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Plus mille fois que nul or terrien
Pierre de Ronsard (1524-1585)
Poésie : Plus mille fois que nul or terrien Titre : Plus mille fois que nul or terrien Poète : Pierre de Ronsard (1524-1585) Recueil : Le premier livre des Amours (1552). Plus mille fois que nul or terrien, J'aime ce front où mon tyran se joue Et le vermeil de cette belle joue, Qui fait honteux le pourpre Tyrien. Toutes beautés à mes yeux ne sont rien, Au prix du sein qui lentement secoue Son gorgerin, sous qui doucement noue Un petit flot que Vénus dirait sien. Ne plus, ne moins, que Jupiter est aise, Quand de son chant une Muse l'apaise, Ainsi je suis de ses chansons épris, Lorsqu'à son luth ses doigts elle embesogne, Et qu'elle dit le branle de Bourgogne, Qu'elle disait, le jour que je fus pris.
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À ****
Victor Hugo (1802-1885)
Poésie : À **** Titre : À **** Poète : Victor Hugo (1802-1885) Je me disais : — Cet homme est-il un saltimbanque ? Ne faut-il pas le plaindre ? Est-ce un sens qui lui manque ? Il ne comprend donc pas ? Est-ce un aveugle-né ? Un bègue ? Un sourd ? D'où vient que ce triste obstiné Méconnaît tout génie et toute gloire, et rampe, Tâchant d'éteindre l'astre et de souffler la lampe, Et déchire, dénigre, insulte, blesse, nuit, Et sur toute clarté va bavant de la nuit ? — Maintenant je t'ai vu de près, ô misérable ; J'ai vu ton œil, ton dos, ton échine, ton râble, Ton crâne plat, ton ventre odieux ; et du doigt Asmodée a levé le plafond de ton toit ; Je t'ai vu te traîner, ivre et triste ; et, farouche, Arracher en jouant les ailes d'une mouche. J'ai vu ton rire, hélas ! Je n'ai pas vu tes pleurs. Je t'ai vu haïr l'aube, et marcher sur les fleurs, Et sans cesse écraser la vie à ton passage ; Et battre les enfants, et cracher au visage De cette fille à qui tu donnes quinze sous ; J'ai vu tes vêtements dans l'ordure dissous ; J'ai vu ton cœur sans Dieu, ta chambre sans cuvette ; Je t'ai vu t'irriter au chant d'une fauvette, Toujours plisser le front, toujours crisper le poing ; Et j'ai compris pourquoi tu ne comprenais point.
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Les pauvres à l'église
Arthur Rimbaud (1854-1891)
Poésie : Les pauvres à l'église Titre : Les pauvres à l'église Poète : Arthur Rimbaud (1854-1891) Parqués entre des bancs de chêne, aux coins d'église Qu'attiédit puamment leur souffle, tous leurs yeux Vers le choeur ruisselant d'orrie et la maîtrise Aux vingt gueules gueulant les cantiques pieux ; Comme un parfum de pain humant l'odeur de cire, Heureux, humiliés comme des chiens battus, Les Pauvres au bon Dieu, le patron et le sire, Tendent leurs oremus risibles et têtus. Aux femmes, c'est bien bon de faire des bancs lisses, Après les six jours noirs ou Dieu les fait souffrir ! Elles bercent, tordus dans d'étranges pelisses, Des espèces d'enfants qui pleurent à mourir. Leurs seins crasseux dehors, ces mangeuses de soupe, Une prière aux yeux et ne priant jamais, Regardent parader mauvaisement un groupe De gamines avec leurs chapeaux déformés. Dehors, le froid, la faim, l'homme en ribote : C'est bon. Encore une heure ; après, les maux sans noms ! - Cependant, alentour, geint, nasille, chuchote Une collection de vieilles à fanons : Ces effarés y sont et ces épileptiques Dont on se détournait hier aux carrefours ; Et, fringalant du nez dans des missels antiques, Ces aveugles qu'un chien introduit dans les cours. Et tous, bavant la foi mendiante et stupide, Récitent la complainte infinie à Jésus, Qui rêve en haut, jauni par le vitrail livide, Loin des maigres mauvais et des méchants pansus, Loin des senteurs de viande et d'étoffes moisies, Farce prostrée et sombre aux gestes repoussants ; - Et l'oraison fleurit d'expressions choisies, Et les mysticités prennent des tons pressants, Quand, des nefs où périt le soleil, plis de soie Banals, sourires verts, les Dames des quartiers Distingués, - ô Jésus ! - les malades du foie Font baiser leurs longs doigts jaunes aux bénitiers.
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La nature est pleine d'amour
Victor Hugo (1802-1885)
Poésie : La nature est pleine d'amour Titre : La nature est pleine d'amour Poète : Victor Hugo (1802-1885) La nature est pleine d'amour, Jeanne, autour de nos humbles joies ; Et les fleurs semblent tour à tour Se dresser pour que tu les voies. Vive Angélique ! à bas Orgon ! L'hiver, qu'insultent nos huées, Recule, et son profil bougon Va s'effaçant dans les nuées. La sérénité de nos coeurs, Où chantent les bonheurs sans nombre, Complète, en ces doux mois vainqueurs, L'évanouissement de l'ombre. Juin couvre de fleurs les sommets, Et dit partout les mêmes choses ; Mais est-ce qu'on se plaint jamais De la prolixité des roses ? L'hirondelle, sur ton front pur, Vient si près de tes yeux fidèles Qu'on pourrait compter dans l'azur Toutes les plumes de ses ailes. Ta grâce est un rayon charmant ; Ta jeunesse, enfantine encore, Éclaire le bleu firmament, Et renvoie au ciel de l'aurore. De sa ressemblance avec toi Le lys pur sourit dans sa gloire ; Ton âme est une urne de foi Où la colombe voudrait boire.
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Le mauvais moine
Charles Baudelaire (1821-1867)
Poésie : Le mauvais moine Titre : Le mauvais moine Poète : Charles Baudelaire (1821-1867) Recueil : Les fleurs du mal (1857). Sonnet. Les cloîtres anciens sur leurs grandes murailles Etalaient en tableaux la sainte Vérité, Dont l'effet, réchauffant les pieuses entrailles, Tempérait la froideur de leur austérité. En ces temps où du Christ florissaient les semailles, Plus d'un illustre moine, aujourd'hui peu cité, Prenant pour atelier le champ des funérailles, Glorifiait la Mort avec simplicité. - Mon âme est un tombeau que, mauvais cénobite, Depuis l'éternité je parcours et j'habite ; Rien n'embellit les murs de ce cloître odieux. Ô moine fainéant ! quand saurai-je donc faire Du spectacle vivant de ma triste misère Le travail de mes mains et l'amour de mes yeux ?
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Au Seigneur de Villeroy
Pierre de Ronsard (1524-1585)
Poésie : Au Seigneur de Villeroy Titre : Au Seigneur de Villeroy Poète : Pierre de Ronsard (1524-1585) (En lui envoyant le livre d'Amours diverses.) Là du prochain Hiver je prévois la tempête, Là cinquante et six ans ont neigé sur ma tête, II est temps de laisser les vers et les amours, Et de prendre congé du plus beau de mes jours. J'ai vécu ( Villeroy ) si bien, que nulle envie En partant je ne porte aux plaisirs de la vie ; Je les ai tous goûté, et me les suis permis Autant que la raison me les rendait amis, Sur l'échafaud mondain jouant mon personnage D'un habit convenable au temps et à mon âge. J'ai vu lever le jour, j'ai vu coucher le soir, J'ai vu grêler, tonner, éclairer et pleuvoir, J'ai vu peuples et Rois, et depuis vingt années J'ai vu presque la France au bout de ses journées ; J'ai vu guerres, débats, tantôt trêves et paix, Tantôt accords promis, redéfais et refais, Puis défais et refais. J'ai vu que sous la Lune Tout n'était que hasard, et pendait de Fortune. Pour néant la Prudence est guide des humains ; L'invincible Destin lui enchaîne les mains, La tenant prisonnière, et tout ce qu'on propose Sagement, la Fortune autrement en dispose. Je m'en vais saoul du monde, ainsi qu'un convié S'en va saoul du banquet de quelque marié, Ou du festin d'un Roi, sans renfrogner sa face, Si un autre après lui se saisit de sa place. J'ai couru mon flambeau sans me donner émoi Le baillant à quelqu'un s'il recourt après moi ; II ne faut s'en fâcher ; c'est la Loi de Nature, Où s'engage en naissant chacune créature... Or comme un endetté, de qui proche est le terme De payer à son maître ou l'usure ou la ferme, Et n'ayant ni argent ni biens pour secourir Sa misère au besoin, désire de mourir ; Ainsi, ton obligé, ne pouvant satisfaire Aux biens que je te dois, le jour ne me peut plaire ; Presque à regret je vis et à regret je vois Les rayons du Soleil s'étendre dessus moi. Pour ce, je porte en l'âme une amère tristesse, De quoi mon pied s'avance aux faubourgs de vieillesse, Et vois (quelque moyen que je puisse essayer) Qu'il faut que je déloge avant que te payer ; S'il ne te plaît d'ouvrir le ressort de mon coffre, Et prendre ce papier que pour acquit je t'offre, Et ma plume qui peut, écrivant vérité, Témoigner ta louange à la postérité. Reçois donc mon présent, s'il te plaît, et le garde En ta belle maison de Confiant, qui regarde Paris, séjour des Rois, dont le front spacieux Ne voit rien de pareil sous la voûte des Cieux ; Attendant qu'Apollon m'échauffe le courage De chanter tes jardins, ton clos et ton bocage, Ton bel air, ta rivière et les champs d'alentour Qui sont toute l'année échauffés d'un beau jour, Ta foret d'Orangers, dont la perruque verte De cheveux éternels en tout temps est couverte, Et toujours son fruit d'or de ses feuilles défend, Comme une mère fait de ses bras son enfant. Prend ce Livre pour gage, et lui fais, je te prie, Ouvrir en ma faveur ta belle Librairie, Où logent sans parler tant d'hôtes étrangers : Car il sent aussi bon que sont tes Orangers.
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Je prendrai par la main les deux petits enfants
Victor Hugo (1802-1885)
Poésie : Je prendrai par la main les deux petits enfants Titre : Je prendrai par la main les deux petits enfants Poète : Victor Hugo (1802-1885) Je prendrai par la main les deux petits enfants ; J'aime les bois où sont les chevreuils et les faons, Où les cerfs tachetés suivent les biches blanches Et se dressent dans l'ombre effrayés par les branches ; Car les fauves sont pleins d'une telle vapeur Que le frais tremblement des feuilles leur fait peur. Les arbres ont cela de profond qu'ils vous montrent Que l'éden seul est vrai, que les coeurs s'y rencontrent, Et que, hors les amours et les nids, tout est vain ; Théocrite souvent dans le hallier divin Crut entendre marcher doucement la ménade. C'est là que je ferai ma lente promenade Avec les deux marmots. J'entendrai tour à tour Ce que Georges conseille à Jeanne, doux amour, Et ce que Jeanne enseigne à George. En patriarche Que mènent les enfants, je réglerai ma marche Sur le temps que prendront leurs jeux et leurs repas, Et sur la petitesse aimable de leurs pas. Ils cueilleront des fleurs, ils mangeront des mûres. Ô vaste apaisement des forêts ! ô murmures ! Avril vient calmer tout, venant tout embaumer. Je n'ai point d'autre affaire ici-bas que d'aimer.
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Je faisais ces Sonnets
Pierre de Ronsard (1524-1585)
Poésie : Je faisais ces Sonnets Titre : Je faisais ces Sonnets Poète : Pierre de Ronsard (1524-1585) Recueil : Poésies diverses (1587). Je faisais ces Sonnets en l'Antre Piéride, Quand on vit les Français sous les armes suer, Quand on vit tout le peuple en fureur se ruer, Quand Bellonne sanglante allait devant pour guide ; Quand au lieu de la loi, le vice, l'homicide, L'impudence, le meurtre, et se savoir muer En Glauque (1) et en Protée, et l'Etat remuer, Etaient titres d'honneur, nouvelle Thébaïde. Pour tromper les soucis d'un temps si vicieux, J'écrivais en ces vers ma complainte inutile. Mars aussi bien qu'Amour de larmes est joyeux. L'autre guerre est cruelle, et la mienne est gentille ; La mienne finirait par un combat de deux, Et l'autre ne pourrait par un camp de cent mille. 1. Glauque : Glaucus le Pontique (Pêcheur devenu dieu marin.)
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À Madame ***
Alfred de Musset (1810-1857)
Poésie : À Madame *** Titre : À Madame *** Poète : Alfred de Musset (1810-1857) Recueil : Poésies posthumes (1888). Jeune ange aux doux regards, à la douce parole, Un instant près de vous je suis venu m'asseoir, Et, l'orage apaisé, comme l'oiseau s'envole, Mon bonheur s'en alla, n'ayant duré qu'un soir. Et puis, qui voulez-vous après qui me console ? L'éclair laisse, en fuyant, l'horizon triste et noir. Ne jugez pas ma vie insouciante et folle ; Car, si j'étais joyeux, qui ne l'est à vous voir ? Hélas ! je n'oserais vous aimer, même en rêve ! C'est de si bas vers vous que mon regard se lève ! C'est de si haut sur moi que s'inclinent vos yeux ! Allez, soyez heureuse ; oubliez-moi bien vite, Comme le chérubin oublia le lévite Qui l'avait vu passer et traverser les cieux !
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Ma douleur est au cœur de ma vie
Auguste Angellier (1848-1911)
Poésie : Ma douleur est au cœur de ma vie Titre : Ma douleur est au cœur de ma vie Poète : Auguste Angellier (1848-1911) Recueil : À l'amie perdue (1896). Ainsi que ma douleur est au cœur de ma vie, Ta douleur, bien-aimée, est au cœur de la mienne ; Et, comme mon chagrin saigne au fond de moi-même, Au fond de mon chagrin saigne encor ta pensée. Quand ma peine paraît de souffrir assouvie, Il naît en elle une autre angoisse plus lointaine, Dont elle n'est qu'un faible écho, qu'un pâle emblème, Comme elle est elle-même en ces vers retracée. Mais cette angoisse est trop profonde pour les mots, Elle gît au delà des plus profonds sanglots, Dans les gouffres obscurs de mon être abîmée, Et noyée en mon sang qui la roule en ses flots : Et la douleur de ma douleur, ô bien-aimée, Doit pour toujours en moi rester inexprimée.
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Est-elle almée
Arthur Rimbaud (1854-1891)
Poésie : Est-elle almée Titre : Est-elle almée Poète : Arthur Rimbaud (1854-1891) Recueil : Derniers vers (1872). Est-elle almée ?... aux premières heures bleues Se détruira-t-elle comme les fleurs feues... Devant la splendide étendue où l'on sente Souffler la ville énormément florissante ! C'est trop beau ! c'est trop beau ! mais c'est nécessaire - Pour la Pêcheuse et la chanson du Corsaire, Et aussi puisque les derniers masques crurent Encore aux fêtes de nuit sur la mer pure !
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Hugo Dundas
Victor Hugo (1802-1885)
Poésie : Hugo Dundas Titre : Hugo Dundas Poète : Victor Hugo (1802-1885) Devant les douze lords de la chambre étoilée, Hugo Dundas fut grand. Du fond d'une tribune une femme voilée L'admirait en pleurant. Nuit, flambeaux, murs drapés, blasons des deux royaumes, C'était sinistre et beau. Les douze pairs muets semblaient douze fantômes, Assis dans un tombeau. Une hache brillait. Le peuple criait : honte ! Le peuple et les soldats. Tous menaçaient. Mais rien ne fit pâlir le comte, Le comte Hugo Dundas. La Révolte a troublé les monts où l'aigle plane, Et vous étiez là tous. Que faisiez-vous, mylord, à Dumbar, à Cartlane ? Mylord, qu'y faisiez-vous ? Mes pairs, j'ai défendu le roi que mon coeur nomme, Mon clan, mon étendard. J'aime l'aigle et le roi, car je suis gentilhomme Et je suis montagnard. Ainsi le juge austère et le comte superbe Se parlaient dans la tour. Heureux le bon soldat qui meurt, couché sur l'herbe, En plein air, en plein jour ! La cour se retira. L'on voyait dans la salle Le peuple fourmiller. Enfin l'aube apparut comme une vierge pâle Que l'homme va souiller. Les portes du conseil, de bronze revêtues, S'ébranlèrent alors ; Et l'on vit, à pas lents, comme douze statues Rentrer les douze lords. Le juge en cheveux blancs, debout, parlant au comte, Dit : « Nos jours durent peu. Puisque cet homme au roi ne veut pas rendre compte, Il rendra compte à Dieu. Sachez qu'on va dresser devant la Tour de Londres Un grand échafaud noir. Lord comte Hugo Dundas, qu'avez-vous à répondre ? Vous mourrez demain soir. » Alors un de ces cris, qui font que l'effroi monte Jusqu'au juge inquiet, Retentit sous la voûte... — On regarda le comte ; Le comte souriait. Il dit : « Adieu la vie ! » Et ; sans trouble dans l'âme, Il salua la cour. Puis se tournant vers l'ombre où pleurait une femme, « Adieu, dit-il, amour ! » Le 14 janvier 1844.
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Elsa au miroir
Louis Aragon (1897-1982)
Poésie : Elsa au miroir Titre : Elsa au miroir Poète : Louis Aragon (1897-1982) C'était au beau milieu de notre tragédie Et pendant un long jour assise à son miroir Elle peignait ses cheveux d'or Je croyais voir Ses patientes mains calmer un incendie C'était au beau milieu de notre tragédie Et pendant un long jour assise à son miroir Elle peignait ses cheveux d'or et j'aurais dit C'était au beau milieu de notre tragédie Qu'elle jouait un air de harpe sans y croire Pendant tout ce long jour assise à son miroir Elle peignait ses cheveux d'or et j'aurais dit Qu'elle martyrisait à plaisir sa mémoire Pendant tout ce long jour assise à son miroir À ranimer les fleurs sans fin de l'incendie Sans dire ce qu'une autre à sa place aurait dit Elle martyrisait à plaisir sa mémoire C'était au beau milieu de notre tragédie Le monde ressemblait à ce miroir maudit Le peigne partageait les feux de cette moire Et ces feux éclairaient des coins de ma mémoire C'était un beau milieu de notre tragédie Comme dans la semaine est assis le jeudi Et pendant un long jour assise à sa mémoire Elle voyait au loin mourir dans son miroir Un à un les acteurs de notre tragédie Et qui sont les meilleurs de ce monde maudit Et vous savez leurs noms sans que je les aie dits Et ce que signifient les flammes des longs soirs Et ses cheveux dorés quand elle vient s'asseoir Et peigner sans rien dire un reflet d'incendie.
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Le roi solitaire
Théophile Gautier (1811-1872)
Poésie : Le roi solitaire Titre : Le roi solitaire Poète : Théophile Gautier (1811-1872) Je vis cloîtré dans mon âme profonde, Sans rien d'humain, sans amour, sans amis, Seul comme un dieu, n'ayant d'égaux au monde Que mes aïeux sous la tombe endormis ! Hélas ! grandeur veut dire solitude. Comme une idole au geste surhumain, Je reste là, gardant mon attitude, La pourpre au dos, le monde dans la main. Comme Jésus, j'ai le cercle d'épines ; Les rayons d'or du nimbe sidéral Percent ma peau comme des javelines, Et sur mon front perle mon sang royal. Le bec pointu du vautour héraldique Fouille mon flanc en proie aux noirs soucis : Sur son rocher, le Prométhée antique N'était qu'un roi sur son fauteuil assis. De mon olympe entouré de mystère, Je n'entends rien que la voix des flatteurs ; C'est le seul bruit qui des bruits de la terre Puisse arriver à de telles hauteurs ; Et si parfois mon peuple, qu'on outrage, En gémissant entrechoque ses fers : « Sire ! dormez, me dit-on, c'est l'orage ; Les cieux bientôt vont devenir plus clairs. » Je puis tout faire, et je n'ai plus d'envie. Ah ! si j'avais seulement un désir ! Si je sentais la chaleur de la vie ! Si je pouvais partager un plaisir ! Mais le soleil va toujours sans cortège ; Les plus hauts monts sont aussi les plus froids ; Et nul été ne peut fondre la neige Sur les sierras et dans le coeur des rois !
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Fumée
Théophile Gautier (1811-1872)
Poésie : Fumée Titre : Fumée Poète : Théophile Gautier (1811-1872) Recueil : Émaux et Camées (1852). Là-bas, sous les arbres s'abrite Une chaumière au dos bossu ; Le toit penche, le mur s'effrite, Le seuil de la porte est moussu. La fenêtre, un volet la bouche ; Mais du taudis, comme au temps froid La tiède haleine d'une bouche, La respiration se voit. Un tire-bouchon de fumée, Tournant son mince filet bleu, De l'âme en ce bouge enfermée Porte des nouvelles à Dieu.
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Le joujou du pauvre
Charles Baudelaire (1821-1867)
Poésie : Le joujou du pauvre Titre : Le joujou du pauvre Poète : Charles Baudelaire (1821-1867) Je veux donner l'idée d'un divertissement innocent. Il y a si peu d'amusements qui ne soient pas coupables ! Quand vous sortirez le matin avec l'intention décidée de flâner sur les grandes routes, remplissez vos poches de petites inventions à un sol, — telles que le polichinelle plat mû par un seul fil, les forgerons qui battent l'enclume, le cavalier et son cheval dont la queue est un sifflet, — et le long des cabarets, au pied des arbres, faites-en hommage aux enfants inconnus et pauvres que vous rencontrerez. Vous verrez leurs yeux s'agrandir démesurément. D'abord ils n'oseront pas prendre ; ils douteront de leur bonheur. Puis leurs mains agripperont vivement le cadeau, et ils s'enfuiront comme font les chats qui vont manger loin de vous le morceau que vous leur avez donné, ayant appris à se défier de l'homme. Sur une route, derrière la grille d'un vaste jardin, au bout duquel apparaissait la blancheur d'un joli château frappé par le soleil, se tenait un enfant beau et frais, habillé de ces vêtements de campagne si pleins de coquetterie. Le luxe, l'insouciance et le spectacle habituel de la richesse, rendent ces enfants-là si jolis, qu'on les croirait faits d'une autre pâte que les enfants de la médiocrité ou de la pauvreté. À côté de lui, gisait sur l'herbe un joujou splendide, aussi frais que son maître, verni, doré, vêtu d'une robe pourpre, et couvert de plumets et de verroteries. Mais l'enfant ne s'occupait pas de son joujou préféré, et voici ce qu'il regardait : De l'autre côté de la grille, sur la route, entre les chardons et les orties, il y avait un autre enfant, sale, chétif, fuligineux, un de ces marmots-parias dont un œil impartial découvrirait la beauté, si, comme l'œil du connaisseur devine une peinture idéale sous un vernis de carrossier, il le nettoyait de la répugnante patine de la misère. À travers ces barreaux symboliques séparant deux mondes, la grande route et le château, l'enfant pauvre montrait à l'enfant riche son propre joujou, que celui-ci examinait avidement comme un objet rare et inconnu. Or, ce joujou, que le petit souillon agaçait, agitait et secouait dans une boîte grillée, c'était un rat vivant ! Les parents, par économie sans doute, avaient tiré le joujou de la vie elle-même. Et les deux enfants se riaient l'un à l'autre fraternellement, avec des dents d'une égale blancheur.
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Lamento (2)
Théophile Gautier (1811-1872)
Poésie : Lamento (2) Titre : Lamento (2) Poète : Théophile Gautier (1811-1872) Ma belle amie est morte : Je pleurerai toujours ; Sous la tombe elle emporte Mon âme et mes amours. Dans le ciel, sans m'attendre, Elle s'en retourna ; L'ange qui l'emmena Ne voulut pas me prendre. Que mon sort est amer ! Ah ! Sans amour, s'en aller sur la mer ! La blanche créature Est couchée au cercueil. Comme dans la nature Tout me paraît en deuil ! La colombe oubliée Pleure et songe à l'absent ; Mon âme pleure et sent Qu'elle est dépareillée. Que mon sort est amer ! Ah ! Sans amour, s'en aller sur la mer ! Sur moi la nuit immense S'étend comme un linceul ; Je chante ma romance Que le ciel entend seul. Ah ! Comme elle était belle Et comme je l'aimais ! Je n'aimerai jamais Une femme autant qu'elle. Que mon sort est amer ! Ah ! Sans amour, s'en aller sur la mer !
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Dieu vous bénisse
Évariste de Parny (1753-1814)
Poésie : Dieu vous bénisse Titre : Dieu vous bénisse Poète : Évariste de Parny (1753-1814) Quand je vous dis, Dieu vous bénisse ! Je n'entends pas le créateur, Dont la main féconde et propice Vous donna tout pour mon bonheur ; Encor moins le dieu d'hyménée, Dont l'eau bénite infortunée Change le plaisir en devoir : S'il fait des heureux, l'on peut dire Qu'ils ne sont pas sous son empire, Et qu'il les fait sans le savoir. Mais j'entends ce dieu du bel âge, Qui sans vous serait à Paphos. Or apprenez en peu de mots Comme il bénit, ce dieu volage. Le Désir, dont l'air éveillé Annonce assez l'impatience, Lui présente un bouquet mouillé Dans la fontaine de Jouvence ; Les yeux s'humectent de langueur, Le rouge monte au front des belles, Et l'eau bénite avec douceur Tombe dans l'âme des fidèles. Soyez dévote à ce dieu-là, Vous, qui nous prouvez sa puissance. Eternuez en assurance ; Le tendre Amour vous bénira.
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evariste-de-parny-poeme-dieu-vous-benisse
Toujours
Antoine Fontaney (1803-1837)
Poésie : Toujours Titre : Toujours Poète : Antoine Fontaney (1803-1837) L'hiver peut flétrir le feuillage, La fleur peut renaître au printemps Le soleil de ton ermitage Sera mon soleil en tout temps. L'heureux lien qui nous enchaîne A ranimé mon cœur vieilli : Oui, le monde a changé de scène, C'est par toi qu'il s'est embelli. J'égarais mon adolescence Dans de vains rêves de bonheur ; Tu m'apparus, et ta présence Réalisa leur douce erreur. Dans mon cœur où tout les ramène, Leur charme n'est point affaibli : Oui, le monde a changé de scène, C'est par toi qu'il s'est embelli. Dans les cités, dans le village, Partout il nous luit de beaux jours ; Les lambris comme le feuillage Prêtent leur ombre à nos amours. Près de toi, que l'heure incertaine S'enfuit avec un doux oubli ! Oui, le monde a changé de scène, C'est par toi qu'il s'est embelli. Depuis que, confondant nos âmes, Le temps les voulut réunir, Il a vu mourir bien des flammes Et bien des nœuds se désunir ; Mais son cours en vain nous entraîne Notre horizon n'a point pâli : Oui, le monde a changé de scène, C'est par toi qu'il s'est embelli.
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antoine-fontaney-poeme-toujours
Fragment
Alfred de Musset (1810-1857)
Poésie : Fragment Titre : Fragment Poète : Alfred de Musset (1810-1857) Recueil : Premières poésies (1829). Quand je t'aimais, pour toi j'aurais donné ma vie, Mais c'est toi, de t'aimer, toi qui m'ôtas l'envie. À tes pièges d'un jour on ne me prendra plus ; Tes ris sont maintenant et tes pleurs superflus. Ainsi, lorsqu'à l'enfant la vieille salle obscure Fait peur, il va tout nu décrocher quelque armure ; Il s'enferme, il revient tout palpitant d'effroi Dans sa chambre bien chaude et dans son lit bien froid. Et puis, lorsqu'au matin le jour vient à paraître, Il trouve son fantôme aux plis de sa fenêtre, Voit son arme inutile, il rit et, triomphant, S'écrie : « Oh ! que j'ai peur ! oh ! que je suis enfant ! »
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Agnus Dei
Paul Verlaine (1844-1896)
Poésie : Agnus Dei Titre : Agnus Dei Poète : Paul Verlaine (1844-1896) Recueil : Liturgies intimes (1892). L'agneau cherche l'amère bruyère, C'est le sel et non le sucre qu'il préfère, Son pas fait le bruit d'une averse sur la poussière. Quand il veut un but, rien ne l'arrête, Brusque, il fonce avec de grands coups de sa tête, Puis il bêle vers sa mère accourue inquiète... Agneau de Dieu, qui sauves les hommes, Agneau de Dieu, qui nous comptes et nous nommes, Agneau de Dieu, vois, prends pitié de ce que nous sommes. Donne-nous la paix et non la guerre, Ô l'agneau terrible en ta juste colère. Ô toi, seul Agneau, Dieu le seul fils de Dieu le Père.
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Impression de printemps
Paul Verlaine (1844-1896)
Poésie : Impression de printemps Titre : Impression de printemps Poète : Paul Verlaine (1844-1896) Il est des jours - avez-vous remarqué ? - Où l'on se sent plus léger qu'un oiseau, Plus jeune qu'un enfant, et, vrai ! plus gai Que la même gaieté d'un damoiseau. L'on se souvient sans bien se rappeler... Évidemment l'on rêve, et non, pourtant. L'on semble nager et l'on croirait voler. L'on aime ardemment sans amour cependant Tant est léger le coeur sous le ciel clair Et tant l'on va, sûr de soi, plein de foi Dans les autres, que l'on trompe avec l'air D'être plutôt trompé gentiment, soi. La vie est bonne et l'on voudrait mourir, Bien que n'ayant pas peur du lendemain, Un désir indécis s'en vient fleurir, Dirait-on, au coeur plus et moins qu'humain. Hélas ! faut-il que meure ce bonheur ? Meurent plutôt la vie et son tourment ! Ô dieux cléments, gardez-moi du malheur D'à jamais perdre un moment si charmant.
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L'aveugle
Théophile Gautier (1811-1872)
Poésie : L'aveugle Titre : L'aveugle Poète : Théophile Gautier (1811-1872) Un aveugle au coin d'une borne, Hagard comme au jour un hibou, Sur son flageolet, d'un air morne, Tâtonne en se trompant de trou, Et joue un ancien vaudeville Qu'il fausse imperturbablement ; Son chien le conduit par la ville, Spectre diurne à l'oeil dormant. Les jours sur lui passent sans luire ; Sombre, il entend le monde obscur, Et la vie invisible bruire Comme un torrent derrière un mur ! Dieu sait quelles chimères noires Hantent cet opaque cerveau ! Et quels illisibles grimoires L'idée écrit en ce caveau ! Ainsi dans les puits de Venise, Un prisonnier à demi fou, Pendant sa nuit qui s'éternise, Grave des mots avec un clou. Mais peut-être aux heures funèbres, Quand la mort souffle le flambeau, L'âme habituée aux ténèbres Y verra clair dans le tombeau !
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Le chrétien mourant
Alphonse de Lamartine (1790-1869)
Poésie : Le chrétien mourant Titre : Le chrétien mourant Poète : Alphonse de Lamartine (1790-1869) Qu'entends-je ? autour de moi l'airain sacré résonne ! Quelle foule pieuse en pleurant m'environne ? Pour qui ce chant funèbre et ce pâle flambeau ? Ô mort, est-ce ta voix qui frappe mon oreille Pour la dernière fois ? eh quoi ! je me réveille Sur le bord du tombeau ! Ô toi ! d'un feu divin précieuse étincelle, De ce corps périssable habitante immortelle, Dissipe ces terreurs : la mort vient t'affranchir ! Prends ton vol, ô mon âme ! et dépouille tes chaînes. Déposer le fardeau des misères humaines, Est-ce donc là mourir ? Oui, le temps a cessé de mesurer mes heures. Messagers rayonnants des célestes demeures, Dans quels palais nouveaux allez-vous me ravir ? Déjà, déjà je nage en des flots de lumière ; L'espace devant moi s'agrandit, et la terre Sous mes pieds semble fuir ! Mais qu'entends-je ? au moment où mon âme s'éveille, Des soupirs, des sanglots ont frappé mon oreille ? Compagnons de l'exil, quoi ! vous pleurez ma mort ? Vous pleurez ? et déjà dans la coupe sacrée J'ai bu l'oubli des maux, et mon âme enivrée Entre au céleste port !
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Le soldat laboureur
Paul Verlaine (1844-1896)
Poésie : Le soldat laboureur Titre : Le soldat laboureur Poète : Paul Verlaine (1844-1896) Or ce vieillard était horrible : un de ses yeux, Crevé, saignait, tandis que l'autre, chassieux, Brutalement luisait sous son sourcil en brosse ; Les cheveux se dressaient d'une façon féroce, Blancs, et paraissaient moins des cheveux que des crins ; Le vieux torse solide encore sur les reins, Comme au ressouvenir des balles affrontées, Cambré, contrariait les épaules voûtées ; La main gauche avait l'air de chercher le pommeau D'un sabre habituel et dont le long fourreau Semblait, s'embarrassant avec la sabretache, Gêner la marche et vers la tombante moustache La main droite parfois montait, la retroussant. Il était grand et maigre et jurait en toussant. Fils d'un garçon de ferme et d'une lavandière, Le service à seize ans le prit. Il fit entière, La campagne d'Égypte. Austerlitz, Iéna, Le virent. En Espagne un moine l'éborgna : — Il tua le bon père, et lui vola sa bourse, — Par trois fois traversa la Prusse au pas de course, En Hesse eut une entaille épouvantable au cou, Passa brigadier lors de l'entrée à Moscou, Obtint la croix et fut de toutes les défaites D'Allemagne et de France, et gagna dans ces fêtes Trois blessures, plus un brevet de lieutenant Qu'il résigna bientôt, les Bourbons revenant, À Mont-Saint-Jean, bravant la mort qui l'environne, Dit un mot analogue à celui de Cambronne, Puis quand pour un second exil et le tombeau, La Redingote grise et le petit Chapeau Quittèrent à jamais leur France tant aimée Et que l'on eut, hélas ! dissous la grande armée, Il revint au village, étonné du clocher. Presque forcé pendant un an de se cacher, Il braconna pour vivre, et quand des temps moins rudes L'eurent, sans le réduire à trop de platitudes, Mis à même d'écrire en hauts lieux à l'effet D'obtenir un secours d'argent qui lui fut fait, Logea moyennant deux cents francs par an chez une Parente qu'il avait, dont toute la fortune Consistait en un champ cultivé par ses fieux, L'un marié depuis longtemps et l'autre vieux Garçon encore, et là notre foudre de guerre Vivait et bien qu'il fût tout le jour sans rien faire Et qu'il eût la charrue et la terre en horreur, C'était ce qu'on appelle un soldat laboureur. Toujours levé dès l'aube et la pipe à la bouche Il allait et venait, engloutissait, farouche, Des verres d'eau-de-vie et parfois s'enivrait, Les dimanches tirait à l'arc au cabaret, Après dîner faisait un quart d'heure sans faute Sauter sur ses genoux les garçons de son hôte Ou bien leur apprenait l'exercice et comment Un bon soldat ne doit songer qu'au fourniment. Le soir il voisinait, tantôt pinçant les filles, Habitude un peu trop commune aux vieux soudrilles, Tantôt, geste ample et voix forte qui dominait Le grillon incessant derrière le chenet, Assis auprès d'un feu de sarments qu'on entoure Confusément disait l'Elster, l'Estramadoure, Smolensk, Dresde, Lutzen et les ravins vosgeois Devant quatre ou cinq gars attentifs et narquois S'exclamant et riant très fort aux endroits farce. Canonnade compacte et fusillade éparse, Chevaux éventrés, coups de sabre, prisonniers Mis à mal entre deux batailles, les derniers Moments d'un officier ajusté par derrière, Qui se souvient et qu'on insulte, la barrière Clichy, les alliés jetés au fond des puits, La fuite sur la Loire et la maraude, et puis Les femmes que l'on force après les villes prises, Sans choix souvent, si bien qu'on a des mèches grises Aux mains et des dégoûts au cœur après l'ébat Quand passe le marchef ou que le rappel bat, Puis encore, les camps levés et les déroutes. Toutes ces gaîtés, tous ces faits d'armes et toutes Ces gloires défilaient en de longs entretiens, Entremêlés de gros jurons très peu chrétiens Et de grands coups de poing sur les cuisses voisines. Les femmes cependant, sœurs, mères et cousines, Pleuraient et frémissaient un peu, conformément À l'usage, tout en se disant : « Le vieux ment. » Et les hommes fumaient et crachaient dans la cendre. Et lui qui quelquefois voulait bien condescendre À parler discipline avec ces bons lourdauds Se levait, à grands pas marchait, les mains au dos Et racontait alors quelque fait politique Dont il se proclamait le témoin authentique, La distribution des Aigles, les Adieux, Le Sacre et ce Dix-huit Brumaire radieux, Beau jour où le soldat qu'un bavard importune Brisa du même coup orateurs et tribune, Où le dieu Mars mis par la Chambre hors la Loi Mit la Loi hors la Chambre et, sans dire pourquoi, Balaya du pouvoir tous ces ergoteurs glabres, Tous ces législateurs qui n'avaient pas de sabres ! Tel parlait et faisait le grognard précité Qui mourut centenaire à peu près l'autre été. Le maire conduisit le deuil au cimetière. Un feu de peloton fut tiré sur la bière Par le garde champêtre et quatorze pompiers Dont sept revinrent plus ou moins estropiés À cause des mauvais fusils de la campagne. Un tertre qu'une pierre assez grande accompagne Et qu'orne un saule en pleurs est l'humble monument Où notre héros dort perpétuellement. De plus, suivant le vœu dernier du camarade, On grava sur la pierre, après ses nom et grade, Ces mots que tout Français doit lire en tressaillant : « Amour à la plus belle et gloire au plus vaillant. »
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Après la chose faite, après le coup porté
Paul Verlaine (1844-1896)
Poésie : Après la chose faite, après le coup porté Titre : Après la chose faite, après le coup porté Poète : Paul Verlaine (1844-1896) Après la chose faite, après le coup porté Après le joug très dur librement accepté, Et le fardeau plus lourd que le ciel et la terre, Levé d'un dos vraiment et gaîment volontaire, Après la bonne haine et la chère rancœur. Le rêve de tenir, implacable vainqueur. Les ennemis du cœur et de l'âme et les autres ; De voir couler des pleurs plus affreux que les nôtres De leurs yeux dont on est le Moïse au rocher, Tout ce train mis en fuite, et courez le chercher ! Alors on est content comme au sortir d'un rêve, On se retrouve net, clair, simple, on sent que crève Un abcès de sottise et d'erreur, et voici Que de l'éternité, symbole en raccourci Toute une plénitude afflue, aime et s'installe, L'être palpite entier dans la forme totale. Et la chair est moins faible et l'esprit moins prompt ; Désormais, on le sait, on s'y tient, fleuriront Le lys du faire pur, celui du chaste dire, Et, si daigne Jésus, la rose du martyre. Alors on trouve, ô Jésus si lent à vous venger, Combien doux est le joug et le fardeau léger ! Charité la plus forte entre toutes les Forces, Tu veux dire, saint piège aux célestes amorces, Les mains tendres du fort, de l'heureux et du grand Autour du sort plaintif du faible et du souffrant. Le regard franc du riche au pauvre exempt d'envie Ou jaloux, et ton nom encore signifie Quelle douceur choisie, et quel droit dévouement, Et ce tact virginal, et l'ange exactement ! Mais l'ange est innocent, essence bienheureuse. Il n'a point à passer par notre vie affreuse Et toi, Vertu sans pair, presqu'Une, n'es-tu pas Humaine en même temps que divine, ici-bas ? Aussi la conscience a dû, pour des fins sûres. Surtout sentir en toi le pardon des injures. Par toi nous devenons semblables à Jésus Portant sa croix infâme et qui, cloué dessus, Priait pour ses bourreaux d'Israël et de Rome, À Jésus qui, du moins, homme avec tout d'un homme, N'avait lui jamais eu de torts de son côté, Et, par Lui, tu nous fais croire en l'éternité.
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À quoi songeaient les deux cavaliers
Victor Hugo (1802-1885)
Poésie : À quoi songeaient les deux cavaliers Titre : À quoi songeaient les deux cavaliers Poète : Victor Hugo (1802-1885) La nuit était fort noire et la forêt très-sombre. Hermann à mes côtés me paraissait une ombre. Nos chevaux galopaient. A la garde de Dieu ! Les nuages du ciel ressemblaient à des marbres. Les étoiles volaient dans les branches des arbres Comme un essaim d'oiseaux de feu. Je suis plein de regrets. Brisé par la souffrance, L'esprit profond d'Hermann est vide d'espérance. Je suis plein de regrets. O mes amours, dormez ! Or, tout en traversant ces solitudes vertes, Hermann me dit : « Je songe aux tombes entr'ouvertes ; » Et je lui dis : « Je pense aux tombeaux refermés. » Lui regarde en avant : je regarde en arrière, Nos chevaux galopaient à travers la clairière ; Le vent nous apportait de lointains angelus ; dit : « Je songe à ceux que l'existence afflige, A ceux qui sont, à ceux qui vivent. - Moi, lui dis-je, Je pense à ceux qui ne sont plus ! » Les fontaines chantaient. Que disaient les fontaines ? Les chênes murmuraient. Que murmuraient les chênes ? Les buissons chuchotaient comme d'anciens amis. Hermann me dit : « Jamais les vivants ne sommeillent. En ce moment, des yeux pleurent, d'autres yeux veillent .» Et je lui dis : « Hélas! d'autres sont endormis ! » Hermann reprit alors : « Le malheur, c'est la vie. Les morts ne souffrent plus. Ils sont heureux ! j'envie Leur fosse où l'herbe pousse, où s'effeuillent les bois. Car la nuit les caresse avec ses douces flammes ; Car le ciel rayonnant calme toutes les âmes Dans tous les tombeaux à la fois ! » Et je lui dis : « Tais-toi ! respect au noir mystère ! Les morts gisent couchés sous nos pieds dans la terre. Les morts, ce sont les coeurs qui t'aimaient autrefois C'est ton ange expiré ! c'est ton père et ta mère ! Ne les attristons point par l'ironie amère. Comme à travers un rêve ils entendent nos voix. »
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En voyage
René-François Sully Prudhomme (1839-1907)
Poésie : En voyage Titre : En voyage Poète : René-François Sully Prudhomme (1839-1907) Je partais pour un long voyage. En wagon, tapi dans mon coin, J'écoutais fuir l'aigu sillage Du sifflet dans la nuit, au loin ; Je goûtais la vague indolence, L'état obscur et somnolent, Où fait tomber sans qu'on y pense Le train qui bourdonne en roulant ; Et je ne m'apercevais guère, Indifférent de bonne foi, Qu'une jeune fille et sa mère Faisaient route à côté de moi. Elles se parlaient à voix basse : C'était comme un bruit de frisson, Le bruit qu'on entend quand on passe Près d'un nid le long d'un buisson ; Et bientôt elles se blottirent, Leurs fronts l'un vers l'autre penchés, Comme deux gouttes d'eau s'attirent Dès que les bords se sont touchés ; Puis, joue à joue, avec tendresse, Elles se firent toutes deux Un oreiller de leur caresse, Sous la lampe aux rayons laiteux. L'enfant, sur le bras de ma stalle, Avait laissé poser sa main Qui reflétait, comme une opale, La moiteur d'un jour incertain ; Une main de seize ans à peine : La manchette l'ombrait un peu ; L'azur, d'une petite veine, La nuançait comme un fil bleu ; Elle pendait, molle et dormante, Et je ne sais si mon regard Pressentit qu'elle était charmante Ou la rencontra par hasard, Mais je m'étais tourné vers elle, Sollicité sans le savoir : On dirait que la grâce appelle Avant même qu'on l'ait pu voir. « Heureux, me dis-je, le touriste Que cette main-là guiderait ! » Et ce songe me rendait triste : Un vœu n'éclôt que d'un regret. Cependant glissaient les campagnes Sous les fougueux rouleaux de fer, Et le profil noir des montagnes Ondulait ainsi qu'une mer. Force étrange de la rencontre ! Le cœur le moins prime-sautier, D'un lambeau d'azur qui se montre, Improvise un ciel tout entier : Une enfant dort, une étrangère, Dont la main paraît à demi, Et ce peu d'elle me suggère Un vœu d'un bonheur infini ! Je la rêve, inconnue encore, Sur ce peu de réalité, Belle de tout ce que j'ignore Et du possible illimité... Je rêve qu'une main si blanche, D'un si confiant abandon, Ne peut-être que sûre et franche, Et se donnerait tout de bon. Bienheureux l'homme qu'au passage Cette main fine enchaînerait ! Calme à jamais, à jamais sage... — Vitry ! Cinq minutes d'arrêt ! À ces mots criés sur la voie, Le couple d'anges s'éveilla, Battit des ailes avec joie, Et disparut. Je restai là. Cette enfant, qu'un autre eût suivie, Je me la laissais enlever. Un voyage ! Telle est la vie Pour ceux qui n'osent que rêver.
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La Dernière Fête galante
Paul Verlaine (1844-1896)
Poésie : La Dernière Fête galante Titre : La Dernière Fête galante Poète : Paul Verlaine (1844-1896) Recueil : Parallèlement (1889). Pour une bonne fois séparons-nous, Très chers messieurs et si belles mesdames. Assez comme cela d'épithalames, Et puis là, nos plaisirs furent trop doux. Nul remords, nul regret vrai, nul désastre ! C'est effrayant ce que nous nous sentons D'affinités avecque les moutons Enrubannées du pire poétastre. Nous fûmes trop ridicules un peu Avec nos airs de n'y toucher qu'à peine. Le Dieu d'amour veut qu'on ait de l'haleine, Il a raison ! Et c'est un jeune Dieu. Séparons-nous, je vous le dis encore. Que nos cœurs qui furent trop bêlants, Dès ce jourd'hui réclament, trop hurlants, L'embarquement pour Sodome et Gomorrhe !
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Tristesse en mer
Théophile Gautier (1811-1872)
Poésie : Tristesse en mer Titre : Tristesse en mer Poète : Théophile Gautier (1811-1872) Les mouettes volent et jouent ; Et les blancs coursiers de la mer, Cabrés sur les vagues, secouent Leurs crins échevelés dans l'air. Le jour tombe ; une fine pluie Eteint les fournaises du soir, Et le steam-boat crachant la suie Rabat son long panache noir. Plus pâle que le ciel livide Je vais au pays du charbon, Du brouillard et du suicide ; - Pour se tuer le temps est bon. Mon désir avide se noie Dans le gouffre amer qui blanchit ; Le vaisseau danse, l'eau tournoie, Le vent de plus en plus fraîchit. Oh ! je me sens l'âme navrée ; L'Océan gonfle, en soupirant, Sa poitrine désespérée, Comme un ami qui me comprend. Allons, peines d'amour perdues, Espoirs lassés, illusions Du socle idéal descendues, Un saut dans les moites sillons ! A la mer, souffrances passées, Qui revenez toujours, pressant Vos blessures cicatrisées Pour leur faire pleurer du sang ! A la mer, spectre de mes rêves, Regrets aux mortelles pâleurs Dans un coeur rouge ayant sept glaives, Comme la mère des douleurs. Chaque fantôme plonge et lutte Quelques instants avec le flot Qui sur lui ferme sa volute Et l'engloutit dans un sanglot. Lest de l'âme, pesant bagage, Trésors misérables et chers, Sombrez, et dans votre naufrage Je vais vous suivre au fond des mers. Bleuâtre, enflé, méconnaissable, Bercé par le flot qui bruit, Sur l'humide oreiller du sable Je dormirai bien cette nuit ! ... Mais une femme dans sa mante Sur le pont assise à l'écart, Une femme jeune et charmante Lève vers moi son regard, Dans ce regard, à ma détresse La Sympathie à bras ouverts Parle et sourit, soeur ou maîtresse, Salut, yeux bleus ! bonsoir, flots verts ! Les mouettes voient et jouent ; Et les blancs coursiers de la mer, Cabrés sur les vagues, secouent Leurs crins échevelés dans l'air.
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Pénitence
Paul Verlaine (1844-1896)
Poésie : Pénitence Titre : Pénitence Poète : Paul Verlaine (1844-1896) La luxure, ce moins terrible des péchés ; Ces deux pires de tous, l'Avarice et l'Envie ; La Gourmandise, abus risible de la vie ; Toi, Paresse, leur mère à tous, à ces péchés, Et la Colère, presque belle en sa hideur, Avec de faux reflets d'héroïsme, on veut croire, Et l'Orgueil son grand frère à la gloire illusoire Et tous dans leur révolte horrible et leur hideur, Pénitence, presque innocence tu les vaincs, Tu les poursuis, tu les arrêtes et les captes Sauvant les âmes, par l'excellence des actes, De l'Enfer et de ses milices que tu vaincs. Oui, tu nous dictes et fait faire d'excellents Actes à cause de l'excellence des causes, Épanouissant, sur les épines de roses Que la Prière après vient cueillir à pas lents, Pénitence, du fond de mes crimes affreux, Luxure, orgueil, colère et toute la filière, J'invoque ton secours, Vertu particulière, Seule agréable à Dieu qui voit mon cœur affreux.
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Pluviôse, irrité contre la ville entière
Charles Baudelaire (1821-1867)
Poésie : Pluviôse, irrité contre la ville entière Titre : Pluviôse, irrité contre la ville entière Poète : Charles Baudelaire (1821-1867) Recueil : Les fleurs du mal (1857). Sonnet. Pluviôse, irrité contre la ville entière, De son urne à grands flots verse un froid ténébreux Aux pâles habitants du voisin cimetière Et la mortalité sur les faubourgs brumeux. Mon chat sur le carreau cherchant une litière Agite sans repos son corps maigre et galeux ; L'âme d'un vieux poète erre dans la gouttière Avec la triste voix d'un fantôme frileux. Le bourdon se lamente, et la bûche enfumée Accompagne en fausset la pendule enrhumée, Cependant qu'en un jeu plein de sales parfums, Héritage fatal d'une vieille hydropique, Le beau valet de coeur et la dame de pique Causent sinistrement de leurs amours défunts.
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Le faune
Paul Verlaine (1844-1896)
Poésie : Le faune Titre : Le faune Poète : Paul Verlaine (1844-1896) Recueil : Fêtes galantes (1869). Un vieux faune de terre cuite Rit au centre des boulingrins, Présageant sans doute une suite Mauvaise à ces instants sereins Qui m'ont conduit et t'ont conduite, — Mélancoliques pèlerins, — Jusqu'à cette heure dont la fuite Tournoie au son des tambourins.
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La fontaine du cimetière
Théophile Gautier (1811-1872)
Poésie : La fontaine du cimetière Titre : La fontaine du cimetière Poète : Théophile Gautier (1811-1872) A la morne Chartreuse, entre des murs de pierre, En place de jardin l'on voit un cimetière, Un cimetière nu comme un sillon fauché, Sans croix, sans monument, sans tertre qui se hausse : L'oubli couvre le nom, l'herbe couvre la fosse ; La mère ignorerait où son fils est couché. Les végétations maladives du cloître Seules sur ce terrain peuvent germer et croître, Dans l'humidité froide à l'ombre des longs murs ; Des morts abandonnés douces consolatrices, Les fleurs n'oseraient pas incliner leurs calices Sur le vague tombeau de ces dormeurs obscurs. Au milieu, deux cyprès à la noire verdure Profilent tristement leur silhouette dure, Longs soupirs de feuillage élancés vers les cieux, Pendant que du bassin d'une avare fontaine Tombe en frange effilée une nappe incertaine, Comme des pleurs furtifs qui débordent des yeux. Par les saints ossements des vieux moines filtrée, L'eau coule à flots si clairs dans la vasque éplorée, Que pour en boire un peu je m'approchai du bord... Dans le cristal glacé quand je trempai ma lèvre, Je me sentis saisi par un frisson de fièvre : Cette eau de diamant avait un goût de mort !
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Ami Z
Victor Hugo (1802-1885)
Poésie : Ami Z Titre : Ami Z Poète : Victor Hugo (1802-1885) Ami Z, tu m'es présent en cette solitude. Quand le ciel, mon problème, et l'homme, mon étude, Quand le travail, ce maître auguste et sérieux, Quand les songes sereins, profonds, impérieux, Qui tiennent jour et nuit ma pensée en extase, Me laissent, dans cette ombre où Dieu souffle et m'embrase, Un instant dont je puis faire ce que je veux, Je me tourne vers toi, penseur aux blancs cheveux, Vers toi, l'homme qu'on aime et l'homme qu'on révère, Poète souriant, historien sévère ! Je repasse, bonheur pourtant bien incomplet, Par tous les doux sentiers d'un souvenir qui plaît. Ton Henri, — ton fils Pierre, ami de mon fils Charles, — Et ta femme, — ange heureux qui rêve quand tu parles, Je me rappelle tout : ton salon, tes discours, Et nos longs entretiens qui font les soirs si courts, Ton vénérable amour que jamais rien n'émousse Pour toute belle chose et toute chose douce ! Maint poème charmant que nous disait ta voix M'apparaît... — Mon esprit, admirant à la fois Tant de jours sur ton front, tant de grâce en ton style, Croit voir un patriarche au milieu d'une idylle ! Ainsi tu n'es jamais loin de mon âme, et puis Tout me parle de toi dans ces champs où je suis ; Je compare, en mon coeur que ton ombre accompagne, Ta verte poésie et la fraîche campagne ; Je t'évoque partout ; il me semble souvent Que je vais te trouver dans quelque coin rêvant, Et que, dans le bois sombre ouvrant ses ailes blanches, Ton vers jeune et vivant chante au milieu des branches. Je m'attends à te voir sous un arbre endormi. Je dis : où donc est-il ? et je m'écrie : — Ami, Que tu sois dans les champs, que tu sois à la ville, Salut ! bois un lait pur, bénis Dieu, lis Virgile ! Que le ciel rayonnant, où Dieu met sa clarté, Te verse au coeur la joie et la sérénité ! Qu'il fasse à tout passant ta demeure sacrée ! Qu'autour de ta vieillesse aimable et vénérée, Il accroisse, tenant tout ce qu'il t'a promis, Ta famille d'enfants, ta famille d'amis ! Que le sourire heureux, te soit toujours facile ! Doux vieillard ! noble esprit ! sage tendre et tranquille !
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Cariatides
Théophile Gautier (1811-1872)
Poésie : Cariatides Titre : Cariatides Poète : Théophile Gautier (1811-1872) Un sculpteur m'a prêté l'œuvre de Michel-Ange, La chapelle Sixtine et le grand Jugement ; Je restai stupéfait à ce spectacle étrange Et me sentis ployer sous mon étonnement. Ce sont des corps tordus dans toutes les postures, Des faces de lion avec des cols de bœuf, Des chairs comme du marbre et des musculatures À pouvoir d'un seul coup rompre un câble tout neuf. Rien ne pèse sur eux, ni coupole ni voûtes, Pourtant leurs nerfs d'acier s'épuisent en efforts, La sueur de leurs bras semble pleuvoir en gouttes ; Qui donc les courbe ainsi, puisqu'ils sont aussi forts ? C'est qu'ils portent un poids à fatiguer Alcide : Ils portent ta pensée, ô maître, sur leurs dos ; Sous un entablement, jamais cariatide Ne tendit son épaule à de plus lourds fardeaux.
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Vous êtes calme, vous voulez un voeu discret
Paul Verlaine (1844-1896)
Poésie : Vous êtes calme, vous voulez un voeu discret Titre : Vous êtes calme, vous voulez un voeu discret Poète : Paul Verlaine (1844-1896) Vous êtes calme, vous voulez un vœu discret, Des secrets à mi-voix dans l'ombre et le silence, Le cœur qui se répand plutôt qu'il ne s'élance, Et ces timides, moins transis qu'il ne paraît. Vous accueillez d'un geste exquis telles pensées Qui ne marchent qu'en ordre et font le moins de bruit. Votre main, toujours prête à la chute du fruit, Patiente avec l'arbre et s'abstient de poussées. Et si l'immense amour de vos commandements Embrasse et presse tous en sa sollicitude, Vos conseils vont dicter aux meilleurs et l'étude Et le travail des plus humbles recueillements. Le pécheur, s'il prétend vous connaître et vous plaire, Ô vous qui nous aimant si fort parliez si peu. Doit et peut, à tout temps du jour comme en tout lieu, Bien faire obscurément sou devoir et se taire. Se taire pour le monde, un pur sénat de fous, Se taire sur autrui, des âmes précieuses, Car nous taire vous plaît, même aux heures pieuses, Même à la mort, sinon devant le prêtre et vous. Donnez-leur le silence et l'amour du mystère, Ô Dieu glorifieur du bien fait en secret, À ces timides moins transis qu'il ne paraît. Et l'horreur, et le pli des choses de la terre. Donnez-leur, ô mon Dieu, la résignation. Toute forte douceur, l'ordre et l'intelligence. Afin qu'au jour suprême ils gagnent l'indulgence De l'Agneau formidable en la neuve Sion, Afin qu'ils puissent dire : « Au moins nous sûmes croire », Et que l'Agneau terrible, ayant tout supputé, Leur réponde : « Venez, vous avez mérité. Pacifiques, ma paix, et, douloureux, ma gloire. »
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Voix de Gabriel
Paul Verlaine (1844-1896)
Poésie : Voix de Gabriel Titre : Voix de Gabriel Poète : Paul Verlaine (1844-1896) Recueil : Bonheur (1891). Voix de Gabriel Chez l'humble Marie, Cloches de Noël, Dans la nuit fleurie, Siècles, célébrez Mes sens délivrés ! Martyrs, troupe blanche, Et les confesseurs, Fruits d'or de la branche, Vous, frères et sœurs, Vierges dans la gloire, Chantez ma victoire ! Les Saints ignorés, Vertus qu'on méprise, Qui nous sauverez Par votre entremise, Prier, que la foi Demeure humble en moi. Pécheurs, par le monde, Qui vous repentez, Dans l'ardeur profonde D'être rachetés, Or, je vous contemple, Donnez-moi l'exemple. Nature, animaux, Eaux, plantes et pierres. Vos simples travaux Sont d'humbles prières, Vous obéissez : Pour Dieu c'est assez.
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Le mal
Arthur Rimbaud (1854-1891)
Poésie : Le mal Titre : Le mal Poète : Arthur Rimbaud (1854-1891) Recueil : Poésies (1870-1871). Sonnet. Tandis que les crachats rouges de la mitraille Sifflent tout le jour par l'infini du ciel bleu ; Qu'écarlates ou verts, près du Roi qui les raille, Croulent les bataillons en masse dans le feu ; Tandis qu'une folie épouvantable broie Et fait de cent milliers d'hommes un tas fumant ; - Pauvres morts ! dans l'été, dans l'herbe, dans ta joie, Nature ! ô toi qui fis ces hommes saintement !... - Il est un Dieu, qui rit aux nappes damassées Des autels, à l'encens, aux grands calices d'or ; Qui dans le bercement des hosannah s'endort, Et se réveille, quand des mères, ramassées Dans l'angoisse, et pleurant sous leur vieux bonnet noir, Lui donnent un gros sou lié dans leur mouchoir !
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L'horloge (II)
Charles Baudelaire (1821-1867)
Poésie : L'horloge (II) Titre : L'horloge (II) Poète : Charles Baudelaire (1821-1867) Les Chinois voient l'heure dans l'œil des chats. Un jour un missionnaire, se promenant dans la banlieue de Nankin, s'aperçut qu'il avait oublié sa montre, et demanda à un petit garçon quelle heure il était. Le gamin du céleste Empire hésita d'abord ; puis, se ravisant, il répondit : « Je vais vous le dire ». Peu d'instants après, il reparut, tenant dans ses bras un fort gros chat, et le regardant, comme on dit, dans le blanc des yeux, il affirma sans hésiter : « Il n'est pas encore tout à fait midi. » Ce qui était vrai. Pour moi, si je me penche vers la belle Féline, la si bien nommée, qui est à la fois l'honneur de son sexe, l'orgueil de mon cœur et le parfum de mon esprit, que ce soit la nuit, que ce soit le jour, dans la pleine lumière ou dans l'ombre opaque, au fond de ses yeux adorables je vois toujours l'heure distinctement, toujours la même, une heure vaste, solennelle, grande comme l'espace, sans divisions de minutes ni de secondes, — une heure immobile qui n'est pas marquée sur les horloges, et cependant légère comme un soupir, rapide comme un coup d'œil. Et si quelque importun venait me déranger pendant que mon regard repose sur ce délicieux cadran, si quelque Génie malhonnête et intolérant, quelque Démon du contre-temps venait me dire : « Que regardes-tu là avec tant de soin ? Que cherches-tu dans les yeux de cet être ? Y vois-tu l'heure, mortel prodigue et fainéant ? » je répondrais sans hésiter : « Oui, je vois l'heure ; il est l'Éternité ! » N'est-ce pas, madame, que voici un madrigal vraiment méritoire, et aussi emphatique que vous-même ? En vérité, j'ai eu tant de plaisir à broder cette prétentieuse galanterie, que je ne vous demanderai rien en échange.
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Le rideau de ma voisine
Alfred de Musset (1810-1857)
Poésie : Le rideau de ma voisine Titre : Le rideau de ma voisine Poète : Alfred de Musset (1810-1857) Recueil : Poésies nouvelles (1850). Le rideau de ma voisine Se soulève lentement. Elle va, je l'imagine, Prendre l'air un moment. On entr'ouvre la fenêtre : Je sens mon coeur palpiter. Elle veut savoir peut-être Si je suis à guetter. Mais, hélas ! ce n'est qu'un rêve ; Ma voisine aime un lourdaud, Et c'est le vent qui soulève Le coin de son rideau.
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La main
Évariste de Parny (1753-1814)
Poésie : La main Titre : La main Poète : Évariste de Parny (1753-1814) Tableau II. Quand on aime bien, l'on oublie Ces frivoles ménagements Que la raison ou la folie Oppose au bonheur des amants. On ne dit point : « La résistance Enflamme et fixe les désirs ; Reculons l'instant des plaisirs Que suit trop souvent l'inconstance. » Ainsi parle un amour trompeur, Et la coquette ainsi raisonne. La tendre amante s'abandonne À l'objet qui toucha son cœur ; Et, dans sa passion nouvelle, Trop heureuse pour raisonner, Elle est bien loin de soupçonner Qu'un jour il peut être infidèle. Justine avait reçu la fleur. On exige alors de sa bouche Cet aveu qui flatte et qui touche, Alors même qu'il est menteur. Elle répond par sa rougeur ; Puis, avec un souris céleste, Aux baisers de l'heureux Valsin Justine abandonne sa main, Et la main promet tout le reste.
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Jeanne chante
Victor Hugo (1802-1885)
Poésie : Jeanne chante Titre : Jeanne chante Poète : Victor Hugo (1802-1885) xx(Pour Jeanne seule.) II. Jeanne chante ; elle se penche Et s'envole ; elle me plaît ; Et, comme de branche en branche, Va de couplet en couplet. De quoi donc me parlait-elle ? Avec sa fleur au corset, Et l'aube dans sa prunelle, Qu'est-ce donc qu'elle disait ? Parlait-elle de la gloire, Des camps, du ciel, du drapeau, Ou de ce qu'il faut de moire Au bavolet d'un chapeau ? Son intention fut-elle De troubler l'esprit voilé Que Dieu dans ma chair mortelle Et frémissante a mêlé ? Je ne sais. J'écoute encore. Était-ce psaume ou chanson ? Les fauvettes de l'aurore Donnent le même frisson. J'étais comme une fête ; J'essayais un vague essor ; J'eusse voulu sur ma tête Mettre une couronne d'or, Et voir sa beauté sans voiles, Et joindre à mes jours ses jours, Et prendre au ciel les étoiles, Et qu'on vînt à mon secours ! J'étais ivre d'une femme ; Mal charmant qui fait mourir. Hélas ! je me sentais l'âme Touchée et prête à s'ouvrir ; Car pour qu'un cerveau se fêle Et s'échappe en songes vains, Il suffit du bout de l'aile D'un ces oiseaux divins.
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Sur une plage
Alphonse de Lamartine (1790-1869)
Poésie : Sur une plage Titre : Sur une plage Poète : Alphonse de Lamartine (1790-1869) (Sur une plage peinte d'insectes et de plantes.) Insectes bourdonnants, papillons, fleurs ailées, Aux touffes des rosiers lianes enroulées, Convolvulus tressés aux fils des liserons, Pervenches, beaux yeux bleus qui regardez dans l'ombre, Nénuphars endormis sur les eaux, fleurs sans nombre, Calices qui noyez les trompes des cirons ! Fruits où mon Dieu parfume avec tant d'abondance Le pain de ses saisons et de sa providence ; Figue où brille sur l'œil une larme de miel ; Pêches qui ressemblez aux pudeurs de la joue ; Oiseau qui fait reluire un écrin sur ta roue, Et dont le cou de moire a fixé l'arc-en-ciel ! La main qui vous peignit en confuse guirlande Devant vos yeux, Seigneur, en étale l'offrande, Comme on ouvre à vos pieds la gerbe de vos dons. Vous avez tout produit, contemplez votre ouvrage ! Et nous, dont les besoins sont encore un hommage, Rendons grâce toujours, et toujours demandons !
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À Fernand Langlois
Paul Verlaine (1844-1896)
Poésie : À Fernand Langlois Titre : À Fernand Langlois Poète : Paul Verlaine (1844-1896) Vous vous êtes penché sur ma mélancolie, Non comme un indiscret, non comme un curieux, Et vous avez surpris la clef de ma folie, Tel un consolateur attentif et pieux ; Et vous avez ouvert doucement ma serrure, Y mettant tout le temps, non ainsi qu'un voleur, Mais ainsi que quelqu'un qui préserve et rassure Un triste possesseur peut-être recéleur. Soyez aimé d'un cœur plus veuf que toutes veuves, Qui n'avait plus personne en qui pleurer vraiment, Soyez béni d'une âme errant au bord des fleuves Consolateurs si mal avec leur air dormant ; Que soient suivis des pas d'un but à la dérive Hier encor, vos pas eux-mêmes tristes, ô Si tristes, mais que si bien tristes ! et que vive Encore, alors ! mais par vous pour Dieu, ce roseau, Cet oiseau, ce roseau sous cet oiseau, ce blême Oiseau sur ce pâle roseau fleuri jadis, Et pâle et sombre, spectre et sceptre noir : Moi-même ! Surrexit hodie, non plus : de profundis. Fiat ! La défaillance a fini. Le courage Revient. Sur votre bras permettez qu'appuyé Je marche en la fraîcheur de l'expirant orage, Moi-même comme qui dirait défoudroyé. Là, je vais mieux. Tantôt le calme s'en va naître. Il naît. Si vous voulez, allons à petits pas, Devisant de la vie et d'un bonheur peut-être Non, sans doute, impossible, en somme, n'est-ce pas ? Oui, causons de bonheur, mais vous ? pourquoi si triste Vous aussi ? Vous si jeune et si triste, ô pourquoi, Dites ? Mais cela vous regarde, et si j'insiste C'est uniquement pour vous plaire et non pour moi. Discrétion sans borne, immense sympathie ! C'est l'heure précieuse, elle est unique, elle est Angélique. Tantôt l'avez-vous pressentie ? Avez-vous comme su — moi je l'ai — qu'il fallait Peut-être bien, sans doute, et quoique, et puisque, en somme, Éprouvant tant d'estime et combien de pitié, Laisser monter en nous, fleur suprême de l'homme, Franchement, largement, simplement, l'Amitié.
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Malines
Paul Verlaine (1844-1896)
Poésie : Malines Titre : Malines Poète : Paul Verlaine (1844-1896) Recueil : Romances sans paroles (1874). Paysages belges Vers les prés le vent cherche noise Aux girouettes, détail fin Du château de quelque échevin, Rouge de brique et bleu d'ardoise, Vers les prés clairs, les prés sans fin... Comme les arbres des féeries, Des frênes, vagues frondaisons, Échelonnent mille horizons À ce Sahara de prairies, Trèfle, luzerne et blancs gazons. Les wagons filent en silence Parmi ces sites apaisés. Dormez, les vaches ! Reposez, Doux taureaux de la plaine immense, Sous vos cieux à peine irisés ! Le train glisse sans un murmure, Chaque wagon est un salon Où l'on cause bas et d'où l'on Aime à loisir cette nature. Faite à souhait pour Fénelon.
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Un conte
Paul Verlaine (1844-1896)
Poésie : Un conte Titre : Un conte Poète : Paul Verlaine (1844-1896) Simplement, comme on verse un parfum sur une flamme Et comme un soldat répand son sang pour la patrie, Je voudrais pouvoir mettre mon cœur avec mon âme Dans un beau cantique à la sainte Vierge Marie. Mais je suis, hélas ! un pauvre pécheur trop indigne, Ma voix hurlerait parmi le chœur des voix des justes : Ivre encor du vin amer de la terrestre vigne, Elle pourrait offenser des oreilles augustes. Il faut un cœur pur comme l'eau qui jaillit des roches, Il faut qu'un enfant vêtu de lin soit notre emblème, Qu'un agneau bêlant n'éveille en nous aucuns reproches, Que l'innocence nous ceigne un brûlant diadème, Il faut tout cela pour oser dire vos louanges, Ô vous Vierge Mère, ô vous Marie Immaculée, Vous blanche à travers les battements d'ailes des anges, Qui posez vos pieds sur notre terre consolée. Du moins je ferai savoir à qui voudra l'entendre Comment il advint qu'une âme des plus égarées, Grâce à ces regards cléments de votre gloire tendre, Revint au bercail des Innocences ignorées. Innocence, ô belle après l'Ignorance inouïe, Eau claire du cœur après le feu vierge de l'âme, Paupière de grâce sur la prunelle éblouie, Désaltèrement du cerf rompu d'amour qui brame ! Ce fut un amant dans toute la force du terme : Il avait connu toute la chair, infâme ou vierge, Et la profondeur monstrueuse d'un épiderme, Et le sang d'un cœur, cire vermeille pour son cierge ! Ce fut un athée, et qui poussait loin sa logique Tout en méprisant les fadaises qu'elle autorise, Et comme un forçat qui remâche une vieille chique Il aimait le jus flasque de la mécréantise. Ce fut un brutal, ce fut un ivrogne des rues, Ce fut un mari comme on en rencontre aux barrières ; Bon que les amours premières fussent disparues, Mais cela n'excuse en rien l'excès de ses manières. Ce fut, et quel préjudice ! un Parisien fade, Vous savez, de ces provinciaux cent fois plus pires Qui prennent au sérieux la plus sotte cascade, Sans s'apercevoir, ô leur âme, que tu respires ; Race de théâtre et de boutique dont les vices Eux-mêmes, avec leur odeur rance et renfermée, Lèveraient le cœur à des sauvages leurs complices, Race de trottoir, race d'égout et de fumée ! Enfin un sot, un infatué de ce temps bête (Dont l'esprit au fond consiste à boire de la bière) Et par-dessus tout une folle tête inquiète, Un cœur à tous vents, vraiment mais vilement sincère. Mais sans doute, et moi j'inclinerais fort à le croire, Dans quelque coin bien discret et sûr de ce cœur même, Il avait gardé comme qui dirait la mémoire D'avoir été ces petits enfants que Jésus aime. Avait-il, — et c'est vraiment plus vrai que vraisemblable, Conservé dans le sanctuaire de sa cervelle Votre nom, Marie, et votre titre vénérable, Comme un mauvais prêtre ornerait encor sa chapelle ? Ou tout bonnement peut-être qu'il était encore, Malgré tout son vice et tout son crime et tout le reste, Cet homme très simple qu'au moins sa candeur décore En comparaison d'un monde autour que Dieu déteste. Toujours est-il que ce grand pécheur eut des conduites Folles à ce point d'en devenir trop maladroites Si bien que les tribunaux s'en mirent, - et les suites ! Et le voyez-vous dans la plus étroite des boîtes ? Cellules ! Prisons humanitaires ! Il faut taire Votre horreur fadasse et ce progrès d'hypocrisie... Puis il s'attendrit, il réfléchit. Par quel mystère, Ô Marie, ô vous, de toute éternité choisie ? Puis il se tourna vers votre Fils et vers Sa Mère, Ô qu'il fut heureux, mais, là, promptement, tout de suite ! Que de larmes, quelle joie, ô Mère ! et pour vous plaire, Tout de suite aussi le voilà qui bien vite quitte Tout cet appareil d'orgueil et de pauvres malices, Ce qu'on nomme esprit et ce qu'on nomme la Science, Et les rires et les sourires où tu te plisses, Lèvre des petits exégètes de l'incroyance ! Et le voilà qui s'agenouille et, bien humble, égrène Entre ses doigts fiers les grains enflammés du Rosaire, Implorant de Vous, la Mère, et la Sainte, et la Reine, L'affranchissement d'être ce charnel, ô misère ! Ô qu'il voudrait bien ne plus savoir plus rien du monde Q'adorer obscurément la mystique sagesse, Qu'aimer le cœur de Jésus dans l'extase profonde De penser à vous en même temps pendant la Messe. Ô faites cela, faites cette grâce à cette âme, Ô vous, Vierge Mère, ô vous, Marie Immaculée, Toute en argent parmi l'argent de l'épithalame, Qui posez vos pieds sur notre terre consolée.
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Toujours
François-Marie Robert-Dutertre (1815-1898)
Poésie : Toujours Titre : Toujours Poète : François-Marie Robert-Dutertre (1815-1898) Qui fait naître en mon cœur ces douces harmonies ? Qui charme ainsi mes sens ? Quels propices génies M'enlèvent de la terre aux plaines infinies Où je découvre un nouveau ciel ? Les airs ont plus d'azur, l'aurore est plus vermeille, La brise a des soupirs plus doux à mon oreille Et mes yeux plus rêveurs suivent la blonde abeille Cueillant des parfums pour son miel. Tout s'embellit pour moi, tout change sur la terre Depuis que mon cœur cache un amoureux mystère Et que dans mon asile où j'étais solitaire Un être est venu me charmer. Toujours, toujours, son nom dans mon âme résonne ; Sous son regard brûlant, je pâlis et frissonne... Ah ! Ma mère, ma mère, à ta fille pardonne Mais je ne puis ne pas l'aimer. S'il gémit, tout mon cœur se serre de détresse ; S'il sourit de bonheur, sa joie est mon ivresse ; Car j'ai mis tout en lui, peine, amour et tendresse Comme au seul espoir de mes jours. Aussi, lorsqu'il voulut, en retour de sa flamme, Lier par un serment mon amour qu'il réclame, Palpitante en ma voix, mais heureuse en mon âme Je répondis : « Toujours, toujours. »
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À Cupidon
Pierre de Ronsard (1524-1585)
Poésie : À Cupidon Titre : À Cupidon Poète : Pierre de Ronsard (1524-1585) Le jour pousse la nuit, Et la nuit sombre Pousse le jour qui luit D'une obscure ombre. L'Autonne suit l'Esté, Et l'aspre rage Des vents n'a point esté Apres l'orage. Mais la fièvre d'amours Qui me tourmente, Demeure en moy tousjours, Et ne s'alente. Ce n'estoit pas moy, Dieu, Qu'il falloit poindre, Ta fleche en autre lieu Se devoit joindre. Poursuy les paresseux Et les amuse, Mais non pas moy, ne ceux Qu'aime la Muse. Helas, delivre moy De ceste dure, Qui plus rit, quand d'esmoy Voit que j'endure. Redonne la clarté A mes tenebres, Remets en liberté Mes jours funebres. Amour sois le support De ma pensée, Et guide à meilleur port Ma nef cassée. Tant plus je suis criant Plus me reboute, Plus je la suis priant Et moins m'escoute. Ne ma palle couleur D'amour blesmie N'a esmeu à douleur Mon ennemie. Ne sonner à son huis De ma guiterre, Ny pour elle les nuis Dormir à terre. Plus cruel n'est l'effort De l'eau mutine Qu'elle, lors que plus fort Le vent s'obstine. Ell' s'arme en sa beauté, Et si ne pense Voir de sa cruauté La récompense. Monstre toy le veinqueur, Et d'elle enflame Pour exemple le coeur De telle flame, Qui la soeur alluma Trop indiscrete, Et d'ardeur consuma La Royne en Crete.
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Après l'hiver (I)
Victor Hugo (1802-1885)
Poésie : Après l'hiver (I) Titre : Après l'hiver (I) Poète : Victor Hugo (1802-1885) Tout revit, ma bien-aimée ! Le ciel gris perd sa pâleur ; Quand la terre est embaumée, Le coeur de l'homme est meilleur. En haut, d'ou l'amour ruisselle, En bas, où meurt la douleur, La même immense étincelle Allume l'astre et la fleur. L'hiver fuit, saison d'alarmes, Noir avril mystérieux Où l'âpre sève des larmes Coule, et du coeur monte aux yeux. Ô douce désuétude De souffrir et de pleurer ! Veux-tu, dans la solitude, Nous mettre à nous adorer ? La branche au soleil se dore Et penche, pour l'abriter, Ses boutons qui vont éclore Sur l'oiseau qui va chanter. L'aurore où nous nous aimâmes Semble renaître à nos yeux ; Et mai sourit dans nos âmes Comme il sourit dans les cieux. On entend rire, on voit luire Tous les êtres tour à tour, La nuit, les astres bruire, Et les abeilles, le jour. Et partout nos regards lisent, Et, dans l'herbe et dans les nids, De petites voix nous disent : « Les aimants sont les bénis ! » L'air enivre ; tu reposes A mon cou tes bras vainqueurs. Sur les rosiers que de roses ! Que de soupirs dans nos coeurs ! Comme l'aube, tu me charmes ; Ta bouche et tes yeux chéris Ont, quand tu pleures, ses larmes, Et ses perles quand tu ris. La nature, soeur jumelle D'Ève et d'Adam et du jour, Nous aime, nous berce et mêle Son mystère à notre amour. Il suffit que tu paraisses Pour que le ciel, t'adorant, Te contemple ; et, nos caresses, Toute l'ombre nous les rend ! Clartés et parfums nous-mêmes, Nous baignons nos coeurs heureux Dans les effluves suprêmes Des éléments amoureux. Et, sans qu'un souci t'oppresse, Sans que ce soit mon tourment, J'ai l'étoile pour maîtresse ; Le soleil est ton amant ; Et nous donnons notre fièvre Aux fleurs où nous appuyons Nos bouches, et notre lèvre Sent le baiser des rayons. Juin 18...
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victor-hugo-poeme-apres-l-hiver-I
La bise se rue à travers
Paul Verlaine (1844-1896)
Poésie : La bise se rue à travers Titre : La bise se rue à travers Poète : Paul Verlaine (1844-1896) Recueil : Sagesse (1881). La bise se rue à travers Les buissons tout noirs et tout verts, Glaçant la neige éparpillée Dans la campagne ensoleillée. L'odeur est aigre près des bois, L'horizon chante avec des voix, Les coqs des clochers des villages Luisent crûment sur les nuages. C'est délicieux de marcher A travers ce brouillard léger Qu'un vent taquin parfois retrousse. Ah ! fi de mon vieux feu qui tousse ! J'ai des fourmis plein les talons. Debout, mon âme, vite, allons ! C'est le printemps sévère encore, Mais qui par instants s'édulcore D'un souffle tiède juste assez Pour mieux sentir les froids passés Et penser au Dieu de clémence... Va, mon âme, à l'espoir immense !
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Réversibilités
Paul Verlaine (1844-1896)
Poésie : Réversibilités Titre : Réversibilités Poète : Paul Verlaine (1844-1896) Recueil : Parallèlement (1889). Entends les pompes qui font Le cri des chats. Des sifflets viennent et vont Comme en pourchas. Ah, dans ces tristes décors Les Déjàs sont les Encors ! Ô les vagues Angélus ! (Qui viennent d’où ?) Vois s’allumer les Saluts Du fond d’un trou. Ah, dans ces mornes séjours Les Jamais sont les Toujours ! Quels rêves épouvantés, Vous grands murs blancs ! Que de sanglots répétés, Fous ou dolents ! Ah, dans ces piteux retraits Les Toujours sont les Jamais ! Tu meurs doucereusement, Obscurément, Sans qu’on veille, ô cœur aimant. Sans testament ! Ah, dans ces deuils sans rachats Les Encors sont les Déjàs !
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La reculade
Victor Hugo (1802-1885)
Poésie : La reculade Titre : La reculade Poète : Victor Hugo (1802-1885) I. Je disais : — Ces soldats ont la tête trop basse. Il va leur ouvrir des chemins. Le peuple aime la poudre, et quand le clairon passe La France chante et bat des mains. La guerre est une pourpre où le meurtre se drape ; Il va crier son : quos ego ! Un beau jour, de son crime, ainsi que d'une trappe, Nous verrons sortir Marengo. Il faut bien qu'il leur jette enfin un peu de gloire Après tant de honte et d'horreur ! Que, vainqueur, il défile avec tout son prétoire Devant Troplong le procureur ; Qu'il tâche de cacher son carcan à l'histoire, Et qu'il fasse par le doreur Ajuster sa sellette au vieux char de victoire Où monta le grand empereur. Il voudra devenir César, frapper, dissoudre Les anciens états ébranlés, Et, calme, à l'univers montrer, tenant la foudre, La main qui fit des fausses clés. Il fera du vieux monde éclater la machine ; Il voudra vaincre et surnager. Hudson Lowe, Blücher, Wellington, Rostopschine, Que de souvenirs à venger ! L'occasion abonde à l'époque où nous sommes. Il saura saisir le moment. On ne peut pas rester avec cinq cent mille hommes Dans la fange éternellement. Il ne peut les laisser courbés sous leur sentence Il leur faut les hauts faits lointains À la meute guerrière il faut une pitance De lauriers et de bulletins. Ces soldats, que Décembre orne comme une dartre, Ne peuvent pas, chiens avilis, Ronger à tout jamais le boulevard Montmartre, Quand leurs pères ont Austerlitz ! — II. Eh bien non ! je rêvais. Illusion détruite ! Gloire ! songe, néant, vapeur ! Ô soldats ! quel réveil ! l'empire, c'est la fuite. Soldats ! l'empire, c'est la peur. Ce Mandrin de la paix est plein d'instincts placides ; Ce Schinderhannes craint les coups. Ô châtiment ! pour lui vous fûtes parricides, Soldats, il est poltron pour vous. Votre gloire a péri sous ce hideux incube Aux doigts de fange, au cœur d'airain. Ah ! frémissez ! le czar marche sur le Danube, Vous ne marchez pas sur le Rhin ! III. Ô nos pauvres enfants ! soldats de notre France ! Ô triste armée à l'œil terni ! Adieu la tente ! Adieu les camps ! plus d'espérance ! Soldats ! soldats ! tout est fini ! N'espérez plus laver dans les combats le crime Dont vous êtes éclaboussés. Pour nous ce fut le piège et pour vous c'est l'abîme. Cartouche règne ; c'est assez. Oui, Décembre à jamais vous tient, hordes trompées ! Oui, vous êtes ses vils troupeaux ! Oui, gardez sur vos mains, gardez sur vos épées, Hélas ! gardez sur vos drapeaux Ces souillures qui font horreur à vos familles Et qui font sourire Dracon, Et que ne voudrait pas avoir sur ses guenilles L'équarrisseur de Montfaucon ! Gardez le deuil, gardez le sang, gardez la boue ! Votre maître hait le danger, Il vous fait reculer ; gardez sur votre joue L'âpre soufflet de l'étranger ! Ce nain à sa stature a rabaissé vos tailles. Ce n'est qu'au vol qu'il est hardi. Adieu la grande guerre et les grandes batailles ! Adieu Wagram ! adieu Lodi ! Dans cette horrible glu votre aile est prisonnière. Derrière un crime il faut marcher. C'est fini. Désormais vous avez pour bannière Le tablier de ce boucher ! Renoncez aux combats, au nom de Grande Armée, Au vieil orgueil des trois couleurs ; Renoncez à l'immense et superbe fumée, Aux femmes vous jetant des fleurs, À l'encens, aux grands ares triomphaux que fréquentent Les ombres des héros le soir ; Hélas ! contentez-vous de ces prêtres qui chantent Des Te Deum dans l'abattoir ! Vous ne conquerrez point la palme expiatoire, La palme des exploits nouveaux, Et vous ne verrez pas se dorer dans la gloire La crinière de vos chevaux ! IV. Donc l'épopée échoue avant qu'elle commence ! Annibal a pris un calmant ; L'Europe admire, et mêle une huée immense À cet immense avortement. Donc ce neveu s'en va par la porte bâtarde ! Donc ce sabreur, ce pourfendeur, Ce masque moustachu dont la bouche vantarde S'ouvrait dans toute sa grandeur, Ce césar qu'un valet tous les matins harnache Pour s'en aller dans les combats, Cet ogre galonné dont le hautain panache Faisait oublier le front bas, Ce tueur qui semblait l'homme que rien n'étonne, Qui jouait, dans les hosanna, Tout barbouillé du sang du ruisseau Tiquetonne, La pantomime d'Iéna, Ce héros que Dieu fit général des jésuites, Ce vainqueur qui s'est dit absous, Montre à Clio son nez meurtri de pommes cuites, Son œil éborgné de gros sous ! Et notre armée, hélas ! sa dupe et sa complice, Baisse un front lugubre et puni, Et voit sous les sifflets s'enfuir dans la coulisse Cet écuyer de Franconi ! Cet histrion, qu'on cingle à grands coups de lanière, À le crime pour seul talent ; Les Saint-Barthélemy vont mieux à sa manière Qu'Aboukir et que Friedland. Le cosaque stupide arrache à ce superbe Sa redingote à brandebourgs ; L'âne russe a brouté ce Bonaparte en herbe. Sonnez, clairons ! battez, tambours ! Tranche-Montagne, ainsi que Basile, a la fièvre ; La colique empoigne Agramant ; Sur le crâne du loup les oreilles du lièvre Se dressent lamentablement. Le fier-à-bras tremblant se blottit dans son antre Le grand sabre a peur de briller ; La fanfare bégaie et meurt ; la flotte rentre Au port, et l'aigle au poulailler. V. Et tous ces capitans dont l'épaulette brille Dans les Louvres et les châteaux Disent : « Mangeons la France et le peuple en famille. Sire, les boulets sont brutaux. » Et Forey va criant : « Majesté, prenez garde. » Reibell dit : « Morbleu, sacrebleu ! Tenons-nous coi. Le czar fait manœuvrer sa garde. Ne jouons pas avec le feu. » Espinasse reprend : « César, gardez la chambre. Ces kalmoucks ne sont pas manchots. » Coiffez-vous, dit Leroy, du laurier de décembre, Prince, et tenez-vous les pieds chauds. » Et Magnan dit : « Buvons et faisons l'amour, sire ! » Les rêves s'en vont à vau-l'eau. Et dans sa sombre plaine, ô douleur, j'entends rire Le noir lion de Waterloo ! Jersey, le ler septembre 1853.
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Absence
Théophile Gautier (1811-1872)
Poésie : Absence Titre : Absence Poète : Théophile Gautier (1811-1872) Reviens, reviens, ma bien-aimée ! Comme une fleur loin du soleil, La fleur de ma vie est fermée Loin de ton sourire vermeil. Entre nos cœurs tant de distance ! Tant d'espace entre nos baisers ! Ô sort amer ! Ô dure absence ! Ô grands désirs inapaisés ! D'ici là-bas, que de campagnes, Que de villes et de hameaux, Que de vallons et de montagnes, À lasser le pied des chevaux ! Au pays qui me prend ma belle, Hélas ! Si je pouvais aller ; Et si mon corps avait une aile Comme mon âme pour voler ! Par-dessus les vertes collines, Les montagnes au front d'azur, Les champs rayés et les ravines, J'irais d'un vol rapide et sûr. Le corps ne suit pas la pensée ; Pour moi, mon âme, va tout droit, Comme une colombe blessée, S'abattre au rebord de son toit. Descends dans sa gorge divine, Blonde et fauve comme de l'or, Douce comme un duvet d'hermine, Sa gorge, mon royal trésor ; Et dis, mon âme, à cette belle : « Tu sais bien qu'il compte les jours, Ô ma colombe ! À tire d'aile Retourne au nid de nos amours. »
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À une Malabaraise
Charles Baudelaire (1821-1867)
Poésie : À une Malabaraise Titre : À une Malabaraise Poète : Charles Baudelaire (1821-1867) Tes pieds sont aussi fins que tes mains, et ta hanche Est Large à faire envie à la plus belle blanche ; A l'artiste pensif ton corps est doux et cher ; Tes grands yeux de velours sont plus noirs que ta chair. Aux pays chauds et bleus où ton Dieu t'a fait naître, Ta tâche est d'allumer la pipe de ton maître, De pourvoir les flacons d'eaux fraîches et d'odeurs, De chasser loin du lit les moustiques rôdeurs, Et, dès que le matin fait chanter les platanes, D'acheter au bazar ananas et bananes. Tout le jour, où tu veux, tu mènes tes pieds nus Et fredonnes tout bas de vieux airs inconnus ; Et quand descend le soir au manteau d'écarlate, Tu poses doucement ton corps sur une natte, Où tes rêves flottants sont pleins de colibris, Et toujours, comme toi, gracieux et fleuris. Pourquoi, l'heureuse enfant, veux-tu voir notre France, Ce pays trop peuplé que fauche la souffrance, Et, confiant ta vie aux bras forts des marins, Faire de grands adieux à tes chers tamarins ? Toi, vêtue à moitié de mousselines frêles, Frissonnante là-bas sous la neige et les grêles, Comme tu pleurerais tes loisirs doux et francs, Si, le corset brutal emprisonnant tes flancs, Il te fallait glaner ton souper dans nos fanges Et vendre le parfum de tes charmes étranges, L'oeil pensif, et suivant, dans nos sales brouillards, Des cocotiers absents les fantômes épars !
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La chouette
Victor Hugo (1802-1885)
Poésie : La chouette Titre : La chouette Poète : Victor Hugo (1802-1885) Une chouette était sur une porte clouée ; Larve de l'ombre au toit des hommes échouée. La nature, qui mêle une âme aux rameaux verts, Qui remplit tout, et vit, à des degrés divers, Dans la bête sauvage et la bête de somme, Toujours en dialogue avec l'esprit de l'homme, Lui donne à déchiffrer les animaux, qui sont Ses signes, alphabet formidable et profond ; Et, sombre, ayant pour mots l'oiseau, le ver, l'insecte, Parle deux langues : l'une, admirable et correcte, L'autre, obscur bégaîment. L'éléphant aux pieds lourds, Le lion, ce grand front de l'antre, l'aigle, l'ours, Le taureau, le cheval, le tigre au bond superbe, Sont le langage altier et splendide, le verbe ; Et la chauve-souris, le crapaud, le putois, Le crabe, le hibou, le porc, sont le patois. Or, j'étais là, pensif, bienveillant, presque tendre, Épelant ce squelette, et tâchant de comprendre Ce qu'entre les trois clous où son spectre pendait, Aux vivants, aux souffrants, au bœuf triste, au baudet, Disait, hélas ! la pauvre et sinistre chouette, Du côté noir de l'être informe silhouette. Elle disait : « Sur son front sombre Comme la brume se répand ! Il remplit tout le fond de l'ombre. Comme sa tête morte pend ! De ses yeux coulent ses pensées. Ses pieds troués, ses mains percées Bleuissent à l'air glacial, Oh ! comme il saigne dans le gouffre ! Lui qui faisait le bien, il souffre Comme moi qui faisait le mal. « Une lumière à son front tremble. Et la nuit dit au vent : « Soufflons Sur cette flamme ! » et, tous ensemble, Les ténèbres, les aquilons, La pluie et l'horreur, froides bouches, Soufflent, hagards, hideux, farouches, Et dans la tempête et le bruit La clarté reparaît grandie... — Tu peux éteindre un incendie, Mais pas une auréole, ô nuit ! « Cette âme arriva sur la terre, Qu'assombrit le soir incertain ; Elle entra dans l'obscur mystère Que l'ombre appelle son destin ; Au mensonge, aux forfaits sans nombre, À tout l'horrible essaim de l'ombre, Elle livrait de saints combats ; Elle volait, et ses prunelles Semblaient deux lueurs éternelles Qui passaient dans la nuit d'en bas. « Elle allait parmi les ténèbres, Poursuivant, chassant, dévorant Les vices, ces taupes funèbres, Le crime, ce phalène errant ; Arrachant de leurs trous la haine, L'orgueil, la fraude qui se traîne, L'âpre envie, aspic du chemin, Les vers de terre et les vipères, Que la nuit cache dans les pierres Et le mal dans le cœur humain ! « Elle cherchait ces infidèles, L'Achab, le Nemrod, le Mathan, Que, dans son temple et sous ses ailes, Réchauffe le faux dieu Satan, Les vendeurs cachés sous les porches, Le brûleur allumant ses torches Au même feu que l'encensoir ; Et, quand elle l'avait trouvée, Toute la sinistre couvée Se hérissait sous l'autel noir. « Elle allait, délivrant les hommes De leurs ennemis ténébreux ; Les hommes, noirs comme nous sommes, Prirent l'esprit luttant pour eux ; Puis ils clouèrent, les infâmes, L'âme qui défendait leurs âmes, L'être dont l'œil jetait du jour ; Et leur foule, dans sa démence, Railla cette chouette immense De la lumière et de l'amour ! « Race qui frappes et lapides, Je te plains ! hommes, je vous plains ! Hélas ! je plains vos poings stupides, D'affreux clous et de marteaux pleins ! Vous persécutez pêle-mêle Le mal, le bien, la griffe et l'aile, Chasseurs sans but, bourreaux sans yeux ! Vous clouez de vos mains mal sûres Les hiboux au seuil des masures, Et Christ sur la porte des cieux ! » Mai 1843.
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Amour, divin rôdeur
Marceline Desbordes-Valmore (1786-1859)
Poésie : Amour, divin rôdeur Titre : Amour, divin rôdeur Poète : Marceline Desbordes-Valmore (1786-1859) Recueil : Poésies inédites (1860). Amour, divin rôdeur, glissant entre les âmes, Sans te voir de mes yeux, je reconnais tes flammes. Inquiets des lueurs qui brûlent dans les airs, Tous les regards errants sont pleins de tes éclairs... C'est lui ! Sauve qui peut ! Voici venir les larmes !... Ce n'est pas tout d'aimer, l'amour porte des armes. C'est le roi, c'est le maître, et, pour le désarmer, Il faut plaire à l'Amour : ce n'est pas tout d'aimer !
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Apothéose
Victor Hugo (1802-1885)
Poésie : Apothéose Titre : Apothéose Poète : Victor Hugo (1802-1885) Méditons. Il est bon que l'esprit se repaisse De ces spectacles-là. L'on n'était qu'une espèce De perroquet ayant un grand nom pour perchoir, Pauvre diable de prince, usant son habit noir, Auquel mil huit cent quinze avait coupé les vivres. On n'avait pas dix sous, on emprunte cinq livres. Maintenant, remarquons l'échelle, s'il vous plaît. De l'écu de cinq francs on s'élève au billet Signé Garat ; bravo ! puis du billet de banque On grimpe au million, rapide saltimbanque ; Le million gobé fait mordre au milliard. On arrive au lingot en partant du liard. Puis carrosses, palais, bals, festins, opulence On s'attable au pouvoir et l'on mange la France. C'est ainsi qu'un filou devient homme d'état. Qu'a-t-il fait ? Un délit ? Fi donc ! un attentat ; Un grand acte, un massacre, un admirable crime Auquel la haute cour prête serment. L'abîme Se referme en poussant un grognement bourru. La Révolution sous terre a disparu En laissant derrière elle une senteur de soufre. Romieu montre la trappe et dit : Voyez le gouffre ! Vivat Mascarillus ! roulement de tambours. On tient sous le bâton parqués dans les faubourgs Les ouvriers ainsi que des noirs dans leurs cases Paris sur ses pavés voit neiger les ukases La Seine devient glace autant que la Néva. Quant au maître, il triomphe ; il se promène, va De préfet en préfet, vole de maire en maire, Orné du Deux-Décembre, du Dix-huit Brumaire, Bombardé de bouquets, voituré dans des chars, Laid, joyeux, salué par es chœurs de mouchards. Puis il rentre empereur au Louvre, il parodie Napoléon, il lit l'histoire, il étudie L'honneur et la vertu dans Alexandre six ; Il s'installe au palais du spectre Médicis ; Il quitte par moments sa pourpre ou sa casaque, Flâne autour du bassin en pantalon cosaque, Et riant, et semant les miettes sur ses pas, Donne aux poissons le pain que les proscrits n'ont pas. La caserne l'adore, on le bénit au prône ; L'Europe est sous ses pieds et tremble sous son trône ; Il règne par la mitre et par le hausse-col. Ce trône a trois degrés, parjure, meurtre et vol. Ô Carrare ! ô Paros ! ô marbres pentéliques ! Ô tous les vieux héros des vieilles républiques ! Ô tous les dictateurs de l'empire latin ! Le moment est venu d'admirer le destin. Voici qu'un nouveau dieu monte au fronton du temple. Regarde, peuple, et toi, froide histoire, contemple. Tandis que nous, martyrs du droit, nous expions, Avec les Périclès, avec les Scipions, Sur les frises où sont les victoires aptères, Au milieu des césars trainés par des panthères, Vêtus de pourpre et ceints du laurier souverain, Parmi les aigles d'or et les louves d'airain, Comme un astre apparaît parmi ses satellites, Voici qu'à la hauteur des empereurs stylites, Entre Auguste à l'œil calme et Trajan au front pur, Resplendit, immobile en l'éternel azur, Sur vous, ô panthéons, sur vous, ô propylées, Robert Macaire avec ses bottes éculées ! Jersey, le 31 janvier 1853.
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Avant que tu ne t'en ailles
Paul Verlaine (1844-1896)
Poésie : Avant que tu ne t'en ailles Titre : Avant que tu ne t'en ailles Poète : Paul Verlaine (1844-1896) Recueil : La bonne chanson (1872). Avant que tu ne t'en ailles, Pâle étoile du matin, - Mille cailles Chantent, chantent dans le thym. Tourne devers le poète, Dont les yeux sont pleins d'amour ; - L'alouette Monte au ciel avec le jour. Tourne ton regard que noie L'aurore dans son azur ; - Quelle joie Parmi les champs de blé mûr ! Puis fais luire ma pensée Là-bas - bien loin, oh, bien loin ! - La rosée Gaîment brille sur le foin. Dans le doux rêve où s'agite Ma mie endormie encor... - Vite, vite, Car voici le soleil d'or.
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II ne faut s'ébahir, disaient ces bons vieillards
Pierre de Ronsard (1524-1585)
Poésie : II ne faut s'ébahir, disaient ces bons vieillards Titre : II ne faut s'ébahir, disaient ces bons vieillards Poète : Pierre de Ronsard (1524-1585) Recueil : Poésies diverses (1587). VIII. « II ne faut s'ébahir, disaient ces bons vieillards Dessus le mur Troyen, voyants passer Hélène, Si pour telle beauté nous souffrons tant de peine, Notre mal ne vaut pas un seul de ses regards. « Toutefois il vaut mieux, pour n'irriter point Mars, La rendre à son époux, afin qu'il la ramène, Que voir de tant de sang notre campagne pleine, Notre haure (1) gagnée, l'assaut à nos remparts. » Pères, il ne fallait, à qui la force tremble, Par un mauvais conseil les jeunes retarder ; Mais, et jeunes et vieux, vous deviez tous ensemble Pour elle corps et biens et ville bazarder. Ménélas fut bien sage, et Pâris, ce me semble, L'un de la demander, l'autre de la garder. 1. Haure : Forteresse.
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La vie idéale
Charles Cros (1842-1888)
Poésie : La vie idéale Titre : La vie idéale Poète : Charles Cros (1842-1888) Recueil : Le coffret de santal (1873). À May. Une salle avec du feu, des bougies, Des soupers toujours servis, des guitares, Des fleurets, des fleurs, tous les tabacs rares, Où l'on causerait pourtant sans orgies. Au printemps lilas, roses et muguets, En été jasmins, oeillets et tilleuls Rempliraient la nuit du grand parc où, seuls Parfois, les rêveurs fuiraient les bruits gais. Les hommes seraient tous de bonne race, Dompteurs familiers des Muses hautaines, Et les femmes, sans cancans et sans haines, Illumineraient les soirs de leur grâce. Et l'on songerait, parmi ces parfums De bras, d'éventails, de fleurs, de peignoirs, De fins cheveux blonds, de lourds cheveux noirs, Aux pays lointains, aux siècles défunts.
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Confrontations
Victor Hugo (1802-1885)
Poésie : Confrontations Titre : Confrontations Poète : Victor Hugo (1802-1885) Recueil : Les châtiments (1853). Ô cadavres, parlez ! quels sont vos assassins Quelles mains ont plongé ces stylets dans vos seins ? Toi d'abord, que je vois dans cette ombre apparaître, Ton nom ? — Religion. — Ton meurtrier ? — Le prêtre. — Vous, vos noms ? — Probité, pudeur, raison, vertu. — Et qui vous égorgea ? — L'église. — Toi, qu'es-tu ? — Je suis la foi publique. — Et qui t'a poignardée ? — Le serment. — Toi, qui dors de ton sang inondée ? — Mon nom était justice. — Et quel est ton bourreau ? — Le juge. — Et toi, géant, sans glaive en ton fourreau ? Et dont la boue éteint l'auréole enflammée ? — Je m'appelle Austerlitz. — Qui t'a tué ? — L'armée. Jersey, le 30 janvier 1852.
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Le chat (I)
Charles Baudelaire (1821-1867)
Poésie : Le chat (I) Titre : Le chat (I) Poète : Charles Baudelaire (1821-1867) Recueil : Les fleurs du mal (1857). Sonnet. Viens, mon beau chat, sur mon coeur amoureux ; Retiens les griffes de ta patte, Et laisse-moi plonger dans tes beaux yeux, Mêlés de métal et d'agate. Lorsque mes doigts caressent à loisir Ta tête et ton dos élastique, Et que ma main s'enivre du plaisir De palper ton corps électrique, Je vois ma femme en esprit. Son regard, Comme le tien, aimable bête Profond et froid, coupe et fend comme un dard, Et, des pieds jusques à la tête, Un air subtil, un dangereux parfum Nagent autour de son corps brun.
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Bel arbre, pourquoi conserver
Évariste de Parny (1753-1814)
Poésie : Bel arbre, pourquoi conserver Titre : Bel arbre, pourquoi conserver Poète : Évariste de Parny (1753-1814) Recueil : Élégies (1784). Élégie III. Bel arbre, pourquoi conserver Ces deux noms qu'une main trop chère Sur ton écorce solitaire Voulut elle-même graver ? Ne parle plus d'Eléonore ; Rejette ces chiffres menteurs : Le temps a désuni les cœurs Que ton écorce unit encore.
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Bourgeois parlant de Jésus-Christ
Victor Hugo (1802-1885)
Poésie : Bourgeois parlant de Jésus-Christ Titre : Bourgeois parlant de Jésus-Christ Poète : Victor Hugo (1802-1885) « – Sa morale a du bon. – Il est mort à trente ans. – Il changeait en vin l'eau. – Ça s'est dit dans son temps. – Il était de Judée. Il avait douze apôtres. – Gens grossiers. – Gens de rien. – Jaloux les uns des autres. – Il leur lavait les pieds. – C'est curieux, le puits De la samaritaine, et puis le diable, et puis L'histoire de l'aveugle et du paralytique ! – J'en doute. – Il n'aimait pas les gens tenant boutique. – A-t-il vraiment tiré Lazare du tombeau ? – C'était un sage. – Un fou. – Son système est fort beau. – Vrai dans la théorie et faux dans la pratique. – Son procès est réel. Judas est authentique. L'honnête homme au gibet et le voleur absous ! – On voit bien clairement les prêtres là-dessous. Tout change ; maintenant il a pour lui les prêtres. – Un menuisier pour père, et des rois pour ancêtres, C'est singulier ! – Non pas ! Une branche descend, Puis remonte, mais c'est toujours le même sang ; Cela n'est pas très rare en généalogie. – Il savait qu'on voulait l'accuser de magie Et que de son supplice on faisait les apprêts. – Sa Madeleine était une fille. – A peu près. – Ça ne l'empêche pas d'être sainte. – Au contraire. – Était-il Dieu ? – Non. – Oui. – Peut-être. – On y croit guère. – Tout ce qu'on dit de lui prouve un homme très doux. – Il était beau. – Fort beau, l'air juif, pâle. – Un peu roux. – Le certain, c'est qu'il a fait du bien sur la terre. – Un grand bien. Il était bon, fraternel, austère ; Il a montré que tout, excepté l'âme, est vain ; Sans doute il n'est pas Dieu, mais certes il est divin. Il fit l'homme nouveau meilleur que l'homme antique. – Quel malheur qu'il se soit mêlé de politique ! »
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La lune blanche
Paul Verlaine (1844-1896)
Poésie : La lune blanche Titre : La lune blanche Poète : Paul Verlaine (1844-1896) Recueil : La bonne chanson (1872). La lune blanche Luit dans les bois ; De chaque branche Part une voix Sous la ramée... Ô bien-aimée. L'étang reflète, Profond miroir, La silhouette Du saule noir Où le vent pleure... Rêvons, c'est l'heure. Un vaste et tendre Apaisement Semble descendre Du firmament Que l'astre irise... C'est l'heure exquise.
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La rose-thé
Théophile Gautier (1811-1872)
Poésie : La rose-thé Titre : La rose-thé Poète : Théophile Gautier (1811-1872) La plus délicate des roses Est, à coup sûr, la rose-thé. Son bouton aux feuilles mi-closes De carmin à peine est teinté. On dirait une rose blanche Qu'aurait fait rougir de pudeur, En la lutinant sur la branche, Un papillon trop plein d'ardeur. Son tissu rose et diaphane De la chair a le velouté ; Auprès, tout incarnat se fane Ou prend de la vulgarité. Comme un teint aristocratique Noircit les fronts bruns de soleil, De ses soeurs elle rend rustique Le coloris chaud et vermeil. Mais, si votre main qui s'en joue, A quelque bal, pour son parfum, La rapproche de votre joue, Son frais éclat devient commun. Il n'est pas de rose assez tendre Sur la palette du printemps, Madame, pour oser prétendre Lutter contre vos dix-sept ans. La peau vaut mieux que le pétale, Et le sang pur d'un noble coeur Qui sur la jeunesse s'étale, De tous les roses est vainqueur !
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À M. V. H
Alfred de Musset (1810-1857)
Poésie : À M. V. H Titre : À M. V. H Poète : Alfred de Musset (1810-1857) Recueil : Poésies nouvelles (1850). Sonnet. Il faut, dans ce bas monde, aimer beaucoup de choses, Pour savoir, après tout, ce qu'on aime le mieux, Les bonbons, l'Océan, le jeu, l'azur des cieux, Les femmes, les chevaux, les lauriers et les roses. Il faut fouler aux pieds des fleurs à peine écloses ; Il faut beaucoup pleurer, dire beaucoup d'adieux. Puis le coeur s'aperçoit qu'il est devenu vieux, Et l'effet qui s'en va nous découvre les causes. De ces biens passagers que l'on goûte à demi, Le meilleur qui nous reste est un ancien ami. On se brouille, on se fuit. Qu'un hasard nous rassemble, On s'approche, on sourit, la main touche la main, Et nous nous souvenons que nous marchions ensemble, Que l'âme est immortelle, et qu'hier c'est demain.
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Les méfaits de la lune
Paul Verlaine (1844-1896)
Poésie : Les méfaits de la lune Titre : Les méfaits de la lune Poète : Paul Verlaine (1844-1896) Recueil : Chair (1896). Sur mon front, mille fois solitaire, Puisque je dois dormir loin de toi, La lune déjà maligne en soi, Ce soir jette un regard délétère. Il dit ce regard — pût-il se taire ! Mais il ne prétend pas rester coi, — Qu'il n'est pas sans toi de paix pour moi ; Je le sais bien, pourquoi ce mystère, Pourquoi ce regard, oui, lui, pourquoi ? Qu'ont de commun la lune et la terre ? Bah, vite reviens, assez de mystère ? Toi, c'est le soleil, luis clair sur moi !
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Ô la plus belle des maîtresses
Évariste de Parny (1753-1814)
Poésie : Ô la plus belle des maîtresses Titre : Ô la plus belle des maîtresses Poète : Évariste de Parny (1753-1814) Ô la plus belle des maîtresses, Fuyons dans nos plaisirs la lumière et le bruit ; Ne disons point au jour les secrets de la nuit ; Aux regards inquiets dérobons nos caresses. L'amour heureux se trahit aisément ! Je crains pour toi les yeux d'une mère attentive ; Je crains ce vieil argus, au cœur de diamant, Dont la vertu brusque et rétive Ne s'adoucit qu'à prix d'argent. Durant le jour, tu n'es plus mon Amante. Si je m'offre à tes yeux, garde-toi de rougir ; Défends à ton amour le plus léger soupir ; Affecte un air distrait ; que ta voix séduisante Évite de frapper mon oreille et mon cœur ; Ne mets dans tes regards ni trouble, ni langueur. Hélas ! de mes conseils je me repens d'avance. Ma chère Éléonore, au nom de nos amours, N'imite pas trop bien cet air d'indifférence ; Je dirais, c'est un jeu ; mais je craindrais toujours.
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L'angoisse
Paul Verlaine (1844-1896)
Poésie : L'angoisse Titre : L'angoisse Poète : Paul Verlaine (1844-1896) Recueil : Poèmes saturniens (1866). Nature, rien de toi ne m'émeut, ni les champs Nourriciers, ni l'écho vermeil des pastorales Siciliennes, ni les pompes aurorales, Ni la solennité dolente des couchants. Je ris de l'Art, je ris de l'Homme aussi, des chants, Des vers, des temples grecs et des tours en spirales Qu'étirent dans le ciel vide les cathédrales, Et je vois du même oeil les bons et les méchants. Je ne crois pas en Dieu, j'abjure et je renie Toute pensée, et quant à la vieille ironie, L'Amour, je voudrais bien qu'on ne m'en parlât plus. Lasse de vivre, ayant peur de mourir, pareille Au brick perdu jouet du flux et du reflux, Mon âme pour d'affreux naufrages appareille.
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Hymne au soleil
Alphonse de Lamartine (1790-1869)
Poésie : Hymne au soleil Titre : Hymne au soleil Poète : Alphonse de Lamartine (1790-1869) Vous avez pris pitié de sa longue douleur ! Vous me rendez le jour, Dieu que l'amour implore ! Déjà mon front couvert d'une molle pâleur, Des teintes de la vie à ses yeux se colore ; Déjà dans tout mon être une douce chaleur Circule avec mon sang, remonte dans mon coeur Je renais pour aimer encore ! Mais la nature aussi se réveille en ce jour ! Au doux soleil de mai nous la voyons renaître ; Les oiseaux de Vénus autour de ma fenêtre Du plus chéri des mois proclament le retour ! Guidez mes premiers pas dans nos vertes campagnes ! Conduis-moi, chère Elvire, et soutiens ton amant : Je veux voir le soleil s'élever lentement, Précipiter son char du haut de nos montagnes, Jusqu'à l'heure où dans l'onde il ira s'engloutir, Et cédera les airs au nocturne zéphyr ! Viens ! que crains-tu pour moi ? Le ciel est sans nuage ! Ce plus beau de nos jours passera sans orage ; Et c'est l'heure où déjà sur les gazons en fleurs Dorment près des troupeaux les paisibles pasteurs ! Dieu ! que les airs sont doux ! que la lumière est pure ! Tu règnes en vainqueur sur toute la nature, Ô soleil ! et des cieux, où ton char est porté, Tu lui verses la vie et la fécondité ! Le jour où, séparant la nuit de la lumière, L'éternel te lança dans ta vaste carrière, L'univers tout entier te reconnut pour roi ! Et l'homme, en t'adorant, s'inclina devant toi ! De ce jour, poursuivant ta carrière enflammée, Tu décris sans repos ta route accoutumée ; L'éclat de tes rayons ne s'est point affaibli, Et sous la main des temps ton front n'a point pâli ! Quand la voix du matin vient réveiller l'aurore, L'Indien, prosterné, te bénit et t'adore ! Et moi, quand le midi de ses feux bienfaisants Ranime par degrés mes membres languissants, Il me semble qu'un Dieu, dans tes rayons de flamme, En échauffant mon sein, pénètre dans mon âme ! Et je sens de ses fers mon esprit détaché, Comme si du Très-Haut le bras m'avait touché ! Mais ton sublime auteur défend-il de le croire ? N'es-tu point, ô soleil ! un rayon de sa gloire ? Quand tu vas mesurant l'immensité des cieux, Ô soleil ! n'es-tu point un regard de ses yeux ? Ah ! si j'ai quelquefois, aux jours de l'infortune, Blasphémé du soleil la lumière importune ; Si j'ai maudit les dons que j'ai reçus de toi, Dieu, qui lis dans les coeurs, ô Dieu ! pardonne-moi ! Je n'avais pas goûté la volupté suprême De revoir la nature auprès de ce que j'aime, De sentir dans mon coeur, aux rayons d'un beau jour, Redescendre à la fois et la vie et l'amour ! Insensé ! j'ignorais tout le prix de la vie ! Mais ce jour me l'apprend, et je te glorifie !
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Je vous ai promis mon baiser
Paul Verlaine (1844-1896)
Poésie : Je vous ai promis mon baiser Titre : Je vous ai promis mon baiser Poète : Paul Verlaine (1844-1896) Recueil : Chair (1896). Je vous ai promis mon baiser pour ce soir, En revanche vous m'avez promis la récompense Certes imméritée, et voici que j'y pense ! Et depuis lors je vis en un si doux et vague espoir ! Mais que pour l'avenir serait donc noir Si, pendant que je rêve à la bonne bombance Espérée et promise, et voici que je panse La blessure que me ferait de ne pas voir De mes yeux, presque en pleurs dans cette incertitude, Vos yeux sourire avec plus de mansuétude Que de coutume avec l'œuvre et de plus l'auteur. Et j'ai fait ces vers-ci, qu'il fallait que je fisse. Ne vous faisant d'ailleurs pas d'autre sacrifice Que de vous plaire un peu, bien qu'un peu radoteur.
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Jeanne songeait
Victor Hugo (1802-1885)
Poésie : Jeanne songeait Titre : Jeanne songeait Poète : Victor Hugo (1802-1885) Jeanne songeait, sur l'herbe assise, grave et rose ; Je m'approchai : - Dis-moi si tu veux quelque chose, Jeanne ? — car j'obéis à ces charmants amours, Je les guette, et je cherche à comprendre toujours Tout ce qui peut passer par ces divines têtes. Jeanne m'a répondu : — je voudrais voir des bêtes. Alors je lui montrai dans l'herbe une fourmi. — Vois ! Mais Jeanne ne fut contente qu'à demi. — Non, les bêtes, c'est gros, me dit-elle. Leur rêve, C'est le grand. L'océan les attire à sa grève, Les berçant de son chant rauque, et les captivant Par l'ombre, et par la fuite effrayante du vent ; Ils aiment l'épouvante, il leur faut le prodige. — Je n'ai pas d'éléphant sous la main, répondis-je. Veux-tu quelque autre chose ? ô Jeanne, on te le doit ! Parle. — Alors Jeanne au ciel leva son petit doigt. — Ça, dit-elle. — C'était l'heure où le soir commence. Je vis à l'horizon surgir la lune immense.
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À sa maîtresse (II)
Pierre de Ronsard (1524-1585)
Poésie : À sa maîtresse (II) Titre : À sa maîtresse (II) Poète : Pierre de Ronsard (1524-1585) Ma Dame ne donne pas Des baisers, mais des appas Qui seuls nourrissent mon âme, Les biens dont les Dieux sont sous, Du Nectar, du sucre doux, De la cannelle et du bâme (1), Du thym, du lis, de la rose, Entre les lèvres écloses Fleurante en toutes saisons, Et du miel tel qu'en Hymette (2) La desrobe-fleur avette Remplit ses douces maisons. O dieux, que j'ai de plaisir Quand je sens mon col saisir De ses bras en mainte sorte ! Sur moi se laissant courber, D'yeux clos je la vois tomber Sur mon sein à demi-morte. Puis mettant la bouche sienne Tout à plat dessus la mienne, Me mord et je la remords : Je lui darde, elle me darde Sa languette frétillarde, Puis en ses bras je m'endors. D'un baiser mignard et long Me resuce l'âme adonc (3), Puis en soufflant la repousse, La resuce encore un coup, La ressoude (4) tout à coup Avec son haleine douce. Tout ainsi les colombelles Trémoussant un peu des ailes Avidement se vont baisant, Après que l'oiseuse glace A quitté la froide place Au Printemps doux et plaisant. Hélas! mais tempère un peu Les biens dont je suis repu, Tempère un peu ma liesse (5) : Tu me ferais immortel. Hé ! je ne veux être tel Si tu n'es aussi Déesse. 1. Bâme : Baume parfumé très agréable. 2. Hymette : Le mont Hymette est un massif grec connu pour son miel. 3. Adonc : En ce moment, alors. 4. Ressoude : Se réunir, être soudé ensemble. 5. Liesse : Joie.
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Monsieur Prudhomme
Paul Verlaine (1844-1896)
Poésie : Monsieur Prudhomme Titre : Monsieur Prudhomme Poète : Paul Verlaine (1844-1896) Recueil : Poèmes saturniens (1866). Il est grave : il est maire et père de famille. Son faux col engloutit son oreille. Ses yeux Dans un rêve sans fin flottent insoucieux, Et le printemps en fleur sur ses pantoufles brille. Que lui fait l'astre d'or, que lui fait la charmille Où l'oiseau chante à l'ombre, et que lui font les cieux, Et les prés verts et les gazons silencieux ? Monsieur Prudhomme songe à marier sa fille. Avec monsieur Machin, un jeune homme cossu, Il est juste-milieu, botaniste et pansu. Quant aux faiseurs de vers, ces vauriens, ces maroufles, Ces fainéants barbus, mal peignés, il les a Plus en horreur que son éternel coryza, Et le printemps en fleur brille sur ses pantoufles.
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La neige à travers la brume
Paul Verlaine (1844-1896)
Poésie : La neige à travers la brume Titre : La neige à travers la brume Poète : Paul Verlaine (1844-1896) Recueil : Bonheur (1891). La neige à travers la brume Tombe et tapisse sans bruit Le chemin creux qui conduit A l'église où l'on allume Pour la messe de minuit. Londres sombre flambe et fume ; La chère qui s'y cuit Et la boisson qui s'ensuit ! C'est Christmas et sa coutume De minuit jusqu'à minuit. Sur la plume et le bitume, Paris bruit et jouit. Ripaille et Plaisant déduit Sur le bitume et la plume S'exaspèrent dès minuit. Le malade en l'amertume De l'hospice où le poursuit Un espoir toujours détruit S'épouvante et se consume Dans le noir d'un long minuit... La cloche au son clair d'enclume Dans la cour fine qui luit, Loin du péché qui nous nuit, Nous appelle en grand costume A la messe de minuit.
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Pensée du soir
Paul Verlaine (1844-1896)
Poésie : Pensée du soir Titre : Pensée du soir Poète : Paul Verlaine (1844-1896) A Ernest Raynaud Couché dans l'herbe pâle et froide de l'exil, Sous les ifs et les pins qu'argente le grésil, Ou bien errant, semblable aux formes que suscite Le rêve, par l'horreur du paysage scythe, Tandis qu'autour, pasteurs de troupeaux fabuleux, S'effarouchent les blancs Barbares aux yeux bleus, Le poète de l'art d'Aimer, le tendre Ovide Embrasse l'horizon d'un long regard avide Et contemple la mer immense tristement. Le cheveu poussé rare et gris que le tourment Des bises va mêlant sur le front qui se plisse, L'habit troué livrant la chair au froid, complice, Sous l'aigreur du sourcil tordu l'œil terne et las, La barbe épaisse, inculte et presque blanche, hélas Tous ces témoins qu'il faut d'un deuil expiatoire Disent une sinistre et lamentable histoire D'amour excessif, d'âpre envie et de fureur Et quelque responsabilité d'Empereur. Ovide morne pense à Rome et puis encore À Rome que sa gloire illusoire décore. Or, Jésus ! vous m'avez justement obscurci : Mais n'étant pas Ovide, au moins je suis ceci.
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Tu crois au marc de café
Paul Verlaine (1844-1896)
Poésie : Tu crois au marc de café Titre : Tu crois au marc de café Poète : Paul Verlaine (1844-1896) Recueil : Chansons pour elle (1891). Tu crois au marc de café, Aux présages, aux grands jeux : Moi je ne crois qu'en tes grands yeux. Tu crois aux contes de fées, Aux jours néfastes, aux songes, Moi je ne crois qu'en tes mensonges. Tu crois en un vague Dieu En quelque saint spécial, En tel Ave contre tel mal. Je ne crois qu'aux heures bleues Et rose que tu m'épanches Dans la volupté des nuits blanches ! Et si profonde est ma foi Envers tout ce que je crois Que je ne vis plus que pour toi.
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Clair de lune
Victor Hugo (1802-1885)
Poésie : Clair de lune Titre : Clair de lune Poète : Victor Hugo (1802-1885) La lune était sereine et jouait sur les flots. — La fenêtre enfin libre est ouverte à la brise, La sultane regarde, et la mer qui se brise, Là-bas, d'un flot d'argent brode les noirs îlots. De ses doigts en vibrant s'échappe la guitare. Elle écoute... Un bruit sourd frappe les sourds échos. Est-ce un lourd vaisseau turc qui vient des eaux de Cos, Battant l'archipel grec de sa rame tartare ? Sont-ce des cormorans qui plongent tour à tour, Et coupent l'eau, qui roule en perles sur leur aile ? Est-ce un djinn qui là-haut siffle d'un voix grêle, Et jette dans la mer les créneaux de la tour ? Qui trouble ainsi les flots près du sérail des femmes ? — Ni le noir cormoran, sur la vague bercé, Ni les pierres du mur, ni le bruit cadencé Du lourd vaisseau, rampant sur l'onde avec des rames. Ce sont des sacs pesants, d'où partent des sanglots. On verrait, en sondant la mer qui les promène, Se mouvoir dans leurs flancs comme une forme humaine... — La lune était sereine et jouait sur les flots. Le 2 septembre 1828.
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La nuit de mai
Alfred de Musset (1810-1857)
Poésie : La nuit de mai Titre : La nuit de mai Poète : Alfred de Musset (1810-1857) La muse Poète, prends ton luth et me donne un baiser ; La fleur de l'églantier sent ses bourgeons éclore, Le printemps naît ce soir ; les vents vont s'embraser ; Et la bergeronnette, en attendant l'aurore, Aux premiers buissons verts commence à se poser. Poète, prends ton luth, et me donne un baiser. Le poète Comme il fait noir dans la vallée ! J'ai cru qu'une forme voilée Flottait là-bas sur la forêt. Elle sortait de la prairie ; Son pied rasait l'herbe fleurie ; C'est une étrange rêverie ; Elle s'efface et disparaît. La muse Poète, prends ton luth ; la nuit, sur la pelouse, Balance le zéphyr dans son voile odorant. La rose, vierge encor, se referme jalouse Sur le frelon nacré qu'elle enivre en mourant. Écoute ! tout se tait ; songe à ta bien-aimée. Ce soir, sous les tilleuls, à la sombre ramée Le rayon du couchant laisse un adieu plus doux. Ce soir, tout va fleurir : l'immortelle nature Se remplit de parfums, d'amour et de murmure, Comme le lit joyeux de deux jeunes époux. Le poète Pourquoi mon coeur bat-il si vite ? Qu'ai-je donc en moi qui s'agite Dont je me sens épouvanté ? Ne frappe-t-on pas à ma porte ? Pourquoi ma lampe à demi morte M'éblouit-elle de clarté ? Dieu puissant ! tout mon corps frissonne. Qui vient ? qui m'appelle ? - Personne. Je suis seul ; c'est l'heure qui sonne ; Ô solitude ! ô pauvreté ! La muse Poète, prends ton luth ; le vin de la jeunesse Fermente cette nuit dans les veines de Dieu. Mon sein est inquiet ; la volupté l'oppresse, Et les vents altérés m'ont mis la lèvre en feu. Ô paresseux enfant ! regarde, je suis belle. Notre premier baiser, ne t'en souviens-tu pas, Quand je te vis si pâle au toucher de mon aile, Et que, les yeux en pleurs, tu tombas dans mes bras ? Ah ! je t'ai consolé d'une amère souffrance ! Hélas ! bien jeune encor, tu te mourais d'amour. Console-moi ce soir, je me meurs d'espérance ; J'ai besoin de prier pour vivre jusqu'au jour. Le poète Est-ce toi dont la voix m'appelle, Ô ma pauvre Muse ! est-ce toi ? Ô ma fleur ! ô mon immortelle ! Seul être pudique et fidèle Où vive encor l'amour de moi ! Oui, te voilà, c'est toi, ma blonde, C'est toi, ma maîtresse et ma soeur ! Et je sens, dans la nuit profonde, De ta robe d'or qui m'inonde Les rayons glisser dans mon coeur. La muse Poète, prends ton luth ; c'est moi, ton immortelle, Qui t'ai vu cette nuit triste et silencieux, Et qui, comme un oiseau que sa couvée appelle, Pour pleurer avec toi descends du haut des cieux. Viens, tu souffres, ami. Quelque ennui solitaire Te ronge, quelque chose a gémi dans ton coeur ; Quelque amour t'est venu, comme on en voit sur terre, Une ombre de plaisir, un semblant de bonheur. Viens, chantons devant Dieu ; chantons dans tes pensées, Dans tes plaisirs perdus, dans tes peines passées ; Partons, dans un baiser, pour un monde inconnu, Éveillons au hasard les échos de ta vie, Parlons-nous de bonheur, de gloire et de folie, Et que ce soit un rêve, et le premier venu. Inventons quelque part des lieux où l'on oublie ; Partons, nous sommes seuls, l'univers est à nous. Voici la verte Écosse et la brune Italie, Et la Grèce, ma mère, où le miel est si doux, Argos, et Ptéléon, ville des hécatombes, Et Messa la divine, agréable aux colombes, Et le front chevelu du Pélion changeant ; Et le bleu Titarèse, et le golfe d'argent Qui montre dans ses eaux, où le cygne se mire, La blanche Oloossone à la blanche Camyre. Dis-moi, quel songe d'or nos chants vont-ils bercer ? D'où vont venir les pleurs que nous allons verser ? Ce matin, quand le jour a frappé ta paupière, Quel séraphin pensif, courbé sur ton chevet, Secouait des lilas dans sa robe légère, Et te contait tout bas les amours qu'il rêvait ? Chanterons-nous l'espoir, la tristesse ou la joie ? Tremperons-nous de sang les bataillons d'acier ? Suspendrons-nous l'amant sur l'échelle de soie ? Jetterons-nous au vent l'écume du coursier ? Dirons-nous quelle main, dans les lampes sans nombre De la maison céleste, allume nuit et jour L'huile sainte de vie et d'éternel amour ? Crierons-nous à Tarquin : " Il est temps, voici l'ombre ! " Descendrons-nous cueillir la perle au fond des mers ? Mènerons-nous la chèvre aux ébéniers amers ? Montrerons-nous le ciel à la Mélancolie ? Suivrons-nous le chasseur sur les monts escarpés ? La biche le regarde ; elle pleure et supplie ; Sa bruyère l'attend ; ses faons sont nouveau-nés ; Il se baisse, il l'égorge, il jette à la curée Sur les chiens en sueur son coeur encor vivant. Peindrons-nous une vierge à la joue empourprée, S'en allant à la messe, un page la suivant, Et d'un regard distrait, à côté de sa mère, Sur sa lèvre entr'ouverte oubliant sa prière ? Elle écoute en tremblant, dans l'écho du pilier, Résonner l'éperon d'un hardi cavalier. Dirons-nous aux héros des vieux temps de la France De monter tout armés aux créneaux de leurs tours, Et de ressusciter la naïve romance Que leur gloire oubliée apprit aux troubadours ? Vêtirons-nous de blanc une molle élégie ? L'homme de Waterloo nous dira-t-il sa vie, Et ce qu'il a fauché du troupeau des humains Avant que l'envoyé de la nuit éternelle Vînt sur son tertre vert l'abattre d'un coup d'aile, Et sur son coeur de fer lui croiser les deux mains ? Clouerons-nous au poteau d'une satire altière Le nom sept fois vendu d'un pâle pamphlétaire, Qui, poussé par la faim, du fond de son oubli, S'en vient, tout grelottant d'envie et d'impuissance, Sur le front du génie insulter l'espérance, Et mordre le laurier que son souffle a sali ? Prends ton luth ! prends ton luth ! je ne peux plus me taire ; Mon aile me soulève au souffle du printemps. Le vent va m'emporter ; je vais quitter la terre. Une larme de toi ! Dieu m'écoute ; il est temps. Le poète S'il ne te faut, ma soeur chérie, Qu'un baiser d'une lèvre amie Et qu'une larme de mes yeux, Je te les donnerai sans peine ; De nos amours qu'il te souvienne, Si tu remontes dans les cieux. Je ne chante ni l'espérance, Ni la gloire, ni le bonheur, Hélas ! pas même la souffrance. La bouche garde le silence Pour écouter parler le coeur. La muse Crois-tu donc que je sois comme le vent d'automne, Qui se nourrit de pleurs jusque sur un tombeau, Et pour qui la douleur n'est qu'une goutte d'eau ? Ô poète ! un baiser, c'est moi qui te le donne. L'herbe que je voulais arracher de ce lieu, C'est ton oisiveté ; ta douleur est à Dieu. Quel que soit le souci que ta jeunesse endure, Laisse-la s'élargir, cette sainte blessure Que les noirs séraphins t'ont faite au fond du coeur : Rien ne nous rend si grands qu'une grande douleur. Mais, pour en être atteint, ne crois pas, ô poète, Que ta voix ici-bas doive rester muette. Les plus désespérés sont les chants les plus beaux, Et j'en sais d'immortels qui sont de purs sanglots. Lorsque le pélican, lassé d'un long voyage, Dans les brouillards du soir retourne à ses roseaux, Ses petits affamés courent sur le rivage En le voyant au loin s'abattre sur les eaux. Déjà, croyant saisir et partager leur proie, Ils courent à leur père avec des cris de joie En secouant leurs becs sur leurs goitres hideux. Lui, gagnant à pas lents une roche élevée, De son aile pendante abritant sa couvée, Pêcheur mélancolique, il regarde les cieux. Le sang coule à longs flots de sa poitrine ouverte ; En vain il a des mers fouillé la profondeur ; L'Océan était vide et la plage déserte ; Pour toute nourriture il apporte son coeur. Sombre et silencieux, étendu sur la pierre Partageant à ses fils ses entrailles de père, Dans son amour sublime il berce sa douleur, Et, regardant couler sa sanglante mamelle, Sur son festin de mort il s'affaisse et chancelle, Ivre de volupté, de tendresse et d'horreur. Mais parfois, au milieu du divin sacrifice, Fatigué de mourir dans un trop long supplice, Il craint que ses enfants ne le laissent vivant ; Alors il se soulève, ouvre son aile au vent, Et, se frappant le coeur avec un cri sauvage, Il pousse dans la nuit un si funèbre adieu, Que les oiseaux des mers désertent le rivage, Et que le voyageur attardé sur la plage, Sentant passer la mort, se recommande à Dieu. Poète, c'est ainsi que font les grands poètes. Ils laissent s'égayer ceux qui vivent un temps ; Mais les festins humains qu'ils servent à leurs fêtes Ressemblent la plupart à ceux des pélicans. Quand ils parlent ainsi d'espérances trompées, De tristesse et d'oubli, d'amour et de malheur, Ce n'est pas un concert à dilater le coeur. Leurs déclamations sont comme des épées : Elles tracent dans l'air un cercle éblouissant, Mais il y pend toujours quelque goutte de sang. Le poète Ô Muse ! spectre insatiable, Ne m'en demande pas si long. L'homme n'écrit rien sur le sable À l'heure où passe l'aquilon. J'ai vu le temps où ma jeunesse Sur mes lèvres était sans cesse Prête à chanter comme un oiseau ; Mais j'ai souffert un dur martyre, Et le moins que j'en pourrais dire, Si je l'essayais sur ma lyre, La briserait comme un roseau.
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Pour toujours !
François Coppée (1842-1908)
Poésie : Pour toujours ! Titre : Pour toujours ! Poète : François Coppée (1842-1908) L'espoir divin qu'à deux on parvient à former Et qu'à deux on partage, L'espoir d'aimer longtemps, d'aimer toujours, d'aimer Chaque jour davantage ; Le désir éternel, chimérique et touchant, Que les amants soupirent, A l'instant adorable où, tout en se cherchant, Leurs lèvres se respirent ; Ce désir décevant, ce cher espoir trompeur, Jamais nous n'en parlâmes ; Et je souffre de voir que nous en ayons peur, Bien qu'il soit dans nos âmes. Lorsque je te murmure, amant interrogé, Une douce réponse, C'est le mot : – Pour toujours ! – sur les lèvres que j'ai, Sans que je le prononce ; Et bien qu'un cher écho le dise dans ton cœur, Ton silence est le même, Alors que sur ton sein, me mourant de langueur, Je jure que je t'aime. Qu'importe le passé ? Qu'importe l'avenir ? La chose la meilleure, C'est croire que jamais elle ne doit finir, L'illusion d'une heure. Et quand je te dirai : – Pour toujours ! – ne fais rien Qui dissipe ce songe, Et que plus tendrement ton baiser sur le mien S'appuie et se prolonge !
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L'Ondine et le Pêcheur
Théophile Gautier (1811-1872)
Poésie : L'Ondine et le Pêcheur Titre : L'Ondine et le Pêcheur Poète : Théophile Gautier (1811-1872) Tous les jours, écartant les roseaux et les branches, Près du fleuve où j'habite un pêcheur vient s'asseoir — Car sous l'onde il a vu glisser des formes blanches — Et reste là, rêveur, du matin jusqu'au soir. L'air frémit, l'eau soupire et semble avoir une âme, Un œil bleu s'ouvre et brille au cœur des nénufars, Un poisson se transforme et prend un corps de femme, Et des bras amoureux, et de charmants regards. « Pêcheur, suis-moi ; je t'aime. Tu seras roi des eaux, Avec un diadème D'iris et de roseaux ! « Perçant, sous l'eau dormante, Des joncs la verte mante, Auprès de ton amante Plonge sans t'effrayer : « À l'autel de rocailles, Prêt pour nos fiançailles, Un prêtre à mains d'écailles Viendra nous marier. « Pêcheur, suis-moi ; je t'aime. Tu seras roi des eaux, Avec un diadème D'iris et de roseaux ! » Et déjà le pêcheur a mis le pied dans l'onde Pour suivre le fantôme au regard fascinant : L'eau murmure, bouillonne et devient plus profonde, Et sur lui se ferme en tournant... « De ma bouche bleuâtre, Viens, je veux t'embrasser, Et de mes bras d'albâtre T'enlacer, Te bercer, Te presser ! « Sous les eaux, de sa flamme L'amour sait m'embraser. Je veux, buvant ton âme, D'un baiser M'apaiser, T'épuiser !... »
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Meschantes nuicts d'hyver
Pierre de Ronsard (1524-1585)
Poésie : Meschantes nuicts d'hyver Titre : Meschantes nuicts d'hyver Poète : Pierre de Ronsard (1524-1585) Recueil : Derniers vers (1586). Meschantes nuicts d'hyver, nuicts filles de Cocyte Que la terre engendra d'Encelade les seurs, Serpentes d'Alecton, et fureur des fureurs, N'aprochez de mon lict, ou bien tournez plus vitte. Que fait tant le soleil au gyron d'Amphytrite ? Leve toy, je languis accablé de douleurs, Mais ne pouvoir dormir c'est bien de mes malheurs Le plus grand, qui ma vie et chagrine et despite. Seize heures pour le moins je meur les yeux ouvers, Me tournant, me virant de droit et de travers, Sus l'un sus l'autre flanc je tempeste, je crie, Inquiet je ne puis en un lieu me tenir, J'appelle en vain le jour, et la mort je supplie, Mais elle fait la sourde, et ne veut pas venir.
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Amour me tue, et si je ne veux dire
Pierre de Ronsard (1524-1585)
Poésie : Amour me tue, et si je ne veux dire Titre : Amour me tue, et si je ne veux dire Poète : Pierre de Ronsard (1524-1585) Recueil : Le premier livre des Amours (1552). Amour me tue, et si je ne veux dire Le plaisant mal que ce m'est de mourir : Tant j'ai grand peur, qu'on veuille secourir Le mal, par qui doucement je soupire. Il est bien vrai, que ma langueur désire Qu'avec le temps je me puisse guérir : Mais je ne veux ma dame requérir Pour ma santé : tant me plaît mon martyre. Tais-toi langueur je sens venir le jour, Que ma maîtresse, après si long séjour, Voyant le soin qui ronge ma pensée, Toute une nuit, folâtrement m'ayant Entre ses bras, prodigue, ira payant Les intérêts de ma peine avancée.
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À la forêt de Gastine
Pierre de Ronsard (1524-1585)
Poésie : À la forêt de Gastine Titre : À la forêt de Gastine Poète : Pierre de Ronsard (1524-1585) Recueil : Les Odes (1550-1552). Couché sous tes ombrages verts, Gastine, je te chante Autant que les Grecs, par leurs vers La forêt d'Érymanthe : Car, malin, celer je ne puis À la race future De combien obligé je suis À ta belle verdure, Toi qui, sous l'abri de tes bois, Ravi d'esprit m'amuses ; Toi qui fais qu'à toutes les fois Me répondent les Muses ; Toi par qui de l'importun soin Tout franc je me délivre, Lorsqu'en toi je me perds bien loin, Parlant avec un livre. Tes bocages soient toujours pleins D'amoureuses brigades De Satyres et de Sylvains, La crainte des Naïades ! En toi habite désormais Des Muses le collège, Et ton bois ne sente jamais La flamme sacrilège !
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Éclairage à perte de vue
Louis Aragon (1897-1982)
Poésie : Éclairage à perte de vue Titre : Éclairage à perte de vue Poète : Louis Aragon (1897-1982) Recueil : Feu de joie (1920). Je tiens ce nuage or et mauve au bout d'un jonc L'ombrelle ou l'oiselle ou la fleur La chevelure Descend des cendres du soleil se décolore Entre mes doigts Le jour est gorge-de-pigeon Vite un miroir Participé-je à ce mirage Si le parasol change en paradis le sol Jouons À l'ange À la mésange Au passereau Mais elles qui vaincraient les grêles et l'orage Mes ailes oublieront les bras et les travaux Plus léger que l'argent de l'air où je me love Je file au ras des rêts et m'évade du rêve La Nature se plie et sait ce que je vaux.
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Il parle encore
Paul Verlaine (1844-1896)
Poésie : Il parle encore Titre : Il parle encore Poète : Paul Verlaine (1844-1896) Ni pardon ni répit, dit le monde, Plus de place au sénat du loisir ! On rend grâce et justice au désir Qui te prend d'une paix si profonde, Et l'on eût fait trêve avec plaisir, Mais la guerre est jalouse : il faut vivre Ou mourir du combat qui t'enivre. Aussi bien tes vœux sont absolus Quand notre art est un mol équilibre. Nous donnons un sens large au mot : libre, Et ton sens va : Vite ou jamais plus. Ta prière est un ordre qui vibre ; Alors nous, indolents conseilleurs, Que te dire, excepté : Cherche ailleurs ? Et je vois l'Orgueil et la Luxure Parmi la réponse : tel un cor Dans l'éclat fané d'un vil décor, Prêtant sa rage à la flûte impure. Quel décor connu mais triste encor ! C'est la ville où se caille et se lie Ce passé qu'on boit jusqu'à la lie, C'est Paris banal, maussade et blanc, Qui chantonne une ariette vieille En cuvant sa « noce » de la veille Comme un invalide sur un banc. La Luxure me dit à l'oreille : Bonhomme, on vous a déjà donné. Et l'Orgueil se tait comme un damné. Ô Jésus, vous voyez que la porte Est fermée au Devoir qui frappait, Et que l'on s'écarte à mon aspect. Je n'ai plus qu'à prier pour la morte. Mais l'agneau, bénissez qui le paît ! Que le thym soit doux à sa bouchette ! Que le loup respecte la houlette ! Et puis, bon pasteur, paissez mon cœur : Il est seul désormais sur la terre, Et l'horreur de rester solitaire Le distrait en l'étrange langueur D'un espoir qui ne veut pas se taire, Et l'appelle aux prés qu'il ne faut pas. Donnez-lui de n'aller qu'en vos pas.
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Une beauté de quinze ans enfantine
Pierre de Ronsard (1524-1585)
Poésie : Une beauté de quinze ans enfantine Titre : Une beauté de quinze ans enfantine Poète : Pierre de Ronsard (1524-1585) Recueil : Le premier livre des Amours (1552). Une beauté de quinze ans enfantine, Un or frisé de maint crêpe anelet, Un front de rose, un teint damoiselet, Un ris qui l'âme aux Astres achemine ; Une vertu de telles beautés digne, Un col de neige, une gorge de lait, Un coeur jà mûr en un sein verdelet, En Dame humaine une beauté divine ; Un oeil puissant de faire jours les nuits, Une main douce à forcer les ennuis, Qui tient ma vie en ses doigts enfermée Avec un chant découpé doucement Ore d'un ris, or' d'un gémissement, De tels sorciers ma raison fut charmée.
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Tu m'as frappé, c'est ridicule
Paul Verlaine (1844-1896)
Poésie : Tu m'as frappé, c'est ridicule Titre : Tu m'as frappé, c'est ridicule Poète : Paul Verlaine (1844-1896) Tu m'as frappé, c'est ridicule, Je l'ai battue et c'est affreux : Je m'en repens et tu m'en veux. C'est bien, c'est selon la formule. Je n'avais qu'à me tenir coi Sous l'aimable averse des gifles De ta main experte en mornifles, Sans même demander pourquoi. Et toi, ton droit, ton devoir même, Au risque de t'exténuer, Il serait de continuer De façon extrême et suprême... Seulement, ô ne m'en veux plus, Encore que ce fût un crime De t'avoir faite ma victime... Dis, plus de refus absolus, Bats-moi, petite, comme plâtre, Mais ensuite viens me baiser, Pas ? quel besoin d'éterniser Une querelle trop folâtre. Pour se brouiller plus d'un instant, Le temps de nous faire une moue Qu'éteint un bécot sur la joue, Puis sur la bouche en attendant Mieux encor, n'est-ce pas, gamine ? Promets-le-moi sans biaiser. C'est convenu ? Oui ? Puis-je oser ? Allons, plus de ta grise mine !
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Épître à Sainte-Beuve
Charles Baudelaire (1821-1867)
Poésie : Épître à Sainte-Beuve Titre : Épître à Sainte-Beuve Poète : Charles Baudelaire (1821-1867) Tous imberbes alors, sur les vieux bancs de chêne Plus polis et luisants que des anneaux de chaîne, Que, jour à jour, la peau des hommes a fourbis, Nous traînions tristement nos ennuis, accroupis Et voûtés sous le ciel carré des solitudes, Où l'enfant boit, dix ans, l'âpre lait des études. C'était dans ce vieux temps, mémorable et marquant, Où forcés d'élargir le classique carcan, Les professeurs, encor rebelles à vos rimes, Succombaient sous l'effort de nos folles escrimes Et laissaient l'écolier, triomphant et mutin, Faire à l'aise hurler Triboulet en latin. - Qui de nous en ces temps d'adolescences pâles, N'a connu la torpeur des fatigues claustrales, - L'oeil perdu dans l'azur morne d'un ciel d'été, Ou l'éblouissement de la neige, - guetté, L'oreille avide et droite, - et bu, comme une meute, L'écho lointain d'un livre, ou le cri d'une émeute ? C'était surtout l'été, quand les plombs se fondaient, Que ces grands murs noircis en tristesse abondaient, Lorsque la canicule ou le fumeux automne Irradiait les cieux de son feu monotone, Et faisait sommeiller, dans les sveltes donjons, Les tiercelets criards, effroi des blancs pigeons ; Saison de rêverie, où la Muse s'accroche Pendant un jour entier au battant d'une cloche ; Où la Mélancolie, à midi, quand tout dort, Le menton dans la main, au fond du corridor, - L'oeil plus noir et plus bleu que la Religieuse Dont chacun sait l'histoire obscène et douloureuse, - Traîne un pied alourdi de précoces ennuis, Et son front moite encore des langueurs de ses nuits. - Et puis venaient les soirs malsains, les nuits fiévreuses, Qui rendent de leurs corps les filles amoureuses, Et les font, aux miroirs, - stérile volupté, - Contempler les fruits mûrs de leur nubilité, - Les soirs italiens, de molle insouciance, - Qui des plaisirs menteurs révèlent la science, - Quand la sombre Vénus, du haut des balcons noirs, Verse des flots de musc de ses frais encensoirs. - Ce fut dans ce conflit de molles circonstances, Mûri par vos sonnets, préparés par vos stances, Qu'un soir, ayant flairé le livre et son esprit, J'emportai sur mon coeur l'histoire d'Amaury. Tout abîme mystique est à deux pas du doute. - Le breuvage infiltré lentement, goutte à goutte, En moi qui, dès quinze ans, vers le gouffre entraîné, Déchiffrais couramment les soupirs de René, Et que de l'inconnu la soif bizarre alterre, - A travaillé le fond de la plus mince artère. - J'en ai tout absorbé, les miasmes, les parfums, Le doux chuchotement des souvenirs défunts, Les longs enlacements des phrases symboliques, - Chapelets murmurants de madrigaux mystiques ; - Livre voluptueux, si jamais il en fut. - Et depuis, soit au fond d'un asile touffu, Soit que, sous les soleils des zones différentes, L'éternel bercement des houles enivrantes, Et l'aspect renaissant des horizons sans fin Ramenassent ce coeur vers le songe divin, - Soit dans les lourds loisirs d'un jour caniculaire, Ou dans l'oisiveté frileuse de frimaire, - Sous les flots du tabac qui masque le plafond, J'ai partout feuilleté le mystère profond De ce livre si cher aux âmes engourdies Que leur destin marqua des mêmes maladies, Et, devant le miroir, j'ai perfectionné L'art cruel qu'un démon, en naissant, m'a donné, - De la douleur pour faire une volupté vraie, - D'ensanglanter un mal et de gratter sa plaie. Poète, est-ce une injure ou bien un compliment ? Car je suis vis à vis de vous comme un amant En face du fantôme, au geste plein d'amorces, Dont la main et dont l'oeil ont, pour pomper les forces, Des charmes inconnus. - Tous les êtres aimés Sont des vases de fiel qu'on boit, les yeux fermés, Et le coeur transpercé, que la douleur allèche, Expire chaque jour en bénissant sa flèche.
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Poème saturnien
Paul Verlaine (1844-1896)
Poésie : Poème saturnien Titre : Poème saturnien Poète : Paul Verlaine (1844-1896) Ce fut bizarre et Satan dut rire. Ce jour d'été m'avait tout soûlé. Quelle chanteuse impossible à dire Et tout ce qu'elle a débagoulé ! Ce piano dans trop de fumée Sous des suspensions à pétroles ! Je crois, j'avais la bile enflammée, J'entendais de travers mes paroles. Je crois, mes sens étaient à l'envers, Ma bile avait des bouillons fantasques. Ô les refrains de cafés-concerts, Faussés par le plus plâtré des masques ! Dans des troquets comme en ces bourgades, J'avais rôdé, suçant peu de glace. Trois galopins aux yeux de tribades Dévisageaient sans fin ma grimace. Je fus hué manifestement Par ces voyous, non loin de la gare, Et les engueulai si goulûment Que j'en faillis gober mon cigare. Je rentre : une voix à mon oreille, Un pas fantôme. Aucun ou personne ? On m'a frôlé. — La nuit sans pareille ! Ah ! l'heure d'un réveil drôle sonne.
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Sonnet
Auguste Angellier (1848-1911)
Poésie : Sonnet Titre : Sonnet Poète : Auguste Angellier (1848-1911) Recueil : À l'amie perdue (1896). " Où es-tu ? ", disait-elle, errant sur le rivage Où des saules trempaient leurs feuillages tremblants ; Et des larmes d'argent coulaient dans ses doigts blancs Quand elle s'arrêtait, les mains sur son visage. Et lui, errant aussi sur un sable sauvage Où des joncs exhalaient de longs soupirs dolents, Sous la mort du soleil, au bord des flots sanglants, S'écriait : " Où es-tu ? ", tordant ses mains de rage. Les échos qui portaient leurs appels douloureux Se rencontraient en l'air, et les mêlaient entre eux En une plainte unique à la fois grave et tendre ; Mais eux, que séparait un seul pli de terrain, Plus désespérément se cherchèrent en vain, Sans jamais s'entrevoir et sans jamais s'entendre.
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Petit nombril, que mon penser adore
Pierre de Ronsard (1524-1585)
Poésie : Petit nombril, que mon penser adore Titre : Petit nombril, que mon penser adore Poète : Pierre de Ronsard (1524-1585) Recueil : Le premier livre des Amours (1552). Petit nombril, que mon penser adore, Et non mon oeil qui n'eut onques le bien De te voir nu, et qui mérites bien Que quelque ville on te bâtisse encore ; Signe amoureux, duquel Amour s'honore, Représentant l'Androgyne lien, Combien et toi, mon mignon, et combien Tes flancs jumeaux folâtrement j'honore ! Ni ce beau chef, ni ces yeux, ni ce front, Ni ce doux ris ; ni cette main qui fond Mon coeur en source, et de pleurs me fait riche, Ne me sauraient de leur beau contenter, Sans espérer quelquefois de tâter Ton paradis, où mon plaisir se niche.
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La muse vénale
Charles Baudelaire (1821-1867)
Poésie : La muse vénale Titre : La muse vénale Poète : Charles Baudelaire (1821-1867) Recueil : Les fleurs du mal (1857). Sonnet. Ô muse de mon coeur, amante des palais, Auras-tu, quand Janvier lâchera ses Borées, Durant les noirs ennuis des neigeuses soirées, Un tison pour chauffer tes deux pieds violets ? Ranimeras-tu donc tes épaules marbrées Aux nocturnes rayons qui percent les volets ? Sentant ta bourse à sec autant que ton palais, Récolteras-tu l'or des voûtes azurées ? Il te faut, pour gagner ton pain de chaque soir, Comme un enfant de choeur, jouer de l'encensoir, Chanter des Te Deum auxquels tu ne crois guère, Ou, saltimbanque à jeun, étaler tes appas Et ton rire trempé de pleurs qu'on ne voit pas, Pour faire épanouir la rate du vulgaire.
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Les loups
Paul Verlaine (1844-1896)
Poésie : Les loups Titre : Les loups Poète : Paul Verlaine (1844-1896) Parmi l'obscur champ de bataille Rôdant sans bruit sous le ciel noir Les loups obliques font ripaille Et c'est plaisir que de les voir, Agiles, les yeux verts, aux pattes Souples sur les cadavres mous, — Gueules vastes et têtes plates — Joyeux, hérisser leurs poils roux. Un rauquement rien moins que tendre Accompagne les dents mâchant Et c'est plaisir que de l'entendre, Cet hosannah vil et méchant. — « Chair entaillée et sang qui coule Les héros ont du bon vraiment. La faim repue et la soif soûle Leur doivent bien ce compliment. « Mais aussi, soit dit sans reproche, Combien de peines et de pas Nous a coûtés leur seule approche, On ne l'imaginerait pas. « Dès que, sans pitié ni relâches, Sonnèrent leurs pas fanfarons Nos cœurs de fauves et de lâches, À la fois gourmands et poltrons, « Pressentant la guerre et la proie Pour maintes nuits et pour maints jours Battirent de crainte et de joie À l'unisson de leurs tambours. « Quand ils apparurent ensuite Tout étincelants de métal, Oh, quelle peur et quelle fuite Vers la femelle, au bois natal ! « Ils allaient fiers, les jeunes hommes, Calmes sous leur drapeau flottant, Et plus forts que nous ne le sommes Ils avaient l'air très doux pourtant. « Le fer terrible de leurs glaives Luisait moins encor que leurs yeux Où la candeur d'augustes rêves Éclatait en regards joyeux. « Leurs cheveux que le vent fouette Sous leurs casques battaient, pareils Aux ailes de quelque mouette, Pâles avec des tons vermeils. « Ils chantaient des choses hautaines ! Ça parlait de libres combats, D'amour, de brisements de chaînes Et de mauvais dieux mis à bas. — « Ils passèrent. Quand leur cohorte Ne fut plus là-bas qu'un point bleu, Nous nous arrangeâmes en sorte De les suivre en nous risquant peu. « Longtemps, longtemps rasant la terre, Discrets, loin derrière eux, tandis Qu'ils allaient au pas militaire, Nous marchâmes par rangs de dix, « Passant les fleuves à la nage Quand ils avaient rompu les ponts Quelques herbes pour tout carnage, N'avançant que par faibles bonds, « Perdant à tout moment haleine... Enfin une nuit ces démons Campèrent au fond d'une plaine Entre des forêts et des monts. « Là nous les guettâmes à l'aise, Car ils dormaient pour la plupart. Nos yeux pareils à de la braise Brillaient autour de leur rempart, « Et le bruit sec de nos dents blanches Qu'attendaient des festins si beaux Faisaient cliqueter dans les branches Le bec avide des corbeaux. « L'aurore éclate. Une fanfare Épouvantable met sur pied La troupe entière qui s'effare. Chacun s'équipe comme il sied. « Derrière les hautes futaies Nous nous sommes dissimulés Tandis que les prochaines haies Cachent les corbeaux affolés. « Le soleil qui monte commence À brûler. La terre a frémi. Soudain une clameur immense A retenti. C'est l'ennemi ! « C'est lui, c'est lui ! Le sol résonne Sous les pas durs des conquérants. Les polémarques en personne Vont et viennent le long des rangs. « Et les lances et les épées Parmi les plis des étendards Flambent entre les échappées De lumières et de brouillards. « Sur ce, dans ses courroux épiques La jeune bande s'avança, Gaie et sereine sous les piques, Et la bataille commença. « Ah, ce fut une chaude affaire : Cris confus, choc d'armes, le tout Pendant une journée entière Sous l'ardeur rouge d'un ciel d'août. « Le soir. — Silence et calme. À peine Un vague moribond tardif Crachant sa douleur et sa haine Dans un hoquet définitif ; « À peine, au lointain gris, le triste Appel d'un clairon égaré. Le couchant d'or et d'améthyste S'éteint et brunit par degré. « La nuit tombe. Voici la lune ! Elle cache et montre à moitié Sa face hypocrite comme une Complice feignant la pitié. « Nous autres qu'un tel souci laisse Et laissera toujours très cois, Nous n'avons pas cette faiblesse, Car la faim nous chasse du bois, « Et nous avons de quoi repaître Cet impérial appétit, Le champ de bataille sans maître N'étant ni vide ni petit. « Or, sans plus perdre en phrases vaines Dont quelque sot serait jaloux Cette heure de grasses aubaines, Buvons et mangeons, nous, les Loups ! »
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Un cabaret folâtre
Charles Baudelaire (1821-1867)
Poésie : Un cabaret folâtre Titre : Un cabaret folâtre Poète : Charles Baudelaire (1821-1867) Recueil : Les épaves (1866). Vous qui raffolez des squelettes Et des emblèmes détestés, Pour épicer les voluptés, (Fût-ce de simples omelettes !) Vieux Pharaon, ô Monselet ! Devant cette enseigne imprévue, J'ai rêvé de vous : À la vue Du Cimetière, Estaminet !
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À un enfant, fille du poète
Alphonse de Lamartine (1790-1869)
Poésie : À un enfant, fille du poète Titre : À un enfant, fille du poète Poète : Alphonse de Lamartine (1790-1869) Recueil : Méditations poétiques (1820). Céleste fille du poète, La vie est un hymne à deux voix. Son front sur le tien se reflète, Sa lyre chante sous tes doigts. Sur tes yeux quand sa bouche pose Le baiser calme et sans frisson, Sur ta paupière blanche et rose Le doux baiser à plus de son. Dans ses bras quand il te soulève Pour te montrer au ciel jaloux, On croit voir son plus divin rêve Qu'il caresse sur ses genoux ! Quand son doigt te permet de lire Les vers qu'il vient de soupirer, On dirait l'âme de sa lyre Qui se penche pour l'inspirer. Il récite ; une larme brille Dans tes yeux attachés sur lui. Dans cette larme de sa fille Son cœur nage ; sa gloire a lui ! Du chant que ta bouche répète Son cœur ému jouit deux fois. Céleste fille du poète, La vie est une hymne à deux voix.
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Adieux de l'hôtesse arabe
Victor Hugo (1802-1885)
Poésie : Adieux de l'hôtesse arabe Titre : Adieux de l'hôtesse arabe Poète : Victor Hugo (1802-1885) Puisque rien ne t'arrête en cet heureux pays, Ni l'ombre du palmier, ni le jaune maïs, Ni le repos, ni l'abondance, Ni de voir à ta voix battre le jeune sein De nos sœurs, dont, les soirs, le tournoyant essaim Couronne un coteau de sa danse, Adieu, voyageur blanc ! J'ai sellé de ma main, De peur qu'il ne te jette aux pierres du chemin, Ton cheval à l'œil intrépide ; Ses pieds fouillent le sol, sa croupe est belle à voir, Ferme, ronde et luisante ainsi qu'un rocher noir Que polit une onde rapide. Tu marches donc sans cesse ! Oh ! que n'es-tu de ceux Qui donnent pour limite à leurs pieds paresseux Leur toit de branches ou de toiles ! Qui, rêveurs, sans en faire, écoutent les récits, Et souhaitent, le soir, devant leur porte assis, De s'en aller dans les étoiles ! Si tu l'avais voulu, peut-être une de nous, Ô jeune homme, eût aimé te servir à genoux Dans nos huttes toujours ouvertes ; Elle eût fait, en berçant ton sommeil de ses chants, Pour chasser de ton front les moucherons méchants, Un éventail de feuilles vertes. Mais tu pars ! – Nuit et jour, tu vas seul et jaloux. Le fer de ton cheval arrache aux durs cailloux Une poussière d'étincelles ; A ta lance qui passe et dans l'ombre reluit, Les aveugles démons qui volent dans la nuit Souvent ont déchiré leurs ailes. Si tu reviens, gravis, pour trouver ce hameau, Ce mont noir qui de loin semble un dos de chameau ; Pour trouver ma hutte fidèle, Songe à son toit aigu comme une ruche à miel, Qu'elle n'a qu'une porte, et qu'elle s'ouvre au ciel Du côté d'où vient l'hirondelle. Si tu ne reviens pas, songe un peu quelquefois Aux filles du désert, sœurs à la douce voix, Qui dansent pieds nus sur la dune ; Ô beau jeune homme blanc, bel oiseau passager, Souviens-toi, car peut-être, ô rapide étranger, Ton souvenir reste à plus d'une ! Adieu donc ! – Va tout droit. Garde-toi du soleil Qui dore nos fronts bruns, mais brûle un teint vermeil ; De l'Arabie infranchissable ; De la vieille qui va seule et d'un pas tremblant ; Et de ceux qui le soir, avec un bâton blanc, Tracent des cercles sur le sable ! Le 24 novembre 1828.
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Le merle
Théophile Gautier (1811-1872)
Poésie : Le merle Titre : Le merle Poète : Théophile Gautier (1811-1872) Un oiseau siffle dans les branches Et sautille gai, plein d'espoir, Sur les herbes, de givre blanches, En bottes jaunes, en frac noir. C'est un merle, chanteur crédule, Ignorant du calendrier, Qui rêve soleil, et module L'hymne d'avril en février. Pourtant il vente, il pleut à verse ; L'Arve jaunit le Rhône bleu, Et le salon, tendu de perse, Tient tous ses hôtes près du feu. Les monts sur l'épaule ont l'hermine, Comme des magistrats siégeant. Leur blanc tribunal examine Un cas d'hiver se prolongeant. Lustrant son aile qu'il essuie, L'oiseau persiste en sa chanson, Malgré neige, brouillard et pluie, Il croit à la jeune saison. Il gronde l'aube paresseuse De rester au lit si longtemps Et, gourmandant la fleur frileuse, Met en demeure le printemps. Il voit le jour derrière l'ombre, Tel un croyant, dans le saint lieu, L'autel désert, sous la nef sombre, Avec sa foi voit toujours Dieu. A la nature il se confie, Car son instinct pressent la loi. Qui rit de ta philosophie, Beau merle, est moins sage que toi !
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