chef de l’organisation terroriste était considéré comme un chef par les Kurdes et qu’il devait dès lors être accepté comme interlocuteur par l’État montre clairement que l’intéressé considère les actes terroristes comme légitimes et Abdullah Öcalan comme un chef. D’ailleurs, les propos de cette personne sont jugés dans le cadre de l’accusation de « crime de propagande en faveur de l’organisation terroriste » par la 6e cour d’assises de Diyarbakır et, dans son jugement du 20 mai 2008, cette dernière l’a condamné à une peine d’emprisonnement de dix mois en vertu de l’article 7-2 de la loi no 3713 (...) » Enfin, la Cour constitutionnelle a tenu compte d’un autre discours que M. Budak avait tenu le 21 mars 2007 et qui avait fait l’objet, le 25 mars 2008, d’une condamnation pour propagande en faveur de l’organisation terroriste, en application de l’article 7 § 2 de la loi no 3713. Elle a notamment relevé que, dans le discours litigieux, M. Budak alléguait qu’il y avait un lien entre le PKK et le peuple kurde et déclarait qu’il fallait admettre que le chef de l’organisation terroriste représentait la volonté politique de milliers de personnes. Pour la Cour constitutionnelle, il ressortait des éléments de preuve qu’un communiqué de presse avait été distribué dans le centre de Batman les 29 et 30 mars 2006. Ce communiqué invitait les commerçants à fermer leurs magasins et les fonctionnaires à ne pas travailler pour protester contre le décès de quatorze militants du PKK à la suite d’opérations menées par les forces de l’ordre le 24 mars 2006. Elle indiquait que Ayhan Karabulut, président de l’antenne du DTP à Batman, avait participé activement aux manifestations qui ont eu lieu dans ce cadre. La Cour constitutionnelle a considéré que la participation active de Ayhan Karabulut à cette manifestation illégale, organisée à la suite d’un appel du PKK à protester contre le décès de certains de ses membres, démontrait le lien entre cette personne – et par conséquent le DTP – et l’organisation terroriste PKK. Elle a observé également que M. Karabulut avait été condamné pour propagande en faveur d’une organisation terroriste le 31 décembre 2007. Enfin, s’agissant de Mme Aysel Tuğluk, les parties pertinentes en l’espèce de l’arrêt de la Cour constitutionnelle se lisent comme suit : « (...) Les actes de Mme Aysel Tuğluk a– Discours prononcé le 16 mai 2006 lors du 1er congrès général ordinaire de la présidence départementale de Batman À l’occasion du discours que Aysel Tuğluk, coprésidente du DTP, a prononcé lors de la réunion du 1er congrès général ordinaire de la présidence départementale de Batman le 16 mai 2006, elle a, selon l’acte d’accusation du ministère public (...) du 29 novembre 2006 préparé à partir des procès-verbaux des analyses de CD se trouvant dans le dossier, notamment tenu les propos suivants : « L’honorable Premier ministre dit : « Déclarez que le PKK est une organisation terroriste et nous négocierons avec vous. » Mais même si nous déclarons que le PKK est une organisation terroriste, le problème ne sera pas résolu pour autant, car les personnes qui sont qualifiées par certains de terroristes sont des héros pour d’autres. Malgré nos revendications de paix, des unités de soldats ont été amassées à la frontière. Nous ne pouvons pas nous présenter devant le peuple kurde en traitant Abdullah Öcalan de « terroriste » ; le peuple kurde a montré qu’il a fait le choix de la lutte démocratique, mais vous ne reconnaissez même pas à un peuple le droit d’utiliser librement sa propre langue ; la politique que vous menez engendrera la violence (...) » Le fait que Aysel Tuğluk ait dit que les terroristes du PKK étaient considérés par certains comme des héros et que c’est pour cela qu’ils ne pouvaient pas se présenter devant le peuple en qualifiant le chef du PKK de « terroriste » démontre le degré de proximité de la direction de haut niveau du DTP avec l’organisation terroriste PKK et son chef. b– Discours prononcé le 11 décembre 2006 à Doğubeyazıt lors d’une réunion en plein air organisée par le DTP Il ressort [des éléments de preuve] que Aysel Tuğluk, à l’occasion du discours qu’elle a prononcé lors du « Meeting de la paix » organisé par son parti à Doğubeyazıt le 11 décembre 2006, a tenu les propos suivants : « Dans ce pays qui est dirigé depuis quatre-vingt-cinq ans par des régimes antidémocratiques, c’est contre les Kurdes que s’exerce la persécution la plus importante. En revanche, vous n’avez pas créé le problème kurde, et nous ne l’avons pas créé non plus. Le problème kurde existe depuis la création de la République. Nous avons fait des efforts pour résoudre ce problème. Dans un déséquilibre incroyable de pouvoir, le peuple kurde a dû résister pour [sauvegarder] son identité, sa culture, son honneur (...) La guerre qui a duré des années a entraîné de lourdes pertes tant pour le peuple kurde que pour le peuple turc (...) Maintenant, une opportunité s’offre à nous. Le PKK a déclaré un cessez-le-feu, il a déclaré qu’il était prêt pour une solution démocratique, pour une solution pacifique ; (...) ceux qui ont nié les Kurdes en les considérant comme des traîtres depuis quatre-vingt-cinq ans, qui ont voulu qu’ils soient les ennemis du peuple turc parce qu’ils les considéraient comme des séparatistes, sont-ils prêts pour une telle solution ? Nous voyons qu’ils ne le sont pas. Les opérations continuent, nos frères meurent toujours dans les montagnes, l’isolement perdure (...) Si vous ignorez les Kurdes, si vous les laissez sans possibilité de choisir, c’est alors que vous aurez à faire face à un embarrassant problème de séparatisme. Les Kurdes commencent à avoir un statut sur la scène internationale. (...) » Son discours a été interrompu à plusieurs reprises par des slogans tels que « Biji serok Apo ! » « La répression ne nous fait pas peur ! ». Le fait que Aysel Tuğluk a dit dans son discours lors du meeting organisé par le comité de district de son parti qu’elle voyait les actions commises par l’organisation terroriste PKK comme des actes de résistance et de lutte du peuple kurde pour son identité, sa culture et son honneur, et que la violence et le séparatisme surgiraient si les Kurdes n’étaient pas pris en compte, et le fait qu’elle a qualifié de frères les membres de l’organisation terroriste qui se trouvent dans les montagnes sont des indices clairs montrant que la coprésidente du DTP considère les actions de l’organisation terroriste comme légitimes et qu’elle ne reconnaît pas les membres [du PKK] comme étant des terroristes. c– Discours prononcé le 21 mars 2007 lors du meeting du Nevroz organisé à Van Il ressort du procès-verbal de l’affaire, du rapport d’un fonctionnaire et du rapport du commissaire du gouvernement que Aysel Tuğluk, dans le discours qu’elle a prononcé lors du meeting en cause, a tenu des propos tels que « (...) notre cher peuple, notre respectable peuple, des jeux très dangereux sont joués, Sayın Öcalan, oui notre cher peuple, notre respectable peuple, les rapports élaborés et publiés par le ministère de la Justice à la suite des allégations d’empoisonnement de Sayın Öcalan n’ont pas satisfait notre peuple. Oui, nous le redisons une nouvelle fois, Sayın Öcalan n’est pas une personne ordinaire ; c’est une personne qui doit être à İmralı sous la protection de l’État. Les idées qu’il défend au sujet du problème kurde sont partagées par un large public (...) ». Le meeting était organisé avec la participation de certaines associations de la société civile, parmi lesquelles l’organisation départementale de Van et celle du district. Pendant le meeting, des pancartes avec des portraits des membres de l’organisation terroriste PKK et de son chef, et des soi-disant drapeaux de l’organisation terroriste furent déployés. (...) » Le fait que Aysel Tuğluk ait dit, lors d’une réunion en plein air transformée en meeting où l’on a fait de la propagande en faveur de l’organisation terroriste et de son chef, que les pensées du chef de l’organisation terroriste étaient admises par un large public, montre la proximité de cette personne et du DTP, dont elle est la coprésidente, avec le chef de l’organisation terroriste. » Autres activités de membres et de dirigeants du parti Pour établir l’existence d’un lien entre le parti requérant et le PKK, la Cour constitutionnelle a tenu compte également des discours de nombreux dirigeants locaux du DTP dans lesquels ceux-ci avaient prôné notamment la nécessité d’une amnistie générale, l’amélioration des conditions de détention de M. Öcalan et la transformation de İmralı en musée, des déclarations de nombreux dirigeants locaux selon lesquelles ces dirigeants considéraient Abdullah Öcalan comme le chef du peuple kurde ou la volonté politique du peuple kurde; des condamnations prononcées à l’encontre de ces dirigeants pour propagande en faveur d’une organisation terroriste ; des éléments de preuve obtenus lors des perquisitions effectués dans les locaux du DTP, de certaines activités des dirigeants locaux (participation à des manifestations illégales). Appréciation de la Cour constitutionnelle À la lumière des éléments ci-dessus, la Cour constitutionnelle conclut notamment comme suit : « (...) Dans son programme et ses statuts, le DTP se définit comme (...) « un parti de gauche populaire, démocratique, libéral, égalitaire, ayant pour but de créer une société démocratique et écologique ». Les porte-parole du parti défendeur ont précisé lors de leurs défenses présentées à différents stades de la procédure que l’organisation terroriste devait être considérée comme un interlocuteur dans la recherche d’une solution au problème kurde et qu’il ne fallait pas attendre du parti défendeur qu’il exprime un blâme ou qu’il accepte de prendre position à l’égard de l’organisation terroriste et de ses activités au motif que [le DTP] et cette organisation partageaient la même base populaire. Par ailleurs, le mémoire en défense [du DTP], présenté le 12 juin 2008 et intitulé « Le droit de garder le silence est un droit légitime », comportait notamment le passage suivant : « En réalité, il n’existe aucune explication morale, juridique ou de conscience justifiant que l’on cherche à obtenir du DTP qu’il qualifie le PKK de terroriste. Si le DTP disait « ils sont terroristes », est-ce que la terreur prendrait fin ? Si elle ne prend pas fin, quel est l’objectif de cette insistance ? Aspire-t-on à obtenir notre soumission ? Tant que les causes qui incitent les gens à prendre la route des montagnes n’auront pas disparu, [même si] une personne est tuée, une autre personne prendra la route des montagnes... Certes, des personnes dont les enfants sont partis dans les montagnes ont voté pour le DTP. Mais que signifie cela ? Si l’on en croit le procureur, cela veut dire soit que le DTP et le PKK sont identiques soit que ces familles font confiance au DTP et qu’elles ont voté pour ce parti afin qu’il trouve une solution politique permettant de faire redescendre leurs enfants des montagnes. N’en doutez pas, c’est la deuxième option qui est exacte. Dans de telles conditions, pourquoi et comment le DTP pourrait-il dire que le PKK est une organisation terroriste, alors même que des enfants, des proches de ces millions de gens ayant voté pour le DTP sont dans les montagnes ? » Ces arguments présentés par le parti défenseur sont insuffisants pour permettre de conclure que les activités du parti et de ses membres s’apparentent à des activités de lutte politique. Lorsqu’il n’existe pas de vie politique démocratique, les partis politiques perdent leur caractère d’éléments essentiels de la démocratie. Même si l’État assume des responsabilités importantes pour maintenir le climat démocratique et appliquer les règles démocratiques, cela ne signifie pas que les partis politiques sont dispensés de toute obligation ou de toute responsabilité. Non seulement l’État, mais aussi les citoyens, les organisations sociales et les partis politiques doivent préserver et, à tout le moins, respecter la démocratie. Le parti défenseur tient l’État, le gouvernement et le système pour responsables de la terreur et de toutes sortes de problèmes. Selon le parti défenseur, le PKK, organisation terroriste, est né et a survécu à cause des erreurs commises par l’État et le système. Par conséquent, ce sont l’État, le gouvernement et le système qui sont responsables des souffrances apparues depuis la création de l’organisation terroriste. Selon cette approche, il convient de tolérer l’attitude positive du [DTP] et de ses membres vis-à-vis de l’organisation terroriste, voire considérer son existence comme une chance de garder ouverte la voie du dialogue. (...) Comme cela est souligné dans les arrêts des juridictions supranationales et dans les rapports adoptés par la Commission de Venise, l’interdiction ou la dissolution d’un parti politique peut être décidée en ultime recours, lorsque les partis politiques défendent l’usage de la violence ou emploient la violence dans le but de détruire l’ordre démocratique constitutionnel en portant atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution, ou lorsqu’ils agissent en collaboration avec des organisations qui recourent à la violence ou qu’ils soutiennent de telles organisations ; (...) Lors des activités organisées au nom du DTP, de nombreux présidents des antennes départementales et de district du parti ou des membres du parti ont déclaré que le peuple kurde constituait une nation différente du peuple turc, que la République de Turquie opprimait le peuple kurde, que Abdullah Öcalan était détenu en isolement et que cette situation était inacceptable ; [il en ressort] qu’ils apportent aide et soutien au PKK et à son président Abdullah Öcalan, qu’ils partagent la même idéologie et visent les mêmes buts. Dès lors, [le DTP] mène des activités qui sont de nature à porter atteinte à l’intégrité territoriale de l’État et à l’unité de la nation ; [par ailleurs,] lors du premier congrès du parti organisé à Ankara, des festivités liées à la fête du Nevroz ont été organisées par les membres du parti, il y a eu des manifestations de protestation contre les conditions de détention du chef de l’organisation terroriste ; [les dirigeants et membres du parti] ont participé aux funérailles de membres de l’organisation terroriste. [En outre], des documents, publications ou objets [en lien avec les activités de l’organisation terroriste] ont été saisis dans les locaux du parti. Le fait de procéder, nonobstant l’unité de la nation et l’intégrité territoriale, à une distinction entre les nations turque et kurde, de soutenir que l’organisation terroriste et son chef Abdullah Öcalan doivent être considérés comme des interlocuteurs dans le processus de résolution du « problème kurde » et que la politique définie par ce dernier doit être suivie, la saisie dans les locaux du DTP d’emblèmes, de documents et de publications prohibés, l’affichage dans ces locaux de photos représentant le chef de l’organisation terroriste et ses militants, la transformation des réunions, meetings, manifestations et funérailles organisés à différentes occasions en une activité de propagande en faveur de l’organisation terroriste et la tolérance du DTP à l’égard de cette transformation, l’absence de distance avec les personnes condamnées pour leur lien avec l’organisation terroriste, l’absence de sanctions disciplinaires à l’encontre de celles-ci et leur nomination à des postes de porte-parole ou d’autres fonctions importantes constituent des activités qui sont de nature à porter atteinte à l’intégrité territoriale de l’État et à l’unité de la nation au sens de l’article 68 § 4 de la Constitution. En menant de telles activités, le DTP est devenu un parti qui incite à la violence, considère l’usage de la violence comme un moyen politique, soutient de telles activités, y participe ou incite à les réaliser, et ouvre ses locaux à l’organisation terroriste et aux matériels de propagande. Des activités telles que les manifestations légales ou illégales destinées à protester contre l’aggravation de l’état de santé du chef du PKK, organisées conformément aux demandes et ordres donnés par l’organisation terroriste, l’utilisation de notions telles que « liberté », « fraternité » et « paix » pour éveiller la conscience nationale de personnes aux origines ethniques diverses et vivant dans une région déterminée du territoire national, la qualification des actes de terrorisme du PKK de « guerre », « lutte honorable », « résistance justifiée », le fait de prendre parti pour le PKK dans cette guerre, la fourniture aux membres de cette organisation d’armes, de matériel, de soins médicaux et d’informations, l’existence de nombreux documents, affiches, matériels de propagande, pancartes, photos représentant des membres du PKK et d’autres activités similaires, ainsi que de nombreuses décisions judiciaires démontrent que le DTP a un lien avec le PKK et qu’il est solidaire de celui-ci. Au vu des activités énumérées ci-dessus, l’on peut conclure que, prenant appui sur l’organisation terroriste et prônant des discours et activités incompatibles avec les principes démocratiques, le DTP abuse des moyens d’une démocratie pluraliste caractérisée par la tolérance, vise à instaurer une structure fondée sur l’origine ethnique, et se sert ainsi du terrorisme pour parvenir à ses fins politiques. Par ailleurs, le fait que, lorsque de tels incidents se produisent, les organes du DTP ne prennent aucune mesure et qu’ils gardent le silence lors des activités organisées par ses membres constitue une illustration supplémentaire de son soutien au terrorisme. Dans un État démocratique, l’on ne peut tolérer l’existence d’un parti politique qui ne précise pas ouvertement sa position quant aux actes de terrorisme et qui se tait au lieu de blâmer le crime et le criminel. À cause de cette position du DTP, le lien entre celui-ci et le PKK est un « secret de Polichinelle ». De par cette acceptation implicite, l’obtention de droits au moyen d’actes de terrorisme est érigée en méthode. Les décisions de condamnation pour crime contre l’intégrité territoriale et l’unité de la nation rendues à l’encontre de personnes ayant des responsabilités au sein du DTP, les procès-verbaux de perquisition, les documents concernant les investigations, les procès-verbaux et documents relatifs à des réunions et l’ensemble des preuves démontrent que le DTP était devenu un centre d’activités menaçant l’intégrité territoriale et l’unité de la nation. Ce parti, en soutenant les politiques et activités de la lutte armée menées par l’organisation terroriste et son chef, qui ont entraîné la mort de milliers de personnes, vise à créer « les nations turque et kurde et d’autres nations ayant des origines ethniques diverses » et ainsi à diviser la nation turque en fonction de l’origine ethnique (...) Le fait que le congrès général du parti, son président, ses organes décisionnels, son groupe parlementaire et la direction de ce groupe ne prennent pas ouvertement leurs distances avec des activités des membres du parti est considéré comme une acceptation explicite de leur part. Lorsque des activités menaçant l’État de droit ne sont pas dénoncées par les organes décisionnels d’un parti, il est nécessaire d’empêcher ledit parti de porter préjudice au régime démocratique. (...) À la lumière de ce qui précède, la dissolution du DTP est considérée comme une mesure nécessaire dans une société démocratique, répondant à un besoin social impérieux et proportionnée au but légitime que constitue la défense de l’ordre constitutionnel. Compte tenu de la gravité et de l’intensité des activités en question et de leurs effets néfastes pour la société, il n’est plus possible de soutenir que ce parti, par son existence, contribue à la vie démocratique. Il convient dès lors d’en ordonner la dissolution définitive, au lieu d’imposer une mesure plus légère consistant à priver partiellement ou intégralement ce parti politique de l’aide financière de l’État, au sens de l’article 25 de la loi no 4709 du 3 octobre 2001 et de l’article 69 § 7 amendé de la Constitution. Par conséquent, il est établi que le DTP est devenu un centre d’activités portant atteinte à l’intégrité du territoire et à l’unité de la nation et tendant à apporter aide et soutien au PKK, une organisation terroriste. Il convient dès lors d’ordonner la dissolution définitive de ce parti en application des articles 68 et 69 de la Constitution et des articles 101 et 103 de la loi sur les partis politiques. » D. Développements ultérieurs à la dissolution du DTP À la suite de la dissolution du DTP, les dix-neuf députés du DTP adhérèrent à un parti pro-kurde, le Parti pour la paix et la démocratie (BDP). À l’initiative du gouvernement, un processus de paix visant à l’élaboration d’une solution pacifique au problème kurde, appelé « Le processus de İmralı » ou « Le processus de résolution », a été lancé en octobre 2012. Dans le cadre de ce processus, le gouvernement a engagé des discussions avec tous les acteurs ayant pris part à ce conflit. Les parlementaires ont été autorisés à maintenir des entretiens avec le chef du PKK. De nombreuses mesures ont été prises afin de mener à bien ce processus (Pour plus de détails voir “Turkey Progress 2013 Report” et “Turkey Progress Report” Octobre 2014) – l’article premier de la loi no 6411, adoptée le 24 janvier 2013, portant modification de l’article 202 du code de procédure pénale a autorisé les accusés à présenter leur défense dans leur langue maternelle lors de la procédure pénale ; – l’article premier de la loi no 6529, adoptée le 2 mars 2014, portant modification de la loi no 298 a autorisé l’emploi de langues autres que le turc lors des campagnes électorales ; – l’article 11 de la loi no 6529, précitée, portant modification de la loi no 2923 a autorisé l’enseignement, dans des écoles privées, des langues et dialectes couramment utilisés par la population dans sa vie quotidienne ; – l’article 16 e) de la loi no 6529, précitée, portant modification de la loi no 5237 a abrogé les sanctions pénales encourues en raison de l’utilisation de lettres qui ne font pas partie de l’alphabet turc. En outre, la loi no 6551 portant sur la cessation du terrorisme et le renforcement de l’intégration sociale fut adoptée le 10 juillet 2014. L’objectif de cette loi était de fournir une base juridique pour le « processus de résolution » (çözüm süreçi). La loi accorde une protection juridique aux personnes impliquées dans des relations, dialogues, entretiens et activités similaires menés avec les personnes, les institutions et les organisations, et elle facilite la réhabilitation des militants de l’organisation armée qui rendent leurs armes. II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES La Constitution L’article 68 § 4 de la Constitution se lit ainsi : « (...) Les statuts, le règlement et les activités des partis politiques ne peuvent être contraires à l’indépendance de l’État, à son intégrité territoriale et celle de sa nation, aux droits de l’homme, aux principes d’égalité et de la prééminence du droit, à la souveraineté nationale, ou aux principes de la République démocratique et laïque. Il ne peut être fondé de parti politique ayant pour but de préconiser et d’instaurer la domination d’une classe sociale ou d’un groupe, ou une forme quelconque de dictature. (...) » L’article 69 § 6 de la Constitution, tel que modifié par la loi no 4709 du 3 octobre 2001, se lit ainsi : « Un parti politique ne peut être dissous en raison d’activités contraires aux dispositions de l’article 68 § 4 que si la Cour constitutionnelle constate que ce parti politique est un centre de telles activités. Un parti politique est réputé être devenu le centre de tels actes si des membres du parti se livrent intensivement à des activités présentant les caractéristiques en question et si cette situation est explicitement ou implicitement approuvée soit par le grand congrès du parti, soit par son président, soit par ses organes centraux de décision ou de direction, soit encore par l’assemblée générale ou le conseil de direction du groupe du parti à la Grande Assemblée nationale de Turquie, ou si les actes en question sont accomplis directement et avec détermination par les organes du parti eux-mêmes. » La loi no 4709 du 3 octobre 2001 a également modifié le paragraphe 7 de l’article 69 de la Constitution, qui se lit désormais ainsi : « La Cour constitutionnelle peut, en fonction de la gravité des actes en question, au lieu de prononcer la dissolution définitive prévue aux paragraphes ci-dessus, décider de priver totalement ou en partie le parti politique concerné d’aides publiques. » L’article 69 § 9 de la Constitution se lit ainsi : « (...) Les membres et les dirigeants dont les déclarations et les activités ont entraîné la dissolution d’un parti politique ne peuvent devenir membres fondateurs, dirigeants ou trésoriers d’un autre parti politique pour une durée de cinq ans à compter de la date à laquelle l’arrêt motivé de dissolution est publié au Journal officiel (...) » L’article 84 de la Constitution se lit ainsi: « Perte de la qualité de membre Lorsque le Conseil de la Présidence de la Grande Assemblée nationale a validé la démission des députés, la perte de leur qualité de membre est décidée par la Grande Assemblée nationale siégeant en Assemblée plénière. La perte de la qualité de membre par le député condamné ne peut devenir effective qu’après notification à l’Assemblée plénière par le tribunal de l’arrêt définitif de condamnation. Le député qui continue à exercer une fonction ou une activité incompatible avec la qualité de membre, au sens de l’article 82, est déchu de celle-ci après un vote secret de l’Assemblée plénière à la lumière du rapport de la commission compétente mettant en évidence l’exercice par l’intéressé de la fonction ou de l’activité en question. Lorsque le Conseil de la Présidence de la Grande Assemblée nationale relève qu’un député, sans autorisation ou excuse valable, n’a pas participé, pendant cinq jours au total sur un mois, aux travaux de l’Assemblée, ce député perd sa qualité de membre après un vote à la majorité de l’Assemblée plénière. Le mandat du député dont les actes et les propos ont, selon l’arrêt de la Cour constitutionnelle, entraîné la dissolution de son parti prend fin à la date de la publication de cet arrêt au Journal officiel. La présidence de la Grande Assemblée nationale met à exécution cette partie de l’arrêt et en informe l’Assemblée plénière. » La loi no 2820 portant réglementation des partis politiques Les dispositions pertinentes en l’espèce de la loi no 2820 se lisent ainsi : Article 78 « Les partis politiques : (...) ne peuvent ni viser, ni œuvrer, ni inciter des tiers : (...) – à mettre en péril l’existence de l’État et de la République turcs, à abolir les droits et libertés fondamentaux, à établir une discrimination fondée sur la langue, la race, la couleur de peau, la religion ou l’appartenance à un courant religieux, ou à instaurer, par tout moyen, un régime étatique fondé sur de telles notions et conceptions. (...) » Article 90 § 1 « Les statuts, programmes et activités des partis politiques ne peuvent contrevenir à la Constitution et à la présente loi. » Article 101 « La Cour constitutionnelle prononce la dissolution du parti politique : (...) b) dont l’assemblée générale, le bureau central ou le conseil d’administration (...) adopte des décisions, émet des circulaires ou fait des communications (...) contraires aux dispositions du chapitre 4 de la présente loi (...) [Dans ce chapitre (de l’article 78 à l’article 97) qui a trait aux restrictions apportées aux activités des partis politiques, il est indiqué, entre autres, que ces activités ne peuvent être menées au détriment de l’ordre constitutionnel démocratique (y inclus la souveraineté du peuple, les élections libres), des caractéristiques de l’État-nation (notamment l’indépendance de l’État, l’unité de l’État, le principe d’égalité) et du caractère laïque de l’État (y compris le respect des réformes accomplies par Atatürk, l’interdiction d’abuser des sentiments religieux et l’interdiction faite aux partis politiques d’organiser des manifestations religieuses)], ou dont le président, le vice-président ou le secrétaire général fait des déclarations écrites ou orales contraires auxdites dispositions (...) d) dans le cas où des actes contraires aux dispositions du chapitre 4 de cette loi ont été commis par des organes, autorités ou conseils autres que ceux cités à l’alinéa b), le procureur de la République, dans les deux ans à partir de l’accomplissement de l’acte, exigera par écrit la révocation de l’organe, de l’autorité ou du conseil en question. Le procureur de la République exigera l’exclusion définitive du parti des membres qui auront été condamnés pour avoir accompli des actes ou formulé des déclarations en violation des dispositions figurant dans la quatrième partie. Le procureur de la République engagera une action en dissolution à l’encontre du parti politique qui ne s’est pas conformé aux exigences exposées dans sa lettre dans un délai de trente jours à compter de la signification de cette dernière. Si dans ce délai de trente jours le parti révoque l’organe, l’autorité ou le conseil en cause, ou s’il exclut définitivement le ou les membres en question, l’action en dissolution s’éteindra. Dans le cas contraire, la Cour constitutionnelle examinera l’affaire sur dossier et la clôturera en recueillant si nécessaire les explications orales du procureur de la République, des représentants du parti politique et de tous ceux qui sont susceptibles de donner des informations sur l’affaire (...) » Article 103 « Lorsqu’il est constaté qu’un parti politique est devenu un centre d’activités contraires aux dispositions des articles 78 à 88 (...) de la présente loi, ce parti politique est dissous par la Cour constitutionnelle. » Article 107 § 1 « L’intégralité des biens d’un parti politique dissous par la Cour constitutionnelle est transférée au Trésor public. » Le paragraphe 2 de l’article 103, déclaré inconstitutionnel par la Cour constitutionnelle le 9 janvier 1998, exigeait le recours à la procédure prévue à l’article 101 d) pour examiner le point de savoir si un parti politique était devenu un centre d’activités anticonstitutionnelles. L’article 215 du code pénal Aux termes de l’article 215 du code pénal no 5237 du 26 septembre 2004 : « Quiconque fait l’éloge d’un crime ou d’une personne en raison du crime qu’elle a commis est passible d’une peine pouvant aller jusqu’à deux ans d’emprisonnement. » III. TEXTES INTERNATIONAUX PERTINENTS « Lignes directrices sur l’interdiction et la dissolution des partis politiques et les mesures analogues » Les « Lignes directrices sur l’interdiction et la dissolution des parties politiques et les mesures analogues » du 10 janvier 2000 (CDL-INF(2000)001) ont été adoptées par la Commission de Venise lors de sa 41e session plénière (Venise, 1011 décembre 1999). Les parties pertinentes en l’espèce se lisent comme suit : « (...) L’interdiction ou la dissolution forcée de partis politiques ne peuvent se justifier que dans le cas où les partis prônent l’utilisation de la violence ou l’utilisent comme un moyen politique pour faire renverser l’ordre constitutionnel démocratique, mettant en danger de ce fait les droits et libertés protégés par la Constitution. Le seul fait qu’un parti plaide en faveur d’une réforme pacifique de la Constitution ne doit pas suffire à justifier son interdiction ou sa dissolution. Un parti politique, en tant que tel, ne peut pas être tenu [pour] responsable de la conduite de ses membres qui n’aurait pas été autorisée par le parti à l’intérieur du cadre politique/public et des activités du parti. L’interdiction ou la dissolution de partis politiques, comme mesure particulière à portée considérable, doivent être utilisées avec la plus grande retenue. Avant de demander à la juridiction compétente d’interdire ou de dissoudre un parti, les gouvernements ou autres organes de l’État doivent établir - au regard de la situation dans le pays concerné - si le parti représente réellement un danger pour l’ordre politique libre et démocratique ou pour les droits des individus, et si d’autres mesures moins radicales peuvent prévenir ledit danger. Les mesures juridiques prises pour interdire ou faire respecter la dissolution de partis politiques doivent être la conséquence d’une décision judiciaire d’inconstitutionnalité et doivent être considérées comme exceptionnelles et réglementées par le principe de proportionnalité. Toutes ces mesures doivent s’appuyer sur des preuves suffisantes que le parti en lui-même - et pas seulement ses membres individuels - poursuit des objectifs politiques en utilisant (ou est prêt à les utiliser) des moyens inconstitutionnels. (...). » « Avis sur les dispositions constitutionnelles et législatives relatives à l’interdiction des partis politiques en Turquie » L’« Avis sur les dispositions constitutionnelles et législatives relatives à l’interdiction des partis politiques en Turquie » du 13 mars 2009 (CDL-AD(2009)006) a été adopté par la Commission de Venise lors de sa 78e session plénière (Venise, 1314 mars 2009). Les parties pertinentes en l’espèce de cet avis sont ainsi libellées : « 3.3. La pratique turque en matière de dissolution des partis Pour apprécier la compatibilité des règles turques avec les normes européennes, il ne suffit pas d’examiner leur libellé, mais il faut également examiner dans quelle mesure elles sont effectivement appliquées dans la pratique et comment elles sont interprétées. Dans la mesure où la Cour constitutionnelle est en dernier lieu l’autorité qui est chargée d’interpréter la Constitution turque, la Commission de Venise doit s’appuyer sur son interprétation. Le premier élément saillant qui se dégage de l’examen de la pratique turque est que contrairement à tous les autres pays européens, la tradition turque consiste à invoquer et à appliquer fréquemment les règles relatives à la dissolution des partis en tant que partie exécutoire de la Constitution et du système politique. D’après les chiffres souvent cités, depuis que la Constitution de 1961 est entrée en vigueur, la Cour constitutionnelle a ordonné la dissolution de 24 partis politiques, sans compter les partis qui ont été interdits au cours des périodes d’opérations militaires. Sur ces 24 partis, 6 ont été dissous en application de la Constitution de 1961 et 18 en application de la Constitution de 1982. (...) Outre la récente affaire relative à l’AKP, une autre procédure relative au Parti de la société démocratique (DTP) a été engagée par le Procureur général en novembre 2007 ; cette affaire est toujours pendante. Le Parti de la société démocratique est actuellement le principal parti politique représentatif des citoyens turcs d’origine kurde ; il compte 21 membres du Parlement. Les dissolutions ordonnées sur la base de violations alléguées des dispositions relatives à la protection de l’intégrité indivisible territoriale et nationale de l’État ont concerné pour l’essentiel des partis politiques représentant les intérêts de la population kurde. Ainsi qu’énoncée précédemment, la Loi turque sur les partis politiques contient effectivement des dispositions qui peuvent servir de base à l’interdiction ou à la dissolution de n’importe quel parti remettant en question l’unité de l’État turc ou défendant les intérêts de minorités. La décision attendue de la Cour constitutionnelle dans l’affaire relative au Parti de la [société démocratique] (DTP) montrera certainement si les amendements constitutionnels d’ores et déjà adoptés conduiront à une pratique plus libérale concernant la dissolution de tels partis. Dans cinq affaires, la Cour constitutionnelle a ordonné la dissolution de partis politiques au motif de leurs prétendues activités anti-laïques.(...) Le recours traditionnel à la dissolution des partis politiques en Turquie a longtemps été considéré comme étant problématique au regard des normes démocratiques européennes. Dans un rapport d’enquête de 2004 sur la Turquie, l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe a souligné que la fréquence à laquelle les partis politiques étaient dissous en Turquie constituait non seulement une violation de la liberté de réunion et d’association énoncées à l’article 11 de la Convention européenne des droits de l’homme mais traduisait également un problème plus général d’ordre institutionnel. Dans sa Résolution 1380 (2004), l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe a insisté sur le fait qu’il s’agissait d’une véritable source de préoccupation tout en exprimant l’espoir qu’à l’avenir, les modifications constitutionnelles de 2001 permettraient de limiter une telle pratique. Contrairement aux attentes de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, la procédure récemment engagée contre l’AKP et la procédure encore pendante visant le Parti de la société démocratique ont montré, s’agissant des mesures prises par le Procureur général, qu’il n’y avait eu aucun changement dans la pratique. (...) Conclusions sur la nécessité de réformer les règles turques relatives à l’interdiction et à la dissolution des partis politiques 104. La Commission de Venise voudrait tout d’abord se féliciter des importantes réformes engagées par la Turquie ces dernières années. De telles réformes constituent d’importants pas en avant dans la voie de la pleine harmonisation avec les règles démocratiques appliquées dans les autres pays européens et témoignent des progrès accomplis par la société turque. (...) 105. La Commission de Venise constate que la situation turque présente trois différences importantes par rapport à la pratique européenne commune : Il existe une longue liste de critères matériels de la constitutionnalité des partis politiques, énoncés à l’article 68 (4) de la Constitution et dans la Loi sur les partis politiques, qui va au-delà de ceux que la Cour européenne des droits de l’homme et la Commission de Venise considèrent comme étant légitimes. Il existe une procédure de décision concernant l’interdiction ou la dissolution des partis dont l’engagement est plus arbitraire et moins sujet à un contrôle démocratique que dans les autres pays européens. Il existe une tradition consistant à appliquer régulièrement les règles relatives à la dissolution des partis politiques qui n’a d’équivalent dans aucun autre pays européen et qui montre que cette application n’est effectivement pas considérée comme étant une mesure exceptionnelle mais comme un aspect structurel et exécutoire de la Constitution. 106. En conclusion, la Commission de Venise estime que, prises ensemble, les dispositions des articles 68 et 69 de la Constitution, ainsi que les dispositions pertinentes de la Loi sur les partis politiques forment un système qui n’est pas compatible avec l’article 11 de la Convention européenne des droits de l’homme tel qu’il est interprété par la Cour européenne des droits de l’homme, et avec les critères adoptés en 1999 par la Commission de Venise et repris depuis lors par l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe. 107. Le problème fondamental posé par les règles concernant la dissolution des partis politiques actuellement en vigueur en Turquie est que le seuil, tant pour l’engagement des procédures que pour l’interdiction et la dissolution des partis, est trop bas. Ce fait s’écarte en lui-même « in abstracto » des normes démocratiques européennes communes et conduit trop facilement à des mesures contraires à la Convention européenne des droits de l’homme, comme le montrent les nombreuses affaires relatives à la Turquie examinées par la Cour européenne des droits de l’homme. 108. Les seuils relatifs à l’application des règles concernant l’interdiction ou la dissolution des partis étant trop bas, aussi bien sur le fond que sur la forme, ce qui devrait être une mesure exceptionnelle devient dans les faits une mesure ordinaire. L’espace public démocratique est limité plus avant par la protection constitutionnelle des trois premiers articles de la Constitution, selon des modalités qui empêchent l’émergence de programmes politiques qui interrogent de façon pourtant pacifique et démocratique les principes posés lors de l’institution de la République turque. 109. La Commission de Venise considère que dans le cadre de l’Europe démocratique, ces restrictions sévères de l’espace public légitime sont propres au système constitutionnel turc et difficilement conciliable avec les traditions européennes élémentaires en matière de démocratie constitutionnelle. 110. La Commission de Venise reconnaît et accueille favorablement le fait que les règles relatives à l’interdiction des partis en Turquie ont été modifiées ces dernières années dans le but de durcir les conditions de dissolution. Dans le cadre de la réforme de 2001, l’article 69 a été modifié et prévoit désormais que pour qu’un parti viole les conditions énoncées à l’article 68 (4), il doit être devenu le « centre » des activités énoncées dans cet article. En même temps, la majorité des trois cinquièmes est désormais requise par l’article 149 de la Constitution pour que la Cour constitutionnelle soit habilitée à ordonner la dissolution d’un parti politique. Cette réforme s’est avérée importante et a été décisive dans le résultat de la procédure engagée à l’encontre de l’AKP. Bien qu’elles soient louables, ces réformes n’ont pas suffi pour combler le fossé qui sépare la législation turque des normes découlant de la Convention européenne des droits de l’homme et des Lignes directrices de la Commission de Venise. 111. Par conséquent, la Commission de Venise estime que même si la réforme de 2001 marque un important pas en avant, elle n’a pas permis d’accroître suffisamment le degré général de protection des partis pour qu’il soit comparable à celui qui découle de la Convention européenne des droits de l’homme et des normes démocratiques européennes communes. Il est donc nécessaire de réformer plus avant pour atteindre cet objectif, tant en ce qui concerne les questions de fond que de procédure. (...) »
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Le requérant est né en 1988. Il est actuellement détenu à la prison de Bucarest-Jilava. Par un jugement du 7 mai 2013, le tribunal de première instance de Bolintin Vale le condamna à une peine de quatre ans de prison pour violation de domicile. Ce jugement fut confirmé par un arrêt du 11 juillet 2013 de la cour d’appel de Bucarest. Le 16 juillet 2013, le requérant fut incarcéré à la prison de Giurgiu afin d’y purger sa peine. Il y resta jusqu’en avril 2015, date de son transfert à la prison de BucarestJilava. Les parties présentent des versions différentes quant aux conditions de détention du requérant à la prison de Giurgiu. A. Les conditions de détention La version du requérant Dans son formulaire de requête, le requérant indiquait qu’il avait été incarcéré dans la cellule no 24. Selon lui, cette cellule était insalubre et il y avait des parasites (cafards et punaises de lit). Il n’aurait jamais bénéficié d’eau chaude. Il ajoutait que la cellule, dont la fenêtre était équipée de deux rangées de barreaux, n’était pas suffisamment ventilée. Il précisait également qu’il ne fumait pas et que la cellule susmentionnée était pour nonfumeurs. Toutefois, il indiquait que l’administration de la prison avait, à plusieurs reprises et malgré ses protestations, placé des détenus fumeurs dans cette cellule. Il envoya à l’appui de ses allégations les déclarations manuscrites de ses codétenus T.R.C., D.C. et M.G.M. Avant la communication de sa requête, le requérant indiqua, par une lettre du 16 juin 2014, que sa cellule mesurait 17,53 m2 et qu’il la partageait avec cinq autres détenus. Dans ses observations, il réitérait ses allégations et notamment ses doléances relatives aux mauvaises conditions d’hygiène et à la présence de parasites. Il déclarait que, lors de sa détention à la prison de Giurgiu, il avait été logé dans huit cellules différentes. Selon lui, ces cellules étaient surpeuplées, mal ventilées en raison d’une grille épaisse posée sur la fenêtre, mal chauffées pendant la saison froide et meublées de manière inadéquate. Il expliquait que l’eau froide était fournie selon un certain horaire, en dehors duquel il éprouvait des difficultés à boire ou à se laver. Il insistait sur le fait qu’il n’avait pas eu accès à l’eau chaude pendant sa détention. Il se plaignait en outre de la mauvaise qualité de la nourriture, qui, selon lui, était souvent altérée, et de la saleté des matelas mis à sa disposition. La version du Gouvernement Se fondant sur les informations communiquées par l’administration nationale des prisons, le Gouvernement déclara que le requérant avait bénéficié à la prison de Giurgiu d’un espace personnel de 3,33 m2 et qu’il avait été logé dans des cellules de six personnes, adéquatement meublées. Selon lui, les conditions d’hygiène étaient satisfaisantes et des opérations de dératisation ou de désinfection étaient réalisées régulièrement. Il ajouta que des détenus volontaires avaient repeint les locaux à plusieurs reprises. Le Gouvernement indiqua également que les cellules que le requérant avait occupées ainsi que les groupes sanitaires de celles-ci étaient convenablement ventilés, que le requérant avait eu accès à l’eau chaude deux fois par semaine et, en outre, qu’il avait pu sortir de sa cellule entre deux et trois heures par jour en fonction de la saison. Le Gouvernement précisa en outre que le requérant avait été placé dans des cellules pour non-fumeurs. Il souligna que ces cellules n’avaient hébergé que des détenus ayant déclaré qu’ils ne fumaient pas. B. Les constats du juge délégué à l’exécution des peines Le requérant se plaignit à plusieurs reprises de ses conditions de détention au juge délégué à l’exécution des peines à la prison de Giurgiu (« le juge délégué à l’exécution des peines »). Il forma une plainte le 28 avril 2014 dans laquelle il dénonçait en particulier la surpopulation dans la prison de Giurgiu et sa cohabitation forcée avec des détenus fumeurs. Par un jugement avant dire droit du 6 août 2014, le juge délégué à l’exécution des peines rejeta la plainte du requérant au motif que ce dernier avait entre-temps été transféré dans une autre cellule. Sur contestation du requérant, le tribunal de première instance de Giurgiu (« le tribunal de première instance ») confirma cette décision par un jugement du 24 février 2015. Il jugea, entre autres, que la surface totale de la cellule, y compris celle du groupe sanitaire, faisait bénéficier au requérant d’un espace de plus de 4 m2 et qu’il était logé dans une cellule pour nonfumeurs. Par un jugement avant dire droit du 10 octobre 2014, le juge délégué à l’exécution des peines rejeta la plainte du requérant relative, entre autres, au mauvais état de son matelas, au motif que ce dernier avait été remplacé. Dans une plainte formée à une date non précisée en 2015, le requérant dénonçait notamment les mauvaises conditions hygiéniques et sanitaires au sein de la prison de Giurgiu ainsi que l’absence de meubles adéquats dans sa cellule. Par un jugement avant dire droit du 20 février 2015, le juge délégué à l’exécution des peines fit partiellement droit à la demande du requérant et ordonna à la prison de doter la cellule et le groupe sanitaire en cause des meubles et de l’équipement nécessaires et de mettre à la disposition du requérant le matériel nécessaire pour peindre sa cellule. II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES ET INTERNATIONAUX PERTINENTS Les dispositions pertinentes de la loi no 275/2006 sur les droits des personnes détenues sont décrites dans l’affaire Cucu c. Roumanie (no 22362/06, § 56, 13 novembre 2012). Les dispositions législatives pertinentes et la pratique interne relatives à la protection contre les effets du tabac dans le milieu pénitentiaire sont résumées dans l’affaire Florea c. Roumanie (no 37186/03, §§ 29-30, 14 septembre 2010). Les rapports internationaux pertinents, dont ceux du Comité européen de prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants, sont décrits dans l’affaire Iacov Stanciu c. Roumanie (no 35972/05, §§ 125-129, 24 juillet 2012).
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Le requérant est né en 1962 et réside à Moscou. Le 6 mai 2012, le requérant fut arrêté lors de la dispersion d’un rassemblement politique qui se tenait à Moscou place Bolotnaïa. Il fut retenu dans un commissariat pendant au moins trente-six heures dans le cadre d’une procédure administrative à l’issue de laquelle il fut reconnu coupable de désobéissance à des ordres légitimes de la police – infraction réprimée par l’article 19.3 du code des infractions administratives – et condamné à quinze jours de détention administrative. Les informations fournies par les parties sur les conditions du déroulement du rassemblement public et de sa dispersion sont reproduites dans la partie A, la situation personnelle du requérant est exposée dans la partie B ci-dessous. A. Le rassemblement public du 6 mai 2012 L’organisation du rassemblement Le 23 avril 2012, cinq personnes (M. I. Bakirov, M. S. Davidis, Mme Y. Lukyanova, Mme N. Mityushkina et M. S. Udaltsov) déposèrent un avis de manifestation à la mairie de Moscou. La manifestation, qui devait réunir quelque 5 000 participants, devait débuter à 16 heures le 6 mai 2012 et partir de la place Trioumfalnaïa pour se poursuivre place Manejnaïa par un rassemblement qui devait se terminer à 20 heures. Elle visait à « protester contre les irrégularités et les fraudes ayant entaché les élections à la Douma, ainsi que l’élection du président de la Fédération de Russie et exiger des élections libres, le respect des droits de l’homme, de l’état de droit et des obligations internationales contractées par la Fédération de Russie ». Le 26 avril 2012, le chef du service régional de sécurité de Moscou, M. A. Mayorov, informa les organisateurs de la manifestation qu’en raison des préparatifs de la parade du Jour de la victoire, qui devait se dérouler le 9 mai 2012, le parcours qu’ils avaient proposé ne pouvait être retenu. Il les invita à défiler entre la rue Loujniki et le quai Frounzenskaïa. Le 27 avril 2012, les organisateurs rejetèrent cette proposition et réclamèrent un autre parcours. Pour eux, le défilé devait partir de la place Kaloujskaïa à 16 heures, descendre la rue Bolchaïa Iakimanka et la rue Bolchaïa Polianka, et se clôturer place Bolotnaïa par un rassemblement qui finirait à 19 h 30. Ils indiquèrent qu’environ 5 000 personnes participeraient à la manifestation. Le 3 mai 2012, le service régional de sécurité de Moscou approuva le parcours proposé après avoir pris acte du dépôt, par les organisateurs, d’un programme détaillé de la manifestation envisagée. Le même jour, le service régional de sécurité de Moscou informa le chef de la direction du ministère de l’Intérieur pour la ville de Moscou, M. V. Kolokoltsev, qu’un autre groupe d’organisateurs avait déposé un avis pour une autre manifestation – un rassemblement place Manejnaïa, que les autorités moscovites avaient rejeté. Précisant que les organisateurs avaient déclaré qu’ils avaient l’intention de braver l’interdiction de manifester, qu’ils occuperaient la place du 6 au 10 mai 2012 et qu’ils étaient prêts à résister à la police si nécessaire, il demanda à la direction du ministère de l’Intérieur d’assurer le maintien de l’ordre public à Moscou. Le 4 mai 2012, à 20 heures, le premier adjoint au chef du service régional de sécurité de Moscou, M. V. Oleynik, tint avec les organisateurs de la manifestation place Bolotnaïa une réunion de travail consacrée notamment aux questions de sécurité, à laquelle participa également le chef adjoint de la sous-direction de l’ordre public de la direction du ministère de l’Intérieur pour la ville de Moscou, le colonel de police D. Deynichenko. Au cours de cette réunion, les organisateurs de la manifestation annoncèrent que les 5 000 manifestants initialement prévus pourraient en réalité être beaucoup plus nombreux. Ils furent avertis qu’aucun dépassement du nombre de manifestants ne serait toléré. Selon le requérant, les organisateurs et les autorités convinrent lors de cette réunion que le temps manquait pour effectuer la reconnaissance du terrain qui se serait imposée en d’autres circonstances, et qu’il fallait en conséquence reconduire l’organisation du rassemblement et le dispositif de sécurité qui avaient été arrêtés pour la manifestation précédente, organisée le 4 février 2012 par le même groupe de militants de l’opposition. Ce jour-là, le cortège avait descendu la rue Iakimanka et s’était terminé par un rassemblement tenu place Bolotnaïa. Le site du rassemblement comprenait le parc de la place Bolotnaïa (dénommé « parc Repine » dans certains documents) et le quai Bolotnaïa. Le même jour, l’adjoint au maire de Moscou, M. A. Gorbenko, demanda au préfet du district Tsentralnyï d’aider les organisateurs à maintenir l’ordre et la sécurité publics pendant le déroulement de la manifestation. Il ordonna au service régional de sécurité de Moscou d’informer les organisateurs que leur avis de manifestation avait été accepté et de surveiller le déroulement de cet événement. D’autres services administratifs furent chargés d’assurer le nettoyage de la voie publique, ainsi que la circulation et d’envoyer des ambulances sur le site du rassemblement. Le 5 mai 2012, le service régional de sécurité de Moscou demanda au parquet de Moscou d’avertir les organisateurs que le nombre annoncé de manifestants ne devait pas être dépassé et qu’il leur était interdit d’installer des tentes de camping à l’endroit du rassemblement, comme ils en auraient manifesté l’intention au cours de la réunion de travail. Il indiqua également que, selon des informations recueillies sur Internet, les manifestants entendaient se rendre place Manejnaïa après le rassemblement. Le même jour, le parquet du district Tsentralnyï délivra les avertissements requis à deux des organisateurs, MM. Davidis et Udaltsov. Le même jour, la direction du ministère de l’Intérieur pour la ville de Moscou publia sur son site Internet des renseignements officiels sur la manifestation du 6 mai 2012, notamment une carte des lieux où figuraient le parcours du cortège et les restrictions de circulation, ainsi qu’un plan d’accès à la place Bolotnaïa. Cette carte délimitait le site réservé au rassemblement, lequel incluait le parc de la place Bolotnaïa, qu’il fallait traverser pour accéder à la place. Le même jour, le chef de la police de la direction du ministère de l’Intérieur pour la ville de Moscou, le major général de police V. Golovanov, approuva un plan de maintien de l’ordre public à Moscou pour la journée du 6 mai 2012 (« le plan de sécurité »). Il s’agissait d’un document interne de quatre-vingt-dix-neuf pages qui ne fut pas divulgué au public et aux organisateurs. Il prévoyait des mesures de sécurité applicables dans le centre de Moscou et établissait un quartier général opérationnel pour leur mise en œuvre en vue de la manifestation autorisée qui devait se dérouler place Bolotnaïa et des rassemblements publics non autorisés que d’autres groupes d’opposants étaient soupçonnés de vouloir organiser. Trente-deux officiers supérieurs de la police, parmi lesquels figuraient huit majors généraux et deux commandants militaires, ainsi qu’un responsable des secours d’urgence, furent affectés à l’état-major opérationnel, dirigé par le chef adjoint de la police de la direction du ministère de l’Intérieur pour la ville de Moscou, le major général de police V. Kozlov. Le chef du centre des opérations spéciales de la direction du ministère de l’Intérieur pour la ville de Moscou, le major général de police V. Khaustov, et le chef adjoint de la sous-direction de l’ordre public de la direction du ministère de l’Intérieur pour la ville de Moscou, le colonel de police Deynichenko, furent nommés chefs adjoints de l’état-major opérationnel. Le plan de sécurité confiait le maintien de l’ordre dans les zones de sécurité définies, ainsi que la prévention des rassemblements interdits et des attentats terroristes à un corps antiémeute composé de 8 094 agents de police et des forces armées. Les agents de police chargés d’assurer les opérations de bouclage et de prévention des émeutes selon un plan d’action structuré et détaillé qui avait été remis à chaque unité opérationnelle formaient le contingent le plus nombreux. En outre, une unité de 785 policiers affectés à des postes opérationnels dans le centre-ville et chargés d’appréhender les contrevenants, de les conduire dans les commissariats et de dresser des procès-verbaux de contravention administrative avait été mise sur pied. Ces policiers avaient notamment reçu instruction de préparer des modèles de procès-verbal de contravention administrative et d’en conserver au moins quarante exemplaires dans chaque commissariat. Le plan de sécurité prévoyait également le déploiement d’une unité de 350 policiers ayant mission d’intercepter et d’appréhender les organisateurs et instigateurs de rassemblements non autorisés. Les policiers en question devaient porter des tenues de protection complètes et être armés de matraques. Chaque unité était chargée d’assurer une communication radio efficace au sein de la chaîne de commandement et avait reçu ordre d’emporter des haut-parleurs, des détecteurs de métaux, des menottes, des extincteurs et des pinces coupantes dans les véhicules de police. Le plan de sécurité prévoyait d’affecter au maintien de l’ordre des voitures et des cars de police, des véhicules et du matériel de surveillance et d’interception, des équipes cynophiles, des équipements de secours et de lutte contre l’incendie, des ambulances et un hélicoptère et il décrivait en détail leur déploiement. Il mettait sur pied une unité de réserve composée de 1 815 agents équipés de grenades aérosol (Дрейф), de grenades aveuglantes (Заря2), de grenades assourdissantes (Факел et Факел-C), d’un lance-grenades portatif de calibre 40 mm (Гвоздь 6Г30), d’un lance-grenades portatif de calibre 43 mm (ГМ-94), de pistolets sans canon (ПБ-4СП) avec des balles en caoutchouc de calibre 23 mm et des cartouches propulsives, ainsi que de fusils (KC-23). Enfin, il y était indiqué que deux véhicules équipés d’un canon à eau devraient se tenir prêts à intervenir contre les contrevenants récalcitrants. Toutes les unités avaient reçu l’ordre de faire preuve de vigilance et de rigueur dans la détection et l’élimination des menaces pour la sécurité et d’adopter un comportement poli et diplomate à l’égard des citoyens en établissant avec eux un dialogue respectueux de la loi sans répondre à leurs éventuelles provocations. En cas de rassemblement non autorisé, elles avaient instruction de lancer un avertissement par haut-parleurs, d’arrêter les manifestants les plus actifs et de réaliser un enregistrement vidéo de leur intervention. Les chefs de police avaient été invités à placer au sein de la foule des agents en civil chargés de surveiller les menaces de violences et d’attentats terroristes et de prendre des mesures, le cas échéant, pour prévenir et atténuer les dommages causés et en poursuivre les auteurs. Le chef de la direction du ministère de l’Intérieur pour le district Tsentralnyï de Moscou, le major général de police V. Paukov, fut notamment chargé de préparer, avec les organisateurs de la manifestation, le texte de l’annonce à faire au public en cas de dégradation de la situation. Le chef de l’unité de communication avec la presse de la direction du ministère de l’Intérieur pour la ville de Moscou, le lieutenant-colonel Y. Alekseyeva, était responsable de la communication avec la presse. Le chef de l’unité de liaison avec la société civile de la direction du ministère de l’Intérieur pour la ville de Moscou, le colonel V. Biryukov, était pour sa part chargé « de la coordination avec les représentants des organisations publiques, ainsi que de la coordination et de la circulation de l’information au sein des autres services de la direction du ministère de l’Intérieur pour la ville de Moscou ». Les unités chargées de la police du cortège et du rassemblement appartenaient à la « zone no 8 » (comprenant la place Kaloujskaïa, la place Bolotnaïa et le secteur adjacent). Cette zone se trouvait sous le commandement du chef de la police antiémeute de la direction du ministère de l’Intérieur pour la ville de Moscou, le colonel de police P. Smirnov, qui avait pour adjoints neuf autres officiers supérieurs de police (les colonels de police P. Saprykin, Y. Zdorenko, A. Kuznetsov, V. Yermakov, A. Kasatkin, A. Dvoynos, le lieutenant-colonel A. Tsukernik, le capitaine de police R. Bautdinov et le lieutenant-colonel D. Bystrikov). Les unités de la zone no 8 comptaient 2 400 agents de la police antiémeute, dont 1 158 étaient en service place Bolotnaïa. Ces derniers avaient ordre de fouiller les manifestants pour les empêcher d’apporter des tentes de camping sur le site du rassemblement et d’éviter qu’ils ne bloquent l’accès au pont Bolchoï Kamennyï en les canalisant vers le quai Bolotnaïa, où devait se tenir le rassemblement. Ils avaient également instruction de boucler le parc attenant à la place Bolotnaïa et d’installer, au seul point d’accès au quai Bolotnaïa depuis le pont Malyï Kamennyï, quatorze portiques détecteurs de métaux qui devaient être enlevés juste avant que le défilé n’atteigne le lieu du rassemblement. Les organisateurs et les techniciens bénéficiaient d’une dérogation qui leur permettait d’accéder à l’arrière de la scène en franchissant deux autres portiques détecteurs de métaux. D’autres dispositions avaient été prises pour l’accès des représentants de la presse. Enfin, les responsables de la zone no 8, en particulier les colonels de police Smirnov et Saprykin, avaient reçu ordre de rencontrer personnellement les organisateurs au début du rassemblement pour leur rappeler leurs devoirs et leur faire signer un document par lequel ils devaient s’engager à veiller à ce que la manifestation se déroule dans le respect de la loi et dans de bonnes conditions de sécurité, à s’abstenir de tout appel au renversement par la force de l’ordre constitutionnel et de tout discours de haine ou d’incitation à la violence ou à la guerre et à demeurer sur les lieux du rassemblement jusqu’à la fin de celui-ci et le départ des participants. Les instructions données aux organisateurs et la signature de ce document devaient faire l’objet d’un enregistrement vidéo. La dispersion du rassemblement place Bolotnaïa Le 6 mai 2012, vers 13 h 30, les organisateurs furent autorisés à accéder à la place Bolotnaïa pour installer la scène et le matériel de sonorisation. La police fouilla les véhicules qui transportaient le matériel et saisit trois tentes qui y étaient dissimulées. Elle arrêta plusieurs personnes soupçonnées d’avoir apporté ces tentes, ce qui retarda l’installation du matériel. Pendant ce laps de temps, les organisateurs qui installaient la scène et les meneurs du cortège communiquèrent de manière intermittente. Au début du défilé, le colonel de police A. Makhonin rencontra les organisateurs place Kaloujskaïa pour résoudre les problèmes d’organisation qui se présenteraient et leur faire signer un engagement de veiller au maintien de l’ordre public pendant la manifestation. Il demanda expressément à M. Udaltsov de s’assurer qu’aucune tente ne serait installée sur la place Bolotnaïa et de veiller à ce que les participants respectent les limites spatiales et temporelles assignées au rassemblement. Les organisateurs assurèrent qu’ils respecteraient ces instructions et signèrent un engagement en ce sens. Le cortège partit de la place Kaloujskaïa à 16 h 30. Il descendit la rue Iakimanka dans le calme et sans encombre. S’il est constant que les manifestants étaient plus nombreux que prévu, leur nombre exact donna lieu à des évaluations divergentes. Les autorités dénombrèrent 8 000 manifestants, les organisateurs estimant pour leur part qu’il y avait eu environ 25 000 participants. Les médias avancèrent différentes estimations, pour certaines largement supérieures à celles des autorités et des organisateurs. Vers 17 heures, alors que le défilé était sur le point d’atteindre la place Bolotnaïa, les personnes qui en avaient pris la tête découvrirent que la configuration du site réservé au rassemblement et la position du cordon policier ne correspondaient pas à leurs attentes. Contrairement aux dispositions prises le 4 février 2012, le parc de la place Bolotnaïa avait été exclu du site du rassemblement, qui était circonscrit au quai Bolotnaïa. Un cordon de policiers antiémeute en tenue de protection complète interdisait l’accès au parc et bouclait tout le périmètre du site du rassemblement, canalisant les manifestants vers le quai Bolotnaïa. Une série de détecteurs de métaux avaient été installés en bas du quai, au point d’accès du site du rassemblement. Entre-temps, la scène avait été installée à l’extrémité du quai Bolotnaïa, et un attroupement considérable s’était déjà formé en face d’elle. Confrontés au cordon de police et à l’impossibilité d’accéder au parc, les meneurs du cortège – MM. Udaltsov, A. Navalnyy, B. Nemtsov et I. Yashin – firent halte et demandèrent aux policiers de laisser les manifestants entrer dans le parc. Ils ont indiqué qu’ils avaient été décontenancés par ces mesures inattendues et que, refusant de se laisser détourner vers le quai Bolotnaïa, ils avaient demandé à des policiers de faire reculer le cordon afin de laisser aux manifestants un espace suffisant pour passer et se réunir en vue du rassemblement. Pour leur part, les autorités ont déclaré que les manifestants n’avaient pas l’intention de se diriger vers le lieu du rassemblement et qu’ils s’étaient arrêtés pour rompre le cordon afin de se diriger vers le pont Bolchoï Kamennyï et de gagner le Kremlin, ou pour inciter la foule à créer des troubles. Il est constant que les policiers responsables du cordon n’ont pas discuté avec les manifestants et qu’aucun officier supérieur ne fut délégué pour engager des négociations. Après avoir essayé pendant une quinzaine de minutes de dialoguer avec les policiers responsables du cordon, les quatre leaders de la manifestation annoncèrent à 17 h 16 qu’ils entamaient un « sit-in » et s’assirent par terre. Ceux qui les suivaient s’arrêtèrent, sauf certains d’entre eux qui les dépassèrent et poursuivirent leur chemin vers la scène. Les initiateurs du sit-in exhortèrent les autres manifestants à suivre leur exemple et à s’assoir, mais rares furent ceux de leur entourage à s’exécuter (seules vingt à cinquante personnes au total participèrent au sit-in). Entre 17 h 20 et 17 h 45, deux députés de la Douma, MM. G. Gudkov et D. Gudkov, contactèrent des officiers supérieurs – dont l’identité demeure inconnue – pour négocier un assouplissement des mesures de restriction, demandant que le cordon fût reculé derrière le parc conformément aux attentes des organisateurs. Au même moment, à la demande du colonel de police Biryukov, l’ombudsman de la Fédération de Russie, M. V. Lukin, essayait de convaincre les organisateurs de continuer à défiler et de se diriger vers le site du rassemblement quai Bolotnaïa, où la scène avait été installée. Durant ce laps de temps, aucun officier supérieur de la police ou représentant des autorités municipales ne se rendit sur le lieu du sit-in de protestation et il n’y eut aucune communication directe entre les autorités et les initiateurs du sit-in. À 17 h 40, l’un des participants au rassemblement annonça depuis la scène que les leaders de la manifestation appelaient les manifestants à appuyer leur action protestataire. Certains de ceux qui attendaient devant la scène retournèrent vers le pont Malyï Kamennyï, les uns pour soutenir le sit-in de protestation, les autres pour quitter le rassemblement. L’espace situé devant la scène se vida presque entièrement de ses occupants. À 17 h 43, les médias annoncèrent que M. Udaltsov réclamait l’attribution d’un temps d’antenne aux manifestants sur les principales chaînes de télévision russes, l’annulation de l’investiture de M. Poutine à la présidence et l’organisation de nouvelles élections. À 17 h 50, alors qu’un attroupement gênant pour la circulation s’était formé autour du sit-in de protestation, les leaders y mirent un terme et se dirigèrent vers la scène, suivis par la foule. À 17 h 55, les médias annoncèrent que les autorités policières considéraient le sit-in comme une forme d’incitation à provoquer des troubles de grande ampleur et qu’elles envisageaient d’en poursuivre les initiateurs. Au même moment, un tumulte se produisit près du cordon de police, à l’emplacement laissé libre par le sit-in, causant la rupture du cordon en plusieurs endroits. Une centaine de personnes envahirent l’espace ainsi ouvert à l’extérieur du cordon, qui fut rétabli quelques secondes plus tard par la police et renforcé par un nouveau contingent de policiers antiémeute. Certaines d’entre elles furent appréhendées, d’autres repoussées à l’intérieur du cordon, d’autres encore s’attardèrent à l’extérieur du cordon ou se dirigèrent vers le parc. Le cordon policier commença à repousser la foule vers le secteur autorisé, avançant de plusieurs mètres en la contraignant à se resserrer. À 18 heures, le colonel de police Makhonin demanda à Mme Mityushkina d’annoncer depuis la scène la clôture du rassemblement. L’intéressée s’exécuta, mais il semble que la plupart des manifestants et des journalistes qui se trouvaient sur les lieux pour retransmettre les événements n’aient pas entendu son annonce, dont il n’est pas fait état dans l’enregistrement des séquences télévisées produit par les parties. Au même moment, le cordon policier qui venait de se reformer fut visé par un cocktail Molotov lancé depuis la foule massée à un angle du pont Malyï Kamennyï. Le projectile s’écrasa à l’extérieur du cordon et enflamma le pantalon d’un passant auquel la police porta rapidement secours en éteignant le feu. À 18 h 15, au même endroit du pont Malyï Kamennyï, les policiers antiémeute chargèrent les manifestants dans le but de disperser la foule. Courant en rangs serrés, ils divisèrent la foule, arrêtèrent un certain nombre d’individus, en affrontèrent d’autres, et formèrent de nouveaux cordons pour isoler des parties de la foule. Certains manifestants s’emparèrent de barrières métalliques qu’ils alignèrent pour résister aux policiers et leur lancèrent divers projectiles en scandant « honte ! » et d’autres slogans, essayant de ramener vers eux ceux d’entre eux qui se faisaient appréhender par la police. Les policiers eurent recours à des techniques de combat et firent usage de leurs matraques. À 18 h 20, M. Udaltsov monta sur la scène installée à l’extrémité opposée de la place pour s’adresser aux participants au rassemblement, qui étaient à ce moment-là nombreux devant la scène. Toutefois, on découvrit que le matériel de sonorisation avait été débranché. Se saisissant d’un mégaphone, M. Udaltsov se mit à crier : « Chers amis ! Malheureusement, nous avons un problème de sonorisation, mais nous allons poursuivre notre action et l’arrestation de nos camarades ne nous fera pas partir, car un président illégitime sera couronné demain. Nous allons entamer une action de protestation illimitée. Êtes-vous d’accord ? Nous ne partirons pas tant que nos camarades ne seront pas libérés, tant que la cérémonie d’investiture ne sera pas annulée et tant que nous n’aurons pas obtenu un temps d’antenne sur les grandes chaînes de télévision. Êtes-vous d’accord ? Nous sommes le pouvoir ! Chers amis, nous ne sommes pas descendus dans la rue en décembre [2011] et en mars [2012] pour nous accommoder d’élections volées, (...) ni pour voir le chef des escrocs et des voleurs s’assoir sur le trône. Aujourd’hui, nous n’avons pas le choix : soit nous restons ici, soit nous abandonnons le pays aux escrocs et aux voleurs pour six années de plus. Je crois que nous ne devons pas partir aujourd’hui. Nous ne partirons pas ! » À 18 h 21, M. Udaltsov fut arrêté et emmené par des policiers. M. Navalnyy subit le même sort lorsqu’il tenta de monter sur la scène en empruntant l’escalier. Alors qu’il était évacué par la police, il se retourna vers la foule et cria « que personne ne parte ! ». À 18 h 25, la police arrêta M. Nemtsov, qui avait lui aussi essayé de s’adresser aux manifestants depuis la scène. Entre-temps, au niveau du pont Malyï Kamennyï, les policiers avaient continué à disperser la foule, commençant à refouler plusieurs groupes de manifestants du site du rassemblement. À l’aide de mégaphones, ils avaient ordonné aux manifestants de quitter les lieux et de se diriger vers la station de métro. Les opérations de dispersion se poursuivirent pendant au moins une heure, jusqu’à évacuation complète du site du rassemblement. Les rapports sur les événements du 6 mai 2012 et l’enquête ouverte pour « troubles de grande ampleur » Le 6 mai 2012, le colonel de police Deynichenko établit un rapport résumant les mesures de sécurité qui avaient été mises en œuvre à Moscou ce jour-là. Le rapport indiquait que le cortège, qui regroupait quelque 8 000 personnes, s’était mis en route à 16 h 15 en direction de la place Bolotnaïa. Il énumérait les groupes et organisations représentés en précisant leurs effectifs respectifs et mentionnait le nombre et la couleur de leurs bannières, ainsi que le nombre et le contenu de leurs banderoles. Il poursuivait ainsi : « (...) à 17 h 04, les manifestants organisés en cortège (...) se présentèrent devant le [cordon] et exprimèrent leur intention de se rendre directement au pont Bolchoï Kamennyï pour [le traverser] et gagner la place Borovitskaïa. La police (...) leur donna l’ordre de se diriger vers le site du rassemblement place Bolotnaïa. Toutefois, les meneurs du cortège – [MM. Udaltsov, Nemtsov et Navalnyy] – (...) appelèrent par haut-parleur les manifestants à rester où ils étaient et s’assirent par terre, en compagnie d’une trentaine de manifestants. Un autre groupe d’une vingtaine de personnes les imita, répondant à leurs exhortations. La police (...) les mit en garde à plusieurs reprises contre la tenue d’un rassemblement public non autorisé et leur enjoignit de se diriger vers le lieu du rassemblement ou de partir. En outre, deux députés de la Douma, MM. Gennady Gudkov et Dmitry Gudkov, l’ombudsman de la Fédération de Russie, M. Vladimir Lukin, et un membre de la Chambre civique, Nikolaï Svanidze, s’adressèrent aux intéressés, mais ceux-ci les ignorèrent et continuèrent à scander des slogans (...) De 17 h 58 à 19 heures, un certain nombre d’individus essayèrent de rompre le cordon sur le pont Malyï Kamennyï et sur le quai Bolotnaïa, lançant des bouteilles de verre vides, des morceaux de macadam et des barrières métalliques amovibles sur la police. De 17 à 18 heures, de la musique fut diffusée sur la scène (...) À 17 h 20 (...) un député de la Douma de la région de Vologda exhorta les manifestants à se rendre au pont Malyï Kamennyï pour soutenir les participants au sit-in (...) À 18 heures, l’une des organisatrices, Mme Mityushkina (...), annonça depuis la scène la clôture du rassemblement. À 18 h 20, M. Udaltsov monta sur la scène et appela la foule à entamer une action de protestation illimitée. À 19 heures, une vingtaine d’individus, dont Mme Mityushkina (...), essayèrent d’installer trois tentes de camping monoplaces sur le quai Bolotnaïa. (...) Entre 18 et 21 heures, il fut procédé aux opérations requises pour refouler le public du pont Malyï Kamennyï, du quai Bolotnaïa et de la rue Bolotnaïa et arrêter les individus les plus récalcitrants (...), opérations au cours desquelles vingt-huit policiers et militaires [furent blessés] plus ou moins gravement, quatre d’entre eux ayant dû être hospitalisés. Au total, 656 personnes furent placées en détention à Moscou à des fins de prévention des désordres et des manifestations non autorisées (...) (...) Au total, 12 759 membres des forces de l’ordre furent affectés au maintien de l’ordre et de la sécurité à Moscou, dont 7 609 agents de police, 100 agents de la circulation, 4 650 militaires et 400 membres des brigades de volontaires. Les mesures prises par la direction du ministère de l’Intérieur pour la ville de Moscou ont permis d’assurer pleinement le maintien de l’ordre et de la sécurité publics, et d’éviter toute situation d’urgence. » Le même jour, la commission d’enquête de la Fédération de Russie ouvrit une enquête pénale pour troubles de grande ampleur et violences contre la police (articles 212 § 2 et 318 § 1 du code pénal). Le 28 mai 2012, une autre enquête fut ouverte pour organisation de troubles de grande ampleur (article 212 § 1 du code pénal). Le même jour, ces deux procédures furent jointes. Le 22 juin 2012, la commission d’enquête constitua un groupe de vingt-sept enquêteurs auquel elle donna mission d’instruire le volet pénal des événements du 6 mai 2012. À une date non précisée, deux défenseurs des droits de l’homme saisirent la commission d’enquête d’une demande tendant à l’ouverture d’une enquête pénale sur le comportement de la police pendant les événements en question. Dans leur demande, ils se plaignaient notamment de l’annulation d’un rassemblement public autorisé. À une autre date, également non précisée, quarante-quatre défenseurs des droits de l’homme et membres d’organisations non gouvernementales saisirent la commission d’enquête, l’appelant à modérer la répression contre les personnes arrêtées et poursuivies à la suite des événements du 6 mai 2012 et niant que des troubles de grande ampleur se fussent produits place Bolotnaïa. La commission d’enquête interrogea la direction du ministère de l’Intérieur pour la ville de Moscou au sujet de la publication des cartes du rassemblement du 6 mai 2012. Elle obtint la réponse suivante : « (...) le 5 mai 2012, la direction du ministère de l’Intérieur pour la ville de Moscou publia sur son site Internet (...) une note sur « le maintien de l’ordre public à Moscou dans le cadre de la manifestation du 6 mai ». La note en question comportait une carte des restrictions de circulation, des renseignements sur le parcours de la manifestation, des informations sur le site du rassemblement socio-politique qui devait réunir un grand nombre de participants et sur les mesures de sécurité, et elle contenait une mise en garde contre tout agissement illégal lors de la manifestation. La publication de cette note, décidée par le chef de l’unité de liaison avec les médias de la direction du ministère de l’Intérieur pour la ville de Moscou, visait à assurer la sécurité des citoyens et des représentants des médias qui prévoyaient de participer à la manifestation. La note contenait des schémas représentant le parcours approximatif du [cortège] et le lieu prévu pour le rassemblement – « la place Bolotnaïa » – indiqué dans le « plan de maintien de l’ordre public à Moscou pour la journée du 6 mai 2012 ». Le 4 mai 2012, des représentants [des organisateurs et de la direction du ministère de l’Intérieur pour la ville de Moscou] discutèrent des préparatifs du défilé (...), du positionnement des détecteurs de métaux, de l’installation de la scène et d’autres questions d’organisation au cours d’une réunion de travail qui se tint dans les locaux du service régional de sécurité de Moscou. Après cette réunion (...), la [direction du ministère de l’Intérieur pour la ville de Moscou] établit un [plan de sécurité] accompagné d’une carte qui prévoyait que le parc de la place Bolotnaïa serait clôturé par des barrières métalliques [et] que les participants au rassemblement se verraient réserver la chaussée du quai Bolotnaïa. Le parcours de la manifestation et le lieu du rassemblement ayant été arrêtés par les parties à 21 heures lors de cette réunion du 4 mai 2012, le [plan de sécurité] et les cartes de sécurité durent être établis dans un délai extrêmement court (dans la nuit du 4 au 5 mai 2012 et dans la journée du 5 mai 2012) avant d’être entérinés, le 5 mai 2012, par des hauts fonctionnaires de la direction du ministère de l’Intérieur pour la ville de Moscou. Le [plan de sécurité] et les cartes élaborés par la direction du ministère de l’Intérieur pour la ville de Moscou ne furent pas soumis aux organisateurs. Ces documents, qui étaient réservés à un usage interne et qui ne furent donc pas publiés, précisaient les positions des forces de police (...) et fixaient leurs tâches. » À une date non précisée, huit organisations non gouvernementales internationales de premier plan constituèrent une commission internationale d’experts chargée d’analyser les événements survenus place Bolotnaïa le 6 mai 2012 (« la commission d’experts »). Composée de six experts internationaux, elle avait pour mission d’établir les faits en toute indépendance et de porter une appréciation juridique sur les conditions dans lesquelles la manifestation avait été dispersée place Bolotnaïa. En 2013, elle rédigea un rapport de cinquante-trois pages où elle exposait la chronologie des événements du 6 mai 2012 et en donnait une évaluation. Dans ce rapport, la commission énumérait les sources sur lesquelles elle s’était fondée de la façon suivante : « Le travail de la commission s’appuie : – sur des éléments de preuve issus de l’enquête officielle, sur des rapports et des déclarations émanant des autorités compétentes et sur des informations officielles en rapport avec l’affaire ; – sur des renseignements tirés d’enquêtes publiques et sur des observations recueillies par des défenseurs des droits de l’homme, des journalistes et d’autres personnes ; et – sur des rapports d’observateurs et de journalistes, sur des dépositions de témoins et sur des enregistrements vidéo. (...) La commission a élaboré un questionnaire qu’elle a adressé à la municipalité de Moscou, à la commission d’enquête de la Fédération de Russie, aux autorités de police de Moscou, à l’ombudsman de la Fédération de Russie et aux organisateurs de la manifestation pour établir un panorama objectif et exhaustif des événements. Malheureusement, elle n’a pas reçu de réponse de la part de la municipalité, des autorités de police et de la commission d’enquête. En conséquence, l’analyse figurant dans le présent rapport est fondée sur des informations émanant de sources ouvertes, notamment des éléments fournis par les organisateurs de la manifestation, par des observateurs, par des organisations non gouvernementales et par des rapports d’enquête publique, ainsi que sur des renseignements obtenus auprès des avocats qui sont intervenus dans « l’affaire Bolotnaïa ». Il s’agit notamment de déclarations de témoins oculaires, de vidéos filmées par les médias ou par des particuliers, ainsi que de documents et d’informations publics en rapport avec le dossier pénal de l’affaire Bolotnaïa. Les experts ont analysé plus de cinquante heures d’enregistrements vidéo et deux cents documents portant sur les événements survenus place Bolotnaïa. En outre, ils ont rencontré des organisateurs, des participants, ainsi que des observateurs de la manifestation et ils ont assisté à plusieurs audiences tenues dans l’affaire Bolotnaïa. » En ce qui concerne l’organisation du rassemblement du 6 mai 2012, la commission d’experts s’exprima ainsi : « (...) le service régional de sécurité de Moscou annonça le 4 mai [2012] que la manifestation suivrait un parcours analogue à celui de la manifestation du 4 février 2012. Les manifestants devaient se regrouper place Kaloujskaïa, prendre la route à 16 heures en suivant la rue Bolchaïa Iakimanka et la rue Bolchaïa Polianka, puis se rassembler place Bolotnaïa avant de se disperser à 19 h 30. L’autorisation officielle fut notifiée le 4 mai 2012, deux jours seulement avant la date de la manifestation. Le même jour, la direction du ministère de l’Intérieur pour la ville de Moscou publia sur son site Internet un plan montrant que toute la place Bolotnaïa – y compris les jardins publics – serait ouverte aux manifestants, et que le pont Bolchoï Kamennyï serait interdit aux véhicules mais accessible aux piétons. Ce dispositif était identique à celui que les autorités avaient mis en œuvre pour les deux rassemblements précédemment tenus place Bolotnaïa le 10 décembre 2011 et le 4 février 2012. (...) Dans la soirée du 5 mai [2012], la police boucla le parc de la place Bolotnaïa, mesure qui, selon le responsable de la sécurité du site – le colonel Yury Zdorenko, visait à « empêcher les manifestants de dresser un campement et de [commettre] d’autres actes [illégaux] ». Les autorités, qui avaient reçu des informations [donnant à penser] que les manifestants pourraient essayer d’installer un campement de protestation sur le site, avaient décidé de circonscrire le rassemblement au quai Bolotnaïa, laissant aux participants une zone beaucoup plus restreinte que le secteur initialement prévu. (...) Pourtant, les organisateurs ne furent pas informés par la police des changements apportés à l’organisation de la manifestation. Ils ne les découvrirent qu’en arrivant sur le site dans l’après-midi du 6 mai [2012]. Aucun communiqué écrit annonçant la présence à la manifestation d’un représentant spécial des autorités municipales ne fut émis par le conseil municipal et aucun ordre spécifique d’affectation d’un représentant spécial de la direction du ministère de l’Intérieur auprès de la manifestation ne fut donné par le chef de cet organisme, M. Vladimir Kolokoltsev. (...) Les organisateurs avaient demandé un créneau de douze heures pour installer la scène et le matériel de sonorisation nécessaires à la tenue du rassemblement. Toutefois, le matin du 6 mai [2012], les autorités ne leur accordèrent qu’un délai de six heures avant l’arrivée des autres participants. En outre, à 13 h 30, la police interdit aux véhicules transportant le matériel de scène d’accéder au site jusqu’à ce qu’ils aient été fouillés. Quelques tentes ayant été découvertes lors de la fouille, les autorités procédèrent à un certain nombre d’arrestations. À 14 h 50, la police autorisa enfin le camion qui transportait le matériel de scène à accéder à la place Bolotnaïa, soixante-dix minutes seulement avant l’heure prévue pour le départ du cortège. » S’agissant de la dispersion du rassemblement, la commission d’experts exposa ce qui suit : « Alors que le cortège approchait de la place Bolotnaïa, les manifestants découvrirent qu’un cordon de police bloquait l’accès à la plus grande partie de la place, ne leur laissant qu’une bande étroite le long du quai pour tenir leur rassemblement. Un triple cordon de policiers avait été positionné sur le pont Bolchoï Kamennyï, empêchant tout mouvement vers le Kremlin. Le premier cordon, placé près de la jonction du pont Malyï Kamennyï avec le quai Bolotnaïa, était composé d’élèves de l’école de police et d’agents du service de garde et de patrouille qui ne portaient pas d’équipement de protection. Il était suivi de deux rangées d’OMON [policiers antiémeute], d’une ligne de patrouilleurs volontaires (дружинники), et d’un autre cordon d’OMON. Des canons à eau avaient été placés entre le deuxième et le troisième cordon. [Le rapport reproduisait deux photos permettant de comparer le cordon policier mis en place le 4 février 2012, constitué d’une maigre rangée de policiers sans équipement de protection, à celui du 6 mai 2012, composé de plusieurs cordons de policiers antiémeute en tenue de protection complète appuyés par des véhicules lourds.] Les cordons de police bloquant la route vers le Kremlin créaient un goulet qui ralentissait tellement la progression du cortège que celui-ci était pratiquement à l’arrêt lorsque des manifestants tentèrent de traverser le pont. De surcroît, à la sortie du pont Loujkov, les manifestants étaient obligés de franchir un deuxième ensemble de détecteurs de métaux constitué de quatorze portiques seulement, ce qui freinait considérablement la circulation. (...) Vers 17 h 15, le cortège était presque entièrement arrêté. Certains des meneurs du cortège, notamment Sergey Udaltsov, Alexey Navalnyy et Ilya Yashin, exhortèrent les manifestants à s’assoir sur la route devant le cinéma Udarnik – qui faisait face au cordon policier – pour protester [contre] les obstacles mis à la progression du cortège et exiger l’accès au site initialement réservé au rassemblement place Bolotnaïa. De cinquante à deux cents personnes se joignirent au sit-in de protestation. Insistant sur le caractère pacifique de cette action protestataire, les leaders de la manifestation appelèrent les participants à garder le calme. Ils scandaient « nous ne partirons pas » et « la police avec le peuple ». Les leaders essayèrent de s’adresser à la foule à l’aide de haut-parleurs, mais les personnes placées derrière le sit-in ne pouvaient ni entendre ni voir les événements se dérouler. Le sit-in ne bloquait pas entièrement la route, mais il gênait la circulation de ceux qui approchaient des rangs de la police et du goulet causé par le cordon de police, si bien que la foule devenait de plus en plus dense à mesure que les manifestants affluaient de la rue Bolchaïa Iakimanka. (...) À 17 h 42, le chef de [la direction du ministère de l’Intérieur pour la ville de Moscou] fit paraître le communiqué suivant : « Les organisateurs du rassemblement et d’autres participants refusent de se rendre au lieu prévu pour le rassemblement (place Bolotnaïa). Ils se sont arrêtés sur la route, près du théâtre Udarnik. Certains d’entre eux se sont assis par terre, bloquant la progression du cortège. Bien que la police les ait sommés à plusieurs reprises de se diriger vers le site du rassemblement, ils restent sur place, créant un risque réel d’encombrement potentiellement dangereux pour les participants. Une commission d’enquête a été dépêchée sur les lieux pour consigner les actes d’incitation à troubler gravement l’ordre public et se prononcer par la suite sur l’opportunité d’engager des poursuites pénales. » Vraisemblablement lassés d’attendre debout, quelques manifestants commencèrent à quitter les lieux. Certains d’entre eux essayèrent de franchir le cordon de police, mais les policiers refusèrent de les laisser passer, leur ordonnant de rebrousser chemin à travers la foule en direction de la rue Bolchaïa Polianka, bien que cela fût pratiquement impossible. La police utilisait des haut-parleurs pour indiquer aux manifestants le site du rassemblement, leur demandant de se diriger directement vers la place Bolotnaïa sans s’arrêter sur le pont, bien que la plus grande partie de la place leur fût interdite. Elle les avertit que toutes les activités qui se dérouleraient sur le pont pourraient être déclarées illégales. Transmises par un matériel de sonorisation défaillant, ces instructions ne furent entendues que des manifestants qui se trouvaient à proximité de la police, demeurant inaudibles pour la majorité d’entre eux. (...) Confrontés aux premières difficultés, les manifestants qui tentaient de traverser le pont Malyï Kamennyï essayèrent à plusieurs reprises de négocier avec la police pour obtenir un déplacement des cordons qui leur aurait permis d’accéder à la place Bolotnaïa. Vers 17 h 30, M. Dmitry Oreshkin, membre du Conseil présidentiel des droits de l’homme, et M. Gennady Gudkov, député, essayèrent d’engager un dialogue avec les autorités de police, sans recevoir de réponse de leur part. Peu après la rupture du cordon policier provoquée à 18 h 20 par des manifestants, un groupe de défenseurs des droits de l’homme s’entretint avec le chef du service de presse [de la direction du ministère de l’Intérieur pour la ville de Moscou], le colonel Biryukov. À 19 heures, le député Ilya Ponomarev tenta de parlementer avec les autorités pour mettre fin aux affrontements violents qui avaient éclaté sur le quai, en vain. Bon nombre des organisateurs de la manifestation ont déclaré qu’ils avaient essayé d’entrer en contact avec la police tout au long de la journée pour assurer le déroulement pacifique de la manifestation. Déclaration de Nadezhda Mityushkina : « J’ai essayé de trouver les responsables du ministère de [l’Intérieur] pour résoudre les problèmes d’organisation, en vain. Je savais qui contacter si nous avions besoin d’aide en cas de difficulté... Ce n’est que vers 18 heures ou 18 h 30 qu’un policier est venu à ma rencontre. L’ayant rencontré lors de précédentes manifestations, je savais qu’il était l’officier supérieur responsable de la communication avec les organisateurs (...) et il m’a dit que les autorités avaient suspendu la manifestation. Il m’a demandé d’annoncer depuis la scène, en ma qualité d’organisatrice, que la manifestation était terminée, ce que j’ai fait après notre conversation. » Déclaration d’Igor Bakirov : « Un policier en uniforme de colonel m’a rencontré, une fois seulement, et je lui ai montré les documents [prouvant] que j’étais l’un des organisateurs de la manifestation. Par la suite, lorsque des heurts avec la police se sont produits, je n’ai trouvé personne avec qui communiquer et coopérer. » Déclaration de Sergey Davidis : « Personnellement, je n’ai pas rencontré ni eu le temps de contacter les autorités au sujet des barrières installées autour du site du rassemblement. J’ai supposé que d’autres organisateurs avaient déjà discuté de cette question avec les autorités ou étaient en train d’en discuter à ce moment-là. Il n’y avait personne à contacter et rien à discuter, je ne voyais que les agents de l’OMON qui manifestaient un comportement agressif et qui n’étaient pas disposés à dialoguer. » (...) À 17 h 55, alors que les manifestants essayaient de se frayer un chemin à travers l’espace étroit ménagé entre le cordon de police et le quai pour gagner la place Bolotnaïa, le cordon de police avança de deux pas, comprimant encore la foule, qui réagit en repoussant les forces de l’ordre. Le cordon de police se rompit en plusieurs endroits et plusieurs dizaines de personnes se retrouvèrent dans l’espace libre situé derrière lui. Il est impossible de savoir si le cordon avait cédé sous l’effet d’une action délibérée de certaines parties de la foule ou de la simple pression exercée par le nombre considérable de manifestants. Il y avait des jeunes hommes parmi ceux qui avaient franchi le cordon, mais aussi bon nombre de personnes plus âgées et d’individus qui ne ressemblaient pas à des casseurs. Les personnes qui avaient franchi le cordon ne manifestèrent aucun signe d’agressivité et prirent la direction de l’entrée [du parc de la place] Bolotnaïa, où devait se tenir le rassemblement. La rupture du cordon de police suscita des réactions très diverses parmi les manifestants. Certains d’entre eux essayèrent de quitter les lieux, d’autres incitèrent la foule à enfoncer les rangs des policiers, d’autres encore tentèrent de l’empêcher de [piétiner] ceux qui participaient au sit-in de protestation. La pression et la tension s’accroissant, ces derniers se relevèrent de crainte d’être piétinés. La confusion était à son comble, les gens ne savaient pas au juste ce qui se passait. (...) Juste après la rupture du cordon, survenue vers 18 heures, un cocktail Molotov lancé depuis la foule s’écrasa derrière les rangs de la police et enflamma le pantalon d’un (...) manifestant de soixante-quatorze ans qui était passé derrière le cordon. Les policiers éteignirent le feu avec des extincteurs. Ce fut le seul incident de ce genre enregistré au cours de la journée (...) (...) Peu après la rupture du cordon, les autorités commencèrent à appréhender ceux qui l’avaient franchi et à les conduire vers des zones de rétention spéciales. Les policiers arrêtèrent également certains manifestants qui se trouvaient en tête de la manifestation mais qui n’avaient pas essayé de rompre le cordon. Il leur fallut environ quatre minutes pour rétablir entièrement le cordon. (...) (...) À 18 h 10, Sergey Udaltsov, Alexey Navalnyy et Boris Nemtsov se frayèrent un chemin depuis le cinéma Udarnik vers la scène installée sur le quai, entraînant derrière eux de nombreuses personnes. Le cordon policier qui bloquait l’accès à la scène les autorisa à passer. Alors qu’ils s’apprêtaient à ouvrir le meeting, la police intervint. (...) (...) Par la suite, des agents de l’OMON appréhendèrent Sergey Udaltsov sur la scène, puis Boris Nemtsov et Alexey Navalnyy. Vers 18 h 50, les organisateurs commencèrent à démonter la scène. (...) Au cours des deux heures qui s’écoulèrent entre 18 et 20 heures, la manifestation oscilla entre deux stades. La plupart du temps, les manifestants et la police se faisaient face dans un calme relatif. Cependant, ces périodes de calme étaient entrecoupées de poussées de la police qui faisaient reculer la foule sans autre but apparent que de la fractionner, mais qui avaient surtout pour effet d’accroître la tension et d’inciter certains manifestants à repousser la police. Il existe peu d’indices permettant d’imputer aux manifestants l’origine des violences. Il semblerait plutôt que la foule n’ait fait preuve d’agressivité qu’en réaction à l’avancée des forces de l’ordre. Durant ces affrontements, certains manifestants lancèrent des objets sur les policiers, qui firent abondamment usage de leurs matraques. Les manifestants répliquèrent par des jets de bouteilles en plastique, de chaussures et de parapluies (...) Vers 18 h 20, la police annonça l’interruption du rassemblement et ordonna aux manifestants de se disperser. Elle diffusa par haut-parleurs le message suivant : « Chers concitoyens, ne troublez pas l’ordre public, faute de quoi nous devrons faire usage de la force, conformément à la loi ! Veuillez quitter les lieux sans vous arrêter et prendre la direction du métro. » Toutefois, les haut-parleurs utilisés par la police n’étaient pas suffisamment puissants pour que la majorité de la foule puisse entendre cet avertissement. Il est possible que seules les personnes qui se trouvaient à proximité des haut-parleurs aient eu connaissance de l’ordre de dispersion. Les ordres lancés par la police étaient quelque peu confus puisqu’au même moment (...) le chef du service de presse [de la direction du ministère de l’Intérieur pour la ville de Moscou], le colonel Biryukov, indiquait à un groupe de défenseurs des droits de l’homme – parmi lesquels figuraient Vladimir Lukin, Dmitry Oreshkin, Victor Davydov et Nikolaï Svanidze – que les manifestants pouvaient continuer à se diriger vers la place Bolotnaïa pour participer au rassemblement. (...) Vers 18 h 30, la foule massée à l’angle du pont Malyï Kamennyï et du quai fut séparée en deux. Les manifestants qui se trouvaient sur le pont furent refoulés vers la rue Bolchaïa Polianka et ceux qui étaient attroupés sur le quai furent coupés des ponts Bolchoï et Malyï Kamennyï. (...) Vers 18 h 54, le cordon de police qui barrait la bordure du quai près du pont Loujkov fut levé de façon à laisser les manifestants circuler librement sur le quai Bolotnaïa. Une quinzaine de minutes plus tard, quelque deux cents policiers en tenue de protection qui avaient formé un cordon au niveau du pont Loujkov commencèrent à refouler les manifestants vers la rue Lavrouchinskiï (qui part de la place Bolotnaïa et aboutit à la station de métro Tretiakovskaïa). Au même moment, la police entreprit de faire refluer la foule depuis le pont Loujkov vers le cinéma Udarnik le long du quai Bolotnaïa. Ceux qui étaient restés sur le pont s’accrochèrent les uns aux autres pour opposer une résistance passive à la police, mais celle-ci continua à avancer, dispersa la foule et commença à arrêter des manifestants. (...) Vers 19 h 47 (...) les autorités ménagèrent un couloir pour permettre aux manifestants de quitter le secteur de Bolotnaïa. (...) À 19 h 53, un groupe d’agents de l’OMON surgit des buissons des jardins de Bolotnaïa et sépara les manifestants demeurés sur place en deux groupes. Ceux du premier groupe purent se diriger vers le pont Malyï Kamennyï, mais ceux qui se trouvaient de l’autre côté furent totalement bloqués entre les rangs de la police. (...) À 20 h 08, les derniers groupes de manifestants quittèrent lentement le quai en suivant un couloir formé par les policiers. La police commença aussi à faire circuler les personnes qui se trouvaient sur le quai Kadachevskaïa, de l’autre côté du canal Obvodnoï. Certaines d’entre elles furent appréhendées, les autres furent refoulées le long de la rue Bolchaïa Polianka, en direction de la rue Lavrouchinskiï. Entre 21 et 22 heures, près de 2 000 manifestants défilèrent dans la rue Bolchaïa Ordynka en scandant des slogans (...) et les agents de l’OMON commencèrent à procéder à des arrestations et à disperser énergiquement le cortège. » Le 20 mars 2013, la section Zamoskvoretskiï de la commission d’enquête rejeta dix plaintes individuelles et deux demandes officielles de renseignement sur l’affaire déposées respectivement par M. I. Ponomarev, député de la Douma, et M. A. Babushkin, président de la Commission publique de surveillance de Moscou. Dans leurs plaintes et demandes de renseignement, les intéressés alléguaient que la police avait enfreint la loi en dispersant le rassemblement dans la journée du 6 mai 2012, notamment en ce qu’elle avait fait un usage excessif de la force et qu’elle avait procédé à des arrestations arbitraires. La commission d’enquête interrogea l’un des dix plaignants et quatre officiers de police – dont des commandants d’escadrille et de régiment – qui avaient fait partie du cordon de police bouclant la place Bolotnaïa. Ces derniers déclarèrent notamment qu’ils avaient ordre de garantir la sécurité publique, ainsi que d’identifier et d’arrêter les fauteurs de troubles les plus actifs, indiquant que seules les personnes qui avaient refusé d’obtempérer aux injonctions de la police avaient été arrêtées et que le recours à la force n’avait pas été injustifié. Ils ajoutèrent que la police avait employé des manœuvres de combat et des matraques lors de ses interventions, mais qu’elle n’avait pas eu recours à des gaz lacrymogènes ou à d’autres moyens de contrainte exceptionnels. Le commandant d’escadrille S. expliqua qu’il avait été affecté au secteur jouxtant la scène, qu’il n’y avait pas eu d’incidents ou de troubles dans ce secteur et que personne n’y avait été arrêté. La décision de la commission indiquait que treize autres enquêtes internes avaient été menées à la suite de plaintes individuelles et de signalements médicaux, que les allégations de violences avaient été déclarées non fondées dans six de ces affaires et que le comportement de la police avait été jugé régulier dans les sept autres. En ce qui concerne le fond des griefs dont elle était saisie, la commission d’enquête s’exprima ainsi : « (...) après avoir traversé le pont Malyï Kamennyï, les meneurs du cortège firent halte. Bon nombre de manifestants les dépassèrent, se dirigeant vers la place Bolotnaïa pour atteindre la scène (...) Alors que les participants au cortège occupaient déjà la quasi-totalité du quai Bolotnaïa, qui était borné d’un côté par un cordon de police et de l’autre par la scène, les organisateurs de la manifestation s’étaient arrêtés quelque part entre le pont Malyï Kamennyï, la place Bolotnaïa, [le parc] et le cinéma Udarnik (...) À ce moment-là, les organisateurs demandèrent à la police de les laisser circuler vers le Kremlin. La police leur répondit qu’elle ne laisserait personne se diriger vers le Kremlin, étant donné que la manifestation avait été autorisée place Bolotnaïa, où une scène avait été spécialement installée à cette fin, et leur ordonna de s’y rendre. Les organisateurs décidèrent d’appeler à la tenue d’un sit-in pour protester contre ce refus et exhortèrent les personnes présentes à désobéir aux ordres légitimes de la police. Par la suite, les participants au rassemblement se regroupèrent devant le cinéma Udarnik, où ils tentèrent peu après de rompre le cordon de police, ce que [les policiers] ne purent empêcher. La police réagit en arrêtant les individus les plus activement impliqués dans la rupture du cordon, les enferma dans un fourgon de police et les conduisit vers des commissariats de Moscou. Après avoir mis fin aux affrontements et appréhendé les fauteurs de troubles les plus actifs, la police dispersa en douceur les autres manifestants. Dès le début du sit-in de protestation, elle avait lancé un appel aux participants par haut-parleurs leur demandant de se diriger vers la scène et de ne pas se livrer à des provocations ou à des actes illégaux. Ces demandes n’eurent aucun effet, ce qui indique [clairement] que la rupture du cordon de police avait été préméditée. Les policiers dispersèrent le sit-in en agissant ensemble de manière coordonnée, sans recourir à la force ou à des moyens de contrainte spéciaux. En revanche, les agents chargés d’appréhender les contrevenants durent employer la force et des moyens de contrainte spéciaux, en tant que de besoin, contre les individus récalcitrants. Plus tard, la police employa de nouveau la force et des moyens de contrainte spéciaux pour circonscrire les heurts localisés qui avaient éclaté aux alentours du pont Malyï Kamennyï et à un angle [du parc]. Toutes les personnes arrêtées place Bolotnaïa furent conduites dans des commissariats (...) Par la suite, des procès-verbaux d’infraction administrative furent transmis à des juges de paix pour examen au fond. (...) L’article 42 du code pénal dispose que les actes des agents publics rattachables à l’exercice de leurs fonctions officielles qui ont porté atteinte à un intérêt protégé par la loi ne peuvent constituer une infraction pénale s’ils ont été accomplis en vertu d’un ordre ou d’une consigne impératifs. (...) Après avoir appelé à la tenue d’un sit-in de protestation (...) [les organisateurs] provoquèrent des troubles de grande ampleur au cours desquels les manifestants lancèrent divers projectiles sur les policiers, blessant certains d’entre eux. La situation ayant dégénéré, les policiers arrêtèrent les fauteurs de troubles en faisant un usage justifié de la force et en employant des moyens de contrainte spéciaux contre ceux qui résistaient. (...) Au vu de ce qui précède, il n’y a pas lieu d’ouvrir une procédure pénale contre les policiers (...), aucune infraction n’étant constituée. » Le 24 mai 2013, la première procédure pénale ouverte contre douze personnes soupçonnées d’avoir gravement perturbé l’ordre public (« la première affaire Bolotnaïa ») fut portée devant le tribunal du district Zamoskvoretskiï de Moscou pour examen au fond des accusations dirigées contre les intéressés. Le 2 décembre 2013, M. Navalnyy témoigna devant le tribunal. Il déclara notamment ce qui suit : « Nous, les organisateurs politiques et officiels de la manifestation, avions tous une idée claire de son déroulement (...) et la mairie de Moscou avait confirmé que la manifestation serait identique à celle du 4 février 2012. La place Bolotnaïa est l’un des endroits où se tiennent habituellement les divers événements organisés par l’opposition. Nous avions une connaissance précise du parcours prévu, du lieu où serait installée la scène et de l’organisation de la manifestation. Nous étions venus participer à une manifestation plutôt classique, habituelle, dont le déroulement était bien connu de tous (...) deux jours avant, des cartes où figuraient le site du rassemblement et le parcours du cortège avaient été publiées sur le site Internet [d’actualités] officiel RiaNovosti, où elles se trouvent encore. Le site Internet [de la police] « Petrovka, 38 » avait aussi publié une carte, qui s’y trouve encore. Pour nous, les organisateurs, mais aussi pour les manifestants, la direction à prendre était claire (...) à l’approche du point de rassemblement (...) nous avons constaté que la configuration du site était très différente de celle qui figurait sur la carte montrant l’endroit où les gens étaient censés se rassembler sur la place. Elle différait fondamentalement du dispositif représenté sur la carte du 4 février [2012], et surtout de celui arrêté en accord avec la mairie de Moscou, qui avait été publié sur les sites Internet RiaNovosti et « Petrovka, 38 » (...) et qui prévoyait que les manifestants se rassembleraient sur le quai et la place Bolotnaïa. Or, à notre arrivée, nous avons vu que le parc de la place Bolotnaïa, qui occupe environ 80 % de la place, était fermé et entouré par un cordon (...) qui ne correspondait pas aux indications [de la carte], raison pour laquelle le cortège a fait halte. J’ai attendu, en compagnie des autres organisateurs et des manifestants qui affluaient, que cette difficulté soit réglée, que la police démantèle ce cordon positionné là par erreur et que les autorités policières nous expliquent pourquoi des changements avaient été apportés et pourquoi le rassemblement ne se déroulait pas comme convenu (...) J’avais déjà organisé [un certain nombre de manifestations] avant celle-là. Quelqu’un avait dû emporter la carte et y modifier le lieu du rassemblement. Cela n’était pratiquement jamais arrivé auparavant (...) pour montrer par l’exemple que nous n’irions nulle part, nous nous sommes assis par terre (...) le premier rang du cordon [de police], composé de conscrits d’une vingtaine d’années, s’est rompu sous la pression d’un millier de personnes, c’était inévitable. La situation est dès lors devenue incontrôlable : des policiers se déplaçaient avec des mégaphones, essayant de s’adresser à la foule sans pouvoir se faire entendre, tandis que des militants en faisaient autant, sans plus de succès. Aucun représentant des autorités n’était présent sur les lieux. Et [il était] impossible de savoir qui commandait. Cette situation a abouti à la rupture du cordon de police, débordé par la foule qui s’est répandue dans l’espace dégagé (...) J’ai ensuite essayé de me frayer un chemin jusqu’à la scène pour m’adresser à l’assemblée par haut-parleur et lui expliquer ce qui se passait, sans savoir que la police avait déjà débranché le matériel de sonorisation. [Question au témoin] Quelqu’un a-t-il essayé de négocier avec les participants au sit-in de protestation ? – Nous avons tenté tout ce qui était possible au regard des circonstances (...) nous avons tous fait halte pour savoir où étaient les représentants de la mairie et de la direction du ministère de l’Intérieur. Nous avons interrogé tous les [hauts] responsables de la police à ce sujet, mais ils se sont contentés de hausser les épaules. Personne ne comprenait ce qui se passait. Les députés de la Douma qui étaient parmi nous ont proposé leurs bons offices, mais (...) ils nous ont informés que personne n’était disposé à nous rencontrer. Nous avons aperçu au loin des policiers qui paraissaient être des officiers supérieurs (...), mais il nous était impossible de les approcher (...) et nous ne pouvions pas davantage parvenir au commandement [de la police]. Personne n’est venu à notre rencontre. Nous voulions tous négocier, mais il n’y avait personne avec qui négocier. (...) Lors de mon incarcération dans le centre de détention, j’ai porté plainte pour entrave à une manifestation publique pacifique. Dans cette plainte dirigée contre la direction du ministère de l’Intérieur pour la ville de Moscou, j’ai expliqué les raisons pour lesquelles je pensais que de nombreux éléments démontraient que les agents de la direction du ministère de l’Intérieur pour la ville de Moscou avaient délibérément provoqué la panique dans la foule, de façon à pouvoir alléguer plus tard qu’il y avait eu des troubles de grande ampleur. » Le même jour, M. Davidis témoigna dans la première affaire Bolotnaïa. Il déclara notamment ce qui suit : « Les négociations avec [la mairie] ont été très difficiles pour cette manifestation (...) J’avais participé à l’organisation de la plupart des manifestations depuis le 25 décembre 2011. Il avait toujours été possible de respecter les délais, de trouver un compromis, [mais pas cette fois]. (...) L’autorisation écrite nous a été notifiée le 4 mai 2012 [seulement]. La réunion de travail s’est tenue le même jour (...) En temps normal, tout est réglé cinq jours au plus tard avant la date de la manifestation. Mais cette fois, nous n’avons eu guère plus de vingt-quatre heures. Nous n’avons même pas été autorisés à conduire les véhicules transportant la scène sur la place avant 13 heures [le 6 mai 2012]. Les conditions qui nous ont été imposées étaient très difficiles (...) nous n’avons eu que trois heures pour installer la scène (...) Lors de la réunion de travail, nous avons discuté sur des points techniques, mais les manifestations antérieures avaient toujours été précédées d’une reconnaissance du terrain par les représentants respectifs des organisateurs et de la police (...), qui avaient visité les lieux, effectué le parcours et déterminé l’emplacement des barrières, de la scène et des toilettes afin d’éviter tout malentendu quant au déroulement des événements. Mais cette fois, étant donné que la réunion de travail était prévue pour le 4 [mai 2012] et que la manifestation devait se dérouler le 6 [mai 2012], nous savions déjà lors de cette réunion que nous n’aurions pas le temps de reconnaître le terrain. C’est pourquoi nous avons retenu la proposition de M. Deynichenko, qui consistait à organiser la manifestation sur le modèle de celle du 4 février [2012]. Nous avons donc opté pour un cortège qui devait partir de la place Kaloujskaïa et se terminer par un rassemblement place Bolotnaïa, à cette différence près que la scène serait cette fois installée un peu plus près du parc de la place Bolotnaïa, dans un angle de ce parc, parce que nous pensions au départ que la manifestation regrouperait 5 000 participants. Nous avions l’impression que les gens étaient déçus, quelque peu déprimés, et que la participation serait faible. Lorsque nous avons compris qu’il y aurait davantage de participants que prévu, j’en ai informé M. Oleynik [le premier adjoint au chef du service régional de sécurité], qui nous a déclaré qu’il ne pouvait l’accepter. Mais il était clair que nous ne pouvions rien y faire, et nous l’avons averti que les participants seraient beaucoup plus nombreux (...) Lorsque nous avons appelé M. Deynichenko le lendemain, il nous a répondu qu’il avait reçu une carte établie par la direction du ministère de l’Intérieur, et que M. Udaltsov pourrait venir dans la journée pour voir s’il fallait éclaircir tel ou tel point. Au cours de la journée, M. Deynichenko a reporté la réunion à plusieurs reprises, puis il n’a plus répondu à nos appels téléphoniques. Il n’a donc pas été possible d’examiner la carte et d’en discuter. [Question au témoin] La fermeture du parc avait-elle été évoquée lors de la réunion de travail, ou plus tard ? – Non, bien sûr que non. La manifestation du 4 février [2012] avait été organisée de manière à ce que le rassemblement se déroule sur la place Bolotnaïa, qui comprend le parc et le quai Bolotnaïa. Nous sommes partis du principe que les manifestants (...) se dirigeraient vers le parc [comme auparavant]. Nous avons convenu que tout serait identique à [la fois précédente], sauf la position de la scène, qui devait être avancée de vingt mètres, cela a été expressément mentionné. Nous nous sommes basés sur cette hypothèse. [Question au témoin] Avec quelles personnes avez-vous convenu de reconduire à l’identique le positionnement des forces de sécurité ? [Quel est] leur nom ? – Nous en avons parlé lors de la grande réunion de travail tenue dans le bureau de M. Oleynik et en présence de celui-ci. Lorsque nous avons compris que nous n’aurions pas le temps d’effectuer une reconnaissance du terrain, M. Deynichenko nous a proposé de suivre le même parcours que celui de la manifestation précédente, puisque nous l’avions déjà emprunté. (...) (...) Nadezhda Mityushkina m’a téléphoné à plusieurs reprises pour m’informer qu’elle avait des difficultés à acheminer le matériel (...) et qu’elle n’avait pu rencontrer aucun responsable. D’habitude, c’est le représentant de la police qui est responsable de la manifestation, pour le cortège d’une part et le rassemblement d’autre part. Alors que je me dirigeais vers le secteur réservé au cortège et avant même que je ne franchisse les portiques détecteurs de métaux, j’ai été appelé par le colonel Makhonin, qui est habituellement chargé des manifestations. Nous nous sommes rencontrés. Je lui ai remis un engagement écrit de ne pas enfreindre la loi (...) Je lui ai dit que [deux membres de l’organisation] avaient été arrêtés [non loin de la scène] (...) il m’a promis de les relâcher (...) [Question au témoin] Quels ont été les propos exacts du colonel Makhonin ? La fixation des lieux réservés au défilé et au rassemblement a-t-elle été filmée ? – Non, nous n’en avons pas parlé (...) (...) à la sortie [du pont Malyï Kamennyï], le cortège a fait halte (...) un certain nombre de personnes se sont assises par terre (...) après avoir exigé, à juste titre, qu’on leur laisse plus d’espace. Je n’ai pas pu me frayer un chemin jusque-là. J’ai appris que les deux [députés de la Douma] menaient des négociations, et j’ai pensé qu’ils parviendraient à régler ce problème (...) à un certain moment, Mme Mityushkina m’a téléphoné pour me dire que la police exigeait l’arrêt de la manifestation. Je lui ai expliqué (...) que si la police considérait qu’il y avait eu des infractions, elle devait nous laisser le temps d’y remédier, mais qu’elle ne pouvait mettre immédiatement fin à la manifestation. J’ai téléphoné à M. Udaltsov (...) pour lui dire que nous arrivions et qu’[il ne fallait] rien arrêter. Mais lorsque je suis arrivé à l’intersection, le sit-in de protestation était déjà terminé. Ceux qui l’avaient organisé et [d’autres] personnes essayaient de s’approcher de la scène (...) (...) La carte publiée sur le site Internet officiel [de la direction du ministère de l’Intérieur pour la ville] de Moscou fixait la limite [du site du rassemblement] à l’extrémité du parc et non à proximité de celui-ci, conformément à ce qui avait été convenu et à l’image de ce qui avait été arrêté pour la manifestation du 4 février 2012 (...) tous les accords passés ont été violés. [Question au témoin] Au cours de la réunion de travail du 4 [mai 2012] ou au début de [la manifestation], la direction du ministère de l’Intérieur vous a-t-elle enjoint de vous abstenir de vous livrer à des provocations et de fomenter des troubles à l’ordre public ou d’installer un campement ? – Non, nous n’avons pas abordé ces sujets avec la police. (...) [Question au témoin] Le port d’un badge facilite-t-il en principe le dialogue avec la police ? – Non, cela ne change rien. J’ai téléphoné moi-même à M. Deynichenko pour lui demander de prendre des mesures. Nous n’avons eu aucun dialogue avec la police. Les policiers n’ont pas répondu à nos appels téléphoniques. [Je] n’ai pas réussi à trouver un responsable de la police. (...) [Question au témoin] À quel moment, selon les règles applicables, (...) les organisateurs et la municipalité doivent-ils désigner leurs coordinateurs ? – La loi ne le dit pas expressément (...) nous n’avons reçu aucun document de [la mairie de Moscou] et de la direction du ministère de l’Intérieur. Nous n’avons pas été informés de l’identité du responsable. [Question au témoin] Voulez-vous dire que vous ne connaissiez pas le nom des responsables au début de la manifestation et au cours de celle-ci ? – Nous ne connaissions que le colonel Makhonin, qui était responsable du cortège. (...) [Question au témoin] Lorsque la situation d’urgence est survenue, qui avez-vous essayé de contacter à la direction du ministère de l’Intérieur (...) ? – À ce moment-là, j’avais renoncé à essayer de contacter quelqu’un. J’avais appris que [les deux députés de la Douma] menaient des négociations. J’ai appelé M. Udaltsov pour l’informer que les autorités tentaient de mettre fin au rassemblement, mais il m’a répondu qu’ils se dirigeaient vers la scène et qu’ils avaient levé le sit-in de protestation. (...) [Question au témoin] Pourquoi la police a-t-elle annoncé l’interdiction de la manifestation ? – La raison pour laquelle cette décision a été prise m’échappe. La police a elle-même entravé le déroulement de la manifestation, avant d’y mettre un terme de son propre chef (...) (...) [Question au témoin] L’interruption [de la manifestation] s’expliquait-elle par la tenue du sit-in de protestation ? – Oui, d’après ce que m’en a dit Mme Mityushkina. [Question au témoin] Comment la police a-t-elle transmis ses ordres ? Par haut-parleur ? – Il ne me semble pas que ces ordres aient fait l’objet d’une [annonce] générale. Ils se sont plutôt traduits par le recours à la force. Mais certaines consignes ont été données à l’aide de mégaphones, il n’y avait pas d’autres moyens. » Le 5 décembre 2013, M. Nemtsov témoigna dans la première affaire Bolotnaïa, déclarant ce qui suit : « (...) Je n’ai pas participé à l’organisation de la manifestation, mais je savais exactement dans quelles conditions elle avait été autorisée. Une carte où figuraient l’emplacement [du cordon de] police et les points d’accès avait été publiée sur le site Internet de la direction du ministère de l’Intérieur pour la ville de Moscou. Sur cette carte, qui avait été rendue publique, le parc de la place Bolotnaïa était accessible, alors qu’il était fermé en réalité. De plus, dans un communiqué public que nous avions diffusé sur Internet et qui avait été repris par les médias, nous avions annoncé que le parcours serait exactement identique à celui du 4 février 2012 (...) lors de la manifestation autorisée qui s’était déroulée ce jour-là (...) la place [Bolotnaïa] était entièrement accessible et il n’y avait pas de cordon de police sur le pont Bolchoï Kamennyï (...) Nous avions pu atteindre la place sans difficulté, il n’y avait eu aucune échauffourée (...) nous étions sûrs qu’il en irait de même le 6 mai 2012 (...), mais la police nous a dupés en bloquant la place Bolotnaïa et en ne nous laissant qu’un passage très étroit. Lorsque nous avons compris qu’il serait difficile de franchir ce goulet, nous nous sommes arrêtés et, pour montrer à la police que nous n’allions pas fondre sur le Kremlin et le pont [Bolchoï] Kamennyï, nous nous sommes assis par terre (...) M. Gudkov [député de la Douma] (...) a proposé de servir d’intermédiaire dans les négociations entre les manifestants et la police (...) nous avons attendu, tout était calme (...) M. Gudkov a essayé à plusieurs reprises d’entamer des négociations, en vain. Il était clair que (...) la foule était sur le point de céder à la panique. Nous nous sommes levés. Et de terribles affrontement ont commencé (...) Je me suis dirigé [vers la scène] (...) et quand j’y suis arrivé, j’ai été témoin d’une scène qui n’est pas habituelle dans une manifestation autorisée. Tous les microphones avaient été coupés, et MM. Navalnyy et Udaltsov ont été arrêtés sous mes yeux. La police ne se comporte jamais ainsi dans les manifestations autorisées. J’ai pris un mégaphone pour m’adresser à la foule, mais je n’ai pas parlé longtemps. Au bout de quelques minutes, j’ai été appréhendé par la police. (...) [Question au témoin] À votre avis, pour quelles raisons la police était-elle, selon vos propres termes, particulièrement agressive ? – La manifestation avait lieu la veille de l’investiture de M. Poutine. La police avait évidemment reçu des ordres très stricts, et elle avait une peur paranoïaque d’un nouveau « Maïdan ». La déloyauté dont elle a fait preuve en rompant l’accord et en bouclant la place prouve qu’elle avait reçu des ordres politiques. J’ai été particulièrement surpris du comportement de l’adjoint au maire, M. Gorbenko, qui était l’interlocuteur de M. Gudkov dans les négociations. C’est un homme raisonnable, mais il avait l’air d’un zombie, il refusait de négocier avec M. Gudkov. C’était étrange (...) il ne voulait pas parler comme un être humain. [Question au témoin] Saviez-vous qu’il était envisagé d’installer des tentes ou de rompre le cordon de police ? – Non, je ne le savais pas à ce moment-là. (...) Nous avons simplement exigé que [les autorités] respectent ce qui avait été convenu avec [les organisateurs]. » Le 18 décembre 2013, Mme N. Mirza, directrice du secrétariat de l’ombudsman, témoigna dans la première affaire Bolotnaïa. Elle fit notamment les déclarations suivantes : « (...) [le 6 mai 2012], j’étais présente en qualité d’observatrice (...) contrairement aux dispositions habituellement prises pour les manifestations se déroulant place Bolotnaïa, le parc était [ce jour-là] bouclé par un cordon (...) alors que nous franchissions les portiques détecteurs de métaux (...) M. Biryukov nous a appelés pour nous demander de revenir immédiatement (...) vers le pont Malyï Kamennyï (...) parce que [des manifestants] s’étaient assis par terre (...) [L’ombudsman] a essayé de les convaincre de se relever et d’aller encadrer le rassemblement (...) à ce moment-là, le [deuxième] cordon de la police antiémeute, qui était positionné entre le pont Bolchoï Kamennyï et le pont Malyï Kamennyï, s’est apparemment rapproché de la foule, accroissant la pression des deux côtés (...) J’ai essayé de quitter la zone encombrée (...) en montrant mon badge d’observateur (...), mais les policiers antiémeute ne m’ont pas écoutée, ils ont ri un peu et ont continué à pousser la foule, sans autre réaction. J’étais un peu surprise, car nous étions présents à la demande de la direction du ministère de l’Intérieur pour la ville de Moscou. (...) Le dispositif de défense à plusieurs niveaux qui était déployé sortait de l’ordinaire. Le pont Bolchoï Kamennyï était bouclé comme en temps de guerre, sans nécessité à notre avis (...) nous avons vu des individus masqués parmi les manifestants, ce que nous avons signalé à la police [parce que] c’était insolite. L’état d’esprit de la direction du ministère de l’Intérieur et de la police antiémeute était aussi inhabituel. L’un des chefs de la police de la direction du ministère de l’Intérieur pour la ville de Moscou, M. Biryukov, m’a dit entre autres qu’il ne pouvait rien faire, qu’il n’était pas responsable de la police antiémeute, et que celle-ci rendait compte à la police [fédérale], ce qui nous a paru étonnant. En parlant avec l’adjoint au maire (...) j’ai vu combien il était contrarié ; sa seule présence sur les lieux était en soi [exceptionnelle]. (...) M. Biryukov, de la direction du ministère de l’Intérieur, m’a dit plus tard que [certains manifestants s’étaient assis par terre] parce que le passage avait été réduit, ce qui était effectivement le cas, je peux le confirmer, je l’ai vu, il était beaucoup plus étroit que d’habitude et il y avait des portiques détecteurs de métaux qui n’étaient pas censés se trouver là. (...) M. Biryukov était le responsable désigné par la direction du ministère de l’Intérieur pour la ville de Moscou – j’en suis absolument sûre parce qu’il est toujours responsable de ce genre de manifestations. Son nom et son numéro de téléphone étaient inscrits sur nos badges afin qu’il puisse être contacté pour répondre aux questions ou donner des éclaircissements en cas de besoin. Mais [j’ai des doutes] en ce qui concerne le [représentant de la mairie]. [Question au témoin] Vous avez donné des explications au sujet du cordon. Comment expliquez-vous qu’il n’ait pas été possible, par exemple, de le faire [reculer] pour éviter un affrontement ? – M. Biryukov est une personne très constructive qui connaît son travail, mais il n’a pas pu nous expliquer pourquoi il n’avait pas prise sur la police antiémeute. (...) [l’adjoint au maire] m’a dit qu’il ne pouvait rien faire, il me l’a dit personnellement. La rupture du cordon s’est produite à ce moment-là. Je me suis frayé un chemin à travers [une brèche] avec [l’ombudsman], les membres de mon équipe et quelques autres personnes (...) [Question au témoin] Lorsque vous vous trouviez au niveau du cordon, avez-vous reçu des informations ? Vous avez peut-être été informée de l’arrêt officiel de la manifestation par la police ? – Non. (...) Après la rupture du cordon et le début des arrestations, la police nous a lancé des ordres de dispersion par mégaphone, annonçant que le rassemblement était terminé, je l’ai entendu. » Le 23 décembre 2013, M. N. Svanidze, membre de la Chambre civique de la Fédération de Russie, témoigna dans la première affaire Bolotnaïa. Les passages pertinents de sa déposition se lisent ainsi : « (...) [le 6 mai 2012] j’étais présent sur les lieux en qualité d’observateur (...) [lorsque] la foule a convergé vers l’étroit goulet ménagé sur le quai (...) un encombrement s’est formé. Des dizaines de personnes se sont assises par terre, le cordon se resserrant autour d’elles (...) « Pourquoi n’ouvrent-ils pas le passage ? » aije demandé, mais Viktor Aleksandrovitch [Biryukov] a tourné la tête et n’a pas répondu lorsque nous lui avons dit qu’il fallait libérer le passage. J’ai compris qu’il était vain de m’adresser à lui, car ce n’était pas lui qui commandait. (...) [Question au témoin] [L’ombudsman] ou quelqu’un d’autre a-t-il essayé d’obtenir l’élargissement du passage ? – Nous n’avons rien pu faire. Nous l’avons demandé, [Mme Mirza] l’a demandé, de même que [l’ombudsman] me semble-t-il, en vain. Le passage n’a pas été élargi. (...) [Question au témoin] Y a-t-il eu des appels à faire mouvement vers le Kremlin ? – Non. (...) [Question au témoin] Pendant que vous manifestiez, saviez-vous à quel endroit devait se tenir le rassemblement ? – Oui, j’étais sûr qu’il [se tiendrait] sur la place Bolotnaïa et dans le parc y attenant. » Le même jour, M. Vasilyev, membre du personnel du cabinet de l’ombudsman, témoigna dans la première affaire Bolotnaïa. Il déclara notamment ce qui suit : « (...) [le 6 mai 2012], j’étais présent en qualité d’observateur (...) nous nous étions réunis ce jour-là dans le centre de presse de la direction du ministère de l’Intérieur, où on nous a donné des cartes, des instructions sur la conduite à tenir et la liste des observateurs publics (...) (...) l’ombudsman a demandé [aux manifestants qui étaient assis par terre] pourquoi ils ne se dirigeaient pas vers le site du rassemblement. Je n’ai pas pu entendre leur réponse, mais ils se sont relevés et sont repartis, puis il y a eu un encombrement (...) [l’ombudsman] s’est mis en quête de l’officier responsable du cordon. [Le chef du service de presse], M. Biryukov, était présent. L’ombudsman l’a invité à « faire reculer le cordon pour permettre aux gens de passer », [mais] M. Biryukov lui a répondu qu’il n’en avait pas le pouvoir. [L’ombudsman] lui a demandé qui avait ce pouvoir, ce à quoi il a répondu « je l’ignore ». À ce moment-là, la police a commencé à diviser la foule (...) » Le 21 février 2014, le tribunal du district Zamoskvoretskiï de Moscou rendit une décision dans la première affaire Bolotnaïa. Il déclara huit des prévenus coupables d’avoir pris part à des troubles de grande ampleur et à des actes de violence envers des policiers lors du rassemblement public du 6 mai 2012. Il les condamna à des peines allant de deux ans et demi à quatre ans d’emprisonnement ; l’un d’entre eux bénéficia d’une libération conditionnelle. Trois autres accusés avaient auparavant été graciés en vertu de la loi d’amnistie et les poursuites dirigées contre un autre furent disjointes de la procédure principale. Le 22 mai 2014, la section Zamoskvoretskiï de la commission d’enquête rejeta cinq plaintes introduites par des personnes qui alléguaient avoir été blessées le 6 mai 2012, parce que la police avait fait un usage excessif de la force. Ces plaintes, qui faisaient initialement partie de l’enquête pénale ouverte pour troubles de grande ampleur, furent par la suite disjointes de cette enquête. Celle-ci donna lieu à des confrontations entre ceux qui avaient introduit ces plaintes (en qualité d’accusés dans la procédure pénale) et les policiers accusés de violence (en qualité de victimes dans la procédure pénale). Le passage pertinent de cette décision se lit ainsi : « (...) Pour juguler les tentatives de rupture du cordon de police, les policiers agirent ensemble de manière coordonnée, sans recourir à la force ou à des moyens de contrainte spéciaux. En revanche, les agents chargés d’appréhender les contrevenants durent employer la force et des moyens de contrainte spéciaux, en tant que de besoin, [pour venir à bout] des individus récalcitrants. Après le retour au calme dans les rangs des protestataires, qui s’étaient quelque peu clairsemés, les policiers commencèrent à resserrer le cordon, incitant ainsi les citoyens à se diriger vers la scène. Au même moment, les nombreux manifestants qui refusaient de prendre cette direction entreprirent de refluer vers la rue Bolchaïa Iakimanka. Ils furent eux aussi accompagnés par la police. Par la suite, dans le secteur du pont Malyï Kamennyï et à un angle du parc [de la place Bolotnaïa], des heurts éclatèrent entre des provocateurs, des personnes qui appelaient à la désobéissance et des personnes qui faisaient preuve de désobéissance. Pour appréhender ces personnes, la police eut recours à la force parce qu’elles résistaient. Dans certains cas, elle employa aussi des moyens de contrainte spéciaux pour arrêter les meneurs les plus actifs. (...) (...) (...) Eu égard à la tournure prise par les événements, l’usage de la force physique par la police pour appréhender les individus impliqués dans ces troubles de grande ampleur et l’emploi de moyens de contrainte spéciaux à l’encontre de ceux qui tentaient de résister étaient justifiés. » Le 20 juin 2014, le tribunal municipal de Moscou confirma le jugement du 21 février 2014, réduisant légèrement les peines d’emprisonnement infligées à deux des condamnés. Le 24 juillet 2014, il jugea MM. Udaltsov et Razvozzhayev coupables d’avoir fomenté des troubles de grande ampleur le 6 mai 2012. Les passages pertinents de son jugement se lisent ainsi : « Le témoin Deynichenko a déclaré qu’il avait participé le 4 mai 2012 à une réunion de travail au service régional de sécurité de Moscou (...) un projet de plan de sécurité a été établi à la suite de cette réunion, et toutes les questions relatives à l’organisation du cortège et du rassemblement, au parcours de la manifestation, à l’installation de la scène, à l’accès au site du rassemblement, au positionnement des barrières et à la sortie de la scène ont été réglées avec les organisateurs ; les [organisateurs] ont approuvé toutes les mesures prises. La question de l’utilisation du parc de la place Bolotnaïa n’a pas été soulevée, parce que le nombre de participants avait été chiffré à 5 000 et que la partie accessible de la place et le quai pouvaient accueillir plus de 20 000 personnes, ce que [les organisateurs] savaient d’avance. Le positionnement du cordon depuis le pont Malyï Kamennyï jusqu’au parc de la place Bolotnaïa avait été discuté avec les organisateurs, qui en connaissaient donc l’existence. La position du cordon figurait sur le [plan de sécurité], document à usage interne auquel seule la police avait accès. En cas d’urgence, l’état-major opérationnel était habilité à modifier les positions des forces de l’ordre. Les organisateurs n’ont pas insisté pour effectuer une reconnaissance du terrain, opération dont l’initiative leur revenait et qu’ils n’ont pas demandée parce qu’ils connaissaient le parcours (...) et le site du rassemblement. (...) [Le témoin Deynichenko] a appris qu’au début du cortège, les organisateurs de la manifestation – au nombre desquels figurait M. Udaltsov, s’étaient concertés pour faire halte et tenter de rompre le cordon dans le but de se diriger vers le pont Bolchoï Kamennyï au lieu de bifurquer vers le lieu du rassemblement. (...) (...) le témoin N. Sharapov a déclaré que M. Udaltsov connaissait le parcours du défilé et qu’il n’a pas posé de question sur l’ouverture du parc de la place Bolotnaïa. En outre, le parc est une réserve naturelle aux chemins étroits (...) dont l’accès avait été ouvert une seule fois, à titre exceptionnel, le 4 février 2012 [à une manifestation publique] qui devait réunir beaucoup plus de 5 000 participants, et de surcroît en hiver, en période de neige. La manifestation du 6 mai 2012 ne bénéficiait pas de ce régime dérogatoire. (...) (...) le service de sécurité municipal de Moscou (...) a indiqué que le site réservé au rassemblement quai Bolotnaïa pouvait accueillir 26 660 personnes (...) (...) Les organisateurs de la manifestation présents à la réunion de travail du 4 mai 2012 ont confirmé qu’aucune carte du parcours de la manifestation ou du positionnement des forces de police n’y avait été présentée, que ces questions n’y avaient pas été explicitement abordées (...) et qu’aucune carte ne leur avait été soumise. (...) (...) le tribunal conclut que les autorités et les organisateurs n’ont pas établi de carte officielle et considère que [la carte publiée] était en réalité fondée sur un entretien que M. Udaltsov avait eu avec des journalistes (...) (...) Force est donc de constater que la carte produite par la défense ne revêt aucun caractère officiel, que son origine est inconnue et donc sujette à caution, et qu’elle ne reflète pas le véritable parcours de la manifestation et le positionnement des forces de police le 6 mai 2012. Le témoin M. Makhonin a déclaré avoir reçu le [plan de sécurité] le 5 mai 2012 (...) Avant le début du défilé, il a personnellement rencontré certains des organisateurs de la manifestation, à savoir M. Udaltsov, Mme Mityushkina [et] M. Davidis, lors d’un rendez-vous qui a eu lieu en présence des représentants des médias et qui a fait l’objet d’un enregistrement vidéo. À cette occasion, il leur a détaillé l’organisation du rassemblement et du cortège, leur a enjoint de veiller à ce que la manifestation ne trouble pas l’ordre public et a insisté auprès d’eux pour qu’ils l’informent de toute tentative de provocation en appelant le numéro de téléphone qui leur avait été donné. La police ayant reçu de sources confidentielles des informations selon lesquelles certains manifestants projetaient de se rendre au Kremlin pour y provoquer des troubles de grande ampleur, M. Makhonin a interrogé M. Udaltsov à ce sujet, obtenant de la part de celui-ci l’assurance que la manifestation se déroulerait sans heurts et que les manifestants n’avaient pas l’intention de se diriger vers le Kremlin (...) à l’arrivée de [M. Makhonin] place Bolotnaïa, des troubles de grande ampleur s’y produisaient déjà (...) Dès le début des troubles, il a essayé de joindre M. Udaltsov au téléphone, sans obtenir de réponse. M. Udaltsov ne lui a pas téléphoné (...) Les autres organisateurs ne lui ont pas demandé de faire déplacer le cordon. Eu égard à la situation, Mme Mityushkina a annoncé la fin de la manifestation à la demande de M. Makhonin et la police a ouvert d’autres passages pour les manifestants qui voulaient quitter les lieux. En outre, l’annonce de la fin du rassemblement a été rediffusée par les haut-parleurs de la police (...) (...) le témoin Y. Zdorenko (...) a indiqué que (...) il s’était rendu place Bolotnaïa le 5 mai 2012 vers 21 heures et qu’il avait effectué une fouille des lieux, y compris du parc, parce qu’il avait reçu [de sources confidentielles] des informations selon lesquelles l’installation d’un campement se préparait. Le parc était bouclé et gardé (...) et l’état-major opérationnel était habilité, en tant que de besoin, à étendre considérablement le site alloué au rassemblement en empiétant sur le parc [de la place Bolotnaïa]. Toutefois, cette mesure n’a pas été nécessaire, puisqu’il qu’il n’y avait pas plus de 2 500 à 3 000 personnes place Bolotnaïa (...) [les autres étant immobilisées au niveau du] pont Malyï Kamennyï. (...) Le témoin A. Zharkov a déclaré que (...) il avait vu un inconnu dissimuler quatre tentes de camping dans des poubelles pendant le montage de la scène. (...) Le témoin M. Volondina a révélé que (...) avant le départ du cortège, la police avait reçu de sources confidentielles des informations selon lesquelles les organisateurs de la manifestation avaient l’intention d’encercler le Kremlin en se tenant les mains pour empêcher l’investiture du président russe. Le témoin M. Zubarev a indiqué que (...) il avait réalisé l’enregistrement vidéo [officiel] (...) de la rencontre au cours de laquelle l’officier de police Makhonin (...) avait expliqué aux organisateurs le déroulement de la manifestation (...) et leur avait lancé un avertissement (...) tout en invitant M. Udaltsov à l’informer de toute tentative de provocation, ce à quoi M. Udaltsov avait répondu que les manifestants respecteraient la loi et qu’il avait demandé à la police d’empêcher les individus indésirables de se joindre à la manifestation (...) Le témoin Y. Vanyukhin a déclaré que le 6 mai 2012 (...) vers 18 heures, M. Udaltsov avait dit aux personnes de son entourage en se dirigeant vers la scène que l’installation d’un campement se préparait (...) (...) Mme Mirza a déclaré que (...) l’officier de police Biryukov lui avait demandé, ainsi qu’à [l’ombudsman], de se rendre au pont Malyï Kamennyï, parce que certains manifestants – dont MM. Nemtsov et Udaltsov – n’avaient pas immédiatement bifurqué à droite en direction de la scène, mais avaient au contraire poursuivi leur route droit vers le cordon avant d’entamer un sit-in de protestation sous prétexte que l’accès au parc de la place Bolotnaïa était interdit et que celui-ci était bouclé par un cordon (...) [L’ombudsman] a essayé de parler aux manifestants qui étaient assis par terre, mais ceux-ci l’ont ignoré, ne lui ont pas répondu et ne se sont pas relevés. Le témoin Babushkin a signalé que (...) la police avait annoncé par haut-parleur que la manifestation était terminée et qu’elle avait ordonné aux citoyens de quitter les lieux après le début des premiers affrontements avec les manifestants. Le témoin Ponomarev a déclaré que (...) le cordon de police n’avait pas été placé de la même façon que [celui] qui avait été mis en place le 4 février 2012 pour une manifestation similaire (...) et qu’il avait proposé à M. Udaltsov de le déplacer en faisant reculer la police de quelques pas afin d’élargir l’accès à la place Bolotnaïa, mais que M. Udaltsov lui avait répondu qu’il y réfléchirait une fois que les manifestants auraient atteint le cordon (...) il savait que M. Gudkov négociait avec la police pour obtenir le déplacement du cordon, qui avait été renforcé entre-temps par la police antiémeute. (...) les témoins Yashin et Nemtsov ont affirmé que (...) l’installation d’un campement de tentes en marge de la manifestation n’avait pas été évoquée lors de la réunion du comité de pilotage (...) et que, pendant que [MM. G. Gudkov et D. Gudkov] négociaient avec la police (...), la foule avait grossi, la police s’était brusquement avancée, les manifestants avaient résisté et le cordon s’était rompu (...) Le témoin G. Gudkov [député de la Douma] a déclaré que (...) à la demande des organisateurs, qui lui avaient dit qu’ils n’iraient nulle part et qu’ils resteraient assis jusqu’à ce que la police recule le cordon et ouvre l’accès au parc de la place Bolotnaïa, il avait entamé des négociations avec la police à ce sujet. Il a indiqué avoir réussi à convaincre les agents de la direction du ministère de l’Intérieur pour la ville de Moscou de faire reculer le cordon, sous réserve que les organisateurs qui avaient déposé l’avis [de manifestation] signent les documents nécessaires. Toutefois, ceux qui avaient appelé au sit-in – notamment M. Udaltsov – avaient refusé de se relever pour se rendre dans les bureaux de la direction du ministère de l’Intérieur pour la ville de Moscou, bien qu’ils y eussent été invités à plusieurs reprises par [M. Gudkov] (...) (...) le témoin D. Gudkov [député de la Douma] a déclaré qu’il avait (...) réussi avec M. G. Gudkov à négocier avec la police (...) un accord prévoyant le recul du cordon positionné au niveau du pont Malyï Kamennyï et l’ouverture du parc lorsque plusieurs jeunes hommes en sweat-shirt à capuche qui se trouvaient parmi les manifestants avaient commencé à bousculer certains d’entre eux vers le cordon, provoquant une réaction [opposée] jusqu’à ce que le cordon se rompe et que la [police] commence à procéder à des arrestations, après quoi des troubles de grande ampleur avaient éclaté. (...) (...) le tribunal [rejette] les témoignages selon lesquels la police avait pris l’initiative de faire mouvement vers les manifestants qui étaient pacifiquement assis par terre, provoquant ainsi la rupture du cordon (...) [il estime] que ce sont les manifestants, et non la police (...), qui ont commencé à se presser contre le cordon, causant parmi la foule un mouvement de panique qui a conduit à la rupture du cordon et aux troubles de grande ampleur qui se sont produits par la suite. (...) Le tribunal retient le témoignage de M. Davidis selon lequel (...) Mme Mityushkina, qui était responsable de la scène, l’avait informé vers 18 heures que la police lui avait demandé d’annoncer la fin de la manifestation en sa qualité d’organisatrice. M. Davidis a indiqué qu’il avait téléphoné à M. Udaltsov pour l’en informer, [et que celui-ci] lui avait répondu qu’ils se relevaient et qu’ils se dirigeaient vers la scène (...) M. Davidis a également déclaré qu’il avait été informé le 6 mai 2012 que [certains] manifestants avaient emmené des tentes place Bolotnaïa, mais que M. Udaltsov ne lui avait pas dit qu’il faudrait installer des tentes au cours de la manifestation. (...) Le tribunal retient également le témoignage de M. Bakirov (...), l’un des organisateurs [officiels], selon lequel personne ne lui avait parlé de l’installation de tentes pendant la manifestation. (...) [Le tribunal a examiné] l’enregistrement vidéo (...) d’une conversation entre MM. Makhonin et Udaltsov au cours de laquelle ce dernier avait assuré à son interlocuteur que les organisateurs s’engageaient à conduire la manifestation conformément aux termes de l’autorisation, à ne pas demander aux manifestants de stationner place Bolotnaïa et à rester en contact avec la police en cas de difficultés. (...) (...) [le tribunal a aussi examiné un enregistrement vidéo] d’une autre conversation au cours de laquelle MM. Makhonin et Udaltsov avaient discuté de questions d’ordre pratique, notamment de la position des portiques détecteurs de métaux que M. Makhonin avait montrée à M. Udaltsov, avant de convenir d’une nouvelle rencontre à 15 heures (...) et de s’échanger leurs numéros de téléphone respectifs (...) (...) [Les expertes N. et M.] ont précisé que la place Bolotnaïa était délimitée par le canal Vodootvodnyï, la rue Serafimovitch, le quai Sofiïskaïa et le passage Faleïevskiï, que le [parc] en faisait partie, qu’il était toujours bouclé par un cordon lors des manifestations tenues place Bolotnaïa et qu’il n’était pas utilisé pour l’accès du public. Ces propos se trouvent pleinement corroborés par la réponse donnée le 27 juillet 2012 par le chef du district Iakimanka de Moscou et par la carte où figurent les limites de la place Bolotnaïa. (...) [Le tribunal conclut] que le sit-in (...) s’est tenu dans un endroit situé hors de la zone allouée à la manifestation par les autorités de Moscou (...) (...) Le fait de fomenter des troubles de grande ampleur peut consister à inciter la foule à accomplir certains actes ou à contrôler son comportement de façon à l’induire à commettre des infractions ou à multiplier les revendications auprès des autorités. Ce délit peut prendre différentes formes, comme le fait de préparer et de planifier les actes précités, de constituer des groupuscules chargés de provoquer et d’attiser des troubles de grande ampleur, d’inciter autrui à se livrer à de tels troubles par des pétitions, des mots d’ordre, des appels et des déclarations de nature à exciter la foule et à la pousser à la révolte, d’influencer le comportement du public en distribuant des tracts, en s’adressant aux médias ou en organisant des rassemblements ou des désordres de toutes sortes, de planifier les activités de la foule en fonction de l’état d’esprit des personnes et de leurs doléances, ou d’appeler directement la foule à commettre des troubles. (...) l’infraction est constituée dès lors que l’un au moins des actes énumérés à l’article 212 § 1 du code pénal a été accompli (...) (...) l’infraction pénale d’organisation de troubles de grande ampleur est constituée dès lors que des actes d’organisation ont été accomplis, qu’ils aient eu ou non des conséquences dommageables. (...) Il n’y a pas lieu de considérer que la fermeture de l’accès au parc de la place Bolotnaïa et le positionnement, au pied du pont Malyï Kamennyï, du cordon de police destiné à canaliser les manifestants constituent une provocation (...), car ces mesures visaient uniquement à les orienter sans empêcher l’accès au site du rassemblement place Bolotnaïa. (...) le cordon (...) a dû être renforcé compte tenu de la situation (...) pour empêcher sa rupture (...) mais [il] n’a pas fait mouvement vers les manifestants. Il est donc amplement démontré que les troubles de grande ampleur organisés par M. Udaltsov [et par d’autres] (...) ont perturbé l’ordre et la paix publics dans un lieu public pendant une manifestation publique, qu’ils ont mis en danger de nombreuses personnes, dont des citoyens qui étaient venus exercer leur droit constitutionnel de défiler ensemble et de se rassembler pacifiquement, et qu’ils ont provoqué autour de la place Bolotnaïa des tensions psychologiques considérables qui ont conduit à des violences contre la police (...) et à des dégâts matériels (...) » Le tribunal municipal de Moscou condamna MM. Udaltsov et Razvozzhayev à une peine de quatre ans et demi d’emprisonnement. Le 18 mars 2015, la Cour suprême de la Fédération de Russie confirma le jugement du 24 juillet 2014 tout en le réformant sur certains points. Le 18 août 2014, une autre « affaire Bolotnaïa » fut tranchée par le tribunal du district Zamoskvoretskiï de Moscou. Celui-ci déclara quatre personnes coupables d’avoir pris part à des troubles de grande ampleur et d’avoir commis des actes de violence contre des agents de police lors de la manifestation du 6 mai 2012. Il les condamna à des peines allant de deux ans et demi à trois ans et demi d’emprisonnement, accordant à l’une d’entre elles le bénéfice de la libération conditionnelle. Ce jugement fut confirmé par le tribunal municipal de Moscou le 27 novembre 2014. B. L’arrestation du requérant, sa détention et sa condamnation pour une infraction administrative Le 6 mai 2012, le requérant arriva place Bolotnaïa vers 18 heures pour participer au rassemblement, s’installant devant la scène située sur le quai Bolotnaïa, dans la zone réservée au rassemblement. Le requérant expose que malgré la confusion générale, la situation était calme entre 18 et 19 heures dans le secteur où il se trouvait. Il affirme qu’il n’a pas entendu l’annonce de la clôture du rassemblement et que, malgré les ordres de dispersion lancés au mégaphone par la police, le tumulte général l’a empêché de quitter immédiatement les lieux, raison pour laquelle il était resté dans la zone allouée au rassemblement jusqu’à 19 heures, moment où il avait été arrêté – arbitrairement selon lui – par la police qui dispersait la manifestation. Il assure n’avoir reçu aucun avertissement ni aucun ordre avant son arrestation. Il indique qu’après l’avoir appréhendé, la police l’a embarqué dans un fourgon policier où il est resté enfermé une heure avant que celui-ci ne quitte la place Bolotnaïa en direction d’un commissariat. Il avance qu’au moment de son arrestation, la place Bolotnaïa était libre de toute circulation, car celle-ci était encore interrompue. Le Gouvernement soutient pour sa part que le requérant a été arrêté place Bolotnaïa à 20 h 30, parce qu’il faisait obstruction à la circulation et qu’il bravait les ordres de dispersion lancés par la police. À 21 h 30, le requérant fut conduit au commissariat du district Krasnoselskiï de Moscou, où un agent de permanence dressa un procès-verbal d’infraction administrative (протокол об административном правонарушении) fondé sur un rapport (рапорт) établi par l’agent Y., qui était semble-t-il l’auteur de l’arrestation du requérant. Ce rapport portait la mention manuscrite suivante : « Je [Y.] déclare avoir arrêté M. Frumkin le 6 mai 2012 vers 21 h 30, au 5/16 de la place Bolotnaïa, avec l’assistance du lieutenant de police [A.]. » Le reste du rapport consistait en un formulaire où était indiqué ce qui suit : « (...) alors qu’il se trouvait parmi un groupe de citoyens participant à un rassemblement autorisé, il a traversé la route, faisant obstruction à la circulation. [Il] a ignoré les nombreux avertissements des policiers qui lui demandaient de quitter la route (...), désobéissant ainsi à un ordre légitime donné par la police dans l’exercice de ses fonctions officielles de maintien de l’ordre et de la sécurité publics. Ce faisant, il s’est rendu coupable de l’infraction réprimée par l’article 19.3 § 1 du code des infractions administratives. » Le texte du procès-verbal d’infraction administrative était identique, à ceci près qu’il indiquait que l’arrestation du requérant avait eu lieu à 20 h 30. Le requérant fut inculpé d’obstruction à la circulation et de désobéissance à des ordres légitimes de la police, infraction réprimée par l’article 19.3 du code des infractions administratives. Il fut placé en détention administrative en application de l’article 27.3 du code des infractions administratives (протокол об административном задержании). La rubrique consacrée aux « motifs » de l’ordonnance de placement en détention fut laissée vide. Le 7 mai 2012, le requérant fut conduit au tribunal à 14 heures, mais son cas ne fut pas examiné. Il fut reconduit à 23 h 55 dans sa cellule du commissariat du district Krasnoselskiï, après avoir passé la journée dans un fourgon de transfèrement sans eau ni nourriture. Il fit l’objet d’une nouvelle ordonnance de détention dans laquelle il était indiqué qu’il était détenu « aux fins de l’établissement des documents administratifs ». Le 8 mai 2012, à 8 heures, le requérant fut présenté au juge de paix de la centième circonscription du district Iakimanka, qui examina les accusations portées contre lui. Il sollicita le report de l’audience, alléguant que sa détention l’avait rendu inapte à comparaître, et demanda la tenue d’un procès public, ainsi que l’audition de deux agents de police en qualité de témoins. Ces demandes furent rejetées pour accélérer la procédure. Une autre demande d’audition de plusieurs témoins oculaires fut partiellement accueillie. Trois témoins cités par la défense furent entendus. Se fondant sur le rapport établi par l’agent de police Y., le juge de paix établit que le requérant avait cheminé le long de la route place Bolotnaïa le 6 mai 2012 à 20 h 30 en bloquant la circulation et qu’il avait désobéi à des ordres légitimes de la police lui enjoignant de quitter la route. Il considéra que les dépositions de deux témoins oculaires d’où il ressortait que la police n’avait adressé aucun ordre ou avertissement au requérant avant de l’arrêter n’étaient pas fiables et les écarta de la procédure. Il déclara le requérant coupable de désobéissance à des ordres légitimes de la police et le condamna à quinze jours de détention administrative sur le fondement de l’article 19.3 du code des infractions administratives. Le 11 mai 2012, le tribunal du district Zamoskvoretskiï de Moscou examina le recours dont le requérant l’avait saisi. À la demande de l’intéressé, il entendit Mme S. en qualité de témoin. Celle-ci déclara que le 6 mai 2012, elle était en train de chercher son fils lorsqu’elle avait vu le requérant dans un fourgon de police à 19 h 46 et qu’elle s’était arrêtée pour lui parler. Elle ajouta qu’elle était présente sur la place Bolotnaïa ce soir-là à 21 h 03, que celle-ci était entièrement bouclée et que la circulation n’avait pas été rétablie. Le moyen du requérant tiré de la contradiction existant entre le rapport et le procès-verbal de police quant à l’heure de son arrestation fut rejeté par le tribunal, qui estima que ces documents devaient être interprétés comme fixant l’heure de l’arrestation de l’intéressé à 20 h 30 et celle de son placement en détention au commissariat à 21 h 30. Le tribunal écarta l’enregistrement vidéo produit par le requérant, au motif que la date et l’heure de l’incident n’y figuraient pas, et jugea que la culpabilité de l’intéressé était établie par d’autres preuves. Il confirma le jugement rendu en première instance. Le 11 janvier 2013, le vice-président du tribunal municipal de Moscou réexamina la condamnation administrative du requérant dans le cadre d’une procédure de supervision et confirma les décisions judiciaires précédemment rendues. II. LE DROIT INTERNE PERTINENT Les dispositions pertinentes de la loi fédérale sur les rassemblements, réunions, manifestations, défilés et piquets protestataires (loi no 54-FZ du 19 juin 2004 – « la loi sur les réunions publiques ») applicables à l’époque des faits se lisaient ainsi : Article 7 Notification des manifestations publiques « L’organisateur d’une manifestation publique (autre qu’un rassemblement ou un piquet individuel) doit en notifier la tenue par écrit à l’autorité exécutive du sujet [entité constituante] de la Fédération de Russie ou aux autorités municipales concernées quinze jours au plus tôt et dix jours au plus tard avant la date prévue de la manifestation. (...) » Article 8 Lieu de déroulement des manifestations publiques « Les manifestations publiques peuvent se tenir en tout lieu adapté pour autant qu’elles ne créent pas de risque d’effondrement des bâtiments ou des structures ou d’autres risques pour la sécurité des participants. (...) » Article 12 Obligations de l’autorité exécutive du sujet de la Fédération de Russie ou des autorités municipales concernées « 1. À réception de la notification de la tenue d’une manifestation publique, l’autorité exécutive du sujet de la Fédération de Russie ou les autorités municipales concernées : (...) iii) désignent, en fonction de la forme de la manifestation et du nombre de participants, un représentant habilité ayant mission d’aider les organisateurs de la manifestation à veiller à ce que celle-ci se déroule dans le respect de la loi. La décision écrite portant nomination officielle de ce représentant est notifiée aux organisateurs avant la date prévue de la manifestation ; iv) informent les organisateurs de la manifestation publique de la capacité d’accueil maximale du site (lieu) où la manifestation doit se dérouler ; v) veillent, dans le cadre de leur compétence et conjointement avec les organisateurs de la manifestation publique et le représentant désigné par le ministère de l’Intérieur, au maintien de l’ordre public et à la sécurité des citoyens lors du déroulement de la manifestation et, si nécessaire, apportent à ces derniers une aide médicale d’urgence ; (...) Si le libellé de la notification de la tenue d’une manifestation et d’autres informations donnent à penser que les objectifs de celle-ci et les conditions de son déroulement sont incompatibles avec la Constitution de la Fédération de Russie et/ou qu’ils violent des interdictions découlant des dispositions de la législation de la Fédération de Russie en matière d’infractions administratives ou pénales, l’autorité exécutive du sujet de la Fédération de Russie ou les autorités municipales concernées doivent immédiatement adresser aux organisateurs de la manifestation une mise en garde écrite et motivée les avertissant que le non-respect ou la violation de ces dispositions sont susceptibles d’engager leur responsabilité et celle d’autres participants. » Article 13 Droits et obligations du représentant de l’autorité exécutive du sujet de la Fédération de Russie ou des autorités municipales concernées « 1. Le représentant de l’autorité exécutive du sujet de la Fédération de Russie ou des autorités municipales concernées peut : i) enjoindre aux organisateurs de la manifestation publique de respecter les conditions mises à son autorisation ; ii) interrompre ou arrêter la manifestation en application de la procédure et conformément aux motifs prévus par la présente loi fédérale. Le représentant de l’autorité exécutive du sujet de la Fédération de Russie ou des autorités municipales concernées doit : i) être présent sur le site de la manifestation ; ii) aider les organisateurs de la manifestation à en assurer le déroulement ; iii) assurer le maintien de l’ordre public conjointement avec les organisateurs de la manifestation et le représentant désigné par le ministère de l’Intérieur, et garantir la sécurité des citoyens, ainsi que le respect de la loi pendant le déroulement de la manifestation. » Article 14 Droits et obligations du représentant désigné par le ministère de l’Intérieur « 1. Sur proposition du représentant de l’autorité exécutive du sujet de la Fédération de Russie ou des autorités municipales concernées, le chef de la direction du ministère de l’Intérieur responsable du site (lieu) où la manifestation doit se dérouler désigne un représentant ayant mission d’aider les organisateurs de la manifestation à maintenir l’ordre et à assurer la sécurité des citoyens. Ce représentant est officiellement désigné par une décision écrite du chef de la direction du ministère de l’Intérieur. Le représentant désigné par le ministère de l’Intérieur peut : i) enjoindre aux organisateurs de la manifestation d’annoncer au public l’interruption de l’accès au site de la manifestation et prendre lui-même les mesures requises pour empêcher le public d’y accéder en cas de dépassement de la capacité d’accueil maximale du site (lieu) en question ; ii) enjoindre aux organisateurs de la manifestation et aux manifestants de respecter les conditions mises à son autorisation ; iii) à la demande des organisateurs de la manifestation, expulser les manifestants qui désobéiraient à leurs ordres légitimes. Le représentant désigné par le ministère de l’Intérieur doit : i) faciliter le déroulement de la manifestation ; ii) assurer le maintien de l’ordre public conjointement avec les organisateurs de la manifestation et le représentant de l’autorité exécutive du sujet de la Fédération de Russie ou des autorités municipales concernées, et garantir la sécurité des citoyens, ainsi que le respect de la loi pendant le déroulement de la manifestation. » Article 15 Motifs et procédure de suspension d’une manifestation publique « 1. Si, au cours d’une manifestation publique, un trouble à l’ordre public n’entraînant pas de risque pour la vie ou la santé des participants survient par la faute de certains d’entre eux, le représentant de l’autorité exécutive du sujet de la Fédération de Russie ou des autorités municipales concernées peut enjoindre aux organisateurs de la manifestation d’y remédier, seuls ou conjointement avec le représentant désigné par le ministère de l’Intérieur. En cas de manquement par les organisateurs à l’obligation mentionnée au premier paragraphe du présent article, le représentant de l’autorité exécutive du sujet de la Fédération de Russie ou des autorités municipales concernées peut suspendre la manifestation pour la durée fixée par lui en vue de remédier au trouble constaté. Après le rétablissement de l’ordre, la manifestation publique pourra se poursuivre dans les conditions arrêtées par les organisateurs et les représentants compétents. Si l’ordre n’a pas été rétabli dans le délai fixé par le représentant de l’autorité exécutive du sujet de la Fédération de Russie ou des autorités municipales concernées, la manifestation sera interrompue dans les conditions prévues par l’article 17 de la présente loi fédérale. » Article 16 Motifs d’interruption d’une manifestation publique « Une manifestation publique peut être interrompue : i) si elle expose la vie ou la santé du public ou les biens des personnes physiques ou morales à un risque réel ; ii) si ses participants commettent des infractions et si ses organisateurs violent délibérément les dispositions de la présente loi fédérale relatives aux conditions de déroulement des manifestations ; (...) » Article 17 Procédure d’interruption d’une manifestation publique « 1. S’il a été décidé d’interrompre une manifestation publique, le représentant de l’autorité exécutive du sujet de la Fédération de Russie ou des autorités municipales concernées : i) enjoint aux organisateurs de la manifestation d’y mettre fin en leur communiquant les motifs pour lesquels son interruption a été ordonnée et leur notifie sa décision par écrit dans un délai de vingt-quatre heures ; ii) impartit aux organisateurs un délai pour exécuter la décision d’interruption de la manifestation ; iii) en cas de refus des organisateurs d’obtempérer à la décision d’interruption de la manifestation, s’adresse directement aux manifestants et leur accorde un délai supplémentaire pour respecter cette décision. En cas de non-respect de la décision d’interruption de la manifestation, la police prend toutes les mesures requises pour interrompre la manifestation, dans le respect de la législation de la Fédération de Russie. La procédure d’interruption d’une manifestation prévue au premier paragraphe du présent article ne s’applique pas en cas de troubles de grande ampleur, d’émeutes, d’incendie volontaire ou d’autres situations d’urgence. En pareils cas, la manifestation est interrompue dans les conditions prévues par la législation de la Fédération de Russie. (...) » Les dispositions pertinentes du code pénal de la Fédération de Russie sont ainsi libellées : Article 212 Troubles de grande ampleur « 1. L’organisation de troubles de grande ampleur accompagnés de violence, d’émeute, d’incendie volontaire, de destruction de biens, d’utilisation d’armes à feu, d’explosifs ou d’engins explosifs, et de résistance armée aux agents publics est punie d’une peine de quatre à dix ans de privation de liberté. La participation à des troubles de grande ampleur tels que définis au premier paragraphe du présent article est punie d’une peine de trois à huit ans de privation de liberté. L’incitation à commettre des troubles de grande ampleur tels que définis au premier paragraphe du présent article ou à y participer et l’incitation à la violence contre les citoyens sont punies d’une peine de restriction de liberté d’une durée maximale de deux ans ou d’une peine de travaux d’intérêt général d’une durée maximale de deux ans ou d’une peine de privation de liberté d’une durée maximale de deux ans. » Article 318 Recours à la violence contre un agent public « 1. Le recours à la violence, qui ne met en danger ni la vie ni la santé, ou la menace de recours à la violence contre un agent public ou ses proches dans le cadre de l’exercice par celui-ci de ses fonctions, est puni d’une amende pouvant atteindre 200 000 roubles russes (RUB) ou dix-huit fois le salaire mensuel de la personne condamnée, ou d’une peine de travaux d’intérêt général d’une durée maximale de cinq ans (...) ou d’une peine de privation de liberté d’une durée maximale de cinq ans (...) » Les dispositions pertinentes du code des infractions administratives du 30 décembre 2001 applicables à l’époque des faits se lisaient ainsi : Article 19.3 Refus d’obéir à un ordre légitime d’un agent de police (...) « Le refus d’obéir à un ordre ou à une demande légitimes formulés par un agent de police (...) dans l’exercice de ses fonctions officielles de maintien de l’ordre et de la sécurité publics, ou l’entrave à l’exercice par celui-ci de ses fonctions officielles est puni d’une amende allant de 500 à 1 000 RUB ou d’une détention administrative d’une durée maximale de quinze jours. (...) » Article 20.2 Infractions à la procédure applicable à l’organisation et à la tenue de rassemblements, de réunions, de manifestations, de défilés ou de piquets publics « 1. Les infractions à la procédure applicable à l’organisation et à la tenue de rassemblements, de réunions, de manifestations, de défilés ou de piquets publics sont punies d’une amende administrative allant de dix à vingt fois le salaire minimum, dont devront s’acquitter les organisateurs. Les infractions à la procédure applicable à l’organisation et à la tenue de rassemblements, de réunions, de manifestations, de défilés ou de piquets publics sont punies d’une amende administrative de 1 000 à 2 000 RUB pour les organisateurs, et de 500 à 1 000 RUB pour les participants. » Article 27.2 Escorte de personnes « 1. Lorsqu’un procès-verbal d’infraction administrative dont l’établissement est obligatoire ne peut être dressé sur le lieu de constatation de l’infraction, l’escorte ou le transfert forcé de la personne mise en cause aux fins de l’établissement du procès-verbal doit être effectué : i) par la police (...) (...) L’escorte doit être effectuée aussi rapidement que possible. Le déroulement de l’escorte doit être consigné dans un rapport d’escorte, un procès-verbal d’infraction administrative ou un procès-verbal de détention administrative. Si la personne escortée le demande, une copie du rapport d’escorte lui sera remise. » Article 27.3 Détention administrative « 1. à titre exceptionnel, une personne peut se voir infliger une mesure de détention administrative ou une mesure de restriction de liberté temporaire lorsque pareille mesure est nécessaire pour examiner promptement et adéquatement une allégation d’infraction administrative ou garantir l’exécution d’une peine imposée par un jugement statuant sur une infraction administrative. (...) (...) Si la personne détenue le demande, sa famille, le service administratif de son lieu de travail ou d’études ou son avocat seront informés du lieu où elle est incarcérée. (...) Les droits et obligations de la personne détenue au titre du présent code doivent lui être expliqués et il doit en être fait mention au procès-verbal d’arrestation administrative. » Article 27.4 Rapport de détention administrative « 1. La détention administrative donne lieu à l’établissement d’un rapport (...) (...) Si la personne détenue le demande, une copie du rapport de détention administrative lui sera remise. » Article 27.5 Durée de la détention administrative « 1. La durée de la détention administrative ne peut excéder trois heures, sauf dans les cas prévus aux paragraphes 2 et 3 du présent article. Les personnes visées par une procédure administrative portant sur des infractions liées au franchissement illégal de la frontière russe (...) peuvent être maintenues en détention administrative pour une durée maximale de quarante-huit heures. Les personnes visées par une procédure administrative portant sur des infractions passibles, entre autres sanctions administratives, d’une détention administrative, peuvent être maintenues en détention administrative pour une durée maximale de quarante-huit heures. La détention administrative commence à partir du moment où [la personne] placée sous escorte policière en application de l’article 27.2 est conduite [au commissariat de police] ou, s’agissant d’une personne en état d’ébriété, à partir du moment où elle est dégrisée. » III. DOCUMENTS INTERNATIONAUX PERTINENTS Les passages pertinents des lignes directrices sur la liberté de réunion pacifique adoptées par la Commission de Venise à sa 83e session plénière (Venise, 4 juin 2010) sont ainsi libellés (notes de bas de page omises) : « Section A – Lignes directrices relatives à la liberté de réunion pacifique Liberté de réunion pacifique (...) Seules les réunions pacifiques sont protégées Une réunion doit être réputée pacifique dès lors que ses organisateurs professent des intentions pacifiques et que la réunion se tient de manière non violente. L’adjectif « pacifique » devrait être interprété comme incluant des comportements susceptibles d’indisposer ou d’offenser des tiers voire de gêner, d’entraver ou d’empêcher les activités d’une partie de la population. (...) Mise en œuvre de la législation relative à la liberté de réunion pacifique 1 Planification de l’événement à l’avance avec les responsables des services de maintien de l’ordre Chaque fois que cela est possible – et notamment en cas de préparation d’une grande réunion ou d’une réunion portant sur un sujet controversé –, il est recommandé à l’organisateur de discuter avec les responsables des services de maintien de l’ordre des mesures de sécurité et de sûreté publiques qu’il conviendrait de mettre en place avant l’événement. Ces discussions peuvent notamment porter sur le déploiement de forces de police, la mise en place d’un service d’ordre, et les préoccupations visant spécifiquement les opérations éventuelles de maintien de l’ordre. (...) 3 Approche fondée sur les droits de l’homme en matière de maintien de l’ordre au cours des réunions Le maintien de l’ordre au cours des réunions doit être guidé par des principes pertinents en matière de protection des droits de l’homme – à savoir la légalité, la nécessité, la proportionnalité et la non-discrimination – et respecter les normes pertinentes en vigueur. En particulier, l’État a l’obligation positive de prendre des mesures raisonnables et appropriées pour permettre la tenue de réunions pacifiques sans que les participants aux dites réunions craignent pour leur sécurité physique. Les responsables des forces de l’ordre doivent également protéger les participants à une réunion pacifique contre toute personne ou groupe (y compris des agents provocateurs et des contre-manifestants) essayant de perturber ou d’empêcher la tenue de cet événement par divers moyens. 4 Recours à la négociation et/ou à la médiation pour réduire les tensions En cas d’interruption ou d’un autre incident pendant le déroulement d’une réunion, la négociation ou un dialogue supervisé par un médiateur peuvent constituer un moyen approprié d’arriver à une solution acceptable. Ce dialogue – même s’il n’est pas toujours couronné de succès – peut contribuer à empêcher l’escalade de la tension, l’imposition de restrictions arbitraires superflues ou le recours à la force. (...) Section B – Notes explicatives (...) (...) Aux fins des présentes lignes directrices, le terme réunion désigne la présence intentionnelle et temporaire de plusieurs individus qui souhaitent exprimer un point de vue commun dans un espace public. (...) La question de savoir à quel moment une réunion ne peut plus être considérée comme une présence temporaire (c’est-à-dire l’instant où elle dépasse le degré de tolérance que les autorités sont présumées accorder à toute réunion pacifique) doit être examinée à la lumière des circonstances de chaque espèce. (...) Lorsqu’une réunion ne gêne pas (ou gêne très peu) des tiers, les autorités devraient adopter un critère temporal nettement moins rigide (...) [L]e terme « temporaire » ne devrait pas exclure l’érection de camps de protestation ou d’autres constructions non permanentes. (...) Réunions « pacifiques » et « non pacifiques » Réunions « pacifiques » : seule la réunion « pacifique » est protégée par le droit à la liberté de réunion. (...) L’adjectif « pacifique » doit être interprété comme applicable aux conduites susceptibles d’agacer ou d’offenser des personnes opposées aux idées ou revendications que la réunion est censée promouvoir et même aux conduites qui gênent, perturbent voire empêchent les activités de tiers. Ainsi, les réunions employant des formes de résistance purement passives devraient être qualifiées de « pacifiques » (...) (...) À supposer que ce critère fondamental lié au caractère pacifique soit rempli, il crée pour les autorités des obligations positives découlant de la protection du droit à la liberté de réunion pacifique (...) Il convient de noter que les réunions remplissant ce critère initial (c’est-à-dire méritant à première vue une protection) peuvent encore faire l’objet de restrictions pour des motifs légitimes tenant notamment à l’ordre public (...) (...) Légalité (...) Au nom de la sécurité juridique, toutes les restrictions préalables doivent être formulées par écrit et communiquées à l’organisateur de l’événement dans un délai raisonnable (voir, plus bas, le paragraphe 135). En outre, les autorités compétentes doivent veiller à ce que toute restriction imposée pendant un événement soit parfaitement conforme à la loi et compatible avec la jurisprudence établie. Enfin, l’imposition, après une réunion, de sanctions et de peines n’étant pas prévues par la loi est interdite. (...) Restrictions fondées sur le contenu (...) La question de savoir si une conduite constitue une incitation intentionnelle à la violence doit être inévitablement examinée sur la base des circonstances de l’espèce. Certaines difficultés se font jour lorsque le message concerne une activité illicite ou peut être interprété comme incitant des tiers à commettre des actes non violents, mais illicites. Le fait d’exprimer son soutien à des actes illicites peut, souvent, être distingué d’une conduite incitant au désordre et ne devrait donc pas faire l’objet de restrictions au nom de l’ordre public. Là encore, le critère essentiel doit être l’existence d’une menace imminente de violence. (...) le recours à un tel discours par les participants à une réunion ne justifie pas nécessairement en lui-même la dispersion et les membres des forces de l’ordre devraient prendre des mesures (comme l’arrestation) uniquement à l’encontre des individus impliqués (soit pendant, soit après l’événement). (...) Restrictions imposées pendant une réunion 108. Le rôle de la police ou des autres services de maintien de l’ordre pendant une réunion consiste souvent à appliquer des restrictions préalables imposées par écrit par l’organe de réglementation. Aucune restriction supplémentaire ne devrait être imposée par les membres des forces de l’ordre, sauf si pareille mesure s’avère absolument nécessaire à la lumière de l’évolution démontrable des circonstances. Il arrive parfois, cependant, que la situation sur le terrain se détériore (les participants, par exemple, peuvent commencer à devenir violents ou à proférer des menaces de violence imminente) et les autorités peuvent se retrouver contraintes d’imposer des mesures supplémentaires pour garantir la protection adéquate d’autres intérêts pertinents. De même que des raisons doivent pouvoir être invoquées pour démontrer la nécessité de restrictions préalables, toute restriction imposée pendant une réunion doit également être rigoureusement justifiée. Un simple soupçon ne suffit pas et les motifs invoqués doivent être à la fois pertinents et suffisants. Dans de telles circonstances, il est bon que d’autres autorités civiles (comme le bureau du médiateur) jouent un rôle de supervision de l’opération de maintien de l’ordre et que les policiers soient tenus de rendre compte à un organe indépendant. De plus (...), l’octroi aux membres des forces de l’ordre d’un pouvoir d’appréciation excessivement large peut aller à l’encontre du principe de légalité compte tenu des risques d’arbitraire. La détention de participants pendant une réunion (au motif qu’ils commettent une infraction administrative, pénale ou autre) ne devrait intervenir qu’au-delà d’un certain seuil, en raison du droit à la liberté et à la sécurité dont jouit chaque personne et du fait que les ingérences dans la liberté de réunion sont perçues comme plus ou moins graves selon le moment où elles interviennent. La détention devrait intervenir seulement dans les situations les plus pressantes et à condition que le fait de ne pas recourir à cette mesure se traduirait par la commission de graves infractions pénales. (...) Procédures de prise de décision et de recours 132. L’autorité de réglementation (...) devrait évaluer de manière équitable et objective toutes les informations disponibles en vue de déterminer si les organisateurs d’une réunion notifiée et les personnes y assistant sont susceptibles de tenir une assemblée de manière pacifique, ainsi que l’impact probable de ladite réunion sur les droits et libertés des autres parties prenantes ne participant pas à l’événement. Dans ce contexte, il peut être nécessaire de faciliter les réunions entre l’organisateur de l’événement et les autres parties intéressées. 133. L’autorité de réglementation devrait également veiller à ce que toute préoccupation pertinente soulevée soit communiquée à l’organisateur de l’événement et à ce que ce dernier se voit offrir la possibilité de l’apaiser éventuellement. Cette approche est surtout importante lorsque ces préoccupations risquent d’être invoquées plus tard comme motif de restriction. Communiquer ces informations à l’organisateur lui permet de les apaiser et, par conséquent, de réduire les risques de désordre ainsi que de contribuer à une relation de coopération plutôt que de confrontation entre l’intéressé et les autorités. 134. Les organisateurs de la réunion, l’autorité de réglementation compétente, les membres des forces de l’ordre et les autres parties dont les droits pourraient être affectés par une réunion devraient déployer tous les efforts possibles pour parvenir à un accord mutuel sur l’heure, le lieu et les modalités de la réunion. Si, cependant, aucun accord n’est possible et aucune solution évidente ne se dégage, la négociation ou le dialogue par l’intermédiaire d’un médiateur peuvent contribuer à l’élaboration d’un compromis mutuellement acceptable avant la date notifiée de la réunion. Un dialogue véritable entre les parties concernées permet souvent d’arriver à une issue plus satisfaisante pour tous les acteurs concernés qu’un recours formel à la loi. La facilitation des négociations et du dialogue mené par l’intermédiaire d’un médiateur devrait, au nom de l’efficacité, revenir à des individus ou à des organisations n’ayant pas de lien avec les services de l’État ou l’organisateur. La présence des avocats des parties peut également favoriser les discussions entre l’organisateur de la réunion et les autorités. Ce dialogue débouche généralement sur de meilleurs résultats dès qu’il a été entamé à un stade aussi précoce que possible et qu’une relation de confiance a été instaurée entre les parties. Même s’il n’accouche pas toujours d’un accord, il constitue un outil préventif et contribue à éviter l’escalade du conflit ou bien l’imposition de restrictions arbitraires ou superflues. 135. Toute restriction à une réunion doit être communiquée par écrit à l’organisateur de l’événement accompagnée d’une brève explication de son motif (étant entendu que cette explication doit être conforme à des motifs prévus par les instruments de protection des droits de l’homme, tels qu’ils sont interprétés par les juridictions compétentes). Il appartient à l’autorité de réglementation d’apporter la preuve que les restrictions imposées sont raisonnables compte tenu des circonstances. Ces décisions doivent être également communiquées à l’organisateur dans un délai raisonnable, c’est-à-dire suffisamment à l’avance pour permettre à l’intéressé d’introduire un recours devant une Cour ou un tribunal indépendant avant la date notifiée. 136. L’autorité de réglementation devrait publier ses décisions de manière à ce que le public ait accès à des informations fiables concernant les événements tenus dans des lieux publics. Elle peut notamment procéder en publiant ses décisions sur un site Web réservé à cet usage. (...) Maintien de l’ordre pendant les réunions publiques (...) 147. Les gouvernements doivent faire en sorte que les personnels des services de maintien de l’ordre reçoivent une formation adéquate concernant le maintien de l’ordre pendant les réunions publiques. Cette formation devrait préparer ces fonctionnaires à agir de façon à éviter l’escalade de la violence et à réduire les conflits ; elle devrait inclure un volet « comportemental » (négociation, médiation, etc.). (...) (...) 149. Les services de maintien de l’ordre devraient adopter une démarche proactive dans leurs rapports avec les organisateurs de réunions : [l]e personnel compétent devrait s’efforcer d’envoyer des messages clairs tenant compte de l’importance du public prévu et réduisant les risques d’escalade du conflit. En outre, les manifestants devraient disposer du nom de leur contact au sein de la police de manière à pouvoir communiquer avec l’intéressé avant ou pendant la réunion. Les coordonnées de l’intéressé devraient être largement diffusées. 150. L’opération de maintien de l’ordre devrait être caractérisée par une politique basée sur « l’absence de surprise » : [l]es policiers devraient permettre aux membres de la foule de réagir individuellement à la situation à laquelle ils sont confrontés, y compris aux avertissements ou aux directives qui leur sont donnés. (...) 157. Recours à la médiation ou la négociation pour réduire les tensions pendant une réunion : [l]orsqu’une impasse ou un différend affecte la tenue d’une réunion, la négociation ou le dialogue par l’intermédiaire d’un médiateur peuvent être des moyens appropriés de recherche d’un compromis acceptable. (...) (...) 159. Les membres des forces de l’ordre devraient distinguer entre les participants pacifiques et non pacifiques : [n]i des incidents isolés de violence sporadique ni des actes violents commis par certains participants au cours d’une manifestation ne sauraient intrinsèquement constituer un motif suffisant pour imposer de sévères restrictions aux personnes participant pacifiquement à une réunion. Les membres des forces de l’ordre devraient donc éviter de traiter une foule comme une masse homogène lorsqu’ils procèdent à des arrestations ou, en dernier ressort, dispersent une réunion par la force. (...) (...) 164. Maintien de l’ordre dans le cadre d’une réunion pacifique s’étant transformée en réunion non pacifique : [l]es réunions pacifiques peuvent perdre leur caractère pacifique et, par conséquent, l’avantage de la protection qui leur est accordée en vertu du droit relatif aux droits de l’homme (...) L’ordre de dispersion d’une telle réunion émanant des autorités peut donc s’analyser en une réaction proportionnée. Cependant, le recours à la violence par un faible nombre de participants à une réunion (y compris le recours à des mots d’ordre incitant à la violence) ne transforme pas automatiquement un événement par ailleurs pacifique en un événement non pacifique, de sorte que toute intervention devrait viser à s’occuper des individus concernés plutôt qu’à disperser l’ensemble des participants. 165. Dispersion d’une réunion : [t]ant que les réunions demeurent pacifiques, elles ne devraient pas être dispersées par les responsables des forces de l’ordre. En fait, l’ordre de dispersion d’une manifestation ne devrait être donné par les autorités qu’en dernier recours, conformément à des règles fixées à l’avance et inspirées des normes internationales. Ces règles ne devraient pas être fixées par la législation, mais énoncées dans le cadre de lignes directrices relatives à la mise en œuvre de la législation ; en effet la loi devrait exiger l’adoption de lignes directrices de ce type. Ces dernières devraient préciser les circonstances méritant un ordre de dispersion et l’autorité habilitée à ordonner une telle mesure (par exemple conférer ce pouvoir uniquement aux officiers de police d’un certain rang). 166. La dispersion ne devrait intervenir que si les forces de l’ordre ont pris toutes les mesures raisonnables pour faciliter et protéger les participants à la réunion (notamment en neutralisant les spectateurs hostiles proférant des menaces), et uniquement en cas de risque immédiat de violence. 167. Les autorités devraient donc s’abstenir de donner un ordre de dispersion de réunion lorsque seul un faible nombre de participants agit de manière violente. Dans ce cas, il conviendrait de prendre des mesures visant uniquement les individus concernés. De même, à supposer que des agents provocateurs infiltrent une réunion par ailleurs pacifique, les autorités devraient prendre des mesures appropriées pour extraire les intéressés plutôt que dissoudre la réunion ou la déclarer illégale (...) 168. Si la dispersion est réputée nécessaire, l’organisateur de la réunion et les participants doivent être clairement informés oralement avant la moindre intervention des forces de l’ordre. Les participants devraient également bénéficier d’un délai raisonnable pour se disperser volontairement. Ce n’est que si les participants s’abstiennent de se disperser que les responsables des forces de l’ordre pourront intervenir plus avant. (...) »
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Le requérant est né en 1964 en Égypte et réside à Hamrun, à Malte. A. La genèse de l’affaire En 1991, la République de Malte avait délivré au requérant un visa de tourisme d’une validité de trois mois. Après la date d’expiration de son visa, l’intéressé resta à Malte de manière illégale. En 1993, alors qu’il avait vingt-neuf ans et vivait toujours en situation irrégulière à Malte, il rencontra MP, une ressortissante maltaise qui avait alors dix-sept ans. Trois mois plus tard, le 13 octobre 1993, ils se marièrent dans le cadre d’une cérémonie civile. Le 26 février 1994, ils se marièrent également selon le rite catholique. Le 18 novembre 1993, le requérant s’enquit de son statut de personne exemptée de l’obligation de détenir un titre de séjour (le « statut de personne exemptée » – paragraphe 34 ci-dessous), et le 23 novembre 1993 il engagea des démarches en vue d’obtenir la nationalité maltaise sur le fondement de son mariage avec une ressortissante maltaise. Son statut de personne exemptée fut confirmé le 2 mars 1994. Le 19 avril 1994, à la suite du traitement de sa demande et en conséquence de son mariage, il fut enregistré comme citoyen maltais. Le 12 septembre 1994, il demanda donc à renoncer à sa nationalité égyptienne (la Cour n’a pas reçu copie de son formulaire de demande). Il ressort d’une lettre émanant du consul de l’ambassade de la République arabe d’Égypte à Malte que le 29 septembre 1994, on avisa le requérant que sa demande avait été accueillie et on lui retira son passeport égyptien. À l’époque des faits, ni le droit égyptien ni le droit maltais n’autorisaient la double nationalité. Selon le Gouvernement, le requérant et MP connurent en 1994 divers problèmes de couple, qui conduisirent le premier à quitter le domicile conjugal à deux reprises. Le Gouvernement explique que le requérant avait fait preuve d’agressivité et qu’en particulier, le 5 juin 1994, il avait agressé physiquement son épouse enceinte, lui causant une incapacité permanente. MP aurait ensuite quitté le domicile conjugal. Le requérant fut inculpé, placé en détention provisoire, puis jugé et déclaré coupable de coups et blessures et condamné à une peine assortie d’un sursis. Dans l’intervalle, le 13 décembre 1994, le couple avait eu un enfant, LR. LR a la nationalité maltaise. Le couple continua de se quereller pour diverses raisons. Le 8 février 1995, MP engagea auprès des tribunaux une démarche visant à faire annuler le mariage. À l’issue d’une procédure contradictoire lors de laquelle les deux parties furent représentées par un avocat, le mariage du requérant fut annulé par un jugement daté du 19 janvier 1998. Le tribunal qui rendit le jugement se dit convaincu (au degré de conviction nécessaire dans les procédures civiles, c’est-à-dire selon le critère de la plus forte probabilité) que la seule raison qui avait conduit le requérant à se marier était sa volonté de rester à Malte et d’acquérir la nationalité maltaise, que par un acte positif de la volonté l’intéressé avait donc exclu le mariage lui-même et qu’il y avait eu simulacre de mariage. Non frappé d’appel, ce jugement devint définitif. Le requérant n’informa pas les autorités du jugement qui avait annulé son mariage, mais il continua de résider à Malte et conserva sa nationalité maltaise. Le 30 juin 2003, le requérant épousa VA, une ressortissante russe qu’il avait rencontrée quatre mois plus tôt. Il s’enquit du statut de personne exemptée de son épouse russe et il lui fut alors demandé de produire une copie du jugement d’annulation de son premier mariage. Le 4 juillet 2003, le requérant produisit une copie de ce jugement et ce n’est qu’à ce momentlà que les autorités prirent connaissance du motif de l’annulation de son premier mariage. Le 27 septembre 2004, VA, qui avait formé une demande à cet effet, obtint le statut de personne exemptée ; elle bénéficia dès lors d’une liberté complète de circulation (...) Selon les dires du Gouvernement, qui sont toutefois contestés par le requérant, il fut précisé que la perte de la nationalité maltaise par le requérant entraînerait la perte du bénéfice de ce statut. Le couple eut deux fils, VR et VL, nés respectivement en 2004 et 2005. Tous deux sont citoyens maltais. Le 8 mai 2006, le requérant apprit qu’en vertu de l’article 14 § 1 de la loi sur la nationalité maltaise (« la loi sur la nationalité » – voir la section « Le droit et la pratique internes et internationaux pertinents » ci-dessous) il allait faire l’objet d’un décret destiné à le priver de sa nationalité maltaise, qui suivant le jugement du 19 janvier 1998 apparaissait avoir été acquise par des moyens frauduleux. Le requérant fut également informé de son droit à une enquête. Le requérant contesta cette décision, soutenant qu’il était faux qu’il eût obtenu ce mariage par des manœuvres frauduleuses et soulignant qu’il avait trois enfants maltais. Une procédure destinée à éclaircir la situation du requérant et, si nécessaire, à le déchoir de sa nationalité maltaise fut alors engagée. Une commission d’enquête fut mise en place à cette fin, conformément à l’article 14 § 4 de la loi sur la nationalité. Un certain nombre d’auditions eurent lieu devant la commission, durant lesquelles le requérant fut assisté d’un avocat. L’intéressé fut autorisé à faire des observations orales et écrites et à présenter des éléments de preuve, notamment des témoignages. Il ressort des documents disponibles que le requérant contesta le fondement sur lequel avait reposé la décision d’annuler son mariage et soutint qu’il n’avait pas su qu’il lui était possible de faire appel de cette décision. Il récusa également les conclusions rendues par une juridiction pénale qui l’avait déclaré coupable, à l’endroit de son épouse, de coups et blessures ayant valu à celle-ci une incapacité permanente. L’ex-épouse du requérant, un fonctionnaire du service de la citoyenneté et des expatriés ainsi qu’un prêtre témoignèrent également. La recommandation finale adressée par la commission au ministre de la Justice et des Affaires intérieures ne fut pas communiquée au requérant. L’avocat de celui-ci demanda à plusieurs reprises mais en vain une copie du procès-verbal de la procédure. Le 31 juillet 2007, le ministre ordonna que la nationalité maltaise fût retirée au requérant, avec effet immédiat, conformément à l’article 14 § 1 de la loi sur la nationalité. Une lettre datée du 2 août 2007 et signée du directeur du service de la citoyenneté et des expatriés informa le requérant que le ministre de la Justice et des Affaires intérieures avait conclu qu’il avait obtenu la nationalité par des moyens frauduleux et avait en conséquence ordonné le 31 juillet 2007 qu’il fût immédiatement déchu de sa nationalité, comme le prévoyait l’article 14 § 1 de la loi sur la nationalité. La lettre lui demandait également de restituer son certificat d’enregistrement en tant que citoyen maltais ainsi que son passeport. B. La procédure de recours constitutionnel Le requérant forma un recours constitutionnel, dans lequel il invoquait les articles 6, 8 et 14 de la Convention. Il soutenait qu’il n’avait bénéficié ni d’un procès équitable ni d’un accès approprié à un tribunal pour faire statuer sur son droit à la nationalité. Il exposait que la déchéance de nationalité qui avait été prononcée à son égard n’était pas prévue par la loi, que son premier mariage n’avait pas été un mariage de complaisance et que la mesure litigieuse avait été prise sans que les conditions auxquelles elle était subordonnée fussent réunies. Par un jugement du 12 juillet 2011, le tribunal civil (première chambre), siégeant au titre de sa compétence constitutionnelle, rejeta le grief formulé par le requérant sur le terrain de l’article 6, concluant que la commission qui avait été instaurée n’était pas un tribunal mais uniquement un organe d’enquête habilité à émettre des recommandations mais pas à rendre des décisions définitives. Le tribunal estima toutefois qu’il y aurait violation des droits découlant pour le requérant de l’article 8 si, du fait de la déchéance de nationalité, l’intéressé devenait un étranger. Il ajouta que sa famille de jure (résultant du second mariage) serait irrémédiablement perturbée si, en tant que père (des deux enfants maltais nés de ce mariage), il devait aller vivre dans un autre pays. Ainsi, le tribunal considéra que le retrait de nationalité litigieux emportait violation de l’article 8. Par conséquent, il annula la décision du 31 juillet 2007 et estima qu’il n’était pas nécessaire de statuer sur les autres griefs. Saisie d’un recours, la Cour constitutionnelle rendit le 25 mai 2012 un arrêt infirmant en partie le jugement de première instance. Elle écarta le grief formulé sur le terrain de l’article 6 au motif que, faute d’un droit de caractère civil, cette disposition ne pouvait s’appliquer en l’espèce. À cet égard, elle rejeta la thèse du requérant selon laquelle le retrait de sa nationalité portait atteinte à son droit à une vie familiale et revêtait donc un caractère civil, considérant que la nationalité était une question de droit public qui relevait de ce fait des prérogatives de l’État. Elle réforma également la partie du jugement relative à l’article 8, précisant qu’il n’avait pas été établi que le requérant eût une vie de famille à Malte et que même si tel était le cas, la déchéance de nationalité ne le contraindrait pas nécessairement à quitter Malte. Elle ajouta que rien ne permettait d’ailleurs de dire que le requérant se verrait refuser l’autorisation de résider à Malte ni qu’il l’avait demandée et qu’elle lui avait été refusée, ni qu’une décision d’éloignement avait été prise. (...) II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES ET INTERNATIONAUX PERTINENTS A. Le droit interne (...) La loi sur la nationalité En ses dispositions pertinentes, la loi sur la nationalité, chapitre 188 du droit maltais, se lit ainsi : Article 14 – anciennement article 9 (avant les modifications adoptées en 2000) « 1) Sous réserve des dispositions du présent article, le ministre peut, par décret, déchoir de la nationalité maltaise tout citoyen maltais qui l’est devenu par enregistrement ou par naturalisation s’il est convaincu que l’enregistrement ou le certificat de naturalisation ont été obtenus par des moyens frauduleux, par de fausses déclarations ou par la dissimulation d’un fait matériel. 2) Sous réserve des dispositions du présent article, le ministre peut, par décret, déchoir de la nationalité maltaise tout citoyen maltais qui l’est devenu par enregistrement ou par naturalisation s’il est convaincu que ledit citoyen – a) s’est, en actes ou en paroles, montré déloyal ou mal disposé à l’égard du président ou du gouvernement maltais ; b) s’est, pendant un conflit armé dans lequel Malte était engagé, livré à des échanges ou à des communications illégaux avec un ennemi ou a pris part ou a été associé à une activité dont il savait qu’elle était menée dans le but de prêter assistance à un ennemi dans le cadre dudit conflit ; c) a, dans les sept années à compter de sa naturalisation ou de son enregistrement en tant que citoyen maltais, été condamné dans n’importe quel pays à une peine restrictive de liberté personnelle d’une durée non inférieure à douze mois ; ou d) a été résident ordinaire de pays étrangers pendant une période continue de sept ans et n’a pendant cette période – i) ni été à un quelconque moment au service de la République ou d’une organisation internationale dont l’État maltais était membre ; ii) ni fait part par écrit au ministre de son intention de conserver la nationalité maltaise. 3) Le ministre ne déchoit une personne de sa nationalité en vertu du présent article que s’il est convaincu qu’il est contraire à l’intérêt général que ladite personne conserve sa nationalité maltaise et, dans le cas visé au paragraphe 2c), que s’il lui apparaît que ladite personne ne deviendra pas apatride de ce fait. 4) Avant d’adopter un décret en vertu du présent article, le ministre doit informer par écrit la personne concernée du motif pour lequel il est envisagé de prendre ledit décret à son égard ainsi que de son droit à une enquête en vertu du présent article ; si ladite personne demande une enquête selon les modalités prescrites, le ministre transmet le dossier à une commission d’enquête composée d’un président, qui doit avoir déjà exercé une fonction judiciaire et est désigné par le ministre, ainsi que des autres membres que le ministre juge opportun de désigner. 5) Le ministre est en droit d’édicter des règles de pratique et de procédure à l’intention de la commission d’enquête formée en vertu du présent article, et ces règles peuvent, en particulier, prévoir l’attribution à ladite commission des pouvoirs, droits ou privilèges d’un tribunal et permettre que les pouvoirs ainsi attribués soient exercés par un ou plusieurs membres de la commission. » Article 15 « 1) Un ressortissant maltais qui est déchu de sa nationalité par un décret pris par le ministre en vertu de l’article 14 cesse d’être citoyen maltais dès l’adoption dudit décret. (…) » Article 19 « Le ministre n’est pas tenu de motiver l’acceptation ou le rejet d’une demande introduite en vertu de la présente loi, et la décision rendue par le ministre à la suite de pareille demande n’est pas susceptible d’appel ou de contrôle juridictionnel. » Article 27 « 1) Les dispositions de la loi de 2000 portant modification de la loi sur la nationalité sont sans effet sur l’acquisition ou la conservation de la nationalité maltaise qui a été obtenue en vertu de la Constitution maltaise ou de toute autre loi antérieurement à l’adoption de la loi de 2000. 2) La présente loi ne s’applique pas aux demandes d’enregistrement en qualité de citoyen maltais qui ont été déposées avant le 15 août 1999. » La commission d’enquête susmentionnée est régie par le règlement no 188.02 relatif à la commission d’enquête chargée de statuer sur les déchéances de la nationalité maltaise. Ce texte prévoit notamment que le conjoint non maltais d’un ressortissant maltais est éligible au « statut de personne exemptée », dont il peut bénéficier tant qu’il reste marié et qu’il vit avec ledit ressortissant. Conformément aux dispositions de la loi sur l’immigration (chapitre 217 du droit maltais), une personne exemptée bénéficie de la liberté de circulation. En vertu de la Constitution maltaise, cela signifie le droit de circuler librement sur tout le territoire maltais, le droit de résider en tout point du territoire maltais ainsi que le droit de quitter Malte et d’y rentrer. En 2004, Malte a adhéré à l’Union européenne, et les directives pertinentes y sont devenues applicables, notamment la Directive 2004/38/CE du 29 avril 2004 relative au droit des citoyens de l’Union et des membres de leurs familles de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres. En vertu de l’article 5 de la loi sur la nationalité, toute personne née à Malte devient ressortissante maltaise le jour de sa naissance. La loi prévoit toutefois aussi qu’une personne née à Malte le 1er août 1989 ou après cette date ne devient ressortissante maltaise que si le jour où elle est née, son père ou sa mère avait la nationalité maltaise ou avait été un citoyen maltais qui avait émigré de Malte (article 44 § 4a) et b) de la Constitution). Par souci d’éviter l’apatridie, ces deux conditions ne s’appliquent pas dans le cas d’un nouveau-né qui a été trouvé abandonné où que ce soit sur le territoire maltais. Pareil nouveau-né reste ressortissant maltais jusqu’à ce que soit établi son droit à une autre nationalité. (...) La réglementation sur l’immigration Le règlement no 217.04 énonce les règles suivantes : « 12. 1) Un ressortissant d’un pays tiers n’est autorisé à résider à Malte que si un titre de séjour uniforme à des fins spécifiques lui a été délivré. 2) Les dispositions du paragraphe 1) ne s’appliquent pas au ressortissant d’un pays tiers qui a reçu l’autorisation temporaire de séjourner à Malte le temps que soit traitée une demande d’asile ou une demande de titre de séjour uniforme. 3) [Pas encore en vigueur] Sans préjudice de l’article 7.3), les dispositions des articles 5, 6, 8, 9 et 10 s’appliquent mutatis mutandis à cette partie, de manière toutefois à ce qu’un ressortissant d’un pays tiers ne puisse pas demander d’autorisation ou de titre de séjour uniforme aux fins de chercher ou de prendre un emploi ; un ressortissant d’un pays tiers n’est pas non plus en droit de demander à faire modifier la nature de son titre de séjour uniforme afin qu’il lui donne le droit de chercher ou de prendre un emploi alors qu’il se trouve déjà à Malte, sauf sur instructions du ministre dans des circonstances exceptionnelles. » Les articles 5, 6, 8, 9 et 10 ont trait au séjour et à l’emploi de ressortissants de l’Union européenne. L’article 12.3) n’est pas encore entré en vigueur. Il prendra effet à la date ou aux dates que le ministre fera publier au Journal officiel. (...)
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Le parti requérant est un parti politique turc basé à Ankara. A. Informations liminaires En Turquie, l’article 69 de la Constitution confie à la Cour constitutionnelle turque (« la Cour constitutionnelle ») le contrôle des finances des partis politiques. Tout parti politique est ainsi tenu de communiquer chaque année ses comptes définitifs consolidés à la Cour constitutionnelle, qui examine la conformité des recettes et dépenses des partis politiques aux principes énoncés à l’article 69 de la Constitution et aux articles 70 à 77 de la loi no 2820 sur les partis politiques (« la loi sur les partis politiques »). Le non-respect des règles pertinentes est passible des sanctions prévues dans cette même loi. Les décisions rendues en la matière par la Cour constitutionnelle sont définitives. B. Le contrôle des comptes définitifs du parti requérant pour les années 2007-2009 De manière à se conformer à son obligation découlant des articles 69 de la Constitution et 74 et 75 de la loi sur les partis politiques, le parti requérant communiqua à la Cour constitutionnelle, pour contrôle, les comptes définitifs et consolidés de son siège et de ses sections locales pour les années 2007, 2008 et 2009. Si les dates exactes sont inconnues, il apparaît que les comptes ont été produits six mois au plus tard à compter de la fin de chaque année fiscale respective (c’est-à-dire avant le 30 juin, conformément à l’article 74(2) de la loi sur les partis politiques. La Cour constitutionnelle opéra un contrôle préliminaire le 1er juillet 2010 pour les comptes de 2007 et le 6 avril 2011 pour les comptes de 2008 et 2009. À l’issue de chaque contrôle préliminaire, elle jugea que les informations produites par le parti requérant étaient complètes et décida de procéder à un contrôle de fond. Le 7 octobre 2011, le 29 novembre 2011 et le 15 février 2012, la Cour constitutionnelle adressa au parti requérant des « questionnaires » concernant ses comptes pour les années 2007, 2008 et 2009, respectivement, dans lesquels elle lui demandait de fournir des renseignements et documents complémentaires sur certaines des dépenses qu’elle jugeait problématiques. Elle le pria également de produire les factures originales ou autres justificatifs, comme l’exigeait la loi no 213 sur la procédure fiscale (« la loi sur la procédure fiscale ») pour tous les chefs de dépenses non indiqués auparavant. Il apparaît que le parti requérant a répondu aux demandes de la Cour constitutionnelle 15 à 30 jours après leur réception (...) Il ne fut toutefois pas en mesure de produire les factures originales ou autres justificatifs sollicités de tous les chefs de dépenses. La Cour constitutionnelle rendit sa décision sur les comptes définitifs du parti requérant pour l’année 2007 le 7 mars 2012, puis ses deux décisions concernant les comptes pour les années 2008 et 2009 le 11 juillet 2012. La décision concernant les comptes pour 2007 fut publiée au Journal officiel du 5 avril 2012 et les décisions pour les comptes de 2008 et 2009 au Journal officiel du 20 septembre 2012. Dans chacune de ses trois décisions, la Cour constitutionnelle constata d’emblée que les recettes et dépenses présentées dans les comptes définitifs étaient financièrement exactes. Elle ajouta que les recettes perçues pendant la période considérée étaient pour la plupart conformes aux règles de financement énoncées dans la loi sur les partis politiques. Pour ce qui est des dépenses, elle fit les observations liminaires suivantes pour expliciter le fondement de son analyse : « L’un des principes essentiels de la comptabilité est celui de la « documentation ». L’article 229 de la loi sur la procédure fiscale l’explique ainsi : « une facture est un certificat commercial remis à un consommateur par un vendeur ou un marchand de manière à indiquer le montant dû par le consommateur en contrepartie des marchandises vendues ou du service accompli ». L’article 232, intitulé « obligation de facturation », précise dans quelles circonstances et par qui une facture doit être reçue et remise. À cet égard, il est obligatoire d’attester les achats de biens et de services à l’aide de factures et de se servir de celles-ci dans la comptabilité à titre de justificatifs. L’article 236 de cette même loi, intitulé « obligation de quittance », dispose que « les travailleurs indépendants sont tenus d’émettre une quittance en double exemplaire pour tout paiement reçu dans le cadre de leurs activités professionnelles et d’en remettre un exemplaire au consommateur, et celui-ci est tenu de demander et de recevoir cette quittance ». Le contenu d’une quittance est précisé à l’article 237. L’article 234 de cette même loi, intitulé « note de frais », dispose que (...) les [commerçants exonérés d’impôts] qui n’ont pas l’obligation de fournir une facture sont tenus d’émettre des notes de frais. L’article 70(3) de la loi no 2820 [sur les partis politiques] dispose que les dépenses inférieures à cinq mille lires n’ont pas à être attestées par des justificatifs tels qu’une quittance ou une facture, et que toute dépense supérieure à ce montant doit être fondée sur un justificatif adéquat. Aux termes de l’article 70 de la loi sur les partis politiques, « [t]outes les dépenses d’un parti politique doivent être occasionnées pour le compte du parti politique en sa qualité de personne morale » et, conformément à l’article 75 de la même loi, « [à] l’issue de son contrôle, la Cour constitutionnelle se prononce sur l’exactitude et la légalité des recettes et dépenses du parti politique et ordonne l’inscription de toute recette ou dépense irrégulière en tant que revenu auprès du Trésor public ». La loi no 6111 (...), publiée au Journal officiel du 25 février 2011 [et qui a apporté plusieurs modifications à l’article 74 de la loi sur les partis politiques], entrée en vigueur à la date de sa publication, ne prévoit pas (...) l’application [rétroactive] des dispositions modifiées (...) ; dès lors, les dispositions non modifiées s’appliquent aux contrôles et procédures antérieurs aux modifications. » Sur la base des principes énoncés ci-dessus, la Cour constitutionnelle jugea contraires à la loi sur les partis politiques certaines dépenses occasionnées pendant les périodes considérées. Ces violations se scindaient en deux catégories. La première regroupait les dépenses considérées comme n’ayant pas été faites « conformément aux objectifs du parti politique » et « pour le compte du parti politique en sa qualité de personne morale » sur la base d’une décision de l’organe compétent du parti, comme l’imposait l’article 70 de la loi sur les partis politiques. La seconde catégorie regroupait les dépenses non attestées par les justificatifs nécessaires, comme l’imposait l’article 76, qu’elles eussent été légales ou non. Aussi la Cour constitutionnelle ordonna-t-elle, sur la base des articles 75 et 76 de cette même loi, la « confiscation des actifs du parti » à hauteur des montants correspondants à ces dépenses irrégulières pour chaque année considérée. Le tableau ci-dessous fait la synthèse détaillée des décisions de la Cour constitutionnelle (les montants sont indiqués en lires turques) : Dans l’annexe ci-après figurent d’autres détails concernant les dépenses individuelles jugées irrégulières par la Cour constitutionnelle. Dépenses dépourvues de justificatifs Se référant aux strictes conditions de justification posées dans la loi sur la procédure fiscale (paragraphe 11 ci-dessus), la Cour constitutionnelle jugea que toutes les dépenses qui n’étaient pas attestées par des factures originales, des quittances ou des notes de frais étaient « dépourvues de justificatifs ». Le parti requérant l’avisa que, compte tenu de l’énorme masse de documents circulant en son sein, les originaux de certaines factures avaient été perdus et il produisit d’autres documents comme preuves de paiement. Cependant, lorsque la dépense concernait une transaction facturable, la Cour constitutionnelle n’accepta pas comme preuves de paiement les reçus, récépissés, ordres de paiement ni même les duplicatas ou copies authentifiées de factures, et elle ordonna la confiscation des actifs du parti requérant à hauteur des montants correspondants aux dépenses non attestées par des justificatifs. Autres dépenses illégales Les dépenses considérées comme n’ayant pas été engagées « conformément aux objectifs du parti politique » et « pour le compte du parti politique en sa qualité de personne morale » à la suite d’une décision de l’organe compétent du parti et celles considérées comme « ne relevant pas des activités politiques du parti » représentaient un large ensemble d’activités financières. Parmi ces dépenses figuraient les frais de bouche, de pharmacie et de logement, dont ceux des membres du parti ainsi que ceux des employés du siège de celui-ci ou de ses sections de jeunesse. Bien que le parti requérant eût soutenu que les dépenses en question avaient été engagées par les individus en question dans le cadre de leurs fonctions officielles, la Cour constitutionnelle n’y vit pas des dépenses régulières puisque les factures avaient été libellées au nom des membres ou employés du parti et non de celui-ci. De plus, le parti requérant n’avait produit aucun autre élément concret permettant de prouver le caractère professionnel de ces dépenses. À cet égard, la Cour constitutionnelle refusa de reconnaître que les frais de bouche du chauffeur du chef du parti requérant et d’autres chauffeurs travaillant pour le parti fussent attribuables à celui-ci, alors qu’il avait expliqué que les dépenses en question avaient été occasionnées par les chauffeurs dans l’exercice de leurs fonctions. Parmi les frais de bouche jugés illégaux figuraient les dépenses du chef de la section de jeunesse du parti requérant, F.P., qui apparaissait avoir organisé six dîners en 2008 en rapport avec des préparatifs électoraux. La Cour constitutionnelle reconnut que deux de ces dîners étaient des dépenses régulières en rapport avec les travaux du parti mais le refusa pour les quatre autres sans explication. La Cour constitutionnelle jugea que le remboursement des frais de bouche et des frais de déplacement des personnes travaillant pour le parti requérant mais ne relevant pas de la convention collective entre celui-ci et ses salariés, par exemple les travailleurs indépendants, n’était pas considéré comme conforme aux « objectifs du parti ». Elle ajouta que les repas offerts aux personnes ayant fait bénéficier le parti de différents services mais étant au regard de la loi des employés d’autres personnes morales de droit privé ou public, par exemple des policiers, des employés municipaux, des journalistes ou des jardiniers, ne pouvaient être qualifiés de dépenses légitimes en vertu de la loi sur les partis politiques parce que les frais de bouche devaient être acquittés par l’employeur de la personne en question et non par le parti requérant. Elle dit que certains dîners organisés pour des occasions spéciales par des invités, des bénévoles ou des employés du parti étaient également considérés comme des dépenses personnelles sans lien avec le parti en sa qualité de personne morale, tandis que certains autres dîners étaient reconnus comme rattachés aux activités du parti. À cet égard, elle précisa que les dépenses occasionnées par les repas organisés pour la Fédération Alevi-Bektaşi et l’association Pir Sultan Abdal, ainsi que par les repas organisés pour des employés du parti à l’occasion du Baïram et à la suite du décès du père de l’un d’eux, n’auraient pas dû être réglées à l’aide du budget du parti, tandis qu’elle estima légitimes des dépenses occasionnées par le don de victuailles à des employés de Tekel pendant leur grève. La Cour constitutionnelle refusa par ailleurs de reconnaître la régularité d’un grand nombre de frais de déplacement, parce que les billets d’autobus et d’avion en question avaient été émis au nom des voyageurs et non pour le compte du parti, et que les décisions officielles des organes compétents du parti autorisant les voyages n’avaient pas été produites. En outre, elle ne considéra pas le remboursement des frais de passeport de différents employés comme étant en rapport avec les objectifs du parti – alors même que les passeports avaient été obtenus aux fins des voyages liés aux activités de ce dernier –, parce qu’un passeport pouvait également servir aux voyages personnels. Elle jugea également illégale l’impression de cartes de visite aux employés du parti, y voyant des dépenses personnelles. Les sommes versées aux employés autrement qu’au titre de droits expressément visés dans la convention collective, y compris les primes de nouvelle année (environ 35 euros (EUR) par personne en 2008) et les primes de surcroît de travail en période d’élections législatives, furent également considérées comme ne relevant pas des dépenses régulières prévues par la loi sur les partis politiques. De plus, les chocolats distribués au personnel pour l’Aïd-el-Fitr (Ramazan Bayramı) en 2009 furent considérés comme des dépenses irrégulières, mais pas ceux distribués à l’occasion d’une autre fête religieuse, l’Aïd-al-Adha (Kurban Bayramı). Les couvertures, parapluies et imperméables de fonction achetés au siège du parti furent également considérés comme des dépenses personnelles, mais pas les vêtements et lave-vaisselle achetés pour les besoins du personnel. En outre, les sommes versées au personnel de sécurité et de nettoyage dépassant les montants expressément indiqués dans les contrats de service, dès lors que ces dépassements – aussi faibles fussent-ils – ne pouvaient pas être expliqués par des hausses des cotisations sociales ou des impôts, étaient regardées comme non justifiées et donc comme irrégulières. La Cour constitutionnelle conclut également que les indemnités de départ offertes aux employés dont les contrats avaient pris fin, y compris la prime de départ minimale, les jours de congés non pris et les avantages correspondant à ceux-ci, n’étaient pas conformes à la loi sur le travail et étaient donc irrégulières, les avantages correspondant aux jours de congés non pris n’ayant pas à être pris en compte dans les indemnités de départ. Le contrôle des comptes pour les années 2007 à 2009 révéla également que le parti requérant avait versé des frais de justice dans le cadre de divers procès faisant intervenir des membres de l’appareil dirigeant et/ou des députés du parti, y compris son chef pendant la période considérée. Le parti requérant avait dit que les procès en question concernaient ses activités politiques et non des litiges personnels, mais la Cour constitutionnelle n’en jugea pas moins que ces frais de justice devaient être acquittés par les personnes en question, quels que soient leur rôle ou leur situation au sein du parti requérant, qui n’était partie à aucun de ces procès. Dans la décision du 11 juillet 2012 concernant le contrôle des comptes pour 2009 (paragraphe 17 ci-dessus), l’un des juges se dissocia du raisonnement de la majorité en la matière et dit qu’exiger que chaque membre du parti politique s’acquitte personnellement de ces frais, quelles que soient les conséquences du litige sur le parti, réduirait indûment le champ des activités politiques du parti, en violation de la Constitution. La Cour constitutionnelle jugea également irrégulier le versement d’une somme à Halk TV, une chaîne de télévision nationale, pour diffuser en direct des rassemblements et activités politiques auxquels le chef du parti requérant avait participé, et pour relater des réunions du groupe parlementaire, des conférences de presse et des déclarations importantes de membres de l’appareil dirigeant du parti, ainsi que pour distribuer ces matériaux à d’autres médias. Elle estima que, légalement, si le parti requérant pouvait payer pour la diffusion en direct des événements en question, des dépenses supplémentaires pour le règlement des coûts de production et pour l’attribution d’une bande passante de diffusion étaient inacceptables, de tels frais devant être acquittés par Halk TV elle-même. De plus, les sommes versées en 2009 pour la location de véhicules aux fins de la diffusion de rassemblements organisés par le parti dans différentes provinces n’étaient considérées comme régulières que si elles étaient accompagnées des contrats de location en question et d’informations détaillées sur la nature exacte des services sollicités. La Cour constitutionnelle ajouta qu’un accord avait déjà été conclu avec Halk TV pour couvrir les rassemblements politiques et d’autres événements du parti requérant. Les frais de carburant et autres (par exemple l’installation de systèmes de son, de haut-parleurs et de microphones) pour les véhicules détenus ou loués par le parti et ses sections locales ne furent considérées comme ayant été engagés pour le compte du parti et conformément à ses objectifs que si les certificats d’immatriculation ou les contrats de location des véhicules avaient été communiqués à la Cour constitutionnelle, avec les factures. Les frais de carburant et autres dépenses pour les véhicules mis à la disposition du parti par des bénévoles au cours des campagnes électorales furent quant à eux considérés comme totalement illégaux si n’était pas produit un contrat de mise à disposition par les bénévoles aux fins de l’usage de ces véhicules. La Cour constitutionnelle jugea que les dons de pièces d’or comme cadeaux de mariage au cours des cérémonies nuptiales auxquelles avait participé le chef du parti requérant pour le compte de celui-ci ne pouvaient être considérés comme ayant été faits pour le compte du parti ou conformément à ses objectifs. De même, les coûts représentés par l’envoi de fleurs par le trésorier du parti requérant à certaines occasions spéciales ne pouvaient être qualifiés de dépenses régulières dès lors que la facture avait été libellée au nom non pas du parti mais du trésorier. La Cour constitutionnelle ajouta que les amendes pour les infractions routières commises par les chauffeurs du parti, ainsi que les amendes ou intérêts versés pour retard d’exécution de différentes obligations pécuniaires, par exemple le versement de cotisations sociales, d’indemnités judiciaires, de loyers ou de taxes sur les véhicules du parti, ne pouvaient régulièrement relever du budget du parti et devait être acquittées par les individus responsables de ces défauts de paiement. De plus, la Cour constitutionnelle estima que les avances sur salaire versées à 52 employés en 2009 n’avaient été que partiellement remboursées. L’article 72 de la loi sur les partis politiques interdisant à ceux-ci le prêt, les avances en question étaient irrégulières et les montants furent donc confisqués en totalité (y compris ceux remboursés par les employés en question). Avertissement La Cour constitutionnelle émit également un certain nombre d’avertissements concernant certaines dépenses en 2008 et 2009. L’un de ces avertissements concernait le versement des salaires des employés. Le parti requérant avait certes produit les ordres de paiement en question, mais pas les relevés bancaires indiquant que les montants en question avaient réellement été versés. La Cour constitutionnelle le somma de joindre ses relevés à ses comptes consolidés de manière à attester que les sommes en question avaient bien été versées. Un autre avertissement fut donné concernant une somme versée à une société privée pour l’installation d’un système de son dans un autocar électoral. La Cour constitutionnelle pria le parti requérant de produire un document technique indiquant quand le travail avait été achevé ainsi qu’un récépissé indiquant que l’autocar avait été dûment livré. Le parti requérant répondit qu’il n’y avait aucune obligation légale de faire établir de tels documents. La Cour constitutionnelle dit que, sans ces éléments, elle ne pouvait pas savoir si la prestation avait été effectuée dans les délais et, dans la négative, si le prestataire avait payé la pénalité prévue dans le contrat de service pour manquement à ses obligations. Il y eut encore un autre avertissement, concernant des incohérences entre les dépenses du parti et son inventaire, un certain nombre d’objets supposément acquis pour les besoins du parti (trois téléviseurs et un ordinateur) n’ayant pas été inscrits dans l’inventaire. La Cour constitutionnelle émit également, au sujet des avances sur salaire versées à certains employés en 2009, un avertissement qui s’ajoutait à la confiscation d’actifs du parti requérant à hauteur du montant total des avances en question (paragraphe 29 ci-dessus). C. Sommes versées par le parti requérant au Trésor public Sommes versées concernant les comptes définitifs pour 2007 Le 11 mai 2012, le parti requérant reçut une lettre de la préfecture d’Ankara le sommant de verser les montants indiqués dans la décision de la Cour constitutionnelle concernant le contrôle de ses comptes définitifs pour 2007, d’un montant total de 3 372 446 lires turques (TRY ; soit environ 1 435 000 EUR au 7 mars 2012, date du prononcé de la décision), dans les 30 jours à compter de la réception de la lettre. Par une lettre du 23 mai 2012, le parti requérant demanda à la préfecture d’Ankara le report du paiement jusqu’en janvier 2013, compte tenu des difficultés financières auxquelles il ferait face pour le reste de l’année 2012 s’il venait à verser immédiatement les sommes en question. Le 12 mars 2013, le ministère des Finances avisa le parti requérant que les sommes dues pour les comptes définitifs de 2007 avaient été déduites des fonds publics qui lui avaient été alloués le 10 janvier 2013 pour cette année, majorées de 176 211 TRY d’intérêts, à compter de la date à laquelle les sommes étaient exigibles (c’est-à-dire le 12 juin 2012). Le montant déduit s’élevait donc à environ 3 549 000 TRY (soit environ 1 527 000 EUR au 10 janvier 2013). Sommes versées concernant les comptes définitifs pour 2008 et 2009 Le 31 octobre 2012, le parti requérant reçut une lettre de la préfecture d’Ankara le sommant de verser les montants indiqués dans les décisions de la Cour constitutionnelle concernant le contrôle de ses comptes définitifs pour 2008 et 2009, plus les intérêts, soit un montant total d’environ 3 738 700 TRY (soit environ 1 604 000 EUR au 31 octobre 2012), dans les dix jours à compter de la réception de la lettre. Par une lettre du 6 novembre 2012, le parti requérant demanda là encore à la préfecture d’Ankara une lettre le report jusqu’en janvier 2013 du paiement des sommes dues concernant ses comptes pour 2008 et 2009. Le 15 janvier 2013, le parti requérant paya 1 432 257,30 TRY (soit environ 602 212 EUR courants) au Trésor public pour ses dépenses irrégulières, conformément à la décision de contrôle de la Cour constitutionnelle concernant l’année 2008, ainsi que 1 257 030,83 TRY (soit environ 531 168 EUR courants) pour la décision concernant ses comptes de l’année 2009. Il refusa de payer les intérêts, qu’il contesta devant les autorités compétentes. Le 7 juin 2013, le parti requérant versa au Trésor public la somme de 45 920 TRY (soit environ 18 460 EUR) à titre d’intérêts moratoires sur les sommes confisquées concernant ses comptes pour 2008 et 2009. D. Développements ultérieurs Le 30 mars 2014 furent tenues des élections locales en Turquie. II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS L’article 69 de la Constitution turque, consacré aux principes que doivent respecter les partis politiques, est ainsi libellé : « Les recettes et dépenses d’un parti politique doivent être conformes à ses objectifs. L’application de cette règle est régie par la loi. Le contrôle des recettes, dépenses et acquisitions des partis politiques, ainsi que la vérification de la légalité de leurs recettes et dépenses, les méthodes de contrôle et les sanctions applicables en cas de non-conformité sont eux aussi régis par la loi. La Cour constitutionnelle est assistée dans sa fonction de contrôle par la Cour des comptes. Les arrêts rendus par la Cour constitutionnelle à l’issue de son contrôle sont définitifs. » Voici les dispositions pertinentes, pendant la période considérée, de la loi sur les partis politiques, entrée en vigueur le 24 avril 1983 : Article 70 « Les dépenses d’un parti politique ne peuvent être incompatibles avec ses objectifs. Toutes les dépenses d’un parti politique doivent être occasionnées pour le compte du parti politique en sa qualité de personne morale. Une dépense d’un montant inférieur à cinq millions de lires [montant révisé chaque année] n’a pas à être attestée à l’aide d’un justificatif tel qu’une quittance ou une facture. Toutefois, toutes les dépenses doivent être fondées sur une décision de l’organe compétent [du parti]. Aucune décision n’est requise pour ce qui est des dépenses ne dépassant pas cinq millions de lires [montant révisé chaque année] et des frais basés sur les taux généraux, pourvu que ces dépenses soient prévues dans le budget autorisé par l’organe compétent [du parti] ». Article 72 « Un parti politique ne peut consentir de prêt à l’un de ses membres ni à aucune autre personne physique ou morale ». Article 74 « Le contrôle [des comptes] des partis politiques est confié à la Cour constitutionnelle. La Cour constitutionnelle vérifie la conformité à la loi des acquisitions, recettes et dépenses des partis politiques. (...) » Article 75 « (...) À l’issue de son contrôle, la Cour constitutionnelle se prononce sur l’exactitude et la légalité des recettes et dépenses du parti politique et ordonne l’inscription de toute recette ou dépense irrégulière en tant que revenu auprès du Trésor public. (...) » Article 76 « (...) Les actifs d’un parti à hauteur de [ses] dépenses non justifiées sont inscrits en tant que revenus auprès du Trésor public. » Article 104 « Le procureur général saisit d’office la Cour constitutionnelle s’il constate qu’un parti politique enfreint les dispositions obligatoires de la présente loi, à l’exception de son article 101, ou d’autres lois relatives aux partis politiques. Si elle constate une violation des dispositions pertinentes, la Cour constitutionnelle adresse au parti politique en question un avertissement afin de la rectifier. (...) » Article 1 additionnel « (...) L’aide [financière] [de l’État] ne peut servir qu’aux besoins ou aux travaux du parti ». Le 13 février 2011, les paragraphes suivants ont été insérés dans l’article 74 de la loi sur les partis politiques : « (...) Toutefois, le contrôle de légalité ne peut être conduit d’une manière qui restreindrait les activités jugées nécessaires à l’accomplissement des objectifs du parti politique ou qui se prononcerait sur leur opportunité. Il est axé sur la nature de la dépense. Un vice de forme ou de procédure n’entraîne pas le refus de la dépense. (...) Un parti politique peut engager toute dépense relevant de ses activités politiques qu’il juge nécessaire à l’accomplissement de ses objectifs. (...) Les partis politiques doivent attester leurs dépenses à l’aide de factures, [de] justificatifs tenant lieu de factures [ou,] s’il n’est pas possible de produire de telles pièces, à l’aide d’autres documents dont le contenu permet de vérifier l’exactitude de [leurs] dépenses. Toutefois, si [les] originaux ne peuvent être produits pour cause de force majeure (...), des copies certifiées conformes produites par l’émetteur peuvent être communiquées à la place des factures originales ou des [autres] documents tenant lieu de factures. Un parti politique peut inscrire comme dépenses les prestations d’assurance-maladie et d’assistance sociale qu’il offre en nature ou en numéraire aux personnes qu’il emploie à titre temporaire ou permanent, en contrepartie de leur versement, [ainsi que] les frais de logement, de transport et les autres dépenses nécessaires occasionnées par le déplacement sur le territoire national ou à l’étranger des personnes chargées d’accomplir les objectifs [du parti] ». Voici les dispositions pertinentes de la loi no 2949 relative à la création et aux règles de procédure de la Cour constitutionnelle, désormais abrogée : Article 18 « Les devoirs et attributions de la Cour constitutionnelle sont : .. Le contrôle de la légalité de l’acquisition de biens par les partis politiques ainsi que de leurs recettes et dépenses ». Article 30 « La Cour constitutionnelle examine les affaires sur la base d’une procédure écrite, sauf lorsqu’elle siège en qualité de Cour pénale suprême (Yüce Divan) ; elle peut faire entendre toute personne dont elle jugerait l’audition nécessaire (...) » Les articles 16 et 17 du règlement de la Cour constitutionnelle (Anayasa Mahkemesi İçtüzüğü), tels qu’en vigueur à l’époque des faits, précisaient ainsi les modalités du contrôle opéré par la Cour constitutionnelle sur les comptes des partis politiques : Article 16 : Examen préliminaire « Les copies certifiées conformes des comptes définitifs consolidés [d’un parti politique] communiquées à la Cour constitutionnelle sont examinées par les rapporteurs que désigne la présidence [de la Cour constitutionnelle]. Les rapporteurs recherchent si les comptes définitifs qui leur sont communiqués ont été établis conformément aux articles 73 et 74 de la loi sur les partis politiques et s’ils comportent des erreurs ou incohérences factuelles [notables]. Si nécessaire, ils peuvent demander directement aux responsables compétents [du parti] des informations sur ces questions. (...) Les rapporteurs présentent leur rapport à la présidence dans les deux mois au plus tard ; le cas échéant, ils signalent toute lacune, erreur ou incohérence et indiquent de quelle manière y remédier. (...) Le parti dispose d’un délai raisonnable, d’une durée ne dépassant pas trois mois, pour remédier à toute lacune, erreur ou incohérence. Dès lors qu’il n’y a plus aucune lacune, erreur ou incohérence, ou qu’il y est dûment remédié, l’examen au fond est décidé. Le parti en question est informé de cette décision ». Article 17 : Examen au fond « L’examen au fond est conduit [aux fins d’établir] l’exactitude et la légalité des recettes et dépenses des partis politiques. L’examen d’exactitude consiste à vérifier les livres et pièces sur la base desquels les comptes définitifs sont établis. L’examen de légalité consiste à vérifier si les recettes sont tirées des sources indiquées aux articles 61 à 69 de la loi sur les partis politiques et si les dépenses ont été engagées conformément aux articles 70 à 72 [de la même loi]. Les rapporteurs désignés examinent tout d’abord les budgets annuels, les livres, les relevés des recettes et dépenses et toute autre pièce pertinente au siège du parti, avant de les comparer aux comptes définitifs. Si nécessaire, ils peuvent demander aux sections locales les pièces permettant de vérifier les informations dans les comptes définitifs, ainsi qu’une explication. Lorsqu’ils estiment nécessaire de conduire un examen sur les lieux, ils en font la demande par écrit auprès de la présidence, à la suite de quoi la Cour constitutionnelle décide des mesures à prendre à la lumière de l’article 75 de la loi sur les partis politiques. Les rapporteurs présentent les conclusions de leur examen au fond à la présidence, ainsi que leurs avis, et assistent aux délibérations au fond tout en apportant les explications nécessaires. (...) Les décisions en matière de contrôle des comptes sont publiées au Journal officiel. » III. ÉLÉMENTS PERTINENTS DE DROIT INTERNATIONAL ET DE DROIT COMPARÉ A. Le droit et la pratique des États membres du Conseil de l’Europe La Cour a étudié la législation de 30 États membres du Conseil de l’Europe afin de recueillir des données comparatives sur l’encadrement juridique du contrôle des finances et dépenses des partis politiques. Il apparaît que, si la quasi-totalité des États membres étudiés (les exceptions étant Malte et la Suisse) soumettent les finances des partis politiques à un contrôle confié à un organe de surveillance spécial désigné par la loi, les types d’organes eux-mêmes varient considérablement, ainsi que les modalités de contrôle. Le contrôle des comptes des partis politiques dans la plupart des pays est opéré tous les trimestres, tous les ans ou tous les deux ans, et n’est pas réservé aux campagnes électorales. Les États membres étudiés divergent s’agissant de la délimitation précise de l’étendue des pouvoirs de contrôle. Si certains d’eux prévoient des pouvoirs de contrôle adaptés et relativement délimités, d’autres accordent aux organes de contrôle des pouvoirs plus larges ou moins précisément définis. La majorité des États membres étudiés imposent certaines formes de restrictions aux dépenses des partis politiques, applicables exclusivement pendant les campagnes électorales ou aussi hors de ces périodes. Si l’obligation de justifier les dépenses existe également dans la plupart des États étudiés, les exigences sont toutefois plus ou moins strictes. La plupart des États membres prévoient diverses formes de sanctions en cas d’entorse aux règles en matière de dépenses, allant de l’avertissement ou de l’amende administrative à la perte ou à la suspension du financement du parti, à la dissolution de celui-ci voire aux sanctions pénales. La Cour note globalement que le contrôle des finances des partis politiques apparaît faire l’objet d’un consensus ; toutefois, les moyens par lesquels chaque État membre le réalise varient considérablement. B. Autres sources internationales Les lignes directrices sur la réglementation des partis politiques établies (CDL-AD(2010)024) par le Bureau des institutions démocratiques et des droits de l’homme de l’OSCE (« le BIDDH ») et la Commission européenne pour la démocratie par le droit (« la Commission de Venise »), adoptées par la Commission de Venise les 15-16 octobre 2010, prévoient ceci : « Introduction (...) Les partis politiques sont des associations privées qui jouent un rôle essentiel en tant qu’acteurs politiques dans la sphère publique. Pour assurer un juste équilibre entre la réglementation par l’État des partis en tant qu’acteurs publics et le respect des droits fondamentaux des membres des partis en tant que citoyens, y compris leur droit d’association, il convient d’élaborer une législation bien pensée et soigneusement adaptée. Cette législation ne doit pas s’ingérer dans la liberté d’association. (...) Droits fondamentaux conférés aux partis politiques La liberté d’association est le droit essentiel régissant le fonctionnement des partis politiques. Un ensemble de traités universels, européens et d’autres textes régionaux reconnus consacre le droit d’exercer pleinement la liberté d’association, y compris en vue de former des associations politiques, à tous les individus (...) C’est à ce titre que les groupes de personnes ayant choisi de s’associer dans un parti politique doivent également jouir de la protection complète des droits connexes. Les droits à la liberté d’association, d’expression et de réunion ne peuvent être limités que dans la mesure où une telle restriction s’avère nécessaire dans une société démocratique. (...) Principes (...) Principe 3. Légalité Toutes limitations imposées à l’exercice du droit à la liberté d’association et d’expression devraient se fonder formellement sur la Constitution ou la législation de l’État concerné (...) La loi doit être claire et précise et indiquer à l’ensemble des partis politiques à la fois les activités considérées comme illégales et les sanctions applicables en cas de violation (...) Principe 4. Proportionnalité Toute limitation imposée aux droits des partis politiques doit revêtir un caractère proportionné et capable de remplir l’objectif spécifique qui lui est assigné. Concernant plus particulièrement les partis politiques, compte tenu du rôle fondamental que ces entités jouent dans le processus démocratique, la proportionnalité devrait être soigneusement pesée et les mesures d’interdiction appliquées de manière restrictive. Comme indiqué plus haut, seules les restrictions nécessaires dans une société démocratique et prévues par la loi devraient pouvoir être imposées. À supposer que des restrictions ne remplissent pas ces critères, elles ne sauraient être légitimement considérées comme proportionnées à l’infraction (...) Principe 8. Bonne administration de la législation relative aux partis politiques (...) La compétence et l’autorité des organismes de contrôle devraient être explicitement fixées par la loi (...) Les décisions qui affectent les droits des partis politiques doivent être prises rapidement (...) Principe 10. Transparence Les partis politiques peuvent obtenir certains privilèges légaux, qui ne sont pas disponibles aux autres associations, en raison du fait qu’ils sont agréés en tant que parti politique (...) La contrepartie de ces avantages que n’ont pas les autres associations, est de soumettre les partis politiques au respect de certaines obligations en raison de leur statut légal acquis. Cela peut prendre la forme de l’exigence de rapports imposés ou de la transparence des arrangements financiers. La législation devrait fournir des détails précis sur les droits et responsabilités pertinentes qui accompagnent l’obtention du statut légal de parti politique. » Les notes interprétatives des lignes directrices précisent ceci : « Principes généraux (...) Légalité Toute restriction à la liberté d’association doit se fonder sur une disposition constitutionnelle ou législative et non pas sur un règlement d’application et doit être également conforme aux instruments internationaux pertinents. Les restrictions de ce type doivent être claires, faciles à comprendre et se prêter à une application uniforme afin que tous les individus et les partis soient en mesure de comprendre les conséquences attachées à leurs violations. Les restrictions doivent être nécessaires dans une société démocratique (...) De manière à éviter que les restrictions ne soient appliquées de manière abusive, la législation doit être soigneusement élaborée afin de n’être ni trop détaillée ni trop vague. Proportionnalité (...) La proportionnalité devrait être évaluée sur la base de plusieurs facteurs dont : - la nature du droit en question ; - le but de la restriction envisagée ; - la nature et l’étendue de la restriction envisagée ; - la relation (de pertinence) entre la nature de la restriction et le but qu’elle poursuit ; - la présence éventuelle de moyens moins restrictifs permettant d’atteindre le but déclaré dans les circonstances de l’espèce. (...) Réglementation du financement des partis et des campagnes (...) Exigences en matière d’information financière relative aux partis 201. L’article 7, paragraphe 3, de la Convention des Nations Unies contre la corruption (CNUCC) oblige les États signataires à déployer des efforts de bonne foi afin d’accroître la transparence du financement des candidatures à un mandat public et des partis politiques. La communication d’informations financières sur le parti constitue le principal instrument permettant de mettre cette politique de transparence en œuvre. (...) 202. Les partis politiques devraient être tenus de soumettre leurs rapports de divulgation à l’organe de contrôle compétent au moins une fois par an, même les années où aucune campagne n’a lieu. Ces rapports devraient indiquer à la fois les contributions reçues et les dépenses engagées. (...) Contrôle des partis politiques – Établissement d’organes de contrôle (...) Compétences et mandat des organes de contrôle 219. Il conviendrait d’identifier clairement les organes responsables du contrôle des partis politiques et d’énoncer des lignes directrices précises définissant leurs fonctions et les limites de leur pouvoir. (...) 221. La législation devrait clairement définir le processus de prise de décision des organes de contrôle. Les organes chargés de la surveillance des partis politiques devraient s’abstenir d’exercer un contrôle excessif sur les activités des intéressés. La majorité de ces fonctions relève en effet des affaires internes des partis et ne devrait être portée à l’attention des autorités que dans des circonstances exceptionnelles et uniquement pour garantir le respect de la loi. (...) Sanctions contre les partis politiques pour non-respect de la loi 224. Les sanctions devraient être applicables aux partis politiques reconnus coupables d’une violation de la réglementation pertinente. Ces sanctions devraient toujours être objectives, applicables, efficaces et proportionnées par rapport à l’objectif spécifique poursuivi. (...) 225. Les sanctions pour non-respect des dispositions légales devraient être variées. Comme indiqué ci-dessus, les sanctions doivent être en lien avec la violation et le respect du principe de proportionnalité. Ces sanctions devraient inclure : - des amendes administratives dont le montant devrait tenir compte de la nature de la violation, y compris si cette dernière est une récidive ; - La perte partielle ou totale du financement public et d’autres formes de soutien public, qui pourraient être imposées comme une mesure temporaire pour une période de temps définie ; - Suspension du soutien de l’État pour l’avenir ou pendant un laps de temps déterminé ; - La perte totale ou partielle du remboursement des dépenses de campagnes ; - Confiscation par la Trésorerie de l’État de l’appui financier déjà transféré ou accepté par un parti ; - Suspension pour la présentation de candidats aux élections pour une période de temps définie ; - Les sanctions pénales en cas de violations importantes, imposées à l’encontre des membres du parti qui sont responsables de la violation ; - Annulation de l’élection d’un candidat au pouvoir, mais uniquement par un tribunal légalement constitué dans le respect des droits de la défense et seulement si la violation est susceptible d’avoir influencé le résultat électoral ; - Perte du statut légal. » Les Lignes directrices sur la législation relative aux partis politiques : questions spécifiques (CDL-AD(2004)007rev), adoptées par la Commission de Venise les 1213 mars 2004, indiquent, au paragraphe 11 de leur rapport explicatif : « L’autonomie des partis politiques est la pierre angulaire des libertés de réunion et d’association et de la liberté d’expression protégées par la Convention européenne des Droits de l’Homme. Comme la Cour européenne des Droits de l’Homme l’a déclaré, la Convention exige que [l’ingérence dans] l’exercice de ces droits soit évaluée au regard de ce qui est « nécessaire dans une société démocratique ».
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A. Les circonstances de l’espèce La requérante est née en 1960 et réside à Athènes. Elle est institutrice à l’école primaire. Le 28 décembre 2000, la requérante demanda auprès de la 42e division de la Comptabilité Générale de l’État la reconnaissance de ses années d’ancienneté dans l’enseignement privé. Le 25 mai 2001, elle saisit, à la suite du rejet tacite de sa demande, le tribunal administratif de première instance d’Athènes. Le 1er avril 2004, par décision avant dire droit no 4081/2004, le tribunal administratif se déclara incompétent et renvoya l’affaire devant la Cour des comptes. Entretemps, le 23 avril 2002, la 42e division de la Comptabilité Générale de l’État par sa décision no 127592 rejeta la demande de la requérante datée du 28 décembre 2000. L’audience devant la Cour des comptes eut lieu le 5 mars 2009. Le 15 octobre 2009, la Cour des comptes, siégeant comme juridiction d’appel, annula par son arrêt no 2804/2009, la décision de rejet tacite, ainsi que la décision no 127592. Le 11 juin 2010, l’État se pourvut en cassation. Le 28 octobre 2010, la requérante déposa auprès du président de la Cour des comptes une demande afin que son affaire soit examinée en priorité. Le 4 avril 2012, la formation plénière de la Cour des comptes cassa l’arrêt attaqué et rejeta le recours du 25 mai 2001 (arrêt no 0917/2012). B. Le droit interne pertinent La loi no 4239/2014 La loi no 4239/2014, intitulée « satisfaction équitable au titre du dépassement du délai raisonnable de la procédure devant les juridictions pénales, civiles et la Cour des comptes », est entrée en vigueur le 20 février 2014. La loi précitée introduit, entre autres, un nouveau recours indemnitaire visant à l’octroi d’une satisfaction équitable pour le préjudice moral causé par la prolongation injustifiée d’une procédure devant la Cour des comptes. L’article 3 § 1 dispose : « Toute demande de satisfaction équitable doit être introduite devant chaque degré de juridiction séparément. Elle doit être présentée dans un délai de six mois après la publication de la décision définitive de la juridiction devant laquelle la durée de la procédure a été, selon le requérant, excessive (...) »
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE La liste des requérants, ainsi que les informations pertinentes sur les procédures en cause figurent dans le tableau en annexe. Les requérants se plaignent de la durée des procédures engagées devant les juridictions civiles, ainsi que de l’absence d’un recours effectif à cet égard. II. LE DROIT INTERNE PERTINENT La loi no 4239/2014, intitulée « satisfaction équitable au titre du dépassement du délai raisonnable de la procédure devant les juridictions pénales, civiles et la Cour des comptes », est entrée en vigueur le 20 février 2014. Elle introduit, entre autres, un nouveau recours indemnitaire prévoyant l’octroi d’une satisfaction équitable en raison de la prolongation injustifiée d’une procédure devant les juridictions civiles. L’article 3 § 1 dispose : « Toute demande de satisfaction équitable doit être introduite devant chaque degré de juridiction séparément. Elle doit être présentée dans un délai de six mois après la publication de la décision définitive de la juridiction devant laquelle la durée de la procédure a été, selon le requérant, excessive (...) »
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Le requérant est né en 1959 et réside à Athènes. Les faits de la cause, tels qu’ils ont été exposés par les parties, peuvent se résumer comme suit. Le 30 avril 2006, le requérant épousa Mme E.H. Une enfant, N., est née de cette union le 2 octobre 2006. Cependant, en août 2006 alors que Mme E.H. était encore enceinte, les époux rompirent leur relation et divorcèrent. Un ordre provisoire du 25 avril 2007, puis une décision du 24 septembre 2007 du tribunal de première instance d’Athènes (décision no 7573/2007), réglèrent provisoirement la question des contacts du requérant avec sa fille. Le 24 octobre 2007, Mme E.H. saisit le tribunal de première instance d’Athènes d’une action tendant à se voir accorder l’autorité parentale sur sa fille ainsi qu’une pension alimentaire. Par une action reconventionnelle du 8 mars 2008, le requérant demanda que l’autorité parentale lui soit accordée au motif que son ex-femme avait des problèmes psychologiques. Il demanda aussi que le tribunal règle les questions du droit de visite pour la période pendant laquelle N. serait sous la garde de sa mère. Le 5 mai 2008, le tribunal tint audience après avoir joint les deux actions. Conformément à la législation en vigueur, la présidente invita les parties, avant qu’elle ne se prononce, à trouver un compromis. Un compromis fut atteint et la présidente rendit sa décision (no 1637/2008) le 11 novembre 2008. Le requérant prétendit que le projet ne reflétait pas le compromis et avait notamment omis d’inclure le chapitre concernant son droit de visite en milieu de semaine, et qui avait donné lieu à d’âpres négociations. Par une lettre du 22 décembre 2008, l’avocat du requérant invita la présidente du tribunal de première instance à procéder sans tarder à la mise au net et à la signature de la décision afin que celle-ci devienne exécutoire. Le 23 décembre 2008, le requérant déposa une demande en référé (ασφαλιστικά μέτρα), ainsi qu’une demande d’ordre provisoire (προσωρινή διαταγή) afin qu’il puisse voir sa fille pendant les vacances de Noël. Le 24 décembre 2008, la présidente ordonna provisoirement à Mme E.H. (προσωρινή διαταγή) de confier N. à son père du 24 au 26 décembre 2008. En ce qui concerne la demande en référé, le tribunal la rejeta le 13 février 2009 (décision no 1325/2009). L’arrêt no 1637/2008 du tribunal de première instance fut mis au net et certifié conforme le 14 janvier 2009. Entretemps, le 24 décembre 2008, le requérant, par l’intermédiaire de son avocat, déposa auprès du tribunal de première instance une demande en rectification de la décision no 1637/2008. Il soutenait que la partie concernant le droit de visite ne coïncidait pas avec ce qui avait été décidé lors de la procédure de compromis. Le 12 janvier 2009, le requérant introduisit une deuxième action (επιβοηθητική αγωγή) tendant à faire rectifier la décision no 1637/2008 ou, à titre subsidiaire, à la modifier. L’audience relative à la demande en rectification et à la deuxième action eut lieu le 16 février 2009 et la décision no 1265/2009 fut rendue le 9 septembre 2009. Ladite décision fixa le droit de visite du requérant. Ladite décision fut mise au net et certifiée conforme le 16 novembre 2009. Le 28 décembre 2009, Mme E.H. interjeta appel contre cette décision au motif que les rectifications opérées n’étaient pas indiquées dans le procès-verbal de la décision no 1637/2008 du tribunal de grande instance d’Athènes. Le 9 juin 2011, Mme E. H demanda la fixation d’une date d’audience. L’audience initiale du 19 janvier 2012 fut reportée au 24 mai 2012, sur demande de Mme E. H, après l’introduction du contre-appel du requérant le 17 janvier 2012. Ce dernier demandait à la cour d’appel, au cas où elle accueillerait l’appel de Mme E.H., d’ordonner un examen psychiatrique de celle-ci et de juger l’affaire au fond. Par un arrêt du 14 décembre 2012, la cour d’appel d’Athènes donna gain de cause à Mme E.H. et rejeta le contre-appel du requérant (arrêt no 6271/2012). Cet arrêt fut mis au net et certifié conforme le 3 avril 2013. Le requérant ne se pourvut pas en cassation. Il prétend que comme l’arrêt de la cour d’appel concernait l’appréciation des faits, un pourvoi n’aurait aucune chance de succès. II. LE DROIT INTERNE PERTINENT La loi no 4239/2014, intitulée « satisfaction équitable au titre du dépassement du délai raisonnable de la procédure devant les juridictions pénales, civiles et la Cour des comptes », est entrée en vigueur le 20 février 2014. Cette loi introduit, entre autres, un nouveau recours indemnitaire visant à l’octroi d’une satisfaction équitable pour le préjudice moral causé par la prolongation injustifiée d’une procédure devant les juridictions civiles. L’article 3 § 1 dispose : « Toute demande de satisfaction équitable doit être introduite devant chaque degré de juridiction séparément. Elle doit être présentée dans un délai de six mois après la publication de la décision définitive de la juridiction devant laquelle la durée de la procédure a été, selon le requérant, excessive (...) »
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Le requérant est né en 1939 et réside à Oradea. Depuis 1994, le requérant fait partie du corps des experts comptables et des comptables agréés de Roumanie. A ce titre, il a régulièrement été désigné par les juridictions du ressort de la cour d’appel d’Oradea pour effectuer des expertises judiciaires comptables. Le 23 août 2005, il envoya un mémoire au président de la cour d’appel d’Oradea en se plaignant du fait que, depuis septembre 2000, il n’avait plus été désigné dans aucun dossier. Il critiqua le fonctionnement du bureau des expertises judiciaires, techniques et comptables du tribunal départemental de Bihor (« le bureau »). Il accusa le bureau de l’avoir écarté arbitrairement de la liste des experts au motif qu’un magistrat du tribunal départemental avait été condamné pour corruption à la suite d’une plainte introduite en septembre 2000 par le requérant, qui agissait en tant qu’expert auprès de ce tribunal. Le 30 août 2005, le bureau informa le requérant qu’il n’était pas inscrit sur la liste des experts judiciaires du bureau. Il précisa qu’au niveau local, afin d’éviter que des experts désignés refusent d’effectuer les expertises sollicitées, il avait été convenu avec la chambre départementale des experts comptables (« la chambre ») de n’inscrire sur la liste du bureau que les experts qui avaient manifesté par écrit leur disponibilité pour effectuer des expertises judiciaires. Or, selon le président du tribunal et l’expert en charge de la coordination du bureau, qui signaient conjointement la lettre, le requérant aurait omis d’exprimer son option par écrit. Le 14 octobre 2005, en réponse à un mémoire adressé par le requérant, la chambre confirma que ce dernier avait exprimé par écrit sa disponibilité pour effectuer des expertises comptables judiciaires dans les domaines de l’agriculture et des services et que, par conséquent, la chambre avait transmis au bureau son nom pour qu’il soit inscrit sur la liste des experts. Le 22 décembre 2005, le requérant saisit la cour d’appel d’Oradea d’une action en contentieux administratif contre le ministère de la Justice et le bureau des expertises du tribunal départemental de Bihor. Alléguant qu’entre le mois de septembre 2000 et la fin de l’année 2005, il avait été écarté arbitrairement de la liste des experts comptables du bureau, il demanda sa réinscription, ainsi que des dommages et intérêts au titre du préjudice matériel et moral qu’il aurait subi du fait de l’absence de désignation pendant cette période. Le préjudice matériel s’élevait, selon le requérant, à environ 35 000 euros. Il exposa qu’en raison de l’attitude discriminatoire du bureau, ses revenus auraient sévèrement diminué et il aurait été contraint de vivre avec une retraite mensuelle d’environ 100 euros. Le président du tribunal départemental, agissant au nom du bureau, demanda le rejet de l’affaire. Il soutint que l’absence du requérant de la liste des experts du bureau était la conséquence de l’attitude passive de ce dernier, qui aurait omis de se conformer aux demandes de la chambre et de régulariser son statut auprès du bureau. Le requérant demanda le dépaysement de l’affaire pour cause de suspicion légitime à l’égard des magistrats de la cour d’appel. Exposant qu’une des parties était le tribunal départemental, il estima que l’affaire ne pouvait pas être jugée dans le ressort de la cour d’appel. Il ajouta également que les magistrats du tribunal départemental lui étaient hostiles depuis la condamnation de leur collègue à la suite de sa plainte pénale. La demande de dépaysement fut rejetée le 10 mai 2006 par la Haute Cour de cassation et de Justice, qui estima que « la suspicion n’était pas fondée ». Le 7 juin 2006, la cour d’appel renvoya le dossier pour examen au fond au tribunal départemental de Bihor. Une nouvelle demande de dépaysement formée par le requérant, qui dénonçait le double rôle du tribunal départemental, à la fois juge et partie, fut rejetée le 26 janvier 2007 par la Haute Cour qui estima à nouveau qu’il n’y avait pas de motifs de suspicion. Par un jugement du 8 mai 2007, le tribunal départemental, siégeant en une formation de juge unique, rejeta l’action. Il accueillit les arguments du président du tribunal et conclut que le défaut d’inscription sur la liste des experts était le résultat de la faute exclusive du requérant. Le requérant forma un pourvoi. Il réitéra ses critiques à l’égard du comportement arbitraire du bureau. Il exposa que l’obligation de confirmer par écrit la disponibilité pour effectuer des expertises judiciaires n’était pas prévue par la loi et qu’en tout état de cause, il s’était conformé à cette obligation, ainsi qu’il ressortait de la réponse de la chambre. La troisième demande de dépaysement fut rejetée le 29 novembre 2007. Le 7 février 2008, la cour d’appel d’Oradea rejeta définitivement le pourvoi. II. LE DROIT INTERNE PERTINENT Dans ses passages pertinents en l’espèce, l’ordonnance du Gouvernement no 2 du 21 janvier 2000 qui concerne les expertises techniques judiciaires et extrajudiciaires dispose : Article 4 « Le bureau central des expertises judiciaires du ministère de la Justice coordonne, supervise et contrôle l’activité des experts judiciaires. Dans chaque tribunal fonctionne un bureau local des expertises techniques et comptables. » Article 11 « 1. La personne qui remplit les critères prévus par la loi pour devenir expert judiciaire est inscrite sur le tableau des experts tenu par le bureau central (...) Le tableau des experts, dressé pour chaque département et pour chaque domaine de compétences est publié chaque année au Journal officiel et est transmis aux bureaux locaux. » Article 33 « Les bureaux locaux gardent à jour la liste des experts judiciaires sur la base des tableaux publiés au Journal officiel ; Ils recommandent aux organes chargés des poursuites, aux juridictions et aux autres autorités juridictionnelles, les experts en mesure de réaliser des expertises judiciaires (...). La comptabilité des bureaux locaux est assurée par le service de comptabilité des tribunaux (...) » En vertu de la loi no 304/2004 sur l’organisation judiciaire, le président d’une juridiction est chargé de l’administration, de l’organisation et du contrôle de la juridiction. Les dispositions pertinentes de cette loi se lisent comme suit : Article 36 « Les tribunaux départementaux jouissent de la personnalité morale (...) » Article 43 « Chaque juridiction est présidée par un magistrat qui en assure la direction et la gestion administrative. Les présidents des cours d’appel et des tribunaux départementaux assurent, en outre, la coordination et le contrôle de leurs juridictions et de celles de leur ressort. »
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Le requérant est né en 1969 et réside à Samobor. A. La genèse de l’affaire Le requérant était propriétaire à Zagreb d’un appartement situé au troisième étage d’un immeuble résidentiel où il vivait avec son épouse et ses deux enfants. En 2003, trois ans après qu’il eut acheté cet appartement, son épouse donna naissance à leur troisième enfant. À la naissance, l’enfant présentait de multiples handicaps physiques et mentaux. Après sa naissance, l’enfant reçut un certain nombre de traitements médicaux et les services sociaux compétents furent chargés d’assurer un suivi constant de son état de santé. En avril 2008, une commission d’experts le déclara atteint d’une paralysie cérébrale incurable, d’un grave retard mental et d’épilepsie. En septembre 2008, les services sociaux lui reconnurent un taux d’incapacité de 100 %. Dans l’intervalle, en septembre 2006, le requérant avait fait l’acquisition d’une maison à Samobor et, en octobre 2008, il vendit son appartement. Il dit avoir acheté ladite maison parce que l’immeuble dans lequel son appartement se trouvait n’était pas équipé d’un ascenseur et n’était donc pas adapté aux besoins de son enfant handicapé et de sa famille. Le requérant indique qu’il lui était en particulier très difficile de faire sortir son fils de l’appartement pour le conduire chez un médecin, à ses séances de kinésithérapie, au jardin d’enfants ou à l’école et de répondre à ses autres besoins sociaux. B. La procédure relative à la demande d’exonération des droits de mutation déposée par le requérant Le 19 octobre 2006, après avoir acheté la maison de Samobor, le requérant déposa auprès des autorités fiscales une demande d’exonération des droits de mutation. Il s’appuyait sur l’article 11 § 9 de la loi sur les droits de mutation immobiliers, qui prévoyait la possibilité d’exonérer de ces droits une personne qui faisait l’acquisition d’un appartement ou d’une maison afin de répondre à ses besoins de logement, à condition que l’acquéreur ou les membres de sa famille n’eussent pas un autre appartement ou une autre maison adapté (paragraphe 24 ci-dessous). Dans sa demande, le requérant avançait que, situé au troisième étage et non desservi par un ascenseur, l’appartement qu’il possédait ne répondait pas aux besoins de sa famille, car il était très difficile, voire impossible, d’en faire sortir son enfant handicapé, celui-ci se déplaçant en fauteuil roulant. Le requérant arguait donc qu’il avait acheté la maison pour faire face aux besoins de son fils. Le 6 mai 2009, le centre des impôts de Samobor (Ministarstvo Financija – Porezna uprava, Područni ured Zagreb, Ispostava Samobor) rejeta la demande du requérant, invoquant les raisons suivantes : « L’article 11 § 9 de la loi sur les droits de mutation immobiliers (...) prévoit la possibilité d’accorder une exonération de ces droits aux citoyens qui acquièrent pour la première fois un bien immobilier afin de répondre à leurs besoins de logement, sous réserve que les intéressés remplissent un ensemble de conditions, et notamment la condition que l’acquéreur ou les membres de sa famille n’aient pas un autre appartement ou une autre maison répondant à leurs besoins de logement. Pendant la procédure, il a été établi que l’acquéreur dénommé Joško Guberina avait été propriétaire à Zagreb d’un appartement d’une superficie de 114,49 m2 (...), qu’il a vendu le 25 novembre 2008 (...). Étant donné que la superficie dudit bien immobilier au regard du nombre de membres de la famille proche (cinq personnes) de l’acquéreur satisfaisait aux besoins de logement de celui-ci et de sa famille proche au sens de l’article 11 § 9.3 de la loi sur les droits de mutation immobiliers, et que ledit appartement répondait à tous les besoins de logement en termes d’aménagements techniques, d’hygiène et d’infrastructures de base (électricité, eau et [accès aux] autres services collectifs), conformément à l’article 11 § 9.5 de la loi sur les droits de mutation immobiliers, l’acquéreur ne réunit pas toutes les conditions énoncées à l’article 11 § 9 de la loi susmentionnée. La décision rendue est décrite dans le dispositif. » Le centre des impôts de Samobor ordonna au requérant de payer 83 594,25 kunas (HRK, soit environ 11 250 euros (EUR)) de droits. Le requérant saisit le ministère des Finances (Ministarstvo Financija, Samostalna služba za drugostupanjski upravni postupak (« le ministère ») d’un recours contre cette décision et, le 6 juillet 2009, le ministère rejeta ce recours pour défaut de fondement, se ralliant à la motivation qui avait été avancée par le centre des impôts de Samobor. En sa partie pertinente, sa décision se lisait ainsi : « L’article 11 § 9 de la loi sur les droits de mutation immobiliers (Journal officiel nos 69/07-153/02) accorde une exonération des droits de mutation immobiliers aux citoyens qui acquièrent leur premier bien immobilier afin de répondre à leurs besoins de logement. Il énonce de plus les conditions que les citoyens doivent réunir pour démontrer qu’il s’agit bien de leur première acquisition immobilière destinée à répondre à leurs besoins de logement. À cet égard, l’une des conditions énoncées au point 9.5 veut que l’intéressé et les membres de sa famille proche n’aient pas d’autre bien immobilier (appartement ou maison) répondant à leurs besoins de logement ; par ailleurs, le point 9.6 dispose que l’intéressé ou les membres de sa famille proche ne doivent être propriétaires ni d’un appartement, d’une maison de vacances ou d’un autre bien d’une valeur importante (parmi les autres biens d’une valeur importante figurent notamment les terrains constructibles), ni de locaux d’entreprise dans lesquels l’intéressé ou des membres de sa famille proche n’exercent pas d’activité [professionnelle] déclarée et dont la valeur est identique à celle du bien immobilier (appartement ou maison) que l’intéressé est en train d’acquérir. Compte tenu de la logique qui sous-tend les dispositions citées et des circonstances de l’affaire telles qu’établies au-delà de tout doute pendant la procédure, [le ministère] considère que c’est à bon droit que l’autorité de première instance a rejeté la demande d’exonération déposée par l’appelant. (...) Une exonération des droits de mutation immobiliers est accordée à condition que, au moment de l’acquisition [du bien immobilier], le citoyen ou les membres de sa famille proche ne soient pas ou n’aient pas été dans le passé propriétaires d’un autre bien immobilier répondant à leurs besoins de logement ou d’un appartement, d’une maison de vacances ou d’un autre bien immobilier d’une valeur importante. Telle n’étant pas la situation en l’espèce, puisqu’au moment où il a acquis [la maison] l’appelant était propriétaire d’un appartement situé à Zagreb (...) dont la superficie était supérieure à celle du bien qu’il était en train d’acquérir et pour lequel il demandait une exonération, on ne peut considérer que la maison que l’appelant était en train d’acheter était sa première acquisition immobilière destinée à répondre à ses besoins de logement. » Le 7 septembre 2009, le requérant saisit la cour administrative d’appel (Visoki upravni sud Republike Hrvatske), arguant que dans leurs décisions les instances inférieures n’avaient pas tenu compte de la situation spécifique de sa famille, en particulier du handicap de son enfant, et donc des besoins de logement de sa famille. Du point de vue du requérant, il était nécessaire de reconnaître que dans son cas particulier la présence d’un ascenseur dans l’immeuble constituait un impératif infrastructurel du même niveau de priorité que le raccordement à l’eau et à l’électricité. Le requérant soulignait également que la maison était le premier bien immobilier pour lequel il sollicitait une exonération des droits de mutation. Le 21 mars 2012, la cour administrative d’appel, validant le raisonnement exposé par les instances administratives inférieures, rejeta pour défaut de fondement l’action en contentieux administratif introduite par le requérant. Les parties pertinentes de son arrêt étaient ainsi libellées : « Étant donné que la superficie de l’appartement [dont le requérant était propriétaire] répondait aux besoins des cinq membres de la famille du demandeur (disposition 9.3) et que l’appartement en question était doté des infrastructures de base et des aménagements techniques et d’hygiène requis, le défendeur a conclu à juste titre qu’en l’espèce le demandeur ne réunissait pas les conditions ouvrant droit à une exonération des droits de mutation immobiliers énoncées à l’article 11 § 9 de la loi sur les droits de mutation immobiliers. Les arguments exposés dans le cadre de l’action en contentieux administratif ne sont pas de nature à justifier un revirement de décision sur cette question administrative. La cour estime donc que la décision litigieuse n’a pas enfreint la loi au détriment du demandeur. » Le 25 mai 2012, le requérant saisit la Cour constitutionnelle (Ustavni sud Republike Hrvatske). Invoquant l’article 14 de la Constitution, il alléguait entre autres que compte tenu des besoins de logement spécifiques de sa famille résultant du handicap de son enfant, il avait fait l’objet d’une discrimination à raison d’une application selon lui injuste de la législation fiscale en vigueur. Il avançait en particulier que les autorités administratives compétentes n’avaient pas corrigé l’inégalité factuelle inhérente à sa situation particulière eu égard à la signification ordinaire que revêt l’expression « infrastructures de base requises pour répondre aux besoins de logement » de sa famille. Le 26 septembre 2012, entérinant le raisonnement exposé par les instances inférieures, la Cour constitutionnelle rejeta pour défaut de fondement le recours constitutionnel formé par le requérant au motif qu’il n’y avait pas eu violation des droits constitutionnels de celui-ci. En particulier, la Cour constitutionnelle conclut que les autres griefs formulés par le requérant ne soulevaient aucune question sous l’angle du droit à un procès équitable. La décision de la Cour constitutionnelle fut signifiée au représentant du requérant le 11 octobre 2012. C. Autres informations pertinentes Le Gouvernement a présenté un rapport daté du 6 novembre 2013 émanant du ministère de la Politique sociale et de la Jeunesse (Ministarstvo socijalne politike i mladih), qui indiquait qu’une allocation mensuelle de 1 000 HRK (environ 130 EUR) avait été versée pour l’enfant du requérant pendant la période comprise entre le 19 janvier 2006 et le 10 septembre 2012 et qu’une allocation de 625 HRK (environ 80 EUR) était versée pour lui depuis le 11 septembre 2012. De plus, ce rapport précisait que l’enfant avait pris part à diverses activités thérapeutiques et à des programmes de l’aide sociale, et que du 29 juin 2010 au 2 octobre 2011 l’épouse du requérant avait bénéficié d’un statut spécial lié au handicap de son enfant et perçu notamment une somme mensuelle de 2 500 HRK (environ 300 EUR). Le requérant chiffre à quelque 80 000 HRK (environ 10 400 EUR) ses dépenses annuelles destinées à faire face aux besoins particuliers de son enfant. Sur cette somme, 28 800 HRK étaient consacrés à la kinésithérapie, 4 500 HRK aux séances d’orthophonie, 900 HRK à la consultation d’un neuropédiatre, 7 200 HRK aux médicaments, 21 175 HRK à l’achat d’un fauteuil roulant (auxquels sont venus s’ajouter 8 900 HRK d’aide de l’État), 7 200 HRK à la natation thérapeutique et 9 150 HRK au transport quotidien jusqu’au centre d’accueil de jour pendant dix mois. II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS A. Le droit interne pertinent La Constitution Les dispositions de la Constitution de la République de Croatie (Ustav Republike Hrvatske, Journal officiel nos 56/1990, 135/1997, 8/1998, 113/2000, 124/2000, 28/2001, 41/2001, 55/2001, 76/2010, 85/2010 et 5/2014) pertinentes en l’espèce sont ainsi libellées : Article 14 « Toute personne en République de Croatie jouit de ses droits et libertés sans distinction, notamment de race, de couleur, de sexe, de langue, de religion, d’opinion politique ou autre, d’origine nationale ou sociale, de fortune, de naissance, d’éducation ou de situation sociale. Tous les individus sont égaux devant la loi. » Article 34 « Le domicile est inviolable. (...) » Article 35 « Toute personne a droit au respect et à la protection par la loi de sa vie privée et familiale, de sa dignité, de sa réputation et de son honneur. » Article 48 « Le droit à la propriété est garanti. (...) » La loi sur la Cour constitutionnelle En sa partie pertinente en l’espèce, l’article 62 de la loi sur la Cour constitutionnelle (Ustavni zakon o Ustavnom sudu Republike Hrvatske, Journal officiel no 49/2002) se lit ainsi : Article 62 « 1. Toute personne peut saisir la Cour constitutionnelle d’un recours constitutionnel si elle estime que l’acte individuel d’un organe de l’État, d’une collectivité locale ou régionale, ou d’une personne morale détentrice de l’autorité publique qui a statué sur ses droits et obligations ou sur un soupçon ou une accusation relatifs à un acte criminel, a entraîné dans son chef une violation des droits de l’homme ou des libertés fondamentales ou du droit à l’autonomie locale et régionale garanti par la Constitution (ci-après « droit constitutionnel »). S’il existe une autre voie de recours permettant de redresser la violation [alléguée] du droit constitutionnel, le justiciable doit avoir exercé cette voie de recours avant de pouvoir former un recours constitutionnel. (...) » La loi sur les droits de mutation immobiliers La disposition pertinente en l’espèce de la loi sur les droits de mutation immobiliers (Zakon o porezu na promet nekretnina, Journal officiel nos 69/1997, 26/2000, 127/2000 et 153/2002), qui était en vigueur à l’époque des faits, se lisait ainsi : Article 11 « Est exonéré des droits de mutation immobiliers : (...) tout citoyen qui acquiert son premier bien immobilier (appartement ou maison) afin de répondre à ses besoins de logement, à condition que : (...) 3. la superficie du bien en question, selon le nombre de membres que compte la famille proche du citoyen, ne dépasse pas : (...) – pour cinq personnes : 100 m2 (...) 5. le citoyen ou les membres de sa famille proche n’aient pas un autre bien immobilier (appartement ou maison) répondant à leurs besoins de logement. Entre dans cette catégorie tout logement doté des infrastructures de base et des aménagements techniques et d’hygiène requis (...) 6. le citoyen et les membres de sa famille proche ne soient pas propriétaires d’un appartement, d’une maison de vacances ou d’un bien immobilier d’une valeur importante. Entrent dans cette catégorie les terrains constructibles et les locaux d’entreprise dans lesquels le citoyen ou des membres de sa famille proche n’exercent pas d’activité [professionnelle] déclarée et dont la valeur est identique à celle du bien immobilier (appartement ou maison) que le citoyen est en train d’acquérir. (...) les citoyens qui se sont déjà prévalus une première fois de leur droit à une exonération des droits de mutation immobiliers en vertu des points 9, 11 et 13 [du présent article] ne peuvent bénéficier d’une nouvelle exonération de ces droits. » Le règlement sur l’accessibilité des bâtiments aux personnes handicapées ou à mobilité réduite Les dispositions pertinentes en l’espèce du règlement sur l’accessibilité des bâtiments aux personnes handicapées ou à mobilité réduite (Pravilnik o pristupačnosti građevina osobama s invaliditetom i smanjene pokretljivosti, Journal officiel nos 151/2005 et 61/2007) sont ainsi libellées : « Article 1 Le présent règlement énonce les conditions à réunir et les moyens à déployer pour assurer la facilité d’accès, la mobilité, le séjour et le travail des personnes handicapées ou à mobilité réduite (« l’accessibilité ») ainsi que [les moyens à déployer] pour améliorer l’accessibilité des immeubles (...) résidentiels (...) » Article 2 L’accessibilité, l’amélioration de l’accessibilité et [les méthodes employées pour] la mise en conformité avec l’impératif d’accessibilité des bâtiments visé à l’article 1 du présent règlement doivent être assurées au moyen de normes obligatoires de conception et de construction des bâtiments aux fins de doter les bâtiments des éléments d’accessibilité requis et/ou de les mettre en conformité avec les conditions d’utilisation des dispositifs d’aide [à la mobilité] destinés aux personnes handicapées (...) conformément au présent règlement. (...) III. Éléments d’accessibilité de base Article 7 Les éléments d’accessibilité de base sont : A. les éléments d’accessibilité permettant de franchir les différences de hauteur ; (...) Article 9 Aux fins du franchissement des différences de hauteur dans les locaux utilisés par des personnes à mobilité réduite, il est possible de recourir aux éléments d’accessibilité suivants : (...) un ascenseur (...) (...) Article 12 Ascenseurs « Un ascenseur sera utilisé comme élément d’accessibilité pour le franchissement des différences de hauteur et il doit obligatoirement être installé dès lors que les différences de hauteur à franchir sont supérieures à 120 cm à l’intérieur ou à l’extérieur des bâtiments. (...) » La loi de prévention des discriminations La loi de prévention des discriminations (Zakon o suzbijanju diskriminacije, Journal officiel no 85/2008) est ainsi libellée en ses parties pertinentes : Article 1 « 1) La présente loi assure la protection et la promotion de l’égalité en tant que valeur suprême de l’ordre constitutionnel de la République de Croatie ; elle crée les conditions pour une égalité des chances et prévoit une protection contre les discriminations fondées sur la race, l’origine ethnique, la couleur de peau, le sexe, la langue, la religion, les opinions politiques ou autres, l’origine nationale ou sociale, la fortune, l’adhésion à un syndicat, l’éducation, la situation sociale, matrimoniale ou familiale, l’âge, l’état de santé, l’invalidité, le patrimoine génétique, l’identité de genre, les propos tenus ou l’orientation sexuelle. 2) Au sens de la présente loi, on entend par discrimination le fait de mettre une personne ou ses proches dans une situation désavantageuse sur l’un des fondements énumérés au paragraphe 1 du présent article. (...) » Article 8 « La présente loi s’applique à l’ensemble des organes de l’État, (...) des personnes morales et des personnes physiques (...) » Article 16 § 1 « Quiconque s’estime, en raison d’une discrimination, lésé dans l’un de ses droits peut demander la protection de ce droit par le biais d’une action dans le cadre de laquelle la détermination de ce droit sera la question principale, et peut également demander une protection dans le cadre d’une instance distincte régie par l’article 17 de la présente loi. » Article 17 « 1. Quiconque se dit victime d’une discrimination au sens des dispositions de la présente loi peut demander en justice : 1) une décision constatant que le défendeur a violé le droit du demandeur à un traitement égal ou qu’un acte ou une omission du défendeur risque de conduire à la violation de ce même droit (demande de constat de discrimination) ; 2) une décision interdisant au défendeur de commettre tout acte violant ou risquant de violer le droit du demandeur à l’égalité de traitement ou l’adoption de mesures visant à mettre fin à la discrimination ou à ses conséquences (demande d’interdiction ou de cessation d’une discrimination) ; 3) la réparation du dommage matériel ou moral causé par la violation des droits protégés par la présente loi (demande de réparation) ; 4) un jugement constatant une violation du droit à l’égalité de traitement, à publier dans les médias aux frais du défendeur. » En 2009, l’office croate des droits de l’homme (Ured za ljudska prava Vlade Republike Hrvatske) publia un manuel sur la mise en œuvre de la loi de prévention des discriminations (Vodič uz Zakon o suzbijanju diskriminacije, « le manuel »). Ce manuel explique notamment que l’article 16 de la loi de prévention des discriminations offre au justiciable deux voies de recours. En vertu de cette disposition, une personne qui se dit victime d’une discrimination peut engager une action portant sur l’objet principal du litige, ou opter pour une procédure civile distincte régie par l’article 17 de cette loi. La loi sur les litiges administratifs La disposition pertinente de la loi sur les litiges administratifs (Zakon o upravnim sporovima, Journal officiel nos 20/2010, 143/2012 et 152/2014) est ainsi libellée : Article 76 « 1. Une procédure close par un jugement sera rouverte à la demande d’une partie : 1) si, dans un arrêt définitif, la Cour européenne des droits de l’homme a conclu à la violation de droits et libertés fondamentaux et s’est ce faisant écartée du jugement rendu par le [tribunal administratif], (...) » B. La pratique pertinente La pratique pertinente relative aux discriminations Le 9 novembre 2010, dans l’affaire no U-III-1097/2009, la Cour constitutionnelle croate, appelée à statuer sur une allégation selon laquelle une décision du Parlement établissait une discrimination fondée sur l’affiliation politique d’un député, a prononcé l’irrecevabilité du recours pour non-épuisement des voies de recours. Elle a conclu que l’appelant n’avait exercé ni les voies de recours administratives disponibles ni les voies de droit offertes par la loi de prévention des discriminations. Elle a toutefois refusé de déterminer quel était le lien entre les diverses voies de recours possibles dans une affaire soulevant des allégations de discrimination, considérant qu’il appartenait en premier lieu aux tribunaux compétents de trancher cette question. Dans ses décisions no U-III-815/2013 du 8 mai 2014 concernant des allégations de discrimination en matière d’octroi de prestations sociales et no U-III-1680/2014 du 2 juillet 2014 portant sur des allégations de discrimination dans le domaine de l’emploi, la Cour constitutionnelle a confirmé sa jurisprudence s’agissant de l’existence de voies de recours dans le cadre de la loi de prévention des discriminations. Le Gouvernement fait référence aux arrêts de la Cour suprême nos Gž41/11-2 et Gž-25/11-2 du 28 février 2012 et no Gž-38/11-2 du 7 mars 2012 par lesquels la Cour suprême a fait droit à des actions pour discrimination fondée sur l’orientation sexuelle qui avaient été engagées sur le terrain de la loi de prévention des discriminations. La pratique pertinente relative à l’application de la législation fiscale Le Gouvernement cite également la jurisprudence du tribunal administratif (Upravni sud Republike Hrvatske) et de la cour administrative d’appel concernant des affaires dans lesquelles ces deux juridictions ont rejeté des actions par lesquelles les appelants contestaient le refus de leur accorder une exonération des droits de mutation immobiliers au motif qu’ils n’avaient pas satisfait à l’ensemble des conditions énoncées à l’article 11 § 9.5 et 11 § 9.6 de la loi sur les droits de mutation immobiliers (arrêts rendus dans les affaires no Us-4028/2009-4 du 1er juin 2011, no Us14106/2009-4 du 16 mai 2012 et no Us3042/2011-4 du 19 septembre 2013, et arrêt de la cour administrative d’appel no Usž-269/2012-4 du 23 janvier 2013, par lequel cette juridiction a confirmé une décision relative à l’exonération des droits au regard de l’article 11 § 9.3, 11 § 9.5 et 11 § 9.6 de la loi sur les droits de mutation immobiliers). Dans chacune de ces affaires, les autorités administratives ont procédé à une étude approfondie de biens de valeur comparable afin de déterminer si l’appelant avait un bien immobilier d’une valeur importante au sens de l’article 11 § 9.6 de la loi sur les droits de mutation immobiliers. III. DOCUMENTS INTERNATIONAUX PERTINENTS A. Les Nations unies La Convention relative aux droits des personnes handicapées Les parties pertinentes de la Convention des Nations unies relative aux droits des personnes handicapées (CDPH), A/RES/61/106, du 24 janvier 2007, ratifiée par la Croatie le 15 août 2007, sont ainsi libellées : Article 2 Définitions « Aux fins de la présente Convention : (...) On entend par « aménagement raisonnable » les modifications et ajustements nécessaires et appropriés n’imposant pas de charge disproportionnée ou indue apportés, en fonction des besoins dans une situation donnée, pour assurer aux personnes handicapées la jouissance ou l’exercice, sur la base de l’égalité avec les autres, de tous les droits de l’homme et de toutes les libertés fondamentales ; (...) » Article 3 Principes généraux « Les principes de la présente Convention sont : (...) b) La non-discrimination ; (...) f) L’accessibilité ; (...) » Article 4 Obligations générales « 1. Les États Parties s’engagent à garantir et à promouvoir le plein exercice de tous les droits de l’homme et de toutes les libertés fondamentales de toutes les personnes handicapées sans discrimination d’aucune sorte fondée sur le handicap. À cette fin, ils s’engagent à : a) Adopter toutes mesures appropriées d’ordre législatif, administratif ou autre pour mettre en œuvre les droits reconnus dans la présente Convention ; b) Prendre toutes mesures appropriées, y compris des mesures législatives, pour modifier, abroger ou abolir les lois, règlements, coutumes et pratiques qui sont source de discrimination envers les personnes handicapées ; c) Prendre en compte la protection et la promotion des droits de l’homme des personnes handicapées dans toutes les politiques et dans tous les programmes ; d) S’abstenir de tout acte et de toute pratique incompatible avec la présente Convention et veiller à ce que les pouvoirs publics et les institutions agissent conformément à la présente Convention ; e) Prendre toutes mesures appropriées pour éliminer la discrimination fondée sur le handicap pratiquée par toute personne, organisation ou entreprise privée ; (...) Dans le cas des droits économiques, sociaux et culturels, chaque État Partie s’engage à agir, au maximum des ressources dont il dispose et, s’il y a lieu, dans le cadre de la coopération internationale, en vue d’assurer progressivement le plein exercice de ces droits, sans préjudice des obligations énoncées dans la présente Convention qui sont d’application immédiate en vertu du droit international. (...) » Article 5 Égalité et non-discrimination « 1. Les États Parties reconnaissent que toutes les personnes sont égales devant la loi et en vertu de celle-ci et ont droit sans discrimination à l’égale protection et à l’égal bénéfice de la loi. Les États Parties interdisent toutes les discriminations fondées sur le handicap et garantissent aux personnes handicapées une égale et effective protection juridique contre toute discrimination, quel qu’en soit le fondement. Afin de promouvoir l’égalité et d’éliminer la discrimination, les États Parties prennent toutes les mesures appropriées pour faire en sorte que des aménagements raisonnables soient apportés. Les mesures spécifiques qui sont nécessaires pour accélérer ou assurer l’égalité de facto des personnes handicapées ne constituent pas une discrimination au sens de la présente Convention. » Article 7 Enfants handicapés « 1. Les États Parties prennent toutes mesures nécessaires pour garantir aux enfants handicapés la pleine jouissance de tous les droits de l’homme et de toutes les libertés fondamentales, sur la base de l’égalité avec les autres enfants. Dans toutes les décisions qui concernent les enfants handicapés, l’intérêt supérieur de l’enfant doit être une considération primordiale. (...) » Article 9 Accessibilité « 1. Afin de permettre aux personnes handicapées de vivre de façon indépendante et de participer pleinement à tous les aspects de la vie, les États Parties prennent des mesures appropriées pour leur assurer, sur la base de l’égalité avec les autres, l’accès à l’environnement physique, aux transports, à l’information et à la communication, y compris aux systèmes et technologies de l’information et de la communication, et aux autres équipements et services ouverts ou fournis au public, tant dans les zones urbaines que rurales. Ces mesures, parmi lesquelles figurent l’identification et l’élimination des obstacles et barrières à l’accessibilité, s’appliquent, entre autres : a) Aux bâtiments, à la voirie, aux transports et autres équipements intérieurs ou extérieurs, y compris les écoles, les logements, les installations médicales et les lieux de travail ; b) Aux services d’information, de communication et autres services, y compris les services électroniques et les services d’urgence. (...) » Article 19 Autonomie de vie et inclusion dans la société « Les États Parties à la présente Convention reconnaissent à toutes les personnes handicapées le droit de vivre dans la société, avec la même liberté de choix que les autres personnes, et prennent des mesures efficaces et appropriées pour faciliter aux personnes handicapées la pleine jouissance de ce droit ainsi que leur pleine intégration et participation à la société, notamment en veillant à ce que : a) Les personnes handicapées aient la possibilité de choisir, sur la base de l’égalité avec les autres, leur lieu de résidence et où et avec qui elles vont vivre et qu’elles ne soient pas obligées de vivre dans un milieu de vie particulier ; b) Les personnes handicapées aient accès à une gamme de services à domicile ou en établissement et autres services sociaux d’accompagnement, y compris l’aide personnelle nécessaire pour leur permettre de vivre dans la société et de s’y insérer et pour empêcher qu’elles ne soient isolées ou victimes de ségrégation ; (...) » Article 20 Mobilité personnelle « Les États Parties prennent des mesures efficaces pour assurer la mobilité personnelle des personnes handicapées, dans la plus grande autonomie possible, y compris en : a) Facilitant la mobilité personnelle des personnes handicapées selon les modalités et au moment que celles-ci choisissent, et à un coût abordable ; b) Facilitant l’accès des personnes handicapées à des aides à la mobilité, appareils et accessoires, technologies d’assistance, formes d’aide humaine ou animalière et médiateurs de qualité, notamment en faisant en sorte que leur coût soit abordable ; (...) » Article 28 Niveau de vie adéquat et protection sociale « 1. Les États Parties reconnaissent le droit des personnes handicapées à un niveau de vie adéquat pour elles-mêmes et pour leur famille, notamment une alimentation, un habillement et un logement adéquats, et à une amélioration constante de leurs conditions de vie et prennent des mesures appropriées pour protéger et promouvoir l’exercice de ce droit sans discrimination fondée sur le handicap. (...) » La pratique du Comité des droits des personnes handicapées des Nations unies Dans son Observation générale no 2 (2014) sur l’article 9 : Accessibilité, CRPD/C/GC/2, du 22 mai 2014, le Comité des droits des personnes handicapées des Nations unies notait : « 1. L’accessibilité est primordiale pour que les personnes handicapées puissent vivre de façon indépendante et participer pleinement à la vie sociale dans des conditions d’égalité. Si elles n’ont pas accès au milieu physique, aux transports, à l’information et aux moyens de communication, y compris aux systèmes et technologies de l’information et de la communication, et aux autres équipements et services ouverts ou fournis au public, les personnes handicapées ne bénéficient pas des mêmes possibilités de participer à leurs sociétés respectives. (...) Il est utile d’incorporer dans la législation des normes relatives à l’accessibilité qui définissent les différents domaines qui doivent être accessibles, par exemple l’environnement physique dans les lois relatives à la construction et à la planification, les transports dans les lois relatives aux transports publics aériens, ferroviaires, routiers et fluviaux et maritimes, et l’information et la communication ainsi que les services offerts au public dans les lois y relatives. Toutefois, la question de l’accessibilité devrait aussi être traitée dans les lois générales ou spécifiques sur l’égalité des chances, l’égalité et la participation dans le contexte de l’interdiction de la discrimination fondée sur le handicap. Le déni d’accès devrait être clairement défini comme un acte de discrimination illégal. Les personnes handicapées qui se sont vu refuser l’accès à l’environnement physique, aux transports, à l’information et à la communication et aux services offerts au public devraient disposer de voies de recours juridiques efficaces. Lorsqu’ils définissent les normes relatives à l’accessibilité, les États parties doivent tenir compte de la diversité des personnes handicapées et faire en sorte que l’accessibilité soit garantie à toutes ces personnes, quels que soient leur sexe, leur âge et leur type de handicap. Pour tenir compte de la diversité des personnes handicapées au regard de l’accessibilité, il faut notamment reconnaître que certaines ont besoin d’une aide humaine ou animalière pour bénéficier pleinement de l’accessibilité (par exemple une assistance personnelle, une interprétation en langue des signes, une interprétation en langue tactile ou des chiens guides d’aveugles). Il faut stipuler, par exemple, qu’interdire l’entrée des chiens guides d’aveugles dans un bâtiment ou espace ouvert particulier constituerait un acte illégal de discrimination fondée sur le handicap. » La pratique du Comité des droits économiques, sociaux et culturels des Nations unies Le Comité des droits économiques, sociaux et culturels des Nations unies notait dans son Observation générale no 5 : Personnes souffrant d’un handicap, E/1995/22, du 9 décembre 1994 : « III. Obligation d’éliminer la discrimination pour raison d’invalidité Aussi bien de jure que de facto, les personnes souffrant d’un handicap font depuis toujours l’objet d’une discrimination qui se manifeste sous diverses formes – qu’il s’agisse des tentatives de discrimination odieuse, telles que le déni aux enfants souffrant de handicap de la possibilité de suivre un enseignement, ou des formes plus subtiles de discrimination que constituent la ségrégation et l’isolement imposés matériellement ou socialement. Aux fins du Pacte, la « discrimination fondée sur l’invalidité » s’entend de toute distinction, exclusion, restriction ou préférence motivée par une invalidité, ou la privation d’aménagements adéquats ayant pour effet de réduire à néant ou de restreindre la reconnaissance, la jouissance ou l’exercice des droits économiques, sociaux ou culturels. Ce sont aussi bien la négligence, l’ignorance, les préjugés et les idées fausses que l’exclusion, la différenciation ou la ségrégation pures et simples, qui bien souvent empêchent les personnes souffrant d’un handicap de jouir de leurs droits économiques, sociaux ou culturels sur un pied d’égalité avec le reste des êtres humains. C’est dans les domaines de l’éducation, de l’emploi, du logement, des transports, de la vie culturelle et en ce qui concerne l’accessibilité des lieux et services publics que les effets de cette discrimination se font particulièrement sentir. » Le Comité des droits économiques, sociaux et culturels des Nations unies a réaffirmé son Observation générale no 5 dans son Observation générale no 20 : La non-discrimination dans l’exercice des droits économiques, sociaux et culturels, E/C.12/GC/20, du 2 juillet 2009, dans les termes suivants : « B. Toute autre situation La discrimination varie selon les contextes et les époques. La catégorie « toute autre situation » doit donc être appréhendée de façon souple afin de rendre compte d’autres formes de traitement différencié qui n’ont pas de justification raisonnable et objective et sont comparables aux motifs que le paragraphe 2 de l’article 2 cite expressément. Ces motifs supplémentaires sont généralement connus lorsqu’ils reflètent l’expérience de groupes sociaux vulnérables qui ont été marginalisés ou continuent de subir une marginalisation. (...) Le handicap Dans son Observation générale no 5, le Comité a défini la discrimination à l’égard des personnes handicapées comme « toute distinction, exclusion, restriction ou préférence motivée par une invalidité ou la privation d’aménagements adéquats ayant pour effet de réduire à néant ou de restreindre la reconnaissance, la jouissance ou l’exercice des droits économiques, sociaux ou culturels ». La privation d’aménagements raisonnables devrait être insérée dans la législation nationale en tant que forme interdite de discrimination fondée sur le handicap. Les États parties doivent remédier à la discrimination qui se manifeste par exemple par des interdictions de l’exercice du droit à l’éducation, ou par l’absence d’aménagements raisonnables dans les lieux publics tels que les établissements publics de santé et sur le lieu de travail ainsi que dans les lieux privés ; en effet, si la conception et l’aménagement du lieu de travail ne permettent pas l’accès des personnes en fauteuil roulant, celles-ci ne peuvent exercer dans les faits leur droit au travail. » B. Le Conseil de l’Europe La Recommandation Rec(2006)5 du Comité des Ministres Dans ses parties pertinentes en l’espèce, la Recommandation Rec(2006)5 du Comité des Ministres aux États membres sur le Plan d’action du Conseil de l’Europe pour la promotion des droits et de la pleine participation des personnes handicapées à la société : améliorer la qualité de vie des personnes handicapées en Europe 2006-2015, du 5 avril 2006, est ainsi libellée : « 1.2. Principes fondamentaux et objectifs stratégiques 2.1. Principes fondamentaux Les États membres continueront d’œuvrer dans le cadre des droits de l’homme et de la lutte contre la discrimination afin d’accroître l’autonomie, la liberté de choix et la qualité de vie des personnes handicapées, et de provoquer une prise de conscience du handicap comme faisant partie de la diversité humaine. Le Plan tient dûment compte des instruments, traités et programmes européens et internationaux pertinents, et notamment des travaux en cours sur le projet de convention internationale des Nations Unies sur les droits des personnes handicapées. (...) 3. Lignes d’action clés (...) Les personnes handicapées devraient pouvoir vivre de manière aussi indépendante que possible, et notamment choisir leurs lieu et mode de résidence. La vie autonome et l’intégration sociale ne sont possibles que si la personne vit au sein de la société. Pour faciliter la vie dans la société (no 8), il faut mettre en place des politiques stratégiques favorisant le passage d’une prise en charge en établissement à des structures de vie au sein de la société allant de logements indépendants à des unités d’habitation protégées, dans des établissements de petite taille où la personne puisse trouver un soutien. Cela suppose également une approche coordonnée visant à mettre en place des services de proximité axés sur l’usager et des structures de soutien centrées sur la personne. (...) 7. Principes fondamentaux Les principes fondamentaux régissant le présent Plan d’action sont les suivants : – non-discrimination ; – égalité des chances ; – pleine participation à la société de toutes les personnes handicapées; (...) 3. Personnes handicapées ayant des besoins d’assistance élevés (...) 4. Enfants et jeunes handicapés Les autorités responsables doivent évaluer soigneusement les besoins des enfants handicapés et de leurs familles afin de leur proposer des mesures d’assistance permettant aux enfants de grandir au sein de leur famille, de s’intégrer dans la société et de partager la vie et les activités des autres enfants. Les enfants handicapés doivent recevoir une éducation qui enrichisse leur vie et leur permette d’exprimer au maximum leur potentiel. Grâce à des services de qualité et à des structures d’assistance aux familles, ces enfants peuvent avoir une enfance riche et épanouie et acquérir les bases nécessaires à une vie d’adulte autonome et active dans la société. Il est donc important que les décideurs prennent en compte les besoins des enfants handicapés et de leurs familles lorsqu’ils conçoivent les politiques relatives aux personnes handicapées et les politiques générales concernant les enfants et les familles. » La Résolution de l’Assemblée parlementaire 1642 (2009) sur l’accès aux droits des personnes handicapées, et la pleine et active participation de celles-ci dans la société, réaffirmée par la Recommandation 1854 (2009) de l’Assemblée parlementaire du 26 janvier 2009 La Résolution de l’Assemblée parlementaire 1642 (2009) sur l’accès aux droits des personnes handicapées, et la pleine et active participation de celles-ci dans la société se lit ainsi dans ses parties pertinentes : « 8. L’Assemblée estime que, pour permettre la participation active des personnes handicapées à la société, il est impératif de respecter leur droit de vivre au sein de la collectivité. Elle invite les États membres : (...) 2. à proposer une assistance adaptée et durable, essentiellement en moyens humains et matériels (en particulier financiers), aux familles qui s’occupent d’un proche handicapé à domicile ; (...) Pour l’Assemblée, créer une société pour tous implique un accès égal de tous les citoyens à l’environnement dans lequel ils vivent (...) » C. L’Union européenne Les dispositions pertinentes en l’espèce de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (2000/C 364/01) sont les suivantes : Article 21 Non-discrimination « 1. Est interdite, toute discrimination fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, les origines ethniques ou sociales, les caractéristiques génétiques, la langue, la religion ou les convictions, les opinions politiques ou toute autre opinion, l’appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance, un handicap, l’âge ou l’orientation sexuelle. Dans le domaine d’application du traité instituant la Communauté européenne et du traité sur l’Union européenne, et sans préjudice des dispositions particulières desdits traités, toute discrimination fondée sur la nationalité est interdite. » Article 26 Intégration des personnes handicapées « L’Union reconnaît et respecte le droit des personnes handicapées à bénéficier de mesures visant à assurer leur autonomie, leur intégration sociale et professionnelle et leur participation à la vie de la communauté. » Le 17 juillet 2008, dans l’affaire no C-303/06 (EU :C :2008 :415), S. Coleman contre Attridge Law et Steve Law, la Grande Chambre de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) s’est posé la question de savoir si la directive 2000/78 du 27 novembre 2000 portant création d’un cadre général en faveur de l’égalité de traitement en matière d’emploi et de travail devait être interprétée en ce sens que l’interdiction de discrimination directe fondée sur le handicap se limite aux employés qui sont eux-mêmes handicapés ou si le principe de l’égalité de traitement et de l’interdiction de la discrimination directe s’applique aussi à un employé qui n’est pas lui-même handicapé mais qui est traité de manière moins favorable du fait du handicap de son enfant, auquel il dispense l’essentiel des soins dont celui-ci a besoin compte tenu de son état de santé. À cet égard, la CJUE a conclu : « 56. (...) la directive 2000/78 et, notamment, ses articles 1er et 2, paragraphes 1 et 2, sous a), doivent être interprétés en ce sens que l’interdiction de discrimination directe qu’ils prévoient n’est pas limitée aux seules personnes qui sont elles-mêmes handicapées. Lorsqu’un employeur traite un employé n’ayant pas lui-même un handicap de manière moins favorable qu’un autre employé ne l’est, ne l’a été ou ne le serait dans une situation comparable et qu’il est prouvé que le traitement défavorable dont cet employé est victime est fondé sur le handicap de son enfant, auquel il dispense l’essentiel des soins dont celui-ci a besoin, un tel traitement est contraire à l’interdiction de discrimination directe énoncée audit article 2, paragraphe 2, sous a). » Le 16 juillet 2015, dans l’affaire no C-83/14 (EU :C :2015 :480), CHEZ Razpredelenie Bulgaria AD, la Grande Chambre de la CJUE s’est posé la question de la discrimination indirecte fondée sur l’origine ethnique concernant l’interprétation de la directive 2000/43/CE du 29 juin 2000 relative à la mise en œuvre du principe de l’égalité de traitement entre les personnes sans distinction de race ou d’origine ethnique et de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, et elle s’est en particulier demandé si le principe de l’égalité de traitement ne devait bénéficier qu’aux personnes qui se caractérisent effectivement par l’origine raciale ou ethnique concernée ou s’il devait aussi bénéficier aux personnes qui ne se caractérisent pas par l’originale raciale ou ethnique en question mais n’en subissent pas moins un traitement moins favorable pour ces motifs. La partie pertinente de l’arrêt se lit ainsi : « 56. (...) la jurisprudence de la Cour, déjà rappelée au point 42 du présent arrêt, en vertu de laquelle le champ d’application de la directive 2000/43 ne peut, eu égard à son objet et à la nature des droits qu’elle vise à protéger, être défini de manière restrictive, est, en l’occurrence, de nature à justifier l’interprétation selon laquelle le principe de l’égalité de traitement auquel se réfère ladite directive s’applique non pas à une catégorie de personnes déterminée, mais en fonction des motifs visés à l’article 1er de celle-ci, si bien qu’il a vocation à bénéficier également aux personnes qui, bien que n’appartenant pas elles-mêmes à la race ou à l’ethnie concernée, subissent néanmoins un traitement moins favorable ou un désavantage particulier pour l’un de ces motifs (voir, par analogie, arrêt Coleman, C‑303/06, EU:C:2008:415, points 38 et 50). »
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Les requérants sont nés respectivement en 1940 et 1987 et résident au Pirée. Les requérants sont propriétaires d’un terrain de 123,50 m² et d’un bâtiment sis sur ce terrain d’une superficie de 117 m² dans la commune de Drapetsona. Cette propriété qui appartenait initialement à leurs aïeux fut expropriée en 1926. Toutefois, par une décision du 12 mars 1938, les ministres de l’Agriculture et de la Santé publique levèrent l’expropriation. Le 23 janvier 1969, les ministres de l’Économie et de la Sécurité sociale bloquèrent à nouveau cette propriété en vue de son expropriation. Le 27 septembre 1974, suite à un arrêt du Conseil d’Etat saisi par les aïeux des requérants, les mêmes ministres levèrent le blocage. Le 29 mai 1986, un décret présidentiel modifia le plan urbain de la commune de Drapetsona entrainant ainsi un nouveau blocage. Il précisait que la propriété litigieuse servirait à la création d’un espace vert public. Par deux actes des 20 mars 1997 et 29 décembre 2000, le premier requérant reçut en tant qu’héritier de son père, E. Ventouris, et de sa mère, A. Ventouri, un pourcentage respectivement de 3/8 et de 1/8 en indivis de la propriété litigieuse. Par un legs parental du 17 novembre 2008, la deuxième requérante acquit en indivision un pourcentage de 50% de la propriété litigieuse de la part de son père, A. Ventouris. Entretemps, comme l’expropriation décidée par décret du 29 mai 1986 n’avait pas eu lieu et qu’aucune indemnité n’avait été versée, A. Ventouris et le premier requérant saisirent, le 12 juin 2001, la cour administrative d’appel d’Athènes d’un recours contre le refus implicite de lever le blocage. Par son arrêt no 1056/2002 du 29 avril 2002, la cour d’appel administrative fit droit à la demande et renvoya l’affaire à l’administration afin que celle-ci prenne les mesures nécessaires à la levée du blocage. Comme l’administration ne réagit pas, les requérants envoyèrent, le 10 mars 2004, à la préfecture du Pirée une lettre de protestation : ils se plaignaient du manque de diligence de celle-ci de se conformer à l’arrêt no 1056/2002 et ils l’invitaient à s’abstenir d’imposer un nouveau blocage sur leur propriété. Suite à l’intervention de la préfecture du Pirée auprès de la commune de Drapetsona, cette dernière informa la préfecture qu’elle comptait réimposer une expropriation et qu’elle avait prévu une somme de 400 000 euros dans son budget au titre de l’indemnité d’expropriation. Le 7 juin 2004, la préfecture du Pirée leva l’expropriation, mais en même temps elle procéda à une nouvelle modification du plan urbain de la commune de Drapetsona, imposant ainsi une nouvelle expropriation de la propriété litigieuse. Le 7 décembre 2004, les requérants saisirent le Conseil d’Etat d’un recours en annulation de la décision susmentionnée de la préfecture du Pirée. Par un arrêt no 1295/2008 du 16 avril 2008, le Conseil d’Etat annula la décision attaquée et le blocage de la propriété qui en découlait au motif que le plan urbain modificatif qui devait être annexé à cette décision n’avait pas été publié dans le Journal Officiel. Suite à l’arrêt précité du Conseil d’Etat, la Direction de l’Urbanisme du Pirée demanda, le 18 mai 2009, à la commune de Drapetsona de lever l’expropriation, mais cette dernière décida, par un acte no 106/2009, de procéder à une nouvelle expropriation afin de créer un espace vert. La commune inscrivit une somme de 100 000 EUR dans son budget au titre de l’indemnité d’expropriation. Le 20 décembre 2012, le Conseil compétent en matière de questions et litiges urbanistiques (SYPOTHA) invita la commune à initier la procédure de publication de la proposition de modification du plan urbain. Par un document du 8 mars 2013, la Région de l’Attique fixa à la commune de Drapetsona un délai a) pour la publication légale précitée, b) pour prévoir dans son budget 2013 une somme pour l’indemnité d’expropriation de la propriété des requérants, et c) de tenir informée la Région d’Attique de l’évolution des démarches mentionnées sous a) et b) afin que la procédure d’expropriation décidée par l’acte no 106/2009 soit poursuivie. Le même document indiquait en détail à la municipalité la procédure à suivre pour mettre en œuvre les recommandations de la Région de l’Attique. Toutefois, la commune de Drapetsona n’envoya pas les informations demandées dans le délai imparti. Le 21 mai 2013, les requérants demandèrent à la Région de l’Attique de mettre le dossier à jour afin que la procédure d’approbation du plan urbain soit complétée. Le 27 novembre 2014, la Région de l’Attique émit un avis à l’attention du SYPOTHA en faveur de la levée de l’expropriation. Elle proposait aussi en même temps la modification du plan urbain comme suit : 1) déclassifier la propriété litigieuse d’espace vert et la reclassifier comme constructible en prévoyant une zone piétonnière dans le pourtour ; 2) fixer l’usage de la propriété comme bar-cafétéria-restaurant avec des limites à la construction ; 3) rejeter partiellement la demande des requérants ; 4) transmettre le dossier à la commune aux fins de la publication. Le SYPOTHA inscrivit l’examen de l’avis susmentionné à l’ordre du jour de sa réunion du 17 février 2015, mais ce point fut reporté en raison du défaut de quorum. Lors de sa réunion du 17 mars 2015, le SYPOTHA conclut qu’il fallait procéder à la levée de l’expropriation. Toutefois, il proposa que l’usage de la propriété soit limité au fonctionnement d’un bar-cafétéria-restaurant, que le coefficient de construction soit réduit de 2,60% (applicable dans le quartier) à 1% et que la hauteur de toute construction soit limitée à un seul étage. Le SYPOTHA communiqua sa décision à la commune de Drapetsona afin qu’elle modifie le plan urbain. Le 4 mai 2015, la commune informa la « commission de la qualité de la vie » de la procédure qui devait être suivie à cet égard. Le 12 mai 2015, elle informa aussi le SYPOTHA que la procédure de modification du plan urbain était en cours. Le 17 juin 2015, la commission de la qualité de la vie se prononça en faveur de l’expropriation de la propriété des requérants. Le 3 juillet 2015, le conseil municipal décida de réimposer l’expropriation dans le but de créer un espace vert et de prévoir une somme de 200 000 euros au titre de l’indemnité d’expropriation. II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS Pour le droit et la pratique internes pertinents et notamment les dispositions pertinentes de la loi d’accompagnement du code civil se référer à l’arrêt Fix c. Grèce (no 1001/09, §§ 28-31, 12 juillet 2011).
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Le requérant est né en 1946 et est actuellement interné à Regensdorf. Les faits de la cause, tels qu’ils ont été exposés par les parties, peuvent se résumer comme suit. Par un arrêt du 4 juillet 2003, le tribunal supérieur (Obergericht) du canton de Zurich condamna le requérant à quatre ans et quatre mois de prison ferme pour actes sexuels multiples avec des mineurs ainsi que pour contraintes sexuelles multiples. Le 1er mars 2010, le tribunal supérieur suspendit l’exécution de la peine privative de liberté au profit d’un internement (Verwahrung) ayant pour objectif d’empêcher le requérant de commettre de nouveaux méfaits. Le 6 décembre 2011, le requérant demanda à être dispensé de l’obligation de travailler dans le cadre de l’exécution des peines et des mesures. Sa requête fut rejetée le 19 mars 2012 par l’office de l’exécution judiciaire du canton de Zurich. Par une décision prise par l’autorité compétente du pénitencier de Pöschwies en date du 29 mai 2012, le requérant fut condamné à un régime carcéral plus strict dans sa cellule et privé de son téléviseur et de son ordinateur pendant quatorze jours en raison de son refus de travailler. Cette décision fut annulée ultérieurement, le 31 juillet 2012, par la direction de la justice et de l’intérieur sur recours du requérant. Par une décision du 20 juin 2012, la direction de la justice et de l’intérieur du canton de Zurich rejeta un recours formé par le requérant contre la décision du 19 mars 2012. Le 10 janvier 2013, un recours du requérant contre la décision du 20 juin 2012 fut rejeté par le tribunal administratif du canton de Zurich. Le 15 février 2013, le requérant forma un recours devant le Tribunal fédéral, se plaignant notamment d’une application erronée des articles 74, 75 et 81 du code pénal et d’atteintes à la dignité humaine et à la liberté personnelle au sens des articles 7 et 10, respectivement, de la Constitution fédérale (paragraphes 15-17 ci-dessous). Par son arrêt 6B_182/2013 du 18 juillet 2013 (ATF 139 I 180), porté à la connaissance du requérant le 31 juillet 2013, le Tribunal fédéral rejeta le recours du requérant. Il exprima l’avis que l’obligation pour les détenus de travailler n’était pas en soi contraire aux droits de l’homme, en particulier à l’article 4 de la Convention (point 1.5). Il estima ainsi que l’obligation de travailler dans le cadre de l’exécution des peines ou des mesures privatives de liberté avait pour but de développer, préserver ou favoriser la capacité de se réinsérer dans la vie active après la mise en liberté. Il considéra que cette obligation contribuait à l’exécution des peines, qu’elle favorisait un comportement social adéquat et l’aptitude à vivre sans commettre d’infractions, et qu’elle avait également pour but d’occuper les détenus, de structurer leur quotidien et d’assurer le maintien de l’ordre dans l’établissement (point 1.6). Le tribunal ajouta que, avec l’avancée en âge des détenus, l’accent était davantage mis sur l’obligation d’assurer l’assistance nécessaire (principe de l’assistance nécessaire) et sur la réduction des effets négatifs de la détention (principe du moindre mal). S’agissant des détenus de plus de 65 ans, il indiqua que l’obligation de travailler servait à éviter les effets néfastes de la privation de liberté, par exemple l’isolement des personnes ayant atteint l’âge de la retraite, et à prévenir la dégénérescence mentale et physique. Il précisa que le travail devait être adapté aux aptitudes, à la formation et aux intérêts du détenu, et qu’il était par conséquent nécessaire de préserver les détenus de plus de 65 ans d’une charge excessive. Enfin, il indiqua que l’occupation des personnes moins performantes physiquement et mentalement pouvait consister en une activité thérapeutique (point 1.6). Le Tribunal fédéral estima également que la loi sur l’assurance vieillesse et survivants avait pour objectif de garantir un certain revenu vital aux personnes qui, du fait de leur âge, n’étaient plus capables de travailler. En revanche, selon le Tribunal fédéral, un travail dans le cadre de l’exécution d’une peine ou d’une mesure privative de liberté n’était pas comparable à un contrat de travail sur le marché du travail soumis à la loi de la concurrence, mais devait être vu plutôt comme une occupation dans un système fermé. Dès lors, le Tribunal fédéral conclut que le régime prévu pour les personnes ayant atteint l’âge de la retraite n’était pas applicable aux personnes détenues (point 1.8). Par ailleurs, le Tribunal fédéral estima également qu’une occupation exercée à titre bénévole ne permettait pas d’atteindre les objectifs visés par l’obligation de travailler dans la prison (point 2.6.2). II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES ET INTERNATIONAUX PERTINENTS A. Le droit interne pertinent L’article 7 de la Constitution fédérale garantit la dignité humaine en ces termes : Article 7 « La dignité humaine doit être respectée et protégée. » L’article 10 de la Constitution prévoit le droit à la vie et à la liberté personnelle : Article 10 « Tout être humain a droit à la vie. La peine de mort est interdite. Tout être humain a droit à la liberté personnelle, notamment à l’intégrité physique et psychique et à la liberté de mouvement. La torture et tout autre traitement ou peine cruels, inhumains ou dégradants sont interdits. » Le code pénal suisse du 21 décembre 1937 définit les principes de l’exécution des peines privatives de liberté et des mesures entraînant une privation de liberté de la manière suivante : Article 74 – Principes « Le détenu et la personne exécutant une mesure ont droit au respect de leur dignité. L’exercice de leurs droits ne peut être restreint que dans la mesure requise par la privation de liberté et par les exigences de la vie collective dans l’établissement. » Article 75 – Exécution des peines privatives de liberté/Principes « 1 L’exécution de la peine privative de liberté doit améliorer le comportement social du détenu, en particulier son aptitude à vivre sans commettre d’infractions. Elle doit correspondre autant que possible à des conditions de vie ordinaires, assurer au détenu l’assistance nécessaire, combattre les effets nocifs de la privation de liberté et tenir compte de manière adéquate du besoin de protection de la collectivité, du personnel et des codétenus. 2 (...) 3 Le règlement de l’établissement prévoit qu’un plan d’exécution est établi avec le détenu. Le plan porte notamment sur l’assistance offerte, sur la possibilité de travailler et d’acquérir une formation ou un perfectionnement, sur la réparation du dommage, sur les relations avec le monde extérieur et sur la préparation de la libération. 4 Le détenu doit participer activement aux efforts de resocialisation mis en œuvre et à la préparation de sa libération. 5 Les préoccupations et les besoins spécifiques des détenus, selon leur sexe, doivent être pris en considération. » Article 81 – Exécution des peines privatives de liberté/Travail « 1 Le détenu est astreint au travail. Ce travail doit correspondre, autant que possible, à ses aptitudes, à sa formation et à ses intérêts. 2 S’il y consent, le détenu peut être occupé auprès d’un employeur privé. » Article 90 – Exécution des mesures « (...) 3 Si la personne concernée est apte au travail, elle doit être incitée à travailler pour autant que le traitement institutionnel ou les soins le requièrent ou le permettent. Dans ce cas, les art. 81 à 83 sont applicables par analogie. » Au paragraphe 103, l’ordonnance du canton de Zurich sur l’exécution des peines du 6 décembre 2006 (Justizvollzugsverordnung), définit l’obligation de travailler de la manière suivante : « Obligation de travailler (...) § 103 1 Dans l’exécution des peines et des mesures, que ce soit en milieu fermé ou en libération conditionnelle, les personnes condamnées sont obligées d’accomplir le travail qui leur a été attribué. Lors de l’attribution du travail, il sera tenu compte, dans la mesure du possible et du raisonnable, de leurs aptitudes. (...) » B. La pratique interne pertinente Une délégation du Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains et dégradants (CPT) a effectué sa dernière visite en Suisse en octobre 2011. La délégation a visité, entre autres, les pénitenciers de Pöschwies, Bochuz et Bostadel. Dans son rapport au Conseil fédéral suisse consécutif à la visite de ces pénitenciers, le CPT a constaté ce qui suit : « 58. Sauf dérogation, les détenus en régime de détention ordinaire étaient astreints au travail, généralement à temps plein, dans l’un des onze ateliers du pénitencier de Bochuz (imprimerie, peinture, électricité, menuiserie, etc.) ou des neuf ateliers du pénitencier de Bostadel (charpenterie, métallurgie, etc.). Des aménagements pouvaient être faits pour les détenus âgés de plus de 65 ans (possibilité de travailler à mi-temps au pénitencier de Bochuz, par exemple). Toutefois, certains détenus âgés rencontrés au cours de la visite se sont fortement interrogés sur l’obligation légale de travailler au-delà de l’âge de la retraite en milieu libre ou en cas de mobilité fortement réduite. Le CPT souhaite recevoir les remarques des autorités suisses à ce sujet. » (c’est le Comité qui souligne) Dans sa réponse du 10 octobre 2012 à ce rapport, le Conseil fédéral suisse s’est prononcé comme suit : « Conformément à l’art. 81 du code pénal suisse (CP, RS 311.0), le détenu est astreint au travail. L’astreinte au travail a été maintenue dans le CP lors de la révision de la partie générale, entrée en vigueur le 1er janvier 2007. En effet, elle est un instrument adéquat et nécessaire pour que le détenu maintienne ses capacités personnelles et professionnelles. En outre, elle a été considérée comme un instrument indispensable à la garantie de l’ordre et de la gestion économique des établissements. L’astreinte au travail concerne tous les détenus, indépendamment de l’âge. Au surplus, il va de soi qu’elle ne s’applique qu’aux détenus effectivement capables de travailler. Le travail doit correspondre, autant que possible, aux aptitudes, à la formation et aux intérêts du détenu (art. 81, al. 1, CP). Par travail, qui, en vertu de l’art. 83 CP, donne aussi droit à une rémunération, on n’entend pas seulement une activité lucrative au sens étroit du terme, mais aussi par exemple la garde de ses propres enfants par le détenu (à l’intérieur ou à l’extérieur de l’établissement). En outre, la participation du détenu à des cours de formation et de perfectionnement est assimilée au travail et rémunérée en vertu de l’art. 83, al. 3, CP. Conformément à l’art. 75, al. 1, CP, l’exécution de la peine privative de liberté doit correspondre autant que possible à des conditions de vie ordinaires. S’agissant des détenus à l’âge de la retraite, des solutions sont recherchées au cas par cas dans le cadre des dispositions précitées. L’astreinte au travail ne s’applique pas à tous les détenus dans la même mesure ; elle doit être adaptée, selon les circonstances, aux aptitudes, mais avant tout à la capacité de travail et à l’état de santé du détenu. Les personnes souffrant de troubles physiques ne sont chargées que de travaux légers et ne le sont le plus souvent que dans une mesure réduite. En cas d’incapacité de travail attestée par un médecin, le détenu échappe à l’astreinte au travail. La problématique du nombre croissant des détenus à l’âge de la retraite a été reconnue, même si ce nombre est toujours très faible. Une section spéciale réservée aux détenus à l’âge de la retraite a été ouverte en 2012 à la nouvelle prison centrale de Lenzbourg. L’Office de l’exécution judiciaire du canton de Zurich a lancé un projet spécifique consacré à cette problématique. » C. Le droit international La Convention (no 29) de l’Organisation internationale du travail concernant le travail forcé ou obligatoire (« la Convention no 29 de l’OIT ») adoptée en 1930, à laquelle la Suisse est partie, prévoit ce qui suit dans sa partie pertinente en l’espèce : Article 1 « 1. Tout Membre de l’Organisation internationale du travail qui ratifie la présente convention s’engage à supprimer l’emploi du travail forcé ou obligatoire sous toutes ses formes dans le plus bref délai possible. (...) » Article 2 « 1. Aux fins de la présente convention, le terme travail forcé ou obligatoire désignera tout travail ou service exigé d’un individu sous la menace d’une peine quelconque et pour lequel ledit individu ne s’est pas offert de plein gré. Toutefois, le terme travail forcé ou obligatoire ne comprendra pas, aux fins de la présente convention : (...) (c) tout travail ou service exigé d’un individu comme conséquence d’une condamnation prononcée par une décision judiciaire, à la condition que ce travail ou service soit exécuté sous la surveillance et le contrôle des autorités publiques et que ledit individu ne soit pas concédé ou mis à la disposition de particuliers, compagnies ou personnes morales privées ; (...) » Les Règles pénitentiaires européennes sont des recommandations du Comité des Ministres aux États membres du Conseil de l’Europe quant aux normes minimales à appliquer dans les prisons. Les États sont encouragés à s’inspirer de ces règles dans l’élaboration de leurs législations et de leurs politiques et à en assurer une large diffusion auprès de leurs autorités judiciaires ainsi qu’auprès du personnel pénitentiaire et des détenus. Elles ont été adoptées par le Comité des Ministres le 12 février 1987. Le 11 janvier 2006, le Comité des Ministres a adopté une nouvelle version des Règles pénitentiaires européennes (Recommandation Rec(2006)2 – « les Règles de 2006 »), relevant que les Règles de 1987 devaient être révisées et mises à jour de façon approfondie pour pouvoir refléter les développements survenus dans le domaine de la politique pénale, les pratiques de condamnation ainsi que de gestion des prisons en général en Europe. Dans leur partie I, les Règles de 2006 consacrent les principes fondamentaux suivants : Principes fondamentaux « 1. Les personnes privées de liberté doivent être traitées dans le respect des droits de l’homme. Les personnes privées de liberté conservent tous les droits qui ne leur ont pas été retirés selon la loi par la décision les condamnant à une peine d’emprisonnement ou les plaçant en détention provisoire. Les restrictions imposées aux personnes privées de liberté doivent être réduites au strict nécessaire et doivent être proportionnelles aux objectifs légitimes pour lesquelles elles ont été imposées. Le manque de ressources ne saurait justifier des conditions de détention violant les droits de l’homme. La vie en prison est alignée aussi étroitement que possible sur les aspects positifs de la vie à l’extérieur de la prison. Chaque détention est gérée de manière à faciliter la réintégration dans la société libre des personnes privées de liberté. La coopération avec les services sociaux externes et, autant que possible, la participation de la société civile à la vie pénitentiaire doivent être encouragées. Le personnel pénitentiaire exécute une importante mission de service public et son recrutement, sa formation et ses conditions de travail doivent lui permettre de fournir un haut niveau de prise en charge des détenus. Toutes les prisons doivent faire l’objet d’une inspection gouvernementale régulière ainsi que du contrôle d’une autorité indépendante. (...) » Le commentaire relatif aux Règles de 2006 indique que, selon la règle no 2, la perte du droit à la liberté ne devrait pas être comprise comme impliquant automatiquement le retrait aux détenus de leurs droits politiques, civils, sociaux, économiques et culturels, mais que les restrictions devraient être aussi peu nombreuses que possible. Toute restriction supplémentaire devrait être prévue par la loi et être introduite uniquement si elle est essentielle au maintien de l’ordre, de la sûreté et de la sécurité dans les prisons. Les restrictions imposées ne devraient pas déroger aux Règles de 2006. Le commentaire précise, au sujet de la règle no 5, que celle-ci souligne les aspects positifs de la « normalisation », ajoutant que si la vie en prison ne peut être identique à la vie dans une société libre, il y a néanmoins lieu d’intervenir activement pour rapprocher le plus possible les conditions de vie en prison de la vie normale et s’assurer que cette normalisation ne puisse avoir pour conséquence des conditions de détention inhumaines. La règle no 26 porte sur le travail des détenus en général : Travail « 26.1 Le travail en prison doit être considéré comme un élément positif du régime carcéral et en aucun cas être imposé comme une punition. 2 Les autorités pénitentiaires doivent s’efforcer de procurer un travail suffisant et utile. 3 Ce travail doit permettre, dans la mesure du possible, d’entretenir ou d’augmenter la capacité du détenu à gagner sa vie après sa sortie de prison. 4 Conformément à la règle 13, aucune discrimination fondée sur le sexe ne doit s’exercer dans l’attribution d’un type de travail. 5 Un travail incluant une formation professionnelle doit être proposé aux détenus en mesure d’en profiter et plus particulièrement aux jeunes. 6 Dans la mesure du possible, les détenus doivent pouvoir choisir le type de travail qu’ils désirent accomplir, sous réserve des limites inhérentes à une sélection professionnelle appropriée et des exigences du maintien du bon ordre et de la discipline. 7 L’organisation et les méthodes de travail dans les prisons doivent se rapprocher autant que possible de celles régissant un travail analogue hors de la prison, afin de préparer les détenus aux conditions de la vie professionnelle normale. 8 Bien que le fait de tirer un profit financier du travail pénitentiaire puisse avoir pour effet d’élever le niveau et d’améliorer la qualité et la pertinence de la formation, les intérêts des détenus ne doivent cependant pas être subordonnés à cette fin. 9 Le travail des détenus doit être procuré par les autorités pénitentiaires, avec ou sans le concours d’entrepreneurs privés, à l’intérieur ou à l’extérieur de la prison. 10 En tout état de cause, le travail des détenus doit être rémunéré de façon équitable. 11 Les détenus doivent pouvoir consacrer au moins une partie de leur rémunération à l’achat d’objets autorisés destinés à leur usage personnel et à en envoyer une autre partie à leur famille. 12 Les détenus peuvent être incités à économiser une partie de leur rémunération et doivent pouvoir récupérer cette somme à leur sortie de prison ou l’affecter à d’autres usages autorisés. 13 Les mesures appliquées en matière de santé et de sécurité doivent assurer une protection efficace des détenus et ne peuvent pas être moins rigoureuses que celles dont bénéficient les travailleurs hors de prison. 14 Des dispositions doivent être prises pour indemniser les détenus victimes d’accidents du travail et de maladies professionnelles dans des conditions non moins favorables que celles prévues par le droit interne pour les travailleurs hors de prison. 15 Le nombre quotidien et hebdomadaire maximal d’heures de travail des détenus doit être fixé conformément à la réglementation ou aux usages locaux concernant l’emploi des travailleurs libres. 16 Les détenus doivent bénéficier d’au moins une journée de repos hebdomadaire et de suffisamment de temps pour s’instruire et s’adonner à d’autres activités. 17 Les détenus exerçant un travail doivent, dans la mesure du possible, être affiliés au régime national de sécurité sociale. » La règle no 105 est consacrée, plus spécifiquement, au travail des détenus condamnés : Travail des détenus condamnés « 105.1 Un programme systématique de travail doit contribuer à atteindre les objectifs poursuivis par le régime des détenus condamnés. 105.2 Les détenus condamnés n’ayant pas atteint l’âge normal de la retraite peuvent être soumis à l’obligation de travailler, compte tenu de leur aptitude physique et mentale telle qu’elle a été déterminée par le médecin. 105.3 Lorsque des détenus condamnés sont soumis à une obligation de travailler, les conditions de travail doivent être conformes aux normes et aux contrôles appliqués à l’extérieur. (...) » Le commentaire rappelle que la règle no 105 reflète l’importance du rôle du travail dans le régime pénitentiaire des détenus condamnés, et il souligne que le travail ne doit en aucun cas constituer une forme de punition supplémentaire. Il précise que la règle no 105 doit être lue dans le contexte de la règle no 26 régissant le travail des détenus en général. Toutes les garanties énoncées dans la règle no 26 vaudraient pour les détenus condamnés également. Le 22 mai 2015, à Vienne, la Commission des Nations unies pour la prévention du crime et la justice pénale a adopté une révision importante des règles internationales pour le traitement des détenus, en vigueur depuis soixante ans (E/CN.15/2015/L.6/Rev.1). Les modifications ont été adoptées par l’Assemblée générale le 17 décembre 2015. Les règles nos 96 à 103 concernent le travail des détenus et les parties pertinentes se lisent comme suit : Règle 96 « 1. Les détenus condamnés doivent avoir la possibilité de travailler et de participer activement à leur réadaptation, sous réserve de l’avis d’un médecin ou autre professionnel de la santé ayant les qualifications requises concernant leur aptitude physique et mentale. Il faut fournir aux détenus un travail productif suffisant pour les occuper pendant la durée normale d’une journée de travail. » Règle 97 « 1. Le travail pénitentiaire ne doit pas avoir un caractère punitif. Les détenus ne doivent pas être soumis à l’esclavage ou à la servitude. Aucun détenu ne doit être tenu de travailler pour le bénéfice personnel ou privé d’un fonctionnaire pénitentiaire quel qu’il soit. » Règle 98 « 1. Le travail pénitentiaire doit, dans la mesure du possible, être de nature à entretenir ou accroître la capacité des détenus à gagner honnêtement leur vie après leur libération. Une formation professionnelle utile doit être dispensée aux détenus qui sont à même d’en profiter et particulièrement aux jeunes. Dans les limites compatibles avec une sélection professionnelle appropriée et avec les exigences de l’administration et de la discipline pénitentiaire, les détenus doivent pouvoir choisir le type de travail qu’ils souhaitent accomplir. » Règle 99 « 1. L’organisation et les méthodes de travail en milieu pénitentiaire doivent se rapprocher autant que possible de celles qui caractérisent un travail analogue en dehors de la prison, afin de préparer les détenus aux conditions de la vie professionnelle normale. L’intérêt des détenus et de leur formation professionnelle ne doit toutefois pas être subordonné à la volonté de tirer un profit financier d’une activité exercée en milieu pénitentiaire. » D. Le droit comparé La Cour a jugé utile de procéder à une analyse comparative prenant en compte les solutions législatives de vingt-huit États membres du Conseil de l’Europe quant à la question de l’obligation pour les détenus ayant atteint l’âge de la retraite de continuer à travailler. Cette recherche a permis de conclure que, dans seize des États membres étudiés, les détenus condamnés ne sont pas tenus de travailler après avoir atteint l’âge de la retraite (Allemagne, Azerbaïdjan, Belgique, Estonie, Finlande, Hongrie, Italie, Lettonie, Lituanie, République de Moldova, Portugal, Royaume-Uni, Russie, Slovaquie, Suède et Ukraine). Dans treize de ces États, l’exemption de l’obligation pour les détenus ayant atteint l’âge de la retraite de travailler découle directement de la législation en place. Dans les trois autres (Finlande, Italie, Portugal), la question est réglée par renvoi aux dispositions applicables du droit du travail. En d’autres termes, l’obligation de travailler cesse à l’âge de la retraite comme le prévoit le code du travail. Dans les douze États membres restants, la question n’est pas expressément réglée en droit interne (Autriche, Bosnie-Herzégovine, Bulgarie, Croatie, Irlande, Luxembourg, ex-République yougoslave de Macédoine, Pologne, Roumanie, Serbie, Slovénie et Turquie). Il en découle qu’il n’y existe pas d’interdiction formelle d’astreindre les détenus condamnés à travailler après qu’ils ont atteint l’âge de la retraite. En revanche, la majorité de ces pays prévoit, en pratique, des exceptions à l’obligation pour les détenus de travailler, notamment en fonction de leurs capacités et de leur âge. En Bulgarie, par exemple, tous les détenus atteignant l’âge de la retraite sont examinés par un médecin qui vérifie s’ils sont aptes au travail. Un régime similaire s’applique en Irlande et dans l’exRépublique yougoslave de Macédoine. En Slovénie, il n’existe pas d’obstacle juridique formel à la possibilité de soumettre un détenu à l’obligation de travailler après qu’il a atteint l’âge de la retraite. Cela étant, la décision de maintenir l’astreinte au travail est censée se prendre en fonction et dans le cadre du plan d’assistance individuel de chaque détenu, qui doit tenir compte de sa situation personnelle.
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Les requérants ont été placés en détention provisoire pour divers délits. A. Requête no 53465/11 Le 16 février 2005, le premier requérant, résidant en France à l’époque des faits, fut arrêté et détenu par la police française en application d’un mandat d’arrêt européen délivré par l’Espagne pour les délits de trafic de stupéfiants et blanchissement d’argent. Le 8 mars 2005, le requérant fut transféré en Espagne et placé en détention provisoire. Le 6 juillet 2005, il fut libéré sous caution. Le 29 mai 2006, l’Audiencia Nacional acquitta le requérant des délits dont il avait été accusé. Le 30 avril 2007, le requérant présenta une réclamation auprès du ministère de la Justice en vue d’obtenir des dommages-intérêts. En particulier, il demandait une indemnisation pour le préjudice qu’il disait avoir subi du fait des cent trente-neuf jours passés en détention provisoire. Par une décision du 28 mai 2008, faisant suite aux rapports de la direction générale des relations avec l’administration de la justice en date du 27 mars 2008 et du Conseil d’État en date du 17 avril 2008, le ministre de la Justice rejeta la réclamation du requérant. Il considéra que l’article 294 de la loi organique relative au pouvoir judiciaire (« la LOPJ »), qui prévoyait pour les personnes acquittées après un placement en détention provisoire le droit d’obtenir une indemnisation, n’était pas applicable au cas d’espèce. Il observa notamment que le requérant n’avait pas été acquitté sur la base de preuves à décharge confirmant son innocence, mais faute de preuves à charge suffisantes démontrant sa participation aux faits délictueux. Le 16 octobre 2008, le requérant forma un recours en contentieux administratif contre la décision du ministre auprès de l’Audiencia Nacional, qui, par un arrêt du 28 septembre 2009, rejeta le recours. L’Audiencia Nacional rappela la jurisprudence dégagée par le Tribunal suprême sur l’article 294 de la LOPJ, selon laquelle l’indemnisation pour détention provisoire ne pouvait être allouée qu’en cas d’inexistence objective ou subjective des faits délictueux. D’après cette jurisprudence, pour établir l’inexistence subjective, il fallait avoir une certitude quant à l’absence de participation du plaignant aux faits litigieux. En l’occurrence, l’Audiencia Nacional nota que l’affaire qui lui était soumise concernait un cas typique de manque de preuves et que le requérant ne remplissait pas les critères de l’article 294 de la LOPJ. Le requérant se pourvut en cassation auprès du Tribunal Suprême, invoquant notamment une mauvaise interprétation de l’article 294 de la LOPJ. Par une décision du 29 avril 2010, le pourvoi en cassation fut déclaré irrecevable comme étant manifestement mal fondé. Le 2 juin 2010, le requérant introduisit une demande d’annulation de la procédure auprès du Tribunal Suprême, qui fut rejetée en date du 23 septembre 2010. Le 5 novembre 2010, le requérant forma un recours d’amparo auprès du Tribunal constitutionnel, qui le déclara irrecevable le 14 mars 2011, comme étant dépourvu d’« importance constitutionnelle spéciale ». B. Requête no 9634/12 Le 28 juillet 2006, le second requérant fut arrêté par la police à Barcelone. Le lendemain, il fut placé en détention provisoire pour deux délits présumés de vol qualifié. Le 10 août 2006, le juge d’instruction remit le requérant en liberté provisoire. Le 16 avril 2007, le juge d’instruction rendit une ordonnance de nonlieu provisoire (sobreseimeinto provisional) conformément aux articles 779 § 1, 1er al. et 641 § 2 du code de procédure pénale, au motif qu’il n’y avait pas dans le dossier d’indices suffisants permettant de prouver la participation du requérant aux délits qui lui étaient imputés. Il ressortait des déclarations des victimes qu’elles n’avaient pas pu reconnaître leurs agresseurs. La décision indiquait ce qui suit : « (...) nous sommes clairement en présence d’un cas de non-lieu provisoire et non pas d’un cas d’inexistence dûment prouvée de la réalité des faits. Le non-lieu repose sur l’insuffisance d’éléments de preuve permettant de fonder une accusation formelle, sans que la responsabilité de l’intéressé soit définitivement écartée. » S’appuyant sur l’article 294 de la LOPJ, le 12 septembre 2007, le requérant sollicita auprès du ministère de la Justice une indemnisation en raison d’un fonctionnement anormal de l’administration de la justice. En particulier, il se plaignait des quatorze jours qu’il avait passés en détention provisoire. Le 30 juillet 2008, la direction générale des relations avec l’administration de la justice proposa d’accorder au requérant la somme de 1 680 euros (EUR) à titre d’indemnisation. Conformément à la procédure, le dossier fut adressé au Conseil d’État, pour avis. Dans son avis du 4 décembre 2008, le Conseil d’État indiqua que les conditions exigées pour octroyer l’indemnisation n’étaient pas réunies en l’espèce et qu’il convenait de rejeter la réclamation du requérant. Il nota que le non-lieu n’avait pas été rendu en raison de l’absence de participation du requérant aux faits délictueux, mais faute de preuves suffisantes accréditant cette participation. Par une décision du 12 février 2009, le ministre de la Justice rejeta la réclamation du requérant. Le requérant introduisit un recours en contentieux administratif. Par un jugement du 1er octobre 2009, le juge central du contentieux administratif rejeta le recours. Il releva que la décision de non-lieu se limitait à faire état de preuves insuffisantes de la participation du requérant aux faits. À cet égard, le juge rappela qu’il aurait été nécessaire, pour accorder une indemnisation au requérant, de constater avec certitude que ce dernier n’avait pas participé aux faits. Au demeurant, le juge considéra que, à la lumière des faits exposés, « il y a[vait] des indices de la participation [du requérant] à la commission des délits, même s’ils n’avaient pas été considérés comme suffisants par le juge d’instruction pour poursuivre les investigations ». Le juge mentionna, entre autres, le fait que le requérant était le propriétaire de la moto utilisée par les auteurs des délits pour fuir après la commission de ceux-ci et que, lorsque les agents de police s’étaient approchés du requérant pour l’arrêter, celui-ci avait tenté de s’échapper alors qu’il se trouvait à côté de cette moto. Le requérant contesta cette décision auprès de l’Audiencia Nacional, qui, par un arrêt du 11 février 2010, rejeta le recours et confirma le jugement a quo au motif que la décision de non-lieu n’écartait pas définitivement la responsabilité du requérant. Pour parvenir à cette conclusion, l’Audiencia Nacional nota dans son arrêt que les faits dénoncés avaient bien eu lieu et que, malgré la conclusion de la juridiction pénale relative à l’absence d’indices objectifs permettant d’imputer au requérant les vols qualifiés dénoncés, d’autres éléments qui figuraient dans le jugement contentieux-administratif attaqué (paragraphe 22 ci-dessus) lui permettaient de conclure qu’il ne s’agissait pas en l’espèce de l’inexistence prouvée des faits dénoncés, mais de l’insuffisance de preuves pour fonder l’accusation pénale à l’encontre du requérant. L’Audiencia Nacional précisa dans son arrêt ce qui suit : « (...) bien que l’article 294 de la LOPJ prévoie que l’inexistence des faits doit être déclarée soit par un jugement d’acquittement soit par une ordonnance de non-lieu définitif, l’indication de ces deux types de décisions [dans le texte de l’article 294] [n’est pas exhaustive], l’arrêt du Tribunal suprême du 19 juin 1990 ayant précisé que l’ordonnance d’abandon des poursuites en raison de l’inexistence d’indices rationnels quant à la responsabilité pénale du prévenu est une décision qui peut être assimilée, à cet égard, à une ordonnance de non-lieu définitif. Cette assimilation est conforme à l’article 4 du code civil relatif à l’application des dispositions légales par analogie. Ce même tribunal, dans son arrêt du 30 avril 1990, précise que ce qui est juridiquement important dans l’article 294 de la LOPJ est la déclaration du tribunal relative à l’inexistence – objective ou subjective des faits. ». Invoquant les articles 14 (interdiction de la discrimination), 17 (droit à la liberté) et 24 § 2 (droit à la présomption d’innocence) de la Constitution, le requérant forma un recours d’amparo auprès du Tribunal constitutionnel. Par une décision notifiée le 17 octobre 2011, la haute juridiction rejeta le recours pour manque d’« importance constitutionnelle spéciale ». II. LE DROIT INTERNE PERTINENT La disposition pertinente en l’espèce de la Constitution prévoit ce qui suit : Article 121 « Les préjudices causés par une erreur judiciaire et ceux qui sont la conséquence du fonctionnement anormal de l’administration de la justice ouvrent droit à une indemnisation à la charge de l’État, conformément à la loi. » Les dispositions pertinentes en l’espèce de la LOPJ sont libellées comme suit : Article 292 « 1. Toute victime d’un préjudice résultant d’une erreur judiciaire ou d’un fonctionnement anormal de la justice a droit à une indemnisation par l’État, sauf en cas de force majeure, conformément aux dispositions du présent Titre. En tout état de cause, le préjudice allégué doit être effectif, financièrement quantifiable et individualisé, qu’il concerne une personne ou un groupe de personnes. La seule révocation ou annulation des décisions judiciaires n’implique pas en elle-même le droit à une indemnisation. » Article 293 « 1. Toute demande d’indemnisation pour cause d’erreur doit être précédée d’une décision judiciaire reconnaissant expressément l’erreur. Cette décision préalable peut découler directement d’une décision prononcée dans le cadre d’un recours en révision. Dans tous les autres cas s’appliquent les règles suivantes : a) L’action judiciaire en reconnaissance de l’erreur doit impérativement être intentée dans un délai de trois mois à compter du jour où elle peut être exercée. (...) Dans les cas d’erreur judiciaire déclarée ou de dommage dû à un fonctionnement anormal de l’administration de la justice, l’intéressé adresse sa demande d’indemnisation directement au ministère de la Justice. Cette requête est examinée selon les dispositions applicables en matière de responsabilité patrimoniale de l’État. La décision du ministère de la Justice peut faire l’objet d’un recours en contentieux administratif. Le droit de demander une indemnisation est prescrit dans un délai d’un an à compter du jour où il peut être exercé. » Article 294 « 1. Toute personne qui, après avoir été placée en détention provisoire, est acquittée en raison de l’inexistence des faits imputés, ou fait l’objet d’un non-lieu définitif pour ce motif, a droit à des indemnités lorsqu’elle a subi un préjudice. Le montant de l’indemnisation est fixé compte tenu de la durée de la privation de liberté et des conséquences personnelles et familiales subies. La demande d’indemnisation est traitée conformément aux dispositions de l’article 293 § 2. » La disposition pertinente du code de procédure pénale en vigueur à l’époque des faits en matière de recours contre des ordonnances de non-lieu est libellée comme suit : Article 217 « Un recours de reforma peut être présenté contre toute décision du juge d’instruction. » Les dispositions pertinentes du code de procédure pénale en vigueur à l’époque des faits relatives aux ordonnances de non-lieu et aux décisions susceptibles d’être prononcées au terme de l’instruction sont libellées comme suit : Article 637 « Le non-lieu définitif (sobreseimeinto libre) est prononcé : En l’absence d’indices rationnels de commission des faits à l’origine de la procédure, Quand le fait n’est pas constitutif d’un délit. En cas d’exemption de responsabilité criminelle des imputés (...). » Article 641 « Le non-lieu provisoire (sobreseimeinto provisional) est prononcé : Quand la commission du délit à l’origine de la procédure n’est pas suffisamment justifiée. Quand il résulte de l’instruction de l’affaire qu’un délit a été commis mais qu’il n’y a pas de motifs suffisants pour en accuser une personne déterminée ou des personnes déterminées (...) » Article 779 « 1. [Au terme de l’instruction], le juge rend, de façon motivée, l’une des décisions suivantes : 1e. S’il estime que les faits ne sont pas constitutifs d’infraction pénale ou que la commission de cette dernière n’est pas suffisamment justifiée, le juge rend l’ordonnance de non-lieu correspondant (...). Si les faits peuvent être considérés comme constitutifs de délit mais que l’auteur n’a pas été identifié, le juge rend une ordonnance de non-lieu provisoire et classe l’affaire. (...). »
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A. Les circonstances de l’espèce La liste des requérants, ainsi que les informations pertinentes sur les procédures en cause figurent en annexe. Les requérants se plaignent de la durée des procédures engagées devant les juridictions pénales, ainsi que de l’absence d’un recours effectif à cet égard. B. Le droit interne pertinent La loi no 4239/2014, intitulée « satisfaction équitable au titre du dépassement du délai raisonnable de la procédure devant les juridictions pénales, civiles et la Cour des comptes », est entrée en vigueur le 20 février 2014. Elle introduit, entre autres, un nouveau recours indemnitaire prévoyant l’octroi d’une satisfaction équitable en raison de la prolongation injustifiée d’une procédure devant les juridictions pénales. L’article 3 § 1 dispose : « Toute demande de satisfaction équitable doit être introduite devant chaque degré de juridiction séparément. Elle doit être présentée dans un délai de six mois après la publication de la décision définitive de la juridiction devant laquelle la durée de la procédure a été, selon le requérant, excessive (...) »
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Les requérants sont nés respectivement en 1970, en 1972, en 2003 et en 2007 et résident à Rakovski. Les deux premiers requérants sont mari et femme. Les troisième et quatrième requérants sont les fils mineurs du couple. A. L’intervention de la police au domicile des requérants En juillet 2011, la brigade de répression de la délinquance économique de la police de Plovdiv reçut des informations selon lesquelles le premier requérant, M. Milko Govedarski, aurait prêté de l’argent à plusieurs personnes physiques moyennant une rémunération sous forme d’intérêts et aurait reçu des biens meubles et immeubles en guise de garantie pour ces prêts. Le 15 novembre 2011, à l’issue de l’enquête préliminaire menée par la police sur ces allégations, le parquet régional de Plovdiv ouvrit des poursuites pénales contre ce requérant pour exercice illégal d’une activité financière, infraction pénale réprimée par l’article 252, alinéa 1 du code pénal. Il ressort des documents du dossier qu’un témoin, interrogé en octobre 2011 au cours de l’enquête préliminaire, avait affirmé que le requérant détenait un cahier et qu’il y consignait l’identité de ses emprunteurs, ainsi que les montants et les échéances des prêts. Afin de retrouver ce cahier, ainsi que d’autres documents liés à d’éventuelles transactions financières illicites impliquant M. Govedarski, les organes d’enquête décidèrent de perquisitionner la maison familiale des requérants et la station-service tenue par M. Govedarski et son associé. Le 18 novembre 2011, le directeur adjoint de la direction de la police de Plovdiv et le procureur régional de la même ville approuvèrent le plan d’intervention de l’opération policière. Le matin du 21 novembre 2011, les requérants se trouvaient dans leur maison à Rakovski, en train de dormir. Le premier requérant, M. Govedarski, était seul dans sa chambre et Mme Taneva-Govedarska et ses deux fils dormaient dans une chambre à côté. Dans la maison se trouvaient également les parents, la grand-mère et la sœur de M. Govedarski. Les requérants exposent que, vers 6 h 40, ils ont été brusquement réveillés par un bruit très fort provenant de la porte d’entrée de la maison et que, peu après, plusieurs policiers, dont certains auraient été lourdement armés et cagoulés, ont fait irruption dans leurs chambres respectives. M. Govedarski aurait été entouré de plusieurs policiers armés qui auraient proféré des menaces à son encontre et lui auraient demandé d’avouer qu’il était un usurier. Il serait resté en caleçon devant les policiers pendant plus d’une heure. Les requérants indiquent que, vers midi, après avoir assisté à la perquisition de son domicile, M. Govedarski a été menotté et emmené hors de sa maison. Ils ajoutent que, à cette heure-ci, plusieurs personnes s’étaient rassemblées devant sa maison et l’ont vu monter dans la voiture de police qui l’a amené à la direction de la police de Plovdiv. B. L’état psychologique des requérants après l’intervention de la police à leur domicile M. Govedarski indique que le 21 novembre 2011, alors qu’il se trouvait en détention, il a eu une crise d’angoisse, a été examiné par un médecin urgentiste et s’est vu administrer des anxiolytiques par ce dernier. Il ajoute qu’il a continué à prendre ces médicaments après sa libération et qu’il a souffert d’insomnie et de dépression. Il expose que sa bonne réputation de commerçant a été ternie à la suite de publications dans la presse régionale et que son entreprise a enregistré des pertes parce que ses partenaires commerciaux se seraient distanciés de lui. Mme TanevaGovedarska indique que, peu après l’entrée de la police à son domicile, elle a fait un malaise et perdu connaissance et que, par la suite, elle a eu une crise d’hypertension. Depuis les événements, elle souffrirait d’hypertension, d’insomnie et de dépression. M. et Mme Govedarski exposent que, lors de l’opération policière, leurs deux fils étaient stressés et pleuraient car ils avaient peur. À la suite des événements, le fils aîné du couple, S., aurait eu des problèmes d’incontinence et serait devenu distrait à l’école et agressif vis-à-vis de ses camarades de classe, tandis que son frère cadet, M., aurait souvent demandé à sa mère si les policiers allaient revenir. A l’appui de leurs allégations, les requérants ont présenté des feuilles de soins médicaux, des ordonnances médicales et deux déclarations signées par la sœur et la mère de M. Govedarski. C. La perquisition du domicile des requérants Le 21 novembre 2011, entre 8 h 45 et 10 h 08, un policier enquêteur procéda à la perquisition de la maison des requérants en la présence de M. Govedarski et de deux témoins. Le procès-verbal dressé par le policier mentionnait que la perquisition était effectuée en application de l’article 161, alinéa 2 du code de procédure pénale (« le CPP »), c’est-à-dire sans l’autorisation préalable d’un juge, au motif que c’était le seul moyen de préserver et recueillir des preuves en lien avec la procédure pénale en cause. Le formulaire de procès-verbal comportait une phrase standard invitant le propriétaire des lieux, en l’occurrence M. Govedarski, à présenter aux policiers tous les objets, documents ou systèmes informatiques contenant des informations relatives à l’enquête pénale en cours, en l’occurrence l’enquête no 686/11, menée par la direction de la police de Plovdiv. Le policier trouva et saisit quelques documents, notamment un formulaire de déclaration et quatre formulaires de contrat de prêt d’argent. Par une ordonnance datée du même jour, à 16 heures, un juge du tribunal régional de Plovdiv approuva la perquisition effectuée au domicile des requérants. Les motifs de ladite ordonnance se lisaient comme suit : « La présente procédure est [faite] en application de l’article 161, alinéa 2 du CPP. Le procureur du parquet régional de Plovdiv, G.P., a introduit une demande, enregistrée sous le numéro 6987/21.11.2011, visant à l’approbation des mesures d’instruction, perquisition et saisie, effectuées le 21 novembre 2011, de 8 h 45 à 10 h 08 dans la maison de deux étages et la dépendance mitoyenne d’un étage sises à Rakovski, 6 rue Nesebar, appartenant à Milko Serafimov Govedarski (...), au cours desquelles des objets liés à l’enquête pénale ont été découverts et saisis. Il ressort de la demande en cause et du document joint à celle-ci qu’une enquête pénale, portant le numéro 686/11, pour un crime [réprimé par] l’article 252, alinéa 2, a été ouverte contre X près de la brigade de répression de la délinquance économique à Plovdiv. La brigade avait reçu des informations selon lesquelles un certain Milko, habitant de Rakovski, (...) aurait prêté de l’argent à plusieurs personnes de la même ville et de la région, qui en avaient besoin, en leur imposant des taux d’intérêt élevés. Les prêts auraient été garantis par des gages portant sur des objets en or, des automobiles, d’autres biens meubles et [des biens] immeubles, ainsi que par des billets à ordre. Il a été établi au cours de l’enquête qu’il s’agissait de Milko Serafimov Govedarski, (...) habitant de Rakovski. Dans le but d’empêcher la dissimulation d’objets et de documents pertinents, il a été procédé à la perquisition de la maison et de la dépendance mitoyenne sises à Rakovski, 6 rue Nesebar, au cours de laquelle les objets consignés au procès-verbal ont été découverts et saisis. Compte tenu des circonstances susmentionnées, je considère qu’il s’agit d’un cas urgent au sens de l’article 161, alinéa 2 du CPP et que [la perquisition était] l’unique possibilité de rassembler des preuves, ce qui a motivé les organes de police à effectuer les mesures d’instruction sans l’autorisation préalable d’un juge [exigée par] l’article 161, alinéa 1 du CPP. Il ressort du procès-verbal que les mesures d’instruction ont été effectuées le 21 novembre 2011 (...) et qu’au moment de la présentation [du procès-verbal] devant le tribunal le délai de vingt-quatre heures, prévu à l’article 161 (...) du CPP, n’était pas expiré. Pour ces raisons, j’estime que les circonstances prévues à l’article 161, alinéa 2 du CPP sont réunies et qu’il y a lieu d’approuver les mesures d’instruction effectuées (...) » D. La détention de M. Govedarski et les poursuites pénales ouvertes à son encontre Par une ordonnance de police datée du 21 novembre 2011, M. Govedarski fut placé en détention le jour même, à 8 heures, car il était soupçonné d’avoir commis une infraction pénale. Le même jour, un procureur du parquet régional prolongea sa détention de soixante-douze heures. M. Govedarski fut formellement inculpé d’exercice illégal d’une activité financière, infraction réprimée par l’article 252, alinéa 1 du code pénal. Le 24 novembre 2011, le requérant fut libéré sous caution. Au cours de l’enquête, les organes chargés de l’instruction interrogèrent plusieurs témoins et recueillirent des preuves matérielles. Par une ordonnance de non-lieu du 22 mars 2012, le parquet régional de Plovdiv mit fin aux poursuites pénales contre le requérant. II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS D’après l’article 252, alinéa 1 du code pénal, l’exercice d’une activité bancaire ou financière sans autorisation est passible d’une peine d’emprisonnement allant de trois à cinq ans, ainsi que de la confiscation d’une part du patrimoine de l’auteur de l’infraction, pouvant aller jusqu’à la moitié de ses actifs. Le droit interne pertinent en matière de protection de l’intégrité physique des individus lors d’opérations policières, de perquisition et saisie policières, de placement en détention et de responsabilité de l’État pour dommages a été résumé dans l’arrêt Gutsanovi c. Bulgarie (no 34529/10, §§ 59-63, 67 et 75, CEDH 2013 (extraits)).
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Le requérant est né en 1961 et réside à Bordeaux. Il est le père de M., né en 1984, et décédé par suicide en prison, le 7 décembre 2008. M. avait été placé en détention provisoire le 24 novembre 2008 et écroué à la maison d’arrêt de Bordeaux-Gradignan dans le cadre d’une information judiciaire pour des faits de violence sur deux victimes avec préméditation, suivie d’une incapacité supérieure à huit jours, violation de domicile et entrée ou séjour irrégulier d’un étranger en France. A. La détention de M. jusqu’à sa mort En vue du placement en détention de M., le juge d’instruction en charge de l’information remplit la notice individuelle du prévenu (paragraphe 22 ci-dessous) à destination du chef de l’établissement pénitentiaire. À la question « existe-t-il, dans le comportement de la personne mise en examen des éléments laissant craindre qu’elle porte atteinte à son intégrité physique », le juge d’instruction cocha la case « oui », avec la précision, « selon elle [la personne prévenue], à voir ». Au bas de la notice, il ajouta : « À surveiller : 1ère incarcération et semble fragile ». Le 25 novembre 2008, le lendemain de son placement en détention, le fils du requérant fut placé en cellule dans le quartier « arrivants ». Le lieutenant T. le reçut en entretien et établit une fiche « audience arrivants – Évaluation du potentiel suicidaire/vulnérabilité/dangerosité » (paragraphe 26 ci-dessous). Furent cochées « oui », dans les rubriques de la fiche, les éléments suivants : - Rubrique « facteurs de risque judicaires et pénitentiaire » : peur des suites de la procédure, éprouve un sentiment de culpabilité, appréhende la promiscuité carcérale, notice individuelle ; - Rubrique « facteurs de risques familiaux, sociaux et économiques » : situation irrégulière ITF-IDTF-IS, rupture conjugale/vie familiale conflictuelle et instable, perte/séparation dans l’enfance ; - Rubrique « facteurs de risques sanitaires » : antécédents de tentative de suicide, addictions (tabac-alcool). - Rubrique « observation-comportement » : apparaît anxieux - triste, se déclare spontanément suicidaire. Les autres rubriques sont vierges, à savoir « évaluer l’urgence » dans laquelle il est question uniquement de suicide, « moyens envisagés » et « mesures à prendre » dont « à placer en surveillance spéciale » ou « RDV unités de soins (UCSA, SMPR, autre) ». Les conclusions de la fiche indiquent ce qui suit : à la case « vulnérabilité » est coché NSP (ne se prononce pas) ; il en est de même des cases « risque suicidaire » et « potentiel de dangerosité ». La fiche individuelle de renseignements établie par le lieutenant T. à la suite de l’entretien avec M. fit état de ce qui suit : « Primaire. Fumeur. Problème avec l’alcool. Se fait du souci pour sa compagne qui est enceinte. Antécédents suicidaires dans l’enfance. Souhaite suivi alcool et SMPR [service médico-psychologique régional]. Souhaite faire du sport. Profession chef de chantier : formation mécanicien. Espère recevoir visites. Semble fragile, signalé au SMPR le 26/11/2008 ». La fiche fit également mention d’une mise en surveillance spéciale à compter du 24 novembre 2008 et jusqu’au 8 décembre 2008 consistant en des rondes renforcées. À titre de preuve de la surveillance, le Gouvernement fournit une copie (difficilement lisible) du cahier de pointage horaires des 5, 6 et 7 décembre 2008 sur laquelle il est marqué « OK » toutes les heures des 5 et 6 décembre sauf à 17 heures ce dernier jour (impossible de lire ce qui est écrit à 17 heures). Le Gouvernement affirme que M. fut vu par un médecin de l’unité de consultation et de soins ambulatoires (ci-après « UCSA », paragraphe 23 cidessous) le lendemain de son arrivée et par un médecin du service médico-psychologique régional (ci-après « SMPR », paragraphe 24 cidessous) sans préciser la date. À l’appui de ses dires, il fournit un courrier du chef de détention au directeur de la maison d’arrêt de Gradignan du 14 août 2009 transmettant des « pièces relatives à une requête en indemnité » présenté par le requérant et précisant que « les services médicaux de l’établissement (UCSA et SMPR) qui ont reçu chacun le détenu à son arrivée ont fait part au personnel de leurs recommandations particulières en terme de prévention du suicide ». Le Gouvernement joint également un courrier du 21 août 2009 échangé entre les mêmes personnes et duquel il ressort que le lieutenant a vu M. en « audience arrivant » le 25 novembre 2008, et qu’il l’a signalé au SMPR ; il est précisé dans ce courrier que « le responsable du SMPR n’a pas souhaité nous donner la date de la visite ni par quel médecin ou infirmier psychiatrique il avait été vu » ; ce courrier indique encore que « en qui concerne l’UCSA, le détenu Isenc a été vu par le médecin le 25/11/2008 comme tous les arrivants. Le médecin m’a confirmé que l’intéressé a été vu tous les jours pour la distribution des médicaments en cellule ». Le 2 décembre 2008, la commission pluridisciplinaire (CPU, paragraphe 27 ci-dessous), dédiée à la prévention des suicides et chargée d’examiner régulièrement la situation des détenus faisant l’objet d’une surveillance spéciale, s’est réunie. Selon le Gouvernement, cette commission décida de maintenir la mesure de surveillance spéciale ainsi que d’organiser un « point détention », c’est-à-dire un entretien avec un membre du personnel pénitentiaire avant la tenue de la prochaine CPU. Sur le compte rendu de la réunion concernant M., il est noté, s’agissant du SPIP (service pénitentiaire d’insertion et de probation), « RAS [rien à signaler], naissance d’un enfant dans 3 semaines », les cases réservées aux UCSA et SMPR sont vides et indiquent que ces services n’ont pas été représentés et, en ce qui concerne le service « détention », l’avis indique ceci : « Signalé prévention suicide (évaluation SMPR à faire) ». Le 5 décembre 2008, à l’issue de la phase d’accueil, M. fut affecté dans une cellule avec deux autres codétenus. Dans l’après-midi du 6 décembre 2008, resté seul pendant que ses deux codétenus étaient allés prendre leur douche, M. se pendit avec un drap aux barreaux de la fenêtre de sa cellule. De retour à 16 h 25, l’un de ses codétenus alerta aussitôt les surveillants. Les pompiers et le SAMU furent prévenus à 16 h 43 et intervinrent respectivement vers 16 h 50 et vers 17 heures. M. fut hospitalisé à 17 h 57 au CHU de Bordeaux où il décéda le lendemain à 6 h 30. Le 8 décembre 2008, le directeur de la maison d’arrêt adressa un rapport à la direction interrégionale des services pénitentiaires sur les circonstances de la mort. Le même jour, l’autopsie réalisée conclut à la mort par pendaison. Le 18 décembre 2009, l’enquête diligentée dans le cadre des recherches de la cause de la mort fit l’objet d’un classement sans suite. B. La procédure administrative Le 9 juillet 2009, le requérant adressa une réclamation indemnitaire préalable au garde des Sceaux, et demanda la réparation de ses préjudices, moral et matériel, résultant du décès de son fils, par l’allocation d’une somme de 60 000 euros (EUR). Le 29 septembre 2009, à la suite d’une décision implicite de rejet, le requérant saisit le tribunal administratif de Bordeaux afin qu’il condamne l’État à lui verser l’indemnité. Par un jugement du 30 novembre 2010, le tribunal rejeta sa requête dans les termes suivants : « Considérant qu’il résulte de l’instruction, et notamment des témoignages de sa compagne, de son père et de l’un de ses codétenus, que M. n’avait manifesté aucune volonté suicidaire avant de tenter de mettre fin à ses jours ; que la notice individuelle remplie par le juge d’instruction du tribunal de grande instance de Bordeaux, si elle précisait que l’intéressé, incarcéré pour la première fois, devait être surveillé compte tenu de sa fragilité psychologique, indiquait toutefois que ce dernier ne nécessitait pas d’examen médical ou psychiatrique urgent ; que si l’administration pénitentiaire a, par mesure de précaution, signalé le détenu au service médico-psychologique régional (SMPR), lequel relève d’ailleurs d’une personne morale distincte de l’État, l’a inscrit sur la liste des détenus devant faire l’objet d’une évaluation pluridisciplinaire et l’a fait examiner par la commission pluridisciplinaire de prévention des suicides le 2 décembre 2008, aucun élément ne permettait à l’administration de suspecter que M. se situait dans une phase dite de « crise suicidaire aigue » qui aurait nécessité une surveillance permanente ; qu’au demeurant le médecin du service médical l’ayant examiné n’avait pas adressé de recommandation particulière à l’administration pénitentiaire pour prévenir un éventuel suicide de l’intéressé ; qu’il résulte également de l’instruction, que celui-ci a été, afin d’éviter son isolement, placé avec deux codétenus dans une cellule qui faisait l’objet d’une surveillance spéciale destinée à contrôler sa présence ; qu’il résulte de l’instruction que l’administration a assuré régulièrement et effectivement la mise en œuvre de rondes toutes les heures ; qu’une ronde avait d’ailleurs été effectuée le 6 décembre 2008 à 16 heures, avant que M. ne soit découvert par l’un des codétenus à 16 h 25 ; que dans ces conditions, le requérant n’est pas fondé à soutenir que l’administration pénitentiaire aurait manqué à son obligation d’assurer la sécurité du détenu et commis une faute dans l’organisation du service en s’abstenant de prendre les mesures de surveillance pour prévenir son suicide » ; qu’il n’est pas établi que les conditions matérielles de détention de M. dans une cellule de 9 m2 avec deux autres codétenus soit à l’origine de son suicide. (...) ». Le tribunal indiqua également qu’aucune faute ne pouvait être retenue dans l’organisation des secours portés à M. Le requérant fit appel du jugement. Il fit notamment valoir que l’administration disposait, à l’arrivée de M. à la maison d’arrêt, des observations du juge d’instruction et des déclarations qu’il avait faites lors de son entretien individuel. Le requérant contesta les incohérences des mentions portées sur le cahier de pointage horaire de l’étage où était détenu M. au motif qu’elles laissaient apparaître qu’il avait été pré-rempli par les surveillants. Il fit enfin valoir que les conditions matérielles de détention, à savoir une cellule de 8,5 m2 accueillant trois détenus dont l’un dormait sur un matelas à même le sol, étaient fautives et engageaient la responsabilité de l’administration pénitentiaire. Dans ses conclusions devant la cour administrative d’appel de Bordeaux, le rapporteur public conclut à la condamnation de l’État à verser la somme de 8 000 EUR au requérant : « (...) En l’espèce, un certain nombre de mesures ont été prises concernant M. dont toute la question est de savoir si elles ont été suffisantes. Ce qui nous frappe dans ce dossier, est l’absence d’examen médical de M., alors comme il a été dit, la fiche du juge d’instruction signalait des tendances suicidaires. L’examen de M. par la commission pluridisciplinaire de prévention des suicides, même si comme l’indique le ministre, cette commission comprend des soignants, ne peut valoir examen médical. Le compte rendu de cette commission, qui consacre une ligne à chaque détenu, ne fait que dresser un tableau général, en l’espèce pour M., faisant état des tendances suicidaires, et mentionnant la nécessité d’une surveillance toutes les heures. (...) En ce qui concerne l’examen médical, le ministre se fonde sur différentes dispositions notamment l’article D 372 du code de procédure pénale qui prévoit que chaque secteur de psychiatrie en milieu pénitentiaire est rattaché à un établissement de santé (...) ; il comporte notamment un SMPR [service médico-psychologique régional] (...). L’article 14 de l’arrêté du 14 décembre 1986 relatif au règlement intérieur type fixant l’organisation des SMPR s’il prévoit que « la demande de soin est formulée auprès de ce service par l’intéressé lui-même » prévoit « qu’en outre, une demande d’intervention de ce service peut être sollicitée par le personnel pénitentiaire ou toute autre personne agissant dans l’intérêt du détenu. » Un imprimé produit au dossier mentionne un signalement au service médico-psychologique, mais cette mention nous paraît insuffisante, pour constituer au sens du texte précité, demande d’intervention auprès du centre médico-psychologique ; Nous n’arrivons pas personnellement à concevoir comment une personne présentée comme suicidaire par le juge d’instruction n’aura avant de se suicider jamais consulté un médecin alors que précisément le ministre se prévaut d’une structure médicale ayant vocation à s’occuper des détenus du centre pénitentiaire notamment sur le plan psychiatrique. Les risques suicidaires de M. ayant été identifiés, et alors qu’aucun médecin ne l’a jamais examiné, il n’est donc selon nous pas possible d’affirmer que M. n’aurait pas été un sujet à un risque de crise aigüe sur la seule foi des témoignages de membres de sa famille, donc par définition hors contexte d’incarcération ou des codétenus de sa cellule. Nous avons conscience des difficultés qui sont celles de l’administration pénitentiaire, qui par ailleurs avait mis en place une surveillance par rondes, alors que par ailleurs chacun sait que le risque zéro n’existe pas. Mais la faute a consisté selon nous à partir d’éléments sur les risques suicidaires de M. de ne pas l’avoir soumis à un examen médical prévu par le texte, qu’il n’a certes pas demandé, mais dont il ne ressort pas des pièces du dossier qu’il l’aurait refusé, la seule circonstance que le juge d’instruction – qui n’est pas médecin – n’envisageait pas la nécessité d’un examen psychiatrique ni d’un examen au centre médico-psychologique régional ne dispensant pas l’administration pénitentiaire de ses obligations. (...) ». Par un arrêt du 29 novembre 2011, la cour administrative d’appel de Bordeaux confirma le jugement. Elle reprit la motivation du tribunal, sans toutefois mentionner l’examen par « un médecin du service médical », et dit à nouveau « qu’aucune recommandation particulière n’a été adressée à l’administration pénitentiaire par le SMPR, lequel n’est pas placé sous l’autorité de l’administration pénitentiaire ». Elle ajouta que M. avait été affecté dans une cellule avec deux autres détenus dont la situation pénale était proche de la sienne et qui, « même s’ils n’avaient pas été informés par l’administration pénitentiaire de la fragilité psychologique de [celui-ci], étaient susceptibles, le cas échéant, d’alerter les surveillants ». Le requérant forma un pourvoi en cassation en invoquant notamment la violation de l’article 2 de la Convention. Par un arrêt du 15 mars 2013, le Conseil d’État déclara le pourvoi non admis. II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES ET INTERNATIONAL PERTINENTS A. Dispositions pertinentes du code de procédure pénale Les dispositions pertinentes du code de procédure pénale sont ainsi libellées : Article D. 32-1 « Le juge d’instruction qui saisit le juge des libertés et de la détention en application des dispositions du quatrième alinéa de l’article 137-1 aux fins de placement en détention provisoire de la personne mise en examen remplit une notice individuelle comportant des renseignements relatifs aux faits ayant motivé la poursuite de la personne, à ses antécédents judiciaires et à sa personnalité, qui est destinée, en cas de placement en détention, au chef de l’établissement pénitentiaire. (...) ». Article D. 285 (à l’époque des faits, abrogé par un décret du 30 avril 2013) « Le jour de son arrivée à l’établissement pénitentiaire ou, au plus tard, le lendemain, chaque détenu doit être visité par le chef de l’établissement ou par un de ses subordonnés immédiats. Dans les délais les plus brefs, le détenu est soumis à un examen médical dans les conditions prévues à l’article D. 381. Le détenu est également visité, dès que possible, par un membre du service pénitentiaire d’insertion et de probation. (...) ». B. Services de santé pénitentiaire et prévention du suicide dans les établissements pénitentiaire Il est rappelé que la prise en charge sanitaire des personnes détenues dépend du service public hospitalier depuis la loi du 18 janvier 1994. Au sein de chaque établissement pénitentiaire, l’accès aux soins est assuré par l’Unité de consultations et de soins ambulatoires (UCSA), structure interne de l’hôpital de rattachement implantée en détention. Comme pour les soins somatiques, les soins psychiques en détention ne relèvent pas de l’administration pénitentiaire. Ils sont confiés au service public hospitalier. Le SMPR est un service hospitalier implanté dans des locaux de certaines prisons. Il est placé sous l’autorité d’un psychiatre hospitalier assisté d’une équipe pluridisciplinaire. Il est en charge du dépistage systématique des troubles psychiques (notamment au moyen d’un entretien d’accueil avec les détenus à leur arrivée en détention), des soins courants ou encore de la prévention de l’alcoolisme et des toxicomanies. S’agissant des demandes de consultations par le SMPR, il est renvoyé à l’état du droit en vigueur au moment des faits tel que rappelé par le rapporteur public devant la cour administrative d’appel (paragraphe 19 cidessus). Après l’adoption de la loi pénitentiaire de 2009 et d’un décret du 23 décembre 2010 portant application de cette loi, il a été ajouté un article R. 57-8-1 dans le CPP qui dispose ce qui suit : « Les médecins chargés des prestations de médecine générale intervenant dans les [UCSA] et dans les [SMPR] visés à l’article R. 3221-5 du code de la santé publique assurent des consultations médicales, à la suite de demandes formulées par la personne détenue ou, le cas échéant, par le personnel pénitentiaire ou par toute autre personne agissant dans l’intérêt de la personne détenue. Ces médecins sont en outre chargés de : 1o Réaliser un examen médical systématique pour les personnes détenues venant de l’état de liberté ; (...) ». Une circulaire du garde des Sceaux et du ministre délégué à la Santé, en date du 26 avril 2002, a été consacrée à la prévention des suicides dans les établissements pénitentiaires (voir, sur la circulaire précédente, Ketreb c. France, no 38447/09, § 59, 19 juillet 2012). Elle indiquait que le risque suicidaire est plus élevé lors de l’accueil et au quartier disciplinaire. Elle prévoyait, notamment, un renforcement de la formation des personnels pénitentiaires à l’évaluation du potentiel suicidaire, et de favoriser le repérage du risque suicidaire en détention en expérimentant l’utilisation d’une grille d’analyse destinée à aider au signalement de personnes détenues présentant un risque suicidaire, pour chaque arrivant. Elle précisait que cette grille devrait faire l’objet d’échanges entre les différents services, et notamment sa transmission à l’UCSA et à l’équipe de soins psychiatriques si l’établissement en dispose et un troisième au service pénitentiaire d’insertion et de probation. Cette circulaire préconisait également de faire appel à des codétenus et de renforcer la surveillance et l’observation : « 4. Renforcer la surveillance et l’observation La personne détenue repérée comme présentant un risque suicidaire doit faire l’objet d’une attention particulière qui peut consister en une multiplication des rondes, même de nuit. Cependant, il ne saurait être question de réduire la prise en charge d’une personne détenue en détresse à de seules mesures de surveillance, qui, dans certains cas peuvent aggraver son état (...) ». La circulaire soulignait que la prévention des suicides passe par une parfaite coordination, notamment entre les établissements de santé et les établissements pénitentiaires. Postérieurement aux faits de l’espèce, en 2009, un plan national d’actions de prévention du suicide des personnes détenues a été mis en place par la garde des Sceaux. Ce plan prévoit de renforcer la détection du risque suicidaire chez les personnes détenues, « dans les périodes les plus sensibles, notamment à l’arrivée (...) ». Il souligne également la nécessité de mettre en place dans tous les établissements une CPU relative à la prévention du suicide. Une circulaire du 2 août 2011 relative à l’échange d’informations entre les services relevant du ministère de la Justice et des Libertés visant à la prévention du suicide en milieu carcéral rappelle le plan d’action précité et consacre un partie « dossier arrivant » dans laquelle il est rappelé que conformément aux règles pénitentiaires européennes, l’administration pénitentiaire a mis en œuvre une démarche qualité concernant l’accueil des arrivants dans les établissements pénitentiaires et que ce processus fait l’objet d’une labellisation pour certains d’entre eux. La circulaire précise encore « que la CPU est présidée par le chef d’établissement et a pour objet de suivre le parcours de la personne détenue. Elle permet d’exploiter les informations consignées par l’ensemble des professionnels, notamment lors de l’accueil des détenus arrivants, et de les formaliser. Il est ainsi procédé notamment à une évaluation du risque suicidaire ». Selon un tableau annexé à la circulaire «Liste des vingt établissements les plus affectés par les suicides de 1996 à 2009 », la maison d’arrêt de Bordeaux-Gradignan est classée sixième, avec trentedeux suicides sur cette période dont trois en 2008. C. Travaux du Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (CPT) Dans un document intitulé « Normes du CPT » (CPT/Inf/E (2002) 1Rev. 2015), le CPT indique ce qui suit : « 33. À l’entrée en prison, tout détenu devrait être vu sans délai par un membre du service de santé de l’établissement. Dans les rapports établis à ce jour, le CPT a recommandé que chaque détenu nouvellement arrivé bénéficie d’un entretien avec un médecin et, si nécessaire, soit soumis à un examen médical aussi tôt que possible après son admission. Il faut ajouter que dans certains pays, le contrôle médical à l’admission est effectué par un infirmier diplômé qui fait rapport à un médecin; cette dernière approche peut parfois être considérée comme le moyen de faire au mieux avec le personnel disponible. (...) La prévention des suicides constitue un autre domaine relevant de la compétence d’un service de santé pénitentiaire. Celui-ci devrait assurer une sensibilisation à ce problème au sein de l’établissement ainsi que la mise en place de dispositifs appropriés. Le contrôle médical lors de l’admission, et la procédure d’accueil dans son ensemble, ont un rôle important à jouer dans ce domaine ; effectué convenablement, ce processus peut permettre d’identifier au moins un certain nombre de sujets à risque et atténuer en partie l’anxiété éprouvée par tous les détenus nouvellement arrivés. En outre, tout fonctionnaire pénitentiaire, quel que soit son travail, doit être rendu attentif aux signes de risque suicidaire - ce qui implique d’être formé à les reconnaître. À cet égard, il est à noter que les périodes précédant ou suivant immédiatement un procès et quelquefois la période proche de la libération se caractérisent par une augmentation du risque de suicide. Une personne identifiée comme présentant un risque de suicide doit être placée, aussi longtemps que nécessaire, en observation particulière. En outre, de telles personnes ne devraient pas avoir un accès facile à des objets leur permettant de se suicider (barreaux des fenêtres, verre brisé, ceintures, cravates, etc.). Des mesures devraient également être prises pour assurer une bonne circulation de l’information - tant au sein d’un établissement donné que, si nécessaire, entre des établissements (et plus particulièrement entre leurs services de santé respectifs) - au sujet des personnes ayant été identifiées comme potentiellement à risque ».
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Le requérant est né en 1980. A. La procédure relative à l’expulsion et la détention du requérant Le 2 août 2010, le requérant arriva en Grèce. Il fut arrêté par les autorités et transféré dans les locaux du poste frontière de Soufli. Le requérant soutient qu’il demanda l’asile, mais que les autorités n’enregistrèrent pas sa demande. Le requérant fut présenté devant le procureur près le tribunal correctionnel d’Alexandroupoli. Le 4 août 2010, ce dernier décida de ne pas exercer de poursuites pénales afin de renvoyer le requérant vers son pays d’origine. Toutefois, ce renvoi ne fut pas effectué. Le 5 août 2010, le directeur de la Direction de police d’Alexandroupoli décida de placer le requérant en détention provisoire jusqu’à ce qu’une décision concernant son expulsion soit prise, dans un délai de trois jours (décision no 9760/20-3224/2-α’). Par une décision du 8 août 2010, le directeur de la Direction de police d’Alexandroupoli ordonna l’expulsion du requérant pour infraction à l’article 83 de la loi no 3386/2005. Il ordonna aussi son maintien en détention pour une période ne pouvant pas dépasser six mois, au motif qu’il risquait de fuir. La décision précisait que le requérant avait été informé, dans une langue qu’il comprenait bien (l’anglais), de ses droits et des raisons de sa détention. Enfin, elle prévoyait que l’expulsion pouvait être suspendue au cas où le requérant introduirait un recours (décision 9760/20-3224/2-β’). Le 12 août 2010, le requérant fut transféré au centre de rétention de Venna. Le même jour, le Directeur du Conseil grec pour les réfugiés envoya un fax adressé, entre autres, au ministère de la Protection du citoyen et à la Direction de police d’Alexandroupoli. Il réitérait le souhait du requérant que sa demande d’asile soit enregistrée, précisait que les conditions de détention étaient contraires à l’article 3 de la Convention et demandait l’amélioration de ces conditions et la libération du requérant. À une date non précisée, le requérant fut transféré au poste frontière de Kipoi afin d’être expulsé vers la Turquie mais son expulsion fut finalement reportée. À une date non précisée, le requérant réitéra sa demande d’asile auprès des autorités grecques. Le 23 août 2010, le Conseil grec pour les réfugiés demanda de nouveau par fax à la Direction de police de Rodopi d’enregistrer la demande d’asile du requérant. Le 25 août 2010, le requérant fut transféré dans les locaux du poste frontière de Soufli. Le même jour, le Conseil grec pour les réfugiés envoya un fax à la Direction de police d’Alexandroupoli, réitérant que le requérant leur avait exprimé à plusieurs reprises le souhait de déposer une demande d’asile et que celle-ci n’avait pas encore été enregistrée. Le 26 août 2010, le requérant déposa par écrit une nouvelle demande d’asile que les autorités enregistrèrent. Le même jour, il demanda au ministère de la Solidarité sociale de lui trouver une structure d’accueil conformément au décret présidentiel no 220/2007. Le 30 août 2010, le requérant formula des objections contre sa détention devant le tribunal administratif d’Alexandroupoli. Il demandait l’examen de la légalité de celle-ci, eu égard à la demande d’asile et aux conditions de détention insupportables. Le 3 septembre 2010, la présidente du tribunal administratif d’Alexandroupoli considéra que la détention était légale et rejeta les objections. Elle admit, notamment, que l’introduction d’une demande d’asile de la part du requérant ne rendait pas automatiquement illégale la continuation de la détention en vue de son expulsion. Elle releva que sa détention était imposée pour des raisons d’intérêt public, notamment la lutte contre l’immigration illégale. Elle affirma qu’il ne ressortait pas du dossier que le requérant avait été empêché d’introduire sa demande d’asile. Enfin, elle considéra que le requérant n’avait pas démontré, avec des allégations « suffisamment sérieuses », que les autorités avaient refusé de traiter le problème des conditions de détention et souligna que la pratique administrative révélait une « volonté d’améliorer les conditions de détention dans les lieux de détention » (décision no P80/2010). Le 6 octobre 2010, le requérant présenta de nouvelles objections contre sa détention devant le président du tribunal administratif. Il releva notamment qu’il pouvait être hébergé à Athènes par son compatriote M.H., que son expulsion ne pouvait pas être effectuée du fait que sa demande d’asile était toujours pendante et que ses conditions de détention se dégradaient. Il décrivit à cet effet le surpeuplement, le manque d’hygiène et d’accès à la lumière naturelle et produisit, entre autres, une lettre du représentant en Grèce du Haut Commissariat des Nations-Unies pour les Réfugiés qui faisait état des constats d’une visite au poste frontière de Soufli, effectuée du 29 septembre au 1er octobre 2010. Le 8 octobre 2010, le président du tribunal administratif d’Alexandroupoli examina les nouvelles objections et y fit droit. Il fit notamment référence à la demande d’asile soumise par le requérant, qui était pendante, et au fait que celui-ci n’était pas détenu dans des « locaux appropriés » (σε χώρο κατάλληλο) pour une détention s’étalant sur une période de six mois (décision no P106/2010). Le même jour, la détention du requérant fut levée en vertu de la décision 9760/20-3224/2-ε’ du directeur de la Direction de police d’Alexandroupoli. Selon cette décision, le requérant devait quitter le territoire grec dans un délai de trente jours. Le 19 octobre 2010, le requérant eut un entretien en vue de l’obtention de l’asile devant la Commission consultative pour les réfugiés siégeant à Alexandroupoli. Le 2 novembre 2010, la demande d’asile du requérant fut rejetée. Le 22 novembre 2010 fut publié le décret 114/2010 relatif au statut du réfugié. Ce décret réintroduisit le droit des demandeurs d’asile de solliciter le réexamen de leur demande par l’administration (une commission composée d’un représentant du ministère de l’Intérieur ou du ministère de la Justice, d’un représentant du HCR et d’un juriste expert en droits de l’homme ou en droit des réfugiés). En vertu de l’article 32 du décret, le requérant disposait d’un délai de trois mois pour solliciter ce réexamen. À une date non précisée, le requérant fut arrêté par la police de Thessalonique et mis en détention en vue de son expulsion. Le 19 janvier 2011, la décision rejetant sa demande d’asile lui fut notifiée. Le même jour, il fut libéré. Le 16 février 2011, le requérant introduisit un recours contre la décision rejetant sa demande d’asile. Le 12 septembre 2014, le requérant se présenta devant la Département d’asile de la Direction des étrangers de l’Attique et exprima son souhait de retirer sa demande d’asile. À une date non précisée, le requérant quitta la Grèce et s’installa en Turquie, où, selon ses dires, il demanda la protection internationale. Le 25 mai 2015, le directeur de la Direction de la police d’Orestiada décida de classer la demande d’asile du requérant, au motif que l’intéressé avait exprimé le souhait de la retirer (décision no 5401/1-A/3610-β). B. Les conditions de détention du requérant La version du requérant Le requérant fut détenu dans les locaux du poste frontière de Soufli et du centre de rétention de Venna. En particulier, lors de son arrestation, il fut détenu au poste frontière de Soufli et, ensuite, transféré au centre de rétention de Venna ; une semaine après, il fut renvoyé à Soufli. Il souligne que les conditions de détention dans ces endroits rendaient impossible même une détention de courte durée. Il prétend que pendant sa détention, il ne sortit jamais des bâtiments et ne vit jamais le ciel, ce qui eut une influence néfaste sur sa santé physique et psychologique. La plupart du temps, le poste frontière de Soufli accueillait entre 100-150 hommes, femmes et enfants dans un espace d’une capacité de 25 personnes. Certains détenus, dont lui-même, étaient obligés de dormir à même le sol, à proximité des eaux sales des toilettes, ou même assis. L’accès au téléphone était très limité et il fallait se procurer une télécarte, ce qui dépendait de la volonté des gardiens. Dans les espaces de détention, il n’y avait ni chaises, ni tables. Le requérant n’eut aucun produit de toilette ou d’hygiène. Les quelques couvertures étaient sales, l’eau n’était pas potable (les détenus devaient acheter des bouteilles d’eau minérale) et la nourriture était de mauvaise qualité. Enfin, aucun interprète n’était présent et les détenus, comme le requérant, n’étaient pas informés des raisons et de la durée de leur détention. Aucune information n’était donnée concernant les droits des détenus et la procédure d’asile. La version du Gouvernement Le Gouvernement décrit les centres de rétention dans lesquelles le requérant a séjourné comme suit. À l’époque des faits, le centre de rétention de Soufli était d’une capacité de 25 personnes. La nourriture des détenus était excellente et était fournie trois fois par jour par la préfecture d’Evros. Le nettoyage des espaces de détention était effectué quotidiennement par une société privée. Chaque dortoir disposait d’un système de chauffage qui fonctionnait en permanence pendant l’hiver. Les détenus recevaient régulièrement des produits d’hygiène personnelle distribués soit par les autorités des postes-frontières, soit par l’organisation « Médecins sans frontières ». Des soins médicaux et des médicaments étaient dispensés par des médecins de l’administration sanitaire de la région. Pour les cas qui ne pouvaient être traités sur place, les détenus étaient transférés dans les centres de santé régionaux ou à l’hôpital universitaire d’Alexandroupoli. Un téléphone public à cartes fonctionnait au sein du poste-frontière de Soufli et la communication des détenus avec les avocats s’effectuait sans entraves. Des organisations non gouvernementales se rendaient régulièrement au poste-frontière de Soufli pour informer les détenus de leurs droits. Le centre de rétention de Venna, d’une capacité de 220 personnes, en accueillait 150 à l’époque du séjour du requérant dans ce centre (du 12 au 25 août 2010). Les dortoirs étaient chauffés pendant l’hiver et suffisamment aérés et éclairés. Dans chaque dortoir, il y avait une toilette séparée et une douche avec de l’eau chaude. La préfecture fournissait des produits d’hygiène aux détenus. Les locaux étaient régulièrement désinfectés, désinsectisés et repeints. Chaque détenu disposait d’un lit, d’un matelas, d’un oreiller, de deux draps et de deux ou trois couvertures. Des vêtements étaient donnés aux détenus qui n’en avaient pas suffisamment. Le centre employait un médecin et une infirmière. Des mesures étaient prises pour faire face aux urgences médicales. L’alimentation des détenus était assurée par divers restaurants avec lesquels les autorités avaient conclu des contrats. Les restaurants fournissaient des repas pour un montant de 5,87 euros par jour et pour chaque détenu. Les repas ne contenaient pas d’aliments interdits par la religion des détenus. Une promenade avait lieu quotidiennement en fonction du nombre de détenus et de la saison. Il était possible de faire sortir en une journée les détenus de deux ou trois dortoirs. II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES Le droit et la pratique internes pertinents en l’espèce sont décrits dans les arrêts Bygylashvili c. Grèce (no 58164/10, 25 septembre 2012), Barjamaj c. Grèce (no 36657/11, 2 mai 2013), Horshill c. Grèce (no 70427/11, 1er août 2013), Khuroshvili c. Grèce (no 58165/10, 12 décembre 2013) et B.M. c. Grèce (no 53608/11, 19 décembre 2013). III. LES RAPPORTS DES INSTANCES INTERNATIONALES A. Les constats du Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (CPT) Dans le rapport du 17 novembre 2010, établi suite à la visite du 17 au 29 septembre 2009 Les locaux du centre de rétention de Venna avaient une capacité officielle de 222 personnes et, au moment de la visite, accueillaient 201 détenus de sexe masculin dans cinq grands dortoirs. Le centre était dans le même état que celui observé en 2007 : mal éclairé, sale et mal entretenu, avec des vitres cassées. Le 8 août 2009, le syndicat de la police locale a envoyé une lettre aux autorités régionales de Rodopi sollicitant des mesures urgentes afin d’améliorer les conditions matérielles et d’hygiène, y compris le nettoyage régulier des dortoirs et l’installation d’une aire pour personnes malades. Les autorités n’ont cependant procédé à aucune démarche en raison du manque de moyens financiers. Malgré l’existence de deux grandes cours, les détenus n’étaient autorisés à sortir que tous les deux jours pendant deux heures. Dans le rapport du 10 janvier 2012, établi suite à la visite du 19 au 27 janvier 2011 Le commissariat de police et le poste frontière de Soufli consistaient en un bâtiment d’un étage destiné à la détention. Le bâtiment incluait deux dortoirs étroits séparés par un paravent ; chacun d’eux avait une plateforme surélevée sur laquelle les détenus dormaient. Il y avait aussi un espace commun donnant accès à une salle de douche et une toilette. La superficie totale de l’espace de détention était 110 m². Le jour de la visite de la délégation du CPT, 146 hommes y étaient détenus. Pour accéder aux dortoirs, il fallait enjamber des corps car chaque centimètre carré du sol était occupé. Certains détenus dormaient même dans l’espace entre le plafond de la douche et le toit. L’odeur des corps était accablante. Une seule toilette fonctionnait ainsi qu’une douche à l’eau froide. Plusieurs personnes ont rapporté à la délégation qu’elles urinaient le matin dans des bouteilles ou des sacs en plastique. L’éclairage et la ventilation étaient insuffisants. Il n’y avait pas de possibilité d’exercice physique à l’extérieur. La nourriture était aussi insuffisante et il y avait des plaintes que les plus forts parmi les détenus empêchaient les autres de manger leur ration. Environ 65 personnes avaient été détenues dans le centre pour plus de quatre semaines et 13 pour plus de trois mois et demi. B. Le représentant en Grèce du Haut Commissariat des Nations-Unies pour les Réfugiés Par une lettre adressée au Conseil grec pour les réfugiés, le représentant en Grèce du Haut Commissariat des Nations-Unies pour les Réfugiés faisait état des constats d’une visite au poste frontière de Soufli, effectuée du 29 septembre au 1er octobre 2010. Le représentant constatait que l’espace de détention était composé de deux dortoirs, sans séparation, avec des lits en ciment et des matelas en série. À côté de ceux-ci, dans des couloirs étroits, il y avait des sommiers en bois, couverts de cartons et des couvertures qui servaient de lits pour les détenus en surnombre. L’espace était bondé en raison du grand nombre de détenus et le passage d’un dortoir à l’autre était impossible. L’atmosphère du dortoir était étouffante car insuffisamment ventilé. Les fenêtres étaient en hauteur et n’assuraient ni aération ni éclairage suffisants. Les matelas et les couvertures étaient sales. Les deux toilettes et les deux douches se trouvaient dans l’espace de détention et étaient sales et pleines de détritus. La plupart des détenus étaient couchés car il n’y avait pas d’espace pour circuler. Aucune brochure d’information concernant le statut légal des détenus et leurs droits n’était disponible. Les femmes détenues avait exprimé leur désarroi et leur désespoir pour leurs conditions de détention lesquelles, d’après leurs allégations, étaient insupportables : matelas et couvertures sales, espace commun de détention avec les hommes, toilettes communes sales, impossibilité d’être propre, manque de produits de toilette (savon, shampooing, papier toilette, serviettes hygiéniques, brosse à dents et dentifrice), impossibilité de laver les vêtements et les sous-vêtements et impossibilité de faire de l’exercice physique. Plusieurs détenus se plaignaient de maladies dermatologiques et gastriques ainsi que du fait que le médecin ne rendait pas de visite dans le dortoir pour examiner les détenus, mais distribuait des analgésiques à travers les barreaux de la porte. Si des détenus avaient besoin d’un autre type de soins médicaux, ils devaient en assumer les frais. Les détenus devaient aussi payer pour les photos d’identité prises par les autorités pour les apposer sur les différents documents. La lettre concluait que la situation qui régnait au poste frontière portait atteinte à la dignité humaine et mettait en péril non seulement les droits fondamentaux de l’homme mais leur vie même.
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Le requérant est né en 1965. Il purge une peine d’emprisonnement au pénitencier IK-5 à Morchansk (région de Tambov). A. Les mauvais traitements allégués et l’enquête Le 6 avril 2004, à 23 h 30, le requérant fut arrêté ; il était soupçonné du meurtre d’un policier. Dans la même nuit, à 3 h 15 – le 7 avril 2004 –, il fut amené au commissariat de police du district Krasnoselsky de Moscou. Le 7 avril 2004, à 3 h 55, le requérant fut présenté à l’hôpital civil no 33 de Moscou, où un bref examen médical fut effectué. Cet examen permit de constater les lésions corporelles suivantes : une contusion et un hématome sur le nez, une hémorragie nasale, un hématome sur la cage thoracique, ainsi que des contusions et égratignures sur les deux genoux. Au retour du requérant au commissariat de police, l’officier de service, le lieutenant Si., dressa un rapport dans lequel il nota la présence de lésions corporelles en indiquant que ces dernières avaient été constatées par un médecin de l’hôpital. Le policier précisa que ces lésions avaient été subies lors de l’arrestation. Le requérant donne à ces lésions une explication différente : il affirme que les policiers l’avaient sévèrement battu, en représailles au meurtre de leur collègue, d’abord au moment de l’arrestation, alors même qu’il était déjà immobilisé et menotté, puis au commissariat de police. Selon lui, trois personnes assistèrent au passage à tabac au commissariat de police : le lieutenant S., l’avocat commis d’office (Me T.) et une experte (dont il ignore le nom). Le passage à tabac aurait duré une bonne partie de la nuit, interrompu seulement quelques instants, pendant lesquels la télévision l’avait filmé pour un journal télévisé. Toujours dans la même nuit, à 4 h 45, le requérant fut placé dans le centre de détention temporaire « Zamoskvorechie » (ci-après « l’IVS »). À l’arrivée du requérant à l’IVS, un examen médical fut effectué et les mêmes lésions corporelles (paragraphe 7 ci-dessus) furent constatées. Le 8 avril 2004, le requérant fut transporté sur le lieu du crime pour une reconstitution des faits, filmée par les policiers. Cet acte d’instruction eut lieu, selon le procès-verbal, entre 17 et 18 h 10. Selon ses propres dires, le requérant fut à nouveau sévèrement battu par des policiers, ce qui aurait entraîné un dommage grave pour sa santé. Le traumatisme ainsi subi serait à l’origine de son hospitalisation, dans la nuit du 12 au 13 avril 2004, à l’hôpital civil no4 de Moscou, où une opération chirurgicale d’ablation de la rate fut réalisée. Le requérant resta quelques jours dans ledit hôpital civil, puis, le 14 avril 2004, il fut transporté à l’hôpital de la maison d’arrêt no1 de Moscou. Le 15 avril 2004, l’enquêteur S., du service du procureur du district Tsentralny de Moscou, dressa un procès-verbal d’inculpation du requérant, du chef d’attentat à la vie d’un policier. L’expertise médicolégale Le 11 mai 2004, le requérant fut interrogé en qualité d’inculpé. Lors de cet interrogatoire, il se plaignit d’avoir été frappé le 8 avril 2004 par des policiers dans le commissariat de police du district Krasnoselsky de Moscou. Le même jour, l’enquêteur S. ordonna une expertise médicolégale. Le 3 juin 2004, une expertise médicolégale fut effectuée par le bureau de médecine légale rattaché au département de la santé publique de Moscou. Dans son rapport du 15 juin 2004, l’expert fit, sur la base de documents, le constat des blessures suivantes : – un hématome sur le nez, un hématome sur le thorax, des hématomes et des égratignures sur les deux genoux ; en l’absence de descriptif de ces lésions dans les documents médicaux, l’expert ne sut pas en situer la date d’apparition ; – une ecchymose sur le contour de l’œil gauche, une ecchymose sur le côté gauche de la cage thoracique ; l’expert conclut que ces lésions pouvaient être antérieures de un à trois jours au 13 avril 2004 ; – des ecchymoses sur les genoux et les hanches ; l’expert conclut que ces lésions pouvaient être apparues trois à huit jours avant la demande d’aide médicale, c’est-à-dire, avant le 13 avril 2004 ; ces lésions avaient selon lui été causées par des coups au moyen d’objets contondants ; – rupture de la rate ayant entraîné son ablation (splénectomie réalisée le 13 avril 2004). D’après l’expert, cette blessure aurait été causée par des coups au moyen d’objets contondants. En répondant à la question relative à la date de cette lésion, l’expert préconisa d’effectuer un examen histologique de la rate. L’expert n’exclut pas qu’avec cette lésion la victime pût conserver la capacité de bouger. L’enquête préliminaire sur l’allégation de mauvais traitements lors de l’interpellation (dossier pénal no 300056) Le 16 juin 2004, l’enquêteur S. refusa d’ouvrir une enquête pénale, au motif de l’absence de corpus delicti. Dans sa décision, l’enquêteur établit que lors de l’interpellation le requérant avait mis sa main dans la poche de sa veste et s’était mis à courir. Sachant que le requérant avait une arme blanche sur lui, les policiers avaient décidé d’appliquer la force. Ils l’avaient attrapé, l’avaient fait tomber par terre le front sur le sol et l’avaient menotté. L’enquêteur conclut que les lésions corporelles constatées au moment de l’admission dans l’IVS – une contusion et un hématome sur le nez, une hémorragie nasale, un hématome sur la cage thoracique, des contusions et des égratignures sur les deux genoux – étaient le résultat d’un usage légitime de la force. Le requérant ne contesta pas cette décision. L’instruction pénale sur les mauvais traitements allégués du 8 avril 2004 (dossier pénal no 301220) Le 2 juillet 2004, l’enquêteur K. du service du procureur du district Meschanski de Moscou ordonna l’ouverture d’une instruction pénale contre X pour violences volontaires à l’endroit du requérant ayant entraîné un préjudice grave pour sa santé. Le 6 juillet 2004, un enquêteur du bureau du procureur du district Meschanski de Moscou se présenta à la maison d’arrêt et informa le requérant que le statut de victime lui avait été accordé. L’enquêteur promit de prendre les mesures d’instruction propres à permettre de déterminer les agresseurs (identification, confrontation). Le 16 septembre 2004, l’enquêteur K. interrogea les policiers suivants du commissariat de police Krasnoselski : A., S., Sa., G., Kh., Tch., Kr., Sm., St., L., P., Z., Pe., M., Ko., Dj., et Su. Ils nièrent tout mauvais traitement à l’endroit du requérant. Certains d’eux, notamment, K., St., P., Z. et M. expliquèrent avoir vu le requérant au commissariat de police et n’avoir remarqué aucune lésion sur lui, sauf St. qui avait remarqué une égratignure sur le nez. Kr., l’un des policiers qui avaient participé à l’interpellation du requérant, expliqua avoir dû recourir à une technique d’immobilisation vis-à-vis du requérant parce qu’au lieu d’obéir à l’ordre des policiers de s’arrêter ce dernier s’était mis à courir et avait mis la main dans sa poche où, selon les informations disponibles, il avait une arme blanche. D’après ces policiers, le requérant était tombé par terre le front sur le sol et ils lui avaient passé les menottes. Le 2 octobre 2004, l’enquêteur K. rendit une décision de suspension de l’instruction au motif que l’auteur de l’agression n’avait pas été identifié. Le requérant ne reçut copie de cette décision que le 13 février 2006. Le 9 mars 2006, le requérant contesta cette suspension devant le procureur du district Meschanski de Moscou. Il demanda la levée de la suspension et affirma qu’il pourrait identifier les policiers responsables de l’agression. Le 13 mars 2006, il fit un recours hiérarchique réitérant les mêmes arguments. Par lettres des 14 et 23 mars 2006, les procureurs saisis refusèrent de lever la suspension, au motif que celle-ci était conforme à la loi. Le 5 juillet 2006, le requérant réitéra les mêmes arguments dans un recours adressé au procureur général de Russie. Le 4 septembre 2006, le procureur du district Meschanski de Moscou ordonna la levée de la suspension et ordonna un complément d’information. L’instruction fut ensuite suspendue plusieurs fois, notamment par des décisions des procureurs du 4 octobre 2006, du 26 mars 2007, du 20 juillet 2007, du 12 décembre 2007, du 30 avril 2008 et du 14 juin 2008. Aux dires du requérant, aucune copie de ces décisions ne lui fut communiquée, mais il en fut informé par des lettres des procureurs. Toutes ces décisions furent par la suite annulées par les procureurs et des compléments d’information furent ordonnés. Le 30 novembre 2007, le procureur du district Meschanski informa le requérant que le dossier pénal no 301220 avait été transmis au comité d’instruction (следственный комитет) du district Meschanski, rattaché au service du procureur de Moscou. Le requérant déposa à plusieurs reprises des plaintes à différents niveaux (procureur de Moscou, procureur général de Russie) pour dénoncer l’inertie des autorités chargées de l’instruction, faute pour cellesci d’entreprendre des actes d’instruction propres à permettre d’identifier les auteurs de l’agression. Expliquant n’avoir aucune information sur l’état de l’instruction, il demanda maintes fois aux procureurs de l’informer sur son évolution et de lui envoyer des copies des documents y relatifs, et, notamment, des décisions de suspension. Ces demandes furent faites, notamment, par des lettres du 10 août 2005, du 21 novembre 2005, du 12 octobre 2006, du 13 décembre 2006, du 21 décembre 2006, du 26 mars 2007, du 22 novembre 2007 et du 20 mars 2008. Dans d’autres plaintes, en date du 12 juillet 2007, du 31 août 2007 et du 21 juillet 2008, le requérant, tout en dénonçant l’absence d’information sur l’état de l’instruction, demanda aussi aux procureurs d’ordonner une parade d’identification des policiers suspects et de le mettre à même d’y participer en le faisant transporter à Moscou. Il rappelait là encore que, depuis le début de l’instruction aucune mesure d’instruction visant à identifier les coupables n’avait été prise. Le 20 septembre 2008 et le 22 novembre 2008, les procureurs répondirent au requérant qu’ils estimaient inutile son transport à Moscou pour participer aux actes d’instruction. Par une lettre du 22 novembre 2008, l’enquêteur du comité d’instruction de Moscou signala qu’il avait adressé au procureur de la région où le requérant purgeait sa peine une commission rogatoire, en vue de tenter d’identifier les responsables présumés au moyen de photographies. Par une lettre du 30 novembre 2007, le chef du comité d’instruction du district Meschanski refusa au requérant l’accès à son dossier pénal, au motif que l’instruction était en cours. Il précisa que pareil accès ne serait possible qu’à la fin de l’instruction. B. Les événements ayant eu lieu après la communication de la requête au Gouvernement Le 28 mars 2013, l’adjoint du chef du département d’instruction du Comité d’instruction ordonna la levée de la suspension de l’instruction pénale ordonnée le 14 juin 2008. Il estima en effet nécessaire d’interroger le requérant sur les circonstances de son passage à tabac allégué dans le commissariat de police qui aurait eu lieu le 8 avril 2004, pour savoir s’il pourrait reconnaître les personnes responsables. Dans l’affirmative, l’adjoint proposait de procéder à une identification en montrant à l’intéressé les photographies des policiers en service dans ledit commissariat de police au moment des faits. L’identification par photographies eut lieu, mais le requérant ne reconnut personne. Les parties n’ont pas fait connaître à la Cour la suite des événements. C. Le procès pénal contre le requérant Par un jugement du 18 août 2004, la cour de la ville de Moscou condamna le requérant à quinze ans d’emprisonnement pour attentat à la vie d’un fonctionnaire de police. Par un arrêt du 18 novembre 2004, la Cour suprême de Russie confirma le jugement en cassation. II. LE DROIT INTERNE PERTINENT Les dispositions du code de procédure pénale russe relatives à l’enquête préliminaire, à l’ouverture de l’instruction pénale et à l’examen judiciaire des recours formés contre les décisions des autorités chargées de l’instruction sont décrites dans l’arrêt Lyapin (Lyapin c. Russie, no 46956/09, § 99, 24 juillet 2014). Selon l’article 144 du code de procédure pénale, toute plainte signalant une infraction doit faire l’objet d’une enquête préliminaire de l’autorité compétente dans un délai de trois jours. Ce délai peut être prorogé jusqu’à dix jours, voire 30 jours lorsque sont nécessaires certains actes d’enquête – examen de documents volumineux, expertise, inspection, etc. Dans ce dernier cas, la décision de prorogation doit mentionner les actes d’enquête à accomplir qui la justifient. L’article 42 § 1 du code de procédure pénale définit la victime comme toute personne ayant subi un dommage corporel, matériel ou moral du fait de l’infraction. Le sous-paragraphe 12 de cet article dispose qu’à la fin de l’instruction, y compris en cas de non-lieu à statuer, la victime a le droit de prendre connaissance de tous documents du dossier pénal, de recopier toutes informations ou de faire des copies de tous documents dudit dossier, y compris par des moyens techniques. La Cour constitutionnelle de Russie a interprété ces dispositions dans ses décisions no 43-O du 14 janvier 2003 et no 231-O du 20 juin 2006. Dans cette dernière, la Cour a statué que lorsque des dispositions constitutionnelles permettent au législateur de limiter les droits qui s’y trouvent consacrés, ce dernier ne peut cependant aller jusqu’à porter atteinte à l’un de ces droits dans sa substance même. Cette solution est également applicable au droit de la victime de contester en justice les décisions de l’enquêteur – dont, le cas échéant, la décision de suspendre l’instruction –, et à son droit d’accès aux informations pertinentes au stade de l’instruction. La Cour a noté cependant que l’enquêteur a la faculté de définir la forme et les modalités de la lecture du dossier pénal, afin de protéger le secret de l’enquête.
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Le requérant est né en 1987 et est détenu à Chișinău. Le 23 décembre 2013, à la suite d’une condamnation à huit ans d’emprisonnement pour détournement de fonds aggravé, il fut placé en détention dans l’établissement pénitentiaire no 13 de Chișinău. Selon le requérant, il a été détenu dans une cellule surpeuplée. Celleci aurait mesuré 6 mètres carrés et aurait été occupée, par moment, par six détenus. En raison d’une insuffisance de lits dans la cellule, les détenus se seraient relayés pour dormir. Les draps et les oreillers n’auraient pas été fournis. La cellule aurait été froide, dépourvue d’un lavabo et non alimentée en eau courante. La nourriture servie aurait été de très mauvaise qualité, insuffisante et impropre à la consommation. Les toilettes auraient consisté en un WC sans siège, n’auraient pas été séparées du reste de la cellule et auraient dégagé des odeurs nauséabondes. La cellule n’aurait pas bénéficié de la lumière naturelle et d’une ventilation efficace. Le requérant aurait eu droit à une douche par semaine et à une heure de promenade par jour. En raison des conditions de sa détention, inhumaines et dégradantes à ses yeux, le requérant aurait contracté une mycose, une gastrite et une infection des voies respiratoires. Il n’aurait reçu aucun traitement médical pour soigner ces maladies. Selon le Gouvernement, durant sa détention dans l’établissement pénitentiaire no 13 de Chișinău, le requérant a disposé, en fonction des cellules qu’il aurait occupées, d’un espace personnel allant de 2,5 à 3,5 mètres carrés. Toujours selon lui, l’intéressé a reçu en détention des soins médicaux adéquats, notamment pour soigner une dermatite séborrhéique et une mycose des pieds. II. LES TEXTES PERTINENTS ET LE DROIT INTERNE La Cour renvoie aux textes pertinents en l’espèce, résumés dans l’affaire Shishanov c. République de Moldova (no 11353/06, §§ 50-61, 15 septembre 2015). Dans le rapport relatif à sa visite du 22 décembre 2014 dans l’établissement pénitentiaire no 13 de Chișinău, le Centre pour les droits de l’homme de Moldova, agissant au nom de l’Ombudsman moldave, a fait état de nombreux problèmes, dont la surpopulation et l’insalubrité générale des cellules, l’existence de toilettes partiellement séparées du reste de l’espace de détention dans la plupart des cellules, ainsi que la mauvaise aération et l’accès limité à la lumière du jour dans les cellules. Le 3 décembre 2015, des représentants du bureau de l’Ombudsman ont effectué une nouvelle visite dans la prison en question et ont fait les mêmes constats. À la suite de cette dernière visite, l’Ombudsman a recommandé aux autorités compétentes de fermer l’établissement pénitentiaire no 13 de Chișinău ou d’en améliorer les conditions de détention. Les passages pertinents en l’espèce du rapport relatif à la visite effectuée en République de Moldova par le Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (CPT) du 14 au 25 septembre 2015 se lisent comme suit : « 45. Au moment de la visite de 2015, les établissements pénitentiaires moldaves comptaient environ 7 770 détenus (dont environ 20 % de prévenus), soit quelque 1 300 personnes de plus que lors de la visite précédente du CPT, en 2011. Cela représente un taux d’incarcération avoisinant les 220 pour 100 000 habitants, soit l’un des plus élevés parmi les États membres du Conseil de l’Europe. Les autorités moldaves ont reconnu que la taille de la population carcérale, qui entraînait un surpeuplement des prisons, constituait un défi majeur. La délégation a d’ailleurs pu constater elle-même que la norme nationale d’au moins 4 m2 d’espace vital par détenu était loin d’être respectée dans la plupart des établissements pénitentiaires visités ; notamment dans les prisons de Chișinău et de Soroca, le surpeuplement atteignait des proportions effarantes (voir les paragraphes 58 et 63). Dans ce contexte, les autorités ont expliqué à la délégation que l’augmentation du nombre de détenus était largement imputable à la hausse des taux de récidive et au recours excessif à la détention provisoire, ainsi qu’à la réticence des juges à accorder des mesures de libération conditionnelle anticipée. (...) Au fil des ans, quelques améliorations avaient certes été apportées aux conditions matérielles de détention à la prison de Chișinău (par exemple, les toilettes avaient été cloisonnées dans la plupart des cellules et les parloirs avaient été rénovés), mais, dans l’ensemble, les conditions de détention étaient encore loin d’être satisfaisantes. De nombreuses cellules étaient en mauvais état et mal aérées, et avaient un accès limité à la lumière du jour (à cause de la taille réduite des fenêtres). De plus, l’état d’hygiène des cellules laissait généralement beaucoup à désirer et nombre d’entre elles étaient infestées de cafards. En outre, les détenus devaient souvent dormir sur des matelas crasseux, qui n’étaient parfois pas même recouverts d’un drap. De nombreux détenus se sont plaints à la délégation d’avoir très froid dans les cellules en hiver. Par ailleurs, dans plusieurs cellules collectives, la délégation a constaté que les toilettes n’étaient cloisonnées qu’en partie (et en partie cachées par un rideau). La situation était encore aggravée par le fait que la majorité des prévenus de la prison de Chișinău étaient très à l’étroit dans les cellules. Le niveau de surpeuplement observé par la délégation dans plusieurs cellules était tout simplement inacceptable. Par exemple, une cellule de 8,2 m2 (toilettes comprises, d’une surface de 1,5 m2) était occupée par six détenus. Une autre cellule, où s’entassaient 14 personnes, mesurait seulement 23 m2 environ. À la fin de la visite, la délégation a indiqué clairement aux autorités moldaves que, vu les périodes souvent longues que les prévenus passaient en détention et le régime d’activités très réduit qui leur était appliqué (voir paragraphe 61), ces conditions de détention pouvaient être considérées comme s’apparentant à un traitement inhumain et dégradant. Elle a demandé aux autorités de prendre d’urgence des mesures pour réduire les taux d’occupation à la prison de Chișinău. (...) Comme par le passé, la quasi-totalité des prévenus de la prison de Chișinău se voyaient appliquer un programme d’activités très réduit, qui se limitait à une ou deux heures d’exercice en plein air par jour, dans de petites cours (dont certaines étaient équipées d’installations sportives de base, telles que des haltères ou un punching-ball). Les détenus passaient le reste de la journée enfermés dans leurs cellules, souvent pendant des mois, voire des années, dans un état d’oisiveté forcée. Cela est tout à fait inacceptable. » Lors de la réunion tenue les 20 et 21 septembre 2016, le Comité des Ministres a adopté une décision sur l’exécution des arrêts de la Cour relatifs aux conditions de détention en République de Moldova, qui, en ses passages pertinents en l’espèce, se lit comme suit : « Les Délégués (...) En ce qui concerne les mesures générales prennent note des mesures prises par les autorités afin d’améliorer les conditions matérielles dans les établissements pénitentiaires et les invitent à intensifier leurs efforts dans ce domaine ; relèvent avec préoccupation l’augmentation de la surpopulation carcérale au cours des dernières années et invitent instamment les autorités à adopter, en priorité, une stratégie globale s’inspirant pleinement des recommandations pertinentes du Comité des Ministres et du Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (CPT) ainsi que de l’avis des experts dans le cadre du projet financé par le Fonds fiduciaire pour les droits de l’homme (HRTF) ; notent les informations fournies concernant la mise en place de voies de recours judiciaires, préventif et compensatoire, conformément aux exigences de l’arrêt dans l’affaire Shishanov ; (...) ; invitent les autorités à fournir toutes les informations sur les questions en suspens, notamment sur d’autres améliorations des conditions matérielles de détention, y compris la construction d’une nouvelle prison à Chişinău, la fourniture de nourriture aux détenus, les conditions sanitaires, les activités hors cellule (...) » Le 20 octobre 2017, la loi no 163 a été publiée dans le Journal officiel de la République de Moldova. Elle prévoit notamment la mise en place d’une combinaison de recours préventif et compensatoire indiqués par la Cour dans l’arrêt Shishanov (précité, §§ 130-139). Les dispositions de cette loi relatives aux nouveaux recours entreront en vigueur le 1er janvier 2019.
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Le premier requérant est né en 1954 et réside à Adana. À l’époque des faits, il était dirigeant d’une section locale de l’Association des droits de l’homme. Le deuxième requérant est né en 1986 et réside à Mersin. La troisième requérante est née en 1972. À l’époque des faits, elle était membre du comité central de l’Association des droits de l’homme et dirigeante d’une section locale de cette association. Le 6 novembre 2009, le préfet d’Adana adopta un arrêté portant réglementation de la tenue des déclarations publiques à la presse dans sa ville (pour un exposé détaillé du contenu de cet arrêté, voir les paragraphes 43-44 ci-dessous). La requête no 60087/10 a) La manifestation du 19 décembre 2009 Le 19 décembre 2009, le premier requérant participa à une manifestation organisée pour protester contre les opérations menées par les forces de l’ordre dans plusieurs prisons de Turquie en décembre 2000. Selon le procès-verbal d’incident, vers 17 heures, environ 120 manifestants se réunirent sur la place 5 Ocak, à Adana, puis défilèrent jusqu’au parc İnönü en portant des pancartes et en scandant des slogans. La manifestation empêcha la circulation des véhicules. Vers 17 h 30, les manifestants se dispersèrent dans le calme après la lecture d’une déclaration à la presse. Le premier requérant se vit notifier un procès-verbal lui infligeant une amende administrative d’un montant de 140 livres turques (TRY), soit environ 65 euros (EUR), en application de l’article 32 de la loi no 5326 sur les fautes administratives, pour avoir agi en violation de l’arrêté préfectoral. Le 19 avril 2010, le 6e tribunal d’instance pénale d’Adana rejeta l’opposition formée par le premier requérant contre l’amende susmentionnée. À la lumière des enregistrements vidéo dont il disposait, des éléments du dossier et de la réponse de la direction de la sûreté, le juge releva qu’environ 120 personnes avaient défilé après la tombée de la nuit le 19 décembre 2006. Il rappela que, selon l’article 7 de la loi no 2911, toutes les manifestations sur la voie publique devaient se terminer une heure avant le coucher du soleil, dans le but d’assurer le déroulement de la manifestation dans les meilleures conditions et la sécurité de tous les citoyens. Il considéra que l’infliction d’une amende au premier requérant était conforme au droit. b) La manifestation du 24 janvier 2010 Le 24 janvier 2010, le premier requérant participa à une manifestation organisée en soutien aux mouvements des travailleurs du TEKEL (manufacture nationale de tabac et de l’alcool) d’Ankara. Selon le procès-verbal d’incident, le 24 janvier 2010 vers midi, un groupe d’environ 25 manifestants se réunit sur la place 5 Ocak, avant de défiler jusqu’au parc İnönü en portant des pancartes, en lançant des slogans et en bloquant la circulation des véhicules. Au parc, après la lecture d’une déclaration à la presse, le groupe entama un sit-in. Rejoint par les membres de différentes ONG et ayant atteint environ 120 personnes, le groupe défila jusqu’aux locaux de l’AKP (Parti de la justice et du développement). Pendant le défilé, les manifestants portaient des pancartes et des banderoles, scandaient des slogans et bloquaient la circulation des véhicules. Après la lecture d’une déclaration à la presse devant les locaux de l’AKP, le groupe se dispersa vers 13 h 15. Le requérant se vit notifier un procès-verbal d’amende administrative d’un montant de 143 TRY (environ 70 EUR) sur le fondement de l’article 32 de la loi relative aux fautes administratives, pour avoir défilé. Le 13 mai 2010, le 1er tribunal d’instance pénale d’Adana rejeta l’opposition formée par le premier requérant. Le tribunal considéra que l’amende avait été infligée conformément à la loi no 5326 relative aux fautes administratives et au règlement relatif à la mise en œuvre de cette loi, que la fiabilité du procès-verbal d’incident n’avait pas été contestée et que les preuves recueillies ne remettaient pas en cause le contenu de celui-ci. c) La manifestation du 11 février 2010 Le 11 février 2010, le premier requérant participa à une manifestation organisée en soutien aux travailleurs du TEKEL d’Ankara. Selon le procès-verbal d’incident, le 11 février 2010 vers 18 heures, environ 275 personnes se réunirent sur la place 5 Ocak avant de défiler vers le parc İnönü, en scandant des slogans, en portant des pancartes et en bloquant la circulation. Après la lecture d’une déclaration à la presse, le groupe se dispersa dans le calme vers 18 h 45. Le premier requérant se vit notifier un procès-verbal d’amende administrative d’un montant de 143 TRY (environ 70 EUR), sur le fondement de l’article 32 de la loi relative aux fautes administratives, pour avoir défilé. Le 24 juin 2010, le 3e tribunal d’instance pénale d’Adana rejeta l’opposition formée par le premier requérant le 10 mars 2010. Le tribunal releva que le groupe de manifestants avait défilé, de nuit, jusqu’à la place İnönü, où avait eu lieu la déclaration publique, et qu’ils avaient agi en violation de l’arrêté préfectoral. La requête no 12461/11 a) La manifestation du 15 janvier 2010 Le 15 janvier 2010, le deuxième requérant participa à une manifestation organisée en soutien aux mouvements des travailleurs du TEKEL d’Ankara. Selon le procès-verbal d’incident, le 15 janvier 2010 vers 10 heures, environ 60 personnes se réunirent au parc İnönü pour un sit-in qui dura jusqu’à 17 heures. Rejoint par d’autres personnes, le groupe, qui atteignait désormais 120 manifestants environ défila ensuite jusqu’aux locaux de l’AKP, en portant des pancartes et en scandant des slogans. Devant les locaux du parti, les manifestants se dispersèrent dans le calme vers 18 h 40, après la lecture d’une déclaration publique. Le deuxième requérant reçut un procès-verbal lui infligeant une amende administrative d’un montant de 143 TRY (environ 70 EUR), sur le fondement de l’article 32 de la loi no 5326 relative aux fautes administratives. Il lui était reproché d’avoir agi en violation de l’arrêté du 6 novembre 2009 en défilant. Le 25 août 2010, le 2e tribunal d’instance pénale d’Adana rejeta l’opposition formée par le deuxième requérant. Eu égard à l’ensemble du dossier, il estima que l’amende infligée était conforme à la procédure, à la loi et au droit. b) La manifestation du 24 janvier 2010 Le 24 janvier 2010, le deuxième requérant participa à une manifestation organisée en soutien aux mouvements des travailleurs du TEKEL d’Ankara (pour plus de détails concernant le déroulement de cette manifestation, voir le paragraphe 12 ci-dessus). Le 20 février 2010, il se vit notifier un procès-verbal d’amende administrative d’un montant de 143 TRY (environ 70 EUR) sur le fondement de l’article 32 de la loi relative aux fautes administratives pour avoir défilé. Le 13 mai 2010, le 1er tribunal d’instance pénale d’Adana rejeta l’opposition du requérant. Notant que la fiabilité du procès-verbal d’incident n’avait pas été contestée et que les preuves recueillies n’avaient pas remis en cause son contenu, le tribunal conclut que l’amende était conforme au droit. c) La manifestation du 7 mars 2010 Le 7 mars 2010, le deuxième requérant participa à une manifestation organisée à l’occasion de la journée mondiale des femmes travailleuses. Selon le procès-verbal d’incident, vers 14 heures, un groupe d’environ 160 personnes se réunit sur la place 5 Ocak avant de défiler vers le parc İnönü en lançant des slogans, en portant des pancartes et en bloquant la circulation. Le groupe se dispersa vers 15 h 30 après la lecture d’une déclaration à la presse. Le 7 avril 2010, le deuxième requérant se vit notifier un procès-verbal d’amende administrative d’un montant de 143 TRY (environ 70 EUR) pour avoir défilé, sur le fondement de l’article 32 de la loi relative aux fautes administratives. Le 24 juin 2010, le 1er tribunal d’instance d’Adana rejeta l’opposition formée par le deuxième requérant. Il considéra que l’amende avait été infligée conformément à la loi relative aux fautes administratives. Estimant que la fiabilité du procèsverbal d’incident n’avait pas été contestée et que les preuves recueillies n’avaient pas remis en cause le contenu de celui-ci, il conclut que l’amende en cause était conforme au droit. d) La manifestation du 30 mars 2010 Le 30 mars 2010, le deuxième requérant prit part à une manifestation organisée à l’occasion de l’anniversaire des événements de Kızıldere, survenus le 30 mars 1972. Selon le procès-verbal, vers 18 heures, environ 50 personnes se réunirent sur la place 5 Ocak. Le groupe défila jusqu’au parc İnönü en bloquant la circulation et se dispersa vers 18 h 45 après la lecture d’une déclaration. Le 21 avril 2010, le deuxième requérant se vit notifier un procès-verbal d’amende administrative d’un montant de 143 TRY (environ 70 EUR) pour infraction à l’article 32 de la loi relative aux fautes administratives pour avoir défilé. Le 26 août 2010, le 4e tribunal d’instance pénale d’Adana rejeta l’opposition formée par le deuxième requérant. Il expliqua que l’arrêté avait pour objectif de prévenir des incidents malheureux, d’éventuelles provocations et de permettre l’exercice du droit à la liberté d’expression dans les meilleures conditions. Il observa que, d’après les clichés et les enregistrements vidéo dont il disposait, environ 100 personnes avaient défilé de la place 5 Ocak au parc İnönü. Il estima que l’amende administrative infligée aux manifestants pour avoir participé à cette manifestation en portant des pancartes, en scandant des slogans et en empêchant partiellement ou complètement la circulation des véhicules était conforme à la procédure et à la loi. e) La manifestation du 4 avril 2010 Le 4 avril 2010, le deuxième requérant participa à une manifestation pour protester contre l’enseignement payant et le concours d’accès à l’université. Selon le procès-verbal de la police, le 4 avril 2010, environ 100 personnes se réunirent sur la place 5 Ocak, pour défiler jusqu’à la place Uğur Mumcu. La police avait averti les représentants de la manifestation que le défilé serait contraire à la loi no 2911, puis avait autorisé le groupe à défiler à condition de marcher sur le trottoir, sans gêner les passants ni bloquer la circulation des véhicules. Or lorsque le groupe entama le défilé, les manifestants formèrent un cortège et bloquèrent la circulation des véhicules. Face à l’opposition de la police de les laisser défiler dans ces conditions, le groupe commença un sit-in sur l’avenue Atatürk. La police proposa alors aux représentants de la manifestation de lire la déclaration écrite au parc, puis elle suggéra aux manifestants de se rendre sur la place Uğur Mumcu, en marchant en file. Face au refus des organisateurs d’accepter cette proposition, la police informa la foule à l’aide d’un mégaphone du caractère illégal de leur manifestation au regard de la loi no 2911 et les somma de se disperser. Elle dispersa ensuite la manifestation. Le 10 juin 2010, celui-ci se vit notifier un procès-verbal d’amende administrative d’un montant 143 TRY (environ 70 EUR) pour avoir défilé en violation de l’article 32 de la loi relative aux fautes administratives. Le 5 août 2010, statuant sur dossier et de manière définitive, le 5e tribunal d’instance pénale d’Adana rejeta l’opposition formée par le deuxième requérant. Il expliqua que la décision du préfet avait pour objectif de prévenir des incidents et d’éventuelles provocations et de permettre l’exercice du droit à la liberté d’expression dans les meilleures conditions. Le tribunal observa que, d’après les clichés et les enregistrements vidéo dont il disposait, les manifestants avaient été condamnés à une amende administrative pour avoir défilé en portant des pancartes, en scandant des slogans et en bloquant la circulation des véhicules. D’après le tribunal, la peine d’amende contestée avait été prononcée au motif que le comportement des intéressés avait mis en danger la paix et la tranquillité publiques, qu’il avait restreint les droits et libertés d’autrui, et qu’il pouvait être provoquant à l’égard de la société. 3) Requête no 48219/11 Le 4 février 2010, la troisième requérante participa à une manifestation organisée en soutien aux mouvements des travailleurs du TEKEL d’Ankara. Selon le procès-verbal d’incident, vers 11 heures, des membres d’un syndicat se réunirent devant les locaux de la sécurité sociale et défilèrent jusqu’au parc İnönü, où ils rejoignirent d’autres manifestants. Le groupe défila jusqu’à la mairie d’Adana où d’autres manifestants l’attendaient. Le cortège, constitué alors de 1 500 personnes, défila ensuite jusqu’à la place Uğur Mumcu. Un groupe les attendait sur place, portant le nombre de manifestants à 2 000 personnes. Les manifestants se dispersèrent vers 13 h 30 après la lecture d’une déclaration à la presse. Le 16 mars 2010, la troisième requérante se vit notifier un procès-verbal d’amende administrative d’un montant de 143 TRY (environ 70 EUR) sur le fondement de l’article 32 de la loi relative aux fautes administratives. Le 1er mars 2011, le 3e tribunal d’instance pénale écarta l’opposition formée par la troisième requérante contre l’amende administrative. Il nota que le groupe de manifestants, constitué de 1 500 puis de 2 000 personnes, avait défilé en bloquant la circulation des véhicules. Il indiqua que les endroits où les déclarations à la presse avaient été lues étaient des endroits autorisés, mais que la requérante avait été sanctionnée pour avoir participé au défilé. Il conclut que l’amende en cause était conforme à la procédure et à la loi. L’opposition introduite par le premier requérant contre une amende lui infligée en date du 26 janvier 2010 Le 19 avril 2010, le 6e tribunal d’instance pénale d’Adana a accueilli l’opposition formée par le premier requérant contre une amende qui lui avait été infligée le 26 janvier 2010 pour avoir défilé en violation de l’arrêté préfectoral du 6 novembre 2009. Dans sa décision, après s’être référé aux principes relatifs à l’application des articles 10 et 11 de la Convention et avoir rappelé les considérations retenues par la Cour dans son arrêt Oya Ataman c. Turquie (no 74552/01, CEDH 2006XIV), le tribunal a conclu que le requérant ne pouvait pas être privé, de manière indirecte, de l’usage de son droit à la liberté de réunion, par l’infliction d’une amende administrative. II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS Le droit et la pratique internes pertinents sont exposés dans les arrêts Yılmaz Yıldız et autres c. Turquie, (no 4524/06, §§ 17-22, 14 octobre 2014) et Akarsubaşı c. Turquie (no 70396/11, §§ 14-26, 21 juillet 2015). L’arrêté préfectoral du 6 novembre 2009 Le 6 novembre 2009, en réponse à la demande de la direction de sûreté, le préfet d’Adana a pris un arrêté sur les conditions relatives à l’organisation de déclarations de presse. Cet arrêté indiquait que les endroits autorisés et ceux interdits pour la tenue de déclarations publiques à la presse avaient été déterminés conformément aux articles 9 alinéa ç, 11 alinéa c et 66 de la loi no 5442 sur l’administration des départements, aux articles 6 et 22 de la loi no 2911, à la circulaire no 2004/68 du 1er avril 2004 et à la circulaire no 2004/100 du 11 juin 2004. Il précisait que la limitation en question visait à la protection de l’ordre et de la santé publics, de la morale, des droits et libertés des tiers, du déroulement des événements publics à un niveau démocratique et de la sécurité des participants. L’arrêté précisait que ceux qui organiseraient une déclaration de presse en dehors des lieux autorisés et en dehors des heures de la journée, ainsi que ceux qui défileraient en portant des pancartes et en scandant des slogans en se rendant à l’endroit prévu pour la tenue de la déclaration de presse ou bien juste après celle-ci, lors de la dispersion, feraient l’objet de procédures judiciaires et administratives en application de l’article 32 de la loi sur les fautes administratives et des dispositions générales.
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Le requérant est né en 1969 et réside au Pirée. Les faits de la cause, tels qu’ils ont été exposés par les parties, peuvent se résumer comme suit. Le 23 novembre 2011, le requérant fut arrêté avec son fils M.S. Accusé de complicité de vol à main armée et de participation à une organisation criminelle, il fut incarcéré à la prison de Korydallos. Le 28 novembre 2011, la juge d’instruction ordonna sa mise en détention, après l’avoir interrogé (ordonnance no 18/2011). Elle considéra notamment que l’instruction de l’affaire avait fait ressortir des indices sérieux de la culpabilité du requérant quant à l’accomplissement de certains crimes dont celui-ci était accusé et que, en cas de remise en liberté, l’intéressé pourrait récidiver et risquait de fuir. Le requérant, qui dit avoir des problèmes cardiaques et avoir fait un infarctus dans le passé, indique que, pendant sa détention, son état de santé a nécessité son transfert quotidien à l’hôpital, où sa tension artérielle aurait été prise et où le médecin traitant aurait recommandé de contrôler celle-ci trois fois par jour. A. Procédure relative à la première demande de mise en liberté du requérant Le 2 décembre 2011, le requérant contesta l’ordonnance no 18/2011 devant la chambre d’accusation du tribunal correctionnel d’Athènes. Il sollicitait l’examen de son recours en priorité, au motif d’une détérioration de son état de santé pendant sa détention. Se prévalant de la jurisprudence de la Cour sur l’article 5 § 4 de la Convention, il demandait que son recours fût examiné à « bref délai ». Il soutenait que l’accès à son casier judiciaire lors de la procédure soulevait la question de la légalité de la procédure et du respect du principe de l’égalité des armes, et il invitait la chambre d’accusation à ne pas prendre en considération son casier judiciaire sans qu’il ne fût invité à fournir, au moyen de documents, des éclaircissements et des explications. En ce qui concernait sa comparution personnelle devant la chambre d’accusation, il s’exprimait ainsi : « (...) Je n’ai pas le droit de comparaître personnellement devant votre chambre, [alors que cela vous permettrait de vous forger] une image concrète de ma personnalité. (...) » Le 19 décembre 2011, le procureur près le tribunal correctionnel d’Athènes proposa de rejeter la demande du requérant. Le 5 janvier 2012, la chambre d’accusation du tribunal correctionnel d’Athènes examina le recours du requérant en présence du procureur. Entérinant la proposition de ce dernier, elle rejeta la demande du requérant et considéra que la détention provisoire de l’intéressé devait continuer (décision no 28/2012). Elle remarqua, en particulier, qu’il existait des indices sérieux de la culpabilité du requérant, que celui-ci avait déjà été condamné pour fraude et vol – ce qui ressortait de son casier judiciaire – et qu’il pouvait donc récidiver, et que les problèmes de santé évoqués par l’intéressé pouvaient être traités dans le cadre de la détention. Il ressort du dossier que la chambre d’accusation n’a fait aucune référence à l’argument du requérant concernant le non-respect du principe de l’égalité des armes. Cette décision fut notifiée à l’avocate du requérant le 25 janvier 2012. Le requérant allègue qu’il ne lui a pas été possible de comparaître devant la chambre d’accusation ou de prendre connaissance de la recommandation du procureur. B. Procédure relative à la seconde demande de mise en liberté du requérant Le 3 février 2012, le requérant introduisit une demande tendant à la levée sous condition de la mesure de placement en détention. Le 14 mars 2012, le procureur compétent proposa de rejeter la demande du requérant. Le 2 avril 2012, le requérant demanda à prendre connaissance de la proposition du procureur et à être représenté devant la chambre d’accusation par l’intermédiaire de son avocate. Le 3 avril 2012, la chambre d’accusation de la cour d’appel fit droit à la demande du requérant tendant à sa mise en liberté et celui-ci fut par la suite libéré (décision no 1139/2012). Il ressort du dossier que l’avocate du requérant a représenté ce dernier et qu’elle a exposé ses arguments devant la chambre d’accusation de la cour d’appel. II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS Le droit et la pratique internes pertinents en l’espèce sont décrits dans les arrêts Giosakis c. Grèce (no 1) (no 42778/05, 12 février 2009), Giosakis c. Grèce (no 2) (no 36205/06, 12 février 2009), Christodoulou et autres c. Grèce (no 80452/12, 5 juin 2014) et Lavrentiadis c. Grèce (no 29896/13, 22 septembre 2015). Les dispositions pertinentes en l’espèce du code de procédure pénale (CPP) se lisent ainsi : Article 171 « Les cas de nullité qui sont pris en considération d’office par le tribunal, à tout stade de la procédure, ainsi que devant la Cour de cassation, [concernent] : (...) d) la comparution, la représentation et la défense de l’accusé et l’exercice des droits qui sont prévus par la loi, par la Convention européenne des droits de l’homme et par le Pacte international relatif aux droits civils et politiques. » Article 173 « (...) Les cas de nullité mentionnés à l’article 171 qui se réfèrent aux actes d’instruction peuvent être [soulevés] jusqu’au renvoi [de l’accusé] à l’audience. » Article 175 « La nullité d’un acte entraîne la nullité de tous les actes de la procédure pénale ultérieurs qui sont interdépendants. » Article 176 « 1. La chambre d’accusation est compétente pour déclarer la nullité des actes de l’instruction, tandis que le tribunal qui procède à l’examen de l’accusation [est compétent pour déclarer la nullité] des actes de la procédure à l’audience et [lors des phases] principale et préliminaire (της κύριας και της προπαρασκευαστικής). En déclarant la nullité, la chambre d’accusation ou le tribunal ordonnent la reconduction des actes qui sont nuls, s’ils estiment que la reconduction est nécessaire et possible. » Article 285 – Recours de la personne en détention provisoire « 1. Contre le mandat de mise en détention provisoire (...), l’accusé peut recourir devant la chambre d’accusation du tribunal correctionnel. Le recours s’effectue dans un délai de cinq jours à compter de la mise en détention (...). Le recours est transmis au procureur près le tribunal correctionnel et celui-ci l’introduit sans tarder avec sa proposition devant la chambre d’accusation, qui décide de manière définitive. (...) La chambre d’accusation peut lever la détention provisoire ou la remplacer par des mesures restrictives (...) » Par les arrêts no 2252/2002, no 234/2006 et no 3411/2014, rendus, dans le cadre d’une même procédure, par le tribunal administratif de Thessalonique, la cour d’appel de Thessalonique et le Conseil d’État respectivement, il a été admis qu’une personne arrêtée et détenue de manière arbitraire, en violation des dispositions du droit interne, avait subi un dommage moral et avait à ce titre, en application de l’article 105 de la loi d’accompagnement du code civil (CC), droit à une indemnité (fixée en l’occurrence à 500 euros (EUR)).
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Le 29 mars et le 10 avril 2007, le requérant Süleyman Çelebi, en sa qualité de président de la Confédération des syndicats des ouvriers révolutionnaires (ci-après la « DISK »), annonça lors des conférences de presse qu’une manifestation était prévue sur la place Taksim pour le trentième anniversaire des événements sanglants ayant eu lieu le 1er mai 1977 sur cette même place. Parallèlement, le préfet annonça dans les media que toute manifestation publique à l’occasion du 1er mai serait interdite sur la place Taksim. Le 19 avril 2007, la DISK, l’Union turques des médecins (« TBB ») et le Syndicat révolutionnaire des travailleurs de la santé (« DSIS ») informèrent la préfecture de la tenue d’une manifestation sur la place Taksim le 1er mai 2007, à 13 h 05. Les trois organisations prévoyaient de déposer une couronne de fleurs devant le mémorial d’Atatürk et de tenir une conférence de presse afin de demander la reconnaissance du 1er mai comme jour férié. Le 30 avril 2007, la direction de la sûreté d’Istanbul envoya une lettre par fax au siège de la DISK, indiquant que la Préfecture n’avait pas autorisé la manifestation publique sur la place Taksim, mais une cérémonie de dépôt de la couronne pouvait être autorisée entre 9 et 10 heures. La lettre précisait que seuls les représentants du conseil d’administration du syndicat étaient autorisés à y participer. Le 1er mai 2007, à partir de 7 h 30, les services de transport maritime furent supprimés par la Préfecture. D’importants dispositifs de sécurité empêchèrent la circulation dans la ville et tout accès à la place Taksim. À ce jour, les syndicalistes dont les requérants se réunirent dès 7 h 30 devant le palais de Dolmabahçe afin de marcher vers la place Taksim. La police somma ces derniers de mettre fin à leur rassemblement illégal, et de se disperser. À la suite du refus d’obtempérer des manifestants, les forces de l’ordre commencèrent, vers 8 h 30, à disperser manu militari le groupe. Les manifestants résistèrent et un affrontement éclata, au cours duquel ils furent interpellés de manière musclée. La police fit usage de gaz lacrymogènes et de jets d’eau sous pression, et passa à tabac les manifestants. Il ressort des éléments du dossier qu’au cours de la journée la police avait placé en garde à vue 234 personnes parmi lesquelles figurent les requérants Celal Ovat, Ali Rıza Küçükosmanoğlu et Musa Çam, jusqu’au lendemain. Les locaux des syndicats furent perquisitionnés. Les caméras des journalistes qui filmaient les événements furent saisis par les forces de l’ordre. Lors de de la dispersion des manifestants, une personne âgée de 75 ans perdit sa vie par une bombe lacrymogène. Le dossier devant la Cour contient des enregistrements de journaux télévisés ainsi que plusieurs coupures de journaux relatives à l’événement montrant la violence dans la dispersion musclée des manifestants par les forces de l’ordre. A. Les plaintes déposées par les requérants Les 1er, 2, 6 et 9 mai 2007, les requérants portèrent plainte auprès du parquet principal d’Istanbul pour abus de pouvoir, à l’encontre du préfet, du directeur de la sécurité d’Istanbul et de son adjoint en application de l’article 12 de la loi no 4483 relative aux poursuites contre les fonctionnaires (« la loi no 4483 »). Ils se plaignaient, entre autres, d’atteintes au droit à la liberté d’expression et au droit à manifester pacifiquement, de violation de la vie privée, de perquisition illégale, ainsi que d’atteinte à la vie en raison du décès d’une personne causé par une bombe lacrymogène. Les requérants exposèrent que les bâtiments de certains syndicats dans lesquels les bombes lacrymogènes avaient été utilisées furent endommagés, que le préfet avait interdit la circulation dans une partie de la ville afin d’empêcher le rassemblement, et que le préfet aussi bien que le directeur de la sécurité et son adjoint avaient permis aux forces de l’ordre d’utiliser d’une manière excessive la force pour empêcher la manifestation. Pour les requérants le préfet et les directeurs de sécurité portaient la responsabilité des actes des forces de l’ordre, car ils leur avaient donnés des instructions dans ce sens et n’avaient rien fait afin d’empêcher le recours abusif à la force par ces derniers. Ils déposèrent également des plaintes auprès du procureur principal de la République d’Istanbul à l’encontre de tous les membres des forces de l’ordre ayant utilisé une force disproportionnée pour disperser les manifestants conformément aux instructions émises par leurs supérieurs hiérarchiques alors qu’ils ne devraient pas obéir aux instructions incriminable et illégales. L’issue de la plainte déposée à l’encontre des forces de l’ordre Le 12 mars 2008, la plainte concernant les forces de l’ordre fut rejetée par une décision de non-lieu rendue par le bureau chargé des crimes des fonctionnaires auprès du parquet d’Istanbul sur le fondement de l’article 4 de la loi no 4483. Dans cette décision, le procureur de la République indiquait que la police avait reçu certaine informations concernant la participation des provocateurs, et que, malgré les avertissements, les manifestants avaient refusé de se disperser. Il exposait que la police était intervenue pour empêcher les manifestants de marcher vers la place Taksim. Il estimait, sans pour autant rejeter la véracité des coups et blessures dont certaines personnes avaient été victimes, que les forces de l’ordre étaient intervenues dans les limites de leur pouvoir et proportionnellement à leur devoir d’utiliser la force légale. Il concluait qu’il n’existait pas de preuve susceptible de permettre le déclenchement de l’action publique à l’encontre des forces de l’ordre. Le 16 juin 2008, l’opposition formulée par les requérants, fut rejetée définitivement par la cour d’assises de Beyoğlu. Parallèlement, le 24 décembre 2008, la préfecture décida de ne pas ouvrir d’enquête interne au sujet des événements survenus le 1er mai 2007 en raison de l’absence de preuves suffisantes. Le 26 janvier 2009, l’opposition formée par les requérants contre cette décision devant le tribunal administratif régional d’Istanbul fut rejetée. La décision devint définitive. L’issue de la plainte déposée à l’encontre du préfet d’Istanbul, du directeur de la sécurité d’Istanbul et de son adjoint S’agissant de la plainte déposée à l’encontre du préfet d’Istanbul, du directeur de la sécurité d’Istanbul et de son adjoint pour abus de pouvoir, le parquet d’Istanbul se déclara incompétent en application de la loi no 4483 en raison du statut des accusés. Il transmit cette plainte pour examen au procureur principal de la République près la Cour de cassation. Le 20 juin 2007, le procureur principal près la Cour de cassation décida de ne pas donner suite à la plainte, en application de l’article 4 de la loi no 4483. Dans les motifs de sa décision, le procureur principal de la République estimait, d’une part, que la décision d’interdiction de manifester dans un lieu donné était une décision administrative et que, en conséquence, toute plainte concernant cette décision devait être formulée devant les tribunaux administratifs. D’autre part, il constatait que le préfet avait le pouvoir, en application de l’article 11/A de la loi no 5442, de donner des instructions aux forces de l’ordre en vue du maintien de la sécurité et de l’ordre social. Il indiquait que, dans ce cadre, les infractions commises par les agents des forces de l’ordre, selon le principe de personnalité des délits et peines, n’avaient aucun lien avec les personnes dénoncées. Les requérants formèrent opposition contre cette décision devant le Conseil d’État. Le 21 septembre 2007, la première chambre du Conseil d’État rejeta l’opposition formulée par les requérants au motif que la loi no 4483 ne prévoyait pas de recours contre la décision de non-lieu rendue par le procureur principal de la République près la Cour de cassation. Cette décision fut notifiée aux requérants le 22 octobre 2007. B. Le procès pénal engagé contre Süleyman Çelebi Le 27 avril 2007, Süleyman Çelebi fut accusé d’incitation à participer à une manifestation illégale en sa qualité de président de la DISK et d’infraction à l’article 27 de la loi no 2911. Il a fait l’objet d’une procédure pénale seulement en raison de ses déclarations publiques. Le parquet lui reprocha ses déclarations lors de conférences de presse concernant son refus de se conformer à une décision préfectorale interdisant la manifestation sur la place Taksim, et d’avoir invité la population à s’y rassembler le 1er mai 2007. Le 1er juillet 2008, la 2e chambre correctionnelle du tribunal de grande d’instance de Şişli acquitta le requérant en lui reconnaissant d’avoir exercé le droit à la liberté d’expression par ses déclarations à l’occasion de la fête du 1er Mai. Dans les motifs de l’arrêt, le juge se référait aux grandes lignes de la jurisprudence de la Cour relative à l’article 10 de la Convention et concluait en ces termes : « L’accusé a fait une annonce dans le respect des lois. Par [ses déclarations], il a tenté d’exercer son droit à la liberté d’expression reconnu par la Constitution et par l’article 10 de la CEDH. (...) De plus, il est connu de tous que, sur la place Taksim, des festivités, telles que la journée de la police, la fête de la tulipe [ou encore] des concerts (...), étaient organisées avec l’autorisation de l’administration. (...) Par conséquent, la restriction de la liberté d’expression du requérant concernant la volonté de son organisation syndicale de célébrer le 1er Mai, date communément admise comme étant celle de la fête de la solidarité des ouvriers, ne saurait passer pour nécessaire dans une société démocratique (...) » Il ressort des éléments du dossier que, faute de pourvoi, le jugement devint définitif. C. Le procès pénal engagé contre les manifestants À la suite des événements, 234 personnes parmi lesquelles figurent Musa Çam, Celal Ovat et Ali Rıza Küçükosmanoğlu furent déférées devant le parquet d’Istanbul pour infraction à la loi no 2911 relative aux réunions et manifestations publiques (« la loi no 2911 »), pour avoir participé à une manifestation interdite par la préfecture et pour avoir refusé d’obtempérer aux sommations des agents de police. Le 21 septembre 2007, le parquet d’Istanbul rendit une décision de non-lieu à l’égard des manifestants. Dans les motifs de sa décision, le procureur exposait que, à la suite de l’ordre de dispersion donné par la police, le refus d’obtempérer des manifestants avait provoqué des bousculades entre eux et les forces de l’ordre. Il estimait que « les réactions des manifestants ne pouvaient pas être interprétées comme une [forme de] résistance aux forces de l’ordre et qu’il s’agissait plutôt d’une réaction d’autoprotection contre l’utilisation de la force ». Il considérait en outre que le rassemblement avait été dispersé par la police, ce qui avait empêché la manifestation illégale d’avoir lieu. Il concluait qu’il n’existait aucun élément constitutif d’une infraction et que les faits reprochés aux requérants ne tombaient dès lors pas sous le coup de la loi no 2911. II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES ET INTERNATIONAUX PERTINENTS A. Le droit interne La Constitution L’article 137 de la Constitution dispose : « Toute personne employée dans un service public, en quelque qualité et sous quelque forme que ce soit, doit refuser d’exécuter l’ordre reçu d’un supérieur si elle considère cet ordre comme contraire aux dispositions des règlements d’administration publique, des règlements, des lois ou de la Constitution, et elle doit aviser de cette contradiction la personne dont l’ordre émane. Toutefois, si le supérieur insiste pour que ledit ordre soit exécuté et le réitère par écrit, l’ordre doit être exécuté ; en ce cas, la responsabilité de celui qui l’exécute ne peut être engagée. L’ordre dont l’objet constitue une infraction ne peut en aucune façon être exécuté ; celui qui l’exécute ne peut être déchargé de sa responsabilité. Les exceptions prévues par la loi pour assurer l’accomplissement des tâches militaires et, dans les cas urgents, la sauvegarde de l’ordre et de la sécurité publics sont réservées. » La loi no 2911 du 6 octobre 1983 relative aux réunions et manifestations publiques L’article 6 de la loi no 2911 du 6 octobre 1983 relative aux réunions et manifestations publiques donne compétence au préfet ou au sous-préfet pour réglementer les questions liées au lieu de la manifestation et à l’itinéraire à emprunter par les participants à celle-ci. L’article 22 de cette loi précise qu’il est interdit de manifester sur les voies publiques et les autoroutes, dans les parcs publics, devant les lieux de culte, et devant les bâtiments et les infrastructures abritant un service public ainsi que leurs dépendances. Les manifestants doivent se conformer aux mesures prises par le préfet ou le sous-préfet et ne peuvent pas empêcher le bon déroulement de la circulation des personnes et des transports publics. Aux termes de l’article 24 de la loi, en ses parties pertinentes en l’espèce : « Si une réunion ou une manifestation débutée dans le respect de la loi (...) se transforme en une réunion ou manifestation contraire à la loi : (...) b) la plus haute autorité civile locale [le préfét ] (...) envoie [un ou plusieurs] commandants locaux de la sûreté sur les lieux des événements. Ce[s] commandant[s] averti[ssen]t la foule qu’elle doit se disperser conformément à la loi et que, en cas de [refus d’obtempérer], il sera fait usage de la force. Si la foule [n’obtempère] pas, elle est dispersée par le recours à la force. (...) (...) En cas d’attaque contre les forces de l’ordre ou les lieux et personnes qu’elles protègent ou de résistance active, il sera recouru à la force sans qu’il soit besoin [de procéder à] un avertissement. (...) Si une réunion ou une manifestation débute de façon contraire à la loi (...), les forces de l’ordre (...) prennent les précautions nécessaires. Le[s] commandant[s] des forces de l’ordre averti[ssen]t la foule qu’elle doit se disperser conformément à la loi et que, en cas de [refus d’obtempérer], il sera fait usage de la force. Si la foule [n’obtempère pas], elle est dispersée par le recours à la force. » L’article 27 de la loi interdit toute incitation de la population à participer à une manifestation illégale, que ce soit par voie de presse ou oralement. La loi no 4483 du 2 décembre 1999 sur la procédure relative aux poursuites contre les fonctionnaires et autres agents de la fonction publique Selon l’article 12 de la loi no 4483, les instructions à l’encontre des préfets sont diligentées par le procureur général de la République près la Cour de cassation. La loi no 5442 relative à l’administration des départements L’article 4 de la loi no 5442 relative à l’administration des départements (İller İdaresi Kanunu) dispose notamment : « Le préfet est le chef hiérarchique de tout le corps administratif de la ville. Chaque ministère, conformément à son règlement interne, dispose de structures suffisantes dans les villes (...) Toutes ces structures sont placées sous les ordres du préfet. » D’après cette disposition, le préfet n’est donc pas seulement le chef de la police, mais également celui de tous les fonctionnaires de l’État dans le département. L’article 11/A de la même loi énonce : « Le préfet est le chef de toutes les forces de l’ordre, qu’elles soient générales (par exemple les gendarmes et la police) ou spéciales (par exemple les gardes forestiers), et le chef de leur structure administrative. Il prend les mesures qu’il estime nécessaires pour empêcher les actes criminels et assurer le maintien de la paix, de la sûreté et de l’ordre publics. Dans ce but, il emploie les forces de l’ordre générales et spéciales de l’État. Les fonctionnaires et les supérieurs hiérarchiques de ces entités doivent exécuter les ordres donnés par le préfet. » Aux termes de cette loi, le préfet est donc le dépositaire de l’autorité de l’État dans le département. Il demeure responsable de l’ordre public : il détient des pouvoirs de police qui font de lui une « autorité de police administrative ». Il est le représentant direct du Premier ministre et de chaque ministre dans le département. La loi no 2559 relative aux fonctions et compétences de la police L’article 2 de la loi no 2559 relative aux fonctions et compétences de la police énonce notamment ce qui suit : « (...) Les ordres verbaux émanant des supérieurs doivent être exécutés sans délai. Le policier ne peut pas demander qu’un ordre soit réitéré par écrit. [Dans les cas visés ci-dessous], la responsabilité liée à l’exécution de l’ordre en question appartient à celui qui a donné l’ordre en question : la protection de la vie, de l’honneur et des biens ; (...) la dispersion des réunions et manifestations illégales et l’arrestation des responsables (...) » B. Le Conseil de l’Europe Lors de sa 1222e réunion, le 12 mars 2015, le Comité des Ministres du Conseil de l’Europe a examiné l’état d’exécution de 46 arrêts contre la Turquie concernant le recours à une force excessive lors de la dispersion de manifestations pacifiques (groupe Oya Ataman c. Turquie). Les délégués ont pris la décision suivante concernant les mesures générales : « Les Délégués ; (...) En ce qui concerne les mesures générales invitent instamment les autorités turques à intensifier leurs efforts en vue d’amender la législation concernée, et en particulier la loi sur les réunions et les manifestations (no 2911), afin d’établir en droit turc l’exigence d’évaluer la nécessité d’une ingérence dans le droit à la liberté de réunion, en particulier dans les situations où les manifestations se déroulent de manière pacifique et ne présentent pas de danger pour l’ordre public ; demandent aux autorités turques de consolider les différentes réglementations régissant la conduite des forces de l’ordre et établissant les normes relatives au recours à la force lors de manifestations ; en appellent aux autorités turques pour qu’elles veillent à ce que la législation pertinente exige que tout recours à la force par les forces de l’ordre lors de manifestations soit proportionné et prévoie un recours adéquat ex post facto pour contrôler la nécessité, la proportionnalité et le caractère raisonnable d’un tel recours à la force ; réitèrent leur appel aux autorités turques pour qu’elles prennent les mesures requises afin que les autorités et les tribunaux agissent avec célérité et diligence dans le cadre des enquêtes et des procédures pénales sur des allégations de mauvais traitements diligentées à l’encontre des forces de l’ordre, dans le respect des normes de la Convention et de manière à assurer que tous les responsables aient à répondre de leurs actes, y compris les policiers gradés. » Le Comité des Ministres du Conseil de l’Europe a réexaminé le « groupe Ataman » relatif aux dispersions forcées des manifestations pacifiques, lors de sa 1288e réunion et pris la décision (H46-32) suivante, le 8 juin 2017 : « Les Délégués Mesures individuelles notent avec regret qu’aucun progrès n’a été accompli dans le cadre des nouvelles enquêtes sur les allégations de mauvais traitements formulées par les requérants dans ces affaires ; rappelant la position constante du Comité selon laquelle l’État défendeur a l’obligation continue de conduire des enquêtes effectives sur les allégations de mauvais traitements infligés par les membres des forces de sécurité, invitent instamment les autorités à donner plein effet à l’article 90 de la Constitution en conduisant ex officio des évaluations sur la réouverture des enquêtes dans ce groupe et à informer le Comité des résultats obtenus ; Mesures générales au vu de la nature systémique de ce problème, relevée dans de nombreux arrêts et en particulier dans l’affaire Süleyman Çelebi et autres, où la Cour a estimé que le recours à une force excessive et disproportionnée lors de manifestations pacifiques risquait de susciter parmi le public la crainte de participer à des manifestations et ainsi de les dissuader de faire valoir leur droit garanti par l’article 11, invitent instamment les autorités à prendre les mesures requises soulignées par le Comité lors de sa 1259e réunion (juin 2016) (DH) ; à cet égard, encouragent vivement les autorités à accélérer les travaux du groupe de travail interministériel, mis en place au plan interne, et à poursuivre leur coopération avec le groupe de travail informel du Conseil de l’Europe ; invitent les autorités à fournir le texte de la directive « sur l’usage et le stockage des grenades lacrymogènes et des armes de défense ainsi que l’équipement, les munitions et la formation des utilisateurs » ; décident de reprendre l’examen de ce point lors de leur réunion Droits de l’Homme de mars 2018. ».
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Le requérant est né en 1980 et à la date de l’introduction de sa requête il était détenu à la prison de Thessalonique. Accusé d’avoir transporté de manière illégale des migrants irréguliers sur le territoire grec et d’avoir provoqué un naufrage qui aurait pu être fatal à ces derniers, il fut arrêté le 22 mars 2008. Après avoir présenté sa défense devant le juge d’instruction du tribunal correctionnel de l’île de Samos, le 24 mars 2008, il fut placé en détention provisoire. Par un arrêt du 15 octobre 2008, la cour d’appel d’Égée, siégeant en une formation composée de trois membres et statuant comme juridiction de première instance, condamna le requérant à une peine de réclusion de dix ans et six mois. Elle précisa en outre que, si l’intéressé introduisait un appel, ce recours n’aurait pas d’effet suspensif. Le 20 octobre 2008, le requérant interjeta appel devant la cour d’appel d’Égée, siégeant en une formation composée de cinq juges. L’audience, initialement fixée au 4 novembre 2010, fut ajournée au 9 février 2012 en raison de la tenue des élections municipales. À cette dernière date, elle fut à nouveau reportée en raison de l’impossibilité de transférer au tribunal un coaccusé du requérant, en raison d’une grève du personnel pénitentiaire. À l’issue de l’audience, qui eut lieu le 7 juin 2012, la cour d’appel prononça une peine de réclusion de sept ans et deux mois à l’encontre du requérant. Elle déduisit de cette peine la période de six mois et vingt-trois jours pendant laquelle l’intéressé avait été détenu provisoirement. Le 13 juin 2012, le directeur de la prison de Thessalonique saisit la chambre d’accusation du tribunal correctionnel de Thessalonique d’une demande de mise en liberté sous condition du requérant. Par une décision no 715/2012 du 5 juillet 2012, la chambre d’accusation ordonna la mise en liberté sous condition du requérant en application de l’article 105 du code pénal (CP). Elle se prononça ainsi : « Il ressort des pièces du dossier que le [plaignant] a été condamné le 7 juin 2012 par la cour d’appel d’Égée à une peine de réclusion de sept ans et deux mois et qu’il avait purgé, à la date du 13 juin 2012, une peine de quatre ans, deux mois et vingt et un jours, soit une peine supérieure à un tiers de la peine prononcée. Eu égard au fait qu’il avait travaillé pendant cinq cent quatre-vingt-sept jours [dans la prison], le condamné avait purgé, au 13 juin 2012, une peine de cinq ans, neuf mois et trente et un jours et avait, par conséquent, purgé les trois cinquièmes de sa peine. Le restant de sa peine au 13 juin 2012 s’élevait à un an, trois mois et vingt-neuf jours. » II. LE DROIT INTERNE PERTINENT Dans sa partie pertinente en l’espèce, l’article 105 du CP prévoit ce qui suit : « 1. Ceux qui ont été condamnés à une peine privative de liberté peuvent être mis en liberté, sous condition de révocation, conformément aux dispositions suivantes, lorsqu’ils ont purgé : (...) b) en cas de réclusion, les trois cinquièmes de leur peine. (...) Aux fins de la mise en liberté sous condition, est considérée comme peine purgée [la peine] qui a été calculée de manière favorable au détenu conformément aux dispositions pertinentes. En ce qui concerne les peines de réclusion, le condamné ne peut pas bénéficier de la mise en liberté sous condition s’il n’a pas effectivement purgé dans un établissement pénitentiaire une période égale à un tiers de la peine qui lui a été imposée (...) » Les articles pertinents en l’espèce du code de procédure pénale (CPP) disposent ce qui suit : Article 470 Interdiction d’aggraver la situation de l’accusé « Lorsque celui qui a été condamné (...) exerce une voie de recours contre la décision de condamnation, sa situation ne peut pas empirer et les bénéfices qui lui ont été accordés avec la décision attaquée ne peuvent pas être remis en cause (...) » Article 497 Effet suspensif de l’appel « 7. Lorsque l’accusé a été condamné par une décision du tribunal de première instance à une peine privative de liberté et a introduit un appel qui n’a pas d’effet suspensif, [lui] ou le procureur peuvent demander la suspension de l’exécution de la décision de première instance jusqu’à ce que la cour d’appel se prononce. (...) L’effet suspensif de l’appel n’est pas accordé et la demande de suspension de l’exécution de la décision de première instance est rejetée lorsqu’il est jugé de manière motivée que les mesures restrictives ne sont pas suffisantes et que l’accusé n’a pas de résidence connue et stable dans le pays (...), lorsque, de la combinaison de ces éléments, il ressort qu’il y a un risque de fuite ou que l’accusé (...), s’il est mis en liberté (...), risque de commettre de nouvelles infractions. (...) » L’article 46 du code pénitentiaire est ainsi libellé : « 1. Les détenus qui fournissent un travail de quelque nature que ce soit (...) peuvent bénéficier d’un calcul avantageux de la durée de leur peine après proposition du Conseil du travail des détenus et décision du magistrat compétent. (...) Un décret présidentiel (...) fixe les modalités du calcul avantageux de la durée de la peine pour les condamnés et les prévenus, dont le plafond ne peut pas dépasser deux jours de peine effectivement purgés pour chaque jour de travail (...) » La loi no 4239/2014, intitulée « satisfaction équitable au titre du dépassement du délai raisonnable de la procédure devant les juridictions pénales, civiles et la Cour des comptes », est entrée en vigueur le 20 février 2014. Cette loi introduit, entre autres, un nouveau recours indemnitaire visant à l’octroi d’une satisfaction équitable pour le préjudice moral causé par la prolongation injustifiée d’une procédure devant les juridictions pénales. L’article 3 § 1 de cette loi dispose ce qui suit : « Toute demande de satisfaction équitable doit être introduite devant chaque degré de juridiction séparément. Elle doit être présentée dans un délai de six mois après la publication de la décision définitive de la juridiction devant laquelle la durée de la procédure a été, selon le requérant, excessive (...) »
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE La requérante est née le 19 octobre 1974 et réside dans le village de Podkoumok (district Predgorny, région de Stavropol). A. La genèse de l’affaire Dans les années 1980 ou 1990, les autorités du village de Podkoumok octroyèrent gratuitement à la famille de la requérante une ou plusieurs parcelles de terrain constructibles. En particulier, en 1993, la mère de la requérante reçut une parcelle située au no 3 de la rue Uchebnaya. Elle y fit construire une maison où s’installa la famille. Selon la requérante, entre-temps, le 10 octobre 1992, le chef de l’administration du village avait délivré au père de la requérante un certificat de propriété (свидетельство о праве собственности на землю) relatif à une parcelle située au no 3a de la rue Uchebnaya et à elle-même un certificat de propriété relatif à une parcelle située au no 3b de la même rue (« les certificats de propriété de 1992 »), les deux parcelles ayant chacune une surface de 1 200 m2. En 1993, le chef de l’administration délivra à la requérante un permis de construire une maison individuelle « dans la rue Uchebnaya ». La requérante indique, sans préciser quand, avoir fait creuser dans la parcelle en question des fondations dans le but de construire une maison. Il ressort des informations figurant au dossier devant la Cour que la parcelle no 3b n’a été ni viabilisée ni aménagée. Le 30 août 1997, la requérante et son père se procurèrent deux nouveaux certificats de propriété (« les certificats de propriété de 1997 »), pour les mêmes parcelles, en remplacement des certificats de 1992 qui auraient été accidentellement détruits. Le 21 septembre 2007, à la demande de la requérante, le service fédéral du cadastre prépara un plan cadastral de la parcelle no 3b aux fins de l’enregistrement du droit de propriété de l’intéressée dans le registre unifié des droits immobiliers. Ce plan indiquait que la superficie de la parcelle était approximative (площадь ориентировочная), que ses limites devaient être précisées lors d’un arpentage et qu’il était impossible en l’état actuel d’identifier la parcelle en tant que bien immobilier. Le 16 octobre 2007, la requérante et son père inscrivirent leur droit de propriété respectivement sur la parcelle no 3b et sur la parcelle no 3a dans le registre unifié des droits immobiliers. En juin 2008, la requérante demanda à l’administration du village de procéder à un arpentage de la parcelle no 3b. Le chef de l’administration rejeta sa demande au motif que l’adresse « 3b, rue Uchebnaya » était attribuée depuis plusieurs années à une station de pompage d’eau. B. Les enquêtes pénales pour faux et usage de faux Le 11 juillet 2008, à la demande de l’administration du village, une enquête pénale fut ouverte à l’encontre du père de la requérante pour usage de faux. Ce dernier était accusé de s’être servi du certificat de propriété de 1997 relatif à la parcelle no 3a, soupçonné d’être un faux, pour enregistrer son droit de propriété à l’égard de cette parcelle dans le registre unifié des droits immobiliers. Dans le cadre de l’enquête, plusieurs personnes furent interrogées. La personne qui était en 1997 le chef de l’administration déclara qu’elle avait effectivement apposé sa signature sur les certificats de propriété de 1997, mais qu’elle ignorait qui les avait remplis. Selon un rapport d’expertise en écritures, les certificats en question avaient probablement été complétés par le père de la requérante lui-même. La personne qui était en 1992 le chef de l’administration déclara qu’elle n’avait jamais délivré de certificats de propriété ni à la requérante ni à son père. Elle précisa que, à cette époque, des droits d’usage personnel (во временное пользование) pouvaient être octroyés sur des parcelles, mais pas des titres de propriété, et pas sur des parcelles d’une surface de 1 200 m2. Elle indiqua aussi que, en 1992, la requérante était mineure et que son père résidait officiellement dans un autre district, et que cela excluait toute possibilité pour eux de se voir octroyer des parcelles. Enfin, elle expliqua que les parcelles revendiquées par la requérante et par son père se trouvaient dans des zones protégées situées à proximité d’une station de pompage d’eau et d’une centrale électrique où toute construction aurait été interdite. Les géomètres-arpenteurs en fonction entre 1992 et 1998 firent des dépositions similaires à celle effectuée par le chef de l’administration de 1992 (paragraphe 16 ci-dessus). D’autres employés de l’administration du village de l’époque furent également interrogés. Ils déclarèrent tous que les certificats de propriété de 1997 présentaient des signes manifestes de falsification. Le 11 janvier 2009, l’enquêteur rendit une décision de non-lieu à poursuivre à l’égard du père de la requérante au motif que la connaissance de la fausseté du certificat de propriété de la parcelle no 3a par l’intéressé n’avait pas été démontrée. Par la même décision, l’enquêteur ouvrit contre X une enquête pénale pour faux s’agissant des certificats de propriété des parcelles nos 3a et 3b. Le 10 avril 2013, l’enquête fut classée sans suite pour cause de prescription de l’action publique. C. L’annulation par la justice du droit de propriété de la requérante Le 11 juin 2009, l’administration du district Predgorny assigna en justice la requérante et l’administration du village. En tant qu’entité chargée de la gestion et du contrôle de l’usage des terrains sis dans le district, elle demanda l’annulation du droit de propriété de la requérante sur la parcelle no 3b au motif que le certificat de propriété de 1997 aurait été obtenu en violation des dispositions en vigueur à l’époque des faits. Lors du procès devant le tribunal du district Predgorny de Stavropol, la requérante fut représentée par un avocat. Des procès-verbaux furent dressés à l’issue de chaque audience. Ils indiquaient que les parties avaient été informées de leur droit de consulter lesdits procès-verbaux et de formuler des remarques à leur sujet. Les personnes ayant été interrogées dans le cadre de l’enquête pénale pour usage de faux témoignèrent devant le tribunal, à l’exception du chef de l’administration de 1992. Leurs dépositions furent similaires à celles faites antérieurement (paragraphes 15-17 ci-dessus). Le tribunal prit également en compte d’autres informations obtenues auprès de la police du district. Le 15 septembre 2009, le tribunal du district déclara nul (недействительным) le certificat de propriété de la requérante et annula son droit de propriété sur la parcelle no 3b, énonçant ce qui suit : « Le certificat de propriété du 30 août 1997 a été obtenu par [la requérante] en violation de la procédure établie par les dispositions légales, et il est illégal (незаконным). » Se référant à l’article 61 du code foncier (voir la partie « Le droit et la pratique internes pertinents » ci-dessous), le tribunal du district considéra que les droits et intérêts de l’administration demanderesse concernant l’usage des terrains avaient été violés. La requérante fit appel. Elle indiqua en particulier que la demanderesse l’avait assignée en justice après l’expiration du délai de prescription extinctive et que le tribunal n’avait pas statué sur ce moyen. Le 17 novembre 2009, statuant en appel, la cour régionale de Stavropol confirma le jugement, considérant notamment que : « (...) il ressort du dossier que les documents justificatifs du droit de propriété n’ont pas été délivrés à [la requérante] selon les modalités prévues par la loi. » La cour régionale rejeta sans examen au fond le moyen de la requérante tiré de la prescription de l’action au motif que les procès-verbaux des audiences de première instance, non contestés par l’appelante, ne comportaient aucune mention de cette exception. D. Le bail d’une parcelle municipale et l’action engagée par le locataire contre la requérante et son père En 2008, un entrepreneur, G., demanda à l’administration du district de lui louer une parcelle dans la rue Uchebnaya du village afin d’y installer un magasin et un café. Il choisit une parcelle disponible, fit procéder à un arpentage et obtint un plan cadastral relatif à cette parcelle. Le 26 mars 2009, l’administration du district et G. conclurent un bail relatif à cette parcelle et le firent inscrire dans le registre unifié des droits immobiliers. Le bail comportait une mention énonçant que la parcelle était libre de toute construction et de toute culture permanente. Il apparut cependant que cette parcelle englobait partiellement celles revendiquées par la requérante et son père. Ayant appris l’existence de ce bail, ces derniers déposèrent des matériaux de construction sur la parcelle en question et y installèrent une clôture. G. les assigna en justice afin de faire cesser l’entrave à son usage du terrain. Le 23 juillet 2010, le tribunal du district accueillit l’action de G. en se référant au jugement du 15 septembre 2009 (paragraphe 22 ci-dessus). Cette décision devint définitive et fit l’objet d’une exécution forcée. E. L’action formée par la requérante sur le fondement de la prescription acquisitive Au cours de l’année 2011, la requérante assigna en justice les administrations du village et du district en demandant à être déclarée propriétaire de la parcelle no 3b par l’institution de la prescription acquisitive. Le 14 juillet 2011, le tribunal du district la débouta de son action en considérant qu’elle s’était approprié la parcelle sans avoir de droit à cet égard (самовольно, не имея законных оснований). Le 6 septembre 2011, la cour régionale confirma ce jugement en appel. Les deux juridictions se référèrent aux conclusions des jugements du 15 septembre 2009 (paragraphe 22 ci-dessus) et du 23 juillet 2010 (paragraphe 30 ci-dessus). F. Autres informations pertinentes Dans ses observations, le Gouvernement a communiqué à la Cour les informations suivantes, accompagnées de pièces justificatives. Le 22 mars 2010, l’administration du district et la requérante conclurent un bail en vertu duquel l’intéressée se voyait attribuer une parcelle située dans le village, d’une superficie de 720 m2, aux fins de construction individuelle. La durée initiale du bail était de cinq ans, celui-ci pouvait être résilié dans le cas de non-utilisation de la parcelle pour la construction, sinon il pouvait faire l’objet d’une tacite reconduction sans limitation de durée. Le loyer était fixé à 288 roubles (RUB) par an (soit 7 euros (EUR) environ à l’époque des faits). Selon les observations de la requérante, le bail n’a pas été renouvelé. II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS A. Sur la création du droit de propriété et son enregistrement dans le registre unifié des droits immobiliers Selon l’article 36 du code foncier, en vigueur jusqu’au 1er mars 2015, les personnes physiques ou morales, propriétaires d’immeubles sis sur les terrains municipaux ou de l’État, avaient le droit exclusif (исключительное право) de privatiser ces terrains. Selon l’article 2 de la loi fédérale no 122-FZ du 3 juillet 1997 relative à l’enregistrement des droits immobiliers et des transactions immobilières, en vigueur entre le 28 janvier 1998 et le 1er janvier 2017, un droit immobilier enregistré ne pouvait être contesté qu’en justice. Selon l’article 4 de cette loi, l’enregistrement du droit de propriété était obligatoire à l’égard des biens immobiliers lorsque les documents justificatifs de propriété avaient été obtenus (оформлены) après son entrée en vigueur. L’article 25.2 de la loi précitée réglementait l’enregistrement du droit de propriété sur les parcelles octroyées avant l’entrée en vigueur du code foncier (le 29 octobre 2001), pour construction individuelle et culture à visée alimentaire (подсобное хозяйство). Cet article, dans sa rédaction en vigueur à l’époque des faits, disposait que l’enregistrement d’un droit de propriété sur de telles parcelles s’effectuait sur présentation du plan cadastral ainsi que du document justificatif du droit (comme, par exemple, un certificat de propriété) délivré par les autorités conformément à la législation. Il prévoyait également qu’une mention apposée sur le plan cadastral indiquant que la parcelle n’était pas délimitée et que ses limites devaient être précisées lors d’un arpentage ne faisait pas obstacle à l’enregistrement du droit de propriété. Selon l’article 13 de la loi en vigueur à l’époque des faits, après réception de la demande d’enregistrement du droit et des documents présentés à l’appui de celle-ci, l’autorité d’enregistrement menait une expertise juridique (правовая экспертиза) au sujet desdits documents. B. Sur l’annulation de certains actes des autorités Selon l’article 61 du code foncier, les actes et décisions des autorités locales peuvent être annulés en justice lorsqu’ils sont contraires à la loi ou à d’autres normes et violent les droits et intérêts légitimes des personnes physiques ou morales en ce qui concerne l’usage et la protection des terrains (paragraphe 1). Le préjudice causé aux personnes physiques ou morales du fait de l’adoption de tels actes est réparé selon les modalités prévues par le code civil (paragraphe 2). C. Sur la prescription extinctive Selon l’article 196 du code civil, le délai de la prescription extinctive de droit commun est de trois ans. Selon l’article 199 de ce code, l’expiration du délai de prescription constitue un motif de rejet d’une action par la justice, à condition qu’une partie au procès soulève ce moyen avant le prononcé du jugement. Les plénums de la Cour suprême et de la Cour supérieure de commerce ont confirmé cette disposition dans leur directive commune no 2/1 du 20 février 1995, en précisant que l’exception de prescription pouvait être soulevée à tout moment du procès avant le prononcé du jugement et que l’expiration du délai de prescription devait être démontrée (paragraphe 12 de la directive). D. Sur le procès-verbal d’audience Selon l’article 229 du code de procédure civile (CPC), le procèsverbal d’audience doit contenir toutes les informations essentielles concernant le déroulement du procès. Il doit comprendre, entre autres, une mention indiquant que les parties ont été informées de leur droit de le consulter et de formuler des remarques à son sujet. Selon les articles 231 et 232 du CPC, les parties au procès et leurs représentants peuvent consulter le procès-verbal et formuler des remarques écrites à son sujet dans un délai de cinq jours à compter de la rédaction dudit procès-verbal. Les parties ou leurs représentants doivent alors, le cas échéant, indiquer en quoi celui-ci est selon eux inexact ou incomplet. Le juge examine leurs remarques dans un délai de cinq jours. Il peut soit les approuver soit les rejeter par une décision motivée. Lesdites remarques sont, en tout état de cause, versées au dossier de l’affaire.
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE La requête concerne le meurtre, perpétré le 15 janvier 2005, d’Elmas, de Zerrin et d’Eylül Güzelyurtlu, trois ressortissants chypriotes d’origine chypriote turque. Les requérants sont des membres de la famille des défunts. Le premier requérant ainsi que la deuxième et la troisième requérantes sont les enfants d’Elmas et de Zerrin Güzelyurtlu et respectivement le frère et les sœurs d’Eylül Güzelyurtlu. Les quatrième et cinquième requérantes sont les sœurs de Zerrin Güzelyurtlu et la sixième requérante ainsi que le septième requérant sont ses parents. Les cinq premiers requérants sont nés respectivement en 1978, 1976, 1980, 1962 et 1956. La sixième requérante et le septième requérant sont tous deux nés en 1933. Le premier requérant, la cinquième et la sixième requérantes ainsi que le septième requérant vivent en « RTCN ». La deuxième, la troisième et la quatrième requérantes vivent au Royaume-Uni. A. Le contexte de l’affaire et le meurtre d’Elmas, de Zerrin et d’Eylül Güzelyurtlu Elmas Güzelyurtlu était un homme d’affaires qui vivait avec son épouse Zerrin et sa fille Eylül en « RTCN ». En 2000, à la suite de la faillite de la banque dont il était propriétaire, Elmas Güzelyurtlu prit la fuite et s’installa à Larnaca, dans la partie de l’île de Chypre contrôlée par les autorités chypriotes. Son épouse et sa fille vinrent le rejoindre en 2001. En 2003, ils s’installèrent à Ayios Dometios, dans le district de Nicosie. Le 15 janvier 2005 aux environs de 8 h 00, sur la route qui relie Nicosie à Larnaca, à proximité de la sortie pour Athiainou, un agent de police repéra une voiture noire de marque Lexus garée sur l’accotement. Le moteur tournait, le clignotant gauche fonctionnait et la portière au niveau du siège passager à l’avant était ouverte. Zerrin et Eylül Güzelyurtlu furent trouvées mortes sur la banquette arrière de la voiture. Elmas Güzelyurtlu gisait, mort lui aussi, à une distance de 1,5 mètre du véhicule, dans un fossé. Tous trois portaient des pyjamas et des chaussons. Zerrin Güzelyurtlu avait du ruban adhésif sur le cou et deux rouleaux de ruban adhésif dans les mains. Zerrin Güzelyurtlu et sa fille Eylül Güzelyurtlu présentaient des rougeurs (ερυθρότητα) sur le bord des mains, ce qui indiquait qu’elles avaient été attachées avec du ruban adhésif. Elles présentaient également au niveau des tibias des contusions qui résultaient d’une lutte. B. L’enquête et les mesures prises par les autorités chypriotes Les détails de l’enquête ainsi que les mesures prises, tels qu’ils sont présentés par le gouvernement chypriote et qu’ils ressortent des documents qui ont été versés au dossier, peuvent être résumés de la manière suivante. L’agent de police qui découvrit les corps alerta le commissariat central de police de Nicosie. Un certain nombre de policiers (parmi lesquels des hauts gradés) arrivèrent aux environs de 8 h 35 sur les lieux du crime, qui avaient déjà été bouclés et gelés. La police et un médecin légiste procédèrent immédiatement à une inspection minutieuse des lieux. Des photographies furent prises et l’on effectua un enregistrement vidéo. Deux balles, deux douilles et un couteau de cuisine furent retrouvés à l’intérieur de la voiture. Une troisième douille fut ramassée à l’extérieur du véhicule. Une équipe comptant huit enquêteurs fut mise en place. La voiture fut enlevée afin de subir une inspection plus poussée. Aux environs de 9 h 25, des policiers se rendirent au domicile des victimes à Ayios Dometios. La maison fut bouclée et gelée. L’équipe d’enquêteurs et un médecin légiste procédèrent à une inspection des lieux. Sur place, ils prirent des photographies, relevèrent des empreintes digitales et effectuèrent un enregistrement vidéo. Cette inspection permit de déterminer que les auteurs des meurtres avaient pénétré dans la maison par effraction en passant par une fenêtre. Une ventouse (βεντούζα) et des morceaux de ruban adhésif furent retrouvés devant la fenêtre à l’extérieur. Du ruban adhésif fut également trouvé dans les chambres des victimes, dans le salon et dans le garage. Le système de sécurité avait été désactivé à 4 h 35 ce jour-là et il apparut que l’une des caméras avait été orientée vers le haut à 4 h 29. De nombreuses pièces à conviction furent recueillies sur les lieux du crime et au domicile des victimes. Elles furent envoyées aux services de criminalistique pour une expertise. Le même jour, les dépouilles des victimes furent transportées à la morgue de l’hôpital général de Larnaca pour y être autopsiées. Les certificats de décès furent délivrés. Le 16 janvier 2005, un médecin légiste procéda aux autopsies. Il fut établi que pour chacune des trois victimes le décès avait été causé par une grave lésion craniocérébrale provoquée par un coup de feu tiré par une arme à feu à courte distance, et que le décès résultait d’un acte criminel. Pendant les autopsies, des photographies furent prises et un enregistrement vidéo fut effectué. L’un des policiers présents pendant les autopsies rédigea un procès-verbal d’autopsie (ημερολόγιο ενέργειας) dans lequel il consigna entre autres les gestes et les constats du médecin légiste. Pendant l’enquête, de nombreux témoins furent recherchés et interrogés, on étudia les listes des véhicules qui avaient franchi les points de passage entre le nord et le sud et on examina le système de sécurité du domicile des victimes ainsi que les disques durs de leurs ordinateurs afin de trouver des éléments pertinents concernant les déplacements de personnes et de véhicules à proximité de la maison au moment des faits. Il fut établi que la ventouse et le ruban adhésif avaient été achetés dans un magasin à Kyrenia (dans le nord de Chypre). Il ressortit des éléments collectés que le 15 janvier 2005, entre 5 h 15 et 5 h 20, trois coups de feu avaient été entendus depuis la zone dans laquelle le véhicule et les victimes avaient été retrouvés. Selon les dépositions des témoins qui furent recueillies par la police, au moment où les meurtres furent commis, on avait vu une voiture de marque BMW dépourvue de plaques d’immatriculation stationner derrière le véhicule des victimes. On avait également vu quatre personnes se tenant aux abords des véhicules et une personne sur le siège passager de la voiture de marque Lexus. On put en outre établir que le 14 janvier 2005, à 23 h 00, une voiture rouge de marque BMW portant des plaques d’immatriculation de la « RTCN » avait franchi le point de passage de Pergamos situé dans la base militaire souveraine britannique de l’Est, à Dhekelia, mais sans passer par le point de contrôle (checkpoint) situé dans la base. À 5 h 45 le lendemain, le même véhicule rentra en « RTCN » en franchissant le même point de passage, mais là encore sans subir de contrôle. Son conducteur, qui résidait en « RTCN », était accompagné d’une autre personne. Sur la base des éléments recueillis, il fut établi que les victimes avaient été kidnappées à 4 h 41 le 15 janvier 2005 et assassinées entre 5 h 15 et 5 h 20. Selon les rapports de police, cinq véhicules et plus de huit personnes étaient impliqués dans ces meurtres, ce qui suggérait que le crime avait été bien planifié et prémédité. Des examens balistiques permirent d’établir que les balles avaient été tirées avec la même arme à feu ; deux des douilles étaient de fabrication roumaine et une douille était de fabrication turque. Les premières étapes de l’enquête permirent d’identifier cinq suspects : M.C. (« le premier suspect »), E.F. (« le deuxième suspect »), F.M. (« le troisième suspect »), M.M. (« le quatrième suspect ») et H.O. (« le cinquième suspect »). D’après les documents fournis à la Cour, il apparaît que le premier, le deuxième, le troisième et le quatrième suspects étaient ressortissants chypriotes et citoyens de la « RTCN » tandis que le cinquième suspect était un ressortissant turc. De l’ADN appartenant au premier, au deuxième et au quatrième suspects fut trouvé sur les pièces à conviction qui avaient été recueillies sur les lieux du crime et au domicile des victimes. De l’ADN appartenant au premier suspect fut aussi trouvé sur le volant de la voiture d’Elmas Güzelyurtlu. La police était déjà en possession de l’ADN de ces trois suspects car elle avait prélevé dans le passé du matériel génétique sur chacun d’entre eux dans le contexte d’autres infractions (possession illégale d’une arme à feu et cambriolage). De plus, il fut constaté que la voiture de marque BMW était enregistrée au nom du quatrième suspect et qu’elle avait été conduite par le premier suspect. Des mandats d’arrêt avaient déjà été délivrés pour ces trois suspects à la suite d’autres infractions ; le premier suspect était recherché dans le cadre d’une affaire de stupéfiants et pour s’être procuré par des moyens frauduleux un passeport et une carte d’identité délivrés par la République de Chypre ; le deuxième suspect était recherché pour possession et transfert illégaux d’une arme à feu, et le quatrième suspect pour possession illégale d’une arme à feu. Le lien entre les deux autres suspects et le meurtre fut établi sur la base d’autres éléments. De l’ADN appartenant à deux personnes non identifiées fut également relevé. Le 20 janvier 2005, le tribunal de district de Larnaca délivra des mandats d’arrêt pour les cinq suspects au motif qu’il existait des raisons plausibles de soupçonner qu’ils avaient commis les infractions de meurtre avec préméditation, de complot d’assassinat, d’enlèvement (απαγωγή) d’une personne en vue de commettre un meurtre (articles 203, 204, 217 et 249 du code pénal, chapitre 154) et de transfert illégal d’une arme à feu de catégorie B (articles 4 § 1 et 51 de la loi sur les armes à feu et autres armes (loi 113/(I)/2004, telle que modifiée)). Le 21 janvier 2005, les autorités de police adressèrent aux services de l’immigration des messages leur demandant d’inscrire les suspects sur leur « liste des personnes à interpeller » (qui est un registre consignant le nom des individus dont l’entrée sur le territoire de Chypre et la sortie de ce territoire étaient interdites ou soumises à des contrôles) et leur enjoignant d’informer la police de toute tentative de la part desdits suspects de quitter la République. Le 23 janvier 2005, la police pria Interpol de diffuser des notices rouges afin que l’on recherchât et que l’on arrêtât les suspects en vue de leur extradition. Le 24 janvier 2005, le chef des services diplomatiques du président de la République demanda officiellement au représentant spécial et chef de mission (« le représentant spécial ») de la Force des Nations unies chargée du maintien de la paix à Chypre (« l’UNFICYP ») de faciliter la remise aux autorités compétentes de la République de Chypre de tous les suspects ainsi que de tous les éléments de preuve relatifs au crime et/ou aux suspects se trouvant dans la partie nord de Chypre (paragraphe 129 ci-dessous). Le 26 janvier 2005, Interpol diffusa des notices rouges pour les quatre premiers suspects et le 28 janvier 2005, l’organisation publia une notice rouge relative au cinquième suspect. Ces notices demandaient l’arrestation provisoire des suspects et indiquaient que l’extradition des intéressés serait requise de la part de tout pays avec lequel la République de Chypre était liée par un traité bilatéral d’extradition, par une convention d’extradition ou par toute autre convention ou tout autre traité contenant des dispositions relatives à l’extradition. Les autorités de police n’ayant pas été en mesure de retrouver la trace des suspects dans les zones contrôlées par la République, elles demandèrent le 27 janvier 2005 la délivrance de mandats d’arrêt européens. Le même jour, le tribunal de district de Larnaca délivra des mandats d’arrêt européens pour les cinq suspects. Alors que l’enquête se poursuivait, trois autres suspects furent identifiés : A.F. (« le sixième suspect »), S.Y. (« le septième suspect ») et Z.E. (« le huitième suspect »). Il ressort des documents remis à la Cour que le sixième et le huitième suspects étaient ressortissants chypriotes et citoyens de la « RTCN » tandis que le septième suspect était un ressortissant turc. Le sixième suspect était recherché par les autorités depuis 2003 dans une affaire de coups et blessures ayant provoqué de graves dommages corporels. Le dossier y afférent avait été « classé en attente » (Άλλως Διατεθείσα) en 2004. Le 4 février 2005, le tribunal de district de Larnaca délivra contre ces trois suspects des mandats d’arrêt pour les mêmes motifs que ceux qui avaient été invoqués pour les mandats d’arrêt concernant les autres suspects (paragraphe 31 ci-dessus). Le 10 février 2005, le même tribunal délivra des mandats d’arrêt européens contre ces trois suspects. Le 11 février 2005, à la demande des autorités chypriotes, des notices rouges furent diffusées concernant ces trois suspects. Le 14 février 2005, Interpol Ankara adressa à Interpol Athènes un message en réponse à la notice rouge relative au cinquième suspect. Ce message indiquait que le cinquième suspect était en garde à vue et que le ministère turc de la Justice avait été informé du crime qu’il était présumé avoir commis. Interpol Ankara précisait qu’en application du code pénal turc, un ressortissant turc qui avait commis dans un pays étranger un crime passible en droit turc d’une peine d’au moins trois ans d’emprisonnement pouvait être sanctionné par les tribunaux turcs. Interpol Ankara ajoutait que le droit turc interdisait d’extrader un ressortissant turc depuis la Turquie. Par conséquent, le ministère turc de la Justice souhaitait savoir s’il était possible que les documents d’enquête lui fussent transmis par l’entremise d’Interpol. Le 15 février 2005, les autorités de police adressèrent aux services de l’immigration des messages relatifs à la « liste des personnes à interpeller » (paragraphe 32 ci-dessus). Il ressort d’un courrier électronique daté du 7 mars 2005, envoyé par le chef des services diplomatiques du président de la République au négociateur en chef de l’Union européenne (UE) pour Chypre, qu’à cette époque-là les autorités chypriotes transmirent à l’UNFICYP un rapport provisoire établi par le laboratoire de génétique légale de l’institut chypriote de neurologie et de génétique afin de faciliter sa médiation pour la remise des suspects en l’espèce. La Commission européenne fut priée d’apporter toute l’assistance qu’elle était en mesure de fournir pour permettre que les auteurs des meurtres fussent traduits en justice. Une note interne relative à une conversation téléphonique montre que l’UNFICYP informa ultérieurement les services diplomatiques que le rapport susmentionné avait été transmis aux autorités de la « RTCN », lesquelles avaient jugé que les éléments de preuve que ce document contenait étaient insuffisants. Les autorités de la « RTCN » demandèrent à recevoir les bandes vidéo mais ne précisèrent pas si les suspects seraient livrés si ces bandes leur étaient fournies. Le gouvernement chypriote soutient qu’au fur et à mesure de l’avancement de l’enquête, de plus en plus d’éléments impliquant les suspects furent collectés. Plus de 180 dépositions furent recueillies auprès de différentes personnes, notamment des proches des victimes, des personnes qui connaissaient les victimes ou avaient des liens avec elles, ainsi que des personnes qui participaient à l’enquête. Les autorités procédèrent également à des tests ADN sur un certain nombre d’autres suspects éventuels, mais aucun lien avec le crime ne put être établi. Les représentants des requérants rencontrèrent également le procureur général et restèrent en contact téléphonique avec lui. Le 12 juillet 2006, le huitième suspect fut arrêté par la police chypriote à Limassol (dans la région contrôlée par le gouvernement chypriote). Le lendemain, il fut placé en détention provisoire pour huit jours en application d’une ordonnance du tribunal de district de Larnaca délivrée au motif qu’il existait des raisons plausibles de le soupçonner d’avoir commis des infractions réprimées par les articles 203, 204, 217 et 249 du code pénal (chapitre 154) ainsi que par les articles 4 § 1 et 51 de la loi sur les armes à feu et autres armes (loi 113/(I)/2004, telle que modifiée). Il fut toutefois remis en liberté à l’expiration de sa période de détention provisoire car, après l’avoir interrogé, les autorités ne disposaient pas de suffisamment d’éléments pour le relier aux infractions. Selon le rapport de police pertinent, certaines des allégations qu’il avait formulées n’avaient pas pu être vérifiées car la police chypriote n’était pas en mesure d’enquêter sur le territoire de la « RTCN ». De plus, le résultat des tests ADN n’avait pas permis de le relier au crime. Dans une lettre datée du 26 juillet 2006, le procureur général assura aux représentants des requérants que la République « faisait tout ce qui était en son pouvoir – sachant qu’elle [n’avait] pas le contrôle effectif des territoires de la République qui étaient occupés par la Turquie (sur lesquels des personnes susceptibles d’être impliquées [se trouvaient à l’époque]) et compte tenu de la jurisprudence pertinente fondée sur la Convention – pour enquêter (...) sur les meurtres et pour faire juger les responsables par les tribunaux de la République ». Le procureur général leur indiqua également qu’il les informerait de l’avancée de l’enquête et répondrait aux questions qu’ils avaient soumises au nom de la famille des victimes, par exemple lors de réunions qui pourraient avoir lieu dans son bureau entre lui-même, les représentants des requérants et la police. Un rapport établi par le service d’enquête de la police de Larnaca daté du 1er juillet 2007 indiquait que l’enquête avait été étendue aux bases britanniques et aux zones occupées de Kyrenia et Karavas. Il précisait que l’enquête était toujours en cours car les autorités attendaient des réponses de la part d’Interpol Ankara. Ce rapport préconisait également de féliciter les agents de l’équipe d’enquête pour leur travail remarquable dans cette affaire. Les autorités n’étant pas en mesure de faire exécuter les mandats d’arrêt sur le territoire de la « RTCN » ni d’engager d’autres démarches par l’intermédiaire de l’UNFICYP, et la délivrance de mandats d’arrêt internationaux ne s’étant pas traduite par la remise des suspects par la Turquie, le policier chargé de l’enquête suggéra dans un rapport daté du 30 mars 2008 de « classer l’affaire en attente » (Άλλως Διατεθείσα) dans l’attente des développements à venir. Le 7 avril 2008, le dossier de l’affaire, accompagné de la proposition susmentionnée formulée par l’équipe d’enquête de la police de Larnaca, fut transmis au procureur général. Ce dernier acquiesça à la proposition de l’équipe d’enquête de la police de Larnaca et le 24 avril 2008 il donna à la police l’instruction de resoumettre (εναποβληθεί) le dossier de l’enquête quand l’un, plusieurs ou la totalité des suspects seraient arrêtés, le cas échéant. Le 19 mai 2008, le dossier de l’affaire fut transféré au coroner en vue de la procédure d’enquête judiciaire (enquête judiciaire nos 9/05, 10/05 11/05) devant le tribunal de district de Larnaca. Le tribunal fixa la date de la procédure au 18 août 2009. Selon le gouvernement chypriote, à cette date, la procédure fut reportée en octobre 2009 du fait de l’absence du premier requérant. L’agent chargé de l’enquête judiciaire informa le premier requérant de la procédure et lui demanda d’y prendre part car le témoignage d’un proche des victimes était nécessaire. Le gouvernement chypriote n’a fourni aucune autre information sur cette procédure. Dans une lettre datée du 25 juin 2008 adressée au chef de la police, le procureur général nota que malgré tous les efforts déployés par les autorités, les suspects n’avaient pas été livrés à la République, qu’il s’était entretenu avec le président de la République et qu’à de nombreuses reprises il avait rencontré le barrister des requérants et avait parlé avec lui au téléphone. Le procureur général observa que ce dernier l’avait informé de l’intention des requérants de saisir la Cour d’une requête. Le procureur général considéra donc qu’il était nécessaire, et le barrister partagea ce point de vue, que des mandats d’arrêt internationaux fussent délivrés pour les suspects et que la Turquie, laquelle, en vertu des arrêts rendus par la Cour, était responsable de tout ce qui se passait dans les zones occupées, fût invitée à les exécuter. Il demanda que, si ce n’était pas déjà fait, des mandats d’arrêt internationaux fussent délivrés aussi rapidement que possible afin que les suspects pussent être remis à la République de Chypre. Le 3 août 2008, le quatrième suspect fut tué en « RTCN ». Après la confirmation de son décès par l’UNFICYP, sur instruction du procureur général, le mandat d’arrêt le concernant fut annulé par le tribunal de district de Larnaca le 29 août 2008. Le 6 août 2008, le procureur général transmit des instructions en vue de la préparation de demandes d’extradition qui seraient adressées à la Turquie en vertu de la Convention européenne d’extradition du 13 décembre 1957, à laquelle les deux États étaient parties (paragraphes 164 et 165 cidessous). Le 23 septembre 2008, des demandes d’extradition concernant les six suspects restants (paragraphes 45 et 52 ci-dessus), accompagnées de traductions certifiées en langue turque de tous les documents, furent transmises par le ministère chypriote de la Justice et de l’Ordre public au ministère chypriote des Affaires étrangères pour communication par la voie diplomatique au ministère turc de la Justice. Ces demandes furent ensuite envoyées à l’ambassade de la République de Chypre à Athènes pour communication à la Turquie. Par une lettre datée du 4 novembre 2008, l’ambassade de la République de Chypre à Athènes informa le directeur général du ministère chypriote des Affaires étrangères qu’à cette date les demandes d’extradition et une note verbale émanant du ministère chypriote de la Justice et de l’Ordre public avaient été déposées à l’ambassade de Turquie à Athènes dans une enveloppe scellée. L’huissier de l’ambassade avait remis l’enveloppe à l’officier de sécurité de l’ambassade. Aucun accusé de réception n’avait été délivré. Par une lettre datée du 11 novembre 2008, l’ambassade de la République de Chypre à Athènes informa le directeur général du ministère chypriote des Affaires étrangères qu’à cette date un employé de l’ambassade de Turquie avait déposé auprès de l’officier de sécurité de l’ambassade chypriote une enveloppe sur laquelle seule l’adresse de l’ambassade chypriote était inscrite et qui contenait les demandes d’extradition ainsi que la note verbale émanant du ministère chypriote de la Justice et de l’Ordre public qui avaient été remises à l’ambassade de Turquie le 4 novembre 2008. La personne n’avait pas donné son identité et s’était contentée de déposer (παράτησε) l’enveloppe avant de repartir rapidement. Par une lettre datée du 24 novembre 2008, le directeur général du ministère chypriote de la Justice informa le procureur général du retour de tous les documents susmentionnés et déclara qu’il était manifeste que la Turquie refusait de recevoir des demandes d’extradition concernant des fugitifs faites par Chypre en vertu de la Convention européenne d’extradition car la Turquie refusait de reconnaître la République de Chypre en tant qu’État. Dans sa réponse datée du 26 novembre 2008, le procureur général déclara que le comportement de la Turquie à l’égard de la République de Chypre n’était pas celui que l’on attendait d’un État qui avait ratifié la Convention européenne d’extradition. Il ajouta qu’il n’appartenait toutefois pas au parquet général de déterminer les mesures à prendre mais que cette question devait être tranchée au niveau politique, par le ministère chypriote des Affaires étrangères en particulier. Le gouvernement chypriote soutint que les mandats d’arrêt délivrés par Chypre étaient toujours en vigueur et qu’ils le demeureraient jusqu’à leur exécution en application de l’article 21 § 1 du code de procédure pénale. C. L’enquête et les mesures prises par les autorités turques, y compris par celles de la « RTCN » Les détails de l’enquête ainsi que les mesures prises, tels qu’ils sont présentés par le gouvernement turc et qu’ils ressortent des documents qui ont été versés au dossier, peuvent être résumés de la manière suivante. Le 17 janvier 2005, les dépouilles des victimes furent transportées à l’hôpital d’État du Dr. Burhan Nalbantoğlu à Nicosie (« Lefkoşa ») en vue d’y être autopsiées. Les certificats de décès qui avaient été délivrés par la République de Chypre furent remis à la police de la « RTCN ». Étant donné que la cause des décès appelait une enquête judiciaire effectuée par un coroner, la police de la « RTCN » sollicita l’ordonnance d’un tribunal en vue de la réalisation d’autopsies. À la suite d’une audience devant le tribunal de district de Nicosie en « RTCN », le parquet général de la « RTCN » demanda au tribunal de lever l’obligation de procéder à des autopsies puisque pareils examens avaient déjà été effectués en République de Chypre. Ayant entendu les dépositions de deux agents de police et du médecin légiste de l’hôpital, le tribunal décida que des autopsies n’étaient pas nécessaires. Le 18 janvier 2005, le premier requérant fit une déposition devant la police de la « RTCN ». Il était nécessaire qu’il donnât son avis concernant les suspects potentiels. Dans sa déposition, il allégua que les suspects probables étaient au nombre de cinq : M.C, E.F., F.M., M.M. et H.O. (paragraphe 27 ci-dessus). Les autorités de la « RTCN » vérifièrent les traces d’entrée et de sortie des suspects et établirent que le premier suspect avait traversé la ligne de démarcation en direction de la République de Chypre la nuit où les meurtres avaient été commis et qu’il était rentré en « RTCN » au petit matin. Il n’y avait aucune trace d’entrée ou de sortie des autres suspects ce jour-là. Le 18 janvier 2005, le premier suspect fut conduit au commissariat central de police (Polis Genel Müdürlüǧü) de Kyrenia (« Girne ») pour y être interrogé par la police de la « RTCN ». Le véhicule de marque BMW qu’il avait utilisé pour franchir la frontière, considéré comme une pièce à conviction, fut saisi. Le même jour, le tribunal de district de Kyrenia délivra une assignation à comparaître pour le premier et le deuxième suspects, qui étaient soupçonnés de vol, d’importation de véhicule et de faux en écritures (Hirsizlik Araç Ithali ve Evrak Sahteleme). Le premier suspect fut placé en détention. La voiture de marque BMW du premier suspect fut inspectée mais aucun élément n’y fut trouvé. Le même jour (le 18 janvier 2005), le troisième et le quatrième suspects furent également conduits au poste de police pour être interrogés. Ce jour-là, le tribunal de district de Morphou (« Güzelyurt ») délivra un mandat d’arrêt pour le troisième et le quatrième suspects, qui étaient soupçonnés de faux en écritures, et précisément de fourniture de documents falsifiés et de fausses déclarations pour un véhicule portant une fausse immatriculation (Sahte Belge Düzenleme –Yalan Belge ve Beyanlarla Sahte Kayitla Araç Temin Etme). Le 19 janvier 2005, le tribunal de district de Kyrenia délivra un mandat d’arrêt d’une validité de deux jours (Mahkeme: Zanlilarin 2 gün tutuklu kalmasina emir venir) pour le premier et pour le deuxième suspects, qui étaient soupçonnés de vol, de faux en écritures et de fourniture de « registres falsifiés, etc. » (Hirsizlik, Sahte Belge Düzenlemek, Sahte Kayut Temin Etmek v.s.). Le deuxième suspect fut arrêté le lendemain et détenu au commissariat central de police de Lapithos (« Lapta »). Le cinquième suspect était déjà parti pour la Turquie (le 18 janvier 2005) lorsque la notice rouge fut diffusée par Interpol le 28 janvier 2005 (paragraphe 35 ci-dessus). Le 19 janvier 2005, le tribunal de district de Nicosie en « RTCN » plaça également en détention provisoire pour deux jours le troisième et le quatrième suspects, qui étaient soupçonnés de vol et de faux en écritures. La police de la « RTCN » perquisitionna les domiciles des quatre premiers suspects ainsi que celui d’une autre personne sur la base des mandats de perquisition qui avaient été délivrés par le tribunal de district de Morphou le 18 janvier 2005 (pour le troisième et le quatrième suspects) et par le tribunal de district de Kyrenia le 19 janvier 2005 (pour le premier et le deuxième suspects). Aucun élément de preuve ne fut trouvé. Les dépositions des quatre suspects furent recueillies pendant que ceux-ci étaient en détention. Tous nièrent avoir participé aux meurtres. La police de la « RTCN » recueillit également les dépositions d’un certain nombre d’autres personnes, y compris des fonctionnaires, principalement en relation avec le véhicule de marque BMW qui avait, selon les dires du premier requérant, été utilisé par les meurtriers. D’après les éléments collectés, la voiture de marque BMW avait été transférée au premier suspect le 17 mai 2004. Le 21 janvier 2005, à la suite d’une demande émanant de la police de la « RTCN », le tribunal de district de Nicosie en « RTCN » prolongea la détention provisoire des quatre premiers suspects de trois jours parce qu’ils étaient soupçonnés de meurtre avec préméditation. Le 22 janvier 2005, le tribunal de district de Nicosie en « RTCN » délivra une assignation à comparaître concernant le cinquième suspect, qui était soupçonné de meurtre avec préméditation. Le commissariat central de police de Nicosie en « RTCN » informa tous les autres postes de police du district que ce suspect était recherché et qu’un mandat avait été délivré. À différentes dates, on recueillit les dépositions d’un certain nombre de personnes, notamment celle du premier requérant, dans le but d’obtenir des renseignements concernant le cinquième suspect. Le 23 janvier 2005, le cinquième suspect, qui était entre-temps rentré en « RTCN », fut arrêté (paragraphe 75 ci-dessus). Le 24 janvier 2005, la détention provisoire des quatre premiers suspects fut prolongée de trois jours par le tribunal de district de Nicosie en « RTCN » parce qu’ils étaient soupçonnés de meurtre avec préméditation, meurtre et possession illégale d’une arme à feu et d’explosifs (Taamüden Adam Öldürme, Adam Öldürme, Kanunsuz Ateşli Silah ve Patlayici Madde Tasarrufu). Ce tribunal délivra également un mandat d’arrêt pour le cinquième suspect afin que celui-ci pût être placé en détention provisoire pendant trois jours. Le 25 janvier 2005, le ministère turc des Affaires intérieures informa le commissariat central de police de Nicosie en « RTCN » qu’une notice rouge avait été diffusée par Interpol pour les quatre premiers suspects. Ce ministère demanda la confirmation du décès d’Elmas Güzelyurtlu car les autorités turques le recherchaient en vue de l’extrader en « RTCN ». Il s’enquit également de la nationalité des quatre premiers suspects et demanda en particulier s’ils étaient ressortissants turcs ou non. Le gouvernement turc allègue que le 23 et le 28 janvier 2005 le ministère turc des Affaires intérieures reçut des courriers électroniques provenant des bureaux d’Interpol dans la partie chypriote grecque de l’île qui indiquaient que l’organisation recherchait le premier, le deuxième, le troisième et le cinquième suspects en vue de leur arrestation et que lesdits suspects devaient être arrêtés s’ils entraient en Turquie. Le 27 janvier 2005, la détention provisoire du premier, du deuxième, du troisième, du quatrième et du cinquième suspects fut prolongée de cinq jours par le tribunal de district de Nicosie en « RTCN » parce que lesdits suspects étaient soupçonnés de meurtre avec préméditation. Le même jour, le tribunal de district de Nicosie en « RTCN » délivra un mandat pour le sixième et le septième suspects (paragraphe 37 ci-dessus) aux fins de les faire comparaître devant le tribunal car ils étaient soupçonnés de meurtre avec préméditation. Par ailleurs, le tribunal de district de Kyrenia délivra un mandat de perquisition pour le domicile du cinquième suspect et le tribunal de district de Nicosie fit de même pour les domiciles des sixième et septième suspects. Par une lettre datée du 27 janvier 2005, le commissariat central de police de Nicosie en « RTCN » communiqua au ministère turc des Affaires intérieures des informations sur l’identité des suspects. Le 28 janvier 2005, le tribunal de district de Nicosie en « RTCN » plaça le sixième, le septième et le huitième suspects en détention provisoire (paragraphe 37 ci-dessus) pour trois jours car ils étaient soupçonnés de meurtre avec préméditation. Il émit également un mandat de perquisition pour le domicile du huitième suspect. Le même jour, la police de la « RTCN » recueillit également une déposition du cinquième suspect. Le 31 janvier 2005, le tribunal de district de Nicosie en « RTCN » prolongea de huit jours la détention du sixième, du septième et du huitième suspects car ils étaient soupçonnés de meurtre avec préméditation. Le même jour, le commissariat central de police de Nicosie en « RTCN » sollicita auprès du ministère turc des Affaires intérieures un complément d’information à propos du casier judiciaire du cinquième suspect. Le casier judiciaire, la photographie et les empreintes digitales du cinquième suspect furent transmis au commissariat central de Nicosie en « RTCN » le 7 février 2005. Le 1er février 2005, le tribunal de district de Nicosie en « RTCN » prolongea de sept jours la détention des cinq premiers suspects qui étaient soupçonnés de meurtre avec préméditation. Le 2 février 2005, le commissariat central de police de Nicosie en « RTCN » diffusa à tous les postes de police une note les informant qu’ils devaient également rechercher une autre personne, M.K., qui était aussi considérée comme suspecte dans l’affaire. Il apparut que ce suspect était parti pour la Turquie le 19 janvier 2005. Le 7 février 2005, le commissariat central de police de Nicosie en « RTCN » pria le ministère turc des Affaires intérieures de vérifier le casier judiciaire de M.K. et de lui faire savoir si l’intéressé se trouvait ou non en Turquie. Le 8 février 2005, la police de la « RTCN » prit des dépositions du premier, du deuxième, du troisième, du cinquième, du sixième et du huitième suspects. Une déposition supplémentaire fut recueillie le 11 février 2005 auprès du cinquième suspect. Tous nièrent être impliqués dans les meurtres. Le 11 février 2005 ou aux alentours de cette date, tous les suspects furent remis en liberté faute d’éléments les reliant au crime. Le gouvernement turc soutient que le 11 février 2005 les bureaux d’Interpol dans la partie chypriote grecque de l’île informèrent par un autre courrier électronique le ministère turc des Affaires intérieures qu’ils disposaient d’informations laissant à penser que le cinquième suspect s’apprêtait, le jour même, à se rendre à Mersin, en Turquie, et ils demandèrent aux autorités turques de prendre les mesures nécessaires. Le cinquième suspect fut arrêté à la date susmentionnée au moment où il arrivait à Mersin. Le 15 février 2005, il fut conduit au parquet de Mersin, une instruction préliminaire fut ouverte pour les meurtres et il fut interrogé par le procureur. Le gouvernement turc soutient que le cinquième suspect fut remis en liberté faute d’éléments le reliant au crime en question et faute de demande d’extradition. M.K. (paragraphe 89 ci-dessus) fut également repéré et le 25 mars 2005 il fut interrogé par la police au commissariat central de Kyrenia. Il nia toute implication dans les meurtres. Le 15 avril 2006, les autorités inspectèrent un puits dans le village de Myrtou (« Çamlibel »), dans le district de Kyrenia, afin d’y trouver des éléments de preuve, en vain. Tout au long de l’enquête, la police de la « RTCN » interrogea et recueillit les dépositions de nombreuses personnes qui connaissaient les suspects ou leur étaient liées d’une manière ou d’une autre. Il ressort d’un document intitulé « relevé de temps/feuille de travail » (İş Cetveli), qui figurait dans les dossiers internes de la police, ainsi que des copies des dépositions, que des déclarations furent recueillies auprès de divers témoins, notamment les suspects. La police rechercha aussi des éléments de preuve et releva des empreintes digitales. Selon une note/instruction figurant dans le dossier « relevé de temps/feuille de travail », le 30 janvier 2006, l’inspecteur de police principal (Başmüfettiş – Tahkikat Memuru) de la « RTCN » avait écrit au directeur directeur adjoint de la police judiciaire (« Polis Müdürü Müavini – Adli Polis Müdürü ») de Nicosie en « RTCN » que sur les instructions orales du procureur général (Başsavcı) de la « RTCN », une copie du dossier relatif au meurtre d’Elmas, de Zerrin et d’Eylül Güzelyurtlu avait été préparée et qu’elle serait soumise pour avis au procureur général de la « RTCN ». Une note portant la même date émanant du directeur de la police judiciaire de Nicosie en « RTCN » informa le parquet général de la « RTCN » que le dossier relatif à l’affaire était prêt et qu’il avait été soumis au procureur général de la « RTCN ». Le gouvernement turc soutient qu’à la suite d’un rapport établi par l’inspecteur de police principal de la « RTCN » l’affaire avait été classée comme « non résolue ». Le gouvernement turc a fourni une copie de ce rapport, qui était non daté. Selon ce rapport, il apparaît que la dernière mesure d’enquête fut prise le 22 mars 2007, lorsque le véhicule du cinquième suspect, qui avait été inspecté par la police de la « RTCN », fut remis à l’administration des douanes et des impôts de Nicosie en « RTCN » (Lefkoşa Gümrük ve Rüsumat Dairesi). L’inspection n’avait pas permis de recueillir le moindre élément concernant le crime. Dans ce rapport, l’inspecteur de police principal de la « RTCN » concluait que l’enquête que la police avait menée à partir de la date des meurtres et jusqu’à la date de la rédaction du rapport en question n’avait pas permis à la police de résoudre l’affaire. Il suggérait donc de classer l’affaire comme étant « non résolue à ce jour ». 100. Le 19 août 2009, le parquet général de la « RTCN » adressa une copie du dossier de l’affaire au ministère des Affaires étrangères de la « RTCN ». Il informa ce dernier que l’affaire avait été classée comme « non résolue à ce jour » sur les instructions du précédent procureur général de la « RTCN ». 101. Le gouvernement turc soutient que le dossier de l’affaire se trouvait aux mains du procureur général de la « RTCN » et qu’il restait ouvert dans l’attente de la soumission d’éléments de preuve par les autorités de la République de Chypre. 102. Le gouvernement turc assure qu’après avoir reçu le dossier d’enquête du gouvernement chypriote par l’intermédiaire de la Cour à la suite de la communication de l’affaire, la police de la « RTCN » interrogea une nouvelle fois le premier et le deuxième suspects le 24 février 2010. Les suspects nièrent être impliqués dans les meurtres. 103. Par la suite, dans le cadre d’une autre procédure, le 31 août 2010, la cour d’assises de Kyrenia déclara le premier et le deuxième suspects coupables, entre autres, du meurtre du garde du corps du premier requérant, et elle prononça des peines totalisant trente ans d’emprisonnement pour chacun des prévenus. Un recours formé par le premier et le deuxième suspects fut rejeté par la Cour suprême de la « RTCN » le 4 janvier 2012. Les deux suspects purgent actuellement leur peine. 104. Le gouvernement turc soutient que pendant cette procédure le premier suspect inscrivit sur un morceau de papier que le deuxième suspect avait tué trois personnes. De plus, après avoir été averti par la cour d’assises de Kyrenia que, s’il témoignait contre lui-même sous serment, son témoignage pourrait être utilisé contre lui, le deuxième suspect aurait déclaré : « j’ai personnellement assisté à ce qui s’est passé avec les Güzelyurtlu. C’est ce que je veux dire. Il y a également une chose, c’est ce qu’il m’a dit, (...) je ne l’ai pas vu, c’est ce qu’il m’a expliqué. À ce stade, je ne veux pas parler du meurtre des Güzelyurtlu, Messieurs les juges ». Dans son arrêt, la cour d’assises de Kyrenia nota qu’elle devait examiner plus attentivement les dépositions qui avaient été faites volontairement devant elle compte tenu du fait que le premier suspect avait retiré ses déclarations et formulé des déclarations différentes. Le premier suspect refusa de faire toute déposition devant la police. 105. À la suite du développement susmentionné, le procureur général de la « RTCN » réétudia le dossier d’enquête. Au regard des règles de preuve, il conclut que même si le premier suspect n’avait pas retiré sa déclaration, faute de tout autre élément de preuve, cette déclaration n’aurait pas été suffisante pour justifier une inculpation des suspects. D. Les informations présentées par les requérants Les informations tirées des déclarations faites par le premier requérant à ses avocats 106. Selon un résumé des déclarations faites par le premier requérant à ses avocats en 2006 et en 2007, le premier requérant a exposé, entre autres, les points ci-après : 107. Le matin du 15 janvier 2005, la police chypriote informa le premier requérant du décès de ses parents et de sa sœur. Le premier requérant se rendit à la morgue de Larnaca pour identifier les victimes. Il signa un formulaire autorisant des policiers à pénétrer au domicile de la famille à Ayios Dometios et à l’inspecter. Le premier requérant fut présent pendant une partie de l’inspection puis il se rendit avec des policiers dans les bureaux de son père à Nicosie, où les policiers saisirent des documents pour les besoins de l’enquête. 108. Le lendemain, le premier requérant se rendit à la morgue de Larnaca puis au poste de police de Larnaca, où il passa neuf heures à faire sa déposition. Dans sa déposition, il informa la police de l’identité des personnes qu’il soupçonnait d’avoir commis les meurtres et des motifs de ses soupçons. 109. Le 17 janvier 2005, le premier requérant ramena les dépouilles des victimes en « RTCN », où des obsèques eurent lieu. 110. Le 18 janvier 2005, le premier requérant eu des entrevues avec la police de la « RTCN ». 111. Le 19 janvier 2005, le premier requérant ainsi que la deuxième et le la quatrième requérantes se rendirent au commissariat central de police de Nicosie où on leur montra des photographies et des portraits d’un certain nombre de personnes et où on leur demanda s’ils les reconnaissaient. Certaines des photographies avaient été prises pendant les obsèques. Le premier requérant identifia l’un des suspects. Le lendemain, ils se rendirent de nouveau au commissariat central de police de Nicosie où on les informa que la police chypriote disposait de concordances ADN pour au moins trois des suspects et qu’elle avait trouvé d’autres traces d’ADN qui ne correspondaient malheureusement pas à des personnes enregistrées dans ses fichiers. Le premier requérant donna également aux policiers des informations concernant l’enquête menée par la police de la « RTCN ». 112. Pendant les deux semaines qui suivirent les meurtres, le premier requérant eut de fréquentes entrevues avec la police chypriote et la police de la « RTCN » et les deux parties de l’île le tinrent au courant des avancées de leurs enquêtes respectives. Le premier requérant, qui souhaitait éviter que les suspects ne fussent remis en liberté faute de preuves et qui entendait convaincre la police de la « RTCN » de livrer les suspects au gouvernement chypriote afin qu’ils fussent jugés, informa aussi chacune des deux parties de l’île de la progression de l’enquête qui était menée dans l’autre partie. 113. Le premier requérant eut des entrevues avec un certain nombre de hauts fonctionnaires de la « RTCN ». 114. En mars 2007, la police chypriote informa le premier requérant que la voiture et le matériel extrait du domicile et du bureau des victimes pouvaient lui être restitués. Elle lui exposa également les circonstances des meurtres, lui indiqua que l’enquête se poursuivait, que les éléments de preuve avaient été présentés à l’UNFICYP mais que les autorités de la « RTCN » refusaient de coopérer. La police chypriote montra au premier requérant des copies des notices rouges et des dépositions des témoins mais elle refusa de lui en donner copie. Elle apprit également au premier requérant que le dossier de l’affaire ne pouvait être transmis qu’à un tribunal (au moment voulu). Les autres informations présentées par les requérants 115. Les représentants des requérants rencontrèrent le procureur général de la République de Chypre à propos de l’affaire en janvier 2006 et en juillet 2006. 116. De plus, le 1er février 2006, lors d’une réunion au commissariat central de police de Nicosie, les avocats des requérants furent informés que l’un des suspects avait été brièvement détenu en Turquie. La police chypriote avait reçu cette information des bureaux d’Interpol à Athènes. 117. Le 15 mars 2006, les requérants reçurent à leur demande un rapport d’avancement de l’affaire établi par la police chypriote. Les requérants disent qu’ils demandèrent tous les éléments de preuve mais que ceux-ci ne leur furent pas remis avec le rapport. 118. Le 15 juillet 2007, le premier requérant fit l’objet d’une tentative d’homicide à son domicile en « RTCN ». Pendant ce même mois, la police chypriote apprit également aux requérants que le mandat d’arrêt concernant l’un des suspects avait été annulé. 119. En mai 2009, le garde du corps du premier requérant fut assassiné. 120. Les requérants indiquent que le tribunal de district de Larnaca ajourna l’enquête judiciaire le 19 août 2009 pour raisons administratives et non du fait de l’absence du premier requérant. Le tribunal relança la procédure d’enquête judiciaire le 14 puis de nouveau le 20 octobre 2009. Trois des requérants y assistèrent avec leur barrister et un avocat local. L’enquête judiciaire se borna à déterminer si les décès avaient été causés par des homicides illicites. La juge renvoya l’affaire au procureur général car elle était dessaisie pour autant que la procédure pénale était concernée. La correspondance 121. Les requérants, par l’intermédiaire de leurs représentants, envoyèrent à propos de l’affaire un certain nombre de lettres à divers hauts fonctionnaires chypriotes, turcs et de la « RTCN », notamment au président de la République de Chypre, au Premier ministre turc et au président de la « RTCN ». 122. Dans une lettre datée du 30 novembre 2006, le barrister des requérants informa le Premier ministre turc de l’affaire ainsi que de toutes les démarches qui avaient été engagées jusqu’à cette date. Par l’intermédiaire de leur barrister, les requérants indiquèrent entre autres au Premier ministre turc que le gouvernement chypriote s’était dit disposé à remettre les éléments de preuve pertinents à l’UNFICYP de manière à ce que cette dernière pût déterminer s’il existait des présomptions sérieuses contre les suspects, à la condition que, si l’UNFICYP concluait que tel était bien le cas, la « RTCN » s’engageât à livrer les suspects. L’UNFICYP n’étant pas prête à se charger de cette mission (paragraphe 149 ci-dessous) et la « RTCN » insistant pour ne prendre sa décision qu’après avoir reçu lesdits éléments de preuve, le barrister des requérants déclara : « j’estime que j’ai désormais épuisé les possibilités de parvenir par la négociation et la médiation au compromis souhaité ». E. La participation des Nations unies 123. À la suite des meurtres, le gouvernement chypriote, les autorités de la « RTCN » ainsi que les requérants furent en contact avec les responsables de l’UNFICYP à propos de l’affaire à l’occasion d’un certain nombre de réunions et aussi par des échanges téléphoniques et de correspondance. Les informations pertinentes communiquées par les parties sont exposées cidessous. Les informations communiquées par le gouvernement chypriote a) La note interne datée du 20 janvier 2005 124. Selon cette note, les autorités chypriotes prirent contact avec le représentant spécial de l’UNFICYP afin de déterminer si cette dernière pouvait intervenir. Elles indiquèrent à l’UNFICYP qu’elles avaient l’intention de mener une enquête complète sur le crime et que la police s’employait activement à recueillir des informations et des éléments de preuve. Elles précisèrent que certains de ces éléments devraient toutefois être recueillis dans les zones occupées. Le représentant spécial de l’UNFICYP déclara que l’UNFICYP était prête à apporter son aide mais il suggéra, au vu des difficultés, qu’il serait préférable que les deux parties de l’île fussent directement en contact l’une avec l’autre afin d’échanger des renseignements. Les autorités chypriotes lui firent savoir que ce n’était pas possible car la police chypriote ne pouvait pas avoir de contacts directs avec la police de la « RTCN » et que c’était pour cette raison que l’intervention de l’UNFICYP avait été sollicitée. b) La note interne de la police chypriote datée du 21 janvier 2005 125. Selon cette note, une réunion se tint ce jour-là à l’initiative de la commandante et conseillère police senior de l’UNFICYP (« la SPA ») au quartier général de l’UNFICYP, à Nicosie, entre la SPA et l’assistant du chef de la police chypriote. L’agent de liaison de l’UNFICYP était également présent. La SPA y déclara qu’elle avait participé, le même jour, avec le chef de la police de la « RTCN » et en présence d’autres policiers ainsi que du procureur général de la « RTCN » à une longue réunion consacrée aux meurtres. Elle dit avoir informé le chef de la police de la « RTCN » que la police chypriote était en possession de matériel génétique qui reliait trois des suspects au crime (bien que la SPA ne fût pas à ce moment-là en mesure de préciser de quels suspects il s’agissait) ainsi que d’autres éléments permettant de relier deux autres personnes au crime, et que l’une des douilles qui avaient été retrouvées sur les lieux du crime était de fabrication turque. La SPA précisa qu’elle lui avait également indiqué que cinq mandats d’arrêt avaient été délivrés par un tribunal chypriote contre les suspects, dont quatre étaient détenus dans les prisons de la « RTCN ». Elle ajouta lui avoir dit craindre que si les suspects étaient remis en liberté ils risquaient de quitter la « RTCN », ce qui empêcherait ensuite de les arrêter. Elle rapporta que le chef de la police de la « RTCN » lui avait fait savoir que ces suspects étaient détenus pour des infractions mineures (vol de voiture) et qu’il était possible que le juge ne prolongeât pas leur détention. D’après lui, même si l’on pouvait penser que les autorités de la « RTCN » allaient s’efforcer d’obtenir leur maintien en détention, elles ne disposaient d’aucun élément qui leur permettrait de les accuser de meurtre. Le chef de la police de la « RTCN » avait ajouté que les suspects avaient certes déjà été interrogés à propos des meurtres et qu’ils avaient révélé des informations, mais que ce n’était pas suffisant, et qu’ils n’avaient pas fait de déclaration spontanée. Le chef de la police de la « RTCN » avait aussi dit à la SPA qu’il savait que la police chypriote ne disposait pas de suffisamment d’éléments et que seule une coopération entre les deux forces de police permettrait que des preuves supplémentaires fussent recueillies. Il lui avait également demandé si l’UNFICYP pouvait apporter son concours, et comment ; elle lui avait indiqué que l’UNFICYP ne pouvait intervenir que si l’une des deux parties de l’île déposait une demande d’aide officielle. 126. La SPA rapporta que le chef de la police de la « RTCN » lui avait fait part de ses préoccupations concernant les problèmes déjà rencontrés ainsi que ceux qui pouvaient surgir à l’avenir et qu’il avait indiqué qu’il jugeait souhaitable que les deux forces de police pussent trouver un terrain d’entente afin qu’une coopération fût possible en pareil cas. Il avait précisé que le ministre des Affaires étrangères de la « RTCN » était prêt à s’entretenir des questions de maintien de l’ordre et de sécurité publique avec le ministre des Affaires étrangères de Chypre et d’autres membres de la police chypriote afin de faciliter une coopération dénuée d’implications politiques (προεκτάσεις). 127. La SPA rapporta que l’agent de liaison de l’UNFICYP avait demandé s’il était possible que la Turquie fût associée, de manière à ce que les suspects pussent être extradés vers la Turquie et depuis la Turquie vers la République de Chypre. Le chef de la police de la « RTCN » avait répondu par la négative ; il était apparu que les autorités de la « RTCN » avaient déjà étudié la question mais qu’elles n’avaient pas pu y consentir car pareille mesure n’était pas prévue par leur législation. Le chef de la police de la « RTCN » avait suggéré que la police chypriote remît les éléments de preuve à la police de la « RTCN » afin que celle-ci pût arrêter et juger les suspects. Il avait ajouté que si la police chypriote donnait officiellement aux autorités de la « RTCN » des informations sur les éléments de preuve et les pièces à conviction relatifs à l’affaire et si elle demandait officiellement l’extradition des suspects, les autorités de la « RTCN » pourraient coopérer et éventuellement extrader les suspects. Selon lui, l’un des suspects se trouvait en Turquie mais il était apparu qu’il n’était pas relié aux meurtres. Il avait ajouté que les autorités de la « RTCN » étaient également en possession d’informations qui reliaient d’autres personnes aux meurtres. 128. Selon la SPA, les autorités de la « RTCN » étaient sincères et désireuses de coopérer. Elles avaient fait part, entre autres, de leur crainte de voir se multiplier les crimes de cette nature, c’est-à-dire de voir des criminels franchir les points de passage, commettre leurs forfaits puis repasser dans l’autre partie de l’île afin d’éviter d’être arrêtés et sanctionnés. La SPA précisa que l’UNFICYP était prête à apporter au gouvernement chypriote des conseils sur la manière de s’y prendre et à participer à d’éventuelles négociations afin de déterminer comment l’UNFICYP pourrait intervenir en vue de contribuer à l’enquête (εξιχνιαστει) sur les meurtres. La SPA demanda aux autorités chypriotes si Interpol pouvait intervenir car elle considérait qu’il était injuste que, bien que les auteurs d’un crime atroce aient été identifiés, ils pussent rester en liberté à la faveur d’un problème politique. Elle ajouta que la police de la « RTCN » avait demandé à ce que les Nations unies continuent de l’informer des développements de l’affaire et qu’elle avait promis qu’il en serait ainsi. c) La lettre datée du 24 janvier 2005 adressée par les services diplomatiques du président de la République à la SPA 129. Cette lettre réaffirmait la détermination du gouvernement chypriote à faire traduire les suspects en justice. Elle indiquait que les autorités chypriotes avaient recueilli des preuves suffisantes, délivré des mandats d’arrêt pour cinq suspects et demandé à l’UNFICYP de faciliter la remise des suspects ainsi que des éléments de preuve aux autorités compétentes de la République de Chypre. Elle expliquait que la police chypriote avait délivré des mandats d’arrêt internationaux pour quatre des suspects et que ces mandats avaient été transmis au secrétariat général d’Interpol ainsi qu’à tous les États membres de cette organisation. Elle ajoutait que la police chypriote était en train de préparer un mandat d’arrêt international pour le cinquième suspect. d) La note interne datée du 25 janvier 2005 130. Selon cette note, le procureur général de la « RTCN » n’avait pas l’intention de livrer à la police de la République de Chypre les trois suspects qui étaient détenus en « RTCN » pour les meurtres et il s’appuyait sur la Constitution de 1960 pour justifier sa position. Cette note ajoutait que le procureur général de la « RTCN » en avait fait part à l’UNFICYP. Un mémo joint émanant de l’UNFICYP contenait les déclarations suivantes : « J’ai vu le [procureur général] M. A.S. à propos des enquêtes [qui ont été menées à cet égard] et des poursuites contre les coupables relativement au meurtre d’Elmas Güzelyurtlu. Il affirme qu’il n’existe aucune base juridique et/ou constitutionnelle justifiant de livrer les accusés aux autorités de la République, pour les raisons suivantes : La Constitution de Chypre Articles : 133, 153, 158, 159 §§ 2, 3 et 4 Loi sur l’administration de la justice 14/60 Article 4 Article 5 Article 20 Article 23 Il a adressé des observations aux Nations unies pour que le suspect turc détenu par la police grecque fût remis aux Turcs afin d’être poursuivi avec les autres ». e) La note de la police datée du 25 janvier 2005 131. Selon cette note, la SPA rencontra la police au commissariat central de police de Nicosie après avoir le même jour eu une entrevue avec le chef de la police de la « RTCN ». Elle dit que ce dernier avait suggéré qu’une réunion secrète fût organisée avec la police chypriote sur un territoire neutre qui serait choisi par l’UNFICYP afin d’éviter toute manipulation politique. Elle ajouta que le procureur général de la « RTCN » avait donné son accord pour cette réunion. Elle indiqua que selon le chef de la police de la « RTCN », il était possible qu’il y eût davantage de suspects, et le premier requérant avait communiqué à la police chypriote des informations inexactes, et notamment une photographie qui était censée être celle du cinquième suspect allégué mais qui ne l’était pas. Le chef de la police de la « RTCN » avait suggéré qu’il fallait tout d’abord qu’un nombre égal de policiers du même grade provenant des deux parties de l’île prissent part à l’enquête et que l’on fît une présentation de toutes les pièces à conviction recueillies qui étaient susceptibles d’aider à résoudre cette affaire, comme les photographies et les empreintes digitales des suspects, ainsi que les échantillons de matériel génétique. Il avait ajouté que pour permettre le maintien en détention des suspects, les autorités de la « RTCN » souhaitaient avoir les résultats des tests ADN qui reliaient les suspects à l’affaire. Le chef de la police de la « RTCN » avait suggéré que par la suite la police de la « RTCN » devait recevoir des informations concernant les preuves balistiques, afin que les autorités de la « RTCN » pussent les comparer avec les informations stockées dans leur base de données. La SPA observa que dans aucune réunion il ne serait débattu de la question de savoir quelle partie livrerait les suspects à la justice, et qu’on se limiterait à ce stade à l’enquête sur l’affaire, sans donner lieu à la moindre considération d’ordre politique, ajoutant que cet aspect pourrait être abordé ultérieurement à un niveau politique. La police chypriote fit part de ses hésitations quant à l’utilité et aux répercussions d’une telle réunion. La police chypriote fit également savoir à la SPA qu’elle l’informerait de la décision du chef de la police à ce sujet. f) La lettre datée du 18 mai 2006 adressée par le chef de la police chypriote au ministère des Affaires étrangères 132. Selon cette lettre, pendant les réunions qui eurent lieu avec l’UNFICYP et le conseiller police senior adjoint de l’UNFICYP (« le DSPA »), la SPA suggéra que les réunions entre la police chypriote, la police des bases souveraines britanniques et la police de la « RTCN » se tinssent au niveau des services techniques (τεχνικό υπηρεσιακό επίπεδο) dans le village mixte de Pyla, situé dans la zone tampon administrée par les Nations unies. Le chef de la police chypriote rejeta cette proposition, qui constituait selon lui un pas vers la reconnaissance d’un « pseudo-État » qui servait de refuge à des fugitifs. À ses yeux, il était vrai que les arguments avancés par l’UNFICYP concernant les réunions des comités techniques étaient valables car il existait un risque que le village de Pyla ne se transformât en refuge pour criminels. Il estimait toutefois que cette question pouvait être réglée par une coopération plus efficace entre l’UNFICYP et les autorités chypriotes. Le chef de la police chypriote cherchait à obtenir une position politique de la part du gouvernement chypriote concernant cette suggestion. g) La note datée du 18 mai 2006 adressée par la police chypriote au chef de la police 133. Selon cette note, lors d’une réunion qui eut lieu le 17 mai 2006 entre la SPA, le DSPA, des membres de la police chypriote et l’équipe d’enquête, le DSPA fit part de ses préoccupations à propos d’une intensification de la collaboration entre criminels chypriotes grecs et criminels chypriotes turcs ainsi que de leurs déplacements d’une partie à l’autre de l’île. Le DSPA dit avoir reçu des informations générales sur les preuves qui avaient été collectées. Il demanda également : – si la police chypriote avait l’intention de remettre les éléments de preuve à l’UNFICYP afin que celle-ci les transmît aux autorités de la « RTCN » en vue de permettre que les suspects fussent poursuivis ; – si la police chypriote pouvait prendre les dispositions nécessaires afin que les suspects fussent conduits dans les locaux de l’UNFICYP au Ledra Palace Hotel, dans la zone tampon, et interrogés selon la « méthode de l’interrogatoire filmé », et, le cas échéant, si ce type de preuve serait recevable devant un tribunal chypriote ; – si, dans le cas où l’un des suspects viendrait à faire une déclaration contre les autres suspects, les autorités chypriotes l’arrêteraient et introduiraient une procédure pénale contre lui. 134. La police chypriote l’informa que le procureur général avait pris des décisions relatives à des poursuites. Elle lui fit également savoir qu’elle coopérerait avec l’UNFICYP mais pas avec les autorités ou la police de la « RTCN ». Elle précisa que, malgré la diffusion des notices rouges, la Turquie avait refusé de coopérer et n’avait pas livré le cinquième suspect, qui était parti en Turquie. Selon la police chypriote, la Turquie l’avait arrêté mais l’avait ensuite remis en liberté. 135. Le DSPA déclara que la « RTCN », en vertu de sa propre législation, ne pouvait pas livrer des Chypriotes turcs. L’inspecteur de police principal souligna que la « RTCN » n’était pas un État. 136. Le DSPA suggéra également que les suspects pouvaient être livrés à un pays tiers comme la Grèce et que les démarches visant à les faire traduire en justice pouvaient être engagées depuis ce pays. Le commissaire principal de police indiqua que ce n’était pas envisageable et que la Turquie était dans l’obligation de se conformer au droit international. 137. Enfin, le DSPA suggéra que la question pouvait être débattue au sein du comité technique compétent (paragraphes 154, 155 et 156 cidessous) afin d’éviter qu’elle ne prît une dimension politique, dans l’optique de trouver des solutions pour une coopération et de faire traduire les auteurs du crime en justice. On lui indiqua qu’il s’agissait là d’un sujet sensible et que les aspects politiques ne pouvaient pas être ignorés ; on lui précisa que si les autorités du « pseudo-État » étaient désireuses de boucler l’enquête et de traduire les auteurs en justice, elles devaient cesser d’abriter des criminels. h) La note interne relative à une réunion du 20 juin 2006 entre l’UNFICYP et la police chypriote 138. Selon cette note, lors de cette réunion, le DSPA fit observer qu’il s’efforçait de convaincre les autorités de la « RTCN » de livrer les suspects. La police chypriote lui fit savoir qu’elle ne communiquerait aucune preuve aux autorités du « pseudo-État » et qu’elle ne coopérerait pas avec elles, mais qu’elle était disposée à coopérer avec l’UNFICYP sans que cela n’impliquât pour autant la moindre reconnaissance d’une entité illégale. Les informations communiquées par le gouvernement turc a) Les informations tirées du procès-verbal d’une réunion du 24 janvier 2005 139. Le 24 janvier 2005, une réunion se tint entre le secrétaire privé du Premier ministre de la « RTCN », la SPA, le chef de l’unité des affaires civiles de l’UNFICYP et l’émissaire du président de la République de Chypre concernant les suspects se trouvant en détention. Selon le procès-verbal de cette réunion, les autorités de la « RTCN » avaient besoin des résultats des tests ADN qui avaient été effectués par les autorités chypriotes grecques, lesquelles étaient réticentes à les leur transmettre au prétexte que cela constituerait une reconnaissance [de facto] de la « RTCN ». Les autorités de la « RTCN » suggérèrent que ces résultats pouvaient leur être transmis par l’intermédiaire de l’UNFICYP. Un document officieux daté du 24 janvier 2005 fut remis à l’émissaire. Ce document était ainsi libellé : « Selon la Constitution de Chypre (article 159), toute affaire concernant exclusivement des Chypriotes turcs doit être portée devant des tribunaux chypriotes turcs. Dans le cas du meurtre d’Elmas Güzelyurtlu et de sa famille, tous les suspects étant des Chypriotes turcs, l’affaire doit être examinée par des juges chypriotes turcs au sein de tribunaux chypriotes turcs. Dans la mesure où les actes ont eu lieu dans la partie chypriote grecque et où tous les éléments de preuve ont été recueillis avec efficacité par la police chypriote grecque, une coopération est nécessaire pour que justice soit faite. Compte tenu de l’urgence de la situation, nous devons agir ensemble immédiatement. Pour commencer, le rapport de l’analyse ADN est nécessaire afin que les tribunaux puissent délivrer une ordonnance qui permettra de maintenir les suspects en détention pendant la procédure. C’est une question d’ordre humanitaire qui n’a rien à voir avec la politique. Les considérations politiques ne doivent pas faire obstacle au travail de la justice. » b) Les informations tirées du procès-verbal d’une réunion du 25 janvier 2005 140. Le 25 janvier 2005, le chef de la police de la « RTCN » eut une entrevue avec la SPA, qui lui communiqua des détails sur les circonstances des meurtres. Selon le procès-verbal de cette réunion, Elmas Güzelyurtlu était connu dans toute l’île de Chypre et était soupçonné de nombreux délits, dans certains desquels les suspects étaient également impliqués. Ce procès-verbal indiquait que les informations détenues par la police chypriote grecque étaient suffisantes pour permettre la délivrance de mandats d’arrêt concernant les suspects. Il était ajouté que bien que la police de la « RTCN » ait déjà délivré pareils mandats, elle ne disposait pas d’éléments qui lui auraient permis d’engager des poursuites contre les suspects et elle avait besoin de davantage d’informations. La SPA demanda qu’on lui fît des suggestions. c) Les informations tirées du procès-verbal d’une réunion du 26 janvier 2005 141. Le 26 janvier 2005, une réunion se tint entre des responsables de l’UNFICYP et des fonctionnaires de la « RTCN », dont le vice-Premier ministre de la « RTCN ». Selon le procès-verbal, on posa pendant cette réunion la question de savoir si les autorités chypriotes grecques étaient disposées à transmettre les éléments de preuve. Le vice-Premier ministre de la « RTCN » précisa que si cette transmission avait lieu, la détention des suspects serait prolongée et qu’ensuite, si les tribunaux de la « RTCN » estimaient que ces éléments étaient dignes de foi, les suspects seraient livrés à [la République de Chypre] par l’intermédiaire de l’UNFICYP. d) Les informations tirées du procès-verbal d’une réunion du 31 janvier 2005 142. Le 31 janvier 2005, une autre réunion se tint entre des responsables de l’UNFICYP et des fonctionnaires de la « RTCN ». Selon le procès-verbal, les responsables de l’UNFICYP présentèrent les notices rouges délivrées par Interpol pour trois des suspects détenus en « RTCN ». Ils précisèrent que les autorités chypriotes grecques étaient réticentes à communiquer les résultats des tests ADN pratiqués sur les suspects et qu’elles ne voulaient pas collaborer avec la « RTCN ». e) Les informations tirées du procès-verbal d’une réunion du 7 février 2005 143. Lors d’une réunion qui se tint le 7 février 2005, des responsables de l’UNFICYP ainsi que le Premier ministre de la « RTCN » discutèrent de la réticence des autorités chypriotes grecques à coopérer. f) Les informations tirées du procès-verbal d’une réunion du 18 février 2005 144. Le 18 février 2005, une réunion se tint entre le chef de l’unité des affaires civiles de l’UNFICYP et le sous-secrétaire du ministère des Affaires étrangères de la « RTCN ». Le premier déclara que les autorités chypriotes grecques étaient en train de changer d’attitude concernant une coopération avec la « RTCN » et qu’elles prévoyaient d’envoyer les éléments de preuve par l’intermédiaire de l’UNFICYP. Il demanda également au sous-secrétaire si les suspects pouvaient être arrêtés de nouveau et remis aux autorités chypriotes grecques par l’intermédiaire de l’UNFICYP. Le sous-secrétaire répondit qu’en vertu des accords de 1960, si les suspects étaient turcs, ils devaient alors être jugés dans un tribunal turc. g) Les informations tirées du procès-verbal d’un entretien téléphonique du 30 mars 2005 145. Le 30 mars 2005, le chef de l’unité des affaires civiles de l’UNFICYP eut un entretien téléphonique avec le chef des affaires consulaires de la « RTCN ». Le premier informa le second que les tribunaux situés sur le territoire des bases souveraines britanniques n’étaient pas compétents pour juger les suspects ; il ajouta que les tribunaux de la République de Chypre pourraient toutefois siéger sur le territoire des bases, où pourraient avoir lieu les audiences. Le chef des affaires consulaires déclara que les autorités de la « RTCN » n’envisageaient pas de prendre la moindre mesure avant que les éléments de preuve et les dossiers ne leur fussent transmis parce qu’il était à leurs yeux inacceptable que les autorités chypriotes grecques travaillent seules dans cette affaire. h) Les informations tirées du procès-verbal d’une réunion du 5 avril 2005 146. Le 5 avril 2005, des responsables de l’UNFICYP rencontrèrent dans le cadre d’une réunion générale le chef des affaires consulaires de la « RTCN », qui indiqua que les résultats des tests ADN qui avaient été remis aux autorités de la « RTCN » n’étaient pas suffisants pour leur permettre de faire avancer le dossier de l’affaire. Il ajouta que les autorités de la « RTCN » avaient besoin de davantage de preuves concrètes, comme des dossiers d’enquête de police et des enregistrements faits par des caméras de vidéosurveillance. Le chef de l’unité des affaires civiles de l’UNFICYP promit d’en parler avec les autorités chypriotes grecques. La correspondance pertinente entre les requérants et l’UNFICYP 147. En 2005 et 2006, les représentants des requérants et des responsables de l’UNFICYP échangèrent de la correspondance à propos de l’enquête relative aux meurtres. Le texte des communications les plus pertinentes qui eurent lieu entre l’UNFICYP et les représentants des requérants est reproduit plus bas. 148. Dans une communication à l’UNFICYP datée du 19 décembre 2005, le barrister des requérants demanda entre autres la divulgation de toutes les informations possibles ayant trait aux efforts déployés par l’UNFICYP dans cette affaire, en particulier concernant la méfiance et l’absence de coopération entre les deux parties. Il voulait vérifier que toutes les voies de recours locales avaient bien été épuisées et souhaitait que l’UNFICYP l’aidât à se forger une idée générale de l’attitude des deux parties. Il ajouta qu’en cas d’échec de tous les moyens légaux qui auraient permis de poursuivre les suspects de ce crime haineux, il avait pour instruction d’introduire auprès de la Cour une requête contre la Turquie et Chypre. 149. Dans une lettre adressée aux représentants des requérants datée du 23 février 2006, la SPA déclarait entre autres : « 1. La conseillère police senior (SPA) de la police des Nations unies à Chypre a commencé à travailler sur l’affaire le 16 janvier 2005 à la demande de l’assistant du chef de la police de la République de Chypre, (...) qui informa à l’époque la conseillère police senior de l’affaire. Il fut demandé à la SPA de faciliter les échanges d’informations entre les deux parties de l’île. À aucun moment il ne fut demandé à la SPA de contribuer de manière opérationnelle à l’enquête sur les meurtres ni d’appréhender les suspects. Si [on le lui avait] demandé, cette demande n’aurait pas été acceptée car son objet sort du mandat de l’UNFICYP. (...) (illisible) Une copie du rapport d’enquête préliminaire élaboré par les autorités au sud a été remise aux autorités chypriotes turques, avec le concours de la SPA. L’UNFICYP s’est cantonnée à un rôle de médiation et n’a donc ni vérifié le contenu du rapport ni conservé une copie de ce document. Il est impossible d’établir précisément à quel moment la question du lieu du procès s’est posée car cette question ne relève pas de la compétence de la SPA et celle-ci n’avait pas d’informations à ce sujet. L’UNFICYP s’efforce de faciliter les échanges d’informations sur les enquêtes pénales lorsque l’une ou l’autre partie le lui demande. (...) (illisible) Comme vous le savez peut-être, l’UNFICYP ne fait pas partie du système judiciaire interne de la République de Chypre et ne dispose pas du pouvoir exécutif. L’UNFICYP ne constitue nullement un élément des « voies de recours internes » offertes aux victimes d’un crime dans la [République de Chypre] ». 150. Un courrier électronique envoyé par le DSPA à la représentante des requérants, Mme Meleagrou, le 25 octobre 2006, comportait notamment les déclarations suivantes : « Je prends note de votre demande et je vous assure que les Nations unies font tout leur possible pour apporter leur coopération sur toute question de nature pénale, en particulier (...) dans cette affaire des plus graves. Si l’UNFICYP ne ménage pas sa peine pour parvenir à une conclusion dans cette affaire, il est regrettable que l’on se trouve actuellement dans l’impasse parce que les deux parties ne parviennent pas à s’entendre sur la marche à suivre. Je prends note de vos remarques sur les aspects suivants : La [République de Chypre] va remettre aux Nations unies à Chypre tous les éléments de preuve relatifs aux suspects de manière à ce que l’équipe juridique des Nations unies puisse évaluer les preuves et déterminer s’il existe ou non des présomptions sérieuses contre ces derniers. La [République de Chypre] ne le fera que si les autorités de la « RTCN » prennent l’engagement de livrer les suspects à la [République de Chypre] afin qu’ils soient jugés dans l’hypothèse où les Nations unies seraient convaincues (éventuellement après une discussion avec la « RTCN » – la parenthèse en italiques ne fait pas à strictement parler partie de la proposition à ce stade mais nous pourrions être amenés à avancer ce point pour faciliter les choses) qu’il existe des présomptions sérieuses contre les suspects : La [République de Chypre] ne remettra aucun élément de preuve aux fins d’une organisation d’un procès au nord, même si un autre pays (le Royaume-Uni) a dans le passé contribué à rendre possible l’organisation dans le nord de l’île d’un procès [portant sur] un crime grave qui avait été commis au Royaume-Uni. Les voies légales suivies au nord n’autorisent pas que des suspects [des Chypriotes turcs] soient livrés à des autorités au sud ni à tout autre pays, quelles que soient les circonstances. L’UNFICYP se tient donc prête à apporter son concours [de toutes les manières possibles] dans cette affaire, [mais] je n’entrevois pas de résolution tant qu’une partie ou l’autre ne fera pas de concessions sur sa position actuelle. Soit la [République de Chypre] accepte de remettre tous les éléments de preuve au nord et offre sa coopération pleine et entière en matière de police et de preuve afin qu’un procès puisse avoir lieu dans cette « juridiction », soit le nord accepte de remettre les suspects [sur la base de] preuves suffisantes pour permettre la [délivrance] d’un mandat d’arrêt au nord, dans l’optique de la remise des suspects à l’UNFICYP, qui sera chargée de les livrer à la [République de Chypre]. Comme toujours, l’UNFICYP est prête à coopérer par tous les moyens à sa disposition. » 151. Un courrier électronique adressé par l’UNFICYP à la représentante des requérants, Mme Meleagrou, le 16 novembre 2006, contenait les déclarations suivantes : « Comme indiqué dans le précédent courrier électronique que je vous ai adressé, l’UNFICYP se tient prête à faciliter les négociations entre les deux parties de l’île dans cette affaire et poursuit ses efforts dans le but de trouver une solution. Cependant, l’UNFICYP n’est pas en mesure de mandater formellement un expert qualifié qui statuerait officiellement sur les preuves détenues par la République de Chypre. Il a déjà été indiqué que bien que l’UNFICYP estime qu’il existe des preuves à première vue suffisantes pour que les deux parties puissent parvenir à une position appropriée, elle se félicite de la remise par la République de Chypre de toute autre preuve, copie ou tout autre élément susceptible de faire progresser un dialogue constructif entre les deux parties. Je rappelle ci-après les options qui pourraient à mon avis faciliter l’avancée de négociations fructueuses : La [République de Chypre] [devrait], sans préjudice, remettre à l’UNFICYP toutes les preuves nécessaires, en permettant qu’elles soient utilisées de la manière que l’UNFICYP juge appropriée, dans l’optique de la négociation de l’arrestation des auteurs présumés des meurtres et de leur remise à l’UNFICYP, laquelle livrerait ces derniers aux autorités de la partie au sud aux fins d’un procès. Cependant, sans garantie manifeste que le nord arrêtera et livrera les auteurs présumés, les chances de succès sont minces. La seule autre solution consiste à ce que la [République de Chypre] remette toutes les preuves à l’UNFICYP, qui les transmettra aux personnes compétentes au nord dans l’optique d’y faire ouvrir un procès. Cette option a déjà été rejetée par la [République de Chypre]. » Les autres documents pertinents : les rapports du Secrétaire général des Nations unies sur l’opération des Nations unies à Chypre 152. Les parties pertinentes des rapports du Secrétaire général des Nations unies sur l’opération des Nations unies à Chypre sont reproduites ci-après : 153. Rapport du 27 mai 2005 : « 23. Les contacts officiels entre les parties se ressentent d’une méfiance prononcée. Le 15 janvier 2005, trois membres d’une famille chypriote turque qui vivait au sud ont été tués (...). Huit suspects ont été arrêtés au nord, alors que tous les éléments de preuve se trouvent au sud. Les efforts déployés par la Force pour aider les parties à poursuivre les suspects en justice se sont révélés vains et tous les suspects ont été libérés, au nord. Cette affaire illustre le nombre grandissant d’infractions qui exercent leurs effets à travers la ligne de cessez-le-feu, comme la contrebande, le trafic de drogues, l’immigration illégale et la traite des personnes. Ces problèmes ressortent implicitement de l’expansion des contacts intercommunautaires, qui, même s’ils sont constructifs, recèlent en eux des possibilités de conséquences fâcheuses si l’actuel manque de coopération entre les parties devait persister. L’absence persistante de contacts officiels entre les parties a accentué le rôle de la Force dans la promotion des contacts bicommunautaires. Alors que les habitants des deux parties de l’île peuvent se rencontrer librement depuis l’ouverture des points de passage en 2003, l’impartialité du lieu de rencontre qu’est le Ledra Palace et la caution onusienne sont considérées comme indispensables pour l’organisation de réunions humanitaires ou autres un peu délicates, notamment les rencontres des partis politiques du nord et du sud. Il est à espérer que, sous les auspices de la Force, les contacts s’intensifieront entre les parties, sans préjudice de leurs positions politiques respectives, sur les questions humanitaires et les questions voisines, de façon à susciter un climat de confiance et à aplanir les tensions. Durant la période considérée, la Force a rendu possibles 57 événements bicommunautaires, notamment ceux organisés par le Programme des Nations Unies pour le développement ou le Bureau des services d’appui au[x] projet[s] (...) ». 154. Rapport du 2 juin 2008 : « 4. Le 21 mars [2008], (...) les deux dirigeants se réunissaient en présence de mon Représentant spécial à l’époque et décidaient de s’engager sur la voie d’un règlement global (voir annexe II). L’accord prévoyait la mise en place de plusieurs groupes de travail chargés d’examiner les questions centrales relatives à un futur plan de règlement, et de comités techniques ayant pour tâche de rechercher des solutions immédiates aux problèmes quotidiens que pose la division de l’île. Les deux dirigeants sont convenus de se revoir après trois mois pour examiner l’action des groupes de travail et des comités techniques et, à partir des résultats obtenus, d’engager des négociations véritables sous les auspices de l’ONU. Ils ont également décidé de se réunir au besoin avant le lancement de négociations. (...) Le 26 mars [2008], les représentants des dirigeants décidaient de créer six groupes de travail sur la gouvernance et le partage du pouvoir, les questions concernant l’Union européenne, la sécurité et les garanties, le territoire et les questions concernant les biens et l’économie, ainsi que sept comités techniques sur la criminalité et les questions pénales, les questions économiques et commerciales, le patrimoine culturel, la gestion des crises, les questions humanitaires, la santé et l’environnement. (...) Les travaux des groupes et des comités ont commencé le 22 avril [2008]. Ils se poursuivent régulièrement conformément aux décisions des dirigeants, avec l’appui de l’ONU. » 155. Rapport du 15 mai 2009 : « 9. Le 14 avril [2009], les dirigeants ont convenu de mettre en œuvre quatre des 23 mesures de confiance définies par les comités techniques, visant à améliorer la vie quotidienne de tous les habitants de Chypre. Ces mesures concernent la circulation des ambulances aux points de passage en cas d’urgence, la création d’un centre de communication et de liaison, fonctionnant en permanence, pour échanger des informations sur la criminalité et les questions pénales, une initiative de sensibilisation aux mesures d’économie de l’eau, financée par le Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD), et la création d’un comité consultatif pour le patrimoine culturel commun. (...) » 156. Rapport du 9 janvier 2015 : « 10. (...), la police de la Force a facilité les réunions du Comité technique de la criminalité et des questions pénales, et la salle de communication mixte a continué de s’employer activement à renforcer la coopération en faisant le lien entre les forces de police des deux parties. La nomination, pour la première fois, d’agents de police en activité comme représentants chypriotes grecs auprès du Comité technique constitue un grand pas en avant pour la coopération. En plus de favoriser l’échange de renseignements sur des affaires criminelles concernant les deux communautés, la salle de communication mixte a principalement fait porter ses activités sur les enquêtes se rapportant à des infractions commises dans toute la zone tampon, la remise de personnes présentant un intérêt par l’intermédiaire de la police de la Force, et les affaires humanitaires. » II. LE DROIT INTERNE PERTINENT 157. Les dispositions ci-après du droit interne de la République de Turquie (dont celui de la « RTCN ») sont pertinentes aux fins de la présente requête. A. Extradition 158. L’article 9 § 1 de l’ancien code pénal turc (loi no 765) contenait la disposition suivante : « Une demande visant à faire extrader un ressortissant turc vers un État étranger à raison d’une infraction pénale se saurait être acceptée. » 159. Le 1er juin 2005, un nouveau code pénal (loi no 5237) est entré en vigueur. Son article 18 § 2 était ainsi libellé : « Un citoyen ne sera pas extradé à raison d’une infraction pénale sauf si son extradition est dictée par les obligations qui découlent de l’adhésion de [la Turquie] à la Cour pénale internationale. » 160. La loi sur la coopération judiciaire internationale en matière pénale (loi no 6706), qui est entrée en vigueur le 5 mai 2016, a remplacé l’article 18 de la loi no 5237. Son article 11 § 1 a), relatif à l’extradition des ressortissants turcs, est libellé comme suit : « 1. Dans les circonstances énumérées ci-après, une demande d’extradition sera rejetée : a) Si la personne dont l’extradition est demandée est un ressortissant turc, sauf si son extradition est dictée par les obligations qui découlent de l’adhésion de [la Turquie] à la Cour pénale internationale ; (...) » 161. L’article 5 de la loi de la « RTCN » relative à l’extradition des criminels, à l’exécution réciproque des décisions judiciaires et à la coopération judiciaire (loi no 43/1988), dispose, dans ses parties pertinentes, que l’extradition est refusée quand, entre autres, la personne dont l’extradition est demandée est ressortissante du pays auquel la demande est adressée (article 5 § 1C) [ou] si le crime qui motive la demande d’extradition a été commis, intégralement ou en partie, dans l’État requis ou dans un lieu/une localité relevant de sa juridiction (article 5 § 1F). L’article 19 de la loi susmentionnée pose le principe de la réciprocité et dispose que cette loi s’applique à l’égard des pays qui ont conclu des accords avec la « RTCN » dans des domaines relevant du champ d’application de cette loi, sur la base de la réciprocité. B. La compétence pénale des tribunaux de la « RTCN » 162. L’article 31 § 1 de la loi de la « RTCN » sur les tribunaux (loi no 9/1976) dispose que, sans préjudice des dispositions de la Constitution, la cour d’assises concernée est compétente pour connaître, entre autres, des infractions réprimées par le droit pénal ou par tout autre droit et qui ont été commises a) sur le territoire de la « RTCN » (article 31 § 1 a) ; ou b) en dehors de la « RTCN » mais sur l’île de Chypre (article 31 § 1 b). 163. En application de l’article 31 § 2 b), les infractions commises hors de l’île de Chypre sont traitées comme si elles avaient été commises dans la juridiction du tribunal de district de Nicosie en « RTCN » (Kıbrıs adası dışında işlenen suçlar Lefkoşa Kaza Mahkemesi yetki alanı içinde işlenmiş sayılır). III. LES TEXTES PERTINENTS DU CONSEIL DE L’EUROPE A. Extradition 164. La Convention européenne d’extradition du 13 décembre 1957 a été ratifiée par la Turquie le 7 janvier 1960 et est entrée en vigueur à l’égard de la Turquie le 18 avril 1960. Les quatre Protocoles additionnels de la Convention ont été ratifiés le 11 juillet 2016 (le Protocole additionnel, le troisième et le quatrième Protocoles) et le 10 juillet 1992 (le deuxième Protocole) et ils sont entrés en vigueur à l’égard de la Turquie le 9 octobre 2016 (le Protocole additionnel), le 8 octobre 1992 (le deuxième Protocole) et le 1er novembre 2016 (le troisième et le quatrième Protocoles). Le gouvernement turc a fait entre autres une déclaration au sujet de la République de Chypre relativement au Protocole additionnel ainsi qu’aux troisième et quatrième Protocoles. Il y a déclaré que la ratification par la Turquie des protocoles susmentionnés n’impliquait « aucune forme de reconnaissance de la prétention de l’administration chypriote grecque de représenter la défunte « République de Chypre » en tant que Partie à » ces instruments, ni « aucune obligation quelconque de la part de la Turquie d’entretenir avec la prétendue République de Chypre des relations dans le cadre » de ces instruments. 165. Cette convention a été ratifiée par Chypre et elle est entrée en vigueur à l’égard de Chypre le 22 avril 1971. Les trois protocoles additionnels à la Convention ont également été ratifiés, respectivement le 22 mai 1979, le 13 avril 1984 et le 7 février 2014, et ils sont entrés en vigueur à l’égard de Chypre respectivement le 20 août 1979, le 12 juillet 1984 et le 1er juin 2014. 166. Les dispositions pertinentes de cette Convention sont ainsi libellées : Article 6 – Extradition des nationaux « 1. a Toute Partie contractante aura la faculté de refuser l’extradition de ses ressortissants. (...) (2) Si la Partie requise n’extrade pas son ressortissant, elle devra, sur la demande de la Partie requérante, soumettre l’affaire aux autorités compétentes afin que des poursuites judiciaires puissent être exercées s’il y a lieu. À cet effet, les dossiers, informations et objets relatifs à l’infraction seront adressés gratuitement par la voie prévue au paragraphe 1 de l’article 12. La Partie requérante sera informée de la suite qui aura été donnée à sa demande. » Article 18 – Remise de l’extradé « 1. La Partie requise fera connaître à la Partie requérante par la voie prévue au paragraphe 1 de l’article 12, sa décision sur l’extradition. Tout rejet complet ou partiel sera motivé. (...) ». Article 27 – Champ d’application territoriale « 1. La présente Convention s’appliquera aux territoires métropolitains des Parties contractantes. » B. Coopération en matière pénale La Convention européenne d’entraide judiciaire en matière pénale 167. La Convention européenne d’entraide judiciaire en matière pénale du 20 avril 1959 a été ratifiée par Chypre le 24 février 2000 et est entrée en vigueur le 24 mai 2000. Chypre a ratifié les deux Protocoles additionnels respectivement le 24 février 2000 et le 12 février 2015 ; ces protocoles sont entrés en vigueur à l’égard de Chypre le 24 mai 2000 et le 1er juin 2015. 168. La Turquie a ratifié la Convention européenne d’entraide judiciaire en matière pénale le 24 juin 1969. Ce texte est entré en vigueur à l’égard de la Turquie le 22 septembre 1969. La Turquie a ratifié les deux Protocoles additionnels respectivement le 29 mars 1990 et le 11 juillet 2016 ; ces protocoles sont entrés en vigueur à l’égard de la Turquie le 27 juin 1990 et le 1er novembre 2016. Le gouvernement turc a fait au sujet de la République de Chypre relativement au deuxième Protocole additionnel la même déclaration que celle qu’il avait faite dans le cadre de la Convention européenne d’extradition (paragraphe 164 ci-dessus). 169. L’article premier impose aux parties contractantes l’obligation de : « (...) s’accorder mutuellement, selon les dispositions de la présente convention, l’aide judiciaire la plus large possible dans toute procédure visant des infractions dont la répression est, au moment où l’entraide est demandée, de la compétence des autorités judiciaires de la partie requérante ». 170. L’article 2 prévoit que l’assistance peut être refusée dans les circonstances suivantes : « a si la demande se rapporte à des infractions considérées par la partie requise soit comme des infractions politiques, soit comme des infractions connexes à des infractions politiques, soit comme des infractions fiscales ; [ou] b si la partie requise estime que l’exécution de la demande est de nature à porter atteinte à la souveraineté, à la sécurité, à l’ordre public ou à d’autres intérêts essentiels de son pays. 171. L’article 3 dispose que : « 1. La partie requise fera exécuter, dans les formes prévues par sa législation, les commissions rogatoires relatives à une affaire pénale qui lui seront adressées par les autorités judiciaires de la partie requérante et qui ont pour objet d’accomplir des actes d’instruction ou de communiquer des pièces à conviction, des dossiers ou des documents. Si la partie requérante désire que les témoins ou les experts déposent sous serment, elle en fera expressément la demande et la partie requise y donnera suite si la loi de son pays ne s’y oppose pas. » La Convention européenne sur la transmission des procédures répressives 172. La Convention européenne sur la transmission des procédures répressives du 15 mai 1972 a été ratifiée par Chypre le 19 décembre 2001 et est entrée en vigueur à l’égard de Chypre le 20 mars 2002. La Turquie a ratifié cette Convention le 22 octobre 1978 et celle-ci est entrée en vigueur à l’égard de la Turquie le 28 janvier 1979. Le gouvernement turc a fait une déclaration précisant qu’il ne se considérait pas comme engagé à exécuter les dispositions de ladite Convention « envers l’Administration Chypriote Grecque, qui n’[était] pas habilitée constitutionnellement à représenter à elle seule la République de Chypre ». 173. Les dispositions pertinentes de cette Convention sont ainsi libellées : Article 3 « Tout État contractant compétent en vertu de sa propre loi pour poursuivre une infraction peut, en vue de l’application de la présente Convention, renoncer à engager la poursuite ou l’abandonner en ce qui concerne un prévenu qui est ou sera poursuivi pour le même fait par un autre État contractant. Compte tenu des dispositions du paragraphe 2 de l’article 21, la décision de renonciation ou d’abandon de la poursuite est provisoire aussi longtemps qu’une décision définitive n’est pas intervenue dans l’autre État contractant. Article 6 « 1. Lorsqu’une personne est prévenue d’avoir commis une infraction à la loi d’un État contractant, celui-ci peut demander à un autre État contractant d’exercer la poursuite dans les cas et les conditions prévus par la présente Convention. Si selon les dispositions de la présente Convention un État contractant peut demander à un autre État contractant d’exercer la poursuite, les autorités compétentes du premier État doivent prendre cette possibilité en considération. » PROCÉDURE DEVANT LA COUR 174. Dans une lettre envoyée le 16 août 2007, les représentants des requérants adressèrent à la Cour des renseignements concernant les requérants ainsi qu’un résumé de l’affaire et un exposé des griefs que ceuxci formulaient contre Chypre et la Turquie sur le terrain de la Convention. Ils demandèrent que cette lettre fût considérée comme constituant une introduction formelle des griefs des requérants devant la Cour et que le greffe leur communiquât un formulaire de requête. 175. La Cour leur répondit par une lettre du 24 août 2007 à laquelle était joint un kit d’explication. Cette lettre précisait : « Vous devez envoyer le formulaire de requête dûment rempli ainsi que tous les documents complémentaires nécessaires à la Cour dès que possible et au plus tard dans les six mois à compter de la date de la présente lettre. Ce délai ne pourra pas être prolongé. Si le formulaire de requête et tous les documents pertinents ne sont pas envoyés dans le délai susmentionné, le dossier ouvert sera détruit sans nouvel avertissement. » 176. La Cour reçut le formulaire de requête dûment rempli le 13 décembre 2007 et elle enregistra la requête.
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Le requérant est né en 1985 et réside à Elista. En 2007, il fut condamné à une peine d’emprisonnement et fut transféré dans la colonie pénitentiaire no IK-3 (« la colonie pénitentiaire ») située dans le village de Vakhtovo de la république de Kalmoukie. A. L’usage de la force à l’encontre du requérant et les lésions subies par ce dernier Le 1er janvier 2009, des gardiens de la colonie pénitentiaire assenèrent au requérant et à six autres détenus plusieurs coups de matraque au motif que les intéressés avaient refusé de se soumettre à une fouille corporelle. Selon le requérant, les gardiens l’ont passé à tabac au moins à trois reprises, une première fois dans un dortoir, ensuite deux fois dans la section administrative de la colonie pénitentiaire où il aurait été conduit avec six autres détenus. Le 4 janvier 2009, le médecin légiste B., du bureau de médecine légale de la république de Kalmoukie, examina le requérant dans le cadre d’une expertise médicolégale ordonnée par les autorités chargées de l’instruction (paragraphe 13 ci-dessous). Le 12 janvier 2009, il rendit son rapport, qui se lit comme suit en ses parties pertinentes en l’espèce : « (...) Circonstances de l’espèce [Il ressort] des explications [du patient] que, le 1er janvier 2009, [celui-ci] a été battu par [des gardiens]. (...) [Lors de l’examen du patient par l’expert] Plaintes : vertiges, nausées, vomissements. Pas de perte de conscience. (...) Sur la surface postérieure du thorax, il y a de nombreux hématomes de forme longitudinale [et] de couleur bleu pourpre [dont les dimensions varient] de 2 x 7 cm à 2 x 12 cm. Sur la partie interne de l’avant-bras gauche, il y a un hématome similaire de 3 x 7 cm. Sur la partie externe du tiers supérieur de l’avant-bras gauche, il y a un hématome similaire de 2 x 3,5 cm. Sur la partie externe du tiers inférieur de l’avantbras gauche, il y a un hématome similaire de 2 x 6 cm. Sur les fesses, il y a de nombreux hématomes similaires [dont les dimensions varient] de 1 x 1 cm à 6 x 7 cm à gauche et de 1 x 2 cm à 2 x 8 cm à droite. Dans la région coccygienne, il y a un hématome [similaire] de 2 x 3 cm. Sur la partie postérieure de la hanche gauche, il y a un hématome horizontal de couleur bleu pourpre de 2 x 5 cm. Sur la partie postérieure de la hanche droite, il y a un hématome similaire de 3,5 x 6 cm. [À l’endroit] de chaque rotule, il y a un hématome de couleur bleu pourpre de 4 x 5 cm à droite et de 3 x 4 cm à gauche. Sur la partie frontale de la jambe droite, il y a une éraflure de 1 x 1,5 cm recouverte d’une croûte de couleur brun foncé en relief par rapport à la peau. Une consultation chez un radiologue est recommandée. [Diagnostic] du radiologue du 6 janvier 2009 : sur le cliché radio no 10 du 6 janvier 2009, la structure osseuse n’est pas altérée. Le placement et la direction des côtes sont normaux. Conclusions : L’examen [du patient] a permis de constater les lésions suivantes : – des hématomes sur la surface postérieure du thorax (plusieurs), sur la partie interne de l’avant-bras gauche (1), sur la partie externe gauche (1), sur la partie externe de l’avant-bras gauche (1), sur les fesses (plusieurs), dans la région coccygienne (1), sur la partie postérieure de la hanche gauche (1), sur la partie postérieure de la hanche droite (1), [à l’endroit] des rotules (1 sur chaque), – et une éraflure sur la partie frontale de la jambe droite, qui ont été provoquées par un/des objet[s] contondant[s] ; [lesdites lésions], dont la survenance pendant la période et dans la circonstance indiquées par [le patient] n’est pas exclue, ne peuvent pas être considérées comme ayant causé un dommage à la santé (...) » B. L’enquête préliminaire sur l’usage de la force Le 2 janvier 2009, la mère du requérant adressa une plainte au procureur, dans laquelle elle dénonçait le caractère selon elle excessif et infondé de l’usage de la force à l’encontre de son fils le 1er janvier 2009. Des plaintes similaires furent soumises en même temps par des proches de deux autres détenus ayant été l’objet de l’usage de la force dénoncé. Les autorités chargées de l’instruction décidèrent alors d’examiner les allégations contenues dans lesdites plaintes en recourant à la procédure d’enquête préliminaire telle que prévue à l’article 144 du code de procédure pénale (CPP). Ainsi, le 4 janvier 2009, l’enquêteur G. du comité d’instruction près le service du procureur de la république de Kalmoukie ordonna un examen médicolégal du requérant (pour les conclusions de l’expert, voir le paragraphe 10 ci-dessus). Le 12 janvier 2009, l’enquêteur G. rendit une décision de refus d’ouverture d’une enquête pénale sur les faits du 1er janvier 2009. Il se basa en substance sur la version des faits que lui avaient présentée les gardiens pénitentiaires B., D. et G. dans leurs déclarations. Ces derniers avaient confirmé qu’ils avaient utilisé des matraques à l’encontre du requérant et de six autres détenus au motif que les intéressés avaient refusé de se soumettre à une fouille corporelle. D’après les gardiens en question, le requérant et les autres détenus impliqués étaient en état d’ébriété et la fouille était nécessaire pour trouver des objets interdits. Le 14 janvier 2009, la décision de l’enquêteur G. fut annulée par son supérieur hiérarchique, qui ordonna un complément d’enquête. Ultérieurement, les autorités chargées de l’instruction rendirent sept décisions de refus d’ouverture d’une enquête pénale, datées des 24 janvier, 5 février, 21 février, 12 mars, 18 avril, 9 mai et 5 juin 2009. Toutes ces décisions se basaient, en substance, sur les mêmes motifs que ceux exposés dans la décision du 12 janvier 2009. C. Le recours civil engagé par le requérant en dédommagement du préjudice moral allégué À une date non spécifiée dans le dossier, le requérant saisit la justice d’un recours civil contre le département du service fédéral de l’exécution des peines de la république de Kalmoukie et le ministère des Finances de la Russie. Il réclama 1 000 000 de roubles (RUB) à titre de dédommagement pour le préjudice moral qu’il estimait avoir subi en raison du recours à la force à son encontre par les gardiens de la colonie pénitentiaire le 1er janvier 2009. Par un jugement du 1er octobre 2009, le tribunal de la ville d’Elista accueillit partiellement l’action du requérant. Il nota d’abord qu’il n’était pas controversé entre les parties à la procédure que, le 1er janvier 2009, les gardiens B., D. et G. avaient recouru à la force à l’encontre du requérant en utilisant des matraques en caoutchouc et que cela avait causé à l’intéressé les lésions constatées par l’expertise médicolégale (paragraphe 10 cidessus). Il indiqua également que, selon les articles 28 et 30 de la loi sur les établissements pénitentiaires (loi no 5473-I du 21 juillet 1993), toute utilisation d’une matraque en caoutchouc par des agents des services pénitentiaires devait être suivie du dépôt d’un rapport à cet égard, complété par une attestation médicale sur l’état de santé de la personne concernée, et qu’elle devait être signalée aux supérieurs directs des agents en question. Il constata que, toutefois, aucun des documents susmentionnés n’avait été établi par les agents pénitentiaires ayant fait usage en l’espèce de telles matraques. Il considéra par ailleurs que les parties défenderesses n’avaient pas réfuté les allégations du requérant selon lesquelles le passage à tabac avait eu lieu entre 11 heures et 18 heures le 1er janvier 2009. Le tribunal de la ville d’Elista rejeta ensuite les arguments des parties défenderesses d’après lesquelles, lors des faits du 1er janvier 2009, le requérant était en état d’ébriété. Il observa que le requérant n’avait pas été soumis à un examen médical à cet égard et que les raisons invoquées par les parties défenderesses pour justifier le défaut d’un tel examen – absence de moyens pour transporter le requérant vers un établissement d’expertise et indisponibilité des médecins du service médical de la colonie pénitentiaire n’étaient pas suffisantes. Il releva également qu’aucune assistance médicale n’avait été apportée au requérant après l’utilisation de matraques à son encontre. En ce qui concerne l’argument des parties défenderesses selon lequel l’illégalité des actes des agents pénitentiaires n’avait pas été préalablement établie par une décision judiciaire, il exposa que l’existence d’une telle décision n’était pas une condition préalable requise pour l’application de l’article 1069 du code civil et que l’illégalité d’un acte d’un agent de l’État devait être établie sur la base des circonstances factuelles propres à chaque affaire soumise à l’examen d’un tribunal civil. Enfin, faisant référence à l’article 3 de la Convention et à l’article 21 § 2 de la Constitution, le tribunal estima qu’il était établi que le recours à la force à l’encontre du requérant avait été illégal et que ce dernier avait subi un dommage moral devant être compensé par l’octroi de 20 000 RUB (soit environ 450 euros (EUR)). Par une décision du 12 novembre 2009, la cour suprême de la république de Kalmoukie (« la cour suprême ») confirma le jugement du 1er octobre 2009. Elle fit siennes les conclusions du tribunal et les étoffa en y ajoutant des motifs supplémentaires. Elle considéra, notamment, que les parties défenderesses n’avaient pas démontré que le requérant avait agressé les agents pénitentiaires, qu’il avait participé à des émeutes ou à une insoumission collective aux ordres ou bien qu’il avait opposé un refus aggravé d’obtempérer. Soulignant que la législation en vigueur exigeait que les agents pénitentiaires, lors de l’utilisation de matraques en caoutchouc, réduisent autant que possible les dommages à la santé des détenus, la cour suprême estima que, au vu du nombre et de la localisation des lésions constatées sur le requérant, cette obligation n’avait pas été remplie. D. L’ouverture d’une enquête pénale Le 5 novembre 2013, après la communication de la requête au Gouvernement, le comité d’instruction de la république de Kalmoukie annula le refus d’ouverture d’une enquête pénale du 5 juin 2009, ordonna la réouverture d’une enquête préliminaire telle que prévue à l’article 144 du CPP et demanda la réalisation d’un certain nombre de mesures d’instruction. Par une décision du 29 janvier 2014, le département de l’arrondissement Yachkoulski du comité d’instruction de la république de Kalmoukie ouvrit une enquête pénale sur les faits du 1er janvier 2009 en énonçant notamment ce qui suit : « Le 1er janvier 2009, entre 11 heures et 20 heures, des agents non identifiés de [la colonie pénitentiaire], se trouvant dans la section administrative [de la colonie pénitentiaire], ont assené, avec préméditation, des coups de poing et de pied ainsi que des coups de matraque en caoutchouc [de type] PR-77, aux détenus (...) [dont le requérant], leur causant [ainsi] une douleur physique et des lésions corporelles. (...) [L’enquêteur] a décidé d’ouvrir une enquête pénale à l’encontre de personnes non identifiées eu égard aux éléments constitutifs de l’infraction réprimée par l’article 286 § 3 a), b) du code pénal (...) » La Cour ne dispose pas d’informations quant à l’issue de cette enquête pénale. II. LE DROIT INTERNE PERTINENT Les dispositions du droit interne pertinent concernant le recours à la force dans les établissements pénitentiaires sont décrites dans l’arrêt Dedovski et autres c. Russie (no 7178/03, §§ 6365, CEDH 2008 (extraits)).
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Les requérants se sont retrouvés dans la zone de transit de l’aéroport de Moscou-Sheremetyevo. Les détails dans chaque affaire sont exposés cidessous. A. Requête no 61411/15, introduite par M. Z.A. le 12 décembre 2015 Le requérant est un ressortissant irakien né en 1987. Il quitta l’Irak pour gagner la Turquie en 2013 afin d’y trouver un emploi. Il déménagea par la suite en Chine dans le même but. Le 24 juillet 2015, le requérant prit en Chine un vol pour la Turquie. Le voyage devait se dérouler en deux étapes : de Shanghai à Moscou puis de Moscou à Ankara. Le requérant se vit refuser l’entrée du territoire par les autorités turques pour des raisons qu’il ne précise pas dans sa requête. Il fut refoulé vers Moscou le 27 juillet 2015. À son arrivée à l’aéroport de Sheremetyevo, il ne fut pas autorisé à franchir le contrôle des passeports. À partir du 27 juillet 2015, le requérant séjourna dans la zone de transit de l’aéroport de Sheremetyevo. Il décrit ainsi les conditions de son séjour dans cette zone. Il aurait dormi sur un matelas posé sur le sol de l’aire d’embarquement de l’aéroport, constamment éclairée, bondée et bruyante. Il se serait nourri de rations d’urgence fournies par la branche russe du HCR. La zone de transit n’aurait pas été dotée de douches. Le 29 juillet 2015, le requérant demanda l’asile en Russie, alléguant que, en Irak, il risquerait d’être persécuté par des militants de État islamique en Irak et au Levant (« l’EIIL » ; aussi appelé « État islamique en Irak et dans le Cham ») parce qu’il aurait refusé de les rejoindre, ainsi que par les forces gouvernementales irakiennes parce qu’il pratiquerait l’islam sous sa forme sunnite. Le 19 septembre 2015, le requérant reçut la visite de membres du département pour la région de Moscou du Service d’immigration fédéral (« le SIF de Moscou ») et il fut interrogé dans la zone de transit. Ce service ne lui délivra pas de certificat confirmant que sa demande d’asile méritait d’être examinée sur le fond (« le certificat d’examen »). Le 10 novembre 2015, le SIF de Moscou rejeta la demande d’asile du requérant. Ce dernier saisit l’autorité supérieure en matière d’immigration, le Service d’immigration fédéral de Russie (« le SIF de Russie »), demandant à celui-ci d’annuler la décision du 10 novembre 2015, de lui délivrer un certificat d’examen et de le placer dans un centre de détention temporaire d’étrangers. Par une décision du 29 décembre 2015, le SIF de Russie débouta le requérant, au motif que celui-ci n’avait fait l’objet d’aucune menace directe et personnelle et qu’il n’avait produit aucun « élément convaincant prouvant qu’il risquait d’être persécuté par des militants de l’EIIL ou par les autorités irakiennes pour une raison relevant de la définition du terme « réfugié », y compris sa religion ». La question du séjour du requérant à l’aéroport de Sheremetyevo n’y était pas évoquée. La décision du 29 décembre 2015 fut signifiée à l’avocat du requérant le 23 janvier 2016. Le 1er février 2016, le requérant attaqua les décisions des 10 novembre et 29 décembre 2015 devant le tribunal du district Basmannyy de Moscou. Il soutenait en particulier que, en ne l’interrogeant pas dans les meilleurs délais et en ne lui délivrant pas de certificat d’examen, les autorités de l’immigration n’avaient pas respecté les règles de procédure, et qu’il avait séjourné plus de six mois dans la zone de transit de l’aéroport de Sheremetyevo dans des conditions contraires aux garanties de l’article 3 de la Convention, sans accès à des douches et à d’autres installations. Le 17 mars 2016, après avoir obtenu sa réinstallation par le HCR, le requérant partit au Danemark. Le 12 mai 2016, le tribunal du district Basmannyy de Moscou confirma la décision du SIF de Russie. À cette même date, l’avocat du requérant introduisit un acte introductif d’appel sommaire («краткая апелляционная жалоба»), en instance de signification d’un jugement écrit motivé. Au 5 juillet 2016 (date de production par les requérants de leurs observations écrites devant la Cour), aucun jugement motivé de la sorte n’avait été rendu. B. Requête no 61420/15, introduite par M. M.B. le 12 décembre 2015 Le requérant est né en 1988. Il est titulaire d’un passeport délivré par l’Autorité palestinienne. Entre avril 2013 et août 2015, le requérant se trouvait à Irkoutsk (Russie). Il apparaît qu’il était initialement muni d’un visa d’entrée valable, mais qu’il n’a fait aucune démarche pour obtenir une autorisation de séjour en Russie une fois son visa expiré. En août 2015, le requérant quitta la Russie pour gagner les Territoires palestiniens via l’Égypte. Pour des raisons inconnues, le 23 août 2015, il prit un vol au Caire pour revenir à Moscou. N’étant pas muni d’un visa valable, la police des frontières lui refusa l’entrée sur le territoire russe. À partir du 23 août 2015, le requérant séjourna dans la zone de transit de l’aéroport de Sheremetyevo, dans les conditions qu’il décrit cidessous. Il aurait dormi sur un matelas posé sur le sol de l’aire d’embarquement de l’aéroport, constamment éclairée, bondée et bruyante. Il se serait nourri de rations d’urgence fournies par la branche russe du HCR. La zone de transit n’aurait pas été dotée de douches. Trois semaines après son arrivée à l’aéroport de Sheremetyevo, le requérant demanda l’asile. Au cours de la procédure consécutivement ouverte, il indiqua avoir quitté la Palestine en raison des hostilités qui se poursuivaient dans la bande de Gaza et en Cisjordanie, ainsi que du chômage et des difficultés économiques là-bas. Le 1er décembre 2015, le SIF de Moscou rejeta la demande d’asile du requérant pour défaut de fondement. Le requérant, par le biais de son avocat, forma un recours devant le SIF de Russie, soutenant qu’il n’avait aucune possibilité de revenir chez lui dans la bande de Gaza, que le SIF de Moscou n’avait pas examiné sa situation personnelle et qu’il serait exposé à des risques s’il venait à regagner la Palestine. Il ajouta que le SIF de Moscou ne lui avait pas délivré de certificat d’examen, au mépris de la loi sur les réfugiés (FZ-4528-1-19 février 1993). Le 31 décembre 2015, le SIF de Russie rejeta le recours au motif que le requérant « n’avait produit aucun élément convaincant prouvant qu’il courrait plus de risque d’être victime du conflit israélo-palestinien que le reste de la population de l’Autonomie nationale palestinienne ». L’avocat du requérant fut avisé de cette décision le 15 janvier 2016. Le 1er février 2016, le requérant attaqua la décision des autorités de l’immigration devant le tribunal du district Basmannyy de Moscou. Le 13 février 2016, les autorités égyptiennes ouvrirent le point d’entrée vers Gaza à Rafah. Le requérant accepta de prendre un vol pour l’Égypte, quittant ainsi la zone de transit de l’aéroport de Sheremetyevo. Le 12 mai 2016, le tribunal du district Basmannyy confirma la décision du SIF de Russie. À cette même date, l’avocat du requérant introduisit un acte introductif d’appel sommaire, en instance de signification d’un jugement écrit motivé. Au 5 juillet 2016, aucun jugement motivé de la sorte n’avait été rendu. C. Requête no 61427/15, introduite par M. A.M. le 12 décembre 2015 Le requérant est un ressortissant somalien né en 1981. En 2005, il partit de Somalie pour gagner le Yémen, où il obtint l’asile. En 2015, il décida de quitter le Yémen. Le requérant devait prendre un vol pour rejoindre La Havane (Cuba), en trois étapes : de Sana’a à Istanbul, d’Istanbul à Moscou, puis de Moscou à La Havane. Le 13 mars 2015, il atterrit à Moscou pour la première fois, puis poursuivit son voyage vers La Havane. Le 9 avril 2015, le requérant fut expulsé de Cuba vers la Russie. Au contrôle des passeports, la police des frontières russe lui refusa l’entrée sur le territoire. À partir du 9 avril 2015, le requérant séjourna dans la zone de transit de l’aéroport de Sheremetyevo, dans les conditions qu’il décrit ci-dessous. Il aurait dormi sur un matelas posé sur le sol de l’aire d’embarquement de l’aéroport, constamment éclairée, bondée et bruyante. Il se serait nourri de rations d’urgence fournies par la branche russe du HCR. La zone de transit n’aurait pas été dotée de douches. Le 10 avril 2015, le requérant demanda l’asile, soutenant qu’il avait fui la Somalie en 2005 parce qu’il y était menacé par des membres d’un groupe terroriste. Le 1er juillet 2015, le SIF de Moscou interrogea le requérant, mais il ne lui délivra aucun certificat d’examen. Le 1er octobre 2015, le SIF de Moscou rejeta la demande d’asile formée par le requérant. Le 17 octobre 2015, le frère du requérant fut tué à Mogadiscio (Somalie). Le 7 décembre 2015, le SIF de Russie rejeta un recours formé par le requérant contre la décision du 1er octobre 2015. Le 22 décembre 2015, le SIF de Moscou refusa d’accorder au requérant l’asile temporaire. Le 10 février 2016, le SIF de Russie confirma cette décision. Le 19 mai 2016, le tribunal du district Basmannyy de Moscou rejeta un recours formé par le requérant contre les décisions du SIF de Moscou et du SIF de Russie portant rejet de sa demande d’asile temporaire. Il jugea en particulier que le requérant n’avait pas établi que les terroristes qui l’auraient menacé en 2005 représentaient un quelconque danger plus de dix ans après et que, à supposer que de telles menaces persistassent, il « n’avait pas été privé de la possibilité de solliciter la protection de l’État dont il est ressortissant [– c’est-à-dire] de saisir les services répressifs de la République de Somalie [aux fins de sa protection] ». Le même jour, l’avocat du requérant fit appel. Le 20 septembre 2016, la Cour de Moscou rejeta l’appel. Le 6 février 2017, elle repoussa en dernière instance le grief tiré par le requérant du refus de lui accorder l’asile. Après avoir été avisé du rejet définitif des demandes dont il avait saisi les autorités russes, le requérant décida qu’il n’avait plus aucune chance d’obtenir l’asile en Russie. Le 9 mars 2017, il regagna Mogadiscio (Somalie). D. Requête no 3028/16, introduite par M. Yasien le 14 janvier 2016 Le requérant, Hasan Yasien, est un ressortissant syrien né en 1975 à Alep. Le 4 juillet 2014, le requérant arriva à Moscou en provenance de Beyrouth (Liban), muni d’un visa d’affaires valable jusqu’au 25 août 2014. Le 10 septembre 2014, il demanda l’asile temporaire au SIF de Moscou, affirmant avoir quitté la Syrie en raison de la guerre civile qui s’y poursuivait. Cette demande fut rejetée le 8 décembre 2014. Le requérant apparaît être resté en Russie malgré ce refus. Le 18 août 2015, à Moscou, le requérant prit un vol à destination d’Antalya (Turquie). La police des frontières russe saisit son passeport et le remit à l’équipage de l’avion. Les autorités turques lui refusèrent l’entrée sur le territoire et le refoulèrent vers Moscou le 20 août 2015. À l’arrivée du requérant, les autorités russes le renvoyèrent à Antalya. Les autorités turques le refoulèrent alors vers Moscou. Le 8 septembre 2015, le requérant prit un vol pour Beyrouth, mais les autorités libanaises lui refusèrent l’entrée sur le territoire et le refoulèrent vers Moscou. La police des frontières russe ne l’autorisa pas à franchir le contrôle des passeports. À partir du 9 septembre 2015, le requérant séjourna dans la zone de transit de l’aéroport de Sheremetyevo, dans les conditions qu’il décrit cidessous. Il aurait dormi sur un matelas posé sur le sol de l’aire d’attente de l’aéroport, constamment éclairée, bondée et bruyante. La branche russe du HCR lui aurait fourni une fois par semaine des rations alimentaires, des vêtements et des lingettes sanitaires. Compte tenu de l’absence de réfrigérateur et de cuisine, ses rations auraient été extrêmement limitées. Pendant toute la durée de son séjour dans la zone de transit, le requérant n’aurait pas eu accès à des douches. Le requérant demanda l’asile temporaire au SIF de Moscou. Le 21 décembre 2015, cette demande fut rejetée. Le 4 février 2016, le SIF de Russie rejeta le recours formé par le requérant contre le refus d’asile temporaire prononcé le 21 décembre 2015. Il constata en particulier qu’il y avait des vols réguliers de Moscou à Damas, ville à partir de laquelle les ressortissants syriens pouvaient se rendre à d’autres endroits du pays et que « de nombreux Syriens souhait[ai]ent partir de leur pays non seulement parce qu’ils craign[ai]ent pour leur vie mais surtout en raison de la dégradation de la situation économique et humanitaire. » Le 7 avril 2016, le requérant demanda de nouveau l’asile au service de la police des frontières. Il ne reçut aucune réponse. Le 11 avril 2016, devant le tribunal du district Zamoskvoretskiy de Moscou, il attaqua le refus opposé à sa demande d’asile temporaire par le SIF de Moscou et par le SIF de Russie et dénonça ce qu’il estimait être une détention illégale dans des conditions épouvantables à l’intérieur de la zone de transit de l’aéroport de Sheremetyevo. Le 11 mai 2016, le requérant, réinstallé par le HCR, gagna la Suède. Le 21 juillet 2016, l’avocat du requérant communiqua de nouvelles pièces au tribunal du district Zamoskvoretskiy de Moscou à l’appui de ses griefs tirés des risques auxquels il serait exposé s’il venait à regagner la Syrie. L’issue de cette procédure n’est pas connue. II. LE DROIT INTERNE PERTINENT L’article 6 de la loi fédérale « relative à l’entrée et à la sortie du territoire de la Fédération de Russie » (FZ-114, 15 août 1996, telle que modifiée), dispose, dans ses parties pertinentes : « Tout étranger ou apatride arrivant sur le territoire de la Fédération de Russie ou sortant de celui-ci est tenu de présenter des documents d’identité valables, acceptés par la Fédération de Russie, et un visa, sauf si la présente loi fédérale, un traité conclu par la Fédération de Russie ou un décret du président de la Fédération de Russie en dispose autrement ». L’article 14 de la loi de la Fédération de Russie sur la frontière d’État (FZ4730-1, 1er avril 1993, telle que modifiée), dispose, dans ses parties pertinentes : « Les étrangers et les apatrides n’ayant pas le statut de personne résidente ou domiciliée en Fédération de Russie et ayant franchi la frontière d’État [en provenance] du territoire d’un État étranger [voient leur responsabilité engagée] conformément au droit russe si des éléments indiquent que leur action [est constitutive] d’une infraction administrative ou pénale. Les personnes ayant violé la frontière d’État et n’ayant pas droit à l’asile politique contre (...) lesquelles il n’y a pas lieu d’ouvrir une procédure pénale ou administrative sont formellement refoulées à leur arrivée par la police des frontières vers les autorités du pays (...) à partir duquel elles avaient franchi la frontière d’État [russe]. Si leur renvoi auprès des autorités de l’État étranger n’est pas prévu par un traité entre celuici et la Fédération de Russie, la police des frontières les expulse [vers des lieux] hors du territoire de la Fédération de Russie (...) désignés par elle. » L’article 4 de la loi fédérale « relative aux réfugiés » (FZ-4528-1, 19 février 1993, telle que modifiée, « la loi relative aux réfugiés ») dispose, dans ses parties pertinentes : « 1. Toute personne majeure ayant exprimé le souhait d’être reconnue comme réfugié doit en faire la demande par écrit, elle-même ou par le biais d’un représentant : (...) 1 (2) auprès de la police des frontières ou du Service fédéral de sécurité (...) au point de franchissement de la frontière de la Fédération de Russie, au moment de celui-ci (...) La demande formulée auprès de la police des frontières au point de franchissement de la frontière (...) est transmise par celle-ci aux (...) autorités de l’immigration (...) dans les trois jours à compter de sa date de présentation. (...) 5 (2). Toute demande formulée par une personne au point de franchissement de la frontière (...) est examinée à titre préliminaire (...) par les autorités de l’immigration (...) dans les cinq jours à compter de sa date de réception. (...) Les autorités de l’immigration statuent sur la délivrance d’un certificat [pour confirmer l’examen d’une demande d’asile sur le fond (« le certificat »)] (...) La délivrance d’un certificat permet de reconnaître (...) les droits de l’intéressé et de lui imposer des obligations (...) Le certificat (...) est adressé à l’intéressé (...) par les autorités de l’immigration dans les 24 heures à compter de sa délivrance (...) Le certificat est un acte [qui sert à identifier] un demandeur d’asile. (...) Le certificat permet également à l’intéressé (...) de recevoir un document autorisant son placement dans un centre d’accueil temporaire. » L’article 6 de la loi relative aux réfugiés dispose, dans ses parties pertinentes : « 1. Le destinataire d’un certificat (...) a le droit : 1 (1) de bénéficier des services d’un traducteur et d’un interprète, et de recevoir des informations sur la procédure d’octroi de l’asile : (...) 1 3) de percevoir une allocation forfaitaire (...) 1 (4) de recevoir (...) des autorités de l’immigration un document autorisant son placement dans un centre d’accueil temporaire ; (...) 1 (6) de recevoir de la nourriture et de disposer de services collectifs au centre d’accueil temporaire (...) 1 (7) de recevoir une assistance médicale et pharmacologique (...) » III. DROIT INTERNATIONAL PERTINENT A. La Convention des Nations unies de 1951 relative au statut des réfugiés L’article 31 de la Convention de 1951 dispose : « 1. Les États contractants n’appliqueront pas de sanctions pénales, du fait de leur entrée ou de leur séjour irréguliers, aux réfugiés qui, arrivant directement du territoire où leur vie ou leur liberté était menacée au sens prévu par l’article premier, entrent ou se trouvent sur leur territoire sans autorisation, sous la réserve qu’ils se présentent sans délai aux autorités et leur exposent des raisons reconnues valables de leur entrée ou présence irrégulières. Les États contractants n’appliqueront aux déplacements de ces réfugiés d’autres restrictions que celles qui sont nécessaires; ces restrictions seront appliquées seulement en attendant que le statut des réfugiés dans le pays d’accueil ait été régularisé ou qu’ils aient réussi à se faire admettre dans un autre pays. En vue de cette dernière admission les États contractants accorderont à ces réfugiés un délai raisonnable ainsi que toutes facilités nécessaires. » L’article 33 de la Convention de 1951 dispose : « 1. Aucun des États contractants n’expulsera ou ne refoulera, de quelque manière que ce soit, un réfugié sur les frontières des territoires où sa vie ou sa liberté serait menacée en raison de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques. Le bénéfice de la présente disposition ne pourra toutefois être invoqué par un réfugié qu’il y aura des raisons sérieuses de considérer comme un danger pour la sécurité du pays où il se trouve ou qui, ayant été l’objet d’une condamnation définitive pour un crime ou délit particulièrement grave, constitue une menace pour la communauté dudit pays. » B. Annexe 9 à la Convention relative à l’aviation civile internationale (« la Convention de Chicago »), quatorzième édition, octobre 2015 Le chapitre 5 de l’annexe 9 à la Convention de Chicago, intitulé « Personnes non admissibles et personnes expulsées » dispose, dans son intégralité : « A. Généralités 1 Afin de perturber le moins possible l’exploitation ordonnée de l’aviation civile internationale, les États contractants coopéreront entre eux pour résoudre rapidement toute différence se posant dans la mise en œuvre des dispositions du présent chapitre. 2 Les États contractants faciliteront le transit des personnes refoulées d’un autre État conformément aux dispositions du présent chapitre, et apporteront la coopération nécessaire aux exploitants d’aéronefs et aux agents d’escorte qui procèdent à ce refoulement. 2.1 Durant la période pendant laquelle un passager non admissible ou une personne qui doit être expulsée est sous leur garde, les agents de l’État en cause protégeront la dignité de la personne en question et ne prendront aucune mesure susceptible d’y porter atteinte. Note – Les personnes en question devraient être traitées conformément aux dispositions internationales pertinentes, y compris le Pacte international des Nations Unies relatif aux droits civils et politiques. B. Personnes non admissibles 3 Lorsqu’une personne est jugée non admissible conformément au § 3.44, les États contractants en aviseront sans délai l’exploitant d’aéronefs, en confirmant par écrit le plus tôt possible. Note – La notification par écrit peut être faite sur papier ou sous forme électronique, par exemple par courrier électronique. 4 Les États contractants, par l’entremise de leurs pouvoirs publics, consulteront l’exploitant d’aéronefs sur le calendrier d’exécution du refoulement de la personne jugée non admissible, afin de donner à l’exploitant d’aéronefs un délai raisonnable pour procéder au refoulement de la personne sur ses propres services ou pour prendre d’autres dispositions à cet effet. Note – La présente disposition ne doit en aucune manière être interprétée comme une autorisation de renvoyer quiconque demande asile dans le territoire d’un État contractant vers un pays dans lequel sa vie ou sa liberté serait menacée en raison de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social particulier ou de ses opinions politiques. 5 Les États contractants veilleront à ce qu’un ordre de refoulement soit donné à l’exploitant d’aéronefs à l’égard d’une personne jugée non admissible. L’ordre de refoulement comprendra les renseignements suivants, s’ils sont connus : nom, âge, sexe et citoyenneté de la personne en question. 6 Les États contractants qui ordonnent le refoulement d’une personne non admissible ayant perdu ou détruit ses documents de voyage émettront une lettre explicative sous la forme indiquée à l’Appendice 9, section 1, afin d’informer les autorités de l’État (des États) du point de transit et/ou du début du voyage. Cette lettre, l’ordre de refoulement et tout autre renseignement pertinent seront remis à l’exploitant d’aéronefs ou, dans le cas des personnes escortées, à l’agent d’escorte, qui aura la responsabilité de les remettre aux pouvoirs publics de l’État de destination. 7 Les États contractants qui ordonnent le refoulement d’une personne non admissible dont les documents de voyage ont été saisis conformément au § 3.35.1 émettront une lettre explicative sous la forme indiquée à l’Appendice 9, section 2, afin d’informer les autorités de l’État (des États) du point de transit et/ou du début du voyage. Cette lettre ainsi qu’une photocopie des documents de voyage saisis et l’ordre de refoulement seront remis à l’exploitant d’aéronefs ou, dans le cas des personnes escortées, à l’agent d’escorte, qui aura la responsabilité de les remettre aux pouvoirs publics de l’État de destination. 8 Les États contractants qui ont des raisons de croire qu’une personne non admissible pourrait offrir une résistance à son refoulement en informeront l’exploitant d’aéronefs concerné dès que possible avant le départ prévu, afin qu’il puisse prendre des précautions pour assurer la sûreté du vol. 9 L’exploitant d’aéronefs sera tenu responsable du coût de la garde et des soins d’une personne non munie des documents requis à partir du moment où elle est jugée non admissible et confiée à l’exploitant d’aéronefs en vue de son refoulement. 9.1 L’État sera tenu responsable du coût de la garde et des soins de toutes les autres catégories de personnes non admissibles, y compris les personnes non admises en raison de problèmes de documentation dépassant les compétences de l’exploitant d’aéronefs, ou pour des raisons autres que l’absence de documents requis, à partir du moment où ces personnes sont jugées non admissibles et confiées à l’exploitant d’aéronefs en vue de leur refoulement. 10 Lorsqu’une personne jugée non admissible est confiée de nouveau à l’exploitant d’aéronefs en vue de son transport hors du territoire de l’État, l’exploitant d’aéronefs ne sera pas empêché de recouvrer de cette personne les frais de transport découlant de son refoulement. 11 L’exploitant d’aéronefs refoulera la personne non admissible : a) au point où elle a commencé son voyage ; ou b) à tout autre endroit où elle peut être admise. 11.1 Pratique recommandée – Il est recommandé que les États contractants consultent, s’il y a lieu, l’exploitant d’aéronefs sur le point le plus pratique où la personne non admissible doit être refoulée. 12 Un État contractant acceptera pour vérification une personne refoulée d’un État où elle a été jugée non admissible, si cette personne a commencé son voyage à partir de son territoire. Un État contractant ne renverra pas cette personne dans le pays où elle a été précédemment jugée non admissible. 13 Les États contractants accepteront la lettre explicative et les autres documents émis conformément aux § 5.6 ou 5.7 comme documentation suffisante pour procéder à la vérification de la personne mentionnée dans la lettre. 14 Les États contractants n’imposeront pas d’amende aux exploitants d’aéronefs si des personnes à l’arrivée et en transit sont jugées non munies des documents requis, lorsque les exploitants d’aéronefs peuvent démontrer qu’ils ont pris des précautions suffisantes pour vérifier que ces personnes se sont conformées aux exigences en matière de documents aux fins de l’entrée dans l’État de destination. Note – L’attention est appelée sur le texte applicable du Doc 9303 et des éléments indicatifs connexes, et du Doc 9957, Manuel de facilitation, dans lequel sont expliquées les irrégularités des documents de voyage ainsi que la vérification et l’authentification de ces derniers. 15 Pratique recommandée – Il est recommandé que, lorsque les exploitants d’aéronefs ont coopéré avec les pouvoirs publics à la satisfaction de ceux-ci, par exemple en vertu de mémorandums d’entente conclus entre les parties concernées, à des mesures destinées à empêcher le transport de personnes non admissibles, les États contractants réduisent les amendes et pénalités qui pourraient autrement être applicables lorsque de telles personnes sont transportées à destination de leur territoire. 16 Les États contractants n’empêcheront pas le départ de l’aéronef d’un exploitant d’aéronefs en attendant de déterminer l’admissibilité de l’un ou l’autre de ses passagers à l’arrivée. Note – Une exception à cette disposition pourrait être faite dans le cas de vols peu fréquents ou si l’État contractant avait des raisons de croire qu’il pourrait y avoir un nombre exceptionnellement élevé de personnes non admissibles sur un vol particulier. C. Personnes expulsées 17 Un État contractant qui expulse une personne de son territoire lui donnera un ordre d’expulsion. Les États contractants indiqueront à la personne expulsée le nom de l’État de destination. 18 Les États contractants qui expulsent des personnes de leurs territoires assumeront toutes les obligations, responsabilités et coûts connexes. 18.1 Pratique recommandée – Il est recommandé que les États contractants et les exploitants d’aéronefs s’échangent, lorsque c’est possible, des renseignements sur leurs points de contact compétents, disponibles 24 heures sur 24, à qui adresser les demandes de renseignements concernant les personnes expulsées. 19 Lorsqu’ils prennent des dispositions avec un exploitant d’aéronefs en vue d’une expulsion, les États contractants mettront à sa disposition les renseignements ci-dessous dès que possible, mais au plus tard 24 heures avant l’heure prévue de départ du vol : a) une copie de l’ordre d’expulsion, si la législation de l’État contractant le prévoit ; b) l’évaluation du risque par l’État et/ou tout autre renseignement pertinent qui aiderait l’exploitant d’aéronefs à évaluer le risque pour la sûreté du vol ; c) les noms et nationalités de tous agents d’escorte. Note – Afin d’assurer la coordination des normes de facilitation et de sûreté, il convient d’accorder une attention particulière aux dispositions applicables de l’Annexe 17, Chapitre 4. 19.1 L’exploitant d’aéronefs et/ou le pilote commandant de bord auront l’option de refuser de transporter une personne expulsée sur un vol particulier s’il y a des inquiétudes raisonnables concernant la sécurité et la sûreté du vol. Note – Voir le Manuel de sûreté de l’aviation (Doc 8973 — Diffusion restreinte) de l’OACI, § 12.2.1.3 et 12.2.1.6. 19.2 Lorsqu’ils prennent des dispositions en vue d’une expulsion, les États contractants tiendront compte de la politique de l’exploitant d’aéronefs relative au nombre de personnes expulsées qui peuvent être transportées sur un vol donné. Note – Les États contractants doivent consulter l’exploitant d’aéronefs au sujet du vol le plus approprié ou d’un autre mode de transport. 20 Lorsqu’ils prennent des dispositions en vue d’une expulsion vers un État de destination, les États contractants utiliseront dans la mesure du possible des vols directs sans escale. 21 Un État contractant qui présente une personne à expulser veillera à ce que tous les documents de voyage officiels exigés par tout État de transit et/ou de destination soient fournis à l’exploitant d’aéronefs. 22 Un État contractant admettra dans son territoire ses nationaux qui ont été expulsés d’un autre État. 23 Un État contractant accordera une attention spéciale à l’admission d’une personne, expulsée d’un autre État, qui détient une preuve de résidence valide et autorisée dans son territoire. 24 S’ils décident qu’une personne expulsée doit être escortée et que l’itinéraire comporte une escale dans un État intermédiaire, les États contractants veilleront à ce que le ou les agents d’escorte restent auprès de la personne déportée jusqu’à sa destination finale, à moins que les autorités et l’exploitant d’aéronefs intervenant au point de transit ne conviennent à l’avance de dispositions de rechange appropriées. D. Obtention d’un document de voyage de remplacement 25 Lorsqu’un document de voyage de remplacement doit être obtenu pour faciliter le refoulement et l’acceptation d’une personne non admissible à sa destination, l’État qui ordonne le refoulement fournira toute l’assistance possible pour obtenir ce document. Note – La norme 5.13 pourra être consultée utilement pour faciliter l’application de cette norme. 26 L’État contractant auquel il est demandé de fournir des documents de voyage pour faciliter le retour d’un de ses nationaux répondra dans un délai raisonnable, c’est-à-dire au plus tard 30 jours après avoir reçu la demande, soit en délivrant un document de voyage, soit en démontrant à la satisfaction de l’État requérant que l’intéressé n’est pas un de ses nationaux. 27 Un État contractant n’exigera pas comme condition préalable à la délivrance d’un document de voyage que l’intéressé en ait signé la demande. 28 Si un État contractant a déterminé qu’une personne pour laquelle un document de voyage a été demandé est l’un de ses nationaux, mais qu’il ne peut pas délivrer un passeport dans les 30 jours suivant la demande, il délivrera un document de voyage d’urgence qui certifie la nationalité de l’intéressé et qui est valide pour la réadmission dans cet État. 29 Un État contractant ne refusera pas de délivrer un document de voyage à un de ses nationaux ni ne contrecarrera autrement son retour en le rendant apatride. »
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