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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Citoyen français né en 1908, M. Paul Crémieux est retraité et réside à Marseille chez sa compagne. A l’époque des faits de la cause, il était président-directeur général de la SAPVIN (Société d’approvisionnements vinicoles), dont le siège se trouve à Marseille. A. Les visites domiciliaires et saisies de documents Lors d’une enquête portant sur la société SODEVIM, des agents des douanes saisirent en octobre 1976 des documents relatifs à des transactions commerciales entre la SAPVIN et des entreprises étrangères. A la suite de ces opérations, l’administration des douanes accomplit, du 27 janvier 1977 au 26 février 1980, quatre-vingt-trois actes de contrôle sous forme d’auditions et de descentes au siège de la SAPVIN, aux domicile et résidences du requérant ainsi que chez des tiers, au cours desquelles eurent lieu de nouvelles saisies. Chacune des visites en cause se fondait sur les articles 64 et 454 du code des douanes (paragraphes 19-20 ci-dessous). Effectuée par des fonctionnaires de la Direction nationale des enquêtes douanières ("la D.N.E.D.") et en présence d’un officier de police judiciaire, elle se traduisait par l’établissement d’un procès-verbal et donnait lieu à une audition ultérieure de M. Crémieux. Plusieurs visites de ce type se déroulèrent le 23 janvier 1979. L’une d’elles débuta à 7 h au domicile parisien du requérant, alors absent. Le fils de ce dernier reçut les agents des douanes, qui inspectèrent le bureau et emportèrent 518 documents, dont certains ne présentaient, d’après M. Crémieux, aucun lien avec l’enquête douanière; il apposa son paraphe en regard de la cotation des pièces. Arrivé à 9 h 10, le requérant signa avec son fils le procès-verbal; il conteste avoir pu, comme le soutient le Gouvernement, compulser lesdites pièces. Une autre visite commença à 8 h chez la compagne de M. Crémieux, que les fonctionnaires de la D.N.E.D. avaient, selon celui-ci, suivie jusque dans la salle de bains alors qu’elle souhaitait revêtir un peignoir. De nombreux papiers personnels furent saisis. Des visites domiciliaires touchèrent en outre des tiers qui entretenaient des relations d’affaires avec le requérant et sa société. Le 24 janvier puis le 17 mai 1979, des agents des douanes interrogèrent M. Crémieux. Le 16 février 1979, ils ouvrirent le coffre privé qu’il possédait au siège de la SAPVIN et y prirent dix-sept documents. B. Les procédures judiciaires La procédure pénale engagée contre le requérant Sur plainte de la direction interrégionale des douanes de la Méditerranée, le parquet de Marseille ouvrit une information judiciaire contre M. Crémieux et sept autres personnes, puis confia l’affaire à un juge d’instruction de cette ville le 16 juin 1981. Ce magistrat les inculpa le 29 novembre 1982 d’infractions à la législation et à la réglementation des relations financières avec l’étranger. L’administration des douanes ayant consenti à transiger avec les prévenus (paragraphe 23 ci-dessous) - l’intéressé devait verser 1 400 000 francs français (f) et la SAPVIN 20 000 000 f -, il rendit une ordonnance de non-lieu le 16 juin 1987. La procédure engagée par le requérant aux fins d’annulation des constats et saisies a) Devant le juge d’instruction de Marseille Le 8 août 1983 puis les 4 et 11 avril 1984, le requérant invita le juge d’instruction de Marseille à prononcer la nullité des procès- verbaux de constat et de saisie établis par les agents des douanes. Le 24 avril 1984, le magistrat rendit une ordonnance communiquant pour avis au procureur de la République de Marseille la procédure d’information suivie contre M. Crémieux et ses coïnculpés. L’administration des douanes et le ministère public conclurent à la validité des procès-verbaux en question et à la légalité des visites domiciliaires. b) Devant la chambre d’accusation de la cour d’appel d’Aix-en-Provence Par une ordonnance du 22 juin 1984, le juge d’instruction saisit directement la chambre d’accusation de la cour d’appel d’Aix-en- Provence afin qu’elle statuât sur la régularité de la procédure (article 171 du code de procédure pénale). Le 30 juillet 1984, elle déclara valables tous les procès-verbaux attaqués. Elle écarta en ces termes la demande du requérant tendant à voir reconnaître la caducité des articles 454 et 64 du code des douanes au regard des principes affirmés par le Conseil constitutionnel dans sa décision du 29 décembre 1983 (Journal officiel, 30 décembre 1983, p. 3871): "Attendu que Paul Crémieux fait état de ce que dans cette décision le Conseil constitutionnel a décidé que ‘pour faire pleinement droit de façon expresse tant aux exigences de la liberté individuelle et de l’inviolabilité du domicile qu’à celles de la lutte contre la fraude fiscale, les dispositions de l’article 89 de la loi de finances pour 1984 auraient dû être assorties de prescriptions et de précisions interdisant toute interprétation ou toute pratique abusive et ne sauraient dès lors, en l’état, être déclarées conformes à la Constitution’; Mais attendu que la chambre d’accusation ne peut se faire juge de la constitutionnalité des articles 454 et 64 du code des douanes sous quelque forme et à quelque sujet que cette inconstitutionnalité soit soutenue; Attendu que l’article 27 du code pénal déclare en effet coupables de forfaiture ‘les juges (...) qui arrêtent ou suspendent l’exécution d’une loi (...)’." La chambre d’accusation ne se prononça pas sur la question, soulevée par le requérant devant le magistrat instructeur, de la compatibilité des mesures douanières litigieuses avec l’article 8 (art. 8) de la Convention. c) Devant la Cour de cassation M. Crémieux se pourvut en cassation. Le premier de ses trois moyens se fondait, entre autres, sur la Convention: "Violation pour refus d’application des articles 62 et 66 de la Constitution du 4 octobre 1958 et 8 (art. 8) de la Convention (...), violation par fausse application des articles 64 et 454 du code des douanes, de l’article 593 du code de procédure pénale, En ce que l’arrêt attaqué a déclaré valables les visites domiciliaires effectuées, par application des articles 64 et 454 du code des douanes, entre le 27 janvier 1977 et le 26 février 1980, par les agents de l’administration des douanes accompagnés d’un officier de police judiciaire, et notamment celle du 23 janvier 1979 effectuée au domicile privé de l’exposant, Aux motifs que la chambre d’accusation ne peut se faire juge de la constitutionnalité des articles 454 et 64 du code des douanes sous quelque forme et à quelque sujet que cette inconstitutionnalité soit soutenue, et que l’article 127 du code pénal déclare en effet coupables de forfaiture ‘les juges (...) qui arrêtent ou suspendent l’exécution d’une loi’; Alors que, d’une part, l’article 66 de la Constitution du 4 octobre 1958 subordonne le droit d’investigation des agents de l’État au domicile privé d’un contrevenant à l’autorisation préalable de l’autorité judiciaire; que les articles 64 et 454 du code des douanes qui ne prévoyaient pas une telle garantie, antérieurement à la promulgation de la Constitution du 4 octobre 1958, ont ainsi été implicitement mais nécessairement abrogés par ce texte qui, conformément à son article 62, s’impose directement au juge sans que cette constatation implique un contrôle de constitutionnalité de la loi; que dès lors la chambre d’accusation a violé les textes susvisés; Alors que, d’autre part, les dispositions des articles 64 et 454 du code des douanes sont incompatibles avec celles de l’article 8 (art. 8) de la Convention (...) qui s’imposent directement au juge national, article 8 (art. 8) qui prévoit l’inviolabilité du domicile privé; qu’ainsi la chambre d’accusation a violé également les dispositions de ce traité; Alors que, subsidiairement, les articles 64 et 454 du code des douanes, à les supposer restés en vigueur après la promulgation de la Constitution du 4 octobre 1958, imposent, conformément aux prescriptions de la Constitution, aux agents de l’administration, lorsqu’ils procèdent à une visite au domicile privé d’une personne, d’avoir sollicité et obtenu une autorisation préalable de l’autorité judiciaire; que faute pour le procès-verbal de visite domiciliaire de mentionner que cette formalité a été remplie, il est entaché de nullité; que de ce chef encore la chambre d’accusation a violé les dispositions susvisées." La chambre criminelle de la Cour de cassation rejeta le pourvoi le 21 janvier 1985. Au sujet du moyen précité, elle déclara: "Attendu que les articles 454 et 64 du code des douanes qui résultent de la loi du 28 décembre 1966 sont de nature législative et n’ont fait l’objet d’aucune abrogation; que dès lors l’appréciation de leur constitutionnalité échappe à la compétence des juridictions de l’ordre judiciaire; qu’en outre les dispositions qu’ils contiennent répondent aux exigences de l’article 8 (art. 8) de la Convention (...), qui permet notamment, en son alinéa 2 (art. 8-2), l’ingérence d’une autorité publique dans le domicile d’un particulier lorsque celle-ci est ‘prévue par une loi, et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales’;" II. LE DROIT DOUANIER PERTINENT Les dispositions répressives du droit douanier passent en France pour former un droit pénal spécial. A. La constatation des infractions Les agents constateurs En ce qui concerne les agents constateurs, deux dispositions du code des douanes entrent en ligne de compte: Article 453 "Les agents ci-après désignés sont habilités à constater les infractions à la législation et à la réglementation des relations financières avec l’étranger: Les agents des douanes; Les autres agents de l’administration des finances ayant au moins le grade d’inspecteur; Les officiers de police judiciaire. Les procès-verbaux de constatation dressés par les officiers de police judiciaire sont transmis au ministre de l’économie et des finances qui saisit le parquet s’il le juge à propos." Article 454 "Les agents visés à l’article précédent sont habilités à effectuer en tous lieux des visites domiciliaires dans les conditions prévues par l’article 64 du présent code." Les visites domiciliaires a) Le régime applicable Au moment des visites litigieuses (23 janvier 1979), l’article 64 du code des douanes était ainsi rédigé: "1. Pour la recherche des marchandises détenues frauduleusement dans le rayon des douanes, à l’exception des agglomérations dont la population s’élève au moins à 2 000 habitants, ainsi que pour la recherche en tous lieux des marchandises soumises aux dispositions de l’article 215 ci- après, les agents des douanes peuvent procéder à des visites domiciliaires en se faisant accompagner d’un officier municipal du lieu ou d’un officier de police judiciaire. En aucun cas, ces visites ne peuvent être faites pendant la nuit. Les agents des douanes peuvent intervenir sans l’assistance d’un officier municipal du lieu ou d’un officier de police judiciaire: a) pour opérer les visites, recensements et contrôles à domicile chez les titulaires d’un compte ouvert d’animaux ou d’un titre de pacage; b) pour rechercher des marchandises qui, poursuivies à vue sans interruption dans les conditions prévues par l’article 332 ci-après, sont introduites dans une maison ou autre bâtiment même sis en dehors du rayon. S’il y a refus d’ouverture des portes, les agents des douanes peuvent les faire ouvrir en présence d’un officier municipal du lieu ou d’un officier de police judiciaire." b) Le régime ultérieur Les lois de finances des 30 décembre 1986 (article 80-I et II) et 29 décembre 1989 (article 108-III, 1 à 3) ont modifié l’article 64, qui se lit désormais ainsi: "1. Pour la recherche et la constatation des délits douaniers, visés aux articles 414 à 429 et 459 du présent code, les agents des douanes habilités à cet effet par le directeur général des douanes et droits indirects peuvent procéder à des visites en tous lieux, même privés, où les marchandises et documents se rapportant à ces délits sont susceptibles d’être détenus et procéder à leur saisie. Ils sont accompagnés d’un officier de police judiciaire. a) Hormis le cas de flagrant délit, chaque visite doit être autorisée par une ordonnance du président du tribunal de grande instance du lieu de la direction des douanes dont dépend le service chargé de la procédure, ou d’un juge délégué par lui. L’ordonnance n’est susceptible que d’un pourvoi en cassation selon les règles prévues par le code de procédure pénale; ce pourvoi n’est pas suspensif. Les délais de pourvoi courent à compter de la notification ou de la signification de l’ordonnance. L’ordonnance comporte: - le cas échéant, mention de la délégation du président du tribunal de grande instance; - l’adresse des lieux à visiter; - le nom et la qualité du fonctionnaire habilité qui a sollicité et obtenu l’autorisation de procéder aux opérations de visite. Le juge motive sa décision par l’indication des éléments de fait et de droit qu’il retient et qui laissent présumer, en l’espèce, l’existence des agissements frauduleux dont la preuve est recherchée. Si, à l’occasion de la visite, les agents habilités découvrent l’existence d’un coffre dans un établissement de crédit dont la personne occupant les lieux visités est titulaire et où des pièces, documents, objets ou marchandises se rapportant aux agissements visés au 1. sont susceptibles de se trouver, ils peuvent, sur autorisation délivrée par tout moyen par le juge qui a pris l’ordonnance, procéder immédiatement à la visite de ce coffre. Mention de cette autorisation est portée au procès-verbal prévu au b) du 2. Le juge doit vérifier de manière concrète que la demande d’autorisation qui lui est soumise est bien fondée; cette demande doit comporter tous les éléments d’information en possession de l’administration de nature à justifier la visite. Il désigne l’officier de police judiciaire chargé d’assister à ces opérations et de le tenir informé de leur déroulement. La visite s’effectue sous le contrôle du juge qui l’a autorisée. Lorsqu’elle a lieu en dehors du ressort de son tribunal de grande instance, il délivre une commission rogatoire, pour exercer ce contrôle, au président du tribunal de grande instance dans le ressort duquel s’effectue la visite. Le juge peut se rendre dans les locaux pendant l’intervention. A tout moment, il peut décider la suspension ou l’arrêt de la visite. L’ordonnance est notifiée verbalement et sur place au moment de la visite à l’occupant des lieux ou à son représentant qui en reçoit copie intégrale contre récépissé ou émargement au procès-verbal prévu au b) du 2. En l’absence de l’occupant des lieux ou de son représentant, l’ordonnance est notifiée après la visite par lettre recommandée avec avis de réception. La notification est réputée faite à la date de réception figurant sur l’avis. A défaut de réception, il est procédé à la signification de l’ordonnance dans les conditions prévues par les articles 550 et suivants du code de procédure pénale. Les délais et modalités de la voie de recours sont mentionnés sur les actes de notification et de signification. b) La visite ne peut être commencée avant six heures ni après vingt et une heures. Elle est effectuée en présence de l’occupant des lieux ou de son représentant; en cas d’impossibilité, l’officier de police judiciaire requiert deux témoins choisis en dehors des personnes relevant de son autorité ou de celle de l’administration des douanes. Les agents des douanes mentionnés au 1. ci-dessus, l’occupant des lieux ou son représentant et l’officier de police judiciaire peuvent seuls prendre connaissance des pièces et documents avant leur saisie. L’officier de police judiciaire veille au respect du secret professionnel et des droits de la défense conformément aux dispositions du troisième alinéa de l’article 56 du code de procédure pénale; l’article 58 de ce code est applicable. Le procès-verbal, auquel est annexé un inventaire des marchandises et documents saisis, est signé par les agents des douanes, l’officier de police judiciaire et par les personnes mentionnées au premier alinéa du présent b); en cas de refus de signer, mention en est faite au procès-verbal. Si l’inventaire sur place présente des difficultés, les pièces et documents saisis sont placés sous scellés. L’occupant des lieux ou son représentant est avisé qu’il peut assister à l’ouverture des scellés qui a lieu en présence de l’officier de police judiciaire; l’inventaire est alors établi. Une copie du procès-verbal et de l’inventaire est remise à l’occupant des lieux ou à son représentant. Un exemplaire du procès-verbal et de l’inventaire est adressé au juge qui a délivré l’ordonnance dans les trois jours de son établissement. Les agents des douanes peuvent intervenir sans l’assistance d’un officier de police judiciaire: a) pour opérer les visites, recensements et contrôles à domicile chez les titulaires d’un compte ouvert d’animaux ou d’un titre de pacage; b) pour rechercher des marchandises qui, poursuivies à vue sans interruption dans les conditions prévues par l’article 332 ci-après, sont introduites dans une maison ou autre bâtiment même sis en dehors du rayon. S’il y a refus d’ouverture des portes, les agents des douanes peuvent les faire ouvrir en présence d’un officier de police judiciaire." B. La poursuite des infractions Aux termes de l’article 458 du code des douanes, "La poursuite des infractions à la législation et à la réglementation des relations financières avec l’étranger ne peut être exercée que sur la plainte du ministre de l’économie et des finances ou de l’un de ses représentants habilités à cet effet." C. La transaction L’administration des douanes peut, sous certaines conditions, transiger avec les personnes poursuivies pour infractions douanières ou pour infractions à la législation et à la réglementation relatives aux relations financières avec l’étranger (article 350 du code des douanes). PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION M. Crémieux a saisi la Commission le 11 mars 1985 pour dénoncer les visites et saisies opérées à ses domicile et résidences par des agents des douanes. Il invoquait trois dispositions de la Convention: l’article 8 (art. 8), pour atteinte à son droit au respect de sa vie privée, de son domicile et de sa correspondance; l’article 6 par. 3 (art. 6-3), en raison de l’inobservation de formalités substantielles; l’article 10 (art. 10), pour méconnaissance de sa liberté d’expression. La Commission a retenu la requête (no 11471/85) le 19 janvier 1989. Dans son rapport du 8 octobre 1991 (article 31) (art. 31), elle conclut à l’absence de violation des articles 8 (art. 8) (onze voix contre sept), 6 par. 3 (art. 6-3) (unanimité) et 10 (art. 10) (unanimité). Le texte intégral de son avis et de l’opinion dissidente dont il s’accompagne figure en annexe au présent arrêt. CONCLUSIONS PRESENTEES A LA COUR Dans son mémoire, le Gouvernement a invité la Cour à "bien vouloir rejeter l’ensemble des griefs soulevés par M. Crémieux". Quant au conseil du requérant, il a demandé à la Cour de "dire et juger qu’il y a violation, en l’espèce, des articles 8, 10 et 6 par. 3 (art. 8, art. 10, art. 6-3) de la Convention (...); fixer la satisfaction équitable, conformément à l’article 50 (art. 50) et compte tenu de l’important préjudice moral subi, à la somme de 500 000 f; fixer les frais et dépens dus par la République française à un montant de 100 000 f; (...)"
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I. LES CIRCONSTANCES DE LA CAUSE En février 1973, Bernard Poitrimol épousa Catherine Bisserier. Deux enfants naquirent de leur union, les 23 janvier 1974 et 18 février 1975. A. La procédure en divorce Saisi par l’épouse du requérant, le tribunal de grande instance de Paris rendit, le 5 janvier 1982, un jugement de divorce aux torts exclusifs du mari; il confia la garde des enfants à la mère et accorda un droit de visite et d’hébergement au père. La cour d’appel de Paris réforma partiellement cette décision le 20 février 1984: elle prononça le divorce aux torts partagés des époux et maintint les autres dispositions, après avoir pris connaissance d’un rapport d’enquête sociale relatif aux conditions de vie des enfants avec leur mère. Le requérant ne se pourvut pas en cassation, mais déposa plainte contre son ex-épouse pour faux et usage de faux commis dans le cadre de la procédure en divorce. Le 7 juillet 1988, la cour d’appel de Paris condamna Mme Bisserier à une amende de 10 000 francs français (f) pour avoir produit quatre fausses attestations de ses employeurs. En septembre 1984, à l’occasion de l’exercice de son droit de visite, le requérant avait quitté le territoire français et emmené ses deux enfants en Turquie. M. Poitrimol demanda au juge aux affaires matrimoniales de Marseille, lieu du nouveau domicile de son ex-épouse, de lui attribuer la garde des enfants. Le 24 octobre 1985, ce magistrat la confia aux deux parents conjointement, avec obligation pour le père de revenir au moins momentanément en France, dans les trois mois, aux fins d’une audition des enfants. S’il ne respectait pas le délai imparti, et sauf cas de force majeure, la garde serait laissée exclusivement à la mère. B. La procédure pour non-représentation d’enfants Le 8 octobre 1984, Mme Bisserier porta plainte pour non-représentation d’enfants. Devant le tribunal correctionnel de Marseille Le 19 décembre 1985, le juge d’instruction renvoya le requérant devant le tribunal correctionnel de cette ville. M. Poitrimol ne rentra pas en France, mais sollicita le bénéfice de l’article 411 du code de procédure pénale (paragraphe 23 ci-dessous). Le tribunal le lui ayant accordé, il se fit représenter, à l’audience du 3 mars 1986, par deux avocats. Ils déposèrent des conclusions tendant à l’audition de leur client et de ses enfants par commission rogatoire et, subsidiairement, à sa relaxe. D’après eux, il avait agi sous l’effet d’une contrainte morale irrésistible résultant des menaces qui pesaient sur la santé physique et sur l’équilibre psychologique de ses enfants, compte tenu du comportement de la mère et de ses amants. Par un jugement contradictoire, le tribunal lui infligea le même jour un an d’emprisonnement et décerna un mandat d’arrêt à son encontre. Devant la cour d’appel d’Aix-en-Provence Le 5 mars 1986, M. Poitrimol interjeta appel par l’intermédiaire de ses avocats. Le ministère public en fit autant aussitôt après. Convoqué pour l’audience du 10 septembre 1986, le requérant ne s’y rendit pas en personne. Son avocat, Me Schmerber, précisa que son client voulait être jugé en son absence, son conseil entendu; il présenta des conclusions similaires à celles formulées en première instance. Par un arrêt avant dire droit, la cour d’appel d’Aix-en-Provence renvoya l’examen de l’affaire au 4 février 1987 et ordonna, en vertu du troisième alinéa de l’article 411 du code de procédure pénale, la réassignation du prévenu, dont elle estimait nécessaire la comparution. Le requérant ne se montra pas à l’audience. En revanche, Me Schmerber y assista. Il déposa des "conclusions d’incident" pour se voir adjuger celles du 10 septembre et être autorisé à représenter son client. La cour d’appel prononça le 25 février 1987, en vertu de l’article 410 du code de procédure pénale (paragraphe 23 ci-dessous), un arrêt contradictoire repoussant cette dernière demande par les motifs suivants: "Attendu que si le prévenu cité pour une infraction passible d’une peine d’emprisonnement, comme en l’espèce, inférieure à deux années, peut, par lettre adressée au président, demander à être jugé contradictoirement en son absence son conseil entendu, conformément aux alinéas 1 et 2 de l’article 411 du code de procédure pénale, il est toutefois de principe et il ressort du système général du code de procédure pénale qu’il s’agit d’une faculté qui ne s’applique pas aux prévenus qui, comme M. Poitrimol, font l’objet d’un mandat d’arrêt et sont en fuite et qui ne sont pas, dès lors, en droit de se faire représenter et de faire plaider pour eux (...); Que, dans ces conditions, la cour décide d’examiner le fond de l’affaire sans que le prévenu Poitrimol Bernard puisse se faire représenter par Me Schmerber." En outre, elle déclara irrecevables les conclusions du 10 septembre 1986 et confirma en tout point le jugement attaqué. Devant la Cour de cassation Par l’intermédiaire d’un avocat au Conseil d’État et à la Cour de cassation, le requérant forma un pourvoi contre cet arrêt. En substance, il plaida l’incompatibilité de l’article 411 susmentionné avec la Convention. Le 21 décembre 1987, la Cour de cassation déclara le pourvoi irrecevable aux motifs que "le condamné qui n’a pas obéi à un mandat d’arrêt décerné contre lui n’est pas en droit de se faire représenter et de donner mandat pour se pourvoir en cassation contre la décision le condamnant". M. Poitrimol présenta un recours en grâce, que le président de la République rejeta le 21 novembre 1989. II. LE DROIT INTERNE PERTINENT Les principales dispositions du code de procédure pénale mentionnées en l’espèce sont les suivantes: Article 410 "Le prévenu régulièrement cité à personne doit comparaître, à moins qu’il ne fournisse une excuse reconnue valable par la juridiction devant laquelle il est appelé. Le prévenu a la même obligation lorsqu’il est établi que, bien que même n’ayant pas été cité à personne, il a eu connaissance de la citation régulière le concernant dans les cas prévus par les articles 557, 558 et 560. Si ces conditions sont remplies, le prévenu non comparant et non excusé est jugé contradictoirement." La Cour de cassation estime ce texte compatible avec la Convention (16 décembre 1985, Beltikhine), mais il lui arrive de censurer un jugement ou arrêt qui n’a pas statué sur l’existence d’une excuse valable, invoquée par un prévenu (9 juin 1993, Grenier), ou constaté que celui-ci avait eu personnellement connaissance de la date d’audience (10 juin 1992, Tourtchaninoff). Article 411 "Le prévenu cité pour une infraction passible d’une peine d’amende ou d’une peine d’emprisonnement inférieure à deux années peut, par lettre adressée au président et qui sera jointe au dossier de la procédure, demander à être jugé en son absence. Dans ce cas, son défenseur est entendu. Toutefois, si le tribunal estime nécessaire la comparution du prévenu en personne, il est procédé à la réassignation du prévenu, à la diligence du ministère public, pour une audience dont la date est fixée par le tribunal. Le prévenu qui ne répondrait pas à cette invitation est jugé contradictoirement. Il est également jugé contradictoirement dans le cas prévu par le premier alinéa du présent article." D’après la jurisprudence de la Cour de cassation, lorsque le prévenu non comparant ni excusé est jugé contradictoirement, son défenseur ne saurait être entendu ni déposer de conclusions (chambre criminelle, 29 octobre 1970, Bulletin criminel (Bull.) no 284; 5 mai 1970, Bull. no 153). La voie de l’opposition (articles 489 et 512, ci-dessous) n’est pas ouverte contre un jugement ou arrêt contradictoire ou réputé contradictoire. Article 417 "Le prévenu qui comparaît a la faculté de se faire assister par un défenseur. S’il n’a pas fait ce choix avant l’audience et s’il demande cependant à être assisté, le président en commet un d’office. Le défenseur ne peut être choisi ou désigné que parmi les avocats inscrits à un barreau (...) L’assistance d’un défenseur est obligatoire quand le prévenu est atteint d’une infirmité de nature à compromettre sa défense." Article 489 "Le jugement par défaut est non avenu dans toutes ses dispositions si le prévenu forme opposition à son exécution. (...)" Article 512 "Les règles édictées pour le tribunal correctionnel sont applicables devant la cour d’appel (...)" Article 576 "La déclaration de pourvoi doit être faite au greffier de la juridiction qui a rendu la décision attaquée. Elle doit être signée par le greffier et par le demandeur en cassation lui-même ou par un avoué près la juridiction qui a statué, ou par un fondé de pouvoir spécial; dans ce dernier cas, le pouvoir est annexé à l’acte dressé par le greffier (...) (...)" Article 583 "Sont déclarés déchus de leur pourvoi les condamnés à une peine emportant privation de liberté pour une durée de plus de six mois, qui ne sont pas en état ou qui n’ont pas obtenu, de la juridiction qui a prononcé, dispense, avec ou sans caution, de se mettre en état. L’acte de leur écrou ou l’arrêt leur accordant dispense est produit devant la Cour de cassation, au plus tard au moment où l’affaire y est appelée. Pour que son recours soit recevable, il suffit au demandeur de justifier qu’il s’est constitué dans une maison d’arrêt, soit du lieu où siège la Cour de cassation, soit du lieu où a été prononcée la condamnation; le surveillant-chef de cette maison l’y reçoit sur l’ordre du procureur général près la Cour de cassation ou du chef du parquet de la juridiction du jugement." La Cour de cassation a déjà décidé à plusieurs reprises "qu’il résulte des principes généraux du code de procédure pénale que le condamné qui n’a pas obéi à un mandat de justice décerné contre lui et qui s’est dérobé à son exécution, n’est pas en droit de se pourvoir en cassation contre la décision le condamnant" (chambre criminelle, 30 novembre 1976 et 26 juin 1978, Juris-Classeur périodique (J.C.P.) 1980, II, 19437; 24 avril 1985, Bull. no 157; 10 décembre 1986, Recueil Dalloz-Sirey 1987, p. 165). Cependant, elle a précisé qu’il peut en aller autrement si le condamné justifie de circonstances l’ayant empêché de se soumettre en temps utile à l’action de la justice (chambre criminelle, 21 mai 1981, Bull. no 168). PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION M. Poitrimol a saisi la Commission le 21 avril 1988. Invoquant l’article 6 paras. 1 et 3 c) (art. 6-1, art. 6-3-c) de la Convention, il alléguait ne pas avoir joui d’un procès équitable en ce que la cour d’appel n’avait pas entendu son conseil et qu’il n’avait pu se pourvoir valablement en cassation. La Commission a retenu la requête (no 14032/88) le 10 juillet 1991. Dans son rapport du 3 septembre 1992 (article 31) (art. 31), elle conclut, par quatorze voix contre une, à la violation des paragraphes 1 et 3 c), combinés, de l’article 6 (art. 6-1, art. 6-3-c) pendant la procédure d’appel et du paragraphe 1 (art. 6-1) au stade de l’instance en cassation. Le texte intégral de son avis et de l’opinion dissidente dont il s’accompagne figure en annexe au présent arrêt. CONCLUSIONS PRESENTEES A LA COUR Dans son mémoire, le Gouvernement a demandé à la Cour "de bien vouloir rejeter les deux griefs soulevés par M. Poitrimol". De son côté, le requérant l’a priée de "dire qu’[il] n’a pas bénéficié, en particulier devant la cour d’appel d’Aix-en-Provence, d’un procès équitable et notamment du droit de se défendre, conformément à l’article 6 paras. 1 et 3 c) (art. 6-1, art. 6-3-c) de la Convention; dire que la Cour de cassation a porté atteinte aux garanties de l’article 6 par. 1 (art. 6-1), notamment (...) au droit à un procès équitable, en déclarant irrecevable le pourvoi du requérant".
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Citoyen tunisien né en 1951, M. Fahrat Saïdi exerce la profession d’artisan maçon et réside à Nice. A. L’enquête préliminaire Le 29 mai 1986, la police l’y interpella dans le cadre d’une enquête relative à deux décès - ceux de Mme Jovet (24 mai) et de M. Molinie (26 mai) - provoqués par l’injection d’héroïne; elle agissait sur la dénonciation de petits consommateurs et revendeurs de stupéfiants. Le lendemain, un inspecteur interrogea l’intéressé au sujet, notamment, de plusieurs personnes: "Q [question]: Connaissez-vous Allala le boiteux? R [réponse]: Je ne le connais pas. Il faudrait que je voie la personne. Q: Vous arrive-t-il de vous rendre au Claridge? R: Oui, je fréquente régulièrement cet endroit. Q: Une personne présente au cours d’un entretien que vous avez eu avec Allala le boiteux, vous met en cause comme étant celui qui a pris commande de dix grammes, au Claridge le 26 mai dernier. Qu’avez-vous à dire? R: Je ne sais pas si j’ai rencontré ce boiteux. Il faudrait que je puisse le voir, pour vous répondre affirmativement (...) (...) Q: Connaissez-vous un Tunisien assez âgé se prénommant Sadok? R: Je ne le connais pas. Il faudrait que je puisse le voir (...) Q: Un jeune homme qui ne se servait qu’auprès de vous directement est décédé lui aussi ces jours derniers des suites d’une overdose. Son copain qui est lui-même toxicomane et qui ne se sert que chez vous, vous met directement en cause comme étant celui qui leur a vendu la drogue qui a provoqué la mort de son ami. Expliquez- vous! R: Je n’ai jamais touché à la drogue et je n’en ai jamais fourni à personne. Je souhaiterais être confronté avec cette personne. SI [sur interpellation]: L’individu que vous venez de me présenter et que vous me dites se nommer Allala le boiteux fréquente effectivement le Claridge. Je le connais seulement de vue. Je n’ai pas de relations particulières avec lui. (...)" Le même jour, la police présenta M. Saïdi et deux autres personnes arrêtées (MM. Bousselmi et Hamza), à travers une glace sans tain, à trois toxicomanes - Mme Bentaieb et M. Hamdi Pacha, inculpés de détention, cession et usage d’héroïne, et M. Trihan - qui le reconnurent catégoriquement. B. L’instruction Toujours le 30 mai 1986, un juge d’instruction près le tribunal de grande instance de Nice inculpa M. Saïdi de détention et cession d’héroïne ainsi que d’homicide involontaire; il le plaça en détention provisoire par une ordonnance ainsi motivée: "Attendu que les faits sont très graves; que des investigations restent à effectuer; que des confrontations doivent se faire;" Sur commission rogatoire, la police recueillit la déposition de plusieurs témoins, toxicomanes ou anciens toxicomanes: M. Happe et Mme Evrard le 2 juin 1986, M. Mazoyer le 5 juin et Mme Pothier le 10 juin. Elle leur montra des photographies, et tous identifièrent M. Saïdi et les deux autres inculpés comme des vendeurs de drogue. Le 6 juin 1986, l’avocat du requérant adressa au juge d’instruction la lettre ci-après: "J’ai l’honneur de vous prier, au nom de M. Saïdi Fahrat, que j’ai vu à la maison d’arrêt de Nice, de bien vouloir envisager dès que possible sa confrontation avec les personnes qui l’ont dénoncé. Saïdi Fahrat conteste s’être livré au trafic de stupéfiants dont on l’accuse et voudrait pouvoir se justifier." Le 5 novembre 1986, le juge en question entendit M. Nenouchi, un ami d’une des victimes - M. Molinie -, venu spontanément témoigner contre M. Saïdi, qu’il décrivit comme son ancien fournisseur de drogue. Interrogé le 14 novembre 1986 par le magistrat instructeur, M. Saïdi déclara entre autres: "SI: Vous me dites que je suis mis en cause par les nommés Trihan (...), Mazoyer (...), Nenouchi (...), qui sont tous toxicomanes et qui prétendent que je leur vendais de la drogue: c’est faux, je demande à être confronté." Le 24 novembre 1986, le conseil de l’intéressé écrivit derechef au juge d’instruction, dans les termes suivants: "A la suite de l’interrogatoire auquel vous avez procédé le 14 novembre, j’ai l’honneur de solliciter comme il vous l’a déjà directement demandé, la confrontation de M. Saïdi Fahrat avec les personnes qui l’accusent." Par une ordonnance du 4 décembre 1986, le magistrat instructeur décida de maintenir le requérant en détention provisoire. Le même jour, il renvoya en jugement M. Saïdi et quatre autres personnes sous la prévention suivante: "Bentaieb et [Hamdi] Pacha: d’avoir à Nice, courant 1985 et 1986, contrevenu aux dispositions réglementaires concernant les substances vénéneuses en détenant, cédant et faisant illicitement usage d’héroïne, stupéfiant classé au tableau B; Bousselmi, Hamza Sadok, Saïdi Fahrat: d’avoir, dans les mêmes circonstances de temps et de lieu - contrevenu aux dispositions réglementaires concernant les substances vénéneuses en détenant, cédant de l’héroïne, stupéfiant classé au tableau B; - par maladresse, imprudence, inattention, négligence ou inobservation des règlements, involontairement causé la mort de Corinne Jovet et de Molinie Patrick." C. La procédure de jugement Devant le tribunal correctionnel de Nice Le 3 février 1987, le tribunal correctionnel de Nice infligea dix ans d’emprisonnement à M. Saïdi et à M. Bousselmi pour infraction à la législation sur les stupéfiants et homicides involontaires, trois ans à M. Hamza pour détention et cession d’héroïne, et trois ans à Mme Bentaieb et M. Hamdi Pacha, lesquels n’avaient pas comparu à l’audience, pour cession et usage de stupéfiants. Il s’appuyait sur les motifs que voici: "(...) Dans la soirée du 29 mai 1986, Saïdi Fahrat et Bousselmi Allala étaient interpellés; Bousselmi Allala permettait à son tour l’interpellation de son intermédiaire, Hamza Sadok, en désignant l’adresse et le prénom de cet individu. Les trois hommes étaient formellement reconnus par le couple Hamdi Pacha Abdel et Bentaieb Saïda; Saïdi Fahrat était en outre reconnu par Jean-Pierre Trihan. Au cours de leurs auditions, les nommés Bousselmi Allala, Saïdi Fahrat et Hamza Sadok niaient toutes les accusations portées contre eux, bien que celles-ci fussent concordantes et formulées par des personnes qui ne se connaissaient pas entre elles. Les premiers témoins entendus devaient par la suite préciser les rôles de chacun. Ainsi Happe Alain et Evrard Michèle reconnaissaient formellement sur une planche photographique Bousselmi Allala, Hamza Sadok et Saïdi et précisaient que le dénommé Bousselmi vendait la drogue par l’intermédiaire de Hamza Sadok, Saïdi Fahrat étant le grossiste. D’autres témoins mettaient ensuite en cause ces trois mêmes individus. Mazoyer Christian, toxicomane notoire, affirmait en effet avoir acheté de février à avril 1986 un gramme et demi à deux grammes d’héroïne à Saïdi Fahrat. Il précisait que ce dernier était le fournisseur attitré des prostituées et des travestis. Pothier Valérie, également toxicomane, déclarait avoir acheté dans le courant de l’année 1985, de la drogue au `Boiteux’. Elle indiquait qu’à l’époque Bousselmi Allala livrait directement les toxicomanes. Elle connaissait aussi Saïdi Fahrat par son prénom, en qualité de vendeur de drogue. Cependant, les trois hommes, Saïdi Fahrat, Bousselmi Allala et Hamza Sadok, devaient persister à réfuter l’ensemble des accusations portées à leur encontre, aussi bien devant le juge d’instruction qu’à l’audience. (...) Attendu que Bousselmi Allala et Saïdi Fahrat ont été formellement mis en cause par certains de leurs clients habituels (Alain Happe (...), Michèle Evrard (...), Christian Mazoyer (...), Valérie Pothier (...), Patricia Rogowicz (...)), et par ceux-là même qui assuraient certaines de leurs livraisons (Bentaieb (...), Abdel Hamdi Pacha (...)); que le rôle de chacun d’eux est décrit avec précision à plusieurs reprises, Bousselmi élément central du trafic qui recevait les commandes, percevait le prix et ordonnait la livraison, Saïdi fournisseur du précédent et désigné comme un vendeur d’héroïne en quantités importantes; Attendu qu’il apparaît formellement de l’entourage immédiat des toxicomanes décédés de surdose que la drogue fatale avait été vendue par Bousselmi, lequel avait été approvisionné par Saïdi; que les constatations effectuées par les médecins légistes sur les corps des victimes ne laissent aucun doute sur le lien direct de causalité entre l’absorption de la drogue utilisée et le décès survenu très peu de temps après les injections." Le tribunal prononça en outre à l’encontre du requérant ainsi que de MM. Bousselmi et Hamza, eux aussi de nationalité tunisienne, une interdiction définitive du territoire français. Devant la cour d’appel d’Aix-en-Provence Sur appel de M. Saïdi, de M. Bousselmi et du ministère public, la cour d’Aix-en-Provence statua le 1er octobre 1987. Déclarant les prévenus coupables d’un seul homicide involontaire - sur la personne de M. Molinie -, elle ramenait la peine de M. Saïdi à huit ans d’emprisonnement et celle de M. Bousselmi à six ans, mais confirmait l’interdiction définitive du territoire français. Son arrêt comprenait les indications suivantes: "(...) Attendu que les prévenus, comme ils l’ont fait tout au cours de l’enquête, de l’information et des débats devant les premiers juges, ont formellement contesté les délits reprochés; Qu’ils ont fait plaider leur relaxe et insisté sur l’insuffisance de l’information et en particulier l’absence de toute confrontation avec les personnes qui les ont mis en cause; (...) Après l’interpellation de Saïdi Fahrat, ce dernier était présenté à Trihan derrière une glace sans tain et ce dernier déclarait textuellement: ‘C’est bien la personne à laquelle je m’adresse pour acheter de la poudre lors de mes passages à Nice. C’est bien celle qui nous a servis, Patrick Molinie et moi-même, le soir du 24 mai 1986.’ Au cours de l’information et sur commission rogatoire, les policiers présentaient des photographies d’individus à Happe Alain (...) et Evrard Michèle (...) Ces derniers reconnaissaient formellement parmi ces photographies Bousselmi Allala, Hamza Sadok et Saïdi Fahrat. Pour Happe, Bousselmi Allala est son fournisseur de drogue et celui de Corinne Jovet. Il la faisait en fait livrer par Hamza Sadok. Quant à Saïdi Fahrat, c’est bien le grossiste qui approvisionnait Bousselmi et Hamza. Pour Evrard Michèle, Bousselmi lui avait livré de la drogue par l’intermédiaire de Bentaieb Saïda. Hamza Sadok servait de `garde-drogue’ à Bousselmi Allala, et Saïdi Fahrat était un grossiste en héroïne. D’autres toxicomanes, Mazoyer Christian dit `Barbara’ (...), Pothier Valérie (...) et Nenouchi Marcel dit `Sabrina’ (...), mettaient aussi en cause Saïdi Fahrat et Bousselmi Allala. L’autopsie du corps des deux victimes, Molinie Patrick (...) et Jovet Corinne (...), mettait en évidence leur toxicomanie, des traces récentes et contemporaines du décès d’injections intraveineuses. Dans les deux cas la cause de la mort est selon les experts commis due à un oedème aigu du poumon d’origine toxique, vraisemblablement par injection massive d’héroïne. (...) Attendu, en ce qui concerne le délit d’infraction à la législation sur les stupéfiants, que la cour adopte les motifs pertinents des premiers juges pour retenir la culpabilité de Bousselmi Allala et de Saïdi Fahrat; Qu’en effet, les déclarations concordantes et renouvelées de leurs revendeurs, Bentaieb Saïda et Hamdi Pacha Abdel, de leurs acheteurs, Happe Alain, Evrard Michèle, Rogowicz Patricia, Trihan Jean-Pierre, Mazoyer Christian, Pothier Valérie et Nenouchi Marcel, sont suffisamment convaincantes pour établir le délit qui leur est reproché et aussi le rôle qu’ils ont joué dans la revente d’héroïne à Nice; Que, si les policiers et le magistrat instructeur n’ont pas procédé à leur confrontation avec leurs accusateurs, les procédés de reconnaissance qui ont été utilisés (présentation derrière une glace sans tain et présentation de planches photographiques comportant leur photographie) démontrent suffisamment que, pour des raisons qui leur sont personnelles, les revendeurs et les toxicomanes entendus ne voulaient pas être confrontés physiquement avec eux; Que des confrontations, même si elles avaient abouti à des rétractations, n’auraient pas pour autant fait perdre leur valeur aux déclarations réitérées des revendeurs et des acheteurs; Attendu qu’il est suffisamment établi par l’enquête et l’information que Saïdi Fahrat a bien vendu à Trihan Jean-Pierre et Molinie Patrick l’héroïne qui, à la suite de son injection, a entraîné un malaise chez Trihan et le décès de Molinie; (...)" Devant la Cour de cassation M. Saïdi se pourvut en cassation. Son unique moyen se lisait ainsi: "Violation des principes généraux de la procédure pénale, de l’article 6 par. 3 d) (art. 6-3-d) de la Convention (...); en ce que la cour d’appel a condamné le prévenu des chefs de trafic de stupéfiants et d’homicide involontaire; alors, d’une part, que les juges du fond pour se prononcer sur la culpabilité du prévenu ont exclusivement retenu son identification au moyen d’une reconnaissance indirecte par les témoins qui l’ont examiné derrière une glace sans tain; que ce procédé est contraire à la loyauté de l’information et ne peut constituer un mode de preuve admis par la procédure pénale; alors, d’autre part, qu’en refusant la confrontation du prévenu avec des personnes qui l’ont accusé et qu’il n’a jamais vues ni pu interroger, l’arrêt attaqué a violé le droit pour le prévenu d’interroger les témoins à charge." Le 19 août 1988, la chambre criminelle de la Cour de cassation rejeta le pourvoi par les motifs ci-après: "Attendu qu’il appert de l’arrêt attaqué que pour condamner Fahrat Saïdi des chefs de trafic d’héroïne et d’homicide involontaire sur la personne de Patrick Molinie, décédé des suites d’une injection massive de ce produit stupéfiant, la cour d’appel retient que deux procédés de reconnaissance ont été utilisés par les policiers enquêteurs, la présentation derrière une glace sans tain et l’examen de planches photographiques, qui ont permis à divers témoins, nommément cités par l’arrêt, d’identifier Saïdi comme étant la personne qui fournissait l’héroïne; que, selon la cour d’appel, les déclarations concordantes et réitérées des revendeurs et des acheteurs de stupéfiants fournis par Saïdi ainsi que les éléments de l’enquête et de l’information sont suffisamment convaincants pour établir le rôle du prévenu et sa culpabilité dans les faits qui lui sont reprochés; Attendu qu’en l’état de ces constatations et énonciations déduites d’une appréciation souveraine par les juges du fond de la valeur des éléments de preuve contradictoirement débattus et alors qu’il ne résulte ni des mentions de l’arrêt attaqué, ni d’aucunes conclusions régulièrement déposées que le prévenu ait présenté devant les juges une demande de confrontation, la cour d’appel a, sans méconnaître les principes généraux de la procédure pénale et les dispositions de l’article 6 par. 3 d) (art. 6-3-d) de la Convention (...), justifié sa décision et donné une base légale à l’arrêt attaqué;" D. Les événements ultérieurs Le 5 janvier 1990, la cour d’appel d’Aix-en-Provence déclara irrecevable une demande de M. Saïdi en relèvement de l’interdiction définitive du territoire français prononcée par les juges du fond. Contre cet arrêt, le requérant forma un pourvoi en cassation. Il recouvra la liberté le 17 août 1991, après cinq ans, deux mois et dix-sept jours de détention. Le même jour, il refusa de se soumettre à une mesure de reconduite à la frontière, ce qui lui valut d’être condamné par le tribunal correctionnel de Créteil. En appel, la cour de Paris lui infligea une peine de six mois d’emprisonnement, assortie d’une interdiction du territoire français pour dix ans. L’intéressé saisit la même juridiction d’une demande en relèvement de ladite interdiction, qui fut débattue à l’audience du 22 janvier 1993 et renvoyée à celle du 7 mai. La Cour ne possède pas de renseignements sur l’issue du pourvoi et de la demande en relèvement. II. L’AUDITION DES TÉMOINS EN MATIÈRE CORRECTIONNELLE A. Les juridictions d’instruction Le juge d’instruction Au niveau du juge d’instruction, trois dispositions du code de procédure pénale entrent en ligne de compte en l’espèce: Article 101 "Le juge d’instruction fait citer devant lui, par un huissier ou par un agent de la force publique, toutes les personnes dont la déposition lui paraît utile (...) Les témoins peuvent aussi être convoqués par lettre simple, par lettre recommandée ou par la voie administrative; ils peuvent en outre comparaître volontairement." Article 102 "Ils sont entendus séparément, et hors la présence de l’inculpé, par le juge d’instruction assisté de son greffier; il est dressé procès-verbal de leurs déclarations. (...)" Article 118 "L’inculpé et la partie civile ne peuvent être entendus ou confrontés, à moins qu’ils n’y renoncent expressément, qu’en présence de leurs conseils ou eux dûment appelés. (...)" La chambre d’accusation En appel, l’instruction obéit à des règles équivalentes, prévues par le code de procédure pénale: Article 201 "La chambre d’accusation peut, dans tous les cas, à la demande du procureur général, d’une des parties ou même d’office, ordonner tout acte d’information complémentaire qu’elle juge utile. (...)" Article 205 "Il est procédé aux suppléments d’information conformément aux dispositions relatives à l’instruction préalable soit par un des membres de la chambre d’accusation, soit par un juge d’instruction qu’elle délègue à cette fin. (...)" B. Les juridictions de jugement L’audition des témoins par les juridictions correctionnelles de jugement obéit à un régime différent selon qu’elles statuent en première instance ou en appel. Le tribunal correctionnel La principale disposition du code de procédure pénale qui s’appliquât en l’occurrence figure à l’article 427, ainsi rédigé: "Hors les cas où la loi en dispose autrement, les infractions peuvent être établies par tout mode de preuve et le juge décide d’après son intime conviction. Le juge ne peut fonder sa décision que sur des preuves qui lui sont apportées au cours des débats et contradictoirement discutées devant lui." La cour d’appel Les règles de procédure édictées pour le tribunal correctionnel valent en principe aussi pour la cour d’appel. Elles subissent toutefois devant celle-ci une importante exception résultant du deuxième alinéa de l’article 513 du code de procédure pénale, ainsi libellé: "Les témoins ne sont entendus que si la cour a ordonné leur audition." Ce texte a donné lieu à une jurisprudence de la chambre criminelle de la Cour de cassation, laquelle paraît avoir opéré un revirement en 1989, donc après les faits de la cause. a) La jurisprudence jusqu’en 1989 La chambre criminelle a très tôt décidé que les juges d’appel n’étaient pas tenus d’ouïr à nouveau les témoins déjà entendus en première instance, même lorsque cette audition avait été demandée; elle les obligeait cependant à statuer sur les réquisitions prises et, en cas de refus, à en indiquer les motifs (30 octobre et 13 décembre 1890, Bulletin criminel (Bull.) nos. 212 et 253; 20 octobre 1892, Recueil périodique Dalloz (D.P.) 1894, I, p. 140; 13 janvier 1916, D.P. 1921, I, p. 63; 20 décembre 1955, Dalloz 1956, sommaires, p. 29). Si elles l’estimaient utile ou nécessaire, les juridictions d’appel pouvaient ordonner la comparution de témoins n’ayant pas déposé devant le tribunal correctionnel, mais elles motivaient suffisamment leur refus d’en convoquer si elles rendaient un arrêt déclarant qu’il n’y avait pas lieu à un complément d’information (20 octobre 1892, Bull. no 212; 9 février 1924, Bull. no 70; 5 novembre 1975, Bull. no 237, p. 629). b) La jurisprudence depuis 1989 La doctrine de la chambre criminelle semble avoir nettement évolué avec un arrêt Randhawa du 12 janvier 1989: "Attendu qu’aux termes de l’article 6, paragraphe 3 d) (art. 6-3-d), de la Convention européenne de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales, `tout accusé a droit notamment à interroger ou faire interroger les témoins à charge’; qu’il en résulte que, sauf impossibilité, dont il leur appartient de préciser les causes, les juges d’appel sont tenus, lorsqu’ils en sont légalement requis, d’ordonner l’audition contradictoire des témoins à charge qui n’ont, à aucun stade de la procédure, été confrontés avec le prévenu; Attendu que Sarb Randhawa, prévenu de trafic de stupéfiants et infraction douanière, a déposé devant la cour d’appel des conclusions demandant que soient entendus contradictoirement les témoins Joris Suray et Catherine Guillaume qu’il avait fait citer et sur les dépositions desquels reposait exclusivement, selon ses dires, la déclaration de culpabilité; qu’il précisait qu’il n’avait pu à aucun moment de la procédure les faire interroger; Attendu que pour rejeter ces conclusions et bien qu’il fonde la culpabilité du prévenu sur les seules déclarations des témoins précités, l’arrêt attaqué se borne à relever que les témoins dont la comparution était réclamée avaient été entendus lors de l’enquête préliminaire et de l’instruction préparatoire et que le prévenu avait été informé des charges découlant de leurs déclarations; Mais attendu que si le refus d’entendre un témoin à charge n’enfreint pas, en tant que tel, les dispositions susvisées de la Convention, les juges pouvant tenir compte des difficultés particulières posées par l’audition contradictoire de ce témoin, tel le risque d’intimidations, de pressions ou de représailles, encore faut-il que ce refus ait lieu dans le respect des droits de la défense et que les juges s’expliquent sur l’impossibilité de la confrontation; Que tel n’est pas le cas en l’espèce et que la cassation est dès lors encourue; (...)" (Bull. 1989, no 13, pp. 37-38) Un arrêt X du 22 mars 1989 a confirmé cette solution (Bull. 1989, no 144, pp. 369-371; voir aussi les arrêts des 23 janvier, 6 mars et 9 octobre 1991, Bull. 1991, no 40, p. 102, no 115, p. 293, et no 336, p. 840). PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION M. Saïdi a saisi la Commission le 17 janvier 1989. Il se plaignait du refus des autorités judiciaires d’organiser une confrontation avec les témoins à charge qui l’avaient identifié; il l’estimait incompatible avec l’article 6 paras. 1 et 3 d) (art. 6-1, art. 6-3-d) de la Convention. La Commission a retenu la requête (no 14647/89) le 5 septembre 1991. Dans son rapport du 14 mai 1992 (article 31) (art. 31), elle conclut, par treize voix contre une, qu’il y a eu violation de l’article 6 paras. 1 et 3 d) (art. 6-1, art. 6-3-d). Le texte intégral de son avis et de l’opinion dissidente dont il s’accompagne figure en annexe au présent arrêt. CONCLUSIONS PRESENTEES A LA COUR Dans son mémoire, le Gouvernement "maintient, à titre principal, son exception préliminaire de non-épuisement des voies de recours internes et soutient, subsidiairement, que la requête est manifestement mal fondée".
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Citoyen néerlandais né en 1949, le requérant habite à La Haye. Soupçonné de faux en écritures, il y fut arrêté le 12 septembre 1983. Il resta en détention provisoire jusqu’au 16 décembre 1983, date à laquelle le procureur (Officier van Justitie) ordonna de l’élargir car on manquait de cellules aux Pays-Bas. Les débats se déroulèrent le 22 décembre 1983 devant le tribunal d’arrondissement (Arrondissementsrechtbank) de La Haye qui, le 5 janvier 1984, condamna l’intéressé à un an d’emprisonnement pour deux chefs de faux. Tant le parquet que M. Bunkate interjetèrent appel le même jour. Le requérant fut laissé en liberté en attendant l’issue de l’instance. Le 7 janvier 1984, deux jours après le jugement du tribunal d’arrondissement, il gagna la République dominicaine où il ne demeura que onze mois environ. Pendant son séjour, il se fit délivrer par les autorités dominicaines compétentes un certificat de décès à son nom, daté du 28 avril 1984. Le décès fut enregistré à La Haye le 18 mai 1984. Le requérant retourna aux Pays-Bas le 19 novembre 1984. Le 3 décembre, sa mère demanda au tribunal d’arrondissement de La Haye d’ordonner de supprimer la mention inscrite au registre des décès. Son voeu fut exaucé le 2 octobre 1985 et ladite mention biffée le 25 juin 1986. La cour d’appel (Gerechtshof) de La Haye examina le 14 mai 1985, en présence de l’intéressé, les appels dirigés contre le jugement du 5 janvier 1984 (paragraphe 10 ci-dessus). Le 28, elle déclara M. Bunkate coupable d’un seul des deux chefs de faux et l’acquitta de l’autre; elle porta néanmoins la peine à un an et quatre mois. Le requérant se pourvut en cassation le 10 juin 1985, dans le délai de deux semaines ouvert par le droit néerlandais, au moyen d’une déclaration au greffe de la cour d’appel de La Haye. Celui-ci transmit le dossier au greffe de la Cour de cassation (Hoge Raad), qui le reçut le 23 septembre 1986. L’audience fut fixée au 17 février 1987. Le conseil de l’intéressé soulevait deux moyens. D’après le premier, dès lors qu’à l’époque du procès en appel M. Bunkate continuait à figurer sur le registre des décès, il n’était pas officiellement en vie et il aurait donc fallu constater l’irrecevabilité des poursuites. Le second s’appuyait sur l’article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention: le greffe de la cour d’appel avait trop tardé à envoyer le dossier à la Cour de cassation; de plus, les actes dont le requérant restait accusé remontaient à près de cinq ans. Le conseil de l’intéressé affirmait avoir maintes fois essayé de savoir quand auraient lieu les débats. Sur les conclusions de son procureur général, déposées le 10 mars 1987, la Cour de cassation rejeta le recours le 26 mai 1987. Elle jugea que l’enregistrement du décès de M. Bunkate n’empêchait pas la cour d’appel d’admettre les poursuites, en raison de la comparution du prévenu devant elle, et deuxièmement que l’intervalle entre le pourvoi et son examen par la Cour suprême était exagéré, mais pas au point d’enfreindre l’article 6 par. 1 (art. 6-1). Elle ajouta, notamment, que si le conseil du requérant avait demandé la date de l’audience il n’en avait pas pour autant sollicité l’avancement. L’intéressé commença de subir sa peine le 29 août 1990; il recouvra sa liberté sous conditions le 18 mai 1991. II. DROIT ET PRATIQUE INTERNES PERTINENTS Pour un aperçu du droit et de la pratique internes pertinents, la Cour renvoie à son arrêt Abdoella c. Pays-Bas du 25 novembre 1992 (série A no 248-A, pp. 10-14, paras. 11-14). PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION M. Bunkate a saisi la Commission le 24 novembre 1987. Il se plaignait de la durée de la procédure dirigée contre lui, et spécialement du délai qui s’était écoulé entre l’arrêt de la cour d’appel et celui de la Cour de cassation. Il invoquait l’article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention. La Commission a retenu la requête (no 13645/88) le 8 juillet 1991. Dans son rapport du 1er avril 1992 (article 31) (art. 31), elle formule à l’unanimité l’opinion qu’il y a eu violation de l’article 6 par. 1 (art. 6-1). Le texte intégral de son avis figure en annexe au présent arrêt.
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Ancien officier de l'armée de terre, M. Aldo Massa habite Viareggio (province de Lucques). Le 9 mai 1967, il demanda au ministère de l'Education nationale de lui octroyer une pension de réversion à la suite du décès de son épouse, qui avait exercé la profession de directrice d'école. Le ministère lui opposa un refus par un décret du 21 mars 1968, notifié le 19 avril 1968. Arguant de l'inconstitutionnalité de ce texte au regard du principe d'égalité, garanti par l'article 3 de la Constitution, l'intéressé saisit la Cour des comptes, le 1er juillet 1968, d'un recours qu'elle rejeta le 6 février 1976. Le 25 janvier 1980, un arrêt de la Cour constitutionnelle vint reconnaître la rétroactivité de la loi n° 33 du 9 décembre 1977 sur l'égalité de traitement entre hommes et femmes en matière de travail. En conséquence, M. Massa pouvait désormais prétendre à une pension de réversion. Il s'adressa donc, le 20 octobre 1980, au ministère de l'Education nationale qui, le 16 mai 1981, lui répondit favorablement. Toutefois, la pension ne fut accordée qu'à compter du 18 décembre 1977, date de l'entrée en vigueur de ladite loi. Quelques mois auparavant, l'intéressé avait introduit auprès du président de la République, le 1er avril 1980, un recours "extraordinaire" pour se plaindre de sa situation. Le 23 avril 1985, le requérant invita la Cour des comptes à annuler la décision ministérielle du 16 mai 1981 et à lui allouer la pension litigieuse à partir du premier jour du mois suivant le décès de son épouse (le 23 mars 1967). Le 29 juin 1985, le dossier fut transmis au procureur général pour qu'il instruisît l'affaire et formulât ses conclusions, dont le dépôt eut lieu le 5 mars 1986. Le 10 janvier 1987, le président de la section compétente fixa au 11 mai 1987 la date des débats. Le 18 juillet 1986, le requérant avait fait parvenir au greffe un mémoire sollicitant un traitement plus rapide de sa cause, mais en vain. A l'audience, la Cour des comptes ordonna aux administrations concernées de lui communiquer certains documents dont elle avait besoin pour statuer. Ils furent versés au dossier les 19 janvier 1987, 28 décembre 1987 et 12 mars 1988. Là-dessus, l'inspection d'académie de Lucques suspendit l'exécution d'un décret par lequel le ministère de l'Education nationale avait arrêté, le 3 novembre 1986, le montant définitif de la pension. M. Massa en fut averti le 29 octobre 1987. Une audience qui devait se dérouler le 21 novembre 1990 fut renvoyée au 25 janvier 1991 à la demande du requérant. A cette date, la Cour des comptes accueillit les prétentions de l'intéressé. Le texte de sa décision fut déposé au greffe le 18 mars 1991. Le 19 novembre 1990, le requérant avait signalé à la Commission que son recours du 1er avril 1980 au président de la République n'avait toujours pas eu de suite. D'après les renseignements fournis par le Gouvernement et le conseil de l'intéressé, l'inspection d'académie a pris acte, le 3 août 1992, de l'arrêt de la Cour des comptes, permettant ainsi le versement de la pension litigieuse dès la fin du mois de novembre de la même année. Quant aux intérêts et à l'équivalent de la dépréciation de la monnaie, la direction départementale du Trésor devrait procéder sous peu à leur paiement. PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION M. Massa a saisi la Commission le 2 novembre 1988. Il alléguait que n'ayant pu jouir librement d'une pension de réversion, il avait subi une atteinte à son droit au respect de sa vie familiale (article 8 de la Convention) (art. 8); qu'il n'avait pas bénéficié d'un recours effectif (article 13) (art. 13) contre la décision de l'inspection d'académie de Lucques suspendant l'exécution du décret du 3 novembre 1986; enfin, que la durée de l'examen de son action devant la Cour des comptes et de son recours au président de la République avait dépassé le "délai raisonnable" prévu à l'article 6 par. 1 (art. 6-1). Le 8 juillet 1991, la Commission a retenu la requête (n° 14399/88) quant au grief tiré de la longueur de la procédure engagée le 23 avril 1985 devant la Cour des comptes; elle l'a rejetée pour le surplus. Dans son rapport du 13 mai 1992 (article 31) (art. 31), elle conclut, par six voix contre deux, à la violation de l'article 6 par. 1 (art. 6-1). Le texte intégral de son avis et de l'opinion dissidente dont il s'accompagne figure en annexe au présent arrêt*. _______________ * Note du greffier: pour des raisons d'ordre pratique il n'y figurera que dans l'édition imprimée (volume 265-B de la série A des publications de la Cour), mais on peut se le procurer auprès du greffe. _______________ CONCLUSIONS PRESENTEES A LA COUR PAR LE GOUVERNEMENT A l'audience, le Gouvernement a prié la Cour "de bien vouloir rejeter la requête de l'intéressé".
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M. Manlio Vendittelli, architecte, habite Rome. Le 19 mai 1986, la police urbaine (vigili urbani) de Rome apposa des scellés sur son appartement au motif qu’il aurait contrevenu aux règles d’urbanisme en vigueur. Le 20 mai 1986, le juge d’instance (pretore) de Rome confirma la mise sous séquestre (sequestro) et des poursuites pénales s’ouvrirent contre le requérant. Celui-ci présenta trois demandes de mainlevée le 30 mai 1986 et les 5 et 26 juin 1987, mais elles furent rejetées les 12 juin 1986 et 9 juillet 1987 pour des raisons d’ordre préventif et de sauvegarde des preuves (per fini preventivi e cautelari). Le 25 juillet 1987, l’intéressé sollicita la fixation d’une audience à bref délai, invoquant le préjudice que lui causait l’impossibilité de jouir de son bien. Fixés d’abord au 17 novembre 1987, les débats furent reportés au 15 décembre 1987. Par un jugement du même jour, déposé au greffe le 30 décembre 1987 et notifié le 1er décembre 1988, le juge d’instance condamna M. Vendittelli, présent au prononcé, à vingt jours d’emprisonnement et dix millions de lires d’amende, avec sursis et sans mention au casier judiciaire, pour avoir exécuté chez lui des travaux sans l’autorisation du maire (concessione edilizia). Ayant interjeté appel dans les trois jours du prononcé, le requérant présenta son mémoire le 10 décembre 1988, la notification faisant courir le délai de vingt jours pour la présentation des motifs. Le procès devant la cour d’appel de Rome débuta le 2 mai 1989. Il fut ajourné les 8 janvier et 27 mars 1990: la première fois à la demande de M. Vendittelli, à qui son médecin avait prescrit un repos de cinq jours, la seconde en raison d’un empêchement de son conseil. Entre-temps, le 13 janvier 1990, l’avocat avait déjà réclamé la reprise des débats. Par un arrêt du 4 juillet 1990, déposé au greffe le même jour et devenu définitif, donc exécutoire, le 30 octobre 1990, la cour d’appel constata l’extinction du délit et de l’action pénale par l’effet d’un décret présidentiel d’amnistie promulgué le 12 avril 1990. Elle n’ordonna cependant pas la mainlevée du séquestre. L’arrêt ne fut pas non plus notifié à l’intéressé, qui dut s’en procurer une copie au greffe le 5 décembre 1990. Dans l’intervalle, par une lettre du 19 juillet 1990, M. Vendittelli avait demandé la fixation d’une audience. Le 19 novembre 1990, le dossier fut expédié au juge d’instance pour archivage. Par une lettre du 10 décembre 1990, adressée au président de la cour d’appel de Rome mais transmise le 17 au tribunal d’instance (pretura), le requérant sollicita derechef la mainlevée du séquestre. Il se plaignait du mauvais état dans lequel se trouvait son appartement. Dès le 17 décembre, le greffier du tribunal communiqua le dossier au juge d’instance pour exécution de l’arrêt, c’est-à-dire la levée du séquestre. Le 31 janvier 1991, ledit magistrat se déclara incompétent et ordonna le retour des actes à la cour d’appel. Ils y parvinrent le lendemain. Le greffe central de la cour d’appel enregistra l’incident d’exécution (incidente di esecuzione) puis, le 11 février 1991, envoya le dossier au greffe de la deuxième chambre pénale. Les 10 avril et 9 mai 1991, M. Vendittelli réclama encore la mainlevée du séquestre. Par une ordonnance du 17 mai 1991, déposée le 21 mai, transmise le 23 mai à la mairie de Rome "pour l’exécution de ce qui y était ordonné" et notifiée au requérant le 3 juin, la cour d’appel de Rome accueillit la demande de l’intéressé et nota aussi qu’une autorisation du maire était intervenue entre-temps. PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION M. Vendittelli a saisi la Commission le 11 janvier 1989. Il se plaignait de la longueur des poursuites pénales dirigées contre lui (article 6 par. 1 de la Convention) (art. 6-1) ainsi que d’une atteinte à son droit au respect de ses biens, résultant de la durée de la procédure et du maintien du séquestre de son appartement après l’arrêt de la cour d’appel de Rome, rendu le 4 juillet 1990 (article 1 du Protocole no 1) (P1-1). La Commission a retenu la requête (no 14804/89) le 14 octobre 1992. Dans son rapport du 31 mars 1993 (article 31) (art. 31), elle exprime à l’unanimité l’opinion: - qu’il y a eu violation de l’article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention en raison de la durée excessive de la procédure; - qu’il ne s’impose pas de statuer sur le grief tiré de l’article 1 du Protocole no 1 (P1-1) et relatif à la durée de la procédure; - qu’il y a eu violation de l’article 1 du Protocole no 1 (P1-1) à cause du maintien des scellés après l’arrêt de la cour d’appel. Le texte intégral de son avis figure en annexe au présent arrêt.
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Citoyen néerlandais né en 1961, M. Radjinderpersad Roy Lala réside à La Haye. Il apparaît que dans une procédure antérieure aux événements incriminés et sans rapport avec eux, il fut condamné au paiement d’une amende convertible en une période de détention (hechtenis) à défaut de paiement. Le 19 novembre 1986, à l’issue d’un procès par défaut, le tribunal d’arrondissement (arrondissementsrechtbank) de La Haye le déclara coupable du délit (misdrijf) de faux en écriture (valsheid in geschrifte), au motif qu’il avait dissimulé un revenu de travail tout en bénéficiant d’allocations de sécurité sociale. Il le condamna à une peine de quatre semaines d’emprisonnement (gevangenisstraf), dont deux avec sursis pendant une période probatoire de trois ans, à condition, notamment, qu’il coopérât au remboursement de l’indu. L’intéressé attaqua la décision devant la cour d’appel (gerechtshof) de La Haye. Assigné à comparaître devant elle le 7 septembre 1987, il ne se présenta pas. Le compte rendu officiel de l’audience indique qu’il fut déclaré défaillant et contient le passage suivant: "Me A. G., avocat à La Haye, présent en qualité de conseil de l’accusé, déclare que son client ne comparaîtra pas à l’audience au motif que, redevable encore d’une amende qu’il est incapable d’acquitter, il court le risque d’être arrêté sur-le-champ pour accomplir la période de détention dont il est passible en cas de non-paiement." Dans son arrêt par défaut du 21 septembre 1987, la cour d’appel infirma le jugement du tribunal d’arrondissement pour des motifs techniques; elle condamna derechef M. Lala, mais réduisit sa peine à deux semaines d’emprisonnement. Par l’intermédiaire de son avocat, l’intéressé adressa un pourvoi à la Cour de cassation (Hoge Raad). Ceux de ses griefs qui sont pertinents en l’espèce peuvent se résumer comme suit: premièrement, la cour d’appel n’aurait pas permis à son conseil de parler le dernier comme la loi l’exige et, deuxièmement, non seulement elle n’aurait pas autorisé son conseil à assurer sa défense bien que celui-ci lui eût signalé par sa présence avoir cette intention, mais elle aurait omis de déterminer si M. Lala avait une raison impérieuse et légitime pour ne pas comparaître, auquel cas son conseil aurait dû être autorisé à le défendre en son absence. Dans son arrêt du 27 septembre 1988, la Cour de cassation examina tout d’abord le second moyen du requérant. Elle s’exprima ainsi: "Lorsque l’inculpé ne comparaît pas mais que son avocat est présent au début de l’audience, le tribunal peut supposer que ce dernier lui fera savoir s’il désire agir en qualité d’avocat de son client malgré l’absence de celui-ci. Comme le procès-verbal d’audience de la cour d’appel ne contient aucun élément permettant de conclure que l’avocat du requérant ait avisé la cour qu’il désirait agir en cette qualité, ni sa propre présence ni son explication de l’absence de son client ne peuvent être interprétées comme sous-entendant cette volonté, il faut considérer qu’il ne l’a pas fait. Dans ces circonstances, la cour d’appel n’était pas tenue de permettre à l’avocat du requérant d’agir en cette qualité lors du procès pénal concernant l’intéressé." Quant au premier moyen, la Cour de cassation considéra qu’il ressortait du compte rendu officiel de l’audience que l’avocat avait exposé les raisons de l’absence de son client, mais non qu’il avait agi en qualité de conseil de ce dernier pendant le procès. En conséquence, il fallait supposer qu’il n’avait pas agi de la sorte. Dès lors, la cour d’appel n’avait pas l’obligation de permettre à l’avocat de parler le dernier. II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS A. Jugement in absentia En général, l’accusé - s’il ne s’agit pas d’un jeune délinquant (article 500 h du code de procédure pénale (Wetboek van Strafvordering, CPP)) - n’a pas l’obligation de comparaître à l’audience. Le tribunal doit examiner d’office la validité de la citation (geldigheid der dagvaarding - article 348 CPP). Si, bien que dûment assigné, l’accusé ne comparaît pas à l’audience, le tribunal le déclare défaillant (verstek verlenen) et examine l’affaire en son absence. Telle est la règle, même si l’intéressé prévient à l’avance de son absence et demande le report de l’audience (voir notamment l’arrêt de la Cour de cassation du 26 février 1985, NJ (Nederlandse Jurisprudentie, Recueil de la jurisprudence néerlandaise) 1985, no 567) ou s’il soumet sa défense par écrit (voir l’arrêt de la Cour de cassation du 9 octobre 1990, NJ 1991, no 133), et même s’il n’encourt aucun reproche pour son absence (voir notamment les arrêts des 20 décembre 1977, NJ 1978, no 226, et 10 octobre 1989, NJ 1990, no 293). Les tribunaux ont le pouvoir d’enjoindre à l’accusé de comparaître ou de requérir la police de l’amener devant eux (article 272 CPP) mais ils en usent rarement, sauf s’il s’agit d’un délinquant mineur. Un accusé condamné par défaut en première instance peut former opposition (verzet - article 399 par. 1 CPP); il s’agit d’une voie de recours ordinaire en droit néerlandais. L’opposition confère à l’accusé le droit d’être entièrement rejugé par la même juridiction (article 403 CPP). La faculté d’opposition n’est pas reconnue à un accusé qui a, ou qui a eu, l’occasion d’interjeter appel devant une juridiction supérieure dotée de la plénitude de compétence (hoger beroep - article 399 par. 2 CPP). Cela signifie que la possibilité d’une opposition se limite aux cas où la loi n’autorise pas semblable appel, c’est-à-dire lorsque la peine ne dépasse pas une petite amende ou lorsque le tribunal d’arrondissement a connu en première instance d’une contravention (overtreding). Il résulte de l’article 339 par. 1 CPP qu’un jugement par défaut rendu en appel ne se prête pas à opposition. B. Droits de la défense en l’absence de l’accusé Représentation Il est des cas où l’accusé défaillant peut être représenté. Dans les espèces dont le tribunal d’arrondissement connaît en première instance, cette possibilité existe si l’infraction imputée au prévenu n’est pas passible d’une peine d’emprisonnement. Toutefois, le représentant doit être un avocat, et il lui incombe de déclarer avoir été expressément mandaté à cet effet (bepaaldelijk daartoe gevolmachtigd - article 270 CPP). A l’audience, le statut procédural du représentant est celui de l’accusé lui-même et non celui de conseil, même s’il s’agit d’un avocat (voir notamment l’arrêt de la Cour de cassation du 25 avril 1989, NJ 1990, no 91). Cela signifie que, comme le prévenu, il peut être interrogé par le tribunal et par le ministère public, ses déclarations pouvant être utilisées à titre de preuve (voir l’arrêt de la Cour de cassation du 13 février 1951, NJ 1951, no 476); il peut également être assisté d’un avocat - ou d’un autre avocat - agissant en qualité de conseil. Si la représentation est autorisée en première instance devant le tribunal d’arrondissement, elle l’est aussi au second degré devant la cour d’appel (article 415 CPP). Conduite de la défense La question - controversée en doctrine - de savoir si le prévenu déclaré défaillant a droit à voir sa défense assurée par son avocat a été tranchée par la Cour de cassation dans son arrêt du 23 novembre 1971 (NJ 1972, no 293). Bien que le procureur général (procureur-generaal) eût préconisé une réponse affirmative, la Cour de cassation aboutit à la conclusion opposée. Elle considéra que si pareil droit devait être reconnu, les procédures par défaut prendraient un caractère contradictoire, incompatible avec l’idée de base du code de procédure pénale qui veut qu’un accusé déclaré défaillant et condamné puisse toujours former opposition s’il a l’impression qu’il n’aurait pas été condamné si le tribunal avait entendu sa défense. Elle ajouta que s’il était vrai que depuis l’introduction du code de procédure pénale le droit de former opposition avait été considérablement écorné, le législateur n’avait pas pour autant modifié le caractère de la procédure par défaut. En conclusion, aucun article du code de procédure pénale ni aucun principe de droit non écrit ne donnait le droit à un accusé déclaré défaillant de voir sa défense assurée en son absence par son avocat. La Cour de cassation a toutefois admis qu’un tribunal peut, s’il l’estime bon, permettre au conseil d’un accusé déclaré défaillant de prendre la parole pour assurer la défense de son client. Ce pouvoir discrétionnaire est fréquemment utilisé. La Cour de cassation veille au strict respect de la règle selon laquelle le tribunal qui, en pareil cas, autorise l’avocat à s’exprimer doit lui reconnaître tous les droits appartenant normalement à la défense. Il ne peut lui imposer aucune restriction quant aux points qu’il souhaite aborder (arrêt du 19 mai 1987, NJ 1988, no 217) ni lui dénier le droit de parler le dernier (arrêt du 22 mars 1988, NJ 1989, no 13); s’il y a des témoins, il doit aussi le laisser les interroger (arrêt du 28 mai 1991, NJ 1991, no 729). En principe, la Cour de cassation se tient à la règle posée par elle (paragraphe 17 ci-dessus) qu’un accusé déclaré défaillant n’a pas le droit de voir sa défense assurée par son avocat, mais depuis son arrêt du 26 février 1980 (NJ 1980, no 246), elle admet de manière constante une exception: dans cet arrêt elle a jugé, sur la base notamment de l’article 6 (art. 6) de la Convention, qu’un tribunal est tenu d’autoriser un avocat à assurer la défense de son client déclaré défaillant si le tribunal estime que des "raisons impérieuses" (klemmende redenen) empêchent l’accusé de comparaître à l’audience et s’il n’aperçoit aucun motif de reporter l’examen de l’affaire. Elle a admis comme corollaire qu’il y a lieu en tout état de cause de donner au conseil, s’il le demande, l’occasion de plaider l’existence de semblables raisons (arrêts des 10 octobre 1989, NJ 1990, no 293, et 19 décembre 1989, NJ 1990, no 407). Dans son arrêt du 16 février 1988 (NJ 1988, no 794), la Cour de cassation a jugé qu’il y a "raison impérieuse" non seulement s’il est impossible pour l’accusé de comparaître, mais également si l’enjeu est tellement important pour lui que - eu égard à toutes les circonstances qui peuvent être jugées pertinentes - on ne peut raisonnablement attendre de lui qu’il comparaisse, et qu’il peut donc escompter, soit que l’on ajourne son procès jusqu’à une époque où il pourra y assister, soit que l’on autorise son avocat à assurer sa défense. La Cour de cassation a toujours refusé d’admettre comme "raison impérieuse" la possibilité d’une arrestation (voir notamment les arrêts des 24 novembre 1988, NJ 1988, no 638, et 9 février 1992, DD (Delikt en Delinkwent, délit et délinquant) no 93.292, et 4 mai 1993, DD no 93.396, ainsi que celui relatif à la présente espèce). Si le conseil souhaite assurer la défense de son client défaillant, il doit expressément en demander l’autorisation. Sa seule présence ne suffit pas (voir notamment les arrêts de la Cour de cassation des 14 novembre 1986, NJ 1987, no 862; 25 novembre 1986, NJ 1987, no 686; 8 décembre 1987, NJ 1988, no 704; 18 septembre 1989, NJ 1990, no 145; et 14 décembre 1993, DD no 94.166), pas plus d’ailleurs qu’une demande de report d’audience formulée par lui comme la Cour de cassation l’a jugé notamment dans son arrêt du 21 décembre 1993 (DD no 94.176). PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION M. Lala a saisi la Commission le 8 mars 1989. Invoquant l’article 6 paras. 1, 2 et 3 c) (art. 6-1, art. 6-2, art. 6-3-c) de la Convention, il se plaignait de ne pas avoir bénéficié d’un procès équitable, son conseil n’ayant pas été entendu par la cour d’appel et sa condamnation ayant été assise exclusivement sur les preuves produites par le ministère public. La Commission a retenu la requête (no 14861/89) le 21 octobre 1992. Dans son rapport du 4 mai 1993 (article 31) (art. 31), elle formule l’avis unanime qu’il y a eu violation de l’article 6 par. 1 combiné avec l’article 6 par. 3 c) (art. 6-1, art. 6-3-c) et qu’aucune question distincte ne se pose au regard de l’article 6 par. 2 (art. 6-2). Le texte intégral de son avis figure en annexe au présent arrêt. CONCLUSIONS PRESENTEES A LA COUR Dans son mémoire, le Gouvernement conclut qu’il "n’est (...) pas question, dans le cas de M. Lala, d’une violation de l’article 6 par. 3 c) (art. 6-3-c) ni de l’article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention".
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE M. Eusebio Ruiz Torija a la nationalité espagnole et réside à Madrid. Locataire d’un bar dans cette ville depuis 1960, il fit l’objet en 1988, devant le tribunal de première instance no 15 de Madrid, d’une action en résiliation du bail et expulsion (desahucio) engagée par le bailleur. Selon ce dernier, l’installation dans les locaux de machines à sous appartenant à une entreprise tierce, sans le consentement du propriétaire, équivalait à une cession ou sous-location partielle non autorisée et constituait une des possibles causes de rescision légalement prévues (paragraphe 13 ci-dessous). Le requérant consacra l’essentiel de son mémoire en réponse à soutenir la légalité de l’installation desdites machines et à dénoncer la mauvaise foi du demandeur. A la fin de ses conclusions "en droit", il ajouta: "Enfin, [j’invoque] la prescription de quinze ans frappant les actions personnelles prévue à l’article 1964 du code civil [paragraphe 15 ci-dessous], dont le délai, d’après l’article 1969, commence à courir le jour où l’action aurait pu être exercée, compte tenu du fait que, dans l’intervalle de plus de vingt-huit ans qui s’est écoulé depuis la signature du bail, [j’ai] pu, à tout moment et jusqu’ici sans aucune objection du bailleur, assurer ce type de prestations de services, habituels dans ce genre de commerce, sous la forme des machines récréatives de toutes sortes qui sont apparues successivement sur le marché, tels les juke-box, les baby-foot, les billards, les jeux d’enfants, etc." Le 13 février 1989, le tribunal rejeta la demande du bailleur en estimant que l’installation de machines à sous ne pouvait passer pour une cession ou sous-location et ne constituait donc pas l’inexécution par M. Ruiz Torija de ses obligations contractuelles. Il n’examina pas l’exception tirée de la prescription de l’action. Sur un appel du bailleur, auquel le requérant s’opposa (paragraphe 16 ci-dessous), l’Audiencia Provincial de Madrid rendit un arrêt le 30 janvier 1990, par lequel elle infirma le jugement attaqué et fit droit à la demande d’expulsion (paragraphe 17 ci-dessous), sans se prononcer sur la question de la prescription de l’action. Elle constatait que le propriétaire des machines était une tierce personne, qui veillait à l’entretien de celles-ci en remettant au requérant la moitié des recettes; il s’agissait là d’une situation qui relevait de l’hypothèse légale de cession ou sous-location non autorisée et représentait la cause de rupture du contrat alléguée par le bailleur. Faute de pouvoir en l’espèce former un pourvoi en cassation, M. Ruiz Torija saisit le Tribunal constitutionnel (Tribunal Constitucional) d’un recours d’amparo sur la base de l’article 24 par. 1 de la Constitution (paragraphe 18 ci-dessous). Par une décision du 29 octobre 1990, le Tribunal constitutionnel déclara le recours irrecevable: on pouvait raisonnablement déduire de l’arrêt attaqué que l’examen au fond de l’action en résiliation du contrat de bail entraînait le rejet implicite du moyen résultant de la prescription de l’action. II. LE DROIT INTERNE PERTINENT A. Les questions de fond La résiliation du bail La loi du 22 décembre 1955 sur les baux urbains (Ley de Arrendamientos Urbanos) permet au bailleur de résilier un bail en cas de cession ou de sous-location partielle du local à une tierce personne sans son autorisation (article 114 par. 2). Elle prévoit aussi une procédure spéciale d’expulsion (juicio de desahucio), caractérisée par des délais plus brefs et des possibilités de preuve plus limitées. Le jeu L’installation de machines à sous dans des locaux ouverts au public ne put se faire légalement en Espagne qu’à partir de 1977 (décret-loi royal du 25 février 1977 portant sur les aspects pénaux, administratifs et fiscaux du jeu, complété par le décret royal no 444 du 11 mars 1977 sur la compétence de l’Administration dans ce domaine et par le règlement du 24 juillet 1981 relatif aux machines récréatives et "de hasard"). La prescription En raison du caractère personnel des droits résultant du bail, les actions qui dérivent de ceux-ci se prescrivent par quinze ans (article 1964 du code civil). La prescription ne se trouve pas parmi les exceptions dites "dilatorias", qui doivent être tranchées avant l’examen au fond (article 533 du code de procédure civile). Il s’agit donc d’une exception "perentoria" que le défendeur peut utiliser et qui - conformément à l’article 544 - sera tranchée en même temps et dans les mêmes formes que la question principale du litige. B. La procédure d’appel Les plaideurs qui ont succombé sur au moins un chef de demande présenté en première instance, peuvent former appel devant l’Audiencia Provincial. La partie adverse peut, à son tour, - soit se borner à comparaître en tant que défenderesse, afin de s’opposer à l’appel et demander la confirmation du jugement attaqué (faculté découlant de l’article 888 du code de procédure civile et des articles y afférents); - soit interjeter, elle aussi, appel contre le jugement de première instance (article 702 in fine du code de procédure civile), lorsque le jugement n’accueille pas entièrement ses prétentions; - soit se joindre à l’appel déjà interjeté (adhesión a la apelación - articles 705 et 892 du code de procédure civile) au sujet des points de l’arrêt qu’il considère défavorables. Cette dernière possibilité constitue une modalité d’appel qui permet à l’intéressé d’éviter les effets de l’autorité de la chose jugée sur les points non attaqués du dispositif et de faire examiner ceux qui lui seraient défavorables. En conséquence, si un jugement accueille entièrement les prétentions d’une partie, celle-ci peut seulement s’opposer à l’appel interjeté par l’adversaire mais non former un appel, même "par adhésion". Quand le recours vise l’ensemble des dispositions du jugement et se voit couronné de succès, la cour d’appel statue à nouveau sur le fond en examinant la totalité des moyens présentés en première instance. C. L’obligation de motiver les jugements Selon l’article 120 par. 3 de la Constitution, "les jugements sont toujours motivés et prononcés en audience publique". En tant qu’élément de la protection effective de l’individu par les juges et tribunaux, reconnue comme droit fondamental par l’article 24 par. 1 de la Constitution, l’obligation de motiver les décisions judiciaires peut donner lieu à un recours individuel devant le Tribunal constitutionnel (recurso de amparo). Aux termes de l’article 359 du code de procédure civile: "Les jugements doivent être clairs, précis, et répondre, par des déclarations pertinentes, aux demandes et autres prétentions articulées au cours de la procédure; ils doivent condamner ou absoudre le défendeur et statuer sur tous les points litigieux qui ont fait l’objet du débat. Ceux-ci doivent être traités de façon séparée dans le jugement." Dès lors, quand il statue sur le fond, le juge doit se prononcer sur tous les moyens formulés par les parties, sans quoi le jugement pécherait par défaut de motifs (incongruencia omisiva). Cependant, d’après la jurisprudence, il n’est pas tenu de répondre de manière expresse à chacun des moyens formulés par les parties lorsque l’acceptation de l’une des prétentions entraîne le rejet implicite du moyen. PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION M. Ruiz Torija a saisi la Commission le 15 mars 1991. Invoquant l’article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention, il se plaignait de ce que sa cause n’avait pas été entendue équitablement dans la mesure où l’Audiencia Provincial de Madrid n’avait pas répondu à l’un de ses moyens. Le 13 janvier 1993 la Commission a retenu la requête (no 18390/91). Dans son rapport du 8 juillet 1993 (article 31) (art. 31), elle conclut, par dix-huit voix contre trois, à la violation de l’article 6 par. 1 (art. 6-1). Le texte intégral de son avis et de l’opinion dissidente dont il s’accompagne figure en annexe. CONCLUSIONS PRESENTEES A LA COUR A l’audience, le Gouvernement a invité la Cour à dire "que les tribunaux espagnols, et donc le Royaume d’Espagne, n’ont pas manqué, dans la présente affaire, à leurs obligations au titre de la Convention".
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Ressortissant turc né en 1956, M. Mustafa Karakaya vit depuis de nombreuses années en France, où il a travaillé comme ouvrier-mécanicien jusqu’en 1990, date à laquelle il a été licencié pour motif économique. Au chômage depuis lors, il a été classé invalide à 80 % dès décembre 1991, en raison de séquelles articulaires dues à sa maladie. Il est en effet hémophile, et a subi de fréquentes transfusions sanguines: il a été infecté par le virus de l’immunodéficience humaine (VIH) entre le 16 août et le 29 octobre 1984, cette dernière date n’ayant été déterminée qu’au cours de la procédure devant le tribunal administratif de Paris (paragraphe 17 ci-dessous). En avril 1992, il a été classé au stade III et avant-dernier de la contamination sur l’échelle du Centre de contrôle des maladies d’Atlanta. A. Les recours en réparation Le recours administratif Le 29 décembre 1989, le requérant adressa une demande préalable d’indemnisation - conformément à l’article R.102 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d’appel (paragraphe 21 ci-dessous) - au ministre de la Solidarité, de la Santé et de la Protection sociale. Il réclamait une somme de 2 500 000 francs français (f), car, selon lui, sa contamination par le virus d’immunodéficience humaine résultait du retard fautif du ministre à mettre en oeuvre une réglementation adéquate de la délivrance des produits sanguins. Six cent quarante-neuf autres requêtes gracieuses furent envoyées au ministre, le nombre des hémophiles contaminés s’élevant à l’époque à mille deux cent cinquante. Le 30 mars 1990, un mois avant l’expiration du délai légal de quatre mois (paragraphe 21 ci-dessous), le directeur général de la santé rejeta la requête de l’intéressé. Le recours contentieux Le 23 mai 1990, M. Karakaya saisit le tribunal administratif de Versailles d’un recours tendant à l’annulation de la décision ministérielle et à l’octroi par l’Etat d’une indemnité de 2 500 000 f, plus les intérêts légaux. Le 18 octobre, il déposa son mémoire complémentaire. Le ministre présenta son mémoire en défense le 22 avril 1991. Il y invitait le tribunal "à rejeter la demande du requérant", mais ajoutait: "Cependant, pour le cas où il vous paraîtrait que le principe d’une faute de l’Etat pourrait être retenu, je vous demande de bien vouloir procéder à la désignation d’un expert afin d’établir si le préjudice pour lequel le requérant demande une indemnisation est véritablement imputable à cette faute." Par une ordonnance du 1er juillet 1991, prise en vertu de l’article R.82 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d’appel, l’affaire fut renvoyée au Conseil d’Etat, qui l’attribua au tribunal administratif de Paris, juridiction désignée pour connaître de l’ensemble des requêtes introduites contre l’Etat par les hémophiles contaminés. a) L’instruction i. Devant le tribunal administratif de Paris L’affaire fut inscrite à l’audience du 8 avril 1992. Le 22, le tribunal rendit un jugement avant dire droit, ainsi rédigé: "(...) la responsabilité de l’Etat est engagée à l’égard des personnes atteintes d’hémophilie et qui ont été contaminées par le VIH à l’occasion de la transfusion de produits sanguins non chauffés, pendant la période de responsabilité susdéfinie, soit entre le 12 mars et le 1er octobre 1985." D’autre part, il enjoignit au requérant de "produire un état des indemnités de toutes natures qu’il [avait] pu percevoir en réparation du préjudice qu’il [exposait] dans la (...) requête". Le 25 août 1992, M. Karakaya reçut notification du jugement. Le 27, il adressa au tribunal une copie des offres du fonds d’indemnisation (paragraphe 18 ci-dessous). Les débats se déroulèrent le 3 février 1993. Le 14 avril, le tribunal rendit un second jugement avant dire droit, désignant un expert afin de déterminer notamment, dans la mesure du possible, si le requérant avait reçu des produits sanguins dérivés pendant la période de responsabilité de l’Etat précédemment définie et de formuler un avis sur la probabilité d’un lien de causalité entre l’administration des produits sanguins dérivés pendant cette période et la contamination par le VIH. Le jugement fut notifié à M. Karakaya le 13 septembre 1993. ii. Devant la cour administrative d’appel de Paris Le 24 septembre 1993, ce dernier interjeta appel des deux jugements avant dire droit des 22 avril 1992 et 14 avril 1993 devant la cour administrative d’appel de Paris, en vue d’obtenir leur annulation et de voir trancher le litige immédiatement par les juges du second degré sans avoir recours à une expertise. Par un arrêt du 31 mars 1994, la cour rejeta la requête. Elle concluait à l’irrecevabilité des conclusions dirigées contre le premier jugement et à l’utilité de l’expertise ordonnée par le second. b) Le jugement Le 10 décembre 1993, l’expert déposa son rapport devant le tribunal administratif de Paris. On pouvait y lire: "(...) ma conviction est que la contamination VIH initiale de M. Karakaya procède selon toute vraisemblance d’injections de produits antihémophiliques dérivés du sang effectuées entre le 16 août 1984 et le 29 octobre 1984." L’affaire fut inscrite à l’audience du 16 février 1994. Le 2 mars, le tribunal administratif rendit le jugement suivant: "Considérant qu’il résulte du rapport d’expertise que l’existence d’un lien de causalité entre la contamination du requérant par le virus de l’immunodéficience humaine et l’administration de produits dérivés du sang, pendant la période de responsabilité de l’Etat comprise entre le 12 mars et le 1er octobre 1985, telle qu’elle a été définie par jugement du 22 avril 1992, ne peut être regardée comme établie; qu’en effet l’expert indique que la séropositivité de M. Karakaya a été révélée sur un prélèvement du 13 novembre 1984; que, par suite, les conclusions de la requête de M. Karakaya tendant à la condamnation de l’Etat à réparer le préjudice subi du fait de cette contamination ne peuvent qu’être rejetées; (...)" Le requérant reçut notification du jugement le 5 avril 1994, mais n’interjeta pas appel dans le délai de deux mois qui s’ouvrait à lui. B. La demande présentée au fonds d’indemnisation Le 17 avril 1992, M. Karakaya saisit le fonds d’indemnisation, instauré par la loi du 31 décembre 1991 (paragraphe 19 ci-dessous). Le 13 mai 1992, ce dernier lui proposa un montant de 1 234 500 f, payable en trois versements échelonnés sur deux ans, en réparation de son "préjudice de séropositivité", dont il faudrait déduire 100 000 f versés par le fonds privé de solidarité des hémophiles. L’intéressé devait en outre obtenir une somme de 411 500 f dès la déclaration du SIDA (syndrome d’immunodéficience acquise). A la suite de l’acceptation de l’offre par le requérant, le fonds lui adressa le 1er juin 1992 un premier versement de 378 170 f. Le 9 décembre 1992, l’intéressé lui demanda le paiement immédiat du solde de l’indemnité de séropositivité; il se référait aux arrêts de la cour d’appel de Paris du 27 novembre 1992, selon lesquels l’échelonnement du paiement de ladite indemnité exigeait l’accord des bénéficiaires. Le 18 février 1993, le fonds lui adressa la somme réclamée de 756 330 f. II. LE MÉCANISME D’INDEMNISATION A. La législation La loi du 31 décembre 1991 "portant diverses dispositions d’ordre social" a créé un mécanisme spécifique d’indemnisation des hémophiles et des transfusés contaminés à la suite d’injections de produits sanguins. Son article 47 dispose: "I. Les victimes de préjudices résultant de la contamination par le virus d’immunodéficience humaine causée par une transfusion de produits sanguins ou une injection de produits dérivés du sang réalisée sur le territoire de la République française sont indemnisées dans les conditions définies ci-après. II. (...) III. La réparation intégrale des préjudices définis au I est assurée par un fonds d’indemnisation, doté de la personnalité civile, présidé par un président de chambre ou un conseiller de la Cour de cassation, en activité ou honoraire, et administré par une commission d’indemnisation. (...) IV. Dans leur demande d’indemnisation, les victimes ou leurs ayants droit justifient de l’atteinte par le virus d’immuno-déficience humaine et des transfusions de produits sanguins ou des injections de produits dérivés du sang. (...) Les victimes ou leurs ayants droit font connaître au fonds tous les éléments d’information dont [ils] disposent. Dans un délai de trois mois à compter de la réception de la demande, qui peut être prolongé à la demande de la victime ou de ses ayants droit, le fonds examine si les conditions d’indemnisation sont réunies; il recherche les circonstances de la contamination et procède à toute investigation et ce, sans que puisse lui être opposé le secret professionnel. (...) V. Le fonds est tenu de présenter à toute victime mentionnée au I une offre d’indemnisation dans un délai dont la durée est fixée par décret et ne peut excéder six mois à compter du jour où le fonds reçoit la justification complète des préjudices (...) (...) VI. La victime informe le fonds des procédures juridictionnelles éventuellement en cours. Si une action en justice est intentée, la victime informe le juge de la saisine du fonds. VII. (...) VIII. La victime ne dispose du droit d’action en justice contre le fonds d’indemnisation que si sa demande d’indemnisation a été rejetée, si aucune offre ne lui a été présentée dans le délai mentionné au premier alinéa du V ou si elle n’a pas accepté l’offre qui lui a été faite. Cette action est intentée devant la cour d’appel de Paris. IX. Le fonds est subrogé, à due concurrence des sommes versées, dans les droits que possède la victime contre la personne responsable du dommage ainsi que contre les personnes tenues à un titre quelconque d’en assurer la réparation totale ou partielle dans la limite du montant des prestations à la charge desdites personnes. Toutefois, le fonds ne peut engager d’action au titre de cette subrogation que lorsque le dommage est imputable à une faute. Le fonds peut intervenir devant les juridictions de jugement en matière répressive même pour la première fois en cause d’appel en cas de constitution de partie civile de la victime ou de ses ayants droit contre le ou les responsables des préjudices définis au I. Il intervient alors à titre principal et peut user de toutes les voies de recours ouvertes par la loi. Si les faits générateurs du dommage ont donné lieu à des poursuites pénales, le juge civil n’est pas tenu de surseoir à statuer jusqu’à décision définitive de la juridiction répressive. X. Sauf disposition contraire, les modalités d’application du présent article sont fixées par décret en Conseil d’Etat. XI. (...) XII. L’alimentation du fonds d’indemnisation sera définie par une loi ultérieure. XIII. (...) XIV. (...)" B. La jurisprudence Par trois arrêts du 9 avril 1993, l’Assemblée du contentieux du Conseil d’Etat décida "que la responsabilité de l’Etat est intégralement engagée à l’égard des personnes contaminées par le virus de l’immunodéficience humaine à la suite d’une transfusion de produits sanguins non chauffés opérée entre le 22 novembre 1984 et le 20 octobre 1985". III. LE DROIT PROCÉDURAL PERTINENT A. Le régime applicable en l’espèce A l’époque des faits de la cause, le code des tribunaux administratifs et des cours administratives d’appel contenait notamment les dispositions suivantes: Article R.102 "Sauf en matière de travaux publics, le tribunal administratif ne peut être saisi que par voie de recours formé contre une décision, et ce, dans les deux mois à partir de la notification ou de la publication de la décision attaquée. Le silence gardé pendant plus de quatre mois sur une réclamation par l’autorité compétente vaut décision de rejet. (...)" Article R.129 "Le président du tribunal administratif ou de la cour administrative d’appel ou le magistrat que l’un d’eux délègue peut accorder une provision au créancier qui a saisi le tribunal ou la cour d’une demande au fond, lorsque l’existence de l’obligation n’est pas sérieusement contestable. Il peut, même d’office, subordonner le versement de la provision à la constitution d’une garantie." Article R.142 "Immédiatement après l’enregistrement de la requête introductive d’instance au greffe, le président du tribunal ou, à Paris, le président de la section à laquelle cette requête a été transmise désigne un rapporteur. Sous l’autorité du président de la formation de jugement à laquelle il appartient, le rapporteur fixe, eu égard aux circonstances de l’affaire, le délai accordé, s’il y a lieu, aux parties pour produire mémoire complémentaire, observations, défense ou réplique. Il peut demander aux parties, pour être joints à la procédure contradictoire, toutes pièces ou tous documents utiles à la solution du litige." Article R.150 "Lorsque l’une des parties ou l’administration appelée à produire des observations n’a pas observé le délai qui lui a été imparti en exécution des articles R.142 et R.147 du présent code, le président de la formation de jugement lui adresse une mise en demeure. En cas de force majeure, un nouveau et dernier délai peut être accordé. Si la mise en demeure reste sans effet ou si le dernier délai assigné n’est pas observé, la juridiction statue." Article R.151 "Lorsqu’elle concerne une administration de l’Etat, la mise en demeure est adressée à l’autorité compétente pour représenter l’Etat; dans les autres cas, elle est adressée à la partie ou à son mandataire, s’il a été constitué." Article R.182 "Un membre du tribunal administratif ou de la cour administrative d’appel peut être commis par la formation de jugement ou par son président pour procéder à toutes mesures d’instruction autres que celles qui sont prévues aux sections 1 à 4 du présent chapitre." B. Le régime actuel Le décret no 93-906 du 12 juillet 1993 s’applique aux instances en cours à la date de sa publication. Il fixe les modalités d’application de l’article 47 de la loi du 31 décembre 1991 (paragraphe 19 ci-dessus): "Titre II Dispositions relatives aux actions en responsabilité intentées à l’encontre des responsables des dommages définis au I de l’article 47 de la loi du 31 décembre 1991 susvisée Article 15 Le fonds peut, pour exercer l’action subrogatoire prévue au IX de l’article 47 de la loi du 31 décembre 1991 susvisée, intervenir même pour la première fois en cause d’appel devant toute juridiction de l’ordre administratif ou judiciaire. Il intervient alors à titre principal et peut user de toutes les voies de recours ouvertes par la loi. Article 16 Les greffes et secrétariats-greffes des juridictions des ordres administratif et judiciaire adressent au fonds, par lettre recommandée avec demande d’avis de réception, copie des actes de procédure saisissant celles-ci, à titre initial ou additionnel, de toute demande en justice relative à la réparation des préjudices définis au I de l’article 47 de la loi du 31 décembre 1991 susvisée. Article 17 Dans le délai d’un mois à compter de la réception de la lettre mentionnée à l’article 16, le fonds indique au président de la juridiction concernée, par lettre simple, s’il a été ou non saisi d’une demande d’indemnisation ayant le même objet et, dans l’affirmative, l’état d’avancement de la procédure. Il fait en outre savoir s’il entend ou non intervenir à l’instance. Lorsque la victime a accepté l’offre faite par le fonds, celui-ci adresse au président de la juridiction copie des documents par lesquels ont eu lieu l’offre et l’acceptation. Le fonds fait connaître le cas échéant l’état de la procédure engagée devant la cour d’appel de Paris en application des dispositions du titre I du présent décret et communique, s’il y a lieu, l’arrêt rendu par la cour. Les parties sont informées par le greffe ou le secrétariat-greffe des éléments communiqués par le fonds. Article 18 Copie des décisions rendues en premier ressort et, le cas échéant, en appel, dans les instances auxquelles le fonds n’est pas intervenu est adressée à celui-ci par le greffe ou le secrétariat-greffe. Article 19 (...) Article 20 Les dispositions des articles 15 à 19 sont applicables aux instances en cours à la date d’entrée en vigueur du [présent] décret (...)" PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION M. Karakaya a saisi la Commission le 30 septembre 1993. Il alléguait le dépassement du délai raisonnable dont l’article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention exige le respect. La Commission a retenu la requête (no 22800/93) le 19 janvier 1994. Dans son rapport du 9 mars 1994 (article 31) (art. 31), elle conclut, à l’unanimité, qu’il y a eu violation de l’article 6 par. 1 (art. 6-1). Le texte intégral de son avis figure en annexe au présent arrêt. CONCLUSIONS PRESENTEES A LA COUR Dans son mémoire, le Gouvernement "s’en remet à la sagesse de la Cour pour apprécier la violation de l’article 6 (art. 6) de la Convention et demande, le cas échéant, que la réparation du préjudice moral subi par M. Karakaya soit fixée à 200 000 f auxquels s’ajouteront les frais et dépens". De son côté, le requérant invite la Cour à dire "qu’il y a violation de l’article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention et que l’Etat défendeur devra verser au requérant 350 000 f pour dommage et 58 114 f pour frais et dépens".
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Ingénieur agronome et citoyen suédois, M. Anders Fredin réside à Grödinge, en Suède. Sa femme et lui possèdent dans la commune de Botkyrka un terrain sur lequel se trouve une gravière. Ils détinrent une autorisation d’extraire du gravier du 14 avril 1983 au 1er décembre 1988, date à laquelle on les en priva; elle avait été prorogée entre temps, sous la double condition que d’ici là les activités cesseraient et des travaux de remise en état auraient lieu. La révocation du permis et l’absence de recours judiciaire contre cette mesure et une autre, connexe, firent l’objet d’un premier litige devant la Cour qui, par un arrêt du 18 février 1991, constata une violation de l’article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention, mais non de l’article 1 du Protocole no 1 (P1-1) considéré isolément ou combiné avec l’article 14 (art. 14+P1-1) de la Convention (série A no 192). Après le 1er décembre 1988, le requérant sollicita auprès de la préfecture (länsstyrelsen) une licence spéciale d’extraction, afin de se conformer à un plan de remise en état adopté par elle le 9 mars 1987. Il essuya un refus le 14 mars 1989; le 21 juin suivant, le gouvernement (ministère de l’Environnement et de l’Energie) le débouta de son recours. Désirant voir annuler cette dernière décision, M. Fredin saisit la Cour suprême administrative (regeringsrätten) en vertu de la loi de 1988 sur le contrôle judiciaire de certaines décisions administratives (lagen om rättsprövning av vissa förvaltningsbeslut 1988:205 - "la loi de 1988"). Selon lui, faute de lui accorder un permis spécial les autorités compétentes l’avaient empêché de prendre les dispositions nécessaires pour exécuter le plan de restauration; elles auraient méconnu de la sorte le principe d’objectivité consacré par le chapitre 1, article 9, de l’instrument de gouvernement (regeringsformen, partie intégrante de la Constitution). De plus, et en dépit du principe de proportionnalité et de l’article 3 de la loi de 1964 sur la sauvegarde de la nature (naturvårdslagen 1964:822), elles seraient allées au-delà de ce qu’exigeaient la sauvegarde de la nature et d’autres intérêts, publics ou privés. Leur décision se heurterait aussi au but défini à l’article 1 par. 3 de la loi, la conservation de la nature. Enfin, quand M. Fredin lui demanda quelles mesures adopter, la préfecture lui aurait répondu, sans plus, que le délai de restauration de la gravière était expiré; il aurait donc subi un déni de justice. En outre, il invitait ladite Cour à tenir audience. Par une décision (beslut) du 13 décembre 1990, la Cour suprême administrative écarta cette dernière requête par trois voix contre deux, estimant qu’il n’y avait pas lieu à débats eu égard à l’article 9 de la loi de 1971 sur la procédure administrative (förvaltningsprocesslagen 1971:291, paragraphe 14 ci-dessous). Quant au fond, elle conclut à l’unanimité, sur la base des observations écrites de l’intéressé et de la préfecture, que la décision du gouvernement n’était pas entachée d’illégalité; elle la confirma donc. D’après le procès-verbal de la délibération, laquelle remontait au 30 octobre 1990, les deux juges favorables à une audience relevaient en particulier que la loi de 1988 avait eu pour but d’harmoniser la législation suédoise avec les normes de la Convention et avec la jurisprudence de la Cour de Strasbourg en la matière (paragraphe 11 ci-dessous). Ils ajoutaient que certains points essentiels de la cause de M. Fredin demeuraient obscurs puisqu’il y avait désaccord entre lui et la préfecture sur le point de savoir si le plan de remise en état (paragraphes 7-8 ci-dessus) exigeait une extraction supplémentaire de gravier ou simplement le déplacement de ce matériau à l’intérieur de la gravière. Ils soulignaient en outre le manque de clarté des doléances de l’intéressé contre le gouvernement. Les deux mêmes juges estimaient que ce dernier aurait dû présenter des observations écrites à l’instar du requérant et de la préfecture; tout en motivant le rejet du recours, il aurait dû donner son sentiment sur la nécessité d’extraire davantage de gravier et sur la question de savoir s’il fallait déduire de sa décision que depuis le 1er décembre 1988 M. Fredin se trouvait empêché de restaurer la gravière de la manière indiquée. La législation suédoise n’offrait au requérant aucun recours contre la décision de la Cour suprême administrative du 13 décembre 1990. II. LE DROIT INTERNE PERTINENT La loi de 1988 découle de plusieurs arrêts de la Cour européenne, rendus notamment dans des affaires suédoises, selon lesquels l’absence de contrôle judiciaire de certaines décisions administratives enfreignait l’article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention (voir, par exemple, les arrêts Sporrong et Lönnroth c. Suède du 23 septembre 1982, série A no 52, pp. 29-31, paras. 78-87; Pudas c. Suède et Bodén c. Suède du 27 octobre 1987, série A no 125-A, pp. 13-17, paras. 28-42, et no 125-B, pp. 39-42, paras. 26-37). Promulguée à titre temporaire, elle devait rester en vigueur jusqu’en 1991; elle a été prorogée jusqu’à la fin de 1994. Aux termes de l’article 1, quiconque a été partie à une procédure administrative devant le gouvernement ou une autre autorité publique peut, à défaut d’autre recours, inviter la Cour suprême administrative, statuant en premier et dernier ressort, à contrôler les décisions prises en l’espèce et impliquant l’exercice d’un pouvoir public à l’égard d’une personne privée. Le genre de décision administrative couvert par la loi se trouve précisé au chapitre 8, articles 2 et 3, de l’instrument de gouvernement, auquel renvoie l’article 1 de la loi de 1988. L’article 2 de celle-ci énumère plusieurs types de décisions échappant à son empire; aucun d’eux n’entre en jeu ici. Dans une instance engagée en vertu de la loi de 1988, la Cour suprême administrative recherche si la décision contestée "contrevient à une règle légale" (article 1 de la loi de 1988). D’après les travaux préparatoires, reproduits dans le projet de loi 1987/88:69 (pp. 23-24), son examen au fond porte pour l’essentiel sur des questions de droit mais peut englober aussi des points de fait juridiquement pertinents; elle doit aussi s’assurer qu’il n’y a pas eu de vices de procédure propres à fausser le résultat du litige. Si ladite Cour déclare illégale la décision attaquée, elle l’annule et, au besoin, renvoie la cause à l’autorité administrative compétente (article 5 de la loi de 1988 tel qu’il s’appliquait à l’époque). La procédure devant la Cour suprême administrative se trouve régie par la loi de 1971 sur la procédure administrative. Elle se déroule en principe par écrit, mais la Cour peut tenir une audience sur des points précis si cela lui paraît de nature à faciliter sa tâche ou accélérer l’instance (article 9). PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION M. Fredin a saisi la Commission le 9 avril 1991. Il alléguait s’être vu dénier devant la Cour suprême administrative le "procès équitable et public" voulu par l’article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention. La Commission a retenu la requête (no 18928/91) le 12 octobre 1992. Dans son rapport du 9 février 1993 (article 31) (art. 31), elle conclut, par seize voix contre deux, à la violation de l’article 6 par. 1 (art. 6-1). Le texte intégral de son avis et de l’opinion dissidente dont il s’accompagne figure en annexe au présent arrêt. CONCLUSIONS PRESENTEES A LA COUR PAR LE GOUVERNEMENT A l’audience du 21 septembre 1993, le Gouvernement a réitéré l’invitation formulée dans sa lettre du 23 août (paragraphe 4 ci-dessus) et priant la Cour de dire si les faits de la cause révèlent un manquement aux exigences de l’article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention.
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Citoyen mauricien né en 1947, M. Satyanund Pelladoah réside à Quatre Bornes, dans l’île Maurice. Le 27 décembre 1985, il fut arrêté à l’aéroport de Schiphol, après que les douaniers eurent découvert, dans une valise qu’il portait, plus de vingt kilos d’héroïne, dont une partie était mélangée à de la méthaqualone (une drogue synthétique psychotrope). Il fut inculpé à titre principal d’importation, intentionnelle ou non, selon le cas, d’une substance contenant de l’héroïne, délit (misdrijf) passible d’une peine maximale de douze ans d’emprisonnement (gevangenisstraf) et d’une amende de 100 000 florins s’il a été commis intentionnellement (opzettelijk - articles 2 par. 1 A et 10 par. 4 de la loi sur l’opium - Opiumwet -), mais contravention (overtreding) passible d’une peine maximale de six mois seulement de détention (hechtenis) et d’une amende de 25 000 florins à défaut d’intention délictueuse (articles 2 par. 1 A et 10 par. 1 de la loi sur l’opium). A titre subsidiaire, il fut inculpé de possession (aanwezig hebben), intentionnelle ou non, selon le cas, de pareille substance, délit passible d’une peine maximale de quatre ans d’emprisonnement et d’une amende de 100 000 florins s’il a été commis intentionnellement (articles 2 par. 1 C et 10 par. 2 de la loi sur l’opium), mais contravention passible d’une peine maximale de six mois seulement de détention et d’une amende de 25 000 florins à défaut d’intention délictueuse (articles 2 par. 1 C et 10 par. 1 de la loi sur l’opium). Lors de son procès, le 14 août 1986, devant le tribunal d’arrondissement (arrondissementsrechtbank) de Haarlem, il reconnut avoir "pris sur le tapis à bagages (...), une valise qui [au moment où elle fut ouverte par la douane] s’avéra contenir une grande quantité d’une substance qui, par la suite, se révéla être de l’héroïne". Le tribunal statua le 21 août 1986. Il relaxa M. Pelladoah de la prévention d’importation intentionnelle d’héroïne mais le déclara coupable d’importation non intentionnelle de cette substance; il le condamna à six mois de détention. Par le même jugement, il ordonna l’élargissement immédiat de l’intéressé puisqu’il avait déjà passé ce temps en détention provisoire. Tant le parquet que la défense attaquèrent le jugement devant la cour d’appel d’Amsterdam. Le requérant fut expulsé des Pays-Bas, conformément à la loi sur les étrangers (Vreemdelingenwet), avant que les recours ne fussent examinés. La cour d’appel tint une audience le 10 février 1987. Le compte rendu officiel de celle-ci indique que M. Pelladoah fut déclaré défaillant et contient le passage suivant: "Me K. [l’avocat de M. Pelladoah] déclare - en substance -: (...) je prie la cour de m’autoriser à assurer la défense de mon client car, eu égard à son lieu de résidence, il n’a pas la possibilité de comparaître à l’audience." La cour d’appel écarta cette demande au motif qu’"aucune raison impérieuse (klemmende reden) n’[était] apparue" qui eût justifié qu’on y fît droit. Elle entendit des témoins et autorisa le ministère public, mais non l’avocat de M. Pelladoah, à leur poser des questions. Elle statua le 24 février 1987. Ayant été informée que d’importantes investigations sur le trafic de stupéfiants étaient en cours à l’île Maurice, dans le cadre desquelles M. Pelladoah avait fait des déclarations aux autorités mauriciennes, elle jugea que l’instruction de l’affaire n’avait pas été complète et ordonna la réouverture des débats. Le requérant fut derechef assigné à comparaître. La cour d’appel tint sa deuxième audience le 20 novembre 1987. Comme deux des trois juges n’avaient pas été présents lors de la première audience, l’examen de la cause reprit à zéro. Cette fois, l’avocat de M. Pelladoah invoqua l’article 270 du code de procédure pénale (Wetboek van Strafvordering, CPP - paragraphe 23 ci-dessous) pour pouvoir représenter son client en ce qui concerne la prévention subsidiaire. La cour le débouta car "il n’a[vait] pas été déclaré et il n’appara[issait] pas que l’accusé a[vait] expressément autorisé [son avocat] à le représenter; en outre, il y a[vait] lieu d’examiner en premier la prévention principale, pour laquelle nulle représentation n’[était] autorisée". L’un des témoins ouï lors de la première audience fut à nouveau entendu; le ministère public se vit octroyer la possibilité de l’interroger et de formuler des observations au sujet de ses déclarations, faculté qui fut une nouvelle fois refusée à l’avocat de M. Pelladoah. Le ministère public requit une peine de douze ans d’emprisonnement. La cour d’appel suspendit alors les débats jusqu’au 22 janvier 1988, de manière à permettre à l’accusation de faire traduire en néerlandais des parties pertinentes du rapport des autorités mauriciennes. Le procès reprit le 22 janvier 1988. L’avocat de M. Pelladoah demanda l’autorisation de représenter son client à l’audience et produisit une déclaration écrite l’y habilitant. La cour d’appel lui opposa un nouveau refus au motif qu’"il y a[vait] lieu d’examiner tout d’abord la prévention principale, passible d’emprisonnement et pour laquelle, en conséquence, nulle représentation n’[était] autorisée". Le 5 février 1988, elle rendit un arrêt par défaut. Elle déclara M. Pelladoah coupable du premier chef d’accusation, pour lequel elle retint l’intention délictueuse, et le condamna à neuf ans d’emprisonnement. Il ressort de son arrêt qu’elle justifia la peine par "la gravité de l’acte concerné, les circonstances qui [avaient] entouré son accomplissement et la personne de l’accusé"; elle attira l’attention sur la quantité de la substance contenant de l’héroïne qui avait été importée et fit observer que M. Pelladoah avait fait un usage illégal de son passeport diplomatique. Par l’intermédiaire de son avocat, M. Pelladoah forma un pourvoi devant la Cour de cassation (Hoge Raad). Dans ses moyens de cassation (cassatiemiddelen), il formulait essentiellement deux griefs: premièrement, lors de sa première audience, le 10 février 1987, la cour d’appel s’était trompée en n’estimant pas suffisamment "impérieux" le motif de sa non-comparution, à savoir les inconvénients et la dépense liés à un voyage de l’île Maurice aux Pays-Bas; deuxièmement, son avocat aurait dû être autorisé à le représenter car, même si l’intention délictueuse était prouvée, la prévention principale ne concernait pas un délit passible d’emprisonnement. La Cour de cassation rendit son arrêt le 24 octobre 1989. Quant au premier grief du requérant, elle observa que, le 20 novembre 1987, une chambre différente de la cour d’appel avait entamé un examen complètement nouveau de la cause et que, dès lors, l’arrêt de cette juridiction n’était pas fondé sur l’audience du 10 février 1987; elle considéra qu’une doléance relative au rejet d’une demande formulée lors de cette audience ne pouvait, par conséquent, emporter la nullité dudit arrêt. Elle écarta également le deuxième grief de l’intéressé, citant la disposition légale d’après laquelle la prévention principale était constitutive d’un délit passible d’une peine d’emprisonnement en cas d’intention délictueuse. II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS A. Jugement in absentia En général, l’accusé - s’il ne s’agit pas d’un jeune délinquant (article 500 h du code de procédure pénale) - n’a pas l’obligation de comparaître à l’audience. Le tribunal doit examiner d’office la validité de la citation (geldigheid der dagvaarding - article 348 CPP). Si, bien que dûment assigné, l’accusé ne comparaît pas à l’audience, le tribunal le déclare défaillant (verstek verlenen) et examine l’affaire en son absence. Telle est la règle, même si l’intéressé prévient à l’avance de son absence et demande le report de l’audience (voir notamment l’arrêt de la Cour de cassation du 26 février 1985, NJ (Nederlandse Jurisprudentie, Recueil de la jurisprudence néerlandaise) 1985, no 567) ou s’il soumet sa défense par écrit (voir l’arrêt de la Cour de cassation du 9 octobre 1990, NJ 1991, no 133), et même s’il n’encourt aucun reproche pour son absence (voir notamment les arrêts de la Cour de cassation des 20 décembre 1977, NJ 1978, no 226, et 10 octobre 1989, NJ 1990, no 293). Les tribunaux ont le pouvoir d’enjoindre à l’accusé de comparaître ou de requérir la police de l’amener devant eux (article 272 CPP) mais ils en usent rarement, sauf s’il s’agit d’un délinquant mineur. Un accusé condamné par défaut en première instance peut former opposition (verzet - article 399 par. 1 CPP); il s’agit d’une voie de recours ordinaire en droit néerlandais. L’opposition confère à l’accusé le droit d’être entièrement rejugé par la même juridiction (article 403 CPP). La faculté d’opposition n’est pas reconnue à un accusé qui a, ou qui a eu, l’occasion d’interjeter appel devant une juridiction supérieure dotée de la plénitude de compétence (hoger beroep - article 399 par. 2 CPP). Cela signifie que la possibilité d’une opposition se limite aux cas où la loi n’autorise pas semblable appel, c’est-à-dire lorsque la peine ne dépasse pas une petite amende ou lorsque le tribunal d’arrondissement a connu en première instance d’une contravention. Il résulte de l’article 339 par. 1 CPP qu’un jugement par défaut rendu en appel ne se prête pas à opposition. B. Droits de la défense en l’absence de l’accusé Représentation Il est des cas où l’accusé défaillant peut être représenté. Dans les espèces dont le tribunal d’arrondissement connaît en première instance, cette possibilité existe si l’infraction imputée au prévenu n’est pas passible d’une peine d’emprisonnement. Toutefois, le représentant doit être un avocat, et il lui incombe de déclarer avoir été expressément mandaté à cet effet (bepaaldelijk daartoe gevolmachtigd - article 270 CPP). A l’audience, le statut procédural du représentant est celui de l’accusé lui-même et non celui de conseil, même s’il s’agit d’un avocat (voir notamment l’arrêt de la Cour de cassation du 25 avril 1989, NJ 1990, no 91). Cela signifie que, comme le prévenu, il peut être interrogé par le tribunal et par le ministère public, ses déclarations pouvant être utilisées à titre de preuve (voir l’arrêt de la Cour de cassation du 13 février 1951, NJ 1951, no 476); il peut également être assisté d’un avocat - ou d’un autre avocat - agissant en qualité de conseil. Si la représentation est autorisée en première instance devant le tribunal d’arrondissement, elle l’est aussi au second degré devant la cour d’appel (article 415 CPP). Conduite de la défense La question - controversée en doctrine - de savoir si le prévenu déclaré défaillant a droit à voir sa défense assurée par son avocat a été tranchée par la Cour de cassation dans son arrêt du 23 novembre 1971 (NJ 1972, no 293). Bien que le procureur général (procureur-generaal) eût préconisé une réponse affirmative, la Cour de cassation aboutit à la conclusion opposée. Elle considéra que si pareil droit devait être reconnu, les procédures par défaut prendraient un caractère contradictoire, incompatible avec l’idée de base du code de procédure pénale qui veut qu’un accusé déclaré défaillant et condamné puisse toujours former opposition s’il a l’impression qu’il n’aurait pas été condamné si le tribunal avait entendu sa défense. Elle ajouta que s’il était vrai que depuis l’introduction du code de procédure pénale le droit de former opposition avait été considérablement écorné, le législateur n’avait pas pour autant modifié le caractère de la procédure par défaut. En conclusion, aucun article du code de procédure pénale ni aucun principe de droit non écrit ne donnait le droit à un accusé déclaré défaillant de voir sa défense assurée en son absence par son avocat. La Cour de cassation a toutefois admis qu’un tribunal peut, s’il l’estime bon, permettre au conseil d’un accusé déclaré défaillant de prendre la parole pour assurer la défense de son client. Ce pouvoir discrétionnaire est fréquemment utilisé. La Cour de cassation veille au strict respect de la règle selon laquelle le tribunal qui, en pareil cas, autorise l’avocat à s’exprimer doit lui reconnaître tous les droits appartenant normalement à la défense. Il ne peut lui imposer aucune restriction quant aux points qu’il souhaite aborder (arrêt du 19 mai 1987, NJ 1988, no 217) ni lui dénier le droit de parler le dernier (arrêt du 22 mars 1988, NJ 1989, no 13); s’il y a des témoins, il doit aussi le laisser les interroger (arrêt du 28 mai 1991, NJ 1991, no 729). En principe, la Cour de cassation se tient à la règle posée par elle (paragraphe 24 ci-dessus) qu’un accusé déclaré défaillant n’a pas le droit de voir sa défense assurée par son avocat, mais depuis son arrêt du 26 février 1980 (NJ 1980, no 246), elle admet de manière constante une exception: dans cet arrêt elle a jugé, sur la base notamment de l’article 6 (art. 6) de la Convention, qu’un tribunal est tenu d’autoriser un avocat à assurer la défense de son client déclaré défaillant si le tribunal estime que des "raisons impérieuses" empêchent l’accusé de comparaître à l’audience et s’il n’aperçoit aucun motif de reporter l’examen de l’affaire. Elle a admis comme corollaire qu’il y a lieu en tout état de cause de donner au conseil, s’il le demande, l’occasion de plaider l’existence de semblables raisons (arrêts des 10 octobre 1989, NJ 1990, no 293, et 19 décembre 1989, NJ 1990, no 407). Dans son arrêt du 16 février 1988 (NJ 1988, no 794), la Cour de cassation a jugé qu’il y a "raison impérieuse" non seulement s’il est impossible pour l’accusé de comparaître, mais également si l’enjeu est tellement important pour lui que - eu égard à toutes les circonstances qui peuvent être jugées pertinentes - on ne peut raisonnablement attendre de lui qu’il comparaisse, et qu’il peut donc escompter, soit que l’on ajourne son procès jusqu’à une époque où il pourra y assister, soit que l’on autorise son avocat à assurer sa défense. Dans son arrêt du 30 novembre 1993, DD (Delikt en Delinkwent, délit et délinquant) no 94.147, Bijl. NJB (supplément de jurisprudence à la Nederlands Juristenblad, Revue juridique néerlandaise, 14 janvier 1994, no 2, p. 17), la Cour de cassation a admis que l’expulsion de l’accusé, en vertu de la loi sur les étrangers, constitue en général une "raison impérieuse" justifiant son absence au procès. Si le conseil souhaite assurer la défense de son client défaillant, il doit expressément en demander l’autorisation. Sa seule présence ne suffit pas (voir notamment les arrêts de la Cour de cassation des 14 novembre 1986, NJ 1987, no 862; 25 novembre 1986, NJ 1987, no 686; 8 décembre 1987, NJ 1988, no 704; 18 septembre 1989, NJ 1990, no 145; et 14 décembre 1993, DD no 94.166), pas plus d’ailleurs qu’une demande de report d’audience formulée par lui comme la Cour de cassation l’a jugé notamment dans son arrêt du 21 décembre 1993 (DD no 94.176). PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION M. Pelladoah a saisi la Commission le 17 avril 1990. Invoquant l’article 6 paras. 1 et 3 c) (art. 6-1, art. 6-3-c) de la Convention, il se plaignait de ne pas avoir eu un procès équitable en ce que son conseil n’avait pas été entendu par la cour d’appel. La Commission a retenu la requête (no 16737/90) le 11 janvier 1993. Dans son rapport du 4 mai 1993 (article 31) (art. 31), elle formule l’avis unanime qu’il y a eu violation de l’article 6 par. 1 combiné avec l’article 6 par. 3 c) (art. 6-1, art. 6-3-c). Le texte intégral de son avis figure en annexe au présent arrêt. CONCLUSIONS PRESENTEES A LA COUR Dans son mémoire, le Gouvernement conclut qu’il "n’est (...) pas question, dans le cas de M. Pelladoah, d’une violation de l’article 6 par. 3 c) (art. 6-3-c) ni de l’article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention."
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Citoyen néerlandais né en 1945, M. van de Hurk habite à Geffen (province du Brabant du Nord) où il est producteur laitier. Il possédait une étable comprenant à l’origine 90 loges pour vaches laitières et vaches pleines, ainsi que 63 loges pour veaux et génisses. En 1981, 1982 et 1983, le nombre de vaches laitières et de vaches pleines fut de 90, 96 et 102 respectivement, pour des quantités de lait produites s’élevant à 475 952, 445 571 et 488 026 kg. Après la publication, le 19 avril 1984, de l’ordonnance du 18 avril 1984 sur le prélèvement supplémentaire (Beschikking Superheffing, no J 1731, Staatscourant (Journal du Gouvernement) 79 - "l’ordonnance de 1984"), l’intéressé se vit octroyer une quantité de référence de lait (c’est-à-dire une quantité au-delà de laquelle un prélèvement supplémentaire devait être acquitté - paragraphe 23 ci-dessous) de 445 813 kg. Le 29 juin 1984, s’appuyant sur l’article 11 dudit texte (paragraphe 27 ci-dessous), il sollicita auprès du chef du bureau régional de la Fondation pour la mise en oeuvre des mesures agricoles (districtsbureauhouder van de Stichting tot Uitvoering van Landbouwmaatregelen) de la province du Brabant du Nord une augmentation de sa quantité de lait non soumise à prélèvement. Il faisait valoir que, dès janvier 1984, il avait contracté des obligations pour investir dans l’extension du nombre de loges pour vaches laitières et vaches pleines. Ces investissements concernaient une nouvelle étable pour génisses et taureaux, dont la construction libérerait 40 loges dans l’étable pour vaches laitières et vaches pleines existante. Le nombre des loges concernées passerait ainsi de 90 à 130, ce qui représentait une augmentation de plus de 25 %. La somme totale requise pour construire la nouvelle étable et adapter l’ancienne s’élevait à plus de 100 000 florins. Le chef du bureau régional précité transmit la requête au directeur de l’agriculture et du ravitaillement (directeur voor de landbouw en voedselvoorziening) de la province du Brabant du Nord (paragraphe 28 ci-dessous). Celui-ci la rejeta le 1er novembre 1984, au motif que le requérant n’avait pas démontré "avoir toujours eu l’intention d’accroître le nombre de loges pour vaches laitières, comme il le prétendait dans sa demande". Le 27 novembre 1984, M. van de Hurk adressa au ministère de l’Agriculture et de la Pêche une réclamation contre cette décision (paragraphe 30 ci-dessous), expliquant à loisir que cela faisait en réalité bien longtemps qu’il avait envisagé semblable extension. Le ministre le débouta le 11 novembre 1985, au motif qu’il "ressortait des faits et circonstances indiqués dans la réclamation, ainsi que des informations obtenues d’autres sources par la voie officielle (ambtelijk overig ingewonnen informatie)" que le nombre de loges pour vaches laitières et vaches pleines avait augmenté de douze, passant de 118 à 130, ce qui représentait un accroissement d’environ 10 %, bien inférieur donc au minimum de 25 % exigé par l’ordonnance de 1984 (paragraphe 27 ci-dessous). Le requérant saisit le Conseil d’appel en matière économique (College van Beroep voor het Bedrijfsleven - "le Conseil"; paragraphe 31 ci-dessous) le 3 décembre 1985. Il soutenait que l’augmentation avait été de 40 loges et que le ministre s’était trompé en considérant que l’étable en comportait au départ 118. De surcroît, par une lettre parvenue au greffe du Conseil le 30 décembre 1986, il invita le président de cet organe (paragraphe 35 ci-dessous) à ordonner une mesure provisoire prévoyant que, dans l’attente de la décision du Conseil, il ne serait pas tenu de payer le prélèvement supplémentaire pour 1984/1985 et les années laitières suivantes, et que les montants déjà versés par lui au titre de ce prélèvement lui seraient remboursés dans la mesure où sa production laitière n’avait pas dépassé la quantité non soumise à prélèvement qu’il avait réclamée sur la base de 28 nouvelles loges. Après une audience publique, le président invita le ministre, par une lettre datée du 10 février 1987, à faire savoir s’il était disposé à revoir sa décision. Par une lettre du 3 avril 1987, le ministre répondit que rien ne lui paraissait justifier semblable réexamen et que la mesure provisoire sollicitée par le requérant devait être refusée. Il se pencha sur la question de l’augmentation du nombre de loges et maintint son point de vue antérieur. A titre subsidiaire, il fit valoir que les investissements de M. van de Hurk se rapportant à cet accroissement étaient inférieurs au minimum de 100 000 florins requis. Il estimait l’investissement total à 176 608 florins 27 et le prix au mètre carré de la nouvelle étable à 197 florins 23; partant de la surface occupée dans l’ancienne étable par les nouvelles loges pour vaches laitières et vaches pleines, il conclut que l’agrandissement avait entraîné une dépense de 48 406 florins 65 tout au plus. Le requérant répliqua par une lettre datée du 18 mai 1987. Il plaidait d’abord la forclusion en ce qui concerne l’argument précité, celui-ci n’ayant jamais été avancé pour motiver le rejet de sa demande originaire; à titre subsidiaire, il soutenait que les calculs du ministre étaient faux. Se référant à une liste des coûts concernés dressée par son comptable, il prétendait que son investissement total se chiffrait en réalité à 215 183 florins 22 et critiquait le mode de calcul retenu par le ministre. D’après lui, 65 % de l’investissement total se rapportaient aux loges pour vaches dans la nouvelle étable pour génisses, dont 90 % remplaçaient de telles loges dans l’ancienne étable, laquelle devait désormais accueillir des vaches laitières et des vaches pleines; la dépense entraînée par l’accroissement en question était donc de 125 882 florins. Le 7 juillet 1987, le président du Conseil refusa la mesure provisoire demandée, au motif qu’à première vue il était peu probable que le Conseil lui-même infirmât la décision du ministre, qui, d’après lui, n’avait pas commis d’erreur en déboutant le requérant. Acceptant l’argument invoqué à titre subsidiaire par le premier au sujet de l’investissement du second, il ne jugea pas nécessaire d’aborder la question de l’augmentation du nombre de loges pour vaches laitières et vaches pleines. Il écarta la thèse de la forclusion, estimant que l’article 51 de la loi de 1954 sur la justice administrative en matière économique (Wet administratieve rechtspraak bedrijfsorganisatie, Staatsblad (Journal officiel) 1954, no 416, depuis lors amendée - "la loi de 1954"), habilitait le ministre à compléter ses observations, cependant que M. van de Hurk avait non seulement eu amplement la possibilité de réagir à l’assertion subsidiaire du ministre, mais l’avait effectivement saisie. Faisant siens la méthode de calcul utilisée par le ministre et le chiffre soumis par le requérant en ce qui concerne son investissement total, il aboutit à un montant de 55 440 florins imputable à l’accroissement du nombre de loges dans l’ancienne étable, ce qui était insuffisant. Par une lettre du 25 septembre 1987 adressée au greffier du Conseil, M. van de Hurk fit savoir qu’il souhaitait poursuivre la procédure devant cet organe. Commentant la décision du président, il développa sa propre méthode de calcul. Comme le ministre, il prenait pour point de départ l’investissement nécessité par la construction de la nouvelle étable pour génisses. A partir du chiffre soumis par lui au président - 215 183 florins 22 (paragraphe 16 ci-dessus) - il obtenait un prix au mètre carré de 240 florins. Sur cette base, il arrivait, pour l’investissement imputable à l’accroissement du nombre de loges pour vaches laitières et vaches pleines dans l’étable existante, à un chiffre de 125 882 florins. A titre subsidiaire, pour le cas où les calculs du ministre seraient retenus, il soutenait que ceux-ci étaient fondés sur des prémisses erronées; appliquée correctement, la méthode du ministre aboutissait à un chiffre de 91 200 florins imputable à l’augmentation du nombre de loges pour vaches laitières et vaches pleines, ce qui suffisait puisque c’était le requérant lui-même qui avait accompli le travail physique lié à la construction de la nouvelle étable (paragraphe 27 ci-dessous). Le ministre déposa un mémoire en défense le 21 novembre 1988, puis une audience publique eut lieu le 19 avril 1989. Au cours de celle-ci, M. van de Hurk contesta derechef le mode de calcul du ministre et fit valoir, pour le cas où le Conseil l’accepterait néanmoins, que le prix au mètre carré calculé par le ministre était en tout état de cause trop bas; celui-ci était non pas de 240, mais de 342 florins 85. Le Conseil rendit son arrêt au fond le 16 juin 1989. Comme son président, il ne statua pas sur la question de savoir si l’augmentation du nombre de loges pour vaches avait été suffisante; en fait, il refusa explicitement de se prononcer sur ce point. Il accepta lui aussi la méthode de calcul du ministre; l’appliquant aux chiffres soumis par le requérant en réponse à la décision du président (un prix au mètre carré de 240 florins, les nouvelles loges occupant une surface de 330 mètres carrés), il aboutit à un investissement de 79 200 florins imputable à l’augmentation du nombre de loges. S’exprimant dans les termes suivants, il refusa de prendre en considération, pour cause de tardiveté, le prix au mètre carré avancé par M. van de Hurk à l’audience: "Eu égard, entre autres, à la règle de l’article 6 par. 2 de l’ordonnance, il sera passé outre, pour juger la décision attaquée, à la déclaration du requérant faite pour la première fois à l’audience et selon laquelle le prix au mètre carré serait en réalité de 342 florins 85." En conséquence, concluant que les investissements du requérant étaient inférieurs au minimum requis, il rejeta le recours. II. DROIT DE LA COMMUNAUTÉ ÉCONOMIQUE EUROPÉENNE ET DROIT ET PRATIQUE INTERNES PERTINENTS A. Règlements de la Communauté économique européenne Depuis longtemps, la Communauté était confrontée à des surplus de lait et de produits laitiers. En 1984, d’après le préambule du règlement du Conseil (CEE) no 856/84, "l’augmentation de la collecte laitière se poursui[vai]t à un rythme tel que l’écoulement des quantités supplémentaires entraîn[ait] des charges financières et des difficultés de marché qui mett[ai]ent en cause l’avenir de la politique agricole commune". Modifiant un règlement antérieur qui ne s’était pas révélé suffisamment efficace, le règlement du Conseil (CEE) no 856/84 (JO (Journal officiel) no L 90 du 1er avril 1984, p. 10) fut adopté par le Conseil des Communautés européennes en réponse à ces excédents structurels. Celui-ci décida que, pour une période initiale de cinq ans, la quantité de lait, que chaque exploitant laitier était autorisé à produire, devait être limitée à un montant déterminé (la "quantité de référence"). A cet effet, il instaura un système en vertu duquel les producteurs laitiers devaient payer une pénalité ou "prélèvement supplémentaire" sur le lait fourni au-delà des quantités qui leur étaient attribuées. Il appartenait aux Etats eux-mêmes de répartir leurs quantités garanties entre leurs producteurs, conformément à une formule prescrite par le règlement du Conseil (CEE) no 857/84 (JO no L 90 du 1er avril 1984, p. 13). En vertu de l’article 189 du Traité CEE, les règlements du Conseil (CEE) nos 856/84 et 857/84 étaient obligatoires dans tous leurs éléments et directement applicables dans l’ensemble des Etats membres des Communautés européennes. Ils sont entrés en vigueur le 1er avril 1984. B. Mise en oeuvre aux Pays-Bas des règlements du Conseil (CEE) nos 856/84 et 857/84 Dispositions normatives En vertu de l’article 13 paras. 1 et 2 de la loi sur l’agriculture (Landbouwwet), le ministre de l’Agriculture, de la Conservation de la nature et de la Pêche (minister voor landbouw, natuurbeheer en visserij) est habilité à imposer par ordonnance (beschikking) un prélèvement sur la production, la livraison et le traitement de produits agricoles. Semblable ordonnance peut être prise, notamment, pour mettre en oeuvre les règlements, directives, décisions et recommandations de la CEE dans la mesure où ils se rapportent à sa politique agricole commune. Les règlements du Conseil (CEE) nos 856/84 et 857/84 ont été mis en oeuvre par l’ordonnance de 1984. Celle-ci reçut effet rétroactif au 1er avril 1984, date d’entrée en vigueur desdits règlements. Les producteurs laitiers qui avaient assumé des obligations liées à des investissements (investeringsverplichtingen) après le 1er septembre 1981, mais avant le 1er mars 1984, pouvaient prétendre à une quantité de référence plus importante, calculée d’après une formule donnée par l’ordonnance de 1984, si certaines conditions étaient remplies. Pareille quantité de référence accrue pouvait être octroyée, notamment, aux producteurs à même de prouver qu’ils avaient contracté des engagements financiers en vue d’augmenter leur nombre de loges pour vaches (laitières ou pleines) d’au moins 25 %, le faisant passer à plus de 60 (article 11 de l’ordonnance de 1984). L’investissement minimum requis était de 100 000 florins, ou 90 % de ce chiffre si le producteur pouvait prouver qu’il avait lui-même contribué de manière suffisante au travail physique entraîné par les aménagements pour compenser la différence. Dispositions procédurales Tout producteur revendiquant une augmentation de sa quantité non soumise à prélèvement sur la base de l’article 11 de l’ordonnance de 1984 avait jusqu’au 1er août 1984 pour saisir de sa prétention le chef du bureau régional de la Fondation pour la mise en oeuvre des mesures agricoles, qui la transmettait au directeur de l’agriculture et du ravitaillement de la province (articles 6 par. 1 et 7 par. 1 de l’ordonnance). Le directeur statuait après avoir recueilli l’avis d’une commission consultative. Semblable demande devait s’accompagner d’un exposé des motifs et de preuves documentaires. Aux termes de l’article 6 par. 2 de l’ordonnance, "La demande visée au paragraphe 1 est motivée. Elle comporte une déclaration corroborée par des preuves au sujet des divers motifs, mentionnés aux articles 11, 11b, 11c, 12 et 13, sur lesquels elle s’appuie. Elle est irrecevable si (...) les règles fixées dans le présent paragraphe n’ont pas été observées." En cas de rejet de sa prétention, le demandeur disposait de trente jours pour adresser au ministre une réclamation (bezwaarschrift) contre la décision du directeur (article 7 paras. 2 et 3 de l’ordonnance). C. Le Conseil d’appel en matière économique Les décisions du ministre étaient susceptibles de recours devant le Conseil dans un délai de trente jours (article 46 de la loi sur l’agriculture). Il s’agit d’un organe judiciaire qui fut créé par la loi de 1954. Initialement institué pour examiner les recours contre les décisions et actes de divers organes de régulation économique, sa compétence a progressivement été élargie, de manière à inclure certaines décisions du gouvernement central et d’autres organes administratifs autonomes mis en place par des lois spécifiques. D’après les "directives sur l’accès au Conseil d’appel en matière économique" (Richtlijnen voor het openstellen van beroep op het College van Beroep voor het Bedrijfsleven) du 24 juin 1986, Journal du Gouvernement 1986, p. 124, le Conseil est en principe la juridiction compétente en ce qui concerne la "législation de nature socio- économique". L’article 5 de la loi de 1954 lui donnait compétence pour examiner la conformité des actes et décisions visés ci-dessus à la législation de caractère général et aux principes généraux de bonne administration (algemene beginselen van behoorlijk bestuur), pour vérifier l’absence de tout abus de pouvoir et pour déterminer si, dans sa mise en balance des intérêts concernés, l’organe administratif en cause avait pu raisonnablement décider comme il l’avait fait. Les juges qui le composent sont nommés à vie par la Couronne. Ils doivent posséder les mêmes qualifications que les juges des cours d’appel (article 9 de la loi). Ils prêtent le même serment, perçoivent le même traitement que ces derniers et sont soumis aux mêmes règles et procédures en matière de contrôle et de révocation (articles 11 et 12). Ils ne peuvent occuper aucun autre poste officiel et ne peuvent exercer aucune fonction dans une entreprise privée ou dans une association d’employeurs ou de salariés (article 10). La procédure devant le Conseil est publique. A l’époque considérée, elle comportait normalement une phase écrite (présentation d’une requête par l’appelant, soumission d’un mémoire en réponse par l’organe administratif concerné, et le cas échéant, si le président y consentait, dépôt de mémoires ampliatifs), puis une phase orale (articles 29 et suivants). L’article 51 permettait aussi bien à l’organe administratif qu’au requérant de "modifier tant leur demande ou leur défense que les motifs invoqués à l’appui de celles-ci jusqu’à la clôture de l’audience, à moins que le Conseil n’estim[ât] que pareille modification pla[çait] l’adversaire dans une situation nettement désavantageuse". En vertu de l’article 65, le requérant pouvait inviter le président à ordonner des mesures provisoires, et ce tant avant qu’après le dépôt d’un recours au fond. Le président statuait aussitôt que possible après avoir entendu l’organe administratif concerné ou après lui avoir au moins donné l’occasion de s’exprimer. L’arrêt du Conseil, qui était sans recours, pouvait infirmer la décision attaquée et régler les conséquences de pareille infirmation; en particulier, il pouvait ordonner à l’organe administratif concerné de prendre, retirer ou modifier une décision, ou d’agir ou de s’abstenir d’agir dans un certain sens. Il pouvait comporter une injonction de payer une amende en cas de non-exécution (article 58). Le Conseil pouvait également ordonner à l’organe en cause de verser une réparation pour tout dommage subi par l’appelant du fait de la décision ou de l’acte incriminés (article 60). Dans la mesure où l’arrêt prescrivait le paiement d’une somme d’argent, il pouvait être exécuté conformément aux règles relatives à l’exécution des jugements des tribunaux en matière civile (article 62). Les articles 74 et 75 de la loi étaient ainsi libellés: Article 74 "1. Si Nous estimons qu’un arrêt [du Conseil] est contraire, dans ses conséquences, à l’intérêt général, Nous pouvons décider, sur la recommandation de Nos ministres compétents, qu’il sera sans effet ou ne déploiera que partiellement ses effets. En attendant que soit rendue la décision visée au paragraphe 1, Nous pouvons, sur la recommandation de Nos ministres compétents, suspendre l’arrêt, en tout ou en partie, pour une durée que Nous déterminons. La suspension, même prolongée, ne peut excéder une année. Une décision au sens du paragraphe 1 ne peut être rendue que dans les deux mois qui suivent l’arrêt ou, si celui-ci a été suspendu durant cette période, dans le délai correspondant à la suspension. Une décision au sens du paragraphe 2 ne peut être rendue que dans les deux mois qui suivent l’arrêt. Nos décisions sont publiées au Journal officiel. Les deux premiers paragraphes ne s’appliquent pas dans la mesure où la décision accorde une réparation, complète ou non, ou ordonne le remboursement des frais. (...)" Article 75 "1. Si Nous décidons que l’arrêt sera sans effet ou ne déploiera que partiellement ses effets, le Conseil peut, à la demande de la personne concernée, soit statuer à nouveau en tenant compte de Notre décision, soit condamner l’organe mis en cause à réparer, en tout ou en partie, le préjudice subi par le requérant du fait de l’inexécution ou de l’inexécution partielle de la sentence. 2-4. (...)" Les expressions "Nous", "Nos" et "Notre" dans les articles précités se réfèrent au fait que les décisions de l’article 74 revêtaient la forme d’arrêtés royaux (Koninklijk besluit) signés par le monarque et le ministre responsable. Comme semblables arrêtés ne peuvent être adoptés qu’à l’initiative et sous la responsabilité (politique) d’un ministre, c’était le ministre qui avait effectivement le pouvoir de rendre une décision au titre de l’article 74 paras. 1 et 2. Conformément à la terminologie néerlandaise usuelle, le présent arrêt utilisera l’appellation "la Couronne" pour désigner conjointement le monarque et le ministre. Il n’a jamais été fait usage des pouvoirs conférés par les articles 74 et 75 de la loi de 1954. Les directives précitées (paragraphe 32 ci-dessus) prévoyaient explicitement que les nouvelles lois donnant compétence au Conseil devaient déclarer la loi de 1954 applicable, sauf en ce qui concerne lesdits articles. Avant l’établissement des directives, le ministre de la Justice avait répondu comme suit à une question du Conseil d’Etat (Raad van State): "En principe il n’est, d’après moi, jamais nécessaire de déclarer les articles 74 et 75 applicables par analogie. A l’époque, ces deux dispositions ont été incluses dans la loi à titre de précaution, eu égard à la circonstance qu’il y a plus de trente ans le législateur ne pouvait guère savoir comment la procédure judiciaire administrative évoluerait. Il n’a jamais été fait usage des pouvoirs conférés à la Couronne par l’article 74. On pourrait même s’aventurer à dire que le système des articles 74 et 75 est devenu lettre morte." (Kamerstukken (Documents parlementaires) II 1984-1985, 18798, A-C, p. 10) La loi de 1954 a déployé ses effets jusqu’au 1er janvier 1994. A cette date est entré en vigueur un code administratif général (Algemene Wet Bestuursrecht) qui fixe de nouvelles règles uniformes de procédure en matière administrative. En même temps, la loi de 1954 a été remplacée par une nouvelle loi sur la justice administrative en matière économique (Wet bestuursrechtspraak bedrijfsorganisatie). En vertu de l’article 19 de celle-ci, lesdites règles uniformes figurant dans le code administratif général régissent aussi la procédure devant le Conseil. Ni le code ni la loi ne contiennent de disposition habilitant une autorité administrative quelle qu’elle soit à porter atteinte à l’autorité de chose jugée d’un arrêt. PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION Dans sa requête (no 16034/90) introduite le 1er décembre 1989 devant la Commission, M. van de Hurk alléguait une triple violation de l’article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention. Premièrement, il n’aurait pas été statué sur sa cause par un tribunal "indépendant et impartial", dès lors que la Couronne, et donc le ministre, pouvaient priver la décision du Conseil de ses effets ou suspendre son exécution. Deuxièmement, il n’aurait pas bénéficié d’un "procès équitable" devant ledit organe puisque celui-ci n’avait pas tenu compte de ses arguments, alors qu’il avait autorisé le ministre à soumettre de nouvelles observations à un stade ultérieur et avait, de surcroît, dévié de la question posée à l’origine par sa réclamation au ministre (le nombre de loges pour vaches), en se prononçant seulement sur la somme investie. Troisièmement, le Conseil n’aurait pas ou pas suffisamment traité, dans son arrêt, de divers arguments avancés par lui. La Commission a retenu la requête le 8 janvier 1992. Dans son rapport du 10 décembre 1992 (article 31) (art. 31), elle conclut, par douze voix contre cinq, qu’il y a eu violation de l’article 6 par. 1 (art. 6-1). Le texte intégral de son avis et de l’opinion dissidente dont il s’accompagne figure en annexe au présent arrêt.
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE M. Pierre Beaumartin, industriel français à la retraite, a son domicile à Léognan (Gironde). Ses soeurs, Mmes Jeanne Droin et Paule Thibout, résident respectivement à Bordeaux et Paris. A. La nationalisation Les requérants détenaient ensemble dix parts de la Société immobilière du Karmat El Hadj, société de droit marocain qui était uniquement propriétaire d’un domaine agricole de plus de 400 ha situé dans la province de Kenitra au Maroc, et dont le capital se composait de 6 000 parts. Ils possédaient encore la quasi-totalité des actions de la Société foncière du Quartier de l’Europe, société civile française, elle-même détentrice de 5 959 parts de la société marocaine et propriétaire en outre d’un immeuble à Paris. Par un dahir (décret royal) du 2 mars 1973, le gouvernement marocain nationalisa les terres agricoles appartenant aux étrangers. B. La procédure d’indemnisation Le 2 août 1974, après négociation, les gouvernements marocain et français conclurent un protocole d’accord afin de régler les conséquences financières de ladite mesure à l’égard des biens des ressortissants français. Il échet d’en citer les dispositions ci-après: Article 1 "Le Gouvernement marocain verse au Gouvernement français une indemnité globale et forfaitaire, à charge pour ce dernier d’en assurer la répartition aux bénéficiaires du présent Protocole. Ces bénéficiaires sont les personnes physiques de nationalité française, soit propriétaires à titre individuel ou en indivision, soit associées de sociétés de personnes ou de capitaux, soit ayant subi à tout autre titre les conséquences du dahir du 2 mars 1973." Article 4 "Le Gouvernement français est chargé de la répartition de l’indemnité fixée au présent Protocole. (...)" Article 6 "A compter de la signature du présent Protocole, chacun des deux Gouvernements s’engage, sous réserve de l’exécution par l’autre Gouvernement des obligations qui lui incombent en vertu dudit Protocole, à ne pas présenter ni soutenir, auprès de l’autre Gouvernement ou devant une instance arbitrale ou judiciaire, les revendications éventuelles de ses ressortissants relatives à des biens, droits et intérêts visés aux articles 1, 2 et 5 du présent Protocole." Un décret du 3 janvier 1975 porta publication du Protocole et chargea le Premier ministre et le ministre des Affaires étrangères de son exécution. Un décret du 6 novembre 1979 institua une commission de répartition de l’indemnité marocaine. Son article 3 disposait: "La commission comprend: - un représentant du ministère des affaires étrangères, président; - un représentant du ministère de la justice; - un représentant du ministère de l’intérieur; - un représentant du ministère de l’économie. Le président et les membres de la commission sont nommés par arrêté du ministre des affaires étrangères. (...) Les décisions sont prises à la majorité. En cas de partage des voix, celle du président est prépondérante." Par une décision du 23 juin 1980, notifiée le 31 juillet 1980, cette commission indemnisa les requérants en tant que personnes physiques, à raison des seules parts directement détenues dans la Société immobilière du Karmat El Hadj, soit quatre parts pour M. Beaumartin et trois parts pour chacune de ses soeurs. En revanche, elle refusa de les dédommager en leur qualité d’actionnaires majoritaires de la Société foncière du Quartier de l’Europe, en application de l’article 1 par. 2 du Protocole. C. La procédure juridictionnelle Devant le tribunal administratif de Paris Les requérants attaquèrent cette décision devant le tribunal administratif de Paris le 26 septembre 1980 et développèrent leur recours dans un mémoire déposé le 9 février 1981. Ils reprochaient à la commission d’avoir, pour l’indemnisation du domaine agricole de la société immobilière marocaine, tenu compte des seules parts qu’ils détenaient en leur nom propre dans cette dernière, et non de celles qu’ils possédaient dans la société foncière française. Le ministre des Affaires étrangères, défendeur, formula des observations en réponse le 2 avril 1981. Par une ordonnance du 15 juin 1981, le vice-président du tribunal administratif estima que le litige échappait à la compétence de ce dernier et transmit la requête et le dossier au Conseil d’Etat. Devant le Conseil d’Etat Le ministre des Affaires étrangères présenta des observations le 25 février 1983. Le 3 octobre 1986, le Conseil d’Etat sursit à statuer sur la requête jusqu’à ce que l’autorité habilitée à interpréter le Protocole se prononçât. Il s’appuyait sur les motifs suivants: "Considérant que la solution du présent litige dépend du point de savoir si, par l’effet de cet article [1 du Protocole d’accord franco-marocain], les personnes physiques peuvent prétendre au bénéfice d’une indemnisation uniquement en tant qu’elles sont associées de sociétés de personnes ou de capitaux directement propriétaires de biens indemnisables au titre du protocole d’accord susmentionné ou si elles peuvent également y prétendre en tant qu’associées de sociétés elles-mêmes associées de sociétés de personnes ou de capitaux propriétaires de tels biens; que la solution du litige est ainsi commandée par l’interprétation de cet accord; que celui-ci présente le caractère d’une convention internationale et que son sens n’est pas clair; que, dès lors, le ministre des affaires étrangères est seul qualifié pour en donner l’interprétation;" Par une note du 2 juillet 1987, le ministre répondit que le Protocole litigieux "n’avait (...) pas pour objet de couvrir les personnes physiques associées de sociétés elles-mêmes associées de sociétés de personnes ou de capitaux propriétaires de biens indemnisables", de sorte que les intéressés ne pouvaient prétendre à une indemnisation au titre dudit instrument. Le 13 octobre 1987, les requérants formulèrent de nouvelles conclusions: ils y faisaient valoir que si le Conseil d’Etat se considérait comme lié par l’interprétation du ministre, pareille décision aboutirait à une violation de l’article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention. Le ministre présenta les siennes le 10 novembre 1988. Par un arrêt du 27 janvier 1989, le Conseil d’Etat rejeta la requête, au motif que "l’interprétation donnée par le ministre des Affaires étrangères s’impose au Conseil d’Etat qui ne peut qu’en tirer les conséquences juridiques". II. LA JURISPRUDENCE FRANÇAISE EN MATIÈRE D’INTERPRÉTATION DES TRAITÉS INTERNATIONAUX A. La position du Conseil d’Etat La jurisprudence appliquée en l’espèce Depuis 1823 (arrêt Veuve Murat, Comtesse de Lipona, du 23 juillet 1823, Recueil des arrêts du Conseil d’Etat, p. 545), le Conseil d’Etat estimait qu’il ne lui appartenait pas, dans l’exercice de ses fonctions contentieuses, d’interpréter les traités internationaux. En présence d’un texte - à l’exclusion des textes communautaires dont l’article 177 du Traité de Rome régit l’interprétation - qu’il jugeait insuffisamment clair, il s’en remettait à l’interprétation officielle du ministre des Affaires étrangères. Il assimilait celle-ci à un acte de gouvernement non détachable des relations internationales, revêtu de la force obligatoire et insusceptible de recours contentieux (arrêt d’assemblée du 3 juillet 1931, Sieurs Karl et Toto Samé, Recueil des arrêts du Conseil d’Etat, p. 722, Sirey 1932, III, p. 129). La jurisprudence postérieure Le 29 juin 1990, le Conseil d’Etat a rendu en assemblée plénière et conformément aux conclusions de M. le commissaire du gouvernement Ronny Abraham un arrêt à propos des conditions de circulation, de séjour et d’emploi des ressortissants algériens et de leur famille en France (arrêt G.I.S.T.I., Recueil des arrêts du Conseil d’Etat, p. 171, Actualité juridique. Droit administratif 1990, p. 621, Revue générale de droit international public 1990, p. 879, Revue française de droit administratif 1990, p. 923, avec une note de M. Jean-François Lachaume, Revue critique de droit international public 1991, p. 61). Il a abandonné la pratique - sans équivalent dans les autres Etats membres du Conseil de l’Europe - du renvoi préjudiciel au ministre pour interpréter une convention internationale dont le contenu est ambigu ou incertain. Désormais il interprète lui-même les accords internationaux et, s’il recueille l’avis du pouvoir exécutif, ne se tient pas pour lié par lui. B. La position de la Cour de cassation Depuis un arrêt du 24 juin 1839 (Dalloz 1839, 1re partie, p. 257), les formations civiles de la Cour de cassation reconnaissent aux juridictions judiciaires le droit d’interpréter les clauses d’un traité "dès lors qu’elles ne mettent pas en cause l’ordre public international". Dans le cas contraire, et si l’acte manque de clarté, elles leur commandent encore de renvoyer la question au ministre des Affaires étrangères (1re chambre civile, 7 juin 1989, Juris-Classeur périodique 1990, II, no 21448). Le principe de l’incompétence avec obligation de renvoi préjudiciel en interprétation subsiste encore pour la chambre criminelle: à l’exception de la Convention européenne des Droits de l’Homme "les conventions internationales sont des actes de haute administration qui ne peuvent être interprétés, s’il y a lieu, que par les puissances entre lesquelles elles sont intervenues" (arrêt du 3 juin 1985, Bulletin des arrêts de la Cour de cassation, no 212, p. 542). L’interprétation officielle a une portée générale et s’impose à l’autorité judiciaire (arrêt du 7 juin 1988, Bulletin des arrêts de la Cour de cassation, no 257, p. 683). En revanche, la chambre sociale a récemment renoncé à distinguer entre les conventions internationales et procède à leur interprétation sans rechercher si l’ordre public international se trouve mis en cause (arrêt Caisse autonome mutuelle de retraite des agents des chemins de fer du 29 avril 1993, avec les conclusions de M. l’avocat général Chauvy, Gazette du Palais, 11-12 mars 1994, p. 13). PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION M. et Mmes Beaumartin ont saisi la Commission le 19 juillet 1989. Invoquant l’article 6 (art. 6) de la Convention, ils prétendent que leur cause n’a été entendue ni dans un délai raisonnable par les juridictions administratives ni équitablement par le Conseil d’Etat dans la mesure où ce dernier s’est estimé lié par l’avis du ministre des Affaires étrangères. La Commission a retenu la requête (no 15287/89) le 10 janvier 1992. Dans son rapport du 29 juin 1993 (article 31) (art. 31), elle conclut, par dix voix contre cinq, qu’il y a eu violation de l’article 6 par. 1 (art. 6-1) quant aux deux griefs. Le texte intégral de son avis et de l’opinion dissidente dont il s’accompagne figure en annexe au présent arrêt. CONCLUSIONS PRESENTEES A LA COUR PAR LE GOUVERNEMENT Dans son mémoire, le Gouvernement demande à la Cour de "bien vouloir rejeter la requête aux motifs: principalement que les dispositions de l’article 6 (art. 6) de la Convention (...) sont inapplicables au litige; subsidiairement que la France n’a pas enfreint les règles du procès équitable posées par ces mêmes dispositions".
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE A. Événements ayant conduit à la première série de procédures relatives à la garde M. Hokkanen, citoyen finlandais né en 1953, réside à Tuusula. Il a une fille, Sini, née en septembre 1983. A la suite du décès, en avril 1985, de Mme Tuula Hokkanen (la mère de l’enfant, à laquelle le requérant était marié depuis le 11 juin 1983), Sini fut prise en charge par ses grands-parents maternels, M. Reino et Mme Sinikka Nick ("les grands-parents"). Au dire de l’intéressé, il avait accepté cette solution comme un arrangement provisoire qui lui permettrait de résoudre certains problèmes posés par le décès de son épouse, y compris la réorganisation de ses activités d’exploitant agricole. A la fin de 1985, les grands-parents informèrent le requérant qu’ils n’entendaient pas lui rendre Sini. Des tentatives, auxquelles prit part le conseil social (sosiaalilautakunta, socialnämnden) de Tuusula, eurent lieu afin de réconcilier M. Hokkanen et les grands-parents, mais en vain. Le 2 mai 1986, la préfecture (lääninhallitus, länsstyrelsen) d’Uusimaa, exécuteur en chef (ulosotonhaltija, överexekutor) compétent (paragraphe 44 ci-dessous), rejeta la demande de M. Hokkanen tendant à la restitution de Sini, en application de l’article 8 par. 2 de la loi de 1975 sur l’exécution des décisions relatives à la garde des enfants et au droit de visite les concernant (laki 523/75 lapsen huollosta ja tapaamisoikeudesta annetun päätöksen täytäntöönpanosta, lag 523/75 om verkställighet av beslut som gäller vårdnad om barn och umgängesrätt - "la loi de 1975"). Elle relevait que le requérant avait consenti à l’arrangement laissant Sini aux soins de ses grands-parents, que compte tenu du temps écoulé depuis son installation chez eux et des contacts peu nombreux qu’elle avait eus avec lui, le retour de la première chez lui pourrait aller contre ses intérêts; elle ordonna en conséquence aux deux parties de saisir le tribunal d’arrondissement (kihlakunnanoikeus, häradsrätten) de Tuusula afin qu’il se prononçât sur la garde de l’enfant, ce qu’elles firent. B. Première série de procédures relatives à la garde Procédures devant le tribunal d’arrondissement Après une audience, le 16 juillet 1986, le tribunal d’arrondissement décida provisoirement que Sini demeurât chez ses grands-parents; il accorda aussi un droit de visite à M. Hokkanen: Sini passerait chez lui un week-end sur quatre et, à partir du 8 août 1986, une semaine sur quatre. Le 30 septembre 1986, la préfecture ordonna aux grands-parents de respecter le droit de visite du requérant, sous peine d’une amende administrative (uhkasakko, vite) de 2 000 marks finlandais chacun. Toutefois, ils n’obtempérèrent pas. Le 31 octobre 1986, le tribunal d’arrondissement tint une nouvelle audience. Il renvoya la cause et accorda derechef un droit de visite provisoire à l’intéressé: à partir du 5 novembre, il pourrait rendre visite à sa fille chez les grands-parents pendant deux heures tous les mercredis et six heures chaque dimanche puis, à partir du 1er décembre, ce serait elle qui irait le voir, aux mêmes dates et pendant les mêmes périodes, à son domicile à lui. Les grands-parents refusèrent toutefois de se soumettre à ces modalités. Le 21 janvier 1987, la préfecture débouta M. Hokkanen d’une demande l’invitant à faire exécuter le droit de visite que le tribunal d’arrondissement lui avait accordé le 16 juillet 1986. Elle relevait que le tribunal, dans sa décision du 31 octobre 1986, avait modifié ce droit. Elle estimait donc que sa décision du 30 septembre 1986, selon laquelle les grands-parents s’exposeraient à des amendes dans le cas où ils ne respecteraient pas l’ordonnance relative au droit de visite (paragraphe 11 ci-dessus), était caduque. Le 26 janvier 1987, le tribunal d’arrondissement confirma que la garde revenait au requérant et ordonna que Sini lui fût rendue. Il prit en compte, entre autres, un rapport du 22 janvier 1987 du centre de guidance de l’enfance (kasvatusneuvola, uppfostringsrådgivningen - "le centre") de l’Uusimaa central. Le 10 mars 1987, la préfecture ordonna aux grands-parents, sous peine d’une amende de 8 000 marks chacun, de se plier au jugement du tribunal d’arrondissement du 26 janvier. Ils n’obtempérèrent pas davantage. Saisine de la cour d’appel par les grands-parents et mesures prises par la préfecture Le 6 mai 1987, saisie par les grands-parents, la cour d’appel (hovioikeus, hovrätten) d’Helsinki confirma le jugement du tribunal d’arrondissement du 26 janvier. Le 23 juin, elle les débouta de leur recours contre la décision de la préfecture du 10 mars. Le 7 mai 1987, la préfecture avait à nouveau enjoint aux grands-parents de rendre Sini à M. Hokkanen dans le délai d’une semaine et de verser chacun 2 000 marks sur les amendes auxquelles ils avaient été condamnés précédemment. S’ils ne restituaient pas Sini à son père, la préfecture ordonnerait à l’exécuteur de procéder à l’exécution forcée. Pourvoi des grands-parents devant la Cour suprême Le 30 juillet 1987, la Cour suprême (korkein oikeus, högsta domstolen) autorisa les grands-parents à la saisir d’un recours contre les arrêts de la cour d’appel des 6 mai et 23 juin 1987, dont elle ordonna le sursis à exécution, ou en ordre subsidiaire la suspension (paragraphe 16 ci-dessus). Dans deux arrêts distincts, du 17 mai 1988, la Cour suprême écarta le recours et rapporta les deux décisions de sursis à exécution. Les grands-parents invitèrent le conseil social à déterminer si l’exécution des arrêts de la Cour suprême servirait les intérêts de Sini. Le conseil en référa à la direction nationale de la protection sociale (sosiaalihallitus, socialstyrelsen). Parallèlement, ils prièrent la Cour suprême de suspendre l’exécution de ses arrêts du 17 mai 1988 et de les rapporter, ce qu’elle refusa le 13 septembre. C. Demandes du requérant à la police et plainte au Chancelier de la Justice Dans l’intervalle, les 13 et 18 mai 1987, M. Hokkanen avait demandé au chef de district de la police de Järvenpää de faire exécuter la décision de la préfecture du 7 mai (paragraphe 17 ci-dessus). Le 28 mai, les autorités s’aperçurent que les grands-parents avaient emmené Sini en un lieu inconnu. La police de Järvenpää prit alors contact avec celle de Mäntyharju, où les grands-parents avaient une maison d’été. On découvrit par la suite que Sini s’y trouvait avec eux. Le 10 juin, le père invita le chef de la police de Mäntyharju à lui restituer sa fille, mais ce fonctionnaire s’y refusa, estimant contraire à l’intérêt de l’enfant d’interrompre ses vacances estivales. Le 29 mai 1987, le requérant déposa plainte auprès du Chancelier de la Justice (oikeuskansleri, justitiekanslern), alléguant que les autorités n’avaient pas pris des mesures suffisantes pour retrouver Sini et la lui rendre. Le 6 juillet 1988, le Chancelier répondit ne pas voir la nécessité d’une action en raison, premièrement, des mesures arrêtées pour exécuter la décision de la préfecture du 7 mai 1987, deuxièmement, de la décision ultérieure de la Cour suprême de surseoir à l’exécution des arrêts de la cour d’appel des 6 mai et 23 juin 1987 (paragraphes 16 et 18 ci-dessus) et, troisièmement, de la demande des grands-parents tendant au sursis à exécution et à l’annulation des arrêts de la Cour suprême du 17 mai 1988 (paragraphe 19 ci-dessus). D. Seconde série de procédures relatives à la garde Procédure administrative Le 30 mai 1990, la direction nationale de la protection sociale recommanda au conseil social de Tuusula de prendre des mesures en vue du transfert de la garde de Sini de M. Hokkanen aux grands-parents, de l’octroi d’un droit de visite à l’intéressé et de la nomination d’une autre personne que celui-ci comme tuteur de Sini. Le 25 juillet 1990, à la demande du conseil social, le conseil des tutelles (holhouslautakunta, förmyndarenämnden) de Tuusula indiqua dans un avis sur les questions ci-dessus que le requérant avait exercé de manière satisfaisante ses fonctions de tuteur. Il ne jugeait pas opportun de transférer la garde et la tutelle de Sini, et concluait que le père devait continuer à les assurer. Procédure devant le tribunal d’arrondissement et demandes du requérant tendant à la mise en œuvre de son droit de visite Le 13 août 1990, le conseil social de Tuusula invita le tribunal d’arrondissement à transférer la garde aux grands-parents. Il notait que M. Hokkanen était à même d’élever Sini et pouvait lui offrir un bon foyer; il mettait l’accent sur le fait que depuis 1985, l’enfant vivait avec ses grands-parents avec lesquels elle avait des liens étroits. Sini n’ayant pas vu son père pendant de nombreuses années, il fallait que leurs rencontres à l’automne 1990 fussent bien préparées et eussent lieu en terrain neutre. Il préconisait aussi que le père demeurât tuteur de Sini. Le 19 septembre 1990, le tribunal d’arrondissement tint audience mais renvoya l’affaire au 14 novembre, après avoir décidé de recueillir l’avis du conseil des tutelles. Celui-ci communiqua un rapport le 31 octobre; il y recommandait de démettre le requérant de sa qualité de tuteur de l’enfant. A l’audience fixée au 14 novembre 1990, le tribunal d’arrondissement renvoya de nouveau l’affaire, au 8 mai 1991 cette fois, en attendant l’avis du centre de guidance de l’enfance de l’Uusimaa central. Le 7 mai 1991, le centre de guidance de l’enfance et de la famille (perhe- ja kasvatusneuvola, familje - och uppfostringsrådgivningen) de Tuusula, qui remplaçait le précédent, confirma les vues exprimées par ce centre dans son avis du 22 janvier 1987 (paragraphe 14 ci-dessus). Il relevait que les grands-parents avaient refusé de soumettre Sini à un examen (demandé par la direction nationale de la protection sociale) et de la laisser participer à des entretiens dans le cadre de celui-ci. Il rappelait aussi une déclaration du 13 décembre 1989 d’un groupe de travail de la clinique infantile de Lastenlinna: bien que Sini considérât ses grands-parents comme ses parents psychologiques, il n’existait, quant à elle, aucun obstacle psychologique à ce qu’elle rencontrât M. Hokkanen; de telles rencontres seraient, au contraire, dans son intérêt. Au cours de la procédure devant lui, le tribunal d’arrondissement avait décidé provisoirement, le 14 novembre 1990, que Sini demeurerait chez ses grands-parents et avait reconnu certains droits de visite au requérant: en décembre 1990 et janvier 1991, il devait pouvoir rencontrer sa fille pendant six heures le premier dimanche du mois en un lieu choisi par le conseil et en présence de l’un de ses agents; à partir de janvier, le père et la fille se rencontreraient en outre du samedi midi au dimanche midi le troisième week-end du mois et, à partir de février, aussi le premier week-end. Les grands-parents refusèrent toutefois de laisser M. Hokkanen voir l’enfant en dehors de leur domicile. Le 20 décembre 1990, le père demanda à la préfecture de prendre des mesures d’exécution. Il réitéra sa requête le 31 janvier 1991. Le 28 mars 1991, la préfecture ordonna aux grands-parents de se conformer à la décision provisoire du tribunal d’arrondissement du 14 novembre 1990, faute de quoi ils seraient redevables d’une amende administrative de 5 000 marks chacun. Les grands-parents persistèrent dans leur refus. Le requérant ne demanda point le recouvrement des amendes, condition fixée par la loi à leur prononcé. Le 8 mai 1991, le tribunal d’arrondissement rejeta la demande du conseil social tendant au transfert de la tutelle et de la garde. Il précisa aussi que sa décision provisoire du 14 novembre 1990 sur les visites était caduque. Recours devant la cour d’appel et refus de la Cour suprême de l’autorisation de la saisir Le 24 juillet 1991, saisie d’appels distincts des grands-parents et du conseil social, la cour d’appel sursit à l’exécution du jugement du tribunal d’arrondissement du 8 mai 1991 (paragraphe 24 ci-dessus). Par un arrêt du 25 septembre 1991, la cour d’appel décida à la majorité que M. Hokkanen devait demeurer tuteur de Sini, mais transféra la garde aux grands-parents; elle estimait que le fait que l’enfant vivait avec eux depuis le 30 avril 1985 militait fortement en faveur de cette solution. Elle se référait à l’avis précité du 13 décembre 1989 de la clinique infantile (paragraphe 24 ci-dessus) d’après lequel Sini avait de fortes relations de sécurité, de confiance et d’affection avec ses grands-parents, dont elle percevait le foyer comme le sien. Il n’y avait pas lieu de modifier sensiblement cette situation; la fillette devait pouvoir rencontrer le requérant et établir avec lui des rapports normaux. En raison de son jeune âge (huit ans à l’époque) et du fait qu’elle n’avait pas été en mesure de se forger elle-même une opinion, la cour d’appel estimait qu’il ne fallait pas accorder une grande importance aux voeux de Sini de ne pas voir son père, mentionnés dans l’avis du 7 mai 1991 du centre de guidance de l’enfance et de la famille (paragraphe 24 ci-dessus). L’arrêt prescrivait les modalités suivantes quant aux visites: au cours des trois premiers mois, M. Hokkanen et sa fille se rencontreraient pendant quatre heures un samedi chaque mois, en un endroit choisi par le bureau de protection sociale de Tuusula et en présence de l’un de ses agents, puis un week-end sur deux du samedi midi au dimanche midi. Elle serait à Noël avec ses grands-parents et deux semaines chez son père l’été suivant; par la suite, elle passerait les jours fériés chez le requérant et chez ses grands-parents à tour de rôle. Le 19 décembre 1991, la cour d’appel infirma la décision de la préfecture du 28 mars 1991 invitant les grands-parents à se plier à celle, provisoire, du tribunal d’arrondissement du 14 novembre 1990 relative au droit de visite (paragraphe 25 ci-dessus). La cour d’appel tint compte de la décision du 8 mai 1991 de la première juridiction (paragraphe 27 ci-dessus), qui en réalité rapportait sa décision du 14 novembre 1990. Le 21 janvier 1992, la Cour suprême refusa à l’intéressé l’autorisation de la saisir. E. Procédures ultérieures relatives au droit de visite Demande d’exécution adressée au conseil social local Le 25 juin 1992, le conseil social de Järvenpää répondit à une demande d’exécution dont l’avait saisi M. Hokkanen. Il releva que le centre de guidance de l’enfance et de la famille de Järvenpää avait offert aux grands-parents "la possibilité d’obtenir une aide et de discuter de la question du droit de visite", mais qu’ils avaient refusé de se mettre en contact avec lui. Dans une lettre du 16 juin 1992 au conseil, ce dernier déclarait que, dans ces conditions, "il ne pouvait plus rien faire d’autre". Demande d’exécution adressée à la préfecture et procédure judiciaire subséquente Dans l’intervalle, le 22 juin 1992, le requérant invita la préfecture à prendre des mesures en vue de l’exécution de l’arrêt de la cour d’appel du 25 septembre 1991 (paragraphe 29 ci-dessus). Il indiquait notamment qu’en 1991, aucune des trois réunions projetées entre lui et Sini n’avait pu avoir lieu, les grands-parents ayant refusé d’y amener la fillette. Ils avaient en outre dédaigné de répondre aux tentatives faites pour organiser d’autres rencontres. Le 23 juin 1992, la préfecture prit une décision provisoire ordonnant à M. Hokkanen de communiquer les documents pertinents aux grands-parents afin de permettre à ceux-ci de présenter des observations sur sa requête à la préfecture. Ce qu’ils firent le 21 juillet. Elle précisa aussi que l’afaire serait rayée du rôle si le requérant ne renouvelait pas sa demande d’exécution dans le délai d’un an. Le 10 novembre 1992, M. Hokkanen réitéra sa demande du 22 juin à la préfecture. Après quoi celle-ci, comme le veut la législation en la matière, déféra l’affaire au conciliateur (paragraphe 45 ci-dessous). Ce dernier lui communiqua un rapport le 2 décembre et l’intéressé y répondit le 7 décembre. Le 31 décembre 1992, la préfecture ordonna aux grands-parents de se conformer à la décision de la cour d’appel du 25 septembre 1991, sous peine d’une amende administrative de 5 000 marks chacun. Elle écarta en revanche une demande de l’intéressé tendant à ce que Sini vînt habiter chez lui; pareille mesure ne pouvait être prise qu’en exécution d’une décision sur la garde. La préfecture releva toutefois que les grands-parents avaient absolument refusé de coopérer aux tentatives faites pour laisser le père rencontrer sa fille. Etant donné l’âge de celle-ci et la forte influence exercée sur elle par les grands-parents, on ne pouvait tenir compte de sa volonté parce qu’elle n’était pas suffisamment mûre. La préfecture considéra aussi le rapport du conciliateur mentionné plus haut (paragraphe 34 ci-dessus) et que lui avait communiqué le conseil social de Järvenpää. D’après ce document, les grands-parents avaient accepté que M. Hokkanen rencontrât Sini à leur domicile, mais le père avait catégoriquement refusé d’avoir affaire à eux. Le conciliateur avait vu Sini uniquement chez les grands-parents, en leur présence, le 27 novembre 1992. Questionnée au sujet de son père, elle s’était renfermée en elle-même mais avait déclaré ne pas vouloir le voir. Le conciliateur en concluait qu’il fallait tenir compte de son opinion. Les grands-parents n’acceptèrent pas d’amener Sini à une entrevue avec son père, que le conseil social de Järvenpää avait prévue pour le 3 avril 1993. Par un arrêt du 21 octobre 1993, la cour d’appel, se référant à l’article 6 de la loi de 1975 (paragraphe 47 ci-dessous), accueillit un recours des grands-parents contre la décision de la préfecture du 31 décembre 1992 (paragraphe 35 ci-dessus). Elle releva que, d’après un rapport médical du Dr Arajärvi du 8 septembre 1992, Sini était en bonne condition physique et mentale et que, d’après un test psychologique, elle était manifestement d’une intelligence supérieure à la moyenne pour douze ans; il ne fallait donc pas la contraindre à rencontrer le requérant mais la laisser décider par elle-même. De plus, selon le rapport du conciliateur (paragraphes 34 et 35 ci-dessus), elle s’était clairement et de manière persistante refusée à voir M. Hokkanen et elle était suffisamment mûre pour que l’on tînt compte de ses voeux. L’arrêt concluait que, vu la maturité de l’enfant, on ne pouvait mettre un droit de visite en œuvre contre son gré; il leva les amendes infligées aux grands-parents. Le 4 février 1994, la Cour suprême refusa à l’intéressé l’autorisation de se pourvoir devant elle. F. Contacts entre le requérant et Sini M. Hokkanen est allé voir Sini chez ses grands-parents à quelques reprises jusqu’en 1986. Il l’a rencontrée pour la dernière fois le 14 janvier 1987. II. LE DROIT INTERNE PERTINENT A. Garde et droit de visite La garde des enfants se trouve régie par la loi de 1983 sur les droits de garde et de visite relatifs aux enfants (laki 361/83 lapsen huollosta ja tapaamisoikeudesta, lag 361/83 ang. vårdnad om barn och umgängesrätt - "la loi de 1983"). En son article 1, elle dispose que la garde a pour finalité d’assurer le développement équilibré et le bien-être de l’enfant, compte tenu de ses besoins et souhaits particuliers, ainsi que de favoriser des liens étroits entre lui et ses parents. Le gardien représente l’enfant pour ses affaires personnelles, sauf règle légale contraire (article 4). Les parents, ou toute autre personne à laquelle le soin de l’enfant est confié, sont ses gardiens (article 3). Les parents qui sont mariés l’un à l’autre au moment de la naissance de l’enfant sont les gardiens de celui-ci (article 6). Le tribunal d’arrondissement peut décider de confier la garde à une ou plusieurs personnes en plus ou à la place des parents (article 9 par. 1). Il peut transférer la garde des parents à d’autres personnes seulement si, du point de vue de l’enfant, il y a des raisons particulièrement sérieuses de le faire (article 9 par. 2). Le tribunal d’arrondissement est en outre habilité à décider des visites (article 9). Celles-ci ont pour finalité de garantir à l’enfant le droit de maintenir des contacts avec un parent avec lequel il n’habite pas (article 2). Lorsqu’il est appelé à se prononcer sur des questions de garde et de droit de visite, le tribunal compétent doit prendre en compte les voeux et intérêts de l’enfant en fonction de ce qui suit: la considération primordiale est l’intérêt de l’enfant et il faut envisager en particulier les moyens les plus efficaces de mettre en œuvre les droits de garde et de visite à l’avenir (articles 9 par. 4 et 10 par. 1); il faut interroger l’enfant sur ses vues et ses souhaits, si possible et selon son âge et sa maturité, si les parents ne peuvent tomber d’accord sur la question, si l’enfant est confié à une autre personne que son gardien ou si pour une autre raison il s’impose de consulter l’enfant dans son intérêt; la consultation doit avoir lieu avec tact, d’une manière qui tienne compte de la maturité de l’enfant et sans nuire à ses relations avec les parents (article 11). Quand une procédure judiciaire sur des questions de garde et de droit de visite se trouve pendante, le tribunal compétent peut rendre une ordonnance provisoire quant au lieu où l’enfant doit vivre, les modalités des visites et, dans des circonstances particulières, la garde (article 17 paras. 1 et 2). Une décision sur la garde, les visites ou le lieu de résidence de l’enfant est, sauf déclaration en sens contraire, immédiatement exécutoire (article 19). B. Mise en œuvre des droits de garde et de visite Conformément à son article 1 (pour des références, voir le paragraphe 9 ci-dessus), la loi de 1975 s’applique à l’exécution d’une décision judiciaire, y compris une ordonnance provisoire, relative à la garde et aux visites. Elle peut s’appliquer également lorsqu’il s’agit d’exécuter une décision ordonnant que l’enfant vive avec une personne déterminée ou qu’il soit remis à son gardien. Une demande d’exécution peut être présentée à l’exécuteur en chef dans le ressort duquel vit l’enfant (article 2), fonctions dont la préfecture se trouve investie (article 1 de la loi de 1895 sur les voies d’exécution - ulosotto laki 1895/37, utsökningslagen 1895/37). En application de l’article 4, modifié par la loi no 366/83, avant d’ordonner l’exécution, l’exécuteur en chef nomme une personne désignée par le conseil social ou une autre personne remplissant les conditions requises pour servir de conciliateur entre les parties de sorte que la décision soit exécutée. La médiation a pour but d’amener la personne ayant la charge de l’enfant à s’acquitter volontairement de ses obligations prévues par la décision pertinente. La conciliation ne doit pas être ordonnée si des tentatives antérieures montrent qu’elle serait vouée à l’échec ou, dans le cas d’une décision concernant la garde, s’il est de l’intérêt de l’enfant que cette décision soit, pour des raisons sérieuses, exécutée immédiatement. L’exécuteur en chef peut assortir une décision d’exécution d’une amende administrative ou, lorsqu’il s’agit de la garde d’un enfant ou de la remise de celui-ci à son gardien, il peut ordonner à l’exécuteur de transférer l’enfant (article 5). Une amende comme celle visée plus haut est calculée en fonction des ressources de l’intéressé (chapitre 2, article 4 b) par. 2, du code pénal de 1889). A défaut de paiement, l’amende est convertie en peine d’emprisonnement (article 5 par. 1, modifié par la loi no 650/86). L’exécution ne peut se faire contre le gré de l’enfant s’il a plus de douze ans ou est assez mûr pour que l’on tienne compte de sa volonté (article 6 de la loi de 1975, modifié par la loi no 366/83). Une décision prise par l’exécuteur en chef en application de la loi de 1975 est immédiatement exécutoire, sauf indication contraire (article 13 par. 1). PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION Dans sa requête (no 19823/92) du 10 avril 1992 à la Commission, M. Teuvo Hokkanen, en son nom et en celui de Sini, se plaignait de ce que les pouvoirs publics, en méconnaissance de l’article 8 (art. 8) de la Convention, n’eussent pas pris les mesures adéquates pour faciliter leur rapide réunion. A cet égard, il invoquait également l’article 5 du Protocole no 7 (P7-5) (droit à l’égalité des époux dans leurs relations avec leurs enfants). Il se plaignait aussi de n’avoir pas été entendu lors d’une audience et équitablement devant la cour d’appel et la Cour suprême, de 1991 à 1992, comme l’eût voulu l’article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention. Il alléguait de surcroît un manquement à cette disposition en ce que la procédure relative à la garde ne s’était pas achevée dans un délai raisonnable et que la Cour suprême n’avait pas motivé son refus, le 21 janvier 1992, de l’autoriser à la saisir. Il prétendait enfin n’avoir pas disposé d’un recours effectif, comme l’exige l’article 13 (art. 13), à propos de l’absence de mesures propres à faciliter la réunion, de la durée excessive de la procédure et de l’inefficacité des amendes administratives infligées aux grands-parents en raison de leur situation financière. Le 9 février 1993, la Commission a retenu les griefs formulés par M. Hokkanen pour son compte sur le terrain de l’article 8 (art. 8) de la Convention, et de l’article 5 du Protocole no 7 (P7-5) et, dans la mesure où ils concernaient la durée de la seconde série de procédures relatives à la garde, ceux tirés des articles 6 par. 1 et 13 (art. 6-1, art. 13) de la Convention. Elle a écarté ceux formulés pour le compte de Sini au motif que M. Hokkanen ne pouvait plus introduire de requête pour elle puisqu’il n’en était plus le gardien à l’époque. Dans son rapport du 22 octobre 1993 (article 31) (art. 31), la Commission formule l’avis: a) par dix-neuf voix contre deux, qu’il y a eu violation de l’article 8 (art. 8); b) à l’unanimité, qu’aucune question distincte ne se pose sur le terrain de l’article 5 du Protocole no 7 (P7-5); c) par seize voix contre cinq, qu’il n’y a pas eu violation de l’article 6 par. 1 (art. 6-1); d) par vingt voix contre une, qu’il n’y a pas lieu d’examiner les griefs relevant de l’article 13 (art. 13). Le texte intégral de son avis et des opinions concordantes et dissidentes dont il s’accompagne figure en annexe au présent arrêt. CONCLUSIONS PRESENTEES A LA COUR PAR LE GOUVERNEMENT A l’audience du 21 mars 1994, le Gouvernement a réitéré les conclusions de son mémoire invitant la Cour à dire qu’"il n’y avait eu aucune violation de la Convention en l’espèce".
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Les Raffineries grecques Stran ("Stran") sont une société actuellement en liquidation de biens et dont le siège se trouve à Athènes. M. Stratis Andreadis était son unique actionnaire. A. La genèse de l’affaire Aux termes d’un contrat passé le 22 juillet 1972 avec l’Etat grec alors sous régime militaire, M. Andreadis assuma l’obligation de monter une raffinerie de pétrole brut dans la région de Megara, près d’Athènes. La construction, dont le coût s’élèverait à 76 000 000 dollars américains, incomberait à une société à créer, les Raffineries grecques Stran, dont le requérant serait l’unique propriétaire. Tous les droits et obligations de ce dernier seraient automatiquement transférés à la société dès sa constitution. Le gouvernement ratifia le contrat par le décret-loi no 1211/1972, publié au Journal officiel du 26 juillet 1972; l’article 21 du contrat stipulait que l’Etat s’engageait à acquérir à Megara, jusqu’au 31 décembre 1972 au plus tard, un terrain propice à la construction de la raffinerie. Le 27 juillet 1972, l’Etat autorisa M. Andreadis, par un décret royal (no 450) adopté en vertu du décret-loi no 2687/1953 concernant "les investissements et la protection des capitaux étrangers", à importer 58 millions de dollars américains pour financer l’investissement. Toutefois, le projet stagna car l’Etat ne s’acquitta pas de son obligation: le 28 novembre 1973, les ministres de l’Industrie et de l’Agriculture annoncèrent, lors d’une conférence de presse à Megara, la décision du gouvernement de rendre à leurs propriétaires les terrains qui étaient déjà expropriés en exécution de l’article 21 du contrat; le lendemain la police de Megara interdit la continuation des travaux. En décembre 1973, Stran protesta auprès des autorités compétentes et sollicita la permission de continuer les travaux. Le 27 février 1974, elle assigna même l’Etat pour qu’il approuve l’acquisition des terrains litigieux mais ce dernier refusa de révoquer l’interdiction. Après le rétablissement de la démocratie, le gouvernement estima le contrat et le décret no 450 préjudiciables à l’économie nationale; il se prévalait de l’article 2 par. 5 de la loi no 141/1975 sur la résiliation des contrats de faveur (kharistikes symvasseis) passés pendant le régime militaire (1967-1974). Promulguée en vertu d’une autorisation spéciale de la Constitution de 1975 (article 107 - paragraphe 24 ci-dessous), cette loi avait une valeur supralégislative. Les intéressés ne donnèrent aucune suite à une proposition tendant à négocier la révision ou la résiliation du contrat, que le ministre de la Coordination leur avait adressée le 19 novembre 1975. Partant, un comité ministériel de l’Economie résilia ledit contrat le 14 octobre 1977. Les requérants n’engagèrent aucune action en justice contre cette décision. B. La procédure devant le tribunal de grande instance d’Athènes Avant la rupture du contrat, Stran avait engagé des dépenses relatives à la réalisation du projet; elle avait en particulier passé des contrats de fournitures et de prestations de services avec des entreprises grecques et étrangères et souscrit des emprunts. Un litige s’éleva alors entre elle et l’Etat; le 10 novembre 1978, elle introduisit devant le tribunal de grande instance d’Athènes une action en déclaration (anagnoristiki agogi) visant à faire reconnaître que l’Etat devait lui rembourser à titre de dommage les sommes de 251 113 978 drachmes, 22 799 782 dollars américains et 877 466 francs français. Elle soutenait que l’Etat avait manqué à ses obligations pendant la durée du contrat, notamment en ayant interdit depuis le 27 novembre 1973 la poursuite des travaux d’installation de la raffinerie à Megara et en n’ayant pas procédé depuis le 9 février 1974 à l’expropriation des terrains dans ce but; elle réclamait en outre la restitution d’un chèque de cautionnement de 240 millions de drachmes qu’elle avait déposé au ministère de l’Economie nationale pour garantir la bonne exécution du contrat, ainsi que le remboursement de la commission et du timbre fiscal versés à la Banque du commerce. De son côté, l’Etat contesta la compétence du tribunal. Il alléguait que le litige devait être soumis à l’arbitrage conformément à l’article 27 du contrat, dont les paragraphes pertinents se lisaient ainsi: "1. Tout différend, litige ou désaccord entre l’Etat et le concessionnaire résultant de l’application du présent contrat et concernant l’exécution ou l’interprétation des dispositions de celui-ci, ainsi que sur la portée des droits et obligations qui en découlent sera résolu exclusivement par l’arbitrage de trois arbitres conformément à la procédure suivante; aucune autre convention d’arbitrage n’est requise. (...) La sentence arbitrale est définitive et irrévocable. Elle constitue un acte exécutoire ne nécessitant aucune autre mesure supplémentaire d’exécution ni aucune autre formalité. Elle n’est susceptible d’aucun recours judiciaire ordinaire ou extraordinaire, ni d’un recours en annulation devant les juridictions ordinaires ni d’opposition. La partie qui ne respectera pas les dispositions de la sentence sera tenue de réparer tout damnum emergens ou lucrum cessans causé à l’autre partie." Par un jugement avant dire droit (no 13910/1979) du 29 septembre 1979, le tribunal de grande instance d’Athènes réfuta la thèse principale de l’Etat: la clause d’arbitrage visait uniquement le règlement des litiges nés de l’exécution du contrat et non de l’inexécution par l’une des parties des obligations qui en découlaient; d’autre part, le comité ministériel de l’Economie avait résilié le contrat litigieux dans sa totalité (paragraphe 9 ci-dessus) et la clause d’arbitrage, faute d’existence autonome, se trouvait par conséquent annulée. Il repoussa ensuite l’argument de l’Etat selon lequel deux des conditions résolutoires contenues dans le contrat - le défaut du dépôt d’un chèque de cautionnement et du versement de la seconde partie du capital social - se trouvaient remplies. Enfin, il ordonna un complément d’instruction, en particulier l’examen de cinq témoins, afin de se prononcer sur l’existence et l’ampleur du préjudice allégué par Stran. C. La procédure devant le tribunal arbitral Le 12 juin 1980 l’Etat déposa une requête d’arbitrage et désigna son arbitre. Il invitait le tribunal arbitral à déclarer non fondées toutes les demandes en indemnisation introduites par Stran contre l’Etat devant le tribunal de grande instance d’Athènes (paragraphe 10 ci-dessus). Dans son mémoire du 28 juin 1980, Stran - qui nomma comme arbitre un professeur de droit de l’université d’Athènes - alléguait à titre principal l’incompétence du tribunal arbitral et invitait ce dernier à surseoir à statuer jusqu’à ce que la procédure engagée le 10 novembre 1978 fût terminée; à titre subsidiaire et afin de réfuter les arguments de l’Etat quant au fond, elle renvoyait à ses observations devant le tribunal de grande instance d’Athènes. Le tribunal arbitral se constitua le 3 juillet 1980; son président fut choisi d’un commun accord par les deux autres arbitres (article 27 par. 3 du contrat). Il rendit sa sentence le 27 février 1984. Pour affirmer sa compétence, il estima que se trouvaient soumis à l’arbitrage les litiges survenant aussi en raison de la non-exécution complète du contrat, et pas seulement en raison de celle de dispositions isolées comme le soutenait l’Etat; la clause d’arbitrage de l’article 27 (paragraphe 10 ci-dessus) était formulée en des termes généraux et limpides, ce qui excluait de pareilles distinctions. Quant au fond, le tribunal arbitral s’appuya sur le dossier soumis par les parties au tribunal de grande instance d’Athènes le 10 novembre 1978 (paragraphe 10 ci-dessus). Il admit un partage de responsabilité dans le dommage subi par la société, à concurrence de 70 % pour l’Etat et 30 % pour Stran; celle-ci avait en réalité commencé les travaux sur un terrain ayant fait l’objet d’une expropriation contestée et sans obtenir au préalable le permis de construire nécessaire. Il déclara donc fondées les réclamations de Stran pour un montant ne dépassant pas 116 273 442 drachmes, 16 054 165 dollars américains et 614 627 francs français, auquel il faudrait ajouter des intérêts moratoires au taux de 6 % à compter du 10 novembre 1978; toutefois, cette référence à l’attribution d’intérêts ne figurait pas dans le dispositif de la sentence. Enfin, le tribunal releva que l’Etat retenait illégalement le chèque de cautionnement (paragraphe 10 ci-dessus). Le 24 juillet 1984, la société requérante demanda au tribunal de grande instance d’Athènes d’enjoindre à l’Etat de restituer le chèque en question, mais le tribunal décida de surseoir à statuer jusqu’à la fin de la procédure engagée le 10 novembre 1978 (paragraphe 10 ci-dessus). D. Les recours contre la sentence arbitrale du 27 février 1984 Devant le tribunal de grande instance d’Athènes Le 2 mai 1984, l’Etat avait saisi le tribunal de grande instance d’Athènes en demandant l’annulation de la sentence arbitrale du 27 février 1984. Il soutenait que le tribunal arbitral manquait de la compétence pour connaître des litiges découlant du contrat litigieux ainsi que des prétentions financières de Stran à l’encontre de l’Etat. A titre subsidiaire, il alléguait que les contractants avaient entendu limiter la compétence du tribunal arbitral aux différends portant sur l’exécution ou l’interprétation des clauses du contrat, ainsi que sur l’étendue des droits et obligations qui en découleraient, écartant ainsi ceux concernant sa non-exécution totale; par conséquent, le litige incriminé devait relever des juridictions civiles ordinaires, comme l’avait d’ailleurs reconnu le jugement no 13910/1979 du tribunal de grande instance d’Athènes. A titre plus subsidiaire encore, l’Etat déclarait que l’incompétence du tribunal arbitral se trouvait confirmée par le fait que les prétentions de Stran contre l’Etat avaient été prescrites après la résiliation du contrat. Enfin, il soulignait le caractère déclaratoire de l’action intentée par Stran le 10 novembre 1978 (paragraphe 10 ci-dessus). Par un jugement (no 5526/1985) du 21 avril 1985, le tribunal débouta l’Etat au motif que la décision résiliant le contrat n’avait pas rendu caduque la clause d’arbitrage; celle-ci continuait à produire ses effets à l’égard des contestations nées pendant la période de validité du contrat. Le 19 décembre 1986, la société requérante se désista de sa première action devant le tribunal de grande instance d’Athènes (paragraphe 9 ci-dessus), mais sollicita la poursuite de celle relative à la restitution du chèque de cautionnement (paragraphe 14 ci-dessus). Lors de l’examen de cette dernière devant le tribunal de grande instance d’Athènes, le 6 février 1987, l’Etat s’opposa, en vertu de l’article 294 du code de procédure civile, à l’abandon de la première: il estimait en fait que celle-ci se terminerait de manière défavorable pour Stran et qu’il avait donc un intérêt légitime à l’obtention d’un jugement définitif. Toutefois, le tribunal ajourna de nouveau l’examen de l’affaire (jugement no 2877/1987) en raison du pourvoi pendant (paragraphe 19 ci-dessous). Devant la cour d’appel d’Athènes Par un arrêt (no 9336/1986) du 4 novembre 1986, la cour d’appel d’Athènes confirma par les mêmes motifs le jugement du 21 avril 1985. Elle estima notamment: "Dans la législation grecque moderne prédomine le principe de l’autonomie de la clause compromissoire au regard du contrat. La résiliation de celui-ci, pour quelque raison que ce soit, ne met pas fin au pouvoir des arbitres appelés à juger les différends créés pendant la période de validité du contrat (...). La décision du comité ministériel de l’Economie n’a pas annulé la clause compromissoire de l’article 27 du contrat et, par conséquent, elle n’empêche pas les arbitres d’examiner le fond du litige." Devant la Cour de cassation Le 15 décembre 1986, l’Etat se pourvut devant la Cour de cassation. Initialement fixée au 4 mai 1987, l’audience fut ce jour-là reportée au 1er juin 1987 à la demande de l’Etat, au motif qu’un projet de loi concernant l’affaire litigieuse se trouvait devant le Parlement. En réponse à une question de la Cour européenne lors de l’audience du 19 avril 1994, le conseil des requérants a affirmé, sans être contredit par le Gouvernement, que le juge rapporteur de la Cour de cassation avait envoyé son avis, favorable à la thèse des intéressés, aux parties avant le 4 mai. Le 22 mai 1987, le Parlement adopta la loi no 1701/1987 relative "à la participation obligatoire de l’Etat aux entreprises privées (...) et au rachat de parts", entrée en vigueur dès sa publication au Journal officiel du 25 mai 1987. Cette loi portait à titre principal sur la renégociation d’un contrat de concession pour la prospection et l’exploitation des hydrocarbures liquides et gazeux dans un secteur de la mer de Thrace. Toutefois, son article 12 se lisait ainsi: "1. Le sens authentique des dispositions de l’article 2 par. 1 de la loi no 141/1975 relative à la résiliation des contrats passés entre le 21 avril 1967 et le 24 juillet 1974 est le suivant: la résiliation de ces contrats entraîne l’annulation de plein droit de toutes leurs conditions et clauses, y compris de la clause d’arbitrage pour la solution de tout litige; toute compétence de tribunaux d’arbitrage cesse d’exister. Les sentences arbitrales visées au paragraphe 1 ne sont plus valides ni exécutoires. Toute prétention principale ou accessoire à l’encontre de l’Etat, formulée en monnaie étrangère ou nationale, qui découle des contrats passés entre le 21 avril 1967 et le 24 juillet 1974, ratifiés par une loi et résiliés en application de la loi no 141/1975, est prescrite. Toute procédure judiciaire pendante devant une juridiction de quelque degré que ce soit au moment de l’adoption de la présente loi et se rapportant aux prétentions mentionnées au paragraphe précédent est annulée." Le 10 juillet 1987, après avoir entendu le juge rapporteur qui se prononça pour le rejet du pourvoi, la première chambre de la Cour de cassation rendit son arrêt (no 1387/1987); elle concluait à l’inconstitutionnalité de l’article 12 en ces termes: "(...) [L’article 107] de la Constitution attribue non seulement une valeur supralégislative à la loi no 141/1975, mais interdit aussi au législateur ordinaire d’y apporter une modification ou un ajout ultérieurs ou même une interprétation authentique, car tant cette valeur supralégislative que l’incitation constitutionnelle de promulguer une loi unique dans les trois mois de l’entrée en vigueur de la Constitution visent à instaurer une stabilité législative et une confiance internationale pour les investissements en Grèce. Cette opinion se fonde sur le seul sens possible de l’expression ‘une loi unique’ et sur la facilité avec laquelle cette disposition serait violée si on autorisait des modifications, ajouts ou interprétation authentique de la loi ainsi adoptée (...) Par conséquent (...), les dispositions de l’article 12 de la loi no 1701/1987 qui donnent une interprétation authentique, modifient et complètent l’article 2 par. 1 de la loi no 141/1975 et qui ont été adoptées après l’expiration du délai prévu par l’article 107 par. 2 de la Constitution sont contraires à celle-ci, ce qui oblige le tribunal à ne pas les appliquer en vertu de l’article 93 par. 4 de la Constitution. La chambre refusant d’appliquer des dispositions inconstitutionnelles, elle s’estime contrainte, en vertu de l’article 563 par. 2 du code de procédure civile, de renvoyer l’affaire à la formation plénière de la Cour de cassation (...)" Les débats s’ouvrirent devant la Cour de cassation siégeant en formation plénière le 19 novembre 1987, mais, en raison du décès d’un de ses membres, Stran demanda une nouvelle audience qui se tint le 25 février 1988. La Cour de cassation rendit son arrêt (no 4/1989) le 16 mars 1989; elle relevait notamment: "(...) [La Constitution] a prévu la promulgation ‘d’une loi unique’ qui possède, de par sa nature, une valeur supralégislative, en ce sens qu’elle ne peut être ni complétée ni modifiée par une loi ordinaire (...). Toutefois, l’interdiction de compléter ou de modifier le contenu de [pareilles] lois ne signifie pas que leur interprétation soit exclue. Leur nature sui generis, qui leur confère la primauté sur les lois ordinaires, (...) n’exclut pas leur interprétation lorsque les circonstances l’exigent. En effet, le but de l’interprétation consiste non pas en la modification du contenu de la loi interprétée, mais en la révélation de son sens originel et dans le règlement de différends qui ont surgi dans le cadre de son application ou qui risquent de se présenter à l’avenir; [le besoin d’une telle interprétation] sera déterminé en dernier lieu par le tribunal qui sera obligé de vérifier si le sens de la loi interprétée avait en effet suscité des doutes justifiant l’intervention du législateur (...). Par conséquent, n’est pas contraire à la Constitution l’interprétation de la loi no 141/1975 du seul fait que celle-ci possède une valeur supralégislative. Il faudrait cependant se demander, d’une part, si l’interprétation s’imposait dans le cas concret et, d’autre part, si les dispositions non interprétatives de cette loi, qui pèsent pour la solution du cas d’espèce, sont contraires à la Constitution.(...) La formulation [de l’article 2 par. 5 de la loi no 141/1975] manque de clarté et crée un doute quant à la survie, après la résiliation du contrat, de la clause d’arbitrage (...) et quant à la compétence du tribunal arbitral. En l’espèce, le doute avait d’abord surgi à l’occasion de la procédure engagée par les intéressés devant le tribunal civil et ensuite - après le jugement avant dire droit du tribunal de grande instance - avec l’abandon de celle-ci et le recours à l’arbitrage où des arguments diamétralement opposés furent développés (...). Indépendamment des doutes qui avaient surgi, la question principale a trait à l’acceptation ou au rejet du principe de l’autonomie de la clause d’arbitrage et de sa portée. Cette question a suscité depuis longtemps de graves divergences au sein de la jurisprudence et de la doctrine internationales; dans certains pays le principe de la survie de la clause pour le dénouement des différends surgissant jusqu’à la fin de contrats (...) prévaut; dans d’autres pays, l’opinion prédominante est que la résiliation du contrat entraîne la suppression de la clause et, partant, le renvoi de tous les litiges devant les juridictions ordinaires; enfin, dans d’autres pays, le principe selon lequel l’autonomie de la clause d’arbitrage vaut uniquement pour des litiges d’un certain type l’emporte. Dès lors, il était nécessaire de procéder à l’interprétation de la loi no 141/1975, qui régla le problème dans l’Etat grec en faveur de la suppression de la clause d’arbitrage (...) et de l’incompétence du tribunal arbitral. Le fait que l’intervention législative a eu lieu (...) cinq jours avant les débats devant la première chambre de cette Cour et à la suite d’un report d’audience n’exclut pas sa nécessité et ne la rend pas contraire aux articles 26 paras. 1 et 3, 77 et 87 de la Constitution; l’affaire litigieuse a donné l’occasion de régler un problème qui se posait déjà. Par conséquent, on ne peut considérer que le législateur, en procédant à une telle interprétation en l’espèce, se soit immiscé dans la compétence des juridictions ordinaires et qu’il l’ait usurpée. Il en résulte que l’article 12 par. 1 de la loi no 1701/1987 n’enfreint pas le cadre constitutionnel comme l’avait admis la première chambre (...)" Quant au paragraphe 2 de l’article 12, la Cour de cassation estima qu’il n’était pas inconstitutionnel car il complétait pour l’essentiel le paragraphe 1 et visait à priver d’effet les sentences arbitrales rendues, le cas échéant, après la résiliation des contrats, et qui ne l’auraient pas été si le sens de la loi no 141/1975 avait été clarifié à temps. En outre, elle refusa d’examiner la constitutionnalité du paragraphe 3 au motif que celui-ci n’avait aucune incidence en l’espèce. Enfin, elle jugea que l’adoption du paragraphe 4 juste avant l’audience tendait à enlever aux cours et tribunaux la possibilité d’examiner la validité de la sentence contestée; cette disposition violait donc le principe de la séparation des pouvoirs. La Cour de cassation renvoya l’affaire devant la première chambre qui, le 11 avril 1990, cassa l’arrêt de la cour d’appel du 4 novembre 1986 (paragraphe 18 ci-dessus) et déclara nulle et non avenue la sentence arbitrale du 27 février 1984 (paragraphe 13 ci-dessus). II. LE DROIT INTERNE PERTINENT A. La Constitution Entrent ici en ligne de compte les dispositions suivantes de la Constitution de 1975: Article 77 "1. L’interprétation de lois par voie d’autorité incombe au pouvoir législatif. Une loi qui en réalité n’est pas interprétative ne produit ses effets qu’à partir de sa publication." Article 93 par. 4 "Les tribunaux sont tenus de ne pas appliquer une loi dont le contenu est contraire à la Constitution." Article 107 "1. La législation d’avant le 21 avril 1967 portant sur les capitaux étrangers et ayant une valeur supralégislative, maintient cette valeur et s’applique aussi dorénavant aux capitaux importés. Une loi unique, promulguée dans les trois mois à partir de l’entrée en vigueur de la présente Constitution, détermine les conditions et la procédure de résiliation ou de révision des contrats ou des actes administratifs de faveur de toute forme conclus ou édictés entre le 21 avril 1967 et le 23 juillet 1974 en application du décret-loi no 2687/1953, pour autant que ces contrats ou actes portent sur les investissements de capitaux étrangers (...)" Selon la doctrine, la référence de l’article 107 de la Constitution au décret-loi no 2687/1953 - lequel prévoit entre autres que l’arbitrage constitue l’unique moyen de règlement de différends relatifs aux investissements étrangers - confère à l’arbitrage un statut constitutionnel (Introduction to Greek Law, édité par K.D. Kerameus et P.J. Kozyris, Deventer/Athènes, Kluwer/Sakkoulas, 1988, p. 263). B. Le code de procédure civile De son côté, le code de procédure civile dispose: Article 294 "Le demandeur peut renoncer à l’action sans le consentement du défendeur avant que celui-ci n’ait plaidé sur le fond de l’affaire. La renonciation ultérieure est irrecevable, si le défendeur s’y oppose, estimant qu’il a un intérêt légitime à la conclusion du procès par un jugement définitif." Article 295 par. 1 "La renonciation à l’action a pour effet que celle-ci est réputée n’avoir jamais été intentée (...)" La VIIe partie du code de procédure civile (articles 867-903) traite de l’arbitrage; ses articles pertinents se lisent ainsi: Article 893 par. 2 "L’arbitre (...) est tenu, sauf disposition contraire dans la clause d’arbitrage, de déposer l’original de la sentence arbitrale au greffe du tribunal de grande instance dans le ressort duquel elle a été prononcée (...)" Article 895 "1. La sentence arbitrale échappe aux voies de recours ordinaires. La convention d’arbitrage peut stipuler un recours contre la sentence arbitrale devant des arbitres différents (...), mais elle doit en définir en même temps les conditions, le délai et la procédure à suivre pour son exercice et son jugement." Article 896 "Si la convention d’arbitrage ne stipule pas le recours prévu à l’article 895 par. 2 ou si le délai pour exercer ce recours est écoulé, la sentence arbitrale acquiert force de chose jugée (...)" Article 897 "La sentence arbitrale peut être annulée, en tout ou en partie, seulement par décision judiciaire et pour les motifs suivants 1) si la convention d’arbitrage est nulle; 2) si elle a été rendue après que la convention d’arbitrage a cessé d’être valide; 3) si les arbitres ont été désignés en méconnaissance des termes de la convention d’arbitrage ou des dispositions de la loi (...); 4) si les arbitres ont excédé le pouvoir que leur attribuait la convention d’arbitrage ou la loi; 5) si les dispositions des articles 886 par. 2, 891 et 892 ont été violées; 6) si elle est contraire à l’ordre public ou aux bonnes moeurs; 7) si elle est incompréhensible ou si elle contient des dispositions contradictoires; (...)" Article 904 "1. L’exécution forcée peut avoir lieu uniquement sur la base d’un titre exécutoire. Les titres exécutoires sont: (...) b) les sentences arbitrales; (...)" Article 918 "1. L’exécution forcée peut avoir lieu uniquement sur la base de la copie du titre exécutoire qui porte la grosse (...) La grosse est apposée: (...) d) sur les sentences arbitrales par le juge du tribunal de grande instance (...) (...)" C. La loi no 141/1975 "relative à (...) la révision ou la résiliation des contrats (...) conclus pendant la période dictatoriale" Promulguée en application de l’article 107 par. 2 de la Constitution, la loi no 141/1975 exposait à révision ou résiliation tout acte administratif d’approbation, édicté entre le 21 avril 1967 et le 23 juillet 1974, ainsi que tout contrat conclu par l’Etat durant cette période avec une personne physique ou morale et portant sur les investissements régis par le décret-loi no 2687/1953. Révision ou résiliation seraient prononcées si de tels actes ou contrats étaient incompatibles avec la Constitution, les lois ou les bonnes moeurs, et préjudiciables aux intérêts de l’Etat, des consommateurs et de l’économie nationale. La résiliation de contrats intervenait lorsqu’il s’avérait impossible de réviser ces derniers dans leur totalité; elle pouvait avoir lieu soit sur demande écrite de la personne intéressée, soit par décision unilatérale du comité ministériel de l’Economie. L’article 2 par. 5 de la loi décrivait en ces termes les conséquences de la résiliation: "A la suite de la résiliation d’un contrat (...), les privilèges et accords spéciaux prennent fin et l’entreprise ou l’investissement seront soumis aux lois ordinaires relatives aux entreprises et aux investissements ordinaires (...)" PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION Les Raffineries grecques Stran et M. Stratis Andreadis ont saisi la Commission le 20 novembre 1987. S’appuyant sur l’article 6 (art. 6) de la Convention, ils prétendaient n’avoir pas bénéficié d’un procès équitable dans un délai raisonnable. Ils affirmaient en outre qu’en raison de la durée et du caractère dilatoire de la procédure, ainsi que des dispositions de l’article 12 de la loi no 1701/1987, ils avaient subi une atteinte à leur droit de propriété garanti par l’article 1 du Protocole no 1 (P1-1). La Commission a retenu la requête (no 13427/87) le 4 juillet 1991. Dans son rapport du 12 mai 1993 (article 31) (art. 31), elle conclut: - qu’il y a eu violation de l’article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention en ce qui concerne le droit à un procès équitable (unanimité), mais non quant à la durée de la procédure (douze voix contre deux); - qu’il y a eu violation de l’article 1 du Protocole no 1 (P1-1) (unanimité). Le texte intégral de son avis et des deux opinions séparées dont il s’accompagne figure en annexe au présent arrêt. CONCLUSIONS PRESENTEES A LA COUR Dans son mémoire, le Gouvernement invite la Cour à "déclarer la requête des Raffineries grecques Stran irrecevable, d’une part, et non fondée, d’autre part, en l’absence de violation des droits des requérants tels que les garantissent l’article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention (...) et l’article 1 du Protocole no 1 (P1-1)". De leur côté, les requérants prient la Cour de dire "- qu’il y a eu violation de l’article 6 par. 1 (art. 6-1) en ce qui concerne le droit des requérants à un procès équitable devant un tribunal; - qu’il y a eu violation de l’article 6 par. 1 (art. 6-1) en ce qui concerne le respect de l’exigence du délai raisonnable; - qu’il y a eu et qu’il y a toujours violation de l’article 1 du Protocole no 1 (P1-1); - que l’Etat défendeur doit payer aux requérants (...) le montant réclamé à titre de satisfaction équitable".
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Entrepreneur en bâtiment, M. Giuseppe Raimondo habitait Davoli (Catanzaro) jusqu’à son décès, le 11 juillet 1992. Soupçonné d’appartenir à une association de malfaiteurs de type mafieux enracinée dans la région de Soverato, il avait fait l’objet à la fois de poursuites et de mesures de prévention. A. La procédure pénale Le 24 juillet 1984, le procureur de la République de Catanzaro décerna un mandat d’arrêt contre dix-sept personnes dont le requérant. Après s’être soustrait à l’exécution dudit mandat, ce dernier se présenta aux autorités le 7 novembre 1984 et fut aussitôt placé en détention provisoire. L’instruction fut close le 24 juillet 1985 et M. Raimondo renvoyé en jugement devant le tribunal de Catanzaro avec quatorze coaccusés. Une assignation à domicile (arresti domiciliari) remplaça la détention provisoire. Le 8 octobre 1985, lors de la première audience, le tribunal décida de joindre la cause avec deux autres et ordonna de verser certaines pièces au dossier, puis renvoya l’affaire au 16 janvier 1986. Le 30 janvier 1986, il relaxa l’inculpé au bénéfice du doute (assoluzione per insufficienza di prove) et leva l’assignation à domicile. Statuant le 16 janvier 1987 sur recours du ministère public et de M. Raimondo, la cour d’appel de Catanzaro acquitta ce dernier au motif que l’élément matériel de l’infraction faisait défaut (perchè il fatto non sussiste). Il n’y eut pas de pourvoi en cassation. B. La procédure relative aux mesures de prévention Devant le tribunal de Catanzaro Le 16 janvier 1985, le procureur de la République de Catanzaro demanda au tribunal d’imposer à M. Raimondo la mesure de surveillance spéciale par la police et de procéder à la saisie conservatoire de plusieurs biens en vue d’une éventuelle confiscation (loi no 1423 du 27 décembre 1956 et loi no 575 du 31 mai 1965, telle que l’a modifiée la loi no 646 du 13 septembre 1982 - paragraphes 16-18 ci-dessous). Il se fondait sur un rapport de la gendarmerie (carabinieri) de Soverato, du 27 décembre 1984. Le 13 mai 1985, le tribunal décida la saisie de seize immeubles (dix terrains et six constructions) et de six véhicules dont le requérant paraissait avoir la jouissance. L’inscription de la mesure dans les registres publics eut lieu le 15 mai 1985. Le 16 octobre, le tribunal révoqua la saisie des biens appartenant à des tiers; il ordonna en revanche la confiscation de certains immeubles saisis et dont l’intéressé et son épouse étaient propriétaires, ainsi que de quatre véhicules, au motif que leur "provenance légitime" n’avait pas été prouvée. La confiscation fut transcrite le 9 novembre 1985. La même décision plaça M. Raimondo sous la surveillance spéciale de la police, laquelle ne s’appliqua pourtant qu’à partir du 30 janvier 1986, jour de sa relaxe par le tribunal (paragraphe 10 ci-dessus); elle lui enjoignit en outre de verser une caution de 2 000 000 lires en garantie du respect des obligations accompagnant ladite mesure: ne pas s’éloigner de son domicile sans l’avoir annoncé à la police; se présenter à celle-ci aux jours indiqués par elle; ne pas rentrer chez lui après 21 h, ni sortir avant 7 h, sans justes motifs et sans avoir averti au préalable les autorités. Devant la cour d’appel de Catanzaro Saisie par le requérant, la cour d’appel de Catanzaro statua en chambre du conseil le 4 juillet 1986; elle annula la mesure et ordonna la restitution de la caution ainsi que des biens saisis et confisqués. Sa décision (decreto) relevait "la déconcertante légèreté avec laquelle on avait adopté à l’égard de M. Raimondo les mesures de prévention personnelles et patrimoniales attaquées et l’on avait décrété en substance la mort civile et économique" de celui-ci. Déposée au greffe le 2 décembre 1986, la décision fut visée par le ministère public le 10. Toujours le 2 décembre, le greffe de la cour la notifia à la préfecture de police (questura) compétente qui, le 5, la communiqua aux carabinieri du lieu de résidence du requérant. Ils informèrent ce dernier le 20. La décision devint définitive le 31 décembre 1986. La révocation de la saisie des immeubles et de la confiscation des véhicules fut transcrite respectivement les 2 février (immeubles), 10 février (deux voitures et une fourgonnette) et 10 juillet 1987 (un camion). La caution fut restituée le 24 avril de la même année. Quant aux immeubles confisqués, les demandes d’inscription de la levée de la mesure portent la date du 9 août 1991. II. LE DROIT INTERNE PERTINENT A. La législation en vigueur à l’époque La loi du 27 décembre 1956 La loi no 1423 du 27 décembre 1956 ("la loi de 1956") prévoit diverses mesures de prévention envers les "personnes dangereuses pour la sécurité et pour la moralité publique". Elle se trouve pour l’essentiel résumée dans l’arrêt Guzzardi du 6 novembre 1980 (série A no 39, pp. 17-19, paras. 46-49): "46. Aux termes de son article 1, elle s’applique entre autres (...) à ceux qui, par leur conduite et leur train de vie (tenore di vita), doivent passer pour tirer leurs ressources habituelles, même en partie, de gains d’origine délictueuse ou du prix de leur complicité (con il favoreggiamento), ou que des signes extérieurs portent à considérer comme enclins à la délinquance (che, per le manifestazioni cui abbiano dato luogo, diano fondato motivo di ritenere che siano proclivi a delinquere). Le chef de la police [(questore)] peut leur adresser une sommation (diffida) (...) (...) (...) (...) l’article 3 permet de placer [un tel individu] sous la surveillance spéciale de la police (sorveglianza speciale della pubblica sicurezza), assortie au besoin soit de l’interdiction de séjourner dans telle(s) commune(s) ou province(s) soit, s’il présente un danger particulier (particolare pericolosità), d’une assignation à résidence dans une commune déterminée (obbligo del soggiorno in un determinato comune). Ces mesures ressortissent à la compétence exclusive du tribunal du chef-lieu de la province, lequel les prend sur la base d’une proposition motivée dont le [questore] saisit son président (article 4, premier alinéa). Le tribunal statue dans les trente jours, en chambre du conseil et par une décision (provvedimento) motivée, après avoir entendu le ministère public et l’intéressé qui peut présenter des mémoires et se faire assister par un avocat ou avoué (article 4, deuxième alinéa). Le parquet et l’intéressé peuvent interjeter appel dans les dix jours, sans effet suspensif; siégeant en chambre du conseil, la cour d’appel tranche dans les trente jours par une décision (decreto) motivée (article 4, cinquième et sixième alinéas). Celle-ci est à son tour susceptible, dans les mêmes conditions, d’un pourvoi sur lequel la Cour de cassation se prononce en chambre du conseil dans les trente jours (article 4, septième alinéa). Lorsqu’il adopte l’une des mesures énumérées à l’article 3, le tribunal en précise la durée - ni moins d’un an ni plus de cinq (article 4, quatrième alinéa) - et fixe les règles à observer par la personne en question (article 5, premier alinéa). (...)" La loi du 31 mai 1965 Quant à la loi no 575 du 31 mai 1965 ("la loi de 1965"), elle complète celle de 1956 par des clauses dirigées contre la mafia (disposizioni contro la mafia). Selon son article 1, elle vaut pour les personnes - tel M. Raimondo - dont des indices révèlent l’appartenance à des groupes "mafieux" (indiziati di appartenere ad associazioni mafiose). La loi no 646 du 13 septembre 1982 ("la loi de 1982") a renforcé la législation qui précède. Elle a notamment introduit dans la loi de 1965 un article 2 ter. Il prévoit différents moyens à utiliser au cours de la procédure relative à l’application des mesures de prévention que la loi de 1956 permet de prendre à l’encontre d’une personne soupçonnée d’appartenir à de telles associations: "(...) le tribunal, au besoin d’office, ordonne par décision motivée la saisie des biens dont la personne contre laquelle la procédure a été engagée dispose directement ou indirectement, quand il y a lieu d’estimer, sur la base d’indices suffisants, tels que la disproportion considérable entre le train de vie et les revenus apparents ou déclarés, que ces biens constituent le produit d’activités illicites ou son remploi. En appliquant la mesure de prévention, le tribunal ordonne la confiscation des biens saisis dont la provenance légitime n’a pas été démontrée. Dans le cas d’enquêtes complexes, la mesure peut également être prise ultérieurement, mais pas au-delà d’un an à compter de la date de la saisie. Le tribunal révoque la saisie lorsque la demande d’application de la mesure de prévention est rejetée ou que la provenance légitime des biens est démontrée." B. La jurisprudence relative à l’application des mesures de prévention, notamment patrimoniales Dans son rapport (paragraphe 43), la Commission donne un aperçu de la jurisprudence en la matière: "(...) L’existence de mesures de prévention n’est pas en soi contraire à la Constitution italienne. La Cour constitutionnelle a indiqué que leur fondement réside dans le besoin de garantir le déroulement ordonné et pacifique des rapports sociaux, non seulement par le système des normes réprimant les actes illicites, mais aussi par des dispositions destinées à prévenir le risque de tels actes (Cour constitutionnelle [C.C.], arrêts no 27 de 1959 et no 23 de 1964). En raison de la finalité qui leur est propre, les mesures de prévention ne se rapportent pas à l’accomplissement d’un acte illicite déterminé, mais à un ensemble de comportements constituant la conduite que la loi érige en signe d’un danger social (C.C., arrêt no 23 de 1964). Il en résulte que, dans l’ordre juridique italien, la sanction pénale et la mesure de prévention diffèrent substantiellement: l’une constitue une réaction contre un acte qui a violé le droit et a produit ses conséquences; l’autre consiste en un moyen d’éviter qu’un tel acte n’ait lieu. En d’autres termes, la sanction correspond à une infraction déjà commise, alors que la mesure de prévention vise à parer le danger d’infractions futures (voir, mutatis mutandis, C.C., arrêt no 53 de 1968, concernant les mesures de sûreté). (...) La différence de nature entre sanctions pénales et mesures de prévention a pour conséquence que les principes constitutionnels dont les premières doivent s’inspirer, ne s’appliquent pas forcément tous aux secondes. Ainsi, la présomption de non-culpabilité établie par l’article 27 de la Constitution ne concerne pas les mesures de prévention, qui ne se fondent pas sur la responsabilité pénale ou sur la culpabilité de l’intéressé (C.C., arrêt no 23 de 1964). De même, ces mesures ne relèvent pas du domaine de l’article 25 alinéa 2 de la Constitution, qui prévoit la non-rétroactivité des dispositions pénales. La violation de ce dernier principe a été alléguée plusieurs fois devant la Cour de cassation en relation avec la mesure de confiscation prévue à l’article 2 ter de la loi de 1965. [Ladite] cour a, d’une part, affirmé que [le] principe n’est pas applicable aux mesures de prévention (voir, par exemple, Cour de cassation - [Cass.] -, arrêt Piraino du 30 janvier 1985). D’autre part, elle n’a pas manqué de souligner qu’en réalité la disposition critiquée n’est pas rétroactive, car elle se rapporte aux biens dont la personne visée dispose au moment où la confiscation est ordonnée (Cass., arrêt Oliveri du 12 mai 1986) et à l’usage illicite de ces biens après son entrée en vigueur (Cass., arrêt Pipitone du 4 janvier 1985). Malgré ces limites, les mesures de prévention n’échappent pas à un contrôle de constitutionnalité étendu. Dès 1956, la Cour constitutionnelle avait affirmé qu’en aucun cas une restriction du droit à la liberté ne peut avoir lieu si elle n’est pas prévue par la loi, si une procédure régulière n’a pas été engagée à cette fin et s’il n’y a pas une décision judiciaire qui en donne les motifs (C.C., arrêt no 11 de 1956). Elle avait, par la suite, souligné que les mesures de prévention ne peuvent pas être adoptées sur la base de simples soupçons et ne se justifient que si elles reposent sur l’établissement et l’appréciation objectifs de faits dont ressortent le comportement et le train de vie de la personne visée (C.C., arrêt no 23 de 1964). Elle a, plus récemment, confirmé que la constitutionnalité des mesures de prévention reste subordonnée au respect du principe de légalité et à l’existence d’une garantie juridictionnelle. Les deux conditions sont, en outre, étroitement liées. Ainsi, la loi ne peut pas se limiter à indiquer des critères de danger vagues; elle doit les décrire avec suffisamment de précision, sans quoi le droit à un juge et à une procédure contradictoire n’aurait pas de sens (C.C., arrêt no 177 de 1980). La jurisprudence de la Cour de cassation est, à cet égard, tout à fait en accord avec celle de la Cour constitutionnelle et affirme très clairement que la procédure pour l’application des mesures de prévention doit se dérouler de manière contradictoire et dans le respect des droits de la défense, la violation de ces droits emportant la nullité de la procédure (voir par exemple Cass., arrêt no 1255 du 29 juin 1984 dans l’affaire Santoro). Quant aux mesures de saisie et de confiscation prévues à l’article 2 ter de la loi de 1965, la Cour de cassation a rejeté divers griefs d’inconstitutionnalité. Elle a notamment constaté que la présomption concernant la provenance illicite des biens des personnes soupçonnées d’appartenir aux groupes de type mafieux ne se heurte pas à l’article 24 de la Constitution, qui garantit les droits de la défense, car la confiscation ne peut avoir lieu qu’en présence d’indices suffisants concernant la provenance illicite des biens visés et en l’absence d’allégations les infirmant (Cass., arrêt Pipitone précité). (...) Quant à la compatibilité des mesures de saisie et de confiscation avec le droit au libre exercice des activités économiques privées et au droit au respect de la propriété privée (articles 41 et 42 de la Constitution), la Cour de cassation n’a pas manqué de souligner que ces droits ne sont pas absolus et peuvent être limités en fonction de l’intérêt général. Il en va ainsi lorsqu’il s’agit de biens de provenance illicite ou de leur usage (Cass., arrêts Oliveri et Pipitone précités). (...)" Dans un avis no 1489/86 du 18 novembre 1986, le Conseil d’État a affirmé que "la confiscation, bien que par définition elle permette à l’État d’acquérir un bien (...), ne suffit pas à transférer la propriété aux pouvoirs publics (...)". Encore faut-il que la décision l’ordonnant soit irrévocable (tribunal de Palerme, ordonnance du 19 avril 1989). PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION M. Raimondo a saisi la Commission le 23 avril 1987. Il se plaignait: a) de l’illégalité et de la durée de sa détention (article 5 paras. 1 et 3 de la Convention) (art. 5-1, art. 5-3); b) de la longueur de diverses procédures le concernant et notamment des poursuites pénales (article 6 par. 1) (art. 6-1); c) de la méconnaissance du droit à la présomption d’innocence du fait de l’application de mesures de prévention (article 6 par. 2) (art. 6-2); d) de l’obligation de verser une caution pour garantir le respect desdites mesures (article 1 du Protocole no 4) (P4-1); e) d’une atteinte à ses biens causée par la saisie et la confiscation de certains d’entre eux (article 1 du Protocole no 1) (P1-1); et f) de la privation de son droit de circuler librement (article 2 du Protocole no 4) (P4-2). Le 6 décembre 1991, la Commission a retenu la requête (no 12954/87) quant aux griefs tirés du droit du requérant au respect de ses biens, à la liberté de circulation et à une décision dans un délai raisonnable sur l’application de mesures de prévention; elle l’a déclarée irrecevable pour le surplus. Dans son rapport du 21 octobre 1992 (article 31) (art. 31), elle conclut: - à la non-violation de l’article 1 du Protocole no 1 (P1-1) quant à la saisie (dix-huit voix contre une) et la confiscation (seize voix contre trois) des biens de l’intéressé jusqu’au 31 décembre 1986, ainsi qu’aux dommages résultant de la gestion des biens en question jusqu’à cette date (dix-huit voix contre une); - à la violation de l’article 1 du Protocole no 1 (P1-1) en ce que la confiscation de neuf immeubles et d’un camion avait déployé ses effets au-delà du 31 décembre 1986 (unanimité); - à la violation de l’article 2 du Protocole no 4 (P4-2), à cause de la privation du droit de circuler librement subie par le requérant du 4 juillet au 20 décembre 1986 (unanimité); - à la non-violation de l’article 6 par. 1 (art. 6-1) du chef de la durée de la procédure de saisie et de confiscation (unanimité). Le texte intégral de son avis et de l’opinion dissidente dont il s’accompagne figure en annexe au présent arrêt. CONCLUSIONS PRESENTEES A LA COUR PAR LE GOUVERNEMENT Dans son mémoire, le Gouvernement a prié la Cour "de bien vouloir dire et juger qu’il n’y a eu infraction ni à la Convention ni aux Protocoles nos 1 et 4".
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De nationalité espagnole, Mme Gregoria López Ostra réside à Lorca (Murcie). A l’époque considérée, elle habitait avec son époux et leurs deux filles dans le quartier "Diputación del Rio, el Lugarico", situé à quelques centaines de mètres du centre de Lorca. I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE A. Genèse de l’affaire La ville de Lorca réunit une forte concentration d’industries du cuir. Plusieurs tanneries qui y étaient installées, au sein d’une société anonyme nommée SACURSA, firent construire sur des terrains appartenant à la commune et avec une subvention de l’Etat une station d’épuration d’eaux et de déchets, qui se trouvait à douze mètres du domicile de la requérante. La station démarra ses activités en juillet 1988 sans avoir obtenu au préalable le permis (licencia) de la mairie, comme l’exige l’article 6 du règlement de 1961 relatif aux activités classées gênantes, insalubres, nocives et dangereuses ("le règlement de 1961"), et sans que la procédure établie à cette fin eût été suivie (paragraphe 28 ci-dessous). Sa mise en marche causa des émanations de gaz, odeurs pestilentielles et contaminations (dues à son mauvais fonctionnement), qui provoquèrent immédiatement des troubles de santé et nuisances à de nombreux habitants de Lorca, notamment à ceux du quartier de la requérante. Le conseil municipal évacua les résidents de ce quartier et les relogea gratuitement au centre ville pendant les mois de juillet, août et septembre 1988. En octobre, la requérante et sa famille regagnèrent leur appartement; ils y habitèrent jusqu’en février 1992 (paragraphe 21 ci-dessous). Le 9 septembre 1988, à la suite de nombreuses plaintes et au vu des rapports des autorités sanitaires et de l’Agence pour l’environnement et la nature (Agencia para el Medio Ambiente y la Naturaleza) de la région de Murcie, le conseil municipal ordonna l’arrêt de l’une des activités de la station, la décantation de résidus chimiques et organiques dans des bassins d’eau (lagunaje), tout en maintenant celle d’épuration des eaux résiduelles souillées au chrome. Les effets de cet arrêt partiel d’activités sont controversés, mais il ressort des rapports d’expertise et témoignages écrits des années 1991, 1992 et 1993, produits devant la Commission par le Gouvernement et la requérante (paragraphes 18-20 ci-dessous), que certaines nuisances persistent, qui peuvent constituer un danger pour la santé des riverains. B. Le recours en protection des droits fondamentaux La procédure devant l’Audiencia Territorial de Murcie La tentative pour trouver une solution auprès de la mairie ayant échouée, Mme López Ostra saisit l’Audiencia Territorial (chambre administrative) de Murcie le 13 octobre 1988 d’un recours en protection de ses droits fondamentaux (article 1 de la loi 62/1978 du 26 décembre 1978 sur la protection des droits fondamentaux, "loi 62/1978" - paragraphes 24-25 ci-dessous). Elle se plaignait notamment d’une ingérence illégitime dans son domicile et dans la jouissance pacifique de celui-ci, d’une violation de son droit de choisir librement un domicile et d’atteintes à son intégrité physique et morale, sa liberté et sa sécurité (articles 15, 17 par. 1, 18 par. 2 et 19 de la Constitution - paragraphe 23 ci-dessous), en raison de l’attitude passive de la municipalité face aux nuisances et risques causés par la station d’épuration. Elle demandait à la cour d’ordonner l’arrêt temporaire ou définitif de ses activités. La cour recueillit plusieurs témoignages proposés par la requérante et chargea l’Agence régionale pour l’environnement et la nature de formuler un avis sur les conditions de fonctionnement et la situation de la station. Dans un rapport du 19 janvier 1989, l’agence constata que, lors de la visite de l’expert le 17 janvier, celle-ci avait pour seule activité l’épuration des eaux résiduelles souillées au chrome, mais que le reste des résidus passait aussi par la station à travers des bassins avant d’être rejetés dans la rivière, ce qui provoquait des mauvaises odeurs. Elle concluait donc que l’emplacement de la station n’était pas le plus adéquat. Le ministère public se montra favorable aux prétentions de l’intéressée. Cependant, l’Audiencia Territorial la débouta le 31 janvier 1989. Selon elle, bien que le fonctionnement de la station pût indéniablement causer des nuisances dues aux odeurs, fumées et bruits, il ne constituait pas un danger grave pour la santé des familles habitant dans les environs, mais plutôt une détérioration de leur qualité de vie, qui n’était pas suffisamment importante pour porter atteinte aux droits fondamentaux revendiqués. En tout cas, on ne pouvait pas l’imputer à la ville, qui avait pris des mesures à cet égard; quant à l’absence de permis, il ne s’agissait pas d’une question à examiner dans le cadre de la procédure spéciale engagée en l’espèce puisqu’elle touchait à la violation de la légalité ordinaire. La procédure devant le Tribunal suprême Mme López Ostra introduisit le 10 février 1989 un appel devant le Tribunal suprême (Tribunal Supremo - paragraphe 25 in fine ci-dessous). Selon elle, divers témoignages et expertises montraient que la station dégageait des fumées polluantes, des odeurs pestilentielles et irritantes ainsi que des bruits répétitifs ayant causé des ennuis de santé à sa fille et à elle-même. En ce qui concernait la responsabilité de la municipalité, la décision de l’Audiencia Territorial paraissait inconciliable avec les pouvoirs généraux de police que le règlement de 1961 attribue aux maires, spécialement quand l’activité en question s’exerce sans permis (paragraphe 28 ci-dessous). Compte tenu, entre autres, de l’article 8 par. 1 (art. 8-1) de la Convention, l’attitude de la ville constituait une ingérence illégitime dans son droit au respect du domicile, et en outre une atteinte à son intégrité physique. Enfin, l’intéressée réclamait la suspension des activités de la station. Le 23 février 1989, le procureur près le Tribunal suprême formula ses conclusions: la situation incriminée constituait une ingérence arbitraire et illégale des autorités publiques dans la vie privée et familiale de la requérante (article 18 combiné avec les articles 15 et 19 de la Constitution - paragraphe 23 ci-dessous); il y avait donc lieu de faire droit à sa demande en vue des nuisances qu’elle subissait et de la détérioration de sa qualité de vie, reconnues d’ailleurs par l’arrêt du 31 janvier. Le 13 mars, le procureur appuya la demande de suspension (paragraphes 12 ci-dessus et 25 ci-dessous). Par un arrêt du 27 juillet 1989, le Tribunal suprême rejeta l’appel. La décision attaquée était conforme aux dispositions constitutionnelles invoquées car aucun agent public n’avait pénétré dans le domicile de l’intéressée, qui d’ailleurs était libre de déménager, ni porté atteinte à son intégrité physique. Quant à l’absence de permis, elle devait s’examiner dans le cadre d’une procédure ordinaire. La procédure devant le Tribunal constitutionnel Le 20 octobre 1989, Mme López Ostra saisit le Tribunal constitutionnel d’un recours d’amparo alléguant une violation des articles 15 (droit à l’intégrité physique), 18 (droit à la vie privée et à l’inviolabilité du domicile familial) et 19 (droit de choisir librement son domicile) de la Constitution (paragraphe 23 ci-dessous). Le 26 février 1990, la haute juridiction déclara le recours irrecevable pour défaut manifeste de fondement. Elle notait que le grief tiré d’une violation du droit au respect de la vie privée, n’avait pas été dûment soulevé devant les tribunaux ordinaires. Pour le reste, elle estimait que l’existence de fumées, odeurs et bruits ne constituait pas en soi une violation du droit à l’inviolabilité du domicile, que le refus d’ordonner la fermeture de la station ne pouvait passer pour un traitement dégradant car la vie et l’intégrité physique de la requérante ne se trouvaient pas en danger, et qu’il n’y avait pas eu atteinte à son droit de choisir un domicile car aucune autorité ne l’avait chassée de sa maison. C. Les autres procédures concernant la station d’épuration de Lorca La procédure relative à l’absence de permis Deux belles-soeurs de Mme López Ostra, habitant le même immeuble, introduisirent en 1990 devant le Tribunal supérieur (Tribunal Superior de Justicia) (chambre administrative) de Murcie, un recours contre la ville de Lorca et SACURSA, alléguant le fonctionnement illégal de la station. Le 18 septembre 1991, cette juridiction, constatant la persistance des nuisances après le 9 septembre 1988 et l’absence des permis exigés par la loi, ordonna la fermeture provisoire de la station jusqu’à ce que ceux-ci fussent obtenus (paragraphe 28 ci-dessous). Cependant, l’exécution de cet arrêt demeura suspendue à la suite de l’appel de la ville et de SACURSA. L’affaire est encore pendante devant le Tribunal suprême. La plainte pour délit écologique Le 13 novembre 1991, les deux belles-soeurs de la requérante déposèrent plainte, à la suite de quoi le juge d’instruction no 2 de Lorca entama des poursuites pénales contre SACURSA pour délit écologique (article 347 bis du code pénal - paragraphe 29 ci-dessous). Les deux plaignantes se constituèrent partie civile. Dès le 15 novembre, le juge décida la fermeture de la station, mais la mesure fut suspendue le 25, en raison du recours présenté par le ministère public le 19 novembre. Le juge ordonna plusieurs expertises sur la gravité des nuisances provoquées par la station d’épuration et sur ses conséquences pour la santé des riverains. Un premier rapport, daté du 13 octobre 1992 et rédigé par un docteur en sciences chimiques de l’Université de Murcie, conclut à la présence sur les lieux de sulfure d’hydrogène (gaz incolore, soluble dans l’eau, à odeur caractéristique d’oeuf pourri) à des niveaux supérieurs à ceux autorisés. Le déversement d’eaux contenant du sulfure dans un fleuve était jugé inacceptable. Un rapport complémentaire du 25 janvier 1993 confirma ces conclusions. Un rapport de l’Institut national de toxicologie, du 27 octobre 1992, estima que ce gaz avait des niveaux probablement supérieurs au maximum permis, mais ne constituait pas un risque pour la santé des personnes habitant à proximité. Dans un second rapport, du 10 février 1993, l’institut signala qu’on ne pouvait exclure que l’occupation des logements proches pendant vingt-quatre heures constituât un danger pour la santé, car les calculs portaient seulement sur une durée de huit heures par jour pendant cinq jours. Enfin l’Agence régionale pour l’environnement et la nature, chargée par la municipalité de Lorca d’effectuer une expertise, conclut dans son rapport du 29 mars 1993 que le niveau de bruit produit par la station en fonctionnement n’était pas supérieur à celui mesuré dans d’autres quartiers de la ville. Quant aux conséquences sur la santé des riverains, le dossier d’instruction contient plusieurs certificats et expertises médico-légales. Dans un certificat du 12 décembre 1991, le docteur de Ayala Sánchez, pédiatre, note que la fille de Mme López Ostra, Cristina, présente un tableau clinique de nausées, vomissements, réactions allergiques, anorexies, etc., qui ne trouvent d’explication que dans le fait de vivre dans une zone hautement polluée. Il recommande l’éloignement de la fillette du site. De son côté, le rapport d’expertise de l’Institut médico-légal de Cartagène du ministère de la Justice, du 16 avril 1993, relève que le niveau d’émission de gaz dans les maisons proches de la station dépasse le seuil autorisé. Il constate que la fille de la requérante et son neveu, Fernando López Gómez, présentent un état typique d’imprégnation chronique du gaz en question, avec des poussées qui se manifestent sous la forme d’infections broncho-pulmonaires aiguës. Il estime qu’il existe une relation de cause à effet entre ce tableau clinique et le niveau de concentration de gaz. En outre, il ressort des témoignages de trois policiers, appelés à proximité de la station par une belle-soeur de l’intéressée le 9 janvier 1992, que les odeurs se dégageant de ladite station à leur arrivée étaient très fortes et provoquaient des nausées. A partir du 1er février 1992, Mme López Ostra et sa famille furent relogées dans un appartement situé au centre de Lorca, dont le loyer était pris en charge par la municipalité. En raison des inconvénients liés au changement de domicile et à la précarité de leur logement, la requérante et son mari achetèrent une maison dans un autre quartier de la ville le 23 février 1993. Le 27 octobre 1993, le juge confirma l’ordonnance du 15 novembre 1991 et la station fut fermée provisoirement. II. LE DROIT INTERNE PERTINENT A. La Constitution Les articles pertinents de la Constitution prévoient: Article 15 "Toute personne a droit à la vie et à l’intégrité physique et morale, sans qu’en aucun cas elle puisse être soumise à la torture ni à des peines ou à des traitements inhumains ou dégradants. La peine de mort est abolie, exception faite des dispositions que pourront prévoir les lois pénales militaires en temps de guerre." Article 17 par. 1 "Toute personne a droit à la liberté et à la sécurité. (...)" Article 18 "1. Le droit à l’honneur, à la vie privée et familiale et à sa propre image est garanti. Le domicile est inviolable. Aucune irruption ou perquisition ne sera autorisée sans le consentement de celui qui y habite ou sans décision judiciaire, hormis en cas de flagrant délit. (...)" Article 19 "Les Espagnols ont le droit de choisir librement leur résidence et de circuler sur le territoire national (...)" Article 45 "1. Toute personne a le droit de jouir d’un environnement approprié pour développer sa personnalité et elle a le devoir de le conserver. Les pouvoirs publics veilleront à l’utilisation rationnelle de toutes les ressources naturelles, afin de protéger et améliorer la qualité de la vie et de défendre et restaurer l’environnement, en ayant recours à l’indispensable solidarité collective. Ceux qui violeront les dispositions du paragraphe précédent encourront, dans les termes fixés par la loi, des sanctions pénales ou, s’il y a lieu, des sanctions administratives et ils seront tenus de réparer les dommages causés." B. La loi de 1978 sur la protection des droitsfondamentaux La loi 62/1978 prévoit la protection de certains droits fondamentaux par les juridictions ordinaires. Parmi les droits garantis de cette façon se trouve l’inviolabilité du domicile et la liberté de résidence (article 1 par. 2). Cependant, la disposition transitoire 2 par. 2 de la loi sur le Tribunal constitutionnel du 3 octobre 1979 étend son application aux autres droits reconnus par les articles 14 à 29 de la Constitution (article 53 de la Constitution). Contre les actes de l’administration qui touchent aux droits de l’individu, l’intéressé peut saisir la chambre administrative de la juridiction ordinaire compétente (article 6), sans devoir épuiser auparavant les voies administratives (article 7 par. 1). La procédure suivie a un caractère urgent se traduisant par des délais plus courts et la dispense de certains actes de procédure (articles 8 et 10). Dans la requête introductive, l’individu peut demander la suspension de l’acte attaqué, qui est décidée selon une procédure sommaire distincte (article 7). L’arrêt de ladite juridiction peut faire l’objet d’un appel devant le Tribunal suprême (article 9), qui l’examine de façon accélérée. C. Les règles relatives à la protection de l’environnement La protection de l’environnement fait l’objet de nombreuses dispositions de l’Etat et des communautés autonomes, de différents rangs normatifs: l’article 45 la Constitution (paragraphe 23 ci-dessus); la loi 20/1986 du 14 mai 1986 sur les déchets toxiques et dangereux; le décret législatif royal 1302/1986 du 28 juin 1986 sur l’évaluation de l’impact sur l’environnement; la loi 38/1972 du 22 décembre 1972 sur la protection du milieu atmosphérique. En l’espèce, le texte le plus souvent invoqué est le règlement de 1961 relatif aux activités classées gênantes, insalubres, nocives et dangereuses, approuvé par le décret 2414/1961 du 30 novembre. Ce dernier vise à éviter que les installations, établissements, activités, industries ou magasins, qu’ils soient publics ou privés, causent des nuisances, altèrent les conditions normales de salubrité et d’hygiène de l’environnement et entraînent des dommages à la richesse publique ou privé ou impliquent des risques graves pour les personnes ou pour les biens (article 1). L’article 3 étend l’application du règlement aux bruits, vibrations, fumées, gaz, odeurs, etc. En ce qui concerne leur implantation, les activités dont il s’agit obéissent aux ordonnances municipales et plans d’aménagement des sols. En tout cas, les usines considérées comme dangereuses ou insalubres ne peuvent s’installer en principe à moins de 2 000 mètres de la zone d’habitation la plus proche (article 4). Le maire a compétence pour accorder les permis relatifs à l’exercice des activités en question, ainsi que pour contrôler l’application des dispositions précitées et le cas échéant infliger des sanctions (article 6 du règlement). La procédure pour obtenir lesdits permis comporte plusieurs étapes, y compris la consultation obligatoire d’une commission provinciale sur l’adéquation des systèmes correcteurs proposés par le demandeur dans son descriptif du projet. Avant la mise en marche de l’établissement, un technicien de la commune doit impérativement contrôler les installations (articles 29-34). Contre les décisions d’octroi ou de refus de permis, les intéressés peuvent introduire un recours devant les juridictions ordinaires (article 42). Lorsque des nuisances se produisent, le maire peut enjoindre au responsable de celles-ci de prendre des mesures pour les faire disparaître. Faute de leur adoption dans les délais légaux, le maire, au vu des expertises pratiquées et après audition de l’intéressé, peut soit infliger une amende, soit retirer de manière temporaire ou définitive le permis (article 38). D. Le code pénal L’article 347 bis fut introduit le 25 juin 1983 par la loi de réforme urgente et partielle du code pénal (8/1983). Il prévoit: "Est passible d’une peine d’emprisonnement d’un à six mois (arresto mayor) et d’une amende de 50 000 à 1 000 000 pesetas, quiconque, enfreignant les lois ou règlements protecteurs de l’environnement, provoque ou pratique, directement ou indirectement, des émissions ou déversements de tout genre dans l’atmosphère, le sol ou les eaux (...), susceptibles de mettre en danger grave la santé des personnes, ou de nuire gravement aux conditions de vie animale, aux forêts, espaces naturels ou plantations utiles. La peine supérieure (emprisonnement de six mois à six ans) sera prononcée si l’établissement industriel fonctionne clandestinement, sans avoir obtenu les autorisations administratives nécessaires, ou en contravention avec les décisions expresses de l’administration ordonnant de modifier ou de cesser l’activité polluante, ou s’il a donné des informations mensongères quant à son incidence sur l’environnement ou qu’il a fait obstacle aux activités d’inspection de l’administration. (...) Dans tous les cas prévus dans le présent article, la fermeture provisoire ou définitive de l’installation pourra être décidée (...)" PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION Mme López Ostra a saisi la Commission le 14 mai 1990. Elle se plaignait de l’inaction de la municipalité de Lorca face aux nuisances causées par une station d’épuration installée à quelques mètres de sa maison; invoquant les articles 8 par. 1 et 3 (art. 8-1, art. 3) de la Convention, elle s’estimait victime d’une violation du droit au respect de son domicile rendant impossible sa vie privée et familiale, ainsi que d’un traitement dégradant. La Commission a retenu la requête (no 16798/90) le 8 juillet 1992. Dans son rapport du 31 août 1993 (article 31) (art. 31), elle conclut, à l’unanimité, qu’il y a eu violation de l’article 8 (art. 8), mais non de l’article 3 (art. 3). Le texte intégral de son avis figure en annexe au présent arrêt. CONCLUSIONS PRESENTEES A LA COUR Le Gouvernement a invité la Cour à accueillir ses exceptions préliminaires ou, à défaut, à constater "l’absence de manquement (...) du Royaume d’Espagne aux obligations découlant de la Convention". A l’audience, le conseil de la requérante a prié la Cour "de déclarer que, dans l’affaire López Ostra, l’Etat espagnol n’a pas respecté les obligations que lui imposent les articles 8 et 3 (art. 8, art. 3) de la Convention".
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE M. Keegan rencontra son amie, Mlle V. ("V.") en mai 1986. Ils vécurent ensemble de février 1987 à février 1988. Aux environs de Noël 1987, ils décidèrent d’avoir un enfant. Plus tard, le 14 février 1988, ils se fiancèrent. Le 22 février 1988, la grossesse fut confirmée. Peu après, la relation entre V. et le requérant se brisa et ils cessèrent de cohabiter. Le 29 septembre 1988, V. donna naissance à une fille, S., dont M. Keegan était le père. Il rendit visite à V. à une maternité privée et y vit le bébé alors âgé d’un jour. Deux semaines plus tard, il se rendit au domicile des parents de V., mais on ne lui permit de voir ni celle-ci ni l’enfant. Alors qu’elle était enceinte, V. avait pris des dispositions afin de voir adopter son enfant et le 17 novembre 1988 elle le fit placer par un service d’adoption agréé chez des candidats à l’adoption. Elle en informa le requérant par une lettre du 22 novembre 1988. A. La procédure devant la Circuit Court M. Keegan engagea par la suite une instance devant la Circuit Court en vue d’être nommé tuteur en vertu de l’article 6A par. 1 de la loi de 1964 sur la tutelle des mineurs (Guardianship of Infants Act 1964), pour pouvoir contester l’adoption envisagée. Il sollicita aussi la garde de la fillette. D’après la loi de 1952 sur l’adoption, une ordonnance d’adoption ne peut être prise, notamment, sans le consentement de la mère et du tuteur de l’enfant (paragraphe 19 ci-dessous). Un père marié est le tuteur de ses enfants, à la différence d’un père non marié sauf si le tribunal le désigne comme tel (paragraphes 25 et 26 ci-dessous). Le 29 mai 1989, la Circuit Court désigna le requérant comme tuteur et lui accorda la garde. B. La procédure devant la High Court Sur recours formé par V. et les candidats à l’adoption contre le jugement de la Circuit Court, la High Court conclut, en juillet 1989, que M. Keegan était apte à être désigné comme tuteur et qu’aucune circonstance touchant au bien-être de l’enfant n’imposait de refuser au père l’exercice de ses droits. Le juge Barron, de la High Court, déclara ce qui suit: "J’estime que, dans le cadre de l’examen des demandes de tutelle et de garde, je dois apprécier les circonstances actuelles et que, au regard du bien-être de l’enfant, je dois tenir compte du fait qu’elle a été placée en vue de son adoption. Chaque requête doit être considérée comme une partie d’une requête globale et non comme séparée et distincte. Il convient dès lors de vérifier si le père naturel est une personne propre à être désignée comme tuteur et, dans l’affirmative, si, nonobstant cette qualité, il existe des circonstances touchant au bien-être de l’enfant qui s’opposent à cette désignation. J’estime qu’en l’espèce, le père répond à la première condition et qu’il satisfait à la seconde, sauf si le bien-être de l’enfant est le seul élément à prendre en considération (...) A mon avis, compte tenu de la finalité de la loi de 1987 sur la condition des enfants (Status of Children Act 1987), le père ne peut se voir dénier ses droits pour des motifs tenant uniquement au bien-être de l’enfant, mais seulement s’il existe des raisons valables de le faire, quod non." C. La procédure devant la Cour suprême A l’issue de la procédure devant la High Court, le juge Barron accueillit une demande de V. et des candidats à l’adoption l’invitant à solliciter l’avis de la Cour suprême. Il saisit cette dernière des questions préjudicielles suivantes: "1. Mon interprétation de l’article 6A de la loi de 1964 sur la tutelle des mineurs, inséré par l’article 12 de la loi de 1987 sur la condition des enfants, est-elle correcte? Dans la négative, comment convient-il d’interpréter cet article et quels sont, le cas échéant, les autres principes dérivés soit du droit, soit des dispositions de la Constitution que j’aurais dû appliquer ou prendre en compte pour les questions de tutelle et de garde?" Le 1er décembre 1989, prononçant l’arrêt, rendu à la majorité, de la Cour suprême, le Chief Justice Finlay déclara que la High Court avait donné une mauvaise interprétation de l’article 6A de la loi de 1964 en en déduisant le droit pour le père naturel d’être tuteur. Selon lui, la loi accordait seulement au père naturel le droit de réclamer la tutelle. Elle ne le plaçait pas sur un pied d’égalité avec un père marié. Dans l’exercice de son pouvoir d’appréciation, la cour devrait envisager d’abord et avant tout le bien-être de l’enfant, et le lien du sang entre l’enfant et le père ne constituerait qu’un des nombreux facteurs que la Cour pourrait juger pertinents à cet égard. Le Chief Justice ajouta notamment ce qui suit: "(...) bien que les liens du sang entre un père et son enfant puissent créer des droits tenant aux intérêts ou aux préoccupations du premier, le père n’a aucun droit constitutionnel à avoir la tutelle de l’enfant. Cette conclusion n’affecte assurément en rien les considérations qui, dans d’autres circonstances, servent le bien-être de l’enfant, tel le fait pour celui-ci de bénéficier de la présence, de la protection et de la tutelle de son père, même lorsque son père et sa mère ne sont pas mariés. La portée et la nature des droits qui découlent de la relation entre un père et son enfant lorsque le premier n’est pas marié avec la mère sont nécessairement très variables selon les circonstances de chaque cas. La gamme des variations possibles va, selon moi, de la situation du père d’un enfant conçu dans le cadre d’une relation passagère, pour lequel les droits peuvent être minimes au point d’être quasi inexistants, à la situation où l’enfant est le fruit d’une relation stable et reconnue, élevé dès le début de sa vie par son père et sa mère dans un contexte qui présente virtuellement toutes les caractéristiques d’une famille protégée par la Constitution, cas dans lequel les droits seraient extrêmement étendus (...)" Il conclut en ces termes: "(...) il n’y a pas lieu de considérer l’objectif de satisfaire les voeux et les désirs du père de participer à la tutelle et de jouir de la présence de son enfant, à moins que le tribunal n’ait préalablement conclu que la qualité du bien-être de l’enfant qui serait probablement atteinte si on confiait celui-ci, comme c’est le cas actuellement, à la garde des candidats à son adoption, n’est pas sensiblement supérieure au degré de bien-être qui serait probablement le sien s’il était confié à la garde du père." La question fut alors renvoyée devant la High Court afin qu’elle se prononçât à la lumière de cette interprétation. D. La procédure ultérieure devant la High Court La High Court reprit l’examen de l’affaire au début de 1990. Elle entendit notamment un pédopsychiatre-conseil, lequel estimait que le transfert de la garde au requérant serait à court terme traumatisant pour l’enfant. A long terme, celle-ci serait plus vulnérable au stress et moins à même de le surmonter. Elle aurait aussi des difficultés à établir des relations de confiance. Dans son arrêt du 9 février 1990, le juge Barron rappela que M. Keegan souhaitait de bonne foi la garde de sa fille et qu’il ressentait l’existence d’un lien affectif avec elle. Le juge relevait aussi que si l’enfant demeurait chez les parents adoptifs, elle bénéficierait d’un niveau de vie supérieur et poursuivrait probablement des études plus longues. Il considéra toutefois qu’il n’y avait pas lieu de prendre en compte des différences résultant exclusivement de facteurs socio-économiques lorsque l’un des plaignants est un parent naturel. Selon lui, "sinon, l’on favoriserait les personnes aisées par rapport aux personnes moins fortunées, ce qui est incompatible avec l’obligation constitutionnelle de considérer tous les citoyens comme des personnes humaines égales devant la loi". Appliquant le critère fixé par la Cour suprême, eu égard aux risques pour la santé psychique de l’enfant, il accueillit le recours de la mère naturelle et des candidats à l’adoption en ces termes: "La conclusion suivante me paraît s’imposer: si la fillette demeure là où elle est, elle deviendra, à l’issue de la procédure d’adoption, membre d’une famille reconnue par la Constitution et sera à l’abri du danger de traumatisme psychologique. En revanche, si elle est déplacée, elle n’appartiendra pas à une telle famille et son avenir risque d’être très différent à court et à long termes. Elle perdra la sécurité que l’on éprouve à se savoir membre d’une famille aimante et attentive. Si elle est déplacée, je suis certain qu’elle deviendra membre d’une cellule aimante et attentive, équivalente à ses yeux à une famille. Elle perdra toutefois la sécurité et souffrira d’un sentiment d’insécurité résultant des divers facteurs que j’ai énumérés. A mes yeux, ces différences comme le risque pour sa santé psychique sont telles qu’à mes yeux, le degré de bien-être qu’elle aurait probablement auprès des candidats à l’adoption ne serait pas sensiblement supérieur à celui dont elle bénéficierait si la garde était confiée au père. Cela étant, le voeu et le souhait exprimés par ce dernier de participer à la tutelle de l’enfant et de jouir de sa présence ne constituent pas un élément dont j’aie à tenir compte. Dans ces conditions, le bien-être de la fillette exige qu’elle demeure avec les personnes qui en ont actuellement la garde. En conséquence, il y a lieu de rejeter la demande." Une ordonnance d’adoption fut rendue ultérieurement. II. DROIT ET PRATIQUE INTERNES PERTINENTS A. Recours à la Cour suprême Une décision de la High Court statuant sur un appel d’un jugement de la Circuit Court ne se prête pas à un recours devant la Cour suprême (Eamonn Andrews Productions Limited c. Gaiety Theatre Enterprises, Irish Reports 1978, p. 295). La High Court peut toutefois saisir celle-ci à titre préjudiciel. B. Adoption En Irlande, l’adoption des enfants se trouve régie par la loi de 1952 sur l’adoption. Cette loi a été modifiée en 1964, 1974 et 1976. L’article 8 de la loi de 1952 a institué le conseil d’adoption (An Bord Uchtála), investi de certaines fonctions, la principale étant de prendre des ordonnances d’adoption à la demande de personnes désirant adopter un enfant. Seuls un organisme d’adoption agréé ou un conseil sanitaire (Health Board) peuvent prendre des dispositions en vue de l’adoption d’un enfant de moins de sept ans (article 34 de la loi de 1952); lorsque la mère ou le tuteur d’un enfant envisage de le confier à un organisme agréé aux fins d’adoption, ce dernier doit, avant d’accepter l’enfant, indiquer clairement par écrit à la mère ou au père l’effet d’une ordonnance d’adoption sur les droits de la mère ou du tuteur et les dispositions de la loi relatives au consentement à une telle ordonnance (article 39 de la loi de 1952). A l’époque où la fille de M. Keegan fut placée aux fins d’adoption, il était aussi exigé d’aviser par écrit le conseil d’adoption avant ou dans les sept jours suivant la réception de l’enfant au foyer des candidats à l’adoption (article 10 de la loi de 1964 sur l’adoption). Consentement En ce qui concerne le consentement requis du parent naturel, l’article 14 de la loi de 1952 dispose: "1. Une ordonnance d’adoption ne pourra être rendue sans le consentement de toutes les personnes suivantes: la mère de l’enfant, son tuteur ou la personne ayant la charge de l’enfant ou autorité sur lui, à moins que le conseil ne se dispense dudit consentement conformément au présent article. Le conseil peut se dispenser du consentement de l’une quelconque de ces personnes s’il estime que celle-ci n’est pas en mesure de donner son consentement suite à une infirmité mentale, ou que cette personne ne peut être trouvée. (...) Un consentement peut être retiré à tout moment avant qu’une ordonnance d’adoption ne soit prise." Droit d’être entendu par le conseil d’adoption Quant aux personnes ayant le droit d’être entendues dans le cadre d’une demande d’ordonnance d’adoption, l’article 16 de la loi de 1952 prévoit: "1. Les personnes suivantes, à l’exclusion de toute autre, ont le droit d’être entendues dans le cadre d’une demande d’ordonnance d’adoption: a) les demandeurs, b) la mère de l’enfant, c) le tuteur de l’enfant, d) toute personne ayant la charge de l’enfant ou autorité sur lui, e) un parent de l’enfant, f) un représentant d’un organisme d’adoption agréé concerné par l’enfant dans le présent ou le passé, g) un prêtre ou ministre d’une religion reconnue par la Constitution (ou, lorsque cette religion n’a pas de ministres, un représentant autorisé de ladite religion) prétendue être celle de l’enfant ou de l’un des parents (vivant ou décédé), h) un responsable du conseil, i) toute autre personne que le conseil décide d’entendre en vertu de son pouvoir discrétionnaire. Toute personne qui a le droit d’être entendue peut être représentée par un avocat ou un solicitor. Le conseil peut décider d’examiner tout ou partie de la requête à huis clos. Lorsque le conseil a connaissance d’un recours pendant devant telle ou telle juridiction concernant la garde d’un enfant au sujet duquel il a été saisi d’une requête, il ne rend aucune ordonnance sur la question avant qu’il n’ait été statué sur ledit recours." Dans l’affaire - qui fait jurisprudence - Etat (Nicolaou) c. An Bord Uchtála [le conseil d’adoption] (Irish Reports 1966, p. 567), la Cour suprême a déclaré que les dispositions pertinentes de la loi de 1952 sur l’adoption, qui permettaient l’adoption d’un enfant né hors mariage sans le consentement du père naturel ou sans que ce dernier ait le droit d’être entendu par le conseil d’adoption avant l’ordonnance d’adoption, ne méconnaissaient pas la Constitution par le motif qu’elles seraient discriminatoires à l’égard du père naturel ou enfreindraient ses droits constitutionnels (article 40 paras. 1 et 3 de la Constitution). Elle a aussi estimé que la protection accordée à la "famille" par l’article 41 de la Constitution ne valait que pour la "famille" fondée sur le mariage. Requête à la High Court L’article 20 de la loi de 1952 est ainsi libellé: "20. 1. Le conseil peut (et doit, s’il y est invité par le demandeur d’une ordonnance d’adoption, la mère ou le tuteur de l’enfant ou toute personne ayant la charge de celui-ci ou autorité sur lui, à moins qu’il ne juge la requête futile) inviter la High Court à statuer à titre préjudiciel sur toute question de droit surgissant dans le cadre d’une demande d’ordonnance d’adoption. Sous réserve du respect des règles de procédure du tribunal, toute cause visée au présent article peut être entendue à huis clos." C. Garde et tutelle Bien-être de l’enfant En ce qui concerne les instances relatives notamment à la garde, à la tutelle ou à l’éducation d’un mineur, la loi de 1964 sur la tutelle des mineurs dispose: "3. Lorsque, dans le cadre d’une procédure engagée devant telle ou telle juridiction, sont en cause la garde, la tutelle ou l’éducation d’un mineur ou l’administration de tout bien lui appartenant ou détenu par fidéicommis en son nom, ou l’utilisation des revenus qui y sont liés, le tribunal doit, pour statuer sur ladite cause, prendre en compte d’abord et avant tout le bien-être du mineur concerné." L’article 2 de la loi définit comme suit la notion de ‘bien-être’ d’un mineur: "S’agissant d’un enfant, on entend par ‘bien-être’ le bien-être religieux et moral, intellectuel, physique et social du mineur." Droits des parents mariés Aux termes de l’article 6 de la loi de 1964, "1. Le père et la mère d’un enfant ont conjointement la qualité de tuteurs du mineur. En cas de décès du père d’un mineur, la mère survivante est tutrice de celui-ci, soit seule, soit conjointement avec tout tuteur désigné par le père ou par le tribunal. En cas de décès de la mère d’un mineur, le père survivant est tuteur de celui-ci, soit seul, soit conjointement avec tout tuteur désigné par la mère ou par le tribunal." Droits du père naturel L’article 2 de la loi de 1964 n’entendait pas la notion de "père" comme comprenant le père d’un enfant né hors mariage. La loi de 1987 sur la condition des enfants a modifié comme suit la loi de 1964 sur la tutelle des mineurs: "11. Le paragraphe 4 de l’article 6 de la loi de 1964 est remplacé par le paragraphe suivant: ‘4. Lorsque la mère d’un mineur n’a pas épousé le père de celui-ci, elle est, de son vivant, seule tutrice de l’enfant à moins qu’une ordonnance prise en vertu de l’article 6A (ajouté par la loi de 1987) de la présente loi ne soit en vigueur ou qu’un tuteur ait été désigné conformément à la présente loi.’ La loi de 1964 est modifiée par l’insertion, après l’article 6, de l’article suivant: ‘6A 1. Lorsque le père et la mère d’un mineur n’ont pas contracté mariage, le tribunal peut, à la requête du père de l’enfant, le désigner par ordonnance tuteur de l’enfant. (...) la désignation, en vertu du présent article, du père d’un enfant comme tuteur ne porte pas préjudice à la désignation antérieure à cette qualité, conformément à l’article 8 par. 1, de toute autre personne, sauf décision contraire du tribunal (...)’" Au sujet des actions judiciaires engagées en vue de l’obtention de la garde d’un mineur, la loi de 1964 prévoyait ceci: "11. 1. Toute personne qui a la qualité de tuteur d’un mineur peut demander au tribunal ses directives sur toute question se rattachant au bien-être dudit mineur et le tribunal peut prendre toute ordonnance qu’il estime appropriée. Le tribunal peut, au moyen d’une ordonnance rendue en vertu du présent article, a) donner toutes directives qu’il estime appropriées concernant la garde du mineur et le droit de visite de son père ou de sa mère; (...)" Cet article de la loi de 1964 a été modifié comme suit par la loi de 1987: "13. Le paragraphe 4 de l’article 11 de la loi de 1964 est remplacé par le paragraphe suivant: ‘4. Dans le cas d’un mineur dont le père et la mère n’ont pas contracté mariage, le droit d’introduire une requête conformément au présent article en ce qui concerne la garde du mineur et le droit de visite de son père ou de sa mère est étendu au père qui n’a pas la qualité de tuteur et, à cette fin, il y a lieu d’interpréter les références faites dans le présent article au père ou au parent d’un mineur comme incluant ce cas.’" Pouvoirs des tuteurs La loi de 1964 prévoit notamment que le tuteur nommé en application de ses dispositions a droit 1) à la garde du mineur et à engager une action en restitution de celle-ci à l’encontre de quiconque, à tort, l’en aurait destitué ou détiendrait l’enfant et 2) à la possession et à l’administration de tous les biens du mineur (article 10 de la loi). D. Evolution récente de la pratique en matière d’adoption en Irlande Une évolution a eu lieu après les faits de l’espèce. Par une note du 30 avril 1990, le greffier du conseil d’adoption a informé les organismes d’adoption et les travailleurs sociaux compétents notamment des droits du père naturel de demander la cotutelle et/ou la garde de son enfant ou un droit de visite. La note attire aussi l’attention sur l’opportunité de s’assurer des intentions de la mère et, quand c’est possible, du père en ce qui concerne l’adoption de l’enfant, tout en reconnaissant les difficultés pratiques qui peuvent surgir lorsque la mère ne souhaite pas mêler le père à la question, ou ignore son identité ou son lieu de résidence. Lorsque le père naturel manifeste à un service d’adoption son intention de s’opposer au placement de l’enfant en vue de son adoption, il est conseillé à ce service d’envisager de surseoir audit placement pendant un certain temps. La note précise en outre que lorsque le père naturel a engagé une action en justice, l’enfant ne doit en aucun cas être placé en vue de son adoption avant l’issue de cette action. Par une lettre du 6 avril 1992, le conseil d’adoption a avisé les organismes d’adoption et les travailleurs sociaux compétents qu’il reconsidérait sa politique à l’égard des pères naturels d’enfants placés aux fins d’adoption et la nécessité de suivre de nouvelles procédures. La lettre indique que toutes les fois que le père naturel: a) figure comme père sur l’acte de naissance de l’enfant, b) est en relation continue avec la mère, il y a lieu de l’avertir, s’il n’en a pas déjà connaissance, de la demande d’adoption de son enfant et de lui offrir la possibilité d’être entendu par le conseil d’adoption sur ladite demande. En outre, deux formulaires doivent désormais être remplis par le service d’adoption ou par le ou les candidats à l’adoption. Ces formulaires, renfermant des questions des plus approfondies, doivent, notamment, permettre de s’assurer de l’identité et des intentions du père naturel au sujet de l’adoption envisagée. PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION M. Keegan a saisi la Commission le 1er mai 1990. Il se plaignait d’un manquement à son droit au respect de sa vie familiale (article 8 de la Convention) (art. 8) en ce que son enfant avait été placé aux fins d’adoption à son insu et sans son consentement, et de ce que le droit interne ne lui offrît pas même un droit révocable à être nommé tuteur. Il alléguait aussi n’avoir pas eu accès à un tribunal (article 6 par. 1) (art. 6-1) en ce qu’il n’avait aucun locus standi dans la procédure devant le conseil d’adoption. Il prétendait encore que, en tant que père naturel, il avait été victime d’une discrimination dans l’exercice des droits susmentionnés (article 14 combiné avec l’article 6 et/ou l’article 8) (art. 14+6, art. 14+8), si l’on compare sa situation à celle d’un père marié. La Commission a retenu la requête (no 16969/90) le 13 février 1992. Dans son rapport du 17 février 1993 (article 31) (art. 31), elle conclut qu’il y a eu violation de l’article 8 et de l’article 6 par. 1 (art. 8, art. 6-1) (unanimité) et qu’il ne s’impose pas d’examiner s’il y a eu un manquement à l’article 14 combiné avec l’article 6 et/ou l’article 8 (art. 14+6, art. 14+8) (onze voix contre une). Le texte intégral de son avis figure en annexe au présent arrêt.
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I. LES CIRCONSTANCES DE L'ESPÈCE M. Francesco Salvatore Scollo habite Rome. Le 14 juin 1982, il acheta un appartement, loué depuis 1962 par M. V. Le prix de la location de ce logement se trouvait soumis au contrôle des pouvoirs publics. Le bail en cours avait été tacitement renouvelé jusqu'à l'entrée en vigueur de la loi n° 392 du 27 juillet 1978 prorogeant le contrat jusqu'au 31 décembre 1983. Par une lettre recommandée parvenue au locataire le 20 janvier 1983, le requérant l'informa de sa volonté de résilier le bail à son échéance, soit au 31 décembre 1983, et lui demanda de libérer l'appartement à cette date. Par un acte du 24 février 1983, notifié le 4 mars 1983, M. Scollo intima à M. V. l'ordre de quitter l'appartement et l'assigna à comparaître le 22 mars 1983 devant le juge d'instance (pretore) de Rome. Le 22 avril 1983, ce dernier homologua ladite injonction et fixa la date de l'expulsion au 30 juin 1984. La décision fut rendue exécutoire le jour même et notifiée au locataire au début du mois d'octobre 1983. Par la suite, saisi par M. V., ledit juge ajourna l'exécution au 31 octobre 1984, en application de la loi n° 94 du 25 mars 1982 qui avait prorogé l'échéance des baux en cours pour une durée de deux ans. Néanmoins, le locataire resta dans les lieux même après cette date. Le requérant engagea alors, par un acte du 24 novembre 1984, notifié à M. V. le 5 décembre 1984, la procédure d'exécution forcée. Il le somma de libérer l'immeuble dans les dix jours de la réception de l'acte, en lui précisant qu'à défaut de départ volontaire, il serait procédé à l'exécution forcée de l'expulsion. Par un acte notifié le 19 décembre 1984, l'huissier de justice informa M. V. que l'exécution aurait lieu le 23 janvier 1985. Cependant, à cette date, le premier se heurta au refus du locataire de quitter l'appartement. Alors que l'huissier avait fixé au 13 mars 1985 sa prochaine visite, entra en vigueur une législation d'urgence - le décret-loi n° 12 du 7 février 1985, converti en la loi n° 118 du 5 avril 1985 - édictée pour faire face à l'exceptionnelle pénurie de logements dans certaines villes, dont Rome. L'exécution des mesures d'expulsion fut reportée au 30 juin 1985. En l'espèce, le requérant ayant obtenu un titre exécutoire avant le 30 juin 1983, la loi n° 118 permettait de procéder à l'exécution à compter du 1er juillet 1985. Entre ce moment et le 29 octobre 1986, date d'entrée en vigueur du décret-loi n° 708 du même jour suspendant les mesures d'expulsion forcée jusqu'au 31 mars 1987, l'huissier de justice se heurta neuf fois au refus de M. V. de quitter l'appartement. Ce dernier décret-loi (converti en la loi n° 899 du 23 décembre 1986) attribuait au préfet (prefetto) le pouvoir d'accorder dans les cas prévus l'assistance de la force publique pour l'exécution des expulsions. Entre le 1er avril 1987 et le 8 février 1988, l'huissier tenta par huit fois, mais en vain, d'accomplir sa mission. Par un acte authentique du 3 novembre 1987, M. Scollo déclara solennellement, au sens des articles 2 et 3 de la loi n° 899 du 23 décembre 1986, être dans la nécessité de récupérer son appartement afin d'y habiter avec sa famille. Son cas devait donc être traité en priorité. Le 8 février 1988, entra en vigueur une nouvelle série de lois de suspension des mesures d'expulsion, qui reporta au 30 avril 1989 les exécutions forcées. Du 1er mai 1989 au 15 octobre 1991, l'huissier de justice essuya dix-huit refus du locataire. Entre-temps, l'avocat du requérant avait écrit à deux reprises (les 1er et 24 septembre 1989) à la commission préfectorale, mise en place par la loi n° 61 du 21 février 1989 et compétente pour l'octroi de l'assistance de la force publique, afin d'appeler son attention sur le caractère prioritaire du cas de son client. Il faisait valoir que le locataire ne payait plus l'intégralité du loyer et indiquait que son client avait besoin du logement. Il soulignait que M. Scollo était diabétique, invalide à 71 % et au chômage. La commission préfectorale ne donna pas de réponse, nonobstant le fait qu'une nouvelle déclaration de nécessité figurât en annexe au premier courrier reçu. Cette deuxième déclaration était motivée par l'impossibilité, vu l'ampleur des travaux de restructuration nécessaires, d'occuper immédiatement un autre appartement que M. Scollo avait dû acheter en 1989. Le 1er décembre 1989, le requérant saisit le juge d'instance pour contester l'applicabilité à son cas de la suspension de la procédure d'exécution forcée de l'expulsion, le locataire négligeant de payer une partie du loyer depuis novembre 1987. Le 12 décembre, le magistrat fixa au 7 février 1990 l'audience de comparution. A cette date, M. V. régla les sommes dues et la cause fut rayée du rôle. Le 31 janvier 1995, M. Scollo informa la Cour qu'il avait récupéré son appartement le 15 janvier à la suite d'une nouvelle intervention d'huissier le 5 janvier 1995. II. LE DROIT INTERNE PERTINENT Sur la base du rapport de la Commission, la législation italienne en matière de baux d'habitation peut se résumer ainsi: Depuis 1947, la législation en question a été marquée par différentes interventions des pouvoirs publics, visant le contrôle des loyers au moyen du blocage de ceux-ci, mitigé par les augmentations légales décrétées de temps à autre par le Gouvernement, ainsi que la prorogation légale de tous les baux en cours et la prorogation, la suspension ou l'échelonnement de l'exécution forcée des expulsions. En matière de prorogation légale La dernière prorogation légale concernant tous les baux en cours, sauf dans certains cas limitativement prévus par la loi, est celle établie par la loi n° 392 du 27 juillet 1978 jusqu'au 31 décembre 1982, 30 juin 1983 ou 31 décembre 1983 selon les dates de conclusion des contrats de bail. Il y a lieu de noter cependant que, en ce qui concerne les immeubles destinés à un usage autre que l'habitation, la prorogation légale des baux en cours prévue par l'article 1 par. 9 bis de la loi n° 118 du 5 avril 1985 a été déclarée inconstitutionnelle par un arrêt de la Cour constitutionnelle (n° 108) du 23 avril 1986: les limites légales au droit de propriété, prévues par l'article 42 de la Constitution afin d'assurer les finalités sociales de celle-ci, permettaient de considérer légitime la réglementation imposant des restrictions, à condition que cette réglementation ait un caractère extraordinaire et temporaire, mais le fait de perpétuer de telles limitations était incompatible avec la protection du droit de propriété consacrée à l'article 42 de la Constitution. Dans sa décision, la Cour constitutionnelle a rappelé également que la prorogation légale des baux pour une durée de six mois, établie par la loi n° 118, ne pouvait être considérée isolément mais dans le contexte de la réglementation d'ensemble des baux. Elle s'est référée notamment au fait que cette prorogation prenait le relais d'autres prorogations légales et pouvait être un point de départ à de nouvelles limitations à l'autonomie contractuelle en la matière. De surcroît, la mesure perpétuait des contrats pour lesquels le loyer, nonobstant les augmentations applicables conformément à l'indice des prix à la consommation, n'était même pas approximativement en rapport avec la nouvelle réalité socio-économique. De plus, cette législation n'accordait au bailleur la possibilité de rentrer en possession de l'immeuble qu'en cas d'extrême nécessité. La Cour a également estimé que la loi n° 118, dans la mesure où elle prévoyait une prorogation généralisée des baux en cours, sans tenir compte des différentes conditions économiques des bailleurs et locataires - ce qui aurait pourtant été nécessaire à des fins de justice sociale -, contrevenait au principe de l'égalité des citoyens devant la loi, reconnu par l'article 3 de la Constitution. En matière d'exécution forcée De nombreuses dispositions ont réglementé la prorogation, la suspension ou l'échelonnement de l'exécution forcée des décisions judiciaires ordonnant aux locataires de libérer les lieux (ordinanze di sfratto). Une première suspension a été mise en place par le décret-loi n° 795 du 1er décembre 1984. Ses dispositions ont été reprises par le décret-loi n° 12 du 7 février 1985, converti en la loi n° 118 du 5 avril 1985. Elle concerne la période du 1er décembre 1984 au 30 juin 1985. Par ailleurs, ces textes prévoyaient l'échelonnement de l'exécution forcée des mesures d'expulsion, aux 1er juillet 1985, 30 septembre 1985, 30 novembre 1985 ou 31 janvier 1986, suivant la date à laquelle le jugement constatant la fin du bail était devenu exécutoire. L'article 1 par. 3 de la loi n° 118 prévoyait qu'une telle suspension ne s'appliquait pas lorsque la libération des lieux avait été ordonnée en raison de retards dans le paiement des loyers. De même, aucune suspension ne pouvait être décidée dans les cas suivants: a) lorsque le bailleur, après la conclusion du contrat de bail, se trouvait dans le besoin d'affecter l'immeuble à son usage propre ou à celui de son conjoint ou de ses descendants en ligne directe jusqu'au second degré, soit à titre d'habitation, soit à titre commercial ou professionnel, ou bien quand le bailleur qui avait l'intention d'utiliser les locaux comme prévu ci-dessus offrait, d'une part, à son locataire un immeuble similaire, dont le loyer ne dépassant pas de 20 % celui payé était compatible avec ses possibilités et, d'autre part, s'engageait à payer les frais de déménagement de son locataire (article 59, premier alinéa, numéros 1, 2, 7, 8, de la loi n° 392 du 27 juillet 1978 ("la loi n° 392")); b) dans l'hypothèse notamment où le bailleur avait un besoin urgent de récupérer son appartement pour y habiter lui-même ou y loger ses enfants ou ses ascendants (article 3, premier alinéa, numéros 1, 2, 4, 5, du décret-loi n° 629 du 15 décembre 1979, converti en la loi n° 25 du 15 février 1980 ("la loi n° 25")). Une deuxième suspension a été mise en place par le décret-loi n° 708 du 29 octobre 1986, converti en la loi n° 899 du 23 décembre 1986. Elle concernait la période du 29 octobre 1986 au 31 mars 1987 et prévoyait aux articles 2 et 3 les mêmes exceptions que les dispositions précédentes. Cette loi a également établi qu'il appartenait au préfet de déterminer les critères à suivre pour accorder le concours de la force publique en vue de procéder à l'exécution forcée dans le cas de locataires récalcitrants, sur avis d'une commission comprenant les représentants des locataires et propriétaires. Le paragraphe 5 bis de l'article 3 de la loi n° 899 du 23 décembre 1986 prévoyait aussi que l'exécution forcée des expulsions était en tout cas suspendue jusqu'au 31 décembre 1987 à l'égard des locataires ayant droit à l'attribution d'un logement social. Une troisième suspension a été mise en place par le décret-loi n° 26 du 8 février 1988, converti en la loi n° 108 du 8 avril 1988. Elle concerne la période du 8 février 1988 au 30 septembre 1988 tout d'abord, puis de cette dernière date au 31 décembre 1988. Une quatrième suspension a été mise en place par le décret-loi n° 551 du 30 décembre 1988, converti en la loi n° 61 du 21 février 1989, jusqu'au 30 avril 1989. Dans les régions touchées par des calamités naturelles la suspension allait jusqu'au 31 décembre 1989. Cette loi prévoyait également, sauf en cas de nécessité, l'échelonnement de l'octroi du concours de la force publique pour l'exécution des expulsions sur une période de quarante-huit mois, à compter du 1er janvier 1990, et créait une commission préfectorale chargée de fixer les priorités dans l'octroi du concours de la force publique. L'ensemble de ces lois et décrets contenait de surcroît des dispositions concernant le financement de logements sociaux et les aides au logement. PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION M. Scollo a saisi la Commission le 19 novembre 1991. Il se plaignait d'une atteinte au droit au respect de ses biens, garanti par l'article 1 du Protocole n° 1 (P1-1). Invoquant l'article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention, il alléguait aussi n'avoir pas bénéficié d'un examen de sa cause dans un délai raisonnable, en raison de l'application des mesures législatives de suspension à l'exécution des expulsions, conjuguée à l'impossibilité de procéder à l'exécution forcée de l'expulsion lorsque celle-ci était envisageable. La Commission a déclaré la requête (n° 19133/91) recevable le 5 avril 1993. Dans son rapport du 9 mai 1994 (article 31) (art. 31), elle conclut, par vingt et une voix contre deux, à la violation de l'article 1 du Protocole n° 1 (P1-1) et, par vingt-deux voix contre une, à l'absence de nécessité d'examiner le grief tiré de l'article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention. Le texte intégral de son avis et des deux opinions dissidentes dont il s'accompagne figure en annexe au présent arrêt . CONCLUSIONS PRESENTEES A LA COUR PAR LE GOUVERNEMENT Dans son mémoire, le Gouvernement demande à la Cour de juger qu'il n'y a eu violation ni de l'article 1 du Protocole n° 1 (P1-1) ni de l'article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention.
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE M. Josef Fischer est né en 1932 et habite Vienne. Depuis 1975, il possède une décharge à Theresienfeld dans le Land de Basse-Autriche. Il l’exploitait sur la base d’une autorisation révocable de mise en décharge, accordée à l’ancien propriétaire le 30 juillet 1973 conformément à la loi de 1959 sur le régime des eaux (Wasserrechtsgesetz). Le 5 décembre 1986, le chef du gouvernement (Landeshauptmann) du Land de Basse-Autriche ("le gouverneur") révoqua l’autorisation au motif, notamment, qu’on avait constaté un pourcentage dangereusement élevé de substances toxiques dans la nappe phréatique du terrain (faisant partie d’un réservoir d’eau potable pour plus de cinq cent mille habitants); on avait trouvé sur le site plusieurs fûts contenant des substances non autorisées; au demeurant, l’emplacement ne convenait pas pour une décharge, même pour y déverser des ordures ménagères normales. M. Fischer en appela au ministère fédéral de l’Agriculture et des Forêts (Bundesministerium für Land- und Forstwirtschaft) et y ajouta le grief qu’il aurait dû bénéficier du droit à être entendu. Le ministère le débouta le 20 juillet 1987, au motif que la fermeture de la décharge s’imposait absolument pour garantir l’approvisionnement en eau, car il était techniquement impossible d’assainir le terrain. Sur le droit du requérant à être entendu, le ministère estima que l’intéressé avait largement eu l’occasion de faire connaître son opinion et que la procédure de retrait des autorisations n’exigeait pas de débats. Le 2 septembre 1987, M. Fischer forma un recours devant la Cour constitutionnelle (Verfassungsgerichtshof). Il alléguait en particulier la violation de l’article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention, les autorités administratives lui ayant refusé une audience, et il demandait qu’il y eût débats devant la Cour. Le 14 mars 1988, celle-ci refusa d’examiner le grief en se fondant sur l’article 144 par. 2 de la Constitution fédérale (paragraphe 22 ci-dessous). Elle estima que la plupart des griefs portaient sur l’application prétendument erronée du droit commun. Pour autant que le recours concernât bien des questions de droit constitutionnel, il n’avait aucune chance sérieuse de réussir. Il n’y eut pas de débats. Le 6 août 1987, avant son recours constitutionnel, le requérant avait saisi la Cour administrative (Verwaltungsgerichtshof), arguant de l’illégalité de la décision du 20 juillet 1987 et de l’absence de débats devant les autorités administratives. Il demandait l’annulation de la décision et la tenue d’une audience devant la Cour administrative. Le 21 septembre 1989, la Cour administrative rejeta ce recours pour défaut de fondement aux termes de l’article 42 par. 1 de la loi sur la Cour administrative (paragraphe 18 ci-dessous): pour elle, une audience ne s’imposait pas devant le ministère. Elle rejeta aussi la demande de débats devant elle, en s’appuyant sur l’article 39 par. 2 (6) de cette même loi (paragraphe 21 ci-dessous). Voici les motifs de son arrêt: "L’appelant soutient d’abord que les motifs de la décision rendue en première instance restreignaient à tort la surface à laquelle s’appliquait l’autorisation de 1973; la révocation de l’autorisation, confirmée en appel sans que cette question ait été tranchée - alors qu’elle avait été soulevée dans les moyens - conserverait dès lors un caractère contestable. La Cour ne voit pas la contradiction. La révocation par l’administration des eaux en première instance, confirmée par l’autorité défenderesse, concernait - si l’on se réfère au libellé du texte - l’autorisation accordée en 1973 sans aucune restriction. De même, dans les motifs indiqués par le gouverneur dans sa décision du 5 décembre 1986, les mots `là où la gravière a déjà été fermée’ servant à individualiser la parcelle 514-1 KG de Theresienfeld, sont simplement repris de la décision du 30 juillet 1973 accordant l’autorisation. En outre, l’utilisation de l’expression `partie du terrain’ (Teilfläche) précise simplement - dans le cadre de l’historique de l’affaire - le sens que cette même autorité attribuait à la description sommaire figurant dans la décision d’octroi de l’autorisation révoquée. Il ne s’agit pas là d’une précision juridiquement contraignante et cela ne restreint nullement la révocation elle-même, qui s’appliquait en tout cas à l’autorisation de 1973 dans son intégralité, indépendamment de la manière de comprendre l’indication `là où la gravière a déjà été fermée’, qui n’est pas définie plus précisément. Il est clair dès lors, sans qu’il soit nécessaire d’entrer dans le détail des moyens d’appel, que ni la remarque susmentionnée figurant dans la décision de première instance, ni l’absence de toute référence à cette question dans la décision attaquée ne constituaient une ingérence dans les droits de l’appelant. Il importe peu de savoir si la clause de réserve du droit de révoquer la licence, prévue à l’article 21 par. 1 de la loi de 1959 sur le régime des eaux, figure correctement dans la décision de 1973 puisque, cette dernière ayant acquis un caractère définitif, la disposition incidente susdite emporte elle aussi des effets juridiques. La Cour convient avec l’autorité défenderesse et, sur ce point, avec l’appelant que même si, comme en l’espèce, la clause de réserve concernant le droit de révoquer n’est pas libellée en termes plus précis, la révocation ne se justifie que lorsqu’il existe des raisons objectives et suffisantes; toutefois ces raisons (ici le point de vue de la Cour ne coïncide pas avec celui que reflète la décision attaquée) ne peuvent être tirées que de considérations d’intérêt général, puisque le droit de révoquer l’autorisation n’est pas réservé dans l’intérêt de tiers. Finalement, la révocation en vertu de la loi sur le régime des eaux ne peut passer pour objectivement justifiée que si elle est nécessaire au sens de la loi; cela vaut seulement lorsque la révocation ne sert pas des intérêts que l’on peut mettre en oeuvre au regard des dispositions de ladite loi sans avoir à recourir à une telle révocation. L’appelant critique l’autorité défenderesse pour avoir confirmé sans motif valable la révocation de l’autorisation. Il se plaint de ce que tant la décision rendue en première instance que la décision attaquée affirment notamment qu’un déversement d’ordures conforme au libellé de l’autorisation pourrait accroître les risques potentiels. Or, dans la première, l’observation sur l’augmentation d’un risque de ce genre renvoie manifestement à la conclusion - citée aussi dans les motifs - du médecin désigné comme expert: le terrain situé au centre du bassin de Mitterndorf ne pouvait pas être choisi comme décharge pour des raisons sanitaires, vu le risque de polluer la nappe phréatique. Le même expert se référait à la remarque d’un `expert technicien officiel’, selon laquelle, d’après les critères actuels, il fallait refuser le renouvellement de l’autorisation de décharge sur le terrain en cause. Dans la décision objet de l’appel, le site de la décharge en tant que tel était pareillement qualifié de problématique vu les expertises: l’avis d’expert reproduit dans la décision entreprise déclare qu’il est hors de question d’utiliser comme site de décharge des terrains où existent des sources d’eaux souterraines pouvant, par leur quantité et leur qualité, servir à la consommation d’eau potable. Il indique aussi que le déversement de déchets mettant en danger la nappe phréatique s’expliquerait, notamment, par le `libellé imprécis de l’autorisation’ accordée en 1973. Cette dernière observation concerne le passé, et l’appelant ne peut pas invoquer pour la réfuter la distinction faite entre décharge autorisée et décharge non autorisée, telle qu’elle figure dans l’arrêt no 86/07/0147 rendu par la présente Cour le 19 mai 1987. La distinction a de fait été reconnue comme partiellement en contradiction avec l’idée avancée par le propriétaire précédent de la décharge. On ne saurait dès lors exclure qu’avant la publication de l’arrêt susmentionné, l’exploitant de la décharge ait méconnu les différences qui y sont soulignées et qui ont leur importance s’agissant du déversement de déchets autorisé. Quant aux observations techniques sur le choix du site, elles paraissent à la Cour suffisantes pour justifier l’idée que même la décharge autorisée était pour le moins `problématique’ sur cet emplacement. L’appelant soutient en outre que, jusqu’ici, il n’a pas été prouvé que le déversement conforme à l’autorisation ait eu des incidences sur le terrain alentour. Il renvoie au rapport établi le 29 avril 1986 par le technicien désigné comme expert officiel et qui, pourtant, décrit par le menu la possibilité d’une pollution de la nappe phréatique par les ordures ménagères. Le rapport d’expert produit dans la décision attaquée renvoie également au fait qu’un délai considérable s’écoula entre le moment de la pollution et les premiers indices observables de substances nuisibles dans le sous-sol ou dans la nappe phréatique, ce qui a par le passé été considéré comme un indice de la capacité d’assainissement et de stockage en apparence (seulement) illimitée du sous-sol et a bien souvent conduit à implanter et à autoriser des décharges qui seraient aujourd’hui considérées comme inacceptables. Il n’a donc pas été prouvé, ne serait-ce que par une seule constatation, que la crainte d’effets nuisibles sur la nappe phréatique soit sans fondement - comme revient à le dire l’exception soulevée par l’appelant. Ce dernier soutient en outre que, dans la décision contestée, un autre argument en faveur de la révocation a été avancé à tort: les déchets déversés contrairement au libellé de l’autorisation auraient été tellement mélangés avec ceux conformes à l’autorisation qu’il était en pratique impossible de séparer les deux catégories. Cet argument, soutient l’appelant, méconnaît le fait que, selon l’avis de l’`expert technicien’ en date du 21 octobre 1986 portant sur la question d’un assainissement général du site, il était présumé que les déchets dangereux découverts étaient dissociables des autres déchets; en outre, dans la décision de première instance, un tel mélange était pure hypothèse. Hormis le fait qu’en décrivant les deux types de déchets comme `pratiquement’ inséparables (hypothèse retenue), il avait été clairement tenu compte des difficultés pratiques mentionnées par la même expertise, qui renvoyait expressément à la nécessité de créer une `unité très qualifiée de surveillance des eaux, disposant des installations voulues pour effectuer des analyses et se débarrasser en toute sécurité d’éventuels déchets dangereux’, cette observation concernant le passé n’a au demeurant pas d’importance capitale pour la révocation, qui déploie ses effets pour l’avenir, afin d’empêcher des déversements futurs. L’appelant souligne qu’une masse de constatations confirmait que la partie occidentale du terrain ne présentait aucun risque, contrairement à ce que déclare la décision contestée; il s’ensuivrait que la partie ouest du site, nettoyée, était prête à être utilisée pour une décharge conforme à l’autorisation. Les extraits du dossier administratif que cite l’appelant à l’appui de sa thèse ne confortent toutefois pas cette affirmation. Dans l’avis soumis le 23 avril 1985, en effet, l’expert décrit les ordures ménagères déversées sur le site comme menaçant la nappe phréatique, indépendamment desfûts qu’on y a jetés. Dans une lettre du 28 mai 1985, émanant de l’administration du district (Bezirkshauptmannschaft), à laquelle renvoie aussi l’appelant, il était sans contredit annoncé que l’opération nettoyage était terminée, mais était posé simultanément le problème de ce qu’il fallait faire des ordures ménagères dont on ignorait d’abord l’existence. Une expertise du 15 mai 1985, également citée par l’appelant, confirmait que des travaux de forage étaient menés dans la partie occidentale de la gravière, mais indiquait également que des ordures ménagères y avaient été trouvées et que l’on ne pouvait pas écarter la possibilité que des produits chimiques y aient été associés; en outre, la possibilité de fermer le site sans enlever les déchets a été rejetée pour des raisons techniques et à cause du risque que des fûts y aient été enterrés en même temps. La lettre du district en date du 18 juin 1986 précisait que les ordures ménagères subsistant dans la partie occidentale nettoyée seraient enlevées dès que serait prise la décision d’assainir l’ensemble du site. Il n’avait dès lors pas été établi que cette partie ne renfermait plus aucun déchet dangereux et l’argument n’avait pas non plus été réfuté qu’il fallait cesser de déverser des déchets autorisés par-dessus les ordures déjà sur le site, précisément pour pouvoir les enlever. C’est pourquoi et parce que, comme détaillé ci-dessus, la poursuite du déversement d’ordures sur le site précité ne devait plus être autorisée - aucune décharge ne devant plus s’y faire et le travail de nettoyage étant en cours. Il n’était dès lors pas nécessaire de prévoir un `programme de nettoyage définitif’, comme le soutenait l’appelant, avant de cesser d’autres déversements conformes à l’autorisation (grâce au retrait de cette dernière). Un programme de nettoyage n’en est pas pour autant devancé; un tel programme peut fort bien nécessiter des autorisations spéciales, et même la poursuite partielle des actuelles opérations de décharge jusqu’à la mise en ÷uvre d’un projet de nettoyage ne saurait être considérée comme justifiée pour ce motif. Selon l’appelant, les intérêts en présence n’ayant pas été convenablement pesés, la conclusion s’avère erronée; cela vaudrait à la fois pour les municipalités qui seront à l’avenir privées de leurs installations de décharge, et pour l’appelant qui serait condamné à la faillite. S’agissant des municipalités, d’une part l’appelant ne peut pas juridiquement représenter leurs intérêts (dans la mesure où il s’agit de tiers), d’autre part il est clair que le danger que représentent les déchets déversés menace un nombre de personnes beaucoup plus grand, comme il ressort du fait bien connu qu’en raison de sa taille, le bassin de Mitterndorf sert de réservoir d’eau potable. Les mêmes considérations d’intérêt général s’appliquent à l’encontre des intérêts financiers d’un particulier. D’ailleurs, l’autorité défenderesse n’a pas, comme le soutient l’appelant, méconnu ces considérations, puisque la décision entreprise dit notamment `que l’intérêt général à assurer la fourniture d’eau potable l’emporte sur l’intérêt économique à poursuivre l’exploitation de la décharge’. Il est également faux que la question du blâme pour le déversement de déchets prohibés ait eu une incidence sur le retrait de l’autorisation car la révocation concernait l’autorisation et donc l’exploitation de la décharge telle qu’autorisée jusqu’alors. L’appelant se plaint également de n’avoir pas été informé du nom de l’ingénieur hydraulicien officiellement désigné comme expert lorsque l’autorité défenderesse a fait état de cette expertise dans sa communication (Vorhalt) du 18 mars 1987. L’appelant n’a cependant pas démenti l’observation, faite dans la décision attaquée, selon laquelle son conseil avait appris le nom de l’expert en consultant la totalité du dossier le 22 avril 1987. L’appelant, connaissant `l’original’ de l’expertise en question (il y renvoie dans son recours), a bien dû savoir la date exacte de l’expertise, qui ne figurait pas dans la communication de la défenderesse. L’appelant critique en outre le même expert au motif que son avis ne renfermait aucun `constat de fait’, question déjà évoquée dans sa réponse à la communication de la défenderesse. La manière dont cette question a été traitée dans la décision entreprise est précisée dans l’exposé des faits. L’avis technique donné dans la procédure d’appel consistait en une expertise sur les mêmes faits que ceux sur lesquels l’autorité de première instance avait fondé sa décision; cette appréciation technique en appel visait précisément - à la lumière du recours de l’appelant - à éclaircir la question de savoir si la situation factuelle (identique pour l’essentiel en première instance et en appel) devait conduire à la qualification juridique donnée par le gouverneur; il ne s’agissait pas d’apprécier des faits modifiés ou sensiblement complétés. C’est pourquoi il était inutile que l’expert désigné par la défenderesse exposât lui-même, à nouveau, les faits pris comme base. Dans une affaire comme le cas d’espèce, il est difficile de concevoir qu’on dise ne pas connaître les faits sur lesquels s’est fondé l’avis de l’expert ou qu’on doive de nouveau renvoyer particulièrement à la manière dont ils se sont produits. Par `documents de tierces parties’ (Fremdakten) - terme utilisé à plusieurs reprises dans le rapport de l’expert - on entend d’habitude, comme il est facile de le déduire du contexte, des documents qui n’ont pas été établis par l’autorité elle-même (en l’occurrence la défenderesse); les questions traitées concernant toujours la décharge en question, il est clair qu’il s’agissait de documents sur le régime des eaux, émanant d’autorités autres que la défenderesse et concernant le site de la décharge. Quant à la critique faite expressément par l’appelant - l’expert n’aurait pas indiqué clairement ce qu’il entendait par `les abus constatés’ -, il est à noter que ce passage est suivi d’une explication plus détaillée, renvoyant notamment au non-respect de la décision du 21 septembre 1972 et de la condition no 9 figurant dans la décision du 30 juillet 1973, donc aux événements ayant conduit, le 16 mai 1983, à la révocation par le gouverneur de l’autorisation de déverser des résidus de distillation. Toutes les remarques à ce sujet n’ont cependant guère eu d’incidence sur le retrait de l’autorisation, car l’expert ne les a faites qu’en liaison avec ses observations générales sur la nécessité de définir précisément les déchets si l’on voulait contrôler efficacement ce qui était déversé. Une réponse distincte à la question - posée dans les observations en réponse à la communication de la défenderesse et réitérée dans le présent appel - de savoir s’il avait été tenu compte du fait que, sur le sol de la partie orientale de la décharge, se trouvait une masse d’ordures ménagères compressées d’environ 18 mètres d’épaisseur, ne paraît pas aux yeux de la Cour d’une importance décisive s’agissant du retrait de l’autorisation empêchant dorénavant les décharges. En effet, comme l’expose en détail le présent appel, on peut admettre `indiscutablement à présent’ que `sous une couche de 15 à 18 mètres d’épaisseur d’ordures ménagères très compressées, des milliers de fûts contenant très probablement de dangereux solvants non autorisés ont été déversés là’ et que le terrain doit être nettoyé - ce qui interdit tout déversement ultérieur. L’appelant se plaint de l’absence, dans le rapport de l’expert, d’autres détails sur l’importance du bassin de Mitterndorf pour l’alimentation en eau et a estimé insuffisantes les références aux `avis d’experts dans des documents de tierces parties’ et à la `littérature spécialisée’. Il suffit de souligner, en premier lieu, les règlements édictés par l’autorité défenderesse dès 1969 (Gazette fédérale - Bundesgesetzblatt - no 126), qui définissent l’aire de conservation des eaux souterraines sur la périphérie de laquelle la décharge est située. Par ailleurs - en réponse à la critique de l’appelant - c’est à juste titre que la décision attaquée renvoie au fait que l’importance de la zone est bien connue. En effet, le rapport d’enquête établi par l’Agence de protection de l’environnement (Umweltschutzanstalt) et daté du 17 février 1987 - selon lequel l’échantillon prélevé le 22 octobre 1986 dans la nappe phréatique a montré, notamment, que la teneur en hydrocarbone chloré avait encore diminué - n’a nullement influencé l’expertise sur ce point; l’expert le confirme dans une note. Il faut se souvenir à cet égard que l’analyse ne se fondait que sur un seul échantillon et le qualifiait simplement de `meilleur’ que le prélèvement antérieur. Même l’appelant n’en déduit pas que cela aurait montré le caractère inoffensif de la partie orientale (dangereuse) du site. L’expert a estimé que, si l’autorisation demeure en vigueur, continuer à utiliser la décharge ne saurait améliorer la qualité de la nappe phréatique. L’objection soulevée par l’appelant, selon laquelle il n’y a pas infiltration des eaux au travers d’une couche d’ordures ménagères `compressée sur 18 mètres d’épaisseur’, est incompréhensible. Etant donné que ces déchets sont censés exister sur la partie est de la décharge, ne serait-ce que pour ce motif, il n’est pas déraisonnable d’empêcher de nouveaux déversements conformes à l’autorisation en révoquant celle-ci vu la nécessité - que même l’appelant mentionne - de nettoyer le site. On peut dès lors en conclure qu’à cet égard les lacunes de fait qui, selon l’appelant, vicieraient l’expertise n’existent pas en fait. L’appelant a également tort de soutenir qu’il n’aurait fallu retirer l’autorisation qu’après une procédure spéciale de recours dans laquelle l’autorité d’appel aurait procédé à sa propre investigation des faits. Ceux sur lesquels le gouverneur s’est fondé sont exposés en détail dans la décision rendue en première instance. Les lacunes alléguées ont été examinées soit lors de la procédure d’appel, soit dans l’actuel recours. Aux deux stades cependant, l’appelant a partiellement invoqué des faits n’ayant rien à voir avec la question de la révocation. La Cour ne souscrit pas non plus à la thèse de l’appelant selon laquelle l’expertise technique menée dans la première procédure d’appel serait viciée parce qu’elle contiendrait des arguments juridiques. En effet, la partie `définition des déchets, contrôle du déversement’ examine d’abord simplement les clauses de la décision [octroyant l’autorisation] désormais révoquée et mentionne ensuite l’applicabilité de la loi sur les substances vénéneuses en liaison avec les observations techniques concernant les agents contaminants de l’eau, avec cette réserve (`(...) à vérifier par l’organe du régime des eaux (...)’); la question de savoir s’il était absolument essentiel de révoquer l’autorisation ou si l’on pouvait remédier aux défauts constatés au regard de l’article 33 par. 2 de la loi de 1959 sur le régime des eaux y est traitée d’un point de vue exclusivement technique; l’observation finale sur la question est au demeurant reproduite de manière inexacte dans l’appel dans la mesure où l’expert souscrit à la révocation à la lumière des exigences économiques et non pas juridiques. Contrairement à ce que soutient l’appelant, l’expert n’avait pas préjugé de l’appréciation juridique à laquelle se livrerait l’autorité défenderesse. L’appelant se plaint en outre de ce que la défenderesse n’a pas sollicité, comme il l’aurait fallu, d’autres expertises. Il renvoie dans ses moyens à des solutions de rechange autres que la révocation et à un avis donné le 29 avril 1986 par l’ingénieur hydraulicien désigné comme expert par le gouverneur. Il déduit de cet avis d’expert que si l’on avait approuvé les mesures qu’il envisageait, on aurait pu éviter le retrait de l’autorisation; dans cet avis cependant, l’expert suggérait qu’il fallait examiner `la question de la révocation de l’autorisation accordée par décision du gouverneur, ON 14’ (c’est-à-dire la décision de 1973) `car d’importantes hypothèses sur lesquelles [était] fondée la délivrance de l’autorisation’ s’étaient révélées fausses. Il se plaçait pour ce faire, d’une part, dans l’hypothèse de `dangers qui, si l’on applique le principe mieux vaut prévenir que guérir’, excluaient de `continuer les déversements’ - (et il précisait que même le déversement d’ordures ménagères accroissait sans nul doute le risque `de manière sensible en termes quantitatifs’) et, d’autre part, sur la base des faits. L’expertise citée, qui va exactement dans le sens de ce qui a été ultérieurement décidé - en dernier lieu par l’autorité défenderesse -, n’était pas par conséquent la base qui convenait pour obtenir, comme demandé, d’autres expertises. Et même si, dans ce contexte, les moyens d’appel font référence au rapport d’expert soumis dans la procédure du régime des eaux du 18 novembre 1986 à l’appui de l’idée que `la variante du restockage’ (destruction des `déchets accumulés dans la portion est’ de la partie occidentale de la décharge), que l’appelant avait proposée comme solution de rechange au retrait de l’autorisation, était `techniquement faisable’, cela ne contribue guère - vu notamment les nombreuses discussions qui avaient déjà eu lieu, à en croire les documents administratifs - à montrer que les enquêtes complémentaires, tenues pour inutiles dans la décision entreprise, sont en réalité nécessaires. Enfin, la Cour ne saurait accepter la thèse de l’appelant selon laquelle une audience aurait dû avoir lieu dans le but précis d’examiner la question d’une révocation de l’autorisation; d’une part, la loi ne prévoit pas de débats à cet effet - l’appelant lui-même le concède - et, d’autre part, les questions relatives à un nettoyage de la décharge ont été examinées sous une foule d’angles différents (très récemment encore dans la procédure du 18 novembre 1986 qui a précédé le retrait de l’autorisation par l’autorité de première instance) et c’est pourquoi il n’a pas été démontré que ‘les faits portés devant l’appelant fussent tellement lacunaires que la tenue d’une audience’ aurait dû être considérée comme ‘inévitable’ (article 66 paras. 2 et 3 de la loi de 1950 sur la procédure administrative générale). L’appelant n’a par conséquent pas réussi à montrer que le retrait de l’autorisation était fondé sur des motifs qui n’étaient pas objectifs et donc entaché d’irrégularité. Il échet dès lors, conformément à l’article 42 par. 1 de la loi sur la Cour administrative, de rejeter l’appel pour défaut de fondement. La Cour décide, conformément à l’article 39 par. 2 (6) de la loi précitée, de se dispenser de l’audience demandée. (...)" II. LE DROIT INTERNE PERTINENT A. Article 90 par. 1 de la Constitution fédérale L’article 90 par. 1 de la Constitution fédérale est ainsi libellé: "Les débats en matière civile et pénale devant la juridiction de jugement sont oraux et publics. La loi prévoit les exceptions à cette règle." B. Recours devant la Cour administrative Selon l’article 130 de la Constitution fédérale, la Cour administrative connaît, notamment, des requêtes alléguant l’illégalité d’un acte administratif. Conformément à l’article 36 de la loi sur la Cour administrative, la procédure consiste pour l’essentiel en un échange de mémoires. Si l’une des parties le demande, la Cour administrative peut tenir une audience qui est, en principe, publique (articles 39 par. 1 (1) et 40 par. 4). L’article 41 par. 1 de ladite loi est ainsi libellé: "Dans la mesure où la Cour administrative ne relève aucune irrégularité résultant de l’incompétence de l’autorité défenderesse ou de violations de règles de procédure (article 42 par. 2 (2 et 3) (...), elle examine la décision attaquée en se fondant sur les faits constatés par ladite autorité et dans la limite des griefs soulevés (...). Si elle estime que des motifs, non encore révélés à l’une des parties, peuvent être déterminants pour statuer sur [l’un de ces griefs] (...), elle entend les parties à ce sujet et, au besoin, suspend l’instance." L’article 42 par. 1 de la même loi stipule que, sauf disposition contraire, la Cour rejette la demande pour défaut de fondement ou annule la décision contestée. Aux termes de l’article 42 par. 2, "La Cour administrative annule la décision attaquée, si celle-ci est illégale par son contenu, [ou] en raison de l’incompétence de l’autorité défenderesse, [ou] à cause d’un vice de procédure résultant de ce a) que l’autorité défenderesse a tenu pour établis des faits qui, sur un point capital, se trouvent démentis par le dossier, ou b) qu’il échet de les compléter sur un tel point, ou c) que l’autorité défenderesse a méconnu des règles de procédure dont le respect aurait pu l’amener à prendre une décision différente." Selon l’article 63 par. 1 de la loi sur la Cour administrative, si la Cour annule la décision querellée, "l’administration est tenue (...) en utilisant les moyens légaux à sa disposition, de s’assurer sans délai, que dans le cas d’espèce, la situation juridique corresponde à l’opinion juridique (Rechtsanschauung) exprimée par la Cour administrative". C. Débats devant la Cour administrative Aux termes de l’article 39 par. 2 de la loi sur la Cour administrative: "Nonobstant la demande d’une partie (...), la Cour administrative peut renoncer à tenir une audience si: (...) il ressort des mémoires soumis par les parties à la procédure devant elle et des dossiers des procédures antérieures qu’une audience ne contribuera sans doute pas à éclaircir l’affaire." D. Débats devant la Cour constitutionnelle L’article 144 par. 2 de la Constitution fédérale se lit ainsi: "La Cour constitutionnelle peut (...) refuser l’examen d’un recours s’il n’offre pas de chance suffisante de réussir ou si l’on ne peut attendre de l’arrêt qu’il résolve une question de droit constitutionnel. Elle ne peut refuser son examen lorsqu’il s’agit d’une affaire que l’article 133 exclut de la compétence de la Cour administrative." PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION M. Fischer a saisi la Commission le 11 mai 1990. Il invoquait l’article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention pour n’avoir pu faire entendre sa cause devant un "tribunal" conforme à cette disposition ni bénéficié d’une audience sur la question de la révocation de son autorisation de mise en décharge. La Commission a retenu la requête (no 16922/90) le 8 septembre 1992. Dans son rapport du 9 septembre 1993 (article 31) (art. 31), elle conclut: - qu’il n’y a pas eu violation du droit du requérant à faire entendre sa cause par un tribunal au sens de l’article 6 par. 1 (art. 6-1) (douze voix contre une); - qu’il y a eu violation de l’article 6 par. 1 (art. 6-1) en raison de l’absence de débats devant la Cour administrative (unanimité); - qu’il n’y a pas eu violation de l’article 6 par. 1 (art. 6-1) en raison de l’absence de débats devant la Cour constitutionnelle (douze voix contre une). Le texte intégral de l’avis de la Commission, et des deux opinions séparées dont il s’accompagne figure en annexe au présent arrêt. CONCLUSIONS PRESENTEES A LA COUR PAR LE GOUVERNEMENT Le Gouvernement invite la Cour à "dire que l’article 6 (art. 6) de la Convention n’a pas été violé en l’espèce".
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I. LES CIRCONSTANCES DE L'ESPÈCE Le 16 octobre 1987, M. Helmut Umlauft fit l'objet d'un contrôle par la gendarmerie alors qu'il circulait au volant de son véhicule. Il refusa de se soumettre à l'alcootest. Par une "décision pénale" (Straferkenntnis) du même jour, l'administration du district (Bezirkshauptmannschaft) de Bregenz le condamna au paiement d'une amende de 10 000 schillings autrichiens (ATS), assortie d'une peine de 480 heures d'emprisonnement à défaut de paiement, pour non-respect de l'article 99 par. 1 b) combiné avec l'article 5 par. 2 du code de la route (Straßenverkehrsordnung - paragraphes 11 et 12 ci-dessous). Le requérant interjeta appel de cette décision auprès du gouvernement du Land (Amt der Landesregierung) de Vorarlberg, qui le débouta le 19 janvier 1988. Le 8 mars 1988, l'intéressé saisit la Cour constitutionnelle (Verfassungsgerichtshof). A titre principal, il dénonçait l'illégalité du décret du ministère fédéral du Commerce et de la Reconstruction (Verordnung des Bundesministeriums für Handel und Wiederaufbau) prévoyant l'utilisation d'un certain type d'alcootest, car le calibre de ce dernier serait en réalité non conforme aux dispositions du code de la route. A titre subsidiaire, il alléguait que la procédure en question violait l'article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention. Le 14 octobre 1988, à l'issue d'un examen à huis clos, la Cour constitutionnelle décida de ne pas retenir le recours (article 144 par. 2 de la Constitution fédérale - Bundes-Verfassungsgesetz - paragraphe 15 ci-dessous): eu égard à sa jurisprudence relative à l'article 6 (art. 6) de la Convention, il était dénué de chances suffisantes de succès; de plus, l'affaire n'échappait pas à la compétence de la Cour administrative (Verwaltungsgerichtshof). A la demande de M. Umlauft, elle déféra la requête à la Cour administrative le 13 décembre 1988. Reprenant en substance les arguments qu'il avait développés devant la Cour constitutionnelle, le requérant précisa que son refus de souffler dans l'éthylomètre ne pouvait constituer une violation de l'article 5 de la loi sur le code de la route, étant donné que l'appareil ne correspondait pas aux dispositions législatives et réglementaires applicables. Il demanda également à la Cour administrative de soumettre à nouveau la question de la légalité du décret, ainsi que celle de la conformité de la procédure à l'article 6 (art. 6) de la Convention, pour contrôle (Normprüfung) à la Cour constitutionnelle. Il ne l'invita pas à tenir une audience. Le 20 janvier 1989, la Cour administrative rejeta le recours, en se fondant sur les motifs suivants: "En l'espèce, toutefois, eu égard au refus de l'alcootest, il importe peu de savoir quelle signification, en ce qui concerne la gravité de l'intoxication alcoolique, aurait revêtu le fait que la coloration avait atteint ou dépassé la marque sur le tube. Eu égard au caractère illicite (Unrechtsgehalt) du refus de l'alcootest qui constitue la contravention imputée au requérant, la circonstance que le tube qui devait servir à contrôler l'air expiré de l'intéressé n'était pas conforme au décret précité, ne revêt, en droit administratif pénal, aucune importance de nature à conduire à l'annulation de la décision attaquée. (...) Le contenu même de la requête faisant apparaître l'inexistence de la violation alléguée par le requérant, il y avait lieu, en vertu de l'article 35 par. 1 de la loi sur la Cour administrative, de la rejeter, à huis clos, sans autre forme de procédure." Elle refusa de renvoyer l'affaire à la Cour constitutionnelle, estimant que celle-ci avait déjà statué sur les deux autres points soulevés par le requérant. II. LE DROIT INTERNE PERTINENT A. La législation sur la circulation routière L'article 5 du code de la route de 1960 interdit la conduite d'un véhicule à toute personne ayant un taux d'alcoolémie égal ou supérieur à 0,8 g/l dans le sang ou à 0,4 mg/l dans l'air expiré; il définit en outre les conditions d'utilisation des alcootests et des tests sanguins. Dans sa version de 1986, l'article 99 par. 1 dudit code disposait: "Commet une contravention administrative (Verwaltungsübertretung) passible d'une amende de 8 000 à 50 000 schillings ou, à défaut de paiement, d'un emprisonnement de une à six semaines, quiconque: (...) b) refuse de se soumettre à l'alcootest, alors que les conditions prévues à l'article 5 sont réunies. (...)" En 1958, à l'époque de la ratification de la Convention par le gouvernement autrichien (paragraphe 24 ci-dessous), l'article 7 de la loi de 1947 sur la police de la circulation (Straßenpolizeigesetz) prévoyait que "toute personne a l'obligation de conduire en prêtant une attention raisonnable aux autres usagers de la route et en faisant preuve du soin et de l'application nécessaires au maintien de l'ordre, de la sécurité et de la bonne circulation routière". B. Le droit procédural L'article 90 par. 1 de la Constitution fédérale (Bundes-Verfassungsgesetz) dispose: "En matière civile et pénale, les débats devant la juridiction du fond sont oraux et publics. Les exceptions sont prévues par la loi." Le recours devant la Cour constitutionnelle Aux termes de l'article 144 par. 1 de la Constitution fédérale, la Cour constitutionnelle recherche, sur requête (Beschwerde), si un acte administratif (Bescheid) a porté atteinte à un droit garanti par la Constitution, ou a appliqué un règlement (Verordnung) contraire à la loi, une loi contraire à la Constitution ou un traité international incompatible avec le droit autrichien. Le paragraphe 2 de l'article 144 prévoit: "Jusqu'à l'audience, la Cour constitutionnelle peut, au moyen d'une décision (Beschluß), refuser l'examen d'un recours s'il ne présente pas suffisamment de chances de succès ou si l'on ne peut attendre de l'arrêt qu'il résolve une question de droit constitutionnel. La Cour ne peut refuser l'examen d'une affaire que l'article 133 soustrait à la compétence de la Cour administrative." Le recours devant la Cour administrative Selon l'article 130 par. 1 de la Constitution fédérale, la Cour administrative connaît notamment des requêtes qui allèguent l'illégalité d'un acte administratif. Aux termes de l'article 35 par. 1 de la loi sur la Cour administrative (Verwaltungsgerichtshofsgesetz): "Les requêtes dont le contenu révèle l'inexistence de la violation alléguée par leur auteur sont à rejeter, à huis clos, sans autre forme de procédure." L'article 39 par. 1 dispose notamment qu'au terme de la procédure préliminaire (Vorverfahren), la Cour administrative doit tenir une audience lorsque le plaignant en fait la demande. Le paragraphe 2 est ainsi libellé: "Nonobstant la demande introduite par une partie conformément au paragraphe 1, la Cour administrative peut décider de ne pas tenir d'audience lorsque: la procédure doit être suspendue (article 33) ou le recours rejeté (article 34); la décision attaquée doit être annulée pour illégalité en raison de l'incompétence de l'autorité défenderesse (article 42 par. 2, alinéa 2); la décision attaquée doit être annulée pour illégalité en raison de l'inobservation de règles de procédure (article 42 par. 2, alinéa 3); selon la jurisprudence constante de la Cour administrative, la décision attaquée doit être annulée en raison de l'illégalité de son contenu; ni l'autorité défenderesse ni d'autres comparants n'ont présenté de mémoire en réponse et que la décision attaquée doit être annulée; il ressort des mémoires des parties à la procédure devant la Cour administrative ainsi que des pièces soumises à celle-ci et relatives à la procédure administrative antérieure qu'une audience n'est pas susceptible de contribuer à clarifier davantage l'affaire." Du paragraphe 2 de l'article 39, les points 1 à 3 étaient en vigueur en 1958; les points 4 et 5 ont été ajoutés en 1964 et le point 6 en 1982. L'article 41 par. 1 de la loi sur la Cour administrative dispose: "Dans la mesure où elle ne relève aucune illégalité résultant de l'incompétence de l'autorité défenderesse ou de violations de règles de procédure (article 42 par. 2, alinéas 2 et 3) (...), la Cour administrative examine la décision attaquée en se fondant sur les faits constatés par ladite autorité et sous l'angle des griefs soulevés (...). Si elle estime que des motifs, non encore révélés à l'une des parties, peuvent être déterminants pour statuer [sur l'un de ces griefs] (...), elle entend les parties à ce sujet et, au besoin, suspend la procédure." L'article 42 par. 1 de la même loi prévoit que, sauf disposition contraire, la Cour administrative soit rejette la demande pour manque de fondement, soit annule la décision attaquée. Aux termes du paragraphe 2 du même article: "La Cour administrative annule la décision attaquée, si celle-ci est illégale par son contenu, [ou] en raison de l'incompétence de l'autorité défenderesse, [ou] à cause d'un vice de procédure résultant: a) de ce que l'autorité défenderesse a tenu pour établis des faits qui, sur un point essentiel, se trouvent démentis par le dossier, ou b) de ce qu'il échet de les compléter sur un tel point, ou c) de ce que l'autorité défenderesse a méconnu des règles de procédure dont le respect aurait pu l'amener à prendre une décision différente." Si la Cour administrative annule la décision incriminée, "l'administration est tenue (...) en utilisant les moyens légaux à sa disposition, d'assurer sans délai, dans le cas d'espèce, la situation juridique correspondant à l'opinion (Rechtsanschauung) exprimée par la Cour administrative" (article 63 par. 1). Dans un arrêt du 14 octobre 1987 (G 181/86), la Cour constitutionnelle a considéré: "De ce qu'il s'est avéré nécessaire d'étendre la réserve à l'article 5 (art. 5) de la Convention aux garanties procédurales de l'article 6 (art. 6) de celle-ci, en raison du lien entre ces deux dispositions (art. 5, art. 6), il suit qu'à l'inverse le contrôle réduit (die (bloß) nachprüfende Kontrolle) exercé par la Cour administrative ou la Cour constitutionnelle ne suffit pas pour les sanctions pénales au sens de la Convention non couvertes par la réserve." Les "chambres administratives indépendantes" L'article 129 de la Constitution fédérale a institué dans les Länder, avec effet au 1er janvier 1991, des juridictions administratives appelées "chambres administratives indépendantes" (Unabhängige Verwaltungssenate). Elles connaissent notamment, en fait comme en droit, des contraventions administratives (Verwaltungsübertretungen). III. LA RÉSERVE DE L'AUTRICHE À L'ARTICLE 5 (ART. 5) DE LA CONVENTION L'instrument de ratification de la Convention, déposé par le gouvernement autrichien le 3 septembre 1958, contient notamment une réserve ainsi libellée: "Les dispositions de l'article 5 (art. 5) de la Convention seront appliquées sans préjudice des dispositions des lois de procédure administrative, BGBl. [Journal officiel fédéral] n° 172/1950, concernant les mesures de privation de liberté qui resteront soumises au contrôle postérieur de la Cour administrative ou de la Cour constitutionnelle, prévu par la Constitution fédérale autrichienne." PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION M. Umlauft a saisi la Commission le 23 août 1989. Invoquant l'article 6 (art. 6) se plaignait de ne pas avoir eu accès à un tribunal doté de la plénitude de juridiction. Le 10 mai 1993, la Commission a retenu la requête (n° 15527/89). Dans son rapport du 19 mai 1994 (article 31) (art. 31), elle conclut à la violation de l'article 6 par. 1 (art. 6-1) en ce qui concerne l'accès à un tribunal (unanimité) et estime qu'aucune question distincte ne se pose sur le terrain de l'article 6 par. 1 (art. 6-1) quant au défaut d'audience (unanimité). Le texte intégral de son avis et de l'opinion concordante dont il s'accompagne figure en annexe au présent arrêt . CONCLUSIONS PRESENTEES A LA COUR PAR LE GOUVERNEMENT Dans son mémoire, le Gouvernement invite la Cour à dire "que l'article 6 (art. 6) de la Convention ne s'applique pas en l'espèce ou, à titre subsidiaire, qu'il n'y a pas eu violation de cet article (art. 6) au cours de la procédure administrative pénale litigieuse".
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I. Les circonstances de l'espèce Médecin généraliste résidant à Paris, le docteur Marcel Diennet fit l'objet de poursuites pour manquements aux règles de déontologie de la profession. Le 11 mars 1984, le conseil régional de l'ordre des médecins de l'Ile-de-France prononça sa radiation du tableau. Il retenait notamment les motifs suivants: "(...) Considérant que les déclarations du médecin poursuivi confirment amplement la 'méthode épistolaire de consultation' dont il est l'auteur, que par lettre imprimée, le docteur Diennet adressait aux patients, qu'il ne pouvait ou ne voulait recevoir, une proposition de consultation à l'aide d'un questionnaire précis devant permettre d'établir pour chaque cas une ordonnance appropriée en vue d'une cure d'amaigrissement. (...) Considérant qu'en utilisant cette méthode le docteur Diennet ne rencontrait jamais ses patients, ne procédait personnellement à aucun examen, ne suivait pas le traitement prescrit ni le modifiait; que pendant ses absences de France, qu'il reconnaît nombreuses, le 'suivi' des patients était assuré par le secrétariat de son cabinet, ce qu'il ne conteste pas. Considérant que les agissements qui lui sont reprochés sont amplement établis et contreviennent gravement aux dispositions des articles 15, 18, 23, 33 et 36 du code de déontologie; qu'un tel comportement est inadmissible de la part d'un médecin et n'a pas de rapport avec la profession médicale. Considérant qu'il échet de sanctionner sévèrement ces infractions. (...)" Le Dr Diennet fit appel devant la section disciplinaire du conseil national de l'ordre des médecins qui, le 30 janvier 1985, substitua la sanction de l'interdiction d'exercer la médecine pendant trois ans à celle de la radiation. Saisi par le requérant, le Conseil d'Etat annula cette décision le 15 janvier 1988 au motif qu'elle avait été rendue à l'issue d'une procédure irrégulière, la section disciplinaire du conseil national ayant déclaré irrecevable un mémoire produit par le Dr Diennet après l'expiration du délai imparti mais néanmoins avant l'audience. Il renvoya l'affaire devant cette dernière juridiction. Le 26 avril 1989, à l'issue d'une audience à huis clos, la section disciplinaire du conseil national infligea de nouveau à l'intéressé l'interdiction d'exercer la médecine durant trois ans. Le Dr Diennet se pourvut en cassation devant le Conseil d'Etat. Il soutenait notamment que la décision le frappant n'avait pas été rendue en conformité avec l'article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention: trois des sept membres de la section disciplinaire du conseil national - dont le rapporteur - avaient déjà connu de l'affaire lors de la première décision, ce qui ne satisfaisait pas à la condition d'impartialité exigée par cette disposition, et les débats du 26 avril 1989 n'avaient pas été publics. Le 29 octobre 1990, le Conseil d'Etat rejeta la requête dans les termes suivants: "(...) Sur la régularité de la décision attaquée: Considérant, en premier lieu, que les dispositions de l'article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention européenne de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales ne sont pas applicables aux juridictions disciplinaires, qui ne statuent pas en matière pénale et ne tranchent pas des contestations sur des droits et obligations de caractère civil; que M. Diennet n'est dès lors pas fondé à invoquer à l'encontre de la décision attaquée une violation des dispositions de l'article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention susvisée relatives à la publicité des séances et à l'impartialité du tribunal; Considérant, en deuxième lieu, que, si l'article 11 de la loi du 31 décembre 1987 fait obligation à la juridiction à laquelle une affaire est renvoyée par le Conseil d'Etat de statuer, sauf impossibilité tenant à la nature de la juridiction, dans une autre formation que celle dans laquelle a été prononcée la décision annulée, la section disciplinaire de l'ordre des médecins, eu égard à la nature de cette juridiction, pouvait être saisie à nouveau dans la formation qui était la sienne le 30 janvier 1985, date à laquelle elle avait statué une première fois, de l'affaire qui lui était renvoyée par une décision du Conseil d'Etat, statuant au contentieux du 15 janvier 1988; que, par suite, les moyens tirés de la violation du principe de l'impartialité des juridictions et des dispositions législatives précitées ne sauraient être accueillis; (...)" II. Le régime disciplinaire des médecins L'ordre national des médecins groupe obligatoirement tous les médecins habilités à exercer leur art en France. Il veille notamment au maintien des principes de moralité, de probité et de dévouement indispensables à l'exercice de la médecine et à l'observation par tous ses membres des devoirs professionnels ainsi que des règles édictées par le code de déontologie. Il accomplit sa mission par l'intermédiaire des conseils départementaux, des conseils régionaux et du conseil national de l'ordre (articles 381 et 382 du code de la santé publique). A. La procédure Devant les institutions ordinales a) Les conseils régionaux Les conseils régionaux exercent, au sein de l'ordre des médecins, la compétence disciplinaire en première instance. Ils peuvent être saisis notamment par les conseils départementaux de leur ressort ou un médecin inscrit au tableau de l'ordre (article L. 417 du code de la santé publique). b) La section disciplinaire du conseil national Après chaque renouvellement partiel, tous les deux ans, le conseil national de l'ordre des médecins élit huit de ses trente-huit membres qui constituent sous la présidence d'un conseiller d'Etat une section disciplinaire, compétente pour connaître des appels en la matière (articles L. 404 à 408 et L. 411 du code de la santé publique). Des membres suppléants sont élus dans les mêmes formes que les membres titulaires (article 21 du décret n° 48-1671 du 26 octobre 1948 modifié, relatif notamment au fonctionnement de la section disciplinaire). La section disciplinaire ne peut valablement délibérer que si sont présents, en plus du président, au moins quatre de ses membres. Lorsque les membres présents sont en nombre pair, le plus jeune des praticiens doit s'abstenir (article 24, premier alinéa, du décret du 26 octobre 1948 modifié). Les appels ont un effet suspensif (article L. 411 du code de la santé publique). Devant le Conseil d'Etat Les décisions de la section disciplinaire peuvent faire l'objet d'un recours devant le Conseil d'Etat (articles 22 du décret du 26 octobre 1948 modifié et L. 411 du code de la santé publique) "dans les conditions du droit commun" (article L. 411 in fine du code de la santé publique). Aux termes de l'article 11 - entré en vigueur le 1er janvier 1989 - de la loi n° 87-1127 du 31 décembre 1987 portant réforme du contentieux administratif: "(...) S'il prononce l'annulation d'une décision d'une juridiction administrative statuant en dernier ressort, le Conseil d'Etat peut, soit renvoyer l'affaire devant la même juridiction statuant, sauf impossibilité tenant à la nature de la juridiction, dans une autre formation, soit renvoyer l'affaire devant une autre juridiction de même nature, soit régler l'affaire au fond si l'intérêt d'une bonne administration de la justice le justifie. Lorsque l'affaire fait l'objet d'un deuxième pourvoi en cassation, le Conseil d'Etat statue définitivement sur cette affaire." B. Les peines Les peines disciplinaires suivantes peuvent frapper les médecins poursuivis: l'avertissement; le blâme; l'interdiction temporaire ou permanente d'exercer une, plusieurs ou la totalité des fonctions médicales, conférées ou rétribuées par l'Etat, les départements, les communes, les établissements publics, les établissements reconnus d'utilité publique, ou les fonctions médicales accomplies en application des lois sociales; l'interdiction temporaire (ne pouvant excéder trois années) d'exercer la médecine; la radiation du tableau de l'ordre. Les deux premières de ces peines comportent, en outre, la privation du droit de faire partie du conseil départemental, du conseil régional ou du conseil national de l'ordre pendant une durée de trois ans; les suivantes, la privation de ce droit à titre définitif. Le médecin radié ne peut se faire inscrire à un autre tableau (article L. 423 du code de la santé publique). C. La récusation Le médecin mis en cause peut exercer devant le conseil régional, de même que devant le conseil national, le droit de récusation dans les conditions des articles 341 à 355 du nouveau code de procédure civile (article L. 421 du code de la santé publique). Aux termes de l'article 341 du nouveau code de procédure civile, la récusation d'un juge peut être demandée: "(...) 1° Si lui-même ou son conjoint a un intérêt personnel à la contestation; 2° Si lui-même ou son conjoint est créancier, débiteur, héritier présomptif ou donataire de l'une des parties; 3° Si lui-même ou son conjoint est parent ou allié de l'une des parties ou de son conjoint jusqu'au quatrième degré inclusivement; 4° S'il y a eu ou s'il y a procès entre lui ou son conjoint et l'une des parties ou son conjoint; 5° S'il a précédemment connu de l'affaire comme juge ou comme arbitre ou s'il a conseillé l'une des parties; 6° Si le juge ou son conjoint est chargé d'administrer les biens de l'une des parties; 7° S'il existe un lien de subordination entre le juge ou son conjoint et l'une des parties ou son conjoint; 8° S'il y a amitié ou inimitié notoire entre le juge et l'une des parties; (...)" D. La publicité Le régime applicable en l'espèce Les articles 15, deuxième alinéa, et 26, septième alinéa, du décret n° 48-1671 du 26 octobre 1948 modifié, disposaient: "L'audience n'est pas publique et la délibération demeure secrète." Quant aux décisions des organes de l'ordre en matière disciplinaire, elles étaient transcrites sur un registre spécial auquel les tiers n'avaient pas accès et n'étaient pas rendues publiques. Elles étaient notifiées uniquement à certaines personnes et institutions. Le régime actuel Le décret n° 93-181 du 5 février 1993 a modifié ces règles. Les audiences devant un organe de l'ordre, lorsqu'il se prononce en matière disciplinaire, sont désormais publiques. Toutefois, le président dudit organe peut, d'office ou à la demande d'une des parties ou de la personne dont la plainte a provoqué la saisine du conseil régional, interdire au public l'accès de la salle pendant tout ou partie de l'audience dans l'intérêt de l'ordre public ou lorsque le respect de la vie privée ou du secret médical le justifie (articles 13, 15 et 26 du décret du 26 octobre 1948, tels que modifiés par le décret du 5 février 1993). Les décisions sont dorénavant rendues publiques, mais les organes en question peuvent décider de ne pas faire figurer dans l'ampliation les mentions - notamment patronymiques - qui pourraient porter atteinte au respect de la vie privée ou du secret médical (articles 13 et 28 du décret du 26 octobre 1948, tels que modifiés par le décret du 5 février 1993). PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION Le Dr Diennet a saisi la Commission le 18 avril 1991. Il alléguait une violation du droit à la publicité des débats et du droit à ce que sa cause soit entendue par un tribunal impartial, garantis par l'article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention. La deuxième chambre de la Commission a déclaré la requête (n° 18160/91) recevable le 2 décembre 1992 et, en vertu de l'article 20 par. 4 (art. 20-4) de la Convention, s'est ensuite dessaisie en faveur de la Commission plénière. Dans son rapport du 5 avril 1994 (article 31) (art. 31), elle conclut à la violation du droit à la publicité des débats (unanimité) mais non à celle du droit à un tribunal impartial (quatorze voix contre neuf). Le texte intégral de son avis et de l'opinion partiellement dissidente dont il s'accompagne figure en annexe au présent arrêt (1). _______________ Note du greffier : pour des raisons d'ordre pratique il n'y figurera que dans l'édition imprimée (volume 325-A de la série A des publications de la Cour), mais il peut s'obtenir auprès de greffe. _______________ CONCLUSIONS PRESENTEES A LA COUR Dans son mémoire, le Gouvernement demande à la Cour "de bien vouloir rejeter la requête de M. Diennet". De son côté, le requérant invite la Cour à "constater, à l'encontre de la France, dans l'instance ayant abouti à l'arrêt du Conseil d'Etat du 9 octobre 1990, une violation de l'article 6 (art. 6) de la Convention européenne des Droits de l'Homme, en ce que, d'une part, aucune publicité des débats ne lui a été assurée devant la juridiction disciplinaire, en ce que, d'autre part, la juridiction disciplinaire n'était pas constituée de façon impartiale au sens de l'article 6 (art. 6) précité".
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I. Les circonstances de l'espèce D'origine iranienne, M. Mansur acquit le 5 mai 1989 la nationalité turque par naturalisation. Le 12 juin 1981, la cour d'appel de Salonique (Grèce) le condamna à quatre ans d'emprisonnement pour trafic de stupéfiants entre la Grèce et la Turquie. A. Les procédures pénales Trois ans plus tard, en raison des mêmes faits, deux procédures pénales furent engagées à son encontre devant les première et deuxième cours d'assises d'Edirne (Turquie). Elles se déroulèrent parallèlement jusqu'au 6 mai 1987, date à laquelle la deuxième cour se rendit compte de l'identité de leur objet et se dessaisit au profit de la première (paragraphes 14 et 27 ci-dessous). La procédure devant la première cour d'assises d'Edirne Le 18 avril 1984, à l'issue d'une instruction préliminaire ouverte après la condamnation en Grèce, le parquet d'Ipsala renvoya en jugement devant la première cour d'assises d'Edirne ("la première cour") M. Mansur et A. D., son prétendu complice, du chef d'exportation de stupéfiants (article 403 du code pénal turc - paragraphe 35 ci-dessous). Le 1er mai 1984, ladite juridiction demanda aux autorités grecques les pièces du dossier pénal ouvert au nom des deux accusés (procès-verbaux des dépositions, jugement, rapport d'analyse des substances confisquées). Le 4 octobre 1984, le ministère grec de la Justice lui répondit que les documents sollicités avaient déjà été envoyés deux fois, les 30 juin et 23 novembre 1982, par le truchement de l'ambassade de Turquie à Athènes. La première cour ordonna alors, le 27 novembre 1985, une expertise des substances confisquées en Grèce. L'institut de médecine légale déposa le 7 février 1986 son rapport, concluant, sur la base du seul dossier de l'affaire, à la présence d'héroïne. Les 31 mars et 21 novembre 1986, la juridiction interrogea le ministère turc de la Justice sur la suite réservée à sa demande de transmission des pièces. A l'audience du 1er mai 1987, elle apprit que la deuxième cour d'assises d'Edirne connaissait également des faits reprochés au requérant. Elle requit alors la jonction des deux dossiers, ordonnée le 6 mai (paragraphes 9 ci-dessus et 27 ci-dessous). Par ailleurs, constatant que la réponse fournie entre-temps par les juridictions grecques concernait seulement A. D., la première cour sollicita des renseignements spécifiques sur chaque type de stupéfiant confisqué en Grèce dans la voiture de M. Mansur. Le 12 avril 1988, la première cour pria la cour d'assises d'Ankara de faire traduire vers le turc un rapport d'expertise d'une page communiqué par les autorités judiciaires grecques le 28 octobre 1987; le 19 juillet 1988, elle réitéra sa requête. Faute d'avoir pu trouver un traducteur assermenté, la cour d'assises d'Ankara retourna, le 7 novembre 1988, la pièce en question. Le 11 novembre 1988, la première cour s'adressa alors à la cour d'assises d'Istanbul, qui ne put toutefois s'acquitter de sa tâche pour la raison indiquée par son homologue d'Ankara. Lors de l'audience du 15 juin 1989, M. Mansur produisit une traduction du rapport. La cour constata que ce document se limitait à préciser que l'intéressé n'était pas toxicomane; en conséquence, elle sollicita à nouveau la communication du rapport d'expertise des stupéfiants saisis en Grèce. Le 13 juillet 1990, le ministère turc de la Justice transmit ledit rapport à la première cour qui, le 19 juillet 1990, tenta en vain d'obtenir une traduction par l'intermédiaire de la cour d'assises d'Ankara. Le 19 février 1991, la première cour condamna le requérant à trente ans de réclusion criminelle. Dans son arrêt, elle rappela que, pour les mêmes faits, ce dernier s'était déjà vu infliger en Grèce une peine de quatre ans d'emprisonnement. Elle établit sur la base de la décision rendue en Grèce, des observations de l'institut de médecine légale et des aveux de l'accusé que la substance exportée par celui-ci était bien de l'héroïne. Le 30 avril 1991, la Cour de cassation repoussa le pourvoi de M. Mansur. Le 21 juin 1991, à la suite d'une modification apportée à l'article 403 du code pénal par la loi n° 3756 du 5 juin 1991 (paragraphe 35 ci-dessous), la première cour convertit en dix ans de réclusion la peine infligée le 19 février 1991. La procédure devant la deuxième cour d'assises d'Edirne Libéré par les autorités grecques le 12 septembre 1984, M. Mansur regagna la Turquie. Alors qu'il effectuait des démarches pour acquérir la nationalité de ce pays, la police l'interpella le 1er novembre 1984 à Istanbul dans les locaux de la direction de l'état civil. Par une ordonnance du 5, le juge d'instance pénal d'Ipsala, sur réquisitions du parquet d'Edirne, le plaça en détention provisoire. Le lendemain, ledit parquet intenta une action pénale pour trafic de stupéfiants devant la deuxième cour d'assises d'Edirne ("la deuxième cour"). Le 16 novembre 1985, ladite juridiction demanda aux autorités grecques de lui faire parvenir le jugement de condamnation et le rapport d'analyse des substances chimiques. Les documents parvinrent le 18 juin 1985 par l'entremise du ministère turc de la Justice. Le 7 août 1985, la deuxième cour les envoya à la cour d'assises d'Ankara pour que cette dernière les fasse traduire. La traduction fut versée au dossier le 9 octobre 1985. A l'audience du 25 octobre 1985, la deuxième cour constata que le rapport d'analyse ne figurait pas parmi les documents reçus. Répondant à une nouvelle requête, les autorités grecques précisèrent que les pièces en question avaient déjà été envoyées à deux reprises à l'ambassade de Turquie à Athènes. La deuxième cour s'adressa alors au ministère turc de la Justice qui lui communiqua le rapport le 7 octobre 1986. Invitée à fournir une traduction de l'expertise, la cour d'assises d'Ankara indiqua avoir déjà envoyé ce texte à la traduction. Après des recherches, la deuxième cour constata que le requérant était poursuivi pour la même infraction devant la première cour d'assises d'Edirne. Elle décida donc, le 6 mai 1987, de se dessaisir au profit de cette dernière (paragraphes 9 et 14 ci-dessus). B. La détention provisoire La détention de M. Mansur débuta le 5 novembre 1984 (paragraphe 23 ci-dessus). Le juge d'instance pénal d'Ipsala l'avait motivée par la nature du crime reproché à l'intéressé. Le 6 décembre 1984, la deuxième cour rejeta l'opposition du requérant contre ladite décision. Par la suite, cette juridiction ordonna le maintien de la détention de la manière suivante: - les 17 décembre 1984, 5 février et 10 avril 1985, "compte tenu de la nature du crime reproché et du contenu du dossier"; - lors des vingt-cinq audiences tenues entre le 7 juin 1985 et le 22 avril 1987, soit en gardant le silence, soit "parce que les motifs indiqués dans l'ordonnance de mise en détention [demeuraient] (...) valables". Après le dessaisissement de la deuxième cour, la première cour ordonna à son tour le maintien de la détention du requérant: - lors des dix-sept audiences tenues entre le 12 mai 1987 et le 2 août 1988, sans invoquer de motifs précis; - les 29 août, 28 septembre et 2 novembre 1988, "pour la nature du crime reproché à l'intéressé"; - le 30 novembre 1988, sans avancer de motifs précis; - lors des dix-neuf audiences tenues entre le 23 décembre 1988 et le 26 juin 1990, eu égard à "la nature du crime" et/ou "l'état des preuves", et une fois sans indiquer de motifs précis; - les 25 juillet et 22 août 1990, sans avancer de motifs précis; - les 11 septembre et 9 octobre 1990, "en raison de la nature du crime". Le 24 novembre 1987, M. Mansur signala au président de la première cour que sa détention durait déjà depuis plus de trois ans, dont deux avaient été consacrés uniquement à la correspondance entre les autorités judiciaires turques et grecques, et qu'il éprouvait une "forte souffrance", d'autant plus qu'il avait déjà purgé une peine de quatre ans en Grèce pour le même crime. Il sollicitait la conclusion rapide du procès. La cour ne donna pas suite à cette demande. L'intéressé recouvra la liberté le 1er juillet 1991. II. Le droit interne pertinent A. La Constitution L'article 19 par. 7 de la Constitution dispose: "Toute personne privée de sa liberté pour quelque motif que ce soit a le droit d'introduire un recours devant un tribunal afin qu'il statue à bref délai sur son sort et, au cas où cette privation de liberté serait illégale, qu'il ordonne sa liberté." B. Le code pénal L'article 403 du code pénal, tel qu'en vigueur à l'époque des faits, disposait: "Quiconque fabrique, importe ou exporte des stupéfiants sans permis ou contrairement au permis, ou tente de le faire sera puni de dix ans de réclusion au moins (...) Si les stupéfiants visés au paragraphe précédent sont de l'héroïne, de la cocaïne, de la morphine de base ou du haschisch, le délinquant sera passible de la réclusion à perpétuité." La loi n° 3756 du 5 juin 1991 a modifié cette disposition, en remplaçant la peine de perpétuité, prévue pour le délit d'exportation organisée de substances hautement toxiques, par une peine de dix-huit ans de réclusion, et en prévoyant que la détention subie à l'étranger doit être déduite. PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION M. Mansur a saisi la Commission le 23 novembre 1989. Il se plaignait de la durée de sa détention provisoire (article 5 par. 3 de la Convention) (art. 5-3) ainsi que de celle des procédures pénales engagées contre lui (article 6 par. 1) (art. 6-1). La Commission a retenu la requête (n° 16026/90) le 10 juillet 1991. Dans son rapport du 28 février 1994 (article 31) (art. 31), elle conclut à l'unanimité qu'il y a eu violation de ces deux dispositions. Le texte intégral de son avis figure en annexe au présent arrêt (1). _______________ Note du greffier: pour des raisons d'ordre pratique il n'y figurera que dans l'édition imprimée (volume 319-B de la série A des publications de la Cour), mais chacun peut se le procurer auprès du greffe. _______________ CONCLUSIONS PRESENTEES A LA COUR PAR LE GOUVERNEMENT Dans son mémoire, le Gouvernement demande à la Cour d'accueillir les exceptions préliminaires qu'il a présentées devant elle; à titre subsidiaire, de constater l'absence de violation des articles 5 par. 3 et 6 par. 1 (art. 5-3, art. 6-1) de la Convention.
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE M. Thomas Quinn, né à New York en 1937, est de nationalité américaine et résidait à Paris. Le 24 septembre 1992, le gouvernement français l’a extradé vers la Suisse. A. La procédure pénale en France La procédure d’instruction a) Les poursuites A la suite du dépôt de quatre-vingt-treize plaintes d’investisseurs français, une instruction fut menée en France dès 1988. Les intéressés avaient été démarchés par des sociétés de courtage établies en Suisse et au Liechtenstein, pour acquérir, à des cours artificiellement gonflés, des actions émises sur le marché américain par des sociétés fictives. Les sommes perçues étaient reversées sur des comptes ouverts en Suisse au nom de sociétés étrangères, mais les plaignants ne purent jamais réaliser leurs titres. Onze personnes, dont le requérant, toutes de nationalité étrangère, furent poursuivies. Arrêté le 1er août 1988 en possession de deux faux passeports grecs, M. Quinn fut le jour même inculpé du chef d’escroquerie, d’infractions à la législation sur l’émission de titres ainsi que de falsification de documents administratifs. Le 29 novembre suivant, le juge assortit l’inculpation initiale de la circonstance aggravante d’escroquerie par une personne ayant fait appel public à l’épargne. b) La détention provisoire Le jour de son arrestation, M. Quinn fut placé sous mandat de dépôt à la maison d’arrêt de la Santé à Paris. Le magistrat instructeur prolongea par trois fois, les 30 novembre 1988, 23 mars et 20 juillet 1989, et pour quatre mois la détention provisoire. Il considérait en effet celle-ci comme l’unique moyen d’assurer la représentation en justice d’un inculpé de nationalité étrangère, arrêté en possession de faux passeports et disposant hors de France de plusieurs résidences et de nombreux complices. c) L’arrêt de remise en liberté M. Quinn interjeta appel devant la chambre d’accusation de la cour d’appel de Paris de l’ordonnance du 20 juillet 1989 prolongeant sa détention provisoire. Ayant tenu audience le 2 août 1989, la cour infirma la décision contestée par un arrêt rendu, hors la présence du requérant, le 4 août à 9 heures. Elle ordonna qu’il fût "sur-le-champ remis en liberté s’il n’[était] pas détenu pour autre cause", par les motifs ci-après: "Considérant qu’au stade actuel de l’information, menée avec diligence, et des présomptions subsistant contre Quinn, la détention n’apparaît plus nécessaire à la manifestation de la vérité; Que, compte tenu des remboursements effectués ou en cours, elle ne répond plus aux exigences de l’ordre public; Qu’enfin, les saisies opérées sont de nature à assurer la comparution en justice de l’appelant, qui offre par ailleurs des garanties de domiciliation et de stabilité." Cette décision immédiatement exécutoire ne fit l’objet d’aucun recours. Le requérant ne fut pourtant pas remis en liberté: sa libération effective était subordonnée à la notification de la décision d’élargissement par le procureur général chargé de son exécution et à l’accomplissement des formalités de levée d’écrou. La procédure de jugement Le requérant comparut détenu sous écrou extraditionnel (paragraphes 16 et 17 ci-dessous) devant le tribunal correctionnel de Paris qui, le 10 juillet 1991, le déclara coupable d’escroquerie au préjudice de quatre-vingt-treize personnes et d’organisation de démarchage en vue d’opérations sur des valeurs mobilières étrangères en France, sans autorisation préalable. Condamné à quatre ans d’emprisonnement et 300 000 francs français (FRF) d’amende, il fut placé sous mandat de dépôt (paragraphe 30 ci-dessous). Le ministère public et M. Quinn saisirent la cour d’appel de Paris. Par un arrêt du 23 avril 1992, celle-ci écarta la circonstance aggravante d’appel public à l’épargne. Elle infligea à l’intéressé une peine de quatre ans d’emprisonnement dont un an avec sursis et ordonna son maintien en détention (paragraphe 30 ci-dessous). Le requérant, qui s’était trouvé en détention provisoire du 1er août 1988 au 4 août 1989, puis pendant la procédure de jugement - soit environ un an et dix mois -, fut extradé vers la Suisse le 24 septembre 1992 après avoir purgé sa peine. B. La procédure d’extradition vers la Suisse La détention aux fins d’extradition a) Le placement sous écrou extraditionnel Le 4 août 1989 vers 17 h 30, un juge d’instruction de Genève transmit par télécopie au parquet de Paris une demande d’arrestation provisoire - également adressée par l’Organisation internationale de police criminelle (Interpol) le 5 août et par la voie diplomatique le 16 août - en vue de l’extradition du requérant, désigné comme "actuellement détenu à la prison de la Santé à Paris, placé ce jour en liberté provisoire". Intitulée "fiche d’accompagnement", ladite demande portait la mention "très urgent, à remettre en mains propres au destinataire [un substitut du procureur de la République], qui est au courant". Y était joint le mandat d’arrêt international délivré par le magistrat contre M. Quinn des chefs d’escroquerie par métier et faux dans les titres. Il lui était reproché d’avoir, avec ses comparses, vendu des titres de sociétés américaines à près de dix mille investisseurs dans le monde, en les trompant sur la valeur de ces actions et en faisant usage de fausses identités pour se faire créditer sur des comptes bancaires suisses. Le préjudice global était évalué à plus de dix millions de dollars américains. Le procureur de la République de Paris ordonna l’arrestation provisoire du requérant. Ce dernier, qui était encore incarcéré à la maison d’arrêt de la Santé, y fut appréhendé. Le procureur l’interrogea vers 20 heures et le plaça sous écrou extraditionnel. Le 4 octobre 1989, la chambre d’accusation de Paris - siégeant dans une composition différente de celle qui avait statué sur la détention provisoire - notifia à M. Quinn le titre en vertu duquel avait eu lieu son arrestation. b) Les demandes d’élargissement Au cours de la procédure d’extradition suivie contre lui, M. Quinn sollicita à trois reprises son élargissement, en se fondant toujours sur l’article 5 (art. 5) de la Convention. Il dénonçait les circonstances de son placement en détention. Dans les trois arrêts qu’elle rendit les 23 août 1989, 2 novembre 1989 et 19 décembre 1990, la chambre d’accusation le débouta de tous ses recours en déclarant que la détention avait été ordonnée conformément aux dispositions de la Convention européenne d’extradition. Elle justifia le refus de mise en liberté par le risque de fuite et le défaut de garantie de représentation en justice et considéra, quant à la durée de la détention, que la procédure s’était "déroulée de manière continue et sans retard". A l’intéressé qui se plaignait de l’irrégularité de son placement en détention à titre extraditionnel, elle répondit que "les allégations des mémoires sur ce point ressortiss[ai]ent au droit interne français et n’[avaient] pas à être examinées dans une procédure d’extradition". Saisie par trois fois de pourvois du requérant, la Cour de cassation indiqua dans un arrêt de rejet du 19 décembre 1989 que "(...) contrairement aux allégations de Thomas Quinn, les juges n’étaient pas tenus, pour justifier le maintien en détention, de se référer aux seules dispositions de l’article 144 du code de procédure pénale [paragraphe 29 ci-dessous], dès lors qu’en matière d’extradition il ne leur appartient pas de connaître de la réalité des charges qui pèsent sur la personne réclamée." Elle précisa dans un autre arrêt de rejet, du 15 avril 1991, que les juges ne se préoccupent pas "des conditions et modalités de l’action publique étrangère", et que "l’arrêt de la chambre d’accusation du 4 août 1989 qui a[vait] ordonné [la] mise en liberté [du requérant] dans la procédure suivie en France contre lui n’a[vait] aucune autorité en matière extraditionnelle". L’extradition a) L’avis de la chambre d’accusation Le 16 août 1989, le procureur général procéda à l’interrogatoire d’identité du requérant. Par un arrêt avant dire droit du 2 novembre 1989, la chambre d’accusation sollicita un complément d’informations auprès de l’Etat demandeur. Les renseignements qu’elle recueillit au sujet des plaignants, des comptes bancaires et des faits constitutifs des manoeuvres frauduleuses, furent portés à la connaissance du requérant lors d’une audience tenue le 17 janvier 1990. M. Quinn argua d’un détournement de procédure de la part de l’Etat suisse: les services de ce pays auraient tenté d’empêcher la juridiction française d’exercer sa compétence. Le 14 mars 1990, la chambre d’accusation se déclara favorable à l’extradition. Se prononçant sur les notions d’"urgence" et d’"individu recherché" au sens de la Convention européenne d’extradition, elle indiqua: "Que l’appréciation de l’urgence est du ressort de cet Etat [la Suisse] et que cette urgence trouve sa justification dans le fait que la mise en liberté de Quinn dans la procédure interne française venait d’être ordonnée; Qu’il ne saurait être reproché aux autorités françaises d’avoir prévenu les autorités suisses, ce comportement paraissant normal et habituel, dans le cadre de la coopération judiciaire internationale." Le 24 juillet 1990, la Cour de cassation rejeta comme irrecevable, en application de l’article 16 de la loi du 10 mars 1927 (paragraphe 28 ci-dessous), le pourvoi introduit par M. Quinn contre l’avis de la chambre d’accusation. b) La décision d’extrader Le 24 janvier 1991, le Premier ministre accorda à la Suisse l’extradition du requérant. Le décret fut notifié à l’intéressé le 19 février suivant. Celui-ci en demanda le sursis à exécution et l’annulation auprès du Conseil d’Etat qui le débouta le 31 janvier 1992, notamment au motif suivant: "(...) la circonstance que le mandat d’arrêt ait été émis par un juge suisse le jour où la chambre d’accusation de la cour d’appel de Paris statuait sur une demande de mise en liberté de M. Quinn, inculpé en France, ne révèle pas, contrairement à ce qu’allègue le requérant, l’existence d’un détournement de procédure." M. Quinn, qui avait été en détention sous écrou extraditionnel du 4 août 1989 au 10 juillet 1991 - soit pendant un an, onze mois et six jours -, fut remis aux autorités suisses le 24 septembre 1992 (paragraphe 15 ci-dessus). II. LE DROIT ET LA PRATIQUE PERTINENTS A. Le droit international La Convention européenne d’extradition, signée à Paris le 13 décembre 1957 et entrée en vigueur le 11 mai 1986, prévoit: Article 1er - Obligation d’extrader "Les Parties Contractantes s’engagent à se livrer réciproquement, selon les règles et sous les conditions déterminées par les articles suivants, les individus qui sont poursuivis pour une infraction ou recherchés aux fins d’exécution d’une peine ou d’une mesure de sûreté par les autorités judiciaires de la Partie requérante." Article 7 - Lieu de perpétration "1. La Partie requise pourra refuser d’extrader l’individu réclamé à raison d’une infraction qui, selon sa législation, a été commise en tout ou en partie sur son territoire ou en un lieu assimilé à son territoire. (...)" Article 8 - Poursuites en cours pour les mêmes faits "Une Partie requise pourra refuser d’extrader un individu réclamé si cet individu fait l’objet de sa part de poursuites pour le ou les faits à raison desquels l’extradition est demandée." Article 16 - Arrestation provisoire "1. En cas d’urgence, les autorités compétentes de la Partie requérante pourront demander l’arrestation provisoire de l’individu recherché; les autorités compétentes de la Partie requise statueront sur cette demande conformément à la loi de cette Partie. (...) (...) la mise en liberté provisoire est possible à tout moment, sauf pour la Partie requise à prendre toute mesure qu’elle estimera nécessaire en vue d’éviter la fuite de l’individu réclamé. (...)" Article 18 - Remise de l’extradé "(...) En cas d’acceptation [de la demande d’extradition], la Partie requérante sera informée du lieu et de la date de la remise, ainsi que de la durée de la détention subie en vue de l’extradition par l’individu réclamé. (...)" Article 19 - Remise ajournée ou conditionnelle "1. La Partie requise pourra, après avoir statué sur la demande d’extradition, ajourner la remise de l’individu réclamé pour qu’il puisse être poursuivi par elle ou, s’il a déjà été condamné, pour qu’il puisse purger, sur son territoire, une peine encourue à raison d’un fait autre que celui pour lequel l’extradition est demandée. Au lieu d’ajourner la remise, la Partie requise pourra remettre temporairement à la Partie requérante l’individu réclamé dans des conditions à déterminer d’un commun accord entre Parties." B. Le droit national En matière d’extradition La loi du 10 mars 1927 relative à l’extradition des étrangers dispose: Article 1er "En l’absence de traité, les conditions, la procédure et les effets de l’extradition sont déterminés par les dispositions de la présente loi. La présente loi s’applique également aux points qui n’auraient pas été réglementés par les traités." Article 5 "L’extradition n’est pas accordée: (...) Lorsque les crimes ou délits ont été commis en France ou dans les possessions coloniales françaises; (...)" Article 8 "Dans le cas où un étranger est poursuivi ou a été condamné en France, et où son extradition est demandée au gouvernement français à raison d’une infraction différente, la remise n’est effectuée qu’après que la poursuite est terminée, et, en cas de condamnation, après que la peine a été exécutée. Toutefois, cette disposition ne fait pas obstacle à ce que l’étranger puisse être envoyé temporairement pour comparaître devant les tribunaux de l’Etat requérant, sous la condition expresse qu’il sera renvoyé dès que la justice étrangère aura statué. (...)" Article 16 "Dans le cas contraire [si l’intéressé ne consent pas à être livré aux autorités du pays requérant], la chambre des mises en accusation, statuant sans recours, donne son avis motivé sur la demande d’extradition. (...)" Article 17 "Si l’avis motivé de la chambre des mises en accusation repousse la demande d’extradition, cet avis est définitif et l’extradition ne peut être accordée." Article 18 "Dans le cas contraire, le ministre de la justice propose, s’il y a lieu, à la signature du Président de la République, un décret autorisant l’extradition. Si, dans le délai d’un mois à compter de la notification de cet acte, l’extradé n’a pas été reçu par les agents de la puissance requérante, il est mis en liberté, et ne peut plus être réclamé pour la même cause." En matière de détention provisoire Aux termes de l’article 144 du code de procédure pénale ("CPP"): "(...) la détention provisoire peut être ordonnée ou maintenue: Lorsque la détention provisoire de l’inculpé est l’unique moyen de conserver les preuves ou les indices matériels ou d’empêcher soit une pression sur les témoins ou les victimes, soit une concertation frauduleuse entre inculpés et complices; Lorsque cette détention est nécessaire pour préserver l’ordre public du trouble causé par l’infraction ou pour protéger l’inculpé, pour mettre fin à l’infraction ou prévenir son renouvellement ou pour garantir le maintien de l’inculpé à la disposition de la justice. (...)" L’article 145-1 CPP est ainsi libellé: "En matière correctionnelle, la détention ne peut excéder quatre mois. Toutefois, à l’expiration de ce délai, le juge d’instruction peut la prolonger par une ordonnance motivée comme il est dit à l’article 145, alinéa premier. Aucune prolongation ne peut être prescrite pour une durée de plus de quatre mois. Lorsque l’inculpé n’a pas déjà été condamné pour crime ou délit de droit commun, soit à une peine criminelle, soit à une peine d’emprisonnement sans sursis d’une durée supérieure à un an et lorsqu’il n’encourt pas une peine d’emprisonnement supérieure à cinq ans, la prolongation de la détention prévue à l’alinéa précédent ne peut être ordonnée qu’une fois et pour une durée n’excédant pas deux mois. Dans les autres cas, l’inculpé ne peut être maintenu en détention au-delà d’un an. Toutefois, à titre exceptionnel, le juge d’instruction peut, à l’expiration de ce délai, décider de prolonger la détention pour une durée qui ne peut être supérieure à quatre mois, par une ordonnance motivée, rendue conformément aux dispositions de l’article 145, premier et cinquième alinéas, qui peut être renouvelée selon la même procédure. Néanmoins, l’inculpé ne peut être maintenu en détention au-delà de deux ans lorsqu’il n’encourt pas une peine d’emprisonnement supérieure à cinq ans. (...)" L’exécution des jugements étant suspendue pendant les délais d’exercice des voies de recours, les juridictions peuvent ordonner à l’audience la mise ou le maintien en détention du prévenu condamné (articles 464-1, 465 et 569 CPP). Cette détention est intégralement déduite de la durée de la peine prononcée (article 24 CPP). Le détenu écroué à la suite d’une demande d’extradition émanant d’un gouvernement étranger est soumis au même régime que le prévenu (article D 507 CPP). La décision de la juridiction qui statue sur une demande d’élargissement est immédiatement exécutoire (article 148-2, 2e alinéa, CPP), la charge de s’en assurer revenant au procureur général (article 207 CPP). Préalablement à sa mise en liberté, l’inculpé détenu doit faire la déclaration de son adresse (article 148-3 CPP) auprès du juge d’instruction si celui-ci l’a fait extraire, ou sinon du chef de l’établissement pénitentiaire. Dans la mesure où il est demandé à ce dernier de recueillir l’adresse avant de procéder à la mise en liberté d’un prévenu, le juge d’instruction doit lui indiquer, lors de l’envoi de l’ordre de levée d’écrou, si l’inculpé a déjà déclaré une adresse devant lui. Au moment de la levée de l’écrou, chaque libéré reçoit un billet de sortie (article D 288 CPP); lorsque plusieurs détenus sont libérables le même jour, des précautions sont prises pour qu’ils ne se rencontrent pas, mais l’application de cette règle ne doit pas avoir pour conséquence de retarder au-delà de midi leur élargissement dans la journée où ils doivent être libérés (article D 289 CPP). PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION M. Quinn a saisi la Commission le 17 juillet 1991. Il dénonçait l’irrégularité et la durée de sa détention provisoire qu’il estimait incompatibles avec l’article 5 paras. 1 et 3 (art. 5-1, art. 5-3) de la Convention, lu isolément et combiné avec l’article 18 (art. 5+18): en le plaçant sous écrou extraditionnel, les autorités françaises n’auraient cherché qu’à assurer sa représentation dans la procédure nationale en dépit de l’arrêt de la chambre d’accusation ordonnant son élargissement immédiat. La Commission a retenu la requête (no 18580/91) le 8 janvier 1993. Dans son rapport du 22 octobre 1993 (article 31) (art. 31), elle relève des infractions à l’article 5 par. 1 (art. 5-1) de la Convention du fait de la privation de liberté du requérant le 4 août 1989 de 9 heures à 20 heures (unanimité), et de sa détention à titre extraditionnel (treize voix contre quatre), mais conclut à l’absence de violation de l’article 5 par. 3 (art. 5-3) (unanimité). Le texte intégral de son avis et des trois opinions séparées dont il s’accompagne figure en annexe au présent arrêt. CONCLUSIONS PRESENTEES A LA COUR PAR LE GOUVERNEMENT A l’audience, le Gouvernement a confirmé les conclusions de son mémoire. Il y invitait la Cour à "dire qu’il n’y a pas eu violation des article 5 par. 1 et 5 par. 3 (art. 5-1, art. 5-3) de la Convention".
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Retraité, M. Giuseppe Terranova habite Messine où il a travaillé en tant qu'employé municipal. Le 25 avril 1985, il s'adressa à la Cour des comptes (troisième chambre ordinaire) à Rome pour obtenir l'annulation de l'arrêté du ministère du Trésor lui octroyant une pension privilégiée mais l'obligeant à rembourser la moitié de la somme perçue auparavant à titre d'indemnisation pour invalidité survenue pendant l'exercice de ses fonctions. Le recours fut enregistré le 3 mai 1985. Le 20 novembre 1985, l'intéressé sollicita la fixation de l'audience. Le 24 janvier 1986, ladite chambre reçut du ministère du Trésor le dossier administratif du requérant, conformément à la demande qu'elle avait formulée le 20 mai 1985. Le 11 juillet 1986, la chambre juridictionnelle de la Cour des comptes pour la Sicile souleva, au cours d'une procédure relative à une pension civile, une exception d'inconstitutionnalité de l'article 3 du décret législatif n° 655 du 6 mai 1948, instituant des chambres de la Cour des comptes pour cette région. Le 25 février 1988, la Cour constitutionnelle déclara contraire à la Constitution la disposition dans la mesure où celle-ci ne prévoyait pas la compétence de ladite chambre, notamment pour les différends entre les agents de l'Etat ou de la région résidant en Sicile et l'administration. En application de cet arrêt, le dossier de l'affaire du requérant fut transmis à la chambre juridictionnelle pour la Sicile à Palerme le 17 octobre 1988. Le 26 octobre 1992, le président de cette dernière chambre fixa au 2 mars 1993 la date des débats. Le jour dit, relevant son incompétence ratione materiae, la juridiction déclara le recours irrecevable. Le texte de l'arrêt fut déposé au greffe le 15 juin 1993. L'intéressé ne reprit pas la procédure devant le tribunal administratif régional. PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION M. Terranova a saisi la Commission le 11 juin 1990. Il se plaignait de ce que sa cause n'avait pas été entendue dans un délai raisonnable comme le veut l'article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention. La Commission (première chambre) a déclaré la requête (n° 17156/90) recevable le 6 septembre 1994. Dans son rapport du 7 décembre 1994 (article 31) (art. 31), elle conclut à l'unanimité à la violation de l'article 6 par. 1 (art. 6-1). Le texte de son avis figure en annexe au présent arrêt (1). _______________ Note du greffier: pour des raisons d'ordre pratique il n'y figurera que dans l'édition imprimée (volume 337-B de la série A des publications de la Cour), mais chacun peut se le procurer auprès du greffe. _______________ CONCLUSIONS PRESENTEES A LA COUR PAR LE GOUVERNEMENT Dans son mémoire, le Gouvernement demande à la Cour de juger qu'il n'y a pas eu violation de l'article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention.
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I. LES CIRCONSTANCES DE L'ESPÈCE M. Johann Pramstaller réside à Debant, près de Lienz. Le 17 mars 1987, le conseil municipal de Nußdorf-Debant accorda à M. Pramstaller le permis de construire de nouveaux locaux commerciaux sous réserve de diverses conditions précises: deux épiceries devaient être construites, dotées chacune des installations commerciales et sanitaires appropriées et de leur entrée propre; ces deux boutiques devaient être séparées par un mur. Le requérant informa ultérieurement le conseil qu'il envisageait d'ouvrir un supermarché à cet emplacement. Le conseil lui rappela alors qu'aux termes du permis, il pouvait seulement construire deux boutiques de petite taille séparées par un mur et disposant chacune de son entrée, et le prévint que, s'il ne respectait pas ces prescriptions, les travaux seraient immédiatement arrêtés. Le 23 juillet 1987, le conseil ordonna au requérant de suspendre les travaux. Un contrôle du site avait en effet révélé que, contrairement aux clauses du permis de construire, une seule et grande boutique était en construction au lieu des deux petites prévues. Le requérant avait donc enfreint plusieurs des conditions stipulées dans le permis. Le 10 novembre 1987, l'administration du district (Bezirkshauptmannschaft) de Lienz notifia au requérant une "décision pénale" (Straferkenntnis), conformément aux articles 53 par. 1 a) et 53 par. 2 de la loi sur les normes de construction du Land de Tyrol (Tiroler Bauordnung - paragraphe 15 ci-dessous). D'après cette décision, il était établi que le requérant avait, d'une part, négligé de construire le mur de séparation ainsi que certaines installations et, d'autre part, ouvert une nouvelle entrée, considérablement agrandi les locaux, érigé un mur supplémentaire et créé ainsi une grande boutique au lieu des deux petites prévues à l'origine. L'intéressé avait donc procédé à des travaux qu'aucun permis de construire n'autorisait. M. Pramstaller fut condamné à payer une amende de 50 000 schillings autrichiens (ATS) ou, à défaut, à purger une peine de cinquante jours d'emprisonnement, ainsi qu'aux dépens. Le 22 mars 1988, le gouvernement du Land (Amt der Landesregierung) de Tyrol rejeta l'appel formé par le requérant au motif, notamment, que les travaux exécutés n'étaient pas conformes au permis accordé et, en outre, étaient en partie illégaux. Le requérant saisit alors la Cour constitutionnelle (Verfassungsgerichtshof), alléguant notamment une violation de l'article 6 (art. 6) de la Convention pour n'avoir pas été en mesure de faire examiner son affaire ou de se faire entendre par un tribunal conforme à cette disposition. Le 16 septembre 1988, la Cour constitutionnelle décida de ne pas retenir le recours, conformément à l'article 144 par. 2 de la Constitution fédérale (Bundes-Verfassungsgesetz - paragraphe 18 ci-dessous), car il soulevait des points de droit commun (einfaches Gesetz); dans la mesure où le grief soulevait des problèmes constitutionnels, elle estima que la requête n'avait pas suffisamment de chances d'aboutir. Le requérant demanda alors que son affaire soit déférée à la Cour administrative (Verwaltungsgerichtshof), devant laquelle il forma ensuite un recours contre la décision des autorités administratives. Le 14 septembre 1989, la Cour administrative rejeta l'appel du requérant en s'appuyant sur l'article 42 par. 1 de la loi sur la Cour administrative (Verwaltungsgerichtshofsgesetz - paragraphe 22 ci-dessous). Concernant le grief tiré de l'article 6 (art. 6) de la Convention, elle souligna que la loi administrative pénale (Verwaltungsstrafgesetz) ne confère pas le droit à une audience devant une autorité administrative de manière générale, mais seulement dans certains cas particuliers. La Cour administrative examina ensuite les autres griefs de la façon suivante: "Le requérant affirme de plus que la décision contestée ne traite que de l'obligation, mentionnée dans la décision de première instance, d'obtenir l'autorisation de ne pas construire le mur de séparation, et non de l'obligation de solliciter une autorisation pour déroger aux autres clauses du plan (dérogations minimes selon lui). Mais, étant donné, d'après l'intéressé, que la question de savoir si ces autres manquements peuvent lui valoir une sanction est d'importance dans l'hypothèse où le fait d'avoir négligé de construire ce mur ne serait pas répréhensible, il y aurait une lacune dans la motivation. Or cette thèse manque de pertinence car l'autorité défenderesse est partie du principe, comme elle était fondée à le faire, qu'il fallait demander une autorisation pour toutes les mesures mentionnées dans la décision initiale. Les gros travaux de construction entrepris par le requérant n'étaient pas, comme le prouve le dossier, couverts par une autorisation des services de la construction. Il existait aussi manifestement une volonté de poursuivre la construction en tournant la réglementation. Sans parler du principe qu'il devait dans tous les cas solliciter un permis de construire pour une telle réalisation, le requérant fait abstraction de ce qu'il aurait été impossible d'autoriser la construction d'un centre commercial, tel que celui qui a été édifié en l'espèce, eu égard à la disposition de l'article 16b de la loi sur l'aménagement du territoire du Tyrol, reconnue comme constitutionnelle par la Cour constitutionnelle dans son arrêt B 816/86 du 2 mars 1988. Pendant la procédure d'obtention du permis de construire, le requérant s'est comporté en demandeur du permis et en propriétaire du terrain comme du bâtiment qui s'y trouvait. La société [Z.] s'est présentée comme future utilisatrice du bâtiment. Le requérant n'a jamais contesté, pendant la procédure administrative pénale, être le maître d'ouvrage et, à ce titre, responsable au regard du droit administratif pénal. La thèse qu'il défend, à savoir que ce n'est pas sur son ordre que le mur n'a pas été construit, mais sur celui de la société [Z.] qui utilisait les locaux commerciaux, ne peut donc l'exonérer car c'est lui qui porte la responsabilité d'avoir pris et exécuté les ordres de la société devant occuper les lieux ultérieurement. L'indication apparaissant pour la première fois dans l'exposé des faits de la requête complémentaire selon laquelle le bâtiment était construit pour une autre société, constitue un nouveau moyen, irrecevable dans la procédure administrative, conformément à l'article 41 par. 1 de la loi sur la Cour administrative. Le requérant prétend en outre que la suspension des travaux ayant été ordonnée, il n'a plus été possible d'ériger un mur de séparation, alors que cela aurait très bien pu se faire, même après l'arrêt des travaux, sans grands frais, de sorte qu'il n'y aurait pas eu négligence. Ce n'est pas non plus en recourant à cet argument que le requérant obtiendra gain de cause. Comme il ressort clairement du dossier et de la thèse du requérant, celui-ci n'envisageait aucunement de construire un mur de séparation même avant que les travaux ne soient arrêtés; il s'est au contraire délibérément abstenu de le faire afin que la Cour constitutionnelle examinât l'article 16b de la loi sur l'aménagement du territoire du Tyrol. A l'époque de l'arrêt des travaux, il existait de surcroît d'autres manquements importants à l'obligation de respecter le permis de construire pour lesquels il eût fallu obtenir une autorisation (voir dans l'exposé des faits le détail des constats de l'autorité au cours d'une inspection des travaux, le 6 juillet 1987). C'est pourquoi l'arrêt ultérieur des travaux n'a, dans ce contexte, aucune incidence sur le plan juridique. L'autorité défenderesse a aussi relevé à juste titre que l'intention exprimée à maintes reprises de ne pas construire le mur de séparation et de maintenir le bâtiment en cause dans un état qui ne respectait pas le permis de construire et n'avait pas obtenu d'autorisation, prouve que le requérant a agi dans une intention coupable. De même, l'autorité défenderesse le reconnaît justement, la possibilité théorique que la Cour constitutionnelle déclarât inconstitutionnel l'article 16b de la loi sur l'aménagement du territoire du Tyrol ne peut pas jouer comme circonstance atténuante. Contrairement à la thèse du requérant, ce but aurait pu être atteint autrement que par un comportement contraire à l'autorisation accordée, c'est-à-dire le refus de construire le mur de séparation et l'entreprise de travaux non autorisés. Il était loisible à l'intéressé, dès le début de la procédure, de solliciter le permis de construire de grands bâtiments commerciaux, un centre commercial, et par ce biais de contester l'article 16b de la loi sur l'aménagement du territoire du Tyrol devant la Cour constitutionnelle. Le moyen relatif à ce point ne saurait donc être accueilli. Quant au moyen d'après lequel, contrairement à ce qu'indique la décision contestée, l'autorité (le conseil municipal) aurait accepté que le mur de séparation ne fût pas construit après une expertise en matière de protection incendie, le requérant est renvoyé à la déposition du président du conseil municipal et au compte rendu de la réunion que celui-ci a rédigé le jour même, d'où il ressort clairement que les participants étaient en désaccord au sujet de la nécessité d'obtenir une autorisation de ne pas construire le mur et que le conseil municipal avait explicitement averti le requérant qu'eu égard à l'article 31 du règlement sur la construction au Tyrol combiné avec l'article 16b de la loi sur l'aménagement du territoire du Tyrol, un projet de construction modifié de la sorte ne saurait être autorisé. Le requérant se trompe lorsqu'il avance que l'explication donnée par le conseil de la société [Z.], lui aussi présent à la réunion, constitue un motif d'exclure sa culpabilité. Il appert des observations formulées par le conseil du requérant au sujet de la déposition du président du conseil municipal que toute la question de l'arrêt des travaux et celle de la constitutionnalité de l'article 16b de la loi sur l'aménagement du territoire du Tyrol avaient été abordées et que la possibilité de contester cette disposition devant la Cour constitutionnelle avait été envisagée. Le conseil municipal aurait pris connaissance "du résultat des négociations". Or dans sa requête, le demandeur affirme lui-même que la question de la nécessité d'une autorisation de ne pas construire le mur avait fait l'objet de divergences de vues lors de la réunion, le conseil municipal supposant qu'il fallait obtenir une autorisation et le conseil de la société [Z.] pensant de son côté qu'il suffisait d'annoncer la non-construction. Le demandeur reconnaît ainsi de lui-même, contrairement à ce qu'il indique plus loin dans sa requête et dans les observations sur la déposition du président du conseil municipal, qu'il n'est parvenu à aucun accord avec la municipalité; ne serait-ce que par ce motif, l'hypothèse d'une exonération de culpabilité du requérant se trouve ainsi réduite à néant. Par ailleurs, la Cour administrative ne décèle, dans la motivation de la décision attaquée, aucun élément lui permettant de conclure à un vice de procédure. Ce moyen du requérant est en conséquence sans fondement. L'autorité défenderesse a traité longuement et précisément des motifs de fixation de la sanction et de la détermination d'une sanction en général, de sorte qu'elle n'appelle pas davantage de critiques sur ce point. (...)" II. LE DROIT INTERNE PERTINENT A. La législation sur la construction immobilière Selon l'article 53 par. 1 a) de la loi de 1978 sur les normes de construction du Land de Tyrol (Tiroler Landesbauordnung): "Commet une contravention administrative (Verwaltungsübertretung), quiconque: a) met à exécution un projet de construction sans autorisation, alors qu'une telle autorisation était obligatoire (...)" Aux termes du paragraphe 2 du même article: "Les contraventions administratives définies au paragraphe 1 sont passibles d'une amende pouvant aller jusqu'à 100 000 ATS ou d'une peine d'emprisonnement pouvant aller jusqu'à trois mois (...)" L'article 25 de la même loi est ainsi libellé: "L'autorisation des autorités est requise en cas de: a) travaux de construction nouveaux, additionnels et de transformation; b) modifications apportées à des bâtiments ou à des parties de bâtiments, dans la mesure où elles ont une incidence sur la solidité du bâtiment, sa sécurité incendie, son installation de plomberie ou son aspect extérieur (...)" B. Le droit procédural L'article 90 par. 1 de la Constitution fédérale (Bundes-Verfassungsgesetz) dispose: "En matière civile et pénale, les débats devant la juridiction du fond sont oraux et publics. Les exceptions sont prévues par la loi." Le recours devant la Cour constitutionnelle Aux termes de l'article 144 par. 1 de la Constitution fédérale, la Cour constitutionnelle recherche, sur requête (Beschwerde), si un acte administratif (Bescheid) a porté atteinte à un droit garanti par la Constitution, ou a appliqué un règlement (Verordnung) contraire à la loi, une loi contraire à la Constitution ou un traité international incompatible avec le droit autrichien. Le paragraphe 2 de l'article 144 prévoit: "Jusqu'à l'audience, la Cour constitutionnelle peut, au moyen d'une décision (Beschluß), refuser l'examen d'un recours s'il ne présente pas suffisamment de chances de succès ou si l'on ne peut attendre de l'arrêt qu'il résolve une question de droit constitutionnel. La Cour ne peut refuser l'examen d'une affaire que l'article 133 soustrait à la compétence de la Cour administrative." Le recours devant la Cour administrative Selon l'article 130 par. 1 de la Constitution fédérale, la Cour administrative connaît notamment des requêtes qui allèguent l'illégalité d'un acte administratif. L'article 39 par. 1 de la loi sur la Cour administrative dispose qu'au terme de la procédure préliminaire (Vorverfahren), la Cour administrative doit tenir une audience lorsque le plaignant en fait la demande. Le paragraphe 2 est ainsi libellé: "Nonobstant la demande introduite par une partie conformément au paragraphe 1, la Cour administrative peut décider de ne pas tenir d'audience lorsque: la procédure doit être suspendue (article 33) ou le recours rejeté (article 34); la décision attaquée doit être annulée pour illégalité en raison de l'incompétence de l'autorité défenderesse (article 42 par. 2, alinéa 2); la décision attaquée doit être annulée pour illégalité en raison de l'inobservation de règles de procédure (article 42 par. 2, alinéa 3); selon la jurisprudence constante de la Cour administrative, la décision attaquée doit être annulée en raison de l'illégalité de son contenu; ni l'autorité défenderesse ni d'autres comparants n'ont présenté de mémoire en réponse et que la décision attaquée doit être annulée; il ressort des mémoires des parties à la procédure devant la Cour administrative ainsi que des pièces soumises à celle-ci et relatives à la procédure administrative antérieure qu'une audience n'est pas susceptible de contribuer à clarifier davantage l'affaire." Du paragraphe 2 de l'article 39, les points 1 à 3 étaient en vigueur en 1958; les points 4 et 5 ont été ajoutés en 1964 et le point 6 en 1982. L'article 41 par. 1 de la loi sur la Cour administrative est ainsi libellé: "Dans la mesure où elle ne relève aucune illégalité résultant de l'incompétence de l'autorité défenderesse ou de violations de règles de procédure (article 42 par. 2, alinéas 2 et 3) (...), la Cour administrative examine la décision attaquée en se fondant sur les faits constatés par ladite autorité et sous l'angle des griefs soulevés (...). Si elle estime que des motifs, non encore révélés à l'une des parties, peuvent être déterminants pour statuer [sur l'un de ces griefs] (...), elle entend les parties à ce sujet et, au besoin, suspend la procédure." L'article 42 par. 1 de la même loi prévoit que, sauf disposition contraire, la Cour administrative soit rejette la demande pour manque de fondement, soit annule la décision attaquée. Aux termes du paragraphe 2 du même article: "La Cour administrative annule la décision attaquée, si celle-ci est illégale par son contenu, [ou] en raison de l'incompétence de l'autorité défenderesse, [ou] à cause d'un vice de procédure résultant: a) de ce que l'autorité défenderesse a tenu pour établis des faits qui, sur un point essentiel, se trouvent démentis par le dossier, ou b) de ce qu'il échet de les compléter sur un tel point, ou c) de ce que l'autorité défenderesse a méconnu des règles de procédure dont le respect aurait pu l'amener à prendre une décision différente." Si la Cour administrative annule la décision incriminée, "l'administration est tenue (...) en utilisant les moyens légaux à sa disposition, d'assurer sans délai, dans le cas d'espèce, la situation juridique correspondant à l'opinion (Rechtsanschauung) exprimée par la Cour administrative" (article 63 par. 1). Dans un arrêt du 14 octobre 1987 (G 181/86), la Cour constitutionnelle a considéré: "De ce qu'il s'est avéré nécessaire d'étendre la réserve à l'article 5 (art. 5) de la Convention aux garanties procédurales de l'article 6 (art. 6) de celle-ci, en raison du lien entre ces deux dispositions (art. 5, art. 6), il suit qu'à l'inverse le contrôle réduit (die (bloß) nachprüfende Kontrolle) exercé par la Cour administrative ou la Cour constitutionnelle ne suffit pas pour les sanctions pénales au sens de la Convention non couvertes par la réserve." Les "chambres administratives indépendantes" L'article 129 de la Constitution fédérale a institué dans les Länder, avec effet au 1er janvier 1991, des juridictions administratives appelées "chambres administratives indépendantes" (Unabhängige Verwaltungssenate). Elles connaissent notamment, en fait comme en droit, des contraventions administratives (Verwaltungsübertretungen). III. LA RÉSERVE DE L'AUTRICHE À L'ARTICLE 5 (ART. 5) DE LA CONVENTION L'instrument de ratification de la Convention, déposé par le gouvernement autrichien le 3 septembre 1958, contient notamment une réserve ainsi libellée: "Les dispositions de l'article 5 (art. 5) de la Convention seront appliquées sans préjudice des dispositions des lois de procédure administrative, BGBl. [Journal officiel fédéral] n° 172/1950, concernant les mesures de privation de liberté qui resteront soumises au contrôle postérieur de la Cour administrative ou de la Cour constitutionnelle, prévu par la Constitution fédérale autrichienne." PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION M. Pramstaller a saisi la Commission le 18 mai 1990. Invoquant l'article 6 paras. 1, 2 et 3 (art. 6-1, art. 6-2, art. 6-3) de la Convention, il se plaignait a) de n'avoir pas été en mesure de faire entendre sa cause par un tribunal afin que celui-ci décide du bien-fondé de l'accusation pénale portée contre lui et b) de n'avoir pas eu droit à un procès équitable car c'est à lui, l'accusé, qu'incombait la charge de la preuve. Le 10 mai 1993, la Commission a retenu la requête (n° 16713/90) s'agissant du grief selon lequel le requérant n'avait pas pu faire entendre sa cause devant un tribunal au sens de l'article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention. Dans son rapport du 19 mai 1994 (article 31) (art. 31), elle conclut à l'unanimité à la violation de cette disposition et estime que le défaut d'audience devant la Cour administrative ne soulève aucune question distincte. Le texte intégral de son avis et de l'opinion concordante dont il s'accompagne figure en annexe au présent arrêt . CONCLUSIONS PRESENTEES A LA COUR PAR LE GOUVERNEMENT Dans son mémoire, le Gouvernement invite la Cour à dire "que l'article 6 (art. 6) de la Convention ne s'applique pas en l'espèce ou, à titre subsidiaire, qu'il n'y a pas eu violation de cet article (art. 6) au cours de la procédure administrative pénale litigieuse".
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I. LES CIRCONSTANCES DE L'ESPÈCE M. Peter Palaoro habite Höchst, dans le Vorarlberg. Le 7 novembre 1987, une voiture de police remarqua que le requérant conduisait sur l'autoroute à des vitesses dépassant de beaucoup le maximum autorisé. A 14 h 28 mn 53 s, la vitesse enregistrée était de 150 km/h sur un tronçon où un panneau indiquait que le maximum autorisé était 100 km/h. Trente et une secondes plus tard, la vitesse enregistrée dépassait de 67 km/h la limite générale permise sur autoroute (130 km/h). Le requérant allégua que son véhicule étant très puissant, il était très difficile au conducteur de se rendre compte de la vitesse effective. Le 6 décembre 1987, la brigade de gendarmerie du Land (Landesgendarmeriekommando) de Tyrol verbalisa et infligea au requérant deux amendes distinctes pour excès de vitesse. Le 16 novembre 1988, à l'issue d'une procédure administrative comportant l'interrogatoire des agents verbalisateurs (Meldungsleger) en l'absence du requérant, l'administration du district (Bezirkshauptmannschaft) d'Imst déclara le requérant coupable de deux excès de vitesse contraires au code de la route (Straßenverkehrsordnung - paragraphe 17 ci-dessous). Conformément à l'article 99 par. 3 de cette loi (paragraphe 18 ci-dessous), le requérant se vit infliger des amendes de 4 000 et 6 000 schillings autrichiens (ATS), assorties respectivement de huit et dix jours d'emprisonnement à défaut de paiement. Le requérant interjeta appel de cette décision devant le gouvernement du Land (Amt der Landesregierung) de Tyrol en contestant l'exactitude des méthodes suivies par la police pour mesurer la vitesse des véhicules. Il soutenait en outre qu'ayant reconnu qu'il conduisait à grande vitesse sur un certain tronçon, il n'aurait pas dû être sanctionné au titre de deux dispositions distinctes, ce qui lui avait valu une amende excessivement élevée. Il demandait en conséquence que l'incident soit traité comme une seule et même infraction et l'amende réduite en conséquence. Le 22 décembre 1988, le gouvernement du Land de Tyrol réduisit les amendes à 2 000 et 4 000 ATS respectivement, et à quatre et sept jours les peines d'emprisonnement à défaut de paiement. L'autorité de recours admit, notamment, que les techniques de mesure de la vitesse n'étaient peut-être pas d'une précision parfaite. Elle rejeta l'argument selon lequel aurait été commise une seule et même infraction au motif que deux dispositions distinctes avaient été enfreintes à deux moments différents. M. Palaoro saisit alors la Cour constitutionnelle (Verfassungsgerichtshof). Invoquant l'article 6 (art. 6) de la Convention, il se plaignit de ce que la procédure administrative pénale ne garantissait pas un procès équitable. Il fit valoir qu'il aurait dû bénéficier d'une audience et de la possibilité de faire interroger personnellement les témoins - c'est-à-dire les agents verbalisateurs. Cela lui aurait permis en effet d'établir que les méthodes de mesure utilisées par la police étaient souvent défectueuses. Il critiqua en outre "le principe du cumul des sanctions" (Kumulationsprinzip), en vertu duquel le même comportement délictueux peut être puni au titre de dispositions différentes. Il renvoyait à l'article 4 du Protocole n° 7 (P7-4) à la Convention. Le 10 mars 1989, la Cour constitutionnelle déclara en partie irrecevable le grief du requérant comme posant des questions relatives à l'application du droit commun; dans la mesure où le grief soulevait des problèmes constitutionnels, elle renvoya à sa jurisprudence sur la Convention, et conclut que le recours n'avait pas suffisamment de chances de réussir. Elle appliqua notamment l'article 144 par. 2 de la Constitution fédérale (paragraphe 20 ci-dessous). Le 19 avril 1989, M. Palaoro demanda à la Cour constitutionnelle de déférer l'affaire à la Cour administrative (Verwaltungsgerichtshof), devant laquelle il déposa ses conclusions le 15 juin 1989. Il y soulignait qu'il aurait dû avoir la possibilité d'interroger directement les témoins et de ne pas être sanctionné deux fois pour ce qui était à son avis une seule et même infraction. Il ne demanda pas d'audience. Le 25 octobre 1989, la Cour administrative rejeta le recours conformément à l'article 42 par. 1 de la loi sur la Cour administrative (Verwaltungsgerichtshofsgesetz - paragraphe 24 ci-dessous). Elle releva qu'une confrontation formelle avec un témoin ne doit être ordonnée que lorsqu'elle s'impose dans des circonstances particulières: il n'existe pas de droit général à poser personnellement des questions à un témoin (article 47 de la loi administrative pénale). La Cour administrative donna raison à l'autorité défenderesse en rejetant le second grief du requérant (paragraphe 12 ci-dessus). II. LE DROIT INTERNE PERTINENT A. La législation sur la circulation routière L'article 20 par. 2 du code de la route de 1960 fixe la vitesse maximale sur autoroute à 130 km/h. L'article 52 A par. 10 a) du code interdit de rouler en dépassant la vitesse limite indiquée par signalisation routière. L'article 99 par. 3 a) du même code punit le contrevenant d'une amende pouvant aller jusqu'à 10 000 ATS, assortie d'au maximum quinze jours d'emprisonnement à défaut de paiement. B. Le droit procédural L'article 90 par. 1 de la Constitution fédérale (Bundes-Verfassungsgesetz) dispose: "En matière civile et pénale, les débats devant la juridiction du fond sont oraux et publics. Les exceptions sont prévues par la loi." Le recours devant la Cour constitutionnelle Aux termes de l'article 144 par. 1 de la Constitution fédérale, la Cour constitutionnelle recherche, sur requête (Beschwerde), si un acte administratif (Bescheid) a porté atteinte à un droit garanti par la Constitution, ou a appliqué un règlement (Verordnung) contraire à la loi, une loi contraire à la Constitution ou un traité international incompatible avec le droit autrichien. Le paragraphe 2 de l'article 144 prévoit: "Jusqu'à l'audience, la Cour constitutionnelle peut, au moyen d'une décision (Beschluß), refuser l'examen d'un recours s'il ne présente pas suffisamment de chances de succès ou si l'on ne peut attendre de l'arrêt qu'il résolve une question de droit constitutionnel. La Cour ne peut refuser l'examen d'une affaire que l'article 133 soustrait à la compétence de la Cour administrative." Le recours devant la Cour administrative Selon l'article 130 par. 1 de la Constitution fédérale, la Cour administrative connaît notamment des requêtes qui allèguent l'illégalité d'un acte administratif. L'article 39 par. 1 de la loi sur la Cour administrative dispose qu'au terme de la procédure préliminaire (Vorverfahren), la Cour administrative doit tenir une audience lorsque le plaignant en fait la demande. Le paragraphe 2 est ainsi libellé: "Nonobstant la demande introduite par une partie conformément au paragraphe 1, la Cour administrative peut décider de ne pas tenir d'audience lorsque: la procédure doit être suspendue (article 33) ou le recours rejeté (article 34); la décision attaquée doit être annulée pour illégalité en raison de l'incompétence de l'autorité défenderesse (article 42 par. 2, alinéa 2); la décision attaquée doit être annulée pour illégalité en raison de l'inobservation de règles de procédure (article 42 par. 2, alinéa 3); selon la jurisprudence constante de la Cour administrative, la décision attaquée doit être annulée en raison de l'illégalité de son contenu; ni l'autorité défenderesse ni d'autres comparants n'ont présenté de mémoire en réponse et que la décision attaquée doit être annulée; il ressort des mémoires des parties à la procédure devant la Cour administrative ainsi que des pièces soumises à celle-ci et relatives à la procédure administrative antérieure qu'une audience n'est pas susceptible de contribuer à clarifier davantage l'affaire." Du paragraphe 2 de l'article 39, les points 1 à 3 étaient en vigueur en 1958; les points 4 et 5 ont été ajoutés en 1964 et le point 6 en 1982. L'article 41 par. 1 de la loi sur la Cour administrative est ainsi libellé: "Dans la mesure où elle ne relève aucune illégalité résultant de l'incompétence de l'autorité défenderesse ou de violations de règles de procédure (article 42 par. 2, alinéas 2 et 3) (...), la Cour administrative examine la décision attaquée en se fondant sur les faits constatés par ladite autorité et sous l'angle des griefs soulevés (...). Si elle estime que des motifs, non encore révélés à l'une des parties, peuvent être déterminants pour statuer [sur l'un de ces griefs] (...), elle entend les parties à ce sujet et, au besoin, suspend la procédure." L'article 42 par. 1 de la même loi prévoit que, sauf disposition contraire, la Cour administrative soit rejette la demande pour manque de fondement, soit annule la décision attaquée. Aux termes du paragraphe 2 du même article: "La Cour administrative annule la décision attaquée, si celle-ci est illégale par son contenu, [ou] en raison de l'incompétence de l'autorité défenderesse, [ou] à cause d'un vice de procédure résultant: a) de ce que l'autorité défenderesse a tenu pour établis des faits qui, sur un point essentiel, se trouvent démentis par le dossier, ou b) de ce qu'il échet de les compléter sur un tel point, ou c) de ce que l'autorité défenderesse a méconnu des règles de procédure dont le respect aurait pu l'amener à prendre une décision différente." Si la Cour administrative annule la décision incriminée, "l'administration est tenue (...) en utilisant les moyens légaux à sa disposition, d'assurer sans délai, dans le cas d'espèce, la situation juridique correspondant à l'opinion (Rechtsanschauung) exprimée par la Cour administrative" (article 63 par. 1). Dans un arrêt du 14 octobre 1987 (G 181/86), la Cour constitutionnelle a considéré: "De ce qu'il s'est avéré nécessaire d'étendre la réserve à l'article 5 (art. 5) de la Convention aux garanties procédurales de l'article 6 (art. 6) de celle-ci, en raison du lien entre ces deux dispositions (art. 5, art. 6), il suit qu'à l'inverse le contrôle réduit (die (bloß) nachprüfende Kontrolle) exercé par la Cour administrative ou la Cour constitutionnelle ne suffit pas pour les sanctions pénales au sens de la Convention non couvertes par la réserve." Les "chambres administratives indépendantes" L'article 129 de la Constitution fédérale a institué dans les Länder, avec effet au 1er janvier 1991, des juridictions administratives appelées "chambres administratives indépendantes" (Unabhängige Verwaltungssenate). Elles connaissent notamment, en fait comme en droit, des contraventions administratives (Verwaltungsübertretungen). III. LA RÉSERVE DE L'AUTRICHE À L'ARTICLE 5 (ART. 5) DE LA CONVENTION L'instrument de ratification de la Convention, déposé par le gouvernement autrichien le 3 septembre 1958, contient notamment une réserve ainsi libellée: "Les dispositions de l'article 5 (art. 5) de la Convention seront appliquées sans préjudice des dispositions des lois de procédure administrative, BGBl. [Journal officiel fédéral] n° 172/1950, concernant les mesures de privation de liberté qui resteront soumises au contrôle postérieur de la Cour administrative ou de la Cour constitutionnelle, prévu par la Constitution fédérale autrichienne." PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION M. Palaoro a saisi la Commission le 28 mai 1990. Il invoquait l'article 6 paras. 1 et 3 (art. 6-1, art. 6-3) de la Convention et l'article 4 du Protocole n° 7 (P7-4), en se plaignant a) de n'avoir pas pu faire entendre sa cause par un tribunal, b) de s'être vu refuser le droit d'interroger un témoin dans la procédure administrative et c) d'avoir été sanctionné deux fois pour la même infraction. La Commission a retenu la requête (n° 16718/90) le 10 mai 1993, exception faite du grief tiré de l'article 4 du Protocole n° 7 (P7-4). Dans son rapport du 19 mai 1994 (article 31) (art. 31), elle conclut à l'unanimité que: - il y a eu violation de l'article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention en ce que le requérant n'a pas pu faire entendre sa cause par un tribunal; - le défaut d'audience devant la Cour administrative et le fait que l'administration n'a pas autorisé le requérant à interroger les témoins ne soulèvent aucune question distincte au regard de l'article 6 (art. 6) de la Convention. Le texte intégral de l'avis de la Commission et de l'opinion concordante dont le rapport est assorti figure en annexe au présent arrêt . CONCLUSIONS PRESENTEES A LA COUR PAR LE GOUVERNEMENT Dans son mémoire, le Gouvernement invite la Cour à dire "que l'article 6 (art. 6) de la Convention ne s'applique pas en l'espèce ou, à titre subsidiaire, qu'il n'y a pas eu violation de cet article (art. 6) au cours de la procédure administrative pénale litigieuse".
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Citoyen britannique, le comte Nikolai Tolstoy Miloslavsky réside à Southall, Berkshire, au Royaume-Uni. Il est historien. A. Le pamphlet incriminé En mars 1987, un pamphlet écrit par le requérant et intitulé "War Crimes and the Wardenship of Winchester College" (Des crimes de guerre et de la direction du collège de Winchester) fut diffusé par M. Nigel Watts parmi des parents, élèves, membres du personnel et anciens de l’école, ainsi qu’auprès de députés et de membres de la Chambre des lords et auprès de la presse. M. Watts y faisait état d’un grief contre le directeur du collège de Winchester, Lord Aldington, à l’époque président d’une compagnie d’assurances, au sujet d’une demande d’indemnisation après sinistre. Le pamphlet contenait notamment les déclarations suivantes: "Entre la mi-mai et le début du mois de juin 1945, quelque 70 000 prisonniers de guerre et réfugiés cosaques et yougoslaves furent livrés aux forces communistes soviétiques et titistes par suite d’un accord conclu avec le cinquième corps d’armée britannique administrant l’Autriche occupée. Parmi eux, une large proportion de femmes, d’enfants et même de bébés. La majorité des officiers cosaques et de leurs familles à avoir été livrés étaient en possession de passeports de la Société des Nations ou des pays d’Europe de l’Ouest dans lesquels ils avaient trouvé refuge après leur évacuation de Russie par leurs alliés anglais et français en 1918-1920, et n’étaient donc pas susceptibles d’y retourner au titre des accords de Yalta, applicables aux seuls citoyens soviétiques. (...) Comme l’avaient prévu pratiquement tous les intéressés, l’écrasante majorité de ces personnes sans défense, qui avaient placé une confiance absolue en l’honneur britannique, furent, ou massacrées dans des circonstances d’une inconcevable horreur immédiatement après avoir été livrées, ou condamnées à une mort lente dans les geôles communistes et dans les camps de travaux forcés. Ces opérations furent menées à bien dans un mélange de duplicité et de sauvagerie sans équivalent dans l’histoire britannique depuis le massacre de Glencoe. On peut voir aujourd’hui aux abords de Lienz un petit cimetière cosaque dont les pierres tombales commémorent des hommes, des femmes et des enfants tués par balles ou à coups de matraques ou de baïonnettes par des troupes britanniques. (...) Celui qui donna les ordres et mit au point tous les détails du mensonge et de la sauvagerie qui ont débouché sur ces massacres était le général de brigade Toby Low, chef d’état-major auprès du cinquième corps d’armée du général Keightley, par la suite anobli par Harold Macmillan au titre de premier baron Aldington. Depuis 1979, il est le directeur du Winchester College, l’un des collèges privés les plus anciens et les plus respectés d’Angleterre. La question de savoir si Lord Aldington est un personnage qui convient pour occuper un tel poste est essentiellement du ressort du collège. Mais c’est certainement aussi un sujet de préoccupation légitime pour un public plus large qu’un homme responsable de telles atrocités continue d’occuper un poste aussi honorifique et de premier plan au sein de la communauté, d’autant qu’il sert d’exemple à des jeunes gens eux-mêmes vraisemblablement appelés à remplir un jour de hautes fonctions et à assumer d’importantes responsabilités. (...) La vérité, toutefois, c’est que Lord Aldington sait parfaitement que chacun de ses moyens de défense est totalement ou en grande partie faux. La preuve est accablante qu’il a organisé la perpétration d’un crime de guerre majeur en ayant parfaitement conscience que les aspects les plus barbares et déshonorants de ses opérations étaient entièrement désapprouvés et non autorisés par le haut commandement, et qu’un sort cruel attendait ceux qu’il rapatriait. (...) Ceux qui estiment encore qu’un homme dont les mains sont tachées du sang de 70 000 hommes, femmes et enfants, êtres sans défense qu’essayait de protéger par tous les moyens le Commandant suprême allié, est un directeur qui convienne pour Winchester, pourraient faire l’effort de se poser (ou de poser à Lord Aldington s’ils parviennent à l’attraper) les questions suivantes: (...) Lord Aldington a à maintes reprises été accusé, dans des livres et des articles, par la presse et le public d’être un criminel de guerre dont les actes soutiennent la comparaison avec ceux des pires bouchers de l’Allemagne nazie ou de la Russie soviétique (...)" B. LES PROCÉDURES EN DIFFAMATION La procédure devant la High Court Lord Aldington saisit la High Court of Justice (Queen’s Bench Division) d’une action en diffamation contre M. Watts. Le requérant fut par la suite appelé à la cause, sur sa propre demande. Les défendeurs plaidèrent le "fait justificatif" (justification) et le "commentaire équitable" (fair comment). Lord Aldington demanda que l’affaire fût entendue par un juge unique, sans jury. Toutefois, le requérant exerça son droit d’être jugé par un jury. Le procès s’ouvrit le 2 octobre 1989 et dura jusqu’au 30 novembre, date à laquelle le jury, composé de douze membres, rendit son verdict. Au cours des débats, Lord Aldington témoigna pendant six jours et demi et il fut interrogé par l’avocat de la partie adverse. Le requérant déposa pendant plus de cinq jours et un certain nombre de témoins furent appelés. Le juge Michael Davies consacra quelque dix pages de son résumé à la question du chiffrage des dommages-intérêts pour le cas où la diffamation viendrait à être établie. Il déclara notamment ce qui suit au jury: "(...) Examinons maintenant, Membres du Jury, (...) l’aspect des dommages-intérêts (...). Il me faut vous instruire sur ce point de droit car la question de l’indemnisation peut se poser (...). Si le demandeur l’emporte, vous aurez à l’étudier. D’aucuns pourraient dire qu’en ce qui concerne les dommages-intérêts nécessaires en l’espèce, il suffirait de déclarer ce qui suit: le comte Tolstoy a reconnu que s’il doit en être alloué ce ne peut être que d’énormes. Je pense que Me Rampton [l’avocat de la défense] n’a pu se résoudre à prononcer ce mot à la fin de sa plaidoirie, mais il a parlé de dommages-intérêts très généreux, et je pourrais en rester là. Or, voyez-vous, ce n’est pas comme cela que l’on procède, car les parties ne décident pas de la manière dont vous devez aborder la question des dommages-intérêts (même si elles font des concessions). Vous vous déterminez selon la loi, et c’est ce que je vais maintenant vous expliquer. Vous devez accepter mes indications à ce sujet et, bien sûr, vous les appliquerez comme bon vous semblera. (...) les ressources des parties - demandeur ou défendeur - sont sans importance (...) Est tout aussi dépourvue de pertinence, je pense l’avoir dit plus tôt mais je le redis maintenant, la question de savoir si Lord Aldington ou le comte Tolstoy, ou encore M. Watts, ont été ou seront financièrement aidés par de quelconques supporters dans le versement de dommages-intérêts. Egalement dénué d’intérêt est le fait indubitable que l’assistance judiciaire n’est accessible ni à un demandeur ni à un défendeur dans les affaires de diffamation. Tout cela n’a pas à être pris en compte, et si le système doit être modifié, c’est au parlement de le faire (...) (...) ce que vous cherchez à faire, ce qu’un jury doit faire, c’est fixer une somme qui dédommagera le demandeur - qui réparera en termes financiers le préjudice qui lui a été causé, parce qu’un préjudice lui a été causé si vous en êtes arrivés au stade de l’allocation de dommages-intérêts. Vous n’avez ni le devoir ni le droit de sanctionner un défendeur (...) Ce que [Lord Aldington] réclame, bien sûr, c’est, au titre des ‘dommages-intérêts généraux’, comme les appellent les juristes, une somme d’argent propre à le dédommager. En premier lieu, vous devez prendre en considération, dans cette affaire comme dans toutes celles où il y a diffamation, les répercussions sur la situation, le standing et la réputation du demandeur qui obtient gain de cause (...) (...) Si elles [les allégations contenues dans le pamphlet] étaient fausses et ne constituaient pas, contrairement à ce qui est affirmé, un commentaire équitable, l’intéressé a droit pour cela à un dédommagement qui rende compte de votre jugement sur ce point. Il vous faut ensuite considérer (...) la blessure infligée à ses sentiments. Je vous ai dit qu’il ne peut pas, bien sûr, réclamer au nom de son épouse ou d’un quelconque membre de sa famille, encore que l’effet produit sur eux puisse avoir eu sur lui une répercussion que vous pouvez prendre en considération. Il ne s’agit pas seulement des sentiments qu’il a éprouvés à la lecture du pamphlet (...). Il s’agit de ce qu’il a ressenti alors qu’il attendait le procès (...) et la publicité (...) (...) vous devez considérer (...) ce que les juristes appellent ‘justification’ (vindication) (...) Vous pouvez penser - c’est de votre ressort - qu’en l’espèce c’est essentiellement pour se justifier - montrer qu’il avait raison - que Lord Aldington a intenté cette action tendant - c’est en tout cas ce qu’il dit - à réhabiliter sa réputation et son honorabilité. (...) ‘Une indemnité, une énorme indemnité’, pour reprendre les mots du requérant, ‘une indemnité très généreuse’, pour reprendre ceux de M. Rampton, lui permettra de dire que la vérité a été rétablie. Membres du Jury, bien sûr vous ne devez pas, à la suite de ce que je vous ai dit, gonfler et gonfler encore les dommages-intérêts. Vous devez en toutes circonstances garder les pieds sur terre, comme on dit. (...) Il faut prendre en compte la portée et la nature de la publication. (...) Vous devez certes écarter toute idée de sanction des défendeurs si vous donnez raison au demandeur, mais les jurés ont toujours le droit, j’y ai déjà fait allusion, de prendre en compte tout comportement du défendeur qui a eu pour effet d’alourdir les dommages-intérêts - c’est-à-dire qui a aggravé le préjudice et augmenté l’indemnité - ou de les minimiser - c’est-à-dire qui a atténué le préjudice et réduit l’indemnité. (...) Maintenant, deux remarques d’ordre général que j’ai l’habitude de faire dans chaque affaire: nul ne vous demande comment vous établissez votre verdict et vous n’avez pas à vous justifier comme doit le faire un juge; c’est pourquoi il est extrêmement important que vous analysiez la question comme le ferait un juge; ceci signifie que vous ne devez être ni outrageusement ou déraisonnablement sévères ni outrageusement ou déraisonnablement laxistes. La seconde observation que j’adresse à chaque jury est la suivante: s’il vous plaît, je vous en conjure, si vous en êtes aux dommages-intérêts, n’accordez pas la moindre attention à quelque autre affaire que ce soit ou à l’issue de toute autre affaire sur laquelle vous auriez pu lire ou entendre quelque chose. Les faits et les considérations juridiques en étaient probablement complètement différents. Il n’existe pas de championnat des dommages-intérêts dans les affaires de diffamation. Il n’y a pas de ‘première division’; il n’y a pas de ‘quatrième division’; il n’y a pas de ‘ligue régionale’, s’il y en a parmi vous qui s’intéressent au football. Donc, Membres du Jury, oubliez, je vous prie, les autres affaires. Utilisez votre propre bon sens. Comment traduire ce que j’ai dit en termes d’argent? Selon nos règles de procédure, un avocat ou un juge peut utiliser des termes comme ‘très substantiels’ ou ‘très modestes’, mais aucun d’entre nous, juge ou avocat, ne mentionne de chiffres. Là aussi certaines personnes qui n’ont pas vraiment étudié la question de près s’en étonnent et disent qu’on devrait donner des indications aux jurys, et je vous répète ce que je dis à tous les jurys dans ces affaires, cela ne vous serait pas d’un grand secours, parce qu’inévitablement - c’est dans la nature humaine et c’est le devoir des intéressés - l’avocat du demandeur serait au sommet de l’échelle et peut-être dans certains cas - je ne fais pas allusion à celui-ci - au-delà de toute mesure, et l’avocat du défendeur serait tout en bas de l’échelle. Cela ne serait donc d’une grande utilité pour personne. Quant au juge, le jury pourrait penser - vous pouvez avoir un avis exactement contraire - un jury pourrait penser: ‘Quoi que d’autres disent de ce juge-là dans cette affaire, nous pensons qu’il a essayé d’être équitable, pourquoi ne nous suggère-t-il pas un chiffre?’ Supposons qu’un juge, moi en l’occurrence, doive vous suggérer un chiffre ou une fourchette, il y aurait deux possibilités: l’une serait que vous ignoriez ce que j’ai dit et que vous alliez au-delà de mon chiffre ou de ma fourchette, ou que vous descendiez bien en deçà. Auquel cas, bien entendu, la partie perdante, qui n’aurait pas apprécié, saisirait la cour d’appel en disant: ‘Voyez, le juge a suggéré un chiffre et le jury est allé au-delà ou en deçà.’ Supposons que vous ayez accepté ma suggestion et donné un chiffre que je vous aurais conseillé ou proche de celui-ci. Tout ce que je peux dire c’est que vous auriez perdu votre précieux temps en étudiant la question des dommages-intérêts, parce que vous n’auriez fait qu’agir comme un perroquet répétant mes paroles ou celles du juge, quel qu’il eût été. Nous n’avons donc pas cette surenchère ou sous-enchère, comme l’a appelée la cour d’appel, par les avocats, et nous n’avons pas des juges essayant de dicter au jury ce qu’il devrait allouer. Et je n’hésite pas à dire, quoi que prétendent d’autres personnes, que j’espère, et je prie, par égard pour notre droit et notre justice, pour que nous ne voyions pas le jour où des juges dicteront leur conduite aux jurés afin d’en faire des perroquets. Je suis cependant autorisé - et même encouragé - par la cour d’appel à en dire un peu plus. Je ne m’exprime peut-être pas dans les termes de la cour d’appel, mais de ma propre manière, qui pourrait paraître trop simple à certains, mais je vous dis que vous devez vous souvenir de ce qu’est l’argent. Vous ne manipulez pas de l’argent de Monopoly, alignant les zéros simplement parce qu’ils font bon effet. Je sais que vous ne le ferez pas. Il vous faut considérer l’argent en termes réels. On dit parfois: ‘Alors combien coûterait une maison d’un certain type?’, et si vous donnez au demandeur tant d’argent à titre de réparation, combien de maisons va-t-il acheter? Il n’est pas dans mon intention de suggérer que Lord Aldington ou quelque autre demandeur empocherait ses dommages-intérêts et irait acheter une maison, ou une rangée de maisons, mais cela permet d’établir un rapport avec le genre de choses dont nous avons, vous et moi, une idée, parce que la plupart d’entre nous ont une idée assez précise de ce que vaut une maison. Souvenez-vous en." Dans son verdict unanime du 30 novembre 1989, le jury répondit comme suit aux questions posées par le juge Davies: "1. [Le requérant] et M. Watts ont-ils prouvé que les déclarations de fait contenues dans le pamphlet sont foncièrement vraies? (...) Non. Le pamphlet contient-il des jugements de valeur? (...) Oui. [Le requérant] et M. Watts ont-ils prouvé que ces jugements de valeur sont équitables, c’est-à-dire tels qu’une personne équitable pourrait honnêtement les formuler au vu des faits dont la véracité est établie? (...) Non. (1) Concluez-vous en faveur de Lord Aldington ou en faveur de M. Watts? (...) Lord Aldington. (2) Concluez-vous en faveur de Lord Aldington ou [du requérant]? (...) Lord Aldington. Quelle somme accordez-vous à Lord Aldington au titre des dommages-intérêts? (...) 1 500 000 £." En conséquence, le juge Davies ordonna l’enregistrement du jugement rendu contre le requérant et M. Watts pour la somme précitée, laquelle représentait à peu près trois fois la plus haute jamais allouée auparavant par un jury anglais en matière de diffamation. Il fit droit, en outre, à une demande de Lord Aldington tendant à l’obtention d’une injonction (article 37 de la loi de 1981 sur la Cour suprême) interdisant notamment aux défendeurs de publier, provoquer ou autoriser la publication, assister, participer ou se rendre complice de la publication des termes contenus dans le pamphlet litigieux ou "de tous autres termes ou allégations (quelle que soit la manière dont elles sont formulées) ayant pour effet, ou ayant un effet analogue, de faire croire que le demandeur [Lord Aldington] s’est rendu coupable, en rapport avec la remise, en 1945, aux forces soviétiques ou yougoslaves, de militaires ou de civils, de désobéissance, de tromperie ou de conduite infractionnelle, déshonorante, inhumaine ou autrement illégitime ou non autorisée, et qu’il est responsable du traitement réservé ultérieurement à ces personnes par les Soviétiques ou les Yougoslaves, lesdits défendeurs étant libres de demander la modification ou la mainlevée de cette injonction." Le requérant fut également condamné au paiement des frais de Lord Aldington. La procédure devant la cour d’appel Le requérant (mais non M. Watts) saisit la cour d’appel d’une déclaration d’appel exposant un certain nombre de moyens dont plusieurs niaient le caractère équitable de la procédure. Il y critiquait le juge Davies, notamment pour avoir fait étalage d’animosité contre les défendeurs et pour avoir continuellement interrompu l’avocat de la défense et s’être montré sarcastique et discourtois à l’égard de ce dernier. Le juge avait, d’après lui, insulté et dénigré les témoins de la défense. Tout au long de son résumé, il avait complètement ou largement supprimé ou ignoré nombre des aspects les plus importants des arguments de la défense et avait induit le jury en erreur sur des questions d’une importance capitale pour l’argumentation des défendeurs. Ses remarques lorsqu’il avait instruit le jury sur la question des dommages-intérêts avaient largement tendu à amener celui-ci à allouer une indemnité élevée au demandeur et à écarter les autres solutions qui auraient raisonnablement pu être retenues sur la base des preuves produites, et en tout état de cause les dommages-intérêts octroyés avaient été déraisonnables et excessifs. Le 9 janvier 1990, Lord Aldington sollicita auprès de la cour d’appel une ordonnance enjoignant au requérant, sur le fondement de l’ordonnance 59, article 10 par. 5, du règlement de 1965 de la Cour suprême, de fournir une caution d’un montant propre à couvrir les frais afférents à la représentation de son adversaire pour le cas où le recours échouerait. Nul ne contestait que le requérant serait incapable de payer lesdits frais. Dans une lettre ouverte du 2 février 1990, Lord Aldington offrit de renoncer à 1 200 000 £ de l’indemnité qui lui avait été accordée. Dans sa réponse, le requérant confirma qu’il était incapable de fournir une quelconque caution pour les frais que Lord Aldington aurait à exposer en appel et, persistant à affirmer que le procès avait été une parodie de justice, il déclina l’offre. Dans un jugement, long de vingt-deux pages, rendu le 18 mai 1990, le greffier (Registrar) de la cour d’appel examina les faits soulevés par le requérant et rejeta la demande de caution judicatum solvi. Il déclara que l’impécuniosité constituait un motif pour exiger une caution censée couvrir les frais d’un recours devant la cour d’appel. Dans l’exercice de son pouvoir d’appréciation à cet égard, la cour d’appel attachait un poids particulier au mérite ou à l’absence de mérite du recours en question. S’il n’en présentait pas ou peu, elle exigeait normalement d’un appelant impécunieux le versement d’une caution judicatum solvi. S’il avait des chances raisonnables de prospérer, elle se montrait réticente à exiger semblable caution. Le greffier précisa qu’il ne lui avait pas été facile de décider si l’appel sur la responsabilité introduit par le requérant avait suffisamment de force pour justifier qu’on l’autorise à l’intenter sans avoir à fournir de caution judicatum solvi, étant donné que s’il succombait, il ne disposerait pas des fonds nécessaires pour payer les frais exposés par Lord Aldington en appel. Il ajouta qu’avec hésitation il avait estimé que, sur un certain nombre de points précis, l’appel avait juste assez de force pour l’amener à conclure que la caution judicatum solvi ne devait pas être exigée en l’espèce. Il y avait une possibilité pour que, si le requérant réussissait à convaincre la cour d’appel qu’il n’avait pas eu un procès équitable et que sa cause n’avait pas été exposée équitablement et clairement au jury, la cour d’appel conclût à la nécessité d’ordonner un nouveau procès, nonobstant le fait que l’intéressé aurait très peu de chances de l’emporter à l’issue de celui-ci. Eu égard à la conclusion ci-dessus, le greffier ne jugea pas nécessaire d’examiner un argument avancé par l’avocat de Lord Aldington et selon lequel l’appel sur le quantum serait dépourvu de portée pratique, compte tenu de son offre du 2 février 1990 (paragraphe 15 ci-dessus). Lord Aldington attaqua avec succès la décision du greffier devant la cour d’appel plénière, qui examina la question pendant six jours, du 9 au 17 juillet 1990, et qui rendit son arrêt le 19 juillet 1990. Les membres de la cour donnèrent, en résumé, les motifs suivants. a) Sir Stephen Brown, président La cour d’appel avait à effectuer un nouvel examen de la demande et à décider si le fait d’ordonner le versement d’une caution s’analyserait en un déni de justice pour le requérant, eu égard au mérite de son recours. La critique formulée par l’intéressé dans sa déclaration d’appel ne concernait pas les indications juridiques dispensées par le juge Davies, mais spécialement ce que le requérant qualifiait de prévention et de partialité du juge à l’égard de Lord Aldington, et la manière dont il avait traité trois questions de fait déterminées. La critique n’était toutefois pas justifiée. Le juge Davies avait manifestement laissé au jury la décision sur les faits de la cause, et toutes les questions principales avaient été traitées de manière complète et équitable. Dans son résumé, le juge avait signalé tout à fait clairement à l’attention du jury les points que la défense avait dit être d’une importance essentielle. Les avocats s’étaient vu donner d’amples possibilités de soulever des questions au sujet d’une erreur alléguée, et lorsqu’ils l’avaient jugé nécessaire c’est ce qu’ils avaient fait. En outre, les principaux témoins s’étaient trouvés à la barre pendant quelque treize jours en tout. Lord Aldington, qui avait été le témoin principal en la cause, en ce sens que c’est sa conduite qu’il s’agissait d’examiner, l’avait lui-même occupée pendant non moins de six jours et demi. Il était inconcevable que le jury n’eût pas pleinement tenu compte et ne se fût pas déterminé sur la base des dépositions des témoins principaux, qui avaient été interrogés et contre-interrogés en détail sur toutes les questions pertinentes de l’espèce. Il s’agissait d’une affaire relevant parfaitement de la compétence d’un jury et le procès avait dûment eu lieu devant un jury. A cet égard, Sir Stephen nota qu’à un stade antérieur, lorsque Lord Aldington avait demandé que l’affaire fût examinée par un juge unique, le requérant s’était opposé à cette demande. Les preuves nouvelles produites par le requérant pesaient d’un poids nul au vu de toutes celles fournies lors du procès. L’observation selon laquelle Lord Aldington était soutenu par la compagnie d’assurances Sun Alliance était dépourvue de pertinence. Par conséquent, sur la question de la responsabilité, le recours était dénué de fondement. Et Sir Stephen Brown de poursuivre: "Le quantum des dommages-intérêts représente une somme très substantielle. Toutefois, il est hors de doute que le juge a fourni des indications irréprochables au sujet de ceux-ci. Le [requérant] a argué que le juge avait invité le jury à accorder des dommages-intérêts excessifs. Une lecture correcte du compte rendu montre qu’il a fait exactement le contraire. Cette affirmation manque totalement de fondement. L’indemnité relevait entièrement du pouvoir discrétionnaire du jury, lequel reçut toutes indications à ce propos. Pour moi, il ne fait aucun doute que, par cette indemnité, le jury a voulu mettre l’accent sur le caractère énorme, à ses yeux, de la diffamation qui avait été publiée puis confirmée. Le [requérant] a toutefois précisé qu’il n’est pas tant intéressé par la question du montant des dommages-intérêts que par celle de la responsabilité. Il souhaite continuer à poursuivre Lord Aldington s’il le peut et à persister dans ses allégations dans le cadre d’un nouveau procès. En fait, il s’est vu offrir une réduction substantielle (1,2 million de livres) de l’indemnité mise à sa charge, mais il a décliné l’offre. Celle-ci n’était pas une concession faite par les solicitors du demandeur reconnaissant que la somme initialement octroyée était trop élevée, mais avait été faite au motif que le demandeur avait peu de chances de percevoir le montant alloué et était déjà content que le jury, par son verdict, eût rejeté, on ne peut plus clairement, la véracité du pamphlet qui avait été publié." b) Lord Justice Russell "La cour répugne à s’ingérer dans le verdict d’un jury, à moins qu’il n’y ait eu un vice de procédure susceptible de le rendre peu sûr ou peu convaincant, ou que l’on ne puisse légitimement dire qu’il est arbitraire. Des considérations très semblables doivent s’appliquer en l’espèce. Quant à un quelconque vice de procédure, je n’en détecte aucun (...) Cette affaire et le verdict du jury dépendaient essentiellement de la véracité des propos de Lord Aldington. Aucun document n’a été produit qui, à première vue, aurait pu détruire la crédibilité de l’intéressé. Si le jury n’avait pas cru Lord Aldington, celui-ci aurait succombé. Le fait que le jury lui ait donné raison et lui ait accordé ces dommages-intérêts démontre que, sur les questions essentielles de l’affaire, il a dû accepter les éléments de preuve fournis par le demandeur. Le jury pouvait-il légitimement statuer comme il l’a fait? Selon moi, cela ne fait aucun doute (...) A mon avis, il n’y a pas la moindre chance pour que la cour d’appel infirme le verdict du jury donnant raison au demandeur et ordonne un réexamen de cette question, que ce soit au motif que le verdict ne peut se justifier ou sur la base d’éléments de preuve nouveaux que le comte Tolstoy cherche à produire. (...) Enfin, sur la question des dommages-intérêts, le [requérant] s’est vu offrir dans une lettre ouverte de remplacer par 300 000 £ les 1,5 million de livres accordées par le jury. Il reste que la diffamation est aussi grave qu’il est possible d’imaginer. Tout appel sur le seul quantum ne représenterait qu’un exercice théorique. Le comte Tolstoy souhaite rouvrir toute l’affaire. Selon moi, le défendeur étant impécunieux, la justice commande qu’il fournisse une caution pour couvrir les frais susceptibles d’être encourus par le demandeur dans le cadre d’un appel éventuel." c) Lord Justice Beldam "Il serait malaisé de concevoir une allégation plus calculée pour faire haïr et mépriser l’intimé par ses semblables, et il ressort des preuves produites que cette allégation a été délibérément diffusée dans le but d’inciter la personne visée à intenter un procès en diffamation, donnant ainsi à l’appelant l’occasion de mettre publiquement en cause la conduite de l’intimé il y a 45 ans (...) Il n’appartient pas à cette cour d’ordonner un nouveau procès après le verdict d’un jury, quand bien même elle estimerait qu’un jury raisonnable aurait dû conclure différemment. La tâche dont elle aurait à s’acquitter en appel consisterait à établir si les conclusions du jury sont si absolument déraisonnables que l’on pourrait dire que celui-ci n’a pas accompli le devoir judiciaire dont il était investi. J’ai à nouveau écouté l’habile exposé des faits et des preuves présenté par l’appelant. Il n’a pas réussi à me convaincre de sa moindre chance raisonnable de succès en appel. Même s’il devait persuader la cour d’ordonner un nouveau procès sur la question des dommages-intérêts, je considérerais comme négligeable la possibilité qu’un jury, quel qu’il soit, accomplissant son devoir judiciaire allouât au défendeur [Lord Aldington] une somme inférieure à celle que celui-ci a en réalité déjà offert d’accepter à titre de compromis mettant fin à cet appel. Dès lors, l’appelant n’a pas réussi à me convaincre qu’il a des moyens d’appel assez réels et sérieux pour autoriser la cour à dire qu’il peut être fait abstraction des circonstances spéciales de l’incapacité de l’intéressé à payer les frais de l’intimé s’il vient à succomber." La cour d’appel enjoignit au requérant de verser dans les quatorze jours une caution de 124 900 £ pour les frais que Lord Aldington aurait à exposer en appel, à défaut de quoi le recours serait réputé rejeté. Elle repoussa une demande du requérant tendant à l’obtention d’un délai supérieur à quatorze jours pour tenter de réunir les fonds. Elle enjoignit en outre à l’intéressé de payer les frais (22 000 £) exposés par Lord Aldington dans la procédure relative à la caution judicatum solvi. Son arrêt totalise vingt-trois pages. Le requérant n’ayant pas fourni la caution requise, son recours fut rejeté le 3 août 1990. A ce jour, le requérant n’a rien versé à Lord Aldington, ni au titre des dommages-intérêts ni au titre des frais. C. La procédure pendante devant les juridictions internes En 1993, le requérant saisit la cour d’appel d’une demande d’autorisation d’attaquer hors délai le jugement rendu par la High Court le 30 novembre 1989 et de produire des éléments de preuve nouveaux. Le greffier l’informa en septembre 1993 que la cour d’appel n’était pas compétente, dès lors que la question était la même que celle dont traitait le recours précédemment rejeté. Le 21 février 1994, le requérant assigna Lord Aldington devant la High Court, sollicitant une décision annulant le jugement du 30 novembre 1989 pour cause de fraude. Il réclama également des dommages-intérêts et autres réparations. Lord Aldington demanda le rejet de l’action, qu’il jugeait vexatoire et futile et constitutive d’un abus de procédure. Par un jugement du 14 octobre 1994, le juge Collins écarta la demande pour abus de procédure, au motif que le requérant était incapable d’établir l’existence d’une possibilité raisonnable que les éléments nouveaux montrassent que Lord Aldington s’était rendu coupable de parjure. Dans un jugement du 30 novembre 1994, il enjoignit aux solicitors du requérant, qui avaient permis l’engagement de la nouvelle action en agissant gratuitement, de prendre à leur charge 60 % des frais exposés par Lord Aldington dans la procédure. Un recours formé par le requérant devant la cour d’appel est pendant. II. LE DROIT INTERNE PERTINENT A. Responsabilité et dommages-intérêts en matière de diffamation En droit anglais, les actions en diffamation et calomnie constituent des voies de droit privé dont l’objet est de rétablir la réputation du demandeur et de l’indemniser du préjudice résultant de la diffusion abusive, auprès d’un ou plusieurs tiers, de déclarations diffamatoires le concernant. Le défendeur à ces actions peut prouver la véracité des propos prétendument diffamatoires et démontrer ainsi que le demandeur n’a subi aucun préjudice. Bien que la publication puisse être source de dommage si les faits publiés sont vrais, aucune action n’est ouverte dans ce cas (voir Halsbury’s Laws of England, quatrième édition, vol. 28, par. 1). Une règle de responsabilité objective s’applique au délit de diffamation: "Une personne de bonne foi peut publier un écrit diffamatoire en croyant à sa véracité, et le jury peut estimer qu’elle a agi de bonne foi en croyant à la véracité de ses propos, alors qu’en réalité la déclaration était inexacte. Dans ces conditions, elle n’a aucun moyen de défense, même si son intention était bonne." (Lord Loreburn LC in Hulton v. Jones [1910] Appeal Cases 20 (House of Lords), pp. 23-24) La loi établit au profit du demandeur une présomption selon laquelle les propos sont faux jusqu’à ce que le défendeur rapporte la preuve contraire (Gatley, Libel and Slander, huitième édition, par. 5, p. 6). Si le défendeur tente de démontrer que les propos sont vrais et qu’il échoue, cela est de nature à accroître les dommages-intérêts (Duncan and Neill on defamation, deuxième édition, par. 18.14, p. 129). Le but des dommages-intérêts en matière de diffamation a été exposé par Lord Hailsham dans l’affaire Broome v. Cassell & Co. Ltd ([1972] Appeal Cases 1027, p. 1071, cité par Lord Donaldson dans Sutcliffe v. Pressdram Ltd [1991] 1 Queen’s Bench 153, p. 189): "Dans les actions en diffamation et toutes celles où il est question de dommages-intérêts pour perte de réputation, le principe de restitutio in integrum comporte nécessairement un élément encore plus hautement subjectif. De telles actions impliquent une indemnité financière qui, sur le plan purement matériel, peut placer le demandeur dans une position bien meilleure qu’avant la survenance du préjudice. Non seulement il peut recouvrer la somme estimée de ses pertes passées et futures mais, lorsque la diffamation, de cachée qu’elle était, vient au jour à une quelconque date ultérieure, il doit être capable d’indiquer une somme accordée par un jury, suffisante pour convaincre un tiers du caractère infondé de l’accusation.’ (...) [U]ne personne victime d’une diffamation ne reçoit pas une indemnité pour le dommage causé à sa réputation. Elle perçoit des dommages-intérêts parce que sa réputation a subi un préjudice, c’est-à-dire simplement parce qu’on l’a diffamée en public. Pour cette raison, une réparation prenant la forme de dommages-intérêts agit de deux manières: comme une justification du demandeur envers le public et comme une consolation personnelle pour un tort subi.’ (...) Il est clair que la somme accordée doit tenir compte de la blessure infligée aux sentiments, de l’anxiété et de l’incertitude éprouvées dans le cadre du litige, de l’absence d’excuses ou de la réaffirmation de la véracité des faits incriminés, ou de l’intention de nuire du défendeur (...)" B. Fonctions du juge et du jury en High Court dans les affaires de diffamation Si les propos litigieux peuvent raisonnablement se comprendre dans un sens diffamatoire, le juge doit laisser au jury le soin d’apprécier s’ils ont, en réalité, diffamé le demandeur. Sinon, il doit rendre un jugement favorable au défendeur, sans faire intervenir le jury. La démarche à adopter par le juge dans une procédure civile pour diffamation ou calomnie, ou dans une procédure pénale, lorsqu’il y a matière à saisir le jury, est de définir ce qu’est la diffamation du point de vue juridique et de laisser au jury le soin de trancher la question de fait de savoir si la publication en cause entre ou non dans cette définition. Le chiffrage des dommages-intérêts relève tout particulièrement du jury, et le juge, sauf s’il siège seul, ne doit pas lui-même décider de leur montant. Il lui faut instruire le jury au sujet des éléments pertinents, tels la portée de la publication, le taux de crédibilité des propos ou la proportion de personnes dotées de connaissances spéciales nécessaires pour percevoir des insinuations malveillantes, la position et le standing du demandeur, son comportement et celui du défendeur, et toutes les circonstances de l’espèce (voir Halsbury’s Laws of England, quatrième édition, vol. 28, paras. 225, 227 et 232). Il n’y a ni plafond ni plancher à la somme qu’un jury peut accorder au titre des dommages-intérêts dans un procès en diffamation. Dans l’affaire Sutcliffe v. Pressdram Ltd précitée, Lord Donaldson souligna que le renvoi des jurys à d’autres espèces les troublerait plutôt que de les assister et toute tentative entreprise par les avocats ou le juge pour discuter de chiffres conduirait à de vaines surenchères et sous-enchères et risquerait d’usurper la véritable fonction du jury. Toutefois, le juge pourrait donner quelques indications au jury pour l’aider à apprécier la valeur réelle de sommes d’argent très importantes, par exemple en l’invitant à considérer quel revenu régulier pourrait être obtenu si la somme allouée était placée (voir l’affaire Sutcliffe v. Pressdram Ltd précitée, Lord Donaldson, p. 178; voir également Lord Nourse, p. 186, et Lord Russell, pp. 190-191). C. Compétence de la cour d’appel pour contrôler les dommages-intérêts alloués par les jurys A l’époque pertinente, en vertu de l’article 11 de l’ordonnance 59 du règlement de 1965 de la Cour suprême, la cour d’appel avait compétence pour annuler un jugement de la High Court et pour ordonner un nouveau procès. Aux termes de l’article 11 paras. 1 à 3: "1. Lorsqu’elle examine un recours, la cour d’appel peut toujours, si elle le juge bon, rendre toute ordonnance pouvant être prononcée à la suite d’une demande tendant à l’organisation d’un nouveau procès ou à l’annulation d’un verdict, d’une conclusion ou d’un jugement de la juridiction inférieure. La cour d’appel n’est pas tenue d’ordonner un nouveau procès pour cause de mauvaises indications fournies au jury, réception ou rejet illégitimes de preuves ou parce que le verdict du jury n’a pas répondu à une question que le juge de première instance n’avait pas été invité à lui soumettre, à moins que, de l’avis de la cour d’appel, un préjudice ou une erreur sérieux n’en aient résulté. Un nouveau procès peut être ordonné sur toute question, sans que la conclusion ou décision sur tout autre point en soit affectée; et s’il apparaît à la cour d’appel qu’un préjudice ou une erreur tels ceux mentionnés au paragraphe 2 ne touchent qu’une partie seulement de la matière litigieuse ou l’un ou plusieurs seulement des comparants, elle peut ordonner un nouveau procès quant à cette partie ou quant à ce ou ces comparants et rendre une décision définitive pour le surplus. (...)" Quant au critère que la cour d’appel doit appliquer dans l’exercice de son pouvoir d’annuler le verdict d’un jury concernant les dommages-intérêts, Lord Kilbrandon déclara dans l’affaire Broome v. Cassell & Co. Ltd ([1972] Appeal Cases 1027, p. 1135) qu’il ne suffisait pas que la cour conclût que l’indemnité était excessive. Il lui fallait se demander si elle aurait pu être accordée par des personnes sensées ou si elle avait forcément été allouée de manière capricieuse, inconsciente ou irrationnelle. D’après l’article 11 par. 4, tel qu’il s’appliquait à l’époque des faits, la cour d’appel ne pouvait, au lieu d’ordonner un nouveau procès, minorer ou majorer l’indemnité accordée par le jury, sauf accord de la ou des parties concernées. Depuis l’entrée en vigueur, le 1er janvier 1991, de la loi de 1990 sur les juridictions et les services juridiques (Courts and Legal Services Act 1990), la cour d’appel a le pouvoir, en vertu de l’article 8 par. 2 de ladite loi, de substituer sa propre appréciation des dommages-intérêts à celle du jury, que les parties soient d’accord ou non. L’article 11 par. 4 de l’ordonnance 59, tel qu’amendé à la lumière de l’article 8 ci-dessus, énonce: "Dans toute affaire où la cour d’appel a compétence pour ordonner un nouveau procès au motif que les dommages-intérêts alloués par un jury sont excessifs ou insuffisants, elle peut, au lieu d’ordonner un nouveau procès, substituer à l’indemnité accordée par le jury une somme lui paraissant appropriée, mais, à l’exception des cas susmentionnés, elle n’a pas le pouvoir de la minorer ou de la majorer." Dans l’affaire Rantzen v. Mirror Group Newspapers (1986) Ltd ([1993] 3 Weekly Law Reports, p. 953), la cour d’appel a exercé les pouvoirs que lui reconnaissent l’article 8 de ladite loi de 1990 et le nouvel article 11 par. 4 de l’ordonnance 59. Interprétant son pouvoir d’ordonner un nouveau procès au motif que l’indemnité accordée par le jury est excessive, elle a fait observer que l’attribution d’un pouvoir presque entièrement discrétionnaire à un jury était critiquable dans la mesure où elle ne fournissait pas une mesure satisfaisante pour juger de ce qui est "nécessaire dans une société démocratique" ou "justifié par un besoin social impérieux" aux fins de l’article 10 (art. 10) de la Convention européenne des Droits de l’Homme. Bien comprise, la common law exigeait des juridictions qu’elles soumissent les indemnités importantes à un examen plus pénétrant que celui qu’elles avaient eu coutume d’exercer par le passé. Dès lors, ce qui avait été considéré comme une barrière contre l’intervention devait être abaissé. La question devenait la suivante: "Un jury raisonnable aurait-il pu penser que cette indemnité était nécessaire pour dédommager le demandeur et rétablir sa réputation?" Quant aux indications que le juge pouvait donner au jury, la cour d’appel se déclara non convaincue que le temps était venu de renvoyer aux indemnités allouées par des jurys dans des affaires antérieures de diffamation. Il n’existait pas davantage une manière satisfaisante dont on pût prendre en compte les indemnités accordées dans des procès concernant des préjudices corporels graves. Il fallait espérer qu’au fil du temps, une série de décisions rendues par la cour d’appel en vertu de l’article 8 de la loi de 1990 sur les juridictions et les services juridiques établiraient quelques critères quant à ce qui constituerait des indemnités "appropriées". Dans l’intervalle, il y avait lieu d’inviter les jurys à considérer le pouvoir d’achat de toute indemnité allouée par eux, afin de garantir qu’elle soit proportionnée au dommage subi par le demandeur et représente une somme nécessaire pour lui fournir une réparation adéquate et pour rétablir sa réputation. La cour d’appel conclut que bien qu’une indemnité très substantielle fût clairement justifiée en l’espèce, si l’on faisait application de critères objectifs en matière de réparation raisonnable, nécessaire ou proportionnée, la somme de 250 000 £ était excessive. Elle lui substitua celle de 110 000 £. PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION Dans sa requête (no 18139/91) du 18 décembre 1990 à la Commission, le comte Tolstoy se plaignait de ne pas avoir eu un procès équitable devant un tribunal impartial comme l’exigeait l’article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention. En outre, invoquant initialement l’article 13 (art. 13) de la Convention (droit à un recours effectif) mais se prévalant par la suite de l’article 6 par. 1 (art. 6-1), il alléguait que l’ordonnance de la cour d’appel assortissant son droit d’appel d’une condition de versement d’une caution de 124 900 £ pour les frais de Lord Aldington avait violé son droit d’accès à un tribunal. Enfin, il soutenait que l’indemnité de 1 500 000 £ mise à sa charge et l’injonction prononcée par la High Court avaient méconnu le droit à la liberté d’expression que lui garantissait l’article 10 (art. 10) de la Convention. Le 20 février 1992, la Commission a déclaré irrecevable le grief tiré du caractère inéquitable de la procédure; le 12 mai 1993, elle a déclaré la requête recevable pour le surplus. Dans son rapport du 6 décembre 1993 (article 31) (art. 31), elle formule l’avis qu’il n’y a pas eu violation du droit d’accès à un tribunal garanti au requérant par l’article 6 par. 1 (art. 6-1) (dix voix contre cinq), mais qu’il y a eu méconnaissance du droit à la liberté d’expression garanti à l’intéressé par l’article 10 (art. 10) (unanimité). Le texte intégral de l’avis de la Commission et de l’opinion dissidente dont il s’accompagne figure en annexe au présent arrêt . CONCLUSIONS PRESENTEES A LA COUR A l’audience publique du 21 janvier 1995, le Gouvernement, comme il l’avait fait dans son mémoire, a invité la Cour à juger que les faits de la présente espèce ne révèlent aucune violation de l’article 6 (art. 6) ni de l’article 10 (art. 10) de la Convention. Le requérant y a lui aussi réitéré les demandes formulées dans son mémoire, où il priait la Cour de décider que les articles 6 et 10 (art. 6, art. 10) avaient été enfreints et de lui accorder une satisfaction équitable au titre de l’article 50 (art. 50) de la Convention.
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I. LES CIRCONSTANCES DE LA CAUSE Association ayant son siège à Amsterdam, la requérante publiait à l’époque considérée un hebdomadaire intitulé Bluf!, destiné à des lecteurs de gauche. Ce périodique a depuis lors cessé de paraître. Au printemps 1987, la rédaction de Bluf! entra en possession d’un rapport trimestriel du service de sécurité intérieure (Binnenlandse Veiligheidsdienst, "le BVD"). Daté de 1981 et classé "confidentiel", ce document visait principalement à informer de ses activités les agents du BVD et d’autres fonctionnaires appelés à accomplir des missions pour lui. Il montrait qu’à l’époque, le BVD s’intéressait, entre autres, au parti communiste néerlandais et au mouvement antinucléaire. Il parlait également du projet de la Ligue arabe d’établir un bureau à La Haye et fournissait des informations sur les activités des services de sécurité polonais, tchécoslovaque et roumain aux Pays-Bas. La rédaction de Bluf! envisageait de le publier avec un commentaire en tant que supplément à son numéro 267 du 29 avril 1987. A. La saisie Le 29 avril 1987, avant l’envoi aux abonnés et la parution de la revue, le directeur du BVD dénonça au procureur de la Reine (Officier van Justitie) le projet de publication dudit rapport et fit valoir que sa distribution était de nature à enfreindre les articles 98a paras. 1 et 3 ainsi que 98c par. 1 du code pénal (Wetboek van Strafrecht - paragraphe 20 ci-dessous). Dans sa lettre, il précisa: "Bien qu’à mon avis, les différentes contributions prises séparément ne contiennent pas (ou plus) de secrets d’Etat, elles constituent, prises ensemble et lues conjointement, un élément dont la confidentialité est exigée dans l’intérêt de l’Etat ou de ses alliés. Cela tient à ce que la conjonction des faits donne un aperçu, dans les différents secteurs d’intérêt, des informations disponibles, des activités et de la manière d’opérer du BVD." L’instruction judiciaire préparatoire Le même jour, à la demande du procureur de la Reine, une instruction préparatoire (gerechtelijk vooronderzoek) contre X fut ouverte. Le juge d’instruction (rechter-commissaris) du tribunal d’arrondissement (arrondissementsrechtbank) d’Amsterdam ordonna la perquisition des locaux de la requérante et fit saisir l’ensemble du tirage du numéro 267 de Bluf!, y compris l’annexe. La police aurait omis d’emporter les plaques offset restées sur les presses de l’imprimerie. Trois personnes furent arrêtées mais relâchées le lendemain. Dans la nuit du 29 avril 1987, le personnel de la requérante, à l’insu des autorités, réussit à réimprimer le numéro saisi. Quelque 2 500 exemplaires en furent vendus le lendemain, jour férié de l’anniversaire de la Reine, dans les rues d’Amsterdam. Les autorités décidèrent de ne pas y mettre un terme de façon à n’occasionner aucun trouble à l’ordre public. Le 6 mai 1987, le juge d’instruction clôtura l’instruction au motif qu’il ne disposait d’aucun élément pour continuer les recherches. Par une lettre du 2 juin 1987, le procureur de la Reine informa la requérante de l’arrêt des poursuites à l’encontre des trois personnes arrêtées lors de la saisie: pour deux d’entre elles, les preuves réunies s’avéraient insuffisantes; la troisième avait joué un rôle minime. Les plaintes de la requérante Entre-temps, le 1er mai 1987, en vertu de l’article 552a du code de procédure pénale (Wetboek van Strafvordering - paragraphe 21 ci-dessous), la requérante s’était plainte de la saisie auprès de la chambre du conseil du tribunal d’arrondissement d’Amsterdam et avait demandé la restitution des exemplaires confisqués, de leurs annexes et des bandes d’expédition afin qu’ils pussent être adressés aux abonnés dans les délais. Cette requête fut rejetée le même jour pour autant qu’elle concernait les exemplaires du journal avec son supplément. La juridiction considérait que, en raison de leur contenu, il n’était pas "hautement improbable" que le retrait de la circulation du périodique (onttrekking aan het verkeer) fût ordonné dans le cadre de la procédure pénale. En revanche, elle rendit l’encart intitulé "Une contribution au musée historique juif" et les bandes d’expédition. Par un arrêt du 17 novembre 1987 (Nederlandse Jurisprudentie (NJ) 1988, no 394), la Cour de cassation repoussa les pourvois de l’intéressée et du ministère public contre cette décision. Au sujet du moyen de la requérante déduit de la violation de l’article 7 de la Constitution (paragraphe 19 ci-dessous), elle déclara que le droit garanti par cette disposition trouvait sa limite dans l’expression "sous réserve de la responsabilité de chacun au regard de la loi" et que la saisie des imprimés à diffuser figurait parmi les mesures susceptibles de sauvegarder les intérêts que les articles 98 et 98a du code pénal entendent protéger. Dans l’intervalle, le 12 mai 1987, la requérante avait déposé une seconde plainte devant la chambre du conseil du tribunal d’arrondissement d’Amsterdam. Invoquant l’article 10 (art. 10) de la Convention, elle mettait en cause la légalité (rechtmatigheid) de la saisie. A titre subsidiaire, elle demandait la restitution des objets confisqués au motif que, suite à la clôture de l’instruction judiciaire, ladite mesure avait perdu sa justification. Le 11 janvier 1988, le tribunal la débouta. Il estima qu’il s’agissait d’une plainte identique à celle du 1er mai 1987 et qu’aucun élément nouveau ne justifiait la restitution. S’appuyant sur la communication du ministère public selon laquelle ce dernier introduirait une demande de retrait de la circulation du journal dès l’arrêt de la Cour de cassation sur le pourvoi contre la décision du 1er mai, le tribunal considéra qu’on ne pouvait encore exclure l’adoption de ladite mesure. En conséquence, il rejeta l’argument de la requérante tiré de la décision de ne pas poursuivre (paragraphe 12 ci-dessus). B. La mesure de retrait de la circulation Le 25 mars 1988, le procureur de la Reine demanda au tribunal d’arrondissement d’Amsterdam d’ordonner le retrait de la circulation du numéro 267 de Bluf!. Le 21 juin 1988, le tribunal, se fondant sur les articles 36b et 36c du code pénal (paragraphe 20 ci-dessous), accueillit la requête: les objets saisis visant à commettre le délit défini aux articles 98 et/ou 98a par. 1 joint au par. 3 du code pénal, leur possession non contrôlée heurtait la loi et l’intérêt général; en outre, le maintien de la "sécurité nationale" justifiait ladite mesure au regard de l’article 10 (art. 10) de la Convention. Par un arrêt du 18 septembre 1989 (NJ 1990, no 94), la Cour de cassation rejeta le pourvoi de la requérante. Selon elle, le tribunal avait clairement établi qu’un délit, visé soit à l’article 98a par. 1 combiné avec le par. 3 soit à l’article 98, avait été commis et il n’était pas tenu d’opérer un choix entre les dispositions indiquées. Les articles 36b par. 1 4o et 36c par. 1 5o trouvaient à s’appliquer alors même que ni la requérante ni aucune autre personne n’avaient eu à répondre de leurs actes dans la procédure pénale. La réimpression et la diffusion du numéro litigieux après la saisie n’y mettaient pas non plus obstacle, puisque le fait de rendre publique l’information, visé à l’article 98, n’avait pas nécessairement pour conséquence que le secret ne devait pas être maintenu. Ensuite, les articles 98 et 98a contenaient des prescriptions légales visées par les articles 7 de la Constitution et 10 (art. 10) de la Convention; la saisie et le retrait de la circulation tendant à sauvegarder les intérêts protégés par les articles 98 et 98a, ils s’inscrivaient dans le cadre des restrictions autorisées au droit à la liberté d’expression. Le tribunal, en se référant à la sécurité nationale, avait clairement montré qu’il s’agissait en l’occurrence de données dont la confidentialité était requise dans l’intérêt de l’Etat. Enfin, la saisie et le retrait de la circulation ne pouvaient être assimilés à la soumission à la condition de l’"autorisation préalable" quand bien même le public ne pouvait prendre connaissance des opinions et idées contenues dans l’imprimé. II. LE DROIT INTERNE PERTINENT A. La Constitution L’article 7 par. 1 de la Constitution dispose: "Nul n’a besoin d’une autorisation préalable pour exprimer ses opinions ou idées par voie de presse, sous réserve de la responsabilité de chacun au regard de la loi." B. Le code pénal Les dispositions pertinentes du code pénal se lisaient ainsi à l’époque: Article 36b par. 1 "Le retrait de la circulation d’objets saisis peut être prononcé: 1o par le jugement condamnant une personne du chef d’un délit; (...) 4o par une ordonnance judiciaire distincte à la requête du ministère public." Article 36c "Sont susceptibles de retrait de la circulation tous les objets: (...) 5o qui sont fabriqués pour, ou destinés à, commettre le délit; pour autant qu’ils soient d’une nature telle que leur possession non contrôlée heurte la loi ou l’intérêt général." Article 98 "1. Quiconque, délibérément, communique ou met à la disposition d’une personne ou d’un organisme non autorisé à en prendre connaissance, toute information dont le secret est requis dans l’intérêt de l’Etat ou de ses alliés, ou bien tout objet dont il est possible d’extraire ladite information, encourt, s’il sait ou doit raisonnablement soupçonner qu’il s’agit d’une telle information, une peine d’emprisonnement d’au maximum six ans ou d’une amende de cinquième catégorie. Encourt la même peine quiconque, délibérément, communique ou met à la disposition d’une personne ou d’un organisme non autorisé à en prendre connaissance, toute information provenant d’un lieu interdit et concernant la sécurité de l’Etat ou de ses alliés, ou bien tout objet dont il est possible d’extraire ladite information, s’il sait ou doit raisonnablement soupçonner qu’il s’agit d’une telle information." Article 98a "1. Quiconque divulgue délibérément une information visée à l’article 98 (...) encourt, s’il sait ou doit raisonnablement soupçonner qu’il s’agit d’une telle information, une peine d’emprisonnement d’au maximum quinze ans ou d’une amende de cinquième catégorie. (...) Les actes accomplis pour préparer l’infraction telle que définie aux alinéas précédents sont punissables d’un emprisonnement d’au maximum six ans ou d’une amende de cinquième catégorie." Article 98c "1. Encourt une peine d’emprisonnement d’au maximum six ans ou d’une amende de cinquième catégorie: 1o celui qui, sans y avoir été autorisé, prend ou garde en sa possession toute information visée à l’article 98; (...)" C. Le code de procédure pénale Les principales dispositions du code de procédure pénale mentionnées en l’espèce sont les suivantes: Article 94 "Sont susceptibles d’être saisis tous les objets qui peuvent servir à l’établissement de la vérité ou dont la confiscation ou le retrait de la circulation peuvent être ordonnés." Article 104 par. 1 "Au cours de l’enquête judiciaire préparatoire, le juge d’instruction est habilité à saisir tous les objets susceptibles de confiscation." Article 552a par. 1 "Par requête, les intéressés peuvent se plaindre de la saisie, de l’usage fait des objets confisqués, du retard de l’ordre de restitution [desdits objets] (...)" PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION Vereniging Weekblad Bluf! a saisi la Commission le 4 mai 1988. Invoquant l’article 10 (art. 10) de la Convention, elle se plaignait de la saisie et du retrait ultérieur de la circulation du numéro 267 de son périodique Bluf!. De surcroît, elle dénonçait une violation des articles 6 paras. 1, 2 et 3 a) (art. 6-1, art. 6-2, art. 6-3-a) de la Convention et 1 du Protocole no 1 (P1-1) en ce que, suite à la clôture de l’instruction judiciaire, elle n’avait pas eu l’occasion de se défendre contre l’accusation à la base des deux mesures précitées et aurait été privée de sa propriété sans une procédure adéquate. Le 29 mars 1993, la Commission a retenu la requête (no 16616/90) quant au premier grief et l’a déclarée irrecevable pour le surplus. Dans son rapport du 9 septembre 1993 (article 31) (art. 31), elle conclut, par seize voix contre deux, à une infraction à l’article 10 (art. 10). Le texte intégral de son avis et de l’opinion dissidente dont il s’accompagne figure en annexe au présent arrêt. CONCLUSIONS PRESENTEES A LA COUR PAR LE GOUVERNEMENT Dans son mémoire, le Gouvernement estime "que les exigences de l’article 10 par. 2 (art. 10-2) de la Convention ont été remplies en l’espèce, de sorte qu’il n’est pas question d’infraction à l’article 10 (art. 10) de la Convention".
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I. LES CIRCONSTANCES DE L'ESPÈCE Citoyen autrichien, M. Gradinger réside à St Pölten (Basse-Autriche). Le 1er janvier 1987, vers 4 heures du matin, il provoqua au volant de sa voiture un accident de la route qui entraîna la mort d'un cycliste. A l'hôpital où il fut conduit pour y être soigné, il subit une prise de sang qui révéla un taux d'alcoolémie de 0,8 g/l au moment du prélèvement. Le 15 mai 1987, le tribunal régional (Landesgericht) de St Pölten le condamna pour homicide par imprudence (fahrlässige Tötung) à 200 unités journalières à 160 schillings autrichiens (ATS) et, subsidiairement, à 100 jours d'emprisonnement (article 80 du code pénal, Strafgesetzbuch, paragraphe 13 ci-dessous). D'après le requérant, un expert, le Dr Psick, a déclaré à l'audience qu'eu égard au court laps de temps entre le dernier verre consommé par l'intéressé et la collision, ce dernier n'avait pu absorber une quantité d'alcool dépassant le maximum autorisé par la loi. Le procès-verbal d'audience et de jugement (Protokolls- und Urteilsvermerk) du tribunal mentionne que d'après celui-ci, l'intéressé avait certes bu avant l'accident, mais pas au point d'entraîner l'application de l'article 81 par. 2 du code pénal, lequel prévoit une peine aggravée pour l'homicide par imprudence commis sous l'effet de l'alcool (paragraphe 14 ci-dessous). Le 16 juillet 1987, l'administration du district (Bezirkshauptmannschaft) de St Pölten prit une "décision pénale" (Straferkenntnis) condamnant M. Gradinger, pour conduite en état d'ébriété, à une amende de 12 000 ATS et, subsidiairement, à une peine de deux semaines d'emprisonnement. Elle se fondait sur les articles 5 par. 1 et 99 par. 1 a) du code de la route de 1960 (Straßenverkehrsordnung, paragraphes 15-16 ci-dessous) et sur un autre rapport médical, du 5 février 1987, d'après lequel, compte tenu de la période séparant la collision de la prise de sang, le taux d'alcoolémie de l'intéressé au moment de l'accident devait avoir atteint 0,95 g/l au minimum. Le requérant en appela au gouvernement du Land (Amt der Landesregierung) de Basse-Autriche, qui le débouta le 27 juillet 1988, en s'appuyant sur une nouvelle expertise, du 16 juin 1988, qui avait conclu à un taux de 0,9 g/l. Le 11 octobre 1988, la Cour constitutionnelle (Verfassungsgerichtshof) décida de ne pas retenir pour examen le recours de l'intéressé, considérant qu'il ne présentait pas suffisamment de chances de succès. Saisie à son tour, la Cour administrative rejeta le recours pour manque de fondement le 29 mars 1989. L'administration du Land n'aurait nullement méconnu la loi en estimant qu'au moment des faits, M. Gradinger se trouvait en état d'ébriété au sens de l'article 5 par. 1 du code de la route. Cette constatation reposerait en effet sur une expertise du 16 juin 1988, laquelle partait du principe que la quantité d'alcool consommée par le requérant était résorbée au moment de l'accident, ce que du reste l'intéressé n'aurait pas contesté. Celui-ci prétendrait donc à tort que l'expertise n'aurait pas analysé les effets du dernier verre pris avant son accident. En outre, l'administration aurait agi conformément à la loi en chargeant un expert officiel (Amtssachverständiger) et non un expert judiciaire assermenté (gerichtlich beeideter Sachverständiger) de lui faire rapport sur le taux d'alcoolémie de M. Gradinger; en l'espèce, aucune raison particulière ne l'autorisait à procéder autrement. Contrairement aux affirmations du requérant, elle n'aurait pas non plus pris le même expert que celui sollicité en première instance par l'administration du district (paragraphe 9 ci-dessus). Quant à l'article 14 par. 7 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, consacrant le principe non bis in idem, il ne serait pas directement applicable dans l'ordre juridique interne autrichien. Aussi l'administration n'aurait-elle pas méconnu la loi en sanctionnant le requérant après qu'une juridiction pénale l'eut acquitté (paragraphe 8 ci-dessus). II. LE DROIT INTERNE PERTINENT A. Le droit matériel Le code pénal Aux termes de l'article 80 du code pénal (Strafgesetzbuch): "Sera puni d'une peine d'un an d'emprisonnement au plus, quiconque aura provoqué par imprudence la mort d'autrui." L'article 81 par. 2 du code pénal se lit ainsi: "Sera puni d'une peine de trois ans d'emprisonnement au plus, quiconque aura par imprudence provoqué la mort d'autrui (...) après s'être mis, même involontairement, par la consommation d'alcool (...), dans un état d'ivresse n'excluant pas la responsabilité, bien qu'il eût prévu ou pu prévoir qu'il entreprendrait une activité dont l'exercice dans cet état pourrait créer (...) un danger pour la vie (...) d'autrui." En vertu d'une présomption irréfragable appliquée par les juridictions pénales, un conducteur ayant un taux d'alcoolémie égal ou supérieur à 0,8 g/l se trouve en "état d'ivresse" au sens de l'article 81 par. 2 du code pénal (Foregger/Serini, Kurzkommentar zum Strafgesetzbuch, 4e édition, 1988, p. 217). Le code de la route L'article 5 du code de la route de 1960 interdit la conduite d'un véhicule à toute personne ayant un taux d'alcoolémie égal ou supérieur à 0,8 g/l dans le sang ou à 0,4 mg/l dans l'haleine; il définit en outre les conditions d'utilisation des alcootests et des tests sanguins. Depuis le 1er mai 1986, l'article 99 par. 1 a) dudit code dispose: "Commet une contravention administrative (Verwaltungsübertretung) passible d'une amende de 8 000 à 50 000 schillings ou, à défaut de paiement, d'un emprisonnement de une à six semaines, quiconque: a) conduit un véhicule (...) alors qu'il se trouve sous l'empire de l'alcool (...)" En 1958, à l'époque de la ratification de la Convention par le gouvernement autrichien (paragraphe 28 ci-dessous), l'article 7 de la loi de 1947 sur la police de la circulation (Straßenpolizeigesetz) prévoyait que "toute personne a l'obligation de conduire en prêtant une attention raisonnable aux autres usagers de la route et en faisant preuve du soin et de l'application nécessaires au maintien de l'ordre, de la sécurité et de la bonne circulation routière". B. Le droit procédural L'article 90 par. 1 de la Constitution fédérale (Bundes-Verfassungsgesetz) est ainsi libellé: "En matière civile et pénale, les débats devant la juridiction du fond sont oraux et publics. Les exceptions sont prévues par la loi." Le recours devant la Cour constitutionnelle Aux termes de l'article 144 par. 1 de la Constitution fédérale, la Cour constitutionnelle recherche, sur requête (Beschwerde), si un acte administratif (Bescheid) a porté atteinte à un droit garanti par la Constitution, ou a appliqué un règlement (Verordnung) contraire à la loi, une loi contraire à la Constitution ou un traité international incompatible avec le droit autrichien. Le paragraphe 2 de l'article 144 prévoit: "Jusqu'à l'audience, la Cour constitutionnelle peut, au moyen d'une décision (Beschluß), refuser l'examen d'un recours s'il ne présente pas suffisamment de chances de succès ou si l'on ne peut attendre de l'arrêt qu'il résolve une question de droit constitutionnel. La Cour ne peut refuser l'examen d'une affaire que l'article 133 soustrait à la compétence de la Cour administrative." Le recours devant la Cour administrative Selon l'article 130 par. 1 de la Constitution fédérale, la Cour administrative connaît notamment des requêtes qui allèguent l'illégalité d'un acte administratif. Aux termes de l'article 35 par. 1 de la loi sur la Cour administrative (Verwaltungsgerichtshofsgesetz): "Les requêtes dont le contenu révèle l'inexistence de la violation alléguée par leur auteur sont à rejeter, à huis clos, sans autre forme de procédure." L'article 39 par. 1 dispose notamment qu'au terme de la procédure préliminaire (Vorverfahren), la Cour administrative doit tenir une audience lorsque le plaignant en fait la demande. Le paragraphe 2 est ainsi libellé: "Nonobstant la demande introduite par une partie conformément au paragraphe 1, la Cour administrative peut décider de ne pas tenir d'audience lorsque: la procédure doit être suspendue (article 33) ou le recours rejeté (article 34); la décision attaquée doit être annulée pour illégalité en raison de l'incompétence de l'autorité défenderesse (article 42 par. 2, alinéa 2); la décision attaquée doit être annulée pour illégalité en raison de l'inobservation de règles de procédure (article 42 par. 2, alinéa 3); selon la jurisprudence constante de la Cour administrative, la décision attaquée doit être annulée en raison de l'illégalité de son contenu; ni l'autorité défenderesse ni d'autres comparants n'ont présenté de mémoire en réponse et que la décision attaquée doit être annulée; il ressort des mémoires des parties à la procédure devant la Cour administrative ainsi que des pièces soumises à celle-ci et relatives à la procédure administrative antérieure qu'une audience n'est pas susceptible de contribuer à clarifier davantage l'affaire." Du paragraphe 2 de l'article 39, les points 1 à 3 étaient en vigueur en 1958; les points 4 et 5 ont été ajoutés en 1964 et le point 6 en 1982. L'article 41 par. 1 de la loi sur la Cour administrative dispose: "Dans la mesure où elle ne relève aucune illégalité résultant de l'incompétence de l'autorité défenderesse ou de violations de règles de procédure (article 42 par. 2, alinéas 2 et 3) (...), la Cour administrative examine la décision attaquée en se fondant sur les faits constatés par ladite autorité et sous l'angle des griefs soulevés (...). Si elle estime que des motifs, non encore révélés à l'une des parties, peuvent être déterminants pour statuer [sur l'un de ces griefs] (...), elle entend les parties à ce sujet et, au besoin, suspend la procédure." L'article 42 par. 1 de la même loi prévoit que, sauf disposition contraire, la Cour administrative soit rejette la demande pour manque de fondement, soit annule la décision attaquée. Aux termes du paragraphe 2 du même article: "La Cour administrative annule la décision attaquée, si celle-ci est illégale par son contenu, [ou] en raison de l'incompétence de l'autorité défenderesse, [ou] à cause d'un vice de procédure résultant: a) de ce que l'autorité défenderesse a tenu pour établis des faits qui, sur un point essentiel, se trouvent démentis par le dossier, ou b) de ce qu'il échet de les compléter sur un tel point, ou c) de ce que l'autorité défenderesse a méconnu des règles de procédure dont le respect aurait pu l'amener à prendre une décision différente." Si la Cour administrative annule la décision incriminée, "l'administration est tenue (...) en utilisant les moyens légaux à sa disposition, d'assurer sans délai, dans le cas d'espèce, la situation juridique correspondant à l'opinion (Rechtsanschauung) exprimée par la Cour administrative" (article 63 par. 1). Dans un arrêt du 14 octobre 1987 (G 181/86), la Cour constitutionnelle a considéré: "De ce qu'il s'est avéré nécessaire d'étendre la réserve à l'article 5 (art. 5) de la Convention aux garanties procédurales de l'article 6 (art. 6) de celle-ci, en raison du lien entre ces deux dispositions (art. 5, art. 6), il suit qu'à l'inverse le contrôle réduit (die (bloß) nachprüfende Kontrolle) exercé par la Cour administrative ou la Cour constitutionnelle ne suffit pas pour les sanctions pénales au sens de la Convention non couvertes par la réserve." Les "chambres administratives indépendantes" L'article 129 de la Constitution fédérale a institué dans les Länder, avec effet au 1er janvier 1991, des juridictions administratives appelées "chambres administratives indépendantes" (Unabhängige Verwaltungssenate). Elles connaissent notamment, en fait comme en droit, des contraventions administratives (Verwaltungsübertretungen). III. LES RÉSERVES DE L'AUTRICHE L'instrument de ratification de la Convention, déposé par le gouvernement autrichien le 3 septembre 1958, contient notamment une réserve ainsi libellée: "Les dispositions de l'article 5 (art. 5) de la Convention seront appliquées sans préjudice des dispositions des lois de procédure administrative, BGBl. [Journal officiel fédéral] n° 172/1950, concernant les mesures de privation de liberté qui resteront soumises au contrôle postérieur de la Cour administrative ou de la Cour constitutionnelle, prévu par la Constitution fédérale autrichienne." L'instrument de ratification du Protocole n° 7 (P7), déposé par le gouvernement autrichien le 14 mai 1986, contient notamment la déclaration suivante: "[l]es articles 3 et 4 (P7-3, P7-4) se réfèrent uniquement aux procédures pénales dans le sens du Code pénal autrichien." PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION M. Gradinger a saisi la Commission le 22 mai 1989. Invoquant l'article 6 (art. 6) de la Convention, il se plaignait d'avoir été condamné, au mépris du principe non bis in idem, par une autorité administrative qui, de surcroît, ne pouvait pas passer pour un "tribunal indépendant et impartial" et avait fait appel à ses propres experts. A l'audience, il a en outre dénoncé une atteinte à la présomption d'innocence, contraire à l'article 6 par. 2 (art. 6-2). Le 10 mai 1993, la Commission a rejeté, pour dépassement du délai de six mois (articles 26 et 27 par. 3 combinés de la Convention) (art. 26+27-3), le grief relatif à l'article 6 par. 2 (art. 6-2) et retenu la requête (n° 15963/90) pour le surplus. Dans son rapport du 19 mai 1994 (article 31) (art. 31), elle conclut, à l'unanimité, à la violation des articles 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention (droit à un tribunal indépendant et impartial) et 4 du Protocole n° 7 (P7-4); elle estime en outre qu'aucune question distincte ne se pose sur le terrain de l'article 6 par. 1 (art. 6-1) quant au défaut d'audience devant la Cour administrative (unanimité). Le texte intégral de son avis et de l'opinion concordante dont il s'accompagne figure en annexe au présent arrêt . CONCLUSIONS PRESENTEES A LA COUR PAR LE GOUVERNEMENT Dans son mémoire, le Gouvernement invite la Cour "1. à constater que l'article 6 (art. 6) n'est pas applicable en l'espèce; subsidiairement, à constater que la procédure pénale administrative à l'origine de la présente requête n'a pas violé l'article 6 (art. 6); à déclarer la requête irrecevable ratione temporis, en vertu de l'article 27 par. 2 (art. 27-2), quant aux griefs soulevés sur le terrain de l'article 4 du Protocole n° 7 (P7-4); ou subsidiairement, à constater que la procédure pénale administrative à l'origine de la requête n'a pas méconnu l'article 4 du Protocole n° 7 (P7-4)".
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I. Les circonstances de l'espèce A. La genèse de l'affaire Par une décision du 18 juin 1986, le ministre de l'Environnement, de l'Aménagement du territoire et des Travaux publics ordonna que la loi n° 653/1977 "relative aux obligations de propriétaires riverains en matière de percée de routes nationales" soit appliquée à un projet d'aménagement de certains tronçons de la route nationale reliant Thessalonique à Nea Moudania, en Chalcidique. La loi n° 653/1977 présume que les propriétaires d'immeubles sis au bord d'une route nationale tirent profit lorsqu'il y a élargissement de cette route, et prévoit que dès lors ils participent obligatoirement aux frais d'expropriation, s'ils sont expropriés (paragraphe 23 ci-dessous). Le 20 août 1986, l'Etat procéda, par une décision conjointe du ministre des Finances et de celui des Travaux publics et en vertu de la loi n° 653/1977, à l'expropriation d'une partie de chacun des immeubles des requérants - d'un total de 392 370 m2 -, pour cause d'utilité publique, en particulier aux fins de la construction de nouveaux tronçons de la route nationale reliant Thessalonique à Nea Moudania. Plus précisément, ces propriétés furent utilisées pour la percée de la route Nea Kallikrateia-Nea Moudania, ainsi que pour celle d'une desserte agricole d'une largeur d'environ cinq mètres. La décision précisait que l'expropriation se ferait au profit de l'Etat et aux frais de celui-ci ainsi que des propriétaires riverains qui en tireraient profit dans les conditions prévues par la loi. B. Les recours en annulation devant le Conseil d'Etat Le 27 novembre 1987, les intéressés saisirent le Conseil d'Etat d'une requête en annulation de la décision du 20 août 1986 (paragraphe 8 ci-dessus). Ils soutenaient, entre autres, que la loi n° 653/1977 ne s'appliquait pas en l'espèce, car l'élargissement projeté de la route - laquelle n'avait pas du reste été qualifiée de "nationale" par le décret présidentiel des 9/20 août 1955 - serait préjudiciable à leurs propriétés. De plus, le plan cadastral mentionnait seulement la surface à exproprier et non celle des terrains entiers ou de la partie non expropriée de ceux-ci de manière à pouvoir déterminer leur dépréciation. Le 10 janvier 1991, les requérants saisirent le Conseil d'Etat d'une requête en annulation de la décision ministérielle du 18 juin 1986 (paragraphe 7 ci-dessus). Ils prétendaient que le ministre compétent avait à tort qualifié de "nationale" la route reliant Thessalonique à Nea Moudania - qui n'était en fait qu'une route départementale - et que, par conséquent, la loi n° 653/1977 ne devait pas s'appliquer en l'occurrence. Plus précisément, ils soulignaient que les routes nationales sont déterminées, en vertu des dispositions de la loi n° 3155/1955, par un décret unique et non par une décision ministérielle; or ni le décret des 9/20 août 1955 ni des textes postérieurs ne qualifiaient cette route de nationale. Par deux arrêts (n° 492/1992 et 493/1992) du 11 février 1992, le Conseil d'Etat rejeta les deux requêtes. A l'égard de certains requérants, il les déclara irrecevables car ceux-ci n'avaient pas produit un mandat relatif au pouvoir de représentation devant cette juridiction ou n'avaient pas prouvé leur qualité pour agir. A l'égard des autres, il les tint pour non fondées au motif notamment que la route reliant Thessalonique à Nea Moudania avait été qualifiée de "nationale" par une décision du ministre des Travaux publics du 31 août 1982; or cette décision constituait un acte individuel dont la légalité ne pouvait pas être contrôlée incidemment. Quant au grief selon lequel la décision du 20 août 1986, en considérant les requérants comme des "riverains bénéficiaires", violait les articles 17 et 93 par. 4 de la Constitution, le Conseil d'Etat le rejeta comme irrecevable: ledit grief se rapportait à la détermination de l'indemnité, ce qui relève de la compétence des juridictions civiles, et non à la légalité de la décision attaquée. C. La détermination du montant unitaire de l'indemnité par les juridictions civiles Saisi par l'Etat et certains des requérants en vertu du décret-loi n° 797/1971 relatif aux expropriations (paragraphe 17 ci-dessous), le tribunal de première instance de Thessalonique fixa, le 24 mai 1988, le montant unitaire provisoire de l'indemnité. Il releva que les propriétés des intéressés constituaient des terrains agricoles non inclus dans le plan d'aménagement foncier, cultivables et certains d'entre eux irrigués; situés à une distance jusqu'à 1 300 mètres de la côte, ils étaient aussi constructibles. Certains des propriétaires les avaient illégalement divisés en petites parcelles qu'ils avaient vendues à des tiers, lesquels y avaient construit sans permis des habitations. Le 4 janvier 1991, la cour d'appel de Thessalonique fixa, à la demande de certains requérants, le montant unitaire définitif de l'indemnité (arrêt n° 15/1991). Elle déclara qu'elle ne pouvait pas examiner l'existence et l'ampleur de l'obligation des propriétaires riverains de contribuer aux frais de l'expropriation ni l'éventuel profit qu'ils en tireraient dans le cas concret. Elle rejeta l'allégation des requérants selon laquelle la loi n° 653/1977 était inconstitutionnelle et tous les actes de l'administration les "obligeant à se considérer suffisamment compensés parce que profitant de la route nationale" étaient nuls. Elle précisa que la valeur des parcelles non expropriées avait baissé lorsque la superficie des terrains litigieux ne dépassait pas 750 m2; pour ces parcelles une indemnité spéciale était accordée en vertu de l'article 13 par. 4 du décret-loi n° 797/1971. En revanche, les terrains de plus de 750 m2 n'avaient subi aucune dépréciation - car ni les intéressés ni les experts n'avaient prouvé qu'ils étaient devenus non constructibles - et donc aucune indemnité spéciale n'était due pour ces terrains. D. La procédure de reconnaissance des titulaires du droit à indemnisation Le 18 octobre 1990, l'Etat invita le tribunal de première instance de Thessalonique à déterminer les titulaires du droit à l'indemnité fixée en janvier 1991 (paragraphe 13 ci-dessus). Le 5 mars 1991, le tribunal reconnut cette qualité à certains des requérants (jugement n° 18/1991); il ordonna que ceux-ci devaient recevoir l'indemnité (placée à la Caisse des dépôts et consignations) qui correspondait à leur part sur les terrains, ainsi qu'en fonction de la nature de leur titre de propriété. Toutefois, à cause de l'application de la présomption irréfragable posée par la loi n° 653/1977, l'Etat n'indemnisa pas les requérants pour la zone des quinze mètres de largeur visée par ladite loi. Ces derniers n'exercèrent pas non plus une action en recouvrement de l'indemnité devant les juridictions civiles. II. Le droit interne pertinent A. La Constitution Les articles pertinents de la Constitution de 1975 se lisent ainsi: Article 17 "1. La propriété est placée sous la protection de l'Etat. Les droits qui en dérivent ne peuvent toutefois s'exercer au détriment de l'intérêt général. Nul ne peut être privé de sa propriété, si ce n'est pour cause d'utilité publique, dûment prouvée, dans les cas et suivant la procédure déterminés par la loi et toujours moyennant une indemnité préalable complète. Celle-ci doit correspondre à la valeur que possède la propriété expropriée le jour de l'audience sur l'affaire concernant la fixation provisoire de l'indemnité par le tribunal. Dans le cas d'une demande visant à la fixation immédiate de l'indemnité définitive, est prise en considération la valeur que la propriété expropriée possède au jour de l'audience du tribunal sur cette demande. (...)" Article 93 par. 4 "Les tribunaux sont tenus de ne pas appliquer une loi dont le contenu est contraire à la Constitution." B. Le décret-loi n° 797/1971 relatif aux expropriations Le décret-loi n° 797/1971 des 30 décembre 1970/1er janvier 1971 constitue la législation fondamentale qui régit les expropriations, en application des principes énoncés dans les dispositions constitutionnelles. Le chapitre A du décret-loi fixe la procédure et les conditions préalables à l'annonce d'une expropriation. Selon l'article 1 par. 1 a), si elle est autorisée par la loi dans l'intérêt public, l'expropriation de propriétés urbaines ou rurales ou la revendication de droits réels sur celles-ci est annoncée par une décision conjointe du ministre compétent dans le domaine visé par l'expropriation et du ministre des Finances. L'article 2 par. 1 fixe les conditions préalables à une décision annonçant une expropriation; en particulier: a) un plan cadastral indiquant la zone à exproprier, et b) la liste des propriétaires des biens-fonds, la superficie de ceux-ci, leur délimitation et les principales caractéristiques des bâtiments qui y sont édifiés. Le chapitre B du décret-loi précise les modalités de mise en oeuvre de l'expropriation. La personne concernée doit percevoir une indemnité, selon des conditions précisément énoncées. L'acquisition de la propriété par la partie en faveur de laquelle l'expropriation a été décidée (articles 7 par. 1 et 8 par. 1) commence au jour du paiement ou à la date de publication au Journal officiel du dépôt de l'indemnité auprès de la Caisse des dépôts et consignations (dans l'hypothèse où l'on n'a pas terminé d'identifier les bénéficiaires, où la propriété est grevée d'hypothèques, ou bien en cas de litige quant à l'identité du véritable bénéficiaire). Si l'expropriation n'est pas opérée selon les conditions qui précèdent, dans le délai d'un an et demi à compter du jugement fixant l'indemnité, elle se trouve levée d'office (article 11 par. 1). Le chapitre D détermine dans le détail la procédure devant permettre de fixer l'indemnité. Aux termes de l'article 14, les parties au procès sont: a) la partie tenue de verser l'indemnité; b) la partie en faveur de laquelle l'expropriation est décidée; c) la partie qui revendique la propriété du bien exproprié ou d'autres droits réels sur celle-ci. L'article 17 par. 1 confie aux tribunaux le soin de fixer l'indemnité. Il dispose expressément que ceux-ci fixent uniquement le montant unitaire de l'indemnité, sans préciser le/les bénéficiaires de celle-ci ou la partie tenue de la verser. D'après l'article 13 par. 1, l'indemnité se calcule par rapport à la valeur réelle de la propriété expropriée au moment de la publication de la décision annonçant l'expropriation. Aux termes du paragraphe 4 du même article, "En cas d'expropriation d'une partie d'un immeuble et lorsque la partie restant au propriétaire subit une dépréciation substantielle de sa valeur ou se rend inutilisable, le jugement qui fixe l'indemnité détermine aussi l'indemnité spéciale pour cette partie. Cette indemnité spéciale est versée au propriétaire avec celle pour la partie expropriée." La procédure de fixation de l'indemnité peut comporter deux phases: D'abord, la phase de la fixation provisoire: le tribunal compétent est le juge unique du tribunal de grande instance dans le ressort duquel se trouve le bien exproprié et qui connaît de l'affaire une fois saisi d'une requête déposée par une partie intéressée (article 18). Ensuite, la phase de la fixation définitive: elle relève de la cour d'appel dans le ressort de laquelle la propriété expropriée est située, sur requête introduite par les parties intéressées dans le délai de trente jours à compter de la notification de la décision de fixation provisoire ou dans le délai de six mois à compter de sa publication, si elle n'est pas notifiée (article 19 paras. 1 et 2). Conformément au paragraphe 6 du même article, ladite requête bénéficiera uniquement à la personne qui l'a déposée, en vue d'une augmentation ou d'une diminution du montant provisoirement fixé. Celui-ci devient définitif pour les personnes qui n'ont pas déposé rapidement une requête. Par ailleurs, une requête peut être déposée directement devant la cour d'appel aux fins d'une décision définitive; celle-ci est insusceptible de recours (article 20). Le chapitre E du même décret-loi prévoit une procédure particulière pour l'identification judiciaire des bénéficiaires de l'indemnité. Le tribunal compétent pour cette identification est le juge unique du tribunal de grande instance dans le ressort duquel le bien exproprié est situé (article 26). D'après l'article 27 par. 1, le tribunal procède à l'identification à partir des informations figurant sur le plan cadastral et la liste des propriétaires fonciers établis par un ingénieur compétent, dûment agréé par les services du ministère des Travaux publics, ainsi que de tout autre renseignement fourni par les parties ou examiné d'office. La décision prononcée au terme de cette procédure spéciale ne se prête à aucun recours (article 27 par. 6). En vertu du paragraphe 4 de l'article 27, le tribunal ne rend pas de décision si: a) l'audience ou une déclaration de l'Etat établit que quelqu'un peut prétendre à la pleine propriété du bien exproprié ou à un autre droit réel; b) la propriété ou un autre droit réel prêtent à controverse entre plusieurs des bénéficiaires allégués, de sorte qu'il y a lieu de procéder à une enquête sur les prétentions élevées, laquelle doit comprendre une audience pour chaque partie intéressée ayant engagé une action; c) l'audience établit qu'aucun droit réel n'est avéré en faveur de la partie qui cherche à se voir reconnaître comme bénéficiaire de l'indemnité. Selon le paragraphe 2 de l'article 8 du décret-loi n° 797/1971, une décision définitive sur la reconnaissance d'une personne donnée comme bénéficiaire est nécessaire pour que la Caisse des dépôts et consignations verse la somme déposée à titre d'indemnité après que celle-ci a été fixée en justice. C. La loi n° 653/1977 relative aux obligations de propriétaires riverains en matière de percée de routes nationales Les dispositions pertinentes de l'article 1 de la loi n° 653/1977 des 25 juillet/5 août 1977 sont ainsi libellées: "1. En cas de percée, en dehors du plan d'urbanisme, de routes nationales d'une largeur jusqu'à trente mètres, les propriétaires riverains qui en tirent profit sont astreints à payer pour une zone d'une largeur de quinze mètres, participant ainsi aux frais d'expropriation des immeubles sis sur ces routes. Cette charge ne peut pas toutefois dépasser la moitié de la surface de l'immeuble concerné. (...) Aux fins de l'application du présent article, sont considérés comme propriétaires riverains avantagés ceux dont les immeubles acquièrent une façade sur les routes percées. Lorsque les ayants droit à indemnité en raison d'une expropriation sont en même temps débiteurs du paiement d'une partie de celle-ci, il y a compensation des droits et obligations. La manière et la procédure de répartition de l'indemnité entre l'Etat et les propriétaires riverains sont déterminées par décrets publiés sur la proposition du ministre des Travaux publics. (...)" D. La loi n° 947/1979 relative aux zones constructibles L'article 62 de la loi n° 947/1979 des 10/26 juillet 1979 dispose: "(...) Les dispositions de l'article 1 de la loi n° 653/1977 (...) s'appliquent aussi en cas d'amélioration de routes existantes au moyen de nouveaux tracés ou d'élargissement de ces routes ou des parties de celles-ci, définies par décision du ministre des Travaux publics (...) Les dispositions de l'article 1 de la loi n° 653/1977 (...) s'appliquent aussi aux routes départementales, municipales ou communales pour une largeur jusqu'à quinze mètres (...)" E. La jurisprudence de la Cour de cassation Par un arrêt (n° 672/1989) du 13 juin 1989 (Savvas Katikaridis et autres c. ministre de l'Economie), la troisième chambre de la Cour de cassation a jugé: " (...) Les dispositions de l'article 1 de la loi n° 653/1977 s'appliquent non seulement en cas de percée ou d'élargissement d'une route qui se trouve hors du plan d'urbanisme, mais aussi pour la construction d'un échangeur et des voies de raccordement liant les immeubles expropriés à la route nationale. L'article 1 par. 3 de la loi n° 653/1977 consacre une présomption légale irréfragable selon laquelle le propriétaire dont l'immeuble acquiert une façade sur la route percée ou sur la voie de raccordement de l'échangeur en tire profit. L'institution d'une telle présomption est en principe tolérée par la Constitution, lorsque la cause de la présomption est raisonnable et fondée sur l'expérience commune. La présomption en l'espèce impose une obligation de participation aux frais de l'ouvrage, qui sont engagés par l'Etat, sous la forme de "l'auto-indemnisation" des propriétaires riverains. Cette obligation pèse sur les propriétaires d'immeubles de chaque côté, c'est-à-dire sur ceux dont les immeubles acquièrent une façade sur la route percée ou sur l'échangeur; ces propriétaires sont considérés comme en tirant profit et sont obligés [de participer aux frais de construction] d'une zone d'une largeur égale à la moitié de la route percée, lorsque celle-ci ne dépasse pas la moitié de la surface de l'immeuble concerné. La prémisse de cette obligation est que la percée de la route nationale ou la construction de l'échangeur modifie de fond en comble la physionomie économique de la région et multiplie la valeur des immeubles qui se trouvent des deux côtés de l'ouvrage, de sorte que cela provoque un enrichissement sans cause de leurs propriétaires; or si cet enrichissement n'était pas compensé par leur préjudice dû à l'occupation d'une partie de leur immeuble, cela causerait une grande difficulté, sinon l'impossibilité, pour l'Etat d'acquérir les terrains indispensables à l'exécution des programmes de voirie (...). Assurément, il n'est pas exclu que, dans certains cas, le même propriétaire, alors qu'il tire profit de la mise en valeur de l'ensemble de la région, soit en même temps lésé: la forme ou la taille de son immeuble peut être modifiée au point d'en rendre impossible ou d'en diminuer l'utilisation; de même, cette utilisation (jusqu'à la construction de l'ouvrage) ou la réalisation de plans de mise en valeur de son immeuble peuvent s'avérer impossibles ou difficiles. Toutefois, dans cette hypothèse, le propriétaire lésé peut être indemnisé en vertu de l'article 13 par. 4 du décret-loi n° 797/1971, qui s'applique aussi dans les cas visés par la loi n° 653/1977. Par conséquent, les dispositions de cette loi ne sont pas contraires aux articles 17 et 4 par. 1 de la Constitution car elles n'introduisent pas des exceptions injustifiées à l'encontre des propriétaires riverains. (...)" Toutefois, le 30 novembre 1990, la quatrième chambre de la Cour de cassation - à laquelle la troisième chambre avait renvoyé l'affaire - jugea (arrêt n° 1841/1990) que l'article 1 par. 3 de la loi n° 653/1977 (combiné avec l'article 62 paras. 9 et 10 de la loi n° 947/1979) ne s'appliquait pas en cas d'expropriation forcée pour la construction d'un échangeur (pont routier) en dehors du plan d'urbanisme; une telle construction ne profite pas aux riverains car elle vise exclusivement à assurer le flux rapide et sûr de véhicules; de plus, elle les prive de tout accès direct et immédiat à la route principale initiale sur laquelle donnait auparavant la façade de leurs immeubles. Elle estima, en outre, que la présomption instituée par cet article était réfragable, sans quoi ledit article serait contraire à la Constitution. Enfin, elle renvoya l'affaire devant la formation plénière de la Cour de cassation pour que celle-ci lève la contradiction entre les deux chambres (article 580 par. 4 du code de procédure civile). Le 6 juin 1991, la Cour de cassation, siégeant en formation plénière (trente-deux juges), trancha en faveur de la position de la troisième chambre en ces termes (arrêt n° 14/1991): " (...) Conformément à l'article 62 par. 9 de la loi n° 947/1979 "relative aux zones constructibles", les dispositions de l'article 1 de la loi n° 653/1977 s'appliquent aussi en cas d'amélioration de routes existantes au moyen de nouveaux tracés ou d'élargissement de ces routes ou des parties de celles-ci. La liste des cas d'améliorations (...) est indicative et non exhaustive. Il s'ensuit qu'au sens véritable de cette disposition, l'amélioration d'une route nationale comprend la construction d'un échangeur; or l'expropriation d'immeubles pour l'élargissement d'une telle route et la construction parallèlement à celle-ci de voies d'accès à l'échangeur sont régies par les [articles 1 paras. 1, 3, 4 et 5 et 2 par. 2 de la loi n° 653/1977]. Du reste, ainsi qu'il ressort des dispositions de l'article 1 paras. 1 et 3 de la loi n° 653/1977, la présomption [selon laquelle les propriétaires tirent avantage d'une telle amélioration] est irréfragable; la loi n'autorise pas une procédure qui tendrait à prouver que l'amélioration de la route ne procure pas d'avantages, et ainsi à renverser cette présomption. Enfin, la disposition légale qui énonce ladite présomption permet aussi d'identifier les personnes pouvant prétendre à une indemnité à raison de l'expropriation de leurs immeubles, et le droit à réparation des propriétaires desdits immeubles ne se trouve pas affecté. Il s'ensuit que la disposition de cette loi et la présomption irréfragable qu'elle institue ne méconnaissent pas l'article 17 par. 2 de la Constitution qui impose l'indemnisation complète du propriétaire de l'immeuble exproprié. (...)" Toutefois, une minorité de treize juges estima que la controverse aurait dû être vidée en faveur de la position de la quatrième chambre. Selon quatre d'entre eux, l'article 62 par. 9 de la loi n° 947/1977 ne s'appliquait pas pour les améliorations au moyen de la construction d'échangeurs et, par conséquent, les propriétaires riverains n'en tiraient aucun profit. Pour quatre autres, ladite présomption n'était pas irréfragable mais réfragable car, en matière d'échangeurs, la différence de niveau entrave l'accès à la route nationale, ce qui désavantage les immeubles riverains. Enfin, cinq juges considérèrent que la présomption irréfragable privait les propriétaires de leur droit de se faire rembourser à la juste valeur de leurs immeubles au temps de l'expropriation. PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION M. Tsomtsos et cent trente-huit autres personnes ainsi qu'une commune ont saisi la Commission le 3 août 1992. Ils alléguaient des violations des articles 6 par. 1 et 13 de la Convention (art. 6-1, art. 13) et de l'article 1 du Protocole n° 1 (P1-1). Le 2 décembre 1994, la Commission a rayé du rôle la requête (n° 20680/92) pour autant qu'elle concernait trente-huit des requérants et la commune de Nea Kallikrateia; elle a retenu ladite requête quant au grief tiré de l'article 1 du Protocole n° 1 (P1-1) et l'a déclarée irrecevable pour le surplus. Dans son rapport du 18 octobre 1995 (article 31) (art. 31), elle conclut à l'unanimité qu'il y a eu violation de l'article 1 du Protocole n° 1 (P1-1). Le texte intégral de son avis figure en annexe au présent arrêt (1). _______________ Note du greffier Pour des raisons d'ordre pratique il n'y figurera que dans l'édition imprimée (Recueil des arrêts et décisions 1996-V), mais chacun peut se le procurer auprès du greffe. _______________ CONCLUSIONS PRESENTEES A LA COUR PAR LES REQUERANTS Dans leur mémoire les requérants invitent la Cour "à accueillir [leur] recours individuel tel que celui-ci a été complété et amélioré par les mémoires et les prétentions [qu'ils y ont] ajoutés et, en particulier, [ils] demandent: I) que le gouvernement grec soit reconnu coupable d'avoir violé l'article 1 du Protocole n° 1 (P1-1) et soit condamné à [leur] verser une satisfaction équitable; II) que soit considérée comme satisfaction équitable la valeur de la bande de quinze mètres telle que celle-ci a été fixée par l'arrêt n° 15/1991 de la cour d'appel de Salonique, augmentée de l'intérêt moratoire légal (...), courant depuis le prononcé de l'arrêt de la cour d'appel (...) jusqu'au 25 juin 1996; IIa) à défaut et subsidiairement, s'agissant de [certains] des requérants, qu'il soit jugé que [leur] profit correspond à l'indemnité due pour une bande de terrain de trois mètres et que le gouvernement grec soit condamné selon ce qui est précisé (...), y compris les intérêts; III) que le gouvernement grec soit condamné, au titre des frais judiciaires encourus devant les tribunaux nationaux, à [leur] verser trois millions (3 000 000) de drachmes et, au titre des frais encourus devant la Commission et la Cour européennes, à [leur] verser quatre millions (4 000 000) de drachmes; IV) que le gouvernement grec soit tenu de [leur] verser ces montants dans un délai de six mois à compter du prononcé de l'arrêt de [la] Cour."
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPECE Français d’origine algérienne, M. Saïd André Remli est actuellement détenu à la maison d’arrêt des Baumettes à Marseille. A. Le contexte de l’affaire Le 16 avril 1985, lors d’une tentative d’évasion de la maison d’arrêt de Lyon-Montluc, le requérant et un codétenu de nationalité algérienne, M. Boumédienne Merdji, assommèrent un gardien qui décéda quatre mois plus tard des suites des coups reçus. Ils furent inculpés du chef d’homicide volontaire ayant pour objet de faciliter, préparer ou exécuter le délit d’évasion et de tentative d’évasion. Par un arrêt du 12 août 1988, la chambre d’accusation de la cour d’appel de Lyon les renvoya en jugement devant la cour d’assises du Rhône. Le 5 décembre 1988, la Cour de cassation rejeta le pourvoi formé par M. Remli contre l’arrêt de renvoi. B. La procédure devant la cour d’assises du Rhône Les débats devant la cour d’assises se déroulèrent les 12, 13 et 14 avril 1989. Le premier jour, à l’ouverture de la séance, les jurés composant le jury de jugement ainsi que deux jurés supplémentaires furent tirés au sort. Les accusés en récusèrent cinq, soit le maximum légal, et le ministère public deux. Le jury fut ensuite définitivement constitué et l’audition des témoins commença. Le 13 avril 1989, vers 13 h 50, à la reprise de la séance, les avocats du requérant déposèrent des conclusions tendant à ce qu’il leur soit donné acte de propos tenus le 12 avril, avant l’ouverture de l’audience, par l’un des jurés et entendus par une tierce personne, Mme M., et à ce que le témoignage écrit de cette dernière ainsi que lesdites conclusions soient joints au procès-verbal des débats. L’attestation de Mme M., datée du 13 avril, est ainsi rédigée: "Je soussignée, Mme [M.], atteste sur l’honneur avoir assistéaux faits suivants: Je me trouvais à la porte du tribunal vers 13 heures, à côtéd’un groupe de personnes. D’après leur conversation, j’ai puentendre par hasard qu’elles faisaient partie du jury tiré au sort pour l’affaire Merdji [et] Remli contre Pahon. L’une d’entre elles a ensuite laissé échapper les parolessuivantes: "En plus, je suis raciste." Je ne connais pas le nom de cette personne mais je peuxindiquer qu’elle se trouvait à gauche du juré situéimmédiatement à gauche du juge placé à la gauche du président. Ne pouvant me déplacer à l’audience pour confirmer les faitsen raison de l’hospitalisation récente de ma fille mais metenant à la disposition de la justice si mon audition s’avèreindispensable, j’ai établi la présente attestation pour serviret valoir ce que de droit." La cour, composée en l’occurrence des seuls président et assesseurs, se retira pour délibérer puis rendit l’arrêt suivant: "(...) Attendu que selon l’attestation manuscrite d’une dame [M.]datée du 13 avril 1989, l’un des jurés composant le jury de laprésente affaire a déclaré "en plus, je suis raciste" à laporte du tribunal vers 13 heures; Que selon cette attestation et les conclusions, ces proposont été tenus avant l’ouverture de la première audience de laprésente affaire et hors de la présence des magistratscomposant la cour; Qu’ainsi la cour n’est pas en mesure de donner acte de faitsqui se seraient passés hors de sa présence; Par ces motifs, Rejette les conclusions de donner acte dont elle est saisie; Dit que les conclusions des demandeurs et l’attestation dela dame [M.] seront joints au procès-verbal des débats; (...)" Le 14 avril 1989, la cour d’assises condamna M. Remli à la réclusion criminelle à perpétuité et M. Merdji à une peine de vingt ans de réclusion criminelle assortie d’une période de sûreté des deux tiers. C. La procédure devant la Cour de cassation M. Remli se pourvut en cassation. Il soutenait principalement que la cour d’assises avait commis une erreur de droit et méconnu l’article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention, en considérant qu’elle n’était "pas en mesure de donner acte de faits qui se seraient passés hors de sa présence" alors qu’elle en avait la compétence. Par un arrêt du 22 novembre 1989, la Cour de cassation rejeta le pourvoi. Elle retint notamment le motif suivant: "(...) c’est à bon droit que la cour a refusé de donner actede faits qui, à les supposer établis, se seraient produits endehors de l’audience, en sorte qu’elle n’aurait pas été enmesure de les constater;" II. LE DROIT INTERNE PERTINENT La procédure devant la cour d’assises est régie par les articles 231 à 380 du code de procédure pénale ("CPP"). Cette juridiction comprend la cour proprement dite - le président et, en principe, deux assesseurs - ainsi que le jury, composé de citoyens remplissant les conditions d’aptitude prévues par la loi. Elle connaît essentiellement des crimes que lui renvoie la chambre d’accusation et des délits ou des contraventions qui leur sont connexes ou sont indivisibles avec eux. Ses arrêts ne sont pas motivés et ne peuvent faire l’objet d’un appel mais seulement d’un pourvoi en cassation. A. Jury d’assises Formation du jury de jugement Pour chaque affaire inscrite au rôle de la cour d’assises, un jury de jugement est constitué à l’ouverture des débats. Il comprend neuf jurés, tirés au sort sur une liste de session. Cette dernière est formée de trente-cinq noms tirés au sort, chaque trimestre, sur une liste annuelle, elle-même composée d’un nombre de noms variable, tirés au sort sur des listes préparatoires, dressées dans chaque commune à la suite d’un premier tirage au sort effectué sur la liste électorale. Sont également tirés au sort un ou plusieurs jurés supplémentaires qui assistent aux débats et, le cas échéant, remplacent le ou les titulaires empêchés. Le jury de jugement est formé à l’instant même où sont sortis de l’urne neuf noms de jurés non récusés et les noms des jurés supplémentaires. Récusation Au moment du tirage au sort, à mesure que les noms des jurés sortent de l’urne, le ou les accusés ont la faculté d’en récuser jusqu’à cinq et le ministère public quatre. Ils ne peuvent exposer leurs motifs. Aux termes des articles 668 CPP: "Tout juge ou conseiller peut être récusé pour les causesci-après: 1o Si le juge ou son conjoint sont parents ou alliés de l’unedes parties ou de son conjoint jusqu’au degré de cousin issude germain inclusivement. La récusation peut être exercéecontre le juge, même au cas de divorce ou de décès de sonconjoint, s’il a été allié d’une des parties jusqu’au deuxièmedegré inclusivement; 2o Si le juge ou son conjoint, si les personnes dont il esttuteur, subrogé tuteur, curateur ou conseil judiciaire, si lessociétés ou associations à l’administration ou à lasurveillance desquelles il participe ont intérêt dans lacontestation; 3o Si le juge ou son conjoint est parent, allié, jusqu’au degréindiqué ci-dessus, du tuteur, subrogé tuteur, curateur ouconseil judiciaire d’une des parties ou d’un administrateur,directeur ou gérant d’une société, partie en cause; 4o Si le juge ou son conjoint se trouve dans une situation dedépendance vis-à-vis d’une des parties; 5o Si le juge a connu du procès comme magistrat, arbitre ouconseil, ou s’il a déposé comme témoin sur les faits du procès; 6o S’il y a eu procès entre le juge, son conjoint, leursparents ou alliés en ligne directe, et l’une des parties, sonconjoint ou ses parents ou alliés dans la même ligne; 7o Si le juge ou son conjoint ont un procès devant un tribunaloù l’une des parties est juge; 8o Si le juge ou son conjoint, leurs parents ou alliés en lignedirecte ont un différend sur pareille question que celledébattue entre les parties; 9o S’il y a eu entre le juge ou son conjoint et une des partiestoutes manifestations assez graves pour faire suspecter sonimpartialité." L’article 669 CPP précise: "L’inculpé, le prévenu, l’accusé et toute partie à l’instancequi veut récuser un juge d’instruction, un juge de police, un,plusieurs, ou l’ensemble des juges du tribunal correctionnel,des conseillers de la cour d’appel ou de la cour d’assisesdoit, à peine de nullité, présenter requête au premierprésident de la cour d’appel. Les magistrats du ministère public ne peuvent être récusés. La requête doit désigner nommément le ou les magistratsrécusés et contenir l’exposé des moyens invoqués avec toutesles justifications utiles à l’appui de la demande. La partie qui aura procédé volontairement devant une cour,un tribunal ou un juge d’instruction ne sera reçue à demanderla récusation qu’à raison des circonstances survenues depuis,lorsqu’elles seront de nature à constituer une cause de récusation." S’agissant de la cour d’assises, ces dispositions ne sont applicables qu’au président et aux assesseurs, et non aux jurés. Serment Le président adresse aux jurés, debout et découverts, le discours suivant: "Vous jurez et promettez d’examiner avec l’attention la plusscrupuleuse les charges qui seront portées contre X..., de netrahir ni les intérêts de l’accusé, ni ceux de la société quil’accuse; de ne communiquer avec personne jusqu’après votredéclaration; de n’écouter ni la haine ou la méchanceté, ni lacrainte ou l’affection; de vous décider d’après les charges etles moyens de défense, suivant votre conscience et votre intimeconviction, avec l’impartialité et la fermeté qui conviennentà un homme probe et libre, et de conserver le secret desdélibérations, même après la cessation de vos fonctions." Chacun des jurés, appelé individuellement par le président, répond en levant la main: "Je le jure." B. Incidents contentieux au cours des débats et donné-acte Lorsqu’un fait de nature à porter atteinte aux droits de l’une des parties intervient au cours des débats, celle-ci peut demander à la cour d’assises - composée en l’occurrence des seuls président et assesseurs - d’en "donner acte". C’est le seul moyen dont elle dispose pour le faire constater. La Cour de cassation ne peut statuer sur des griefs invoqués mais dont il n’a pas été demandé acte à la cour d’assises et qui ne sont pas constatés sur le procès-verbal des débats (Cour de cassation, chambre criminelle, 23 décembre 1899, Bulletin criminel (Bull. crim.) no 380; 24 juillet 1913, Bull. crim. no 365; 12 mai 1921, Bull. crim. no 211; 31 janvier 1946, Bull. crim. no 40; 5 mai 1955, Bull. crim. no 28; 21 novembre 1973, Bull. crim. no 427; 22 avril 1977, Dalloz-Sirey 1978, p. 28). La cour d’assises peut refuser de donner acte de faits qui se seraient passés en dehors de l’audience. Elle apprécie en outre souverainement s’il y a lieu d’ordonner une enquête pour vérifier leur exactitude (Cour de cassation, chambre criminelle, 16 mars 1901, Bull. crim. no 85; 16 janvier 1903, Bull. crim. no 23; 5 août 1909, Bull. crim. no 422; 29 février 1984, Albarracin; 8 juillet 1985, Garbidjian). Les arrêts incidents ainsi rendus ne peuvent être attaqués par la voie du recours en cassation qu’en même temps que l’arrêt sur le fond (article 316 CPP). C. Renvoi pour cause de suspicion légitime L’article 662 CPP dispose: "En matière criminelle, correctionnelle ou de police, lachambre criminelle de la Cour de cassation peut dessaisir toutejuridiction d’instruction ou de jugement et renvoyer laconnaissance de l’affaire à une autre juridiction du mêmeordre, soit si la juridiction normalement compétente ne peutêtre légalement composée, ou si le cours de la justice setrouve autrement interrompu, soit pour cause de suspicion légitime. La requête aux fins de renvoi peut être présentée soit parle procureur général près la Cour de cassation, soit par leministère public établi près la juridiction saisie, soit parl’inculpé, soit par la partie civile. (...) La présentation de la requête n’a point d’effet suspensif àmoins qu’il n’en soit autrement ordonné par la Cour decassation. (...)" La chambre criminelle apprécie souverainement si les faits allégués constituent ou non une telle cause (Cour de cassation, chambre criminelle, 26 novembre 1931, Bull. crim. no 272; 9 mai 1932, Bull. crim. no 126; 22 mars 1933, Bull. crim. no 61; 17 novembre 1964, Bull. crim. no 301). Elle exige que le requérant établisse l’existence de circonstances suffisamment graves pour que puisse être sérieusement suspectée l’impartialité de la juridiction en cause. Cette procédure ne peut s’appliquer qu’à une juridiction entière, et non à un ou plusieurs membres d’une juridiction collégiale (Cour de cassation, chambre criminelle, 25 novembre 1976, Bull. crim. no 343; Revue de science criminelle et de droit pénal comparé 1977, p. 603, observations J. Robert). PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION M. Remli a saisi la Commission le 16 mai 1990. Il se plaignait de ce que sa cause n’avait pas été entendue par un tribunal impartial et d’avoir en outre fait l’objet d’une discrimination fondée sur l’origine raciale au mépris des articles 6 par. 1 et 14 (art. 6-1, art. 14) de la Convention. Il prétendait également ne pas avoir bénéficié du recours effectif devant une instance nationale prescrit par l’article 13 (art. 13) de la Convention. Le 1er avril 1994, la Commission a ajourné l’examen des griefs tirés de l’article 6 par. 1 (art. 6-1) pris isolément et combiné avec l’article 14 (art. 14) et a déclaré la requête (no 16839/90) irrecevable pour le surplus. Le 12 avril, elle a déclaré le premier grief recevable et a estimé qu’il n’était pas nécessaire qu’elle se prononçât séparément sur le second, celui-ci se confondant avec le problème de l’impartialité du tribunal. Dans son rapport du 30 novembre 1994 (article 31) (art. 31), elle conclut, par sept voix contre quatre, qu’il y a eu violation de l’article 6 par. 1 (art. 6-1). Le texte intégral de son avis et des deux opinions dissidentes dont il s’accompagne figure en annexe au présent arrêt . CONCLUSIONS PRESENTEES A LA COUR Dans son mémoire, le Gouvernement demande à la Cour de "bien vouloir rejeter la requête de M. Remli". De son côté, le requérant "conclut à ce qu’il plaise à la Cour (...):- condamner la France pour violation des articles 6 par. 1(art. 6-1) et 14 (art. 14) de la Convention;- lui accorder la satisfaction équitable prévue parl’article 50 (art. 50) (...)"
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I. Les circonstances de l'espèce Citoyens turcs nés l'un en 1947 et l'autre en 1944, MM. Mitap et Müftüoglu sont respectivement économiste et avocat. Arrêtés par la police d'Ankara, ils furent placés en garde à vue, le premier le 22 janvier 1981 et le second le lendemain, en raison de leur appartenance au comité central de l'organisation Dev-Yol (Voie révolutionnaire) (paragraphe 12 ci-dessous). La garde à vue se prolongea jusqu'au 23 avril 1981. A. La procédure concernant la détention provisoire des requérants Le 23 avril 1981, le tribunal de l'état de siège (sikiyönetim mahkemesi) d'Ankara ordonna la mise en détention provisoire des deux requérants. A partir du 28 janvier 1987, date de la déclaration de la Turquie relative à l'article 25 (art. 25) de la Convention, MM. Mitap et Müftüoglu demandèrent en vain à huit reprises leur mise en liberté provisoire. B. La procédure concernant le fond de l'affaire Le 26 février 1982, le parquet militaire déposa l'acte d'accusation devant le tribunal de l'état de siège. Il visait, selon le Gouvernement, sept cent vingt-trois accusés et reprochait aux requérants de figurer parmi les fondateurs et dirigeants d'une organisation qui avait pour but de porter atteinte au système constitutionnel et de le remplacer par un régime marxiste-léniniste. Il les soupçonnait également d'avoir soutenu la création de comités de résistance contre les agressions commises par les militants d'extrême droite et d'avoir été les instigateurs de plusieurs actes de violence. Il requérait la peine capitale en vertu de l'article 146 par. 1 du code pénal. Par un jugement du 19 juillet 1989, le tribunal de l'état de siège déclara les requérants coupables des faits reprochés et les condamna à la réclusion à perpétuité (soit dix-huit ans d'emprisonnement en cas de bonne conduite) pour infraction à l'article 146 par. 1 du code pénal, à l'interdiction définitive d'accéder à la fonction publique ainsi qu'à leur placement sous tutelle pendant leur détention. Il décida également d'imputer la durée de la détention provisoire sur celle de la peine. La rédaction des motifs du jugement du 19 juillet 1989 dura jusqu'en 1993. La peine infligée aux requérants étant supérieure à quinze ans de réclusion, la Cour de cassation militaire (askeri yargitay) se trouva saisie d'office. Leur mise en liberté conditionnelle intervint le 23 juillet 1991. A la suite de la promulgation de la loi du 27 décembre 1993 abrogeant la compétence des tribunaux de l'état de siège, la Cour de cassation (yargitay) devint compétente pour connaître de l'affaire et le dossier lui fut transmis. Par un arrêt du 28 décembre 1995, elle confirma les peines susmentionnées. II. La déclaration de la Turquie, du 22 janvier 1990, relative à l'article 46 (art. 46) de la Convention Le 22 janvier 1990, le ministre turc des Affaires étrangères déposa auprès du Secrétaire général du Conseil de l'Europe la déclaration suivante, relative à l'article 46 (art. 46) de la Convention: "Au nom du Gouvernement de la République de Turquie et conformément à l'article 46 (art. 46) de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales, je déclare par la présente ce qui suit: Le Gouvernement de la République de Turquie, conformément à l'article 46 (art. 46) de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales, reconnaît par la présente comme obligatoire et de plein droit et sans convention spéciale la juridiction de la Cour européenne des Droits de l'Homme sur toutes les affaires concernant l'interprétation et l'application de la Convention qui relèvent de l'exercice de sa juridiction au sens de l'article 1 (art. 1) de la Convention, accompli à l'intérieur des frontières du territoire national de la République de Turquie et à condition en outre que de telles affaires aient été préalablement examinées par la Commission dans le cadre du pouvoir qui lui a été conféré par la Turquie. Cette déclaration est faite sous condition de réciprocité, incluant la réciprocité des obligations acceptées dans le cadre de la Convention. Elle est valable pour une période de trois ans à compter de la date de son dépôt et s'étend à toutes les affaires concernant des faits, incluant des jugements qui reposent sur ces faits, s'étant déroulés après la date du dépôt de la présente déclaration." Cette déclaration fut renouvelée, en des termes quasiment identiques, pour une période de trois ans à partir du 22 janvier 1993. PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION MM. Mitap et Müftüoglu ont saisi la Commission le 14 septembre 1989. Ils alléguaient la violation de l'article 5 par. 3 (art. 5-3) de la Convention en raison de la durée de leur détention provisoire ainsi que de l'article 6 par. 1 (art. 6-1) parce que leur cause n'avait pas été entendue a) dans un délai raisonnable, b) par un tribunal établi par la loi et c) équitablement par un tribunal indépendant et impartial. La Commission a retenu les requêtes (nos 15530/89 et 15531/89) le 10 octobre 1991. Dans son rapport du 8 décembre 1994 (article 31) (art. 31), elle conclut à l'unanimité qu'il y a eu violation de l'article 5 par. 3 (art. 5-3) et de l'article 6 par. 1 (art. 6-1) en ce qui concerne les premier et troisième griefs tirés de cette disposition, mais non le deuxième. Le texte intégral de son avis figure en annexe au présent arrêt (1). _______________ Note du greffier Pour des raisons d'ordre pratique il n'y figurera que dans l'édition imprimée (Recueil des arrêts et décisions, 1996), mais chacun peut se le procurer auprès du greffe. _______________ CONCLUSIONS PRESENTEES A LA COUR PAR LE GOUVERNEMENT Dans son mémoire, le Gouvernement demande à la Cour: "à titre principal, - de déclarer que la Commission était incompétente ratione temporis en raison de la déclaration turque (article 25) (art. 25) et également incompétente en raison du non-épuisement des voies de recours internes; - de se déclarer incompétente ratione temporis en raison de la déclaration turque de reconnaissance de sa juridiction obligatoire (article 46) (art. 46); à titre subsidiaire, - de statuer qu'aucune violation de la Convention n'a eu lieu".
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I. Les circonstances particulières de l’affaire La première requérante, Matos e Silva, Lda. ("la société Matos e Silva"), est une société à responsabilité limitée, inscrite au registre du commerce de Loulé (Portugal); elle seule est partie aux procédures internes (paragraphes 13-45 ci-dessous). Les deuxième et troisième requérantes, Mme Maria Sofia Machado Perry Vidal et la société Teodósio dos Santos Gomes, Lda., sont les seules associées et propriétaires de la première. La deuxième gère les deux sociétés. A. La genèse de l’affaire La société Matos e Silva exploite des terrains, situés dans la commune de Loulé. Elle cultive le sol, récolte du sel, élève des poissons. Une partie de ces terrains lui appartient en propre car elle les a achetés en diverses occasions. Quant à l’autre partie, une concession d’exploitation avait été accordée à Basilio de Castelbranco par un décret royal du 21 juillet 1884, dont l’article 2 prévoyait que les terrains auxquels la concession se rapportait pouvaient être expropriés sans droit à indemnisation pour les concessionnaires. En 1886, Basilio de Castelbranco transféra la concession à la Compagnia Exploradora de Terrenos Salgados do Algarve. A la dissolution de cette dernière, certains de ses anciens associés acquirent la concession. Ils constituèrent la société Matos e Silva dont le but social était notamment d’acquérir et d’exploiter une partie des terrains salés, objet de la concession. Le 12 août 1899, ladite société conclut devant notaire un contrat d’achat-vente portant sur lesdits terrains. Le 16 septembre, elle fit inscrire ce transfert au registre foncier de Loulé dans les termes suivants: "1899 - 16 septembre (...) Est inscrite en faveur de la société Matos e Silva (...) la transmission du domaine utile de la troisième glèbe de la parcelle [prazo] du Ludo (...) de même que des terrains dénommés du Ludo et Marchil (...) pour les avoir achetés (...) pour un prix total de 79 500 $ 000 reis [sic] (..)" Depuis cette date, en ce qui concerne ces terrains, la société Matos e Silva agit uti dominus, en payant les impôts et taxes prévus par la loi portugaise sur la propriété. Le 2 mai 1978, par le décret no 45/78, le gouvernement créa une réserve de protection des animaux (Reserva Natural da Ria Formosa) sur le territoire du littoral de l’Algarve (communes de Loulé, Olhão et Faro), y compris sur les terrains de la société Matos e Silva dénommés "Herdade do Muro do Ludo" ou "Quinta do Ludo" ou encore "Herdade do Ludo". Dans cette perspective, il adopta diverses mesures, dont les cinq combattues par les requérantes. B. Les cinq actes litigieux et les procédures y afférentes Le décret-loi no 121/83 du 1er mars 1983 Par un décret-loi no 121/83 du 1er mars 1983, le gouvernement déclara d’utilité publique la moitié des terrains de la société Matos e Silva, déclaration préalable à leur expropriation en vue d’y construire une station d’aquaculture. Le 18 avril 1983, la société Matos e Silva attaqua cette décision devant la section du contentieux administratif de la Cour suprême administrative. Le recours, interjeté devant la présidence du conseil des ministres conformément à l’article 2 du décret-loi no 256-A/77, applicable à l’époque (paragraphe 49 ci-dessous), fut transmis à ladite juridiction le 9 mai. Le 17 avril 1985, après un échange de mémoires, la société Matos e Silva, se fondant sur l’article 9 par. 2 du code des expropriations (paragraphe 47 ci-dessous), demanda l’extinction de l’instance, celle-ci ayant perdu son objet en raison de la caducité de la déclaration d’utilité publique contenue dans le décret-loi no 121/83. Elle réitéra cette requête les 21 mai 1986, 20 juillet 1987 et 19 avril 1988. Le 6 mai 1988, la Cour suprême administrative décida de ne pas se prononcer sur la question de la caducité sans connaître le contenu du recours, entre-temps interjeté par la société Matos e Silva contre le décret-loi no 173/84 et dont l’examen était pendant devant la présidence du conseil des ministres (paragraphe 32 ci-dessous). En conséquence, la Cour suprême administrative pria le premier ministre de lui faire parvenir la requête introductive (petiçao do recurso). Ses rappels des 11 mai 1988, 23 septembre 1988 et 13 décembre 1988 restèrent sans suite. Le 16 mai 1989, le ministère public sollicita la suspension de l’instance jusqu’à ce qu’il soit statué sur le recours en annulation contre le décret-loi no 173/84. La société Matos e Silva s’y opposa et réitéra sa demande d’extinction de l’instance. Par un arrêt du 28 septembre 1989, la Cour suprême administrative décida de suspendre l’instance et rejeta la demande de la société. Elle estimait que l’article 9 par. 2 du code des expropriations ne s’appliquait pas en l’espèce, puisque le décret-loi no 173/84 avait suspendu l’effet de la déclaration d’utilité publique du décret-loi no 121/83. Or la caducité ne peut pas frapper un acte qui n’existe pas dans l’ordre juridique. Par ailleurs, il y avait lieu d’attendre l’issue du recours contre le décret-loi no 173/84. Au demeurant, la déclaration d’utilité publique contenue dans le décret-loi no 121/83 pourrait reprendre ses effets en cas d’annulation du décret-loi no 173/84. Le 8 février 1990, la société Matos e Silva interjeta un appel de cette décision devant la cour plénière de la section du contentieux administratif de la Cour suprême administrative. Cette dernière le repoussa par un arrêt du 17 octobre 1992. Se fondant sur l’existence d’arrêts contradictoires portant sur la même question de droit, la société attaqua cette décision le 1er avril 1993. Le juge-rapporteur déclara l’appel irrecevable le 23 avril 1993. La société fit, sans succès, une réclamation contre cette décision. La procédure demeure pendante. L’ordonnance du 4 août 1983 Par une ordonnance conjointe du premier ministre et des ministres des Finances et de l’Environnement (Qualidade de Vida) du 4 août 1983, le gouvernement déclara d’utilité publique l’autre moitié des terrains en vue de leur expropriation pour créer une réserve intégrale destinée à la protection des oiseaux migrateurs et d’autres espèces importantes. L’ordonnance autorisait "la prise de possession immédiate" des terrains par l’Etat. Le 15 novembre 1983, la société Matos e Silva forma un recours contentieux contre cette ordonnance. La Cour suprême administrative enregistra le recours le 20 décembre, après sa transmission le 15 décembre 1983 par la présidence du conseil des ministres (paragraphe 49 ci-dessous). Le 9 octobre 1985, la société Matos e Silva présenta une demande d’extinction de l’instance identique à celle formulée dans la procédure précédente (paragraphe 15 ci-dessus). Elle renouvela sa requête les 7 juillet 1986 et 15 juin 1989, mais en vain. La Cour suprême administrative estima également ne pas pouvoir se prononcer sur le recours sans connaître le contenu de celui interjeté entre-temps contre le décret-loi no 173/84 (paragraphes 16 ci-dessus et 32 ci-dessous) et pendant devant la présidence du conseil des ministres. Afin de recevoir la requête introductive de ladite instance, la Cour suprême administrative adressa au premier ministre, entre le 23 avril 1987 et le 26 janvier 1989, huit injonctions, restées sans suite. Le 18 mai 1989, le premier ministre répondit à une neuvième injonction formulée le 24 avril 1989. Il informait la Cour suprême administrative que l’original de la requête introductive du recours avait disparu et qu’il ne disposait que d’une copie. Il ne joignait aucune pièce à son courrier. Le 10 juillet 1989, la société Matos e Silva fournit elle-même une copie de ladite requête à la Cour suprême administrative. Le 3 décembre 1989, le ministère public pria la Cour suprême administrative de suspendre l’instance pour la même raison que celle indiquée à l’occasion du recours précédent (paragraphe 17 ci-dessus). Le 3 avril 1990, la Cour suprême rendit un arrêt prononçant la suspension de l’instance, par des motifs identiques à ceux mentionnés dans son arrêt du 28 septembre 1989 (paragraphe 18 ci-dessus). Le 24 avril 1990, la société Matos e Silva interjeta un appel de cette décision devant la cour plénière de la section du contentieux administratif de la Cour suprême administrative, qui le repoussa le 17 juin 1993. La procédure est toujours pendante. Le décret-loi no 173/84 du 24 mai 1984 Par le décret-loi no 173/84 du 24 mai 1984, "en vue de la réalisation d’un ouvrage d’utilité publique, plus particulièrement de la création d’une réserve intégrale (...)", le gouvernement "révoqua la concession d’exploitation de tous les terrains mentionnés à l’article 1 [du décret du 21 juillet 1884]". Cette révocation "[devait] s’opérer de la manière dont ledit texte [admettait] l’expropriation" (paragraphe 11 ci-dessus). Aux termes des articles 3 et 4 du décret-loi no 173/84, l’Etat entrait immédiatement en possession des terrains, sans aucune formalité ni indemnisation, sauf celle due au titre des améliorations, nécessaires et utiles, apportées à la propriété. Le 25 juin 1984, la société Matos e Silva saisit le conseil des ministres d’un recours gracieux dont on ignore l’issue. Parallèlement, elle adressa une demande de suspension des effets (eficacia) de cet acte à la section du contentieux administratif de la Cour suprême administrative. Par un arrêt du 18 juillet 1985, confirmé par la cour plénière, la Cour suprême administrative accueillit la demande et décida de suspendre les effets de l’acte attaqué jusqu’à la décision sur le fond. Enfin, le 9 juillet 1984, la société Matos e Silva forma un recours en annulation de l’acte devant la même juridiction, lequel recours fut présenté à la présidence du conseil des ministres (paragraphe 49 ci-dessous). Elle faisait valoir notamment: a) qu’il n’y avait encore eu aucune indemnisation au titre des deux expropriations précédentes; b) que les motifs indiqués par le gouvernement pour justifier les expropriations étaient chaque fois différents et contradictoires, une réserve d’oiseaux et une station d’aquaculture n’étant pas compatibles, et le décret-loi no 173/84 prétendait installer sur les terrains une réserve intégrale; c) que l’acte d’expropriation était discriminatoire puisqu’il concernait presque exclusivement les terrains de la société Matos e Silva et non d’autres terrains appartenant à d’autres personnes ou sociétés, situés dans la même zone et possédant les mêmes conditions et caractéristiques. La présidence du conseil des ministres décida d’envoyer le dossier au ministère de l’Environnement. Le nouveau ministre décida par une ordonnance du 9 août 1984 (paragraphe 53 ci-dessous) de constituer une commission chargée de formuler, dans un délai de trente-sept jours, une proposition tendant notamment à la révocation du décret-loi no 173/84. Toutefois, en octobre 1985, un nouveau gouvernement fut constitué et le projet de révocation n’aboutit pas. Au vu de la lettre du premier ministre du 18 mai 1989 (paragraphe 24 ci-dessus) et à la suite de la communication d’une copie de la requête par la société Matos e Silva (paragraphe 25 ci-dessus), cette dernière, en application des articles 1074 et suivants du code civil, demanda la reconstitution (reforma) du dossier administratif. Dans une décision interlocutoire du 18 octobre 1990, le juge-rapporteur déclara que la copie de la requête introductive avait été communiquée par le gouvernement. Sur demande en rectification de la société, il admit, dans une décision du 31 octobre 1991, que cette communication avait été faite par celle-ci. La reconstitution n’eut toutefois pas lieu. Le 17 février 1992, la société Matos e Silva présenta une demande d’extinction de l’instance pour les mêmes motifs que ceux qui avaient été invoqués dans la procédure concernant le décret-loi no 121/83 (paragraphe 15 ci-dessus). Le 17 septembre 1992, la Cour suprême administrative décida qu’il y avait lieu d’attendre l’envoi du dossier administratif (processo gracioso). Dans ce but, les 26 janvier et 23 avril 1993, elle enjoignit au gouvernement de lui adresser ledit dossier. Le gouvernement le fit le 25 octobre 1993, mais la requête introductive ne figurait pas dans le dossier en question. Au début de l’année 1994, la société Matos e Silva déposa un mémoire et un avis. Le 8 mars 1995, le ministère public présenta ses réquisitions finales proposant l’annulation de l’acte attaqué. Dans une ordonnance du 26 avril 1995, le juge-rapporteur considéra que toutes les questions soulevées dans le recours dépendaient essentiellement de celle de savoir si la société était propriétaire des terrains. Dans ces conditions, la Cour suprême administrative devait surseoir à statuer jusqu’à ce que le tribunal civil compétent tranche au cours d’une procédure relative à la question du droit de propriété. Par conséquent, en application de l’article 4 du décret-loi no 129/84 portant statut des juridictions administratives et fiscales (paragraphe 51 ci-dessous), elle suspendit l’instance. Sur appel de la société, la première section de la Cour suprême administrative annula, le 19 décembre 1995, l’ordonnance au motif que le juge-rapporteur n’était pas compétent pour la prendre. Examinant elle-même la question, elle suspendit l’instance afin de permettre à la société de saisir la juridiction civile, étant donné qu’en cas d’inertie des parties pendant plus de trois mois, la question devrait être décidée sur la base des éléments figurant au dossier (paragraphe 50 ci-dessous). La société attaqua cette décision devant la cour plénière, laquelle, à la date d’adoption de l’arrêt, n’avait pas encore statué. Le décret-loi no 373/87 du 9 décembre 1987 Par un décret-loi no 373/87 du 9 décembre 1987, le gouvernement décida de la création sur le littoral de l’Algarve du parc naturel de la Ria Formosa et de l’adoption d’une série de règles tendant à la protection de l’écosystème de la zone. Ainsi ont été notamment prévues, outre l’interdiction de bâtir, l’interdiction de modifier l’usage actuel du sol, d’introduire, sans autorisation, de nouvelles activités agricoles et piscicoles. Le 8 février 1988, la société Matos e Silva forma un recours contre ce décret devant la section du contentieux administratif de la Cour suprême administrative. Elle alléguait que par rapport aux limitations frappant les terrains voisins, le décret prévoyait un statut plus restrictif quant à l’exercice de son droit de propriété sur ses terrains. Elle ajoutait que l’acte incriminé s’analysait en une expropriation compte tenu de la quantité de restrictions imposées. Le 18 avril 1994, la Cour suprême administrative décida de surseoir à statuer dans l’attente de la décision sur le fond concernant le recours en annulation du décret-loi no 173/84. La procédure demeure donc pendante. Le décret réglementaire no 2/91 du 24 janvier 1991 Par le décret "réglementaire" no 2/91 du 24 janvier 1991, le gouvernement approuva un "Plan ordonnateur et réglementaire du parc naturel de la Ria Formosa" (Plano de ordenamento e Regulamento do Parque natural da Ria Formosa). Le 23 mars 1991, alléguant la violation des principes d’égalité et de proportionnalité, la société Matos e Silva attaqua ce décret devant la section du contentieux administratif de la Cour suprême administrative. Elle considérait que ledit décret constituait un nouvel acte d’expropriation. Après un échange de mémoires, la Cour suprême administrative demanda le 7 avril 1992 des informations sur le déroulement de la procédure concernant le décret-loi no 173/84. Le 9 juin 1993, elle suspendit la procédure pour les motifs susmentionnés. II. Le droit interne pertinent A. La Constitution L’article 62 de la Constitution dispose: "1. Le droit à la propriété privée, ainsi que la transmission de biens entre vifs ou par succession, est garanti à chacun, conformément à la Constitution. La réquisition et l’expropriation pour cause d’utilité publique ne peuvent être effectuées que dans le cadre de la loi et moyennant le versement d’une juste indemnité." B. Le code des expropriations Le code des expropriations de 1976, tel qu’il s’appliquait à l’époque des faits, contenait les dispositions suivantes: Article 1 par. 1 "Les biens immeubles et les droits y afférents peuvent être expropriés pour cause d’utilité publique rentrant dans les attributions de l’entité expropriante, moyennant le versement d’une juste indemnité." Article 9 par. 2 "L’acte de déclaration d’utilité publique devient caduc si les biens n’ont pas été acquis dans un délai de deux ans ou si la constitution d’une commission d’arbitrage n’a pas eu lieu dans ce même délai." Article 27 par. 1 "L’expropriation pour cause d’utilité publique d’un bien ou droit confère à l’exproprié le droit de recevoir une juste indemnité." Les articles 1 et 22 par. 1 du code des expropriations de 1991, désormais applicable, sont ainsi libellés: Article 1 "Les biens immeubles et les droits y afférents peuvent être expropriés pour cause d’utilité publique rentrant dans les attributions de l’entité expropriante, moyennant le versement immédiat d’une juste indemnité." Article 22 par. 1 "L’expropriation pour cause d’utilité publique d’un bien ou droit quelconque ouvre à l’exproprié le droit au versement immédiat d’une juste indemnité." C. Les décrets-lois relatifs à la procédure des juridictions administratives L’article 2 du décret-loi no 256-A/77 du 17 juin 1977 prévoyait: "1. Les actes administratifs définitifs et exécutoires sont susceptibles d’être attaqués au moyen d’un recours contentieux, lequel doit être interjeté moyennant acte adressé au tribunal compétent et présenté devant l’autorité responsable de l’acte en cause. L’autorité administrative peut, dans un délai de trente jours, abroger ou confirmer, en tout ou partie, l’acte objet du recours. Pendant le même délai, l’autorité administrative transmettra, en tout état de cause, au tribunal respectif le dossier administratif contenant les documents pertinents. A défaut de production, le requérant pourra demander au tribunal de se saisir du dossier et des documents le concernant, afin que la procédure puisse suivre son cours. (...)" Cette disposition a été modifiée par le décret-loi no 267/85 du 16 juillet 1985, dont il y a lieu de citer les articles suivants: Article 7 "L’inertie des intéressés relative, pendant plus de trois mois, à l’introduction ou à la bonne marche de la procédure concernant une question préjudicielle entraîne la poursuite de la procédure, la question préjudicielle étant décidée sur la base des éléments de preuve recevables dans ladite procédure et la décision ayant uniquement des effets limités à la procédure en cause." Article 11 "1. A défaut de communication, sans justification valable, des pièces pertinentes pour l’issue de la procédure, le tribunal peut ordonner toute mesure adéquate, notamment celle prévue à l’article 4 du décret-loi no 227/77 du 31 mai, et adressera une injonction à l’autorité administrative défaillante, aux termes de l’article 84. Si un tel défaut de communication se réitère, le tribunal appréciera librement cette conduite aux fins de preuve." Article 84 "1. Dans sa décision, le juge fixe le délai d’exécution de l’injonction. Le refus d’obtempérer à l’injonction engage la responsabilité civile, disciplinaire et pénale, conformément à l’article 11 du décret-loi no 256-A/77 du 17 juin." D. Les autres dispositions pertinentes Le décret-loi no 129/84 du 27 avril 1984 L’article 4 par. 2 du décret-loi no 129/84 du 27 avril 1984 portant statut des juridictions administratives et fiscales est ainsi libellé: "Lorsque la connaissance de l’objet de l’action ou du recours dépend de la décision sur une question relevant de la compétence d’autres tribunaux, le juge peut s’abstenir de statuer jusqu’à ce que le tribunal compétent se prononce; la loi de procédure fixe les effets de l’inertie des intéressés pour ce qui est de l’introduction et du déroulement de la procédure concernant la question préjudicielle." Le décret-loi no 227/77 du 31 mai 1977 L’article 4 du décret-loi no 227/77 du 31 mai 1977 prévoit: "1. A défaut de communication, à l’expiration d’un délai de trente jours, sans justification, du dossier administratif [processo gracioso] ou d’autres pièces requises par le tribunal aux fins de l’instruction de la procédure contentieuse, le juge-rapporteur transmet le dossier au ministère public afin que ce dernier puisse présenter ses réquisitions dans le délai de trente jours, sous peine de la sanction prévue au paragraphe suivant. Lorsqu’un délai de trente jours s’est écoulé à compter de l’avis du ministère public, tel qu’il est prévu au premier paragraphe, et que les pièces requises n’ont pas été produites, sans excuse raisonnable, la procédure reprend son cours et le juge appréciera librement la conduite de l’autorité mise en cause." L’ordonnance no 77/84 du ministère de l’Environnement du 9 août 1984 L’ordonnance no 77/84 du ministère de l’Environnement du 9 août 1984 est ainsi libellée: "1. Prenant note du décret-loi no 173/84, du 24 mai, dont la teneur porte sur la totalité des terrains ayant fait l’objet d’une concession royale par décret du Gouvernement no 165, du 21 juillet 1884, sans aucune limitation ou discrimination à leur égard; Constatant que beaucoup de ces terrains représentant plusieurs milliers d’hectares sont aujourd’hui des propriétés privées qui n’ont rien à voir avec les buts écologiques et de préservation des richesses naturelles que l’on prétend atteindre moyennant la révocation de la concession, entraînant une immense cascade d’éventuels conflits juridiques et d’indemnités à payer par l’Etat; Constatant que la diposition légale se réfère expressément à la "Herdade do Ludo" ou, en d’autres termes, "Herdade do Muro do Ludo", qu ne constitue qu’une petite partie de ce qui fit l’objet de la concession royale de 1884; Constatant, également, que même la "Herdade do Muro do Ludo" ne présente que partiellement un intérêt particulier du point de vue de la protection de l’avifaune; Il est institué une commission (...) chargée de formuler une proposition visant à la: - Révocation du décret-loi no 173/84 et de toute autre législation en la matière; - Présentation d’une proposition d’un nouveau décret-loi destiné à transférer dans le domaine public tous les terrains qui, intégrés dans la dénommée "Herdade do Ludo" ou en dehors de celle-ci, revêtent de l’intérêt pour la réserve de l’avifaune que l’on prétend protéger; - Proposition d’indemnisations, ou d’un mode juste de procéder au calcul de ces indemnisations, en raison des améliorations [benfeitorias] apportées aux terrains désormais transférés à l’Etat; - Proposition tendant à la légalisation définitive des terrains qui se trouvent sous le domaine privé [dominio particular], ne présentant pas d’intérêt pour la réserve et qui ont fait l’objet de la concession royale de 1884. La commission ainsi nommée a jusqu’au 15 septembre 1984 pour s’acquitter de la tâche qui lui est assignée; cependant, la proposition de révocation du décret-loi no 173/84, dûment motivée, sera soumise au ministre de l’Environnement avant le 21 août, de façon à pouvoir être inscrite dans le prochain ordre du jour du Conseil des ministres, et comportera les clauses qui s’avéreront nécessaires pour rendre évident que l’Etat est toujours intéressé à la réserve, et déterminé à transférer dans le domaine public les terrains devant l’intégrer." PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION Dans leur requête du 16 novembre 1989 à la Commission (no 15777/89), les sociétés Matos e Silva et Teodósio dos Santos Gomes ainsi que Mme Perry Vidal dénonçaient une violation de l’article 6 par. 1 de la Convention (art. 6-1) en raison de la durée des procédures administratives. Elles invoquaient aussi l’article 13 de la Convention (art. 13) car aucun recours effectif devant une instance nationale ne s’offrirait à elles pour se plaindre des atteintes causées à leurs droits par les actes du gouvernement. Elles alléguaient en outre une violation de leur droit au respect des biens, tel que le garantit l’article 1 du Protocole no 1 (P1-1). Enfin, elles s’appuyaient sur l’article 14 de la Convention (art. 14), combiné avec cette dernière disposition (P1-1), pour dénoncer une discrimination par rapport aux autres propriétaires possédant des terrains dans la même zone. Le 29 novembre 1993, la Commission a déclaré la requête recevable. Dans son rapport du 21 février 1995 (article 31) (art. 31), elle conclut: a) qu’il y a eu violation de l’article 6 par. 1 de la Convention (art. 6-1) en raison du défaut d’accès effectif à un tribunal (dix-neuf voix contre trois); b) qu’aucune question distincte ne se pose sous l’angle de l’article 6 de la Convention (art. 6) en raison de la durée de la procédure (vingt voix contre deux); c) qu’il y a eu violation de l’article 1 du Protocole no 1 (P1-1) (vingt et une voix contre une); d) qu’il ne s’impose pas d’examiner le grief tiré de la violation de l’article 14 de la Convention combiné avec l’article 1 du Protocole no 1 (art. 14+P1-1) (vingt et une voix contre une). Le texte intégral de son avis et de l’opinion partiellement dissidente dont il s’accompagne figure en annexe au présent arrêt. CONCLUSIONS PRESENTEES A LA COUR PAR LE GOUVERNEMENT Dans son mémoire, le Gouvernement "prie la Cour de dire qu’en l’espèce, il n’y a eu violation ni de l’article 6 par. 1 de la Convention (art. 6-1) (droit d’accès) ni de l’article 1 du Protocole no 1 (P1-1)".
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Le requérant, citoyen norvégien, est lieutenant-colonel dans l’armée de l’air norvégienne. Il est commandant de la base aérienne de Flesland et sert actuellement en tant que colonel dans la force des Nations Unies à Tuzla, en Bosnie-Herzégovine. A. Evénements à l’origine de l’accusation en matière pénale portée contre le requérant En 1987, le requérant occupait le poste de commandant de la station de télécommunications de la défense norvégienne ("la station") située sur l’île de Jan Mayen, dans l’océan Arctique, qui appartient au Royaume de Norvège. Le 17 avril 1987, le capitaine d’un chalutier de pêche à la crevette, le Polarbas, appela la station par radio pour demander si un pêcheur qui s’était blessé au bras pouvait y être soigné. Le requérant accéda à cette requête le 18 avril. Le même jour, il prit la mer avec un collègue dans un canot pneumatique afin de se porter à la rencontre du canot de sauvetage du chalutier qui amenait le pêcheur blessé à proximité du rivage. Peu après que le pêcheur fut monté à bord, une vague déferlante retourna le canot. Les trois occupants furent jetés à l’eau, dont la température était alors de -0,3 oC. Le requérant est le seul à être parvenu sain et sauf jusqu’au rivage. Une commission d’enquête militaire, réunie notamment pour établir les faits et indiquer s’il y avait à son avis infraction à un quelconque règlement, conclut dans son rapport du 1er mai 1987 à la violation des instructions pertinentes, ce dont le requérant, en tant que chef de la station, devait être tenu pour responsable. Le 11 juillet 1988, le procureur de Nordland proposa au requérant de purger une peine de vingt-sept jours d’arrêts (vaktarrest) assortie d’un sursis et d’acquitter une amende de 5 000 couronnes norvégiennes (NOK) pour négligence ou légèreté dans l’exercice de ses fonctions officielles (article 78 par. 1 du code pénal militaire de 1902 - Militær Straffelov, loi no 13 du 22 mai 1902), et ce dans le cadre d’une procédure non judiciaire accélérée (forelegg). Sur un refus du requérant, le procureur intenta une action contre ce dernier devant le tribunal de Bodø (byrett - "le tribunal") en l’inculpant de l’infraction précitée. B. Procédure devant le tribunal Le procès devant le tribunal se tint du 9 au 13 mars 1989. Il permit d’entendre le requérant ainsi que les témoignages de treize personnes et de trois experts et de prendre connaissance de preuves écrites, notamment le rapport de la commission d’enquête militaire du 1er mai 1987 (paragraphe 9 ci-dessus). De plus, le tribunal se livra le 11 mars à une enquête sur les lieux de l’accident à Jan Mayen, au cours de laquelle plusieurs témoins déposèrent. Dans son jugement du 30 mars 1989, le tribunal décrit les faits pertinents en ces termes: "Le 18 avril 1987 dans la matinée, [le requérant] fut informé par Mme Karin Ree, infirmière [de la station], que le capitaine du Polarbas avait appelé Jan Mayen par radio pour demander que M. Asbjørn Olufsen [le pêcheur blessé] soit recueilli sur l’île afin qu’elle puisse examiner sa blessure au poignet. Le [requérant] répondit par l’affirmative, ajoutant toutefois qu’il devait s’assurer des conditions régnant dans [la baie de] Båtvika avant d’accueillir M. Olufsen. L’infirmière et l’ingénieur en chef, Arne Svendsen, se proposèrent pour participer à l’opération. M. Svendsen se rendit à Båtvika pour s’assurer des conditions qui y régnaient et déclara au retour [au requérant] qu’elles étaient satisfaisantes. [Le requérant] prit ensuite contact avec le Polarbas et accepta que le blessé fût amené par chaloupe à proximité de la plage de Båtvika et qu’un canot pneumatique (...) allât à leur rencontre à cet endroit. Il fut en outre convenu que le transfert du blessé aurait lieu vingt minutes environ après la conversation entre le Polarbas et la station. Les interlocuteurs choisirent également une fréquence radio pour communiquer. (...) En se rendant à Båtvika, le [requérant] s’aperçut qu’il avait oublié son appareil photo. Il se demanda s’il devait retourner le chercher, mais l’infirmière souligna qu’il n’y avait pas de temps à perdre et qu’ils devaient continuer leur route. Elle proposa alors d’aller chercher l’appareil plus tard, ce que [le requérant] lui dit de ne pas faire. En arrivant à Båtvika, ils constatèrent que le [canot pneumatique] était déjà sur place car l’officier responsable de la maintenance était allé le chercher pour le conduire sur la plage. Ce dernier indiqua qu’il fallait gonfler le canot. L’ingénieur en chef, de son côté, pensait qu’il valait mieux laisser le canot en l’état et ne pas y toucher. Le [requérant] et M. Svendsen s’assirent dans le canot après avoir revêtu des combinaisons de survie. Cependant, aucun ne mit sa capuche. Ils n’emportèrent pas de radio à bord du canot mais Mme Ree en avait une afin de communiquer avec le Polarbas et sa chaloupe. Lorsqu’ils quittèrent la plage, la chaloupe du Polarbas, qui avait à son bord le pêcheur blessé, était encore loin de Båtvika. Un peu plus tard, l’infirmière (...) regagna la plage avec l’appareil photo [du requérant], qu’elle était retournée chercher au bâtiment administratif (...) M. Svendsen prit les rames pour s’éloigner de la plage. Après avoir parcouru quarante à soixante mètres, ils attendirent un moment en essayant d’inciter la chaloupe à se rapprocher d’eux. Ils n’obtinrent toutefois aucune réponse de la chaloupe. [M. Svendsen] étant fatigué, il changea de place avec [le requérant] pour que ce dernier continue à ramer. Ils tentèrent à plusieurs reprises d’entrer en contact avec la chaloupe, sans résultat. Ils se rendirent alors compte qu’un problème avait dû surgir. Ils résolurent donc de ramer en direction de la chaloupe, qui se trouvait toujours loin de la côte. Lorsqu’ils atteignirent la chaloupe, ses occupants les informèrent que le moteur était tombé en panne et qu’ils avaient jeté l’ancre. Ces derniers étaient anxieux car, malgré cette précaution, la chaloupe dérivait vers les rochers; en outre, aucun d’eux ne portait de gilet de sauvetage ou de combinaison de survie. Il n’y avait pas non plus d’équipement de ce genre à bord. Le pêcheur blessé (...) prit place à bord du [canot pneumatique], qui s’éloigna alors de la chaloupe. Une vague déferlante retourna le canot dont les trois occupants furent jetés à la mer. Ils n’étaient pas reliés au canot par des cordages et n’en avaient pas non plus pris avec eux. Ils ne portaient pas de gilet de sauvetage. Mme Ree, qui se trouvait debout sur la plage, était équipée d’un poste radio portatif mais non de matériel de premiers secours, tel que brancard, couvertures ou autres." Le tribunal acquitta le requérant. Son jugement comporte les observations suivantes. Même si l’intéressé n’avait pas en principe le devoir de recueillir le pêcheur blessé, un tel devoir est né de son accord pour ce faire. Pour décider si le requérant a été coupable de négligence ou légèreté dans le cadre de l’opération de sauvetage ou ses préparatifs, il faut déterminer s’il a enfreint les instructions en vigueur. Une infraction grave ou une série d’infractions aux instructions peuvent donner lieu à une négligence ou légèreté au sens de l’article 78 par. 1 du code pénal militaire. Le procureur a fait valoir que le requérant n’avait pas respecté ses obligations, et ce à sept occasions. On indiquera ci-dessous celles qui constituent l’objet de la controverse dans la présente affaire. "1. L’inculpé avait l’obligation d’utiliser le doris à partir du moment où il avait décidé de recueillir un blessé. (...) Il avait l’obligation de s’assurer que l’infirmière apportait du matériel médical et restait présente pendant toute la durée de l’opération. (...) Ayant décidé d’utiliser le canot pneumatique, il avait l’obligation de s’assurer que l’ingénieur en chef y était relié par un cordage. De plus, il aurait dû retourner sur la plage plus tôt, c’est-à-dire dès qu’il se rendit compte que la chaloupe n’allait pas se rapprocher d’eux." Le tribunal estima que les instructions qui font peser des obligations sur le personnel militaire et civil employé sur Jan Mayen, notamment l’instruction C 14 qui édicte des règles générales sur le trafic sur Jan Mayen et alentour, manquent de clarté pour diverses raisons. De plus, nombre de ces dispositions visent le chargement et le déchargement des navires de ravitaillement. Les instructions pertinentes ne s’appliquent donc aux opérations de sauvetage que dans la mesure où elles se révèlent appropriées. En ce qui concerne le point 4 des allégations du procureur précitées, le tribunal déclara: "(...) le [requérant] ne saurait être blâmé pour le fait que l’infirmière n’est pas restée sur le rivage pendant toute la durée de l’opération. Le tribunal est convaincu que M. Botten ne savait pas qu’elle était retournée à la station chercher son appareil photo. Il est en outre persuadé qu’il ne lui a pas donné l’ordre d’aller récupérer cet appareil. L’infirmière ne s’est de toute façon pas absentée longtemps, quelques minutes tout au plus. Le [requérant] savait cependant que l’infirmière (...) n’avait pas apporté de matériel de premiers secours sur la plage. Il y a donc de ce fait infraction à l’instruction B 13, article 3.6. Le tribunal relève cependant qu’il ne s’agit pas d’une violation grave des instructions. L’opération avait simplement pour but d’aller récupérer un pêcheur ne souffrant que d’une blessure au poignet et il ne fallait pas longtemps pour retourner à la station chercher le matériel nécessaire." Quant au point 7, le tribunal formula notamment les commentaires suivants: "(...) le tribunal souscrit en principe à l’avis du procureur selon lequel il était dangereux d’aller jusqu’à la chaloupe à bord du canot pneumatique. Le tribunal tient cependant compte du fait que le [requérant] et [M. Svendsen], alors qu’ils étaient en route, il est vrai après avoir dépassé l’endroit où ils avaient eu l’intention de rencontrer la chaloupe mais alors qu’ils se trouvaient encore dans des eaux assez calmes, comprirent que des problèmes étaient apparus à bord de la chaloupe. En conséquence, le tribunal ne voit pas ici non plus que le [requérant] ait commis une infraction aux instructions car il était hautement probable que la chaloupe était dans une situation critique, comme cela est devenu peu à peu tout à fait clair." Enfin, pour ce qui est du point 1, les membres du tribunal divergeaient: "L’assesseur Terje Henriksen considère que l’article 2 de l’instruction C 14 fait obligation au défendeur d’utiliser le doris, étant donné que l’avant-dernier paragraphe de cet article (...) dispose que cette règle s’applique à l’ensemble du personnel en poste à Jan Mayen. Le président du tribunal pense que (...) l’article 2, applicable au trafic en mer, doit entrer en jeu chaque fois que cela se révèle approprié. Dans ce cas d’espèce, où le [requérant] devait ramener à terre un pêcheur blessé au poignet, le président n’aperçoit aucune circonstance justifiant le non-respect de l’obligation générale d’utiliser le doris. L’opération n’était pas menée dans des conditions d’urgence telles que cette disposition puisse être négligée. L’assesseur Tordis Kvarv pense que cette dernière ne s’applique pas à une opération de sauvetage telle que celle effectuée en l’espèce et que l’affaire doit par conséquent être évaluée en fonction des exigences générales dictées par la prudence. L’assesseur Terje Henriksen estime que, compte tenu des conditions météorologiques très particulières régnant dans les eaux qui baignent l’île de Jan Mayen, la violation de cette disposition est grave au point de constituer une "négligence ou de la légèreté" au sens de l’article 78 par. 1 du code pénal militaire. Il conclut donc que le défendeur devrait être condamné pour violation dudit article (...) Le président (...) est d’avis que, même s’il y a eu infraction à cette instruction, il n’en faut pas moins rechercher, sous l’angle de l’article 78 par. 1 (...) si la solution choisie par le [requérant] était pire que s’il avait décidé d’utiliser le doris. Si tel n’est pas le cas, une violation de cette instruction ne saurait être qualifiée de négligence ou légèreté. La majorité du tribunal (l’assesseur Tordis Kvarv et le président) ont jugé que l’utilisation du canot à la place du doris n’avait pas compromis la sécurité, compte tenu de l’usage initialement prévu pour le canot. Il convient à cet égard d’accorder une importance particulière au fait que les parties étaient convenues de se rencontrer à proximité de la plage. Même si l’endroit de la rencontre n’avait pas été fixé avec précision, on peut au moins admettre qu’ils n’avaient pas l’intention de s’éloigner de plus de cent mètres environ de la plage, zone où les eaux sont calmes. Il est fait en outre référence au témoignage de l’expert cité par le procureur, le commandant Alv Håkon Klepsvik. Il indiqua durant l’audience que l’utilisation du canot pneumatique dans la baie de Båtvika ou juste à sa sortie ne posait à son avis aucun problème de sécurité, à condition de le tenir à distance des déferlantes ou de la crête des vagues. Il estima que si l’on restait au milieu ou du côté abrité de la baie, l’utilisation du canot ne devait soulever aucune difficulté. Il n’hésiterait pas non plus à prendre le canot pour aller recueillir une personne se trouvant sur un autre bateau. Il ajouta que pour ce type de mission, il y avait moins de risque de blessure avec un canot pneumatique, qui était dans ce cas préférable à un doris. Concernant le fait que le canot n’était pas gonflé à bloc, il déclara qu’il valait mieux ne pas utiliser un canot totalement gonflé. Cela ne réduisait d’ailleurs pas la flottabilité du canot. La majorité du tribunal, comme la minorité, estime que dans cette affaire, l’essentiel est de savoir s’il existait une obligation d’utiliser le doris et si le non-respect de cette obligation a amoindri la sécurité. La majorité (...) a conclu que tel n’était pas le cas et que l’inculpé doit dès lors être acquitté, (...) ne le jugeant pas coupable du chef de négligence ou de légèreté mentionné dans l’acte d’accusation." C. Procédure devant la Cour suprême Le 12 avril 1989, le procureur interjeta appel du jugement du tribunal auprès de la Cour suprême (Høyesterett). Il soutenait à titre principal que la décision du tribunal était entachée d’erreur car celui-ci avait procédé à une interprétation trop étroite de l’infraction de négligence dans l’accomplissement d’obligations officielles. Pour l’accusation, le non-respect de l’obligation d’utiliser un doris était grave au point de constituer une négligence. L’opinion du tribunal selon laquelle l’utilisation d’un canot pneumatique à la place d’un doris n’avait pas pour conséquence d’amoindrir la sécurité ne suffisait pas à convaincre du contraire. Les instructions étaient le fruit de plusieurs années d’expérience et tenaient compte des conditions particulières régnant à Jan Mayen ainsi que du fait que les agents de la station ne connaissaient pas forcément bien la mer et n’étaient en poste sur l’île que pour une période limitée. Ces facteurs conduisaient à penser que, hormis des circonstances exceptionnelles, l’officier responsable de la station avait le strict devoir d’agir avec prudence et de suivre les instructions. Pour l’accusation, il n’était possible de s’en écarter qu’en cas d’urgence ou lorsque cela permettait d’accomplir le service de manière plus satisfaisante ou plus sûre, ce qui n’était pas le cas en l’occurrence. Le procureur avançait également que les faits établis par le tribunal étaient suffisamment clairs pour permettre à la Cour suprême de rendre un arrêt au fond condamnant le requérant, conformément à l’article 362 par. 2 du code de procédure pénale de 1981 (paragraphe 28 ci-dessous), au lieu de casser le jugement du tribunal et de lui renvoyer l’affaire pour un nouvel examen. A titre subsidiaire, le procureur affirmait qu’il fallait casser la décision du tribunal pour vice de procédure car le raisonnement suivi était incomplet. En effet, le jugement ne mentionnait pas l’état de la mer au moment où le requérant avait quitté le rivage à bord du canot et lorsqu’il s’était rendu compte que la chaloupe n’arriverait pas à l’endroit prévu pour la rencontre, pas plus que la distance entre la chaloupe et le rivage à ces différents moments. Il n’indiquait pas non plus comment le requérant s’était expliqué les problèmes apparus à bord de la chaloupe, ce qu’il aurait pu faire d’autre que de continuer à ramer avec le canot ni le temps qu’il lui aurait fallu pour préparer le doris en vue de l’opération. Le 20 avril 1989, le comité de sélection des appels de la Cour suprême (Høyesteretts Kjæremålsutvalg) accorda l’autorisation d’appel. La Cour suprême informa le requérant de sa décision par un courrier du 27 avril 1989 et lui apprit qu’elle avait désigné pour le représenter l’avocat qui l’avait défendu devant le tribunal. De plus, la Cour suprême invita l’intéressé à prendre contact le plus rapidement possible avec son avocat s’il détenait des informations pertinentes ne figurant pas au dossier de l’affaire. La Cour suprême lui fit enfin part de son intention d’examiner son affaire dans un avenir proche, sans plus de précisions (article 353 du code de procédure pénale - straffeprosessloven - dans sa version en vigueur à l’époque des faits). Après consultation du procureur et de l’avocat du requérant, la Cour suprême informa l’avocat, par une lettre du 11 mai 1989, que l’audience aurait lieu le 20 juin 1989 à 9 h 15. Son avocat transmit ensuite à M. Botten la date de l’audience et lui indiqua que, s’il le souhaitait, il pouvait demander à la Cour suprême l’autorisation de prononcer une déclaration au cours du procès, mais qu’il ne serait entendu ni à titre de partie ni comme témoin. En outre, l’avocat avertit son client qu’il n’était pas habituel que l’inculpé s’adressât personnellement à la Cour suprême. Le requérant ne sollicita donc pas une telle autorisation. Un extrait des pièces de la procédure devant le tribunal, préparé par le procureur, fut envoyé à l’avocat bien avant l’audience devant la Cour suprême (pour plus de détails, voir le paragraphe 18 ci-dessous). L’avocat n’émit aucune objection à l’encontre de cet extrait et ne présenta pas non plus de nouveaux documents à la Cour suprême. L’avocat du requérant assista à l’audience du 20 juin 1989, mais pas ce dernier. Comme il en avait le droit, l’avocat prononça une plaidoirie et répondit aux observations orales du procureur dans la mesure où elles se rapportaient à l’appel interjeté par celui-ci sur des points de droit et de procédure (paragraphe 14 ci-dessus). Pour déterminer les responsabilités, toutefois, la Cour suprême était liée par les faits se rapportant à la question de la culpabilité décrits dans le jugement du tribunal (article 335 du code de procédure pénale, dans sa version en vigueur à l’époque des faits). A l’issue des plaidoiries principales, le ministère public demanda à la Cour suprême de condamner le requérant, en vertu de l’article 78 par. 1 du code pénal militaire, à une peine de vingt-sept jours d’arrêts et à une amende de 5 000 NOK ou, à défaut de paiement, à une peine de quinze jours d’emprisonnement. A titre subsidiaire, le procureur demanda à la Cour suprême de casser le jugement du tribunal. L’avocat du requérant pria la Cour suprême de rejeter l’appel. Le dossier de la Cour suprême comportait un extrait de 112 pages des pièces de la procédure devant le tribunal, qui reprenait le jugement rendu le 30 mars 1989 par ce dernier, les preuves écrites sur lesquelles il s’était appuyé, dont des renseignements sur la situation professionnelle du requérant, son état civil, ses revenus, ses états de service dans l’armée, une attestation justifiant que son casier judiciaire était vierge, le rapport de la commission d’enquête militaire et certains comptes rendus d’audience. Toutefois, il ne comprenait pas les procès-verbaux des audiences devant le tribunal, ceux-ci n’étant pas disponibles. La Cour suprême n’entendit ni témoin ni expert. Dans son arrêt du 27 juin 1989, rendu en dernier ressort, la Cour suprême accueillit l’appel du procureur. Le juge Dolva, au nom de la cour unanime, donna les motifs suivants: "J’estime qu’il convient d’accueillir le recours fondé sur l’application du droit et que les conditions requises sont réunies pour rendre une décision de condamnation conformément à l’article 362 par. 2 du code de procédure pénale. (...) La question décisive en l’espèce est (...) de savoir si la conduite du requérant dans le cadre de l’opération de sauvetage et de ses préparatifs est constitutive de négligence ou de légèreté au sens de l’article 78 par. 1 du code pénal militaire. Pour étayer cette thèse, on a affirmé qu’il avait enfreint à plusieurs égards les instructions en vigueur, comme le précise l’acte d’accusation. Le jugement du tribunal mentionne sept facteurs qui, réunis, seraient constitutifs de négligence. Plusieurs d’entre eux n’ont pas été maintenus devant la Cour suprême. Les instructions applicables à l’île de Jan Mayen sont détaillées et complètes, ce qui doit être considéré à la lumière des conditions difficiles que connaissent les personnes qui y sont en poste. Je note que le préambule de ces instructions, émises en août 1986 par l’administration des services de télécommunications et d’informatique de la défense norvégienne et applicables en l’espèce, précise: "Des instructions écrites s’imposent plus qu’ailleurs à Jan Mayen, qui connaît une rotation constante de personnel." Les "Dispositions générales relatives au trafic sur Jan Mayen et alentour", qui font partie des instructions précitées, se trouvent au coeur de cette affaire. L’article 1 (...), intitulé "Objectif", énonce: "Ces dispositions générales sont destinées à servir de lignes directrices pour le trafic sur Jan Mayen et alentour aussi bien pendant le service que durant les loisirs." Même si ces dispositions donnent au premier abord l’impression de constituer des "lignes directrices", il est évident qu’elles comportent certaines règles contraignantes, comme le révèle l’article 2 sur le trafic en mer, dont le premier paragraphe dispose: "Les sorties en bateau autour de Jan Mayen sans l’assistance de navires de haute mer sont, de manière générale, interdites." Viennent ensuite certaines exceptions à cette règle. Je fais observer que les dispositions sur le trafic en mer doivent à l’évidence s’appliquer à l’opération menée pour recueillir le pêcheur blessé, même si l’on supposait qu’elle aurait lieu assez près du rivage. Il me semble aussi évident que ces dispositions doivent s’appliquer à l’opération de sauvetage, même si les instructions relatives à Jan Mayen ne mentionnent pas l’aide à la flotte de pêche dans cet article ou dans un autre. L’article 2 (...) comporte notamment les deux paragraphes suivants: "- S’assurer que les deux doris sont utilisés lorsque aucun autre bateau ne se trouve dans les parages de l’île ou ne se tient prêt à intervenir en cas de besoin. - Lorsque les conditions météorologiques sont jugées satisfaisantes, le second doris peut être remplacé par le canot, hissé à bord du doris ou remorqué par lui." A mon sens, il découle de ces règles que l’utilisation d’un doris est obligatoire dans un cas comme celui qui nous occupe et qu’un canot ne peut remplacer un doris en pareilles circonstances. Un canot peut certes être employé dans certains cas, mais seulement à titre d’appoint. Mon opinion concorde donc avec celle du président du tribunal et du juge non professionnel qui, se fondant il est vrai sur des motifs quelque peu différents, ont conclu que les dispositions imposaient au [requérant] l’obligation d’utiliser un doris au lieu d’un canot. Le président du tribunal était cependant "(...) d’avis que, même s’il y a eu infraction à cette instruction, il n’en faut pas moins rechercher, sous l’angle de l’article 78 par. 1 (...), si la solution choisie par le [requérant] était pire que s’il avait décidé d’utiliser le doris. Si tel n’est pas le cas, une violation de cette instruction ne saurait être qualifiée de négligence ou légèreté". Je ne souscris pas à cette interprétation de la loi. A mon avis, l’obligation d’utiliser un doris occupe une place tellement importante dans les dispositions relatives au trafic qu’une appréciation telle que celle du président est insuffisante. Je rappelle que cette obligation a été édictée à la lumière de l’expérience et qu’elle vise à protéger la vie et la santé dans une zone qui se caractérise par des conditions météorologiques tout à fait exceptionnelles et une mer dangereuse et qu’il importe donc particulièrement de suivre les instructions sur ce point. L’évaluation évoquée par le président du tribunal ne saurait en conséquence être décisive pour établir s’il y a eu négligence. Le second juge non professionnel qui, avec le président du tribunal, constituait la majorité ayant voté en faveur de l’acquittement, a aussi fondé sa décision sur une application erronée de la loi. D’après elle, l’obligation d’utiliser un doris n’était pas applicable "à une opération de sauvetage de cette nature et la question doit donc être examinée sur la base d’une appréciation de l’obligation de prudence en général". J’en conclus que, selon elle, il n’était pas obligatoire d’utiliser le doris et qu’il n’y a donc pas eu négligence au sens de l’article 78 par. 1. La majorité du tribunal (...) a estimé que l’utilisation, à cette occasion, d’un canot pneumatique au lieu d’un doris n’avait pas compromis la sécurité, compte tenu de l’usage initialement prévu pour le canot, c’est-à-dire recueillir le pêcheur blessé qui se trouvait sur la chaloupe du chalutier de pêche à la crevette "à guère plus d’une centaine de mètres du rivage". Or d’après le règlement, cela n’est pas décisif. L’acquittement du [requérant] se fonde donc sur une application erronée de la loi. Toutefois, cela ne devrait pas, en l’espèce, conduire à la cassation du jugement du tribunal car, comme le ministère public le fait valoir dans son acte d’appel, les conditions se trouvent réunies pour prononcer une décision condamnant le [requérant] en vertu de l’article 362 par. 2 du code de procédure pénale. Je renvoie à cet égard à la description des faits établie par le tribunal. Je rappelle en outre mes précédentes observations sur le contexte et le contenu précis des dispositions relatives au trafic sur Jan Mayen et alentour et, notamment, l’obligation d’utiliser un doris. Dans les conditions difficiles régnant sur l’île, il est particulièrement important de respecter des règles de ce type. Le [requérant] a eu tort de décider, en dépit de l’exigence figurant dans les instructions, d’utiliser le canot pneumatique à cette occasion et de mettre cette décision à exécution. Je fais toutefois observer que les choses ont changé par la suite, lorsqu’il apparut clairement que les occupants de la chaloupe qui s’approchait se trouvaient en danger. J’estime cependant que les faits survenus au début de l’opération présentent un tel caractère de gravité qu’ils doivent passer pour constituer une négligence au sens de l’article 78 par. 1. Je relève que l’avocat de la défense a affirmé devant la Cour suprême que l’obligation d’utiliser un doris ne pouvait s’appliquer puisque le chalutier avait mis sa chaloupe à l’eau. Je ne pense pas que cet [argument] revête une importance décisive en l’occurrence, car il ressort clairement du jugement du tribunal que le canot n’était pas utilisé ce jour-là à simple titre d’appoint. Le défendeur ne pouvait pas non plus savoir si la chaloupe était correctement équipée, ce qui s’est ultérieurement révélé ne pas être le cas. Comme indiqué précédemment, le procureur a également soulevé d’autres questions qui, d’après lui, constituent des infractions aux instructions en vigueur. Certaines d’entre elles, présentées au tribunal, n’ont pas été maintenues devant la Cour suprême. (...) Le tribunal a conclu à l’unanimité à une violation des instructions au motif que l’infirmière n’avait pas apporté de matériel de premiers secours sur le rivage et que le [requérant] le savait. Je partage cet avis. C’est cependant le fait de ne pas avoir utilisé un doris pour l’opération de sauvetage qui constitue le facteur principal au regard de l’article 78 par. 1. Enfin, j’estime appropriée la condamnation du [requérant] à une peine de vingt jours d’arrêts assortie d’un sursis de deux ans ainsi qu’à une amende inconditionnelle de 5 000 NOK ou, à défaut de paiement, un emprisonnement de quinze jours. J’ai à cet égard tenu compte de ce que le défendeur ne peut être blâmé que pour sa conduite pendant les premières phases de l’opération de sauvetage." II. LE DROIT INTERNE PERTINENT L’article 78 par. 1 du code pénal militaire dispose: "Toute personne exerçant un commandement qui se rend coupable de négligence ou de légèreté dans l’exercice de ses fonctions officielles sera mise aux arrêts, relevée de ses fonctions ou détenue pour une période n’excédant pas six mois." Dans toute affaire pénale, même celles relevant du code pénal militaire, l’appel est régi par le code de procédure pénale. A. Procédure devant le tribunal Aux termes de l’article 278 du code de procédure pénale, le procès principal devant le tribunal local revêt un caractère oral. Les preuves écrites sont lues par la personne qui les produit, sauf avis contraire du tribunal (article 302). A l’issue de l’interrogatoire de chacun des témoins et de la lecture de tous les éléments de preuve écrits, l’accusé a le droit de prendre la parole (article 303). Le tribunal s’assure que les faits sont établis de manière complète (article 294). Une fois terminée la présentation des preuves (bevisførselen), le procureur puis l’avocat de la défense peuvent prononcer une plaidoirie. Chacun a le droit de prendre deux fois la parole. Lorsque l’avocat de la défense en a fini, on demande à l’accusé s’il a quelque chose à ajouter (article 304). Pour décider quels faits sont réputés prouvés, le tribunal ne prendra en considération que les preuves fournies lors de l’audience principale (article 305). Selon l’article 40 du code de procédure pénale, si le tribunal prononce une condamnation, sa décision doit exposer le verdict en indiquant de manière précise et complète les faits qu’il juge prouvés et sur lesquels se fonde sa sentence. Il doit également citer la disposition pénale en vertu de laquelle l’accusé a été condamné. Le jugement doit également mentionner les motifs que le tribunal a considérés comme importants pour fixer la sanction. En cas d’acquittement, les motifs du jugement doivent, aux termes de l’article 40, indiquer les conditions qui ne sont pas remplies pour rendre un verdict de culpabilité ou les circonstances qui excluent de prononcer la sanction requise par le ministère public. B. Appel à la Cour suprême Aux termes du code de procédure pénale en vigueur à l’époque des faits, la partie à un procès pénal qui souhaite attaquer une décision du tribunal a le choix entre demander l’ouverture d’un nouveau procès (fornyet behandling) devant la cour d’appel (lagmannsretten) ou adresser un pourvoi (anke) à la Cour suprême, en fonction de la nature du point litigieux. S’il cherche à contester l’appréciation des faits établie par le tribunal pour décider de la culpabilité (bevisbedømmelsen under skyldspørsmålet, article 369, dans sa version en vigueur au moment des faits), l’appelant peut demander l’ouverture d’un nouveau procès devant la cour d’appel avec l’autorisation du comité de sélection des appels de la Cour suprême (article 370, dans sa version en vigueur à l’époque des faits). Par ailleurs, la Cour suprême peut être saisie d’appels fondés sur des erreurs de droit touchant le verdict (rettsanvendelsen under skyldspørsmålet), des vices de procédure (saksbehandling) ou la sentence (straffutmåling) (article 335, dans sa version en vigueur à l’époque des faits). En conséquence, la Cour suprême n’a pas compétence pour réexaminer les faits relatifs à la question de la culpabilité, mais doit s’appuyer sur ceux établis à cet égard par le tribunal. En ce qui concerne la sanction, aucune restriction analogue ne frappe la compétence de la Cour suprême, qui s’exerce sur les questions tant de fait que de droit. Les deux parties peuvent, en principe, interjeter appel d’un jugement rendu par un tribunal local (article 335, dans sa version en vigueur à l’époque des faits). Toutefois, une personne acquittée ne peut faire appel que si le tribunal a considéré comme prouvé qu’elle avait commis l’action illégale citée dans l’acte d’accusation (article 336, dans sa version en vigueur à l’époque des faits). L’instance d’appel est préparée et menée en suivant les règles régissant le procès de première instance dans la mesure où elles sont appropriées et où aucune autre disposition ne s’applique (article 352, dans sa version en vigueur à l’époque des faits). Le procès devant la Cour suprême est oral et public et les deux parties peuvent prendre la parole à deux reprises. La partie appelante a le droit de s’adresser la première au tribunal. L’accusé peut être autorisé à s’exprimer lors de l’audience (article 356, dans sa version en vigueur à l’époque des faits). Les éléments de preuve contenus dans les documents relatifs à l’affaire sont lus devant les juges (article 357, dans sa version en vigueur à l’époque des faits). L’article 362 (dans sa version en vigueur à l’époque des faits) est rédigé en ces termes: "Si la Cour n’aperçoit aucune raison de réformer ou d’annuler la décision attaquée, elle rejette l’appel par ordonnance. A titre subsidiaire, elle rend un arrêt au fond si les conditions nécessaires se trouvent réunies. Dans le cas contraire, elle annule par voie d’ordonnance le jugement contesté." Pour déterminer si les "conditions nécessaires se trouvent réunies", la Cour suprême recherche avant tout si les faits établis dans la décision attaquée lui paraissent suffisants pour rendre un arrêt au fond. La jurisprudence relative à l’article 362 confirme que la Cour suprême hésite à le faire. Avant l’entrée en vigueur, le 1er janvier 1986, du code de procédure pénale de 1981, l’article 396 du code de procédure pénale de 1887 ne conférait à la Cour suprême le pouvoir de rendre une décision de condamnation que "si la question de la culpabilité avait été tranchée en la défaveur de l’accusé" par la juridiction de première instance. Le code de 1981 a supprimé cette restriction à la compétence de la Cour suprême. C. Réforme du système norvégien d’appel Depuis le 1er août 1995, date d’entrée en vigueur de la loi de 1993 portant amendement du code de procédure pénale (Lov av 11 juni 1993 nr. 80 om endringer i straffeprosessloven m.v. (to-instansbehandling, anke og juryordning)), les recours formés contre des décisions du tribunal sont habituellement du ressort de la cour d’appel, qui a compétence pour revoir les points de fait, de droit et de procédure (articles 5, 306 et 345, dans leur version amendée). La cour d’appel sera donc plus qu’avant amenée à jouer le rôle de deuxième instance, la Cour suprême intervenant en troisième instance dans les affaires pénales. Par ailleurs, les dispositions précitées des articles 336, 356, 357 et 362, remplacés par les articles 307, 339, 340 et 345 respectivement, restent pour l’essentiel inchangées. Dans un avis figurant en annexe au projet de loi présentant le nouveau code au parlement (Ot prp nr. 78 (1992-93), p. 25), la Cour suprême déclare: "Le système actuel, où la Cour suprême est au pénal la juridiction de droit commun du second degré, n’est comparable à celui d’aucun autre pays. Il a permis un examen rapide des recours et conféré à la Cour suprême une grande influence sur la pratique du droit pénal. Cependant, au cours des dernières années, il s’est révélé ne plus être satisfaisant, si l’on prend en compte l’évolution récente. En effet, il n’est pas conforme aux normes qui devraient être respectées en fait de garanties juridiques et, parallèlement, vu l’augmentation du nombre d’affaires pénales dans la société d’aujourd’hui, le système engendre au sein de la Cour suprême des conditions de travail qui empêchent cette juridiction de remplir ses fonctions de manière entièrement satisfaisante. La proposition visant à instaurer deux niveaux de juridiction avant la Cour suprême rendrait le système d’appel en matière pénale conforme à celui existant au civil ainsi qu’aux systèmes d’appel en vigueur dans la plupart des pays. Elle permettrait à la Cour suprême de mieux concentrer son travail sur les affaires où elle est appelée à trancher des questions de principe ou celles nécessitant pour une autre raison une décision de sa part." PROCÉDURE DEVANT LA COMMISSION Dans sa requête (no 16206/90) du 22 décembre 1989 à la Commission, M. Botten alléguait une violation de l’article 2 du Protocole no 7 (P7-2) à la Convention en ce qu’il n’avait pas eu le droit de faire examiner par une juridiction supérieure la déclaration de culpabilité et sa condamnation, la Cour suprême n’ayant pas compétence pour évaluer les faits relatifs à la question de la culpabilité. Il se plaignait en outre d’une violation du droit à un procès équitable que lui garantit l’article 6 (art. 6) de la Convention au motif que la Cour suprême l’avait condamné en se fondant sur les faits qui avaient conduit le tribunal à l’acquitter et qu’il n’avait pas été convoqué à l’audience devant cette juridiction et n’y avait pas assisté. La Commission a déclaré la requête recevable le 17 janvier 1994 quant au grief tiré de l’article 6 (art. 6) et irrecevable pour le surplus. Dans son rapport du 11 octobre 1994 (article 31) (art. 31), elle exprime l’avis que la procédure devant la Cour suprême a donné lieu à une violation du droit à un procès équitable garanti par l’article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention (seize voix contre une). Le texte intégral de son avis et de l’opinion dissidente dont il s’accompagne figure en annexe au présent arrêt . CONCLUSIONS PRÉSENTÉES À LA COUR De même que dans son mémoire, le Gouvernement, lors de l’audience du 26 septembre 1995, a invité la Cour à dire qu’il n’y avait pas eu violation de l’article 6 (art. 6) de la Convention. Le requérant, pour sa part, a réitéré la demande qu’il avait déjà exprimée dans son mémoire, priant la Cour de conclure à la violation de l’article 6 (art. 6) et de lui accorder une satisfaction équitable au titre de l’article 50 (art. 50) de la Convention.
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I. Les circonstances de l'espèce A. Le contexte Née à Laksevåg, à côté de Bergen, la requérante quitta le domicile familial à l'âge de seize ans. En 1977, elle avait alors dix-sept ans, elle donna naissance à son fils C. et tous deux devinrent tributaires de l'aide des services sociaux. A partir de 1980, la requérante cohabita avec un homme qui leur fit subir, à elle et à C., des mauvais traitements. L'intéressé fut condamné en 1983 pour des infractions à la législation sur les stupéfiants et il purgea deux années de prison. A de nombreuses reprises, les services sociaux assistèrent la requérante dans l'éducation de C., mais des tensions et des difficultés graves apparurent entre eux et elle. En août 1988, C. commença à être soigné au service de psychiatrie infantile de l'hôpital d'Haukeland à Bergen. En janvier 1989, il fut admis dans une école spéciale, adaptée à ses besoins. Le 14 novembre 1989, C., qui était alors âgé de douze ans, fut pris en charge à titre provisoire en vertu de l'article 11 de la loi sur la protection de l'enfance (Barnevernsloven, loi n° 14 du 17 juillet 1953 - "la loi de 1953"; paragraphe 33 ci-dessous), car sa santé et son développement semblaient menacés. La police aida les services de protection de l'enfance à exécuter la décision. Après avoir séjourné de novembre 1989 aux premiers jours de janvier 1990 dans le service de psychiatrie infantile de l'hôpital d'Haukeland, C. fut placé dans un foyer pour enfants. D'après une déclaration faite le 10 janvier 1990 par le médecin-chef, Mme Guri Rogge, et par l'adjoint au médecin-chef, M. Arne Hæggernes, la situation de la requérante et de C. avait été "assez chaotique" d'un bout à l'autre de la période au cours de laquelle ils avaient été en relation avec l'hôpital. Lorsqu'elle avait eu à affronter des difficultés, la requérante avait rompu ses contacts avec le dispositif qui avait été mis en place pour l'aider. Son mode de vie avait un effet néfaste sur C., et le fait d'avoir changé d'école avait créé chez celui-ci beaucoup d'insécurité. A la mi-novembre 1989, la requérante, qui était enceinte, quitta Bergen pour Oslo. Le 23 novembre, elle fut hébergée dans un centre de crise pour femmes victimes de mauvais traitements dans leur foyer. Le lendemain, elle se rendit pour un examen prénatal au centre médical de Markveien, à Oslo. Elle indiqua au médecin que pendant sa grossesse elle avait pris du valium, du vival et de la paralgine et n'avait pratiquement pas mangé depuis quinze jours. A cause de sa grossesse et de son état de santé, elle fut par la suite transférée à l'hôpital Ullevål, à Oslo. Les médecins qui l'y examinèrent jugèrent déplorable son état de santé physique et mentale, mais ne prirent pas contact avec les services de protection de l'enfance de peur que la mère ne se mutilât. B. Les mesures de prise en charge adoptées à l'égard du deuxième enfant de la requérante Le 7 décembre 1989, la requérante donna naissance à sa fille S. Compte tenu de sa situation difficile et des problèmes qu'elle avait pour élever C., des contacts furent établis avec les services de protection de l'enfance (barnevernet) de Røa, à Olso. La situation de la requérante et de S. fut discutée lors d'une réunion qui eut lieu le 8 décembre 1989 entre la première et son avocat d'une part, et les services de protection de l'enfance de l'autre. Le 13 décembre 1989, le président du Comité des bénéficiaires et patients de Røa, district 24 (klient- og pasientutvalget i bydel 24, Røa - "le Comité") résolut de prendre S. en charge à titre provisoire en vertu de l'article 11 de la loi sur la protection de l'enfance (paragraphe 33 ci-dessous), au motif que, en raison de son état de santé physique et mentale, la requérante était jugée incapable de s'occuper de sa fille. Le président estima que l'enfant serait en danger si la décision n'était pas appliquée immédiatement. En prenant cette mesure, il tint compte de la décision des services sociaux de Bergen de prendre l'enfant en charge à titre provisoire d'abord, de leur intention de le faire à titre définitif, ainsi que de leur souci pour le bébé qu'ils avaient envisagé de prendre en charge dès sa naissance. Il se fondait aussi sur des informations fournies par le centre médical de Markveien, l'hôpital d'Ullevål et les participants à la réunion du 8 décembre 1989. La requérante ne forma aucun recours contre cette décision de prise en charge provisoire. Le 19 décembre 1989, conformément à la décision ci-dessus, S. fut placée dans un foyer d'accueil de brève durée lié au centre d'aide à l'enfance Aline. La requérante fut autorisée à venir rendre visite à sa fille au centre deux fois par semaine. Elle ne contesta pas cet arrangement concernant le droit de visite, qui ne reposait sur aucune décision formelle. La question de la prise en charge par l'autorité publique fut portée devant le Comité le 29 décembre 1989. Le Comité obtint de M. Knut Rønbeck, psychologue, un avis d'expert daté du 13 février 1990 et qui contenait la conclusion suivante sur la capacité de la requérante à s'occuper de S.: "(...) A première vue, elle semble être une jeune femme charmante, aimable et bien organisée. Lorsqu'on la rencontre, on peut donc, au départ, éprouver quelque difficulté à comprendre que les services de protection de l'enfance et les autorités de santé mentale aient eu des problèmes aussi graves pour obtenir sa coopération pour le profit de son fils. A y regarder de plus près, toutefois, on voit se dessiner l'image claire d'une femme ayant de graves problèmes mentaux non résolus qui affectent fortement son fonctionnement social et son aptitude à s'occuper [d'un enfant]. Les problèmes s'expriment sous la forme d'une anxiété et d'une dépression. Depuis sa prime enfance, elle fonctionne d'une manière assez marginale d'un point de vue social. Pendant de nombreuses années, elle a vécu avec un homme qui, de son propre aveu, les a maltraités, elle et son fils, mais sans qu'elle soit capable de rompre la relation. (...) (...) Compte tenu des antécédents de [la requérante] concernant la manière dont elle s'est occupée de son enfant, et eu égard à son ignorance/dénégation de ses propres fautes à l'endroit de ses propres problèmes et des problèmes de [C.], je regrette de devoir dire, en ma qualité d'expert en l'espèce, que je ne peux nourrir d'espoir quant à la capacité future de l'intéressée à s'occuper de ses enfants, bien qu'à n'en pas douter elle les aime et soit attachée à eux. En complément à ces observations, il me faut ajouter que [la requérante] se trouve aujourd'hui confrontée à la perspective d'être une mère seule à Oslo, où elle ne peut pas compter sur le soutien d'un environnement social. (...) L'enfant en l'espèce [S.] se trouve dans une phase de sa vie où l'attachement à des personnes de préférence stables doit se développer. Il est très important pour le développement de sa personnalité qu'elle ait à présent l'occasion de s'attacher à des personnes que tout au long de son adolescence elle pourra considérer comme des parents stables et sécurisants." La requérante sollicita la désignation d'un second expert. Les services de protection de l'enfance ayant rejeté sa demande, elle engagea elle-même une psychologue, Mme Lise Valla, qui soumit son avis le 17 avril 1990. Celui-ci concluait comme suit: "(..) je ne puis estimer qu'il existe des raisons suffisantes pour priver [la requérante] de la garde de ses enfants C. et S. D'après moi, [la requérante] fait preuve de responsabilité lorsqu'il s'agit d'envisager l'adolescence des enfants - et c'est également quelqu'un qui peut tirer des leçons des erreurs qu'elle a commises. Il est clair cependant que [la requérante] aura besoin, à l'avenir, d'une certaine assistance pratique. Il est souhaitable qu'elle et C. suivent une thérapie afin de pouvoir surmonter les traumatismes affectifs subis pendant les mauvaises années, et il me paraîtrait raisonnable que les autorités publiques prennent en charge ce traitement. De surcroît, [la requérante] doit recevoir une aide pour avoir une meilleure instruction." Le rapport ci-dessus se fondait sur les documents disponibles et sur des entretiens avec la requérante et son fils. Dans l'intervalle, les services de protection de l'enfance de Røa poursuivirent leur examen de l'affaire. Leur rapport du 30 mars 1990, adressé au Comité et fondé, entre autres, sur des discussions avec la requérante, sur l'avis de M. Rønbeck et sur les dossiers des services de protection de l'enfance de Bergen et d'Oslo, précisait que si S. devait être rendue à sa mère, sa santé mentale pourrait en pâtir ou se trouver gravement compromise, car elle vivrait dans des conditions correspondant à celles visées à l'article 16 a) de la loi sur la protection de l'enfance (paragraphe 32 ci-dessous). Le rapport recommandait la prise en charge forcée de S., en application de l'article 19 de la loi, semblable mesure étant nécessaire, eu égard à l'incapacité de la requérante à s'occuper de sa fille de manière satisfaisante et au fait que les mesures de prise en charge préventive adoptées à l'égard de C. au titre de l'article 18 de la loi s'étaient révélées inefficaces (paragraphes 33-34 ci-dessous). Le rapport recommandait en outre le placement de S. dans un foyer d'accueil en vue de son adoption. L'expérience scientifique des années antérieures avait montré que demeurer dans un foyer d'accueil de longue durée plutôt que d'être adopté était désavantageux pour un enfant: les parents d'accueil pouvaient à tout moment dénoncer l'arrangement, et les parents naturels pouvaient engager une procédure afin de récupérer leur enfant. L'adoption présentait l'avantage de clarifier la situation et de créer sécurité et stabilité pour l'enfant et les parents adoptifs. De surcroît, le rapport précisait que pour garantir le développement de l'enfant et sa relation avec les personnes s'en occupant en permanence, il serait bon que les autorités privassent la requérante de l'ensemble de ses droits parentaux (foreldreansvaret), en vertu de l'article 20 de la loi (paragraphe 35 ci-dessous). A propos de la question du droit de visite, le rapport ajoutait: "Durant le séjour de sa fille au centre pour enfants, [la requérante] avait un droit de visite d'une heure deux fois par semaine. Il est recommandé, après le placement de la fillette dans un foyer nourricier agréé en vue de son adoption, d'interdire toute visite et de tenir l'adresse secrète. [La requérante] a tenté par le passé de s'enfuir avec son fils pour échapper aux services sociaux, et elle n'a pas informé le bureau d'aide sociale ni les services sociaux que son fils avait quitté le foyer pour enfants de Bergen en février 1990 pour venir vivre avec elle. En conséquence, il est possible qu'elle intervienne de manière intempestive dans la vie du foyer nourricier, ou qu'elle tente même d'en retirer sa fille. Il est essentiel que cette enfant trouve dans son nouvel environnement calme et stabilité. Les services sociaux recommandent donc que [la requérante] n'ait plus aucune relation avec l'enfant, qui devrait être placée en un lieu tenu secret. La fillette n'ayant actuellement aucun contact avec sa mère, il ne sera pas nécessaire de limiter progressivement les visites avant son placement dans le foyer nourricier." Le 2 mai 1990, le Comité, présidé par Mme Inger Kristine Moksnes, juge au tribunal (byrett) d'Oslo, se pencha sur l'affaire. La requérante, assistée par un avocat, cita trois témoins, les services de protection de l'enfance un. M. Rønbeck, l'expert désigné, fut entendu, mais non Mme Valla, l'expert engagé par la requérante elle-même. L'Etat n'assumant pas les frais de comparution de Mme Valla, celle-ci ne put venir à l'audience. Le Comité rejeta la demande de l'avocat de la requérante tendant à ce que sa cliente fût assistée par M. Reidar Larssen, psychiatre, car elle était déjà représentée. Ce dernier fut cependant autorisé à comparaître en qualité de témoin et à assister à l'audience ensuite, mais sans pouvoir intervenir devant le Comité. Les avis de M. Rønbeck et de Mme Valla, ainsi que le rapport des services de protection de l'enfance en date du 30 mars 1990, avaient été mis à la disposition du Comité. Sur la base des informations et des preuves à lui communiquées, le Comité décida, le 3 mai 1990, par quatre voix contre deux, de prononcer la prise en charge de S.; de déchoir la requérante de l'autorité parentale (avec pour résultat de transférer celle-ci aux services de protection de l'enfance); de placer S. dans un foyer d'accueil en vue de son adoption; de refuser à la mère le droit de visite dès le placement de l'enfant dans le foyer d'accueil et de garder secrète l'adresse de ce dernier. Dans sa décision, il déclara: "A la lumière des rapports présentés et des arguments soulevés au cours de cette séance, la majorité du Comité (Mme Ryberg, M. Clausen, M. Aasland et Mme Moksnes) conclut qu'il est très peu probable que [la requérante] puisse s'occuper de sa fille de manière satisfaisante. La majorité relève que [la requérante] a été seule titulaire de la garde de son fils, né en 1977. Elle a été incapable de s'en occuper et les services sociaux ont pris l'enfant en charge. Depuis 1977, [la requérante] bénéficie d'aides spéciales et, depuis le dixième anniversaire de son fils, elle est entièrement tributaire des prestations sociales. Elle n'a travaillé que pendant de courtes périodes. Elle n'a jamais eu de vie commune avec les pères de ses enfants, mais a vécu plusieurs années avec un autre homme, qui la brutalisait et maltraitait son fils, à la fois physiquement et mentalement. Il évoluait dans le milieu des drogués de Bergen, comme elle à un certain moment. Cet homme purge actuellement une peine de prison pour trafic de stupéfiants. La requérante s'est elle-même adonnée aux stupéfiants et à l'alcool, ce qui lui a valu des problèmes d'intoxication dont l'ampleur est difficile à cerner. Certes, le Comité suppose qu'elle n'en a pas actuellement; toutefois, rien ne prouve que ces difficultés ne ressurgiront pas à l'avenir. [La requérante] soutient avoir tiré un trait sur son ancienne liaison et sa vie passée. Elle a déménagé de Bergen à Oslo, où elle semble être repartie sur d'autres bases. Elle a noué quelques contacts sociaux, mais ceux-ci dépendant des circonstances, ils ne sauraient être déterminants. Elle n'a que de vagues projets pour l'avenir, mais souhaite cependant acquérir une formation d'aide-soignante. Toutefois, la majorité estime que le point décisif dans cette affaire doit être que, selon les conclusions de l'expert désigné par le Comité, [la requérante] souffrirait encore de graves problèmes psychiques affectant son comportement social et son aptitude à s'occuper [d'enfants]. Malgré les troubles mentaux importants dont était atteint son fils, elle n'a pas été capable de coopérer avec les autorités ni de faire passer les besoins de son enfant avant les siens. Elle n'a pas compris que le garçon avait besoin d'aide et a refusé toute assistance. La majorité craint que cette attitude ne l'empêche de répondre aux besoins de sa fille si celle-ci reste avec [la requérante]. La majorité estime que la fillette évoluera dans un contexte tel que prévu par l'article 16 a) de la loi sur la protection de l'enfance. La prise en charge de son fils ayant déjà donné lieu à un certain nombre de mesures, la majorité estime que l'application de celles-ci prévues à l'article 18 serait sans effet. Dès lors, le placement est justifié au regard de l'article 19. Selon la majorité, les exigences de l'article 20 de la loi sur la protection de l'enfance sont également remplies. [La requérante] n'est pas particulièrement motivée pour accepter une thérapie, et tout porte à croire qu'elle persistera dans cette attitude. Par conséquent, la majorité estime que l'intérêt de l'enfant exige son placement dans un foyer nourricier en vue de son adoption. L'enfant entame une phase déterminante de sa vie, où il est préférable qu'elle soit assurée de ne pas changer d'environnement familial. Il est essentiel qu'elle puisse s'attacher à des personnes stables qu'elle pourra considérer comme des parents stables et sécurisants durant son adolescence. Cette mesure est capitale pour le développement de sa personnalité. En conséquence, elle ne devrait pas faire l'objet d'un accord de placement en foyer nourricier qui soit résiliable. En outre, ses contacts devraient se limiter à un nombre réduit de personnes proches, et son adresse devrait donc être tenue secrète, conformément à l'article 19 de la loi sur la protection de l'enfance, afin que [la requérante] ne puisse plus lui rendre visite après son placement dans le foyer nourricier.» La minorité du Comité estima que la situation de la requérante s'était améliorée depuis son déménagement de Bergen à Oslo et que, dès lors, il fallait lui donner l'occasion de prendre en charge l'éducation de sa fille en séjournant à cet effet dans une institution spéciale. Après la naissance de sa fille, la requérante emménagea dans un appartement à Oslo. Durant le printemps de 1990, C. s'échappa à deux reprises du foyer pour enfants de Bergen afin de la rejoindre à Oslo. La deuxième fois, elle fit savoir qu'elle ne se soumettrait pas à la décision de prise en charge. Dès lors que C. ne souhaitait pas retourner à Bergen et que la requérante estimait que les services sociaux là-bas ne s'employaient pas assez à aider son fils, elle décida de permettre à C. de demeurer à Oslo. Elle réussit à l'y faire entrer dans une école et prit contact avec un psychiatre pour obtenir de l'aide. Le 24 avril 1990, il fut décidé de placer C. à titre permanent mais, le 19 juin 1990, l'ordonnance de prise en charge de C. fut levée, nonobstant le fait que sa situation était toujours jugée préjudiciable à son développement physique et psychologique, question qui continuait à préoccuper grandement les autorités. Le conflit entre celles-ci, d'une part, et la requérante et son fils, de l'autre, avait rendu impossible la mise en oeuvre de la décision de prise en charge sans que le garçon dût en subir des conséquences plus graves encore. La décision du 19 juin fut par la suite confirmée par le gouverneur (Fylkesmannen) du comté de Hordaland le 13 mars 1991. C. vivait avec la requérante depuis mai 1990. C. Recours introduits par la requérante contre les mesures relatives à la prise en charge de S. Le 25 mai 1990, l'avocate de la requérante reçut le procès-verbal de la réunion tenue par le Comité le 2 mai 1990 et ayant abouti à sa décision du 3 mai 1990. En ce qui concerne la prise en charge et la déchéance de l'autorité parentale, la requérante forma, le 28 mai 1990, auprès du gouverneur de comté pour Oslo et Akershus, un recours contre la décision du 3 mai. Pour ce qui est des restrictions au droit de visite, elle invita le gouverneur de comté à conférer au recours un effet suspensif (oppsettende virkning). Elle fit valoir que la poursuite des visites était indispensable au maintien du contact entre elle et sa fille en attendant qu'il soit statué sur le recours. La requérante adressa également une copie de celui-ci au Comité qui, le 28 juin 1990, décida de confirmer sa décision du 3 mai 1990 et de renvoyer l'affaire au gouverneur de comté. Le 31 juillet 1990, le gouverneur de comté, s'appuyant sur l'article 42 de la loi sur l'administration publique (Forvaltningsloven, loi du 10 février 1967), décida de ne pas conférer effet suspensif au recours, au motif qu'il était dans l'intérêt supérieur de la fillette que la décision du 3 mai 1990 portant suppression du droit de visite fût mise en oeuvre dès le placement de l'enfant dans le foyer d'accueil. S. fut placée chez des parents nourriciers le 30 mai 1990. La requérante n'a pu la voir depuis lors. Elle persista dans son recours contre la décision de prise en charge et la privation des droits parentaux. Informée que le recours qu'elle avait adressé au gouverneur de comté le 28 mai 1990 ne serait pas examiné avant quatre ou cinq mois, elle engagea une procédure devant le tribunal d'Oslo. Elle l'invita à annuler la décision prise par le Comité le 3 mai 1990, soutenant notamment qu'il était crucial que sa cause fût examinée à bref délai, dès lors qu'elle s'était vu refuser le droit de voir sa fille. Le 24 octobre 1990, le tribunal rejeta (avviste) la demande au motif que pareille action ne pouvait être engagée qu'à la suite d'une décision rendue en la matière par le gouverneur de comté. Le 17 janvier 1991, la cour d'appel (Lagmannsretten) rejeta le recours dont l'avait saisie l'intéressée, au motif que le gouverneur de comté avait dans l'intervalle statué sur la cause (paragraphe 24 ci-dessous) et que, dès lors, il n'y avait aucune raison de connaître du recours. Un pourvoi formé auprès de la Cour suprême (Høyesterett) fut rejeté le 7 mars 1991. Le 9 novembre 1990, après une réunion avec la requérante et son avocat, le gouverneur de comté pour Oslo et Akershus confirma la décision du Comité relative à la prise en charge et à l'autorité parentale. Le 13 novembre 1990, la requérante engagea devant le tribunal d'Oslo une procédure contre le ministère de l'Enfance et des Affaires familiales (Barne- og familiedepartementet) au titre du chapitre 33 du code de procédure civile (tvistemålsloven, loi n° 6 du 13 août 1915 - paragraphe 38 ci-dessous); elle y sollicitait la mainlevée de la décision de prise en charge et le droit de vivre avec sa fille. A titre subsidiaire, elle demandait la réintégration dans son autorité parentale. Le 20 décembre 1990, le ministère défendeur soumit des observations en réponse. Après avoir consulté les parties, le tribunal désigna, le 1er février 1991, deux experts chargés d'évaluer la capacité de la requérante à s'occuper de sa fille et les conséquences d'une révocation de la décision de prise en charge et/ou de la réintégration de la requérante dans son autorité parentale. Les experts furent invités à soumettre leur avis pour le 15 mars 1991, ce qu'ils firent. Le 8 février 1991, les parties furent informées que l'affaire avait été fixée au 2 avril 1991. Le tribunal dans lequel siégeait un juge ad hoc, M. Idar E. Pettersen, entendit la cause du 2 au 5 avril 1991. Après avoir ouï la requérante, représentée par son avocat, un représentant du ministère défendeur, onze témoins et les deux experts désignés, le tribunal, par un jugement du 16 avril 1991, confirma la prise en charge et la déchéance de l'autorité parentale. Il fournit les motifs suivants: "La loi sur la protection de l'enfance requiert en principe qu'un enfant soit élevé par ses parents naturels. Cette règle générale peut néanmoins souffrir des exceptions dans l'intérêt de l'enfant, car elle ne saurait autoriser qu'il lui soit gravement porté préjudice. Pour examiner une mesure de prise en charge obligatoire décidée au titre de la loi sur la protection de l'enfance, les tribunaux doivent avant tout se fonder sur les circonstances prévalant au moment du jugement. Il échet de tenir compte des conséquences négatives que pourrait avoir un retour de l'enfant chez ses parents naturels après un séjour chez des parents nourriciers. En outre, le comité de protection de l'enfance [barnevernsnemnda] et le gouverneur de comté doivent pouvoir légalement confirmer une décision de placement d'enfant, même si les circonstances ayant motivé la décision ont changé au point que les conditions d'intervention en vertu de la loi sur la protection de l'enfance ne sont plus remplies. Ayant apprécié les preuves, le tribunal estime être en présence d'une situation [ytre betingelser] de nature à permettre à la requérante d'offrir aujourd'hui une éducation acceptable à sa fille, née le 7 décembre 1989. A cet égard, la situation s'est améliorée depuis la prise en charge de la fillette par les services de protection de l'enfance. [La requérante] semble s'être bien établie à Oslo, avec le père de son fils aîné, lequel vit également avec elle. De toute évidence, elle se soucie beaucoup de l'enfant dont elle est séparée. Il n'y a aucun doute qu'elle est prête à faire son possible pour s'en occuper au mieux si elle lui était restituée. En pareilles circonstances, le tribunal doit examiner si un retour de l'enfant chez sa mère naturelle après son séjour chez les parents nourriciers pourrait lui être réellement préjudiciable. En l'espèce, l'enfant a été retirée à sa mère peu après la naissance. Depuis lors, elles ont eu peu de contacts et, aux yeux de l'enfant, sa mère naturelle est aujourd'hui une étrangère. Les experts commis par le tribunal s'accordent à dire que l'enfant sera perturbée si elle doit retourner chez sa mère. Dans son rapport, Mme Seltzer, la psychologue, déclare à cet égard: "Elle traverse actuellement une phase du développement de son autonomie où un environnement stable et un équilibre affectif lui sont nécessaires pour évoluer sans complication. A court terme, il est clair que si elle devait être séparée de ses parents nourriciers, elle éprouverait de la peine et une profonde émotion. A long terme, il est probable que si elle quittait son foyer à ce stade de son développement, elle conserverait durant toute sa vie un sentiment d'insécurité à l'égard d'autrui, y compris vis-à-vis de proches qui lui sont chers." Les experts soulignent qu'en pareilles circonstances, tout retour comporterait un risque particulier, [l'enfant] ayant déjà été séparée de sa mère naturelle à deux reprises durant sa courte vie, peu après sa naissance et à sept mois, lorsqu'elle a quitté [le Centre pour enfants] pour être placée chez ses parents nourriciers. Elle est donc particulièrement sensible à tout nouveau changement. L'enfant vit à présent dans un environnement sécurisant et stimulant au sein du foyer nourricier et, selon le tribunal, les parents nourriciers semblent être mieux à même de l'élever que sa mère naturelle. En outre, le tribunal estime que la mère risque fort de ne pas être capable de gérer convenablement (...) en situation de crise le retour d'une enfant perturbée. Le comportement de la mère par le passé et ses relations antérieures avec l'assistance publique laissent supposer qu'au moment où elle aura besoin du soutien de ce dispositif pour faire face à pareille situation d'urgence et de crise, elle se défendra avec crainte et agressivité. Le psychologue M. Reigstad, en particulier, insiste sur ce point. Au cours de son audition par le tribunal, il a maintenu les vues exprimées dans son rapport, qu'il a complété par des précisions sur la personnalité de la mère. Il estime que celle-ci présente un comportement d'identification projective. Son monde est donc divisé en deux catégories, les amis et les ennemis, et elle présente à ceux qu'elle considère comme ses amis un visage serein et sympathique, tandis que son comportement envers les personnes qu'elle ressent comme des ennemis est empreint d'une grande méfiance, de crainte et d'agressivité. Selon M. Reigstad, la mère considérera dans ce cas le dispositif de soutien public comme des ennemis et aura donc une attitude négative à son égard. L'enfant n'en sera que plus affectée, et sa souffrance se traduira avec le temps par un dédoublement de personnalité. La mère a fait très bonne impression à tous les experts qu'elle a présentés, en l'occurrence le docteur Terje Torgersen, Mme Lise Valla, psychologue, et M. Reidar Larsen, psychiatre. Ces personnes ont néanmoins un point commun: aucune d'entre elles n'a eu une relation de médecin à patient avec [la requérante]. Les experts désignés par les services de protection de l'enfance et le tribunal, les psychologues, M. Knut Rønbeck, Mme Wenche Seltzer et M. Ståle Reigstad, font tous état d'une image beaucoup plus complexe de la mère. Le tribunal estime que ceux-ci, eu égard à leur mandat et aux contacts qu'ils ont eus avec [la requérante] et d'autres, disposaient des meilleurs éléments pour l'évaluer en tant que personne. En conséquence, il peut difficilement se résoudre à ne pas suivre [leurs conclusions]. Allant au-delà d'un examen au regard des principes fondamentaux de la loi quant à la question d'une éventuelle mainlevée de la mesure de placement, le tribunal a également examiné leurs conclusions à la lumière d'autres observations présentées en l'espèce. Il relève que les experts se sont acquittés de leur tâche avec une grande minutie. Leurs conclusions sont claires et semblent bien fondées. Leurs déclarations confirment et précisent l'impression générale du tribunal en l'espèce. Dès lors, après avoir examiné l'affaire dans son ensemble, il fondera sa décision sur les conclusions d'experts. De l'avis du tribunal, rien en l'espèce ne paraît justifier de s'écarter des conclusions des experts. Eu égard à ce qui précède, le tribunal estime que, compte tenu des réactions que pourrait susciter chez la fillette un changement d'environnement, assumer la garde de l'enfant constituerait une charge particulièrement exigeante pour la mère. D'après les renseignements obtenus sur la situation actuelle et sur le passé de l'intéressée, il est peu probable qu'elle accepte facilement l'aide proposée par la société. En conséquence, après avoir apprécié concrètement tous les éléments de la cause, le tribunal conclut que la décision du gouverneur de comté, et donc également celle des services sociaux, prévoyant le placement de l'enfant doit être confirmée. Il s'agit à présent d'examiner si la décision doit porter uniquement sur le placement ou également, comme prévu à l'article 20 de la loi sur la protection de l'enfance, sur l'autorité parentale. A cet égard, le tribunal relève qu'il est clair que l'article 20 a été appliqué en vue d'une adoption. Les parents nourriciers souhaitent adopter l'enfant et, à en juger par les informations disponibles, le tribunal suppose qu'il en sera ainsi, sauf si la décision est limitée à la seule prise en charge. Le tribunal estime que pour pouvoir appliquer l'article 20 (...) il doit avoir la conviction que c'est nécessaire pour assurer à l'enfant des soins appropriés. Les conditions préalablement posées dépendront du but visé par la déchéance de l'autorité parentale, et de la situation dans son ensemble. Si l'objectif est d'autoriser l'adoption de l'enfant, le dossier doit être très solide. Seules des circonstances exceptionnelles justifient l'application de l'article 20 de la loi sur la protection de l'enfance en vue de l'adoption. Il faut poser comme condition que les parents ne soient pas à même de s'occuper convenablement de l'enfant et que cette situation soit définitive. La déchéance de l'autorité parentale en vue de l'adoption soulève la question de savoir s'il faut mettre définitivement fin aux contacts entre l'enfant et ses parents naturels, avec toutes les conséquences que cela implique pour le regroupement familial. Selon le tribunal, l'une des conditions préalables au transfert de l'autorité parentale en vue de l'adoption est que l'enfant ne puisse, à l'évidence, retourner chez ses parents dans un proche avenir. En l'espèce, les deux experts désignés ont recommandé au tribunal un placement définitif dans le foyer nourricier. Le psychologue [M.] Reigstad, l'un de ces experts, déclare à cet égard: "Examen de la question de l'autorité parentale et de l'adoption Il ressort de l'examen de la question qu'outre la considération générale qu'en pareil cas l'adoption est toujours avantageuse pour l'enfant, il existe en l'espèce des raisons concrètes et réelles militant en faveur de l'adoption. A mon sens, les difficultés de la requérante sont anciennes et, de plus, bien ancrées dans l'ensemble de sa personnalité. On en trouve trace depuis l'année 1977 et elles se sont manifestées presque constamment au cours de sa vie adulte. Dès lors, il est peu probable qu'elle les résolve dans un proche avenir, et cette situation revêt donc un caractère quasi définitif. En outre, les visites de la mère au foyer nourricier risqueraient fort d'en troubler le climat de sécurité et de le rendre impropre à l'accueil de l'enfant. Il faut à cet égard songer au combat mené par la requérante ces dernières années contre les services de protection de l'enfance et à son intention déclarée de reprendre sa fille avec elle. De plus, si l'on considère qu'elle avait auparavant recueilli son fils sans en aviser les services sociaux de Bergen et en bénéficiant du soutien de ses avocats à Oslo, on ne peut guère être optimiste quant à sa coopération future avec le foyer nourricier. En conséquence, je suis parvenu à la conclusion qu'il serait dans l'intérêt de la fillette qu'on la laisse dans le foyer nourricier et qu'on autorise son adoption afin que ses [parents nourriciers] exercent également l'autorité parentale. Compte tenu des termes de mon mandat, ma conclusion est la suivante: Conclusion A. Si l'enfant retourne chez sa mère naturelle, il y a un risque considérable qu'elle ne se remette pas de la crise que provoquera la séparation, ce qui lui portera définitivement préjudice. Il existe également une raison objective de douter de la capacité de la mère à assurer à sa fille l'assistance médicale et psychologique nécessaire. Dès lors, je ne puis recommander au tribunal de rendre l'enfant à sa mère naturelle. B. Je suppose que si on laisse la mère naturelle exercer l'autorité parentale sur un enfant placé dans un foyer nourricier, c'est pour lui donner accès au foyer et la laisser partager ou assumer la responsabilité de décisions importantes pour l'enfant. Dans les circonstances présentes, l'accès au foyer nourricier ou la seule révélation de l'adresse du foyer porterait atteinte au caractère sécurisant qu'il présente et le rendrait impropre à l'accueil de l'enfant, ce qui, à court et à long terme, se révélerait préjudiciable à celui-ci. C. Selon moi, la meilleure solution pour l'enfant consiste à retirer l'autorité parentale à la mère et à autoriser les parents nourriciers à adopter l'enfant. La fillette pourrait ainsi être élevée dans un environnement stable et favorable, et tisser des liens indissolubles avec sa nouvelle famille." Le second expert, [Mme] Seltzer, s'exprime ainsi à cet égard: "Si l'enfant reste dans le foyer nourricier et que ses parents nourriciers continuent de l'élever, j'estime qu'il serait peu réaliste et compliquerait peut-être la situation, d'investir toute autre personne que les parents nourriciers de l'autorité parentale. En outre, l'intérêt de l'enfant commande qu'elle ait pleinement et formellement sa place au quotidien au sein d'une famille. De plus, des solutions distinctes pour la prise en charge et l'autorité parentale risqueraient de créer un climat d'insécurité et d'être une source de conflit entre les adultes, l'enfant étant tiraillée entre les deux parties. Dans certains cas, il peut également s'avérer difficile de prendre soin de l'enfant de manière satisfaisante au quotidien lorsqu'une autre personne est investie de l'autorité parentale. Si le tribunal décidait néanmoins de séparer la prise en charge quotidienne de l'autorité parentale il faudrait que s'instaure entre les parties une bonne coopération qui n'existe pas actuellement, puisque les parents nourriciers et la mère naturelle ne se sont jamais rencontrés. Je recommande que les personnes qui s'occupent quotidiennement de l'enfant continuent à le faire et qu'elles soient également investies de l'autorité parentale." Au cours de leur déposition devant le tribunal, les deux experts ont déclaré avoir été confortés dans leur analyse par les observations présentées durant les débats. Quant à la question de savoir si la mère serait capable de s'occuper convenablement de l'enfant en permanence, [M.] Reigstad déclare qu'aujourd'hui et dans un avenir prévisible, la mère n'en serait pas capable. [M.] Rønbeck partage cet avis dans le rapport présenté en l'espèce. [Mme] Seltzer estime pour sa part que la mère serait aujourd'hui probablement apte à s'occuper de l'enfant si elle se trouvait dans une situation favorable et dénuée de toute ambiguïté, ce qui n'est pas le cas actuellement. En conséquence, elle laisse entendre qu'il serait dans l'intérêt de l'enfant de rester là où elle est. Compte tenu des constatations des experts, le tribunal conclut qu'à l'évidence la mère ne peut élever convenablement l'enfant à titre permanent. S'agissant de l'autorité parentale, le tribunal accorde un poids décisif à l'avis des experts. En outre, il reconnaît avec eux qu'il existe un risque réel de conflit entre les parents nourriciers et la [requérante] si celle-ci est autorisée à avoir des contacts avec le foyer nourricier. A cet égard, le tribunal rappelle les observations relatives aux réactions de la mère. Il s'ensuit que des arguments solides et réels militent en faveur d'une adoption. Selon le tribunal, les motifs particuliers opposables en l'espèce à cette solution ne sont pas décisifs. Le tribunal souligne que la mère naturelle est une étrangère pour l'enfant, qui n'a pas eu, d'après les informations recueillies par le tribunal, le moindre contact avec elle. En conséquence, après s'être livré à une appréciation concrète de l'ensemble des éléments, le tribunal conclut que la décision prévoyant le transfert de l'autorité parentale doit également être confirmée." Le 28 mai 1991, la requérante se pourvut devant la Cour suprême. Le ministère défendeur déposa un mémoire en réponse le 19 juin 1991. Le 23 août 1991, la requérante fut invitée à soumettre des observations complémentaires pour le 6 septembre 1991. Elle en déposa le 5 septembre 1991. Le 19 septembre 1991, le comité de sélection des recours de la Cour suprême (Høyesteretts Kjæremålsutvalg) refusa l'autorisation de saisir la Cour. D. Développements ultérieurs Au cours du printemps de 1991, la requérante déménagea à Nørreballe, au Danemark. Elle réside aujourd'hui là-bas, avec le père de C. Ce dernier vit à présent à côté de Copenhague où il travaille. La requérante donna naissance à une seconde fille le 14 décembre 1991. D'après les autorités danoises, cet enfant se développe bien. Un second fils naquit en 1993. La fille S. de la requérante vit toujours auprès de ses parents nourriciers. A ce jour, aucune décision n'a été prise concernant son adoption. Le rapport établi le 30 janvier 1994 par la psychologue Mme An-Magritt Aanonsen et favorable à la requérante comme aux parents nourriciers, conclut: "1. La mère comme l'enfant semblent aujourd'hui aller bien. La première entretient une relation stable avec le père de trois de ses quatre enfants. Elle semble s'occuper de ceux-ci de manière satisfaisante, assume le quotidien et réussit à régler les problèmes qui se posent, sans aide particulière. L'enfant s'est fortement attachée à ses parents nourriciers, qui assurent de bonnes conditions pour son éducation et semblent l'aimer sincèrement et être très dévoués. Dans la partie qui précède, j'ai envisagé les conséquences qu'il y aurait à établir un droit à des contacts. Vu la situation actuelle de l'enfant, il n'est pas souhaitable d'en prévoir un pour le moment, sauf si les conditions du placement venaient à changer. Il est souhaitable que l'enfant jouisse de la plus grande stabilité possible; c'est un placement permanent chez les personnes qui s'en occupent pour le moment qui permettra le mieux d'atteindre cet objectif. J'ai aussi envisagé plus haut les conséquences qu'entraînerait un droit de visite quant à la situation actuelle de placement et l'importance que cela aurait pour le développement de l'enfant. J'ai indiqué les modalités que l'on pourrait introduire sans incidences sur le placement. En conclusion, je souligne que, nous le savons aujourd'hui, il importe pour le développement d'un enfant qu'il connaisse la stabilité, la continuité et que ceux qui s'occupent de lui l'entourent d'affection et l'aident à s'affirmer comme personne. L'intérêt de l'enfant commande que ceux qui s'en occupent sachent que ce sont eux qui prennent les décisions en ce qui concerne les événements importants de la vie de l'enfant. Il faut en tenir compte si l'on veut instaurer un droit de visite ou celui d'avoir des contacts avec l'enfant." II. Le droit interne pertinent A. La loi de 1953 sur la protection de l'enfance Mesures de prise en charge obligatoire Dans la mesure où cet élément est pertinent en l'espèce, la base légale pour les mesures de protection relatives aux enfants résidait dans la loi du 17 juillet 1953 sur la protection de l'enfance ("la loi de 1953"), qui a été remplacée par une nouvelle législation le 1er janvier 1993 (paragraphes 41-45 ci-dessous). Le principe sous-jacent à la loi de 1953, qui s'appliquait en l'espèce, était que, d'une manière générale, l'intérêt supérieur d'un enfant commandait qu'il fût élevé par ses parents naturels. Dès l'instant où il y avait prise en charge, la meilleure solution était, en principe, que les parents naturels gardent le contact avec lui et conservent les droits parentaux. En vertu de l'article 16 a) de la loi de 1953, des mesures de protection pouvaient être prises si un enfant vivait dans des conditions de nature à affecter sa santé physique et mentale ou si celle-ci se trouvait gravement compromise. D'après une jurisprudence établie (voir les arrêts de la Cour suprême des 6 novembre 1986, Norsk Retstidende ("NRt") 1986, p. 1189, et 21 janvier 1987, NRt 1987, p. 52), pareille mesure pouvait être prise, non seulement lorsque le préjudice redouté s'était réalisé, mais aussi lorsqu'il y avait un risque patent de dommage. En conséquence, d'après cette disposition, un enfant pouvait être pris en charge immédiatement après sa naissance. L'article 18 de la loi prévoyait diverses mesures préventives (forebyggende tiltak), tels le placement sous surveillance du foyer de l'enfant, l'apport d'une aide financière, le placement dans un jardin d'enfants ou une école ou la fourniture de soins ou d'un traitement. Si de telles mesures préventives étaient jugées inefficaces ou s'étaient révélées sans effet et si laisser l'enfant dans sa situation actuelle pendant la procédure de placement risquait de lui nuire, l'article 11 de la loi autorisait le Conseil sanitaire et social (helse- og sosialstyret, "le Conseil") ou, en cas de besoin, son président à prononcer la prise en charge provisoire d'un enfant. Une fois prise pareille mesure provisoire, l'affaire devait être portée devant le Conseil, souvent représenté par son Comité des bénéficiaires et patients. Pourvu que les conditions de l'article 16 fussent remplies, le Conseil ou le Comité pouvait décider la prise en charge de l'enfant par l'autorité publique (overta omsorgen), au titre de l'article 19 de la loi. En pratique, l'enfant était habituellement transféré dans un centre pour enfants approprié ou dans une famille d'accueil. La loi de 1953 ne contenait aucune disposition habilitant expressément les autorités à restreindre le droit pour les parents de voir leur enfant lorsque celui-ci avait fait l'objet d'une prise en charge par l'autorité publique. Toutefois, d'après une interprétation de l'article 19 fournie par le ministère de la Justice, section législation (Justisdepartementets lovavdeling), et qui faisait autorité, le Conseil ou le Comité pouvait aussi déterminer l'étendue du droit de visite des parents et décider si, oui ou non, l'adresse de la famille d'accueil devait être gardée secrète (voir les déclarations formulées par ladite section les 28 octobre 1964 et 14 mars 1966). Si le Conseil ou le Comité avait décidé la prise en charge d'un enfant par application des règles ci-dessus, il pouvait également décider, en vertu de l'article 20 de la loi, de priver les parents naturels de leurs droits parentaux. L'article 20 ne décrivait pas les circonstances dans lesquelles semblable mesure pouvait être prise, mais, d'après la jurisprudence de la Cour suprême, celle-ci devait s'appuyer sur des raisons solides. On ne pouvait décider de priver les parents naturels de leurs droits parentaux que si les conséquences à long terme d'éventuelles solutions de rechange avaient été examinées (voir les arrêts de la Cour suprême des 20 décembre 1990, NRt 1990, p. 1274, et 23 mai 1991, NRt 1991, p. 557). Les mesures au titre de l'article 20 étaient souvent prises en vue d'une adoption par les parents nourriciers. Celle-ci représentait une rupture définitive dans les relations légales entre l'enfant et ses parents naturels. La notion d'autorité parentale, définie au chapitre 5 de la loi sur l'enfance (Barnelova, loi n° 7 du 7 avril 1981), comporte deux volets: premièrement, un devoir de prise en charge (omsut og omtanke) et, deuxièmement, le droit et le devoir de prendre des décisions, dans certaines limites, sur les questions personnelles à l'enfant (personlege tilhøve) (articles 30 à 33). Ces décisions comprennent celles concernant le lieu de résidence de l'enfant, son instruction générale, religieuse et civique, ses soins médicaux et dentaires, le consentement à son mariage, son adoption et son travail (Lucy Smith et Peter Lødrup dans Barn og Foreldre, 4e édition, Oslo 1993, pp. 67 et 71). Dans le présent arrêt, le droit du parent de décider des questions touchant à la personne de l'enfant est évoqué sous le vocable "droits parentaux". Les mesures de prise en charge obligatoire au titre de la loi de 1953 devaient être levées lorsque l'enfant atteignait l'âge de vingt et un ans ou lorsqu'il n'y avait plus aucune raison de les maintenir (article 48). Recours administratifs et judiciaires contre les mesures de prise en charge obligatoire Les décisions du Conseil ou du Comité de prendre un enfant en charge, de priver les parents naturels de leurs droits parentaux ou de restreindre les visites, en application de la loi de 1953, pouvaient être attaquées devant le gouverneur de comté par toute personne touchée par la mesure (articles 52 et 54 de la loi). Les ordonnances concernant le droit de visite pouvaient de surcroît être contestées devant le ministère de l'Enfance et des Affaires familiales (article 53 par. 2 de la loi de 1953). Les décisions au titre de la loi de 1953 rendues par le gouverneur de comté, concernant les décisions de prise en charge et la privation des droits parentaux, mais non les visites, pouvaient faire l'objet d'un recours devant le tribunal de première instance en vertu d'une procédure spéciale prévue au chapitre 33 du code de procédure civile. Cette juridiction avait compétence pour statuer sur tous les aspects de la cause (article 482). Le jugement du tribunal de première instance était susceptible d'appel directement devant la Cour suprême (article 485). Le but était de donner priorité à la catégorie d'affaires à laquelle le chapitre 33 du code s'appliquait, comme l'illustrait l'article 478 du code, qui prévoyait que la procédure devait être instruite rapidement. D'autre part, les recours judiciaires contre les décisions du gouverneur de comté restreignant le droit de visite étaient régis par la procédure ordinaire décrite au chapitre 30 du code de procédure civile et par les principes généraux du contrôle juridictionnel des décisions administratives. Pareil contrôle couvrait non seulement les questions de fait et de droit mais aussi, dans une certaine mesure, l'exercice par l'administration d'un pouvoir discrétionnaire (pour une description plus détaillée, voir l'arrêt E. c. Norvège du 29 août 1990, série A n° 181-A, pp. 18-19, paras. 40-42). Si les parents avaient été déboutés d'un recours tendant à ce qu'il fût mis fin à la prise en charge, ils n'avaient plus le droit d'engager une nouvelle procédure de contrôle avant l'écoulement d'un délai d'un an à compter du moment où les décisions antérieures étaient devenues définitives (article 54 de la loi de 1953). Toutefois, pareil droit de faire contrôler les décisions n'existait plus si l'enfant avait été adopté dans l'intervalle, puisque l'adoption emportait rupture définitive entre l'enfant et ses parents naturels. B. La loi de 1992 sur les services de protection de l'enfance Le 1er janvier 1993, la loi de 1953 fut remplacée par la loi sur les services de protection de l'enfance (loi n° 100 du 17 juillet 1992 - "la loi de 1992"). Entre autres réformes, la loi de 1992 a créé un nouvel organe juridictionnel au sein des services de protection de l'enfance, à savoir le Conseil social de comté ("le Conseil de comté"), établi en exécution de la loi sur les services sociaux (sosialtjenesteloven, loi n° 81 du 13 décembre 1991). La principale raison de ce changement était la volonté de renforcer la protection juridique des parents et de l'enfant. Comme la loi de 1953, la loi de 1992 souligne qu'"une importance cruciale doit être attachée aux mesures d'encadrement qui sont conformes à l'intérêt supérieur de l'enfant" (article 4-1). Bien que la loi de 1992 contienne des dispositions plus détaillées, les conditions dont sont assorties les mesures de prise en charge obligatoire et de suppression des droits parentaux sont essentiellement les mêmes que celles qui s'appliquaient sous l'empire de la loi de 1953. La jurisprudence de la Cour suprême antérieure à la loi de 1992 demeure applicable. D'après la loi de 1992, la question de l'adoption d'un enfant qui fait l'objet d'une prise en charge constitue une question distincte. Si les parents s'opposent à l'adoption, cette mesure ne peut être prononcée que si le Conseil de comté y consent. En vertu des dispositions plus détaillées de la loi de 1992 (article 4-20 paras. 2 et 3), le Conseil de comté ne peut consentir à l'adoption que s'il est sûr que les parents demeureront en permanence incapables de s'occuper convenablement de l'enfant ou si le fait de soustraire celui-ci à ses parents d'accueil peut conduire à des problèmes graves pour lui, compte tenu de son attachement à ces personnes et à l'environnement dans lequel il vit. De surcroît, l'adoption doit être conforme à l'intérêt supérieur de l'enfant et les parents candidats à l'adoption doivent avoir été les parents nourriciers de l'enfant et avoir démontré leur aptitude à l'élever comme le leur propre. D'après les travaux préparatoires, cela implique que le consentement à l'adoption ne peut être donné tant que l'enfant n'a pas vécu dans le foyer d'accueil pendant quelque temps. Contrairement à la loi de 1953, la loi de 1992 renferme, à l'article 4-19 par. 1, une disposition prévoyant que tant l'enfant que le parent ont le droit de se voir à moins que le Conseil de comté n'en décide autrement dans l'intérêt de l'enfant. Les travaux préparatoires de la nouvelle loi soulignent l'importance des contacts entre l'enfant et ses parents. Les décisions du Conseil de comté peuvent être attaquées devant les tribunaux en vertu des dispositions spéciales du chapitre 33 du code de procédure civile (article 9-10 de la loi sur les services sociaux). Le système de contrôle judiciaire des ordonnances de prise en charge est amendé sur deux points essentiels. Premièrement, alors que le contrôle judiciaire des décisions de prise en charge et des mesures de privation des droits parentaux prononcées au titre de la loi de 1953 supposait une décision préalable du gouverneur de comté, il est possible, en vertu de la loi de 1992, de saisir directement le tribunal de première instance d'un recours contre semblable décision émanant du Conseil de comté. Deuxièmement, tandis que le contrôle spécial au titre du chapitre 33 n'était pas applicable aux restrictions au droit de visite imposées en vertu de la loi de 1953, il s'y applique aujourd'hui lorsqu'elles ont été décidées en vertu de la loi de 1992 (article 7-1). PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION Dans sa requête (n° 17383/90) du 10 octobre 1990 à la Commission, Mme Johansen voyait une violation du droit au respect de sa vie familiale garanti par l'article 8 de la Convention (art. 8), dans l'ordonnance de prise en charge par l'autorité publique de sa fille, la privation de ses droits parentaux, la suppression des visites, la durée excessive de la procédure et le manque d'équité de celle-ci. Elle invoquait aussi l'article 6 de la Convention (art. 6) (droit à un procès équitable dans un délai raisonnable). De surcroît, elle alléguait que, au mépris de l'article 13 (art. 13), elle n'avait pas bénéficié d'un recours effectif pour faire statuer sur son grief tiré de l'article 8 de la Convention (art. 8). Le 13 octobre 1993, la Commission a déclaré la requête recevable. Dans son rapport du 17 janvier 1995 (article 31) (art. 31), elle formule l'avis qu'il n'y a eu violation de l'article 8 de la Convention (art. 8) ni en ce qui concerne la prise en charge par l'autorité publique de la fille de la requérante ni en ce qui concerne le maintien en vigueur de la décision de prise en charge (unanimité); qu'il y a eu violation de l'article 8 (art. 8) pour ce qui est de la décision privant la requérante de ses droits parentaux et de son droit de visite (onze voix contre deux); qu'aucune question distincte ne se pose ni sur le terrain de l'article 6 (art. 6) (douze voix contre une) ni sous l'angle de l'article 13 (art. 13) (unanimité). Le texte intégral de l'avis de la Commission et des deux opinions en partie dissidentes dont il s'accompagne figure en annexe au présent arrêt (1). _______________ Note du greffier Pour des raisons d'ordre pratique il n'y figurera que dans l'édition imprimée (Recueil des arrêts et décisions 1996-III), mais chacun peut se le procurer auprès du greffe. _______________ CONCLUSIONS PRESENTEES A LA COUR A l'audience du 23 janvier 1996, le Gouvernement a invité la Cour à dire, comme il l'en avait priée dans son mémoire, qu'il n'y a eu en l'espèce violation ni de l'article 6 ni de l'article 8 de la Convention (art. 6, art. 8). A la même occasion, la requérante a réitéré la demande formulée dans son mémoire par laquelle elle invitait la Cour à constater une violation des articles 6 et 8 de la Convention (art. 6, art. 8).
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I. Les circonstances de l’espèce A. Le contexte La société requérante a son siège social à La Haye. Elle s’occupe notamment de promotion immobilière. Elle est propriétaire de 288 appartements dans six immeubles contigus situés sur la Merellaan, à Maassluis, dans un quartier connu sous le nom de Noord-Nieuwlandsepolder-zuid. Ces immeubles à appartements ont été construits vers 1970 sur des terrains qui, entre 1961 et 1967, avaient été rehaussés à trois à quatre mètres au-dessus du niveau normal d’Amsterdam (Normaal Amsterdams Peil) au moyen de vase recueillie par dragage de plusieurs bassins du port voisin de Rotterdam. En 1985, un rapport fit état de ce qu’une personne avait remarqué une odeur de pétrole alors qu’elle était en train de bêcher son jardin dans le Noord-Nieuwlandsepolder-zuid. Cet incident et une étude menée par la direction des travaux publics de Rotterdam sur les lieux où de la vase de port avait été déversée conduisirent l’Autorité régionale de l’estuaire du Rhin (Openbaar Lichaam Rijnmond: organe administratif à présent disparu qui exerçait, dans la région de l’estuaire du Rhin, les pouvoirs qu’on lui avait transférés de l’Exécutif provincial - Gedeputeerde Staten), à inclure le quartier dans son programme de 1985 prévoyant les mesures à prendre au titre de la loi provisoire sur l’assainissement du sol (Interimwet Bodemsanering - paragraphe 29 ci-dessous) et à ordonner au Service central de la protection de l’environnement dans l’estuaire du Rhin (Dienst Centraal Milieubeheer Rijnmond) d’y mener une enquête d’orientation (oriënterend onderzoek - paragraphe 32 ci-dessous). Les conclusions de cette enquête furent telles qu’en 1986 l’Inspection de la santé publique (Inspectie Volksgezondheid) recommanda aux habitants du quartier de ne manger ni fruits ni légumes provenant de leurs jardins. L’Exécutif provincial de Hollande méridionale ordonna une enquête complémentaire (nader onderzoek - paragraphe 32 ci-dessous) en décembre 1986. En juillet 1990, le Service central de la protection de l’environnement dans l’estuaire du Rhin soumit un rapport sur l’enquête complémentaire effectuée par lui. Il relevait que la pollution causée par deux métaux lourds, l’arsenic et le mercure, et par les "drines" (un groupe de composés utilisés comme insecticides), spécialement la dieldrine et l’isodrine, était forte par endroits; là où on la constatait, elle était généralement présente jusqu’à la surface du sol. Il y avait également des taux modérés de pollution par le cadmium et par le plomb. Le rapport notait que l’on n’avait pas recouvert la vase déversée d’une couche de sol propre. Le chapitre intitulé "Conclusions" ("Conclusies") comportait le passage suivant: "On peut dire que la concentration supplémentaire de produits chimiques résultant de la pollution du sol est indésirable, mais on ne peut pas dire, dans l’état actuel des connaissances scientifiques (lesquelles sont relativement limitées), qu’elle va provoquer des dommages perceptibles ou mesurables en matière de santé publique." (p. 139) Le chapitre final, intitulé "Recommandations", précisait que, dans des circonstances défavorables, de jeunes enfants exposés à la pollution constatée pourraient absorber quotidiennement des quantités supérieures à la dose journalière acceptable (DJA) des polluants concernés, et qu’en de nombreux endroits la quantité de "drines" dans la zone de contact effectif dépassait le niveau C de concentration indiqué dans les tables d’évaluation des directives en matière d’assainissement du sol (paragraphe 31 cidessous). Aussi le rapport recommandait-il la réalisation d’une enquête en vue d’un éventuel assainissement du sol (saneringsonderzoek - paragraphe 32 ci-dessous) et d’une détermination "de la manière dont les effets néfastes de la pollution du sol sur la santé publique et l’environnement pourraient être éliminés de manière à arriver à un résultat acceptable du point de vue de la propreté de l’environnement" (p. 141). Dans une lettre du 1er novembre 1990, l’Exécutif provincial informa les habitants du quartier que l’enquête complémentaire l’avait amené à conclure que des mesures supplémentaires d’assainissement du sol s’imposaient. La lettre évoquait la "situation indésirable" provoquée par la présence de polluants et leur proximité par rapport à la surface du sol, et elle réitérait le conseil précédemment donné aux intéressés de ne manger ni fruits ni légumes provenant de leurs jardins. Elle précisait encore que l’Exécutif provincial avait décidé en principe l’assainissement du sol. Le projet de décision fut ouvert à l’inspection publique pendant quatre semaines à compter du 5 novembre 1990 (paragraphe 33 ci-dessous). Dans une lettre datée du 26 mars 1991, l’Exécutif provincial informa les autorités municipales de Maassluis qu’il avait résolu d’ordonner une enquête en vue d’un éventuel assainissement du sol. Le programme de réalisation (uitvoeringsprogramma) de l’Exécutif provincial prévoyant l’assainissement du sol à partir de 1992 (paragraphe 32 ci-dessous) incluait le Noord-Nieuwlandsepolder-zuid. B. Procédure devant la Commission des loyers (Huurcommissie) Le 18 avril 1990, la société requérante loua un appartement situé au troisième étage de l’un de ses immeubles de la Merellaan à un certain Monsieur W., à partir du 1er mai 1990. Les parties convinrent d’un loyer mensuel de 790,25 florins néerlandais (NLG). Le 9 juillet 1990, M. W. sollicita, auprès de la Commission des loyers de Schiedam, une décision sur le caractère équitable du loyer (article 17 par. 1 de la loi sur les loyers des locaux d’habitation (Huurprijzenwet Woonruimte); paragraphe 21 ci-dessous). Un rapport établi le 1er octobre 1990 par un inspecteur de la Commission des loyers conclut qu’il n’y avait ni besoin sérieux de réparations ni "conditions de zéro absolu ou relatif" (absolute of relatieve nulpunten), c’est-à-dire des motifs de réduire le loyer au minimum légal. Pour l’inspecteur, il y avait lieu d’attribuer à l’appartement 132 points, d’après le système de points en vigueur (paragraphes 25-26 ci-dessous). Lors de l’audience devant la Commission des loyers le 30 janvier 1991, M. W. produisit une copie de la lettre de l’Exécutif provincial en date du 1er novembre 1990 (paragraphe 10 ci-dessus), mais il ne contesta pas les conclusions de l’inspecteur. La Commission des loyers statua le 17 avril 1991. Elle releva qu’eu égard à des circonstances de fait invoquées par la société requérante mais négligées par l’inspecteur, il y avait lieu d’attribuer à l’appartement 134 points. Là-dessus, elle conclut que le loyer initial n’était pas équitable et elle évalua le loyer équitable à 783,07 NLG. Il n’apparaît pas de sa décision qu’elle ait tenu compte de la lettre de l’Exécutif provincial. C. Procédure devant le juge cantonal (kantonrechter) Le 24 juin 1991, la société requérante saisit le juge cantonal de Schiedam afin d’obtenir une décision obligatoire (paragraphe 22 cidessous). Elle contesta certaines suppositions de fait dont était partie la Commission des loyers en ce qui concerne les niveaux de bruit et soutint que celle-ci s’était trompée dans ses calculs; en réalité, il fallait attribuer à l’appartement 142 points. En conséquence, elle sollicita une ordonnance fixant le loyer à 832,14 NLG, ou, à titre subsidiaire, le ramenant à son montant initial (790,25 NLG). Au cours de la procédure qui s’ensuivit, M. W. allégua qu’il y avait une "situation de gêne" (hinderlijke situatie) qui justifiait la réduction de 20 points de l’évaluation et la fixation du loyer au minimum légal de 395 NLG (point 4 de l’annexe IV de l’arrêté relatif aux loyers des locaux d’habitation (Besluit huurprijzen woonruimte); paragraphe 28 ci-dessous). Il produisit les documents suivants: a) une copie de la lettre de l’Exécutif provincial en date du 1er novembre 1990 (paragraphe 10 ci-dessus); b) une copie d’une décision rendue par le juge cantonal de Rotterdam le 4 juin 1991, dans une affaire différente, mais analogue, relative à un appartement à Rotterdam; c) une copie de la lettre du 26 mars 1991 adressée par l’Exécutif provincial aux autorités municipales de Maassluis (paragraphe 11 cidessus); d) le programme de réalisation de l’Exécutif provincial pour l’assainissement du sol à partir de 1992 (paragraphe 11 ci-dessus). Outre la présentation d’arguments supplémentaires à l’appui de ses allégations factuelles, la société requérante soutint notamment qu’il n’y avait pas lieu de prendre en compte la pollution du sol. Invoquant le passage du rapport rédigé à la suite de l’enquête complémentaire cité au paragraphe 9 ci-dessus, elle fit valoir qu’il ne ressortait pas du rapport qu’il y eût, "sous le logement ou à proximité immédiate de celui-ci, une pollution du sol propre à créer un risque grave pour la santé publique ou l’environnement". De surcroît, la pollution constatée ne pouvait affecter l’évaluation d’un appartement sans jardin situé au troisième étage. Tout bien considéré, il ne se justifiait absolument pas de déduire le moindre point pour ce motif. Le juge cantonal rendit sa décision le 10 mars 1992. Attribuant 123 points à l’appartement, il fixa le loyer à 399,75 NLG à compter du 1er mai 1990. Eu égard au fait que, après une nouvelle enquête menée conformément à la loi provisoire sur l’assainissement du sol, l’Exécutif provincial avait classé la zone parmi celles requérant un assainissement du sol et l’avait incluse dans son programme annuel d’assainissement du sol pour 1992 comme site à traiter, au sens de ladite loi, il jugea établi qu’il y avait une "situation de gêne" qui justifiait la soustraction de 20 points de l’évaluation de l’appartement et la fixation du loyer au minimum légal. Se référant à son propre précédent du 5 juin 1990 (paragraphe 38 ci-dessous), il rejeta les arguments de la société requérante qui se trouvent résumés au paragraphe précédent. Il le fit en ces termes: "8.3. (...) nous considérons qu’il ne nous appartient pas de rechercher si l’Exécutif provincial a agi correctement en prenant l’arrêté visé à l’article 2 par. 1, deuxième phrase, de la loi provisoire sur l’assainissement du sol, ou si cet arrêté reposait sur des motifs valables. Il ne nous appartient pas non plus d’examiner ces questions indirectement, en appréciant (au cas par cas) les conclusions de l’enquête pour déterminer s’il est satisfait à la condition de zéro (absolu) telle qu’elle est formulée au point 4 de l’annexe IV de l’arrêté d’exécution de la loi sur les loyers des locaux d’habitation (...) 4. L’existence du "risque grave etc." dans le polder est établie dès lors que l’Exécutif provincial a décidé que le site devait être assaini [saneringsgeval]; en conséquence, il est aussi établi que la condition de zéro absolu (qui est formulée en des termes identiques) est remplie. 5. Peu importe à cet égard que le logement en question soit un appartement sans jardin situé au troisième étage. La pollution est présente "à proximité immédiate". La [société requérante] a reconnu que cette expression est - à juste titre - interprétée largement dans la jurisprudence pertinente." La société requérante n’interjeta pas appel de cette décision (paragraphe 23 ci-dessous). II. Le droit et la pratique internes pertinents Les paragraphes qui suivent constituent un exposé du droit et de la pratique internes pertinents tels qu’ils se présentaient à l’époque des événements incriminés. A. La loi sur les loyers des locaux d’habitation (Huurprijzenwet woonruimte) Dispositions normatives et procédurales générales Les loyers applicables à certaines catégories de logements sont déterminés par le ministre du Logement, de l’Aménagement du territoire et de l’Environnement. En ce qui concerne tous les autres logements, propriétaires et locataires sont libres, en principe, de convenir entre eux du loyer (article 3 de la loi). Toutefois, l’article 17 par. 1 habilite tant le propriétaire que le locataire à solliciter auprès de la Commission des loyers, dans les trois mois de la prise d’effet du contrat de bail, une décision sur le caractère équitable du loyer convenu. Les parties sont réputées s’être mises d’accord sur le loyer jugé équitable par la Commission des loyers, sauf si, dans les deux mois, l’une d’elles saisit le juge cantonal afin d’obtenir une décision différente (article 17 par. 8). D’après l’article 28 par. 3 de la loi, la décision du juge cantonal n’est susceptible d’aucun recours autre qu’un pourvoi en cassation dans l’intérêt de la loi (cassatie "in het belang der wet" - paragraphe 37 cidessous). Appréciation du caractère équitable du loyer Des dispositions normatives détaillées pour la mise en œuvre de la loi sur les loyers des locaux d’habitation figurent dans l’arrêté relatif aux loyers des locaux d’habitation ("l’arrêté"). Celui-ci lie la Commission des loyers et le juge cantonal (articles 15 par. 1 et 28 par. 1 de la loi sur les loyers des locaux d’habitation). D’après l’article 5 par. 1 a) de l’arrêté, le caractère équitable du loyer d’un logement indépendant (zelfstandige woonruimte), tel l’appartement loué à M. W. par la société requérante, doit être apprécié conformément au système de points exposé à l’annexe I de l’arrêté. Celle-ci prévoit l’attribution de points pour des caractéristiques relatives au confort du logement proprement dit - comme le type de logement (maison ou appartement), la superficie des pièces, l’existence ou non d’une salle de bains et la qualité des installations de chauffage - et pour des caractéristiques relatives à sa situation (comme la proximité de transports publics, d’écoles et de magasins). Il est possible de déduire jusqu’à 30 points pour la vétusté du logement et jusqu’à 20 pour des "situations de gêne" (tels un bruit ou une pollution persistants). Le système des "conditions zéro" est brièvement exposé de la manière suivante dans la notice explicative accompagnant l’arrêté: "Pour le Gouvernement, certains défauts d’ordre technique ou résidentiel [technische en woontechnische gebreken] sont tellement graves qu’ils font obstacle, ipso facto, à des augmentations de loyer. L’article 6 par. 3 se réfère à cet égard aux défauts graves énumérés à l’annexe IV du présent arrêté. Ces défauts sont communément appelés "conditions zéro". En présence d’un tel défaut, la Commission des loyers n’a pas besoin d’apprécier la gravité de la gêne [hinder], mais elle doit conclure immédiatement qu’il n’est pas raisonnable d’augmenter le loyer. Elle doit en juger ainsi même si le locataire ne se plaint pas explicitement du défaut en question. La présence d’un défaut du type susvisé est jugée inacceptable compte tenu du danger qu’il présente. Dans un tel cas, il convient d’y remédier au plus tôt, ou d’évacuer le logement. Toutefois, aussi longtemps que celui-ci continue d’être occupé nonobstant la gêne inacceptable, il n’est pas équitable d’augmenter le loyer." La limite dans laquelle le loyer est considéré comme équitable est calculée d’après le nombre de points attribués conformément au système. En règle générale, le loyer déterminé par la Commission des loyers et par le juge cantonal se situe dans le haut de l’échelle (article 7 par. 1 de l’arrêté); toutefois, le loyer peut être réduit si l’existence de l’un des "défauts très graves" ou de l’une des "conditions de zéro absolu" cités à l’annexe IV de l’arrêté est établie. Ladite annexe IV énumérait à l’origine des défauts concernant le logement proprement dit, tels l’absence de chasse d’eau dans les toilettes, d’équipement de cuisine ou de tout-à-l’égout, ou l’existence de tuyaux de gaz ou de câbles d’électricité à ce point dangereux que les sociétés de service public n’étaient pas disposées à approvisionner les occupants. Une autre "condition de zéro absolu" visait le cas où un logement était dans un état de délabrement tel qu’il devenait risqué de l’occuper, ce qui le rendait impropre à l’habitation. A partir du 1er juillet 1986, un quatrième point fut ajouté à l’annexe IV, sans avoir fait l’objet d’une notice explicative séparée: "L’enquête complémentaire menée conformément à la loi provisoire sur l’assainissement du sol indique une pollution du sol situé sous le logement ou à proximité immédiate de celui-ci propre à créer un risque sérieux pour la santé publique ou l’environnement." B. La loi provisoire sur l’assainissement du sol et les directives pour l’assainissement du sol (Leidraad Bodemsanering) La procédure administrative préalable à l’assainissement du sol En 1982 fut adoptée, en partie à cause de la découverte, en 1980, de cas de pollution très importante du sol, la loi provisoire sur l’assainissement du sol (loi du 29 décembre 1982). Celle-ci est entrée en vigueur le 15 avril 1983. Elle avait pour objet d’établir des règles "visant à éliminer à bref délai ou à prévenir la pollution du sol et ses effets néfastes là où une pollution du sol actuelle ou potentielle [était] telle qu’il en résult[ait] un risque grave pour la santé publique ou l’environnement". L’article 2 par. 1 de la loi disposait: "Pendant une période de cinq années consécutives, l’Exécutif provincial établira chaque année un programme pour l’assainissement du sol pollué. Ce programme indiquera les endroits, sur le territoire de la province, dans lesquels une pollution du sol actuelle ou potentielle est telle qu’il en résulte un risque grave pour la santé publique ou l’environnement. Il précisera aussi les cas au sujet desquels il y a lieu de déterminer si l’on se trouve en présence de pareilles circonstances." Des directives pour l’assainissement du sol furent édictées qui fournissaient une explication de diverses expressions utilisées dans la loi provisoire, ainsi que des instructions quant à la manière dont celle-ci devait être mise en oeuvre. D’après ces directives, dans leur septième version révisée (de décembre 1991), le risque potentiel devait être apprécié comme suit: "Au cours des débats parlementaires relatifs au projet [qui devint finalement la loi provisoire], ce critère reçut l’interprétation suivante. Un contact direct et fréquent entre des êtres humains ou des formes de vie végétale ou animale et les polluants doit être soit présent, soit imminent, et la nocivité de pareil contact pour la santé publique ou l’environnement doit être soit certaine, soit probable. Dans cette interprétation, l’accent doit être mis sur l’imminence de pareil contact et sur la probabilité de semblables effets néfastes. L’expression "risque grave" vise par conséquent un risque accru de manière inacceptable plutôt qu’une menace aiguë. (...) [La partie II des directives] mentionne trois aspects qui doivent être pris en considération: la nature et la concentration des polluants, la situation locale au regard de la pollution et l’utilisation du sol. La nature et la concentration des polluants donnent une idée de l’étendue de la pollution et de ses effets possibles. La situation locale au regard de la pollution fournit une indication de la mesure dans laquelle une propagation ou un contact peuvent se produire. L’utilisation du sol détermine les probabilités d’exposition aux polluants et les risques en résultant. Un examen de ces trois aspects combinés [integrale afweging] doit permettre de répondre à la question de savoir si un assainissement du sol est ou non nécessaire et, dans l’affirmative, s’il revêt un caractère d’urgence (...)" (paragraphe 1.6 de la partie I des directives pour l’assainissement du sol) Afin de faciliter l’appréciation de la nature et de la concentration de la pollution, des tables furent dressées qui énuméraient les concentrations de divers polluants dont le dépassement rendait une action nécessaire. Le niveau de concentration A était le niveau de référence en deçà duquel aucune action n’était requise. Le niveau B indiquait la nécessité d’une enquête complémentaire. Le niveau C traduisait celle d’une enquête en vue d’un possible assainissement d’urgence. Les étapes de la procédure préalable à l’assainissement du sol telles qu’elles ressortaient desdites directives étaient les suivantes: a) des mesures préliminaires, non fixées dans le programme d’assainissement du sol: i. un inventaire des lieux où l’on pouvait s’attendre à une pollution du sol (inventarisatie). Cet inventaire pouvait se fonder sur des plaintes émanant de particuliers, comme ce fut le cas en l’espèce (paragraphe 9 ci-dessus), sur une étude de documents relatifs à l’utilisation des terres ou au déversement de déchets, sur des rapports soumis par des municipalités ou sur toute autre information pertinente; ii. une enquête d’orientation, de portée limitée, visant à l’obtention d’une idée générale de la nature, de la localisation et de la concentration des polluants; b) des mesures complémentaires décrites dans le programme d’assainissement du sol: iii. une enquête complémentaire, plus approfondie que celle d’orientation, destinée à la collecte d’informations devant permettre d’apprécier les risques pour la santé publique et l’environnement, et ainsi de juger de la nécessité et de l’urgence d’un assainissement du sol; iv. une enquête menée en vue d’un possible assainissement du sol, et devant permettre de décider des mesures nécessaires, à la lumière des possibilités budgétaires et techniques; v. l’établissement d’un plan pour l’assainissement effectif du sol. Objections au programme d’assainissement du sol L’article 5 de la loi provisoire sur l’assainissement du sol énonçait: "1. Avant d’adopter définitivement un programme d’assainissement, l’Exécutif provincial soumet le projet à l’inspection publique, conjointement avec les rapports d’enquête sur lesquels il s’appuie. Il envoie parallèlement le projet au Conseil provincial [Provinciale Staten], aux municipalités de la province et à l’Inspecteur [de la Santé publique]. Auparavant, il informe de la soumission du projet à l’inspection publique par voie d’avis dans le Journal du gouvernement [Nederlandse Staatscourant] et dans un ou plusieurs quotidiens ou journaux distribués dans la province. Ces avis mentionnent la possibilité pour le public de formuler des objections conformément au paragraphe 4 ci-dessous. Pendant une période d’un mois à compter du jour où le projet de programme est soumis à l’inspection publique, toute personne peut consulter gratuitement les documents ainsi rendus accessibles. Pendant la période mentionnée au paragraphe 3 ci-dessus, toute personne peut adresser à l’Exécutif provincial des objections écrites motivées au projet." Le paragraphe 2.2.7 de la partie I des directives pour l’assainissement du sol précisait que le programme définitif devait comporter en annexe les objections reçues et exposer le point de vue de l’Exécutif provincial sur chacune d’elles. Bien que la loi n’eût prévu aucune forme de recours contre l’adoption du programme, les objections étaient portées à l’attention du ministre, qui était habilité à modifier le programme provincial par une décision motivée. La loi provisoire sur l’assainissement du sol fut modifiée de manière significative par la loi du 2 juillet 1992. Un certain nombre de ses dispositions, dont les articles 2 et 5, furent abrogées. La loi provisoire dans son ensemble a été abrogée par la loi du 10 mai 1994 (Journal officiel (Staatsblad) 1994, no 331), et ses dispositions ont été incorporées dans la loi sur la protection du sol (Wet bodembescherming). C. La loi sur l’organisation judiciaire (Wet op de rechterlijke organisatie) L’article 100 de la loi sur l’organisation judiciaire est ainsi libellé: "1. Hormis le cas du pourvoi "dans l’intérêt de la loi" [introduit par le procureur général près la Cour de cassation], le pourvoi en cassation contre les jugements rendus par les juges cantonaux en matière civile n’est ouvert que: - pour défaut de motivation du jugement; - pour absence de publicité du prononcé du jugement; - pour incompétence; - pour excès de pouvoir. Hormis le cas du pourvoi "dans l’intérêt de la loi", le pourvoi en cassation contre les ordonnances [beschikkingen] rendues en matière civile [à l’issue d’une procédure à huis clos là où la loi l’exige] n’est ouvert que pour les motifs mentionnés au paragraphe 1, sous les points 1, 3 et 4." Le procureur général (procureur-generaal) près la Cour de cassation (Hoge Raad) peut, à sa discrétion, saisir ladite juridiction d’un pourvoi "dans l’intérêt de la loi" qui n’affecte pas les droits et obligations des parties, tels qu’ils ont été déterminés dans le jugement ou la décision attaqués (articles 95 et 98 de la loi sur l’organisation judiciaire). D. Jurisprudence interne Ainsi qu’il a été indiqué au paragraphe 28 ci-dessus, aucune explication ne fut donnée pour l’introduction du point 4 de l’annexe IV de l’arrêté précité. Cette situation a contribué à entourer d’incertitude la manière dont cette disposition devait être interprétée. Le premier problème concerne l’interprétation de l’expression "sous le logement ou à proximité immédiate de celui-ci". La doctrine et la jurisprudence pertinentes considèrent généralement qu’il y a lieu d’interpréter largement cette expression. Le second problème concerne la question qui était aussi en discussion en l’espèce: les juges doivent-ils décider eux-mêmes si "l’enquête complémentaire prévue par la loi provisoire sur l’assainissement du sol" justifie la conclusion que la "pollution du sol" est "propre à causer un risque grave pour la santé publique ou l’environnement", ou doivent-ils, à l’inverse, conclure à l’existence de pareil risque dès lors que les autorités compétentes ont décidé, sur la base d’une enquête complémentaire dans un cas particulier, que des mesures d’assainissement du sol s’imposent? Les opinions divergent sur ce dernier point. Un certain nombre de juges cantonaux ont appliqué la première solution (voir les décisions suivantes: juge cantonal d’Amsterdam, 14 décembre 1990, Woonrecht (Recueil des décisions en matière de droit du logement) 1991, nos 23 et 24; juge cantonal de Zaandam, 26 septembre 1991, Woonrecht 1991, no 63). D’autres ont penché en faveur de la seconde (voir les décisions suivantes: juge cantonal de Dordrecht, 23 mars 1989, Nederlandse Jurisprudentie (Recueil de jurisprudence néerlandaise - NJ) 1989, no 874, Woonrecht 1990, no 1; juge cantonal de Schiedam, 5 juin 1990, Woonrecht 1990, no 87; juge cantonal de Rotterdam, 5 juin 1990, Woonrecht 1990, no 88; juge cantonal de Zutphen, 22 décembre 1992, Woonrecht 1992, no 30; juge cantonal d’Assen, 30 août 1993, Woonrecht 1993, no 80). Il apparaît que le second point de vue est aussi celui du secrétaire d’Etat (Staatssecretaris) au Logement, à l’Aménagement du territoire et à l’Environnement (lequel fixe les loyers applicables à certaines catégories de logements et tient compte, pour ce faire, de l’annexe IV de l’arrêté), ainsi qu’il ressort de sa lettre du 15 juin 1990, publiée dans Woonrecht 1990, à la page 212. Cette lettre comporte la déclaration suivante: "D’après vous, l’on peut conclure des travaux préparatoires et du libellé de la quatrième condition de zéro absolu figurant à l’annexe IV que cette condition doit toujours s’appliquer automatiquement dans les cas où l’Exécutif provincial a décidé que la situation correspond à celle décrite à l’article 2 par. 1, deuxième phrase, de la loi provisoire sur l’assainissement du sol. Je puis souscrire à votre conclusion, tout en faisant observer que la zone en question aurait dû être incluse dans le programme d’assainissement du sol sur la base des constatations d’une enquête complémentaire." Dans une affaire où la section juridictionnelle (Afdeling Rechtspraak) du Conseil d’Etat (Raad van State) avait à connaître d’une décision du secrétaire d’Etat en matière de loyers dans laquelle le point 4 de l’annexe IV avait été appliqué à un logement situé dans le Steendijkpolder à Maassluis (voir le paragraphe suivant), la haute juridiction estima que le secrétaire d’Etat "ne [s’était] pas trompé en jugeant pertinent le fait qu’en appliquant l’article 2 de la loi provisoire sur l’assainissement du sol, l’Exécutif provincial de Hollande méridionale [avait] établi, sur la base du rapport de l’enquête complémentaire, qu’il y avait un risque grave au sens ci-dessus" (arrêt du 1er novembre 1991, Woonrecht 1991, no 32). Ainsi qu’il a été indiqué au paragraphe précédent, un certain nombre des décisions et arrêts précités se rapportent au Steendijkpolder (polder adjacent au Noord-Nieuwlandsepolder-zuid), que les autorités municipales de Maassluis avaient rehaussé avec de la vase de port polluée pour le revendre ensuite comme terrain constructible. Le point 4 de l’annexe IV a toujours été réputé applicable aux loyers dans cette zone (voir la décision rendue le 5 juin 1990 par le juge cantonal de Schiedam, Woonrecht 1990, no 87, et l’arrêt rendu le 1er novembre 1991 par la section juridictionnelle du Conseil d’Etat, Woonrecht 1991, no 32). On peut signaler en passant que la cour d’appel de La Haye semble, elle aussi, opter pour la seconde thèse. Dans ses arrêts du 6 décembre 1990 (affaires nos 14.668, 14.669 et 14.670, citées dans le compte rendu de l’arrêt de la Cour de cassation du 9 octobre 1992, NJ 1994, no 286), elle jugea que la commune (gemeente) de Maassluis avait engagé sa responsabilité quasi délictuelle en vendant le Steendijkpolder comme terrain constructible. Les motifs de l’arrêt comportaient le passage suivant: "En ce qui concerne la responsabilité de [la commune] de Maassluis, la cour d’appel relève, premièrement, qu’étant donné que l’administration [rijksoverheid] a décidé, conformément aux articles 2 et suivants de la loi provisoire sur l’assainissement du sol, que le sol devait être assaini, il y a lieu d’estimer établie l’existence en l’espèce d’un "risque grave pour la santé publique ou l’environnement" au sens de l’article 2 par. 1 de cette loi." Cette motivation ne fit l’objet d’aucune observation lors des pourvois dans l’intérêt de la loi introduits subséquemment. Quoi qu’il en soit, la Cour de cassation, dans son arrêt précité du 9 octobre 1992, jugea ceux-ci infondés, confirmant ainsi l’arrêt de la cour d’appel. PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION Dans sa requête (no 20641/92) du 9 septembre 1992 à la Commission, la société requérante dénonçait une violation de l’article 6 par. 1 de la Convention (art. 6-1) en ce qu’elle n’avait pas bénéficié d’un contrôle judiciaire effectif de la décision rendue sur ses droits de caractère civil, dès lors que le juge cantonal s’était estimé lié par la conclusion de l’Exécutif provincial relative à la pollution du sol et à ses effets sur la santé publique et l’environnement, et l’avait donc privée d’une décision judiciaire sur une partie importante de sa cause. Elle se plaignait aussi, sur le terrain de l’article 13 de la Convention (art. 13), de n’avoir pas disposé d’un recours effectif contre la décision de l’Exécutif provincial, qui affectait ses droits de propriété. Elle alléguait en outre des violations de l’article 1 du Protocole no 1 (P1-1), de l’article 14 de la Convention pris isolément et combiné avec l’article 1 du Protocole no 1 (art. 14, art. 14+P1-1), et des articles 17 et 18 de la Convention combinés avec l’article 1 du Protocole no 1 (art. 17+P1-1, art. 18+P1-1). Le 5 juillet 1994, la Commission a retenu la requête dans la mesure où elle concernait les articles 6 par. 1 et 13 de la Convention (art. 6-1, art. 13), et l’a déclarée irrecevable pour le surplus. Dans son rapport du 5 avril 1995 (article 31) (art. 31), elle formule, par douze voix contre une, l’avis qu’il y a eu violation de l’article 6 par. 1 (art. 61) et qu’il ne s’impose pas de rechercher s’il y a eu aussi violation de l’article 13 (art. 13). Le texte intégral de son avis et de l’opinion dissidente dont il s’accompagne figure en annexe au présent arrêt (1). CONCLUSIONS PRESENTEES A LA COUR Le Gouvernement conclut son mémoire en formulant l’avis qu’il n’y a eu violation ni du droit d’accès à un tribunal, garanti à la société requérante par l’article 6 par. 1 (art. 6-1), ni de l’article 13 (art. 13). Dans son mémoire, la société requérante soutient qu’il y a eu infraction à l’article 6 par. 1 (art. 6-1). Elle invite aussi la Cour à "déclarer recevables" les griefs énoncés par elle sur le terrain de l’article 1 du Protocole no 1 combiné avec les articles 14, 17 et 18 de la Convention (art. 14+P1-1, art. 17+P1-1, art. 18+P1-1), à constater que ces dispositions (art. 14+P1-1, art. 17+P1-1, art. 18+P1-1) ont été violées et à lui accorder une satisfaction équitable.
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPECE Le requérant, M. Mikdat Bulut, est garçon de café. Il est né en 1969 et habite Innsbruck. En 1990, il fut accusé de tentative de corruption de deux fonctionnaires de l'Agence pour l'Emploi d'Innsbruck. Il leur avait offert de l'argent pour les inciter à lui délivrer de faux certificats. Le 6 mars 1990, avant le début de l'audience devant le tribunal régional (Landesgericht) d'Innsbruck, le juge appelé à présider, M. Werus, adressa à Me Heiss, alors l'avocat du requérant, une note l'informant de la participation de l'un des juges, M. Schaumburger, à l'interrogatoire de deux témoins lors de l'instruction préliminaire. L'avocat était prié de faire savoir au tribunal, avant le 16 mars 1990, s'il entendait récuser M. Schaumburger pour ce motif. Me Heiss ne répondit pas. L'audience eut lieu le 23 mars 1990. Avant l'audition des témoins, le président précisa derechef que le juge Schaumburger avait accompli un certain nombre d'actes d'instruction dans l'affaire. Selon le procès-verbal de l'audience, les parties renoncèrent à leur droit d'invoquer de ce chef la nullité de la procédure ("Auf Geltendmachung dieses Umstandes als Nichtigkeitsgrund wird allseits verzichtet"). Dans une déclaration formelle (eidesstättige Erklärung) soumise à la Commission européenne des Droits de l'Homme, Me Heiss déclara qu'à la question de savoir s'il était prêt à renoncer à ce moyen de nullité, il avait répondu qu'à son avis, il n'est pas possible de renoncer à la faculté de soulever la question de l'exclusion d'un juge: on ne le peut que s'agissant du droit de récuser un juge pour suspicion légitime. Dans un document également soumis à la Commission, M. Werus affirma que la renonciation mentionnée au procès-verbal avait été faite dans les termes y figurant. Il ajouta également se souvenir que Me Heiss avait dit quelques mots signifiant qu'il ne reconnaissait pas la validité de la renonciation. Le requérant fut reconnu coupable et condamné à une amende de 25 200 schillings autrichiens (ATS), assortie d'un sursis de trois ans. M. Bulut forma devant la Cour suprême (Oberster Gerichtshof) un pourvoi aux fins d'obtenir la nullité (Nichtigkeitsbeschwerde) et un appel (Berufung) contre la peine. Dans son pourvoi, intenté sur la base de l'article 281 par. 1, alinéa 1, du code de procédure pénale (Strafprozeßordnung - paragraphe 19 ci-dessous), il faisait valoir qu'il avait été jugé par un magistrat frappé d'exclusion par la loi (ex lege). Il y aurait eu également violation de l'article 281 par. 1, alinéas 4, 5 et 9 a), du code de procédure pénale. Se référant à l'alinéa 4 (paragraphe 19 ci-dessous), le requérant prétendait notamment que le tribunal aurait dû s'assurer de la possibilité pour les témoins de reconnaître sa voix au téléphone. Invoquant l'article 281 par. 1, alinéa 5 (paragraphe 19 ci-dessous), il reprochait aussi au tribunal d'avoir trouvé deux témoins parfaitement crédibles et mis sur le compte de trous de mémoire leurs explications pleines de contradictions qui, pour lui, étaient fondamentales. Il soutenait également que les deux témoins auraient dû être confrontés à son frère, soupçonné un temps d'avoir commis le délit. Le ministère public fit également appel de la peine. Le 29 juin 1990, le procureur général (Generalprokurator) adressa les observations suivantes ("croquis") à la Cour suprême: "Pour le parquet, le pourvoi intenté par l'accusé,M. Mikdat Bulut, est de ceux que l'on peut trancher dansle sens de l'article 285d du code de procédure pénale.Nous demandons que soit transmise copie de la décision." Ces observations ne furent pas communiquées à la défense. Le 7 août 1990, la Cour suprême rejeta le pourvoi en vertu de l'article 285d par. 1 du code de procédure pénale (paragraphe 20 ci-dessous). Après avoir confirmé la participation au procès d'un juge exclu, elle se référa à la renonciation mentionnée au procès-verbal de l'audience pour faire remarquer que l'article 281 par. 1, alinéa 1, du code de procédure pénale exige qu'une cause de nullité touchant aux articles 67 et 68 de ce code (paragraphe 18 ci-dessous) ait d'abord été soulevée lors du procès. Quant aux moyens formulés sur la base de l'article 281 par. 1, alinéa 5, la Cour suprême jugea que les griefs visaient à contester l'appréciation des preuves portée par le juge du fait, et étaient, à ce titre, irrecevables et insuffisants pour constituer un motif d'annulation. Elle estima que, quoi qu'en dise le requérant, il y avait bien eu confrontation entre son frère et les deux témoins. Elle rejeta en conséquence le pourvoi et renvoya devant la cour d'appel (Oberlandesgericht) d'Innsbruck la question de l'appel formé par le requérant contre la peine. Le 3 octobre 1990, après une audience, la cour d'appel d'Innsbruck aggrava la peine infligée au requérant, en la portant à neuf mois d'emprisonnement, assortis d'un sursis de trois ans. II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS Selon l'article 90 par. 1 de la Constitution fédérale, "Les débats devant les tribunaux jugeant au civil ouau pénal sont oraux et publics. La loi détermine lesexceptions." L'article 68 par. 2 du code de procédure pénale dispose qu'est exclu (ausgeschlossen) de participation à la procédure de jugement quiconque a agi comme juge d'instruction dans la même affaire. L'article 281 par. 1 du code de procédure pénale énonce les moyens spécifiques à faire valoir à l'appui d'un pourvoi aux fins d'obtenir la nullité. On se trouve en présence d'un tel moyen notamment lorsque: "1. le tribunal n'a pas été constitué régulièrement,(...) ou qu'un juge frappé d'exclusion (articles 67 et68) a pris part à la décision, sauf si ce motif étaitconnu de la partie avant le début du procès ou au coursde celui-ci et n'a pas été soulevé par elle àl'ouverture du procès ou dès qu'elle en a euconnaissance; (...) pendant le procès, le tribunal ne s'est pasprononcé sur une demande du requérant ou que, lors d'unjugement avant dire droit rejetant une demande ou uneopposition soulevée par le requérant, le tribunal améconnu ou mal appliqué des lois ou règles de procéduredont le respect s'impose de par la nature même d'uneprocédure offrant les garanties voulues à l'accusationet à la défense; le jugement porté par le tribunal sur des faitsdécisifs est confus, incomplet ou contradictoire; (...) (...)" Aux termes de l'article 285d par. 1 du code de procédure pénale, "Pendant les délibérations à huis clos, le pourvoi auxfins d'obtenir la nullité peut être immédiatement rejeté: lorsqu'il aurait déjà dû l'être par la juridictionde première instance, conformément à l'article 285a(...), lorsqu'il est fondé sur les motifs énumérés àl'article 281 par. 1, alinéas 1-8 et 11, et que la Coursuprême a déclaré à l'unanimité que le grief devait êtrerejeté comme manifestement mal fondé sans qu'il soitbesoin de délibérer plus avant." A la suite de l'arrêt Brandstetter c. Autriche du 28 août 1991 (série A n° 211) et depuis le 1er septembre 1993, l'article 35 par. 2 du code de procédure pénale se lit ainsi: "Si le procureur près une juridiction de recoursdépose des observations sur un pourvoi aux finsd'obtenir la nullité (...), ladite juridiction lescommunique à l'accusé (l'intéressé), en lui indiquantqu'il peut y répondre dans un délai raisonnable, qu'elledétermine. Cette communication n'est pas nécessaire sile procureur se borne à s'opposer au recours sansavancer aucun argument, à appuyer les dires de l'accuséou si le recours formé par l'accusé est accueilli." PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION M. Bulut a saisi la Commission le 5 octobre 1990. Invoquant l'article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention, il se plaignait de la participation au procès d'un juge que la loi frappait d'exclusion de la procédure. Il protestait également contre l'absence d'audience devant la Cour suprême, le fait que le parquet avait soumis à la Cour suprême des observations ignorées de la défense et la divulgation par la Cour suprême du nom du juge rapporteur au procureur général, contrairement aux dispositions internes pertinentes. La Commission a déclaré la requête (n° 17358/90) recevable le 2 avril 1993. Dans son rapport du 8 septembre 1994 (article 31) (art. 31), elle formule l'avis: a) qu'il n'y a eu violation de la Convention ni enraison de la participation du juge Schaumburger auprocès (vingt-cinq voix contre une), ni en raison del'absence de débats devant la Cour suprême (unanimité)ou de la divulgation au procureur général du nom dujuge rapporteur (unanimité); b) qu'il y a eu violation de l'article 6 par. 1(art. 6-1) de la Convention en raison de ce que leparquet a transmis des observations à la Cour suprême àl'insu du requérant (vingt-cinq voix contre une). Le texte intégral de l'avis de la Commission et de l'opinion dissidente dont il s'accompagne figure en annexe au présent arrêt . CONCLUSIONS PRESENTEES A LA COUR A l'audience, l'agent du Gouvernement a prié la Cour de dire qu'il n'y avait pas eu violation de l'article 6 (art. 6) de la Convention. Le requérant, pour sa part, a invité la Cour à constater une méconnaissance de la Convention sur trois points: participation du juge Schaumburger au procès; absence d'audience devant la Cour suprême et remise par le parquet à la Cour suprême d'observations tenues secrètes.
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I. La genèse de l'affaire M. Alain Duclos était employé par la société LVI Normandie en qualité de secrétaire général. Le 23 avril 1980, il fut victime d'un accident de la circulation qui entraîna un arrêt de travail et fut couvert par la sécurité sociale au titre des "accidents du travail". Son état consécutif audit accident fut déclaré consolidé au 29 août 1980. Le 31 juillet 1980, au cours de sa rééducation, le requérant fit une rechute des blessures causées par un accident du travail survenu le 23 mars 1976 et qui avaient été déclarées totalement guéries le 11 mai de la même année. Son état consécutif à cette rechute fut déclaré consolidé au 15 septembre 1981 (décision des services de la sécurité sociale du 10 décembre 1981). Le requérant reprit ses fonctions en septembre 1980 mais fit plusieurs rechutes, notamment le 1er octobre 1980 (sans arrêt de travail), le 30 septembre 1981 (avec arrêt de travail jusqu'au 4 octobre), le 13 novembre 1981 (avec arrêt de travail jusqu'au 20 février 1982) et le 2 mars 1982 (avec arrêt de travail jusqu'au 9 juillet 1982). Par une lettre du 14 décembre 1981, son employeur lui notifia son "licenciement pour motif économique d'ordre structurel" à compter du 15 mars 1982. L'état d'"incapacité temporaire de travail" lui fut reconnu durant les périodes d'arrêt de travail, ainsi qu'après son licenciement jusqu'en juillet 1982. Le 24 septembre 1981, la commission technique d'orientation et de reclassement professionnel (COTOREP) de la direction départementale du travail et de l'emploi de la Seine-Maritime avait reconnu au requérant, pour une durée de cinq ans, la qualité de travailleur handicapé de catégorie B, ce qui équivalait selon l'intéressé à un taux d'incapacité permanente partielle de 67 à 85 %. Le 17 août 1984, la commission régionale d'invalidité et d'incapacité permanente (CRIIP) de Haute-Normandie estima le taux d'invalidité du requérant à 50 % (elle se référait à l'accident d'avril 1980 ainsi qu'à celui de 1976). Elle rejeta sa demande tendant à l'obtention d'une allocation pour adultes handicapés au motif que ce taux d'invalidité n'était pas suffisant. Le 5 juillet 1985, M. Duclos obtint du ministère de la Santé et de la Sécurité sociale une carte d'invalidité au taux de 60 %, valable du 26 février 1985 au 26 février 1988. II. Les procédures engagées par le requérant Le requérant engagea une procédure contre la Caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) de Dieppe: il contestait le calcul des indemnités journalières qu'elle lui versait au titre de ses incapacités temporaires de travail. Il saisit également les tribunaux afin d'obtenir le bénéfice de l'"assurance incapacité de travail" que son ancien employeur avait contractée auprès de l'Union des assurances de Paris (UAP). Enfin, il demanda aux juridictions de trancher le conflit qui l'opposait à la Caisse d'allocations familiales (CAF) de Dieppe au sujet de la prise en compte de la baisse de ses revenus pour le calcul de ses allocations familiales. A. La procédure contre la CPAM de Dieppe Durant les périodes où le requérant était en "incapacité temporaire de travail" (paragraphe 10 ci-dessus), la CPAM de Dieppe lui versait des indemnités journalières à titre de revenu de remplacement, calculées sur la base du salaire augmenté des avantages en nature qui étaient mentionnés sur ses bulletins de paie (un appartement et un véhicule de fonction). Le 2 juin 1982, l'intéressé envoya à la CPAM une demande de réévaluation des indemnités journalières: il estimait qu'elle n'avait pas correctement pris en compte lesdits avantages en nature. Par une lettre du 8 juin 1982, le responsable du service des accidents du travail lui opposa une fin de non-recevoir. Devant la commission de recours gracieux de la CPAM de Dieppe et les tribunaux des affaires de sécurité sociale de Paris et de Rouen La commission de recours gracieux de la CPAM de Dieppe ne répondit pas à la requête en réévaluation que M. Duclos lui avait adressée le 21 juillet 1982. L'intéressé saisit alors, le 29 mars 1983, le tribunal des affaires de sécurité sociale (TASS) de Paris. Le 7 février 1984, les parties furent convoquées à une audience du 2 mars 1984. A l'issue de celle-ci, faisant droit à une demande de la CPAM, le TASS de Paris décida de renvoyer le dossier devant le TASS de Rouen qui devait statuer sur des demandes connexes. Le dossier fut transmis à cette dernière juridiction le 24 juillet 1984. L'audience initialement fixée au 17 juin 1986 fut reportée au 4 novembre 1986. Le tribunal débouta M. Duclos par un jugement du 16 décembre 1986 - notifié le 30 janvier 1987 -, au motif qu'il n'avait pas démontré le caractère mal fondé du calcul de la CPAM. Devant la cour d'appel de Rouen Le 6 février 1987, M. Duclos interjeta appel du jugement du 16 décembre 1986 devant la cour d'appel de Rouen. La CPAM conclut le 2 octobre 1987. Une audience eut lieu le 13 octobre 1987. Le Gouvernement a soutenu devant la Cour qu'un renvoi avait été sollicité par le requérant - ce dernier le conteste -, mais n'a pas été en mesure d'indiquer sur quoi il se fondait. Une nouvelle audience se tint le 6 septembre 1988, au cours de laquelle M. Duclos déposa des conclusions. Le 11 octobre 1988, la cour d'appel confirma le jugement déféré. Devant la Cour de cassation Le 15 novembre 1988, le requérant déposa une demande de dispense d'honoraire devant la commission des dispenses d'honoraires d'avocats au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation. Celle-ci la rejeta le 24 octobre 1989 - ce dont l'intéressé fut informé par un courrier du 8 novembre 1989 - par le motif suivant: "Considérant qu'il résulte de l'examen des décisions critiquées, qu'elles sont régulières en la forme et légalement motivées; elles ne paraissent donc pas susceptibles d'être soumises utilement au contrôle de la Cour de cassation." L'intéressé se pourvut néanmoins en cassation le 22 décembre 1989. Il déposa son mémoire le 21 mai 1990 et la CPAM conclut le 20 août 1990. Le dossier fut transmis à un conseiller rapporteur le 2 avril 1991, lequel remit son rapport le 16 mai de la même année. L'audience eut lieu le 9 janvier 1992 et, le 20 février 1992, la Cour de cassation (chambre sociale) rejeta le pourvoi au motif que le moyen soulevé par M. Duclos se bornait à critiquer l'appréciation faite par les juges du fond des éléments de preuve qui leur étaient soumis, et était donc irrecevable. B. La procédure contre l'UAP L'employeur du requérant avait souscrit auprès de l'UAP trois contrats successifs d'"assurance incapacité de travail". Le premier était en vigueur du 1er juillet 1973 au 31 décembre 1980, le deuxième du 1er janvier au 30 septembre 1981, et le troisième prenait effet le 1er octobre 1981. Tous garantissaient aux cadres victimes d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle le versement d'une allocation quotidienne en cas d'"incapacité temporaire complète de travail" et d'une rente annuelle en cas d'"invalidité permanente totale ou partielle", en complément des prestations de la sécurité sociale. Les deux premiers contrats disposaient (article 26-6° et article 10 respectivement): "Si après guérison apparente, l'employé reprenait son travail et qu'il y ait rechute dans un délai inférieur à deux mois, les indemnités de la présente assurance continueraient à être payées comme s'il s'agissait d'une seule et même interruption de travail, la période pendant laquelle l'employé a repris ses occupations étant considérée comme une simple interruption du service des prestations. Par contre en cas de reprise du travail de plus de deux mois l'employé est considéré comme victime d'une nouvelle maladie et d'un nouvel accident." Devant le juge des référés du tribunal de grande instance de Paris Le 3 avril 1982, alors qu'il était en "incapacité temporaire complète de travail", M. Duclos adressa à l'UAP une lettre sollicitant le versement de l'indemnité journalière "complémentaire" prévue par le premier contrat. Celle-ci lui demanda de produire les bordereaux de sécurité sociale justifiant de l'incapacité et l'informa qu'elle ne pouvait procéder à des avances sur prestations. Le requérant ne possédait pas lesdits bordereaux car la CPAM tardait à verser l'indemnité journalière "principale". Le 4 juin 1982, M. Duclos assigna l'UAP devant le juge des référés en paiement d'une provision sur lesdites indemnités "complémentaires" de 13 960 francs français (FRF) pour la période du 15 mars au 15 avril 1982, ainsi que de la même somme le 15 de chaque mois. Lors de l'audience du 24 juin 1982, son avocat produisit les bordereaux de sécurité sociale correspondant aux indemnités journalières "principales" versées jusqu'au 1er juin 1982. L'UAP fit valoir qu'il y avait lieu avant tout de déterminer lequel des trois contrats d'assurance successifs était applicable. Le 1er juillet 1982, ledit juge se déclara incompétent au motif suivant: "Attendu qu'il résulte des documents produits que la solution du présent litige implique l'interprétation des contrats liant l'employeur d'Alain Duclos à l'UAP; Qu'il n'appartient pas au juge des référés de trancher une telle difficulté, qui devra être soumise au juge du fond, étant observé que postérieurement à l'acte introductif de la présente instance, le demandeur a perçu de la sécurité sociale une somme correspondant à ses indemnités journalières jusqu'au 15 juin 1982, si bien qu'il a réduit sa demande à 8 146,16 FRF." Devant le tribunal de grande instance de Paris L'incapacité temporaire totale de M. Duclos fut levée: à partir du 9 juillet 1982, la CPAM cessa de lui verser les indemnités journalières "principales". L'état d'invalidité permanente lui ayant été reconnu, le requérant avait droit au payement d'une rente par les services de la sécurité sociale. Par une lettre du 15 mai 1981, M. Duclos s'était enquis auprès de l'UAP des conditions de versement de la rente "complémentaire" prévue en cas d'invalidité permanente (paragraphe 19 ci-dessus). La compagnie d'assurances lui avait répondu qu'il devait justifier d'une incapacité permanente d'au moins 33 %. Par un acte d'huissier du 26 août 1983, le requérant assigna l'UAP devant le tribunal de grande instance de Paris. Il faisait référence à la première police - dont il soutenait que lui était opposable non le texte complet du contrat mais seulement le résumé des garanties que lui avait remis son ancien employeur -, et réclamait essentiellement le paiement de la rente "complémentaire" et du solde "recalculé" de ses indemnités journalières ainsi que le maintien de la "garantie remboursement des frais". L'instruction fut close par une ordonnance du 2 juillet 1984. L'UAP conclut que la troisième police - en vigueur à partir du 1er octobre 1981 - était applicable puisque le requérant avait fait une rechute en novembre 1981. M. Duclos répliqua le 6 août 1984 et sollicita la révocation de l'ordonnance de clôture. Après une audience du 19 septembre 1984, le tribunal de grande instance accueillit la demande le 17 octobre 1984: "Attendu que la nécessité d'examiner le litige en son ensemble et le respect des droits de la défense justifient à suffisance la demande de révocation d'ordonnance de clôture qui est présentement formulée; Attendu qu'il apparaît que les faits relatés par les écritures de l'une et l'autre partie ne correspondent pas, dans leur matérialité et leur date, à ceux établis par les documents versés aux débats (...); qu'il existe une contradiction complète sur la durée de la reprise du travail de septembre 1980 et sur la date des rechutes; Attendu, par ailleurs, que ne sont pas communiqués les documents médicaux propres à justifier les périodes de travail ou de maladie, ni les bordereaux de payement de la compagnie UAP susceptibles d'indiquer à la fois la date de ces périodes et les polices appliquées; Qu'enfin, la correspondance échangée entre la compagnie UAP et Alain Duclos n'est représentée que partiellement; Attendu que pareille situation rend impossible toute vérification de l'argumentation respective des parties alors au surplus, que la compagnie UAP n'a pas répondu aux dernières écritures d'Alain Duclos, et que celui-ci invoque maintenant une décision de la commission régionale d'invalidité en date du 10 septembre 1984 d'incapacité permanente de 50 %, celle-ci étant successivement passée de 0 à 12 et 20 %; Qu'il importe donc de procéder à la réouverture des débats et de renvoyer l'affaire, pour mise en état, à la première audience de procédure utile; (...)" Lors de l'audience de procédure du 7 janvier 1985, le requérant déposa des conclusions et produisit les pièces demandées. Une audience eut lieu le 29 avril 1985. Le 29 mai 1985, le tribunal de grande instance jugea que l'UAP devait garantie à M. Duclos en vertu et dans les limites de la deuxième police d'assurance: "(...) Attendu qu'il est constant que M. Duclos a repris son travail et a été considéré comme consolidé au 29 août 1980 avec un taux d'incapacité permanente partielle inférieur à celui de 33 % lui ouvrant droit à garantie aux termes [du premier contrat]; Que certes, il dénie que [le texte complet du contrat] lui soit applicable, mais que contrairement à ce qu'il soutient, (...), le "résumé des garanties offertes par le contrat" remis aux adhérents, nécessairement incomplet et schématique, ne prévaut pas sur le contrat lui-même; Attendu qu'il résulte de l'article 26-6° [du premier contrat] que seule une rechute avec arrêt de travail interrompt le délai de deux mois, passé lequel l'employé est considéré comme victime d'un nouvel accident (...) Attendu que la rechute sans arrêt de travail dont se prévaut M. Duclos pour demander le maintien du premier contrat est donc inopérante, comme ne répondant pas à cette exigence; Attendu qu'il est constant que la rechute avec arrêt de travail intervenue au mois de septembre 1981, sous l'empire de la deuxième police applicable du 1er janvier 1981 au 30 septembre 1981 et dont l'article 10 reproduit l'article 26-6° du précédent contrat, a été suivie de plusieurs autres sans que les périodes de reprise de travail excèdent deux mois; (...)" Au sujet du montant de la rente due par l'UAP, le tribunal considéra: "Attendu que l'article 3-2° [du deuxième contrat] précise que l'assuré est considéré en état d'invalidité permanente partielle s'il est classé par la sécurité sociale dans la deuxième catégorie d'invalidité (...) Attendu que M. Duclos justifie que la sécurité sociale a fixé son taux d'incapacité permanente partielle à 50 % équivalant au classement dans la première catégorie d'invalidité prévue à l'article L. 130 du code de la sécurité sociale; Que le taux retenu ne s'impose pas à l'UAP pour le calcul de la rente contractuelle et [qu']il y a lieu de recourir à une expertise médicale (...)" Le tribunal désigna donc un expert avec mission de: "- se faire remettre et (...) consulter tous documents médicaux utiles à l'accomplissement de sa mission; - examiner M. Duclos et déterminer le taux d'incapacité permanente partielle dont il reste atteint en distinguant les conséquences des accidents du 23 mars 1976 et du 23 avril 1980." Quant à la demande du requérant relative aux indemnités journalières, le tribunal conclut que "la décision sur le contrat applicable entraîn[ait] [son] rejet (...)" dans la mesure où elle était fondée sur la première police. Néanmoins, constatant que "le principe d'une créance de M. Duclos [à ce titre n'était] pas contesté par l'UAP", il condamna celle-ci à verser à celui-là une provision de 10 000 FRF. Enfin, le tribunal mit à la charge de M. Duclos une provision de 1 400 FRF à valoir sur les frais d'expertise et à consigner au greffe avant le 15 juillet 1985, et ordonna l'exécution provisoire de son jugement. Devant la cour d'appel de Paris a) L'arrêt du 23 juin 1987 Le requérant obtint l'aide judiciaire le 3 juillet 1985; le 11 juillet, s'estimant couvert par la première police, il saisit la cour d'appel de Paris. L'UAP, qui considérait être liée par le troisième contrat, avait fait de même le 3 juillet. Le 28 août, le juge de la mise en état invita le requérant à déposer ses conclusions avant le 7 novembre 1985, ce que fit ce dernier le 2 septembre 1985. Le 10 décembre, son avocat adressa au président de la chambre compétente de la cour d'appel la lettre suivante: "(...) Je me permets d'attirer votre attention sur le fait que M. Duclos est invalide à la suite d'un grave accident d'automobile et qu'il a quatre enfants à charge. La procédure engagée contre l'UAP est son seul espoir d'obtenir des conditions de vie décentes sur le plan matériel. Compte tenu de l'urgence je vous serais très obligé de bien vouloir envisager une redistribution à la chambre des urgences. A défaut je vous remercie, le 9 janvier prochain, date à laquelle expire le délai d'injonction donné à l'intimé, de fixer une date aussi rapprochée que possible pour la clôture et pour les plaidoiries. (...)" Le 20 novembre 1985, le juge de la mise en état fit injonction à l'UAP de déposer ses conclusions avant le 9 janvier 1986, ce qu'elle fit le 12 décembre 1985. Le 19 décembre 1985, les parties furent informées que l'instruction serait close le 13 mai 1986 et que l'audience de jugement aurait lieu le 28 octobre 1986. Le requérant signifia des conclusions le 13 mai 1986. A sa demande, la clôture fut reportée au 19 juin. Le 16 juin 1986, l'UAP sollicita à son tour le report de la clôture, qui fut remise au 8 juillet. Le 7 juillet, à la requête de l'UAP, la clôture fut reportée au 9 septembre. La compagnie d'assurances déposa des conclusions le 8 septembre. Le 9 septembre, le requérant obtint le report de la clôture au 16 septembre. L'UAP signifia des conclusions le 12 septembre 1986. Le 16 septembre, M. Duclos obtint le report au 30 septembre. A cette date, il déposa des conclusions en réponse à celles de l'UAP des 8 et 12 septembre 1986 et en complément des siennes du 13 mai 1986 - il demandait notamment le remboursement de la provision pour expertise que le juge de première instance avait mis à sa charge; il requit en outre une nouvelle fois le report de la clôture, qui fut fixée au 14 octobre. Le 13 octobre, à la demande de l'UAP, la clôture fut reportée au 21 octobre. L'audience eut lieu le 28 octobre 1986, et, le 23 juin 1987, la cour d'appel de Paris rendit l'arrêt suivant: "(...) Les documents médicaux versés aux débats ne permettent pas de déterminer si, comme le soutient l'appelant, un taux d'incapacité permanente partielle supérieur à 33 % s'est manifesté sans solution de continuité au cours de l'année 1980, ou si au contraire M. Duclos doit être considéré comme ayant été ultérieurement victime d'une nouvelle maladie ou d'un nouvel accident. Le tribunal a justement prescrit une expertise médicale, dont l'intérêt et la nécessité subsistent, que l'assuré bénéficie de la première, de la deuxième, de la troisième des polices d'assurance, et M. Duclos ne peut soutenir que cette expertise serait superflue au motif que l'UAP lui a écrit le 3 mars 1982 que "d'une manière générale, l'assureur suit les indications de la sécurité sociale et se conforme à ses [critères]". La mission de l'expert doit au contraire être complétée, avant de pouvoir dire en vertu de laquelle des polices l'UAP doit la garantie de l'assuré. (...) Il est d'une bonne administration de la justice d'évoquer l'entier litige, afin de lui donner une solution définitive. Par ces motifs La Cour, (...) Infirme le jugement critiqué en ce qu'il dit que la compagnie UAP doit garantie à M. Duclos en vertu et dans les limites de la [deuxième police d'assurance]. Dit y avoir lieu, avant dire droit, à expertise médicale et évoquant le litige pour le tout, confirme le jugement en ce qu'il a désigné comme expert le docteur (...) et, étendant la mission confiée à l'expert, lui donne tout d'abord mission, après s'être fait communiquer contradictoirement tous documents utiles à son accomplissement, de rechercher si, compte tenu de l'origine, de la nature et de l'évolution des accidents survenus à M. Duclos les 23 avril et 31 juillet 1980, il y avait eu "guérison apparente" au sens de l'article 26-6° de [la première police d'assurance] et quel pouvait être le taux d'incapacité permanente partielle résultant du premier accident, ou de chacun d'eux, au 30 décembre 1980, afin de permettre à la cour de déterminer la police en vertu de laquelle l'UAP lui doit sa garantie. Dit que l'expert déposera son rapport au greffe de la cour dans les quatre mois de sa saisine. (...)" b) L'arrêt du 3 mai 1989 Le 5 novembre 1987, l'expert déposa un rapport de carence: convoqué d'abord par lettre simple puis par lettre recommandée, M. Duclos ne se serait ni présenté ni excusé. Dans ses conclusions produites devant la cour d'appel les 19 mai et 6 décembre 1988 et le 6 mars 1989, M. Duclos fit valoir que, dans la mesure où il avait été admis à l'aide judiciaire, c'était par erreur qu'il avait versé à l'expert le montant de la provision fixée par le tribunal de grande instance de Paris. Il aurait adressé plusieurs demandes de remboursement audit expert - en octobre et novembre 1985 ainsi qu'en mars 1986 - puis, le 23 novembre 1987, assigné celui-ci à cette fin devant le tribunal d'instance du XVIIIe arrondissement de Paris. M. Duclos exposait en outre qu'il avait été renvoyé lorsque, faisant suite à une convocation de l'expert, il s'était rendu le 30 octobre 1980 au cabinet de celui-ci, accompagné d'un autre médecin. Par ailleurs, il invitait la cour à dire l'expertise médicale inutile dans la mesure où il avait démontré son incapacité permanente partielle en produisant notamment la décision de la COTOREP du 24 septembre 1981 et celle de la CRIIP, et où un examen médical effectué neuf ans après le premier accident ne pouvait permettre d'établir la date d'origine de l'incapacité. Enfin, il demandait à la cour d'appel de juger ensemble le litige "principal" l'opposant à l'UAP et le litige "accessoire" l'opposant à l'expert. Le 21 février 1988, injonction fut faite aux parties de déposer leurs conclusions avant le 21 avril 1988. M. Duclos conclut le 19 mai 1988. Le 19 juillet 1988, les parties furent informées que l'instruction serait close le 6 décembre de la même année et que l'audience était fixée au 1er février 1989. L'UAP conclut le 18 août et le 30 septembre. Le 6 décembre, M. Duclos conclut et requit le report de la clôture, qui fut fixée au 10 janvier 1989. L'UAP conclut le 2 janvier 1989. Le 10 janvier 1989, le requérant sollicita le report de la clôture et le renvoi des plaidoiries à la fin du mois de mars; la clôture fut fixée au 24 janvier. Il fit la même demande le 23 janvier; la clôture fut fixée au 7 mars et l'audience reportée au 21 mars. L'UAP conclut le 20 février 1989 et le requérant le 6 mars. Le 7 mars, l'UAP fit écho à la demande de report de clôture présentée la veille par le requérant. L'ordonnance de clôture fut prise le 21 mars 1989. Après une audience le 21 mars 1989, la cour d'appel débouta le requérant par un arrêt prononcé le 3 mai 1989 - notifié aux parties le 9 juin - et ainsi libellé: "(...) La Cour ne pouvant en raison du refus de l'appelant, disposer des éléments d'appréciation que pourrait lui apporter l'expertise judiciaire qu'elle a jugée nécessaire à la solution du litige, M. Duclos, qui n'apporte pas la preuve dont il a la charge, doit, en l'état, être débouté de ses demandes et condamné à restituer la somme qu'il avait reçue à titre de provision." Devant la Cour de cassation Le 2 août 1989, M. Duclos déposa une demande d'aide judiciaire devant le bureau d'aide judiciaire de la Cour de cassation, qui y fit droit le 11 janvier 1990 - ce qui fut notifié à l'intéressé le 7 février 1990. Le requérant se pourvut en cassation le 9 mars 1990: il faisait valoir que la cour d'appel avait indûment omis de répondre à ses conclusions relatives à l'inutilité de l'expertise médicale et à celles tendant à ce que soient jugés ensemble le litige l'opposant à l'UAP et celui l'opposant à l'expert. Il déposa un mémoire ampliatif le 7 août 1990 et l'UAP déposa un mémoire en défense le 26 septembre 1990. Il envoya encore une note datée du 20 janvier 1991. Le dossier fut remis à un conseiller rapporteur le 3 juillet 1991, lequel déposa son rapport le 24 septembre 1991. Après une audience du 5 mars 1992, la Cour de cassation (chambre sociale) rendit, le 16 avril 1992, un arrêt de rejet ainsi motivé: "(...) attendu que la cour d'appel, qui n'était pas tenue de répondre à des conclusions inopérantes, n'étant pas saisie d'un litige opposant l'intéressé à l'expert, n'a fait, en ordonnant une expertise judiciaire, qu'user de son pouvoir d'appréciation." C. La procédure contre la CAF de Dieppe Marié et père de quatre enfants, le requérant percevait des allocations familiales, dont le montant varie en fonction des revenus de chaque foyer bénéficiaire. La CAF de Dieppe pratiqua un abattement de 30 % sur les revenus du requérant pour la détermination desdites allocations, à compter du jour où ce dernier avait commencé à percevoir des indemnités pour chômage de l'Association pour l'emploi dans l'industrie et le commerce (ASSEDIC), c'est-à-dire du 10 juillet 1982. Par une lettre du 19 mai 1983, elle informa l'intéressé - qui faisait valoir qu'il était sans emploi depuis le 15 mars 1982 - qu'elle refusait d'accéder à sa demande tendant au bénéfice d'un abattement de 100 % pour le calcul des allocations correspondant à la période du 1er mars au 30 juin 1982. Devant la commission d'attribution des prestations de la CAF de Dieppe et le tribunal des affaires de sécurité sociale de Rouen Le 18 juillet 1983, M. Duclos adressa sa doléance à la commission d'attribution des prestations de la CAF de Dieppe qui se prononça en sa défaveur le 3 octobre 1983, ce dont il fut informé par une lettre du 17 novembre. Il saisit alors, le 13 décembre 1983, le tribunal des affaires de sécurité sociale de Rouen. Après une audience du 18 février 1986, le tribunal rendit, le 18 mars 1986, un jugement de rejet - notifié aux parties le 16 mai - ainsi motivé: "La circulaire n° 39 SS du 13 août 1980 prévoit un abattement de 30 % ou l'exclusion des revenus de l'année de référence pour les personnes se trouvant au chômage, suivant la situation dans laquelle elles se trouvent; Selon la circulaire 33 SS du 13 août 1980 article 5-1 2e alinéa "sont concernées les personnes se trouvant au chômage total non indemnisé ou qui cessent de l'être parce qu'elles ont épuisé leur droit à indemnisation (...) il est procédé à la neutralisation de l'ensemble des ressources"; Au cours de la période du 2 mars au 2 juillet 1982, M. Duclos était attributaire d'indemnités journalières au titre de son accident de travail et avait été radié des ASSEDIC; Il n'était donc pas un chômeur total non indemnisé et ne peut prétendre à l'exclusion de ses ressources pour cette période; Il est établi qu'à compter du 1er juillet 1982, il y a eu application de l'abattement de 30 % sur ses revenus du fait de l'attribution par l'ASSEDIC des allocations spéciales, son recours n'est pas fondé." Ce jugement fut notifié aux parties le 16 mai 1986. Devant la cour d'appel de Rouen Le 21 mai 1986, le requérant saisit la cour d'appel de Rouen. Il obtint l'aide judiciaire totale le 20 mars 1987. Le 23 juillet 1987, les parties furent informées que l'audience se tiendrait le 13 octobre 1987. La CAF conclut le 9 octobre. Le Gouvernement a soutenu devant la Cour que lors des débats un renvoi avait été sollicité par le requérant - ce dernier le conteste -, mais n'a pas été en mesure d'indiquer sur quoi il se fondait. Une audience eut lieu le 6 septembre 1988, au cours de laquelle M. Duclos conclut. Par un arrêt du 11 octobre 1988, la cour d'appel confirma le jugement déféré. Devant la Cour de cassation Le 15 novembre 1988, le requérant déposa une demande de dispense d'honoraires devant la commission des dispenses d'honoraires d'avocats au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, qui la rejeta le 24 octobre 1989 - ce dont l'intéressé fut informé par un courrier du 13 décembre - par le motif suivant: "Considérant qu'il résulte de l'examen de la décision critiquée qu'elle est régulière en la forme et légalement motivée; elle ne paraît donc pas susceptible d'être soumise utilement au contrôle de la Cour de cassation." L'intéressé se pourvut néanmoins en cassation le 4 décembre 1989. Il déposa un mémoire le 3 mai 1990 et la CAF répliqua le 4 juillet. Le 2 avril 1991, le dossier fut remis à un conseiller rapporteur qui déposa son rapport le 16 mai 1991. L'audience eut lieu le 20 février 1992 et la Cour de cassation (chambre sociale) rejeta le pourvoi par un arrêt du 2 avril 1992 ainsi motivé: "(...) attendu qu'après avoir relevé que M. Duclos, qui avait, du 2 mars au 9 juillet 1982, perçu des indemnités journalières au titre de la rechute d'un accident de travail, avait été radié pendant cette période des ASSEDIC, les juges du fond ont légalement justifié leurs décisions." PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION M. Duclos a saisi la Commission les 17 août, 29 septembre et 13 octobre 1992 de trois requêtes distinctes (nos 20940/92, 20941/92 et 20942/92). Il alléguait plusieurs violations des articles 5 et 6 par. 1 de la Convention (art. 5, art. 6-1) ainsi que de l'article 1 du Protocole n° 1 (P1-1). Le 1er décembre 1993, la Commission (deuxième chambre) a décidé de joindre les requêtes, de les communiquer au Gouvernement quant au seul grief tiré de la durée des procédures et de les déclarer irrecevables pour le surplus. Le 12 octobre 1994, elle a retenu la requête quant au grief en question. Dans son rapport du 17 mai 1995 (article 31) (art. 31), elle conclut, par sept voix contre six, à la violation de l'article 6 par. 1 (art. 6-1). Le texte de son avis ainsi que de l'opinion dissidente dont il s'accompagne figure en annexe au présent arrêt (1). _______________ Note du greffier Pour des raisons d'ordre pratique il n'y figurera que dans l'édition imprimée (Recueil des arrêts et décisions 1996-VI), mais chacun peut se le procurer auprès du greffe. _______________ CONCLUSIONS PRESENTEES A LA COUR Dans son mémoire, le requérant invite la Cour à "constater une violation de l'article 6 par. 1 de la Convention (art. 6-1) quant à la durée non raisonnable des procédures civiles en cause". Quant au Gouvernement, il conclut qu'il "appartient à la Cour de tirer les conséquences de l'attitude de M. Duclos en déclarant mal fondée sa requête".
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Les faits se fondent sur les constatations établies par la Commission, exposées en détail dans son rapport du 26 octobre 1995. I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE A. La situation dans le Sud-Est de la Turquie Depuis 1985 environ, de graves troubles font rage dans le Sud-Est de la Turquie, entre les forces de sécurité et les membres du PKK (Parti des travailleurs du Kurdistan). Ce conflit a, d’après le Gouvernement, coûté jusqu’ici la vie à 4 036 civils et 3 884 membres des forces de sécurité. Les informations produites par les requérants et l’amicus curiae font ressortir qu’un grand nombre de villages, estimé à plus de 1 000, ont été détruits et évacués pendant ces affrontements (paragraphe 7 ci-dessus). Depuis 1987, dix des onze provinces du Sud-Est de la Turquie sont soumises à l’état d’urgence, qui était donc en vigueur à l’époque des faits. B. Destruction des maisons des requérants Les requérants (paragraphe 1 ci-dessus), citoyens turcs, habitaient le village de Kelekçi, dans le district de Dicle de la province de Diyarbakir. Ce village et ses environs ont été le théâtre d’une intense activité terroriste du PKK. Nul ne conteste que ce parti a lancé de sérieuses attaques sur Kelekçi le 17 ou le 18 juillet 1992 et sur le village voisin de Bogazköy le 1er novembre 1992. Lors de la première offensive, trois habitants de Kelekçi ont été tués et trois autres blessés. La seconde attaque visait la gendarmerie de Bogazköy, qui fut détruite; un gendarme fut tué et huit autres blessés. A la suite de ces événements, les forces de sécurité furent renforcées dans cette région et des recherches approfondies furent menées pour retrouver les terroristes. Les requérants allèguent que le 10 novembre 1992, les forces de sécurité de l’Etat lancèrent une attaque contre le village de Kelekçi, incendièrent neuf maisons, dont les leurs, et obligèrent tous les habitants du village à l’évacuer sur-le-champ. Le Gouvernement dément catégoriquement ces allégations, affirmant que les maisons ont été incendiées par le PKK. Il a tout d’abord déclaré que des soldats avaient simplement fouillé le village sans provoquer de dégâts. Il a ensuite soutenu qu’aucun soldat n’avait pénétré dans Kelekçi le 10 novembre 1992 et que, si d’aucuns s’étaient trouvés dans le voisinage, ils avaient fait halte en bordure du village. Le 6 avril 1993, des maisons de Kelekçi furent incendiées et le village fut presque entièrement détruit. Les parties ne s’accordent cependant pas sur le point de savoir si les destructions ont été le fait des terroristes ou des forces de sécurité. La Commission a établi que neuf maisons, dont celles des requérants, ont été détruites ou gravement endommagées par le feu peu de temps après l’attaque de la gendarmerie de Bogazköy, intervenue le 1er novembre 1992. Bien que l’on ne connaisse pas avec certitude la date exacte à laquelle les neuf maisons ont brûlé, elle admet, comme les requérants l’affirment, que cet événement s’est produit le 10 novembre 1992. C. Constatations de la Commission concernant les enquêtes menées en Turquie La Commission estime qu’aucune enquête adéquate n’a été menée au niveau interne au sujet de la destruction des neuf maisons de Kelekçi intervenue le 10 novembre 1992, que ce soit juste après les événements ou plus tard. Il semblerait qu’un rapport de gendarmerie, daté du 29 novembre 1993, traite des événements de Kelekçi. Cependant, la Commission conclut que ce rapport, ainsi que les autres "rapports d’incidents" soumis au procureur de la République près la cour de sûreté de l’Etat de Diyarbakir, dans la mesure où ils portent sur la destruction des neuf maisons, n’ont entraîné aucune enquête sur les faits, et que rien n’a été tenté pour déterminer les responsabilités. La Commission a également établi que, bien que les requérants aient perdu leurs maisons, personne ne leur a donné de conseils pertinents ni, semble-t-il, aux autres villageois de Kelekçi déplacés, sur la façon d’obtenir un dédommagement pour cette perte ou d’autres formes d’aide. Le maire du village a rédigé plusieurs pétitions et des déclarations ont été envoyées à plusieurs fonctionnaires de l’Etat. Cependant, aucun responsable ne s’est occupé des difficultés des requérants ou ne les a adressés à l’organisme compétent. Des éléments produits devant la Commission montrent également qu’après l’introduction de leur requête, certains des requérants, ou des personnes que l’on pensait être des requérants, comme MM. Hüseyin Akdivar et Ahmet Çiçek (paragraphes 48-50 ci-dessous), ont été interrogés par les autorités de l’Etat au sujet de leurs requêtes à la Commission. Celle-ci a reçu un film montrant l’interrogatoire de ces deux personnes sur le dossier déposé à Strasbourg. En ce qui concerne les événements du 10 novembre 1992 (paragraphe 15 ci-dessus), la Commission constate que les rapports d’enquête ainsi que les déclarations enregistrées des villageois qui lui avaient été soumis par le gouvernement défendeur datent de septembre 1994, soit presque deux ans après la destruction des neuf maisons. Dans ces déclarations, les intéressés accusent le PKK d’avoir incendié les habitations. A cette époque, plusieurs villageois de Kelekçi avaient été entendus au sujet de ce qui s’était passé dans leur village. La Commission relève que cette enquête s’est produite après que le village eut subi de nouvelles destructions, le 6 avril 1993, et après qu’elle-même eut transmis les griefs des requérants au Gouvernement, aux fins d’émettre des observations, et qu’elle eut décidé de tenir une audience dans cette affaire. La Commission observe de surcroît que les rapports d’enquête de septembre 1994 ont été rédigés à partir d’une mission d’exploration effectuée par hélicoptère le 21 septembre 1994. L’équipe réalisant l’enquête ne s’est pas posée à Kelekçi mais a seulement observé le village au cours de vols à basse altitude. Selon le rapport, toutes les maisons de Kelekçi s’étaient écroulées et le village était totalement abandonné. Quant aux événements du 6 avril 1993, la Commission constate qu’une équipe de gendarmes a entendu plusieurs villageois en avril 1993. Dans les déclarations qui ont été enregistrées, cependant, ceux-ci ne faisaient aucune allusion aux incidents du 10 novembre 1992. La Commission a examiné ces déclarations afin de déterminer si elles avaient une influence sur les constatations de fait auxquelles elle avait procédé au sujet des événements dénoncés. Dans son rapport du 26 octobre 1995, elle tire la conclusion suivante: "197. A cet égard, la Commission est frappée par la forme stéréotypée et le contenu globalement similaire des diverses dépositions des villageois (paragraphes 54, 56, 57, 59, 61, 65, 66, 68, 71, 73 et 75). La plupart d’entre elles décrivent les événements du 6 avril 1993 de façon presque identique. Dans leurs dépositions, les habitants évoquent une offensive antérieure des terroristes sur leur village, au cours de laquelle trois personnes avaient été tuées et trois autres blessées, cette formule générale étant utilisée jusque dans les dépositions des requérants Ahmet Çiçek et Abdurrahman Aktas dont des parents proches, notamment le père de ce dernier, avaient été tués à cette occasion. Les dépositions contiennent également une déclaration affirmant le respect des villageois pour l’Etat et leur volonté de coopérer. Dans l’ensemble, ces documents donnent plus l’impression d’avoir été rédigés de manière uniforme par les gendarmes que de refléter les déclarations spontanées des habitants, ce qui pourrait également expliquer pourquoi certaines de ces dépositions sont en totale contradiction avec les propos tenus par les mêmes personnes en d’autres occasions (voir les déclarations d’Ahmet Çiçek évoquées aux paragraphes 61, 89 et 90 ci-dessus, les déclarations d’Abdurrahman Aktas mentionnées aux paragraphes 54 et 98 ci-dessus et les déclarations d’Abdullah Karabulut rapportées aux paragraphes 66, 67 et 111 ci-dessus). Il semble donc fortement improbable que les dépositions prises par les gendarmes traduisent les informations que les villageois entendaient faire passer sur les événements litigieux." La Commission a donc résolu de ne pas attacher d’importance particulière aux déclarations émises par les villageois en avril 1993. Elle relève en outre qu’il n’y a pas eu au niveau interne de véritable enquête susceptible de contribuer à élucider les événements survenus le 10 novembre 1992. Elle conclut que l’absence d’une telle enquête est en soi un élément troublant s’agissant d’une question aussi grave que la destruction des maisons d’un nombre considérable de personnes. D. Appréciation des preuves par la Commission En l’absence d’enquête sérieuse au niveau interne, la Commission a fondé ses conclusions sur les éléments qui lui ont été fournis oralement par diverses personnes ou soumis par écrit au cours de la procédure devant elle. La Commission conclut que rien ne prouve que les villageois se soient entendus pour accuser l’Etat de l’incendie de leurs maisons en vue d’obtenir une indemnisation ou dans tout autre but. Elle observe en outre que, si certains éléments révèlent que les forces de sécurité se trouvaient dans le village le 10 novembre 1992, aucun des témoins n’a déclaré avoir vu un étranger à Kelekçi à cette date. Il semble peu probable que des terroristes aient pu mettre le feu à neuf maisons dans le village sans que personne n’ait remarqué leur présence. De même, rien ne permet d’établir que des terroristes aient été présents à Kelekçi ce jour-là. Ayant apprécié les preuves, la Commission a jugé établi de manière concluante que les forces de sécurité - probablement sous la pression de l’intense activité terroriste que connaissait la région - étaient responsables de l’incendie de neuf maisons à Kelekçi le 10 novembre 1992. Il n’a cependant pas été prouvé que les requérants aient été expulsés de force de Kelekçi, mais la destruction de leurs maisons les a contraints à abandonner le village et à s’installer ailleurs. II. Le droit et la pratique internes pertinents Selon le Gouvernement, la législation interne ci-dessous est applicable en l’espèce. L’article 125 de la Constitution turque énonce: "Tout acte ou décision de l’administration est susceptible d’un contrôle juridictionnel (...) L’administration est tenue de réparer tout dommage résultant de ses actes et mesures." La disposition précitée ne souffre aucune restriction, même en cas d’état d’urgence ou de guerre. Le second alinéa ne requiert pas forcément d’apporter la preuve de l’existence d’une faute de l’administration, dont la responsabilité revêt un caractère absolu et objectif fondé sur la théorie du "risque social". L’administration peut donc indemniser quiconque est victime d’un préjudice résultant d’actes commis par des personnes non identifiées ou des terroristes, lorsque l’on peut dire que l’Etat a manqué à son devoir de maintien de l’ordre et de la sûreté publique, ou à son obligation de protéger la vie ou les biens d’un individu. Ce principe de la responsabilité administrative s’exprime à l’article 1 additionnel de la loi no 2935 du 25 octobre 1983 sur l’état d’urgence, ainsi libellé: "(...) les actions en réparation touchant l’exercice des pouvoirs conférés par la présente loi doivent être engagées contre l’administration devant les juridictions administratives." Le code pénal érige en infraction le fait: - de priver arbitrairement un individu de sa liberté (article 179 en général et article 181 pour les fonctionnaires); - de contraindre un individu par la force ou la menace à commettre ou ne pas commettre un acte (article 188); - de proférer des menaces (article 191); - de procéder illégalement à une perquisition domiciliaire (articles 193 et 194); - de provoquer un incendie (articles 369, 370, 371, 372) ou un incendie aggravé par la mise en péril de vies humaines (article 382); - de provoquer un incendie involontaire par imprudence, négligence ou inexpérience (article 383); ou - d’endommager volontairement les biens d’autrui (articles 526 et suivants). Conformément aux articles 151 et 153 du code de procédure pénale, il est possible, pour ces différentes infractions, de porter plainte auprès du procureur de la République ou des autorités administratives locales. Le procureur et la police sont tenus d’instruire les plaintes dont ils sont saisis, le premier décidant s’il y a lieu d’engager des poursuites, conformément à l’article 148 dudit code. Un plaignant peut également faire appel de la décision du procureur de ne pas engager de poursuites. Conformément aux articles 86 et 87 du code militaire, lorsque les auteurs présumés des actes incriminés sont des militaires, ils peuvent être poursuivis pour préjudice important, et atteinte à la vie humaine ou à des biens matériels, s’ils n’ont pas obéi aux ordres. Dans ces circonstances, les victimes (civiles) peuvent engager des poursuites devant les autorités compétentes, conformément au code de procédure pénale, ou devant le supérieur hiérarchique des personnes soupçonnées (articles 93 et 95 de la loi no 353 sur la composition et la procédure des juridictions militaires). Si l’auteur présumé d’une infraction est un agent de l’Etat, l’autorisation d’engager des poursuites doit être délivrée par le conseil administratif local (comité exécutif de l’assemblée provinciale). Les décisions des conseils administratifs locaux sont susceptibles de recours devant le Conseil d’Etat; le classement sans suite est automatiquement susceptible d’un recours de ce type. Tout acte illégal commis par un fonctionnaire, qu’il s’agisse d’une infraction pénale ou d’un délit civil, provoquant un dommage matériel ou moral peut faire l’objet d’une action en réparation devant les juridictions civiles de droit commun. Des poursuites peuvent être engagées contre l’administration devant les juridictions administratives, dont la procédure est écrite. Les dommages résultant d’actes terroristes peuvent être indemnisés par le Fonds d’aide et de solidarité sociale. Les articles 13 à 15 de la Constitution prévoient des restrictions fondamentales aux garanties constitutionnelles. L’article 15 provisoire de la Constitution énonce que l’inconstitutionnalité ne peut être alléguée s’agissant des mesures prises en vertu de lois ou de décrets ayant force de loi promulgués entre le 12 septembre 1980 et le 25 octobre 1983. Cela inclut notamment la loi no 2935 du 25 octobre 1983 sur l’état d’urgence, en vertu de laquelle ont été publiés des décrets qui ne peuvent être contestés en justice. Ces décrets, notamment le décret no 285, tel que modifié par les décrets nos 424, 425, et le décret no 430, confèrent de larges pouvoirs au préfet régional de l’état d’urgence. Le décret no 285 modifie l’application de la loi no 3713 de 1981 relative à la lutte contre le terrorisme dans les régions où règne l’état d’urgence. La décision de poursuivre des membres des forces de sécurité ne relève ainsi plus du procureur de la République mais de conseils administratifs locaux. Selon la Commission, ces conseils, composés de fonctionnaires, sont critiqués pour leur manque de connaissances juridiques et pour la facilité avec laquelle ils se laissent influencer soit par le préfet régional de l’état d’urgence soit par les préfets de provinces, qui commandent également les forces de sécurité. L’article 8 du décret no 430 du 16 décembre 1990 est ainsi libellé: "La responsabilité pénale, financière ou juridique du préfet régional de l’état d’urgence ou du préfet d’une province où règne l’état d’urgence ne saurait être engagée pour des décisions ou des actes pris dans l’exercice des pouvoirs que leur confère le présent décret, et aucune action ne saurait être intentée en ce sens devant quelque autorité judiciaire que ce soit, sans préjudice du droit pour la victime de demander réparation à l’Etat des dommages injustifiés subis par elle." Selon les requérants, cet article accorde l’impunité aux préfets et renforce les pouvoirs du préfet régional, qui peut ordonner l’évacuation temporaire ou définitive de villages, imposer des restrictions quant à la résidence et organiser des transferts de population vers d’autres régions. Les dommages infligés dans le cadre de la lutte contre le terrorisme seraient "justifiés", ce qui mettrait leur auteurs à l’abri de poursuites. PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION Dans la requête (no 21893/93) soumise par les intéressés le 3 mai 1993 à la Commission, ces derniers se plaignaient de ce que leurs maisons avaient été incendiées le 10 novembre 1992 et qu’ils avaient été chassés de force de leur village par les forces de sécurité de l’Etat, au mépris des articles 3, 5, 6, 8, 13, 14 et 18 de la Convention (art. 3, art. 5, art. 6, art. 8, art. 13, art. 14, art. 18) et de l’article 1 du Protocole no 1 (P1-1). La Commission a retenu la requête le 19 octobre 1994. Dans son rapport du 26 octobre 1995 (article 31) (art. 31), elle exprime l’avis qu’il y a eu violation de l’article 8 (art. 8) et de l’article 1 du Protocole no 1 (P1-1) (dix-huit voix contre une), de l’article 3 (art. 3) (quatorze voix contre cinq), qu’il n’y a pas eu violation de l’article 5 par. 1 (art. 5-1) (unanimité), qu’il y a eu violation des articles 6 par. 1 et 13 (art. 6-1, art. 13) (douze voix contre sept), qu’il n’y a pas eu violation des articles 14 et 18 (art. 14, art. 18) (unanimité) et que la Turquie n’a pas respecté ses engagements au regard de l’article 25 par. 1 (art. 25-1) (douze voix contre sept). Le texte intégral de l’avis de la Commission ainsi que des huit opinions dissidentes qui l’accompagnent figure en annexe au présent arrêt . CONCLUSIONS PRESENTEES A LA COUR Le Gouvernement prie la Cour d’accueillir l’exception préliminaire de non-épuisement des voies de recours internes qu’il a soulevée et soutient à titre subsidiaire qu’il n’y a pas eu violation de la Convention. Les requérants invitent la Cour à rejeter les exceptions préliminaires du Gouvernement et à se prononcer sur le bien-fondé de leurs griefs. Selon eux, la Cour devrait dire qu’il y a eu violation des articles 3, 6, 8, 13, 14, 18 et 25 par. 1 de la Convention (art. 3, art. 6, art. 8, art. 13, art. 14, art. 18, art. 25-1) et de l’article 1 du Protocole no 1 (P1-1).
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPECE M. Prem Singh est né en 1957 et réside actuellement à Wakefield, West Yorkshire. Le 19 février 1973, le requérant - alors âgé de quinze ans - fut condamné par la Crown Court de Leeds pour le meurtre d'une femme de soixante-douze ans. Il avait pénétré par effraction à son domicile, l'avait étranglée, lui avait tranché la gorge et l'avait violée pendant ou après son agonie. M. Singh se vit infliger une peine obligatoire de détention "pour la durée qu'il plairait à Sa Majesté" (detention during Her Majesty's pleasure - "détention HMP"), conformément à l'article 53 par. 1 de la loi de 1933 sur les enfants et adolescents, telle qu'amendée (paragraphe 29 ci-dessous). Elle avait pour effet de rendre le requérant "susceptible d'être détenu dans le lieu et aux conditions ordonnés par le ministre [de l'Intérieur]". En octobre 1990, après avoir purgé la partie "punitive" ("tariff" - paragraphe 33 ci-dessous) de sa peine, M. Singh fut libéré sous condition. Le 11 mars 1991, le requérant fut arrêté et interrogé au commissariat de police de Southmead, à Bristol, au sujet d'un certain nombre d'infractions qui lui étaient reprochées, notamment fraude et comportement menaçant. Il nia les accusations. Le 12 mars 1991, la commission de libération conditionnelle (Parole Board) examina le dossier de M. Singh et, le 21 mars 1991, le ministre de l'Intérieur révoqua la libération conditionnelle, selon la recommandation faite par la commission. Le 21 mars 1991, le requérant fut officiellement informé des motifs de cette décision, conformément à l'article 62 par. 3 de la loi de 1967 sur la justice pénale (paragraphe 43 ci-dessous). Le ministre motivait ainsi sa décision: "i. Les rapports indiquent que vous avez menti à vosagents de probation, que vous les avez trompés et avezpassé sous silence divers éléments importants survenusaprès votre libération conditionnelle; ii. Compte tenu de votre arrestation et de votrecomparution ultérieure devant la Magistrates' Court deBristol, sous l'inculpation de plusieurs infractionspénales, notamment de fraude et de comportement menaçant,et compte tenu des circonstances dans lesquelles vous avezété condamné à vie en 1973, le ministre ne peut pas êtreconvaincu que votre maintien dans la communauté neconstitue pas un danger pour autrui." Le 27 août 1991, à la suite d'une plainte adressée au service de probation d'Avon concernant sa recommandation, M. Singh reçut, dans une lettre que lui adressa l'agent de probation en chef, des explications plus détaillées de son rappel en prison. Le motif du rappel n'était pas les infractions alléguées (question à trancher par le tribunal), mais le fait que le détenu n'avait pas fourni à son agent de probation les renseignements nécessaires sur sa situation. La lettre cite expressément le fait de n'avoir pas informé l'intéressée de l'achat d'un véhicule à moteur ni du travail qu'il avait trouvé et d'avoir donné à ses employeurs de fausses informations sur son âge et sa personnalité, le fait d'avoir une liaison et de n'avoir pas dit à son amie tout ce qui concernait ses antécédents; et enfin d'importants arriérés de loyer. Le requérant contesta l'exactitude de la plupart de ces reproches et demanda à la commission de libération conditionnelle de réexaminer le bien-fondé de la décision de révocation. En vertu de l'article 62 par. 4 de la loi de 1967 sur la justice pénale (actuellement l'article 39 par. 4 de la loi de 1991 sur la justice pénale - paragraphe 43 ci-dessous), la commission pouvait, à ce stade, prendre la décision de libérer immédiatement M. Singh, contraignante pour le ministre. La commission de libération conditionnelle examina le dossier les 27 août et 19 décembre 1991. Elle disposait d'un certain nombre de rapports du service de probation et de la police, dont le requérant n'eut pas connaissance. Le 19 décembre 1991, elle refusa de recommander l'élargissement immédiat de M. Singh, à qui on n'indiqua pas les raisons de cette décision. Le 2 mars 1992, les poursuites pénales engagées contre M. Singh (paragraphe 9 ci-dessus) furent abandonnées, le ministère public ayant présenté l'acte d'accusation hors délai. M. Singh demanda de revoir son cas à la lumière de cette situation et le ministre renvoya en conséquence le dossier à la commission de libération conditionnelle, conformément à la procédure prescrite par l'article 61 par. 1 de la loi de 1967 sur la justice pénale (paragraphe 34 ci-dessous). Le 30 juillet 1992, la commission refusa derechef de recommander l'élargissement de M. Singh. Le requérant demanda alors le contrôle juridictionnel (judicial review - paragraphe 47 ci-dessous) des deux décisions rendues par la commission les 19 décembre 1991 et 30 juillet 1992. Le 20 avril 1993, la Divisional Court annula la décision rendue par la commission le 19 décembre 1991 au motif qu'il y avait eu méconnaissance de règles de la justice naturelle, la commission n'ayant pas communiqué à M. Singh tous les rapports en sa possession. La cour déclara que le requérant avait droit à un nouvel examen de son dossier par la commission, conformément à l'article 39 par. 4 de la loi de 1991 sur la justice pénale, selon lequel la commission serait habilitée non pas simplement à recommander mais à ordonner son élargissement (paragraphe 43 ci-dessous). Le juge Evans estima notamment que "La situation de [M. Singh] est celle d'une personne dontle maintien en détention ne peut se justifier que si setrouve remplie la condition de dangerosité, à savoir unrisque inacceptable pour la vie ou l'intégrité physiqued'autrui." (R. v. Secretary of State for the Home Department, ex parte Prem Singh, non publié, compte rendu d'audience, pp. 26F-27B) Le juge releva ensuite que les faits révélés "ne semblent guère de nature à étayer une réponse positive à [la question]". A la suite de la décision de la Divisional Court, M. Singh reçut un dossier complet des documents dont devait disposer la commission de libération conditionnelle. Ce dossier comprenait un certain nombre de rapports de probation détaillés, alléguant que M. Singh avait trompé ses surveillants, ainsi que plusieurs centaines de pages de dépositions de témoins recueillies par la police concernant les accusations pénales abandonnées par la suite (paragraphes 9 et 14 ci-dessus). Avec l'aide de son conseil, M. Singh présenta des observations à la commission de libération conditionnelle. Il nia les allégations contenues dans la lettre de l'agent de probation en chef selon lesquelles il aurait trompé son agent (paragraphe 11 ci-dessus) et étaya ses dires par des déclarations écrites de son amie et de sa propriétaire. Le 18 juin 1993, la commission de libération conditionnelle examina le dossier de M. Singh. L'intéressé ne fut pas autorisé à assister à cet examen et n'eut pas la possibilité de déposer verbalement ni d'interroger les auteurs d'allégations à charge. La commission décida de ne pas recommander l'élargissement et en donna les raisons suivantes: "Le jury a reconnu que les explications fournies parM. Singh répondaient à certaines questions quipréoccupaient son agent de probation. Toutefois, sesrapports avec le service de probation manquent defranchise. Le jury a également estimé que les agissementsqui ont abouti aux poursuites pénales dénotaient de gravestendances à la fraude. Le comportement manifesté parM. Singh durant sa surveillance a amené le jury à conclureque la nature de sa personnalité n'avait pas changé defaçon significative depuis la première infraction commiseà l'âge de quinze ans. Son inobservation des règles de laliberté surveillée, compte tenu de l'infraction initiale,est très préoccupante." M. Singh demanda le contrôle juridictionnel de cette décision, mais retira sa demande aux environs du 7 mars 1994 parce qu'il s'était vu proposer un examen anticipé de son dossier par la commission de libération conditionnelle. En juin 1994, la commission réexamina le dossier au titre de l'article 35 par. 2 de la loi de 1991 sur la justice pénale (paragraphe 35 ci-dessous). M. Singh soumit des observations détaillées et eut communication du dossier de la commission; il contenait des rapports récents des agents de probation, d'un psychologue responsable de son cas et du comité local de contrôle (Local Review Committee - paragraphe 46 ci-dessous). Tous les rapports formulant une recommandation précise préconisaient un élargissement immédiat avec admission dans un foyer de prélibération. Le 21 juillet 1994, la commission de libération conditionnelle informa le requérant qu'elle avait à l'unanimité recommandé sa libération sous réserve d'un régime préalable de remise au travail pendant six mois. Elle motiva ainsi sa décision: "[Le jury] a estimé, sur la base des éléments présentés,que Prem Singh ne représentait plus, depuis saréintégration en mars 1991, un danger pour la vie oul'intégrité physique d'autrui qui justifiât son maintien endétention." Par lettre du 21 juillet 1994, le ministre informa le requérant qu'il n'était pas disposé "à suivre cette recommandation et [refusait] l'élargissement [du requérant]". Ce faisant, le ministre usait de ses pouvoirs réglementaires (paragraphe 43 ci-dessous). Le 8 septembre 1994, le ministre indiqua, dans une lettre au requérant, les raisons de sa décision. M. Singh avait dupé le service de probation après avoir été élargi en octobre 1990 et avait comparu devant la Magistrates' Court sous le coup de plusieurs chefs d'inculpation, même si ces chefs avaient été ultérieurement écartés pour des raisons techniques. Le requérant avait dès lors été réincarcéré "pour avoir plusieurs fois trompé la confiance qui [lui] était faite en tant que détenu libéré sous condition". Le ministre ne pouvait déterminer avec précision si le requérant était toujours dangereux pour autrui, car ce dernier avait passé près de trois ans et demi en détention après sa réincarcération. Il estimait qu'il fallait apprécier les relations de M. Singh avec le service de probation "dans le milieu plus exigeant d'une prison à régime ouvert". Aussi recommandait-il de transférer le détenu dans une prison à régime ouvert pour une nouvelle mise à l'épreuve. La commission de libération conditionnelle procéda à un nouvel examen officiel du dossier en octobre 1995. M. Singh demanda le contrôle juridictionnel de la décision du ministre. Le 16 mars 1995, la Divisional Court annula la décision du ministre et lui ordonna de la revoir. Elle estima notamment, d'une part, que le critère à appliquer était celui de savoir si M. Singh représentait un danger pour la vie ou l'intégrité physique d'autrui et, d'autre part, que le raisonnement du ministre avait été vicié parce qu'il avait insuffisamment corrélé ses conclusions au critère de la dangerosité (R. v. Secretary of State for the Home Department, ex parte Prem Singh (n° 2), non publié). En septembre 1995, M. Singh a commencé un régime prélibératoire de remise au travail. Sa libération est prévue provisoirement pour le 18 mars 1996. II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS A. Catégories de détention des condamnés pour meurtre Est coupable de meurtre quiconque provoque la mort d'une autre personne dans l'intention de la tuer ou de lui porter des coups et blessures graves. Le droit anglais impose une peine obligatoire pour le crime de meurtre: "la détention pour la durée qu'il plaira à Sa Majesté" lorsque le meurtrier n'a pas dix-huit ans (article 53 par. 1 de la loi de 1933 sur les enfants et adolescents (version amendée) - paragraphe 29 ci-dessous); "l'internement à vie" lorsque l'auteur du crime est âgé de dix-huit à vingt ans (article 8 par. 1 de la loi de 1982 sur la justice pénale); et "l'emprisonnement à perpétuité" lorsque le coupable a vingt et un ans ou plus (article 1 par. 1 de la loi de 1965 sur l'homicide (suppression de la peine de mort)). C'est la loi qui fixe les peines perpétuelles obligatoires, par opposition aux peines perpétuelles discrétionnaires que le tribunal peut décider souverainement d'infliger aux personnes reconnues coupables de certains délits violents ou sexuels (homicide involontaire, viol, vol qualifié, etc.). Les principes suivants régissent le prononcé de la peine discrétionnaire: i. l'infraction doit être grave et ii. il doit exister des circonstances exceptionnelles démontrant que le délinquant est dangereux pour autrui, et il doit être impossible de dire quand ce danger s'éloignera. Les peines perpétuelles discrétionnaires ont une durée indéterminée, de façon à "pouvoir surveiller les progrès du détenu (...) afin de ne le maintenir en prison qu'aussi longtemps que la sécurité du public serait menacée par son élargissement" (R. v. Wilkinson, Criminal Appeal Reports 1983, n° 5, p. 108). B. La détention pour la durée qu'il plaira à Sa Majesté A l'origine de la notion de détention pour la durée qu'il plaira à Sa Majesté se trouve une loi de 1800 sur "l'internement en toute sécurité des aliénés mentaux coupables d'infractions" (Criminal Lunatics Act), selon laquelle les prévenus disculpés de meurtre, trahison ou crime en raison d'un état de démence au moment des faits devaient être internés "sous stricte surveillance pour la durée qu'il plaira[it] à Sa Majesté". Ce type de peine était qualifié d'internement "pour la durée qu'il plaira à Sa Majesté". La détention HMP fut introduite en 1908 pour les délinquants âgés de dix à seize ans, puis étendue en 1933 à tous ceux qui avaient moins de dix-huit ans au moment de leur condamnation, puis en 1948, aux mineurs de dix-huit ans au moment des faits. La disposition actuellement en vigueur est l'article 53 par. 1 de la loi de 1933 sur les enfants et adolescents (telle qu'amendée) ("la loi de 1933"), ainsi libellé:"Lorsque l'auteur d'une infraction est reconnu coupablede meurtre et que le tribunal constate qu'il avait moins dedix-huit ans au moment des faits, le tribunal ne pourra nile condamner à l'emprisonnement à perpétuité ni prononcercontre lui ou faire inscrire sur son casier judiciaire unecondamnation à la peine capitale, mais en lieu et place letribunal (...) le condamnera à être détenu pour la duréequ'il plaira à Sa Majesté, et l'intéressé purgera alors sapeine dans le lieu et aux conditions ordonnés par leministre." Dans l'affaire R. v. Secretary of State for the Home Department, ex parte Prem Singh (20 avril 1993, citée au paragraphe 15 ci-dessus), le juge Evans, de la Divisional Court, déclara au sujet de la détention HMP:"Au moment du prononcé de la sentence, les peinesd'emprisonnement infligées en vertu de l'article 53revêtaient un caractère obligatoire. Il s'agit en réalitéde l'équivalent légal pour les mineurs de la peineperpétuelle obligatoire infligée à un meurtrier adulte. Lapeine en soi se rapproche davantage, par nature, de lapeine discrétionnaire, dont une partie est punitive(répression et dissuasion) et dont le reliquat ne sejustifie que par des intérêts de sécurité publique lorsqueest vérifié le critère de dangerosité. L'octroi à undétenu purgeant une peine perpétuelle obligatoire de droitsanalogues en matière de libération conditionnelle ne changerien au fait que ce type de peine revêt un caractèrepunitif pendant toute sa durée: voir R. v. Secretary ofState Ex. p. Doody & Others [1993] Q. B. 157 et Wynne v. UK(CEDH, 1er décembre 1992). L'article 53, dans ses termesmêmes, prévoit une peine à la fois discrétionnaire etindéterminée: la détention "pour la durée qu'il plaira à SaMajesté". (...) Je trancherai cette affaire en adoptantune interprétation restrictive, c'est-à-dire que,nonobstant la pratique du ministre de l'Intérieur et de lacommission de libération conditionnelle, le demandeurdevrait être assimilé à un détenu purgeant une peineperpétuelle discrétionnaire quant à la question de savoirsi la présente espèce relève de la jurisprudence Wilsonplutôt que de celle de Payne." (compte rendu d'audience, pp. 24C-25B) La cour estima par conséquent qu'il fallait que l'intéressé puisse, à l'instar d'un détenu purgeant une peine perpétuelle discrétionnaire, consulter les pièces dont avait disposé la commission de libération conditionnelle pour se prononcer sur l'opportunité de le libérer après sa réincarcération, à la suite de la révocation de son élargissement sous condition. La commission de libération conditionnelle modifia sa pratique en conséquence. Cependant, dans une déclaration faite au Parlement le 27 juillet 1993 (paragraphe 38 ci-dessous), le ministre Michael Howard expliqua qu'il incluait dans la catégorie des "personnes frappées d'une peine perpétuelle obligatoire": "les personnes qui sont ou seront détenues pendant ladurée qu'il plaira à Sa Majesté en vertu de l'article 53par. 1 de la loi de 1933 sur les enfants et adolescents(...)" Dans l'affaire R. v. Secretary of State for the Home Department, ex parte T. and Others (Queen's Bench 1994, p. 390D), le juge Kennedy de la Divisional Court (avec qui le juge Pill marqua son accord) déclara:"Je ne vois aucune raison de le considérer comme dotéd'un statut spécial parce qu'il a été condamné à ladétention [HMP] plutôt qu'à l'emprisonnement à vie, endépit de ce que disait le juge Evans lorsqu'il rendit sadécision dans l'affaire Reg. v. Parole Board, ex parteSingh (Prem) (20 avril 1993, non publiée). Les enjeux danscette affaire étaient fort différents de ceux de l'espèce.Si Hickey n'avait pas été envoyé à l'hôpital, il aurait puespérer bénéficier des dispositions de l'article 35 par. 2de la loi de 1991 [sur les détenus condamnés à une peineperpétuelle obligatoire] (...). On se rappelle que, dansl'affaire Hickey, le crime était un homicide volontaire, sibien que la peine infligée était obligatoire et nondiscrétionnaire." En appel, la cour d'appel déclara que, s'agissant d'une personne condamnée à la détention HMP en vertu de l'article 53 par. 1 de la loi de 1933 pour homicide volontaire, les dispositions applicables en matière d'élargissement étaient celles de l'article 35 par. 2 de la loi de 1991 sur la justice pénale (paragraphe 35 ci-dessous) et non pas celles applicables à un détenu condamné à une peine perpétuelle discrétionnaire (R. v. Secretary of State for the Home Department, ex parte Hickey, All England Law Reports 1995, n° 1, p. 488). C. La libération conditionnelle Pour toute personne condamnée à une peine perpétuelle obligatoire ou discrétionnaire, à l'internement à vie ou à la détention HMP, est fixée une période punitive (tariff) correspondant à la période de détention jugée nécessaire pour répondre aux impératifs de répression et de dissuasion. Passé cette période, le détenu peut prétendre à être admis au bénéfice de la libération conditionnelle. Les dispositions et pratiques applicables en matière de fixation de cette période punitive et d'élargissement sous condition ont récemment fait l'objet de modifications, en particulier à la suite de l'entrée en vigueur, le 1er octobre 1992, de la loi de 1991 sur la justice pénale ("la loi de 1991"). 1. Procédure générale L'article 61 par. 1 de la loi de 1967 sur la justice pénale ("la loi de 1967") énonçait notamment que le ministre peut, sur recommandation de la commission de libération conditionnelle et après consultation du Lord Chief Justice et du juge dont émane la sentence, "libérer sous condition une personne purgeant une peine de prison à perpétuité ou internée en vertu de l'article 53 de la loi de 1933 sur les enfants et adolescents". Il n'y avait à cet égard aucune différence entre condamnés selon que la peine perpétuelle était obligatoire ou discrétionnaire. Aux termes de l'article 35 par. 2 de la loi de 1991, le ministre peut, si la commission de libération conditionnelle le lui recommande et après consultation du Lord Chief Justice et du juge dont émane la sentence, libérer sous condition une personne subissant une peine perpétuelle qui n'est pas discrétionnaire (paragraphe 26 ci-dessus). C'est donc toujours du ministre que dépend la décision d'élargir ou non. Le ministre décide également de la durée de la période punitive imposée au détenu. Depuis un arrêt rendu par la Chambre des lords le 24 juin 1993 (R. v. Secretary of State for the Home Department, ex parte Doody, Appeal Cases 1994, n° 1, p. 567G), le point de vue du juge auteur de la sentence est communiqué au détenu après son procès, de même que l'avis du Lord Chief Justice. Le détenu peut adresser des observations au ministre qui fixe alors la période punitive et est habilité à s'écarter du point de vue du juge en indiquant ses raisons. Dans la pratique, le détenu est informé de la décision définitive prise par le ministre. Dans la deuxième phase, post-punitive, de la détention, le prisonnier sait que "les effets pénaux de son crime sont épuisés" (ibidem, p. 557A). Dans une déclaration de principe du 13 novembre 1983, Sir Leon Brittan, alors ministre de l'Intérieur, précisa que la libération conditionnelle après expiration de la période punitive dépendait de l'appréciation du risque que l'intéressé continuait à représenter pour le public. Le 27 juillet 1993, le ministre, M. Michael Howard, fit une déclaration de principe relative aux détenus frappés d'une peine perpétuelle obligatoire. Il souligna notamment qu'avant d'admettre pareils détenus au bénéfice de la libération conditionnelle, le ministre"doit rechercher, non seulement a) si la période purgéepar le détenu suffit pour satisfaire aux impératifs derépression et de dissuasion et b) s'il n'y a pas de risqueà libérer l'intéressé, mais encore c) si une libérationanticipée serait acceptable pour le public. En d'autrestermes, [il] n'exercer[a] [s]on pouvoir discrétionnaired'élargir que [s'il a] la conviction que semblable décisionne va pas compromettre la confiance du public dans lajustice pénale". Dans une série d'affaires récentes concernant des détenus HMP, le juge a déclaré que le critère à appliquer pour la phase de détention "post-punitive" était de décider si l'intéressé continuait à représenter un danger pour autrui (R. v. Secretary of State for the Home Department, ex parte Cox, 3 septembre 1991; R. v. Secretary of State for the Home Department, ex parte Prem Singh, 20 avril 1993 - cité plus haut au paragraphe 15; R. v. Secretary of State for the Home Department, ex parte Prem Singh (n° 2), 16 mars 1995). 2. Procédure applicable aux condamnés à une peineperpétuelle discrétionnaire A la suite de l'arrêt rendu par la Cour européenne des Droits de l'Homme dans l'affaire Thynne, Wilson et Gunnell c. Royaume-Uni (arrêt du 25 octobre 1990, série A n° 190-A), la loi de 1991 a apporté des modifications aux procédures d'élargissement des condamnés à une peine perpétuelle discrétionnaire. En vertu de l'article 34 de la loi de 1991, le tribunal prononçant la sentence précise désormais, en audience publique, la durée de la période punitive. Après expiration de cette période, le détenu peut exiger du ministre qu'il saisisse la commission de libération conditionnelle compétente pour prescrire son élargissement si elle a la conviction que le maintien en détention n'est plus nécessaire à la protection du public. Conformément au règlement de 1992 sur la commission de libération conditionnelle, entré en vigueur le 1er octobre 1992, un détenu est en droit d'être entendu au cours d'une audience, d'avoir accès à tous les éléments à la disposition des membres (paragraphe 45 ci-dessous), et de se faire assister d'un défenseur. Les dispositions de ce règlement lui permettent de faire citer des témoins à décharge et de contre-interroger les auteurs de rapports le concernant. Aux termes de la loi de 1991, ne sont pas considérées comme frappées d'une peine perpétuelle discrétionnaire les personnes détenues pour la durée qu'il plaira à Sa Majesté (article 43 par. 2). D. Révocation de la libération conditionnelle C'est l'article 62 de la loi de 1967 qui régit la réintégration d'une personne libérée sous condition. Il se lit ainsi: "1. Lorsque la commission de libération conditionnellerecommande la réintégration d'une personne libérée souscondition en vertu de l'article 60 ou 61 de la présenteloi, le ministre peut révoquer cette libération souscondition et réincarcérer l'intéressé. Le ministre peut révoquer l'élargissement souscondition de l'intéressé et le réintégrer comme ditprécédemment, sans consulter la commission, lorsqu'il luiapparaît qu'il convient dans l'intérêt général deréincarcérer cette personne avant de pouvoir procéder à laconsultation. Une personne réincarcérée conformément aux dispositionsprécédentes du présent article peut présenter desobservations (...) Le ministre saisira la commission du cas de la personneréincarcérée conformément à l'alinéa 1 du présent article,qui présente des observations en vertu de l'alinéaprécédent, et doit en tout état de cause déférer le dossierde la personne renvoyée en prison après avoir étéréintégrée conformément à l'alinéa 2 du présent article. Lorsque la commission recommande l'élargissementimmédiat sous condition d'une personne dont le cas lui aété déféré en vertu du présent article, le ministre doitmettre en oeuvre la recommandation (...) (...)" L'article 39 de la loi de 1991 a ajouté que la personne réincarcérée doit être informée des motifs de la réintégration et de son droit de formuler par écrit des objections. E. Commission de libération conditionnelle et comités locaux de contrôle L'article 59 de la loi de 1967 définit la composition et les fonctions de la commission de libération conditionnelle: "1. En vue de l'exercice des fonctions que cette partiede la présente loi lui attribue pour l'Angleterre et lepays de Galles, il existe un organe dénommé commission delibération conditionnelle (...), composé d'un président etd'au moins quatre autres membres désignés par le ministre. (...) Les dispositions suivantes s'appliquent à la conduitede la procédure devant la commission dans toute affairedont elle connaît: a) la commission examine l'affaire sur la base de tout document que lui communique le ministre, de tout rapport qu'elle se procure et de tout renseignement qu'elle recueille oralement ou par écrit; b) si, dans un cas particulier, elle estime nécessaire d'interroger l'intéressé avant de se prononcer, elle peut en charger l'un de ses membres et prend en considération le compte rendu de pareil entretien (...) Les documents que le ministre doit communiquer à lacommission aux fins du paragraphe précédent comprennententre autres: a) si l'affaire déférée à la commission a trait à une libération relevant de l'article 60 ou 61 de la présente loi, toute observation que l'intéressé a faite par écrit au sujet de son dernier interrogatoire opéré conformément aux dispositions du paragraphe suivant, ou depuis lors; b) si elle a trait à une personne réintégrée en vertu de l'article 62 de la présente loi, toute observation faite par écrit conformément à cet article." Quant à la composition de la commission, l'annexe 2 à la loi de 1967 ajoute: "1. La commission de libération conditionnelle comprendnotamment: a) une personne qui exerce ou a exercé une fonction judiciaire; b) un psychiatre inscrit au registre des médecins; c) une personne choisie par le ministre parce qu'elle semble connaître la surveillance des détenus libérés, ou l'assistance post-pénitentiaire à ceux-ci, ou en avoir l'expérience; d) une personne choisie par [lui] pour avoir étudié les causes de la délinquance ou le traitement des délinquants." La commission compte toujours en son sein trois juges à la High Court, trois juges itinérants (circuit judges) et un juge temporaire (recorder). Peuvent traiter les affaires dont on la saisit trois de ses membres ou davantage (règlement de 1967 sur la commission de libération conditionnelle). En pratique, elle siège par petits groupes de membres dont chacun, s'il s'agit d'une personne condamnée à vie, inclut un juge à la High Court et un psychiatre. Les juges membres de la commission sont nommés par le ministre (article 59 par. 1 de la loi de 1967) après consultation du Lord Chief Justice. La loi de 1991 prévoit des dispositions analogues, exception faite des règles nouvelles concernant les condamnés à une peine perpétuelle discrétionnaire. En vertu de l'article 59 par. 6 de la loi de 1967, le ministre de l'Intérieur créa pour chaque établissement pénitentiaire un comité local de contrôle (Local Review Committee) chargé de le conseiller sur l'opportunité de libérer les détenus sous condition. L'usage était d'obtenir cet avis avant de déférer le dossier à la commission de libération conditionnelle. Avant l'examen d'une affaire par le comité, l'un de ses membres devait s'entretenir avec le détenu si celui-ci le désirait. Le premier examen de l'affaire par le comité local de contrôle intervenait généralement trois ans avant l'expiration de la période punitive. Le règlement de 1992 sur la commission de libération conditionnelle a supprimé les comités locaux de contrôle, le détenu étant à présent interrogé par un membre de cette commission. F. Contrôle juridictionnel Le détenu HMP peut solliciter auprès de la High Court le contrôle juridictionnel de toute décision de la commission de libération conditionnelle ou du ministre de l'Intérieur s'il estime la décision contraire aux exigences du règlement pertinent ou entachée d'illégalité, d'irrationalité ou d'irrégularité procédurale (Council of Civil Service Unions v. Minister for the Civil Service, All England Law Reports 1984, n° 3, pp. 950-951). PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION M. Singh s'est adressé à la Commission le 25 janvier 1994. Il invoquait l'article 5 par. 4 (art. 5-4) de la Convention, en se plaignant de ce qu'il aurait dû avoir le droit de faire statuer par un tribunal sur la légalité de son maintien en détention et de ce que la commission de libération conditionnelle ne lui offrait pas les garanties requises, quant à ses pouvoirs et aux procédures se déroulant devant elle. La Commission a retenu la requête (n° 23389/94) le 30 juin 1994. Dans son rapport du 11 octobre 1994 (article 31) (art. 31), elle conclut à l'unanimité qu'il y a eu violation de l'article 5 par. 4 (art. 5-4) de la Convention. Le texte intégral de l'avis de la Commission figure en annexe au présent arrêt CONCLUSIONS PRESENTEES A LA COUR A l'audience, l'agent du Gouvernement a invité la Cour à conclure qu'il n'y avait eu, en l'espèce, aucune violation de la Convention. Le requérant, de son côté, a prié la Cour d'accueillir ses griefs et de déclarer qu'il y avait eu violation des droits que lui garantit l'article 5 par. 4 (art. 5-4), tant par le refus de contrôle par une instance judiciaire que par le refus d'une audience contradictoire lors de laquelle il aurait pu exposer personnellement sa demande de libération.
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I. Les circonstances de l’espèce A. Le requérant Citoyen turc né en 1963, M. Zeki Aksoy vivait, à l’époque des faits, à Mardin, Kiziltepe, dans le Sud-Est de la Turquie, où il était métallurgiste. Il fut tué par balles le 16 avril 1994. Depuis lors, son père a fait savoir qu’il souhaitait poursuivre la procédure (paragraphe 3 ci-dessus). B. La situation dans le Sud-Est de la Turquie Depuis 1985 environ, de graves troubles font rage dans le Sud-Est de la Turquie, entre les forces de sécurité et les membres du PKK (Parti des travailleurs du Kurdistan). Ce conflit a, d’après le Gouvernement, coûté jusqu’ici la vie à 4 036 civils et 3 884 membres des forces de sécurité. A l’époque où la Cour a examiné l’affaire, dix des onze provinces du Sud-Est de la Turquie se trouvaient soumises, depuis 1987, au régime de l’état d’urgence. C. La détention du requérant Les faits de l’espèce sont controversés. Le requérant soutient qu’il a été arrêté le 24 novembre 1992, entre 23 heures et minuit. Une vingtaine de policiers se seraient rendus à son domicile, accompagnés d’un détenu nommé Metin qui l’avait prétendument identifié comme un membre du PKK. M. Aksoy aurait déclaré à la police ne pas connaître cette personne. D’après le Gouvernement, le requérant a été arrêté puis placé en garde à vue le 26 novembre 1992 vers 8 h 30, avec treize autres personnes. Il était soupçonné d’aider et de soutenir les terroristes du PKK, d’être membre de la section de Kiziltepe du PKK et de distribuer des tracts de ce parti. Le requérant affirme avoir été emmené à la direction de la sûreté de Kiziltepe. Après une nuit, il aurait été transféré à la section antiterroriste de la direction de la sûreté de Mardin. Il y aurait été détenu, avec deux autres personnes, dans une cellule mesurant approximativement 1,5 x 3 mètres et équipée d’un lit et d’une couverture, mais non d’un oreiller. Il aurait reçu deux repas par jour. Après lui avoir demandé s’il connaissait Metin (l’homme qui l’avait identifié), on l’aurait ainsi averti: "Si tu ne le connais pas, la torture va te rafraîchir la mémoire." Le deuxième jour on l’aurait entièrement dévêtu, on lui aurait attaché les mains dans le dos et on l’aurait suspendu par les bras, manière "pendaison palestinienne", puis la police lui aurait appliqué des électrodes sur les parties génitales et l’aurait arrosé d’eau pendant qu’elle l’électrocutait. Il aurait eu les yeux bandés pendant ces tortures, qui auraient duré environ trente-cinq minutes. Pendant les deux jours suivants, il aurait reçu des séries de coups à intervalles de deux heures ou d’une demi-heure, sans être suspendu. Les tortures se seraient poursuivies pendant quatre jours et auraient été très intensives pendant les deux premiers. A la suite de ces sévices, le requérant aurait perdu l’usage de ses bras et de ses mains. Ses interrogateurs lui auraient ordonné de faire des mouvements afin de recouvrer la maîtrise de ses mains. Il aurait demandé à voir un médecin, mais en vain. Le 8 décembre 1992, il fut examiné par un médecin au service médical de la sous-préfecture. Un rapport médical fut rédigé qui déclarait, dans une phrase unique, que l’intéressé ne portait pas de traces de coups ou de violence. D’après M. Aksoy, le médecin demanda d’où provenaient les blessures visibles sur ses bras. Un policier lui aurait répondu qu’il s’agissait d’un accident. Le médecin aurait alors fait observer, de manière sarcastique, que toutes les personnes passant par cet endroit semblaient avoir un accident. Le Gouvernement soutient que des doutes très sérieux planent sur la question de savoir si le requérant a effectivement été victime de mauvais traitements pendant sa garde à vue. Le 10 décembre 1992, juste avant sa libération, M. Aksoy fut conduit devant le procureur de Mardin. D’après le Gouvernement, il fut capable de signer une déclaration niant tout lien avec le PKK et ne se plaignit pas d’avoir été torturé. Le requérant, en revanche, soutient que l’on soumit à sa signature une déclaration dont le contenu était faux. Le procureur aurait insisté pour qu’il signât, mais M. Aksoy lui aurait déclaré qu’il en était incapable car il ne pouvait bouger les mains. D. Evénements postérieurs à l’élargissement du requérant M. Aksoy fut libéré le 10 décembre 1992. Le 15, il fut admis à l’hôpital universitaire de Dicle, où on lui diagnostiqua une paralysie radiale bilatérale (c’est-à-dire une paralysie des deux bras causée par des lésions nerveuses dans la partie supérieure des bras). Il déclara au médecin chargé de le soigner qu’il avait été détenu et pendu par les bras, mains liées dans le dos. Il demeura à l’hôpital jusqu’au 31 décembre 1992, date à laquelle, d’après le Gouvernement, il s’éclipsa sans avoir accompli les formalités de sortie et en emportant avec lui son dossier médical. Le 21 décembre 1992, le procureur décida que rien ne justifiait l’ouverture de poursuites pénales contre le requérant. En revanche, onze de ses codétenus furent inculpés. Aucune procédure, ni pénale, ni civile, ne fut engagée devant les juridictions turques en rapport avec les sévices que le requérant affirme avoir subis. E. Le décès du requérant M. Aksoy fut tué par balles le 16 avril 1994. D’après ses représentants, il avait fait l’objet de menaces de mort (la dernière ayant été proférée par téléphone le 14 avril 1994) destinées à le contraindre à se désister de sa requête à la Commission, et son meurtre serait la conséquence directe du maintien de celle-ci. Le Gouvernement, en revanche, soutient qu’il s’agissait d’un règlement de comptes entre factions rivales du PKK. Un suspect, membre présumé du PKK, a été inculpé de l’homicide. F. L’établissement des faits par la Commission Des délégués de la Commission entendirent des témoins à Diyarbakir les 13 et 14 mars 1995 et à Ankara entre le 12 et le 14 avril 1995, en présence des représentants des deux parties, qui eurent l’occasion d’interroger les témoins. De plus, la Commission entendit des observations orales sur la recevabilité et le fond de la requête lors d’audiences tenues à Strasbourg les 18 octobre 1994 et 3 juillet 1995. Après avoir apprécié les preuves orales et écrites produites devant elle, la Commission a abouti aux conclusions suivantes à propos des faits: a) Il n’est pas possible de faire un constat précis quant à la date d’arrestation de M. Aksoy, même s’il est clair que celle-ci a eu lieu au plus tard le 26 novembre 1992. Relâché le 10 décembre 1992, l’intéressé a donc été détenu pendant au moins quatorze jours. b) Hospitalisé le 15 décembre 1992, on lui diagnostiqua une paralysie radiale bilatérale. Il quitta l’hôpital de son propre chef le 31 décembre 1992, sans avoir accompli les formalités de sortie. c) Rien ne prouve que M. Aksoy souffrît d’un quelconque handicap avant son arrestation, ni qu’il ait subi un accident pendant la période de cinq jours séparant la fin de sa garde à vue de son hospitalisation. d) Il ressort des témoignages médicaux que les blessures du requérant peuvent avoir diverses causes, parmi lesquelles un traumatisme subi par une personne ayant été pendue par les bras. De surcroît, la paralysie radiale affectant les deux bras n’est apparemment pas un phénomène courant, mais peut en revanche très bien s’expliquer par la forme de sévices connue sous le nom de "pendaison palestinienne". e) Les délégués ont entendu les témoignages de l’un des policiers qui avaient interrogé M. Aksoy et du procureur qui l’avait vu avant sa libération; tous deux ont déclaré qu’il était inconcevable qu’il pût avoir subi quelques sévices que ce fût. La Commission a jugé ces témoignages peu convaincants au motif qu’ils donnaient l’impression que les deux agents publics n’étaient pas même disposés à envisager la possibilité que des policiers se rendent coupables de mauvais traitements. f) Le Gouvernement n’a offert aucune autre explication pour les blessures de M. Aksoy. g) Il n’y a pas suffisamment de preuves pour pouvoir tirer quelque conclusion que ce soit quant aux autres allégations du requérant d’après lesquelles il aurait été électrocuté et battu. En revanche, il paraît clair qu’il a été détenu, avec deux autres personnes, dans une petite cellule équipée d’un lit et d’une couverture uniques, et qu’on l’a maintenu les yeux bandés pendant ses interrogatoires. II. Le droit et la pratique internes pertinents A. Dispositions pénales réprimant la torture Le code pénal turc réprime le fait pour un agent public de soumettre quelqu’un à la torture ou à des mauvais traitements (articles 243 pour la torture et 245 pour les mauvais traitements). L’article 8 du décret no 430 du 16 décembre 1990 est ainsi libellé: "Les décisions et actes pris dans l’exercice des pouvoirs que leur confère le présent décret par le préfet d’une région soumise à l’état d’urgence ou par le préfet d’une province de pareille région n’engagent pas leurs responsabilités pénale, financière ou juridique. Celles-ci ne peuvent être recherchées devant aucune autorité judiciaire, sans préjudice du droit pour la victime de demander à l’Etat réparation des dommages à elle causés sans justification." Les procureurs ont le devoir d’examiner les allégations d’infractions graves qui viennent à leur connaissance, même en l’absence de plaintes. Toutefois, dans la région soumise à l’état d’urgence, les enquêtes au sujet d’infractions pénales commises par des agents publics sont menées par des conseils administratifs locaux composés de fonctionnaires. Ces conseils sont également habilités à décider de l’ouverture ou non de poursuites, sous réserve d’un contrôle judiciaire automatique devant la Cour administrative suprême dans les cas où ils décident de ne pas poursuivre (décret-loi no 285). B. Recours de droit administratif L’article 125 de la Constitution turque est ainsi libellé: "Tout acte ou décision de l’administration est susceptible d’un contrôle juridictionnel (...) L’administration est tenue de réparer tout dommage résultant de ses actes et mesures." En vertu de cette disposition, l’Etat est tenu d’indemniser toute personne à même de démontrer qu’elle a subi un préjudice dans des circonstances où l’Etat a manqué à son devoir de sauvegarde de la vie et de la propriété individuelles. C. Procédure civile Tout acte illégal dommageable commis par un fonctionnaire (à l’exception du préfet de la région soumise à l’état d’urgence et de ceux des provinces de ladite région) peut donner lieu à une action en réparation devant les tribunaux civils ordinaires. D. Le droit relatif à la garde à vue En vertu de l’article 128 du code de procédure pénale, une personne arrêtée et détenue doit être traduite devant un juge de paix dans un délai de vingt-quatre heures. Celui-ci peut être étendu à quatre jours en cas de détention liée à une infraction collective. Les périodes maximales de détention sans contrôle judiciaire sont plus longues lorsqu’il s’agit d’infractions relevant des tribunaux de sûreté de l’Etat. En pareil cas, il est permis de détenir un suspect pendant quarantehuit heures en rapport avec une infraction individuelle et pendant quinze jours en rapport avec une infraction collective (article 30 de la loi no 3842 du 1er décembre 1992, reproduisant l’article 11 du décret-loi no 285 du 10 juillet 1987). Dans la région soumise à l’état d’urgence, toutefois, une personne arrêtée dans le cadre d’une procédure devant un tribunal de sûreté de l’Etat peut être détenue pendant quatre jours en cas d’infractions individuelles et pendant trente jours en cas d’infractions collectives avant d’être conduite devant un magistrat (ibidem, reproduisant l’article 26 de la loi no 2935 du 25 octobre 1983). L’article 19 de la Constitution turque confère à tout détenu le droit de faire contrôler la légalité de sa détention par la voie d’une demande adressée à la juridiction compétente pour connaître de sa cause. E. La dérogation turque à l’article 5 de la Convention (art. 5) Dans une lettre datée du 6 août 1990, le Représentant permanent de la Turquie auprès du Conseil de l’Europe informa le Secrétaire général de l’Organisation des éléments suivants: "La République de Turquie est exposée à des menaces pour sa sécurité nationale dans le Sud-Est de l’Anatolie, dont l’ampleur et l’intensité sont allées croissant au cours des derniers mois au point de représenter une menace pour la vie de la nation au sens de l’article 15 de la Convention (art. 15). En 1989, 136 civils et 153 membres des forces de sécurité ont été tués à la suite d’actes de terrorisme, dont les auteurs agissaient parfois à partir de bases étrangères. Rien que depuis le début de 1990, le nombre des victimes s’élève à 125 civils et 96 membres des forces de sécurité. La sécurité nationale est principalement menacée dans les provinces [à savoir Elazig, Bingöl, Tunceli, Van, Diyarbakir, Mardin, Siirt, Hakkâri, Batman, Sirnak] de l’Anatolie du Sud-Est et partiellement aussi dans les provinces adjacentes. En raison de l’intensité et de la diversité des actions terroristes, et afin de les réprimer, le Gouvernement a dû non seulement faire intervenir ses forces de sécurité, mais aussi prendre les mesures appropriées pour neutraliser une campagne de désinformation tendancieuse auprès du public, lancée notamment à partir d’autres régions de la République de Turquie ou même de l’étranger et accompagnée d’une utilisation abusive des droits syndicaux. A cette fin, le Gouvernement de la Turquie, agissant conformément à l’article 121 de la Constitution turque, a promulgué, le 10 mai 1990, les décrets-lois nos 424 et 425. Ces décrets pourront entraîner une dérogation aux obligations inscrites dans les dispositions ci-après de la Convention européenne des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales: à savoir dans les articles 5, 6, 8, 10, 11 et 13 (art. 5, art. 6, art. 8, art. 10, art. 11, art. 13). Une description sommaire des nouvelles mesures est jointe à la présente. La question de leur compatibilité avec la Constitution turque est actuellement en instance devant la Cour constitutionnelle de la Turquie. Lorsque les mesures évoquées plus haut auront cessé d’être en application, le Gouvernement de la Turquie en informera le Secrétaire Général du Conseil de l’Europe. La présente notification est faite conformément aux dispositions de l’article 15 (art. 15) de la Convention européenne des Droits de l’Homme." A cette lettre se trouvait annexée une "description sommaire du contenu des décretslois nos 424 et 425". La seule mesure relative à l’article 5 de la Convention (art. 5) qui s’y trouvait décrite était la suivante: "Le Gouverneur de la région visée par l’état d’urgence pourra ordonner aux personnes portant atteinte de manière continue à la sécurité générale et à l’ordre public de s’établir dans un lieu spécifié par le ministre de l’Intérieur et situé en dehors de la région visée par l’état d’urgence pour une période qui ne devra pas excéder la durée de l’état d’urgence (...)" Par une lettre du 3 janvier 1991, le Représentant permanent de la Turquie informa le Secrétaire général de l’adoption du décret no 430, qui limitait les pouvoirs antérieurement conférés au préfet de la région relevant de l’état d’urgence par les décrets nos 424 et 425. Le 5 mai 1992, le Représentant permanent écrivit au Secrétaire général une lettre comportant le passage suivant: "Comme la plupart des mesures énoncées dans les décrets-lois nos 425 et 430 qui pourraient entraîner une dérogation aux droits garantis par les articles 5, 6, 8, 10, 11 et 13 de la Convention (art. 5, art. 6, art. 8, art. 10, art. 11, art. 13) ne sont plus appliquées, je vous informe par la présente que la République de Turquie limite, pour l’avenir, la portée de sa notification de dérogation au seul article 5 de la Convention (art. 5). La dérogation relative aux articles 6, 8, 10, 11 et 13 de la Convention (art. 6, art. 8, art. 10, art. 11, art. 13) n’est plus en vigueur; par conséquent, la référence relative à ces articles (art. 6, art. 8, art. 10, art. 11, art. 13) est, par la présente, supprimée de ladite notification de dérogation." PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION Dans sa requête du 20 mai 1993 (no 21987/93) à la Commission, M. Aksoy se plaignait d’avoir subi des traitements contraires à l’article 3 de la Convention (art. 3) pendant sa garde à vue en novembre/décembre 1992, de n’avoir pas, au mépris de l’article 5 par. 3 (art. 5-3), été traduit, pendant sa détention, devant un juge ou un autre magistrat habilité par la loi à exercer des fonctions judiciaires, et de n’avoir pas eu, contrairement à ce qu’exigent les articles 6 par. 1 et 13 (art. 6-1, art. 13), la possibilité d’intenter une action contre les responsables de ses sévices. A la suite du décès de M. Aksoy le 16 avril 1994, ses représentants ont allégué que son meurtre était la conséquence directe de sa requête à la Commission et constituait une atteinte à son droit de recours individuel au sens de l’article 25 de la Convention (art. 25). La Commission a déclaré la requête recevable le 19 octobre 1994. Dans son rapport du 23 octobre 1995 (article 31) (art. 31), elle formule l’avis, par quinze voix contre une, qu’il y a eu violation de l’article 3 (art. 3) et qu’il y a eu violation de l’article 5 par. 3 (art. 5-3), par treize voix contre trois, qu’il y a eu violation de l’article 6 par. 1 (art. 6-1) et qu’aucune question distincte ne se pose sous l’angle de l’article 13 (art. 13), et, à l’unanimité, qu’aucune mesure ne s’impose quant à l’ingérence alléguée dans l’exercice effectif du droit de recours individuel garanti par l’article 25 (art. 25). Le texte intégral de l’avis de la Commission et des deux opinions séparées dont il s’accompagne figure en annexe au présent arrêt. CONCLUSIONS PRESENTEES A LA COUR A l’audience, le Gouvernement a invité la Cour à rejeter la requête pour défaut d’épuisement des voies de recours internes disponibles ou, subsidiairement, à constater qu’il n’y a pas eu violation de la Convention. Le requérant a pour sa part demandé à la Cour de constater des violations des articles 3, 5, 6, 13 et 25 de la Convention (art. 3, art. 5, art. 6, art. 13, art. 25), et de déclarer que ces violations se trouvaient aggravées par le fait que les mesures incriminées correspondaient à une pratique administrative. Il a également réclamé une satisfaction équitable au titre de l’article 50 de la Convention (art. 50).
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I. Les circonstances de l’espèce A. La reconnaissance et la déchéance du statut de réfugié Citoyen somalien né en 1963, M. Ahmed réside actuellement à Graz (Styrie). Le 10 octobre 1990, il quitta la Somalie et arriva à l’aéroport de Vienne le 30 octobre, après être passé par la Syrie et les Pays-Bas. Ayant demandé le statut de réfugié le 4 novembre 1990, il fut entendu le 27 novembre 1990 par la Direction de la sécurité publique (Sicherheitsdirektion) de Basse-Autriche. A cette occasion, il déclara que son oncle avait milité activement au sein du Congrès de la Somalie unifiée (United Somali Congress, l’"USC") et que son père et son frère, sans être membres de l’USC, avaient aidé son oncle et été exécutés pour cela en mai 1990. Depuis lors, lui-même et sa famille étaient soupçonnés d’appartenir à l’USC et d’avoir trempé dans des actes de rébellion. Sa voiture avait été confisquée, et il avait été victime de coups et blessures, comme en témoignait encore une cicatrice à l’avant-bras gauche. Il avait quitté la Somalie par peur de se voir arrêté et exécuté. Le 19 avril 1991, la Direction de la sécurité publique de Styrie rejeta la demande mais, sur recours du requérant, le ministre de l’Intérieur réforma cette décision le 15 mai 1992 et accorda le statut de réfugié au sens de la Convention de Genève (paragraphe 24 ci-dessous). D’après lui, on ne pouvait imposer à M. Ahmed de regagner sa patrie, eu égard à ses activités dans un groupe d’opposition et à la situation générale dans ce pays. Les déclarations de l’intéressé, qui paraissaient crédibles, faisaient craindre qu’en cas de retour en Somalie il n’y souffrît la persécution au sens de la Convention de Genève. Le 15 juillet 1994, l’Office fédéral des réfugiés (Bundesasylamt) à Graz prononça, par application de l’article 5 par. 1, alinéa 3, de la loi sur le droit d’asile (paragraphe 25 ci-dessous), la déchéance du statut de réfugié de l’intéressé. La décision faisait suite à une condamnation du requérant à deux ans et demi de prison, prononcée le 25 août 1993 par le tribunal régional (Landesgericht) de Graz pour tentative de vol à l’arraché (versuchter Raub): avec un complice, M. Ahmed avait frappé un piéton au visage et tenté de lui dérober son portefeuille. Le 12 septembre 1994, le ministre de l’Intérieur rejeta le recours de l’intéressé. Il rappela qu’aux termes de l’article 5 par. 1, alinéa 3, de la loi sur le droit d’asile, un réfugié perd cette qualité s’il commet un "crime ou délit particulièrement grave" au sens de l’article 33 par. 2 de la Convention de Genève. Or il ressortirait de l’article 37 par. 4 de la loi sur les étrangers (paragraphe 28 ci-dessous) que le législateur considère comme tel toute infraction punie d’un emprisonnement de plus de cinq ans. Puisqu’en cas de tentative de vol celui-ci peut aller jusqu’à dix ans, le requérant avait perdu le bénéfice de son statut de réfugié et toute autre considération relative au bien-fondé de sa condamnation ou à la situation en Somalie se révélait superflue. M. Ahmed attaqua cette décision devant la Cour administrative (Verwaltungsgerichtshof), qui l’annula le 2 février 1995. D’après elle, la condamnation de l’intéressé du chef d’une infraction particulièrement grave n’avait que valeur d’indice; l’on ne pouvait en déduire qu’ipso facto le requérant représentait pour la société autrichienne un danger au sens de l’article 33 par. 2 de la Convention de Genève. Pareille conclusion, qui suspendait la protection (Schutzzweck) de ladite Convention malgré la persistance de risques de persécution, supposait qu’il y ait eu au préalable une pesée des intérêts du réfugié et de l’Etat d’accueil et qu’elle se fût révélée défavorable au premier. Il y allait en effet d’une telle atteinte aux droits personnels (persönliche Rechtssphäre) du réfugié qu’elle devait s’avérer effectivement nécessaire pour un des motifs énoncés dans la disposition en cause. En juger exigeait d’apprécier le comportement futur de l’intéressé, ce qu’en l’espèce le ministre avait négligé. Le 10 avril 1995, le ministre de l’Intérieur prononça derechef la déchéance du statut de réfugié de M. Ahmed. Se référant à la décision de la Cour administrative (paragraphe 14 ci-dessus), il releva d’abord que le requérant avait été reconnu coupable d’une tentative de vol à l’arraché, infraction particulièrement grave au sens de l’article 33 par. 2 de la Convention de Genève. Il mentionna ensuite d’autres mesures prises contre l’intéressé: une condamnation à trois mois de prison avec sursis et une amende de 500 schillings pour destruction volontaire (Sachbeschädigung) en 1991, une amende de 1 000 schillings pour comportement menaçant (ungestümes Benehmen) dans un commissariat de police en 1992 et une plainte de la police auprès du parquet de Graz pour destruction volontaire la même année. Si, pris isolément, ces délits ne représentaient aucun danger pour la société, ils n’en révélaient pas moins, considérés ensemble, une tendance nette à l’agressivité. L’on ne pouvait donc exclure que l’intéressé commît encore d’autres infractions à l’avenir, ce qui le rendait dangereux pour la société. Le 9 novembre 1995, la Cour administrative confirma cette décision, estimant notamment que, pour apprécier la dangerosité du requérant (Gefährlichkeitsprognose), le ministre avait valablement pu se fonder sur des événements antérieurs au séjour en prison de l’intéressé. B. La procédure d’expulsion Entre-temps, le 14 novembre 1994, la Direction de la police fédérale (Bundespolizeidirektion) à Graz avait prononcé contre le requérant, en vertu de l’article 18 paras. 1 et 2 de la loi sur les étrangers (paragraphe 26 cidessous), une interdiction de séjour de durée illimitée (unbefristetes Aufenthaltsverbot) et ordonné qu’après avoir purgé sa peine, il fût écroué en vue de son expulsion (Schubhaft). Elle nota qu’eu égard aux condamnations de l’intéressé et à la gravité de l’une d’elles, pour tentative de vol à l’arraché, l’on ne pouvait exclure qu’il poursuivît dans cette voie. Aussi, pour préserver la tranquillité, l’ordre et la sécurité publics et pour empêcher M. Ahmed de commettre des infractions pénales au sens de l’article 8 par. 2 (art. 8-2) de la Convention européenne des Droits de l’Homme, il apparaissait indispensable de l’éloigner du territoire national, même si cette mesure constituait sans conteste une atteinte (Eingriff) à sa vie privée. Le requérant recourut le 30 novembre 1994 contre cette décision et invita les autorités à constater, en vertu de l’article 54 de la loi sur les étrangers, que son expulsion enfreindrait l’article 37 de cette même loi (paragraphes 29 et 28 ci-dessous). Le 10 décembre 1994, la Direction de la sécurité publique à Graz débouta l’intéressé, tout en ramenant à dix ans la durée de son interdiction de séjour. Elle estima que la Direction de la police fédérale avait correctement soupesé les intérêts en présence et valablement pu considérer qu’une renonciation à l’expulsion entraînerait pour la collectivité des inconvénients bien plus graves que pour M. Ahmed. Elle releva en outre que celui-ci ne pouvait pas encore passer pour intégré dans la société autrichienne, car il y avait vécu quatre ans seulement et séjournait depuis mars 1993 en prison. Il n’aurait pas non plus d’attaches familiales ou autres dans le pays. Quant à ses activités professionnelles, elles ne requéraient aucune qualification particulière et pouvaient donc être exercées aussi à l’étranger ; du reste, l’intéressé se trouvait au chômage au moment de son arrestation. Mis en liberté sous condition (bedingte Entlassung), le requérant fut écroué le 14 décembre 1994 au commissariat de police de Graz en vue de son expulsion. Le 23 janvier 1995, la chambre administrative indépendante (Unabhängiger Verwaltungssenat) de Styrie accueillit le recours (Schubhaftbeschwerde) de M. Ahmed contre cette mesure: la Commission européenne des Droits de l’Homme ayant prolongé la mesure provisoire prise en vertu de l’article 36 de son règlement intérieur (paragraphe 5 cidessus), une expulsion de l’intéressé avant l’expiration de la durée maximale de deux mois de ce type de détention (article 48 de la loi sur les étrangers) lui semblait exclue. En conséquence, le requérant fut remis en liberté. Le 26 avril 1995, celui-ci comparut devant l’Office fédéral des réfugiés en vue d’une application éventuelle de l’article 37 de la loi sur les étrangers (paragraphe 28 ci-dessous). Il y déclara que la situation en Somalie s’était dégradée depuis son départ en 1990. Il était membre du clan Hawiye qui, à l’époque, subissait des persécutions, surtout celles des généraux au pouvoir. Son clan, qui vivait à 900 km au nord de Mogadiscio, avait soutenu le général Aïdid mais lui avait retiré plus tard son appui et serait depuis lors pourchassé aussi par lui. M. Ahmed ne pourrait donc rentrer au pays sans risquer sa vie. Le 27 avril 1995, l’Office fédéral des réfugiés déclara légale (zulässig) l’expulsion envisagée du requérant. Il estima que prises ensemble, les infractions commises par celui-ci révélaient une tendance au comportement agressif et même une énergie agressive croissante (steigendes Aggressionspotential), qui ne reculait pas devant le recours à la violence à l’égard de personnes. L’on ne pouvait donc exclure que M. Ahmed commît encore d’autres infractions à l’avenir, en sorte qu’il représentait pour la collectivité un danger au sens de l’article 37 par. 4 de la loi sur les étrangers. Dans ces conditions, même le fait qu’il risquât la persécution à son retour en Somalie ne pouvait rendre illégal son éloignement vers ce pays. Le 4 mai 1995, la Direction de la police fédérale à Graz écarta la demande présentée le 30 novembre 1994 par l’intéressé (paragraphe 18 cidessus), au motif qu’il n’existait pas de raisons fondées de croire qu’à son retour en Somalie, l’intéressé pourrait subir un traitement prohibé par l’article 37 paras. 1 et 2 de la loi sur les étrangers. D’après la jurisprudence constante de la Cour administrative, l’article 37 par. 1 ne vise que les dangers et menaces émanant d’un Etat. Or, depuis le renversement du président Siyad Barre, une guerre civile faisait rage en Somalie et toute autorité étatique (staatliche Gewalt) avait disparu. D’autre part, rien n’indiquait que l’intéressé pût se voir persécuté dans ce pays pour un des motifs énumérés à l’article 37 par. 2. Enfin, il n’y aurait pas non plus violation de l’article 2 par. 1 (art. 2-1) de la Convention européenne des Droits de l’Homme car, aux termes de l’article 37, le seul fait qu’en regagnant sa patrie un étranger pût éventuellement risquer sa vie ne suffisait pas à fonder l’interdiction de l’expulser. Sur recours de l’intéressé, la Direction de la sécurité publique de Styrie annula cette décision le 22 mai 1995. Là-dessus, la Direction de la police fédérale à Graz constata le 31 octobre 1995 qu’en Somalie, M. Ahmed risquait de se voir persécuté pour un des motifs prévus à l’article 37 de la loi sur les étrangers. En conséquence, elle lui accorda le 22 novembre 1995 un sursis à exécution de son expulsion, d’une durée renouvelable d’un an. II. Le droit international et interne pertinent A. La Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés Aux termes de l’article 1 de la Convention de Genève du 28 juillet 1951, modifié par le Protocole du 31 janvier 1967, sera notamment considérée comme réfugié la personne qui, "craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays". L’article 33 de cette convention dispose: "1. Aucun des Etats contractants n’expulsera ou ne refoulera, de quelque manière que ce soit, un réfugié sur les frontières des territoires où sa vie ou sa liberté serait menacée en raison de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques. Le bénéfice de la présente disposition ne pourra toutefois être invoqué par un réfugié qu’il y aura des raisons sérieuses de considérer comme un danger pour la sécurité du pays où il se trouve ou qui, ayant été l’objet d’une condamnation définitive pour un crime ou délit particulièrement grave, constitue une menace pour la communauté dudit pays." B. Le droit interne La loi sur le droit d’asile L’article 5 par. 1, alinéa 3, de la loi de 1991 sur le droit d’asile (Asylgesetz) dispose qu’un réfugié perd cette qualité si l’autorité compétente constate la réunion des conditions énumérées à l’article 33 par. 2 de la Convention de Genève relative au statut des réfugiés (paragraphe 24 cidessus). La loi sur les étrangers L’article 18 de la loi de 1992 sur les étrangers (Fremdengesetz) régit l’interdiction de séjour (Aufenthaltsverbot). Aux termes du paragraphe 1, celle-ci doit être prononcée contre un étranger si certains faits donnent à croire que son séjour représente un danger pour la tranquillité, l’ordre et la sûreté publics ou se heurte à d’autres intérêts publics visés à l’article 8 par. 2 (art. 8-2) de la Convention européenne des Droits de l’Homme. Parmi les faits pertinents pour l’application de cette disposition, le paragraphe 2 mentionne la condamnation définitive de l’intéressé, par une juridiction autrichienne, à une peine privative de liberté de plus de trois mois. L’article 36 par. 2, première phrase, dispose qu’à la demande de l’intéressé ou d’office, il sera sursis à l’expulsion d’un étranger pour une période renouvelable ne dépassant pas un an si l’expulsion est interdite au sens de l’article 37 ou apparaît effectivement impossible. L’article 37 interdit l’éloignement d’un étranger vers un Etat dans lequel des raisons fondées (stichhaltige Gründe) permettent de penser: - qu’il court un risque de subir un traitement ou un châtiment inhumains ou la peine de mort (paragraphe 1); - que sa vie ou sa liberté seront menacées en raison de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques (paragraphe 2, lequel se réfère à l’article 33 par. 1 de la Convention de Genève). L’expulsion d’un étranger vers un Etat dans lequel il serait menacé au sens du paragraphe 2 n’est permise que si l’intéressé représente pour des motifs importants un danger pour la sécurité de la République d’Autriche ou, à la suite d’une condamnation définitive pour un crime puni d’un emprisonnement de plus de cinq ans, un danger pour la société (paragraphe 4, lequel se réfère à l’article 33 par. 2 de la Convention de Genève). Toute expulsion d’étrangers est interdite tant qu’une mesure provisoire de la Commission ou de la Cour européennes des Droits de l’Homme s’y oppose (paragraphe 6). Aux termes de l’article 54, l’autorité compétente décide (Bescheid), à la demande (Antrag) de l’étranger, si des raisons fondées permettent de croire que celui-ci court un risque, au sens de l’article 37 paras. 1 ou 2, dans un Etat nommé par lui (paragraphe 1). En attendant la décision définitive sur la demande de l’étranger, celui-ci ne peut être expulsé vers l’Etat en question. S’il a été expulsé vers un autre Etat, il est mis fin à la procédure pour absence d’objet (paragraphe 4). PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION Dans sa requête du 13 décembre 1994 à la Commission (no 25964/94), M. Ahmed alléguait que son expulsion vers la Somalie lui ferait courir un risque sérieux d’y subir un traitement contraire à l’article 3 de la Convention (art. 3). La Commission a retenu la requête le 2 mars 1995. Dans son rapport du 5 juillet 1995 (article 31) (art. 31), elle conclut, à l’unanimité, à la violation de cette disposition (art. 3) au cas où le requérant serait expulsé vers la Somalie. Le texte intégral de son avis figure en annexe au présent arrêt. CONCLUSIONS PRESENTEES A LA COUR PAR LE GOUVERNEMENT Dans son mémoire, le Gouvernement invite la Cour à déclarer "que l’article 3 (art. 3) n’a pas été violé".
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE La requérante, ressortissante cypriote, a grandi à Kyrenia, dans le nord de Chypre. En 1972, elle s’est mariée et a déménagé à Nicosie avec son mari. Elle prétend être propriétaire des parcelles nos 4609, 4610, 4618, 4619, 4748, 4884, 5002, 5004, 5386 et 5390 à Kyrenia, dans le nord de Chypre. Avant l’invasion turque dans cette région, le 20 juillet 1974, des travaux de construction d’appartements, dont l’un devait servir de domicile à la famille de l’intéressée, auraient été entamés sur la parcelle no 5390. Qu’elle est propriétaire de ces biens est até par des certificats d’enregistrement délivrés au moment de l’acquisition par le bureau cypriote du cadastre. Selon la requérante, les forces turques l’ont empêchée et l’empêchent encore de retourner à Kyrenia et d’avoir la jouissance de ses biens. Le 19 mars 1989, Mme Loizidou participa à une manifestation organisée par un groupe de femmes (le mouvement "Les femmes rentrent chez elles") dans la localité de Lymbia proche du village turc d’Akincilar, dans la zone occupée du nord de Chypre. La manifestation visait à revendiquer le droit, pour les réfugiés cypriotes grecs, de retourner chez eux. A la tête de quelque cinquante manifestantes, la requérante monta vers l’église de la Sainte-Croix, dans la zone de Chypre occupée par les Turcs; le groupe passa devant le poste de garde des Nations unies. Lorsqu’il parvint au cimetière, il fut encerclé par des soldats turcs qui l’empêchèrent de continuer. Mme Loizidou fut finalement appréhendée par des membres des forces de police cypriotes turques et emmenée en ambulance à Nicosie. Elle fut relâchée vers minuit, après plus de dix heures de détention. Dans son rapport du 31 mai 1989 (document du Conseil de sécurité S/20663) sur l’opération des Nations unies à Chypre (pour la période du 1er décembre 1988 au 31 mai 1989), le Secrétaire général des Nations unies décrit en ces termes (au paragraphe 11) la manifestation du 19 mars 1989: "En mars 1989, le projet d’un groupe de femmes chypriotes grecques d’organiser une grande manifestation, qui avait reçu une large publicité, et leur intention déclarée de franchir la ligne du cessez-le-feu des forces turques ont provoqué une tension considérable. Il est important de rappeler à ce propos qu’après les manifestations violentes qui s’étaient déroulées dans la zone tampon des Nations unies en novembre 1988, le Gouvernement chypriote avait donné l’assurance qu’il prendrait à l’avenir toutes les mesures nécessaires pour assurer le respect de la zone tampon (...). La Force a donc demandé au Gouvernement de prendre des mesures efficaces pour interdire à tous les manifestants de pénétrer dans cette zone, étant donné que la présence de manifestants provoquerait une situation qui serait peut-être difficile à contrôler. La manifestation susmentionnée a eu lieu le 19 mars 1989. Deux mille femmes environ ont traversé la zone tampon à Lymbia et certaines d’entre elles ont réussi à franchir la ligne du cessez-le-feu des forces turques. Un groupe moins nombreux a franchi cette même ligne à Akhna. A Lymbia, un grand nombre de femmes chypriotes turques sont arrivées peu après les Chypriotes grecques et ont organisé une contre-manifestation, en demeurant toutefois de leur côté de la ligne du cessez-le-feu. Des soldats turcs non armés se sont opposés aux manifestantes et, en grande partie grâce à la manière dont ces soldats et la police chypriote turque se sont conduits, la manifestation s’est déroulée sans incident sérieux. Cinquante-quatre manifestantes au total ont été arrêtées par la police chypriote turque dans les deux localités susmentionnées; elles ont été libérées et remises à la Force plus tard dans la même journée." A. La présence militaire turque au nord de Chypre Les forces armées turques, comptant plus de 30 000 hommes, sont stationnées à travers la zone occupée du nord de Chypre, qui fait constamment l’objet de patrouilles et renferme des postes de contrôle sur tous les grands axes de communication. L’état-major de l’armée se trouve à Kyrenia. Le 28e régiment d’infanterie est basé à Asha (Assia); il couvre le secteur allant de Famagouste à Mia Milia, banlieue de Nicosie, et est fort de 14 500 hommes. Le 39e régiment d’infanterie, avec 15 500 hommes environ, est basé au village de Myrtou et couvre le secteur allant du village de Yerolakkos à Lefka. Les TOURDYK (Forces turques à Chypre en vertu du Traité de garantie (Turkish Forces in Cyprus under the Treaty of Guarantee)) sont stationnées au village de Orta Keuy près de Nicosie; elles couvrent un secteur allant de l’aéroport international de cette ville à la rivière Pedhieos. Un bataillon naval turc et un avant-poste sont basés respectivement à Famagouste et Kyrenia. Des membres de l’armée de l’air turque sont basés à Lefkoniko, Krini et d’autres terrains d’aviation. Les forces aériennes turques sont stationnées en métropole, à Adana. Les forces turques et tous les civils qui pénètrent dans les zones militaires sont passibles des tribunaux militaires turcs, ainsi que le prévoient pour les "citoyens de la RTCN" le décret de 1979 sur les zones militaires interdites (article 9) et l’article 156 de la Constitution de la "RTCN". B. L’article 159 par. 1 b) de la Constitution de la "RTCN" Les passages pertinents de l’article 159 par. 1 b) de la Constitution du 7 mai 1985 de la "République turque de Chypre du Nord" (la "RTCN") sont ainsi libellés: "Tous les biens immobiliers, bâtiments et installations qui furent trouvés abandonnés le 13 février 1975 lorsque fut proclamé l’Etat fédéré turc de Chypre ou qui furent considérés par la loi comme abandonnés ou sans propriétaire postérieurement à la date susmentionnée, ou qui auraient dus être en la possession ou sous le contrôle de l’Etat même si leur appartenance n’avait pas encore été déterminée (...) et (...) situés dans les limites de la RTCN au 15 novembre 1983, seront propriété de la RTCN nonobstant le fait qu’ils ne soient pas enregistrés comme tels au bureau du cadastre; et celui-ci sera modifié en conséquence." C. La réponse internationale à l’établissement de la "RTCN" Le 18 novembre 1983, en réponse à la proclamation de la "RTCN", le Conseil de sécurité des Nations unies adopta la Résolution 541 (1983) dont les passages pertinents sont ainsi libellés: "Le Conseil de sécurité, (...) Déplore la proclamation des autorités chypriotes turques présentée comme déclaration de sécession d’une partie de la République de Chypre; Considère la proclamation susmentionnée (...) comme juridiquement nulle et demande son retrait (...) Demande à tous les Etats de respecter la souveraineté, l’indépendance, l’intégrité territoriale et le non-alignement de la République de Chypre; Demande à tous les Etats de ne pas reconnaître d’autre Etat chypriote que la République de Chypre (...)" La Résolution 550 (1984) adoptée le 11 mai 1984 en réponse à l’échange d’"ambassadeurs" entre la Turquie et la "RTCN" déclare notamment ceci: "Le Conseil de sécurité, (...) Réaffirme sa Résolution 541 (1983) et demande qu’elle soit appliquée d’urgence et effectivement; Condamne toutes les mesures sécessionnistes, y compris le prétendu échange d’ambassadeurs entre la Turquie et les dirigeants chypriotes turcs, déclare ces mesures illégales et invalides et demande qu’elles soient immédiatement rapportées; Réitère l’appel lancé à tous les Etats de ne pas reconnaître le prétendu Etat dit "République turque de Chypre-Nord", créé par des actes de sécession, et leur demande de ne pas encourager ni aider d’aucune manière l’entité sécessionniste susmentionnée; Demande à tous les Etats de respecter la souveraineté, l’indépendance, l’intégrité territoriale, l’unité et le non-alignement de la République de Chypre (...)" En novembre 1983, le Comité des Ministres du Conseil de l’Europe décida de continuer à considérer le gouvernement de la République de Chypre comme le seul gouvernement légitime de Chypre et appela au respect de la souveraineté, de l’indépendance, de l’intégrité territoriale et de l’unité de la République de Chypre. Le 16 novembre 1983, les Communautés européennes publièrent la déclaration suivante: "Les dix Etats membres de la Communauté européenne sont profondément préoccupés par la proclamation d’indépendance d’une ‘République turque de Chypre du Nord’. Ils rejettent cette proclamation, qui est contraire aux résolutions successives des Nations unies. Les Dix réitèrent leur soutien inconditionnel à l’indépendance, à la souveraineté, à l’intégrité territoriale et à l’unité de la République de Chypre. Ils continuent de considérer le gouvernement du président Kyprianou comme le seul gouvernement légitime de la république de Chypre. Ils demandent à toutes les parties intéressées de ne pas reconnaître cet acte, qui crée une situation préoccupante dans la région." Les chefs de gouvernement du Commonwealth, réunis à New Delhi du 23 au 29 novembre 1983, publièrent un communiqué de presse déclarant notamment ce qui suit: "[Les] chefs de gouvernement condamnent la déclaration que les autorités cypriotes turques ont publiée le 15 novembre 1983 et annonçant la création d’un Etat sécessionniste à Chypre-Nord, dans la zone sous occupation étrangère. Souscrivant pleinement à la Résolution 541 du Conseil de sécurité, ils dénoncent la déclaration, juridiquement nulle, et réaffirment qu’il y a lieu de ne pas la reconnaître et de la retirer immédiatement. Ils exhortent également tous les Etats à ne pas faciliter ou aider en quoi que ce soit l’entité sécessionniste illégale. Ils considèrent cet acte illégal comme un défi à la communauté internationale et demandent l’application des Résolutions pertinentes des Nations unies sur Chypre." D. La déclaration de la Turquie, du 22 janvier 1990, relative à l’article 46 de la Convention (art. 46) Le 22 janvier 1990, le ministre turc des Affaires étrangères déposa auprès du Secrétaire général du Conseil de l’Europe la déclaration suivante relative à l’article 46 de la Convention (art. 46): "Au nom du Gouvernement de la République de Turquie et conformément à l’article 46 (art. 46) de la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales, je déclare par la présente ce qui suit: Le Gouvernement de la République de Turquie, conformément à l’article 46 (art. 46) de la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales, reconnaît par la présente comme obligatoire et de plein droit et sans convention spéciale la juridiction de la Cour européenne des Droits de l’Homme sur toutes les affaires concernant l’interprétation et l’application de la Convention qui relèvent de l’exercice de sa juridiction au sens de l’article 1 de la Convention (art. 1), accompli à l’intérieur des frontières du territoire national de la République de Turquie et à condition en outre que de telles affaires aient été préalablement examinées par la Commission dans le cadre du pouvoir qui lui a été conféré par la Turquie. Cette déclaration est faite sous condition de réciprocité, incluant la réciprocité des obligations acceptées dans le cadre de la Convention. Elle est valable pour une période de 3 ans à compter de la date de son dépôt et s’étend à toutes les affaires concernant des faits, incluant des jugements qui reposent sur ces faits, s’étant déroulés après la date du dépôt de la présente déclaration." Cette déclaration fut renouvelée, en des termes quasiment identiques, pour une période de trois ans à partir du 22 janvier 1993. PROCÉDURE DEVANT LA COMMISSION Mme Loizidou a saisi la Commission (requête no 15318/89) le 22 juillet 1989. Elle affirmait que son arrestation et sa détention étaient contraires aux articles 3, 5 et 8 de la Convention (art. 3, art. 5, art. 8). Elle prétendait en outre que le refus d’accès à sa propriété s’analysait en une violation continue de l’article 8 de la Convention (art. 8) et de l’article 1 du Protocole no 1 (P1-1). Le 4 mars 1991, la Commission a retenu les griefs de l’intéressée pour autant qu’ils soulevaient des questions sur le terrain des articles 3, 5 et 8 (art. 3, art. 5, art. 8) quant à son arrestation et à sa détention, et sur celui de l’article 8 (art. 8) et de l’article 1 du Protocole no 1 (P1-1) quant aux violations continues de son droit d’accéder à sa propriété qui se seraient produites après le 29 janvier 1987. Elle a rejeté la plainte, fondée sur ces deux dernières dispositions (art. 8, P1-1), d’une violation continue des droits de propriété de la requérante avant le 29 janvier 1987. Dans son rapport du 8 juillet 1993 (article 31) (art. 31), elle formule l’avis qu’il n’y a pas eu violation de l’article 3 (art. 3) (unanimité); de l’article 8 (art. 8) en ce qui concerne la vie privée de la requérante (onze voix contre deux); de l’article 5 par. 1 (art. 5-1) (neuf voix contre quatre); de l’article 8 (art. 8) en ce qui concerne son domicile (neuf voix contre quatre) et de l’article 1 du Protocole no 1 (P1-1) (huit voix contre cinq). Le texte intégral de l’avis de la Commission et des trois opinions séparées dont il s’accompagne figure en annexe à l’arrêt Loizidou c. Turquie du 23 mars 1995 (exceptions préliminaires), série A no 310. CONCLUSIONS PRÉSENTÉES A LA COUR Dans son mémoire, la requérante prie la Cour de dire et déclarer: que l’Etat défendeur est responsable des violations continues de l’article 1 du Protocole no 1 (P1-1); que l’Etat défendeur est responsable des violations continues de l’article 8 de la Convention (art. 8); que l’Etat défendeur a l’obligation de fournir une réparation équitable conformément aux dispositions de l’article 50 de la Convention (art. 50); et que l’Etat défendeur a l’obligation de permettre à la demanderesse d’exercer librement ses droits à l’avenir conformément aux constats de violations du Protocole et de la Convention. Le gouvernement cypriote soutient que: la Cour a compétence ratione temporis pour connaître de l’affaire de la requérante parce que la déclaration de la Turquie relative à l’article 46 de la Convention (art. 46) n’a pas clairement exclu sa compétence quant aux violations examinées par la Commission après la déclaration turque du 22 janvier 1990. La Turquie est donc responsable des violations continues dont se plaint la requérante pour la période commençant le 28 janvier 1987; en toute hypothèse, la Turquie est responsable de violations continues survenues au cours de la période commençant le 22 janvier 1990 et que la Commission a examinées; il existe une situation continue, qui perdure dans la zone sous occupation turque et qui enfreint les droits de la requérante tels que les garantissent les articles 8 de la Convention et 1 du Protocole no 1 (art. 8, P1-1). Dans son mémoire, le gouvernement turc formule les thèses suivantes: la requérante fut irrévocablement privée de sa propriété située dans le nord de Chypre par un acte du gouvernement de la République turque de Chypre du Nord le 7 mai 1985 au plus tard; l’acte visé au point 1 ne constitue pas un acte de "juridiction" posé par la Turquie au sens de l’article 1 de la Convention (art. 1); la Turquie n’a pas violé les droits de la requérante aux termes de l’article 8 de la Convention (art. 8).
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I. Les circonstances de l’espèce A. Les faits ayant conduit à la désignation d’inspecteurs Le requérant est devenu président-directeur général de Guinness PLC ("Guinness") en 1981. Au début de 1986, Guinness se trouvait en concurrence avec une autre société, Argyll Group PLC ("Argyll"), pour la reprise d’une troisième société, la Distillers Company PLC ("Distillers"). Guinness emporta la bataille. Comme celle d’Argyll, l’offre de Guinness aux actionnaires de la Distillers comprenait un important échange de parts et les prix auxquels les actions de Guinness et d’Argyll étaient cotées à la bourse de Londres constituèrent donc un élément déterminant pour les deux parties. Au cours du raid, le prix de l’action Guinness augmenta spectaculairement, mais une fois qu’on déclara l’offre sans condition, le prix chuta sensiblement. L’importante augmentation du prix des actions de Guinness cotées en bourse pendant l’offre publique d’achat provenait d’une opération illégale de soutien des parts. Y étaient impliquées certaines personnes (les "supporters") qui acquéraient des parts de Guinness pour maintenir ou gonfler ses actions cotées en bourse. Les supporters obtinrent des indemnités secrètes pour les pertes qu’ils pouvaient subir et, pour certains d’entre eux, d’énormes honoraires en cas de réussite de l’offre de Guinness. Ces incitations étaient illégales pour deux raisons: 1) elles ne furent pas révélées sur le marché conformément au code de la Cité sur les reprises et fusions; 2) elles furent acquittées sur les propres liquidités de Guinness, en contravention à l’article 151 de la loi de 1985 sur les sociétés ("la loi de 1985"), qui interdit à une société de prêter un appui financier pour favoriser l’achat de ses propres actions. Les supporters qui avaient acquis des actions dans le cadre de l’opération illégale de soutien des parts furent indemnisés et récompensés. En outre, certaines personnes qui avaient aidé à trouver des supporters obtinrent en contrepartie d’importantes gratifications. Celles-ci aussi provenaient des fonds de Guinness. Dans la plupart des cas, ces paiements furent effectués au moyen de fausses factures. Celles-ci cachaient que le versement avait trait à la participation des supporters ou d’autres bénéficiaires à l’opération illégale de soutien des actions. Des allégations et des rumeurs quant à des agissements répréhensibles au cours du raid conduisirent le ministre du Commerce et de l’Industrie à désigner des inspecteurs quelques mois après les événements, en vertu des articles 432 et 442 de la loi de 1985 (paragraphes 45 et 46 cidessous). Les inspecteurs étaient habilités à enquêter sur les affaires de Guinness. B. L’enquête des inspecteurs Le 10 décembre 1986, les inspecteurs entamèrent l’audition des témoins. M. Seelig, un directeur de la banque d’affaires conseiller de Guinness, fut le premier d’entre eux. Le 12 janvier 1987, les inspecteurs informèrent le ministère du Commerce et de l’Industrie ("le DTI") qu’ils possédaient des éléments de preuve matériels d’infractions pénales. Le même jour, le DTI prit contact avec M. John Wood au parquet (Director of Public Prosecutions’ office - "le DPP"). Il fut décidé que la marche à suivre était d’autoriser les inspecteurs à poursuivre leur enquête et d’en communiquer les procès-verbaux au service des poursuites (Crown Prosecution Service - "le CPS"), créé en septembre 1986. Le 14 janvier 1987, le requérant fut licencié par Guinness. Le 29 janvier 1987, le ministre exigea des inspecteurs qu’ils l’informent de tout élément qui viendrait à leur connaissance dans le cadre de leur enquête en vertu de l’article 437 (1A) de la loi de 1985. Après quoi les inspecteurs transmirent au ministre les procès-verbaux des auditions auxquelles ils procédaient et les autres pièces qu’ils recueillaient. Le 30 janvier 1987 eut lieu une réunion entre les inspecteurs, le solicitor et d’autres fonctionnaires du DTI, M. John Wood et un représentant du CPS. Entre autres choses, on y identifia les accusés potentiels - dont le requérant -, les chefs d’accusation possibles furent envisagés et l’on estima qu’il fallait prendre une décision quant au moment où commencerait l’enquête pénale. Tous les intéressés convinrent de la nécessité de travailler en étroite collaboration pour ouvrir la voie à des inculpations dans les meilleurs délais. Les inspecteurs se dirent prêts à coopérer tout en se réservant le droit de mener leur enquête comme bon leur semblait. Le 5 février 1987, M. John Wood, qui avait été nommé chef des services juridiques du CPS, chargea une équipe d’avocats d’examiner les aspects pénaux de l’enquête. Les procès-verbaux et pièces des inspecteurs furent communiqués à cette équipe après réception et examen par le DTI. Les inspecteurs interrogèrent le requérant à neuf reprises: les 10-11, 20 et 26 février, 4-5 mars, 6 mai et 11-12 juin 1987. L’intéressé fut accompagné de ses hommes de loi d’un bout à l’autre de ces entretiens. C. La procédure pénale Au cours de la première semaine de mai 1987, le DPP demanda officiellement à la police de procéder à l’enquête pénale. Les procès-verbaux et documents obtenus grâce aux entretiens des inspecteurs furent alors transmis à la police. Le requérant fut par la suite inculpé de nombreuses infractions en rapport avec l’opération illégale de soutien des actions et, avec ses coaccusés, fut renvoyé en jugement devant la Crown Court le 27 avril 1989. Vu le grand nombre d’avocats et celui des accusés, le juge de la Crown Court décida le 21 septembre 1989 que se dérouleraient deux procès distincts. Du 6 au 16 novembre 1989, le tribunal tint une audience préliminaire (voir dire - arguments sur un point de droit en l’absence de jury), l’un des coaccusés du requérant, M. Parnes, ayant demandé à ce que les procès-verbaux du DTI fussent déclarés irrecevables. M. Parnes faisait valoir à titre principal qu’il fallait exclure les déclarations obtenues au cours de trois interrogatoires devant les inspecteurs: i. conformément à l’article 76 de la loi de 1984 sur la police et les preuves en matière pénale (Police and Criminal Evidence Act 1984 - "la PACE"), car, selon lui, elles avaient été obtenues sous la pression ou dans des circonstances risquant d’en compromettre la fiabilité; ii. en vertu de l’article 78 de la PACE, car admettre ces preuves nuirait à l’équité du procès eu égard aux circonstances dans lesquelles elles avaient été obtenues. Le 21 novembre 1989, le juge du fond (le juge Henry) estima les procèsverbaux recevables. Il déclara qu’on admettait d’une manière générale que les entretiens pouvaient passer pour des "aveux" tels que définis à l’article 82 par. 1 de la PACE. Selon lui, l’interprétation de la loi de 1985 permettait aux inspecteurs de poser aux témoins des questions pouvant les incriminer, les témoins étaient tenus d’y répondre et les réponses étaient recevables dans la procédure pénale. Le juge écarta l’assertion de M. Parnes d’après laquelle les inspecteurs eussent dû mettre en garde contre l’autoincrimination. Il avait la conviction que nulle pression n’avait été exercée en vue de l’obtention de la déposition et que les réponses n’avaient pas été recueillies par suite de propos ou d’actes risquant de les priver de crédibilité vu l’ensemble des circonstances du moment. Du 22 au 24 janvier 1990, le tribunal procéda à une nouvelle audition en voir dire, le requérant ayant demandé que les procès-verbaux du DTI concernant les huitième et neuvième entretiens fussent déclarés irrecevables au motif qu’ils devaient être exclus soit comme étant indignes de foi, en vertu de l’article 76 de la PACE, soit en application de l’article 78 de celle-ci, l’admission des dépositions risquant de compromettre le caractère équitable de la procédure, eu égard aux circonstances dans lesquelles elles avaient été obtenues. Le requérant arguait de son mauvais état de santé à l’époque et de ce que les deux entretiens en question se fussent déroulés après son inculpation. Le 29 janvier 1990, le juge Henry rejeta l’argument de la défense quant à la condition physique de l’intéressé. Il exerça toutefois le pouvoir d’appréciation que lui reconnaît l’article 78 pour exclure les preuves que constituaient les deux entretiens sus-mentionnés ayant eu lieu après l’inculpation de M. Saunders au motif que celui-ci ne pouvait passer pour avoir comparu volontairement. Selon le juge, d’ailleurs, on ne pouvait tenir pour équitable l’utilisation d’éléments recueillis au moyen d’un interrogatoire obligatoire après le début du processus accusatoire. Le procès du requérant M. Saunders passa en jugement avec trois coaccusés. Le procès comporta soixante-quinze jours de dépositions, dix jours de plaidoiries des avocats et cinq jours de résumé du juge au jury. Le requérant était sous le coup de quinze chefs d’accusation parmi lesquels huit de faux en écritures comptables contraires à l’article 17 par. 1 b) de la loi de 1968 sur le vol et deux chefs de vol et plusieurs chefs d’entente délictueuse. Au cours de son procès, l’intéressé, le seul accusé à déposer (jours 6382) - après lecture des procès-verbaux (paragraphe 31 ci-dessous) - affirma qu’il ignorait tout des indemnités octroyées ou du versement d’honoraires pour réussite et qu’on ne l’avait pas consulté sur ces questions. Selon lui, on ne pouvait lui reprocher aucune malversation. L’accusation s’appuya lourdement sur la déposition de M. Roux (directeur financier de Guinness) qui s’était vu reconnaître l’immunité des poursuites. Elle se référa aussi aux déclarations formulées par le requérant au cours de ses entretiens avec les inspecteurs du DTI. L’accusation donna lecture au jury pendant trois jours du procès (jours 45-47) des procès-verbaux des entretiens. Elle s’en servit pour établir quelle connaissance le requérant avait des faits et pour réfuter les dépositions de celui-ci devant le jury. C’est ainsi que l’avocat de l’accusation utilisa des passages des entretiens pour démontrer que M. Saunders était au fait, entre autres, du versement à M. W., qui aurait participé à l’opération de soutien des actions, de plus de cinq millions de livres, avant que les inspecteurs ne lui montrent le reçu du versement. Dans ses réponses aux inspecteurs, M. Saunders avait déclaré qu’il avait marqué son accord avec le versement de cinq millions de livres à M. W. à titre d’honoraires adéquats en cas de succès. Lorsque les inspecteurs lui montrèrent le reçu du versement à une société (MAC) dont M. W. se servait pour la réception des honoraires perçus pour un travail effectué, il répliqua n’avoir pas vu ce reçu auparavant mais en déduisit que celui-ci avait un rapport avec son accord de verser cinq millions de livres à M. W. Dans sa plaidoirie d’ouverture à l’intention du jury, l’avocat de l’accusation s’exprima en ces termes: "M. Saunders a aussi indiqué aux inspecteurs [du DTI] pourquoi les [cinq millions de livres] avaient été versées. Il dit que M. [W.] avait rendu un service inestimable pendant le raid relatif à la Distillers et que M. [W.] l’avait persuadé que cinq millions de livres représentaient un montant d’honoraires convenable en récompense. M. Saunders admit qu’aucune pièce ne confirmait sa décision de verser cinq millions de livres à M. [W.]. Il concéda devant les [inspecteurs] savoir que la MAC était une société dont M. [W.] ses associés se servaient pour percevoir de l’argent." Au cours du procès, M. Saunders déclara qu’il ignorait avant que les inspecteurs ne lui montrent le reçu que l’argent avait été versé à M. [W.]. Quand il contre-interrogea le requérant, l’avocat de l’accusation se référa aux réponses ci-dessus consignées dans les procès-verbaux pour contredire le témoignage de M. Saunders. Dans ses conclusions finales au jury, il s’exprima ainsi: "Mais il ressort clairement des dépositions de M. Saunders (...) aux inspecteurs qu’il savait parfaitement (...) que M. [W.] avait été payé. Vous avez en mémoire les passages de ses (...) entretiens qui laissent apparaître qu’il savait tout de ce versement avant qu’on ne lui en montre le reçu." L’avocat du coaccusé [M. R.] se référa lui aussi aux procès-verbaux des entretiens pour tenter de démontrer que M. Saunders ne disait pas la vérité. Dans ses réponses aux inspecteurs, celui-ci n’avait cessé de dire qu’il ne se rappelait aucune conversation avec M. R. concernant l’acquisition d’actions de Guinness ou sur les indemnités pour perte en cas de semblable acquisition. Or une lettre de M. R. à une autre personne indiquant que ces conversations avaient eu lieu et impliquant d’une manière générale M. Saunders dans l’opération de soutien des actions avait paru auparavant dans la presse. Au cours d’un interrogatoire contradictoire de M. Saunders, l’avocat de M. R. donna à entendre que les réponses de M. Saunders aux inspecteurs sur ce point n’étaient pas dignes de foi, qu’il avait "perdu son sang-froid" devant eux, ce qui expliquait sa réponse, à savoir qu’il n’avait pas le souvenir de conversations avec M. R. L’avocat de M. R. demanda à plusieurs reprises pourquoi M. Saunders n’avait pas saisi l’occasion de dire aux inspecteurs que les accusations portées par M. R. dans la lettre publiée étaient un "tissu de mensonges" plutôt que de répondre comme il l’avait fait. Dans son résumé à l’intention du jury, le juge compara aussi, pour les opposer, ce que le requérant avait dit au tribunal et les réponses fournies par lui aux inspecteurs. Le 22 août 1990, le requérant fut reconnu coupable sur douze chefs d’entente délictueuse, de faux en écritures comptables et de vol. Il se vit infliger une peine globale de cinq ans d’emprisonnement. La décision sur les allégations d’"abus des voies de droit" Dans le second volet de la procédure concernant les autres coaccusés, la recevabilité des procès-verbaux fut à nouveau contestée au motif notamment qu’il y avait eu abus des voies de droit en ce que les inspecteurs et/ou les autorités de poursuite avaient commis une faute de conduite en usant des pouvoirs réglementaires des inspecteurs dans le but d’échafauder une affaire pénale. En particulier, l’un des coaccusés, M. Seelig, allégua que l’on avait délibérément retardé l’inculpation des coaccusés afin que les inspecteurs pussent exercer leurs pouvoirs pour obtenir des aveux. Par une décision du 10 décembre 1990, le juge Henry estima qu’il n’y avait pas de commencement de preuve (prima facie case) d’abus que ce soit de la part des inspecteurs ou des autorités de poursuite. Il avait entendu les inspecteurs comme le fonctionnaire de police chargé de l’enquête pénale. Le 14 décembre 1990, il écarta la demande de suspension de la procédure, estimant que l’interrogatoire des accusés ou la communication des dépositions de M. Seelig devant les inspecteurs aux autorités de poursuite ou encore la conduite des poursuites n’avaient pas donné lieu à un abus de la procédure pénale. La décision de M. Wood de ne faire intervenir la police qu’au début de mai ne lui paraissait en rien irrégulière ou répréhensible. Il conclut au contraire que les pouvoirs réglementaires avaient été convenablement exercés. Il repoussa aussi, en vertu de l’article 78 de la PACE, une requête tendant à l’exclusion des entretiens comme preuves et alléguant que c’étaient là des preuves compromettant le caractère équitable de la procédure au point que le tribunal ne devait pas les admettre. Le 2 mai 1991 (arrêt R. v. Seelig), la Cour d’appel confirma la décision du juge du fond sur la recevabilité desdits entretiens. Le 24 juillet 1991, la Chambre des lords refusa l’autorisation de la saisir. L’appel du requérant Le requérant sollicita l’autorisation de recourir contre le verdict de culpabilité et la peine. Il faisait valoir, notamment, que le juge du fond avait donné de mauvaises indications au jury quant au poids à accorder à la déposition de M. Roux, le directeur financier de Guinness qui bénéficiait de l’immunité des poursuites. M. Saunders obtint l’autorisation de recourir contre le verdict de culpabilité. Après une audience à laquelle il fut représenté, la Cour d’appel prononça son arrêt le 16 mai 1991. Elle estima que si le résumé du juge à l’intention du jury renfermait quelques imperfections et certains points malheureux, il s’agissait pour l’essentiel d’un exposé magistral qui laissait au jury le soin de trancher la question essentielle, celle de la malhonnêteté. Elle ajoutait que l’avocat du requérant avait indiqué qu’il souhaiterait peut-être s’adresser à la cour sur la recevabilité des procès-verbaux. Elle déclara cependant qu’en ce qui la concernait, la question avait été tranchée par la décision d’une autre division de la Cour d’appel dans l’affaire R. v. Seelig, qui avait tenu ces déclarations pour recevables. Elle débouta le requérant sur tous les points sauf un: elle estima que le juge avait fait erreur dans ses indications sur un chef d’accusation et annula le verdict de culpabilité sur ce point. Elle ramena la peine à deux ans et demi d’emprisonnement. D. La saisine ultérieure de la Cour d’appel par le ministre de l’Intérieur Le 22 décembre 1994, le ministre de l’Intérieur saisit la Cour d’appel de la cause du requérant et de ses coaccusés, en vertu de l’article 17 par. 1 de la loi de 1968 sur les appels en matière pénale. Il s’appuyait sur les demandes des coaccusés de M. Saunders - mais non de celui-ci -, lesquels soutenaient que l’accusation n’avait pas communiqué certains documents à leur procès. Le requérant fit valoir notamment que l’emploi à son procès des réponses fournies par lui aux inspecteurs du DTI privait automatiquement la procédure pénale de caractère équitable. La cour rejeta cet argument; elle relevait que, dans la loi de 1985, le parlement avait disposé expressément et sans équivoque que les réponses données aux inspecteurs du DTI pouvaient être admises comme preuves lors d’une procédure pénale, même si cette admission transgressait le droit de ne pas contribuer à sa propre incrimination. Dans son arrêt, la cour nota que les entretiens avec chacun des accusés "constituaient une partie importante du dossier de l’accusation". Quant à l’allégation d’après laquelle il n’était pas équitable que les personnes interrogées par des inspecteurs du DTI fussent traitées moins favorablement que celles interrogées par la police en vertu de la PACE, la cour releva ce qui suit: "(...) il est particulièrement difficile de décrypter des transactions complexes et tortueuses dans ces domaines, et ceux qui jouissent des immunités et privilèges accordés par les lois sur la faillite et celles sur les sociétés doivent admettre la nécessité d’un système d’examen rigoureux, notamment en cas de suspicion de fraude (...)" En ce qui concerne l’argument d’après lequel la divergence entre les systèmes ménagés par la loi sur les sociétés et la loi sur la justice pénale (paragraphes 48 et 54 ci-dessous) était anormale, la cour déclara: "(...) l’explication réside dans le régime très différent des interrogatoires menés par les inspecteurs du DTI et ceux conduits soit par la police soit par le SFO (bureau de la répression des fraudes). Les inspecteurs du DTI sont des enquêteurs; contrairement à la police ou au SFO, ce ne sont pas des procureurs ou des procureurs potentiels. Il est caractéristique qu’ici les deux inspecteurs aient été un Queen’s Counsel et un expert-comptable agréé. Ils sont tenus d’agir en équité et de donner à quiconque ils se proposent de condamner ou de critiquer la possibilité équitable de répondre aux allégations portées contre lui (...). D’habitude, la personne interrogée est représentée par des avocats et elle peut être informée au préalable des questions qui seront soulevées." La cour écarta aussi l’allégation d’abus de la procédure en ce que les inspecteurs du DTI serviraient à tort de "collecteurs de preuves" pour l’accusation ou qu’il y aurait "collusion" illégitime ou dépourvue de caractère équitable: "Nous avons examiné avec soin l’effet des événements de novembre 1986 à octobre 1987 à la lumière de toutes les pièces. Nous estimons qu’il convenait d’autoriser les inspecteurs à poursuivre leur enquête et à n’impliquer la police qu’en mai 1987, sous réserve de deux conditions essentielles. 1) Les inspecteurs devaient pouvoir conduire leurs enquêtes et interrogatoires de manière indépendante, sans instructions, mandat ou exhortation de la part des autorités de poursuite. Nous avons la totale conviction que les inspecteurs eux-mêmes l’ont bien précisé et respecté. Les avocats ont eux aussi posé ces règles fondamentales, qui furent observées (...) 2) Les entretiens devaient être menés de manière équitable et non contestable. On n’a pas avancé devant le juge du fond ou devant nous que les inspecteurs pouvaient être critiqués sur ce chapitre. Les entretiens étaient structurés avec soin, durée correcte et se sont déroulés dans des conditions convenables. Les appelants, hommes d’affaires expérimentés et d’une grande intelligence, furent tous représentés par des counsel (en général des Queen’s Counsel) ou par un solicitor chevronné. Les questions furent posées avec une équité scrupuleuse et le code établi dans l’affaire Pergamon (...) fut respecté." La cour repoussa enfin l’allégation selon laquelle aurait été une source d’iniquité pour le requérant le fait que les éléments dénotant prétendument un abus n’avaient pas été communiqués avant le procès. Elle refusa par la suite d’attester l’existence d’un point d’importance publique et refusa l’autorisation de saisir la Chambre des lords. Cette décision a fermé toutes les voies de recours à M. Saunders. II. Le droit et la pratique internes pertinents A. Désignation des inspecteurs En vertu de l’article 432 de la loi de 1985 sur les sociétés ("la loi de 1985"), le ministre peut nommer un ou plusieurs inspecteurs compétents chargés d’enquêter sur les affaires d’une société et d’en rendre compte selon les modalités qu’il fixe. Il peut procéder à pareille nomination s’il appert que certaines circonstances indiquent: "a) que les affaires de la société sont ou ont été menées dans l’intention d’escroquer ses créanciers ou les créanciers de toute autre personne, ou à des fins frauduleuses ou illégales, ou d’une manière portant un préjudice injustifié à une partie de ses associés, ou b) qu’un acte ou une omission de la société, qu’il soit effectif ou envisagé (y compris un acte ou une omission pour le compte de la société) porte ou porterait pareil préjudice, que la société a été créée à des fins frauduleuses ou illégales, ou c) que des personnes prenant part à la création ou à la gestion des affaires de la société se sont rendues coupables, à cet égard, de fraude, d’infraction à la loi, ou de tout autre agissement répréhensible envers la société ou ses associés, ou d) que les associés n’ont pas obtenu quant à ses affaires toutes les informations qu’ils pouvaient raisonnablement escompter." (article 432 par. 2) Le ministre est également habilité à désigner des inspecteurs pour: "(...) enquêter sur l’ensemble des associés d’une société et sur tout autre aspect, ainsi que pour en rendre compte afin d’identifier les personnes qui ont ou avaient véritablement un intérêt financier à la réussite ou l’échec (réel ou apparent) de la société, ou qui sont ou ont été en mesure de diriger ou d’influer matériellement sur sa politique." (article 442 par. 1) B. Fonction et pouvoirs des inspecteurs Les inspecteurs n’ont pas une fonction judiciaire mais un rôle inquisitoire. Elle a été résumée en ces termes dans l’affaire Pergamon Press Ltd (Chancery Reports 1971, p. 388, Lord Justice Sachs, p. 401): "La fonction des inspecteurs est par essence de mener une enquête en vue d’établir si certains faits sont susceptibles d’amener d’autres personnes à intervenir; leur fonction n’inclut pas la prise de décision quant à la question d’une intervention et, a fortiori, il ne leur appartient pas de se prononcer en dernier lieu sur les questions susceptibles d’être soulevées en cas d’intervention." L’article 434 de la loi de 1985 est ainsi libellé: "1. Lorsque des inspecteurs sont désignés en vertu de l’article 431 ou 432, tous les dirigeants et salariés de la société ont pour devoir (...) a) de présenter aux inspecteurs tous les livres et documents de la société ou y relatifs (...) dont ils sont responsables ou qui relèvent de leurs compétences, b) de se présenter devant les inspecteurs lorsqu’ils y sont invités et, c) de fournir aux inspecteurs tout autre concours qu’ils sont raisonnablement en mesure de prêter dans le cadre de l’enquête (...) (...) Un inspecteur peut procéder à un interrogatoire sous serment des dirigeants et salariés de la société ou d’une autre personne morale, et de toute personne visée au paragraphe 2 ci-dessus, dans le cadre des affaires de la société ou d’un autre organe, et peut faire prêter serment à ce titre (...) (...) Toute réponse donnée par une personne à une question qui lui est soumise dans l’exercice des pouvoirs conférés par cet article (qu’ils s’exercent dans le cadre d’une enquête menée en vertu de l’un ou de l’autre des articles 431 à 433, en application de tout autre article de la présente partie) être retenue contre elle." L’article 436 de la loi dispose: "1) Lorsque des inspecteurs sont nommés en vertu de l’article 431 ou 432 afin d’enquêter sur les affaires d’une société, ce qui suit s’applique à - a) tout dirigeant ou salarié de la société, b) tout dirigeant ou salarié d’une autre personne morale dont les affaires font l’objet d’une enquête prévue à l’article 433 et c) toute personne visée à l’article 434 par. 2. L’article 434 par. 4 s’applique au regard des références faites dans cet alinéa à un dirigeant ou à un salarié. 2) Si cette personne - a) refuse de présenter tout livre ou document que l’article 434 ou 435 lui fait obligation de remettre, b) refuse de se présenter devant les inspecteurs lorsqu’elle y est invitée, ou c) refuse de répondre à toute question qui lui est soumise par les inspecteurs quant aux affaires de la société ou de toute autre personne morale (selon le cas), inspecteurs peuvent signaler le refus par écrit au tribunal. 3) Le tribunal peut alors instruire l’affaire et, après audition de tout témoin à charge ou à décharge de l’auteur présumé de l’infraction, et après avoir entendu toute déclaration faite par la défense, il peut infliger à l’auteur de l’infraction la même peine que pour une personne coupable de contempt of court (mépris du tribunal)." Dans ce contexte, le contempt of court peut être puni par une amende ou un emprisonnement de deux ans au plus. C. Dispositions de la loi de 1984 sur la police et les preuves en matière pénale et de la loi de 1987 sur la justice pénale Les passages pertinents de l’article 76 de la loi de 1984 sur la police et les preuves en matière pénale (PACE) sont ainsi rédigés: "1. Tout aveu fait lors d’une procédure par une personne accusée peut être utilisé contre elle dans la mesure où il est pertinent pour tout point en litige dans la procédure et n’est pas exclu par le tribunal conformément à cet article. Si, dans une procédure au cours de laquelle l’accusation envisage d’utiliser comme preuve un aveu fait par une personne accusée, il est signalé au tribunal que ledit aveu a ou a peut-être été obtenu - a) par pression exercée sur son auteur; ou b) à la suite des propos ou des actes susceptibles, dans les circonstances du moment, de compromettre la crédibilité de tout aveu fait par cette personne en conséquence, le tribunal n’accepte pas que l’aveu soit produit comme preuve à charge sauf si l’accusation établit au-delà de tout doute raisonnable que l’aveu (bien que sa substance puisse être exacte) n’a pas été obtenu de la manière susmentionnée (...)" Le passage pertinent de l’article 78 est ainsi libellé: "1. Dans toute procédure, le tribunal peut refuser une preuve sur laquelle l’accusation désire se fonder s’il lui apparaît que, eu égard à l’ensemble des circonstances, y compris celles dans lesquelles la preuve a été obtenue, l’admettre porterait atteinte à l’équité du procès au point que le tribunal se doit de ne pas l’accepter." Selon l’article 82 par. 1 de la PACE, un ""aveu" inclut toute déclaration en tout ou partie défavorable à son auteur, qu’elle soit faite ou non à une personne occupant des fonctions officielles et qu’elle soit orale ou non". La loi de 1987 sur la justice pénale confère au directeur du bureau de répression des fraudes des pouvoirs particuliers qui lui permettent d’instruire et de poursuivre les fraudes graves. L’article 2 par. 2 fait obligation à une personne dont les affaires sont soumises à enquête de répondre aux questions, fût-ce au risque de s’incriminer. A défaut, elle s’expose à des sanctions pénales (article 2 par. 13). Les réponses ainsi obtenues ne peuvent servir comme preuves contre un suspect que s’il est poursuivi pour n’avoir pas répondu aux questions sans excuse valable ou s’il fait une déposition qui vient contredire une réponse antérieure (article 2 par. 8). PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION M. Saunders a saisi la Commission (requête no 19187/91) le 20 juillet 1988. Selon lui, l’utilisation à son procès des déclarations faites par lui devant les inspecteurs du DTI en vertu de leurs pouvoirs contraignants l’avait privé d’un procès équitable, au mépris de l’article 6 par. 1 de la Convention (art. 6-1). Le 7 décembre 1993, la Commission a retenu le grief de l’intéressé. Dans son rapport du 10 mai 1994, elle conclut à la violation de l’article 6 par. 1 de la Convention (art. 6-1) (quatorze voix contre une). Le texte intégral de son avis et des deux opinions séparées dont il s’accompagne figure en annexe au présent arrêt (1). CONCLUSIONS PRESENTEES A LA COUR Le requérant prétend que l’emploi des procès-verbaux à son procès a enfreint l’article 6 par. 1 (art. 6-1) et que, dans la mesure où le retard apporté à lancer l’enquête de la police était motivé par le désir d’obtenir lesdits procès-verbaux, le moyen utilisé pour les recueillir a lui aussi porté atteinte à cette disposition (art. 6-1). Le Gouvernement soutient que la coercition ne pouvait et n’a pas en soi ôté à la procédure son caractère équitable. En outre, si la Cour concluait que telle ou telle réponse de M. Saunders pouvait à bon droit passer pour auto-incriminante, il faudrait encore apprécier si l’usage extrêmement limité qui en a été fait a en réalité privé la procédure pénale de caractère équitable. Pareille privation n’aurait pas eu lieu.
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Sous le coup d’une lourde condamnation prononcée le 6 avril 1991 par la cour d’appel de Caltanissetta et confirmée le 8 janvier 1992 par la Cour de cassation (paragraphes 30 et 32 ci-dessous), MM. Vincenzo Ferrantelli et Gaetano Santangelo, nés respectivement en 1958 et 1959 à Alcamo (Trapani), résident actuellement au Brésil. A. La procédure d’instruction Le début de l’enquête Le 26 janvier 1976, deux carabiniers furent assassinés dans une caserne à Alcamo Marina. Des vêtements ainsi que des armes et des munitions disparurent. Dans la nuit du 11 au 12 février, les carabiniers d’Alcamo arrêtèrent, au volant d’une voiture portant de fausses plaques d’immatriculation, G.V. qui se trouvait en possession illégale d’armes. D’après les premières constatations, des deux pistolets saisis, un avait été utilisé pour commettre le crime et l’autre avait été volé sur les lieux du drame. Emmené au poste de police, G.V. désigna son défenseur qui ne put venir immédiatement. En l’absence de son avocat, l’intéressé accepta une audition informelle au cours de laquelle il déclara appartenir à un groupe révolutionnaire. Peu après, il demanda à voir son père, en présence duquel il fit d’autres révélations sur les circonstances de l’action, qui aurait visé non pas les deux militaires, mais bien l’Etat italien. Son père s’étant éloigné, G.V. indiqua aux enquêteurs que les requérants et deux autres personnes, G.M. et G.G., avaient participé au crime. Tous les quatre entretenaient avec lui des liens d’amitié; M. Ferrantelli était, par ailleurs, son cousin. G.V. renseigna également les carabiniers sur les caches des affaires volées au cours de l’opération. A l’arrivée de son avocat, le 13 février à 3 heures du matin, G.V. confirma avoir commis le crime mais se rétracta quant à la participation des autres personnes. Peu après, il réitéra par écrit ses premières déclarations en précisant le rôle de chacun des participants. L’arrestation des requérants Les requérants et les autres suspects furent arrêtés à leur domicile le 13 février 1976 entre 4 et 5 heures du matin, conduits à la caserne d’Alcamo et interrogés immédiatement par les carabiniers, d’abord seuls, et à partir de 10 heures en présence d’un avocat d’office. Ils admirent tous avoir participé à l’opération mais donnèrent des versions des faits divergentes entre elles et par rapport à celle de G.V. Il ressort du registre d’entrée de la prison de Trapani qu’au moment de leur arrivée, les requérants, qui se trouvaient dans un état d’étourdissement, présentaient des ecchymoses et des écorchures superficielles. M. Ferrantelli avait déclaré au personnel du bureau d’enregistrement qu’il s’était blessé en glissant. Au cours de l’après-midi du 13 février, le procureur de la République de Trapani entendit tous les suspects. G.V. réaffirma sa responsabilité pour le double meurtre, mais se rétracta une nouvelle fois quant à la participation des requérants, en alléguant que les enquêteurs lui avaient extorqué ses déclarations. MM. Ferrantelli et Santangelo revinrent eux aussi sur leurs aveux: le premier en faisant également état de pressions et mauvais traitements des carabiniers, le second en alléguant que ces derniers l’avaient convaincu qu’il avait intérêt à avouer car, compte tenu des accusations accablantes de G.V., il serait condamné à perpétuité. Par la suite, il affirmera avoir aussi subi des mauvais traitements. Des expertises médicales établiront la présence sur les corps des requérants de lésions légères. Mettant fin à une période de refus total de communiquer avec les enquêteurs et sa famille, G.V., dans une lettre adressée en juillet 1977 au juge d’instruction, demanda à être interrogé. Entendu par le juge en présence d’un avocat d’office, il manifesta l’intention de faire de nouvelles révélations par écrit. Le 26 octobre 1977, on le retrouva pendu à une haute fenêtre de l’infirmerie de la prison avec un mouchoir dans la bouche. Tout en sachant que le défunt était manchot, les autorités interprétèrent le fait comme un suicide. Le renvoi en jugement Le 23 janvier 1978, les requérants, qui n’avaient pas eu la possibilité d’interroger ou faire interroger G.V. à un stade de la procédure antérieur à son décès, furent renvoyés en jugement avec les deux autres coaccusés. Le 18 mai 1978, la cour d’assises de Trapani annula ledit renvoi et ordonna un supplément d’instruction afin d’établir si les pressions alléguées par les requérants s’étaient réellement produites, d’en identifier les auteurs présumés et de vérifier la crédibilité et la spontanéité des déclarations faites aux carabiniers. Le ministère public se pourvut en cassation, mais son recours fut rejeté en janvier 1979. Les délais maximaux de détention provisoire ayant expiré, les requérants recouvrèrent la liberté le 19 mai 1979. Le 11 mars 1980, à l’issue de la nouvelle instruction, les quatre coaccusés furent renvoyés en jugement. Quant à la question des mauvais traitements, le juge d’instruction prononça un non-lieu au motif que l’élément matériel de l’infraction faisait défaut (perché il fatto non sussiste). Il estima que les lésions constatées par les rapports médicaux pouvaient être attribuées aux coups reçus par les intéressés lors des affrontements intervenus pendant le transfert à la caserne. Les mêmes blessures avaient d’ailleurs été constatées chez certains carabiniers présents au moment de ces faits. Il imputa l’état d’étourdissement observé à l’arrivée à la prison au manque de sommeil et aux longs interrogatoires. En ce qui concerne la description faite par les intéressés des lieux où avaient eu lieu les prétendus mauvais traitements ainsi que les noms de deux carabiniers coupables de violence, le magistrat conclut que les requérants avaient pu avoir connaissance desdits lieux auparavant et que les deux militaires étaient des personnes très connues dans la petite ville d’Alcamo. B. La procédure de jugement Le premier procès Le procès devant la cour d’assises de Trapani commença le 25 novembre 1980, pour s’achever le 10 février 1981, avec l’acquittement, au bénéfice du doute, des requérants et de G.G., et la condamnation de G.M. à la réclusion à perpétuité. Le ministère public et les coaccusés interjetèrent appel. MM. Ferrantelli et Santangelo, notamment, demandèrent leur relaxe pure et simple. Le 23 juin 1982, la cour d’assises d’appel de Palerme, se fondant essentiellement sur leurs déclarations aux enquêteurs, reconnut aussi G.G. et les requérants coupables du double meurtre. Le 22 décembre 1984, la Cour de cassation, saisie, à une date non précisée, par G.M., G.G. et MM. Ferrantelli et Santangelo, annula l’arrêt du 23 juin 1982, et renvoya les deux premiers devant la cour d’assises d’appel de Palerme et les requérants devant la cour d’appel, section des mineurs, de Palerme. Elle souligna que même si les pressions décrites par les intéressés n’avaient pas eu la gravité que ces derniers leur attribuaient, les aveux litigieux avaient été faits en-dehors de la présence d’un juge. En outre, sauf pour poser des actes purement formels, les magistrats de Trapani n’étaient pas intervenus au cours de la première phase de l’enquête. Les carabiniers avaient donc eu toute latitude pour mener les investigations à leur guise pendant trente-six heures. Le deuxième procès Le 7 mars 1986, la cour d’appel, section des mineurs de Palerme, acquitta les requérants au bénéfice du doute. Le ministère public et les intéressés se pourvurent à nouveau en cassation. Le 12 octobre 1987, la Cour de cassation cassa l’arrêt au motif que le juge de renvoi avait considéré comme acquis les faits mentionnés dans l’arrêt du 22 décembre 1984, alors qu’ils auraient dû faire l’objet d’une nouvelle enquête au fond. La cause fut renvoyée devant la cour d’appel, section des mineurs, de Caltanissetta. Parallèlement, la haute juridiction annula l’arrêt de la cour d’assises d’appel de Palerme, du 26 novembre 1985, qui avait condamné G.G. à la prison à perpétuité, et renvoya celui-ci devant la cour d’assises d’appel de Caltanissetta pour qu’elle se prononçât sur l’éventuelle application des circonstances atténuantes. Le 31 mai 1988, la cour d’appel, section des mineurs, de Caltanissetta annula l’arrêt de la cour d’assises de Trapani du 10 février 1981 dans la mesure où celui-ci concernait les requérants et transmit le dossier au parquet de Palerme. Accueillant l’exception soulevée par le défenseur de M. Santangelo, la juridiction fit application de l’arrêt de la Cour constitutionnelle du 15 juillet 1983 (no 222) qui avait déclaré inconstitutionnel l’article 9 du décret-loi royal du 20 juillet 1934 (no 1404); cette disposition soustrayait à la compétence du juge des mineurs (tribunale per i minorenni) les actions publiques engagées à l’encontre de mineurs coauteurs d’infractions commises avec des adultes. Le 2 juin 1988, la cour d’assises d’appel, présidée par le juge S.P., accorda à G.G. le bénéfice des circonstances atténuantes générales. En considérant comme définitif l’établissement des faits par la cour d’assises d’appel de Palerme, elle se référa aux "coauteurs" du double crime, à "l’indication précise par G.V. que G.G. avec Santangelo avaient été les exécuteurs matériels des meurtres". Le 6 octobre 1989, le tribunal des mineurs de Palerme, qui jugeait donc l’affaire en première instance, acquitta les requérants au bénéfice du doute. Ces derniers et le ministère public interjetèrent appel. Par une ordonnance du 18 avril 1990, la cour d’appel, section des mineurs, de Palerme, soulevant un conflit négatif de compétence, transféra le dossier à la Cour de cassation. Selon elle, la cour d’appel, section des mineurs, de Caltanissetta, en relevant la nullité de l’arrêt de la cour d’assises de Trapani du 10 février 1981 - résultat de l’application rétroactive de la décision de la Cour constitutionnelle - avait enfreint l’article 544 de l’ancien code de procédure pénale, en vigueur à l’époque, qui interdisait de soulever, pendant le procès de renvoi, des nullités prétendument encourues lors des précédentes phases juridictionnelles ou de l’instruction. Le 2 octobre 1990, la Cour de cassation renvoya l’affaire à la cour d’appel, section des mineurs, de Caltanissetta et confirma l’arrêt du 10 février 1981. Le troisième procès Le 6 avril 1991, la juridiction compétente, présidée par S.P. – qui avait également présidé la cour d’assises d’appel de Caltanissetta dans la procédure contre G.G. (paragraphe 26 ci-dessus) -, condamna M. Santangelo à vingt-deux ans et cinq mois d’emprisonnement et à une amende de 450 000 lires italiennes, et M. Ferrantelli à quatorze ans et dix mois d’emprisonnement. Dans son arrêt, la cour observa que l’assistance des avocats des requérants lors des interrogatoires avait été continue, excluant ainsi tout doute sur la possibilité de pressions de nature à infirmer la crédibilité des aveux. Certes, un des défenseurs d’office des requérants avait affirmé avoir trouvé M. Ferrantelli attaché avec une chaîne à un radiateur, mais selon cette même personne l’intéressé avait été dégagé avant le début des interrogatoires. En application de l’article 192 par. 3 du nouveau code de procédure pénale, lequel prévoit que les déclarations faites par le coauteur du délit ne peuvent être retenues que si elles sont corroborées par d’autres éléments de preuve qui en confirment la crédibilité, la cour d’appel fonda son arrêt, entre autres, sur les faits suivants: - la réciprocité des mises en cause par tous les accusés; - la nécessité du concours de cinq personnes pour une telle action; - la crédibilité des affirmations de G.V. à l’égard de sa responsabilité, confirmée par une série de preuves concrètes; - un ensemble d’indices prouvant la spontanéité de ces déclarations; - les liens d’amitié entre les accusés; - la circonstance que les requérants avaient aidé G.V. à acheter ou transporter les bouteilles d’oxygène pour alimenter le chalumeau utilisé pour ouvrir la porte de la caserne; - le fait que le 12 février 1976 au soir, le père de G.V. avait été vu, par les carabiniers qui le suivaient, en compagnie des requérants, près du domicile de M. Santangelo, et qu’à cette occasion ce dernier semblait soucieux tandis que M. Ferrantelli essayait de le rassurer; - la découverte chez M. Santangelo d’une boîte d’allumettes d’une marque qui n’était plus en production, du même type que celles utilisées pour allumer le chalumeau et trouvées dans un garage loué par G.V., et provenant d’un vol commis par celui-ci en janvier 1976 dans un débit de tabac; - l’absence, enfin, d’un alibi convaincant pour chacun des accusés. Le 4 juin 1991, le ministère public et les requérants se pourvurent en cassation en invoquant notamment l’insuffisance des motifs de l’arrêt attaqué. Par un arrêt du 8 janvier 1992, déposé au greffe le 28 février, la Cour de cassation les débouta en considérant que l’appréciation par la cour d’appel de la mise en cause des intéressés par G.V., des aveux de ces derniers ainsi que des indices concordants n’encourait aucune censure sur le plan de la motivation. A une date non précisée, le président de la République repoussa une demande en grâce formulée par les requérants le 18 janvier 1992. PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION MM. Ferrantelli et Santangelo ont saisi la Commission le 2 février 1992. Invoquant l’article 6 paras. 1 et 3 d) de la Convention art. 6-1, art. 63d), ils alléguaient que: 1) leur cause n’avait pas été entendue dans un délai raisonnable; 2) la procédure et leur condamnation s’étaient fondées sur des aveux extorqués par les carabiniers et des déclarations de G.V. qu’ils n’eurent pas la possibilité d’interroger ou de faire interroger avant son décès; 3) le président de la cour d’appel, section des mineurs, de Caltanissetta, qui les condamna en 1991, avait exprimé sa conviction sur leur culpabilité en 1988, dans un autre procès concernant un coauteur du même crime; 4) l’affaire n’avait pas été jugée dès l’origine par une juridiction pour mineurs. Le 30 août 1993, la Commission a retenu la requête (no 19874/92) quant aux trois premiers griefs et l’a rejetée pour le surplus. Dans son rapport du 2 mars 1995 (article 31) (art. 31), elle conclut à l’unanimité sur chacun des trois points à la violation de l’article 6 (art. 6). Le texte de son avis figure en annexe au présent arrêt. CONCLUSIONS PRESENTEES A LA COUR PAR LE GOUVERNEMENT Le Gouvernement invite la Cour à juger qu’il n’y a pas eu violation de l’article 6 de la Convention (art. 6).
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I. Les circonstances de l’espèce Ressortissant français, M. Gérard Vacher est administrateur de sociétés et réside à Neuilly-sur-Seine. Le 21 septembre 1988, la direction départementale de l’équipement des Hauts-de-Seine porta plainte contre lui du chef d’infraction au code de l’urbanisme, plus particulièrement pour édification d’un mur sans obtention préalable d’un permis de construire. Le 9 février 1990, le tribunal correctionnel de Nanterre condamna le requérant à une amende de 8 000 francs français (FRF), assortie du sursis, et à la mise en conformité du mur. Saisie par M. Vacher le 16 février 1990, puis par le ministère public, la cour d’appel de Versailles confirma le jugement le 23 mai 1991 en toutes ses dispositions. Elle ajouta que la mise en conformité du mur devait être opérée dans un délai de quatre mois suivant le prononcé de l’arrêt, sous astreinte de 200 FRF par jour de retard à compter de l’expiration dudit délai. Elle condamna également le requérant à payer à la partie civile la somme de 3 000 FRF au titre des frais exposés par celle-ci. Le 28 mai 1991, M. Vacher déposa au greffe de la cour d’appel un pourvoi en cassation contre ledit arrêt (article 576 du code de procédure pénale; paragraphe 13 ci-dessous). Le 19 juin, le greffe de la Cour de cassation enregistra le dossier d’appel. Le 14 août, le requérant présenta un mémoire ampliatif à l’appui de son pourvoi. Le 3 septembre 1991, le greffier en chef de la Cour de cassation adressa à M. Vacher une lettre ainsi rédigée: "J’ai l’honneur de vous faire connaître, pour faire suite à votre correspondance, que la chambre criminelle de la Cour de cassation a rendu un arrêt de rejet le 6 août 1991 dans votre affaire. En conséquence, votre mémoire parvenu au greffe criminel le 14 août 1991 sera classé comme tardif." Notifié au requérant le 30 octobre 1995, ledit arrêt reposait sur le motif suivant: "Attendu qu’aucun moyen n’est produit à l’appui du pourvoi, que l’arrêt attaqué est régulier en la forme et que les faits souverainement constatés justifient la qualification et la peine." II. Le droit interne pertinent Les principales dispositions du code de procédure pénale mentionnées en l’espèce sont les suivantes: Article 568 "Le ministère public et toutes les parties ont cinq jours francs après celui où la décision attaquée a été prononcée pour se pourvoir en cassation. (...)" Article 576 "La déclaration de pourvoi doit être faite au greffier de la juridiction qui a rendu la décision attaquée. Elle doit être signée par le greffier et par le demandeur en cassation lui-même ou par un avoué près la juridiction qui a statué, ou par un fondé de pouvoir spécial (...) Elle est inscrite sur un registre public à ce destiné et toute personne a le droit de s’en faire délivrer une copie." Article 584 "Le demandeur en cassation, soit en faisant sa déclaration, soit dans les dix jours suivants, peut déposer, au greffe de la juridiction qui a rendu la décision attaquée, un mémoire signé par lui, contenant ses moyens de cassation. Le greffier lui en délivre reçu." Article 585 "Après l’expiration de ce délai, le demandeur condamné pénalement peut transmettre son mémoire directement au greffe de la Cour de cassation; les autres parties ne peuvent user du bénéfice de la présente disposition sans le ministère d’un avocat à la Cour de cassation. (...)" La loi no 93-1013 du 24 août 1993, entrée en vigueur le 2 septembre 1993, a complété l’article 585 par l’article 585-1, ainsi libellé: "Sauf dérogation accordée par le président de la chambre criminelle, le mémoire du demandeur condamné pénalement doit parvenir au greffe de la Cour de cassation un mois au plus tard après la date du pourvoi." Dans son rapport du 23 juin 1993 présenté à l’Assemblée nationale au nom de la Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République, M. Jean Tibéri justifiait l’insertion du nouvel article 585-1 dans les termes suivants: "Le nouvel article 585-1 vise à résoudre une difficulté apparue au cours des dernières années; il arrive fréquemment que la Cour de cassation rejette un pourvoi parce qu’il n’a pas été soutenu. Or la loi ne prévoyant pas de délai pour adresser de mémoire, le mémoire du demandeur condamné pénalement peut parvenir à la Cour quelques jours après le rejet du pourvoi. Des recours sont d’ailleurs pendants devant la Commission européenne des droits de l’homme sur cette question. Pour éviter que de telles situations ne se reproduisent, le nouvel article 585-1 impose un délai d’un mois, susceptible d’être prorogé par le président de la chambre criminelle, au demandeur pénalement condamné pour déposer son mémoire." Article 586 "Sous peine d’une amende civile de 50 F prononcée par la Cour de cassation, le greffier, dans le délai maximum de vingt jours à dater de la déclaration de pourvoi, cote et paraphe les pièces du dossier, auquel il joint une expédition de la décision attaquée, une expédition de l’acte de pourvoi et, s’il y a lieu, le mémoire du demandeur. Du tout, il dresse inventaire." Article 587 "Lorsque le dossier est ainsi en état, le greffier le remet au magistrat du ministère public, qui l’adresse immédiatement au procureur général près la Cour de cassation; celui-ci le transmet, à son tour, au greffe de la chambre criminelle. Le président de cette chambre commet un conseiller pour faire le rapport." Article 588 "Si un ou plusieurs avocats se sont constitués, le conseiller rapporteur fixe un délai pour le dépôt des mémoires entre les mains du greffier de la chambre criminelle." Article 590 "Les mémoires contiennent les moyens de cassation et visent les textes de loi dont la violation est invoquée. (...) Ils doivent être déposés dans le délai imparti. Aucun mémoire additionnel n’y peut être joint, postérieurement au dépôt de son rapport par le conseiller commis. Le dépôt tardif d’un mémoire proposant des moyens additionnels peut entraîner son irrecevabilité." Article 604 "La Cour de cassation, en toute affaire criminelle, ou de police, peut statuer sur le pourvoi, après l’expiration d’un délai de dix jours à compter de la réception du dossier à la Cour de cassation. (...)" PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION M. Vacher a saisi la Commission le 18 novembre 1991. Invoquant les paragraphes 1 et 3 b) et c) de l’article 6 de la Convention (art. 6-1, art. 63-b, art. 6-3-c), il se plaignait de ne pas avoir bénéficié d’un procès équitable et de n’avoir pu exercer ses droits de la défense, dans la mesure où la Cour de cassation a rejeté son pourvoi pour défaut de moyen environ deux mois et demi après son introduction et sans l’aviser d’un délai pour présenter son mémoire. La Commission a retenu la requête (no 20368/92) le 17 mai 1994. Dans son rapport du 5 avril 1995 (article 31) (art. 31), elle conclut, par huit voix contre quatre, qu’il y a eu violation de l’article 6 (art. 6). Le texte intégral de son avis et de l’opinion dissidente dont il s’accompagne figure en annexe au présent arrêt. CONCLUSIONS PRESENTEES A LA COUR Dans son mémoire, le Gouvernement a demandé à la Cour "de bien vouloir rejeter la requête de M. Vacher". De son côté, le requérant l’a priée de dire "qu’en l’espèce il n’a pas bénéficié d’un procès équitable au sens de l’article 6 paras. 1 et 3 b) et c) de la Convention (art. 6-1, art. 6-3-b, art. 6-3-c)".
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPECE Les requérants, Mahad, Lahima, Abdelkader et Mohammed Amuur, sont des ressortissants somaliens appartenant à la même fratrie et nés respectivement en 1970, 1971, 1973 et 1975. A. Le refus d’entrée sur le territoire et l’échec des demandes d’admission au statut de réfugié Les intéressés arrivèrent le 9 mars 1992 à l’aéroport de Paris- Orly, par un vol de la compagnie aérienne syrienne en provenance de Damas (Syrie), où ils avaient séjourné pendant deux mois après avoir transité par le Kenya; ils prétendaient qu’ils avaient fui la Somalie car, après le renversement du régime du président Siyad Barre, leur vie se trouvait en danger, et que plusieurs membres de leur famille avaient été assassinés. Cinq cousins germains et treize autres ressortissants somaliens (dont onze enfants) arrivèrent, certains par le même vol, d’autres, le 14 mars, en provenance du Caire. Toutefois, la police de l’air et des frontières leur refusa l’entrée sur le territoire français au motif que leur passeport était falsifié; elle les consigna à l’hôtel Arcade dont une partie, louée par le ministère de l’Intérieur, était transformée en zone d’attente de l’aéroport d’Orly. Selon les intéressés, des fonctionnaires de police les déposaient très tôt le matin au salon Espace de l’aéroport et les ramenaient le soir à l’hôtel Arcade. Le 12 mars, le ministre de l’Intérieur examina, conformément à l’article 12 du décret no 82-442 du 27 mai 1982 (paragraphe 16 ci-dessous), une demande d’admission des requérants au titre du droit d’asile. Ces derniers bénéficièrent d’une assistance juridique à partir du 24 mars, date à laquelle une association humanitaire, la CIMADE, qui s’était entre-temps informée de leur situation, les mit en contact avec un avocat. Le 25 mars, les intéressés sollicitèrent, auprès de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides ("l’OFPRA"), leur admission au statut de réfugié en application de la Convention de Genève du 28 juillet 1951. Le 31 mars, l’OFPRA se déclara incompétent au motif qu’ils n’avaient pas obtenu une autorisation provisoire de séjour en France. Le 26 mars, ils saisirent, suivant assignation d’heure à heure, le juge des référés près le tribunal de grande instance de Créteil d’une demande tendant à ce que l’on mette fin à la voie de fait que constituait, selon eux, leur maintien à l’hôtel Arcade. B. Le renvoi des requérants en Syrie Le 29 mars, à 13 h 30, après un refus d’entrée opposé par le ministre de l’Intérieur, les intéressés furent renvoyés en Syrie, qui, selon le Gouvernement, avait accepté de les accueillir. Les dix-huit autres ressortissants somaliens (paragraphe 7 ci-dessus) non renvoyés furent reconnus réfugiés politiques par décision de l’OFPRA du 25 juin 1992. Le 10 juin, le Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés ("le HCR") communiqua au ministère de l’Intérieur un message télécopié ainsi libellé: "Les quatre personnes ont été réadmises sans difficulté sur leterritoire syrien suite aux garanties que l’Ambassade de Franceavait obtenues en la matière auprès des autorités compétentessyriennes. Les quatre ressortissants somaliens devaient approcher ultérieurement notre Bureau en vue de la détermination de leur statut. Nous sommes cependant à ce jour sans nouvellesde leur part et vous tiendrons informés éventuellement de toutdéveloppement ultérieur." Devant la Commission, les requérants alléguèrent que lesdites garanties avaient été données après leur éloignement de la France. Pour sa part, le Gouvernement déclara à l’audience devant la Cour qu’il avait reçu du HCR, le 29 juillet 1992, un nouveau message télécopié, rédigé comme suit: "La délégation du Haut Commissariat des Nations Unies pour lesréfugiés à Damas vient d’informer que les quatre consorts Amuuravaient été récemment reconnus réfugiés par le HCR, sur la basedu paragraphe 68 de son statut. (...) La Syrie accordant l’asileaux personnes reconnues réfugiées par le HCR sur la base de sonstatut, ces ressortissants somaliens n’étaient pas exposés à unrisque de refoulement vers leur pays d’origine." C. L’ordonnance du tribunal de grande instance de Créteil Le 31 mars, le tribunal de grande instance de Créteil constata par une ordonnance de référé l’illégalité de la détention des requérants et décida leur mise en liberté. La partie pertinente de sa décision se lit ainsi: "Si la régularité des décisions de refus d’admission desétrangers (...) ne saurait faire l’objet d’un contrôle de la partdu juge des référés, (...) il reste que la rétention actuellementexercée par le ministre de l’Intérieur dans des locaux qui, audemeurant, ne sont pas situés en zone internationale, n’est prévue par aucun texte de loi, ce qui est d’ailleursimplicitement reconnu par le ministre de l’Intérieur. Au surplus, en l’état des textes applicables en France, qu’ils soient législatifs ou constitutionnels, aucune rétention ne peutêtre exercée par l’autorité administrative hors les cas prévuspar l’ordonnance de 1945 dans son article 35 bis, lequel lasoumet au demeurant au contrôle du juge judiciaire. Il y a donc lieu de considérer en l’état actuel de notre droit,et quelles que soient les conditions matérielles d’entrée desétrangers concernés, qu’il y a privation arbitraire de libertépour les demandeurs et, en conséquence, qu’il existe une voie defait qu’il appartient au juge des référés de faire cesser. Il sera donc fait injonction au ministre de l’Intérieur de remettre en liberté les demandeurs." Le ministère public n’interjeta pas appel de cette ordonnance. D. L’action devant la Commission des recours des réfugiés Entre-temps, le 30 mars, les intéressés avaient saisi, par l’intermédiaire de leur avocat, la Commission des recours des réfugiés. Ils l’invitaient à déclarer la décision du ministre de l’Intérieur leur refusant l’entrée sur le territoire français ainsi que celle les renvoyant en Syrie contraires aux dispositions suivantes: l’article 5 par. b) de la loi du 25 juillet 1952 relatif au caractère suspensif de la saisine de ladite commission, l’article 31 par. 1 de la Convention de Genève, qui interdit l’application de sanctions pénales pour l’entrée ou le séjour irréguliers des réfugiés sur le territoire d’un Etat, l’article 33 par. 1 de la même Convention, qui prohibe le refoulement d’un réfugié vers un pays où sa vie serait menacée. Le 17 avril 1992, la Commission des recours débouta les requérants; elle estima que les décisions d’éloignement du territoire français ne remettaient pas en cause le caractère suspensif du recours dès lors que la Commission était saisie postérieurement à l’exécution de ces décisions, que les intéressés n’avaient fait l’objet d’aucune poursuite pénale et que le gouvernement français avait obtenu des autorités syriennes des assurances quant à la vie et la liberté des requérants. II. LE DROIT INTERNE PERTINENT A. La demande d’admission au statut de réfugié Une circulaire du premier ministre du 17 mai 1985, relative aux demandeurs d’asile, prévoit que l’admission provisoire au séjour en France des étrangers demandeurs d’asile requiert la délivrance successive de deux documents: une autorisation provisoire de séjour "en vue de démarches auprès de l’OFPRA", d’une durée d’un mois, et un récépissé portant la mention "a sollicité l’asile", décerné pour une période renouvelable de trois mois et valant autorisation provisoire de séjour et de travail. Les démarches susmentionnées ne sont cependant accessibles qu’aux personnes admises sur le territoire national; la décision d’admettre ainsi un étranger est de la compétence du ministre de l’Intérieur. Selon la procédure prévue dans le décret no 82-442 du 27 mai 1982, en vigueur à l’époque des faits, "lorsque le contrôle des personnes à la frontière est assuré par les fonctionnaires de la police nationale, la décision de refus d’entrée en France opposée à l’étranger est prise (...) par le fonctionnaire investi des fonctions de chef de poste (...)"; l’article 12 du même décret précise que "lorsque l’étranger qui se présente à la frontière demande à bénéficier du droit d’asile, la décision du refus d’entrée en France ne peut être prise que par le ministre de l’Intérieur, après consultation du ministre des Affaires étrangères". Selon la pratique suivie, ledit ministre demandait à titre consultatif l’avis du représentant du HCR. L’article 5, troisième alinéa, de l’ordonnance no 45-2658 du 2 novembre 1945 relative aux conditions d’entrée et de séjour des étrangers en France dispose: "Tout refus d’entrée doit faire l’objet d’une décision écrite,(...) spécialement motivée d’après les éléments de l’espèce, dontle double est remis à l’intéressé. L’étranger auquel est opposéun refus d’entrée est mis en mesure d’avertir ou de faire avertirla personne chez laquelle il a indiqué qu’il devait se rendre,son consulat ou le conseil de son choix." La loi no 89-548 du 2 août 1989 a ajouté aux dispositions précédentes l’alinéa suivant, applicable au moment des faits de la cause: "En aucun cas, le refus d’entrée ne peut donner lieu à unemesure de rapatriement contre le gré de l’intéressé avantl’expiration du délai d’un jour franc. L’étranger auquel estopposé un refus d’entrée peut être maintenu dans des locaux nerelevant pas de l’administration pénitentiaire pendant le tempsstrictement nécessaire à son départ, dans les conditions prévuesà l’article 35 bis." L’article 35 bis de l’ordonnance du 2 novembre 1945, en vigueur à l’époque des faits, disposait: "Peut être maintenu, s’il y a nécessité absolue, par décision écrite motivée du préfet dans des locaux ne relevant pas del’administration pénitentiaire, pendant le temps strictement nécessaire à son départ, l’étranger qui: 1o Soit n’est pas en mesure de déférer immédiatement à la décision lui refusant l’autorisation d’entrer sur le territoirefrançais; 2o Soit, faisant l’objet d’un arrêté d’expulsion, ne peut quitter immédiatement le territoire français; 3o Soit, devant être reconduit à la frontière, ne peutquitter immédiatement le territoire français. Pour l’application du 1o du présent article, le préfet peutdéléguer sa signature à un fonctionnaire ayant la qualitéd’officier de police judiciaire. Le Procureur de la République en est immédiatement informé. L’étranger est immédiatement informé de ses droits par l’intermédiaire d’un interprète s’il ne connaît pas la langue française. Quand un délai de vingt-quatre heures s’est écoulé depuis ladécision de maintien, le président du tribunal de grande instanceou un magistrat du siège désigné par lui est saisi; il luiappartient de statuer par ordonnance, après audition del’intéressé, en présence de son conseil, s’il en a un, ou leditconseil dûment averti, sur une ou plusieurs des mesures desurveillance et de contrôle nécessaires à son départ ci-aprèsénumérées: Remise à un service de police ou de gendarmerie de tousdocuments justificatifs de l’identité, notamment du passeport,en échange d’un récépissé valant justification de l’identité; Assignation à un lieu de résidence; A titre exceptionnel, prolongation du maintien dans les locauxvisés au premier alinéa. L’ordonnance de prolongation du maintien court à compter de l’expiration du délai de vingt-quatre heures fixé au présent alinéa. L’application de ces mesures prend fin au plus tard àl’expiration d’un délai de six jours à compter de l’ordonnancementionnée ci-dessus." B. Le maintien dans la zone internationale La circulaire du 26 juin 1990 A l’époque des faits, la pratique du maintien dans la zone internationale, dite aussi zone de transit, faisait l’objet d’une circulaire du ministre de l’Intérieur (non publiée), du 26 juin 1990, relative aux procédures de non-admission d’étrangers aux frontières. Les passages pertinents de cette circulaire se lisaient ainsi: "(...) L’étranger qui fait l’objet d’un refus d’entrée et quiest en attente de départ a le droit d’être libre dans la zoneinternationale, lorsqu’elle existe et qu’elle présente desinstallations convenablement adaptées aux types de surveillanceet d’hébergement requis par l’étranger en cause. Il convientalors de pourvoir à son hébergement et de prendre les mesuresnécessaires pour qu’il ne pénètre pas sur le territoire français. (...) III.2.1. Le maintien dans la zone internationale En pratique, il existe une zone internationale, essentiellementdans certains ports et aéroports. (...) Est réputée zone internationale, dans les aéroports, la zoneétanche (ou pouvant être rendue telle) affectée à l’arrivée desvols internationaux et située entre le point d’arrivée despassagers et les contrôles de police. Subsidiairement, un hôtel situé à proximité immédiate du portou de l’aéroport peut être affecté à l’hébergement des étrangersnon admis et auxquels il n’est pas fait application desdispositions de l’article 35 bis de l’ordonnance du 2 novembre 1945 sans que ce déplacement puisse être assimilé àune entrée sur le territoire. Les étrangers concernés sontinformés de ces conditions. (...) Le maintien en zone internationale des étrangers ayant faitl’objet d’un refus d’entrée donne lieu de la part des servicesde contrôle aux frontières à une surveillance appropriée, maisqui ne peut en aucun cas se traduire par l’isolement complet desintéressés dans un local clos. (...) III.2.3. Droits de l’étranger (...) En conséquence, dans tous les cas, l’étranger refoulé aura lapossibilité, une fois la décision de refus d’entrée prise,d’avertir ou de faire avertir la personne chez laquelle il aindiqué qu’il devait se rendre, conformément aux déclarationsenregistrées dans la notification, son consulat ou le conseil deson choix; dans la pratique, ce sont les services ayant prononcéle refus d’admission qui mettront l’étranger concerné en mesurede communiquer avec les personnes énumérées. Vous lui accorderezdonc l’accès à un téléphone et aux informations téléphoniquesutiles, étant entendu que cet appel ne doit pas dépasser leterritoire national, et rester d’une durée raisonnable. (...) III.2.5. Demandeurs d’asile (...) Sans qu’il y ait lieu de décrire la procédure de traitementd’une demande d’asile à la frontière, il est rappelé qu’aucunedécision de mise en rétention administrative ne peut être priseà l’égard de l’intéressé, tant que l’éventuelle décision de refusd’entrée n’a pas été notifiée. Lorsqu’un étranger déclare demander l’asile alors qu’unedécision de refus d’entrée lui a déjà été notifiée, l’étrangern’ayant pas pénétré sur le territoire, la demande est considéréecomme une demande d’asile à la frontière et portée dans lesmeilleurs délais à la connaissance de la direction des libertéspubliques et des affaires juridiques qui fera connaître aprèsinstruction du dossier la décision prise en application desdispositions de l’article 12 du décret no 82-442 du 27 mai 1982. (...)" La loi du 6 septembre 1991 La loi du 6 septembre 1991 portant modification de l’ordonnance du 2 novembre 1945 relative aux conditions d’entrée et de séjour des étrangers en France constitue la première tentative de légiférer en matière de zones de transit. Lors de la présentation à l’Assemblée nationale du projet de l’article 8 de la loi du 6 septembre 1991, le ministre de l’Intérieur avait soutenu que "les étrangers dans cette situation ne sont pas retenus, puisqu’ils ne sont pas sur le territoire français, car ils sont libres de partir à tout moment" (Journal officiel, 19 décembre 1991, p. 8256). L’article 8 par. 1 de cette loi insérait dans l’ordonnance précitée un article 35 quater, aux termes duquel: "(...) l’étranger qui n’a pas été autorisé à entrer sur leterritoire français à la frontière aérienne ou maritime ou quia demandé son admission à cette frontière au titre de l’asilepeut être maintenu dans la zone de transit du port ou del’aéroport pendant le temps strictement nécessaire à son départou à l’examen de sa demande d’admission sur le territoire et pourune durée qui ne peut excéder vingt jours. Cette zone, qui estdélimitée par arrêté du préfet, s’étend des points d’embarquementou de débarquement sur le territoire français aux postes où sonteffectués les contrôles des personnes à l’entrée et à la sortie du territoire. Elle peut être étendue pour inclure dans sonpérimètre un ou plusieurs lieux d’hébergement (...), le maintienen zone de transit est prononcé par une décision écrite etmotivée du chef du service de contrôle aux frontières ou d’unfonctionnaire désigné par lui, titulaire du grade d’inspecteur.Cette décision est inscrite sur un registre mentionnant l’étatcivil de l’étranger concerné et les conditions de son maintien;(...) l’étranger est libre de quitter à tout moment la zone detransit pour toute destination étrangère de son choix (...)" La décision du Conseil constitutionnel, du 25 février 1992 Saisi par le premier ministre en vertu de l’article 61 de la Constitution, le Conseil constitutionnel jugea, le 25 février 1992, l’article 8 de la loi du 6 septembre 1991 contraire à la Constitution par les motifs suivants: "Il y a lieu de relever à cet égard que le maintien d’un étranger en zone de transit dans les conditions définies parl’article 35 quater-I ajouté à l’ordonnance du 2 novembre 1945par l’article 8-I de la loi déférée n’entraîne pas à l’encontrede l’intéressé un degré de contrainte sur sa personne comparableà celui qui résulterait de son placement dans un centre derétention en application de l’article 35 bis de l’ordonnanceprécitée; Mais le maintien d’un étranger en zone de transit, en raison de l’effet conjugué du degré de contrainte qu’il revêt et de sadurée, a néanmoins pour conséquence d’affecter la libertéindividuelle de la personne qui en fait l’objet au sens del’article 66 de la Constitution; que si la compétence pourdécider du maintien peut être confiée par la loi à l’autoritéadministrative, le législateur doit prévoir, selon des modalitésappropriées, l’intervention de l’autorité judiciaire pour quecelle-ci exerce la responsabilité et le pouvoir de contrôle quilui reviennent; Quelles que soient les garanties dont les dispositions del’article 35 quater entourent le maintien en zone de transit desétrangers, ces dispositions ne prévoient pas l’intervention del’autorité judiciaire en vue d’autoriser, s’il y a lieu, laprolongation du maintien, et en lui permettant ainsi d’apprécier,de façon concrète, la nécessité d’une telle mesure; qu’en toutétat de cause, sa durée ne saurait excéder un délai raisonnable; Il suit de là qu’en conférant à l’autorité administrative le pouvoir de maintenir durablement un étranger en zone de transit,sans réserver la possibilité pour l’autorité judiciaired’intervenir dans les meilleurs délais, l’article 35 quaterajouté à l’ordonnance du 2 novembre 1945 par l’article 8-I de la loi déférée est, en l’état, contraire à la Constitution." Le jugement du tribunal de grande instance de Paris, du 25 mars 1992 Le 25 mars 1992, le tribunal de grande instance de Paris, statuant sur une action en dommages-intérêts intentée par trois demandeurs d’asile qui avaient été maintenus dans la zone internationale à l’hôtel Arcade de l’aéroport de Roissy, estima: "(...) le maintien de l’étranger dans les locaux de l’hôtelArcade, en raison du degré de contrainte qu’il revêt et de sadurée, - laquelle n’est fixée par aucun texte et dépend de laseule décision de l’administration, sans le moindre contrôle judiciaire -, a pour conséquence d’affecter la libertéindividuelle de la personne qui en fait l’objet; qu’il n’est pasnécessaire, pour que l’atteinte à la liberté d’aller et venirsoit caractérisée, qu’il y ait privation absolue de cetteliberté; qu’il suffit que, comme en l’espèce, la personne ait vusa liberté gravement restreinte par suite de la décision qui lavise; (...) le défendeur n’est pas fondé à soutenir, pour écarter legrief d’atteinte à la liberté individuelle, que l’étranger seraitseulement empêché d’entrer en France, en étant retenu dans unlieu devant être considéré comme une "extension" de la zoneinternationale de l’aéroport; qu’en effet, il n’est pas justifiéde l’existence d’un texte, national ou international, conférant une quelconque extra-territorialité à tout ou partie des locauxde l’hôtel Arcade, situé au demeurant hors de l’enceinte de l’aéroport et de la zone "sous douane" de celui-ci; (...) en l’état, cette zone qui constitue une fictionjuridique, ne saurait être soustraite aux principes fondamentauxde la liberté individuelle; (...) la prérogative incontestable de l’administration, seulecompétente en matière de police des étrangers pour prendre desdécisions de refus d’accès au territoire national, même, sous lesconditions précisées à l’article 12 du décret du 27 mai 1982, encas de présentation d’une demande d’asile, ne permet pascependant au ministre de l’Intérieur d’entraver la liberté del’étranger hors les cas et conditions déterminés par la loi; (...) (...) en l’état de la législation française concernant lesétrangers, l’autorité administrative ne peut privertemporairement un individu de sa liberté d’aller et venir quedans les hypothèses et suivant les modalités définies par lesarticles 5, dernier alinéa, et 35 bis de l’ordonnance du2 novembre 1945, applicables notamment au refus d’entrée d’unétranger en France, qui fixent la durée maximale de la rétentionet prévoient l’intervention obligatoire du président du tribunalde grande instance pour en autoriser la prolongation au-delà d’undélai de 24 heures; (...) en l’absence de norme spécifique régissant le maintienen zone internationale du demandeur d’asile pendant le délaiindispensable à l’examen par l’administration de la recevabilitéde la requête, l’administration n’est pas davantage fondée àinvoquer à son profit un droit nécessaire et général à maintenirl’étranger dans cette zone surveillée." Le ministère public interjeta appel de ce jugement devant la cour d’appel de Paris; toutefois, le 23 septembre 1992, l’affaire fut radiée du rôle faute pour l’appelant d’avoir conclu dans les délais. La loi du 6 juillet 1992 A la suite de la décision précitée du Conseil constitutionnel (paragraphe 21 ci-dessus), le parlement a adopté la loi no 92-625 du 6 juillet 1992, elle-même modifiée par la loi no 94-1136 du 27 décembre 1994. Ce texte, qui comme le précédent (paragraphe 20 ci-dessus), insère un article 35 quater à l’ordonnance du 2 novembre 1945, dispose: "I. L’étranger qui arrive en France par la voie ferroviaire,maritime ou aérienne et qui, soit n’est pas autorisé à entrer surle territoire français, soit demande son admission au titre del’asile, peut être maintenu dans une zone d’attente située dansune gare ferroviaire ouverte au trafic international et désignéepar arrêté, un port ou un aéroport pendant le temps strictementnécessaire à son départ et, s’il est demandeur d’asile, à unexamen tendant à déterminer si sa demande n’est pas manifestementinfondée. Il est immédiatement informé de ses droits et de ses devoirs,s’il y a lieu par l’intermédiaire d’un interprète. Mention estfaite sur le registre mentionné ci-dessous, qui est émargé parl’intéressé. La zone d’attente est délimitée par le représentant de l’Etatdans le département. Elle s’étend des points d’embarquement etde débarquement à ceux où sont effectués les contrôles despersonnes. Elle peut inclure, sur l’emprise, ou à proximité de la gare, du port ou de l’aéroport, un ou plusieurs lieux d’hébergement assurant aux étrangers concernés des prestationsde type hôtelier. II. Le maintien en zone d’attente est prononcé pour une duréequi ne peut excéder quarante-huit heures par une décision écriteet motivée du chef de service de contrôle aux frontières ou d’unfonctionnaire désigné par lui, titulaire au moins du graded’inspecteur. Cette décision est inscrite sur un registrementionnant l’état civil de l’intéressé et la date et l’heureauxquelles la décision de maintien lui a été notifiée. Elle estportée sans délai à la connaissance du Procureur de laRépublique. Elle peut être renouvelée dans les mêmes conditionset pour la même durée. L’étranger est libre de quitter à tout moment la zone d’attente pour toute destination située hors de France. Il peut demander l’assistance d’un interprète et d’un médecin et communiquer avec un conseil ou toute personne de son choix. III. Le maintien en zone d’attente au-delà de quatre jours àcompter de la décision initiale peut être autorisé, par leprésident du tribunal de grande instance ou un magistrat du siègedélégué par lui, pour une durée qui ne peut être supérieure àhuit jours. L’autorité administrative expose dans sa saisine lesraisons pour lesquelles l’étranger n’a pu être rapatrié ou, s’ila demandé l’asile, admis, et le délai nécessaire pour assurer sondépart de la zone d’attente. Le président du tribunal ou sondélégué statue par ordonnance, après audition de l’intéressé, enprésence de son conseil s’il en a un, ou celui-ci dûment averti.L’étranger peut demander au président ou à son délégué qu’il luisoit désigné un conseil d’office. Il peut également demander au président ou à son délégué le concours d’un interprète et la communication de son dossier. Le président ou son délégué statueau siège du tribunal de grande instance, sauf dans les ressortsdéfinis par décret en Conseil d’Etat. Dans un tel cas, sous réserve de l’application de l’article 435 du nouveau code deprocédure civile, il statue publiquement dans une salled’audience spécialement aménagée sur l’emprise ferroviaire,portuaire ou aéroportuaire. L’ordonnance est susceptible d’appel devant le premier président de la cour d’appel ou son délégué. Celui-ci est saisisans forme et doit statuer dans les quarante-huit heures de sasaisine. Le droit d’appel appartient à l’intéressé, au ministèrepublic et au représentant de l’Etat dans le département. L’appeln’est pas suspensif. IV. A titre exceptionnel, le maintien en zone d’attente au-delà de douze jours peut être renouvelé, dans les conditionsprévues par le III, par le président du tribunal de grandeinstance ou son délégué, pour une durée qu’il détermine et quine peut être supérieure à huit jours. V. Pendant toute la durée du maintien en zone d’attente,l’étranger dispose des droits qui lui sont reconnus au deuxièmealinéa du II. Le Procureur de la République ainsi que, à l’issuedes quatre premiers jours, le président du tribunal de grande instance ou son délégué peuvent se rendre sur place pour vérifier les conditions de ce maintien et se faire communiquer le registre mentionné au II. Un décret en Conseil d’Etat détermine les conditions d’accès du délégué du Haut Commissaire des Nations Unies pour lesréfugiés ou de ses représentants ainsi que des associations humanitaires à la zone d’attente. VI. Si le maintien en zone d’attente n’est pas prolongé auterme du délai fixé par la dernière décision de maintien,l’étranger est autorisé à entrer sur le territoire français sousle couvert d’un visa de régularisation de huit jours. Il devraavoir quitté ce territoire à l’expiration de ce délai, sauf s’ilobtient une autorisation provisoire de séjour ou un récépissé dedemande de carte de séjour. VII. Les dispositions du présent article s’appliquentégalement à l’étranger qui se trouve en transit dans une gare,un port ou un aéroport si l’entreprise de transport qui devaitl’acheminer dans le pays de destination ultérieure refuse del’embarquer ou si les autorités du pays de destination lui ontrefusé l’entrée et l’ont renvoyé en France. VIII. Si le départ de l’étranger du territoire national nepeut être réalisé à partir de la gare, du port ou de l’aéroportdont dépend la zone d’attente dans laquelle il est maintenu,l’étranger peut être transféré vers toute zone d’attente d’unegare, d’un port ou d’un aéroport à partir desquels son départpeut effectivement avoir lieu. Lorsque la décision de transfert doit intervenir dans le délaide quatre jours à compter de la décision initiale de maintien enzone d’attente, elle est prise dans les conditions prévues au IIdu présent article. Lorsque le transfert est envisagé après le délai de quatre ours à compter de la décision initiale de maintien, l’autorité dministrative en informe le président du tribunal de grande nstance ou son délégué au moment où elle les saisit dans lesconditions prévues aux III et IV du présent article. Dans les cas où la prolongation ou le renouvellement dumaintien en zone d’attente ont été accordés, l’autoritéadministrative informe le président du tribunal de grandeinstance ou son délégué ainsi que le Procureur de la Républiquede la nécessité de transférer l’étranger dans une autre zone ‘attente et procède à ce transfert. La prolongation ou le renouvellement du maintien en zoned’attente ne sont pas interrompus par le transfert de l’étranger ans une autre zone d’attente." Plus précisément, la loi du 27 décembre 1994 élargit et assouplit le dispositif instauré par la loi du 6 juillet 1992: la procédure de l’article 35 quater de l’ordonnance de 1945 s’applique dorénavant à l’étranger qui arrive en France par voie ferroviaire. Les gares ferroviaires concernées, qui doivent être "ouvertes au trafic international", seront désignées par un arrêté du ministre de l’Intérieur et les zones d’attente seront délimitées par le représentant de l’Etat dans le département. De plus, la zone d’attente ne se définit plus comme une zone de débarquement et de contrôle, exceptionnellement étendue à des espaces en dépendant directement; elle peut désormais inclure sur l’emprise ou à proximité de la gare, du port ou de l’aéroport, un ou plusieurs lieux d’hébergement assurant aux étrangers des prestations de type hôtelier. En outre, et afin d’éviter toute confusion entre les zones d’attente prévues à l’article 35 quater de l’ordonnance de 1945 et les centres de rétention mentionnés à l’article 35 bis de celle-ci, ladite loi précise que les locaux servant pour les uns et pour les autres doivent être matériellement distincts et séparés. Le décret du 15 décembre 1992 Le décret no 92-1333 du 15 décembre 1992 fixe les règles de procédure applicables aux actions intentées conformément à l’article 35 quater de l’ordonnance du 2 novembre 1945 et prévoit une aide juridictionnelle pour les étrangers qui font l’objet de ces procédures. Selon le décret, le président du tribunal de grande instance compétent pour autoriser le maintien d’un étranger dans la zone d’attente au-delà de quatre ou de douze jours (paragraphe 23 ci-dessus) est saisi par une simple requête, motivée, datée, signée et accompagnée de toutes les pièces justificatives utiles, émanant du chef du service de contrôle aux frontières. Il avise l’étranger de son droit de choisir un avocat ou il lui en fait désigner un d’office si l’étranger le demande. La requête et les pièces qui y sont jointes peuvent, dès leur arrivée au greffe, être consultées par l’avocat de l’étranger; elles peuvent être également consultées, avant l’ouverture des débats, par l’étranger lui-même, éventuellement assisté par un interprète, s’il ne connaît pas suffisamment la langue française. Le décret du 2 mai 1995 Le décret no 95-507 du 2 mai 1995 détermine les conditions d’accès du délégué du HCR ou de ses représentants ainsi que des associations humanitaires à la zone d’attente d’une gare ferroviaire ouverte au trafic international, d’un port ou d’un aéroport, définie par l’article 35 quater de l’ordonnance du 2 novembre 1945 (paragraphe 23 ci-dessus). Il prévoit notamment que les représentants du HCR et des associations humanitaires, dont l’accès en zone d’attente est subordonné à un agrément individuel accordé par le ministre de l’Intérieur, peuvent s’entretenir confidentiellement avec les personnes y maintenues et qu’une réunion est organisée annuellement sur le fonctionnement de ces zones entre ces représentants et le ministre de l’Intérieur. III. LES TRAVAUX DANS LE CADRE DU CONSEIL DE L’EUROPE A. Le rapport de l’Assemblée parlementaire sur l’arrivée de demandeurs d’asile dans les aéroports européens, du 12 septembre 1991 Le 12 septembre 1991, l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe a dressé un rapport sur l’arrivée de demandeurs d’asile dans les aéroports européens. Ce document, qui présentait un bref aperçu de la situation existant à l’époque dans six grands aéroports européens visités par son rédacteur, relevait en ce qui concerne Roissy-Charles- de-Gaulle à Paris: "Les demandeurs d’asile présentent leur requête à la police desfrontières, après quoi c’est à l’Office français de protectiondes réfugiés et apatrides (OFPRA) qu’il incombe d’octroyer ou nonle statut de réfugié. Ni interprètes ni assistance juridique ne sont prévus pour lesdemandeurs d’asile immédiatement après le dépôt de leur demande:l’assistance n’est accordée qu’après l’entrée en France. Les demandeurs d’asile sont détenus dans une zone diteinternationale de l’aéroport, ce qui signifie qu’ils ne setrouvent pas encore sur le territoire français et, donc, que lesautorités françaises ne sont pas légalement tenues d’examinerleur demande, comme elles le sont dans le cas d’une requêteprésentée par une personne déjà présente sur leur territoire.La zone internationale n’a pas de base juridique et doit êtreconsidérée comme un dispositif permettant d’éviter lesobligations. Durant leur détention les demandeurs d’asile n’ont pas lapossibilité de rencontrer des travailleurs sociaux, ni en faitde communiquer avec le monde extérieur. De plus, les demandeursd’asile n’ont pas toujours accès au téléphone. Un aumônier peutleur rendre visite avec la permission de la police desfrontières. Enfin, aucun équipement récréatif ou éducatif n’estmis à leur disposition. Il n’existe aucun cadre juridique régissant la détention et laloi ne stipule pas de durée maximale. Les autorités françaisesaffirment que les demandeurs d’asile restent au maximum unesemaine dans la zone internationale et que des enfants sontrarement maintenus en détention. Certains demandeurs d’asilesoutiennent qu’ils y ont passé six semaines en attendant que leMinistère de l’Intérieur décide soit de transmettre leur demandeà l’OFPRA soit de les refouler. Dans la zone internationale, les demandeurs d’asile dorment parterre ou sur des chaises en plastique. L’aéroport leur fournitles repas et met à leur disposition quelques douches dont ilspeuvent se servir au milieu de la nuit lorsqu’elles sont libres. En raison du manque de place, la zone internationale a étéétendue à l’un des étages de l’hôtel Arcade qui se trouve àproximité." B. La Recommandation R (94) 5 du Comité des Ministres relative aux lignes directrices devant inspirer la pratique des Etats membres du Conseil de l’Europe à l’égard des demandeurs d’asile dans les aéroports européens, du 21 juin 1994 Dans une recommandation adoptée le 21 juin 1994, le Comité des Ministres invitait les Etats membres du Conseil de l’Europe à donner application aux lignes directrices suivantes: "(...) Compte tenu du fait que la situation tout à fait particulièredes demandeurs d’asile dans les aéroports peut engendrer desdifficultés spécifiques, liées à l’accueil même de ces personnesainsi qu’au traitement de leur demande; Estimant que, sans préjudice d’autres principes applicables enla matière, des lignes directrices, fondées sur les principesfondamentaux dans le domaine des droits de l’homme, devraientinspirer la pratique des Etats membres à l’égard de la protectiondes demandeurs d’asile dans les aéroports et contribuer àdévelopper une législation ainsi qu’à établir une infrastructureadministrative concernant l’accueil des demandeurs d’asile dansles nouveaux pays d’accueil. (...) (...) chaque Etat conserve la possibilité d’envoyer undemandeur d’asile vers un Etat tiers dans le respect desdispositions de la Convention de Genève relative au statut desréfugiés, plus particulièrement de l’article 33, et de laConvention européenne des Droits de l’Homme, plus particulièrement de l’article 3 (art. 3). (...) a demande doit être examinée avec toute la diligence requise pour ne pas prolonger le maintien du requérant àl’aéroport au-delà du temps strictement nécessaire au traitementd’une telle demande. (...) Lorsqu’il doit rester à la frontière dans l’attente d’unedécision, le demandeur d’asile doit être accueilli et hébergédans un lieu approprié, dans la mesure du possible prévu à ceteffet. Il ne peut être maintenu dans ce lieu que dans lesconditions et pour une durée maximale fixée par la loi. (...)" C. Le rapport du Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants, du 4 juin 1992 Lors de sa visite effectuée en France du 27 octobre au 8 novembre 1991, le Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants ("le CPT") s’est rendu dans certains établissements de rétention pour étrangers, dont les locaux de la police de l’air et des frontières dans l’aéroport de Roissy-Charles-de-Gaulle, ainsi que l’hôtel Arcade. Dans son rapport, adopté le 4 juin 1992, il relevait notamment: "Cependant, à la différence de la rétention administrative,aucun contrôle judiciaire, ni limite légale de durée de séjour,ne semblent être définis dans les textes pour ce qui concerne lesnon-admis. (...) depuis le 1er octobre 1991, le gouvernement a mis enplace un organisme chargé de l’aide à caractère humanitaire,l’OMI (l’Office des migrations internationales). Le CPT tient à souligner l’importance de l’existence d’unepossibilité de recours efficace contre toute décision de non-admission, afin notamment de protéger les personnes concernéescontre un refoulement éventuel vers un Etat où il y a des motifssérieux de croire qu’elles risquent d’être soumises à des mauvaistraitements. En conséquence, le CPT souhaiterait recevoir desinformations relatives à la possibilité de recours à l’encontred’une décision de non-admission. De plus, il souhaiteraitrecevoir des informations relatives au délai moyen de séjour dansles lieux regroupant les non-admis et au rôle exact de l’OMI." Le 19 janvier 1993, le gouvernement français a fourni au CPT les informations suivantes: "(...) La situation des personnes non admises: la zone d’attente des ports et des aéroports 1. La loi du 6 juillet 1992 sur les zones d’attente desports et aéroports (article 35 quater de l’ordonnance du2 novembre 1945 modifiée, cf. annexe 10) a, comme il a étésignalé au titre des généralités, fixé des conditions trèsprécises au maintien d’un étranger non admis sur le territoire. 2. Ce texte apporte une série de garanties à l’étranger: - quant à la durée du maintien dans cette zone: strictementcontrôlée par le juge judiciaire, cette durée ne peut excéder ledélai "raisonnable" prévu par la loi. L’intervention del’autorité judiciaire est nécessaire pour autoriser ce maintienau-delà de 4 jours. Le délai de 20 jours ne pourra en aucun casêtre dépassé. On notera à cet égard que le délai d’interventiondu juge judiciaire initialement prévu au bout de 20 jours a étéramené par cette loi à 4 jours seulement. En outre, le délaitotal a été réduit substantiellement de 30 à 20 jours; - quant aux conditions matérielles et juridiques de cemaintien: le maintien en zone d’attente implique une décisionécrite et motivée du chef de service du contrôle aux frontières,l’inscription sur un registre, l’information immédiate duProcureur de la République, et également, au terme de 4 jours,une décision du président du tribunal de grande instance, ledroit d’accès de ces deux magistrats à la zone d’attente, ledroit à la communication avec toute personne de son choix, ledroit à l’assistance d’un interprète et d’un conseil, le droità l’aide juridictionnelle. Contrôle judiciaire et durée du maintien en zoned’attente 1. Comme il a été signalé, au terme d’un délai de 4jours, le juge judiciaire est appelé à se prononcer. Le juge statue dans le cadre d’une procédure entourée de toutes les garanties prévues expressément par la loi: l’autorisation de maintien ne peut excéder 8 jours. A titre exceptionnel, ce magistrat pourra renouveler son autorisation pour une durée supplémentaire de 8 jours. Dans les deux cas, il pourra êtreinterjeté appel de cette décision. 2. Les effets de la loi, dont l’application a étéeffective dès le 13 juillet 1992, peuvent d’ores et déjà êtreappréciés concrètement. A l’invitation du Ministre del’Intérieur et de la Sécurité publique, des arrêtés dedélimitation des zones ont été pris en grand nombre (près dequarante) par les préfets des départements où existent des portset aéroports internationaux. 3. Quant à la durée de séjour, il convient de distinguerles deux catégories d’étrangers concernés: 4. Les étrangers non admis ou en transit interrompu(défaut de documents): 5. Pour eux, avant l’intervention de la loi, la durée duséjour en zone internationale était déjà inférieure à 4 jours.Toujours inférieure à 4 jours dans chacun des postes considérés,la moyenne générale s’établit aujourd’hui à 1,8 jour. 6. A cet égard, la loi sur la zone d’attente n’a guère eud’influence sur cette durée, tant il est vrai que la recherched’un prochain vol d’avion ou de bateau reste une donnéeincontournable. (...)" PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION Les requérants, Mahad, Lahima, Abdelkader et Mohammed Amuur ont saisi avec dix-huit autres ressortissants somaliens la Commission le 27 mars 1992. Ils alléguaient une violation des articles 3, 5, 6 et 13 de la Convention (art. 3, art. 5, art. 6, art. 13). Le même jour, le président de la Commission a indiqué au gouvernement français, en vertu de l’article 36 du règlement intérieur de celle-ci, qu’il était souhaitable, dans l’intérêt des parties et pour le bon déroulement de la procédure, de ne pas renvoyer les requérants en Somalie avant le 4 avril 1992. En outre, il a invité le gouvernement français à fournir certaines informations quant au sort réservé à ceux-ci. Le 2 avril 1992, la Commission a renouvelé cette indication pour ceux des requérants qui se trouvaient encore en France. Le 29 mars 1992, Mahad, Lahima, Abdelkader et Mohammed Amuur avaient déjà été renvoyés en Syrie. Le 18 octobre 1993, la Commission a décidé de rayer du rôle la requête (no 19776/92) pour autant qu’elle émanait des dix-huit autres requérants, qui avaient entre-temps été admis au statut de réfugié. Elle l’a retenue quant au grief selon lequel le maintien dans la zone internationale de l’aéroport de Paris-Orly de Mahad, Lahima, Abdelkader et Mohammed Amuur constituait une détention illégale, contraire à l’article 5 par. 1 de la Convention (art. 5-1); elle l’a déclarée irrecevable pour le surplus. Dans son rapport du 10 janvier 1995 (article 31) (art. 31), elle conclut, par seize voix contre dix, à l’inapplicabilité de l’article 5 (art. 5) et donc à l’absence de violation de cet article (art. 5). Le texte intégral de son avis et de l’opinion dissidente dont il s’accompagne figure en annexe au présent arrêt . CONCLUSIONS PRESENTEES A LA COUR PAR LE GOUVERNEMENT A l’audience, le Gouvernement a invité la Cour à "rejeter la requête comme irrecevable: à titre principal, parceque les requérants ne [pouvaient] se dire victimes d’uneviolation des droits garantis par la Convention au sens de sonarticle 25 (art. 25); à titre subsidiaire, parce que la requête[était] incompatible, ratione materiae, avec les dispositions del’article 5 par. 1 de ladite Convention (art. 5-1)".
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I. LES CIRCONSTANCES DE L'ESPÈCE Soupçonné de participation aux activités de l'organisation terroriste dénommée "Prima linea", le requérant est détenu depuis le 5 décembre 1980 dans le cadre de différentes procédures pénales engagées contre lui. Au moment de l'introduction de sa requête à la Commission, le 6 novembre 1989, M. Domenichini faisait l'objet de trois procès. Le premier se termina par un arrêt, du 28 juin 1988, devenu définitif le 26 octobre 1989, de la cour d'appel d'Ancône. Cette dernière le condamna à onze mois et vingt jours d'emprisonnement ainsi qu'au paiement d'une amende de 700 000 lires pour complicité de vol à main armée aggravé, de vol aggravé et de recel et détention illicite d'armes. L'arrêt de la cour d'assises d'appel de Rome, du 9 décembre 1988, mit fin au deuxième procès. Cette décision, devenue définitive le 13 juillet 1989, lui infligea dix-neuf ans, onze mois et quinze jours de réclusion pour meurtre, vol à main armée aggravé, association subversive, bande armée et autres délits. Le troisième procès, ouvert devant la cour d'assises d'appel de Bari, s'acheva par un arrêt du 10 octobre 1989, devenu définitif le 15 janvier 1990. La juridiction imposa au requérant onze ans et deux mois d'emprisonnement et une amende d'un million de lires, pour vol à main armée et autres délits. A. Le contrôle de la correspondance du requérant pendant sa détention à la prison de Cuneo Le 12 mars 1987, le juge de l'application des peines (magistrato di sorveglianza) de Cuneo, où M. Domenichini se trouvait détenu depuis le 19 décembre 1984, décida de soumettre sa correspondance, ainsi que celle d'autres détenus de la section spéciale de la prison de cette ville, à un visa de censure conformément à l'article 18 de la loi no 354 du 26 juillet 1975 (paragraphe 18 ci-dessous), et cela pour une période de six mois. Le 23 mai 1987, la Cour de cassation déclara irrecevable le pourvoi que le requérant avait introduit à une date non précisée à l'encontre de cette mesure. A l'expiration de la première période, le juge de l'application des peines de Cuneo confirma le visa de censure tous les six mois, en septembre 1987, en mars 1988, les 16 septembre 1988, 13 mars et 14 septembre 1989. Ces décisions étaient toutes motivées, d'une part, par le fait que le contrôle de la correspondance du requérant et des autres détenus soumis à la mesure litigieuse avait permis de découvrir des divergences d'opinions au sein du groupe d'anciens terroristes et d'empêcher des affrontements ou des vengeances et, d'autre part, par la circonstance que subsistait un danger d'utilisation du courrier afin de commettre des infractions ou de troubler l'ordre ou la sécurité publics. Les lettres suivantes furent sans cone soumises à un visa de censure: - une lettre du requérant à Me Francesco Piscopo, du 29 novembre 1988; - une lettre recommandée du requérant à Me Ugo Giannangeli, du 23 janvier 1989; - une lettre du requérant à Me Ugo Giannangeli, du 26 février 1989; - des lettres du requérant à Me Francesco Piscopo, des 26 février 1989 et 14 février 1990. Conant la décision du 16 septembre 1988 (paragraphe 10 ci-dessus), le requérant s'adressa, à une date non précisée, au tribunal de l'application des peines (tribunale di sorveglianza) de Turin, qui, le 24 octobre 1988, déclara irrecevable le recours au motif que, compte tenu de leur nature administrative, la loi italienne pertinente ne prévoyait aucune voie de recours à l'encontre de telles décisions. La décision fut notifiée le 8 novembre 1988 à M. Domenichini, qui le lendemain se pourvut en cassation. Dans un mémoire du 30 novembre 1988, son conseil faisait valoir, en particulier, que la possibilité de recourir au tribunal de l'application des peines contre les décisions prévoyant un visa de censure était conforme à la législation italienne. Il soutenait en outre que la mesure litigieuse, appliquée de façon "collective" à un groupe de détenus, indépendamment donc des situations spécifiques de chacun d'entre eux, n'était nullement justifiée, et que le retard dans l'envoi, à l'issue du contrôle, de la lettre du requérant lui communiquant la notification de la décision de rejet du tribunal avait entravé l'exercice des droits de la défense. Toutefois, le tribunal ne transmit pas le pourvoi et les autres actes de la procédure à la Cour de cassation, mais fixa une audience au 19 décembre 1988, date à laquelle il repoussa le recours, le considérant comme essentiellement identique à celui qu'il avait précédemment rejeté le 24 octobre 1988. Le 14 février 1989, l'avocat du requérant demanda au tribunal de transmettre le pourvoi à la Cour de cassation, seule compétente pour se prononcer sur un recours qui lui était directement adressé. Peu après, le 13 mars 1989 (paragraphe 10 ci-dessus), le juge de l'application des peines de Cuneo confirma le visa de censure sur la correspondance de M. Domenichini. Le 17 avril 1989, l'avocat de ce dernier introduisit auprès du tribunal de l'application des peines de Turin un nouveau pourvoi en cassation. Le 29 mai 1989, le tribunal déclara irrecevable "le recours contre la décision qui a déclaré irrecevable le recours", sans transmettre le pourvoi à la Cour de cassation. B. La suite de la détention du requérant A une date qui n'a pas été précisée, M. Domenichini fut transféré à la prison de Milan. Un rapport établi en octobre 1992 par les responsables de cet établissement fit état de certaines améliorations du comportement de l'intéressé envers le personnel et de l'attitude à l'égard de son passé. Estimant ces progrès insuffisants, le 22 octobre 1992, le tribunal de l'application des peines de Milan rejeta la demande du requérant visant le bénéfice de la semi-liberté en alternative à la détention. Toutefois, M. Domenichini obtint des permissions de sortie à partir de novembre 1992. Sur la base de deux rapports d'avril et août 1993, faisant état de progrès ultérieurs et substantiels, le 8 septembre 1993, le tribunal accorda au requérant le régime de semi-liberté. II. LE DROIT INTERNE PERTINENT A. La législation applicable Selon l'article 18 de la loi no 354 du 26 juillet 1975 ("la loi no 354"), tel que modifié par l'article 2 de la loi no 1 du 12 janvier 1977, l'autorité compétente en matière de visa de censure sur la correspondance des détenus est le juge saisi de l'affaire - la juridiction d'instruction ou celle de jugement - jusqu'à la décision de première instance, et le juge de l'application des peines pendant le déroulement ultérieur de la procédure. Le magistrat peut ordonner le contrôle de la correspondance d'un détenu par acte motivé; cette disposition ne précise toutefois pas les cas dans lesquels une telle décision peut être prise. Le visa de censure dont se plaint le requérant consiste en particulier en l'interception et la lecture par l'autorité judiciaire qui l'a ordonné, par le directeur de la prison ou par le personnel pénitentiaire désigné par ce dernier, de tout le courrier, ainsi qu'en l'apposition d'un cachet sur les lettres, qui sert à prouver la réalité dudit contrôle. Ce contrôle ne peut pas comporter l'effacement de mots ou de phrases, mais l'autorité judiciaire peut ordonner qu'une ou plusieurs lettres ne soient pas remises; dans ce cas, le détenu doit en être aussitôt informé. Cette dernière mesure peut aussi être ordonnée provisoirement par le directeur de la prison, qui doit toutefois en donner communication à l'autorité judiciaire. Par ailleurs, l'article 103 du Nouveau code de procédure pénale interdit la saisie et toute forme de contrôle de la correspondance entre un détenu et son défenseur, à condition qu'elle soit reconnaissable comme telle et sauf dans le cas où l'autorité judiciaire a des motifs fondés de croire que cette correspondance constitue le corps du délit. De même, aux termes de l'article 35 des dispositions transitoires dudit code, les normes relatives au visa de censure sur la correspondance d'un détenu prévues par la loi no 354 et le décret du président de la République no 431 du 29 avril 1976, ne s'appliquent pas à la correspondance entre le détenu et son défenseur. Il s'ensuit, entre autres, que la seule autorité qui peut ordonner le contrôle de cette correspondance, et uniquement dans le cas ci-dessus mentionné, est la juridiction saisie de l'affaire. B. La jurisprudence relative à l'existence de voies de recours internes pour coner le contrôle de la correspondance La Cour de cassation a estimé à plusieurs reprises que le contrôle de la correspondance d'un détenu constitue un acte de nature administrative; elle a aussi affirmé que le droit italien ne prévoit pas de voies de recours à cet égard, le visa de censure ne pouvant non plus faire l'objet d'un pourvoi en cassation, car il ne concerne pas la liberté personnelle du détenu (Cour de cassation, arrêts nos 3141 du 14 février 1990 et 4687 du 4 février 1992). PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION M. Domenichini a saisi la Commission le 6 novembre 1989 (requête no 15943/90). Il se plaignait: 1) d'atteintes à son droit au respect de sa correspondance (article 8 de la Convention) (art. 8); 2) d'une violation de son droit de se défendre et de disposer de toutes les facilités nécessaires à la préparation de sa défense (article 6 par. 3 b)) (art. 6-3-b); 3) de ne pas avoir obtenu une décision par un tribunal impartial sur sa demande de mainlevée du visa de censure sur sa correspondance (article 6 par. 1) (art. 6-1); 4) de l'absence de recours effectifs pour faire valoir les violations alléguées de la Convention (article 13) (art. 13). Le 5 juillet 1994, la Commission a retenu, outre les deuxième et quatrième griefs, le premier, dans la mesure où il concernait l'apposition du visa de censure sur la correspondance avec l'avocat résultant des décisions prises par le juge de l'application des peines de Cuneo (paragraphe 10 ci-dessus); en revanche, elle a rejeté le troisième et le restant du premier. Le 4 juillet 1995, elle a décidé de rouvrir l'examen de la requête quant aux griefs relatifs à l'apposition du visa de censure sur la correspondance privée de M. Domenichini et l'absence de recours effectifs contre cette mesure. Le même jour, elle a déclaré irrecevables les griefs en question. Dans son rapport du 6 septembre 1995 (article 31) (art. 31), elle conclut à l'unanimité que l'article 8 (art. 8) a été enfreint, que le grief relatif aux droits de la défense ne soulève aucun problème séparé sous l'angle de l'article 6 par. 3 (art. 6-3) et qu'il y a eu violation de l'article 13 (art. 13). Le texte intégral de son avis figure en annexe au présent arrêt CONCLUSIONS PRESENTEES A LA COUR PAR LE GOUVERNEMENT Dans son mémoire puis à l'audience, le Gouvernement a demandé à la Cour, à titre principal, de déclarer la requête irrecevable pour non-épuisement des voies de recours internes, et, subsidiairement, de juger qu'il n'y a pas eu violation des articles 6, 8 et 13 (art. 6, art. 8, art. 13).
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I. LES CIRCONSTANCES DE L'ESPÈCE Soupçonné de participation aux activités de l'organisation terroriste dénommée "Brigades rouges", M. Diana fut arrêté le 11 septembre 1970 et placé aussitôt en détention. Il fut condamné à onze reprises entre février 1971 et janvier 1987, les peines les plus lourdes étant celles infligées le 5 février 1981 par la cour d'assises de Novara (vingt-sept ans d'emprisonnement et 200 000 lires d'amende) et le 28 novembre 1985 par la cour d'assises d'appel de Milan (réclusion criminelle à perpétuité). En application d'une mesure de confusion des peines adoptée le 17 juin 1992 par le procureur général de la République de Cagliari, l'intéressé purge, depuis le 11 septembre 1970, la peine de la réclusion criminelle à perpétuité, assortie, entre autres, de l'interdiction perpétuelle des charges publiques, de la perte de ses droits civiques pendant l'exécution de la peine et de la déchéance de l'autorité parentale. A. Le contrôle de la correspondance du requérant Pendant la détention à la prison de Palmi Le 28 mars 1987, le juge de l'application des peines (magistrato di sorveglianza) de Reggio de Calabre décida de soumettre la correspondance de M. Diana, détenu à la prison de Palmi, à un visa de censure conformément à l'article 18 de la loi no 354 du 26 juillet 1975 (paragraphe 18 ci-dessous). La décision était motivée par la nature des crimes et délits commis par ce dernier, son appartenance à une catégorie particulière de détenus caractérisée par une attitude d'opposition totale aux organes de l'Etat, son comportement ainsi que son rejet de l'institution carcérale et de toute collaboration avec son personnel. Pendant la détention à la prison d'Ascoli Piceno A une date qui n'a pas été précisée, le requérant fut transféré à la prison d'Ascoli Piceno. Le 17 décembre 1988, le juge de l'application des peines de Macerata ordonna que toute la correspondance du requérant, tant à l'arrivée qu'au départ, soit soumise à censure pendant une période de six mois à compter du 22 décembre 1988, date de la notification de la décision à l'intéressé. Il estimait que les motifs qui avaient justifié l'adoption d'une pareille mesure par son homologue de Reggio de Calabre (paragraphe 8 ci-dessus) demeuraient valables, et que subsistait un danger d'utilisation par le requérant de sa correspondance afin de commettre des infractions ou de troubler l'ordre ou la sécurité publics. A cette époque-là, M. Diana avait déjà été condamné par deux fois et faisait l'objet de deux autres procédures pénales. La première, devant la cour d'assises d'appel de Cagliari, concernait les accusations d'enlèvement, de fabrication, détention et port d'explosifs, destruction qualifiée et résistance à la force publique; elle s'est terminée par un arrêt du 17 mars 1989, passé en force de chose jugée le 5 mars 1990, qui a condamné le requérant à huit ans et six mois d'emprisonnement avec interdiction perpétuelle des charges publiques. La seconde, pendante devant le juge d'instance (pretore) de Novara, tirait son origine des poursuites engagées à la suite de l'évasion du requérant le 23 septembre 1986; M. Diana avait été repris le 5 décembre 1986. Les lettres suivantes furent sans cone soumises au visa de censure: - une lettre du requérant à son avocat, datée du 22 janvier 1989; - une lettre recommandée, datée du 27 janvier 1989, envoyée au requérant par son avocat; - une lettre du requérant à son avocat, datée du 16 février 1989; - une lettre du requérant à son avocat, datée du 18 avril 1989; - une lettre recommandée datée du 24 mai 1989, adressée au requérant par son avocat et contenant la formule de requête nécessaire pour introduire un recours auprès de la Commission; - une lettre du requérant à son avocat, datée du 30 mai 1989 et contenant la formule de requête à la Commission signée par le requérant et datée du même jour, chaque page portant le visa de censure. B. Les recours contre le visa de censure pendant la détention à Ascoli Piceno M. Diana a introduit plusieurs recours contre les mesures de contrôle de sa correspondance. En particulier, le 10 janvier 1989, il forma un recours gracieux (richiesta di riesame) auprès du juge de l'application des peines de Macerata en vue d'un réexamen de la décision adoptée le 17 décembre 1988 (paragraphe 10 ci-dessus). Le magistrat le rejeta le 13 janvier 1989. Le 22 janvier 1989, le requérant communiqua une copie des décisions rendues par ce juge à son avocat. Le 27 janvier 1989, ce dernier demanda la levée du visa de censure sur sa correspondance avec l'intéressé et la révocation de la mesure du 17 décembre 1988 (paragraphe 10 ci-dessus). Invoquant les articles 6 par. 3 b) et 8 de la Convention (art. 6-3-b, art. 8), il faisait valoir, entre autres, que ce contrôle constituait une violation manifeste des droits de la défense et ne pouvait être décidé sur la base d'une décision analogue prise par un autre magistrat presque deux ans auparavant ou sur celle de considérations concernant le comportement du requérant dans une autre prison, d'autant plus que celui-ci bénéficiait d'un traitement plus favorable au sein de l'établissement pénitentiaire d'Ascoli Piceno. Le 17 mars 1989, le juge de l'application des peines considéra que la mesure litigieuse était tout à fait justifiée compte tenu des arguments déjà exposés dans sa décision du 17 décembre 1988, des rapports disciplinaires concernant M. Diana, ainsi que de l'adhésion de celui-ci, lors de sa détention à la prison de Palmi, à un groupe de détenus tous affiliés à des mouvements subversifs d'extrême gauche. Il décida néanmoins de surseoir à statuer sur la demande de l'avocat et d'adresser une question d'interprétation de la loi pertinente à la direction générale des établissements de prévention et de peine (Direzione generale degli Istituti di prevenzione e pena), sur le point de savoir si le contrôle de la correspondance du requérant avec son conseil était légitime, étant donné qu'à l'époque le premier faisait toujours l'objet de deux procédures pénales. Le contrôle du courrier restait tout de même en vigueur dans l'attente de la réponse de l'autorité compétente. Le 26 mai 1989 le juge, en réponse à une lettre que la défense lui avait adressée le 18 mai, confirma à nouveau sa décision du 17 décembre 1988. La direction générale des établissements de prévention et de peine répondit le 1er juin 1989. A son avis, le visa de censure sur la correspondance d'un détenu, au cas où toutes les conditions prévues par la loi sont satisfaites, couvrait toute sa correspondance, y compris celle avec son défenseur, et ne pouvait passer pour porter atteinte aux droits de la défense garantis par l'article 24 de la Constitution. Le caractère confidentiel des communications entre le détenu, sous le coup d'une accusation pénale, et son défenseur serait sauvegardé par la possibilité de communication au cours d'entretiens privés se déroulant à l'intérieur de la prison. Le 10 juin 1989, le juge de l'application des peines rejeta la demande de l'avocat du 27 janvier 1989. La mesure litigieuse cessa automatiquement le 22 juin 1989, à l'échéance du délai prévu dans la décision (paragraphe 10 ci-dessus). Le 26 juin 1992, le requérant fut transféré à la prison spéciale de Trani (Bari). Depuis février 1994, il bénéficie du régime de semi-liberté. II. LE DROIT INTERNE PERTINENT A. La législation applicable Selon l'article 18 de la loi no 354 du 26 juillet 1975 ("la loi no 354"), tel que modifié par l'article 2 de la loi no 1 du 12 janvier 1977, l'autorité compétente en matière de visa de censure sur la correspondance des détenus est le juge saisi de l'affaire - la juridiction d'instruction ou celle de jugement - jusqu'à la décision de première instance, et le juge de l'application des peines pendant le déroulement ultérieur de la procédure. Le magistrat peut ordonner le contrôle de la correspondance d'un détenu par acte motivé; cette disposition ne précise toutefois pas les cas dans lesquels une telle décision peut être prise. Le visa de censure dont se plaint le requérant consiste en particulier en l'interception et la lecture par l'autorité judiciaire qui l'a ordonné, par le directeur de la prison ou par le personnel pénitentiaire désigné par ce dernier, de tout le courrier, ainsi qu'en l'apposition d'un cachet sur les lettres, qui sert à prouver la réalité dudit contrôle. Ce contrôle ne peut pas comporter l'effacement de mots ou de phrases, mais l'autorité judiciaire peut ordonner qu'une ou plusieurs lettres ne soient pas remises; dans ce cas, le détenu doit en être aussitôt informé. Cette dernière mesure peut aussi être ordonnée provisoirement par le directeur de la prison, qui doit toutefois en donner communication à l'autorité judiciaire. Par ailleurs, l'article 103 du Nouveau code de procédure pénale interdit la saisie et toute forme de contrôle de la correspondance entre un détenu et son défenseur, à condition qu'elle soit reconnaissable comme telle et sauf dans le cas où l'autorité judiciaire a des motifs fondés de croire que cette correspondance constitue le corps du délit. De même, aux termes de l'article 35 des dispositions transitoires dudit code, les normes relatives au visa de censure sur la correspondance d'un détenu prévues par la loi no 354 et le décret du président de la République no 431 du 29 avril 1976, ne s'appliquent pas à la correspondance entre le détenu et son défenseur. Il s'ensuit, entre autres, que la seule autorité qui peut ordonner le contrôle de cette correspondance, et uniquement dans le cas ci-dessus mentionné, est la juridiction saisie de l'affaire. B. La jurisprudence relative à l'existence de voies de recours internes pour coner le contrôle de la correspondance La Cour de cassation a estimé à plusieurs reprises que le contrôle de la correspondance d'un détenu constitue un acte de nature administrative; elle a aussi affirmé que le droit italien ne prévoit pas de voies de recours à cet égard, le visa de censure ne pouvant notamment pas faire l'objet d'un pourvoi en cassation, car il ne concerne pas la liberté personnelle du détenu (Cour de cassation, arrêts nos 3141 du 14 février 1990 et 4687 du 4 février 1992). PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION M. Diana a saisi la Commission le 30 mai 1989 (requête no 15211/89). Il se plaignait: 1) d'atteintes à son droit au respect de sa correspondance (article 8 de la Convention) (art. 8); 2) d'une violation de son droit de se défendre et de disposer de toutes les facilités nécessaires à la préparation de sa défense (article 6 par. 3 b)) (art. 6-3-b); 3) de ne pas avoir obtenu une décision par un tribunal impartial sur sa demande de main-levée du visa de censure sur sa correspondance (article 6 par. 1) (art. 6-1); 4) de l'absence de recours effectifs pour faire valoir les violations alléguées de la Convention (article 13) (art. 13). Le 5 juillet 1994, la Commission a retenu, outre les deuxième et quatrième griefs, le premier, dans la mesure où il concernait le contrôle de la correspondance avec l'avocat résultant des décisions prises par le juge de l'application des peines de Macerata (paragraphe 10 ci-dessus); en revanche, elle a rejeté le troisième et le restant du premier. Dans son rapport du 28 février 1995 (article 31) (art. 31), elle conclut à l'unanimité que l'article 8 (art. 8) a été enfreint, que le grief relatif aux droits de la défense ne soulève aucun problème séparé sous l'angle de l'article 6 par. 3 (art. 6-3) et qu'il y a eu violation de l'article 13 (art. 13). Le texte intégral de son avis figure en annexe au présent arrêt. CONCLUSIONS PRESENTEES A LA COUR PAR LE GOUVERNEMENT Dans son mémoire puis à l'audience, le Gouvernement a demandé à la Cour, à titre principal, de déclarer la requête irrecevable pour non-épuisement des voies de recours internes et, subsidiairement, de juger qu'il n'y a pas eu violation des articles 6, 8 et 13 (art. 6, art. 8, art. 13).
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I. LES CIRCONSTANCES DE L'ESPÈCE Les trois requérants sont témoins de Jéhovah. Petros et Anastassia Efstratiou sont les parents de Sophia, née en 1978 et élève au lycée de Komotini. Ils expliquent que le pacifisme constitue un dogme fondamental de leur religion qui leur interdit tout comportement ou pratique liés, même indirectement, à la guerre ou à la violence. C'est pourquoi les témoins de Jéhovah refusent d'effectuer leur service militaire ou de participer à des manifestations à connotation militaire. Au début de l'année scolaire 1993-1994, M. et Mme Efstratiou présentèrent une déclaration écrite afin que leur fille Sophia, alors âgée de quatorze ans, fût exemptée des cours de religion dispensés à l'école, de la messe orthodoxe, ainsi que de toute autre manifestation contraire à ses convictions religieuses, y compris la commémoration des fêtes nationales et les défilés publics. Sophia fut effectivement dispensée de l'obligation de participer aux cours d'instruction religieuse et à la messe orthodoxe. En revanche, en octobre 1993, elle fut invitée, au même titre que les autres élèves de son école, à participer à la célébration de la fête nationale du 28 octobre qui commémore, par des défilés scolaires et militaires, le 28 octobre 1940, date à laquelle l'Italie fasciste déclara la guerre à la Grèce. A cette occasion, des défilés scolaires ont lieu dans pratiquement toutes les villes et communes. Dans la capitale, il n'y a aucun défilé militaire le 28 octobre, et à Thessalonique, le défilé scolaire se tient un autre jour que le défilé militaire. Les deux défilés, militaire et scolaire, ne sont simultanés que dans un nombre limité de communes. Sophia refusa de défiler en raison de ses convictions religieuses. Le 1er novembre 1993, le comité des professeurs du lycée la sanctionna pour son absence par un "renvoi de l'école" de deux jours. Cette décision fut prise conformément à la circulaire n° C1/1/1 du 2 janvier 1990 du ministère de l'Education nationale et des Cultes (paragraphe 14 ci-dessous). Le 11 novembre 1994, Sophia fut à nouveau sanctionnée par un renvoi d'une journée au motif qu'elle n'avait pas participé au défilé scolaire du 28 octobre 1994. II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS A. En matière de religion La Constitution de 1975 contient les dispositions suivantes: Article 3 "1. La religion dominante en Grèce est celle de l'Eglise orthodoxe orientale du Christ. L'Eglise orthodoxe de Grèce, reconnaissant pour chef Notre Seigneur Jésus-Christ, est indissolublement unie, quant au dogme, à la Grande Eglise de Constantinople et à toute autre Eglise chrétienne de la même foi [homodoxi], observant immuablement, comme les autres églises, les saints canons apostoliques et synodiques ainsi que les saintes traditions. Elle est autocéphale et administrée par le saint-synode, composé de tous les évêques en fonction, et par le saint-synode permanent qui, dérivant de celui-ci, est constitué comme il est prescrit par la Charte statutaire de l'Eglise et conformément aux dispositions du Tome patriarcal du 29 juin 1850 et de l'Acte synodique du 4 septembre 1928. Le régime ecclésiastique établi dans certaines régions de l'Etat n'est pas contraire aux dispositions du paragraphe précédent. Le texte des Saintes Ecritures est inaltérable. Sa traduction officielle en une autre forme de langage, sans le consentement préalable de l'Eglise autocéphale de Grèce et de la Grande Eglise du Christ à Constantinople, est interdite." Article 13 "1. La liberté de la conscience religieuse est inviolable. La jouissance des droits individuels et politiques ne dépend pas des croyances religieuses de chacun. Toute religion connue est libre; les pratiques de son culte s'exercent sans entrave sous la protection des lois. L'exercice du culte ne peut pas porter atteinte à l'ordre public ou aux bonnes moeurs. Le prosélytisme est interdit. Les ministres de toutes les religions connues sont soumis à la même surveillance de la part de l'Etat et aux mêmes obligations envers lui que ceux de la religion dominante. Nul ne peut être dispensé de l'accomplissement de ses devoirs envers l'Etat, ou refuser de se conformer aux lois, en raison de ses convictions religieuses. Aucun serment ne peut être imposé qu'en vertu d'une loi qui en détermine aussi la formule." Un décret royal du 23 juillet 1833, intitulé "Proclamation de l'indépendance de l'Eglise de Grèce", qualifia l'Eglise orthodoxe d'"autocéphale" et les Constitutions successives de la Grèce lui ont attribué un caractère "dominant". Selon les conceptions grecques, l'Eglise orthodoxe incarne, en droit et en fait, la religion de l'Etat lui-même dont elle assure d'ailleurs bon nombre de fonctions d'ordre administratif ou éducatif (droit du mariage et de la famille, instruction religieuse obligatoire, serment des gouvernants, etc.). Son rôle dans la vie publique se traduit notamment par la présence du ministre de l'Education nationale et des Cultes aux séances de la hiérarchie consacrées à l'élection de l'archevêque d'Athènes et par la participation des autorités ecclésiastiques à toutes les manifestations officielles de l'Etat; en outre, le président de la République prête serment conformément aux rituels de la religion orthodoxe (article 33 par. 2 de la Constitution) et le calendrier officiel suit celui de l'Eglise orthodoxe orientale du Christ. B. En matière scolaire La circulaire n° C1/1/1 du 2 janvier 1990 du ministère de l'Education nationale et des Cultes dispose: "Les écoliers qui sont des témoins de Jéhovah sont dispensés des cours de religion, de la prière à l'école et de la messe. (...) Pour que les écoliers bénéficient de la dispense, leurs deux parents ou, en cas de divorce, le parent investi de l'autorité parentale, conformément à une décision de justice, ou la personne chargée de la garde de l'enfant, doivent déposer une déclaration écrite indiquant qu'eux-mêmes, ainsi que leur enfant, ou l'enfant dont ils ont la garde, sont des témoins de Jéhovah. (...) Les écoliers ne seront, en aucun cas, dispensés de l'obligation de participer à d'autres activités scolaires et notamment aux manifestations de caractère national." Les articles pertinents du décret présidentiel n° 104/1979 des 29 janvier et 7 février 1979 sont les suivants: Article 2 "1. Le comportement des écoliers à l'intérieur et à l'extérieur de l'école constitue leur conduite, quelle que soit la manière - action ou omission - dont ils l'expriment. Les écoliers sont tenus de se conduire convenablement, c'est-à-dire d'observer les règles régissant la vie scolaire et les principes moraux gouvernant l'environnement social dans lequel ils vivent, et toute action ou omission constituant une violation des règles et principes en question sera traitée selon les voies du système éducationnel et soumise, au besoin, aux mesures disciplinaires prévues par le présent décret." Les mesures disciplinaires édictées par l'article 27 du même décret sont, par ordre croissant de gravité, l'avertissement, le blâme, l'exclusion des cours pendant une heure, le renvoi de l'école jusqu'à cinq jours et le transfert dans une autre école. Article 28 par. 3 "Les écoliers renvoyés peuvent demeurer à l'école pendant les heures d'enseignement et participer à diverses activités, sous la responsabilité du directeur de l'école." C. En matière de recours Le droit de petition L'article 10 de la Constitution dispose: "Toute personne, ou plusieurs agissant en commun, ont le droit, en se conformant aux lois de l'Etat, d'adresser, par voie écrite, des pétitions aux autorités. Celles-ci sont tenues d'agir au plus vite suivant les dispositions en vigueur et de fournir au pétitionnaire une réponse écrite motivée conformément aux dispositions de la loi." Quant à l'article 4 du décret législatif n° 796/1971, il précise: "Une fois que les autorités ont reçu la pétition [prévue par l'article 10 de la Constitution], elles doivent répondre par écrit et fournir toutes explications nécessaires au pétitionnaire, dans un délai jugé absolument nécessaire, lequel ne saurait excéder trente jours à compter de la notification de la pétition." Le recours en annulation L'article 95 de la Constitution est ainsi rédigé: "Relèvent en principe de la compétence du Conseil d'Etat: a) l'annulation sur recours des actes exécutoires des autorités administratives pour excès de pouvoir ou violation de la loi. (...)" Selon la jurisprudence constante du Conseil d'Etat, "les actes des organes de l'école par lesquels sont infligées aux élèves les peines prévues à l'article 27 du décret présidentiel n° 104/1979 ont pour but de maintenir la discipline nécessaire à l'intérieur de l'école et de contribuer au bon fonctionnement de celle-ci; il s'agit là de mesures d'ordre interne dépourvues de force exécutoire et qui ne peuvent faire l'objet d'un recours en annulation" (arrêts nos 1820/1989, 1821/1989, 1651/1990). Seul le transfert scolaire est jugé exécutoire et susceptible d'être annulé par le Conseil d'Etat (arrêt n° 1821/1989). Les recours en indemnisation L'article 105 de la loi d'accompagnement du code civil prévoit: "L'Etat est tenu à réparer le dommage causé par les actes illégaux ou omissions de ses organes lors de l'exercice de la puissance publique, sauf si l'acte ou l'omission ont eu lieu en méconnaissance d'une disposition existante mais afin de servir l'intérêt public. La personne fautive est solidairement responsable, sous réserve des dispositions spéciales sur la responsabilité de ministres." Cet article établit le concept d'acte dommageable spécial de droit public, créant une responsabilité extra-contractuelle de l'Etat. Cette responsabilité résulte d'actes ou omissions illégaux. Les actes concernés peuvent être, non seulement des actes juridiques, mais également des actes matériels de l'administration, y compris des actes non exécutoires en principe (Kyriakopoulos, Commentaire du code civil, article 105 de la loi d'accompagnement du code civil, n° 23; Filios, Droit des contrats, partie spéciale, volume 6, responsabilité délictuelle 1977, par. 48 B 112; E. Spiliotopoulos, Droit administratif, troisième édition, par. 217; arrêt n° 535/1971 de la Cour de cassation; Nomiko Vima, 19e année, p. 1414; arrêt n° 492/1967 de la Cour de cassation; Nomiko Vima, 16e année, p. 75). La recevabilité de l'action en réparation est soumise à une condition: la nature illégale de l'acte ou de l'omission. L'article 57 du code civil ("Droits de la personne") dispose: "Celui qui, d'une manière illicite, subit une atteinte dans les droits de sa personne, peut exiger la suppression de l'atteinte et, en outre, l'abstention de toute atteinte à l'avenir. Si l'atteinte concerne les droits d'une personne décédée, son conjoint, ses descendants, ascendants, frères et soeurs et les héritiers testamentaires pourront exercer ce droit. En outre, la prétention à des dommages-intérêts, suivant les dispositions relatives aux actes illicites, n'est pas exclue." PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION Les requérants ont saisi la Commission le 25 avril 1994. Ils alléguaient des violations de l'article 2 du Protocole n° 1 (P1-2) et des articles 3 et 9 de la Convention (art. 3, art. 9) ainsi que de l'article 13 de la Convention combiné avec les articles précités (art. 13+P1-2, art. 13+3, art. 13+9). Le 16 octobre 1995, la Commission a retenu la requête (n° 24095/94). Dans son rapport du 11 avril 1996 (article 31) (art. 31), elle conclut : a) qu'il n'y a pas eu violation de l'article 2 du Protocole n° 1 (P1-2) au regard des deux premiers requérants (vingt voix contre huit); b) qu'il n'y a pas eu violation de l'article 9 de la Convention (art. 9) au regard de la troisième requérante (dix-neuf voix contre neuf); c) qu'il n'y a pas eu violation de l'article 3 de la Convention (art. 3) au regard de la troisième requérante (unanimité); d) qu'il y a eu violation de l'article 13 de la Convention, combiné avec l'article 2 du Protocole n° 1 (art. 13+P1-2), au regard des deux premiers requérants (vingt-trois voix contre cinq); e) qu'il y a eu violation de l'article 13 de la Convention, combiné avec l'article 9 de la Convention (art. 13+9), au regard de la troisième requérante (vingt-quatre voix contre quatre); f) qu'il n'y a pas eu violation de l'article 13 de la Convention, combiné avec l'article 3 de la Convention (art. 13+3), au regard de la troisième requérante (unanimité). Le texte intégral de son avis et des cinq opinions séparées dont il s'accompagne figure en annexe au présent arrêt. CONCLUSIONS PRESENTEES A LA COUR PAR LE GOUVERNEMENT Dans son mémoire, le Gouvernement invite la Cour à rejeter la requête pour défaut de fondement.
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I. Les circonstances de l’espèce La société requérante, Garyfallou AEBE, est une société de transport international dont le siège social se trouve à Kavala (Kavala). Le 24 mars 1986, le ministre adjoint du Commerce lui infligea, en vertu des pouvoirs que lui conférait l’article 8 § 2 de la loi n° 936/1979 (paragraphe 17 ci-dessous), une amende de 500 000 drachmes pour avoir enfreint les règles applicables au commerce international lors de l’importation de vitres de Roumanie, pour une valeur totale de 15 050 marks allemands. Le 9 avril 1986, la société requérante contesta cette décision devant le tribunal administratif (Diikitiko Protodikio) d’Athènes. Dans son jugement du 8 avril 1987 (n° 5214/1987), le tribunal estima que le recours (prosfigi) de la société requérante ne donnait pas naissance à un litige relevant de la compétence des juridictions administratives inférieures (diikitiki diafora usias) ; selon lui, il s’agissait en réalité d’un recours en annulation (akirotiki diafora) relevant de la compétence du Conseil d’Etat (Symvoulio tis Epikratias), auquel il déféra donc l’affaire. Le 24 août 1987, la quatrième chambre du Conseil d’Etat fixa l’audience au 19 avril 1988. Toutefois, cette audience fut ajournée tout comme celles prévues pour les 7 février et 5 décembre 1989, 6 février, 5 juin et 4 décembre 1990. Elle eut finalement lieu le 8 janvier 1991. Dans l’intervalle, l’assemblée plénière du Conseil d’Etat avait rendu l’arrêt n° 149/1990 dans lequel elle concluait à l’absence de principe général ou de disposition juridique prévoyant expressément le renvoi au Conseil d’Etat des recours en annulation introduits par erreur devant les juridictions administratives inférieures. Le 14 avril 1991, l’amende fut réglée ainsi qu’une pénalité de 100 % pour retard de paiement. Le 16 avril 1991, la quatrième chambre du Conseil d’Etat, se fondant sur la décision de l’assemblée plénière, conclut que le recours en annulation de la société requérante n’avait pas été introduit conformément à la loi et décida de ne pas connaître de l’affaire (arrêt n° 1260/1991). Le 11 octobre 1991 fut promulguée la loi n° 1968/1991, dont l’article 40 § 2 (paragraphe 21 ci-dessous) autorise la réintroduction devant le tribunal compétent des recours rejetés par le Conseil d’Etat ou par les juridictions administratives inférieures pour un certain nombre de motifs, y compris le défaut de compétence. 15. Le 10 février 1992, la société requérante saisit derechef le Conseil d’Etat d’un recours en annulation ; l’audience fut fixée au 18 octobre 1994. A cette occasion, l’examen de l’affaire fut renvoyé au 30 mai 1995, date à laquelle un nouvel ajournement fut prononcé. L’audience se tint le 28 novembre 1995. Le juge rapporteur estima que le Conseil d’Etat n’était pas compétent pour connaître de l’affaire de la société requérante, au motif qu’il ne s’agissait pas d’un recours en annulation. Il proposa de déférer l’affaire au tribunal administratif d’Athènes. Dans son arrêt n° 1776/1996 du 9 avril 1996, le Conseil d’Etat décida de suivre la proposition du rapporteur. Il renvoya l’affaire devant le tribunal administratif d’Athènes, qui tint audience le 27 septembre 1996 et notifia sa décision à la société requérante le 18 juin 1997. La décision ministérielle du 24 mars 1986 fut déclarée dénuée d’effets. II. Le droit et la pratique internes pertinents Aux termes de l’article 8 de la loi n° 936/1979 : « 1. Quiconque enfreint les règles applicables au commerce international est passible d’une peine d’emprisonnement de deux ans au plus ou d’une amende dont le montant ne peut excéder la valeur totale des marchandises en cause, ou d’une combinaison des deux peines (…) Le ministère public engage d’office les poursuites pénales (…) Le ministre du Commerce (…) peut infliger à quiconque enfreint l'une ou l’autre des règles visées au paragraphe précédent une amende dont le montant ne peut excéder la valeur totale des marchandises en cause. L’amende est infligée indépendamment des poursuites qui pourraient être engagées à l’encontre de l’intéressé ou de sa relaxe (…) » D'après la jurisprudence, l’amende prévue à l’article 8 § 2 de la loi n° 936/1979 vise à faire respecter les règles tendant à « la maîtrise de la balance commerciale et de la balance des paiements et à la protection de la stabilité monétaire et des réserves du pays en devises » (arrêt n° 1241/1988 de la cour administrative d’appel d’Athènes, Diikitiki Diki, vol. 1989, p. 318). Pareille amende dénote une certaine réprobation à l’égard du contrevenant (arrêt n° 2912/1986 du Conseil d’Etat, To Sindagma, vol. 13, p. 366 ; arrêt n° 1241/1988 de la cour administrative d’appel d’Athènes). Le recouvrement des amendes infligées par le ministre du Commerce pour manquement aux règles applicables au commerce international se fait conformément aux dispositions du code des impôts (arrêt n° 2912/1986 du Conseil d’Etat ; arrêt n° 1241/1988 de la cour administrative d’appel d’Athènes). 20. Aux termes des articles 7 et 9 du code des impôts, toute personne manquant à l’obligation de s’acquitter envers l’Etat d’une dette dont l’existence est attestée par une autorité administrative compétente risque une saisie de ses biens et une privation de liberté. Ces mesures coercitives sont ordonnées par l’autorité administrative compétente. Lorsque le débiteur est une personne morale, l’article 69 prévoit la possibilité de mettre ses administrateurs en détention pour une durée maximale d’un an (article 70). La loi n° 1968/1991, publiée le 11 octobre 1991, offre en son article 40 § 2 la faculté d’introduire de nouveau, dans les quatre mois à dater de sa publication, des recours que le Conseil d’Etat ou toute autre juridiction administrative aurait refusé d’examiner, notamment pour défaut de compétence. PROCéDURE DEVANT LA COMMISSION La société requérante a saisi la Commission le 12 octobre 1991. Elle se plaignait d’une atteinte à son droit d’accès à un tribunal, garanti par l’article 6 § 1 de la Convention. Le 16 janvier 1995, elle a présenté un grief supplémentaire, alléguant une durée déraisonnable de la procédure en question. Le 24 octobre 1995, la Commission (première chambre) n’a retenu la requête (n° 18996/91) qu’en ce qui concerne ce dernier grief. Dans son rapport du 11 avril 1996 (article 31), elle exprime à l’unanimité l’avis qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention. Le texte intégral de son avis et de l’opinion séparée dont il s’accompagne figure en annexe au présent arrêt. CONCLUSIONS PRéSENTéES à LA COUR Dans son mémoire, la société requérante invite la Cour à constater une violation des droits que lui garantit l’article 6 § 1 et à lui accorder réparation du préjudice et le remboursement des frais et dépens. Le Gouvernement, pour sa part, demande à la Cour d'écarter la requête comme irrecevable, ou dénuée de fondement, et de rejeter toute demande d’indemnisation au titre de l’article 50 de la Convention.
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I. Les circonstances de l’espèce Journaliste résidant à Vienne, M. Oberschlick était à l’époque des faits rédacteur en chef de la revue Forum. Le 7 octobre 1990, M. Haider, alors président du parti libéral autrichien (Freiheitliche Partei Österreichs - FPÖ) et chef du gouvernement (Landeshauptmann) du Land de Carinthie, y prononça, au mont Ulrich (Ulrichsberg), à l’occasion d’une "célébration de la paix" (Friedensfeier), un discours à la gloire de la "génération de soldats" qui avaient participé à la seconde guerre mondiale. Il y exprimait l’idée que tous les soldats, y compris ceux de l’armée allemande, avaient combattu pour la paix et la liberté et qu’il ne fallait donc pas distinguer entre les "bons" et les "mauvais" soldats de cette génération, mais plutôt se montrer reconnaissant envers tous d’avoir fondé et édifié la société démocratique et prospère d’aujourd’hui. Critiquant alors un écrivain autrichien qui avait, selon lui, dénigré les soldats tombés pendant la seconde guerre mondiale, M. Haider poursuivait ainsi: "Mesdames et Messieurs, dans une démocratie, la liberté d’opinion va de soi, mais elle trouve ses limites là où des personnes réclament le bénéfice d’une liberté qu’elles n’auraient jamais obtenue si d’autres n’avaient pas risqué leur vie pour qu’aujourd’hui, elles puissent vivre dans la démocratie et la liberté." Ce discours fut reproduit in extenso en mars 1991 dans Forum et commenté par le requérant ainsi que par l’écrivain autrichien précité. Le texte de M. Oberschlick, intitulé "P.S.: "Trottel" statt "Nazi"" ("P.S.: "imbécile" au lieu de "nazi’"), se lisait ainsi: "Je dirai de Jörg Haider, primo qu’il n’est pas un nazi et secundo qu’il est un imbécile, ce que je justifierais comme suit: [L.] [...] m’a bien convaincu que se faire traiter de nazi profite plutôt à Jörg Haider. C’est pourquoi je demande à mes amis de me pardonner de ne pas utiliser cette appellation, déjà rien que pour cette bonne raison-là. .. Comme [Haider] nous refuse, à nous qui n’avons pas eu ce qu’il considère comme le bonheur légitimant [legitimierende Glück] de risquer sa vie dans l’habit d’honneur [Ehrenkleid] du IIIe Reich pour la liberté hitlérienne de la guerre d’agression [Raubkrieg] et de la solution finale, [comme il nous refuse] le droit "de réclamer le bénéfice de la liberté d’opinion", à plus forte raison celui de la "liberté politique", et que lui-même n’a jamais eu le bonheur de pouvoir servir dans l’habit d’honneur des SS ou de l’armée allemande [Wehrmacht], s’excluant ainsi lui-même avec la grande majorité des Autrichiens de tout exercice de la liberté, il est, à mon sens, un imbécile." Le 26 avril 1991, M. Haider intenta contre l’intéressé une action pour diffamation (üble Nachrede) et injure (Beleidigung) devant le tribunal correctionnel régional (Landesgericht für Strafsachen - "le tribunal régional") de Vienne. Il réclama en outre la saisie immédiate du numéro en cause de la revue ainsi que l’insertion dans Forum d’un avis signalant l’ouverture des poursuites. Le 30 avril 1991, le tribunal fit droit à la demande de publication, mais le 21 mai 1991, M. Oberschlick attaqua sa décision. Appliquant l’article 115 du code pénal (paragraphe 19 ci-dessous), le tribunal condamna l’intéressé, le 23 mai 1991, pour injure à M. Haider à une amende de vingt unités journalières à 200 schillings autrichiens (ATS) et, à défaut de paiement, à un emprisonnement de dix jours. D’après lui, le terme Trottel était injurieux (Schimpfwort) et son utilisation ne pouvait avoir d’autre but que d’avilir (Herabsetzung) une personne; il ne pouvait donc jamais servir de support à une critique objective (sachliche Kritik). Dans la version écrite de son jugement, le tribunal ajouta un ordre de saisie du numéro en cause de Forum. Le 30 août 1991, le requérant interjeta appel (Berufung) de ce jugement. Selon lui, c’est parce que le tribunal avait fait abstraction du contexte dans lequel l’expression litigieuse s’insérait qu’il avait pu estimer qu’elle n’avait servi qu’à injurier M. Haider. S’il avait tenu compte de tout l’article et du raisonnement qui y était développé, il se serait aperçu que le terme incriminé était justifié, dès lors qu’il servait de conclusion à la constatation que, dans son discours, M. Haider s’était lui-même exclu du bénéfice de la liberté d’opinion. M. Oberschlick se plaignit en outre de ce que la saisie du numéro en cause de Forum n’avait pas été ordonnée lors du prononcé du jugement. Le 16 septembre 1991, l’intéressé demanda que le procès-verbal de l’audience fût rectifié et complété. Le 18 octobre 1991, le tribunal régional corrigea en partie le procèsverbal, rejetant pour manque de pertinence les autres modifications demandées par l’intéressé. Le 10 décembre, celui-ci forma un recours (Beschwerde) contre cette décision. Entre-temps, le 5 décembre 1991, le tribunal régional avait rectifié son jugement et en avait retiré l’ordre de saisie de Forum. Le 18 mars 1992, la cour d’appel (Oberlandesgericht) de Vienne rejeta l’appel du requérant contre l’ordre de publication d’un avis signalant l’ouverture des poursuites intentées par M. Haider (paragraphe 11 cidessus). Le même jour, elle déclara irrecevable le recours contre la décision portant rectification du procès-verbal de l’audience (paragraphe 15 ci-dessus). Le 25 mars 1992, la cour d’appel confirma le jugement du tribunal régional mais réduisit à 50 ATS le taux de l’unité journalière (paragraphe 12 ci-dessus). Elle releva que le terme litigieux figurait dans le titre de l’article. Or, pour comprendre que M. Oberschlick avait qualifié l’orateur de Trottel parce qu’à son avis il s’était dans son discours exclu lui-même, avec la grande majorité des Autrichiens, du bénéfice de la liberté d’opinion, il fallait avoir lu non seulement les lignes écrites par le requérant, mais aussi le discours de M. Haider et les commentaires dont il se trouvait assorti dans Forum. Pour les lecteurs qui ne l’avaient pas fait, le terme Trottel se rattachait non pas à la conclusion que l’on pouvait tirer des paroles de M. Haider mais à la personne de celui-ci. Il devenait ainsi une injure dépassant les limites de ce que l’on pouvait accepter au titre d’une critique objective (die Grenze sachlich zulässiger Kritik) et M. Oberschlick devait en avoir été conscient. Tout au plus aurait-il pu qualifier de stupides (vertrottelt) les conséquences des propos de M. Haider. Certes, les hommes politiques qui soutiennent des positions critiquables doivent accepter de faire l’objet d’attaques plus dures touchant même à leur personne. Toutefois, le droit à la liberté d’opinion ne doit pas aboutir à ce que dans la discussion politique, les injures remplacent les arguments de fond. Le fait qu’un homme politique recoure à des injures ne justifie pas que ses détracteurs en fassent de même, sauf provocation personnelle. Fonder le droit à l’injure sur l’article 10 de la Convention (art. 10) entraînerait une dégradation générale (generelle Verrohung) de la discussion politique. II. Le droit interne pertinent Les dispositions pertinentes du code pénal se lisent ainsi: Article 111 "1. Est puni d’une peine privative de liberté de six mois au plus ou d’une peine pécuniaire (...) quiconque, d’une manière telle qu’un tiers puisse le remarquer, prête à une autre personne une qualité ou des sentiments méprisables, ou l’accuse d’une attitude contraire à l’honneur ou aux bonnes moeurs et de nature à rendre cette personne méprisable ou à la rabaisser aux yeux de l’opinion publique. Est puni d’une peine privative de liberté d’un an au plus ou d’une peine pécuniaire (...) quiconque commet l’acte dans un imprimé, par le moyen de la radiodiffusion ou de toute autre manière qui rend la diffamation accessible à un large public. L’auteur n’est pas puni si l’assertion s’avère exacte. Dans le cas visé à l’alinéa 1, il ne l’est pas non plus si sont prouvées des circonstances lui ayant donné des raisons suffisantes de tenir l’assertion pour vraie." Article 115 "1. Est puni d’une peine privative de liberté de trois mois au plus ou d’une peine pécuniaire (...), sans préjudice d’une peine plus lourde en vertu d’une autre disposition, quiconque, en public ou devant plusieurs personnes, injurie, raille, maltraite ou menace de maltraiter une autre personne. (...) Quiconque, par le seul effet de l’indignation causée par le comportement d’une autre personne, se laisse entraîner à injurier, maltraiter ou menacer de maltraiter celle-ci d’une manière excusable en la circonstance en est excusé si son indignation s’avère généralement compréhensible, eu égard notamment au temps écoulé depuis l’événement qui l’a provoquée." PROCÉDURE DEVANT LA COMMISSION Dans sa requête (no 20834/92) du 15 septembre 1992 à la Commission, M. Oberschlick alléguait que sa condamnation avait méconnu l’article 10 de la Convention (art. 10) et que la procédure suivie par les juridictions autrichiennes avait violé l’article 6 (art. 6). Le 6 avril 1995, la Commission (première chambre) a retenu le grief relatif à l’article 10 (art. 10) et rejeté la requête pour le surplus. Dans son rapport du 29 novembre 1995 (article 31) (art. 31), elle conclut, par quatorze voix contre une, à la violation de cette disposition (art. 10). Le texte intégral de son avis figure en annexe au présent arrêt. CONCLUSIONS PRÉSENTÉES À LA COUR Dans son mémoire, le Gouvernement prie la Cour de "déclarer que les droits que M. Oberschlick tire de l’article 10 de la Convention (art. 10) n’ont pas été violés". Le requérant, dans son mémoire, invite la Cour à "constater que par la condamnation pénale prononcée contre lui, la République d’Autriche a méconnu l’article 10 de la Convention (art. 10)".
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I. Les circonstances de l’espèce Citoyen français né en 1972, M. Frédéric Foucher réside à Argentan (Orne). A. La procédure devant le tribunal de police d’Argentan Le 24 juillet 1991, le requérant et son père furent invités, par voie de citation directe (article 531 du code de procédure pénale - paragraphe 16 ci-dessous), à comparaître devant le tribunal de police d’Argentan. Il leur était reproché d’avoir, à Fontenai-sur-Orne, le 13 février 1991, outragé par paroles, gestes, menaces, des personnes chargées d’un ministère de service public - en l’occurrence deux gardes nationaux de la chasse et de la faune sauvage. Cette infraction constitue une contravention de cinquième classe, prévue par l’article R. 40-2 du code pénal et punissable d’un emprisonnement de dix jours à un mois et d’une amende de 2 500 à 5 000 francs français (FRF), ou de l’une de ces deux peines seulement. L’intéressé ayant décidé de se défendre seul, sa mère se rendit au greffe du tribunal de police le 25 juillet 1991 pour prendre connaissance du dossier et se faire remettre les copies des pièces le composant. Dans un soit-transmis du même jour, le procureur de la République d’Argentan précisa qu’aucune copie n’était délivrée à un particulier sans l’intermédiaire d’un avocat ou d’une compagnie d’assurances. Le 26 juillet 1991, le requérant et son père se rendirent personnellement au greffe pour formuler la même demande. Par un nouveau soit-transmis du même jour, le procureur de la République indiqua qu’aucune copie de procès-verbal ne pouvait être délivrée à un particulier. A l’audience du tribunal de police, le 2 octobre 1991, l’intéressé et son père soulevèrent l’irrégularité de la procédure suivie à leur encontre, au motif qu’elle violerait l’article 6 de la Convention (art. 6) en ce que l’accès au dossier pénal et la délivrance des pièces de la procédure leur avaient été refusés. Par un jugement du 2 octobre 1991, le tribunal de police fit droit à leur argumentation et annula la procédure dirigée à l’encontre de l’intéressé et de son père pour violation des droits de la défense; il déclara irrecevables les constitutions de parties civiles de l’Office national de la chasse et des deux gardes nationaux. Ses motifs sont exposés ci-après: "(...) Attendu que l’article 6 (art. 6) de la Convention européenne des Droits de l’Homme prévoit que tout accusé a droit notamment à être informé d’une manière détaillée de ce qui lui est reproché, qu’il doit disposer du temps et des facilités nécessaires à la préparation de sa défense, et qu’il doit pouvoir se défendre lui-même; qu’au cas particulier, le Ministère public n’a aucunement contesté le fait que les prévenus n’ont pu avoir accès à leur dossier avant l’audience lorsqu’ils l’ont demandé, que les démarches en ce sens des prévenus sont confirmées par deux soit-transmis des 25 et 26 juillet 1991, même si ces pièces ne visent que le refus de délivrer des copies; Attendu que les prévenus auraient dû avoir la possibilité d’accéder à leur dossier pour préparer leur défense, que l’intérêt de cet accès au dossier est suffisamment démontré par l’usage qu’en font les mandataires de justice, qu’aucune discrimination préjudiciable aux droits de la défense ne saurait être fondée sur le fait qu’un prévenu préfère assumer seul sa défense, que, d’autre part, l’instruction à l’audience si complète soit-elle, ne saurait permettre de retirer au prévenu la possibilité de viser et précisément de connaître les pièces le concernant; Qu’il y a donc lieu de considérer que dans le cadre de la procédure pénale diligentée à l’encontre de MM. Gérard et Frédéric Foucher, les droits de la défense n’ont pas été respectés, et que la procédure doit donc être annulée; " B. La procédure devant la cour d’appel de Caen Le ministère public et les parties civiles interjetèrent appel de ce jugement le 30 octobre 1991. Le 2 mars 1992, le requérant fut cité à domicile mais ne comparut pas à l’audience de la cour d’appel de Caen du 16 mars 1992. D’après lui, sa mère s’était rendue au greffe de la cour d’appel pour se renseigner sur les modalités d’accès au dossier, mais elle s’était heurtée au refus du greffier. Par un arrêt du 16 mars 1992, contradictoire à l’égard du père du requérant et réputé contradictoire à l’égard de ce dernier, la cour d’appel réforma le jugement du 2 octobre 1991 et rejeta l’exception de nullité de la procédure pour violation des droits de la défense. Elle statua en ces termes: "(...) Attendu que Gérard Foucher [père du requérant] soulève la nullité de la procédure pour violation des droits de la défense; Qu’il fait valoir qu’il n’a pas eu accès au dossier pour pouvoir se défendre utilement, et ce en violation de la Convention européenne des Droits de l’Homme; Mais attendu que si l’article [6] (art. 6) de la Convention précitée précise que tout accusé a droit notamment à être informé, de manière détaillée, de la nature et de la cause de l’accusation portée contre lui, de disposer du temps et des facilités nécessaires à la préparation de sa défense et pour se défendre lui-même, cette convention ne stipule pas que le dossier de l’affaire soit mis à la disposition de l’intéressé lui-même; Que par ailleurs, Gérard Foucher a eu, par la citation, régulière en la forme, connaissance des faits qui lui étaient reprochés et des textes de loi qui les répriment; Qu’il y a lieu, dans ces conditions, de rejeter l’exception de nullité soulevée;" S’appuyant sur le procès-verbal dressé le 13 février 1991 par les deux gardes-chasse, ainsi que sur les déclarations d’un autre chasseur, la cour d’appel condamna le requérant et son père à une amende de 3 000 FRF chacun pour avoir insulté les gardes nationaux. C. La procédure devant la Cour de cassation Le 10 avril 1992, l’intéressé forma un pourvoi en cassation contre l’arrêt du 16 mars 1992 en invoquant l’article 6 de la Convention (art. 6) dans le mémoire personnel qu’il produisit. Son père ne fit pas de même. Le 15 mars 1993, la Cour de cassation (chambre criminelle) rejeta le pourvoi du requérant, notamment par le motif suivant: "Attendu qu’en jugeant que la Convention européenne de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales ne prescrivait pas que le dossier de l’affaire [fût] mis à la disposition de l’intéressé lui-même et que ce dernier avait eu connaissance, par la citation régulière en la forme qui lui avait été destinée, des faits qui lui étaient reprochés et des textes de loi qui les répriment, la cour d’appel n’a pas méconnu les dispositions de la Convention précitée;" II. Le droit et la pratique internes pertinents Les articles pertinents du code de procédure pénale ("CPP") concernant la saisine du tribunal de police et le régime des preuves en matière de contraventions sont ainsi rédigés: Article 531 "Le tribunal de police est saisi des infractions de sa compétence soit par le renvoi qui lui en est fait par la juridiction d’instruction, soit par la comparution volontaire des parties, soit par la citation délivrée directement au prévenu et à la personne civilement responsable de l’infraction." Article 537 "Les contraventions sont prouvées soit par procès-verbaux ou rapports, soit par témoins à défaut de rapports et procès-verbaux, ou à leur appui. Sauf dans les cas où la loi en dispose autrement, les procès-verbaux ou rapports établis par les officiers et agents de police judiciaire et les agents de police judiciaire adjoints, ou les fonctionnaires ou agents chargés de certaines fonctions de police judiciaire auxquels la loi a attribué le pouvoir de constater les contraventions, font foi jusqu’à preuve contraire. La preuve contraire ne peut être rapportée que par écrit ou par témoins." A. L’assistance d’un avocat D’après le code de procédure pénale, la présence d’un avocat n’est obligatoire aux côtés de l’accusé que devant la cour d’assises (article 317). Devant toutes les autres juridictions pénales, la personne mise en examen - la loi no 93-2 du 4 janvier 1993 portant réforme de la procédure pénale a substitué l’expression "mise en examen" à celle d’"inculpation" - peut choisir de se faire assister ou non d’un avocat. B. L’accès au dossier et la transmission de copies des pièces de la procédure En ce qui concerne les avocats En matière pénale, la consultation du dossier ou la délivrance de pièces aux avocats ne sont réglementées par le code de procédure pénale que dans le cadre de la procédure d’information: Article 114, troisième et quatrième alinéas (révisé par la loi no 93-2 du 4 janvier 1993 et la loi no 93-1013 du 24 août 1993) "La procédure est mise à [la] disposition [des avocats] quatre jours ouvrables au plus tard avant chaque interrogatoire de la personne mise en examen ou chaque audition de la partie civile. Après la première comparution de la personne mise en examen ou la première audition de la partie civile, la procédure est également mise à tout moment à la disposition des avocats durant les jours ouvrables, sous réserve des exigences du bon fonctionnement du cabinet d’instruction. Lorsqu’il a été fait application des dispositions du dernier alinéa de l’article 80-1, la procédure est mise à la disposition de l’avocat, sous réserve des exigences du bon fonctionnement du cabinet du juge d’instruction, quinze jours après l’envoi de la lettre recommandée ou de la notification par procès-verbal, s’il n’a pas été entre-temps procédé à la première comparution. Après la première comparution ou la première audience, les avocats des parties peuvent se faire délivrer, à leurs frais, copie de tout ou partie des pièces et actes du dossier pour leur usage exclusif et sans pouvoir en établir de reproduction." Article 197, troisième alinéa "Pendant ce délai, le dossier est déposé au greffe de la chambre d’accusation et tenu à la disposition des conseils des inculpés et des parties civiles. Copie leur en est délivrée sans délai, à leurs frais, sur simple requête écrite. Ces copies ne peuvent être rendues publiques." Dans un arrêt du 30 juin 1995 (Recueil Dalloz Sirey 1995, jurisprudence, p. 417), la Cour de cassation (assemblée plénière) a précisé la portée de l’article 114, quatrième alinéa, CPP, dans le cadre d’une procédure d’information: "Mais attendu qu’il résulte tant de l’article 114, alinéa 4, CPP, dont les dispositions ne sont pas contraires à celles de l’article 6-3-b de la Convention (art. 6-3-b) précitée, que de l’article 160 du décret du 27 novembre 1991 organisant la profession d’avocat, que, si celui-ci, autorisé à se faire délivrer des copies du dossier d’instruction, peut procéder à leur examen avec son client pour les besoins de la défense de ce dernier, il ne saurait en revanche lui remettre ces copies qui ne lui sont délivrées que pour son "usage exclusif" et doivent demeurer couvertes par le secret de l’instruction;" En ce qui concerne les parties et les tiers En matière de police, l’accès au dossier par consultation au greffe ne fait l’objet d’aucune réglementation particulière. En revanche, le code de procédure pénale contient deux dispositions relatives à la délivrance de pièces aux parties ainsi qu’aux tiers: Article R. 155 "En matière criminelle, correctionnelle ou de police, et sans préjudice, le cas échéant, de l’application des dispositions des articles 91 et D. 32, il peut être délivré aux parties et à leurs frais: 1o Sur leur demande, expédition de la plainte ou de la dénonciation "des ordonnances définitives, des arrêts, des jugements, des ordonnances pénales et des titres exécutoires prévus à l’article L 27-1, alinéa 2, du code de la route". 2o Avec l’autorisation du procureur de la République, ou du procureur général selon le cas, expédition de toutes les autres pièces de la procédure, notamment en ce qui concerne les pièces d’une enquête terminée par une décision de classement sans suite." Article R. 156 "En matière criminelle, correctionnelle ou de police, aucune expédition autre que celle des arrêts, jugements, ordonnances pénales définitifs et titres exécutoires, ne peut être délivrée à un tiers sans une autorisation du procureur de la République, ou du procureur général selon le cas, notamment en ce qui concerne les pièces d’une enquête terminée par une décision de classement sans suite. Toutefois, dans les cas prévus au présent article et à l’article précédent, l’autorisation doit être donnée par le procureur général lorsqu’il s’agit de pièces déposées au greffe de la cour ou faisant partie d’une procédure close par une décision de non-lieu ou d’une affaire dans laquelle le huis clos a été ordonné. Dans les cas prévus au présent article et à l’article précédent, si l’autorisation n’est pas accordée, le magistrat compétent pour la donner, doit notifier sa décision en la forme administrative et faire connaître les motifs du refus." Dans un arrêt du 12 juin 1996, produit par le Gouvernement en annexe à son mémoire, la Cour de cassation (chambre criminelle) a donné une nouvelle interprétation des articles en question, en se fondant sur l’article 6 par. 3 de la Convention (art. 6-3), dans le cadre d’une procédure où la juridiction de jugement est saisie: "Attendu que les articles 114 et 197 du code de procédure pénale, qui limitent aux avocats des parties, la possibilité de se faire délivrer la copie des pièces du dossier d’une information en cours, ne sont pas applicables aux procédures dont la juridiction de jugement est saisie et qui, de ce fait, ne sont pas soumises au secret de l’enquête ou de l’instruction prescrit par l’article 11 du même code; Qu’il s’ensuit que toute personne ayant la qualité de prévenu ou d’accusé est en droit d’obtenir, en vertu de l’article 6 par. 3 (art. 6-3) de la Convention européenne de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales, non pas la communication directe des pièces de la procédure, mais la délivrance, à ses frais, le cas échéant par l’intermédiaire de son avocat, de la copie des pièces du dossier soumis à la juridiction devant laquelle elle est appelée à comparaître; Attendu qu’il résulte de l’arrêt attaqué que René Pascolini a été déféré devant le tribunal correctionnel, suivant la procédure de convocation par procès-verbal, pour publicité de nature à induire en erreur; Qu’ayant refusé l’assistance d’avocats commis d’office et n’ayant pas été autorisé par le ministère public à obtenir la copie de l’ensemble des pièces du dossier, le prévenu a présenté avant toute défense au fond une exception de nullité de la procédure prise de la méconnaissance de l’article 6 (art. 6) de la Convention européenne de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales, et demandé à la juridiction de jugement d’ordonner la communication de la copie du dossier; Attendu que, pour rejeter tant l’exception de nullité que la demande de René Pascolini, réitérées lors de l’instance d’appel, l’arrêt confirmatif attaqué énonce, par motifs propres et adoptés, qu’il n’est pas établi que le défaut de délivrance au prévenu de la copie des pièces de la procédure ait porté atteinte aux droits de la défense dès lors que les avocats successivement désignés au titre de la commission d’office, qui ont obtenu communication du dossier et remise de sa copie, lui ont vainement proposé de la consulter en leur présence; [qu’il relève] que le texte conventionnel invoqué (art. 6) n’exige pas la détention matérielle de copies par le prévenu qui peut avoir connaissance du dossier par l’intermédiaire d’un avocat; [qu’il ajoute] que la prudence dans la délivrance de copies aux parties est justifiée par des "impératifs tant de libertés publiques que de sécurité"; Mais attendu qu’en se prononçant ainsi, et alors que les dispositions réglementaires de l’article R 155,2o du code de procédure pénale, soumettant à autorisation du ministère public la délivrance aux parties de copies de pièces de la procédure, ne sauraient faire obstacle aux droits de la défense, la cour d’appel a méconnu les textes et principes ci-dessus rappelés; D’où il suit que la cassation est encourue;" PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION M. Foucher a saisi la Commission le 16 avril 1993. Invoquant l’article 6 par. 3 de la Convention (art. 6-3), il se plaignait d’une atteinte à ses droits de la défense, en ce qu’il n’aurait pu ni accéder à son dossier ni obtenir une copie des pièces y figurant. La Commission a retenu la requête (no 22209/93) le 4 avril 1995. Dans son rapport du 28 novembre 1995 (article 31) (art. 31), elle conclut, à l’unanimité, qu’il y a eu violation de l’article 6 par. 3 de la Convention, combiné avec l’article 6 par. 1 (art. 6-3+6-1). Le texte intégral de son avis figure en annexe au présent arrêt. CONCLUSIONS PRESENTEES A LA COUR Dans son mémoire, le Gouvernement demande à la Cour de "bien vouloir conclure à l’absence de violation de l’article 6 par. 3 combiné avec l’article 6 par. 1 de la Convention (art. 6-3+6-1) en raison du défaut de fondement du grief soulevé". De son côté, le requérant prie la Cour de conclure "à la violation de l’article 6 paras. 1 et 3 de la Convention (art. 6-1, art. 6-3)".
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I. Les circonstances de l’espèce A. Le contexte La police ayant reçu des informations d’après lesquelles les requérants auraient commis plusieurs vols à main armée et opéreraient à partir de deux sites caravaniers, il fut décidé de détacher une équipe d’observation (observatieteam, "EO") de la police afin de maintenir ces sites sous surveillance à compter du 25 janvier 1989. Le 26 janvier 1989 vers 17 h 15, l’EO vit trois automobiles - une Mercedes break, une BMW et une Lancia - quitter l’un des deux sites à peu de temps d’intervalle. Elle releva leurs numéros d’immatriculation. Le même jour vers 18 heures, le bureau de poste de la ville de Oirschot fit l’objet d’un vol à main armée. La vitre en fut enfoncée par un break Mercedes équipé d’une poutrelle en acier. L’un des voleurs, qui portait une cagoule et était armé d’un pistolet, contraignit le personnel à lui remettre quelque 70 000 florins. Les malfaiteurs mirent alors le feu à la Mercedes et disparurent à bord d’une BMW. Celle-ci fut prise en chasse par des voitures de police alertées par radio. Des policiers la virent prendre un chemin de sable conduisant à une forêt toute proche. Plus tard, ils virent une colonne de fumée s’élever de la forêt. La BMW y fut par la suite retrouvée, calcinée. Quatre policiers à bord d’une voiture de police virent une voiture rouge (qui, ultérieurement, s’avéra être une Lancia) quitter la forêt par le chemin de sable qu’avait emprunté la BMW et la prirent en chasse. Au cours de la poursuite, le coffre de la Lancia fut ouvert de l’intérieur et des hommes accroupis à l’arrière ouvrirent le feu sur la voiture de police avec un pistolet et une mitraillette. Une voiture occupée par des civils fut atteinte par une balle perdue qui ne blessa toutefois personne. La Lancia démarra en trombe et s’engagea dans une rue transversale. Lorsque les policiers la rattrapèrent elle était à l’arrêt. Un homme debout sur la chaussée ouvrit le feu à la mitraillette sur la voiture de police. Celle-ci fut touchée et ses occupants blessés, après quoi le tireur et les occupants de la Lancia disparurent. Les trois voitures - la Mercedes, la BMW et la Lancia - furent par la suite identifiées comme étant celles qu’on avait vu quitter le site caravanier (paragraphe 10 ci-dessus). B. La procédure pénale La procédure devant le tribunal d’arrondissement de Bois-le-Duc Les requérants et un autre homme, appelé Amandus Pruijmboom (à ne pas confondre avec le requérant Antonius Amandus Pruijmboom), furent inculpés de tentative d’assassinat - ou, à titre subsidiaire, de tentative d’homicide - et de vol avec menace de violences, et cités à comparaître le 19 mai 1989 devant le tribunal d’arrondissement (arrondissementsrechtbank) de Bois-le-Duc aux fins d’être jugés. Parmi les preuves produites par l’accusation figuraient des déclarations, faites devant un policier non anonyme, par des policiers identifiés seulement par des numéros. Par des jugements interlocutoires du 2 juin 1989, le tribunal d’arrondissement décida qu’il était nécessaire de vérifier si les policiers désignés seulement par des numéros avaient des pouvoirs de recherche (opsporingsbevoegdheid). A cet effet, il renvoya l’affaire au juge d’instruction (rechter-commissaris) et l’ajourna jusqu’au 20 juillet. Le juge d’instruction établit que les fonctionnaires de police en question avaient effectivement des pouvoirs de recherche. L’avocat de M. Willem Venerius soutint, notamment, que les policiers identifiés seulement par des numéros étaient des témoins anonymes, de sorte que leurs déclarations ne constituaient pas, en l’absence d’éléments les corroborant, des preuves suffisantes pour asseoir une condamnation. Le tribunal d’arrondissement rejeta l’argument, estimant que dès lors que les policiers en question étaient investis de pouvoirs de recherche, la valeur probante de leurs déclarations n’était pas affectée par leur anonymat. Le tribunal d’arrondissement reconnut les accusés coupables de tentative d’homicide et de vol avec menace de violences. Les preuves identifiant les requérants comme les auteurs de ces méfaits étaient constituées des déclarations faites avant le procès par les fonctionnaires de police anonymes, dont aucun ne déposa devant le tribunal d’arrondissement ni devant le juge d’instruction. Les cinq accusés furent condamnés à dix ans d’emprisonnement. La procédure devant la cour d’appel de Bois-le-Duc Les cinq condamnés se pourvurent devant la cour d’appel (gerechtshof) de Bois-le-Duc. A l’audience du 2 mai 1990 devant cette juridiction, leurs avocats demandèrent à ce que fussent entendus plusieurs témoins nommément désignés et plusieurs autres qui avaient bénéficié de l’anonymat. Là-dessus, la cour d’appel renvoya l’affaire au juge d’instruction, premièrement au motif qu’elle estimait nécessaire d’établir quelles objections les policiers avaient eux-mêmes à faire valoir à l’encontre de la levée de leur anonymat, et deuxièmement parce qu’il y avait tellement de personnes à entendre qu’il était peu commode de le faire en audience publique. Les témoins devant être entendus étaient quatre policiers nommément désignés, onze policiers anonymes (identifiés seulement par des numéros pour les besoins de la défense et de la cour) et deux civils. Les témoins nommément désignés et les témoins anonymes furent interrogés les 24 et 27 septembre, et les 5, 6, 7, 8 et 13 novembre 1990. Tous les policiers anonymes étaient - ou avaient été à l’époque pertinente - des policiers investis de pouvoirs de recherche. Voici la procédure qui fut suivie pour leur audition. Le juge d’instruction, le témoin entendu et un greffier se trouvaient dans une pièce, les accusés, leurs conseils et l’avocat général dans une autre. Les accusés, leurs avocats et le représentant du parquet pouvaient entendre toutes les questions posées aux témoins ainsi que les réponses fournies par ces derniers grâce à une connexion sonore. Les déclarations des témoins étaient répétées par le juge d’instruction au greffier, qui les consignait. Le 24 septembre 1990 fut interrogé le témoin 001. Membre d’une équipe d’observation, il souhaitait demeurer anonyme dans l’intérêt du service, et tel était également le voeu de ses supérieurs; de surcroît, sa famille avait été menacée dans le passé. Il confirma une déclaration faite par lui antérieurement et selon laquelle lorsqu’il avait été confronté avec M. van Mechelen au travers d’un miroir sans tain, il l’avait identifié comme étant l’homme qui était assis à côté du conducteur dans la Lancia. Le témoin BRZ03 fut interrogé le même jour. Son désir de garder l’anonymat procédait essentiellement de celui de garantir la sécurité de sa famille et de ses amis; il avait été menacé dans le passé. A l’époque des faits incriminés, il faisait partie d’une équipe d’arrestation. C’est lui qui occupait le siège du passager à l’avant de la voiture de police utilisée pour poursuivre la Lancia et il avait été sérieusement blessé lors de la fusillade. Le témoin 006 appartenait à une équipe d’observation. Il souhaitait garder l’anonymat afin de garantir la sécurité de sa famille et de ses amis ainsi que de ses collègues; il connaissait des affaires dans lesquelles la famille d’un policier avait été menacée. Il confirma l’exactitude d’un rapport qu’il avait rédigé conjointement avec le témoin 005. Le témoin BRZ09 était membre d’une équipe d’arrestation à l’époque des faits. Il souhaitait garder l’anonymat dans l’intérêt du service, mais également pour la sécurité de sa famille. Il confirma un rapport antérieur d’après lequel il était assis à l’arrière de la voiture de police qui avait pris la Lancia en chasse et avait essuyé des coups de feu. Le 27 septembre 1990, le juge d’instruction établit un procès-verbal de constatations relativement aux quatre premiers témoins anonymes. Il les jugea tous fiables, bien qu’ils eussent fait preuve de beaucoup de précaution lorsqu’il leur avait posé des questions qui pouvaient affecter leur anonymat. Il estima également fondés les motifs invoqués par eux pour justifier leur souhait de garder l’anonymat. Toujours le 27 septembre 1990, le juge d’instruction interrogea, en plus de deux policiers non anonymes, le témoin nommément désigné Engelen. Celui-ci était un simple passant qui avait déclaré avoir vu un homme tirer avec une arme à feu. Il avait par la suite identifié M. van Mechelen comme l’auteur des coups de feu lorsqu’on l’avait confronté avec l’intéressé au travers d’un miroir sans tain. Le 3 octobre 1990, la cour d’appel reprit les débats. Le défenseur de M. Willem Venerius demanda que l’un des policiers anonymes - BRZ03 - fût entendu dans le prétoire. La cour d’appel décida toutefois de ne pas poursuivre son propre examen de la cause avant que tous les témoins eussent été entendus par le juge d’instruction. Le 5 novembre, le juge d’instruction reprit l’audition des témoins. Le témoin BRZ10 déclara qu’il faisait partie d’une équipe d’arrestation. C’est lui qui conduisait la voiture de police utilisée pour poursuivre la Lancia et la contraindre à s’arrêter. Il avait reconnu M. Johan Venerius comme étant le conducteur de la Lancia. Le témoin 004 déclara qu’il était membre d’une équipe d’observation à l’époque des faits. Il souhaitait garder l’anonymat au motif qu’il craignait pour la sécurité de sa famille. De surcroît, il participait au travail du Service des renseignements criminels (Criminele Inlichtingen Dienst, "CID"). Pour cette raison, ses supérieurs souhaitaient le voir conserver l’anonymat. Lui aussi avait reconnu M. Johan Venerius comme étant le conducteur de la Lancia. Le témoin 005 également faisait partie d’une équipe d’observation. Il était assis à bord d’une voiture de police qui avait dépassé la Lancia et avait reconnu M. Johan Venerius comme étant le conducteur de celle-ci. Le témoin 003 était membre d’une équipe d’observation à l’époque des faits. Il souhaitait garder l’anonymat dans l’intérêt du service ainsi que par souci d’assurer la sécurité de sa famille. Il conduisait une voiture de police banalisée et avait vu passer la BMW et la Lancia mais n’avait reconnu aucun de leurs occupants. Le témoin 46204 appartenait à une équipe d’arrestation. Il souhaitait conserver l’anonymat dans l’intérêt du service ainsi que pour assurer la sécurité de sa famille. Il avait vu la BMW tant avant qu’après le hold-up de Oirschot. Il déclara que les deux fois c’était le requérant Pruijmboom, qu’il avait reconnu ultérieurement lors d’une confrontation, qui se trouvait au volant. Le témoin 46203 était membre de la même équipe d’arrestation. Il était "sûr à 99 %" qu’il avait vu M. van Mechelen pénétrer sur le site caravanier environ une heure avant que les trois voitures n’en partissent. Le témoin BRZ08 avait quitté la police, mais à l’époque des faits il faisait partie d’une équipe d’arrestation. Il souhaitait conserver l’anonymat pour assurer la sécurité de sa famille, trois de ses collègues ayant été menacés par le passé. C’est lui qui conduisait la voiture de police qui avait pris en chasse la Lancia et avait essuyé des coups de feu. Il avait subi des blessures, comme les autres policiers à bord du véhicule. Les différents policiers nommément désignés fournirent des informations de fond relatives à l’enquête et aux procédures suivies, mais n’identifièrent aucun des requérants comme étant l’un des auteurs. Certains déclarèrent que si nul parmi eux n’avait encore été menacé en l’espèce, ils connaissaient des collègues qui l’avaient été dans d’autres affaires. Le 19 novembre 1990, le juge d’instruction rédigea un procès-verbal de constatations concernant l’audition des témoins. Ce document est ainsi libellé: "TRIBUNAL D’ARRONDISSEMENT DE BOIS-LE-DUC Le juge d’instruction chargé des affaires pénales ___________________________ PROCES-VERBAL DE CONSTATATIONS La cour d’appel de Bois-le-Duc m’a confié à moi, A.H.L. Roosmale Nepveu, juge d’instruction chargé des affaires pénales au tribunal d’arrondissement de Bois-le-Duc, l’instruction des affaires concernant: Willem Venerius, Johan Venerius, Hendrik van Mechelen, Amandus Pruijmboom, et Antonius Amandus Pruijmboom. En rapport avec l’instruction menée par moi, avec l’assistance du greffier, j’ai l’honneur de rendre compte de ce qui suit. La cour d’appel m’a renvoyé les affaires concernant les suspects précités afin que j’entende au total vingt et un témoins. Onze d’entre eux ne sont désignés que par un numéro dans les pièces de la procédure. J’ai entendu vingt témoins en présence du greffier. Pour chaque audition, j’ai établi avec le greffier un procès-verbal. Les dépositions des témoins sont toutefois identiques dans toutes les affaires, les auditions dans chacune d’elles ayant eu lieu en même temps. Aussi les noms des coïnculpés et de leurs conseils apparaissent-ils dans les dépositions sous la rubrique "Auteurs des questions". Aux dates ci-dessous ont été entendus les témoins suivants: 24 septembre 1990 01 BRZ03 006 BRZ09 27 septembre 1990 F.P.W. Engelen A.P.J.M. de Vet G.J.M. Jansen 5 novembre 1990 BRZ10 004 005 6 novembre 1990 003 46204 46203 7 novembre 1990 BRZ08 H.P.C. Koene (interrompu) 8 novembre 1990 W.P.A. Meijers P.F.M. Aarts H.P.C. Koene (suite) 13 novembre 1990 H.B. Corbijn P.J.M. Swartjes G.W.A.M. Ligtvoet. (...) Les inculpés, leurs conseils et le procureur général ont toujours été invités à assister aux auditions. Durant tout le temps qu’ils ont comparu, il leur a toujours été donné l’occasion de poser des questions. Ils ont d’ailleurs fait largement usage de cette faculté. Entendre les témoins a pris beaucoup de temps. L’audition la plus courte d’un témoin anonyme a duré presque deux heures (46203); la plus longue environ cinq heures (BRZ08). Les témoins Jansen et Koene ont chacun été entendus pendant plus de cinq heures. Cette information a son utilité pour évaluer la proposition du 3 octobre 1990, où la cour d’appel était invitée à entendre l’ensemble des témoins le même jour. Chaque fois qu’un témoin n’a pas répondu à une question, cet élément a été précisé dans le texte de sa déposition. Les dépositions ont été enregistrées dans le détail et elles couvrent de manière analytique et même, là où cela est apparu nécessaire, de manière littérale, tout ce qui s’est dit, y compris ce que la défense a déclaré. Le texte de chaque procès-verbal a été soumis aux personnes présentes, qui ont ainsi eu l’occasion d’émettre des observations à son sujet, de demander des précisions et de poser de nouvelles questions. Là où cela est apparu nécessaire, le procès-verbal a ensuite été adapté, précisé et complété, pour autant, bien entendu, que le témoin voulût qu’il en fût ainsi. L’on peut certes émettre des reproches à l’encontre de la manière utilisée pour entendre les témoins anonymes (...), mais j’estime que le procureur général et la défense ont eu, lors des auditions, suffisamment l’occasion d’interroger les témoins de manière approfondie. Les comparants ont véritablement eu chaque fois, des heures durant, la possibilité de poser des questions. Chaque fois qu’ils l’ont souhaité, ils ont pu poser des questions à un témoin, même à plusieurs reprises. Contrairement à ce qui se passe lors des audiences publiques, chacun a pu suivre l’enregistrement par écrit des dépositions, et celles-ci ont, par la suite, pu être précisées et complétées. S’il a été mis obstacle à certaines questions, c’est uniquement pour des raisons de contenu (voir à cet égard les procès-verbaux), et non à cause du temps pris par les auditions. A la lumière de la jurisprudence récente en matière de dépositions de témoins anonymes, il me paraît indiqué de faire connaître mes conclusions au sujet des dépositions des témoins anonymes entendus en l’espèce. Je suis (avec le greffier) la seule personne à avoir assisté d’un bout à l’autre à l’ensemble des auditions. Je maintiens ce qui figure dans mon procès-verbal de constatations du 27 septembre 1990 pour ce qui concerne les témoins visés dans ce document [paragraphe 18 ci-dessus]. J’y ajouterai les observations suivantes. Tous les "témoins désignés par un numéro" m’ont révélé leur identité. Ces onze témoins étaient bien onze personnes différentes. Leurs déclarations témoignaient d’une telle connaissance de cause que je suis parfaitement convaincu d’avoir entendu les témoins anonymes désignés par un numéro dans les pièces de la procédure. Je n’ai aucune raison de douter de leur fiabilité. A aucun moment je n’ai eu l’impression que l’on me mentait. Au contraire, les témoins ont tous été très directs. J’ai trouvé en face de moi des visages sérieux. Les témoins anonymes désignés par un numéro étaient manifestement conscients de la gravité de leur serment ou de leur promesse, ainsi que des intérêts considérables qui se trouvaient en jeu, notamment pour les suspects. La manière calme et pondérée dont BRZ03 et BRZ08, par exemple, ont relaté les expériences vécues par eux à Leende était impressionnante et ne témoignait, il importe de le noter, d’aucune méchanceté à l’égard des accusés. Je tiens à préciser à cet égard que je laisse à la cour d’appel le soin de décider si ces accusés sont ou non les auteurs des faits. Tous les témoins ont fait montre d’une certaine prudence qui, compte tenu de leur souhait de garder l’anonymat et de la manière parfois énergique dont [deux des avocats de la défense], notamment, les ont interrogés, ne m’a pas dérangé. Si l’on met côte à côte toutes les dépositions, on constate l’une ou l’autre divergence sur des questions de détail. J’estime que ces divergences ne sont pas de nature à justifier la conclusion que les témoins en cause ne sont pas fiables. J’incline plutôt à penser que ces divergences, pour autant que je les ai constatées, font partie de ce "flou" qui, d’après mon expérience, entoure pratiquement toujours les dépositions de témoins. Evidemment, il revient en définitive à la cour d’appel de se prononcer sur la valeur de ces dépositions. Les raisons pour lesquelles les témoins anonymes souhaitaient conserver l’anonymat ont en l’espèce été consignées dans les procès-verbaux d’audition. J’offre ainsi, me semble-t-il, à la cour d’appel la possibilité de se faire une idée de la valeur de ces arguments. Il me paraît que le texte des arrêts récents de la Cour de cassation des Pays-Bas m’invite à faire connaître, en ma qualité de juge ayant mené les auditions, mon avis au sujet des raisons invoquées par les témoins désireux de garder l’anonymat. Je tiens toutefois à préciser à la cour d’appel que je n’ignore pas que c’est à elle qu’il appartient de statuer en définitive sur ces questions. J’estime que les raisons invoquées en l’espèce par les intéressés sont suffisamment justifiées. Pour aboutir à cette conclusion, j’ai tenu compte de la nature des présentes espèces et des activités des témoins anonymes concernés. Je me permets de faire remarquer - tout en laissant expressément sans réponse la question de savoir si les suspects sont les auteurs des infractions reprochées - que la présente espèce illustre très bien le fait qu’il existe manifestement des personnes pour qui la vie humaine a peu de prix, lorsqu’il s’agit pour elles d’échapper à leur responsabilité pour des infractions extraordinairement graves. Je trouve compréhensibles les objections importantes formulées à l’encontre du dévoilement des noms et de l’apparence physique des membres des équipes d’arrestation, des équipes d’observation et des unités d’arrestation. J’estime en effet qu’il y a un intérêt évident pour la société à ce que les infractions très graves soient élucidées. Je considère également que les activités des témoins anonymes (qui pour moi ne sont plus anonymes) ayant déposé en l’espèce sont soumises à un contrôle judiciaire adéquat. Il ne m’a pas paru que les "témoins désignés par des numéros" aient agi sans précautions en l’espèce. Bien au contraire. [Deux des avocats de la défense] m’ont fait préciser au bas du procès-verbal de la dernière audition du témoin Koene que celui-ci avait, d’après eux, répondu avec difficulté et de manière mesurée et difficilement compréhensible aux questions, et non seulement à celles de la défense mais également à celles du juge d’instruction. Il m’a été demandé de confirmer cette impression. Je m’y refuse. Le témoin Koene a fait montre d’une prudence que, compte tenu de l’avalanche des questions, pas toujours très bien formulées, je trouve compréhensible. Il convient de ne pas perdre de vue qu’un témoin qui est interrogé sous serment au sujet d’une multitude d’événements qui se sont produits plusieurs années auparavant ne doit pas se voir opposer le fait que, dans ses réponses aux questions posées, il n’a pas suivi le rythme de l’interrogatoire passablement rude auquel l’ont soumis ensemble [les deux avocats] le 8 novembre 1990. De surcroît, je conçois qu’un témoin s’énerve si on lui pose à plusieurs reprises la même question, surtout s’il y a déjà répondu sous serment la veille. Le témoin Koene a gardé la tête froide, faisant montre ainsi de sa maîtrise. Autant que je puisse en juger, il me paraît être un témoin fiable. Ne fût-ce qu’eu égard à ses déclarations détaillées figurant dans les procès-verbaux des 7 et 8 novembre 1990, j’estime que l’on ne peut pas davantage le considérer comme un témoin réticent. Le témoin Koene m’a fait savoir le 15 novembre 1990 que, le 26 janvier 1989, les personnes désignées par les numéros BRZ05 et BRZ14 étaient assises dans la voiture aux côtés de BRZ10. Il m’a déclaré cela à la suite d’une demande de la défense. Je pense devoir signaler, au sujet du témoin Engelen, que pendant les quelques heures qu’a duré l’interrogatoire serré auquel il a été soumis, il ne m’a pas donné l’impression de mentir. A mon sens, M. Engelen est une personne simple, amicale et de très bonne volonté. Je puis illustrer l’impression qu’il m’a faite en disant qu’à un moment donné, et alors que l’audition durait déjà depuis pas mal de temps, il m’a paru nécessaire de lui demander s’il savait lire, alors que c’est là une question qui n’est pas usuelle. Je n’exclus pas qu’il n’ait pas été tout à fait conscient de la grande importance que revêtait un compte rendu exact et cohérent de ses constatations. Au deuxième alinéa de la première page de la déposition du témoin Engelen, il est précisé que j’ai déclaré à ce dernier que la confrontation avait dû avoir lieu le 15 février 1989. Or elle a dû se dérouler le 9 mars 1989. [L’un des avocats de la défense] a par la suite attiré mon attention sur ce point et je pense qu’il a raison. (...) (signé) A.H.L. Roosmale Nepveu Le 19 novembre 1990" Les débats devant la cour d’appel reprirent le 16 janvier 1991 et se poursuivirent les 17 et 18. Le 16 janvier, un témoin nommément désigné, M. Engelen, fut entendu en audience publique. Il avait déclaré à la police, en mars 1989, et au juge d’instruction, en septembre 1990, qu’il avait reconnu le requérant Van Mechelen comme étant l’homme qui avait ouvert le feu à la mitraillette sur une voiture de police dans le village de Leende. Devant la cour d’appel, il déclara que lors de son audition par le juge d’instruction on lui avait donné la possibilité de relire sa déclaration antérieure mais qu’il n’était plus certain de pouvoir reconnaître l’arme ou l’homme qui l’avait utilisée. Il dit également ne pas avoir été menacé en rapport avec l’affaire. Le 18 janvier, le défenseur du requérant Van Mechelen produisit deux témoins choisis pour leur excellente acuité visuelle (l’un et l’autre avaient participé aux Jeux olympiques en tant que membres de l’équipe néerlandaise de tir à la carabine) et ayant pris part à une reconstitution de la fusillade en plein jour et dans des conditions climatiques analogues à celles qui prévalaient à l’époque de l’infraction. Tous deux déclarèrent avoir été incapables de distinguer les traits des personnes jouant le rôle des malfaiteurs aux distances auxquelles M. Engelen avait prétendument vu les accusés. Un enregistrement vidéo de la reconstitution avait été réalisé en présence d’un notaire, qui avait conservé la bande originale sous scellés. Les débats reprirent le 21 janvier 1991 et il y eut une projection de la vidéo de la reconstitution. Le 4 février 1991, la cour d’appel condamna les quatre requérants par quatre arrêts distincts mais analogues. Elles les reconnut tous coupables de tentative d’assassinat et de vol avec menace de violences et les condamna à quatorze ans d’emprisonnement. Elle acquitta le cinquième appelant, M. Amandus Pruijmboom. L’arrêt rendu par la cour d’appel dans l’affaire Van Mechelen contenait le passage suivant: "Considérant, relativement aux dépositions des personnes demeurées anonymes utilisées comme preuve, qu’il s’agit ici de déclarations qui ont été recueillies par un juge, à savoir le juge d’instruction chargé des affaires pénales près le tribunal d’arrondissement de Bois-le-Duc, qui connaît l’identité des témoins, qui les a entendus sous serment, qui a fait connaître de manière motivée, dans les procès-verbaux de constatation (...) son appréciation relative à leur fiabilité et aux motifs invoqués par eux pour justifier leur souhait de garder l’anonymat, et qui, de surcroît, a donné aux prévenus et à leurs défenseurs la possibilité - largement mise à profit, ainsi qu’il ressort des procès-verbaux d’audition - de poser des questions à ces témoins. Les objections au maintien (sic) de leur anonymat formulées par les témoins non nommément désignés entendus par le juge d’instruction fournissent à la cour d’appel des arguments suffisants pour maintenir cet anonymat. La cour rejette la demande tendant à une nouvelle audition de ces témoins à l’audience, formée par l’avocat pendant sa plaidoirie, y compris pour autant que cette demande envisage la possibilité pour les témoins de se présenter déguisés aux auditions, dès lors que l’on ne peut exclure une identification de ces témoins à l’audience publique. Parmi les arguments invoqués à l’appui du maintien de l’anonymat des témoins, la cour d’appel attache un poids prépondérant à la sécurité personnelle des témoins et de leurs familles, et le fait qu’aucune menace n’ait encore été proférée à leur encontre importe peu à cet égard. Ainsi que la cour l’a déjà dit dans sa décision interlocutoire du 3 octobre 1990, il s’agit en effet dans la présente espèce d’infractions extraordinairement graves, où les faits établis sous le point 1 ont été commis aux fins d’éviter une identification et une arrestation par la police, et où les auteurs se sont montrés prêts à sacrifier plusieurs vies humaines. Dans ces circonstances, les risques que courraient les témoins désignés seulement par un numéro et les membres de leurs familles si ces témoins sortaient de l’anonymat ou si celui-ci n’était pas suffisamment protégé sont décisifs. Si des témoins anonymes ont refusé de répondre à des questions, c’est par souci de ne pas dévoiler des méthodes d’investigation ou pour préserver l’anonymat d’autres enquêteurs utilisés en l’espèce." La cour d’appel estima que les déclarations des fonctionnaires de police anonymes étaient convergentes et corroborées par les preuves obtenues auprès de sources non anonymes. Parmi ces autres preuves figuraient le compte rendu d’une conversation téléphonique entre l’épouse et la belle-mère de M. Johan Venerius interceptée deux jours après la date de l’infraction et dont il apparaissait que M. Johan Venerius n’était pas rentré chez lui dans l’intervalle et que l’on ignorait où il se trouvait, ainsi que des rapports de police scientifique relatifs aux voitures et aux armes utilisées pour l’infraction et les déclarations précitées des civils et des policiers nommément désignés. En revanche, la cour d’appel ne se fonda pas sur les déclarations de M. Engelen. La procédure devant la Cour de cassation Les requérants se pourvurent devant la Cour de cassation (Hoge Raad). Suivant les conclusions du procureur général, la haute juridiction rejeta les pourvois par une série d’arrêts en date du 9 juin 1992. Elle jugea que, dans les circonstances de la cause, les preuves fournies par les policiers non nommément désignés étaient recevables, dès lors que, d’une part, leurs témoignages étaient suffisamment corroborés par les preuves recueillies auprès de sources non anonymes, et, de l’autre, la procédure suivie contrebalançait à suffisance les inconvénients auxquels s’était heurtée la défense. Les arrêts de la Cour de cassation concernant MM. Willem Venerius et van Mechelen furent publiés sous les numéros 772 et 773 respectivement de la revue Nederlandse Jurisprudentie (Recueil de jurisprudence néerlandaise, "NJ"), année 1992. Nul n’a soutenu que des témoins, nommément désignés ou non, aient été à aucun moment menacés par les requérants ou en leur nom. II. Le droit et la pratique internes pertinents Sauf les différences notées ci-dessous (paragraphes 39 et suivants), droit et pratique internes pertinents en vigueur à l’époque de la procédure pénale incriminée ont été exposés dans l’arrêt rendu par la Cour le 20 novembre 1989 dans l’arrêt Kostovski c. Pays-Bas (série A no 166). Aussi la Cour renvoie-t-elle à cet arrêt, et spécialement aux pages 13-17, paras. 22-32. A. Le code de procédure pénale Des preuves en général Le constat selon lequel l’accusé a commis l’acte incriminé doit être fondé sur des "moyens légaux de preuve" (wettige bewijsmiddelen - article 338 du code de procédure pénale (Wetboek van Strafvordering - CPP)). Les "moyens légaux de preuve" comprennent notamment les dépositions de témoins relatives aux faits ou circonstances qu’ils ont eux-mêmes vus ou vécus (articles 339 par. 1 (3) et 342 par. 1 CPP) et les documents écrits (articles 339 par. 1 (5) et 344 par. 1 CPP). Semblables preuves doivent normalement se trouver corroborées par d’autres (articles 342 par. 2, 344 par. 1 (5) CPP). Toutefois, un procès-verbal établi sous la forme appropriée par un fonctionnaire de police investi de pouvoirs de recherche peut être admis même s’il ne se trouve pas corroboré par d’autres éléments (article 344 par. 2 CPP). Les témoins Le procureur a le pouvoir de convoquer des témoins et des experts à l’audience (article 260 CPP). Dans la citation qu’il délivre à l’accusé, il donne une liste des témoins et experts qui seront appelés par l’accusation. Si l’accusé souhaite citer des témoins, il peut, en vertu de l’article 263, soumettre au procureur, au plus tard trois jours avant l’audience, une requête en assignation d’un témoin devant le tribunal. En général, le procureur doit accueillir la demande, mais l’article 263 par. 4 lui permet de l’écarter s’il faut raisonnablement supposer qu’il ne sera pas préjudicié aux droits de la défense si un témoin cité par elle n’est pas entendu à l’audience ("Indien redelijkerwijs moet worden aangenomen, dat de verdachte niet in zijn verdediging kan worden geschaad wanneer een door hem opgegeven getuige ... niet ter terechtzitting wordt gehoord"). Il doit rendre une décision motivée par écrit, et en même temps informer la défense du droit que lui garantit l’article 280 par. 3 (paragraphe 33 ci-dessous) de réitérer sa requête à l’audience devant la juridiction du jugement. A l’ouverture de l’audience, le procureur remet au tribunal la liste de tous les témoins appelés, puis le greffier (griffier) en donne lecture (article 280 par. 2). Si le procureur a omis de citer un témoin dont le prévenu avait demandé la convocation, ou s’il a refusé de le faire, la défense peut inviter le tribunal à faire assigner ce témoin (article 280 par. 3). Le tribunal rend une ordonnance à cet effet, sauf s’il estime que la non-comparution du témoin ne peut raisonnablement être réputée préjudicier aux droits de la défense ("De rechtbank beveelt dat de ... getuige ... zal worden gedagvaard of schriftelijk opgeroepen, tenzij zij ... van oordeel is dat door het achterwege blijven daarvan de verdachte redelijkerwijs niet in zijn verdediging kan worden geschaad" - article 280 par. 4). Une requête de la défense tendant à l’audition d’un témoin qui ne figure pas sur la liste susmentionnée, qui n’a pas été convoqué au procès et dont la défense n’a pas sollicité l’assignation au titre de l’article 280, doit être traitée conformément à l’article 315 CPP (paragraphe 35 ci-dessous). Il ressort de l’arrêt rendu par la Cour de cassation le 23 décembre 1986 que la juridiction de jugement ne doit accueillir semblable requête que si elle l’estime nécessaire. D’après l’article 315 CPP, la juridiction de jugement a le pouvoir d’ordonner d’office la production de preuves, y compris la citation de témoins non encore entendus par elle. Si elle le juge utile, elle peut ordonner qu’un témoin soit amené par la police à l’audience devant elle (articles 282 par. 1 et 315 CPP). Si, au procès, elle estime nécessaire un examen par le juge d’instruction d’une quelconque question de fait, elle doit suspendre les débats et renvoyer la question à ce magistrat, conjointement avec le dossier. Les investigations menées par le juge d’instruction dans ces hypothèses sont réputées constituer une instruction judiciaire préparatoire et sont soumises aux mêmes règles (article 316 CPP). La procédure d’appel contre une condamnation ou une peine prononcées en première instance implique un réexamen complet de la cause. Tant l’accusation que la défense peuvent demander que des témoins déjà entendus en première instance le soient à nouveau; elles peuvent aussi produire des preuves nouvelles et solliciter l’audition de témoins non entendus en première instance (article 414 CPP). La défense jouit des mêmes droits qu’en première instance (article 415 CPP). B. Jurisprudence relative aux témoins anonymes Dans son arrêt du 9 janvier 1990 (NJ 1990, no 409), la Cour de cassation a jugé qu’il n’existait pas, en droit néerlandais, une règle générale d’après laquelle les dépositions de fonctionnaires de police anonymes ne pouvaient être admises que si le juge du fond avait tout d’abord établi l’existence d’éléments clairs faisant apparaître que les policiers en question se trouvaient menacés. Dans son arrêt du 2 juillet 1990 (NJ 1990, no 692), la Cour de cassation a considéré qu’il fallait supposer, à la lumière de l’arrêt Kostovski de la Cour européenne, que l’utilisation de témoignages anonymes était soumise à des conditions plus strictes que celles définies jusqu’alors dans sa jurisprudence. Elle précisa ces exigences plus sévères dans la règle suivante: la déclaration anonyme doit avoir été reçue par un juge a) qui connaissait l’identité du témoin, b) qui a exprimé, dans le procès-verbal d’audition, son avis quant à la crédibilité du témoin et quant aux raisons justifiant son souhait de conserver l’anonymat, et c) qui a donné à la défense l’occasion de poser ou de faire poser des questions au témoin. En revanche, d’après le même arrêt, un document écrit contenant la déposition d’un témoin anonyme peut être utilisé comme preuve a) si la défense n’a, à aucun stade de la procédure, sollicité l’autorisation d’interroger le témoin, b) si la condamnation se fonde, dans une mesure importante, sur d’autres preuves, non obtenues de sources anonymes, et c) si la juridiction de jugement précise qu’elle a utilisé la déclaration du témoin anonyme avec prudence et retenue. C. Réforme législative La loi du 11 novembre 1993 (Staatsblad (Journal officiel) 1993, no 603) a ajouté au CPP un certain nombre de dispositions détaillées relatives à la "protection des témoins". Elle est entrée en vigueur le 1er février 1994. Les ajouts comportent les éléments suivants. L’article 226a prévoit maintenant que l’identité d’un témoin peut demeurer secrète s’il y a des raisons de croire que sa révélation représente une menace pour la vie, la santé, la sécurité, la vie familiale ou la situation socio-économique de l’intéressé, et si celui-ci a précisé ne pas souhaiter faire de déclaration à cause de cela. La décision relève du juge d’instruction, qui doit au préalable entendre le parquet, la défense et le témoin lui-même. La décision du juge d’instruction est susceptible d’appel devant la juridiction de jugement (article 226b). Le juge d’instruction peut ordonner qu’un témoin menacé soit entendu en l’absence de l’accusé, de son avocat, ou des deux, de manière à ne pas dévoiler l’identité du témoin; dans cette hypothèse, le ministère public ne peut, lui non plus, assister à l’audition. Le juge d’instruction doit alors autoriser la défense à poser elle-même des questions au témoin, soit par voie de télécommunication soit par écrit (article 226d). L’article 264 porte à présent que le parquet peut refuser d’assigner un témoin menacé. Si la juridiction de jugement a ordonné l’audition d’un témoin et qu’il apparaît que celui-ci est menacé, le juge d’instruction doit l’entendre à huis clos (article 280 par. 5). La déclaration d’un témoin anonyme reçue en conformité avec les dispositions précitées ne peut être utilisée comme preuve que contre une personne accusée d’infractions pour lesquelles un placement en détention provisoire est autorisé (article 342 par. 2 b)). Un nouveau paragraphe a été ajouté à l’article 344; il prévoit qu’un document écrit contenant une déclaration émanant d’une personne dont l’identité n’est pas apparente ne peut être utilisé comme preuve que si la condamnation se fonde dans une mesure importante sur d’autres preuves et si, à aucun moment du procès, la défense n’a cherché à interroger ou à faire interroger cette personne. L’exposé des motifs accompagnant la proposition qui est devenue la loi du 11 novembre 1993 comportait le passage suivant: "La proposition de loi part de l’idée que seuls les témoins menacés peuvent prétendre conserver un anonymat total. Je me rends bien compte que l’utilité de certains fonctionnaires de police (par exemple ceux se faisant passer pour des acheteurs de drogue ou les membres des équipes d’arrestation ou d’observation) va s’en trouver amoindrie. L’intérêt de la recherche des infractions graves ne saurait toutefois à lui seul justifier la garantie d’un anonymat complet. D’après moi, il est possible de protéger cet intérêt dans une mesure suffisante en instituant dans la loi la possibilité de renoncer à demander aux policiers concernés certains éléments d’identification et en conférant au juge chargé de l’audition la faculté de prendre toutes les mesures raisonnablement requises pour empêcher le dévoilement de ces éléments. Ainsi, l’on pourrait rendre un fonctionnaire de police méconnaissable lors de son audition en le maquillant ou en le déguisant, ou encore éviter tout contact visuel entre l’accusé et lui." (Exposé des motifs, chambre basse du Parlement, 1991-1992, 22 483, no 3, p. 17). PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION MM. van Mechelen et Willem Venerius ont saisi la Commission le 27 novembre 1992, M. Johan Venerius le 8 décembre et M. Pruijmboom le 24 novembre. Invoquant l’article 6 paras. 1 et 3 d) de la Convention (art. 6-1, art. 6-3-d), ils se plaignaient que leur condamnation avait été fondée, dans une mesure décisive, sur les déclarations de témoins anonymes à l’égard desquels les droits de la défense avaient été restreints d’une manière inacceptable. La Commission a retenu les requêtes (nos 21363/93, 21364/93, 21427/93 et 22056/93) le 15 mai 1995. Dans son rapport du 27 février 1996 (article 31) (art. 31), elle formule l’avis qu’il n’y a pas eu violation de l’article 6 paras. 1 et 3 d) de la Convention (art. 6-1, art. 6-3-d) (vingt voix contre huit). Le texte intégral de son avis et des deux opinions dissidentes dont il s’accompagne figure en annexe au présent arrêt. CONCLUSIONS PRESENTEES A LA COUR PAR LE GOUVERNEMENT Le Gouvernement conclut son mémoire en exprimant l’opinion que les requérants ont bénéficié d’un "procès équitable", au sens de l’article 6 paras. 1 et 3 d) de la Convention (art. 6-1, art. 6-3-d).
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I. Les circonstances de l'espèce A. La genèse de l'affaire Les requérants, tous trois citoyens suisses domiciliés dans le canton d'Obwald, sont respectivement la veuve, le fils et la fille de feu M. L. M. L. était propriétaire d'une société de vente par correspondance. En 1984, il déclara certaines sommes au fisc en soutenant qu'il s'agissait de bénéfices légalement accumulés en Allemagne à partir de spéculation et d'investissements en capital, et non imposables en Suisse. M. L. décéda le 7 octobre 1985. Le délai de trois mois dans lequel les requérants auraient pu répudier la succession (articles 566 § 1 et 567 § 1 du code civil suisse) expira le 7 janvier 1986. Le 18 août 1989, les services fiscaux du canton d'Obwald, estimant – faute de pièces justificatives à l'appui des allégations de M. L. – que les sommes déclarées étaient en réalité des revenus générés par l'entreprise de vente par correspondance de M. L. que ce dernier avait illégalement omis de déclarer en Suisse, engagèrent contre les requérants une procédure en recouvrement d'impôts fédéraux et cantonaux impayés et leur imposèrent simultanément des amendes pour fraude fiscale. Il semble que les requérants aient coopéré avec les services fiscaux pour leur permettre de procéder à une évaluation correcte des sommes dues au Trésor public. Le dossier de la Commission ne contient aucune information sur une éventuelle procédure qui aurait été engagée pour contester le recouvrement des arriérés d'impôts cantonaux ou l'amende y relative. B. La procédure au niveau fédéral Le 15 septembre 1989, les requérants se pourvurent devant la commission cantonale de recours en matière fiscale d'Obwald contre la décision du 18 août 1989 dans la mesure où elle concernait des impôts fédéraux directs. Le 19 décembre, ladite commission se prononça. Elle estima que les services fiscaux n'avaient pas prouvé que les sommes en question fussent des revenus imposables non déclarés, mais jugea établi que M. L. avait sciemment omis de déclarer les intérêts perçus sur ces sommes. En conséquence, elle fit partiellement droit au recours, en réduisant de manière sensible l'arriéré à payer. Elle ramena également l'amende à un quart du montant complémentaire normalement dû, compte tenu de ce que M. L. avait lui-même signalé les sommes en question aux autorités. L’Administration fédérale des contributions directes introduisit un recours de droit administratif devant le Tribunal fédéral. Les requérants déposèrent un mémoire en défense, arguant notamment que cela était contraire à l'article 6 § 2 de la Convention d'infliger une amende aux héritiers d'un contribuable du fisc pour une fraude fiscale imputable au de cujus. La commission cantonale de recours et les services fiscaux cantonaux d'Obwald furent invités à soumettre des observations écrites, conformément à l'article 110 de la loi fédérale d'organisation judiciaire. Les services fiscaux ne déposèrent pas d'observations. Quant à la commission cantonale, elle exprima l'avis qu'il fallait rejeter le recours. Par un arrêt du 22 mai 1992, le Tribunal fédéral accueillit le recours. Selon lui, la commission cantonale avait commis une erreur en imposant au fisc la charge de la preuve. Etant donné que les enquêtes révélaient l'existence d'une présomption de preuve de la culpabilité de M. L. dans la fraude fiscale, il incombait aux requérants de prouver que les sommes en question n'étaient pas en fait des revenus imposables non déclarés. Les intéressés n'ayant pas rapporté cette preuve, il fallait maintenir l'évaluation déjà faite des arriérés d'impôt. Le Tribunal fédéral rejeta l'idée que l'imposition d'une amende fiscale aux héritiers du contribuable pour fraude fiscale commise par le de cujus fût contraire à l'article 6 § 2 de la Convention. Après avoir renvoyé à sa jurisprudence, il déclara : « [Dans sa jurisprudence, le Tribunal fédéral] a dit que si l'amende fiscale constitue une sanction réelle, elle vise toutefois le de cujus personnellement et non ses héritiers ; ceux-ci ne sont tenus, au regard de l'article 130 § 1 de l'arrêté concernant la perception d'un impôt fédéral direct, qu'à veiller au paiement de l'amende et seulement à hauteur de leur part successorale. Que l'amende ne touche pas les héritiers ressort également de ce qu'elle a été fixée en principe [grundsätzlich] en fonction de la culpabilité du défunt et que les héritiers pouvaient s'y soustraire en refusant la succession. Comme l'a déclaré le Tribunal fédéral, la mesure prévue à l'article 130 § 1 de l'arrêté concernant la perception d'un impôt fédéral direct – selon laquelle, dans une procédure pendante, les héritiers se substituent au de cujus, et une [nouvelle] procédure doit être engagée contre les héritiers si la fraude n'est découverte qu'après le décès du de cujus – n'a pour effet que de traiter tous les cas à l'identique, indépendamment du facteur temps. » Cependant, comme il fallait à nouveau fixer le montant de l'amende, l'affaire fut renvoyée devant la commission cantonale de recours en matière fiscale. Les requérants s'adressèrent à la Commission européenne le 29 octobre 1992. C. Développements ultérieurs Le 4 février 1993, la commission cantonale de recours rendit une décision fixant l'amende à 14 678,80 francs suisses (CHF), soit 25 % du montant normalement dû, cela en raison de l'attitude foncièrement coopérative des intéressés. Le 12 mai 1993, les requérants saisirent le Tribunal fédéral d'un recours de droit administratif. Ils soumirent notamment des attestations médicales faisant ressortir que, dans les dernières années de sa vie, M. L. n'avait pas été entièrement responsable de ses faits et gestes et avancèrent l'idée qu'une amende de 1 000 CHF au maximum refléterait mieux la culpabilité du défunt. Les services fiscaux cantonaux et la commission cantonale de recours en matière fiscale d'Obwald, ainsi que les services fiscaux fédéraux, furent invités à soumettre des observations écrites ; ils prièrent le Tribunal fédéral de rejeter le recours. Dans un arrêt rendu le 6 janvier 1995, le Tribunal fédéral accueillit le recours dans la mesure où les appelants faisaient valoir qu'il aurait fallu examiner la question de la responsabilité atténuée de M. L. ; il renvoya derechef l'affaire devant la commission cantonale de recours en matière fiscale d'Obwald. Le 8 juin 1995, ladite commission décida, en raison de la responsabilité atténuée de M. L. et vu l'attitude des requérants, de réduire l'amende qu'aurait dû acquitter M. L. lui-même : elle en fixa finalement le montant à 25 % de ce chiffre, soit 5 513,80 CHF. II. Le droit interne pertinent A. L'arrêté concernant la perception d'un impôt fédéral direct A l'époque des faits, la fraude fiscale était sanctionnée par une amende pouvant aller jusqu'au quadruple du montant soustrait à l'impôt et s'ajoutant à la somme due (article 129 § 1 de l'arrêté). L'article 130 § 1 disposait notamment : « Si la soustraction n'est découverte qu'après la mort du contribuable, la procédure est engagée et poursuivie contre ses héritiers et ceux-ci répondent solidairement de l'impôt soustrait et des amendes encourues par le défunt jusqu'à concurrence du montant de leur part héréditaire, même si aucune faute ne leur est imputable. » B. Le code civil suisse Selon l'article 537 § 1 du code civil suisse, la succession s'ouvre par la mort du de cujus. Les parties pertinentes de l'article 560 sont ainsi libellées : « 1. Les héritiers acquièrent de plein droit l'universalité de la succession dès que celle-ci est ouverte. Ils sont saisis des créances et actions, des droits de propriété et autres droits réels, ainsi que des biens qui se trouvaient en la possession du défunt, et ils sont personnellement tenus de ses dettes ; le tout sous réserve des exceptions prévues par la loi. » Aux termes de l'article 566 § 1, les héritiers ont la faculté de répudier la succession. Le délai pour le faire est de trois mois (article 567 § 1). C. La procédure Le contribuable avait la faculté de présenter une réclamation sur l'évaluation d'un impôt fédéral direct auprès de l'autorité de taxation (article 105 de l'arrêté). La décision rendue dans la procédure de réclamation était susceptible d'appel devant la commission cantonale de recours en matière fiscale (article 106 de l'arrêté). L'Administration cantonale de l'impôt fédéral direct et l'Administration fédérale des contributions pouvaient également former un recours (article 107). 32. La décision de la commission fédérale de recours peut être attaquée par un recours de droit administratif devant le Tribunal fédéral (article 98 e) de la loi fédérale d'organisation judiciaire). Ledit recours pouvait à l'époque être formé tant par le contribuable que par l'Administration fédérale des contributions (article 112 de l'arrêté). Si le Tribunal fédéral ordonne un échange d'écritures, il invite l'autorité qui a pris la décision à lui communiquer le dossier (article 110 § 2 de la loi fédérale d'organisation judiciaire), et demande simultanément qu'elle soumette des observations écrites (article 110 § 1). L'autorité cantonale de dernière instance est, elle aussi, invitée à présenter des observations (article 110 § 3), ainsi que l'Administration fédérale qui aurait pu de même former un recours (article 110 § 1). A l'époque des événements litigieux, l'article 109 § 1 de la loi fédérale d'organisation judiciaire permettait à une chambre du Tribunal fédéral composée de trois juges de rejeter sans audience un recours de droit administratif manifestement mal fondé, à condition de prendre cette décision à l'unanimité. D. Le code pénal suisse Aux termes de l'article 333 § 1 du code pénal suisse, les dispositions générales de ce code s'appliquent aux infractions interdites par d'autres lois fédérales, sauf à celles-ci à en disposer autrement. Selon l'article 48 § 3 du même code, l'amende est éteinte par la mort du condamné. Cependant, conformément à l'article 333 § 1 du même code, l'article 130 § 1 de l'arrêté (paragraphe 26 ci-dessus) déroge à ce principe en tant que lex specialis. E. Développements ultérieurs L'article 179 § 1 de la loi fédérale sur l'impôt fédéral direct du 14 décembre 1990, en vigueur depuis le 1er janvier 1995, dispose que les héritiers répondent notamment des amendes devenues définitives. En vertu de l'article 179 § 2, si la procédure pour fraude fiscale a été close après le décès du contribuable, les héritiers ne sont pas tenus de payer l'amende, pour autant qu'ils ne soient en rien responsables, et doivent faire leur possible pour permettre au fisc de procéder avec exactitude à la taxation. PROCéDURE DEVANT LA COMMISSION Mme E.L., M. R.L. et Mme J.O.-L. ont saisi la Commission le 29 octobre 1992. Ils invoquaient l'article 6 § 2 de la Convention : indépendamment de toute responsabilité personnelle, ils auraient été reconnus coupables d'une infraction prétendument commise par M. L. La Commission a retenu la requête (n° 20919/92) le 16 octobre 1995. Dans son rapport du 10 avril 1996 (article 31), elle conclut à l'absence de violation de l'article 6 § 2 de la Convention (quinze voix contre treize). Le texte intégral de son avis et des trois opinions séparées dont il s'accompagne figure en annexe au présent arrêt. CONCLUSIONS PRéSENTéES à LA COUR PAR LE GOUVERNEMENT A l'audience, l'agent du Gouvernement a prié la Cour de conclure à l'absence de violation de l'article 6.
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I. Les circonstances de l’espèce Le requérant était un citoyen bulgare. D’abord ministre, puis vice-premier ministre et, en 1990, premier ministre de Bulgarie, il était, à l’époque des événements à l’origine de la présente affaire, membre de l’Assemblée nationale bulgare. Le 2 octobre 1996, M. Loukanov fut tué par balle devant son domicile. En quittant Sofia pour Moscou le 7 mars 1992, le requérant fut informé par la police des frontières à l’aéroport de Sofia de l’existence d’un arrêté de retrait de son passeport diplomatique. Comme on ne lui montrait pas le document, il refusa de remettre son passeport. A la suite d’un incident analogue survenu le 11 mars, M. Loukanov adressa un recours à la Cour suprême, qui le débouta au motif qu’aucun acte administratif n’avait été pris qui pût faire l’objet d’un recours. Ultérieurement, l’intéressé engagea une procédure en indemnisation du préjudice moral causé par la décision illégale de lui retirer son passeport (paragraphe 24 ci-dessous). Le 1er juillet 1992, le procureur général demanda à l’Assemblée nationale l’autorisation d’engager des poursuites contre le requérant, soupçonné d’infraction aux articles 203 et 219 par. 3 du code pénal bulgare (paragraphes 25 et 27 ci-dessous). On lui reprochait notamment d’avoir participé de 1986 à 1990, en qualité de vice-premier ministre, à la prise d’un certain nombre de décisions octroyant à des pays en développement tels que le Nicaragua, Cuba, le Laos, le Kampuchéa, l’Afghanistan, l’Angola et le Yémen, une assistance et des prêts s’élevant au total à 34 594 500 dollars américains (USD) et 27 072 000 leva bulgares convertibles. Dans sa demande, le procureur déclara: "Ces décisions (...) ont eu un effet désastreux sur l’économie du pays quant à son potentiel, ses ressources et sa capacité d’exportation, mettant en fait la Bulgarie dans l’impossibilité de rembourser sa dette extérieure. Il convient de souligner que ces mesures néfastes pour le pays, ainsi que d’autres actes illégaux de chefs du parti et membres du gouvernement, ont, durant cette période, fait passer notre dette extérieure de 4 119 700 USD en 1986 à 10 656 900 000 USD en 1989 (...) La situation décrite ci-dessus s’analyse en un délit "d’abus d’autorité" portant sur des montants très élevés, ce qui mérite la qualification d’infraction particulièrement grave, tombant sous le coup des articles 203 et 219 par. 3 du code pénal. Les infractions décrites sont "graves" au sens de l’article 93 par. 7 du même code." Le 7 juillet 1992, l’Assemblée nationale leva l’immunité parlementaire de M. Loukanov, conformément à l’article 70 de la Constitution bulgare, et autorisa l’ouverture de poursuites pénales, ainsi que l’arrestation et la mise en détention provisoire de l’intéressé. Le 9 juillet 1992, le procureur Doychev, du service d’enquêtes du parquet, inculpa le requérant en vertu de l’article 203, combiné avec les articles 201, 202 et 282 du code pénal (paragraphes 25 et 28 ci-dessous) de détournement, avec la complicité du président et des autres vice-présidents du conseil des ministres d’alors, de fonds alloués à certains pays en développement, comme mentionné au paragraphe 9 ci-dessus. C’est en violation de ses obligations officielles qu’il avait facilité les malversations pour obtenir un avantage à un tiers, causant par là même un préjudice considérable à l’économie. Vu les sommes très élevées en jeu, l’affaire revêtait une particulière gravité. Le procureur décida en outre de placer M. Loukanov en détention provisoire, en invoquant l’utilité de montrer au public le risque que présentaient les délits en question pour la société, la personnalité de leur auteur et la nécessité de garantir sa comparution au procès. La décision se fondait notamment sur les articles 147 et 152 par. 1 du code de procédure pénale (paragraphes 29 et 30 ci-dessous). Le 9 juillet 1992, le requérant fut arrêté et placé en détention provisoire dans les locaux du Bureau national de la police judiciaire, à Sofia. Le même jour, l’avocate de M. Loukanov se pourvut devant la Cour suprême bulgare et sollicita la mise en liberté de son client. Elle fit valoir que le mandat d’arrêt, en violation de l’article 148 par. 1 du code de procédure pénale, ne précisait pas les motifs de l’arrestation. Le fait que le requérant fût passible d’une peine supérieure à dix ans d’emprisonnement ne suffirait pas en soi à justifier l’incarcération, le paragraphe 2 de l’article 152 exigeant à cet égard l’existence d’un risque de voir l’intéressé se soustraire à la justice ou commettre une autre infraction (paragraphe 30 ci-dessous). De plus, les mesures auraient été prises sur la base de la personnalité de l’intéressé, notamment de sa qualité de député à l’Assemblée nationale, élément qui ne rentrerait dans aucun des motifs dont l’article 147 par. 1 donne la liste limitative (paragraphe 29 ci-dessous). Le 13 juillet 1992, la Cour suprême rejeta le pourvoi lors d’une séance tenue en présence du ministère public, mais en l’absence de M. Loukanov et de son avocate. Sa décision était ainsi motivée: "En vertu de l’article 152 par. 1 du code de procédure pénale, le suspect est placé en détention si la peine encourue est égale ou supérieure à dix ans d’emprisonnement ou si elle est la mort. Les infractions relevant de l’article 203 par. 1 du code pénal emportent de telles peines. [Cette disposition] énonce deux conditions cumulatives: il faut que les malversations aient été de grande envergure et qu’elles aient revêtu une gravité particulière. L’envergure [du détournement] dépend de la valeur des fonds publics en jeu. La gravité de l’affaire tient à la participation de complices à ces malversations, ainsi qu’à la gravité de la menace que les [mesures] font peser sur la société, ainsi que leur objet (article 93 par. 8 du code pénal). L’argument selon lequel on se trouve ici dans l’hypothèse envisagée à l’article 152 par. 2 (...) est sans fondement. Au moment de l’ouverture de l’instruction, le requérant était député. En vertu de l’article 72 de la Constitution bulgare, il conserve cette qualité jusqu’à ce que se produisent des faits justifiant de suspendre le député de ses fonctions. En tant que membre de l’Assemblée nationale, le [requérant] représente le peuple dans son ensemble. Ce sont précisément ces fonctions qui font que le [risque] évoqué à l’article 152 par. 2 (...) se concrétisera avec une probabilité plus grande que dans le cas d’un appelant autre qu’un parlementaire. Par ailleurs, le requérant a formé un recours juridictionnel contre la décision administrative de retrait de son passeport diplomatique (...). Le fait qu’il ait décidé de cette démarche permet valablement de se demander s’il ne se livrera pas à d’autres actes tombant sous le coup de l’article 152 par. 2 (...) Selon l’article 70 de la Constitution, "(...) les députés ne peuvent ni être arrêtés ni faire l’objet de poursuites judiciaires, sauf en cas d’infractions graves, et avec l’autorisation de l’Assemblée nationale (...)". Une interprétation logique et rigoureuse de cette disposition permet de conclure que [le point déterminant] pour recourir à la mesure de coercition - la détention - [à appliquer] dans le contexte du code pénal, est celui de savoir si l’acte fait courir un risque grave à la société et quel est le statut particulier de la personne qui l’a commis - en l’espèce un député. C’est pourquoi le législateur a prévu en [pareils] cas une mesure de (...) détention. Le parquet est habilité à la prescrire." Le 23 août 1992, M. Loukanov fut hospitalisé à l’hôpital pénitentiaire de Sofia, où il fut soigné. Le 4 septembre 1992, il adressa au procureur général une demande de mise en liberté en invoquant des éléments nouveaux concernant son état de santé. Le 5 septembre 1992, son avocate se pourvut devant la Cour suprême contre le refus tacite du procureur général d’accueillir la demande du 4 septembre 1992. La Cour suprême rejeta le pourvoi le 17 septembre 1992 aux motifs que son auteur avait déjà formé un recours contre sa détention et que le droit bulgare ne permettait pas d’en introduire d’autres. Ultérieurement, l’avocate de M. Loukanov demanda au procureur de libérer son client. Le 28 octobre 1992, lors d’une réunion tenue à l’hôpital militaire de Sofia entre le procureur, le requérant et son avocate, cette dernière demanda au procureur de se prononcer sur la demande de libération. M. Loukanov souligna qu’il était déraisonnable de justifier sa détention par le fait qu’il avait contesté la saisie de son passeport, d’autant qu’il n’en possédait pas d’autre. Il n’existait par ailleurs aucun risque qu’il récidivât puisque, n’occupant plus les mêmes fonctions, il n’était plus en mesure de le faire. Le 2 novembre 1992, le procureur refusa la mise en liberté. Il expliqua que le procureur général avait déjà examiné la question et estimé que, nonobstant les rapports médicaux sur le requérant, aucun élément nouveau ne justifiait l’élargissement. Le procureur général avait informé les avocats de M. Loukanov de sa décision du 22 octobre 1992 et ceux-ci savaient qu’aucun autre recours n’était possible. Par un courrier du 9 novembre 1992, l’avocate de M. Loukanov demanda au procureur général de clore l’instruction, faisant valoir que celle-ci avait commencé le 8 juillet 1992 et que le délai légal de deux mois, expiré, avait été prorogé de deux mois supplémentaires, soit jusqu’au 8 novembre 1992. Or l’article 222 par. 3 du code de procédure pénale n’autorisait toute nouvelle prorogation que dans des cas "exceptionnels", condition non remplie en l’espèce. Le procureur général n’avait par ailleurs obtenu aucun élément nouveau pendant les quatre mois écoulés depuis le début de l’instruction. L’avocate contesta également les accusations portées contre son client, le conseil des ministres ayant pris ses décisions collégialement, en accord avec la Constitution et avec le budget voté par l’Assemblée nationale. Les mesures litigieuses mettaient simplement en oeuvre la politique du gouvernement en place, et c’était ce dernier, et non le requérant en sa qualité de vice-premier ministre, qui avait administré les fonds en cause. Du reste, il n’avait pas été établi que l’intéressé eût commis les infractions présumées à son profit personnel ou à celui d’un tiers. Le 10 novembre 1992, l’avocate demanda au procureur général de libérer son client, en soutenant notamment que le maintien en détention violait l’article 5 par. 3 de la Convention (art. 5-3) et, qu’en outre, l’incarcération n’avait pas été motivée, au mépris de l’article 5 par. 1 c) (art. 5-1-c). L’argument du recours formé contre le retrait du passeport était dénué de fondement, M. Loukanov n’ayant fait qu’exercer les droits que lui conférait la législation bulgare. L’avocate refusa de répondre à l’allégation selon laquelle le requérant constituerait un danger pour la société en raison de sa qualité de député. Le 11 novembre 1992, le procureur général informa verbalement l’avocate que la demande présentée par son client le 10 novembre 1992 avait été rejetée, faute d’éléments nouveaux justifiant de revenir sur la décision du maintien en détention. Par une lettre du 18 novembre 1992, le requérant, invoquant l’article 180 du code de procédure pénale, se plaignit auprès du procureur général de ce que le ministère public n’avait pas répondu par écrit à ses demandes. Les poursuites pénales engagées contre lui étaient dénuées de base légale et constituaient manifestement une forme de représailles politiques. Dans un courrier du 20 novembre 1992, l’avocate sollicita du procureur une réponse à sa demande du 10 novembre 1992 (paragraphe 19 ci-dessus) et précisa que l’information avait son importance pour la requête adressée à la Commission. Le 25 novembre 1992, le procureur répondit que la décision du 11 novembre avait été communiquée à l’avocate le 16 et qu’un procès-verbal avait été établi, conformément à l’article 100 du code de procédure pénale. Le 29 décembre 1992, l’Assemblée nationale bulgare rapporta sa décision du 7 juillet 1992 autorisant la mise en détention provisoire de M. Loukanov. Le lendemain, le procureur ordonna la libération sous caution de l’intéressé. Le 12 mars 1994, le tribunal de Sofia accorda à M. Loukanov une indemnité pour le préjudice moral subi en raison des tentatives faites par la police des frontières de lui retirer son passeport, en l’absence d’une décision légale le prévoyant. La Cour suprême confirma ce jugement le 9 février 1995. II. Le droit interne pertinent A. Le code pénal bulgare d’avril 1968, dans sa version en vigueur à l’époque des faits Selon l’article 201 du code pénal, tout agent de l’Etat qui détourne des fonds, publics ou privés, qui lui ont été remis en considération de sa qualité, ou confiés à sa garde ou à sa gestion, encourt jusqu’à huit ans d’emprisonnement. S’il a commis une autre infraction pour faciliter le détournement ou s’il a bénéficié de complicités, il est passible d’un à dix ans de réclusion (article 202). L’article 203 par. 1 prévoit des peines de dix à trente ans d’emprisonnement si l’infraction relevant des articles 201 ou 202 porte sur des montants particulièrement élevés de fonds publics et est qualifiée de grave. Comme il ressort d’un certain nombre de décisions rendues par la Cour suprême (D 133-77-II, p. 80; D 63-79-I, p. 61; D 271-85-II, p. 87; D 172-88-I, bull. no 12/88, p. 4; D 144-79-I, p. 73; D 315-75-II, p. 52, et D 5-83-Pl., p. 17), fournies par l’avocate du requérant, en concertation avec l’agent du Gouvernement avant l’audience devant la Cour à l’époque des faits, l’une des conditions pour que le délit de détournement fût constitué au regard de l’article 201 du code pénal était que l’intéressé eût disposé des biens en question comme des siens propres, à son profit ou celui d’un tiers. Dans un arrêt de 1995 (no 17/95), la Cour constitutionnelle a déclaré inconstitutionnel un amendement adopté par l’Assemblée nationale pour ajouter à l’article 201 la condition expresse que l’intéressé eût utilisé les fonds à son profit personnel ou à celui d’un tiers. Selon la Cour, une telle limitation à la portée du délit de détournement de fonds affaiblirait la protection du droit de propriété garanti par la Constitution de 1991. La condition déterminante est non que l’enrichissement ait été personnel, mais que l’intéressé ait disposé des fonds comme s’il s’agissait des siens propres et qu’il ait par là même nui aux intérêts du propriétaire des fonds. A cet égard, la Cour constitutionnelle a déclaré que l’amendement en question était conforme à l’interprétation de l’article 201 donnée par la Cour suprême. Au dire du Gouvernement, il n’y avait à l’époque des faits aucun membre du conseil des ministres poursuivi en vertu des articles 201 et 203 du code pénal pour avoir participé à une décision prise collégialement par le gouvernement. L’article 219 par. 1 dispose: "Tout agent de l’Etat qui, dans la gestion des actifs ou des fonds en sa possession, ou dans l’accomplissement des tâches qui lui sont confiées, cause par sa faute et au détriment du service concerné ou de l’économie nationale, un dommage matériel considérable ou provoque la destruction ou la dissipation de ces actifs, est condamné à trois ans d’emprisonnement au plus ou à un travail d’intérêt général." En vertu du paragraphe 3 du même article, la peine encourue est portée à huit ans d’emprisonnement si la forfaiture est commise délibérément. L’article 282 énonce: "1) L’agent de l’Etat qui ne s’acquitte pas de ses obligations professionnelles, ou abuse de ses pouvoirs en vue d’obtenir un avantage matériel pour lui-même ou pour un tiers ou de porter préjudice à autrui, encourt, si son comportement risque de causer un dommage matériel non négligeable, une peine d’emprisonnement pouvant aller jusqu’à cinq ans (...) 2) Si l’acte en cause entraîne un préjudice matériel considérable, ou a été commis par un fonctionnaire de haut rang, son auteur est passible de huit ans d’emprisonnement (...) 3) Si ledit acte est particulièrement grave, la peine est de trois à dix ans d’emprisonnement (...)" B. Le code de procédure pénale bulgare de novembre 1974, dans sa version en vigueur au moment des faits Selon l’article 147 par. 1 du code de procédure pénale, l’inculpé peut être placé sous contrôle judiciaire pour éviter les risques de fuite, de récidive ou de collusion. Le type de mesure ainsi décidée dépend des éléments à charge, de l’état de santé de l’inculpé, de sa situation familiale, de sa profession ainsi que de toute autre information sur sa personne. Les passages pertinents de l’article 152 sont ainsi libellés: "1) La détention provisoire est ordonnée si l’inculpé encourt une peine de dix ans d’emprisonnement ou plus, ou s’il risque la peine capitale. 2) La mesure prévue au paragraphe précédent n’est pas ordonnée lorsqu’il n’existe aucun risque de voir l’inculpé se soustraire à la justice ou commettre une autre infraction. (...) 4) Le détenu peut immédiatement interjeter appel de sa mise en détention. Le tribunal rendra, dans les trois jours, une décision définitive." PROCÉDURE DEVANT LA COMMISSION Dans sa requête (no 21915/93) à la Commission du 1er septembre 1992, M. Loukanov se plaignait de ce que son arrestation et sa détention provisoire eussent été contraires à l’article 5 par. 1 c) de la Convention (art. 5-1-c), en ce qu’il n’y avait pas raisonnablement lieu de le soupçonner d’avoir commis une infraction et que les mesures prises n’étaient pas nécessaires pour l’empêcher de perpétrer une infraction ou de se soustraire à la justice. Par ailleurs, il se plaignait de traitements inhumains et dégradants subis en détention et prohibés par l’article 3 (art. 3). En outre, il n’aurait pas bénéficié, contrairement à l’article 6 (art. 6), d’une audience publique devant la Cour suprême. Au surplus, la procédure pénale engagée contre lui aurait concerné des actes qui n’étaient pas constitutifs d’une infraction pénale à l’époque des faits, au mépris de l’article 7 (art. 7). Il alléguait aussi une méconnaissance de l’article 10 de la Convention (art. 10), en raison de la décision du procureur lui interdisant d’écrire des articles sur des questions liées à l’instruction. Enfin, il dénonçait une violation de l’article 18 de la Convention (art. 18). Le 12 janvier 1995, la Commission a retenu la requête quant aux griefs tirés des articles 5 par. 1 et 18 de la Convention (art. 5-1, art. 18) et l’a déclarée irrecevable pour le surplus. Dans son rapport du 16 janvier 1996 (article 31) (art. 31), elle formule à l’unanimité l’avis qu’il y a eu violation de l’article 5 par. 1 de la Convention (art. 5-1) et qu’aucune question distincte ne se pose sous l’angle de l’article 18 (art. 18). Le texte intégral de son avis figure en annexe au présent arrêt. CONCLUSIONS PRÉSENTÉES À LA COUR A l’audience du 28 novembre 1996, le Gouvernement a admis, comme dans ses observations écrites, qu’il y avait eu violation de l’article 5 par. 1 de la Convention (art. 5-1). A la même occasion, l’avocate de M. Loukanov, comme elle l’avait fait dans son mémoire, a demandé à la Cour de constater des violations de l’article 5 par. 1 (art. 5-1) et d’accorder à l’intéressé une satisfaction équitable au titre de l’article 50 de la Convention (art. 50).
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I. Les circonstances de l’espèce Citoyen néerlandais né en 1924, M. van Raalte réside à Amstelveen. Il n’a jamais été marié et n’a pas d’enfants. Le 30 septembre 1987, l’inspecteur des impôts directs lui envoya, pour l’année 1985, un avis relatif aux cotisations dues par lui au titre de divers régimes de sécurité sociale, dont celui instauré par la loi générale sur les allocations familiales (Algemene kinderbijslagwet - paragraphe 21 ci-dessous). Le requérant déposa une réclamation (bezwaarschrift - paragraphe 27 ci-dessous) contre cet avis le 21 octobre 1987. Il s’appuyait sur l’article 25 par. 2 de la loi générale sur les allocations familiales et sur le décret royal du 27 février 1980 (Staatsblad (Journal officiel) no 89, ("le décret royal") - paragraphe 23 ci-dessous), en vertu desquels les femmes célibataires, sans enfants, de quarante-cinq ans et plus étaient exonérées de l’obligation de verser des cotisations au titre de la loi générale sur les allocations familiales; d’après lui, l’interdiction de la discrimination consacrée par l’article 1 de la Constitution néerlandaise (paragraphe 18 ci-dessous) et par l’article 26 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (paragraphe 20 ci-dessous) impliquait que l’exemption litigieuse fût étendue aux hommes se trouvant dans la même situation. M. van Raalte reçut ultérieurement, pour les années 1986, 1987 et 1988, des avis analogues, contre lesquels il déposa également des réclamations. L’inspecteur réserva sa décision sur celles-ci en attendant l’issue de la procédure relative à l’avis pour l’année 1985. Le 25 novembre 1987, l’inspecteur rendit une décision déclarant la première réclamation dépourvue de fondement au motif qu’"en vertu de la législation nationale, il n’est pas possible d’appliquer l’article 25 par. 2 de la loi générale sur les allocations familiales, dès lors que la personne redevable des cotisations n’est pas du sexe féminin". Le requérant attaqua la décision devant la cour d’appel d’Amsterdam (paragraphe 27 ci-dessous) le 29 décembre 1987. S’appuyant sur l’article 14 de la Convention combiné avec l’article 1 du Protocole no 1 (art. 14+P1-1) à celle-ci, ainsi que sur l’article 26 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, il fit valoir que les dispositions du décret royal devaient recevoir une interprétation "sexuellement neutre". Tant l’article 25 par. 2 de la loi générale sur les allocations familiales que le décret royal étaient, d’après lui, discriminatoires. Après le dépôt par l’inspecteur d’un mémoire en défense, le requérant soumit une réplique, qui fut suivie d’une duplique de l’inspecteur. L’exemption du versement des cotisations au titre de la loi générale sur les allocations familiales dont bénéficiaient les femmes célibataires, sans enfants, âgées de quarante-cinq ans et plus fut abrogée, à compter du 1er janvier 1989, par la loi du 21 décembre 1988 (Staatsblad 1988, no 631). La cour d’appel d’Amsterdam statua le 6 octobre 1989 par un arrêt rejetant l’appel du requérant et confirmant la décision de l’inspecteur. Ses motifs comportaient le passage suivant: "5.4. Ni le libellé de la disposition incriminée ni les travaux préparatoires y relatifs n’indiquent que le législateur ait eu l’intention d’opérer une discrimination ou qu’il en ait créé une. En particulier, on ne peut pas dire qu’il cherchait à discriminer entre les hommes célibataires ayant atteint l’âge de quarante-cinq ans avant le début de l’année civile et ne pouvant prétendre à des allocations familiales au titre de la loi générale sur les allocations familiales, et les femmes se trouvant dans une situation comparable. 5. Au travers de la disposition inscrite à l’article 25 par. 2 de la loi générale sur les allocations familiales, le législateur entendait simplement tenir dûment compte de la différence effective de situation entre les femmes âgées de plus de quarante-cinq ans et les hommes âgés de plus de quarante-cinq ans, du point de vue de leurs possibilités d’avoir (d’engendrer ou d’élever) des enfants. 6. La circonstance, indiquée par [le requérant], qu’il ressort des données statistiques que les hommes d’un certain âge n’engendrent que rarement des enfants ne change rien à ce qui a été dit au paragraphe 5.5 ci-dessus. Le législateur a apprécié différemment la situation de fait du groupe de femmes visé à l’article 25 par. 2 de la loi générale sur les allocations familiales, sous l’angle de la possibilité pour elles d’avoir des enfants et non de ce qui se produit dans la réalité à cet égard. Les possibilités pour les hommes d’un certain âge de procréer sont fondamentalement différentes de celles des femmes du même âge, en ce sens que cette différence est considérable indépendamment desdites données statistiques. 7. En conséquence, la différence de traitement incriminée par [le requérant] n’est pas fondée sur une différence sexuelle mais sur une différence dans les situations de fait. La circonstance que cette différence coïncide (partiellement) avec la différence entre les sexes ne change rien à cette conclusion. La disposition litigieuse ne méconnaît donc pas l’interdiction de la discrimination. 8. On ne saurait exclure en principe que l’équité et l’acceptabilité de la loi générale sur les allocations familiales gagnent à ce que soient prises en compte ces différences dans les situations de fait. Dès lors qu’il n’appartient pas à la cour d’appel de se prononcer sur la valeur intrinsèque d’une loi, elle ne peut examiner si les différences dans les situations de fait justifient entièrement l’exemption litigieuse. 9. Même s’il était exact, contrairement à ce qui a été exposé ci-dessus, que la disposition en cause méconnaît l’interdiction de discrimination, cela ne serait d’aucun secours pour [le requérant]. Il ne serait pas loisible à la cour d’appel d’étendre l’exemption incriminée à un ou plusieurs groupes d’individus que le législateur a précisément entendu ne pas en faire profiter. Si l’argument fondé sur l’interdiction de discrimination devait être accepté en principe, cela aboutirait seulement à constater que la disposition en cause n’a pas force obligatoire. Cela ne serait pas dans l’intérêt [du requérant]." M. van Raalte saisit la Cour de cassation (Hoge Raad) d’un pourvoi (beroep in cassatie - paragraphe 27 ci-dessous) le 7 décembre 1989. Pour ce qui intéresse la présente espèce, il attaqua le raisonnement précité de la cour d’appel en invoquant l’article 14 de la Convention (art. 14) et l’article 26 du Pacte international de 1966 relatif aux droits civils et politiques. L’inspecteur répondit par écrit. La Cour de cassation repoussa le pourvoi le 11 décembre 1991. Ses motifs comportaient le passage suivant: "3.4. D’après le troisième moyen [middel], le principe énoncé à l’article 25 par. 2 de la loi générale sur les allocations familiales viole l’article 26 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques et l’article 14 de la Convention (art. 14). Dans la mesure où le moyen invoque cette dernière disposition (art. 14), il ne saurait être accueilli, dès lors que la présente espèce ne se rapporte à aucun des droits et libertés énoncés dans la Convention. (...) 6. Eu égard notamment aux travaux préparatoires relatifs à la disposition litigieuse, la limitation aux femmes âgées de quarante-cinq ans et plus de l’exemption prévue à l’article 25 par. 2 de la loi générale sur les allocations familiales s’inspirait de l’idée qu’il ne serait pas raisonnable d’exiger de ces femmes le versement de cotisations au titre de ladite loi, dès lors qu’il fallait présumer qu’un grand nombre d’entre elles n’auraient jamais d’enfants et qu’il y avait des facteurs sociaux et - contrairement aux hommes - biologiques les empêchant de mettre des enfants au monde passé l’âge en question. La Cour de cassation n’a pas à examiner la question de savoir si le fait précité constitue une justification objective et raisonnable pour exempter seulement les femmes âgées de quarante-cinq ans et plus du versement des cotisations au titre de la loi générale sur les allocations familiales. Dès lors que cette différence de traitement entre femmes et hommes (célibataires), qui, eu égard aux différences biologiques entre les hommes et les femmes, ne peut en tout cas passer pour dépourvue de tout fondement raisonnable, a disparu à compter du 1er janvier 1989 du fait de l’abrogation de l’exemption par la loi du 21 décembre 1988 (Staatsblad 1988, no 631), il n’y a aucun motif pour une juridiction d’intervenir en déclarant l’exemption applicable pour l’année en question aux hommes célibataires de quarante-cinq ans et plus. (...)" Après le prononcé de cet arrêt, l’inspecteur rendit des décisions rejetant les réclamations du requérant relatives aux avis pour les années 1986, 1987 et 1988 (paragraphe 9 ci-dessus). D’après les chiffres publiés par l’Office néerlandais de la statistique (Centraal Bureau voor de Statistiek), le nombre d’enfants "légitimes" nés vivants aux Pays-Bas de pères âgés de quarante-cinq ans et plus en 1985 était de 2 341, soit environ 1,43 % du nombre total des enfants "légitimes" nés au cours de cette année (163 370). Le chiffre correspondant pour les mères âgées de quarante-cinq ans et plus était de 177, soit approximativement 1 pour mille. On ne dispose pas de chiffres pour les enfants nés hors mariage. II. Le droit et la pratique internes pertinents A. La Constitution Aux termes de l’article 1 de la Constitution de 1983, "Toutes les personnes se trouvant aux Pays-Bas feront l’objet d’un même traitement dans les mêmes situations. La discrimination sur le fondement de la religion, des convictions philosophiques, des tendances politiques, de la race ou du sexe, ou sur tout autre fondement n’est pas autorisée." En droit constitutionnel néerlandais, les juridictions ne peuvent se pencher sur la constitutionnalité des lois. L’article 120 énonce: "Le juge ne se prononce pas sur la constitutionnalité [grondwettigheid] des lois et des traités." En revanche, la législation déléguée peut faire l’objet d’un examen tendant à déterminer si elle est conforme à la Constitution, et même aux principes généraux non écrits du droit (voir l’arrêt rendu par la Cour de cassation le 1er décembre 1993, Beslissingen in Belastingzaken (Recueil des décisions en matière fiscale - "BNB") 1994, no 64). L’article 93 de la Constitution prévoit que les dispositions des traités internationaux et les décisions des organisations internationales (intergouvernementales) qui, d’après leur contenu, peuvent lier quiconque, ont force obligatoire après leur publication. En ce qui concerne la prohibition de la discrimination, les Pays-Bas sont partie, entre autres, au Pacte international de 1966 relatif aux droits civils et politiques ("le Pacte"), dont l’article 26 énonce: "Toutes les personnes sont égales devant la loi et ont droit sans discrimination à une égale protection de la loi. A cet égard, la loi doit interdire toute discrimination et garantir à toutes les personnes une protection égale et efficace contre toute discrimination, notamment de race, de couleur, de sexe, de langue, de religion, d’opinion politique et de toute autre opinion, d’origine nationale ou sociale, de fortune, de naissance ou de toute autre situation." B. La loi générale sur les allocations familiales La loi générale sur les allocations familiales a été adoptée en 1962. Jusqu’au 1er janvier 1989 (paragraphe 28 ci-dessous), l’article 25 en était ainsi libellé: "1. Les cotisations sont dues par: a) toute personne redevable de cotisations au titre de la loi générale sur l’assurance vieillesse (Algemene ouderdomswet); b) (...) Il peut être dérogé par décret royal à l’alinéa a) du premier paragraphe sous réserve de conditions et de limitations, au besoin, en faveur des femmes célibataires qui ont atteint l’âge de quarante-cinq ans. (...)" Les personnes visées à l’alinéa a) étaient toutes celles qui n’avaient pas encore atteint l’âge de soixante-cinq ans et qui étaient résidentes néerlandaises ou, à défaut, assujetties à la loi relative au prélèvement de l’impôt sur les rémunérations (Wet op de loonbelasting) pour un travail accompli aux Pays-Bas en vertu d’un contrat de travail (article 6 par. 1 de la loi générale sur l’assurance vieillesse). Toute personne étant soit résidente néerlandaise, soit assujettie à la loi relative au prélèvement de l’impôt sur les rémunérations pour un travail accompli aux Pays-Bas en vertu d’un contrat de travail, pouvait prétendre, au titre de la loi générale sur les allocations familiales, à des allocations pour des enfants dont elle assumait la charge financière, que ceux-ci fussent ou non ses enfants propres, par naissance ou par mariage, ou qu’ils fussent des enfants adoptifs (articles 6 et 7 de ladite loi). Ce droit n’était pas subordonné à la condition que la personne en cause eût contribué au régime. C. Le décret royal A l’époque des événements incriminés, la dérogation à la règle générale rendue possible par l’article 25 par. 2 était prévue par le décret royal du 27 février 1980 (Staatsblad no 89), dont l’article 1 disposait: "Par dérogation à l’article 25 par. 1 a) de la loi générale sur les allocations familiales, ne seront redevables d’aucune cotisation les femmes célibataires ayant atteint l’âge de quarante-cinq ans avant le début de l’année civile et ne pouvant prétendre à des allocations familiales au titre de cette loi." D. La jurisprudence interne La Cour de cassation La Cour de cassation a reconnu, dans un arrêt du 2 février 1982 (Nederlandse Jurisprudentie (Recueil de jurisprudence néerlandaise - "NJ") 1982, no 424 (corrigé dans NJ 1982, no 475)), que l’article 26 du Pacte constitue une disposition d’un traité international qui, d’après son contenu, peut lier quiconque, et que, par conséquent, elle doit, en principe, être appliquée directement par les juridictions néerlandaises (paragraphe 20 ci-dessus). Toutefois, dans un certain nombre de décisions, elle a refusé d’appliquer l’article 26 du Pacte d’une manière qui eût privé la législation néerlandaise de ses effets, alors même qu’elle considérait qu’une mesure donnée constituait une discrimination illégale entre hommes et femmes, estimant que là où diverses voies s’offraient aux autorités nationales pour éliminer la discrimination en cause, le choix devait être laissé au législateur, eu égard aux implications sociales et juridiques s’attachant à chacune des options possibles (voir les arrêts de la Cour de cassation des 12 octobre 1984, NJ 1985, no 230, et 23 octobre 1988, NJ 1989, no 740). Dans son arrêt du 16 novembre 1990 (NJ 1991, no 475), cité dans l’arrêt Kroon et autres c. Pays-Bas rendu par la Cour européenne des Droits de l’Homme le 27 octobre 1994 (série A no 297-C), la Cour de cassation aboutit à un constat analogue relativement à l’article 14 de la Convention combiné avec l’article 8 (art. 14+8) (loc. cit., p. 50, par. 14). La Commission centrale de recours La Commission centrale de recours (Centrale Raad van Beroep) - la juridiction administrative compétente pour statuer sur la plupart des litiges en matière de sécurité sociale mais non, notamment, sur ceux relatifs aux cotisations dues en vertu de la loi générale sur les allocations familiales - a jugé que l’article 26 du Pacte est en principe directement applicable en matière de sécurité sociale. Ainsi, dans son arrêt du 14 mai 1987 (Rechtspraak Sociaal Verzekeringsrecht (Recueil de jurisprudence en matière de sécurité sociale - "RSV") 1987, no 246), elle jugea discriminatoire la règle selon laquelle, pour bénéficier d’allocations au titre de la loi sur les allocations destinées aux victimes des persécutions subies entre 1940 et 1945 (Wet uitkering vervolgingsslachtoffers 1940-1945), une femme mariée devait être soutien de famille, alors que pareille condition ne s’appliquait pas aux hommes mariés. Dans trois arrêts rendus le 5 janvier 1988 (Nederlandse Jurisprudentie - Administratiefrechtelijke Beslissingen (Recueil de jurisprudence administrative - "AB") 1988, nos 252-254), elle aboutit à un constat analogue relativement à la loi générale sur l’incapacité de travail (Algemene arbeidsongeschiktheidswet), mais seulement à compter du 1er janvier 1980, date à laquelle une législation était entrée en vigueur qui visait à supprimer cette discrimination mais qui n’avait pas réussi à le faire de manière adéquate. De même, dans ses arrêts du 7 décembre 1988 (NJCM-Bulletin 1989, no 14, p. 71, et AB 1989, no 10), elle reconnut le droit pour un veuf de réclamer une pension de veuve (weduwenpensioen) au titre de la loi générale sur les veuves et orphelins (Algemene weduwen- en wezenwet). E. Levée des cotisations; dispositions procédurales Les cotisations au titre de la loi générale sur les allocations familiales et de certains autres régimes de sécurité sociale étaient levées par l’inspecteur des impôts de la même manière que l’impôt sur le revenu (articles 21 et 22 de la loi générale sur les dépenses médicales exceptionnelles (Algemene wet bijzondere ziektekosten), que l’article 26 de la loi générale sur les allocations familiales avait déclarés applicables par analogie). Il était possible de saisir l’inspecteur d’une réclamation contre un avis (article 23 par. 1 de la loi générale sur les impôts de l’Etat - Algemene wet inzake rijksbelastingen). La décision de l’inspecteur était susceptible de recours auprès de la cour d’appel (articles 2 et 26 par. 1 de la loi générale sur les impôts de l’Etat). La décision de la cour d’appel était elle-même susceptible d’un pourvoi devant la Cour de cassation (article 95 de la loi sur l’organisation judiciaire - Wet op de rechterlijke organisatie). F. La loi du 21 décembre 1988 Ainsi qu’il a été relevé ci-dessus (paragraphe 12), la possibilité ménagée par l’article 25 par. 2 disparut avec l’entrée en vigueur, le 1er janvier 1989, de la loi du 21 décembre 1988 (Staatsblad 1988, no 631). En conséquence, depuis cette date, les hommes et les femmes sont tenus, dans les mêmes conditions, de verser des cotisations au titre de la loi générale sur les allocations familiales, quel que soit leur âge et qu’ils soient ou non mariés et aient ou non des enfants. PROCÉDURE DEVANT LA COMMISSION M. van Raalte a saisi la Commission le 23 avril 1992. Il invoquait l’article 14 de la Convention combiné avec l’article 1 du Protocole no 1 (art. 14+P1-1), se disant victime d’un traitement discriminatoire relativement à l’obligation de verser des cotisations au titre de la loi générale sur les allocations familiales. La Commission a retenu la requête (no 20060/92) le 10 avril 1995. Dans son rapport du 17 octobre 1995 (article 31) (art. 31), elle formule l’avis qu’il y a eu violation de l’article 14 de la Convention combiné avec l’article 1 du Protocole no 1 (art. 14+P1-1) (vingt-trois voix contre cinq). Le texte intégral de son avis et de l’opinion dissidente dont il s’accompagne figure en annexe au présent arrêt. CONCLUSIONS PRÉSENTÉES À LA COUR PAR LE GOUVERNEMENT Le Gouvernement conclut son mémoire en exprimant l’opinion qu’il n’y a pas eu violation de l’article 14 de la Convention combiné avec l’article 1 du Protocole no 1 (art. 14+P1-1).
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M. Aldo Giuseppe Nicodemo habite Praia a Mare (Cosenza) ; il est avocat de formation. Le 14 juillet 1981, l'administration régionale (Giunta Regionale) de Calabre recruta le requérant, déjà employé sous contrat à durée déterminée, à titre permanent. Devant l'inertie de l'administration, le 15 mai 1984, M. Nicodemo déposa un recours devant le tribunal administratif régional (« TAR ») de Calabre afin d'obtenir l'exécution de la décision en question, les différences de salaire ainsi que le dédommagement pour le retard. Le 21 mai 1984, il demanda au TAR la fixation de la date d'audience. Les 31 novembre 1988 et 5 mars 1989, il présenta une demande de fixation urgente. Par un jugement interlocutoire du 28 avril 1989, le TAR ordonna à la région de déposer certains documents. Cette requête fut réitérée par un deuxième jugement interlocutoire rendu le 22 novembre 1991. Le 7 mai 1993, l'intéressé formula une nouvelle demande de fixation urgente de la date d'audience. D'après les informations du requérant, au 29 octobre 1996, la procédure était encore pendante. PROCéDURE DEVANT LA COMMISSION M. Nicodemo a saisi la Commission le 21 août 1993. Il se plaignait de la durée de la procédure suivie devant le tribunal administratif régional de Calabre et invoquait l'article 6 § 1 de la Convention. Le 6 juillet 1995, la Commission a retenu la requête (n° 25839/94). Dans son rapport du 28 novembre 1995 (article 31), elle conclut, par vingt-quatre voix contre cinq, qu'il y a eu violation de l'article 6. Le texte de son avis et de l'opinion dissidente dont il s'accompagne figure en annexe au présent arrêt. CONCLUSIONS PRéSENTéES à LA COUR PAR LE GOUVERNEMENT Le Gouvernement demande à la Cour, à titre principal, de déclarer que l'article 6 § 1 de la Convention ne s'applique pas en l'espèce et, subsidiairement, de juger qu'il n'a pas été enfreint.
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I. Les circonstances de l’espèce Citoyen suisse né en 1940, M. Armin Nideröst-Huber réside à Rickenbach (Suisse). Le 9 décembre 1985, il fut révoqué sans préavis de ses fonctions de président du conseil d’administration (Verwaltungsratspräsident) et de directeur général (Geschäftsführer) d’une société anonyme (Aktiengesellschaft) familiale de droit suisse, à la suite d’un changement de majorité parmi les actionnaires. Le 29 juillet 1986, il intenta une action contre la société en paiement d’arriérés de salaire et d’une indemnité de départ (Abgangsentschädigung). Le tribunal de district (Bezirksgericht) de Schwyz le débouta le 22 septembre 1988. Le 19 juin 1990, le tribunal cantonal (Kantonsgericht) de Schwyz rejeta l’appel (Berufung) du requérant. Souscrivant aux motifs du premier juge, il estima justifiée la révocation litigieuse: dans la lutte qui avait opposé M. Nideröst-Huber aux actionnaires minoritaires, celui-ci aurait négligé les intérêts de la société au profit des siens propres. Il aurait ainsi détruit la confiance de la nouvelle majorité en ses capacités de gestion loyale de la société. L’intéressé saisit alors le Tribunal fédéral d’un recours en réforme (Berufung) qu’il déposa le 12 octobre 1990 auprès du tribunal cantonal. Celui-ci le transmit le 22 octobre à la haute juridiction et y joignit le dossier et une page d’observations (Stellungnahme zur Berufung), lesquelles ne furent pas communiquées au requérant. Elles concluaient au rejet du recours, dont elles réfutaient certains des motifs, soulignant entre autres que la révocation litigieuse était la conséquence légitime du comportement réfractaire et illégal que M. Nideröst-Huber avait manifesté pendant des années à la tête de la société. Celle-ci présenta le 12 décembre 1990 des conclusions (Berufungsantwort) qui furent communiquées à M. Nideröst-Huber. Le 1er mars 1991, le Tribunal fédéral écarta le recours en réforme. D’après lui, c’est à juste titre que le tribunal cantonal avait estimé justifiée la révocation sans préavis de l’intéressé, dès lors que celui-ci avait abusé de sa majorité dans la société pour servir ses intérêts personnels, bafouant systématiquement ceux de la minorité, même en violation de décisions de justice obligatoires; la nouvelle majorité avait donc valablement pu le limoger sur-le-champ. L’arrêt fut signifié au requérant le 30 avril 1991. Le même jour, celui-ci demanda au Tribunal fédéral le texte des observations du tribunal cantonal (paragraphe 10 ci-dessus). Il l’obtint le 2 mai 1991. II. Le droit interne pertinent L’article 56 de la loi fédérale d’organisation judiciaire du 16 décembre 1943 dispose: "L’autorité cantonale avise immédiatement la partie adverse des conclusions du recours, même si celui-ci paraît tardif, et adresse au Tribunal fédéral, dans le délai d’une semaine, les actes de recours, une copie de la décision finale et des décisions incidentes qui l’ont précédée, ainsi que le dossier complet et, s’il y a lieu, ses observations; elle indique en outre au Tribunal la date de la notification de la décision attaquée, la date à laquelle l’acte lui est parvenu ou a été remis à la poste et celle à laquelle il a été communiqué à la partie adverse." PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION Dans sa requête du 17 octobre 1991 à la Commission (no 18990/91), M. Nideröst-Huber se plaignait de ce qu’au mépris de l’article 6 par. 1 de la Convention (art. 6-1), il n’avait pas obtenu communication des observations adressées par le tribunal cantonal de Schwyz au Tribunal fédéral et s’était donc vu privé de la possibilité de les commenter avant que celui-ci ne statuât. La Commission a retenu la requête le 17 janvier 1995. Dans son rapport du 23 octobre 1995 (article 31) (art. 31), elle conclut, par vingt-six voix contre quatre, à la violation de l’article 6 par. 1 (art. 6-1). Le texte intégral de son avis et des deux opinions dissidentes dont il s’accompagne figure en annexe au présent arrêt. CONCLUSIONS PRESENTEES A LA COUR Dans son mémoire, le Gouvernement "invite la Cour à dire que la Suisse n’a pas violé la Convention européenne des Droits de l’Homme à raison des faits qui ont donné lieu à la requête introduite par M. Nideröst-Huber". De son côté, le requérant prie la Cour de "constater qu’il y a eu violation de l’article 6 par. 1 de la Convention (art. 6-1)".
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Secrétaire du service municipal d'assistance (Ente Comunale Assistenza) d'Udine, M. Maurizio De Santa habite cette ville. 8. Le 27 décembre 1977, il introduisit un recours devant le tribunal administratif régional (« TAR ») du Frioul-Vénétie Julienne afin d'obtenir l'annulation d'une décision du comité d'administration du service employeur, qui, le 6 septembre 1997, dans le cadre de l'approbation du statut du personnel, lui avait attribué une rémunération inférieure à celle à laquelle il estimait avoir droit sur la base des conventions collectives sur les contrats de travail (accordi nazionali di lavoro del personale degli enti locali) qui avaient été négociés au niveau national par les syndicats. Il contestait aussi la discrimination subie par rapport aux autres employés qui avaient bénéficié de l'application des barèmes prévus dans les contrats en question. Le 10 mars 1982, le TAR ordonna audit service de déposer certains documents. Par un jugement du 17 novembre 1982, dont le texte fut déposé au greffe le 16 mai 1983, il rejeta le recours de l'intéressé comme mal fondé. Le 28 juin 1984, M. De Santa interjeta appel devant le Conseil d'Etat. Par un acte du 12 décembre 1984, la municipalité d'Udine, qui avait entre-temps succédé au service municipal d'assistance, introduisit un appel incident. Elle souleva, au préalable, une exception d'irrecevabilité tirée du non-respect du délai pour interjeter appel ; quant au fond, elle réclama le rejet de l'appel pour défaut de fondement. Le 19 juillet 1984, le requérant déposa une demande de fixation de la date de l'audience. Le 22 octobre 1987, il présenta une demande de fixation urgente. Par un arrêt du 10 juin 1994, dont le texte fut déposé au greffe le 29 novembre 1994, le Conseil d'Etat écarta l'exception d'irrecevabilité et rejeta l'appel du requérant. PROCÉDURE DEVANT LA COMMISSION M. De Santa a saisi la Commission le 24 mai 1993. Il se plaignait de la durée de la procédure suivie devant des juridictions administratives et invoquait l'article 6 § 1 de la Convention. Le 6 juillet 1995, la Commission a retenu la requête (n° 25574/94). Dans son rapport du 28 novembre 1995 (article 31), elle conclut, par vingt-quatre voix contre cinq, qu'il y a eu violation de l'article 6. Le texte de son avis et de l'opinion dissidente dont il s'accompagne figure en annexe au présent arrêt. CONCLUSIONS PRÉSENTÉES À LA COUR PAR LE GOUVERNEMENT Le Gouvernement demanda à la Cour, à titre principal, de déclarer que l'article 6 § 1 de la Convention ne s'applique pas en l'espèce et, subsidiairement, de juger qu'il n'a pas été violé.
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I. Les circonstances de l'espèce Né à Lyon en 1962, M. Ali Mehemi est de nationalité algérienne et habite actuellement en Algérie. Jusqu'au 28 février 1995, date de sa reconduite à la frontière, il a vécu en France où résident ses parents – depuis une quarantaine d'année –, ses deux frères – dont l'un est Français et l'autre père de deux enfants français – et ses deux sœurs – dont l'une est Française et l'autre mariée à un Français. Le requérant a été scolarisé en France jusqu'à l'âge de dix-sept ans. Il aurait travaillé dans le bâtiment durant trois ans puis exercé l'activité de chauffeur de taxi indépendant. Il est père de trois enfants de nationalité française, nés en 1982, 1983 et 1984. Il a, le 14 mai 1986, épousé, à Villeurbanne, la mère de ceux-ci, laquelle est Italienne et réside régulièrement en France depuis 1978. A. La procédure correctionnelle Le 5 novembre 1989, des membres du service régional de police judiciaire assistés d'agents des douanes saisirent 142 kilogrammes de haschisch importés du Maroc à l'aide d'une fourgonnette spécialement aménagée. Prévenues d'infractions à la législation sur les stupéfiants et d'importation en contrebande de marchandises prohibées, neuf personnes – dont le requérant, au domicile des parents duquel furent découverts sept kilogrammes de haschisch – furent renvoyées devant le tribunal correctionnel de Lyon. Le 22 janvier 1991, ledit tribunal condamna M. Mehemi à une peine de six ans d'emprisonnement assortie d'une peine de sûreté de moitié ainsi qu'à deux amendes douanières, pour détention et importation en contrebande de produits stupéfiants. 11. Par un arrêt du 4 juillet 1991, la cour d'appel de Lyon confirma le jugement du 22 janvier 1991 et ordonna à l'encontre de M. Mehemi l'interdiction définitive du territoire français au motif que « l'ordre public ne saurait tolérer la présence sur le territoire national d'un étranger se livrant au trafic de stupéfiant à titre principal ». B. La requête en relèvement de l'interdiction définitive du territoire Le 19 mars 1993, M. Mehemi déposa devant la cour d'appel de Lyon une requête en relèvement de la mesure d'interdiction définitive du territoire. Il invoquait notamment l'article 8 de la Convention. Le 1er juin 1993, la cour d'appel rejeta ladite requête par les motifs suivants : « Attendu que le prévenu ne justifie d'aucun fait nouveau que la cour n'ait eu à connaître lorsqu'elle a pris la décision de confirmer la mesure d'interdiction définitive du territoire français d'Ali Mehemi ; Qu'il convient en effet de rappeler que la cour a mentionné expressément dans les motifs de sa décision que l'ordre public français ne saurait tolérer la présence sur le territoire national d'un étranger se livrant au trafic de stupéfiant à titre principal ; Qu'il est inexact d'affirmer que ce sujet n'a gardé aucun contact avec sa nationalité d'origine, puisqu'il a volontairement opté pour cette dernière à sa majorité, alors que ses conditions de naissance lui permettaient en l'absence de toute condamnation d'obtenir de plein droit la nationalité française s'il ne l'avait pas expressément déclinée ; Que ses différents voyages en Afrique du Nord au cours des années précédant son interpellation viennent rappeler que tout lien physique avec sa nationalité d'origine n'a pas été rompu ; Qu'enfin, l'importation de drogue dans les conditions rappelées dans la condamnation définitive justifie la mesure d'interdiction définitive du territoire français [laquelle] constitue une riposte nullement disproportionnée à la gravité de l'infraction commise, l'intéressé s'étant maintenu sur le territoire français pour favoriser l'importation, puis la diffusion auprès de la jeunesse en détresse, avec toutes les conséquences que ce type d'infraction comporte, de quantités très importantes de haschisch, première étape de la déchéance de toxicomanes, en l'espèce plus de 140 kilogrammes, dans un but purement lucratif ; Qu'aucune violation des dispositions de l'article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ne saurait être sérieusement relevée ; (...) » 13. Le 7 juin 1993, le requérant se pourvut en cassation. Dans son mémoire ampliatif du 2 juillet 1993, son avocat affirmait ce qui suit : « (…) (...) contrairement à ce qui est dit dans l'arrêt critiqué, M. Ali Mehemi, de nationalité algérienne, n'a pu à aucun moment prétendre de plein droit à la nationalité française [;] (...) contrairement à ce qui est allégué, celui-ci n'a à aucun moment décliné la nationalité française [;] (...) en application des textes qui ont régi les conséquences sur la nationalité de l'indépendance de l'Algérie (ordonnance n° 62-825 du 21 juillet 1962, décret n° 62-1475 du 27 novembre 1962, loi n° 66-945 du 20 décembre 1966), M. Ali Mehemi, né avant le 1er janvier 1963, a suivi le sort de ses parents qui, n'ayant pas fait la déclaration de reconnaissance de la nationalité française visée à l'article 1er de la loi du 20 décembre 1966, sont de ce fait devenus Algériens ; (...) contrairement à ce qu'indiquent les magistrats de la cour d'appel, il y a bien en l'espèce disproportion entre, d'une part, les faits uniques dont M. Ali Mehemi a été reconnu coupable et, d'autre part, ses intérêts définis et protégés à l'article 8 de la Convention (...), M. Ali Mehemi étant né en France, marié avec une ressortissante de la Communauté européenne, père de trois enfants français, (...) toute sa famille vit en France et (...), contrairement aux affirmations de l'arrêt, il n'a pas conservé de liens avec son pays d'origine, sa nationalité qu'il n'a pas choisie ne correspondant pas à la réalité de sa situation ; (...) (...) les trois enfants français de M. Ali Mehemi sont nés en France et y ont toujours vécu ; (...) il est exclu qu'ils soient déracinés pour aller vers un pays qu'ils ne connaissent pas, et ce dans le seul but de pouvoir rester avec leur père ; (...) en tout état de cause leur mère ne pourrait alors les suivre ; (...) M. Mehemi ne peut par ailleurs pas se rendre en Italie, compte tenu de l'interdiction qui a été prononcée à son encontre sur le territoire français ; (...) » Par un arrêt du 23 février 1994, la Cour de cassation (chambre criminelle) repoussa le pourvoi en ces termes : « Attendu (...) Que les juges retiennent qu'en l'espèce la mesure, qui avait été prononcée contradictoirement contre le prévenu, constituant une riposte nullement disproportionnée avec la gravité de l'infraction commise, les motifs invoqués ne contiennent aucun fait nouveau de nature à faire rapporter la mesure ; Attendu qu'en l'état de ces constatations et énonciations, la cour d'appel a justifié sa décision sans méconnaître les principes et textes visés au moyen ; D'où il suit que le moyen ne saurait être accueilli ; (...) » C. L'exécution de l'interdiction définitive du territoire Alors que M. Mehemi était incarcéré, son épouse adressa la lettre suivante – dont la date n'est pas déterminée – au président de la République française : « (...) Je ne vous demanderais en aucun cas de plaider en ma faveur pour réduire la peine de mon mari, car je sais pertinemment que ce n'est pas possible, mais par contre je vous implore de me venir en aide pour annuler l'expulsion du territoire français de mon mari. Il a été condamné à six ans de réclusion, soit, il en sera ainsi car il s'est rendu coupable d'un délit et je sais très bien qu'il doit payer (...). Mais je ne peux me résoudre à accepter l'expulsion et pour cause, comprenez-moi M. le Président ou du moins essayez, depuis que mon mari est entré en prison mes enfants ne sont plus eux-mêmes, ils souffrent énormément et sont sans cesse suivis par des psychologues ; mais il n'y a pas que mes enfants et moi-même qui souffrons, non il y a aussi toute sa famille et en particulier la mère de mon mari qui est âgée de soixante-sept ans et est diabétique ; elle est en contact permanent avec ses petits-enfants et dès que ces derniers lui demandent où est « papa » et quand reviendra-t-il elle ne peut s'empêcher d'éclater en sanglots et cette situation influence énormément sa santé physique et morale. Cela ne peut plus durer ainsi ; je ne veux pas que l'on détruise ma famille et l'avenir de mes enfants car quel avenir puis-je leur offrir sans leur père à leurs côtés (...) ? (...) » L'interdiction définitive du territoire fut exécutée le 28 février 1995. II. Le droit interne pertinent A. Le code de la santé publique L'article L. 630-1 du code de la santé publique disposait : « (...) les tribunaux (...) pourront prononcer l'interdiction définitive du territoire français contre tout étranger condamné pour les délits prévus à l'article L. 627. L'interdiction du territoire français entraîne de plein droit la reconduite du condamné à la frontière à l'expiration de sa peine. (...) En cas de condamnation à l'interdiction définitive du territoire, le condamné ne pourra demander à bénéficier des dispositions de l'article 55-1 du code pénal. » La loi n° 91-1383 du 31 décembre 1991 avait remplacé les trois derniers alinéas par les dispositions suivantes : « Toutefois, l'interdiction du territoire français ne sera pas applicable à l'encontre : (...) 2° D'un condamné étranger père ou mère d'un enfant français résidant en France, à la condition qu'il exerce, même partiellement, l'autorité parentale à l'égard de cet enfant ou qu'il subvienne effectivement à ses besoins ; (...) L'interdiction du territoire français ne sera également pas applicable à l'égard du condamné étranger qui justifie : 1° Soit qu'il réside habituellement en France depuis qu'il a atteint au plus l'âge de dix ans ou depuis plus de quinze ans ; 2° Soit qu'il réside régulièrement en France depuis plus de dix ans. Les dispositions des huit alinéas précédents ne s'appliquent pas en cas de condamnation pour (...) l'importation ou l'exportation [de plantes vénéneuses classées comme stupéfiants] ou en cas de condamnation pour association formée ou entente établie en vue de commettre ces infractions. (…) L'interdiction du territoire français entraîne de plein droit la reconduite du condamné à la frontière, le cas échéant à l'expiration de sa peine d'emprisonnement. » L'article L. 630-1 a été abrogé par la loi n° 92-1336 du 16 décembre 1992. B. Le code pénal L'article 55-1 du code pénal est ainsi rédigé : « (...) (...) toute personne frappée d'une interdiction (...) résultant de plein droit d'une condamnation pénale ou prononcée dans le jugement de condamnation (...), peut demander à la juridiction qui a prononcé la condamnation (...) de la relever, en tout ou en partie, y compris en ce qui concerne la durée, de cette interdiction (...) (...) » PROCÉDURE DEVANT LA COMMISSION M. Mehemi a saisi la Commission le 25 août 1994. Il soutenait que la mesure d'interdiction définitive du territoire prise à son encontre constituait une violation des articles 8 et 14 de la Convention. 20. Le 28 février 1995, la Commission (deuxième chambre) a rejeté la demande de mesure provisoire déposée le 27 février par M. Mehemi en application de l'article 36 du règlement intérieur de celle-ci et visant à la suspension de l'exécution par le Gouvernement de la mesure litigieuse. Le 18 octobre 1995, elle a retenu la requête (n° 25017/94) quant au grief relatif à l'article 8 et l'a déclarée irrecevable pour le surplus. Dans son rapport du 15 mai 1996 (article 31), elle conclut, par dix voix contre trois, à la violation de cette disposition. Le texte intégral de son avis figure en annexe au présent arrêt. CONCLUSIONS PRÉSENTÉES À LA COUR par le gouvernement Dans son mémoire, le Gouvernement « conclut au rejet de la requête ».
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I. Les circonstances de l’espèce A. Les demandes d’autorisation d’établir une école privée pour l’apprentissage de langues étrangères M. David Hornsby et Mme Ada Ann Hornsby sont nés au Royaume-Uni en 1937 et 1939 respectivement. Ils sont mariés et professeurs d’anglais, diplômés d’université. Ils habitent sur l’île de Rhodes. Le 17 janvier 1984, la seconde requérante sollicita auprès du ministère de l’Education nationale à Athènes le permis d’établir à Rhodes une école privée (frontistirion) pour l’apprentissage de la langue anglaise (paragraphe 29 ci-dessous). Le 25 janvier, le ministère rejeta la demande au motif qu’un tel permis est accordé uniquement aux ressortissants grecs par les directions départementales de l’enseignement secondaire. Le 12 mars 1984, Mme Hornsby tenta de remettre en main propre auprès de la direction de l’enseignement secondaire de la préfecture du Dodécanèse une nouvelle requête, mais le fonctionnaire responsable refusa d’en accuser réception. A la suite d’une plainte déposée par l’avocat de l’intéressée, ladite direction informa cette dernière, le 5 juin 1984, que, d’après la législation grecque en vigueur à l’époque, les ressortissants étrangers ne pouvaient obtenir l’autorisation d’ouvrir un frontistirion. Estimant que l’invocation du critère de la nationalité comme condition de l’octroi du permis d’établir un frontistirion méconnaissait le traité de Rome du 25 mars 1957, Mme Hornsby s’adressa à la Commission des Communautés européennes qui saisit la Cour de justice des Communautés européennes. Par un arrêt du 15 mars 1988 (no 147/86, Commission des Communautés européennes c. République hellénique), celle-ci déclara qu’"en interdisant aux ressortissants des autres Etats membres de créer des frontistiria (...), la République hellénique a[vait] manqué aux obligations qui lui incomb[ai]ent en vertu des articles 52 et 59 du traité [de la CEE]". Le 1er avril 1988, Mme Hornsby réitéra sa demande auprès de la direction de l’enseignement secondaire de la préfecture du Dodécanèse qui fut du reste saisie d’une demande similaire envoyée séparément le même jour par M. Hornsby. Le 12 avril 1988, ladite direction rejeta les deux demandes en invoquant les mêmes motifs que dans sa réponse du 5 juin 1984 (paragraphe 8 ci-dessus). Le 15 septembre 1988, le directeur de l’enseignement secondaire de la préfecture du Dodécanèse informa les requérants que la question de l’octroi à des étrangers du permis d’ouvrir un frontistirion était examinée par les autorités compétentes. Par une lettre du 23 novembre 1988, les intéressés prièrent le premier ministre de prendre les mesures nécessaires afin d’assurer le respect de l’arrêt de la Cour de justice, du 15 mars 1988 (paragraphe 9 ci-dessus). B. La procédure devant le Conseil d’Etat Le 8 juin 1988, les requérants avaient chacun introduit devant le Conseil d’Etat un recours en annulation des décisions du directeur de l’enseignement secondaire de la préfecture du Dodécanèse (paragraphe 10 ci-dessus). Par deux arrêts des 9 et 10 mai 1989 (nos 1337/1989 et 1361/1989), le Conseil d’Etat annula lesdites décisions en des termes identiques: "(...) Cette requête vise l’annulation de la décision (...) du 12 avril 1988 du directeur de l’enseignement secondaire de la préfecture du Dodécanèse qui a rejeté la demande du requérant, ressortissant anglais, sollicitant l’octroi d’une autorisation afin d’établir un frontistirion de langues étrangères à Rhodes. L’article 68 par. 1 de la loi no 2545/1940 (...) dispose: "L’autorisation d’établir un frontistirion est accordée à des personnes physiques possédant les mêmes qualifications que celles requises pour être nommées dans les établissements publics de l’enseignement primaire ou secondaire et qui confèrent le droit d’y enseigner, ou disposant de diplômes d’études équivalents." En outre, l’article 18 par. 1 du code des fonctionnaires - dont l’article 2 par. 3 s’applique aussi au personnel enseignant de l’enseignement secondaire et primaire -précise que "Nul n’est nommé fonctionnaire s’il n’a pas la nationalité hellénique." Il ressort de ces dispositions que l’octroi à des étrangers de l’autorisation d’établir un frontistirion de langues étrangères est interdit. L’article 52 du Traité du 25 mars 1957 instituant la CEE (...) proclame la liberté d’établissement des ressortissants d’un Etat membre sur le territoire d’un autre Etat membre en prohibant toute discrimination fondée sur la nationalité quant à l’accès aux activités non salariées et leur exercice, ainsi que quant à la constitution et la gestion d’entreprises. Cette disposition, (...) est "directement applicable" depuis le 1er janvier 1981, date de l’entrée en vigueur du Traité, sans qu’il soit nécessaire d’adapter au préalable la législation grecque au droit communautaire. L’interdiction susmentionnée d’accorder une autorisation d’établir un frontistirion de langues étrangères à des étrangers, dans la mesure où elle concerne les ressortissants des autres Etats membres des Communautés européennes, est contraire à l’article 52 du Traité (arrêt no 147/86 de la Cour de justice des Communautés européennes, du 15 mars 1988, Commission c. République hellénique), car elle est supprimée, compte tenu de ce qui précède, depuis le 1er janvier 1981. Par conséquent, l’acte attaqué - qui est fondé sur la conception erronée selon laquelle l’interdiction litigieuse continue à concerner tous les étrangers, sans établir une distinction entre les ressortissants des autres Etats membres des Communautés européennes et ceux des Etats non membres - rejetant la demande de l’intéressé n’est pas légal et doit pour cette raison être annulé. La requête sous examen doit donc être accueillie. Par ces motifs (...) Le Conseil d’Etat annule l’acte (...) du 12 avril 1988 du directeur de l’enseignement secondaire de la préfecture de Rhodes. (...)" Le 3 juillet 1989, deux associations de propriétaires de frontistirion et trois propriétaires de ces établissements à Rhodes formèrent une tierce opposition (tritanakopi) contre les arrêts nos 1337/1989 et 1361/1989 devant le Conseil d’Etat, que celui-ci repoussa le 25 avril 1991. Les requérants déposèrent alors, le 8 août 1989, auprès de la direction de l’enseignement secondaire de la préfecture du Dodécanèse deux nouvelles demandes d’autorisation; ils y joignaient les arrêts du Conseil d’Etat et soulignaient qu’aucun autre retard pour l’octroi de celle-ci ne pouvait se justifier. Toutefois, ils ne reçurent aucune réponse. Le 27 février 1990, l’avocat des intéressés s’adressa derechef à ladite direction. C. La procédure devant le tribunal correctionnel de Rhodes Le 28 mars 1990, les deux requérants assignèrent devant le tribunal correctionnel de Rhodes le directeur de l’enseignement secondaire de la préfecture du Dodécanèse ainsi que tout autre fonctionnaire responsable, en se fondant sur l’article 259 du code pénal (paragraphe 24 ci-dessous). Le 22 octobre 1993, le tribunal correctionnel débouta les intéressés; il considéra qu’à supposer même que ledit directeur avait agi illégalement en rejetant les demandes d’autorisation, l’élément intentionnel requis par l’article 259 pour la réalisation de l’infraction faisait défaut. D. La procédure devant le tribunal de grande instance de Rhodes Le 14 novembre 1990, les requérants saisirent le tribunal de grande instance de Rhodes d’une action en indemnisation du préjudice (articles 914 et 932 du code civil et 104-105 de la loi d’accompagnement (Eisagogikos Nomos) du code civil - paragraphe 26 ci-dessous) qu’ils estimaient avoir subi en raison du refus de l’administration de se conformer aux arrêts du Conseil d’Etat (paragraphe 13 ci-dessus): M. et Mme Hornsby réclamaient respectivement 30 025 200 et 41 109 200 drachmes pour dommage matériel et manque à gagner, ainsi que 100 000 000 drachmes pour tort moral. Le 30 janvier 1992, le tribunal de grande instance de Rhodes déclara la requête irrecevable (jugement no 32/1992) au motif que le litige qui lui était soumis relevait de la compétence des juridictions administratives. E. La procédure devant le tribunal administratif de Rhodes Le 3 juillet 1992, les intéressés engagèrent une action en dommages-intérêts contre l’Etat devant le tribunal administratif de Rhodes; ils se fondaient, entre autres, sur les articles 914 du code civil et 105 de la loi d’accompagnement du code civil. En outre, ils précisaient que l’indemnisation devrait couvrir le préjudice matériel et moral qu’ils avaient déjà subi, mais aussi celui qu’ils subiraient jusqu’au jour où l’administration leur aurait accordé le permis sollicité. Le tribunal administratif reconnut, le 15 décembre 1995 (jugement no 346/1995), que l’administration avait omis illégalement de donner suite à la demande d’autorisation de Mme Hornsby, du 12 mars 1984 (paragraphe 8 ci-dessus), et, après la publication des arrêts de la Cour de justice et du Conseil d’Etat (paragraphes 9 et 13 ci-dessus), de se conformer à ceux-ci. Toutefois, estimant que les requérants ne prouvaient pas de manière suffisante le dommage qu’ils prétendaient avoir subi, il ordonna un complément d’instruction. F. Les recours devant le ministre de l’Education nationale Le 20 avril 1990, les intéressés sollicitèrent l’intervention du ministre de l’Education nationale, auquel ils s’adressèrent encore les 14 janvier et 29 juillet 1991, ainsi que celle du ministre chargé de la présidence du gouvernement, le 25 octobre 1991. Le 14 janvier 1993, le directeur de l’enseignement secondaire de la préfecture du Dodécanèse informa les requérants qu’il avait écrit au ministre de l’Education nationale pour demander s’il pouvait accorder l’autorisation litigieuse, compte tenu des arrêts du Conseil d’Etat du 25 avril 1991 (paragraphe 14 ci-dessus). Le 3 mai 1993, il leur notifiait qu’il avait réitéré sa démarche auprès du ministre afin de lui rappeler que deux ans s’étaient déjà écoulés depuis les arrêts susmentionnés du Conseil d’Etat et que la demande des intéressés demeurait pendante; il se référait également à trois lettres adressées antérieurement au ministre et qui étaient restées sans réponse. Un décret présidentiel (no 211/1994) publié le 10 août 1994 accorda désormais aux ressortissants des Etats membres des Communautés européennes le droit d’établir des frontistiria en Grèce (paragraphe 28 ci-dessous); toutefois, ceux qui n’étaient pas titulaires d’un diplôme grec d’études secondaires devaient réussir un examen en langue et histoire grecques. Le 20 octobre 1994, le ministre de l’Education nationale invita le directeur de l’enseignement secondaire de la préfecture du Dodécanèse à reprendre l’examen de la demande des requérants à la lumière du décret présidentiel no 211/1994 et à tenir le ministère informé des suites de l’affair Le 11 novembre 1994, ledit directeur communiqua aux intéressés une photocopie du décret en les incitant à accomplir les démarches nécessaires. Le 7 février 1996, il leur écrivit derechef: il s’étonnait que ceux-ci n’eussent pas encore passé l’examen requis afin d’obtenir le permis d’établir un frontistirion et celui d’y enseigner; il déclarait que le fait pour eux de continuer à travailler dans un frontistirion (appartenant à une Grecque) était illégal au regard de la nouvelle législation en la matière; enfin, il les appelait à régulariser leur situation sous peine de subir les sanctions prévues par la loi. II. Le droit interne pertinent A. La Constitution Aux termes de l’article 95 par. 5 de la Constitution de 1975: "L’administration est tenue de se conformer aux arrêts d’annulation du Conseil d’Etat. La violation de cette obligation engage la responsabilité de tout organe coupable, ainsi qu’il est prescrit par la loi." B. Le code pénal L’article 259 du code pénal dispose: "Infraction aux devoirs de fonctions Le fonctionnaire qui viole délibérément les devoirs de sa charge dans l’intention de s’enrichir illicitement ou d’enrichir un tiers, ou cause un préjudice à l’Etat ou à un tiers, sera puni d’une peine d’emprisonnement de deux ans au plus, sauf si l’infraction est punissable en vertu d’une autre disposition pénale." C. Le code civil Les articles pertinents du code civil se lisent ainsi: Article 57 "Droits de la personne Celui qui, d’une manière illicite, subit une atteinte aux droits de sa personne, peut exiger la suppression de l’atteinte et, en outre, l’abstention de toute atteinte à l’avenir. Si l’atteinte concerne les droits d’une personne décédée, son conjoint, ses descendants, ascendants, frères et soeurs et les héritiers testamentaires pourront exercer ce droit. En outre, la prétention à des dommages-intérêts, suivant les dispositions relatives aux actes illicites, n’est pas exclue." Article 59 "Réparation du préjudice moral Dans les cas prévus par les deux articles précédents le tribunal peut, par son jugement rendu à la requête de celui qui a été atteint et compte tenu de la nature de l’atteinte, condamner aussi la personne en faute à réparer le préjudice moral de celui qui a été atteint. Cette réparation consiste dans le paiement d’une somme d’argent, dans une mesure de publicité, et aussi dans tout ce qui est indiqué par les circonstances." D. La loi d’accompagnement du code civil Entrent ici en ligne de compte les dispositions suivantes de la loi no 2783/41 d’accompagnement (Eisagogikos Nomos) du code civil: Article 104 "L’Etat est responsable, conformément aux dispositions du code civil relatives aux personnes morales, des actes ou omissions de ses organes concernant des rapports de droit privé ou son patrimoine privé." Article 105 "L’Etat est tenu à réparer le dommage causé par les actes illégaux ou omissions de ses organes lors de l’exercice de la puissance publique, sauf si l’acte ou l’omission ont eu lieu en méconnaissance d’une disposition existante mais afin de servir l’intérêt public. La personne fautive est solidairement responsable, sous réserve des dispositions spéciales sur la responsabilité de ministres." E. Le recours en annulation devant le Conseil d’Etat Les articles 45 et 50 du décret présidentiel no 18/1989 codifiant les dispositions légales relatives au Conseil d’Etat, des 30 décembre 1988/9 janvier 1989, régissent le recours en annulation contre les actes ou omissions de l’administration: Article 45 "Actes incriminés Le recours en annulation pour excès de pouvoir ou violation de la loi est permis uniquement contre les actes exécutoires des autorités administratives et des personnes morales de droit public, qui ne sont susceptibles de recours devant aucune autre juridiction. (...) Dans les cas où la loi impose à une autorité de régler une question déterminée en édictant un acte exécutoire soumis aux dispositions du paragraphe 1, le recours en annulation est recevable même contre la carence de cette autorité pour édicter un tel acte. L’autorité est présumée refuser d’édicter ledit acte soit lorsque le délai spécial fixé le cas échéant par la loi arrive à expiration, soit après l’écoulement d’un délai de trois mois à partir du dépôt de la requête auprès de l’administration qui est tenue de délivrer un accusé de réception (...) indiquant le jour dudit dépôt. Le recours en annulation exercé avant les délais susmentionnés est irrecevable. Le recours en annulation valablement introduit contre un refus implicite [de l’administration] vaut également recours contre l’acte négatif qui serait, le cas échéant, adopté ultérieurement par l’administration; toutefois, cet acte peut aussi être attaqué séparément. (...)" Article 46 "Délai Sauf disposition contraire, le recours en annulation doit être exercé dans un délai de soixante jours à compter du lendemain de la date de notification de l’acte attaqué ou de la date de sa publication (...), ou, autrement, à compter du lendemain du jour où le requérant a pris connaissance de l’acte. Dans les cas des paragraphes 2, 3 et 4 de l’article 45 le délai commence à courir après l’écoulement des délais fixés par ces dispositions. (...)" Article 50 "Conséquences de la décision La décision qui fait droit au recours en annulation prononce l’annulation de l’acte attaqué, ce qui entraîne sa suppression légale à l’égard de tous, qu’il s’agisse d’un acte réglementaire ou d’un acte individuel. (...) Dans les cas de carence, lorsque le Conseil d’Etat accueille le recours, il renvoie l’affaire devant l’autorité compétente pour que celle-ci accomplisse ce qui devait l’être. Les autorités administratives, en s’acquittant de l’obligation que leur impose l’article 95 par. 5 de la Constitution, doivent se conformer aux arrêts du Conseil d’Etat en fonction des circonstances de chaque affaire, soit en adoptant des mesures positives à cet effet soit en s’abstenant de toute action contraire à ce qu’a jugé le Conseil d’Etat. Le contrevenant, outre les sanctions pénales auxquelles ils s’expose en vertu de l’article 259 du code pénal, peut être personnellement tenu de verser des dommages-intérêts. Les arrêts d’annulation et de rejet rendus par l’assemblée plénière et les chambres ont l’autorité de la chose jugée à l’égard des parties, laquelle vaut également pour chaque affaire ou litige pendant devant les autorités judiciaires ou autres lorsque la question de caractère administratif tranchée par le Conseil d’Etat est déterminante." F. Le décret présidentiel no 211/1994 Le décret présidentiel no 211/1994 du 10 août 1994 relatif à "l’adaptation de la législation grecque concernant la création et le fonctionnement de frontistiria (...) aux articles 7, 48, 52, 58 et 59 du Traité instituant la Communauté économique européenne" prévoit: Article 1 "Le présent décret vise à adapter la législation grecque concernant la création et le fonctionnement de frontistiria (...) aux articles 7, 48, 52, 58 et 59 du Traité instituant la Communauté économique européenne, par la suppression de toute discrimination fondée sur la nationalité." Article 2 "Outre ce que prévoient les dispositions de l’article 68 par. 1 de la loi 2545/1940 concernant les écoles privées, frontistiria et internats, des autorisations de créer un frontistirion seront aussi accordées aux ressortissants des Etats membres de l’Union européenne, à condition qu’ils possèdent les qualifications requises par la loi pour l’octroi d’une telle autorisation à un ressortissant grec. Les ressortissants de l’Union européenne sont tenus de produire des documents justificatifs similaires ainsi que le certificat prévu par l’article 14 par. 10 de la loi 1566/1985 qui s’applique par analogie." L’article 14 par. 10 de la loi no 1566/1985 dispose: "Si les candidats (...) ne sont pas titulaires d’un diplôme de l’enseignement secondaire grec, il leur sera requis un certificat attestant qu’ils connaissent et manient parfaitement la langue grecque et connaissent l’histoire grecque. Pour obtenir un tel certificat, les candidats devront passer un examen suivant les modalités fixées par le ministre de l’Education nationale et des Cultes." G. La loi no 2545/1940 relative aux écoles privées, frontistiria et internats En vertu de l’article 63 de la loi no 2545/1940, un frontistirion se définit comme "l’organisation, dans un même lieu, de cours dispensés à un groupe de plus de cinq personnes au total ou, indépendamment de la composition des groupes, à plus de dix personnes au total chaque semaine, ayant pour but de compléter et de consolider des connaissances relevant du programme des cycles d’enseignement primaire, secondaire et supérieur (préparatoire à l’université ou non), ou de permettre l’apprentissage de langues étrangères ou de la musique ou l’acquisition d’une formation générale dans le cadre d’études libres, à raison de trois heures au plus par jour et par groupe constitué des mêmes personnes". Aux termes de l’article 68 de la même loi, la création d’un frontistirion est subordonnée à une autorisation qui ne peut être délivrée qu’aux personnes physiques possédant les qualifications requises pour occuper un poste d’enseignant fonctionnaire dans l’enseignement public; au nombre de ces qualifications figure, selon l’article 18 du code des fonctionnaires, la possession de la nationalité grecque. Selon la loi no 284/1968, la direction des frontistiria de langues étrangères ne peut être assurée que par des personnes possédant les qualifications légales; pour la définition de ces qualifications, il est fait renvoi à la loi no 2545/1940, qui exige notamment la possession de la nationalité grecque. Cette nationalité est également requise de toutes les personnes enseignant dans un frontistirion, de quelque nature qu’il soit. La seule dérogation à cette règle est posée par l’arrêté no 46508/1976 du ministre de l’Education nationale et des Cultes; cet arrêté, qui ne s’applique, toutefois, qu’aux frontistiria de langues étrangères, dispose: "Chaque frontistirion ne peut employer qu’un seul étranger si le nombre de professeurs de langues étrangères de nationalité grecque qu’il emploie n’est pas supérieur à quatre. S’il emploie plus de quatre ressortissants grecs, il est autorisé à engager un plus grand nombre d’étrangers, dans la proportion d’un étranger pour cinq Grecs." PROCÉDURE DEVANT LA COMMISSION M. et Mme Hornsby ont saisi la Commission le 7 janvier 1990. Ils alléguaient une violation de l’article 6 par. 1 de la Convention (art. 6-1), en raison du refus des autorités de se conformer à deux arrêts du Conseil d’Etat. Le 31 août 1994, la Commission a retenu la requête (no 18357/91). Le 11 avril 1995, elle a décidé de rejeter une nouvelle demande du Gouvernement tendant à ce qu’elle déclare la requête irrecevable sur le terrain de l’article 29 de la Convention (art. 29). Dans son rapport du 23 octobre 1995 (article 31) (art. 31), elle conclut qu’il y a eu violation de l’article 6 par. 1 (art. 6-1) (vingt-sept voix contre une). Le texte intégral de son avis et des deux opinions séparées dont il s’accompagne figure en annexe au présent arrêt. CONCLUSIONS PRÉSENTÉES À LA COUR PAR LE GOUVERNEMENT Dans son mémoire, le Gouvernement invite la Cour "à rejeter la requête introduite par Ada Ann et David Hornsby dans son intégralité".
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I. Les circonstances de l’espèce MM. Leo De Haes et Hugo Gijsels habitent Anvers et travaillent respectivement comme rédacteur et journaliste pour l’hebdomadaire Humo. A. L’action en réparation contre les requérants Les 26 juin, 17 juillet, 18 septembre ainsi que les 6 et 27 novembre 1986, ils publièrent cinq articles (paragraphes 19 et suivants ci-dessous) dans lesquels ils critiquaient longuement, en termes virulents, quatre magistrats de la cour d’appel d’Anvers. Ils leur reprochaient d’avoir attribué, dans le cadre d’une procédure en divorce, la garde des enfants au père, le notaire X, contre qui, en 1984, son épouse et les parents de celle-ci avaient déposé une plainte pour inceste et sévices envers les enfants, laquelle déboucha cependant sur un non-lieu. De son côté, M. X avait intenté une procédure en diffamation contre les auteurs de la plainte. Les 4 octobre 1985 et 5 juin 1986, le tribunal correctionnel de Malines puis la cour d’appel d’Anvers prononcèrent l’acquittement des prévenus. Celle-ci considéra notamment: "Attendu qu’à présent les ordonnances de non-lieu constatent judiciairement la fausseté des faits allégués; Qu’il n’est toutefois pas démontré que les prévenus aient agi de mauvaise foi, c’estàdire avec l’intention de nuire, et qu’ils n’avaient pas de raisons sérieuses de douter de la véracité des faits; Qu’en effet, ce n’étaient pas seulement les prévenus qui étaient convaincus de la véracité des faits, mais aussi des professeurs renommés, parmi lesquels le professeur [MA] (...) et le docteur [MB], psychiatre pour enfants, tous deux désignés par le juge d’instruction [YE] (...) Qu’à l’audience du tribunal correctionnel du 6 septembre 1985 (...), l’expert [MB] a confirmé sous serment le contenu de son rapport; Que cet expert, qui a tout de même quelque expérience dans le domaine de la psychologie enfantine et a pris connaissance de tous les éléments du dossier pénal, a conclu le 28 août 1984 que les déclarations des enfants étaient dignes de foi et a fourni plusieurs arguments en ce sens;" Le 20 janvier 1987, la Cour de cassation rejeta le pourvoi introduit par M. X. Devant le tribunal de première instance de Bruxelles Le 17 février 1987, quatre magistrats de la cour d’appel d’Anvers, Mme [YA], M. [YB], M. [YC] et M. [YD], citèrent MM. De Haes et Gijsels, ainsi que le rédacteur en chef, l’éditeur, l’éditeur responsable, l’imprimeur et le distributeur de la revue, devant le tribunal de première instance de Bruxelles. Se fondant sur les articles 1382 et 1383 du code civil (paragraphe 26 ci-dessous), ils demandaient réparation des dommages causés par les propos, qualifiés de très calomnieux et diffamatoires (zeer lasterlijk en eerrovend), figurant dans les articles en question. Ils priaient le tribunal de condamner les défendeurs au paiement d’un franc symbolique chacun au titre du dommage moral, de leur ordonner d’insérer dans Humo le jugement à rendre et d’autoriser les magistrats à le faire publier dans six quotidiens, aux frais des défendeurs. En vue de garantir l’égalité des armes et les droits de la défense, les défendeurs prièrent le tribunal, dans leurs conclusions additionnelles du 20 mai 1988, d’inviter le procureur du Roi à produire les pièces mentionnées dans les articles litigieux, ou à tout le moins de prendre connaissance de l’opinion des professeurs [MA], [MC] et [MD] sur l’état médical des enfants de M. X, déposée auprès des autorités judiciaires. Ils motivèrent ainsi leur demande: "La question se pose de savoir si les concluants, vu les éléments de fait dont ils disposaient, pouvaient émettre, dans les limites de la liberté de presse, la critique querellée sur le fonctionnement d’un organe juridictionnel. (...) Dans les articles de presse litigieux, les concluants se sont basés notamment sur le contenu de divers rapports médicaux, de déclarations des parties et de constats d’un huissier de justice. (...) L’on ne saurait pas non plus nier que la plainte pour calomnie et diffamation du notaire X contre son épouse a été rejetée. Maintenant qu’il s’agit de savoir si les concluants ont pu publier les articles de presse querellés sur la base des informations dont ils disposaient, il est indispensable pour la bonne marche du procès que M. le Procureur du Roi, qui siège ici en vertu de l’article 764-4o du code judiciaire, fasse produire au tribunal les pièces citées comme motifs dans la série d’articles. Ces pièces se trouvent en effet dans différents dossiers judiciaires. Le débat sur la légalité de la critique de la presse suppose au moins que le tribunal puisse prendre connaissance de l’opinion des professeurs [MA], [MC] et [MD] sur le traitement des enfants de X, laquelle a été communiquée aux autorités judiciaires. Le jugement de ces éminents médecins-professeurs était en effet l’élément décisif qui a poussé Humo à publier avec autant de force la série d’articles querellée. L’appréciation de l’opinion défendue par les concluants ainsi que du langage et des descriptions qu’ils utilisent ne peut se faire in abstracto, mais doit se faire à la lumière de ces données qui concernent le fond de l’affaire. Ainsi la Cour européenne a-t-elle jugé dans l’affaire Lingens (arrêt de la C.E.D.H. du 8 juillet 1986, série A no 103) que la question des limites de l’exercice de la liberté d’expression doit être examinée dans l’ensemble du contexte: "Il lui faut les considérer à la lumière de l’ensemble de l’affaire, y compris les articles reprochés au requérant et le contexte dans lequel ils avaient été rédigés" (paragraphe 40 de l’arrêt). (...) Par ces motifs, (...) plaise au tribunal (...) de juger qu’il apparaît nécessaire, pour le bon déroulement de la procédure, notamment à la lumière de l’égalité des armes et des droits de la défense, d’inviter le procureur du Roi à produire les pièces citées dans les articles litigieux parus dans le magazine Humo; à tout le moins de prendre connaissance de l’opinion des professeurs [MA], [MC] et [MD] relative à l’état médical des enfants de X et déposée auprès des autorités judiciaires." Le 29 septembre 1988, le tribunal condamna MM. De Haes et Gijsels à payer à chaque demandeur un franc au titre du dommage moral et à publier intégralement son jugement dans Humo; il autorisa en outre les demandeurs à le faire insérer, aux frais des requérants, dans six quotidiens. Enfin, il déclara irrecevable l’action en tant qu’elle était dirigée contre les autres défendeurs. Le tribunal considéra notamment: "Attendu que la liberté d’expression et celle de la presse écrite, telles que garanties par les articles 14 et 18 de la Constitution et 10 par. 1 (art. 10-1) de la [Convention européenne des Droits de l’Homme], ne sont, de toute évidence, pas contestées par les demandeurs; que les défendeurs ne peuvent pas non plus contester que cette liberté n’est pas illimitée et que certaines limites ne peuvent pas être dépassées; que, comme il a déjà été exposé (...), l’article 10 par. 2 de la Convention (art. 10-2) ne fait nullement obstacle à la possibilité d’introduire, sur la base de l’article 1382 du code civil, une action civile pour délit de presse; Attendu que l’article 10 par. 2 de la Convention (art. 10-2) prévoit expressément que la liberté de la presse "peut être soumise à certaines (...) restrictions (...) prévues par la loi, qui constituent des mesures nécessaires (...) à la protection de la réputation ou des droits d’autrui (...) ou pour garantir l’autorité et l’impartialité du pouvoir judiciaire"; que la protection de la sphère de vie personnelle des demandeurs (article 8 par. 1 de la Convention) (art. 8-1), plus précisément leur honneur et leur réputation, signifie, dans le cas d’un article de presse, que celui-ci: 1o doit tendre au respect de la vérité, 2o ne peut pas être inutilement blessant, 3o doit épargner la vie privée du citoyen; que ces mêmes critères sont repris dans la "Déclaration des droits et devoirs du journaliste", rédigée par la Fédération internationale des journalistes; Attendu que dans les articles litigieux, les défendeurs font abondamment allusion au fait que les demandeurs auraient mal jugé et se seraient montrés partiaux; que les défendeurs ont, sans plus, tenu pour vraie l’affirmation de l’ex-épouse du notaire X et de son conseiller technique (le professeur [MA]), alors qu’il était clairement démontré, dans les motifs des quatre arrêts rendus dans cette affaire, pourquoi cette affirmation n’est pas digne de foi; que, plus grave encore, dans les articles en cause, les défendeurs ont émis l’opinion que les demandeurs doivent être considérés comme des magistrats partiaux, opinion déduite du fait qu’ils appartiendraient à l’influent cercle de connaissances du notaire et de son père, que l’un d’eux est le fils d’un général de gendarmerie condamné en 1948 pour collaboration, qu’ils appartiendraient à un milieu d’extrême droite et qu’ils seraient liés d’amitié entre eux; Attendu que l’attitude des demandeurs a été fortement attaquée par les défendeurs, en des termes et expressions extrêmement virulents, et que les défendeurs avaient clairement l’intention de présenter les demandeurs sous un jour défavorable et de les exposer à l’opprobre public; que les défendeurs ont en effet voulu susciter chez le lecteur l’impression que les demandeurs faisaient cause commune avec le père des enfants et que leurs arrêts étaient inspirés par certaines conceptions idéologiques; que, pour ce faire, les défendeurs ont inutilement rappelé les activités du père de l’un des demandeurs pendant la guerre; Attendu que les demandeurs font observer à juste titre qu’ils ne peuvent, sans plus, être placés sur la même ligne que les membres du législatif ou de l’exécutif; que les hommes politiques sont en effet élus et qu’il appartient au public de leur accorder sa confiance; que les hommes politiques peuvent en outre se défendre par les médias contre de possibles attaques; qu’en revanche l’on attend des magistrats qu’ils exercent leurs fonctions en toute indépendance et sérénité; que le devoir de réserve et de discrétion auquel est tenu un magistrat ne lui permet pas de se défendre de la même manière qu’un homme politique; Attendu dès lors que les défendeurs ont commis une faute en portant atteinte à l’honneur et à la réputation des demandeurs par des accusations irresponsables et des insinuations offensantes; que les mesures réclamées par les demandeurs répareront de manière appropriée le dommage moral qu’ils ont subi; (...)" Devant la cour d’appel de Bruxelles Les requérants firent appel de ce jugement. Dans leurs conclusions du 10 novembre 1989, ils soulignaient notamment que les articles litigieux avaient eu pour seul but de critiquer le fonctionnement de l’appareil judiciaire, à la suite de la procédure menée par les magistrats intimés et relative à de possibles mauvais traitements et incestes subis par des enfants. A aucun moment ils n’auraient porté atteinte à la vie privée desdits magistrats sans référence à leur part dans la décision critiquée. Réitérant leur offre de prouver les faits décrits dans les articles, MM. De Haes et Gijsels priaient la cour d’inviter le procureur général d’Anvers à produire les pièces mentionnées par eux, au moins celles émanant des professeurs [MA], [MC] et [MD] et celles du dossier de divorce de M. X, en particulier certains procès-verbaux et une lettre du professeur [MA] audit procureur général. De leur côté, les intimés demandèrent la confirmation du jugement entrepris. D’après eux, l’attitude des requérants était d’autant plus répréhensible et blessante que dans un article paru dans Humo le 14 octobre 1988 (paragraphe 24 ci-dessous), ceux-ci avaient non seulement maintenu leurs accusations de partialité à l’égard des quatre magistrats, mais aussi critiqué nommément et en termes humiliants les auteurs du jugement du 29 septembre 1988 (paragraphe 11 ci-dessus). Le 5 février 1990, la cour d’appel de Bruxelles confirma celui-ci, considérant notamment: "Attendu que (...) - conformément à l’avis du ministère public - aucune suite ne doit ni ne peut être donnée à la demande des appelants tendant à ce que la cour "invite M. le procureur général d’Anvers à lui communiquer les documents cités dans les articles querellés parus dans l’hebdomadaire Humo" et notamment - en application de l’article 877 du code judiciaire - "toutes les pièces du dossier X"; Attendu que - comme déjà indiqué - la cour n’a pas pour tâche - et d’ailleurs pas non plus la compétence - d’examiner le litige déjà tranché par la cour d’appel d’Anvers - du reste après le tribunal de la jeunesse -; qu’il en résulte que la possibilité - qui n’est pas une obligation (Cass., 2 juin 1977, Pas[icrisie] 1977, I, 1012) -, prévue par l’article 877 du code judiciaire, de faire ajouter les pièces en question au dossier de la présente affaire ne présente pas la moindre utilité; Qu’en outre, les appelants doivent ainsi admettre qu’ils ont commenté une affaire judiciaire et sali l’honneur de magistrats sans disposer de toutes les données nécessaires à cet effet, ce qui rend encore plus flagrant le manque total de sérieux de leurs attaques malveillantes; Qu’ils aggravent encore leur cas par leur offre "de prouver les faits mentionnés dans les articles incriminés par tous moyens de droit, en ce compris l’audition de témoins, avant que la décision soit prise", offre qui ne doit pas seulement être rejetée comme tardive, mais qui montre en outre - principal élément à prendre en considération ici - avec quel manque de sérieux et d’information les articles litigieux ont été rédigés et leurs accusations formulées avant même de détenir une preuve suffisante de leur véracité; Que dans le présent litige, l’offre en cause ne saurait aucunement soutenir la thèse des appelants mais, en revanche, démontre clairement le bien-fondé de la version des demandeurs initiaux et, qu’en outre, il lui manque la précision requise; Qu’il ne suffit pas en effet - ce que les appelants font pourtant - d’offrir de prouver que tout ce qu’ils ont écrit jadis concernant "l’affaire" correspond à la vérité, mais qu’il convient d’indiquer minutieusement, point par point, quel fait bien précis et clairement décrit - "précis et pertinent" selon l’article 915 du code judiciaire - est offert comme preuve, ceci afin, d’une part, de rendre possible la preuve contraire par la partie adverse et, d’autre part, de permettre au juge d’apprécier la pertinence et l’intérêt des faits proposés, obligation que les appelants n’ont même pas pris la peine de respecter; Que, de surcroît, la cour dispose déjà de toutes les données nécessaires pour décider en connaissance de cause s’il y a vraiment calomnie et diffamation; (...) Attendu, en ce qui concerne le fond de l’affaire, que par des motifs (...) pertinents et non réfutés auxquels la cour souscrit, les premiers juges ont déclaré fondée la demande initiale à charge des appelants parce que ceux-ci avaient incontestablement commis une faute lourde en portant gravement atteinte à l’honneur et à la réputation des demandeurs initiaux, au moyen d’accusations injustifiées et d’insinuations offensantes; Attendu en effet que la liberté d’expression et de la presse écrite, garantie par les articles 14 et 18 de la Constitution et 10 par. 1 (art. 10-1) de la [Convention européenne des Droits de l’Homme] n’est pas illimitée, que certaines limites ne peuvent être dépassées et qu’il existe même la possibilité - comme il a déjà été relevé - d’introduire, sur la base des articles 1382 et 1383 du code civil, une action en réparation pour un délit de presse; Que du reste, s’agissant du délit visé, les articles 443 et suivants du code pénal font également mention de faits qui peuvent porter atteinte à l’honneur d’une personne ou exposer celle-ci au mépris public; que la calomnie et la diffamation à l’encontre des corps constitués sont punies de la même manière que celles commises à l’encontre de personnes individuelles, des faits, la calomnie et la diffamation, qui précisément ont été dénoncés à juste titre en l’espèce par les demandeurs initiaux et qui constituent indéniablement les "faits" illicites, visés à l’article 1382 du code civil, "qui causent à autrui un dommage"; Qu’est dénuée de tout fondement la thèse des appelants selon laquelle "dans l’arsenal juridique belge, seul l’article 443 du code pénal autorise le tribunal à limiter la liberté d’opinion en vue de protéger l’honneur et la réputation d’autrui, et non l’article 764, 4o du code judiciaire ni l’article 1382 du code civil", thèse d’après laquelle la presse, et elle seule, échapperait à la règle de droit commun et d’application générale des articles 1382 et 1383 du code civil qui imposent à "chacun" l’obligation d’agir de manière licite et le rendent responsable des dommages qu’il a causés par son "fait", sa "négligence" ou son "imprudence"; Attendu que d’après l’article 10 par. 2 de la Convention (art. 10-2), la liberté de la presse notamment peut être soumise à des limitations prévues par la loi et qui sont nécessaires, comme en l’espèce, à la protection de la réputation ou des droits d’autrui, ou pour garantir l’autorité et l’impartialité du pouvoir judiciaire; Attendu qu’en application de l’article 8, par. 1er, (art. 8-1) de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, la garantie du respect de la vie privée exige qu’un article de presse soit véridique, ne peut être inutilement blessant et doit épargner la vie privée du citoyen, critères qui ont du reste été repris dans la "Déclaration des droits et devoirs du journaliste", rédigée par la Fédération internationale des journalistes et approuvée par des journalistes de quotidiens de différents pays de la Communauté européenne, à Munich, les 24 et 25 novembre 1971, où notre pays était représenté par l’union professionnelle de la presse belge; Attendu que les appelants ne peuvent aucunement invoquer les articles 19 du Pacte ONU et de la Déclaration universelle, puisqu’il n’y est pas question non plus d’une liberté d’expression illimitée; Attendu d’autre part qu’il n’est pas expliqué et que l’on ne discerne pas pourquoi la notion généralement applicable de faute, expressément prévue aux articles 1382 et suivants du code civil, serait contraire aux articles 8 par. 1 et 10 par. 2 de la Convention (art. 8-1, art. 10-2) - dont la priorité n’est pas ici compromise - s’agissant des limitations à la liberté prévues par la loi et de la protection de la vie privée, laquelle est ici visée, ni pourquoi seuls les journalistes devraient échapper à leur application; Attendu qu’à cet égard, la cour se rallie complètement aux motifs pertinents du jugement a quo, qu’elle fait entièrement siens; (...) Attendu que si la Cour européenne des Droits de l’Homme a estimé dans l’affaire Bruno Kreisky que le journaliste autrichien Lingens concerné par cette affaire avait attaqué le premier seulement comme homme politique et, en conséquence, n’avait pas violé son droit à la vie privée, dans la présente affaire, au contraire, ce droit a bel et bien été particulièrement mis en cause par les appelants, et même de manière grossière; Qu’en effet, les termes, insinuations et imputations formulés dans les articles et passages litigieux sont extrêmement virulents et déshonorants, car il y est reproché aux demandeurs initiaux, nommément cités, d’avoir, comme hauts magistrats, été partiaux et il y est gratuitement insinué qu’ils ont des liens avec le V.M.O. [Vlaamse Militanten Orde], qu’ils appartiennent à un milieu d’extrême droite et au cercle d’amis du père des enfants - à leur avis également une personne d’extrême droite -, de telle sorte que les décisions judiciaires rendues par les demandeurs initiaux à propos de la garde de ces enfants ne doivent aucunement surprendre, tout ceci alors qu’absolument aucune indication sérieuse et objective n’est citée ou n’existe d’où il ressortirait que les accusations portées contre ces magistrats reposent sur quelque fond de vérité; (...) Attendu que les appelants ont manifestement voulu donner à leurs lecteurs l’impression que les magistrats concernés avaient fait cause commune avec une des parties au litige et qu’en outre leurs arrêts étaient inspirés par certaines conceptions idéologiques; Qu’ils ont, de surcroît, inutilement et de manière tout à fait déplacée, rappelé les activités de feu le père du second intimé pendant la guerre, circonstance avec laquelle celui-ci n’a absolument rien à voir et qui - malgré l’opinion contraire des appelants - appartient totalement à la sphère privée inviolable; Que si les appelants ont cru pouvoir imputer aux intimés certaines conceptions idéologiques - conceptions qu’ils restent d’ailleurs en défaut de prouver -, il ne peut en tout cas pas leur être permis d’en déduire purement et simplement - même si elles étaient prouvées - la partialité des magistrats et de la critiquer publiquement; Attendu que tous ces soupçons et ragots dirigés contre les magistrats, demandeurs initiaux, ne reposent sur aucun fond de vérité et que les appelants ont même menti dans leur article du 6 novembre 1986 (p. 19) en affirmant que l’affaire tranchée par lesdits magistrats leur avait été retirée par la Cour de cassation, alors qu’ils doivent reconnaître à présent dans leurs conclusions additionnelles (p. 6) "que le procureur général près la Cour de cassation a refusé de demander que l’affaire soit confiée à une autre juridiction (article 651 du code judiciaire)"; Qu’en effet ils annonçaient le 6 novembre 1986: "Jeudi de la semaine dernière, l’affaire Wim et Jan a connu un bouleversement juridique. A la demande du procureur général (...), la Cour de cassation a retiré le dossier X à la juridiction anversoise. L’affaire a été transférée au tribunal de Gand dans l’espoir que la magistrature gantoise adopte une attitude moins partisane (...)" Qu’il est vrai que le 27 novembre suivant ils rebroussaient chemin sur ce point en écrivant: "(...) Notre prédiction d’il y a deux semaines selon laquelle le chemin de croix juridique dans l’affaire de Wim et Jan risquait d’échouer sur le banc de sable judiciaire anversois, s’est avérée exacte. En dépit de toutes les évidences, la Cour de cassation a estimé qu’aucune partialité ne peut être imputée à la magistrature anversoise dans ce dossier d’inceste et que toute l’affaire peut donc continuer d’être traitée à Anvers (...)" Que, cependant, de telles fausses annonces ont causé aux demandeurs initiaux un tort irréparable, car accuser un magistrat de partialité est la plus grave injure que l’on puisse lui faire; Attendu que la virulence exceptionnelle des critiques irresponsables des appelants s’explique sans doute - sans toutefois pouvoir être excusée - par une certaine agitation politique - qui précisément ne sert pas la justice - ce qui a été reconnu par les appelants eux-mêmes dans le numéro de Humo du 12 février 1987: "(...) S’il fallait encore une preuve que dans l’affaire du notaire X il y a des intrigues en coulisse et que des liens politiques y jouent bel et bien un rôle, cette fuite (trop prématurée?) vers la presse en est une des plus convaincantes (...)" Attendu que par la façon inadmissible dont ils ont été attaqués dans les articles incriminés, les demandeurs initiaux ont été présentés sous un jour particulièrement désagréable et lourdement atteints dans leur honneur et leur réputation, par des propos insultants qui sans nul doute dépassent de loin ce que les appelants appellent "leur capacité d’encaisser"; Attendu qu’à la vérité, les appelants jugent néanmoins leur style agressif et leurs dénigrements offensants justifiables dans une petite feuille comme Humo qu’ils qualifient de "nettement critique et anti-bourgeoise"; Que pourtant, si lorsqu’on se prononce sur le caractère diffamant de contributions publiées dans une telle revue avec une nette tendance critique vis-à-vis de la société bourgeoise, on ne doit pas utiliser les mêmes critères que lorsqu’on se prononce sur des articles calomnieux publiés dans un journal "ordinaire", il n’en reste pas moins que même dans une revue dite critique, certaines normes doivent être respectées lorsqu’on émet des critiques, certaines limites ne peuvent être dépassées, et qu’on ne peut certainement pas publier de fausses informations et des imputations non prouvées, dans le but évident d’humilier et de blesser certaines personnes, ce qui constitue incontestablement un abus de la liberté de presse; Que si on a assurément le droit d’être "anti-bourgeois" (?), ceci ne permet pas pour autant de débiter au public - aussi restreint qu’il soit - de purs ragots en écrivant par exemple: "C’est à juste titre que l’avocat général [YD] a depuis lors été récusé dans cette affaire pour excès de pouvoir" (Humo du 17 juillet 1986, pp. 6 et 7); Que, néanmoins, si les appelants maintenant, dans leurs conclusions additionnelles, se rétractent et racontent que leur affirmation antérieure d’après laquelle ledit haut magistrat avait été "récusé", était "une traduction dans leur propre style" du "fait que ce magistrat n’avait, à un certain moment, plus siégé", une pareille "traduction" devrait pousser ces "journalistes" - quelque particulièrement "propre" que soit leur style - à exercer à l’avenir leur profession de façon moins indélicate; Attendu que dans le numéro de Humo du 14 octobre 1988 (p. 15) - soit durant la présente procédure et bien qu’ils eussent annoncé dans le même petit article qu’ils iraient en appel -, les appelants aggravent encore considérablement leur cas en continuant à reprocher aux demandeurs initiaux d’avoir été partiaux et en critiquant, également en termes dégradants, les magistrats, nommément cités, qui ont rendu le jugement attaqué; Que l’on peut y lire entre autres: "(...) Le vice-président [YF] et les juges [YG] et [YH] ont traité le dossier par-dessus la jambe (sic) (...) Nous nous demandons si ces messieurs les juges ont bien lu les conclusions de Humo (...) Mais à aucun moment Humo n’a mis sur le tapis quoi que ce soit de la vie privée des juges (sic) (...) Manifestement, les juges bruxellois [YF], [YG] et [YH] n’ont pas pu juger leurs collègues-juges de la cour d’appel d’Anvers avec la distance et l’indépendance requises. Ils s’inscrivent ainsi dans la ligne de la jurisprudence partisane..."; Que ceci pourrait être interprété comme une tentative particulièrement déplacée et fautive d’influencer les [signataires du présent arrêt], d’autant que les appelants prédisent, par la voix de leurs conseils dans leur conclusion (p. 27), qu’aucun journal ne sera prêt à publier l’arrêt devant être rendu, ce qui n’est d’ailleurs pas demandé; Qu’en ce qui concerne le traitement de l’affaire "par-dessus la jambe", les appelants n’ont toujours pas compris que le plus souvent - et à juste titre -, la juridiction doit donner la préférence - comme en l’espèce - aux conclusions des experts qu’elle a ellemême désignés, et qui n’ont pas la moindre relation avec les justiciables et dont l’objectivité ne peut donc être mise en doute par aucune des parties, plutôt que, comme les appelants, aux experts personnels de l’un des plaideurs intéressés, experts dont les recherches, appréciations et conclusions constituent pourtant l’élément principal, sinon le seul, sur lequel les appelants croient pouvoir appuyer leurs attaques; Que - ce qui doit hélas être constaté trop souvent, notamment dans des affaires judiciaires - même d’excellents professeurs d’université et spécialistes - en l’espèce, pas moins de trois pour chaque version - ne sont pas d’accord entre eux et - surtout en matière de psychologie et de psychiatrie - chérissent des opinions diamétralement contradictoires - dont chacun prétend être sûr à cent pour cent - ce qui devrait inciter chacun - et surtout des journalistes - à s’abstenir de toute accusation de partialité - c’est-à-dire la plus grave - à l’encontre de magistrats qui doivent prononcer la décision finale à propos de questions aussi délicates que la garde d’enfants, auxquelles se mêlent toujours de violentes passions, lesquels magistrats doivent nécessairement donner la préférence à l’une des différentes versions invoquées par les parties au procès; Qu’en l’espèce, les appelants ont encore osé franchir un pas de plus en soutenant, sans le moindre commencement de preuve, qu’ils pouvaient en outre faire dériver cette prétendue partialité de la personnalité même de ces magistrats et s’immiscer ainsi dans la vie privée, ce qui est sans nul doute illicite; Qu’en outre, l’objet du présent débat n’est pas de décider quelle est finalement la vérité objective dans l’affaire que les demandeurs initiaux ont définitivement tranchée à l’époque, mais uniquement la question de savoir si les commentaires litigieux doivent être considérés comme calomnieux, ce qui ne fait pas le moindre doute; Attendu que - ce que les appelants refusent de reconnaître - les magistrats ne peuvent pas être assimilés inconditionnellement aux hommes politiques, qui peuvent toujours se défendre convenablement et immédiatement, en parole ou par écrit, contre les attaques personnelles et répréhensibles et qui sont dès lors moins vulnérables qu’un magistrat qui n’a ni la possibilité ni le droit d’agir ainsi; Qu’en effet le statut de magistrat diffère radicalement du statut de toutes les autres personnes exerçant une fonction publique, ainsi que des hommes politiques, et ne se fonde nullement sur des privilèges ou des traditions, mais sur le fait qu’il est une exigence de l’administration de la justice, laquelle implique des missions et responsabilités spécifiques (cf. F. Dumon, procureur général émérite près la Cour de cassation, discours prononcé lors de la séance de rentrée de cette Cour le 1er septembre 1981, "Le pouvoir judiciaire, inconnu et méconnu", p. 64); Que, compte tenu de leur obligation de réserve et de la discrétion propre à leur fonction, les magistrats ne peuvent se défendre de la même manière que, par exemple, un homme politique, lorsqu’une certaine presse, apparemment avide de sensations lucratives, les attaque et les traîne dans la boue; Que la plus grande partie de la jurisprudence et de la doctrine citée à cet égard par les appelants se rapporte précisément à des affaires purement politiques et, dès lors, ne s’applique pas à la présente affaire; Qu’à l’inverse d’un homme politique, un juge ne peut pas discuter publiquement d’une affaire pendante devant lui afin de justifier ainsi sa conduite, en sorte que l’absence d’exercice du droit de réponse ne peut certainement pas lui être reprochée par les appelants (cf. Ganshof van der Meersch, procureur général émérite près la Cour de cassation, "Considérations sur l’art de dire le droit", notamment p. 20), réserve et discrétion auxquelles s’est encore récemment référée notre Cour suprême (Cass., 14 mai 1987, [Journal des Tribunaux] 1988, p. 58)." Devant la Cour de cassation MM. De Haes et Gijsels saisirent la Cour de cassation, qui rejeta leur pourvoi le 13 septembre 1991 (Pasicrisie 1992, I, p. 41). Dans un premier moyen, ils alléguaient une violation du droit à un tribunal indépendant et impartial, invoquant notamment l’article 6 par. 1 de la Convention (art. 6-1). D’après eux, certains passages de l’arrêt suscitaient un doute légitime quant à l’impartialité de ses auteurs. Ainsi en allait-il des mots "une petite feuille comme Humo", de la mention "sic" figurant dans l’extrait de l’article du 14 octobre 1988 (paragraphe 24 ci-dessous) concernant le jugement du 29 septembre 1988 (paragraphe 11 ci-dessus), de certaines ponctuations, tel le point d’interrogation après le terme "antibourgeois", et de la considération selon laquelle l’article du 14 octobre 1988 constituait "une tentative particulièrement déplacée et fautive d’influencer les [juges d’appel]". Les intéressés dénonçaient également une méconnaissance des droits de la défense en ce que, d’après eux, la cour d’appel s’était référée d’office à l’article du 14 octobre 1988, sans qu’ils aient pu se défendre sur ce point. La Cour de cassation rejeta le moyen, considérant que "de la seule circonstance que, dans leur décision, les juges d’appel ont manifesté leur préférence pour la thèse d’une des parties et leur désapprobation pour la thèse des autres parties, ne peut se déduire la violation de la disposition légale et des principes généraux invoqués par le moyen en cette branche". Quant à l’article paru le 14 octobre 1988 dans Humo, les juges d’appel ne s’y seraient pas référés d’office, puisque les défendeurs en cassation l’avaient mentionné dans leurs conclusions d’appel. Dans un deuxième moyen, MM. De Haes et Gijsels dénonçaient une violation des articles 8 et 10 de la Convention (art. 8, art. 10). En les condamnant sur la base de la notion générale de faute prévue aux articles 1382 et 1383 du code civil, la cour d’appel aurait soumis leur liberté d’expression à des formalités, conditions, limitations et sanctions non prévues par la "loi" au sens de l’article 10 par. 2 de la Convention (art. 10-2) (première branche). De plus, en considérant qu’un article de presse devait tendre au respect de la vérité, ne pouvait être inutilement offensant et devait ménager la vie privée du citoyen, la cour d’appel aurait formulé des limitations qui allaient au-delà de ce qui était strictement nécessaire dans une société démocratique; un débat public sur le fonctionnement de la justice présenterait en effet un intérêt supérieur à celui de magistrats à se voir protéger contre la critique (deuxième branche). Enfin, l’état du dossier n’aurait pas permis à la cour d’appel de conclure que les articles litigieux avaient méconnu lesdites limitations (troisième branche). La Cour de cassation rejeta le moyen, considérant notamment: "Quant à la première branche: Attendu que pour décider que les demandeurs sont responsables des suites de leurs articles de presse, l’arrêt se fonde non seulement sur la considération, reprise pour partie dans cette branche du moyen, que les demandeurs ont commis un fait illégitime et qu’il "n’est pas expliqué et que l’on ne discerne pas pourquoi la notion généralement applicable de faute, expressément prévue aux articles 1382 et suivants du code civil, serait contraire aux articles 8 par. 1 et 10 par. 2 de la Convention (art. 81, art. 10-2)", mais aussi sur la considération non contestée, soulevée à juste titre par les défendeurs, que les demandeurs s’étaient rendus coupables de calomnie et de diffamation telles que décrites aux articles 443 et suivants du code pénal; Que l’arrêt justifie, par des motifs non contestés dans la présente branche, que les demandeurs ont commis une faute au sens de l’article 1382 du code civil; Que la branche ne peut conduire à une cassation et est dès lors irrecevable, comme le prétendent les défendeurs; Quant à la deuxième branche: Attendu qu’en vertu de l’article 10 (art. 10) précité, l’exercice du droit de la liberté d’expression peut être soumis à des restrictions ou sanctions qui constituent des mesures nécessaires dans une société démocratique notamment à la protection de la réputaion ou des droits d’autrui ou pour garantir l’autorité et l’impartialité du pouvoir judiciaire; Attendu que, lorsqu’il lui est demandé de prendre des sanctions contre un certain abus d’exercice de la liberté d’expression commis à l’égard des membres du pouvoir judiciaire, le juge doit tendre à un juste équilibre entre les exigences de la liberté d’expression et les restrictions applicables, en vertu de l’article 10, par. 2, (art. 10-2) de ladite Convention; Attendu qu’en l’espèce, les juges d’appel fondent leur décision que les demandeurs ont abusé de la liberté d’expression, garantie par l’article 10, par. 1er, (art. 10-1) de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, non seulement sur les exigences de la protection de la vie privée des magistrats, mais aussi sur les motifs non critiqués suivant lesquels les accusations émises n’étaient pas prouvées, que la critique était dirigée contre les juges nommément désignés, que les circonstances invoquées étaient étrangères aux décisions qui ont été prises et que les accusations proférées procèdent de la volonté de nuire personnellement aux magistrats et à leur réputation; Qu’en décidant, ainsi qu’il ressort du texte de l’arrêt "qu’en application de l’article 8, par. 1er, (art. 8-1) de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, la garantie du respect de la vie privée exige qu’un article de presse soit véridique, ne peut être inutilement blessant et doit épargner la vie privée du citoyen", les juges d’appel ont considéré qu’il faut tendre vers un équilibre entre les intérêts de la liberté de la presse et les intérêts privés, mais n’ont pas ainsi décidé que l’intérêt général découlant d’un débat public sur le fonctionnement du pouvoir judiciaire, est moins important que les intérêts privés; qu’ils n’ont pas davantage ajouté de restriction à celles énoncées limitativement par l’article 10, par. 2 (art. 10-2); Qu’en cette branche, le moyen ne peut être accueilli; Quant à la troisième branche: Attendu qu’eu égard aux considérations ci-dessus, la troisième branche manque de base factuelle;" Dans un troisième moyen, les requérants dénonçaient le refus de la cour d’appel de Bruxelles de tenir compte du dossier complet de la cour d’appel d’Anvers et de leur permettre de prouver par tous moyens la véracité de leurs affirmations. Ils y voyaient une violation des articles 6 et 10 de la Convention (art. 6, art. 10). La Cour de cassation répondit: "Attendu que les juges d’appel décident de ne pas accéder à la requête des demandeurs tendant à pouvoir prouver la justesse de leurs accusations et refusent en particulier d’ordonner que soient déposés les dossiers qui ont donné lieu aux décisions critiquées dans la presse; Qu’ils fondent leur décision non seulement sur les raisons reprises au moyen mais également sur les considérations indépendantes et non contestées selon lesquelles les demandeurs reconnaissent avoir sali des magistrats sans disposer de toutes les données pour ce faire, ce qui constitue déjà une faute, que l’offre de preuve est tardive et inefficace et que la cour d’appel dispose de toutes les données nécessaires pour décider en connaissance de cause s’il y a vraiment calomnie et diffamation; Que le moyen ne peut conduire à cassation et qu’il est dès lors irrecevable." B. Les articles litigieux Les condamnations encourues par MM. De Haes et Gijsels visaient cinq articles parus dans Humo (paragraphe 7 ci-dessus). Dans le premier, publié le 26 juin 1986, l’on pouvait lire notamment: "(...) Ce jeudi 26 juin se juge à Anvers l’affaire, depuis longtemps pendante, d’un notaire anversois bien connu qui a infligé des sévices sexuels à ses deux jeunes garçons. Le notaire provient lui-même d’une éminente famille flamande étroitement liée aux cercles financiers les plus huppés du pays. Tout indique apparemment que la réputation du père et du grand-père pèse davantage que la santé physique et mentale des enfants. Jusqu’à présent, le tribunal a rejeté sans sourciller les certificats médicaux et rapports psychiatriques défavorables au notaire. Comment est-ce possible? Louis De Lentdecker a déjà écrit sur cette affaire dans De Standaard, fût-ce à mots couverts. Pourtant, le journaliste s’est vu promptement rappeler à l’ordre par l’avocat général d’Anvers, sous le motif que le reportage de De Lentdecker aurait "gravement compromis" le père des enfants. Pourtant, De Lentdecker ne mentionnait strictement aucun nom. Pour notre part, nous nous abstiendrons également de mentionner le nom du père, ainsi d’ailleurs que celui des deux enfants mineurs (pour la facilité, nous appellerons Wim le garçon de trois ans, Jan celui de six ans, et X le nom de famille). Pour le reste, il entre bien dans nos intentions de mentionner les autres noms. Ce n’est en effet pas la première fois que la justice anversoise adopte une attitude peu indépendante et prononce des jugements extrêmement curieux. Ce dossier ne s’adresse pas aux âmes sensibles. Nous avons soumis les faits à un psychologue d’un centre psycho-médico-social, à un magistrat, à un pédiatre et à deux avocats, tous étrangers à l’affaire. Indépendamment l’un de l’autre, ils nous ont conseillé de rendre compte de l’affaire, dans l’intérêt des enfants. (...) Depuis la naissance de Jan, le ménage ne tournait plus rond. L’homme entretenait des relations extra-conjugales, et avait en outre un autre domicile. En octobre 1983, la procédure de divorce est entamée. La mère se voit provisoirement accorder le droit de garde des enfants, tandis que le père bénéficie d’un droit de visite tous les quinze jours. Fin 1983, les enfants reviennent après avoir passé les vacances de Noël chez le père; la mère les retrouve dans un état d’épuisement total. Son pédiatre, le docteur [ME], diagnostique un surmenage. Alors qu’il joue, l’aîné raconte une histoire de laquelle il ressort que le père l’a violé. Avisé de la chose, le docteur [ME] estime qu’il faut consulter un médecin légiste. Les faits se reproduisent le 8 janvier 1984. Ainsi que son pédiatre le lui a conseillé, la mère tente de s’adresser à un médecin légiste, mais ce dernier estime qu’il faut d’abord consulter un médecin généraliste. Le docteur [ME] ne répondant pas, la mère s’adresse au "médecin de garde" [MF]. Ce dernier constate la présence d’une "irritation anale" chez l’aîné, et renvoie la mère à un pédiatre malinois, le docteur [MG]. Ce dernier observe à son tour les blessures suivantes chez l’aîné: "fissure anale peu profonde, rougeur marquée autour de l’anus, spermatozoïdes sur un frottis rectal". Le soir, à sa demande, le pédiatre [ME] procède à un nouvel examen des enfants et, devant la gravité de la situation, les renvoie au docteur [MH], du Centre d’hygiène mentale. C’est sur la base notamment de ces examens médicaux que, le 29 janvier 1984, statuant en référé, le juge [YI], du tribunal de première instance d’Anvers, décide de suspendre le droit de visite du père. Le 31 janvier, toutefois, la troisième chambre de la cour d’appel d’Anvers restitue le droit de visite au notaire, si ce n’est que les enfants ne peuvent passer la nuit chez leur père et que le droit de visite doit être exercé en présence des grands-parents. Le cauchemar commence, non seulement pour les enfants, mais aussi pour la mère. (...) Le 4 février 1984, pour la première fois depuis quatre semaines, le notaire jouit à nouveau de son droit de visite. A dix heures, le matin, il va prendre les enfants à Malines pour les ramener à leur mère vers 18 h 30. Cette dernière constate, abasourdie, dans un rapport: "Etat des enfants: désemparés. Wim (trois ans) se couche en pleurant à même le sol. Jan (six ans) s’assied, apathique, sur une chaise et présente manifestement des lésions cliniques: forte douleur à la bouche, qu’il ne peut fermer, forte enflure à la lèvre inférieure, anomalie des yeux, 4 dents de la mâchoire supérieure qui se détachent simultanément, enflure dans le cou sous l’oreille gauche, irritation rougeâtre des joues avec rayures à gauche." Son avocat veut que, coûte que coûte, elle dépose plainte, mais la mère estime que cela n’a plus de sens. Dans sa déposition, elle écrit, désespérée: "Je ne voulais pas le faire, compte tenu de la sympathie de la gendarmerie pour la famille et du fait que j’avais fait l’expérience que s’agissant des enfants, les gendarmes se moquaient toujours de moi." (...) Les protestations désespérées de la mère n’y font rien. Les 18 février, 26 février et 3 mars 1984, le père viole à nouveau ses enfants. La mesure est à son comble. Le 6 mars 1984, à la requête du procureur du Roi de Malines, l’inspecteur judiciaire Luc R. entend le petit Jan. L’enregistrement de l’entretien est déposé au greffe du tribunal correctionnel de Malines. Nous avons pu prendre connaissance de la retranscription de cet entretien. Dans un langage enfantin, mais de façon cohérente et sans se contredire, Jan fait état des actes sexuels de son père avec lui tout comme avec son frère, plus jeune encore. La teneur de cet entretien est par trop délicate pour que nous le reproduisions ici. (...) Pour la mère, il n’y a plus qu’une seule issue. Attendu que sa demande insistante visant à désigner un expert de renom est repoussée à deux reprises, elle fait appel ellemême au psychiatre pour enfants, [MA], professeur à l’Université Catholique de Louvain. Les 6 et 11 avril, il examine les enfants et constate que, pendant le week-end des 8-9 avril, le père a une nouvelle fois maltraité et violé ses enfants. Selon l’examen du professeur [MA], le récit des enfants répond dans les grandes lignes à la plainte de la mère. De plus, les enfants lui révèlent certains détails dont la mère même n’a pas fait mention et que ses enfants n’ont manifestement pu inventer. Conclusion du professeur [MA]: "Nous sommes convaincus que la visite des enfants chez leur père est manifestement de nature à influencer défavorablement le développement ultérieur des enfants. Il apparaît clairement dès à présent que la visite a pour effet immédiat que les enfants sont bouleversés, désorientés; après ces deux jours chez leur père, ils se montrent angoissés et agressifs. Si ces visites se poursuivent, nous craignons une évolution défavorable pour les deux enfants, de nature psychopathologique pour l’aîné, et pour le plus jeune dans le sens d’une évolution régressive avec interruption de développement. Nous demandons dès lors que les enfants soient soumis à un examen psychiatrique approfondi, que toutes les parties soient entendues (le père également), et que dans l’attente de cet examen, le père soit temporairement privé du droit de visite." Le 28 mai 1984, le professeur [MA] adresse un rapport circonstancié sur l’affaire au procureur général [YJ] et à l’avocat général [YD]. Il s’agit d’un rapport impressionnant qui rend compte de multiples examens psychiatriques des enfants sur la base d’interviews (avec et sans la mère). Les enfants ont été examinés aussi bien immédiatement après la visite à leur père qu’à des moments plus calmes pendant la semaine. Conclusion du professeur [MA]: "Les deux enfants confirment, indépendamment l’un de l’autre, les diverses formes de violence sexuelle qui leur ont été infligées. Se peut-il que la mère leur ait inculqué ces histoires? Réponse du professeur [MA]: "Le récit des faits que Jan propose coïncide toujours avec le récit que fait la mère. Nous y voyons déjà une indication de ce que la teneur du récit de Jan correspond à des expériences réelles. De fait, un enfant de 6 ans ne possède pas encore les capacités intellectuelles pour, dans le cadre d’une interview dirigée, reproduire fidèlement, tel qu’on le lui a narré, un récit qui lui aurait été "imposé". En outre, il est arrivé que, à des questions très concrètes, Jan apporte des réponses tout aussi concrètes, dont il n’avait jamais fait part auparavant à sa mère (et que sa mère n’avait donc jamais mentionnées). Ainsi, à la question de savoir "s’il mord dans le zizi lorsqu’il vient dans sa bouche", il répond très concrètement: "Je ne peux pas, parce qu’il (le père) met ses doigts entre mes dents." Nous estimons qu’un enfant de 6 ans n’est pas à même d’inventer une réponse aussi concrète, et nous ne croyons pas davantage que des réponses aussi concrètes aient pu être "préparées" à l’avance par la mère." Le 22 juin, le professeur [MA] adresse un rapport complémentaire au procureur général [YJ] et à l’avocat général [YD]. Le psychiatre pour enfants y confirme ses conclusions antérieures à l’aide d’arguments plus impératifs encore, et sollicite une nouvelle fois, avec insistance, une instruction judiciaire et une expertise psychiatrique complémentaires. Mais rien n’y fait. Ce que personne ne tient pour possible se produit pourtant: trois jours plus tard, la troisième chambre de la cour d’appel d’Anvers donne au notaire X le droit de garde des enfants. Le jugement considère notamment "que l’avis d’un expert n’est pas requis, et même n’est pas souhaitable dans la mesure où l’expert se trouverait inéluctablement confronté à la question de la faute, laquelle doit être laissée à la seule appréciation du juge". Les responsables de ce jugement extrêmement curieux sont [YA] (présidente), [YC] et [YB] (conseillers) et [YD] (avocat général). (...) Au mois de juillet, de par le droit de garde qui lui a été confié, le notaire garde les enfants chez lui; ils sont à nouveau violés. Lors d’un entretien enregistré sur bande magnétique, Jan témoigne devant le professeur [MA] que son papa a de nouveau fait "la même chose", que papa l’a "boxé", a frappé sur son ventre, et qu’il ne pouvait le dire à personne. Combien de fois Jan a été violé par son père, il ne le sait pas, mais "plusieurs fois, que je ne peux pas compter". Le professeur [MA] adresse un nième courrier à ce propos au procureur général [YJ], dans lequel il affirme sans détour que "en cas d’urgence, une intervention s’impose aux termes de l’article 36.2 de la loi sur la protection de la jeunesse (...) Il n’est ni possible ni acceptable que deux enfants restent exposés à une situation extrêmement périlleuse par suite de la décision d’un tribunal." Toutes ces constatations du professeur [MA] sont confirmées ultérieurement dans "un rapport d’expertise" du docteur [MB], psychiatre et psychanalyste pour enfants, qui a été désigné par le juge d’instruction [YE] du tribunal de première instance (Malines). Les quelques extraits ci-après du rapport du docteur [MB] peuvent suffire: "1) Après une courte gêne, Jan en vient toutefois assez facilement à raconter les expériences vécues avec papa. Il se souvient le mieux des faits de juillet 1984. Il dit que papa s’asseyait quelquefois sur lui, que papa introduisait son organe sexuel dans son anus, ou parfois dans sa bouche, et faisait pipi. Il dit que papa proférait des menaces: qu’il allait scier grand-mère et grand-père en deux, et lui faire très mal, s’il racontait quelque chose de tout cela. Il dit que papa n’agissait pas de la sorte quand papa et maman étaient encore ensemble, et que papa se contentait alors de lui donner des coups; 2) Jan raconte assez facilement ces expériences, et ses déclarations sont dépourvues de contradictions. Il se montre toutefois choqué et gêné lorsqu’il narre certains faits. Il rougit, proteste quelquefois vigoureusement: que papa lui faisait mal. Il ne donne pas l’impression d’inventer ou de vouloir se rendre intéressant." De la psychanalyse de la vie affective de Jan, il ressort d’ailleurs que le garçon est constamment angoissé et traumatisé. Les conclusions concernant le cadet sont similaires. Selon le docteur [MB]: "Ses fantasmes (de Wim) donnent fortement l’impression qu’il y a eu violence sexuelle de la part du père et que son inconscient s’efforce d’assimiler ces impressions gênantes." En octobre, le petit Wim est à nouveau interrogé par deux inspecteurs de la police judiciaire et sa maîtresse d’école. L’entretien se déroule dans la classe où Wim est habituellement assis, en présence de la directrice de l’école. L’enfant confirme à plusieurs reprises ce qui lui est arrivé. L’entretien a été retranscrit mot pour mot et la cassette a été déposée, à titre de pièce à conviction, au greffe du tribunal de première instance à Malines. (...) Comment un père en arrive-t-il à de telles atrocités à l’encontre de ses propres enfants? Dans son rapport, le professeur [MA] dit: "Les difficultés entre les époux ont pris une forme plus grave depuis la naissance de Jan. X a alors, pour la première fois, fait clairement étalage de ses sympathies pour Hitler: - la famille devait vivre selon les principes de Hitler: la femme ne compte pas, elle est tout au plus un instrument de procréation. Qui ne devient pas "Übermensch ("surhomme") n’a qu’à mourir: pour un "Übermensch", les mensonges et la malhonnêteté sont légitimes. En fait, il espère l’avènement d’un nouvel Hitler. Tout son mode de vie est dominé par cela. - les enfants doivent être élevés dans la doctrine d’Hitler. Les enfants étaient contraints de faire le salut hitlérien, ils ne devaient pas jouer, mais seulement se battre et faire la guerre. Les enfants doivent vénérer leur père tout comme le peuple allemand vénérait Hitler à l’époque: leur mère n’est qu’une intruse au sein de la famille X. - enfin, il convient de signaler que Monsieur X a également déclaré à plusieurs reprises qu’il possède des pouvoirs surnaturels, et peut écraser tout qui est contre lui: il dit notamment "nous sommes des sangsues, nous pressons quelqu’un comme un citron, puis nous le laissons tomber." En fait, il se sent très puissant. Aux enfants, il a également parlé à plusieurs reprises de ses "pouvoirs surnaturels", qu’il changerait Jan en un mouton brun qu’il abandonnerait dans une prairie, et changerait le petit Wim en hibou. Il parlait aussi beaucoup de squelettes et de têtes de mort aux enfants. Le petit Wim a ainsi demandé un beau jour à sa mère de "ne pas le mettre sous terre dans une caisse"." Enfin, le professeur [MA] écrit à propos du père: "Ses sympathies manifestes pour Hitler et son régime, ses fantasmes concernant ses pouvoirs surnaturels et sa toute-puissance, révèlent à tout le moins, à notre avis, une personnalité pathologique. Nous estimons dès lors qu’une instruction judiciaire et une expertise psychiatrique beaucoup plus approfondies s’imposent en la matière." (...) Les contacts pratiquement quotidiens de la famille X avec le monde judiciaire ne suffisent pas à expliquer la quasi-immunité du notaire. Le large cercle de relations que la famille X a tissé au fil des années s’avère utile à cet égard, principalement les contacts dans les groupements d’extrême droite et/ou nationalistes flamands. Des membres de la famille X militent par exemple dans le Stracke Noodfonds, le Marnixring, l’Orde van de Prince, les Vlaamse Kulturele Produkties (une succursale de Were Di), le Nationalistich Jong Studenten Verbond (NJSV), et le Vlaams Blok. La famille X, la chose est de notoriété publique, finance le V.M.O. En 1971, elle a apporté son aide à la création du "nouveau" V.M.P.O. de Bert Eriksson, et à l’époque des procès du V.M.O., elle a lancé un appel, par le biais du Stracke Noodfonds, aux membres pour qu’ils interviennent financièrement en faveur des "dizaines de jeunes Flamands menacés de peines et amendes insensées". Des témoins confirment que la cave de la villa de la famille X s’orne de drapeaux nazis à croix gammée, le décor idéal pour des petites fêtes "brunes" nostalgiques. Tout aussi remarquables sont les efforts de la famille X en faveur de l’apartheid. Un des membres de la famille comptait même parmi les fondateurs du club pro-sud-africain Protea. Pourquoi ce cercle de relations revêt-il une telle importance dans l’affaire de l’inceste du notaire? Les magistrats de la troisième chambre de la cour d’appel qui ont donné le droit de garde au notaire se situent aussi pour la plupart dans les milieux d’extrême droite. Le conseiller [YB] est le fils d’un gros bonnet de la gendarmerie, condamné en 1948 pour collaboration, qui avait, en étroite collaboration avec la "Feldgendarmerie", réorganisé l’appareil de la gendarmerie belge selon les principes nazis. [YB] n’est pas moins controversé comme magistrat. Durant l’instruction judiciaire sur les camps d’entraînement du V.M.O. dans les Ardennes, il a réussi en dépit de toutes les preuves à défendre la version selon laquelle les photos du camp d’entraînement n’avaient rien à voir avec le V.M.O. mais provenaient de néonazis allemands. Il y a encore [YA], présidente de la cour d’appel d’Anvers dans cette affaire d’inceste. Durant le procès du V.M.O., celui-ci fut, sous sa direction, relaxé de la prévention de constituer une milice privée. Cet arrêt fut annulé par la suite par la cour d’appel de Gand. Et il y a le procureur général [YJ], que le professeur [MA] a inondé de rapports dénonçant les sévices sexuels infligés aux enfants. Le procureur général se trouve être un partisan politique de la famille X. A l’époque, [YJ] comptait parmi les fondateurs de Protea, mais a dû ensuite démissionner après une interpellation au Parlement. [YJ] est encore membre du Marnixring et du Orde van de Prince de Malines, avec lesquels la famille X entretient des liens très spéciaux. Dès le début de l’instruction, la gendarmerie a joué, elle aussi, un rôle douteux. Les enfants maltraités et leur mère ont été systématiquement traités comme de la racaille, tandis que le notaire accusé d’inceste et son père étaient traités avec les plus grands égards. Est-ce un hasard si la famille X entretient des relations avec plusieurs gros bonnets (présents ou passés) de la gendarmerie: l’ancien lieutenant-général [ZC] (Protea et Orde van de Prince), le général [ZD] (Marnixring), le général [ZE] (Marnixring et Orde van de Prince)? (...) Les enfants ne vont pas bien. Ils sont en traitement et, selon des personnes bien informées, sont toujours "en danger". Deux solutions seulement sont possibles. Soit le parquet a le courage, suite aux récents événements et constatations, de poursuivre le notaire en correctionnelle, soit le tribunal de la jeunesse entame une nouvelle procédure en vue de restituer le droit de garde à la mère. Ce dernier élément n’est pas sans importance car, le 26 juin, Madame X est appelée à comparaître devant la cour d’appel à Anvers du fait que, à deux reprises, elle a tenté, à l’issue du droit de visite, de garder les enfants chez elle. Entre-temps, la mère et ses parents ont bien été acquittés en appel dans le cadre d’un procès que le notaire leur avait intenté pour déposition diffamatoire. Ils avaient déjà été acquittés précédemment en première instance. De deux choses l’une: soit la plainte de la mère est diffamatoire et calomnieuse, soit elle ne l’est pas, auquel cas le notaire est coupable d’inceste. Il n’y a pas d’autre possibilité." Le deuxième article de MM. De Haes et Gijsels parut le 17 juillet 1986. On pouvait y lire notamment: "(...) Le mardi 24 juin, Humo publiait dans son numéro 2390 l’article retentissant "L’inceste est autorisé en Flandre". Dans cet article, le notaire X, lui-même issu d’une éminente famille flamande qui entretient des liens étroits avec les plus hautes sphères financières du pays, était accusé d’avoir violé et battu à plusieurs reprises ses petits garçons mineurs Wim et Jan. Ces affirmations étaient étayées par plusieurs rapports médicaux et/ou psychiatriques. En dépit des faits, le notaire s’est vu confier le droit de garde des enfants. Lorsque nous avons publié ce dossier, nous avons accordé l’attention nécessaire au rôle douteux joué par la gendarmerie et au réseau de relations d’extrême droite de la famille X, dont les tentacules ont atteint le palais de justice d’Anvers. Ce réseau de relations s’articule principalement autour d’organisations brunes bon teint comme le V.M.O., Protea, Stracke Noodfonds et Marnixring. Dans et autour de ces milieux douteux, nous avons aussi situé la place des magistrats [YJ], [YA] et [YB] qui ont fait en sorte que le père obtînt le droit de garde. Des nombreuses lettres que nous avons reçues, il apparaît que la moitié de la Flandre a été choquée par cette justice tordue. Surgit à plusieurs reprises la question: dans quel pays vivons-nous? Entre-temps, nous avons obtenu encore plus d’informations sur ce que certains cercles les plus haut placés ont pu se permettre, main dans la main avec leurs domestiques au sein de la justice et de la gendarmerie. (...) Humo était à peine sorti de presse que le notaire X incriminé téléphonait en personne à l’un des auteurs de l’article pour lui dire, menaçant: "Je ne suis pas pédéraste. Je ne suis pas pédophile. Le temps viendra où vous me ferez des excuses!!!" Et le notaire de raccrocher. Au cours de son procès, le notaire X s’est livré à des tentatives d’intimidation plus dures encore. Ainsi, il s’est livré à des voies de fait, en plein jour sur le Meir à Anvers, sur la personne d’un oncle de ses enfants. A l’intérieur du palais de justice d’Anvers et en présence de tiers, il a furieusement injurié l’avocat de la mère après que cette dernière eut été acquittée d’une plainte en calomnie et diffamation. Son propre avocat a dû intervenir à l’époque pour calmer le notaire. L’un des médecins qui ont constaté des traces de sévices sexuels a reçu une lettre recommandée qui le menaçait d’une plainte en diffamation s’il ne retirait pas ses résultats d’examen. Au moins un autre médecin s’est vu inonder de lettres de menaces des plus vulgaires. Le journaliste qui assistait le 26 juin au procès devant la cour d’appel d’Anvers et qui profitait d’une interruption pour prendre l’air a été poursuivi par le notaire. Le reporter n’a eu d’autre alternative que de s’échapper en courant au milieu des baraques foraines de la kermesse de la Pentecôte. Les directions respectives de Humo et des éditions Dupuis ont elles aussi fait l’objet de fortes pressions. La famille X avait appris par une fuite qu’un article allait être publié concernant l’affaire d’inceste. Résultat: des heures de retard à l’imprimerie, mais l’article a néanmoins été publié. (...) Ces moyens de pression brutaux semblent bien "marcher" au sein de l’appareil judiciaire. Après la publication de l’article, une foule de nouvelles informations nous sont parvenues des coins les plus divers. Ce dossier d’inceste unique en son genre mène depuis longtemps déjà sa propre vie, non seulement dans les milieux académiques des pédiatres et psychiatres pour enfants, mais aussi au sein du parquet, des tribunaux de la jeunesse, et des centres d’accueil pour enfants en détresse. Grâce à ces nouvelles données, nous avons à présent une vision encore meilleure des nombreuses et perfides manipulations de la justice. Des manipulations qui, jusqu’à présent, semblent n’avoir eu qu’un seul but: favoriser non pas le bien des enfants, mais le bien-être du notaire. (...) - Ce que l’on accepte également, c’est un interrogatoire d’une heure par les inspecteurs judiciaires [ZF] et [ZG] pendant lequel Jan est une nouvelle fois contraint de retirer ses accusations. Louis De Lentdecker, qui était présent sur place lorsque Jan est sorti, a écrit dans De Standaard: "Il a commencé à pleurer, à sangloter. Il a été saisi d’une véritable crise. Tout sanglotant, il a dit qu’il avait de nouveau été interrogé par deux hommes, qu’il avait dit que rien n’était vrai parce qu’il avait peur et qu’il ne voulait pas aller chez son père mais voulait rester chez sa mère. Et il a sauté au cou de sa grand-mère (maternelle) pour pleurer tout son saoul." Quel crédit peut-on accorder à cet interrogatoire? Une des déclarations extorquées ne tient certainement pas. Selon le [procès-verbal] 2873, Jan aurait affirmé ne jamais avoir vu son père nu. Le notaire lui-même a déclaré à Louis De Lentdecker: "On dit que je me tenais nu devant eux. Il est arrivé que, le soir, alors que je prenais un bain, les enfants se précipitent dans la salle de bains. Je les chassais alors sur-le-champ." Face au psychiatre [MN], le notaire, soucieux de se défendre, s’est montré plus catégorique encore: "Avant le divorce, il est arrivé quelquefois que les enfants surprennent X, nu, dans la salle de bains. Il est compréhensible que l’attention des enfants ait surtout été attirée par les parties génitales." Est-ce encore un hasard si l’inspecteur [ZG] participait, avec son épouse, au repas de Pâques chez le notaire? - Mi-1984, à l’issue d’un entretien entre quatre yeux, le professeur [MA], psychiatre pour enfants renommé, se voit confier, de façon informelle, par le procureur général [YJ] et l’avocat général [YD], la tâche de procéder à une étude approfondie du dossier pénal. A cet effet, le parquet lui transmet les diverses dactylographies et bandes des interrogatoires. Le professeur [MA] consigne ses conclusions dans divers rapports qu’il adresse au procureur général et à la cour d’appel d’Anvers. Il consigne ses conclusions provisoires dans un rapport du 22 juin, juste à temps puisque le jugement doit être rendu le 27 juin. Le procureur général [YJ] est au courant de la rédaction de ce rapport complémentaire et, que se passe-t-il? De manière tout à fait inattendue, la troisième chambre de la cour d’appel se réunit deux jours plus tôt et confie le droit de garde au notaire "sans avoir égard aux pièces déposées par le professeur [MA], après clôture des débats". La cour d’appel a-t-elle été informée que le rapport du professeur [MA], très défavorable pour le notaire, aurait encore pu arriver avant la clôture des débats et la troisième chambre s’est-elle pour cette raison réunie deux jours avant? Mais encore: tous les rapports du professeur [MA] n’ont pas été déposés après la clôture des débats. La troisième chambre disposait en effet d’au moins trois autres rapports du professeur [MA] qui, tous, allaient dans le même sens. Les magistrats mentent donc dans leur arrêt. Le 6 novembre 1984, l’affaire est de nouveau devant le tribunal, et cette fois, la chambre invoque un tout autre argument pour balayer les rapports du professeur [MA]: "en dépit de ce qu’il (le professeur [MA]) semble penser, il n’a pas été chargé par le procureur général près cette cour d’une mission judiciaire en la matière." De deux choses l’une: ou bien le professeur [MA] s’est vu remettre les bandes du parquet pour les étudier, ou bien il les a volées et doit être condamné. A défaut de mission judiciaire, le professeur [MA] n’est pas autorisé à détenir les documents du dossier pénal. La justice recourt donc à nouveau à des magouilles pour conférer un semblant d’honnêteté à un jugement inexcusable. - Le 26 juin 1984, à l’étonnement général, la présidente de la troisième chambre de la cour d’appel d’Anvers, Madame [YA], et ses conseillers [YB] et [YC], confient le droit de garde au notaire accusé d’inceste. Ce droit de garde, il ne peut toutefois l’exercer que sous le contrôle de ses parents. Nous nous trouvons là face à un raisonnement des plus tortueux: soit on peut totalement se fier au notaire concernant ses enfants et on lui confie le droit de garde; soit il n’est pas possible de s’y fier, et les enfants sont en danger chez lui. La présidente [YA] a cependant opté pour un arrêt hypocrite. Puisque les parents doivent surveiller le notaire, c’est que ce dernier n’est pas fiable. Et pourtant, on lui confie le droit de garde. Comprenne qui pourra. La troisième chambre s’était d’ailleurs déjà orientée dans ce sens. A l’audience du 6 juin, il a été demandé aux parents du notaire s’ils accepteraient d’assumer cette lourde responsabilité. Ce à quoi ils ont bien entendu répondu affirmativement. Hasard ou non, c’est la seule fois que les parents du notaire étaient présents à l’audience. Voilà qui ressemble fort à un coup monté. Ont-ils été informés au préalable que cette question allait leur être posée? - Les grands-parents ne sont pas les seuls à avoir été informés au préalable. Le 25 juin, deux jours avant le prononcé officiel de l’arrêt, le notaire attendait pour prendre ses enfants à l’école. Il savait déjà à ce moment que la cour d’appel allait lui confier le droit de garde. Comment cela se peut-il? - Dans l’article précédent, nous avons déjà évoqué la plainte de la mère suivant laquelle les inspecteurs judiciaires déforment continuellement ses paroles, ou ne les consignent tout simplement pas. Ce n’est pas tout. Les dépositions de témoins oculaires sont également falsifiées (...) - A un moment donné, le juge d’instruction malinois [YE], ex-conseiller communal CVP de Willebroeck, désigne le docteur [MB] comme (médecin) expert judiciaire. Celui-ci aboutit aux mêmes conclusions que le professeur [MA]: Jan et Wim ont subi des sévices sexuels. Le docteur [MB] avertit le juge d’instruction sans détour: "Il faut veiller à ne pas aggraver les difficultés psychiques du père et à ne pas en faire un homosexuel ou pédéraste chronique." Malgré cela, la présidente [YA] et ses conseillers [YB] et [YC] ont confirmé le 6 novembre que le père conservait le droit de garde. Il s’agit de l’arrêt le plus lâche qu’il nous a été donné de lire. La mère des enfants se voit reprocher le fait de ne pas avoir déposé de copie du rapport de l’expert judiciaire [MB], "de sorte qu’il n’est pas possible d’en étudier le contenu". Mais comment la mère aurait-elle pu déposer ce rapport? Elle n’est même pas autorisée à le consulter, et a fortiori à en prendre connaissance: en Belgique, la loi interdit toujours à quiconque d’obtenir des renseignements aussi longtemps que dure l’instruction pénale, parce que celle-ci est secrète. La cour d’appel reconnaît en toutes lettres dans son arrêt que l’instruction est encore en cours, et pourtant la présidente [YA] reproche à la mère de ne pas avoir déposé [le rapport]! Alors que c’est au ministère public qu’il incombe de déposer le rapport de l’expert judiciaire! Quand bien même le juge d’instruction [YE] détient le rapport du docteur [MB] depuis la fin août, nous lisons dans l’arrêt de la troisième chambre que "le ministère public n’a pas estimé nécessaire d’informer la cour en ce sens". Pourquoi le ministère public a-t-il refusé de transmettre ce rapport d’expertise crucial à la cour d’appel? Parce qu’il s’avérait trop négatif vis-à-vis du notaire X? Quoi qu’il en soit, la présidente [YA] a signé un amas de non-sens juridiques. - Le 5 septembre 1984, Louis De Lentdecker publie un premier article sur cette affaire d’inceste sous le titre: "Dame Justice déraille. Une jeune femme se bat pour ses enfants". Très peu de temps après, l’avocat général [YD] convoque De Lentdecker par téléphone. Commentaire de De Lentdecker dans son deuxième article du 28 septembre: "Il est rare qu’un magistrat convoque un journaliste pour un entretien dans le cadre d’une procédure judiciaire." L’extrait suivant de l’article de De Lentdecker est lui aussi éloquent: "A ma question de savoir pourquoi la justice n’a pas désigné trois experts pour étudier toute l’affaire sur le plan psychiatrique, médical et technique, l’avocat général a répondu littéralement: "Ces gamins (Wim et Jan donc) ont déjà dû par trop baisser leur pantalon pour toutes sortes d’enquêtes. Le mieux est de les laisser tranquilles." Lorsque j’ai rétorqué que la justice avait pourtant désigné un expert (De Lentdecker veut parler du docteur [MB]) et qu’il n’a pas été question, ou si peu, du rapport de ce dernier, vraisemblablement parce qu’il renfermait des constats accablants à l’encontre du père, l’avocat général a répondu: "Il n’est pas vrai que le rapport de l’expert judiciaire est accablant pour le père. Dans tous les cas, je l’ignore. D’ailleurs, les constats de cet homme ne sont pas valables: il a fait son examen en cinq jours." Quel grossier parti pris de l’avocat général [YD] filtre de ces citations. Et qu’est-ce qui a bien pu l’amener à rappeler ainsi un journaliste à l’ordre? Cela n’est pas dans ses attributions. C’est à juste titre que l’avocat général [YD] a depuis lors été récusé dans cette affaire pour excès de pouvoir, et remplacé par le premier avocat général [YK]. (...) Il y a aussi quelques éléments positifs. Le jeudi 26 juin, la neuvième chambre de la cour d’appel d’Anvers a confirmé le jugement du tribunal correctionnel de Malines qui, en octobre 1985, avait acquitté la mère de la prévention d’avoir soustrait les enfants à la garde du notaire. L’important dans ce procès, c’est que, outre l’acquittement de la mère, le tribunal a dûment tenu compte des déclarations du professeur [MA] et de l’expert judiciaire [MB] qui ont déposé sous serment à l’audience, et suivant lesquels il y avait bien eu sévices sexuels à l’encontre des enfants. Ce tribunal se composait de magistrats autres que [YA], [YB] et [YC], et le procureur général n’était pas [YJ]." Les requérants publièrent leur troisième article le 18 septembre 1986. Il présentait le contenu suivant: "(...) Dans l’article ci-après, nous reproduisons des photos, dessins et citations que nous aurions préféré ne pas divulguer. Ces documents étaient pour la plupart en notre possession depuis le début, mais nous ne voulions pas courir le risque d’être accusés de sensationnalisme. La justice dispose elle aussi de ces preuves irréfutables, et c’est précisément parce que la cour d’appel et le tribunal de la jeunesse d’Anvers se refusent à en tenir compte que nous nous voyons dans l’obligation de les publier. La stupéfaction, la colère et l’incrédulité que vous éprouvez, nous les partageons pleinement. La stupéfaction parce que ceci est possible; la colère parce que c’est permis; l’incrédulité, parce que la dernière garantie de notre démocratie, une justice indépendante, est atteinte en ses fondements. C’est pour cette raison, pour les enfants Wim et Jan, que nous publions des éléments que nous aurions préféré laissé pourrir, bien enfermés dans nos armoires aux archives. Guy Mortier Rédacteur en chef Le mardi 2 septembre, le juge de la jeunesse Madame [YL], a pris une mesure provisoire dans la retentissante affaire d’inceste impliquant un notaire anversois. Comme chacun sait, le drame se joue dans les plus hautes sphères financières de ce pays, sur fond d’extrême droite flamande. Le notaire anversois est accusé par sa femme d’avoir infligé des sévices sexuels à ses deux jeunes garçons, que nous appelons Wim et Jan, de les avoir maltraités et de continuer à les maltraiter. Le juge de la jeunesse a décidé à présent que le père obtient le droit de garde de ses enfants, ou plutôt le conserve, puisque ce droit de garde lui a déjà été confié, au mépris de toute justice, par la cour d’appel d’Anvers. La mère, par contre, à laquelle rien n’est reproché et qui a été relaxée à deux reprises d’une plainte en diffamation à l’encontre du notaire, ne peut plus voir ses enfants qu’une fois par mois. (...) Ce jugement inexplicable renverse une fois de plus le sens des choses. Le dossier, de plus en plus étoffé, contient en effet de nombreuses attestations médicales; des dessins horrifiants des enfants sur le viol par le père, des photos d’irritations anales, de blessures chez les enfants par suite de coups de bâton, ainsi que des rapports de psychiatrie infantile circonstanciés concernant les enfants: un de l’expert judiciaire [MB], cinq du professeur [MA], un pédiatre renommé de Louvain, et deux, dont un très récent, du professeur [MC], qui, il y a peu, a examiné les enfants dans le plus grand secret. A chaque fois, il apparaît clairement que les deux enfants ont subi des sévices sexuels et des mauvais traitements. Pourquoi le juge de la jeunesse [YL] refuse-t-elle de tenir compte de ces pièces à conviction solidement étayées dans son jugement, d’autant qu’aucun des rapports médicaux ne met les mauvais traitements en doute? L’influence de la famille du notaire X est-elle si grande, et ses moyens financiers si importants, que l’appareil judiciaire anversois ne peut dire le droit de façon indépendante? Il n’appartient pas à la presse d’exercer la fonction de juge, mais dans ce cas criant, il ne nous est ni possible ni permis de nous taire. Jusqu’à présent, nous avons traité cette affaire d’inceste avec autant de délicatesse que possible. Maintenant que la justice prend définitivement la mauvaise direction, nous nous sentons obligés, dans l’intérêt des enfants, de révéler davantage de détails, pour horribles et désagréables qu’ils puissent être pour le lecteur. (...) Sur quels éléments le juge de la jeunesse [YL] fonde-t-elle sa mesure provisoire? Selon un premier article paru dans Het Volk, et qui semble inspiré par le notaire, [YL] aurait pris sa mesure provisoire sur la base d’un rapport déposé par trois experts qu’elle a désignés. Selon Het Volk, il ressortirait de ce rapport qu’"il n’a jamais pu être question de quelconques sévices sexuels". Le moins que l’on puisse dire, c’est que Het Volk a mal été informé (le journal est d’ailleurs revenu sur son premier article). Qu’en est-il exactement de cette affaire? Les experts judiciaires, le docteur [MI], le docteur [MJ] et le docteur [MK], ont eu Wim et Jan en observation, pendant les mois de vacances, à l’Algemeen Kinderziekenhuis Antwerpen (AKA [clinique pédiatrique]). Leur rapport n’est pas encore prêt, et n’a donc certes pas encore pu être déposé. Ni le juge de la jeunesse ni les deux parties ne disposent d’un texte écrit à ce propos. Le juge de la jeunesse [YL] a donc forcé une décision avant même que le rapport des experts ne soit terminé. Rien que cela paraît déjà une manoeuvre très suspecte. Pire: de par ce fait, la mère se retrouve totalement sans défense. Rien ne figurant officiellement sur papier, il ne lui est pas possible d’interjeter appel contre la décision du juge de la jeunesse. Deuxièmement, contrairement à ce qu’on laisse entendre, les trois médecins cités ne sont pas des experts indépendants. Les docteurs [MJ] et [MK] sont des subordonnés du docteur [MI] au sein de l’AKA. Il leur est donc difficile de désavouer le travail de leur patron. A l’AKA, ces deux médecins ne sont d’ailleurs pas connus pour être du genre à oser mettre des bâtons dans les roues de leur supérieur. Troisièmement, la question se pose de savoir s’il était bien opportun de placer le docteur [MI] à la tête de l’équipe d’experts. Nous ne voulons pas préjuger du rapport avant d’en connaître le contenu, mais n’est-il pas particulièrement malencontreux, dans cette affaire déjà si politisée, de voir ainsi désigner une personne qui appartient à la même famille idéologique que le notaire d’extrême droite? Le docteur [MI] a épousé la fille de [ZH], gouverneur du temps de guerre. Vous vous rappellerez également que la famille du notaire X entretient elle aussi des relations très suivies avec le milieu "noir". Le docteur [MI] se vante aussi devant le personnel de la clinique qu’il est un partisan du régime de l’apartheid en Afrique du Sud, tout comme la famille du notaire X. Il y a quelque temps, c’est ce même docteur [MI] qui est parvenu à inscrire un enfant caractériel, à titre de thérapie, au mouvement d’extrême droite Vlaams Nationaal Jeugdverbond (VNJ), histoire de lui apprendre la discipline. Chacun est libre de ses opinions politiques, mais dans cette affaire précaire, la nomination d’un expert politiquement moins chargé eût été un soulagement. Tout aussi inexplicable reste le fait que le juge de la jeunesse [YL] maintienne Madame [ZI] comme déléguée permanente à la protection de la jeunesse. Pour toutes ses informations, et donc aussi pour son appréciation de l’affaire, le juge [YL] doit largement s’en remettre au briefing de ce délégué permanent, mais nous avons déjà écrit auparavant que le notaire X connaît bien Madame [ZI]. Ce fait est d’ailleurs consigné dans un procès-verbal du 6 octobre 1984. Dans ce PV, le notaire cite avec insistance Madame [ZI] comme l’une des personnes auprès desquelles la justice peut vérifier son bon fond naturel. N’est-il vraiment pas possible de récuser dans cette affaire toutes les personnes qui entretiennent des liens idéologiques et/ou amicaux avec la famille X? (...) Comment le notaire se défend-il contre l’accusation de ses enfants selon laquelle il a battu Wim au mois de mai à l’aide d’un "bâton hérissé de pointes"? Très confusément. Il ressort d’une reconstitution du récit des enfants et du PV de l’huissier de justice qu’il a battu Wim dès le 14 mai. Ce jour-là, le notaire et ses petits garçons étaient en visite chez le docteur [MJ]. Wim y a fait au médecin, en présence de son père, des déclarations très compromettantes sur le notaire. Dès qu’ils furent rentrés chez eux, le père s’est mis à battre Wim. Le lendemain, le notaire s’est rendu seul chez le docteur [MJ], et étrangement, il ne dit pas un mot des blessures de son fils. Ce n’est que plusieurs jours plus tard, lorsque les photos ont été transmises aux instances compétentes, qu’il invente une chute de Wim dans les escaliers. Pourquoi n’en a-t-il pas fait mention d’emblée? Au professeur [MC], les enfants confirment que Wim a été battu et qu’il n’est pas du tout tombé dans les escaliers. Le notaire change alors de cap. Le 2 juin, il fait venir un huissier de justice de ses amis qui dresse un PV dans lequel les enfants nient tout. Etrangement, ce n’est pas l’huissier qui pose les questions aux enfants, mais c’est le père qui interroge lui-même ses petits garçons. Ce PV n’a donc aucune valeur. Le 5 juin, le notaire trouve encore autre chose. Le docteur [ML] délivre une attestation selon laquelle il ne peut constater aucune blessure. Ce qui est très possible, puisque entre-temps, trois semaines se sont écoulées. Pourquoi le notaire fait-il constater trois semaines plus tard l’absence de blessures, s’il déclare d’abord que ces blessures étaient la conséquence d’une chute dans les escaliers? Dernière version: Jan a frappé Wim. Cette chimère vient du juge de la jeunesse luimême. En voilà du parti pris. (...) Les mauvais traitements du mois de mai (ainsi que nous l’avons écrit à plusieurs reprises déjà) n’ont rien d’unique. Dès le 10 janvier 1984, le docteur [MG] a transmis au médecin légiste [MM] les résultats de son examen de quatre frottis: "Outre de la matière amorphe, des cellules épithéliales et mucosales, j’ai observé dans 3 des 4 frottis des structures à tête triangulaire sur une longue chaîne plus ou moins rectiligne qui correspondent à la description de spermatozoïdes. Dans 2 des 3 frottis, j’ai observé la présence d’une structure de ce type, et dans le troisième, j’en ai vu deux." D’autres médecins firent eux aussi les mêmes constatations. Par la suite, le professeur [MA] et l’expert judiciaire [MB] aboutissent, indépendamment l’un de l’autre, à la conclusion que Wim et Jan ont fait l’objet de sévices sexuels et de mauvais traitements physiques. Le dernier rapport est celui du professeur [MC]. En vue de compléter un rapport antérieur, cet expert a examiné douze fois les enfants entre le 1er août 1985 et le 31 mai 1986; l’aîné en l’absence de la mère, Wim généralement en présence de la mère parce que au début tout examen était pratiquement impossible sans la mère. En sa qualité de président de "Kind en Gezin in Nood" ["Enfant et famille en détresse"] des Leuvense Universitaire Ziekenhuizen [cliniques universitaires de Louvain], le professeur [MC] est l’une des principales autorités en la matière. Pour ne pas être influencé dans son travail, il a expressément décidé de refuser toute forme d’honoraires. Dans son rapport, on peut lire les choses les plus horrifiantes. C’est à plusieurs reprises, et non pas une seule fois, que les enfants auraient été battus à l’aide d’un bâton hérissé de pointes. Ces mauvais traitements sont en outre infligés d’une manière rituelle. Des bougies brûlent; quelquefois, le père porte un uniforme brun, et le bâton porte un "signe du diable". Par le biais des enfants, le professeur [MC] a également découvert où le père puisait son inspiration. Il a retrouvé le signe du diable dans le volume I du "Rode Ridder" (le "Chevalier Rouge") (!) [intitulé] "De barst in de Ronde Tafel" ("La fente dans la table ronde"). Le signe s’accompagne du texte suivant: "Ceci est le symbole du Prince des Ténèbres, un magicien inconnu et grand maître de la Magie Noire! Avant même que la table ronde ne soit un fait, il s’est retiré et personne ne sait où il se trouve aujourd’hui! Il consacre ses connaissances et pouvoirs exceptionnels à tout ce qui est mal et négatif! Son seul objectif: désemparer, détruire et abattre. Il est un symbole de la violence qui, en ces temps, règne sur l’humanité et la justice!" Le professeur [MC] s’exprime sans détour dans son rapport: "En guise de conclusion finale, on peut considérer que Wim est victime de sévices sexuels et physiques répétés et que son frère Jan subit les mêmes sévices à un degré moindre mais, sous de très fortes pressions psychiques, décompense psychiquement de plus en plus, d’où ses moins bons résultats à l’école et ses déclarations quelquefois incohérentes pendant les examens successifs. Dans l’intérêt des deux enfants, une décision judiciaire doit être prise immédiatement en vue de soustraire totalement et constamment les deux enfants au milieu paternel. Tout nouveau retard serait médicalement injustifiable." Les deux rapports du professeur s’accompagnent de descriptions très précises des blessures, des déclarations des enfants, de dessins sinistres de Wim et Jan concernant des scènes de lit avec leur père (souvent représenté avec des cornes) et de photographies. Les deux rapports sont aux mains de l’équipe d’experts [MI], [MJ] et [MK]. Le juge [YL] les détient également. Tout comme elle détient les cinq rapports du professeur [MA] et le rapport de l’expert judiciaire [MB]. Comment Madame [YL] peut-elle soutenir qu’il n’existe pas de preuves? Faut-il que les enfants soient battus ou violés sous ses yeux avant qu’elle ne le croie? (...) Des accusations similaires formulées par les enfants à l’encontre de leur père ont également été enregistrées ultérieurement par le professeur [MA], par l’expert judiciaire [MB], par les deux inspecteurs judiciaires [ZF] et [ZG], en présence de la maîtresse d’école de Wim, et enfin par le professeur [MC]. De l’autre côté, il y a une rétractation des déclarations lors d’un interrogatoire de l’inspecteur judiciaire [ZJ], depuis lors suspendu, qui a intimidé Jan à l’aide d’une arme et dont il ne reste sur bande qu’une seule minute confuse, lors d’un interrogatoire mené par les inspecteurs judiciaires [ZF] et [ZG], à l’issue duquel Jan a eu une véritable crise (dont Louis De Lentdecker a par hasard été témoin); et une rétractation par Jan, chez le professeur [MC], en présence de son père. La question cruciale subsiste: une mère peut-elle inventer tout cela? Mieux encore: deux jeunes enfants - ils auront respectivement 6 et 9 ans ce mois-ci - sont-ils à même de maintenir leurs accusations pendant plus de deux ans et demi si ces accusations avaient été inventées et imposées par la mère? De plus, quand la mère aurait-elle pu inculquer ces accusations à ces enfants? Il ne faut pas oublier que, depuis le 25 juin 1984, le notaire s’est vu confier le droit de garde des enfants par la troisième chambre de la cour d’appel d’Anvers. Depuis plus de deux ans, le père exerce bien plus d’influence sur les enfants que la mère, qui n’a le droit de voir ses enfants que de temps à autre, un droit de visite auquel souvent le notaire ne s’est pas conformé. Il y a plus: si le notaire est si droit dans ses bottes, pourquoi déclare-t-il la guerre à quiconque lui met des bâtons dans les roues, sur le plan juridique ou autrement? Pourquoi a-t-il menacé tant de personnes déjà dans le cadre de cette affaire? Dans cet article, nous nous en tiendrons volontairement aux menaces et intimidations les plus récentes. (...) Le dossier renferme également le rapport d’un entretien que le professeur [MA] a eu le 23 mai 1984 avec le procureur général [YJ] et l’avocat général [YD]. Nous ne sommes pas sans savoir combien il est délicat de citer des lettres non destinées à être publiées, mais nécessité fait loi. Le professeur [MA] retrace le déroulement de l’entretien comme suit: "Après que j’avais formulé mon problème et ma demande, à savoir la nomination de trois experts, il m’est rapidement apparu que Monsieur le procureur général souhaitait suivre cette affaire sans parti pris et impartialement, mais que Monsieur [YD] avait dès ce moment une vision très claire de ce qu’il fallait faire: "L’histoire des enfants était inventée, peut-être inculquée par la mère, et il fallait confier les enfants aux grands-parents, en y associant aussi le père." Monsieur [YD] a balayé assez brutalement ma demande d’expertise. Il estimait l’expertise des juges bien supérieure en la matière à celle de médecins, et la tenue d’autres expertises et interrogatoires des enfants ne pourrait que leur faire plus de tort encore. Le procureur général s’est montré beaucoup plus nuancé dans sa réponse, et jugeait une expertise effectivement indiquée. De plus, le procureur général a émis de sérieuses réserves visà-vis de la suggestion de Monsieur [YD]. Il a déclaré littéralement que le grandpère X, auquel les enfants devraient être confiés, était "fou". Qu’à toutes les réceptions auxquelles il rencontrait Monsieur X, il voyait à chaque fois le grand-père X expliquer très clairement et sans détour que Hitler devait revenir ici, dans notre pays. Il a déclaré également que cette impression, suivant laquelle le grand-père était "fou", était généralement partagée par tous les invités de ces réceptions. Et il a expressément déclaré à Monsieur [YD] qu’il jugerait totalement injustifié que les enfants soient confiés au grand-père X." Bien que disposant de ces informations préliminaires, la justice anversoise confie les enfants, en première instance, au notaire, sous le contrôle du père "fou" de ce dernier. Au cours de l’entretien avec le professeur [MA], le procureur général [YJ] met également la probité du notaire en doute. Le professeur [MA] a ainsi déclaré dans sa défense devant l’Ordre des Médecins: "Il (le procureur général) a raconté que le père X avait été nommé notaire, en dépit de l’avis contraire des instances judiciaires, au dernier jour des fonctions de feu le Ministre [ZK] (à l’époque ministre de la justice) et qu’en plus, il avait réussi en très peu de temps (quelques années) à transformer une étude notariale quasi inexistante en une étude faisant un bénéfice officiel de 32 millions de francs par an. Il doutait manifestement, compte tenu de la crise que connaissait le secteur immobilier à l’époque, de la possibilité pour un notaire de réaliser un tel bénéfice annuel par des voies honnêtes et légales, et croyait se souvenir qu’à l’époque, Monsieur X faisait déjà l’objet d’une procédure judiciaire concernant ses activités notariales." C’est exact. En 1984, le notaire a même été suspendu par la chambre de discipline. Le parquet n’a (de nouveau!) pas tenu compte de cette sanction. Entre-temps, une nouvelle plainte a été déposée cette année contre le notaire pour faux en écriture. Le plus fâcheux, ce sont encore et toujours les sympathies dont le notaire témoigne publiquement pour les nazis. Il ressort d’un PV de la police judiciaire de Malines que l’homme qualifie de "mensonge américain" le génocide de 6 millions de Juifs. A son mariage, le notaire et son père ont fait le salut hitlérien et ont entonné à pleine voix le "Horst-Wessel Lied". Mais le notaire va beaucoup plus loin encore: il veut éduquer ses enfants selon les principes d’Hitler. Voilà pourquoi ils doivent apprendre à supporter la souffrance, à endurer les humiliations et les angoisses. Hitler a décrit lui-même ce que représente une éducation hitlérienne: "Ma pédagogie est dure. Le faible doit être battu et chassé. De mes écoles de cadres sortiront des jeunes dont le monde aura peur. Je veux des jeunes violents, impérieux, impavides, cruels. Voilà ce que les jeunes doivent être. Ils doivent pouvoir supporter la souffrance. Ils ne peuvent témoigner d’aucune faiblesse ni tendresse. Leurs yeux doivent briller du regard libre et éclatant de la bête de proie. Je veux que mes jeunes soient forts et beaux... C’est ainsi que je pourrai créer du neuf." Il n’y a que peu de choses à ajouter. Si ce n’est qu’il est grand temps que, dans l’intérêt des enfants, les attestations des médecins, les rapports et pièces à conviction de l’expert judiciaire, de l’huissier de justice et des psychiatres pour enfants soient enfin pris au sérieux et que la décision rendue dans cette affaire se fonde sur des faits, et non sur le statut influent d’une des parties concernées. Il y va de la confiance de l’opinion publique dans le pouvoir judiciaire." L’article était illustré de ce que les requérants présentaient comme des photos de lésions qu’aurait subies "Wim" au mois de mai, de deux dessins qu’aurait faits "Jan" et d’un autre qu’aurait fait "Wim"; il contenait aussi la transcription partielle de l’interrogatoire de "Jan" auquel aurait procédé l’inspecteur [ZB] le 6 mars 1984. Le 6 novembre 1986 parut le quatrième article de MM. De Haes et Gijsels, ainsi rédigé: "(...) Jeudi de la semaine dernière, l’affaire Wim et Jan a connu un bouleversement juridique. A la demande du procureur général [YM], la Cour de cassation a retiré le dossier X à la juridiction anversoise. L’affaire a été transférée au tribunal de Gand dans l’espoir que la magistrature gantoise adopte une attitude moins partisane. Cette mesure n’arrive certes pas trop tôt. Dans l’affaire Wim et Jan, la guerre juridicomédicale avait en effet atteint un point culminant. Dans une ultime tentative pour amener la magistrature anversoise à de meilleurs sentiments, quatre éminents experts ont adressé une lettre commune au procureur général [YJ], dans laquelle ils déclarent sur l’honneur être convaincus à 100 % de ce que les enfants du notaire X sont victimes de sévices sexuels et physiques. La compétence professionnelle de ces quatre experts ne peut être mise en doute - même par la magistrature anversoise: le professeur [MD] (professeur de pédiatrie à l’U.I.A. [Institution universitaire d’Anvers], médecin-chef de l’Algemeen Kinderziekenhuis Antwerpen et président du "Vertrouwensartscentrum" [centre d’accueil médical pour enfants maltraités] anversois), le professeur [MC] (professeur de pédiatrie à la K.U.Leuven, chef de service à la clinique pédiatrique [de l’hôpital universitaire] Gasthuisberg à Louvain, président du conseil supérieur de l’enfance maltraitée), le professeur [MA] (professeur de psychiatrie des enfants et des jeunes, [hôpital] Gasthuisberg, K.U.Leuven, désigné par le procureur général [YJ] pour étudier le dossier) et le docteur [MB] (psychiatre pour enfants et psychanalyste, nommé expert par le tribunal). A leur lettre, ils ont joint une note énumérant dix pièces à conviction qui, dans une autre affaire, auraient chacune séparément suffi à entraîner des poursuites, voire l’arrestation. L’objectif de ces scientifiques était clair. Ils cherchaient à obtenir une "mesure conservatoire" tendant à ce que les enfants fussent admis dans l’un des trois [centres flamands d’accueil médical pour enfants maltraités], dans l’attente d’un règlement juridique définitif. La démarche est restée sans réponse. Les magistrats concernés n’ont pas réagi. L’Ordre des Médecins, lui, a réagi. Il a imposé une interdiction de s’exprimer aux professeurs [MA] et [MC]. Une fois encore, on tire sur le messager sans écouter son message. Le monde politique a lui aussi réagi. Le ministre de la Justice Jean Gol a demandé le dossier, il suit l’affaire de près, mais en vertu de la séparation constitutionnelle des pouvoirs, il ne peut intervenir. De leur côté, les députés européens Jef Ulburghs, Anne-Marie Lizin (...) et Pol Staes (...) ont introduit un projet de résolution devant le Parlement européen demandant une enquête sérieuse ainsi que des mesures d’urgence visant à mettre un terme à la situation dangereuse dans laquelle se trouvent les enfants. L’opinion publique éprouve de plus en plus de mal à "avaler" l’affaire. Le cabinet du ministre Gol est inondé de dizaines de lettres indignées. Les manifestations hebdomadaires silencieuses sur les marches du palais de justice d’Anvers se poursuivent, et la semaine dernière, dans la nuit de lundi à mardi, des affiches ont été collées dans tout le centre ville qui révèlent le nom et le prénom du notaire X. Cette action, qui a suscité des sentiments mitigés dans les milieux journalistiques et juridiques, a donné une nouvelle dimension à la polémique autour de l’affaire X. (...)" Le 27 novembre 1986 parut le cinquième article des requérants. L’on pouvait y lire: "(...) Notre prédiction d’il y a deux semaines selon laquelle le chemin de croix juridique dans l’affaire de Wim et Jan risquait d’échouer sur le banc de sable judiciaire anversois, s’est avérée exacte. En dépit de toutes les évidences, la Cour de cassation a estimé qu’aucune partialité ne peut être imputée à la magistrature anversoise dans ce dossier d’inceste et que toute l’affaire peut donc continuer d’être traitée à Anvers. En marge de la décision de la Cour de cassation il y a eu quelques phénomènes remarquables. Le notaire X, ainsi baptisé afin de préserver l’anonymat de Wim et Jan, se montre désormais en plein jour et se laisse interviewer, quelquefois même en présence de ses enfants. Que son nom apparaisse désormais dans la presse (et donc les noms de ses petits garçons également) ne semble pas le gêner. Autre conséquence: tous les médias rompent désormais un silence de plusieurs mois, et certaines rédactions ont joliment dérapé. Très inquiétante est par exemple la tentative de certains journaux et hebdomadaires de minimiser l’affaire du notaire X pour la ramener à une banale affaire de divorce dans laquelle les deux parties s’envoient à la tête les accusations les plus dégoûtantes. Dans ce procès vraiment peu réconfortant, l’aspect "divorce" n’est qu’un détail négligeable, et d’ailleurs une toute autre affaire. Nous n’avons d’ailleurs pas publié un seul mot à ce propos, et ne souhaitons pas le faire parce qu’il s’agit d’une affaire purement privée. Ce dont il s’agit vraiment dans le cas qui nous occupe, ce sont de très graves accusations d’inceste et de mauvais traitements d’enfants, confirmées par des attestations médicales et examens médicaux, et la manière éminemment contestable dont la justice les traite. Cet état de choses ne relève plus de la sphère intime de deux personnes, mais nous concerne tous. L’affaire du notaire X n’est d’ailleurs que la partie visible d’un iceberg et qui est représentative d’autres procès d’inceste. C’est pour cette raison, et cette raison seulement, que nous en avons rendu compte. Entre-temps, certains quotidiens et hebdomadaires s’adonnent à un sensationnalisme du pire aloi et, sans véritablement connaître le dossier, donnent au notaire, sur des pages entières, le droit de clamer publiquement sa version des faits. Bien sûr, la liberté d’expression est sacrée. Encore que, avons-nous jamais projeté la mère de Wim et Jan au premier plan? Avons-nous jamais reproduit son opinion de l’affaire? Non. A ce jour, le dossier Wim et Jan de Humo a toujours été écrit sur la seule base de notre propre enquête et sur le fondement d’innombrables documents authentiques. Nous n’avons pas écrit un seul mot qui ne reposât sur les rapports de médecins, pédiatres, experts judiciaires et d’un huissier de justice. Depuis notre premier article "L’inceste est autorisé en Flandre", qui remonte déjà au 26 juin, la famille du notaire a tenté d’amener la direction de Humo à s’asseoir autour d’une bonne table pour "discuter" de l’affaire. La rédaction a toujours maintenu le même point de vue: pas de discussion, faites-nous parvenir des documents prouvant que nous avons tort et nous les publierons. Nous avons lancé cet appel également via Argus [émission télévisée], mais jusqu’à présent, le notaire X n’est pas encore parvenu à nous transmettre les "tout aussi nombreuses contre-expertises". Il a beau affirmer dans Knack et De Nieuwe Gazet qu’elles existent, il est étrange que les journalistes de ces journaux ne reçoivent pas ces preuves contraires. Tout ce que le notaire X a essayé de faire jusqu’à présent, c’est de noyer le poisson, de ramener l’affaire à une discussion à coups de "non!" et de "si!", sa parole contre celle de sa femme. (...) Dans Knack du 5 novembre, le notaire expose encore une nouvelle trouvaille. Les photos n’ont pas été prises par l’huissier de justice, mais par son ex-femme, et ont été truquées à l’aide de "pommade rouge". Encore une fois: si les hématomes proviennent d’une chute dans l’escalier, pourquoi faudrait-il les truquer à l’aide de pommade rouge? Il est vrai que sa femme a pris des photos, mais en présence de l’huissier de justice. Et elles ont été expressément jointes en annexe au PV. Mais indépendamment de cela l’huissier de justice a pris lui-même des photos, et c’est de cela qu’il s’agit. (...) Rien que de la pommade rouge? Arrangé, le tout, pour que cela se voie mieux? Du reste, ce ne sont pas les seules photos de blessures qui ont été prises. Le docteur [MC] a, lui aussi, pris de nombreuses photos des blessures et d’une "irritation inhabituelle du pénis et de la région péri-anale", qui ont été jointes à ses rapports. Il n’y a pas de preuves, affirme le notaire X. Faut-il vraiment que l’on publie une photo de l’anus irrité de ses petits garçons? La justice, à laquelle le PV et les photos étaient destinés, ne semble pas en avoir mis la véracité en doute et a ajouté ces documents sans autre commentaire, il y a quatre mois, au dossier judiciaire. La justice ne manque pas de motifs à cet effet. L’huissier de justice [ZM] a pris les photos en présence de témoins et au polaroïd. Quelques secondes suffisent à ce type d’appareil pour produire la photo. Il n’est pas possible de les trafiquer. Le notaire X sait très bien pourquoi il ne dépose pas plainte contre l’huissier de justice et pourquoi il ne publie ses insinuations que par le biais d’une certaine presse. Ce n’est pas la première tentative de bluff du notaire. Cet extrait de Knack est éloquent: "Il avoue sans difficulté qu’il a fait pression sur plusieurs médecins, qu’il a tabassé son beau-frère, qu’après avoir reçu une information en provenance de la rédaction, il a lancé des menaces à l’adresse de l’hebdomadaire Humo d’Albert Frère afin de faire retirer son nom des articles, mais il ne voit là aucune intimidation et estime que, dans son malheur, d’autres auraient commis des actes bien plus graves encore." Que le notaire X ait voulu faire retirer son nom de Humo, est un de ses multiples mensonges. A l’époque, il n’exigeait ni plus ni moins qu’une censure totale: l’article ne pouvait pas être publié! Pour notre part, nous n’avons jamais, à aucun moment, ne fûtce qu’envisagé de mentionner le nom du notaire et de sa famille. Ce nom n’a donc jamais figuré dans aucun document préparatoire, ni même dans le tout premier brouillon. Pour Humo, il n’a jamais été question d’attaquer un individu (à cet égard, nous nous désolidarisons totalement des colleurs d’affiches qui placardent le nom du notaire partout à Anvers), mais du déroulement douteux de ce procès. (...) Le notaire X se complaît à répéter tous azimuts qu’il sait que la justice et les experts désignés sont de son côté. "Il nous a déclaré que le rapport des trois experts de l’AKA (désignés par le juge de la jeunesse [YL], NDLR) serait rendu public mercredi, mais qu’il pouvait d’ores et déjà nous dire que ce rapport prouve sa totale innocence" (Algemeen Dagblad 1/11/86). "Cette semaine, il souhaite diffuser les rapports des trois médecins [MI], [MK] et [MJ], désignés comme experts voici un an (!) par le tribunal de la jeunesse: ils sont unanimes et totalement positifs pour moi..." (Knack 5/11/86) Le notaire X se montrait à ce point affirmatif que nous sommes tombés dans le piège (ainsi qu’il ressort de notre précédent article) et avons cru que le notaire était lavé de tout soupçon dans les rapports. Etant donné qu’à ce moment, les rapports n’avaient encore aucunement été communiqués, nous posions la question: "Le notaire X possède-t-il un don insoupçonné de voyance ou a-t-il pu consulter les expertises avant même qu’elles ne soient transmises au tribunal de la jeunesse?" Nous ne le savons pas. Ce que nous savons, par contre, c’est que, dans ses interviews, le notaire se moque de la vérité. Les trois rapports ne sont pas intégralement positifs pour lui. Les conclusions, au demeurant tout à fait confuses, du rapport du psychiatre [MK] indiquent explicitement qu’il ressort de la lecture du dossier qu’il existe de fortes présomptions de sévices sexuels et physiques, mais qu’il n’existe pas de preuves absolues et irréfutables. Au mode conditionnel, [MK] ajoute que les récits de Wim et de Jan auraient pu être "induits", pour ne pas dire mâchés par la mère. Autrement dit, [MK] déclare qu’en fait, il ne sait pas. Dans tous les cas, on peut difficilement dire de ce rapport qu’il est intégralement positif pour le notaire X. Celui-ci a également menti à la presse à d’autres égards. D’après lui, les enfants auraient peur de Malines, du milieu de la mère, alors que dans le rapport de [MK], l’un des enfants se montre très positif vis-à-vis de la mère et très négatif vis-à-vis du père. L’autre enfant préfère tantôt rester à Anvers, tantôt vivre à Malines. [MK] est d’ailleurs d’avis de placer les enfants dans une famille d’accueil, avec droit de visite pour les deux parents. La semaine dernière, le rapport d’expertise du docteur [MJ] a surgi à son tour. Témoin principal dans l’affaire des mauvais traitements du 16 mai, [MJ] écrit dans son rapport que les faits n’ont jamais eu lieu. Encore un autre échantillon d’expertise: d’une part, il déclare dans son rapport que les enfants demandent à pouvoir rester chez leur mère, mais d’autre part, il conseille de confier les enfants au père après le divorce, avec droit de visite limité pour la mère. A titre de mesure immédiate, il conseille, tout comme [MK], de placer les enfants dans un milieu neutre, avec large droit de visite pour les deux parents. Il faut sans doute être expert pour comprendre tant de contradictions. (...) Face aux rapports contradictoires et peu cohérents de ces médecins, on trouve les documents irréfutables et univoques du professeur [MA]: "Vu que les enfants ont à nouveau été victimes de sévices sexuels de la part de leur père, nous estimons tout contact ultérieur entre le père et les enfants extrêmement préjudiciable, pour le moment, au développement ultérieur de ces enfants, et la situation s’avère pour eux particulièrement dangereuse, dans la mesure où le développement moral et de la personnalité de ces enfants est gravement menacé. Nous estimons dès lors qu’une intervention sur la base de l’article 36.2 (enfants en danger) de la loi sur la protection de la jeunesse s’impose d’urgence." (août 1984) L’expert judiciaire [MB], désigné par le juge d’instruction [YE]: "Tous les examens effectués chez Wim et Jan aboutissent à la même conclusion: les deux enfants expliquent comment se sont déroulés les contacts sexuels avec papa. Wim est en pleine phase d’assimilation du traumatisme psychique dans son subconscient. Chez Jan, cette assimilation est plus malaisée. Les déclarations des enfants paraissent crédibles et j’ai exposé une série d’arguments à cet égard." (août 1984) Le docteur [MC], qui a examiné les enfants à vingt-deux reprises (et non à douze reprises, comme le notaire l’affirme en mentant de nouveau dans De Nieuwe Gazet) et a constaté à dix-sept reprises des lésions non accidentelles: "Dans l’intérêt des deux enfants, une décision judiciaire s’impose par conséquent afin de soustraire totalement et durablement les deux enfants au milieu paternel. Toute tergiversation serait médicalement injustifiable." (mai 1986) Cela reste une honte que la juridiction anversoise refuse de prendre en considération ces pièces du dossier." L’article était illustré de deux autres dessins qu’auraient faits les enfants; il contenait aussi ce que les requérants présentaient comme l’extrait d’un procès-verbal de l’huissier de justice [ZM], décrivant des hématomes sur les deux jambes du cadet. A la suite du jugement du 29 septembre 1988 (paragraphe 11 cidessus), MM. De Haes et Gijsels publièrent le 14 octobre 1988 un article au contenu suivant: "(...) Le 29 septembre, le tribunal de première instance de Bruxelles a rendu son jugement dans le procès intenté à Humo par les juges de la cour d’appel d’Anvers à la suite de nos articles sur le notaire X. Humo a été condamné sur toute la ligne. Ce jugement n’est pas seulement désespérément maigre dans son argumentation, il est aussi tout à fait insatisfaisant. Le vice-président [YF] et les juges [YG] et [YH] ont traité le dossier par-dessus la jambe. Ils n’ont pas voulu suivre l’argumentation très solide de Humo, et la discussion, importante pour l’ensemble de la presse, concernant les rapports entre les médias et le pouvoir judiciaire, a été purement et simplement balayée. Nous nous demandons si ces messieurs les juges ont bien lu les conclusions de Humo. Le tribunal de première instance de Bruxelles a choisi la voie de la facilité: il nous reproche que les "insinuations et accusations offensantes" à l’encontre des juges, "ne reposent sur rien, si ce n’est sur des ragots et des déformations malveillantes". Ce que toute la Flandre sait, mais apparemment pas Messieurs [YF], [YG] et [YH], c’est que nos doutes quant à l’intégrité des magistrats de la cour d’appel d’Anvers se fondaient (et se fondent toujours) sur divers rapports médicaux, dont nous avons toujours textuellement cité des extraits, et qu’il ne saurait donc s’agir de déformations malveillantes. Les journalistes commettent-ils une faute s’ils s’en tiennent aux extraits textuels de rapports médicaux et aux données avérées et prouvées? Nous aurions également sali la vie privée des juges anversois. Mais à aucun moment Humo n’a mis sur le tapis quoi que ce soit de la vie privée des juges. Nous nous en sommes strictement et volontairement tenus aux éléments directement liés à l’affaire et qui pouvaient être vérifiés dans des ouvrages d’histoire et articles de presse. Comment des faits relevant si manifestement et incontestablement du domaine public sont-ils brusquement considérés comme relevant de la vie privée? Plus loin dans les attendus de leur jugement, les juges [YF], [YG] et [YH] écrivent carrément que nous "[tenons], sans plus, pour vraie l’affirmation de l’ex-épouse du notaire X et de son conseiller technique (le professeur [MA])". L’affirmation de l’ex-épouse du notaire X, nous n’en avons cure. Nous nous sommes toujours concentrés sur rien d’autre que les constatations et rapports médicaux d’innombrables médecins. Pourtant, le tribunal de première instance escamote purement et simplement ces faits. De plus, l’un des éléments essentiels de l’affaire du notaire X a été habilement éludé: le conflit entre le corps médical et le pouvoir judiciaire. Un journaliste doit tendre "au respect de la vérité", estime le tribunal, ce à quoi nous souscrivons volontiers, mais le même devoir incombe également aux juges. Le jugement du tribunal de première instance devient purement et simplement kafkaïen lorsqu’il attaque les rapports médicaux par un simple renvoi aux arrêts des juges de la cour d’appel, lesquels n’ont volontairement pas pris ces rapports au sérieux. Et c’est précisément cette attitude que Humo a dénoncée. Ce pourquoi nous avions d’ailleurs nos raisons. Mais que fait le tribunal de première instance de Bruxelles? Les arrêts de leurs collègues-juges sont utilisés comme preuves contre Humo. Autrement dit: seuls les arrêts des magistrats d’Anvers sont vrais. S’il en est ainsi, quiconque récuse un jugement, y compris dans la presse, risque d’être mis en tort, car un magistrat a toujours raison. Ce n’est pas la vérité, mais "la vérité officielle et rien que la vérité officielle" qui, à l’avenir, sera publiée dans notre presse. Est-ce cela que l’on veut? Manifestement, les juges bruxellois [YF], [YG] et [YH] n’ont pas pu juger leurs collègues-juges de la cour d’appel d’Anvers avec la distance et l’indépendance requises. Ils s’inscrivent ainsi dans la ligne de la jurisprudence partisane que nous avons dénoncée dans le procès du notaire X. Aussi Humo va-t-il en appel de ce jugement." II. Le droit interne pertinent Aux termes de l’article 18 (ancien, actuellement 25), premier alinéa, de la Constitution: "La presse est libre; la censure ne pourra jamais être établie; il ne peut être exigé de cautionnement des écrivains, éditeurs ou imprimeurs." Les dispositions pertinentes du code civil se lisent ainsi: Article 1382 "Tout fait quelconque de l’homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé, à le réparer." Article 1383 "Chacun est responsable du dommage qu’il a causé non seulement par son fait, mais encore par sa négligence ou par son imprudence." Selon la doctrine et la jurisprudence, une infraction à la loi pénale constitue en soi une faute au sens de l’article 1382 du code civil (L. Cornelis, Beginselen van het Belgische buitencontractuele aansprakelijkheidsrecht, p. 62, no 41; arrêts de la Cour de cassation des 31 janvier 1980 (Pasicrisie 1980, I, p. 622) et 13 février 1988 (Rechtskundig Weekblad 1988-89, col. 159)). Aussi les articles 1382 et 1383 du code civil servent-ils de base aux poursuites civiles pour abus de la liberté de la presse (arrêt de la Cour de cassation du 4 décembre 1952, Pasicrisie 1953, I, p. 215). Une publication est considérée comme abusive lorsqu’elle viole une disposition pénale - sans pour autant que tous les éléments constitutifs de l’infraction doivent être réunis -, diffuse des accusations inconsidérées sans preuves suffisantes, se sert inutilement de termes blessants ou d’expressions exagérées, ou encore viole le respect dû à la vie privée ou à l’intimité des personnes. Les articles 443 à 449 et 561, 7o, du code pénal répriment la calomnie, la diffamation et les injures. Aux termes de l’article 450, ces délits, commis envers des particuliers, ne peuvent être poursuivis que sur la plainte de la personne offensée ou, si celle-ci est décédée, de son conjoint, de ses descendants ou héritiers légaux jusqu’au troisième degré inclus. De leur côté, les articles 275 et 276 du même code punissent l’outrage contre les membres de l’ordre judiciaire. PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION MM. De Haes et Gijsels ont saisi la Commission le 12 mars 1992, alléguant que leur condamnation avait violé leur droit à la liberté d’expression, garanti par l’article 10 de la Convention (art. 10), et qu’elle se fondait sur une interprétation erronée de l’article 8 (art. 8). Ils soutenaient en outre qu’ils n’avaient pas bénéficié d’un procès équitable devant un tribunal indépendant et impartial au sens de l’article 6 (art. 6). La Commission a retenu la requête (no 19983/92) le 24 février 1995. Dans son rapport du 29 novembre 1995 (article 31) (art. 31), elle conclut à la méconnaissance des articles 10 (art. 10) (six voix contre trois) et 6 (unanimité) de la Convention, mais non de l’article 8 (art. 8). Le texte intégral de son avis et des deux opinions dissidentes dont il s’accompagne figure en annexe au présent arrêt. CONCLUSIONS PRESENTEES A LA COUR Dans son mémoire, le Gouvernement invite la Cour à "dire qu’il n’y a pas eu violation des articles 6 et 10 de la Convention (art. 6, art. 10)". Dans le leur, les requérants prient la Cour de "dire pour droit qu’il y a eu violation de l’article 10 et de l’article 6 de la Convention (art. 10, art. 6)".
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I. Les circonstances de l’espèce En septembre-octobre 1987, l’administration nationale des eaux (Devlet Su isleri), organisme d’Etat chargé de la construction des barrages, expropria les terrains de Mme Akkus et de son époux, décédé en 1992, pour construire le barrage hydro-électrique d’Altinkaya dans la vallée de Kizilirmak. Situés dans le village de Gökdogan (Sinop), ces terrains étaient cultivés pour la production de riz. Ils sont aujourd’hui submergés. Plus de 3 000 familles, soit 17 000 personnes, ont été affectées par les expropriations consécutives au projet d’édification de ce barrage. Selon la requérante, une étude scientifique réalisée par la faculté agronomique d’Egée à la demande de la direction générale de l’administration évalua le prix du mètre carré entre 3 200 et 3 500 livres turques, alors que le montant versé en 1987 se situait entre 800 et 850 livres turques. Une commission d’experts de l’administration nationale des eaux ayant fixé la valeur des terrains expropriés de l’intéressée à 122 000 livres turques, ce montant fut versé à Mme Akkus à la date de l’expropriation. Le 12 octobre 1987, la requérante introduisit un recours en augmentation de l’indemnité d’expropriation auprès du tribunal de grande instance de Duragan. Elle demandait qu’il soit tenu compte du taux de l’inflation dans la détermination du préjudice supplémentaire. Le tribunal lui accorda, le 22 juin 1989, une indemnité complémentaire de 271 039 livres turques, assortie d’intérêts moratoires simples au taux de 30% l’an à compter du 4 septembre 1987, date de l’expropriation. L’indemnité atteignait ainsi 393 039 livres turques. S’y ajoutait un montant de 61 123 livres turques pour frais de justice. L’administration forma un pourvoi en cassation. Mme Akkus y répondit par un contre-pourvoi fondé sur l’article 105 du code des obligations (paragraphe 14 ci-dessous), en demandant que le préjudice supplémentaire soit calculé sur la base du taux de l’inflation et non sur celle du taux légal des intérêts moratoires. Le 17 septembre 1990, la Cour de cassation confirma le jugement de première instance. L’indemnité complémentaire fut versée en février 1992, soit six mois après l’introduction de la requête devant la Commission européenne des Droits de l’Homme et dix-sept mois environ après la décision judiciaire définitive. Mme Akkus réside aujourd’hui chez son gendre qui subvient à ses besoins. II. Le droit et la pratique internes pertinents Les intérêts dus pour retard de paiement des dettes de l’Etat ont été fixés par la loi no 3095 du 4 décembre 1984 au taux de 30% l’an. A l’époque des faits, le taux d’inflation était en moyenne de 70% par an et le taux des intérêts moratoires applicable aux créances de l’Etat était de 7% par mois, soit 84% par an (article 51 de la loi no 6183 sur le recouvrement des créances de l’Etat et ordonnance no 89/14915 du conseil des ministres). L’article 105 du code des obligations dispose: "Quand les préjudices subis par le créancier dépassent les intérêts moratoires des jours de retard et que le débiteur ne peut pas démontrer que le créancier a commis une faute, la réparation du préjudice est à la charge du débiteur. Si le préjudice supplémentaire peut être estimé de façon immédiate, le juge peut en fixer le montant au moment de rendre sa décision sur le fond." Le 3 juin 1991, la cinquième chambre civile de la Cour de cassation, compétente en matière d’indemnité d’expropriation, s’est prononcée en ces termes: "Ce qui compense le retard dans le règlement des créances, ce sont les intérêts moratoires. Etant donné que la voie d’exécution forcée permet au créancier de demander ce qui lui est dû, majoré des intérêts, ce dernier n’est pas en droit d’exiger une autre compensation à titre indemnitaire; partant, la décision faisant droit à la demande du créancier, au motif que le taux de l’inflation était élevé, s’avère mal fondée (...)" Le 23 février 1994 (arrêt E: 1993/5-600, K: 1994/80), l’assemblée plénière de la Cour de cassation a statué ainsi: "La loi no 3095 a été approuvée et est entrée en vigueur alors que l’inflation dans le pays était forte, avec un taux qui dépassait largement 30%. Malgré cela, le législateur a voulu que le taux des intérêts moratoires soit de 30%. Pour ce motif, dans l’affaire examinée, il n’est pas conforme au droit, en invoquant les intérêts attachés aux dépôts bancaires, de dépasser l’intérêt composé de 30% par une voie détournée." PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION Mme Akkus a saisi la Commission le 26 août 1991. Elle se plaignait d’une atteinte au respect de ses biens résultant du retard mis par l’administration à verser l’indemnité complémentaire; elle alléguait une violation de l’article 1 du Protocole no 1 (P1-1). Le 10 janvier 1994, la Commission a retenu la requête (no 19263/92). Dans son rapport du 27 février 1996 (article 31) (art. 31), elle conclut, par vingt-deux voix contre six, à la violation de l’article 1 du Protocole no 1 (P1-1). Le texte intégral de son avis et de l’opinion dissidente dont il s’accompagne figure en annexe au présent arrêt. CONCLUSIONS PRESENTEES A LA COUR PAR LE GOUVERNEMENT Dans son mémoire, le Gouvernement invite la Cour, à titre principal, à déclarer la requête irrecevable pour non-respect du délai de six mois et non-épuisement des voies de recours internes, et, à titre subsidiaire, à la rejeter pour défaut de fondement.
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I. Les circonstances de l'espèce Le requérant, M. Paul Matthew Coyne, est né en 1972 et habite Bedford. Il entra dans la Royal Air Force (« RAF ») en 1990. En juin 1992, alors qu'il servait comme sous-officier à Brüggen, en Allemagne, il sollicita son départ volontaire anticipé de l'armée, ce qui lui fut accordé en vue de sa libération définitive le 9 décembre 1992. Cependant, à la suite d'une enquête de police sur ses activités financières en Allemagne, sa libération définitive fut refusée et la décision fut prise de l'inculper d'infractions diverses de faux et de fraude et de le traduire devant une cour martiale de la RAF à Brüggen. En août 1993, M. Coyne fut inculpé, conformément à l'article 70 § 1 de la loi de 1955 sur l'armée de l'air (Air Force Act), de quatre infractions pénales de droit commun (les deuxième et quatrième chefs étant formulés subsidiairement aux premier et troisième) pour usage de faux dans le but de se procurer des services par fraude, en violation de la loi de 1981 sur les faux et contrefaçons et de la loi de 1968 sur le vol. Les accusations étaient liées à un usage de faux dans une demande de prêt bancaire. L'officier convocateur (paragraphes 24–29 ci-dessous) était l'officier commandant le groupe n° 2 de la RAF à Rheindahlen et qui, en tant que tel, coiffait tout le personnel de l'armée de l'air servant en Allemagne (dont un millier d'officiers). Le 26 janvier 1994, l'officier convocateur convoqua une cour martiale de district et en désigna nommément les trois membres. Le président était lieutenant-colonel (wing commander) à la base de la RAF à Uxbridge. Président à titre permanent de la cour martiale, il était hiérarchiquement subordonné à l'officier convocateur. Les deux autres membres de la cour martiale étaient un commandant (squadron leader) et un capitaine (flight lieutenant), tous deux stationnés en Allemagne, hiérarchiquement subordonnés à l'officier convocateur et travaillant sous ses ordres. L'officier procureur, issu de la Direction des services juridiques (Directorate of Legal Services), fut nommé par l'officier convocateur et était également sous les ordres de celui-ci. Un rapporteur (judge advocate) fut désigné par le bureau de l'avocat général (Judge Advocate General) (paragraphes 32–33 ci-dessous). La cour martiale se réunit à la base de la RAF à Brüggen du 26 au 28 janvier 1994. M. Coyne plaida non coupable sur tous les chefs d'accusation. Il fut déclaré innocent sur les premier et deuxième chefs et coupable quant au troisième (en vertu de la loi de 1981 sur les faux et contrefaçons) ; en conséquence, la cour ne se prononça pas sur le quatrième chef. Le requérant fut condamné à neuf mois d'emprisonnement, au renvoi de la RAF et à la dégradation. Le 31 janvier 1994, M. Coyne forma auprès de l'officier confirmateur (paragraphe 36 ci-dessous) un recours contre la condamnation et la peine, prétendant que le judge advocate s'était trompé dans le résumé de la cause, que sa condamnation au titre d'un chef d'accusation était incompatible avec sa relaxe sur un autre et que la peine était excessive. Cependant, le 7 mars 1994, l'officier confirmateur entérina le verdict et la peine après avoir pris l'avis d'un judge advocate (autre que celui désigné pour le procès). Le 8 mars 1994, M. Coyne saisit le Conseil de défense (Defence Council) d'un recours contre sa condamnation et la peine y afférente (paragraphes 37–38 ci-dessous). La commission de l'armée de l'air (Air Force Board) consulta le Judge Advocate General et, le 26 mai 1994, informa l'avocat du requérant de sa décision de rejeter le recours. La demande ultérieure de M. Coyne visant à obtenir l'autorisation de déposer un recours contre le verdict et la peine devant la cour martiale d'appel (Courts Martial Appeal Court – paragraphes 39–44 ci-dessous) fut retenue par un juge unique de cette cour, non sur la base de l'un des moyens formulés par le requérant, mais compte tenu d'une question soulevée par ce juge, à savoir : le judge advocate avait-il correctement conseillé la cour martiale sur les preuves à apporter pour établir qu'un acte était un « faux » ? Le 11 octobre 1994, la cour martiale d'appel rejeta le recours de M. Coyne, au motif que le judge advocate avait convenablement conseillé la cour martiale. Les décisions de la cour martiale, de l'officier confirmateur et de la commission de l'armée de l'air n'étaient pas motivées. Le requérant fut représenté par un avocat devant la cour martiale d'appel. II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS A. La législation en vigueur lors du passage de M. Coyne en cour martiale Généralités Les règles et procédures applicables à la comparution du requérant devant la cour martiale figuraient essentiellement dans la loi de 1955 sur l'armée de l'air (« la loi de 1955 »). Depuis l'examen de l'affaire par la Commission, certaines dispositions de cette loi ont été modifiées par la loi de 1996 sur les forces armées (« la loi de 1996 »), entrée en vigueur le 1er avril 1997 (paragraphes 45–49 ci-dessous). De nombreuses infractions de droit commun étaient également des infractions au regard de la loi de 1955 (article 70 § 1). Si la décision finale en matière de compétence incombait aux autorités civiles, les membres du personnel de l'armée de l'air accusés de telles infractions étaient généralement jugés par les autorités de l'armée de l'air à moins que, par exemple, un incident n'implique des civils. Les questions de compétence entre autorités britanniques de l'armée de l'air et autorités allemandes sont régies par la Convention de 1951 entre les Etats parties au Traité de l'Atlantique Nord sur le statut de leurs forces ; bien qu'autorités allemandes et autorités britanniques aient une compétence concurrente sur ces questions, dans la pratique, les premières déclinent la leur. En fonction de leur gravité, les infractions à la loi sur l'armée de l'air pouvaient être portées devant une cour martiale de district, de campagne ou générale. Une telle juridiction n'avait pas un caractère permanent : elle n'existait que pour juger une infraction précise ou un groupe d'infractions. A l'époque des événements en question, une cour martiale de district se composait d'un président – qui ne pouvait avoir un rang inférieur à celui de capitaine et était désigné personnellement par l'officier convocateur (paragraphes 24–29 ci-dessous) – et d'au moins deux autres officiers, nommément désignés soit par l'officier convocateur soit, à la demande de ce dernier, par leur chef de corps. Tout membre de la cour martiale devait prêter le serment suivant : « Je jure devant Dieu tout-puissant de juger le prévenu qui comparaît devant la présente cour en mon âme et conscience, en me fondant sur les preuves, et d'administrer dûment la justice en respectant la loi de 1955 sur l'armée de l'air, sans partialité ni distinction de personnes. Je jure en outre de ne divulguer en aucune manière ni à aucun moment le vote ou l'avis du président ou de tout membre de la présente cour, sauf si la loi m'y oblige. » L'officier convocateur Avant l'entrée en vigueur de la loi de 1996, l'officier convocateur d'une cour martiale de district devait être un « officier qualifié » ou un officier ayant au moins le grade de capitaine et à qui l'officier qualifié avait délégué ses pouvoirs. Pour être « officier qualifié », l'intéressé devait être commandant ou de rang égal ou supérieur, chargé du commandement d'une formation d'active des forces aériennes ou de la grande unité comprenant ladite formation d'active. L'officier convocateur avait la responsabilité de toute affaire devant être jugée par une cour martiale de district. Il devait décider de la nature et du détail des accusations et était chargé de convoquer la cour martiale. Il établissait un ordre de convocation, précisant notamment la date, le lieu et l'heure du procès, le nom du président et l'identité des autres membres, susceptibles d'être tous désignés par lui (paragraphe 13 ci-dessus). Il veillait à la nomination d'un judge advocate (paragraphe 31 ci-dessous) par le Bureau du Judge Advocate General ou, à défaut, le désignait lui-même. Il nommait également ou donnait instruction à un chef d'unité de désigner l'officier procureur. Avant l'audience, l'officier convocateur envoyait un résumé des dépositions à l'officier procureur et au judge advocate, et pouvait indiquer les passages susceptibles d'être déclarés irrecevables. Il veillait à la comparution à l'audience de tous les témoins à charge. Il donnait d'ordinaire son consentement à l'abandon de certaines charges, encore que ce ne fût pas toujours nécessaire, et, lorsque le prévenu sollicitait le bénéfice de circonstances atténuantes, sa demande ne pouvait être accueillie sans le consentement de l'officier convocateur. 27. Celui-ci devait aussi faire en sorte que le prévenu pût convenablement préparer sa défense, avoir un représentant au besoin et prendre contact avec les témoins à décharge. Il devait veiller à ordonner la comparution à l'audience de tous les témoins lorsqu'elle était « raisonnablement requise » par la défense. L'officier convocateur pouvait dissoudre la cour martiale avant ou pendant le procès, dans l'intérêt d'une bonne administration de la justice (article 95 de la loi de 1955). D'ordinaire, l'officier convocateur remplissait également la fonction d'officier confirmateur (paragraphe 36 ci-dessous). Le Judge Advocate General et les judge advocates Au moment des événements litigieux, le Judge Advocate General avait été nommé pour cinq ans en février 1991 par la Reine, dont il relevait et qui pouvait le destituer pour incompétence ou faute. Il conseillait le ministre de la Défense sur toutes les questions touchant ou concernant ses fonctions, notamment sur le droit applicable à l'armée de l'air et sur les procédures et le fonctionnement des cours martiales. Il était également chargé de conseiller les organes de confirmation et de contrôle après un procès en cour martiale (paragraphes 36–38 ci-dessous). Les judge advocates sont nommés auprès du Bureau du Judge Advocate General par le ministre de la Justice (Lord Chancellor). Ils doivent être inscrits au barreau depuis respectivement sept et cinq ans au moins. A l'époque des événements en cause, chaque cour martiale disposait d'un judge advocate, nommé soit par le Bureau du Judge Advocate General, soit par l'officier convocateur. Il était chargé de conseiller la cour martiale sur toutes les questions de droit ou de procédure soulevées pendant le procès, avis que la cour devait accepter sauf motifs sérieux. En outre, le judge advocate (en collaboration avec le président) avait l'obligation de veiller à ce que le prévenu ne fût pas placé pendant le procès en position désavantageuse. A l'issue du procès, le judge advocate rappelait brièvement le droit et les éléments de preuve pertinents. Avant l'entrée en vigueur de la loi de 1996, le judge advocate ne participait pas aux délibérations de la cour martiale sur la condamnation ou l'acquittement, mais pouvait cependant conseiller à huis clos les membres de la cour sur les principes généraux régissant le prononcé des peines. Il n'était pas membre de la cour martiale et ne participait pas au vote sur la condamnation et sur la peine. Le procès devant la cour martiale Au moment des événements litigieux, la procédure était la suivante. Au début du procès, le prévenu pouvait formuler à l'encontre d'un membre de la cour une objection qui était examinée à huis clos. On demandait ensuite au prévenu s'il plaidait coupable ou non. S'il plaidait non coupable, la procédure était analogue à celle suivie devant la Crown Court (juridiction civile). Après présentation de la thèse de l'accusation, le prévenu pouvait faire valoir que les charges étaient insuffisantes. Si ce moyen n'était pas retenu, le judge advocate informait l'intéressé des solutions qui s'offraient à lui et la défense élaborait son argumentation. Des témoins à charge et à décharge pouvaient être appelés, et l'accusation et la défense pouvaient présenter leurs conclusions, celles de la défense intervenant en dernier. Au cours du procès, la cour martiale pouvait suspendre l'audience pour consulter l'officier convocateur sur des points de droit ; ce dernier devait alors solliciter un avis juridique du Judge Advocate General. Les membres de la cour se retiraient (sans le judge advocate) pour délibérer, revenaient en salle d'audience et rendaient leurs conclusions. Leurs votes et avis étaient confidentiels et la cour n'annonçait pas si la décision avait été ou non prise à la majorité. En cas de condamnation ou d'aveu de culpabilité, l'officier procureur mettait en évidence les états de service du prévenu et toute circonstance ayant une incidence sur la peine à infliger. La défense plaidait les circonstances atténuantes et pouvait citer des témoins. Les membres de la cour martiale se retiraient alors (cette fois avec le judge advocate) pour délibérer. Ils prononçaient ensuite la sentence en audience publique. Aucune disposition n'obligeait la cour martiale à motiver sa décision ni sur la culpabilité ni sur la peine. Organes de confirmation et de contrôle Jusqu'aux amendements introduits par la loi de 1996, les conclusions d'une cour martiale ne prenaient effet qu'une fois entérinées par un « officier confirmateur ». Auparavant, l'officier confirmateur devait consulter le Bureau du Judge Advocate General, qui désignait un autre judge advocate que celui qui avait siégé. L'officier confirmateur pouvait ne pas entériner la décision, prononcer une autre sentence, reporter l'application d'une peine ou la remettre en tout ou partie. Une fois la peine confirmée, le condamné pouvait déposer une demande d'appel contre la condamnation et/ou la peine à « l'organe de contrôle », habituellement la commission de l'armée de l'air s'il s'agissait de personnel de l'armée de l'air. Ladite commission était habilitée à infirmer une conclusion et à exercer les mêmes pouvoirs que l'officier confirmateur concernant le remplacement, la remise ou la commutation de la peine. L'appelant n'était pas informé de l'identité de l'officier confirmateur ni de celle des membres de l'organe de contrôle. Il n'existait aucune procédure légale ou formelle concernant le contrôle après le procès, et les décisions prononcées au terme dudit contrôle n'étaient pas motivées. L’appelant n'était pas informé non plus du fait que ces organes avaient reçu un avis du Bureau du Judge Advocate General, ni de la teneur de cet avis. La cour martiale d'appel La cour martiale d'appel a été instaurée par la loi de 1951 sur les appels contre les décisions des cours martiales (Courts Martial (Appeals) Act 1951) et confirmée dans ses fonctions par la loi de 1968 du même nom. Cette juridiction avait le même rang et suivait, pour l'essentiel, la même procédure que la chambre criminelle de la Cour d'appel (juridiction ordinaire). Elle se composait de juges titulaires et de membres de droit de la Cour d'appel ainsi que de juges de la High Court nommés par le Lord Chief Justice. Lorsque la commission de l'armée de l'air rejetait un recours, l’appelant pouvait saisir un juge unique de la cour martiale d'appel (et, au besoin, la cour plénière) d'une demande d'autorisation d'interjeter appel contre la condamnation. Aucune disposition ne prévoyait la possibilité de recourir seulement contre la peine, mais la cour martiale d'appel jouissait de certains pouvoirs de contrôle des peines sur appel formé contre la condamnation. En appel, l'audience sur le fond n'entraînait pas un nouvel examen de tous les points de fait et de droit. La cour martiale d'appel pouvait cependant connaître de toute question devant être tranchée pour que justice soit rendue et elle pouvait autoriser un nouveau procès. En outre, elle était habilitée à ordonner la production de documents et de pièces présentant un intérêt pour la procédure, décider de la comparution de témoins, prendre en considération des preuves, demander des rapports aux membres de la cour martiale ou au judge advocate, et ordonner le renvoi de toute question, pour investigation, à un commissaire spécial. La cour martiale d'appel devait accueillir l'appel contre la condamnation si elle estimait, au vu de toutes les circonstances de l'espèce, que la conclusion de la cour martiale était peu solide, ou peu convaincante, ou comportait une erreur sur un point de droit. L'appel devait également être accueilli en cas de constat d'une irrégularité importante au cours du procès. Dans tous les autres cas, la cour rejetait l'appel. L'appelant devait solliciter l'autorisation de la cour martiale d'appel pour assister à une audience concernant son appel. La cour ne l'accordait que si elle jugeait cette présence utile ou nécessaire dans l'intérêt de la justice. L'appelant pouvait obtenir l'aide judiciaire sous certaines conditions et une ordonnance de taxe en sa faveur lorsque son appel était accueilli. Un pourvoi sur un point de droit d'intérêt général pouvait être formé devant la Chambre des lords avec l'autorisation de la cour martiale d'appel ou de la Chambre des lords elle-même. B. La loi de 1996 sur les forces armées Avec la loi de 1996 prend fin le rôle de l'officier convocateur. Les diverses fonctions qu'il exerçait auparavant sont réparties entre trois organes différents : l'« autorité supérieure », l'autorité de poursuite et les officiers administrateurs à la cour (annexe I à la loi de 1996). L'autorité supérieure – un officier supérieur – décide si une affaire dont l'a saisie le chef d'unité du prévenu doit être traitée selon une procédure simplifiée, renvoyée à la nouvelle autorité de poursuite, ou définitivement classée. Une fois sa décision prise, elle n'a plus à intervenir dans l'affaire. L'autorité de poursuite est le service juridique de l'arme concernée. A la suite de la décision de l'autorité supérieure de lui déférer une affaire, l'autorité de poursuite a toute latitude, en appliquant des critères analogues à ceux dont le parquet fait usage au civil, de décider d'entamer ou non des poursuites, de choisir le type de cour martiale approprié et de préciser les chefs d'accusation. C’est elle aussi qui mène les poursuites (annexe I à la loi de 1996, partie II). Selon la nouvelle législation, des officiers administrateurs à la cour ont été désignés dans chaque arme et ne dépendent ni de l'autorité supérieure ni de l'autorité d'instruction. Ils sont chargés de prendre les dispositions nécessaires pour les cours martiales, notamment fixer les lieu et date du procès, s'assurer de la disponibilité d'un judge advocate et de tout agent de la cour dont la présence serait nécessaire, veiller à la comparution des témoins et choisir les membres des cours martiales. Ne seront pas choisis pour en faire partie les officiers se trouvant sous le commandement de l'autorité supérieure (annexe I à la loi de 1996, partie III, article 35). Chaque cour martiale inclut dorénavant parmi ses membres un judge advocate, dont l'avis sur les points de droit lie la cour et qui prend désormais part au vote sur la peine (mais pas sur la condamnation). Si une voix prépondérante est requise, ce sera celle du président de la cour martiale. Celui-ci énonce en public les raisons du choix de la peine. Le Judge Advocate General ne donne plus d'avis juridique général au ministre de la Défense (annexe I à la loi de 1996, partie III, articles 35, 41 et 43). Les conclusions d'une cour martiale ne sont plus soumises à confirmation ou révision par un officier confirmateur (dont le rôle est supprimé). Dans chaque arme, une autorité de contrôle a été instituée pour procéder à un examen unique de chaque affaire. Elle motive désormais sa décision. Dans le cadre de ce processus, le prévenu se voit communiquer l'avis postérieur au procès que l'autorité de contrôle a reçu d'un judge advocate (autre que celui ayant siégé à la cour martiale). A été ajouté au droit existant de recours contre la condamnation un droit d'appel de la peine auprès de la cour martiale d'appel (article 17 de la loi de 1996 et annexe V à celle-ci). PROCéDURE DEVANT LA COMMISSION Dans sa requête du 23 novembre 1994 à la Commission (n° 25942/94), M. Coyne se plaignait de s'être vu refuser un procès équitable devant un tribunal indépendant et impartial établi par la loi, au mépris de l'article 6 § 1 de la Convention. Il dénonçait également le retard mis par les autorités à traiter son affaire, le report de sa date de libération de la RAF et la procédure d'examen de ses revenus pour l'aide judiciaire. Le 28 novembre 1995, la Commission a retenu les griefs concernant le défaut de procès équitable devant un tribunal indépendant et impartial établi par la loi, et rejeté la requête pour le surplus. Dans son rapport du 25 juin 1996 (article 31), elle formule à l'unanimité l'avis qu'il y a eu violation de l'article 6 § 1 de la Convention en ce que M. Coyne n'a pas bénéficié d'un procès équitable devant un tribunal indépendant et impartial, et qu'il n'y a pas lieu d'examiner séparément l'argumentation relative à l'équité de la procédure devant la cour martiale, ni le grief que la cour martiale ne constituait pas un tribunal « établi par la loi ». Le texte intégral de son avis figure en annexe au présent arrêt . CONCLUSIONS PRéSENTéES à LA COUR Dans ses observations écrites (paragraphe 8 ci-dessus) et à l'audience devant la Cour, le Gouvernement a fait valoir que, hormis les frais et dépens raisonnablement exposés, le requérant ne devrait se voir accorder aucune indemnité au titre de l'article 50 de la Convention. L'intéressé demande cependant une réparation substantielle.
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A. La procédure pénale Le 17 novembre 1978, le fils du requérant décéda à la suite d'un accident de la circulation. Le 9 juillet 1979, M. Torri se constitua partie civile devant le tribunal de Rome (chambre pénale) dans la procédure ouverte contre le responsable de l'accident afin d'obtenir sa condamnation ainsi que des dommages-intérêts. Par un jugement du 17 novembre 1982, dont le texte fut déposé au greffe le 26 novembre 1982, le tribunal condamna le prévenu à quatre mois d'emprisonnement et au remboursement des dommages causés au requérant. Il précisait que la question relative au quantum devait faire l'objet d'une nouvelle procédure et accordait à M. Torri une somme de quatre millions de lires italiennes à titre de provision. Le 22 mars 1985, la cour d'appel de Rome confirma la peine. Par un arrêt du 4 avril 1986, déposé au greffe le 27 septembre 1986, la Cour de cassation repoussa le pourvoi introduit par le condamné. B. La procédure civile Le 29 mars 1991, M. Torri assigna le condamné et sa compagnie d'assurances devant le tribunal de Rome (chambre civile) afin d'obtenir la réparation des dommages matériel et moral subis. La mise en état de l'affaire commença le 29 mai 1991 et se termina le 3 mars 1993, trois audiences plus tard, par la présentation des conclusions. L'audience de plaidoirie devant la chambre compétente fut fixée au 11 janvier 1995. Par un jugement déposé au greffe le 3 juin 1995, le tribunal accueillit la demande du requérant. A une date non précisée, la compagnie d'assurances du condamné attaqua le jugement devant la cour d'appel de Rome. Le 7 juillet 1996, l'affaire fut renvoyée au mois de juin 1997. PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION M. Torri a saisi la Commission le 8 septembre 1993. Il se plaignait de la durée globale de deux procédures consécutives: l'une pénale, dans laquelle il s'était constitué partie civile, et l'autre civile en dommages-intérêts, qu'il avait engagée lui-même, et invoquait l'article 6 par. 1 de la Convention (art. 6-1). La Commission (première chambre) a retenu la requête (n° 26433/95) le 24 octobre 1995. Dans son rapport du 23 janvier 1996 (article 31) (art. 31), elle conclut, à l'unanimité, à la violation de l'article 6 (art. 6). Le texte intégral de son avis figure en annexe au présent arrêt (1). _______________ Note du greffier Pour des raisons d'ordre pratique il n'y figurera que dans l'édition imprimée (Recueil des arrêts et décisions 1997-IV), mais chacun peut se le procurer auprès du greffe. _______________ CONCLUSIONS PRESENTEES A LA COUR PAR LE GOUVERNEMENT Le Gouvernement invite la Cour, à titre principal, à juger la requête irrecevable quant à la procédure pénale, et, subsidiairement, à dire qu'il n'y a pas eu violation de l'article 6 par. 1 de la Convention (art. 6-1).
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I. Les circonstances de l'espèce Ressortissante allemande née en 1937, Mme Mechthilde Probstmeier vit actuellement à Karlsruhe. Elle est propriétaire d'un terrain de 44 271 m2, reçu en héritage, et donné à bail à l'association des jardins familiaux (Kleingartenverein) de Munich qui, à son tour, le sous-loua à des particuliers. Le contrat de bail initial allait du 1er janvier 1955 au 31 décembre 1979, le loyer (Pachtzins) s'élevant à 0,10 mark allemand (DEM) le mètre carré par an. A. La procédure devant les juridictions civiles Par une lettre du 22 novembre 1976, la requérante résilia le contrat de bail avec effet au 31 décembre 1979. Le 20 février 1978, elle demanda l'éviction (Räumung) de l'association des jardins familiaux devant le tribunal régional (Landgericht) de Munich. Le 19 avril 1978, le tribunal régional débouta Mme Probstmeier, qui interjeta appel de ce jugement devant la cour d'appel (Oberlandesgericht) de Munich. Le 6 novembre 1978, à la demande des parties, la cour d'appel décida de surseoir à statuer (das Verfahren auszusetzen) en attente d'un arrêt de la Cour constitutionnelle fédérale (Bundesverfassungsgericht) portant sur la constitutionnalité de certaines dispositions de la loi sur les jardins familiaux (Kleingartenordnung) relatives à la résiliation des baux. La Cour constitutionnelle fédérale rendit son arrêt le 12 juin 1979 et la procédure civile reprit en novembre 1979. Le 14 avril 1981, la cour d'appel décida à nouveau de surseoir à statuer en attendant la promulgation d'une nouvelle législation en matière de jardins familiaux. La nouvelle loi fédérale sur les jardins familiaux (Bundeskleingartengesetz), du 28 février 1983, entra en vigueur le 1er avril 1983, et la procédure devant la cour d'appel reprit le 14 juin 1983. Le 12 décembre 1983, la cour d'appel débouta la requérante. Le 19 décembre 1983, Mme Probstmeier saisit la Cour fédérale de justice (Bundesgerichtshof), qui accueillit son recours le 13 décembre 1984. B. La procédure devant la Cour constitutionnelle fédérale Le 24 mai 1985, la Cour fédérale de justice décida de surseoir à statuer et de renvoyer l'affaire devant la Cour constitutionnelle fédérale conformément à l'article 100 par. 1, première phrase, de la Loi fondamentale (Grundgesetz) (paragraphe 29 ci-dessous), en lui soumettant la question suivante: "Est-il conforme à l'article 14 de la Loi fondamentale [paragraphe 24 ci-dessous] qu'un contrat de bail, conclu avant l'entrée en vigueur de la loi fédérale sur les jardins familiaux du 28 février 1983 par un bailleur privé, pour une durée déterminée expirant avant l'entrée en vigueur de cette loi, et portant sur des jardins familiaux qui ne revêtent pas un caractère permanent, n'expire que le 31 mars 1987 d'après l'article 16 par. 3 de cette loi?" En effet, la Cour fédérale de justice estimait que la question de la constitutionnalité de l'article 16 par. 3 de la loi sur les jardins familiaux était décisive pour l'issue du litige. Parallèlement, le 26 juin 1987, la cour d'appel (Oberlandesgericht) de Hamm soumit pour examen à la Cour constitutionnelle fédérale la question de la constitutionnalité de l'article 16 paras. 3 et 4 de la loi fédérale sur les jardins familiaux (paragraphe 25 ci-dessous), soulevée dans l'affaire Pammel (arrêt Pammel c. Allemagne du 1er juillet 1997, Recueil des arrêts et décisions 1997-IV). Celle-ci décida de joindre les deux affaires. Après avoir reçu les observations du ministère pour l'aménagement du territoire (Raumordnung, Bauwesen und Städtebau) au nom du gouvernement fédéral, celles de l'organisation des villes allemandes (Deutscher Städtetag), de quatre autres organisations non gouvernementales, ainsi que des parties et de la Cour fédérale de justice, la Cour constitutionnelle fédérale décida d'élargir l'examen de constitutionnalité à l'article 5 par. 1, première phrase, de la loi fédérale sur les jardins familiaux (paragraphe 25 ci-dessous). Le 23 septembre 1992, la première chambre (Erster Senat) de la Cour constitutionnelle fédérale rendit son arrêt (Recueil des décisions de la Cour constitutionnelle fédérale, BVerfGE, vol. 87, pp. 114-151). Elle estima qu'en vertu des dispositions transitoires de l'article 16 de cette loi, la limitation du loyer s'appliquait également pendant la durée de prorogation des anciens contrats de bail à durée déterminée. La Cour constitutionnelle fédérale conclut à la constitutionnalité de l'article 16 paras. 3 et 4, première phrase, de la loi fédérale sur les jardins familiaux, tout en soulignant que l'article 16 par. 3 nécessitait une interprétation conforme à la Loi fondamentale. En revanche, elle décida que la limitation du loyer prévu à l'article 5 par. 1, première phrase, de la loi fédérale sur les jardins familiaux, était contraire à l'article 14 par. 1, première phrase, de la Loi fondamentale, pour autant qu'elle concernait des contrats de bail conclus avec des bailleurs privés, car elle imposait une charge excessive et disproportionnée aux bailleurs. Le 25 avril 1993, la Cour fédérale de justice débouta Mme Probstmeier. II. Le droit interne pertinent A. Le droit matériel L'article 14 par. 1 de la Loi fondamentale dispose: "La propriété et le droit de succession sont garantis. Leur contenu et leurs limites sont fixés par les lois." Les dispositions pertinentes de la loi fédérale sur les jardins familiaux du 28 février 1983, entrée en vigueur le 1er avril 1983, sont ainsi rédigées: Article 5 par. 1 "Le loyer devra au maximum s'élever au double de celui d'un bail pratiqué localement dans le domaine de la culture fruitière et maraîchère professionnelle, en fonction de la superficie totale du jardin familial. Les surfaces destinées aux installations communes sont prises en compte lors de la fixation du montant du bail de chaque jardin familial." Article 16 "1) Les baux contractés pour des jardins familiaux et non échus au moment de l'entrée en vigueur de la présente loi sont régis par cette nouvelle loi à partir de son entrée en vigueur. 2) Les baux contractés avant l'entrée en vigueur de la présente loi, pour des jardins qui, au moment de l'entrée en vigueur de cette loi, n'étaient pas des jardins "permanents", doivent être considérés comme des baux relatifs à des jardins "permanents", dès lors que la commune est propriétaire du terrain. 3) Dès lors que les baux décrits au paragraphe 2 portent sur des terrains dont la commune n'est pas propriétaire, les contrats parviennent à échéance le 31 mars 1987, dès lors qu'ils ont été conclus pour une durée déterminée et qu'ils ont pris fin avant cette date; pour le reste, le contrat respecte la durée convenue. 4) Si la surface d'un jardin familial a été définie comme terrain pour jardins familiaux "permanents" dans le plan d'occupation des sols et ce, avant l'expiration de la durée du bail comme indiqué au paragraphe 3, le contrat de bail est prolongé pour une durée indéterminée. Si la commune a décidé, avant le 31 mars 1987, de dresser un plan d'occupation des sols en vue de définir les surfaces destinées aux jardins familiaux "permanents", et a rendu publique sa décision conformément à l'article 2 par. 1, 2e alinéa, du code de l'urbanisme (Baugesetzbuch), le contrat de bail est prolongé pour une durée de quatre ans à partir de la publication de cette décision; la période entre la date convenue par l'expiration du contrat et le 31 mars 1987 devant être prise en compte. Les dispositions relatives aux jardins familiaux "permanents" doivent s'appliquer à partir du moment où le plan d'occupation des sols devient définitif." A la suite de l'arrêt de la Cour constitutionnelle fédérale du 23 septembre 1992, une nouvelle loi amendant la loi fédérale sur les jardins familiaux (Bundeskleingartenänderungsgesetz) est entrée en vigueur le 1er avril 1994. L'article 5 par. 1 de cette nouvelle loi est ainsi rédigé: "Le loyer devra au maximum s'élever au quadruple de celui d'un bail pratiqué localement dans le domaine de la culture fruitière et maraîchère professionnelle, en fonction de la superficie totale du jardin familial. Les surfaces destinées aux installations communes sont prises en compte lors de la fixation du montant du bail de chaque jardin familial." Les dispositions transitoires de ladite loi prévoient que pour toutes les instances en cours au 1er novembre 1992, en l'absence de jugement définitif fixant le montant des loyers, les bailleurs privés peuvent réclamer à titre rétroactif le quadruple du bail pratiqué localement dans le domaine de la culture fruitière et maraîchère professionnelle, et ce à compter du premier jour du mois suivant l'introduction de ladite instance. B. Le droit procédural La Loi fondamentale L'article 100 par. 1 de la Loi fondamentale est ainsi libellé: "Si un tribunal estime qu'une loi dont la validité conditionne sa décision est inconstitutionnelle, il doit surseoir à statuer et soumettre la question (...) à la décision de la Cour constitutionnelle fédérale s'il s'agit de la violation de la présente Loi fondamentale (...)" La loi sur la Cour constitutionnelle fédérale La composition et le fonctionnement de la Cour constitutionnelle fédérale sont régis par la loi sur la Cour constitutionnelle fédérale (Gesetz über das Bundesverfassungsgericht). L'article 2 de cette loi dispose que la Cour constitutionnelle fédérale est constituée de deux chambres, chacune composée de huit juges. Les articles 80 à 82 de cette loi ont trait au contrôle "concret" de la constitutionnalité des lois (Konkrete Normenkontrolle): Article 80 "1. Dès lors que sont remplies les conditions énoncées à l'article 100, alinéa 1, de la Loi fondamentale, les tribunaux saisissent directement la Cour constitutionnelle fédérale afin que celle-ci rende une décision. La motivation du renvoi doit préciser dans quelle mesure la décision du tribunal dépend de la validité de la disposition législative et avec quelle norme de droit supérieure une telle décision est incompatible. Le dossier doit être joint au renvoi. Le renvoi par le tribunal est indépendant de toute objection soulevée par l'une des parties au procès invoquant la nullité de la disposition légale." Article 81 "La Cour constitutionnelle fédérale statue uniquement en droit." Article 82 "1. Les dispositions des articles 77 à 79 sont applicables mutatis mutandis. Les organes constitutionnels cités à l'article 77 peuvent se joindre à la procédure à n'importe quel moment. La Cour constitutionnelle fédérale permet également aux parties au procès devant le tribunal qui l'a saisie de s'exprimer; elle les invite à participer à l'audience et accorde la parole aux représentants légaux présents. La Cour constitutionnelle fédérale peut demander à des cours suprêmes de la Fédération ou à des cours d'appel du Land de lui faire part, premièrement, de la manière dont elles ont interprété jusqu'à présent la Loi fondamentale au regard de la question litigieuse, ainsi que sur la base de quelles considérations, puis de la manière dont elles ont, le cas échéant, appliqué la disposition légale contestée dans leur jurisprudence, et enfin des questions de droit connexes qui, selon elles, doivent faire l'objet d'une décision. Elle peut en outre leur demander d'exposer leurs considérations au sujet d'une question de droit importante pour la décision. La Cour constitutionnelle fédérale communique ces avis aux instances autorisées à se prononcer." Les articles 77 à 79, auxquels renvoie l'article 82, sont ainsi rédigés: Article 77 "La Cour constitutionnelle fédérale doit permettre au Bundestag, au Bundesrat, au gouvernement fédéral et, s'il existe des divergences d'opinion sur la validité du droit fédéral, aux gouvernements des Länder, et, s'il existe des divergences d'opinion sur la validité d'une norme du droit du Land, au parlement et au gouvernement du Land, dans lequel la norme a été promulguée, de se prononcer [sur la question] dans un délai qui reste à déterminer." Article 78 "Si la Cour constitutionnelle fédérale acquiert la conviction qu'une norme fédérale est incompatible avec la Loi fondamentale, ou qu'une norme d'un Land est incompatible avec la Loi fondamentale ou toute autre norme fédérale, elle annule cette loi. Si d'autres dispositions de cette même loi sont, pour des raisons similaires, incompatibles avec la Loi fondamentale ou toute autre norme fédérale, la Cour constitutionnelle fédérale peut également les annuler." Article 79 "(...) 2) Pour le reste, les décisions qui, fondées sur une norme déclarée nulle en vertu de l'article 78, ne sont plus attaquables, restent inchangées, sous réserve de la prescription énoncée à l'article 95, alinéa 2, ou d'une disposition légale particulière. Leur exécution n'est pas autorisée (...)" PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION Mme Probstmeier a saisi la Commission le 9 juin 1992. Invoquant l'article 6 par. 1 de la Convention (art. 6-1) ainsi que l'article 14 de la Convention combiné avec l'article 1 du Protocole n° 1 (art. 14+P1-1), elle se plaignait de la durée de la procédure devant la Cour constitutionnelle fédérale et d'une atteinte discriminatoire à son droit de propriété. Les 28 juin 1994 et 26 juin 1995, la Commission a retenu la requête (n° 20950/92) quant au grief relatif à la durée de la procédure devant la Cour constitutionnelle fédérale et l'a déclarée irrecevable pour le surplus. Dans son rapport du 25 juin 1996 (article 31) (art. 31), elle conclut, par vingt-quatre voix contre cinq, qu'il y a eu violation de l'article 6 par. 1 de la Convention (art. 6-1). Le texte intégral de son avis figure en annexe au présent arrêt (1). _______________ Note du greffier Pour des raisons d'ordre pratique il n'y figurera que dans l'édition imprimée (Recueil des arrêts et décisions 1997-IV), mais chacun peut se le procurer auprès du greffe. _______________ CONCLUSIONS PRESENTEES A LA COUR Dans son mémoire, le Gouvernement invite la Cour à dire "qu'il n'y a pas eu violation du droit du requérant à ce que sa cause soit entendue dans un délai raisonnable, garanti par l'article 6 par. 1 de la Convention (art. 6-1)". De son côté, la requérante prie la Cour "de conclure à la violation de l'article 6 par. 1 de la Convention (art. 6-1) (...) et de dire que l'Allemagne devra verser 60 168,43 DEM à titre de réparation du préjudice matériel et 8 882,68 DEM au titre des frais et dépens".
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I. Les circonstances de l’espÈce Ressortissant allemand né en 1946 et ancien avocat, M. K.-F. habite avec son épouse à Karlsruhe. A. La genèse de l'affaire En mai 1991, le requérant et son épouse louèrent pour les vacances un appartement à Ulmen, pour un loyer de 40 ou 50 marks allemands (DEM) par jour. Ils l'occupèrent à partir du 24 mai 1991, et payèrent leur loyer d'un montant de 350 DEM pour leur séjour en mai. Le 3 juillet 1991, la propriétaire, Mme S., réclama auprès de Mme K.-F. le paiement des arriérés de loyer, y compris les communications téléphoniques, qui s'élevaient à environ 4 000 DEM. Le 4 uillet 1991, vers 19 h 50, Mme S. téléphona au commissariat de police de Cochem-Zell en indiquant que M. et Mme K.-F. avaient causé un accident de voiture, qu'ils avaient loué un appartement chez elle, qu’ils avaient l'intention de ne pas honorer leurs obligations de locataires et qu'ils étaient sur le point de s'enfuir sans avoir réglé les montants restant dus. A la suite de cet appel, deux agents de police se rendirent sur les lieux et entendirent les propriétaires, M. et Mme S., et les locataires. Les premiers reconnurent que, par peur de voir M. et Mme K.-F. s'enfuir sans avoir réglé leur loyer, ils avaient tenté d'empêcher le départ en voiture de leur fils, mais soulignèrent que celui-ci avait voulu à tout prix forcer le passage. Les seconds, en revanche, indiquèrent que le comportement agressif et incompréhensible de M. S. à l'encontre de leur fils avait été à l'origine de l'accrochage. Après avoir consulté le procureur (Staatsanwalt) compétent, les policiers s'enquirent de l'adresse du requérant et de son épouse à Bad Soden, qui se révéla n'être qu'une boîte postale. La police de Bad Soden les informa par ailleurs que l'intéressé avait déjà fait l'objet de poursuites pour escroquerie. B. La garde à vue du requérant Le même jour, à 21 h 45, l'inspecteur de police Laux, accompagné des agents de police Walther, Kugel et Reuter, arrêtèrent M. et Mme K.-F. ainsi que leur fils, et les conduisirent au commissariat de Cochem-Zell, afin de vérifier leur identité. Le fils fût relâché peu après, mais ses parents furent provisoirement placés en garde à vue. Le rapport dressé par la police à 23 h 30 fait état de forts soupçons d’escroquerie au loyer (Einmietbetrug), ainsi que d'un risque de fuite des époux K.-F. L'interrogatoire de ces derniers prit fin à 0 h 45. Les investigations menées au courant de la nuit au sujet des diverses adresses du requérant révélèrent que celui-ci avait été impliqué dans d'autres poursuites pénales pour escroquerie et que le parquet (Staatsanwaltschaft) de Hanau avait ouvert une enquête préliminaire à son encontre pour le même motif. Le 5 juillet au matin (entre 8 h 30 et 9 h 40), le commissaire de police Blang, du commissariat de Cochem-Zell, reprit l'interrogatoire de l'intéressé. Son épouse fut entendue à 9 h 5. Vers 9 h 25, le procureur de Hanau informa le commissaire de police Berg, également du commissariat de Cochem-Zell, qu'il n'envisageait pas de décerner un mandat d'arrêt à l'encontre de M. K.-F. A 10 h 30, ce dernier et son épouse furent libérés et ramenés à Ulmen. C. L'arrêt des poursuites contre le requérant Le 5 juillet 1991, Mme S. porta plainte contre les époux K.-F. pour tentative d’escroquerie au loyer. Le 13 septembre 1991, le parquet de Coblence classa l'affaire, au motif qu'il n'était pas prouvé que les époux K.-F. ne voulaient – ou ne pouvaient – pas régler leur dette de loyer, étant donné qu'ils avaient payé la plupart des sommes restant dues à la mi-juillet 1991 et que le reste faisait l'objet d'une contestation civile. Par ailleurs, l'incident survenu à Ulmen le 4 juillet 1991 ne permettait pas non plus de conclure à une volonté des intéressés de ne pas régler leurs dettes, seul le fils ayant tenté de partir en voiture alors qu'il n'y avait pas d'éléments concrets démontrant que les époux K.-F. avaient cherché à s'enfuir clandestinement. D. La procédure pénale engagée par le requérant à l'encontre des agents de police et procureurs impliqués dans l'affaire La procédure devant le parquet et le parquet général de Coblence Le 7 octobre 1991, M. K.-F. porta plainte auprès du parquet de Coblence contre les agents de police et procureurs impliqués dans les événements des 4 et 5 juillet 1991 pour séquestration (Freiheitsberaubung), tentative de coercition (versuchter Nötigung) et insultes (Beleidigung). Son arrestation et sa détention au commissariat de Cochem-Zell auraient été irrégulières, car il n'avait pas commis d'infraction pénale, seul le tribunal des loyers (Mietgericht) étant compétent en matière de litige relatif au montant du loyer. De même, les agents de police auraient procédé de manière irrégulière à l'enregistrement de ses données signalétiques. Le 2 janvier 1992, le parquet de Coblence classa l'affaire en ce qui concerne les accusations portées contre l'inspecteur de police Laux et trois autres agents de police qui avaient participé à l'arrestation, ainsi que contre les deux procureurs. Il estima qu'en vertu de l'ensemble des circonstances de l'espèce aucun comportement illégal ne pouvait leur être reproché. En particulier, les agents de police qui s'étaient rendus à Ulmen dans la soirée du 4 juillet 1991 avaient des raisons plausibles de soupçonner les époux K.-F. d'escroquerie aux dépens des époux S. et de vouloir s'enfuir sans payer les sommes restant dues. Le requérant interjeta appel de cette décision auprès du parquet général (Generalstaatsanwaltschaft) de Coblence, qui la confirma le 28 février 1992. La procédure devant la cour d'appel de Coblence Le 6 avril 1992, l'intéressé saisit alors la cour d'appel (Oberlandesgericht) de Coblence d'une demande visant à obtenir une décision ordonnant l'engagement de poursuites à l'encontre de l'inspecteur Laux et des agents Walther, Kugel et Reuter pour tentative de coercition et séquestration. Il rappela le déroulement des faits, en indiquant qu'il avait été convenu entre sa femme et Mme S. que le paiement du loyer serait effectué le 8 juillet 1991. Cet engagement n'aurait pas plu au mari de cette dernière, qui aurait alors agressé son fils en l'empêchant de partir en voiture. Sa femme aurait même appelé la police pour chercher du secours. Par ailleurs, ni lui ni son épouse n'auraient eu l'intention de quitter l'appartement loué, aucune valise n'ayant été préparée et leurs effets personnels se trouvant dans les armoires et tiroirs. La fouille brutale de lui-même, de son épouse et de son fils par les agents de police, ainsi que la perquisition à domicile, leur arrestation et détention ultérieures, auraient dès lors été parfaitement irrégulières faute de base légale, car elles ne répondaient pas aux exigences de l'article 163 b, ni à celles de l'article 127 § 2 combiné avec l'article 112 du code de procédure pénale (Strafprozeßordnung – paragraphe 35 ci-dessous). Le 21 mai 1992, la cour d'appel débouta M. K.-F., au motif que les soupçons à l'égard des agents de police n'étaient pas suffisamment établis (kein hinreichender Tatverdacht). Elle statua notamment en ces termes : « Il existe des soupçons suffisants lorsque l'ensemble du dossier et l'appréciation des faits laissent prévoir la condamnation des prévenus avec le degré de certitude requis (voir Kleinknecht/Meyer StPO, 40e éd., § 170 n° 1). Or les constats de l'enquête ne fondent pas une telle prévision. Il y aurait eu des soupçons suffisants de séquestration (article 239 du code pénal) si les prévenus avaient emmené les demandeurs au commissariat et les y avaient détenus au mépris de la loi. Or l'enquête ne permet pas de conclure à un tel acte irrégulier. Les enquêtes effectuées à Ulmen ont permis aux agents de police en service de soupçonner une escroquerie aux dépens des [S.] (arriérés de loyer et frais de téléphone pour un montant de quelque 4 000 DEM) et ce d’autant plus que les demandeurs avaient admis qu'ils ne se trouvaient pas alors en mesure de réunir pareille somme. A cela il faut ajouter qu'auparavant, d'après les déclarations des témoins [J.] et [S.] (feuillet 4 du dossier Js 25638/91) et d'après les constatations des prévenus (position des roues du véhicule (...) – feuillet 4 des pièces précitées), ces derniers ont eu l'impression « que [K.-F.] avait l'intention de s'enfuir coûte que coûte au volant de la voiture ». Le fait que les prévenus, au vu de l'ensemble des circonstances, aient en conséquence conçu le soupçon d'une « tentative d'escroquerie au loyer » n'appelle aucune critique. L'arrestation fut donc, d'après les faits, elle aussi justifiée. Au commissariat, il est apparu aux prévenus, qui avaient fait vérifier l'adresse des demandeurs, que selon les investigations menées à Bad Orb il s'agissait d'une « adresse fictive » et que d'après d'autres investigations auprès du procureur de Hanau, les demandeurs étaient sous le coup de plusieurs procédures pour escroquerie. La garde à vue de ceux-ci au commissariat était donc justifiée. La question de savoir si le maintien en détention jusqu'au lendemain matin était nécessaire peut rester ouverte en l'espèce car, du moins pour des raisons subjectives, une condamnation des prévenus pour séquestration apparaît peu probable. L'enquête n'a pas davantage fait apparaître d'indices suffisants d'une coercition (articles 240 et 25 § 2 du code pénal). D'après les éléments recueillis à Ulmen et déjà évoqués, les prévenus pouvaient valablement présumer l’existence d’une infraction. Les circonstances autorisaient donc à procéder à une fouille (article 163 b § 1, troisième phrase, du code de procédure pénale). Du reste, même si l'on acceptait l'existence d'une coercition, le comportement des prévenus ne saurait en toute hypothèse être qualifié de répréhensible au sens de l'article 240 § 2 du code pénal. Est répréhensible au sens de cette disposition un comportement qui, eu égard à l'ensemble des circonstances, est manifestement contraire aux règles au point de porter une atteinte grave au libre arbitre d'autrui et de tomber ainsi sous le coup du droit pénal (voir BGHSt 17, 328, 332). Au regard de ces principes, la façon d'agir des prévenus ne saurait passer pour répréhensible. Les constats de l'enquête à Ulmen – avant que les agents de police ne pénètrent dans l'habitation –, en particulier le comportement du fils des demandeurs, qui d'après la famille [S.] voulut brusquement s'enfuir au volant de sa voiture, pouvaient parfaitement donner aux agents de police à penser que les demandeurs pourraient eux aussi s'en aller sans payer leur dette de loyer relativement élevée. C'est donc à bon droit que le procureur de Coblence a classé l'affaire, en l'absence d'indices suffisants de séquestration et de contrainte. » La reprise de la procédure devant le parquet et le parquet général de Coblence à l'encontre du commissaire de police Blang Le 21 septembre 1992, le requérant se plaignit auprès du parquet général de Coblence qu'aucune décision officielle n'avait été prise sur les accusations portées à l'encontre du commissaire Blang, du commissariat de Cochem-Zell. Le 28 décembre 1992, le parquet de Coblence classa également cette affaire. Il indiqua qu'en ce qui concerne les charges relatives aux insultes, il y avait forclusion. Au sujet des chefs d'accusation de tentative de coercition et de séquestration, il se référa à l'arrêt de la cour d'appel de Coblence du 21 mai 1992 pour justifier l'arrêt des poursuites. Le requérant interjeta appel de cette décision auprès du parquet général de Coblence. Le 15 février 1993, le parquet reprit son enquête à l'encontre du commissaire Blang et recueillit plusieurs déclarations écrites, dont celle de M. K.-F. et du commissaire Blang. Le 18 juin 1993, le parquet de Coblence classa finalement cette affaire. Le requérant interjeta appel de cette décision auprès du parquet général de Coblence, qui confirma celle-ci le 3 septembre 1993. La reprise de la procédure devant la cour d'appel de Coblence à l'encontre du commissaire de police Blang Le 7 octobre 1993, M. K.-F. saisit de nouveau la cour d'appel de Coblence d'une demande visant à obtenir une décision ordonnant l'ouverture de poursuites à l'encontre du commissaire Blang pour tentative de coercition, séquestration et insultes, en reprenant ses arguments antérieurs (paragraphe 23 ci-dessus). Le 30 novembre 1993, la cour d'appel débouta le requérant, au motif que les soupçons à l'égard du commissaire de police n'étaient pas suffisamment établis. Elle statua notamment en ces termes : « Il existerait des soupçons suffisants de séquestration (au sens de l'article 239 du code pénal) si le prévenu avait empêché au mépris de la loi le demandeur de quitter le commissariat. D'après les motifs exposés à la p. 3 de l'arrêt de la chambre du 21 mai 1992 (1 Ws 164/92), le maintien en garde à vue au commissariat était conforme à la loi. Dans l'arrêt précité la chambre avait déjà expliqué que la question de savoir si le maintien en détention jusqu'au lendemain matin avait été nécessaire pouvait rester ouverte car, du moins pour des raisons subjectives, une condamnation des prévenus (Laux, Walther, Kugel et Reuter) pour séquestration apparaissait peu probable. Du rapport de police de l'agent Laux daté du 4 juillet 1991 (pp. 23 et suiv. du dossier) il ressort (p. 24) que « les trois personnes [K.-F.] furent d'abord conduites au commissariat pour vérification d'identité » et que le couple [K.-F.] fut maintenu en garde à vue après consultation du commissaire Blang. Aux termes de l'article 127 § 1, deuxième phrase, du code de procédure pénale, la vérification de l'identité d'une personne par des fonctionnaires de police doit se conformer à l'article 163 b § 1 du même code. La privation de liberté d'une personne soumise à une mesure prise en vertu de l'article 163 b aux fins d'une vérification d'identité ne peut dépasser douze heures au total. La privation de liberté a débuté le 4 juillet 1991 à 21 h 45 (feuillet 19), pour finir le 5 juillet 1991 à 10 h 30 (feuillet 20). Le commissaire Blang était responsable de la garde à vue qui a duré plus de douze heures. Dans l'état actuel du dossier, la condamnation du prévenu pour séquestration paraît cependant peu probable car, en dernier lieu, il ne pourra pas être établi que cet agent se soit rendu compte que le délai avait été dépassé. Pour ce qui est d'une coercition éventuelle (article 240 du code pénal), une condamnation paraît également peu probable. En ce qui concerne le prétendu ordre de quitter (Verweisung) le district, la décision de classer l'affaire indique à juste titre que cela paraît éloigné de la réalité. A l'évocation du « poing prêt à frapper » et des paroles selon lesquelles « cela [allait] barder » s'oppose la déclaration du prévenu. Les autres éléments de preuve, telles les déclarations du demandeur, ne sont pas établis. Dans l'état actuel du dossier, le classement de l’affaire n'appelle pas de critiques. Pour ces raisons, l'extorsion d'aveux (article 343 du code pénal) ne se trouve pas établie non plus. La vérification d'identité était fondée, vu les résultats de l'enquête dont la chambre a fait déjà état dans son arrêt du 21 mai 1992. Enfin, on ne saurait reprocher au prévenu un comportement coercitif pour avoir interdit au demandeur d'entrer dans le logement d'Ulmen pour y reprendre des effets personnels. Selon le prévenu, on ne saurait y voir un comportement répréhensible car il pouvait supposer que le loyer du logement de vacances n'ayant pas été acquitté comme convenu, le propriétaire pouvait faire valoir un droit de gage. Le recours de la victime contre le refus de poursuivre (Klageerzwingunsverfahren) était lui aussi de prime abord recevable en ce qui concerne le grief d'insulte, car le fait dénoncé au sens de l'article 264 du code de procédure pénale vise aussi les délits devant être poursuivis d'office par le parquet (Offizialdelikte) que sont la coercition et la séquestration. Comme il n'existe toutefois pas d'indices suffisants pour que soient constitués ces délits devant être poursuivis d'office, l'article 172 § 2, troisième phrase, du code de procédure pénale déploie à nouveau son effet de blocage (Sperrwirkung) quant à la présente plainte pour l'infraction d'injure, qui peut également être poursuivie par la victime moyennant la citation directe (Privatklagedelikt), de sorte que la chambre ne peut pas examiner au fond le grief s'y rapportant. » La procédure devant la Cour constitutionnelle fédérale Le 2 janvier 1994, l'intéressé saisit la Cour constitutionnelle fédérale (Bundesverfassungsgericht) d'un recours constitutionnel (Verfassungsbeschwerde), alléguant une violation de ses droits fondamentaux. Le 15 mars 1994, la Cour constitutionnelle fédérale, statuant en comité de trois membres, décida d'écarter le recours. Le droit interne pertinent A. Conditions d’arrestation et de détention Les dispositions pertinentes du code de procédure pénale sont ainsi rédigées : Article 81 b « Les photographies et empreintes digitales du suspect peuvent être prises même contre son gré ainsi que des mensurations et autres mesures si elles sont nécessaires à la conduite de la procédure pénale ou pour les besoins du service d'identification criminelle. » Article 112 [conditions de la détention provisoire ; motifs de la détention] « 1) La détention provisoire d’un suspect peut être ordonnée lorsqu’il y a de bonnes raisons de soupçonner qu’il a commis une infraction et s’il existe un motif de détention. Elle ne peut être ordonnée si elle est disproportionnée à l’importance de la cause et à la peine ou à la mesure de réforme et de sûreté prévisibles. 2) Il existe un motif de détention lorsque des indices précis établissent que le suspect est en fuite ou se cache, qu’eu égard aux circonstances de la cause, il existe un risque que le suspect se soustraie à la procédure pénale (danger de fuite), ou que le comportement du suspect donne fortement à penser qu’il a. détruira, altérera, soustraira, supprimera ou falsifiera des moyens de preuve ou b. exercera des pressions abusives sur les autres suspects, les témoins ou les experts ou c. incitera des tiers à pareil comportement et lorsque la découverte de la vérité risque de s’en trouver entravée (danger d’obscurcissement de preuves). (…) » Article 127 [arrestation provisoire (vorläufige Festnahme)] « 1. Toute personne peut arrêter provisoirement sans mandat d’un juge un individu pris en flagrant délit ou poursuivi s'il est soupçonné de fuite ou si son identité ne peut être immédiatement établie. La vérification de l’identité d’un individu par les soins du parquet ou les fonctionnaires de police obéit à l’article 163 b § 1. Le parquet et les fonctionnaires de police sont, en cas de danger imminent, habilités à procéder à l’arrestation provisoire lorsque les conditions d’un mandat d’arrêt ou de dépôt se trouvent remplies. (…) » Article 128 [traduction devant le juge] « 1. Si elle n’est pas remise en liberté, la personne appréhendée doit aussitôt et au plus tard le jour suivant son arrestation, être traduite devant le juge du tribunal de district (Amtsgericht) dans le ressort duquel elle a été appréhendée. (…) (…) » Article 163 b § 1 « La police ou le parquet peuvent prendre les mesures requises pour établir l’identité d’une personne soupçonnée d’une infraction (…). Ils peuvent procéder à son arrestation si l’identité ne peut être établie autrement ou ne peut l’être qu’au prix de grandes difficultés. Dans les conditions visées à la seconde phrase, la fouille du suspect ainsi que l’inspection des objets qu’il a avec lui ainsi que des mesures permettant son identification sont autorisées. » Article 163 c « 1. Une personne concernée par une mesure visée à l’article 163 b ne peut en aucun cas être détenue plus longtemps que ne l'exige la vérification de son identité. La personne ainsi détenue doit être aussitôt traduite devant le juge du tribunal de district dans le ressort duquel elle a été appréhendée afin qu’il statue sur la régularité et la prolongation de la privation de liberté, à moins qu'il ne soit à prévoir qu'il faudrait plus de temps pour obtenir une décision du juge qu'il n'en faudrait pour vérifier l'identité. (…) Une privation de liberté pour vérification d’identité ne doit pas dépasser douze heures au total. » 36. L’article 11 § 1 n° 2 de la loi administrative de police de Rhénanie-Palatinat (Rheinland-Pfälzisches Polizeiverwaltungsgesetz) est ainsi libellé : « La police peut prendre des mesures pour établir ou enregistrer l'identité lorsque (…) elles se révèlent nécessaires à la conduite de la procédure pénale parce que l’intéressé est soupçonné d’avoir commis un acte punissable et que la nature et les modalités d'exécution de celui-ci donnent à craindre une répétition de l’infraction. » B. Contrôle des mesures d’administration judiciaire par les tribunaux L'article 98 §§ 1 et 2 du code de procédure pénale dispose : « 1. Des mesures de saisie ne peuvent être ordonnées que par le juge ou, en cas de danger imminent, par le procureur ou la police (…) Le fonctionnaire qui procède à la saisie d’un bien sans mandat de saisie doit, dans le délai de trois jours, solliciter d’un juge confirmation de la saisie dans le cas où celle-ci a été effectuée alors que ni la personne concernée ni un proche majeur n’étaient présents ou dans le cas où la personne concernée ou, en son absence, un proche majeur s'y est expressément opposé. La personne concernée peut à tout moment solliciter la décision d’un juge (...) (…) » Aux termes de l’article 23 § 1 de la loi introductive à la loi sur l’organisation judiciaire (Einführungsgesetz zum Gerichtsverfassungs-gesetz), « Sur demande, les juridictions de droit commun statuent sur la légalité des ordonnances, injonctions ou autres mesures prises par des autorités judiciaires pour régler des questions particulières de droit civil (bürgerliches Recht) (…) et de l'administration de la justice pénale (Strafrechtspflege). (…) » PROCéDURE DEVANT LA COMMISSION M. K.-F. a saisi la Commission le 14 décembre 1993. Invoquant l'article 5 § 1 de la Convention, il contestait la régularité de son arrestation et de sa garde à vue ultérieure au commissariat de police de Cochem-Zell. Il alléguait en outre la violation des articles 3 et 8 de la Convention, 1 du Protocole n° 1, et 1 et 2 du Protocole n° 4. 40. Le 16 janvier 1996, la Commission (première chambre) a retenu la requête (n° 25629/94), recevable quant au grief tiré de l'article 5 § 1 et irrecevable pour le surplus. Dans son rapport du 10 septembre 1996 (article 31), elle conclut, par sept voix contre six, qu'il n'y a pas eu violation de l'article 5 § 1 de la Convention. Le texte intégral de son avis et de l’opinion dissidente dont il s’accompagne figure en annexe au présent arrêt. CONCLUSIONS PRéSENTéES à LA COUR Dans son mémoire, le Gouvernement invite la Cour à déclarer la requête irrecevable pour non-épuisement des voies de recours internes et, à titre subsidiaire, à constater l’absence de violation de l’article 5 § 1. De son côté, le requérant prie la Cour de conclure à la violation de l’article 5 § 1.
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I. Les circonstances de l'espÈce Le requérant est né en 1947 à Leicester, en Angleterre. A. La condamnation du requérant Le 8 août 1984, la Crown Court de Leicester reconnut M. Johnson coupable de coups et blessures volontaires sur la personne d'une femme qui passait dans la rue. Sans avoir été provoqué, il l’avait frappée à la tête et au ventre puis s'était éloigné. La passante était enceinte de trois mois, ce qu’il ne savait pas. Le requérant avait des antécédents en la matière : en avril 1974, il avait été condamné à dix-huit mois d'emprisonnement pour une agression sur la personne de sa mère, en décembre 1977 à quatre ans d'emprisonnement pour avoir frappé une passante avec une brique et en juillet 1981 à dix-huit mois d'emprisonnement pour avoir agressé deux jeunes filles marchant dans une rue de la ville. Il avait également été condamné pour vol, dégradation de biens et diverses infractions au code de la route. Pour l'infraction en cause, l'article 47 de la loi de 1861 sur les infractions contre les personnes (Offences against the Person Act 1861) prévoyait une peine maximale de cinq ans d'emprisonnement. Alors qu'il se trouvait en détention provisoire à la prison de Leicester, on découvrit que le requérant était atteint d'une « maladie mentale » : il était en proie à des fantasmes de conspiration, se posait en victime et était obsédé par les projections astrales. Les médecins diagnostiquèrent une schizophrénie greffée sur une personnalité psychopathique. L'intéressé avait des antécédents d'alcoolisme et d'usage de stupéfiants. Il n'avait jamais auparavant été considéré comme un malade mental au sens de la loi de 1983 sur la santé mentale (Mental Health Act 1983) ; toutefois, il avait subi un examen pour déterminer s'il avait besoin d'un traitement psychiatrique alors qu'il se trouvait en détention provisoire pour une précédente infraction de coups et blessures volontaires, mais cela ne s'était pas révélé nécessaire. 9. Deux psychiatres confirmèrent le diagnostic précité (paragraphe 8 ci-dessus). En conséquence, la Crown Court prononça à son égard une ordonnance d'internement en vertu de l'article 37 de la loi de 1983 ainsi qu'une autre ordonnance restreignant, sans limitation dans le temps, la possibilité de le libérer, conformément à l'article 41 de ladite loi. Le tribunal était en effet convaincu de la nécessité de cette dernière mesure pour protéger le public de préjudices graves. L'admission du requérant à l'hôpital de Rampton Le 15 août 1984, le requérant entra à l'hôpital de Rampton, institution psychiatrique de haute sécurité. Depuis son admission jusqu'au 2 novembre 1987, il fut suivi par le Dr J. McConnell, son médecin traitant (responsible medical officer). Le Dr I. Wilson prit la relève du 3 novembre 1987 jusqu'à l'élargissement définitif de l'intéressé. A l'arrivée de M. Johnson à l'hôpital, le Dr McConnell constata qu'il souffrait d'une schizophrénie greffée sur une personnalité psychopathique. On lui administra peu après des antipsychotiques, auxquels il apparaît avoir bien réagi puisque, dès le 29 mai 1985, il avait parfaitement compris les ressorts de sa maladie mentale. Il cessa de prendre des médicaments en mars 1988 (paragraphe 33 ci-dessous). Une commission de contrôle psychiatrique (Mental Health Review Tribunal – « la commission ») examina la nécessité de la détention à plusieurs reprises entre décembre 1986 et janvier 1993, conformément à l'article 70 de la loi de 1983. C. Le contrôle de 1986 Le premier contrôle eut lieu en décembre 1986. La commission disposait du rapport psychiatrique du médecin traitant du requérant, le Dr McConnell, ainsi que de celui établi par le Dr J.D. Earp, psychiatre ayant examiné l'intéressé à la demande du solicitor de ce dernier. Tout en constatant que le requérant avait accompli de grands progrès depuis son admission à l'hôpital de Rampton (paragraphe 11 ci-dessus), le Dr McConnell déclara qu'il était toujours atteint de schizophrénie greffée sur une personnalité psychopathique. En outre, son attitude envers le personnel hospitalier n'aurait pas été franche. Le Dr McConnell conclut que le requérant devait poursuivre son traitement et qu'il n'était pas en état de quitter l'hôpital. Le Dr Earp, pour sa part, estima que l'intéressé présentait clairement les symptômes d'une maladie mentale greffée sur des troubles psychopathiques, laquelle maladie avait toutes les caractéristiques d'une schizophrénie paranoïde. Il ne préconisait aucun changement à la situation du requérant. Dans sa décision du 17 décembre 1986, la commission déclara que le requérant souffrait d'une maladie mentale ou de troubles mentaux d'une nature et d'une intensité telles qu'il convenait de le maintenir en détention et qu'il fallait lui faire suivre un traitement médical à l'hôpital de Rampton dans l'intérêt de sa santé ou de sa sécurité et de la protection d'autrui. Le requérant resta donc interné après cette date. D. Les contrôles de 1987 et 1988 Le cas du requérant fut réexaminé le 14 août 1987 puis le 10 février 1988. La commission décida à chaque fois de ne pas ordonner sa libération ni une reconsidération de la situation nosographique de sa maladie car elle jugeait nécessaire qu'il poursuive son traitement médical à l'hôpital, dans l'intérêt tant de sa santé et de sa sécurité que de la protection de la collectivité en général. E. Le contrôle de 1989 La commission procéda à un quatrième contrôle en juin 1989 en se fondant sur trois documents : un rapport psychiatrique établi le 5 octobre 1988 par le Dr Wilson, médecin traitant du requérant depuis que le Dr McConnell avait pris sa retraite ; une appréciation de l'état de l'intéressé préparée le 29 mars 1989 par le Dr D. Cameron, psychiatre, notamment à partir d'un entretien qu'il avait eu avec lui le 16 mars 1989 ; une nouvelle évaluation rédigée le 5 mai 1989 par le Dr Earp, qui avait rencontré le requérant le 20 avril 1989. Les Drs Wilson et Earp étaient tous deux d'avis que l'intéressé ne présentait plus aucun signe de maladie mentale. Le Dr Earp estimait que l'internement de M. Johnson ne se justifiait plus au regard de la loi de 1983. Tout en recommandant une libération, il relevait que le Dr Cameron (voir ci-dessous) s'occupait de rechercher pour le requérant une place dans un foyer pour personnes souffrant de troubles liés à l'alcoolisme. Le Dr Wilson pensait pour sa part que le requérant avait besoin d'un temps de réadaptation et qu'il n'était pas encore prêt à sortir. Dans son rapport, le Dr Cameron conclut que la meilleure définition de l'état du requérant était « personnalité schizoïde avec des antécédents de troubles de comportement antisociaux induits par des apports toxiques exogènes » et qu'il lui serait bénéfique de séjourner dans un foyer pour alcooliques à sa sortie de l'hôpital de Rampton. Le Dr Cameron se proposa pour organiser le transfert de l’intéressé dans un foyer qu'il connaissait et se charger de son suivi psychiatrique. 18. Le 15 juin 1989, la commission rendit la décision suivante : « La commission admet que, comme l'indiquent les rapports médicaux, le patient ne souffre plus désormais de maladie mentale. L'épisode de maladie mentale qu'il a connu précédemment est révolu. Il ne prend plus actuellement aucun médicament psychotrope. » La commission poursuivit cependant : « Le [requérant] n'a pas une vision réaliste de sa capacité à vivre seul dans la société après être resté presque cinq ans à l'hôpital de Rampton ; il doit passer une période de réadaptation sous surveillance médicale, ce qui ne peut se faire que dans un foyer (où il recevra aussi le soutien adéquat). La commission estime en outre que l'on ne saurait exclure la réapparition de troubles mentaux nécessitant un nouvel internement tant qu'une telle réadaptation n'aura pas été terminée avec succès. » La commission ordonna donc la libération du requérant à condition qu'il soit suivi sur le plan psychiatrique par le Dr Cameron et par un travailleur social spécialisé en psychiatrie, et qu'il réside dans un foyer surveillé dont le choix serait approuvé par ces deux personnes. Le requérant ne devait être libéré qu'une fois trouvé un lieu d'accueil adéquat. F. La recherche d'une place dans un foyer Après le contrôle de 1989, des efforts considérables furent déployés pour trouver au requérant une place dans un foyer, sans grand résultat toutefois. Dans un rapport du 6 octobre 1989, un responsable des services sociaux indiquait qu'aucun progrès n'avait pu être réalisé, notamment en raison du peu de places disponibles dans les foyers de la région s'occupant de personnes telles que le requérant. Celui-ci semblait d'ailleurs tenir à se présenter sous un jour négatif dans les différents foyers où il se rendait, ce qui confirmait leurs craintes initiales à son sujet. Le travailleur social spécialisé en psychiatrie chargé de le suivre (paragraphe 19 ci-dessus), M. D. Patterson, prit contact avec plusieurs foyers. Dans son rapport du 4 avril 1990, il décrit sa recherche d'une place comme une expérience « qui lui avait pris beaucoup de temps, longue et frustrante », tant pour lui-même que pour le requérant. L'un des foyers avait refusé l'intéressé presque immédiatement. Un autre avait fait de même sans le voir et les associations de logement qui géraient les foyers en collaboration avec le service des probations n'étaient pas non plus en mesure de lui proposer un hébergement avant un certain temps en raison de la composition du personnel. Il semblerait que tous les foyers susceptibles d'accueillir le requérant aient exprimé des inquiétudes au sujet de ses problèmes de boisson ainsi que de ses antécédents d'agressions sur des femmes, ce en quoi il pourrait constituer une menace pour les femmes résidant au foyer et celles faisant partie du personnel. M. Patterson indiqua qu'à cette époque le requérant ne s'était pas toujours bien rendu compte du mode de vie qu'il était nécessaire d'adopter pour passer avec succès le cap de la réadaptation. L'un des foyers, celui d’Ashcroft, proposa cependant d'accueillir l'intéressé à condition qu'il accepte de passer huit semaines, à titre d'essai, dans le service ouvert d'un hôpital de la région et que la tentative soit concluante. M. Patterson estimait qu'Ashcroft constituait la seule solution valable pour le requérant, alors que celui-ci ne semblait pas sûr de vouloir tenter l'expérience. G. Le contrôle de 1990 Le 19 janvier 1990, le requérant demanda à la commission de contrôler sa détention, espérant être libéré sans conditions. La commission se réunit en mai 1990 et entendit M. Johnson en personne. Elle disposait du rapport de M. Patterson sur les recherches menées pour trouver un lieu d'accueil convenable (paragraphe 21 ci-dessus) ainsi que de son opinion quant à savoir si une libération inconditionnelle était indiquée. M. Patterson concluait qu'il n'était pas favorable à une libération sans conditions, craignant que le requérant, s'il était livré à lui-même sans aucun soutien, ne se retrouve de nouveau rapidement en difficulté. Il préconisait un séjour d'essai de huit semaines dans un hôpital de la région, ce qui permettrait ensuite à M. Johnson d'être accepté au foyer d’Ashcroft. La commission se pencha également sur un rapport du Dr Wilson en date du 12 février 1990. Celui-ci y confirmait que le requérant ne souffrait plus d'aucun trouble mental et déclarait que les conditions précédemment mises à sa libération restaient inchangées mais qu'il n'avait pas encore été possible de trouver un lieu d'accueil adéquat. Le médecin recommandait une libération dès qu'une solution satisfaisante aurait été trouvée. La commission constata dans sa décision du 9 mai 1990 qu'il n'avait pas été facile de prendre les dispositions nécessaires en vue d'un hébergement surveillé « probablement parce que le patient lui-même n'est pas facile à contenter ». La commission se rangea à l'avis exprimé lors du contrôle de 1989 (paragraphe 18 ci-dessus). Elle reconnut que le requérant avait une nette préférence pour une libération inconditionnelle mais considéra cependant qu'il était dans l'intérêt de celui-ci et de la société que « le patient puisse être réinterné si nécessaire et bénéficie du soutien accompagnant une libération conditionnelle ». C'est pourquoi la commission ordonna de nouveau la libération sous conditions, mais en la différant jusqu'à ce qu'un lieu d'accueil surveillé ait pu être trouvé. H. Liberté à l'essai du requérant Le 10 septembre 1990, le requérant entama une période de liberté à l'essai à l'hôpital de Carlton Hayes, une institution de moindre sécurité que l'hôpital de Rampton (paragraphe 22 ci-dessus). On lui accorda plus de liberté : il avait des permissions de sortie. Le 9 octobre 1990, après avoir bu dans un bar du voisinage, il revint à l'hôpital tard dans la nuit et agressa un malade qui, selon lui, l'avait provoqué. A partir de ce moment, son séjour fut remis en cause. Dans un rapport du 12 décembre 1990, le Dr Cameron, psychiatre qui suivait le requérant, nota que celui-ci avait terrorisé les infirmières et commencé à se rebeller contre les projets de réadaptation prévus pour lui. Il fut réintégré à l'hôpital de Rampton le 22 octobre 1990. De retour dans cette institution, M. Johnson eut le choix entre revenir dans le service accueillant les patients destinés à une prochaine sortie, où il pourrait se préparer par d'autre méthodes à une telle éventualité, ou être affecté dans un autre service pour patients de longue durée. Le requérant opta pour cette dernière solution. I. Le contrôle de 1991 La commission effectua un sixième contrôle en avril 1991, au cours duquel elle se pencha sur les rapports établis par le Dr Wilson le 4 janvier 1991, par le Dr Cameron en décembre 1990 (paragraphe 25 ci-dessus) ainsi que par M. Patterson le 22 janvier 1991. Le Dr Wilson faisait état de l'échec de la période de liberté à l'essai (paragraphe 25 ci-dessus) ainsi que des difficultés rencontrées pour ranimer la motivation du requérant. Il concluait : « [le requérant] ne souffre d'aucune maladie mentale et il n'est pas nécessaire qu'il reste interné à l'hôpital de Rampton. Depuis juin 1989, les tentatives menées pour obtenir sa libération conditionnelle ont échoué en raison de son incapacité à respecter les dispositions prises ; il est désormais difficile de prévoir des modalités de libération sous conditions qui lui agréent. » Dans son rapport du 12 décembre 1990, le Dr Cameron se déclarait pessimiste quant à l'avenir du requérant en raison de l'échec de la tentative de liberté à l'essai. Selon lui, l’intéressé était atteint de troubles explosifs du comportement, c'est-à-dire que « lorsqu'il n'est pas en pleine crise, il ne souffre pas de maladie mentale à proprement parler ». Le Dr Cameron se déclarait convaincu que l'abus de drogue et d'alcool avait joué un certain rôle dans la faillite du processus de réadaptation et que le requérant connaîtrait de nouvelles crises dès qu'il serait remis en liberté et pourrait se procurer ces produits. Le Dr Cameron pensait également que toute autre tentative de réadaptation par les méthodes générales de la psychiatrie ne conviendrait pas et, pour cette raison, ne souhaitait pas continuer à assurer le suivi psychiatrique du requérant. M. Patterson constatait dans son rapport que le fait que le requérant n'ait pu achever avec succès la période de liberté à l'essai impliquait que le foyer d'Ashcroft refuserait de l'accueillir. Le 9 avril 1991, la commission constata que le requérant ne souffrait d'aucune maladie mentale, d’aucun trouble psychopathique, d’aucune altération des facultés mentales, légère ou prononcée, ni d’aucune autre forme de trouble qui, par sa nature ou son intensité, nécessite un traitement médical en hôpital. Elle était toutefois convaincue qu'il fallait conserver la possibilité de réinterner le requérant en vue d'une reprise du traitement, parce qu'il n'était pas suffisamment responsable de ses actes pour être à même de résister aux pressions de la vie en société sans un degré considérable de surveillance et de soutien. Aussi ordonna-t-elle à nouveau la libération conditionnelle du requérant, différée jusqu'à ce qu'on lui trouve un hébergement surveillé. J. Le contrôle de 1993 Le dernier contrôle eut lieu en janvier 1993. Le requérant avait auparavant été examiné par le Dr Wilson, selon lequel il ne présentait aucun symptôme de maladie mentale et, sous réserve de ne pas aborder la question de la réadaptation, se montrait en toutes circonstances agréable, amical et serviable. Le médecin concluait : « Il n'y a aucune raison de continuer à considérer [le requérant] comme un malade mental et, avec le recul, il semble probable qu'il n'a jamais souffert d'autre chose que d'une psychose induite par la drogue. (...) Il n'est pas nécessaire qu'il reste à l'hôpital de Rampton ; il est toutefois difficile de trouver des modalités de libération conditionnelle qui lui agréent, raison pour laquelle il convient désormais d'examiner le bien-fondé de sa demande de libération inconditionnelle. » Le 12 janvier 1993, la commission ordonna l'élargissement sans conditions du requérant au motif que celui-ci « ne souffre plus désormais d'aucune forme de trouble mental et qu'il ne convient pas qu'il reste susceptible d'être réintégré à l'hôpital pour une reprise du traitement ». Le tribunal s'appuya sur le témoignage oral du Dr Wilson, notant que, selon celui-ci, le requérant n'était plus atteint de maladie mentale depuis 1987 et ne présentait aucune autre forme de trouble psychique. L'intéressé ne prenait plus de médicaments depuis 1988, se comportait avec égards et gentillesse envers les autres patients de son service et « agissait souvent plus comme un membre du personnel que comme un malade ». De surcroît, la commission releva que, de l'avis du Dr Wilson, l'infraction à l'origine de son internement devait être considérée comme découlant, non d'une maladie mentale mais plus vraisemblablement de l'absorption combinée de drogue et d'alcool. Pendant sa détention provisoire, le requérant avait traversé un épisode psychotique que le Dr Wilson attribuait à la tension résultant de l'emprisonnement et à l'arrêt de la consommation de drogue et d'alcool. Selon le médecin, rien ne laissait présager une récidive et aucun élément, sur le plan médical, ne portait à croire que le requérant se montrerait dangereux s'il était libéré. Tout en prenant en compte l'avis du ministre selon lequel seule était indiquée à ce stade une libération conditionnelle, la commission conclut qu'il était approprié, et favorable à l'intérêt de la justice, d'accorder au requérant un élargissement sans conditions. K. La libération inconditionnelle du requérant Le requérant sortit de l'hôpital de Rampton le 21 janvier 1993. Depuis lors, il n'a pas connu de récidive des troubles mentaux. A l'audience, la Cour a appris qu'il avait été libéré sous conditions après avoir été condamné pour une légère infraction à l'ordre public résultant d'une altercation avec un voisin. Il a également été inculpé de culture de cannabis. II. Le droit et la pratique internes pertinents A. Trouble mental L'article 1 § 2 de la loi de 1983 sur la santé mentale (Mental Health Act 1983 – « la loi de 1983 ») définit le « trouble mental » comme une maladie mentale, un développement intellectuel interrompu ou incomplet, un trouble psychopathique ou tout autre désordre ou faiblesse d'esprit. Un trouble de la personnalité ne suffirait pas à justifier un internement, à moins qu'il ne s'agisse d'un trouble psychopathique, à savoir « un trouble ou une faiblesse d'esprit persistants (avec ou sans retard intellectuel prononcé) entraînant un comportement anormalement agressif ou une conduite nettement irresponsable de la part de l'intéressé ». Aux termes de l'article 1 § 3 de la loi, la dépendance à l'égard de l'alcool ou de la drogue ne saurait passer pour une forme de trouble mental. B. Ordonnance d'internement L'article 37 de la loi de 1983 habilite les tribunaux à ordonner l'internement, dans un hôpital désigné, des personnes reconnues coupables d'une infraction pénale punie d'une peine d'emprisonnement (« ordonnance d'internement »). Un tribunal ne peut émettre une telle ordonnance que si le témoignage écrit ou oral de deux médecins l'a convaincu que le délinquant souffre d'un trouble mental (paragraphe 35 ci-dessus) et que « le trouble mental justifie, par son caractère ou son ampleur, l'internement de l'intéressé en hôpital pour qu'il y suive un traitement et, en cas de trouble psychopathique ou de retard mental, que pareil traitement est susceptible de ralentir ou de prévenir une aggravation de son état » (article 37 § 2 a) i)) et « eu égard à l'ensemble des circonstances de la cause, notamment la nature de l'infraction, la personnalité du délinquant, ses antécédents et les autres solutions possibles, qu'[une ordonnance d'internement] constitue le moyen le plus indiqué » (article 37 § 2 b) ii)). L'article 37 § 7 dispose que l'ordonnance d'internement doit préciser la ou les formes de trouble mental dont souffre le délinquant, avec l'attestation de deux médecins. C. Ordonnance restrictive L'article 41 de la loi de 1983 habilite les tribunaux à rendre, au même moment que l'ordonnance d'internement, une ordonnance restrictive (restriction order) (assortie ou non d'une limite dans le temps), qui confère notamment au ministre des pouvoirs accrus de contrôle sur les transfèrements d'un patient. Un tribunal peut émettre pareille ordonnance lorsque cela lui paraît nécessaire pour protéger le public de préjudices graves, compte tenu de la nature de l'infraction, des antécédents du délinquant et du risque de le voir commettre de nouvelles infractions s'il reste en liberté. Cette mesure permet également de réinterner ou d'élargir un patient sous conditions à tout moment et limite les pouvoirs de la commission de contrôle psychiatrique (paragraphe 39 ci-dessous), qui peut moins facilement ordonner la libération de tels patients que celle des malades mentaux ordinaires. D. La commission de contrôle psychiatrique (« la commission ») En vertu de l'article 70 de la loi de 1983, une personne assujettie à une ordonnance d'internement et à une ordonnance restrictive et internée en hôpital peut demander à la commission de contrôler sa détention lorsque celle-ci dure depuis six mois. Au bout de douze mois, les demandes peuvent être formulées chaque année. Le ministre peut à tout moment soumettre à la commission le cas d'un tel patient (article 71 de la loi de 1983). Les commissions se composent d'un juriste qui fait fonction de président, d'un médecin qui examine le patient et d'une troisième personne. E. Libération inconditionnelle En vertu de l'article 73 §§ 1 et 2 de la loi de 1983 combiné avec l'article 72 § 1, lorsque la commission est saisie par un patient sous le coup d'une ordonnance restrictive ou par le ministre, elle doit ordonner sa libération inconditionnelle lorsqu'elle est convaincue : a) i. que le patient ne présente pas à ce moment-là de maladie mentale, trouble psychopathique, altération des facultés mentales, légère ou prononcée, ou toute autre forme de trouble qui, par sa nature ou son intensité, nécessite son internement pour traitement médical nécessaire ; ou ii. qu'il n'est pas nécessaire, pour la santé ou la sécurité du patient ou pour la protection d'autrui, qu'il reçoive un tel traitement (article 73 § 1 de la loi de 1983) ; et b) qu'il ne convient pas de conserver la possibilité de réinterner le patient en vue d'une reprise du traitement (article 73 § 2 de la loi de 1983). Aux termes de l'article 73 § 3, un patient élargi sans conditions cesse d'être assujetti à l'ordonnance d'internement et l'ordonnance restrictive cesse de déployer ses effets. F. Elargissement sous conditions L'article 73 § 2 de la loi de 1983 dispose que, lorsque la commission est convaincue du respect des conditions énoncées au point a) figurant au paragraphe 40 ci-dessus, mais non de celles citées au point b), elle doit ordonner la libération sous conditions du patient. En prononçant la décision en l'affaire R. v. Merseyside Mental Health Review Tribunal, ex parte K (All England Law Reports, Court of Appeal 1990, vol. 1), Lady Justice Butler-Ross a déclaré à ce sujet : « L'article 73 habilite la commission à ordonner une libération sous conditions et à conserver un certain contrôle sur des patients qui ne souffrent pas à ce moment de trouble mental, ou en sont atteints mais pas au point de justifier un internement psychiatrique. Cette disposition apparaît comme conçue tant pour le soutien du patient dans la collectivité que pour la protection du public ; il s'agit d'un pouvoir discrétionnaire important confié à une commission indépendante, qui ne saurait être écarté à la légère en l'absence d'indication nette. » (pp. 699–700) En vertu de l'article 73 § 4 de la loi de 1983, un patient libéré sous conditions peut être réinterné sur ordre du ministre et doit se conformer aux conditions prescrites. Contrairement à un malade élargi sans conditions, le premier reste assujetti à l'ordonnance d'internement formulée à son égard. Conformément à l'article 73 § 7 de la loi de 1983, une commission peut différer la libération conditionnelle d'un malade sous le coup d'une ordonnance restrictive jusqu'à ce que des arrangements qu'elle juge satisfaisants aient été pris en vue de cette libération. Toutefois, lorsque tel est le cas, la commission n'est pas habilitée à ordonner l'élargissement si les conditions spécifiées ne sont pas remplies, à reporter l'examen de l'affaire pour voir comment les choses évoluent, à recommander que le patient bénéficie d'autorisations de sortie ni à fixer une date limite pour le respect des conditions et, à défaut, reprendre l'examen de l'affaire. En revanche, lorsque l'affaire revient devant elle à la demande du patient (ce qui ne peut intervenir au plus tôt que l'année suivante) ou du ministre (ce qui peut se produire à tout moment), la commission doit reprendre le dossier. En l'affaire Secretary of State for the Home Department v. Oxford Regional Mental Health Review Tribunal and another (All England Law Reports, House of Lords 1987, vol. 3), Lord Bridge a estimé que ni la loi de 1983 ni la réglementation sur la commission de contrôle psychiatrique ne prévoyaient d'assortir d'un délai le report de la libération conditionnelle. Selon ses termes : « (…) lorsqu'elle ordonne une libération conditionnelle différée, une commission ne peut en aucun cas prévoir combien de temps il faudra pour prendre les dispositions nécessaires. Elle doit simplement indiquer que la libération est différée jusqu'à ce que des arrangements qu'elle juge satisfaisants aient été pris et préciser lesquels sont nécessaires, ce qui peut sans aucun doute habituellement se faire en renvoyant aux conditions imposées. Il convient ensuite de prendre ces mesures dans les meilleurs délais et, une fois cela fait, de soumettre de nouveau le dossier à la commission dès que possible (…) » (p. 13) Le ministre peut également ordonner la libération du patient, avec ou sans conditions (article 42 de la loi de 1983). PROCÉDURE DEVANT LA COMMISSION Dans sa requête du 8 juillet 1993 à la Commission (n° 22520/93), M. Johnson se plaignait de ce que la prolongation de sa détention de juin 1989 à janvier 1993 emportait violation de l'article 5 §§ 1 et 4 de la Convention. Il dénonçait également une atteinte à l'article 3 de la Convention en raison de la durée globale de sa détention, y compris le fait d'avoir été interné alors qu'il ne souffrait plus de maladie mentale. Il affirmait enfin que les conditions dans lesquelles il avait été libéré étaient contraires à l'article 8 de la Convention. La Commission a retenu la requête le 18 mai 1995 quant aux griefs tirés de l'article 5 §§ 1 et 4 de la Convention et l'a rejetée pour le surplus. Dans son rapport du 25 juin 1996 (article 31), elle exprime l'avis qu'il y a eu violation de l'article 5 § 1 (quinze voix contre une) et que la doléance tirée de l'article 5 § 4 ne soulève aucune question distincte (quinze voix contre une). Le texte intégral de son avis et des deux opinions séparées dont il s'accompagne figure en annexe au présent arrêt. CONCLUSIONS PRÉSENTÉES À LA COUR Dans son mémoire et à l'audience, le Gouvernement invite la Cour à dire qu'il n'y a pas eu violation des droits garantis au requérant par l'article 5 §§ 1 et 4 de la Convention. De son côté, le requérant prie la Cour de constater qu'il y a eu violation en son chef des droits reconnus par l'article 5 §§ 1 et 4 et l'article 8 et de lui accorder une satisfaction équitable au titre de l'article 50 de la Convention. A l'audience, il a maintenu ses griefs sur le terrain de l'article 5 §§ 1 et 4, mais non celui tiré de l'article 8 de la Convention.
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I. Les circonstances de l’espèce Nés en 1964, les requérants habitent Thiva (Béotie). A. Le cas de M. Tsirlis Le 4 novembre 1987, M. Tsirlis fut nommé ministre du culte par la Congrégation centrale des chrétiens témoins de Jéhovah de Grèce. Il fut notamment habilité à célébrer des mariages entre des personnes de cette religion et à notifier ces mariages aux bureaux compétents de l’état civil. Par un courrier du 20 novembre 1987, la préfecture d’Attique orientale avisa de sa nomination les bureaux de l’état civil de cette région. Le 13 février 1990, le requérant demanda au bureau de recrutement d’Attique orientale ("le bureau de recrutement") à être exempté du service militaire, conformément à l’article 6 de la loi no 1763/1988 ("la loi de 1988"), qui reconnaît ce droit à tous les ministres du culte de "religions connues". Le 28 février 1990, le bureau de recrutement rejeta cette demande au motif que les témoins de Jéhovah n’appartenaient pas à une "religion connue". Le requérant saisit immédiatement d’un recours le directeur du recrutement de l’état-major de la défense nationale ("le directeur du recrutement"). Alors que son recours était pendant, le bureau de recrutement ordonna au requérant de se présenter au centre d’instruction militaire de Rethymnon en vue de son incorporation le 6 mars 1990. Celui-ci s’y rendit bien mais refusa l’incorporation, invoquant sa qualité de ministre du culte d’une "religion connue". Il refusa en outre de porter l’uniforme militaire qu’un officier lui avait ordonné d’endosser. Il fut arrêté, inculpé d’insubordination (paragraphe 45 ci-dessous) et placé en détention provisoire. Le 22 mars 1990, le directeur du recrutement rejeta le recours du requérant contre la décision du bureau de recrutement, au motif que les témoins de Jéhovah n’appartenaient pas à une "religion connue". Le 30 avril 1990, le tribunal militaire permanent (Diarkes Stratodikio) de La Canée, composé de deux juges militaires et de trois officiers non juristes, examina les accusations pénales dirigées contre le requérant. Celui-ci se prétendit innocent, puisqu’il était ministre du culte d’une "religion connue" et, à ce titre, exempté du service militaire. A l’issue de l’audience, le président du tribunal posa la question suivante à ses membres: "[Le requérant], qui est témoin de Jéhovah, est-il coupable d’avoir refusé d’obéir, alors qu’il accomplissait son service militaire, à l’ordre donné par son commandant d’exécuter une certaine tâche, à savoir aller chercher les vêtements nécessaires à son instruction de soldat non armé, en arguant que les convictions religieuses des témoins de Jéhovah ne lui permettaient pas de le faire?" A l’unanimité, le tribunal répondit par l’affirmative, déclara le requérant coupable d’insubordination et le condamna à quatre ans d’emprisonnement, dont il déduisit la période que l’intéressé avait passée en détention provisoire. Le 4 mai 1990, le requérant forma un recours contre cette décision devant la cour d’appel militaire (Anatheoritiko Dikastirio). Le 21 mai 1990, l’intéressé saisit le Conseil d’Etat (Symvoulio tis Epikratias) d’un recours en annulation de la décision rendue le 22 mars 1990 par le directeur du recrutement. Il demanda notamment à être traité comme les autres ministres du culte. Le 19 juin 1990, la cour d’appel militaire, composée de cinq juges militaires, examina le recours du requérant. La défense demanda l’acquittement de ce dernier ou, à titre subsidiaire, l’ajournement de l’audience en attendant que le Conseil d’Etat statue sur son recours. Elle sollicita aussi sa mise en liberté provisoire. La cour décida de reporter l’audience à une date à fixer par le procureur (Epitropos) afin de permettre à ce dernier de produire une copie de la demande initiale d’exemption et de la décision définitive rendue à ce sujet par le directeur du recrutement. Elle estima en outre que le requérant ne devait pas être mis en liberté provisoire. Le 12 septembre 1990, l’intéressé demanda au Conseil d’Etat de suspendre l’exécution de la décision par laquelle le directeur du recrutement refusait de l’exempter du service militaire. Le 29 novembre 1990, le recours du requérant fut à nouveau examiné par la cour d’appel militaire. Dans l’intervalle, la quatrième chambre du Conseil d’Etat avait rendu l’arrêt no 3601/90 dans lequel elle confirmait expressément le droit des ministres du culte des témoins de Jéhovah à être exemptés du service militaire (paragraphe 44 ci-dessous). Le procureur demanda l’ajournement de l’audience, afin de recueillir l’avis du directeur du recrutement sur la question suivante: "Le prévenu est-il tenu d’accomplir son service militaire, considérant que l’arrêt no 3601/90 de la quatrième chambre du Conseil d’Etat a cassé une décision du directeur du recrutement de l’état-major de la défense nationale rejetant une demande d’exemption du service militaire présentée par un autre prévenu, lequel était ministre du culte de la Congrégation centrale des chrétiens témoins de Jéhovah (...)?" Le procureur requit en outre le maintien du requérant en détention provisoire. La défense accepta l’ajournement de l’audience et estima que la question de la mise en liberté provisoire de l’intéressé "devait être laissée à l’appréciation de la cour". Celle-ci fit droit à la demande de l’accusation et ordonna de ne pas mettre le requérant en liberté provisoire. Le 16 avril 1991, le recours du requérant fut examiné pour la troisième fois par la cour d’appel militaire. Une audience avait été fixée le même jour pour statuer sur le recours en annulation introduit par le requérant devant le Conseil d’Etat contre la décision rendue le 22 mars 1990 par le directeur du recrutement. Le procureur de la cour d’appel militaire proposa d’ajourner l’examen du recours du requérant en attendant la décision du Conseil d’Etat, et de maintenir l’intéressé en détention. La défense estima que la première question devait être laissée à l’appréciation de la cour. Elle demanda toutefois l’élargissement provisoire du requérant. La cour décida de reporter l’audience afin de recueillir l’avis du directeur du recrutement sur la question suivante: "Le prévenu était-il exempté de l’obligation de se présenter en vue de son incorporation, compte tenu de sa qualité présumée de ministre du culte?" Elle ordonna en outre le maintien en détention provisoire du requérant. Le 24 avril 1991, le Conseil d’Etat cassa la décision du directeur du recrutement du 22 mars 1990 au motif que les témoins de Jéhovah appartenaient à une "religion connue" et que l’administration n’avait pas contesté les éléments produits par le requérant pour prouver qu’il était ministre de ce culte. Le 8 mai 1991, une section du Conseil d’Etat composée de trois membres décida que, dans ces conditions, il n’y avait pas lieu de se prononcer sur la demande du requérant tendant à suspendre l’exécution de la décision du directeur du recrutement. Le 30 mai 1991, la cour d’appel militaire examina le recours du requérant contre le jugement rendu le 30 avril 1990 par le tribunal militaire permanent de La Canée. La question posée à la cour, telle qu’elle avait été formulée par son président, était la suivante: "[Le requérant], qui appartient à la secte des témoins de Jéhovah, est-il coupable d’avoir refusé d’obéir, alors qu’il accomplissait son service militaire, à l’ordre donné par son commandant d’exécuter une certaine tâche, à savoir aller chercher les vêtements nécessaires à son instruction de soldat non armé, en arguant que les convictions religieuses des témoins de Jéhovah ne lui permettaient pas de le faire?" Après avoir entendu les parties au sujet des éléments de preuve et leurs arguments sur la question de la culpabilité du requérant, la cour se retira pour délibérer. A l’issue des délibérations, le président annonça le verdict. Le requérant fut acquitté, par trois voix contre deux, au motif "qu’aucun acte [d’insubordination] n’avait été commis". Les juges dissidents estimèrent que "le prévenu [n’était] pas ministre du culte". Il fut donné lecture du verdict et de l’ordonnance suivante qui y était jointe: "L’Etat ne se trouve nullement dans l’obligation d’indemniser l’intéressé pour sa détention du 6 mars 1990 au 30 mai 1991, considérant que celle-ci était due à une faute lourde de sa part." Le requérant fut immédiatement élargi et dégagé provisoirement de ses obligations militaires, au motif qu’il était ministre du culte. B. Le cas de M. Kouloumpas Le 4 novembre 1987, M. Kouloumpas fut nommé ministre du culte par la Congrégation centrale des chrétiens témoins de Jéhovah de Grèce. Il fut notamment habilité à célébrer des mariages entre des personnes de cette religion et à notifier ces mariages aux bureaux compétents de l’état civil. Par un courrier du 20 novembre 1987, la préfecture d’Attique orientale avisa de sa nomination les bureaux de l’état civil de cette région. Le 29 novembre 1989, le requérant demanda au bureau de recrutement de Patras ("le bureau de recrutement") à être exempté du service militaire, conformément à l’article 6 de la loi de 1988. Le 1er mars 1990, le bureau de recrutement rejeta cette demande au motif que les témoins de Jéhovah n’appartenaient pas à une "religion connue". Le requérant forma immédiatement un recours auprès du directeur du recrutement. Alors que son recours était pendant, le bureau de recrutement ordonna au requérant de se présenter au centre d’instruction militaire de Sparte en vue de son incorporation le 6 mars 1990. Le requérant s’y rendit bien mais s’opposa à l’incorporation, invoquant sa qualité de ministre du culte d’une "religion connue". Il refusa en outre de porter l’uniforme militaire qu’un officier lui avait ordonné d’endosser. Il fut arrêté, inculpé d’insubordination (paragraphe 45 ci-dessous) et placé en détention provisoire. Le 6 avril 1990, le directeur du recrutement rejeta le recours du requérant contre la décision du bureau de recrutement, au motif que les témoins de Jéhovah n’appartenaient pas une "religion connue". Le 21 mai 1990, le requérant saisit le Conseil d’Etat d’un recours en annulation de la décision rendue le 6 avril 1990 par le directeur du recrutement. Il demanda notamment à être traité comme les autres ministres du culte. Le 30 mai 1990, le tribunal militaire permanent d’Athènes, composé d’un juge militaire et de quatre officiers non juristes, examina les accusations pénales dirigées contre le requérant. Celui-ci se prétendit innocent, puisqu’il était ministre du culte d’une "religion connue" et, à ce titre, exempté du service militaire. A l’issue de l’audience, le président du tribunal posa la question suivante à ses membres: "[Le requérant], qui est témoin de Jéhovah, est-il coupable d’avoir refusé d’obéir, alors qu’il accomplissait son service militaire, à l’ordre donné par son commandant d’exécuter une certaine tâche, à savoir aller chercher les vêtements nécessaires à son instruction de soldat non armé, en arguant que les convictions religieuses des témoins de Jéhovah ne lui permettaient pas de le faire?" A l’unanimité, le tribunal répondit par l’affirmative, déclara le requérant coupable d’insubordination et le condamna à quatre ans d’emprisonnement, dont il déduisit la période que l’intéressé avait passée en détention provisoire. Le 1er juin 1990, le requérant saisit la cour d’appel militaire d’un recours contre cette décision. Le 12 juillet 1990, la cour d’appel militaire examina le recours du requérant. La défense demanda l’acquittement de ce dernier ou, à titre subsidiaire, l’ajournement de l’audience en attendant que le Conseil d’Etat statue sur son recours administratif. La cour décida d’ajourner l’audience à une date à fixer par le procureur afin de permettre à ce dernier de produire une copie de certains documents du ministère de l’Education et du saint-synode de l’Eglise orthodoxe grecque, qui avaient été invoqués par les autorités militaires pour rejeter la demande d’exemption présentée par le requérant. La cour se rangea en outre à l’avis exprimé à la fois par l’accusation et la défense selon lequel le requérant ne devait pas être mis en liberté provisoire. Le 12 septembre 1990, l’intéressé demanda au Conseil d’Etat de suspendre l’exécution de la décision par laquelle le directeur du recrutement refusait de l’exempter du service militaire. Le 27 novembre 1990, le recours du requérant fut à nouveau examiné par la cour d’appel militaire. Dans l’intervalle, la quatrième chambre du Conseil d’Etat avait rendu son arrêt no 3601/90 dans lequel elle confirmait expressément le droit des ministres du culte des témoins de Jéhovah d’être exemptés du service militaire (paragraphe 44 ci-dessous). Le procureur demanda l’ajournement de l’audience afin de recueillir l’avis du directeur du recrutement sur le point suivant: "Le prévenu est-il tenu d’accomplir son service militaire, considérant que l’arrêt no 3601/90 de la quatrième chambre du Conseil d’Etat a cassé une décision du directeur du recrutement de l’état-major de la défense nationale rejetant une demande d’exemption du service militaire présentée par un autre prévenu, lequel était ministre du culte de la Congrégation centrale des chrétiens témoins de Jéhovah (...)?" Le procureur requit en outre le maintien du requérant en détention provisoire. La défense demanda la mise en liberté provisoire du requérant. La cour fit droit à la demande de l’accusation et ordonna de ne pas mettre le requérant en liberté provisoire. Le 7 mars 1991, le recours du requérant fut examiné pour la troisième fois par la cour d’appel militaire. Le procureur requit le report de l’audience au motif que le directeur du recrutement devait émettre son avis sur la question suivante: "Le prévenu est-il déjà exempté de l’obligation d’accomplir son service militaire compte tenu du recours qu’il a introduit devant le Conseil d’Etat?" Il demanda également de maintenir le requérant en détention. La cour souscrivit à ces deux réquisitions, malgré l’opposition du requérant. Le 24 avril 1991, le Conseil d’Etat cassa la décision du directeur du recrutement rejetant la demande d’exemption présentée par le requérant, au motif que les témoins de Jéhovah appartenaient à une "religion connue" et que l’administration n’avait pas contesté les éléments produits par le requérant pour prouver qu’il était ministre de ce culte. Le 8 mai 1991, une section du Conseil d’Etat composée de trois membres décida que, dans ces conditions, il n’y avait pas lieu de se prononcer sur la demande du requérant tendant à suspendre l’exécution de la décision du directeur du recrutement. Le 29 mai 1991, la cour d’appel militaire examina le recours du requérant contre le jugement rendu le 30 mai 1990 par le tribunal militaire permanent d’Athènes. La question posée à la cour, telle qu’elle avait été formulée par son président, était la suivante: "[Le requérant], qui appartient à la secte des témoins de Jéhovah, est-il coupable d’avoir refusé d’obéir, alors qu’il accomplissait son service militaire, à l’ordre donné par son commandant d’exécuter une certaine tâche, à savoir aller chercher les vêtements nécessaires à son instruction de soldat non armé, en arguant que les convictions religieuses des témoins de Jéhovah ne lui permettaient pas de le faire?" Après avoir entendu les parties au sujet des éléments de preuve et leurs arguments sur la question de la culpabilité du requérant, la cour se retira pour délibérer. A l’issue des délibérations, le président annonça le verdict. Le requérant fut acquitté, par trois voix contre deux, au motif "qu’aucun acte [d’insubordination] n’avait été commis". Les juges dissidents estimèrent que "le prévenu [n’était] pas ministre du culte". Il fut donné lecture du verdict et de l’ordonnance suivante qui y était jointe: "L’Etat ne se trouve nullement dans l’obligation d’indemniser l’intéressé pour sa détention du 6 mars 1990 au 29 mai 1991, considérant que celle-ci était due à une faute lourde de sa part." Le requérant fut immédiatement élargi et dégagé provisoirement de ses obligations militaires, au motif qu’il était ministre du culte. II. Le droit et la pratique internes pertinents A. La loi no 1763/1988 L’article 6 de la loi no 1763/1988 ("la loi de 1988") exempte du service militaire tous les ministres du culte de "religions connues". En vertu de cette disposition, les prêtres de l’Eglise orthodoxe grecque se font exempter sans difficulté. Le Conseil d’Etat a jugé à plusieurs reprises que les témoins de Jéhovah appartenaient à une "religion connue" (décisions nos 2105 et 2106/1975, 4635/1977, 2484/1980, 4620/1985 et 790 et 3533/1986). Dans sa décision no 3601/1990, il a expressément consacré le droit des ministres du culte des témoins de Jéhovah à être exemptés du service militaire. B. Le code de justice militaire L’article 70 du code de justice militaire dispose: "Un membre des forces armées qui refuse (...) d’obéir à l’ordre donné par son supérieur d’exécuter l’une de ses tâches sera sanctionné (...)" Le 16 mars 1992, le tribunal militaire permanent d’Athènes estima qu’un ministre du culte des témoins de Jéhovah qui avait refusé d’aller chercher des vêtements militaires lorsqu’il avait été convoqué en vue de son incorporation n’était pas coupable d’insubordination. Selon le tribunal, l’intéressé n’avait pas commis d’acte d’insubordination car il n’était pas tenu d’accomplir son service militaire en sa qualité de ministre du culte d’une "religion connue". Aux termes de l’article 434 dudit code, si celui-ci ne réglemente pas une question de procédure, le code de procédure pénale s’applique. C. Le code de procédure pénale Le code de procédure pénale contient les dispositions pertinentes suivantes: Article 533 par. 2 "Les personnes placées en détention provisoire puis acquittées (...) ont le droit de demander réparation (...), s’il a été établi au cours de la procédure qu’elles n’avaient pas commis l’infraction pour laquelle elles avaient été détenues (...)" Article 535 par. 1 "L’Etat n’est nullement dans l’obligation d’indemniser une personne qui (...) a été placée en détention provisoire si celle-ci, volontairement ou à la suite d’une faute lourde, s’est rendue responsable de sa propre détention." Article 536 "1. Sur demande orale de la personne acquittée, la juridiction qui a examiné l’affaire statue sur l’obligation de l’Etat d’indemniser l’intéressé en rendant, en même temps que le verdict, une décision distincte. Toutefois, cette juridiction peut aussi rendre d’office une telle décision (...) La décision relative à l’obligation d’indemnisation de l’Etat ne peut être contestée séparément; elle est toutefois annulée lorsque la décision portant sur la question principale de l’instance pénale est infirmée." Article 537 "1. Quiconque a subi un préjudice peut, à un stade ultérieur, saisir la même juridiction d’une demande en indemnisation. En ce cas, la demande doit être présentée au procureur [Epitropos] de cette juridiction dans les quarante-huit heures suivant le prononcé du jugement en audience publique." Article 539 par. 1 "Lorsqu’il a été décidé que l’Etat doit verser une réparation, la personne y ayant droit peut intenter une action devant les juridictions civiles, qui ne peuvent pas remettre en cause l’obligation de l’Etat." Article 540 par. 1 "Les personnes qui ont été injustement (...) mises en détention provisoire doivent être indemnisées pour tout préjudice matériel qu’elles pourraient avoir subi en raison de leur (...) détention. Elles doivent également être indemnisées du préjudice moral (...)" PROCÉDURE DEVANT LA COMMISSION MM. Tsirlis et Kouloumpas ont saisi la Commission le 26 novembre 1991. Invoquant les articles 3, 5 paras. 1 et 5, 6 par. 1, 9, 13 et 14 de la Convention (art. 3, art. 5-1, art. 5-5, art. 6-1, art. 9, art. 13, art. 14), ils se plaignaient d’avoir été détenus irrégulièrement et d’avoir fait l’objet d’une discrimination fondée sur leurs convictions religieuses, d’avoir été soumis à des traitements inhumains et dégradants et de n’avoir pas bénéficié d’un procès équitable au sujet de la réparation de leur détention irrégulière. Ils dénonçaient également le caractère arbitraire de leur condamnation, contraire à l’article 7 (art. 7). Le 4 septembre 1995, la Commission a retenu les requêtes (nos 19233/91 et 19234/91), à l’exception du grief relatif à la régularité de la détention provisoire et de celui tiré de l’article 7 (art. 7). Dans son rapport du 7 mars 1996 (article 31) (art. 31), elle exprime l’avis: a) qu’il y a eu violation de l’article 5 par. 1 (art. 5-1) (unanimité); b) qu’il y a eu violation de l’article 5 par. 5 (art. 5-5) (unanimité); c) qu’il y a eu violation de l’article 6 par. 1 (art. 6-1) (unanimité); d) qu’il n’y a pas lieu d’examiner s’il y a eu violation de l’article 13 (art. 13) (unanimité); e) qu’il y a eu violation de l’article 14 combiné avec l’article 9 (art. 14+9) (vingt-six voix contre deux); f) qu’il n’y a pas lieu de rechercher s’il y a eu violation de l’article 9 (art. 9) (vingt-quatre voix contre quatre); g) qu’il n’y a pas eu violation de l’article 3 (art. 3) (unanimité). Le texte intégral de son avis et des trois opinions séparées dont il s’accompagne figure en annexe au présent arrêt. CONCLUSIONS PRÉSENTÉES À LA COUR A l’audience, les requérants ont demandé à la Cour de dire qu’il y a eu violation des articles 3, 5 paras. 1 et 5, 6 par. 1, 9, 13 et 14 (art. 3, art. 51, art. 5-5, art. 6-1, art. 9, art. 13, art. 14). Le Gouvernement, pour sa part, a prié la Cour de rejeter toute allégation de violation de la Convention.
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I. Les circonstances de l’espÈce A. Introduction Les requérantes, Mmes Azize Menteş, Mahile Turhallı, Sulhiye Turhallı et Sariye Uvat, citoyennes turques d’origine kurde, sont quatre habitantes du village de Sağgöz (nom turc officiel) ou Riz (ancien nom, kurde ou ottoman), district de Genç, province de Bingöl, dans le Sud-Est de la Turquie. Elles résident actuellement à Diyarbakır. Depuis 1985 environ, de graves troubles font rage dans le Sud-Est de la Turquie, entre les forces de sécurité et les membres du PKK (Parti des travailleurs du Kurdistan). Ce conflit a, d’après le Gouvernement, coûté jusqu’ici la vie à 4 036 civils et 3 884 membres des forces de sécurité. A l’époque de l’examen de l’affaire par la Cour, dix des onze provinces de la région du Sud-Est de la Turquie étaient soumises depuis 1987 au régime de l’état d’urgence. Sağgöz est situé dans une région montagneuse qui a été le théâtre d’une activité terroriste intense imputable au PKK. En raison des événements qui se sont produits dans la région en 1993 et 1994, de nombreux villages du district ont été désertés par leurs habitants et les maisons détruites. A l’été 1994, le village de Sağgöz et les hameaux environnants étaient abandonnés, leurs habitants étant partis pour Diyarbakır, Genç et ailleurs, et les maisons en ruines. 14. Le village de Sağgöz a été totalement déserté par ses habitants vers octobre 1993, à la suite des pressions exercées par le PKK dans la région. Certains habitants des hameaux environnants sont restés après octobre 1993, mais ils étaient tous partis, en raison de la présence du PKK, à l’été 1994. Peu après les premiers départs, le PKK a occupé les maisons vides, puis des affrontements eurent lieu avec les forces de sécurité, d’abord en octobre ou novembre 1993, puis en avril/mai 1994. Il est probable que des maisons du village aient été incendiées ou détruites au cours de ces affrontements, peut-être au cours d’un bombardement effectué par hélicoptères. Toutefois, il n’est pas établi que le PKK ou les forces de sécurité aient mis volontairement ou involontairement le feu aux maisons. Les faits sont controversés. B. La version des faits donnée par les requérantes D’après les requérantes, leurs maisons furent incendiées au cours d’une opération des forces de sécurité en juin 1993. Leur version de cet incident peut se résumer ainsi. Les requérantes étaient toutes domiciliées dans des hameaux du village de Sağgöz. Mmes Azize Menteş, Mahile Turhallı et Sulhiye Turhallı résidaient dans la partie basse et Mme Sariye Uvat à Piroz, hameau à l’écart du village. Le 23 juin 1993, le PKK attaqua la gendarmerie d’Üçdamlar. Le même jour, dans la soirée, les forces de sécurité arrêtèrent un minibus appartenant à M. Naif Akgül, qui transportait régulièrement des passagers entre Diyarbakır et la région de Lice, alors qu’il approchait de la gendarmerie, et l’incendièrent. Elles ratissèrent ensuite la région, en vue de débusquer les membres du PKK qui avaient participé à l’attaque. Le 24 juin 1993, elles entrèrent dans le village de Pecar (Güldiken) et incendièrent plusieurs maisons. Le soir du 24 juin 1993, les forces de sécurité arrivèrent en hélicoptères aux abords du village de Sağgöz. Le matin du 25 juin 1993, les gendarmes entrèrent dans le village et rassemblèrent les habitants de la partie haute du village devant l’école. Dans le bas du village, les gendarmes procédèrent à une fouille, puis mirent le feu à plusieurs maisons. Les villageois supplièrent les gendarmes de ne pas incendier leurs habitations, mais ceux-ci leur rétorquèrent de se tenir tranquilles, faute de quoi ils les jetteraient eux aussi dans les flammes. Lorsque les villageois leur demandèrent pourquoi ils incendiaient les maisons, les gendarmes répondirent qu’il s’agissait d’une sanction parce qu’ils aidaient le PKK. La maison dans laquelle vivait Mme Azize Menteş fut réduite en cendres, de même que son mobilier, son bois de chauffage, sa grange et un appentis contenant le fourrage d’hiver pour les animaux. La maison de Mme Mahile Turhallı fut également brûlée et les gendarmes menacèrent de jeter l’intéressée elle-même dans la maison en flammes si elle essayait d’en retirer quelques vêtements d’enfants. Mme Sulhiye Turhallı vit elle aussi sa maison incendiée après que ses enfants et elle-même en eurent été chassés ; elle reçut en outre des coups de pied, des injures, et se vit pointer un revolver sur le visage. En tout, dix des treize habitations de la partie basse du village furent détruites. Les soldats déclarèrent aux requérantes qu’ils incendiaient leurs maisons parce qu’elles aidaient les terroristes. L’intention des gendarmes semble avoir été d’incendier tout le village de Sağgöz en représailles de l’attaque de la gendarmerie par le PKK. Toutefois, l’arrivée à midi d’un officier supérieur, un colonel, qui donna l’ordre d’arrêter l’incendie, sauva la partie haute du village. La maison de la requérante Sariye Uvat, située dans le hameau de Piroz, fut aussi incendiée par les forces de sécurité, mais lors d’un autre incident. Les requérantes furent contraintes de quitter Sağgöz. Par la suite, durant l’automne 1993, la population qui restait partit et, en mars 1994, ce qui subsistait du village fut détruit par le feu. A cette époque de l’année 1994, tout le secteur fut apparemment incendié, dévasté et déserté. L’incendie des maisons des requérantes s’inscrit dans une pratique des forces de sécurité relevant d’une stratégie de lutte contre le PKK, notamment lorsque les autorités ont le sentiment que les villages apportent leur soutien à cette organisation. C. La version des faits donnée par le Gouvernement Depuis 1983, le PKK cherche à utiliser le village des requérantes comme lieu de refuge et base d’approvisionnement. Soumis aux incursions des terroristes, les villageois furent contraints de quitter le village. Les terroristes cherchaient refuge de temps à autre dans les habitations et, lorsque les forces de sécurité passèrent à l’action contre eux, ils s’enfuirent en incendiant les maisons. Aucune opération des forces de sécurité n’eut lieu dans le secteur le 25 juin 1993. En réalité, les requérantes étaient alors absentes du village depuis six ou sept ans. Elles sont de proches parentes de six individus, nommément désignés, soupçonnés d’appartenir à la branche du PKK agissant dans les montagnes. Les intéressées ont aussi des parents qui ont été emprisonnés sous l’inculpation, entre autres, de complicité avec l’organisation terroriste PKK. D’autres parents des requérantes travaillent actuellement pour le PKK dans les zones rurales. Selon toute probabilité, les intéressées ont fait l’objet de pressions de la part de leurs parents complices du PKK et travaillant pour lui. D. L’établissement des faits par la Commission La Commission a procédé à une enquête, avec l’aide des parties, et a admis des éléments de preuve, dont les déclarations écrites et orales de onze témoins, recueillies par trois délégués de la Commission à Ankara du 10 au 12 juillet 1995. Il s’agissait de deux procureurs locaux et de quatre villageois qu’ils avaient interrogés au sujet des allégations des requérantes (paragraphes 27–30 ci-dessous), d’un autre villageois, des trois premières requérantes et du commandant de la gendarmerie de la province de Bingöl qui avait pris ses fonctions après les événements allégués. Quant aux dépositions orales, la Commission est consciente des difficultés inhérentes à l’évaluation d’éléments obtenus oralement par l’intermédiaire d’interprètes (dans certains cas, du kurde à l’anglais via le turc). Elle a donc prêté une attention toute particulière à la signification à donner aux déclarations faites par les témoins qui ont comparu devant ses délégués. S’agissant des éléments présentés par écrit et oralement, la Commission est consciente du fait qu’une certaine imprécision quant aux dates et à d’autres détails (notamment en ce qui concerne les données numériques) est inévitable, compte tenu du milieu culturel des requérantes et des témoins, et estime que cela n’affecte pas en soi la crédibilité des témoignages. Elle a apprécié les preuves et ses constats peuvent se résumer ainsi. Enquêtes au niveau interne Deux enquêtes sur les événements survenus à Sağgöz furent menées par les deux procureurs de Genç, la première par M. Ata Köycü et la seconde par M. Kadir Karaca ; elles se conclurent toutes deux, les 25 avril et 30 mai 1994 respectivement, par la décision de classer l’affaire. La première enquête avait été menée en réponse à un courrier du ministère de la Justice, qui semble avoir été motivé par les informations communiquées par la Commission au gouvernement turc, en même temps que les griefs des requérantes, le 15 avril 1994 (date de la lettre). Lors de la reconstitution de l’enquête, le procureur, également handicapé par le fait qu’il n’avait pas une copie de son dossier à laquelle il eût pu se référer, n’a pas été d’une grande aide pour les délégués de la Commission. Le procureur a dû prendre la décision classant l’affaire et concluant qu’aucun incident ne s’était produit le 25 juin 1993, moins de deux semaines après avoir reçu la première notification des griefs. Les noms des requérantes lui étaient probablement inconnus à ce stade. Pour décider de classer l’affaire, il s’est fondé uniquement sur les brèves dépositions de quatre villageois, habitants de hameaux différents à l’écart de Sağgöz, et qui semblent avoir eu pour principal objectif de réfuter des allégations précises : le bombardement par hélicoptères en juin 1993 (que les requérantes ne mentionnent pas, en fait, dans leur requête initiale) et l’incident au cours duquel des hommes âgés auraient été ligotés et frappés. Ces témoins ont tous mentionné les affrontements entre les terroristes et les forces de sécurité qui ont entraîné le départ des habitants du village. Seul l’un d’entre eux attribuait l’incendie des maisons au PKK. Selon M. Karaca, les témoins avaient été désignés au hasard, mais Ekrem Yarar, le muhtar de Sağgöz, a déclaré qu’il avait été invité à faire une déposition et à venir avec d’autres témoins « fiables » du village. La seconde enquête a elle aussi été menée en réponse à une autre lettre du ministère de la Justice. M. Karaca s’est fondé sur les investigations de son collègue. Il s’est référé aux quatre dépositions antérieures et a convoqué les quatre villageois concernés. Sa décision de classer l’affaire a conclu que le PKK avait incendié les maisons du village, qu’aucun incident ne s’était produit en juin 1993, contrairement aux allégations, et que les requérantes étaient les proches parentes de membres du PKK. Aucune autre mesure n’a été prise pour établir les faits, que ce soit en s’enquérant auprès des gendarmes du point de savoir si une opération avait eu lieu ou en tentant d’interroger les villageois de la partie haute ou de la partie basse de Sağgöz même. Par ailleurs, il apparaît que les noms des requérantes étaient connus au moment de la seconde enquête, mais qu’on ne s’est aucunement employé à rechercher leur adresse ou à se mettre en relation avec elles en vue de les inviter à déposer sur les circonstances concrètes de l’affaire. L’adresse des intéressées était en réalité connue des autorités à Ankara, qui étaient en rapport avec la police de Diyarbakır. Quant aux événements qui seraient survenus le 25 juin 1993 La Commission relève qu’il n’y a pas eu au niveau interne d’enquête détaillée sur les événements survenus au village de Sağgöz et ses hameaux avoisinants de juin 1993 à l’été 1994. Elle a donc fondé ses conclusions sur les dépositions orales recueillies par les délégués ou les déclarations présentées par écrit au cours de la procédure. Elle note en outre qu’en dépit des demandes réitérées de son secrétariat et de ses délégués, le Gouvernement ne lui a pas communiqué les pièces, en particulier le dossier de l’enquête des deux procureurs qui ont mené des investigations sur l’incident qui serait survenu au village de Sağgöz. Lorsqu’elle a recueilli les dépositions en juillet 1995, le Gouvernement n’a pas donné l’identité du commandant de gendarmerie du secteur en fonction le 25 juin 1993, auquel il n’a pas signifié la citation à comparaître devant la Commission ; M. Tuna, le successeur dudit commandant, a comparu à sa place. Le Gouvernement ne s’en est pas expliqué. A cet égard, la Commission a pris en considération le principe selon lequel le comportement des parties lors de la recherche des preuves peut entrer en ligne de compte (arrêt Irlande c. Royaume-Uni du 18 janvier 1978, série A n° 25, p. 65, § 161 in fine). La Commission n’est pas convaincue que les griefs des requérantes aient été montés de toutes pièces sous la pression de leurs parents membres du PKK, comme le laisse entendre le Gouvernement. Elle constate avec regret que dans leur réponse aux allégations présentées en l’espèce, les autorités internes et le Gouvernement semblent plus s’attacher à souligner les liens de certains parents des requérantes avec le PKK qu’à examiner au fond les doléances des intéressées. Pour établir les faits, la Commission a tenu compte des incohérences et contradictions des dépositions. En ce qui concerne les dépositions des quatre villageois devant les procureurs, la Commission observe que la teneur en est dogmatique ; elles nient purement et simplement que les soldats turcs aient fait preuve de cruauté ou aient provoqué des incendies. Elles viennent aussi quelque peu étayer les dires des requérantes d’après lesquelles il régnait entre elles et les autres villageois une certaine animosité qui a pu inciter ceux-ci à faire des déclarations contredisant le récit des intéressées. La Commission note d’ailleurs que le procureur avait donné ordre au muhtar d’amener quelques « témoins fiables ». Compte tenu de la manière dont le procureur avait sélectionné les témoins, la Commission n’a pas jugé sûr de s’appuyer sur leurs déclarations écrites lorsqu’elles n’étaient pas étayées par d’autres dépositions. La Commission relève en outre que les déclarations des trois premières requérantes, Mmes Azize Menteş, Mahile Turhallı et Sulhiye Turhallı, telles que consignées par l’Association des droits de l’homme à Diyarbakır, renferment des différences sensibles par rapport à leurs dépositions orales devant les délégués. Toutefois, la Commission estime que les dépositions orales des trois intéressées, corroborées sur certains points concrets par une habitante du village – Mme Aysel Gündoğan – étaient dans l’ensemble cohérentes et crédibles. Le fait que ces trois requérantes se soient rendues à l’Association des droits de l’homme pour se plaindre en juillet 1993 est un élément de poids militant en faveur de la crédibilité de leur grief clé. La Commission estime en revanche ne pas pouvoir s’appuyer sur les déclarations écrites car elle nourrit de sérieux doutes quant à la manière dont l’association les a recueillies et quant au degré de vigilance qu’elle a manifesté pour consigner avec précision chaque plainte sans se laisser influencer par des informations provenant d’autres sources. 34. La Commission est convaincue que, durant l’été 1993, Mmes Sulhiye et Mahile Turhallı vivaient toujours dans leurs maisons, dans la partie basse du village de Sağgöz, et qu’elles étaient présentes le 25 juin 1993. Cependant, ces deux requérantes séjournaient à Diyarbakır pendant l’hiver et revenaient au village en été pour s’occuper de leurs jardins et de leurs récoltes, ce qui était, semble-t-il, une habitude assez répandue dans la région. Quant à Mme Azize Menteş, la Commission estime que s’il est probable qu’elle ne possédait pas de maison elle-même, elle vivait chez son beau-père lorsqu’elle revenait au village pendant les mois d’été et que, tout bien pesé, l’intéressée était également présente dans la partie basse de Sağgöz le 25 juin 1993. En ce qui concerne les événements de Sağgöz, la Commission accepte pour l’essentiel les témoignages de Mmes Azize Menteş, Mahile Turhallı et Sulhiye Turhallı. Estimant leurs dépositions orales plus cohérentes, plus crédibles et plus convaincantes que les déclarations des quatre villageois, elle conclut ceci. Le 24 juin 1993 au soir, d’importantes forces de gendarmerie sont arrivées à proximité du village de Sağgöz. Le 25 juin 1993, les gendarmes sont entrés dans les quartiers du haut et du bas du village et ont procédé à des perquisitions. A un moment, les habitants de la partie haute du village (à l’exception des jeunes hommes qui étaient partis travailler) ont été rassemblés devant l’école, probablement pour être interrogés sur l’activité du PKK dans la région. Dans le bas du village, les soldats ont enjoint aux femmes, dont les requérantes, de sortir des maisons et ont mis le feu à celles-ci avec tous les effets et biens des occupants, y compris les vêtements et les chaussures des enfants. Seule la partie basse du village a été incendiée. Vers midi, un hélicoptère est arrivé dans le haut du village, probablement avec à son bord un officier supérieur, un colonel, et l’arrivée de ce dernier a été associée par les requérantes et d’autres villageois à l’ordre d’arrêter de mettre le feu. Les gendarmes sont partis le jour même. Peu après, ces trois requérantes, avec leurs enfants ou d’autres membres de leur famille, ont dû marcher pendant une dizaine d’heures pour rejoindre la route qui relie Lice à Diyarbakır, où elles ont fait de l’auto-stop jusqu’à Diyarbakır. Quant à l’opération prétendument menée par les forces de sécurité et au cours de laquelle la maison de la quatrième requérante, Mme Sariye Uvat, aurait été incendiée avec d’autres dans le hameau de Piroz, aucun fait n’a été établi en ce qui concerne les griefs de cette requérante. Souffrante, celle-ci n’a pas comparu aux auditions devant les délégués de la Commission, contrairement aux trois autres requérantes. II. Le droit et la pratique internes pertinents A. Responsabilité administrative L’article 125 de la Constitution turque énonce : « Tout acte ou décision de l’administration est susceptible d’un contrôle juridictionnel (...) L’administration est tenue de réparer tout dommage résultant de ses actes et mesures. » La disposition précitée ne souffre aucune restriction, même en cas d’état d’urgence ou de guerre. Le second alinéa ne requiert pas forcément d’apporter la preuve de l’existence d’une faute de l’administration, dont la responsabilité revêt un caractère absolu et objectif fondé sur une notion de responsabilité collective et appelée théorie du « risque social ». L’administration peut donc indemniser quiconque est victime d’un préjudice résultant d’actes commis par des personnes non identifiées ou des terroristes, lorsque l’on peut dire que l’Etat a manqué à son devoir de maintien de l’ordre et de la sûreté publique, ou à son obligation de sauvegarder la vie et la propriété individuelles. Ce principe de la responsabilité administrative s’exprime à l’article 1 additionnel de la loi n° 2935 du 25 octobre 1983 sur l’état d’urgence, ainsi libellé : « (...) les actions en réparation touchant l’exercice des pouvoirs conférés par la présente loi doivent être engagées contre l’administration devant les juridictions administratives. » B. Responsabilité pénale Le code pénal turc érige en infraction le fait : – de priver arbitrairement un individu de sa liberté (article 179 en général et article 181 pour les fonctionnaires) ; – de contraindre un individu par la force ou la menace à commettre ou ne pas commettre un acte (article 188) ; – de proférer des menaces (article 191) ; – de procéder illégalement à une perquisition domiciliaire (articles 193 et 194) ; – de provoquer un incendie (articles 369, 370, 371, 372) ou un incendie aggravé par la mise en péril de vies humaines (article 382) ; – de provoquer un incendie involontaire par imprudence, négligence ou inexpérience (article 383) ; ou – d’endommager volontairement les biens d’autrui (articles 526 et suivants). Conformément aux articles 151 et 153 du code de procédure pénale, il est possible, pour ces différentes infractions, de porter plainte auprès du procureur de la République ou des autorités administratives locales. Le procureur et la police sont tenus d’instruire les plaintes dont ils sont saisis, le premier décidant s’il y a lieu d’engager des poursuites, conformément à l’article 148 dudit code. Un plaignant peut également faire appel de la décision du procureur de ne pas engager de poursuites. Conformément aux articles 86 et 87 du code militaire, lorsque les auteurs présumés des actes incriminés sont des militaires, ils peuvent être poursuivis pour préjudice important, et atteinte à la vie humaine ou à des biens matériels, s’ils n’ont pas obéi aux ordres. Dans ces circonstances, les victimes (civiles) peuvent engager des poursuites devant les autorités compétentes, conformément au code de procédure pénale, ou devant le supérieur hiérarchique des personnes soupçonnées (articles 93 et 95 de la loi n° 353 sur la composition et la procédure des juridictions militaires). Si l’auteur présumé d’une infraction est un agent de l’Etat, l’autorisation d’engager des poursuites doit être délivrée par le conseil administratif local (comité exécutif de l’assemblée provinciale). Les décisions des conseils administratifs locaux sont susceptibles de recours devant le Conseil d’Etat ; le classement sans suite est automatiquement susceptible d’un recours de ce type. C. Dispositions relatives à l’indemnisation Tout acte illégal commis par un fonctionnaire, qu’il s’agisse d’une infraction pénale ou d’un délit civil, provoquant un dommage matériel ou moral peut faire l’objet d’une action en réparation devant les juridictions civiles de droit commun. Des poursuites peuvent être engagées contre l’administration devant les juridictions administratives, dont la procédure est écrite. Les dommages résultant d’actes terroristes peuvent être indemnisés par le Fonds d’aide et de solidarité sociale. D. Dispositions relatives à l’état d’urgence Les articles 13 à 15 de la Constitution prévoient des restrictions fondamentales aux garanties constitutionnelles. 47. L’article 15 provisoire de la Constitution énonce que l’inconstitutionnalité ne peut être alléguée s’agissant des mesures prises en vertu de lois ou de décrets ayant force de loi promulgués entre le 12 septembre 1980 et le 25 octobre 1983. Cela inclut notamment la loi n° 2935 du 25 octobre 1983 sur l’état d’urgence, en vertu de laquelle ont été publiés des décrets qui ne peuvent être contestés en justice. Ces décrets, notamment le décret n° 285, tel que modifié par les décrets nos 424, 425, et le décret n° 430, confèrent de larges pouvoirs au gouverneur de la région soumise à l’état d’urgence. Le décret n° 285 modifie l’application de la loi n° 3713 de 1981 relative à la lutte contre le terrorisme dans les régions soumises à l’état d’urgence. La décision de poursuivre des membres des forces de sécurité ne relève ainsi plus du procureur de la République mais de conseils administratifs locaux. Selon la Commission, ces conseils, composés de fonctionnaires, sont critiqués pour leur manque de connaissances juridiques et pour la facilité avec laquelle ils se laissent influencer soit par le gouverneur de la région soumise à l’état d’urgence soit par les gouverneurs des provinces, qui commandent également les forces de sécurité. L’article 8 du décret n° 430 du 16 décembre 1990 dispose : « La responsabilité pénale, financière ou juridique du gouverneur de la région soumise à l’état d’urgence ou du gouverneur d’une province soumise à l’état d’urgence ne saurait être engagée pour des décisions ou des actes pris dans l’exercice des pouvoirs que leur confère le présent décret, et aucune action ne saurait être intentée en ce sens devant quelque autorité judiciaire que ce soit, sans préjudice du droit pour la victime de demander réparation à l’Etat des dommages injustifiés subis par elle. » Selon les requérantes, cet article accorde l’impunité aux gouverneurs et renforce les pouvoirs du gouverneur de région, qui peut ordonner l’évacuation temporaire ou définitive de villages, imposer des restrictions quant à la résidence et organiser des transferts de population vers d’autres régions. Les dommages infligés dans le cadre de la lutte contre le terrorisme seraient « justifiés », ce qui mettrait leurs auteurs à l’abri de poursuites. PROCÉDURE DEVANT LA COMMISSION Dans leur requête (n° 23186/94) introduite devant la Commission le 20 décembre 1993, les requérantes se plaignaient de ce que, le 25 juin 1993, les forces de sécurité de l’Etat aient incendié leurs maisons et les aient elles-mêmes chassées de force et précipitamment de leur village, au mépris des articles 3, 5, 6, 8, 13, 14 et 18 de la Convention. La quatrième requérante, Mme Sariye Uvat, invoquait l’article 2 à propos de la mort de ses jumeaux nés prématurément après son expulsion de son domicile. La Commission a retenu la requête le 9 janvier 1995. Dans son rapport du 7 mars 1996 (article 31), elle formule, en ce qui concerne les trois premières requérantes, l’avis : a) qu’il y a eu violation de l’article 8 (vingt-sept voix contre une) ; b) qu’il y a eu violation de l’article 3 (vingt-six voix contre deux) ; c) qu’il n’y a pas eu violation de l’article 5 (unanimité) ; d) qu’il y a eu violation de l’article 6 (vingt-six voix contre deux) ; e) qu’il y a eu violation de l’article 13 (vingt-six voix contre deux) ; f) qu’il n’y a pas eu violation de l’article 14 (unanimité) ; g) qu’il n’y a pas eu violation de l’article 18 (unanimité). Quant à la quatrième requérante, la Commission conclut à la non-violation des articles 2, 3, 5, 6, 8, 13, 14 et 18 de la Convention (unanimité). Le texte intégral de son avis et des trois opinions séparées dont il s’accompagne figure en annexe au présent arrêt. CONCLUSIONS PRÉSENTÉES À LA COUR A l’audience du 22 janvier 1997, comme il l’avait fait dans son mémoire, le Gouvernement a invité la Cour à dire que les requérantes n’ont pas épuisé les voies de recours internes ou, à titre subsidiaire, qu’il n’y a pas eu violation de la Convention en l’espèce, les intéressées n’ayant pas étayé leurs allégations. A la même occasion, les trois premières requérantes ont réitéré la demande figurant dans leur mémoire et par laquelle elles invitaient la Cour à constater des violations des articles 3, 6, 8, 13, 14 et 18 de la Convention et à leur accorder une satisfaction équitable au titre de l’article 50 de celle-ci. La quatrième requérante a admis le constat de la Commission qu’aucun fait n’avait été établi en ce qui concerne ses griefs.
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I. Les circonstances de l'espèce Les requérants ou leurs conjoints, nés entre 1902 et 1938, ont travaillé comme salariés du secteur privé à Istanbul, à Alexandrie ou au Caire, entre 1927 au plus tôt et 1965 au plus tard. Contraints de quitter la Turquie ou l'Egypte, ils se sont installés de manière définitive à Athènes entre 1960 et 1980. A. La procédure devant les organismes de sécurité sociale et les juridictions administratives A diverses dates entre le 10 avril 1973 et le 13 septembre 1985, les requérants déposèrent ou renouvelèrent auprès des différents organismes de sécurité sociale d'Athènes ou du Pirée (Idryma Koinonikon Asfalisseon, "l'IKA") pour la plupart, des demandes tendant à ce qu'ils soient reconnus titulaires d'un droit à une pension de vieillesse, d'invalidité ou de veuvage, et que les annuités d'assurance versées par eux et leurs employeurs en Turquie ou en Egypte soient reconnues en Grèce après rachat (article 5 du décret législatif n° 4377/1964 - paragraphe 19 ci-dessous). Ces demandes furent rejetées par les organismes de sécurité sociale compétents au motif qu'elles étaient tardives: en particulier, elles avaient été déposées après l'expiration du délai impératif d'un an à compter de la date de leur installation définitive en Grèce, tel qu'il était prévu par les décrets législatifs nos 4377/1964 et 4378/1964. Les intéressés saisirent alors, par la voie hiérarchique, entre le 7 juillet 1978 et le 16 mars 1986, l'autorité administrative de recours en la matière, à savoir soit le comité local administratif (Topiki Dioikitiki Epitropi) du bureau compétent de l'IKA, soit le conseil d'administration de l'organisme de sécurité sociale compétent. Ces recours hiérarchiques furent repoussés entre le 25 juillet 1979 et le 19 février 1987. Entre le 13 mai 1981 et le 24 avril 1987, les requérants engagèrent devant le tribunal administratif (Trimeles Dioikitiko Protodikeio) d'Athènes ou celui du Pirée des recours en annulation du rejet de leurs demandes, mais ceux-ci les déboutèrent entre le 21 janvier 1983 et le 22 novembre 1988. Entre le 10 juin 1983 et le 6 avril 1989, les intéressés recoururent contre ces jugements devant le Conseil d'Etat. B. La procédure devant la Cour suprême spéciale La requête du 12 décembre 1988 Le 12 décembre 1988, à la suite de deux arrêts divergents rendus en 1988 par le Conseil d'Etat (arrêt n° 339/1988 - paragraphe 20 ci-dessous) et la Cour de cassation (arrêt n° 1731/1988 - paragraphe 21 ci-dessous) sur l'interprétation à donner à l'article 31 de la loi n° 1027/1980 - prévoyant que le droit à pension est imprescriptible -, le conseil des requérants saisit la Cour suprême spéciale (Anotato Eidiko Dikastirio) afin que celle-ci tranche le conflit entre les deux juridictions. L'introduction de ce recours eut pour effet la suspension d'office de toutes les procédures pendantes devant le Conseil d'Etat et ayant le même objet (article 50 par. 2 de la loi n° 345/1976 - paragraphe 22 ci-dessous), dont les quatre-vingt-treize recours introduits par les intéressés. Le 30 juin 1989, la Cour suprême spéciale se prononça en faveur de la position du Conseil d'Etat, considérant que le délai d'un an, prévu par le décret législatif n° 4377/1964, était opposable aux requérants (arrêt n° 11/1989). Elle releva notamment: "Il ressort clairement du libellé de l'article 31 de la loi n° 1027/1980, où il est précisé que le droit à une pension et à une prime de départ à la retraite est imprescriptible, ainsi que de la volonté du législateur, telle qu'elle s'exprime dans le rapport introductif de ladite loi, que l'imprescriptibilité vise uniquement les créances de l'assuré relatives à sa pension de retraite, déjà exigible conformément à la loi, et ne supprime pas les délais impératifs fixés par différentes lois spéciales soit pour l'adhésion, rétroactive ou non, au régime de sécurité sociale soit pour la reconnaissance du temps d'activité professionnelle nécessaire pour acquérir le droit à pension, comme le Conseil d'Etat l'a jugé dans son arrêt n° 339/1988. Par conséquent, il convient de trancher le conflit susmentionné en se rangeant à l'opinion émise par le Conseil d'Etat dans son arrêt." Les requêtes relatives à l'arrêt du 30 juin 1989 En 1990, le conseil des requérants introduisit devant la Cour suprême spéciale, au nom de trois d'entre eux, trois requêtes en interprétation et rectification de l'arrêt du 30 juin 1989. Dans la première requête, du 26 avril 1990, il soutenait, d'une part, que la décision de la Cour suprême spéciale tranchait le conflit non pas quant au sens du paragraphe 1 de l'article 31 de la loi n° 1027/1980 mais quant à l'intégralité dudit article, alors que chaque paragraphe de celui-ci visait une question juridique particulière, et, d'autre part, qu'elle contenait des erreurs. La Cour suprême spéciale tint audience le 23 janvier 1991, délibéra le 8 juin 1991 et rendit son arrêt (n° 46/1991) le 1er juillet 1991. Elle rejeta la requête au motif que son arrêt n° 11/1989 portait sur le champ d'application de l'article 31 par. 1 et avait acquis l'autorité de la chose jugée. Le 7 juin 1990, le conseil des intéressés déposa une deuxième requête dans laquelle il prétendait que la motivation de l'arrêt n° 11/1989 engendrait des doutes quant à sa signification et que le dispositif de celui-ci contenait des erreurs matérielles et devait être formulé de manière plus précise; subsidiairement, il alléguait que les arrêts du Conseil d'Etat et de la Cour de cassation n'avaient pas interprété les mêmes dispositions de la loi n° 1027/1980. Le 1er juillet 1991, la Cour suprême spéciale déclara la requête irrecevable au motif que le requérant n'avait pas produit avant l'audience - à laquelle du reste ni lui ni son conseil n'avaient assisté - un mandat habilitant ce dernier à le représenter devant elle (arrêt n° 47/1991). La troisième requête, du 21 septembre 1990, se fondait sur les mêmes arguments que les précédentes. La Cour suprême spéciale repoussa la requête le 9 juin 1991 (arrêt n° 43/1991). Elle estima que, par ses allégations, l'intéressé reprochait en réalité à l'arrêt n° 11/1989 de contenir des vices de fond afin d'obtenir la modification substantielle de celui-ci. Elle releva que les erreurs mentionnées par le requérant, et qui prétendument altéraient le sens des motifs, étaient des erreurs matérielles survenues au moment de la "mise au propre" de l'arrêt. Entre le 3 février 1992 et le 29 juin 1993, le Conseil d'Etat rejeta les recours en annulation que les intéressés avaient introduits entre le 10 juin 1983 et le 6 avril 1989 (paragraphe 10 ci-dessus). II. Le droit interne pertinent A. Le code de procédure civile Aux termes de l'article 316 du code de procédure civile, qui s'applique aussi à la procédure devant la Cour suprême spéciale: "Si l'arrêt est formulé de telle manière qu'il crée des doutes ou s'il est imprécis, le tribunal qui l'a rendu peut, à la demande d'une des parties, l'interpréter par un nouvel arrêt de sorte que le sens devienne indubitable; toutefois, l'interprétation ne peut jamais entraîner la modification du dispositif de l'arrêt interprété." L'article 575, qui s'applique par analogie à la procédure devant le Conseil d'Etat, dispose: "Ajournement de débats La Cour de cassation peut, à la demande du procureur, du juge rapporteur, d'une des parties ou même d'office reporter une seule fois les débats à une audience ultérieure qui est fixée immédiatement et inscrite sur le rôle de la Cour. (...) Un nouvel ajournement peut être ordonné seulement à la demande du juge rapporteur." B. Les décrets législatifs nos 4377/1964 et 4378/1964 L'article 5 par. 1 du décret législatif n° 4377/1964 dispose: "Les personnes visées au paragraphe 1 de l'article premier du présent décret ont le droit d'être assurées auprès des organismes de la sécurité sociale pour ce qui touche la sécurité sociale principale et subsidiaire existant en Grèce, conformément aux dispositions en vigueur desdits organismes, à raison de leurs activités professionnelles dans la province méridionale de la République Arabe Unie [Egypte], sur la base d'une demande qui doit être introduite impérativement auprès de l'organisme compétent dans le délai d'un an à compter de la publication du présent décret ou à compter de la date de leur arrivée en Grèce, si cette date est postérieure à la publication du présent décret. Les personnes assurées en vertu du paragraphe 1 du présent article sont habilitées, quelles que soient les dispositions existantes, à reconnaître ou à racheter, en tout ou en partie, le temps effectif des prestations qu'elles ont effectuées dans la même activité professionnelle dans la province méridionale de la République Arabe Unie, même si pareille reconnaissance ou pareil rachat ne sont pas prévus par les dispositions en vigueur. La demande de reconnaissance ou de rachat doit être présentée dans le délai prescrit au paragraphe 1 du présent article, le rachat se faisant sur la base du paiement par l'intéressé des cotisations pertinentes de l'assuré et de l'employeur, lorsque ce dernier est également tenu de cotiser, telles qu'elles sont fixées au moment où la demande est introduite." Le délai prescrit par cette disposition a été prorogé d'un an par l'article 2 par. 3 du décret législatif n° 4377/1964, puis de deux années encore par l'article 2 par. 6, c'est-à-dire jusqu'au 30 juin 1967. En vertu du décret législatif n° 4378/1964, les dispositions du décret législatif n° 4377/1964 ont été étendues aux ressortissants grecs et aux personnes d'origine grecque qui avaient déjà été expulsés de Turquie ou étaient sur le point de l'être, ainsi qu'à ceux d'entre eux qui étaient contraints de quitter la Turquie parce qu'ils ne pouvaient obtenir de permis de travail ou que leur permis de séjour n'était pas renouvelé. C. L'arrêt du Conseil d'Etat, du 16 février 1988 Par un arrêt (n° 339/1988) du 16 février 1988, le Conseil d'Etat décida que l'article 31 par. 1 de la loi n° 1027/1980 n'avait pas pour effet de supprimer le délai d'un an prévu par le décret législatif n° 4377/1964. Il s'exprima en ces termes: "L'article 31 par. 1 de la loi n° 1027/1980 disposant que le droit à pension est imprescriptible est sans effet sur le délai impératif susmentionné, car ledit article concerne les cas dans lesquels les conditions d'acquisition dudit droit étaient déjà remplies; ainsi donc, cette disposition ne concerne pas les cas où se pose la question de l'existence ou non d'un droit à la sécurité sociale ou celle de la reconnaissance des années d'activité professionnelle aux fins de l'acquisition dudit droit. On ne peut non plus considérer qu'il existe un droit acquis fondé sur le fait que le nombre de jours d'activité professionnelle des ressortissants grecs résulte directement d'un certificat consulaire, car pareil certificat doit être pris en considération par l'IKA, en vertu de la loi, comme preuve de la reconnaissance de la période d'activité professionnelle concernée, mais la reconnaissance elle-même prend effet à la date de la décision pertinente de l'IKA (...)" D. L'arrêt de la Cour de cassation, du 29 novembre 1988 En revanche, dans une affaire qui ne concernait pas les requérants, mais qui posait le problème de la compatibilité de l'article 31 de la loi n° 1027/1980 avec deux autres décrets législatifs fixant - pour ceux qui avaient cotisé à la caisse d'assurances des mineurs - le même type de délai que les décrets nos 4377/1964 et 4378/1964, la Cour de cassation statua (arrêt n° 1731/1988) en sens contraire. E. La loi n° 345/1976 portant approbation du code relatif à l'article 100 de la Constitution établissant la Cour suprême spéciale Les articles pertinents de la loi n° 345/1976 sont ainsi libellés: Article 50 par. 2 "Toute juridiction devant laquelle une affaire est pendante, et à laquelle s'appliquent des dispositions d'une loi faisant l'objet d'un différend devant la Cour suprême spéciale (...), est tenue - aussitôt qu'elle prend connaissance d'un tel différend - de surseoir à statuer jusqu'à ce que la Cour suprême spéciale se prononce." Article 51 "1. L'arrêt par lequel la Cour suprême spéciale statue sur une question touchant à la constitutionnalité d'une loi ou sur le sens à donner à celle-ci prend effet à l'égard de tous à partir du moment où il est rendu en audience publique (...) Les décisions de justice et les actes administratifs intervenus après la publication de l'arrêt précité de la Cour suprême spéciale et qui se heurtent aux conclusions de celui-ci peuvent faire l'objet des recours judiciaires prévus. En particulier, si un tel arrêt a été rendu par la Cour de cassation, le Conseil d'Etat ou la Cour des comptes, toutes les parties intéressées peuvent introduire une demande en révision de la procédure dans les quatre-vingt-dix jours à compter de la date du jugement, conformément à la procédure en vigueur devant chacune de ces juridictions. Les dispositions du paragraphe précédent s'appliquent également aux décisions de justice rendues avant l'arrêt de la Cour suprême spéciale, qui violent les dispositions des articles 48 par. 2 et 50 par. 3. Dans ce cas, les demandes en révision sont introduites dans les quatre-vingt-dix jours à compter de la date de l'arrêt de la Cour suprême spéciale." PROCÉDURE DEVANT LA COMMISSION Les requérants ont saisi la Commission à des dates diverses entre le 28 juillet 1992 et le 30 septembre 1993. Ils alléguaient des violations des articles 6 par. 1 de la Convention (art. 6-1) et 1 du Protocole n° 1 (P1-1), et certains, en plus, la violation de l'article 14 de la Convention combiné avec l'article 1 du Protocole n° 1 (art. 14+P1-1). Entre le 30 juin 1993 et le 17 mai 1994, puis entre le 29 juin et le 12 octobre 1994, la Commission a retenu les quatre-vingt-treize requêtes (comprises entre les nos 20416/92 et 22857/93) quant au grief tiré de la violation du délai raisonnable de la procédure, et les a déclarées irrecevables pour le surplus. Dans son rapport du 6 septembre 1995 (article 31) (art. 31), elle conclut, par douze voix contre une, qu'il y a eu violation de l'article 6 par. 1 de la Convention (art. 6-1). Le texte intégral de son avis figure en annexe au présent arrêt (1). _______________ Note du greffier Pour des raisons d'ordre pratique il n'y figurera que dans l'édition imprimée (Recueil des arrêts et décisions 1997-II), mais chacun peut se le procurer auprès du greffe. _______________ CONCLUSIONS PRÉSENTÉES À LA COUR PAR LE GOUVERNEMENT Dans son mémoire, le Gouvernement conclut "(...) eu égard à la nature du différend dont les tribunaux ont été saisis, aux caractéristiques spécifiques de l'affaire, aux arrêts rendus et au comportement des requérants, (...) les requêtes de ceux-ci doivent être rejetées, car les griefs litigieux n'ont pas trait à des droits de caractère civil au sens de l'article 6 par. 1 de la Convention (art. 6-1), et la durée des procédures judiciaires engagées devant les tribunaux grecs n'a pas excédé le délai raisonnable (...)"
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I. Les circonstances particulières de la cause Citoyen belge né en 1940, M. Yvo Van Orshoven réside à Neerglabbeek (province du Limbourg) et exerçait la médecine à titre libéral. Au début de 1987, il fit l'objet d'une enquête administrative par l'Institut national d'assurance maladie-invalidité ("INAMI"), à la suite de la plainte d'une société mutualiste qui lui reprochait d'avoir fourni des soins sans ordonnance et porté en compte des soins fictifs ou pour lesquels les conditions légales ne s'étaient pas trouvées remplies. Le 19 août 1987, l'INAMI transmit le dossier au conseil provincial de l'ordre des médecins du Limbourg, en y joignant les plaintes de trois patients de l'intéressé qui lui reprochaient des manquements déontologiques à leur égard. Après avoir entendu le requérant le 2 février 1988, le bureau du conseil provincial décida de retenir l'affaire. Le 24 mars 1988, le conseil provincial tint une audience à laquelle M. Van Orshoven, bien que convoqué, ne comparut pas. Le conseil joignit alors le dossier de l'INAMI et les plaintes des patients et, statuant par défaut, prononça le 28 avril 1988 la radiation du tableau de l'ordre des médecins. Sur opposition de l'intéressé, le conseil provincial lui infligea, le 11 mai 1989, une suspension du droit d'exercer l'art médical de dix-huit jours au titre du dossier administratif et de cent vingt-neuf jours au titre des plaintes. Le requérant attaqua la décision devant le conseil d'appel d'expression néerlandaise de l'ordre des médecins, lequel prononça le 25 juin 1990 sa radiation du tableau de l'ordre. M. Van Orshoven se pourvut alors devant la Cour de cassation. Le 13 septembre 1991, elle tint une audience au cours de laquelle elle entendit successivement le conseiller rapporteur Verougstraete, les avocats de l'intéressé et de l'ordre des médecins, partie adverse, puis, en ses conclusions - dont le contenu n'a pas été porté à la connaissance de la Cour - l'avocat général du Jardin, lequel participa ensuite à la délibération de la Cour de cassation. Le même jour, celle-ci rejeta le pourvoi. II. Le droit interne pertinent A. Le droit disciplinaire L'ordre des médecins et ses conseils se trouvent régis par l'arrêté royal n° 79 du 10 novembre 1967 relatif à l'ordre des médecins et l'arrêté royal du 6 février 1970 réglant l'organisation et le fonctionnement des conseils de l'ordre des médecins. En première instance, l'action disciplinaire est exercée par les conseils provinciaux dudit ordre, auxquels il incombe de "veiller au respect des règles de la déontologie médicale et au maintien de l'honneur, de la discrétion, de la probité et de la dignité des médecins (...). Ils sont chargés à cette fin de réprimer disciplinairement les fautes [des] médecins commises dans l'exercice de la profession ainsi que les fautes graves commises en dehors de l'activité professionnelle, lorsque ces fautes sont de nature à entacher l'honneur ou la dignité de la profession" (article 6, deuxième alinéa, de l'arrêté royal n° 79). Les membres des conseils provinciaux sont élus par les médecins inscrits au tableau de l'ordre et non suspendus. Ils sont assistés par un assesseur ayant voix consultative. Celui-ci est nommé par le Roi parmi les magistrats des tribunaux de première instance, à l'exception des juges d'instruction et des membres des parquets (article 7). Les conseils provinciaux agissent soit d'office, soit à la requête du conseil national, du ministre qui a la santé publique dans ses attributions, des procureurs du Roi ou des commissions médicales provinciales, soit sur plainte d'un médecin ou d'un tiers. Le bureau du conseil provincial met l'affaire à l'instruction et désigne un rapporteur. A l'issue de celle-ci, le bureau ou le rapporteur fait rapport au conseil (article 20 par. 1), lequel décide soit de classer l'affaire sans suite, soit d'ordonner une enquête complémentaire, soit de faire comparaître personnellement le médecin mis en cause au cours d'une audience contradictoire (articles 24 et 26 de l'arrêté royal du 6 février 1970). A titre de sanction, le conseil peut prononcer l'avertissement, la censure, la réprimande, la suspension du droit d'exercer l'art médical pendant un terme qui ne peut excéder deux ans et la radiation du tableau de l'ordre (article 16, premier alinéa, de l'arrêté royal n° 79). Le médecin sanctionné, l'assesseur du conseil provincial et le président du conseil national de l'ordre agissant conjointement avec un de ses vice-présidents peuvent recourir contre pareille sentence devant un conseil d'appel (article 21 de l'arrêté royal n° 79). Celui-ci est composé pour moitié de médecins élus par les conseils provinciaux et pour moitié de conseillers à la cour d'appel nommés par le Roi (article 12). La procédure est contradictoire; le médecin, qui peut se faire assister par son conseil, y est entendu. Le conseil d'appel ne peut appliquer une sanction alors que le conseil provincial n'en a prononcé aucune, ou aggraver la sanction prononcée par ce conseil, qu'à la majorité des deux tiers (article 25 par. 4, deuxième alinéa). Les décisions rendues par les conseils d'appel peuvent être déférées à la Cour de cassation par le médecin sanctionné, le ministre ayant la santé publique dans ses attributions ou le président du conseil national de l'ordre agissant conjointement avec un de ses vice-présidents (article 23, premier alinéa). La procédure en cassation est régie par les règles suivies en matière civile, sauf trois dérogations concernant respectivement le délai et la forme du pourvoi et la notification de l'arrêt de la Cour (article 26). B. Le code judiciaire L'article 138 du code judiciaire prévoit: "Sous réserve des dispositions de l'article 141, le ministère public exerce l'action publique selon les modalités déterminées par la loi. Dans les matières civiles, il intervient par voie d'action, de réquisition ou d'avis. Il agit d'office dans les cas spécifiés par la loi et en outre chaque fois que l'ordre public exige son intervention." Aux termes de l'article 141 du code judiciaire, "Le procureur général près la Cour de cassation n'exerce pas l'action publique, sauf lorsqu'il intente une action dont le jugement est attribué à la Cour de cassation." Parmi les cas - plutôt rares - où la Cour de cassation statue au fond figurent le jugement des ministres (article 90 de la Constitution), la prise à partie (articles 613, 2°, et 1140 à 1147 du code judiciaire) et les poursuites disciplinaires contre certains magistrats (articles 409, 410 et 615 du même code). En dehors de ces hypothèses, le parquet de cassation a pour mission de conseiller la Cour en toute indépendance. S'agissant de la hiérarchie disciplinaire du parquet, il y a lieu de citer les dispositions suivantes du code judiciaire: Article 400 "Le Ministre de la justice exerce sa surveillance sur tous les officiers du ministère public, le procureur général près la Cour de cassation sur les procureurs généraux près les cours d'appel et ces derniers sur les membres du parquet général et de l'auditorat général, sur les procureurs du Roi, les auditeurs du travail et leurs substituts." Article 414 "Le procureur général près la cour d'appel peut appliquer aux magistrats du ministère public qui lui sont subordonnés les peines de l'avertissement, de la censure simple et de la censure avec réprimande. Le procureur général près la Cour de cassation exerce les mêmes pouvoirs à l'égard des avocats généraux près cette Cour et des procureurs généraux près les cours d'appel. Le Ministre de la justice peut de même avertir et censurer tous les officiers du ministère public ou proposer au Roi leur suspension ou leur révocation." Au sujet de la procédure, tant civile que pénale, devant la Cour de cassation, le code judiciaire prévoit: Article 1107 "Après le rapport, les avocats présents à l'audience sont entendus. Leurs plaidoiries ne peuvent porter que sur les questions de droit proposées dans les moyens de cassation ou sur les fins de non-recevoir opposées au pourvoi. Le ministère public donne ensuite ses conclusions, après quoi aucune note ne sera reçue." Article 1109 "Le ministère public a le droit d'assister à la délibération à moins qu'il se soit lui-même pourvu en cassation; il n'a pas voix délibérative." Le parquet général se pourvoit lui-même en cassation dans l'intérêt de la loi (articles 1089 et 1090 du code judiciaire et 442 du code d'instruction criminelle) ou sur la dénonciation du ministre de la Justice (articles 1088 du code judiciaire et 441 du code d'instruction criminelle). Depuis les arrêts Borgers et Vermeulen précités (paragraphe 3 ci-dessus), le demandeur en cassation peut, dans les affaires pénales et civiles, prendre la parole après le représentant du parquet, lequel s'abstient ensuite d'assister au délibéré de la Cour. PROCÉDURE DEVANT LA COMMISSION Dans sa requête du 13 mars 1992 à la Commission (n° 20122/92), M. Van Orshoven se plaignait de diverses violations de son droit à un procès équitable garanti par l'article 6 par. 1 de la Convention (art. 6-1). Par des décisions des 7 avril 1994 et 27 février 1995, la Commission a retenu le grief relatif à l'impossibilité pour le requérant de répondre aux conclusions du ministère public à l'audience devant la Cour de cassation, et rejeté la requête pour le surplus. Dans son rapport du 15 septembre 1995 (article 31) (art. 31), elle conclut, par vingt voix contre sept, à la violation de l'article 6 par. 1 (art. 6-1), après avoir indiqué qu'elle n'examinerait pas le grief tiré de la participation d'un membre du parquet au délibéré de la Cour de cassation, parce qu'il avait été présenté tardivement. Le texte intégral de son avis et des sept opinions séparées dont il s'accompagne figure en annexe au présent arrêt (1). _______________ Note du greffier Pour des raisons d'ordre pratique il n'y figurera que dans l'édition imprimée (Recueil des arrêts et décisions 1997-III), mais chacun peut se le procurer auprès du greffe. _______________ Dans sa demande introductive d'instance du 25 octobre 1995, signée par son président, la Commission a précisé notamment: "La requête a pour objet la présence d'un membre du ministère public près la Cour de cassation au délibéré de cette cour dans une affaire disciplinaire dirigée contre un médecin et la question de savoir si cette situation est conforme aux exigences de l'article 6 par. 1 de la Convention (art. 6-1)." CONCLUSIONS PRÉSENTÉES À LA COUR Dans son mémoire, le Gouvernement conclut: "qu'il plaise à la Cour: A titre principal, quant à sa compétence, Dire pour droit qu'elle ne peut connaître de la présente affaire, en ce que la question qui lui a été soumise par la Commission a été implicitement déclarée irrecevable, et en ce qu'elle ne peut étendre sa saisine au-delà de l'objet de la requête ou demande par laquelle elle a été saisie; A titre subsidiaire, quant au fond, Dire pour droit que, en général en matière civile, l'impossibilité de répliquer aux conclusions du ministère public près la Cour de cassation (et sa présence au délibéré de la Cour) ne constitue pas un manquement au principe de l'égalité des armes lorsque les droits de la défense ont été respectés devant les juridictions du fond; Dire pour droit, à titre plus subsidiaire, que, en l'espèce, l'impossibilité de répliquer aux conclusions du ministère public près la Cour de cassation (et sa présence au délibéré de la Cour de cassation) n'a pas constitué une violation de l'article 6 par. 1 de la Convention (art. 6-1) en ce que le pourvoi exercé en l'espèce par le requérant n'était pas susceptible d'avoir une incidence sur sa situation juridique, et en ce que le requérant n'a pu raisonnablement se méprendre sur la nature du ministère public près la Cour de cassation." A l'audience devant la Cour, les avocats de M. Van Orshoven ont invité celle-ci à déclarer la requête recevable et à "condamner" l'Etat belge.
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I. Les circonstances de l’espèce Association à but non lucratif, Radio ABC a son siège à Vienne. Le 28 août 1989, elle sollicita, auprès de la Direction des postes et télécommunications (Post- und Telegraphendirektion) pour Vienne, la Basse-Autriche et le Burgenland, l’autorisation de créer et d’exploiter une station radiophonique et l’attribution d’une fréquence pour diffuser ses émissions dans la région de Vienne. Le 9 janvier 1990, la Direction rejeta la demande. Invoquant la loi constitutionnelle portant garantie de l’indépendance de la radiotélédiffusion (« la loi constitutionnelle sur la radiodiffusion », paragraphe 16 ci-dessous), selon laquelle ce type d’activités doit être autorisé par une loi fédérale, elle constata qu’une telle loi n’avait été édictée que pour l’Office autrichien de radiodiffusion (Österreichischer Rundfunk, l’« ORF »). Par conséquent, seul ce dernier pouvait opérer dans ce domaine. Le 25 septembre 1990, la Direction générale des postes et télécommunications (Generaldirektion für die Post- und Telegraphenverwaltung) écarta le recours de la requérante. Elle rappela notamment que dans son arrêt du 16 décembre 1983, la Cour constitutionnelle (Verfassungsgerichtshof) avait jugé que le monopole de l’ORF cadrait avec l’article 10 de la Convention (paragraphe 18 ci-dessous). Radio ABC saisit alors la Cour constitutionnelle, alléguant en particulier que la décision de la Direction générale violait l’article 10 de la Convention. D’après elle, cette disposition autorisait certes les Etats contractants à soumettre les entreprises de radiodiffusion à un régime d’autorisations, mais puisqu’aucune procédure de ce type n’avait été prévue par le droit autrichien, toute personne avait le droit de pratiquer librement la radiodiffusion. Le 30 septembre 1991, la Cour constitutionnelle refusa d’examiner le recours, considérant qu’eu égard à son arrêt du 16 décembre 1983, il n’avait pas assez de chances d’aboutir. 12. Après l’entrée en vigueur, le 1er janvier 1994, de la loi sur la radiodiffusion régionale (paragraphe 19 ci-dessous), la requérante présenta, le 17 avril 1994, deux demandes sollicitant chacune l’attribution de l’une des deux fréquences réservées aux radiodiffuseurs privés de la région de Vienne. Le 25 janvier 1995, l’administration de la radiodiffusion régionale (Regionalradiobehörde) débouta l’intéressée dans deux décisions distinctes. Selon elle, les programmes de la requérante étaient trop spécialisés pour qu’au vu des exigences de l’article 20 § 2 de ladite loi, elle pût leur donner la priorité sur ceux d’autres demandeurs. Radio ABC attaqua alors ces décisions devant la Cour constitutionnelle. Ayant été saisie de plusieurs recours du même genre, celle-ci engagea d’office, le 3 mai 1995, une procédure visant à contrôler la constitutionnalité de l’article 2 §§ 1 à 3 et 5 de la loi sur la radiodiffusion régionale (paragraphe 19 ci-dessous). Le 27 septembre 1995, elle annula avec effet immédiat ces dispositions et le plan d’utilisation des fréquences qui se fondait sur elles (paragraphe 20 ci-dessous), rendant ainsi caduques les décisions prises par l’administration de la radiodiffusion régionale à l’égard des demandeurs. Selon la Cour constitutionnelle, les dispositions annulées contrevenaient au principe de légalité (Legalitätsprinzip), car elles manquaient de précision quant aux conditions de leur application. La Cour ajouta qu’en conséquence, il n’y avait plus de base légale permettant l’octroi de licences d’exploitation de stations radiophoniques, ce qui créait une situation contraire à la Convention. II. Le droit interne pertinent A. La loi du 13 juillet 1949 relative aux télécommunications Aux termes de la loi du 13 juillet 1949 relative aux télécommunications (Fernmeldegesetz), « le droit de créer et d’exploiter des installations de télécommunications (Fernmeldeanlagen) est réservé aux autorités fédérales (Bund) » (article 2 § 1). Celles-ci peuvent toutefois habiliter des personnes physiques ou morales à l’exercer à l’égard d’installations déterminées (article 3 § 1). Aucune concession n’est requise dans certains cas, dont celui d’une implantation à l’intérieur d’une propriété privée (article 5). B. L’ordonnance ministérielle du 18 septembre 1961 relative aux installations privées de télécommunications L’ordonnance ministérielle du 18 septembre 1961 relative aux installations privées de télécommunications (Verordnung des Bundesministeriums für Verkehr und Elektrizitätswirtschaft über Privatfernmeldeanlagen) fixe notamment les conditions d’établissement et d’exploitation des installations privées de télécommunications relevant du contrôle des autorités fédérales. D’après la jurisprudence, elle ne saurait toutefois servir de fondement légal à l’attribution de concessions. C. La loi constitutionnelle du 10 juillet 1974 portant garantie de l’indépendance de la radiotélédiffusion D’après l’article 1 de la loi constitutionnelle du 10 juillet 1974 portant garantie de l’indépendance de la radiotélédiffusion (Bundesverfassungsgesetz über die Sicherung der Unabhängigkeit des Rundfunks), « (...) La radiodiffusion est régie selon des modalités à préciser par une loi fédérale. Celle-ci doit notamment contenir des dispositions garantissant l’objectivité et l’impartialité de l’information, le respect du pluralisme, l’équilibre des programmes ainsi que l’indépendance des personnes et organes chargés d’exécuter les tâches définies au paragraphe 1. La radiodiffusion au sens du paragraphe 1 est un service public. » D. La loi du 10 juillet 1974 relative à l’Office autrichien de radiodiffusion La loi du 10 juillet 1974 relative à l’Office autrichien de radiodiffusion (Bundesgesetz über die Aufgaben und die Einrichtung des Österreichischen Rundfunks) crée celui-ci et l’érige en personne morale autonome de droit public. Il est tenu de fournir une information complète sur les événements politiques, économiques, culturels et sportifs importants ; à cet effet, il diffuse notamment, dans le respect de l’objectivité et du pluralisme, des actualités, des reportages, des commentaires et des avis critiques (article 2, § 1, alinéa 1), et ce au travers d’au moins deux chaînes de télévision et trois stations de radio, dont une régionale (article 3). Un temps d’antenne revient aux partis politiques représentés au parlement national ainsi qu’à des associations représentatives (article 5 § 1). Une commission de contrôle (Kommission zur Wahrung des Rundfunkgesetzes) statue sur tous les litiges relatifs à l’application de cette loi qui ne relèvent pas de la compétence d’une autorité administrative ou juridictionnelle (articles 25 et 27). Elle se compose de dix-sept membres indépendants, dont neuf juges, nommés pour quatre ans par le président de la République sur proposition du gouvernement fédéral. E. L’arrêt de la Cour constitutionnelle du 16 décembre 1983 Dans un arrêt du 16 décembre 1983, la Cour constitutionnelle a estimé que la liberté de créer et d’exploiter des stations de radio- et de télédiffusion était sujette aux prérogatives reconnues au législateur par les paragraphes 1 in fine et 2 de l’article 10 de la Convention (Gesetzesvorbehalt). La loi constitutionnelle sur la radiodiffusion avait créé un système subordonnant toute activité de ce genre à une concession du législateur fédéral. Destiné à garantir l’objectivité et le pluralisme (Meinungsvielfalt), il serait inefficace si n’importe qui pouvait en obtenir le bénéfice. En l’état, celui-ci était réservé à l’ORF, aucune loi d’application n’étant venue s’ajouter à celle qui le régit (voir l’arrêt Informationsverein Lentia et autres c. Autriche du 24 novembre 1993, série A no 276, pp. 8–9, § 10). F. La loi de 1993 sur la radiodiffusion régionale Entrée en vigueur le 1er janvier 1994, la loi du 9 juillet 1993 sur la radiodiffusion régionale (Regionalradiogesetz) régit l’octroi de licences aux radios locales et régionales. Avant l’arrêt du 27 septembre 1995 (paragraphe 13 ci-dessus), son article 2 disposait : « 1. En accord avec la commission principale du Conseil national (Hauptausschuß des Nationalrates), le ministre fédéral de l’Economie publique et des Transports affectera par ordonnance (plan d’utilisation des fréquences – Frequenznutzungsplan) les capacités de transmission radiodiffusée terrestre sans fil (drahtlose terrestrische Übertragungskapazitäten für Hörfunk), par fréquences et lieux d’émission, à l’Office autrichien de radiodiffusion et aux stations radiophoniques (Programmveranstalter). En procédant à cette attribution, le ministre fédéral de l’Economie publique et des Transports veillera à ce que : 1) l’exécution par l’Office autrichien de radiodiffusion des tâches que la loi lui impose dans le domaine radiophonique ne soit pas gênée, 2) les stations radiophoniques puissent couvrir la plus grande partie possible du territoire d’un Land, et 3) les besoins de la radiodiffusion locale soient pris en compte. Après consultation des Länder concernés et en accord avec la commission principale du Conseil national, le ministre de l’Economie publique et des Transports affectera dans le plan d’utilisation des fréquences, conformément au paragraphe 2, 2) et 3), toutes les fréquences et lieux d’émission attribuables aux stations radiophoniques à un nombre correspondant de licences autorisant à émettre à l’intérieur des Länder. Cette affectation tiendra compte en particulier des conditions topographiques, de la densité de la population, des données techniques ainsi que des obligations internationales liant l’Autriche dans le domaine des télécommunications. (...) Dans des cas particuliers urgents, l’administration des Télécommunications (Fernmeldebehörde) pourra prendre des décisions qui s’écartent du plan d’utilisation des fréquences, à condition que dans les six mois, celui-ci soit modifié en conséquence conformément au paragraphe 3. » Aux termes de l’article 4, les émissions des stations radiophoniques privées doivent respecter les principes d’objectivité et de pluralité et refléter la vie publique, culturelle et économique de la région dans laquelle elles sont diffusées. L’article 13 instaure une administration de la radiodiffusion régionale (Regionalradiobehörde). Selon l’article 20 § 2, si plusieurs stations radiophoniques privées réunissant les conditions légales sollicitent une licence, l’administration de la radiodiffusion régionale donne la priorité à celui qui répond le mieux aux objectifs de la loi, par exemple en ce qu’il reflète une plus grande pluralité d’opinions. Le 27 septembre 1995, la Cour constitutionnelle a annulé les paragraphes 1 à 3 et 5 de l’article 2 et, par conséquent, le plan d’utilisation des fréquences qui se fondait sur eux. Le 1er mai 1997 sont entrés en vigueur les amendements remplaçant les dispositions annulées. PROCÉDURE DEVANT LA COMMISSION La requérante a saisi la Commission le 30 décembre 1991. Elle alléguait que le refus de lui attribuer une licence d’exploitation s’analysait en une atteinte injustifiée à son droit de communiquer des informations et enfreignait l’article 10 de la Convention. Le 18 octobre 1995, la Commission (première chambre) a retenu la requête (no 19736/92). Dans son rapport du 11 avril 1996 (article 31), elle conclut, à l’unanimité, à la violation de cette disposition. Le texte intégral de son avis figure en annexe au présent arrêt. CONCLUSIONS PRéSENTéES à LA COUR Dans son mémoire, la requérante invite la Cour à « déclarer que les décisions (...) prises jusqu’ici par les autorités autrichiennes, ainsi que la décision rendue par la Cour constitutionnelle autrichienne le 30 septembre 1991 (...), vont totalement ou partiellement à l’encontre des obligations découlant pour l’Autriche de la Convention européenne des Droits de l’Homme ». Dans son mémoire, le Gouvernement conclut : « Eu égard à ces considérations et au fait que l’association requérante ne peut revendiquer, au titre de l’article 10 de la Convention, un droit absolu à se voir accorder une autorisation d’émettre, le gouvernement fédéral autrichien estime qu’il n’y a pas eu en l’espèce violation de l’article 10 de la Convention. »
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I. Les circonstances de l’espèce Le requérant, ressortissant grec né en 1936, est actuellement domicilié au Royaume-Uni. Le 23 février 1987, il présenta à la préfecture d’Athènes une demande de pension d’invalidité en vertu de l’article 31 de la loi n° 1543/85. A la demande de la préfecture, une enquête administrative fut menée par la municipalité de Moshato, qui conclut le 15 décembre 1987 que le requérant avait droit à une pension, au motif qu’il avait subi pendant la dictature des tortures qui avaient irrémédiablement altéré sa santé. 9. Le 29 janvier 1988, la commission sanitaire de la préfecture d’Athènes recommanda à la Comptabilité publique (Geniko Logistirio tou Kratous) d’accorder une pension au requérant. La commission sanitaire estima que celui-ci avait été incarcéré en raison de ses activités contre la dictature militaire et avait subi des tortures, qui avaient entraîné une paralysie de sa main droite. Le 23 mai 1988, le service des pensions (Ypiressia Kanonismou Syntaxeon) de la Comptabilité publique rejeta la demande du requérant au motif que les conditions de l’article 31 de la loi n° 1543/85 n’étaient pas remplies (paragraphe 19 ci-dessous). Pour la direction, les allégations de l’intéressé n’étaient étayées par aucune décision judiciaire ni aucun document public établi avant le 14 juin 1984, et ses blessures n’étaient pas dues à sa participation directe à la lutte contre le régime dictatorial ou à son opposition à ce régime. Le 14 juin 1988, le requérant saisit la Cour des comptes (Elenktiko Synedrio). Le recours fut examiné le 2 décembre 1988 par la troisième chambre de la Cour des comptes, qui le rejeta le 10 mars 1989, considérant que les allégations de l’intéressé n’étaient étayées par aucune décision judiciaire ni aucun document public établi avant le 14 juin 1984. La troisième chambre estima également que les tortures subies par le requérant pendant la dictature n’avaient pas occasionné une « blessure » mais une « maladie ». Or la loi prévoyait l’octroi d’une pension aux personnes qui avaient été « blessées » du fait de leur opposition à la dictature. Le 17 avril 1989, le requérant se pourvut en cassation devant la Cour des comptes siégeant en formation plénière ; il prétendait que la troisième chambre avait commis une erreur de droit. Le 9 octobre 1991, la Cour des comptes, siégeant en formation plénière, tint une audience à laquelle le requérant ne comparut pas. Le 24 juin 1992, elle décida qu’il n’avait pas été cité à comparaître en bonne et due forme et ajourna l’examen de l’affaire. Le 4 novembre 1992 eut lieu une autre audience à laquelle le requérant fut dûment représenté. Le 26 mai 1993, la Cour des comptes accueillit le recours au motif, entre autres, que la troisième chambre n’avait pas procédé à un examen approfondi des causes de la paralysie de la main droite de l’intéressé. Elle renvoya l’affaire à la troisième chambre pour réexamen. Le 22 octobre 1993, la troisième chambre tint une audience à laquelle le requérant n’était ni présent ni représenté. Le 28 janvier 1994, elle décida d’ajourner l’examen de l’affaire et ordonna à M. Stamoulakatos de produire dans un délai de deux mois plusieurs décisions rendues dans le cadre d’une procédure pénale dont il avait fait l’objet avant le 14 juin 1984. Elle adressa également le dossier du requérant à la commission sanitaire de l’Attique, et lui ordonna d’examiner l’intéressé et d’émettre un avis sur les questions suivantes : la paralysie du requérant résultait-elle d’une « blessure » ou d’une « maladie » ? Quel était son taux d’invalidité ? Y avait-il une relation quelconque entre son invalidité et ses activités pendant la dictature ? Le 25 novembre 1994, la commission sanitaire estima qu’elle ne pouvait émettre aucun avis sur le cas du requérant en l’absence de tout élément établissant que l’état de santé de l’intéressé était lié à ses activités pendant la dictature. Le 29 mars 1995, le requérant fut informé de la décision de la commission de ne pas émettre d’avis. Le 6 octobre 1995, la troisième chambre de la Cour des comptes tint une nouvelle audience. Une autre audience se déroula le 29 novembre 1996. La Cour n’a eu connaissance d’aucune décision de la troisième chambre de la Cour des comptes. Le Gouvernement déclare qu’un arrêt doit être prononcé prochainement. II. LE DROIT INTERNE PERTINENT L’article 31 de la loi n° 1543/85 est ainsi libellé : « Tout citoyen grec qui a été blessé du fait de sa participation directe à la lutte contre le régime dictatorial en place du 21 avril 1967 au 23 juillet 1974 ou de son opposition à ce régime a droit à une pension versée par le Trésor public, si les circonstances susmentionnées ont été entérinées par une décision judiciaire ou un document public établi avant le 14 juin 1984. (…) » Cette disposition n’ouvre pas de droit à pension aux personnes qui ont contracté une maladie – et non une blessure – du fait de leur opposition au régime dictatorial. Ce droit a toutefois été reconnu par une loi de 1988 qui n’entre pas en ligne de compte ici. L’octroi d’une pension n’est pas automatique ; il faut en faire la demande par le biais de la préfecture, auprès du service des pensions de la Comptabilité publique. La décision de ce service est susceptible d’une opposition auprès de la commission de vérification des pensions de la Comptabilité publique (article 66 du code des pensions civiles et militaires). Un appel peut être interjeté dans le délai d’un an devant une chambre de la Cour des comptes (article 48). Un pourvoi en cassation peut être formé dans un délai d’un an (articles 109 et 114) devant la Cour des comptes plénière, laquelle a la faculté de renvoyer l’affaire à la chambre compétente (article 116). PROCéDURE DEVANT LA COMMISSION M. Stamoulakatos a saisi la Commission le 1er avril 1995. Il invoquait les articles 6 § 1 et 13 de la Convention pour dénoncer la durée de la procédure en cause et l’absence d’un recours effectif en la matière. Il s’en prenait aussi, sur le terrain des articles 5 et 14 de la Convention, au refus de lui allouer une pension. Le 12 avril 1996, la Commission a déclaré la requête (n° 27159/95) recevable pour autant qu’elle concernait les articles 6 § 1 et 13 et irrecevable pour le surplus. Dans son rapport du 4 septembre 1996 (article 31), elle conclut par douze voix contre une qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention et qu’il n’y a pas lieu d’examiner l’affaire également sous l’angle de l’article 13. Le texte intégral de son avis figure en annexe au présent arrêt. CONCLUSIONS PRÉSENTÉES à LA COUR PAR LE GOUVERNEMENT Le Gouvernement invite la Cour à « rejeter la requête (…) comme irrecevable ou (…) comme dénuée de fondement ».
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I. Les circonstances de l’espèce Né en 1963, M. Georgiadis habite Athènes. Le 3 janvier 1989, le requérant fut nommé ministre du culte pour les préfectures de Karditsa et Larissa par la Congrégation centrale des chrétiens témoins de Jéhovah de Grèce. Il fut notamment habilité à célébrer des mariages entre des personnes de cette religion et à notifier ces mariages aux bureaux compétents de l’état civil. Par un courrier du 13 janvier 1989, le directeur des affaires intérieures de la préfecture de Karditsa avisa de cette nomination les bureaux de l’état civil de Karditsa. Par une lettre du 24 janvier 1989, il en informa également les bureaux de l’état civil de Larissa. Le 11 septembre 1991, le requérant demanda au bureau de recrutement de Serres ("le bureau de recrutement") à être exempté du service militaire, invoquant l’article 6 de la loi no 1763/1988 ("la loi de 1988"), qui reconnaît ce droit à tous les ministres du culte des "religions connues". Le 17 septembre 1991, le bureau de recrutement rejeta la demande au motif que les témoins de Jéhovah n’appartenaient pas à une "religion connue". Le 7 octobre 1991, le requérant forma un recours auprès du directeur du recrutement de l’état-major de la défense nationale ("le directeur du recrutement"). Il fut débouté le 18 décembre 1991 au motif qu’il n’était pas ministre du culte d’une "religion connue". Le jour même, le bureau de recrutement lui donna l’ordre de se présenter au centre d’instruction militaire de Nauplie en vue de son incorporation le 20 janvier 1992. Le requérant s’y rendit bien mais refusa l’incorporation, invoquant sa qualité de ministre du culte d’une "religion connue". Considérant que le requérant s’était rendu coupable d’insubordination (paragraphe 19 cidessous), le commandant militaire du centre d’instruction le plaça en détention provisoire dans le quartier disciplinaire du centre et ordonna une enquête préliminaire. A l’issue de celle-ci, le 29 janvier 1992, le requérant fut traduit en justice. L’ordonnance relative à son maintien en détention fut renouvelée, et il fut transféré à la prison militaire d’Avlona. Le 13 février 1992, le requérant saisit le Conseil d’Etat (Symvoulio tis Epikratias) d’un recours en annulation de la décision rendue le 18 décembre 1991 par le directeur du recrutement. Le 16 mars 1992, le tribunal militaire permanent (Diarkes Stratodikio) d’Athènes, composé d’un juge militaire et de quatre officiers non juristes, examina les accusations dirigées contre le requérant. Après avoir pris connaissance des éléments de preuve et des arguments des parties relatifs à la culpabilité du requérant, le tribunal se retira pour délibérer. A l’issue des délibérations, le président du tribunal annonça le verdict. Le requérant fut acquitté au motif "qu’il n’avait commis aucun acte d’insubordination", puisque son statut de ministre du culte d’une "religion connue" le dispensait des obligations militaires. Le requérant fut libéré sur-le-champ mais se vit intimer l’ordre de se présenter au centre de Nauplie en vue de son incorporation le 4 avril 1992. A cette date, il se rendit au centre de Nauplie où il reçut l’ordre d’accomplir son service militaire. Lorsqu’il refusa, il fut de nouveau inculpé d’insubordination et placé en détention. Il fut renvoyé en jugement le 15 avril 1992. Le 8 mai 1992, le tribunal militaire permanent d’Athènes examina les nouvelles accusations pénales dirigées contre le requérant. Après avoir pris connaissance des éléments de preuve et des arguments des parties relatifs à la culpabilité du requérant, le tribunal se retira pour délibérer. A l’issue des délibérations, le président du tribunal annonça le verdict. Le requérant fut acquitté en raison de doutes quant à son intention de se rendre coupable d’insubordination. Il fut donné lecture du verdict et de l’ordonnance suivante qui y était jointe: "Aucune indemnité ne sera accordée à l’intéressé pour sa détention provisoire, considérant que celle-ci était due à une faute lourde de sa part." Le requérant fut immédiatement libéré de la prison d’Avlona, se vit accorder une permission et intimer l’ordre de se présenter au centre de Nauplie en vue de son incorporation le 22 mai 1992. Il reçut à nouveau l’ordre d’effectuer son service militaire. Ayant refusé, il fut inculpé d’insubordination et placé en détention provisoire. Le 7 juillet 1992, le Conseil d’Etat cassa la décision prise le 18 décembre 1991 par le directeur du recrutement, au motif que les témoins de Jéhovah appartenaient à une religion connue et que l’administration n’avait pas contesté les éléments produits par le requérant pour prouver qu’il était ministre de ce culte. Le 27 juillet 1992, le requérant fut libéré provisoirement, en application d’une décision prise par le tribunal militaire permanent de Thessalonique en chambre du conseil. Un certificat d’exemption provisoire du service militaire lui fut délivré au motif qu’il était ministre du culte d’une "religion connue". Le 10 septembre 1992, le tribunal militaire permanent de Thessalonique examina les accusations pénales portées contre le requérant. Après avoir pris connaissance des éléments de preuve et des arguments des parties quant à la culpabilité du requérant, le tribunal se retira pour délibérer. A l’issue des délibérations, le président du tribunal annonça le verdict. Le requérant fut acquitté au motif qu’il n’avait pas eu l’intention de se rendre coupable d’insubordination. Il fut donné lecture du verdict et de l’ordonnance suivante qui y était jointe: "L’Etat ne se trouve nullement dans l’obligation d’indemniser l’intéressé pour sa détention provisoire, considérant que celle-ci était due à une faute lourde de sa part." II. Le droit et la pratique internes pertinents A. Le code de justice militaire L’article 70 du code de justice militaire dispose: "Un membre des forces armées qui refuse (...) d’obéir à l’ordre donné par son supérieur d’exécuter l’une de ses tâches sera sanctionné (...)" Le 16 mars 1992, le tribunal militaire permanent d’Athènes estima qu’un ministre du culte des témoins de Jéhovah qui avait refusé d’aller chercher des vêtements militaires lorsqu’il avait été convoqué en vue de son incorporation n’était pas coupable d’insubordination. Selon le tribunal, l’intéressé n’avait pas commis d’acte d’insubordination car il n’était pas tenu d’accomplir son service militaire en sa qualité de ministre du culte d’une "religion connue". Aux termes de l’article 434 dudit code, si celui-ci ne réglemente pas une question de procédure, le code de procédure pénale s’applique. B. Le code de procédure pénale Le code de procédure pénale contient les dispositions pertinentes suivantes: Article 533 par. 2 "Les personnes placées en détention provisoire puis acquittées (...) ont le droit de demander réparation (...), s’il a été établi au cours de la procédure qu’elles n’avaient pas commis l’infraction pénale pour laquelle elles avaient été détenues (...)" Article 535 par. 1 "L’Etat n’est nullement dans l’obligation d’indemniser une personne qui (...) a été placée en détention provisoire si celle-ci, volontairement ou à la suite d’une faute lourde, s’est rendue responsable de sa propre détention." Article 536 "1. Sur demande orale de la personne acquittée, la juridiction qui a examiné l’affaire statue sur l’obligation de l’Etat d’indemniser l’intéressé en rendant, en même temps que le verdict, une décision distincte. Toutefois, cette juridiction peut aussi rendre d’office une telle décision (...) La décision relative à l’obligation d’indemnisation de l’Etat ne peut être contestée séparément; elle est toutefois annulée lorsque la décision portant sur la question principale de l’instance pénale est infirmée." Article 537 "1. Quiconque a subi un préjudice peut, à un stade ultérieur, saisir la même juridiction d’une demande en réparation. En ce cas, la demande doit être présentée au procureur [Epitropos] de cette juridiction dans les quarante-huit heures suivant le prononcé du jugement en audience publique." Article 539 par. 1 "Lorsqu’il a été décidé que l’Etat doit verser une réparation, la personne y ayant droit peut intenter une action devant les juridictions civiles, qui ne peuvent pas remettre en cause l’obligation de l’Etat." Article 540 par. 1 "Les personnes qui ont été injustement (...) mises en détention provisoire doivent être indemnisées pour tout préjudice matériel qu’elles pourraient avoir subi en raison de leur (...) détention. Elles doivent également être indemnisées du préjudice moral (...)" PROCÉDURE DEVANT LA COMMISSION M. Georgiadis a saisi la Commission le 27 février 1993. Invoquant les articles 3, 5 paras. 1 et 5, 6 par. 1, 9, 13 et 14 de la Convention (art. 3, art. 5-1, art. 5-5, art. 6-1, art. 9, art. 13, art. 14), il se plaignait d’avoir été détenu irrégulièrement et d’avoir fait l’objet d’une discrimination fondée sur ses convictions religieuses, d’avoir été soumis à des traitements inhumains et dégradants et de n’avoir pas bénéficié d’un procès équitable au sujet de la réparation de sa détention irrégulière. Enfin, il se plaignait d’avoir été poursuivi à deux reprises pour une infraction du chef de laquelle il avait déjà été acquitté, au mépris de l’article 4 par. 1 du Protocole no 7 (P7-4-1). Le 10 octobre 1994, la Commission a retenu la requête (no 21522/93) pour ce qui concerne le rejet par les tribunaux militaires, sans entendre le requérant, de sa demande en indemnisation ainsi que le raisonnement insuffisant suivi dans les décisions pertinentes; elle a jugé irrecevable le grief tiré de l’article 5 par. 1 (art. 5-1), en raison du nonépuisement des voies de recours internes. Dans son rapport du 27 février 1996 (article 31) (art. 31), elle exprime à l’unanimité l’avis qu’il y a eu violation de l’article 6 par. 1 (art. 6-1) et qu’il ne s’impose pas d’examiner s’il y a eu violation de l’article 13 (art. 13). Le texte intégral de son avis figure en annexe au présent arrêt. CONCLUSIONS PRÉSENTÉES À LA COUR A l’audience, le requérant a demandé à la Cour de dire qu’il y a eu violation en son chef des articles 6 par. 1 et 13 de la Convention (art. 6-1, art. 13). Le Gouvernement, pour sa part, a prié la Cour de rejeter toute allégation de violation de la Convention.
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La requérante La requérante, Mme Şükran Aydın, est une ressortissante turque d'origine kurde née en 1976. A l'époque des faits, elle était âgée de dix-sept ans et vivait avec ses parents dans le village de Tasit, situé à dix kilomètres environ de la ville de Derik, où se trouve la gendarmerie du district. Elle n'avait jamais quitté son village avant les événements se trouvant à l'origine de sa requête à la Commission. La situation dans le Sud-Est de la Turquie Depuis 1985 environ, de graves troubles font rage dans le Sud-Est de la Turquie, entre les forces de sécurité et les membres du PKK (Parti des travailleurs du Kurdistan). Ce conflit a, d'après le Gouvernement, coûté jusqu'ici la vie à 4 036 civils et 3 884 membres des forces de sécurité. A l'époque de l'examen de l'affaire par la Cour, dix des onze provinces du Sud-Est de la Turquie étaient soumises à l'état d'urgence depuis 1987. I. Les circonstances de l'espèce Les faits de la cause sont controversés. A. Détention de la requérante Selon la requérante, un groupe de personnes composé de gardes de village et d'un gendarme arriva dans son village le 29 juin 1993. Elle estime que cela se produisit aux environs de 17 heures, mais la Commission, se fondant sur les souvenirs du père et de la belle-sœur de l'intéressée, pense qu'il est plus vraisemblable que cet événement eut lieu dans la matinée du 29 juin, vers 6 heures. Quatre personnes du groupe vinrent dans la maison de ses parents et interrogèrent les membres de sa famille au sujet de visites qu'ils y auraient récemment reçues de membres du PKK (paragraphe 14 ci-dessus). Ces personnes menacèrent et insultèrent sa famille. La requérante fut ensuite conduite avec ses proches sur une place du village, où ils furent rejoints par d'autres villageois également tirés hors de chez eux par la force. La requérante, son père, Seydo Aydın, et sa belle-sœur, Ferahdiba Aydın, furent séparés du groupe de villageois. On leur banda les yeux et on les conduisit à la gendarmerie de Derik. Le Gouvernement conteste la thèse de la requérante selon laquelle elle aurait été placée en détention avec deux de ses proches dans les circonstances précitées. Dans son témoignage oral devant les délégués de la Commission qui entendirent des témoins à Ankara du 12 au 14 juillet 1995 (paragraphe 40 ci-dessous), M. Musa Çitil, qui commandait la gendarmerie de Derik en 1993, déclara qu'il n'y avait eu ce jour-là aucune opération dans le village ou aux abords immédiats de celui-ci et qu'aucun incident n'avait été signalé. En outre, le Gouvernement conteste le récit de la requérante en faisant valoir que les témoignages présentent des incohérences quant à la date de l'incident et au nombre de gardes de village impliqués et que l'intéressée et sa famille n'ont reconnu aucun de ces gardes, alors qu'ils devaient être originaires de villages environnants. B. Traitement de la requérante pendant sa détention L'intéressée allègue qu'à son arrivée à la gendarmerie, elle fut séparée de son père et de sa belle-sœur. A un moment donné, elle fut conduite à l'étage dans une pièce qu'elle dénomma ultérieurement la « chambre de torture ». Elle y fut dévêtue, placée dans un pneu de voiture que l'on fit tourner longuement. Elle fut frappée et arrosée avec de puissants jets d'eau froide. Plus tard, on la conduisit dans une salle d'interrogatoire, vêtue mais les yeux bandés. La porte fermée à clé, un individu en uniforme militaire lui arracha ses vêtements, la renversa sur le dos et la viola. Lorsqu'il la relâcha, elle ressentait de vives douleurs et était couverte de sang. On lui ordonna de se rhabiller et on la conduisit dans une autre pièce. Selon la requérante, on la ramena ensuite dans la pièce où elle avait été violée. Elle fut frappée pendant une heure environ par plusieurs personnes qui l'avertirent qu'elle ne devait parler à personne de ce qu'elle avait subi. Le Gouvernement met en cause la crédibilité du récit de la requérante. Il fait remarquer que le registre des gardes à vue de la gendarmerie de Derik ne comporte aucune mention de personnes détenues le 29 juin 1993. Si la requérante et des membres de sa famille avaient été placés en garde à vue ce jour-là, le gendarme de service aurait suivi la procédure adéquate et consigné les renseignements dans le registre. Le commandant de la gendarmerie et le gendarme de permanence à l'époque ont été entendus à titre de témoins par les délégués de la Commission et tous deux ont confirmé que personne n'avait été placé en garde à vue à cette date. De plus, les interrogatoires de terroristes présumés n'avaient jamais lieu à la gendarmerie de Derik, mais à celle de Mardin. Le Gouvernement juge également révélateur que la requérante n'ait pas reconnu les lieux sur les photographies qui lui en ont été montrées. En outre, il souligne plusieurs incohérences dans la manière dont la requérante a rendu compte du viol et des agressions présumés devant le procureur et l'Association de défense des droits de l'homme de Diyarbakır (paragraphe 23 ci-dessous). C. Fin de la détention D'après la requérante, elle aurait quitté la gendarmerie, avec son père et sa belle-sœur, le 2 juillet 1993 ou aux alentours de cette date. Des membres des forces de sécurité les auraient conduits dans la montagne, où ils leur auraient demandé où se trouvaient les caches du PKK, puis relâchés séparément. La requérante rentra seule dans son village. Le Gouvernement soutient que la manière dont la requérante décrit sa libération affaiblit aussi la crédibilité de ses allégations. En effet, il aurait été extrêmement naïf de la part des forces de sécurité de la conduire avec des membres de sa famille dans un endroit se trouvant à dix minutes de Tasit, après trois jours de détention, pour leur demander où se trouvaient les terroristes. D. Enquête sur la plainte de la requérante Le 8 juillet 1993, la requérante se rendit avec son père et sa belle-sœur à Derik, au bureau du procureur, M. Bekir Özenir, pour porter plainte au sujet des traitements qu'ils prétendaient avoir subi lors de leur détention. Le procureur enregistra leurs trois déclarations. L'intéressée affirmait avoir été torturée, car frappée et violée ; son père et sa belle-sœur soutenaient tous deux avoir été torturés. D'après la requérante, dans sa déclaration du 15 juillet 1993 à l'Association de défense des droits de l'homme de Diyarbakır, remise sans date à la Commission avec sa requête, elle a confirmé sa version des faits. Examen médical de la requérante Tous trois furent adressés le jour même au Dr Deniz Akkuş, à l'hôpital public de Derik. Le procureur avait demandé au Dr Akkuş de constater les éventuelles marques de coups et de violences physiques sur les personnes de Seydo et de Ferahdiba et d'examiner la requérante afin d'établir si elle était vierge et si elle présentait des traces de violences physiques ou de blessures. Dans son rapport du 8 juillet 1996 sur la requérante, le Dr Akkuş, qui ne s'était jamais occupé de cas de viol, déclara que l'hymen était déchiré et que les faces internes des cuisses étaient couvertes de contusions. Il ne pouvait dater la rupture de l'hymen, n'étant pas compétent en ce domaine, ni émettre d'hypothèse quant à la cause des contusions. Il consigna dans d'autres rapports que le corps du père de la requérante et celui de sa belle-sœur présentaient des blessures. Le 9 juillet 1993, le procureur adressa la requérante à l'hôpital public de Mardin pour qu'elle y subisse un examen en vue d'établir si elle avait perdu sa virginité et, si oui, depuis quand. Elle y fut examinée par le Dr Ziya Çetin, gynécologue. Selon le rapport établi par celui-ci le même jour, la défloration s'était produite plus d'une semaine auparavant. Il n'effectua pas de prélèvement et ne consigna dans son rapport ni le récit de la requérante ni son avis sur la compatibilité des résultats de son examen avec ce récit. Il ne se prononça pas sur les contusions constatées sur la face interne des cuisses car il était spécialiste en gynécologie et obstétrique et n'examinait pas souvent de victimes de viol. Le 12 août 1993, le procureur entendit une nouvelle fois la requérante, qui s'était entre-temps mariée. Le même jour, il adressa celle-ci à la maternité de Diyarbakır en demandant qu'il soit établi si elle avait perdu sa virginité et, si oui, depuis quand. Le rapport médical rédigé le 13 août 1993 confirma les constatations antérieures du Dr Çetin (paragraphe 25 ci-dessus) : l'hymen était déchiré mais, au bout de sept à dix jours, il était impossible de dire à quelle date précise s'était produite la défloration. Autres mesures d'enquête Le 13 juillet 1993, le procureur écrivit à la gendarmerie de Derik pour demander si la requérante, son père et sa belle-sœur y avaient été placés en garde à vue et, si oui, des précisions sur la date et la durée de la détention, ainsi que les noms des personnes ayant procédé aux interrogatoires. Par un courrier du 14 juillet 1993, le commandant de la gendarmerie, M. Musa Çitil, répondit que ces personnes n'avaient pas été placées en garde à vue. Le 21 juillet 1993, il fournit une copie du registre des gardes à vue pour l'année 1993. Six noms seulement y figuraient. Le 22 juillet 1993, le procureur demanda par écrit à la gendarmerie de Derik de lui adresser, pour vérification, le registre des gardes à vue pour les mois de juin et juillet 1993. Aucune mention n'y était inscrite pour ces deux mois. Le procureur envoya le dossier de la requérante à l'Institut de médecine légale d'Ankara. Par une lettre du 22 décembre 1993, l'officier-enquêteur demanda que la requérante s'y rende pour subir un examen. Le 18 janvier, puis le 17 février 1994, le procureur demanda par écrit au directeur de la sûreté de Derik d'amener la requérante au bureau du procureur général. Dans un courrier de relance du 18 avril 1994, le procureur indiqua que ses précédentes lettres étaient restées sans réponse. Par un courrier du 13 mai 1994, il fit savoir au directeur de la sûreté de Derik que la requérante, son père et sa belle-sœur devaient se présenter à son bureau. Dans un rapport daté du 13 mai 1994, en réponse à une demande de renseignements du 9 mai 1994, le procureur informa le bureau du procureur général de Mardin qu'il n'existait aucun élément de nature à fonder les griefs de la requérante, mais que l'enquête suivait son cours. Le 18 mai 1994, le procureur de Derik enregistra deux nouvelles déclarations du père de la requérante confirmant la version qu'il avait antérieurement donnée des événements survenus le 29 juin 1993. Le père déclara également que la requérante et son mari avaient quitté le district en mars 1994 pour chercher du travail ailleurs et qu'il ignorait leur adresse. 33. Le 19 mai 1994, le procureur, M. Bekir Özenir, interrogea M. Harun Aca, ancien militant du PKK. Ce dernier allégua que les membres du PKK utilisaient la maison de la requérante pour s'y cacher et qu'elle avait eu des relations sexuelles avec deux d'entre eux aux alentours des mois d'avril et mai 1993. Le 25 mai 1995, après que la Commission eut déclaré recevable la requête de l'intéressée, un procureur, M. Cahit Canepe, enregistra une déclaration de M. Ali Kocaman, qui avait commandé la gendarmerie de Derik de 1992 à 1994. Ce dernier, qui reconnut souffrir de pertes de mémoire par suite d'un accident de la route, déclara qu'il ne se souvenait d'aucun cas de viol ou de torture à la date en question et nia toute participation à de tels actes. E. Allégation d'entrave au droit de recours individuel de la requérante La requérante allègue également qu'elle-même et sa famille ont fait l'objet de mesures d'intimidation et de harcèlement après la communication, par la Commission, de sa requête au Gouvernement et, notamment, à la suite de la décision de la Commission de l'inviter à témoigner oralement. Le procureur n'a cessé de demander son adresse à son père, ce qu'a également fait la police à quelques reprises. Par ailleurs, elle-même et son mari ont été fréquemment convoqués au commissariat de police sans raison apparente, des perquisitions ont été effectuées à leur domicile (une première fois avant le 19 octobre 1995 puis les 1er et 8 novembre 1995) et ils ont été interrogés au sujet de la requête qu'elle avait présentée à la Commission. Elle a également été contrainte de signer une déclaration dont elle ignore le contenu. En outre, les 14 et 18 décembre 1995 ou aux alentours de ces dates, son mari a été arrêté. La première fois, trois policiers lui ont administré des gifles, des coups de pied et de violents coups de matraque, lui cassant une dent. La deuxième fois, il a de nouveau été violemment frappé par les trois mêmes policiers. La requérante allègue en outre que le 16 janvier 1996, elle-même, son mari, son père et son beau-père ont été convoqués au commissariat de police de Derik, d'où ils ont été envoyés chez le procureur. Celui-ci leur a montré la déclaration faite par le mari de la requérante le 19 octobre 1995 et les a interrogés à ce sujet. Il a demandé au mari de la requérante si la police tentait de les intimider, ce à quoi ce dernier a répondu « oui ». Le mari de la requérante a déclaré avec force que, même s'ils n'avaient pas été maltraités à cette occasion, ils s'étaient tous sentis intimidés par le simple fait d'être convoqués par la police, et que les descentes constantes de celle-ci à leur domicile rendaient leur situation très difficile. La requérante mentionne également des mesures de harcèlement, notamment des jets de pierres sur la maison de son beau-père, que des voisins attribuent aux forces de sécurité. La Commission a invité le Gouvernement à répondre à ces allégations. Par un courrier et des observations datés du 12 janvier 1996, le Gouvernement a invoqué la procédure pénale turque, qui fait obligation aux procureurs d'enquêter sur les circonstances des infractions, ce qui nécessite la recherche et l'audition de témoins. A cet égard, les policiers jouent le rôle d'assistants auprès des procureurs. Le procureur qui a conduit l'enquête déclenchée par la plainte de la requérante et de son père, ainsi que les policiers qui ont agi sous son autorité, ont pris contact avec la requérante et son père dans le seul but d'enquêter sur les faits allégués et de réunir les éléments de preuve. Le Gouvernement soutient que les dépositions recueillies par le procureur ne révèlent l'existence d'aucune pression, et qu'il était dans l'intérêt de la requérante que des preuves supplémentaires soient réunies. Selon lui, les allégations d'intimidation et de harcèlement ne sont pas fondées, les déclarations fournies par les représentants de la requérante ayant été recueillies dans un cadre extrajudiciaire et leur authenticité étant contestée. Le Gouvernement a présenté une lettre du ministère de l'Intérieur (service de la gendarmerie), certifiant qu'aucune perquisition n'avait eu lieu au domicile de la requérante et que le but de la visite des policiers chez Seydo Aydın était de transmettre à la requérante sa convocation à l'audition de la Commission. Constatant l'absence de l'intéressée, ils se sont enquis de son adresse auprès de son père, ce qui n'a comporté aucune persécution. Dans une déclaration antérieure du 16 juin 1995, le Gouvernement avait catégoriquement rejeté les premières allégations de harcèlement formulées par le père de la requérante, affirmant qu'elles s'inscrivaient dans une campagne destinée à influencer le déroulement de la procédure et les auditions de témoins. Lors de l'audition des témoins par les délégués de la Commission à Strasbourg, le 18 octobre 1995, l'agent du Gouvernement a répondu aux allégations faites oralement par le représentant de la requérante au sujet des interrogatoires incessants dont le père de l'intéressée aurait fait l'objet. Il a déclaré que le gouvernement turc se devait de faciliter la procédure devant la Commission et d'en informer la requérante. Afin d'éviter tout problème de non-comparution ou les dépenses inutiles qu'aurait entraînées un voyage à Strasbourg au cas où la requérante n'aurait pas eu l'intention de répondre à la convocation, il fallait obtenir son adresse de son père, ce qui explique qu'on lui ait continuellement demandé où vivait sa fille. Solliciter cette information de son père ne pouvait pas, à son sens, être considéré comme une mesure de harcèlement. F. Appréciation des preuves par la Commission et constatations de fait de celle-ci Les autorités nationales n'étant parvenues à aucune constatation de fait concernant la plainte de la requérante, la Commission a procédé à l'évaluation des preuves et établi les faits en se fondant sur : les observations écrites et orales sur la recevabilité et le bien-fondé de la requête ; les dépositions fournies oralement par huit témoins à trois délégués de la Commission qui s'étaient rendus à Ankara du 12 au 14 juillet 1995 ; la déposition orale de la requérante enregistrée à Strasbourg par ces délégués le 19 octobre 1996 ; des comptes rendus rédigés par trois médecins ayant examiné la requérante séparément à la demande du procureur les 8 juillet, 9 juillet et 13 août 1993 ; un rapport sur les conclusions contenues dans ces comptes rendus demandé par les représentants de la requérante à un médecin anglais (daté du 7 juillet 1995) ; un rapport du 13 octobre 1995 rédigé par des professeurs de la faculté de médecine de l'université de Hacettepe, en Turquie, contestant les conclusions du médecin anglais ; des documents et déclarations de la requérante et de témoins, plans et film vidéo de la gendarmerie de Derik et du registre original des gardes à vue pour l'année 1993. Les constatations de la Commission peuvent se résumer ainsi : S'il est vrai que les déclarations de la requérante présentent des incohérences quant à l'heure d'arrivée des gardes de village à Tasit et qu'elle n'a pas reconnu la gendarmerie de Derik quand des photographies lui en ont été montrées, cela n'affecte pas sa crédibilité. L'heure d'arrivée qu'elle a indiquée concordait dans l'ensemble avec le témoignage de son père et il est vraisemblable qu'elle s'était fiée à celui-ci pour l'identification de la gendarmerie. Il existe des doutes sérieux quant à la fiabilité du registre des gardes à vue pour la période considérée. Les délégués de la Commission ont pu examiner le registre de 1993 et ont constaté que le total de sept mentions pour l'ensemble de l'année représente une chute de 90 % par rapport aux années précédentes. Les explications fournies par le commandant de la gendarmerie de Derik ainsi que par le gendarme de service au sujet de cette chute laissent à désirer. La Commission a conclu : « (...) le témoignage de ces gendarmes sur les moyens et les pratiques concernant les placements en garde à vue au cours de l'année 1993 est plus que contestable. A son sens, de sérieux doutes subsistent quant à l'exactitude des données consignées dans le registre de la gendarmerie sur les personnes placées en garde à vue au cours de l'année 1993. Dès lors, la Commission estime que l'absence de toute confirmation officielle de la garde à vue de la requérante ne constitue pas un élément de preuve suffisant pour discréditer le récit de l'intéressée et de son père, qu'elle juge crédible et, dans l'ensemble, cohérent. » (paragraphe 172 du rapport de la Commission) Alors que le commandant de la gendarmerie de Derik et le gendarme de service n'avaient pas mentionné l'existence d'un sous-sol ou d'une cave lors de leur description du bâtiment, on voit clairement sur un film vidéo du bâtiment et un plan des locaux qu'il existe bien un sous-sol, utilisé comme zone de sécurité et comportant deux pièces de garde à vue et un bureau. Compte tenu des témoignages et du comportement de la requérante devant les délégués et des rapports médicaux dressés par les Drs Akkuş et Çetin et le médecin de la maternité de Diyarbakır, la Commission considère comme établi que, durant sa garde à vue à la gendarmerie de Derik, l'intéressée « (...) a eu les yeux bandés, a été frappée, dévêtue, placée à l'intérieur d'un pneu et arrosée de violents jets d'eau, et violée. Il paraît vraisemblable que la requérante a été soumise à de tels traitements parce qu'elle-même ou des membres de sa famille étaient soupçonnés de collaborer avec des membres du PKK, l'objectif étant d'obtenir des informations et/ou de dissuader sa famille et d'autres villageois de s'impliquer dans des activités terroristes ». (paragraphe 180 du rapport de la Commission) La Commission a examiné le grief de la requérante selon lequel elle aurait subi dans son chef une atteinte au droit de recours individuel, d'après elle avant novembre 1996 (paragraphes 35-38 ci-dessus). A cet égard, la Commission est convaincue que la requérante et sa famille se plaignent avec sincérité de harcèlement et d'intimidation (paragraphe 215 du rapport de la Commission). Considérant la réponse peu satisfaisante apportée par le Gouvernement à la plainte de la requérante, la Commission conclut que cette dernière et sa famille « (...) ont subi une pression considérable de la part des autorités dans des conditions risquant de compromettre leur participation à la procédure devant la Commission, ce qui a rendu plus difficile l'exercice par la requérante du droit de recours individuel ». (paragraphe 217 du rapport de la Commission) II. Le droit et la pratique internes pertinents A. Le code pénal turc Le code pénal turc érige en infraction le fait : – de priver arbitrairement un individu de sa liberté (article 179 en général et article 181 pour les fonctionnaires) ; – de proférer des menaces (article 191) ; – de soumettre un individu à la torture ou à des mauvais traitements (articles 243 et 245 respectivement) ; – de commettre un viol (article 416 visant les personnes âgées de plus de quinze ans). B. Le code turc de procédure pénale Aux termes de l'article 153 du code turc de procédure pénale, le procureur doit ouvrir une enquête sur les infractions pénales qui lui sont rapportées. Il doit procéder aux recherches tendant à identifier les auteurs des infractions, entendre les témoins, enregistrer les déclarations des suspects, émettre des mandats de recherche, etc. L'article 154 dudit code autorise le procureur à mener une enquête préliminaire soit directement soit avec l'aide de la police. En vertu de l'article 163, le procureur peut engager des poursuites s'il considère que les preuves justifient l'inculpation du suspect. S'il apparaît que les preuves ne sont pas suffisantes pour cela, il peut clore l'enquête. Toutefois, le procureur n'est autorisé à classer l'affaire sans suite que dans un seul cas : lorsque les preuves sont à l'évidence insuffisantes. Conformément à l'article 165, un plaignant peut faire appel de la décision du procureur de ne pas engager de poursuites. Le décret no 285 modifie l'application de la loi no 3713 de 1981, relative à la lutte contre le terrorisme, dans les régions où règne l'état d'urgence. En conséquence, la décision de poursuivre des membres de l'administration ou des forces de sécurité ne relève plus du procureur mais de conseils administratifs locaux. Ces conseils se composent de fonctionnaires. Leurs décisions sont susceptibles de recours devant le Conseil d'Etat ; le classement sans suite est automatiquement susceptible d'un recours de ce type. Si l'auteur de l'infraction est un membre des forces armées, il relève de la compétence des juridictions militaires et doit être jugé conformément aux dispositions de l'article 152 du code de justice militaire. Responsabilité administrative L'article 125 de la Constitution turque énonce : « Tout acte ou décision de l'administration est susceptible d'un contrôle juridictionnel (...) L'administration est tenue de réparer tout dommage résultant de ses actes et mesures. » La disposition précitée ne souffre aucune restriction, même en cas d'état d'urgence ou de guerre. Le second alinéa ne requiert pas forcément la preuve de l'existence d'une faute de l'administration, dont la responsabilité revêt un caractère absolu et objectif fondé sur la théorie du « risque social ». L'administration est donc tenue d'indemniser quiconque est victime d'un préjudice résultant d'actes commis par des personnes non identifiées ou des terroristes, lorsque l'on peut dire que l'Etat a manqué à son devoir de maintenir l'ordre et la sûreté publique, ou à son obligation de protéger la vie ou les biens d'un individu. Ce principe de la responsabilité administrative s'exprime à l'article 1 additionnel à la loi no 2935 du 25 octobre 1983 sur l'état d'urgence, ainsi libellé : « (...) les actions en réparation touchant l'exercice des pouvoirs conférés par la présente loi doivent être engagées contre l'administration devant les juridictions administratives. » Responsabilité civile Tout acte illégal commis par un fonctionnaire, qu'il s'agisse d'une infraction pénale ou d'un délit civil, provoquant un dommage matériel ou moral, peut donner lieu à une action en réparation devant les juridictions civiles de droit commun. En vertu de l'article 41 du code civil, toute personne victime d'un dommage peut demander réparation à l'auteur présumé de l'infraction qui lui a porté préjudice en commettant un acte illégal, que ce soit délibérément, par négligence ou par imprudence. En vertu des articles 46 et 47, les juridictions civiles peuvent accorder réparation au titre des préjudices matériels ou moraux respectivement. III. Textes internationaux A. Convention des Nations unies contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants L'article 13 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, adoptée par les Nations unies le 10 décembre 1984, dispose que tout Etat partie « assure à toute personne qui prétend avoir été soumise à la torture sur tout territoire sous sa juridiction le droit de porter plainte devant les autorités compétentes dudit Etat qui procéderont immédiatement et impartialement à l'examen de sa cause. Des mesures seront prises pour assurer la protection du plaignant et des témoins contre tout mauvais traitement ou toute intimidation en raison de la plainte déposée ou de toute déposition faite ». L'article 12 de ladite Convention prévoit que tout Etat partie veille à ce que « les autorités compétentes procèdent immédiatement à une enquête impartiale chaque fois qu'il y a des motifs raisonnables de croire qu'un acte de torture a été commis sur tout territoire sous sa juridiction. » B. Déclarations publiques adoptées par le Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants Dans sa déclaration publique relative à la Turquie adoptée le 15 décembre 1992 (CPT/inf (93) 1), le Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (« CPT ») a conclu après trois visites en Turquie : « A la lumière de toutes les informations en sa possession, le CPT ne peut que conclure que la pratique de la torture et d'autres formes de mauvais traitements graves de personnes détenues par la police reste largement répandue en Turquie (...) » (paragraphe 21) Le CPT a souligné les termes « personnes détenues par la police ». En effet, il a entendu moins d'allégations – et mis en évidence moins de données médicales – en relation avec des tortures ou d'autres formes de mauvais traitements graves prémédités par des membres de la gendarmerie (paragraphe 24). Il a estimé que « le phénomène de la torture et d'autres formes de mauvais traitements des personnes privées de liberté en Turquie concerne, à l'heure actuelle, principalement la police (et, dans une moindre mesure, la gendarmerie). Il y a tout lieu de croire que c'est là un problème profondément enraciné » (paragraphe 25). Dans sa deuxième déclaration publique, datant du 6 décembre 1996, le CPT constate que quelques progrès ont été accomplis dans la mise en œuvre des remèdes qu'il avait préconisés mais que « la traduction des paroles dans des actes prend un temps considérable » (paragraphe 2). Il y note que, lors de visites effectuées en Turquie en 1996, ses délégations ont trouvé des preuves manifestes que la police turque pratiquait la torture et d'autres formes de mauvais traitements graves (paragraphe 2). Il conclut que les informations dont il dispose « (...) démontrent que le recours à la torture et à d'autres formes de mauvais traitements graves continue d'être chose fréquente dans les postes de police en Turquie. Tenter – comme d'aucuns ont coutume de le faire – de présenter la question comme un problème d'actes isolés pouvant être commis dans n'importe quel pays, serait se mettre en contradiction flagrante avec les faits ».(paragraphe 10) Thèses d'Amnesty International Dans ses observations écrites à la Cour (paragraphe 6 ci-dessus), Amnesty International indique que le viol d'une détenue par un agent de l'Etat en vue notamment de lui extorquer des renseignements ou des aveux ou bien l'humiliation, la punition ou l'intimidation de la victime sont considérés comme des actes de torture dans les interprétations contemporaines des normes en matière de droits de l'homme. Cette organisation renvoie à cet égard à la décision Fernando and Raquel Mejia v. Peru rendue le 1er mars 1996 par la Commission interaméricaine des droits de l'homme (rapport no 5/96, affaire 10 970) en vertu de l'article 5 de la Convention américaine relative aux droits de l'homme, ainsi qu'aux comptes rendus du Rapporteur spécial des Nations unies sur la torture et au fait que le Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie a approuvé des actes d'accusation pour torture fondés sur des allégations de viol de femmes détenues. Amnesty International attire également l'attention sur les normes juridiques actuellement appliquées sur le plan international aux allégations de viol émanant de détenus, notamment sur les articles 11 et 12 de la Convention des Nations unies contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, adoptée en 1984 (paragraphe 48 ci-dessus). PROCéDURE DEVANT LA COMMISSION Dans sa requête du 21 décembre 1993 à la Commission (no 23178/94), Mme Aydın se plaignait d'avoir subi des mauvais traitements et d'avoir été violée, ce qu'elle considère comme des actes de torture interdits par l'article 3 de la Convention, et d'avoir été privée du droit de recours à un tribunal, garanti par l'article 6. Elle dénonçait également l'absence de recours interne effectif pour faire redresser les atteintes à ses droits, au mépris de l'article 13. 53. La Commission a retenu la requête le 28 novembre 1994. Dans son rapport du 7 mars 1996 (article 31), elle exprime l'avis qu'il y a eu violation de l'article 3 de la Convention (vingt-six voix contre une), qu'il y a eu violation de l'article 6 § 1 de la Convention (dix-neuf voix contre huit), qu'aucune question distincte ne se pose sur le terrain de l'article 13 de la Convention (dix-neuf voix contre huit) et que la Turquie n'a pas respecté les obligations qui lui incombent en vertu de l'article 25 § 1 de la Convention (vingt-cinq voix contre deux). Le texte intégral de son avis et des trois opinions séparées dont il s'accompagne figure en annexe au présent arrêt. CONCLUSIONS PRéSENTéES à LA COUR Dans son mémoire et ses observations orales devant la Cour, le Gouvernement excipe du non-épuisement des voies de recours internes et de l'abus du droit de recours individuel. A titre subsidiaire, il demande à la Cour de conclure que les allégations de la requérante étaient infondées. La requérante, pour sa part, prie la Cour de dire qu'elle a été victime de violations des articles 3, 6, 13 et 25 de la Convention et que le Gouvernement n'a pas respecté les obligations qui lui incombent en vertu des articles 28 § 1 a) et 53 de la Convention. Elle sollicite également une satisfaction équitable au titre de l'article 50 de la Convention.
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I. Les circonstances de l'espèce Le Parti communiste unifié de Turquie (« le TBKP »), premier requérant, est un parti politique dissous par la Cour constitutionnelle (paragraphe 10 ci-dessous). MM. Nihat Sargın et Nabi Yağcı, les deuxième et troisième requérants, étaient respectivement président et secrétaire général du TBKP. Ils résident à Istanbul. Le TBKP fut fondé le 4 juin 1990. Le même jour, ses statuts et son programme furent examinés par le parquet près la Cour de cassation quant à leur compatibilité avec la Constitution et la loi n° 2820 portant réglementation des partis politiques (« la loi n° 2820 », paragraphe 12 ci-dessous). A. La demande en dissolution du TBKP Le 14 juin 1990, alors que le TBKP s'apprêtait à participer aux éléctions législatives, le procureur général près la Cour de cassation (« le procureur général ») requit auprès de la Cour constitutionnelle la dissolution du TBKP. Il lui reprochait d'avoir voulu établir l'hégémonie d'une classe sociale sur les autres (articles 6, 10, 14 et 68 ancien de la Constitution et 78 de la loi n° 2820), d'avoir adopté, dans le nom du parti, le terme « communiste », prohibé par l'article 96 § 3 de la loi n° 2820, d'avoir poursuivi des activités propres à porter atteinte à l'intégrité territoriale de l'Etat et à l'unité de la nation (articles 2, 3, 66 et 68 ancien de la Constitution, et 78 et 81 de la loi n° 2820) et d'avoir déclaré être le successeur d'un parti politique antérieurement dissous, le Parti ouvrier turc (article 96 § 2 de la loi n° 2820). A l'appui de sa demande, le procureur général invoqua notamment certains passages du programme du TBKP, tirés pour la plupart du chapitre intitulé : « Pour la solution pacifique, démocratique et équitable du problème kurde » ; ce chapitre était libellé comme suit : « L'existence des Kurdes et leurs droits légitimes ont été niés depuis la fondation de la République, alors que la guerre nationale d'indépendance a été menée avec eux. A la prise de conscience nationale kurde, les forces dirigeantes ont répondu par des interdictions, l'oppression et la terreur. Les politiques racistes, militaristes et chauvinistes ont aggravé le problème kurde. Ce fait constitue en même temps un obstacle à la démocratisation de la Turquie et sert les plans des forces impérialistes et militaristes internationales visant à accroître la tension au Moyen-Orient, à opposer les peuples et à pousser la Turquie dans des aventures militaires. Le problème kurde est un problème d'ordre politique résultant de la négation de l'existence, de l'identité nationale et des droits du peuple kurde. Il ne peut donc être résolu par l'oppression, la terreur et les méthodes militaires. Le recours à la violence entraîne que le droit à l'autodétermination, droit naturel et inaliénable de tout peuple, n'est pas exercé en commun mais de manière séparée et unilatérale. Le remède à ce problème est politique. Pour que l'oppression et la discrimination de la nation kurde cessent, les Turcs et les Kurdes doivent s'unir. Le TBKP œuvrera pour que le problème kurde trouve une solution pacifique, démocratique et équitable, pour que les populations kurde et turque vivent ensemble de leur plein gré à l’intérieur des frontières étatiques de la République turque, sur le fondement de l’égalité de droits et en vue de leur restructuration démocratique sur la base de leurs intérêts communs. La solution du problème kurde doit se fonder sur la libre volonté des Kurdes, prendre en compte les intérêts communs des nations turque et kurde et servir à la démocratisation de la Turquie ainsi qu’à la paix au Moyen-Orient. Le problème kurde ne trouvera de solution que si les parties concernées peuvent exprimer librement leurs opinions, si elles s’entendent pour refuser de recourir à toute forme de violence pour résoudre le problème et si elles peuvent participer à la vie politique sous leur identité nationale propre. La solution du problème kurde demandera du temps. Dans l'immédiat, il faudrait, en priorité, supprimer la pression militaire et politique sur les Kurdes, assurer la vie des citoyens kurdes, mettre fin à l'état d'urgence, renoncer au système de « gardes de villages » et lever les interdictions frappant la langue et la culture kurdes. Le problème devrait être librement discuté. L'existence des Kurdes doit être reconnue dans la Constitution. Sans la solution du problème kurde, la rénovation démocratique en Turquie ne saurait être réalisée. Toute solution du problème kurde passera par une lutte pour la démocratisation de la Turquie. » Deux autres passages invoqués par le procureur général se lisaient ainsi : « (...) Le Parti communiste unifié de Turquie est le parti de la classe ouvrière, issu de la fusion du parti ouvrier turc avec le parti communiste turc. (…) Le renouveau culturel se réalisera par l'influence réciproque entre, d'une part, la culture universelle contemporaine et, d'autre part, les valeurs nationales turques et kurdes, l'héritage des civilisations anatoliennes, les éléments humanistes de la culture islamique ainsi que toutes les valeurs que notre peuple a créées dans son effort pour évoluer avec son temps. » Le Parti ouvrier turc, dont il est question ci-dessus, avait été dissous le 16 octobre 1981 pour des motifs semblables à ceux retenus contre le TBKP. B. La dissolution du TBKP Après avoir tenu audience, la Cour constitutionnelle prononça le 16 juillet 1991 la dissolution du TBKP, laquelle entraîna ipso jure la liquidation et le transfert au Trésor public des biens du parti, conformément à l'article 107 § 1 de la loi n° 2820. L'arrêt fut publié au Journal officiel le 28 janvier 1992. Il eut pour effet d’interdire aux fondateurs et dirigeants du parti d’exercer des fonctions similaires dans toute autre formation politique (article 69 de la Constitution et article 95 § 1 de la loi n° 2820 –paragraphe 11 ci-dessous). Pour parvenir à sa décision, la Cour constitutionnelle écarta d'abord le moyen selon lequel le TBKP soutiendrait la suprématie d'une certaine classe sociale, le prolétariat, sur les autres. Se référant aux statuts du parti, aux doctrines modernes sur l'idéologie marxiste et aux conceptions politiques contemporaines, elle considéra que le TBKP satisfaisait aux exigences de la démocratie, laquelle repose sur le pluralisme politique, le suffrage universel et la libre participation à la vie politique. La Cour rejeta également le moyen, tiré de l'article 96 § 2 de la loi n° 2820, selon lequel aucun parti politique ne peut prétendre succéder à un parti antérieurement dissous. D'après elle, il était tout à fait naturel et conforme à l'idée de démocratie qu'un parti politique revendiquât l'héritage culturel d’anciens mouvements et courants de pensée politiques. Aussi le TBKP n'aurait-il pas enfreint la disposition invoquée par cela seul qu'il entendait s'inspirer de l'expérience et de l'acquis des institutions marxistes. La Cour constitutionnelle considéra ensuite que le seul fait pour un parti politique, comme en l'espèce le TBKP, de reprendre dans son appellation un terme prohibé par l'article 96 § 3 de la loi n° 2820 suffisait à entraîner l'application de cette disposition et, partant, la dissolution du parti en question. Quant à l'allégation selon laquelle les statuts et le programme du TBKP contenaient des propos de nature à porter atteinte à l'intégrité territoriale de l'Etat et à l'unité de la nation, la Cour constitutionnelle releva notamment que lesdits textes distinguaient deux nations, les Kurdes et les Turcs. Or, l'on ne pourrait admettre l'existence de deux nations au sein de la République turque dont tous les ressortissants, quelle que soit leur origine ethnique, seraient de nationalité turque. En réalité, les propositions des statuts concernant le soutien aux langues et cultures autres que turques viseraient à créer des minorités, au détriment de l'unité de la nation turque. Rappelant que la Constitution interdit toute autodétermination et autonomie régionale, la Cour constitutionnelle précisa que l'Etat est unitaire, le pays intégral et la nation unique. Selon elle, l'unité nationale se réalise par l'intégration des communautés et des individus, lesquels, sans égard à leur origine ethnique et sur un pied d'égalité, forment la nation et fondent l'Etat. En Turquie, il n'existerait pas de « minorité » ni de « minorité nationale », hormis celles qui sont mentionnées dans le Traité de Lausanne et le traité d'amitié entre la Turquie et la Bulgarie, et aucune disposition constitutionnelle ou législative n'autoriserait les distinctions entre citoyens. Comme tous les ressortissants nationaux d'origine étrangère, ceux d'origine kurde pourraient exprimer leur identité, mais la Constitution et la loi s'opposeraient à ce qu'ils forment une nation ou une minorité située en dehors de la nation turque. En conséquence, des objectifs qui, tels ceux du TBKP, favoriseraient le séparatisme et la division de la nation turque ne seraient pas admissibles et justifieraient la dissolution du parti en question. II. Le droit interne pertinent A. La Constitution Les dispositions pertinentes de la Constitution se lisent ainsi : Article 2 « La République turque est un Etat de droit démocratique, laïc et social, respectueux des droits de l'homme dans un esprit de paix sociale, de solidarité nationale et de justice, attaché au nationalisme d'Atatürk et reposant sur les principes fondamentaux énoncés dans le préambule. » Article 3 § 1 « L'Etat de Turquie est, avec son territoire et sa nation, une entité indivisible. Sa langue officielle est le turc. » Article 6 « La souveraineté appartient, sans condition ni réserve, à la nation. (...) L'exercice de la souveraineté ne peut en aucun cas être cédé à un individu, un groupe ou une classe sociale. (...) » Article 10 § 1 « Tous sont égaux devant la loi sans aucune discrimination fondée sur la langue, la race, la couleur, le sexe, l'opinion politique, les croyances philosophiques, la religion, l'appartenance à une secte religieuse ou d'autres motifs similaires. » Article 14 § 1 « Aucun des droits et libertés mentionnés dans la Constitution ne peut être exercé dans le but de porter atteinte à l'intégrité territoriale de l'Etat et l'unité de la nation, de mettre en péril l'existence de l'Etat turc et de la République, de supprimer les droits et libertés fondamentaux, de confier la direction de l'Etat à un seul individu ou à un groupe ou d'assurer l'hégémonie d'une classe sociale sur d'autres classes sociales, ou d'établir une discrimination fondée sur la langue, la race, la religion ou l'appartenance à une secte religieuse, ou d'instituer par tout autre moyen un ordre étatique fondé sur de telles conceptions et opinions. » Article 66 § 1 « Toute personne liée à l'Etat turc par le lien de la nationalité est Turque. » Article 68 (ancien) « Les citoyens ont le droit de fonder des partis politiques et, conformément à la procédure prévue à cet effet, d'y adhérer et de s'en retirer. (...) Les partis politiques sont les éléments indispensables de la vie politique démocratique. Les partis politiques sont fondés sans autorisation préalable et exercent leurs activités dans le respect de la Constitution et des lois. Les statuts et programmes des partis politiques ne peuvent être contraires à l'intégrité absolue du territoire de l'Etat et de la nation, aux droits de l'homme, à la souveraineté nationale et aux principes de la République démocratique et laïque. Il ne peut être fondé de partis politiques ayant pour but de préconiser et d'instaurer la domination d'une classe sociale ou d'un groupe, ou une forme quelconque de dictature. (...) » Article 69 (ancien) « Les partis politiques ne peuvent pas se livrer à des activités étrangères à leurs statuts et à leurs programmes, et ne peuvent se soustraire aux restrictions prévues à l'article 14 de la Constitution; ceux qui les enfreignent sont définitivement dissous. (...) Les décisions et le fonctionnement interne des partis politiques ne peuvent être contraires aux principes de la démocratie. (...) Dès la fondation des partis politiques, le procureur général de la République contrôle en priorité la conformité à la Constitution et aux lois de leurs statuts et programmes ainsi que de la situation juridique de leurs fondateurs. Il en suit également les activités. La Cour constitutionnelle statue sur la dissolution des partis politiques à la requête du procureur général de la République. Les fondateurs et les dirigeants à tous les échelons des partis politiques définitivement dissous ne peuvent être fondateurs, dirigeants ou commissaires aux comptes d'un nouveau parti politique, et il ne peut être fondé de nouveaux partis politiques dont la majorité des membres serait constituée de membres d'un parti politique dissous. (...) » B. La loi n° 2820 portant réglementation des partis politiques Les dispositions pertinentes de la loi n° 2820 portant réglementation des partis politiques prévoient : Article 78 « Les partis politiques : a) ne peuvent ni viser, ni œuvrer, ni inciter des tiers à modifier : la forme républicaine de l'Etat de Turquie ; les dispositions (...) relatives à l'intégrité absolue du territoire de l'Etat turc, à l'unité absolue de sa nation, à sa langue officielle, à son drapeau et à son hymne national ; (...) le principe selon lequel la souveraineté appartient sans condition ni réserve à la nation turque ; (...) la disposition prévoyant que l'exercice de la souveraineté ne peut en aucun cas être cédé à un individu, un groupe ou une classe sociale (...) ; à mettre en péril l'existence de l'Etat et de la République turcs, à abolir les droits et libertés fondamentaux, à établir une discrimination fondée sur la langue, la race, la couleur de la peau, la religion ou l'appartenance à une secte, ou à instaurer, par tout moyen, un régime Etatique fondé sur de telles notions et conceptions. (...) c) ne peuvent avoir pour but de défendre ou d'établir la domination d'une classe sociale sur les autres, ou la domination d'une communauté, ou encore d'instaurer toute forme de dictature ; ils ne peuvent se livrer à des activités poursuivant pareils buts. (...) » Article 80 « Les partis politiques ne peuvent avoir pour but d'affaiblir le principe de l'Etat unitaire sur lequel se fonde la République turque, ni se livrer à des activités poursuivant pareille fin. » Article 81 « Les partis politiques ne peuvent : a) affirmer l'existence, sur le territoire de la République de Turquie, de minorités fondées sur des différences tenant à la culture nationale ou religieuse, à l'appartenance à une secte, à la race ou à la langue ; b) avoir pour but la destruction de l'intégrité de la nation en se proposant, sous couvert de protection, promotion ou diffusion d'une langue ou d'une culture non turques, de créer des minorités sur le territoire de la République de Turquie ou de se livrer à des activités connexes. (...) » Article 90 § 1 « Les statuts, programmes et activités des partis politiques ne peuvent contrevenir à la Constitution et à la présente loi. » Article 96 § 3 « Il ne peut être fondé de parti politique appelé communiste, anarchiste, fasciste, théocratique ou national-socialiste, ou dont le nom est celui d'une religion, langue, race, secte ou région, ou contient un terme précité ou analogue. » Article 101 « La Cour constitutionnelle prononce la dissolution du parti politique : a) dont les statuts ou le programme (...) se révèlent contraires aux dispositions du chapitre 4 de la présente loi, ou b) dont l'assemblée générale, le comité central ou le conseil d'administration (...) adoptent des décisions, émettent des circulaires ou font des communications (...) contraires aux dispositions du chapitre 4 de la présente loi (...), ou dont le président, le vice-président ou le secrétaire général font des déclarations écrites ou orales contraires auxdites dispositions (...) » Article 107 § 1 « L'intégralité des biens d'un parti politique dissous par la Cour constitutionnelle est transférée au Trésor public. » Le chapitre 4 de la loi, visé à l’article 101, comprend notamment les articles 90 § 1 et 96 § 3 reproduits ci-dessus. PROCéDURE DEVANT LA COMMISSION Les requérants ont saisi la Commission le 7 janvier 1992, alléguant que la dissolution du TBKP par la Cour constitutionnelle avait enfreint : – les articles 6 § 2, 9, 10 et 11 de la Convention, pris isolément et combinés avec les articles 14 et (quant aux articles 9, 10 et 11) 18 de la Convention ; – les articles 1 et 3 du Protocole n° 1. Le 6 décembre 1994, la Commission a déclaré irrecevable le grief tiré de l'article 6 § 2 de la Convention et retenu la requête (n° 19392/92) pour le surplus. Dans son rapport du 3 septembre 1996 (article 31), elle formule à l'unanimité l'avis qu'il y a eu violation de l'article 11 de la Convention, qu'aucune question distincte ne se pose sur le terrain des articles 9 et 10 et qu'il n'y a pas lieu d'examiner séparément les griefs déduits des articles 14 et 18 de la Convention et 1 et 3 du Protocole n° 1. Le texte intégral de son avis figure en annexe au présent arrêt. CONCLUSIONS PRéSENTéES à LA COUR Dans son mémoire, le Gouvernement « prie (...) la Cour de déclarer qu'il n'y a pas eu de violation des articles 9, 10, 11, 14 et 18 de la Convention, ainsi que des articles 1 et 3 du Procole additionnel ». De leur côté, les requérants demandent « que les faits constituant le fondement de la requête soient déclarés comme comportant une violation des articles 11 de la Convention et 1 et 3 du Protocole additionnel ».
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE M. Benkessiouer est un ressortissant français né en 1940. Il est fonctionnaire titulaire à La Poste et réside à Nice. Le 21 janvier 1991, il déposa une demande de congé de longue maladie, mais le comité médical considéra, le 15 mars 1991, qu’il était apte à travailler. Le 21 mars 1991, le requérant fut avisé du refus de La Poste de lui octroyer un congé de longue maladie et invité à reprendre ses fonctions. Toutefois, celui-ci ne se conforma pas à cette invitation et fournit plusieurs certificats d’arrêt de travail entre le 27 avril et le 31 juillet 1991. De nouveaux examens médicaux effectués à la demande de La Poste conclurent à l’aptitude du requérant à reprendre ses fonctions. Comme M. Benkessiouer persistait néanmoins dans son refus, il fut placé par une décision du 26 novembre 1991 en position d’absence irrégulière à partir du 5 novembre 1991. Le 18 décembre 1991, il fut avisé de sa radiation prochaine s’il ne rejoignait pas son poste. A. La procédure devant le tribunal administratif de Paris Le 29 août 1991, le requérant saisit le tribunal administratif de Paris de demandes tendant à l’annulation des décisions de La Poste lui refusant l’octroi d’un congé de longue maladie, suspendant son traitement à compter du 5 novembre 1991 pour absence de service fait, et le mettant en demeure de rejoindre son poste sous peine de radiation. Arguant du préjudice que lui auraient causé ces trois décisions et des tracasseries dont il avait fait l’objet, il réclamait que La Poste soit condamnée à lui verser 400 000 francs français (FRF) à titre de dommages-intérêts. M. Benkessiouer déposa au total treize mémoires complémentaires entre le 15 novembre 1991 et le 31 juillet 1992. Par une requête du 21 mai 1992, le requérant demanda au tribunal administratif de prononcer le sursis à exécution de la décision de suspension de son traitement. Le 17 juin 1992, le tribunal administratif ordonna une expertise médicale. Le 18 juin 1992, le requérant saisit le tribunal administratif de Paris d’une troisième requête tendant à l’annulation de la décision de la mutuelle des PTT réduisant à 70 % ou 75 % les remboursements de ses visites médicales et frais pharmaceutiques. Il sollicitait aussi 200 000 FRF de dommages-intérêts supplémentaires en réparation du préjudice subi du fait de contre-visites médicales inopinées et de la suppression de son traitement depuis le 5 novembre 1991. Le 31 juillet 1992, le requérant déposa un mémoire. L’expert rendit son rapport le 10 août 1992 ; il concluait qu’à la date du 5 novembre 1991, M. Benkessiouer n’était pas apte à reprendre son travail. Le 18 août 1992, le rapport fut communiqué au défendeur. La Poste contesta ce rapport et demanda une contre-expertise. Par un jugement du 15 février 1996, le tribunal administratif de Paris joignit les trois requêtes du requérant. Il annula la décision refusant au requérant le bénéfice du congé de longue maladie et celle prononçant la suspension de son traitement et, estimant que ces décisions illégales engageaient la responsabilité de La Poste à l’égard de son fonctionnaire, alloua au requérant la somme de 20 000 FRF à titre de dommages-intérêts pour le préjudice subi. En outre, le tribunal rejeta la troisième requête du 18 juin 1992 (paragraphe 12 ci-dessus) : il indiqua que la décision mettant en demeure le requérant de reprendre ses fonctions sous peine de radiation ne pouvait faire l’objet d’un recours pour excès de pouvoir ; il estima la demande de dommages-intérêts pour contre-visites médicales inopinées mal fondée ; enfin, il déclara la demande de dommages-intérêts pour non-distribution d’une lettre recommandée et la demande d’annulation de la décision de réduction des remboursements des visites médicales et frais pharmaceutiques irrecevables, car portées devant une juridiction incompétente. B. La procédure relative à la demande de référé-provision Le 9 juin 1993, M. Benkessiouer déposa auprès du tribunal administratif de Paris une demande de référé-provision de 400 000 FRF. Considérant que l’existence d’une obligation de La Poste envers le requérant, au sens de l’article R. 129 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d’appel, n’était pas établie, le tribunal administratif rejeta la demande par une ordonnance du 20 août 1993. Le 13 octobre 1993, M. Benkessiouer fit appel de cette ordonnance devant le Conseil d’Etat qui la transmit le 1er décembre à la cour administrative d’appel de Paris en vertu de l’article R. 80 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d’appel. Le 31 janvier 1994, le requérant produisit des observations complémentaires et le 9 mai 1994, La Poste déposa son mémoire en défense. Par un arrêt du 27 octobre 1994, la cour administrative d’appel confirma l’ordonnance du tribunal administratif du 20 août 1993. Le 21 novembre 1994, le requérant saisit le Conseil d’Etat qui le débouta le 19 mai 1995. ii. le DROIT INTERNE PERTINENT La loi n° 90-568 du 2 juillet 1990 relative à l’organisation du service public de la poste et des télécommunications, qui a créé à compter du 1er janvier 1991 une personne morale de droit public, La Poste, désignée sous l’appellation d’exploitant public, dispose en son chapitre VIII, « Personnel » : Article 29 « Les personnels de la Poste (…) sont régis par des statuts particuliers pris en application de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires et de la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l’Etat (…) » Les articles pertinents de la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l’Etat se lisent ainsi : Article 34 « Le fonctionnaire en activité a droit : (…) A des congés de maladie dont la durée totale peut atteindre un an pendant une période de douze mois consécutifs en cas de maladie dûment constatée mettant l’intéressé dans l’impossibilité d’exercer ses fonctions. Celui-ci conserve alors l’intégralité de son traitement pendant une durée de trois mois ; ce traitement est réduit de moitié pendant les neuf mois suivants. (…) Toutefois, si la maladie provient de l’une des causes exceptionnelles prévues à l’article L. 27 du code des pensions civiles et militaires de retraite ou d’un accident survenu dans l’exercice ou à l’occasion de l’exercice de ses fonctions, le fonctionnaire conserve l’intégralité de son traitement jusqu’à ce qu’il soit en état de reprendre son service ou jusqu’à sa mise à la retraite. Il a droit, en outre, au remboursement des honoraires médicaux et des frais directement entraînés par la maladie ou l’accident. A des congés de longue maladie d’une durée maximale de trois ans dans les cas où il est constaté que la maladie met l’intéressé dans l’impossibilité d’exercer ses fonctions, rend nécessaire un traitement et des soins prolongés et qu’elle présente un caractère invalidant et de gravité confirmée. Le fonctionnaire conserve l’intégralité de son traitement pendant un an ; le traitement est réduit de moitié pendant les deux années qui suivent. (…) » Article 69 « Hormis le cas d’abandon de poste (…), les fonctionnaires ne peuvent être licenciés qu’en vertu des dispositions législatives de dégagement des cadres prévoyant soit le reclassement des intéressés, soit leur indemnisation. » Le décret n° 86-442 du 14 mars 1986 relatif à la désignation des médecins agréés, à l’organisation des comités médicaux et des commissions de réforme aux conditions d’aptitude physique pour l’admission aux emplois publics et au régime de congé de maladie des fonctionnaires prévoit pour sa part : Article 6 « Dans chaque département, un comité médical départemental compétent à l’égard des personnels mentionnés à l’article 15 ci-après est constitué auprès du commissaire de la République (…) » Article 7 « Les comités médicaux sont chargés de donner à l’autorité compétente, dans les conditions fixées par le présent décret, un avis sur les contestations d’ordre médical qui peuvent s’élever à propos (…) de l’octroi et du renouvellement des congés de maladie (…) Ils sont consultés obligatoirement en ce qui concerne : (…) l’octroi des congés de longue maladie et de longue durée ; (…) » Article 15 « Le comité médical et la commission de réforme départementaux sont compétents à l’égard des fonctionnaires exerçant leurs fonctions dans les départements considérés, à l’exception des chefs des services extérieurs visés à l’article 14 ci-dessus et sous réserve des dispositions du dernier alinéa de cet article. » PROCéDURE DEVANT LA COMMISSION M. Benkessiouer a saisi la Commission le 6 septembre 1995. Il alléguait une violation des articles 6 § 1 et 8 de la Convention. La Commission (deuxième chambre) a retenu la requête (n° 26106/95) en partie le 16 octobre 1996. Dans son rapport du 28 mai 1997 (article 31), elle conclut à l’unanimité qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention. Le texte intégral de son avis figure en annexe au présent arrêt. CONCLUSIONS PRéSENTéES à LA COUR Dans son mémoire, le Gouvernement prie la Cour de rejeter la requête de M. Benkessiouer. Le requérant, pour sa part, invite la Cour à : « Dire et juger que l’Etat français a violé l’article 6 § 1 de la Convention européenne des Droits de l’Homme, dans le cadre de la procédure introduite par M. Benkessiouer devant le Tribunal administratif de Paris le 29 août 1991 ; par voie de conséquence, dire et juger qu’il appartiendra à l’Etat français, de verser, à M. Benkessiouer, une indemnité de 500 000 FRF en réparation du préjudice matériel subi, augmentée des intérêts légaux à compter de l’introduction de la requête en date du 26 février 1994 ; condamner l’Etat français au paiement d’un montant de 500 000 FRF au titre de la réparation du préjudice moral subi par M. Benkessiouer augmenté des intérêts légaux à compter du 26 juillet 1994. »
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LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE A. La genèse de l’affaire La Banque de la Grèce centrale (« BGC ») est une société de droit grec, dont le siège est à Athènes. Le 13 septembre 1984, son capital s’élevait à 670 000 000 drachmes (GRD). Il était divisé en 670 000 actions, d’une valeur nominale de 1 000 GRD chacune. Le 13 septembre 1984, le gouverneur de la Banque de Grèce, exerçant les pouvoirs qui lui étaient conférés par le décret présidentiel n° 861/1975, ratifié par la loi n° 236/1975 et combiné avec la loi n° 1266/1982, plaça la BGC sous la tutelle d’un commissaire provisoire (Prosorinos Epitropos). Le gouverneur prit cette décision à la lumière de plusieurs éléments : premièrement, le résultat des investigations menées par les autorités compétentes de la Banque de Grèce, qui avaient conclu à l’existence d’une série d’illégalités commises par les administrateurs de la BGC ; deuxièmement, le fait que les administrateurs de la BGC aient tenté d’entraver ces investigations, et troisièmement, « l’urgence de la situation, l’intérêt public et celui de la BGC, de ses actionnaires et des tiers concernés ». En vertu du paragraphe 2 de cette décision du gouverneur de la Banque de Grèce (décision n° 397/13.9.84), à compter de la publication de la décision n° 397/84 dans le Journal officiel (Efimerida Kyvernisseos), les organes de la BGC perdaient tous les pouvoirs et compétences qu’ils pouvaient avoir. Ceux-ci étaient dévolus, avec l’administration de la banque, au commissaire provisoire. Le commissaire reçut l’ordre de soumettre dans les deux mois au gouverneur de la Banque de Grèce un rapport circonstancié sur les finances, les comptes et la gestion de la BGC. Le 13 novembre 1984, le commissaire provisoire (M. I. Oikonomopoulos) soumit son rapport et présenta sa démission, avec effet au 18 décembre 1984. A cette date, le gouverneur de la Banque de Grèce nomma un deuxième commissaire provisoire (M. I. Papakonstantinos), qui déposa son rapport le 28 janvier 1985. Le 28 juillet 1986, le gouverneur de la Banque de Grèce invita la BGC à procéder dans les quatre-vingt-dix jours à une augmentation de capital à hauteur de 1 500 000 000 GRD, par l’émission de nouvelles actions dont le prix devait être intégralement versé. Le 29 juillet 1986, le commissaire provisoire, exerçant les pouvoirs normalement conférés à l’assemblée générale des actionnaires, décida, par sa décision n° 70/86, d’augmenter le capital de la BGC pour le porter à 1 700 000 000 GRD, modifiant en même temps la disposition pertinente (article 6) des statuts de la BGC. Par une annonce publiée dans un quotidien, la BGC invita les actionnaires à exercer avant le 27 août 1986 le droit préférentiel sur les nouvelles actions que leur garantissaient les statuts et à acquitter le quart de la valeur de ces actions dans un délai de deux mois (première augmentation de capital). Le 24 septembre 1986, le commissaire provisoire prit la décision n° 71/86, qui modifiait la décision n° 70/86. Le seul changement notable était que les personnes intéressées par l’acquisition des nouvelles actions étaient invitées à en verser intégralement le prix avant le 27 octobre 1986. Considérant que cette nouvelle décision n’introduisait que de simples « changements de formulation », elle énonçait explicitement qu’elle s’appliquait rétroactivement depuis la date de la publication de la décision n° 70/86. En conséquence, conformément au libellé exprès de la décision, la date limite pour l’exercice du droit préférentiel des actionnaires était toujours le 27 août 1986. Les requérants n’exercèrent pas ce droit. Le 2 octobre 1986, le gouverneur de la Banque de Grèce approuva la décision n° 71/86 et, le 7 octobre 1986, le préfet d’Athènes approuva la modification requise apportée aux statuts de la BGC. Le 31 octobre 1986, le commissaire provisoire décida d’attribuer les nouvelles actions à : a) G. Koskotas, b) « Edrassi – X. Psallidas Ate », c) G. Galanopoulos, d) M. Maissis et e) D. Mitropoulos. Toutefois, M. G. Koskotas devint l’actionnaire majoritaire de la BGC (1 025 565 sur 1 030 000 actions). Le 1er novembre 1986, le gouverneur de la Banque de Grèce nomma un nouveau commissaire provisoire (M. S. Kalamitsis), au motif que le précédent avait contrevenu à la loi en décidant de l’attribution de nouvelles actions. Le 5 novembre 1986, le nouveau commissaire provisoire révoqua la décision prise le 31 octobre 1986 par son prédécesseur et décida d’attribuer à la Banque agricole de Grèce, établissement appartenant au secteur public, les actions auparavant cédées à M. G. Koskotas. Ladite banque devint en conséquence l’actionnaire majoritaire de la BGC. Toutefois, les actionnaires précédents ne furent pas invités à exercer leur droit préférentiel. Le 13 novembre 1986, le gouverneur de la Banque de Grèce nomma un commissaire à la tête de la BGC. La décision de nomination énonçait que le commissaire confierait dès que possible la gestion de la BGC à un conseil d’administration élu. Le 15 février 1987, un nouveau conseil d’administration fut élu par l’assemblée générale des actionnaires de la BGC. Le 16 février 1987, le Parlement adopta la loi n° 1682/1987 par laquelle un certain nombre de décisions administratives concernant la BGC, dont toutes celles mentionnées ci-dessus, acquirent force de loi. La même loi modifia les statuts de la Banque agricole de Grèce, qui avaient été entérinés par une loi précédente, permettant ainsi à la Banque agricole de prendre part à l’augmentation du capital social d’autres établissements bancaires. Le 14 juin 1987, l’assemblée générale des actionnaires de la BGC décida d’augmenter le capital à 3 300 000 000 GRD (deuxième augmentation). Le 1er juin 1989, le Parlement adopta la loi n° 1858/1989 qui, s’appliquant rétroactivement, donnait au décret présidentiel n° 861/1975 une interprétation faisant foi. Selon ladite interprétation, les commissaires provisoires se voyaient conférer le pouvoir d’augmenter le capital des banques à la tête desquelles ils avaient été nommés. Le 11 juin 1989, le capital de la BGC fut de nouveau augmenté de 125 000 000 GRD (troisième augmentation). Le 30 septembre 1990, l’assemblée générale des actionnaires de la BGC décida de demander la cotation de la BGC à la bourse d’Athènes, d’augmenter son capital de 1 282 250 000 GRD, d’offrir les nouvelles actions à la souscription sur le marché boursier et de modifier en conséquence les articles 6 et 7 des statuts de la BGC (quatrième augmentation). Le 9 novembre 1990, la commission des questions monétaires et financières (Epitropi nomismaton kai pistotikon thematon) de la Banque de Grèce approuva la modification susmentionnée des statuts de la BGC. Le 11 décembre 1990, la commission du marché des capitaux (Epitropi kefaleagoras) autorisa la BGC à attribuer les nouvelles actions en les offrant à la souscription sur le marché boursier. Les 22 juin et 22 octobre 1993, le capital de la BGC fut augmenté de 256 250 000 GRD (cinquième augmentation). Les 29 juillet et 17 août 1994, le capital de la BGC fut augmenté de 8 055 000 000 GRD (sixième augmentation). B. Les procédures judiciaires visant à contester les augmentations de capital La procédure devant le Conseil d’Etat Le 1er décembre 1986, certains des requérants contestèrent devant le Conseil d’Etat les décisions n° 854/2.10.86 et n° 21543/7.10.86 par lesquelles le gouverneur de la Banque de Grèce et le préfet d’Athènes avaient approuvé la première augmentation du capital de la BGC. Par ce recours en annulation, ils alléguaient que le commissaire provisoire n’était pas compétent, au regard du droit interne, pour ordonner une augmentation de capital, qui aurait dû être décidée par l’assemblée générale des actionnaires. Le 10 décembre 1986, le président de la quatrième chambre du Conseil d’Etat décida d’entendre l’affaire le 2 juin 1987. Le 2 juin 1987, la quatrième chambre du Conseil d’Etat décida d’office de reporter au 27 octobre 1987 l’examen du recours en annulation introduit le 1er décembre 1986. Le 27 octobre 1987, le Conseil d’Etat décida d’office d’ajourner l’affaire au 2 février 1988, puis au 19 avril 1988. Selon le Gouvernement, tous les ajournements susmentionnés étaient motivés par la gravité et la complexité des questions légales que le juge rapporteur devait examiner. 26. Le 19 avril 1988, la quatrième chambre du Conseil d’Etat examina le recours en annulation. Le 14 juin 1988, elle rendit la décision n° 2668/88 selon laquelle a) le commissaire provisoire n’était pas compétent, au regard du droit interne, pour procéder à l’augmentation de capital le 24 septembre 1986, b) la loi n° 1682/1987 ne pouvait être prise en compte puisqu’elle avait été adoptée après l’introduction du recours en annulation, en violation du principe constitutionnel de la séparation des pouvoirs, c) les deux requérants ne pouvaient contester les actes administratifs en question puisque avant le 13 septembre 1984 ils détenaient moins de 5 % du capital et d) l’affaire, en raison de son importance, devait être déférée à l’assemblée plénière. Le 12 septembre 1988, le président du Conseil d’Etat décida que l’action en annulation serait examinée le 2 décembre 1988. A cette date, le Conseil d’Etat décida d’office d’ajourner l’affaire au 12 mai 1989, puis au 6 octobre 1989. A cette dernière date, le Conseil d’Etat décida d’office de reporter l’examen de l’action au 9 février 1990, puis au 27 avril 1990. Selon le Gouvernement, les motifs de tous les ajournements susmentionnés étaient les mêmes que ceux cités précédemment. Le 27 avril 1990, le Conseil d’Etat décida d’office de reporter l’examen du recours en annulation au 26 octobre 1990. Selon les requérants, ce dernier ajournement a été accepté par toutes les parties. Le Gouvernement soutient qu’il a été demandé par les requérants et fournit à cet égard une attestation du greffe du Conseil d’Etat. Le 26 octobre 1990, le Conseil d’Etat décida de nouveau d’ajourner l’affaire au 8 mars 1991. D’après une attestation du greffe du Conseil d’Etat, celui-ci a décidé d’office d’ajourner l’audience. Selon le Gouvernement, le procès-verbal n° 41/1990 de l’assemblée plénière prouve, d’une part, que les requérants demandèrent l’ajournement susmentionné en attendant l’arrêt de la Cour de justice des Communautés européennes sur une affaire similaire et, d’autre part, que la partie adverse s’opposa à cette demande. Le juge rapporteur estima que l’audience devait être ajournée. Le 8 mars 1991, le Conseil d’Etat décida d’office d’ajourner l’examen du recours en annulation au 17 mai 1991. A cette date, il reporta de nouveau l’examen de l’affaire au 11 octobre 1991. Les requérants prétendent que toutes les parties étaient présentes à l’audience du 17 mai 1991 et qu’eux-mêmes avaient demandé à ce que l’affaire fût examinée. Toutefois, leurs adversaires s’y étant opposés, le Conseil d’Etat avait ordonné d’office l’ajournement. Selon le Gouvernement, la discussion de l’affaire ne pouvait avoir lieu le 17 mai 1991 à cause de l’abstention des avocats ainsi qu’il ressort de l’attestation de l’ordre des avocats d’Athènes. Il a aussi présenté à cet égard une attestation du greffe du Conseil d’Etat, du 31 octobre 1995. Le 11 octobre 1991, le recours en annulation donna lieu à une audience devant le Conseil d’Etat. Toutefois, l’Union nationale des employés de banque (OTOE), qui était intervenue dans la procédure, sollicita un ajournement. Le Conseil d’Etat décida d’accueillir la demande et reporta l’examen de l’affaire au 22 novembre 1991. Selon les requérants, la demande d’ajournement susmentionnée fut appuyée par la partie adverse, alors qu’eux-mêmes insistèrent pour que l’audience ait lieu. En effet, les autorités de l’Etat avaient elles-mêmes demandé cet ajournement, ce que prouve notamment une demande écrite présentée le 26 septembre 1991 par le ministre de l’Economie nationale, qui était intervenu dans la procédure concernant le recours en annulation devant le Conseil d’Etat. Le 22 novembre 1991, le recours introduit le 1er décembre 1986 fut finalement examinée. Le 17 avril 1992, fut rendu l’arrêt n° 1544/1992 par lequel l’assemblée plénière du Conseil d’Etat rejetait le recours. Le Conseil d’Etat rappela qu’en vertu de la loi n° 2190/1920, une décision prise par l’assemblée générale des actionnaires d’une société créée conformément à cette loi ne pouvait être contestée que par des actionnaires qui détenaient au moins 5 % du capital, étaient présents à l’assemblée lorsque la décision avait été adoptée et s’y étaient opposés. Le Conseil d’Etat estima que le Parlement avait de bonnes raisons d’imposer une telle restriction au droit d’accès aux tribunaux. Le droit de contester les décisions de l’assemblée générale ne devait appartenir qu’à des actionnaires étroitement associés aux activités de la société, auxquelles d’ordinaire les petits porteurs ne s’intéressaient pas. En outre, les concurrents de la société pouvaient très facilement acquérir un petit nombre d’actions et tenter de lui porter tort. Le Conseil d’Etat estima que les mêmes restrictions s’appliquaient au droit d’accès à un tribunal en vue de contester les décisions administratives approuvant celles de l’assemblée des actionnaires. Les actionnaires qui détenaient moins de 5 % du capital ne pouvaient contester une décision administrative de ce type que s’ils pouvaient démontrer qu’elle les touchait personnellement. Une augmentation du capital de la société ne pouvait en soi nuire aux intérêts d’un actionnaire détenant moins de 5 % du capital. Le Conseil considéra en outre que les mêmes règles étaient applicables lorsque l’augmentation de capital était décidée par un commissaire provisoire. En l’espèce, le 29 juillet 1986, les demandeurs détenaient 3,35 % du capital de la BGC (l’un 0,37 % et l’autre 2,98 %) et n’auraient donc pas été en mesure de contester l’augmentation de capital si celle-ci avait été décidée par l’assemblée générale des actionnaires. Les demandeurs ne pouvaient invoquer la baisse de pourcentage de capital qu’ils détenaient pour établir qu’ils avaient personnellement pâti de la décision d’augmenter le capital. De même, ils n’avaient fait valoir aucune autre circonstance qui aurait pu justifier une telle conclusion. En conséquence, le Conseil décida à la majorité de rejeter le recours en annulation, au motif que les demandeurs n’avaient pas qualité pour agir. Les procédures devant les juridictions civiles a) Les procédures judiciaires concernant les actions nos 10429/1986, 5220/1989, 11301/1990, 6137/1991 et 5055/1993 Le 22 décembre 1986, certains des requérants intentèrent l’action n° 10429/1986 contre la BGC et autres devant le tribunal de grande instance d’Athènes, en vue d’obtenir un jugement déclaratif constatant a) la nullité de la première augmentation de capital au motif que le deuxième commissaire provisoire (M. I. Papakonstantinos) n’avait pas compétence, en vertu du droit interne, pour prendre une telle décision qui était du ressort de l’assemblée générale des actionnaires, et b) l’illégalité et la nullité de la mise à la disposition des actionnaires-défendeurs de 1 030 000 nouvelles actions, décidée par le troisième commissaire provisoire (M. S. Kalamitsis), et à la suite de laquelle toutes ces personnes n’obtinrent pas légalement la qualité d’actionnaire, le droit de participer aux assemblées générales de la BGC et d’exercer tout autre droit appartenant à ses actionnaires. Une audience fut fixée au 4 février 1987. Toutefois, le 14 janvier 1987, deux des requérants se désistèrent de leur action n° 10429/1986. Par leur désistement (n° 1025/1987), ils déclarèrent devant le tribunal qu’ils reconnaissaient expressément, sans réserve et irrévocablement comme absolument légales, valides et inattaquables toutes les opérations auxquelles avaient procédé les deux commissaires provisoires susmentionnés (paragraphe 33 ci-dessus). Le 4 février 1987, le tribunal de grande instance d’Athènes décida de reporter au 18 février 1987 l’examen de l’action n° 10429/1986. Selon les requérants, cet ajournement fut ordonné à la demande de la partie adverse. Le 18 février 1987, le tribunal de grande instance d’Athènes examina l’action n° 10429/1986. Par la décision n° 3427/87 du 29 avril 1987, le tribunal décida de suspendre la procédure en attendant l’arrêt du Conseil d’Etat sur l’action connexe en annulation introduite le 1er décembre 1986 (paragraphe 23 ci-dessus). Selon les requérants, le tribunal agit ainsi à la demande de la partie adverse. De l’autre côté, le Gouvernement invoque le texte de ladite décision, selon lequel l’ajournement de la discussion de l’action n° 10429/1986 fut nécessaire, étant donné que cette action avait comme condition la validité de la nomination du troisième commissaire provisoire (M. S. Kalamitsis) ainsi que la légalité de la décision du commissaire provisoire antérieur (M. I. Papakonstantinos) sur l’augmentation de capital, des conditions qui constituaient l’objet d’un autre procès pendant devant le Conseil d’Etat (article 249 du code de procédure civile). Le 13 juin 1989, certains des requérants saisirent le tribunal de grande instance d’Athènes de l’action n° 5220/1989 à l’encontre de la BGC, visant à obtenir un jugement déclaratif constatant l’illégalité et la nullité de la deuxième augmentation de capital au regard du droit interne. Selon les demandeurs, du fait de l’illégalité de la première augmentation de capital, l’assemblée générale des actionnaires qui avait décidé de la deuxième augmentation n’avait pas été constituée en bonne et due forme. Une audience fut fixée au 11 octobre 1989. Le 11 octobre 1989, le tribunal de grande instance d’Athènes décida de reporter au 31 janvier 1990 l’examen de l’action n° 5220/1989. Selon les requérants, cet ajournement fut ordonné à la demande de la partie adverse. A l’audience du 31 janvier 1990, l’affaire ne fut pas appelée afin d’être discutée en raison de sa non-inscription au rôle, comme le certifie le greffier du tribunal de grande instance d’Athènes. Selon le Gouvernement, ce retard doit être imputé aux requérants qui n’ont pas effectué les démarches nécessaires pour faire inscrire leur action au rôle du tribunal. Le 23 novembre 1990, certains des requérants saisirent le tribunal de grande instance d’Athènes de l’action n° 11301/1990 à l’encontre de la BGC en vue d’obtenir un jugement déclaratif constatant l’illégalité et la nullité de la quatrième augmentation de capital (décidée par l’assemblée générale des actionnaires le 30 septembre 1990, paragraphe 19 ci-dessus) au regard du droit interne et du droit communautaire. L’illégalité et la nullité de la première augmentation et de la distribution des 1 030 000 nouvelles actions à de nouveaux actionnaires – décidée par le commissaire provisoire de l’époque – furent de nouveau alléguées. Une audience fut fixée au 5 juin 1991. Le 5 juin 1991, l’audience du tribunal de grande instance d’Athènes sur l’action n° 11301/1990 fut annulée en raison de la grève des avocats ce jour-là. Le 7 juin 1991, certains des requérants intentèrent l’action n° 6137/1991 à l’encontre de la BGC devant le tribunal de grande instance d’Athènes en vue d’obtenir un jugement déclaratif constatant l’illégalité et la nullité de la troisième augmentation de capital (décidée par l’assemblée générale des actionnaires le 11 juin 1989) au regard du droit interne et du droit communautaire. Ils avancèrent les mêmes motifs que pour les actions civiles précédentes. Une audience fut fixée au 2 octobre 1991. Le 23 juillet 1991, les parties demanderesses aux actions nos 10429/1986 (concernant la première augmentation de capital), 5220/1989 (concernant la deuxième augmentation) et 11301/1990 (concernant la quatrième augmentation), dont certains des requérants, prièrent le tribunal de grande instance d’Athènes de fixer une nouvelle date d’audience dans le cadre de ces actions. Le tribunal décida d’examiner les affaires le 18 décembre 1991. Le 2 octobre 1991, le tribunal de grande instance d’Athènes ajourna au 18 décembre 1991 l’examen de l’action n° 6137/1991 (concernant la troisième augmentation de capital). Le 18 décembre 1991, le tribunal de grande instance d’Athènes décida de reporter l’examen des actions nos 10429/1986, 5220/1989, 11301/1990 et 6137/1991 au 1er avril 1992, et à cette date de nouveau au 27 mai 1992. Selon le Gouvernement, ces ajournements furent nécessaires étant donné que l’arrêt du Conseil d’Etat sur le recours en annulation n’avait pas encore été rendu, condition qui avait été posée par la décision d’ajournement (n° 3427/87) de l’examen de la première action (n° 10429/1986). Le 12 mai 1992, certains des requérants intervinrent dans la procédure relative à l’action n° 10429/1986 pour soutenir les demandeurs. Une audience fut fixée au 27 mai 1992. Le 27 mai 1992, en dépit du fait que l’arrêt n° 1544/1992 du Conseil d’Etat avait été rendu le 17 avril 1992 (paragraphe 32 ci-dessus), l’audience consacrée à la discussion de toutes les actions fut annulée en raison d’une nouvelle grève des avocats du barreau d’Athènes. Le 29 juillet 1992, les demandeurs, dont certains des requérants, invitèrent le tribunal de grande instance d’Athènes à fixer une nouvelle date d’audience pour les actions nos 10429/1986, 5220/1989, 11301/1990 et 6137/1991. Le tribunal décida d’examiner ces actions le 11 novembre 1992. Toutefois, à cette date, l’audience sur les quatre actions pendantes fut annulée en raison de la grève des avocats d’Athènes. Le 16 décembre 1992, les demandeurs sollicitèrent une nouvelle date d’audience et le tribunal décida d’examiner les affaires le 17 janvier1993. Les requérants ont déclaré dans leur mémoire à la Cour qu’ils ont essayé, eux-mêmes, par toutes les assignations susmentionnées (klissis), d’accélérer la procédure devant les juridictions civiles (article 230 du code de procédure civile). Le 27 janvier 1993, le tribunal décida de reporter de nouveau l’examen des actions nos 10429/1986, 5220/1989, 11301/1990 et 6137/1991 au 12 mai 1993. Entre-temps, le 5 mai 1993, certains des requérants intentèrent l’action n° 5055/1993 devant le tribunal de grande instance d’Athènes, à l’appui des actions engagées les 22 décembre 1986 (n° 10429/1986) et 12 juin 1989 (n° 5220/1989). Par leur action incidente, ils sollicitèrent un jugement déclaratif constatant que les première et deuxième augmentations de capital avaient été décidées en violation des articles 25 § 1 et 29 de la deuxième directive du Conseil des Communautés européennes (n° 77/91). Une audience fut fixée au 12 mai 1993. A cette dernière date, le tribunal de grande instance d’Athènes examina les actions nos 10429/1986, 5220/1989, 11301/1990, 6137/1991 et 5055/1993. 53. Le 3 août 1993, le tribunal de grande instance d’Athènes rendit son jugement n° 5785/1993 dans les affaires susmentionnées. Estimant que certains des requérants n’avaient pas dûment habilité les avocats qui avaient comparu devant le tribunal à les représenter, il les débouta. Le tribunal décida également de ne pas examiner les moyens des requérants concernant l’impossibilité de fait d’exercer leur droit préférentiel, puisqu’ils n’avaient pas été soulevés à temps. Il rejeta également les quatre actions pour autant qu’elles concernaient l’allégation selon laquelle les augmentations de capital n’avaient pas été décidées conformément au droit interne. Toutefois, le tribunal saisit à titre préjudiciel la Cour de justice des Communautés européennes pour qu’elle statue sur les questions de droit communautaire soulevées par les affaires. Il se réserva de se prononcer sur l’exception des défendeurs, concernant l’exercice abusif des droits des demandeurs (article 281 du code civil grec), après l’examen de l’application du droit européen par la Cour de justice des Communautés européennes. Le 22 février 1996, la Cour de Luxembourg fit savoir qu’elle prononcerait son arrêt le 12 mars 1996. b) Les procédures judiciaires concernant les actions nos 23/1994, 45/1994 et 7968/1994 Le 3 janvier 1994, certains des requérants intentèrent l’action n° 23/1994 contre la BGC et autres : ils invitaient le tribunal de grande instance d’Athènes à poser une autre question préjudicielle à la Cour de justice des Communautés européennes afin de savoir si l’allégation de l’exception de l’article 281 du code civil grec, concernant l’exercice abusif de droit, pouvait rendre inapplicables les dispositions du droit communautaire et, en l’espèce, les articles 25 et 29 de la directive n° 77/91/CEE sur les sociétés. L’audience consacrée à leur action fut fixée au 16 février 1994. Le 4 janvier 1994, certains des requérants intentèrent l’action n° 45/1994 devant le tribunal de grande instance d’Athènes en vue d’obtenir un jugement déclaratif constatant l’illégalité et la nullité de la cinquième augmentation de capital (décidée les 22 juin et 22 octobre 1993) au regard du droit interne et du droit communautaire. Les motifs avancés étaient les mêmes que pour les actions précédentes. L’audience fut également fixée au 16 février 1994. Le 9 février 1994, le ministère des Finances intervint dans la procédure relative à l’action n° 45/1994. Une audience fut fixée au 25 mai 1994. Bien que le barreau d’Athènes eût appelé à la grève, les avocats des requérants avisèrent la partie adverse le 15 février 1994 que le barreau les avaient autorisés à comparaître le 16 février 1994 devant le tribunal de grande instance d’Athènes pour demander l’ajournement de l’examen des actions nos 23/1994 et 45/1994. Le 16 février 1994, le tribunal reporta l’examen des actions susmentionnées au 25 mai 1994. Selon les requérants, cette décision fut prise à la demande insistante de leurs adversaires. Le 22 février 1994, les requérants demandèrent au tribunal d’examiner les actions nos 23/1994 et 45/1994 le 16 mars 1994. Leur demande fut accueillie. Bien que le barreau d’Athènes eût appelé à la grève, les avocats des requérants avisèrent leurs adversaires le 11 mars 1994 que le barreau les avaient autorisés à comparaître le 16 mars 1994 devant le tribunal de grande instance d’Athènes. Toutefois, le 15 mars 1994, le barreau d’Athènes décida de révoquer cette autorisation. Selon les requérants, cette mesure fut prise sur les instances du gouverneur de la Banque de Grèce, qui était intervenu dans la procédure. L’audience du 16 mars 1994 concernant les actions nos 23/1994 et 45/1994 fut finalement annulée. Le 3 mars 1994, l’union des employés de la BGC intervint dans la procédure relative à l’action n° 45/1994. Une audience fut fixée au 25 mai 1994. Le 25 mai 1994, l’audience concernant l’action n° 23/1994 fut annulée car les demandeurs n’avaient pas effectué les démarches nécessaires pour faire inscrire l’action au rôle du tribunal. Selon les requérants, leurs avocats n’étaient pas présents à l’audience du 25 mai 1994 parce que le barreau d’Athènes avait de nouveau appelé à la grève et que leurs adversaires avaient usé de manœuvres abusives pour obtenir l’annulation de l’audience relative à l’action n° 23/1994 ainsi que l’ajournement de l’action n° 45/1994. Le 25 mai 1994, l’examen de l’action n° 45/1994 fut reporté au 1er février 1995. Le 12 juillet 1994, les requérants demandèrent au tribunal de fixer une nouvelle date d’audience afin d’accélérer la procédure des actions nos 23/1994 et 45/1994. Le tribunal désigna le 18 juillet 1994 comme jour d’audience. Toutefois, les requérants ne comparurent pas ce jour-là et la discussion des actions susmentionnées fut annulée. Le 24 août 1994, les requérants demandèrent une nouvelle date d’audience pour leur action incidente n° 23/1994 et le tribunal décida de reprendre l’examen de l’action le 2 novembre 1994. Le 5 septembre 1994, les requérants demandèrent que soit fixé un autre jour d’audience, plus proche, pour l’examen de leur action (n° 45/1994) concernant la cinquième augmentation du capital de la BGC. Le tribunal décida d’examiner l’affaire le 2 novembre 1994. Entre-temps, le 26 septembre 1994, certains des requérants intentèrent l’action n° 7968/1994 à l’encontre de la BGC et autres devant le tribunal de grande instance d’Athènes pour obtenir un jugement déclaratif constatant la nullité de la sixième augmentation de capital au regard du droit interne et du droit communautaire. Les motifs invoqués étaient les mêmes que pour les actions précédentes. Une audience fut également fixée au 2 novembre 1994. Le 2 novembre 1994, à la demande des adversaires des requérants, le tribunal décida de reporter l’audience concernant l’action n° 45/1994 au 1er février 1995 ; il remit également à la même date l’examen de l’action n° 7968/1994. Toujours le 2 novembre 1994, il examina aussi l’action n° 23/1994. Son jugement fut rendu le 31 janvier 1995. Le tribunal estima ne pas pouvoir se prononcer sur cette action pour autant qu’elle avait été introduite par M. G. Papadimitroulas, au motif que celui-ci ne faisait pas partie des requérants qui avaient demandé au tribunal le 7 novembre 1994 de reprendre l’examen de l’affaire. Il décida de la rejeter, pour autant qu’elle avait été introduite par les autres requérants, estimant qu’aucun problème d’interprétation du droit communautaire ne se posait en l’espèce et que seul le juge national était compétent pour se prononcer sur l’exception des défendeurs concernant l’exercice abusif des droits des demandeurs (article 281 du code civil). Le 7 novembre 1994, le tribunal, à la demande des requérants, décida de reprendre l’examen des actions nos 45/1994 et 7968/1994 le 14 décembre 1994. Selon le Gouvernement, l’accélération de la procédure en l’espèce n’était pas permise par la loi. Les 30 novembre et 12 décembre 1994, l’avocat des requérants se plaignit au barreau d’Athènes des manœuvres abusives dont avaient prétendument usé les avocats de la partie adverse le 25 mai 1994. Le 7 décembre 1994, les requérants demandèrent de nouveau au tribunal d’examiner l’action n° 7968/1994 le 14 décembre 1994. Le 14 décembre 1994, le tribunal décida de reporter l’examen des actions pendantes nos 45/1994 et 7968/1994 au 1er février 1995. Le 1er février 1995, le tribunal examina les deux actions susmentionnées et rendit son jugement n° 5883/1995 le 29 mai 1995. Il décida de suspendre l’examen des actions nos 45/1994 et 7968/1994 en attendant l’arrêt de la Cour de justice des Communautés européennes sur les questions préjudicielles qui lui avaient été posées le 3 août 1993, ainsi que son propre jugement quant aux actions précédentes nos 10429/1986, 5220/1989, 11301/1990, 6137/1991 et 5055/1993. Le tribunal fut amené à décider cet ajournement étant donné que les deux dernières actions nos 45/1994 et 7968/1994 visant à l’annulation des cinquième et sixième augmentations du capital de la BGC avaient les mêmes fondements en droit et en fait que les cinq premières actions susmentionnées. Par conséquent, l’ajournement jusqu’à l’achèvement du procès sur les cinq premières actions, qui étaient absolument semblables, s’imposait. c) L’arrêt de la Cour de justice des Communautés européennes et les procédures postérieures Le 6 juin 1995, la Cour de justice des Communautés européennes tint une audience sur les questions préjudicielles dont l’avait saisie le tribunal de grande instance d’Athènes le 3 août 1993. Le 12 mars 1996, elle rendit son arrêt sur le renvoi préjudiciel, concluant que l’augmentation du capital d’une société anonyme bancaire par la voie administrative emportait une violation de l’article 25 de la deuxième directive sur les sociétés, qui garantissait à chaque actionnaire le droit de voter sur la question. Elle rejeta également le moyen soulevé par le nouveau conseil d’administration de la BGC selon lequel l’action des requérants devant les juridictions civiles constituait un abus de droit. Elle déclara : « (...) il y aurait atteinte à l’application uniforme du droit communautaire et à son plein effet si un actionnaire se prévalant de l’article 25 § 1 de la deuxième directive était censé abuser de son droit au seul motif qu’il est un actionnaire minoritaire d’une société assujettie à un régime d’assainissement ou qu’il aurait bénéficié de l’assainissement de la société. En effet, étant donné que l’article 25 § 1 s’applique indistinctement à tous les actionnaires et indépendamment de l’issue d’une éventuelle procédure d’assainissement, le fait de qualifier un recours fondé sur l’article 25 § 1 d’abusif pour de pareils motifs reviendrait à modifier la portée de cette disposition. » Le 20 mars 1996, les requérants demandèrent de nouveau au tribunal de grande instance d’Athènes de fixer une date d’audience pour toutes leurs actions. Une audience fut fixée au 25 septembre 1996. Toutefois, cette assignation accélérée n’a jamais été signifiée à ceux auxquels elle s’adressait. Le 28 mars 1996, les requérants, par deux autres assignations (nos 1302 et 1303/96), demandèrent au tribunal de grande instance d’Athènes d’avancer la date de l’audience pour toutes leurs actions, au motif que la Cour de justice des Communautés européennes avait rendu une décision incidente ad hoc sur certains aspects juridiques de l’affaire. Une audience fut fixée au 29 mai 1996. Le 16 avril 1996, le tribunal, à la demande des adversaires des requérants (klissis), décida de reprendre le 25 septembre 1996 l’examen des actions nos 10429/1986, 5220/1989, 11301/1990, 6137/1991 et 5055/1993. Le 21 mai 1996, une intervention additionnelle fut déposée par soixante-quatorze anciens actionnaires en faveur de la BGC. Le tribunal de grande instance d’Athènes décida de tenir audience le 25 septembre 1996. Le 29 mai 1996, le tribunal ajourna l’examen des affaires pendantes au 25 septembre 1996, date déjà fixée pour l’examen de l’intervention exercée en faveur de la BGC. Il estima que ladite intervention n’avait pas été formulée pour faire traîner le procès. Finalement, l’audience ne put avoir lieu le 25 septembre 1996, car les tribunaux grecs ne fonctionnaient pas du 18 au 25 septembre 1996 en raison des élections législatives nationales. A la suite de deux assignations délivrées le 12 septembre 1996 par les requérants (nos 3047/96 et 3048/96), le tribunal de grande instance d’Athènes entendit, le 13 novembre 1996, les actions nos 10429/1986, 5220/1989, 11301/1990, 6137/1991, 5055/1993 ainsi que les actions nos 45/1994 et 7968/1994. Le 27 février 1997, furent publiées les décisions finales nos 1499/1997 et 1500/1997 qui rejetaient toutes les actions susmentionnées. Selon les requérants, le tribunal a rejeté leurs demandes « sans tenir compte des décisions de la Cour de justice des Communautés européennes », ce qui serait sans précédent dans le droit grec, et constituerait une grave atteinte au droit communautaire. Le défendeur – représenté par le ministre de l’Economie nationale et d’autres parties sous son contrôle – aurait invité le tribunal de grande instance d’Athènes par des observations écrites à ignorer totalement l’arrêt ad hoc de la Cour de Luxembourg. Toutefois la procédure devant les juridictions civiles est toujours pendante en raison du pourvoi (anairessi) des requérants auprès de la Cour de cassation. PROCéDURE DEVANT LA COMMISSION Les cent trente-deux requérants ont saisi la Commission le 30 juin 1992. Ils alléguaient plusieurs violations de l’article 6 § 1 de la Convention ainsi que des articles 13 et 25 de la Convention et 1 du Protocole n° 1. Le 18 janvier 1996, la Commission (première chambre) a retenu la requête (n° 20323/92) pour autant qu’elle concernait trente-cinq des requérants quant au grief tiré de la durée des procédures devant le Conseil d’Etat et le tribunal de grande instance d’Athènes et l’a déclarée irrecevable pour le surplus. Dans son rapport du 4 septembre 1996 (article 31), elle conclut, à l’unanimité, qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention dans deux des neuf procédures litigieuses. Le texte intégral de son avis figure en annexe au présent arrêt. CONCLUSIONS PRéSENTéES à LA COUR Dans son mémoire, le Gouvernement invite la Cour « à rejeter la requête sous examen ». A l’audience, les requérants ont demandé à la Cour de conclure à une violation de l’article 6 de la Convention « dans toutes les procédures civiles et non pas seulement dans celles retenues par la Commission ».
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LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Le requérant, citoyen britannique né en 1950, est actuellement détenu à la prison de Wandsworth, à Londres. En 1986, à une date non précisée, alors qu’il passait la frontière pour entrer en Grèce, il fut arrêté et accusé d’un meurtre, commis en juillet 1985 lors d’une précédente visite en Grèce, ainsi que de port et d’usage d’armes. Il démentit les accusations. Le tribunal correctionnel de Kastoria ordonna son placement en détention à une date non précisée. Le 28 février 1986, l’intéressé fut renvoyé en jugement par la chambre d’accusation du tribunal correctionnel (Symvoulio Plimmeliodikon) de Kastoria. La chambre d’accusation de la cour d’appel (Symvoulio Efeton) de Thessalonique le débouta le 27 novembre 1987 de son appel contre la décision du 28 février 1986 et l’accusa en outre de vol qualifié. Le 17 février 1988, après une audience qui dura un jour, la cour d’assises (Mikto Orkoto Dikastirio) de Thessalonique, composée de juges professionnels et de jurés, reconnut le requérant coupable sur tous les chefs d’accusation. Elle le condamna à la peine capitale pour meurtre, à la réclusion à vie pour vol qualifié et à cinq ans d’emprisonnement pour port et usage d’armes. Le 18 février 1988, le requérant interjeta appel de cette décision au motif que les preuves en la possession de la juridiction de jugement n’autorisaient pas un verdict de culpabilité. Le 6 octobre 1989, la cour d’appel criminelle (Mikto Orkoto Efeteio) de Thessalonique examina l’appel de l’intéressé. Celui-ci était représenté par un avocat commis d’office, Me H. Neuf témoins à charge ne se présentèrent pas. Selon le Gouvernement, le requérant demanda par l’intermédiaire de son défenseur un ajournement au motif qu’aucun des témoins présents n’était un témoin direct du meurtre, alors qu’en Angleterre se trouvait une personne qui connaissait les faits et qu’il fallait citer comme témoin. La cour d’appel accéda à la demande de M. Portington et ajourna l’audience sine die pour permettre de recueillir d’autres preuves. Le requérant le conteste ; il soutient qu’il n’a pas chargé son avocat de demander un ajournement et que la cour d’appel a renvoyé l’affaire au motif qu’il fallait entendre tous les témoins, dont les neuf qui ne s’étaient pas présentés à l’audience. Le procès recommença le 19 avril 1991. Selon le Gouvernement, le requérant demanda un report de l’affaire au motif qu’un avocat, un certain Me G., qui avait repris son affaire un an plus tôt, ne se trouvait pas à l’audience. Me H., qui était présent, se dit prêt à défendre le requérant. Le procureur estima que l’affaire devait être examinée ce jour-là. La cour décida d’en suspendre l’examen sine die pour permettre au requérant d’être représenté par Me G. L’intéressé soutient n’avoir pas demandé à la cour une suspension sine die mais simplement un bref report pour pouvoir prendre ses dispositions pour sa défense. Le 8 février 1993, le requérant comparut à nouveau devant la cour d’appel, représenté cette fois par un autre conseil, Me S. La défense demanda un renvoi au motif que six témoins à charge n’avaient pas comparu. L’accusation donna son accord et la cour d’appel ajourna le procès sine die. Le requérant affirme n’avoir pas demandé un report sine die mais simplement la comparution de tous les témoins. Entre le 27 mai et le 31 décembre 1993, les 16 et 17 février 1994, les 7 et 11 mars 1994, les 16 et 18 mars 1994, le 21 mars et le 13 mai 1994 ainsi qu’entre le 16 mai et le 30 juin 1994, les avocats furent en grève. Une nouvelle audience d’appel fut fixée au 5 décembre 1994. Selon le Gouvernement, le requérant sollicita un renvoi au motif qu’il souhaitait se faire représenter par un avocat que l’ambassade britannique lui avait trouvé et dont il ne cita pas le nom. Le procureur y consentit et la cour ajourna le procès sine die. Le requérant soutient toutefois que cela reflète la situation au 19 avril 1991 (paragraphe 12 ci-dessus) et qu’en décembre 1994 il était représenté par Me E., dont il ne souhaitait pas changer. La cour d’appel examina enfin l’affaire le 12 février 1996. Elle confirma le verdict de culpabilité mais commua la peine en réclusion à perpétuité. A l’époque où la Cour a connu de la cause, le requérant s’était pourvu en cassation. PROCéDURE DEVANT LA COMMISSION M. Portington a saisi la Commission le 11 mai 1995. Sur le terrain de l’article 6 § 1 de la Convention, il se plaignait de la durée de la procédure pénale dirigée contre lui. 17. La Commission (première chambre) a retenu la requête (n° 28523/95) le 16 octobre 1996. Dans son rapport du 10 septembre 1997 (article 31), elle conclut à l’unanimité qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention. Le texte intégral de son avis figure en annexe au présent arrêt. CONCLUSIONS PRéSENTéES à LA COUR Dans son mémoire, le requérant invite la Cour à constater que les faits révèlent une violation de l’article 6 § 1 de la Convention et à lui octroyer une satisfaction équitable au titre de l’article 50. Quant au Gouvernement, il prie la Cour de dire que l’article 6 § 1 n’a pas été méconnu en l’espèce.
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPèCE M. Couez est né en 1941 et réside à Saint-Quentin (Aisne). Le 20 janvier 1989, au cours du cross annuel organisé par la compagnie de CRS (Compagnies républicaines de sécurité) à laquelle il appartenait, il fut victime d’un infarctus. Après des arrêts de travail du 20 au 23 janvier 1989 et du 25 janvier au 11 avril 1989, motivés par son état de santé, il réintégra son poste. Le 8 février 1991, il sollicita un congé de longue maladie et demanda que son infarctus ainsi que les arrêts de travail postérieurs fussent reconnus imputables au service, afin que lui fût appliqué le statut des fonctionnaires de police blessés en service commandé. Le 3 mai 1991, le comité médical interdépartemental donna un avis défavorable à la demande de congé de longue maladie. Le 14 mai 1991, M. Couez fut notifié du refus de son administration de lui accorder un tel congé. Par une lettre du 27 décembre 1991, le préfet de la région Nord-Pasde-Calais informa le requérant de l’avis défavorable émis par la commission de réforme quant à l’imputabilité au service de l’arrêt de travail ainsi que de l’avis favorable à ce que soit constatée son inaptitude définitive aux fonctions de policier actif et à son reclassement dans le corps des personnels administratifs jusqu’à sa mise à la retraite à soixante ans ; il précisait qu’en cas de refus de reclassement, par M. Couez ou le ministère de l’Intérieur, la mise à la retraite de l’intéressé pour invalidité serait alors prononcée avec effet immédiat. A. Le recours contre le refus de l’administration d’imputer les arrêts de travail à un accident de service Le 20 janvier 1992, le requérant saisit le tribunal administratif d’Amiens d’un recours contre la décision du préfet, du 27 décembre 1991, l’informant que la commission de réforme avait refusé de considérer qu’un arrêt de travail du 8 avril 1990 était imputable à un accident de service. Le 5 février 1992, il sollicita également le sursis à exécution de cette décision. Entre-temps, le 25 janvier 1992, M. Couez avait refusé son reclassement dans le corps des personnels administratifs et, le 3 février 1992, le ministre de l’Intérieur l’avait déclaré inapte aux fonctions de policier actif et l’avait placé à titre rétroactif en congé de maladie ordinaire à compter du 8 août 1990. 9. Par un jugement du 2 juillet 1992, le tribunal administratif d’Amiens rejeta la demande de sursis à exécution de la décision du 27 décembre 1991. Le 10 juillet 1992, M. Couez fut placé en disponibilité d’office sans traitement à compter du 8 août 1991, date à laquelle il avait épuisé ses droits à congé de maladie ordinaire. Le 4 septembre 1992, il fut maintenu par une nouvelle décision dans la même situation. Le 5 août 1992, le préfet informa le requérant que le docteur B. avait été désigné pour l’examiner aux fins de son admission à la retraite pour invalidité. Le 24 mars 1993, le requérant présenta une requête auprès du tribunal administratif d’Amiens tendant à ce que son président statuât par voie de référé sur le recours introduit le 20 janvier 1992 (paragraphe 8 ci-dessus). Par une ordonnance du 25 mars 1993, le président du tribunal administratif rejeta la requête. Le 24 janvier 1994, M. Couez fut mis à la retraite pour invalidité. Le 31 mai 1995, le tribunal administratif, par un jugement avant dire droit, ordonna une expertise médicale du requérant. Le 28 juin 1996, il annula les décisions des 10 juillet et 4 septembre 1992, en ce qu’elles maintenaient M. Couez en disponibilité d’office sans traitement à compter du 15 janvier 1992 ; il annula aussi la décision du 24 janvier 1994 plaçant celui-ci en retraite pour invalidité (paragraphe 12 ci-dessus) ; le tribunal jugea que c’était le 25 janvier 1992, date à laquelle il avait refusé la proposition de reclassement qui lui avait été faite (paragraphe 8 ci-dessus), que le requérant devait être admis à la retraite. Le 25 juillet 1995, M. Couez avait formé un appel contre le jugement avant dire droit du 31 mai 1995, lequel était encore pendant devant la cour administrative d’appel de Nancy au jour du prononcé du présent arrêt. Selon le Gouvernement, le requérant a déposé, entre le 20 janvier 1992 (date de la saisine du tribunal administratif d’Amiens) et le 28 juin 1996 (date à laquelle ce tribunal rendit son jugement), vingt-sept mémoires. B. Le recours contre la mise en disponibilité sans traitement Par ailleurs, le 18 mars 1992, M. Couez avait engagé devant le tribunal administratif d’Amiens un recours contre la décision du 10 juillet 1992 le plaçant en disponibilité d’office sans traitement (paragraphe 9 ci-dessus). Il s’en désista par la suite et, le 31 mai 1995, le tribunal administratif rendit un jugement donnant acte de ce désistement. Contre ce jugement, le requérant interjeta, le 31 juillet 1995, un appel, lequel était encore pendant devant la cour administrative d’appel de Nancy, au jour du prononcé du présent arrêt. Selon le Gouvernement, le requérant déposa sept mémoires devant le tribunal administratif d’Amiens (entre le 18 mars 1992 et le 31 mai 1995), et trois devant la cour administrative d’appel de Nancy (entre le 31 juillet 1995 et le 4 juin 1996). II. LE DROIT INTERNE PERTINENT Les articles pertinents de la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l’Etat se lisent ainsi : Article 34 « Le fonctionnaire en activité a droit : (...) A des congés de maladie dont la durée totale peut atteindre un an pendant une période de douze mois consécutifs en cas de maladie dûment constatée mettant l’intéressé dans l’impossibilité d’exercer ses fonctions. Celui-ci conserve alors l’intégralité de son traitement pendant une durée de trois mois ; ce traitement est réduit de moitié pendant les neuf mois suivants. (...) Toutefois, si la maladie provient de l’une des causes exceptionnelles prévues à l’article L. 27 du Code des pensions civiles et militaires de retraite ou d’un accident survenu dans l’exercice ou à l’occasion de l’exercice de ses fonctions, le fonctionnaire conserve l’intégralité de son traitement jusqu’à ce qu’il soit en état de reprendre son service ou jusqu’à sa mise à la retraite. Il a droit, en outre, au remboursement des honoraires médicaux et des frais directement entraînés par la maladie ou l’accident. A des congés de longue maladie d’une durée maximale de trois ans dans les cas où il est constaté que la maladie met l’intéressé dans l’impossibilité d’exercer ses fonctions, rend nécessaire un traitement et des soins prolongés et qu’elle présente un caractère invalidant et de gravité confirmée. Le fonctionnaire conserve l’intégralité de son traitement pendant un an ; le traitement est réduit de moitié pendant les deux années qui suivent. (...) » Article 51 « La disponibilité est la position du fonctionnaire qui, placé hors de son administration ou service d’origine, cesse de bénéficier, dans cette position, de ses droits à l’avancement et à la retraite. La disponibilité est prononcée, soit à la demande de l’intéressé, soit d’office à l’expiration des congés prévus aux paragraphes 2, 3 et 4 de l’article 34 ci-dessus. Le fonctionnaire mis en disponibilité qui refuse successivement trois postes qui lui sont proposés en vue de sa réintégration peut être licencié après avis de la commission administrative paritaire. » Article 65 « Le fonctionnaire qui a été atteint d’une invalidité résultant d’un accident de service ayant entraîné une incapacité permanente d’au moins 10 p. 100 ou d’une maladie professionnelle peut prétendre à une allocation temporaire d’invalidité cumulable avec son traitement dont le montant est fixé à la fraction du traitement minimal (...) correspondant au pourcentage d’invalidité. Les conditions d’attribution ainsi que les modalités de concession, de liquidation, de paiement et de révision de l’allocation temporaire d’invalidité sont fixées par un décret en Conseil d’Etat qui détermine également les maladies d’origine professionnelle. » PROCéDURE DEVANT LA COMMISSION M. Couez a saisi la Commission le 8 juillet 1993. Il alléguait une violation de l’article 6 § 1 de la Convention résultant de la longueur des procédures qu’il a engagées devant les juridictions administratives. La Commission (deuxième chambre) a retenu la requête (n° 24271/94) le 27 novembre 1996. Dans son rapport du 21 mai 1997 (article 31), elle conclut à l’unanimité qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1. Le texte intégral de son avis figure en annexe au présent arrêt. CONCLUSIONS PRéSENTéES à LA COUR PAR LE GOUVERNEMENT Dans son mémoire le Gouvernement prie la Cour de rejeter la requête de M. Couez.
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Ressortissant français né en 1957, M. Lambert réside à Buzet-sur-Tarn. A. Le déroulement de l’instruction et l’interception des conversations téléphoniques du requérant Dans le cadre d’une information judiciaire ouverte des chefs de vols, vols avec effraction, recels de vols simples et aggravés, et détention sans autorisation d’armes et de munitions de la quatrième catégorie, un juge d’instruction de Riom délivra une commission rogatoire, le 11 décembre 1991, donnant mission aux services de gendarmerie de faire établir un dispositif d’écoutes téléphoniques sur une ligne attribuée à R.B., pour une durée expirant le 31 janvier 1992. Par « soit transmis » des 31 janvier, 28 février et 30 mars 1992, le juge d’instruction prorogea la mise en place du dispositif jusqu’au 29 février, puis jusqu’au 31 mars, et finalement jusqu’au 31 mai 1992. A la suite de ces écoutes et de l’interception de certaines de ses conversations, le requérant fut inculpé de recel de vol aggravé et détenu du 15 mai au 30 novembre 1992, date où il fut mis en liberté sous contrôle judiciaire. B. Les procédures engagées par le requérant Le recours devant la chambre d’accusation de la cour d’appel de Riom Par une requête du 5 avril 1993, le conseil de l’intéressé souleva devant la chambre d’accusation de la cour d’appel de Riom la nullité des renouvellements des 31 janvier et 28 février 1992, au motif qu’ils avaient été ordonnés par un simple « soit transmis » et sans référence aux infractions motivant les écoutes, et que le délai de quatre mois qui aurait pu être prescrit par la commission rogatoire du 11 décembre 1991 était expiré depuis le 11 avril 1992. Le 25 mai 1993, la cour d’appel de Riom rejeta la requête de M. Lambert, par les motifs suivants : « (...) suivant les dispositions combinées des articles 100, 100-1 et 100-2 du code de procédure pénale [paragraphe 15 ci-dessous], la décision d’interception de correspondances émises par la voie des télécommunications doit être écrite et comporter tous les éléments d’identification de la liaison à intercepter, l’infraction qui motive un tel recours, ainsi que la durée de l’interception limitée à quatre mois, mais renouvelable dans les mêmes conditions de forme et de durée. Attendu qu’en l’espèce, il est constant que la commission rogatoire du 11 décembre 1991 satisfait aux prescriptions des articles susmentionnés, dans la mesure où elle comporte le numéro de la liaison à intercepter, la durée inférieure à quatre mois et les infractions qui motivent le recours, punies de peines correctionnelles supérieures à deux années d’emprisonnement. Qu’il apparaît également d’une part, que les décisions de renouvellement prises sous la forme de ‘soit transmis’ sont écrites et mentionnent le numéro de l’information concernée, d’autre part qu’elles sont le prolongement de la décision initiale du 11 décembre 1991 et s’y réfèrent nécessairement, enfin que leur durée est inférieure à quatre mois, ce qui les rend conformes aux exigences de l’article 100-2 du code de procédure pénale. » Le recours devant la Cour de cassation Le requérant forma un pourvoi en cassation contre l’arrêt du 25 mai 1993 et souleva, comme moyen unique de cassation, la violation de l’article 8 de la Convention et des articles 100 et suivants du code de procédure pénale en raison de ce que les prorogations des écoutes litigieuses, par simples « soit transmis », ne comportaient aucune motivation. Par un arrêt du 27 septembre 1993, la Cour de cassation confirma la décision attaquée et considéra que l’intéressé était « sans qualité pour critiquer les conditions dans lesquelles [avait] été ordonnée la prolongation d’écoutes téléphoniques sur une ligne attribuée à un tiers », et que, dès lors, « les moyens, qui discut[aient] les motifs par lesquels la chambre d’accusation [avait] cru devoir à tort examiner, pour les rejeter, [les] exceptions de nullité, [étaient] irrecevables ». II. Le droit interne pertinent Les dispositions pertinentes du code de procédure pénale (loi n° 91-646 du 10 juillet 1991 sur le secret des correspondances émises par la voie des télécommunications) sont ainsi rédigées : Article 100 « En matière criminelle et en matière correctionnelle, si la peine encourue est égale ou supérieure à deux ans d’emprisonnement, le juge d’instruction peut, lorsque les nécessités de l’information l’exigent, prescrire l’interception, l’enregistrement et la transcription de correspondances émises par la voie des télécommunications. Ces opérations sont effectuées sous son autorité et son contrôle. La décision d’interception est écrite. Elle n’a pas de caractère juridictionnel et n’est susceptible d’aucun recours. » Article 100-1 « La décision prise en application de l’article 100 doit comporter tous les éléments d’identification de la liaison à intercepter, l’infraction qui motive le recours à l’interception ainsi que la durée de celle-ci. » Article 100-2 « Cette décision est prise pour une durée maximum de quatre mois. Elle ne peut être renouvelée que dans les mêmes conditions de forme et de durée. » Article 100-3 « Le juge d’instruction ou l’officier de police judiciaire commis par lui peut requérir tout agent qualifié d’un service ou organisme placé sous l’autorité ou la tutelle du ministre chargé des télécommunications ou tout agent qualifié d’un exploitant de réseau ou fournisseur de services de télécommunications autorisé, en vue de procéder à l’installation d’un dispositif d’interception. » Article 100-4 « Le juge d’instruction ou l’officier de police judiciaire commis par lui dresse procès-verbal de chacune des opérations d’interception et d’enregistrement. Ce procès-verbal mentionne la date et l’heure auxquelles l’opération a commencé et celles auxquelles elle s’est terminée. » Article 100-5 « Le juge d’instruction ou l’officier de police judiciaire commis par lui transcrit la correspondance utile à la manifestation de la vérité. Il en est dressé procès-verbal. Cette transcription est versée au dossier. Les correspondances en langue étrangère sont transcrites en français avec l’assistance d’un interprète requis à cette fin. » Article 100-6 « Les enregistrements sont détruits, à la diligence du procureur de la République ou du procureur général, à l’expiration du délai de prescription de l’action publique. Il est dressé procès-verbal de l’opération de destruction. » Article 100-7 « Aucune interception ne peut avoir lieu sur la ligne d’un député ou d’un sénateur sans que le président de l’assemblée à laquelle il appartient en soit informé par le juge d’instruction. Aucune interception ne peut avoir lieu sur une ligne dépendant du cabinet d’un avocat ou de son domicile sans que le bâtonnier en soit informé par le juge d’instruction. Les formalités prévues par le présent article sont prescrites à peine de nullité. » PROCéDURE DEVANT LA COMMISSION M. Lambert a saisi la Commission le 8 février 1994. Il alléguait que l’interception de certaines conversations téléphoniques utilisées contre lui constituait une atteinte au respect de sa vie privée et de sa correspondance, contraire à l’article 8 de la Convention ; il soutenait également qu’il n’avait pas disposé d’un recours effectif devant la Cour de cassation, au mépris de l’article 13 de la Convention. La Commission a retenu la requête (n° 23618/94) le 2 septembre 1996. Dans son rapport du 1er juillet 1997 (article 31), elle conclut, par vingt voix contre douze, qu’il y a eu violation de l’article 8 de la Convention et, par vingt-sept voix contre cinq, qu’il n’y a pas lieu d’examiner l’affaire aussi sous l’angle de l’article 13 de la Convention. Le texte intégral de son avis et des deux opinions dissidentes dont il s’accompagne figure en annexe au présent arrêt. conclusions présentées à la cour Dans son mémoire, le Gouvernement conclut « au rejet de la requête déposée par M. Lambert ». De son côté, le requérant demande à la Cour de « - dire et juger que les dispositions de l’article 8 de la Convention (...) ont été méconnues ; - lui accorder la somme de 500 000 francs à titre de satisfaction équitable ».
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE A. Les requérants Tinnelly & Sons Ltd (ci-après « Tinnelly »), la première requérante, est un entrepreneur ayant son siège en Irlande du Nord et spécialisé dans la démolition et le démantèlement d’usines ainsi que dans le désamiantage. M. Patrick Tinnelly, le second requérant, est le directeur général de la société et son frère, M. Gerard Tinnelly, le troisième requérant, en est le secrétaire général. Les deuxième et troisième requérants sont catholiques. MM. Kevin McElduff, Michael McElduff, Paddy McElduff et Barry McElduff, les autres requérants (ci-après « les McElduff »), sont des menuisiers indépendants installés en Irlande du Nord. Tous sont catholiques. Les requêtes à la Commission ont pour origine un contexte de faits analogues et une même pratique administrative et elles posent les mêmes problèmes au regard de la Convention. Les faits afférents aux griefs de Tinnelly figurent à la section 1, ceux concernant les griefs des McElduff à la section 2. Les griefs formulés par Tinnelly a) L’invitation à soumissionner En 1984, la compagnie d’électricité d’Irlande du Nord (Northern Ireland Electricity Services – ci-après « NIE ») mit en adjudication la démolition de la centrale électrique « A » de Ballylumford et l’achat des matériaux de récupération. La société Tinnelly, figurant sur une liste d’entrepreneurs agréés, exprima son intérêt pour un tel contrat et, après être entrée en rapport avec NIE, fit une offre le 28 mars 1985. Vu cette offre compétitive ainsi que l’expérience de l’entreprise dans les travaux de démolition, une commission de direction de la NIE, réunie le 2 mai 1985, recommanda d’accepter l’offre. Il semblerait que les responsables de la NIE fussent satisfaits tant des soutiens financiers que Tinnelly s’était assurée comme condition pour se voir confier l’exécution du marché que de sa capacité à entreprendre et achever les travaux. Vu la fréquence de ses contacts avec NIE à l’époque, Tinnelly agit dans l’idée qu’elle avait emporté le marché. 13. Or le 26 juin 1985, fut adoptée une recommandation révisée préconisant de confier l’exécution du marché à l’entreprise qui avait soumis la meilleure offre après la requérante, à savoir la société McWilliam Demolition Ltd (ci-après « McWilliam »), dont le siège est à Glasgow. Le contrat fut finalement signé avec McWilliam qui devait commencer les travaux le 5 août 1985. Tinnelly reçut le 28 juin 1985 une lettre confirmant qu’elle n’avait pas emporté le marché. Elle ne fut pas informée des motifs de cette décision. b) Le contrat de sous-traitance proposé avec McWilliam Par la suite, le 21 août 1985, Tinnelly soumit une offre détaillée à McWilliam pour le désamiantage du site de Ballylumford. McWilliam se mit en rapport avec elle pour examiner les conditions d’une sous-traitance. Une réunion fut prévue pour le 29 août 1985 au bureau de Tinnelly à Newry. L’entreprise fut cependant informée ce jour-là que McWilliam avait décidé d’annuler la réunion. Elle apprit ultérieurement par le directeur de McWilliam que, pour des raisons de sécurité, la NIE n’avait pas jugé les salariés de Tinnelly acceptables ; c’était pourquoi la sous-traitance n’avait pas été signée. Dans les détails de la plainte qu’elle soumit à l’agence pour l’égalité en matière d’emploi (Fair Employment Agency) (paragraphe 15 ci-dessous), Tinnelly fit valoir que, selon McWilliam, elle était la mieux placée pour obtenir le marché de Ballylumford, mais ne l’avait finalement pas emporté car les syndicats de la place n’auraient pas permis aux employés de Tinnelly de pénétrer sur le site et « il n’était pas question de laisser des sympathisants de l’IRA travailler à leurs côtés ». c) La plainte à l’agence pour l’égalité en matière d’emploi (« la FEA ») Tinnelly estima s’être vu refuser les contrats avec NIE et McWilliam en raison de convictions religieuses et/ou d’opinions politiques que des tiers leur prêtaient à elle et ses employés, et avoir été, pour ce motif, victime d’une discrimination illégale. La société se fondait sur les informations recueillies chez McWilliam (paragraphe 14 ci-dessus). Elle déposa plainte les 24 juillet et 2 septembre 1985 auprès de la FEA, organisme public chargé, en vertu de la loi de 1976 sur l’égalité en matière d’emploi en Irlande du Nord (Fair Employment Northern Ireland Act 1976 – la « loi de 1976 »), de promouvoir l’égalité des chances dans la province et d’éliminer toute discrimination religieuse ou politique dans le secteur de l’emploi et les domaines connexes (paragraphes 41–43 ci-dessous). Depuis 1989 la FEA est connue sous le nom de commission pour l’égalité en matière d’emploi (paragraphe 43 ci-dessous). d) La tentative d’enquête de la FEA La FEA notifia le 13 septembre 1985 à NIE le détail des accusations de discrimination illégale. NIE répondit le 24 septembre que McWilliam s’était vu accorder le marché de Ballylumford en raison de l’expérience notoire de cette société dans le démantèlement en toute sécurité de centrales électriques et dans la manipulation de l’amiante et que, pour cette raison, NIE n’avait pas voulu que la partie du contrat concernant le désamiantage fût sous-traitée à une autre entreprise. La lettre de NIE évoquait également le fait que Tinnelly n’avait pas pris de mesures pour concrétiser les garanties présentées lors de la soumission pour le marché de Ballylumford, ce qui expliquait la fréquence des contacts entre elles deux à l’époque (paragraphe 12 ci-dessus). Agissant en vertu des pouvoirs que lui conférait l’article 23 de la loi de 1976 (paragraphes 42 et 43 ci-dessous), la FEA accepta d’enquêter sur le grief de Tinnelly selon lequel la décision de NIE aurait été influencée par les pressions inspirées par le fanatisme des syndicats à Ballylumford. NIE estima que la FEA n’était pas compétente, la protection offerte par l’article 23 n’étant pas accessible aux personnes morales telles que Tinnelly. NIE sollicita en conséquence contre la FEA une injonction de ne pas enquêter, ainsi qu’une déclaration précisant qu’il n’y avait pas de grief valable et que la FEA n’était pas compétente. Le juge Nicholson de la High Court of Justice d’Irlande du Nord rejeta cette thèse le 9 septembre 1987. NIE ne fit pas appel de la décision et la FEA poursuivit donc son enquête. e) Le certificat émis au titre de l’article 42 et sa contestation en droit Le 20 octobre 1987, un responsable de NIE demanda formellement au ministre pour l’Irlande du Nord, par le biais d’un fonctionnaire de la Direction du Développement économique (« la DDE ») de délivrer, au titre de l’article 42 de la loi de 1976, un certificat aux termes duquel la décision de ne pas confier le marché en question à Tinnelly était « une mesure prise pour sauvegarder la sécurité nationale et protéger la sûreté et l’ordre publics » (paragraphe 45 ci-dessous). Le ministre émit le 28 octobre 1987 le certificat qui, selon l’article 42 § 2 de la loi de 1976, constituait une preuve irréfragable que la mesure avait été prise dans le but énoncé (paragraphe 45 ci-dessous). La FEA engagea une procédure de contrôle juridictionnel devant la High Court of Justice d’Irlande du Nord et demanda au juge Nicholson une ordonnance de certiorari annulant la décision ministérielle d’émettre le certificat et déclarant ladite décision nulle et non avenue. Les avocats de la FEA soutenaient notamment que le certificat avait été requis et délivré en toute mauvaise foi, était irrationnel, déraisonnable et abusif, et visait un but secondaire impropre, à savoir empêcher la FEA d’enquêter sur une plainte de discrimination illégale. NIE fut convoquée en qualité de partie associée à la procédure (notice party). f) La procédure incidente de divulgation de documents i. A l’encontre du ministre Au cours de la procédure de contrôle juridictionnel, la FEA sollicita une ordonnance en divulgation d’un certain nombre de documents détenus par le ministre. Le juge Nicholson rendit l’ordonnance le 10 mai 1988 et le ministre s’y conforma en produisant plusieurs documents. Certains d’entre eux étaient cependant scellés ou protégés au motif que leur communication sous une autre forme porterait atteinte à l’intérêt général. Ces documents étaient couverts par un certificat d’immunité d’intérêt général délivré par le ministre le 13 septembre 1988. Celui-ci déclarait notamment que : « 6. Pour m’assurer qu’(…) il y avait des raisons valables de [signer le certificat établi au titre de l’article 42], j’ai jugé nécessaire de prendre connaissance des informations sur lesquelles NIE prétendait avoir fondé sa décision. J’ai également estimé utile de me procurer, en toute indépendance, des informations me permettant de confirmer, autant que possible, que la sécurité nationale et/ou l’ordre public étaient en l’espèce réellement menacés. NIE est responsable de l’alimentation (…) ininterrompue de l’Irlande du Nord en électricité. Pour s’acquitter de cette charge, elle doit disposer de toutes les informations pertinentes susceptibles de réduire ou d’éviter les risques de rupture de l’alimentation (…) dus à des motifs illégaux tels que des actes de terrorisme et, dans le cas du contrat [en question], j’estime que NIE a réellement obtenu ces informations. La divulgation de certains renseignements recueillis par elle révélerait à ceux qui participent à des activités illégales, actes de terrorisme notamment, la nature de ces renseignements, la portée des informations les concernant et, éventuellement, leur source. Cela risquerait de mettre des vies en péril et de compromettre l’obtention de ce genre d’informations à l’avenir. (…) Divulguer le processus par lequel ces informations sont recueillies pourrait nuire à son efficacité. A mon sens, la divulgation des informations sur la présente affaire, que je me suis procurées en toute indépendance, permettrait aux organisations terroristes de connaître la nature et la portée des renseignements les concernant, ce qui les aiderait à perpétrer leurs actes illégaux (…) 9. J’ai lu dix documents qui m’ont été communiqués. Chacun d’eux contient des informations du type décrit aux paragraphes 7 et 8. (…) J’estime que pour sauvegarder la sécurité nationale et protéger la sûreté et l’ordre publics, il serait contraire à l’intérêt général que l’un des documents précités soit divulgué dans cette procédure, sauf à être scellé et protégé de manière à empêcher la divulgation desdites informations. » La FEA n’a pas contesté l’opposition du ministre à la production de ces documents pour des raisons d’intérêt général. ii. A l’encontre de NIE, partie associée à la procédure Le 8 décembre 1988, la FEA sollicita – toujours dans le cadre de la procédure de contestation du certificat – une ordonnance contraignant NIE, partie associée à la procédure de contrôle juridictionnel (paragraphe 19 ci-dessus), à divulguer les documents. Une injonction de produire une liste de documents fut délivrée le 9 décembre 1988. NIE divulgua les documents à l’exception de dix-neuf pièces concernant la décision de ne pas confier le marché à Tinnelly. NIE s’opposa à la production de ces derniers documents au motif qu’elle serait contraire à l’intérêt général. La FEA contesta cette opposition et, le 13 décembre 1988, le ministre délivra un autre certificat d’immunité au nom de l’intérêt général. Celui-ci reprenait l’essentiel du paragraphe 7 du certificat du 13 septembre 1988 (paragraphe 20 ci-dessus) et poursuivait : « 5. J’ai lu ce qu’on m’a présenté comme les copies de dix-sept documents détenus par NIE (...) Ces documents révèlent les méthodes suivies par NIE pour se procurer les informations nécessaires à la protection du réseau électrique, ainsi que les sources d’informations et les renseignements obtenus. J’ai également lu ce que l’on m’a dit être les copies d’une note datée du 7 septembre 1987 (…), du procès-verbal d’une [réunion] daté du 26 avril 1985 et d’une lettre du 8 septembre 1987 (…) Pour les raisons que j’ai exposées dans les paragraphes précédents, j’estime que, pour sauvegarder la sécurité nationale et protéger la sûreté et l’ordre publics, ni les documents mentionnés au paragraphe 5 ni leur teneur ne doivent être admis comme preuves dans cette procédure, vu la catégorie dont ils relèvent et que j’ai décrite, et vu les informations qu’ils contiennent. Je pense en outre que, pour ces raisons, le document (…) que j’ai mentionné au paragraphe 6 ne doit pas être admis comme preuve, sauf à être scellé et protégé. » Le 16 mars 1989, le juge Nicholson examina une demande incidente formée par la FEA qui contestait le certificat d’immunité au nom de l’intérêt général délivré par le ministre le 13 décembre 1988. Il fit précéder son arrêt de commentaires selon lesquels, dans la mesure où il avait vu certains documents qui n’avaient pas été présentés à l’ensemble des parties, il jugeait préférable qu’un autre juge se prononçât sur le bien-fondé de la demande de contrôle juridictionnel. 25. Le juge Nicholson déclara que les documents déjà produits en justice, indiquant les motifs sur lesquels NIE avait fondé sa décision de ne pas confier le contrat de Ballylumford à la société Tinnelly, faisaient peser sur NIE et les conseillers du ministre une présomption de mauvaise foi. Il estima dans un premier temps que les raisons initialement invoquées à l’appui du refus de confier à l’intéressée l’exécution du marché ne renvoyaient pas à des motifs de sécurité, et qu’elles avaient longtemps été réitérées (paragraphe 16 ci-dessus). Il releva également des contradictions dans le motif invoqué à l’appui de ce refus : d’abord présentée comme une société qui avait de l’expérience dans la manipulation de l’amiante et qui avait effectué, en sous-traitance, des travaux de démolition dans des centrales électriques, l’entreprise avait ensuite (après réception des informations relatives à la sécurité) été décrite comme « inexpérimentée » en matière de démolition de centrales électriques. Il rappela qu’au dire de Tinnelly le soumissionnaire choisi, McWilliam, avait affirmé que les requérants étaient les mieux placés pour obtenir le marché mais qu’on ne le leur avait pas confié « parce que les syndicats de Ballylumford ne l’admettraient pas » et qu’ils avaient dit « qu’il n’était pas question de laisser des sympathisants de l’IRA travailler à leurs côtés ». S’agissant des documents dont on demandait la divulgation, le juge Nicholson déclara : « Je suis convaincu que si le tribunal admet qu’un document n’a pas été divulgué parce qu’il concernait la sécurité nationale et ne pouvait pas être toiletté de façon qu’en fût supprimé l’aspect sécurité nationale, je n’irai pas jusqu’à mettre en balance cet intérêt de sécurité nationale et ceux de la justice car c’est au Gouvernement qu’il appartient de faire cet exercice de mise en balance. (…) Si le tribunal estime qu’un document n’a pas d’incidence sur « la sécurité nationale » mais a d’autres aspects « d’intérêt général » et aidera très probablement beaucoup la FEA sur les questions litigieuses en cause, il envisagera les autres objections d’intérêt général à la production dudit document et mettra en balance les intérêts concurrents, d’une part, de protection de l’intérêt général à veiller à la sûreté et à l’ordre publics et, d’autre part, de l’intérêt général à une bonne administration de la justice – à savoir que l’équité et la transparence exigent de ne pas priver une partie de documents qui sont ou seront très probablement de nature à appuyer nettement sa cause. (…) » Et le juge de poursuivre : « Je repousse toute argumentation tendant à dire qu’un juge de la High Court en Irlande du Nord n’aurait pas compétence pour décider du point de savoir si un document est susceptible de concerner la sécurité nationale ou si un type de documents est susceptible de concerner la sécurité nationale. J’admets cependant que si la divulgation d’un document est susceptible de mettre en péril la sécurité nationale, ce n’est pas au tribunal de mettre en balance cet impératif avec d’autres considérations d’intérêt général, mais c’est au ministère compétent de pratiquer cet exercice. (…) » Le juge Nicholson ordonna que soient communiqués au tribunal, en vue de leur inspection, les dix-sept documents pour lesquels une « demande globale » avait été présentée, ainsi que les deux partiellement scellés ou protégés. iii. L’inspection des documents et le résultat de la procédure incidente Le 19 avril 1989, après avoir lu les documents protégés par le certificat du 13 décembre 1988 (qui n’avaient été communiqués ni à la FEA ni aux requérants), le juge Nicholson déclara qu’aucun de ces documents n’appuyait la demande de contrôle juridictionnel. Il accueillit la requête d’immunité au nom de l’intérêt général concernant les documents 1 à 14, qui portaient sur les contrôles confidentiels effectués par la Police royale de l’Ulster (Royal Ulster Constabulary – la « RUC ») sur Tinnelly et ses employés. Il estima que les documents 15 à 18, internes à NIE, pouvaient être divulgués en partie et que le document 19 pouvait l’être en totalité. Il conclut : « Je suis convaincu que la demande d’immunité de divulgation formée pour tous ces documents a été présentée de bonne foi. Mais à mon sens nul ne saurait raisonnablement affirmer que pour sauvegarder la sécurité nationale et protéger la sûreté et l’ordre publics, les documents 15 à 19 ne devraient pas être communiqués, ni que, s’ils sont recevables, ils ne devraient pas faire foi et ce, dans la mesure où mes instructions sont respectées concernant la non-divulgation partielle de certains d’entre eux. » Le juge Nicholson autorisa le ministre à former un recours le 24 avril 1989. Ce faisant, il déclara : « Il ressort implicitement de ma décision que j’ai rejeté le caractère « global » du certificat du ministre, puisque j’estime ce certificat trop large et trop vague. Il pourrait par exemple entraîner la protection de documents internes à NIE émanant d’une agence ou d’une organisation de détectives privés qui jouerait au sein de NIE le rôle d’une police privée, indépendamment de la RUC et hors de son contrôle. Comme un tribunal pourrait le faire valoir, aucune personne sensée ne saurait prétendre que la sécurité nationale ait été menacée par la communication de documents émanant de cette agence ou organisation. Or pareille agence ou organisation pourrait constituer une véritable menace pour la sécurité nationale. Ce certificat « global » pourrait par exemple entraîner la protection de documents émanant d’employés de NIE et relatifs à des entrepreneurs et à leurs salariés, et fondés sur des ragots, rumeurs, malveillances ou sur le fanatisme. Il se peut que pareils documents aient existé en l’espèce, si la déclaration de McWilliam est exacte. Les cinq documents dont j’ai ordonné la communication auraient pu relever de cette définition large et vague. (…) » iv. Le rejet de la demande en contrôle juridictionnel Lors de l’audience du 3 décembre 1991 sur le fond, le juge McCollum rejeta la demande, estimant notamment : « La question à laquelle je dois répondre n’est pas de savoir si le ministre a eu raison ou tort de signer le certificat, mais s’il avait compétence pour le faire, ce dont les parties sont fondamentalement d’accord, et si sa décision de signer le certificat se justifie par les événements qui en sont à l’origine. Je dois également rappeler que le processus de contrôle juridictionnel est mal adapté à la résolution des litiges portant sur des questions de fait, en particulier lorsque le problème majeur n’est pas de déterminer les faits, mais les intentions des personnes impliquées dans les mesures en cause (…) Même si l’on accorde à NIE le bénéfice du doute, [un courrier en particulier] était trompeur car il ne mentionnait nullement les considérations de sécurité qui constituaient, selon NIE, le véritable motif de son refus de confier à Tinnelly l’exécution du marché (…) Il faut malheureusement constater qu’en dépit des efforts patients de la commission, d’aucuns en Irlande du Nord demeurent profondément hostiles à ses objectifs et à ses activités. Je suis absolument convaincu que de telles attitudes existaient au sein de NIE en 1985, et existent peut-être encore, et je crains que les assurances données par [les responsables de NIE], mises en parallèle avec le rôle manifestement joué par eux en l’espèce, n’aient rien fait pour me convaincre du contraire. Paradoxalement, cette opinion ajoute foi à une partie du témoignage [du responsable de NIE] sur la question essentielle de la véritable raison du refus de confier à Tinnelly l’exécution du marché. Il est quasiment inimaginable qu’un homme parvenu à la présidence d’un organe public de l’importance de NIE dissimule sous un voile de mensonges le processus ayant abouti à ce qu’il considérait comme une décision parfaitement justifiée et raisonnable, fondée sur son souci d’assurer la sécurité et le fonctionnement continu d’un service public vital, et qu’il cherche à fourvoyer les enquêteurs en les lançant sur une fausse piste. Deux facteurs me conduisent à penser qu’il a peut-être agi ainsi : L’attitude de méfiance et d’hostilité tout à fait injustifiée envers la commission, attitude dont j’ai déjà fait état et qui a pu considérablement exagérer la peur d’une enquête ; et Les problèmes découlant de l’ouverture de la procédure d’obtention d’un certificat au titre de l’article 42, procédure encore inexplorée (…) C’est pourquoi, bien que NIE ait pendant deux ans, selon ses propres dires, refusé de reconnaître le véritable motif de sa décision et invoqué des raisons fallacieuses, ce qui d’ordinaire conduirait inévitablement à la conclusion que le véritable motif était illégal ou scandaleux au point de devoir être dissimulé, les éléments que j’ai cités m’incitent à accepter la proposition selon laquelle le facteur sécurité a pu être l’élément prédominant dans l’esprit [du responsable de NIE] lorsqu’il a pris sa décision. Il faut en outre préciser que la Royal Ulster Constabulary a effectivement adressé des informations à NIE de fin mai à début juin 1985. Je n’en connais pas la teneur exacte, et je n’ai vu que douze réponses, dont plusieurs négatives (sept je crois), aux vingt-neuf demandes d’autorisation d’entrée apparemment présentées. La date de réception de ces réponses est difficile à déterminer mais elle se situe à mon avis début juin, c’est-à-dire à peu près à l’époque où le cœur de la centrale semble avoir été remplacé. Je ne connais pas la teneur exacte de ces informations relatives à la sécurité, bien que j’en aie une vague idée, mais j’en sais assez sur la question pour comprendre l’importance qu’elles ont pu avoir (…) (…) Il est impossible de ne pas nourrir de soupçons, d’autant qu’un grand nombre de mesures prises par NIE font et feront naître des soupçons dans l’esprit de toute personne raisonnable. Entre autres éléments suspects, on peut noter qu’au cours de l’audience tenue devant lui concernant la demande d’immunité, le juge Nicholson a reçu l’assurance que les Tinnelly restaient des entrepreneurs acceptables. Le fait que leur nom ait été supprimé de la liste des éventuels soumissionnaires après sa décision ne fait qu’accroître ces soupçons. De plus, la deuxième demande d’autorisation de [recommander] McW. en raison de sa plus grande expérience présente toutes les apparences d’une tentative de brouiller les pistes parmi les documents et les archives de NIE. Toutefois, nonobstant tous les éléments que j’ai mentionnés, je ne suis pas convaincu que la demande, formée par NIE, d’un certificat établi au titre de l’article 42 constituait de la part de cette dernière un abus de procédure tel que l’entendent les parties, ou un acte frauduleux au sens juridique du terme. Je ne suis pas convaincu non plus que les informations en matière de sécurité reçues par [le responsable de NIE] n’aient pas constitué le facteur déterminant dans la décision de ne pas confier l’exécution du marché à Tinnelly. Si les mesures prises par NIE et son attitude peuvent être vivement critiquées (…), et sont de nature à faire surgir de profonds doutes en la matière, elles n’invalident pas cependant, en soi, l’établissement du certificat au titre de l’article 42, et ne me persuadent pas que la demande ait été frauduleuse juridiquement parlant. A mon sens, il est possible que [le responsable de NIE] n’ait pas été certain de la conduite à tenir lorsqu’il a reçu la réponse de la RUC à la demande d’autorisation habituelle des employés de Tinnelly, et que, plutôt que d’affronter les éventuels problèmes entraînés par une annulation du contrat pour des motifs de sécurité, il ait décidé d’agir comme il l’a fait, en choisissant McW. au motif fallacieux de sa plus grande expérience en matière de démolition de centrales électriques. Il pensait sans aucun doute que Tinnelly ne découvrirait jamais qu’elle avait présenté l’offre la plus avantageuse ; lorsqu’elle l’a appris et qu’elle a saisi la commission, il semblerait que NIE ait décidé de poursuivre dans cette voie et d’approfondir les fausses prémisses initialement invoquées à l’appui du choix de McW. L’un des grands problèmes qu’il n’est pas en mon pouvoir de résoudre est l’insistance de Tinnelly à affirmer qu’auparavant, elle avait toujours reçu, pour ses employés, l’autorisation d’entrer sur des sites extrêmement sensibles. (…) Je n’ai pas été autorisé à voir la réponse de la RUC aux demandes individuelles de permis. Je ne comprends pas pourquoi des personnes ayant auparavant obtenu cette habilitation auraient pu en l’espèce essuyer un refus. (…) Cependant, compte tenu des témoignages donnés, de l’attestation incontestée du ministre quant au contenu de la réponse de la RUC, et des parties des documents que j’ai été autorisé à voir, je dois admettre que, pour certaines personnes du moins, la réponse était défavorable, au point peut-être de justifier l’opinion selon laquelle l’octroi à Tinnelly de l’exécution du marché aurait gravement menacé la sécurité. (…) (…) [La] question fondamentale était de savoir si, au moment des faits, NIE disposait réellement d’informations en matière de sécurité, qui auraient justifié sa décision de ne pas signer le contrat. (…) S’il s’était avéré que pareilles informations n’existaient pas, la demande d’un certificat établi au titre de l’article 42 serait apparue comme une feinte (…) Comme je l’ai déjà précisé, je n’ai pas consulté ces informations dans le détail, mais je suis tenu d’accepter l’avis du ministre selon lequel elles étaient de nature à justifier la décision. Et je pourrais ajouter que les parties des documents que j’ai vues me confortent dans cette idée. A partir du moment où il a été confirmé que NIE disposait de ces informations relatives à la sécurité, il était à mon sens raisonnable, de la part de l’administration, d’admettre que la demande de NIE avait été formée de bonne foi. (…) On ne pouvait s’attendre à ce que [le fonctionnaire du ministère du Développement économique (paragraphe 18 ci-dessus)] menât une enquête analogue à celle que la commission aurait pu entreprendre (…). Il ne disposait d’aucun moyen d’impliquer d’autres parties, d’interroger NIE, ou de la contraindre à lui communiquer des documents, sauf à user de ce que l’on pourrait appeler de la persuasion morale. Une fois admis que la demande avait été formée de bonne foi, pour des motifs réels, il avait l’obligation d’appuyer cette demande, quelle que fût l’opinion que lui aient inspiré les incohérences et contradictions manifestes. Il ressort nettement de cette audience que pas plus NIE qu’aucun de ses dirigeants n’étaient prêts à admettre que quoi que ce soit de malencontreux se fût produit, et comme je l’ai indiqué, ledit fonctionnaire ne disposait d’aucun mandat lui permettant de consulter toute autre personne susceptible de prétendre le contraire et, à supposer qu’il en ait eu un, il n’avait à sa disposition aucun arsenal de procédures pour résoudre le litige qui s’en serait suivi. J’ai du mal à imaginer comment il aurait pu jouer un rôle inquisitoire et contre-interroger [un responsable de NIE] sur les contradictions et les incohérences des arguments de NIE. Il ne pouvait que relever ce qui lui semblait pertinent et tenter de recueillir les faits en interrogeant ce responsable. (…) Il m’a semblé que l’administration avait agi exactement comme il convenait en menant sa propre enquête sur la question centrale de la sécurité, et que l’examen de la demande adressée au ministre n’avait été approfondi que lorsque l’administration avait eu la conviction que l’affaire impliquait de réelles considérations de sécurité. (…) [Dans sa déclaration au tribunal,] le ministre poursuit en affirmant : « Après avoir vu le rapport de la RUC sur lequel reposait le témoignage [du fonctionnaire], j’ai eu la certitude qu’il y aurait eu un risque réel pour la sécurité nationale, la sûreté et l’ordre publics, si l’exécution du marché avait été confiée aux Tinnelly », ajoutant que bien qu’un motif différent eût été invoqué par NIE pour justifier ce refus, il était certain de pouvoir se fier à l’affirmation de cette dernière selon laquelle la question de la sécurité avait d’emblée constitué l’élément déterminant. (…) Aucun tribunal ne pourrait soutenir qu’il ne s’agissait pas d’une opinion défendable, adoptée par l’intéressé après avoir procédé à un examen en bonne et due forme des témoignages qui lui avaient été présentés et en tenant compte du fait que l’appréciation des risques pour la sécurité nationale, la sûreté ou l’ordre publics relève pleinement de la compétence exclusive du ministre (…) Nombre des critiques adressées à [l’administration] sont venues du fait que celle-ci ne semblait pas jouer le rôle d’un tribunal, ni procéder à l’examen minutieux des preuves et au suivi des contradictions. Comme je l’ai dit, la procédure utilisée était par la force des choses totalement inadaptée à la recherche des motifs réels de la décision prise. Toutefois, à partir du moment où l’on admet qu’il était légitime pour NIE de solliciter un certificat au titre de l’article 42 pour justifier son refus de confier l’exécution du marché à Tinnelly, que les procédures suivies étaient légales et répondaient à toutes les obligations prévues par la loi, et si l’on y ajoute qu’elles ont été suivies de bonne foi, avec le soin et les examens requis, le tribunal n’est de toute évidence pas appelé à intervenir au moyen du contrôle juridictionnel. Le contrôle juridictionnel n’a pas pour but de procéder à un nouvel examen au fond. » Le juge déclara qu’il souscrivait à la position de la FEA et des fonctionnaires de la DDE, et renouvela ses critiques à l’encontre de NIE pour avoir, pendant plusieurs années, induit en erreur les autres parties au litige. Il conclut : « Je suis toutefois convaincu qu’il existait des preuves suffisantes, présentées avec honnêteté et compétence au ministre conformément à des procédures raisonnables et minutieusement examinées par lui, pour justifier la décision qu’il a prise et qui est dès lors inattaquable devant ce tribunal. » Le conseil principal informa la FEA qu’un recours contre la décision du 3 décembre 1991 n’avait aucune chance d’aboutir. Le certificat établi au titre de l’article 42 § 2 étant valable, la plainte de la société requérante à la FEA ne fit pas l’objet d’une enquête plus approfondie, ni d’une tentative de règlement ni d’une procédure engagée devant le County Court conformément à la loi de 1976 sur l’égalité en matière d’emploi en Irlande du Nord. Les griefs formulés par les McElduff a) L’acceptation de l’offre des requérants Vers mai 1990, les requérants furent informés par un entrepreneur de travaux publics qu’il avait obtenu un marché avec la Direction de l’environnement pour l’Irlande du Nord (Department of the Environment for Northern Ireland – « la DOE ») en vue de la construction de locaux sur le site de l’Office régional d’architecture d’Irlande du Nord à Omagh, dans le comté de Tyrone. L’entrepreneur invita les requérants à soumissionner pour le contrat de sous-traitance relatif aux travaux de menuiserie. Leur offre fut acceptée et l’entrepreneur les informa qu’ils pourraient commencer les travaux, après avoir obtenu de la DOE une habilitation de sécurité. b) Le refus d’habilitation Les requérants indiquèrent leurs noms, adresses et dates de naissance à l’entrepreneur, qui les transmit au service de la DOE chargé des contrats. Environ six semaines plus tard, ils furent informés que l’habilitation de sécurité ne leur ayant pas été accordée, ils ne pouvaient pas se voir confier l’exécution du contrat de sous-traitance. Ce refus s’appuyait sur une recommandation émise par le Service sécurité de la Direction des Finances et du Personnel (Department of Finance and Personnel – « la DFP »), administration installée en Irlande du Nord, qui fondait sa recommandation sur des informations fournies par la RUC (notamment par des agents de son Unité spéciale). Les requérants n’ont fait l’objet d’aucune condamnation pénale, à l’exception de contraventions pour infractions mineures au code de la route. Ils déclarent ne pas être et ne jamais avoir été impliqués dans des activités criminelles ou terroristes et ne connaître aucune raison valable justifiant leur refus d’habilitation. Ils estiment être victimes, de la part de la DOE, d’une discrimination fondée sur des convictions religieuses ou des opinions politiques. Sans entrer dans le détail, ils seraient soupçonnés d’avoir des points de vue nationalistes, bien que n’étant membres d’aucun parti politique ni engagés dans aucune forme d’activité politique. Ils écrivirent à la DOE par l’intermédiaire de leurs solicitors pour réclamer une explication sur le refus de les autoriser à travailler pour ce marché, mais la DOE, à la suite du réexamen par le Service sécurité de la DFP des informations initialement fournies par la police, se refusa à toute explication. c) L’intervention de la commission pour l’égalité en matière d’emploi Les requérants sollicitèrent l’assistance de la Commission pour l’égalité en matière d’emploi et, en août 1990, saisirent le tribunal pour l’égalité en matière d’emploi (« le tribunal »), alléguant une discrimination commise à leur encontre par l’entrepreneur et la DOE en violation de la loi de 1976. Ils avaient dans le passé été appréhendés par les forces de l’ordre, qui les avaient confondus avec des homonymes, et ils présumaient qu’il s’agissait en l’espèce d’une confusion de personnes. L’entrepreneur contesta la plainte au motif qu’il avait voulu offrir du travail aux requérants mais que la DOE n’était pas disposée à leur délivrer l’autorisation requise. Le 3 décembre 1990, la DOE signifia son intention de s’opposer à la plainte au motif qu’elle n’avait rien fait qui pût constituer une discrimination illégale au regard de ce texte et, à titre subsidiaire, que « tout acte du défendeur concernant le requérant était un acte accompli pour sauvegarder la sécurité nationale, et ne relevait par conséquent pas de la [loi de 1976] ni de la loi de 1989 sur l’égalité en matière d’emploi en Irlande du Nord ». Concernant le premier motif, la DOE sollicita une audience préparatoire sur les questions de savoir si elle devait être écartée de la procédure, si les requérants cherchaient à travailler pour elle au sens de la loi et si, dans ces conditions, elle avait pu faire subir aux requérants une discrimination contraire à l’article 23 de la loi (paragraphe 42 ci-dessous). Le matin du 26 septembre 1991, date de l’audience préparatoire, la DOE retira sa demande. Le 22 octobre 1991, le tribunal la somma de divulguer tous les documents pertinents en la matière. Il lui ordonna en outre de détailler ses arguments, en l’invitant notamment à préciser sur quels critères de sécurité nationale elle avait fondé sa décision concernant les requérants. d) La délivrance du certificat au titre de l’article 42 Le 6 février 1992, le ministre pour l’Irlande du Nord délivra, conformément à l’article 42 § 2 de la loi de 1976, un certificat aux termes duquel la décision de refuser aux requérants l’accès au chantier de démolition avait été prise pour sauvegarder la sécurité nationale. Les intéressés furent informés par leur avocat que la délivrance du certificat avait pour effet d’interdire au tribunal de se prononcer en leur faveur. Compte tenu du fait que des dommages-intérêts auraient pu leur être réclamés s’ils avaient abusivement sollicité une audience pour contester le certificat, ils retirèrent leur plainte, que le tribunal rejeta en conséquence le 27 mars 1992. II. LE Droit interne pertinent A. Antécédents La Cour européenne des Droits de l’Homme a évoqué, dans l’arrêt Irlande c. Royaume-Uni du 18 janvier 1978 (série A n° 25, en particulier p. 12, § 19 et références complémentaires à la commission Cameron), les difficultés rencontrées par la communauté catholique en Irlande du Nord depuis le partage de l’Irlande. B. La législation sur l’égalité en matière d’emploi La loi de 1976 sur l’égalité en matière d’emploi en Irlande du Nord (« la loi de 1976 ») est, selon son préambule, « une loi instituant une agence ayant pour mission de promouvoir, en Irlande du Nord, l’égalité des chances en matière d’emplois et de professions entre des personnes de convictions religieuses différentes, et d’œuvrer à l’élimination de la discrimination rendue illégale en vertu de la loi (…) ». La loi n’est applicable qu’au secteur de l’emploi et aux domaines connexes. Aux termes de son article 17 § 1, il est illégal pour un employeur de faire preuve de discrimination à l’encontre d’une personne qui recherche un emploi en Irlande du Nord, notamment en refusant ou en omettant délibérément de lui offrir le travail qu’elle sollicite. En vertu de l’article 23 de la loi de 1976, il est illégal pour quiconque a le pouvoir de conférer à autrui une qualification dont l’intéressé a besoin pour exercer un emploi ou une profession, de faire subir au postulant une discrimination en refusant ou en omettant délibérément de lui conférer ladite qualification. La commission mentionnée dans le préambule de la loi de 1976 était l’agence pour l’égalité en matière d’emploi (« la FEA »). La FEA, devenue depuis 1989 la commission pour l’égalité en matière d’emploi, est un organisme public créé en application de la loi de 1976. Elle a pour mission de promouvoir l’égalité des chances en Irlande du Nord et d’éliminer les discriminations religieuses et politiques. Jusqu’en 1989, si la FEA concluait après enquête à l’existence d’une discrimination illégale, elle avait le pouvoir de tenter de régler les questions en litige et, au besoin, d’engager une procédure devant le County Court contre la partie en cause afin d’obtenir, au nom de la victime, une indemnisation ou une injonction. A la suite des modifications apportées par la loi de 1989 sur l’égalité en matière d’emploi en Irlande du Nord (« la loi de 1989 »), applicables aux griefs formulés par les McElduff (paragraphes 35 et 36 ci-dessus), la victime d’une discrimination contraire à la loi de 1976 dispose d’un recours qui consiste à saisir le tribunal pour l’égalité en matière d’emploi, habilité à rendre diverses ordonnances et recommandations, notamment une ordonnance d’indemnisation « d’un montant correspondant à la réparation [qui] aurait pu être ordonnée (…) s’il s’était agi d’une action en responsabilité », à hauteur de 30 000 livres sterling (GBP). La législation modifiée permet à quiconque souhaite porter plainte de demander à la partie présumée être à l’origine des discriminations de répondre à un questionnaire sur les raisons de son comportement. Le questionnaire et les réponses éventuelles sont recevables dans la procédure devant le tribunal, qui peut tirer des conclusions défavorables de l’absence de réponse. L’article 42 de la loi de 1976 est ainsi libellé : « 1) La présente loi n’est pas applicable à une mesure prise aux fins de sauvegarde de la sécurité nationale ou de protection de la sûreté ou de l’ordre publics. 2) Le certificat signé par le ministre ou en son nom et attestant qu’une mesure décrite dans le certificat a été décidée dans un but mentionné à l’alinéa 1 constitue une preuve irréfragable qu’elle a été prise à cette fin. » C. Autres lois traitant de discrimination La discrimination fondée sur le sexe est interdite en Irlande du Nord par la loi de 1975 (Sex Discrimination Act) – renfermant des dispositions analogues à celles de l’article 42 de la loi de 1976 – complétée par une ordonnance de 1976 (Sex Discrimination (Northern Ireland) Order) (article 53 § 1). Dans l’affaire 222/84, Johnston v. Chief Constable of the Royal Ulster Constabulary (Recueil 1986, p. 1663), relative à une discrimination fondée sur le sexe, la Cour de justice des Communautés européennes, saisie d’une demande préjudicielle par le tribunal du travail pour l’Irlande du Nord, a rendu une décision préjudicielle déclarant, à la lumière de l’article 6 de la Convention, que les dispositions relatives à l’établissement de certificats portaient atteinte au droit communautaire dans la mesure où elles autorisaient qu’un certificat délivré par le ministre soit traité comme une preuve irréfragable, empêchant ainsi un tribunal du travail d’examiner le bien-fondé de la plainte. Le droit interne a en conséquence été modifié par l’ordonnance de 1988 portant modification de la législation sur la discrimination fondée sur le sexe (SI 1988 n° 249), de sorte que les dispositions relatives à l’établissement de certificats ne soient plus applicables aux plaintes pour discrimination fondées sur le sexe en matière d’emploi. Au cours du débat parlementaire qui a précédé la promulgation des modifications de la législation, le ministre pour l’Irlande du Nord a établi une distinction entre les facteurs à considérer pour la question des certificats délivrés au titre de l’article 42 et ceux pris en compte pour le problème des certificats analogues émis en application des textes sur la discrimination fondée sur le sexe : « [Dans les affaires de discrimination sexuelle], lorsqu’un ministre atteste de la nécessité d’une mesure pour des motifs de sécurité nationale (…), il ne peut le faire sur le critère du sexe d’un individu. Cependant, (…) il ne serait ni nécessaire ni approprié d’adopter une approche analogue s’agissant de religions et d’opinions politiques (…) En premier lieu, à la différence du sexe, les questions de religions et d’opinions politiques peuvent avoir un rapport particulièrement étroit avec le problème de la sécurité nationale en Irlande du Nord. Par conséquent, il existe des éléments dont il serait approprié et nécessaire de tenir compte lorsque se posent certains problèmes de sécurité nationale. C’est à la fois malheureux et regrettable, mais c’est la dure réalité en Irlande du Nord (…) En second lieu, [le droit communautaire européen] ne couvre pas les questions de religion et d’opinions politiques. Le gouvernement a pris des mesures pour modifier la législation sur la discrimination sexuelle lorsqu’il est devenu manifeste qu’elle était contraire à nos obligations européennes. Aucun conflit de ce type ne se pose dans le cas de l’article 42, lequel constitue dès lors une disposition parfaitement acceptable et appropriée. » Depuis l’entrée en vigueur de l’ordonnance de 1988, le tribunal du travail peut désormais décider si une mesure se justifie pour des raisons de sécurité nationale, sous réserve de sauvegarde appropriée des intérêts de la sécurité nationale, de la sûreté et de l’ordre publics. A la suite de la décision préjudicielle rendue par la Cour de justice des Communautés européennes dans l’affaire Johnston précitée, le tribunal du travail entendant la plainte a recueilli à huis clos la déposition d’un témoin pour motifs de sécurité nationale. Depuis le 4 août 1997, la discrimination raciale est illégale en Irlande du Nord en vertu de l’ordonnance de 1997 sur les relations interraciales en Irlande du Nord (SI 1997 n° 869). Ce texte reflète en gros la législation sur les relations interraciales adoptée en 1976 pour d’autres parties du Royaume-Uni. L’article 66 de l’ordonnance contient cependant une disposition sur l’établissement de certificats correspondant à l’article 42 de la loi de 1976 sur l’égalité en matière d’emploi. En revanche, la loi de 1995 sur la discrimination fondée sur le handicap ne prévoit rien en matière d’établissement de certificats, encore que l’article 59 § 3 énonce que rien dans cette loi n’entache d’illégalité une quelconque mesure prise dans le but de sauvegarder la sécurité nationale. D. Observations de l’amicus curiae La commission consultative permanente sur les droits de l’homme (Standing Advisory Commission on Human Rights – « SACHR » – organisme public indépendant institué par l’article 20 de la loi de 1973 portant Constitution de l’Irlande du Nord pour conseiller le ministre pour l’Irlande du Nord sur l’opportunité et l’effet utile de la législation visant à prévenir les discriminations pour des motifs de convictions religieuses ou d’opinions politiques en Irlande du Nord, a présenté au Parlement le 27 juin 1997 un vaste bilan de la législation sur l’égalité en matière d’emploi et d’autres mesures économiques et sociales touchant ce domaine en Irlande du Nord. Dans ses observations à la Cour (paragraphe 6 ci-dessus), la SACHR signale la recommandation contenue dans son rapport au Parlement sur la nécessité d’instituer un contrôle effectif du juge quant au point de savoir si un acte visait en réalité la protection de la sécurité nationale, de la sûreté ou de l’ordre publics. La SACHR a recommandé l’abrogation de l’article 42 §§ 2 et 3 de la loi de 1976 afin que la délivrance d’un certificat ne soit plus une preuve irréfragable qu’une mesure a été prise pour sauvegarder la sécurité nationale ou protéger la sûreté et l’ordre publics. A son avis, on pourrait concevoir un mécanisme permettant à la personne visée par une mesure censée avoir été prise à ces fins de se voir communiquer toute la documentation et l’information possibles dans les circonstances de la cause. L’ampleur exacte de cette communication pourrait être décidée lors d’une audience à huis clos, contradictoire ou non, menée par le président ou le vice-président de la commission pour l’égalité en matière d’emploi ou un autre président habilité à connaître de ce type d’affaires. Dans la mesure du possible, la personne lésée devrait être habilitée à contester la documentation et les informations sur lesquelles le service défendeur s’est fondé pour agir. E. Autres documents Les requérants ont attiré l’attention de la Cour sur le projet de loi sur la commission spéciale des recours en matière d’immigration, récemment introduit dans le sillage de l’arrêt de la Cour Chahal c. Royaume-Uni rendu le 15 novembre 1996 (Recueil des arrêts et décisions 1996-V, p. 1831). Ce texte instituerait un tribunal – la commission spéciale des recours en matière d’immigration – qui, suivant le modèle canadien, se prononcerait sur les recours formés contre les décisions des services de l’immigration portant notamment sur l’interdiction d’entrée, le refoulement ou l’expulsion de particuliers du Royaume-Uni pour des raisons de bien public et/ou de sécurité nationale, etc. Ce texte vaudrait pour l’Irlande du Nord et permettrait un recours complet sur le fond contre la décision du ministre ou d’un fonctionnaire de l’immigration prise pour des motifs, notamment, de sécurité nationale. Il est prévu de désigner un conseiller spécial pour assister la commission dans toute procédure dont l’appelant et son défenseur sont exclus pour raisons de sécurité nationale. Selon ce projet de loi, le ministre serait tenu de fournir à l’appelant la liste de tous les moyens de preuve qu’il souhaite produire en son absence. La commission serait habilitée à conduire la procédure en l’absence de l’appelant et de son représentant afin de s’assurer que ne sont pas divulguées des informations contraires à l’intérêt général. Un conseiller spécial serait nommé qui assisterait la commission dans cette procédure. La commission serait tenue de donner un résumé des preuves recueillies en l’absence de l’appelant dans la mesure où cela serait possible sans divulguer des informations contraires à l’intérêt général. Le projet de loi, modifié lors de son passage devant le Parlement, a été promulgué sous le titre de loi de 1997 sur les recours spéciaux en matière d’immigration. PROCéDURE DEVANT LA COMMISSION La première requérante, la société John Tinnelly & Sons Ltd, et les second et troisième requérants, MM. Patrick Tinnelly et Gerard Tinnelly, ont saisi la Commission le 27 mai 1992 (requête n° 20390/92). Ils se plaignaient du refus d’accès à un tribunal indépendant et impartial, d’une ingérence des autorités dans le droit au respect de leur vie privée et familiale, ainsi que de l’absence de recours effectif pour exposer leurs griefs au regard de la Convention. Ils se prétendaient également victimes d’une discrimination, pour des motifs religieux notamment. Ils invoquaient les articles 6, 8, 13 et 14 de la Convention. Les autres requérants, MM. Kevin McElduff, Michael McElduff, Paddy McElduff et Barry McElduff, ont saisi la Commission le 26 août 1992 (requête n° 21322/93). Ils formulaient les mêmes griefs et invoquaient les mêmes articles de la Convention que les trois premiers requérants. La Commission a joint les requêtes le 27 février 1995. Le 20 mai 1996, elle les a déclarées recevables. Dans son rapport du 8 avril 1997 (article 31), elle conclut à l’unanimité, qu’il y a eu violation de l’article 6 de la Convention ; qu’il n’est pas nécessaire de rechercher s’il y a eu violation de l’article 8 de la Convention ; qu’il n’y a pas lieu de rechercher s’il y a eu violation de l’article 13 combiné avec l’article 8 de la Convention ; et qu’il ne s’impose pas de rechercher s’il y a eu violation de l’article 14 combiné avec l’article 6 de la Convention. Le texte intégral de son avis figure en annexe au présent arrêt. CONCLUSIONS PRéSENTéES à LA COUR Dans leur mémoire commun et à l’audience, les requérants prient la Cour de dire et déclarer qu’ils ont été victimes d’une violation de l’article 6 § 1 de la Convention pris isolément ou combiné avec l’article 14 de la Convention, ainsi que de l’article 8 de celle-ci. Ils invitent aussi la Cour à constater une violation de l’article 13 combiné avec l’article 8 de la Convention pour le cas où elle conclurait qu’aucune méconnaissance de l’article 6 § 1 ne se trouve établie. Ils demandent enfin à la Cour de leur accorder une satisfaction équitable au titre de l’article 50 de la Convention. Quant à lui, dans son mémoire, le Gouvernement prie la Cour de dire que les faits de la cause ne révèlent aucune violation des articles invoqués par les requérants.
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LES CIRCONSTANCES DE L'ESPÈCE Citoyen argentin né en 1944, M. Daud était détenu à la prison de Vale de Judeus (Portugal) lors de l'introduction de sa requête devant la Commission en 1993. Il est décédé le 4 août 1995 à l'établissement hospitalier de la prison de Caxias. Le 10 mars 1992, le requérant, en provenance de Rio de Janeiro, fut interpellé à l'aéroport de Lisbonne ; il était porteur d'un faux passeport et d'une valise contenant 1,5 kg de cocaïne. A. L'enquête préliminaire Le 11 mars 1992, le juge du tribunal d'instruction criminelle (tribunal de instrução criminal) de Lisbonne auquel l'affaire avait été confiée entendit M. Daud en présence d'un avocat désigné d'office et d'un interprète, M. C.M., technicien d'orientation scolaire et sociale en fonction dans les locaux de la police judiciaire. Après avoir contrôlé la légalité de la privation de liberté, le juge ordonna la mise en détention provisoire du requérant. Le 9 juillet 1992, la Cour suprême (Supremo Tribunal de Justiça) repoussa le recours d'habeas corpus introduit par l'intéressé en personne. Le 9 octobre 1992, le parquet formula ses réquisitions. L'avocat en reçut notification le 12 et l'intéressé le 13. Le 15 octobre 1992, M. Daud lui-même sollicita l'ouverture d'une instruction. Le 26 octobre, le juge d'instruction, se fondant sur l'article 92 § 1 du code de procédure pénale, repoussa cette demande au motif qu'elle ne remplissait pas les conditions formelles minimales requises par la loi, étant notamment rédigée en espagnol. Le 16 novembre 1992, le dossier fut adressé, avec les réquisitions du ministère public, à la troisième chambre du tribunal criminel (tribunal criminal) de Lisbonne. La procédure de jugement Devant le tribunal criminel de Lisbonne Par une ordonnance du 30 novembre 1992, notifiée le 9 décembre à M. Daud, le juge chargé de l'affaire fixa la date de l'audience au 26 janvier 1993. Il ordonna par ailleurs le maintien en détention provisoire du requérant. Par une lettre du 15 décembre 1992, enregistrée le 22, M. Daud pria le tribunal de procéder à l'audition de certains témoins et à l'examen de la valise en cause, qu'il contestait être la sienne. Il réclama également l'assistance d'un interprète autre que M. C.M. et demanda à rencontrer son avocat d'office, lequel n'avait pas encore pris contact avec lui. Par une ordonnance du 22 décembre, le juge responsable de l'affaire, se fondant sur l'article 92 § 1 du code de procédure pénale, refusa d'examiner cette demande aux motifs qu'elle était de « lecture difficile », rédigée en espagnol et non accompagnée d'une traduction. Le 14 janvier 1993, l'avocat d'office demanda à être relevé de ses fonctions pour cause de maladie. Le 18 janvier 1993, ledit juge désigna un autre avocat d'office, Me C.G. M. Daud reçut notification de cette ordonnance le 23 janvier 1993. Le procès débuta le 26 janvier 1993, en présence d'un interprète, E.P., et se poursuivit le 1er février 1993. Au cours de ces audiences, le tribunal entendit les témoins et, à la demande de l'avocat d'office, procéda à l'identification de la valise. Le 8 février 1993, le tribunal infligea au requérant neuf ans d'emprisonnement pour trafic de stupéfiants et usage de faux passeport. Il le condamna aux dépens. Devant la Cour suprême Le jour même de sa condamnation, le requérant, représenté par son avocat d'office, saisit la Cour suprême d'un recours. Dans son mémoire, rédigé et présenté par Me C.G., il faisait grief au tribunal de ne pas avoir accueilli sa demande d'ouverture d'instruction. D'après lui, le juge d'instruction avait fait une mauvaise interprétation des dispositions pertinentes du code de procédure pénale ; son refus d'examiner ladite demande et l'absence d'instruction auraient entraîné la nullité de la procédure. Par un arrêt du 30 juin 1993, la Cour suprême, s'appuyant sur l'article 412 du code de procédure pénale, déclara le recours irrecevable faute de présentation adéquate des moyens. Les conclusions n'indiquaient pas les dispositions légales prétendument violées, ni la manière dont elles auraient dû, de l'avis du demandeur, être interprétées ou appliquées. II. LE DROIT INTERNE PERTINENT A. La Constitution Aux termes de l'article 20 de la Constitution, « 1. L'accès au droit et aux tribunaux pour la défense de ses droits et de ses intérêts légitimes est garanti à tous. La justice ne pourra être refusée pour insuffisance de moyens économiques. Toute personne a droit, conformément à la loi, à l'information et à la consultation juridique, ainsi qu'à l'aide judiciaire. » Selon l'article 32 § 3 de la Constitution, « L'accusé a le droit de choisir un défenseur et d'être assisté par celui-ci dans tous les actes de la procédure. La loi précise les cas et les phases où cette assistance est obligatoire. » B. Le code de procédure pénale Les dispositions pertinentes du code de procédure pénale sont les suivantes : Article 62 « 1. L'accusé peut constituer un avocat à tout stade de la procédure. Lorsque la loi prévoit que l'accusé doit être assisté d'un défenseur et que l'accusé n'en a pas constitué ou n'entend pas en constituer, le juge lui en commet un d'office, de préférence avocat ou avocat stagiaire ; mais le mandat du défenseur d'office prendra fin si l'accusé confie sa défense à un avocat de son choix. (…) » Article 63 § 2 « L'accusé peut dénoncer tout acte accompli en son nom par le défenseur, pourvu qu'il le fasse par déclaration expresse antérieure à la décision concernant cet acte. » Article 64 « 1. L'assistance d'un défenseur est obligatoire : a) lors du premier interrogatoire du prévenu détenu ; b) lors de l'instruction et à l'audience, sauf dans le cas d'un procès ne pouvant pas aboutir à une peine d'emprisonnement ou à une mesure de sûreté ; c) pour tout acte de la procédure, si l'accusé est sourd, muet, analphabète ou ne connaît pas la langue portugaise, ou dans le cas d'un mineur de vingt et un ans ou si est soulevée la question de son irresponsabilité pénale ou de sa responsabilité pénale partielle ; (…) En dehors des cas prévus au paragraphe précédent, le tribunal peut nommer un défenseur pour assister l'accusé, d'office ou à la demande de ce dernier, si, eu égard aux circonstances de l'espèce, il estime nécessaire ou opportun que l'accusé se fasse assister. » Article 66 « 1. La désignation d'un défenseur d'office sera notifiée à l'accusé, lorsqu'il n'est pas présent à l'acte. Le défenseur nommé peut être relevé de son ministère, s'il justifie d'un motif valable admis par le tribunal. Le tribunal peut à tout moment remplacer le défenseur d'office, sur demande de l'accusé, pour un motif légitime. Le défenseur d'office continuera à exécuter son mandat pour les actes subséquents de la procédure jusqu'à ce qu'il soit pourvu à son remplacement. La fonction de défenseur est toujours rémunérée ; les termes et le montant seront fixés par le tribunal selon les limites prévues dans un barème approuvé par le ministère de la Justice ou, faute de celui-ci, compte tenu des honoraires normalement payés pour des services semblables et aussi importants que ceux prêtés. Sont responsables de cette rétribution, suivant les cas, l'accusé, l'assistente, les parties civiles ou le ministère de la Justice. » Article 67 « (…) 2. Si le défenseur est remplacé pendant la phase de l'instruction ou pendant les audiences, le tribunal peut, d'office ou sur demande du nouveau défenseur, accorder une interruption pour que celui-ci puisse s'entretenir avec l'accusé et examiner le dossier. Au lieu de l'interruption mentionnée aux alinéas précédents, le tribunal peut décider, si ceci s'avère absolument nécessaire, d'ajourner l'acte ou l'audience ; l'ajournement ne peut toutefois pas être supérieur à cinq jours. » Article 92 « 1. Dans les actes de procédure, tant écrits qu'oraux, il est fait usage de la langue portugaise, sous peine de nullité. Lorsque, dans une procédure, intervient une personne qui ne connaît ou ne maîtrise pas la langue portugaise, un interprète idoine est désigné, sans frais à sa charge (...) Un interprète est également désigné lorsqu'il s'avère nécessaire de traduire un document en langue étrangère non accompagné d'une traduction certifiée. (...) » Article 98 § 1 « L'accusé, même s'il se trouve en liberté, peut présenter des exposés, des mémoires et des requêtes à toutes les phases de la procédure, même s'ils ne sont pas signés par le défenseur, pour autant qu'ils soient relatifs à l'objet de la procédure ou qu'ils aient pour but la sauvegarde de ses droits fondamentaux. Les exposés, mémoires et requêtes de l'accusé sont toujours versés au dossier. » Article 286 « 1. L'instruction tend à la confirmation judiciaire de l'acte d'accusation ou de la décision ordonnant le classement de l'affaire afin de soumettre ou non la cause à jugement. 2. L’instruction est facultative (…) » Article 287 « 1. L'ouverture de l'instruction peut être requise dans un délai de cinq jours à compter de la notification de l'acte d'accusation ou de la décision ordonnant le classement de l'affaire : a) par la personne accusée, à l'égard des faits sur lesquels porte l'accusation formulée par le ministère public ou par l'assistente si l'action pénale est exercée par ce dernier ; b) (…) La requête ne peut être rejetée que pour tardiveté, incompétence du juge ou inadmissibilité légale de l'instruction. La requête sera introduite sans conditions de forme, toutefois elle doit contenir l'énoncé sommaire des motifs de fait et de droit du désaccord avec l'accusation ou la non-accusation, ainsi que, le cas échéant, l'indication soit des mesures d'instruction que le requérant souhaiterait voir accomplies et des moyens de preuve non examinés au cours de l'enquête, soit des faits que, moyennant les uns et les autres, l'on espère prouver. » Article 412 « 1. La motivation énonce de manière détaillée les moyens du recours et s'achève par les conclusions, développées point par point, dans lesquelles l'appelant résume les raisons de son recours. Si elles concernent le droit, les conclusions indiquent encore, sous peine de rejet : a) Les normes juridiques violées ; (...) » C. Le décret-loi n° 387-B/87 du 29 décembre 1987 Les dispositions pertinentes du décret n° 387-B/87 du 29 décembre 1987 sont les suivantes : Article 42 « La désignation du défenseur commis d'office de l'accusé aussi bien que sa décharge, son remplacement et sa rémunération sont régis par le code de procédure pénale (…) » Article 43 « L'autorité judiciaire chargée de la désignation, invite le conseil de l'ordre territorialement compétent à indiquer un avocat ou un avocat stagiaire pour assurer la défense d'office ; elle peut, si elle l'estime opportun, se borner à solliciter l'indication d'un avocat. Le conseil de l'ordre des avocats devra fournir l'indication requise dans un délai de cinq jours. Faute de cette indication (...), l'autorité judiciaire pourra procéder à la désignation du défenseur selon son propre critère. » PROCéDURE DEVANT LA COMMISsION M. Daud a saisi la Commission le 5 mars 1993. Invoquant l'article 6 §§ 1 et 3 c) et e) de la Convention, il se plaignait de ce que sa cause n'avait pas été entendue équitablement compte tenu notamment d'une assistance judiciaire inadéquate, de la défaillance de son avocat d'office, du refus opposé à ses demandes d'ouverture de l'instruction et de présentation d'offres de preuve ainsi que de la mauvaise qualité de l'interprétation à l'audience. Il reprochait également aux autorités portugaises d'avoir mis à sa charge les frais d'interprétation et de s'être ingérées dans l'exercice de son droit au respect de sa correspondance avec la Commission. Le 28 juin 1995, la Commission a déclaré recevable le grief concernant le caractère équitable de la procédure et a rejeté la requête (no 22600/93) pour le surplus. Dans son rapport du 2 décembre 1996 (article 31), elle exprime l’opinion, par vingt-six voix contre trois, qu'il y a eu violation de l'article 6 § 3 c) combiné avec l'article 6 § 1, mais pas de l'article 6 § 3 e) combiné avec l'article 6 § 1 (vingt-sept voix contre deux). Le texte intégral de son avis et des deux opinions dissidentes dont il s’accompagne figure en annexe au présent arrêt. CONCLUSIONS PRéSENTéES à LA COUR Dans son mémoire, le Gouvernement prie la Cour de dire qu'il n'y a pas eu violation de l'article 6 § 3 c) de la Convention. 31. Le représentant du requérant lui demande de constater la violation de l'article 6 § 3 c) combiné avec l'article 6 § 1 et de fixer l'indemnité à laquelle a droit la famille du défunt Juan Carlos Daud en réparation du préjudice subi.
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Le requérant, citoyen britannique, est né en 1984. En mai 1990, lui et son frère furent inscrits sur la liste des enfants à risque tenue par le service local de protection de l’enfance pour avoir subi des « sévices physiques avérés ». Le concubin de la mère des enfants ayant reconnu avoir frappé A. avec une canne, la police lui adressa un avertissement. Le nom des deux garçons fut retiré de la liste en novembre 1991. Le concubin épousa par la suite la mère du requérant, dont il devint ainsi le beau-père. En février 1993, le directeur de l’école que fréquentait A. avertit les services sociaux locaux que, selon le frère de l’intéressé, le beau-père frappait celui-ci à coups de bâton. Le beau-père fut arrêté le 5 février 1993 et libéré sous caution le lendemain. Le 5 février 1993, le requérant fut examiné par une pédiatre consultante, qui constata sur le corps entre autres les marques suivantes : 1) une meurtrissure rouge et linéaire, d’origine récente, sur la partie postérieure de la cuisse droite, marque qui pouvait avoir été occasionnée par un coup asséné avec une canne et dans les vingt-quatre heures précédentes ; 2) une double ecchymose linéaire sur la partie postérieure du mollet gauche, résultant probablement de deux coups séparés portés quelque temps avant la première blessure ; 3) deux traits sur l’arrière de la cuisse gauche, sans doute causés par deux coups et datant d’un jour ou deux ; 4) trois ecchymoses linéaires sur la fesse droite, provenant probablement de trois coups, peut-être assénés à des moments différents et remontant jusqu’à une semaine ; 5) une contusion linéaire déjà estompée, remontant probablement à plusieurs jours. La pédiatre estima que les contusions pouvaient très bien avoir été occasionnées par des coups de bâton donnés avec beaucoup de force et à plusieurs reprises. Le beau-père, inculpé pour atteinte à l’intégrité physique, fut jugé en février 1994. La défense ne contesta pas qu’il avait donné des coups de bâton au garçon à plusieurs occasions, mais fit valoir que cela était nécessaire et raisonnable car A. était un enfant difficile, indiscipliné à l’école comme à la maison. En résumant l’affaire, le juge donna au jury les indications suivantes sur le droit : « (...) Que doit prouver l’accusation ? Si un homme en frappe un autre délibérément et sans justification et lui inflige des lésions corporelles – même s’il ne s’agit que d’ecchymoses ou de contusions –, il est coupable d’atteinte à l’intégrité physique. Que signifie « sans justification » en l’espèce ? C’est un moyen de défense parfaitement valable que de prétendre que la voie de fait alléguée n’est qu’une simple correction infligée à un enfant par un de ses parents, en l’espèce le beau-père, sous réserve que la correction ait été modérée quant à la manière dont elle a été administrée, à l’instrument utilisé et à la durée. Autrement dit, elle doit avoir un caractère raisonnable. Ce n’est pas à l’accusé de prouver que la correction était licite, c’est à l’accusation de prouver qu’elle ne l’était pas. Il ne s’agit pas, en l’espèce, de dire si un garçon très indiscipliné doit être puni ; il s’agit de dire si ce qui a été fait en l’occurrence était raisonnable ou non ; c’est cela que vous devez juger (...) » Le jury conclut à la majorité que le beau-père du requérant n’était pas coupable d’atteinte à l’intégrité physique. II. Le droit interne pertinent A. Sanctions pénales pour atteinte à l’intégrité physique des enfants Le beau-père du requérant fut inculpé de « voies de fait portant atteinte à l’intégrité physique », au mépris de l’article 47 de la loi de 1861 sur les infractions contre les personnes (Offences against the Person Act 1861) telle que modifiée. Aux fins de cet article, il faut entendre par « voies de fait » (assault) tout acte de violence infligé à autrui par une personne, délibérément ou par imprudence. Par « atteinte à l’intégrité physique » (actual bodily harm), il faut comprendre toute lésion ou blessure infligée dans le but de nuire à la santé ou au bien-être d’autrui ; il n’est pas nécessaire que cette lésion ou blessure soit permamente, mais elle ne doit pas être simplement passagère ou bénigne. La peine maximale encourue en cas de verdict de culpabilité est de cinq ans d’emprisonnement. En outre, l’article 1 § 1 de la loi de 1933 sur les enfants et adolescents (Children and Young Persons Act 1933) érige en infraction les voies de fait ou mauvais traitements sur un enfant propres à lui causer des souffrances inutiles ou à nuire à sa santé. La peine maximale encourue est de dix ans d’emprisonnement. 14. Dans les procédures pénales pour voies de fait sur un enfant, il incombe à l’accusation de convaincre le jury au-delà de tout doute raisonnable que les voies de fait ne constituaient pas un châtiment légitime. Les parents ou les personnes agissant en leur lieu et place sont protégés par la loi s’ils administrent un châtiment modéré et raisonnable en l’espèce. La notion de « caractère raisonnable » permet aux tribunaux d’appliquer les critères ayant cours dans la société contemporaine pour le châtiment corporel des enfants. Les châtiments corporels infligés par un enseignant sont injustifiables s’ils présentent un caractère inhumain ou dégradant. Pour déterminer si tel est le cas, il faut tenir compte de « l’ensemble des circonstances, y compris des motifs justifiant le châtiment, de la durée qui s’est écoulée entre la faute et le châtiment, de la nature et des modalités d’administration de celui-ci, des personnes impliquées et des effets mentaux et physiques [du châtiment] » (article 47 § 1 a) et b) de la loi de 1986 (no 2) sur l’éducation, telle que modifiée par l’article 293 de la loi de 1993 sur l’éducation). B. Recours civils pour voies de fait Les voies de fait peuvent donner lieu, pour atteinte à l’intégrité de la personne, à une action de la partie lésée en dommages-intérêts. Dans une procédure civile pour voies de fait, si les éléments du délit civil (tort) sont les mêmes que ceux de l’infraction pénale, c’est au défendeur qu’il incombe de démontrer que, selon toute probabilité, le châtiment était raisonnable. PROCéDURE DEVANT LA COMMISSION A. a saisi la Commission le 15 juillet 1994. Il se plaignait de ce que l’Etat ne l’ait pas protégé contre les mauvais traitements de son beau-père et ce, au mépris des articles 3 et/ou 8 de la Convention ; de n’avoir pas disposé d’un recours concernant ses griefs, comme l’eût voulu l’article 13 ; et de ce que le droit interne sur les voies de fait entraînât une discrimination à l’encontre des enfants, ce qui méconnaissait l’article 14 combiné avec les articles 3 et 8. La Commission a retenu la requête (no 25599/94) le 9 septembre 1996. Dans son rapport du 18 septembre 1997 (article 31), elle formule l’avis qu’il y a eu violation de l’article 3 (unanimité), qu’il n’y a pas lieu d’examiner le grief tiré de l’article 8 (seize voix contre une), qu’il n’y a pas eu violation de l’article 13 (unanimité) et qu’il n’y a pas lieu de rechercher s’il y a eu violation de l’article 14 combiné avec les articles 3 ou 8 de la Convention. Le texte intégral de son avis et des deux opinions séparées dont il s’accompagne figure en annexe au présent arrêt. CONCLUSIONS PRéSENTéES à LA COUR Dans son mémoire et à l’audience, le Gouvernement a admis le raisonnement et la conclusion de la Commission selon laquelle il y avait eu violation de l’article 3. Il a toutefois invité la Cour à se borner aux faits de l’espèce sans formuler de déclaration générale sur le châtiment corporel des enfants. Le requérant a demandé à la Cour de constater des violations des articles 3 et 8 de la Convention et de confirmer que le droit national ne doit tolérer, directement ou par implication, aucune violence délibérée à l’égard des enfants.
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I. les circonstances de l’espèce Le requérant est conseiller fiscal indépendant. Le 14 décembre 1989, l’inspecteur des impôts directs lui adressa un avis de redressement fiscal (naheffingsaanslag) pour l’année 1984. Conformément aux dispositions applicables (paragraphe 17 ci-dessous), l’intéressé se vit en outre infliger une pénalité fiscale d’un montant égal à celui du redressement. Cette pénalité se chiffrait ainsi à 38 656 florins néerlandais (NLG). Le 20 décembre 1989, le requérant saisit la chambre fiscale de la cour d’appel (gerechtshof) de Leeuwarden d’un recours contre ledit redressement. Par une lettre du 21 décembre, le greffier de la cour d’appel invita l’intéressé à acquitter un droit de greffe (griffierecht) de 75 NLG, en application de l’article 5 de la loi sur la jurisprudence administrative en matière fiscale (Wet administratieve rechtspraak belastingzaken). Le recours fut déclaré irrecevable par le président de la chambre fiscale le 23 mars 1990, au motif que le droit de greffe n’avait pas été acquitté. Le même jour, le requérant forma opposition (verzet) contre cette décision devant la chambre fiscale. Il affirmait qu’il avait adressé à sa banque un ordre de virement du droit de greffe en question mais que cet ordre n’avait pas été exécuté. Il estimait ne pouvoir être tenu pour responsable de cette erreur de sa banque. Après avoir tenu une audience le 19 septembre 1990, la chambre fiscale de la cour d’appel déclara l’opposition dépourvue de fondement le 26 octobre. Elle considéra que dès lors que l’intéressé avait choisi de faire usage des services d’une banque, c’était à lui qu’il appartenait de veiller à ce que son ordre de virement fût correctement exécuté. Le 20 novembre 1990, le requérant saisit la Cour de cassation (Hoge Raad) d’un pourvoi. Il soutenait que la cour d’appel avait commis une erreur de droit en lui imputant la responsabilité d’une faute commise par sa banque dans l’exécution de son ordre de virement. A titre subsidiaire, il affirmait que la pénalité fiscale qu’il s’était vu infliger équivalait à une sanction pénale et qu’il n’était pas approprié de prélever un droit de greffe dans les affaires où il s’agissait de statuer sur le bien-fondé d’une « accusation en matière pénale ». Le secrétaire d’Etat aux Finances (Staatssecretaris van Financiën) déposa un mémoire en défense (vertoogschrift). L’un des avocats généraux près la Cour de cassation soumit des conclusions le 19 novembre 1991. Il se contenta de formuler, au sujet du moyen principal du requérant, l’avis selon lequel la décision de la cour d’appel était correcte, mais il exposa dans le détail les motifs pour lesquels il considérait que le moyen subsidiaire de l’intéressé devait être rejeté. Le requérant ne reçut pas copie desdites conclusions avant l’intervention de l’arrêt de la Cour de cassation. La haute juridiction rejeta le pourvoi le 17 juin 1992. Elle estima que la non-exécution par une banque d’un ordre de virement d’un droit de greffe ne pouvait être retenue contre l’auteur de l’ordre en question si, dès l’instant où l’on pouvait raisonnablement considérer qu’il devait avoir eu conscience de l’anomalie, l’intéressé avait fait le nécessaire pour que le virement fût exécuté. Or il apparaissait que le requérant n’avait pas acquitté le droit de greffe litigieux, raison pour laquelle son moyen principal devait être repoussé. La Cour de cassation jugea par ailleurs que le droit de greffe en question ne constituait pas, pour le contribuable, un obstacle réel au droit d’accès à un tribunal et que, dans certains cas, une réduction pouvait être accordée. Aussi écarta-t-elle le moyen subsidiaire du requérant. II. LE Droit et LA pratique interneS pertinents A. La loi générale relative aux impôts du royaume L’article 20 § 1 de la loi générale relative aux impôts du royaume (Algemene wet inzake rijksbelastingen) prévoit la notification d’un redressement fiscal lorsqu’un impôt pour lequel le contribuable a l’obligation de remplir une déclaration (die op aangifte behoort te worden voldaan of afgedragen) n’est pas, ou pas intégralement, acquitté. En pareil cas, il est en outre infligé une pénalité fiscale d’un montant égal à celui du redressement (article 21 § 1). Le contribuable a la faculté de saisir l’inspecteur des impôts compétent d’une réclamation (bezwaarschrift ; article 23). La décision de l’inspecteur est susceptible d’un recours devant la chambre fiscale de la cour d’appel (article 26). Il est toutefois également loisible au contribuable de former un recours directement auprès de la chambre fiscale de la cour d’appel, sans saisir au préalable l’inspecteur des impôts (article 26 § 2). C’est ce que fit le requérant en l’espèce. B. La loi sur la jurisprudence administrative en matière fiscale Le contribuable qui forme un recours devant la chambre fiscale de la cour d’appel est tenu d’acquitter un droit de greffe qui, à l’époque, s’élevait à 75 NLG (article 5 § 1 de la loi sur la jurisprudence administrative en matière fiscale). Ce droit de greffe est réduit de 35 NLG si la somme en jeu est minime (article 5 § 3) ou si le contribuable est indigent (article 5 § 4). Le contribuable se voit rembourser l’intégralité du droit si son recours est accueilli, en tout ou en partie (article 5 § 7). La décision de la chambre fiscale de la cour d’appel est susceptible d’un pourvoi devant la Cour de cassation (article 19). Pareil pourvoi peut être formé tant par l’inspecteur des impôts compétent – ou par une autre autorité fiscale – que par le contribuable. 22. La partie défenderesse – autorité fiscale ou contribuable, selon le cas – peut soumettre un mémoire en défense (article 22 § 2). La Cour de cassation ne tient pas d’audience, sauf si l’une des parties l’y invite. Pareille demande peut être faite dans la déclaration de pourvoi ou dans le mémoire en défense, ou encore, mais alors uniquement par la partie demanderesse au pourvoi, après le dépôt de ces documents. Dans ce dernier cas, le délai imparti est de quatorze jours après la notification du mémoire en défense à la partie concernée (article 23 § 1). Si le procureur général exprime le vœu d’être entendu, le dossier lui est envoyé après les débats ou, s’il n’en est pas organisé, après le dépôt des déclarations écrites (article 24 § 1). Le magistrat doit soumettre ses conclusions par écrit (article 24 § 2). Il n’est pas prévu que le contribuable doive recevoir une copie desdites conclusions avant que la Cour de cassation ne rende sa décision. La Cour de cassation délibère en chambre du conseil. Bien qu’aucune disposition légale n’y fasse obstacle, le procureur général n’assiste jamais, en pratique, au délibéré. La Cour de cassation peut casser la décision objet du pourvoi pour les motifs invoqués par le demandeur ou pour d’autres motifs (article 25). Dans ce cas, elle statue sur le fond de l’affaire, substituant à la décision de la chambre fiscale de la cour d’appel la décision que celle-ci aurait dû rendre. Ce n’est que si la décision sur le fond dépend de faits importants qui n’ont pas été établis à un stade antérieur de la procédure que la Cour de cassation renvoie l’affaire à la cour d’appel qui a rendu la décision attaquée ou à une autre (ibidem). C. La loi sur l’organisation judiciaire Les obligations et le statut du ministère public (openbaar ministerie) se trouvent définis dans la loi sur l’organisation judiciaire (Wet op de rechterlijke organisatie). Le ministère public est constitué du procureur général et des avocats généraux près la Cour de cassation, des procureurs généraux et des avocats généraux près les cours d’appel, et des procureurs près les tribunaux d’arrondissement et de canton (article 3 § 1 de la loi sur l’organisation judiciaire). Les avocats généraux près la Cour de cassation agissent en qualité de suppléants du procureur général près cette juridiction et sont soumis à son autorité (articles 3 §§ 2, 5 a) et 6 § 1). 29. Le ministère public doit être entendu par les cours et tribunaux lorsque la loi l’exige (article 4). Les conclusions soumises à la Cour de cassation par le procureur général ou un avocat général prennent la forme d’une étude savante comportant des références à la jurisprudence et à la doctrine pertinentes, ainsi qu’une recommandation, qui ne lie pas la Cour, d’accueillir ou de rejeter le pourvoi. PROCéDURE DEVANT LA COMMISSION Dans sa requête du 12 novembre 1992 à la Commission, le requérant alléguait des violations de l’article 6 § 1 de la Convention en ce que le prélèvement d’un droit de greffe avait porté atteinte à son droit d’accès à un tribunal et en ce qu’il n’avait pas été mis en mesure, devant la Cour de cassation, de répondre aux conclusions de l’avocat général. Le 16 octobre 1995, la Commission a déclaré la requête (n° 21351/93) recevable pour autant qu’elle concernait l’omission de fournir au requérant une occasion de répondre aux conclusions de l’avocat général, et irrecevable pour le surplus. Dans son rapport du 15 octobre 1996 (article 31), elle formule l’avis qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention (vingt-six voix contre quatre). Le texte intégral de son avis et de l’opinion dissidente dont il s’accompagne figure en annexe au présent arrêt1. CONCLUSIONS PRéSENTéES à LA COUR Le Gouvernement conclut son mémoire en exprimant l’opinion que l’article 6 ne s’applique pas en l’espèce. L’intéressé, pour sa part, soutient la thèse inverse et se dit victime d’une violation de l’article 6 § 1.
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I. LES CIRCONSTANCES DE L'ESPÈCE Ressortissant français né en 1945, M. Pierre Leterme est ingénieur en informatique. Il est hémophile et a été fréquemment perfusé. Un test pratiqué le 28 octobre 1985 révéla que le requérant avait été contaminé par le virus de l'immunodéficience humaine (VIH). Il est classé au stade II de la contamination sur l'échelle du Centre de contrôle des maladies d'Atlanta, qui en compte quatre. A. Les recours en réparation Le recours administratif Le 12 décembre 1989, le requérant adressa au ministre de la Solidarité, de la Santé et de la Protection sociale une demande préalable d'indemnisation tendant à se voir accorder une indemnité en réparation des troubles de toute nature subis du fait de sa contamination. Cette demande fut rejetée le 30 mars 1990. Le recours contentieux a) Devant le tribunal administratif de Paris Le 25 mai 1990, le requérant saisit le tribunal administratif de Versailles d’une requête contre cette décision, tendant à l’octroi d’indemnités en compensation du préjudice provoqué par la carence de l’Etat à prendre les mesures propres à éviter la contamination par le VIH. Le 16 octobre 1990, il produisit un mémoire complémentaire. Le ministre de la Santé présenta son mémoire en défense le 22 avril 1991. Ce mémoire fut communiqué au requérant le 12 juin 1991. Le 11 juillet 1991, fut notifiée au requérant une ordonnance de renvoi transmettant l'affaire au Conseil d'Etat. Le tribunal administratif de Paris fut ensuite désigné comme tribunal compétent. La requête fut enregistrée au tribunal administratif de Paris le 14 août 1991. Le 25 mars 1992, le tribunal administratif rendit un jugement avant dire droit énonçant que « la responsabilité de l'Etat est engagée à l'égard des personnes atteintes d'hémophilie et qui ont été contaminées par le VIH à l'occasion de la transfusion de produits sanguins non chauffés, pendant la période de responsabilité susdéfinie, soit entre le 12 mars et le 1er octobre 1985 » et « (...) qu'il y a lieu, pour le tribunal administratif, de condamner l'Etat à réparer l'intégralité du préjudice ». Le tribunal ordonna par ailleurs une expertise médicale afin de déterminer la date de révélation de la séropositivité de M. Leterme et de déterminer s'il avait reçu des produits sanguins dérivés pendant la période de responsabilité de l'Etat. L'expert déposa son rapport le 16 juillet 1992. Par un jugement du 3 mars 1993, le tribunal rejeta la demande du requérant, considérant que l’existence d’un lien de causalité entre la contamination et l’administration de produits sanguins dérivés pendant la période de responsabilité de l’Etat, comprise entre le 12 mars et le 1er octobre 1985, n’était pas établie. b) Devant la cour administrative d’appel de Paris Le 9 avril 1993, l’assemblée du contentieux du Conseil d'Etat rendit trois arrêts de principe fixant au 22 novembre 1984 le point de départ de la période de responsabilité de l'Etat et allouant aux victimes une indemnité forfaitaire de 2 000 000 francs français (FRF) (paragraphe 39 ci-dessous). Le 1er juin 1993, le requérant fit appel du jugement du 3 mars 1993, devant la cour administrative d’appel de Paris, en demandant à bénéficier de cette nouvelle jurisprudence. Par un arrêt du 1er mars 1994, la cour administrative d'appel décida, conformément à la jurisprudence précitée du Conseil d’Etat, que l’Etat devait être déclaré responsable des dommages ayant résulté des transfusions pour le requérant. Elle attribua à M. Leterme une réparation de 2 000 000 FRF. Considérant toutefois qu'il avait accepté l’offre de 1 293 000 FRF, qui lui avait été faite au titre du même préjudice par le Fonds des transfusés et hémophiles, la cour d'appel estima que l’indemnité encore due s’élevait à 707 000 FRF. Pour ce qui est des intérêts, la cour les calcula sur ce dernier montant à compter du 12 décembre 1989 (paragraphes 33–36 ci-dessous). c) Devant le Conseil d’Etat Le 2 mai 1994, le requérant forma un pourvoi en cassation devant le Conseil d'Etat, se plaignant notamment de la manière dont la cour administrative d'appel avait calculé les intérêts. Le 27 janvier 1995, M. Leterme saisit la Commission européenne des Droits de l’Homme d’une requête n° 26387/95 dans laquelle il se plaignait de la durée de la procédure d'indemnisation et invoquait l'article 6 § 1 de la Convention. Le 4 juillet 1995, elle adopta un rapport au sens de l’article 28 § 2 de la Convention, constatant que les parties étaient parvenues à un règlement amiable de l’affaire (paragraphe 43 ci-dessous). Le 1er décembre 1995, le rapporteur au Conseil d’Etat déposa son rapport. Le même jour, le dossier fut affecté à un commissaire du gouvernement. L’audience fut fixée au 19 décembre 1995. Le 31 janvier 1996, le Conseil d'Etat prononça un arrêt cassant l’arrêt de la cour administrative d’appel du 1er mars 1994, dans la mesure où cette cour – au mépris de la jurisprudence du Conseil d'Etat existant en la matière (paragraphe 40 ci-dessous) – avait déduit des sommes que l'Etat devait verser à M. Leterme le montant de l’indemnité liée à la survenance de la maladie, offerte par le Fonds d’indemnisation des transfusés et hémophiles. Le Conseil d'Etat renvoya l’affaire devant la cour administrative d'appel de Paris. d) Devant la cour administrative d’appel de Paris Le dossier parvint le 27 février 1996 à la cour administrative d’appel de Paris. Par une lettre datée du 13 mars 1996, le greffier en chef de celle-ci informa le requérant de la transmission du dossier par le Conseil d'Etat et l’invita à déposer ses observations dans un délai d’un mois. Ces dernières furent enregistrées au greffe le 25 mars 1996. Le 26 septembre 1996, la cour décida de passer outre à l’absence d’observations du ministre de la Santé, de la Caisse primaire d’assurance maladie des Yvelines et du Fonds d’indemnisation des transfusés et hémophiles. Le 28 octobre 1996, le conseil de M. Leterme écrivit au président de la cour administrative d’appel de Paris, pour attirer son attention sur l’ancienneté et la lenteur de la procédure et sur l’urgence de l’affaire, compte tenu de l’état de santé du requérant. Cette lettre n’a reçu aucune réponse. Le 10 février 1997, le dossier fut attribué à un rapporteur. Le 21 mai 1997, l’intéressé présenta devant la Commission une nouvelle requête (n° 36317/97), enregistrée le 3 juin 1997, dans laquelle il exposait que la procédure était toujours pendante devant la cour administrative d’appel. B. La demande présentée au Fonds d’indemnisation Parallèlement, le requérant avait saisi le Fonds d'indemnisation des transfusés et hémophiles, instauré par la loi du 31 décembre 1991 (paragraphe 38 ci-dessous). 33. Le 29 juin 1992, le Fonds décida d’allouer à M. Leterme une indemnité de 1 293 000 FRF, dont 969 750 FRF payables par tiers sur trois ans et 323 250 FRF à la déclaration de la maladie. Il était par ailleurs déduit de cette offre 100 000 FRF versés par les fonds public et privé de solidarité des hémophiles. Le 6 octobre 1992, le requérant interjeta appel devant la cour d'appel de Paris. Le 26 février 1993, la cour d'appel de Paris rendit un arrêt déclarant l'offre du Fonds satisfaisante, lui donnant acte de ce qu'il s'engageait à payer en un seul versement la somme de 969 750 FRF sous déduction de 100 000 FRF et précisant que le paiement du complément d'indemnité serait subordonné à la constatation médicale de la déclaration de la maladie. Le 9 mars 1993, le Fonds d'indemnisation versa 874 706 FRF au requérant. Le 2 février 1994, la Cour de cassation rejeta le pourvoi formé par le requérant contre l'arrêt du 26 février 1993 de la cour d'appel. ii. LE MÉCANISME D’INDEMNISATION A. La législation La loi du 31 décembre 1991 « portant diverses dispositions d'ordre social » a créé un mécanisme spécifique d'indemnisation des hémophiles et des transfusés contaminés à la suite d'injections de produits sanguins. Son article 47 dispose : « I. Les victimes de préjudices résultant de la contamination par le virus d'immunodéficience humaine causée par une transfusion de produits sanguins ou une injection de produits dérivés du sang réalisée sur le territoire de la République française sont indemnisées dans les conditions définies ci-après. II. (...) III. La réparation intégrale des préjudices définis au I est assurée par un fonds d'indemnisation, doté de la personnalité civile, présidé par un président de chambre ou un conseiller de la Cour de cassation, en activité ou honoraire, et administré par une commission d'indemnisation. (...) IV. Dans leur demande d'indemnisation, les victimes ou leurs ayants droit justifient de l'atteinte par le virus d'immunodéficience humaine et des transfusions de produits sanguins ou des injections de produits dérivés du sang. (...) Les victimes ou leurs ayants droit font connaître au fonds tous les éléments d'information dont [ils] disposent. Dans un délai de trois mois à compter de la réception de la demande, qui peut être prolongé à la demande de la victime ou de ses ayants droit, le fonds examine si les conditions d'indemnisation sont réunies ; il recherche les circonstances de la contamination et procède à toute investigation et ce, sans que puisse lui être opposé le secret professionnel. (...) V. Le fonds est tenu de présenter à toute victime mentionnée au I une offre d'indemnisation dans un délai dont la durée est fixée par décret et ne peut excéder six mois à compter du jour où le fonds reçoit la justification complète des préjudices (...) (...) VI. La victime informe le fonds des procédures juridictionnelles éventuellement en cours. Si une action en justice est intentée, la victime informe le juge de la saisine du fonds. VII. (...) VIII. La victime ne dispose du droit d'action en justice contre le fonds d'indemnisation que si sa demande d'indemnisation a été rejetée, si aucune offre ne lui a été présentée dans le délai mentionné au premier alinéa du V ou si elle n'a pas accepté l'offre qui lui a été faite. Cette action est intentée devant la cour d'appel de Paris. IX. Le fonds est subrogé, à due concurrence des sommes versées, dans les droits que possède la victime contre la personne responsable du dommage ainsi que contre les personnes tenues à un titre quelconque d'en assurer la réparation totale ou partielle dans la limite du montant des prestations à la charge desdites personnes. Toutefois, le fonds ne peut engager d'action au titre de cette subrogation que lorsque le dommage est imputable à une faute. Le fonds peut intervenir devant les juridictions de jugement en matière répressive même pour la première fois en cause d'appel en cas de constitution de partie civile de la victime ou de ses ayants droit contre le ou les responsables des préjudices définis au I. Il intervient alors à titre principal et peut user de toutes les voies de recours ouvertes par la loi. Si les faits générateurs du dommage ont donné lieu à des poursuites pénales, le juge civil n'est pas tenu de surseoir à statuer jusqu'à décision définitive de la juridiction répressive. X. Sauf disposition contraire, les modalités d'application du présent article sont fixées par décret en Conseil d'Etat. XI. (...) XII. L'alimentation du fonds d'indemnisation sera définie par une loi ultérieure. XIII. (...) XIV. (...) » B. La jurisprudence Par trois arrêts du 9 avril 1993, l'assemblée du contentieux du Conseil d'Etat décida « que la responsabilité de l'Etat est intégralement engagée à l'égard des personnes contaminées par le virus de l'immunodéficience humaine à la suite d'une transfusion de produits sanguins non chauffés opérée entre le 22 novembre 1984 et le 20 octobre 1985 » (paragraphe 18 ci-dessus). Par des arrêts de principe du 24 mars 1995, le Conseil d'Etat jugea que le versement de la somme offerte par le Fonds d’indemnisation des transfusés et hémophiles pour le cas où la maladie viendrait à se déclarer, était « éventuel et subordonné à l'apparition de la maladie et qu'ainsi, la cour [administrative d'appel de Paris] a commis une erreur de droit en la déduisant des sommes qu'elle a condamné l'Etat à verser en réparation du même préjudice ». III. Le droit procédural pertinent A. Le régime applicable en l'espèce A l'époque des faits, le code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel contenait notamment les dispositions suivantes : Article R.102 « Sauf en matière de travaux publics, le tribunal administratif ne peut être saisi que par voie de recours formé contre une décision, et ce, dans les deux mois à partir de la notification ou de la publication de la décision attaquée. Le silence gardé pendant plus de quatre mois sur une réclamation par l'autorité compétente vaut décision de rejet. (...) » Article R.129 « Le président du tribunal administratif ou de la cour administrative d'appel ou le magistrat que l'un d'eux délègue peut accorder une provision au créancier qui a saisi le tribunal ou la cour d'une demande au fond, lorsque l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable. Il peut, même d'office, subordonner le versement de la provision à la constitution d'une garantie. » Article R.142 « Immédiatement après l'enregistrement de la requête introductive d'instance au greffe, le président du tribunal ou, à Paris, le président de la section à laquelle cette requête a été transmise désigne un rapporteur. Sous l'autorité du président de la formation de jugement à laquelle il appartient, le rapporteur fixe, eu égard aux circonstances de l'affaire, le délai accordé, s'il y a lieu, aux parties pour produire mémoire complémentaire, observations, défense ou réplique. Il peut demander aux parties, pour être joints à la procédure contradictoire, toutes pièces ou tous documents utiles à la solution du litige. » Article R.150 « Lorsque l'une des parties ou l'administration appelée à produire des observations n'a pas observé le délai qui lui a été imparti en exécution des articles R.142 et R.147 du présent code, le président de la formation de jugement lui adresse une mise en demeure. En cas de force majeure, un nouveau et dernier délai peut être accordé. Si la mise en demeure reste sans effet ou si le dernier délai assigné n'est pas observé, la juridiction statue. » Article R.151 « Lorsqu'elle concerne une administration de l'Etat, la mise en demeure est adressée à l'autorité compétente pour représenter l'Etat ; dans les autres cas, elle est adressée à la partie ou à son mandataire, s'il a été constitué. » Article R.182 « Un membre du tribunal administratif ou de la cour administrative d'appel peut être commis par la formation de jugement ou par son président pour procéder à toutes mesures d'instruction autres que celles qui sont prévues aux sections 1 à 4 du présent chapitre. » B. Le régime actuel Le décret n° 93-906 du 12 juillet 1993 s'applique aux instances en cours à la date de sa publication. Il fixe les modalités d'application de l'article 47 de la loi du 31 décembre 1991 (paragraphe 38 ci-dessus) : « Titre II Dispositions relatives aux actions en responsabilité intentées à l'encontre des responsables des dommages définis au I de l'article 47 de la loi du 31 décembre 1991 susvisée Article 15 Le fonds peut, pour exercer l'action subrogatoire prévue au IX de l'article 47 de la loi du 31 décembre 1991 susvisée, intervenir même pour la première fois en cause d'appel devant toute juridiction de l'ordre administratif ou judiciaire. Il intervient alors à titre principal et peut user de toutes les voies de recours ouvertes par la loi. Article 16 Les greffes et secrétariats-greffes des juridictions des ordres administratif et judiciaire adressent au fonds, par lettre recommandée avec demande d'avis de réception, copie des actes de procédure saisissant celles-ci, à titre initial ou additionnel, de toute demande en justice relative à la réparation des préjudices définis au I de l'article 47 de la loi du 31 décembre 1991 susvisée. Article 17 Dans le délai d'un mois à compter de la réception de la lettre mentionnée à l'article 16, le fonds indique au président de la juridiction concernée, par lettre simple, s'il a été ou non saisi d'une demande d'indemnisation ayant le même objet et, dans l'affirmative, l'état d'avancement de la procédure. Il fait en outre savoir s'il entend ou non intervenir à l'instance. Lorsque la victime a accepté l'offre faite par le fonds, celui-ci adresse au président de la juridiction copie des documents par lesquels ont eu lieu l'offre et l'acceptation. Le fonds fait connaître le cas échéant l'état de la procédure engagée devant la cour d'appel de Paris en application des dispositions du titre I du présent décret et communique, s'il y a lieu, l'arrêt rendu par la cour. Les parties sont informées par le greffe ou le secrétariat-greffe des éléments communiqués par le fonds. Article 18 Copie des décisions rendues en premier ressort et, le cas échéant, en appel, dans les instances auxquelles le fonds n'est pas intervenu est adressée à celui-ci par le greffe ou le secrétariat-greffe. Article 19 (...) Article 20 Les dispositions des articles 15 à 19 sont applicables aux instances en cours à la date d'entrée en vigueur du [présent] décret (...) » iv. LA REQUÊTE N° 26387/95 à LA COMMISSION européenne DES DROITS DE L’HOMME Le 27 janvier 1995, M. Leterme avait saisi la Commission d’une requête, enregistrée le 2 février 1995 sous le n° 26387/95, dans laquelle il se plaignait de la longueur de la procédure en indemnisation litigieuse et invoquait l’article 6 § 1 de la Convention. Le 4 juillet 1995, la Commission a adopté un rapport dans lequel elle a constaté, en vertu de l’article 28 de la Convention : « (…) Le 26 avril 1995, le représentant du requérant a fait savoir que celui-ci était prêt à accepter une somme de 200 000 FF (deux cent mille francs) au titre du dommage moral, somme à laquelle devraient s’ajouter les frais et dépens exposés devant la Commission, le tout devant être payé dans le délai d’un mois suivant le rapport de la Commission, avec paiement d’intérêts en cas de retard dans le paiement. Le 11 mai 1995, il a précisé que les frais se montaient à 23 720 FF. Par courrier du 14 juin 1995, l’agent du Gouvernement a indiqué que celui-ci était favorable au règlement amiable de cette affaire sur la base du paiement d’un montant de 223 720 FF. Réunie le 4 juillet 1995, la Commission a constaté que les parties étaient parvenues à un accord sur les termes d’un règlement. Elle a estimé en outre, eu égard à l’article 28 § 1 b) de la Convention, que les parties étaient parvenues à un règlement amiable de l’affaire qui s’inspirait du respect des droits de l’homme, tels que les reconnaît la Convention. (…) » Le texte de la déclaration d’acceptation du règlement amiable, signée par le requérant le 26 septembre 1995, est ainsi rédigé : « Je reconnais que le versement de ces sommes constituera le dédommagement intégral et définitif de l'ensemble des préjudices allégués dans ma requête et couvrira également la totalité des frais d'avocat et autres engagés par moi dans cette affaire. J’accepte donc de me désister de cette instance et de renoncer à toute autre action ultérieure de ce chef contre l’Etat français devant les juridictions nationales et internationales. » PROCéDURE DEVANT LA COMMISSION M. Leterme a saisi la Commission le 21 mai 1997. Il alléguait le dépassement du délai raisonnable dont l’article 6 § 1 de la Convention exige le respect. La Commission (deuxième chambre) a retenu la requête (n° 36317/97) le 16 septembre 1997. Dans son rapport du 28 octobre 1997 (article 31), elle conclut à l’unanimité qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention. Le texte intégral de son avis figure en annexe au présent arrêt. CONCLUSIONS PRéSENTéES à LA COUR Dans son mémoire, le Gouvernement demande à la Cour, à titre principal, « de reconnaître que le règlement amiable conclu avec M. Leterme a nécessairement impliqué pour lui la renonciation non équivoque à toute action ultérieure contre l'Etat pour la durée de la procédure » et, à titre subsidiaire, « que la durée de la procédure à l'origine de la présente requête ne saurait être appréciée, en tout état de cause, en tenant compte de la partie qui a déjà fait l'objet du règlement amiable ». De son côté, le requérant prie la Cour de constater qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention et de lui allouer une satisfaction équitable au titre de l’article 50, de 200 000 FRF en réparation du tort moral et de 42 210 FRF pour frais et dépens.
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LES CIRCONSTANCES DE L'ESPÈCE Mme Amélia Alves Estima Jorge, ressortissante portugaise, réside à Loures (Portugal). A. La genèse de l'affaire Par un acte notarié du 19 décembre 1978, la requérante et A.P. consentirent conjointement aux époux O. un prêt d'un montant total de 1 360 000 escudos (PTE), remboursable sur six mois, délai renouvelable aussi longtemps que les parties demeuraient d'accord. Le prêt était assorti d'un intérêt annuel de 8 % en cas de paiement avant terme et de 12 % en cas de retard. Les emprunteurs s'engageaient à prendre à leur charge les frais de garantie et de recouvrement de la créance. Le capital prêté, les intérêts et autres dépens étaient garantis par une hypothèque sur un immeuble situé à Carcavelos, dans le ressort de Cascais. Le 22 décembre 1978, Mme Estima Jorge versa aux emprunteurs la partie du capital qu'elle s'était engagée à prêter, à savoir 390 000 PTE ; A.P. paya le surplus, 970 000 PTE, le 27 décembre 1978. Les emprunteurs ne remboursèrent ni le capital ni les intérêts. B. La procédure d'exécution Le 27 novembre 1981, en l'absence de paiement volontaire, les prêteurs introduisirent devant la quatrième chambre civile du tribunal de Lisbonne (tribunal civel da comarca de Lisboa) une procédure d'exécution contre les époux O. en remboursement du prêt hypothécaire. Mme Estima Jorge réclamait un montant de 553 800 PTE représentant le capital augmenté de 163 800 PTE au titre des intérêts dus, selon elle, pour la période du 19 décembre 1978 au 19 juin 1981 ; A.P. demandait 1 377 400 PTE. Les prêteurs sollicitaient également le paiement des intérêts échus à la date du remboursement final ainsi que la condamnation des emprunteurs aux frais et dépens. Le 8 janvier 1982, le tribunal de Lisbonne délivra au tribunal de Cascais (tribunal judicial da comarca de Cascais) une commission rogatoire aux fins de citation des débiteurs. Les 1er et 7 octobre 1982, le tribunal de Cascais leur intima, dans les dix jours de la citation, de payer leur créance ou d'indiquer les biens saisissables. La commission rogatoire fut retournée le 22 octobre 1982. Faute de remboursement de la somme en cause dans le délai légal, le tribunal de Lisbonne ordonna le 10 décembre 1982 la saisie de l'immeuble garantissant le prêt et délivra une commission rogatoire au tribunal de Cascais aux fins de procéder à ladite saisie. Après l'exécution de celle-ci le 14 février 1983, la commission rogatoire fut retournée le 4 mars 1983. Une fois effectuée l'insertion dans les journaux d'annonces informant les autres créanciers éventuels, la requérante requit, le 19 mars 1984, la vente judiciaire de l'immeuble. Le 6 décembre 1984, le tribunal de Lisbonne prit une décision déterminant le rang de divers créanciers (sentença de graduação de créditos). L'adjudication eut lieu à Cascais le 20 mars 1985. Toutefois, le 26 mars 1985, le ministère public, agissant pour le compte de la Caisse générale des dépôts (Caixa Geral de Depósitos), en demanda l'annulation. Par une ordonnance du 6 mai 1985, le tribunal de Cascais fit droit à cette requête. Le 28 octobre 1985, l'acquéreur de l'immeuble interjeta appel de cette décision devant la cour d'appel (Tribunal da Relação) de Lisbonne, laquelle confirma la décision entreprise par un arrêt du 27 octobre 1988. Le 31 janvier 1989, le dossier fut transmis au tribunal de Lisbonne. Une nouvelle vente aux enchères fut fixée au 16 mai 1989. Mais Mme Estima Jorge apprit entre-temps que l'immeuble en cause avait déjà été vendu le 13 février 1989 dans le cadre d'une procédure d'exécution fiscale diligentée par le service des finances de Carcavelos. Le 26 mai 1989, elle sollicita la saisie du produit restant de la vente. Le 5 juin 1989, le tribunal de Lisbonne accueillit la demande et délivra au tribunal de Cascais une commission rogatoire aux fins de procéder à la saisie dudit restant. Le 6 novembre 1989, il fut informé de la transmission du dossier de la procédure d'exécution fiscale à la troisième chambre du tribunal fiscal de première instance (tribunal tributário de 1ª instância) de Lisbonne. Le 2 février 1990, le tribunal de Lisbonne communiqua ce fait à la requérante et la pria de fournir des renseignements sur ladite procédure. Le 14 février 1990, l'avocat de l'intéressée communiqua les informations requises. Les 12 mars, 12 octobre 1990 et 14 février 1991, le tribunal de Lisbonne demanda au tribunal fiscal de la même ville de procéder à la saisie en cause. Le 22 avril 1992, Mme Estima Jorge renouvela sa demande de saisie. Le 8 janvier 1993, le tribunal fiscal saisit le produit restant. Le 18 janvier 1994, la requérante reçut notification de l'arrêté des comptes dont elle demanda, le 24 janvier 1994, la rectification, après avoir constaté que sa créance était au nom d'une autre personne. Par une ordonnance du 11 mars 1994, le juge ordonna ladite rectification. Le 29 novembre 1994, la Caisse générale des dépôts remit à Mme Estima Jorge un chèque de 722 135 PTE. II. Le droit interne pertinent A. Le code de procédure civile On trouvera ci-après une traduction des principales dispositions du code de procédure civile en vigueur à l'époque des faits : Article 1 « Personne n'a le droit de recourir à la force pour faire valoir ou garantir son droit, sauf dans les cas et limites définis par la loi. » Article 2 « A tout droit, sauf lorsque la loi en décide autrement, correspond une action destinée à le faire reconnaître judiciairement ou à le réaliser par la contrainte, tout comme par les mesures nécessaires pour sauvegarder l'effet utile de l'action. » Article 4 « 1. Les actions tendent à une déclaration [declarativas] ou à une exécution [executivas]. (…) Les actions en exécution sont celles dont l'auteur requiert les mesures adéquates à la réparation effective du droit violé. » Article 45 § 1 « Toute exécution se fonde sur un titre, par lequel se déterminent le but et les limites de l'action en exécution. » Article 46 « L'action en exécution ne peut se fonder que sur : les jugements de condamnation ; b) les documents produits ou authentifiés devant notaire ; (...) » Article 50 § 1 « Les documents produits ou authentifiés devant notaire ont force exécutoire, s'ils établissent l'existence d'une obligation. » Article 802 « L'exécution ne saurait être entamée tant que l'obligation n'est pas certaine et exigible, si elle ne l'est pas à l'égard du titre. » Article 811 § 1 « Le créancier doit requérir qu'il soit intimé par citation au débiteur, dans un délai de dix jours, de payer ou d'énumérer les biens saisissables. » Article 836 « 1. Le droit d'énumérer les biens saisissables revient au créancier, indépendamment d'une décision, lorsque : a) le débiteur ne le fait pas dans le délai légal ; b) lors de l'énumération, le débiteur n'observe pas les dispositions de l'article 834 ; certains des biens énumérés ne sont pas trouvés. Une fois la saisie exécutée, par énumération soit du débiteur soit du créancier, ce dernier peut encore énumérer d'autres biens lorsque : il est notoire que les biens saisis ne suffisent pas ; les biens saisis ne sont pas libres et débarrassés alors que le débiteur en possède d'autres qui le sont ; un tiers conteste la saisie ; le créancier se désiste de la saisie conformément à l'article 871 § 3. » Article 872 « Le paiement peut se faire au moyen de la remise d'une somme d'argent, de l'adjudication des biens saisis, de la consignation judiciaire de leurs revenus ou du produit de leur vente. » B. Le code civil L'article 806 du code civil est ainsi libellé : « 1. En matière d'obligation pécuniaire, l'indemnisation correspond aux intérêts à compter du jour du début du retard. Les intérêts dus sont les intérêts légaux, à moins que préalablement au retard il n'ait été décidé d'un intérêt plus élevé ou que les parties aient stipulé un intérêt moratoire différent du taux légal. Cependant, le créancier peut prouver que le retard lui a causé un dommage supérieur aux intérêts mentionnés dans les paragraphes précédents et exiger une indemnisation complémentaire correspondante, lorsqu'il s'agit d'une responsabilité pour fait illicite ou pour risque. » PROCÉDURE DEVANT LA COMMISSION Mme Estima Jorge a saisi la Commission le 27 octobre 1993. Elle s'en prenait à la durée d'une procédure d'exécution introduite devant le tribunal de Lisbonne le 27 novembre 1981 ; elle l'estimait contraire à l'article 6 § 1 de la Convention. La Commission a retenu la requête (n° 24550/94) le 14 mai 1996. Dans son rapport du 5 décembre 1996 (article 31), elle relève, par dix-huit voix contre huit, une violation de l'article 6 § 1. Le texte intégral de son avis et de l'opinion dissidente dont il s'accompagne figure en annexe au présent arrêt. CONCLUSIONS PRÉSENTÉES À LA COUR Dans son mémoire, le Gouvernement prie la Cour de dire « 1. Que la procédure d'exécution, telle que présentée en l'espèce, n'a pas pour objet la décision des contestations sur les droits et obligations de caractère civil, tel qu'on doit interpréter la portée de l'article 6 § 1 de la Convention ; que, par conséquent, il n'y a pas lieu, en l'espèce, d'apprécier une éventuelle violation (délai raisonnable) de l'article 6 § 1 de la Convention qui n'est pas applicable au cas d'espèce ». De son côté, la requérante demande à la Cour de conclure à la violation de l'article 6 § 1 et de condamner l'Etat à l'indemniser.
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I. LES CIRCONSTANCES DE L'ESPÈCE Ressortissant français né en 1958, M. Michel Richard est receveur des Postes. Il est hémophile et a été fréquemment perfusé. Un test pratiqué en novembre 1985 révéla que le requérant avait été contaminé par le virus de l’immunodéficience humaine (VIH). Il est classé, depuis le 6 juin 1991, au stade II de la contamination sur l'échelle du Centre de contrôle des maladies d'Atlanta, qui en compte quatre. A. Les recours en réparation Le recours administratif Le 27 décembre 1989, le requérant adressa au ministre de la Solidarité, de la Santé et de la Protection sociale une demande préalable d'indemnisation tendant à se voir verser une somme de 2 500 000 francs français (FRF) en réparation des troubles de toute nature subis du fait de sa contamination. La demande fut rejetée le 30 mars 1990. Le recours contentieux a) Devant le tribunal administratif de Caen Le 30 mai 1990, M. Richard saisit le tribunal administratif de Caen d'un recours tendant à l’octroi d’une indemnité de 2 500 000 FRF, en compensation du préjudice provoqué par la carence de l'Etat à prendre les mesures propres à éviter sa contamination par le VIH. Le 1er juin 1990, le requérant demanda en référé au président du tribunal administratif de Caen d’ordonner une expertise. La demande fut accueillie le 13 juillet 1990. Le rapport d’expertise fut déposé le 6 juin 1991. Le 24 juillet 1991, l'affaire fut transmise au Conseil d'Etat qui désigna ensuite le tribunal administratif de Paris comme juridiction compétente. Ce dernier enregistra le recours le 14 août 1991. Le 21 octobre 1991, le ministre de la Santé présenta un mémoire en défense. Après avoir tenu une audience le 7 février 1992, le tribunal administratif rendit, le 21 février 1992, un jugement reconnaissant la responsabilité de l'Etat à l'égard de la contamination du requérant et fixant le montant de l’indemnisation à 500 000 FRF. b) Devant la cour administrative d'appel de Paris Le 21 avril 1992, le ministre de la Santé et de l’Action humanitaire fit appel dudit jugement devant la cour administrative d'appel de Paris. Le 22 juin 1992, il déposa un mémoire complémentaire. Le 11 août 1992, le requérant produisit son mémoire concluant au rejet de la requête en appel et, par la voie d’un appel incident, à la condamnation de l'Etat à lui verser une indemnité de 2 500 000 FRF. Les 29 octobre 1992 et 28 juillet 1993, le ministre de la Santé et le requérant, respectivement, présentèrent des mémoires. 17. Le 22 février 1993, le Fonds d’indemnisation des transfusés et hémophiles contaminés par le VIH informa la cour administrative d'appel que M. Richard avait accepté son offre (paragraphes 30–33 ci-dessous). Le 9 avril 1993, l’assemblée du contentieux du Conseil d'Etat rendit trois arrêts de principe fixant au 22 novembre 1984 le point de départ de la période de responsabilité de l'Etat et allouant aux victimes une indemnité forfaitaire de 2 000 000 FRF (paragraphe 35 ci-dessous). Les 23 et 25 avril 1992 et 17 février 1994, la Caisse primaire d’assurance maladie de l’Orne présenta une requête et deux mémoires demandant la condamnation de l'Etat à lui rembourser les sommes versées et les prestations futures qu’elle verserait du chef de la contamination de M. Richard, assorties des intérêts de droit. Après avoir tenu une audience le 5 juillet 1994, la cour administrative d’appel décida, le 19 juillet 1994, que, conformément à la jurisprudence précitée du Conseil d'Etat (paragraphe 18 ci-dessus), l'Etat devait être déclaré responsable de la contamination du requérant, et évalua à 2 000 000 FRF le montant de la réparation due à ce dernier. Elle déduisit de ce montant une somme de 1 743 000 FRF représentant l'offre faite par le Fonds d'indemnisation des transfusés et hémophiles (paragraphe 31 ci-dessous), offre incluant les 500 000 FRF alloués par le tribunal administratif et une somme de 100 000 FRF attribuée par le Fonds de solidarité des hémophiles. Elle porta donc l'indemnité mise à la charge de l'Etat de 500 000 à 757 000 FRF. Pour ce qui est des intérêts, la cour les calcula sur le solde encore dû, soit 757 000 FRF, à compter du 3 janvier 1990. c) Devant le Conseil d'Etat Le 21 octobre 1994, l’intéressé forma un pourvoi en cassation devant le Conseil d'Etat, se plaignant du mode de calcul retenu par la cour administrative d’appel. Le 9 mai 1995, M. Richard saisit la Commission européenne des Droits de l’Homme d’une requête n° 27316/95. Le 23 janvier 1996, après avoir déclaré celle-ci recevable, la Commission adopta un rapport, en vertu de l’article 28 § 2 de la Convention, constatant que les parties étaient parvenues à un règlement amiable de l’affaire (paragraphe 39 ci-dessous). Le 19 juin 1995, la commission d’admission des pourvois en cassation rendit une décision favorable concernant le pourvoi du requérant, qui fut alors averti de la transmission de son recours au président de la section du contentieux du Conseil d'Etat pour instruction. Le Fonds d’indemnisation des transfusés et hémophiles et le ministre de la Santé déposèrent leurs observations, respectivement les 17 octobre 1995 et 14 février 1996. Entre-temps, le 30 novembre 1995, M. Richard avait écrit au président de la cinquième sous-section de la section du contentieux du Conseil d'Etat, chargée de l’instruction, pour attirer son attention sur l’ancienneté et la lenteur de la procédure et sur l’urgence de l’affaire, compte tenu de son état de santé. Il n'a reçu aucune réponse. Le 2 octobre 1996, le requérant saisit la Commission d'une nouvelle requête (n° 33441/96), enregistrée le 14 octobre 1996, dans laquelle il exposait que la procédure était toujours pendante devant le Conseil d'Etat. Le 21 février 1997, le Conseil d'Etat rendit un arrêt cassant l’arrêt de la cour administrative d’appel du 19 juillet 1994, dans la mesure où, contrairement à la jurisprudence du Conseil d'Etat existant en la matière (paragraphe 36 ci-dessous), elle avait déduit des sommes que l'Etat devait verser à M. Richard le montant de l’indemnité liée à la survenance de la maladie, offerte par le Fonds d’indemnisation des transfusés et hémophiles. Le Conseil d'Etat renvoya l’affaire devant la cour administrative d'appel de Paris, sans faire application de l’article 11 de la loi n° 87-1127 du 31 décembre 1987 lui permettant de régler l’affaire au fond sans renvoi devant la cour administrative d’appel. d) Devant la cour administrative d'appel de Paris Le renvoi eut lieu le 13 mars 1997. Par une lettre datée du 20 mars 1997, le greffier en chef de la cour administrative d’appel de Paris informa le requérant de la transmission du dossier par le Conseil d'Etat et l’invita à lui faire connaître ses observations. Ces dernières furent enregistrées au greffe le 28 mars 1997. B. La demande présentée au Fonds d’indemnisation Parallèlement, le requérant avait saisi le Fonds d'indemnisation des transfusés et hémophiles, instauré par la loi du 31 décembre 1991 (paragraphe 34 ci-dessous). Le 24 juillet 1992, le Fonds décida de lui allouer une indemnité de 1 743 000 FRF, dont 1 307 250 FRF payables par tiers sur trois ans et 435 750 FRF à la déclaration de la maladie. Furent déduits de cette offre les 100 000 FRF versés par le Fonds de solidarité des hémophiles et les 500 000 FRF alloués par le tribunal administratif de Paris. Le 7 août 1992, le Fonds versa à M. Richard 235 750 FRF, correspondant au premier versement annuel. A la suite des arrêts de la cour d’appel de Paris du 27 novembre 1992 condamnant le fractionnement du versement des indemnités, le requérant obtint, le 11 février 1993, le versement du solde de la première partie de l’indemnisation, soit 471 500 FRF. ii. LE MÉCANISME D’INDEMNISATION A. La législation La loi du 31 décembre 1991 « portant diverses dispositions d'ordre social » a créé un mécanisme spécifique d'indemnisation des hémophiles et des transfusés contaminés à la suite d'injections de produits sanguins. Son article 47 dispose : « I. Les victimes de préjudices résultant de la contamination par le virus d'immunodéficience humaine causée par une transfusion de produits sanguins ou une injection de produits dérivés du sang réalisée sur le territoire de la République française sont indemnisées dans les conditions définies ci-après. II. (...) III. La réparation intégrale des préjudices définis au I est assurée par un fonds d'indemnisation, doté de la personnalité civile, présidé par un président de chambre ou un conseiller de la Cour de cassation, en activité ou honoraire, et administré par une commission d'indemnisation. (...) IV. Dans leur demande d'indemnisation, les victimes ou leurs ayants droit justifient de l'atteinte par le virus d'immunodéficience humaine et des transfusions de produits sanguins ou des injections de produits dérivés du sang. (...) Les victimes ou leurs ayants droit font connaître au fonds tous les éléments d'information dont [ils] disposent. Dans un délai de trois mois à compter de la réception de la demande, qui peut être prolongé à la demande de la victime ou de ses ayants droit, le fonds examine si les conditions d'indemnisation sont réunies ; il recherche les circonstances de la contamination et procède à toute investigation et ce, sans que puisse lui être opposé le secret professionnel. (...) V. Le fonds est tenu de présenter à toute victime mentionnée au I une offre d'indemnisation dans un délai dont la durée est fixée par décret et ne peut excéder six mois à compter du jour où le fonds reçoit la justification complète des préjudices (...) (...) VI. La victime informe le fonds des procédures juridictionnelles éventuellement en cours. Si une action en justice est intentée, la victime informe le juge de la saisine du fonds. VII. (...) VIII. La victime ne dispose du droit d'action en justice contre le fonds d'indemnisation que si sa demande d'indemnisation a été rejetée, si aucune offre ne lui a été présentée dans le délai mentionné au premier alinéa du V ou si elle n'a pas accepté l'offre qui lui a été faite. Cette action est intentée devant la cour d'appel de Paris. IX. Le fonds est subrogé, à due concurrence des sommes versées, dans les droits que possède la victime contre la personne responsable du dommage ainsi que contre les personnes tenues à un titre quelconque d'en assurer la réparation totale ou partielle dans la limite du montant des prestations à la charge desdites personnes. Toutefois, le fonds ne peut engager d'action au titre de cette subrogation que lorsque le dommage est imputable à une faute. Le fonds peut intervenir devant les juridictions de jugement en matière répressive même pour la première fois en cause d'appel en cas de constitution de partie civile de la victime ou de ses ayants droit contre le ou les responsables des préjudices définis au I. Il intervient alors à titre principal et peut user de toutes les voies de recours ouvertes par la loi. Si les faits générateurs du dommage ont donné lieu à des poursuites pénales, le juge civil n'est pas tenu de surseoir à statuer jusqu'à décision définitive de la juridiction répressive. X. Sauf disposition contraire, les modalités d'application du présent article sont fixées par décret en Conseil d'Etat. XI. (...) XII. L'alimentation du fonds d'indemnisation sera définie par une loi ultérieure. XIII. (...) XIV. (...) » B. La jurisprudence Par trois arrêts du 9 avril 1993, l'assemblée du contentieux du Conseil d'Etat décida « que la responsabilité de l'Etat est intégralement engagée à l'égard des personnes contaminées par le virus de l'immunodéficience humaine à la suite d'une transfusion de produits sanguins non chauffés opérée entre le 22 novembre 1984 et le 20 octobre 1985 » (paragraphe 18 ci-dessus). 36. Par des arrêts de principe du 24 mars 1995, le Conseil d'Etat jugea que le versement de la somme offerte par le Fonds d’indemnisation des transfusés et hémophiles pour le cas où la maladie viendrait à se déclarer, était « éventuel et subordonné à l'apparition de la maladie et qu'ainsi, la cour [administrative d'appel de Paris] a commis une erreur de droit en la déduisant des sommes qu'elle a condamné l'Etat à verser en réparation du même préjudice ». III. Le droit procédural pertinent A. Le régime applicable en l'espèce A l'époque des faits de la cause, le code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel contenait notamment les dispositions suivantes : Article R.102 « Sauf en matière de travaux publics, le tribunal administratif ne peut être saisi que par voie de recours formé contre une décision, et ce, dans les deux mois à partir de la notification ou de la publication de la décision attaquée. Le silence gardé pendant plus de quatre mois sur une réclamation par l'autorité compétente vaut décision de rejet. (...) » Article R.129 « Le président du tribunal administratif ou de la cour administrative d'appel ou le magistrat que l'un d'eux délègue peut accorder une provision au créancier qui a saisi le tribunal ou la cour d'une demande au fond, lorsque l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable. Il peut, même d'office, subordonner le versement de la provision à la constitution d'une garantie. » Article R.142 « Immédiatement après l'enregistrement de la requête introductive d'instance au greffe, le président du tribunal ou, à Paris, le président de la section à laquelle cette requête a été transmise désigne un rapporteur. Sous l'autorité du président de la formation de jugement à laquelle il appartient, le rapporteur fixe, eu égard aux circonstances de l'affaire, le délai accordé, s'il y a lieu, aux parties pour produire mémoire complémentaire, observations, défense ou réplique. Il peut demander aux parties, pour être joints à la procédure contradictoire, toutes pièces ou tous documents utiles à la solution du litige. » Article R.150 « Lorsque l'une des parties ou l'administration appelée à produire des observations n'a pas observé le délai qui lui a été imparti en exécution des articles R.142 et R.147 du présent code, le président de la formation de jugement lui adresse une mise en demeure. En cas de force majeure, un nouveau et dernier délai peut être accordé. Si la mise en demeure reste sans effet ou si le dernier délai assigné n'est pas observé, la juridiction statue. » Article R.151 « Lorsqu'elle concerne une administration de l'Etat, la mise en demeure est adressée à l'autorité compétente pour représenter l'Etat ; dans les autres cas, elle est adressée à la partie ou à son mandataire, s'il a été constitué. » Article R.182 « Un membre du tribunal administratif ou de la cour administrative d'appel peut être commis par la formation de jugement ou par son président pour procéder à toutes mesures d'instruction autres que celles qui sont prévues aux sections 1 à 4 du présent chapitre. » B. Le régime actuel Le décret n° 93-906 du 12 juillet 1993 s'applique aux instances en cours à la date de sa publication. Il fixe les modalités d'application de l'article 47 de la loi du 31 décembre 1991 (paragraphe 34 ci-dessus) : « Titre II Dispositions relatives aux actions en responsabilité intentées à l'encontre des responsables des dommages définis au I de l'article 47 de la loi du 31 décembre 1991 susvisée Article 15 Le fonds peut, pour exercer l'action subrogatoire prévue au IX de l'article 47 de la loi du 31 décembre 1991 susvisée, intervenir même pour la première fois en cause d'appel devant toute juridiction de l'ordre administratif ou judiciaire. Il intervient alors à titre principal et peut user de toutes les voies de recours ouvertes par la loi. Article 16 Les greffes et secrétariats-greffes des juridictions des ordres administratif et judiciaire adressent au fonds, par lettre recommandée avec demande d'avis de réception, copie des actes de procédure saisissant celles-ci, à titre initial ou additionnel, de toute demande en justice relative à la réparation des préjudices définis au I de l'article 47 de la loi du 31 décembre 1991 susvisée. Article 17 Dans le délai d'un mois à compter de la réception de la lettre mentionnée à l'article 16, le fonds indique au président de la juridiction concernée, par lettre simple, s'il a été ou non saisi d'une demande d'indemnisation ayant le même objet et, dans l'affirmative, l'état d'avancement de la procédure. Il fait en outre savoir s'il entend ou non intervenir à l'instance. Lorsque la victime a accepté l'offre faite par le fonds, celui-ci adresse au président de la juridiction copie des documents par lesquels ont eu lieu l'offre et l'acceptation. Le fonds fait connaître le cas échéant l'état de la procédure engagée devant la cour d'appel de Paris en application des dispositions du titre I du présent décret et communique, s'il y a lieu, l'arrêt rendu par la cour. Les parties sont informées par le greffe ou le secrétariat-greffe des éléments communiqués par le fonds. Article 18 Copie des décisions rendues en premier ressort et, le cas échéant, en appel, dans les instances auxquelles le fonds n'est pas intervenu est adressée à celui-ci par le greffe ou le secrétariat-greffe. Article 19 (...) Article 20 Les dispositions des articles 15 à 19 sont applicables aux instances en cours à la date d'entrée en vigueur du [présent] décret (...) » iv. LA REQUÊTE N° 27316/95 à LA COMMISSION européenne DES DROITS DE L’HOMME Le 9 mai 1995, M. Richard avait saisi la Commission d’une requête, enregistrée le 15 mai 1995 sous le n° 27316/95, dans laquelle il se plaignait de la longueur de la procédure en indemnisation litigieuse et invoquait l’article 6 § 1 de la Convention. Le 23 janvier 1996, la Commission a adopté un rapport dans lequel elle a constaté, en vertu de l’article 28 de la Convention : « (…) Le 19 juillet 1995, le représentant du requérant a fait savoir que celui-ci était prêt à accepter une somme de 200 000 FF (deux cent mille francs) au titre du dommage moral, somme à laquelle devraient s’ajouter 23 720 FF au titre des frais et dépens exposés devant la Commission, le tout devant être payé dans le délai d’un mois suivant le rapport de la Commission. Il a également demandé que des intérêts soient versés en cas de retard dans le paiement. Il a réitéré ces propositions par courrier du 20 septembre 1995. Par courrier du 27 décembre 1995 reçu le 15 janvier 1996, l’agent du Gouvernement a indiqué que son Gouvernement acceptait de transiger sur la base de ces propositions. Réunie le 23 janvier 1996, la Commission a constaté que les parties étaient parvenues à un accord sur les termes d’un règlement. Elle a estimé en outre, eu égard à l’article 28 § 1 b) de la Convention, que les parties étaient parvenues à un règlement amiable de l’affaire qui s’inspirait du respect des droits de l’homme, tels que les reconnaît la Convention. (…) » Le texte de la déclaration d’acceptation du règlement amiable, signée par le requérant, est ainsi rédigé : « Je reconnais que le versement de ces sommes constituera le dédommagement intégral et définitif de l'ensemble des préjudices allégués dans ma requête et couvrira également la totalité des frais d'avocat et autres engagés par moi dans cette affaire. J’accepte donc de me désister de cette instance et de renoncer à toute autre action ultérieure de ce chef contre l'Etat français devant les juridictions nationales et internationales. » PROCÉDURE DEVANT LA COMMISSION M. Richard a saisi la Commission le 2 octobre 1996. Il alléguait le dépassement du délai raisonnable dont l’article 6 § 1 de la Convention exige le respect. La Commission (deuxième chambre) a retenu la requête (n° 33441/96) le 15 avril 1997. Dans son rapport du 16 septembre 1997 (article 31), elle conclut à l’unanimité à la violation de l’article 6 § 1 de la Convention. Le texte intégral de son avis figure en annexe au présent arrêt. CONCLUSIONS PRéSENTéES à LA COUR Dans son mémoire, le Gouvernement demande à la Cour « de reconnaître, à titre principal, que le règlement amiable conclu avec M. Richard a nécessairement impliqué pour lui la renonciation non équivoque à toute action ultérieure contre l'Etat pour la durée de la procédure » et, à titre subsidiaire, qu'il n'y a pas eu violation de l'article 6 § 1 de la Convention. De son côté, le requérant prie la Cour de constater qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention et de lui allouer une satisfaction équitable au titre de l’article 50 de la Convention, de 200 000 FRF en réparation du tort moral et de 42 210 FRF pour frais et dépens.
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Le requérant est né en 1971. Le 27 octobre 1985, alors âgé de quatorze ans, il fut hospitalisé dans une clinique en vue de l’ablation des amygdales. Au cours de l’intervention, le 29 octobre 1985, le chirurgien, en accord avec l’anesthésiste, transfusa sur l’adolescent trois culots de plasma frais et une ampoule de PPSB (produit sanguin contenant des facteurs de coagulation) provenant du centre de transfusion sanguine des hospices civils de Colmar (Haut-Rhin). Des analyses sanguines effectuées le 26 novembre 1985 révélèrent des anomalies de la composition du sang. En 1987, une mononucléose infectieuse fut diagnostiquée. Les 7 décembre 1988 et 27 janvier 1989, un sérodiagnostic du virus de l’immunodéficience humaine (VIH) donna des résultats positifs. A. Les recours en réparation Le recours devant les juridictions civiles Par une ordonnance rendue le 4 octobre 1991, le président du tribunal de grande instance de Colmar ordonna une mesure d’expertise. Dans un rapport du 28 février 1992, l’expert médical conclut qu’il existait d’importantes présomptions en faveur d’une relation de causalité entre l’administration de l’ampoule de PPSB à l’intéressé et sa contamination par le VIH. Se fondant sur ce rapport, le requérant saisit le tribunal de grande instance de Colmar et, par une ordonnance du 25 mai 1992, fut autorisé à assigner devant ledit tribunal la fondation Saint-Marc à laquelle appartenait la clinique, la Caisse primaire d’assurance maladie de Strasbourg et la Mutuelle générale de l’éducation nationale. Il demandait au tribunal de déclarer la fondation Saint-Marc seule responsable de sa contamination et de la dire tenue d'en réparer intégralement les conséquences. Par un jugement du 26 août 1992 suivant audience du 23 juin 1992, le tribunal estima que la preuve du lien de causalité n’était pas établie en raison de la persistance d’un doute sérieux quant à l’origine de la contamination. En conséquence, il déclara recevable mais non fondée la demande du requérant et l’en débouta. Le 14 septembre 1992, ce dernier interjeta appel de ce jugement. Dans son mémoire du 28 décembre 1992, il fixa son préjudice à 2 500 000 francs français (FRF) et demanda à la cour d’appel de Colmar de prendre acte du fait qu’il avait saisi le fonds d’indemnisation des transfusés et hémophiles (« le fonds » – paragraphe 23 ci-dessous) . Il précisait que ce dernier n’avait pas encore statué mais que les réparations qu’il proposait étaient inférieures à celles attribuées par la jurisprudence. Le fonds intervint volontairement dans la procédure le 10 juin 1993 pour préserver son recours subrogatoire en cas de faute retenue à l’encontre de la fondation Saint-Marc. 15. Le 6 décembre 1994, la cour d’appel de Colmar infirma la décision attaquée. Sur le fond, la cour déclara la fondation responsable de la contamination de F.E. et accorda à ce dernier une indemnisation de 2 500 000 FRF, le fonds étant subrogé à concurrence de 1 500 000 FRF dans les droits à réparation (paragraphe 24 ci-dessous). Elle condamna donc la clinique à verser 1 000 000 FRF, somme correspondant à la part de préjudice non indemnisée par ledit fonds. Concernant l’argument de la fondation Saint-Marc tiré de ce que l’article 47 de la loi du 31 décembre 1991 (paragraphe 31 ci-dessous) excluait toute autre possibilité d’indemnisation que celle du fonds puisque la réparation octroyée par ce dernier était intégrale, la cour d’appel répondit dans les termes suivants : « Qu’il y a lieu avant toute autre analyse de se référer à l’article 47 de la loi (…), qui a prévu en son paragraphe III la réparation « intégrale » par le fonds créé à cet effet des préjudices subis par les victimes d’une contamination par le virus d’immunodéficience humaine (VIH) à l’occasion d’une transfusion de produits dérivés du sang, dès l’instant que ces opérations se sont réalisées sur le territoire de la République française ; Qu’il résulte cependant de l’article 47-VI que la victime doit « informer le fonds des procédures juridictionnelles éventuellement en cours » ainsi que « si une action en justice est intentée » et de l’article 47-IX « que le fonds est subrogé à due concurrence des sommes versées dans les droits que possède la victime contre la personne responsable du dommage ainsi que contre les personnes tenues à un titre quelconque d’en assurer la réparation totale ou partielle dans la limite du montant des prestations à la charge desdites personnes. Toutefois, le fonds ne peut engager d’action au titre de cette subrogation que lorsque le dommage est imputable à une faute » ; Que l’obligation pour la victime d’informer le fonds des procédures juridictionnelles en cours ou de l’introduction d’une action en justice tout comme la subrogation du fonds « à due concurrence des sommes versées » à la victime font apparaître qu’en ouvrant aux victimes une voie d’indemnisation rapide, la loi n’a pas entendu supprimer la possibilité de recours directs des victimes contre les responsables éventuels ; Qu’elle n’a pas exclu l’éventualité d’une fixation du préjudice par les juridictions saisies à un montant supérieur à celui alloué par le fonds mais qu’elle a veillé à éviter toute double indemnisation (tant par l’obligation d’information des procédures en cours que par la subrogation du fonds) ; Que ceci est d’autant plus incontestable que le fonds n’étant pas une « juridiction » il n’y a pas d’autorité de la chose jugée et que les documents qu’il fait signer aux malades acceptant ses offres visent l’article 47 paragraphe VI et l’obligation de « l’informer de toute action en justice en cours ou à venir » ; Qu’au surplus, en l’espèce, tous les consorts E. ont, par courrier du 21 avril 1993 adressé au fonds d’indemnisation des transfusés et hémophiles, déclaré accepter dès « maintenant » les sommes proposées mais ont précisé qu’ils les estimaient « insuffisantes » et F.E. qui s’est engagé à en donner quittance, a ajouté qu’il « conservait le droit d’exercer toute action contre tout tiers responsable à charge d’en aviser le fonds qui sera subrogé à due concurrence des sommes versées ainsi que le prévoit l’article 47 de la loi du 31 décembre 1991 », ce qui démontre qu’il a toujours considéré que son préjudice n’était pas intégralement réparé et qu’il subsistait donc pour lui un intérêt à agir ; qu’en tout cas on ne saurait qualifier l’accord intervenu de transaction, au sens de l’article 2052 du Code civil ; Qu’en conséquence l’action de [F.E.] est recevable et l’acceptation par lui de l’indemnisation offerte par le fonds ne le prive pas de son intérêt à agir. » Le 1er mars 1995, la fondation Saint-Marc se pourvut en cassation et déposa son mémoire ampliatif le 1er août. Le requérant y répondit le 19 août 1995. Par un mémoire du 26 octobre 1995, la Caisse primaire d'assurance maladie de Strasbourg forma un pourvoi provoqué contre le même arrêt. Le centre de transfusion sanguine produisit un mémoire le 2 novembre 1995 ; F.E. déposa le 10 janvier 1996 ses observations complémentaires et le 13 février 1996 son mémoire en défense au pourvoi provoqué. Le dossier fut attribué à la deuxième chambre civile le 21 février 1996. Après le rapport du conseiller rapporteur et sa transmission à l’avocat général, la chambre examina l’affaire le 29 janvier 1997 et décida de son renvoi devant l’assemblée plénière compte tenu de l’arrêt Bellet rendu par la Cour européenne des Droits de l'Homme (4 décembre 1995, série A n° 333-B). Le 6 juin 1997, la Cour de cassation, siégeant en assemblée plénière, cassa et annula sans renvoi l’arrêt du 6 décembre 1994. Elle adopta le raisonnement suivant : « Vu l’article 47 de la loi du 31 décembre 1991, ensemble l’article 1382 du code civil ; Attendu qu’il résulte de ces textes que le fonds d’indemnisation des transfusés et hémophiles contaminés par le virus d’immunodéficience humaine (le fonds) indemnise intégralement les victimes de leurs préjudices ; que celles-ci, lorsqu’elles 47n’acceptent pas les offres du fonds, peuvent agir en justice devant la cour d’appel de Paris ; qu’elles ne peuvent obtenir réparation par les juridictions de droit commun que de chefs de préjudice dont elles n’ont pas déjà été indemnisées par le fonds ; Attendu, selon l’arrêt attaqué, que [F.E.] a été contaminé par le virus de l’immunodéficience humaine à l’occasion de l’injection d’un produit sanguin subie lors d’une intervention pratiquée à la fondation Saint-Marc ; qu’il a assigné celle-ci en réparation de son préjudice spécifique de contamination ; qu’il a ensuite accepté l’offre d’indemnisation faite par le fonds à ce titre ; Attendu que pour accueillir la demande de [F.E.] contre la clinique, l’arrêt énonce que la loi n’a pas exclu l’éventualité d’une fixation du préjudice par la juridiction saisie à un montant supérieur à celui alloué par le fonds, et que l’acceptation par [F.E.] de l’indemnisation offerte par celui-ci ne le prive pas de son intérêt à agir ; En quoi la cour d’appel a violé les textes susvisés ; Et vu l’article 627, alinéa 1, du nouveau code de procédure civile ; Attendu que la cassation prononcée n’implique pas qu’il y ait lieu à renvoi ; Par ces motifs et sans qu’il y ait lieu de statuer sur le second moyen du pourvoi principal : Casse et annule, dans toutes ses dispositions, l’arrêt rendu le 6 décembre 1994, entre les parties, par la cour d’appel de Colmar ; Dit n’y avoir lieu à renvoi. » Le requérant fut conduit à rembourser la somme de 1 000 000 FRF qui lui avait été versée en exécution de l’arrêt de la cour d’appel de Colmar. Le recours devant les juridictions administratives Entre-temps, par une requête du 30 décembre 1992, le requérant, ses parents, ses deux sœurs ainsi que sa compagne, devenue son épouse en juillet 1993, avaient demandé au tribunal administratif de Strasbourg de condamner le centre de transfusion sanguine des hospices civils de Colmar (paragraphe 7 ci-dessus) à les indemniser pour un montant global de 4 000 000 FRF à raison des préjudices subis par eux du fait de la contamination par le VIH. Par un jugement du 10 février 1994, le tribunal administratif déclara lesdits hospices civils responsables de la contamination du requérant par le VIH et sursit à statuer sur les préjudices afin de permettre au fonds (paragraphes 23 et 31 ci-dessous) de produire des observations sur les actions en réparation. Par un jugement du 23 mars 1995, le même tribunal condamna les hospices civils à verser au fonds les indemnités que ce dernier avait accordées au requérant, à ses parents et à ses deux sœurs et à payer à l’épouse du requérant, à laquelle le fonds n’avait rien octroyé, une somme de 40 000 FRF. Les hospices civils interjetèrent appel contre les deux jugements, et le requérant et sa famille contre le dernier rendu. La cour administrative d’appel de Nancy, par un arrêt du 27 juin 1996, annula les deux jugements et rejeta les demandes du requérant et de ses proches au motif que les hospices civils de Colmar ne pouvaient être tenus pour responsables du préjudice résultant de la contamination. B. La demande présentée au fonds d’indemnisation Parallèlement à ses recours civils et administratifs, le requérant, le 24 novembre 1992, saisit le fonds d’indemnisation des transfusés et hémophiles, instauré par la loi du 31 décembre 1991 (paragraphe 31 ci-dessous). Le 19 mars 1993, le fonds lui proposa une indemnisation de 2 000 000 FRF, dont 1 500 000 FRF payables dès acceptation de l’offre et 500 000 FRF à la déclaration de la maladie. Il offrait par ailleurs une indemnisation de 150 000 FRF pour chacun de ses parents et de 20 000 FRF pour chacune de ses sœurs. L’offre d’indemnisation adressée à l’intéressé comportait les indications suivantes : « La Commission d’indemnisation a décidé, en sa séance du 25 février 1993, de vous adresser une offre d’indemnisation correspondant à l’intégralité de votre préjudice spécifique de contamination à savoir votre préjudice actuel et futur de séropositivité, et dans un second temps, s’il y a lieu, de maladie déclarée. En se fondant sur votre situation concrète, personnelle et individuelle, et par référence aux indemnisations jusque-là allouées dans des cas semblables, la Commission a fixé l’indemnité totale qu’elle vous propose à 2 000 000 F. (…) Si vous acceptez cette offre, faites-le par lettre recommandée avec demande d’avis de réception. (…) Il va de soi que l’attribution de cette indemnité ne vous interdit pas de réclamer une autre indemnité au titre des préjudices économiques dont vous souffririez ou auriez déjà souffert, à condition bien entendu, d’en apporter les preuves. Si cette offre ne vous agrée pas, vous disposez d’un délai de deux mois à compter de la présente notification pour introduire une action devant la cour d’appel de Paris. (…) Je vous rappelle les dispositions de l’article 47-VI de la loi n° 91-1406 du 31 décembre 1991 qui vous font une obligation d’informer le fonds de toute action en justice, en cours ou à venir, intentée en raison de votre contamination. » Par un courrier du 21 avril 1993, le requérant et ses proches déclarèrent accepter les différentes sommes proposées. F.E. précisa toutefois ce qui suit : « (…) j’estime que ces sommes sont insuffisantes. Je dois les accepter dès maintenant, compte tenu de la situation financière dans laquelle je me trouve avec les miens. Par conséquent, je vous donnerai quittance de ces sommes, étant précisé que je conserve le droit d’exercer toute action contre tout tiers responsable à charge d’en aviser le fonds qui sera subrogé à concurrence des sommes qui me seront réellement versées ainsi que le prévoit l’article 47 de la loi du 31 décembre 1991. (…) » A la suite de cette acceptation, le fonds versa la somme de 1 500 000 FRF à l’intéressé, qui en donna quittance le 11 mai 1993. II. LE MéCANISME D’INDEMNISATION A. Les travaux préparatoires de la loi du 31 décembre 1991 L’Assemblée nationale Dans son rapport du 5 décembre 1991 présenté à l’Assemblée nationale au nom de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales, M. Boulard, député, a admis qu’après l’acceptation de l’offre du fonds la victime pouvait rechercher une meilleure indemnisation : « L’autonomie de la procédure d’indemnisation par le fonds est affirmée par la possibilité pour les victimes ou leurs ayants droit de poursuivre les actions éventuellement introduites devant les tribunaux judiciaires, au civil ou au pénal, voire d’en introduire quand ils ne l’auront pas fait concomitamment à la demande déposée auprès du fonds. L’indemnisation par le fonds ne constitue donc pas une « transaction » extinctive des recours judiciaires, contrairement aux aides accordées par les fonds public et privé créés en 1989, mais un mécanisme d’indemnisation reposant sur la notion de risque et indépendant de toute recherche de faute. Toutefois la victime devra informer le fonds et le juge des différentes actions engagées. Cette disposition s’impose parce que le fonds est subrogé dans les droits de la victime contre la personne responsable du dommage ou contre les personnes tenues à réparation à un titre quelconque. » Lors des débats à l’Assemblée nationale le 9 décembre 1991, plusieurs orateurs se sont prononcés en faveur de la possibilité de recourir aux procédures de droit commun après l’acceptation de l’offre. Dans l’extrait du compte rendu analytique officiel des débats, on peut lire les interventions suivantes : M. Chamard : « (...) les poursuites judiciaires doivent pouvoir continuer » M. Préel : « En tout cas, les contaminés doivent pouvoir poursuivre les procédures qu’ils ont engagées contre les centres de transfusion. Et que se passera-t-il si la somme que leur alloue le tribunal est plus élevée que celle qui leur aura été versée au titre de l’indemnisation ? » M. Bianco, ministre des Affaires sociales et de l’Intégration : « Il est clair que l’indemnité proposée n’enlève aucun droit de recours, notamment pour la recherche de responsabilité (...) Il n’est pas concevable qu’une indemnisation offerte par le fonds et acceptée puisse faire obstacle à ce qu’une victime ait droit à plus par une décision de justice. Ces décisions n’ont donc pas autorité de la chose jugée et par conséquent rien n’empêche un tribunal d’accorder une indemnité complémentaire, étant entendu que le fonds sera subrogé dans les droits de la victime contre l’auteur du dommage. » Le 28 avril 1994, à la suite de l’arrêt rendu le 26 janvier 1994 par la Cour de cassation dans l’affaire Bellet (paragraphe 34 ci-dessous), M. Mazeaud, député, a proposé une loi interprétative afin de lever les ambiguïtés de rédaction ayant donné lieu à cette jurisprudence. Il estimait en effet que ledit arrêt donnait de la loi du 31 décembre 1991 une interprétation qui aboutissait à un résultat contraire à celui voulu par le législateur. La proposition de loi n'a pas été retenue. Le Sénat Dans l’avis du 12 décembre 1991 présenté au Sénat au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale et portant sur le projet de loi en cause, M. Thyraud, sénateur, écrivait notamment : « Le projet de loi répond à une situation exceptionnelle. Les solutions qu’il propose peuvent être considérées comme étant de même nature. Il s’agit pour la collectivité, indépendamment de l’examen des responsabilités actuellement en cours, notamment au plan pénal, d’assurer le mieux qu’il soit la réparation des conséquences d’un tel drame. (...) Ainsi qu’indiqué dans l’introduction du présent commentaire, le souhait des auteurs du projet de loi a été de mettre en place un dispositif pleinement autonome ne pouvant être interprété comme une quelconque validation des évolutions récentes de la jurisprudence dans le domaine présent. Simultanément, a été maintenue la possibilité pour les victimes de recourir aux procédures de droit commun, soit devant les juridictions civiles ou administratives, soit devant les juridictions pénales. Cependant, les formulations du projet de loi ne sont pas pleinement explicites à ce propos, cependant que le texte soumis à notre examen reste muet sur les effets éventuels de décisions antérieures de juridictions sur celles de la commission d’indemnisation, ainsi que sur les conséquences des décisions de la commission sur les jugements postérieurs d’autres juridictions. Le projet de loi ne permet pas, par exemple, de déterminer si les décisions de la commission emportent ou non reconnaissance de responsabilité ou présomption de culpabilité. De la même manière, il n’est pas dit si l’autorité de la chose jugée de décisions antérieures de juridictions s’impose à la commission. » B. La législation La loi n° 91-1406 du 31 décembre 1991 « portant diverses dispositions d’ordre social » a créé un mécanisme spécifique d’indemnisation des hémophiles et des transfusés contaminés à la suite d’injections de produits sanguins. La particularité du système, fondé sur la solidarité, est de permettre la réparation des conséquences d’une contamination par le VIH indépendamment de l’examen des responsabilités. L’article 47 de ladite loi dispose : « I. Les victimes de préjudices résultant de la contamination par le virus d’immunodéficience humaine causée par une transfusion de produits sanguins ou une injection de produits dérivés du sang réalisée sur le territoire de la République française sont indemnisées dans les conditions définies ci-après. II. Toute clause de quittance pour solde valant renonciation à toute instance et action contre tout tiers au titre de sa contamination ne fait pas obstacle à la présente procédure. III. La réparation intégrale des préjudices définis au I est assurée par un fonds d’indemnisation, doté de la personnalité civile, présidé par un président de chambre ou un conseiller de la Cour de cassation, en activité ou honoraire, et administré par une commission d’indemnisation. Un conseil composé notamment de représentants des associations concernées est placé auprès du président du fonds. IV. Dans leur demande d’indemnisation, les victimes ou leurs ayants droit justifient de l’atteinte par le virus d’immunodéficience humaine et des transfusions de produits sanguins ou des injections de produits dérivés du sang. (…) Les victimes ou leurs ayants droit font connaître au fonds tous les éléments d’information dont [ils] disposent. Dans un délai de trois mois à compter de la réception de la demande, qui peut être prolongé à la demande de la victime ou de ses ayants droit, le fonds examine si les conditions d’indemnisation sont réunies ; il recherche les circonstances de la contamination et procède à toute investigation et ce, sans que puisse lui être opposé le secret professionnel. (…) V. Le fonds est tenu de présenter à toute victime mentionnée au I une offre d’indemnisation dans un délai dont la durée est fixée par décret et ne peut excéder six mois à compter du jour où le fonds reçoit la justification complète des préjudices. (…) (…) VI. La victime informe le fonds des procédures juridictionnelles éventuellement en cours. Si une action en justice est intentée, la victime informe le juge de la saisine du fonds. VII. (…) VIII. La victime ne dispose du droit d’action en justice contre le fonds d’indemnisation que si sa demande d’indemnisation a été rejetée, si aucune offre ne lui a été présentée dans le délai mentionné au premier alinéa du V ou si elle n’a pas accepté l’offre qui lui a été faite. Cette action est intentée devant la cour d’appel de Paris. IX. Le fonds est subrogé, à due concurrence des sommes versées dans les droits que possède la victime contre la personne responsable du dommage ainsi que contre les personnes tenues à un titre quelconque d’en assurer la réparation totale ou partielle dans la limite du montant des prestations à la charge desdites personnes. Toutefois, le fonds ne peut engager d’action au titre de cette subrogation que lorsque le dommage est imputable à une faute. Le fonds peut intervenir devant les juridictions de jugement en matière répressive même pour la première fois en cause d’appel en cas de constitution de partie civile de la victime ou de ses ayants droit contre le ou les responsables des préjudices définis au I. Il intervient alors à titre principal et peut user de toutes les voies de recours ouvertes par la loi. Si les faits générateurs du dommage ont donné lieu à des poursuites pénales, le juge civil n’est pas tenu de surseoir à statuer jusqu’à décision définitive de la juridiction répressive. X. Sauf disposition contraire, les modalités d’application du présent article sont fixées par décret en Conseil d’Etat. XI. (…) XII. L’alimentation du fonds d’indemnisation sera définie par une loi ultérieure. XIII. (…) XIV. (…) » C. La position du Conseil d’Etat Les arrêts du 9 avril 1993 Par trois arrêts du 9 avril 1993, l’Assemblée du contentieux du Conseil d’Etat décida « que la responsabilité de l’Etat est intégralement engagée à l’égard des personnes contaminées par le virus de l’immunodéficience humaine à la suite d’une transfusion de produits sanguins non chauffés opérée entre le 22 novembre 1984 et le 20 octobre 1985 ». L’avis du 15 octobre 1993 Au sujet de l’affaire Vallée, dont la Cour a eu à connaître (arrêt Vallée c. France du 26 avril 1994, série A n° 289-A), et à la demande du tribunal administratif de Paris, le Conseil d’Etat s’est prononcé sur les conséquences de l’exercice parallèle d’actions devant la juridiction administrative et devant le fonds d’indemnisation. Statuant au contentieux le 15 octobre 1993, il rendit l’avis ci-après : « 1. Le décret du 12 juillet 1993 (...) applicable aux instances en cours à la date de sa publication (...) donne une solution au problème soulevé (...) par le tribunal administratif. (...) il appartient au juge administratif à qui une telle condamnation est demandée, de soulever d’office, lorsque cela ressort des pièces du dossier, que le préjudice invoqué a déjà été, en tout ou partie, indemnisé par un tiers, alors même que celui-ci ne présente pas, par subrogation aux droits de la victime, de conclusions tendant au remboursement des sommes qu’il a versées en réparation du dommage subi par cette dernière. Dès lors, le juge administratif, saisi d’une demande de réparation du préjudice résultant de la contamination par le virus d’immunodéficience humaine, lorsqu’il est informé par l’une des parties au litige de ce que la victime ou ses ayants droit ont déjà été indemnisés du préjudice dont ils demandent réparation, doit, d’office, déduire la somme ainsi allouée du montant du préjudice indemnisable. (...) Lorsque la somme offerte par le fonds a été acceptée par les intéressés (...) tout ou partie du préjudice dont il est demandé réparation est effectivement et définitivement indemnisé par le fonds. En conséquence, il appartient au juge administratif, informé de cette circonstance, de déduire d’office la somme dont le fonds est ainsi redevable, de l’indemnité qu’il condamne la personne publique responsable du dommage à verser à la victime. » D. La position de la Cour de cassation Par un arrêt rendu le 26 janvier 1994 dans l’affaire Bellet, la Cour de cassation (deuxième chambre civile) a pour la première fois pris position sur la question de savoir si une personne ayant accepté l’offre d’indemnisation du fonds conservait un intérêt à agir devant les tribunaux. Elle l'a fait dans ces termes : « (…) attendu qu’ayant constaté que le préjudice indemnisé par le fonds était celui dont réparation était demandée à la [Fondation nationale de la transfusion sanguine], et que l’acceptation de l’offre d’indemnisation de son préjudice spécifique de contamination que lui avait faite le fonds dédommageait intégralement M. Bellet la cour d’appel, par ce seul motif et sans violer l’article 6 § 1 de la Convention européenne des Droits de l'Homme, la victime ayant disposé de la faculté de saisir une juridiction pour voir fixer l’indemnisation de son préjudice, en a déduit à bon droit que l’action de M. Bellet était irrecevable, faute d’intérêt. » La chambre sociale de la Cour de cassation, dans un arrêt du 26 janvier 1995 (Bull. 1995, n° 42, p. 30), a adopté le même raisonnement. Elle a déclaré que l'acceptation de l'offre du fonds rendait inopérantes les critiques dirigées contre un arrêt ayant refusé à la victime l'indemnisation de son préjudice spécifique de contamination. La première chambre civile a suivi la même solution le 9 juillet 1996 (D-1996, 20). Censurant un arrêt de la cour d'appel de Rouen, elle s'est exprimée comme suit : « Attendu que l'acceptation par la victime d'une offre d'indemnisation correspondant, conformément aux dispositions de l'article 47-III de la loi du 31 décembre 1991, à la réparation intégrale de son préjudice spécifique de contamination, la prive d'intérêt à solliciter une autre indemnité du même chef, que la cour d'appel qui a constaté que le préjudice moral qu'elle retenait correspondait au préjudice spécifique de contamination n'a, dès lors, pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations. » Après l'arrêt d'assemblée plénière rendu le 6 juin 1997 dans la présente espèce, la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, dans un arrêt du 14 janvier 1998 (Bull. 1998, n° 16, p. 11), a suivi la même ligne en rappelant que si la victime se prévaut devant une juridiction de droit commun de chefs de préjudices distincts de ceux dont le fonds a assuré l'indemnisation, ladite juridiction ne pourra écarter ce recours comme irrecevable et devra statuer au fond. Elle s'est prononcée comme suit : « (…) attendu qu'il résulte de l'article 47 de la loi du 31 décembre 1991 que le fonds indemnise intégralement les victimes de leurs préjudices ; que celles-ci, lorsqu'elles n'acceptent pas les offres du fonds, peuvent agir en justice devant la cour d'appel de Paris ; qu'elles ne peuvent obtenir réparation devant les juridictions de droit commun que des chefs de préjudice dont elles n'ont pas déjà été indemnisées par le fonds (…) » III. Le droit procédural pertinent Le décret n° 93-906 du 12 juillet 1993 ajoute les articles 15 à 20 au décret n° 92-759 du 31 juillet 1992 relatif aux actions en justice intentées devant la cour d’appel de Paris en vertu de l’article 47 de la loi n° 91-1406 du 31 décembre 1991 (paragraphe 31 ci-dessus). Il s’applique aux instances en cours à la date de sa publication, à savoir le 17 juillet 1993. « TITRE II Dispositions relatives aux actions en responsabilité intentées à l’encontre des responsables des dommages définis au I de l’article 47 de la loi du 31 décembre 1991 susvisée Article 15 Le fonds peut, pour exercer l’action subrogatoire prévue au IX de l’article 47 de la loi du 31 décembre 1991 susvisée, intervenir même pour la première fois en cause d’appel devant toute juridiction de l’ordre administratif ou judiciaire. Il intervient alors à titre principal et peut user de toutes les voies de recours ouvertes par la loi. Article 16 Les greffes et secrétariats-greffes des juridictions des ordres administratif et judiciaire adressent au fonds, par lettre recommandée avec demande d’avis de réception, copie des actes de procédure saisissant celles-ci, à titre initial ou additionnel, de toute demande en justice relative à la réparation des préjudices définis au I de l’article 47 de la loi du 31 décembre 1991 susvisée. Article 17 Dans le délai d’un mois à compter de la réception de la lettre mentionnée à l’article 16, le fonds indique au président de la juridiction concernée, par lettre simple, s’il a été ou non saisi d’une demande d’indemnisation ayant le même objet et, dans l’affirmative, l’état d’avancement de la procédure. Il fait en outre savoir s’il entend ou non intervenir à l’instance. Lorsque la victime a accepté l’offre faite par le fonds, celui-ci adresse au président de la juridiction copie des documents par lesquels ont eu lieu l’offre et l’acceptation. Le fonds fait connaître le cas échéant l’état de la procédure engagée devant la cour d’appel de Paris en application des dispositions du titre Ier du présent décret et communique, s’il y a lieu, l’arrêt rendu par la cour. Les parties sont informées par le greffe ou le secrétariat-greffe des éléments communiqués par le fonds. Article 18 Copie des décisions rendues en premier ressort et, le cas échéant, en appel, dans les instances auxquelles le fonds n’est pas intervenu est adressée à celui-ci par le greffe ou le secrétariat-greffe. Article 19 (...) Article 20 Les dispositions des articles 15 à 19 sont applicables aux instances en cours à la date d’entrée en vigueur du [présent] décret (...) » Procédure devant la COMMISSION M. F.E. a saisi la Commission le 26 septembre 1997. Invoquant l’article 6 § 1 de la Convention, il se plaignait de ne pas avoir eu un accès effectif devant les juridictions civiles pour faire valoir son droit à indemnisation. Il critiquait également la durée de la procédure devant la Cour de cassation, compte tenu de l’enjeu du litige. La Commission (deuxième chambre) a retenu la requête (n° 38212/97) le 10 mars 1998. Dans son rapport du 22 avril 1998 (article 31), elle conclut à l’unanimité pour les deux griefs qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention. Le texte intégral de son avis figure en annexe au présent arrêt. CONCLUSIONS PRéSENTéES à LA COUR Dans son mémoire, le requérant sollicite de la Cour : « – la condamnation de l'Etat français pour non-respect de l'article 6 § 1 de la Convention (…) ; – un million de francs de dommages et intérêts au titre de son préjudice matériel ; – un million de francs de dommages et intérêts au titre de son préjudice moral. » 39. Dans son mémoire, le Gouvernement demande à la Cour de rejeter la requête « pour défaut manifeste de fondement » du premier chef de violation de l’article 6 § 1, à savoir le droit à un accès effectif à un tribunal. En ce qui concerne la violation du droit à être entendu dans un délai raisonnable, il s’en remet « à la sagesse de la Cour ».
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE La requérante La requérante, Mme Koçeri Kurt, ressortissante turque née en 1927, réside actuellement à Bismil, dans le Sud-Est de la Turquie. A l’époque des événements à l’origine de sa requête à la Commission, elle vivait à Ağıllı, village proche de Bismil. Elle a introduit sa requête devant la Commission en son nom et en celui de son fils, Üzeyir Kurt, qui, affirme-t-elle, a disparu dans des circonstances engageant la responsabilité de l’Etat défendeur. Les faits Les circonstances dans lesquelles le fils de l’intéressée a disparu sont contestées. Les faits présentés par la requérante dans ses observations finales sur le fond de sa requête au cours de la procédure devant la Commission sont exposés à la partie A ci-après. Ce récit renferme aussi l’allégation de Mme Kurt d’après laquelle, en raison de sa décision de saisir la Commission, les autorités les ont soumis, son avocat et elle, à des manœuvres d’intimidation. Dans son mémoire à la Cour, la requérante n’a pas redonné sa version des circonstances entourant la disparition de son fils ; elle a préféré s’appuyer sur les faits tels que la Commission les a établis dans son rapport (article 31) adopté le 5 décembre 1996. Les faits tels que présentés par le Gouvernement sont indiqués à la partie B. Un descriptif des pièces produites à la Commission se trouve dans la partie C. Un historique de la procédure devant les autorités internes concernant la disparition du fils de la requérante, tel que dressé par la Commission, est reproduit dans la partie D. En vue d’établir les faits compte tenu du différend relatif aux circonstances entourant la disparition du fils de la requérante, la Commission a mené sa propre enquête conformément à l’article 28 § 1 a) de la Convention. A cette fin, elle a examiné plusieurs documents que la requérante et le Gouvernement avaient produits à l’appui de leurs assertions respectives, et désigné trois délégués pour procéder à l’audition de témoins à Ankara les 8 et 9 février 1996. L’appréciation des preuves par la Commission et ses constatations y relatives se trouvent résumées à la partie E. A. Les faits tels qu’ils sont exposés par la requérante Quant à la disparition du fils de la requérante Du 23 au 25 novembre 1993, les forces de l’ordre, composées de gendarmes et de plusieurs gardes de village, menèrent une opération dans le village d’Ağıllı. Le 23 novembre 1993, agissant d’après des renseignements qui annonçaient la venue de trois terroristes, elles prirent position autour du village. Deux affrontements s’ensuivirent. Pendant les deux jours qu’elles passèrent dans le village, les forces de l’ordre fouillèrent toutes les maisons. Au cours de l’opération, de dix à douze habitations furent réduites en cendres, dont celle de Koçeri Kurt et celle de Mevlüde et Ali Kurt – Mevlüde est la tante du fils de la requérante. Seules, trois des habitations étaient situées près de l’endroit où eurent lieu les affrontements. D’autres maisons furent incendiées par la suite. Les habitants reçurent l’ordre d’évacuer le village dans les huit jours. Ils s’enfuirent à Bismil, beaucoup parce qu’ils n’avaient plus de foyer et les autres parce qu’ils avaient trop peur pour rester. Au dire de la requérante, le 24 novembre 1993 vers midi, alors que les villageois avaient été rassemblés dans la cour de l’école par les militaires, ceux-ci se mirent à la recherche d’Üzeyir, qui ne se trouvait pas avec les autres. Il se cachait dans la maison de sa tante, Mevlüde Kurt (paragraphe 14 ci-dessus). Les militaires demandèrent à sa fille, Aynur Kurt, où il était ; elle leur répondit qu’il était chez sa tante. Les militaires, accompagnés de Davut Kurt, un autre fils de la requérante, se rendirent chez Mevlüde et s’emparèrent d’Üzeyir. Celui-ci passa la nuit avec les militaires dans la maison d’Hasan Kılıç. Dans la matinée du 25 novembre 1993, un enfant vint dire à la requérante qu’Üzeyir voulait des cigarettes. La requérante prit des cigarettes et trouva Üzeyir devant la maison d’Hasan Kılıç, entouré par une dizaine de militaires et cinq ou six gardes de village. Il avait le visage enflé et tuméfié comme s’il avait été battu. Üzeyir lui dit qu’il avait froid. Elle revint alors lui apporter sa veste et des chaussettes. Les militaires ne l’ayant pas autorisée à rester, elle s’en alla. Ce fut la dernière fois qu’elle vit Üzeyir. Selon elle, aucun élément n’indique qu’il ait été vu ailleurs après ce moment. Le 30 novembre 1993, la requérante demanda au procureur de Bismil, Ridvan Yıldırım, de s’enquérir de l’endroit où se trouvait son fils. Le même jour, le capitaine Izzet Cural, de la direction provinciale de la gendarmerie, lui fit savoir en réponse qu’on supposait qu’Üzeyir avait été enlevé par le PKK (le Parti des travailleurs du Kurdistan). Le capitaine Cural, qui avait organisé l’opération dans le village, réitéra cette réponse le 4 décembre 1993. Le commandement de la gendarmerie du district mentionna au bas de la demande de la requérante datée du 30 novembre qu’Üzeyir n’avait pas été arrêté et qu’il avait été enlevé par le PKK. Le 14 décembre 1993, la requérante s’adressa à la cour de sûreté de l’Etat de Diyarbakır qui répondit que le nom d’Üzeyir ne figurait pas sur le registre des gardes à vue. Le 15 décembre 1993, elle s’adressa de nouveau au procureur de Bismil mais fut renvoyée à la gendarmerie. Enfin, le 24 décembre 1993, la requérante demanda l’aide de l’Association des droits de l’homme de Diyarbakır et fit une déclaration sur les circonstances de la disparition de son fils. Le 28 février 1994, Davut Karakoç (cousin d’Üzeyir), Arap Kurt (oncle d’Üzeyir et muhtar du village) et Mehmet Kurt (un autre cousin d’Üzeyir) furent conduits à la gendarmerie et interrogés sur ce qu’ils savaient au sujet « d’Üzeyir Kurt qui [avait] été enlevé par des membres de l’organisation terroriste PKK ». Le 21 mars 1994, le procureur de Bismil se déclara incompétent au motif qu’un crime avait été commis par le PKK. Quant aux allégations de mesures d’intimidation et d’entrave à l’exercice du droit de recours individuel a) Quant à la requérante Depuis l’introduction de sa requête à la Commission le 11 mai 1994, la requérante fait à ses dires l’objet de la part des autorités de l’Etat d’une campagne incroyablement méthodique visant à lui faire retirer sa requête. Le 19 novembre 1994, sur instructions du procureur général de Diyarbakır, la requérante fut appelée à faire une déposition devant le procureur de Bismil. A cette occasion, elle fut interrogée sur la déclaration qu’elle avait faite à l’Association des droits de l’homme de Diyarbakır le 24 décembre 1993 (paragraphe 17 ci-dessus) et sur sa requête à la Commission. Dans sa déclaration au procureur, elle démentit que les forces de l’ordre eussent torturé les villageois comme l’affirmait la déclaration recueillie par l’Association des droits de l’homme, et réfuta la mention figurant dans cette déclaration d’après laquelle son fils avait été torturé. Elle avait simplement dit à l’association que le visage de son fils lui avait semblé tuméfié. Le 9 décembre 1994, la requérante signa une déclaration adressée à l’Association des droits de l’homme de Diyarbakır par laquelle elle reconnaissait que ses plaintes avaient été rédigées par l’organisation terroriste PKK à des fins de propagande. Une déclaration analogue fut communiquée le même jour au ministère des Affaires étrangères à Ankara. Le 6 janvier 1995, la requérante fut invitée par les autorités de l’Etat à se rendre chez un notaire à Bismil, accompagnée par un militaire. Elle ne versa pas d’honoraires au notaire. La déclaration, signée, précisait que le seul désir de l’intéressée était de retrouver son fils, raison pour laquelle elle s’était adressée à l’Association des droits de l’homme. La requérante y affirmait que le PKK avait établi en son nom une requête mal fondée accusant les forces de l’ordre de la disparition de son fils. Elle rejetait la requête introduite en son nom devant la Commission et ne souhaitait pas la maintenir. Le 25 janvier 1995, une déposition fut recueillie par les services du procureur général à titre d’élément d’un dossier établi par les autorités en vue d’intenter des poursuites contre Me Mahmut Şakar, avocat de la requérante (paragraphe 25 ci-dessous). Le 10 août 1995, la requérante fit une autre déclaration devant le notaire à Bismil visant à retirer sa requête à la Commission. Bien qu’elle n’ait pas été contrainte de dire quoi que ce soit au notaire et qu’elle ait indiqué ce qu’elle voulait voir consigner par écrit, la requérante affirme que ces déclarations ne sont pas conformes à ce qu’elle voulait exprimer, et qu’elle n’avait pas eu la possibilité d’en vérifier la teneur. b) Mesures prises contre Me Şakar, avocat de la requérante La requérante affirme que les autorités ont pris des mesures pour intenter des poursuites contre Me Mahmut Şakar, son avocat, en raison du rôle qu’il a joué dans l’introduction de sa requête à la Commission. Elle fait état d’un document du 12 janvier 1995 par lequel M. Özkarol, de la direction des droits de l’homme du ministère des Affaires étrangères, demandait l’ouverture d’une information à l’encontre de Me Şakar, qui était soupçonné d’exploiter la requérante et avait établi une requête contre la Turquie. B. Les faits tels qu’ils sont exposés par le Gouvernement Quant à la disparition du fils de la requérante Ağıllı est un village de trente-six foyers. Une quinzaine d’hommes et femmes de ce village et de ses environs ont rejoint le PKK, ce qui est un nombre très élevé pour un si petit village. Parmi ces personnes, on trouve Türkan Kurt, fille de Musa Kurt, l’un des fils de la requérante. S’il est exact qu’une opération a été menée dans le village et que des affrontements ont eu lieu entre les forces de l’ordre et des terroristes présumés, Üzeyir Kurt n’a pas été arrêté par les forces de l’ordre ; en effet, il n’avait jamais été appréhendé ni été en conflit avec les autorités et il n’y avait aucune raison de l’incarcérer. Pour le Gouvernement, il existe de sérieuses raisons de croire qu’en réalité Üzeyir Kurt a rejoint les rangs du PKK ou a été enlevé par celui-ci. Le Gouvernement souligne que, selon la famille, son frère serait mort plusieurs années auparavant alors qu’il était maintenu en détention par les gendarmes et que, d’après la requérante, son fils s’est caché à l’arrivée des forces de l’ordre dans le village et sa maison a été incendiée à la suite de l’affrontement dans celui-ci. D’ailleurs, plusieurs membres de la famille auraient déjà rejoint le PKK et, quelques mois après l’opération menée dans le village, on a découvert à l’extérieur de celui-ci une cachette qui aurait servi à Üzeyir Kurt pour établir des contacts avec le PKK. Les villageois ont aussi coutume de s’enfuir dans les montagnes dès qu’une opération militaire se déclenche. Des villageois ont aussi déclaré qu’ils avaient entendu dire qu’Üzeyir Kurt avait été enlevé par le PKK. Le Gouvernement allègue qu’Üzeyir a pu se cacher dans le village au début de l’opération puis, profitant de l’obscurité et du mauvais temps, s’échapper en se glissant au travers du dispositif d’encerclement. Mehmet Karabulut a attesté lors de l’audition d’Ankara devant les délégués que, pendant la nuit qui a suivi le premier affrontement, Üzeyir avait dormi chez Mevlüde (paragraphe 15 ci-dessus) mais que, le matin, quand lui-même s’était éveillé, Üzeyir n’était plus là. Le Gouvernement souligne que Mehmet Karabulut a dit dans son témoignage n’avoir ni vu ni entendu de militaires chez Mevlüde, ce qui confirmerait qu’Üzeyir est parti de son plein gré. La seule personne qui affirme avoir vu Üzeyir après ce moment-là est la requérante, dont le récit est incohérent, contradictoire et dénué de fondement. Elle a en particulier affirmé aux délégués à l’audition d’Ankara (paragraphe 13 ci-dessus) que les personnes qui se trouvaient dans la cour de l’école avaient les yeux bandés, mais elle s’est rétractée par la suite. Dans sa déposition à l’Association des droits de l’homme de Diyarbakır et dans sa requête à la Commission, elle déclare par ailleurs être allée une seule fois voir son fils pour lui donner des cigarettes alors que, dans sa déposition orale devant les délégués, elle parle de deux visites à son fils ; elle se contredit lorsqu’elle décrit la manière dont celui-ci lui a fait parvenir un message et n’a pu identifier l’enfant qui le lui aurait remis (paragraphe 15 ci-dessus). En outre, elle affirme être allée voir son fils à deux reprises en traversant le village alors que les forces de l’ordre, pour des raisons de sécurité, empêchaient les gens de sortir de chez eux ; il y a là une invraisemblance. Le Gouvernement soutient aussi que la requérante n’aurait pu retrouver la veste et les chaussettes de son fils le 25 novembre (paragraphe 15 ci-dessus) puisque l’intéressée allègue que cette habitation avait été réduite en cendres la veille. Le Gouvernement insiste sur le fait que, dans sa déclaration du 7 décembre 1994 aux gendarmes, Hasan Kılıç (paragraphe 15 ci-dessus) a affirmé que la requérante était venue chez lui, s’était entretenue avec son fils qui avait passé la nuit là-bas et était partie avec lui. Les militaires n’avaient pas emmené Üzeyir avec eux. D’ailleurs, celui-ci n’avait pas demandé qu’on lui apportât des cigarettes dans cette maison ; ce témoin n’avait pas non plus vu des militaires et des gardes de village détenir Üzeyir devant cette habitation, comme la requérante le prétend. En réalité, ainsi que le capitaine Coral l’a indiqué aux délégués à l’audition d’Ankara, aucun garde n’aurait pénétré dans le village pour prêter main-forte à l’opération militaire. Pour souligner encore les incohérences et contradictions que renferme le récit de l’intéressée, le Gouvernement rappelle également les allégations formulées à l’origine dans la requête à la Commission, qui indiquent que les militaires avaient tué le bétail, pillé le village et molesté les villageois. Devant les délégués, la requérante a toutefois déclaré que ces allégations étaient inexactes. Quant aux allégations de mesures d’intimidation et d’entrave à l’exercice du droit de recours individuel Le Gouvernement soutient que la requérante n’a fait l’objet d’aucune pression visant à la dissuader de témoigner devant les délégués, contrairement à ce qu’ont catégoriquement affirmé les représentants de l’intéressée. Selon lui, la requérante a clairement affirmé que son intention n’était pas de faire un procès à l’Etat. Son seul souci était de retrouver son fils et c’est uniquement dans ce but qu’elle s’est adressée à l’Association des droits de l’homme de Diyarbakır. Les autorités n’ont jamais exercé sur elle aucune pression pour lui faire retirer sa requête à la Commission. Elle a librement formulé devant un notaire de Bismil les 6 janvier et 10 août 1995 (paragraphes 22 et 24 ci-dessus) des déclarations où elle a rejeté la requête présentée à la Commission en son nom par l’Association des droits de l’homme de Diyarbarkır ; aucun soldat n’était à proximité lorsqu’elle a déposé ; elle a bénéficié de l’assistance d’un interprète et on lui a donné lecture de sa déposition avant qu’elle n’y porte l’empreinte de son pouce. Pour le Gouvernement, la requérante a été manipulée par les représentants de l’Association des droits de l’homme de Diyarbarkır ; ils ont déformé les renseignements qu’elle leur avait donnés sur la disparition de son fils pour alléguer sans fondement que les militaires avaient notamment torturé les villageois rassemblés dans la cour de l’école, tué et consommé le bétail pendant l’opération et pillé le village (paragraphe 32 ci-dessus). Par la suite, il aurait été démontré que ces graves allégations et d’autres avaient été forgées de toutes pièces et la requérante aurait démenti les avoir faites. Les autorités n’avaient jamais exercé de pression sur elle pour qu’elle n’assistât pas à l’audition des délégués à Ankara. En réalité, elle avait l’intention de ne pas y assister car elle désirait vivement abandonner sa requête. Ce serait ses avocats qui auraient exercé des pressions sur elle pour qu’elle comparût car ils avaient découvert qu’en réalité elle ne souhaitait pas se présenter. Quant aux poursuites dirigées contre l’avocat de la requérante, Me Mahmut Şakar, le Gouvernement déclare que celui-ci a servi à échafauder la requête à la Commission et a exploité le système de la Convention à des fins de propagande. La décision du Gouvernement d’engager des poursuites contre lui était justifiée. C. Pièces produites à la Commission par la requérante et le Gouvernement à l’appui de leurs assertions respectives Au cours de la procédure devant la Commission, la requérante et le Gouvernement ont produit plusieurs déclarations que l’intéressée avait faites entre le 24 décembre 1993 et le 7 février 1996 à l’Association des droits de l’homme de Diyarbarkır, au procureur de Bismil, aux gendarmes, au service du procureur général à Diyarbarkır et au notaire à Bismil. La requérante a aussi communiqué plusieurs documents officiels concernant l’enquête sur le comportement de son avocat, Me Mahmut Şakar. La Commission a examiné ces pièces lorsqu’elle a apprécié le bien-fondé des allégations de la requérante quant à la disparition de son fils et aux mesures d’intimidation exercées sur elle et son avocat. Entre le 23 février et le 7 décembre 1994, les gendarmes ont recueilli les déclarations de douze témoins. Le 23 février 1994, Arap Kurt, muhtar du village d’Ağıllı à l’époque des faits, Davut Karakoç et Mehmet Kurt (tous deux cousins d’Üzeyir Kurt) furent interrogés par des gendarmes qui leur demandèrent « ce qu’ils savaient et avaient à dire sur l’otage Üzeyir Kurt, qui avait été enlevé par le PKK ». Hasan Kılıç (paragraphe 15 ci-dessus), Mevlüde Kurt (paragraphe 15 ci-dessus) et d’autres villageois présents lors de l’opération militaire, furent interrogés par des gendarmes le 7 décembre 1994. Aucun des villageois interrogés n’avait vu appréhender Üzeyir Kurt. Hasan Kılıç affirma dans sa déclaration qu’Üzeyir Kurt était venu chez lui le 24 novembre au matin, y avait passé la nuit et s’en était allé le lendemain matin lorsque sa mère arriva. Si des soldats avaient bien passé la nuit dans la maison, Hasan Kılıç soutint que la requérante et son fils quittèrent celle-ci ensemble et que les soldats n’accompagnèrent assurément pas Üzeyir Kurt. La Commission a examiné ces déclarations quand elle a apprécié les preuves en sa possession. Le Gouvernement s’appuie sur ces dépositions pour affirmer que le fils de la requérante n’a pas été détenu dans le village par les forces de sécurité comme l’allègue l’intéressée et que vraisemblablement il a été enlevé par le PKK ou l’a rejoint. Le Gouvernement a aussi produit au cours de la procédure devant la Commission le rapport que les forces de l’ordre ont dressé de l’incident du 24 novembre 1993, un rapport daté du 19 novembre 1994 du procureur de Bismil aux services du procureur général de Diyarbakır penchant, au vu des preuves, pour un enlèvement du fils de la requérante par le PKK à la suite de l’affrontement du 23 novembre 1993, et un rapport daté du 8 décembre 1994 préparé par le colonel Eşref Hatipoğlu, du commandement de la gendarmerie à Diyarbakır, sur la manière dont avait été menée l’opération à Ağıllı et confirmant, notamment, que le fils de la requérante n’avait pas été arrêté. D. Procédure devant les autorités internes Le 30 novembre 1993, la requérante adressa au procureur de Bismil, Ridvan Yıldırım, une requête portant l’empreinte de son pouce. Elle y indiquait que son fils avait été arrêté à la suite d’un affrontement dans son village entre les gendarmes et le PKK et elle ignorait ce qui lui était arrivé. Elle demandait donc à être informée sur son sort. Le même jour, le procureur transmit la demande au commandement de la gendarmerie du district, avec une note manuscrite par laquelle il réclamait lui-même des informations sur le sujet. Le commandement de la gendarmerie inscrivit le même jour sur la demande qu’en réalité Üzeyir Kurt n’avait pas été arrêté – on supposait qu’il avait été enlevé par le PKK. Par une lettre du 30 novembre 1993, le capitaine Cural, au nom de la direction provinciale de la gendarmerie, fit savoir au procureur général de Bismil, en réponse à une lettre non datée de celui-ci, qu’Üzeyir Kurt n’avait pas été arrêté et qu’il avait probablement été enlevé par des terroristes. 41. Le capitaine Cural, de la gendarmerie du district de Bismil, agissant ès qualité, fit savoir au procureur général de Bismil, par une lettre du 4 décembre 1993, qu’Üzeyir Kurt n’avait pas été arrêté et qu’il avait probablement été enlevé par des terroristes (texte identique à celui de la lettre du 30 novembre citée au paragraphe précédent). Le 14 décembre 1993, la requérante présenta une demande, authentifiée par l’empreinte de son pouce, au procureur général près la cour de sûreté de l’Etat de Diyarbakır. Elle y déclarait que son fils Üzeyir avait été arrêté vingt jours auparavant par les gendarmes, et que, n’ayant plus eu de ses nouvelles depuis lors, elle craignait pour la vie de son fils. Elle demandait qu’on lui dise où il se trouvait. Le procureur général nota de sa main au bas de la demande que le nom d’Üzeyir Kurt ne figurait pas sur les registres des gardes à vue. Le 15 décembre 1993, la requérante présenta au procureur de Bismil une deuxième demande écrite dont les termes reprenaient ceux de la première, du 14 décembre. Le procureur ordonna au commandement régional de la gendarmerie, par une note manuscrite au bas de cette demande, de fournir à la demanderesse les renseignements qu’elle sollicitait. Le 21 mars 1994, Ridvan Yıldırım, procureur de Bismil, prononça un non-lieu. Aux termes de la décision, la plaignante est la requérante et la victime Üzeyir Kurt. L’infraction en cause est l’appartenance à une organisation illégale et l’enlèvement, les suspects étant des membres du PKK. Ce texte précise qu’à la suite d’un affrontement entre le PKK et les forces de l’ordre, les membres du PKK se sont enfuis du village en enlevant la victime précitée. L’infraction ressortissant à la compétence des cours de sûreté de l’Etat, l’affaire fut renvoyée, avec le dossier, devant la cour de sûreté de l’Etat de Diyarbakır. E. Appréciation des preuves par la Commission et constatations Les preuves écrites et orales La Commission a considéré les preuves littérales fournies par la requérante et le Gouvernement à l’appui de leurs assertions respectives (paragraphes 37 et 38 ci-dessus). Par ailleurs, lors d’une audition qui s’est tenue à Ankara les 8 et 9 février 1996, les délégués de la Commission ont entendu les dépositions orales des témoins suivants : la requérante ; Arap Kurt, muhtar du village d’Ağıllı et beau-frère de l’intéressée ; Ridvan Yıldırım, procureur à Bismil, le premier auquel la requérante se soit adressée au sujet de la disparition de son fils (paragraphe 16 ci-dessus) ; Izzet Cural, chef de la gendarmerie du district de Bismil, qui avait mis sur pied l’opération militaire au village d’Ağıllı (paragraphe 31 ci-dessus) ; Muharram Küpeli, chef d’une brigade d’intervention qui fut déployée au cours de l’opération militaire dans le village ; et Mehmet Karabulut, qui a vu pour la dernière fois le fils de la requérante chez Ali et Mevlüde Kurt au début de l’opération militaire (paragraphe 29 ci-dessus). Treize témoins avaient été convoqués, mais les six personnes citées plus haut furent les seules à comparaître à l’audition et à déposer. Méthode d’appréciation des preuves La Commission a abordé sa tâche en l’absence d’un examen judiciaire ou d’une enquête indépendante approfondie au plan interne sur les faits en question. Ce faisant, elle a apprécié les éléments en sa possession en considérant notamment le comportement des témoins que les délégués entendirent à Ankara et la nécessité de prendre en compte, pour parvenir à ses conclusions, un faisceau d’indices ou de présomptions non réfutées, suffisamment graves, précis ou concordants. La Commission a aussi dûment reconnu les difficultés inhérentes à l’évaluation d’éléments obtenus à l’audition des délégués par l’intermédiaire d’interprètes ainsi qu’à la vulnérabilité des villageois dans le Sud-Est de la Turquie lorsqu’il s’agit de témoigner sur des incidents impliquant le PKK et les forces de l’ordre. Les constatations de la Commission a) L’opération militaire menée dans le village d’Ağıllı La Commission estime que les preuves écrites et orales sont pour l’essentiel cohérentes quant au déroulement général de l’opération. Il est établi que les villageois furent rassemblés dans la cour de l’école le matin du 24 novembre et que les maisons furent fouillées. Au cours d’affrontements entre les forces de l’ordre et les terroristes qui étaient entrés dans le village la veille au soir, plusieurs maisons dont celles de la requérante ou de son fils furent réduites en cendres. Les villageois furent de nouveau rassemblés dans la cour de l’école le 25 novembre. Trois terroristes et un membre des forces de l’ordre furent tués lors des affrontements qui eurent lieu. Douze villageois furent placés en garde à vue le 24 novembre et relâchés le 26. Les forces de l’ordre quittèrent le village le 25 novembre en fin de journée. b) L’arrestation alléguée d’Üzeyir Kurt, fils de la requérante La Commission note que la présence d’Üzeyir Kurt dans le village d’Ağıllı le soir du 23 novembre 1993 est établie et que, selon les témoins, il a passé la nuit chez son oncle et sa tante, Ali et Mevlüde Kurt, en raison de l’affrontement entre le PKK et les forces de l’ordre. Il est aussi établi que lorsque les villageois furent réunis dans la cour de l’école par les forces de l’ordre, dans la matinée du 24 novembre 1993, Üzeyir Kurt n’était pas parmi eux. Hasan Kılıç affirme qu’après avoir passé la nuit chez lui, Üzeyir Kurt est parti avec sa mère le 25 novembre au matin ; de son côté, la requérante n’a cessé de dire que son fils se trouvait avec les militaires après que les villageois eurent été rassemblés pendant la journée dans la cour de l’école. Elle l’a vu pour la dernière fois lorsqu’elle lui a porté des cigarettes et des vêtements chez Hasan Kılıç où il était détenu par les forces de l’ordre. Son récit est en grande partie conforme à sa déposition initiale du 24 décembre 1993 recueillie par l’Association des droits de l’homme de Diyarbakır et à ses déclarations et dépositions ultérieures. S’il faut traiter avec prudence la déclaration faite à l’Association des droits de l’homme de Diyarbakır compte tenu des critiques antérieures que la Commission a formulées quant à l’exactitude des déclarations recueillies des requérants dans d’autres affaires par cette association, la Commission n’en considère pas moins que cette déclaration a valeur de témoignage pour autant qu’elle est corroborée par le récit détaillé de la requérante aux délégués. Si la déclaration d’Hasan Kılıç semble contredire l’intéressée lorsqu’elle prétend que son fils a été détenu comme elle l’indique, la Commission estime que ladite déclaration présente des inexactitudes et qu’elle se prête à des interprétations divergentes. Elle regrette qu’Hasan Kılıç n’ait pas répondu à la convocation et n’ait pas comparu à l’audition pour témoigner. Lorsque sa déclaration écrite semble contredire le récit de la requérante dans son témoignage devant les délégués, la Commission privilégie celui-ci, que les délégués ont jugé crédible et convaincant. La Commission n’estime pas que les critiques formulées par le Gouvernement à l’encontre du récit de Mme Kurt suffisent à entamer la crédibilité de celle-ci (paragraphes 30–32 ci-dessus). L’intéressée avait d’abord allégué que les villageois avaient eu les yeux bandés ; peut-être s’agissait-il des douze personnes qui, de la cour de l’école, furent conduites à Bismil pour y être placées en garde à vue et entendues (paragraphe 47 ci-dessus). Quant à la question des cigarettes et de la veste, la Commission n’attache pas d’importance particulière au fait que la requérante ait omis de préciser où elle s’était procuré la veste, car la question ne lui a jamais été directement posée. De plus, rien n’indique dans le témoignage des gendarmes que les villageois ne pouvaient pas, s’ils le souhaitaient, se déplacer librement de maison en maison au début de la matinée, avant d’être rassemblés dans la cour de l’école pour la journée. Le Gouvernement a soutenu que les gardes se trouvaient tous à l’extérieur du village pour surveiller les véhicules des militaires et qu’ils ne pouvaient donc se trouver devant la maison d’Hasan Kılıç, comme le prétend la requérante. La Commission estime cependant que les témoignages n’excluent pas que des gardes de village aient été présents dans la localité à un moment quelconque durant l’opération, contrairement à la pratique, habituelle semble-t-il, voulant que les gardes n’interviennent pas à l’intérieur d’un village si ce n’est le leur. La Commission estime que la requérante croit véritablement en son âme et conscience que son fils a été arrêté par les forces de l’ordre et qu’il a ensuite « disparu ». Elle ne voit aucune raison de penser que les témoignages de l’intéressée aient été influencés par une réticence à blâmer les membres du PKK ou à reconnaître leur implication. Ayant apprécié les éléments en sa possession, la Commission admet le témoignage de la requérante selon lequel elle a vu son fils entouré de militaires et de gardes de village devant la maison d’Hasan Kılıç le matin du 25 novembre 1993. Elle estime que c’est la dernière fois qu’il a été vu par un membre de sa famille ou par une personne du village. c) Autres aspects de la conduite de l’opération La Commission juge inutile de formuler des conclusions quant aux causes de l’incendie de la maison de la requérante ou du rôle éventuel qu’ont joué les forces de l’ordre dans la décision des habitants d’abandonner leur village (paragraphe 14 ci-dessus). II. le droit et la pratique interneS pertinentS Le Gouvernement n’a fourni sur les dispositions légales internes aucune précision qui puisse avoir une incidence en l’espèce. Dans son rapport (article 31), la Commission donne un aperçu du droit et de la pratique internes pouvant présenter un intérêt dans la présente affaire. Cet aperçu repose sur les arguments présentés par l’Etat défendeur dans de précédentes affaires. A. Dispositions constitutionnelles sur la responsabilité administrative L’article 125 de la Constitution turque énonce : « Tout acte ou décision de l’administration est susceptible d’un contrôle juridictionnel (...) L’administration est tenue de réparer tout dommage résultant de ses actes et mesures. » La disposition précitée ne souffre aucune restriction, même en cas d’état d’urgence ou de guerre. Le second alinéa ne requiert pas forcément d’apporter la preuve de l’existence d’une faute de l’administration, dont la responsabilité revêt un caractère absolu et objectif fondé sur la théorie du « risque social ». L’administration peut donc indemniser quiconque est victime d’un préjudice résultant d’actes commis par des personnes non identifiées ou des terroristes, lorsque l’on peut dire que l’Etat a manqué à son devoir de maintien de l’ordre et de la sûreté publique, ou à son obligation de sauvegarder la vie et la propriété individuelles. B. Droit pénal et procédure pénale Le code pénal turc érige en infraction le fait : – de priver arbitrairement un individu de sa liberté (article 179 en général et article 181 pour les fonctionnaires) ; – de proférer des menaces (article 191) ; – de soumettre un individu à la torture ou à des mauvais traitements (articles 243 et 245). Conformément aux articles 151 et 153 du code de procédure pénale, il est possible, pour ces différentes infractions, de porter plainte auprès du procureur de la République ou des autorités administratives locales. Le procureur et la police sont tenus d’instruire les plaintes dont ils sont saisis, le premier décidant s’il y a lieu d’engager des poursuites, conformément à l’article 148 dudit code. Un plaignant peut également faire appel de la décision du procureur de ne pas engager de poursuites. En règle générale, si l’auteur présumé d’une infraction est un agent de l’Etat ou un fonctionnaire, l’autorisation d’engager des poursuites doit être délivrée par le conseil administratif local (comité exécutif de l’administration départementale). Les décisions des conseils administratifs locaux sont susceptibles de recours devant le Conseil d’Etat ; le classement sans suite est automatiquement susceptible d’un recours de ce type. Si l’auteur de l’infraction est un membre des forces armées, il relève de la compétence des juridictions militaires et doit être jugé conformément aux dispositions de l’article 152 du code de procédure militaire. C. Dispositions de droit civil Tout acte illégal commis par un fonctionnaire, qu’il s’agisse d’une infraction pénale ou d’un délit civil, provoquant un dommage matériel ou moral, peut faire l’objet d’une action en réparation devant les juridictions civiles de droit commun. En vertu de l’article 41 du code civil, toute personne victime d’un dommage peut demander réparation à l’auteur présumé de l’infraction, qui lui a porté préjudice en commettant un acte illégal, que ce soit délibérément, par négligence ou par imprudence. En vertu des articles 46 et 47, les juridictions civiles peuvent accorder réparation au titre des dommages patrimoniaux ou extrapatrimoniaux. Des poursuites peuvent être engagées contre l’administration devant les juridictions administratives, dont la procédure est écrite. D. L’impact du décret n° 285 Dans de précédentes affaires dirigées contre l’Etat défendeur et auxquelles ils ont pris part, les représentants de la requérante ont souligné certaines dispositions qui, en soi, affaiblissent la protection de l’individu, alors même que celle-ci aurait pu être garantie par le dispositif général précité. Le décret n° 285 modifie l’application de la loi n° 3713 de 1981 relative à la lutte contre le terrorisme dans les régions soumises à l’état d’urgence. La décision de poursuivre des membres des forces de l’ordre ne relève ainsi plus du procureur mais de conseils administratifs locaux. Composés de fonctionnaires, ces conseils sont critiqués pour leur manque de connaissances juridiques et pour la facilité avec laquelle ils se laissent influencer soit par le gouverneur de la région soumise à l’état d’urgence soit par les gouverneurs provinciaux, qui commandent également les forces de l’ordre. III. documents internationaux pertinents Dans leurs observations écrites à la Cour, la requérante ainsi qu’Amnesty International appellent l’attention sur des documents internationaux concernant la question des disparitions forcées. La Commission renvoie aux textes et décisions suivants, qu’elle analyse plus en détail dans une annexe à son rapport (article 31). A. Documents des Nations unies La Déclaration des Nations unies sur la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées (A.G. Res. 47/133, 18 décembre 1992) dispose notamment ceci : « [La] pratique systématique [des disparitions forcées] est de l’ordre du crime contre l’humanité (…) [et] constitue une violation [du] droit [de chacun] à la reconnaissance de sa personnalité juridique, [du] droit à la liberté et à la sécurité de sa personne et [du] droit de ne pas être soumis à la torture ni à d’autres peines ou traitements cruels inhumains ou dégradants. Il viole en outre le droit à la vie ou le met gravement en danger. » B. Jurisprudence du Comité des droits de l’homme des Nations unies (CDH) Le Comité des droits de l’homme des Nations unies, agissant dans le cadre du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, a établi des rapports sur plusieurs affaires de disparitions forcées : Quinteros c. Uruguay (107/1981), rapport, Assemblée générale ordinaire, trente-huitième session, supplément n° 40 (1983), annexe XXII, § 14 ; Mojica c. République dominicaine, décision du 15 juillet 1994, observations du Comité au titre de l’article 5 § 4 du Protocole facultatif au Pacte concernant la communication n° 449/1991, Human Rights Law Journal, vol. 17, nos 1–2, p. 18 ; Bautista c. Colombie, décision du 27 octobre 1995, observations du Comité au titre de l’article 5 § 4 du Protocole facultatif au Pacte concernant la communication n° 563/1993, Human Rights Law Journal, vol. 17, nos 1–2, p. 19). C. Documents de l’Organisation des Etats américains (OEA) La Convention interaméricaine sur la disparition forcée des personnes (résolution adoptée par l’Assemblée générale à sa septième session plénière le 9 juin 1994, OEA/Ser. P AG/doc. 3114/9 rév. 1 : non encore en vigueur) dispose entre autres : « Préambule (…) Considérant que la disparition forcée des personnes constitue une forme extrêmement grave de répression, qui viole des droits fondamentaux de l’homme consacrés dans la Déclaration américaine des droits et devoirs de l’homme, la Déclaration universelle des droits de l’homme, le Pacte international relatif aux droits civils et politiques et la Convention américaine relative aux droits de l’homme, (…) Article 2 Aux fins de la présente Convention, une disparition forcée s’entend de l’enlèvement ou de la détention d’une personne commis par un agent de l’Etat ou par des personnes agissant avec l’autorisation ou l’acquiescement de l’Etat lorsque, passé un laps de temps raisonnable, n’est fournie aucune information qui permettrait de déterminer le sort réservé à la personne enlevée ou détenue ou l’endroit où elle se trouve. (…) Article 4 La disparition forcée d’une personne est un crime contre l’humanité. Aux termes de la présente Convention, elle engage la responsabilité de ses auteurs ainsi que la responsabilité de l’Etat dont les autorités ont exécuté la disparition ou y ont consenti. (…) Article 18 En ratifiant la présente Convention ou en y adhérant, les Etats parties adoptent l’Ensemble des règles minima des Nations unies pour le traitement des détenus (Résolution 663 C [XXIV] du 31 juillet 1957 du Conseil économique et social) comme partie intégrante de leur droit interne. » D. Jurisprudence de la Cour interaméricaine des droits de l’homme La Cour interaméricaine des droits de l’homme a examiné la question des disparitions forcées dans plusieurs affaires en vertu des dispositions de la Convention américaine relative aux droits de l’homme et avant l’adoption de la Convention interaméricaine sur la disparition forcée des personnes : arrêts Velásquez Rodríguez c. Honduras du 29 juillet 1988 (Inter-Am. Ct. H. R. (Ser. C) n° 4) (1988)), Godínez Cruz c. Honduras du 20 janvier 1989 (Inter-Am. Ct. H. R. (Ser. C) n° 5) (1989)), et Cabellero-Delgado et Santana c. Colombie du 8 décembre 1995 (Inter-Am. Ct. H. R.). E. Observations d’Amnesty International Dans ses observations écrites à la Cour, Amnesty International distingue, à partir de l’analyse à laquelle elle se livre des instruments internationaux pertinents traitant de ce phénomène, les éléments constitutifs du crime de « disparition » : a) privation de liberté ; b) par des agents de l’Etat agissant avec l’autorisation ou l’assentiment de celui-ci ; suivie c) d’une absence d’information ou du refus de reconnaître la privation de liberté ou de révéler le sort réservé à la personne concernée ou l’endroit où elle se trouve ; d) ce qui la soustrait à la protection de la loi. Selon Amnesty International, si les « disparitions » s’inscrivent souvent dans le cadre d’un processus généralisé, il n’est pas nécessaire qu’il en soit ainsi. En outre, une « disparition » doit être tenue pour une violation non seulement de la liberté et de la sécurité de l’individu mais aussi d’autres droits fondamentaux. Amnisty se réfère à la décision de la Cour interaméricaine des droits de l’homme dans l’affaire Velásquez Rodríguez c. Honduras (arrêt du 29 juillet 1988) où la cour affirme que « le phénomène des disparitions constitue une forme complexe de violation des droits de l’homme qui doit se comprendre et se traiter dans sa globalité. » Parmi l’ensemble des droits concernés figurent le droit à la vie et le droit à ne pas être soumis à de mauvais traitements. La gravité des violations de droits, corollaires d’une disparition, a conduit le Comité des droits de l’homme des Nations unies à conclure, à propos de l’article 6 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, que les Etats parties devraient prendre des mesures spécifiques et effectives pour empêcher que des personnes ne disparaissent et mettre en place des installations et procédures en vue d’enquêter de manière approfondie sur le sort des personnes absentes ou disparues dans des circonstances risquant d’entraîner une violation de leur droit à la vie (observations générales n° 6 (seizième session 1982) [Assemblée générale ordinaire des Nations unies 37, supplément n° 40 (A/37/40), annexe V], paragraphe 1). Le Comité des droits de l’homme a repris cette déclaration dans sa décision du 15 juillet 1994 dans l’affaire Mojica c. République dominicaine à propos de la nécessité de mettre les personnes disparues à l’abri de risques de mauvais traitements. Citant l’arrêt susmentionné Velásquez Rodríguez c. Honduras de la Cour interaméricaine, Amnesty International rapporte que la pratique des disparitions implique souvent des exécutions secrètes sans procès, puis une dissimulation du cadavre, et que l’isolement prolongé et la privation de liberté d’un individu sont en soi un traitement cruel et inhumain, nuisible à l’intégrité psychique et morale de la victime. Dans sa décision du 15 juillet 1994 sur l’affaire Mojica c. République dominicaine, le Comité des droits de l’homme des Nations unies a estimé que la disparition d’une personne est indissociable de traitements emportant violation de l’article 7 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, pendant de l’article 3 de la Convention européenne des Droits de l’Homme. Amnesty International appelle par ailleurs l’attention sur le fait que les « disparitions » portent gravement atteinte aux droits de la famille du « disparu », qui connaît presque à coup sûr une grave angoisse se prolongeant souvent pendant des années tant que l’incertitude persiste sur le sort de l’être cher. Amnesty International relève que le Comité des droits de l’homme des Nations unies a adopté cette position dans sa décision du 21 juillet 1983 sur l’affaire Quinteros c. Uruguay. PROCÉDURE DEVANT LA COMMISSION Mme Koçeri Kurt a saisi la Commission le 11 mai 1994 au nom de son fils et au sien propre. Elle se plaignait de ce que son fils Üzeyir eût été placé en détention puis eût disparu. Elle affirmait que son fils était victime de violations, de la part de l’Etat défendeur, des articles 2, 3, 5, 14 et 18 de la Convention et qu’elle etait elle-même victime de manquements aux articles 3 et 13 de celle-ci. La Commission a retenu la requête (n° 24276/94) le 22 mai 1995. Dans son rapport du 5 décembre 1996 (article 31), elle exprime l’avis qu’il y a eu violation de l’article 5 quant à la disparition du fils de la requérante (unanimité) ; qu’il y a eu violation de l’article 3 quant à la requérante (dix-neuf voix contre cinq) ; qu’il n’y a pas lieu d’examiner séparément les griefs tirés des articles 2 et 3 quant au fils de la requérante (unanimité) ; qu’il y a eu violation de l’article 13 quant à la requérante (unanimité) ; qu’il n’y a pas eu violation des articles 14 et 18 (unanimité) ; et que la Turquie a failli à ses obligations au regard de l’article 25 § 1 (unanimité). Le texte intégral de son avis et de l’opinion dissidente dont il s’accompagne figure en annexe au présent arrêt . CONCLUSIONS PRéSENTéES à LA COUR Dans son mémoire, la requérante invite la Cour à constater que l’Etat défendeur a enfreint les articles 2, 3, 5, 14 et 18 de la Convention à raison de la « disparition » de son fils, et qu’elle est elle-même victime d’une violation des articles 3 et 13. Elle allègue de plus que l’Etat défendeur a failli aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 25 § 1. Elle prie la Cour de leur octroyer, à elle et son fils, une satisfaction équitable au titre de l’article 50. Quant à lui, dans son mémoire, le Gouvernement invite la Cour à dire que l’affaire est irrecevable faute d’une requête valide. A titre subsidiaire, il fait valoir que les griefs de la requérante sont sans fondement. A l’audience, il a aussi affirmé qu’il y avait lieu de déclarer la cause irrecevable, la requérante n’ayant pas épuisé les voies de recours internes.
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Le requérant est né en 1943 et habite Bratislava, en Slovaquie. Le 25 août 1993, lors d’une opération menée à la suite d’un incident dans un établissement thermal à Piešt’any, en Slovaquie, la police dut maîtriser le requérant et lui passer les menottes. Elle informa de cet incident le bureau local (Obvodný úrad) de Piešt’any (paragraphe 27 ci-dessous). Le 30 novembre 1993, le bureau local constata que le requérant avait commis une contravention (priestupok) à l’ordre public, réprimée par l’article 47 § 1 a) et c) de la loi de 1990 sur les contraventions, en ce qu’il avait incommodé d’autres pensionnaires de l’établissement par son comportement bruyant et résisté à des policiers (paragraphe 22 ci-dessous). Il fut condamné à payer une amende de 1 000 couronnes slovaques (SKK) en vertu de l’article 47 § 2 de la loi sur les contraventions, et à verser 150 SKK au titre des dépens. Le requérant recourut contre cette décision devant le bureau de district (Okresný úrad) de Trnava. Il soutenait que son affaire n’avait pas fait l’objet d’un examen suffisant et qu’il n’avait pas pu se défendre lui-même, la décision du bureau local ayant été prise en son absence. Il demanda également l’audition d’un témoin. Le 21 janvier 1994, le bureau de district rejeta le recours et confirma la décision du bureau local. C’est son service juridique qui examina le recours et l’écarta par décision signée du chef de service. Le 18 mars 1994, le requérant saisit la Cour constitutionnelle (Ústavný súd). Le 30 mars 1994, il produisit devant cette juridiction des éléments prouvant son indigence et demanda la désignation d’un avocat d’office pour l’assister dans la procédure. Le 6 avril 1994, la cour l’informa que la loi la concernant ne prévoyait pas de désigner un avocat d’office et lui demanda de choisir un défenseur dans les vingt et un jours. Le requérant s’adressa alors au bâtonnier de l’ordre des avocats, mais ne put trouver de défenseur dans le délai fixé par la Cour constitutionnelle. Le 25 mai 1994, celle-ci débouta le requérant au motif qu’il n’avait pas chargé un avocat de le représenter dans la procédure, comme l’exige la loi sur la Cour constitutionnelle. ii. LE DROIT INTERNE PERTINENT A. La Constitution L’article 46 § 2 de la Constitution garantit à quiconque s’estime lésé dans ses droits par la décision d’une autorité de l’administration publique le droit de saisir un tribunal afin que celui-ci examine la légalité de cette décision, sauf si la loi en dispose autrement. L’examen des décisions concernant les droits et libertés fondamentaux ne peut être exclu de la compétence des tribunaux. L’article 121 autorise le gouvernement à accorder l’amnistie en matière de contraventions. Aux termes de l’article 127, la Cour constitutionnelle statue sur les recours formés contre les décisions définitives rendues, notamment, par les organes de l’administration locale et les collectivités locales autonomes, lorsque lesdites décisions portent atteinte aux droits et libertés fondamentaux des citoyens, à moins que la protection de ces droits ne relève de la compétence d’une autre juridiction. B. La loi de 1990 sur les contraventions A l’époque des faits, la législation était la suivante. L’article 1 de la loi sur les contraventions définit ainsi son objet : « Les autorités administratives de la République slovaque et les organes municipaux encouragent les citoyens à respecter la loi et les droits de leurs concitoyens. Elles veillent notamment à ce que les citoyens n’entravent pas le fonctionnement de l’administration (…), ne portent pas atteinte à l’ordre public et n’adoptent pas une conduite incivique. » L’article 2 § 1 définit les contraventions comme suit : « Une contravention est un acte délictueux qui porte atteinte à l’intérêt général ou représente une menace pour celui-ci, et qui est expressément qualifié de contravention dans la présente loi ou un autre texte, à moins que l’acte en question ne constitue une infraction administrative distincte, dont l’auteur est passible des sanctions prévues par des dispositions légales spécifiques, ou une infraction pénale. » L’article 11 permet aux autorités compétentes d’infliger des sanctions (sankcie) aux contrevenants. Il se lit ainsi : « 1. Les sanctions suivantes peuvent être infligées pour une contravention : a) réprimande, b) amende, c) interdiction d’exercer une activité donnée, d) confiscation d’un objet. Une sanction peut être infligée isolément ou combinée à une autre ; une réprimande ne peut être assortie d’une amende. Il est possible de ne pas infliger de sanction si le simple fait d’examiner la contravention suffit à amener son auteur à se corriger. » L’article 12 § 1 énonce dans sa partie pertinente : « Pour déterminer la catégorie et le quantum de la sanction, il faut tenir compte de la gravité de la contravention et, en particulier, de la façon dont celle-ci a été commise et des circonstances dans lesquelles elle l’a été, de ses conséquences, du degré de culpabilité de l’auteur, de ses motivations et de sa personnalité, et examiner notamment si l’intéressé(e) a déjà été puni(e) pour le même acte dans le cadre d’une (…) procédure disciplinaire. » L’article 47 de la loi régit les contraventions à l’ordre public. Aux termes de son paragraphe 1 a) et c), se rend coupable d’une telle contravention quiconque résiste à un fonctionnaire agissant dans l’exercice de ses fonctions ou commet une atteinte aux bonnes mœurs. Selon l’article 47 § 2, le contrevenant s’expose à une amende de 1 000 SKK maximum. Aux termes de l’article 51, la procédure relative aux contraventions est régie, sauf dispositions contraires, par la loi sur la procédure administrative. Selon l’article 52, les autorités administratives suivantes sont habilitées à examiner les contraventions : i) les bureaux locaux, ii) les services de police si la contravention a été commise en violation des dispositions légales généralement contraignantes en matière de sécurité routière, et iii) d’autres organes de l’administration de l’Etat si une loi spécifique le prévoit. Conformément à l’article 58 § 4 b), l’enquête sur les affaires relatives aux contraventions à l’ordre public est menée par les services de police, relevant du ministère de l’Intérieur. L’article 59 § 1 énonce que l’examen des contraventions doit se fonder soit sur une enquête menée par le service de police compétent, soit sur la plainte d’un particulier, d’une organisation ou d’une autorité. En vertu de l’article 63 § 1, le service de police doit soumettre à l’organe administratif compétent un rapport renfermant ses conclusions à l’issue de l’enquête sur l’affaire. Le rapport doit notamment comporter une description des faits pertinents et préciser de quelle contravention ils sont constitutifs. L’article 73 dispose : « 1. Un citoyen est accusé d’avoir commis une contravention dès que l’autorité administrative prend la première mesure procédurale à son encontre. L’intéressé est présumé innocent tant que sa culpabilité n’a pas été établie par une décision définitive. Une personne accusée d’avoir commis une contravention a le droit de soumettre des observations sur tous les faits qui lui sont reprochés et les éléments de preuve y afférents, de présenter des faits et des preuves à décharge, d’exposer des arguments et de former des recours. Elle ne peut être contrainte à faire des déclarations ni à plaider coupable. » L’article 77, en ses dispositions pertinentes, est ainsi libellé : « Le dispositif de la décision par laquelle une personne accusée d’avoir commis une contravention est déclarée coupable doit également comporter la description de l’acte, notamment les lieu et date, le verdict de culpabilité, la catégorie et le quantum de la sanction ou, le cas échéant, la décision de ne pas infliger de sanction (...) » En vertu de l’article 83 § 1, les décisions infligeant pour contravention une amende supérieure à 2 000 SKK, une interdiction d’exercer une activité donnée pendant plus de six mois ou la confiscation d’un objet d’une valeur supérieure à 2 000 SKK, peuvent faire l’objet d’un contrôle par les tribunaux. En pareil cas, les dispositions des articles 244 et suivants du code de procédure civile régissant les juridictions administratives sont applicables. C. La loi de 1990 sur l’administration locale L’article 1 § 1 de la loi n° 472/1990 sur l’organisation de l’administration locale, dans sa teneur modifiée, confie aux bureaux de district et aux bureaux locaux l’administration locale relevant de la compétence de l’Etat. L’exercice de l’administration locale par les autorités précitées est dirigé et contrôlé par le gouvernement. Selon l’article 6 § 1, le chef d’un bureau local est nommé et révoqué par le chef d’un bureau de district. Conformément à l’article 8 § 1, le chef d’un bureau de district est nommé par le gouvernement, sur proposition du ministère de l’Intérieur. Les agents des bureaux locaux et des bureaux de district sont subordonnés aux chefs de ces bureaux et leurs contrats de travail régis, comme pour les autres salariés, par les dispositions du code du travail. En 1996, cette loi a été abrogée et remplacée par la loi n° 222/1996 sur l’organisation de l’administration locale de l’Etat. D. Le code de procédure civile En vertu de l’article 135 § 1 du code de procédure civile, les juridictions civiles sont liées notamment par les décisions des autorités compétentes déclarant qu’a été commise une infraction pénale, une contravention ou une autre infraction administrative frappée des sanctions prévues par des dispositions spécifiques. E. Le code pénal L’article 3 § 1 du code pénal définit l’infraction pénale comme un acte dangereux pour la société et dont les caractéristiques sont précisées dans le code pénal. Toutefois, en vertu de l’article 3 § 2 du code, un acte dont la dangerosité est minime ne constitue pas une infraction pénale même s’il en possède les caractéristiques. En application de l’article 3 § 4 du code, le degré de dangerosité d’un acte est déterminé en particulier par l’importance de l’intérêt protégé auquel cet acte a porté atteinte, par les circonstances dans lesquelles il a été commis et la façon dont il l’a été, par ses conséquences, par la personnalité de son auteur, le degré de culpabilité de l’intéressé et ses motivations. L’article 202 du code pénal punit d’une amende ou d’une peine d’emprisonnement de deux ans maximum quiconque commet en public un outrage à la pudeur ou cause un trouble grave, notamment en agressant une autre personne, en profanant un monument culturel ou historique ou une tombe, ou perturbe gravement une réunion ou une cérémonie. Le code pénal qualifie de peines (tresty) les mesures réprimant les infractions pénales. PROCéDURE DEVANT LA COMMISSION Dans sa requête (n° 27061/95) du 14 octobre 1994 à la Commission, M. Kadubec invoquait l’article 6 de la Convention pour se plaindre de n’avoir pu faire entendre sa cause par un tribunal indépendant et impartial établi par la loi et d’avoir été privé de son droit à se défendre avec l’assistance d’un défenseur. Il invoquait également l’article 13 de la Convention en soutenant ne disposer d’aucun recours effectif devant une instance nationale. Le 21 octobre 1996, la Commission a déclaré la requête recevable. Dans son rapport du 30 octobre 1997 (article 31), elle exprime à l’unanimité l’avis qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 et qu’aucune question distincte ne se pose sous l’angle des articles 6 § 3 et 13. Le texte intégral de son avis figure en annexe au présent arrêt. CONCLUSIONS PRéSENTéES à LA COUR Le requérant n’a pas présenté de conclusions à la Cour, puisqu’il n’a pas soumis de mémoire ni pris part à l’audience. Le Gouvernement demande à la Cour de conclure que l’article 6 § 1 ne s’applique pas en l’espèce.
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Le 6 octobre 1992, le requérant déposa un recours au greffe du juge d’instance de Bénévent, faisant fonction de juge du travail, à l’encontre de l’institut national de la sécurité sociale (I.N.P.S.) afin de faire constater l’existence d’un rapport de travail entre lui-même et la société D. Le 7 novembre 1992, le juge d’instance fixa la première audience au 4 avril 1994. Cette audience se tint le 11 avril 1994. Le 30 janvier 1995, le juge ajourna l’affaire au 19 juin 1995 étant donné que le requérant était absent. Cette audience fut reportée d’office au 20 janvier 1997. Le jour venu, les parties demandèrent au juge de fixer une date afin de procéder à l’audition de témoins. Le juge ajourna l’affaire au 9 mai 1997. Cette audience fut reportée d’office au 9 octobre 1998 en raison de la mutation du juge d’instance. Le jour venu eut lieu l’audition des témoins et le nouveau juge d’instance ajourna l’affaire au 19 février 1999. A cette date, selon les informations fournies par le requérant le 23 juin 1999, eut lieu l'audience des témoins et la discussion de l’affaire fut fixée au 8 octobre 1999.
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Le 1er juillet 1991, le président du tribunal de Naples émit une injonction de payer en faveur du requérant qui fut notifiée le 18 juillet 1991 à M. G. et à Mme R. Le 13 septembre 1991, Mme R. fit opposition à ladite injonction. L’instruction de l’affaire commença le 12 novembre 1991. Ce jour-là, le requérant demanda l’exécution provisoire de l’injonction. Le 14 novembre 1991, le juge de la mise en état rejeta ladite demande et fixa la date de l’audience de présentation des conclusions au 11 février 1992. Cette audience fut reportée d’office au 1er décembre 1992. L’audience de plaidoiries, prévue pour le 11 mai 1994, fut reportée d’office au 29 avril 1997, car entre-temps l’affaire avait été transmise pour compétence au tribunal de Torre Annuziata (Naples), nouvellement créé. Le 30 avril 1996, le requérant avait présenté une demande tendant à ce que la date de l’audience fût fixée. Par un jugement du 20 mai 1997, dont le texte fut déposé au greffe le 2 juin 1997, le tribunal de Torre Annunziata fit en partie droit à la demande du requérant.
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Le 25 septembre 1991, le requérant introduisit une demande à l’encontre de la mairie de C. devant le tribunal de Campobasso, afin d’obtenir une injonction de payer une certaine somme. Le tribunal fit droit à sa demande par une ordonnance du 10 octobre 1991, notifiée le 18 octobre 1991. Le 6 novembre 1991, la mairie fit opposition à l’injonction de payer. La mise en état de l'affaire commença le 14 janvier 1992. L’audience du 5 mai 1992 fut renvoyée à la demande des parties au 23 juin 1992, puis d’office au 21 juillet 1992 et après au 17 novembre 1992 à la demande du requérant. Le jour venu, l’audience fut consacrée au dépôt au greffe de documents. Des cinq audiences fixées entre le 9 février 1993 et le 18 mai 1993, quatre concernèrent l’exécution provisoire de l’injonction, demande que le juge rejeta, et une fut remise pour permettre aux parties de présenter leurs conclusions, ce qu’elles firent le 8 juin 1993. L’audience de plaidoiries fut fixée au 15 janvier 1996. Cette audience ne se tint pas, car l’affaire fut inscrite au rôle de la chambre chargée des affaires à traiter selon l’ancien code (sezione stralcio). Selon les informations du requérant, au 15 octobre 1998 cette chambre n’avait pas encore commencé à fonctionner.
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Les requérants, Mme Elena Riera Blume, Mme Concepción Riera Blume, Mme María Luz Casado Perez, Mme Daría Amelía Casado Perez, Mme María Teresa Sales Aige et Me Javier Bruna Reverter, sont nés en 1954, 1952, 1950, 1950, 1951 et 1957 respectivement, et résident à Valence (Espagne). A une date non précisée de 1983, la direction générale de la sécurité civile (« DGSC ») de la Generalitat de Catalogne (le gouvernement de la Catalogne) reçut à travers l’association Pro Juventud (« Pro Jeunesse »), une association de lutte contre les sectes, une demande d’aide provenant de plusieurs personnes qui affirmaient que des membres de leurs familles avaient été captés par un groupe connu sous le nom de CEIS (Centro Esotérico de Investigaciones). D’après les plaintes des familles, les dirigeants du CEIS réussissaient un changement total de la personnalité des adeptes, entraînant la rupture des liens avec leurs familles et amis, et les incitant à la prostitution et à d’autres activités tendant à l’obtention d’argent pour l’organisation. La DGSC infiltra un fonctionnaire dans le CEIS pour vérifier la véracité des plaintes et, au vu des résultats, porta les faits à la connaissance du procureur en chef près l’Audiencia Territorial de Barcelone, qui transmit les plaintes et l’information recueillie à l’autorité judiciaire. A la suite de cette information, le tribunal d’instruction n° 6 de Barcelone engagea en juin 1984 une enquête préliminaire et ordonna des perquisitions aux domiciles de membres du CEIS, dont les requérants. Les perquisitions eurent lieu le 20 juin 1984 et de nombreuses personnes furent arrêtées, parmi lesquelles figuraient les requérants. Après leur arrestation, ces derniers furent transférés au siège du tribunal d’instruction. A la lumière des indications de A.T.V., fonctionnaire à la DGSC, confirmées par le ministère public, il existait un risque de réactions imprévisibles de la part des membres de la secte pouvant aller jusqu’au suicide s’ils étaient remis en liberté. Le magistrat de garde n’en décida pas moins d’élargir les requérants, mais ordonna verbalement à la police de remettre les personnes détenues, parmi lesquelles figuraient les requérants, à leurs familles et de suggérer à ces dernières qu’il serait utile de les faire interner, sur une base volontaire pour les personnes majeures, dans un centre psychiatrique afin qu’elles retrouvent leur équilibre psychique. Le magistrat en question confirma son ordre verbal par une décision du 26 juin 1984. Dans cette décision, il enjoignit en outre au chef de la police catalane (mossos d’esquadra) d’entendre et interroger toutes les personnes détenues lors des perquisitions et postérieurement remises en liberté. Ultérieurement et sur ordre de L.R.F., directeur général de la sécurité civile, les requérants furent transférés dans les locaux de la DGSC. De là ils furent conduits le 21 juin 1984 par des membres de la police catalane dans des voitures officielles à un hôtel situé à une trentaine de kilomètres de Barcelone, où ils furent remis à leurs familles pour qu’ils retrouvent leur équilibre psychique. Une fois dans l’hôtel, les requérants furent conduits dans des chambres individuelles, sous la surveillance des personnes engagées à cet effet, dont une restait en permanence dans chaque chambre, et ils ne furent pas autorisés à en sortir pendant les trois premiers jours. Les fenêtres de leurs chambres furent fermées hermétiquement avec des planches en bois et les vitres retirées. Durant leur séjour à l’hôtel, les requérants auraient été soumis à un processus de « déprogrammation » par un psychologue et un psychiatre à la demande de Pro Juventud. Les 29 et 30 juin 1984, après avoir été informés de leurs droits, ils furent interrogés par C.T.R., sous-directeur général de la sécurité civile, assisté par A.T.V., en présence d’un avocat non désigné par les requérants. Le 30 juin 1984, les requérants quittèrent l’hôtel. Dès qu’ils eurent recouvré leur liberté, les requérants déposèrent une plainte pénale pour détention illégale, délits contre l’exercice des droits individuels des personnes, falsification de documents, usurpation de fonctions et appropriation indue de biens contre A.T.V., C.T.R. et L.R.F., ce dernier en sa qualité de directeur général de la sécurité civile, ainsi que contre toute autre personne ayant participé à leur privation de liberté. Dans le cadre de la procédure pénale ainsi engagée, le ministère public prit des réquisitions contre les personnes mentionnées ci-dessus pour détention illégale. Par un arrêt du 7 mars 1990, l’Audiencia Provincial de Barcelone relaxa les accusés, considérant que le mobile les ayant conduits à commettre les faits incriminés était philanthropique, légitime et bien intentionné et qu’ils n’avaient pas cherché à priver les requérants de leur liberté, de sorte que le délit de détention illégale n’était pas constitué. Le ministère public et les requérants formèrent un pourvoi en cassation, qui fut rejeté par un arrêt du Tribunal suprême du 23 mars 1993. Ce dernier déclara notamment : « (...) A l’issue d’un examen détaillé des faits déclarés prouvés, il ne fait aucun doute qu’il y a eu une détention [detención] (le mot « rétention » [retención] n’est pas valable puisqu’il n’est pas défini par notre ordre juridique) des requérants, mais cette détention a eu lieu avec pour seule finalité, très louable et plausible, d’éviter des maux pires que ceux dénoncés par les requérants, de sorte qu’il n’y a pas eu d’illégalité selon une interprétation stricte et adéquate de cette notion. (...) En outre, l’absence de l’illégalité exigée par la loi est d’autant plus évidente si on prend en compte que ce furent les requérants eux-mêmes, avec les plus proches membres de leurs familles respectives, qui consentirent à être soumis à des tests de déprogrammation nécessitant en toute logique, dans un premier temps, leur isolement physique. Cet isolement se prolongea durant un temps très limité et avec l’accord, nous insistons, des intéressés et de leur famille. (...) Pour estimer le contraire, on ne saurait alléguer que la volonté des personnes soumises à déprogrammation n’aurait pu être remplacée par celle des membres de leur famille qu’après la procédure d’incapacité correspondante, dès lors que la situation des intéressés exigeait un traitement immédiat, sans possibilité d’attente, comme cela ressort du jugement attaqué lorsqu’il se réfère à la crainte d’un possible suicide des membres de la secte. En conclusion, on ne peut considérer qu’il y a eu commission du délit de détention illégale puisqu’en premier lieu il n’a pas existé de volonté chez les accusés de priver quiconque de liberté, mais au contraire, leur intention, pleinement prouvée, a été d’épargner aux personnes concernées des maux imminents et très graves de sorte qu’il manque l’élément subjectif ou intentionnel du délit. En deuxième lieu, il manque la condition d’« illégalité » dans la mesure où le comportement des accusés a été conforme à ce que la société et l’ordre juridique, appréciés dans leur ensemble, exigent dans des situations et moments comme ceux de l’espèce. » Les requérants formèrent un recours d’amparo devant le Tribunal constitutionnel. Dans leur recours, ils alléguèrent la violation du droit à la liberté religieuse (article 16 de la Constitution), du droit à la liberté (article 17 de la Constitution), du droit de circuler librement (article 19 de la Constitution), des droits de la défense pendant les détentions (article 24 § 2 de la Constitution) et du droit à un procès équitable (article 24 § 1 de la Constitution). Ils demandèrent au Tribunal constitutionnel d’annuler les arrêts rendus par l’Audiencia Provincial et le Tribunal suprême, de condamner les fonctionnaires dénoncés au versement d’une indemnité de 5 millions de pesetas au titre de la réparation des préjudices subis et de déclarer la Generalitat de Catalogne responsable civil subsidiaire. Dans le cadre de la procédure devant le Tribunal constitutionnel, M. José Victor Riera Blume fut considéré comme se désistant à la suite du non-respect d’une formalité, lequel lui était imputable. Par un arrêt du 10 mars 1997, le Tribunal constitutionnel rejeta le recours d’amparo. Examinant au point 2 de la partie « En droit » de l’arrêt une exception du ministère public fondée sur la non-utilisation des voies de recours adéquates, à savoir l’habeas corpus ou la voie contentieuse-administrative, il se prononça ainsi : « Notre jurisprudence, tout en reconnaissant que le titulaire d’un droit fondamental pouvait choisir la voie de recours la plus adéquate contre les violations du droit (...), a précisé également que cela devait être compris « sous réserve, bien évidemment, des possibilités que chaque ordre juridictionnel offre ». En conséquence, résoudre la question soulevée par le ministère public exigerait de déterminer quelles sont ces possibilités dans l’ordre juridictionnel pénal. Toutefois, dans le cas présent cela n’est pas nécessaire puisque ce qui est attaqué, ce n’est pas l’activité administrative mais les décisions judiciaires. Dès lors, le problème n’est pas, et ne peut pas être, celui de savoir s’il a été fait usage ou pas de la voie judiciaire adéquate (article 43.1 de la LOTC [loi organique du Tribunal constitutionnel]), mais de savoir si les recours existant dans la voie judiciaire choisie (article 44.1.a de la LOTC) ont été épuisés, question qui n’a pas été discutée et ne pouvait l’être puisque les requérants sont allés devant la plus haute instance judiciaire, le Tribunal Suprême, qui a connu de l’affaire en cassation. » Cela étant dit, le Tribunal constitutionnel rappela, d’une part, qu’il n’existait pas de droit fondamental à obtenir la condamnation pénale d’une personne et, d’autre part, que le Tribunal ne pouvait pas mettre les droits fondamentaux à l’abri d’une violation en annulant des jugements au fond définitifs relaxant des accusés. Il rappela que, selon sa jurisprudence, la Constitution ne donnait pas, en tant que tel, le droit d’obtenir la condamnation pénale de tierces personnes. Par ailleurs, les décisions des juridictions pénales ne consistaient en aucun cas en des décisions portant sur les droits fondamentaux de la partie accusatrice. Le Tribunal ajouta que les décisions contestées n’avaient méconnu aucun des droits invoqués par les cinq requérants restants, dès lors qu’elles se limitaient à déclarer que les faits qui étaient reprochés aux accusés n’étaient pas constitutifs des délits pour lesquels ils étaient poursuivis. II. le DROIT INTERNE PERTINENT Plusieurs dispositions de la Constitution espagnole entrent en ligne de compte : Article 16 « 1. La liberté idéologique, religieuse et de culte des individus et des communautés est garantie, sans autre limitations, quant à ses manifestations, que celles qui sont nécessaires au maintien de l’ordre public protégé par la loi. Nul ne pourra être obligé à déclarer son idéologie, sa religion ou ses croyances. (...) » Article 17 « 1. Tous ont droit à la liberté et à la sûreté. Nul ne peut être privé de sa liberté si ce n’est conformément aux dispositions du présent article et dans les cas et sous la forme prévus par la loi. (...) Toute personne arrêtée doit être informée immédiatement, et d’une façon qui lui soit compréhensible, de ses droits et des raisons de son arrestation et ne peut pas être obligée à faire de déclaration. L’assistance d’un avocat est garantie à la personne détenue dans les enquêtes policières ou les poursuites judiciaires, dans les termes établis par la loi. La loi établit une procédure d’habeas corpus pour mettre immédiatement à la disposition de l’autorité judiciaire toute personne arrêtée illégalement. (...) » Artículo 16 « 1. Se garantiza la libertad ideológica, religiosa y de culto de los individuos y las comunidades sin más limitación, en sus manifestaciones, que la necesaria para el mantenimiento del orden público protegido por la ley. Nadie podrá ser obligado a declarar sobre su ideología, religión o creencias. (...) » Artículo 17 «1. Toda persona tiene derecho a la libertad y a la seguridad. Nadie puede ser privado de su libertad, sino con la observancia de lo establecido en este artículo y en los casos y en la forma previstos en la ley. (...) Toda persona detenida debe ser informada de forma inmediata, y de modo que le sea comprensible, de sus derechos y de las razones de su detención, no pudiendo ser obligado a declarar. Se garantiza la asistencia de abogado al detenido en las diligencias policiales y judiciales, en los términos que la ley establezca. La ley regulará un procedimiento de habeas corpus para producir la inmediata puesta a disposición judicial de toda persona detenida ilegalmente. (...) » CONCLUSIONS PRéSENTéES à LA COUR Dans leur mémoire, les requérants demandent à la Cour de constater une méconnaissance par l’Etat défendeur des obligations que lui imposent les articles 5 et 9 de la Convention. Le Gouvernement, pour sa part, demande à la Cour de rejeter la requête des intéressés en ce qui concerne les griefs tirés des articles 5 et 9 de la Convention pour absence de violation de ces dispositions.
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Le 20 juin 1993, le requérant fut mis en examen et placé en détention provisoire du chef d’agressions sexuelles commises par une personne ayant abusé de l’autorité que lui conféraient ses fonctions. Il lui était reproché, alors qu’il était interne dans un hôpital de Montbéliard, d’avoir, lors d’un toucher vaginal et rectal, pratiqué des attouchements sur une patiente. Le requérant fut remis en liberté sous contrôle judiciaire le 24 janvier 1994 avec pour obligations de ne pas se rendre dans le district urbain du pays de Montbéliard, sauf convocation ; de se présenter une fois par semaine au commissariat de police de Brunoy ; de remettre son passeport et sa carte d’identité au greffe du cabinet d’instruction ; de s’abstenir d’entrer en relation avec la victime ; de verser une caution de 60 000 francs français (FRF) entre les mains du greffier du tribunal. Une ordonnance de modification partielle du contrôle judiciaire, rendue le 17 juin 1994, permit au requérant de se rendre en Tunisie de juillet à septembre 1994. Une seconde demande de modification du contrôle judiciaire, visant à permettre au requérant de commencer un cycle d’études de quatre ans en Tunisie, fut rejetée par le magistrat instructeur par ordonnance du 17 octobre 1994. Par une ordonnance en date du 8 février 1995, le requérant fut renvoyé devant le tribunal correctionnel de Montbéliard. Après l’audience de jugement du 2 juin 1995, à laquelle le requérant comparut en personne, le tribunal correctionnel de Montbéliard condamna le requérant à trois ans d’emprisonnement dont un an avec sursis et à verser 30 000 FRF de dommages et intérêts à la partie civile. Le requérant n’était pas présent lors du prononcé du jugement le 23 juin 1995. Par un arrêt du 21 novembre 1995, la cour d’appel de Besançon, à la suite d’une audience où le requérant comparut également, confirma le jugement entrepris en ce qui concernait la déclaration de culpabilité mais porta la peine à quatre ans d’emprisonnement, dont deux avec sursis, et les dommages et intérêts alloués à la partie civile à une somme de 40 000 FRF. La cour ne décerna pas de mandat d’arrêt contre le requérant. Par une déclaration du 27 novembre 1995, le requérant forma un pourvoi en cassation à l’encontre de cet arrêt. Par un courrier en date du 20 août 1996, adressé à son domicile à Tunis, le requérant fut informé par le parquet général près la cour d’appel de Besançon de son obligation de se mettre en état, au plus tard la veille de l’audience de la Cour de cassation, conformément à l’article 583 du code de procédure pénale, l’audience de la Cour de cassation ayant été fixée en l’espèce au 24 septembre 1996. Par une requête présentée par son avocat le 16 septembre 1996, le requérant demanda à la cour d’appel de Besançon, en application de l’article 583 du code de procédure pénale, une dispense de l’obligation de se mettre en état préalablement à l’audience où son pourvoi devait être examiné par la Cour de cassation. A l’appui de sa demande, le requérant, qui était retourné en Tunisie après l’arrêt de la cour d’appel de novembre 1995, produisit un certificat médical daté du 2 septembre 1996, émanant d’un professeur d’un hôpital de Tunis, et diagnostiquant chez le requérant une tuberculose pulmonaire bacilliforme apparue en mai 1996, affection nécessitant un arrêt de travail et une phase de repos physique durant deux mois, période de traitement d’attaque de cette affection contagieuse. Le requérant fit valoir que dans ces conditions il ne pouvait quitter le territoire tunisien, que son état contredisait tout emprisonnement et que le fait de subordonner la recevabilité du pourvoi en cassation à son incarcération préalable constituait une violation de l’article 6 de la Convention. Par un arrêt du 19 septembre 1996, à la suite d’une audience où le requérant ne comparut pas mais fut représenté par son avocat, la cour d’appel de Besançon, refusant de suivre les réquisitions du ministère public, rejeta la demande de dispense aux motifs que : « Il convient de relever que les certificats médicaux produits, s’ils révèlent l’apparition, en mai 1996, d’une tuberculose pulmonaire bacillaire, et l’indication d’un repos physique de deux mois à compter du 2 septembre 1996, ne font aucunement état d’une part de l’impossibilité pour M. KHALFAOUI à se déplacer et de suivre un traitement approprié à son état en France et d’autre part d’une contre-indication à tout emprisonnement, comme allégué ; que l’article 6-3 c) de la Convention ne confère pas à la personne poursuivie la faculté de s’abstenir à comparaître en justice, mais lui accorde seulement le droit, si elle se présente, de se défendre personnellement ou avec l’assistance d’un avocat ; dès lors les dispositions de l’article 583 du Code de procédure pénale n’apparaissent aucunement contraires aux principes sus-énoncés (...) » Par un arrêt du 24 septembre 1996, la Cour de cassation déclara le requérant déchu de son pourvoi, au motif qu’il ne s’était pas mis en état et n’avait pas obtenu dispense de se soumettre à cette obligation. II. LE DROIT INTERNE PERTINENT Les dispositions pertinentes du code de procédure pénale sont les suivantes : Article 567 « Les arrêts de la chambre d’accusation et les arrêts et jugements rendus en dernier ressort en matière criminelle, correctionnelle et de police peuvent être annulés en cas de violation de la loi sur pourvoi en cassation formé par le ministère public ou par la partie à laquelle il est fait grief (...) Le recours est porté devant la chambre criminelle de la Cour de cassation. » Les cas d’ouverture à cassation pour violation de la loi sont précisés aux articles 593 et 596 : il s’agit du défaut de motivation, de l’excès de pouvoir, de la non-réponse à conclusions et, en matière criminelle, de l’application d’une peine non prévue par la loi. Article 569 « Pendant les délais de recours en cassation et, s’il y a eu recours, jusqu’au prononcé de l’arrêt de la Cour de cassation, il est sursis à l’exécution de l’arrêt de la cour d’appel, sauf en ce qui concerne les condamnations civiles, et à moins que la cour d’appel ne confirme le mandat décerné par le tribunal en application de l’article 464-1 ou de l’article 465, premier alinéa, ou ne décerne elle-même mandat sous les mêmes conditions et selon les mêmes règles. » Article 583 « Sont déclarés déchus de leur pourvoi les condamnés à une peine emportant privation de liberté pour une durée de plus de six mois, qui ne sont pas en état ou qui n’ont pas obtenu, de la juridiction qui a prononcé, dispense, avec ou sans caution, de se mettre en état. L’acte de leur écrou ou l’arrêt leur accordant dispense est produit devant la Cour de cassation, au plus tard au moment où l’affaire y est appelée. Pour que son recours soit recevable, il suffit au demandeur de justifier qu’il s’est constitué dans une maison d’arrêt, soit du lieu où siège la Cour de cassation, soit du lieu où a été prononcée la condamnation ; le surveillant-chef de cette maison d’arrêt l’y reçoit sur l’ordre du procureur général près la Cour de cassation ou du chef du parquet de la juridiction de jugement. » L’article 583 du code de procédure pénale a été modifié par la loi n° 99-515 du 23 juin 1999 qui a porté la peine privative de liberté prévue à cet article de six mois à un an. Le reste de l’article est sans changement. La même loi a ajouté au code un article 583-1 qui se lit ainsi : « Les dispositions de l’article 583 ne sont pas applicables lorsque la juridiction a condamné une personne en son absence, après avoir refusé de faire application des articles 410 ou 411. En ce cas, le pourvoi en cassation ne peut porter que sur la légalité de la décision par laquelle la juridiction n’a pas reconnu valable l’excuse fournie par l’intéressé en application de l’article 410 ou a refusé de le juger en son absence conformément à l’article 411. »
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Les 17 juin 1991 et 6 août 1991, le requérant et sa femme, Mme G., déposèrent chacun un recours devant le tribunal de Rome afin d'obtenir leur séparation de corps ainsi que la garde de leur enfant mineure et la détermination du montant de la pension alimentaire. La première audience dans la phase de conciliation se tint le 19 septembre 1991, date à laquelle les affaires furent jointes. Après une audience, par une ordonnance hors audience du 31 novembre 1991, le juge de la mise en état, constatant l'échec de la tentative de conciliation, confia la garde de l'enfant à la mère, fixa à 2 200 000 lires italiennes le montant de la pension alimentaire et renvoya l'affaire à l'audience du 16 janvier 1992. Le jour venu, l'audience fut remise au 3 mars 1992, afin de permettre aux parties et à leur fille majeure de comparaître. Après deux audiences, le 26 janvier 1993, le juge de la mise en état prononça l'interruption de la procédure car le requérant avait demandé sa récusation. Le président du tribunal rejeta cette demande le 3 février 1993. Le requérant reprit la procédure le 30 mars 1993 et une audience fut fixée au 11 mai 1993. Le 1er juin 1993, le juge rejeta les demandes de saisie conservatoire des parties. Le 23 septembre 1993, le requérant sollicita la réduction de l'allocation dont sa femme était bénéficiaire, mais il fut débouté le 29 septembre 1993. A une date non précisée, le requérant interjeta appel contre cette mesure. Par une ordonnance du 17 novembre 1993, déposée au greffe le 22 novembre 1993, le tribunal déclara sa demande irrecevable. Après trois audiences, le 14 mars 1995 eut lieu l'audition des parties et le 19 septembre 1995 des témoins furent entendus. Les parties présentèrent leurs conclusions le 21 novembre 1995 et l'audience de plaidoiries se tint le 21 juin 1996. Par un jugement du 28 juin 1996, déposé au greffe le 15 octobre 1996, le tribunal prononça la séparation de corps. Il confirma l'ordonnance du 30 novembre 1991 quant à la garde de l'enfant en soumettant les rencontres avec le requérant à l'autorisation préalable des services sociaux chargés de suivre le développement psychologique de la mineure La pension alimentaire fut réduite à 1 800 000 lires. Le 25 novembre 1997, le requérant saisit la cour d'appel de Rome. La première audience, prévue pour le 16 mars 1998, fut remise d'office d'abord au 9 juillet 1998 puis au 13 mai 1999. PROCéDURE DEVANT LA COMMISSION Le requérant a saisi la Commission le 12 septembre 1996. Invoquant les articles 6 § 1 de la Convention et 5 du Protocole n° 7, il se plaignait respectivement de la durée de la procédure de séparation de corps ainsi que d'un prétendu refus de la juridiction saisie de décider sur les conditions de son droit de visite envers son enfant mineure. Le 27 mai 1998, la Commission a retenu la requête (n° 38109/97). Dans son rapport du 15 septembre 1998 (ancien article 31), elle conclut à l'unanimité à la violation de l'article 6 § 1.
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