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Fugue finale et initiale
Auguste Angellier (1848-1911)
Poésie : Fugue finale et initiale Titre : Fugue finale et initiale Poète : Auguste Angellier (1848-1911) Première Voix. La neige tombe à gros flocons ; Par dessus nous, le ciel est noir ; La terre, autour de nous, est noire ; La lourde neige seule est blanche ; On entend huer les faucons, Dans les murs croulants du manoir ; La sorcière est à son grimoire ; Et le corbeau dort sur sa branche ; Le gel sème Pair de frissons, Dieu ! qu'il est triste de s'asseoir Seul au foyer, quand la mémoire Sur le puits du passé se penche ! Deuxième Voix. Sur les toits pendent les glaçons, Mais le soleil les fera choir ; L'Hiver est chose transitoire, Le Printemps prendra sa revanche ; Les rayons battront les buissons ; Aux eaux claires de l'abreuvoir, Les troupeaux libres viendront boire, Sous un ciel couleur de pervenche ; Lors, les cœurs auront des chansons, Lors, les cœurs reprendront espoir, Et célébreront la victoire Des bourgeons sur la neige blanche !
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Après le feuilleton
Théophile Gautier (1811-1872)
Poésie : Après le feuilleton Titre : Après le feuilleton Poète : Théophile Gautier (1811-1872) Recueil : Émaux et Camées (1852). Mes colonnes sont alignées Au portique du feuilleton ; Elles supportent résignées Du journal le pesant fronton. Jusqu'à lundi je suis mon maître. Au diable chefs-d'oeuvre mort-nés ! Pour huit jours je puis me permettre De vous fermer la porte au nez. Les ficelles des mélodrames N'ont plus le droit de se glisser Parmi les fils soyeux des trames Que mon caprice aime à tisser. Voix de l'âme et de la nature, J'écouterai vos purs sanglots, Sans que les couplets de facture M'étourdissent de leurs grelots. Et portant, dans mon verre à côtes, La santé du temps disparu, Avec mes vieux rêves pour hôtes Je boirai le vin de mon cru : Le vin de ma propre pensée, Vierge de toute autre liqueur, Et que, par la vie écrasée, Répand la grappe de mon coeur !
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Programme
Louis Aragon (1897-1982)
Poésie : Programme Titre : Programme Poète : Louis Aragon (1897-1982) Au rendez-vous des assassins Le sang et la peinture fraîche Odeur du froid On tue au dessert Les bougies n'agiront pas assez Nous aurons évidemment besoin de nos petits outils Le chef se masque Velours des abstractions Monsieur va sans doute au bal de l'Opéra Tous les crimes se passent à La Muette Et cœtera Ils ne voient que l'argent à gagner Opossum Ma bande réunit les plus grands noms de France Bouquets de fleurs Abus de confiance J'entraîne Paris dans mon déshonneur Course Coup de Bourse La perspective réjouit le cœur des complices Machine infernale au sein d'un coquelicot Ils ne s'enrichiront plus longtemps C'est à leur tour Étoile en journal des carreaux cassés Je connais les points faibles des vilebrequins mes camarades On arrive à ses fins par la délation sans yeux Le poison Bière mousseuse Ou la trahison. Celui-ci Pâture du cheval de bois Je le livre à la police Les autres se frottent les mains Vous ne perdez rien pour attendre Il y aura des sinistres sur mer cette nuit Des attentats Des préoccupations Sur les descentes de lit la mort coule en lacs rouges Encore deux amis avant d'arriver à mon frère Il me regarde en souriant et je lui montre aussi les dents Lequel étranglera l'autre La main dans la main Tirerons-nous au sort le nom de la victime L'agression nœud coulant Celui qui parlait trépasse Le meurtrier se relève et dit Suicide Fin du monde Enroulement des drapeaux coquillages Le flot ne rend pas ses vaisseaux Secrets de goudron Torches Fruit percé de trous Sifflet de plomb Je rends le massacre inutile et renie le passé vert et blanc pour le plaisir Je mets au concours l'anarchie dans toutes les librairies et gares.
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Pierrot
Paul Verlaine (1844-1896)
Poésie : Pierrot Titre : Pierrot Poète : Paul Verlaine (1844-1896) Recueil : Jadis et naguère (1884). Ce n'est plus le rêveur lunaire du vieil air Qui riait aux aïeux dans les dessus de porte ; Sa gaîté, comme sa chandelle, hélas! est morte, Et son spectre aujourd'hui nous hante, mince et clair. Et voici que parmi l'effroi d'un long éclair Sa pâle blouse a l'air, au vent froid qui l'emporte, D'un linceul, et sa bouche est béante, de sorte Qu'il semble hurler sous les morsures du ver. Avec le bruit d'un vol d'oiseaux de nuit qui passe, Ses manches blanches font vaguement par l'espace Des signes fous auxquels personne ne répond. Ses yeux sont deux grands trous où rampe du phosphore Et la farine rend plus effroyable encore Sa face exsangue au nez pointu de moribond.
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Mais Sa tête, Sa tête
Paul Verlaine (1844-1896)
Poésie : Mais Sa tête, Sa tête Titre : Mais Sa tête, Sa tête Poète : Paul Verlaine (1844-1896) Mais Sa tête, Sa tête ! Folle, unique tempôte D'injustice indignée, De mensonge en furie, Visions de tuerie Et de vengeance ignée. Puis exquise bonace, Du soleil plein l'espace. Colombe sur l'abîme, Toute bonne pensée Caressée et bercée Pour un réveil sublime. Force de la nature Magnifiquement dure Et si douce, Sa tête. Adoré phénomène De ma Philomène La tête, seule fête ! Et voyez quelle est belle Cette tête rebelle A la littérature Comme à l'art de la brosse Et du ciseau féroce, Voyez, race future ! Car je veux dire aux Anges Ce plus cher des visages, Cheveux noirs comme l'ombre Où passerait une onde Pure, froide, profonde, Sous un ciel bas et sombre, Petit front d'Immortelle Plissé dans la querelle, Nez mignard qu'ironise Un bout clair qui s'envole, Bouche d'où Sa parole Part, précise et consise Mais sorcière sans cesse, Qui blesse et qui caressa Mon âme obéissante, Soumise, adulatrice, Voix dominatrice, Voix toute-puissante...! Et ô sur cette bouche Plus âpre que farouche, Plus farouche que tendre, Plus tendre qu'ordinaire, Prince au fond débonnaire, Le Baiser semble attendre, Et tout cela qu'éclaire Le regard circulaire De deux yeux de braise, Bruns avec de la flamme, Sournois avec de l'àme Et du cœur, n'en déplaise A nos jaloux, ma reine, Ma noble souveraine Qui me lient dans tes geôles, Tête belle et bonne Et mauvaise — et couronne Du trône, tes Épaules.
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Au lecteur
Charles Baudelaire (1821-1867)
Poésie : Au lecteur Titre : Au lecteur Poète : Charles Baudelaire (1821-1867) La sottise, l'erreur, le péché, la lésine, Occupent nos esprits et travaillent nos corps, Et nous alimentons nos aimables remords, Comme les mendiants nourrissent leur vermine. Nos péchés sont têtus, nos repentirs sont lâches ; Nous nous faisons payer grassement nos aveux, Et nous rentrons gaiement dans le chemin bourbeux, Croyant par de vils pleurs laver toutes nos taches. Sur l'oreiller du mal c'est Satan Trismégiste Qui berce longuement notre esprit enchanté, Et le riche métal de notre volonté Est tout vaporisé par ce savant chimiste. C'est le Diable qui tient les fils qui nous remuent ! Aux objets répugnants nous trouvons des appas ; Chaque jour vers l'Enfer nous descendons d'un pas, Sans horreur, à travers des ténèbres qui puent. Ainsi qu'un débauché pauvre qui baise et mange Le sein martyrisé d'une antique catin, Nous volons au passage un plaisir clandestin Que nous pressons bien fort comme une vieille orange. Serré, fourmillant, comme un million d'helminthes, Dans nos cerveaux ribote un peuple de Démons, Et, quand nous respirons, la Mort dans nos poumons Descend, fleuve invisible, avec de sourdes plaintes. Si le viol, le poison, le poignard, l'incendie, N'ont pas encor brodé de leurs plaisants dessins Le canevas banal de nos piteux destins, C'est que notre âme, hélas ! n'est pas assez hardie. Mais parmi les chacals, les panthères, les lices, Les singes, les scorpions, les vautours, les serpents, Les monstres glapissants, hurlants, grognants, rampants, Dans la ménagerie infâme de nos vices, Il en est un plus laid, plus méchant, plus immonde ! Quoiqu'il ne pousse ni grands gestes ni grands cris, Il ferait volontiers de la terre un débris Et dans un bâillement avalerait le monde ; C'est l'Ennui ! - l'oeil chargé d'un pleur involontaire, Il rêve d'échafauds en fumant son houka. Tu le connais, lecteur, ce monstre délicat, - Hypocrite lecteur, - mon semblable, - mon frère !
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La rose
Évariste de Parny (1753-1814)
Poésie : La rose Titre : La rose Poète : Évariste de Parny (1753-1814) Recueil : Poésies fugitives (1787). Tableau I. C'est l'âge qui touche à l'enfance, C'est Justine, c'est la candeur. Déjà l'amour parle à son cœur : Crédule comme l'innocence, Elle écoute avec complaisance Son langage souvent trompeur. Son œil satisfait se repose Sur un jeune homme à ses genoux, Qui, d'un air suppliant et doux, Lui présente une simple rose. De cet amant passionné, Justine, refusez l'offrande ; Lorsqu'un amant donne, il demande, Et beaucoup plus qu'il n'a donné.
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La fin de la journée
Charles Baudelaire (1821-1867)
Poésie : La fin de la journée Titre : La fin de la journée Poète : Charles Baudelaire (1821-1867) Recueil : Les fleurs du mal (1857). Sonnet. Sous une lumière blafarde Court, danse et se tord sans raison La Vie, impudente et criarde. Aussi, sitôt qu'à l'horizon La nuit voluptueuse monte, Apaisant tout, même la faim, Effaçant tout, même la honte, Le Poète se dit : " Enfin ! Mon esprit, comme mes vertèbres, Invoque ardemment le repos ; Le coeur plein de songes funèbres, Je vais me coucher sur le dos Et me rouler dans vos rideaux, Ô rafraîchissantes ténèbres ! "
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Séguidille
Paul Verlaine (1844-1896)
Poésie : Séguidille Titre : Séguidille Poète : Paul Verlaine (1844-1896) Recueil : Parallèlement (1889). Brune encore non eue, Je te veux presque nue Sur un canapé noir Dans un jaune boudoir, Comme en mil huit cent trente. Presque nue et non nue À travers une nue De dentelles montrant Ta chair où va courant Ma bouche délirante. Je te veux trop rieuse Et très impérieuse, Méchante et mauvaise et Pire s'il te plaisait, Mais si luxurieuse ! Ah ! ton corps noir et rose Et clair de lune ! Ah ! pose Ton coude sur mon cœur, Et tout ton corps vainqueur, Tout ton corps que j'adore ! Ah ! ton corps, qu'il repose Sur mon âme morose Et l'étouffe s'il peut, Si ton caprice veut ! Encore, encore, encore ! Splendides, glorieuses, Bellement furieuses Dans leurs jeunes ébats, Fous mon orgueil en bas Sous tes fesses joyeuses !
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À Albert Dürer
Victor Hugo (1802-1885)
Poésie : À Albert Dürer Titre : À Albert Dürer Poète : Victor Hugo (1802-1885) Dans les vieilles forêts où la sève à grands flots Court du fût noir de l'aulne au tronc blanc des bouleaux, Bien des fois, n'est-ce pas ? à travers la clairière, Pâle, effaré, n'osant regarder en arrière, Tu t'es hâté, tremblant et d'un pas convulsif, Ô mon maître Albert Dure, ô vieux peintre pensif ! On devine, devant tes tableaux qu'on vénère, Que dans les noirs taillis ton œil visionnaire Voyait distinctement, par l'ombre recouverts, Le faune aux doigts palmés, le sylvain aux yeux verts, Pan, qui revêt de fleurs l'antre où tu te recueilles, Et l'antique dryade aux mains pleines de feuilles. Une forêt pour toi, c'est un monde hideux. Le songe et le réel s'y mêlent tous les deux. Là se penchent rêveurs les vieux pins, les grands ormes Dont les rameaux tordus font cent coudes difformes, Et dans ce groupe sombre agité par le vent, Rien n'est tout à fait mort ni tout à fait vivant. Le cresson boit ; l'eau court ; les frênes sur les pentes, Sous la broussaille horrible et les ronces grimpantes, Contractent lentement leurs pieds noueux et noirs. Les fleurs au cou de cygne ont les lacs pour miroirs ; Et sur vous qui passez et l'avez réveillée, Mainte chimère étrange à la gorge écaillée, D'un arbre entre ses doigts serrant les larges nœuds, Du fond d'un antre obscur fixe un œil lumineux. Ô végétation ! esprit ! matière ! force ! Couverte de peau rude ou de vivante écorce ! Aux bois, ainsi que toi, je n'ai jamais erré, Maître, sans qu'en mon cœur l'horreur ait pénétré, Sans voir tressaillir l'herbe, et, par le vent bercées, Pendre à tous les rameaux de confuses pensées. Dieu seul, ce grand témoin des faits mystérieux, Dieu seul le sait, souvent, en de sauvages lieux, J'ai senti, moi qu'échauffe une secrète flamme, Comme moi palpiter et vivre avec une âme, Et rire, et se parler dans l'ombre à demi-voix, Les chênes monstrueux qui remplissent les bois. Le 20 avril 1837.
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Ce Chasteau-neuf, ce nouvel edifice
Pierre de Ronsard (1524-1585)
Poésie : Ce Chasteau-neuf, ce nouvel edifice Titre : Ce Chasteau-neuf, ce nouvel edifice Poète : Pierre de Ronsard (1524-1585) Recueil : Amours diverses (1578). Ce Chasteau-neuf, ce nouvel edifice Tout enrichy de marbre et de porphire, Qu'Amour bastit chasteau de son empire, Où tout le Ciel a mis son artifice, Est un rempart, un fort contre le vice, Où la Vertu maistresse se retire, Que l'œil regarde, et que l'esprit admire, Forçant les cœurs à luy faire service. C'est un Chasteau feé de telle sorte, Que nul ne peut approcher de la porte, Si des grands Rois il n'a tiré sa race, Victorieux, vaillant et amoureux. Nul Chevalier, tant soit aventureux, Sans estre tel, ne peut gagner la place.
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La nue
Théophile Gautier (1811-1872)
Poésie : La nue Titre : La nue Poète : Théophile Gautier (1811-1872) A l'horizon monte une nue, Sculptant sa forme dans l'azur : On dirait une vierge nue Emergeant d'un lac au flot pur. Debout dans sa conque nacrée, Elle vogue sur le bleu clair, Comme une Aphrodite éthérée, Faite de l'écume de l'air. On voit onder en molles poses Son torse au contour incertain, Et l'aurore répand des roses Sur son épaule de satin. Ses blancheurs de marbre et de neige Se fondent amoureusement Comme, au clair-obscur du Corrège, Le corps d'Antiope dormant. Elle plane dans la lumière Plus haut que l'Alpe ou l'Apennin ; Reflet de la beauté première, Soeur de " l'éternel féminin ". A son corps, en vain retenue, Sur l'aile de la passion, Mon âme vole à cette nue Et l'embrasse comme Ixion. La raison dit : " Vague fumée, Où l'on croit voir ce qu'on rêva, Ombre au gré du vent déformée, Bulle qui crève et qui s'en va ? " Le sentiment répond : " Qu'importe ! Qu'est-ce après tout que la beauté, Spectre charmant qu'un souffle emporte Et qui n'est rien, ayant été ! " A l'Idéal ouvre ton âme ; Mets dans ton coeur beaucoup de ciel, Aime une nue, aime une femme, Mais aime ! - C'est l'essentiel ! "
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Tes yeux si beaux
Théophile Gautier (1811-1872)
Poésie : Tes yeux si beaux Titre : Tes yeux si beaux Poète : Théophile Gautier (1811-1872) Recueil : Élégies (1830). Élégie VIII. Théophile Gautier. Élégie VIII. Par tes yeux si beaux sous les voiles De leurs franges de longs cils noirs, Soleils jumeaux, doubles étoiles, D'un cœur ardent ardents miroirs ; Par ton front aux pâleurs d'albâtre, Que couronnent des cheveux bruns, Où l'haleine du vent folâtre Parmi la soie et les parfums ; Par tes lèvres, fraîche églantine, Grenade en fleur, riant corail D'où sort une voix argentine A travers la nacre et l'émail ; Par ton sein rétif qui s'agite Et bat sa prison de satin, Par ta main étroite et petite, Par l'éclat vermeil de ton teint ; Par ton doux accent d'Espagnole, Par l'aube de tes dix-sept ans, Je t'aimerai, ma jeune folle, Un peu plus que toujours, — longtemps !
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Le curé et le mort
Jean de La Fontaine (1621-1695)
Poésie : Le curé et le mort Titre : Le curé et le mort Poète : Jean de La Fontaine (1621-1695) Un mort s'en allait tristement S'emparer de son dernier gîte ; Un Curé s'en allait gaiement Enterrer ce mort au plus vite. Notre défunt était en carrosse porté, Bien et dûment empaqueté, Et vêtu d'une robe, hélas ! qu'on nomme bière, Robe d'hiver, robe d'été, Que les morts ne dépouillent guère. Le Pasteur était à côté, Et récitait à l'ordinaire Maintes dévotes oraisons, Et des psaumes et des leçons, Et des versets et des répons : Monsieur le Mort, laissez-nous faire, On vous en donnera de toutes les façons ; Il ne s'agit que du salaire. Messire Jean Chouart couvait des yeux son mort, Comme si l'on eût dû lui ravir ce trésor, Et des regards semblait lui dire : Monsieur le Mort, j'aurai de vous Tant en argent, et tant en cire, Et tant en autres menus coûts. Il fondait là-dessus l'achat d'une feuillette Du meilleur vin des environs ; Certaine nièce assez propette Et sa chambrière Pâquette Devaient voir des cotillons. Sur cette agréable pensée Un heurt survient, adieu le char. Voilà Messire Jean Chouart Qui du choc de son mort a la tête cassée : Le Paroissien en plomb entraîne son Pasteur ; Notre Curé suit son Seigneur ; Tous deux s'en vont de compagnie. Proprement toute notre vie ; Est le curé Chouart, qui sur son mort comptait, Et la fable du Pot au lait.
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À un homme fini
Victor Hugo (1802-1885)
Poésie : À un homme fini Titre : À un homme fini Poète : Victor Hugo (1802-1885) Tu savais bien qu'un jour il faudrait choir enfin, Mais tu n'imaginais ni Séjan, ni Rufin. Tu te croyais de ceux que la haine publique Frappe furtivement d'un coup de foudre oblique ; Tu t'étais figuré qu'on te renverserait Sans te faire de mal, doucement, en secret, Avec précaution, sans bruit, à la nuit close, Et priant un ami de te dire la chose, Ainsi qu'on pose à terre un vase précieux ; Tu t'étais fait d'avance, au loin, sous de beaux cieux, Dans ton palais, plus fier que la villa Farnèse, Un lit voluptueux pour tomber à ton aise. Point. C'est en plein midi que le peuple a tonné. L'horizon était bleu, l'éclair l'a sillonné. Le tonnerre, au grand jour, au milieu de la foule, Est tombé sur ton front comme un plafond qui croule, Et ceux qui t'ont vu mettre en poudre en un moment Se sont épouvantés de cet écrasement. Et les sages ont dit, te regardant par terre, Que les temps sont mauvais, que le pouvoir s'altère Quand un gueux, un gredin, un faquin, un maraud, Fait pour ramper si bas, peut tomber de si haut. Le 7 août 1849.
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À la Bidassoa
Théophile Gautier (1811-1872)
Poésie : À la Bidassoa Titre : À la Bidassoa Poète : Théophile Gautier (1811-1872) À la Bidassoa, près d'entrer en Espagne, Je descendis, voulant regarder la campagne, Et l'île des Faisans, et l'étrange horizon, Pendant qu'on nous timbrait d'un nouvel écusson. Et je vis, en errant à travers le village, Un homme qui mettait des balles hors d'usage, Avec un gros marteau, sur un quartier de grès, Pour en faire du plomb et le revendre après. Car la guerre a versé sur ces terres fatales De son urne d'airain une grêle de balles, Une grêle de mort que nul soleil ne fond. Hélas ! Ce que Dieu fait, les hommes le défont ! Sur un sol qui n'attend qu'une bonne semaille De leurs sanglantes mains ils sèment la mitraille ! Aussi les laboureurs vendent, au lieu de blé, Des boulets recueillis dans leur champ constellé. Mais du ciel épuré descend la Paix sereine, Qui répand de sa corne une meilleure graine, Fait taire les canons à ses pieds accroupis, Et presse sur son cœur une gerbe d'épis. Ecrit à Béhobie en 1840.
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theophile-gautier-poeme-a-la-bidassoa
Air de la princesse d'Orange
Victor Hugo (1802-1885)
Poésie : Air de la princesse d'Orange Titre : Air de la princesse d'Orange Poète : Victor Hugo (1802-1885) I Viens, ô toi que j'adore, Ton pas est plus joyeux Que le vent des cieux ; Viens, les yeux de l'aurore Sont divins, mais tes yeux Me regardent mieux. Avril, c'est la jeunesse ; Viens, sortons, la maison, L'enclos, la prison, Le foyer, la sagesse, N'ont jamais eu raison Contre la saison. Pour peu que tu le veuilles, Nous serons heureux ; vois, L'aube est sur les toits, Et l'eau court sous les feuilles, Et l'on entend des voix Du ciel dans les bois. Toutes les douces choses, L'hirondelle au retour Dans la vieille tour, Les chansons et les roses Et la clarté du jour, Sont faites d'amour. Aimer, c'est la première Des lois du Dieu clément. Le bois est charmant ; Et c'est de la lumière, Et c'est du firmament Qu'on fait en aimant. Belle, à la mort tout change ; Le ciel s'ouvre, embaumé, Superbe, enflammé, Et nous dit : viens ! sois ange ! Mais qui n'a pas aimé Le trouve fermé. II Mai dans les bois recèle Les amours innocents, Les amours innocents, L'homme en est l'étincelle, Les amours innocents, La femme en est l'encens. Couchez-vous sur la mousse Dans le beau mois de mai ; Dans le beau mois de mai, La chose la plus douce Dans le beau mois de mai C'est quand on est aimé. Parcourez les charmilles, Les sources, les buissons, Les sources, les buissons ; Autour des jeunes filles, Les sources, les buissons Chanteront des chansons. Sitôt qu'une femme aime, Au fond de son esprit, Au fond de son esprit Brille l'aube elle-même ; Au fond de son esprit Une rose fleurit. Vous qui voulez des flammes, Vous qui voulez des fleurs, Vous qui voulez des fleurs, Cherchez-en dans les âmes ; Vous qui voulez des fleurs, Cherchez-en dans les coeurs.
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Les chercheuses de poux
Arthur Rimbaud (1854-1891)
Poésie : Les chercheuses de poux Titre : Les chercheuses de poux Poète : Arthur Rimbaud (1854-1891) Quand le front de l'enfant, plein de rouges tourmentes, Implore l'essaim blanc des rêves indistincts, Il vient près de son lit deux grandes soeurs charmantes Avec de frêles doigts aux ongles argentins. Elles assoient l'enfant auprès d'une croisée Grande ouverte où l'air bleu baigne un fouillis de fleurs, Et dans ses lourds cheveux où tombe la rosée Promènent leurs doigts fins, terribles et charmeurs. Il écoute chanter leurs haleines craintives Qui fleurent de longs miels végétaux et rosés Et qu'interrompt parfois un sifflement, salives Reprises sur la lèvre ou désirs de baisers. Il entend leurs cils noirs battant sous les silences Parfumés ; et leurs doigts électriques et doux Font crépiter parmi ses grises indolences Sous leurs ongles royaux la mort des petits poux. Voilà que monte en lui le vin de la Paresse, Soupirs d'harmonica qui pourrait délirer ; L'enfant se sent, selon la lenteur des caresses, Sourdre et mourir sans cesse un désir de pleurer.
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Des morts
Paul Verlaine (1844-1896)
Poésie : Des morts Titre : Des morts Poète : Paul Verlaine (1844-1896) Ô Cloître Saint-Merry funèbre ! sombres rues ! Je ne foule jamais votre morne pavé Sans frissonner devant les affres apparues. Toujours ton mur en vain recrépit et lavé, Ô maison Transnonain, coin maudit, angle infâme, Saignera, monstrueux, dans mon coeur soulevé. Quelques-uns d'entre ceux de Juillet, que le blâme De leurs frères repus ne décourage point, Trouvent bon de montrer la candeur de leur âme. Alors dupes ? - Eh bien ! ils l'étaient à ce point De mourir pour leur oeuvre incomplète et trahie. Ils moururent contents, le drapeau rouge au poing. Mort grotesque d'ailleurs, car la tourbe ébahie Et pâle des bourgeois, leurs vainqueurs étonnés, Ne comprit rien du tout à leur cause haïe. C'était des jeunes gens francs qui riaient au nez De tout intrigant comme au nez de tout despote, Et de tout compromis désillusionnés. Ils ne redoutaient pas pour la France la botte Et l'éperon d'un Czar absolu, beaucoup plus Que la molette d'un monarque en redingote. Ils voulaient le devoir et le droit absolus, Ils voulaient « la cavale indomptée et rebelle », Le soleil sans couchant, l'Océan sans reflux. La République, ils la voulaient terrible et belle, Rouge et non tricolore, et devenaient très froids Quant à la liberté constitutionnelle... Aussi, d'entre ceux de juillet, que le blâme Ils étaient peu nombreux, tout au plus deux ou trois Centaines d'écoliers, ayant maîtresse et mère, Ils savaient qu'ils allaient mourir pour leur chimère, Et n'avaient pas l'espoir de vaincre, c'est pourquoi Un orgueil douloureux crispait leur lèvre amère ; Et c'est pourquoi leurs yeux réverbéraient la foi Calme ironiquement des martyres stériles, Quand ils tombèrent sous les balles et la loi. Et tous, comme à Pharsale et comme aux Thermopyles, Vendirent cher leur vie et tinrent en échec Par deux fois les courroux des généraux habiles. Aussi, quand sous le nombre ils fléchirent, avec Quelle rage les bons bourgeois de la milice Tuèrent les blessés indomptés à l'oeil sec ! Et dans le sang sacré des morts où le pied glisse, Barbotèrent, sauveurs tardifs et nasillards Du nouveau Capitole et du Roi, leur complice. — Jeunes morts, qui seriez aujourd'hui des vieillards, Nous envions, hélas ! nous vos fils, nous la France, Jusqu'au deuil qui suivit vos humbles corbillards. Votre mort, en dépit des serments d'allégeance, Fut-elle pas pleurée, admirée et plus tard Vengée, et vos vengeurs sont-ils pas sans vengeance ? Ils gisent, vos vengeurs, à Montmartre, à Clamart, Ou sont devenus fous au soleil de Cayenne, Ou vivent affamés et pauvres, à l'écart. Oh ! oui, nous envions la fin stoïcienne De ces calmes héros, et surtout jalousons Leurs yeux clos, à propos, en une époque ancienne. Car leurs yeux contemplant de lointains horizons Se fermèrent parmi des visions sublimes, Vierges de lâcheté comme de trahison, Et ne virent jamais, jamais, ce que nous vîmes.
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Le sphinx
Théophile Gautier (1811-1872)
Poésie : Le sphinx Titre : Le sphinx Poète : Théophile Gautier (1811-1872) Dans le Jardin Royal ou l'on voit les statues, Une Chimère antique entre toutes me plait ; Elle pousse en avant deux mamelles pointues, Dont le marbre veiné semble gonflé de lait ; Son visage de femme est le plus beau du monde ; Son col est si charnu que vous l'embrasseriez ; Mais quand on fait le tour, on voit sa croupe ronde, On s'aperçoit qu'elle a des griffes à ses pieds. Les jeunes nourrissons qui passent devant elle, Tendent leurs petits bras et veulent avec cris Coller leur bouche ronde à sa dure mamelle ; Mais, quand ils l'ont touchée, ils reculent surpris. C'est ainsi qu'il en est de toutes nos chimères : La face en est charmante et le revers bien laid. Nous leur prenons le sein, mais ces mauvaises mères N'ont pas pour notre lèvre une goutte de lait.
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Semper eadem
Charles Baudelaire (1821-1867)
Poésie : Semper eadem Titre : Semper eadem Poète : Charles Baudelaire (1821-1867) Recueil : Les fleurs du mal (1857). Sonnet. " D'où vous vient, disiez-vous, cette tristesse étrange, Montant comme la mer sur le roc noir et nu ? " - Quand notre coeur a fait une fois sa vendange, Vivre est un mal. C'est un secret de tous connu, Une douleur très simple et non mystérieuse, Et, comme votre joie, éclatante pour tous. Cessez donc de chercher, ô belle curieuse ! Et, bien que votre voix soit douce, taisez-vous ! Taisez-vous, ignorante ! âme toujours ravie ! Bouche au rire enfantin ! Plus encor que la Vie, La Mort nous tient souvent par des liens subtils. Laissez, laissez mon coeur s'enivrer d'un mensonge, Plonger dans vos beaux yeux comme dans un beau songe, Et sommeiller longtemps à l'ombre de vos cils !
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Dans cette ville où rien ne rit
Victor Hugo (1802-1885)
Poésie : Dans cette ville où rien ne rit Titre : Dans cette ville où rien ne rit Poète : Victor Hugo (1802-1885) Dans cette ville où rien ne rit et ne palpite, Comme dans une femme aujourd'hui décrépite, On sent que quelque chose, hélas ! a disparu ! Les maisons ont un air fâché, rogue et bourru ; Les fenêtres, luisant d'un luisant de limace, Semblent cligner des yeux et faire la grimace, Et de chaque escalier et de chaque pignon, Il sort je ne sais quoi de triste et de grognon. Des portes à claveaux du temps de Louis treize, Des bonshommes de pierre avec pourpoint et fraise, Des cours avec arceaux en anses de panier, Force carreaux cassés, maint immonde grenier, Des tours, de grands toits bleus sur des façades rouges, Ce serait des palais si ce n'était des bouges. Voilà ce qu'on rencontre à chaque pas, et puis D'affreux enfants tout nus jouant au bord des puits. Quelques arbres malsains, tout couverts de verrues, Percent le long des murs le pavé dans les rues. Les écriteaux sont pleins d'un gothique alphabet ; Les poteaux à lanterne ont un air de gibet ; Les vastes murs, les toits aigus, les girouettes, Font sur le ciel brumeux de mornes silhouettes. C'est surtout effrayant et lugubre le soir. Le jour, les habitants sont rares. On croit voir Partout le même vieux avec la même vieille. Dans ces réduits vitrés en verres de bouteille, Dans ces trous où jamais le, soleil n'arriva, On entend bougonner le siècle qui s'en va.
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Abîme - La voie lactée
Victor Hugo (1802-1885)
Poésie : Abîme - La voie lactée Titre : Abîme - La voie lactée Poète : Victor Hugo (1802-1885) Millions, millions, et millions d'étoiles ! Je suis, dans l'ombre affreuse et sous les sacrés voiles, La splendide forêt des constellations. C'est moi qui suis l'amas des yeux et des rayons, L'épaisseur inouïe et morne des lumières, Encor tout débordant des effluves premières, Mon éclatant abîme est votre source à tous. O les astres d'en bas, je suis si loin de vous Que mon vaste archipel de splendeurs immobiles, Que mon tas de soleils n'est, pour vos yeux débiles, Au fond du ciel, désert lugubre où meurt le bruit, Qu'un peu de cendre rouge éparse dans la nuit ! Mais, ô globes rampants et lourds, quelle épouvante Pour qui pénétrerait dans ma lueur vivante, Pour qui verrait de près mon nuage vermeil ! Chaque point est un astre et chaque astre un soleil. Autant d'astres, autant d'immensités étranges, Diverses, s'approchant des démons ou des anges, Dont les planètes font autant de nations ; Un groupe d'univers, en proie aux passions, Tourne autour de chacun de mes soleils de flammes ; Dans chaque humanité sont des coeurs et des âmes, Miroirs profonds ouverts à l'oeil universel, Dans chaque coeur l'amour, dans chaque âme le ciel ! Tout cela naît, meurt, croît, décroît, se multiplie. La lumière en regorge et l'ombre en est remplie. Dans le gouffre sous moi, de mon aube éblouis, Globes, grains de lumière au loin épanouis, Toi, zodiaque, vous, comètes éperdues, Tremblants, vous traversez les blêmes étendues, Et vos bruits sont pareils à de vagues clairons, Et j'ai plus de soleils que vous de moucherons. Mon immensité vit, radieuse et féconde. J'ignore par moments si le reste du monde, Errant dans quelque coin du morne firmament, Ne s'évanouit pas dans mon rayonnement. Les Nébuleuses A qui donc parles-tu, flocon lointain qui passes ? A peine entendons-nous ta voix dans les espaces. Nous ne te distinguons que comme un nimbe obscur Au coin le plus perdu du plus nocturne azur. Laisse-nous luire en paix, nous, blancheurs des ténèbres, Mondes spectres éclos dans les chaos funèbres, N'ayant ni pôle austral ni pôle boréal : Nous, les réalités vivant dans l'idéal, Les univers, d'où sort l'immense essaim des rêves, Dispersés dans l'éther, cet océan sans grèves Dont le flot à son bord n'est jamais revenu ; Nous les créations, îles de l'inconnu ! L'Infini L'être multiple vit dans mon unité sombre. Dieu Je n'aurais qu'à souffler, et tout serait de l'ombre.
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À Jeanne
Victor Hugo (1802-1885)
Poésie : À Jeanne Titre : À Jeanne Poète : Victor Hugo (1802-1885) Recueil : Les chansons des rues et des bois (1865). Ces lieux sont purs ; tu les complètes. Ce bois, loin des sentiers battus, Semble avoir fait des violettes, Jeanne, avec toutes tes vertus. L'aurore ressemble à ton âge ; Jeanne, il existe sous les cieux On ne sait quel doux voisinage Des bons coeurs avec les beaux lieux. Tout ce vallon est une fête Qui t'offre son humble bonheur ; C'est un nimbe autour de ta tête ; C'est un éden en ton honneur. Tout ce qui t'approche désire Se faire regarder par toi, Sachant que ta chanson, ton rire, Et ton front, sont de bonne foi. Ô Jeanne, ta douceur est telle Qu'en errant dans ces bois bénis, Elle fait dresser devant elle Les petites têtes des nids.
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À Madame Cne T
Alfred de Musset (1810-1857)
Poésie : À Madame Cne T Titre : À Madame Cne T Poète : Alfred de Musset (1810-1857) Recueil : Premières poésies (1829). Rondeau. Dans son assiette arrondi mollement, Un pâté chaud, d'un aspect délectable, D'un peu trop loin m'attirait doucement. J'allais à lui. Votre instinct charitable Vous fit lever pour me l'offrir gaiement. Jupin, qu'Hébé grisait au firmament, Voyant ainsi Vénus servir à table, Laissa son verre en choir d'étonnement Dans son assiette. Pouvais-je alors vous faire un compliment ? La grâce échappe, elle est inexprimable ; Les mots sont faits pour ce qu'on trouve aimable, Les regards seuls pour ce qu'on voit charmant ; Et je n'eus pas l'esprit en ce moment Dans son assiette.
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Au sein d'un asile champêtre
Évariste de Parny (1753-1814)
Poésie : Au sein d'un asile champêtre Titre : Au sein d'un asile champêtre Poète : Évariste de Parny (1753-1814) Au sein d'un asile champêtre Où Damis trouvait le repos, Le plus paisible des ruisseaux, Parmi les fleurs qu'il faisait naître, Roulait nonchalamment ses flots. Au campagnard il prit envie D'emprisonner dans son jardin Cette eau qui lui donnait la vie. Il prépare un vaste bassin Qui reçoit la source étonnée. Qu'arrive-t-il ? un noir limon Trouble bientôt l'onde enchaînée : Cette onde se tourne en poison. La tendre fleur, à peine éclose, Sur ses bords penche tristement ; Adieu l'œillet, adieu la rose ! Flore s'éloigne en gémissant. Ce ruisseau, c'est l'amour volage ; Ces fleurs vous peignent les plaisirs Qu'il fait naître sur son passage ; Des regrets et des vains soupirs Ce limon perfide est l'image ; Et pour ce malheureux bassin, L'on assure que c'est l'hymen.
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Adieu
Alfred de Musset (1810-1857)
Poésie : Adieu Titre : Adieu Poète : Alfred de Musset (1810-1857) Recueil : Poésies nouvelles (1850). Adieu ! je crois qu'en cette vie Je ne te reverrai jamais. Dieu passe, il t'appelle et m'oublie ; En te perdant je sens que je t'aimais. Pas de pleurs, pas de plainte vaine. Je sais respecter l'avenir. Vienne la voile qui t'emmène, En souriant je la verrai partir. Tu t'en vas pleine d'espérance, Avec orgueil tu reviendras ; Mais ceux qui vont souffrir de ton absence, Tu ne les reconnaîtras pas. Adieu ! tu vas faire un beau rêve Et t'enivrer d'un plaisir dangereux ; Sur ton chemin l'étoile qui se lève Longtemps encor éblouira tes yeux. Un jour tu sentiras peut-être Le prix d'un coeur qui nous comprend, Le bien qu'on trouve à le connaître, Et ce qu'on souffre en le perdant.
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En robe grise et verte avec des ruches
Paul Verlaine (1844-1896)
Poésie : En robe grise et verte avec des ruches Titre : En robe grise et verte avec des ruches Poète : Paul Verlaine (1844-1896) Recueil : La bonne chanson (1872). En robe grise et verte avec des ruches, Un jour de juin que j'étais soucieux, Elle apparut souriante à mes yeux Qui l'admiraient sans redouter d'embûches ; Elle alla, vint, revint, s'assit, parla, Légère et grave, ironique, attendrie : Et je sentais en mon âme assombrie Comme un joyeux reflet de tout cela ; Sa voix, étant de la musique fine, Accompagnait délicieusement L'esprit sans fiel de son babil charmant Où la gaîté d'un bon coeur se devine. Aussi soudain fus-je, après le semblant D'une révolte aussitôt étouffée, Au plein pouvoir de la petite Fée Que depuis lors je supplie en tremblant.
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L'autre président
Victor Hugo (1802-1885)
Poésie : L'autre président Titre : L'autre président Poète : Victor Hugo (1802-1885) I. Donc, vieux partis, voilà votre homme consulaire ! Aux jours sereins, quand rien ne nous vient assiéger, Dogue aboyant, dragon farouche, hydre en colère ; Taupe aux jours du danger ! Pour le mettre à leur tête, en nos temps que visite La tempête, brisant le cèdre et le sapin, Ils prirent le plus lâche, et, n'ayant pas Thersite, Ils choisirent Dupin. Tandis que ton bras fort pioche, laboure et bêche, Ils te trahissaient, peuple, ouvrier souverain ; Ces hommes opposaient le président Bobèche Au président Mandrin. II. Sa voix aigre sonnait comme une calebasse ; Ses quolibets mordaient l'orateur au cœur chaud - Ils avaient, insensés, mis l'âme la plus basse Au faîte le plus haut ; Si bien qu'un jour, ce fut un dénouement immonde, Des soldats, sabre au poing, quittant leur noir chevet Entrèrent dans ce temple auguste où, pour le monde, L'aurore se levait ! Devant l'autel des lois qu'on renverse et qu'on brûle, Honneur, devoir, criaient à cet homme : — Debout ! Dresse-toi, foudre en main, sur ta chaise curule ! — Il plongea dans l'égout. III. Qu'il y reste à jamais ! qu'à jamais il y dorme ! Que ce vil souvenir soit à jamais détruit ! Qu'il se dissolve là ! qu'il y devienne informe, Et pareil à la nuit ! Que, même en l'y cherchant, ou le distingue à peine Dans ce profond cloaque, affreux, morne, béant ! Et que tout ce qui rampe et tout ce qui se traîne Se mêle à son néant ! Et que l'histoire un jour ne s'en rende plus compte, Et dise en le voyant dans la fange étendu : — On ne sait ce que c'est. C'est quelque vieille honte Dont le nom s'est perdu ! — IV. Oh ! si ces âmes-là par l'enfer sont reçues, S'il ne les chasse pas dans son amer orgueil, Poètes qui, portant dans vos mains des massues, Gardez ce sombre seuil, N'est-ce pas ? dans ce gouffre où la justice habite, Dont l'espérance fuit le flamboyant fronton, Dites, toi, de Pathmos lugubre cénobite, Toi Dante, toi Milton, Toi, vieil Eschyle, ami des plaintives Electres, Ce doit être une joie, ô vengeurs des vertus, De faire souffleter les masques par les spectres, Et Dupin par Brutus ! Bruxelles, décembre 1851.
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Le Sonnet de l'Homme au Sable
Paul Verlaine (1844-1896)
Poésie : Le Sonnet de l'Homme au Sable Titre : Le Sonnet de l'Homme au Sable Poète : Paul Verlaine (1844-1896) Aussi, la créature était par trop toujours la même, Qui donnait ses baisers comme un enfant donne des noix, Indifférente à tout, hormis au prestige suprême De la cire à moustache et de l'empois des faux-cols droits. Et j'ai ri, car je tiens la solution du problème : Ce pouf était dans l'air dès le principe, je le vois ; Quand la chair et le sang, exaspérés d'un long carême, Réclamèrent leur dû, — la créature était en bois. C'est le conte d'Hoffmann avec de la bêtise en marge. Amis qui m'écoutez, faites votre entendement large, Car c'est la vérité que ma morale, et la voici : Si, par malheur, — puisse d'ailleurs l'augure aller au diable ! — Quelqu'un de vous devait s'emberlificoter aussi, Qu'il réclame un conseil de révision préalable.
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Laisse-moi sommeiller, amour
Pierre de Ronsard (1524-1585)
Poésie : Laisse-moi sommeiller, amour Titre : Laisse-moi sommeiller, amour Poète : Pierre de Ronsard (1524-1585) Laisse-moi sommeiller, Amour ! Ne te suffit-il que de jour Les yeux trop cruels de ma dame Me tourmentent le corps et l'âme, Sans la nuit me vouloir ainsi Tourmenter d'un nouveau souci, Alors que je devrais refaire Dans le lit la peine ordinaire Que tout le jour je souffre au cœur ! Hélas ! Amour plein de rigueur, Cruel enfant, que veux-tu dire ? Toujours le vautour ne martyre Le pauvre cœur Promethean Sur le sommet Caucasean, Mais de nuit recroître le laisse, À fin qu'au matin s'en repaisse. Mais tu me ronges jour et nuit, Et ton soin, qui toujours me suit, Ne veut que mon cœur se refasse ; Mais toujours, toujours le tirasse, Ainsi qu'un acharné limier Tirasse le cœur d'un sanglier. Chacun dit que je suis malade, Me voyant la couleur si fade Et le teint si morne et si blanc ; Et dit-on vrai, car je n'ai sang En veine, ni force en artère ; Aussi la nuit je ne digère Et mon souper me reste cru Dans l'estomac d'amours recru. Mais, Amour, j'aurai la vengeance De ta cruelle outrecuidance Quittant ma vie, et, si je meurs, Je serai franc de tes douleurs : Car rien ne peut ta tyrannie Sur un corps qui n'a plus de vie.
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À propos de Dona Rosa
Victor Hugo (1802-1885)
Poésie : À propos de Dona Rosa Titre : À propos de Dona Rosa Poète : Victor Hugo (1802-1885) À Mérante. Au printemps, quand les nuits sont claires, Quand on voit, vagues tourbillons, Voler sur les fronts les chimères Et dans les fleurs les papillons, Pendant la floraison des fèves, Quand l'amant devient l'amoureux, Quand les hommes, en proie aux rêves, Ont toutes ces mouches sur eux, J'estime qu'il est digne et sage De ne point prendre un air vainqueur, Et d'accepter ce doux passage De la saison sur notre coeur. A quoi bon résister aux femmes, Qui ne résistent pas du tout ? Toutes les roses sont en flammes ; Une guimpe est de mauvais goût. Trop heureux ceux à qui les belles Font la violence d'aimer ! A quoi sert-il d'avoir des ailes, Sinon pour les laisser plumer ? Ô Mérante, il n'est rien qui vaille Ces purs attraits, tendres tyrans, Un sourire qui dit : Bataille ! Un soupir qui dit : Je me rends ! Et je donnerais la Castille Et ses plaines en amadou Pour deux yeux sous une mantille, Fiers, et venant on ne sait d'où.
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Le revenant
Charles Baudelaire (1821-1867)
Poésie : Le revenant Titre : Le revenant Poète : Charles Baudelaire (1821-1867) Recueil : Les fleurs du mal (1857). Sonnet. Comme les anges à l'oeil fauve, Je reviendrai dans ton alcôve Et vers toi glisserai sans bruit Avec les ombres de la nuit, Et je te donnerai, ma brune, Des baisers froids comme la lune Et des caresses de serpent Autour d'une fosse rampant. Quand viendra le matin livide, Tu trouveras ma place vide, Où jusqu'au soir il fera froid. Comme d'autres par la tendresse, Sur ta vie et sur ta jeunesse, Moi, je veux régner par l'effroi.
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Aube
Victor Hugo (1802-1885)
Poésie : Aube Titre : Aube Poète : Victor Hugo (1802-1885) Un immense frisson émeut la plaine obscure. C'est l'heure où Pythagore, Hésiode, Epicure, Songeaient ; c'est l'heure où, las d'avoir, toute la nuit, Contemplé l'azur sombre et l'étoile qui luit, Pleins d'horreur, s'endormaient les pâtres de Chaldée. Là-bas, la chute d'eau, de mille plis ridée, Brille, comme dans l'ombre un manteau de satin Sur l'horizon lugubre apparaît le matin, Face rose qui rit avec des dents de perles Le bœuf rêve et mugit, les bouvreuils et les merles Et les geais querelleurs sifflent, et dans les bois On entend s'éveiller confusément les voix ; Les moutons hors de l'ombre, à travers les bourrées, Font bondir au soleil leurs toisons éclairées ; Et la jeune dormeuse, entrouvrant son œil noir, Fraîche, et ses coudes blancs sortis hors du peignoir, Cherche de son pied nu sa pantoufle chinoise. Louange à Dieu ! toujours, après la nuit sournoise, Agitant sur les monts la rose et le genêt, La nature superbe et tranquille renaît ; L'aube éveille le nid à l'heure accoutumée, Le chaume dresse au vent sa plume de fumée, Le rayon, flèche d'or, perce l'âpre forêt ; Et plutôt qu'arrêter le soleil, on ferait Sensibles à l'honneur et pour le bien fougueuses Les âmes de Baroche et de Troplong, ces gueuses ! Jersey, le 28 avril 1853.
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La montre
Théophile Gautier (1811-1872)
Poésie : La montre Titre : La montre Poète : Théophile Gautier (1811-1872) Deux fois je regarde ma montre, Et deux fois à mes yeux distraits L'aiguille au même endroit se montre ; Il est une heure... une heure après. La figure de la pendule En rit dans le salon voisin, Et le timbre d'argent module Deux coups vibrant comme un tocsin. Le cadran solaire me raille En m'indiquant, de son long doigt, Le chemin que sur la muraille A fait son ombre qui s'accroît. Le clocher avec ironie Dit le vrai chiffre et le beffroi, Reprenant la note finie, A l'air de se moquer de moi. Tiens ! la petite bête est morte. Je n'ai pas mis hier encor, Tant ma rêverie était forte, Au trou de rubis la clef d'or ! Et je ne vois plus, dans sa boîte, Le fin ressort du balancier Aller, venir, à gauche, à droite, Ainsi qu'un papillon d'acier. C'est bien de moi ! Quand je chevauche L'Hippogriffe, au pays du Bleu, Mon corps sans âme se débauche, Et s'en va comme il plaît à Dieu ! L'éternité poursuit son cercle Autour de ce cadran muet, Et le temps, l'oreille au couvercle, Cherche ce coeur qui remuait ; Ce coeur que l'enfant croit en vie, Et dont chaque pulsation Dans notre poitrine est suivie D'une égale vibration, Il ne bat plus, mais son grand frère Toujours palpite à mon côté. - Celui que rien ne peut distraire, Quand je dormais, l'a remonté !
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Écrit sur le tombeau d'un petit enfant au bord de la mer
Victor Hugo (1802-1885)
Poésie : Écrit sur le tombeau d'un petit enfant au bord de la mer Titre : Écrit sur le tombeau d'un petit enfant au bord de la mer Poète : Victor Hugo (1802-1885) Vieux lierre, frais gazon, herbe, roseaux, corolles ; Église où l'esprit voit le Dieu qu'il rêve ailleurs ; Mouches qui murmurez d'ineffables paroles À l'oreille du pâtre assoupi dans les fleurs ; Vents, flots, hymne orageux, choeur sans fin, voix sans nombre ; Bois qui faites songer le passant sérieux ; Fruits qui tombez de l'arbre impénétrable et sombre, Étoiles qui tombez du ciel mystérieux ; Oiseaux aux cris joyeux, vague aux plaintes profondes ; Froid lézard des vieux murs dans les pierres tapi ; Plaines qui répandez vos souffles sur les ondes ; Mer où la perle éclôt, terre où germe l'épi ; Nature d'où tout sort, nature où tout retombe, Feuilles, nids, doux rameaux que l'air n'ose effleurer, Ne faites pas de bruit autour de cette tombe ; Laissez l'enfant dormir et la mère pleurer ! Le 21 janvier 1840.
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Versailles
Théophile Gautier (1811-1872)
Poésie : Versailles Titre : Versailles Poète : Théophile Gautier (1811-1872) Recueil : La comédie de la mort (1838). Versailles, tu n'es plus qu'un spectre de cité ; Comme Venise au fond de son Adriatique, Tu traînes lentement ton corps paralytique, Chancelant sous le poids de ton manteau sculpté. Quel appauvrissement ! Quelle caducité ! Tu n'es que surannée et tu n'es pas antique, Et nulle herbe pieuse au long de ton portique Ne grimpe pour voiler ta pâle nudité. Comme une délaissée, à l'écart, sous ton arbre, Sur ton sein douloureux croisant tes bras de marbre, Tu guettes le retour de ton royal amant. Le rival du soleil dort sous son monument ; Les eaux de tes jardins à jamais se sont tues, Et tu n'auras bientôt qu'un peuple de statues.
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La hache ? Non. Jamais
Victor Hugo (1802-1885)
Poésie : La hache ? Non. Jamais Titre : La hache ? Non. Jamais Poète : Victor Hugo (1802-1885) Recueil : Les quatre vents de l'esprit (1881). La hache ? Non. Jamais. Je n'en veux pour personne. Pas même pour ce czar devant qui je frissonne, Pas même pour ce monstre à lui-même fatal. Qui supprime Tyburn abolit White-Hall ; Et quand la mort, ouvrant son désastreux registre, Me dit : - Que jettes-tu dans ce panier sinistre ? Ou la tête du peuple, ou la tête du roi ? Je dis : — Ni celle-ci, ni celle-là. — Ma loi, C'est la vie ; et ma joie, ô Dieu, c'est l'aube pure. Je ne suis pas de ceux qui font la pourriture ; Je ne suis pas de ceux qui donnent à manger Au sépulcre, où l'on voit ramper et s'allonger L'affreux sarcopte éclos du miasme délétère ; Je ne suis pas de ceux vers qui les vers de terre, Béants, tournent leur tête aveugle dans la nuit. ...
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Le ciel est par-dessus le toit
Paul Verlaine (1844-1896)
Poésie : Le ciel est par-dessus le toit Titre : Le ciel est par-dessus le toit Poète : Paul Verlaine (1844-1896) Recueil : Sagesse (1881). Le ciel est, par-dessus le toit, Si bleu, si calme ! Un arbre, par-dessus le toit, Berce sa palme. La cloche, dans le ciel qu'on voit, Doucement tinte. Un oiseau sur l'arbre qu'on voit Chante sa plainte. Mon Dieu, mon Dieu, la vie est là Simple et tranquille. Cette paisible rumeur-là Vient de la ville. Qu'as-tu fait, ô toi que voilà Pleurant sans cesse, Dis, qu'as-tu fait, toi que voilà, De ta jeunesse ?
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La nuit
Alfred de Musset (1810-1857)
Poésie : La nuit Titre : La nuit Poète : Alfred de Musset (1810-1857) Quand la lune blanche S'accroche à la branche Pour voir Si quelque feu rouge Dans l'horizon bouge Le soir, Fol alors qui livre A la nuit son livre Savant, Son pied aux collines, Et ses mandolines Au vent ; Fol qui dit un conte, Car minuit qui compte Le temps, Passe avec le prince Des sabbats qui grince Des dents. L'amant qui compare Quelque beauté rare Au jour, Tire une ballade De son coeur malade D'amour. Mais voici dans l'ombre Qu'une ronde sombre Se fait, L'enfer autour danse, Tous dans un silence Parfait. Tout pendu de Grève, Tout Juif mort soulève Son front, Tous noyés des havres Pressent leurs cadavres En rond. Et les âmes feues Joignent leurs mains bleues Sans os ; Lui tranquille chante D'une voix touchante Ses maux. Mais lorsque sa harpe, Où flotte une écharpe, Se tait, Il veut fuir... La danse L'entoure en silence Parfait. Le cercle l'embrasse, Son pied s'entrelace Aux morts, Sa tête se brise Sur la terre grise ! Alors La ronde contente, En ris éclatante, Le prend ; Tout mort sans rancune Trouve au clair de lune Son rang. Car la lune blanche S'accroche à la branche Pour voir Si quelque feu rouge Dans l'horizon bouge Le soir.
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En sourdine
Paul Verlaine (1844-1896)
Poésie : En sourdine Titre : En sourdine Poète : Paul Verlaine (1844-1896) Recueil : Fêtes galantes (1869). Calmes dans le demi-jour Que les branches hautes font, Pénétrons bien notre amour De ce silence profond. Fondons nos âmes, nos coeurs Et nos sens extasiés, Parmi les vagues langueurs Des pins et des arbousiers. Ferme tes veux à demi, Croise tes bras sur ton sein, Et de ton coeur endormi Chasse à jamais tout dessein. Laissons-nous persuader Au souffle berceur et doux Qui vient à tes pieds rider Les ondes de gazon roux. Et quand, solennel, le soir Des chênes noirs tombera, Voix de notre désespoir, Le rossignol chantera.
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Complies en ville
Paul Verlaine (1844-1896)
Poésie : Complies en ville Titre : Complies en ville Poète : Paul Verlaine (1844-1896) Au sortir de Paris on entre à Notre-Dame. Le fracas blanc vous jette aux accords long-voilés, L'affreux soleil criard à l'ombre qui se pâme Qui se pâme, aux regards des vitraux constellés, Et l'adoration à l'infini s'étire En des récitatifs lentement en-allés. Vêpres sont dites, et l'autel noir ne fait luire Que six cierges, après les flammes du Salut Dont l'encens rôde encor mêlé des goûts de cire. Un clerc a lu : Jube, domne, comme fallut, Et l'orage du fond des stalles se déchaîne De rude psalmodie au même instant qu'il lut, Le bon orage frais sous la voûte hautaine Où le jour tamisé par les Saints et les Rois Des rosaces oscille en volute sereine. Cela parle de paix de l'âme, des effrois De la nuit dissipés par l'acte et la prière. L'espérance s'enroule autour des piliers froids. C'est la suprême joie, et l'extrême lumière Concentrée aux rais de la seule Vérité, Et le vieux Siméon dit l'extase dernière ! Recommandons notre âme au Dieu de vérité.
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Avent
Paul Verlaine (1844-1896)
Poésie : Avent Titre : Avent Poète : Paul Verlaine (1844-1896) Recueil : Liturgies intimes (1892). « Dans les Avents », comme l'on dit Chez mes pays qui sont rustiques Et qui patoisent un petit Entre autres usages antiques, « Dans les Avents les côs chantont », Toute la nuit, grâce à la lune « Clartive » alors, et dont le front S'argente et cuivre dès la brune Jusqu'à l'aube en peu d'ombre, et ces Chante-clair, clair comme un beau rêve, Proclament jusques à l'excès Le soleil... qui plus tard se lève, Trop tard pour ceux qui sont reclus Au poulailler, — tout comme une âme Ne tendant que vers les élus, Dans le péché, prison infâme, — Et comme une âme les bons coqs, Vigilants, tels au temps de Pierre, Souffrent, mais, en dépit des chocs D'ombre, chantent, et l'âme espère.
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Il Bacio
Paul Verlaine (1844-1896)
Poésie : Il Bacio Titre : Il Bacio Poète : Paul Verlaine (1844-1896) Baiser ! rose trémière au jardin des caresses ! Vif accompagnement sur le clavier des dents Des doux refrains qu'Amour chante en les cœurs ardents, Avec sa voix d'archange aux langueurs charmeresses ! Sonore et gracieux Baiser, divin Baiser ! Volupté non pareille, ivresse inénarrable ! Salut ! L'homme, penché sur ta coupe adorable, S'y grise d'un bonheur qu'il ne sait épuiser. Comme le vin du Rhin et comme la musique, Tu consoles et tu berces, et le chagrin Expire avec la moue en ton pli purpurin... Qu'un plus grand, Gœthe ou Will, te dresse un vers classique. Moi, je ne puis, chétif trouvère de Paris, T'offrir que ce bouquet de strophes enfantines : Sois bénin et, pour prix, sur les lèvres mutines D'Une que je connais, Baiser, descends, et ris.
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Parfois dans un vieux cœur
Auguste Angellier (1848-1911)
Poésie : Parfois dans un vieux cœur Titre : Parfois dans un vieux cœur Poète : Auguste Angellier (1848-1911) Recueil : À l'amie perdue (1896). Parfois dans un vieux cœur d'où le souvenir fuit, Plus pauvre, chaque jour, de toutes les pensées Qui s'éloignent de lui, par troupes empressées De l'abandonner seul au vide et à la nuit, S'entend encor, lointain et faible, un joyeux bruit ; Quelques émotions de ses amours passées Chantent soudain parmi ses chambres délaissées, Dans l'obscure stupeur qui se répand en lui ; Pareilles à l'horloge épuisée et qui sonne Faiblement les coups lents de ses dernières heures, Dans un manoir désert par l'exil ou la mort ; Sur les perrons disjoints croîtra la belladone, L'eau suintera verdâtre au bord des chantepleures, Le dernier son du Temps dans les couloirs s'endort.
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Le soir (II)
Marceline Desbordes-Valmore (1786-1859)
Poésie : Le soir (II) Titre : Le soir (II) Poète : Marceline Desbordes-Valmore (1786-1859) Recueil : Romances (1830). Sur la musique de Garni. En vain l'aurore, Qui se colore, Annonce un jour Fait pour l'amour ; De ta pensée Tout oppressée, Pour te revoir, J'attends le soir. L'aurore en fuite, Laisse à sa suite Un soleil pur, Un ciel d'azur : L'amour s'éveille ; Pour lui je veille ; Et, pour te voir, J'attends le soir. Heure charmante, Soyez moins lente ! Avancez-vous, Moment si doux ! Une journée Est une année, Quand pour te voir, J'attends le soir. Un voile sombre Ramène l'ombre ; Un doux repos Suit les travaux : Mon sein palpite, Mon cœur me quitte... Je vais te voir ; Voilà le soir.
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Gais et contents
Paul Verlaine (1844-1896)
Poésie : Gais et contents Titre : Gais et contents Poète : Paul Verlaine (1844-1896) Recueil : Amour (1888). A Charles Vesseron Une chanson folle et légère Comme le drapeau tricolore Court furieusement dans l'air, Fifrant une France âpre encor. Sa gaîté qui rit d'elle-même Et du reste en passant se moque Pourtant veut bien dire : Tandem ! Et vaticine le grand choc. Écoutez ! le flonflon se pare Des purs accents de la Patrie, Espèce de chant du départ Du gosse effrayant de Paris. Il est le rythme, il est la joie, Il est la Revanche essayée, Il est l'entrain, il est tout, quoi ! Jusqu'au juron luron qui sied, Jusqu'au cri de reconnaissance Qu'on pousse quand il faut qu'on meure De sang-froid, dans tout son bon sens, Avec de l'honneur plein son cœur !
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Casino des lumières crues
Louis Aragon (1897-1982)
Poésie : Casino des lumières crues Titre : Casino des lumières crues Poète : Louis Aragon (1897-1982) Recueil : Feu de joie (1920). Un soir des plages à la mode on joue un air Qui fait prendre aux petits chevaux un train d'enfer Et la fille se pâme et murmure Weber Moi je prononce Wèbre et regarde la mer.
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Avec ses vêtements ondoyants
Charles Baudelaire (1821-1867)
Poésie : Avec ses vêtements ondoyants Titre : Avec ses vêtements ondoyants Poète : Charles Baudelaire (1821-1867) Recueil : Les fleurs du mal (1857). Avec ses vêtements ondoyants et nacrés, Même quand elle marche on croirait qu'elle danse, Comme ces longs serpents que les jongleurs sacrés Au bout de leurs bâtons agitent en cadence. Comme le sable morne et l'azur des déserts, Insensibles tous deux à l'humaine souffrance, Comme les longs réseaux de la houle des mers, Elle se développe avec indifférence. Ses yeux polis sont faits de minéraux charmants, Et dans cette nature étrange et symbolique Où l'ange inviolé se mêle au sphinx antique, Où tout n'est qu'or, acier, lumière et diamants, Resplendit à jamais, comme un astre inutile, La froide majesté de la femme stérile.
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Le bonheur de l'obscurité
Amédée Pommier (1804-1877)
Poésie : Le bonheur de l'obscurité Titre : Le bonheur de l'obscurité Poète : Amédée Pommier (1804-1877) Faux éclat des grandeurs pour lequel on soupire, Opulentes cités, ambitieux palais, Princes, et toi, Fortune, au perfide sourire, J'ai trouvé loin de vous l'innocence et la paix. Exilé de la cour, oublié de l'envie, Dans le sein du silence et de l'oisiveté, Sans désirs, sans douleurs, je vais couler ma vie, Et mon plus cher trésor sera ma pauvreté. Lieux qui m'avez vu naître, aimable solitude, Au moment du retour que vos charmes sont doux ! Je pourrai donc enfin, libre d'inquiétude, Goûter des plaisirs purs et simples comme vous. Je reconnais les champs, le clocher, la colline, Tous les premiers objets qui frappèrent mes yeux, Et le chêne isolé dont la tête s'incline Sur le modeste toit qu'habitaient mes aïeux. Séjour du vrai bonheur, retraites pacifiques, Accueillez aujourd'hui le nouveau villageois : C'en est fait, je renonce aux lambris magnifiques Pour le gazon des prés et l'ombrage des bois. Qu'on vante les héros dont le fatal courage S'ouvre un chemin sanglant vers l'immortalité ; Refrains des vendangeurs, travaux du labourage, Combien je vous préfère à leur célébrité ! Le vain bruit de la gloire et le faste des villes N'ont pas encore trouble le calme de ces lieux ; Les jours y sont sereins, les cœurs y sont tranquilles ; En fuyant les pervers, j'ai trouvé les heureux. Toi pour qui je respire, ô maîtresse adorée, Le bocage t'appelle et s'embellit pour toi ; Viens partager mes biens, ma chaumière ignorée ; Viens vivre loin d'un monde où l'amour est sans foi. Souvent, parmi les fleurs des riantes prairies, Nous irons contempler le déclin d'un beau jour ; Souvent, le cœur bercé de douces rêveries, Nous irons parcourir les forêts d'alentour. Ces berceaux odorants, ces dômes de feuillage, Ennemis du soleil et versant la fraîcheur, Les timides désirs que leur ombre encourage, Tout ici nous promet un facile bonheur. Nous pourrons savourer l'aspect de la nature, Dans les bras l'un de l'autre et d'amour consumés ; Ces lieux nous prêteront leurs rideaux de verdure, Et leurs sièges de mousse, et leurs lits parfumés. Promenant leur cristal en gracieux méandres, Les limpides ruisseaux couleront près de nous ; Je chanterai pour toi : mes vers, seront plus tendres, Dictés par tes regards, écrits sur tes genoux ! Hélas ! Bientôt peut-être, abrégeant ma carrière, L'inexorable mort viendra nous séparer ; Les pavots du cercueil couvriront ma paupière ; Je sentirai ma vie et ma flamme expirer. A cette heure suprême, ô ma chère Zélie ! Tu seras près de moi pour calmer mes douleurs ; Je presserai ta main de ma main affaiblie, Et mon dernier regard verra couler tes pleurs. Mes vœux seront remplis, si ton cœur me regrette, Si celle que les dieux firent pour tout charmer Vient rêver quelquefois sur la cendre muette D'un mortel inconnu qui vécut pour t'aimer !
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Ange divin, qui mes plaies embaume
Pierre de Ronsard (1524-1585)
Poésie : Ange divin, qui mes plaies embaume Titre : Ange divin, qui mes plaies embaume Poète : Pierre de Ronsard (1524-1585) Recueil : Le premier livre des Amours (1552). Ange divin, qui mes plaies embaume, Le truchement et le héraut des dieux, De quelle porte es-tu coulé des cieux, Pour soulager les peines de mon âme ? Toi, quand la nuit par le penser m'enflamme, Ayant pitié de mon mal soucieux, Ore en mes bras, ore devant mes yeux, Tu fais nager l'idole de ma Dame. Demeure, Songe, arrête encore un peu ! Trompeur, attends que je me sois repu De ce beau sein dont l'appétit me ronge, Et de ces flancs qui me font trépasser : Sinon d'effet, souffre au moins que par songe Toute une nuit je les puisse embrasser.
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À Charles Baudelaire
Paul Verlaine (1844-1896)
Poésie : À Charles Baudelaire Titre : À Charles Baudelaire Poète : Paul Verlaine (1844-1896) Recueil : Liturgies intimes (1892). Je ne t'ai pas connu, je ne t'ai pas aimé, Je ne te connais point et je t'aime encor moins : Je me chargerais mal de ton nom diffamé, Et si j'ai quelque droit d'être entre tes témoins, C'est que, d'abord, et c'est qu'ailleurs, vers les Pieds joints D'abord par les clous froids, puis par l'élan pâmé Des femmes de péché - desquelles ô tant oints, Tant baisés, chrême fol et baiser affamé ! Tu tombas, tu prias, comme moi, comme toutes Les âmes que la faim et la soif sur les routes Poussaient belles d'espoir au Calvaire touché ! Calvaire juste et vrai, Calvaire où, donc, ces doutes, Ci, çà, grimaces, art, pleurent de leurs déroutes. Hein ? mourir simplement, nous, hommes de péché.
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Opportet hæreses esse
Paul Verlaine (1844-1896)
Poésie : Opportet hæreses esse Titre : Opportet hæreses esse Poète : Paul Verlaine (1844-1896) Recueil : Liturgies intimes (1892). Opportet hæreses esse. Car il faut, en effet, encore, Que notre foi, donc, s'édulcore Opportet hæreses esse. Il fallait quelque humilité, Ma Foi qui poses et grimaces, Afin que tu t'édulcorasses ; Et l'hérésiarque entêté T'a tenté, ne nous dis pas non, Jusque vers les pires péchés, T'entraînant du doute impur chez Le Diable t'ouvrant son fanon. Or maintenant, courage ! assez De larmes sur l'erreur d'un jour, Songe au pardon du Dieu d'amour. Opportet hæreses esse.
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L'indulgence qui n'est pas de l'indifférence
Paul Verlaine (1844-1896)
Poésie : L'indulgence qui n'est pas de l'indifférence Titre : L'indulgence qui n'est pas de l'indifférence Poète : Paul Verlaine (1844-1896) Recueil : Bonheur (1891). L'indulgence qui n'est pas de l'indifférence Et qui n'est pas non plus de la faiblesse, ni De la paresse, pour un devoir défini, Monitoire au plaisir, bénin à la souffrance. Non plus le scepticisme et ni préjugé rance Mais grand'délicatesse et bel accord béni Et ni la chair honnie et ni l'ennui banni Toute mansuétude et comme vieille France. Nous serions une mer en deux fleuves puissants Où le Bonheur et le Malheur têtes de flottes Nous passeraient sans heurts, montés par le Bon sens, Ubiquiste équipage, ubiquiste pilote, Ubiquiste amiral sous ton sûr pavillon. Amitié, non plus sous le vôtre, Amour brouillon.
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Le beau navire
Charles Baudelaire (1821-1867)
Poésie : Le beau navire Titre : Le beau navire Poète : Charles Baudelaire (1821-1867) Je veux te raconter, ô molle enchanteresse ! Les diverses beautés qui parent ta jeunesse ; Je veux te peindre ta beauté, Où l'enfance s'allie à la maturité. Quand tu vas balayant l'air de ta jupe large, Tu fais l'effet d'un beau vaisseau qui prend le large, Chargé de toile, et va roulant Suivant un rythme doux, et paresseux, et lent. Sur ton cou large et rond, sur tes épaules grasses, Ta tête se pavane avec d'étranges grâces ; D'un air placide et triomphant Tu passes ton chemin, majestueuse enfant. Je veux te raconter, ô molle enchanteresse ! Les diverses beautés qui parent ta jeunesse ; Je veux te peindre ta beauté, Où l'enfance s'allie à la maturité. Ta gorge qui s'avance et qui pousse la moire, Ta gorge triomphante est une belle armoire Dont les panneaux bombés et clairs Comme les boucliers accrochent des éclairs, Boucliers provoquants, armés de pointes roses ! Armoire à doux secrets, pleine de bonnes choses, De vins, de parfums, de liqueurs Qui feraient délirer les cerveaux et les coeurs ! Quand tu vas balayant l'air de ta jupe large, Tu fais l'effet d'un beau vaisseau qui prend le large, Chargé de toile, et va roulant Suivant un rythme doux, et paresseux, et lent. Tes nobles jambes, sous les volants qu'elles chassent, Tourmentent les désirs obscurs et les agacent, Comme deux sorcières qui font Tourner un philtre noir dans un vase profond. Tes bras, qui se joueraient des précoces hercules, Sont des boas luisants les solides émules, Faits pour serrer obstinément, Comme pour l'imprimer dans ton coeur, ton amant. Sur ton cou large et rond, sur tes épaules grasses, Ta tête se pavane avec d'étranges grâces ; D'un air placide et triomphant Tu passes ton chemin, majestueuse enfant.
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L'esprit de Dieu
Alphonse de Lamartine (1790-1869)
Poésie : L'esprit de Dieu Titre : L'esprit de Dieu Poète : Alphonse de Lamartine (1790-1869) À L. De V***. Le feu divin qui nous consume Ressemble à ces feux indiscrets Qu'un pasteur imprudent allume Aux bord de profondes forêts ; Tant qu'aucun souffle ne l'éveille, L'humble foyer couve et sommeille ; Mais s'il respire l'aquilon, Tout à coup la flamme engourdie S'enfle, déborde ; et l'incendie Embrase un immense horizon ! Ô mon âme, de quels rivages Viendra ce souffle inattendu ? Serait-ce un enfant des orages ? Un soupir à peine entendu ? Viendra-t-il, comme un doux zéphyre, Mollement caresser ma lyre, Ainsi qu'il caresse une fleur ? Ou sous ses ailes frémissantes, Briser ses cordes gémissantes Du cri perçant de la douleur ? Viens du couchant ou de l'aurore ! Doux ou terrible au gré du sort, Le sein généreux qui t'implore Brave la souffrance ou la mort ! Aux coeurs altérés d'harmonie Qu'importe le prix du génie ? Si c'est la mort, il faut mourir !... On dit que la bouche d'Orphée, Par les flots de l'Ebre étouffée, Rendit un immortel soupir ! Mais soit qu'un mortel vive ou meurt, Toujours rebelle à nos souhaits, L'esprit ne souffle qu'à son heure, Et ne se repose jamais ! Préparons-lui des lèvres pures, Un oeil chaste, un front sans souillures, Comme, aux approches du saint lieu, Des enfants, des vierges voilées, Jonchent de roses effeuillées La route où va passer un Dieu ! Fuyant des bords qui l'ont vu naître, De Jéthro l'antique berger Un jour devant lui vit paraître Un mystérieux étranger ; Dans l'ombre, ses larges prunelles Lançaient de pâles étincelles, Ses pas ébranlaient le vallon ; Le courroux gonflait sa poitrine, Et le souffle de sa narine Résonnait comme l'aquilon ! Dans un formidable silence Ils se mesurent un moment ; Soudain l'un sur l'autre s'élance, Saisi d'un même emportement : Leurs bras menaçants se replient, Leurs fronts luttent, leurs membres crient, Leurs flancs pressent leurs flancs pressés ; Comme un chêne qu'on déracine Leur tronc se balance et s'incline Sur leurs genoux entrelacés ! Tous deux ils glissent dans la lutte, Et Jacob enfin terrassé Chancelle, tombe, et dans sa chute Entraîne l'ange renversé : Palpitant de crainte et de rage, Soudain le pasteur se dégage Des bras du combattant des cieux, L'abat, le presse, le surmonte, Et sur son sein gonflé de honte Pose un genou victorieux ! Mais, sur le lutteur qu'il domine, Jacob encor mal affermi, Sent à son tour sur sa poitrine Le poids du céleste ennemi !... Enfin, depuis les heures sombres Où le soir lutte avec les ombres, Tantôt vaincu, tantôt vainqueur, Contre ce rival qu'il ignore Il combattit jusqu'à l'aurore... Et c'était l'esprit du Seigneur ! Ainsi dans les ombres du doute L'homme, hélas! égaré souvent, Se trace à soi-même sa route, Et veut voguer contre le vent ; Mais dans cette lutte insensée, Bientôt notre aile terrassée Par le souffle qui la combat, Sur la terre tombe essoufflée Comme la voile désenflée Qui tombe et dort le long du mât. Attendons le souffle suprême ; Dans un repos silencieux ; Nous ne sommes rien de nous-même Qu'un instrument mélodieux ! Quand le doigt d'en haut se retire, Restons muets comme la lyre Qui recueille ses saints transports Jusqu'à ce que la main puissante Touche la corde frémissante Où dorment les divins accords !
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Le Pont Mirabeau
Guillaume Apollinaire (1880-1918)
Poésie : Le Pont Mirabeau Titre : Le Pont Mirabeau Poète : Guillaume Apollinaire (1880-1918) Recueil : Alcools (1913). Sous le pont Mirabeau coule la Seine Et nos amours Faut-il qu'il m'en souvienne La joie venait toujours après la peine. Vienne la nuit sonne l'heure Les jours s'en vont je demeure. Les mains dans les mains restons face à face Tandis que sous Le pont de nos bras passe Des éternels regards l'onde si lasse. Vienne la nuit sonne l'heure Les jours s'en vont je demeure. L'amour s'en va comme cette eau courante L'amour s'en va Comme la vie est lente Et comme l'Espérance est violente. Vienne la nuit sonne l'heure Les jours s'en vont je demeure. Passent les jours et passent les semaines Ni temps passé Ni les amours reviennent Sous le pont Mirabeau coule la Seine. Vienne la nuit sonne l'heure Les jours s'en vont je demeure.
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Le boyteus mari de Vénus
Pierre de Ronsard (1524-1585)
Poésie : Le boyteus mari de Vénus Titre : Le boyteus mari de Vénus Poète : Pierre de Ronsard (1524-1585) Recueil : Les Meslanges (1554). Ode XXVII. Le boyteus mari de Vénus Aveques ses Cyclopes nus R'alumoir un jour les flammeches De sa forge, à fin d'echaufer Une grande masse de fer Pour en faire à l'Amour des fleches. Venus les trampoit dans du miel, Amour les trampoit dans du fiel, Quand Mars, retourné des alarmes, En se moquant, les meprisoit Et branlant son dard, lui disoit : Voicy bien de plus fortes armes. Tu t'en ris donq, lui dist Amour, Vrayment tu sentiras un jour Combien leur pointure est amere. Quand d'elles blessé dans le coeur, (Toi qui fais tant du belliqueur) Languiras au sein de ma mere.
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À Madame H. F
Alfred de Musset (1810-1857)
Poésie : À Madame H. F Titre : À Madame H. F Poète : Alfred de Musset (1810-1857) Recueil : Poésies posthumes (1888). Rondeau. Il est aisé de plaire à qui veut plaire. D'un ignorant un bavard écouté, D'un journaliste un rimailleur vanté, Sans nulle peine y trouvent leur affaire. Louer un sot, c'est pure charité. Une Araminte à demi centenaire Dans son miroir voit un portrait flatté. De nos bas bleus si l'éloge est à faire, Il est aisé. Mais, s'il faut peindre avec sincérité L'air simple et bon, la grâce involontaire, L'esprit facile et la raison sévère, D'un double charme entourant la beauté, D'un tel portrait, certe, on ne dira guère : Il est aisé !
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Les premières communions
Arthur Rimbaud (1854-1891)
Poésie : Les premières communions Titre : Les premières communions Poète : Arthur Rimbaud (1854-1891) I Vraiment, c'est bête, ces églises des villages Où quinze laids marmots encrassant les piliers Écoutent, grasseyant les divins babillages, Un noir grotesque dont fermentent les souliers : Mais le soleil éveille, à travers des feuillages, Les vieilles couleurs des vitraux irréguliers. La pierre sent toujours la terre maternelle. Vous verrez des monceaux de ces cailloux terreux Dans la campagne en rut qui frémit solennelle Portant près des blés lourds, dans les sentiers ocreux, Ces arbrisseaux brûlés où bleuit la prunelle, Des noeuds de mûriers noirs et de rosiers fuireux. Tous les cent ans on rend ces granges respectables Par un badigeon d'eau bleue et de lait caillé : Si des mysticités grotesques sont notables Près de la Notre-Dame ou du Saint empaillé, Des mouches sentant bon l'auberge et les étables Se gorgent de cire au plancher ensoleillé. L'enfant se doit surtout à la maison, famille Des soins naïfs, des bons travaux abrutissants ; Ils sortent, oubliant que la peau leur fourmille Où le Prêtre du Christ plaqua ses doigts puissants. On paie au Prêtre un toit ombré d'une charmille Pour qu'il laisse au soleil tous ces fronts brunissants. Le premier habit noir, le plus beau jour de tartes, Sous le Napoléon ou le Petit Tambour Quelque enluminure où les Josephs et les Marthes Tirent la langue avec un excessif amour Et que joindront, au jour de science, deux cartes, Ces seuls doux souvenirs lui restent du grand Jour. Les filles vont toujours à l'église, contentes De s'entendre appeler garces par les garçons Qui font du genre après messe ou vêpres chantantes. Eux qui sont destinés au chic des garnisons Ils narguent au café les maisons importantes, Blousés neuf, et gueulant d'effroyables chansons. Cependant le Curé choisit pour les enfances Des dessins ; dans son clos, les vêpres dites, quand L'air s'emplit du lointain nasillement des danses, Il se sent, en dépit des célestes défenses, Les doigts de pied ravis et le mollet marquant ; - La Nuit vient, noir pirate aux cieux d'or débarquant. II Le Prêtre a distingué parmi les catéchistes, Congrégés des Faubourgs ou des Riches Quartiers, Cette petite fille inconnue, aux yeux tristes, Front jaune. Les parents semblent de doux portiers. " Au grand Jour le marquant parmi les Catéchistes, Dieu fera sur ce front neiger ses bénitiers. " III La veille du grand Jour l'enfant se fait malade. Mieux qu'à l'Église haute aux funèbres rumeurs, D'abord le frisson vient, - le lit n'étant pas fade - Un frisson surhumain qui retourne : " Je meurs... " Et, comme un vol d'amour fait à ses soeurs stupides, Elle compte, abattue et les mains sur son coeur Les Anges, les Jésus et ses Vierges nitides Et, calmement, son âme a bu tout son vainqueur. Adonaï !... - Dans les terminaisons latines, Des cieux moirés de vert baignent les Fronts vermeils Et tachés du sang pur des célestes poitrines, De grands linges neigeux tombent sur les soleils ! - Pour ses virginités présentes et futures Elle mord aux fraîcheurs de ta Rémission, Mais plus que les lys d'eau, plus que les confitures, Tes pardons sont glacés, à Reine de Sion ! IV Puis la Vierge n'est plus que la vierge du livre. Les mystiques élans se cassent quelquefois... Et vient la pauvreté des images, que cuivre L'ennui, l'enluminure atroce et les vieux bois ; Des curiosités vaguement impudiques Épouvantent le rêve aux chastes bleuités Qui s'est surpris autour des célestes tuniques, Du linge dont Jésus voile ses nudités. Elle veut, elle veut, pourtant, l'âme en détresse, Le front dans l'oreiller creusé par les cris sourds, Prolonger les éclairs suprêmes de tendresse, Et bave... - L'ombre emplit les maisons et les cours. Et l'enfant ne peut plus. Elle s'agite, cambre Les reins et d'une main ouvre le rideau bleu Pour amener un peu la fraîcheur de la chambre Sous le drap, vers son ventre et sa poitrine en feu... V À son réveil, - minuit, - la fenêtre était blanche. Devant le sommeil bleu des rideaux illunés, La vision la prit des candeurs du dimanche ; Elle avait rêvé rouge. Elle saigna du nez, Et se sentant bien chaste et pleine de faiblesse Pour savourer en Dieu son amour revenant, Elle eut soif de la nuit où s'exalte et s'abaisse Le coeur, sous l'oeil des cieux doux, en les devinant ; De la nuit, Vierge-Mère impalpable, qui baigne Tous les jeunes émois de ses silences gris ; EIIe eut soif de la nuit forte où le coeur qui saigne Ecoule sans témoin sa révolte sans cris. Et faisant la victime et la petite épouse, Son étoile la vit, une chandelle aux doigts, Descendre dans la cour où séchait une blouse, Spectre blanc, et lever les spectres noirs des toits. VI Elle passa sa nuit sainte dans les latrines. Vers la chandelle, aux trous du toit coulait l'air blanc, Et quelque vigne folle aux noirceurs purpurines, En deçà d'une cour voisine s'écroulant. La lucarne faisait un coeur de lueur vive Dans la cour où les cieux bas plaquaient d'ors vermeils Les vitres ; les pavés puant l'eau de lessive Soufraient l'ombre des murs bondés de noirs sommeils. VII Qui dira ces langueurs et ces pitiés immondes, Et ce qu'il lui viendra de haine, à sales fous Dont le travail divin déforme encor les mondes, Quand la lèpre à la fin mangera ce corps doux ? VIII Et quand, ayant rentré tous ses noeuds d'hystéries, Elle verra, sous les tristesses du bonheur, L'amant rêver au blanc million des Maries, Au matin de la nuit d'amour avec douleur : " Sais-tu que je t'ai fait mourir ? J'ai pris ta bouche, Ton coeur, tout ce qu'on a, tout ce que vous avez ; Et moi, je suis malade : Oh ! je veux qu'on me couche Parmi les Morts des eaux nocturnes abreuvés ! " J'étais bien jeune, et Christ a souillé mes haleines. Il me bonda jusqu'à la gorge de dégoûts ! Tu baisais mes cheveux profonds comme les laines Et je me laissais faire... ah ! va, c'est bon pour vous, " Hommes ! qui songez peu que la plus amoureuse Est, sous sa conscience aux ignobles terreurs, La plus prostituée et la plus douloureuse, Et que tous nos élans vers vous sont des erreurs ! " Car ma Communion première est bien passée. Tes baisers, je ne puis jamais les avoir sus : Et mon coeur et ma chair par ta chair embrassée Fourmillent du baiser putride de Jésus ! " IX Alors l'âme pourrie et l'âme désolée Sentiront ruisseler tes malédictions. - Ils auront couché sur ta Haine inviolée, Échappés, pour la mort, des justes passions. Christ ! ô Christ, éternel voleur des énergies, Dieu qui pour deux mille ans vouas à ta pâleur Cloués au sol, de honte et de céphalalgies, Ou renversés, les fronts des femmes de douleur.
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À Canaris
Victor Hugo (1802-1885)
Poésie : À Canaris Titre : À Canaris Poète : Victor Hugo (1802-1885) Canaris ! Canaris ! nous t'avons oublié ! Lorsque sur un héros le temps s'est replié, Quand le sublime acteur a fait pleurer ou rire, Et qu'il a dit le mot que Dieu lui donne à dire ; Quand, venus au hasard des révolutions, Les grands hommes ont fait leurs grandes actions, Qu'ils ont jeté leur lustre, étincelant ou sombre, Et qu'ils sont pas à pas redescendus dans l'ombre, Leur nom, s'éteint aussi. Tout est vain ! tout est vain ! Et jusqu'à ce qu'un jour le poète divin Qui peut créer un monde avec une parole, Les prenne, et leur rallume au front une auréole, Nul ne se souvient d'eux, et la foule aux cent voix Qui rien qu'en les voyant hurlait d'aise autrefois, Hélas ! si par hasard devant elle on les nomme, Interroge et s'étonne, et dit : Quel est cet homme ? Nous t'avons oublié. Ta gloire est dans la nuit. Nous faisons bien encor toujours beaucoup de bruit ; Mais plus de cris d'amour, plus de chants, plus de culte, Plus d'acclamations pour toi dans ce tumulte ! Le bourgeois ne sait plus épeler ton grand nom. Soleil qui t'es couché, tu n'as plus de Memnon ! Nous avons un instant crié : — La Grèce ! Athènes ! Sparte ! Léonidas ! Botzaris ! Démosthènes ! Canaris, demi-dieu de gloire rayonnant !... – Puis l'entracte est venu, c'est bien ; et maintenant Dans notre esprit, si plein de ton apothéose, Nous avons tout rayé pour écrire autre chose. Adieu les héros grecs ! leurs lauriers sont fanés ! Vers d'autres orients nos regards sont tournés. On n'entend plus sonner ta gloire sur l'enclume De la presse, géant par qui tout feu s'allume, Prodigieux cyclope à la tonnante voix, A qui plus d'un Ulysse a crevé l'œil parfois. Oh ! la presse ! ouvrier qui chaque jour s'éveille, Et qui défait souvent ce qu'il a fait la veille ; Mais qui forge du moins, de son bras souverain, A toute chose juste une armure d'airain ! Nous t'avons oublié ! Mais à toi, que t'importe ? Il te reste, ô marin, la vague qui t'emporte, Ton navire, un bon vent toujours prêt à souffler, Et l'étoile du soir qui te regarde aller. Il te reste l'espoir, le hasard, l'aventure, Le voyage à travers une belle nature, L'éternel changement de choses et de lieux, La joyeuse arrivée et le départ joyeux ; L'orgueil qu'un homme libre a de se sentir vivre Dans un brick fin voilier et bien doublé de cuivre, Soit qu'il ait à franchir un détroit sinueux, Soit que, par un beau temps, l'océan monstrueux, Qui brise quand il veut les rocs et les murailles, Le berce mollement sur ses larges écailles, Soit que l'orage noir, envolé dans les airs, Le battre à coups pressés de son aile d'éclairs ! Mais il te reste, ô grec ! ton ciel bleu, ta mer bleue, Tes grands aigles qui font d'un coup d'aile une lieue, Ton soleil toujours pur dans toutes les saisons, La sereine beauté des tièdes horizons, Ta langue harmonieuse, ineffable, amollie, Que le temps a mêlée aux langues d'Italie Comme aux flots de Baia la vague de Samos ; Langue d'Homère où Dante a jeté quelques mots ! Il te reste, trésor du grand homme candide, Ton long fusil sculpté, ton yatagan splendide, Tes larges caleçons de toile, tes caftans De velours rouge et d'or, aux coudes éclatants ! Quand ton navire fuit sur les eaux écumeuses, Fier de ne côtoyer que des rives fameuses, Il te reste, ô mon grec, la douceur d'entrevoir Tantôt un fronton blanc dans les brumes du soir, Tantôt, sur le sentier qui près des mers chemine, Une femme de Thèbe ou bien de Salamine, Paysanne à l'œil fier qui va vendre ses blés Et pique gravement deux grands bœufs accouplés, Assise sur un char d'homérique origine Comme l'antique Isis des bas-reliefs d'Egine ! Octobre 1832.
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Aux artistes du Gymnase-dramatique
Alfred de Musset (1810-1857)
Poésie : Aux artistes du Gymnase-dramatique Titre : Aux artistes du Gymnase-dramatique Poète : Alfred de Musset (1810-1857) Recueil : Poésies posthumes (1888). (Le soir de la première représentation de Bettine.) Ma pièce est jeune, et je suis vieux ; Enfants, je n'en suis pas la cause. Vous nous jouerez bien autre chose, Et tout aussi bien, mais pas mieux. Ne prenez pas, je vous en prie, Ces mots pour de la flatterie, Et mes regrets pour des adieux.
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Pour boire dessus l'herbe tendre
Pierre de Ronsard (1524-1585)
Poésie : Pour boire dessus l'herbe tendre Titre : Pour boire dessus l'herbe tendre Poète : Pierre de Ronsard (1524-1585) Pour boire dessus l'herbe tendre Je veux sous un laurier m'étendre, Et veux qu'Amour, d'un petit brin Ou de lin ou de chènevière Trousse au flanc sa robe légère, Et, mi-nue, me verse du vin. L'incertaine vie de l'homme De jour en jour se roule comme Aux rives se roulent les flots : Puis après notre heure dernière Rien de nous ne reste en la bière Qu'une vieille carcasse d'os. Je ne veux, selon la coutume, Que d'encens ma tombe on parfume, Ni qu'on y verse des odeurs ; Mais tandis que je suis en vie, J'ai de me parfumer envie, Et de me couronner de fleurs, De moi-même je me veux faire L'héritier pour me satisfaire ; Je ne veux vivre pour autrui. Fol le Pélican qui se blesse Pour les siens, et fol qui se laisse Pour les siens travailler d'ennui.
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Marine
Arthur Rimbaud (1854-1891)
Poésie : Marine Titre : Marine Poète : Arthur Rimbaud (1854-1891) Recueil : Les Illuminations (1886). Les chars d'argent et de cuivre - Les proues d'acier et d'argent - Battent l'écume, - Soulèvent les souches des ronces. Les courants de la lande, Et les ornières immenses du reflux, Filent circulairement vers l'est, Vers les piliers de la forêt, - Vers les fûts de la jetée, Dont l'angle est heurté par des tourbillons de lumière.
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À G... Y
Victor Hugo (1802-1885)
Poésie : À G... Y Titre : À G... Y Poète : Victor Hugo (1802-1885) Il est pour tout mortel, soit que, loin de l'envie, Un astre aux rayons purs illumine sa vie ; Soit qu'il suive à pas lents un cercle de douleurs, Et, regrettant quelque ombre à son amour ravie, Veille auprès de sa lampe, et répande des pleurs ; Il est des jours de paix, d'ivresse et de mystère, Où notre cœur savoure un charme involontaire, Où l'air vibre, animé d'ineffables accords, Comme si l'âme heureuse entendait de la terre Le bruit vague et lointain de la cité des morts. Souvent ici, domptant mes douleurs étouffées, Mon bonheur s'éleva comme un château de fées, Avec ses murs de nacre, aux mobiles couleurs, Ses tours, ses portes d'or, ses pièges, ses trophées, Et ses fruits merveilleux, et ses magiques fleurs. Puis soudain tout fuyait : sur d'informes décombres Tout à tour à mes yeux passaient de pâles ombres ; D'un crêpe nébuleux le ciel était voilé ; Et, de spectres en deuil peuplant ces déserts sombres, Un tombeau dominait le palais écroulé. Vallon ! j'ai bien souvent laissé dans ta prairie, Comme une eau murmurante, errer ma rêverie ; Je n'oublierai jamais ces fugitifs instants ; Ton souvenir sera, dans mon âme attendrie, Comme un son triste et doux qu'on écoute longtemps ! 1823.
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Dans l'alcôve sombre
Victor Hugo (1802-1885)
Poésie : Dans l'alcôve sombre Titre : Dans l'alcôve sombre Poète : Victor Hugo (1802-1885) Beau, frais, souriant d'aise à cette vie amère. SAINTE-BEUVE. Dans l'alcôve sombre, Près d'un humble autel, L'enfant dort à l'ombre Du lit maternel. Tandis qu'il repose, Sa paupière rose, Pour la terre close, S'ouvre pour le ciel. Il fait bien des rêves. Il voit par moments Le sable des grèves Plein de diamants ; Des soleils de flammes, Et de belles dames Qui portent des âmes Dans leurs bras charmants. Songe qui l'enchante ! Il voit des ruisseaux. Une voix qui chante Sort du fond des eaux. Ses soeurs sont plus belles. Son père est près d'elles. Sa mère a des ailes Comme les oiseaux. Il voit mille choses Plus belles encor ; Des lys et des roses Plein le corridor ; Des lacs de délice Où le poisson glisse, Où l'onde se plisse A des roseaux d'or ! Enfant, rêve encore ! Dors, ô mes amours ! Ta jeune âme ignore Où s'en vont tes jours. Comme une algue morte Tu vas, que t'importe ! Le courant t'emporte, Mais tu dors toujours ! Sans soin, sans étude, Tu dors en chemin ; Et l'inquiétude, A la froide main, De son ongle aride Sur ton front candide Qui n'a point de ride, N'écrit pas : Demain ! Il dort, innocence ! Les anges sereins Qui savent d'avance Le sort des humains, Le voyant sans armes, Sans peur, sans alarmes, Baisent avec larmes Ses petites mains. Leurs lèvres effleurent Ses lèvres de miel. L'enfant voit qu'ils pleurent Et dit : Gabriel ! Mais l'ange le touche, Et, berçant sa couche, Un doigt sur sa bouche, Lève l'autre au ciel ! Cependant sa mère, Prompte à le bercer, Croit qu'une chimère Le vient oppresser. Fière, elle l'admire, L'entend qui soupire, Et le fait sourire Avec un baiser. Novembre 1831.
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Les dons des fées
Charles Baudelaire (1821-1867)
Poésie : Les dons des fées Titre : Les dons des fées Poète : Charles Baudelaire (1821-1867) C'était grande assemblée des Fées, pour procéder à la répartition des dons parmi tous les nouveau-nés, arrivés à la vie depuis vingt-quatre heures. Toutes ces antiques et capricieuses Sœurs du Destin, toutes ces Mères bizarres de la joie et de la douleur, étaient fort diverses : les unes avaient l'air sombre et rechigné, les autres, un air folâtre et malin ; les unes, jeunes, qui avaient toujours été jeunes ; les autres, vieilles, qui avaient toujours été vieilles. Tous les pères qui ont foi dans les Fées étaient venus, chacun apportant son nouveau-né dans ses bras. Les Dons, les Facultés, les bons Hasards, les Circonstances invincibles, étaient accumulés à côté du tribunal, comme les prix sur l'estrade, dans une distribution de prix. Ce qu'il y avait ici de particulier, c'est que les Dons n'étaient pas la récompense d'un effort, mais tout au contraire une grâce accordée à celui qui n'avait pas encore vécu, une grâce pouvant déterminer sa destinée et devenir aussi bien la source de son malheur que de son bonheur. Les pauvres Fées étaient très-affairées ; car la foule des solliciteurs était grande, et le monde intermédiaire, placé entre l'homme et Dieu, est soumis comme nous à la terrible loi du Temps et de son infinie postérité, les Jours, les Heures, les Minutes, les Secondes. En vérité, elles étaient aussi ahuries que des ministres un jour d'audience, ou des employés du Mont-de-Piété quand une fête nationale autorise les dégagements gratuits. Je crois même qu'elles regardaient de temps à autre l'aiguille de l'horloge avec autant d'impatience que des juges humains qui, siégeant depuis le matin, ne peuvent s'empêcher de rêver au dîner, à la famille et à leurs chères pantoufles. Si, dans la justice surnaturelle, il y a un peu de précipitation et de hasard, ne nous étonnons pas qu'il en soit de même quelquefois dans la justice humaine. Nous serions nous-mêmes, en ce cas, des juges injustes. Aussi furent commises ce jour-là quelques bourdes qu'on pourrait considérer comme bizarres, si la prudence, plutôt que le caprice, était le caractère distinctif, éternel des Fées. Ainsi la puissance d'attirer magnétiquement la fortune fut adjugée à l'héritier unique d'une famille très-riche, qui, n'étant doué d'aucun sens de charité, non plus que d'aucune convoitise pour les biens les plus visibles de la vie, devait se trouver plus tard prodigieusement embarrassé de ses millions. Ainsi furent donnés l'amour du Beau et la Puissance poétique au fils d'un sombre gueux, carrier de son état, qui ne pouvait, en aucune façon, aider les facultés, ni soulager les besoins de sa déplorable progéniture. J'ai oublié de vous dire que la distribution, en ces cas solennels, est sans appel, et qu'aucun don ne peut être refusé. Toutes les Fées se levaient, croyant leur corvée accomplie ; car il ne restait plus aucun cadeau, aucune largesse à jeter à tout ce fretin humain, quand un brave homme, un pauvre petit commerçant, je crois, se leva, et empoignant par sa robe de vapeurs multicolores la Fée qui était le plus à sa portée, s'écria : « Eh ! madame ! vous nous oubliez ! Il y a encore mon petit ! Je ne veux pas être venu pour rien. » La Fée pouvait être embarrassée ; car il ne restait plus rien. Cependant elle se souvint à temps d'une loi bien connue, quoique rarement appliquée, dans le monde surnaturel, habité par ces déités impalpables, amies de l'homme, et souvent contraintes de s'adapter à ses passions, telles que les Fées, les Gnomes, les Salamandres, les Sylphides, les Sylphes, les Nixes, les Ondins et les Ondines, — je veux parler de la loi qui concède aux Fées, dans un cas semblable à celui-ci, c'est-à-dire le cas d'épuisement des lots, la faculté d'en donner encore un, supplémentaire et exceptionnel, pourvu toutefois qu'elle ait l'imagination suffisante pour le créer immédiatement. Donc la bonne Fée répondit, avec un aplomb digne de son rang : « Je donne à ton fils... je lui donne... le Don de plaire ! » « Mais plaire comment ? plaire... ? plaire pourquoi ? » demanda opiniâtrément le petit boutiquier, qui était sans doute un de ces raisonneurs si communs, incapable de s'élever jusqu'à la logique de l'Absurde. « Parce que ! parce que ! » répliqua la Fée courroucée, en lui tournant le dos ; et rejoignant le cortège de ses compagnes, elle leur disait : « Comment trouvez-vous ce petit Français vaniteux, qui veut tout comprendre, et qui ayant obtenu pour son fils le meilleur des lots, ose encore interroger et discuter l'indiscutable ? »
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La rançon
Charles Baudelaire (1821-1867)
Poésie : La rançon Titre : La rançon Poète : Charles Baudelaire (1821-1867) Recueil : Les fleurs du mal (1857). L'homme a, pour payer sa rançon, Deux champs au tuf profond et riche, Qu'il faut qu'il remue et défriche Avec le fer de la raison ; Pour obtenir la moindre rose, Pour extorquer quelques épis, Des pleurs salés de son front gris Sans cesse il faut qu'il les arrose. L'un est l'Art, et l'autre l'Amour. - Pour rendre le juge propice, Lorsque de la stricte justice Paraîtra le terrible jour, Il faudra lui montrer des granges Pleines de moissons, et des fleurs Dont les formes et les couleurs Gagnent le suffrage des Anges.
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Pour retenir un amant
Pierre de Ronsard (1524-1585)
Poésie : Pour retenir un amant Titre : Pour retenir un amant Poète : Pierre de Ronsard (1524-1585) Recueil : Poésies diverses (1587). Pour retenir un amant en servage, II faut aimer et non dissimuler, De même flamme amoureuse brûler, Et que le cœur soit pareil au langage : Toujours un rire, toujours un bon visage, Toujours s'écrire et s'entre-consoler : Ou qui ne peut écrire ni parler, A tout le moins s'entrevoir par message. II faut avoir de l'ami le portrait, Cent fois le jour en rebaiser le trait : Que d'un plaisir deux âmes soient guidées, Deux corps en un rejoints en leur moitié. Voilà les points qui gardent l'amitié, Et non pas vous qui n'aimez qu'en idées.
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La pente de la rêverie
Victor Hugo (1802-1885)
Poésie : La pente de la rêverie Titre : La pente de la rêverie Poète : Victor Hugo (1802-1885) Obscuritate rerum verba saepè obscurantur. GERVASIUS TILBERIENSIS. Amis, ne creusez pas vos chères rêveries ; Ne fouillez pas le sol de vos plaines fleuries ; Et quand s'offre à vos yeux un océan qui dort, Nagez à la surface ou jouez sur le bord. Car la pensée est sombre ! Une pente insensible Va du monde réel à la sphère invisible ; La spirale est profonde, et quand on y descend, Sans cesse se prolonge et va s'élargissant, Et pour avoir touché quelque énigme fatale, De ce voyage obscur souvent on revient pâle ! L'autre jour, il venait de pleuvoir, car l'été, Cette année, est de bise et de pluie attristé, Et le beau mois de mai dont le rayon nous leurre, Prend le masque d'avril qui sourit et qui pleure. J'avais levé le store aux gothiques couleurs. Je regardais au loin les arbres et les fleurs. Le soleil se jouait sur la pelouse verte Dans les gouttes de pluie, et ma fenêtre ouverte Apportait du jardin à mon esprit heureux Un bruit d'enfants joueurs et d'oiseaux amoureux. Paris, les grands ormeaux, maison, dôme, chaumière, Tout flottait à mes yeux dans la riche lumière De cet astre de mai dont le rayon charmant Au bout de tout brin d'herbe allume un diamant ! Je me laissais aller à ces trois harmonies, Printemps, matin, enfance, en ma retraite unies ; La Seine, ainsi que moi, laissait son flot vermeil Suivre nonchalamment sa pente, et le soleil Faisait évaporer à la fois sur les grèves L'eau du fleuve en brouillards et ma pensée en rêves ! Alors, dans mon esprit, je vis autour de moi Mes amis, non confus, mais tels que je les vois Quand ils viennent le soir, troupe grave et fidèle, Vous avec vos pinceaux dont la pointe étincelle, Vous, laissant échapper vos vers au vol ardent, Et nous tous écoutant en cercle, ou regardant. Ils étaient bien là tous, je voyais leurs visages, Tous, même les absents qui font de longs voyages. Puis tous ceux qui sont morts vinrent après ceux-ci, Avec l'air qu'ils avaient quand ils vivaient aussi. Quand j'eus, quelques instants, des yeux de ma pensée, Contemplé leur famille à mon foyer pressée, Je vis trembler leurs traits confus, et par degrés Pâlir en s'effaçant leurs fronts décolorés, Et tous, comme un ruisseau qui dans un lac s'écoule, Se perdre autour de moi dans une immense foule. Foule sans nom ! chaos ! des voix, des yeux, des pas. Ceux qu'on n'a jamais vus, ceux qu'on ne connaît pas. Tous les vivants ! - cités bourdonnant aux oreilles Plus qu'un bois d'Amérique ou des ruches d'abeilles, Caravanes campant sur le désert en feu, Matelots dispersés sur l'océan de Dieu, Et, comme un pont hardi sur l'onde qui chavire, Jetant d'un monde à l'autre un sillon de navire, Ainsi que l'araignée entre deux chênes verts Jette un fil argenté qui flotte dans les airs ! Les deux pôles ! le monde entier ! la mer, la terre, Alpes aux fronts de neige, Etnas au noir cratère, Tout à la fois, automne, été, printemps, hiver, Les vallons descendant de la terre à la mer Et s'y changeant en golfe, et des mers aux campagnes Les caps épanouis en chaînes de montagnes, Et les grands continents, brumeux, verts ou dorés, Par les grands océans sans cesse dévorés, Tout, comme un paysage en une chambre noire Se réfléchit avec ses rivières de moire, Ses passants, ses brouillards flottant comme un duvet, Tout dans mon esprit sombre allait, marchait, vivait ! Alors, en attachant, toujours plus attentives, Ma pensée et ma vue aux mille perspectives Que le souffle du vent ou le pas des saisons M'ouvrait à tous moments dans tous les horizons, Je vis soudain surgir, parfois du sein des ondes, A côté des cités vivantes des deux mondes, D'autres villes aux fronts étranges, inouïs, Sépulcres ruinés des temps évanouis, Pleines d'entassements, de tours, de pyramides, Baignant leurs pieds aux mers, leur tête aux cieux humides. Quelques-unes sortaient de dessous des cités Où les vivants encor bruissent agités, Et des siècles passés jusqu'à l'âge où nous sommes Je pus compter ainsi trois étages de Romes. Et tandis qu'élevant leurs inquiètes voix, Les cités des vivants résonnaient à la fois Des murmures du peuple ou du pas des armées, Ces villes du passé, muettes et fermées, Sans fumée à leurs toits, sans rumeurs dans leurs seins, Se taisaient, et semblaient des ruches sans essaims. J'attendais. Un grand bruit se fit. Les races mortes De ces villes en deuil vinrent ouvrir les portes, Et je les vis marcher ainsi que les vivants, Et jeter seulement plus de poussière aux vents. Alors, tours, aqueducs, pyramides, colonnes, Je vis l'intérieur des vieilles Babylones, Les Carthages, les Tyrs, les Thèbes, les Sions, D'où sans cesse sortaient des générations. Ainsi j'embrassais tout : et la terre, et Cybèle ; La face antique auprès de la face nouvelle ; Le passé, le présent ; les vivants et les morts ; Le genre humain complet comme au jour du remords. Tout parlait à la fois, tout se faisait comprendre, Le pélage d'Orphée et l'étrusque d'Évandre, Les runes d'Irmensul, le sphinx égyptien, La voix du nouveau monde aussi vieux que l'ancien. Or, ce que je voyais, je doute que je puisse Vous le peindre : c'était comme un grand édifice Formé d'entassements de siècles et de lieux ; On n'en pouvait trouver les bords ni les milieux ; A toutes les hauteurs, nations, peuples, races, Mille ouvriers humains, laissant partout leurs traces, Travaillaient nuit et jour, montant, croisant leurs pas, Parlant chacun leur langue et ne s'entendant pas ; Et moi je parcourais, cherchant qui me réponde, De degrés en degrés cette Babel du monde. La nuit avec la foule, en ce rêve hideux, Venait, s'épaississant ensemble toutes deux, Et, dans ces régions que nul regard ne sonde, Plus l'homme était nombreux, plus l'ombre était profonde. Tout devenait douteux et vague, seulement Un souffle qui passait de moment en moment, Comme pour me montrer l'immense fourmilière, Ouvrait dans l'ombre au loin des vallons de lumière, Ainsi qu'un coup de vent fait sur les flots troublés Blanchir l'écume, ou creuse une onde dans les blés. Bientôt autour de moi les ténèbres s'accrurent, L'horizon se perdit, les formes disparurent, Et l'homme avec la chose et l'être avec l'esprit Flottèrent à mon souffle, et le frisson me prit. J'étais seul. Tout fuyait. L'étendue était sombre. Je voyais seulement au loin, à travers l'ombre, Comme d'un océan les flots noirs et pressés, Dans l'espace et le temps les nombres entassés ! Oh ! cette double mer du temps et de l'espace Où le navire humain toujours passe et repasse, Je voulus la sonder, je voulus en toucher Le sable, y regarder, y fouiller, y chercher, Pour vous en rapporter quelque richesse étrange, Et dire si son lit est de roche ou de fange. Mon esprit plongea donc sous ce flot inconnu, Au profond de l'abîme il nagea seul et nu, Toujours de l'ineffable allant à l'invisible... Soudain il s'en revint avec un cri terrible, Ébloui, haletant, stupide, épouvanté, Car il avait au fond trouvé l'éternité. Mai 1830.
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Les étrennes des orphelins
Arthur Rimbaud (1854-1891)
Poésie : Les étrennes des orphelins Titre : Les étrennes des orphelins Poète : Arthur Rimbaud (1854-1891) I La chambre est pleine d'ombre ; on entend vaguement De deux enfants le triste et doux chuchotement. Leur front se penche, encore alourdi par le rêve, Sous le long rideau blanc qui tremble et se soulève... - Au dehors les oiseaux se rapprochent frileux ; Leur aile s'engourdit sous le ton gris des cieux ; Et la nouvelle Année, à la suite brumeuse, Laissant traîner les plis de sa robe neigeuse, Sourit avec des pleurs, et chante en grelottant... II Or les petits enfants, sous le rideau flottant, Parlent bas comme on fait dans une nuit obscure. Ils écoutent, pensifs, comme un lointain murmure... Ils tressaillent souvent à la claire voix d'or Du timbre matinal, qui frappe et frappe encor Son refrain métallique en son globe de verre... - Puis, la chambre est glacée... on voit traîner à terre, Épars autour des lits, des vêtements de deuil L'âpre bise d'hiver qui se lamente au seuil Souffle dans le logis son haleine morose ! On sent, dans tout cela, qu'il manque quelque chose... - Il n'est donc point de mère à ces petits enfants, De mère au frais sourire, aux regards triomphants ? Elle a donc oublié, le soir, seule et penchée, D'exciter une flamme à la cendre arrachée, D'amonceler sur eux la laine et l'édredon Avant de les quitter en leur criant : pardon. Elle n'a point prévu la froideur matinale, Ni bien fermé le seuil à la bise hivernale ?... - Le rêve maternel, c'est le tiède tapis, C'est le nid cotonneux où les enfants tapis, Comme de beaux oiseaux que balancent les branches, Dorment leur doux sommeil plein de visions blanches !... - Et là, - c'est comme un nid sans plumes, sans chaleur, Où les petits ont froid, ne dorment pas, ont peur ; Un nid que doit avoir glacé la bise amère... III Votre coeur l'a compris : - ces enfants sont sans mère. Plus de mère au logis ! - et le père est bien loin !... - Une vieille servante, alors, en a pris soin. Les petits sont tout seuls en la maison glacée ; Orphelins de quatre ans, voilà qu'en leur pensée S'éveille, par degrés, un souvenir riant... C'est comme un chapelet qu'on égrène en priant : - Ah ! quel beau matin, que ce matin des étrennes ! Chacun, pendant la nuit, avait rêvé des siennes Dans quelque songe étrange où l'on voyait joujoux, Bonbons habillés d'or, étincelants bijoux, Tourbillonner, danser une danse sonore, Puis fuir sous les rideaux, puis reparaître encore ! On s'éveillait matin, on se levait joyeux, La lèvre affriandée, en se frottant les yeux... On allait, les cheveux emmêlés sur la tête, Les yeux tout rayonnants, comme aux grands jours de fête, Et les petits pieds nus effleurant le plancher, Aux portes des parents tout doucement toucher... On entrait !... Puis alors les souhaits... en chemise, Les baisers répétés, et la gaîté permise ! IV Ah ! c'était si charmant, ces mots dits tant de fois ! - Mais comme il est changé, le logis d'autrefois : Un grand feu pétillait, clair, dans la cheminée, Toute la vieille chambre était illuminée ; Et les reflets vermeils, sortis du grand foyer, Sur les meubles vernis aimaient à tournoyer... - L'armoire était sans clefs !... sans clefs, la grande armoire ! On regardait souvent sa porte brune et noire... Sans clefs !... c'était étrange !... on rêvait bien des fois Aux mystères dormant entre ses flancs de bois, Et l'on croyait ouïr, au fond de la serrure Béante, un bruit lointain, vague et joyeux murmure... - La chambre des parents est bien vide, aujourd'hui Aucun reflet vermeil sous la porte n'a lui ; Il n'est point de parents, de foyer, de clefs prises : Partant, point de baisers, point de douces surprises ! Oh ! que le jour de l'an sera triste pour eux ! - Et, tout pensifs, tandis que de leurs grands yeux bleus, Silencieusement tombe une larme amère, Ils murmurent : "Quand donc reviendra notre mère ?" V Maintenant, les petits sommeillent tristement : Vous diriez, à les voir, qu'ils pleurent en dormant, Tant leurs yeux sont gonflés et leur souffle pénible ! Les tout petits enfants ont le coeur si sensible ! - Mais l'ange des berceaux vient essuyer leurs yeux, Et dans ce lourd sommeil met un rêve joyeux, Un rêve si joyeux, que leur lèvre mi-close, Souriante, semblait murmurer quelque chose... - Ils rêvent que, penchés sur leur petit bras rond, Doux geste du réveil, ils avancent le front, Et leur vague regard tout autour d'eux se pose... Ils se croient endormis dans un paradis rose... Au foyer plein d'éclairs chante gaîment le feu... Par la fenêtre on voit là-bas un beau ciel bleu ; La nature s'éveille et de rayons s'enivre... La terre, demi-nue, heureuse de revivre, A des frissons de joie aux baisers du soleil... Et dans le vieux logis tout est tiède et vermeil Les sombres vêtements ne jonchent plus la terre, La bise sous le seuil a fini par se taire ... On dirait qu'une fée a passé dans cela ! ... - Les enfants, tout joyeux, ont jeté deux cris... Là, Près du lit maternel, sous un beau rayon rose, Là, sur le grand tapis, resplendit quelque chose... Ce sont des médaillons argentés, noirs et blancs, De la nacre et du jais aux reflets scintillants ; Des petits cadres noirs, des couronnes de verre, Ayant trois mots gravés en or : "À NOTRE MÈRE !"
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Un pouacre
Paul Verlaine (1844-1896)
Poésie : Un pouacre Titre : Un pouacre Poète : Paul Verlaine (1844-1896) Recueil : Jadis et naguère (1884). Avec les yeux d'une tête de mort Que la lune encore décharne, Tout mon passé, disons tout mon remords, Ricane à travers ma lucarne. Avec la voix d'un vieillard très cassé, Comme l'on n'en voit qu'au théâtre, Tout mon remords, disons tout mon passé, Fredonne un tralala folâtre. Avec les doigts d'un pendu déjà vert Le drôle agace une guitare Et danse sur l'avenir grand ouvert D'un air d'élasticité rare. " Vieux turlupin, je n'aime pas cela ; Tais ces chants et cesse ces danses. " Il me répond avec la voix qu'il a : " C'est moins farce que tu ne penses, " Et quant au soin frivole, ô doux morveux, De te plaire ou de te déplaire, Je m'en soucie au point que, si tu veux, Tu peux t'aller faire lanlaire ! "
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À Madame M. N
Alfred de Musset (1810-1857)
Poésie : À Madame M. N Titre : À Madame M. N Poète : Alfred de Musset (1810-1857) Recueil : Poésies nouvelles (1850). Sonnet. Je vous ai vue enfant, maintenant que j'y pense, Fraîche comme une rose et le cœur dans les yeux. Je vous ai vu bambin, boudeur et paresseux ; Vous aimiez lord Byron, les grands vers et la danse. Ainsi nous revenaient les jours de notre enfance, Et nous parlions déjà le langage des vieux ; Ce jeune souvenir riait entre nous deux, Léger comme un écho, gai comme l'espérance. Le lâche craint le temps parce qu'il fait mourir ; Il croit son mur gâté lorsqu'une fleur y pousse. O voyageur ami, père du souvenir ! C'est ta main consolante, et si sage et si douce, Qui consacre à jamais un pas fait sur la mousse, Le hochet d'un enfant, un regard, un soupir.
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L'horrible nuit d'insomnie
Paul Verlaine (1844-1896)
Poésie : L'horrible nuit d'insomnie Titre : L'horrible nuit d'insomnie Poète : Paul Verlaine (1844-1896) Recueil : Chansons pour elle (1891). L'horrible nuit d'insomnie ! — Sans la présence bénie De ton cher corps près de moi, Sans ta bouche tant baisée Encore que trop rusée En toute mauvaise foi, Sans ta bouche tout mensonge, Mais si franche quand j'y songe, Et qui sait me consoler Sous l'aspect et sous l'espèce D'une fraise — et, bonne pièce ! — D'un très plausible parler, Et surtout sans le pentacle De tes sens et le miracle Multiple est un, fleur et fruit, De tes durs yeux de sorcière, Durs et doux à ta manière... Vrai Dieu ! la terrible nuit !
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J'ai vu pendant trois jours de haine
Victor Hugo (1802-1885)
Poésie : J'ai vu pendant trois jours de haine Titre : J'ai vu pendant trois jours de haine Poète : Victor Hugo (1802-1885) J'ai vu pendant trois jours de haine et de remords L'eau refléter des feux et charrier des morts Dans une grande et noble ville. Le tisserand, par l'ombre et la faim énervé, De son dernier métier brûlé sur le pavé Attisait la guerre civile. Le soldat fratricide égorgeait l'ouvrier ; L'ouvrier sacrilège, aveugle meurtrier, Massacrait le soldat son frère ; Peuple, armée, oubliaient qu'ils sont du même sang ; Et les sages pensifs disaient en frémissant : Ô siècle ! ô patrie ! ô misère ! Durant trois nuits la ville, hélas ! ne dormit plus. Tous luttaient. Le tocsin fut le seul angélus Qu'eurent ces sinistres aurores. Les noirs canons, roulant à travers la cité, Ébranlaient, au-dessus du fleuve ensanglanté, L'arche sombre des ponts sonores ! Ah ! la nature et Dieu, devant l'humanité, Même étalant leur grâce avec leur majesté, N'empêchent pas ces tristes choses ! Car ces événements se passaient, ô destin, Sur les bords où Lyon à l'horizon lointain Voit resplendir les Alpes roses. Le 4 septembre 1841.
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Riche ventre
Paul Verlaine (1844-1896)
Poésie : Riche ventre Titre : Riche ventre Poète : Paul Verlaine (1844-1896) Riche ventre qui n'a jamais porté, Seins opulents qui n'ont pas allaité, Bras frais et gras, purs de tout soin servile, Beau cou qui n'a plié que sous le poids De lents baisers à tous les chers endroits, Menton où la paresse se profile, Bouche éclatante et rouge d'où jamais Rien n'est sorti que propos que j'aimais, Oiseux et gais — et quel nid de délices ! Nez retroussé quêtant les seuls parfums De la santé robuste, yeux plus que bruns Et moins que noirs, indulgemment complices, Front peu penseur mais pour cela bien mieux, Longs cheveux noirs dont le grand flot soyeux, Jusques aux reins lourdement se hasarde, Croupe superbe éprise de loisir Sauf aux travaux du suprême plaisir, Aux gais combats dont c'est l'arrière-garde, Jambes enfin, vaillantes seulement Dans le plaisant déduit au bon moment Serrant mon buste et ballant vers la nue, Puis, au repos, — cuisses, genoux, mollet, — Fleurant comme ambre et blanches comme lait — Tel le pastel d'après ma femme nue.
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Ô mes lettres d'amour
Victor Hugo (1802-1885)
Poésie : Ô mes lettres d'amour Titre : Ô mes lettres d'amour Poète : Victor Hugo (1802-1885) Oh primavera ! gioventù dell' anno ! Oh gioventù, primavera della vita ! Ô mes lettres d'amour, de vertu, de jeunesse, C'est donc vous ! Je m'enivre encore à votre ivresse ; Je vous lis à genoux. Souffrez que pour un jour je reprenne votre âge ! Laissez-moi me cacher, moi, l'heureux et le sage, Pour pleurer avec vous ! J'avais donc dix-huit ans ! j'étais donc plein de songes ! L'espérance en chantant me berçait de mensonges. Un astre m'avait lui ! J'étais un dieu pour toi qu'en mon cœur seul je nomme ! J'étais donc cet enfant, hélas ! devant qui l'homme Rougit presque aujourd'hui ! Ô temps de rêverie, et de force, et de grâce ! Attendre tous les soirs une robe qui passe ! Baiser un gant jeté ! Vouloir tout de la vie, amour, puissance et gloire ! Etre pur, être fier, être sublime, et croire À toute pureté ! À présent, j'ai senti, j'ai vu, je sais. – Qu'importe Si moins d'illusions viennent ouvrir ma porte Qui gémit en tournant ! Oh ! que cet âge ardent, qui me semblait si sombre, À côté du bonheur qui m'abrite à son ombre, Rayonne maintenant ! Que vous ai-je donc fait, ô mes jeunes années, Pour m'avoir fui si vite, et vous être éloignées, Me croyant satisfait ? Hélas ! pour revenir m'apparaître si belles, Quand vous ne pouvez plus me prendre sur vos ailes, Que vous ai-je donc fait ? Oh ! quand ce doux passé, quand cet âge sans tache, Avec sa robe blanche où notre amour s'attache, Revient dans nos chemins, On s'y suspend, et puis que de larmes amères Sur les lambeaux flétris de vos jeunes chimères Qui vous restent aux mains ! Oublions ! oublions ! Quand la jeunesse est morte, Laissons-nous emporter par le vent qui l'emporte À l'horizon obscur. Rien ne reste de nous ; notre œuvre est un problème. L'homme, fantôme errant, passe sans laisser même Son ombre sur le mur ! Le 22 mai 1830.
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Elle est gaie et pensive
Victor Hugo (1802-1885)
Poésie : Elle est gaie et pensive Titre : Elle est gaie et pensive Poète : Victor Hugo (1802-1885) Recueil : Dernière Gerbe (Posthume, 1902). Elle est gaie et pensive ; elle nous fait songer À tout ce qui reluit malgré de sombres voiles, Aux bois pleins de rayons, aux nuits pleines d'étoiles. L'esprit en la voyant s'en va je ne sais où. Elle a tout ce qui peut rendre un pauvre homme fou. Tantôt c'est un enfant, tantôt c'est une reine. Hélas ! quelle beauté radieuse et sereine ! Elle a de fiers dédains, de charmantes faveurs, Un regard doux et bleu sous de longs cils rêveurs, L'innocence, et l'amour qui sans tristesse encore Flotte empreint sur son front comme une vague aurore, Et puis je ne sais quoi de calme et de vainqueur ! Et le ciel dans ses yeux met l'enfer dans mon coeur !
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Le lion du cirque
Théophile Gautier (1811-1872)
Poésie : Le lion du cirque Titre : Le lion du cirque Poète : Théophile Gautier (1811-1872) Tout beau, fauve grondeur, demeure dans ton antre, Il n'est pas temps encore ; couche-toi sur le ventre ; De ta queue aux crins roux flagelle-toi les flancs, Comme un sphinx accroupi dans les sables brûlants, Sur l'oreiller velu de tes pattes croisées Pose ton mufle énorme, aux babines froncées ; Dors et prends patience, ô lion du désert ; Demain, César le veut, de ton cachot ouvert, Demain tu sauteras dans la pleine lumière, Au beau milieu du Cirque, aux yeux de Rome entière, Et de tous les côtés les applaudissements Répondront comme un chœur à tes grommèlements. On te tient en réserve une vierge chrétienne, Plus blanche mille fois que la Vénus païenne ; Tu pourras à loisir, de tes griffes de fer, Rayer ce dos d'ivoire et cette belle chair ; Tu boiras ce sang pur, vermeil comme la rose : Ne frotte plus ton nez contre la grille close, Songe, sous ta crinière, au plaisir de ronger Un beau corps tout vivant, et de pouvoir plonger Dans le gouffre béant de ta gueule qui fume, Une tête où déjà l'auréole s'allume. Le Belluaire ainsi gourmande son lion, Et le lion fait trêve à sa rébellion. Mais toi, sauvage amour, qui, la prunelle en flamme, Rugis affreusement dans l'antre de mon âme, Je n'ai pas de victime à promettre à ta faim, Ni d'esclave chrétienne à te jeter demain ; Tâche de t'apaiser, ou je m'en vais te clore Dans un lieu plus profond et plus sinistre encore ; A quoi bon te débattre et grincer et hurler ? Le temps n'est pas venu de te démuseler. En attendant le jour de revoir la lumière, Silencieusement, à l'angle d'une pierre, Ou contre les barreaux de ton noir souterrain, Aiguise le tranchant de tes ongles d'airain.
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Marco
Paul Verlaine (1844-1896)
Poésie : Marco Titre : Marco Poète : Paul Verlaine (1844-1896) Quand Marco passait, tous les jeunes hommes Se penchaient pour voir ses yeux, des Sodomes Où les feux d'Amour brûlaient sans pitié Ta pauvre cahute, ô froide Amitié ; Tout autour dansaient des parfums mystiques Où l'âme, en pleurant, s'anéantissait. Sur ses cheveux roux un charme glissait ; Sa robe rendait d'étranges musiques Quand Marco passait. Quand Marco chantait, ses mains, sur l'ivoire Évoquaient souvent la profondeur noire Des airs primitifs que nul n'a redits, Et sa voix montait dans les paradis De la symphonie immense des rêves, Et l'enthousiasme alors transportait Vers des cieux connus quiconque écoutait Ce timbre d'argent qui vibrait sans trêves, Quand Marco chantait. Quand Marco pleurait, ses terribles larmes Défiaient l'éclat des plus belles armes ; Ses lèvres de sang fonçaient leur carmin Et son désespoir n'avait rien d'humain ; Pareil au foyer que l'huile exaspère, Son courroux croissait, rouge, et l'on aurait Dit d'une lionne à l'âpre forêt Communiquant sa terrible colère, Quand Marco pleurait. Quand Marco dansait, sa jupe moirée Allait et venait comme une marée, Et, tel qu'un bambou flexible, son flanc Se tordait, faisant saillir son sein blanc ; Un éclair partait. Sa jambe de marbre, Emphatiquement cynique, haussait Ses mates splendeurs, et cela faisait Le bruit du vent de la nuit dans un arbre, Quand Marco dansait. Quand Marco dormait, oh ! quels parfums d'ambre Et de chair mêlés opprimaient la chambre ! Sous les draps la ligne exquise du dos Ondulait, et dans l'ombre des rideaux L'haleine montait, rhythmique et légère ; Un sommeil heureux et calme fermait Ses yeux, et ce doux mystère charmait Les vagues objets parmi l'étagère, Quand Marco dormait. Mais quand elle aimait, des flots de luxure Débordaient, ainsi que d'une blessure Sort un sang vermeil qui fume et qui bout, De ce corps cruel que son crime absout : Le torrent rompait les digues de l'âme, Noyait la pensée, et bouleversait Tout sur son passage, et rebondissait Souple et dévorant comme de la flamme, Et puis se glaçait.
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Les effarés
Arthur Rimbaud (1854-1891)
Poésie : Les effarés Titre : Les effarés Poète : Arthur Rimbaud (1854-1891) Noirs dans la neige et dans la brume, Au grand soupirail qui s'allume, Leurs culs en rond, A genoux, cinq petits, - misère ! - Regardent le Boulanger faire Le lourd pain blond. Ils voient le fort bras blanc qui tourne La pâte grise et qui l'enfourne Dans un trou clair. Ils écoutent le bon pain cuire. Le Boulanger au gras sourire Grogne un vieil air. Ils sont blottis, pas un ne bouge, Au souffle du soupirail rouge Chaud comme un sein. Quand pour quelque médianoche, Façonné comme une brioche On sort le pain, Quand, sous les poutres enfumées, Chantent les croûtes parfumées Et les grillons, Que ce trou chaud souffle la vie, Ils ont leur âme si ravie Sous leurs haillons, Ils se ressentent si bien vivre, Les pauvres Jésus pleins de givre, Qu'ils sont là tous, Collant leurs petits museaux roses Au treillage, grognant des choses Entre les trous, Tout bêtes, faisant leurs prières Et repliés vers ces lumières Du ciel rouvert, Si fort qu'ils crèvent leur culotte Et que leur chemise tremblote Au vent d'hiver.
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Soit que son or se crêpe lentement
Pierre de Ronsard (1524-1585)
Poésie : Soit que son or se crêpe lentement Titre : Soit que son or se crêpe lentement Poète : Pierre de Ronsard (1524-1585) Recueil : Le premier livre des Amours (1552). Soit que son or se crêpe lentement Ou soit qu'il vague en deux glissantes ondes, Qui çà, qui là par le sein vagabondes, Et sur le col, nagent folâtrement ; Ou soit qu'un noeud illustré richement De maints rubis et maintes perles rondes, Serre les flots de ses deux tresses blondes, Mon coeur se plaît en son contentement. Quel plaisir est-ce, ainçois quelle merveille, Quand ses cheveux, troussés dessus l'oreille, D'une Vénus imitent la façon ? Quand d'un bonnet son chef elle adonise, Et qu'on ne sait s'elle est fille ou garçon, Tant sa beauté en tous deux se déguise ?
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À George Sand VI
Alfred de Musset (1810-1857)
Poésie : À George Sand VI Titre : À George Sand VI Poète : Alfred de Musset (1810-1857) Recueil : Lettres à George Sand. Porte ta vie ailleurs, ô toi qui fus ma vie ; Verse ailleurs ce trésor que j'avais pour tout bien. Va chercher d'autres lieux, toi qui fus ma patrie, Va fleurir, ô soleil, ô ma belle chérie, Fais riche un autre amour et souviens-toi du mien. Laisse mon souvenir te suivre loin de France ; Qu'il parte sur ton coeur, pauvre bouquet fané, Lorsque tu l'as cueilli, j'ai connu l'Espérance, Je croyais au bonheur, et toute ma souffrance Est de l'avoir perdu sans te l'avoir donné.
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Crépuscule sur la Grève
Auguste Angellier (1848-1911)
Poésie : Crépuscule sur la Grève Titre : Crépuscule sur la Grève Poète : Auguste Angellier (1848-1911) La mer, ce soir, est taciturne, Lourde, lisse, lasse, immobile, Comme de l'huile dans une urne ; Et, dans le ciel déjà nocturne, Un puissant nuage est tranquille. L'horizon est voilé de brume, Qui dort dans un fond gris et rouge Où la fin du jour se consume ; Sauf lorsqu'une étoile s'allume. Rien, au ciel, ni sur mer, ne bouge. Seule dans l'immense étendue De la silencieuse grève. Une femme, de deuil vêtue, Paisible comme une statue, Sur un rocher assise, rêve. Son front sous son voile se penche ; Ses mains, sur ses genoux croisées, Tiennent entre elles une branche, Et sa robe aux plis noirs s'épanche Jusqu'à toucher les eaux bronzées. La nuit, qui monte du rivage, De ses crêpes sombres la voile ; Bientôt de l'immobile image Rien ne reste que le visage, Qui semble toucher une étoile. Puis il s'efface ; et rien n'exprime La tristesse qui s'accumule Au dernier instant qui supprime La figure étrange et sublime, L'âme humaine du crépuscule.
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Complainte de Minuccio
Alfred de Musset (1810-1857)
Poésie : Complainte de Minuccio Titre : Complainte de Minuccio Poète : Alfred de Musset (1810-1857) Va dire, Amour, ce qui cause ma peine, A mon seigneur, que je m'en vais mourir, Et, par pitié, venant me secourir, Qu'il m'eût rendu la Mort moins inhumaine. A deux genoux je demande merci. Par grâce, Amour, va-t'en vers sa demeure. Dis-lui comment je prie et pleure ici, Tant et si bien qu'il faudra que je meure Tout enflammée, et ne sachant point l'heure Où finira mon adoré souci. La Mort m'attend, et s'il ne me relève De ce tombeau prêt à me recevoir, J'y vais dormir, emportant mon doux rêve ; Hélas ! Amour, fais-lui mon mal savoir. Depuis le jour où, le voyant vainqueur, D'être amoureuse, Amour, tu m'as forcée, Fût-ce un instant, je n'ai pas eu le coeur De lui montrer ma craintive pensée, Dont je me sens à tel point oppressée, Mourant ainsi, que la Mort me fait peur. Qui sait pourtant, sur mon pâle visage, Si ma douleur lui déplairait à voir ? De l'avouer je n'ai pas le courage. Hélas ! Amour, fais-lui mon mal savoir. Puis donc, Amour, que tu n'as pas voulu A ma tristesse accorder cette joie Que dans mon coeur mon doux seigneur ait lu, Ni vu les pleurs où mon chagrin se noie, Dis-lui du moins, et tâche qu'il le croie, Que je vivrais, si je ne l'avais vu. Dis-lui qu'un jour, une Sicilienne Le vit combattre et faire son devoir. Dans son pays, dis-lui qu'il s'en souvienne, Et que j'en meurs, faisant mon mal savoir.
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Vous voilà pauvres bonnes pensées
Paul Verlaine (1844-1896)
Poésie : Vous voilà pauvres bonnes pensées Titre : Vous voilà pauvres bonnes pensées Poète : Paul Verlaine (1844-1896) Vous voilà, vous voilà, pauvres bonnes pensées ! L'espoir qu'il faut, regret des grâces dépensées, Douceur de cœur avec sévérité d'esprit, Et celle vigilance, et le calme prescrit, Et toutes ! — Mais encor lentes, bien éveillées, Bien d'aplomb, mais encor timides, débrouillées À peine du lourd rêve et de la tiède nuit. C'est à qui de vous va plus gauche, l'une suit L'autre, et toutes ont peur du vaste clair de lune. « Telles, quand des brebis sortent d'un clos. C'est une, Puis deux, puis trois. Le reste est là, les yeux baissés, La tête à terre, et l'air des plus embarrassés. Faisant ce que fait leur chef de file : il s'arrête, Elles s'arrêtent tour à tour, posant leur tête Sur son dos, simplement et sans savoir pourquoi. » Votre pasteur, ô mes brebis, ce n'est pas moi, C'est un meilleur, un bien meilleur, qui sait les causes, Lui qui vous tint longtemps et si longtemps là closes, Mais qui vous délivra de sa main au temps vrai. Suivez-le. Sa houlette est bonne. Et je serai, Sous sa voix toujours douce à votre ennui qui bêle, Je serai, moi, par vos chemins, son chien fidèle.
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Lied
Théophile Gautier (1811-1872)
Poésie : Lied Titre : Lied Poète : Théophile Gautier (1811-1872) Recueil : Émaux et Camées (1852). Au mois d'avril, la terre est rose, Comme la jeunesse et l'amour ; Pucelle encore, à peine elle ose Payer le Printemps de retour. Au mois de juin, déjà plus pâle Et le coeur de désir troublé, Avec l'Eté tout brun de hâle Elle se cache dans le blé. Au mois d'août, bacchante enivrée, Elle offre à l'Automne son sein, Et roulant sur la peau tigrée, Fait jaillir le sang du raisin. En décembre, petite vieille, Par les frimas poudrée à blanc, Dans ses rêves elle réveille L'Hiver auprès d'elle ronflant.
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Après trois ans
Paul Verlaine (1844-1896)
Poésie : Après trois ans Titre : Après trois ans Poète : Paul Verlaine (1844-1896) Recueil : Poèmes saturniens (1866). Ayant poussé la porte étroite qui chancelle, Je me suis promené dans le petit jardin Qu'éclairait doucement le soleil du matin, Pailletant chaque fleur d'une humide étincelle. Rien n'a changé. J'ai tout revu : l'humble tonnelle De vigne folle avec les chaises de rotin... Le jet d'eau fait toujours son murmure argentin Et le vieux tremble sa plainte sempiternelle. Les roses comme avant palpitent ; comme avant, Les grands lys orgueilleux se balancent au vent, Chaque alouette qui va et vient m'est connue. Même j'ai retrouvé debout la Velléda, Dont le plâtre s'écaille au bout de l'avenue, Grêle, parmi l'odeur fade du réséda.
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Stances
Alfred de Musset (1810-1857)
Poésie : Stances Titre : Stances Poète : Alfred de Musset (1810-1857) Je méditais, courbé sur un volume antique, Les dogmes de Platon et les lois du Portique. Je voulus de la vie essayer le fardeau. Aussi bien, j'étais las des loisirs de l'enfance, Et j'entrai, sur les pas de la belle espérance, Dans ce monde nouveau. Souvent on m'avait dit : " Que ton âge a de charmes ! Tes yeux, heureux enfant, n'ont point d'amères larmes, Seule la volupté peut t'arracher des pleurs. " Et je disais aussi : " Que la jeunesse est belle ! Tout rit à ses regards ; tous les chemins, pour elle, Sont parsemés de fleurs ! " Cependant, comme moi tout brillants de jeunesse, Des convives chantaient, pleins d'une douce ivresse ; Je leur tendis la main, en m'avançant vers eux : " Amis, n'aurai-je pas une place à la fête ? " Leur dis-je... Et pas un seul ne détourna la tête Et ne leva les yeux ! Je m'éloignai pensif, la mort au fond de l'âme. Alors, à mes regards vint s'offrir une femme. Je crus que dans ma nuit un ange avait passé. Et chacun admirait son souris plein de charme ; Mais il me fit horreur ! car jamais une larme Ne l'avait effacé. " Dieu juste ! m'écriai-je, à ma soif dévorante Le désert n'offre point de source bienfaisante. Je suis l'arbre isolé sur un sol malheureux, Comme en un vaste exil, placé dans la nature ; Elle n'a pas d'écho pour ma voix qui murmure Et se perd dans les cieux. Quel mortel ne sait pas, dans le sein des orages, Où reposer sa tête, à l'abri des naufrages ? Et moi, jouet des flots, seul avec mes douleurs, Aucun navire ami ne vient frapper ma vue, Aucun, sur cette mer où ma barque est perdue, Ne porte mes couleurs. Ô douce illusion ! berce-moi de tes songes ; Demandant le bonheur à tes riants mensonges, Je me sauve en tremblant de la réalité ; Car, pour moi, le printemps n'a pas de doux ombrage ; Le soleil est sans feux, l'Océan sans rivage, Et le jour sans clarté ! " Ainsi, pour égayer son ennui solitaire, Quand Dieu jeta le mal et le bien sur la terre, Moi, je ne pus trouver que ma part de douleur ; Convive repoussé de la fête publique, Mes accents troubleraient l'harmonieux cantique Des enfants du Seigneur. Ah ! si je ressemblais à ces hommes de pierre Qui, cherchant l'ombre amie et fuyant la lumière, Ont trouvé dans le vice un facile plaisir !... Ceux-là vivent heureux !... Mais celui qui dans l'âme Garde quelque lueur d'une plus noble flamme, Celui-là doit mourir. L'ennui, vautour affreux, l'a marqué pour sa proie ; Il trouve son tourment dans la commune joie ; Respirant dans le ciel tous les feux de l'enfer, Le bonheur n'est pour lui qu'un horrible mélange, Car le miel le plus doux sur ses lèvres se change En un breuvage amer. Jusqu'au jour où d'ennui son âme dévorée Trouve pour reposer quelque tombe ignorée, Et retourne au néant, d'ou l'homme était venu ; Comme un poison brûlant, renfermé dans l'argile, Fermente, et brise enfin le vase trop fragile Qui l'avait contenu.
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Çavitri
Paul Verlaine (1844-1896)
Poésie : Çavitri Titre : Çavitri Poète : Paul Verlaine (1844-1896) Recueil : Poèmes saturniens (1866). Pour sauver son époux, Çavitri fit le vœu De se tenir trois jours entiers, trois nuits entières, Debout, sans remuer jambes, buste ou paupières : Rigide, ainsi que dit Vyaça, comme un pieu. Ni, Curya, tes rais cruels, ni la langueur Que Tchandra vient épandre à minuit sur les cimes Ne firent défaillir, dans leurs efforts sublimes, La pensée et la chair de la femme au grand cœur. — Que nous cerne l'Oubli, noir et morne assassin, Ou que l'Envie aux traits amers nous ait pour cibles. Ainsi que Çavitri faisons-nous impassibles, Mais, comme elle, dans l'âme ayons un haut dessein.
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À Juvénal
Victor Hugo (1802-1885)
Poésie : À Juvénal Titre : À Juvénal Poète : Victor Hugo (1802-1885) I. Retournons à l'école, ô mon vieux Juvénal. Homme d'ivoire et d'or, descends du tribunal Où depuis deux mille ans tes vers superbes tonnent. Il paraît, vois-tu bien, ces choses nous étonnent, Mais c'est la vérité selon monsieur Riancey, Que lorsqu'un peu de temps sur le sang a passé, Après un an ou deux, c'est une découverte, Quoi qu'en disent les morts avec leur bouche verte, Le meurtre n'est plus meurtre et le vol n'est plus vol. Monsieur Veuillot, qui tient d'Ignace et d'Auriol, Nous l'affirme, quand l'heure a tourné sur l'horloge, De notre entendement ceci fait peu l'éloge, Pourvu qu'à Notre-Dame on brûle de l'encens Et que l'abonné vienne aux journaux bien pensants, Il paraît que, sortant de son hideux suaire, Joyeux, en panthéon changeant son ossuaire, Dans l'opération par monsieur Fould aidé, Par les juges lavé, par les filles fardé, Ô miracle ! entouré de croyants et d'apôtres, En dépit des rêveurs, en dépit de nous autres Noirs poètes bourrus qui n'y comprenons rien, Le mal prend tout à coup la figure du bien. II. Il est l'appui de l'ordre ; il est bon catholique Il signe hardiment - prospérité publique. La trahison s'habille en général français L'archevêque ébloui bénit le dieu Succès C'était crime jeudi, mais c'est haut fait dimanche. Du pourpoint Probité l'on retourne la manche. Tout est dit. La vertu tombe dans l'arriéré. L'honneur est un vieux fou dans sa cave muré. Ô grand penseur de bronze, en nos dures cervelles Faisons entrer un peu ces morales nouvelles, Lorsque sur la Grand'Combe ou sur le blanc de zinc On a revendu vingt ce qu'on a payé cinq, Sache qu'un guet-apens par où nous triomphâmes Est juste, honnête et bon. Tout au rebours des femmes, Sache qu'en vieillissant le crime devient beau. Il plane cygne après s'être envolé corbeau. Oui, tout cadavre utile exhale une odeur d'ambre. Que vient-on nous parler d'un crime de décembre Quand nous sommes en juin ! l'herbe a poussé dessus. Toute la question, la voici : fils, tissus, Cotons et sucres bruts prospèrent ; le temps passe. Le parjure difforme et la trahison basse En avançant en âge ont la propriété De perdre leur bassesse et leur difformité Et l'assassinat louche et tout souillé de lange Change son front de spectre en un visage d'ange. III. Et comme en même temps, dans ce travail normal, La vertu devient faute et le bien devient mal, Apprends que, quand Saturne a soufflé sur leur rôle, Néron est un sauveur et Spartacus un drôle. La raison obstinée a beau faire du bruit ; La justice, ombre pâle, a beau, dans notre nuit, Murmurer comme un souffle à toutes les oreilles ; On laisse dans leur coin bougonner ces deux vieilles. Narcisse gazetier lapide Scévola. Accoutumons nos yeux à ces lumières-là Qui font qu'on aperçoit tout sous un nouvel angle, Et qu'on voit Malesherbe en regardant Delangle. Sachons dire : Lebœuf est grand, Persil est beau Et laissons la pudeur au fond du lavabo. IV. Le bon, le sûr, le vrai, c'est l'or dans notre caisse. L'homme est extravagant qui, lorsque tout s'affaisse, Proteste seul debout dans une nation, Et porte à bras tendu son indignation. Que diable ! il faut pourtant vivre de l'air des rues, Et ne pas s'entêter aux choses disparues. Quoi ! tout meurt ici-bas, l'aigle comme le ver, Le charançon périt sous la neige l'hiver, Quoi ! le Pont-Neuf fléchit lorsque les eaux sont grosses, Quoi ! mon coude est troué, quoi ! je perce mes chausses, Quoi ! mon feutre était neuf et s'est usé depuis, Et la vérité, maître, aurait, dans son vieux puits, Cette prétention rare d'être éternelle ! De ne pas se mouiller quand il pleut, d'être belle À jamais, d'être reine en n'ayant pas le sou, Et de ne pas mourir quand on lui tord le cou ! Allons donc ! Citoyens, c'est au fait qu'il faut croire. V. Sur ce, les charlatans prêchent leur auditoire D'idiots, de mouchards, de grecs, de philistins, Et de gens pleins d'esprit détroussant les crétins La Bourse rit ; la hausse offre aux badauds ses prismes ; La douce hypocrisie éclate en aphorismes ; C'est bien, nous gagnons gros et nous sommes contents Et ce sont, Juvénal, les maximes du temps. Quelque sous-diacre, éclos dans je ne sais quel bouge, Trouva ces vérités en balayant Montrouge, Si bien qu'aujourd'hui fiers et rois des temps nouveaux, Messieurs les aigrefins et messieurs les dévots Déclarent, s'éclairant aux lueurs de leur cierge, Jeanne d'Arc courtisane et Messaline vierge. Voilà ce que curés, évêques, talapoins, Au nom du Dieu vivant, démontrent en trois points, Et ce que le filou qui fouille dans ma poche Prouve par A plus B, par Argout plus Baroche. VI. Maître ! voilà-t-il pas de quoi nous indigner ? À quoi bon s'exclamer ? à quoi bon trépigner ? Nous avons l'habitude, en songeurs que nous sommes, De contempler les nains bien moins que les grands hommes Même toi satirique, et moi tribun amer, Nous regardons en haut, le bourgeois dit : en l'air ; C'est notre infirmité. Nous fuyons la rencontre Des sots et des méchants. Quand le Dombidau montre Son crâne et que le Fould avance son menton, J'aime mieux Jacques Coeur, tu préfères Caton La gloire des héros, des sages que Dieu crée, Est notre vision éternelle et sacrée ; Eblouis, l'œil noyé des clartés de l'azur, Nous passons notre vie à voir dans l'éther pur Resplendir les géants, penseurs ou capitaines Nous regardons, au bruit des fanfares lointaines, Au-dessus de ce monde où l'ombre règne encor, Mêlant dans les rayons leurs vagues poitrails d'or, Une foule de chars voler dans les nuées. Aussi l'essaim des gueux et des prostituées, Quand il se heurte à nous, blesse nos yeux pensifs. Soit. Mais réfléchissons. Soyons moins exclusifs. Je hais les cœurs abjects, et toi, tu t'en défies ; Mais laissons-les en paix dans leurs philosophies. VII. Et puis, même en dehors de tout ceci, vraiment, Peut-on blâmer l'instinct et le tempérament ? Ne doit-on pas se faire aux natures des êtres ? La fange a ses amants et l'ordure a ses prêtres ; De la cité bourbier le vice est citoyen ; Où l'un se trouve mal, l'autre se trouve bien ; J'en atteste Minos et j'en fais juge Eaque, Le paradis du porc, n'est-ce pas le cloaque ? Voyons, en quoi, réponds, génie âpre et subtil, Cela nous touche-t-il et nous regarde-t-il, Quand l'homme du serment dans le meurtre patauge, Quand monsieur Beauharnais fait du pouvoir une auge, Si quelque évêque arrive et chante alleluia, Si Saint-Arnaud bénit la main qui le paya, Si tel ou tel bourgeois le célèbre et le loue, S'il est des estomacs qui digèrent la boue ? Quoi ! quand la France tremble au vent des trahisons, Stupéfaits et naïfs, nous nous ébahissons Si Parieu vient manger des glands sous ce grand chêne ! Nous trouvons surprenant que l'eau coule à la Seine, Nous trouvons merveilleux que Troplong soit Scapin, Nous trouvons inouï que Dupin soit Dupin ! VIII. Un vieux penchant humain mène à la turpitude. L'opprobre est un logis, un centre, une habitude, Un toit, un oreiller, un lit tiède et charmant, Un bon manteau bien ample où l'on est chaudement. L'opprobre est le milieu respirable aux immondes. Quoi ! nous nous étonnons d'ouïr dans les deux mondes Les dupes faisant chœur avec les chenapans, Les gredins, les niais vanter ce guet-apens ! Mais ce sont là les lois de la mère nature. C'est de l'antique instinct l'éternelle aventure. Par le point qui séduit ses appétits flattés Chaque bête se plaît aux monstruosités. Quoi ! ce crime est hideux ! quoi ! ce crime est stupide ! N'est-il plus d'animaux pour l'admirer ? Le vide S'est-il fait ? N'est-il plus d'êtres vils et rampants ? N'est-il plus de chacals ? n'est-il plus de serpents ? Quoi ! les baudets ont-ils pris tout à coup des ailes, Et se sont-ils enfuis aux voûtes éternelles ? De la création l'âne a-t-il disparu ? Quand Cyrus, Annibal, César, montaient à cru Cet effrayant cheval qu'on appelle la gloire, Quand, ailés, effarés de joie et de victoire, Ils passaient flamboyants au fond des cieux vermeils, Les aigles leur craient : vous êtes nos pareils ! Les aigles leur criaient : vous portez le tonnerre ! Aujourd'hui les hiboux acclament Lacenaire. Eh bien ! je trouve bon que cela soit ainsi. J'applaudis les hiboux et je leur dis : merci. La sottise se mêle à ce concert sinistre, Tant mieux. Dans sa gazette, ô Juvénal, tel cuistre Déclare, avec messieurs d'Arras et de Beauvais, Mandrin très bon, et dit l'honnête homme mauvais, Foule aux pieds les héros et vante les infâmes, C'est tout simple ; et, vraiment, nous serions bonnes âmes De nous émerveiller lorsque nous entendons Les Veuillots aux lauriers préférer les chardons ! IX. Donc laissons aboyer la conscience humaine Comme un chien qui s'agite et qui tire sa chaîne. Guerre aux justes proscrits ! gloire aux coquins fêtés ! Et faisons bonne mine à ces réalités. Acceptons cet empire unique et véritable. Saluons sans broncher Trestaillon connétable, Mingrat grand aumônier, Bosco grand électeur ; Et ne nous fâchons pas s'il advient qu'un rhéteur, Un homme du sénat, un homme du conclave, Un eunuque, un cagot, un sophiste, un esclave, Esprit sauteur prenant la phrase pour tremplin, Après avoir chanté César de grandeur plein, Et ses perfections et ses mansuétudes, Insulte les bannis jetés aux solitudes, Ces brigands qu'a vaincus Tibère Amphitryon. Vois-tu, c'est un talent de plus dans l'histrion ; C'est de l'art de flatter le plus exquis peut-être ; On chatouille moins bien Henri huit, le bon maître, En louant Henri huit qu'en déchirant Morus. Les dictateurs d'esprit, bourrés d'éloges crus, Sont friands, dans leur gloire et dans leurs arrogances, De ces raffinements et de ces élégances. Poète, c'est ainsi que les despotes sont. Le pouvoir, les honneurs sont plus doux quand ils ont Sur l'échafaud du juste une fenêtre ouverte. Les exilés, pleurant près de la mer déserte, Les sages torturés, les martyrs expirants Sont l'assaisonnement du bonheur des tyrans. Juvénal, Juvénal, mon vieux lion classique, Notre vin de Champagne et ton vin de Massique, Les festins, les palais, et le luxe effréné, L'adhésion du prêtre et l'amour de Phryné, Les triomphes, l'orgueil, les respects, les caresses, Toutes les voluptés et toutes les ivresses Dont s'abreuvait Séjan, dont se gorgeait Rufin, Sont meilleures à boire, ont un goût bien plus fin, Si l'on n'est pas un sot à cervelle exiguë, Dans la coupe où Socrate hier but la ciguë ! Jersey, le 5 février 1853.
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À qui la faute
Victor Hugo (1802-1885)
Poésie : À qui la faute Titre : À qui la faute Poète : Victor Hugo (1802-1885) Tu viens d'incendier la Bibliothèque ? - Oui. J'ai mis le feu là. - Mais c'est un crime inouï ! Crime commis par toi contre toi-même, infâme ! Mais tu viens de tuer le rayon de ton âme ! C'est ton propre flambeau que tu viens de souffler ! Ce que ta rage impie et folle ose brûler, C'est ton bien, ton trésor, ta dot, ton héritage Le livre, hostile au maître, est à ton avantage. Le livre a toujours pris fait et cause pour toi. Une bibliothèque est un acte de foi Des générations ténébreuses encore Qui rendent dans la nuit témoignage à l'aurore. Quoi! dans ce vénérable amas des vérités, Dans ces chefs-d'oeuvre pleins de foudre et de clartés, Dans ce tombeau des temps devenu répertoire, Dans les siècles, dans l'homme antique, dans l'histoire, Dans le passé, leçon qu'épelle l'avenir, Dans ce qui commença pour ne jamais finir, Dans les poètes! quoi, dans ce gouffre des bibles, Dans le divin monceau des Eschyles terribles, Des Homères, des jobs, debout sur l'horizon, Dans Molière, Voltaire et Kant, dans la raison, Tu jettes, misérable, une torche enflammée ! De tout l'esprit humain tu fais de la fumée ! As-tu donc oublié que ton libérateur, C'est le livre ? Le livre est là sur la hauteur ; Il luit; parce qu'il brille et qu'il les illumine, Il détruit l'échafaud, la guerre, la famine Il parle, plus d'esclave et plus de paria. Ouvre un livre. Platon, Milton, Beccaria. Lis ces prophètes, Dante, ou Shakespeare, ou Corneille L'âme immense qu'ils ont en eux, en toi s'éveille ; Ébloui, tu te sens le même homme qu'eux tous ; Tu deviens en lisant grave, pensif et doux ; Tu sens dans ton esprit tous ces grands hommes croître, Ils t'enseignent ainsi que l'aube éclaire un cloître À mesure qu'il plonge en ton coeur plus avant, Leur chaud rayon t'apaise et te fait plus vivant ; Ton âme interrogée est prête à leur répondre ; Tu te reconnais bon, puis meilleur; tu sens fondre, Comme la neige au feu, ton orgueil, tes fureurs, Le mal, les préjugés, les rois, les empereurs ! Car la science en l'homme arrive la première. Puis vient la liberté. Toute cette lumière, C'est à toi comprends donc, et c'est toi qui l'éteins ! Les buts rêvés par toi sont par le livre atteints. Le livre en ta pensée entre, il défait en elle Les liens que l'erreur à la vérité mêle, Car toute conscience est un noeud gordien. Il est ton médecin, ton guide, ton gardien. Ta haine, il la guérit ; ta démence, il te l'ôte. Voilà ce que tu perds, hélas, et par ta faute ! Le livre est ta richesse à toi ! c'est le savoir, Le droit, la vérité, la vertu, le devoir, Le progrès, la raison dissipant tout délire. Et tu détruis cela, toi ! - Je ne sais pas lire.
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Clair de lune
Paul Verlaine (1844-1896)
Poésie : Clair de lune Titre : Clair de lune Poète : Paul Verlaine (1844-1896) Recueil : Fêtes galantes (1869). Votre âme est un paysage choisi Que vont charmant masques et bergamasques Jouant du luth et dansant et quasi Tristes sous leurs déguisements fantasques. Tout en chantant sur le mode mineur L'amour vainqueur et la vie opportune, Ils n'ont pas l'air de croire à leur bonheur Et leur chanson se mêle au clair de lune, Au calme clair de lune triste et beau, Qui fait rêver les oiseaux dans les arbres Et sangloter d'extase les jets d'eau, Les grands jets d'eau sveltes parmi les marbres.
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Je te donne ces vers
Charles Baudelaire (1821-1867)
Poésie : Je te donne ces vers Titre : Je te donne ces vers Poète : Charles Baudelaire (1821-1867) Recueil : Les fleurs du mal (1857). Sonnet. Je te donne ces vers afin que si mon nom Aborde heureusement aux époques lointaines, Et fait rêver un soir les cervelles humaines, Vaisseau favorisé par un grand aquilon, Ta mémoire, pareille aux fables incertaines, Fatigue le lecteur ainsi qu'un tympanon, Et par un fraternel et mystique chaînon Reste comme pendue à mes rimes hautaines ; Etre maudit à qui, de l'abîme profond Jusqu'au plus haut du ciel, rien, hors moi, ne répond ! - Ô toi qui, comme une ombre à la trace éphémère, Foules d'un pied léger et d'un regard serein Les stupides mortels qui t'ont jugée amère, Statue aux yeux de jais, grand ange au front d'airain !
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L'impénitent
Paul Verlaine (1844-1896)
Poésie : L'impénitent Titre : L'impénitent Poète : Paul Verlaine (1844-1896) Rôdeur vanné, ton œil fané Tout plein d'un désir satané Mais qui n'est pas l'œil d'un bélître, Quand passe quelqu'un de gentil Lance un éclair comme une vitre. Ton blaire flaire, âpre et subtil, Et l'étamine et le pistil, Toute fleur, tout fruit, toute viande, Et ta langue d'homme entendu Pourlèche ta lèvre friande. Vieux faune en l'air guettant ton dû, As-tu vraiment bandé, tendu L'arme assez de tes paillardises ? L'as-tu, drôle, braquée assez ? Ce n'est rien que tu nous le dises. Quoi, malgré ces reins fricassés, Ce cœur éreinté, tu ne sais Que dévouer à la luxure Ton cœur, tes reins, ta poche à fiel, Ta rate et toute ta fressure ! Sucrés et doux comme le miel, Damnants comme le feu du ciel, Bleus comme fleur, noirs comme poudre, Tu raffoles beaucoup des yeux De tout genre en dépit du Foudre. Les nez te plaisent, gracieux Ou simplement malicieux, Étant la force des visages, Étant aussi, suivant des gens, Des indices et des présages. Longs baisers plus clairs que des chants, Tout petits baisers astringents Qu'on dirait qui vous sucent l'âme, Bons gros baisers d'enfant, légers Baisers danseurs, telle une flamme, Baisers mangeurs, baisers mangés, Baisers buveurs, bus, enragés, Baisers languides et farouches, Ce que t'aimes bien, c'est surtout, N'est-ce pas ? les belles boubouches. Les corps enfin sont de ton goût, Mieux pourtant couchés que debout, Se mouvant sur place qu'en marche, Mais de n'importe quel climat, Pont-Saint-Esprit ou Pont-de-l'Arche. Pour que ce goût les acclamât Minces, grands, d'aspect plutôt mat, Faudrait pourtant du jeune en somme : Pieds fins et forts, tout légers bras Musculeux et les cheveux comme Ça tombe, longs, bouclés ou ras, — Sinon pervers et scélérats Tout à fait, un peu d'innocence En moins, pour toi sauver, du moins, Quelque ombre encore de décence ? Nenni dà ! Vous, soyez témoins, Dieux la connaissant dans les coins, Que ces manières, de parts telles, Sont pour s'amuser mieux au fond Sans trop muser aux bagatelles. C'est ainsi que les choses vont Et que les raillards fieffés font. Mais tu te ris de ces morales, — Tel un quelqu'un plus que pressé Passe outre aux défenses murales. Et tu réponds, un peu lassé De te voir ainsi relancé, De ta voix que la soif dégrade Mais qui n'est pas d'un marmiteux : « Qu'y peux-tu faire, camarade, Si nous sommes cet amiteux ? »
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Déjà nommé
Victor Hugo (1802-1885)
Poésie : Déjà nommé Titre : Déjà nommé Poète : Victor Hugo (1802-1885) Malgré moi je reviens, et mes vers s'y résignent, À cet homme qui fut si misérable, hélas ! Et dont Mathieu Molé, chez les morts qui s'indignent, Parle à Boissy d'Anglas. Ô loi sainte ! Justice ! où tout pouvoir s'étaie, Gardienne de tout droit et de tout ordre humain ! Cet homme qui, vingt ans, pour recevoir sa paie, T'avait tendu la main, Quand il te vit sanglante et livrée à l'infâme, Levant tes bras, meurtrie aux talons des soldats, Tourna la tête et dit : Qu'est-ce que cette femme Je ne la connais pas ! Les vieux partis avaient mis au fauteuil ce juste ! Ayant besoin d'un homme, on prit un mannequin. Il eût fallu Caton sur cette chaise auguste On y jucha Pasquin. Opprobre ! il dégradait à plaisir l'assemblée Souple, insolent, semblable aux valets familiers, Ses gros lazzis marchaient sur l'éloquence allée Avec leurs gros souliers. Quand on ne croit à rien on est prêt à tout faire. Il eût reçu Cromwell ou Monk dans Temple-Bar. Suprême abjection ! riant avec Voltaire, Votant pour Escobar ! Ne sachant que lécher à droite et mordre à gauche, Aidant, à son insu, le crime ; vil pantin, Il entrouvrait la porte aux sbires en débauche Qui vinrent un matin. Si l'on avait voulu, pour sauver du déluge, Certes, son traitement, sa place, son trésor, Et sa loque d'hermine et son bonnet de juge Au triple galon d'or, Il eût été complice, il eût rempli sa tâche Mais les chefs sur son nom passèrent le charbon Ils n'ont pas daigné faire un traître avec ce lâche Ils ont dit : à quoi bon ? Sous ce règne où l'on vend de la fange au pied cube, Du moins cet homme a-t-il à jamais disparu, Rustre exploiteur des rois, courtisan du Danube, Hideux flatteur bourru ! Il s'offrit aux brigands après la loi tuée ; Et pour qu'il lâchât prise, aux yeux de tout Paris, Il fallut qu'on lui dît : Vieille prostituée, Vois donc tes cheveux gris ! Aujourd'hui méprisé, même de cette clique, On voit pendre la honte à son nom infamant, Et le dernier lambeau de la pudeur publique À son dernier serment. Si par hasard, la nuit, dans les carrefours mornes, Fouillant du croc l'ordure où dort plus d'un secret, Un chiffonnier trouvait cette âme au coin des bornes, Il la dédaignerait ! Jersey, le 25 décembre 1852.
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Marie, vous passez en taille, et en visage
Pierre de Ronsard (1524-1585)
Poésie : Marie, vous passez en taille, et en visage Titre : Marie, vous passez en taille, et en visage Poète : Pierre de Ronsard (1524-1585) Recueil : Le second livre des Amours (1556). Marie, vous passez en taille, et en visage, En grâce, en ris, en yeux, en sein, et en téton, Votre moyenne soeur, d'autant que le bouton D'un rosier franc surpasse une rose sauvage. Je ne dis pas pourtant qu'un rosier de bocage Ne soit plaisant à l'oeil, et qu'il ne sente bon ; Aussi je ne dis pas que votre soeur Thoinon Ne soit belle, mais quoi ? vous l'êtes davantage. Je sais bien qu'après vous elle a le premier prix De ce bourg, en beauté, et qu'on serait épris D'elle facilement, si vous étiez absente. Mais quand vous approchez, lors sa beauté s'enfuit, Ou morne elle devient par la vôtre présente, Comme les astres font quand la Lune reluit.
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Fuyez au mont inabordable
Victor Hugo (1802-1885)
Poésie : Fuyez au mont inabordable Titre : Fuyez au mont inabordable Poète : Victor Hugo (1802-1885) Fuyez au mont inabordable ! Fuyez dans le creux du vallon ! Une nation formidable Vient du côté de l'aquilon. Ils auront de bons capitaines, Ils auront de bons matelots, Ils viendront à travers les plaines, Ils viendront à travers les flots. Ils auront des artilleries, Des chariots, des pavillons ; Leurs immenses cavaleries Seront comme des tourbillons. Comme crie une aigle échappée, Ils crieront : Nous venons enfin ! Meurent les hommes par l'épée ! Meurent les femmes par la faim ! On les distinguera dans l'ombre Jetant la lueur et l'éclair. Ils feront en marche un bruit sombre Comme les vagues de la mer. Ils sembleront avoir des ailes, Ils voleront dans le ciel noir Plus nombreux que les étincelles D'un chaume qui brûle le soir. Ils viendront, le coeur plein de haines Avec des glaives dans les mains... — Oh ! ne sortez pas dans les plaines ! — Oh ! n'allez pas dans les chemins ! Car dans nos campagnes antiques On n'entend plus que les clairons, Et l'on n'y voit plus que les piques, Que les piques des escadrons ! Oh ! que de chars ! que de fumée ! Ils viendront, hurlant et riant, Ils seront une grande armée, Ils seront un peuple effrayant, Mais que Dieu, sous qui le ciel tremble, Montre sa face dans ce bruit, Ils disparaîtront tous ensemble Comme une vision de nuit. Le 5 août 1846.
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Autre guitare
Victor Hugo (1802-1885)
Poésie : Autre guitare Titre : Autre guitare Poète : Victor Hugo (1802-1885) Recueil : Les rayons et les ombres (1840). Comment, disaient-ils, Avec nos nacelles, Fuir les alguazils ? – Ramez, disaient-elles. Comment, disaient-ils, Oublier querelles, Misère et périls ? – Dormez, disaient-elles. Comment, disaient-ils, Enchanter les belles Sans philtres subtils ? – Aimez, disaient-elles. Le 18 juillet 1838.
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Madrigal triste
Charles Baudelaire (1821-1867)
Poésie : Madrigal triste Titre : Madrigal triste Poète : Charles Baudelaire (1821-1867) I Que m'importe que tu sois sage ? Sois belle ! et sois triste ! Les pleurs Ajoutent un charme au visage, Comme le fleuve au paysage ; L'orage rajeunit les fleurs. Je t'aime surtout quand la joie S'enfuit de ton front terrassé ; Quand ton coeur dans l'horreur se noie ; Quand sur ton présent se déploie Le nuage affreux du passé. Je t'aime quand ton grand oeil verse Une eau chaude comme le sang ; Quand, malgré ma main qui te berce, Ton angoisse, trop lourde, perce Comme un râle d'agonisant. J'aspire, volupté divine ! Hymne profond, délicieux ! Tous les sanglots de ta poitrine, Et crois que ton coeur s'illumine Des perles que versent tes yeux ! II Je sais que ton coeur, qui regorge De vieux amours déracinés, Flamboie encor comme une forge, Et que tu couves sous ta gorge Un peu de l'orgueil des damnés ; Mais tant, ma chère, que tes rêves N'auront pas reflété l'Enfer, Et qu'en un cauchemar sans trêves, Songeant de poisons et de glaives, Eprise de poudre et de fer, N'ouvrant à chacun qu'avec crainte, Déchiffrant le malheur partout, Te convulsant quand l'heure tinte, Tu n'auras pas senti l'étreinte De l'irrésistible Dégoût, Tu ne pourras, esclave reine Qui ne m'aimes qu'avec effroi, Dans l'horreur de la nuit malsaine, Me dire, l'âme de cris pleine : " Je suis ton égale, Ô mon Roi ! "
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