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La demande de la Commission et la requête du Gouvernement ont pour objet de soumettre l’affaire Neumeister à la Cour, afin que celle-ci puisse décider si les faits de la cause révèlent ou non, de la part de la République d’Autriche, une violation des obligations qui lui incombent aux termes des articles 5 par. 3, 5 par. 4 et 6 par. 1 (art. 5-3, art. 5-4, art. 6-1) de la Convention. Les faits de la cause, tels qu’ils ressortent du rapport de la Commission, de mémoires, pièces et documents produits et des déclarations orales des représentants respectifs de la Commission et du Gouvernement, peuvent se résumer ainsi: M. Fritz Neumeister, ressortissant autrichien né le 19 mai 1922, a son domicile à Vienne où il était, jadis, propriétaire et directeur d’une grande entreprise de transports, l’"Internationales Transportkontor" ou "ITEKA", qui comptait environ deux cents employés. Le 11 août 1959, le Parquet (Staatsanwaltschaft) de Vienne invita le Tribunal pénal régional (Landesgericht für Strafsachen) de cette ville à ouvrir une instruction préparatoire (Voruntersuchung), assortie d’arrestation immédiate, contre cinq individus dont les nommés Lothar Rafael, Herbert Huber et Franz Schmuckerschlag, et une enquête (Vorerhebungen) contre Fritz Neumeister et trois autres personnes. La veille, en effet, le Service des Finances du 1er arrondissement de la capitale avait dénoncé (Anzeige) les intéressés au Parquet: il soupçonnait les uns d’avoir fraudé le fisc en obtenant indûment de 1952 à 1958, au titre de l’aide à l’exportation (Ausfuhrhändlervergütung et Ausfuhrvergütung), le "remboursement" de plus de 54.500.000 schillings d’impôts sur le chiffre d’affaires (Umsatzsteuer), les autres - notamment Neumeister - d’avoir trempé dans ces tractations en qualité de complices (als Mitschuldige). En Autriche, un acte de ce genre ne constitue pas une simple infraction fiscale, mais une escroquerie (Betrug) au sens de l’article 197 du Code pénal. Aux termes de l’article 200, l’escroquerie devient un crime (Verbrechen) si le montant du dommage causé ou escompté dépasse 1500 schillings. La peine encourue est la "réclusion rigoureuse" de cinq à dix ans si ce montant excède 10.000 schillings, si le criminel a montré "une audace ou une ruse particulière" ou s’il est un escroc habituel (article 203). Ces deux montants ont été modifiés depuis lors; ils s’élèvent à l’heure actuelle à 2500 et 25.000 schillings respectivement. Conformément aux dispositions du droit autrichien (ständige Geschäftsverteilung), la conduite de l’instruction et de l’enquête provoquées par le Parquet échut automatiquement, le 17 août 1959, au Juge d’instruction Leonhard qui s’occupait déjà, depuis le 13 février 1959, d’une autre grosse affaire d’escroquerie, l’affaire Stögmüller. Le 21 janvier 1960, Neumeister comparut pour la première fois, comme suspect ("Verdächtigter", dans l’acceptation autrichienne de ce mot), devant le Juge d’instruction. Au cours de son interrogatoire, qui dura une heure un quart, il prit connaissance de l’initiative susmentionnée du Parquet; il protesta de son innocence, attitude dont il semble ne jamais s’être départi par la suite. À la demande du Parquet de Vienne (22 février 1961), le Juge d’instruction décida le 23 février 1961, d’ouvrir une instruction préparatoire contre Neumeister dont il ordonna la mise en détention préventive (Untersuchungshaft). En conséquence, Neumeister fut placé le lendemain en détention préventive dans l’affaire Rafael et consorts (24 a Vr 6101/59). Il s’entendit en même temps notifier sa mise en liberté provisoire dans une affaire de fraude douanière (no 6 b Vr 8622/60) pour laquelle il se trouvait détenu depuis une vingtaine de jours. Cette autre affaire n’est pas en cause devant la Cour européenne des Droits de l’Homme; elle s’est terminée par l’acquittement des huit prévenus, prononcé le 29 mars 1963 par le Tribunal pénal régional de Vienne dont la Cour Suprême d’Autriche (Oberster Gerichtshof) a confirmé le jugement le 14 avril 1964. Pendant sa détention, le requérant fut interrogé en qualité d’inculpé ("Beschuldigter", dans l’acceptation autrichienne de ce mot), les 27 février, 2 mars, 18 avril, 19 avril, 20 avril, 21 avril et 24 avril 1961. Des soixante-sept pages de procès-verbaux, il ressort que le Juge d’instruction l’informa en détail de déclarations faites à son sujet par plusieurs coïnculpés dont Franz Scherzer, Walter Vollmann (ancien directeur de la succursale que l’ITEKA avait à Salzbourg), Leopold Brunner et Lothar Rafael. Ce dernier avait fui à l’étranger mais avait adressé au tribunal une lettre longue de plus de trente pages, dans laquelle il accablait Neumeister. Le requérant s’expliqua en détail; les interrogatoires se déroulèrent le plus souvent en présence d’un inspecteur des contributions (Finanzoberrevisor), M. Besau. Le 12 mai 1961, Neumeister bénéficia d’une mesure de mise en liberté provisoire sur parole: il prêta le serment (Gelöbnis) prévu à l’article 191 du Code de procédure pénale mais n’eut pas à fournir de caution. Le Parquet attaqua en vain cette décision auprès de la Cour d’Appel (Oberlandesgericht) de Vienne. Après son élargissement, le requérant retourna à ses activités professionnelles. Au cours du procès concernant l’affaire de fraude douanière (6 b VR 8622/60), il avait dû vendre l’ITEKA, apparemment à vil prix - environ 700.000 schillings, payables en quarante-huit mensualités - mais il fonda une petite entreprise de transports, la firme Scherzinger, qui employait trois personnes. En juillet 1961, Neumeister se rendit en Finlande, avec l’autorisation du Juge d’instruction, pour y passer ses vacances en compagnie de son épouse et de leurs trois enfants. Au début de février 1962, il fit un voyage de quelques jours en Sarre, également avec l’accord de ce magistrat. Il affirme être allé souvent voir le Juge d’instruction, de son plein gré, tout au long de la période qui s’écoula jusqu’à sa deuxième arrestation (12 juillet 1962, par. 12 infra). Arrêté le 22 juin 1961 à Paderborn (République Fédérale d’Allemagne), Lothar Rafael fut extradé en Autriche le 21 décembre 1961, le Ministre de la Justice de Rhénanie du Nord-Westphalie ayant déféré à la demande que les autorités autrichiennes avaient présentée en ce sens. En janvier 1962, la police économique (Wirtschaftspolizei) de Vienne interrogea longuement Rafael qui porta de graves accusations contre Neumeister. Neumeister informa le Juge d’instruction, au printemps de 1962, qu’il désirait séjourner à nouveau en Finlande avec sa famille dans le courant du mois de juillet. Le magistrat instructeur ne souleva pas d’objections sur le moment. Par la suite, il aurait avisé le requérant qu’il serait probablement confronté avec Rafael en juin mais qu’il ne lui fallait pas renoncer pour autant à ses projets de vacances à l’étranger. Les 3, 4, 5 et 6 juillet 1962, Neumeister fut interrogé par le Juge d’instruction en présence de l’inspecteur des contributions Besau. Ayant pris connaissance des déclarations faites à son sujet par différents témoins ou inculpés, et notamment par Rafael en janvier 1962, il les contesta avec force. Cinquante pages de procès-verbaux furent rédigées à cette occasion. La confrontation de Neumeister avec Rafael se déroula devant la police économique de Vienne les 10 et 11 juillet 1962. Des vingt-deux pages de procès-verbaux, il ressort que Neumeister persista dans ses dénégations. Dans la matinée du 12 juillet, le Juge d’instruction fit savoir à Neumeister que son départ pour la Finlande, prévu pour le 15, se heurtait à l’opposition du Parquet. Entendu comme témoin, le 7 juillet 1965, par une Sous-Commission de la Commission européenne des Droits de l’Homme, il a fourni sur ce point les précisions suivantes: "Ce que je dis maintenant est un peu plus difficile pour moi. Personnellement, j’étais convaincu, parce que j’en avais le sentiment - je souligne: le sentiment -, que M. Neumeister reviendrait après son voyage en Finlande. Monsieur le Président, Messieurs de la Commission, vous savez qu’un juge ne doit pas se laisser influencer par le sentiment, mais uniquement par la loi. Cette loi m’a enjoint, étant donné qu’aucun accord d’assistance juridique ou d’extradition n’existe en tant que tel entre l’Autriche et la Finlande, de ne pas céder au sentiment que j’avais que Neumeister reviendrait. Je sais que j’ai dit à l’époque à M. Neumeister: "J’ai le sentiment que vous reviendrez; personnellement, je ne peux, sans l’approbation du Parquet, vous donner aucune autorisation." Cette approbation du Parquet fut refusée à l’époque." Le requérant a, pour sa part, allégué devant ladite Sous-Commission que le Juge d’instruction lui avait permis de se rendre en Finlande malgré l’avis négatif du Parquet. Quoi qu’il en soit, le Juge d’instruction ordonna le même jour, 12 juillet 1962, à la demande du Parquet, l’arrestation de Neumeister. Le mandat (Haftbefehl) relevait, pour commencer, que l’intéressé était soupçonné d’avoir commis avec Lothar Rafael et d’autres inculpés, de 1952 à 1957, une série d’actes d’escroquerie ayant causé à l’État un préjudice d’environ dix millions de schillings. Il ajoutait que Neumeister, connaissant les charges réunies contre lui depuis son élargissement (12 mai 1961), devait s’attendre à une lourde peine; que son ancien employé Walter Vollmann, pour qui les résultats de l’instruction se révélaient pourtant moins accablants, s’était soustrait aux poursuites en s’enfuyant; que les récents interrogatoires du requérant et sa confrontation avec Rafael lui avaient montré sans nul doute qu’il lui faudrait renoncer désormais à son attitude de pure dénégation; qu’il avait l’intention de passer ses vacances à l’étranger et que la remise de son passeport n’aurait pas offert une garantie adéquate, la possession de cette pièce n’étant plus nécessaire au franchissement de certaines frontières. De ces diverses circonstances, le mandat déduisait qu’il existait en l’espèce un danger de fuite (Fluchtgefahr), au sens de l’article 175 par. 1, alinéa 2, du Code de procédure pénale. Neumeister fut arrêté dans l’après-midi du 12 juillet 1962, à proximité de son bureau. Il pria aussitôt l’aînée de ses filles, Maria Neumeister, d’annuler par télégramme les billets qu’il avait commandés pour la traversée de la Baltique. Aux fonctionnaires de police venus l’appréhender, il déclara qu’il avait eu l’intention de se rendre le lendemain au Parquet afin de solliciter l’autorisation de partir pour la Finlande le lundi 16 juillet. Le 13 juillet 1962, Neumeister comparut pendant quelques instants devant le Juge d’instruction qui lui notifia sa mise en détention préventive (article 176 par. 1 du Code de procédure pénale). Le 23 juillet 1962, le requérant forma un premier recours contre le mandat d’arrêt du 12 juillet 1962. Soulignant que son entreprise, son domicile et sa famille se trouvaient à Vienne, il affirmait que rien ne permettait de croire à la réalité d’un risque de fuite et qu’il aurait d’ailleurs aisément pu s’enfuir auparavant s’il l’avait voulu. La Chambre du Conseil (Ratskammer) du Tribunal pénal régional de Vienne rejeta le recours le 31 juillet 1962 pour des raisons voisines de celles qu’énonçait le mandat litigieux. Elle insista en particulier sur les déclarations de Rafael qui, estimait-elle, avaient nettement empiré la situation de Neumeister. Le requérant attaqua cette décision le 4 août 1962. Il soutenait que l’article 175 par. 1, alinéa 2, du Code de procédure pénale exige un véritable "risque de fuite" et non une simple "possibilité de fuite", que pareil risque doit s’apprécier à la lumière de faits précis et que l’éventualité d’une condamnation sévère ne suffit pas à cet égard; il se référait à un arrêt rendu par la Cour Constitutionnelle (Verfassungsgerichtshof) le 8 mars 1961 (Recueil Officiel des Décisions de cette Cour, 1961, pages 80 à 82). La Cour d’Appel (Oberlandesgericht) de Vienne repoussa le recours (Beschwerde) le 10 septembre 1962. Se ralliant aux motifs retenus par la Chambre du Conseil, elle ajouta que l’intéressé savait combien les charges pesant sur lui s’étaient aggravées depuis le 12 mai 1961, devait s’attendre à une lourde peine vu l’énormité du dommage causé et, d’après un rapport de police du 12 juillet 1962, avait entrepris des préparatifs de voyage à l’étranger et les avait maintenus bien que le Juge d’instruction compétent lui eût expressément refusé l’autorisation nécessaire. Dans ces conditions, la Cour jugea qu’il fallait conclure à l’existence d’un danger de fuite. Neumeister introduisit une deuxième demande de mise en liberté provisoire le 26 octobre 1962. Tout en s’efforçant à nouveau de prouver l’absence de danger de fuite, il offrit pour la première fois, en ordre subsidiaire, une garantie bancaire de 200.000 ou, à la rigueur, de 250.000 schillings (article 192 du Code de procédure pénale). La Chambre du Conseil rejeta la demande le 27 décembre 1962. Rappelant que Neumeister encourait une peine de cinq à dix ans de réclusion rigoureuse (article 203 du Code pénal) et avait à répondre d’un préjudice de près de 6.750.000 schillings, elle estima que la fourniture d’une garantie ne suffirait pas à conjurer le risque de fuite et qu’il n’y avait donc pas lieu d’examiner le taux de la garantie proposée. Neumeister attaqua cette décision le 15 janvier 1963. En sus des arguments développés dans sa demande du 23 juillet 1962 et dans son recours du 4 août 1962, il fit observer: - que le montant du dommage qu’on lui attribuait, à tort selon lui, avait fortement diminué, passant de plus de quarante millions de schillings (24 février 1961) à un peu plus de onze millions et demi (12 mai 1961) pour tomber à 6.748.510 schillings 45 (décision du 27 décembre 1962); - que des détenus impliqués dans d’autres affaires plus importantes avaient recouvré leur liberté contre le versement d’une caution; - qu’il n’avait jamais cherché à s’enfuir, par exemple entre son élargissement (12 mai 1961) et sa seconde arrestation (12 juillet 1962) et, spécialement, à la faveur de son séjour en Finlande; - que quelques heures à peine s’étaient écoulées entre sa comparution devant le Juge d’instruction, dans la matinée du 12 juillet 1962, et son arrestation; - que ce bref intervalle ne lui avait pas laissé la possibilité matérielle d’annuler ses préparatifs de voyage, préparatifs auxquels il n’avait d’ailleurs pas voulu renoncer sans tenter une ultime démarche auprès du Parquet; - qu’il avait déjà subi plus de neuf mois de détention préventive (24 février 1961 - 12 mai 1961 et 12 juillet 1962 - 15 janvier 1963), élément qui plaidait lui aussi, à l’en croire, pour l’absence de danger de fuite; - que tous ses intérêts professionnels et familiaux se trouvaient à Vienne où sa femme venait d’ailleurs d’ouvrir un magasin de confection pour dames. La Cour d’appel de Vienne repoussa le recours le 19 février 1963. Se référant à sa décision du 10 septembre 1962, elle releva que la situation n’avait pas évolué depuis lors dans un sens favorable à Neumeister. Sans doute le montant du préjudice imputé à ce dernier avait-il diminué, mais il ne comprenait pas la somme dont l’intéressé pourrait avoir à répondre dans une affaire d’exportation simulée de machines (Kreisverkehr der Textilien der Firma Benistex). D’ailleurs, il n’avait pas décru au point d’influer de manière décisive sur la peine à laquelle Neumeister devait s’attendre en cas de condamnation. La Cour en conclut que le danger de fuite demeurait si grand que même la fourniture éventuelle d’une garantie ne pouvait être prise en considération (indiskutabel ist) et qu’elle n’était nullement de nature à éliminer ce danger. Quatre semaines auparavant, et plus précisément le 21 janvier 1963, le Juge d’instruction avait procédé à une nouvelle confrontation de Rafael et de Neumeister qui avaient confirmé, pour l’essentiel, leurs déclarations respectives des 10 et 11 juillet 1962. D’après le requérant, la confrontation dura un quart d’heure environ. Un procès-verbal d’une page et demie fut établi à cette occasion. Le 12 juillet 1963, soit le jour même de l’introduction de sa requête devant la Commission européenne des Droits de l’Homme, Neumeister forma une troisième demande de mise en liberté provisoire, qu’il compléta le 16 juillet; il s’engageait à prêter le serment (Gelöbnis) prévu à l’article 191 du Code de procédure pénale et offrait derechef de fournir, au besoin, une garantie bancaire de 200.000 ou 250.000 schillings. Tout en réitérant ses arguments antérieurs, il faisait valoir: - qu’entre son élargissement (12 mai 1961) et sa seconde arrestation (12 juillet 1962), il s’était toujours tenu à la dispositions du magistrat instructeur, s’était présenté spontanément cinq ou six fois à ce dernier pour se renseigner sur la marche de l’instruction et l’avait informé dès le mois de mars 1962 de son dessein de se rendre en Finlande; - que les chemins de fer autrichiens l’avaient autorisé à construire à Vienne, près de la Gare de l’Est, un entrepôt d’une valeur de plus d’un million et demi de schillings, projet qu’il n’avait pu réaliser en raison de sa réincarcération; - que depuis celle-ci, aucune charge nouvelle n’avait été découverte contre lui; - que Lothar Rafael, ayant passé des aveux (Geständiger), essayait d’améliorer son cas en rejetant sa faute sur autrui et que ses déclarations ne méritaient aucun crédit; - qu’après plus d’un an de détention préventive, l’hypothèse d’un danger de fuite n’avait plus rien de plausible. Le Juge d’instruction repoussa la demande le 23 juillet 1963. Il estima en effet que les motifs retenus dans les décisions des 31 juillet 1962, 10 septembre 1962, 27 décembre 1962 et 19 février 1963 conservaient leur actualité et que les pièces du dossier corroboraient, pour l’essentiel, les accusations de Rafael contre Neumeister. Celui-ci saisit alors la Chambre du Conseil du Tribunal pénal régional de Vienne, le 5 août 1963, d’un recours où il reprenait beaucoup des considérations résumées plus haut, en y ajoutant notamment les suivantes: - vu l’ampleur et la complexité de l’affaire, l’instruction et la procédure ultérieure s’annonçaient extrêmement longues de sorte que la durée de la détention préventive, déjà supérieure à quatorze mois, risquait d’excéder celle de la peine éventuelle si l’on n’y remédiait à bref délai; - le Juge d’instruction avait négligé de répondre à plusieurs des arguments de Neumeister et d’indiquer les documents qui lui paraissaient étayer les déclarations de Rafael, lesquelles avaient d’ailleurs de grandes chances d’être retirées tôt ou tard; - le même magistrat avait minimisé à tort l’importance de la réduction du dommage attribué à Neumeister, réduction qui pouvait fort bien s’accentuer encore à l’avenir; - il n’avait pas fondé sa décision sur des faits, mais sur de simples présomptions relatives aux répercussions des dires de Rafael sur l’état d’âme (Seelenzustand) de Neumeister. L’intéressé soulignait en outre: - qu’il était prêt à remettre au tribunal ses papiers d’identité et son passeport; - qu’il n’avait nullement les moyens d’entretenir sa famille à l’étranger; - qu’une fuite n’aurait du reste aucun sens pour un homme de son âge d’autant qu’il s’exposait, en cas d’extradition, à ne pas bénéficier de l’imputation de sa détention préventive sur sa peine éventuelle (allusion à l’article 55 a) in fine du Code pénal). La Chambre du Conseil rejeta le recours le 8 août 1963. Se référant à la décision attaquée et à celles qui l’avaient précédée, elle releva en substance: - que les déclarations de Rafael se trouvaient confirmées par une série d’éléments (lettres originales, pièces comptables, extraits de comptes, dépositions de témoins, etc.); - que la confrontation de Rafael et de Neumeister en juillet 1962 avait profondément aggravé la situation du second et que le Juge d’instruction avait eu raison de s’attacher aux effets qu’elle n’avait pu manquer d’entraîner sur l’esprit du requérant; - que, dans ces conditions, la fourniture éventuelle d’une garantie ne pouvait être prise en considération (indiskutabel ist) et n’était nullement de nature à éliminer le danger de fuite. Le 20 août 1963, Neumeister introduisit auprès de la Cour d’Appel de Vienne un recours dirigé contre cette décision. Ses griefs coïncidaient en gros avec ceux qu’il avait formulés le 5 août 1963. Il reprochait aussi à la Chambre du Conseil de ne pas avoir précisé le contenu des pièces censées corroborer les accusations de Rafael, d’avoir laissé dans l’ombre la question de savoir si Neumeister avait eu connaissance de ces pièces et d’avoir perdu de vue le fait que plus de six mois s’étaient écoulés depuis la dernière décision de la Cour d’Appel (19 février 1963). Il faisait également observer qu’il aurait pu aisément s’enfuir, s’il l’avait voulu, entre sa confrontation avec Rafael et son arrestation. La Cour d’Appel n’eut cependant pas à statuer: Neumeister se désista le 11 septembre 1963, sans expliquer pourquoi. Le 16 septembre 1963, la fille aînée de Neumeister saisit le Ministère de la Justice d’une pétition tendant à l’élargissement de son père; elle offrait un cautionnement d’un million de schillings. La police économique de Vienne adressa au Tribunal pénal régional, le 13 novembre 1963, un rapport confidentiel d’où il ressortait que Maria Neumeister avait tenté en vain de se procurer une partie de cette somme auprès d’un ancien client des firmes Iteka et Scherzinger. Quelques jours plus tôt - le 6 novembre 1963, soit le surlendemain de la clôture de l’instruction préparatoire (paras. 19 et 20 infra) - Me Michael Stern, avocat, avait formé au nom de Neumeister une quatrième demande de mise en liberté provisoire. Il y reprenait brièvement les arguments développés dans les demandes précédentes, soulignait que la détention préventive du requérant durait depuis près de vingt mois et proposait une garantie bancaire d’un million de schillings. Au cours de la procédure suivie devant la Commission, Neumeister a déclaré que cette dernière offre avait été présentée contre son gré car il n’était pas en mesure, à l’époque, de fournir une garantie d’un montant aussi élevé. Par une lettre du 14 avril 1964, Me Stern a confirmé qu’il avait agi sur ce point de sa propre initiative. Les représentants du Gouvernement ont fait valoir devant la Commission que ladite offre liait Neumeister et que les juridictions compétentes n’avaient aucune raison de penser qu’elle ne reflétait pas sa volonté. Le Juge d’instruction rejeta la demande le 5 décembre 1963. Se référant aux décisions des 31 juillet 1962, 10 septembre 1962, 27 décembre 1962, 19 février 1963 et 8 août 1963, il estima que le requérant n’apportait aucun élément de nature à justifier son élargissement. Neumeister attaqua cette décision le 13 décembre 1963. Il contestait une fois de plus l’existence d’un danger de fuite; à l’en croire, le Tribunal pénal régional et la Cour d’Appel de Vienne n’avaient jamais bien apprécié les faits pertinents à cet égard, s’étaient appuyés sur de vagues présomptions et non sur des preuves solides et avaient attaché à tort une importance déterminante à l’énormité du dommage prétendument causé à l’État. Il se plaignait en particulier que le Tribunal pénal régional n’eût tenu aucun compte, dans sa décision du 5 décembre, de la longueur de la détention préventive déjà subie. En conclusion, le recours réitérait l’offre d’une garantie bancaire d’un million de schillings. La Chambre du Conseil du Tribunal pénal régional de Vienne accueillit le recours le 8 janvier 1964. Elle reconnut une certaine valeur à l’argumentation du requérant: rappelant que Neumeister encourait une peine de cinq à dix ans de réclusion rigoureuse, elle releva que l’on ne pouvait savoir s’il bénéficierait du "droit d’atténuation extraordinaire" (außerordentliches Milderungsrecht, article 265 a) du Code de procédure pénale) mais que la durée de la détention préventive serait, selon toute probabilité, imputée sur celle de la peine en cas de condamnation (article 55 a) du Code pénal) et que la tentation de s’enfuir s’en trouvait grandement amoindrie (wesentlich verringert). Elle jugea cependant qu’une garantie d’un million de schillings ne suffirait pas à éliminer le danger de fuite. A ce propos, elle souligna qu’aux termes de l’article 192 du Code de procédure pénale, le taux de la caution dépend non seulement de la situation du détenu et de la fortune du garant éventuel, mais encore des conséquences de l’infraction. Par ces motifs, la Chambre du Conseil ordonna la mise en liberté provisoire de Neumeister moyennant une caution de deux millions de schillings (en espèces ou sous forme de garantie bancaire) et le dépôt volontaire (freiwillige Hinterlegung) du passeport de l’intéressé auprès du Tribunal. Le 21 janvier 1964, Me Stern introduisit au nom de Neumeister un recours tendant à voir ramener le montant de la caution à un million de schillings. Il avançait en substance que d’après l’article 192 du Code de procédure pénale, les conséquences de l’infraction ne sont à prendre en considération qu’eu égard à la situation du détenu et à la fortune du garant. Il en inférait que les tribunaux ne doivent en aucun cas exiger une garantie excédant les facultés du demandeur (Gesuchssteller), sans quoi ils pourraient à leur guise, dans l’hypothèse d’un préjudice important, empêcher toute mise en liberté provisoire. La décision litigieuse fut partiellement réformée le 4 février 1964. Après avoir constaté que le recours visait uniquement le taux de la caution à fournir, la Cour d’Appel de Vienne estima, avec la Chambre du Conseil, qu’une somme d’un million de schillings apparaissait trop faible en regard du dommage entraîné par les actes dont Neumeister avait à répondre. Elle ajouta que le requérant disposait très vraisemblablement, grâce aux gains qu’il avait réalisés par ces mêmes actes, de moyens supérieurs de beaucoup à son offre. Elle nota aussi qu’il n’avait point allégué, de manière catégorique, qu’une garantie d’un million de schillings épuiserait ses ressources. La Cour releva toutefois qu’elle n’était pas en mesure de se prononcer sur le montant de la caution exigée par la Chambre du Conseil, car elle ne possédait pas les éléments d’appréciation nécessaires. Elle renvoya donc l’affaire à la Chambre du Conseil en soulignant qu’il incomberait à celle-ci de déterminer, à la lumière d’un examen approfondi de la situation de Neumeister et de la fortune des garants qu’il pourrait désigner, un taux de caution compris entre un et deux millions de schillings. Dans un rapport du 16 mars 1964, établi à la demande de la Chambre du Conseil, la police économique de Vienne exprima l’opinion que Neumeister n’était nullement à même de se procurer deux millions de schillings. Elle s’appuyait sur une série de pièces d’où il ressortait que la firme Scherzinger n’était guère florissante et que Maria Neumeister se déclarait capable de fournir une garantie de cinq cent mille schillings. La Chambre du Conseil du Tribunal pénal régional de Vienne statua le 31 mars 1964, soit deux semaines après l’établissement de l’acte d’accusation (paras. 19 et 21 infra). Outre le rapport de la police économique, elle mentionna une lettre de Neumeister, datée du 25 février 1964, d’après laquelle une personne qui entendait garder l’anonymat acceptait de constituer une caution d’un million deux cent cinquante mille schillings. Additionnant cette somme aux cinq cent mille schillings proposés par Maria Neumeister, la Chambre du Conseil réduisit à un million sept cent cinquante mille schillings le montant de la caution exigée du requérant. Par un recours du 20 avril 1964, Neumeister demanda que ce montant fût abaissé à un million deux cent cinquante mille schillings; d’après lui, l’offre de sa fille se trouvait incluse dans celle du garant qui ne désirait par révéler son identité. La Cour d’Appel de Vienne repoussa le recours le 20 mai 1964. Elle estima en effet que la Chambre du Conseil s’était conformée à la décision du 4 février et que les conséquences de l’infraction revêtaient une importance primordiale aux fins d’application de l’article 192 du Code de procédure pénale. Entre temps, le Juge Leonhard avait prononcé, le 4 novembre 1963, la clôture de l’instruction préparatoire et avait communiqué au Parquet le dossier qui comprenait vingt et un volumes d’environ cinq cents pages chacun, plus une quantité appréciable d’autres documents (articles 111 et 112 du Code de procédure pénale). Le 17 mars 1964, le Parquet de Vienne avait, de son côté, achevé d’établir l’acte d’accusation (Anklageschrift) qui avait été notifié à Neumeister le 26 mars (articles 207 et 208 du Code de procédure pénale). Dans l’accomplissement de sa tâche, le Juge d’instruction avait été secondé par la police économique de Vienne, par le service des contributions (inspecteur Besau), par les chemins de fers autrichiens et par l’administration des postes; il avait, néanmoins, rencontré des obstacles considérables. Ainsi, quatre des principaux inculpés, à savoir Lothar Rafael, Herbert Huber, Franz Schmuckerschlag et Walter Vollmann, avaient fui à l’étranger, les trois premiers dès le début des poursuites, le quatrième après avoir bénéficié d’une mesure de mise en liberté provisoire sur parole. A l’issue d’assez longues procédures, les autorités autrichiennes avaient obtenu de la République Fédérale d’Allemagne l’extradition de Rafael (21 décembre 1961) et de la Suisse celle de Huber (27 septembre 1962). Au contraire, la République Fédérale d’Allemagne avait refusé d’extrader Schmuckerschlag car il possédait la nationalité allemande en plus de la nationalité autrichienne. Quant à Vollmann, on n’a pas réussi à le découvrir jusqu’ici. A cela s’ajoutaient une série de difficultés inhérentes à la nature, à l’ampleur et à la complexité des actes incriminés. L’instruction visait à l’origine vingt-deux personnes et avait trait à vingt-deux chefs d’inculpation. Il incombait à l’accusation de prouver, notamment, que les pièces relatives à l’achat des marchandises avaient été falsifiées, que la valeur des exportations avait été frauduleusement majorée, que les entreprises destinataires à l’étranger n’existaient pas ou ignoraient tout de l’affaire et que les exportateurs avaient placé en Suisse ou au Liechtenstein le produit de leurs ventes. A cette fin, il avait fallu reconstituer de multiples opérations commerciales s’échelonnant sur plusieurs années, vérifier les itinéraires suivis par cent cinquante ou cent soixante wagons de chemin de fer, étudier un grand nombre de dossiers du service des contributions, entendre des dizaines de témoins dont certains avaient dû être interrogés à nouveau après l’extradition de Rafael, etc. Beaucoup de témoins vivaient à l’étranger, par exemple aux Pays-Bas, en Italie, aux États-Unis, au Canada, en Amérique Latine, en Afrique et dans le Proche-Orient. La République d’Autriche avait donc été obligée de recourir aux services de l’Interpol ou d’invoquer les traités d’entraide judiciaire qu’elle avait conclus avec des États tels que les Pays-Bas, la République Fédérale d’Allemagne, l’Italie, la Suisse et le Liechtenstein. Les enquêtes menées aux Pays-Bas, en République Fédérale d’Allemagne et en Suisse s’étaient déroulées, pour une part, en présence de fonctionnaires autrichiens et spécialement, en ce qui concerne la Suisse, du Juge d’instruction Leonhard. Des délais allant de six à seize mois s’étaient écoulés entre l’envoi des demandes d’aide judiciaire et la réception du résultat des recherches auxquelles elles avaient donné lieu aux Pays-Bas, en République Fédérale d’Allemagne, en Italie et en Suisse. A l’époque de la clôture de l’instruction, la demande adressée à la Suisse demeurait en instance sur un point pour lequel elle ne devait d’ailleurs pas aboutir, les autorités helvétiques ayant estimé (septembre 1964) que le secret professionnel des banques zurichoises en question s’opposait à la communication des renseignements souhaités. Quant à la réponse du Liechtenstein, elle ne parvint en Autriche qu’en juin 1964. Des entreprises sous administration soviétique se trouvaient également en cause, surtout pendant la première phase de l’instruction; or, aucun document ne pu être obtenu de la banque des forces armées soviétiques, par l’intermédiaire de laquelle des règlements avaient été effectués. La marche de l’instruction semble avoir été ralentie par le refus de l’un des inculpés - Herbert Huber - de faire la moindre déclaration devant le magistrat instructeur. D’un autre côté, les poursuites concernant certains faits ou inculpés avaient été disjointes en raison de leur importance secondaire (article 57 par. 1 du Code de procédure pénale); elles paraissent avoir été abandonnées ultérieurement (article 34 par. 2 du même code). Au moment de la clôture de l’instruction préparatoire, le nombre des individus inculpés en l’espèce ne s’élevait plus qu’à dix. Après le 21 janvier 1963, date de sa dernière confrontation avec Rafael, Neumeister ne fut plus entendu par le Juge d’instruction qui, au cours de la même période, interrogea vingt-huit fois Rafael (272 pages de procès-verbaux) et cinq autres inculpés dix-sept fois en tout (119 pages de procès-verbaux). D’après le procès-verbal de la confrontation du 21 janvier 1963, une nouvelle confrontation était projetée. Elle n’eut cependant pas lieu; à en croire le requérant, c’est le refus de Lothar Rafael qui empêcha de donner suite à cette intention. Long de 219 pages, l’acte d’accusation du 17 mars 1964 visait dix personnes à savoir, dans l’ordre, Lothar Rafael, Herbert Huber, Franz Scherzer, Fritz Neumeister, Iwan Ackermann, Leopold Brunner, Walter Vollmann, Hermann Fuchshuber, Helmut Dachs et Rudolf Grömmer; il n’avait point trait à l’affaire "Kreisverkehr der Textilien der Firma Benistex", objet d’une procédure indépendante (par. 22 infra). Pour sa part, Neumeister était accusé d’escroquerie qualifiée (articles 197, 200, 201, alinéas a) et d), et 203 du Code pénal) dans dix groupes de transactions portant sur des objets très divers: savon de toilette, outils (fraises et baguettes de soudure), vêtements féminins (bas en nylon, jupes, blouses etc.), chaussures de gymnastique, articles de cuir, articles de velours, lampes d’appartement et mécanismes de roulement. Le montant du préjudice dont il avait à répondre dépassait 5.200.000 schillings. A cet égard, le requérant arrivait en quatrième position, derrière Rafael (plus de 35.100.000 schillings), Vollmann (près de 31.900.000 schillings) et Huber (près de 31.800.000 schillings) mais devant Scherzer (plus de 1.400.000 schillings), Brunner (plus de 1.250.000 schilling), Dachs (plus de 1.100.000 schillings), Ackermann et Grömmer (près de 200.000 schillings). Certains des agissements incriminés ne le concernaient point. Tel était le cas, au premier chef, d’une grosse affaire d’exportation de produits textiles dans lesquels seuls Rafael, Huber et Vollmann se trouvaient en cause (plus de 25.700.000 schillings, pages 101 à 170 de l’acte d’accusation). Le Parquet demandait notamment l’ouverture de la procédure de jugement devant le Tribunal pénal régional de Vienne, la convocation de trente-cinq témoins et la lecture des dépositions de cinquante-sept autres. Le 3 juin 1964, le Parquet de Vienne avisa la Chambre du Conseil du Tribunal pénal régional qu’il abandonnait provisoirement, en se réservant de les réintroduire à une date ultérieure, les poursuites intentées contre Neumeister dans l’affaire "Kreisverkehr der Textilien der Firma Benistex" (article 34 par. 2, alinéa 1, du Code de procédure pénale). A l’occasion du dépôt de l’acte d’accusation, le Parquet avait obtenu du Tribunal la disjonction de ces poursuites qui avaient donné lieu, depuis lors, à une procédure séparée (26 d VR 2407/64). Le même jour, la Chambre du Conseil, constatant que le dommage global imputé à Neumeister se trouvait ainsi réduit de plus de quatre millions de schillings, décida d’abaisser à un million de schillings - en espèce ou sous forme de garantie bancaire - le taux de la caution exigée pour l’élargissement du requérant. Le 13 août 1964, Neumeister informa la Chambre du Conseil que sa fille Maria Neumeister et une autre personne nommément désignée consentaient à lui servir de garants (Bürgen), la première pour 850.000 schillings, la seconde pour 150.000. Les intéressés confirmèrent la chose le lendemain. Après avoir vérifié leur solvabilité (Tauglichkeit), la Chambre du Conseil accepta leur offre le 16 septembre 1964. Quelques heures plus tard, le requérant prêta le serment prévu à l’article 191 du Code de procédure pénale, déposa son passeport auprès du Tribunal conformément à la décision du 8 janvier 1964, restée inchangée sur ce point, et recouvra sa liberté. Les différentes décisions concernant la détention préventive de Neumeister ont toutes été prononcées conformément aux articles 113 par. 2 (première instance) et 114 par. 2 (appel) du Code de procédure pénale, à l’issue d’une séance non publique au cours de laquelle le Parquet avait été entendu en l’absence du requérant et de son avocat (in nichtöffentlicher Sitzung nach Anhörung der Staatsanwaltschaft bzw. der Oberstaatsanwaltschaft). Le 9 octobre 1964, la date d’ouverture de la procédure de jugement (Hauptverhandlung) fut fixée au 9 novembre. Le 18 juin 1965, après cent deux journées d’audience, le Tribunal pénal régional de Vienne, constitué en Tribunal d’échevins (Schöffengericht), renvoya les débats à une date indéterminée, et ce pour complément d’instruction. Saisi d’une série de demandes qui émanaient tant du Parquet que de différents accusés y compris Neumeister, il donna suite à plusieurs d’entre elles et prescrivit d’office certaines mesures d’instruction additionnelles. L’attitude de Herbert Huber semble avoir fortement contribué à rendre ce complément d’instruction nécessaire: alors qu’il avait gardé le silence durant l’instruction préparatoire, Huber s’expliqua en détail devant ses juges; à en croire Neumeister, ses déclarations furent favorables à ce dernier et accablantes pour Rafael. Le Tribunal indiqua néanmoins qu’il aurait fallu à ses yeux procéder plus tôt, pendant l’instruction préparatoire, à une partie des nouvelles enquêtes et auditions de témoins ordonnées par lui. En février et juillet 1965, Neumeister se rendit à Strasbourg, avec l’accord du Tribunal, pour les besoins de l’instance qu’il avait introduite auprès de la Commission européenne des Droits de l’Homme. Son passeport lui aurait été restitué quelques jour avant le second de ces voyages. L’instruction complémentaire ne put être assurée par le Juge Leonhard qui avait déposé devant le Tribunal en qualité de témoin (article 68 du Code de procédure pénale); elle échut à son suppléant permanent. Elle s’étendit sur plus de deux années et ne s’acheva donc qu’après l’adoption, le 27 mai 1966, du rapport de la Commission. Le Juge d’instruction interrogea de nombreux témoins dont Alfred Neumeister, frère du requérant (13 décembre 1966), fit établir des rapports d’expertise, recourut aux services du fisc, de la police économique de Vienne, de la gendarmerie, des postes, de l’Interpol, d’autorités helvétiques et allemandes, etc. Les accusés paraissent ne plus avoir été entendus. Le 8 mars 1966, le Tribunal pénal régional de Vienne avisa Neumeister qu’une décision du même jour avait arrêté (eingestellt), en vertu de l’article 109 du Code de procédure pénale, les poursuites intentées contre lui quant à deux des chefs d’accusation. Le montant du préjudice dont le requérant doit répondre s’en trouva réduit d’environ 370.000 schillings. La procédure de jugement a repris son cours devant le Tribunal pénal régional de Vienne le 4 décembre 1967. D’après les indications fournies à la Cour par le Gouvernement, elle devait durer de quatre à six mois. Dans sa requête introductive d’instance de juillet 1963, (no 1936/63), dont la Commission a produit le texte à la demande de la Cour, Neumeister prétendait: - qu’on l’avait arrêté et détenu sans "raisons plausibles" de le soupçonner d’avoir commis une infraction et sans "motifs raisonnables" de croire à la nécessité de l’empêcher de s’enfuir (article 5 par. 1 c) de la Convention) (art. 5-1-c); - qu’il avait lieu de douter de l’impartialité des personnes compétentes pour se prononcer sur son maintien en détention et pour mener l’instruction (article 6 par. 1) (art. 6-1); - que la procédure suivie pour l’examen de ses demandes de mise en liberté provisoire ne cadrait pas avec les exigences de l’article 5 par. 4 et de l’article 6 paras. 1 et 3 b) et c) (art. 5-4, art. 6-1, art. 6-3-b, art. 6-3-c) "égalité des armes", Waffengleichheit); - qu’on ne l’avait ni jugé "dans un délai raisonnable" ni libéré pendant la procédure. A cet égard, le requérant avançait en particulier que le Juge d’instruction, chargé de s’occuper simultanément de plusieurs grosses affaires, n’était plus en mesure d’accomplir sa tâche "dans un délai raisonnable" au sens des articles 5 par. 3 et 6 par. 1 (art. 5-3, art. 6-1) de la Convention. Neumeister se plaignait notamment des décisions rendues quelques mois plus tôt par la Chambre du Conseil du Tribunal pénal régional de Vienne et par la Cour d’Appel. Au cours d’une audience tenue devant la Commission, l’avocat du requérant a invoqué en outre l’article 5 par. 2 (art. 5-2) de la Convention, affirmant que son client n’avait pas été informé en détail et par écrit des accusations portées contre lui. La Commission a statué sur la recevabilité de la requête le 6 juillet 1964. Elle a rejeté, pour défaut manifeste de fondement, les griefs relatifs aux paragraphes 1 c) et 2 de l’article 5 (art. 5-1-c, art. 5-2) de la Convention, mais a déclaré la requête recevable sur le terrain des articles 5 par. 3, 5 par. 4 et 6 par. 1 (art. 5-3, art. 5-4, art. 6-1) ("délai raisonnable" et "égalité des armes"); elle n’a pas jugé nécessaire de se prononcer sur la violation alléguée du paragraphe 3 de l’article 6 (art. 6-3), car le requérant n’avait pas insisté sur ce point. À la suite de la décision déclarant recevable une partie de la requête, une Sous-Commission a établi les faits de la cause et recherché en vain un règlement amiable (articles 28 et 29 de la Convention) (art. 28, art. 29). Invoquant l’article 5 par. 3 (art. 5-3), le requérant a soutenu devant la Commission et la Sous-Commission que sa détention préventive avait duré plus que de raison. A l’appui de cette thèse, il a repris beaucoup des arguments qu’il avait développés auprès du Juge d’instruction, de la Chambre du Conseil et de la Cour d’Appel de Vienne (cf. supra). Il a prétendu en outre que ni les déclarations faites à son sujet par Lothar Rafael au début de 1962, ni la fuite de Walter Volmann ne pouvaient justifier sa seconde détention; il a souligné en particulier, à cet égard, que l’extradition de Rafael (21 décembre 1961) avait précédé sa propre réincarcération (12 juillet 1962) de plus de six mois. A l’en croire, la situation se présentait en réalité bien mieux pour lui à l’époque de l’introduction de sa requête (12 juillet 1963) que lors de sa première mise en liberté (12 mai 1961), grâce notamment à l’acquittement prononcé le 29 mars 1963 dans l’affaire de fraude douanière et à la diminution substantielle du volume du dommage dont il avait à répondre dans l’affaire Rafael et consorts. Les autorités judiciaires compétentes auraient méconnu cette évolution favorable en interdisant au requérant de se rendre à nouveau en Finlande, en ordonnant son arrestation et en refusant longtemps de l’élargir non seulement, comme en 1961, sur parole mais même moyennant la fourniture de garanties adéquates. Neumeister leur reproche aussi d’avoir tardé à se renseigner sur ses ressources avant que de fixer le taux du cautionnement à réclamer; d’après lui, l’article 5 par. 3 (art. 5-3) in fine de la Convention ne permet pas d’exiger une garantie d’un montant si considérable qu’il empêche, en pratique, la libération d’un détenu. Le requérant a également allégué - tout en protestant de son innocence - que la durée de sa détention n’était pas proportionnée à la peine à laquelle il lui fallait s’attendre en cas de condamnation: selon lui, cette peine ne saurait excéder vingt mois, ou à la rigueur deux ans dans l’hypothèse, extrême, où le principal accusé, Lothar Rafael, se verrait infliger le maximum légal. Sans contester les difficultés de l’instruction, Neumeister a relevé que la partie la plus complexe de celle-ci avait trait à une affaire de textiles qui ne le concernait en aucune manière; il a ajouté que le magistrat instructeur ne l’avait pas entendu depuis le 21 janvier 1963. Sa détention préventive lui aurait causé un grave préjudice, tant moral que matériel, et l’aurait fortement gêné dans la préparation de sa défense. Dans sa requête introductive d’instance de juillet 1963, Neumeister affirmait que le Juge d’instruction, chargé de s’occuper simultanément de plusieurs grosses affaires dont l’affaire Stögmüller, n’était pas en mesure d’accomplir sa tâche dans le délai raisonnable visé aux articles 5 par. 3 et 6 par. 1 (art. 5-3, art. 6-1) de la Convention. Par la suite, il ne semble plus avoir invoqué cette dernière disposition sur le point dont il s’agit. D’après le requérant, enfin, la procédure à laquelle l’examen des demandes de mise en liberté provisoire obéit en Autriche (articles 113 par. 2 et 114 par. 2 du Code de procédure pénale) ne respecte pas le principe de l’"égalité des armes" (Waffengleichheit), consacré par l’article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention. Neumeister s’est référé, à ce sujet, à l’avis exprimé par la Commission dans les affaires Pataki et Dunshirn (requêtes no 596/59 et 789/60). Il a soutenu en outre qu’un organe judiciaire se conformant à cette procédure, ne saurait passer pour un "tribunal" au sens de l’article 5 par. 4 (art. 5-4). Après l’échec de la tentative de règlement amiable à laquelle la Sous-Commission avait procédé, la Commission plénière a rédigé le rapport prévu à l’article 31 (art. 31) de la Convention. Adopté le 27 mai 1966, ce rapport a été transmis au Comité des Ministres du Conseil de l’Europe le 17 août 1966. La Commission y exprimait l’avis suivant, qu’elle a confirmé depuis lors devant la Cour: (a) par onze voix contre une: la détention du requérant a duré, au-delà d’un "délai raisonnable", de sorte qu’il y a eu en l’espèce violation de l’article 5 par. 3 (art. 5-3) de la Convention; (b) par six voix, dont la voix prépondérante du Président (article 29 par. 3 du Règlement intérieur de la Commission), contre six: la cause de Neumeister n’a pas été entendue dans un délai "raisonnable", au sens de l’article 6 par. 1 (art. 6-1); (c) par huit voix contre deux, avec deux abstentions: la procédure concernant la mise en liberté du requérant a respecté les articles 5 par. 4 et 6 par. 1 (art. 5-4, art. 6-1). Le rapport contient plusieurs opinions individuelles, les unes concordantes, les autres dissidentes. Arguments de la Commission et du Gouvernement De l’avis de la Commission, l’article 5 par. 3 (art. 5-3) de la Convention garantit à toute personne détenue dans les conditions prévues au paragraphe 1 c) du même article (art. 5-1-c) le droit d’être soit libérée pendant la procédure, soit jugée dans un délai raisonnable. Si un individu placé en détention préventive bénéficie d’une décision de mise en liberté provisoire, satisfaction est donnée pour l’avenir aux exigences de l’article 5 par. 3 (art. 5-3); en l’absence de pareil élargissement, il faut que l’intéressé soit jugé dans un délai raisonnable. La Commission en infère que la détention ne doit pas s’étendre au-delà d’une durée raisonnable. Dès lors, le problème le plus important consisterait à interpréter les mots "délai raisonnable". Aux yeux de la Commission, cette expression est vague et manque de précision; on ne peut donc en apprécier la portée exacte qu’à la lumière des circonstances de la cause et non in abstracto. Afin de faciliter une telle appréciation, la Commission estime qu’il y a lieu en général d’examiner les cas d’espèce suivant les sept "critères", "facteurs" ou "éléments" que voici: (i) La durée effective de la détention. La Commission n’entendrait point par là introduire une "limite temporelle absolue" à la durée de la détention. Il ne s’agirait pas davantage de mesurer cette durée à elle-même, mais simplement de l’utiliser comme l’un des critères qui permettent d’en déterminer le caractère raisonnable ou déraisonnable. (ii) La durée de la détention préventive par rapport à la nature de l’infraction, au taux de la peine prescrite et à laquelle on doit s’attendre dans le cas d’une condamnation et par rapport au système légal relatif à l’imputation de la détention préventive sur la peine éventuelle. A ce sujet, la Commission relève que la durée de la détention préventive peut varier selon la nature de l’infraction, le taux de la peine prévue et celui de la peine à laquelle on doit s’attendre. Néanmoins, pour apprécier le rapport entre la peine et la longueur de la détention préventive, il y a lieu d’après elle de tenir compte de la présomption d’innocence consacrée par l’article 6 par. 2 (art. 6-2) de la Convention. Si la durée de la détention se rapprochait trop de celle de la peine à laquelle il faut s’attendre dans le cas d’une condamnation, le principe de la présomption d’innocence ne se trouverait pas entièrement respecté. (iii) Les effets d’ordre matériel, moral ou autre que la détention produit sur le détenu, pour autant qu’ils dépassent les conséquences normales d’une détention. (iv) La conduite de l’inculpé: (a) a-t-il contribué à retarder ou à accélérer l’instruction ou les débats? (b) la procédure a-t-elle été retardée par suite de l’introduction de demandes de libération provisoire, d’appels ou d’autres recours? (c) a-t-il demandé sa mise en liberté sous caution ou a-t-il offert d’autres garanties assurant sa comparution à l’audience? Sur ce point, la Commission considère qu’un inculpé refusant de coopérer avec les organes d’instruction, ou exerçant les recours dont il dispose, ne fait que se prévaloir de ses droits et ne saurait donc être pénalisé de ce chef, sauf s’il agit abusivement ou avec outrance. Quant à la conduite des coïnculpés, la Commission ne croit guère qu’elle soit de nature à justifier, le cas échéant, la prolongation de la détention d’un individu. (v) Les difficultés de l’instruction de l’affaire (sa complexité quant aux faits ou au nombre des témoins et inculpés, nécessité de recueillir des preuves à l’étranger, etc.). (vi) La façon dont l’instruction a été conduite: (a) le système régissant l’instruction; (b) la conduite de l’instruction de la part des autorités (le soin qu’elles ont apporté à l’affaire et la façon dont elles ont organisé l’instruction). (vii) La conduite des autorités judiciaires: (a) dans l’examen des demandes de libération pendant l’instruction; (b) dans le jugement de l’affaire. La Commission pense qu’un tel plan rationnel permet une interprétation "cohérente" et "dépourvue de toute apparence d’arbitraire". Elle souligne en outre que l’avis à formuler dans un litige donné résultera d’une appréciation des éléments dans leur ensemble. En effet, il peut arriver que l’application de certains critères tende à établir le caractère raisonnable de la durée d’une détention préventive et que celle d’autres critères aille dans le sens opposé ou encore ne fournisse aucune indication claire. La conclusion globale dépendrait, par conséquent, de la valeur et de l’importance relatives des divers éléments; ceci n’exclurait nullement que l’un d’entre eux ait à lui seul un poids décisif le cas échéant. La Commission ajoute qu’elle a essayé de couvrir, par lesdits critères, toutes les situations de fait qui se présentent habituellement dans les affaires de détention préventive mais que la liste dressée par elle ne revêt point un caractère limitatif, des situations exceptionnelles pouvant justifier l’examen d’autres critères. En l’espèce, la Commission a constaté les faits à la lumière des sept critères et a procédé à leur appréciation juridique en suivant la même méthode; certains des faits de la cause lui ont paru pertinents à l’égard de plusieurs critères. Selon la Commission, l’application du premier critère incite à conclure que la longueur de la détention de Neumeister a été excessive. La Commission estime que le délai de six mois institué par l’article 26 (art. 26) in fine de la Convention l’empêche de se prononcer sur le caractère "raisonnable" de la durée de la première détention préventive du requérant, soit deux mois et dix-sept jours (24 février 1961 - 12 mai 1961). En revanche, elle retient l’ensemble de la période de vingt-six mois et quatre jours qui s’est écoulée entre le 12 juillet 1962, date de la réincarcération de l’intéressé, et le 16 septembre 1964, date à laquelle il a recouvré sa liberté. Le Gouvernement ayant soutenu que seule devait entrer en ligne de compte la détention antérieure à l’introduction de la requête (12 juillet 1963), la Commission objecte que ses efforts seraient voués à l’échec si, placée comme en l’occurrence devant une situation continue, elle n’avait pas compétence pour prendre en considération les faits nouveaux postérieurs au dépôt de la requête, faits qui peuvent d’ailleurs fort bien jouer en faveur d’un État défendeur. Aux yeux de la Commission, le deuxième critère a trait, par essence, à la situation qui se présentait aux autorités nationales à l’époque de la détention; il ne saurait donc s’appliquer de manière rétrospective, c’est-à-dire en fonction de la sentence rendue par le juge du fond. S’employant, à titre purement indicatif "tentative opinion", à se faire une idée de la peine à laquelle le requérant doit s’attendre en cas de condamnation, la Commission relève: - que l’article 203 du Code pénal prévoit une peine de cinq à dix ans de réclusion rigoureuse; - que les parties ont discuté devant elle de l’existence d’un rapport de proportionnalité entre le taux des peines éventuelles et le montant du dommage dont chacun des accusés doit répondre en l’espèce, mais qu’elle n’entend pas se prononcer sur cette controverse; - que la législation autrichienne permet aux tribunaux d’infliger une peine inférieure au minimum normalement encouru, pourvu que l’accusé bénéficie de circonstances atténuantes. Tenant compte tout particulièrement de cette dernière possibilité, dont les juridictions autrichiennes useraient largement en pratique, la Commission considère que la durée de la détention de Neumeister se rapproche de la peine à prévoir en cas de condamnation. Elle note en outre qu’aux termes de l’article 55 a) du Code pénal autrichien, la période de détention préventive est imputée en principe sur la peine. La Commission ne pense cependant pas qu’il y ait là un élément de nature à modifier, sous l’angle du deuxième critère, l’appréciation du caractère raisonnable de la longueur d’une détention; elle insiste, à ce sujet, sur l’incertitude dans laquelle le détenu doit vivre avant le jugement. Au total, l’application du deuxième critère inciterait donc, elle aussi, à conclure que la détention du requérant a duré plus que de raison. Il en irait de même de celle du troisième critère, car Neumeister aurait, à un degré exceptionnel, souffert de sa détention sur le plan professionnel et financier. En ce qui concerne le quatrième critère, la Commission constate que le requérant ne paraît pas avoir prolongé indûment l’instruction par son attitude. Sans doute n’a-t-il pas non plus contribué à l’abréger puisqu’il n’a cessé de proclamer son innocence, mais tel était son droit le plus strict. La Commission ne trouve pas davantage que le fait d’avoir introduit une série de demandes et recours, dans les conditions définies par la loi, révèle de la part de Neumeister l’intention de ralentir abusivement la marche de la procédure. Certes, les initiatives de l’intéressé ont pu interrompre ou freiner le travail du Juge d’instruction et du Parquet en les obligeant à transmettre le dossier aux juridictions compétentes, mais la Commission fait valoir qu’il existe des moyens techniques – par exemple l’établissement de copies des pièces nécessaires - propres à assurer en pareil cas le déroulement continu des poursuites. De l’avis de la Commission, l’affaire dont il s’agit était d’une très grande complexité en raison de la nature, de l’ampleur et de la multiplicité des transactions litigieuses, de leurs ramifications à l’étranger et du nombre des inculpés et des témoins. L’examen du cinquième critère tendrait donc à justifier une longue période de détention. La Commission estime néanmoins que le maintien de Neumeister en détention préventive ne saurait s’expliquer par les difficultés de l’instruction préparatoire après la clôture de celle-ci, qui remonte au 4 novembre 1963. Pour ce qui est du sixième critère, la Commission commence par analyser les textes régissant, en Autriche, l’instruction préparatoire et notamment la distribution des affaires entre les magistrats instructeurs (articles 83 par. 2 et 87 par. 3 de la Constitution; article 18 du Code de procédure pénale; article 4 par. 2 de la "Gerichtsverfassungsnovelle"; articles 17 à 19 de la "Geschäftsordnung für die Gerichtshöfe Erster und Zweiter Instanz"); elle étudie ensuite le déroulement de l’instruction ouverte contre le requérant. Les organes compétents à cet égard ne lui paraissent pas avoir négligé leurs devoirs ni prolongé la détention de Neumeister de quelque autre manière comparable, mais le fonctionnement du système en vigueur lui semble avoir entraîné certains retards en l’espèce, étant donné que le Juge d’instruction avait à s’occuper simultanément de plusieurs affaires fort lourdes et complexes. La Commission signale qu’elle a éprouvé des difficultés à déterminer si la répartition des affaires peut se modifier, en droit autrichien, après l’établissement du rôle annuel. Elle relève que si le Gouvernement conteste l’existence d’une telle possibilité, le juge chargé d’instruire l’affaire Matznetter, elle aussi pendante devant la Cour, a été temporairement dispensé de traiter d’autres affaires. La Commission ne croit pas, du reste, qu’il faille approfondir la question: d’après un principe général de droit international, un État ne saurait invoquer sa propre législation pour justifier le non-accomplissement de ses obligations conventionnelles. Dès lors, la Commission n’entend pas rechercher si les retards constatés par elle découlaient d’un obstacle légal ou plutôt de l’inapplication de clauses qui auraient permis de les éviter. En définitive, l’examen des faits sous l’angle du sixième critère inciterait à conclure que la durée de la détention de Neumeister a été excessive. Sans doute les représentants du Gouvernement ont-ils communiqué à la Cour, à l’audience de février 1968, des précisions nouvelles sur les mesures prises pour alléger la tâche du Juge d’instruction (cf. infra). La Commission répond que ces renseignements l’auraient amenée à compléter quelque peu son rapport si elle en avait disposé à l’époque; elle ne les trouve cependant pas de nature à renverser sa conclusion. Aux yeux de la Commission, la conduite adoptée par les autorités judiciaires quant aux demandes de mise en liberté provisoire de Neumeister (première branche du septième critère) peut donner lieu à des appréciations différentes. La Commission estime donc difficile de déterminer si l’examen de cet élément donne à penser que la durée de la détention litigieuse a dépassé ou non des limites raisonnables. La Commission n’admet en tout cas pas l’argument, avancé par le Gouvernement (cf. infra), selon lequel Neumeister a perdu son droit "d’être jugé dans un délai raisonnable" du jour où la Chambre du Conseil du Tribunal pénal régional de Vienne a, pour la première fois, accepté en principe de le libérer sous caution (8 janvier 1964). La seconde phrase de l’article 5 par. 3 (art. 5-3) de la Convention offrirait aux États contractants une solution intermédiaire entre la poursuite de la détention et un élargissement pur et simple mais le recours à pareille solution ne saurait, d’après la Commission, servir d’excuse à un gouvernement pour prolonger indéfiniment la détention d’une personne qui refuse de constituer la garantie requise, en particulier si elle n’est pas en mesure de la fournir; s’il en était autrement, ledit gouvernement pourrait aisément échapper à ses obligations en réclamant des garanties excessives. La Commission ajoute que la seconde branche du septième critère (la conduite des autorités judiciaires dans le jugement de l’affaire) n’entre pas en ligne de compte en l’espèce sur le terrain de l’article 5 par. 3 (art. 5-3), Neumeister ayant recouvré sa liberté avant le début du procès. A la lumière d’une appréciation globale de ces divers éléments, la Commission arrive, par onze voix contre une, à la conclusion qu’il y a eu violation de l’article 5 par. 3 (art. 5-3). Elle n’indique pas à quelle date précise cette violation a pris naissance à ses yeux: d’après elle, il lui incombait uniquement de se prononcer sur le point de savoir si la durée de la détention de Neumeister a été raisonnable ou non. Selon la Commission, le problème du "délai" prévu à l’article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention ne se pose pas de la même manière que pour l’article 5 par. 3 (art. 5-3), car l’applicabilité de la première de ces deux clauses ne dépend pas, elle, de l’existence d’une détention. En matière pénale, le délai dont il s’agit commencerait à courir dès que les soupçons pesant sur l’intéressé ont eu des répercussions importantes sur sa situation. La Commission retient en l’occurrence, par sept voix contre cinq, le jour du premier interrogatoire de Neumeister par le Juge d’instruction (21 janvier 1960) et non, par exemple, la date de l’établissement de l’acte d’accusation (17 mars 1964). La Commission considère d’autre part, à la majorité de neuf voix contre trois, que le délai de l’article 6 (art. 6) n’a pas pour terme l’ouverture du procès ni l’audition de l’accusé par la juridiction de jugement (cf. les mots "entendue" et "hearing"), mais pour le moins la "décision" du tribunal de première instance "sur le bien-fondé de l’accusation" ("determination of any criminal charge"), décision non encore rendue dans la présente affaire. Elle ne croit pas devoir rechercher en l’espèce s’il comprendrait aussi, le cas échéant, les procédures de recours. En ce qui concerne le caractère "raisonnable" du délai, plusieurs des critères que la Commission utilise dans le domaine de l’article 5 par. 3 (art. 5-3) joueraient également, mutatis mutandis, dans celui de l’article 6 par. 1 (art. 6-1) (le premier, le quatrième, le cinquième, le sixième et les deux branches du septième). La Commission estime en définitive, par six voix - dont la voix prépondérante de son Président - contre six, que la cause de Neumeister n’a pas été entendue dans un délai raisonnable et, partant, que l’article 6 par. 1 (art. 6-1) n’a pas été observé à cet égard. Elle ne s’arrête pas à la circonstance que Neumeister n’a guère formulé de griefs à ce sujet: elle estime avoir compétence pour connaître de tout point de droit que les faits relatifs à une requête lui paraissent soulever, en se plaçant au besoin sous l’angle d’un article de la Convention que le requérant n’a pas expressément invoqué; sa pratique et l’article 41 par. 1 d) de son Règlement iraient en ce sens. Aux yeux de la Commission, la procédure à laquelle obéit, en Autriche, l’examen des demandes de mise en liberté provisoire, échappe à l’empire de l’article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention car elle n’a trait ni au "bien-fondé d’une accusation en matière pénale" (unanimité), ni à des "contestations sur des droits et obligations de caractère civil" (sept voix contre cinq). A la différence du Gouvernement (cf. infra), la Commission ne pense pas que l’article 6 (art. 6) abandonne la définition de ces derniers mots à l’ordre juridique interne de chaque État contractant. Elle ne croit cependant pas pouvoir leur donner une interprétation assez large pour englober la procédure litigieuse. S’attachant à préciser comment elle conçoit la notion autonome de "droits et obligations de caractère civil", elle se réfère notamment aux travaux préparatoires de la Convention et à sa propre jurisprudence. De l’avis de la Commission, on peut soutenir que l’article 5 par. 4 (art. 5-4) de la Convention, dans la mesure où il exige qu’un tribunal statue sur la légalité de la détention, implique le respect de certains principes fondamentaux. Néanmoins, la procédure fixée par les articles 113 et 114 du Code autrichien de procédure pénale ne serait pas contraire à cette disposition (sept voix contre cinq). La Commission conclut, par huit voix contre deux et avec deux abstentions, que dans la procédure concernant la mise en liberté de Neumeister il n’y a eu violation ni de l’article 5 par. 4 (art. 5-4), ni de l’article 6 par. 1 (art. 6-1). La Commission attire l’attention de la Cour sur les opinions individuelles - concordantes ou dissidentes selon le cas – que plusieurs de ses membres ont exprimées dans son rapport sur les diverses questions surgissant en l’espèce. À l’audience du 12 février 1968, la Commission a présenté les conclusions suivantes: "Plaise à la Cour de dire: (1) si l’article 5 par. 3 (art. 5-3) de la Convention a ou n’a pas été violé par la détention de Fritz Neumeister entre le 12 juillet 1962 et le 16 septembre 1964; (2) si l’article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention a ou n’a pas été violé par le non-achèvement des poursuites pénales engagées contre Fritz Neumeister à partir du 21 janvier 1960, date à laquelle l’intéressé a été entendu pour la première fois par le Juge d’instruction en tant que suspect, ou à partir d’une date ultérieure; (3) si l’article 6 par. 1 (art. 6-1) ou l’article 5 par. 4 (art. 5-4), ou encore les deux articles à la fois, ont ou n’ont pas été violés par la procédure suivie, en application des articles 113 et 114 du Code autrichien de procédure pénale, au sujet des recours introduits par Fritz Neumeister contre sa détention préventive." D’après le Gouvernement, l’avis que la Commission a exprimé dans son rapport et selon lequel la République d’Autriche a violé les articles 5 par. 3 et 6 par. 1 (art. 5-3, art. 6-1) dans le cas de Neumeister, repose sur un établissement défectueux des faits et sur une interprétation erronée de la Convention. Au sujet de l’interprétation de l’article 5 par. 3 (art. 5-3) et de son application en l’espèce, le Gouvernement conteste avant tout la méthode adoptée par la Commission. En effet, il ressortirait clairement du sens littéral du mot "raisonnable" ("reasonable") que la question de savoir si la longueur de la détention préventive a été excessive ne peut se résoudre qu’à la lumière des circonstances de la cause et non à l’aide d’une série de "critères", "éléments" ou "facteurs" préconçus. Cette opinion serait d’ailleurs conforme à la pratique antérieure de la Commission et aux intentions des rédacteurs de l’article 5 par. 3 (art. 5-3). Au surplus, le Gouvernement estime que le système de procédure pénale de l’État considéré revêt une grande importance en la matière. A ses yeux, les auteurs de la Convention étaient convaincus que les deux systèmes de procédure pénale en vigueur dans les États membres du Conseil de l’Europe, à savoir le système anglo-américain et le système continental, étaient en parfaite harmonie avec la Convention bien qu’ils diffèrent profondément l’un de l’autre. Le Gouvernement en déduit que l’article 5 par. 3 (art. 5-3) ne doit pas être envisagé sous l’angle d’un seul système juridique donné. Il s’ensuivrait qu’en recherchant si la durée d’une détention préventive est "raisonnable" ou non, il ne faut jamais perdre de vue les "normes habituelles" ("Common Standard") du système juridique dont relève la Haute Partie Contractante en cause. D’après le Gouvernement, une décision déclarant que la Convention n’a pas été respectée dans le cas de Neumeister signifierait indirectement que le droit autrichien de procédure pénale n’est pas conforme aux principes de la Convention, alors pourtant qu’il ressemble beaucoup à celui de la plupart des autres pays du continent européen. Le Gouvernement reproche aussi à la Commission d’avoir constaté les faits en fonction des critères choisis par elle. Partant d’une opinion juridique préconçue, la Commission n’aurait pas fondé son avis sur l’ensemble des faits de la cause, mais uniquement sur ceux dont elle avait besoin pour répondre à certaines questions auxquelles la solution du problème juridique lui paraissait liée. En procédant de la sorte, elle aurait négligé d’établir ou d’apprécier plusieurs faits importants. Le Gouvernement oppose en outre au raisonnement de la Commission les considérations suivantes qui démontreraient l’absence de violation de l’article 5 par. 3 (art. 5-3). A l’encontre du premier des sept "critères", à savoir la durée effective de la détention, le Gouvernement soulève des objections de principe. Selon lui, ce "critère" tend à introduire dans la Convention une limite absolue de la longueur de la détention préventive, ce que les Hautes Parties Contractantes auraient précisément voulu éviter par l’emploi des mots "délai raisonnable". Il ne s’analyserait d’ailleurs pas en un véritable critère, car il préjugerait la conclusion à laquelle les divers critères sont censés mener. Du reste, la Commission ne le retenait pas dans sa jurisprudence antérieure. D’autre part, le Gouvernement estime que la requête vise exclusivement la durée de la détention subie par Neumeister jusqu’au moment où celui-ci a saisi la Commission (12 juillet 1963). En prenant en considération le laps de temps qui s’est écoulé jusqu’à la mise en liberté provisoire du requérant (16 septembre 1964), la Commission aurait outrepassé la compétence que lui attribuent les articles 24 à 31 (art. 24, art. 25, art. 26, art. 27, art. 28, art. 29, art. 30, art. 31) de la Convention. Le Gouvernement avance, en ordre subsidiaire, que la période postérieure au 8 janvier 1964, date à laquelle la Chambre du Conseil a, pour la première fois, accepté en principe d’élargir Neumeister sous caution, ne saurait entrer en ligne de compte. D’après lui, une telle offre de mise en liberté satisfait aux prescriptions de l’article 5 par. 3 (art. 5-3). Si l’intéressé n’en profite pas, soit qu’il ne consente pas à fournir la garantie exigée, soit qu’il n’en ait pas la possibilité, il perd, aux yeux du Gouvernement, le droit d’être jugé dans un délai raisonnable. Au demeurant, on ne trouve à l’article 5 par. 3 (art. 5 - 3) aucune clause expresse interdisant de demander aux détenus des garanties "excessives"; il en résulterait que les rédacteurs de la Convention n’ont entendu imposer aux États aucune obligation à cet égard. Le Gouvernement ne partage pas davantage l’opinion émise par la Commission au sujet du deuxième critère. En appliquant celui-ci, la Commission se serait livrée, par la force des choses, à certaines spéculations concernant la peine dont le requérant risque de se voir frapper, aucun jugement de condamnation n’ayant été rendu jusqu’ici en l’espèce. Or, ces spéculations se fonderaient tant sur une appréciation erronée des faits considérés comme acquis que sur un établissement défectueux des faits. Ainsi, l’hypothèse selon laquelle une juridiction autrichienne a la faculté de prononcer, s’il existe des circonstances atténuantes, une peine inférieure au minimum légal, serait inexacte sous la forme inconditionnelle que lui donnerait la Commission. En effet, l’article 265 a) du Code de procédure pénale, pertinent en la matière, ne jouerait que dans le cas exceptionnel d’un concours de circonstances atténuantes très importantes et prédominantes. Pour constater les faits de manière objective et complète, la Commission aurait dû, de l’avis du Gouvernement, tenir compte de la pratique des tribunaux autrichiens, lesquels n’auraient pas coutume d’infliger à un accusé une peine sensiblement plus légère que le minimum légal dans une affaire où le préjudice s’élève à plusieurs millions de schillings. Le Gouvernement souligne d’autre part que le Code pénal autrichien prévoit également, en ses articles 43 à 45, un certain nombre de circonstances aggravantes. Enfin, un calcul purement mathématique qui proportionnerait le taux de la peine au montant du dommage dont un accusé doit répondre aboutirait, d’après le Gouvernement, à des conséquences inacceptables. Le troisième critère serait lui aussi impropre à l’examen de la présente affaire: il introduirait des différences de traitement dans l’application des clauses légales relatives à la mise en liberté provisoire, résultat incompatible avec le principe de l’égalité devant la loi, consacré par l’article 7 de la Constitution autrichienne et l’article 7 de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme. De plus, l’application de ce critère exigerait la constatation précise des effets de la détention sur toute la vie personnelle de Neumeister. Or, la Commission aurait négligé de procéder à pareille constatation. Elle n’aurait étayé d’aucun argument sa conclusion suivant laquelle la détérioration de la situation financière du requérant était essentiellement ou exclusivement imputable à la détention litigieuse; sur ce point, elle n’aurait cité que les déclarations sans preuve de l’intéressé et un passage isolé d’une décision de la Chambre du Conseil du Tribunal pénal régional de Vienne. De même, la Commission n’aurait pas fourni de détails au sujet des difficultés que Neumeister affirme avoir rencontrées dans la préparation de sa défense. D’une manière générale, elle aurait perdu de vue le fait que toute détention entraîne nécessairement des inconvénients pour le détenu. Selon le Gouvernement, la Commission s’est contentée de présenter, sous l’angle du quatrième critère, une partie du résultat de ses investigations, sans relever spécialement certains faits dont elle avait connaissance et qui, appréciés à leur juste valeur, auraient éclairé d’un jour différent la conduite du requérant. La Commission aurait eu le tort d’appliquer le quatrième critère dans un sens subjectif, oubliant que l’attitude d’un inculpé pendant le procès constitue un élément objectif. Assurément, Neumeister n’aurait pas cherché à ralentir la procédure par les recours qu’il a exercés. Ceux-ci n’en auraient pas moins provoqué des retards, le dossier ayant dû chaque fois être transmis aux autorités compétentes. En outre, Neumeister n’aurait rien fait pour accélérer la marche de la procédure. Au contraire, il n’aurait pas donné un compte rendu exact de son rôle dans les transactions en cause. Le Gouvernement souligne enfin que la Commission, bien que son critère no 4 vise également la conduite des autres inculpés, a examiné isolément le comportement du requérant. Or, il estime que si des poursuites sont engagées simultanément contre plusieurs inculpés soupçonnés de complicité, chacun d’eux doit subir les conséquences des initiatives des autres. Aussi reproche-t-il à la Commission d’avoir dissocié de l’ensemble de l’affaire les poursuites intentées contre le requérant, alors pourtant que le Juge d’instruction, déposant devant elle en qualité de témoin, avait déclaré que s’il n’avait pas instruit séparément le cas de Neumeister, c’est parce que certaines des infractions imputées à ce dernier étaient inextricablement liées aux activités de ses coïnculpés. D’après le Gouvernement, un établissement complet et correct des faits et une application juridiquement exacte de ce critère auraient nécessairement amené la Commission à exprimer l’avis que la durée de la détention préventive avait été raisonnable. Au sujet du cinquième critère, le Gouvernement approuve la conclusion de la Commission. Celle-ci n’aurait cependant pas assez tenu compte des difficultés inhérentes à la procédure pénale dont il s’agit (exposé des faits, par. 20). Le Gouvernement rappelle qu’il a fallu, en l’espèce, recourir à l’aide judiciaire de l’étranger et demander l’extradition de plusieurs inculpés. En raison de l’ampleur et de la complexité des transactions incriminées, les enquêtes et interrogatoires menés hors d’Autriche auraient exigé beaucoup de temps et, parfois, la participation personnelle du magistrat instructeur. De plus, les demandes d’aide judiciaire auraient soulevé dans certains pays requis, notamment en Suisse, des problèmes de droit dont la solution aurait également entraîné une perte de temps. Le rapport de la Commission ne mentionnerait pas ces faits sans lesquels on ne saurait convenablement apprécier la complexité de l’affaire ni les obstacles rencontrés par le Juge d’instruction. Le Gouvernement regrette enfin qu’ici encore la Commission n’ait pas pris en considération la conduite des coïnculpés pendant la procédure, mais seulement leur nombre. En ce qui concerne le sixième critère, les fait constatés par la Commission ne suffiraient pas à justifier la conclusion à laquelle elle arrive. En premier lieu, la Commission aurait sous-estimé le rôle de l’instruction préparatoire dans la procédure pénale autrichienne. Le Gouvernement souligne que la "Voruntersuchung" a pour but l’établissement de la matérialité des faits. Il en résulterait que dans les affaires pénales complexes et difficiles, une assez longue instruction préparatoire et, par voie de conséquence, une assez longue détention préventive sont souvent inévitables. La Commission n’aurait pas non plus apprécié les faits de la cause à leur juste valeur. Elle serait partie de l’hypothèse qu’il eût été possible de dispenser le Juge d’instruction de tout autre travail pour lui permettre de se consacrer uniquement à l’instruction ouverte contre le requérant. Or, la législation autrichienne (article 87 par. 3 de la Constitution, article 18 du Code de procédure pénale, article 34 par. 1 de la loi sur l’organisation judiciaire et article 17 par. 5 du Règlement intérieur adopté par le Ministère de la Justice à l’intention des tribunaux de première et deuxième instances) empêcherait de modifier, en cours d’année, la répartition des affaires pénales pour la simple raison qu’un juge se trouve débordé. Le Gouvernement signale cependant que le Président et la "Chambre du Personnel" (Personalsenat) du Tribunal pénal régional de Vienne, soucieux d’alléger la tâche du Juge d’instruction, ont à maintes reprises attribué à d’autres magistrats les affaires qui auraient dû normalement lui échoir, dans toute la mesure où les textes en vigueur s’y prêtaient (du 1er au 30 juin 1959, du 1er décembre 1960 au 31 mai 1961, du 18 septembre 1961 au 31 juillet 1962, du 1er octobre au 31 décembre 1962 et du 15 mai au 30 septembre 1963). Entendu par la Commission en qualité de témoin, le Juge d’instruction a déclaré d’ailleurs que s’il ne lui avait pas fallu s’occuper en même temps de plusieurs affaires, l’instruction de l’affaire Neumeister en aurait été abrégée mais que le gain de temps eût été si minime qu’il ne valait guère la peine d’en parler. En examinant l’attitude des autorités chargées de l’instruction, d’autre part, la Commission n’aurait fondé ses constatations que sur les dépositions du Juge d’instruction, sans les apprécier ensuite du point de vue juridique. D’après le Gouvernement, une telle appréciation aurait montré que le magistrat instructeur et ses assistants ont agi avec le soin et la diligence nécessaires, encore qu’un certain retard ait été inévitable du fait que deux des principaux inculpés avaient fui à l’étranger et que l’on du, pour les découvrir, lancer des avis de recherche internationaux. D’une manière générale, le Gouvernement estime que l’on n’a épargné aucun effort pour accélérer le cours de l’instruction. Il relève, à ce sujet, que les poursuites relatives à certains actes ou à certains inculpés ont été disjointes ou abandonnées en vertu des articles 57 par. 1 et 34 par. 2 du Code de procédure pénale. Il considère que l’on ne pouvait aller plus loin dans cette voie qu’on ne l’a fait. A ses yeux, les différentes infractions incriminées étaient si étroitement liées entre elles qu’elles ne permettaient pas de dissocier le cas de Neumeister de celui de ses coïnculpés. Pareille disjonction, contraire au principe légal de la connexité (article 56 par. 1 du Code de procédure pénale), aurait du reste abouti en réalité à ralentir la marche de la procédure, car le Tribunal aurait nécessairement dû comparer entre elles les allégations de tous les accusés afin d’en contrôler la véracité. Pour ce qui est du septième critère, le Gouvernement se déclare hors d’état de présenter des observations critiques: il reproche à la Commission de ne point préciser les conclusions qu’elle tire des faits qu’elle croit avoir constatés dans son rapport. Le Gouvernement soutient en particulier que la décision du 8 janvier 1964, qui subordonnait l’élargissement du requérant à la fourniture d’une garantie de deux millions de schillings, était pleinement compatible avec l’article 5 par. 3 (art. 5-3) de la Convention, vu l’existence d’un danger de fuite et le fait que Neumeister s’était sans doute beaucoup enrichi grâce aux infractions dont il doit répondre. Selon le Gouvernement, la Commission n’aurait pu manquer de reconnaître le caractère raisonnable de la durée de la détention litigieuse si elle avait correctement apprécié les faits pertinents. De ce qui précède, le Gouvernement déduit que même si l’on utilise la méthode choisie par la Commission, on ne saurait apercevoir en l’espèce aucune violation de l’article 5 par. 3 (art. 5-3), car les arguments militant pour le caractère raisonnable de la longueur de la détention l’emporteraient de loin sur ceux qui vont dans la direction opposée. Ceci vaudrait notamment pour les critères no 4, 5 et 6, lesquels seraient décisifs en l’occurrence. Le Gouvernement s’étonne enfin que la Commission n’indique pas à quelle date, d’après elle, la durée de la détention de Neumeister est devenue excessive. De l’avis du Gouvernement, la Commission a outrepassé sa compétence en recherchant si la cause de Neumeister a ou non été entendue dans le "délai raisonnable" visé à l’article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention: le requérant n’aurait pas formulé de griefs à cet égard et le problème dont il s’agit n’aurait joué aucun rôle à l’audience de juillet 1964 sur la recevabilité de la requête. Le Gouvernement considère, d’autre part, que les mots "délai raisonnable" ont le même sens dans les deux articles où ils figurent, l’article 5 par. 3 et l’article 6 par. 1 (art. 5-3, art. 6-1). Le délai à retenir sur le terrain de l’article 6 par. 1 (art. 6-1) n’aurait pas commencé à courir dès le premier interrogatoire de Neumeister par le Juge d’instruction (21 janvier 1960), mais uniquement à compter de la mise en état d’accusation (17 mars 1964). Les termes "accusation" et "criminal charge" désigneraient en effet, tant dans le système continental que dans le système anglo-américain, l’acte juridique consistant à saisir le tribunal pour l’inviter à statuer sur le bien-fondé de l’allégation d’après laquelle un individu a commis une infraction punissable. Le Gouvernement signale à ce sujet que selon le Code autrichien de procédure pénale, seule une personne contre laquelle une "Anklage" a été déposée a le droit d’être jugée par un tribunal indépendant. A ses yeux, on aboutirait à des conséquences incompatibles avec les buts de la Convention si l’on se ralliait à l’interprétation adoptée en la matière par la Commission: on en arriverait à empêcher l’arrêt des poursuites avant l’ouverture du procès, alors que plusieurs systèmes juridiques nationaux, et notamment les articles 90, 189 et 227 du Code autrichien de procédure pénale, en prévoient la possibilité. Ladite interprétation se heurterait également au paragraphe 3 a) et au paragraphe 2 de l’article 6 (art. 6-3-a, art. 6-2): on voit mal comment une personne contre laquelle est engagée une simple enquête ou instruction préparatoire (Vorverhandlungen), serait informée en détail "de la nature et de la cause de l’accusation portée contre elle"; quant à la présomption d’innocence, elle vaudrait exclusivement pour les individus "accusés" au sens de l’article 6 par. 1 (art. 6-1), ainsi du reste que la Commission l’aurait reconnu elle-même à maintes reprises. Le Gouvernement ne partage pas non plus l’opinion, exprimée par la Commission, selon laquelle le délai de l’article 6 par. 1 (art. 6-1) s’étend, pour le moins, jusqu’à la décision du tribunal de première instance sur le bien-fondé de l’accusation. Ce délai s’achèverait en réalité aussitôt que l’accusé est "entendu", c’est-à-dire dès le début de la procédure de jugement. Le Gouvernement insiste à ce propos sur le contraste existant entre l’article 6 par. 1 et l’article 5 par. 3 (art. 6-1, art. 5-3) qui, lui, contient le mot "jugé". Il ajoute que les auteurs de la Convention auraient utilisé, dans la version anglaise de l’article 6 par. 1 (art. 6-1), les mots "for the determination", au lieu de "in the determination", s’ils avaient vraiment voulu exiger qu’il soit statué sur toute accusation dans un délai raisonnable. Le Gouvernement reproche enfin à la Commission de se borner à déclarer que certains des critères appliqués par elle sous l’angle de l’article 5 par. 3 (art. 5-3) valent aussi pour l’article 6 par. 1 (art. 6-1), sans préciser quels faits lui semblent plus particulièrement pertinents sur le terrain de la première ou, au contraire, de la seconde de ces dispositions. Quant à la procédure à laquelle obéit, en Autriche, l’examen des demandes de mise en liberté provisoire, le Gouvernement se réfère pour l’essentiel à l’avis de la Commission, suivant lequel cette procédure n’enfreint pas les articles 6 par. 1 et 5 par. 4 (art. 6-1, art. 5-4). Il souligne qu’il a toujours approuvé l’interprétation restrictive des mots "droits de caractère civil" ("civil rights"), telle qu’elle ressort de la jurisprudence constante de la Commission. Il pense pourtant, à la différence de cette dernière, que la Convention abandonne la définition de ces termes à l’ordre juridique interne de chacun des États contractants, lesquels n’auraient point de conception commune en la matière. Il demande à la Cour de statuer sur cet important problème. À l’audience du 13 février 1968, le Gouvernement a présenté les conclusions suivantes: "(Plaise à la Cour de) dire: que les mesures, prises par les autorités autrichiennes, qui font l’objet de la requête introduite par Fritz Neumeister contre la République d’Autriche, ainsi que du rapport établi par la Commission européenne des Droits de l’Homme, le 27 mai 1966, conformément à l’article 31 (art. 31) de la Convention européenne de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales, ne sont pas en opposition avec les obligations découlant de cette Convention."
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La demande de la Commission et la requête du Gouvernement ont pour objet de soumettre l’affaire Stögmüller à la Cour, afin que celle-ci puisse décider si les faits de la cause révèlent ou non, de la part de la République d’Autriche, une violation des obligations qui lui incombent aux termes de l’article 5, paragraphe 3 (art. 5-3) de la Convention. Les faits de la cause, tels qu’ils ressortent du rapport de la Commission, du mémoire du Gouvernement, des pièces et documents produits et des déclarations orales des représentants respectifs de la Commission et du Gouvernement, peuvent se résumer ainsi: M. Ernst Stögmüller, ressortissant autrichien, est né à Vienne le 19 juin 1934. En 1955, il travaillait en qualité d’inspecteur pour la compagnie d’assurances "Heimat" à Vienne. Tandis qu’il remplissait ses fonctions, il commença, pour son compte et pour celui de la compagnie, à négocier des prêts aux clients de celle-ci et finit par exercer de manière indépendante la profession d’agent financier. Le 10 janvier 1958, il fonda avec deux autres personnes, Karl Hammerling et Franz Beyer, la société à responsabilité limitée Stögmüller et Cie. Cette société, dont le siège était à Linz, avait un capital initial de 100.000 schillings. Ses activités consistaient en des transactions portant sur des biens immobiliers, y compris la négociation et l’octroi de prêts garantis par des biens immobiliers ou autres, l’administration de biens moyennant rémunération, la négociation de règlements judiciaires ou extrajudiciaires et les opérations d’une agence immobilière et d’une maison de commission. La société s’occupait aussi de commerce de gros et de détail, de produits de tous genres, et notamment d’importation et d’exportation. Chacun des trois associés avait le titre de directeur. Les affaires de la société pouvaient être conclues par deux quelconques d’entre eux mais Stögmüller, qui détenait 80 % des parts, gérait seul l’entreprise dans la pratique. En vue de conclure des contrats de prêts, Stögmüller insérait des annonces dans les journaux et adressait des circulaires aux avocats et aux notaires. Il y promettait des crédits à des conditions particulièrement favorables que pourtant, en règle générale, il n’observait pas. De plus, il chargeait l’un de ses collaborateurs d’étudier les tableaux d’affichage des tribunaux afin de connaître l’identité des propriétaires fonciers menacés de saisie, auxquels il offrait ensuite des crédits. Bien que l’article 2 du Règlement sur l’usure (Verordnung der Bundesregierung vom 11.3.1933 gegen die Ausbeutung Kreditsuchender) n’autorise en pareil cas qu’un taux de commission égal ou inférieur à 2%, Stögmüller percevait d’ordinaire une commission de 6% à 7% et parfois même de 15%. D’autre part, un seul des trois associés, à savoir Karl Hammerling, était titulaire de la licence professionnelle exigée par la loi en la matière. A l’occasion d’un procès intenté par la compagnie d’assurances "Heimat" devant le Tribunal de district (Bezirksgericht) de Ferlach, le juge estima de son devoir, étant donné la révélation de ces pratiques commerciales du requérant, de communiquer les faits au Parquet. L’enquête qui en résulta devait aboutir à la mise en accusation du requérant par le Parquet de Klagenfurt, pour escroquerie qualifiée dans cinq cas, en vertu des articles 197, 200, 201 alinéa (d), 203 et 199 du Code pénal. Le 9 juillet 1959, les poursuites dont il s’agit furent, à la demande de Stögmüller, transférées au Tribunal pénal régional (Landesgericht für Strafsachen) de Vienne qui, le 15 juin 1960, prononça une sentence d’acquittement (2b Vr 5328/59). Statuant le 31 janvier 1961 sur un recours en annulation (Nichtigkeitsbeschwerde) introduit par le Parquet, la Cour suprême (Oberster Gerichtshof) confirma le jugement du Tribunal régional sur deux des chefs d’accusation et renvoya l’affaire devant le Tribunal pour un nouvel examen des trois autres. Le 28 mai 1963, le Tribunal condamna le requérant à cinq mois de prison pour avoir commis devant le Tribunal de district de Vienne, le 12 décembre 1957, un faux témoignage constitutif d’escroquerie qualifiée (articles 197 et 199, alinéa (a) du Code pénal). Stögmüller fut acquitté pour le surplus. Par un arrêt du 5 mars 1964, la Cour suprême a réduit à quatre mois la peine en question à la suite d’un appel interjeté par Stögmüller. Toutefois, la requête de ce dernier ne se dirige pas contre la procédure dont il s’agit. Soupçonné d’avoir commis des infractions à la loi sur l’usure (Wuchergesetz), Stögmüller fut arrêté le 3 mars 1958 en exécution d’une décision du Tribunal de district de Linz. Le lendemain, cette juridiction le mit en détention provisoire (Verwahrungshaft) en vertu de l’article 175, paragraphe 1, alinéas 2 (danger de fuite) et 3 (danger de suppression des preuves - Verdunkelungsgefahr) du Code de procédure pénale. Traduit devant un Juge du Tribunal de Linz le 5 mars 1958, le requérant déclara prendre connaissance de cette dernière décision sans exercer de recours (beschwerdelos), mais demanda que le dossier fût transféré au Juge d’instruction de Wels. Ce transfert ayant été effectué, le Tribunal de Wels ouvrit le 10 mars 1958 une instruction préparatoire (Voruntersuchung) contre le requérant, soupçonné d’avoir commis le crime d’usure au sens de l’article 3, paragraphe 4, de la loi sur l’usure et de l’article 2 du Règlement sur l’usure. En même temps, le Tribunal ordonna la mise en détention préventive (Untersuchungshaft) du requérant en vertu des articles 175, paragraphe 1, alinéa 3 (danger de suppression des preuves - Verdunkelungsgefahr) et 180 du Code de procédure pénale. Ayant comparu devant le Juge d’instruction du Tribunal de Wels le même jour, Stögmüller déclara prendre connaissance des deux décisions susmentionnées du Tribunal, ne pas introduire de recours contre elles (beschwerdelos) et retirer une demande de mise en liberté qu’il avait présentée auparavant. Il protesta de son innocence et nota qu’on l’interrogerait en détail sur les faits dès le dépôt des plaintes portées contre lui. A la demande du requérant (15 et 17 mars 1958), l’affaire fut transférée au Tribunal régional de Linz. Le 21 avril 1958, Stögmüller bénéficia d’une mesure de mise en liberté provisoire sur parole: il prêta le serment (Gelöbnis) prévu à l’article 191 du Code de procédure pénale mais n’eut pas à fournir de caution. Sa détention préventive avait donc duré, sans interruption, un mois et dix-huit jours. Selon le procès-verbal rédigé à cette occasion, le requérant déclara: "Je prends connaissance de la décision de me mettre en liberté sur parole en vertu de l’article 191 du Code de procédure pénale et je prête le serment dont il s’agit après avoir été informé en détail des conséquences de sa rupture éventuelle. Je prends connaissance de ce que je devrai désormais signaler au Tribunal, sans délai, tout changement de mon lieu de séjour. Après mon élargissement je me rendrai à Vienne XIII, Auhofgasse no 255." En juin 1958, le Parquet de Linz recueillit des plaintes supplémentaires qui faisaient état d’escroqueries, de détournements de fonds et de profits excessifs de la part du requérant ainsi que d’un certain Dr. S., avocat. Stögmüller était notamment soupçonné d’avoir, depuis 1957, exigé des garanties exorbitantes pour les prêts contractés par un grand nombre de personnes qui se trouvaient en difficultés financières et d’avoir en outre, seul ou en compagnie d’autres personnes, obtenu de l’argent de nombreuses autres personnes par des pratiques frauduleuses et détourné à son profit des capitaux qui lui étaient confiés. Le Juge d’instruction du Tribunal régional de Linz venait précisément d’ouvrir des enquêtes (Untersuchungshandlungen) étendues quand le requérant demanda, le 23 octobre 1958, que l’affaire fût transférée au Tribunal pénal régional de Vienne. Ce transfert eut effectivement lieu, les autres inculpés l’ayant accepté. Le dossier portait le numéro 26 d Vr 1105/59. Conformément aux dispositions du droit autrichien (ständige Geschäftsverteilung), la conduite de l’instruction échut automatiquement, le 13 février 1959, au Juge d’instruction Leonhard qui s’occupait déjà d’autres affaires auxquelles vint s’ajouter, le 17 août 1959, l’affaire Rafael, Neumeister et consorts (voir l’arrêt rendu par la Cour dans l’affaire Neumeister, Publications de la Cour, 1968, Série A, p. 7). Le 15 novembre 1960, le Tribunal pénal régional de Vienne décida: - de poursuivre l’instruction préparatoire sur une série de chefs d’inculpation concernant trente ou trente et un actes de gestion infidèle qualifiée (Veruntreuung - article 183 du Code pénal), vingt actes d’escroquerie qualifiée (Betrug - articles 197, 200 et 203 du Code pénal), un autre acte d’escroquerie (articles 197, 199 alinéas d) et 5 du Code pénal) et vingt et un actes de crime d’usure (articles 2 et 3, alinéa 4, de la loi sur l’usure); - d’étendre l’instruction préparatoire à cinq chefs d’inculpation concernant des actes de gestion infidèle qualifiée (article 183 du Code pénal), d’escroquerie (articles 197 et suivants du Code pénal) et d’abus de confiance (Untreue - article 205 (c) du Code pénal); - de suspendre l’instruction préparatoire, conformément à l’article 109 du Code de procédure pénale, pour huit ou dix chefs d’inculpation. Aux termes de l’article 184 du Code pénal, l’abus de confiance est puni de cinq à dix ans de "réclusion rigoureuse" (schwerer Kerker) si la somme en cause dépasse 10.000 schillings. L’escroquerie et la gestion infidèle deviennent des crimes si le montant du dommage causé ou escompté excède 1.500 schillings (articles 200 et 205 (c) du Code pénal). La peine encourue est la "réclusion rigoureuse" de cinq à dix ans si ce montant dépasse 10.000 schillings, ou, en cas d’escroquerie, si le criminel a montré "une audace ou une ruse particulières" ou s’il est un escroc habituel (articles 203 et 205 (c) du Code pénal). Les montants susmentionnés ont été modifiés depuis lors; ils s’élèvent à l’heure actuelle à 2.500 et 25.000 schillings respectivement. L’article 2 de la loi sur l’usure prévoit une peine de trois mois à un an de détention de rigueur (strenger Arrest); le criminel ayant pratiqué l’usure à titre professionnel est puni d’un an à cinq ans de prison si plusieurs personnes ont subi un grave préjudice pécuniaire (article 3, paragraphe 4, de la loi sur l’usure). Le 10 février 1961, le requérant, alors en liberté, fut informé des faits qui lui étaient reprochés; il déclara ne pas introduire de recours contre la poursuite et l’extension de l’instruction préparatoire. Le Juge d’instruction l’interrogea ensuite sur un acte d’escroquerie qualifiée concernant Gertrude Kucik. Après son élargissement en avril 1958, Stögmüller avait continué de gérer son affaire. Les autorités compétentes ayant refusé de transférer la licence de Karl Harmmerling à la société Stögmüller et Cie, les deux associés avaient quitté celle-ci et Stögmüller était devenu l’unique sociétaire et directeur au mois d’août 1959. Il avait alors déplacé à Vienne le siège de la société. Décidé à changer de profession, il avait commencé à prendre des leçons de pilotage d’avion au cours de l’été 1959; après avoir produit les pièces exigées par la loi, il obtint son brevet de pilote non professionnel le 10 décembre 1959 et une licence restreinte de radiotéléphonie le 25 février 1960. En vue de s’établir pilote professionnel, il effectua jusqu’à l’été de 1961 à peu près quatre cents vols sur une distance totale de 40.000 milles avec des atterrissages sur cinquante aéroports différents parmi lesquels ceux de Vienne, Linz, Wels, Salzbourg, Graz, Innsbruck, Klagenfurt, Munich, Würzbourg, Pöcking, Fulda, Hanovre, Copenhague, Malmö, Norköpping, Lugano, Bologne, Florence, Rome, Naples, Palerme, Alghero (Sardaigne), Brindisi, Corfou, Salonique, Athènes, Héraclion (Crète), Cavalla, Belgrade et Zagreb. En juillet 1961, il conduisit à deux reprises un appareil transportant des touristes entre l’Autriche, la Suisse, l’Italie, la Grèce et la Yougoslavie. Le 14 août 1961, le requérant vendit sa société et son nom fut rayé du registre de commerce. À la demande du Parquet, l’instruction préparatoire fut étendue le 2 août 1961, quant aux faits concernant Alois Holznecht, à des infractions aux articles 183, 197 et 205 (c) du Code pénal. Par une ordonnance datée du même jour et notifiée le 4 août 1961, le Juge d’instruction convoqua le requérant pour le 18 août 1961 afin de procéder à un nouvel interrogatoire. Stögmüller ne comparut cependant pas: le 7 août, il avait gagné la Grèce à bord d’un avion qu’il disait appartenir à son père; il ne retourna à Vienne que le 21 août 1961. De Thasos en Grèce, Stögmüller avait toutefois adressé à son père, le 14 août 1961, une carte postale par laquelle il l’informait qu’on pourrait l’atteindre par l’aéroport de Cavalla. Il demandait à son père de lui envoyer un télégramme en cas de besoin et de téléphoner à son avocat, Me Tuma, pour qu’il obtînt un ajournement de l’interrogatoire ("damit die Terminverlegung vom 18.VIII. klappt"). Selon les déclarations que Me Tuma a faites le 30 septembre 1965 devant la sous-commission - et que le Gouvernement n’a pas contestées - Mme Tuma, sa femme et secrétaire, avait sollicité le 17 août 1961 un ajournement de l’interrogatoire, ajournement auquel le Juge d’instruction avait consenti. Entendue comme témoin par la sous-commission le 1er octobre 1965, Mme Tuma, bien qu’elle n’ait pas été interrogée à ce sujet malgré la demande de Me Tuma, a affirmé que le Juge d’instruction avait accepté les excuses qu’elle lui avait présentées de vive voix pour la non-comparution du requérant. Le 21 août 1961 aussitôt après son retour, Stögmüller - toujours selon les déclarations non contestées de Me Tuma - se rendit avec Mme Tuma au bureau du Juge d’instruction qui refusa cependant de l’interroger, déclarant qu’il n’avait pas le temps nécessaire et qu’il procéderait à cet interrogatoire en septembre 1961. Encore le 21 août 1961, le Juge d’instruction fut saisi par le Parquet d’une demande datée du 18 août 1961 et tendant à voir élargir l’objet de l’instruction préparatoire ouverte contre Stögmüller, décerner un mandat d’arrêt contre lui et mettre l’intéressé en détention préventive en vertu des articles 175, paragraphe 1, alinéas 2 et 4, et 180 du Code de procédure pénale. Selon le Parquet, il existait un danger de fuite (Fluchtgefahr - article 175, paragraphe 1, alinéa 2) et un danger de répétition des infractions (Wiederholungsgefahr - article 175, paragraphe 1, alinéa 4) car le requérant avait, par son voyage non autorisé en Grèce, rompu le serment prêté lors de son élargissement (voir supra, paragraphe 5) et avait commis d’autres infractions dans les années 1960 en 1961. Le 24 août 1961, le Juge d’instruction ordonna l’arrestation de Stögmüller. Le mandat (Haftbefehl) relevait que l’intéressé s’était rendu à l’étranger sans l’accord du Juge, violant ainsi son engagement du 21 avril 1958 (paragraphe 5, supra), et qu’il avait commis de nouvelles infractions en 1960 et 1961 au détriment d’emprunteurs. Le mandat soulignait que la rupture du serment entraînait la mise en détention préventive de l’inculpé (article 191 in fine du Code de procédure pénale) et que la conduite du requérant après son élargissement prouvait également l’existence d’un danger de répétition des infractions. Le même jour, l’instruction préparatoire ouverte contre Stögmüller fut étendue, quant aux faits concernant les nommés Hans Burgmüller, Josef et Maria Reichel et Karl Schumlitsch, à des infractions aux articles 197 et suivants, 205 (c) et 5 du Code pénal. Le requérant fut arrêté le 25 août 1961. Le lendemain, il fut interrogé sur sa situation personnelle par un Juge du Tribunal pénal régional de Vienne et placé en détention provisoire (Verwahrungshaft) en vertu de l’article 175, paragraphe 1, alinéas 2 (danger de fuite) et 3 (danger de suppression des preuves) du Code de procédure pénale. Le 29 août 1961, Stögmüller fut informé de l’extension de l’instruction préparatoire, ordonnée par le Tribunal pénal régional de Vienne les 2 et 24 août 1961 (cf. les paragraphes 10 et 14, supra). Le même jour lui fut communiquée la décision de ce Tribunal prescrivant sa mise en détention préventive (Untersuchungshaft) pour les motifs donnés dans le mandat d’arrêt. Le 29 août 1961, le requérant exerça un premier recours contre cette décision. Il affirmait avoir signalé au Juge d’instruction du Tribunal pénal régional de Linz, lors de son élargissement, qu’il lui fallait voyager beaucoup car il avait sa résidence à Vienne tandis que son bureau se trouvait à Linz, et lui avoir demandé si chacun de ses déplacements devait être communiqué par avance au Tribunal. Le Juge d’instruction lui aurait répondu qu’il lui suffirait de laisser son adresse à son bureau ou à ses parents. Stögmüller soulignait qu’il avait toujours respecté cette condition lors des nombreux voyages qu’il avait entrepris en Autriche et à l’étranger, notamment après avoir obtenu son brevet de pilote. Il ajoutait qu’il se rendait aussi souvent à l’étranger en qualité de membre de l’équipe nationale autrichienne de judo. Au printemps 1961, il aurait d’ailleurs informé le Juge d’instruction du Tribunal pénal régional de Vienne de son intention de changer de profession et de devenir pilote. Le Juge n’aurait pas soulevé d’objections alors pourtant qu’il aurait pu déduire de cette déclaration que le requérant avait effectué et comptait effectuer beaucoup de vols en Autriche et à l’étranger. Quant à la non-comparution du requérant devant le Juge d’instruction le 18 août 1961, Mme Tuma en aurait indiqué les raisons à ce magistrat qu’elle avait en outre prié, après le retour de Stögmüller (21 août 1961), de fixer une nouvelle date pour l’interrogatoire. Le Juge lui aurait répondu qu’il était surchargé de travail dans l’immédiat et qu’il convoquerait donc le requérant après le 14 septembre. De ces diverses circonstances, Stögmüller inférait qu’il n’avait pas rompu le serment prêté par lui le 21 avril 1958. Stögmüller prétendait aussi avoir vendu son affaire par acte notarié le 14 août 1961, suivant ainsi un bon conseil du Juge d’instruction lui-même, et avoir commencé à gagner sa vie comme pilote. Il en concluait qu’il n’existait aucun risque de répétition des infractions. Le 6 septembre 1961, le Juge d’instruction adressa au Parquet une copie du recours en question en l’invitant à exprimer un avis détaillé sur les déclarations de Stögmüller relatives au danger de répétition des infractions. Il ajouta: "Ceci dans le sens de notre entretien oral. L’allégation non encore prouvée de l’inculpé, d’après laquelle il avait abandonné sa profession de prêteur depuis le 14 août 1961, est à cet égard sans intérêt." En réponse à cette demande, le Parquet répondit, le 11 septembre, qu’à son avis les motifs de détention existaient toujours. Rappelant que l’objet de l’instruction préparatoire ouverte contre le requérant avait été élargi en 1960 (voir supra, paragraphe 8) et qu’à la suite de plaintes circonstanciées (fundierte Anzeigen) une nouvelle extension avait été décidée en 1961 (voir supra, paragraphes 10 et 14), le Parquet concluait à la persistance d’un danger de répétition des infractions. Concernant le danger de fuite, il avançait entre autres que, depuis son élargissement, le requérant avait rompu son serment de 1958, avait obtenu le brevet de pilote, s’était rendu en Grèce sans l’accord du Juge à bord d’un avion appartenant à son père, avait entrepris de fréquents voyages à l’étranger et devait, eu égard aux résultats de l’instruction, s’attendre à une lourde peine qui pouvait aller, d’après les textes légaux applicables, de cinq à dix ans de réclusion rigoureuse (schwerer Kerker). Le Parquet invitait en outre le Juge d’instruction à clore l’instruction préparatoire le plus tôt possible. Par une décision du 7 septembre 1961, la Chambre du Conseil (Ratskammer) du Tribunal pénal régional de Vienne chargea le Juge d’instruction de se procurer auprès du Juge Thurner, de Linz, qui avait libéré Stögmüller en 1958, des renseignements concernant les consignes qu’il avait données au requérant à cette occasion. Le 16 septembre 1961, Stögmüller soumit au Tribunal pénal régional de Vienne une lettre que Me Otto Bittner, l’avocat qui l’avait représenté à l’époque de sa première détention préventive en 1958, avait envoyée à Me Tuma le 11 septembre 1961. En réponse à des questions de Me Tuma, Me Bittner y expliquait qu’en 1958, lors de l’élargissement de Stögmüller, il avait été question dès le début que celui-ci se rendît à Vienne. Voilà pourquoi le requérant n’avait pas été astreint à se présenter aux autorités (Meldepflicht) de Linz. Si on ne lui avait pas imposé une telle obligation, c’est aussi parce qu’il s’était engagé à laisser son adresse au bureau de Me Bittner, de manière qu’on pût l’atteindre dans le délai d’une semaine. Cet arrangement avait bien fonctionné en pratique jusqu’au transfert de l’affaire à Vienne: la secrétaire de Stögmüller, Mlle Ingrid Lintinger, avait toujours informé Me Bittner, dans les années 1958/59, du lieu de séjour de son employeur. Dans une déclaration écrite du 20 septembre 1961, destinée au Juge Leonhard (cf. paragraphe 18, supra), M. Thurner, ancien Juge d’instruction au Tribunal de Linz, souligna de son côté: - que s’il avait bonne mémoire, on n’avait parlé en 1958, lors de la mise en liberté de Stögmüller, que de l’adresse de celui-ci à Vienne; - qu’il se pouvait cependant que le requérant lui eût signalé qu’il ne serait pas en mesure d’aviser immédiatement le Tribunal de chacun des nombreux voyages qu’il devrait entreprendre; - qu’à supposer qu’il en fût ainsi, M. Thurner n’avait certainement pas répondu à l’intéressé qu’il lui suffirait de laisser son adresse dans son bureau à Linz ou chez ses parents à Vienne; qu’il l’avait bien plutôt invité, comme d’habitude en pareil cas, à veiller à ce que les convocations du Tribunal lui parvinssent dans les meilleurs délais, afin de pouvoir s’y rendre à temps; que cette réponse ne signifiait pas qu’il incomberait au Tribunal de se renseigner lui-même, au besoin, sur le lieu de séjour du requérant; - que M. Thurner n’avait pas exigé pour autant d’être informé de chaque départ ou retour de l’inculpé, pratique inconnue d’ailleurs au Tribunal de Linz à son avis. Le 20 septembre 1961, le Juge Leonhard demanda que Me Bittner - délié au préalable du secret professionnel par Stögmüller – fut interrogé sur les points suivants: (a) quelles étaient les personnes présentes au moment de l’élargissement de Stögmüller, lorsqu’il fut question que ce dernier se rendît à Vienne (cf. paragraphe 19, supra)? (b) en renonçant à imposer au requérant l’obligation d’informer les autorités de tout déplacement, avait-on précisé que ceci vaudrait également pour des voyages autres qu’entre Vienne et Linz, et par exemple pour des voyages à l’étranger? Entendu le 9 octobre 1961, en qualité de témoin, par un Juge du Tribunal régional de Linz, Me Bittner déclara qu’il n’avait pas assisté, le 21 avril 1958, à la mise en liberté de Stögmüller mais que ce dernier l’avait informé de son intention d’aller à Vienne, affirmant que le magistrat instructeur était au courant. Me Bittner ajouta que le Juge Thurner l’avait invité, le 30 avril 1958, à veiller à ce que le requérant fût présent quand on aurait besoin de lui; aussi la secrétaire de Stögmüller se serait-elle régulièrement renseignée auprès de Me Bittner sur le déroulement de la procédure. Les 29 mai et 7 juillet 1959, le Juge Thurner aurait prié Me Bittner de faire venir son client, lequel aurait comparu en effet dans les délais prescrits. A la demande du requérant, Me Bittner aurait avisé le Tribunal régional de Linz, le 12 janvier 1959, que Stögmüller comptait se rendre en Egypte; le Tribunal n’aurait pas soulevé d’objections. Une autorisation expresse de voyager n’aurait jamais été donnée. Le 19 octobre 1961, la Chambre du Conseil (Ratskammer) du Tribunal régional de Vienne rejeta le recours du 29 août 1961 (paragraphe 16, supra). Elle constata en premier lieu que Stögmüller s’était rendu en Grèce sans l’accord du Juge d’instruction. S’appuyant sur les dépositions de MM. Thurner et Bittner, elle releva que M. Thurner n’avait pas non plus donné au requérant l’autorisation générale de se déplacer en Autriche et à l’étranger. Sans doute Stögmüller était-il toujours revenu de ses voyages, mais la Chambre considéra que cet élément manquait de pertinence: à ses yeux, il ressortait clairement de l’article 191 du Code de procédure pénale que la rupture du serment suffit à entraîner la mise en détention préventive de l’intéressé. Pour des motifs très voisins de ceux donnés par le Parquet dans son avis négatif du 11 septembre 1961 (paragraphe 17, supra), la décision du 19 octobre 1961 admit en outre l’existence d’un danger de fuite et d’un danger de répétition des infractions. Sur ce dernier point, la Chambre du Conseil estima qu’il importait peu de savoir si l’inculpé avait réellement vendu son affaire le 14 août 1961. Le requérant attaqua cette décision le 25 octobre 1961. Il commença par souligner que ni son avocat ni lui-même n’avaient encore eu la faculté de consulter le dossier (Akteneinsicht) et qu’ils ne pouvaient donc se prononcer sur les résultats de l’enquête et de l’instruction qu’à la lumière des indications ressortant des décisions du Tribunal. Stögmüller affirmait en outre qu’il croyait se souvenir que seule l’existence d’un danger de suppression de preuves avait motivé sa première détention préventive et que le magistrat instructeur lui avait rappelé en premier lieu, lors de son élargissement, la nécessité de ne supprimer aucun moyen de preuve et en particulier de ne pas essayer d’influencer les témoins. En conséquence, il estimait ne pas avoir rompu son serment du 21 avril 1958. Sur ce point, il reprenait les arguments de son recours du 29 août 1961 (paragraphe 16, supra). Soulignant qu’il ignorait le contenu de la déclaration du Juge Thurner (paragraphe 20, supra), il avançait aussi que ce magistrat avait dit à Mme Tuma, en septembre 1961, qu’à ses yeux le requérant n’avait pas manqué à sa parole. Stögmüller se plaignait d’autre part de ce que Mme Tuma n’avait pas été entendue comme témoin sur ses entretiens des 17 et 21 août 1961 avec le Juge Leonhard (paragraphe 11, supra). Il ajoutait qu’elle avait prié celui-ci, le 21 août 1961, de ne pas fixer au surlendemain l’interrogatoire du requérant, pour la raison que Stögmüller voulait se rendre à Steyr ce jour-là; or, le Juge Leonhard n’aurait pas soulevé d’objections. Dans le même ordre d’idées, l’intéressé précisait qu’après le 21 avril 1958, il avait fait une dizaine ou une douzaine de voyages à l’étranger afin de participer à des compétitions internationales de judo, sport dont il avait été plusieurs fois champion en Autriche jusqu’en 1960; presque tous les journaux auraient relaté, à l’époque, ses succès et des échecs. De plus, certains procès civils intentés contre lui par des personnes qui se prétendaient victimes de ses agissements, l’auraient obligé à voyager dans son propre pays. Il était en droit, pensait-il, de présumer que le Juge d’instruction apprendrait ces diverses absences par la lecture de la presse et de pièces officielles. Le requérant se référait ici aux dossiers 40 Cg 174/60 (Tribunal civil régional de Vienne) et 6 C 413/59 (Tribunal de district de Hietzing) ainsi qu’aux plaintes de Holzknecht, Reichel et Schumlitsch. De son côté, le Procureur compétent en l’espèce aurait eu connaissance des déplacements susmentionnés grâce aux débats auxquels avait donné lieu, le 15 juin 1960, l’affaire 2b Vr 5328/59 (paragraphe 4, supra), dont il s’était également occupé. Stögmüller voyait dans cet ensemble de faits la preuve qu’il n’avait jamais cru avoir besoin, pour voyager, de l’accord du magistrat instructeur à la disposition duquel il n’avait du reste cessé de se tenir. Le requérant reprochait d’autre part à la Chambre du Conseil d’avoir conclu, dans sa décision du 19 octobre 1961, qu’il y avait danger de fuite alors pourtant que le mandat d’arrêt se fondait uniquement sur la rupture du serment et sur le danger de répétition des infractions. D’après lui, cette manière de procéder avait porté atteinte aux droits de la défense car il n’avait pas eu la possibilité d’invoquer, dans son recours du 29 août 1961, des arguments de nature à établir l’absence de danger de fuite. Or, à son avis, pareil danger n’existait pas en l’occurrence. Stögmüller rappelait à cet égard qu’il était revenu de chacun de ses nombreux voyages et notamment qu’il avait comparu devant le Tribunal pénal régional de Vienne, le 15 juin 1960, dans l’affaire 2b Vr 5328/59 (paragraphe 4, supra) bien qu’il dût s’attendre, selon l’acte d’accusation, à une peine privative de liberté de cinq à dix ans. Quant aux nouvelles plaintes, il soulignait qu’il en avait été informé six mois avant sa seconde arrestation. Il ajoutait que la peine à prévoir dans la présente affaire était la même qu’en 1958. Le fait qu’il se préparait à l’examen de pilote professionnel, affirmait-il encore, fournissait une garantie supplémentaire: une fois en possession du brevet nécessaire, il ne pourrait piloter que des avions autrichiens; les frais de sa formation professionnelle - qui s’élevaient à environ 150.000 ou 200.000 schillings et que son père comptait couvrir en vendant son avion - constituaient donc une véritable caution. Le requérant soulignait aussi que son brevet de pilote non professionnel serait périmé le 1er décembre 1961 et qu’il ne pourrait en obtenir le renouvellement s’il ne recouvrait pas sa liberté avant cette date. Au sujet du danger de répétition des infractions, Stögmüller alléguait, non sans protester de son innocence, que tous les faits postérieurs à son élargissement étaient liés à son activité d’agent financier, qu’il avait abandonnée le 14 août 1961. L’intéressé relevait enfin qu’on ne l’avait pas encore interrogé sur une grande partie des actes incriminés et spécialement qu’on ne l’avait pas entendu sur le fond de l’affaire depuis sa seconde arrestation. 23, Le Parquet, auquel le Juge d’instruction avait soumis le recours pour avis, répondit le 31 octobre 1961: - que le Procureur qui avait assisté à l’audience du 15 juin 1960 ne connaissait pas, à l’époque, le dossier de la présente affaire, dont un de ses collègues s’était occupé jusqu’au printemps de 1960, et que les assertions du requérant se révélaient par conséquent inexactes sous ce rapport; - que l’inculpé avait commis ses premières infractions avant même d’avoir commencé à travailler dans sa société; - qu’il y avait lieu d’entreprendre des recherches détaillées sur les circonstances de l’achat de l’avion et de la vente de la société Stögmüller et Cie, ainsi que sur les dettes de l’inculpé et sur les dépenses exposées par celui-ci pour sa formation professionnelle. Le requérant fut en effet interrogé sur ces divers points par le Juge d’instruction le 28 décembre 1961. Le 10 novembre 1961, la Cour d’Appel (Oberlandesgericht) de Vienne repoussa le recours du 25 octobre. Elle ne crut pas nécessaire d’examiner si Stögmüller avait violé ou non son serment du 21 avril 1958: contrairement à la Chambre du Conseil, elle estima que pareille rupture ne constitue jamais un motif spécifique de mise en détention préventive; elle se référa, sur ce point, à un arrêt de la Cour Suprême du 22 août 1958. En conséquence, la Cour d’Appel s’attacha exclusivement à déterminer s’il y avait danger de fuite et danger de répétition des infractions. Quant au premier de ces dangers, elle trancha la question par la négative: elle releva que, pendant plus de trois ans et demi, le requérant avait toujours répondu aux convocations du magistrat instructeur, et était revenu de chacun de ses nombreux voyages bien qu’il possédât le brevet de pilote, disposât d’un avion et connût l’aggravation des charges pesant sur lui. La Cour confirma en revanche la décision du 19 octobre 1961 en ce qui concerne le danger de répétition des infractions. Elle nota en effet que d’après les plaintes fort circonstanciées (durchaus fundierte Anzeigen) de Josef et Maria Reichel, Karl Schumlitsch, Hans Bergmüller et Alois Holzknecht, l’inculpé avait commis entre mai 1959 et mars 1961, tantôt seul, tantôt de concert avec les nommés Knöpflmacher et Brommer, de nouveaux actes punissables à l’occasion de l’octroi de prêts, causant aux intéressés un préjudice de plus de 70.000 schillings. La Cour en conclut qu’il fallait craindre que Stögmüller ne se rendît coupable, s’il recouvrait sa liberté jusqu’à l’issue définitive de la procédure pénale en question ("bis zur rechtskräftigen Beendigung des vorliegenden Strafverfahrens"), de nouvelles infractions semblables à celles qu’il avait coutume d’accomplir depuis des années. Sans doute le requérant s’était-il officiellement retiré des affaires, mais le risque n’en était que plus grand aux yeux de la Cour: privé de ses moyens d’existence antérieurs, Stögmüller pouvait avoir la tentation de se livrer derechef à des manoeuvres frauduleuses pour conserver son niveau de vie habituel. Le 24 novembre 1961, Stögmüller, s’adressant au Président du Tribunal pénal régional de Vienne, exposa en détail sa carrière professionnelle et, en particulier, les préparatifs qu’il avait entrepris en vue de s’établir pilote professionnel. Il soulignait notamment qu’il disposait de moyens suffisants pour pouvoir terminer sa formation de pilote, car il aurait perçu 80.000 schillings comme prix de vente de sa société et pensait obtenir 160.000 schillings pour l’avion de son père qu’il avait l’intention de vendre. Tout en offrant de fournir une caution s’il recouvrait sa liberté, Stögmüller se déclarait prêt à s’engager par serment à ne plus exercer d’activités commerciales. Enfin, il se plaignait de n’avoir jamais eu l’occasion d’expliquer son cas au Juge Leonhard, et demandait au Président de l’autoriser à le faire devant un membre du bureau (Präsidium) du Tribunal. L’examen du dossier ne permet pas de déterminer si le Président du Tribunal a répondu à cette lettre. Le 6 décembre 1961, le requérant introduisit une deuxième demande de mise en liberté provisoire. Tout en concédant qu’il avait perdu son gagne-pain par la vente de sa société, il soulignait qu’il comptait passer l’examen de pilote professionnel et que son père acceptait de subvenir à ses besoins; il y voyait la preuve de l’absence de danger de répétition des infractions. Il ajoutait qu’on l’empêcherait d’embrasser la carrière de pilote si l’on prolongeait sa détention. Il offrait enfin de fournir une caution d’un montant compatible avec ses ressources et avec celles de sa famille. La demande s’accompagnait d’une lettre adressée à Me Tuma, le 27 novembre 1961, par le père du requérant, Johann Stögmüller. Ce dernier s’y montrait disposé, en cas de libération de son fils, à l’entretenir et à supporter les frais de sa formation professionnelle de pilote. Le 21 décembre 1961, Stögmüller compléta ladite demande en exposant en détail les perspectives professionnelles qui, d’après lui, s’offraient à un pilote en Autriche; il se référait notamment à un rapport du journal "Express" sur la nécessité, pour l’Autriche, de recruter des pilotes étrangers, faute de pilotes autrichiens. Le requérant renouvelait son offre de ne plus exercer d’activités commerciales et se déclarait prêt à présenter au Tribunal, dans un délai raisonnable, un contrat d’engagement comme pilote. Le Parquet, que le Juge d’instruction avait consulté, s’opposa le 29 décembre 1961 à la mise en liberté du requérant, soutenant que le danger de répétition des infractions subsistait en l’espèce. Il se référait, sur ce point, à la décision de la Cour d’Appel (paragraphe 24, supra) et à la découverte, en décembre 1961, d’autres manquements graves commis par Stögmüller depuis son élargissement. Il faisait remarquer en outre que l’intéressé était endetté et avait dû engager, pour percevoir le prix de vente de sa société, un procès civil qui demeurait pendant. Le Juge d’instruction rejeta la demande le 3 janvier 1962. Il releva en substance que la situation n’avait pas évolué dans un sens favorable au requérant depuis la décision du 10 novembre 1961; que le danger de répétition des infractions s’était, au contraire, accru entre-temps car on avait appris que Stögmüller avait causé à un certain Michael Schwanninger, en 1959, un dommage de plusieurs centaines de milliers de schillings; que l’inculpé avait des dettes et ne disposait pas de moyens propres. Le magistrat instructeur ne se prononça pas sur l’offre de caution. Le requérant attaqua cette décision le 8 janvier 1962. Tirant argument de la lettre susmentionnée de son père (paragraphe 26, supra), il alléguait que la situation avait bien évolué en sa faveur. Il ajoutait que selon la jurisprudence de la Cour Suprême, seuls des indices concrets permettent de conclure à la présence d’un danger de répétition des infractions. Or, de tels indices lui paraissaient faire défaut en l’espèce puisqu’il avait abandonné son activité d’agent financier et que l’affaire Schwanninger remontait à 1959. Consulté derechef, le Parquet exprima un avis négatif le 11 janvier 1962. Il estima en effet que l’existence d’un danger de répétition des infractions ressortait in concreto des nombreux actes punissables commis par Stögmüller depuis le 21 avril 1958. A ce sujet, il rappela en outre que l’inculpé avait négocié des prêts sur une grande échelle avant même d’avoir commencé à travailler dans sa société. Le Parquet suggéra enfin l’ouverture de recherches complémentaires portant sur la situation de fortune du requérant et de son père ainsi que sur les circonstances de la vente prétendue de ladite société. La Chambre du Conseil du Tribunal pénal régional de Vienne repoussa le recours le 25 janvier 1962. Se référant aux motifs retenus par la Cour d’Appel le 10 novembre 1961 et par le Juge d’instruction le 3 janvier 1962, elle ajouta qu’il y avait lieu de soupçonner fortement Stögmüller d’avoir continué ses agissements en 1960. Selon une plainte reçue par le Tribunal le 19 janvier 1962, en effet, le requérant avait persuadé les nommées Stefanie Holzdorfer et Margarete Lorin qu’elles réaliseraient une excellente affaire en achetant un avion; à l’issue de cette opération, Mme Holzdorfer avait perdu toute sa fortune, à savoir une maison d’une valeur de 400.000 schillings, tandis que le père de l’inculpé avait acquis la propriété de l’appareil. La Chambre du Conseil nota que l’avion étant revendiqué par les deux femmes, Johann Stögmüller ne pourrait éventuellement pas le vendre pour financer l’entretien et la formation professionnelle de son fils. Elle ne se prononça pas sur l’offre de caution du requérant. Dans l’affaire de l’avion, qui donnait lieu à des poursuites séparées (26 d Vr 592/62), l’ouverture d’une instruction préparatoire avait été décidée le 24 janvier 1962. Le 25 janvier ainsi que les 12 et 15 février 1962, Stögmüller recourut contre la décision du 25 janvier. Rappelant qu’il avait vendu sa société le 14 août 1961, il concluait à l’absence d’un danger de répétition des infractions. Il déclarait d’autre part disposer de 250.000 schillings environ, dont 170.000 provenaient de la vente de l’avion et 80.000 revêtaient la forme d’un titre exécutoire contre l’acheteur de la société; il en déduisait que son entretien et sa formation professionnelle étaient assurés. Il reprochait notamment au magistrat instructeur et à la Chambre du Conseil de ne pas avoir pris en considération la lettre susmentionnée de son père (paragraphe 26, supra). Après avoir décrit en détail la manière dont il se préparait à l’examen de pilote (paragraphe 9, supra), il soulignait qu’il avait presque achevé sa formation professionnelle et qu’il n’aurait aucune peine, en raison de la pénurie de pilotes de métier en Autriche, à trouver rapidement un emploi dans cette branche. Il en déduisait qu’il n’y avait pas de danger de répétition des infractions. Afin d’offrir à cet égard des garanties supplémentaires, il se déclarait prêt à s’engager, si on le libérait, à ne plus exercer d’activités commerciales, à rendre compte périodiquement au Tribunal de ses occupations et à lui présenter son contrat de travail. La Cour d’Appel de Vienne rejeta le recours le 14 mars 1962. Elle estima que ni le changement de profession envisagé par le requérant, ni le temps que celui-ci voulait consacrer à sa formation le pilote, n’étaient de nature à écarter le danger de répétition des infractions. Elle souligna en outre que quatre jours après la décision litigieuse, un avocat de Lienz, Me Oberhofer, avait porté plainte contre Stögmüller auprès du Tribunal, l’accusant d’avoir frauduleusement causé à ses mandants, Alois et Martha Weiskopf de Virgen, un préjudice de 43.000 schillings à l’occasion de l’octroi d’un prêt. Le 16 avril 1962, le requérant exerça un recours hiérarchique (Aufsichtsbeschwerde) concernant la conduite de la procédure par le Juge d’instruction; il le compléta le 27 avril 1962. Le 9 mai 1962, il déposa un second recours par lequel il se plaignait de ce que les autorités compétentes n’avaient pas encore donné suite au premier. Le 31 octobre 1962, soit un peu moins de trois mois après l’introduction de sa requête devant la Commission (1er août 1962), Stögmüller saisit le Président du Tribunal pénal régional de Vienne d’un nouveau recours hiérarchique. Il y reprochait au Juge Leonhard de faire traîner l’instruction, de ne pas l’avoir entendu pendant les dix-sept mois de sa détention sauf sur trois chefs d’inculpation, de le traiter plus mal que certains codétenus, de ne pas inquiéter des tiers impliqués eux aussi dans l’affaire, d’avoir pris contre lui des mesures de représailles et d’avoir été suborné, dans une autre procédure pénale, par des complices du requérant. Son recours au Président du Tribunal, n’ayant pas abouti - non plus d’ailleurs que ses autres recours hiérarchiques - Stögmüller s’adressa le 16 novembre 1962 à la Cour d’Appel qui rejeta ses griefs le 23 janvier 1963 après un examen approfondi. Entre-temps, et plus précisément le 7 novembre 1962, le requérant avait demandé, outre la jonction des procédures 26 d Vr 1105/59 et 26 d Vr 592/62 (paragraphes 6 et 31, supra), la récusation de tous les juges du ressort de la Cour d’Appel de Vienne et le transfert de l’affaire au Tribunal régional de Salzbourg. Il taxait en effet lesdits juges de partialité. A ce sujet, il alléguait qu’un conseiller à la Cour d’Appel était impliqué (verwickelt) dans l’affaire 26 d Vr 1105/59 et qu’un coïnculpé était le fils d’un magistrat. Il soulignait aussi que les poursuites avaient déjà duré près de cinq ans et qu’il se trouvait détenu depuis dix-sept mois sans avoir été entendu par le Juge d’instruction, sauf sur trois points d’importance secondaire. La Cour suprême repoussa la demande de transfert puis, le 6 février 1963, la demande de récusation pour autant que celle-ci visait les magistrats de la Cour d’Appel de Vienne. Quant à la demande de récusation des autres juges du ressort de la Cour d’Appel, celle-ci la rejeta le 27 février 1963. Les 15 janvier et 4 mars 1963, ces diverses décisions furent communiquées au Juge d’instruction qui, conformément aux lois en vigueur, avait suspendu l’instruction en attendant de connaître le résultat de la demande de récusation. Le 5 décembre 1962, Stögmüller avait formé un recours constitutionnel. Soulignant que la procédure engagée contre lui avait déjà duré cinq ans et qu’il était en détention préventive depuis dix-huit mois sans avoir été entendu par le Juge d’instruction sauf sur trois des cinquante-six transactions litigieuses, il se prétendait victime d’une violation des articles 5, paragraphes 1 (c) et 3, et 6, paragraphe 1 (art. 5-1-c, art. 5-3, art. 6-1), de la Convention. Il se plaignait en outre d’avoir été empêché par le Tribunal pénal régional de Vienne de voter lors des élections législatives. Le 27 mars 1963, la Cour Constitutionnelle (Verfassungsgerichtshof) se déclara incompétente pour la raison que le recours se dirigeait contre des organes judiciaires agissant dans le cadre normal de leurs attributions. Le 4 juin 1963, le Juge d’instruction prononça la jonction des procédures 26 d Vr 1105/59 et 26 d Vr 592/62 (paragraphe 35, supra). Après avoir consulté le Parquet par l’intermédiaire de Me Tuma, le requérant introduisit, le 9 août 1963, une troisième demande de mise en liberté provisoire. Il avançait que les longs mois - plus de vingt-cinq au total - passés par lui en détention préventive avaient entraîné la rupture de ses relations d’affaires, ce qui rendait beaucoup plus vraisemblable son désir de renoncer à son ancien métier. Il ajoutait qu’il risquait de perdre son brevet de pilote si on ne l’élargissait pas rapidement et qu’il avait purgé par avance une grande partie de sa peine éventuelle. D’après lui, la carrière qu’il comptait embrasser ne lui donnerait pas l’occasion de commettre des infractions du genre de celles dont il avait à répondre. Stögmüller concédait cependant que l’exercice de la profession de pilote pouvait faire croire à l’existence d’un certain danger de fuite. Sur ce point, il affirmait n’avoir nullement l’intention de se soustraire aux poursuites intentées contre lui, solution qui n’aurait d’ailleurs aucun sens dans son cas pour une série de raisons. Soucieux de prouver sa bonne volonté, il offrait néanmoins une garantie de 280.370 schillings, y compris la caution personnelle de quatre parents et alliés à concurrence de 32.000 schillings chacun. Consulté par le Juge d’instruction, le Parquet consentit, le 19 août 1963, à la mise en liberté provisoire du requérant. Il déclara se rallier à la thèse de Stögmüller, d’après laquelle il y avait non plus danger de répétition des infractions mais danger de fuite. A cet égard, il souligna que l’instruction avait révélé des charges importantes et qu’il fallait donc s’attendre à une lourde peine; il rappela aussi que l’inculpé envisageait d’exercer la profession de pilote. Il en conclut que seul était acceptable un élargissement assorti de la garantie susmentionnée. Le 30 septembre 1965, Me Tuma a soutenu devant la sous-commission que ladite garantie n’avait été offerte que pour la forme, avec l’accord du Parquet: il s’agissait uniquement de permettre au Tribunal de libérer le requérant dont la famille était en réalité sans ressources. Quoi qu’il en soit, le Juge d’instruction décida le 21 août 1963 de mettre le requérant en liberté provisoire. Il releva qu’eu égard à la rupture des relations d’affaires du requérant depuis plus de deux ans, le danger de répétition des infractions avait manifestement disparu, mais qu’il existait désormais un danger de fuite; il ajouta cependant que ce dernier pouvait être écarté par la prestation du serment et le dépôt d’une garantie. Le lendemain, la Chambre du Conseil du Tribunal pénal régional de Vienne fixa le taux de la garantie à 280.370 schillings. Stögmüller recouvra sa liberté le 26 août 1963 après avoir prêté le serment prévu à l’article 191 du Code de procédure pénale. Sa seconde détention avait donc duré, sans interruption, deux ans et un jour. Selon le procès-verbal rédigé à cette occasion, le requérant déclara: "Je prends connaissance de ce que j’ai été mis en liberté sur parole, en vertu de l’article 191 du Code de procédure pénale. J’ai été informé des conséquences de la rupture du serment; je résiderai à Vienne 13, Auhofstrasse 255. Si je quitte ce lieu de séjour pour plus de sept jours - ce qui se peut puisque je me propose de travailler comme pilote - j’en aviserai au préalable le Tribunal." Le 27 août 1963, la Cour d’Appel accusa réception de la garantie exigée. Déposant le 20 juillet 1966 devant la Sous-commission en qualité de témoin, le Juge d’instruction Leonhard a déclaré à ce sujet: "Lorsque Stögmüller eut décidé d’abandonner la profession de prêteur pour celle d’aviateur, le danger de nouvelles infractions disparut. S’il renonce à être prêteur d’argent, il ne peut plus commettre d’infractions du genre de celles qui lui sont reprochées. En revanche, son désir de devenir pilote crée à nouveau un danger de fuite. En effet, un pilote passe souvent plus de temps à l’étranger que dans son pays ... Le changement de profession a fait disparaître le danger de répétition des infractions et le dépôt d’une caution a écarté le danger de fuite ..." En juillet 1966, le Juge Leonhard a prononcé la clôture de l’instruction préparatoire et communiqué au Parquet le dossier qui comprenait beaucoup plus de vingt mille pages (articles 111 et 112 du Code de procédure pénale). Devant la Commission, les Parties se sont accordées à reconnaître la grande complexité des faits que les organes chargés de l’instruction devaient examiner en l’espèce. La difficulté résidait, pour l’essentiel, dans le volume des tractations litigieuses. A l’origine, l’instruction portait sur quatre-vingts transactions commerciales du requérant, dont soixante-dix concernaient des prêts consentis, presque tous, à des agriculteurs menacés de saisis. A la fin, seules quarante-cinq transactions restaient en cause. L’instruction visait une série de crimes d’escroquerie (articles 197, 199 alinéa (d), 200, 201 alinéa (d) et 203 du Code pénal), de gestion infidèle (articles 183 et 184 du Code pénal), d’abus de confiance (article 205 (c) du Code pénal) et d’usure (articles 2, paragraphe 3, et 3, paragraphe 4, du Wuchergesetz), ainsi que de certains délits et contraventions. Les infractions reprochées à Stögmüller avaient causé à leurs victimes un dommage largement supérieur à un million de schillings. Les activités considérées avaient eu lieu sur tout le territoire autrichien, mais plus particulièrement dans les environs de Wels en Haute-Autriche. Wels n’étant pas situé dans le ressort de la Cour d’Appel de Vienne, le Juge d’instruction ne pouvait mener à bien en personne chacune des recherches nécessaires; pour une centaine de faits et de moyens de preuve, il fallut donc délivrer des commissions rogatoires. En vue de simplifier la procédure, M. Leonhard séjourna cependant quelques semaines en Haute-Autriche en novembre et décembre 1961; avec l’accord des autorités compétentes, il y consulta les registres du cadastre et interrogea lui-même cinq témoins à Wels, onze à Ried im Innkreis et sept à Braunau. Au total, cent soixante dix neuf témoins - dont soixante-sept pendant la seconde détention préventive de Stögmüller (25 août 1961 - 26 août 1963) - et dix inculpés furent entendus au cours de l’instruction. Selon des renseignements fournis à la Commission par le Gouvernement le 14 juin 1966, le nombre des jours marqués par une audition du requérant entre le 5 mars 1958 et le 18 mars 1965 s’élève à deux cents ou deux cent trente environ. Toutefois, seuls soixante-dix-huit interrogatoires ont été consignés par écrit, à savoir quatre entre le 5 mars et le 21 avril 1958, quatre en 1961 (dont trois après la deuxième arrestation de Stögmüller), six en 1962, six en 1963 (jusqu’au 26 août, date de son élargissement), cinquante et un en 1964 et sept en 1965. Les procès-verbaux couvrent un millier de pages. Ainsi qu’il ressort du relevé présenté par le Gouvernement à la Commission, aucun interrogatoire du requérant n’a été acté du 28 décembre 1961 au 11 juillet 1962, ni du 23 juillet 1962 au 29 mai 1963, ni du 26 août 1963 au 27 janvier 1964. Selon les procès-verbaux des interrogatoires, que le Gouvernement a soumis à la Cour le 24 septembre 1968, Stögmüller a été entendu entre le 5 mars 1958 et le 26 août 1963, date de son deuxième élargissement, sur six seulement des nombreuses imputations dont il avait à répondre. Les procès-verbaux établis pendant cette période totalisent cent sept pages. La Présidente de la sous-commission lui ayant demandé, le 20 juillet 1966, pourquoi le requérant n’avait pas été interrogé plus souvent au cours de sa seconde détention préventive, le Juge Leonhard a déclaré notamment ce qui suit: "(...) Je voudrais dire que Stögmüller est l’homme, le plus intelligent que j’aie rencontré depuis trente ans. (...) Au début, je me suis rendu auprès de Stögmüller à la prison (...) et j’ai passé les faits en revue avec lui. Après deux ou trois jours, j’ai dû constater que je n’avançais pas d’un pouce de cette manière en raison de l’intelligence de Stögmüller. D’ordinaire, un Juge entend certainement l’inculpé (...), puis les témoins (...). En l’espèce, ce n’était pas possible. J’ai interrogé Stögmüller (...). Il a insisté pour que seuls ses propres termes fussent consignés au procès-verbal. Il a refusé tout procès-verbal sommaire. Il m’a fallu recueillir toutes les allégations de Stögmüller, sans pouvoir lui adresser la moindre remarque sur l’exactitude de telles d’entre elles, car je ne disposais pas de moyens de preuves correspondants (...). J’ai vu alors que les choses ne progressaient pas de la sorte. En définitive, voilà pourquoi j’ai interrompu les interrogatoires de Stögmüller. Je voulais commencer par rassembler les preuves (...)." Pendant sa seconde détention, Stögmüller forma cinquant-neuf demandes et recours, dont vingt-sept ou vingt-huit recours hiérarchiques dirigés contre le Juge d’instruction et qui furent tous déclarés mal fondés. Devant la Sous-commission, ce dernier a exprimé l’opinion qu’il s’agissait là de manoeuvres délibérées tendant à contrecarrer ses efforts. Il a mentionné, en ce sens, une lettre que le requérant avait adressée à son avocat le 5 février 1963. Stögmüller y suggérait à Me Tuma de se servir des bons offices d’un confrère, Me Lang, pour négocier un accord avec le Juge d’instruction: tout en se réservant le droit de continuer à réclamer sa mise en liberté, il se déclarait prêt, moyennant l’octroi de certaines concessions, à ne plus présenter d’autres demandes et recours malgré la légitimité de ses griefs; en attendant, ajoutait-il, il s’en tiendrait à la tactique qu’il avait arrêtée de concert avec son défenseur. Le Gouvernement avait produit cette pièce le 20 juillet 1966 avec l’autorisation de la Sous-commission. Dans son rapport du 9 février 1967, la Commission plénière a noté que le Juge Leonhard, qui contrôlait la correspondance du requérant, avait lu ladite lettre et en avait fait établir une photocopie avant de la transmettre à Me Tuma; dans ces conditions, elle n’a pas cru pouvoir la prendre en considération. Il appert en outre que Stögmüller retira le 3 juillet 1962, afin d’accélérer la marche de la procédure et à la suite d’un échange de vues entre son avocat et le Juge d’instruction, un recours qu’il avait exercé le 25 juin 1962 contre une décision ordonnant de joindre au dossier une lettre écrite par lui à ses parents. En 1966/1967, le brevet de pilote du requérant et sa licence restreinte de radiotéléphonie ont été révoqués par les autorités compétentes à la suite de la condamnation susmentionnée du 5 mars 1964 (paragraphe 4, supra). Le 1er août 1967, soit un peu moins de six mois après l’adoption du rapport de la Commission (9 février 1967), le Parquet de Vienne acheva d’établir l’acte d’accusation (Anklageschrift, article 207 du Code de procédure pénale). Long de cent quarante pages, ce document visait trois personnes, et en premier lieu Ernst Stögmüller; un quatrième inculpé était décédé entre temps. Pour sa part, Stögmüller était accusé: - d’usure qualifiée (articles 2, paragraphes 1 et 3, et 3, paragraphe 4, de la loi sur l’usure) dans dix-neuf cas; - de délit d’usure (article 4, paragraphe 1, de la loi sur l’usure) dans deux cas; - d’escroquerie qualifiée ou de complicité d’escroquerie qualifiée (articles 197, 199 lit. d), 200, 201 lit. d), 203 et 5 du Code pénal) dans dix-neuf cas; - de crime de gestion infidèle (articles 183 et 184 du Code pénal) dans sept cas; - d’une contravention à l’article 8 du Code pénal et à l’article 5, avant-dernier alinéa, de la loi sur le vagabondage. Le montant du préjudice dont Stögmüller avait à répondre dépassait un million de schillings. Selon l’acte d’accusation, trente-deux des quarante-huit actes ainsi incriminés remontaient à une période antérieure au premier élargissement du requérant (21 avril 1958). Quant aux seize autres, ils avaient eu lieu en 1959, 1960 et 1961; ils ne concernaient toutefois que six groupes de personnes sur un total de 27. Il appert en effet que les poursuites relatives à certains actes ont été disjointes puis abandonnées (articles 57, 109 et 34, paragraphe 2, du Code de procédure pénale). Tel a été le cas notamment des poursuites relatives à l’affaire Weiskopf (paragraphe 33, supra). Le Parquet demandait notamment l’ouverture de la procédure de jugement devant le Tribunal pénal régional de Vienne, constitué en Tribunal d’échevins, la citation des accusés, la convocation de soixante témoins ainsi que la lecture des dépositions de trente-sept autres, la lecture des avis de deux experts et celle d’une série d’autres pièces. Le procès s’est ouvert le 17 avril 1968. Le Tribunal pénal régional de Vienne a entendu dix-huit témoins et donné lecture des dépositions de soixante-dix-huit autres ainsi que des avis de deux experts. Le 9 mai 1968, le Tribunal a infligé à Stögmüller une peine de quatre ans et demi de réclusion rigoureuse, aggravée d’une nuit de "couche dure" (hartes Lager) et d’un jour de jeûne par an, pour usure qualifiée dans dix-neuf cas, usure dans un cas, escroquerie qualifiée dans dix-neuf cas et gestion infidèle qualifiée dans sept cas. En application de l’article 265 du Code de procédure pénale, il a tenu compte de la sentence rendue contre le requérant en 1963-1964 (paragraphe 4, supra). En outre, il a condamné Stögmüller à payer à cinq de ses victimes un montant supérieur, au total, à 315.000 schillings de dommages-intérêts, les droits des parties civiles étant expressément réservés pour le reste. Le requérant a été acquitté quant au surplus. En vertu de l’article 55 (a) du Code pénal, il a bénéficié de l’imputation de la durée de ses détentions provisoires et préventives sur celle de sa peine. En fixant le taux de celle-ci, le Tribunal a estimé qu’il existait en l’espèce, malgré certaines circonstances aggravantes - l’ampleur du préjudice causé et le nombre des manquements constatés - un concours de circonstances atténuantes "très importantes et prédominantes" (article 265 (a) du Code de procédure pénale). A cet égard, il a relevé d’abord qu’un long laps de temps s’était écoulé entre la perpétration des infractions et le prononcé du jugement; il a reconnu, notamment, que Stögmüller n’était qu’en partie responsable du fait que dix ans avaient passé depuis l’ouverture de l’instruction. Le Tribunal a souligné aussi que le requérant, âgé de vingt-deux ans seulement au début de son activité criminelle, n’avait plus commis d’infractions depuis la fin de 1960 et qu’il avait au contraire, après son élargissement, choisi une profession "normale" (bürgerlich), observé une conduite irréprochable, fondé une famille et réussi à se réintégrer dans la société. Stögmüller n’a ni interjeté appel (Berufung), ni formé un pourvoi en cassation (Nichtigkeitsbeschwerde). Quelque temps après son élargissement, il s’était fixé au Royaume-Uni, il y exerçait la profession d’instructeur-pilote et y avait obtenu le brevet nécessaire. Cependant, il a récemment regagné son pays où il a commencé à purger ses peines le 4 septembre 1968. Dans sa requête introductive d’instance du 1er août 1962 (no 1602/62), Stögmüller affirmait: - qu’on l’avait arrêté et détenu sans "raisons plausibles" de le soupçonner d’avoir commis des infractions et sans "motifs raisonnables" de croire à la nécessité de l’empêcher d’en commettre (article 5, paragraphe 1 (c), de la Convention) (art. 5-1-c); - qu’on ne l’avait ni jugé "dans un délai raisonnable", ni libéré pendant la procédure (article 5, paragraphe 3) (art. 5-3); - que sa cause n’avait pas été entendue par un tribunal "équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable" (article 6, paragraphe 1) (art. 6-1); - que la manière dont l’instruction était conduite ne respectait pas la présomption d’innocence (article 6, paragraphe 2) (art. 6-2); - qu’on ne l’avait pas informé, dans le plus court délai et en détail, de la nature et de la cause de l’accusation portée contre lui (article 6, paragraphe 3 (a)) (art. 6-3-a); - qu’on ne lui avait pas permis d’interroger ou de faire interroger les témoins à charge (article 6, paragraphe 3 (d)) (art. 6-3-d). Le requérant demandait: - sa mise en liberté, subordonnée le cas échéant à la seule condition de ne plus exercer d’autre profession que celle de pilote; - la possibilité d’interroger les témoins à charge. Le 14 septembre 1963, l’intéressé a prétendu en outre que le Juge d’instruction avait adopté envers lui une attitude partiale (article 6, paragraphe 1, de la Convention) (art. 6-1). Le 7 juillet 1964, la Commission a déclaré irrecevables, pour défaut manifeste de fondement, ce dernier grief et celui qui s’appuyait sur l’article 5, paragraphe 1 (c) (art. 5-1-c); elle a sursis à statuer sur la recevabilité du restant de la requête. Lors d’une audience contradictoire qui s’est déroulée devant la Commission le 1er octobre 1964, Me Tuma a déclaré ne maintenir que le moyen tiré de la violation alléguée de l’article 5, paragraphe 3 (art. 5-3). Le même jour, la Commission a jugé la requête recevable sous l’angle de cette disposition; elle a décidé de ne pas poursuivre d’office l’examen des griefs abandonnés par l’avocat du requérant (article 6, paragraphes 1 et 3) (art. 6-1, art. 6-3). Le 14 décembre 1966, elle a estimé ne pas devoir reprendre d’office l’étude de l’un d’entre eux, relatif à la longueur de la procédure pénale engagée contre Stögmüller (article 6, paragraphe 1, "délai raisonnable") (art. 6-1). La Commission n’a cependant pas exclu la possibilité de considérer la période de plus de deux ans qui s’était écoulée depuis sa décision du 1er octobre 1964 comme un élément de nature à justifier l’introduction éventuelle d’une nouvelle requête. À la suite de la décision déclarant recevable une partie de la requête, une Sous-commission a établi les faits de la cause et recherché en vain un règlement amiable (articles 28 et 29 de la Convention) (art. 28, art. 29). Devant la Commission et la Sous-commission, le requérant a précisé la manière dont il concevait le problème qui se pose en l’occurrence sur le terrain de l’article 5, paragraphe 3 (art. 5-3). A ses yeux, il ne suffit pas de constater qu’il a recouvré sa liberté le 26 août 1963: il s’agit de déterminer si on la lui a rendue à temps ou au terme d’un délai excessif. Or, la durée totale de ses deux détentions préventives - deux ans et sept semaines - ne saurait, d’après lui, passer pour "raisonnable" au sens de la Convention. Inculpé d’infractions pour lesquelles les lois autrichiennes prévoient un minimum de six mois d’emprisonnement et un maximum de dix ans de réclusion criminelle, Stögmüller a déclaré s’attendre, en cas de condamnation, à une peine de deux ou trois ans. Il en a déduit que sa détention avait constitué une peine anticipée. A l’en croire, la marche de l’instruction a subi des retards anormaux qu’il attribue à deux causes: le Juge Leonhard avait à s’occuper d’une autre affaire très complexe (Rafael, Neumeister et consorts); de plus, ce même magistrat aurait commencé par convoquer un grand nombre de témoins, au lieu d’entendre d’abord le requérant conformément à la pratique habituelle. Stögmüller a relevé en outre qu’on ne l’avait interrogé, pendant sa seconde détention, qu’à treize reprises et sur cinq seulement des quelque quatre-vingts transactions litigieuses. Sa détention aurait servi en réalité de moyen de pression: en la prolongeant, on aurait essayé de le pousser aux aveux. Le Juge d’instruction aurait eu à ce sujet, en 1961, une conversation édifiante avec Mme Tuma. Le requérant a concédé que ses demandes de récusation avaient eu pour effet de suspendre l’instruction (cf. le paragraphe 35, supra). Il a souligné, cependant, qu’il ne les avait présentées qu’après environ un an de détention préventive, et les a expliquées par l’exaspération créée en lui par la lenteur de la procédure; selon lui, les juridictions compétentes auraient d’ailleurs pu se prononcer sur lesdites demandes dans le délai d’un mois. Se référant aussi à l’article 5, paragraphe 1 (c) (art. 5-1-c), de la Convention, le requérant a prétendu que sa détention avait cessé d’être "régulière" (lawful) le 10 novembre 1961, date à laquelle la Cour d’Appel de Vienne a reconnu l’absence de danger de fuite (cf. le paragraphe 24, supra). Quant au danger de répétition des infractions, Stögmüller en a contesté l’existence: le 14 août 1961, soit onze jours avant sa deuxième arrestation, il aurait vendu son cabinet d’affaires et abandonné toute activité commerciale de nature à justifier éventuellement la crainte d’un tel danger. Le requérant a fait valoir enfin que les raisons qui ont amené les autorités à l’élargir en 1963 coïncidaient exactement avec des arguments développés par lui deux ans plus tôt dans ses propres demandes et recours. Il en a conclu qu’il aurait fallu le libérer dès 1961. Après l’échec de la tentative de règlement amiable à laquelle la Sous-commission avait procédé, la Commission a rédigé le rapport prévu à l’article 31 (art. 31) de la Convention. Adopté le 9 février 1967, ce document a été transmis au Comité des Ministres du Conseil de l’Europe le 11 mai 1967. La Commission y exprime, par huit voix contre trois, l’avis qu’il y a eu en l’espèce violation de l’article 5, paragraphe 3 (art. 5-3). Le rapport contient deux opinions individuelles concordantes et trois opinions individuelles dissidentes. Arguments de la Commission et du Gouvernement Dans son rapport du 9 février 1967, la Commission a suivi la méthode, dite des sept "critères" ou "éléments", qu’elle avait adoptée pour se prononcer sur les affaires Wemhoff et Neumeister (voir par exemple publications de la Cour, Série A, affaire Neumeister, arrêt du 27 juin 1968, pages 23-24). Après voir appliqué chacun de ces critères au cas d’espèce, elle les a appréciés dans leur ensemble. Les éléments dont l’examen incitait, d’après elle, à conclure au caractère "déraisonnable" de la durée de la détention préventive litigieuse, à savoir les éléments no 1, 2 et 6, lui ont paru l’emporter sur ceux qui, à ses yeux, tendaient vers une conclusion différente. Elle a exprimé, par huit voix contre trois, l’avis qu’il y avait eu, en conséquence, violation de l’article 5, paragraphe 3 (art. 5-3), de la Convention. Lors des audiences des 10 et 11 février 1969, les Délégués de la Commission ont basé leurs déclarations, pour l’essentiel, sur les arrêts rendus entre temps par la Cour dans les affaires Wemhoff et Neumeister tout en se référant fréquemment au rapport de la Commission et en particulier à l’avis de la majorité. Citant le paragraphe 10 de la partie "En Droit" du premier de ces arrêts, les Délégués ont relevé qu’aux yeux de la Cour comme à ceux de la Commission, la notion de "délai raisonnable" doit s’interpréter à la lumière des données concrètes de chaque affaire. Selon la Commission, il est dans la nature des choses que les mêmes éléments ne jouent pas nécessairement un rôle chaque fois que l’article 5, paragraphe 3 (art. 5-3), est en cause. L’expérience des affaires Wemhoff, Neumeister, Stögmüller et Matznetter montrerait cependant que certains éléments retiennent d’ordinaire, en pareil cas, l’attention de la Commission et de la Cour. Dans cet ordre d’idées, les Délégués de la Commission, se référant notamment au paragraphe 5 de la partie "En Droit" de l’arrêt Neumeister, ont résumé les arguments que le requérant avait avancés à l’appui de ses trois demandes de mise en liberté provisoire et les raisons pour lesquelles les juridictions autrichiennes compétentes avaient repoussé les deux premières et accueilli la troisième. Ils ont rappelé que la Commission avait examiné ces faits pour rechercher si la procédure relative aux demandes de mise en liberté provisoire du requérant avait été indûment prolongée par la faute des autorités compétentes et qu’elle n’avait constaté aucune faute de ce genre. D’autres éléments entreraient eux aussi en ligne de compte. A cet égard, les Délégués ont mentionné d’abord la conduite du requérant pendant l’instruction, et notamment ses cinquante-neuf recours, demandes et autres requêtes dont trente-quatre n’ont pu être pris en considération dans le rapport du 9 février 1967, le Gouvernement ne les ayant signalés que dans son mémoire du 4 décembre 1967. Les Délégués ont relevé qu’aux yeux de la Commission, Stögmüller "a dépassé les limites raisonnables de son droit de recours" en demandant la récusation de tous les juges du ressort de la Cour d’Appel de Vienne, de sorte que "l’examen de cet élément incite à conclure que la prolongation de la détention" entraînée par cette demande "n’a pas été excessive" (paragraphe 69.4 du rapport). Les Délégués ont cependant produit une lettre, datée du 23 décembre 1967 et adressée à la Commission, dans laquelle l’intéressé explique pourquoi il avait présenté ladite demande. De leur côté, la complexité et les difficultés de l’instruction plaideraient en faveur du caractère raisonnable de la durée de la détention litigieuse. La Cour aurait d’ailleurs retenu un élément semblable dans son arrêt Wemhoff du 27 juin 1968 (paragraphe 17 de la partie "En Droit"). Certains éléments joueraient au contraire dans le sens opposé, à savoir la durée de la détention du requérant - tant en elle-même que par rapport, notamment, à la peine prévue en cas de condamnation – et la façon dont l’instruction a été menée. Au paragraphe 16 des motifs de son arrêt Wemhoff, la Cour aurait laissé entendre que la durée effective d’une détention peut, à l’occasion, devenir déterminante pour l’appréciation de son caractère raisonnable. Quant à la manière dont l’instruction a été conduite, la Cour en aurait tenu compte dans son arrêt Neumeister (paragraphe 21 des motifs); sans doute se plaçait-elle sur le terrain de l’article 6, paragraphe 1 (art. 6-1), de la Convention mais l’aspect dont il s’agit offrirait a fortiori de l’intérêt sous l’angle de l’article 5, paragraphe 3 (art. 5-3). Or, en l’espèce, le Juge Leonhard a dû instruire simultanément plusieurs affaires très difficiles et fort complexes, dont l’affaire Rafael, Neumeister et consorts; les mesures prises pour le dispenser de s’occuper d’affaires nouvelles, mesures que le Gouvernement a signalées pour la première fois lors des débats oraux, ne concernaient nullement les affaires déjà pendantes. Les Délégués ont ensuite répondu aux critiques du Gouvernement concernant la méthode que la Commission avait adoptée pour établir les faits et pour les exposer dans son rapport. D’après la Commission, la durée de détention dont il y a lieu de vérifier la conformité avec l’article 5, paragraphe 3 (art. 5-3), s’étend du 25 août 1961 au 26 août 1963. La détention subie par le requérant du 3 mars au 21 avril 1958 n’entrerait pas en ligne de compte, car elle s’est déroulée avant l’entrée en vigueur de la Convention à l’égard de l’Autriche (3 septembre 1958). Le Gouvernement ayant objecté que la présente affaire avait uniquement trait à la détention antérieure au dépôt de la requête (25 août 1961 - 1er août 1962, voir plus loin, paragraphe 11), les Délégués ont commencé par se référer au paragraphe 7 des motifs de l’arrêt Neumeister où la Cour a écarté une objection analogue. Ils ont précisé que la Commission s’est appuyée sur cette opinion de la Cour dans sa décision récente sur la recevabilité de la requête no 2614/65, Ringeisen contre République d’Autriche (Recueil de Décisions de la Commission, no 27, page 51). A la demande de la Cour, les Délégués ont répondu ensuite aux arguments que le Gouvernement a tirés de l’article 26 (art. 26) de la Convention. Ils ont d’abord rappelé que la détention du requérant a pris fin le 26 août 1963, donc avant la décision de la Commission sur la recevabilité (1er octobre 1964). Selon eux, il faut aussi noter que ladite décision a été rendue après une audience contradictoire du même jour au cours de laquelle les parties avaient discuté de la recevabilité du grief en question qui visait toute la durée de la détention. Or, ce grief n’avait fait l’objet, de la part du Gouvernement, d’aucune objection fondée sur les articles 26 et 27, paragraphe 3 (art. 26, art. 27-3), de la Convention, et la Commission n’avait pas estimé devoir le rejeter en vertu de ces dispositions, pour non-épuisement des voies de recours internes. Avant la décision susmentionnée du 1er octobre 1964, le requérant est passé deux fois par chacune des autorités auxquelles une personne mise en détention préventive en Autriche peut demander son élargissement en vertu des articles 113 et suivants du Code de procédure pénale; il avait ainsi épuisé les voies de recours internes. D’autre part, le droit autrichien ne limite pas le nombre et la fréquence des demandes de ce genre. Si donc on adoptait la thèse du Gouvernement, on pourrait, selon les Délégués, arriver à conclure qu’une personne placée en détention préventive doit déposer continuellement de telles demandes afin d’épuiser les voies de recours internes pour toute la durée de sa détention; or, le dépôt d’un si grande nombre de demandes risquerait de passer non seulement pour une entrave au déroulement normal de la procédure pénale, mais même pour un abus du droit de recours. En outre, quiconque allègue la violation de l’article 5, paragraphe 3 (art. 5-3), à propos de la durée de sa détention préventive, se plaint d’une situation continue devant être considérée comme un tout et non pas être compartimentée de la façon proposée par le Gouvernement. L’adoption de la thèse de ce dernier entraînerait du reste, de l’avis des Délégués, une grave atteinte à l’article 5, paragraphe 3 (art. 5-3); elle inciterait les détenus à ne pas saisir la Commission avant d’avoir subi une longue détention préventive. Les Délégués ont souligné aussi qu’elle pourrait conduire à des résultats moins favorables pour l’État défendeur dans l’hypothèse où le détenu a recouvré sa liberté grâce à une demande d’élargissement postérieure au dépôt de sa requête. Les Délégués ont conclu qu’une fois la requête déclarée recevable, et l’article 26 (art. 26) de la Convention ayant été respecté au stade de l’examen de la recevabilité, la Commission et la Cour ont compétence pour juger du caractère raisonnable de la durée de la détention litigieuse, sans que cette compétence se heurte à une limite quelconque dans le temps. Les Délégués ont répondu enfin aux arguments que le Gouvernement a tirés du fait que le requérant avait été condamné le 28 mai 1963 par le Tribunal pénal régional de Vienne à l’issue d’une première procédure pénale engagée contre lui (dossier 2 b Vr 5328/59; voir plus loin, paragraphe 10). D’après eux, l’instance qui s’est déroulée devant la Commission concernait exclusivement la deuxième procédure (dossier 26 d Vr 1105/59); le rapport du 9 février 1967 le montrerait clairement. Il serait en outre évident que les décisions prises par les tribunaux autrichiens, entre 1961 et 1963, quant à la détention du requérant, avaient trait à ces mêmes poursuites. Les Délégués ont relevé d’autre part que dans le cadre des premières poursuites, le premier jugement du Tribunal pénal régional de Vienne fut rendu en juin 1960, soit plus d’un an avant l’arrestation et la mise en détention du requérant au titre de la deuxième procédure. Il en résulterait que la première procédure n’entre pas en ligne de compte pour la solution du problème dont la Cour se trouve saisie en l’espèce. À l’audience du 10 février 1969, la Commission a prié la Cour: "de décider si l’article 5, paragraphe 3 (art. 5-3), de la Convention a été violé ou non du fait de la détention d’Ernst Stögmüller depuis le 25 août 1961 jusqu’au 26 août 1963." Dans sa requête du 12 juin 1967, le Gouvernement avait exprimé l’opinion que le rapport de la Commission se fondait sur un raisonnement juridique erroné, un établissement incorrect des faits de la cause et une appréciation inexacte des éléments de preuve. Le mémoire du 6 décembre 1967 a développé cette thèse en détail. Le Gouvernement y a invoqué des arguments assez voisins de ceux qu’il avait avancés dans l’affaire Neumeister (voir les pages 29 à 34, paragraphes 18 à 27, de l’arrêt du 27 juin 1968). Il a notamment élevé des objections de principe contre la méthode des critères, contre son application à l’analyse des faits et contre le critère no 1; il a aussi contesté la manière dont la Commission avait utilisé en l’espèce les critères no 2, 4 et 6. Lors des audiences des 10 et 11 février 1969, les représentants du Gouvernement ont basé une partie de leurs plaidoiries sur les arrêts rendus entre-temps par la Cour dans les affaires Wemhoff et Neumeister. D’après eux, les motifs qui ont entraîné le rejet des deux premières demandes de mise en liberté provisoire du requérant étaient concluants et convaincants: si l’absence de danger de fuite a été reconnue par la Cour d’Appel dès le 10 novembre 1961, le danger de répétition des infractions n’aurait jamais disparu pendant la détention litigieuse; les décisions en ce sens des juridictions autrichiennes en auraient trouvé une confirmation dans le jugement de condamnation du 9 mai 1968 établissant que des infractions avaient été commises après le premier élargissement. Même pendant sa détention préventive, le requérant aurait réclamé le paiement de créances issues de son activité commerciale, donnant ainsi à penser qu’il n’était pas encore disposé à renoncer à celle-ci. Le danger de répétition des infractions aurait cependant perdu peu à peu sa force grâce, notamment, aux progrès de l’instruction et au changement de profession du requérant. En revanche, la vente de la société n’aurait eu guère d’importance à cet égard: le requérant, qui n’avait jamais obtenu la concession indispensable pour jouer le rôle d’intermédiaire pour des opérations de crédit, aurait pu reprendre son activité commerciale à tout moment. D’autre part, pendant que le danger de répétition des infractions diminuait progressivement, le danger de fuite aurait réapparu vu la gravité de la peine probable et le fait que le requérant envisageait d’exercer la profession de pilote au Royaume-Uni, État qui n’a pas conclu de traité d’extradition avec l’Autriche. Toutefois, les autorités auraient conjuré ce danger en acceptant la garantie offerte par le requérant. Le Gouvernement considère que la méthode définie par la Cour dans les deux arrêts du 27 juin 1968 (voir, par exemple, le paragraphe 5 de la partie "En Droit" de l’arrêt concernant l’affaire Neumeister) conduit forcément à soumettre à l’examen de la Cour le bien-fondé de la dernière décision interne relative au maintien en détention. Or, pareil résultat serait contraire à la Convention et à la jurisprudence de la Commission et de la Cour. Ladite méthode risquerait en outre d’effacer la nette distinction que l’on doit, selon le Gouvernement, observer entre le paragraphe 1 (c) et le paragraphe 3 de l’article 5 (art. 5-1-c, art. 5-3). Seule serait en cause la durée de la détention, et non pas la détention en tant que telle. La question de savoir si les conditions de mise en détention préventive se trouvaient réunies ne revêtirait donc pas, en l’occurrence, l’importance que la Cour lui aurait attribuée dans l’arrêt Neumeister. Se référant au paragraphe 10 des motifs de l’arrêt Wemhoff, les représentants du Gouvernement ont déclaré approuver la manière dont la Cour interprète la notion de délai raisonnable. D’après eux, en effet, il faut faire la part de toutes les circonstances qui ont influé sur la durée de la détention: difficultés objectives de l’instruction eu égard, notamment, au principe de la recherche de la matérialité des faits, comportement subjectif du requérant, etc... Il s’agirait en somme de rechercher si un organe de l’État autrichien a retardé la procédure, faute de quoi le Gouvernement estime qu’on ne saurait l’accuser d’avoir manqué aux exigences du paragraphe 3 de l’article 5 (art. 5-3). Dans cet ordre d’idées, le Gouvernement a beaucoup insisté sur les difficultés exceptionnelles auxquelles l’instruction préparatoire se serait heurtée en raison, notamment, de l’ampleur des tractations incriminées, de la complexité des faits, de l’habileté du requérant et du nombre des témoins. Il a signalé en outre que les autorités compétentes, soucieuses d’accélérer la marche de la procédure dans la mesure du possible, avaient ordonné la disjonction de certaines poursuites et dispensé le Juge Leonhard de l’obligation de s’occuper d’affaires nouvelles pendant une série de périodes s’échelonnant entre le 1er juin 1959 et le 30 septembre 1963 et totalisant vingt-cinq mois environ. Ce dernier renseignement n’avait pas été communiqué à la Commission mais les représentants du Gouvernement ont estimé juste et nécessaire de le fournir à la Cour; l’interdiction de présenter des moyens nouveaux (Neuerungsverbot) n’existerait d’ailleurs pas devant celle-ci. Sans doute le Juge Leonhard a-t-il dû s’occuper simultanément de l’affaire Stögmüller et de l’affaire Rafael, Neumeister et consorts; il a cependant déclaré devant la Sous-commission que seule la durée de l’instruction, et non celle de la détention préventive du requérant, s’en était trouvée prolongée. Du reste, la Commission n’a constaté dans son rapport aucune faute imputable aux autorités judiciaires autrichiennes; elle aurait ainsi donné à penser que la présente affaire - comme d’ailleurs l’affaire Neumeister - concerne moins un cas d’espèce que le système autrichien d’instruction. A la différence des autorités, le requérant aurait systématiquement cherché à ralentir et compliquer l’instruction. Sa tactique dilatoire se serait manifestée en particulier par une foule de demandes et de recours - dont des demandes de récusation et de transfert - et par des plaintes pour faux témoignages portées contre des témoins à charge. Elle ressortirait à l’évidence de la lettre adressée par Stögmüller à son avocat le 5 février 1963. Au demeurant, le fait que la procédure n’ait pu se terminer plus tôt n’aurait causé aucun préjudice au requérant: celui-ci a bénéficié de l’imputation de la durée de sa détention sur celle de sa peine; de plus, le Tribunal a usé en sa faveur du "droit extraordinaire d’atténuation" (article 265 (a) du Code de procédure pénale), et ce précisément pour le motif qu’un délai assez long s’était écoulé depuis la date des infractions. Pour trancher le problème qui se pose en l’espèce, il faut aussi tenir compte, selon le Gouvernement, de la première procédure pénale engagée contre le requérant. Cette procédure, qui s’est achevée le 28 mai 1963 par un jugement du Tribunal pénal régional de Vienne (dossier 2 b Vr 5328/59), formerait avec la seconde (dossier 26 d Vr 1105/59), un tout indissociable. En effet, les deux procédures auraient porté sur des infractions de même nature, liées entre elles et soumises au même tribunal; en outre, toutes les conditions légales (article 56 du Code de procédure pénale) se seraient trouvées remplies pour une réunion des deux procédures, tant à l’époque du prononcé du jugement que durant la détention préventive. D’après le Gouvernement, le jugement du 28 mai 1963 doit être considéré comme un jugement (Aburteilung) au sens de l’article 5, paragraphe 3 (art. 5-3), de la Convention. Il constituerait en quelque sorte un jugement partiel ou un premier jugement. Quant au jugement du 9 mai 1968, il représenterait un simple jugement complémentaire de celui du 28 mai 1963 auquel il se réfère expressément (cf. l’article 265 du Code de procédure pénale). Le Gouvernement a ajouté que si la Cour faisait abstraction du premier jugement, il pourrait en résulter de graves inconvénients: il a rappelé que quand on reproche à un inculpé un très grand nombre d’actes, l’accusation commence souvent, surtout dans les pays de droit non européen, par en disjoindre quelques-uns pour les soumettre au tribunal compétent; or il lui semble que cette pratique, entièrement conforme à la Convention, devrait être abandonnée si la Cour ne voyait pas dans le jugement du 28 mai 1963 une véritable décision judiciaire au sens de l’article 5, paragraphe 3 (art. 5-3). En réponse aux arguments des Délégués de la Commission, les représentants du Gouvernement ont souligné que si la première procédure pénale n’a donné lieu à aucune requête de Stögmüller contre la République d’Autriche, elle n’en a pas moins joué un certain rôle devant la Commission: le rapport la mentionne dans l’une de ses annexes, et une question la concernant a été posée aux parties par la Présidente de la Sous-commission. Sans doute un jugement a-t-il été rendu dès le 15 juin 1960 dans le cadre de ladite procédure, mais la Cour suprême l’a cassé le 31 janvier 1961; seul donc entrerait en ligne de compte le jugement du 28 mai 1963. Le Gouvernement en a conclu que la durée de détention à examiner en l’espèce, durée dont il faut à son avis retrancher près de six mois en raison des retards provoqués par les demandes en récusation de Stögmüller, se trouve réduite de trois mois supplémentaires. Dans son mémoire du 6 décembre 1967, le Gouvernement avait d’autre part reproché à la Commission d’avoir pris en considération la période postérieure au dépôt de la requête (1er août 1962 - 26 août 1963): selon lui, la Commission ne peut connaître que des faits dont elle est saisie au moyen d’une requête présentée en vertu de l’article 24 (art. 24) ou de l’article 25 (art. 25), et une requête ne saurait concerner, en bonne logique, que des événements antérieurs à son introduction. La Cour a écarté, par un arrêt du 27 juin 1968, une thèse semblable que le même Gouvernement avait défendue dans l’affaire Neumeister (voir les pages 30 et 38 de l’arrêt). Le Gouvernement n’en a pas moins confirmé sa position les 10 et 11 février 1969. A ses yeux, l’instance pendante devant la Cour porte exclusivement sur la période comprise entre le 25 août 1961 et le 1er août 1962. En sus des articles 24 et 25 (art. 24, art. 25), le Gouvernement a invoqué avec force l’article 26 (art. 26) de la Convention. Il a précisé à ce sujet que la décision de la Commission sur la recevabilité ne saurait être infaillible et que la Cour a compétence, aux termes des articles 19 et 45 (art. 19, art. 45) de la Convention, pour rechercher si l’État défendeur a été mis en cause à bon droit et si la requête était recevable. Selon le Gouvernement, on arriverait à un résultat contraire à l’article 26 (art. 26) si l’on adoptait la thèse d’après laquelle une requête alléguant la violation de l’article 5, paragraphe 3 (art. 5-3), vise une situation et non un acte isolé (paragraphe 7 des motifs de l’arrêt Neumeister): il suffirait à un individu d’avoir exercé des recours internes aussitôt après le début de sa détention préventive pour pouvoir contester la durée totale de celle-ci en s’adressant à la Commission; on empêcherait ainsi l’État défendeur de remédier, par ses propres moyens et dans le cadre de son ordre juridique interne, à une violation supposée qui a très bien pu ne naître qu’après le dépôt de la requête. Aux yeux du Gouvernement, pareille conséquence contredirait un principe du droit international coutumier, principe que l’article 26 (art. 26) se borne à consacrer. Le point de départ du raisonnement de la Cour ne serait d’ailleurs nullement à l’abri de la discussion. En effet, la requête ne se dirigeait point contre la détention en tant que telle, mais contre la durée d’une détention conforme, en elle-même, aux exigences de la Convention. Dès lors, l’élément temporel revêtirait une importance cruciale pour la détermination de l’objet du litige, lequel consisterait moins en une situation qu’en un fait précis: la durée d’une détention régulière au regard de l’article 5, paragraphe 1 (c) (art. 5-1-c). Se référant notamment à la décision du 18 juillet 1968 sur la recevabilité de la requête no 2614/65 (Ringeisen contre République d’Autriche), le Gouvernement a exprimé les inquiétudes que lui inspire la manière dont la Commission interprète l’article 26 (art. 26): dépourvue de tout formalisme et fort libre, cette interprétation ne correspondrait pas à l’intention des États contractants. Quant à sa propre conception, le Gouvernement ne croit pas qu’elle entraîne la nécessité, pour un individu soucieux de sauvegarder ses droits, d’introduire une série de requêtes successives. D’après lui, la personne lésée doit saisir la Commission lorsqu’elle estime être restée trop longtemps en détention: la requête aboutira si tel est effectivement le cas; sinon, il faudra la rejeter car son auteur se sera plaint d’une violation qui n’existait pas encore. Le Gouvernement concède qu’il n’a peut-être pas invoqué devant la Commission l’objection tirée de l’article 26 (art. 26). Il s’estime cependant en droit de la soulever auprès de la Cour: ni l’interdiction de présenter des moyens nouveaux (Neuerungsverbot), ni l’obligation d’énoncer certains moyens in limine litis (Eventualmaxime) ne lui paraissent jouer en l’occurrence. De l’avis du Gouvernement, la Cour devrait préciser, si elle constatait malgré toute une violation du paragraphe 3 de l’article 5 (art. 5-3), à quel moment cette violation a commencé. Comme nul ne conteste la régularité de l’arrestation initiale de Stögmüller (paragraphe 1 (c) de l’article 5) (art. 5-1-c), pareille conclusion impliquerait en effet, d’après le Gouvernement, que la détention litigieuse était, à l’origine, compatible avec le paragraphe 3 (art. 5-3). Or, il importerait beaucoup au Gouvernement de savoir - le cas échéant - pendant combien de temps la durée de ladite détention est restée raisonnable. Dans son mémoire du 6 décembre 1967, le Gouvernement a présenté les conclusions suivantes, qu’il a confirmées à l’audience du 10 février 1969: "Plaise à la Cour de dire que la durée de la détention préventive, qui fait l’objet de la requête introduite par Ernst Stögmüller contre la République d’Autriche, ainsi que du rapport établi par la Commission européenne des Droits de l’Homme le 9 février 1967, conformément à l’article 31 (art. 31) de la Convention européenne des Droits de l’Homme, n’est pas en opposition avec les obligations découlant de ladite Convention."
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M. Unterpertinger, citoyen autrichien né en 1938, réside à Wörgl. Il se plaint de poursuites pénales engagées contre lui pour avoir infligé des coups et blessures à sa belle-fille le 14 août 1979 et à sa femme le 9 septembre suivant. La procédure devant la gendarmerie L’incident du 14 août 1979 fut signalé à la gendarmerie (Gendarmeriepostenkommando) de Wörgl le jour même, d’abord par une voisine à la demande du requérant, puis par lui-même. Selon lui, sa femme et sa belle-fille - qui l’avait appelé dans la matinée "réclusionnaire" (Zuchthäusler) - l’avaient attaqué vers midi lors d’une querelle; en particulier, sa femme lui avait causé plusieurs blessures à la tête avec un coupe-papier et lui avait entaillé le front près de l’arcade sourcilière. Il avait reçu d’un médecin les soins nécessaires. M. Unterpertinger admit avoir poussé sa femme au cours de l’altercation et avoir essayé en vain de souffleter sa belle-fille. Le 22 août 1979, la gendarmerie entendit l’épouse et la belle-fille, Mlle Tappeiner, du requérant, la première en tant que "suspecte" (Verdächtige), la seconde en qualité d’"intéressée" (Beteiligte). Mme Unterpertinger déclara avoir été giflée et battue par son mari qui avait empêché sa fille de s’échapper en la prenant par les cheveux; elles s’étaient alors défendues. Elle-même tenait en main un coupe-papier dont elle disait l’avoir probablement frappé. Toutefois, ni elle ni sa fille ne l’auraient blessé intentionnellement à la tête et au visage. Mlle Tappeiner reconnut avoir le matin traité de "réclusionnaire" son beau-père qui avait répliqué par une gifle sans toutefois lui causer de lésion. Lors de l’algarade à midi, expliqua-t-elle, il avait donné à sa mère plusieurs coups dont un à la figure. Quand elle-même voulut s’enfuir, il l’aurait agrippée par les cheveux et l’aurait égratignée au-dessous de l’oeil droit. Il aurait saisi également sa mère par les cheveux et à la nuque. Aussi se seraient-elles défendues. Mlle Tappeiner aurait tiré les cheveux de son beau-père, mais ne l’aurait pas battu; elle n’aurait pas vu sa mère le frapper avec le coupe-papier. Son beau-père saignait du front, mais elle n’aurait observé aucune plaie à la partie arrière de sa tête. Elle ajouta qu’un médecin consulté par elle lui avait délivré une attestation relative à sa blessure. Le 28 août 1979, la gendarmerie de Wörgl adressa au tribunal de district (Bezirksgericht) de Kufstein une dénonciation (Strafanzeige) "concernant Unterpertinger Alois, Unterpertinger Rosi, soupçon de coups et blessures (Körperverletzung)". D’après la gendarmerie, Mme Unterpertinger et sa fille avaient attaqué le requérant lors d’une querelle, au cours de laquelle la première l’avait probablement (vermutlich) frappé à plusieurs reprises avec un coupe-papier, provoquant une déchirure à la partie arrière de la tête et une entaille près de l’arcade sourcilière. De son côté, il avait prétendument (angeblich) porté des coups au visage de sa belle-fille et infligé à celle-ci une légère égratignure au-dessous de l’oeil droit. Dans la partie "moyens de preuve", le rapport mentionnait la déclaration de la voisine des Unterpertinger selon laquelle le requérant, le visage en sang, lui avait demandé d’alerter la gendarmerie. L’intéressé lui-même s’était présenté au poste dix minutes plus tard avec un coupe-papier; il avait expliqué que sa femme l’en avait frappé plusieurs fois à la tête. Comme M. Unterpertinger paraissait avoir besoin de soins, le gendarme de service l’avait invité à consulter un médecin. La gendarmerie signalait ensuite qu’elle avait déjà dû intervenir lors de diverses querelles antérieures du ménage. Elle ajoutait que les trois protagonistes avaient donné de l’incident du 14 août des versions contradictoires. Mlle Tappeiner, entendue "à titre d’information" ("Auskunftsperson"), avait à l’évidence pris parti pour sa mère. Les blessures du requérant, continuait le rapport, avaient été qualifiées de "légères" par le médecin. Sous le titre "indications données par les suspects", la gendarmerie résumait les dires de M. et Mme Unterpertinger. La dénonciation s’accompagnait de plusieurs pièces dont les déclarations respectives du requérant, de sa femme et de sa belle-fille ainsi que le certificat du médecin qui avait examiné Mlle Tappeiner. Le second incident, survenu le 9 septembre 1979, fut dénoncé le 14 à la gendarmerie de Wörgl par Mme Unterpertinger: au cours d’une altercation, déclarait-elle, son mari, en état de légère ébriété, lui avait donné un coup de pied au bras droit, lui causant une forte douleur. Le lendemain, une radiographie réalisée à l’hôpital avait révélé une fracture du pouce droit, laquelle entraîna une incapacité de travail de quatre semaines. Mme Unterpertinger précisait qu’elle avait intenté une action en divorce contre son mari. Dès le 11 septembre, l’hôpital de Wörgl avait adressé à la gendarmerie un rapport soulignant que la blessure, provoquée par le "propre mari" de la plaignante, devait être considérée comme grave. La gendarmerie entendit M. Unterpertinger le 17 octobre. Il nia avoir blessé sa femme le 9 septembre. Selon lui, elle avait déjà la main bandée lorsqu’il avait regagné son domicile. En réalité, elle avait cherché à l’atteindre à la tête avec une brosse à cheveux, mais l’avait manqué et s’était cognée à la rampe de l’escalier. Sa lésion au pouce avait peut-être empiré de ce fait. Mme Unterpertinger avait purement et simplement inventé l’accusation portée contre lui. Le requérant confirma qu’une instance en divorce se trouvait en cours depuis quelque temps. Le 20 octobre, la gendarmerie de Wörgl adressa au tribunal de district de Kufstein une dénonciation "concernant Unterpertinger Alois, soupçon de coups et blessures graves". D’après elle, les époux avaient eu le 9 septembre un démêlé au cours duquel M. Unterpertinger avait frappé du pied le bras droit de sa femme. Elle résumait ensuite les déclarations de Mme Unterpertinger et celles de son mari, dont les dépositions respectives figuraient en annexe. L’enquête (Vorerhebungen) À la demande du parquet d’Innsbruck, le tribunal de district de Kufstein décida, le 9 novembre 1979, de mener contre le requérant une enquête portant sur les deux incidents. Après avoir disjoint les poursuites ouvertes contre Mme Unterpertinger au sujet du premier d’entre eux (paragraphe 11 ci-dessus), il la relaxa le 28 janvier 1980. Le 3 décembre 1979, elle comparut devant un juge de Kufstein. Il l’informa qu’en sa qualité d’épouse de l’inculpé (Beschuldigter) elle avait le droit de refuser de déposer. Aux termes de l’article 152 § 1, alinéa 1, du code de procédure pénale, en effet, "sont dispensés de témoigner les membres de la famille de l’inculpé (...)". L’intéressée répondit qu’elle voulait néanmoins témoigner. Elle s’expliqua sur les faits litigieux, résumant ses déclarations antérieures à la gendarmerie et contestant la version que son mari avait fournie de l’incident du 9 septembre. Soupçonné de coups et blessures au sens des articles 83 et suivants du code pénal, le requérant fut interrogé le 12 décembre par un magistrat du tribunal de district d’Innsbruck. Il reconnut avoir giflé son épouse le 14 août. D’après lui, pour échapper aux attaques des deux femmes il avait tiré les cheveux de Mlle Tappeiner et avait pu la blesser près de l’oeil; il lui avait aussi donné un soufflet. Au sujet du second incident, il réitéra ses affirmations précédentes (paragraphe 13 ci-dessus) tout en précisant qu’il n’avait pas vu sa femme se heurter à la rampe de l’escalier. Il ajouta qu’il n’avait pas assez de souplesse physique pour avoir pu atteindre d’un coup de pied la plaignante au pouce. Le procès en première instance Les débats eurent lieu le 10 mars 1980 devant un juge unique du tribunal régional (Landesgericht) d’Innsbruck. Selon le procès-verbal de l’audience, le requérant plaida non coupable. Il admit avoir frappé sa belle-fille à la tête, mais non l’avoir blessée. Il n’avait pas non plus brisé d’un coup de pied le pouce de sa femme et ignorait où elle se l’était fracturé. Le tribunal fit ensuite comparaître Mme Unterpertinger et Mlle Tappeiner. Avisées par lui de leur droit de se refuser à toute déposition (paragraphe 16 ci-dessus), elles répondirent qu’elles entendaient s’en prévaloir. En conséquence, le tribunal ne put les interroger ni donner lecture du procès-verbal de l’audition de Mme Unterpertinger par le juge de Kufstein (article 252 § 1 du code de procédure pénale). A la demande du parquet, lecture fut donnée en revanche des documents que celui-ci avait mentionnés dans ses réquisitions (Strafantrag), dont les dénonciations, l’extrait du casier judiciaire du prévenu et deux dossiers relatifs à des condamnations antérieures de ce dernier. Parmi les pièces en question se trouvaient donc les différentes déclarations faites à la gendarmerie: selon la pratique judiciaire autrichienne, il y avait lieu de les considérer comme des documents au sens de l’article 252 § 2 du code de procédure pénale (voir notamment Cour suprême - Oberster Gerichtshof -, arrêt du 14 novembre 1974, Österreichische Juristenzeitung 1975, p. 304); dès lors, leur lecture s’imposait à moins que les comparants n’y eussent renoncé. A l’issue de l’audience, le tribunal jugea le requérant coupable d’avoir commis, le 14 août 1979, le délit (Vergehen) de coups et blessures (article 83 § 1 du code pénal) sur la personne de sa belle-fille et, le 9 septembre 1979, le même délit, aggravé (schwere Körperverletzung, articles 83 § 1 et 84 § 1 du code pénal), sur celle de sa femme. Il lui infligea six mois d’emprisonnement. Se référant aux "enquêtes menées" et aux moyens de défense (Verantwortung) de M. Unterpertinger, le tribunal estima établis les faits suivants. Lors de la querelle du 14 août 1979, l’intéressé avait donné plusieurs coups à sa femme et frappé sa belle-fille au visage, lui causant un hématome entre l’oeil et le nez ainsi qu’une égratignure près de l’oeil droit. On ne pouvait ajouter foi à sa thèse: il avait reconnu devant le juge de Kufstein avoir giflé Mlle Tappeiner et n’avait pas exclu qu’elle eût subi ladite égratignure. Les blessures étaient légères; la conduite du prévenu montrait qu’il avait agi intentionnellement. Le 9 septembre, M. Unterpertinger avait fracturé d’un coup de pied le pouce droit de sa femme. A cet égard non plus, sa défense ne résistait pas à l’examen. En outre, ses antécédents le montraient bien capable d’un tel comportement. Les époux avaient eu de nombreuses disputes qui avaient souvent dégénéré en voies de fait. Le tribunal rappela que Mme Unterpertinger - qui entre temps avait divorcé de son mari - et sa fille avaient refusé de témoigner à l’audience. Il trouva cependant leurs déclarations à la gendarmerie "assez claires et précises pour étayer une condamnation"; "leur véracité ne [laissait place] à aucun doute". Là aussi, le prévenu avait agi intentionnellement. Le tribunal n’accorda au requérant aucune circonstance atténuante; au contraire, il vit dans ses antécédents des circonstances aggravantes. La procédure d’appel M. Unterpertinger interjeta appel le 9 avril 1980. Selon lui, le jugement du 10 mars était nul (article 281 § 1, alinéa 3, du code de procédure pénale): en dépit de l’article 152 du code de procédure pénale, ses ex-femme et belle-fille, dont les déclarations à la gendarmerie avaient constitué la seule base de sa condamnation, n’avaient pas été informées dès l’origine de leur droit de refuser de témoigner; elles ne pouvaient dès lors en user. En outre, le tribunal n’avait pas suffisamment tenu compte de certaines circonstances rendant douteuse la crédibilité de Mme Unterpertinger et de sa fille. Le requérant demanda sur ce point l’audition de plusieurs témoins dont deux médecins, un agent de police, une voisine et sa mère ainsi que ses ex-belle-fille et femme. Il souligna enfin que dans le passé il avait toujours reconnu les faits qu’on lui reprochait; cela ressortait clairement des dossiers des procédures antérieures. Or en l’espèce, au cours du premier incident il avait agi en état de légitime défense et sans intention de blesser sa belle-fille, si toutefois il l’avait réellement blessée. Le tribunal n’avait pas eu égard à sa version des événements du 14 août 1979. Quant à l’incident du 9 septembre 1979, l’intéressé répéta que son ex-femme souffrait du pouce droit avant même cette date, ainsi du reste qu’il l’avait signalé dès son premier interrogatoire. En outre, affirma-t-il, une lésion au genou le rendait incapable de lancer un coup de pied avec assez de force pour provoquer la fracture litigieuse. Il réclama un complément d’instruction sur ces points et notamment l’audition de plusieurs personnes et une expertise (Sachbefund). En conclusion, M. Unterpertinger invitait la cour d’appel (Oberlandesgericht) d’Innsbruck à annuler la sentence du 10 mars et à le relaxer, subsidiairement à revoir la peine prononcée contre lui et à la fixer en fonction du degré de sa culpabilité. La cour d’appel tint audience le 4 juin 1980. Le défenseur du requérant présenta ses moyens et invita la cour, notamment, à citer plusieurs témoins. Il ajouta que l’impossibilité, pour son client, de poser des questions au sujet des déclarations des témoins à charge à la gendarmerie enfreignait la Convention européenne des Droits de l’Homme. Le ministère public conclut au débouté. Là-dessus, la cour décida de réexaminer et compléter (Wiederholung und Ergänzung) les preuves fournies au tribunal de première instance, en donnant lecture du dossier relatif au divorce et en entendant l’épouse du frère de M. Unterpertinger. Celle-ci se dit dans l’impossibilité d’indiquer si l’ex-femme de l’intéressé avait la main bandée dans le courant de l’automne ou de l’été de 1979. Le requérant renonça à son droit de l’interroger. La cour donna lecture des pièces du dossier de l’affaire et demanda à M. Unterpertinger quelques éclaircissements, notamment sur sa blessure au genou. D’après lui, elle le pria de faire quelques pas pour se rendre compte de son état. La cour rejeta les autres offres de preuve: pour une part, les circonstances auxquelles elles avaient trait n’offraient aucune importance; pour le surplus, l’intéressé ne précisait pas sur quels points un complément d’instruction lui paraissait nécessaire. La cour d’appel débouta le requérant aussitôt après les débats du 4 juin 1980. Quant au motif de nullité invoqué par lui (paragraphe 21 ci-dessus), elle releva, sur la base de la jurisprudence de la Cour suprême, qu’un refus légal de déposer n’empêchait pas le tribunal de donner lecture des déclarations faites par le témoin devant la force publique (Sicherheitsbehörden) et non point pendant la procédure judiciaire proprement dite. Elle ajouta que d’après un arrêt de la Cour suprême, les tribunaux avaient même l’obligation d’agir de la sorte pour de telles déclarations et de les apprécier en tant qu’éléments de preuve. Pour le surplus, la cour estima que les éléments recueillis par elle confirmaient l’exactitude des constatations du tribunal régional. Les déclarations des victimes à la gendarmerie étaient convaincantes et crédibles; elles décrivaient l’incident de manière logique. Les condamnations antérieures du requérant montraient qu’un comportement du genre de celui dont il avait à répondre ne lui était point étranger. De surcroît, il avait présenté à la gendarmerie et au juge d’instruction des versions contradictoires de ce qui s’était passé le 9 septembre 1979. Entendue comme témoin, sa belle-soeur n’avait pu fournir aucune indication à cet égard. Quant à l’objection selon laquelle il n’était pas assez souple pour avoir pu briser d’un coup de pied le pouce de sa femme, elle ne résistait pas davantage à l’examen. Sauf dans le cas de sa belle-soeur, l’audition des témoins proposés par lui était superflue, car il les avait mentionnés au sujet tantôt de circonstances dénuées de la moindre importance, tantôt de questions des plus vagues. En conséquence, il se justifiait de condamner M. Unterpertinger du chef des deux infractions qui lui étaient reprochées; aucun état de légitime défense n’avait existé le 14 août 1979. La peine prononcée correspondait au degré de responsabilité du prévenu (schuldangemessen). Le requérant a purgé sa peine du 22 septembre 1980 au 22 mars 1981. PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION Devant la Commission, qu’il a saisie le 1er septembre 1980 (requête no 9120/80), M. Unterpertinger s’est plaint de la procédure ayant conduit à sa condamnation: elle aurait méconnu l’article 6 §§ 1 et 3 d) (art. 6-1, art. 6-3-d) de la Convention. La Commission a retenu la requête le 8 juillet 1983. Dans son rapport du 11 octobre 1984 (article 31) (art. 31), elle formule l’avis qu’il n’y a eu violation ni du paragraphe 3 d) de l’article 6 (art. 6-3-d) (cinq voix contre cinq, avec la voix prépondérante du président, article 18 § 3 du règlement intérieur) ni du paragraphe 1 (art. 6-1) (cinq voix contre quatre, avec une abstention). Le texte intégral de son avis et des opinions séparées dont il s’accompagne, figure en annexe au présent arrêt. CONCLUSIONS DES COMPARANTS À l’audience du 17 février 1986, la Cour a été invitée - par le Gouvernement, "à dire qu’en l’espèce les dispositions de l’article 6 §§ 3 d) et 1 (art. 6-3-d, art. 6-1) de la Convention européenne des Droits de l’Homme n’ont pas été violées et que dès lors les faits à l’origine du litige ne révèlent, de la part de la République d’Autriche, aucun manquement aux obligations lui incombant aux termes de la Convention"; - par le délégué de la Commission, "à constater, en accord avec la majorité de la Commission, qu’il n’y a pas eu violation de l’article 6 (art. 6)"; - par le requérant, à juger "que dans le cadre de (son) procès pénal, la République d’Autriche a méconnu la Convention sur plusieurs points" et à "imposer à la République d’Autriche le versement d’une réparation appropriée".
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Le premier requérant, Roy H.W. Johnston, né en 1930, est un cadre supérieur en matière de recherche scientifique appliquée. Il réside à Rathmines, Dublin, avec la deuxième requérante, Janice Williams-Johnston, née en 1938; enseignante, elle travaillait comme directrice d’une classe enfantine à Dublin mais se trouve au chômage depuis 1985. La troisième requérante est leur fille, Nessa Doreen Williams-Johnston, née en 1978. Le premier requérant a épousé Mlle M. en 1952 selon le rite de l’Église d’Irlande. De leur union sont issus trois enfants (1956, 1959 et 1965). En 1965, il apparut clairement au couple que les liens matrimoniaux étaient irrémédiablement brisés. Aussi les intéressés décidèrent-ils de loger séparément à différents étages de la maison familiale. Plusieurs années après, au su et avec le consentement l’un de l’autre, ils nouèrent chacun des relations de concubinage avec des tiers. Les deux couples s’entendirent pour habiter dans des appartements distincts jusqu’en 1976, date à laquelle l’épouse de M. Johnston déménagea. En 1978, la deuxième requérante, avec laquelle Roy Johnston vivait depuis 1971, donna le jour à Nessa. Il accepta de voir son nom figurer dans le registre des naissances comme celui du père (paragraphe 26 ci-dessous). La Constitution irlandaise (paragraphes 16-17 ci-dessous) empêche le premier requérant d’obtenir en Irlande la dissolution de son mariage par voie de divorce afin d’épouser la deuxième requérante. Pour régulariser ses rapports avec elle et avec sa femme et pourvoir aux besoins des personnes à sa charge, il a pris les mesures suivantes. a) Avec l’agrément de son épouse, il consulta des solicitors, à Dublin et à Londres, au sujet de la possibilité pour lui de divorcer hors d’Irlande. Les solicitors londoniens lui indiquèrent qu’il ne l’avait pas en Angleterre, faute de résider dans le ressort des juridictions anglaises (voir aussi les paragraphes 19-21 ci-dessous). Les choses en restèrent donc là. b) Le 19 septembre 1982, il conclut avec son épouse un accord formel de séparation confirmant un accord antérieur de quelques années. Elle recevait une somme forfaitaire de 8.800 livres irlandaises (IR £), plus une pension alimentaire pour celui des enfants nés du mariage qui demeurait à charge. Chacune des parties renonçait aussi à ses droits successoraux sur le patrimoine de l’autre. c) Le premier requérant a légué l’usufruit de sa maison à la deuxième requérante, la nue-propriété à ses quatre enfants conjointement, une moitié du surplus de ses biens à la deuxième requérante et l’autre moitié à ses quatre enfants, par parts égales. d) Il pourvoit aux besoins de la troisième requérante depuis sa naissance et agit à tous égards comme un père attentionné. e) Il a contribué à l’entretien de son épouse jusqu’à la conclusion de l’accord de séparation susmentionné et pourvu aux besoins des trois enfants issus du mariage tant qu’ils étaient à charge. f) Il a désigné la deuxième requérante comme bénéficiaire de son régime de pension. g) Il a souscrit une assurance-maladie en faveur des deuxième et troisième requérantes comme membres de sa famille. La deuxième requérante, qui dépend beaucoup du premier sur le plan financier, se préoccupe de la précarité de son statut juridique actuel, notamment du défaut d’obligation alimentaire pesant sur lui et de droits potentiels de succession ab intestat (voir aussi le paragraphe 23 ci-dessous). Comme la loi l’y autorise, elle a adopté le nom du premier requérant et l’utilise avec ses amis et voisins, mais elle continue à porter le sien - Williams - à d’autres fins. Elle craindrait de révéler aux employeurs sa situation familiale exacte et, de peur d’avoir à l’exposer, hésiterait à demander la nationalité irlandaise malgré son désir de l’acquérir. Quant à la troisième requérante, elle a en droit irlandais la qualité d’enfant illégitime. Ses parents s’inquiètent de l’absence de moyens qui lui permettraient, même avec leur consentement, d’être reconnue comme leur fille jouissant, à leur égard, de tous les droits d’entretien et de succession (paragraphes 30-32 ci-dessous). Ils redoutent aussi que sa situation juridique ne jette l’opprobre sur elle, notamment à l’école. Les deux premiers requérants déclarent que s’ils ne pratiquent aucune religion officielle depuis quelque temps, ils se sont récemment affiliés à Dublin à la Société religieuse des Amis (les Quakers). Cette décision s’explique en partie par leur souci de voir Nessa recevoir une éducation chrétienne. II. DROIT INTERNE APPLICABLE A. Dispositions constitutionnelles relatives à la famille La Constitution de l’Irlande, entrée en vigueur en 1937, renferme les dispositions suivantes: "40.3.1o. L’État s’engage à respecter dans ses lois et, dans la mesure du possible, à défendre et soutenir par ses lois les droits individuels du citoyen. 3.2o. En particulier, par ses lois il protégera de son mieux contre les attaques injustes, la vie, la personne, l’honneur et les droits de propriété de tout citoyen et, en cas d’injustice, il les défendra. 1.1o. L’État reconnaît la famille comme le groupement primaire, naturel et fondamental de la société et comme une institution morale possédant des droits inaliénables et imprescriptibles, antérieurs et supérieurs à toute loi positive. 1.2o. [Il] garantit donc la protection de la Constitution et de l’autorité à la famille, base nécessaire à l’ordre social et indispensable au bien-être de la Nation et de l’État. (...) 3.1o. L’État s’engage solennellement à veiller avec une attention spéciale à l’institution du mariage sur laquelle la famille est fondée et à la protéger contre toute atteinte. 3.2o. Il ne sera adopté aucune loi permettant de dissoudre le mariage. (...) 1. L’État reconnaît que l’éducateur premier et naturel de l’enfant est la famille et il s’engage à respecter le droit et le devoir inaliénables des parents d’assurer, selon leurs moyens, l’éducation religieuse et morale, intellectuelle, physique et sociale de leurs enfants. (...) 5. Dans des cas exceptionnels où, pour des raisons physiques ou morales, les parents manqueraient à leurs devoirs envers leurs enfants, l’État, gardien du bien commun, s’efforcera, par des moyens convenables, de les remplacer, mais dans le respect constant des droits naturels et imprescriptibles de l’enfant." L’article 41.3.2o de la Constitution interdit en Irlande le divorce au sens de dissolution du mariage (divorce a vinculo matrimonii). En revanche, les époux peuvent se voir relever du devoir de cohabitation par un acte de séparation conclu entre eux, et qui les lie, ou par un jugement de séparation de corps (appelée aussi divorce a mensa et thoro). Pareille décision exige la preuve d’un adultère, de cruauté ou de pratiques contre nature; elle ne dissout pas le mariage. Dans la suite du présent arrêt, le mot "divorce" désigne un divorce a vinculo matrimonii. On peut aussi obtenir, sous certaines conditions, un jugement de nullité: la constatation par la High Court qu’un mariage était invalide, donc nul et non avenu ab initio. Un mariage peut aussi être "annulé" par un tribunal ecclésiastique, mais sans incidence sur l’état civil des parties. D’après la jurisprudence constante des tribunaux irlandais, la "famille" protégée par l’article 41 de la Constitution est celle qui se fonde sur le mariage. Ainsi, dans The State (Nicolaou) v. An Bord Uchtála (Commission de l’adoption), Irish Reports 1966, p. 567, la Cour Suprême a déclaré: "Il ressort clairement des termes de l’article 41, et en particulier de son paragraphe 3, que la famille visée par lui est la famille fondée sur l’institution du mariage; dans le contexte de cet article, le mariage s’entend d’un mariage valide au regard du droit en vigueur dans l’État. Certes, des personnes non mariées vivant sous le même toit et les enfants nés de leur union peuvent souvent passer pour une famille et posséder nombre, sinon la totalité, des apparences extérieures d’une famille; elles peuvent même être considérées comme telle aux fins d’une loi déterminée. Néanmoins, les garanties de l’article 41 se limitent aux familles créés par mariage." La Cour Suprême a pourtant jugé qu’un enfant illégitime a des droits naturels non spécifiés (par opposition aux droits attribués par la loi), à protéger au titre de l’article 40.3 de la Constitution, par exemple le droit aux aliments et à la vie, le droit d’être élevé et éduqué, d’avoir l’occasion de travailler et de parvenir au plein épanouissement de sa personnalité et de sa dignité d’être humain, ainsi que les mêmes droits naturels, consacrés par la Constitution, qu’un enfant légitime à une "éducation religieuse et morale, intellectuelle, physique et sociale" (G. v. An Bord Uchtála, Irish Reports 1980, p. 32). B. Reconnaissance des divorces prononcés à l’étranger Selon l’article 41.3.3o de la Constitution, "Aucune personne dont le mariage a été dissous conformément au droit civil d’un autre État, mais demeure valide au regard du droit en vigueur dans la juridiction du gouvernement et du Parlement établis par la présente Constitution, ne pourra valablement contracter mariage dans ladite juridiction du vivant de l’autre partie au premier mariage." D’une série de décisions judiciaires, il ressort que le texte précité n’interdit pas aux tribunaux irlandais de reconnaître, en vertu des principes généraux du droit international privé irlandais, certains jugements de divorce rendus à l’étranger, même au profit de ressortissants irlandais. Il n’en allait ainsi que si les conjoints avaient, à l’époque de la procédure, leur "domicile" en un lieu relevant de la juridiction du tribunal étranger (Re Caffin Deceased: Bank of Ireland v. Caffin, Irish Reports 1971, p. 123; Gaffney v. Gaffney, Irish Reports 1975, p. 133); depuis le 2 octobre 1986, il suffit que l’un d’entre eux remplisse cette condition (Domicile and Recognition of Foreign Divorces Act 1986). Pour être réputée "domiciled" dans un pays étranger, une personne doit non seulement y résider, mais encore avoir l’intention d’y demeurer en permanence sans esprit de retour. En outre, le divorce prononcé à l’étranger n’est pas reconnu si une partie a frauduleusement invoqué le "domicile" devant le tribunal étranger pour provoquer le jugement. Si un officier de l’état civil d’Irlande reçoit notification d’un projet de mariage entre deux personnes dont il sait que l’une ou l’autre a obtenu un divorce à l’étranger, la réglementation applicable l’oblige à en référer au Conservateur en chef. Celui-ci demande un avis juridique sur le point de savoir si, dans les circonstances de l’espèce, le divorce serait reconnu en droit irlandais comme ayant eu pour effet de dissoudre le mariage et si le projet de mariage peut donc se réaliser. C. Statut juridique des personnes se trouvant dans la situation des deux premiers requérants Mariage Les personnes qui, à l’instar des deux premiers requérants, vivent ensemble et dans le cadre de relations stables après la rupture du mariage de l’une d’elles ne peuvent, du vivant de l’autre partie à ce mariage, s’épouser en Irlande et n’y sont pas considérées comme une famille aux fins de l’article 41 de la Constitution (paragraphes 17 et 18 ci-dessus). Aliments et successions Contrairement à un couple marié, de telles personnes n’ont l’une envers l’autre aucun devoir légal de secours ni aucun droit successoral. En revanche, rien en droit irlandais ne les empêche de cohabiter, de s’entraider matériellement et de se faire des libéralités entre vifs ou à cause de mort. Elles peuvent aussi contracter des accords d’assistance mutuelle, encore que Gouvernement et requérants expriment des opinions divergentes sur la compatibilité de pareils accords avec l’ordre public. En général, le membre marié du couple demeure, en théorie du moins, dans l’obligation légale d’entretenir son époux ou épouse. De plus, les dispositions testamentaires prises par lui peuvent être subordonnées aux droits de son conjoint ou de ses enfants légitimes au titre de la loi de 1965 sur les successions. Divers Comparées aux couples mariés, les personnes se trouvant dans la situation des deux premiers requérants: a) si des difficultés surgissent entre elles, n’ont aucun accès au système des "ordonnances d’interdiction" (barring orders) ménageant des recours en cas de violences au sein de la famille (loi de 1976 sur le droit de la famille, entretien des conjoints et des enfants, modifiée par la loi de 1981 sur le droit de la famille, protection des conjoints et des enfants), mais peuvent solliciter une injonction ou déclaration judiciaires offrant un remède analogue; b) ne jouissent d’aucun des droits conférés par la loi de 1976 sur la protection du foyer familial quant au foyer familial et à son contenu, notamment l’interdiction faite à un époux de vendre sans le consentement de son conjoint et l’exonération des droits de timbre et d’enregistrement foncier dans l’hypothèse d’un transfert de propriété de l’un à l’autre; c) en cas de transfert de propriété entre eux, sont traités moins favorablement aux fins de l’impôt sur l’acquisition de capital; d) jouissent de droits différents au regard du code de protection sociale, notamment quant aux prestations servies aux épouses abandonnées; e) ne peuvent adopter ensemble un enfant (voir aussi le paragraphe 29 ci-dessous). D. Statut juridique des enfants illégitimes Filiation Le droit irlandais consacre le principe mater semper certa est: la filiation maternelle d’un enfant illégitime, telle la troisième requérante, se trouve établie du seul fait de la naissance, sans qu’il faille une déclaration volontaire ou judiciaire. La loi de 1930 sur les enfants illégitimes (ordonnances de filiation), modifiée par les lois de 1976 sur le droit de la famille (entretien des conjoints et des enfants) et de 1983 sur les tribunaux, prévoit des procédures au terme desquelles la District Court ou la Circuit Court peuvent rendre contre le père putatif d’un enfant une "ordonnance de filiation", le condamnant à des versements périodiques pour l’entretien de ce dernier, ou approuver un accord forfaitaire de subsides conclu entre l’homme qui se reconnaît père d’un enfant illégitime et la mère. Aucune de ces procédures n’établit la filiation paternelle de l’enfant erga omnes; le constat de paternité ne possède que l’autorité relative de la chose jugée. La loi de 1863, modifiée en 1880, sur l’enregistrement des naissances et décès en Irlande permet à l’officier d’état civil d’inscrire sur le registre le nom d’une personne comme celui du père d’un enfant illégitime si la mère et l’intéressé l’y invitent conjointement. L’acte d’enregistrement n’établit pourtant pas la filiation paternelle. Tutelle La mère d’un enfant illégitime est, dès la naissance, l’unique tuteur de l’enfant (article 6 § 4 de la loi de 1964 sur la tutelle des mineurs) et a les mêmes droits de tutelle que ceux dont jouissent conjointement les parents d’un enfant légitime. Le père naturel peut saisir la justice de questions relatives à la garde de l’enfant et au droit de visite de l’un ou l’autre des parents (article 11 § 4 de ladite loi), mais non demander au tribunal de se prononcer sur d’autres sujets touchant au bien-être de l’enfant, ni se faire désigner cotuteur de l’enfant, fût-ce avec l’accord de la mère. Légitimation Un enfant illégitime peut être légitimé par le mariage subséquent de ses parents sous la condition, non remplie par les deux premiers requérants, qu’ils eussent pu être légalement mariés ensemble à l’époque de sa naissance ou à un moment quelconque des dix mois précédents (article 1 §§ 1 et 2 de la loi de 1931 sur les enfants légitimes). Adoption D’après la loi (amendée) de 1952 sur l’adoption, seuls peuvent bénéficier d’une ordonnance d’adoption un couple marié vivant sous le même toit, une veuve, un veuf, la mère ou le père naturels ou encore un parent de l’enfant. Entretien La loi de 1930 sur les enfants illégitimes (ordonnances de filiation), modifiée par la loi de 1976 sur le droit de la famille (entretien des conjoints et des enfants), a pour effet d’imposer à chacun des parents d’un enfant illégitime une égale obligation d’assurer son entretien. L’exécution de celle-ci ne peut être exigée du père en l’absence d’une "ordonnance de filiation" (paragraphe 25 ci-dessus). Successions La dévolution d’un patrimoine ab intestat obéit à la loi de 1965 sur les successions, qui prévoit pour l’essentiel un partage, selon des quotités déterminées, entre le conjoint ou les "descendants" survivants. Dans O’B v. S. (Irish Reports 1984, p. 316), la Cour Suprême a estimé que le mot "descendant" n’englobait pas les enfants non issus d’un mariage légal et qu’un enfant illégitime n’avait donc, en vertu de la loi de 1965, aucun droit sur la succession ab intestat de son père naturel. Tout en ajoutant que la discrimination ainsi créée au profit des enfants légitimes se justifiait sous l’angle des paragraphes 1 et 3 de l’article 41 de la Constitution (paragraphe 16 ci-dessus), elle a déclaré qu’il incombait d’abord au législateur de décider si et dans quelle mesure il fallait modifier les règles en vigueur en matière de succession ab intestat. Les normes pertinentes de la loi relevaient d’un statut destiné à renforcer la protection de la famille conformément à l’article 41, lequel ne se borne pas à consacrer un intérêt de l’État, mais impose à celui-ci l’obligation de sauvegarder la famille; dès lors, ladite discrimination ne revêtait pas nécessairement un caractère injuste, déraisonnable ou arbitraire et lesdites normes ne se trouvaient pas entachées d’invalidité eu égard à celles de la Constitution. Un enfant illégitime peut en revanche, dans certaines circonstances, avoir des droits sur la succession ab intestat de sa mère. Une règle particulière (l’article 9 § 1 de la loi de 1931 sur les enfants légitimes) prévoit que si la mère d’un enfant illégitime décède ab intestat sans laisser de descendant légitime, l’enfant a droit à la même part que s’il était né légitime. Quant aux successions testamentaires, l’article 117 de la loi précitée de 1965 autorise un tribunal à prendre des mesures en faveur d’un enfant lorsqu’il estime que le testateur a failli à son devoir moral d’arrêter les dispositions appropriées. Un enfant illégitime n’a aucun droit sur le patrimoine de son père au titre de cet article, mais peut agir contre la succession de sa mère si cette dernière ne laisse aucun descendant légitime. Un enfant illégitime qui hérite de ses parents est passible de l’impôt sur l’acquisition de capital selon des modalités moins favorables que pour un enfant né du mariage. E. Propositions de réforme législative Divorce En 1983 a été créée une commission mixte du Dáil (Chambre des députés) et du Seanad (Sénat), chargée notamment d’examiner les problèmes résultant de la rupture du mariage. Dans son rapport de 1985, elle cite des chiffres donnant à penser qu’environ 6 % des mariages ont échoué à ce jour en Irlande, mais note l’absence de statistiques précises. Elle estime que les parties à des relations stables nouées après l’échec du mariage et les enfants nés de telles relations ne jouissent pas actuellement d’un statut et d’une protection légaux suffisants; elle ne se prononce pas pour autant sur la nécessité ou l’opportunité de légiférer en matière de divorce. Lors d’un référendum national qui a eu lieu le 26 juin 1986, la majorité a repoussé un amendement à la Constitution, qui eût permis une telle législation. Enfants illégitimes En septembre 1982, la Commission de réforme de la législation irlandaise a publié un rapport sur les enfants illégitimes. Elle recommande essentiellement que la législation abolisse la notion juridique d’enfants illégitimes et reconnaisse aux enfants nés hors mariage les mêmes droits qu’aux enfants issus d’un mariage. Après avoir étudié le rapport, le gouvernement a déclaré en octobre 1983 qu’il avait opté pour une réforme; elle devrait s’attacher à éliminer la discrimination que subissent les personnes nées hors mariage et à définir les droits et obligations de leurs pères. Il a décidé cependant de ne pas retenir une proposition de la Commission de réforme, tendant à octroyer au père des droits automatiques de tutelle à l’égard d’un tel enfant. En mai 1985, le ministre de la Justice a saisi les Chambres du Parlement d’un mémorandum, intitulé "The Status of Children" ("Le statut des enfants"), indiquant la nature et la portée des principales modifications préconisées par le gouvernement. Le 9 mai 1986, le projet de loi de 1986 sur le statut des enfants, dont une première version se trouvait annexée au mémorandum, a été introduit devant le Seanad. Il a pour but déclaré de supprimer, dans la mesure du possible, les discriminations que le droit en vigueur engendre au détriment des enfants nés hors mariage. S’il aboutit sous sa forme actuelle, il entraînera notamment les conséquences suivantes: a) Dans le cas où le nom d’une personne figure au registre des naissances comme celui du père d’un enfant né hors mariage, l’intéressé sera présumé père sauf preuve contraire (comp. le paragraphe 26 ci-dessus). b) Le père d’un enfant né hors mariage pourra demander en justice la cotutelle de l’enfant avec la mère (comp. le paragraphe 27 ci-dessus), auquel cas ils auront des droits et responsabilités parentaux identiques à ceux de parents mariés. c) La condition restreignant la possibilité d’une légitimation par mariage subséquent disparaîtra grâce à l’abrogation de l’article 1 § 2 de la loi de 1931 sur les enfants légitimes (paragraphe 28 ci-dessus). d) Les dispositions légales régissant l’obligation, pour les deux parents d’un enfant né hors mariage, de pourvoir à ses besoins seront analogues à celles qui valent pour des parents mariés (paragraphe 30 ci-dessus). e) En matière successorale, on ne distinguera plus entre les personnes selon que leurs parents étaient ou non mariés ensemble. Ainsi, un enfant né hors mariage aura droit à une part de la succession ab intestat de chacun de ses parents; il jouira des mêmes droits qu’un enfant né dans le mariage sur le patrimoine d’un parent qui décéderait en laissant un testament (comp. les paragraphes 31 et 32 ci-dessus). L’exposé des motifs précise que les modifications fiscales éventuelles rendues nécessaires par les nouvelles mesures projetées relèveraient d’une législation distincte, du ressort du ministre des Finances. Adoption Se trouve aussi à l’étude une réforme du droit de la l’adoption, à la suite de la publication en juillet 1984 du rapport de la Commission de révision des services d’adoption. Cette Commission a recommandé que, comme à présent (paragraphe 29 ci-dessus), les couples non mariés ne puissent adopter conjointement même leurs propres enfants naturels. PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION Roy Johnston, Janice Williams-Johnston et Nessa Williams-Johnston ont saisi la Commission le 16 février 1982 (requête no 9697/82). Ils se plaignaient de l’absence, en Irlande, de textes permettant le divorce et reconnaissant la vie familiale de personnes qui, après l’échec du mariage de l’une d’elles, entretiennent des relations familiales hors mariage; ils invoquaient les articles 8, 9, 12 et 13 (art. 8, art. 9, art. 12, art. 13) de la Convention, ainsi que l’article 14 (combiné avec les articles 8 et 12) (art. 14+8, art. 14+12). La Commission a retenu la requête le 7 octobre 1983. Dans son rapport du 5 mars 1985 (article 31) (art. 31), elle formule l’avis: - qu’il n’y a pas violation des articles 8 et 12 (art. 8, art. 12) quant au droit - non garanti par la Convention - de divorcer et de se remarier (unanimité); - qu’il n’y a pas violation de l’article 8 (art. 8) en ce que la loi irlandaise ne confère pas aux deux premiers requérants un statut familial reconnu (douze voix contre une); - qu’il y a violation de l’article 8 (art. 8) en ce que le régime juridique concernant le statut de la troisième requérante en droit irlandais ne respecte pas la vie familiale des trois requérants (unanimité); - qu’il n’y a pas violation des droits du premier requérant au titre de l’article 9 (art. 9) (unanimité); - qu’il n’y a pas violation de l’article 14, combiné avec les articles 8 et 12 (art. 14+8, art. 14+12), car les deux premiers requérants ne sont pas victimes de discriminations résultant de la loi irlandaise (douze voix contre une); - qu’il n’y a pas lieu d’examiner le grief distinct de la troisième requérante en matière de discrimination; - qu’il n’y a pas violation de l’article 13 (art. 13) (unanimité). Le texte intégral de l’avis de la Commission figure en annexe au présent arrêt. CONCLUSIONS PRESENTEES A LA COUR Devant la Cour, les requérants s’appuient sur les mêmes articles que devant la Commission, à l’exception de l’article 13 (art. 13). Lors des audiences des 23 et 24 juin 1986, le Gouvernement a confirmé en substance les conclusions de son mémoire du 28 novembre 1985, par lesquelles il priait la Cour: "1) Quant au moyen préliminaire: de dire et déclarer que les requérants a) ne peuvent se prétendre victimes au sens de l’article 25 (art. 25) de la Convention; b) n’ont pas épuisé les voies de recours internes; 2) Quant aux articles 8 et 12 (art. 8, art. 12): de dire et déclarer qu’il n’y a pas eu violation des articles 8 et 12 (art. 8, art. 12) pour autant que les deux premiers requérants revendiquent le droit de divorcer et de se remarier; 3) Quant à l’article 8 (art. 8): de dire et déclarer qu’il n’y a pas eu violation de l’article 8 (art. 8) en ce qui concerne la vie familiale des trois requérants ou de l’un quelconque d’entre eux; 4) Quant à l’article 9 (art. 9): de dire et déclarer qu’il n’y a pas eu violation de l’article 9 (art. 9); 5) Quant à l’article 14 combiné avec les articles 8 et 12 (art. 14+8, art. 14+12): de dire et déclarer qu’il n’y a pas eu violation de l’article 14 combiné avec les articles 8 et 12 (art. 14+8, art. 14+12) de la Convention; 6) Quant à l’article 13 (art. 13): de dire et déclarer qu’il n’y a pas eu violation de l’article 13 (art. 13); 7) Quant à l’article 50 (art. 50): i) de dire et déclarer qu’il n’est ni justifié ni approprié d’accorder une indemnité; ii) en ordre subsidiaire, au cas et dans la mesure où elle conclurait à la violation de tel ou tel article de la Convention, de dire et déclarer que pareil constat constitue en soi une satisfaction équitable suffisante". Le Gouvernement a relevé toutefois que les requérants n’alléguaient plus la violation de l’article 13 (art. 13); il a aussi formulé des arguments supplémentaires sur la recevabilité de certains de leurs griefs (paragraphe 47 ci-dessous).
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE A. Le contexte La requérante est une citoyenne britannique née en 1949. Le début de sa vie fut marqué par un comportement perturbateur et agressif; elle accomplit plusieurs séjours dans des établissements psychiatriques pour avoir absorbé des doses excessives de stupéfiants et connu des accès de violence. En mars 1973, alors qu’elle se trouvait à l’hôpital, elle épousa X, un malade interné d’office. Ils avaient du mal à gérer leurs affaires financières et "manipulaient" le personnel ainsi que les patients. Renvoyés de l’hôpital en septembre 1974, ils y restèrent cependant de leur plein gré en qualité de malades ambulatoires. En février 1975, la requérante retourna dans sa famille et subit une interruption de grossesse; après avoir recommencé à vivre avec X, elle fut de nouveau admise dans un établissement psychiatrique. Le 23 décembre 1975, elle donna le jour à une fille, A. B. Ordonnances de placement en lieu sûr et d’assistance provisoire; mise de A. sous tutelle Le conseil de comté local ("le Conseil"), qui avait joué un rôle dans l’octroi de l’aide des services sociaux à la requérante et à X, estima que A. ne tarderait pas à souffrir si elle demeurait avec eux. X était très fréquemment violent ou grossier, la requérante impulsive, imprévisible et sujette à des crises irrationnelles; le concours que leur prêtaient les services sociaux ne paraissait pas suffisant pour inverser ce comportement. Même la séparation de X et de la requérante, hospitalisée à titre volontaire avec A. le 26 janvier 1976 sur le conseil d’un travailleur social, ne semblait pas devoir modifier radicalement la situation. Le Conseil sollicita donc d’un tribunal pour enfants une ordonnance de placement en lieu sûr (paragraphe 35 ci-dessous) pour A.; il l’obtint le 12 février 1976. Les 26 février et 22 mars, le tribunal prononça des ordonnances d’assistance provisoire (paragraphe 41 ci-dessous) concernant l’enfant; le 24 mars, à la suite d’une demande du Conseil à la High Court, A. devint pupille de la justice (paragraphes 51-53 ci-dessous). En avril 1976, la requérante quitta X; en septembre 1977, elle divorça de lui. C. Procédure initiale devant la High Court relative au droit de visite Placée dans une pouponnière, A. reçut dix-sept fois la visite de sa mère entre le printemps et l’automne de 1976. Pendant une partie de cette période, la requérante résida dans un foyer pour femmes battues où elle manifesta des signes de violence à deux reprises. Le 14 décembre 1976, elle demanda en vain à la High Court, en vertu de la compétence de celle-ci en matière de tutelle, le droit à des contacts permanents ("staying access") avec sa fille. Le 1er février 1977, elle saisit derechef la High Court qui lui accorda quatre heures de visite une fois par semaine, d’abord à la pouponnière puis chez ses parents. Les visites ainsi autorisées continuèrent jusqu’en juin 1977 et, dans l’ensemble, la manière dont la requérante s’occupait d’A. n’appelait pas de critiques sérieuses. En mai de cette année, elle avait rencontré H. qu’elle devait épouser plus tard et qui exerçait sur elle une influence stabilisatrice très importante (paragraphe 17 ci-dessous). Ultérieurement, la requérante sollicita la garde et la direction de sa fille dans le cadre de ladite compétence de la High Court. Au cours de quatre journées d’audiences qui s’achevèrent le 24 juin 1977, elle transforma cette demande en une demande de contacts plus fréquents et même permanents. Le Conseil plaida qu’il fallait maintenir les possibilités de visites existantes, mais non les augmenter. Dans un rapport du 17 février 1977 l’"Official Solicitor", qui représentait A. comme tuteur ad litem (paragraphe 53 ci-dessous), n’émit aucune opinion tranchée mais exprima l’espoir que l’amélioration récente du comportement de la requérante se confirmerait. Quatre médecins vinrent déposer: deux pour l’intéressée et deux (qui ne l’avaient pas rencontrée) au nom du Conseil. La High Court débouta la requérante, supprima ses visites à sa fille et confia la garde de cette dernière au Conseil en vertu de l’article 7 § 2 de la loi de 1969 portant réforme du droit de la famille (paragraphe 52 ci-dessous). Dans le corps de son jugement, le juge préconisa l’adoption d’A. Cette recommandation, consignée dans son ordonnance du 24 juin 1977, reflétait apparemment le témoignage de l’un des médecins et les conclusions de l’Official Solicitor. Elle surprit le Conseil et la requérante car ni l’un ni l’autre n’avaient traité de cette possibilité dans leur argumentation. La requérante n’usa pourtant pas de son droit de recours (paragraphe 53 ci-dessous). Il semble qu’à la lumière de cette recommandation, le Conseil ait résolu peu après de placer A. aux fins de son adoption. Le 21 septembre 1977, les formulaires de santé nécessaires furent envoyés au médecin compétent pour qu’il les remplît et, entre cette date et le 29 septembre, les formulaires appropriés furent aussi adressés à la requérante. Elle reçut entre autres la note explicative prescrite par le règlement de 1976 sur les services d’adoption et dont la première phrase se lit ainsi: "La présente note doit être remise au parent (...) d’un enfant en instance d’adoption." Elle eut donc dès ce moment connaissance de la décision du Conseil. Il appert en effet que le 29 septembre un travailleur social se rendit auprès d’elle pour discuter de l’adoption et de son refus de signer le certificat figurant à la fin de ladite note. A cette époque, le Conseil retira l’aide de ses services sociaux à la requérante, dans le cadre des relations de celle-ci avec A., puisqu’à ses yeux il n’y avait plus lieu de les entretenir. Il entreprit ensuite de rechercher des adoptants potentiels et finit par en trouver le 12 octobre 1978. D. Procédure ultérieure devant la High Court concernant les visites et l’adoption Phase préliminaire La requérante épousa H. le 24 octobre 1977, après quoi sa condition mentale et physique se stabilisa; en janvier 1978, sa santé donnait des signes de nette amélioration. Son mari et elle accomplirent en vain maintes démarches auprès du Conseil pour rétablir les contacts entre elle et A., demeurée dans une pouponnière. Leurs entretiens avec les services sociaux, à la fin de 1977 et au début de 1978, furent marqués par des tensions et une dégradation des relations avec les travailleurs sociaux. En janvier 1978, le Conseil les informa que sitôt trouvé un placement pour A., on le leur dirait de manière à leur permettre d’exposer leur opinion en justice. Compte tenu de la solidité de leur union, la requérante et H. estimaient abusif le refus du Conseil de les laisser rencontrer A. Le 13 novembre 1978, ils saisirent donc la High Court, au titre de la compétence de celle-ci en matière de tutelle, d’une action en reprise des visites (paragraphe 53 ci-dessous). D’après le rapport du médiateur (ombudsman) local (paragraphe 31 ci-dessous) ils avaient attendu pour cela, sur le conseil de leurs solicitors, de pouvoir montrer que la requérante allait mieux et avait un foyer stable. Les audiences préliminaires relatives au droit de visite de la requérante devaient se dérouler le 1er décembre 1978. A cette date, la High Court ordonna à H. de produire des preuves à l’appui de la demande dans les vingt et un jours et au Conseil d’agir de même dans les vingt et un jours qui suivraient. Elle autorisa l’examen de A. par un psychiatre désigné par l’Official Solicitor, si ce dernier le jugeait bon, et le dépôt par toutes les parties de pièces d’ordre psychiatrique concernant d’autres parties à l’instance, y compris H. et A., sur quoi elle suspendit les débats sine die tout en accordant aux parties la faculté d’en provoquer la réouverture. Au cours de la procédure ultérieure devant la High Court, il fut reconnu qu’à l’audience du 1er décembre 1978 le Conseil avait exprimé très clairement l’intention de placer A. aux fins d’adoption, même s’il n’avait apparemment pas signalé qu’il avait trouvé en octobre des parents adoptifs éventuels (paragraphe 16 ci-dessus). Les parties semblent avoir toutes consenti à pareil placement, après lequel devait se dérouler une audience portant aussi bien sur l’adoption que sur les visites; on pensait manifestement qu’elle se tiendrait dans six mois environ, avant les longues vacances judiciaires de 1979. Spécialement la requérante ne réclama pas l’ajournement du placement et le Conseil n’émit aucune objection contre la production de ses moyens de preuve dans le délai fixé. Le 10 janvier 1979, A. rencontra pour la première fois les futurs adoptants. Après plusieurs visites, le Conseil la plaça chez eux le 2 mars 1979, ce qui ne fut pas révélé à la requérante. Moyens de preuve de H. et du Conseil En raison, selon la requérante, des vacances de Noël et de la nécessité de solliciter l’octroi de l’assistance judiciaire, H. déposa tardivement ses moyens de preuve; ils ne parvinrent à la High Court que le 2 février 1979. A son tour, le Conseil ne respecta pas la date limite du 23 février 1979. Le solicitor de la requérante, qui avait écrit à ce sujet au Conseil le 15 février sans recevoir de réponse, lui adressa derechef une lettre le 16 mars, précisant que si les pièces n’étaient pas versées au dossier dans les sept jours, il saisirait le tribunal de la question. Lorsque le Conseil lui téléphona, le 26 mars, pour lui assurer qu’il fournirait ses preuves dans les deux semaines suivantes, il répliqua que cela ne suffirait pas car il y avait urgence. Il n’accomplit pourtant, sur le moment, aucune démarche nouvelle auprès de la High Court. Entre temps, le 27 février, le solicitor avait écrit au Conseil pour s’enquérir de l’état de A. Après un rappel le 5 avril, le Conseil répondit le 10 que l’enfant "continu(ait) à faire de grands progrès et se développ(ait) normalement à tous égards". Ni dans cette lettre ni ailleurs, on ne trouvait mention du placement chez des adoptants potentiels. Ceux-ci avaient annoncé au Conseil, le 6 mars, qu’ils comptaient demander à adopter la fillette. Le 12 avril 1979, l’Official Solicitor informa par écrit le solicitor de la requérante qu’il ne pouvait faire mener ses propres investigations, aux fins de la procédure relative aux visites et à l’adoption, tant que le Conseil - dont il qualifiait le retard d’"absolument inacceptable" - n’aurait pas déposé ses moyens de preuve. Le solicitor de la requérante chargea des représentants à Londres de demander une ordonnance exigeant pareil dépôt et le 11 juin il revint à la charge auprès du Conseil. Le 14 juin, il avisa l’Official Solicitor que lesdits représentants avaient énormément de mal à obtenir à Londres la fixation d’une audience consacrée à l’examen de la question, en raison du récent conflit dans la fonction publique. D’après le Gouvernement, il ne semble pas y avoir eu à l’époque de difficultés ni de retards particuliers pour les inscriptions au rôle. Le 27 juin 1979, le Conseil indiqua au solicitor que les attestations (affidavits) pertinentes étaient presque prêtes et seraient signées la semaine suivante. Néanmoins, le 29 juin le solicitor lui signifia une mise en demeure, à retourner pour le 31 juillet, le sommant de se conformer à l’ordonnance rendue le 1er décembre 1978 par la High Court. Le 27 juillet, le Conseil en accusa réception par téléphone et affirma que les pièces seraient disponibles pour le 31 juillet. Tel ne fut pourtant pas le cas, sur quoi l’assistant du juge lui enjoignit de les produire dans les sept jours et le condamna aux dépens. Le Conseil fournit deux affidavits le 3 août 1979. Ils parvinrent le 6 au solicitor de la requérante. Sa cliente et lui apprirent alors, pour la première fois, qu’en mars A. avait été placée aux fins d’adoption (paragraphe 19 ci-dessus). Le Conseil déposa une attestation supplémentaire le 10 août. L’Official Solicitor reçut copie de chacune d’elles le 22 août. Le rapport de l’Official Solicitor L’Official Solicitor ignora lui aussi jusqu’en août 1979 le placement de l’enfant aux fins d’adoption. Le solicitor de la requérante lui ayant demandé, le 25 septembre, si son rapport concernant A. était achevé, il répondit le 4 octobre que l’on n’avait pas encore organisé de visites aux parties ni commis un expert psychiatre; le Conseil l’avait toutefois informé que les candidats à l’adoption de la fillette avaient constitué des solicitors et voulaient inviter la High Court à les autoriser à engager une procédure d’adoption (paragraphe 62 ci-dessous). L’Official Solicitor déclarait: "S’il en est ainsi mieux vaudrait, me semble-t-il, traiter conjointement la requête de votre cliente en matière de visites et la demande d’adoption; je vous écrirai à nouveau dès que les solicitors des parents nourriciers m’auront exposé la situation exacte." Le solicitor de la requérante répondit le 16 octobre, soulignant que le Conseil, n’ayant pris depuis si longtemps aucune mesure quant à la procédure d’adoption envisagée, ne devait pas retarder encore davantage l’examen de la demande de sa cliente. Le 22 octobre, l’Official Solicitor confirma qu’avant peu il organiserait les visites aux parties et désignerait le psychiatre. Suivit, entre le solicitor de la requérante et ceux des adoptants potentiels de A., un échange de lettres sur le point de savoir si l’introduction d’une instance en adoption exigeait une autorisation préalable bien que la High Court eût préconisé l’adoption dans son ordonnance du 24 juin 1977 (paragraphe 15 ci-dessus). Selon le premier, les circonstances avaient entièrement changé depuis lors et il fallait donc demander une nouvelle autorisation, A. restant pupille de la justice. Ses confrères, eux, prétendaient ne rien savoir de la procédure de tutelle menée jusque-là, mais estimaient qu’il y avait lieu de statuer en même temps sur l’adoption et sur les visites. Par une lettre du 27 novembre, l’Official Solicitor approuva la seconde méthode parce que moins onéreuse. Le 14 janvier 1980, le solicitor de la requérante exhorta derechef l’Official Solicitor à agir: aucune mesure nouvelle n’avait été prise au sujet de la procédure d’adoption à intenter, ce qui retardait le traitement de la demande de visites de sa cliente. L’Official Solicitor l’informa, le 28 janvier, qu’il avait reçu un projet des éléments de preuve à présenter en faveur de l’adoption souhaitée. Selon le Gouvernement, il ne pouvait entamer ses enquêtes aux fins de la procédure relative, à la fois, aux visites et à l’adoption tant qu’il ne se trouvait pas en possession de ces éléments de preuve. Il appert que l’introduction de l’instance en adoption remontait en fait au 30 novembre 1979, que les moyens de preuve des parents nourriciers furent déposés le 22 janvier 1980 et qu’ils parvinrent à l’Official Solicitor le 8 février. Les enquêtes officielles de celui-ci semblent avoir commencé le 12 février. Le 3 avril, il confirma au solicitor de la requérante qu’un psychiatre préparait un rapport à la réception duquel seraient rédigés et déposés les rapports sur la tutelle et l’adoption. Au 23 mai, l’Official Solicitor avait terminé ses investigations de sorte que l’on put fixer une date pour l’audience. Il l’aurait souhaitée plus proche, mais sans le consulter les parties choisirent le 8 octobre, premier jour disponible après les vacances judiciaires; elles n’essayèrent pas d’amener le tribunal à déclarer la cause apte à être entendue pendant celles-ci, ce qui aurait peut-être permis de l’examiner en août ou septembre. La décision de la High Court Les débats devant la High Court se déroulèrent en réalité les 21 et 22 octobre 1980. Le lendemain, le juge rendit une ordonnance d’adoption à l’égard de A. (qui cessa d’être pupille de la justice); il se passa du consentement de la requérante (paragraphe 61 ci-dessous) à qui il refusa toute possibilité de visite. Le juge analysa l’affaire longuement et en détail; il la qualifia de "difficile et douloureuse", en particulier parce que les circonstances dont il avait à connaître ne résultaient nullement d’une faute ou d’un comportement répréhensible de la requérante. Quant aux retards observés depuis le début de la procédure (13 novembre 1978), il nota qu’entre février et août 1979 le solicitor de la requérante et l’Official Solicitor avaient chacun "fait de leur mieux pour obtenir les moyens de preuve du Conseil". Le dépôt de ceux-ci avait eu lieu le 3 août, et alors seulement la requérante et ses conseillers avaient appris le placement de A. aux fins d’adoption. Tandis que l’Official Solicitor avait "agi avec toute la célérité souhaitable", la lenteur du Conseil, quoique non délibérée, apparaissait "fort déplorable"; les excuses présentées par le service juridique n’offraient aucune utilité pour la requérante, gravement lésée par ce retard. Le juge souligna que l’écoulement du temps pèse lourd dans une procédure d’adoption; les tribunaux et praticiens doivent veiller à ce qu’il n’affaiblisse pas la position des parents naturels. Néanmoins, les délais constatés en l’espèce avaient pour résultat qu’au moment des audiences la fillette, âgée de quatre ans et dix mois, se trouvait chez ses adoptants éventuels depuis dix-neuf mois et n’avait pas rencontré sa mère depuis juin 1977, près de trois ans et demi auparavant. Ayant considéré l’amélioration marquée de la situation générale de la requérante, le juge résuma ainsi les arguments de cette dernière: chacun la reconnaissant désormais capable de s’occuper d’un enfant, rien n’empêchait de lui rendre A. ou au moins de lui permettre de tenter de rétablir le contact avec elle; les procédures et retards concernant les demandes relatives à la tutelle et à l’adoption avaient été tels qu’ils équivalaient à un déni de justice envers elle comme envers sa fille; en particulier, depuis juillet 1977 le Conseil s’était fermé à toute idée de réintégration et avait cessé de lui fournir la moindre assistance, tant il était résolu à l’écarter de A. et à placer celle-ci aux fins d’adoption. Le tribunal estima néanmoins que pour apprécier le caractère, déraisonnable ou non, du refus de la requérante de consentir à l’adoption, il devait tenir compte des faits tels qu’ils existaient à la date des débats. Se référant à l’article 3 de la loi de 1975 sur les enfants (paragraphe 61 ci-dessous), il releva que le bien-être de l’enfant constituait le premier impératif, qui prédomine sur tous les autres, mais ajouta que d’après la jurisprudence de la Chambre des Lords, il fallait attribuer une grande importance aux revendications des parents naturels et qu’il y avait lieu de penser aussi, quoique dans une bien moindre mesure, aux intérêts des adoptants potentiels. Sur la question des visites, il admit que l’adoption, "guillotine légale", avait pour but de trancher tout lien avec les parents naturels et d’établir une relation juridique nouvelle avec les parents adoptifs. Il ne découvrit aucun motif justifiant la reprise des contacts entre la requérante et A.; il prescrivit donc de n’accorder aucune possibilité de visite. E. Procédure d’appel Le 14 janvier 1981, la Court of Appeal débouta la requérante de son recours contre cette décision et lui refusa l’autorisation de se pourvoir devant la Chambre des Lords. Elle reconnut qu’elle jouait un rôle très limité en matière d’adoption et ne pouvait infirmer que dans une mesure restreinte l’opinion du juge de première instance, qui avait ouï les témoins. Après avoir souligné l’aspect douloureux de l’affaire et le sentiment légitime d’injustice éprouvé par la requérante à cause des lenteurs de la procédure, elle rappela que le juge et elle-même avaient dû traiter la situation telle qu’elle se présentait au moment des audiences. Elle poursuivit ainsi: "On peut critiquer le comportement du Conseil; il n’en demeure pas moins qu’il s’agit ici de la vie d’un autre être humain, question que l’on ne saurait trancher en décernant aux parties de bonnes ou mauvaises notes quant au déroulement du procès." La requérante sollicita l’autorisation de saisir la Chambre des Lords, mais la commission des recours la lui refusa le 10 juin 1981. Elle demanda ensuite, également en vain, l’aide judiciaire pour établir si elle était fondée à intenter une action en dommages et intérêts contre le Conseil pour le retard qu’il avait apporté à produire ses éléments de preuve. F. Le médiateur local La requérante s’adressa au médiateur local, compétent pour instruire les plaintes de quiconque prétend avoir subi une injustice résultant d’une mauvaise administration à l’occasion de mesures qu’une autorité locale a prises dans l’exercice de ses fonctions administratives. D’après elle, il y avait eu mauvaise administration parce que le Conseil avait cessé, à partir du milieu de 1977, de lui venir en aide puis refusé de tenir compte de l’amélioration de son état et de son aptitude croissante à s’occuper de A. Elle lui reprochait en outre de s’être comporté de manière à l’en empêcher et de n’avoir pas voulu étudier de près la possibilité de considérer H. et elle-même comme des parents nourriciers ou adoptifs ainsi qu’ils l’avaient demandé. Dans son rapport du 18 août 1983, le médiateur local releva qu’il "ne [lui] appartenait certainement pas de contester le bien-fondé des décisions judiciaires rendues en l’espèce". Il conclut que les griefs de la requérante ne révélaient aucune mauvaise administration, sauf pour le retard apporté par le Conseil à fournir ses éléments de preuve. Il déclarait: "Il ressort très clairement de cet examen que le Conseil a causé une partie du retard mis par le tribunal à se prononcer; le juge le lui a déjà reproché. Ce retard était abusif et il équivaut à une mauvaise administration, mais je dois déterminer quelle injustice en a découlé. Dans nombre de cas, plus le retard a été long plus un tribunal pourrait avoir du mal à rompre un lien avec des parents adoptifs potentiels; après tout, il lui faut rechercher la solution la plus avantageuse pour l’enfant au moment où il statue. En l’espèce, les choses ne sont pourtant pas si simples. [La requérante] estimait aller de mieux en mieux, de sorte que jusqu’à un certain point ses chances de succès augmenteraient avec le temps. J’ai lu avec grand soin la décision de la High Court, mais il me semble vraiment très improbable qu’elle eût été différente si le Conseil avait montré avec plus de diligence." G. Évolution ultérieure En 1980, la requérante et H. avaient découvert où se trouvait A. et l’identité des parents adoptifs. Ils ont essayé à plusieurs reprises d’entrer en contact avec l’enfant, à son domicile ou à l’école. Aussi les adoptants ont-ils engagé une procédure de tutelle pour obtenir une injonction interdisant de tels contacts. La requérante et H. ont en maintes occasions passé outre aux ordonnances rendues à ce sujet par la High Court, si bien que des poursuites pour contempt of court ont été ouvertes contre eux. Ils ont sollicité auprès de l’autorité locale la permission de voir A., qui reste pupille de la justice, et auprès de la High Court celle d’introduire une instance en reconnaissance d’un droit de visite, mais leurs demandes n’ont pas abouti. II. DROIT ET PRATIQUE INTERNES PERTINENTS A. Assistance à l’enfance Introduction Le droit anglais et gallois ménage plusieurs procédures différentes, et en partie coordonnées, destinées à protéger l’enfance. La compétence de la High Court en matière de tutelle en constitue la plus ancienne, mais depuis maintes années elle coexiste - sans avoir disparu pour autant - avec diverses règles légales permettant de confier un enfant en danger à une autorité locale. Bien que la terminologie ainsi employée ne soit pas entièrement exacte, on a coutume de distinguer entre deux séries de mesures législatives: les premières prévoient "l’assistance d’office" (compulsory care) et instaurent un système qui habilite l’autorité locale à obtenir une ordonnance judiciaire plaçant un enfant sous sa garde; les secondes ont trait à "l’assistance sur demande" (voluntary care), mécanisme conçu d’abord pour répondre à une situation d’urgence sans qu’il faille s’adresser aux tribunaux. On dénombre en permanence en Angleterre et au Pays de Galles quelque 86.000 enfants confiés à l’assistance publique, dont 70.000 ne vivent pas avec leurs parents ou un proche. Les dispositions légales ont été modifiées à plusieurs reprises. Beaucoup d’entre elles ont été abrogées et remplacées par la loi de 1980 sur la protection de l’enfance ("la loi de 1980"), texte de synthèse dont la majeure partie est entrée en vigueur le 1er avril 1981. Dans l’aperçu ci-après du droit applicable à l’époque de la présente affaire, la version initiale est citée d’abord et toute clause correspondante de la loi de 1980 en vigueur au moment considéré figure entre crochets. Fournissant des renseignements de base d’ordre général, ce résumé couvre l’ensemble des trois procédures mentionnées (assistance d’office, assistance sur demande et tutelle), mais en l’espèce entraient directement en ligne de compte l’assistance d’office et surtout, la compétence de la High Court en matière de tutelle. Assistance d’office La principale loi relative à l’assistance d’office est celle de 1969 sur les enfants et adolescents ("la loi de 1969"), amendée par la loi de 1975 sur les enfants puis remplacée en partie par la loi de 1980; elle permet à l’autorité locale de demander, à titre de mesure temporaire, une "ordonnance de placement en lieu sûr" (place of safety order) et, à plus long terme, diverses autres ordonnances. a) Ordonnance de placement en lieu sûr Selon l’article 28 § 1 de la loi de 1969, chacun, y compris une autorité locale, peut solliciter d’un juge de paix le pouvoir de garder un enfant et de l’amener en lieu sûr; le juge peut accueillir la requête s’il en estime l’auteur fondé à croire, notamment, que le bon développement de l’enfant subit des entraves ou négligences évitables, que sa santé souffre d’un manque de soins ou d’atteintes évitables, qu’il est maltraité ou exposé à un danger moral. Une "ordonnance de placement en lieu sûr" vaut pour 28 jours au maximum et ne peut être prorogée. La personne qui garde l’enfant doit s’employer dans les meilleurs délais à informer le parent de la détention et de ses motifs. Si l’autorité locale souhaite que l’enfant reste dans un milieu protecteur au-delà de la période de 28 jours, elle doit soit le placer sous tutelle judiciaire (paragraphes 51-53 ci-dessous), soit engager une procédure d’assistance conformément à l’article 1 de la loi de 1969 (paragraphes 36-38 ci-dessous), soit solliciter du juge ou de la Magistrates’ Court une ordonnance provisoire en vertu de l’article 28 § 6 (paragraphe 41 ci-dessous); en cas de rejet d’une demande de la dernière catégorie, la remise immédiate de l’enfant "peut être ordonnée". b) Mesures à plus long terme i. Procédure d’assistance Si une autorité locale croit raisonnablement qu’il convient de prendre une ordonnance visant à aider, diriger ou surveiller un enfant, les articles 1 et 2 § 2 de la loi de 1969 l’obligent, sous réserve de quelques exceptions, à engager une procédure d’assistance (care proceedings) en le traduisant devant un tribunal pour enfants. En pareil cas, les parties sont l’autorité locale et l’enfant, mais non les parents. L’enfant peut au besoin bénéficier de l’aide judiciaire et il lui est loisible de laisser ses parents mener l’affaire pour son compte, eux-mêmes ou par l’intermédiaire d’un avocat. S’il a une maturité suffisante, il peut opter pour une représentation séparée. Un parent naturel qui n’agit pas au nom de l’enfant a le droit d’être averti de l’audience, de la suivre, de déposer et de citer des témoins pour contester les allégations de l’autorité locale. En pratique, le tribunal l’admet aussi à procéder à un interrogatoire croisé des témoins de celle-ci et à désigner son propre conseil. Lorsque le tribunal devant lequel comparaît l’enfant constate l’existence de l’un des motifs énoncés à l’article 1 de la loi de 1969 et la nécessité, pour l’enfant, d’une assistance ou surveillance qu’on ne saurait guère lui assurer sans une ordonnance, il peut rendre entre autres une ordonnance de surveillance, d’assistance ou provisoire. Parmi lesdits motifs se trouvent ceux qui justifient une ordonnance de placement en lieu sûr (paragraphe 35 ci-dessus). ii. Ordonnances pertinentes Une ordonnance de surveillance (supervision order) place l’enfant sous la surveillance des services de l’autorité locale; à cela près, il peut continuer à vivre avec ses parents. Une ordonnance d’assistance (care order) confie l’enfant à la garde de l’autorité locale. Celle-ci a envers lui les pouvoirs et devoirs que son parent ou tuteur auraient en l’absence de l’ordonnance (article 24 de la loi de 1969 [10 § 2 de la loi de 1980]), avec deux exceptions: elle ne peut faire élever l’enfant dans une foi religieuse différente de celle dans laquelle il l’aurait été autrement, ni consentir à son adoption. Une ordonnance provisoire (interim order) est une ordonnance d’assistance dont la durée de validité ne dépasse pas 28 jours; elle peut être prorogée sur demande (article 22 de la loi de 1969). Elle peut émaner du tribunal pour enfants saisi de l’affaire s’il n’est pas à même de choisir entre les autres ordonnances déterminées (article 2 § 10), ou pendant qu’une ordonnance de placement en lieu sûr se trouve en vigueur (paragraphe 35 ci-dessus). Elle confère à l’autorité locale les mêmes pouvoirs et devoirs qu’une ordonnance d’assistance permanente (paragraphe 40 ci-dessus). c) Échéance, modification ou levée des ordonnances d’assistance permanente Une ordonnance d’assistance permanente (full care order) arrive normalement à échéance lorsque l’enfant concerné atteint l’âge de dix-huit ans (article 20 § 3 b) de la loi de 1969). D’après les articles 21 § 2 et 70 § 2, le tribunal pour enfants peut en outre, s’il le juge bon et à la demande de l’enfant ou du parent agissant au nom de celui-ci (mais pas au sien propre), lever l’ordonnance et, le cas échéant, délivrer une ordonnance de surveillance. De telles demandes peuvent être présentées tous les trois mois ou, avec l’accord du tribunal, plus fréquemment (article 21 § 3). La décision de lever ou non l’ordonnance se fonde avant tout sur les intérêts de l’enfant. d) Recours contre les ordonnances d’assistance Aux termes des articles 2 § 12 et 21 § 4 de la loi de 1969, l’enfant faisant l’objet de l’ordonnance d’assistance ou le parent agissant au nom de l’enfant (mais non au sien propre), peut attaquer devant la Crown Court ladite ordonnance, le rejet d’une demande en mainlevée de celle-ci ou une ordonnance de surveillance prise lors de sa levée. La Crown Court contrôle la décision en réexaminant l’affaire. Moyennant une autorisation, sa propre décision se prête à un appel à la High Court, qui statue sur la base d’un exposé des faits agréé par les deux parties; il existe une possibilité de recours ultérieur à la Court of Appeal et, dans de rares hypothèses, à la Chambre des Lords. L’autorité locale ne jouit d’aucun droit général de recours contre le refus du tribunal pour enfants de rendre une ordonnance d’assistance, sauf devant la High Court sur un point de droit. Assistance sur demande La principale loi relative à l’assistance sur demande est celle de 1948 sur les enfants ("la loi de 1948"), modifiée par la loi de 1975 sur les enfants puis remplacée par la loi de 1980. Elle a pour effet de permettre à un parent de confier son enfant à une autorité locale; dans une première phase celle-ci n’acquiert aucun statut particulier à l’égard de l’enfant, mais il peut en aller différemment par la suite. a) Prise en charge d’un enfant L’article 1 de la loi de 1948 [2 de la loi de 1980] oblige l’autorité locale à prendre en charge un mineur de dix-sept ans lorsqu’il s’avère, notamment, que la maladie, l’incapacité ou d’autres circonstances empêchent pour un temps ou durablement les parents ou le tuteur d’en assurer comme il convient le logement, l’entretien et l’éducation, et que le bien-être de l’enfant commande une intervention de l’autorité. Sauf disposition contraire de la loi, elle doit en conserver la charge tant qu’il n’a pas dix-huit ans et que son bien-être l’exige, mais il lui faut aussi s’employer à ce que les parents la reprennent lorsque cela semble compatible avec le bien-être de l’intéressé. En son article 1, la loi de 1948 [article 2 de la loi de 1980] précise qu’elle n’habilite pas l’autorité locale à conserver la charge de l’enfant si l’un ou l’autre des parents ou le tuteur souhaitent l’assumer. Toutefois, nul ne peut reprendre un enfant assisté depuis six mois, sans discontinuer, s’il n’en a pas notifié l’intention vingt-huit jours au moins au préalable ou si l’autorité locale ne lui a pas donné son accord (article 1 § 3 A [13 § 2]). En outre, si un parent sollicite le retour de l’enfant l’autorité locale n’est pas tenue d’accepter sans se soucier du bien-être de ce dernier (Lewisham London Borough Council v. Lewisham Juvenile Court Justices, All England Law Reports, 1979, vol. 2, p. 297). Si elle juge incompatible avec ce bien-être le transfert de la garde au parent, elle peut soit adopter une résolution sur la puissance parentale (parental rights resolution, paragraphe 47 ci-dessous), soit demander que l’enfant devienne pupille de la justice (ward of court, paragraphes 51-53 ci-dessous). b) Résolution sur la puissance parentale Si une autorité locale chargée d’un enfant au titre de l’article 1 de la loi de 1948 [2 de la loi de 1980] estime, notamment, que l’un des parents est incapable d’en assurer la garde à cause, entre autres, de ses habitudes, de son mode de vie ou de manquements constants et injustifiés à ses obligations de parent, elle peut s’attribuer les droits et devoirs parentaux envers cet enfant (article 2 § 1 [3 § 1]). Il s’agit de tous ceux dont la loi investit la mère et le père à l’égard d’un enfant légitime et de son patrimoine, y compris "un droit de visite" (right of access), à l’exclusion toutefois du droit de consentir - ou de s’y refuser - à une adoption ou à certaines ordonnances connexes (article 2 § 11 de la loi de 1948 [3 § 10 de la loi de 1980] et article 85 § 1 de la loi de 1975 sur les enfants). Avant d’assumer la puissance parentale, l’autorité locale doit examiner un rapport de ses services sociaux sur l’opportunité d’une telle mesure; il doit fournir tous les renseignements nécessaires au bon exercice du pouvoir d’appréciation de l’autorité. Lorsqu’elle se prononce, celle-ci doit attacher une importance primordiale aux intérêts de l’enfant et tenir compte des vues des parents sur la proposition. c) Oppositions aux résolutions sur la puissance parentale Si le parent n’a pas encore accepté par écrit la résolution sur la puissance parentale et si l’on sait où l’atteindre, on doit la lui notifier en lui indiquant qu’il peut s’y opposer dans le délai d’un mois (article 2 §§ 2 et 3 de la loi de 1948 [3 §§ 2 et 3 de la loi de 1980]). S’il use de ce droit, la résolution tombe quatorze jours après la notification de l’opposition (article 2 § 4 [3 § 4]). Cependant, pendant ce laps de temps l’autorité locale peut saisir un tribunal pour enfants, moyennant quoi la résolution reste en vigueur jusqu’à la décision. Après examen de la "plainte", le tribunal peut décider que la résolution ne deviendra pas caduque s’il constate que les conditions requises se trouvaient réunies au moment du prononcé, qu’elles le restent et que le maintien de la mesure sert l’intérêt de l’enfant (article 2 § 5 [3 §§ 5 et 6]). d) Échéance ou levée des résolutions sur la puissance parentale Une résolution sur la puissance parentale reste en vigueur jusqu’à ce que l’enfant atteigne l’âge de dix-huit ans, sauf si l’autorité locale l’annule ou si un tribunal pour enfants y met un terme auparavant (article 4 de la loi de 1948 [5 de la loi de 1980]). Même sans s’être d’emblée opposé à la résolution, le parent concerné peut en réclamer la levée à un tribunal pour enfants. Celui-ci peut accueillir la demande s’il estime que la résolution ne se justifiait pas ou qu’elle doit prendre fin dans l’intérêt de l’enfant (article 4 § 3 b) [5 § 4 b)]). Une demande fondée sur les motifs initiaux de la résolution doit cependant être introduite dans les six mois de l’adoption de celle-ci (article 127 de la loi de 1980 sur la Magistrates’ Court). e) Recours relatifs aux résolutions sur la puissance parentale D’après l’article 4 A de la loi de 1948 [6 de la loi de 1980], un parent ou l’autorité locale peuvent attaquer devant la Family Division de la High Court l’ordonnance d’un tribunal pour enfants confirmant (article 2 § 5 [3 § 6]) ou levant (article 4 § 3 b) [5 § 4 b)]) une résolution sur la puissance parentale, ou le refus du tribunal de prendre une telle ordonnance. Il existe une possibilité de recours ultérieur à la Court of Appeal puis, moyennant autorisation, à la Chambre des Lords. Tutelle La Family Division de la High Court a la compétence implicite, indépendante des dispositions légales et découlant de la prérogative régalienne de la Couronne en qualité de parens patriae, de placer un enfant sous tutelle judiciaire. La tutelle a pour effet de conférer la garde, au sens large, au tribunal lui-même. Il assume la responsabilité de tous les aspects du bien-être de l’enfant et peut prendre des ordonnances en toute matière appropriée, notamment quant aux soins et à la surveillance du pupille, aux visites qu’il peut recevoir, à son éducation, sa religion ou son patrimoine. Ce faisant, il attache une importance primordiale au bien-être de l’enfant (article 1 de la loi de 1971 sur la tutelle des mineurs). La tutelle se poursuit jusqu’à la majorité, sauf si une ordonnance du tribunal y met fin plus tôt. Si des circonstances exceptionnelles rendent impossible ou inopportun qu’un pupille soit ou demeure sous la garde de ses parents, le tribunal peut par ordonnance le confier à l’assistance de l’autorité locale (article 7 § 2 de la loi de 1969 portant réforme du droit de la famille), sous réserve de son pouvoir de donner des directives (article 43 § 5 a) de la loi de 1973 sur les affaires matrimoniales). Il conserve en pareil cas la garde de l’enfant et c’est à lui, non à l’autorité locale, qu’il incombe d’arrêter les principales décisions concernant l’avenir du pupille; il reste, par exemple, compétent pour prendre des ordonnances sur les visites à ce dernier. A qualité pour introduire une procédure de tutelle quiconque justifie d’un intérêt légitime pour le bien-être de l’enfant. La demande revêt la forme d’une assignation. L’enfant devient pupille dès la délivrance de celle-ci, mais la tutelle cesse automatiquement au bout de vingt et un jours si aucun exploit d’ajournement n’a été déposé d’ici là. L’audience a normalement lieu devant un greffier qui, sous réserve d’un recours au juge, peut ordonner des mesures provisoires sur des questions telles que les visites à l’enfant et décider que d’autres personnes concernées interviendront dans la procédure. Le juge connaît des affaires de tutelle s’il y a contestation, ainsi que des demandes - pouvant être présentées par une partie à tout moment - en modification ou levée d’une ordonnance de tutelle ou relatives, par exemple, aux visites à l’enfant ou à son éducation. Contre ses ordonnances s’ouvre un recours devant la Court of Appeal puis, moyennant autorisation, devant la Chambre des Lords. Dans une procédure de tutelle, l’enfant peut être représenté par un tuteur ad litem désigné par le tribunal; il s’agit en général de l’Official Solicitor, fonctionnaire à plein temps entièrement indépendant de l’exécutif. Le règlement de la Supreme Court permet de requérir une ordonnance accélérant la procédure, notamment si une partie se livre à des manoeuvres dilatoires. Décisions d’une autorité locale relatives à un enfant sous sa garde et contrôle judiciaire Dans le domaine de la protection de l’enfance, l’autorité locale exerce ses fonctions et arrête ses décisions par les soins de sa commission des services sociaux, d’une sous-commission ou encore d’un fonctionnaire agissant par délégation. A l’époque des faits, la pratique variait d’une autorité à l’autre en l’absence de prescriptions ou indications précises, même non législatives; beaucoup dépendait de la nature ou de la gravité de la décision à prendre. Que l’enfant lui soit confié en vertu de la loi de 1948 [1980] ou de 1969, l’autorité locale doit songer d’abord à la nécessité d’en sauvegarder et favoriser le bien-être pendant toute l’enfance; autant que possible, il lui faut s’assurer de ses désirs et sentiments quant à la décision et les considérer compte tenu de son âge et de son entendement (article 59 de la loi de 1975 sur les enfants [18 § 1 de la loi de 1980]). Les décisions des autorités locales en la matière se fondent souvent sur les résultats d’examens périodiques (case reviews) ou de réunions ad hoc (case conferences). L’autorité a l’obligation légale de revoir tous les six mois le cas de chaque enfant placé sous sa garde (article 27 § 4 de la loi de 1969) et, en pratique, la situation de l’enfant est de surcroît étudiée régulièrement lors de réunions ad hoc. Aux examens et réunions participent notamment les travailleurs sociaux responsables et de hauts fonctionnaires des services sociaux de l’autorité, ainsi que d’autres personnes tels des visiteurs sanitaires, médecins et officiers de police. Un parent peut à l’occasion être admis ou invité à assister à tout ou partie d’un examen périodique ou d’une réunion ad hoc, mais il n’y a aucun droit de par la loi. Ses contacts avec les travailleurs sociaux constituent le moyen le plus habituel de communiquer ses vues sur les questions que doit trancher l’autorité. Sans procédure judiciaire, le parent ne peut contraindre l’autorité locale à lui délivrer ou lui permettre de lire le procès-verbal de ses réunions pertinentes ou les rapports qui y ont été produits, encore qu’elle ait la faculté de le laisser les consulter. En cas d’instance en contrôle judiciaire (mais non devant un tribunal pour enfants), le tribunal peut ordonner la communication avant procès de ces documents, mais seulement une fois obtenue l’autorisation d’entamer la procédure (paragraphe 57 ci-dessous); toutefois, cela n’arrive que rarement car en principe il s’agit de pièces secrètes (privileged) et inaccessibles à l’intéressé. Un parent dont l’enfant se trouve sous la garde d’une autorité locale ne perd pas automatiquement contact avec lui. Cependant, la continuation des visites relève de l’appréciation de l’autorité (Lord Wilberforce dans A. v. Liverpool City Council, All England Law Reports 1981, vol. 2, p. 385). En droit anglais, la question de savoir si et dans quelle mesure un parent doit pouvoir rendre visite à son enfant assisté était donc, à l’époque, du ressort de l’autorité locale, sans qu’il fallût saisir un tribunal. La loi de 1948 [1980] comme celle de 1969 reflètent l’idée générale que le maintien des visites parentales aux enfants assistés est dans bien des hypothèses normal et souhaitable: la première permet à l’autorité locale de contribuer aux frais de pareille visite, la seconde traite spécialement de certains cas où les parents n’ont pas rendu visite à l’enfant depuis quelque temps. Les voies de recours légales indiquées aux paragraphes 42-43 et 48-50 ci-dessus, offrant aux parents le moyen soit de contester une ordonnance d’assistance ou une résolution sur la puissance parentale, soit d’en réclamer la levée, concernent l’ordonnance ou la résolution en soi; au moment des faits, il n’en existait aucune par laquelle ils pussent attaquer isolément une décision limitant ou supprimant leurs visites à leur enfant. Une décision de l’autorité locale en matière de visites peut en revanche donner lieu à une demande en contrôle judiciaire. Toute personne désireuse d’introduire une telle demande doit d’abord solliciter, en principe dans les trois mois de la décision, l’autorisation du tribunal. Les cas d’ouverture d’un contrôle judiciaire peuvent en bref se résumer ainsi: a) l’autorité a agi irrégulièrement, en excédant ses pouvoirs ou de mauvaise foi; b) elle a négligé de prendre en compte des éléments pertinents, pris en compte des éléments dénués de pertinence ou abouti à une décision à laquelle aucune autorité sensée n’eût pu arriver (Associated Provincial Picture Houses, Ltd v. Wednesbury Corporation, King’s Bench Reports 1948, vol. 1, p. 223); c) elle n’a pas respecté des règles légales de procédure ou n’a pas agi équitablement (voir notamment R. v. The Bedfordshire County Council, ex parte C, et R. v. The Hertfordshire County Council, ex parte B, Times Law Reports, 19 août 1986). Le contrôle judiciaire porte non sur le bien-fondé de la décision en cause, mais plutôt sur le processus décisionnel en soi; le tribunal ne joue pas le rôle d’une "cour d’appel". Ainsi, lorsqu’il accueille la demande et annule la décision d’une autorité, il renvoie d’ordinaire la question à celle-ci pour qu’elle la reconsidère; il peut aussi, cependant, ordonner à l’autorité d’arrêter une conclusion conforme à ses constatations (règlement de la Supreme Court, titre 53, article 9 § 4). En outre, dans certaines circonstances on peut s’adresser à la juridiction compétente en matière de tutelle pour contester les décisions d’une autorité locale ou d’un tribunal pour enfants concernant un enfant confié à la première. En règle générale, le pouvoir de la Couronne ne se trouve pas supplanté ou abrogé à tous égards par l’exercice des attributions dont la loi investit lesdites autorités. Dans son arrêt de principe A. v. Liverpool City Council, la Chambre des Lords a examiné les relations entre la juridiction de tutelle et les pouvoirs légaux des autorités locales. Elle a estimé à l’unanimité que les tribunaux n’ont pas à vérifier le bien-fondé des décisions de celles-ci, notamment quant aux visites à l’enfant: le pouvoir implicite général du tribunal dans le domaine des tutelles doit servir à combler des lacunes ou compléter les attributions des autorités locales, mais non à surveiller - sauf sur la base des principes du contrôle judiciaire (paragraphe 57 ci-dessus) - la manière dont celles-ci usent de leur liberté d’appréciation dans le secteur que leur confie la loi. Parfois, cependant, l’autorité locale elle-même peut solliciter en sus l’aide du tribunal; la tutelle peut alors se poursuivre pour permettre à ce dernier de prendre des dispositions. Les limites susmentionnées aux pouvoirs de la High Court ne valent que si la procédure de tutelle concerne un enfant déjà placé sous assistance. Dans le cas contraire, la High Court peut connaître intégralement de questions comme celle des visites et rendre l’ordonnance qu’elle juge la plus appropriée dans l’intérêt de l’enfant. Évolution récente L’incapacité des parents à saisir les tribunaux - sauf dans la mesure indiquée plus haut - quand une autorité locale arrête des décisions touchant à leurs visites à leurs enfants, a conduit le Parlement à modifier sur ce point la législation par la loi de 1983 sur les services sanitaires et sociaux et le contentieux de la sécurité sociale (Health and Social Services and Social Security Adjudications Act 1983). Selon les nouveaux textes - entrés en vigueur le 30 janvier 1984, donc après les événements à l’origine de la présente affaire -, une autorité locale ne peut refuser de ménager des visites à un enfant assisté et ne peut les supprimer sans en avoir averti le parent. Celui-ci a alors le droit de demander à un tribunal pour enfants une ordonnance de visite (access order) enjoignant à l’autorité locale de permettre ces visites aux conditions que le tribunal peut préciser. Une fois rendue pareille ordonnance, il est possible d’en solliciter la modification. La décision du tribunal pour enfants peut être attaquée devant la High Court. Toute juridiction examinant la question doit considérer d’abord le bien-être de l’enfant. La voie de recours ainsi créée ne vaut que pour les décisions refusant ou supprimant les visites; dans tous les autres cas, la nature et l’étendue de ces dernières relèvent du pouvoir d’appréciation de l’autorité locale. En décembre 1983, le gouvernement a publié un code de pratique sur les visites aux enfants assistés. Ce document souligne qu’il importe d’associer les parents par le sang au processus de décision de l’autorité locale en la matière et de les renseigner de manière complète et rapide sur le contenu des décisions relatives aux visites. B. Adoption Pour pouvoir prononcer l’ordonnance d’adoption d’un enfant, un tribunal doit notamment, d’après l’article 12 de la loi de 1975 sur les enfants, se convaincre du consentement libre et sans réserve de chacun des parents. Il peut néanmoins s’en passer pour plusieurs motifs énoncés dans le même article, par exemple si le parent refuse son accord de façon abusive ou a constamment failli à ses obligations parentales sans raison défendable. Pour arrêter ses décisions en ce domaine, un tribunal doit tenir compte de toutes les circonstances, son premier souci consistant à protéger et favoriser le bien-être de l’enfant tout au long de l’enfance (article 3 de ladite loi). S’il s’agit d’un pupille de la justice, la procédure d’adoption ne peut être engagée sans l’autorisation de la High Court. Celle-ci doit alors rechercher si la demande d’adoption projetée a des chances sérieuses d’aboutir, le fond de la question étant examiné ultérieurement, une fois l’autorisation octroyée et remplies les conditions relatives au préavis et aux rapports. PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION Mme H. a saisi la Commission le 3 septembre 1981, pour son propre compte et celui de sa fille A. (requête no 9580/81). Elle se plaignait notamment que sa demande du 13 novembre 1978, tendant à l’octroi de possibilités de contacts avec l’enfant, n’eût pas été examinée dans un délai raisonnable; elle invoquait l’article 6 § 1 (art. 6-1) de la Convention et l’article 13 combiné avec l’article 8 (art. 13+8). Le 13 mars 1984, la Commission a retenu les griefs de Mme H. quant à la durée et à l’efficacité des recours disponibles et à la mesure dans laquelle ils assuraient le respect de la vie familiale de l’intéressée; elle a déclaré la requête irrecevable, ratione personae, pour autant qu’elle avait été introduite au nom de A. et, pour défaut manifeste de fondement, dans la mesure où Mme H. alléguait que les décisions lui refusant un droit de visite et autorisant l’adoption de l’enfant constituaient une atteinte injustifiée à son droit au respect de sa vie familiale. Dans son rapport du 18 octobre 1985 (article 31) (art. 31), elle arrive à la conclusion : - qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 (art. 6-1) en ce que la requérante n’a pas bénéficié dans un délai raisonnable d’une décision sur son droit, de caractère civil, de rendre visite à sa fille (unanimité); - qu’il y a eu violation de l’article 8 (art. 8) en ce que la durée de la procédure relative à ce même droit révèle un manque de respect pour la vie familiale de la requérante (douze voix contre deux, avec une abstention). Le texte intégral de l’avis de la Commission figure en annexe au présent arrêt. CONCLUSIONS PRESENTEES PAR LE GOUVERNEMENT A LA COUR Aux audiences des 25-26 novembre 1986, le Gouvernement a invité la Cour à dire "- premièrement, qu’il n’y a eu violation de l’article 8 (art. 8) de la Convention dans le chef d’aucun des requérants; - deuxièmement, qu’il n’y a eu violation de l’article 6 § 1 (art. 6-1) de la Convention dans le chef d’aucun des requérants; - troisièmement, que dans le cas des requérants [O., W., B. et R.] aucune question distincte ne se pose au regard de l’article 13 (art. 13), mais que s’il s’en pose une il n’y a pas eu non plus violation de ce dernier".
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE M. Baraona, ressortissant portugais né en 1930, exerce la profession de commerçant et réside à Vitoria (Brésil). Jusqu’en mai 1975, il vécut à Cascais (Portugal) avec son épouse et leurs cinq enfants. Cependant, le 17 mai 1975 le président du Service de coordination de la dissolution de la PIDE/DGS et de la LP (Police internationale de défense de l’État/Direction générale de sûreté et Légion portugaise) ordonna son arrestation immédiate, au motif qu’il s’agissait d’un "dangereux réactionnaire" et qu’il fallait "enquêter sur ses activités réactionnaires". A l’époque, le Portugal traversait une période difficile, qui suivait le mouvement du 11 mars 1975 et qui se termina le 25 avril 1976 avec l’adoption de la nouvelle Constitution. Ayant appris qu’on allait l’appréhender, M. Baraona s’enfuit au Brésil avec sa famille; il ne regagna le Portugal qu’en septembre 1978, après l’annulation du mandat d’arrêt lancé contre lui. Pendant son absence, les travailleurs de son entreprise de construction civile s’étaient approprié celle-ci et d’autres biens du requérant, en particulier la maison avec son mobilier et les comptes bancaires. Le 31 mai 1976, le tribunal de Cascais déclara ladite entreprise en état de faillite. En outre, l’institution bancaire de droit public "Cofre da Previdência", à laquelle le requérant avait acheté la maison, la vendit à un tiers après avoir résilié le contrat pour non-paiement. Ultérieurement, M. Baraona récupéra la maison par voie de règlement amiable, après avoir payé certaines sommes à la banque et à la personne concernées. Le 30 juillet 1981, il intenta une action en responsabilité civile contre l’État devant le tribunal administratif (auditoría administrativa) de Lisbonne, en vertu du décret-loi no 48.051 du 21 novembre 1967 sur la responsabilité civile extracontractuelle de l’État pour des actes de gestion publique (paragraphe 30 ci-dessous). Selon lui, le mandat d’arrêt décerné contre lui était illégal, faute de contenir les éléments d’une infraction et de poursuivre un "but sérieux". M. Baraona réclamait 8.800.000 escudos de dommages-intérêts pour le préjudice matériel et moral subi. Le lendemain, le juge enregistra la demande introductive d’instance (petição inicial) et ordonna la citation de la partie défenderesse, représentée par le ministère public (ministério público), l’invitant à y répondre dans les vingt jours, conformément à l’article 486 § 1 du code de procédure civile (paragraphe 32 ci-dessous). Le 28 octobre 1981 puis le 27 janvier 1982, le juge administratif consentit à proroger ce délai de trois mois, ainsi que le ministère public l’en avait prié en vertu de l’article 486 § 3 du même code (paragraphe 32 ci-dessous). Le 26 avril 1982, le ministère public sollicita derechef une prolongation extraordinaire de trente jours. Il la fondait sur le besoin de recueillir de plus amples informations afin de préparer ses réquisitions en réponse (contestação). Le juge la lui accorda le 28. Les 8 juin et 21 juillet 1982, le ministère public présenta deux nouvelles demandes de prolongation extraordinaire de trente jours, en affirmant qu’il ne possédait pas encore tous les éléments pour préparer sa réponse. Le juge y déféra les 14 juin et 27 juillet, respectivement. Le 30 juillet 1982, le requérant se plaignit au juge de ces prorogations successives; il réclama en outre une copie de certaines pièces du dossier afin de saisir le Conseil supérieur de la magistrature et la Commission européenne des Droits de l’Homme pour violation de l’article 6 § 1 (art. 6-1) de la Convention. Le 29 septembre 1982, M. Baraona forma un recours incident (de agravo) à la Cour administrative suprême (Supremo Tribunal Administrativo) contre la décision du tribunal administratif de Lisbonne, du 27 juillet, prolongeant le délai imparti au ministère public. Il le déposa auprès du tribunal inférieur, en engageant celui-ci à l’adresser aussitôt à la juridiction supérieure. Le tribunal administratif accepta le recours le 15 octobre 1982, mais ordonna qu’il fût joint au dossier avec l’appel principal et non transmis séparément et immédiatement à la Cour administrative suprême. Il précisa en outre que le recours n’avait pas d’effet suspensif. Dans son mémoire de recours (alegações) du 26 octobre 1982, le requérant fit valoir que le tribunal avait violé l’article 486 § 3 du code de procédure civile en prolongeant de plus de six mois le délai susmentionné, alors qu’il n’existait aucune justification exceptionnelle et que le ministère public n’avait pas précisé les éléments et informations qui lui manquaient. En effet, pareille prorogation ne pouvait être accordée par le juge arbitrairement, mais seulement à titre exceptionnel et sans dépasser six mois. Or, en l’espèce, le ministère public n’avait pas présenté ses réquisitions après plus d’une année ni invoqué des motifs sérieux. Le 4 novembre 1982, le ministère public sollicita une nouvelle prolongation extraordinaire de dix jours; il relevait que le tribunal administratif avait changé de locaux, ce qui avait paralysé les activités du ministère public pour un certain temps. Invité par le juge, le 9 novembre, à se prononcer, le requérant répondit le 15 qu’il estimait la demande injustifiée, qu’il en réclamait le rejet et qu’il y avait lieu de constater l’expiration du délai consenti au ministère public. Les réquisitions parvinrent au tribunal administratif le 18 novembre; le greffier les communiqua d’emblée à M. Baraona. Croyant que le juge du tribunal administratif de Lisbonne avait décidé de les verser au dossier et de les lui notifier, M. Baraona introduisit le 25 novembre devant ledit tribunal un recours incident à la Cour administrative suprême, l’invitant à le transmettre immédiatement à celle-ci et à lui attribuer un effet suspensif. Le 30 novembre, il déposa cependant sa réplique (réplica) aux réquisitions du ministère public, qui répondit par une duplique (tréplica) le 17 décembre. Le 21 décembre 1982, le ministère public présenta ses observations (contra-alegações) sur le recours de M. Baraona du 29 septembre. D’après lui, ses demandes de prorogation se fondaient sur la nécessité non seulement de recueillir des moyens de preuve, mais surtout de déterminer l’orientation générale de ses conclusions, notamment en matière d’exceptions. D’ailleurs, l’article 486 § 3 du code de procédure civile n’exigeait pas des raisons concrètes; une justification d’ordre général suffisait. Certes, l’article 266 obligeait le juge à écarter les obstacles qui causaient un retard dans le déroulement de la procédure, mais il s’agissait là d’un pouvoir discrétionnaire qui, en l’occurrence, ne pouvait s’exercer utilement. Le 11 février 1983, le juge du tribunal administratif de Lisbonne annula sa décision du 27 juillet 1982 accordant au ministère public une prolongation de délai et la remplaça par une de rejet. Il soulignait que d’après l’article 486 § 3 du code, pareille prolongation ne pouvait être octroyée que si, cumulativement, le ministère public ne disposait pas des renseignements nécessaires et ne pouvait se les procurer à temps. En outre, il devait indiquer dans quel domaine il avait besoin d’informations et quelles démarches il avait entreprises pour les obtenir. Or, en l’espèce, il s’était borné à affirmer qu’il lui fallait des informations complémentaires, sans fournir aucune précision. En conséquence le juge décida, pour cause de tardiveté, de ne pas prendre en considération les conclusions déposées par les parties après le 27 juillet 1982, à savoir les réquisitions du 18 novembre 1982, la réplique du 30 novembre et la duplique du 17 décembre; il en ordonna le retrait du dossier. Enfin, constatant que les réquisitions avaient été communiquées à M. Baraona par le greffier et non par lui-même, le juge repoussa le recours formé par l’intéressé le 25 novembre 1982: on ne pouvait pas attaquer devant la juridiction supérieure les actes du greffier; il y avait lieu de saisir le juge d’une réclamation. Le jour même, le tribunal ordonna une série de mesures d’instruction, dont la recherche du mandat d’arrêt lancé en 1975 contre M. Baraona. Après avoir reconnu l’impossibilité d’en retrouver trace, le juge du tribunal administratif rendit le 30 décembre 1983 une décision préparatoire (despacho saneador) par laquelle il déclarait l’affaire recevable et dressait une liste des faits admis par les parties (especificação) et de ceux à éclaircir à l’audience (questionário). M. Baraona présenta le 20 janvier 1984 une réclamation contre cette décision, en vertu de l’article 511 § 2 du code de procédure civile. Selon lui, après l’exclusion des réquisitions du ministère public tous les faits allégués par lui dans sa demande devaient être réputés admis, car l’article 6 § 1 (art. 6-1) de la Convention, consacrant le principe de l’égalité des armes, avait abrogé les articles 485 alinéa b) et 490 § 4 du code de procédure civile (paragraphe 32 ci-dessous). Partant, les faits qui, aux yeux du juge, appelaient des éclaircissements à l’audience devaient tous être considérés comme admis et inclus dans l’especificação. Les observations du ministère public à ce sujet parvinrent au tribunal le 27 janvier. Le juge, à qui le greffier avait communiqué le dossier le 2 février 1984, rejeta la réclamation le 12 avril en s’excusant du retard imputable à son absence en mission officielle à l’étranger de janvier à mars. Il concédait que la thèse du requérant s’appuyait sur un article de doctrine et sur la décision d’un tribunal de première instance, annulée par la cour d’appel de Porto le 7 juin 1983, mais marquait son accord avec le raisonnement de cette dernière. Il relevait en effet que le ministère public n’avait pas autant de possibilités de contact avec ceux qu’il représentait, notamment s’il s’agissait d’un organisme d’État. En outre, pour être équitable la loi devait parfois traiter différemment les parties, sans quoi l’égalité purement formelle correspondrait à une inégalité matérielle. Aussi le principe de l’égalité des armes voulait-il que l’on adopte des solutions compensatoires face à des situations inégales au départ; il en allait ainsi en matière d’assistance judiciaire, ou lorsque les délais prévus étaient plus longs pour les personnes résidant dans un pays lointain ou dans un endroit inconnu. Cette décision fut notifiée le 8 mai 1984 à M. Baraona qui forma contre elle, le 10 mai, un recours incident à la Cour administrative suprême. Le 17 mai, le tribunal administratif décida de transmettre le recours à la juridiction supérieure avec tout le dossier de la procédure et de lui accorder un effet suspensif. Dans un mémoire du 5 juin, le requérant reprit en substance les arguments de sa réclamation du 20 janvier au juge du tribunal administratif de Lisbonne. Les 20 et 24 juillet, le ministère public et ce dernier présentèrent leurs observations sur le recours. Le dossier parvint à la Cour administrative suprême en octobre 1984, après quoi le ministère public fut invité à donner son avis et deux juges assesseurs formulèrent leur opinion. Le 21 mars 1985, la Cour administrative suprême rejeta les deux recours incidents, des 29 septembre 1982 et 10 mai 1984. En ce qui concerne le premier, dirigé contre la décision du juge administratif du 27 juillet 1982, elle constata que ce magistrat avait redressé lui-même la situation le 11 février 1983 en annulant ladite décision et en écartant, pour tardiveté, toutes les conclusions postérieures au 27 juillet 1982. Quant au second recours, qui visait la décision du juge administratif du 12 avril 1984, la Cour suprême jugea, contrairement à la thèse du requérant, que l’article 6 § 1 (art. 6-1) de la Convention n’avait pas abrogé l’article 485 alinéa b) du code de procédure civile, l’État se trouvant du reste dans une position différente de celle des sociétés privées. Dès lors, il n’y avait pas lieu de considérer comme admis tous les faits avancés par M. Baraona dans sa demande; il appartenait à la juridiction administrative de les apprécier à la lumière des preuves produites à l’audience. Le 8 avril 1985, l’intéressé attaqua cette décision (acordão) devant la Cour constitutionnelle, l’invitant à se prononcer sur le point de savoir si l’article 485 alinéa b) demeurait en vigueur. La Cour constitutionnelle enregistra le recours le 16 avril 1985. Le requérant et le ministère public présentèrent leurs mémoires respectivement les 15 juillet et 24 octobre 1985. Le parquet contestait la compétence de la Cour, car le requérant n’avait allégué une atteinte à la Constitution ni en première instance ni devant la Cour administrative suprême. M. Baraona répondit, le 12 novembre 1985, qu’une violation du principe de l’égalité des armes enfreignait en même temps la Convention et la Constitution. Le 5 mars 1986, la Cour constitutionnelle rejeta l’exception et aborda l’examen du problème de l’égalité des armes. Par un arrêt du 19 novembre 1986, elle débouta le requérant qui souleva aussitôt la question de la nullité dudit arrêt. Celui-ci fut cependant confirmé le 14 janvier 1987. La procédure devant le tribunal administratif de Lisbonne a repris son cours depuis lors; elle se trouve au stade de l’instruction. II. LA LÉGISLATION APPLICABLE EN MATIÈRE DE RESPONSABILITÉ EXTRACONTRACTUELLE DE L’ÉTAT À la suite de la révolution du 25 avril 1974, le "Mouvement des Forces Armées" publia la loi no 3/74 du 14 mai. Laissant en vigueur le catalogue de droits et libertés fondamentaux qui figurait dans la Constitution de 1933, elle établissait en outre des principes fondamentaux en matière d’indépendance des juges et de droits de la défense. L’article 8 § 17 de ladite Constitution reconnaissait "le droit à la réparation de toute lésion effective des droits"; quant aux préjudices moraux, la loi pouvait prescrire l’octroi d’une indemnité. De leur côté, la plupart des dispositions civiles et pénales existantes subsistèrent, et notamment le décret-loi no 48.051 du 21 novembre 1967 sur la responsabilité extracontractuelle de l’État. D’après le décret-loi no 36/75 du 31 janvier 1975, les compétences du Service de coordination de la dissolution de la PIDE/DGS et de la LP, créé par ordre (despacho) du chef d’état-major de l’armée du 7 juin 1974, comportent l’instruction de procédures contre des individus ayant appartenu à ces polices ou contre des personnes ayant collaboré avec eux (article 2 § 3). Le président dudit service exerçait les mêmes attributions que celles conférées par le code de justice militaire aux commandants des régions militaires (article 2 § 4). Aux termes de l’article 21 de la Constitution du 25 avril 1976, "1. L’État et les autres personnes morales publiques sont civilement responsables, conjointement avec les membres de leurs organes, leurs fonctionnaires ou leurs agents, des actions ou omissions commises dans l’exercice ou en raison de l’exercice de leurs fonctions, dont découlerait une violation des droits, libertés et garanties ou un préjudice pour autrui. Les citoyens injustement condamnés ont droit, dans les conditions prescrites par la loi, à la révision du jugement et à la réparation des dommages subis." Cette Constitution a été modifiée par la loi constitutionnelle no 1/82, du 27 septembre 1982, dont l’article 22 reprend pourtant intégralement le texte de l’article 21 § 1 précité. Le code civil de 1966, toujours en vigueur, règle la matière de la responsabilité civile de l’État, mais seulement pour les actes de "gestion privée" (article 501). Quant à ceux de "gestion publique", le décret-loi no 48.051 du 21 novembre 1967 contient des dispositions relatives à la responsabilité extracontractuelle de l’État et des autres personnes morales publiques pour des actes résultant de la faute, de l’abus de fonction et du dol de leurs organes ou agents administratifs. Les plus importantes d’entre elles se lisent ainsi: "Article 2 L’État et les autres personnes morales publiques sont civilement responsables envers les tiers des atteintes aux droits de ceux-ci ou aux dispositions légales destinées à protéger leurs intérêts, si elles résultent d’actes illicites commis avec faute par leurs organismes ou agents administratifs dans l’exercice ou en raison de l’exercice de leurs fonctions. Lorsque, en application du paragraphe précédent, une indemnité quelconque a été versée, l’État et les autres personnes morales publiques ont un droit de recours contre les membres de l’organe ou contre les agents fautifs, si ceux-ci n’ont pas agi avec le zèle auquel les obligeaient leurs fonctions. Article 3 Les membres de l’organe et les agents administratifs de l’État et les autres personnes morales publiques sont civilement responsables envers les tiers des actes illicites violant les droits de ceux-ci ou les dispositions légales destinées à protéger leurs intérêts, lorsqu’ils auront dépassé les limites imposées à leurs fonctions ou si, en les exerçant et du fait de leur exercice, ils ont agi dolosivement. En cas d’acte dolosif, la personne morale publique a toujours une responsabilité solidaire avec les membres de l’organe ou les agents. Article 4 La faute des membres de l’organe ou des agents est appréciée conformément à l’article 487 du code civil. Au cas où il y a pluralité de personnes responsables, l’article 497 du code civil est applicable. Article 5 Le droit à indemnité réglementé dans les articles précédents s’éteint par prescription conformément aux délais prévus dans le code civil. En ce qui concerne la prescription du droit de retour de l’État, doit s’appliquer aussi la loi civile. (...)." D’après le code administratif, les actions en responsabilité de la puissance publique ressortissent aux tribunaux administratifs (auditores - articles 815 et 820). Sous réserve de quelques règles propres relatives à la qualité pour agir et à la prescription (articles 824 et 829), l’article 852 renvoie expressément aux dispositions régissant la procédure civile ordinaire. Les décisions des tribunaux administratifs peuvent faire l’objet d’appel, de recours incident et de réclamation (article 853). Certains recours incidents ont un effet suspensif et sont transmis immédiatement à la Cour administrative suprême, notamment s’ils attaquent le rejet d’une réclamation contre une décision préparatoire (article 859 alinéa d)), tandis que d’autres le sont avec le dossier lors de l’appel contre la décision finale et n’ont pas de tel effet (article 860). La procédure en cause doit donc suivre les règles du code de procédure civile. Aux termes de l’article 484 § 1 de ce dernier, "si la partie défenderesse ne présente pas ses conclusions en réponse bien qu’ayant été régulièrement citée (...), les faits présentés par le demandeur sont considérés comme admis par aveu". L’article 485 ménage toutefois certaines exceptions. En particulier, son alinéa b) écarte le jeu du principe lorsque la partie défenderesse est une personne morale. D’après le paragraphe 1 de l’article 486, la partie défenderesse a un délai de vingt jours pour répondre à la demande. Le paragraphe 3 précise pourtant: "Une prorogation de délai est accordée au ministère public lorsqu’il a besoin de renseignements qu’il n’est pas en mesure de se procurer en temps voulu, ou lorsqu’il doit attendre la réponse à une demande adressée à une autorité supérieure. La prolongation du délai ne saurait dépasser six mois, sauf dans des cas exceptionnels dûment justifiés." L’article 490 § 1 prévoit que "la partie défenderesse doit se prononcer clairement sur chaque fait figurant dans la demande introductive d’instance; les faits non expressément (especificadamente) contestés sont considérés comme admis par accord entre les parties, sauf s’ils se trouvent manifestement en contradiction avec la défense prise dans son ensemble, ne sont pas susceptibles d’aveu ou ne peuvent se prouver que par écrit". Toutefois, selon le paragraphe 4 cette disposition ne vaut ni pour le défenseur d’office ni pour le ministère public. Aux termes de l’article 511 § 2, après avoir reçu notification de la décision préparatoire les parties peuvent présenter "les réclamations qu’elles désirent concernant la liste des faits admis par les parties ainsi que la liste des faits à éclaircir à l’audience de jugement, au motif qu’il y a eu vice de forme (deficiência), excès (excesso), complexité ou obscurité". PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION Dans sa requête du 6 septembre 1982 à la Commission (no 10.092/82), M. Baraona se plaignait de la durée de la procédure introduite par lui devant le tribunal administratif de Lisbonne le 30 juillet 1981 et toujours pendante en première instance; il invoquait l’article 6 § 1 (art. 6-1) de la Convention. La Commission a retenu la requête le 5 octobre 1984. Dans son rapport du 8 octobre 1985 (article 31) (art. 31), elle exprime à l’unanimité l’opinion qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 (art. 6-1). Le texte intégral de son avis figure en annexe au présent arrêt.
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M. Elio Milasi, né en 1953, habite Reggio de Calabre. Le 17 mai 1973, la police le dénonça au parquet de cette ville, avec trente-quatre autres personnes, pour association de malfaiteurs (article 416 du code pénal). Elle visait ainsi sa participation, en tant que membre d'un mouvement politique aux finalités antidémocratiques, à des désordres et actes de violence qui avaient eu lieu à Reggio d'octobre 1969 à mai 1973. Le 18 juin 1973, le ministère public informa le requérant de l'engagement de poursuites pénales contre lui. Le 6 avril 1974, il demanda au juge d'instruction d'ouvrir une instruction "formelle". Ce dernier interrogea M. Milasi le 9 mars 1978 et, le 3 novembre 1978, invita le parquet à formuler ses réquisitions; elles furent déposées le 30 novembre. Le magistrat instructeur renvoya M. Milasi et ses coïnculpés en jugement le 9 janvier 1980. Le 31 mars, le président du tribunal de Reggio les cita à comparaître devant sa juridiction le 23 avril 1980. Les débats furent pourtant ajournés, en signe de deuil à la suite du décès d'un avocat général. Inscrit à nouveau au rôle, le procès commença le 6 juillet 1981. Après avoir tenu plusieurs audiences et requalifié le chef de prévention d'association de malfaiteurs en reconstitution du parti fasciste, le tribunal statua le 7 mars 1983; il relaxa M. Milasi en vertu du décret d'amnistie n° 413 du président de la République, du 4 août 1978. Le texte du jugement fut déposé au greffe le 6 avril 1983. Pendant l'instruction de l'affaire, le requérant avait présenté sa candidature, en 1978, à un concours de recrutement de sous-officiers de la Guardia di finanza ("garde du fisc"). En se renseignant sur lui, celle-ci eut vent de la procédure pénale. Elle demanda au bureau du juge d'instruction, le 1er mars 1979, une attestation certifiant que M. Milasi avait été renvoyé en jugement pour infraction à l'article 416 du code pénal; elle précisait qu'elle en avait besoin pour la joindre au décret ministériel d'exclusion du concours. Un tel décret ne fut toutefois pas pris, car le requérant ne s'était pas présenté aux épreuves écrites qui avaient eu lieu dès le 13 janvier 1979. PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION M. Milasi a saisi la Commission le 18 juillet 1983 (requête n° 10527/83). Il alléguait la violation de l'article 15 (art. 15) de la Convention; il se plaignait aussi de la durée des poursuites pénales menées contre lui. Le 12 mars 1985, la Commission a retenu le second grief et rejeté le premier. Dans son rapport du 4 décembre 1985 (article 31) (art. 31), elle exprime à l'unanimité l'opinion qu'il y a eu dépassement du "délai raisonnable" dont l'article 6 § 1 (art. 6-1) exige le respect. Le texte intégral de son avis figure en annexe au présent arrêt.
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE A. Le contexte La requérante, citoyenne britannique née en 1957, vit en Angleterre. Élevée par son père, elle a fréquenté jusqu’à l’âge de quinze ans une école spéciale pour enfants anormaux. Son fils, P., est né le 17 juillet 1977; elle a eu un deuxième enfant le 30 janvier 1979 et un troisième le 22 septembre 1983. Elle a divorcé du père de P. le 26 mai 1980. Quatre jours avant la naissance de P., une réunion ad hoc de travailleurs sociaux, à laquelle la requérante n’assistait pas et n’était pas représentée, se tint à l’hôpital pour l’examen de la situation de l’enfant. Elle avait été organisée parce que les services sociaux de l’autorité locale avaient connaissance de difficultés entre la requérante et son mari, ainsi que de problèmes de logement de nature à en résulter, et se demandaient si l’intéressée serait apte à s’occuper de l’enfant. On aboutit à la conclusion qu’elle ne négligerait pas délibérément le bébé, mais risquait de se révéler incapable d’en comprendre les besoins en raison de son propre niveau d’intelligence; on proposa donc une aide intensive de visiteurs sanitaires et de travailleurs sociaux confessionnels. Après la naissance, la requérante et P. retournèrent au domicile conjugal. Le 22 août 1977, un visiteur sanitaire y fut appelé parce que le mari de la requérante l’avait battue; elle alla vivre chez son père avec P. D’après le Gouvernement, elle regagna le domicile conjugal en octobre 1977 après un désaccord avec son père, mais revint chez celui-ci le 18 novembre parce que son mari cohabitait avec une autre femme. La requérante nie avoir quitté la maison de son père pendant cette période, mais selon un rapport d’enquête sociale établi à la suite de sa demande de mise en tutelle (paragraphe 20 ci-dessous), comme elle et P. ne pouvaient demeurer avec le mari, qui vivait avec une autre femme, on leur trouva une place dans un foyer pour mère avec bébé. Le 20 novembre, les travailleurs sociaux compétents décidèrent que la requérante pourrait être à même de prendre soin de P. si un adulte responsable la secondait en permanence. Ses rapports avec son père semblant se stabiliser, les services sociaux de la zone dans laquelle il résidait acceptèrent d’assumer la surveillance de la famille. Toutefois, une longue maladie du travailleur social désigné empêcha le concours projeté. Le 22 mars 1978, la requérante rentra pour peu de temps chez son mari, mais en avril elle noua des relations avec A., auprès de qui elle passa six semaines environ. Le 7 avril, P. subit une blessure non accidentelle dont sa mère, quatre jours plus tard, se reconnut l’auteur. Le 8 mai, elle comparut devant une Magistrates’ Court, plaida coupable de voies de fait sur la personne de son fils et fut mise sous probation. B. Ordonnance de placement en lieu sûr et placement de P. chez des parents nourriciers A la lumière d’un rapport sur l’incident mentionné en dernier lieu, l’autorité locale sollicita et, le 11 avril 1978, obtint une ordonnance de placement en lieu sûr (paragraphe 27 ci-dessous) concernant P. En conséquence, l’enfant fut admis à l’hôpital où l’on jugea ses blessures peu graves. Trois jours plus tard, à la suite d’une réunion ad hoc de travailleurs sociaux, il fut décidé que la requérante n’ayant pas de logement convenable, P. quitterait l’hôpital pour une famille d’accueil proche du domicile du père de la requérante, laquelle pourrait ainsi le rencontrer aisément et fréquemment. L’autorité pensait restituer à bref délai P. à la garde de sa mère. Entre le 14 avril et le 26 juin, période pendant laquelle elle changea d’adresse quatre fois et mena une vie instable, la requérante rendit à l’enfant une dizaine de visites mais à des intervalles irréguliers et sans respecter divers rendez-vous fixés. Le 28 avril, le travailleur social responsable informa le père de la requérante des circonstances qui avaient conduit à placer P. chez des parents nourriciers. Son interlocuteur se déclara non désireux, pour le moment, de la reprendre chez lui et convaincu que son petit-fils, heureux et bien soigné, devait rester auprès des intéressés. A l’époque, il considérait qu’il s’agissait du meilleur endroit pour l’enfant, dont son propre travail l’empêcherait de s’occuper. Jusqu’en décembre 1978, l’autorité locale obtint pour P. une série d’ordonnances d’assistance provisoire (paragraphe 33 ci-dessous) les 8 mai, 5 juin, 3 juillet, 17 juillet, 14 août, 11 septembre, 12 octobre, 26 octobre et 23 novembre 1978. Après une réunion ad hoc qui se déroula le 12 juin 1978 en présence de travailleurs sociaux responsables de P. on estima que le mode de vie et les contacts restreints de la requérante avec l’enfant constituaient un obstacle au plan initial de réinsertion immédiate; il fallait donc confier P., pour une longue période, à des parents nourriciers demeurant moins près du domicile de sa mère. Selon le rapport de l’assistance sociale, on décida, dans l’intérêt de P., de ne pas indiquer à la légère à la requérante l’adresse de son fils, car elle ne semblait pas s’intéresser à lui et un placement durable chez des parents nourriciers paraissait avoir toute chance de répondre aux besoins de P. à long terme. Ni la requérante (dont l’autorité locale ignorait sans doute l’adresse) ni son père ne furent directement mêlés à la procédure qui déboucha sur cette décision et ils n’avaient pas connaissance de la réunion ad hoc. Le transfert se produisit le 26 juin et les parents nourriciers sollicitèrent plus tard l’adoption de P. Deux semaines environ après la réunion, le père de la requérante exprima le souhait de prendre soin de P. Après beaucoup d’efforts, il réussit à retrouver la requérante à la mi-juillet 1978. Elle retourna chez lui; il manifesta son intérêt pour l’avenir de P. et s’affirma prêt à aider sa fille à se ranger. Selon le rapport de l’assistance sociale, "pour contribuer au rétablissement éventuel des liens entre la mère et l’enfant, des mesures [furent] arrêtées pour l’organisation de contacts mensuels réguliers (...) entre [P.] et sa famille par le sang". La première de ces visites, entre la requérante, son père et P., eut lieu dans une crèche le 31 août 1978; il y en eut d’autres les 18 octobre et 1er novembre. Toutefois, une grève des travailleurs sociaux, du 3 novembre 1978 au 23 avril 1979, provoqua l’interruption des visites à la crèche car elle les empêcha de s’effectuer sous la surveillance d’un membre de cette profession. Selon le Gouvernement, la requérante était convenue de pareille surveillance avec l’autorité locale, mais elle le conteste. C. Ordonnance d’assistance permanente concernant P. L’autorité sollicita et, le 5 décembre 1978, obtint du tribunal local pour enfants une ordonnance d’assistance (paragraphe 32 ci-dessous) pour P.; la requérante n’attaqua pas cette décision (paragraphe 35 ci-dessous). Comme la grève susmentionnée se poursuivait, on ne sait trop de quelle manière l’autorité comptait exécuter l’ordonnance, sinon en se bornant à laisser P. chez ses parents nourriciers. Toute visite de la requérante se trouvait empêchée par la grève, mais au demeurant le tribunal pour enfants n’avait pas compétence pour trancher la question qui continuait à relever de l’appréciation de l’autorité locale (paragraphes 48-49 ci-dessous). En janvier 1979, un diagnostic de schizophrénie conduisit à traiter la requérante dans un hôpital de l’endroit. Elle en sortit lorsqu’elle eut accouché, le 30 janvier, de son deuxième enfant, mais subit un traitement ambulatoire jusqu’en mars, date à laquelle on estima qu’elle ne souffrait plus de cette maladie. Une fois la grève des travailleurs sociaux terminée le 23 avril, la requérante demanda des contacts quotidiens avec P. L’autorité locale les lui refusa car ils lui semblaient impraticables et non conformes à l’intérêt de l’enfant. Après une réunion ad hoc, du 17 mai, concernant le frère de P., on décida que des représentants de l’autorité inspecteraient le domicile du père de la requérante pour déterminer si P. pouvait y retourner vivre avec elle. Le 23 mai, la requérante et son père allèrent voir P. Les services sociaux avaient recommandé le maintien de telles visites à raison d’une par mois. A la deuxième d’entre elles, le 26 juin, le père de la requérante se montra agressif et ne consentit pas à l’inspection projetée à la réunion ad hoc de mai. A la suite d’une autre réunion ad hoc, du 6 juillet, consacrée à l’examen des progrès accomplis par P. depuis son placement sous assistance, on constata que les choses se passaient bien pour lui chez ses parents nourriciers et que l’on ne pouvait songer à le réinsérer dans sa famille naturelle tant que son grand-père s’opposerait à l’inspection de sa maison par les travailleurs sociaux. La requérante ne fut pas avertie de cette réunion, ni invitée à y assister. Le 19 septembre 1979, le tribunal pour enfants débouta la requérante d’une demande en levée de l’ordonnance d’assistance (paragraphe 34 ci-dessous), mais préconisa d’augmenter la fréquence de ses visites à P. Après un examen "périodique" de l’affaire, qui se déroula le 5 octobre en présence des travailleurs sociaux et des parents nourriciers de P. mais non de la requérante ni de son père, on convint que les visites auraient lieu dorénavant toutes les trois semaines. La requérante ne fut pas avertie de cette réunion ni invitée à y assister. La dernière visite se situa le 30 avril 1980. D. Suppression des visites de la requérante à P. Le 2 mai 1980, les travailleurs sociaux responsables procédèrent à l’examen exigé par la loi (paragraphe 46 ci-dessous); y participèrent aussi des organismes professionnels autres que les services sociaux. La requérante et son père n’étaient ni présents ni représentés; rien ne montre qu’ils aient eu connaissance de la réunion au préalable. Sans avoir consulté la requérante, on résolut de supprimer désormais ses visites à P. Selon un rapport d’enquête sociale du 21 novembre 1980, cette décision reposait sur le fait qu’avant le conflit des travailleurs sociaux, seuls subsistaient des vestiges des relations entre la requérante et P.; ils ne justifiaient pas un programme intensif de réinsertion et avaient disparu lors de la reprise des visites en mai 1979. En outre, P. avait manifestement noué des liens étroits avec ses parents nourriciers désignés pour une longue durée; ces derniers répondaient fort bien à l’image de parents et les contacts de la requérante avec P. jetaient donc le trouble dans l’esprit de l’enfant. Le rapport déclarait: "Lors des visites organisées avant la décision du 2 mai 1980, P. arrivait à la crèche avec ses parents nourriciers, toujours plus pâle que d’habitude, tranquille et serré contre sa mère nourricière. Les parents nourriciers restaient dans la pièce jusqu’à ce qu’il y fût à son aise et occupé à jouer, puis ils en sortaient. [Le père de la requérante] quittait la pièce pendant une demi-heure environ, de sorte qu’on pût observer ensemble P. et [sa mère]. D’ordinaire, le travailleur social essayait d’amener P. à se livrer à une activité en s’efforçant d’y impliquer [la requérante], car elle avait du mal à retenir l’attention de son fils. Il se retirait parfois pour leur permettre d’être seuls, mais rien ou presque n’indiquait le développement d’une relation véritable entre eux. Lorsque [le père de la requérante] se trouvait dans la pièce, il obtenait en revanche de P. une réaction positive. Il pouvait s’amuser avec lui et pendant ces périodes, P. s’animait (...). Un visiteur sanitaire de la clinique locale voyait P. après chacune de ces visites pour déterminer si elles le perturbaient le moins du monde. On observa que P. témoignait beaucoup d’affection à sa mère nourricière le lendemain. Il se réveillait la nuit après la visite. Lors de la dernière, [l’enfant] s’oublia en rentrant de la crèche à la maison. Cela ne lui était pas arrivé depuis des mois." Le 8 mai 1980, l’autorité locale écrivit à la requérante pour l’informer qu’on ne lui permettrait plus de rencontrer P., car il avait donné des signes d’agitation à la suite de visites qui s’étaient révélées néfastes pour son équilibre. E. Procédures ultérieures devant le tribunal pour enfants et le juge des tutelles Le 30 mai 1980, le tribunal pour enfants rejeta une nouvelle demande de la requérante en levée de l’ordonnance d’assistance. B. introduisit un recours devant la Crown Court, puis s’en désista: son avocat lui avait signalé que la Crown Court, comme le tribunal pour enfants, n’avait pas compétence pour connaître de la seule question des visites, mais pouvait uniquement examiner celle, plus vaste, de savoir s’il fallait révoquer l’ordonnance (paragraphe 49 ci-dessous). Son avocat lui indiqua le moyen de faire trancher le problème des visites: solliciter la mise de P. sous tutelle judiciaire (paragraphes 43-45 et 50 ci-dessous), auquel cas la High Court prendrait l’ordonnance qu’elle estimerait appropriée dans l’intérêt de l’enfant. Le 25 septembre 1980, la requérante saisit donc la Family Division de la High Court; dans l’attente des audiences, son fils fut placé sous tutelle judiciaire. Elle fut déboutée - et la tutelle levée - le 24 novembre, à la lumière de la décision que la même division de la High Court venait de rendre dans l’affaire A. v. Liverpool City Council, alors pendante devant la Chambre des Lords qui statua le 20 mai 1981 (paragraphe 50 ci-dessous). Après ce dernier arrêt la requérante bénéficia, le 5 octobre 1981, d’une aide judiciaire limitée pour consulter un avocat sur le point de savoir si un recours judiciaire s’offrait à elle contre la décision de l’autorité locale supprimant ses visites à P. Le 22 janvier 1982, après avoir étudié la jurisprudence, son conseil l’informa que, si l’on appliquait les critères énoncés par Lord Greene dans l’affaire Associated Provincial Pictures Houses, Ltd. v. Wednesbury Corporation (paragraphe 49 ci-dessous), "la réponse serait favorable à l’autorité". Il ajoutait que celle-ci ayant trouvé les visites contraires à l’intérêt de P., "aucun tribunal ne jugerait qu’elle avait abouti à une conclusion à ce point déraisonnable que nulle autorité raisonnable n’aurait jamais pu y arriver". Dans ces conditions, la requérante ne lui semblait pas avoir la moindre chance d’obtenir un contrôle judiciaire. A la suite de cette consultation, l’aide judiciaire ne fut pas étendue. F. Adoption de P. En mars 1982, le père de P. consentit à l’adoption de l’enfant par les parents nourriciers, qui l’avaient demandée. La requérante, elle, s’y opposa, sur quoi les parents nourriciers sollicitèrent de la County Court une ordonnance écartant le refus comme déraisonnable (paragraphe 53 ci-dessous). Après audition de témoignages, le magistrat constata que la requérante n’avait cessé de déployer des efforts sincères pour rétablir ses relations avec son fils; en outre, lors de la reprise des visites régulières en août 1978, l’autorité locale et elle étaient convenues qu’il y avait lieu de poursuivre la restauration des rapports entre l’enfant et sa mère, celle-ci étant avertie que par la force des choses il s’agirait d’un processus lent et de longue durée. Peut-être un témoin psychiatre spécialiste en éducation n’avait-il pas eu tort de dire que la solution la plus conforme au bien-être de P. consistait à demeurer auprès du couple désireux de l’adopter; le juge n’en déclara pas moins non déraisonnable, le 12 juillet 1983, le refus de la requérante. Sur appel des parents nourriciers, une audience eut lieu le 12 octobre 1983. La Court of Appeal accueillit leur requête tendant à un nouvel examen de la demande en dispense du consentement de la requérante: d’après elle, la County Court n’avait pas attribué un poids suffisant à la question de savoir si le bien-être de P. ne devait pas amener une mère raisonnable à reconnaître que l’adoption, et elle seule, donnerait à l’enfant la sécurité voulue. L’affaire fut rejugée les 5 et 6 décembre 1983; le juge se passa du consentement de la requérante et délivra une ordonnance d’adoption de P. Il considéra qu’il ne convenait pas d’en prononcer une si la requérante devait pouvoir rendre visite à P.; toutefois, après avoir retracé l’historique de la question il conclut qu’il ne fallait plus autoriser de visites puisqu’il n’y en avait pas eu depuis si longtemps et que le bien-être de P. constituait l’impératif dominant. L’adoption entraîna automatiquement la caducité de l’ordonnance d’assistance de 1978. II. DROIT ET PRATIQUE INTERNES PERTINENTS A. Assistance à l’enfance Introduction Le droit anglais et gallois ménage plusieurs procédures différentes, et en partie coordonnées, destinées à protéger l’enfance. La compétence de la High Court en matière de tutelle en constitue la plus ancienne, mais depuis maintes années elle coexiste - sans avoir disparu pour autant - avec diverses règles légales permettant de confier un enfant en danger à une autorité locale. Bien que la terminologie ainsi employée ne soit pas entièrement exacte, on a coutume de distinguer entre deux séries de mesures législatives: les premières prévoient "l’assistance d’office" (compulsory care) et instaurent un système qui habilite l’autorité locale à obtenir une ordonnance judiciaire plaçant un enfant sous sa garde; les secondes ont trait à "l’assistance sur demande" (voluntary care), mécanisme conçu d’abord pour répondre à une situation d’urgence sans qu’il faille s’adresser aux tribunaux. On dénombre en permanence en Angleterre et au pays de Galles quelque 86.000 enfants confiés à l’assistance publique, dont 70.000 ne vivent pas avec leurs parents ou un proche. Les dispositions légales ont été modifiées à plusieurs reprises. Beaucoup d’entre elles ont été abrogées et remplacées par la loi de 1980 sur la protection de l’enfance ("la loi de 1980"), texte de synthèse dont la majeure partie est entrée en vigueur le 1er avril 1981. Dans l’aperçu ci-après du droit applicable à l’époque de la présente affaire, la version initiale est citée d’abord et toute clause correspondante de la loi de 1980 en vigueur au moment considéré figure entre crochets. Fournissant des renseignements de base d’ordre général, ce résumé couvre l’ensemble des trois procédures mentionnées (assistance d’office, assistance sur demande et tutelle), mais en l’espèce entraient directement en ligne de compte l’assistance d’office et la compétence de la High Court en matière de tutelle. Assistance d’office La principale loi relative à l’assistance d’office est celle de 1969 sur les enfants et adolescents ("la loi de 1969"), amendée par la loi de 1975 sur les enfants puis remplacée en partie par la loi de 1980; elle permet à l’autorité locale de demander, à titre de mesure temporaire, une "ordonnance de placement en lieu sûr" (place of safety order) et, à plus long terme, diverses autres ordonnances. a) Ordonnance de placement en lieu sûr Selon l’article 28 § 1 de la loi de 1969, chacun, y compris une autorité locale, peut solliciter d’un juge de paix le pouvoir de garder un enfant et de l’amener en lieu sûr; le juge peut accueillir la requête s’il en estime l’auteur fondé à croire, notamment, que le bon développement de l’enfant subit des entraves ou négligences évitables, que sa santé souffre d’un manque de soins ou d’atteintes évitables, qu’il est maltraité ou exposé à un danger moral. Une "ordonnance de placement en lieu sûr" vaut pour 28 jours au maximum et ne peut être prorogée. La personne qui garde l’enfant doit s’employer dans les meilleurs délais à informer le parent de la détention et de ses motifs. Si l’autorité locale souhaite que l’enfant reste dans un milieu protecteur au-delà de la période de 28 jours, elle doit soit le placer sous tutelle judiciaire (paragraphes 43-45 ci-dessous), soit engager une procédure d’assistance conformément à l’article 1 de la loi de 1969 (paragraphes 28-30 ci-dessous), soit solliciter du juge ou de la Magistrates’ Court une ordonnance provisoire en vertu de l’article 28 § 6 (paragraphe 33 ci-dessous); en cas de rejet d’une demande de la dernière catégorie, la remise immédiate de l’enfant "peut être ordonnée". b) Mesures à plus long terme i. Procédure d’assistance Si une autorité locale croit raisonnablement qu’il convient de prendre une ordonnance visant à aider, diriger ou surveiller un enfant, les articles 1 et 2 § 2 de la loi de 1969 l’obligent, sous réserve de quelques exceptions, à engager une procédure d’assistance (care proceedings) en le traduisant devant un tribunal pour enfants. En pareil cas, les parties sont l’autorité locale et l’enfant, mais non les parents. L’enfant peut au besoin bénéficier de l’aide judiciaire et il lui est loisible de laisser ses parents mener l’affaire pour son compte, eux-mêmes ou par l’intermédiaire d’un avocat. S’il a une maturité suffisante, il peut opter pour une représentation séparée. Un parent naturel qui n’agit pas au nom de l’enfant a le droit d’être averti de l’audience, de la suivre, de déposer et de citer des témoins pour contester les allégations de l’autorité locale. En pratique, le tribunal l’admet aussi à procéder à un interrogatoire croisé des témoins de celle-ci et à désigner son propre conseil. Lorsque le tribunal devant lequel comparaît l’enfant constate l’existence de l’un des motifs énoncés à l’article 1 de la loi de 1969 et la nécessité, pour l’enfant, d’une assistance ou surveillance qu’on ne saurait guère lui assurer sans une ordonnance, il peut rendre entre autres une ordonnance de surveillance, d’assistance ou provisoire. Parmi lesdits motifs se trouvent ceux qui justifient une ordonnance de placement en lieu sûr (paragraphe 27 ci-dessus). ii. Ordonnances pertinentes Une ordonnance de surveillance (supervision order) place l’enfant sous la surveillance des services de l’autorité locale; à cela près, il peut continuer à vivre avec ses parents. Une ordonnance d’assistance (care order) confie l’enfant à la garde de l’autorité locale. Celle-ci a envers lui les pouvoirs et devoirs que son parent ou tuteur auraient en l’absence de l’ordonnance (article 24 de la loi de 1969 [10 § 2 de la loi de 1980]), avec deux exceptions: elle ne peut faire élever l’enfant dans une foi religieuse différente de celle dans laquelle il l’aurait été autrement, ni consentir à son adoption. Une ordonnance provisoire (interim order) est une ordonnance d’assistance dont la durée de validité ne dépasse pas 28 jours; elle peut être prorogée sur demande (article 22 de la loi de 1969). Elle peut émaner du tribunal pour enfants saisi de l’affaire s’il n’est pas à même de choisir entre les autres ordonnances déterminées (article 2 § 10), ou pendant qu’une ordonnance de placement en lieu sûr se trouve en vigueur (paragraphe 27 ci-dessus). Elle confère à l’autorité locale les mêmes pouvoirs et devoirs qu’une ordonnance d’assistance permanente (paragraphe 32 ci-dessus). c) Échéance, modification ou levée des ordonnances d’assistance permanente Une ordonnance d’assistance permanente (full care order) arrive normalement à échéance lorsque l’enfant concerné atteint l’âge de dix-huit ans (article 20 § 3 b) de la loi de 1969). D’après les articles 21 § 2 et 70 § 2, le tribunal pour enfants peut en outre, s’il le juge bon et à la demande de l’enfant ou du parent agissant au nom de celui-ci (mais pas au sien propre), lever l’ordonnance et, le cas échéant, délivrer une ordonnance de surveillance. De telles demandes peuvent être présentées tous les trois mois ou, avec l’accord du tribunal, plus fréquemment (article 21 § 3). La décision de lever ou non l’ordonnance se fonde avant tout sur les intérêts de l’enfant. d) Recours contre les ordonnances d’assistance Aux termes des articles 2 § 12 et 21 § 4 de la loi de 1969, l’enfant faisant l’objet de l’ordonnance d’assistance, ou le parent agissant au nom de l’enfant (mais non au sien propre), peut attaquer devant la Crown Court ladite ordonnance, le rejet d’une demande en mainlevée de celle-ci ou une ordonnance de surveillance prise lors de sa levée. La Crown Court contrôle la décision en réexaminant l’affaire. Moyennant autorisation, sa propre décision se prête à un appel à la High Court, qui statue sur la base d’un exposé des faits agréé par les deux parties; il existe une possibilité de recours ultérieur à la Court of Appeal et, dans de rares hypothèses, à la Chambre des Lords. L’autorité locale ne jouit d’aucun droit général de recours contre le refus du tribunal pour enfants de rendre une ordonnance d’assistance, sauf devant la High Court sur un point de droit. Assistance sur demande La principale loi relative à l’assistance sur demande est celle de 1948 sur les enfants ("la loi de 1948"), modifiée par la loi de 1975 sur les enfants puis remplacée par la loi de 1980. Elle a pour effet de permettre à un parent de confier son enfant à une autorité locale; dans une première phase celle-ci n’acquiert aucun statut particulier à l’égard de l’enfant, mais il peut en aller différemment par la suite. a) Prise en charge d’un enfant L’article 1 de la loi de 1948 [2 de la loi de 1980] oblige l’autorité locale à prendre en charge un mineur de dix-sept ans lorsqu’il s’avère, notamment, que la maladie, l’incapacité ou d’autres circonstances empêchent pour un temps ou durablement les parents ou le tuteur d’en assurer comme il convient le logement, l’entretien et l’éducation, et que le bien-être de l’enfant commande une intervention de l’autorité. Sauf disposition contraire de la loi, elle doit en conserver la charge tant qu’il n’a pas dix-huit ans et que son bien-être l’exige, mais il lui faut aussi s’employer à ce que les parents la reprennent lorsque cela semble compatible avec le bien-être de l’intéressé. En son article 1, la loi de 1948 [article 2 de la loi de 1980] précise qu’elle n’habilite pas l’autorité locale à conserver la charge de l’enfant si l’un ou l’autre des parents ou le tuteur souhaitent l’assumer. Toutefois, nul ne peut reprendre un enfant assisté depuis six mois, sans discontinuer, s’il n’en a pas notifié l’intention vingt-huit jours au moins au préalable ou si l’autorité locale ne lui a pas donné son accord (article 1 § 3 A [13 § 2]). En outre, si un parent sollicite le retour de l’enfant l’autorité locale n’est pas tenue d’accepter sans se soucier du bien-être de ce dernier (Lewisham London Borough Council v. Lewisham Juvenile Court Justices, All England Law Reports, 1979, vol. 2, p. 297). Si elle juge incompatible avec ce bien-être le tranfert de la garde au parent, elle peut soit adopter une résolution sur la puissance parentale (parental rights resolution, (paragraphe 39 ci-dessous), soit demander que l’enfant devienne pupille de la justice (ward of court, paragraphes 43-45 ci-dessous). b) Résolution sur la puissance parentale Si une autorité locale chargée d’un enfant au titre de l’article 1 de la loi de 1948 [2 de la loi de 1980] estime, notamment, que l’un des parents est incapable d’en assurer la garde à cause, entre autres, de ses habitudes, de son mode de vie ou de manquements constants et injustifiés à ses obligations de parent, elle peut s’attribuer les droits et devoirs parentaux envers cet enfant (article 2 § 1 [3 § 1]). Il s’agit de tous ceux dont la loi investit la mère et le père à l’égard d’un enfant légitime et de son patrimoine, y compris "un droit de visite" (right of access), à l’exclusion toutefois du droit de consentir - ou de s’y refuser - à une adoption ou à certaines ordonnances connexes (article 2 § 11 de la loi de 1948 [3 § 10 de la loi de 1980] et article 85 § 1 de la loi de 1975 sur les enfants). Avant d’assumer la puissance parentale, l’autorité locale doit examiner un rapport de ses services sociaux sur l’opportunité d’une telle mesure; il doit fournir tous les renseignements nécessaires au bon exercice du pouvoir d’appréciation de l’autorité. Lorsqu’elle se prononce, celle-ci doit attacher une importance primordiale aux intérêts de l’enfant et tenir compte des vues des parents sur la proposition. c) Oppositions aux résolutions sur la puissance parentale Si le parent n’a pas encore accepté par écrit la résolution sur la puissance parentale et si l’on sait où l’atteindre, on doit la lui notifier en lui indiquant qu’il peut s’y opposer dans le délai d’un mois (article 2 §§ 2 et 3 de la loi de 1948 [3 §§ 2 et 3 de la loi de 1980]). S’il use de ce droit, la résolution tombe quatorze jours après la notification de l’opposition (article 2 § 4 [3 § 4]). Cependant, pendant ce laps de temps l’autorité locale peut saisir un tribunal pour enfants, moyennant quoi la résolution reste en vigueur jusqu’à la décision. Après examen de la "plainte", le tribunal peut décider que la résolution ne deviendra pas caduque s’il constate que les conditions requises se trouvaient réunies au moment du prononcé, qu’elles le restent et que le maintien de la mesure sert l’intérêt de l’enfant (article 2 § 5 [3 §§ 5 et 6]). d) Échéance ou levée des résolutions sur la puissance parentale Une résolution sur la puissance parentale reste en vigueur jusqu’à ce que l’enfant atteigne l’âge de dix-huit ans, sauf si l’autorité locale l’annule ou si un tribunal pour enfants y met un terme auparavant (article 4 de la loi de 1948 [5 de la loi de 1980]). Même sans s’être d’emblée opposé à la résolution, le parent concerné peut en réclamer la levée à un tribunal pour enfants. Celui-ci peut accueillir la demande s’il estime que la résolution ne se justifiait pas ou qu’elle doit prendre fin dans l’intérêt de l’enfant (article 4 § 3 b) [5 § 4 b)]). Une demande fondée sur les motifs initiaux de la résolution doit cependant être introduite dans les six mois de l’adoption de celle-ci (article 127 de la loi de 1980 sur la Magistrates’ Court). e) Recours relatifs aux résolutions sur la puissance parentale D’après l’article 4 A de la loi de 1948 [6 de la loi de 1980], un parent ou l’autorité locale peuvent attaquer devant la Family Division de la High Court l’ordonnance d’un tribunal pour enfants confirmant (article 2 § 5 [3 § 6]) ou levant (article 4 § 3 b) [5 § 4 b)]) une résolution sur la puissance parentale, ou le refus du tribunal de prendre une telle ordonnance. Il existe une possibilité de recours ultérieur à la Court of Appeal puis, moyennant autorisation, à la Chambre des Lords. Tutelle La Family Division de la High Court a la compétence implicite, indépendante des dispositions légales et découlant de la prérogative régalienne de la Couronne en qualité de parens patriae, de placer un enfant sous tutelle judiciaire. La tutelle a pour effet de conférer la garde, au sens large, au tribunal lui-même. Il assume la responsabilité de tous les aspects du bien-être de l’enfant et peut prendre des ordonnances en toute matière appropriée, notamment quant aux soins et à la surveillance du pupille, aux visites qu’il peut recevoir, à son éducation, sa religion ou son patrimoine. Ce faisant, il attache une importance primordiale au bien-être de l’enfant (article 1 de la loi de 1971 sur la tutelle des mineurs). La tutelle se poursuit jusqu’à la majorité, sauf si une ordonnance du tribunal y met fin plus tôt. Si des circonstances exceptionnelles rendent impossible ou inopportun qu’un pupille soit ou demeure sous la garde de ses parents, le tribunal peut par ordonnance le confier à l’assistance de l’autorité locale (article 7 § 2 de la loi de 1969 portant réforme du droit de la famille), sous réserve de son pouvoir de donner des directives (article 43 § 5 a) de la loi de 1973 sur les affaires matrimoniales). Il conserve en pareil cas la garde de l’enfant et c’est à lui, non à l’autorité locale, qu’il incombe d’arrêter les principales décisions concernant l’avenir du pupille; il reste, par exemple, compétent pour prendre des ordonnances sur les visites à ce dernier. A qualité pour introduire une procédure de tutelle quiconque justifie d’un intérêt légitime pour le bien-être de l’enfant. La demande revêt la forme d’une assignation. L’enfant devient pupille dès la délivrance de celle-ci, mais la tutelle cesse automatiquement au bout de vingt et un jours si aucun exploit d’ajournement n’a été déposé d’ici là. L’audience a normalement lieu devant un greffier qui, sous réserve d’un recours au juge, peut ordonner des mesures provisoires sur des questions telles que les visites à l’enfant et décider que d’autres personnes concernées interviendront dans la procédure. Le juge connaît des affaires de tutelle s’il y a contestation, ainsi que des demandes - pouvant être présentées par une partie à tout moment - en modification ou levée d’une ordonnance de tutelle ou relatives, par exemple, aux visites à l’enfant ou à son éducation. Contre ses ordonnances s’ouvre un recours devant la Court of Appeal puis, moyennant autorisation, devant la Chambre des Lords. Dans une procédure de tutelle, l’enfant peut être représenté par un tuteur ad litem désigné par le tribunal; il s’agit en général de l’Official Solicitor, fonctionnaire à plein temps entièrement indépendant de l’exécutif. Le règlement de la Supreme Court permet de requérir une ordonnance accélérant la procédure, notamment si une partie se livre à des manoeuvres dilatoires. Décisions d’une autorité locale relatives à un enfant sous sa garde et contrôle judiciaire Dans le domaine de la protection de l’enfance, l’autorité locale exerce ses fonctions et arrête ses décisions par les soins de sa commission des services sociaux, d’une sous-commission ou encore d’un fonctionnaire agissant par délégation. A l’époque des faits, la pratique variait d’une autorité à l’autre en l’absence de prescriptions ou indications précises, même non législatives; beaucoup dépendait de la nature ou de la gravité de la décision à prendre. Que l’enfant lui soit confié en vertu de la loi de 1948 [1980] ou de 1969, l’autorité locale doit songer d’abord à la nécessité d’en sauvegarder et favoriser le bien-être pendant toute l’enfance; autant que possible, il lui faut s’assurer de ses désirs et sentiments quant à la décision et les considérer compte tenu de son âge et de son entendement (article 59 de la loi de 1975 sur les enfants [18 § 1 de la loi de 1980]). Les décisions des autorités locales en la matière se fondent souvent sur les résultats d’examens périodiques (case reviews) ou de réunions ad hoc (case conferences). L’autorité a l’obligation légale de revoir tous les six mois le cas de chaque enfant placé sous sa garde (article 27 § 4 de la loi de 1969) et, en pratique, la situation de l’enfant est de surcroît étudiée régulièrement lors de réunions ad hoc. Aux examens et réunions participent notamment les travailleurs sociaux responsables et de hauts fonctionnaires des services sociaux de l’autorité, ainsi que d’autres personnes tels des visiteurs sanitaires, médecins et officiers de police. Un parent peut à l’occasion être admis ou invité à assister à tout ou partie d’un examen périodique ou d’une réunion ad hoc, mais il n’y a aucun droit de par la loi. Ses contacts avec les travailleurs sociaux constituent le moyen le plus habituel de communiquer ses vues sur les questions que doit trancher l’autorité. Sans procédure judiciaire, le parent ne peut contraindre l’autorité locale à lui délivrer ou lui permettre de lire le procès-verbal de ses réunions pertinentes ou les rapports qui y ont été produits, encore qu’elle ait la faculté de le laisser les consulter. En cas d’instance en contrôle judiciaire (mais non devant un tribunal pour enfants), le tribunal peut ordonner la communication avant procès de ces documents, mais seulement une fois obtenue l’autorisation d’entamer la procédure (paragraphe 49 ci-dessous); toutefois, cela n’arrive que rarement car en principe il s’agit de pièces secrètes (privileged) et inaccessibles à l’intéressé. Un parent dont l’enfant se trouve sous la garde d’une autorité locale ne perd pas automatiquement contact avec lui. Cependant, la continuation des visites relève de l’appréciation de l’autorité (Lord Wilberforce dans A. v. Liverpool City Council, All England Law Reports 1981, vol. 2, p. 385). En droit anglais, la question de savoir si et dans quelle mesure un parent doit pouvoir rendre visite à son enfant assisté était donc, à l’époque, du ressort de l’autorité locale, sans qu’il fallût saisir un tribunal. La loi de 1948 [1980] comme celle de 1969 reflètent l’idée générale que le maintien des visites parentales aux enfants assistés est dans bien des hypothèses normal et souhaitable: la première permet à l’autorité locale de contribuer aux frais de pareille visite, la seconde traite spécialement de certains cas où les parents n’ont pas rendu visite à l’enfant depuis quelque temps. Les voies de recours légales indiquées aux paragraphes 34-35 et 40-42 ci-dessus, offrant aux parents le moyen soit de contester une ordonnance d’assistance ou une résolution sur la puissance parentale, soit d’en réclamer la levée, concernent l’ordonnance ou la résolution en soi; au moment des faits, il n’en existait aucune par laquelle ils pussent attaquer isolément une décision limitant ou supprimant leurs visites à leur enfant. Une décision de l’autorité locale en matière de visites peut donner lieu à une demande en contrôle judiciaire. Toute personne désireuse d’introduire une telle demande doit d’abord solliciter, en principe dans les trois mois de la décision, l’autorisation du tribunal. Les cas d’ouverture d’un contrôle judiciaire peuvent en bref se résumer ainsi: a) l’autorité a agi irrégulièrement, en excédant ses pouvoirs ou de mauvaise foi; b) elle a négligé de prendre en compte des éléments pertinents, pris en compte des éléments dénués de pertinence ou abouti à une décision à laquelle aucune autorité sensée n’eût pu arriver (Associated Provincial Picture Houses, Ltd v. Wednesbury Corporation, King’s Bench Reports 1948, vol. 1, p. 223); c) elle n’a pas respecté des règles légales de procédure ou n’a pas agi équitablement (voir notamment R. v. The Bedfordshire County Council, ex parte C, et R. v. The Hertfordshire County Council, ex parte B, Times Law Reports, 19 août 1986). Le contrôle judiciaire porte non sur le bien-fondé de la décision en cause, mais plutôt sur le processus décisionnel en soi; le tribunal ne joue pas le rôle d’une "cour d’appel". Ainsi, lorsqu’il accueille la demande et annule la décision d’une autorité, il renvoie d’ordinaire la question à celle-ci pour qu’elle la reconsidère; il peut aussi, cependant, ordonner à l’autorité d’arrêter une conclusion conforme à ses constatations (règlement de la Supreme Court, Titre 53, article 9 § 4). En outre, dans certaines circonstances on peut s’adresser à la juridiction compétente en matière de tutelle pour contester les décisions d’une autorité locale ou d’un tribunal pour enfants concernant un enfant confié à la première. En règle générale, le pouvoir de la Couronne ne se trouve pas supplanté ou abrogé à tous égards par l’exercice des attributions dont la loi investit lesdites autorités. Dans son arrêt de principe A. v. Liverpool City Council, la Chambre des Lords a examiné les relations entre la juridiction de tutelle et les pouvoirs légaux des autorités locales. Elle a estimé à l’unanimité que les tribunaux n’ont pas à vérifier le bien-fondé des décisions de celles-ci, notamment quant aux visites à l’enfant: le pouvoir implicite général du tribunal dans le domaine des tutelles doit servir à combler des lacunes ou compléter les attributions des autorités locales, mais non à surveiller - sauf sur la base des principes du contrôle judiciaire (paragraphe 49 ci-dessus) - la manière dont celles-ci usent de leur liberté d’appréciation dans le secteur que leur confie la loi. Parfois, cependant, l’autorité locale elle-même peut solliciter en sus l’aide du tribunal; la tutelle peut alors se poursuivre pour permettre à ce dernier de prendre des dispositions. Les limites susmentionnées aux pouvoirs de la High Court ne valent que si la procédure de tutelle concerne un enfant déjà placé sous assistance. Dans le cas contraire, la High Court peut connaître intégralement de questions comme celle des visites et rendre l’ordonnance qu’elle juge la plus appropriée dans l’intérêt de l’enfant. Évolution récente L’incapacité des parents à saisir les tribunaux - sauf dans la mesure indiquée plus haut - quand une autorité locale arrête des décisions touchant à leurs visites à leurs enfants, a conduit le Parlement à modifier sur ce point la législation par la loi de 1983 sur les services sanitaires et sociaux et le contentieux de la sécurité sociale (Health and Social Services and Social Security Adjudications Act 1983). Selon les nouveaux textes - entrés en vigueur le 30 janvier 1984, donc après les événements à l’origine de la présente affaire -, une autorité locale ne peut refuser de ménager des visites à un enfant assisté et ne peut les supprimer sans en avoir averti le parent. Celui-ci a alors le droit de demander à un tribunal pour enfants une ordonnance de visite (access order) enjoignant à l’autorité locale de permettre ces visites aux conditions que le tribunal peut préciser. Une fois rendue pareille ordonnance, il est possible d’en solliciter la modification. La décision du tribunal pour enfants peut être attaquée devant la High Court. Toute juridiction examinant la question doit considérer d’abord le bien-être de l’enfant. La voie de recours ainsi créée ne vaut que pour les décisions refusant ou supprimant les visites; dans tous les autres cas, la nature et l’étendue de ces dernières relèvent du pouvoir d’appréciation de l’autorité locale. En décembre 1983, le gouvernement a publié un code de pratique sur les visites aux enfants assistés. Ce document souligne qu’il importe d’associer les parents par le sang au processus de décision de l’autorité locale en la matière et de les renseigner de manière complète et rapide sur le contenu des décisions relatives aux visites. B. Adoption Pour pouvoir prononcer l’ordonnance d’adoption d’un enfant, un tribunal doit notamment, d’après l’article 12 de la loi de 1975 sur les enfants, se convaincre du consentement libre et sans réserve de chacun des parents. Il peut néanmoins s’en passer pour plusieurs motifs énoncés dans le même article, par exemple si le parent refuse son accord de façon abusive ou a constamment failli à ses obligations parentales sans raison défendable. Pour arrêter ses décisions en ce domaine, un tribunal doit tenir compte de toutes les circonstances, son premier souci consistant à protéger et favoriser le bien-être de l’enfant tout au long de l’enfance (article 3 de ladite loi). S’il s’agit d’un pupille de la justice, la procédure d’adoption ne peut être engagée sans l’autorisation de la High Court. Celle-ci doit alors rechercher si la demande d’adoption projetée a des chances sérieuses d’aboutir, le fond de la question étant examiné ultérieurement, une fois l’autorisation octroyée et remplies les conditions relatives au préavis et aux rapports. PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION Mme B. a saisi la Commission le 26 avril 1982 (requête no 9840/82). Elle se plaignait de ne disposer d’aucune voie de recours pour contester les décisions de l’autorité locale restreignant puis supprimant ses visites à P.; elle invoquait les articles 6, 8 et 13 (art. 6, art. 8, art. 13) de la Convention. La Commission a retenu la requête le 14 mai 1984. Dans son rapport du 4 décembre 1985 (article 31) (art. 31), elle arrive à la conclusion - qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 (art. 6-1) car la requérante n’a pu déférer à un tribunal la question de son droit, de caractère civil, de rendre visite à P. (douze voix contre deux); - qu’il y a eu violation de l’article 8 (art. 8) en ce que les procédures appliquées pour décider de limiter puis de supprimer les visites de la requérante à P., y compris le fait de ne pas lui avoir assuré des possibilités appropriées de visite pendant la grève, n’ont pas respecté sa vie familiale (unanimité); - que nul problème distinct ne se pose quant à l’article 13 (art. 13) (douze voix contre une, avec une abstention). Le texte intégral de l’avis de la Commission, ainsi que de l’opinion séparée et de l’opinion en partie dissidente dont il s’accompagne, figure en annexe au présent arrêt. CONCLUSIONS PRESENTEES PAR LE GOUVERNEMENT A LA COUR Aux audiences des 25-26 novembre 1986, le Gouvernement a invité la Cour à dire "- premièrement, qu’il n’y a eu violation de l’article 8 (art. 8) de la Convention dans le chef d’aucun des requérants; - deuxièmement, qu’il n’y a eu violation de l’article 6 § 1 (art. 6-1) de la Convention dans le chef d’aucun des requérants; - troisièmement, que dans le cas des requérants [O., W., B. et R.] aucune question distincte ne se pose au regard de l’article 13 (art. 13), mais que s’il s’en pose une il n’y a pas eu non plus violation de ce dernier".
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Le requérant, citoyen autrichien né hors mariage en 1942, réside à Stallhofen en Carinthie. Jusqu’en 1965, il vécut à St Bartlmä (Carinthie) dans une exploitation agricole qui avait appartenu à sa grand-mère maternelle puis à sa mère, Theresia Inze. Lorsque celle-ci épousa M. Rudolf Fischer, il demeura dans la maison non seulement avec sa grand-mère et sa mère, mais encore avec le mari de cette dernière et, par la suite, leur fils, Manfred Fischer, né dans le mariage en 1954. Il quitta la ferme à l’âge de 23 ans, puis se maria et s’établit à quelques kilomètres de là. Sa mère décéda sans testament le 18 avril 1975, laissant comme héritiers, outre le requérant, son mari et son second fils. Selon le code civil, le conjoint survivant avait droit à un quart de la succession (article 757) et chacun des fils (légitime ou non) à trois huitièmes (articles 732 et 754). Au cours d’une procédure engagée d’office devant le tribunal de district (Bezirksgericht) de Klagenfurt, ils acceptèrent tous trois ces parts; le tribunal homologua leurs déclarations le 31 mars 1976. La ferme dont il s’agit relevait toutefois du régime particulier de la la loi carinthienne de 1903 sur les exploitations agricoles héréditaires (Erbhöfegesetz, Journal officiel provincial no 33/1903, "la loi provinciale"), d’après lequel les domaines d’une certaine taille ne doivent pas être divisés en cas de succession, mais au contraire attribués à un seul des héritiers, à charge pour lui de dédommager les cohéritiers (paragraphe 25 ci-dessous). Le requérant avait allégué, le 8 août 1975, que sa qualité de fils aîné l’appelait à remplacer sa mère à la tête de la ferme. Il prétendit ultérieurement que la disposition accordant la préférence aux enfants légitimes avait été abrogée entre temps et que de toute manière son beau-père et son demi-frère se trouvaient exclus en raison de leur inaptitude à gérer l’exploitation (article 7 § 4 de la loi provinciale, paragraphe 25 ci-dessous). A. Qualification de l’exploitation Le tribunal de district tint une audience contradictoire le 28 avril 1976; le 26 août, il chargea un expert de formuler un avis sur le triple point de savoir si la ferme constituait une "exploitation agricole héréditaire" au sens de la loi provinciale, quelle en était la valeur (estimation nécessaire pour fixer le montant des soultes) et comment on l’avait gérée depuis le décès de la mère du requérant. Daté du 1er octobre 1976, le rapport parvint au tribunal le 27. L’expert y arrivait à la conclusion que l’exploitation tombait sous le coup de la loi provinciale et qu’elle valait 331.040 schillings autrichiens (ATS), mais qu’en très mauvais état elle ne pouvait faire vivre une famille. C’est le conjoint survivant qui pour l’essentiel s’en était occupé depuis la mort de sa femme; il n’avait conservé que quelques bêtes et avait converti l’ensemble des terres en pâturages. Certaines des prairies restaient à l’abandon et les champs en friche. Après une nouvelle audience le 18 janvier 1977, le tribunal estima le 25 qu’il s’agissait d’une "exploitation agricole héréditaire" et en fixa la valeur à 331.040 ATS, conformément aux conclusions de l’expert. Cette décision devint définitive, aucune des parties ne l’ayant attaquée. B. Désignation de l’héritier En application de l’article 7 § 4 de la loi provinciale, le tribunal régional (Landesgericht) de Klagenfurt eut à connaître de l’attribution de la ferme et notamment de l’exclusion, alléguée par le requérant, du beau-père et du demi-frère de celui-ci (paragraphe 25 ci-dessous). Le tribunal de district transmit son dossier au tribunal régional le 20 juillet 1977, mais celui-ci le lui retourna le 17 janvier 1978, à la suite de l’annulation d’une audience prévue pour la veille, en lui demandant de recueillir de plus amples éléments de preuve sur l’aptitude du demi-frère à diriger l’exploitation. L’avis de l’expert appelait donc des précisions sur ce point; le tribunal de district fut invité à joindre au dossier son propre avis en droit (article 7 § 4 de la loi provinciale, paragraphe 25 ci-dessous). Là-dessus, il ordonna un complément d’expertise qu’il reçut le 6 avril 1978. L’expert signalait que les conditions d’exploitation avaient continué à se dégrader: certaines terres avaient été laissées à un club de motocross, d’autres à un voisin qui y avait déposé des matériaux de construction, de sorte qu’on ne pouvait guère parler de gestion dans les règles. A la question de savoir si le demi-frère du requérant était capable de mener de front la bonne marche de la ferme et l’exercice de son emploi de manoeuvre, l’expert répondait par l’affirmative. L’exploitation n’exigeait pas de grands efforts et le lieu de travail de l’intéressé n’était pas assez éloigné pour empêcher sa présence quotidienne à la ferme. Après plusieurs ajournements, une audience contradictoire eut lieu le 31 janvier 1979. Les parties n’y réussirent pas à s’entendre sur la personne qui devait se charger de l’exploitation, ne fût-ce que pour la durée de la procédure, le beau-père et le demi-frère du requérant s’opposant à la désignation d’un curateur. Le tribunal de district restitua le dossier au tribunal régional en février 1979. Le 25 juin 1979, ce dernier déclara irrecevable la demande du requérant visant à écarter son beau-père, celui-ci n’ayant en réalité jamais revendiqué le droit de reprendre la ferme. Quant au demi-frère, sa profession pouvait se concilier avec la bonne marche de l’exploitation et il ne se trouvait pas dans l’incapacité d’assurer la seconde tout en gardant la première. On ne pouvait pas non plus lui reprocher une mauvaise gestion puisque son père s’occupait de la ferme depuis le décès de sa femme. Le requérant se pourvut devant la cour d’appel (Oberlandesgericht) de Graz. D’après lui, en refusant d’exclure son demi-frère le tribunal régional n’avait pas tenu compte de certains éléments de preuve. Il alléguait en outre que les clauses de l’article 7 § 2 de la loi provinciale donnant la préférence aux enfants légitimes (paragraphe 25 ci-dessous) avaient été abrogées par la nouvelle version de l’article 754 § 1 du code civil, promulguée en 1970, et par l’article 14 (art. 14) de la Convention européenne des Droits de l’Homme. Il invitait la cour à soumettre à la Cour constitutionnelle (Verfassungsgerichtshof) la question de leur constitutionnalité. La cour d’appel le débouta le 26 septembre 1979. Confirmant la décision du tribunal régional sur la non-exclusion du demi-frère du requérant, elle ajoutait que la constitutionnalité de la norme de la loi provinciale accordant la préférence aux enfants légitimes ne lui inspirait aucun doute. Une telle règle puisait une justification objective dans la spécificité de la structure économique et de la famille rurale: les enfants légitimes vivaient en famille à la ferme, alors qu’il arrivait souvent aux enfants naturels d’être élevés ailleurs et, partant, de ne pas avoir avec elle des liens aussi étroits que les enfants légitimes. Or il en allait ainsi en l’espèce. En conséquence, la cour d’appel ne discerna aucune raison de saisir la Cour constitutionnelle. Le requérant déféra cette décision à la Cour suprême (Oberster Gerichtshof) sur la base, pour l’essentiel, des arguments déjà invoqués devant la cour d’appel. Le 9 avril 1980, la Cour jugea toutefois le pourvoi irrecevable parce que dirigé contre un arrêt de la cour d’appel confirmant une décision du tribunal régional; en pareil cas, un recours n’est recevable que si une décision ne cadre manifestement pas avec la loi ou le dossier, ou si un vice de procédure entache la procédure de nullité. Sur le dernier point, elle niait que l’article 754 § 1 du code civil, tel qu’amendé, eût abrogé l’article 7 § 2 de la loi provinciale. La Cour suprême estima aussi qu’il n’y avait pas lieu de saisir la Cour constitutionnelle, et ce pour les raisons suivantes. Au sujet de la constitutionnalité de l’article 7 § 2 au regard de l’article 14 (art. 14) de la Convention, elle releva que le second vaut uniquement pour la jouissance des droits et libertés reconnus dans la Convention. Or celle-ci ne traiterait pas des successions et l’article 1 du Protocole no 1 (P1-1), qui protège le droit au respect des biens, n’interdirait pas d’édicter en matière successorale des règles différentes pour les enfants légitimes et les enfants naturels. En outre l’article 7 § 2 de la loi provinciale s’accordait sans conteste avec le principe constitutionnel d’égalité. Ce dernier oblige le législateur, sauf raisons objectives, à ne pas introduire en droit des distinctions fondées sur la situation personnelle, mais les clauses litigieuses de la loi provinciale ne paraissaient pas déraisonnables: il en existait de semblables dans la législation provinciale du Tyrol (Höfegesetz) et la législation fédérale applicable aux autres provinces (Anerbengesetz), lesquelles se montraient même plus restrictives à l’égard des enfants naturels puisqu’ils ne pouvaient se voir attribuer une exploitation héréditaire sans y avoir été élevés. D’après les travaux préparatoires de cette législation, la préférence accordée aux enfants légitimes s’appuyait sur les convictions de la société rurale. Ne la remettaient pas non plus en cause les efforts déployés pour assimiler la situation juridique de l’enfant naturel à celle de l’enfant légitime, car elle reflétait les opinions et attitudes propres à la population rurale et qui concernent aussi, entre autres, le statut juridique du conjoint survivant. La Cour suprême souligna de surcroît que la famille représente un élément important de l’organisation juridique des relations humaines. Eu égard à l’ensemble de ces circonstances, on ne pouvait dire que les clauses de la loi carinthienne ne se fondaient pas sur des considérations objectives. Après que la Convention européenne du 15 octobre 1975 sur le statut juridique des enfants nés hors mariage fut entrée en vigueur pour l’Autriche le 29 août 1980, le requérant saisit derechef la Cour suprême, lui demandant de reconsidérer son arrêt du 9 avril 1980. En son article 9, cette Convention précise que "les droits de l’enfant né hors mariage dans la succession de ses père et mère et des membres de leurs familles sont les mêmes que s’il était né dans le mariage". En la ratifiant, l’Autriche a formulé toutefois la réserve suivante: "La République d’Autriche, conformément au paragraphe 1 de l’article 14 de la Convention, se réserve le droit de ne pas reconnaître à l’enfant né hors mariage, selon l’article 9 de la Convention, les mêmes droits dans la succession de son père et des membres de la famille de son père que s’il était né dans le mariage." Le 6 octobre 1980, la Cour suprême déclara le recours irrecevable en raison du caractère définitif de son premier arrêt et de l’absence d’une possibilité légale de rouvrir la procédure. C. L’accord conclu entre le requérant et son demi-frère La procédure reprit en première instance en octobre 1981. Le 12, le requérant et son demi-frère aboutirent à un arrangement judiciaire par lequel le premier renonçait à toute prétention sur la ferme de sa mère, qui revenait au second. En contrepartie, il recevrait une terre que sa mère lui avait promise de son vivant, mais aucun autre dédommagement. La procédure judiciaire s’acheva le 31 décembre 1981 avec l’attribution (Einantwortung) de toute l’exploitation agricole au demi-frère du requérant. L’application de l’arrangement précité était renvoyée à un accord ultérieur des parties, lesquelles le conclurent le 26 mai 1982. La séparation du lot revenant au requérant en vertu de l’accord supposait cependant l’agrément des pouvoirs publics et notamment, aux termes de la loi carinthienne sur les forêts (Journal officiel provincial no 77/1979), du service compétent des forêts. Des difficultés surgirent à ce propos: la terre en question, boisée, était trop exiguë pour que la loi précitée autorisât à la détacher du reste, sauf si l’avait exigé un intérêt public primordial dont ledit service niait l’existence. Elles s’aplanirent apparemment après que la Cour constitutionnelle eut constaté dans une autre affaire, l’inconstitutionnalité des dispositions législatives carinthiennes en cause. La terre fut alors inscrite au registre foncier sous le nom du requérant, ce que confirme un extrait de ce registre, daté du 13 janvier 1984. II. LA LÉGISLATION PERTINENTE A. Le code civil Les textes pertinents du code civil sont ainsi libellés (traduction de l’allemand): Article 545 "La capacité pour hériter ne peut s’apprécier qu’au moment de l’ouverture réelle de la succession. Il s’agit en règle générale de la date de la mort du de cujus (article 703)." Article 547 "L’héritier représente le de cujus pour sa succession dès qu’il l’a acceptée. Tous deux sont considérés comme une seule et même personne à l’égard des tiers. Avant l’acceptation de l’héritier, la succession est considérée comme appartenant encore au de cujus." Article 550 "Plusieurs héritiers sont considérés comme la même personne pour leurs droits de succession communs. En cette qualité, ils sont tous solidaires avant l’envoi en possession judiciaire de la succession. Le chapitre sur la prise de possession de l’hérédité détermine la mesure de leur responsabilité après ce moment." B. La loi carinthienne sur les exploitations agricoles héréditaires Sans préjudice des dispositions générales du code civil sur la détermination des parts successorales, la loi carinthienne sur les exploitations agricoles héréditaires fixe les règles de dévolution de celles-ci en espèces ou en nature. En voici les clauses pertinentes (traduction de l’allemand): Article 6 § 1 "Lorsque la succession du propriétaire d’une exploitation agricole échoit à plusieurs personnes, seule l’une d’elles, appelée héritier principal (Anerbe), peut hériter de l’exploitation et de ses accessoires (...)." Article 7 "L’héritier principal est déterminé par la loi et l’ordre légal de succession. En présence de plusieurs héritiers et à défaut d’accord entre eux, ils héritent de l’exploitation agricole dans l’ordre suivant: En règle générale, les héritiers mâles prennent le pas sur ceux de sexe féminin, et les aînés sur leurs cadets du même sexe; il est procédé à un tirage au sort entre héritiers du même âge. Les héritiers les plus proches prennent toutefois le pas sur les plus éloignés. Les enfants du sang prennent toujours le pas sur les enfants adoptifs et les enfants légitimes sur les enfants naturels. (...) Ne peuvent en principe reprendre l’exploitation agricole les personnes suivantes: (...) b) celles qui, en raison d’une incapacité mentale ou physique, semblent incapables de diriger l’exploitation elles-mêmes; (...) d) celles que leur profession empêche de gérer l’exploitation sur place et d’y travailler en personne. (...) La décision relative à (...) l’existence des motifs d’exclusion visés aux alinéas b) à e) relève du tribunal de première instance [Landesgericht et Kreisgericht), auquel le tribunal de district (Bezirksgericht) communique, avec sa propre opinion, le dossier concernant l’administration de la succession." Article 8 "Lors du partage de la succession, l’exploitation (article 6) est dévolue à l’héritier principal qui devient débiteur de la succession pour la valeur de l’exploitation sans les charges." Article 9 "1. La valeur de l’exploitation est fixée par accord entre les intéressés. Faute d’un tel accord, le tribunal charge des experts de procéder à une évaluation, entend le conseil municipal et les parties et, statuant en équité, détermine la valeur de l’exploitation de manière que l’héritier principal puisse vivre correctement (wohl bestehen kann)." Article 14 "1. Les règles concernant le partage des successions ne modifient pas les dispositions relatives aux réserves (articles 765 et 766 du code civil). La valeur des réserves se calcule en fonction de celle de l’exploitation, déterminée conformément à l’article 9 § 2 (...)." Pour répondre aux changements sociaux de ces dernières années, le ministre fédéral de la Justice a préparé deux projets de loi dont l’un vise toutes les provinces, sauf le Tyrol et la Carinthie, et l’autre cette dernière seulement. Le second a donné lieu, comme de coutume, à une procédure de consultation en 1985. En cours d’amendement à la lumière des opinions exprimées, il sera déposé sous peu devant le Parlement. Il contient un article 8 ainsi rédigé (traduction de l’allemand): "Si l’exploitation avait le défunt pour propriétaire unique, la personne la reprenant est déterminée conformément à la loi et à l’ordre légal de succession. En cas de pluralité d’héritiers et en l’absence d’accord entre eux, ils héritent de l’exploitation dans l’ordre suivant: Les héritiers ayant reçu une formation d’agriculteur ont le pas sur les autres. Si plusieurs héritiers remplissent cette condition, ceux qui ont été élevés dans la ferme en question ont le pas sur les autres. Les enfants du défunt, y compris les enfants adoptifs, ont le pas sur le conjoint survivant; en revanche, celui-ci a le pas sur les descendants non élevés à la ferme et sur les autres parents. (...)." D’après le rapport explicatif, ce texte a pour but d’éliminer, entre autres, les désavantages que les enfants naturels et adoptifs subissent en comparaison des enfants légitimes. PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION Dans sa requête du 20 juin 1979 à la Commission (no 8695/79), M. Inze se prétendait victime d’une discrimination, fondée sur sa naissance hors mariage, dans la jouissance de droits patrimoniaux relatifs à l’exploitation agricole héréditaire de sa mère. Il alléguait la violation de l’article 1, du Protocole no 1 combiné avec l’article 14 de la Convention (art. 14+P1-1). Après avoir suspendu sa procédure de mai 1982 à octobre 1984 en raison de négociations pendantes en Autriche en vue d’un règlement amiable, la Commission a retenu la requête le 5 décembre 1984. Dans son rapport du 4 mars 1986 (article 31) (art. 31), elle conclut par six voix contre quatre à la violation de l’article 14 de la Convention, combiné avec l’article 1 du Protocole no 1 (art. 14+P1-1). Le texte intégral de son avis et des opinions dissidentes dont il s’accompagne figure en annexe au présent arrêt. CONCLUSIONS PRESENTEES A LA COUR PAR LE GOUVERNEMENT À l’audience du 23 avril 1987, le Gouvernement a invité la Cour à dire "qu’en l’espèce, il n’y a pas eu infraction à l’article 1 du Protocole no 1 (P1-1), pris isolément ou combiné avec l’article 14 de la Convention (art. 14+P1-1) (...), et que les faits de la cause ne révèlent donc aucune violation de la Convention par la République d’Autriche; et, au cas où la Cour en relèverait une, que ce constat constitue en soi une satisfaction équitable suffisante aux fins de l’article 50 (art. 50) de la Convention".
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Mme Gloria Capuano habite Rome. Le 24 juillet 1971 elle acheta, pour y séjourner pendant ses vacances, un petit appartement avec terrasse à Villamare de Vibonati (Potenza). Il faisait partie d'un immeuble situé au bord de la mer et qui devait être restauré selon un plan annexé au contrat. Le prix déclaré s'élevait à sept cent mille lires (700.OOO LIT). La requérante s'engagea par le même acte à constituer en faveur du vendeur, M. P. - à l'époque unique propriétaire -, ainsi que de ses héritiers et autres ayants droit, une servitude de passage sur la terrasse qui offrait un accès secondaire direct à la plage. Lors de la rénovation, M. P. aménagea quatre appartements qu'il céda à des tiers. Il ne respecta cependant pas le plan initial; en particulier, il supprima l'accès principal de la maison à la plage, de sorte que la terrasse de Mme Capuano devint le seul point de passage. Estimant que les travaux ainsi réalisés aggravaient la servitude, la requérante se tourna vers la justice. Elle introduisit d'abord devant le juge d'instance (pretore) de Sapri (Potenza) une plainte contre le vendeur, auquel elle reprochait d'avoir agi sans les permis exigés par la loi. Elle ne put toutefois se porter partie civile: les infractions alléguées consistant dans le non-accomplissement de démarches administratives, elle ne pouvait s'en prétendre personnellement victime. Le 9 mars 1974, le pretore condamna M. P. à une amende. Faute d'avoir obtenu un dédommagement, Mme Capuano saisit la juridiction civile. Les 10, 13 et 15 novembre 1976, elle cita le vendeur et les quatre acheteurs à comparaître le 10 janvier 1977 devant le tribunal de Lagonegro (Potenza); elle demandait la démolition des ouvrages qui avaient entraîné l'alourdissement abusif de la charge pesant sur son bien. L'instruction du procès débuta le jour dit. Toutefois, le conseil de la requérante sollicita le report de l'audience pour permettre la signification de la citation à l'un des quatre acheteurs, qui résidait à Rome mais que l'huissier de justice n'avait pu atteindre car il en ignorait l'adresse exacte. Différé jusqu'au 19 avril 1977, le procès dut à cette date être interrompu en application de l'article 301 du code de procédure civile: le conseil de Mme Capuano était décédé et la nomination du nouveau représentant choisi par elle le 13 avril 1977 n'avait pas encore été notifiée au tribunal. Le 1er juin, l'avocat de la requérante réclama la reprise du procès; elle fut fixée au 20 septembre. Le jour venu, il demanda une suspension pour pouvoir présenter ses offres de preuve. A l'audience suivante, le 29 novembre 1977, il sollicita une expertise (articles 61 à 64 et 191 à 201 du code de procédure civile) en se réservant d'indiquer les questions à poser à l'expert. Reportés au 24 janvier 1978, les débats n'eurent lieu que le 31 à cause d'un renvoi dû aux élections communales; le conseil de Mme Capuano précisa l'objet de l'expertise tel qu'il le concevait. Après que les conseils des parties en eurent discuté, le juge désigna l'expert et fixa au 14 mars 1978 la date à laquelle celui-ci prêterait serment et prendrait connaissance des termes de son mandat. Le jour dit, il impartit à l'expert un délai de soixante jours pour remettre son rapport et décida que l'audience consacrée à l'examen de ce dernier se tiendrait le 23 mai 1978. L'expert se rendit sur place le 24 avril 1978. Toutefois, malgré la présence des intéressés il fallut surseoir à la visite jusqu'au 17 mai parce qu'il s'avéra impossible d'accéder à l'ensemble de l'immeuble. L'audience ne put se dérouler le 23 mai 1978, en raison d'un empêchement du juge. Elle s'ouvrit quelques jours plus tard, mais l'avocat de la requérante obtint un ajournement car on attendait encore le rapport d'expertise. Celui-ci n'arriva que le 5 janvier 1979, de sorte que l'on dut aussi renvoyer les audiences des 4 juillet, 31 octobre et 14 décembre 1978. Entre temps, le 12 juillet, un nouveau juge avait été chargé de la mise en état de l'affaire. L'audience fixée au 6 février 1979 n'eut pas lieu. A la suivante, le 12 juin 1979, les défendeurs contestèrent le rapport et sollicitèrent un délai pour produire une expertise privée. De son côté, Mme Capuano invita le juge à confier à l'expert une mission complémentaire: indiquer les travaux nécessaires pour remédier aux changements apportés par M. P. Le 9 octobre 1979, son conseil réitéra cette demande tandis que les défendeurs réclamèrent un délai pour l'étudier et se prononcer. A l'audience du 13 novembre 1979, le conseil de l'un des défendeurs déposa l'avis d'un expert privé et conclut à une descente sur place. L'avocat de Mme Capuano éleva des objections et le juge réserva sa décision. Le 18 décembre 1979, le juge renvoya l'examen de l'affaire au 12 février 1980 ainsi que l'en priaient les comparants. Ce jour-là, le conseil de la requérante produisit à son tour une expertise privée. Le 1er avril 1980, le juge ordonna le complément d'expertise susmentionné, réserva derechef sa décision quant à une visite des lieux et fixa au 6 mai 1980 la citation de l'expert. A cette date, il lui communiqua les termes de sa mission. L'expert demanda un délai de soixante jours pour s'acquitter de sa tâche et l'examen de la cause fut donc renvoyé au 15 juillet 1980. Les audiences des 15 juillet, 21 octobre et 16 décembre 1980 durent être différées car l'expert n'avait pas encore fourni son rapport. Sur les instructions du juge, le greffe en réclama par trois fois le dépôt, mais en vain: le 17 décembre 1980 pour le 10 février 1981, le 12 février pour les vingt jours à venir, le 14 avril pour le 19 mai 1981, ce qui se traduisit par un nombre égal de nouveaux ajournements. Le juge de la mise en état ayant dans l'intervalle été muté, aucune activité n'eut lieu jusqu'au 23 février 1982, après quoi il fallut renvoyer au 4 mai l'examen de l'affaire. L'expert finit pourtant par présenter son rapport, daté du 25 mars 1982. A l'audience du 4 mai, l'avocat de Mme Capuano engagea le tribunal à statuer sur le fond; la partie adverse sollicita un délai pour répondre. Le 29 juin, le conseil de la requérante invita une seconde fois le juge à trancher, mais un défendeur réclama une descente sur place et se réserva de produire l'avis d'un expert privé. Le 19 octobre, il obtint un délai pour en déposer un, ce qu'il fit le 14 décembre. Là-dessus, le conseil de la requérante demanda lui aussi du temps pour répliquer et les débats furent ajournés jusqu'au 18 janvier 1983. A cette date, le juge ordonna une visite des lieux. Il révoqua cependant sa décision le 2 février 1983 et fixa au 1er mars l'audition de l'expert. Non avertie du changement, Mme Capuano se déplaça inutilement à Villamare de Vibonati. Le 1er mars, le juge de la mise en état entendit l'expert et renvoya les plaidoiries au 29 mars. A cette dernière audience, les parties présentèrent, comme prévu, leurs conclusions devant la chambre qui déclara l'affaire en état. Adopté le 14 juillet 1983, le jugement fut déposé au greffe le 20. M. P. interjeta appel, tandis que deux codéfendeurs et la requérante formèrent un appel incident. M. P. cita les autres parties à comparaître devant la cour d'appel de Potenza le 6 mars 1984. Là-dessus, le conseiller de la mise en état renvoya l'examen de la cause au 8 mai 1984, puis à une date ultérieure car le recours n'avait pas été notifié à l'un des intéressés. A l'audience suivante, le 9 octobre, le conseil de M. P. et celui de Mme Capuano demandèrent la fixation d'une audience pour présenter leurs conclusions respectives; un autre conseil sollicita un délai pour étudier de nouvelles pièces fournies par la requérante. Des audiences se déroulèrent les 27 novembre 1984 et 25 janvier 1985. Saisie par le conseiller de la mise en état, la chambre décida, le 23 avril, un complément d'instruction nonobstant les objections de l'avocat de Mme Capuano. Une audition de témoins devait se tenir le 19 novembre 1985, mais le conseil de la requérante tomba malade. A l'audience du 10 décembre, l'un des témoins cités ne comparut pas et le conseil de M. P. invita la cour à recueillir d'autres témoignages. A celle du 18 février 1986, il y eut aussi un témoin défaillant; la cour ordonna aux carabiniers de l'amener à la barre le 29 avril, date à laquelle il se présenta effectivement. Fixés d'abord au 17 juin 1986 puis au 19 novembre, les débats devant la chambre ont eu lieu le 29 avril 1987; les parties avaient échangé leurs conclusions le 3 février. Selon les éléments du dossier, la cour d'appel n'a pas encore rendu son arrêt. PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION Mme Capuano a saisi la Commission le 21 décembre 1980 (requête n° 9381/81). Elle se plaignait du rejet de sa demande de constitution de partie civile dans les poursuites pénales ouvertes contre le vendeur pour infraction aux lois sur l'urbanisme. Elle dénonçait aussi la lenteur de la procédure civile qu'elle avait engagée contre lui. Le 3 octobre 1983, la Commission a retenu la requête quant au second grief, la déclarant irrecevable pour le premier. Dans son rapport du 15 octobre 1985 (article 31) (art. 31), elle exprime à l'unanimité l'opinion qu'il y a eu violation de l'article 6 § 1 (art. 6-1) de la Convention. Le texte intégral de son avis figure en annexe au présent arrêt.
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Les requérants, Leopold Poiss - décédé le 30 avril 1984 - et ses enfants Josef et Anna, sont des agriculteurs autrichiens établis à Palterndorf en Basse-Autriche. Ils se plaignent des opérations de remembrement (Zusammenlegungsverfahren) de leurs terres. I. Les circonstances de l'espèce Les opérations de remembrement Le 13 septembre 1965, l'autorité agricole de district (Agrarbezirksbehörde, "l'Autorité de district") de Basse-Autriche publia un plan de remembrement qu'elle avait adopté le 1er septembre. Dès le 22 avril 1963, elle avait ordonné le transfert provisoire des parcelles concernées. L'opération visait 530 personnes dont 428 propriétaires de terres agricoles. Estimant leurs terres d'une qualité supérieure à celle des lots offerts en contrepartie, les requérants attaquèrent le plan entre le 27 et le 30 septembre 1965, mais la Commission régionale de la réforme agraire (Landesagrarsenat, "la Commission régionale") l'entérina le 9 juillet 1968. Les intéressés interjetèrent appel dans les quinze jours, alléguant en particulier qu'il fallait reconnaître à certaines de leurs anciennes propriétés - des vignes situées à proximité des bâtiments de leur ferme (Hausweingärten) - le caractère de terrains à bâtir. La Commission suprême de la réforme agraire (Oberster Agrarsenat, "la Commission suprême") les débouta le 5 mai 1971: selon le plan de zonage de la municipalité de Palterndorf, il s'agissait de terrains à vocation agricole. Sa décision fut notifiée le 8 septembre 1971. Les requérants saisirent alors la Cour constitutionnelle, mais elle repoussa leur recours par un arrêt du 24 février 1972 qui leur fut communiqué le 23 mai suivant. La réouverture de la procédure Le 7 septembre 1971, donc la veille de la notification de la décision de la Commission suprême, le service municipal de la planification avait arrêté, mais non publié, un plan provisoire de zonage où les vignes des requérants figuraient comme terrains constructibles. Par une lettre du 5 septembre 1974, le maire de Palterndorf-Dobermannsdorf le confirma aux Poiss. a) La nouvelle décision de la Commission suprême Le lendemain, les intéressés invitèrent la Commission suprême à ordonner la réouverture de la procédure. S'appuyant sur l'article 69 § 1 b) de la loi générale sur la procédure administrative (Allgemeines Verwaltungsverfahrensgesetz), ils soutenaient notamment que faute d'avoir eu, avant la veille, la certitude de l'existence d'un plan provisoire de zonage, ils n'avaient pu invoquer plus tôt la nouvelle affectation de leurs propriétés. La Commission suprême accueillit leur demande le 1er octobre 1975. Statuant une seconde fois sur leur recours initial, elle reconnut qu'à titre de terrains à bâtir, les parcelles en cause possédaient une valeur particulière au sens de l'article 18 § 1 de la loi de Basse-Autriche, de 1975, sur l'aménagement des terres agricoles (Flurverfassungs- Landesgesetz, paragraphes 26 et 33 ci-dessous) et devaient donc soit rester entre les mains de leurs anciens propriétaires soit donner lieu à l'attribution de lots d'égale valeur. La décision fut notifiée aux requérants le 16 décembre. b) La première phase de la procédure rouverte Le plan de remembrement devant subir une modification qui touchait inévitablement les intérêts des autres parties à la redistribution, l'affaire avait été renvoyée, pour complément d'instruction et nouvelle décision, à l'Autorité de district. Le 5 avril 1976, cette dernière refusa d'admettre que les terres litigieuses eussent une valeur particulière, car le plan municipal provisoire de zonage du 7 septembre 1971 n'avait pas reçu l'aval de l'organe compétent du Land. Elle ajouta qu'on ne pouvait les considérer comme terrains à bâtir par nature: elles se situaient à quelque distance de la zone d'habitation du village. Les Poiss se plaignirent à la Commission régionale le 3 mai 1976, mais elle ne se prononça pas dans le délai de six mois fixé par l'article 73 § 1 de la loi générale sur la procédure administrative; aussi prièrent-ils la Commission suprême, le 24 janvier 1977, de s'emparer du dossier conformément à l'article 73 § 2 (paragraphe 41 ci-dessous). Le 6 juillet 1977, la Commission suprême accueillit à la fois la demande de dessaisissement et le recours. Elle renvoya l'affaire à l'Autorité de district, qu'elle déclara liée par l'avis exprimé le 1er octobre 1975. Sa décision fut notifiée aux requérants le 30 août 1977. c) La seconde phase de la procédure rouverte L'Autorité de district refusa pourtant derechef de s'incliner: le 23 août 1978, elle résolut de surseoir à toute décision jusqu'à l'adoption du plan définitif de zonage, au motif que les autorités compétentes du Land n'avaient pas encore approuvé le plan provisoire et que le classement des lots en cause comme terrains à bâtir suscitait des doutes sérieux; en outre, trancher en l'absence d'un plan définitif eût été contraire à la Constitution fédérale (Bundes-Verfassungsgesetz) et à la jurisprudence de la Cour administrative (Verwaltungsgerichtshof). Saisie par les requérants le 8 septembre 1978, la Commission régionale annula la décision le 6 avril 1979: le règlement du litige n'exigeait plus l'adoption définitive du plan de zonage car depuis la révision - intervenue le 23 février 1979 - de l'article 113 § 2 de la loi sur l'aménagement des terres agricoles (paragraphe 26 ci-dessous), les dispositions des plans de remembrement avaient les mêmes effets que les décisions d'aménagement du territoire. Les décisions locales en matière d'aménagement ne pouvaient aller à l'encontre d'un plan (régional) de remembrement, de sorte qu'il n'appartenait pas à la municipalité d'entraver l'application du plan de remembrement pour Palterndorf-Dobermannsdorf, ni aux services locaux d'aménagement de classer comme constructibles des zones figurant dans ledit plan comme terres agricoles. Bref, il n'y avait pas lieu d'attendre davantage pour statuer sur le bien-fondé de la demande. La décision fut notifiée aux intéressés le 13 avril 1979. Par la suite, les Poiss réclamèrent auprès de l'Autorité de district, en vertu de l'article 18 § 4 de la loi sur l'aménagement des terres agricoles (paragraphe 33 ci-dessous), l'ouverture d'une procédure visant à la reconnaissance de la valeur particulière de leurs propriétés. Aucune décision ne fut prise à ce sujet. En outre, les requérants attaquèrent la décision de la Commission régionale, le 2 mai 1979, devant la Commission suprême. Elle les débouta le 7 mai 1980: l'Autorité de district devait trancher elle-même dans les plus brefs délais; on ne pouvait contester aux terres de la famille Poiss une valeur particulière, malgré l'absence d'un plan définitif de zonage les classant comme terrains à bâtir. Plusieurs maisons avaient entre temps été édifiées dans le secteur et la décision antérieure de la Commission suprême continuait à lier l'Autorité de district. La décision fut communiquée aux intéressés le 23 mai 1980. Les actions contre la carence des autorités a) La première procédure L'Autorité de district n'ayant pas arrêté de nouvelle décision dans le délai légal de six mois (paragraphe 41 ci-dessous), les requérants saisirent la Commission régionale le 21 janvier 1981. Elle leur opposa, le 29 mai 1981, une fin de non-recevoir: l'Autorité de district s'était employée à satisfaire à leurs demandes, mais n'avait pas encore pu aboutir à un règlement définitif; ni elle ni eux ne portaient la responsabilité du retard; des obstacles inévitables (unüberwindliche Hindernisse) avaient surgi parce que les autres parties ayant reçu leurs parcelles compensatoires dès 1965, on avait envisagé d'attribuer aux requérants une parcelle communale, mais elle ne possédait pas les dimensions voulues; bien que supérieure à six mois, la durée de cette phase de la procédure n'était pas excessive, par rapport à celle de l'ensemble de l'opération engagée en 1965. Au total, les conditions d'un dessaisissement ne se trouvaient pas réunies. La décision fut notifiée aux intéressés le 2 juillet 1981. Les Poiss ayant interjeté appel le 13 juillet 1981 en alléguant l'absence d'obstacle inévitable, la Commission suprême confirma la décision de la Commission régionale le 4 novembre 1981: dans les circonstances de la cause, elle n'estima pas déraisonnable la démarche de l'Autorité de district. Sa décision fut communiquée aux requérants le 16 décembre. Les requérants se pourvurent alors, le 25 janvier 1982, devant la Cour administrative. A leurs yeux, les efforts déployés par l'Autorité de district pour arriver à un accord avec la municipalité ne suffisaient pas au respect de l'obligation de poser les bases d'une décision légale sur leur demande de compensation; il ne se justifiait pas de différer davantage pareille décision, eu égard à la longueur et à la lenteur de la procédure antérieure. La Cour administrative accueillit le recours le 15 juin 1982: vu l'article 73 de la loi générale sur la procédure administrative (paragraphe 41 ci-dessous), la demande de décision avait été repoussée à tort; quant aux mesures prises par l'Autorité de district, elles ne pouvaient légitimer le retard observé. L'arrêt fut notifié aux intéressés le 3 août. b) La seconde procédure Le 3 novembre 1982, la Commission suprême cassa, pour les raisons données par la Cour administrative, la décision incriminée du 29 mai 1981 (paragraphe 17 ci-dessus); elle constata que la Commission régionale avait dès lors compétence pour statuer au fond. Les requérants reçurent communication de la décision le 10 décembre. La Commission régionale ne se prononça pas dans le délai légal de six mois (paragraphe 41 ci-dessous), se bornant à inspecter les lieux au printemps 1983 et à tenir ensuite plusieurs réunions avec les parties afin de rechercher un règlement amiable. En vertu de l'article 73 de la loi générale sur la procédure administrative (paragraphe 41 ci-dessous), les Poiss invitèrent la Commission suprême, le 28 septembre 1983, à se saisir du dossier. Elle y consentit le 7 décembre 1983; sa décision leur fut notifiée le 23 janvier 1984. Après une audience qui se déroula le 6 mars 1985, ladite Commission établit, le même jour, un nouveau plan de remembrement qui fut communiqué aux requérants le 30 octobre 1985. Entérinant les mesures adoptées antérieurement, elle allouait aux Poiss un terrain à bâtir fourni par la commune de Palterndorf-Dobermannsdorf; elle écartait l'objection selon laquelle il ne compensait pas les terres de valeur particulière perdues par eux; dans le silence de la loi, elle leur refusait aussi toute indemnité pour le préjudice causé par la rétention, durant la procédure, des parcelles compensatoires qui leur revenaient en droit. Les requérants saisirent la Cour administrative le 11 décembre 1985. Par un arrêt prononcé le 15 juillet 1986 et communiqué le 9 octobre, elle cassa la décision de la Commission suprême quant à la parcelle compensatoire susmentionnée, pour violation de règles de procédure; elle rejeta le recours pour le surplus et notamment, faute de base légale, en ce qui concerne la demande de dédommagement. A l'heure actuelle (24 mars 1987), il n'existe aucun plan de remembrement pour Palterndorf. II. La législation pertinente En général En Autriche, les compétences en matière de réforme agraire se répartissent entre la Fédération et les Länder: la législation portant sur les principes ressortit à la première, la législation d'application et la mise en oeuvre des lois aux seconds (article 12 § 1 n° 3 de la Constitution fédérale). Aux termes de l'article 12 § 2 de la Constitution fédérale, les décisions en dernière instance et à l'échelon du Land relèvent de commissions composées d'un "président, de magistrats, de fonctionnaires et d'experts"; "la commission qui se prononce en dernière instance est établie auprès du ministère fédéral compétent". "L'organisation, les fonctions et la procédure des commissions, ainsi que les principes d'organisation des autres autorités compétentes dans le domaine de la réforme agraire, sont fixés par une loi fédérale." Celle-ci doit prévoir que l'administration ne saurait annuler ou modifier les décisions des commissions; elle ne peut exclure le recours à la commission régionale contre les décisions de l'autorité de première instance. Dans ce cadre constitutionnel, le Parlement fédéral a adopté trois lois concernant les questions suivantes: i. les principes de droit applicables en matière de réforme agraire (loi fédérale sur les principes régissant l'aménagement des terres agricoles - Flurverfassungs-Grundsatzgesetz 1951 -, dans sa version de 1977); ii. l'organisation des commissions de la réforme agraire et les principes d'organisation des autorités de première instance (loi fédérale sur les autorités agricoles - Agrarbehördengesetz 1950 -, dans sa version de 1974); iii. la procédure devant les autorités agricoles (loi fédérale sur la procédure agricole - Agrarverfahrensgesetz 1950 -, qui renvoie à la loi générale sur la procédure administrative). Le remembrement des terres agricoles En matière de remembrement des çterres agricoles, les normes de base figurent dans la loi fédérale sur les principes régissant l'aménagement des terres agricoles. Les Länder ont traité dans des lois sur l'aménagement des terres agricoles (Flurverfassungs- Landesgesetze) les questions que leur a laissées le législateur fédéral. En Basse-Autriche, le remembrement fait l'objet de la loi de 1975 sur l'aménagement des terres agricoles; elle a remplacé une législation de 1934 et une loi du 23 février 1979 l'a amendée à certains égards. Destiné à améliorer la structure de la propriété agricole et l'infrastructure de la zone concernée, le remembrement comprend l'adoption de mesures et installations communes ainsi qu'une redistribution des terres. Il comporte les phases suivantes: - ouverture des opérations et délimitation de la zone de remembrement (articles 2 et 3 de la loi du Land); - établissement de l'état d'occupation des sols en cause et évaluation de ceux-ci (articles 10-12); - détermination des mesures et installations communes (articles 13-15); - le cas échéant, transfert provisoire des terres (article 22); - adoption du plan de remembrement (articles 16-21). En principe, aucune d'elles ne peut commencer avant qu'une décision définitive n'ait clôturé la précédente. Il y a pourtant des exceptions, notamment quant à l'évaluation des terres; elle doit être effectuée à un stade précoce de la procédure, en application de critères précis fixés par la loi (article 11 de la loi du Land). Cependant, toute évaluation peut donner lieu à un recours tant qu'il n'existe pas un plan définitif de remembrement (articles 12 § 5 de la loi du Land et 68 § 4 de la loi générale sur la procédure administrative). Décidée d'office, l'ouverture de la procédure sert à délimiter la zone de remembrement qui peut englober, outre des terres agricoles et forestières, le terrain nécessaire aux installations communes. Les propriétaires forment une association (Zusammenlegungsgemeinschaft) qui constitue une personne morale de droit public. L'ouverture a pour effet de créer, pour toute la durée de la procédure, des restrictions à l'usage des terres; tout changement d'affectation exige l'approbation de l'autorité agricole compétente. L'autorité agricole dresse ensuite l'état d'occupation des terres et les apprécie. Sa décision (Besitzstandsausweis und Bewertungsplan) arrête leur valeur selon des critères précis énoncés dans la loi. Chacun des propriétaires parties à la procédure peut contester - jusqu'à l'entrée en vigueur du plan de remembrement - l'évaluation non seulement de ses propres biens-fonds, mais aussi de ceux des autres. Des mesures communes, telles que l'amendement des sols et la modification du terrain ou du paysage, et des installations communes comme des chemins privés, des ponts et fossés, des canaux de drainage ou d'irrigation, sont ordonnées si elles apparaissent requises pour un accès convenable aux parcelles compensatoires et une exploitation efficace de celles-ci, ou si elles servent d'une autre manière le but de l'opération dans l'intérêt de la majorité des personnes concernées. Il peut s'agir aussi de la transformation, du déplacement ou de l'élimination d'installations existantes. Le tout donne lieu à une décision spécifique de l'autorité compétente (Plan der gemeinsamen Massnahmen und Anlagen), laquelle doit également régler la question des frais qui, en général, sont partagés entre les propriétaires. L'autorité agricole compétente prend ces trois dernières décisions (paragraphes 29-30 ci-dessus) à tour de rôle ou simultanément; elle peut les adopter toutes ensemble en même temps que le plan de remembrement (articles 12 § 4, 14 § 3 et 21 de la loi du Land). L'article 22 de la loi du Land permet un transfert provisoire des terres, si au moins les deux tiers des propriétaires y consentent, dans les conditions suivantes: - le plan des installations communes est déjà fixé; - un projet de plan de remembrement est déjà élaboré et les parcelles compensatoires ont donné lieu à un bornage. Le transfert provisoire a pour but essentiel d'assurer une exploitation rationnelle de la zone couverte par l'opération de remembrement pendant la période intermédiaire. Les attributaires acquièrent la propriété des parcelles transférées sous condition résolutoire: ils la perdent si le plan définitif de remembrement ne confirme pas l'attribution (Eigentum unter auflösender Bedingung). A l'issue de la procédure, l'autorité agricole compétente adopte le plan de remembrement (Zusammenlegungsplan) qui, depuis 1977, doit être publié au plus tard trois ans après la décision définitive de transfert provisoire des parcelles (article 7a § 4 de la loi sur la procédure agricole). Il s'agit d'un acte administratif qui s'accompagne de cartes et d'autres renseignements techniques; son rôle le plus important consiste à déterminer la compensation due aux propriétaires parties à la procédure. A cet égard, la loi du Land contient entre autres les règles ci-après: - "Toute partie dont les terres se trouvent incluses dans l'opération de remembrement (...) a droit à une compensation (...) en terres ayant autant que possible la même valeur" (article 17 § 1); - "La valeur des terres offertes en échange doit correspondre d'assez près à la compensation exigible. Des écarts de 5 % sont admissibles (...). [Ils] peuvent être corrigés par des paiements en espèces" (article 17 § 7); - "Les terres allouées à une partie à titre de compensation doivent correspondre autant que possible à ses terres incluses dans l'opération de remembrement, sous le double rapport de leur nature et de leur valeur agricole. Elles devront lui permettre d'obtenir des résultats meilleurs que ses anciennes terres ou au moins identiques, sans changement notable de la nature ou de l'équipement de son exploitation (...)" (article 17 § 8). Pour les terres possédant une valeur spéciale, l'article 18 de la loi dispose ce qui suit: "Les terres qui possèdent une valeur spéciale en raison de leur aptitude particulière à des cultures déterminées ou d'une destination non agricole seront restituées à leur propriétaire ou remplacées par des lots équivalents du point de vue de leur valeur marchande et des exigences de l'exploitation en cause. Il s'agit notamment: a. de terrains bâtis ou des terrains pour lesquels un permis de construire a été délivré, b. de terrains désignés comme constructibles dans un plan régional ou un plan régional simplifié de zonage, conformément aux clauses de la loi de Basse-Autriche, de 1976, sur l'aménagement du territoire (...)." Depuis 1979, la loi précise qu'il appartient aux intéressés de faire reconnaître la valeur particulière de leurs terres avant l'adoption du plan d'évaluation des terres (article 18 § 4). La législation du Land ne prévoit pas de dédommagement pour le préjudice subi, avant l'entrée en vigueur d'un plan définitif de remembrement, par les propriétaires qui ont contesté avec succès la légalité de la compensation reçue. Les autorités agricoles En Basse-Autriche, l'organe appelé à se prononcer en première instance est l'Autorité agricole de district, de caractère purement administratif. Les autorités supérieures sont la Commission régionale, établie auprès du Bureau du gouvernement du Land (Amt der Landesregierung), puis la Commission suprême qui se trouve auprès du ministère fédéral de l'Agriculture et des Forêts (Bundesministerium für Land- und Forstwirtschaft). Les décisions (Bescheide) de l'Autorité de district peuvent donner lieu à un appel (Berufung) devant la Commission régionale. Celle-ci statue en dernier ressort, sauf si elle a modifié la décision en cause et si le litige concerne l'une des questions énumérées à l'article 7 § 2 de la loi fédérale sur les autorités agricoles, telle la légalité de la compensation dans l'hypothèse d'un remembrement; en pareil cas, un recours s'ouvre devant la Commission suprême. En droit autrichien, on considère les commissions de la réforme agraire comme des organes mixtes (Kollegialbehörden mit richterlichem Einschlag) constituant une sorte de "tribunaux administratifs spécialisés". La Commission régionale compte huit membres, tous nommés par le gouvernement du Land (article 5 §§ 2 et 4 de la loi fédérale sur les autorités agricoles): - un fonctionnaire du Land, ayant une formation juridique (rechtskundig), en tant que président; - trois magistrats; - un fonctionnaire du Land, ayant une formation juridique et de l'expérience en matière de réforme agraire, en tant que rapporteur; - un haut fonctionnaire du Land (Landesbeamter des höheren Dienstes) ayant l'expérience des questions agronomiques; - un haut fonctionnaire du Land ayant l'expérience des questions forestières; - un expert agricole au sens de l'article 52 de la loi générale sur la procédure administrative. A la Commission suprême siègent également huit membres, à savoir (article 6 §§ 2 et 4 de la loi fédérale sur les autorités agricoles): - un haut fonctionnaire, ayant une formation juridique, du ministère fédéral de l'Agriculture et des Forêts, en tant que président; - trois membres de la Cour suprême; - un haut fonctionnaire du ministère fédéral de l'Agriculture et des Forêts, ayant une formation juridique et de l'expérience en matière de réforme agraire, en tant que rapporteur; - un haut fonctionnaire du ministère fédéral de l'Agriculture et des Forêts, ayant l'expérience des questions agronomiques; - un haut fonctionnaire du ministère fédéral de l'Agriculture et des Forêts, ayant l'expérience des questions forestières; - un expert agricole au sens de l'article 52 de la loi générale sur la procédure administrative. Les membres magistrats sont désignés par le ministre fédéral de la Justice, les autres par le ministre fédéral de l'Agriculture et des Forêts. L'article 52 de la loi générale sur la procédure administrative, mentionné aux articles 5 § 2 et 6 § 2 de la loi fédérale sur les autorités agricoles, se lit ainsi: "1. Si une expertise se révèle nécessaire, l'autorité fait appel aux experts officiels (Amtssachverständige) attachés à elle ou mis à sa disposition. A titre exceptionnel cependant, elle peut consulter et assermenter d'autres personnes compétentes comme experts, si aucun expert officiel n'est disponible ou si cela s'impose au vu des circonstances propres à l'affaire. (...)". Le mandat, renouvelable, des membres des commissions de la réforme agraire est de cinq ans (article 9 § 1 de la loi fédérale sur les autorités agricoles). Il s'achève avant son terme légal, notamment, si les conditions exigées pour la nomination ne se trouvent plus réunies (article 9 § 2). Tout membre peut, à sa demande, se voir relevé de ses fonctions pour des raisons de santé ou des motifs d'ordre professionnel qui l'empêchent de s'acquitter convenablement de ses tâches (article 9 § 3). La suspension d'un membre magistrat ou fonctionnaire par décision d'une juridiction disciplinaire entraîne la suspension de ses fonctions de membre de la commission de la réforme agraire (article 9 § 4). Les membres desdites commissions exercent leurs fonctions à titre indépendant; ils ne sont soumis à aucune instruction (articles 8 de la loi fédérale sur les autorités agricoles et 20 § 2 de la Constitution fédérale). L'administration ne peut ni annuler ni amender leurs décisions (articles 8 de la loi fédérale et 12 § 2 de la Constitution fédérale, paragraphe 23 ci-dessus), lesquelles peuvent être attaquées devant la Cour administrative (article 8 de la loi fédérale). L'organisation décrite ci-dessus résulte d'un changement législatif intervenu en 1974 à la suite d'un arrêt de la Cour constitutionnelle, de la même année. Aux yeux de la Cour constitutionnelle, sous l'empire de la loi de 1950 les commissions de la réforme agraire ne pouvaient passer pour des tribunaux indépendants et impartiaux au sens de l'article 6 § 1 (art. 6-1) de la Convention: parmi leurs membres figuraient à l'époque un ministre du gouvernement fédéral (Commission suprême) ou du gouvernement d'un Land (Commission régionale) et les pouvoirs publics compétents pouvaient révoquer les autres à tout moment (arrêt du 19 mars 1974, Erkenntnisse und Beschlüsse des Verfassungsgerichtshofes, 1974, vol. 39, n° 7284, pp. 148-161). La nouvelle législation a exclu des commissions tout membre d'un gouvernement, introduit des dispositions régissant le mandat et la révocation des membres et créé la possibilité de saisir la Cour administrative (articles 5 § 2, 6 § 2, 8 et 9 de la loi fédérale de 1974 sur les autorités agricoles). La procédure devant les commissions de la réforme agraire La procédure devant les commissions de la réforme agraire obéit à la loi fédérale sur la procédure agricole (paragraphe 24 ci-dessus), dont l'article 1er précise que la loi générale sur la procédure administrative s'applique, sauf un article sans pertinence en l'espèce et sous réserve des modifications et compléments prévus par la loi fédérale. Les commissions assument la responsabilité de la conduite de la procédure (article 39 de la loi générale sur la procédure administrative). Aux termes de l'article 9 §§ 1 et 2 de la loi fédérale, elles statuent après une audience non publique. Y assistent, sauf exception, les parties; elles peuvent consulter le dossier (article 17 de la loi générale sur la procédure administrative) et comparaître en personne ou se faire représenter (article 9 § 3 de la loi fédérale). Le président peut convoquer des témoins et, pour recueillir des renseignements, des fonctionnaires qui ont participé à la décision de première instance et à sa préparation (article 9 § 5). L'audience commence par un exposé du rapporteur; la commission clarifie ensuite l'objet du litige en entendant parties et témoins et en examinant en détail (eingehend) la situation juridique et économique (article 10 § 2). Elle procède sur la base des faits établis par l'organe inférieur, mais peut charger d'un complément d'instruction ce même organe ou un ou plusieurs de ses propres membres (article 10 § 1). Les parties doivent pouvoir prendre connaissance du résultat de l'instruction (Beweisaufnahme) et présenter leurs observations (article 45 § 3 de la loi générale sur la procédure administrative). Les commissions délibèrent et votent en l'absence des parties: après avoir discuté des résultats des débats, le rapporteur formule des conclusions (Antrag); ceux qui veulent en proposer d'autres (Gegen- und Abänderungsanträge) doivent les motiver (article 11 § 1 de la loi fédérale). Le président fixe l'ordre de mise aux voix des diverses conclusions (ibidem). Le rapporteur vote le premier, suivi par les magistrats puis par les autres membres, y compris le président qui vote le dernier et dont la voix est prépondérante s'il y a partage (article 11 § 2). En cas d'appel interjeté dans le délai légal de deux semaines (article 7 § 3) et reconnu recevable, la commission compétente casse la décision attaquée et renvoie l'affaire à l'organe inférieur si elle estime l'établissement des faits à tel point défectueux qu'une nouvelle audience se révèle inévitable; autrement, elle statue elle-même sur le fond (article 66 §§ 2 et 4 de la loi générale sur la procédure administrative); elle peut modifier ladite décision, qu'il s'agisse du dispositif ou des motifs (article 66 § 4). Les commissions doivent se prononcer sans retard (ohne unnötigen Aufschub) et au maximum six mois après leur saisine (article 73 § 1). Si les parties ne reçoivent pas communication de la décision (Erkenntnis) dans ce délai, elles peuvent s'adresser à l'autorité supérieure, à laquelle il incombe alors de trancher au fond (article 73 § 2). Dans l'hypothèse d'une défaillance de cette dernière, la compétence échoit, sur demande de l'intéressé, à la Cour administrative (articles 132 de la Constitution fédérale et 27 de la loi sur la Cour administrative). Motivées, les décisions des commissions doivent résumer avec clarté (klar und übersichtlich) le résultat de la procédure d'enquête, l'appréciation des moyens de preuve et, sur la base de ces données, la réponse fournie au problème juridique qui se pose (articles 58 § 2 et 60 de la loi générale sur la procédure administrative). Elles sont notifiées aux parties; toutefois, la commission peut opter pour le prononcé immédiat (article 13 de la loi fédérale). Les recours devant les Cours constitutionnelle et administrative Les décisions des commissions de la réforme agraire peuvent être contestées devant la Cour constitutionnelle. Celle-ci recherche s'il y a eu atteinte à un droit garanti au requérant par la Constitution ou application d'un arrêté (Verordnung) contraire à la loi, d'une loi contraire à la Constitution ou d'un traité international incompatible avec le droit autrichien (rechtswidrig) (article 144 de la Constitution fédérale). Par dérogation à la règle de principe de l'article 133 n° 4 de la Constitution fédérale, l'article 8 de la loi fédérale sur les autorités agricoles ouvre contre ces mêmes décisions un recours devant la Cour administrative. Elle peut être saisie avant ou après la Cour constitutionnelle, qui lui renvoie l'affaire si le requérant l'y invite et si elle conclut à l'absence de violation du droit invoqué (article 144 § 3 de la Constitution fédérale). Selon l'article 130 de la Constitution fédérale, la Cour administrative connaît des requêtes qui allèguent l'illégalité d'un acte (Bescheid) administratif, celle de l'exercice de la contrainte (Befehls- und Zwangsgewalt) contre une personne ou un manquement de l'autorité compétente à son obligation de décider. Elle examine en outre les recours introduits contre les décisions d'organes mixtes - telles les commissions de la réforme agraire - lorsque la loi l'y habilite (paragraphes 34 et 40 ci-dessus). Si elle ne rejette pas le recours pour défaut de fondement, elle annule la décision attaquée; elle ne se prononce sur le fond que si l'autorité compétente a failli à son devoir de statuer (article 42 § 1 de la loi sur la Cour administrative, Verwaltungsgerichtshofgesetz). Lorsqu'il lui incombe de contrôler la légalité d'un acte administratif ou de la décision d'un organe mixte, la Cour tranche sur la base des faits établis par l'autorité dont il s'agit et sous l'angle des seuls griefs présentés, sauf en cas d'incompétence de ladite autorité ou de violation de règles de procédure (article 41 de la loi sur la Cour administrative). A ce sujet, la loi apporte une précision: la Cour annule l'acte attaqué, pour infraction à pareille règle, quand les faits tenus par l'administration pour établis se trouvent, sur un point capital, démentis par le dossier, qu'il échet de les compléter sur un tel point et qu'il y a inobservation de règles dont l'application correcte aurait pu conduire à une décision différente (article 42 § 2, alinéa 3), de la loi précitée). Si en cours d'examen apparaissent des motifs inconnus jusqu'alors des parties, la Cour doit entendre celles-ci et, au besoin, suspendre la procédure (article 41 § 1). La procédure consiste pour l'essentiel en un échange de mémoires (article 36), suivi, sous réserve de quelques hypothèses énumérées dans la loi, d'une audience contradictoire et, en principe, publique (articles 39 et 40). PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION Dans leur requête du 25 janvier 1982 à la Commission (n° 9816/82), Leopold, Josef et Anna Poiss alléguaient que leur cause n'avait pas été entendue dans un délai raisonnable par un tribunal indépendant et impartial comme l'eût voulu l'article 6 § 1 (art. 6-1) de la Convention. Ils se plaignaient en outre d'une atteinte à leur droit de propriété, garanti par l'article 1 du Protocole n° 1 (P1-1). La Commission a retenu la requête le 9 mars 1984. Dans son rapport du 24 janvier 1986 (article 31 de la Convention) (art. 31), elle arrive à la conclusion qu'il y a eu violation de l'article 6 § 1 (art. 6-1) de la Convention (unanimité) et de l'article 1 du Protocole n° 1 (P1-1) (onze voix contre une). Le texte intégral de son avis et des deux opinions dont il s'accompagne figure en annexe au présent arrêt. CONCLUSIONS PRESENTEES A LA COUR A l'audience du 20 octobre 1986, le Gouvernement a invité la Cour "à dire qu'en l'espèce les dispositions de l'article 6 § 1 (art. 6-1) de la Convention, ainsi que de l'article 1 du Protocole n° 1 (P1-1), n'ont pas été violées et que dès lors les faits de la cause ne révèlent aucun manquement de la République d'Autriche aux exigences de la Convention". Dans son mémoire du 18 août 1986, le conseil des requérants a prié la Cour, notamment, de suivre l'avis de la Commission et "de reconnaître la République d'Autriche coupable (...) d'une infraction aux Droits de l'Homme".
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M. Giuseppe Baggetta, né en 1955, habite Reggio de Calabre. Le 27 novembre 1971, il fut arrêté à Cosenza avec huit autres personnes après la mise à sac, le jour même, d'un cercle politique. Après que le parquet eut ouvert une information, le requérant recouvra sa liberté le 28 janvier 1972. Le 9 janvier 1973, le juge d'instruction de Cosenza le renvoya en jugement devant le tribunal de la même ville, avec ses coïnculpés, pour y répondre des délits de port d'objets meurtriers (porto in luogo pubblico di congegni micidiali) et de dommage suivi d'incendie (danneggiamento seguito da incendio) ainsi que de la contravention de port abusif de matraques et masses d'armes (porto abusivo di bastoni e noccoliere). Le procès devait se dérouler le 26 septembre 1978, mais il fallut le reporter en raison de l'absence, pour cause de maladie, de deux des coïnculpés de M. Baggetta. Les audiences des 26 février 1979 et 31 mars 1980 furent elles aussi différées car l'on n'en avait pas notifié la date à un inculpé dans le premier cas et à deux dans le second. Les débats se tinrent le 22 novembre 1982. Par un jugement du même jour, déposé au greffe le 7 décembre, le tribunal condamna le requérant, par défaut, à un an et huit mois d'emprisonnement (reclusione) avec sursis et 250.000 lires d'amende correctionnelle (multa) pour le premier délit; il releva que le second se trouvait amnistié et la contravention prescrite. Le 19 janvier 1983, l'intéressé interjeta appel en alléguant le dépassement du délai raisonnable prévu à l'article 6 (art. 6) de la Convention et la nullité de la procédure. De plus, il précisa qu'il était né non en 1951, comme l'indiquait la décision attaquée, mais en 1955. Le dossier parvint à la cour d'appel de Catanzaro le 16 juin 1983. Le 5 octobre, elle communiqua aux prévenus la date des audiences, à savoir le 19 janvier 1984. A l'issue de celles-ci, elle jugea qu'il n'y avait pas lieu de continuer les poursuites contre M. Baggetta du chef de port abusif d'objets meurtriers car elle lui octroyait le "pardon judiciaire" (perdono giudiziale) en sa qualité de mineur. L'arrêt fut déposé au greffe le 30. Le requérant se pourvut devant la Cour de cassation qui, le 19 décembre 1986, constata la prescription de l'action publique; l'arrêt fut déposé au greffe le 17 février 1987. M. Baggetta a fait l'objet de deux autres procédures pénales. La première, engagée en 1974 à Rome, concernait soixante et une personnes inculpées d'avoir organisé un mouvement politique ayant des finalités antidémocratiques ou, comme M. Baggetta, d'avoir participé à son activité. En septembre 1974, le parquet adressa au requérant une "communication judiciaire" (comunicazione giudiziaria); le 21 novembre 1975, il décerna contre lui un mandat d'arrêt qui reçut exécution le 25. Le 5 juin 1976, le tribunal de Rome reconnut M. Baggetta non coupable et en conséquence le relaxa. L'intéressé recouvra sa liberté le jour même. Le 13 mars 1981, la cour d'appel de Rome jugea l'appel du parquet irrecevable dans la mesure où il se rapportait à M. Baggetta car le moyen le visant manquait de précision. L'arrêt fut déposé au greffe le 27 avril; les choses en restèrent là dans le cas du requérant. Les autres poursuites pénales se déroulèrent à Reggio de Calabre. Elles avaient trait à des incidents survenus dans cette ville d'octobre 1969 à mai 1973 et consignés par la police dans un rapport du 17 mai 1973. Le 9 janvier 1980, le magistrat instructeur renvoya en jugement M. Baggetta et trente-quatre coïnculpés. Le 31 mars, le président du tribunal les cita à comparaître le 23 avril 1980. Le 7 mars 1983, le tribunal déclara irrecevable l'action publique intentée contre l'intéressé car celui-ci avait déjà eu à répondre des mêmes faits à Rome (paragraphe 12 ci-dessus). Le jugement fut déposé au greffe le 6 avril 1983. Ces diverses poursuites pénales ont eu des répercussions sur les tentatives du requérant pour trouver un emploi. Le 16 septembre 1974, le chef du personnel de la direction régionale des Chemins de fer de Milan avait avisé M. Baggetta de sa réussite à un concours d'ouvriers qualifiés; aussi l'avait-il invité à lui fournir dans les trente jours certaines pièces justificatives, dont un extrait de son casier judiciaire. Celui-ci mentionnant les poursuites alors en instance, la prise de fonctions fut différée jusqu'à leur achèvement. Le 10 février 1983, le chef du personnel confirma que l'entrée en fonctions restait suspendue dans l'attente du résultat des procédures engagées à Cosenza et Reggio de Calabre; il ajouta que seules des décisions judiciaires définitives permettraient de s'assurer du respect de la condition de "bonne conduite" exigée pour l'accès à un emploi public. Le 11 avril 1983, le requérant signala aux Chemins de fer que le procès de Reggio était terminé (paragraphe 13 ci-dessus) et que le parquet n'avait pas interjeté appel contre le jugement du tribunal de Cosenza (paragraphe 9 ci-dessus), ce qui empêchait une reformatio in pejus. Aussi réclamait-il sa nomination immédiate. Le 19 avril 1983, les Chemins de fer lui répondirent qu'il leur fallait y surseoir jusqu'à la fin de la procédure de la cour d'appel de Catanzaro et que l'impossibilité juridique d'une reformatio in pejus ne revêtait aucune importance. Ils lui indiquèrent en outre qu'ils devaient se procurer une copie de la décision du tribunal de Rome, du 5 juin 1976 (paragraphe 12 ci-dessus). La loi n° 732 du 29 octobre 1984 ayant aboli la condition de bonne conduite, M. Baggetta réitéra sa demande le 19 février 1985. Le 28 mars 1985, les Chemins de fer lui écrivirent que la loi précitée ne s'appliquait pas aux concours antérieurs à son entrée en vigueur et que l'on devait donc attendre l'arrêt de la Cour de cassation. En janvier 1987, ils ont reconnu que le requérant remplissait la condition de bonne conduite et l'ont invité à subir un examen médical destiné à contrôler son aptitude à l'exercice de ses fonctions. PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION M. Baggetta a saisi la Commission le 25 janvier 1983 (requête n° 10256/83). Il se plaignait de la lenteur de la procédure devant la cour d'appel de Catanzaro, d'une détention provisoire injustifiée lors des poursuites qui avaient eu lieu à Cosenza puis à Rome et de la perte d'une perspective d'emploi à cause de l'instance pendante à Catanzaro. Le 6 octobre 1983, la Commission a déclaré la requête irrecevable quant aux deuxième et troisième griefs, mais le 9 juillet 1984 elle a retenu le premier. Dans son rapport du 4 décembre 1985 (article 31) (art. 31), elle exprime à l'unanimité l'opinion qu'il y a eu dépassement du "délai raisonnable" dont l'article 6 § 1 (art. 6-1) de la Convention exige le respect. Le texte intégral de son avis figure en annexe au présent arrêt.
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Le requérant, M. Robert Malcolm Weeks, est un citoyen du Royaume-Uni né en 1949. Le 6 décembre 1966, alors âgé de dix-sept ans, il se reconnut devant les assises du Hampshire coupable de vol à main armée (robbery), d’agression d’un policier et de détention illégale d’une arme à feu. Il se vit condamner à la prison à perpétuité pour la première infraction, à deux et trois ans de prison respectivement pour les deuxième et troisième, toutes ces peines devant s’appliquer selon le principe du non-cumul. Le vol à main armée datait du 18 novembre 1966: en entrant dans un magasin pour animaux familiers à Gosport (Hampshire), M. Weeks avait pointé sur la propriétaire un pistolet de starter chargé à blanc, dont il se trouvait muni, et lui avait ordonné de lui passer la caisse. Il avait dérobé la somme de 35 pence qu’on retrouva plus tard sur le plancher. Le même jour, il téléphona au commissariat de police de Gosport pour dire qu’il allait se constituer prisonnier. Appréhendé dans la High Street par deux policiers, il sortit de sa poche le pistolet de starter et un coup partit. Dans la bagarre qui suivit furent tirés deux autres coups à blanc dont l’un, à cause du dégagement de poudre, brûla le poignet de l’un des policiers. Il apparut que le requérant avait commis le vol à main armée parce qu’il voulait rembourser 3 £ à sa mère, qui lui avait enjoint le matin même de chercher un logement ailleurs. Lors du procès, un médecin de l’administration pénitentiaire affirma n’avoir pu déceler aucun indice d’instabilité mentale qui justifiât le placement de l’accusé dans un établissement psychiatrique. Toutefois, un rapport de probation établi par un agent qui avait surveillé le requérant pendant deux ans le décrivait comme sujet à des changements d’humeur, immature sur le plan émotionnel, marquant un intérêt morbide pour la littérature violente et fasciné par les armes à feu. On lisait aussi qu’il avait pris le pli de beaucoup boire de temps à autre et qu’il avait un potentiel élevé d’agressivité. La cour d’assises ne disposait d’aucun rapport d’expertise psychiatrique. En fixant la peine, le juge Thesiger déclara: "(...) les circonstances de l’infraction et les témoignages relatifs à la personnalité et au caractère de l’accusé (...) me convainquent qu’il s’agit (...) d’un jeune homme très dangereux. (...) Une sanction de durée indéterminée me paraît adéquate pour quelqu’un de cet âge, de cette personnalité et de ce caractère, enclin à un tel comportement. Il appartiendra donc au ministre de le libérer si les personnes chargées d’observer et d’examiner l’intéressé estiment que le temps l’a rendu raisonnable. Cela peut aller vite, ou au contraire ne pas se produire avant longtemps; j’ignore ce qui arrivera. (...) quant au premier chef d’accusation, je pense que la juste conclusion, si terrible qu’elle puisse sembler, consiste à prononcer la peine que la loi m’autorise à infliger pour un vol qualifié et pour une agression avec intention de commettre ce type de vol: la prison à perpétuité. Le ministre pourra intervenir dans le cas et au moment où il jugera prudent de le faire." M. Weeks demanda à la Court of Appeal (Criminal Division) l’autorisation d’interjeter appel de la sentence; elle la lui refusa le 6 avril 1967. Le Lord Justice Salmon approuva en ces termes l’opinion du juge Thesiger: "Il appert que lors du procès, le médecin de l’administration pénitentiaire a affirmé n’avoir pu déceler aucun indice d’instabilité mentale qui eût justifié l’internement de l’accusé dans un établissement psychiatrique. L’éminent magistrat a estimé, très justement selon la Cour, qu’on ne pouvait envisager un placement dans un borstal" - maison de redressement à régime ouvert - "car une telle institution ne serait pas assez sûre pour accueillir un jeune homme aussi dangereux. Ne pouvant pas envoyer l’accusé dans un établissement psychiatrique, faute de preuves, il devait donc trancher la difficile question de savoir s’il allait le condamner à la prison à perpétuité, ce qu’il a fait, ou à une peine d’emprisonnement de longue durée, fixée à un nombre déterminé d’années. Comme il a eu soin de l’expliquer, c’est en réalité par clémence envers le garçon qu’il a choisi la première solution. Or la prison à perpétuité, en l’espèce du moins, signifie une peine indéterminée. Si, quelque temps après l’incarcération, il se révèle indiqué de transférer l’intéressé dans un établissement psychiatrique pour traitement, la loi dote le ministre de l’Intérieur d’importants pouvoirs en ce sens. En outre, le jeune homme recouvrera sa liberté dès qu’il s’avérera qu’on peut le relâcher sans danger pour le public et pour lui-même; il faut espérer que cela ne tardera pas, mais on ne sait jamais. De prime abord une peine de prison à perpétuité semble terrible eu égard en particulier à l’âge du condamné, mais si l’on examine les éléments pris en compte on s’aperçoit qu’il s’agit en réalité d’une mesure de clémence, qui permettra peut-être un élargissement bien plus précoce que dans le cas d’une peine de prison de longue durée, la seule autre solution possible." En 1970, le requérant fut transféré à la prison psychiatrique de Grendon Underwood. On constata toutefois que le régime ne lui convenait pas; après six mois de traitement, on l’envoya à la prison d’Albany où il resta jusqu’à sa libération conditionnelle en mars 1976. On avait à l’origine fixé la date de son élargissement au mois d’avril 1975, mais il s’était évadé d’un centre de semi-liberté au cours d’une période de probation. Il se constitua prisonnier ultérieurement, mais à son retour en prison eut un comportement violent et refusa de s’alimenter pendant quelque temps. Sur la recommandation de la commission de libération conditionnelle (Parole Board), on prévit de le relâcher en octobre 1975. Cette date fut pourtant annulée elle aussi: regagnant ivre un centre de semi-liberté, il tenta de s’échapper pendant qu’on le ramenait sous escorte au bâtiment principal de la prison et ne fut repris qu’après une poursuite et une lutte violente. Ladite commission examina derechef son cas; sur sa recommandation, le ministre de l’Intérieur (Secretary of State for the Home Department) le libéra sous condition le 31 mars 1976. Le 12 janvier 1977, le requérant se reconnut coupable, devant la Magistrates’ Court de Portsmouth, de cambriolage - il avait pénétré par effraction dans une cabine de plage et y avait dérobé un chandail - et de conduite d’un véhicule sans permis ni assurance. Il bénéficia d’une dispense conditionnelle de peine (conditional discharge) d’un an, mais fut condamné à une amende. Le rapport de probation le décrivait comme ayant de fréquents heurts avec des membres de sa famille, chez lesquels il vivait à tour de rôle, et comme se livrant à des excès de boisson en période de tension nerveuse. Après cet incident, le ministère de l’Intérieur lui fit notifier, le 19 avril 1977, une lettre l’avertissant de sa possibilité de révoquer la libération conditionnelle. Au début de juin 1977, le prieuré d’Aylesford accepta de loger le requérant et de l’employer comme homme à tout faire. M. Weeks fut arrêté le 21 juin: il avait endommagé une voiture dans le village alors qu’il pilotait sans autorisation un camion à benne basculante. Libéré sous caution, il se rendit deux jours plus tard dans un débit de boissons où il s’enivra et proféra des injures. Ramené au prieuré sous escorte de police, il entra dans un état d’agitation, surtout à la perspective d’être réintégré une nouvelle fois en prison, et dégaina un pistolet à air comprimé en menaçant de se suicider. Un prêtre lui ayant adressé des reproches, le requérant tira en l’air et un projectile de plomb toucha le plafond. Plus tard le même jour, on le trouva dans un état d’ivresse avancé et en possession de nombreuses bouteilles d’alcool volées dans un magasin. Arrêté et conduit au commissariat de police il s’y montra injurieux et violent; il essaya de se pendre pendant la nuit. Après son arrestation, la Magistrates’ Court de West Malling le mit en détention provisoire. Le 30 juin 1977, le ministre de l’Intérieur révoqua la libération conditionnelle du requérant, toujours en détention provisoire (article 62 par. 2 de la loi de 1967 sur la justice pénale, "la loi de 1967", paragraphe 26 ci-dessous). Saisie du cas, la commission de libération conditionnelle (article 62 par. 4 de ladite loi, ibidem) décida d’en différer l’examen dans l’attente du résultat du procès relatif aux infractions susmentionnées. Le 3 octobre 1977, la Crown Court de Maidstone déclara M. Weeks coupable d’avoir pris un camion à benne basculante pour son propre usage, été en possession d’un pistolet à air comprimé alors qu’il se trouvait sous le coup d’une interdiction, volé de l’alcool et endommagé une couverture appartenant à la police. Le juge Streeter, assisté de deux magistrats non professionnels, le dispensa de peine sous condition pour deux ans. Il ne s’agissait pas, selon lui, "d’un cas typique de personne condamnée, par exemple, à perpétuité, puis libérée conditionnellement et retombant aussitôt dans la délinquance, ses mauvais démons prévalant à nouveau". Il laissa au ministère de l’Intérieur le soin d’apprécier l’opportunité de libérer le requérant une fois de plus sous condition, tout en suggérant une décision positive. Le juge Streeter lui-même n’avait pas compétence pour rétablir la libération conditionnelle ou ordonner l’élargissement du requérant, tandis qu’il aurait pu lever la libération conditionnelle si elle avait été encore en vigueur (article 62 par. 7 de la loi de 1967, paragraphe 26 ci-dessous). La commission de libération conditionnelle étudia la question en décembre 1977. Estimant que le requérant demeurait dangereux pour lui-même et le public, elle confirma sa réintégration. Elle proposa de saisir en décembre 1978 le comité local de contrôle, première étape vers un réexamen officiel par la commission de libération conditionnelle (paragraphe 29 ci-dessous). Celle-ci se pencha derechef sur le dossier en mai 1979; elle recommanda que le requérant fût à nouveau libéré sous condition. Le ministre de l’Intérieur ne la suivit pas: après avoir consulté le Lord Chief Justice et le tribunal de première instance, il décida le placement du requérant dans une prison ouverte. En novembre 1979, l’intéressé s’en évada et gagna l’Espagne, mais il se rendit à la police en avril 1980. En mai 1981, la commission de libération conditionnelle préconisa de l’élargir sous condition dès que des arrangements pourraient être pris en vue de sa réinstallation. Le ministre donna son accord et fixa au mois de février 1982 la date provisoire de la libération, sous réserve que M. Weeks occupât d’abord un emploi au centre spécialisé de Maidstone. Toutefois, en octobre 1981, alors qu’il se trouvait dans un état d’ivresse et d’agitation, le requérant fut impliqué dans une rixe avec les gardiens, au cours de laquelle l’un d’eux fut blessé au pouce avec un couteau. Le 28 octobre 1981, la Magistrates’ Court de Maidstone le convainquit de coups et blessures intentionnels et lui infligea trois mois de prison. En décembre 1981, la commission de libération conditionnelle, une fois de plus saisie du dossier, estima qu’il fallait préparer le transfert direct du requérant de la prison à un centre de semi-liberté. L’intéressé recouvra sa liberté sous condition le 18 octobre 1982. Comme pour toute personne libérée de la sorte après une condamnation à perpétuité, son élargissement s’accompagnait de certaines exigences, notamment l’obligation de se placer sous la surveillance d’un agent de probation désigné, de rester en rapport avec lui en se conformant à ses instructions, de ne résider qu’en un lieu approuvé par lui et de ne pas sortir du territoire britannique sans son autorisation. Le 14 juin 1983, devant la Magistrates’ Court de Maidstone, le requérant se reconnut coupable de conduite d’une motocyclette en état d’ébriété et sans assurance, ce qui lui valut 110 £ d’amendes au total et le retrait de son permis pour un an. Le 28 juillet, devant la Crown Court de Maidstone, il plaida coupable du chef de détention illégale d’un fusil de chasse et se vit condamner à six mois de prison avec un sursis de deux ans. Le 3 août, la police signala qu’il avait été appréhendé en train de piloter un véhicule dans le nord de Londres et inculpé de plusieurs infractions au code de la route, dont celles d’utilisation frauduleuse d’une vignette et de conduite sans permis. Invitée à examiner le cas, la commission de libération conditionnelle résolut, le 16 septembre 1983, de ne pas préconiser la révocation de la liberté conditionnelle. Elle demanda toutefois l’envoi à l’agent chargé de surveiller le requérant, et la communication à celui-ci, d’une lettre indiquant qu’elle n’ignorait pas ses infractions et désirait être avisée de tout nouveau motif de préoccupation qu’il pourrait fournir. En novembre, M. Weeks écrivit au ministère de l’Intérieur; il admettait s’être comporté de manière irresponsable et s’engageait à tenir compte de l’avertissement de la commission. Le 9 mars 1984, devant la Crown Court d’Acton, il se reconnut coupable d’usage frauduleux d’une vignette et de conduite sans permis; il s’entendit condamner à 300 £ d’amendes au total. En juin 1984, le service de probation rapporta que le requérant ne donnait plus signe de vie à l’agent chargé de le surveiller, avait quitté son appartement et se trouvait vraisemblablement à l’étranger. De fait, il avait gagné la France. Saisie du dossier, la commission de libération conditionnelle conseilla au ministre, le 5 octobre, de révoquer la libération conditionnelle pour manquement aux exigences dont elle était assortie. Il en décida ainsi le 13 novembre. Le requérant fut arrêté par la police le 7 avril 1985 alors qu’il était retourné de France en Angleterre pour rendre visite à sa famille. Après examen, par la commission de libération conditionnelle, de ses observations relatives à sa réintégration (article 62 par. 3 de la loi de 1967, paragraphe 26 ci-dessous), M. Weeks fut une fois encore libéré sous condition le 26 septembre 1985. Par la suite, il ne respecta pas les rendez-vous fixés avec son agent de probation; on constata qu’il avait quitté son logement et l’on ne savait où il se trouvait. Aussi la commission se prononça-t-elle, le 7 février 1986, en faveur de la levée de sa libération conditionnelle pour le même motif qu’en 1984. Le ministre de l’Intérieur se conforma le 13 mars 1986 à cette recommandation. Au 27 janvier 1987, le requérant demeurait en liberté; il résidait à nouveau en France. II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES APPLICABLES Pour le vol à main armée, l’article 23 par. 1 de la loi de 1916 sur le vol (Larceny Act) prévoyait comme peine maximale la prison à perpétuité. Il restait applicable en 1966, à l’époque de la condamnation du requérant, mais l’article 8 par. 2 de la loi de 1968 sur le vol (Theft Act), entrée en vigueur le 1er janvier 1969, l’a remplacé depuis lors. Entre cette date et le 31 décembre 1984, la prison à perpétuité n’a été infligée qu’à 17 des 54.580 personnes convaincues de vol qualifié (Hansard, House of Commons, vol. 90, no 43, 24 janvier 1986, col. 325 - réponse écrite du ministre de l’Intérieur). Aucune disposition précise, législative ou autre, ne définit les principes régissant le prononcé des peines perpétuelles au Royaume-Uni. La Court of Appeal donne toutefois de temps à autre des lignes directrices dans ses arrêts. Il en ressort, grosso modo, que mis à part les crimes obligatoirement sanctionnés par une peine perpétuelle, tel le meurtre, l’emprisonnement à vie doit être réservé à des hypothèses exceptionnelles, par exemple lorsque a) l’infraction revêt en soi une gravité suffisante pour appeler une très longue peine; ou b) la nature de l’infraction ou les antécédents du délinquant montrent qu’il s’agit d’une personne instable risquant de récidiver. Pour cette dernière catégorie de cas, la Court of Appeal a déclaré qu’une peine perpétuelle ne saurait être prononcée sans des preuves manifestes d’une instabilité mentale (et non de troubles mentaux) incitant à voir en l’accusé une personne dangereuse pour le public. À l’époque de la condamnation de M. Weeks en 1966, la libération conditionnelle et la réintégration des individus subissant une peine de prison à perpétuité obéissaient à l’article 27 de la loi de 1952 sur les prisons, ainsi libellé: "27. (1) Le ministre peut à tout moment, s’il le juge opportun, élargir une personne subissant une peine de prison à perpétuité sous réserve des conditions éventuelles qu’il pourra fixer périodiquement. (2) Le ministre peut à tout moment ordonner la réintégration en prison d’une personne libérée sous condition en vertu du présent article, sans préjudice de son pouvoir de la libérer à nouveau; en cas de réintégration, la libération conditionnelle cesse de déployer ses effets et si l’intéressé se trouve en liberté, il est réputé l’être irrégulièrement." L’article 2 de la loi de 1965 sur l’homicide volontaire (abolition de la peine de mort) avait complété cette disposition. Il prévoyait qu’une personne convaincue de meurtre ne pouvait recouvrer sa liberté, au titre de l’article 27 de la loi de 1952, sans consultation préalable, par le ministre, du Lord Chief Justice et, si possible, du juge dont émanait la sentence (trial judge). Les articles 61 et 62 de la loi de 1967 sur la justice pénale ("la loi de 1967") ont introduit un nouveau système: "61. (1) Le ministre peut, si la commission de libération conditionnelle le lui recommande, libérer sous condition une personne subissant une peine de prison à perpétuité ou internée en vertu de l’article 53 de la loi de 1933 sur les enfants et les adolescents (jeunes délinquants reconnus coupables d’infractions graves), mais dans le cas d’une personne condamnée à l’emprisonnement à perpétuité, ou l’internement à perpétuité ou pour la durée qu’il plaira à Sa Majesté, il ne procède de la sorte qu’après avoir consulté le Lord Chief Justice of England et, si possible, le juge dont émanait la sentence. (...) (1) Si la commission de libération conditionnelle recommande la réintégration d’une personne libérée sous condition en vertu de l’article 60 ou 61 de la présente loi, le ministre peut révoquer cette mesure et ordonner la réintégration de l’intéressé en prison. (2) Le ministre peut révoquer la libération conditionnelle d’une telle personne et ordonner la réintégration comme prévu plus haut sans consulter la commission, s’il juge opportun, dans l’intérêt général, de réintégrer ladite personne avant que pareille consultation devienne possible. (3) Une personne réintégrée en prison en vertu des dispositions précédentes du présent article peut formuler par écrit des objections contre sa réintégration et doit être informée, lors de sa réincarcération, des motifs de celle-ci ainsi que de son droit de soulever de telles objections. (4) Le ministre saisit la commission du dossier d’une personne réintégrée en vertu du paragraphe 1 du présent article et qui formule des objections en vertu du paragraphe 3; il procède ainsi dans le cas de toute personne réincarcérée après avoir été rappelée en vertu du paragraphe 2. (5) Si la commission recommande la libération conditionnelle immédiate d’une personne dont le dossier lui est déféré en vertu du présent article, le ministre donne effet à la recommandation; s’il est nécessaire à cette fin d’élargir l’intéressé en vertu du paragraphe 1 de l’article 61, il le fait sans procéder à la consultation requise par ce paragraphe. (...) (7) Si une personne libérée sous condition en vertu de l’article 60 ou 61 de la présente loi est convaincue d’un crime passible (punishable on indictment) d’emprisonnement (...), le tribunal qui la condamne (...) peut, qu’il lui inflige ou non une autre peine, révoquer la libération conditionnelle. (...) (9) En cas de révocation d’une libération conditionnelle en vertu du présent article, l’intéressé doit être détenu au titre de sa condamnation; s’il se trouve en liberté, il est réputé l’être irrégulièrement." Un délinquant condamné à l’emprisonnement à vie peut, sauf révision de la sentence dans les 28 jours par le tribunal qui l’a prononcée ou réformation de celle-ci par la Court of Appeal, être détenu pour le restant de ses jours en vertu de la décision initiale du tribunal. Une peine d’emprisonnement à vie ne peut jamais être modifiée ou commuée, ni prendre fin, sauf en cas de grâce ou d’exercice de la prérogative régalienne de remise de peine. Ce dernier ne peut s’envisager que dans des circonstances des plus exceptionnelles, car il aurait pour effet de renverser le jugement du tribunal; il n’a pas été projeté dans le cas de M. Weeks. Pour les délinquants condamnés à l’emprisonnement à vie, un élargissement ordonné par le ministre en vertu de la loi de 1967 revêt toujours un caractère conditionnel et ne peut jamais le perdre. Des dispositions pertinentes relatives à la commission de libération conditionnelle figurent aussi à l’article 59 de la loi de 1967: "59. (1) En vue de l’exercice des fonctions que cette partie de la présente loi lui attribue pour l’Angleterre et le Pays de Galles, il existe un organe dénommé commission de libération conditionnelle (...) et composé d’un président et d’au moins quatre autres membres désignés par le ministre. (...) (3) La commission conseille le ministre en ce qui concerne: a) la libération conditionnelle en vertu de l’article 60 par. 1 ou 61, et la réintégration en prison en vertu de l’article 62 de la présente loi, des personnes du dossier desquelles le ministre la saisit; b) les conditions dont s’accompagnent ces libérations, ainsi que leur modification ou annulation; c) toute autre question dont elle se trouve ainsi saisie en rapport avec la libération conditionnelle ou à la réintégration des personnes auxquelles s’applique ledit article 60 ou 61. (4) Les dispositions suivantes s’appliquent à la conduite de la procédure devant la commission dans toute affaire dont elle connaît: a) la commission examine l’affaire sur la base de tout document que lui communique le ministre, de tout rapport qu’elle se procure et de tout renseignement qu’elle recueille oralement ou par écrit; b) si, dans un cas particulier, elle estime nécessaire d’interroger l’intéressé avant de se prononcer, elle peut en charger l’un de ses membres et prend en considération le compte rendu de pareil entretien; (...) (5) Les documents que le ministre doit communiquer à la commission aux fins du paragraphe précédent comprennent entre autres: a) si l’affaire déférée à la commission a trait à une libération relevant de l’article 60 ou 61 de la présente loi, toute observation que l’intéressé a faite par écrit au sujet de son dernier interrogatoire opéré conformément aux dispositions du paragraphe suivant, ou depuis lors; b) si elle a trait à une personne réintégrée en vertu de l’article 62 de la présente loi, toute observation faite par écrit conformément à cet article. (...)" Quant à la composition de la commission de libération conditionnelle, l’annexe 2 à la loi de 1967 prévoit en outre: "1. La commission de libération conditionnelle comprend: a) une personne qui occupe ou a occupé un poste de magistrat; b) un psychiatre inscrit au registre; c) une personne qui, selon le ministre, connaît la surveillance ou l’assistance post-pénitentiaire aux détenus libérés et en a l’expérience; d) une personne choisie par le ministre pour avoir étudié les causes de la délinquance ou le traitement des délinquants." La commission de libération conditionnelle compte toujours parmi ses membres trois juges à la High Court, trois circuit judges et un juge temporaire (recorder). L’examen des affaires qui lui sont déférées peut incomber à trois de ses membres ou davantage (règlement de 1967 de la commission de libération conditionnelle). En pratique, elle siège par petits groupes dont chacun, s’il s’agit d’une personne condamnée à vie, inclut un juge à la High Court et un psychiatre. Les juges appartenant à la commission sont nommés par le ministre (article 59 par. 1 de la loi de 1967) après consultation du Lord Chief Justice. Un détenu réincarcéré peut non seulement adresser par écrit des observations de la commission de libération conditionnelle en vertu de l’article 62 par. 3 de la loi de 1967 et, le cas échéant, être interrogé par un de ses membres en vertu de l’article 59 par. 4 b) (paragraphes 26 et 28 ci-dessus), mais aussi formuler verbalement des observations devant un membre du comité local de contrôle (Local Review Committee). Il peut recourir aux services d’un avocat pour préparer ses observations à la commission et au comité. Indépendant de la commission et institué en vertu d’une loi, le comité local de contrôle a pour tâche d’examiner, entre autres, le cas des détenus à vie et de faire rapport au ministre sur l’opportunité de les libérer sous condition (article 59 par. 6 de la loi de 1967). Le règlement applicable auxdits comités dispose qu’il doit en exister un pour chaque établissement pénitentiaire, comprenant au moins cinq membres dont deux citoyens ordinaires ou plus. En cas de réincarcération d’une personne condamnée à vie, c’est l’un des deux membres indépendants du comité qui interroge l’intéressé, lequel a le droit de lui présenter des observations orales. En outre, les juridictions du Royaume-Uni ont précisé qu’aux fins de l’article 62 par. 3, il faut fournir au détenu des indications suffisantes et détaillées sur les motifs de sa réintégration, pour lui permettre de formuler des observations sensées (arrêt de la Court of Appeal en l’affaire Gunnell v. The Chairman of the Parole Board and the Secretary of State for Home Affairs, 30 octobre 1984; arrêt de la High Court en l’affaire R. v. The Parole Board and the Secretary of State for the Home Department, ex parte Wilson, 20 mars 1985). L’intéressé n’a aucun droit à être entendu devant la commission plénière ou le comité plénier. Lorsqu’une mesure administrative peut donner lieu à un contrôle judiciaire (judicial review), la Divisional Court de la High Court annule les décisions attaquées si elles enfreignent des normes législatives pertinentes ou se trouvent entachées d’illégalité, d’irrationalité ou d’irrégularité procédurale. Dans l’affaire Council of Civil Service Unions v. Minister for the Civil Service (All England Law Reports 1984, vol. 3, pp. 950-951), Lord Diplock a expliqué ainsi l’étendue de ce recours: "Le contrôle judiciaire me semble avoir atteint aujourd’hui un stade où l’on peut, sans revenir sur l’analyse des étapes franchies, classer commodément en trois catégories les cas d’ouverture de pareil contrôle à l’égard d’une mesure administrative. J’appellerai le premier ‘illégalité’, le deuxième ‘irrationalité’ et le troisième ‘irrégularité procédurale’. Bien entendu, l’évolution future de la jurisprudence pourrait progressivement allonger la liste. Je pense, en particulier, à l’éventuelle adoption du principe de ‘proportionnalité’, reconnu par le droit administratif de plusieurs pays membres de la Communauté économique européenne, mais les trois motifs, déjà bien établis, que j’ai mentionnés suffiront en l’espèce. Par ‘illégalité’ en tant que motif de contrôle judiciaire, je veux dire que le décideur doit interpréter correctement la norme juridique dont découle son pouvoir de décision et lui donner effet. Un différend relatif au point de savoir s’il a ou non agi de la sorte constitue par excellence une question à trancher par ceux, les juges, par qui s’exerce le pouvoir judiciaire de l’État. Par ‘irrationalité’, j’entends ce que l’on peut désormais désigner en bref par l’expression ‘attitude déraisonnable de Wednesbury’ (Associated Provincial Picture Houses Ltd v. Wednesbury Corporation, All England Law Reports 1947, vol. 2, p. 680, et King’s Bench Reports 1948, vol. 1, p. 223). Elle vaut pour une décision qui défie de manière si flagrante la logique ou les principes moraux communément admis que nulle personne sensée n’aurait pu la prendre après avoir réfléchi au problème. (...) J’ai préféré appeler le troisième motif ‘irrégularité procédurale’ plutôt qu’inobservation des règles fondamentales de la justice naturelle ou défaut d’équité, en matière de procédure, envers la personne que concernera la décision. En effet, la possibilité d’un contrôle judiciaire à ce titre existe aussi quand un tribunal administratif n’a pas respecté des règles de procédure expressément énoncées dans l’instrument législatif d’où découle sa compétence, même lorsque pareil manquement n’implique aucun déni de justice naturelle. (...)" D’après le Gouvernement, les tribunaux peuvent annuler toute décision de la commission de libération conditionnelle ou du ministre de l’Intérieur qui ne répondrait pas à l’une de ces exigences Ainsi, dans deux affaires récentes ils ont recherché, sous l’angle d’une éventuelle irrégularité procédurale, si des motifs suffisants de réincarcération avaient été fournis aux fins de l’article 62 par. 3 de la loi de 1967; dans l’une d’elles, ils ont censuré à ce titre une décision de la commission refusant de recommander, en vertu de l’article 62 par. 5, l’élargissement sous condition d’un détenu (voir respectivement les affaires Gunnell et Wilson, paragraphes 26 et 29 ci-dessus). Dans l’affaire Gunnell, la Court of Appeal a également étudié dans quelle mesure la procédure devant la commission de libération conditionnelle tombe sous le coup des règles de la justice naturelle. Le Lord Justice Eveleigh a déclaré: "(...) je souscris à ce que le Lord Justice Watkins a dit dans son jugement rendu en Divisional Court. Il a cité les termes employés par le Lord Justice Brightman dans l’affaire Payne v. Lord Harris of Greenwich & Others, Weekly Law Reports 1981, vol. 1, p. 766: ‘La portée et l’étendue des principes de la justice naturelle dépendent du domaine auquel on veut les appliquer: Reg. v. Gaming Board for Great Britain, ex parte Benaim and Khaida, Queen’s Bench Reports 1970, vol. 2, p. 430. Ils s’appliquent en l’occurrence, comme cela a été reconnu, en ce sens qu’ils imposent à la commission et au comité, ainsi qu’à chacun de leurs membres, l’obligation d’agir équitablement. Elle n’astreint pas, selon moi, la commission et le comité à révéler au détenu les éléments défavorables qu’ils ont en leur possession pour mieux remplir leurs fonctions de conseillers et de rapporteurs.’ [D’après le conseil du demandeur,] le cas d’espèce diffère de cette affaire-là en ce que cette dernière portait sur une première libération conditionnelle et non sur un examen par la commission après réincarcération. Cette distinction existe bien, mais elle me paraît n’entraîner qu’une seule différence pour l’examen de la question par la commission: dans l’hypothèse d’une réincarcération, le détenu lui-même a le droit de connaître les raisons de sa réintégration. Il a donc droit à certains renseignements, mais là réside à mon avis l’unique différence entre les deux affaires. Le principe de justice naturelle invoqué en l’espèce, à savoir le prétendu principe d’une divulgation complète, n’a pas, me semble-t-il, à jouer ici." PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION M. Weeks a saisi la Commission le 6 avril 1982 (requête no 9787/82). Il dénonçait sa réincarcération en juin 1977 comme incompatible avec l’article 5 par. 1 (art. 5-1) de la Convention. Il se plaignait aussi de ne pouvoir, comme l’exigeait l’article 5 par. 4 (art. 5-4), ni contester la légalité de cette mesure devant un tribunal ni bénéficier d’un contrôle périodique de la régularité de sa détention, à des intervalles raisonnables, tout au long de celle-ci. La Commission a retenu la requête le 17 janvier 1984. Dans son rapport du 7 décembre 1984 (article 31) (art. 31), elle conclut à l’absence d’une violation de l’article 5 par. 1 (art. 5-1) (dix voix contre une), mais à l’existence d’une infraction à l’article 5 par. 4 (art. 5-4) (sept voix contre quatre). Le texte intégral de son avis et d’une opinion en partie dissidente dont il s’accompagne figure en annexe au présent arrêt. Pendant les débats publics du 17 mars 1986, le délégué de la Commission a informé la Cour que M. Weeks avait introduit une nouvelle requête (no 12.000/86) concernant sa réincarcération à compter du 7 avril 1985. CONCLUSIONS PRESENTEES PAR LE GOUVERNEMENT A LA COUR À l’audience, le Gouvernement a maintenu en substance les conclusions présentées dans son mémoire. Elles invitaient la Cour à dire "1. que la réincarcération du requérant en juin 1977, après sa libération conditionnelle, cadrait avec l’article 5 par. 1 (art. 5-1) de la Convention; que l’article 5 par. 4 (art. 5-4) n’exige pas d’accorder au requérant, condamné à l’emprisonnement à vie, le droit de contester la légalité de sa réincarcération devant un tribunal et de bénéficier d’un contrôle périodique de la régularité de sa détention, à des intervalles raisonnables, tout au long de celle-ci; et qu’il n’y a pas eu violation de l’article 5 par. 4 (art. 5-4)".
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I. LES CIRCONSTANCES DE L'ESPÈCE Antécédents Né le 20 novembre 1963 à Oujda (Maroc) et de nationalité marocaine, M. Naïm Bouamar, mineur au moment des faits, réside à Ougrée-Seraing, en Belgique. Il arriva dans ce pays en 1972, après avoir vécu au Maroc où il fut élevé par une tante. Adolescent à la personnalité perturbée en raison notamment de problèmes familiaux, il séjourna de juin 1977 à mai 1978 dans divers foyers de mineurs, dans le cadre d'une action sociale préventive prévue par la loi du 8 avril 1965 relative à la protection de la jeunesse ("la loi de 1965"). Soupçonné de certaines infractions, il fut déféré en mai 1978 au tribunal de la jeunesse de Liège. Depuis lors, il fit plusieurs fois l'objet de mesures judiciaires en vertu de ladite loi. Les placements et autres mesures provisoires en cause En 1980, le requérant fut, à neuf reprises, placé en maison d'arrêt en vertu de l'article 53 de la loi de 1965, selon lequel un mineur peut, "s'il est matériellement impossible de trouver une personne ou une institution en mesure de le recueillir sur-le-champ", "être gardé provisoirement dans une maison d'arrêt pour un terme qui ne peut dépasser quinze jours" (paragraphe 32 ci-après). Il se trouva ainsi détenu à Lantin du 18 janvier au 1er février (14 jours), du 12 au 23 février (11 jours), du 4 au 11 mars (7 jours), du 7 au 22 mai (15 jours), du 17 juin au 1er juillet (14 jours), du 4 au 19 juillet (15 jours), du 11 au 26 août (15 jours), du 2 au 16 septembre (14 jours) et du 21 octobre au 4 novembre (14 jours). Il subit donc, au total, 119 jours de privation de liberté au cours de la période de 291 jours allant du 18 janvier au 4 novembre 1980. La présente affaire a trait à ces placements provisoires. Tous ordonnés sur les réquisitions du parquet, ils furent prescrits par le tribunal de la jeunesse de Liège à l'exception du deuxième, qui le fut par le juge d'appel de la jeunesse de la même ville. Chacune des ordonnances les décidant constatait l'impossibilité matérielle de trouver une personne ou institution en mesure de recueillir M. Bouamar sur-le-champ, à ceci près que la première d'entre elles ne la qualifiait pas de "matérielle". La deuxième, la troisième, la quatrième, la cinquième, la sixième et la huitième parlaient d'une institution "appropriée au comportement du mineur"; la septième et la neuvième se contentaient de l'adjectif "appropriée". Le premier placement à Lantin fut ordonné par le tribunal de la jeunesse le 18 janvier 1980, à la suite d'un incident survenu à l'établissement d'observation et d'éducation surveillée de Fraipont, où le requérant avait été placé le 30 décembre 1979. L'ordonnance faisait état du "comportement dangereux" de l'intéressé et de "ses nombreux placements antérieurs". M. Bouamar l'ayant attaquée devant le juge d'appel de la jeunesse (paragraphe 19 ci-dessous), celui-ci prescrivit à titre provisoire, le 31 janvier 1980, son retour à Fraipont, constatant qu'aucune autre solution n'avait été trouvée et que le placement à Lantin ne pouvait "continuer à sortir ses effets au-delà du terme légal". Le 12 février 1980, le juge d'appel de la jeunesse modifia son ordonnance du 31 janvier et décida le deuxième placement à Lantin. Sa décision faisait état de "renseignements recueillis", notamment au sujet du "nouveau comportement" de l'intéressé. Elle relevait "qu'aucune institution, aucun particulier ne [s'était] manifesté (...) pour recueillir" celui-ci et que "les deux établissements de l'État ad hoc se déclar[ai]ent (...) incapables" de l'"accepter sur-le-champ, au vu, entre autres, de son comportement". Elle précisait que le placement en maison d'arrêt était prescrit "en attente d'une solution à (...) proposer par le service social de la jeunesse du tribunal de première instance". Le 22 février 1980, le juge d'appel de la jeunesse, "vu l'ensemble des renseignements recueillis et dans l'attente relativement immédiate d'une autre mesure de placement plus adéquate", modifia son ordonnance du 12 et décida le placement du requérant à l'établissement de Jumet. M. Bouamar s'en échappa le lendemain de son arrivée. Le 29 février, le juge d'appel de la jeunesse le confia à son père, sous la surveillance de la déléguée à la protection de la jeunesse ainsi que du comité de protection de la jeunesse et moyennant certaines conditions. Le troisième placement à Lantin fut ordonné le 4 mars 1980 par le tribunal de la jeunesse à la suite de "nouveaux faits" commis par le mineur entre le 1er janvier et le 27 février. L'ordonnance constatait que l'intéressé se montrait "rétif à toute mesure de garde, de préservation ou d'éducation". Pour justifier l'impossibilité matérielle de trouver "une institution appropriée [à son] comportement", elle se fondait sur le "caractère ouvert des établissements d'observation et d'éducation de l'État". Le 11 mars 1980, le juge d'appel de la jeunesse rendit une nouvelle ordonnance provisoire confiant le requérant à son père, sous la surveillance de la déléguée à la protection de la jeunesse et aux mêmes conditions que celles prévues le 29 février 1980 (paragraphe 10 ci-dessus). Le quatrième placement à Lantin fut ordonné par le tribunal de la jeunesse le 7 mai 1980. L'ordonnance relevait que l'intéressé "persist[ait] dans la délinquance". Le 21 mai 1980, le juge d'appel de la jeunesse rendit une autre ordonnance provisoire confiant le requérant à son père, sous la même surveillance et aux mêmes conditions que celles prévues le 11 mars 1980 (paragraphe 11 ci-dessus). Le cinquième placement à Lantin fut ordonné par le tribunal de la jeunesse le 17 juin 1980. L'ordonnance se référait aux "renseignements recueillis" et à la "persistance du mineur dans la délinquance". Le 30 juin 1980, le tribunal de la jeunesse modifia son ordonnance du 17 juin et rendit le requérant "au milieu familial de son père", sous la même surveillance et aux mêmes conditions que celles prévues par le juge d'appel de la jeunesse les 11 mars et 21 mai 1980 (paragraphes 11 et 12 ci-dessus). Le sixième placement à Lantin fut ordonné par le tribunal de la jeunesse le 4 juillet 1980. L'ordonnance faisait état des "renseignements recueillis", de la "persistance du mineur dans la délinquance", des "avertissements qui lui [avaient] déjà été donnés" et de son "comportement rebelle (...) au poste de gendarmerie". Elle considérait "qu'en raison de la personnalité et du comportement du mineur, il y a[vait] lieu de le diriger vers un établissement bien structuré où il sera[it] encadré", "qu'en cette période de vacances un établissement privé ne rempli[ssait] pas ces conditions", et qu'aucun des établissements de l'État de Fraipont, de Wauthier-Braine et de Jumet n'avait "accepté de recueillir le mineur", l'un d'eux s'y "refusant de la manière la plus formelle". Le 18 juillet 1980, le juge d'appel de la jeunesse rendit une ordonnance provisoire confiant le requérant à une tante. Le septième placement à Lantin fut ordonné par le tribunal de la jeunesse le 11 août 1980. L'ordonnance faisait état des "renseignements recueillis", d'un "vol commis avec effraction, la nuit, en bande, le 1er août 1980" et de la "participation" de l'intéressé "à une agression contre une mineure le 6 août 1980". Elle relevait que sa tante ne souhaitait plus assumer la charge que lui avait confiée le juge d'appel. Les 22 et 26 août 1980, le tribunal de la jeunesse modifia son ordonnance du 11 août et décida le retour du requérant "dans le milieu familial de son père, sous la surveillance d'un délégué à la protection de la jeunesse". Le huitième placement à Lantin fut ordonné par le tribunal de la jeunesse le 2 septembre 1980. L'ordonnance se référait aux "renseignements recueillis" et au fait que l'intéressé "persist[ait] dans la délinquance". Le 16 septembre 1980, le tribunal de la jeunesse la modifia et prescrivit le retour du requérant "dans son milieu familial (...) sous la surveillance d'un délégué à la protection de la jeunesse". Le neuvième placement à Lantin fut ordonné par le tribunal de la jeunesse le 21 octobre 1980. L'ordonnance se référait aux "renseignements recueillis". Le 3 novembre 1980, le tribunal de la jeunesse la modifia et décida la "libération provisoire" du requérant "dans son milieu familial sous la surveillance d'un délégué à la protection de la jeunesse". Depuis lors, M. Bouamar ne fit plus l'objet d'aucun placement en maison d'arrêt. Sa conduite s'améliora, semble-t-il, après qu'il eut été inséré au cours de l'automne 1980, à l'intervention d'un de ses conseils, dans un environnement plus favorable. Le 8 août 1981, le tribunal de la jeunesse se dessaisit au profit de la juridiction de droit commun (article 38 de la loi de 1965, paragraphe 29 ci-dessous), mais le parquet n'engagea pas de poursuites contre l'intéressé. Les recours exercés par le requérant Les 22 janvier et 7 mars 1980 respectivement, le requérant en appela des ordonnances, des 18 janvier et 4 mars, qui avaient décidé ses premier et troisième placements à Lantin (paragraphes 9 et 11 ci-dessus). Par un arrêt du 29 avril 1980, la chambre de la jeunesse de la cour d'appel joignit ces deux recours et les déclara irrecevables pour avoir perdu leur objet, constatant que par ses ordonnances des 31 janvier et 11 mars 1980 (paragraphes 9 et 11 ci-dessus) elle avait mis fin aux deux placements dont il s'agissait. Quant à la légalité des deux détentions litigieuses, la cour considéra: "(...) que si les dispositions de l'article 53 de la loi sur la protection de la jeunesse ne constituent pas une privation de liberté en vue de traduire le mineur devant l'autorité compétente, cette loi ne viole pas les articles de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme en ce que cette 'privation de liberté' est décidée dans le cadre général de l'éducation surveillée du mineur pour les cas exceptionnels où il y a impossibilité matérielle de trouver sur-le-champ un particulier ou une institution en mesure de recueillir le mineur par mesure de garde nécessaire dans une maison d'arrêt pour un terme qui ne peut dépasser quinze jours; (...) que dans cette perspective il y a lieu de tenir compte des éléments personnalisés de la cause au moment où cette mesure provisoire de garde a été prise; Qu'en effet, l'impossibilité matérielle visée à l'article 53 ne signifie pas qu'il faille simplement y comprendre les cas où, de manière absolue, on ne trouve pas matériellement lieu, endroit où placer le mineur, sans avoir égard aux éléments d'éducation et de préservation qui doivent entrer en ligne de compte dans l'appréciation du magistrat au moment où celui-ci prend sa décision en prenant en considération les possibilités de fait qui lui sont réellement offertes; (...)" La cour estima donc que les ordonnances dont appel ne violaient ni la Convention ni l'article 53 de la loi de 1965. Le requérant se pourvut en cassation contre cet arrêt le 30 avril 1980. La Cour de cassation rejeta le pourvoi le 25 juin 1980, se bornant à constater "que les formalités substantielles ou prescrites à peine de nullité [avaient] été observées et que la décision [était] conforme à la loi". Elle ne prit pas en considération le mémoire de l'intéressé car il l'avait déposé tardivement. Entre-temps, le requérant s'était pourvu en cassation, le 14 février 1980, contre l'ordonnance du juge d'appel de la jeunesse qui avait décidé, le 12 février 1980, son deuxième placement à Lantin (paragraphe 10 ci-dessus). La Cour de cassation rejeta le pourvoi le 5 mars 1980. Elle releva qu'il était devenu irrecevable à défaut d'objet, l'ordonnance attaquée ayant été modifiée par celle du 22 février 1980 (paragraphe 10 ci-dessus). Le requérant soutenait qu'il avait conservé un intérêt à voir annuler ladite ordonnance, notamment parce que cela lui aurait permis de solliciter, en vertu tant de l'article 5 § 5 (art. 5-5) de la Convention que de la législation nationale, la réparation du dommage que lui avait causé sa détention. La Cour de cassation répondit que l'exercice d'une telle action ne dépendait pas de la constatation préalable, par une décision judiciaire, de l'illégalité de la privation de liberté. Le requérant avançait aussi qu'un arrêt rejetant son pourvoi comme irrecevable à défaut d'objet aurait violé les articles 5 § 4 et 13 (art. 5-4, art. 13) de la Convention. La Cour de cassation répondit que la mesure critiquée ayant été prise par le juge d'appel de la jeunesse, la garantie définie par ces deux dispositions se trouvait réalisée. Le requérant fit appel, le 14 mai 1980, de l'ordonnance du tribunal de la jeunesse du 7 mai 1980, qui avait décidé son quatrième placement à Lantin (paragraphe 12 ci-dessus). Le 30 juin 1980, la chambre de la jeunesse de la cour d'appel déclara le recours irrecevable à défaut d'objet, l'ordonnance du 21 mai 1980 (paragraphe 12 ci-dessus) ayant mis fin à la détention. Le requérant fit appel, le 7 juillet 1980, de l'ordonnance du tribunal de la jeunesse du 4 juillet 1980, qui avait décidé son sixième placement à Lantin (paragraphe 14 ci-dessus). Cet appel subit le même sort que les trois précédents (paragraphes 19 et 21 ci-dessus): le 3 février 1981, la chambre de la jeunesse le déclara irrecevable, à défaut d'objet, l'ordonnance du 18 juillet 1980 ayant mis fin à la détention dont il s'agissait (paragraphe 14 ci-dessus). Contre cet arrêt, le requérant introduisit le 12 février 1981 un pourvoi que la Cour de cassation rejeta le 20 mai 1981. Il reprochait à la cour d'appel de ne pas avoir répondu adéquatement à ses conclusions alléguant la violation des articles 53 de la loi de 1965 et 5 § 1 d) (art. 5-1-d) de la Convention. La Cour de cassation considéra que la cour d'appel n'avait pas à répondre à ces conclusions, dénuées de pertinence dès lors qu'elle avait relevé le défaut d'objet de l'appel. Il soutenait aussi qu'il y avait eu violation de l'article 53 de la loi de 1965, en ce que la décision attaquée avait pris en compte son comportement, et de l'article 5 § 1 d) (art. 5-1-d) de la Convention, en ce que l'article 53 précité prévoyait, d'après lui, des conditions de privation de liberté non conformes à cette disposition de la Convention. La Cour de cassation déclara le moyen "irrecevable à défaut d'objet", puisque dirigé contre des attendus "sans influence sur la légalité" de l'arrêt attaqué. Le requérant ne fit pas appel des ordonnances des 17 juin (paragraphe 13 ci-dessus), 11 août (paragraphe 15 ci-dessus), 2 septembre (paragraphe 16 ci-dessus) et 21 octobre 1980 (paragraphe 17 ci-dessus). De même, il ne se pourvut pas en cassation contre l'arrêt de la cour d'appel du 30 juin 1980 (paragraphe 21 ci-dessus). Auditions du requérant et de ses conseils Avant chacune des ordonnances le plaçant à titre provisoire en maison d'arrêt, M. Bouamar fut ouï par le juge. Il s'y refusa cependant avant celle du 21 octobre 1980 (paragraphe 17 ci-dessus). Selon leurs propres déclarations, non contestées par le Gouvernement, les conseils du requérant ne furent appelés à l'assister ou à le représenter en aucune de ces occasions. En revanche, ils furent entendus avant l'adoption de certaines des autres décisions provisoires le concernant; d'après les pièces du dossier, il en alla de même lorsque la chambre de la jeunesse de la cour d'appel eut à statuer sur les appels formés par l'intéressé contre les ordonnances des 18 janvier, 4 mars, 7 mai et 4 juillet 1980. En outre, le mineur fut dûment représenté devant la Cour de cassation. II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS A. La loi du 8 avril 1965 sur la protection de la jeunesse Généralités La loi de 1965 remplace celle du 15 mai 1912; elle a pour objectif de préserver la santé, la moralité ou l'éducation des jeunes de moins de dix-huit ans ("mineurs"). En principe, les "faits infractionnels" commis par eux ne peuvent plus donner lieu qu'à des mesures de garde, de préservation ou d'éducation et non à des sanctions pénales. La loi de 1965 contient des dispositions relatives à la "protection sociale" et d'autres qui ont trait à la "protection judiciaire". La protection judiciaire de la jeunesse incombe à des juridictions spécialisées: le tribunal de la jeunesse, qui est une section du tribunal de première instance et comprend une ou plusieurs chambres (article 76 du code judiciaire) à juge unique, et les chambres de la jeunesse de la cour d'appel (article 101 du même code), elles aussi composées d'un seul membre (à l'époque considérée, article 102 du même code, depuis lors article 109 bis). Au moment des faits, il existait au tribunal de première instance de Liège trois juges de la jeunesse, assurant le service des 15ème, 16ème et 17ème chambres qui constituaient la section de la jeunesse dudit tribunal, et, à la cour d'appel de la même ville, un conseiller juge d'appel de la jeunesse, assurant le service de l'unique chambre de la jeunesse de cette cour. Sauf dérogation, les dispositions légales relatives aux poursuites en matière correctionnelle s'appliquent aux procédures concernant les mesures de protection judiciaire des mineurs (article 62 de la loi de 1965). Les mesures de protection judiciaire à l'égard des mineurs L'article 36 de la loi de 1965 détermine les cas dans lesquels les juridictions de la jeunesse peuvent adopter, à l'endroit des mineurs, les diverses mesures énumérées par la loi. Elles peuvent agir sur les réquisitions du ministère public dans plusieurs hypothèses: a) à l'égard des "mineurs dont la santé, la sécurité ou la moralité sont mises en danger, soit en raison du milieu où ils sont élevés, soit par les activités auxquelles ils se livrent, ou dont les conditions d'éducation sont compromises par le comportement des personnes qui en ont la garde"; b) à l'égard des "mineurs (...) trouvés mendiant ou vagabondant ou se livrant habituellement à la mendicité ou au vagabondage"; c) à l'égard des "mineurs (...) poursuivis du chef d'un fait qualifié infraction". Lesdites juridictions peuvent aussi intervenir sur la plainte de "personnes investies de la puissance paternelle ou assumant la garde, (...) d'un mineur (...) qui, par son inconduite ou son indiscipline, donne de graves sujets de mécontentement". Les mesures qu'il leur appartient d'ordonner se trouvent, pour l'essentiel, énumérées à l'article 37: a) réprimande (article 37, 1o); b) soumission du mineur à la surveillance du comité de protection de la jeunesse ou d'un délégué à la protection de la jeunesse (article 37, 2o); c) maintien du mineur dans son milieu sous certaines conditions, par exemple l'obligation de fréquenter un établissement scolaire, d'accomplir une prestation éducative ou philanthropique ou de se soumettre aux directives d'un centre d'orientation éducative ou d'hygiène mentale (article 37, 2o); d) placement du mineur, sous la surveillance du comité de protection de la jeunesse ou d'un délégué à la protection de la jeunesse, chez toute personne digne de confiance ou dans tout établissement approprié (article 37, 3o); e) placement du mineur dans un établissement d'observation et d'éducation surveillée de l'État (article 37, 4o). Deux types d'institutions peuvent recueillir les mineurs: les institutions privées et les institutions de l'État. En 1980, il existait, en Belgique francophone, trois établissements d'observation et d'éducation surveillée de l'État pour jeunes hommes (ceux de Fraipont, de Jumet et de Wauthier-Braine), et un pour jeunes filles. Dans ces établissements, dits "ouverts", les mineurs vivent dans un régime de semi-liberté. Le premier établissement "fermé", réservé aux mineurs très perturbés, s'ouvrit en 1981. Si les juridictions de la jeunesse sont saisies en raison d'un "fait qualifié infraction", imputé à un mineur de plus de seize ans, elles peuvent, si elles estiment "inadéquates" les mesures prévues à l'article 37, se dessaisir et renvoyer l'affaire au ministère public aux fins de poursuites devant la juridiction compétente (article 38 de la loi de 1965). Au cas où une mesure prise en vertu de l'article 37 se révèle "inopérante en raison de la mauvaise conduite persistante ou du comportement dangereux du mineur", elles peuvent décider de le mettre à la disposition du gouvernement jusqu'à sa majorité (article 39 de la même loi). Dessaisissement et mise à la disposition du gouvernement sont considérés comme des mesures exceptionnelles, à n'appliquer qu'en dernière extrémité. Procédure D'après l'article 50 de la loi de 1965, le tribunal de la jeunesse "effectue toutes diligences et fait procéder à toutes investigations utiles pour connaître la personnalité des mineurs intéressés, le milieu où ils ont été élevés, déterminer leur intérêt et les moyens appropriés à leur éducation ou à leur traitement"; il peut "faire procéder à une étude sociale par l'intermédiaire d'un délégué à la protection de la jeunesse et soumettre le mineur à un examen médico-psychologique, lorsque le dossier (...) ne lui paraît pas suffisant". Le mineur déféré au tribunal de la jeunesse comparaît en personne ou se fait représenter par un avocat (article 54 de la loi de 1965). S'il n'en a pas, le bâtonnier ou le bureau de consultation et de défense lui en désignent un (article 55). Le tribunal de la jeunesse peut en tout temps convoquer l'intéressé, ses parents, son tuteur ou les autres personnes qui en ont la garde (articles 51 et 54). L'intéressé et son avocat peuvent prendre connaissance du dossier trois jours au moins avant l'audience; les pièces concernant la personnalité du mineur et le milieu où il vit ne sont communiquées qu'à son avocat (article 55). Au cours des débats, le tribunal de la jeunesse peut à tout moment entendre en chambre du conseil, au sujet de la personnalité du mineur, des experts et des témoins, ainsi que les parents, le tuteur ou les autres personnes ayant la garde du mineur; de telles auditions ne peuvent avoir lieu qu'en présence de l'avocat du mineur, mais le mineur lui-même n'y assiste pas, à moins d'être appelé par le tribunal (article 57). Lorsqu'elles sont prescrites à titre définitif, les mesures énumérées à l'article 37 de la loi de 1965 revêtent la forme de jugements prononcés en audience publique. Elles ne se prennent souvent qu'au terme d'une procédure relativement longue qui doit permettre au tribunal d'observer le mineur concerné et de faire mener toutes les investigations utiles pour déterminer la solution opportune. Au cours de la procédure, le tribunal de la jeunesse peut adopter à l'égard du mineur des mesures provisoires en vertu des articles 52 et 53, ainsi libellés: Article 52 "Pendant la durée d'une procédure tendant à l'application d'une des mesures prévues au titre II, chapitre III, le tribunal de la jeunesse prend provisoirement à l'égard du mineur les mesures de garde nécessaires. Il peut, soit le laisser chez les personnes qui en ont la garde ou le soumettre, le cas échéant, à la surveillance prévue à l'article 37, 2o, soit prendre provisoirement une des mesures prévues à l'article 37, 3o et 4o." Article 53 "S'il est matériellement impossible de trouver un particulier ou une institution en mesure de recueillir le mineur sur-le-champ et qu'ainsi les mesures prévues à l'article 52 ne puissent être exécutées, le mineur peut être gardé provisoirement dans une maison d'arrêt pour un terme qui ne peut dépasser quinze jours. Le mineur gardé dans une maison d'arrêt est isolé des adultes qui y sont détenus." L'actuel article 53 remplace l'article 30 de la loi du 15 mai 1912. Celui-ci permettait le placement temporaire en établissement pénitentiaire en raison aussi bien de la nature vicieuse de l'enfant que de l'impossibilité matérielle de trouver un autre placement, seul critère retenu par la loi de 1965. Les mesures provisoires des articles 52 et 53 se prennent au moyen d'une ordonnance rendue par le juge de la jeunesse en son cabinet, c'est-à-dire après audition du mineur seul, hors la présence d'un avocat. Toutefois, grâce à un "aménagement pratique" propre à Liège et qui a joué en l'espèce, une permanence d'avocats permet à ceux-ci d'avoir des contacts "informels" avec le juge de la jeunesse lorsqu'il s'agit d'un mineur détenu. Le tribunal de la jeunesse peut en tout temps, soit d'office, soit à la demande du ministère public, rapporter ou modifier les mesures adoptées à l'égard du mineur, à l'exception de la mise à la disposition du gouvernement (article 60, premier alinéa, de la loi de 1965). Il peut, après l'expiration d'un délai d'un an depuis que la mesure est devenue définitive, être saisi aux mêmes fins par les père, mère, tuteur ou autres personnes ayant la garde du mineur, ainsi que par le mineur lui-même (article 60, second alinéa). "Les décisions du tribunal de la jeunesse (...) sont, dans les délais légaux, susceptibles d'appel de la part du ministère public et d'opposition et d'appel de la part" du mineur comme, le cas échéant, des autres parties en cause (article 58). Le mineur peut notamment interjeter appel de toute mesure provisoire le concernant. Le juge saisi de l'appel peut aussi bien prendre lui-même les mesures provisoires prévues aux articles 52 et 53 que rapporter ou modifier celles qu'a décidées le tribunal de la jeunesse (article 59). Il le fait, comme ce tribunal, par ordonnance de cabinet (paragraphe 33 ci-dessus). Les arrêts de la chambre de la jeunesse de la cour d'appel peuvent donner lieu à un pourvoi en cassation. Jurisprudence en rapport avec l'article 53 de la loi de 1965 Les juridictions belges ont admis que l'impossibilité matérielle requise par l'article 53 peut avoir pour origine non seulement le manque de place dans une institution appropriée, mais aussi le défaut de conditions adaptées aux exigences du cas, notamment sur le plan de la sécurité (cour d'appel de Mons, 6 janvier 1978 - Journal des Tribunaux, 1979, p. 6 - et cour d'appel de Liège, 16 décembre 1980). Un arrêt de la Cour de cassation, du 8 février 1978 (Pasicrisie belge 1978, I, p. 664), laisse au juge du fond l'appréciation de pareille impossibilité. Par un jugement du 10 septembre 1981, le tribunal de première instance de Liège avait dit "que 'l'éducation surveillée' prévue par la Convention (...) n'exclut pas, dans les cas désespérés, le recours à des séjours de mineurs dans des prisons, décidés par les autorités compétentes, lorsque toutes les autres tentatives et solutions d'éducation surveillée plus douces ont échoué; qu'en effet, le séjour en prison, dans une section spéciale réservée à des adolescents et pour une brève durée limitée par la loi, peut avoir un effet éducatif en convainquant le mineur que la société, après avoir tenté de l'aider, a décidé de se défendre; que cette détention peut servir de transition à l'état de majorité pénale (...) dans lequel la société appliquera à son égard des mesures très différentes de celles qu'il a connues dans sa minorité". Le 18 novembre 1982, la Cour de cassation a rejeté le pourvoi formé contre ce jugement. Elle a estimé que le raisonnement précité ne méconnaissait pas la notion juridique d'"éducation surveillée", au sens de l'article 5 § 1 (art. 5-1) de la Convention. Elle a ajouté qu'en constatant, sur la base du dossier, l'impossibilité matérielle "de confier le mineur à qui que ce [fût]" car "il s'échappait aussitôt pour 'délinquer'" et "entravait l'oeuvre d'éducation de ses compagnons, à laquelle ceux-ci avaient également droit, en les entraînant dans ses fugues", le tribunal avait justifié également sa décision (Pasicrisie belge, 1983, I, p. 333). B. La loi du 20 avril 1874 sur la détention préventive La loi du 20 avril 1874 sur la détention préventive énonce en son article 27, tel que l'a modifié celle du 13 mars 1973: "Un droit à réparation est ouvert à toute personne qui a été privée de sa liberté dans des conditions incompatibles avec les dispositions de l'article 5 (art. 5) de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950, approuvée par la loi du 18 mai 1955. L'action est portée devant les juridictions ordinaires dans les formes prévues par le code judiciaire et dirigée contre l'État belge en la personne du Ministre de la justice." PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION M. Naïm Bouamar a saisi la Commission le 2 septembre 1980 (requête no 9106/80). Il alléguait que les mesures de placement en maison d'arrêt prises à son égard avaient méconnu l'article 5 § 1 d) (art. 5-1-d) de la Convention. Il invoquait en outre les articles 5 § 4 et 13 (art. 5-4, art. 13), car selon lui sa détention n'avait jamais fait l'objet d'un contrôle de légalité. Il se plaignait enfin d'une infraction aux articles 5 § 4 et 14, combinés (art. 14+5-4), en ce qu'il existerait une discrimination entre majeurs et mineurs par la manière dont sont organisés les recours visés à l'article 5 § 4 (art. 5-4). La Commission a retenu la requête le 15 mars 1984. Dans son rapport du 18 juillet 1986 (article 31) (art. 31), elle exprime l'opinion unanime: - qu'il y a eu violation de l'article 5 § 1 (art. 5-1) car la restriction autorisée par l'alinéa d) (art. 5-1-d) a servi en l'espèce dans un but différent de celui qu'il prévoit; - qu'il y a eu violation de l'article 5 § 4 (art. 5-4) car le tribunal de la jeunesse ne peut être considéré comme un "tribunal" au sens de ce texte et, en outre, le requérant n'a pas joui d'un recours devant un organe judiciaire capable de se prononcer à bref délai sur la légalité de sa détention; - qu'aucune question distincte ne se pose sur le terrain de l'article 13 (art. 13) de la Convention; - qu'il n'y a pas eu violation de l'article 14, combiné avec l'article 5 § 4 (art. 14+5-4), car la différence de traitement litigieuse tendait à la protection des mineurs. Le texte intégral de l'avis ainsi formulé figure en annexe au présent arrêt.
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Les trois requérants sont des ressortissants espagnols nés respectivement en 1951, 1947 et 1955. MM. Francesc-Xavier Barberà Chamarro et Antonino Messegué Mas purgent une peine de réclusion criminelle, le premier à la prison no 2 de Lérida (Lleida-2), le second à celle de Barcelone, tout en bénéficiant du régime ouvert. M. Ferrán Jabardo García réside actuellement à Gironella, dans la province de Barcelone. I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE A. Origine des poursuites menées contre les requérants Attentat commis contre M. Bultó Le 9 mai 1977 vers 15 h, M. José María Bultó Marqués, homme d’affaires catalan âgé de 77 ans, se trouvait chez son beau-frère à Barcelone en compagnie de celui-ci et de sa propre soeur, Mme Pilar Bultó Marqués, lorsque deux hommes entrèrent dans l’appartement. Se présentant comme des employés de la compagnie du gaz, ils immobilisèrent la domestique, permettant ainsi l’entrée d’autres individus. Sous la menace des armes, ces derniers enfermèrent M. Bultó dans une pièce et fixèrent sur sa poitrine un engin explosif. Ils exigèrent de lui une rançon de cinq cents millions de pesetas, à régler dans les vingt-cinq jours, lui donnèrent des instructions pour la verser et précisèrent qu’après le paiement on lui indiquerait comment enlever l’appareil sans aucun risque. Les assaillants quittèrent ensuite les lieux et s’éloignèrent à bord de voitures qui les attendaient. M. Bultó regagna son domicile dans sa voiture. Peu avant 17 h, l’explosion dudit engin provoqua sa mort instantanée. Poursuites pénales ouvertes après l’attentat Le jour même, le juge d’instruction no 13 de Barcelone engagea des poursuites (diligencias previas - no 1373/77) relatives à ces faits. Le 11 mai, il versa au dossier d’instruction (sumario) no 61/1977 les pièces de la procédure, mais il se dessaisit ultérieurement car il estimait qu’il s’agissait d’un acte terroriste relevant de la compétence de l’Audiencia Nacional de Madrid (paragraphe 45 ci-dessous). L’affaire fut donc transmise au juge d’instruction no 1 de celle-ci (juez central de instrucción), qui ouvrit le dossier no 46/1977. L’enquête de police aboutit à l’arrestation, le 1er juillet 1977, de quatre membres de l’organisation E.PO.CA. (Armée populaire catalane), parmi lesquels ne figurait aucun des requérants; des témoins avaient reconnu l’un d’entre eux. Le 29 juillet ils furent inculpés d’assassinat, d’acte de terrorisme ayant causé mort d’homme et de détention d’explosifs. Cependant, le 10 novembre 1977, l’Audiencia Nacional décida de leur appliquer la loi d’amnistie no 46 du 15 octobre 1977, en raison du caractère politique du mobile auquel ils avaient obéi. Ils recouvrèrent aussitôt leur liberté. Sur pourvoi du ministère public, le Tribunal suprême cassa cette décision le 28 février 1978, jugeant non établis à ce stade de la procédure l’existence de pareil mobile et le caractère non lucratif du délit. Son arrêt entraîna la réouverture du dossier d’instruction no 46/1977. Toutefois, les quatre inculpés n’ayant pas comparu, le juge ordonna leur recherche par la police; en juillet 1978, il classa provisoirement l’affaire. Arrestation de M. Martínez Vendrell et poursuites intentées contre lui Dans le cadre de l’enquête concernant le meurtre de M. Bultó, la police arrêta, le 4 mars 1979, M. Jaime Martínez Vendrell, âgé de 63 ans, et quatre autres personnes. Ils furent placés en garde à vue et mis au secret total, conformément à la législation antiterroriste en vigueur (paragraphe 46 ci-dessous). Interrogé sans l’assistance d’un avocat pendant sa garde à vue dans les locaux de la police, M. Martínez Vendrell déclara en substance ce qui suit le 11 mars 1979: - Jusqu’en 1974, il avait appartenu en tant que membre dirigeant à une organisation nationaliste catalane, le "Front Nacional de Catalunya", et avait concouru dès 1967 à la création et à l’entraînement de groupes armés, dans le but de combattre pour l’indépendance des pays catalans. - En 1968 il avait rencontré trois jeunes gens, dont un nommé "Thomas" qu’il identifia comme le requérant Messegué, et à la fin de 1969 avait commencé leur formation militaire théorique et pratique. En 1973, il avait créé un autre groupe de jeunes parmi lesquels il repéra le requérant Barberà. - Ultérieurement, plusieurs personnes, dont "Thomas", avaient acheté des armes en Allemagne; elles les avaient introduites en Espagne à travers la France et cachées dans des dépôts connus d’elles seules. - En 1976 s’étaient constitués trois groupes, dont un commandé par "Thomas". Abandonnant toute activité extérieure, leurs membres recevaient un salaire de l’organisation. Une infrastructure d’appartements et de postes émetteurs de radio avait été aménagée par la suite afin d’assurer les contacts entre eux. - En février 1977, on avait signalé à M. Martínez Vendrell la fabrication d’un appareil explosif pouvant être placé sur le corps d’une personne, puis désamorcé après le paiement de la rançon convenue. Cet engin pouvait avoir été conçu par "Thomas" (Messegué) et un autre militant pour la partie mécanique, par M. Barberà et un autre individu pour la partie électronique. Plus tard, "Thomas" et un tiers avaient montré ledit appareil à M. Martínez Vendrell. - En avril 1977, ils lui avaient révélé le nom de la première victime choisie: M. José María Bultó. - Deux jours après l’attentat, il avait rencontré les chefs des commandos. Il aurait su ainsi que onze personnes avaient participé à l’opération et que MM. Barberà et Messegué avaient fixé l’engin sur la poitrine de l’intéressé. Traduit devant le juge d’instruction no 6 de Barcelone, en présence et avec l’assistance d’un avocat, M. Martínez Vendrell modifia ses déclarations. En particulier, il précisa que la bombe "avait pu" être conçue par les personnes indiquées, mais qu’il ignorait le nom des auteurs de l’attentat contre M. Bultó. Ces pièces furent transmises au juge d’instruction central no 1 de Madrid qui rouvrit le dossier no 46/1977 le 15 mars 1979. Le lendemain, il inculpa M. Martínez Vendrell d’assassinat et de détention d’armes et d’explosifs, et ordonna sa mise en détention provisoire. Par une autre décision du même jour, il inculpa six autres personnes, dont MM. Barberà et Messegué, d’assassinat, destruction volontaire d’objets et usage de faux documents, et lança contre eux un mandat d’amener. Comme on ne réussit pas à les retrouver, la procédure continua seulement contre leurs coïnculpés détenus. Au cours de l’instruction, puis à l’audience, M. Martínez Vendrell revint sur sa déclaration au juge d’instruction en ce qui concerne l’identification de MM. Barberà et Messegué. Le 17 juin 1980, la 1ère section de la chambre criminelle de l’Audiencia Nacional lui infligea un an et trois mois d’emprisonnement pour collaboration avec des bandes armées. Elle écarta en revanche les chefs d’accusation primitifs; elle releva notamment qu’il avait marqué son désaccord au moment où il apprit, à la fin d’avril 1977, le projet visant M. Bultó, que les préparatifs s’étaient déroulés à son insu et qu’il n’avait connu que par la presse la mort de la victime. L’Audiencia Nacional prescrivit en outre son élargissement immédiat car la peine se trouvait absorbée par la détention provisoire. Sur pourvoi du fils de M. Bultó, "accusateur privé" en même temps que partie civile, le Tribunal suprême cassa l’arrêt de l’Audiencia Nacional le 10 avril 1981. Le même jour, il condamna M. Martínez Vendrell à douze ans et un jour d’emprisonnement pour complicité d’assassinat, ainsi qu’à une indemnité de cinq millions de pesetas à verser aux héritiers. Il estima que le rôle joué par l’intéressé auprès des auteurs du crime avait revêtu assez d’importance pour s’analyser en complicité et dépassait de loin la simple collaboration avec des bandes armées: sans doute l’accusé avait-il manifesté son opposition à l’attentat, mais il n’avait rien fait pour empêcher celui-ci. En conséquence, un mandat d’arrêt fut décerné - le 24 avril 1981 selon les requérants - contre M. Martínez Vendrell. Celui-ci a échappé jusqu’à présent aux recherches de la police et n’a donc pas encore purgé sa peine. B. Arrestation des requérants et poursuites intentées contre eux Les trois requérants furent appréhendés, avec d’autres personnes, le 14 octobre 1980 et accusés d’appartenir à l’organisation terroriste E.PO.CA. On trouva chez eux des appareils émetteurs-récepteurs, des outils divers et du matériel électronique, des publications de partis nationalistes de gauche, des dossiers sur des personnalités de la vie politique et économique, des livres de topographie, d’électronique et de chimie des explosifs, etc. On leur appliqua l’article 2 de la loi no 56, du 4 décembre 1978 sur la répression du terrorisme, prorogée par le décret-loi royal no 19 du 23 novembre 1979 (paragraphe 46 ci-dessus). Ce texte permettait de prolonger la garde à vue au-delà du délai normal de soixante-douze heures avec l’autorisation du juge. De plus, les requérants furent mis au secret total et ne bénéficièrent pas de l’assistance d’un avocat. Au cours de leur garde à vue, ils signèrent un procès-verbal reconnaissant leur participation à l’assassinat de M. Bultó soit comme auteurs, soit comme complices; leur version différait cependant de celle de M. Martínez Vendrell. En outre, la police découvrit des dépôts d’armes et d’explosifs à des endroits indiqués par MM. Barberà et Messegué. Le 23 octobre 1980, les détenus comparurent devant le juge d’instruction no 8 de Barcelone qui les interrogea, en l’absence d’un défenseur dans le cas de MM. Barberà et Jabardo. Ils rétractèrent leurs aveux à la police et deux d’entre eux - ce dernier et Messegué - se plaignirent de tortures physiques et morales subies pendant la garde à vue. Par une ordonnance (auto) du même jour, le juge les plaça en détention provisoire et ils furent transférés à la prison de Barcelone. Les pièces ainsi recueillies furent transmises le 24 octobre 1980 au juge central d’instruction no 1 pour inclusion dans le dossier no 46/1977. Le 12 janvier 1981, ce magistrat inculpa les requérants, avec deux autres personnes, d’assassinat et de collaboration avec des bandes armées. Il envoya ensuite à Barcelone une commission rogatoire en vue d’un complément d’enquête. Le juge d’instruction no 10 de cette ville, après leur avoir notifié l’inculpation, les entendit le 22 janvier; ils lui confirmèrent leurs déclarations au juge d’instruction no 8 et alléguèrent à nouveau que leurs aveux leur avaient été arrachés par la torture. Il n’y eut pas de confrontation entre eux et les témoins à charge ni M. Martínez Vendrell, alors en liberté. M. Barberà constitua avocat et avoué le 22 décembre 1980 à Barcelone, mais le juge central d’instruction de Madrid n’en prit acte que le 20 janvier 1981. MM. Messegué et Jabardo ne le firent que le 21 février 1981; la clôture de l’instruction avait eu lieu le 16. Le procès devant l’Audiencia Nacional L’affaire fut ensuite renvoyée pour jugement à la 1ère section de la chambre criminelle de l’Audiencia Nacional. Par une ordonnance du 13 mars 1981, celle-ci invita le ministère public et l’accusateur privé à formuler leurs conclusions provisoires. Ils qualifièrent les faits d’assassinat, de détention d’armes et d’explosifs ainsi que de falsification de pièces d’identité; ils proposèrent des moyens de preuve consistant dans l’interrogatoire des accusés, l’audition des témoins oculaires, et la production de l’ensemble du dossier, sans mentionner M. Martínez Vendrell. Le dossier fut communiqué à l’avoué de M. Jabardo le 27 mai, puis à celui de MM. Barberà et Messegué le 1er juin. Chacun des accusés menait sa défense séparément avec un avocat de son choix. Ils proclamèrent leur innocence et présentèrent eux aussi des offres de preuve analogues, y compris, pour MM. Barberà et Messegué, les déclarations de M. Martínez Vendrell retirant celles qu’il avait faites à la police et qui les impliquaient dans l’assassinat. M. Messegué fut transféré à Madrid, mais son conseil et lui-même obtinrent son retour à Barcelone pour les besoins de la préparation de sa défense. Par une ordonnance du 27 octobre 1981, le tribunal - où siégeaient pour l’occasion MM. de la Concha, président, Barnuevo et Infante - admit les preuves proposées et fixa l’ouverture des débats au 12 janvier 1982. Il prescrivit, en outre, le transfert des inculpés à Madrid et désigna MM. Obregón Barreda et Martínez Valbuena, de la 3ème section, pour porter la 1ère à cinq magistrats en raison de la gravité des peines demandées (article 145 par. 2 du code de procédure pénale). Le 10 décembre 1981, les avocats des cinq accusés - tous du barreau de Barcelone - demandèrent que l’audience se tînt dans cette ville, invoquant les nécessités de la défense et les difficultés de déplacement pour les témoins. Par une lettre ultérieure, un sénateur catalan invita le tribunal à retarder pour le moins le transfert à Madrid jusqu’après les fêtes de Noël. Sous la présidence de M. Pérez Lemaur, qu’assistaient MM. Barnuevo et Bermúdez de la Fuente, l’Audiencia Nacional repoussa le 18 décembre 1981 la première demande et confirma que l’audience se déroulerait dans la capitale le 12 janvier 1982. La veille, lesdits avocats se réunirent avec le président de la 1ère section de la chambre criminelle, M. de la Concha, afin de préparer les débats et d’examiner la possibilité d’un ajournement, les requérants se trouvant encore en prison à Barcelone. Le président leur assura que le transfert allait se produire incessamment et que les débats pourraient donc avoir lieu. Les requérants affirment avoir quitté Barcelone dans la soirée du 11 janvier; ils seraient arrivés à Madrid le lendemain matin à 4 h, alors que l’audience devait commencer à 10 h 30, et cela dans un état lamentable après plus de 600 km en voiture cellulaire. Le Gouvernement estime que le voyage avait duré dix heures au maximum. Le matin même du 12 janvier 1982, le président du tribunal dut s’absenter précipitamment de Madrid, en raison de la maladie d’un beau-frère. M. Pérez Lemaur le remplaça en sa qualité de magistrat le plus ancien de la chambre. Conformément à la législation en vigueur, selon le Gouvernement, les parties ne furent averties ni de ce remplacement, ni de celui de M. Infante, qui avait cessé d’appartenir à la 1ère section, par M. Bermúdez de la Fuente. L’audience se tint le jour dit, dans une salle dotée d’importants moyens de sécurité; en particulier, les accusés comparurent enfermés dans une cage de verre et durent garder leurs menottes la plupart du temps; le procès-verbal ne mentionne aucune protestation venant d’eux, sauf en ce qui concerne l’absence de certaines pièces à conviction. Le tribunal accepta de joindre au dossier des documents présentés par leur défense. Interrogés par l’accusation privée sur des points abordés dans leurs déclarations à la police, les accusés nièrent une fois de plus toute participation à l’assassinat et se plaignirent à nouveau d’avoir subi des tortures pendant leur garde à vue. Le parquet ne proposa l’audition que des trois témoins à charge présents lors des faits, la soeur et le beau-frère de M. Bultó ainsi que leur employée de maison. Fort âgées, la première et la troisième ne purent se rendre à Madrid, mais le ministère public demanda la prise en compte de leurs déclarations à la police au lendemain de l’attentat. Quant au deuxième, entendu à la barre, il ne reconnut aucun des requérants. Le parquet ne produisit d’autres éléments de preuve documentaire que la copie du dossier d’instruction. De son côté, la défense obtint l’audition de dix témoins; certains d’entre eux, arrêtés en même temps que les accusés, alléguèrent eux aussi avoir été victimes de sévices pendant leur garde à vue. Quant à la preuve documentaire, toutes les parties la tinrent pour produite (por reproducida, paragraphe 40 ci-dessous). Le parquet et l’accusateur privé adoptèrent ensuite définitivement leurs conclusions provisoires; au contraire, les avocats des accusés modifièrent les leurs en réclamant l’application de la loi d’amnistie (paragraphe 12 ci-dessus). Suspendue jusqu’à 16 h 30, l’audience reprit avec les plaidoiries des trois parties. Le président demanda enfin aux accusés s’ils avaient quelque chose à ajouter; ils répondirent par la négative. Les débats s’achevèrent dans la soirée. Le 15 janvier 1982, la 1ère section de la chambre criminelle de l’Audiencia Nacional infligea trente ans de réclusion criminelle à MM. Barberà et Messegué comme auteurs de l’assassinat de M. Bultó; elle condamna en outre le premier à six ans et un jour d’emprisonnement pour détention illicite d’armes ainsi qu’à trois mois d’emprisonnement et à une amende de 30.000 pesetas pour usage de faux, le second à six ans et un jour d’emprisonnement pour détention d’explosifs. Quant à M. Jabardo, elle prononça contre lui une peine de douze ans et un jour de réclusion criminelle pour complicité d’assassinat. Le tribunal estima établi que les deux premiers avaient directement participé à la mise en place de l’engin sur le corps de la victime et enclenché le mécanisme électrique, après quoi ils avaient donné à M. Bultó des instructions pour le paiement d’une rançon, condition préalable pour qu’il pût retirer sans danger l’appareil. Celui-ci avait explosé ultérieurement sans que l’on en connût les véritables raisons. Le troisième avait collaboré à l’action en obtenant des renseignements sur des personnalités de la vie publique catalane, y compris M. Bultó. Le même arrêt refusa aux requérants le bénéfice de la loi d’amnistie du 15 octobre 1977: à supposer qu’ils eussent obéi à un mobile politique, il consistait en une revendication d’indépendance des pays catalans - et non de simple autonomie - qui n’entrait pas dans le champ d’application de cette loi. La procédure devant le Tribunal suprême Les requérants se pourvurent en cassation; ils invoquaient les articles 14 (droit de tous les Espagnols à l’égalité devant la loi), 17 (droit à la liberté et sûreté) et 24 (droit à une protection judiciaire effective) de la Constitution. Relatant les circonstances de leur arrestation et de leur garde à vue, ils soulignaient qu’au moment de leurs interrogatoires par la police ils ne bénéficiaient pas de l’assistance d’avocats et n’avaient pas été informés de leurs droits; ils n’auraient passé des aveux qu’en raison du recours à la contrainte, aux menaces et à des mauvais traitements (paragraphes 19-20 ci-dessus). Ils prétendaient en outre que la présomption de leur innocence dans l’assassinat de M. Bultó ne se trouvait écartée par aucune preuve, car les violences physiques subies par eux entachaient de nullité leurs aveux. D’ailleurs, les faits retenus par l’Audiencia Nacional n’avaient aucun rapport avec les preuves administrées devant elle et son arrêt n’expliquait pas comment elle avait formé sa conviction. Les requérants reprochaient aussi au tribunal de n’avoir pas statué sur tous les moyens invoqués par la défense (article 851 par. 3 du code de procédure pénale, paragraphe 43 ci-dessous): il n’avait pas répondu à leurs allégations relatives à la nullité de leurs déclarations à la police, ni précisé la force probante qu’il attribuait à celles-ci eu égard aux éléments produits pendant les débats. D’après M. Messegué, d’autre part, son implication dans l’affaire provenait d’aveux arrachés par la force à M. Martínez Vendrell, puis rétractés devant le juge. Or le tribunal ne se prononçait pas non plus sur leur validité. De surcroît, l’Audiencia Nacional aurait commis une erreur de fait en appréciant les preuves (article 849 par. 2 du code de procédure pénale, paragraphe 42 ci-dessous), car rien de concluant ne réfutait leurs protestations d’innocence devant le juge. Se référant à l’article 24 par. 2 de la Constitution (paragraphe 36 ci-dessous), qui consacre le principe de la présomption d’innocence, et à la jurisprudence du Tribunal suprême en la matière, les intéressés affirmaient que non seulement les preuves avaient été mal évaluées, mais encore qu’elles étaient inexistantes. Toujours selon eux, l’Audiencia Nacional n’avait pas indiqué les raisons qui l’avaient amenée à estimer les faits établis, comme l’exigeait la doctrine du Tribunal suprême, bien que le principal argument de la défense consistât dans l’absence de preuves. Il y avait à cela une seule explication: le tribunal s’était laissé influencer par les prétendus aveux des inculpés à la police, obtenus en violation manifeste des droits fondamentaux que garantissent les articles 3 et 17 de la Constitution. M. Jabardo critiquait en outre l’Audiencia Nacional pour ne pas avoir cherché à compléter l’instruction à la faveur de l’audience. Il soulignait que le seul témoin à charge entendu n’avait pas reconnu les accusés et qu’il manquait au dossier des preuves importantes, telles l’identification et la confrontation entre témoins et inculpés ou la reconstitution des faits. Il signalait enfin une discordance entre l’arrêt du 17 juin 1980 contre M. Martínez Vendrell (paragraphe 17 ci-dessus) et celui rendu en l’espèce le 15 janvier 1982 (paragraphe 29 ci-dessus); selon lui, elle démontrait qu’il n’avait pu participer directement à l’action contre M. Bultó. Le 27 décembre 1982, le Tribunal suprême rejeta les pourvois de MM. Barberà et Messegué. Quant à la validité des aveux recueillis par la police, y compris ceux de M. Martínez Vendrell, il releva que les vices allégués portaient uniquement sur la constatation des faits et, partant, n’entraînaient pas l’irrégularité formelle dénoncée, laquelle ne concernait que des points de droit. Quant à la présomption d’innocence, le Tribunal suprême s’exprima ainsi (traduction de l’espagnol, fournie par le Gouvernement): "Parmi les moyens de preuve proposés par le ministère public, l’accusation privée et les défenses, se trouve comme preuve écrite le dossier complet de l’instruction, contenant: a) la déclaration de M. Jaime Martínez Vendrell faite devant le juge et avec l’assistance de son avocat (cote 572 du dossier d’instruction) où il laisse subsister, par rapport à sa première déclaration devant les agents de police, les faits suivants: que les accusés Barberà Chamarro et Messegué Mas étaient membres d’un groupe armé qui devait servir de base à une armée révolutionnaire pour libérer les pays catalans, qu’ils étaient très liés au déclarant, notamment M. Messegué, qu’ils avaient reçu une instruction approfondie pour la guerilla en milieu urbain, qu’ils vivaient en tant que ‘libérés’ - payés par l’organisation pour ne se consacrer qu’à ses activités -, dans des logements de l’organisation, qu’ils entraient en communication entre eux à l’aide de postes émetteurs, qu’ils utilisaient de fausses pièces d’identité et de faux noms, que M. Messegué avait la direction de l’un des groupes d’action directe qui constituait avec d’autres une unité organique ou brigade, que tous deux occupaient une place prééminente dans l’organisation et qu’ils étaient qualifiés, en raison de leur préparation, de telle façon qu’ils ‘auraient pu’ - M. Barberà pour la partie électronique et M. Messegué pour la partie mécanique - construire l’engin explosif qui fut utilisé pour les ‘actions économiques projetées, et concrètement pour celle qui eut pour victime M. Bultó Marqués, le déposant [M. Martínez Vendrell] ignorant quel était le dispositif formé par les groupes qui intervinrent dans cette opération’; b) la conclusion de fait de l’arrêt rendu en l’espèce par l’Audiencia Nacional le 17 juin 1980 (cote 138 de son dossier), littéralement maintenue dans l’arrêt de cassation du 10 avril 1981, condamnant M. Jaime Martínez Vendrell: ‘A une date non précisée du début de cette année - il fait référence à l’année 1977 -, trois des jeunes gens qu’il voyait le plus fréquemment et dont l’accusé - M. Martínez Vendrell - savait qu’ils étaient chefs de groupes armés, lui dirent qu’ils estimaient que le moment était venu de passer à l’action et qu’ils pensaient mener des actions pour obtenir des ressources économiques pour subvenir aux besoins des membres des groupes, lui faisant part de ce qu’ils disposaient d’engins explosifs réglables que l’on pouvait poser en les collant à la peau de la personne choisie, de telle façon que cette dernière se verrait obligée de donner l’argent qui lui serait demandé pour éviter le risque d’explosion qu’impliquait le fait de décoller l’engin sans disposer des instructions et des dispositifs que possédaient ceux qui l’avaient posé, et à la fin du mois d’avril, deux desdits chefs de groupe lui dirent qu’ils avaient pensé à un homme d’affaires, M. José María Bultó Marqués, pour employer pour la première fois ledit engin explosif’; c) la déclaration de M. Francisco Javier Barberà Chamarro, devant le juge et avec l’assistance de son avocat (cote 903): il reconnaît appartenir à l’Armée de libération des pays catalans, son travail aux côtés de M. Martínez Vendrell, avoir des armes en son pouvoir, et connaître l’existence de dépôts d’armes; d) la déclaration de M. Antonino Messegué Mas, devant le juge et avec l’assistance de son avocat (cote 906): il faisait partie de l’organisation armée, il reçut l’instruction dans les pratiques pour la guerilla en milieu urbain donnée par M. Martínez Vendrell, et il connaissait l’existence d’un dépôt d’explosifs; e) l’acte de procédure concernant la perquisition au logement de la rue Pinos no 1 d’Hospitalet de Llobregat (cote 890), et déclaration dans le dossier d’instruction de Mme Dolores Tubau Molas (cote 904), d’où il ressort que l’accusé Barberà Chamarro habitait audit logement avec d’autres militants, et qu’y furent, entre autres, trouvés un poste émetteur, du matériel électronique, des tours, des outils et des classeurs contenant des coupures de journaux et des informations concernant des personnalités, des livres de topographie, de chimie d’explosifs et d’électronique; f) l’acte de procédure concernant la perquisition au logement de la rue Parlamento no 27 de Barcelone (cote 892), où habitaient M. Antonino Messegué Mas et Mme Concepción Durán Freixa (déclaration à la cote 908) et où furent saisis un poste récepteur-émetteur, des médicaments, des perruques, du bristol du type utilisé pour la carte nationale d’identité et pour le permis de conduire; g) l’acte de procédure concernant la découverte du dépôt d’armes et de deux radio-émetteurs, aux trois endroits signalés par l’accusé Barberà (cote 882); h) l’acte de procédure concernant la découverte du dépôt d’explosifs, selon les indications de M. Messegué, et de leur destruction sur les lieux mêmes (cotes 833 et 899). Et la seule existence de ces éléments de preuve, indépendamment de leur résultat et de la façon dont ils sont appréciés, est suffisante à écarter la présomption d’innocence qu’invoquent les accusés Barberà Chamorro et Messegué Mas, et nous rejetons les motifs de cassation formulés aux points cinq et quatre de leurs pourvois respectifs; par conséquent, le fait prouvé au paragraphe 1er de l’Attendu où leur est attribuée une intervention directe et immédiate dans l’action homicide doit être intégralement maintenu, la qualification criminelle d’assassinat au sens de l’article 406 par. 3 du code pénal avec la circonstance aggravante du no 6 de l’article 10, dont l’application incorrecte était invoquée aux moyens sixième de Barberà et cinquième de Messegué, était donc correcte, et leur recours introduit en vertu de l’article 849 par. 1 de la loi de procédure doit donc être rejeté." En revanche, le Tribunal suprême cassa l’arrêt de l’Audiencia Nacional en ce qui concerne M. Jabardo, estimant que les faits établis ne constituaient pas le crime de complicité d’assassinat, mais le délit de collaboration avec des bandes armées. Il rendit donc, le jour même, un autre arrêt acquittant l’intéressé du premier chef, mais lui infligeant six ans d’emprisonnement pour le second. Enfin, il confirma l’inapplicabilité de la loi d’amnistie aux requérants et ordonna l’ouverture d’une enquête sur les mauvais traitements dénoncés par eux. Commencée en 1984 par le juge d’instruction no 13 de Barcelone, celle-ci déboucha en 1985 sur une ordonnance de non-lieu prononcée par l’Audiencia Provincial. La procédure devant le Tribunal constitutionnel Les trois condamnés saisirent le Tribunal constitutionnel pour violation des articles 17 par. 3 (droit de toute personne arrêtée à être informée des raisons de son arrestation et à l’assistance d’un avocat), 24 par. 2 (droit à un procès équitable et à la présomption d’innocence) et 14 (droit de tous les Espagnols à l’égalité devant la loi) de la Constitution (paragraphes 30 ci-dessus et 36 ci-dessous). Au sujet des éléments retenus par le Tribunal suprême, ils avançaient ce qui suit. On ne pouvait considérer la déclaration de M. Martínez Vendrell que comme une preuve par témoin. Or elle n’avait pas été proposée comme telle, ni confirmée à l’audience. Si l’on admettait qu’elle y avait été produite moyennant la formule "por reproducida", il fallait adopter une solution pourtant inacceptable: accueillir également comme preuves l’ensemble des diligences et aveux compris dans le rapport de police, car ils figuraient eux aussi dans le dossier de l’instruction. En tout cas, ladite déclaration ne fournissait aucune indication montrant que les accusés avaient trempé dans l’assassinat. L’arrêt de l’Audiencia Nacional du 17 juin 1980 affirmait uniquement, dans son deuxième attendu, que M. Martínez Vendrell ignorait comment les faits s’étaient déroulés. Il fallait écarter la déclaration de M. Barberà devant le juge d’instruction, car il l’avait faite sans l’assistance de son conseil; en outre, il se bornait à nier sa participation à l’attentat. De même, M. Messegué avait proclamé son innocence devant le juge d’instruction. Les objets trouvés chez MM. Barberà et Messegué et les déclarations de leurs compagnes n’avaient aucune relation avec l’assassinat. De plus, les premiers n’avaient jamais constitué des pièces à conviction car il ne ressortait pas du dossier qu’ils eussent été remis au juge, ni appréciés par le Tribunal: l’un des avocats de la défense avait du reste protesté là - contre pendant les débats; quant aux documents, ils n’avaient jamais figuré en annexe au rapport de police ni ailleurs dans le dossier d’instruction, de sorte que le Tribunal ne pouvait les prendre en compte. La découverte d’armes et d’explosifs aux endroits signalés par MM. Barberà et Messegué concernait les délits de détention illicite d’armes et d’explosifs, mais non l’assassinat. En définitive, aucun des éléments énumérés par le Tribunal suprême ne pouvait écarter la présomption d’innocence pour le principal chef d’accusation, l’attentat contre M. Bultó. Pour le surplus, les requérants répétaient en substance les arguments qu’ils avaient invoqués devant le Tribunal suprême. Le 20 avril 1983, le Tribunal constitutionnel déclara le recours (recurso de amparo) irrecevable pour défaut manifeste de fondement. Au sujet de la présomption d’innocence, il motiva ainsi sa décision (auto): "Comme l’appréciation des preuves ressortit exclusivement à la compétence des juges et des tribunaux, le Tribunal constitutionnel ne peut constater une violation que si un minimum de preuves à charge n’ont pas été administrées. Or ce minimum de preuves à charge ont bien été produites en l’espèce, à savoir dans les déclarations, avec assistance d’un avocat, devant le juge d’instruction, dans les actes de procédure portant sur les perquisitions effectuées, dans ceux qui portent sur les pièces à conviction trouvées et dans les faits figurant comme prouvés dans un autre arrêt. Le Tribunal constitutionnel ne peut donc contrôler l’appréciation des preuves par les tribunaux pénaux." En mars 1984, les requérants furent transférés de la prison de Carabanchel, à Madrid, à celle de Lérida/Lleida 2. En septembre, l’Audiencia Nacional accorda la libération conditionnelle à M. Jabardo. Depuis janvier 1987, MM. Barberà et Messegué jouissent d’un régime ouvert. C. Évolution ultérieure des poursuites relatives à l’attentat contre M. Bultó La police ayant à nouveau arrêté deux des personnes poursuivies à l’origine (paragraphe 12 ci-dessus), M. S. et Mme T., l’instruction reprit le 8 février 1985. Condamné à trente ans de réclusion criminelle comme auteur de l’assassinat de M. Bultó avec les requérants Barberà et Messegué, M. S. forma un pourvoi en cassation que le Tribunal suprême rejeta le 28 novembre 1986, estimant les preuves produites suffisantes pour écarter la présomption d’innocence. Il saisit ensuite le Tribunal constitutionnel qui, le 1er avril 1987, déclara son recours irrecevable. Quant à Mme T., elle se vit infliger quatre ans d’emprisonnement pour collaboration avec des bandes armées. II. LA LÉGISLATION ESPAGNOLE APPLICABLE A. Constitution espagnole Aux termes de l’article 24 de la Constitution espagnole, "1. Toute personne a droit à obtenir la protection effective des juges et tribunaux dans l’exercice de ses droits et intérêts légitimes, sans que la défense puisse être limitée en aucun cas. En outre, chacun a droit au juge ordinaire prédéterminé par la loi, à la défense et à l’assistance d’un avocat, à être informé de l’accusation portée contre lui, à un procès public sans retards indus et avec toutes les garanties, à utiliser les moyens de preuve pertinents pour sa défense, à ne pas déclarer contre soi-même, à ne pas faire des aveux et à la présomption d’innocence. (...)" Eu égard à la jurisprudence du Tribunal constitutionnel en la matière, le Tribunal suprême a élargi le domaine de la cassation: il a estimé que la présomption d’innocence peut être invoquée devant lui pour une violation de la loi - résultant d’une erreur du juge du fond dans l’appréciation des preuves (paragraphe 42 ci-dessous) - ou pour une autre raison. D’après un arrêt du 3 novembre 1982, l’examen des pièces du dossier par le Tribunal suprême ne porte que sur l’existence ou l’absence d’éléments de preuve produits et administrés, et non sur leur appréciation souveraine par le juge pénal. L’article 53 par. 2 de la Constitution prévoit un recours (recurso de amparo) pour obtenir la protection des droits énoncés aux articles 14 à 30. B. Code de procédure pénale Le dossier d’instruction Aux termes du préambule du code de procédure pénale, le dossier d’instruction est "la pierre angulaire de l’audience et du jugement". Il ne remplace pas les débats, mais y prépare. Depuis la réforme du 4 décembre 1978 (loi no 53/1978), le caractère contradictoire de la procédure pénale s’étend à la phase de l’instruction; il permet à l’inculpé, assisté de son avocat, d’intervenir dans les actes le concernant (articles 118 et 302). L’exercice de ce droit exige la nomination d’un avoué et d’un avocat. Le juge d’instruction doit former son dossier sous le contrôle direct du parquet compétent (article 306). Il recueille, s’il les estime pertinentes, les preuves offertes par le ministère public et les autres parties. Il peut aussi ordonner d’office la production de preuves, mais en pareil cas il ne verse au dossier que celles qui se révèlent utiles (article 315). L’instruction terminée, le juge transmet les pièces au tribunal compétent (article 622 par. 1) qui prend une décision définitive de clôture après avoir consulté le ministère public et l’accusation privée (article 627). L’audience Préalablement à l’audience, le ministère public et l’accusation privée produisent leurs conclusions provisoires, par écrit et en des paragraphes numérotés, sur les faits punissables ressortant du dossier, sur leur qualification pénale, sur les circonstances qui peuvent modifier la responsabilité de l’accusé et sur la peine encourue par lui. La défense, à son tour, présente sa qualification juridique des faits se dégageant du dossier, qui est mis à sa disposition, et elle doit répondre en précisant, dans des paragraphes également numérotés selon l’ordre des conclusions de l’accusation, si elle accepte ou refuse chacune d’elles; dans ce dernier cas, elle formule ses propres conclusions (articles 650, 651 et 652). L’accusation et la défense doivent, avec leurs conclusions provisoires, indiquer les preuves qu’elles comptent utiliser (articles 656 et 657). Celles-ci sont examinées par le rapporteur et admises ou rejetées par le tribunal (articles 658 et 659). Les débats se déroulent en public, à peine de nullité (article 680). Ils ne peuvent s’ouvrir, ni continuer, hors la présence de l’accusé. A cette fin, la loi autorise à transférer l’intéressé, le cas échéant, dans la ville où ils doivent se tenir. Les preuves sont administrées dans l’ordre où les parties les ont proposées. Peuvent aussi l’être celles que le tribunal estime nécessaires à la manifestation de la vérité (article 729 par. 2). En outre, "à la demande d’une des parties, on peut donner lecture des pièces du dossier constituant des moyens de preuve et que des raisons indépendantes de la volonté des parties empêchent de produire à l’audience" (article 730). Lorsque l’on présente comme preuve tout ou partie du dossier d’instruction, une pratique constante veut qu’on le tienne pour reproduit (por reproducida) sans lecture à haute voix si tous les intéressés y consentent. Immédiatement après l’administration des preuves, les parties peuvent modifier leurs conclusions provisoires par écrit ou les rendre définitives. Le président donne la parole aux représentants du ministère public et de l’accusation privée (article 732). Dans leurs réquisitions et plaidoiries, ils doivent exposer les faits qu’ils estiment prouvés à l’audience, leur qualification pénale, la participation de l’accusé auxdits faits et la responsabilité civile découlant de ceux-ci (article 734). Le président donne aussitôt après la parole à la défense, dont la plaidoirie doit se conformer aux conclusions définitives (articles 736 et 737). Il offre enfin à l’accusé l’occasion d’ajouter quelque chose à l’intention du tribunal s’il le désire (article 739). Cela fait, il déclare les débats clos. Le jugement ou arrêt Les magistrats délibèrent aussitôt après l’audience, ou au plus tard le lendemain (article 149); un juge rapporteur (magistrado ponente) est chargé, notamment, d’informer le tribunal, d’examiner les preuves et d’élaborer un projet de jugement ou d’arrêt (articles 146-147 du code de procédure pénale). La décision définitive est rédigée et signée dans les trois jours (article 203). En l’élaborant, le tribunal doit apprécier en conscience les preuves fournies pendant les débats, les arguments respectifs de l’accusation et de la défense ainsi que les déclarations des accusés (article 741). Le pourvoi en cassation Contre les arrêts de l’Audiencia Nacional s’ouvre la voie non de l’appel, mais seulement du recours extraordinaire en cassation pour violation de la loi ou des formes. D’après l’article 849, il y a violation de la loi lorsqu’a été enfreinte, au vu des faits déclarés prouvés par l’arrêt attaqué, une disposition pénale de fond, ou toute autre norme juridique de même caractère à observer dans l’application de la loi pénale; lorsqu’a eu lieu, dans l’appréciation des preuves, une erreur de fait ressortant à l’évidence de pièces authentiques non contredites par d’autres preuves. Selon la jurisprudence du Tribunal suprême, la seconde possibilité permet d’invoquer le principe de la présomption d’innocence (paragraphe 37 ci-dessus). Parmi les cas de violation des formes figurent les suivants: - l’arrêt attaqué ne précise pas clairement les faits tenus pour établis, ou laisse apparaître entre eux une contradiction manifeste, ou mentionne comme faits prouvés des "concepts" qui, par leur caractère juridique, préjugent la décision à prononcer (article 851 par. 1); - il ne tranche pas tous les points sur lesquels ont porté l’accusation et la défense (article 851 par. 3); - a contribué à le rendre un magistrat dont la récusation a été refusée, bien que demandée à temps, de manière régulière et pour une raison fondée en droit (article 851 par. 6). Composition du tribunal et récusation L’Audiencia Nacional et le Tribunal suprême comprennent plusieurs chambres à compétence déterminée (civile, pénale, administrative), elles-mêmes divisées, si le nombre des magistrats le permet, en sections de trois juges. Les membres de chaque chambre sont toujours disponibles pour se remplacer les uns les autres; son président peut être suppléé par celui d’une section ou par le magistrat le plus ancien. Aux termes de l’article 648 de la loi organique de 1870 sur le pouvoir judiciaire, lorsque les juges désignés pour compléter l’effectif nécessaire ne viennent pas de la chambre pénale, leur désignation est communiquée aux parties vingt-quatre heures au moins avant le début de l’audience publique. Le même texte exclut en principe toute récusation après l’ouverture de celle-ci. Cependant, l’article 56 du code de procédure pénale permet de la proposer en tout état de cause, mais jamais après le commencement de la phase orale sauf si le motif invoqué a surgi ultérieurement. Parmi les causes légales de récusation figurent la parenté ou l’alliance avec une des parties, la qualité passée ou présente de personne dénoncée ou accusée par l’une d’elles, ou de dénonciateur ou accusateur privé de l’auteur de la demande, le fait d’avoir un litige avec celui-ci, la qualité passée ou présente de tuteur, curateur ou pupille d’une partie, le fait d’être intervenu dans le procès à titre d’avocat, conseil, magistrat du parquet, expert, témoin ou juge d’instruction, ou d’y avoir un intérêt direct ou indirect, l’amitié intime et l’inimitié manifeste (article 54). C. Législation en matière de terrorisme La compétence en matière de terrorisme a été attribuée à l’Audiencia Nacional le 4 janvier 1977 (décret-loi royal no 3/77). Créée à la même date par décret-loi (no 1/77), cette juridiction siège à Madrid et s’occupe aussi, au pénal, du crime organisé, des délits économiques et de ceux dont les effets dépassent le territoire d’une province. L’instruction relative à ces infractions relève de magistrats spécialisés (jueces centrales de instrucción). A l’époque de l’arrestation des requérants et de M. Martínez Vendrell, la loi no 56 du 4 décembre 1978 permettait une série de mesures exorbitantes du droit commun pour les actes de terrorisme commis par des groupes armés. En vigueur à l’origine pour un an, elle a été prorogée par le décret-loi royal no 19 du 23 novembre 1979. En son article 2, elle introduit la possibilité de prolonger la garde à vue jusqu’à dix jours (au lieu de soixante-douze heures). De plus, l’autorité judiciaire qui a ordonné la détention peut aussi prescrire la mise au secret de l’intéressé pendant le temps nécessaire à l’instruction, sans préjudice des droits de la défense (même article). A quoi s’ajoutent des dispositions particulières concernant les perquisitions et le contrôle de la correspondance, y compris les communications télégraphiques et téléphoniques (article 3). PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION Dans leurs requêtes du 22 juillet 1983 à la Commission (no 10588/83 - 10590/83), MM. Barberà, Messegué et Jabardo se plaignaient de n’avoir pas bénéficié d’un procès équitable devant un tribunal indépendant et impartial; ils affirmaient notamment avoir été condamnés sans autre preuve que leurs aveux arrachés par la torture; ils invoquaient l’article 6 paras. 1 et 2 (art. 6-1, art. 6-2) de la Convention. Ils alléguaient en outre avoir subi, pendant leur garde à vue, des traitements incompatibles avec l’article 3 (art. 3); ils dénonçaient aussi, à cet égard, des violations des articles 5 par. 1, 8 par. 1 et 9 par. 1 (art. 5-1, art. 8-1, art. 9-1). Ils se prétendaient enfin victimes d’une discrimination contraire à l’article 14, combiné avec l’article 9 par. 1 (art. 14+9-1): dans l’application de la loi d’amnistie du 15 octobre 1977 (paragraphe 12 ci-dessus), les juridictions compétentes se montreraient plus favorables aux nationalistes basques qu’à leurs homologues catalans. Après avoir ordonné la jonction des requêtes le 14 mars 1984, la Commission les a retenues le 11 octobre 1985 quant aux griefs tirés de l’article 6 paras. 1 et 2 (art. 6-1, art. 6-2), mais les a déclarées irrecevables pour le surplus. Dans son rapport du 16 octobre 1986 (article 31) (art. 31), elle conclut à l’existence d’une infraction à l’article 6 par. 1 (art. 6-1) (unanimité) et exprime l’opinion qu’il n’y a pas lieu d’examiner séparément les griefs des requérants Barberà et Messegué concernant l’article 6 par. 2 (art. 6-2) (douze voix contre zéro, avec une abstention). Le texte intégral de son avis figure en annexe au présent arrêt. CONCLUSIONS PRESENTEES A LA COUR Dans leur mémoire du 6 mai 1987, les requérants demandent à la Cour "de déclarer qu’il y a eu violation par l’Espagne de l’article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention puisque [leur] droit (...) à bénéficier d’un procès équitable a été, en l’espèce, méconnu". Pour le cas où elle ne se prononcerait pas en ce sens, ils l’invitent en outre à "statuer sur la violation de l’article 6 par. 2 (art. 6-2), sur la base de [leur] condamnation (...) sans aucune preuve." De son côté, le Gouvernement, dans son mémoire du 4 juin 1987, prie la Cour "d’examiner la procédure en vertu de laquelle les requérants furent condamnés, dans son ensemble ou, isolément, chacun des actes qui y figurent"; de se prononcer "sur les exceptions de non-épuisement des recours internes opposées" et de déclarer "que les dispositions de l’article 6 paras. 1 et 2 (art. 6-1, art. 6-2) de la Convention européenne des Droits de l’Homme n’ont pas été violées en l’occurrence et que, par conséquent, les faits qui se trouvent à l’origine du litige ne révèlent de la part de l’Espagne aucune espèce de violation des obligations qui lui incombent aux termes de la Convention".
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE A. James et Sarah Boyle James et Sarah Boyle, citoyens britanniques, sont nés respectivement en 1944 et 1950. En 1967, le premier fut condamné en Écosse à la prison à vie pour meurtre. Il se vit infliger plusieurs autres peines privatives de liberté en 1968 et 1973 pour évasion, tentative de meurtre contre un gardien et voies de fait sur des membres du personnel pénitentiaire. La seconde, son épouse, exerce la profession de médecin. En mars 1973, M. Boyle fut transféré de la prison de Peterhead à un quartier spécial de la prison de Barlinnie. Créé à titre expérimental pour traiter certains détenus purgeant de longues peines ou enclins à la violence (paragraphe 32 ci-dessous), ce dernier abritait au maximum huit détenus et se caractérisait par un régime plus libéral. M. Boyle contribua beaucoup à en faciliter la réussite. Il se découvrit notamment des dons particuliers pour le travail en groupe, la sculpture, l’écriture et d’autres domaines d’activité artistique. Pendant son séjour dans le quartier spécial, M. Boyle avait entre autre le droit de recevoir et adresser du courrier non censuré, d’accueillir tous les jours des visiteurs et de se servir d’un téléphone. Il pouvait ainsi rencontrer sa femme, lui parler au téléphone et correspondre avec elle sans les restrictions habituelles. Il pouvait aussi sortir de prison sans escorte. En septembre 1980, la commission compétente (Parole Board) lui annonça qu’il serait libéré sous conditions en novembre 1982 et envoyé à la prison de Saughton, à Édimbourg, pour y suivre un programme préparatoire à son élargissement. Elle précisa qu’il y accomplirait sa peine selon les mêmes modalités que les autres détenus. On estimait que ladite prison, malgré son régime de type classique, se révélerait plus avantageuse pour lui, jusqu’à la levée d’écrou, que d’autres établissements telle la prison ouverte de Penninghame (paragraphe 31 ci-dessous). Parmi les éléments motivant ce choix figuraient l’opportunité que l’intéressé occupât une cellule individuelle au lieu de se trouver dans un dortoir, la possibilité d’un travail de jour approprié, l’existence d’installations lui permettant de continuer ses études et ses activités artistiques ainsi que l’accès à des moyens d’éducation et de formation professionnelle adaptés à son cas. En décembre 1979, M. Boyle lui-même avait d’ailleurs déclaré par écrit que s’il ne pouvait rester à Barlinnie pour ce programme préparatoire, il préférerait Saughton à Penninghame. En novembre 1981, il fut placé dans un foyer de préparation à la libération, à l’intérieur de la prison (paragraphe 33 ci-dessous). Il a recouvré sa liberté le 1er novembre 1982. D’octobre 1980 à son élargissement, on le classa dans la catégorie des détenus les moins dangereux (catégorie D). Dans la mesure où ils entrent en ligne de compte pour la présente procédure, les griefs formulés par les requérants devant la Commission portaient tous sur la période de septembre 1980 à novembre 1981, pendant laquelle M. Boyle subissait le régime pénitentiaire ordinaire à la prison de Saughton. Les faits dont ils tirent leur origine sont exposés brièvement ci-après. Durant la période considérée, la réglementation normale en matière d’envoi et de frais de correspondance s’appliquait à M. Boyle (paragraphes 22-23 ci-dessous). Seul l’affranchissement d’une lettre hebdomadaire de trois pages incombait aux autorités pénitentiaires. Le requérant pouvait payer celui d’autres missives en prélevant sur son pécule, de 1 £ 60 par semaine, mais non sur ses ressources financières générales. Dans une lettre du 31 juillet 1981 au ministre pour l’Écosse, ses solicitors alléguaient que comme il jugeait devoir dépenser 80 pence par semaine sur son salaire pour compléter son alimentation (principalement) végétarienne par l’achat de gâteaux de farine d’avoine, la prison fournissant uniquement du pain blanc, il ne pouvait expédier qu’un nombre restreint de lettres. La prison de Saughton offrait un régime végétarien intégral dont M. Boyle n’avait contesté la qualité ni auprès du directeur ni auprès du ministre. Conformément à la pratique ordinaire de la prison, toute la correspondance de M. Boyle se trouvait soumise au contrôle des autorités pénitentiaires (paragraphe 24 ci-dessous). Les requérants ont aussi affirmé devant la Commission qu’il arrivait au gardien chargé de la censure de lire à haute voix en présence d’autres détenus des lettres de Mme Boyle, en riant ou en commentant leur contenu. Toutefois, M. Boyle n’a saisi le directeur ou le ministre d’aucune doléance relative à la manière dont on lisait son courrier, en particulier à haute voix, encore que dans leur lettre du 31 juillet 1981 ses solicitors en aient critiqué le filtrage. En juillet 1981, le directeur de la prison intercepta une lettre de l’intéressé à un ami, M. Peter McDougall, au motif qu’il s’agissait d’une "personnalité des media". M. Boyle s’en plaignit au ministre, mais sa demande fut rejetée en raison de l’existence d’une interdiction générale, pour les détenus, de communiquer des éléments destinés à une publication ou à une diffusion à la radio ou à la télévision (paragraphe 25 ci-dessous). Le Gouvernement a reconnu depuis lors que cette règle avait été appliquée par erreur: bien qu’adressée à une personne ayant des rapports avec les media, la lettre en question revêtait un caractère personnel et il aurait donc fallu laisser le requérant l’envoyer. M. Boyle pouvait recevoir des visites selon les dispositions habituelles à la prison de Saughton (paragraphe 26 ci-dessous). Partant, comme ses solicitors le soulignaient dans leur lettre du 31 juillet 1981, il n’avait droit qu’à une heure de visite par mois, sous étroite surveillance et dans un parloir bondé. Il la consacrait à sa femme, de sorte qu’il ne pouvait rencontrer les autres membres de sa famille. Il pouvait bénéficier d’une permission de sortie sous escorte spéciale et se rendit par deux fois chez lui, mais sous le contrôle constant d’un gardien comme de rigueur en pareil cas (paragraphe 28 ci-dessous). A partir de novembre 1980, on lui accorda l’autorisation exceptionnelle d’accomplir sans escorte un travail d’intérêt public à l’extérieur de la prison, d’abord deux jours par semaine puis cinq. Les solicitors de M. et Mme Boyle soulevèrent aussi auprès du ministre une objection générale: les conditions de détention de M. Boyle étaient nettement plus défavorables à la prison de Saughton qu’au quartier spécial de Barlinnie, de même que par rapport aux autres détenus de la catégorie D du système pénitentiaire. Par sa réponse du 28 août 1981, le ministre repoussa cette doléance comme les autres griefs formulés par les solicitors dans leur lettre du 31 juillet 1981. M. Boyle se plaignit en outre au médiateur parlementaire pour les questions administratives (Parliamentary Commissioner for Administration, "le médiateur", paragraphe 39 ci-dessous), par l’intermédiaire de son député, de divers aspects de son traitement à la prison de Saughton. Dans une lettre du 17 septembre 1981, le médiateur déclara ne pouvoir accepter ses critiques. Il écrivait notamment: "Des détails fournis par M. Boyle, il ressort que sa correspondance, ses permissions sous escorte spéciale et ses visites ont été correctement assujetties aux règles en vigueur, quelque déplaisir que celles-ci puissent lui inspirer. Je crois juste de dire que la plainte de M. Boyle reflète pour une grande part son désaccord avec elles et avec leur application à son cas à ce stade de l’exécution de sa peine. Or elles relèvent bien entendu du Parlement et en l’absence de preuve d’une mauvaise administration, la loi sur le médiateur (Parliamentary Commissioner Act) m’empêche de contester le pouvoir d’appréciation dont le ministère jouit en les appliquant." B. Brian et John Rice Brian et John Rice, citoyens britanniques, sont nés respectivement en 1947 et 1920. Condamné en 1967 à la réclusion à vie pour meurtre, le premier subit sa peine dans les prisons de Peterhead et de Perth jusqu’en août 1979. A partir de là, il séjourna en qualité de détenu de la catégorie D (la moins dangereuse) à la prison de Saughton. Transféré le 11 septembre 1981 au foyer de préparation à la libération, à l’intérieur de l’établissement (paragraphe 33 ci-dessous), il recouvra sa liberté sous condition le 1er juin 1982. Il avait demandé à purger le reste de sa peine à Édimbourg plutôt qu’à la prison ouverte de Penninghame, par exemple (paragraphe 31 ci-dessous), car il souhaitait, avant son élargissement, recevoir un enseignement postscolaire que Penninghame ne dispensait pas. John Rice, père du premier requérant, réside à Dundee, à quelque 80 km d’Édimbourg. A l’époque des faits, il souffrait d’une grave maladie - sa santé laissait à désirer depuis quelques années - et ne pouvait ni marcher ni voyager. À la prison de Saughton, Brian Rice avait droit à des visites dans les conditions habituelles. Le 8 mai 1981, il sollicita auprès du ministre pour l’Écosse l’autorisation de se rendre chez son père. Il indiquait que celui-ci était "malade depuis fort longtemps", mais non que sa vie se trouvait menacée, auquel cas il aurait pu prétendre à une permission pour raisons humanitaires (paragraphe 27 ci-dessous). Sa demande fut donc repoussée le 27 mai 1981. La décision lui conseillait d’essayer d’obtenir qu’un membre du personnel l’accompagnât hors de la prison, dans le cadre du système des permissions sous escorte spéciale (paragraphe 28 ci-dessous). Il semble toutefois avoir éprouvé des difficultés à trouver un gardien qui y consentît. Si Brian Rice ne put aller voir son père pendant la période en cause, il eut en revanche la faculté de fréquenter, sans escorte, un collège pour y suivre un cycle d’enseignement à raison de deux jours par semaine, ainsi qu’un centre où il accomplissait un travail d’intérêt public. En août 1980, on lui avait accordé une visite chez lui et en septembre 1981 il put passer cinq jours à son domicile avant d’entamer le programme préparatoire à sa libération. Dans sa réponse du 23 juillet 1981 à une lettre que le député de M. Rice lui avait adressée le 18 juin, le sous-secrétaire d’État au Scottish Office expliquait le refus d’une permission pour raisons humanitaires: "(...) Chaque demande est examinée quant à son bien-fondé sur la base de rapports de médecins et de travailleurs sociaux. Celle de M. Rice tendant à l’octroi d’une visite spéciale l’a été de la manière ordinaire, mais on a estimé qu’elle ne remplissait pas les conditions nécessaires. M. Rice a été informé qu’il devrait en présenter une nouvelle si l’état de son père empirait. Pour éviter les abus, il faut observer une attitude stricte et absolument cohérente face aux demandes de permissions pour raisons humanitaires émanant de tous les détenus; que l’un d’eux soit libéré à des fins éducatives ou autres n’influe pas sur l’examen du bien-fondé de sa demande et ne supprime pas l’obligation de respecter les critères habituels. (...) M. Rice devrait être transféré en septembre en ‘apprentissage de la liberté’ (TFF). Auparavant, il bénéficiera d’un congé au foyer de cinq jours et une fois en TFF il pourra passer des week-ends à la maison. D’ici là, on aurait selon moi grand tort de faire en sa faveur une exception et de s’écarter des règles en matière de visites pour raisons humanitaires ou de permissions sous escorte spéciale." Le 28 juillet 1981, les solicitors agissant pour le compte de Brian Rice écrivirent au ministre pour se plaindre - de l’interception alléguée, par les autorités pénitentiaires, de plusieurs lettres de l’intéressé auxdites autorités, à son député, à son précédent avocat et à sa famille; - des limites à son droit à recevoir des visites, car elles entraînaient selon eux, quant au maintien des contacts familiaux, une discrimination à son encontre par comparaison aux autres détenus classés dans la catégorie D mais se trouvant en milieu ouvert; - du refus d’une permission pour raisons humanitaires. La réponse envoyée le 2 septembre 1981 au nom du ministre rejetait les différents griefs. Elle relevait en particulier que tout le courrier de M. Rice avait été posté. II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES A. Le cadre juridique général Le système pénitentiaire écossais obéit à la loi de 1952 sur les prisons d’Écosse (Prisons (Scotland) Act 1952, "la loi de 1952"). D’après les articles 1 et 3, la surveillance et la direction générale des prisons écossaises incombent au ministre pour l’Écosse. L’article 35 § 1 de la loi de 1952 habilite le ministre "à réglementer l’organisation et la gestion des prisons (...) ainsi que la classification, le traitement, l’emploi, la discipline et le contrôle des détenus". Ce pouvoir s’exerce par voie de texte législatif (statutory instrument). Un projet ainsi établi sur la base de l’article 35 doit être déposé devant le Parlement (article 40). Le droit interne qualifie pareil texte de législation déléguée (article 1 de la loi de 1946 sur les textes législatifs, Statutory Instruments Act 1946). La common law reconnaît à la législation déléguée la valeur et les effets d’une loi votée au Parlement (Halsbury’s Laws of England, 4e éd., vol. 44, § 981). Les textes législatifs tels que le règlement pénitentiaire sont rendus publics. En vertu de l’article 35 de la loi de 1952, le ministre a édicté le règlement pénitentiaire de 1952 pour l’Écosse (Prison (Scotland) Rules 1952 (Statutory Instrument 1952/565, "le règlement pénitentiaire"), modifié périodiquement. Outre le règlement pénitentiaire, le ministre, au titre de son autorité générale sur les prisons et de divers pouvoirs que ledit règlement pénitentiaire lui attribue lui-même, donne aux directeurs de prison des consignes administratives dénommées "instructions permanentes" (Standing Orders, "instructions"). A l’époque des faits, le texte n’en avait pas été rendu public. Toutefois, on communiquait aux détenus condamnés un résumé des règles et règlements les concernant (Abstract of Rules and Regulations for Convicted Prisoners, "The Abstract", "le résumé"); il fournissait des indications sur le règlement pénitentiaire et les instructions. B. Correspondance L’article 74 du règlement pénitentiaire prévoit notamment: "2. Tout détenu est autorisé à écrire et à recevoir une lettre lors de son admission puis à écrire et à recevoir des lettres, ainsi qu’à accueillir des visiteurs, à des intervalles fixés par le ministre. Les intervalles ainsi prescrits peuvent être prolongés à titre de sanction pour mauvaise conduite, mais pas au point d’empêcher un détenu d’écrire et de recevoir une lettre, ainsi que d’accueillir un visiteur, toutes les huit semaines. (...) Sous réserve de l’article 50 § 4, chaque lettre à un détenu, ou d’un détenu, doit être lue par le directeur ou par un membre du personnel par lui délégué à cet effet; le directeur a toute latitude pour en intercepter une s’il en juge le contenu répréhensible." A l’époque des faits, ces dispositions se trouvaient complétées par les instructions Ic. 1 à 4. Paiement des frais d’affranchissement Ainsi, l’instruction Ic. 2(3) précisait: "Les détenus ont le droit d’écrire des lettres dans les limites suivantes: a) Tous les détenus condamnés (...) sont autorisés (...) à écrire chaque semaine à leurs parents et amis une lettre dont l’affranchissement incombe à l’État (...) (...) d) L’affranchissement de lettres supplémentaires peut se prélever sur le pécule; l’emploi de fonds privés provenant d’autres sources ne doit pas être autorisé à cette fin. Avant de pouvoir écrire des lettres supplémentaires, le détenu doit soumettre à l’approbation du directeur une liste de personnes avec lesquelles il a l’intention de correspondre. Le directeur a toute latitude pour y ajouter ou en retrancher des noms. (...)" Il n’y avait pas de limite au nombre des lettres supplémentaires pouvant être expédiées. Le paragraphe 23 du résumé signalait aux détenus la substance des dispositions pertinentes des instructions. Filtrage de la correspondance L’instruction Ic. 1(1)(a) traitait de l’examen de la correspondance en vertu de l’article 74 § 4 du règlement pénitentiaire (paragraphe 22 ci-dessus): "Un examen détaillé ne s’impose pas pour la grande majorité des lettres, lorsque ni le détenu ni son infraction ne sont connus du grand public et que le correspondant est son épouse ou un proche parent. Il suffira en général d’y jeter un coup d’oeil et de s’assurer qu’elles revêtent le caractère familial et personnel habituel. Cependant, il y aura toujours certains détenus dont la correspondance appelle un examen attentif; il appartiendra au directeur de la prison de les désigner et de donner au fonctionnaire compétent les consignes appropriées." L’instruction Ic. 4(9) spécifiait de son côté, quant au courrier arrivant à la prison: "En aucun cas le contenu d’une lettre à un prisonnier ne doit être mentionné à portée de voix d’un autre prisonnier." Interception des lettres L’instruction Ic. 1(3) concernait l’exercice du pouvoir, accordé par l’article 74 § 4 au directeur de la prison, d’intercepter les lettres au contenu répréhensible. Elle disposait: "Doivent être autorisés tous les sujets ordinaires, y compris des informations sur des événements publics. Les observations d’un détenu sur sa propre condamnation ne sont pas répréhensibles s’il s’exprime en termes corrects. Il existe peu de sujets inacceptables, à savoir: (...) c) les sujets destinés à paraître dans la presse, à être publiés ou à être diffusés à la radio ou à la télévision (à l’exception du magazine ‘Linkup’). (...)" Depuis la période considérée, de nouvelles instructions sur la correspondance des détenus ont été adoptées en Écosse à la lumière de l’arrêt rendu le 25 mars 1983 par la Cour européenne des Droits de l’Homme dans l’affaire Silver et autres (série A no 61). Elles ont beaucoup assoupli les restrictions à la correspondance précédemment applicables, y compris l’interdiction des lettres destinées à être publiées. Les détenus peuvent s’en procurer le texte (instruction permanente M, qui traite aussi des visites). C. Visites aux détenus L’article 74 § 2 du règlement pénitentiaire (paragraphe 22 ci-dessus) autorise tout détenu à recevoir des visites à des intervalles fixés par le ministre. A l’époque des faits, l’instruction Ic. 7 indiquait notamment: "1. Tout détenu a le droit de recevoir une visite au moins une fois toutes les huit semaines et aucun ne peut s’en voir priver par mesure disciplinaire. Les détenus auront le droit de recevoir des visites dans les conditions suivantes: (...) b) Pendant les deux premiers mois suivant son admission après condamnation, chaque détenu a le droit de recevoir deux visites de parents ou amis. Au cours de chaque période ultérieure de deux mois, il a le droit de recevoir trois visites." Le paragraphe 23 du résumé informait les détenus de ces dispositions sur la fréquence des visites. Selon les instructions, les visites duraient normalement trente minutes, ou vingt pendant les dix premiers mois d’incarcération (instruction Ic. 8(3)). Les directeurs de prison jouissaient d’une certaine latitude pour en modifier la durée et la fréquence telles que les fixaient les instructions, mais le nombre total d’heures de visite ne devait pas tomber en dessous de celui qu’elles prescrivaient. Le système en vigueur à la prison de Saughton présentait une particularité: il autorisait une seule visite d’une heure par mois au lieu des trois visites tous les deux mois, d’une demi-heure chacune, permises par les instructions. Dans des circonstances exceptionnelles, le comité des visiteurs pouvait accorder une visite supplémentaire ou plus longue (article 199 du règlement pénitentiaire, paragraphe 37 ci-dessous). D. Visites à domicile et libération temporaire Aux termes de l’article 28 § 1 du règlement pénitentiaire, "le ministre peut autoriser la libération temporaire d’un détenu (...) pour une durée déterminée selon des modalités et pour des motifs ayant reçu son approbation". L’instruction Jc. 3 définit les conditions d’octroi d’une libération temporaire pour raisons humanitaires. Une telle mesure ne se prend que s’il s’agit de rendre visite à un proche parent gravement malade ou d’assister à ses obsèques. Un accompagnateur n’est en principe pas nécessaire en pareil cas pour les détenus de la catégorie D, mais il en faut un pour ceux des catégories à plus haut risque. Un système de permissions sous escorte spéciale fonctionne depuis de nombreuses années à la prison de Saughton. Il ne se trouve pas régi par les instructions, mais par une directive (notice) du directeur de la prison, du 20 novembre 1978, qui en explique les objectifs et les conditions d’application. Il a pour buts d’atténuer la tension provoquée par les peines de longue durée, faciliter le maintien des liens avec le foyer, encourager de bonnes relations entre le personnel et les prisonniers et préparer peu à peu ces derniers à leur élargissement. Ne peuvent en profiter que les détenus frappés d’une peine de plus de trois ans, dont ils ont déjà subi le tiers (ou quatre années s’il s’agit d’une condamnation à perpétuité), et ayant eu une conduite satisfaisante pendant une période raisonnable. L’intéressé ne peut se prévaloir d’une permission ainsi accordée que s’il bénéficie de l’assistance volontaire d’un membre du personnel, ou d’un visiteur de prison (aide bénévole), qui lui servira de surveillant accompagnateur. Pour les deux premières permissions, l’accompagnateur doit être un membre du personnel. Il est bien précisé que le permissionnaire "se place lui-même sous surveillance directe tout au long de son absence de prison". Avant de partir, il signe un document par lequel il se reconnaît pleinement conscient des conditions applicables à sa période de permission. En vertu du régime d’"apprentissage de la liberté" instauré à la prison de Saughton, les détenus peuvent avant leur élargissement solliciter les permissions décrites au paragraphe 33 ci-dessous. E. Prison ouverte de Penninghame, quartier spécial de Barlinnie et foyer de préparation à la libération de Saughton Aux termes de l’article 6 du règlement pénitentiaire, "1. Le ministre peut affecter des établissements pénitentiaires, en tout ou partie, à certaines catégories de détenus ou à certains objectifs, notamment: i) l’observation, selon un régime particulier, de détenus condamnés ou non aux fins de leur classification, de l’envoi de rapports aux tribunaux, etc.; ii) la formation des catégories de détenus condamnés à l’emprisonnement (...) choisies périodiquement par le ministre. Le ministre peut créer ou affecter des établissements pénitentiaires pour le traitement en milieu ouvert de certains détenus, ou certaines catégories de détenus, condamnés à l’emprisonnement ou à une formation surveillée." Une prison ouverte existe à Penninghame. Elle abrite environ 47 détenus, tous sélectionnés comme aptes à purger leur peine en milieu ouvert. Seuls peuvent s’y voir transférer les détenus de la catégorie D, mais tels MM. Boyle et Rice ils séjournent pour la plupart en milieu fermé. La prison ouverte de Penninghame connaît un régime plus libéral que le régime habituel des établissements fermés. En particulier: i) en règle générale le courrier des détenus n’est pas lu, encore que le directeur en conserve la faculté; ii) les visites des amis et parents, bien qu’autorisées une seule fois par mois, peuvent durer de 13 h à 15 h 45 et se dérouler dans l’enceinte de la prison, à la discrétion du directeur; iii) les détenus peuvent bénéficier d’une permission exceptionnelle pour se rendre chez des habitants de la localité. Pour le reste, les visites et la correspondance obéissent aux mêmes règles que dans les autres établissements. Un "quartier spécial" a été créé en mars 1973 dans la prison de Barlinnie pour traiter les détenus réputés violents ou potentiellement violents et certains prisonniers de longue durée. On cherchait à modifier la relation classique gardien/détenu en partageant les responsabilités entre les uns et les autres et en les incitant à se considérer comme une collectivité unique. Le régime du quartier spécial diffère beaucoup de celui des autres établissements pénitentiaires. Spécialement, on ne contrôle en principe pas le courrier, mais la population carcérale est censée respecter la réglementation usuelle pour le contenu de la correspondance et le directeur de la prison demeure habilité à lire celle-ci. Les visites échappent aux restrictions habituelles quant à leur horaire, leur nombre ou leur durée. Les détenus ont la possibilité de sortir de prison, sans escorte s’ils relèvent de la catégorie D. Le quartier spécial compte huit détenus au maximum et quatre surveillants par prisonnier, contre une moyenne d’un pour quatre ailleurs. M. Boyle et M. Brian Rice subirent à la prison de Saughton un régime d’"apprentissage de la liberté" pendant la dernière phase de leur programme préparatoire à l’élargissement. Les détenus qui reçoivent une telle formation vivent dans un foyer spécial à l’intérieur de la prison et jouissent de congés temporaires réguliers pour travailler, effectuer un service d’intérêt général ou suivre des cours dans la région d’Édimbourg. Ils ont aussi droit chaque semaine à une sortie de douze heures, sans accompagnateur, dans la localité et toutes les trois semaines à une permission pour le week-end, sans escorte, pendant laquelle ils peuvent se rendre à leur domicile. F. Recours Pour se plaindre de leurs conditions d’incarcération, les détenus disposent en Écosse des principaux recours suivants: - une requête au directeur de la prison; - une requête au comité des visiteurs de la prison; - une requête au ministre; - une requête au médiateur; - un recours en contrôle judiciaire. Requête au directeur de la prison D’après l’article 50 § 1 du règlement pénitentiaire, toute requête d’un détenu désireux de rencontrer, notamment, le directeur de la prison ou un membre du comité des visiteurs doit être enregistrée par le gardien à qui elle s’adresse et communiquée sans retard au directeur. L’article 50 § 2 oblige celui-ci à recevoir, à une heure déterminée tous les jours autres que le dimanche et les jours fériés, chaque détenu ayant demandé à le voir. Requête au comité des visiteurs de la prison Selon l’article 7 de la loi de 1952, le règlement pénitentiaire doit prescrire la création de comités des visiteurs des prisons. Le texte pertinent figure à l’article 187 dudit règlement. Les membres du comité des visiteurs pour chaque établissement sont nommés par les assemblées de région, de district et d’île - composées de représentants élus - de la circonscription desservie par la prison (articles 7 § 1 de la loi et 187 § 1 du règlement). Les comités et leurs membres sont indépendants de l’administration pénitentiaire. L’article 7 § 3 de la loi précise que le règlement définit les fonctions des comités et qu’en outre "[il] charge notamment les membres de visiter fréquemment la prison, écouter les doléances éventuelles des détenus et rendre compte au ministre de toute question qu’ils jugent opportun de signaler; chacun d’eux peut pénétrer à tout moment dans la prison et a librement accès à toute partie de celle-ci ainsi qu’à chaque détenu". Les articles 187 à 205 du règlement pénitentiaire traitent des fonctions et méthodes de travail des comités. Aux termes de l’article 194, en particulier, "1. Le comité des visiteurs entend et examine la demande ou le grief dont un détenu désire le saisir; au besoin, il en rend compte au ministre en y joignant son avis. Ses membres ont libre accès à toutes les parties de la prison et à tous les détenus; ils peuvent à leur guise rencontrer tout détenu, soit dans sa cellule soit dans une salle hors de la vue et de portée de voix des gardiens. Le comité des visiteurs consigne dans un registre ses constatations relatives à toutes les demandes et tous les griefs instruits par lui, ainsi que les résultats de toutes les visites et inspections effectuées dans la prison." L’article 50 § 4 (paragraphe 38 ci-dessous) autorise les détenus à écrire confidentiellement au comité des visiteurs. L’article 192 pose le principe que ce dernier "porte aussitôt à la connaissance du ministre toute circonstance relevant de l’administration de la prison qui lui semble exiger son examen". L’article 199 habilite le comité, "dans toute affaire d’une importance ou urgence particulières", à "consentir à un détenu une visite ou lettre supplémentaires ou à prolonger la durée d’une visite". D’après l’article 203, avant d’accorder une autorisation (telle une visite supplémentaire) le comité consulte le directeur pour s’assurer qu’il peut le faire sans nuire à la sécurité, au bon ordre ou à la gestion de l’établissement. Requête au ministre Les détenus ont le droit de saisir le ministre de requêtes sur n’importe quel sujet, par exemple pour solliciter une permission que le directeur de la prison ne peut ou ne veut leur octroyer, ou pour s’en prendre aux conditions de détention. Aucune restriction ne frappe le nombre, ni la fréquence, des requêtes qu’ils peuvent lui envoyer sur une même question ou des questions différentes. Dans l’hypothèse où un détenu se plaint à lui d’une décision des autorités pénitentiaires, le ministre, s’il estime qu’elles ont mal interprété ou appliqué l’article du règlement ou l’instruction pertinents, leur donne des ordres afin d’en garantir le respect. Il peut s’écarter des instructions dans des cas particuliers, mais cela n’arrive sans doute que rarement, voire jamais, car elles ont pour but même d’assurer l’uniformité de pratique. Aux termes de l’article 50 § 4 du règlement pénitentiaire, "Tout détenu ayant manifesté à un gardien le désir d’écrire au ministre ou au comité des visiteurs une lettre de requête ou de doléance reçoit du papier à cet effet; le directeur veille à ce que pareille lettre soit postée sans retard. Si le détenu a choisi de clore l’enveloppe, le directeur ne doit pas l’ouvrir." L’instruction Jb. 1 précise qu’un détenu souhaitant adresser une requête au ministre doit en demander la permission au directeur qui ne peut la lui refuser. Le médiateur La loi de 1967 sur le médiateur habilite celui-ci à examiner les allégations de "mauvaise administration" dans les ministères. Il peut s’en trouver saisi par un député; depuis 1979, il accepte de déférer à un député, puis d’étudier, les plaintes que des particuliers, y compris des détenus, lui envoient directement. Il doit rendre compte de ses enquêtes tant au député concerné qu’au chef du ministère mis en cause et peut formuler les recommandations appropriées. Il rend aussi compte périodiquement de ses activités au Parlement. Toute entorse aux dispositions légales ou administratives régissant les établissements pénitentiaires peut constituer une mauvaise administration. Toutefois, la compétence du médiateur ne s’étend pas aux restrictions opérées dans l’exercice correct d’un pouvoir d’appréciation conféré par le règlement pénitentiaire ou les consignes du ministre. Il peut, si son enquête lui semble révéler une injustice résultant d’une mauvaise administration et qui n’a pas été ni ne sera redressée, déposer devant chaque chambre du Parlement un rapport spécial sur l’affaire. En pratique, le ministère incriminé s’efforce d’ordinaire de remédier à toute injustice constatée. Recours en contrôle judiciaire La manière dont les pouvoirs publics se prévalent des droits et s’acquittent des obligations prévus par la loi est susceptible de contrôle judiciaire. Les motifs y donnant ouverture sont en substance les mêmes en Écosse qu’en Angleterre et au pays de Galles (Brown v. Hamilton District Council, Scottish Law Times 1983, per Lord Fraser, p. 414). En particulier, l’usage d’un pouvoir discrétionnaire peut être contesté pour la raison que l’autorité concernée a témoigné d’arbitraire, d’irrationalité ou de mauvaise foi, poursuivi des buts illégitimes ou de quelque autre façon outrepassé ses prérogatives légales (voir par exemple la déclaration de Lord Diplock dans l’affaire Council of Civil Service Unions v. Minister for the Civil Service, Appeal Cases 1985, p. 410, et All England Law Reports 1984, vol. 3, pp. 950-951, citée dans l’arrêt Weeks du 2 mars 1987, série A no 114, p. 18, § 30). Le Gouvernement a cité deux précédents, postérieurs aux circonstances du présent litige, comme exemples de décisions judiciaires sur la régularité du traitement de détenus eu égard aux pouvoirs et devoirs légaux des autorités pénitentiaires. Dans l’affaire Raymond v. Honey (Appeal Cases 1983, p. 1, et All England Law Reports 1982, vol. 1, p. 759), la Chambre des Lords a estimé que le règlement pénitentiaire anglais et les instructions pertinentes constitueraient un excès de pouvoir les rendant invalides s’ils entendaient restreindre le droit d’un détenu à saisir sans entraves les tribunaux, seul un texte législatif explicite pouvant le retirer. Dans l’affaire R. v. Deputy Governor of Camphill Prison, ex parte King (All England Law Reports 1984, vol. 3, p. 897), la Court of Appeal a jugé que la décision d’un directeur de prison en matière disciplinaire échappe au contrôle judiciaire. Si un détenu reproche à juste titre à un directeur d’avoir mal interprété un article du règlement pénitentiaire, le recours adéquat consiste pour lui à en référer au ministre; en cas de rejet de sa requête, l’intéressé peut attaquer la décision du ministre en sollicitant un contrôle judiciaire qui débouchera sur l’énoncé de la bonne interprétation (ibidem, pp. 902, 904 et 905). PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION James et Sarah Boyle ont saisi la Commission le 4 mars 1981 (requête no 9659/82), Brian et John Rice le 15 janvier 1982 (requête no 9658/82). Dans leur requête, M. et Mme Boyle prétendaient que pendant la période pertinente (paragraphe 12 ci-dessus), les faits suivants avaient entraîné des violations distinctes et cumulatives de leur droit, garanti par l’article 8 (art. 8) de la Convention, au respect de leur vie privée et familiale, de leur domicile et de leur correspondance: 1) le refus de l’administration d’autoriser M. Boyle à recevoir des visites à la prison de Saughton pendant plus d’une heure par mois; 2) son refus de lui permettre d’envoyer gratuitement plus d’une lettre par semaine; 3) la censure du courrier des requérants et la lecture de certaines de leurs lettres en public par des gardiens d’une manière extrêmement gênante et embarrassante pour les deux intéressés; 4) l’interdiction d’utiliser un téléphone à la prison de Saughton; 5) le refus de l’administration pénitentiaire, en juillet 1981, de poster une lettre de M. Boyle à un ami, M. McDougall; 6) le refus de le laisser se rendre chez lui autrement que dans le cadre d’une permission sous escorte spéciale empêchant toute intimité. M. Boyle alléguait en outre que les faits énumérés ci-dessus, ainsi que l’impossibilité de téléphoner, de taper à la machine et de sculpter, enfreignaient aussi sa liberté d’expression protégée par l’article 10 (art. 10). Les deux requérants soulignaient également que les détenus du quartier spécial de Barlinnie ou de la prison ouverte de Penninghame jouissaient, en matière de visites et de correspondance, de conditions plus favorables que M. Boyle à la prison de Saughton; ils y voyaient une discrimination contraire à l’article 14 combiné avec l’article 8 (art. 14+8) et de surcroît, dans le chef de M. Boyle, avec l’article 10 (art. 14+10). Ils affirmaient enfin ne disposer, nonobstant l’article 13 (art. 13), d’aucun recours effectif devant une "instance" nationale pour leurs autres griefs tirés de la Convention. Par une lettre du 6 août 1982, M. Boyle a formulé plusieurs plaintes supplémentaires en invoquant les articles 8, 10 et 14 (art. 8, art. 10, art. 14). De leur côté, les troisième et quatrième requérants se prétendaient victimes d’une violation de l’article 8 (art. 8) pendant la détention de Brian Rice à la prison de Saughton, 1) dans le chef de chacun d’eux car Brian Rice s’était vu refuser une permission pour raisons humanitaires afin de rendre visite à John Rice, son père, alors malade; 2) dans le chef de Brian Rice parce qu’il avait droit à douze visites seulement par an à la prison et que l’administration pénitentiaire avait soit retardé soit intercepté plusieurs lettres. Brian Rice ajoutait que la restriction aux visites en prison portait atteinte à sa liberté de recevoir et communiquer des idées, au sens de l’article 10 (art. 10). Selon les deux requérants, la circonstance que le régime applicable dans les établissements de type ouvert se caractérisait, en matière de visites et de correspondance, par un libéralisme supérieur à celui de la prison de Saughton créait une discrimination contraire à l’article 14 combiné avec l’article 8 (art. 14+8) et de surcroît, dans le chef de Brian Rice, avec l’article 10 (art. 14+10). D’après eux, enfin, en dépit de l’article 13 (art. 13) il n’existait aucun recours effectif devant une "instance" nationale quant aux griefs formulés dans leur requête. Par une décision partielle du 5 mai 1983, la Commission avait ajourné l’examen des doléances de M. et Mme Boyle quant à leur correspondance et à l’article 13 (art. 13), mais rejeté le surplus de la requête pour défaut manifeste de fondement (article 27 § 2) (art. 27-2). Le 6 mars 1985, elle a retenu les plaintes concernant a) l’interception de la lettre à M. McDougall (sur le terrain de l’article 8) (art. 8) et b) l’absence alléguée de recours effectifs sur ce point et pour les autres griefs relatifs aux restrictions à la correspondance, à la limitation des visites à douze par an, à la surveillance imposée en vertu du système de "permission sous escorte spéciale" et aux différences entre les régimes pénitentiaires (sous l’angle de l’article 13) (art. 13); elle a déclaré le reliquat de la requête irrecevable pour défaut manifeste de fondement. Par une décision partielle du 5 mai 1983, la Commission a rejeté pour défaut manifeste de fondement la requête de Brian et John Rice, à l’exception du grief tiré de l’article 13 (art. 13), qu’elle a réservé pour plus ample examen puis retenu le 6 mars 1985. Le 10 juillet 1985, elle a ordonné la jonction des deux requêtes en vertu de l’article 29 de son règlement intérieur. Dans son rapport du 7 mai 1986 (article 31) (art. 31), elle arrive aux conclusions suivantes: - l’interception de la lettre de M. Boyle à une "personnalité des media" a méconnu l’article 8 (art. 8) (unanimité); - il y a eu infraction à l’article 13 (art. 13) dans la mesure où tous les requérants se plaignent des limites aux visites à la prison (treize voix contre une) et quant au refus d’autoriser Brian Rice, pour des raisons humanitaires, à rendre visite à son père malade (unanimité); - il n’y a eu violation de l’article 13 (art. 13) pour aucune des autres plaintes des requérants (unanimité pour quatre d’entre elles et treize voix contre une pour les deux restantes). Le texte intégral de l’avis de la Commission et de l’opinion séparée dont il s’accompagne figure en annexe au présent arrêt. CONCLUSIONS PRESENTEES A LA COUR À l’audience du 18 mai 1987, le Gouvernement a invité la Cour "à dire 1) que l’interception de la lettre de M. Boyle à M. McDougall a enfreint l’article 8 (art. 8) de la Convention; 2) qu’il n’y a violation de l’article 13 (art. 13) pour aucun des griefs des requérants; 3) qu’en raison de ces autres constatations, il échet de rejeter toute demande de satisfaction au titre de l’article 50 (art. 50)." Dans leurs plaidoiries, les requérants ont maintenu en substance les conclusions de leur mémoire; elles priaient la Cour de souscrire aux alinéas 5, 7 et 9 du paragraphe 117 du rapport de la Commission mais d’en infirmer les alinéas 1 à 4, 6 et 8.
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Le premier requérant, Edmund Schönenberger, citoyen suisse né en 1942, exerce à Zurich la profession d’avocat. Le second, Mehmet Durmaz, ressortissant turc né en 1950, habite à Onex, en Suisse. Il est chauffeur de taxi. A. Non-transmission du pli adressé par Me Schönenberger à M. Durmaz A la suite de la déposition d’un certain O., le procureur de district (Bezirksanwalt) de Pfäffikon (canton de Zurich) décerna le 16 février 1984 un mandat d’arrêt contre M. Durmaz, soupçonné d’infractions à la loi fédérale sur les stupéfiants. Appréhendé le jour même par la police de Genève, l’intéressé fut conduit le lendemain à Zurich où le parquet l’interrogea une première fois. D’autres interrogatoires, ainsi que des confrontations avec des coïnculpés, eurent lieu les 23 et 24 février; il y coopéra en répondant à toutes les questions. Avisée de l’arrestation dès le 16 février, la femme de M. Durmaz eut avec le procureur de district de Pfäffikon, les 20 et 24, des entretiens téléphoniques au cours desquels elle lui demanda si son mari avait un avocat. Il lui déclara que non, mais ajouta qu’il allait y veiller. D’autre part, elle écrivit les 21 et 24 février à son époux. Dans la seconde lettre, qui l’atteignit le 28, elle exprimait l’espoir que "l’avocat" - dont elle n’indiquait pas le nom - "s’occupera[it] de [lui]". Le 24, elle pria Me Schönenberger d’assumer la défense de M. Durmaz. Le premier requérant appela aussitôt le procureur du district pour l’en avertir et lui annoncer l’envoi de formulaires de procuration et d’une missive. Toujours le 24, il expédia effectivement un pli qu’il adressa, comme le voulait la législation en vigueur, au bureau dudit magistrat en priant ce dernier de le transmettre au destinataire. Le pli renfermait une copie de la lettre de couverture au procureur, deux formulaires de procuration et une lettre à M. Durmaz, ainsi libellée (traduction de l’allemand): "Monsieur, J’ai été chargé par votre épouse d’assurer votre défense. Vous trouverez ci-joints deux formulaires de procuration. Si vous désirez m’habiliter à vous représenter, veuillez en adresser un au procureur de district et me retourner l’autre dûment signé. J’ai le devoir de vous signaler que vous êtes en droit de vous refuser à toute déclaration. Vos dires peuvent en effet être utilisés contre vous. Si vous optez pour le silence, il incombera au procureur de district de prouver votre culpabilité par d’autres moyens (témoignages, etc.). En règle générale, il essaiera alors de vous influencer en tirant argument de ce qu’en pareil cas vous resterez en détention préventive tant qu’il n’aura pas interrogé les témoins, les coïnculpés, etc. Si cela ne vous gêne pas - une prolongation éventuelle de votre détention préventive -, vous aurez intérêt à invoquer le droit de vous refuser à toute déclaration. Dès que j’aurai reçu la procuration, je demanderai une permission de visite et viendrai vous voir. Quoi qu’il en soit, armez-vous de patience et sachez que l’on devra vous relâcher un jour. Veuillez agréer ..." Le procureur de district reçut l’envoi probablement le lundi 27 février, mais le garda par-devers lui sans en informer l’intéressé. Le même jour, il invita M. Durmaz à se choisir un conseil. Ne pouvant en rémunérer un, le second requérant sollicita la commission d’office du seul avocat de Zurich connu de lui, Me Garbade, sur quoi le président du tribunal de district de Pfäffikon désigna ce dernier le 1er mars. Par une ordonnance du 1er mars, le parquet décida de ne pas communiquer à M. Durmaz la lettre et les formulaires qui lui étaient destinés, par le motif suivant (traduction de l’allemand): "Tant qu’Edmund Schönenberger ne sera pas le représentant légal autorisé de l’inculpé, les dispositions générales de l’ordonnance sur les prisons [paragraphe 18 ci-dessous] s’appliquent à lui. L’article 53 § 3 interdit de transmettre des lettres qui concernent l’instruction. Dans le présent courrier, Edmund Schönenberger a recommandé à l’inculpé un comportement précis pour l’instruction. En raison de la disposition précitée, sa lettre ne sera donc pas transmise." Il retourna au premier requérant lesdites pièces et la copie de la lettre de couverture. À des dates s’échelonnant du 5 au 23 mars 1984, M. Durmaz subit à nouveau des interrogatoires et des confrontations avec des coïnculpés. En outre, Me Garbade lui rendit visite en prison. Il avait prié le président du tribunal de district de Pfäffikon, le 8 mars, d’offrir au second requérant la possibilité de choisir son défenseur entre Me Schönenberger et lui-même. Les deux avocats eurent un entretien le 9 mars, à l’issue duquel ils convinrent que Me Garbade continuerait d’assister M. Durmaz et que Me Schönenberger attaquerait l’ordonnance du 1er mars (paragraphes 14-16 ci-dessous). M. Durmaz recouvra sa liberté le 23 mars. Par une ordonnance du 29 mai 1985, le procureur de district de Zurich prononça un non-lieu car on ne pouvait exclure de manière absolue que l’intéressé eût été confondu avec une autre personne. Au titre de sa détention préventive, il lui alloua une indemnité de 3.000 francs suisses (FS) que le tribunal de district de Zurich porta le 30 octobre 1985 à 3.565 FS. B. Les recours contre l’ordonnance du 1er mars 1984 du procureur de district de Pfäffikon Les requérants formèrent deux recours contre l’ordonnance du 1er mars 1984 (paragraphe 11 ci-dessus); la Direction de la Justice du canton de Zurich repoussa le premier le 19 mars 1984, le président du tribunal de district de Pfäffikon le second le 11 avril 1984. Le 7 avril 1984, ils saisirent le Tribunal fédéral d’un recours de droit public contre la décision de la Direction de la Justice; ils alléguaient la méconnaissance de la Constitution fédérale et de la Convention. Pendant la procédure, ils précisèrent qu’ils n’entendaient pas attaquer le rejet de leur second recours. Par un arrêt du 20 juin, notifié le 6 novembre 1984, le Tribunal fédéral leur donna en partie gain de cause. Il releva d’abord que Me Schönenberger ne pouvait pas se prévaloir des droits préférentiels accordés aux défenseurs des détenus par l’article 53 § 3 de l’ordonnance sur les prisons. Il ajouta que le parquet n’avait enfreint ni la Constitution ni la Convention en interceptant la lettre du premier requérant, car elle concernait des poursuites en cours et donnait au destinataire des conseils sur la conduite à observer pendant l’enquête. En revanche, la haute juridiction jugea contraire à la Constitution la décision de ne pas transmettre les deux formulaires de procuration et la copie de la lettre de couverture adressée au parquet: s’agissant de documents non relatifs à des poursuites en instance, l’article 53 § 3 ne pouvait être invoqué à leur encontre. Le Tribunal fédéral souligna aussi qu’un inculpé a en tout temps le droit de demander un avocat et de recevoir un formulaire de procuration. Il en conclut que la mesure litigieuse représentait une atteinte disproportionnée à la liberté de correspondance et aux droits de la défense. En conséquence, il annula la décision de la Direction de la Justice et octroya aux requérants 500 FS d’indemnité de dépens. II. LA LÉGISLATION ET LA JURISPRUDENCE NATIONALES D’après les principes généraux de la procédure pénale, l’inculpé n’est pas tenu de faire des déclarations. Selon la jurisprudence du Tribunal fédéral, il a, en vertu de la Constitution, le droit de se taire et l’on ne peut en principe lui reprocher d’avoir compliqué fautivement la procédure au seul motif qu’il a refusé de répondre, sous réserve d’un abus éventuel (Arrêts du Tribunal fédéral suisse, vol. 106 (1980), Ière partie a), p. 8, et vol. 109 (1983), Ière partie a), p. 169). Dans le canton de Zurich, le contrôle de la correspondance avec les détenus obéit à l’article 53 de l’ordonnance du 19 avril 1972 sur les prisons (Verordnung des Kantons Zürich vom 19. April 1972 über die Bezirksgefängnisse), règlement pris en vertu de l’article 73 de la loi d’introduction du code pénal suisse, du 6 juillet 1941. Le paragraphe 3 de l’article 53 précité est ainsi libellé (traduction de l’allemand): "Toute correspondance avec des codétenus et d’anciens codétenus (à l’exception des proches parents) est interdite. Les lettres compromettant le but de la détention ou la sécurité de l’établissement ne sont pas transmises; les lettres concernant une procédure pénale en cours ne sont transmises que s’il s’agit de correspondance avec le défenseur. Le détenu est avisé du refus de transmettre une lettre." En 1973, le Tribunal fédéral a examiné la constitutionnalité de différentes dispositions de l’ordonnance zurichoise de 1972. Quant aux restrictions à la liberté de correspondance, il a relevé ce qui suit (traduction de l’allemand): "L’article 53 énonce notamment que ne seront pas transmises les lettres ‘au contenu répréhensible’, ainsi que celles qui concernent une procédure pénale en cours. La correspondance avec des codétenus ou d’anciens codétenus est également interdite. Par contre, les communications adressées aux autorités de surveillance et à l’avocat de la défense ne sont soumises à aucune restriction. Le recourant allègue que l’interdiction des communications au ‘contenu répréhensible’ va beaucoup trop loin et laisse une marge d’appréciation trop importante aux agents chargés du contrôle de la correspondance. Selon lui, l’interdiction ne devrait porter que sur les communications au contenu ‘illicite’. Ce changement dans les termes n’apporterait cependant pas grand-chose, car la deuxième notion est également très imprécise dans le présent contexte. Le recourant ne conteste pas qu’il faille interdire l’envoi de lettres d’un certain type et c’est même cela l’objet du contrôle. Il est clair, dès lors, que doit être interdite toute correspondance pouvant aider à préparer des plans d’évasion ou à commettre de nouvelles infractions pénales, ou pouvant influer d’une manière inadmissible sur une procédure pénale (risque de collusion). A supposer même qu’il soit en principe souhaitable de maintenir des contacts avec le monde extérieur, ces contacts ne doivent pas mettre en question le but de la détention. De plus, les autorités de contrôle de la correspondance doivent se voir accorder aussi le droit de saisir toute correspondance susceptible de menacer le bon ordre de l’établissement. Inversement, elles ne peuvent pas refuser de transmettre les communications qui ne compromettent ni le but de la détention ni le bon ordre de l’établissement, et dont la quantité demeure admissible (article 52). Peu importe dès lors que l’autorité de contrôle approuve ou non le contenu de ces communications (cf., sur la situation juridique en Allemagne, la décision rendue par la Cour constitutionnelle fédérale le 14 mars 1972, vol. 33 no 1). On ne peut pas tracer la limite avec exactitude et d’une manière générale car elle dépend en fait des circonstances propres à chaque affaire. Le principe général énoncé dans l’ordonnance litigieuse ne saurait dès lors être critiqué comme contraire à la Constitution, du moins si l’on tient compte du fait que se trouve exclue de tout contrôle important la correspondance avec les autorités de surveillance et le défendeur." (Arrêts du Tribunal fédéral suisse, vol. 99, Ière partie a), pp. 288-289) PROCEDURE SUIVIE DEVANT LA COMMISSION Les requérants ont saisi la Commission le 10 janvier 1985 (requête no 11368/85). Ils alléguaient que le non-acheminement, par le procureur de district de Pfäffikon, de la lettre envoyée par Me Schönenberger à M. Durmaz avait méconnu leur droit au respect de leur correspondance (article 8 de la Convention) (art. 8) et leur liberté d’expression (article 10) (art. 10). La Commission a retenu la requête le 4 mars 1986. Dans son rapport du 12 décembre 1986 (article 31) (art. 31), elle formule à l’unanimité l’opinion qu’il y a eu violation de l’article 8 (art. 8) et que nulle question distincte ne se pose sur le terrain de l’article 10 (art. 10). Le texte intégral de son avis figure en annexe au présent arrêt. CONCLUSIONS PRESENTEES A LA COUR PAR LE GOUVERNEMENT Le Gouvernement a confirmé lors des audiences les conclusions de son mémoire. Il y invitait la Cour "à dire qu’en l’espèce, la non-transmission de la lettre litigieuse adressée par le premier requérant au second requérant, détenu à titre préventif et qui ne connaissait pas l’expéditeur, n’était pas constitutive d’une violation de l’article 8 (art. 8) de la Convention ou de toute autre disposition de cet instrument."
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Citoyenne suisse domiciliée à Lausanne, Mme Marlène Belilos y était étudiante à l’époque des faits de la cause. La commission de police de la municipalité de Lausanne Par un rapport du 16 avril 1981, la police municipale de Lausanne la dénonça pour avoir contrevenu au règlement général de police de la commune en participant le 4, dans les rues de la ville, à une manifestation pour laquelle aucune demande d’autorisation n’avait été présentée. Organisé par le mouvement "Lausanne bouge", qui les jours précédents avait distribué des tracts appelant à s’y joindre, le défilé avait rassemblé de soixante à soixante-dix personnes; elles revendiquaient la "mise à disposition", par la municipalité, d’un centre autonome pour les jeunes. Le 29 mai, la commission de police de la municipalité, siégeant en l’absence de l’intéressée, lui infligea une amende de 200 francs suisses (FS). La requérante ayant fait opposition en vertu des articles 36 et suivants de la loi vaudoise du 17 novembre 1969 sur les sentences municipales, la commission de police tint une première audience le 14 juillet. Après avoir donné lecture du rapport de police, elle entendit la prévenue puis les agents dénonciateurs. Eu égard aux explications de Mme Belilos, elle renvoya la suite de l’instruction à une date ultérieure pour permettre l’audition d’un témoin. Le 26 août, elle ouït à nouveau l’intéressée ainsi que, en qualité de témoin, son ancien mari. Ce dernier déclara qu’au moment des faits il se trouvait avec son ex-épouse dans un café de Lausanne, où il lui avait remis le montant de la pension de leur enfant. La commission de police statua le 4 septembre, "hors la présence des intéressés". Dans la section "En fait" de sa sentence, elle décrivait la convocation, le déroulement et les conséquences de la manifestation litigieuse, après quoi elle énumérait les allégations de Mme Belilos, qui contestait notamment la légitimité de l’organe de jugement et niait avoir participé à la manifestation; en troisième lieu, elle mentionnait le témoignage de l’ex-mari de la prévenue; enfin, elle notait que les policiers avaient confirmé leur rapport et démenti catégoriquement l’allégation de non-participation. Dans la section "En droit", la commission relevait que sa compétence ne pouvait prêter à discussion et concluait qu’elle avait "acquis, lors des instructions, la conviction que la dénoncée a[vait] bel et bien participé à la manifestation du 4 avril 1981". Tenant compte du double fait que Mme Belilos n’avait pas joué un rôle actif mais se trouvait en état de récidive, elle ramena l’amende à 120 FS; en outre, elle fixa le montant des frais à 22 FS. La décision fut communiquée à la requérante, sous pli recommandé, le 15 septembre. La cour de cassation pénale du Tribunal cantonal vaudois Mme Belilos introduisit un recours en nullité devant la cour de cassation pénale du Tribunal cantonal vaudois. Elle alléguait pour l’essentiel qu’eu égard aux exigences de l’article 6 (art. 6) de la Convention, la commission de police n’avait pas compétence pour statuer sur l’infraction en cause; à toutes fins utiles, elle demandait à la cour d’entendre son ex-mari et de rétablir les faits dans leur exactitude. La cour de cassation pénale rejeta le pourvoi le 25 novembre 1981 pour les raisons suivantes: "(...) attendu que la recourante fait valoir que la sentence ne serait pas conforme à l’art. 6 (art. 6) de la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH), qui consacre le droit d’être entendu par un tribunal indépendant et impartial établi par la loi et que les réserves dont a été assortie l’adhésion de la Suisse ne permettraient pas à une autorité administrative, a fortiori lorsqu’il s’agit d’une émanation de l’autorité exécutive qui est à la fois juge et partie, de statuer sur le bien-fondé d’une accusation en matière pénale, le contrôle judiciaire de la Cour de cassation étant au demeurant insuffisant; attendu que dans un arrêt Marlène Belilos et cons., du 9 juin 1980, la cour de céans a précisé qu’en vertu des réserves formulées par la Suisse, les procédures se déroulant devant une autorité administrative concernant le bien-fondé d’une accusation en matière pénale étaient soustraites à l’obligation de l’audience et du jugement publics (cf. aussi Cass.: Leonelli, 31 juillet/16 octobre 1981; Christinat, 23 mai/6 août 1981), que, concernant l’art. 6 par. 1 (art. 6-1) CEDH, la Suisse a fait la déclaration suivante (RS [Recueil systématique du droit fédéral] 0.101 p. 25): ‘Pour le Conseil fédéral suisse, la garantie d’un procès équitable figurant à l’art. 6, paragraphe 1 (art. 6-1), de la Convention, en ce qui concerne soit ... soit le bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre la personne en cause, vise uniquement à assurer un contrôle judiciaire final des actes ou décisions de l’autorité publique qui touchent à ... ou à l’examen du bien-fondé d’une telle accusation’, que dans son message du 4 mars 1974 concernant la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, le Conseil fédéral a précisé que, lorsque la décision prise par une autorité administrative peut être déférée à un juge, non pas pour un jugement au fond, mais seulement pour l’examen de sa régularité et de sa conformité avec la loi (pourvoi en nullité), la question se pose de savoir si cette procédure de cassation répond aux exigences de l’art. 6 (art. 6) de la Convention, qu’il a répondu par l’affirmative, l’art. 6 par. 1 (art. 6-1) ne visant qu’à assurer un contrôle judiciaire final, et l’élément judiciaire du procès équitable paraissant suffisamment garanti en droit suisse, le Tribunal fédéral ayant tiré du droit d’être entendu des règles sur l’administration de la justice qui correspondent à celles qui sont énumérées à l’art. 6 (art. 6) de la Convention (FF [Feuille fédérale] 1974 I p. 1032, Message), que le fait que la procédure de recours soit écrite, sans débats oraux ni administration de preuves, n’est pas contraire à l’art. 6 (art. 6) CEDH (Cour de cassation du Tribunal fédéral: Risse, 14.9.1981), que la Cour de cassation exerce donc le contrôle judiciaire final exigé par la Convention européenne des droits de l’homme, avec les réserves faites par la Suisse, même si elle ne peut entendre des témoins, (...)." Le Tribunal fédéral Contre cet arrêt, l’intéressée saisit le Tribunal fédéral d’un recours de droit public. A ses yeux, la déclaration interprétative formulée par la Suisse au sujet de la Convention (paragraphe 29 ci-dessous) ne signifiait pas qu’une autorité administrative telle la commission de police eût qualité pour se prononcer sur le bien-fondé d’une accusation en matière pénale. Pareille compétence ne se concevait que si le justiciable bénéficiait d’un contrôle judiciaire final. Or il n’en allait pas ainsi en l’occurrence: la cour de cassation du Tribunal cantonal vaudois et le Tribunal fédéral possédaient des pouvoirs restreints, qui ne les habilitaient pas en principe à revoir les questions de fait - définitivement tranchées par la commission de la police - par exemple en interrogeant des témoins. En outre, l’article 12 de la loi vaudoise sur les sentences municipales permettait à la municipalité de déléguer ses attributions à un fonctionnaire supérieur de police, lequel dépendait de l’exécutif; dès lors, la commission de police était en même temps juge et partie. Le 2 novembre 1982, le Tribunal fédéral (1ère cour de droit public) rendit un arrêt de rejet fondé sur les motifs suivants: "(...) - La garantie du procès équitable, telle qu’elle est offerte par l’art. 6 par. 1 CEDH (art. 6-1) [Convention européenne des Droits de l’Homme], postule en particulier que ‘toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement ... par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi ...’ a) Le grief formulé par la recourante pose uniquement la question de savoir si l’art. 6 (art. 6) CEDH s’oppose à ce que l’état de fait soit établi par un organe tel que la Commission de police, qui n’est pas un tribunal indépendant. Contrairement à ce qu’admet ladite Commission dans sa détermination du 18 janvier 1982, la recourante ne prétend pas, même implicitement, que la Commission de police aurait été, en l’espèce, un organe - administratif - manquant d’impartialité. A tout le moins un tel grief n’est-il pas formulé de manière suffisante au regard de l’article 90 al. 1 lettre b OJ [loi fédérale d’organisation judiciaire]. b) La portée de l’art. 6 par. 1 (art. 6-1) CEDH doit être examinée au regard de la déclaration interprétative formulée par la Suisse en ces termes: ‘Pour le Conseil fédéral suisse, la garantie d’un procès équitable figurant à l’art. 6, par. 1 (art. 6-1), de la Convention ... vise uniquement à assurer un contrôle judiciaire final des actes ou décisions de l’autorité publique’ (art. 1 al. 1 lettre a de l’arrêté fédéral du 3 octobre 1974 approuvant la CEDH, RO [Recueil officiel des lois fédérales] 1974, 2149). Dans son Message à l’Assemblée fédérale du 4 mars 1974, le Conseil fédéral relève que cette déclaration interprétative a été faite précisément en vue du ‘cas où la décision prise par une autorité administrative peut être déférée à un juge, non pas pour un jugement au fond, mais seulement pour l’examen de sa régularité ou de sa conformité à la loi (pourvoi en nullité)’, et en se fondant sur l’interprétation de l’art. 6 par. 1 (art. 6-1), qui était donnée par le président de la Commission européenne des droits de l’homme (FF 1974 I p. 1032). Il n’y a pas lieu pour le Tribunal fédéral de s’écarter de cette déclaration interprétative (ATF [Arrêts du Tribunal fédéral suisse] 107 Ia 167), même si sa validité et sa portée ont été contestées en doctrine (D. Brandle, Vorbehalte und auslegende Erklärungen zur europaïschen Menschenrechtskonvention, thèse Zurich 1978, p. 113/114). Au reste, la Cour européenne des droits de l’homme admet également que l’art. 6 par. 1 (art. 6-1) est respecté dans la mesure où une décision rendue par une autorité administrative peut faire l’objet d’un contrôle judiciaire final, la garantie du procès équitable devant s’apprécier au regard de l’ensemble du procès (ATF 98 Ia 238; cf. J. Raymond, La Suisse devant les organes de la CEDH, in RDS [Revue de droit suisse] 98/1979 II p. 67 et la jurisprudence citée; D. Poncet, La protection de l’accusé par la Convention européenne des droits de l’homme, p. 29, no 78). - Le législateur vaudois a fait usage de la faculté reconnue aux cantons par l’art. 345 ch. 1 al. 2 CP [code pénal suisse], en attribuant le jugement de certaines contraventions à l’autorité municipale (art. 45 de la loi du 28 février 1956 sur les communes; art. 1 ss. LSM [loi sur les sentences municipales]). Selon l’art. 41 LSM, le contrôle judiciaire de ces sentences municipales est opéré par la Cour de cassation du Tribunal cantonal, qui peut examiner tant la régularité de la procédure, dans le cadre d’un recours en nullité (art. 43 LSM), que l’exactitude de l’application de la loi, lorsqu’elle est saisie d’un recours en réforme (art. 44 LSM). Il est vrai qu’elle ne revoit donc pas librement les faits. Mais cela n’est pas nécessaire du point de vue de l’art. 6 par. 1 (art. 6-1) CEDH, dès lors qu’est ouvert le recours à une autorité judiciaire qui contrôle non seulement la régularité de la procédure - y compris ‘s’il existe des doutes sérieux sur l’existence des faits admis’ (art. 43 lettre e) - mais qui peut être saisie en outre des griefs de ‘fausse application de la loi’ et d’’abus du pouvoir d’appréciation dans l’application de celle-ci’ (art. 44). La juridiction cantonale jouit donc ici d’un pouvoir d’examen beaucoup plus étendu que ne l’est celui du Tribunal fédéral dans le cadre du recours de droit public limité à l’arbitraire (cf. Schubarth, Die Artikel 5 und 6 (art. 5, art. 6) der Konvention, insbesondere im Hinblick auf das schweizerische Strafprozessrecht, RDS 94/1975 I, p. 498, no 119 à 122), puisque le recours ouvert n’est pas ‘une simple procédure de cassation’ (J. Raymond, loc. cit., p. 68/69, no 81). D’ailleurs, lorsque la Cour de cassation cantonale annule une sentence en raison de doutes sérieux sur l’existence des faits admis (art. 43 lettre e LSM), elle peut inviter l’autorité municipale, à laquelle elle renvoie la cause (art. 52 LSM), à procéder à des mesures d’instruction complémentaires. Cela seul suffit à démontrer que le contrôle judiciaire final des sentences municipales, tel qu’il est opéré dans le canton de Vaud, est conforme à l’art. 6 par. 1 (art. 6-1) CEDH, interprété dans le sens de la déclaration formulée par la Suisse. L’avis de P. Bischofberger, qui semble vouloir exiger que le contrôle judiciaire final porte tant sur les faits que sur le droit (Die Verfahrensgarantien der Europaïschen Konvention zum Schutze der Menschenreche und Grundfreiheiten (Art. 5 und 6) (art. 5, art. 6) in ihrer Einwirkung auf das schweizerische Strafprozessrecht, thèse Zurich 1972, p. 50/51), n’est pas justifié au vu du sens de la déclaration interprétative du Conseil fédéral, encore qu’il serait souhaitable que l’on donne à un juge pénal la compétence de connaître des contraventions du genre de celles dont il s’agit ici. Au demeurant, la recourante ne prétend pas que le contrôle judiciaire effectué en l’espèce par la Cour de cassation du Tribunal cantonal serait critiquable dans le cadre de l’examen de la régularité et de la conformité à la loi de la sentence de la Commission de police du 4 septembre 1981." (Arrêts du Tribunal fédéral suisse, vol. 108, Ière partie a), pp. 313-316) II. LA COMMISSION DE POLICE EN DROIT VAUDOIS Dans le canton de Vaud, les municipalités peuvent déléguer à un ou trois conseillers municipaux ou, si la population dépasse dix mille âmes, à un fonctionnaire spécialisé ou un fonctionnaire supérieur de police le soin de réprimer les contraventions (article 12 de la loi du 17 novembre 1969 sur les sentences municipales - "loi de 1969"). A Lausanne, il s’agit d’un fonctionnaire municipal qui compose à lui seul la commission de police. Assermenté, il "doit exercer sa fonction personnellement, avec diligence, conscience et fidélité" (article 10 du règlement du personnel de l’administration communale). Il peut se récuser spontanément ou être récusé (article 12 de la loi de 1969). Pouvoirs La commission de police ne peut prononcer que des peines d’amende (article 5 de la loi de 1969), et leur montant ne peut excéder 200 FS ou, en cas de récidive, 500 FS. Elle a compétence pour mettre les frais à la charge du "dénoncé" (articles 5 et 34), mais non pour allouer une indemnité civile ou des dépens (article 5). En 1986, la commission de police de Lausanne a statué sur 22.761 cas. Les contraventions de circulation en représentaient 91 % et consistaient pour l’essentiel dans la méconnaissance des règles de stationnement. Procédure Si elle estime les faits établis et si les renseignements sur la situation personnelle du "dénoncé" lui semblent suffisants, la commission de police peut statuer sans le citer à une audience (article 24 de la loi de 1969). Lorsqu’il y a audience, le "dénoncé" a le droit de consulter le dossier avant celle-ci (article 23). Il comparaît personnellement, mais peut se faire représenter s’il bénéficie d’une dispense expresse (article 29). Les mesures d’instruction se trouvent précisées à l’article 30, ainsi libellé: "L’autorité municipale entend le dénoncé, et le cas échéant le dénonciateur. Il est donné connaissance du rapport de police, dans la mesure où il le concerne, au dénoncé ou à la personne qui le représente ou l’accompagne. En cas de contestation sur les faits, l’autorité municipale procède aux vérifications nécessaires, notamment par l’audition de témoins qu’elle fait citer ou qu’elle appelle en séance, ou encore que le dénoncé lui amène; elle peut procéder à une inspection locale. Elle fait appel, en cas de nécessité, à un interprète. Au surplus, l’autorité municipale décide selon sa conviction si les faits mentionnés dans le rapport sont constants ou non." La commission de police rend sa sentence séance tenante et verbalement; en cas de condamnation, elle avise l’intéressé de son droit de recours (article 31), après quoi elle lui communique sa décision par écrit. Le condamné peut former opposition si, comme en l’espèce, il n’a pas été cité à l’audience ou a été jugé par défaut (article 36). En pareil cas, la sentence devient caduque (article 39) et la commission de police reprend la procédure en convoquant l’"opposant" à une audience (article 40, premier alinéa). Voies de recours Le droit pénal vaudois ne connaît pas l’appel contre les sentences de la commission de police, mais il ménage, outre l’opposition, deux types de recours à la cour de cassation du Tribunal cantonal. Le premier - exercé par Mme Belilos (paragraphe 13 ci-dessus) - est prévu par l’article 43 de la loi de 1969: "Le recours en nullité est ouvert en raison des irrégularités de procédure suivantes: a) si l’autorité municipale a statué sur un fait dont la connaissance ne lui est pas attribuée par la loi, en raison du for ou de la matière; b) si le dénoncé n’a pas été régulièrement assigné; c) s’il y a eu violation d’une autre règle essentielle de procédure et que cette violation ait été de nature à influer sur la décision attaquée; d) si la sentence attaquée présente des lacunes ou des contradictions telles que la cour de cassation est dans l’impossibilité de statuer sur le moyen de recours; e) s’il existe des doutes sérieux sur l’existence des faits admis." Dans les cas couverts par l’alinéa a) et s’il s’agit d’une infraction à poursuivre d’office, la cour de cassation saisit le ministère public (article 51, premier alinéa); elle prononce la nullité sans renvoi "si l’infraction ne se poursuit pas d’office, ou si la prescription est manifestement acquise" (article 51, second alinéa). Dans les autres hypothèses, elle "renvoie la cause à l’autorité municipale pour nouvelle sentence" (article 52). L’article 44 offre un second type de recours, non utilisé en l’espèce: le recours en réforme "pour fausse application de la loi ou pour abus du pouvoir d’appréciation dans l’application de celle-ci". Si elle accueille le recours, "la cour de cassation réforme la sentence en prenant pour base de son arrêt les faits retenus comme constants en première instance sous réserve des inadvertances manifestes qu’elle rectifie d’office" (article 53). Lorsqu’il y a recours, la commission de police le transmet sans délai au Tribunal cantonal, avec le dossier de la cause. Ce dernier comprend (article 46): le ou les rapports de police; un double de la citation, avec son récépissé s’il y a lieu; une copie de la sentence; l’enveloppe qui contenait le recours s’il a été adressé par la poste; éventuellement les autres pièces relatives à la contravention en cause; un exemplaire du règlement communal dont il a été fait application ou une copie de la décision administrative à laquelle il a été contrevenu. La commission peut y joindre des "déterminations" sur le recours. En 1986, le Tribunal cantonal vaudois a enregistré vingt-huit recours - en nullité ou en réforme - dirigés contre des sentences de la commission de police de Lausanne. Au 31 décembre de la même année, il en avait écarté trois préjudiciellement, rejeté seize et accueilli un avec renvoi de la cause à l’autorité municipale; huit demeuraient en suspens. Les arrêts de la cour de cassation pénale du Tribunal cantonal peuvent donner lieu à un recours de droit public devant le Tribunal fédéral, dont le pouvoir d’examen se limite alors au contrôle de l’absence d’arbitraire (paragraphe 15 ci-dessus). Le nombre des recours qui se rapportaient à des sentences de la commission de police de Lausanne s’élevait à cinq en 1986; le Tribunal fédéral les a tous déclarés irrecevables. III. LA DÉCLARATION INTERPRÉTATIVE DE LA SUISSE RELATIVE À L’ARTICLE 6 § 1 (art. 6-1) DE LA CONVENTION Libellé Le 28 novembre 1974, le chef du département politique fédéral - aujourd’hui département fédéral des Affaires étrangères - déposa auprès du Secrétaire général du Conseil de l’Europe l’instrument de ratification de la Convention (article 66 § 1, troisième phrase) (art. 66-1). Ce document reproduisait, mutatis mutandis, la formule traditionnellement utilisée par la Suisse en pareil cas: "Le Conseil fédéral suisse, après avoir vu et examiné la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950, (...), qui a été approuvée par les Chambres fédérales le 3 octobre 1974, déclare que la Convention ci-dessus est ratifiée, avec les réserves et déclarations interprétatives suivantes: (...)." Les réserves portaient sur les articles 5 et 6 (art. 5, art. 6) - la première a été retirée en 1982 -, tandis que les déclarations concernaient les paragraphes 1 et 3, c) et e), de l’article 6 (art. 6-1, art. 6-3-c, art. 6-3-e). Seul entre en ligne de compte dans la présente affaire la déclaration interprétative de l’article 6 § 1 (art. 6-1) ainsi rédigée: "Pour le Conseil fédéral suisse, la garantie d’un procès équitable figurant à l’article 6, paragraphe 1 (art. 6-1), de la Convention, en ce qui concerne soit les contestations portant sur des droits et obligations de caractère civil, soit le bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre la personne en cause, vise uniquement à assurer un contrôle judiciaire final des actes ou décisions de l’autorité publique qui touchent à de tels droits ou obligations ou à l’examen du bien-fondé d’une telle accusation." Travaux préparatoires a) Le rapport du Conseil fédéral à l’Assemblée fédérale, du 9 décembre 1968 Le 9 décembre 1968, le Conseil fédéral avait présenté à l’Assemblée fédérale un rapport détaillé sur la Convention (Feuille fédérale, 1968, vol. II, pp. 1069-1198). Il y soulignait la nécessité de formuler plusieurs réserves ainsi qu’une déclaration interprétative de l’article 6 § 3 c) et e) (art. 6-3-c, art. 6-3-e); il ne mentionnait pas celle d’une déclaration relative à l’article 6 § 1 (art. 6-1). b) Le rapport complémentaire du Conseil fédéral à l’Assemblée fédérale, du 23 février 1972 Dans un rapport complémentaire qu’il adressa le 23 février 1972 à l’Assemblée fédérale, le Conseil fédéral revint sur la question des réserves et déclarations interprétatives: "(...) Dans notre rapport du 9 décembre 1968, nous avons admis que la Suisse devrait faire, en ratifiant la Convention, outre les cinq réserves susmentionnées, une déclaration interprétative de l’article 6, paragraphe 3, lettres c et e (art. 6-3-c, art. 6-3-e), qui a trait à la gratuité de l’assistance d’un défenseur d’office et d’un interprète (FF 1968 II 1121), (...). Depuis la publication de notre précédent rapport, une difficulté nouvelle a surgi, qui pourrait inciter la Suisse à formuler une réserve supplémentaire en ratifiant la Convention. Dans son arrêt rendu le 16 juillet 1971 dans l’affaire Ringeisen, la Cour européenne des droits de l’homme a donné son interprétation de la notion de ‘contestations sur des droits et obligations de caractère civil’, figurant à l’article 6, paragraphe 1er (art. 6-1) (...). La tendance de la Cour de donner un sens large au mot "civil" soulève des problèmes délicats pour notre pays, où des autorités administratives sont appelées à trancher des litiges de droit civil et à intervenir dans des rapports de droit privé. Afin d’éviter qu’une notion extensive de la contestation de caractère civil ne puisse avoir des incidences sur l’organisation administrative et judiciaire des cantons, il sera probablement nécessaire de faire, au moment de ratifier la Convention, une réserve concernant la portée de l’article 6 (art. 6). La formulation de cette réserve dépendra, d’une part, du résultat des études qui devront encore être entreprises à ce sujet et, d’autre part, des éventuels développements de la jurisprudence de la Commission ou de la Cour. Nous aurons l’occasion de fixer notre attitude à ce sujet dans le message que nous vous adresserons, le moment venu, à propos de la ratification de la Convention. (...)." (Feuille fédérale, 1972, vol. I, pp. 995-996) Le département politique fédéral communiqua officiellement ledit rapport complémentaire à la direction des affaires juridiques du Conseil de l’Europe. c) Le message du Conseil fédéral à l’Assemblée fédérale, du 4 mars 1974 Le message annoncé en 1972 parvint à l’Assemblée le 4 mars 1974. Le Conseil fédéral y traitait, entre autres, des "conséquences, sur l’organisation administrative et judiciaire des cantons, de la garantie d’un droit d’accès auprès des tribunaux figurant à l’article 6 (art. 6) de la Convention": "Dans notre rapport complémentaire du 23 février 1972, nous avons notamment relevé qu’il serait probablement nécessaire de faire, au moment de ratifier la convention, une réserve concernant la portée de l’article 6, par. 1, 1ère phrase (art. 6-1), aux termes duquel (...). Nous nous sommes cependant réservé la faculté d’étudier ce problème plus en détail et de fixer notre attitude à ce sujet dans le présent message. Dans son arrêt rendu le 16 juillet 1971 dans l’affaire Ringeisen, la Cour européenne des droits de l’homme a déclaré que, pour que l’article 6, paragraphe 1 (art. 6-1), de la convention s’applique à une contestation, il n’est pas nécessaire que les deux parties au litige soient des personnes privées. Le libellé de cette disposition est beaucoup plus large. Les termes français ‘contestations sur des droits et obligations de caractère civil’ couvrent toute procédure dont l’issue est déterminante pour des droits et obligations de caractère privé. Le texte anglais, qui vise ‘the determination of ... civil rights and obligations’, confirme cette interprétation. De l’avis de la cour, peu importent dès lors, la nature de la loi suivant laquelle la contestation doit être tranchée (loi civile, commerciale, administrative, etc.) et celle de l’autorité compétente en la matière (juridiction de droit commun, organe administratif, etc.). Pour juger de la portée exacte de cette disposition, il convient de se demander à quel stade de la procédure interne les exigences formulées à l’article 6, paragraphe 1 (art. 6-1), doivent être remplies. Des indications précieuses à ce sujet figurent dans l’exposé qu’un des délégués de la Commission européenne des droits de l’homme a présenté devant la cour dans l’affaire Ringeisen. Selon M. Fawcett, l’article 6 (art. 6) de la convention ne vise qu’à assurer un contrôle judiciaire final des actes ou décisions de l’autorité publique qui touchent, en particulier, à des droits et obligations de caractère civil. Ce contrôle judiciaire est en outre limité: la disposition en question demande seulement un procès équitable et non une décision sur le fond. En d’autres termes, il n’est pas nécessaire que les autorités administratives elles-mêmes respectent les exigences de l’article 6 (art. 6). Toutefois, lorsque leurs décisions ont pour effet de confirmer, de modifier ou d’annuler des droits ou obligations de caractère civil, la procédure considérée dans son ensemble doit présenter un élément judiciaire de procès équitable. (...) Dans le domaine du droit pénal, enfin, l’article 345, chiffre 1, 2e alinéa, du code pénal suisse prévoit que le jugement des contraventions peut être attribué à une autorité administrative. En outre, l’article 369 du même code permet aux cantons de désigner un organe de l’administration pour connaître des infractions commises par des enfants ou des adolescents. Nous avons admis, dans notre rapport du 9 décembre 1968 concernant la convention, qu’en dépit de ces entorses au principe de la séparation des pouvoirs, les garanties d’indépendance et d’impartialité n’en existent pas moins, sous une autre forme, dans les cas précités. Ainsi, dans plusieurs cantons, les autorités administratives appelées à exercer des fonctions judiciaires sont élues par le peuple et sont indépendantes du pouvoir exécutif. Elles peuvent dès lors être assimilées à un ‘tribunal’ au sens de l’article 6, § 1 (art. 6-1), de la Convention européenne des droits de l’homme. De plus, le justiciable qui n’est pas content d’une décision administrative peut très souvent demander à être traduit devant un juge statuant selon la procédure ordinaire. Le tribunal rend alors un jugement au fond sur le bien-fondé de l’accusation, en prononçant un acquittement ou une condamnation. Lorsque, en revanche, la décision prise par une autorité administrative peut être déférée à un juge, non pas pour un jugement au fond, mais seulement pour l’examen de sa régularité ou de sa conformité avec la loi (pourvoi en nullité), la question se pose de savoir si cette procédure de cassation répond aux exigences de l’article 6 (art. 6) de la convention. Suivant l’interprétation donnée par l’actuel président de la Commission européenne des droits de l’homme à l’article 6, paragraphe 1 (art. 6-1), nous admettons que cette disposition ne vise qu’à assurer un contrôle judiciaire final des actes ou décisions de l’autorité publique. En outre, elle demande seulement un procès équitable et non une décision sur le fond. (...)" (Feuille fédérale, 1974, vol. I, pp. 1030-1033) Le département politique fédéral transmit officiellement le message en question à la direction des affaires juridiques du Conseil de l’Europe. d) L’arrêté fédéral du 3 octobre 1974 L’approbation de la Convention par l’Assemblée fédérale - laquelle portait également sur les réserves et les déclarations interprétatives - fut acquise le 3 octobre 1974. L’arrêté fédéral la consignant est ainsi libellé: "L’Assemblée fédérale de la Confédération suisse, vu l’article 8 de la constitution; vu le message du conseil fédéral du 4 mars 1974, arrête: Article premier Sont approuvés: a. La Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, du 4 novembre 1950, amendée par le protocole no 3 (P3) du 6 mai 1963, modifiant les articles 29, 30 et 34 (art. 29, art. 30, art. 34) de la convention, et par le protocole no 5 (P5) du 20 janvier 1966, modifiant les articles 22 et 40 (art. 22, art. 40) de la convention, avec les réserves et déclarations suivantes: (...) - Déclaration interprétative de l’article 6, paragraphe 1 (art. 6-1): [paragraphe 29 ci-dessus] (...)." (Recueil officiel des lois fédérales, 1974, pp. 2148-2149) PROCEDURE SUIVIE DEVANT LA COMMISSION Mme Belilos a saisi la Commission le 24 mars 1983 (requête no 10328/83). Elle se plaignait de n’avoir pas été jugée par un tribunal indépendant et impartial, au sens de l’article 6 § 1 (art. 6-1) de la Convention, et jouissant de la plénitude de juridiction. La Commission a retenu la requête le 8 juillet 1985. Dans son rapport du 7 mai 1986 (article 31) (art. 31), elle formule à l’unanimité l’opinion qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 (art. 6-1). Le texte intégral de son avis figure en annexe au présent arrêt. CONCLUSIONS PRESENTEES A LA COUR Dans son mémoire complémentaire du 4 mai 1987, la requérante a prié la Cour de se prononcer de la manière suivante: "I. Il est donné acte à la requérante de ce qu’elle a été, en l’espèce, victime d’une violation de l’article 6 § 1 (art. 6-1) de la Convention au motif qu’elle n’a pas bénéficié d’une solution juridictionnelle de son litige. II. La Suisse est tenue de prendre toutes mesures utiles pour annuler l’amende infligée à la requérante par la sentence rendue le 4 septembre 1981 par la commission de police de la municipalité de Lausanne et pour rembourser à la requérante la somme de 120 FS payée par celle-ci. III. La Suisse est invitée à prendre toutes mesures utiles pour que les commissions de police n’aient plus qualité pour établir définitivement les faits dans le cadre de procédures aboutissant à un prononcé d’amende, la loi vaudoise du 17 novembre 1969 sur les sentences municipales étant modifiée dans le sens qui précède. IV. La Suisse est tenue de verser à Marlène Belilos la somme de 3.250 FS, à titre de dépens pour les procédures vaudoise et suisse, et de 30.000 FS, à titre de dépens pour les procédures européennes." Le Gouvernement a confirmé lors des audiences les conclusions de son mémoire du 24 février 1987. Il y invitait la Cour: "A. Quant à la recevabilité, à accueillir l’exception préliminaire et dire qu’en raison de l’incompatibilité de la requête avec les engagements internationaux assurés par la Suisse au titre de l’article 6 § 1 (art. 6-1) de la Convention, la Cour ne peut connaître du fond de l’affaire; B. Quant au fond, à dire que la déclaration interprétative de la Suisse à l’article 6 § 1 (art. 6-1) de la Convention produit les effets juridiques d’une réserve valablement émise et qu’il n’y a dès lors pas eu violation de cette disposition, telle qu’applicable à la Suisse."
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE M. Mogens Hauschildt, ressortissant danois né en 1941, réside actuellement en Suisse. En 1974 il fonda une société, Scandinavian Capital Exchange APS ("SCE"), qui se livrait au commerce des métaux précieux et, de plus, fournissait des services financiers. Elle devint le plus important courtier en métaux précieux de Scandinavie, avec des filiales en Suède, en Norvège, aux Pays-Bas, au Royaume-Uni et en Suisse. L’intéressé en était l’administrateur délégué. Au fil des ans et jusqu’à la fin de 1979, des différends surgirent entre la SCE et la Banque Nationale Danoise, le fisc et le ministère du Commerce au sujet des transferts de fonds entre la SCE et ses filiales étrangères. A. Les poursuites contre le requérant L’enquête Le 30 janvier 1980, le fisc saisit la police d’une plainte selon laquelle les activités du requérant et de sa société semblaient contraires à la législation fiscale et au code pénal danois. Après avoir obtenu un mandat, elle arrêta M. Hauschildt, s’empara de tous les documents disponibles au siège de la SCE et mit un terme aux opérations de celle-ci le 31 janvier 1980. L’intéressé comparut le lendemain devant le tribunal de Copenhague (Københavns byret) qui l’inculpa d’escroquerie et de fraude fiscale, ordonnant de prolonger la garde à vue de trois périodes consécutives de vingt-quatre heures; le requérant ne souleva aucune objection. Le 2 février 1980, après avoir entendu l’accusation et la défense, le tribunal estima les accusations non dénuées de fondement et fit placer M. Hauschildt en réclusion cellulaire, au titre des articles 762 et 770 par. 3 de la loi sur l’administration de la justice (Retsplejeloven, "la loi", paragraphes 33 et 36 ci-dessous). Par le jeu de décisions successives, dont plusieurs émanaient du juge Claus Larsen, l’intéressé demeura en détention provisoire jusqu’à l’ouverture du procès public devant le tribunal le 27 avril 1981 (paragraphes 19-21 ci-dessous) et resta en réclusion cellulaire jusqu’au 27 août 1980. Pendant l’enquête, la police saisit d’autres documents et des biens. Des recherches eurent lieu aussi au Royaume-Uni, aux Pays-Bas, en Belgique, en Suisse, au Liechtenstein et aux États-Unis. En vertu de la Convention européenne d’entraide judiciaire en matière pénale, du 20 avril 1959, le juge du tribunal de Copenhague autorisa plusieurs fois le parquet à solliciter la coopération d’autres États européens pour se procurer des pièces et à d’autres égards (paragraphe 22 ci-dessous). Long de 86 pages, l’acte d’accusation fut signifié au requérant le 4 février 1981. Il énumérait huit chefs d’escroquerie et de détournement de fonds pour une valeur approximative de 45 millions de couronnes danoises. Le procès en première instance Le procès commença le 27 avril 1981 devant le tribunal de Copenhague composé d’un juge de carrière, M. Larsen, et de deux assesseurs non professionnels. M. Hauschildt affirme s’être plaint du juge président avant les débats, mais ne présenta pas de demande formelle à ce sujet. Ses avocats lui indiquèrent que l’article 60 par. 2 de la loi empêchait de récuser ledit magistrat à raison des décisions préparatoires qu’il avait prononcées (paragraphes 20-22 et 28 ci-dessous). En plus de 130 audiences, le tribunal ouït quelque 150 témoins, ainsi que le prévenu, et examina beaucoup de documents. Il recueillit en outre les avis d’experts désignés, en particulier des comptables, et rendit nombre d’ordonnances concernant la détention provisoire et la réclusion cellulaire de l’intéressé, l’envoi de commissions rogatoires et d’autres questions de procédure (paragraphe 24 ci-dessous). Siégeant sous la présidence de M. Larsen, le tribunal statua le 1er novembre 1982. Il déclara le requérant coupable sur tous les points et lui infligea sept ans de prison. La procédure d’appel M. Hauschildt attaqua le jugement devant la cour d’appel du Danemark oriental (Østre Landsret). Comprenant trois juges de carrière et trois juges non professionnels, elle jouissait de la plénitude de juridiction, pour le fait comme pour le droit. Les audiences débutèrent le 15 août 1983. Auparavant, l’intéressé avait soulevé auprès du président une objection contre l’un des assesseurs, au motif que celui-ci avait participé, au sein du tribunal de Copenhague, à la décision de saisir de la correspondance et des biens du requérant. L’avocat de la défense refusa cependant de plaider cette thèse, en raison des termes de l’article 60 par. 2 de la loi, et M. Hauschildt retira l’objection. Le 2 mars 1984, la cour d’appel estima l’intéressé coupable de six chefs de prévention sur huit et le condamna à cinq ans d’emprisonnement. Elle considéra comme une circonstance aggravante l’envergure de l’escroquerie commise, mais comme une circonstance atténuante le fait que le requérant se trouvait en détention provisoire depuis le 31 janvier 1980, régime selon elle plus rigoureux qu’un emprisonnement après jugement. M. Hauschildt recouvra sa liberté le jour même. Le 4 mai 1984, le ministère de la Justice lui refusa l’autorisation de se pourvoir devant la Cour suprême (Højesteret). B. La détention provisoire de M. Hauschildt et autres questions de procédure Pendant l’enquête Le 2 février 1980, on le sait (paragraphe 11 ci-dessus), le juge du tribunal de Copenhague avait décidé de placer provisoirement l’inculpé en réclusion cellulaire. Selon lui, il y avait des raisons de penser que ce dernier, si on l’élargissait, s’enfuirait ou entraverait l’enquête (articles 762 par. 1, alinéas 1 et 3, et 770 par. 3 de la loi, paragraphes 33 et 36 ci-dessous). A l’appui de la détention, il citait les éléments suivants: 1) la circonstance que le requérant avait vécu hors du Danemark jusqu’en 1976 et à l’époque de son arrestation envisageait de s’établir en Suède; 2) ses intérêts économiques à l’étranger; 3) l’importance de l’affaire; 4) le risque qu’il gênât l’instruction en influençant des tiers au Danemark et à l’étranger. Conformément à l’article 767 de la loi, le maintien de la détention provisoire donna lieu à un contrôle judiciaire constant exercé à des intervalles de quatre semaines au maximum. Les motifs énumérés dans la décision initiale du 2 février 1980, rendue par le juge Rasmussen, en constituèrent la base jusqu’au 10 avril 1980. A cette dernière date, le juge Larsen, qui devait ultérieurement présider la juridiction de jugement (paragraphe 13 ci-dessus), se fonda de surcroît sur l’article 762 par. 1, alinéa 2 (danger de nouvelles infractions, paragraphe 33 ci-dessous). En effet M. Hauschildt, de sa prison, avait communiqué secrètement avec son épouse, la priant de retirer de l’argent de certains comptes bancaires ainsi que certains biens personnels. Le 30 avril, le même magistrat prescrivit de la placer en détention provisoire et d’intercepter une lettre de son mari. Plus tard, la cour d’appel, en statuant le 5 septembre 1980 sur un recours contre une ordonnance de maintien en détention, se référa en outre au paragraphe 2 de l’article 762 (paragraphe 33 ci-dessous): des recherches menées par la police jusqu’alors, il ressortait que les victimes pouvaient avoir subi un préjudice d’environ 19.500.000 couronnes danoises. A partir du 24 septembre, le juge Larsen s’appuya lui aussi sur ce paragraphe également. La détention provisoire de l’intéressé continua de reposer sur chacun des trois alinéas du paragraphe 1 et le paragraphe 2 de l’article 762 (paragraphe 33 ci-dessous) jusqu’au 17 août 1982, date après laquelle l’alinéa 3 du premier ne fut plus invoqué. De l’arrestation (31 janvier 1980) à l’ouverture du procès (27 avril 1981), les enquêtes de police et le maintien de la détention provisoire dépendaient de décisions du tribunal siégeant avec un juge unique professionnel. Une quarantaine d’audiences au total se déroulèrent en l’espèce au cours de cette période; vingt d’entre elles concernaient la détention provisoire et, de plus, du 31 janvier au 27 août 1980, la réclusion cellulaire. Quinze de ces décisions furent prononcées par le juge Larsen (10 avril, 30 avril, 28 mai, 25 juin, 20 août, 27 août, 24 septembre, 15 octobre, 12 novembre, 3 décembre et 10 décembre 1980; 4 février, 25 février, 11 mars et 8 avril 1981); à cinq reprises, il prescrivit de prolonger la réclusion cellulaire (10 avril, 30 avril, 28 mai, 25 juin et 20 août 1980), à laquelle il mit fin le 27 août 1980. Pendant la même période, le tribunal de Copenhague sollicita par trois fois (5 mars, 16 juin et 13 août), à la demande de la police, la coopération d’autres pays pour se procurer des pièces et à d’autres fins (paragraphe 12 ci-dessus). Deux de ces décisions émanaient du juge Larsen (16 juin et 13 août 1980). Le juge du tribunal eut à trancher de surcroît d’autres questions de procédure telles que la saisie de biens et documents de l’inculpé, les contacts de celui-ci avec la presse, son accès à des rapports de la police, les visites à recevoir par lui en prison, le paiement des honoraires de son conseil et sa correspondance. En sus de l’ordonnance du 30 avril 1980 plaçant Mme Hauschildt en détention provisoire (paragraphe 20 ci-dessus), le juge Larsen donna des directives quant à l’interception d’une deuxième lettre de l’intéressé (28 mai 1980), à la saisie d’une somme appartenant, selon lui, à ce dernier (12 novembre 1980), à un changement de l’avocat de la défense (4 février 1981) et à l’accès du requérant à certains éléments des dossiers de la police. Il statua de la sorte à la demande tantôt de l’accusation, tantôt de la défense. M. Hauschildt attaqua diverses mesures ainsi adoptées par le juge devant la cour d’appel, composée de trois magistrats de carrière. Elle fut amenée en cinq occasions à examiner son maintien en détention. Treize juges différents participèrent à ces décisions; aucun d’entre eux ne siégea ultérieurement pendant le procès en appel. Il en alla de même des six magistrats qui connurent des recours relatifs à d’autres questions de procédure. Pendant le procès en première instance Tout au long du procès de M. Hauschildt, du 27 avril 1981 au 1er novembre 1982 (paragraphes 13-15 ci-dessus), le tribunal de Copenhague, qui comprenait le juge Larsen, président, et deux assesseurs non professionnels, eut lui aussi à se prononcer sur une série de questions de procédure. Il prolongea notamment la détention provisoire vingt-trois fois, en vertu de l’article 762 paras. 1 et 2. A deux exceptions près, ces ordonnances furent rendues par le juge Larsen et de plus, pour quatre d’entre elles, par ses deux assesseurs. Du 2 juillet au 7 octobre 1981, le requérant resta en réclusion cellulaire à la demande de l’accusation. La décision initiale en ce sens émanait d’un autre magistrat, mais le juge Larsen en prorogea la validité par deux fois. En outre, il accorda cinq autorisations de solliciter l’aide d’autres pays. L’intéressé attaqua dix-neuf de ces diverses décisions devant la cour d’appel. Elle en confirma douze, relatives à la détention provisoire; des quatorze juges qui eurent à s’en occuper, aucun ne siégea ultérieurement en appel. Les autres recours de M. Hauschildt avaient trait à des questions telles que la désignation et les frais de déplacement de l’avocat de la défense, l’audition de témoins supplémentaires, la délivrance de mandats de perquisition et la réclusion cellulaire; contribuèrent à leur examen douze juges différents. Le 14 juillet 1981, trois magistrats de la cour d’appel confirmèrent l’ordonnance prolongeant l’isolement cellulaire du prévenu; par la suite, l’un d’eux connut aussi de l’appel de celui-ci contre la condamnation infligée en première instance. Pendant le procès en appel Pendant le procès en appel la détention du requérant continua, conformément au droit danois, à être considérée comme provisoire (paragraphes 16-17 ci-dessus). La cour devait donc la contrôler toutes les quatre semaines au moins. Elle en ordonna la prolongation à dix-neuf reprises, à savoir dix avant les débats et neuf après leur ouverture. A quelques exceptions près, toutes les décisions prononcées en la matière furent adoptées par les juges qui participèrent à l’instance d’appel. Pour les audiences (15 août 1983 - 2 mars 1984), trois juges non professionnels se joignirent aux magistrats de carrière. Lesdites décisions se fondaient sur les paragraphes 1, alinéa 1, et 2 de l’article 762 de la loi (paragraphe 33 ci-dessous). La cour attacha une importance spéciale à la gravité des préventions et à la circonstance que le requérant avait vécu à l’étranger et y avait conservé des intérêts économiques notables. Le ministère de la Justice autorisa par deux fois M. Hauschildt à contester devant la Cour suprême son maintien en détention. Le 26 janvier 1983, elle confirma la décision de la cour d’appel tout en estimant que la mesure litigieuse devait reposer aussi sur l’alinéa 2 de l’article 762 par. 1 (paragraphe 33 ci-dessous). De fait, certaines des infractions dont le tribunal de Copenhague avait convaincu le requérant avaient été commises alors qu’il se trouvait incarcéré. Le 9 décembre 1983, la Cour suprême ordonna la poursuite de la détention mais sur la seule base du paragraphe 1, alinéas 1 et 2, de l’article 762 (paragraphe 33 ci-dessous); à la majorité, elle considéra que l’intérêt public n’exigeait plus d’appliquer le paragraphe 2. II. DROIT INTERNE PERTINENT La récusation d’un juge obéit aux articles 60 à 63 de la loi: Article 60 "1. Nul ne peut exercer les fonctions de juge dans une affaire: 1) s’il est lui-même partie en cause, si l’issue du litige présente un intérêt pour lui ou, en matière pénale, si l’infraction lui a causé un préjudice; 2) s’il a des liens de parenté ou d’alliance avec l’une des parties en matière civile ou avec l’accusé en matière pénale, soit en ligne directe soit, en ligne collatérale, jusques et y compris les cousins germains, ou s’il est le conjoint, tuteur, parent adoptif ou nourricier, ou enfant adoptif ou nourricier de l’une des parties ou de l’accusé; 3) s’il est le conjoint, le parent ou allié en ligne directe ou collatérale, jusques et y compris les cousins germains, soit d’un avocat ou autre représentant de l’une des parties en matière civile, soit, en matière pénale, de la partie lésée ou de son représentant, d’un membre du parquet ou officier de police comparaissant dans l’affaire ou encore du défenseur de l’accusé; 4) s’il a comparu dans l’affaire en qualité de témoin ou d’expert (syn- og skønsmand) ou, en matière civile, y a exercé les fonctions d’avocat ou autre représentant de l’une des parties ou, en matière pénale, d’officier de police, membre du parquet, avocat ou autre représentant de la partie lésée; 5) s’il a connu de l’affaire en qualité de juge au sein de la juridiction inférieure ou, en matière pénale, de juré ou de magistrat non professionnel. Le fait que le juge peut avoir eu à connaître de l’affaire en raison de l’exercice de plusieurs fonctions officielles ne le disqualifie pas s’il n’y a pas lieu de présumer, dans les circonstances de la cause, qu’il a un intérêt particulier à l’issue de l’affaire." Article 61 "Dans les situations visées à l’article précédent, le juge, s’il siège comme juge unique, se récuse de son propre chef. S’il siège avec d’autres juges, il informe le tribunal des circonstances qui d’après l’article précédent peuvent le disqualifier. De même, les autres juges, lorsqu’ils ont connaissance de pareilles circonstances, ont le droit et le devoir de soulever la question de la disqualification, après quoi le tribunal la tranche sans que le juge en cause soit exclu de la décision." Article 62 "1. Les parties peuvent non seulement exiger qu’un juge se récuse dans les cas visés à l’article 60, mais aussi s’opposer à ce qu’un juge connaisse d’une affaire si d’autres circonstances permettent de douter de son impartialité absolue. En pareil cas le juge, de son côté, s’il craint que les parties ne puissent pas lui accorder pleine confiance, peut se récuser même en l’absence de demande en ce sens. Si plusieurs juges connaissent d’une affaire, chacun d’eux peut soulever la question de savoir si l’un des autres doit se retirer en raison des circonstances indiquées ci-dessus. Les questions pouvant se poser au regard du présent article sont tranchées de la manière indiquée à l’article 61 pour les situations visées à l’article 60." Article 63 "La question de savoir si un juge peut continuer à siéger - qui en matière civile, si l’une des parties la soulève, est traitée comme les autres objections de procédure - doit autant que possible être soulevée avant le début de l’audience. Elle peut être tranchée sans que les parties aient eu la faculté de présenter des observations." Selon le Gouvernement, à l’époque où l’affaire du requérant se trouvait pendante devant les juridictions danoises la Cour suprême n’avait élaboré aucune jurisprudence au sujet de l’article 60 par. 2. Toutefois, par un arrêt du 12 mars 1987 elle a estimé que si un juge a ordonné le placement d’un inculpé en détention provisoire, cela ne l’empêche pas en soi de participer au procès ultérieur et à l’adoption du jugement. A la faveur d’un amendement qui étendait l’application de l’article 762 par. 2 (paragraphe 35 ci-dessous), le Parlement danois a modifié l’article 60 le 10 juin 1987. Aux termes du nouveau paragraphe 2, "un juge ayant ordonné la détention provisoire sur la seule base de l’article 762 par. 2 ne peut participer au procès ultérieur, sauf si le prévenu plaide coupable". Cet amendement est entré en vigueur le 1er juillet 1987. Au Danemark, la conduite de l’instruction relève du parquet, assisté par la police, et non d’un juge. Les fonctions de la police en la matière se trouvent définies dans les articles 742 et 743 de la loi, ainsi libellés: Article 742 "1. Tout renseignement concernant une infraction pénale est adressé à la police. La police ouvre une enquête soit sur la foi de tels renseignements, soit de sa propre initiative, s’il existe des motifs plausibles de croire qu’il a été commis une infraction pénale passible de poursuites de la part du parquet." Article 743 "L’enquête a pour but de rechercher si les conditions d’une responsabilité pénale, ou du prononcé d’une autre sanction en vertu du droit pénal, se trouvent remplies et de recueillir des renseignements utiles à la décision à rendre et à la préparation du procès." L’article 746 indique le rôle du tribunal: "Le tribunal tranche les questions relatives à la légalité des mesures d’enquête de la police et aux droits de l’inculpé et de son défenseur, y compris les demandes de complément d’enquête émanant de celui-ci ou de l’inculpé. Il statue par voie d’ordonnance et sur demande." L’arrestation et la détention provisoire font l’objet des articles 760 et 762: Article 760 "1. Toute personne placée en garde à vue doit recouvrer sa liberté dès que les motifs de l’arrestation cessent d’exister. Le moment de son élargissement doit figurer dans le rapport. Si la personne placée en garde à vue n’a pas encore recouvré sa liberté, elle doit être traduite devant un juge dans les vingt-quatre heures de son arrestation. Le moment de celle-ci et de la comparution devant le juge doit figurer au procès-verbal du tribunal." Article 762 "1. Un suspect peut être placé en détention provisoire s’il existe des raisons plausibles de croire qu’il a commis une infraction passible de poursuites de la part du parquet, et pour laquelle la loi prévoit une peine d’emprisonnement d’un an et six mois ou plus, et si 1) selon des renseignements recueillis au sujet de la situation du suspect, il existe une raison précise de croire qu’il se soustraira aux poursuites ou à l’exécution du jugement, ou 2) selon des renseignements recueillis au sujet de la situation du suspect, il existe une raison précise de craindre qu’une fois en liberté, il ne commette une nouvelle infraction de la catégorie visée plus haut, ou 3) dans les circonstances de la cause, il existe une raison précise de croire que le suspect entravera l’enquête, en particulier en supprimant des preuves ou en avertissant ou influençant d’autres personnes. Un suspect peut aussi être placé en détention provisoire s’il existe des soupçons particulièrement renforcés (saerlig bestyrket mistanke) qu’il a commis une infraction passible de poursuites de la part du parquet, et pour laquelle la loi prévoit une peine d’emprisonnement de six ans ou plus et si, à la lumière des renseignements recueillis quant à la gravité de l’affaire, l’intérêt public paraît exiger que le suspect ne soit pas en liberté. La détention provisoire ne peut être ordonnée si l’on peut prévoir que l’infraction donnera lieu à une amende ou à de simples arrêts (haefte), ou si la privation de liberté constituerait une mesure disproportionnée à l’ingérence dans la situation du suspect, à l’importance de l’affaire et à l’issue escomptée en cas de constat de culpabilité." L’article 762 par. 2 vaut même si aucune des conditions du paragraphe 1 ne se trouve remplie. Il fut inséré dans la loi en 1935, à la suite d’une affaire de viol qualifié. Le compte rendu des débats parlementaires renferme le passage ci-après (Rigsdagstidende 1934-35, Partie B, col. 2159): "Quand tous présument l’accusé coupable et s’attendent donc à l’ouverture de poursuites pénales graves contre lui, il peut être extrêmement choquant d’obliger les gens à le voir, dans leurs activités professionnelles et sociales, demeurer libre de ses mouvements. Malgré l’absence d’un jugement définitif établissant sa culpabilité et les conséquences de celle-ci, on risque de créer l’impression d’un manque de sérieux et de cohérence dans l’application de la loi, ce qui peut ternir l’image de la justice." Le paragraphe 2 de l’article 762 a été modifié en 1987 pour englober certains actes de violence de nature à entraîner au minimum soixante jours de prison. En réponse à une critique figurant dans un éditorial du journal Politiken, le ministre danois de la Justice a écrit ceci le 30 décembre 1986: "D’aucuns (...) ayant insinué que mon projet de loi autorise à incarcérer des innocents, je crois utile de relever qu’il subordonne la mise en détention provisoire à l’existence de soupçons particulièrement renforcés [souligné par le ministre] que l’accusé a commis l’acte criminel. Cette disposition ne peut donc jouer que si la culpabilité apparaît très claire; elle offre justement le moyen d’éviter d’emprisonner des innocents." La réclusion cellulaire est régie par l’article 770 par. 3 de la loi, à l’époque ainsi libellé: "Sur demande de la police, le tribunal peut décider l’isolement total ou partiel du détenu si le but de la détention provisoire l’exige." Ce texte a été modifié le 6 juin 1984. PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION M. Hauschildt a écrit pour la première fois à la Commission le 26 août 1980. Dans cette communication puis dans d’autres, enregistrées comme requête sous le no 10486/83, il invoquait les articles 3, 5, 6, 7 et 10 (art. 3, art. 5, art. 6, art. 7, art. 10) de la Convention et l’article 1 du Protocole no 4 (P4-1). Au sujet de l’article 6 (art. 6), il prétendait n’avoir pas bénéficié d’un procès équitable devant un tribunal impartial et dans un délai raisonnable; à l’appui de ses dires, il signalait notamment que le juge présidant le tribunal de Copenhague et les magistrats de la cour d’appel, qui avaient respectivement constaté sa culpabilité et statué sur son recours, avaient avant et pendant ces procès pris de nombreuses décisions relatives à sa détention provisoire et à d’autres questions de procédure. Le 9 octobre 1986, la Commission a retenu la requête quant à ce dernier grief mais l’a déclarée irrecevable pour le surplus. Dans son rapport du 16 juillet 1987 (article 31) (art. 31), elle conclut par neuf voix contre sept à l’absence de violation de l’article 6 par. 1 (art. 6-1). Le texte intégral de son avis et de l’opinion dissidente collective dont il s’accompagne figure en annexe au présent arrêt.
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I. LES CIRCONSTANCES DE LA CAUSE M. Salvatore Ciulla, né à Palerme en 1950, a fait l’objet en Italie d’une série de poursuites pénales engagées par différents parquets, ainsi que d’une procédure de "prévention" (prevenzione). Bien que le présent litige ne porte pas sur les premières, il y a lieu de donner ci-après quelques indications sur l’une d’entre elles, ouverte à Milan, en raison de son chevauchement avec les circonstances de la cause. A. Les poursuites pénales intentées à Milan Appréhendé en avril 1982 pour infraction à la législation sur les stupéfiants, l’intéressé bénéficia pendant l’instruction, le 9 décembre 1982, d’un élargissement sous contrôle judiciaire. Le 24 octobre 1983, le tribunal de Milan lui infligea onze ans et six mois de réclusion ainsi que 70 millions de lires d’amende, assortis d’une mesure de sûreté qui consistait en huit années de liberté surveillée. En conséquence, il révoqua le 8 novembre 1983, à la demande du ministère public et en vertu de l’article 277 du code de procédure pénale, la mise en liberté du requérant et décerna un nouveau mandat d’arrêt fondé sur l’existence d’un danger de fuite. Sur les conclusions conformes du parquet général, la Cour de cassation annula cette décision le 30 janvier 1984, accueillant ainsi le recours de M. Ciulla. Elle estima "irrégulier", parce que non concomitant avec le jugement de condamnation, le retrait du bénéfice de l’élargissement accordé le 9 décembre 1982; quant au nouveau mandat, il se trouvait "vicié pour défaut de motifs" car ni la gravité de la peine prononcée ni la fuite de coïnculpés ne constituaient des justifications pertinentes et suffisantes. Sur le premier point, l’ordonnance décidait le renvoi de l’affaire au tribunal de Milan; les comparants n’ont fourni aucun renseignement sur les suites que celui-ci a pu y réserver. L’intéressé recouvra aussitôt sa liberté. Le 1er février 1985, la cour d’appel de Milan réforma le jugement du 24 octobre 1983 en ramenant la peine à neuf ans de réclusion et 50 millions de lires d’amende. Le 22 janvier 1986, la Cour de cassation rejeta le pourvoi du requérant et déclara irrecevable celui du ministère public. B. La mesure préventive d’assignation à résidence appliquée au requérant Les 1er et 10 octobre 1983, alors que le procès en première instance touchait à sa fin (paragraphe 12 ci-dessus), le chef de la police (questore) et le procureur de la République de Milan invitèrent le tribunal de la même ville à prendre contre M. Ciulla une mesure préventive de "surveillance spéciale" (sorveglianza speciale), doublée de l’interdiction de séjourner dans diverses régions. Ils préconisèrent en outre des mesures accessoires de caractère patrimonial, à savoir la saisie et la confiscation de biens. La première partie de leur demande s’appuyait sur l’article 3 de la loi no 1423 du 27 décembre 1956, la seconde sur la loi no 575 du 31 mai 1965 (paragraphes 19-20 ci-dessous). Le 19 décembre 1983, le tribunal (6e chambre) tint une première audience mais dut ajourner les débats en raison d’une irrégularité qui entachait certaines notifications. Ultérieurement, l’affaire fut réinscrite au rôle pour le 5 mars 1984. Dans l’intervalle, le parquet avait modifié ses conclusions le 29 février: il sollicitait désormais une mesure d’assignation à résidence (soggiorno obbligato), prévue elle aussi par la loi de 1956. L’intéressé ne comparut pas le 5 mars. Comme il fallait lui communiquer les nouvelles réquisitions du ministère public, le tribunal renvoya l’examen de la cause. En définitive, les débats se déroulèrent le 8 mai. A cette date, le parquet réclama l’arrestation de M. Ciulla, présent dans la salle, en vertu de l’article 6 de la loi de 1956 (paragraphe 19 ci-dessous). Le président de la 6e chambre en décida ainsi et l’intéressé fut écroué le jour même à la maison d’arrêt de Milan. Pour constater l’existence de "raisons d’une gravité particulière", au sens dudit article, le ministère public invoqua entre autres la lourde condamnation infligée par le tribunal de Milan (paragraphe 12 ci-dessus). Quant au président, il statua en ces termes (traduction de l’italien): "Le président de la 6e chambre pénale, vu la demande du ministère public, du 8 mai 1984, tendant à l’incarcération de Ciulla Salvatore en vertu de l’article 6 de la loi no 1423 de 1956, relevant que Ciulla Salvatore a été proposé pour l’assignation à résidence dans une commune déterminée et qu’il existe des raisons d’une gravité particulière, à savoir tous les indices mentionnés dans la demande du chef de la police et du ministère public ainsi que la récente condamnation à 11 ans et 6 mois de réclusion et à une amende de 70 millions de lires, infligée [à l’intéressé] pour des délits graves concernant des stupéfiants; que Ciulla Salvatore, personne soupçonnée d’appartenir à des associations à caractère "mafieux", apparaît, sur la base de l’ensemble du dossier, très mêlé au trafic international illicite de stupéfiants; que sa dangerosité sociale se révèle donc suffisamment prouvée en l’état et en vue de la présente décision; rappelant aussi les arguments développés dans la demande du ministère public, Par ces motifs, vu l’article 6 de la loi no 1423 de 1956, ORDONNE que Ciulla Salvatore, né à Palerme le 21 février 1950, soit détenu dans la maison d’arrêt de Milan jusqu’à ce que la décision à prendre dans la présente procédure soit devenue exécutoire. (...)" Le conseil de M. Ciulla demanda immédiatement l’élargissement provisoire de son client; le tribunal réserva sa décision à cet égard. Le 24 mai, la 6e chambre du tribunal ordonna l’assignation à résidence du requérant pour cinq ans, en vertu de l’article 3 de la loi de 1956, et la confiscation de certains de ses biens. La police le conduisit, le 25, dans une petite ville de la province d’Ancône. Il n’y séjourna que jusqu’au 24 octobre 1984: il fut alors appréhendé en exécution d’un mandat décerné par le juge d’instruction de Palerme dans le cadre d’autres poursuites. M. Ciulla purge actuellement la peine prononcée contre lui par la cour d’appel de Milan (paragraphe 14 ci-dessus). II. LE DROIT ET LA JURISPRUDENCE INTERNES PERTINENTS A. La législation en vigueur à l’époque La loi no 1423 du 27 décembre 1956 ("la loi de 1956") permet d’adopter des mesures de prévention à l’égard des "personnes dangereuses pour la sécurité et pour la moralité publique". Elle se trouve résumée pour l’essentiel dans l’arrêt Guzzardi du 6 novembre 1980 (série A no 39, pp. 17-19, paras. 45-51); il suffit d’en reproduire ici l’article 6, tel que l’a modifié la loi no 152 du 22 mai 1975 (traduction de l’italien): "Si la proposition [d’une mesure de prévention] tend à l’assignation à résidence dans une commune déterminée, le président du tribunal, pendant la procédure (...), peut, quand il existe des raisons d’une gravité particulière, ordonner par décision motivée que l’intéressé soit gardé en prison jusqu’à ce que la mesure de prévention soit devenue définitive. En même temps que l’assignation à résidence dans une commune déterminée, le tribunal ordonne que [l’intéressé] soit amené par la police de la prison où il se trouve à la commune de résidence et confié à l’autorité locale de police." Quant à la loi no 575 du 31 mai 1965 ("la loi de 1965"), amendée en 1982, elle complète celle de 1956 par des règles de procédure et de fond (personnelles et patrimoniales) dirigées contre les personnes dont des indices révèlent l’appartenance à des groupes "mafieux". Ses dispositions n’ont aucune incidence sur l’article 6 précité (voir aussi l’arrêt Guzzardi susmentionné, p. 19, par. 52). B. La modification de 1988 Postérieure aux faits de la cause, la loi no 327 du 3 août 1988 a remanié les lois de 1956 et 1965. Elle ne prévoit plus la possibilité d’incarcérer l’intéressé pendant l’examen de la demande d’assignation à résidence, mesure qui désormais doit être exécutée dans la commune où il a son domicile ou sa résidence (comune di residenza o di dimora abituale). L’article 6 de la loi de 1956 se lit dorénavant ainsi (traduction de l’italien): "1. Si la proposition tend à la surveillance spéciale avec assignation à résidence ou interdiction de séjour, le président du tribunal, pendant la procédure (...), peut ordonner par décision (decreto) le retrait temporaire du passeport et la suspension, pour la sortie du territoire, de la validité de tout autre document équivalent. S’il existe des raisons d’une gravité particulière, il peut aussi ordonner que l’assignation à résidence ou l’interdiction de séjour soit provisoirement imposée à l’intéressé jusqu’à ce que la mesure de prévention soit devenue définitive." C. La jurisprudence relative au statut de la Convention dans l’ordre juridique interne D’après la documentation fournie par les comparants, les juridictions italiennes - Cour constitutionnelle, cours et tribunaux judiciaires et administratifs - ont rendu d’assez nombreuses décisions quant au statut de la Convention dans l’ordre juridique interne du pays, auquel elle se trouve incorporée en vertu de la loi no 848 du 4 août 1955. A une exception près - un arrêt des chambres réunies de la Cour des comptes, du 27 mars 1980 (Foro italiano 1980, III, colonnes 352-355) -, elles ne lui ont pas reconnu valeur constitutionnelle. En outre, elles ne semblent pas avoir eu l’occasion de préciser si elle occupe, comme l’affirme une partie de la doctrine, un rang intermédiaire entre la Constitution et les lois ordinaires, c’est-à-dire si elle prime jusqu’aux lois postérieures à sa ratification par l’Italie. En ce qui concerne, spécialement, l’article 5 (art. 5) de la Convention, le Gouvernement a produit la teneur de six décisions; aucune d’elles ne porte sur la loi de 1956. Il s’agit d’abord de quatre arrêts de la Cour de cassation. Selon le cas, ils citent un passage d’un rapport de la Commission (1e chambre pénale, 7 décembre 1981, Minore), soulignent l’utilité interprétative de la Convention (chambres réunies, 13 juillet 1985, Buda) ou concluent à l’absence de violation du paragraphe 2 de l’article 5 (art. 5-2) (1e chambre pénale, 9 juillet 1982, Signorelli, et 25 mars 1986, Trinco). S’y ajoutent deux jugements du tribunal de Rome, relatifs au paragraphe 5 (art. 5-5). Le premier, du 15 mai 1973, n’a pas statué sur la réparation car il n’a relevé aucune infraction au paragraphe 1 (art. 5-1) (Luttazzi, Foro italiano 1973, I, colonnes 2933-2936); le second en revanche, du 7 août 1984, a octroyé une indemnité au demandeur (Mustacchia, Temi Romana 1984, pp. 977-980). PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION M. Ciulla a saisi la Commission le 5 juin 1984 (requête no 11152/84). Sans se plaindre de son assignation à résidence en elle-même, il alléguait que la privation de liberté subie par lui auparavant, du 8 au 25 mai 1984 (paragraphes 16-17 ci-dessus), avait méconnu le paragraphe 1 de l’article 5 (art. 5-1) de la Convention. Il invoquait aussi le paragraphe 5 (art. 5-5) car il n’avait pas eu droit à une réparation pour sa privation de liberté. La Commission a retenu la requête le 5 décembre 1985. Par la suite, le Gouvernement l’a invitée à nouveau à la déclarer irrecevable, mais elle a constaté que les conditions d’application de l’article 29 (art. 29) ne se trouvaient pas remplies. Dans son rapport du 8 mai 1987 (article 31) (art. 31), elle arrive, par dix voix contre deux, à la conclusion qu’il y a eu infraction à l’article 5 paras. 1 et 5 (art. 5-1, art. 5-5). Le texte intégral de son avis et des deux opinions dissidentes dont il s’accompagne figure en annexe au présent arrêt. CONCLUSIONS PRESENTEES A LA COUR PAR LE GOUVERNEMENT Dans son mémoire du 29 décembre 1987, le Gouvernement a prié la Cour de déclarer la requête irrecevable pour non-épuisement des voies de recours internes et, en ordre subsidiaire, de constater l’absence de violation de l’article 5 paras. 1 et 5 (art. 5-1, art. 5-5).
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I. LES CIRCONSTANCES DE LA CAUSE Né en Tchécoslovaquie, M. Georg Brozicek habite actuellement à Steinalben, en République fédérale d'Allemagne, pays dont il a la nationalité. Le 13 août 1975, la police urbaine de Pietra Ligure (Savone) l'interpella sur la voie publique peu après qu'il eut arraché des petits drapeaux ornementaux installés lors d'une fête populaire organisée par un parti politique. Intervenue à la demande de l'un des organisateurs, elle l'emmena au poste car il n'avait pas ses papiers sur lui et devait, selon elle, être protégé contre l'animosité que manifestaient les participants. A cette occasion, il blessa l'un des agents. Le 14 août, les carabiniers, eux aussi intervenus la veille, adressèrent au parquet de Savone un rapport sur l'incident. Le même jour, M. Brozicek envoya au chef de la police (questore) de Savone une lettre, rédigée en français, où il donnait sa version des faits. Elle fut communiquée par la suite au ministère public, lequel ordonna le 31 janvier 1976 de la traduire en italien. Après avoir ouvert une instruction, le parquet expédia au requérant, le 23 février 1976, - sous pli recommandé avec avis de réception et indiquant le domicile de l'époque à Nuremberg - une "communication judiciaire" (comunicazione giudiziaria, paragraphes 24-25 ci-dessous). Il lui annonçait que des poursuites avaient été engagées contre lui pour les délits de résistance aux forces de l'ordre et de coups et blessures volontaires (articles 337 et 582 du code pénal). Il l'invitait en outre à désigner un défenseur de son choix et l'informait qu'à défaut Me T.S. serait commis d'office. Le 1er mars 1976, M. Brozicek retourna le document au ministère public, avec une missive ainsi libellée (traduction de l'allemand): "Le document annexé est renvoyé à l'expéditeur comme peu compréhensible. Dès le dépôt de ma plainte circonstanciée du 14 août - à laquelle il n'a encore été donné aucune suite bien que les faits litigieux puissent entraîner des conséquences importantes -, de même que dans toute la correspondance échangée jusqu'à présent avec les autorités italiennes, il a toujours été demandé expressément d'utiliser la langue maternelle des intéressés ou l'une des langues internationales officielles des Nations Unies, afin d'éviter d'emblée tout risque de malentendu." Le parquet reçut cette lettre le 3. Il n'y réagit pas et ne la fit pas traduire. Le 17 novembre 1978, il en adressa au requérant une seconde, sous pli recommandé avec avis de réception. En sus des indications figurant dans la première, elle contenait l'invitation à élire domicile en Italie pour les besoins des notifications (article 177 bis du code de procédure pénale). Le 5 décembre 1978, la poste allemande la retourna à l'expéditeur avec les mots "non réclamé". L'avis de réception portait la mention "Brozicek", à un endroit différent du cadre réservé à la signature du destinataire. D'après le Gouvernement elle était de la main du requérant, mais celui-ci n'a cessé de le contester; il affirme n'avoir pas reçu le pli car il venait de déménager. L'expertise prescrite par la Cour (paragraphes 5 et 8 ci-dessus) n'a pas permis de tirer la chose au clair. Par une décision (decreto) du 13 décembre 1978, le ministère public constata que l'on n'avait pu procéder à la notification et que de "nouvelles recherches au lieu de naissance et de dernière résidence" n'avaient donné aucun résultat; il nomma un défenseur d'office et ordonna de déposer désormais au greffe du parquet toutes les pièces à notifier à l'inculpé pendant l'instruction. A l'audience du 22 mai 1989 devant la Cour européenne, le Gouvernement a déclaré que l'allusion à de nouvelles recherches résultait vraisemblablement d'une inadvertance. Selon lui, le texte appliqué au requérant était l'article 177 bis, deuxième hypothèse du deuxième alinéa du code de procédure pénale (inculpé n'ayant pas élu domicile, paragraphe 26 ci-dessous), qui n'exige pas de telles investigations. Après avoir en vain fixé au 30 décembre 1978 la comparution de M. Brozicek afin de l'interroger, le parquet demanda ce jour-là au président du tribunal de Savone de renvoyer l'intéressé en jugement. Le procès devait se dérouler le 3 novembre 1980, mais le moment venu il fallut le reporter car la date de l'audience n'avait pas été notifiée à l'inculpé. Le 11 mars 1981, le président décida que les notifications se feraient au greffe du tribunal puisque l'intéressé n'avait pas élu domicile en Italie pour les besoins de l'instance (articles 170 et 177 bis du code de procédure pénale, paragraphe 26 ci-dessous). Il lui désigna aussi un avocat d'office. Après un renvoi dû à des raisons étrangères au procès, celui-ci eut lieu le 1er juillet 1981. A cette date, le requérant fut condamné par défaut à cinq mois d'emprisonnement et aux frais. Il bénéficia toutefois d'un sursis et de l'absence de mention du jugement dans les extraits de casier judiciaire délivrés à la demande de particuliers. La décision lui fut elle aussi notifiée par dépôt au greffe: toujours en application de l'article 177 bis du code de procédure pénale, le président du tribunal avait à nouveau constaté, le 2 juillet, que M. Brozicek n'avait pas élu domicile en Italie. Faute d'appel, le jugement devint définitif le 7 juillet 1981. Le 5 mai 1984, l'intéressé reçut une lettre du Procureur général près la Cour fédérale allemande de Justice (Bundesgerichtshof). Elle l'avisait de la condamnation prononcée contre lui par le tribunal de Savone le 1er juillet 1981, et définitive depuis le 7, ainsi que de l'inscription de celle-ci au casier judiciaire allemand (article 52 de la loi sur le casier judiciaire, Bundeszentralregistergesetz). Le 7 mai, le requérant saisit la Commission en alléguant, notamment, que "les possibilités de recours [étaient] manifestement prescrites selon les lois italiennes". Le même jour, il s'adressa en outre au ministère allemand des Affaires étrangères et au ministère italien de la Justice. Dans sa lettre au premier, il le priait de l'aider à faire redresser ou annuler au plus tôt le jugement de Savone. Dans sa missive au second, il affirmait n'avoir obtenu dans sa propre langue aucune information sur le procès et n'avoir pu se défendre, puisque ni l'acte d'accusation ni le jugement ne lui avaient été notifiés; il demandait quelles voies de recours s'ouvraient à lui. Le 5 octobre, le ministère italien de la Justice lui répondit qu'il pouvait, en dehors des délais normaux, interjeter appel contre le jugement si la notification de ce dernier n'avait pas été régulière ("appel apparemment tardif", paragraphe 26 ci-dessous) et réclamer la révision du procès. M. Brozicek n'a exercé aucun de ces recours. Le ministère allemand des Affaires étrangères chargea le consulat général de la République fédérale d'Allemagne à Gênes de rechercher s'il existait des possibilités de recours contre le jugement du 1er juillet 1981. Comme premier résultat de ses démarches auprès du tribunal de Savone, le consulat envoya au requérant, le 10 juillet 1984, une photocopie du texte italien - en majeure partie manuscrit - dudit jugement. M. Brozicek en accusa réception par une lettre du 18 juillet. II. LE DROIT INTERNE A. La communication judiciaire La communication judiciaire est l'acte par lequel l'autorité judiciaire informe de l'ouverture d'une instruction la personne soupçonnée d'avoir commis une infraction et l'invite à désigner un défenseur de son choix ainsi qu'à indiquer le domicile où il faudra lui notifier les pièces de la procédure. Elle précise les dispositions législatives méconnues et la date du fait reproché. Le juge d'instruction, s'il y a instruction "formelle", ou le ministère public, en cas d'instruction "sommaire", envoient la communication dès le début de leur enquête (articles 304 et 390 du code de procédure pénale). La communication est adressée en recommandé avec avis de réception. Si le pli n'est pas délivré parce que le destinataire demeure introuvable (irreperibile), un huissier de justice procède à la notification selon les formes ordinaires (articles 168 à 175 du code de procédure pénale). B. Notifications, procès par défaut ou par contumace (contumacia) et appel "apparemment tardif" (apparentemente tardivo) Dans ses arrêts Foti et autres du 10 décembre 1982 et Colozza du 12 février 1985 (série A no 56, p. 12, §§ 33-36, et no 89, p. 11, §§ 18-19, et pp. 12-13, §§ 21-23), la Cour a donné un aperçu de la législation italienne en vigueur à l'époque en matière de notification à personne ou à inculpé "introuvable", de procès par défaut ou par contumace (contumacia) et d'appel "apparemment tardif" (apparentemente tardivo). En l'espèce, il y a lieu de citer l'article 177 bis du code de procédure pénale, ainsi libellé (traduction de l'italien): "Si le dossier fournit une indication précise du lieu où l'inculpé demeure à l'étranger, le ministère public ou le juge d'instance (pretore) avise celui-ci, par lettre recommandée, de la procédure ouverte à son encontre en l'invitant à déclarer ou élire un domicile pour la notification des pièces à l'endroit où se déroule la procédure. Cette formalité ne suspend ni ne retarde la procédure. Au cas où l'on ne connaît pas l'adresse de l'inculpé à l'étranger ou si ce dernier ne déclare pas ou n'élit pas de domicile, ou donne à ce sujet des renseignements insuffisants ou inadéquats, le juge ou le ministère public prend la décision (decreto) prévue à l'article 170. Les dispositions précédentes ne s'appliquent pas lorsqu'il faut obligatoirement décerner un mandat d'arrêt." Selon le deuxième alinéa de l'article 170 (traduction de l'italien), "Le juge ou le ministère public (...) prend une décision nommant un défenseur à l'inculpé qui n'en a pas encore un là où se déroule la procédure et ordonnant que les notifications n'ayant pu se faire et à venir s'opèrent au moyen d'un dépôt au greffe de l'organe judiciaire devant lequel se déroule la procédure. Le défenseur est avisé sans retard de tout dépôt." Quant à la possibilité d'interjeter un appel "apparemment tardif", elle reposait alors sur une certaine interprétation jurisprudentielle des articles 500 et 199 du même code, aux termes desquels (traduction de l'italien): Article 500 "Dans le cas d'une procédure par défaut ou par contumace, le jugement ou arrêt est notifié par extrait au prévenu ou accusé et peut faire l'objet des recours ouverts contre les jugements ou arrêts contradictoires, sous réserve de ce que prévoit le troisième alinéa de l'article 199." Article 199 "(...) Pour les jugements ou arrêts visés à l'article 500, le délai ouvert à l'inculpé ou accusé court à partir du jour de la notification. (...)." Sur la base de ces textes, une jurisprudence constante avait admis que si la notification par extrait d'un jugement ou arrêt prononcé par défaut ou par contumace n'était pas régulière parce que l'on avait à tort prêté à l'inculpé ou accusé l'intention de ne point participer au procès, l'intéressé pouvait dans les trois jours attaquer ladite notification et contester le passage de la décision en force de chose jugée; s'il obtenait gain de cause, il bénéficiait d'un nouveau délai pour appeler de la décision en cause. Le nouveau code de procédure pénale, entré en vigueur le 24 octobre 1989, consacre désormais explicitement cette possibilité de "restitution de délai". PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION M. Brozicek a saisi la Commission le 7 mai 1984 (requête no 10964/84). Il alléguait une infraction à l'article 6 § 3 a) (art. 6-3-a) de la Convention: il n'aurait pas été informé, dans une langue qu'il comprenait, de la nature et de la cause de l'accusation portée contre lui. Il invoquait en outre l'article 6 § 1 (art. 6-1): jugé par défaut sans possibilité de se défendre, il n'aurait pas bénéficié d'un procès équitable. La Commission a retenu la requête le 11 mars 1987. Dans son rapport du 22 mars 1988 (article 31) (art. 31), elle conclut qu'il y a eu violation de l'article 6 §§ 3 a) (art. 6-3-a) (onze voix contre une, avec deux abstentions) et 1 (art. 6-1) (treize voix, avec une abstention). Le texte intégral de son avis et des deux opinions séparées dont il s'accompagne figure en annexe au présent arrêt.
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Ressortissant yougoslave né en 1953, M. Slobodan Kostovski a un casier judiciaire très chargé. Y figurent notamment des condamnations pour diverses infractions aux Pays-Bas, dont l’attaque à main armée d’une bijouterie en 1979, qui lui valut six ans d’emprisonnement. En novembre 1980, le tribunal d’arrondissement (arrondissementsrechtbank) d’Amsterdam avait déclaré recevable une demande de la Suède tendant à l’extradition de l’intéressé en vue de son procès pour des crimes commis à Stockholm en septembre 1979, à savoir deux vols à main armée et complicité dans l’évasion d’une personne hors de l’enceinte d’un tribunal, qui avaient tous comporté une tentative de meurtre. Le 8 août 1981, le requérant s’enfuit de la prison de Scheveningen avec un certain Stanley Hillis et d’autres détenus; on ne le reprit qu’au mois d’avril suivant. Le 20 janvier 1982, trois hommes masqués attaquèrent à main armée une banque à Baarn et emportèrent une somme considérable en espèces et en chèques. Les soupçons de la police se dirigèrent sur Stanley Hillis et ses acolytes: comme ils se trouvaient en fuite, ils avaient sans doute besoin d’argent et quelques années auparavant, le premier avait été directement impliqué dans une attaque opérée contre la même banque et selon la même technique qu’en 1982. Ces soupçons se renforcèrent le 25 janvier, au moment où la police d’Amsterdam reçut un coup de téléphone anonyme d’un homme qui déclara: "Il y a quelques jours, un braquage a eu lieu dans une banque à Baarn. Les responsables en sont Stanley Hillis, Paul Molhoek et un Yougoslave. Stanley Hillis et le Yougoslave s’étaient évadés de la prison de La Haye en août dernier." Le 26 janvier 1982, un homme se rendit à un poste de police de La Haye. Le 18 mars, l’agent concerné relata ainsi l’entretien: "Le 26 janvier a comparu devant moi un homme qui, par crainte de représailles, désirait garder l’anonymat mais dont je connais l’identité. Il m’a dit ceci: ‘Voilà quelques mois, quatre hommes se sont évadés de la maison d’arrêt (huis van bewaring) de La Haye, dont un Yougoslave et un Amstellodamois. Ils vivent aujourd’hui à Utrecht chez une de leurs connaissances, dont j’ignore l’adresse. Ils sont également en contact avec Paul Molhoek de La Haye. Le Yougoslave et l’Amstellodamois passent parfois la nuit chez Aad Denie qui habite Paul Krugerlaan à La Haye. Paul Molhoek y dort presque chaque nuit. Le Yougoslave et l’Amstellodamois pilotent actuellement une voiture BMW bleue dont j’ignore le numéro d’immatriculation. Paul Molhoek conduit une voiture de sport Mercedes neuve, de couleur blanche. Le Yougoslave, l’Amstellodamois et Paul Molhoek ont commis contre une banque à Baarn, il y a quelques jours, un braquage au cours duquel le personnel a été enfermé. Aad Denie, qui sans cela n’avait rien à voir avec l’affaire, conduit Paul Molhoek chez les deux hommes à Utrecht chaque jour parce que Paul Molhoek ne possède pas de permis de conduire; il pilote une BMW gris argent, immatriculée sous le numéro 84-PF-88.’ Je désire ajouter que sur présentation de plusieurs photographies versées au dossier, l’intéressé a sorti celles des personnes suivantes: Slobodan Kostovski (...), comme le Yougoslave dont il parlait; Stanley Marshall Hillis (...), comme l’Amstellodamois en question." Le 27 janvier, la police d’Utrecht, informée que Stanley Hillis se cachait dans une maison de la ville en compagnie d’un frère de Paul Molhoek, descendit sur les lieux. Elle n’y trouva personne, mais y découvrit les empreintes de Stanley Hillis et Paul Molhoek. Le 23 février 1982, quelqu’un se rendit à un poste de police de La Haye. Le 22 mars, les deux agents compétents relatèrent ainsi l’entretien: "Le mardi 23 février 1982 a comparu devant nous un individu qui, pour des raisons de sécurité, désire garder l’anonymat, mais dont nous connaissons l’identité. Il/elle a affirmé savoir que Stanley Hillis, Slobodan Kostovski, Paul Molhoek et Aad Denie, connus de lui/d’elle, sont coupables du braquage d’une succursale de la Nederlandse Middenstands Bank, 1 Nieuwstraat à Baarn, le 19 janvier 1982 ou vers cette date. Selon l’intéressé(e), les trois premières personnes citées ont exécuté le braquage et Aad Denie leur a servi de chauffeur ou, en tout cas, les a prises en voiture après l’opération. Il/elle a précisé que le butin, environ 600.000 florins, a été divisé en parts plus ou moins égales entre Hillis, Kostovski et Molhoek et qu’Aad Denie en a reçu une petite fraction, de l’ordre de 20.000 florins. Il/elle a ajouté que Hillis, Kostovski et Molhoek se connaissent depuis leur incarcération à la prison de Scheveningen. Hillis et Kostovski se sont évadés de cette prison le 8 août 1981 et Molhoek a été libéré ultérieurement. D’après l’intéressé(e), Paul Molhoek vivait en général chez Aad Denie à La Haye, 216 Paul Krugerlaan. Hillis et Kostovski auraient séjourné quelque temps à Utrecht, 76 Oude Gracht, où ils auraient loué un logement sous un autre nom. Un frère de Paul Molhoek, Peter, y aurait lui aussi habité. Ledit individu a déclaré à ce propos que la police d’Utrecht avait perquisitionné à cet endroit, mais sans y découvrir les personnes susmentionnées. Selon lui/elle, Hillis, Kostovski et Molhoek se tenaient dans une pièce d’un étage supérieur du même immeuble de l’Oude Gracht au moment de la descente de la police, laquelle n’avait pas fouillé cet étage. La personne en question a dit également que Hillis passait pour vivre maintenant à Amsterdam. Toujours d’après elle, Paul Molhoek et Hillis s’y voyaient très régulièrement, près de la gare d’Amstel, leur lieu habituel de rencontre. Selon l’intéressé(e), Hillis, Kostovski et Molhoek étaient puissamment armés. Il/elle savait que Hillis et Kostovski possédaient chacun une mitraillette Sten, entre autres, et Paul Molhoek un revolver, peut-être un Colt 45. La personne interrogée par nous a déclaré qu’elle serait peut-être en mesure de fournir plus tard de plus amples renseignements sur les susnommés et sur les infractions commises par eux." Le 1er avril 1982, Stanley Hillis et Slobodan Kostovski furent appréhendés ensemble à Amsterdam. Ils se trouvaient dans une voiture conduite par un certain V., qui les avait aidés à s’évader de prison et avait eu avec eux divers contacts en janvier 1982 et après. Au moment de son arrestation, Slobodan Kostovski portait un revolver chargé. On découvrit aussi par la suite des armes à feu chez Paul Molhoek, qui fut arrêté le 2 avril, chez V. et dans une autre pièce de la maison déjà fouillée à Utrecht. Comme le requérant, Stanley Hillis, Paul Molhoek, Aad Denie et V. ont tous un casier judiciaire très chargé. Une instruction judiciaire préparatoire (gerechtelijk vooronderzoek, paragraphe 23 ci-dessous) s’ouvrit au sujet de Stanley Hillis, Slobodan Kostovski, Paul Molhoek et Aad Denie. Le 8 avril 1982, le juge d’instruction (rechter-commissaris), M. Nuboer, interrogea, en présence de la police mais en l’absence du parquet, du requérant et de son avocat, le témoin qui avait déposé devant la police de La Haye le 23 février (paragraphe 13 ci-dessus). Il ignorait l’identité de l’intéressé(e); estimant légitimes ses craintes de représailles, il respecta son désir de conserver l’anonymat. Son procès-verbal d’audition signala que le témoin avait fait sous serment la déclaration suivante: "Le 23 février 1982, j’ai fait à la police de La Haye une déclaration qui a été insérée dans un procès-verbal du 22 mars 1982. Vous me l’avez lue. J’ai affirmé qu’elle correspondait à la vérité et que je persistais, étant précisé que j’ignorais que la banque de Baarn se trouvait au no 1, Nieuwstraat. Ce que je sais, je le tiens de Stanley Hillis, Paul Molhoek et Aad Denie, qui m’ont tout raconté sur le braquage. Ils m’ont dit avoir pris non seulement des espèces, mais encore des chèques américains de voyage et des eurochèques. J’ai moi-même vu quelques-uns de ces derniers." Le 2 juin 1982, le juge d’instruction adressa aux avocats des personnes en cause une lettre à laquelle il joignit une copie des procès-verbaux, y compris les dépositions du témoin anonyme ouï par lui. Il les engageait à présenter des questions écrites fondées sur ces dépositions, tout en soulignant qu’il ne les inviterait pas à comparaître à l’audience devant lui. Parmi ceux qui répondirent figurait Me Spronken, conseil de M. Kostovski; elle formula quatorze questions dans une missive du 14 juin. Le 22 juin, à la suite de ces questions, le témoin anonyme que M. Nuboer avait entendu fut interrogé derechef, cette fois par M. Weijsenfeld, juge d’instruction suppléant M. Nuboer, en présence de la police mais non du parquet, ni du requérant ou de son défenseur. Le procès-verbal d’audition établi par le magistrat indiquait que le témoin - dont l’anonymat fut respecté à cette occasion également - avait fait sous serment la déclaration que voici: "Je persiste dans ma déclaration du 8 avril 1982 au juge d’instruction d’Utrecht. Je réponds ainsi aux questions de Me Spronken: Je ne suis pas la personne qui a téléphoné de manière anonyme au central de la police d’Amsterdam le 25 janvier 1982, ni celle qui a fait une déclaration le 26 janvier 1982 au commissariat de police de La Haye. Je n’ai pas déclaré à la police que je savais la banque située à Baarn, 1 Nieuwstraat. Je la savais située à Baarn, mais j’ignorais le nom de la rue. Je l’ai appris par la police et c’est par erreur qu’on l’a inséré dans ma déposition. Bien que Me Spronken ne l’ait pas demandé, j’ajoute que je n’ai pas donné d’informations à la police municipale d’Utrecht. Quant aux questions de Van Straelen, je renvoie d’abord à ce que je viens de dire. Je connais Hillis, Kostovski, Molhoek et Denie et n’éprouve aucun doute sur leur identité." En définitive, seules reçurent une réponse deux des quatorze questions de Me Spronken, dont la majorité concernaient les circonstances dans lesquelles le témoin avait obtenu ses renseignements. A cet égard, M. Weijsenfeld ajoutait dans son procès-verbal: "Les questions envoyées mais restées sans réponse, dont celles de S.M. Hillis, tantôt je ne les ai pas posées, en juge d’instruction soucieux de protéger l’anonymat du témoin, tantôt ce dernier, pour le même motif, n’y a pas répondu." Les débats relatifs aux poursuites intentées contre Stanley Hillis, Slobodan Kostovski et Paul Molhoek s’ouvrirent devant le tribunal d’arrondissement d’Utrecht le 10 septembre 1982. Pour des raisons de procédure il examina chaque cause séparément et prononça trois jugements distincts, mais il tint une séance unique; les déclarations faites devant lui s’appliquaient donc aux trois suspects. Au nombre des témoins entendus se trouvaient MM. Nuboer et Weijsenfeld, juges d’instruction (paragraphes 15-16 ci-dessus), et M. Weijman, l’un des policiers qui avaient mené l’interrogatoire du 23 février (paragraphe 13 ci-dessus). Ils avaient été cités à la demande du requérant, mais le tribunal, en vertu de l’article 288 du code de procédure pénale (paragraphe 25 b) ci-dessous), n’autorisa pas la défense à leur poser certaines questions destinées à déterminer la crédibilité et les sources d’information des témoins anonymes, lorsque les réponses eussent révélé l’identité de ceux-ci. M. Nuboer déclara croire le témoin qu’il avait ouï le 8 avril 1982 et qui lui avait laissé une "bonne impression"; ne pas en connaître l’identité et estimer authentique la crainte de représailles invoquée par lui pour conserver l’anonymat; avoir le sentiment que l’intéressé(e) avait déposé de son plein gré à la police; avoir refusé d’interroger, comme le lui offrait celle-ci, l’homme qu’elle avait vu le 26 janvier 1982 (paragraphe 11 ci-dessus), car il ne pouvait garantir l’anonymat de ce dernier. M. Weijsenfeld affirma que le témoin - dont il ignorait l’identité - interrogé par lui le 22 juin 1982 (paragraphe 16 ci-dessus) ne lui semblait "pas indigne de foi"; lui aussi considérait comme fondée la crainte de représailles nourrie par l’intéressé(e). Quant à M. Weijman, il qualifia de "totalement crédible" la personne qu’il avait questionnée avec un collègue le 23 février 1982 (paragraphe 13 ci-dessus), car elle avait fourni en outre sur d’autres affaires des renseignements qui s’étaient révélés exacts. Il ajoutait que le procès-verbal avait passé sous silence certains des dires de cette personne afin de ne pas en divulguer l’identité. Les témoins anonymes ne furent pas eux-mêmes entendus au procès. En dépit d’une objection de la défense, les procès-verbaux de leur audition par la police et par les juges d’instruction servirent de pièces à conviction. De plus, les déclarations sous serment de l’un d’entre eux devant lesdits juges furent lues à haute voix et réputées faites à l’audience par un témoin, conformément à l’article 295 du code de procédure pénale (paragraphe 26 ci-dessous). Dans ses jugements du 24 septembre 1982, le tribunal d’arrondissement d’Utrecht reconnut, quant à l’utilisation des dires des témoins anonymes, que l’on ne pouvait contrôler leurs sources de renseignements, qu’il ne pouvait se former sa propre opinion sur leur crédibilité et que les accusés n’avaient pas la possibilité d’une confrontation avec eux. Pour justifier sa décision d’admettre néanmoins ces dépositions comme preuves, le tribunal s’affirma convaincu de la culpabilité de M. Kostovski, estimant que les déclarations se renforçaient et, en partie, se complétaient les unes les autres et eu égard aux sentiments exprimés devant lui quant à la crédibilité de l’un des témoins anonymes (paragraphe 17 ci-dessus). Ayant relevé de surcroît que M. Kostovski avait déjà été condamné pour des infractions analogues, le tribunal lui infligea, ainsi qu’à chacun de ses coaccusés, six ans de prison pour vol à main armée. Sur recours de MM. Hillis, Kostovski et Molhoek - qui ont toujours protesté de leur innocence -, la cour d’appel (Gerechtshof) d’Amsterdam mit les jugements à néant car elle aboutit à une appréciation différente des preuves. Après un nouveau procès au cours duquel elle examina les trois affaires ensemble, elle conclut toutefois elle aussi, par un arrêt du 27 mai 1983, à la culpabilité du requérant et de ses coaccusés; elle prononça la même peine que le tribunal d’arrondissement. Le 13 mai, elle avait ouï plusieurs témoins ayant déposé en première instance et qui confirmèrent leurs dires antérieurs. Comme le tribunal, elle n’avait pas autorisé la réponse à certaines questions de la défense lorsque l’identité des témoins anonymes s’en serait trouvée révélée. En outre M. Alferink, commissaire principal de la police municipale de La Haye, avait déclaré devant elle: "Des consultations précèdent l’interrogatoire de témoins anonymes. J’ai l’habitude d’établir l’identité du témoin à interroger afin d’apprécier s’il court un risque. En l’espèce, les témoins anonymes couraient un danger véritable. La menace était réelle. Tous deux ont décidé de leur propre initiative de déposer. Contact a été pris avec le parquet, mais je ne me souviens pas de qui il s’agissait. La déposition des témoins anonymes est présentée au juge d’instruction après consultation du parquet. Les deux témoins anonymes m’ont fait une impression favorable." La cour d’appel n’entendit pas, elle non plus, les témoins anonymes mais à son tour elle accepta comme preuves, malgré une objection de la défense, le procès-verbal de leurs auditions par la police et les juges d’instruction. Elle releva que les témoins, qui avaient déposé de leur propre initiative, avaient lieu de redouter des représailles; nota qu’ils avaient paru crédibles à M. Alferink et assez crédibles à M. Nuboer; et tint compte des liens entre leurs déclarations et de la concordance de celles-ci. Le 25 septembre 1984, la Cour de cassation (Hoge Raad) rejeta le pourvoi du requérant. Selon elle, la cour d’appel d’Amsterdam avait suffisamment motivé l’admission des procès-verbaux en cause (paragraphe 32 ci-dessous). Elle ajouta que l’article 6 (art. 6) de la Convention n’empêchait pas un juge, s’il l’estimait nécessaire dans l’intérêt d’une bonne administration de la justice, de limiter quelque peu l’obligation de répondre aux questions, par exemple en autorisant un témoin à ne pas répondre à des questions relatives à l’identité de certaines personnes. Le 8 juillet 1988, après avoir subi 1.461 jours de sa peine, M. Kostovski pouvait prétendre à la libération conditionnelle, mais à cette date il fut extradé par les Pays-Bas vers la Suède pour y purger une peine de huit ans de prison. II. DROIT ET PRATIQUE INTERNES PERTINENTS A. Le code de procédure pénale Le code néerlandais de procédure pénale (C.P.P.) est entré en vigueur le 1er janvier 1926. Les citations qu’en donne le présent arrêt viennent de la version applicable à l’époque des poursuites contre le requérant. Aux termes de l’article 168, chaque tribunal d’arrondissement comprend un ou plusieurs juges d’instruction à qui sont confiées les affaires pénales. La cour d’appel compétente les désigne, pour deux ans, parmi les membres du tribunal d’arrondissement. L’article 181 habilite le parquet à demander ce que l’on dénomme - pour la distinguer de l’instruction définitive pendant le procès - une "instruction préparatoire", à mener par un tel juge. En pareil cas, celui-ci entend le suspect, les témoins et les experts dans les meilleurs délais et aussi souvent qu’il le faut (article 185). Ministère public et avocat de la défense ont en principe le droit d’assister à ces auditions (articles 185 § 2 et 186) et, même s’ils sont absents, d’indiquer les questions qu’ils souhaitent voir poser. L’instruction préparatoire fournit une base à la décision relative à la marche ultérieure des poursuites; elle sert en outre à tirer au clair des points qui se prêtent mal à une instruction au moment du procès. Le magistrat doit agir de manière impartiale, en recueillant aussi les éléments de preuve à décharge. Si les résultats de l’instruction préparatoire paraissent au parquet justifier la continuation des poursuites, il en avertit l’inculpé et saisit la juridiction de jugement, devant laquelle se déroulera l’instruction définitive. Pour constater que l’accusé a commis les actes incriminés, le juge doit, selon l’article 338 du C.P.P., en avoir acquis la conviction à l’issue de l’instruction conduite à l’audience, par le contenu de "moyens légaux de preuve". D’après l’article 339, ils comprennent exclusivement i) ce que le juge a lui-même observé; ii) les déclarations de l’accusé; iii) la déposition d’un témoin; iv) les dires d’un expert; et v) les pièces écrites. Les preuves de la troisième catégorie sont définies à l’article 342, ainsi libellé: "1. La déposition d’un témoin s’entend de la relation par lui, pendant l’interrogatoire à l’audience, de faits ou circonstances qu’il a lui-même vus ou vécus. Pour estimer établi que l’accusé a commis l’acte incriminé, un juge ne peut se fonder uniquement sur la déposition d’un seul témoin." Au sujet de l’interrogatoire des témoins pendant le procès, les articles 280 et 281 à 295 du C.P.P. renferment diverses clauses dont il échet de mentionner ici les suivantes: a) Le président du tribunal doit inviter le témoin à indiquer, après ses nom et prénoms, son âge, sa profession et son adresse (article 284 § 1); la même obligation pèse sur un juge d’instruction qui entend des témoins (article 190). b) Les articles 284, 285 et 286 précisent que l’accusé a le droit de poser des questions à un témoin. En principe, les témoins sont interrogés d’abord par le président du tribunal; toutefois, un témoin non entendu pendant l’instruction préparatoire et convoqué à la demande de la défense est interrogé en premier lieu par l’accusé, puis par le président (article 280 § 3). En toute hypothèse, l’article 288 habilite le tribunal "à empêcher de répondre à une question de l’accusé, de son conseil ou du parquet". c) L’article 292 permet au président du tribunal, sans avoir à motiver sa décision, d’enjoindre à un accusé de quitter la salle d’audience afin qu’un témoin puisse être interrogé hors de sa présence. En pareil cas, l’avocat de la défense peut interroger le témoin; "l’accusé est aussitôt averti de ce qui s’est passé en son absence et l’instruction reprend alors seulement" (article 292 § 2). A son retour dans la salle, l’accusé peut donc se prévaloir de son droit de poser des questions au témoin en vertu de l’article 285. L’article 295 ménage une exception à la règle exigeant l’audition des témoins pendant le procès (article 342, paragraphe 24 ci-dessus): "Est réputée faite au procès, à condition d’y être lue à voix haute, la déposition antérieure d’un témoin qui, après avoir prêté serment ou avoir été invité à dire la vérité conformément à l’article 216 § 2, est décédé ou, de l’avis du tribunal, ne peut comparaître à l’audience." Au sujet des témoins hors d’état de se présenter à la barre, l’article 187 prévoit ce qui suit: "Si le juge d’instruction croit à l’existence de bonnes raisons de présumer que le témoin ou expert ne pourra comparaître au procès, il invite le parquet, l’accusé et son conseil à assister à l’audition devant lui, à moins que l’intérêt de l’instruction n’empêche de la retarder." La cinquième catégorie des moyens de preuve énumérés à l’article 339 du C.P.P. (paragraphe 24 ci-dessus) se trouve définie à l’article 344, dont voici les passages pertinents: "1. Par pièces écrites, on entend: 1o ...; 2o les procès-verbaux et autres documents, établis sous la forme légale par des organes et personnes investis de la compétence requise et qui contiennent leur exposé de faits ou circonstances vus ou vécus par eux-mêmes; 3o ...; 4o ...; 5o tous autres documents, mais ceux-ci ne valent que combinés avec d’autres moyens de preuve. Pour estimer établi que l’inculpé a commis l’acte incriminé, le juge peut se fonder sur le procès-verbal d’un fonctionnaire instructeur." Une déclaration anonyme consignée dans un procès-verbal de police relève de l’alinéa 2o du paragraphe 1 de ce texte. B. La procédure pénale en pratique Aux Pays-Bas, la procédure pénale suit en pratique un cours nettement différent de celui qui ressort des textes mentionnés aux paragraphes 23 à 27 ci-dessus. Cela résulte, dans une large mesure, d’un arrêt de principe rendu par la Cour de cassation le 20 décembre 1926, année de l’entrée en vigueur du C.P.P. (Nederlandse Jurisprudentie [NJ] 1927, p. 85). Il énonce les règles suivantes, toutes pertinentes en l’espèce: a) pour que la déclaration d’un témoin soit réputée faite au procès en vertu de l’article 295 du C.P.P. (paragraphe 26 ci-dessus), peu importe que le juge d’instruction ait ou non observé l’article 187 (ibidem); b) la déposition d’un témoin relatant ce que lui a dit un tiers (témoignage par ouï-dire) peut servir de preuve, mais la plus grande vigilance s’impose en la matière; c) il est licite d’utiliser comme preuve les déclarations de l’accusé ou d’un témoin à un policier, telles que les consigne le procès-verbal de celui-ci. Cette jurisprudence permet d’employer comme "moyens légaux de preuve", au sens des articles 338 et 339 du C.P.P. (paragraphe 24 ci-dessus), les dépositions faites par un témoin non pendant le procès mais devant un policier ou le juge d’instruction, à condition qu’elles figurent dans un procès-verbal lu à haute voix à l’audience. Elle a eu pour effet de réduire en pratique l’importance de l’instruction définitive (qui ne se déroule jamais devant un jury). Dans la grande majorité des cas, les témoins ne sont pas entendus au procès mais seulement par la police ou, de plus, par le magistrat instructeur. La loi n’exige pas la présence de l’avocat de la défense pendant l’enquête de police, ni pendant l’instruction préparatoire (voir pourtant le paragraphe 23 ci-dessus). Toutefois, de nos jours la plupart des juges d’instruction invitent l’accusé et son conseil à assister à l’audition des témoins. C. Le témoin anonyme: jurisprudence Le code ne régit pas explicitement les dépositions de témoins anonymes. Avec l’augmentation de la délinquance violente et organisée, on a cependant ressenti la nécessité de protéger, en leur assurant l’anonymat, les témoins fondés à craindre des représailles. La Cour de cassation l’a permis par une série d’arrêts. Un arrêt du 17 janvier 1938 (NJ 1938, p. 709) apparaît comme un précurseur: selon lui, les témoignages par ouï-dire (paragraphe 28 b) ci-dessus) peuvent être acceptés même si leur auteur ne révèle pas le nom de son informateur. Des décisions analogues ont été rendues dans les années 80. Par un arrêt du 5 février 1980 (NJ 1980, p. 319), relatif à une affaire dans laquelle le juge d’instruction avait garanti l’anonymat à un témoin entendu par lui en l’absence de l’accusé et de son conseil, la Cour de cassation a précisé - dans la ligne de son arrêt du 20 décembre 1926 (paragraphe 28 ci-dessus) - que l’inobservation de l’article 187 du C.P.P. (paragraphe 26 ci-dessus) n’empêche pas d’utiliser comme preuve le procès-verbal du magistrat, "encore qu’avec la vigilance voulue pour apprécier la valeur probante de pareil élément". Le 4 mai 1981 (NJ 1982, p. 268), elle a pris une décision identique dans une affaire où le témoin avait été entendu anonymement tant par la police que par le juge d’instruction; à cette occasion elle a estimé aussi, en harmonie avec son arrêt précité du 17 janvier 1938, que l’absence de mention du nom du témoin dans les procès-verbaux d’audition ne constitue pas à elle seule un obstacle à leur emploi comme moyen de preuve, sous la même condition de vigilance. On peut déduire d’un arrêt du 29 novembre 1983 (NJ 1984, p. 476) que la circonspection requise n’implique pas forcément la nécessité d’une audition préalable des témoins anonymes par le juge d’instruction. Les arrêts suivants de la série sont ceux que la Cour de cassation a prononcés le 25 septembre 1984 au sujet de M. Kostovski et de ses coaccusés (l’un d’entre eux se trouve reproduit dans NJ 1985, p. 426). Ils introduisent les innovations que voici: a) le simple fait que le juge d’instruction ignorait l’identité du témoin n’empêche pas d’utiliser comme preuve le procès-verbal d’audition établi par lui; b) si la défense conteste au procès la crédibilité des dépositions d’un témoin anonyme telles que les relate le procès-verbal de l’audition, mais que le tribunal décide néanmoins de les accepter comme preuve, il doit motiver sa décision. La Cour de cassation a confirmé ces principes par un arrêt du 21 mai 1985 (NJ 1986, p. 26); elle y a précisé qu’elle jouit seulement d’une compétence marginale en matière de contrôle des raisons avancées pour admettre comme preuves des déclarations anonymes. D. Réforme législative Dans les conclusions précédant certains des arrêts résumés au paragraphe 32 ci-dessus, divers avocats généraux ont marqué leur préoccupation tout en reconnaissant l’impossibilité de ne jamais garantir aux témoins l’anonymat et la nécessité de s’y résoudre parfois comme à un moindre mal. Les annotateurs les ont imités, soulignant que les tribunaux doivent montrer une extrême prudence. Cependant, les arrêts ont aussi soulevé des critiques. En 1983, l’association des magistrats a exprimé son inquiétude devant l’augmentation du nombre des affaires dans lesquelles des témoins se trouvaient menacés et de ceux d’entre eux qui refusaient de déposer si l’on ne préservait pas leur anonymat. Elle a recommandé au législateur de se pencher sur la question des témoins anonymes. En conséquence, le ministre de la Justice a institué en septembre 1984 une commission consultative externe, "la commission sur les témoins menacés", chargée d’examiner le problème. Dans son rapport du 11 juin 1986, soumis depuis lors pour avis à plusieurs organes concernés par l’application du droit pénal, elle aboutit à la conclusion ci-après, désapprouvée par un seul de ses membres: "Dans certains cas, on ne peut éviter l’anonymat des témoins. Nous songeons au fait (déjà souligné par le ministre) qu’il existe aujourd’hui des formes de délinquance organisée d’une gravité que le législateur de l’époque n’aurait pas jugée possible." La commission ajoute que "dans un État de droit, on ne saurait consentir à voir le cours de la justice entravé ou, plus précisément, déjoué de la sorte". Elle préconise d’interdire en principe d’employer comme preuves les déclarations de témoins anonymes. On devrait cependant pouvoir ménager une exception lorsque le témoin courrait un risque inacceptable en cas de révélation de son identité. Dans une telle hypothèse, une déclaration anonyme pourrait être admise comme preuve quand le témoin aurait été entendu par un juge d’instruction; contre la décision de ce dernier d’accorder l’anonymat, un recours s’ouvrirait à l’accusé. Le rapport comprend un projet de loi tendant à modifier le code de procédure pénale (avec un projet de notes explicatives), ainsi que des données comparatives. Selon le Gouvernement, la procédure législative en la matière a été différée dans l’attente de la décision de la Cour en l’espèce. PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION Dans sa requête du 18 mars 1985 la Commission (no 11454/85), M. Kostovski alléguait un manquement aux exigences de l’article 6 §§ 1 et 3 d) (art. 6-1, art. 6-3-d) de la Convention, notamment faute d’avoir eu l’occasion de faire interroger les témoins anonymes et d’avoir pu contester leurs dépositions. La Commission a retenu la requête le 3 décembre 1986. Dans son rapport du 12 mai 1988 (article 31) (art. 31), elle relève à l’unanimité une violation du paragraphe 1 de l’article 6, combiné avec le paragraphe 3 d) (art. 6-1, art. 6-3-d). Le texte intégral de son avis et de l’opinion concordante dont il s’accompagne figure en annexe au présent arrêt.
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Né le 2 décembre 1959, le requérant est citoyen britannique. Après le décès de sa mère, la commune de Liverpool le prit en charge le 1er septembre 1960 en vertu de l’article 1 de la loi de 1948 sur les enfants (Children Act, "la loi de 1948"). A l’exception de cinq périodes d’une semaine à cinq mois pendant lesquelles il se vit confié à son père, il demeura sous assistance, avec l’accord de celui-ci, jusqu’au 18 juin 1974. A cette date, il comparut devant le tribunal pour enfants (Juvenile Court) de Liverpool et se reconnut coupable de plusieurs infractions, dont un cambriolage et un vol. Le tribunal rendit à son endroit une ordonnance d’assistance, au titre de l’article 7 de la loi de 1969 sur les enfants et adolescents (Children and Young Persons Act). La prise en charge s’acheva le 2 décembre 1977, le jour où M. Gaskin atteignit l’âge de la majorité (dix-huit ans). Auparavant, l’intéressé avait séjourné la plupart du temps chez divers parents nourriciers, soumis aux dispositions du règlement de 1955 sur le placement des enfants (Boarding-Out of Children Regulations, "le règlement de 1955"). Elles exigeaient de l’autorité locale la tenue d’un dossier confidentiel le concernant (paragraphe 13 ci-dessous). Le requérant prétend avoir été maltraité alors qu’il se trouvait sous assistance; depuis sa majorité, il essaie de savoir où, chez qui et dans quelles conditions il a vécu, afin de pouvoir surmonter ses problèmes et connaître son passé. Le 9 octobre 1978, un travailleur social employé par la ville de Liverpool lui permit de consulter les dossiers dûment conservés à son sujet par les services sociaux de la municipalité. M. Gaskin les emporta sans le consentement de la commune et les garda jusqu’au 12 octobre 1978, date à laquelle il les restitua auxdits services. I. LE DOSSIER PERSONNEL DU REQUÉRANT ET LA DEMANDE DE COMMUNICATION Les autorités locales ont pour pratique de constituer un dossier personnel pour tout enfant pris en charge, mais le règlement de 1955, édicté en application de l’article 14 de la loi de 1948, les y obligeait et les y oblige dans le cas d’enfants placés dans une famille. Les passages pertinents de son article 10 précisent: "10.-(1) L’autorité locale constitue et tient à jour un dossier pour a) tout enfant qu’elle a placé; b) (...) c) (...) (2) (...) (3) Tout dossier constitué conformément au présent règlement, ou une reproduction sur microfilm, sont conservés au moins trois ans après que l’intéressé a atteint l’âge de dix-huit ans, ou après son décès si celui-ci survient plus tôt; ce microfilm ou, à défaut, ce dossier sont à tout moment ouverts à l’inspection de toute personne dûment autorisée par le ministre." Désireux d’assigner l’autorité locale en dommages-intérêts pour négligence, le requérant sollicita en 1979 la communication du dossier établi par elle à l’époque de sa prise en charge. Il invoquait l’article 31 de la loi de 1970 sur l’administration de la justice ("la loi de 1970"), aux termes duquel la High Court peut ordonner pareille communication au profit d’une personne susceptible d’être partie à une instance en justice pour lésions corporelles. La High Court tint audience le 22 février 1980. La commune combattit la demande, au motif que la divulgation et la production du dossier iraient à l’encontre de l’intérêt général. Les personnes de qui provenaient les pièces en question étaient pour l’essentiel des médecins, des enseignants, des officiers de police et agents de probation, des travailleurs sociaux, des visiteurs de santé, des parents nourriciers et des membres du personnel d’établissements scolaires. Leurs contributions étaient traitées de manière rigoureusement confidentielle et la bonne marche du système d’assistance exigeait des dossiers aussi véridiques et complets que possible. Si le tribunal ordonnait la communication, le fonctionnement adéquat des services d’aide à l’enfance se trouverait menacé car les informateurs hésiteraient désormais à rédiger leurs rapports en toute franchise. Le requérant plaida quant à lui qu’il fallait, en vertu des principes généraux applicables en la matière, lui rendre accessible le dossier détenu par l’autorité locale, aux fins de l’action qu’il comptait engager contre la commune pour lésions corporelles. Il avança en outre que l’intérêt général commandait également un certain contrôle des soins assurés par une autorité locale à un enfant pris en charge. Le juge ne lut pas le dossier litigieux, mais mit en balance l’intérêt général au maintien d’un système efficace d’aide à l’enfance avec l’intérêt particulier de M. Gaskin à pouvoir consulter son dossier en vue du procès projeté. Après avoir cité une affaire dans laquelle Lord Denning, président de la Court of Appeal (Master of the Rolls), avait affirmé la nature confidentielle et privée des dossiers établis conformément à l’article 10 du règlement de 1955 (Re D (Infants), Weekly Law Reports ("WLR") 1970, vol. 1, p. 599), il conclut en ces termes: "La nécessité, pour le bon fonctionnement du service d’aide à l’enfance, de préserver le caractère confidentiel des documents pertinents ne m’inspire aucun doute. Il s’agit d’un service très important devant lequel les intérêts de l’individu, eux aussi très importants, me semblent devoir s’incliner. J’estime hors de doute que l’intérêt général sera mieux servi si je refuse la communication, ce que je fais." Le requérant attaqua cette décision devant la Court of Appeal, qui la confirma le 27 juin 1980 à l’unanimité. Selon elle, la High Court avait bien pesé les intérêts concurrents. Certes, un tribunal devait parfois examiner un document, par exemple en cas de doutes sérieux et s’il ne pouvait valablement trancher en faveur de l’intérêt général ou de l’intérêt particulier sans étudier lui-même les pièces, mais il n’en allait pas ainsi en l’espèce. La Court of Appeal rejeta donc le recours et n’autorisa pas M. Gaskin à saisir la Chambre des Lords (Gaskin v. Liverpool City Council, WLR 1980, vol. 1, p. 1549). II. RÉSOLUTIONS DE LA MUNICIPALITÉ DE LIVERPOOL RELATIVES À L’ACCÈS AUX DOSSIERS PERSONNELS Le 21 octobre 1980, le conseil municipal de Liverpool créa une sous-commission sur les dossiers de l’aide à l’enfance (Child Care Records Sub-Committee, "la sous-commission"), chargée de formuler des recommandations sur l’accès aux dossiers personnels des services sociaux et d’instruire les allégations du requérant. Le 17 juin 1982, elle préconisa de mettre leurs dossiers à la disposition des anciens administrés des services sociaux, moyennant certaines garanties et restrictions relatives, notamment, aux renseignements médicaux et de police. Quant au requérant, elle se montra préoccupée par le nombre des placements subis par lui pendant sa prise en charge: il pouvait, reconnut-elle, nuire au développement d’un adolescent. Elle ne découvrit cependant aucun élément révélant que les agents concernés n’avaient pas accompli leur tâche avec sollicitude. Le requérant devait pouvoir consulter son dossier et en prendre copie, à l’exception des pièces médicales et de police. Le 30 juin 1982, une résolution de la commission des services sociaux (Social Services Committee) entérina les recommandations de la sous-commission, sous réserve d’un amendement qui subordonnait au consentement des membres du corps médical et des forces de police la communication des renseignements fournis par eux. Toutefois, M. Lea, membre dissident de la sous-commission, introduisit une instance pour contester la résolution; il obtint une ordonnance de référé qui interdisait au conseil municipal d’appliquer celle-ci jusqu’à la décision au fond ou jusqu’à nouvel ordre. Le 26 janvier 1983, le conseil municipal de Liverpool approuva une nouvelle résolution. Pour les dossiers futurs, elle reprenait en substance les termes de celle du 30 juin 1982; elle y ajoutait des restrictions destinées à protéger les renseignements donnés sous le sceau du secret et à empêcher dans certains cas un accès intégral ou partiel aux dossiers. Au sujet des renseignements recueillis et compilés avant le 1er mars 1983, elle prescrivait en revanche de ne rien communiquer sans l’accord des personnes dont ils émanaient. En conséquence, elle chargeait les fonctionnaires municipaux de prendre aussitôt contact avec les diverses personnes de qui provenaient les informations versées au dossier Gaskin, en vue de la communication de ces dernières. Toutefois, elle leur enjoignait de ne pas l’appliquer avant l’issue de l’action judiciaire en cours. M. Lea se désista le 13 mai 1983; le 29 juin, l’autorité locale adopta une nouvelle résolution fixant au 1er septembre 1983 l’entrée en vigueur effective de celle du 26 janvier. Le 24 août 1983, le ministère de la Santé et de la Sécurité sociale adressa aux autorités locales et autorités sanitaires la circulaire LAC (Local Authorities Circular) (83) 14, en vertu de l’article 7 de la loi de 1970 sur les services sociaux des autorités locales (Local Authority Social Services Act); cette loi énonce les principes qui régissent la communication aux intéressés des renseignements versés aux dossiers personnels des services sociaux. En son article 3, la circulaire traçait une ligne directrice: les bénéficiaires de prestations sociales d’ordre personnel devaient, moyennant des garanties appropriées, pouvoir prendre connaissance des mentions figurant à leur sujet dans les dossiers des services sociaux et, à certaines exceptions près, avoir accès à ceux-ci. L’article 5 énumérait sous cinq rubriques les raisons permettant de ne pas révéler une information, parmi lesquelles la protection de tiers ayant fourni des renseignements sous le sceau du secret, la protection des sources d’information et la protection des appréciations confidentielles du personnel des services sociaux. Les articles 6 à 9 définissaient en termes plus précis la politique à suivre en matière d’accès des administrés à leur dossier. En particulier, l’article 7 indiquait les impératifs à mettre en balance avec l’intérêt de l’auteur d’une demande d’accès; la consigne la plus pertinente en l’espèce consistait à ne pas communiquer un renseignement fourni sous le sceau du secret par un tiers sans l’accord de celui-ci. L’article 9 disposait cependant que comme les dossiers existants avaient été constitués dans l’idée que leur contenu resterait à jamais confidentiel, les données recueillies avant l’introduction de la nouvelle politique ne seraient en aucun cas révélées sans l’acceptation des personnes dont elles émanaient. Le 31 août 1983, la High Court autorisa l’Attorney General à solliciter le contrôle judiciaire de la résolution du 26 janvier 1983, amendée le 29 juin 1983, pour cause de dépassement des limites considérées comme adéquates et, notamment, pour omission de certaines garanties importantes exigées par la circulaire LAC (83) 14. En attendant de statuer au fond, elle enjoignit à la municipalité de ne pas appliquer ladite résolution. Le 9 novembre 1983, le conseil municipal de Liverpool entérina une nouvelle résolution de sa commission des services sociaux. Datée du 18 octobre 1983, elle énonçait des raisons supplémentaires de ne pas dévoiler des informations. Elle prévoyait que le requérant aurait accès à son dossier dans la mesure où les informateurs (ou, pour certains éléments, le directeur des services sociaux) y consentiraient; elle prescrivait de prendre contact avec chacun d’eux pour obtenir leur accord préalable. A la suite du vote de cette résolution, conforme à la circulaire ministérielle LAC (83) 14 (paragraphe 23 ci-dessus), l’Attorney General retira sa demande de contrôle judiciaire. Le dossier de M. Gaskin renfermait 352 documents provenant de 46 personnes. Le 23 mai 1986, une copie de 65 d’entre eux, fournis par 19 personnes, fut envoyée aux solicitors de l’intéressé. Il s’agissait de pièces que leurs auteurs avaient accepté de lui voir communiquer. Le volume des diverses contributions allait d’une seule lettre à de nombreuses missives et rapports. Les informateurs qui refusèrent de renoncer à la confidentialité n’avaient pas été invités à en donner les raisons. Ils expliquèrent néanmoins, notamment, que la communication pourrait léser des tiers, qu’une contribution sortie de son contexte n’aurait aucune valeur, que le secret professionnel se trouvait en jeu, qu’il n’était pas d’usage de communiquer les rapports aux administrés et que le temps écoulé empêchait de se souvenir d’une lettre ou d’un rapport. En outre, en juin 1986 un informateur affirma que la communication nuirait au requérant lui-même. Le 15 juillet 1986, le directeur des services sociaux de la commune de Liverpool adressa aux solicitors de M. Gaskin une lettre ainsi libellée: "Je me réfère à votre lettre du 11 juin 1986. J’aimerais vous être aussi utile que possible, mais je me demande en fin de compte s’il n’existe pas entre nous une véritable divergence d’opinions. Du moins cela ressort-il, à mon sens, des questions que vous posez. Je ne pense donc pas que nous puissions poursuivre avec profit cette correspondance: en dernière analyse, je l’ai dit, il appartient à celui qui a fourni jadis une information de renoncer ou non, à sa guise, au caractère ‘confidentiel’ qu’elle revêtait à l’origine. Peu importent ses motifs, bons, mauvais ou ni l’un ni l’autre. Je regrette de ne pouvoir vous aider davantage." III. ÉVOLUTION LÉGISLATIVE ULTÉRIEURE Le 1er avril 1989 est entré en vigueur le règlement de 1989 sur l’accès aux dossiers personnels des services sociaux (Access to Personal Files (Social Services) Regulations). Édicté en application de la loi de 1987 sur l’accès aux dossiers personnels (Access to Personal Files Act) et précisé par la circulaire LAC (89) 2 aux autorités locales, il oblige les directions des services sociaux à ouvrir à chacun l’accès aux renseignements personnels consignés à son sujet, hormis les données sanitaires provenant d’un membre du corps médical et sous réserve des exceptions visées à l’article 9. Ce dernier concerne notamment toute information de nature à révéler ou laisser deviner à l’intéressé, ou à une autre personne pouvant y avoir accès, l’identité d’un tiers - autre qu’un employé des services sociaux - qui n’a pas consenti à la communication. D’après le Gouvernement, par le jeu de l’article 9 par. 3 du règlement les dossiers personnels seront dorénavant constitués en vertu du principe que les renseignements y figurant peuvent être communiqués, sauf dans la mesure où cela risquerait de dévoiler l’identité de l’informateur ou d’un tiers. En raison de l’article 2 par. 4 de la loi de 1987 sur l’accès aux dossiers personnels, le règlement de 1989 ne vaut cependant que pour les données recueillies depuis son entrée en vigueur, soit après le 1er avril 1989. Il ne rétroagit donc pas plus que la circulaire LAC (83) 14, qui régissait l’adoption de la résolution mentionnée au paragraphe 25 ci-dessus et la communication partielle ultérieure de documents à M. Gaskin. PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION Le requérant a saisi la Commission le 17 février 1983 (requête no 10454/83). Il alléguait que le refus de le laisser consulter l’ensemble du dossier conservé à son sujet par la commune de Liverpool violait son droit au respect de sa vie privée et familiale, garanti par l’article 8 (art. 8) de la Convention, et son droit de recevoir des informations, protégé par l’article 10 (art. 10). Il invoquait aussi les articles 3 et 13 de la Convention et 2 du Protocole no 1 (art. 3, art. 13, P1-2). Le 23 janvier 1986, la Commission a retenu le grief relatif audit refus mais a déclaré la requête irrecevable pour le surplus. Dans son rapport du 13 novembre 1987 (article 31) (art. 31), elle arrive par six voix contre six, avec la voix prépondérante du président, à la conclusion que les procédures et décisions ayant abouti à dénier au requérant l’accès à son dossier ont enfreint l’article 8 (art. 8) de la Convention. Elle estime en revanche, par onze voix et une abstention, qu’il n’y a pas eu violation de l’article 10 (art. 10) de la Convention. Le texte intégral de son avis et des opinions en partie dissidentes dont il s’accompagne figure en annexe au présent arrêt. CONCLUSIONS PRESENTEES A LA COUR PAR LE GOUVERNEMENT À l’audience du 28 mars 1989, le Gouvernement a maintenu les conclusions de son mémoire. Elles invitaient la Cour à dire: "i. que les faits ne révèlent aucune violation des droits garantis au requérant par l’article 8 (art. 8) de la Convention; ii. que les faits ne révèlent aucune violation des droits garantis au requérant par l’article 10 (art. 10) de la Convention."
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M. Georges Bricmont, avocat retraité, et son épouse Mme Louise Bricmont-Barré, sans profession, sont nés respectivement à Paris en 1917 et à Nismes (Belgique) en 1921. De nationalité belge lors de l’introduction de leur requête, ils ont acquis la citoyenneté canadienne en 1984, pour le premier, et en 1986 pour la seconde. Ils sont établis à Québec (Canada) depuis le 19 novembre 1980. À la suite d’une demande d’extradition formulée le 14 janvier 1986 par la Belgique, M. Bricmont fut placé une semaine plus tard sous écrou extraditionnel au centre de détention de Québec. Extradé le 13 juillet 1988 puis détenu à la prison de Nivelles, il fut élargi sous condition le 28 septembre 1988, en application d’un arrêté ministériel daté de la veille et ne comportant aucune restriction quant à ses déplacements, ce qui lui permit d’aller rejoindre son épouse à Québec. Il bénéficiera en principe d’une libération définitive le 20 janvier 1991. I. LA GENÈSE DE L’AFFAIRE De 1969 à 1977, M. Bricmont fut ami, avocat et mandataire chargé de la gestion de certains biens du prince Charles de Belgique, comte de Flandre, ancien régent du Royaume (décédé le 1er juin 1983); Mme Bricmont intervint à ses côtés à différentes occasions. Le requérant s’occupa notamment d’une affaire concernant un ancien gérant de la fortune du prince, le baron Allard, poursuivi pour divers faux, usages de faux, abus de confiance et escroqueries. Elle déboucha, le 13 septembre 1972, sur un jugement du tribunal de première instance de Bruxelles, qui constata la prescription de plusieurs préventions et acquitta le prévenu pour le surplus. Entendu au cours de l’instruction, le prince n’avait pas été autorisé à comparaître à l’audience. M. Bricmont réalisa d’autre part divers éléments mobiliers et immobiliers du patrimoine du prince. Le 21 juillet 1971, ce dernier conclut avec le baron Allard une transaction aux termes de laquelle il recouvrait des biens immobiliers importants. Il s’agissait: i. du domaine de Sansovino comprenant des terrains - propriété d’une société civile de droit français, Caldana, dont la société de droit suisse Florazur possédait 99 % des parts - et des constructions à Cannes; ii. de terrains situés à Biot sur la côte d’Azur, propriété d’une société civile de droit français, Bois Fleuri, dont la moitié des parts appartenait à l’Anstalt de droit liechtensteinois Volpone. Le baron Allard rétrocéda en outre au prince, en 1973, une créance contre la S.A. Florazur. Le 8 février 1973, M. Bricmont négocia pour le compte du prince la vente du domaine de Cannes par l’intermédiaire des Anstalten Filminter et Lissignol, vente ultérieurement résiliée. Antérieurement et par la suite, il aurait procédé, par l’entremise de diverses Anstalten, à des ventes ayant conduit à placer le domaine de Cannes dans le patrimoine des Anstalten Chimark et Socosef. L’Anstalt Volpone, transférée à l’Anstalt Egamecon, aurait été finalement absorbée par Socosef. Le 18 janvier 1977, M. Bricmont et le prince cessèrent toutes leurs relations: à la demande du premier, le second signa une décharge générale concernant tous les actes de gestion exécutés. Nouveau mandataire général du prince et prié par lui de préciser sa situation patrimoniale, Me Gilson de Rouvreux invita M. Bricmont à fournir des renseignements sur les mouvements de fonds et d’actions du prince; il tenta, en particulier, de retracer le cheminement des valeurs restituées par le baron Allard. M. Bricmont s’y étant refusé par une lettre du 5 mai 1977, Me Gilson de Rouvreux acquit la conviction que les biens du prince étaient passés sous le contrôle de l’Anstalt Socosef, appartenant à des tiers qui ne pouvaient être que les requérants. II. LE DÉROULEMENT DE LA PROCÉDURE A. La procédure d’instruction L’ouverture de l’instruction Agissant au nom du prince, Me Gilson de Rouvreux déposa auprès du parquet de Bruxelles, le 9 août 1977, une plainte pénale du chef de faux en écritures, usage de faux, abus de confiance et détournement de biens. Le 9 septembre 1977, le prince se constitua partie civile; il accusa le requérant de l’avoir dépouillé de sa fortune en lui faisant signer une série de documents par lesquels étaient opérés des transferts de biens. M. Bricmont lui aurait expliqué à l’époque que ceux-ci avaient pour seul but de mettre ses biens à l’abri de ses créanciers, du fisc et de ses héritiers légaux en les dépersonnalisant sous le voile d’Anstalten censées lui appartenir, alors qu’en réalité elles se trouvaient sous le contrôle des requérants. Après avoir interrogé M. et Mme Bricmont, le magistrat compétent les inculpa le 27 janvier 1978. M. Bricmont subit plusieurs autres interrogatoires dans le courant de l’année. Aux termes des articles 510 et 511 du code d’instruction criminelle, les princes du sang ne peuvent "jamais être cités comme témoins", sauf si un arrêté royal spécial a autorisé leur comparution; sous réserve de cette exception, leurs dépositions sont rédigées par écrit et reçues par le premier président de la cour d’appel ou le président du tribunal de première instance, selon le cas. Conformément à ces textes, le prince fut entendu par le premier président de la cour d’appel de Bruxelles les 9 novembre 1977 et 28 avril 1978 (paragraphes 38-39 ci-dessous). M. et Mme Bricmont demandèrent au juge d’instruction une confrontation avec le plaignant ainsi que l’audition de témoins, parmi lesquels figuraient MM. Gruner et Casse. Le premier (décédé ultérieurement) était l’administrateur des Anstalten litigieuses, constituées et domiciliées au cabinet de son employeur, Me Merkt, avocat genevois du prince. Quant à M. Casse, il s’était très activement occupé du domaine de Sansovino, à Cannes, en sa qualité de géomètre-expert foncier. Le 18 juillet 1979, le juge d’instruction entendit le prince. Le 23 octobre 1979, il procéda à une confrontation entre celui-ci et M. Bricmont autorisée par un arrêté royal du 2 juillet (paragraphe 40 ci-dessous). À la demande de nombreux journalistes, le premier substitut du procureur du Roi de Bruxelles tint une conférence de presse en octobre 1977. Il confirma que le prince avait déposé plainte du chef de détournement de fonds; en réponse à des questions, il ajouta que le juge d’instruction avait ordonné des devoirs et notamment des perquisitions dont une avait été opérée chez le requérant. Il admit également que le nom de celui-ci se trouvait cité dans la plainte. Plusieurs quotidiens belges mentionnèrent ses déclarations. L’ordonnance de la chambre du conseil du tribunal de première instance de Bruxelles, du 3 juin 1980 L’instruction achevée, le dossier fut soumis à la chambre du conseil du tribunal de première instance de Bruxelles, laquelle tint onze audiences entre le 18 mars et le 24 avril 1980. Mme et M. Bricmont déposèrent, les 31 mars et 2 avril 1980 respectivement, des conclusions tendant à voir prononcer la nullité de l’instruction. D’après eux, la conférence de presse d’octobre 1977 (paragraphe 19 ci-dessus) avait porté atteinte aux droits de la défense; il en allait de même de la jonction au dossier répressif d’une correspondance confidentielle d’avocats (paragraphe 56 ci-dessous) et de l’accomplissement d’actes d’instruction fondés sur celle-ci, ainsi que des modalités d’audition du prince. En ordre subsidiaire, ils demandaient à la chambre du conseil de surseoir à statuer en attendant l’accomplissement de diverses mesures d’instruction. Par une ordonnance du 3 juin 1980, la chambre du conseil estima non établi que le comportement du procureur du Roi eût pour objet et pour effet d’influencer contre les inculpés les témoins et magistrats. Elle releva en outre qu’il n’y avait pas violation du secret professionnel et que le prince avait été régulièrement entendu sans serment, en qualité de partie civile. Au sujet de la demande de sursis, elle considéra que les mesures d’instruction sollicitées ne s’imposaient pas à ce stade. Admettant l’existence de circonstances atténuantes pour les faits passibles de peines criminelles, la chambre du conseil ordonna le renvoi en jugement des inculpés devant le tribunal de première instance de Bruxelles. Contre M. Bricmont, elle retint neuf préventions de faux et usage de faux, douze d’escroquerie, cinq de détournement de biens, une de recel et une de violation du secret professionnel; contre Mme Bricmont, trois de faux et usage de faux, quatre d’escroquerie, une de détournement de biens, une de vol et une de recel. Parmi ces préventions figuraient: - la prévention A1 de faux et usage de faux à charge de M. Bricmont, portant sur la vente des titres de la société de droit suisse Florazur à l’Anstalt Filminter; - la prévention A3 de faux et usage de faux à charge de M. Bricmont, relative à la vente, le 13 décembre 1973, de l’Anstalt Volpone à l’Anstalt Egamecon; - la prévention A8 de faux et usage de faux à charge des deux inculpés, concernant un acte de donation du 19 mai 1976 (paragraphe 64 ci-dessous); - la prévention A9 de faux et usage de faux à charge de Mme Bricmont, portant sur un contrat de fiducie du 1er octobre 1976; - la prévention A10 de faux et usage de faux contre M. Bricmont, relative à la décharge de mandat du 18 janvier 1977 (paragraphe 13 ci-dessus); - la prévention C4, qui reprochait à M. et Mme Bricmont le détournement de 50 titres Florazur au préjudice du prince. L’arrêt de la cour d’appel de Bruxelles, du 6 novembre 1980 Le 6 novembre 1980, la cour d’appel de Bruxelles (chambre des mises en accusation) déclara irrecevable l’appel des requérants contre l’ordonnance de la chambre du conseil. Elle considéra qu’en contestant la régularité de la saisine du magistrat instructeur et la validité de l’instruction, M. et Mme Bricmont n’avaient pas soulevé un déclinatoire de compétence au sens de l’article 539 du code d’instruction criminelle, seul moyen de recours qui s’offrît à eux. L’arrêt de la Cour de cassation, du 7 janvier 1981 Les requérants se pourvurent en cassation contre l’ordonnance du 3 juin 1980 et l’arrêt du 6 novembre 1980. Le 14 novembre 1980, ils déposèrent chacun un mémoire où figurait le passage suivant: "Les requérants sont conscients que la magistrature belge en général continuera à leur refuser un procès équitable parce que le plaignant originaire est l’ancien régent du Royaume et parce que, accessoirement, son associé Paul-Marie Mossoux, qui s’est joint à la plainte devant la chambre du conseil, tient certains mandataires socialistes qui, eux-mêmes, détiennent les clefs de certaines nominations et promotions partisanes dans la magistrature." Le 7 janvier 1981, la deuxième chambre de la Cour de cassation déclara le pourvoi irrecevable, parce que formé contre une décision préparatoire et d’instruction et avant la décision définitive au sens de l’article 416 du code d’instruction criminelle. A l’ouverture de l’audience, le président de ladite chambre avait demandé à M. et Mme Bricmont s’ils confirmaient leurs allégations. Le premier accepta de supprimer le passage reproduit plus haut, tandis que la seconde s’y refusa. A la suite de cet incident - dont procès-verbal fut dressé -, le procureur du Roi cita les intéressés à comparaître devant le tribunal de première instance de Bruxelles du chef d’outrage envers le corps constitué de la magistrature belge. Déclarant la prévention non établie, le tribunal les acquitta le 15 décembre 1981. B. La procédure de jugement Le jugement du tribunal de première instance de Bruxelles, du 15 février 1982 Au terme d’une procédure marquée notamment par le dépôt, le 23 septembre 1981, des conclusions respectives des prévenus, le tribunal de première instance de Bruxelles statua le 15 février 1982. A titre préliminaire, il indiqua que tous les éléments du dossier révélaient "une carence manifeste et inexplicable dans la recherche de la vérité". Il releva en particulier les "obstacles" suivants: - les lacunes de l’instruction du dossier telles que principalement: l’absence d’expertise comptable et financière; la non-audition de M. Gruner, décédé entre temps (paragraphe 18 ci-dessus); le défaut d’une enquête relative à la personnalité de M. et Mme Bricmont; l’absence d’audition de Mme Bricmont et de confrontation avec le prince sur diverses préventions; le refus non motivé du juge d’instruction d’accueillir la demande, formulée par les requérants, de production du tableau "Orage sur Cannes" (paragraphe 68 ci-dessous); le fait que les personnes les mieux placées pour fournir des renseignements n’avaient été ni interpellées ni entendues comme témoins, malgré le désir formellement exprimé par M. et Mme Bricmont; l’absence de confrontation sur tous les chefs d’accusation entre les requérants et les parties civiles, à laquelle le tribunal n’avait pu remédier, malgré son désir et les demandes des requérants, dès lors que les parties civiles - justifiant de leur absence par des certificats médicaux qui, dans le cas du prince, avaient été vérifiés à deux reprises par un médecin légiste - n’avaient comparu en personne à aucune des audiences; - l’irrégularité de l’audition du prince les 9 novembre 1977 et 28 avril 1978 (paragraphe 17 ci-dessus): entendu en qualité de partie civile, il ne tombait pas sous le coup des articles 510 et 511 du code d’instruction criminelle et, dès lors, le juge d’instruction avait compétence pour l’interroger. Le tribunal précisa que s’il ne lui appartenait pas de prononcer l’annulation des actes d’instruction pouvant être entachés de nullité, il devait avoir égard aux irrégularités dénoncées par M. Bricmont et s’abstenir de prendre l’acte irrégulier pour base de sa décision; - le fait que M. et Mme Bricmont, ne se trouvant pas détenus, n’avaient eu accès aux dossiers qu’au moment du renvoi, et l’absence peu justifiable du juge d’instruction aux audiences; - la non-comparution du prince et de M. Mossoux devant le tribunal; - le défaut de crédibilité de chacune des parties en cause. Ayant égard aux seules pièces régulièrement saisies ou produites, le tribunal examina chacune des préventions. Il constata l’extinction de l’action publique par prescription pour certaines d’entre elles et l’irrecevabilité de quelques autres. Pour le surplus, il acquitta les prévenus et, en conséquence, se déclara incompétent pour connaître des prétentions des parties civiles. L’arrêt de la cour d’appel de Bruxelles, du 9 mars 1983 Le prince et le ministère public interjetèrent appel. A l’audience du 17 novembre 1982, les requérants déposèrent des conclusions dans lesquelles, invoquant le jugement attaqué, ils excipèrent de la nullité de l’instruction. Par un arrêt du 9 mars 1983, la septième chambre correctionnelle de la cour d’appel de Bruxelles statua d’abord sur les poursuites du prince contre les requérants, puis sur d’autres que M. Bricmont avait engagées contre lui, le 29 juin 1981, pour dénonciation calomnieuse. Quant aux premières, elle commença par répondre aux conclusions des requérants. Elle considéra d’abord que ni le dépôt, par Me Gilson de Rouvreux, de diverses lettres d’avocats ni la présence au dossier d’une lettre du requérant à Me Merkt, du 3 mai 1977, ne constituaient des causes de nullité de la procédure: aucune violation du secret professionnel ne se trouvait établie à la charge de ces deux avocats; en outre, la lettre précitée avait été légalement saisie par le juge d’instruction. La cour d’appel ne répondit pas explicitement à une demande subsidiaire des requérants tendant à l’audition de Me Merkt comme témoin et sous serment. La cour jugea regrettable que l’on eût entendu le prince d’une manière inhabituelle, "probablement par un souci de considération pour la partie civile, souci qui juridiquement ne se justifi[ait] pas et qui para[issai]t d’ailleurs à l’origine d’autres anomalies mais non d’illégalités". Elle estima pourtant que ces auditions n’entachaient pas la procédure de nullité et que les déclarations litigieuses ne valaient que comme simples renseignements. Elle ne se prononça pas expressément sur les conclusions des requérants selon lesquelles le juge d’instruction et la chambre du conseil avaient enfreint l’article 6 (art. 6) de la Convention en leur refusant toute confrontation avec le prince et toute audition de celui-ci. La cour d’appel considéra que la procédure n’était pas davantage viciée par les violations du secret professionnel imputées au parquet de première instance en raison, notamment, de la conférence de presse d’octobre 1977 (paragraphe 19 ci-dessus). Sans doute le magistrat instructeur avait-il seul qualité pour tenir une conférence de presse pendant une instruction judiciaire, mais une violation du secret professionnel ne pouvait entraîner la nullité de tout ou partie d’une procédure que si l’information ou l’instruction judiciaire y avait trouvé son origine ou si cette seule violation avait permis de découvrir le coupable ou de prouver sa culpabilité. En revanche, une violation du secret professionnel par un magistrat ou une autre personne tenue au secret de l’instruction au sens large ne pouvait vicier une procédure dont les éléments avaient été licitement recueillis; en décider autrement ajouterait aux effets d’une défaillance personnelle du représentant de l’autorité publique, un préjudice sans justification possible et pouvant être considérable soit pour l’ordre public, soit pour la ou les victimes. M. et Mme Bricmont invoquaient deux autres motifs de nullité contre l’ordonnance de renvoi du 3 juin 1980: le défaut de réponse à leurs conclusions et l’attitude du juge d’instruction qui, selon eux, s’était contenté d’un "mini-rapport" à la première audience de la chambre du conseil. La cour estima le premier grief non fondé en fait. Elle écarta aussi le second: il n’y avait pas de violation des droits de la défense, ni du caractère contradictoire des débats judiciaires, dès lors que le président de la chambre du conseil n’avait pas cru devoir rappeler le juge d’instruction au moment où celui-ci, après son rapport, avait quitté la salle. Les requérants prétendaient aussi que la cour d’appel se trouvait dans l’impossibilité légale de rendre un arrêt équitable à leur égard, en raison d’un incident survenu le 7 janvier 1981 et à la suite duquel ils avaient été cités à comparaître devant le tribunal de première instance de Bruxelles pour outrage à la magistrature belge (paragraphes 24 et 26 ci-dessus). La cour répondit que si ladite allégation était fondée en droit, "il suffirait à tout justiciable désireux d’esquiver n’importe quelle procédure judiciaire", civile ou pénale, "de s’assurer l’impunité par un délit d’outrage dirigé contre la magistrature belge en général". La cour d’appel ne répondit pas explicitement à la demande des requérants tendant à la production de la gouache "Orage sur Cannes" (paragraphe 69 ci-dessous). Après examen du fond de l’affaire, la cour d’appel mit à néant le jugement du 15 février 1982. Elle constata la prescription des poursuites pour certaines préventions et en déclara d’autres non établies, mais retint - à la charge de M. Bricmont, les préventions A1, A3, A8 et A10; - à la charge de Mme Bricmont, la prévention A9; - à la charge des deux prévenus, la prévention C4. En conséquence, elle condamna M. Bricmont à cinq ans d’emprisonnement, Mme Bricmont à quinze mois de la même peine, avec sursis durant trois ans, et chacun d’eux à une amende de deux mille francs belges. Statuant au civil, elle leur ordonna de verser au prince une indemnité provisionnelle de trois millions de francs et de lui restituer certains titres de société. Quant aux poursuites de M. Bricmont contre le prince, la cour d’appel acquitta ce dernier, l’estimant non coupable de dénonciation calomnieuse. Elle se déclara donc incompétente pour connaître de l’action civile du requérant. L’arrêt de la Cour de cassation, du 18 janvier 1984 Le 17 mars 1983, M. et Mme Bricmont se pourvurent en cassation contre l’ordonnance de la chambre du conseil de Bruxelles, du 3 juin 1980, et contre l’arrêt de la cour d’appel du 9 mars 1983. Dans un mémoire du 3 juin 1983, ils invoquèrent de nombreux moyens. Ils reprochaient notamment à la cour d’appel de n’avoir répondu ni au grief selon lequel l’instruction se trouvait entachée de nullité en raison de ses lacunes fondamentales, parfaitement résumées d’après eux par le tribunal de première instance (paragraphe 28 ci-dessus), même s’il n’en avait pas tiré toutes les conséquences légales, ni à leurs conclusions concernant la présence, dans le dossier répressif, de diverses lettres confidentielles, dont celle du 3 mai 1977 (paragraphe 32 ci-dessus). Ils alléguaient aussi qu’elle n’avait pas régulièrement motivé sa décision, faute d’avoir constaté que la publicité donnée à l’affaire par le parquet lors de la conférence de presse d’octobre 1977 (paragraphe 19 ci-dessus) et à l’occasion de réquisitions relatives à une autre affaire portait atteinte à leurs droits de la défense et à leur droit à un procès équitable. M. Bricmont ajoutait que la cour d’appel n’avait pas non plus régulièrement motivé sa décision de déclarer non prescrites les préventions A1 et A3, ni celle de juger établie la prévention C4 (paragraphe 22 ci-dessus). De son côté, Mme Bricmont se plaignait de n’avoir pas été invitée à se défendre sur le fait d’usage de faux retenu contre elle par la cour d’appel. Le 9 août 1983, M. et Mme Bricmont déposèrent un mémoire complémentaire. Nonobstant les termes de l’article 420 bis, deuxième alinéa, du code d’instruction criminelle, ils l’estimèrent recevable eu égard aux exigences du procès équitable et des droits de la défense. Ils dénonçaient une violation du principe d’égalité des armes, en raison de la procédure exceptionnelle d’interrogatoire du prince, et développaient le moyen pris de la nullité de la procédure (absence de confrontation, attitude du juge d’instruction, conférence de presse, poursuites pour outrage à la magistrature belge, etc.). La Cour de cassation rejeta le pourvoi le 18 janvier 1984 sans avoir égard au mémoire complémentaire, déposé en dehors du délai prévu à l’article 420 bis, deuxième alinéa, du code d’instruction criminelle. Elle le déclara irrecevable dans la mesure où il visait à nouveau (paragraphe 24 ci-dessus) l’ordonnance rendue le 3 juin 1980 par la chambre du conseil du tribunal de première instance de Bruxelles: en matière répressive, une partie ne pouvait se pourvoir une seconde fois en cassation contre une même décision. Pour autant que le pourvoi était dirigé contre l’arrêt du 9 mars 1983, la Cour statua d’abord sur le moyen tiré de la nullité de l’instruction. En énumérant les "illégalités" relevées par le jugement dont appel, les requérants s’étaient bornés à illustrer le grief selon lequel le premier juge, faute de tirer toutes les conséquences de la situation décrite par eux, avait enfreint l’article 6 (art. 6) de la Convention en raison de l’impossibilité, pour la cour d’appel, d’opérer "un tri entre les devoirs qui pou[v]aient être retenus et ceux qui d[evai]ent être écartés, tant ils s’interpénétr[ai]ent les uns dans les autres au point de former un tout incohérent". Aux yeux de la Cour de cassation, la cour d’appel avait décidé de manière implicite mais certaine, en examinant de près chacune des préventions, que l’incohérence alléguée de l’instruction n’existait pas. La Cour de cassation estima ensuite que l’arrêt attaqué, dont elle cita les motifs, avait répondu au moyen relatif au caractère confidentiel de la lettre du 3 mai 1977. Au sujet de celui qui avait trait à la publicité donnée à l’affaire par le ministère public, elle déclara ne pouvoir déduire une violation des droits de la défense, ni de l’article 6 § 1 (art. 6-1) de la Convention, de la seule circonstance que le parquet aurait manqué au secret professionnel. D’autre part, pour apprécier si une cause avait été équitablement entendue, il fallait prendre le procès dans son ensemble; dès lors que M. et Mme Bricmont avaient eu le loisir, devant les juridictions de jugement, de contredire librement les éléments apportés contre eux par le ministère public, ils ne pouvaient se prétendre victimes d’une méconnaissance des droits de la défense, ni de leur droit à un procès équitable au sens de la Convention. Quant aux moyens déduits du défaut de motivation de la condamnation du chef des préventions A1, A3 et C4 (paragraphe 22 ci-dessus), la Cour les rejeta pour défaut d’intérêt: la peine prononcée contre M. Bricmont se trouvait justifiée par d’autres préventions déclarées établies à sa charge. La Cour de cassation n’aperçut pas davantage une atteinte aux droits de la défense de Mme Bricmont en ce qui concerne la prévention A9. Enfin, elle jugea irrecevable le pourvoi que le requérant avait aussi formé à titre de partie civile (paragraphe 33 in fine ci-dessus): il n’apparaissait pas que celui-ci l’eût fait notifier au prince, en sa qualité de partie citée directement. III. LES ASPECTS LITIGIEUX DE LA PROCÉDURE A. Les auditions du prince et la confrontation avec lui Le 26 octobre 1977, le prince écrivit au juge d’instruction qu’il souhaitait être ouï par le premier président de la cour d’appel de Bruxelles. Par lettre du lendemain, le magistrat instructeur demanda au premier président de recevoir la déposition du prince, conformément à l’article 511 du code d’instruction criminelle (paragraphe 17 ci-dessus), et joignit une liste d’une cinquantaine de questions. Le 9 novembre 1977, le premier président recueillit les déclarations du prince, faites sans serment. Elles donnèrent lieu à l’établissement d’un procès-verbal consignant seulement les réponses aux questions précitées. Le 21 avril 1978, le juge d’instruction informa le premier président de la cour d’appel de Bruxelles qu’il estimait nécessaire une deuxième audition du prince; il dressa une nouvelle liste d’une quarantaine de questions. Le prince fut entendu, sans avoir prêté serment, le 28 avril. Un procès-verbal fut également rédigé à cette occasion. Un arrêté royal du 2 juillet 1979, qui se référait à l’article 510 du code d’instruction criminelle (paragraphe 17 ci-dessus), autorisa le prince à comparaître en qualité de plaignant, partie civile, devant le juge d’instruction du tribunal de première instance. L’audition se déroula le 18 juillet 1979 et porta sur les préventions A8 et A10 (paragraphe 22 ci-dessus). En outre, le prince annonça qu’il souhaitait apporter une précision à sa déclaration du 9 novembre 1977 au sujet d’un testament au profit de M. Bricmont. Il s’exprima ainsi: "Il y a eu un malentendu, il est inexact que c’est Me Bricmont qui aurait ajouté un zéro au montant prévu en sa faveur. C’est moi qui ai modifié le montant à sa demande. J’ai écrit cinquante millions au lieu de cinq millions. Vous me soumettez l’annexe no 3 à la pièce 195 de la farde ‘Instruction’, il s’agit bien de cette pièce. C’est donc bien Me Bricmont qui était désigné comme exécuteur testamentaire à sa demande." Le juge d’instruction procéda aussi, le 23 octobre 1979, à une confrontation entre le prince et le requérant. Il leur soumit notamment l’acte de donation du 19 mai 1976 (paragraphe 64 ci-dessous) et leur rappela leurs déclarations sur ce point; ils les confirmèrent. La question du testament fut à nouveau abordée. Devant la chambre du conseil, M. et Mme Bricmont alléguèrent la nullité de l’instruction, notamment pour violation des droits de la défense en raison des modalités d’audition du prince. Ils l’invitèrent à surseoir à statuer en attendant l’accomplissement de diverses mesures d’instruction, parmi lesquelles l’audition du prince et de nouvelles confrontations entre eux et lui, sur les autres préventions (paragraphe 21 ci-dessus). Dans son ordonnance du 3 juin 1980, la chambre du conseil considéra que les auditions critiquées avaient eu lieu conformément à l’article 511 du code d’instruction criminelle et qu’elle n’avait pas besoin des mesures sollicitées par M. et Mme Bricmont pour se prononcer en connaissance de cause sur la demande de renvoi en jugement (paragraphe 22 ci-dessus). Un arrêté royal du 21 août 1981, pris en vertu de l’article 510 précité, autorisa le prince à comparaître en qualité de témoin devant le tribunal de première instance de Bruxelles, dont les débats devaient s’ouvrir le 21 septembre 1981. Le 8 septembre 1981, le docteur Devos, médecin traitant, et le docteur Verhelst, interniste consulté, déclarèrent que l’état physique général et la condition psychique du prince ne lui permettaient pas de comparaître aux audiences du tribunal: ils estimaient que les graves situations de stress psychique et émotionnel qui en résulteraient lui pèseraient trop et qu’il n’était plus en état de les supporter. A la requête du procureur du Roi de Bruxelles, le procureur du Roi de Bruges désigna, le 12 septembre 1981, un médecin légiste chargé de vérifier l’état de santé du prince. L’expert nommé par lui, le docteur Floré, indiqua dans son rapport du 18 septembre (traduction du néerlandais): "Il s’agit d’un homme âgé, d’assez grande taille, plutôt maigrement nourri. Il laisse une impression de faiblesse et de vulnérabilité. Interrogé, il déclare souffrir d’asthme, d’une bronchite chronique, d’arthrose et d’une hernie du diaphragme qui l’oblige à dormir en position assise. Il dit aussi qu’il s’énerve facilement, dans la moindre situation de stress, et qu’il a alors tendance à réagir comme quelqu’un qui est pris de panique. L’annonce de la visite du médecin légiste avait déjà suffi à provoquer une réaction de ce genre. De même, en une telle situation il a des accès de tachycardie, perd la capacité de réagir d’une manière adéquate et se retrouve totalement désemparé. Pour ses déplacements il se fait emmener en voiture, ne conduisant plus lui-même depuis six ans environ. Il marche lentement, d’une manière hésitante, boitant légèrement et s’appuyant de la main droite sur une canne. Il parle d’une manière confidentielle, affective, amicale, parfois quelque peu naïve et enfantine, d’une voix faible et rauque, toussant à certains moments. Il a l’esprit lucide, mais il peut difficilement se concentrer longtemps, se répète quelquefois et doit souvent chercher ses mots. Lorsqu’il perd ainsi le fil de la conversation, il devient nerveux, rougit, perd confiance et cherche un appui auprès de son auditeur. En résumé, il s’agit d’un vieillard en voie d’affaiblissement, vivant pour le moment dans un milieu protecteur, dans un équilibre délicat et fragile. Il est clair que de légères situations de stress lui sont de trop. A la fin de l’entretien, sa fatigue est visible. Pour ces raisons, je conclus que sa résistance physique et psychique est devenue insuffisante pour être entendu comme témoin à l’audience et que, dès lors, elle le lui interdit." Peu avant la fin des audiences, le procureur du Roi formula une nouvelle demande auprès du médecin légiste. Dans un rapport du 4 décembre 1981, le docteur Floré constata que l’état de santé du prince ne s’était pas amélioré depuis le précédent examen. Dans leurs conclusions du 23 septembre 1981 (paragraphe 27 ci-dessus), M. et Mme Bricmont invitèrent le tribunal de première instance de Bruxelles à surseoir à statuer jusqu’au rétablissement de la santé du prince en vue d’une confrontation avec celui-ci et de son audition comme témoin. Le tribunal s’y refusa par un jugement du même jour; il considéra qu’eu égard à l’état de santé défectueux du prince, la continuation des débats en son absence ne pouvait être assimilée à un procès inéquitable contraire à l’article 6 (art. 6) de la Convention. M. et Mme Bricmont interjetèrent appel, mais se désistèrent par la suite. Dans son jugement du 15 février 1982 (paragraphes 27-29 ci-dessus), le tribunal de première instance de Bruxelles rangea parmi les lacunes de l’instruction le défaut de confrontation entre les requérants et le prince sur tous les chefs d’accusation; malgré son vif désir, il n’avait pu y remédier car, sur la foi de certificats médicaux, le prince n’avait comparu en personne à aucune des audiences. Le tribunal estima en outre irrégulières les auditions du prince par le premier président de la cour d’appel les 9 novembre 1977 et 28 avril 1978: le prince avait été ouï en tant que partie civile, et non comme témoin, de sorte que les articles 510 et 511 du code d’instruction criminelle ne s’appliquaient pas et que l’audition relevait du juge d’instruction. Sans doute n’appartenait-il pas au tribunal de prononcer l’annulation des actes d’instruction pouvant être entachés de nullité, mais il devait avoir égard aux irrégularités incriminées par M. Bricmont et accueillir sa demande d’éviter de prendre l’acte irrégulier pour base de sa décision. Dans leurs conclusions d’appel du 17 novembre 1982 (paragraphe 30 ci-dessus), M. et Mme Bricmont dénoncèrent notamment les conditions de l’audition du prince le 9 novembre 1977. Le requérant reprocha aussi au juge d’instruction et à la chambre du conseil d’avoir refusé de le confronter avec le prince et d’interroger ce dernier sur toutes les préventions; ils avaient méconnu de la sorte, d’après lui, l’article 6 § 3 d) (art. 6-3-d) de la Convention. Il invoqua également l’article 6 (art. 6) au motif que le ministère public n’avait pas sollicité, conformément à l’article 510 précité, un arrêté royal autorisant le prince à comparaître comme témoin devant la cour d’appel. Le 23 novembre 1982, M. et Mme Bricmont firent acter à la feuille d’audience: "Le ministère public a déclaré qu’il veut bien considérer comme exact que le baron Richard s’est récemment promené avec le Comte de Flandre avenue Louise." Dans son arrêt du 9 mars 1983 (paragraphes 31-33 ci-dessus), la cour d’appel jugea regrettable que les 9 novembre 1977 et 28 avril 1978 (paragraphes 38-39 ci-dessus) on eût entendu le prince d’une manière inhabituelle, "probablement par souci de considération pour la partie civile, souci qui juridiquement ne se justifi[ait] pas et qui para[issai]t d’ailleurs à l’origine d’autres anomalies mais non d’illégalités". Elle estima pourtant qu’il n’en résultait aucune cause de nullité de la procédure; elle releva en particulier: "(...) le comte de Flandre n’étant pas interrogé comme témoin puisque plaignant ni d’ailleurs par le magistrat compétent s’il avait été entendu comme témoin, les déclarations litigieuses ne valent que comme simples renseignements tout comme si le comte de Flandre avait fourni les mêmes explications dans une lettre missive adressée au juge d’instruction ou verbalement à une autorité de police judiciaire ou encore exactement comme s’il avait été entendu par le magistrat instructeur sans serment, ce qui est le droit de ce magistrat et ce qui se recommande à l’égard d’une partie civile." B. L’audition des témoins Par une lettre du 25 août 1977, Me Gilson de Rouvreux indiqua au premier substitut le nom de certaines personnes pouvant éventuellement fournir des précisions au sujet de l’affaire. Trois d’entre elles furent citées, dont M. Casse (paragraphe 18 ci-dessus). Dans leurs conclusions présentées devant la chambre du conseil (paragraphe 21 ci-dessus), M. et Mme Bricmont sollicitèrent l’audition de MM. Casse et Gruner (paragraphe 18 ci-dessus). La chambre du conseil n’estima cependant pas nécessaire d’ouïr les intéressés pour statuer sur le renvoi en jugement des requérants. Par une sommation d’huissier du 19 mars 1981, adressée au procureur du Roi de Bruxelles à la suite du décès de M. Gruner, M. et Mme Bricmont demandèrent la délivrance d’une commission rogatoire tendant à ce que M. Casse fût entendu au sujet d’une attestation signée par lui le 16 février 1981 et concernant la prévention A1 (paragraphe 22 ci-dessus). Déposée devant la chambre du conseil, elle précisait le contenu de deux autres, datées du 21 décembre 1979 et versées au dossier répressif. M. Casse y relatait une conversation qu’il aurait eue avec le prince en novembre 1976; celui-ci aurait affirmé avoir reçu une somme de deux millions de francs français pour le prix de vente de ses droits sur la société Caldana, propriétaire du domaine de Sansovino (paragraphe 11 ci-dessus). La sommation était ainsi libellée: "Attendu que durant l’instruction pénale faite à charge de mon requérant (...) jamais n’ont été entendues les deux personnes qui, avec mes requérants et le plaignant, furent les témoins essentiels des principaux faits qui seront retenus dans le réquisitoire de renvoi du 2 novembre 1979, à savoir Monsieur Pierre Gruner, collaborateur non avocat de Maître René Merkt du barreau de Genève, et Monsieur Gabriel Casse, géomètre et expert judiciaire à Cannes; Attendu qu’en chambre du conseil toute demande de mes requérants visant à un complément d’instruction a été rejetée, le ministère public s’étant opposé à l’audition des témoins Gruner et Casse; Attendu que Monsieur Gruner est décédé, ce qui est extrêmement préjudiciable à la manifestation de la vérité et, partant, à la défense de mes requérants; Attendu que les requérants courent aujourd’hui le risque considérable de se voir privés du témoignage essentiel de Monsieur Gabriel Casse si celui-ci n’est pas très prochainement entendu sur commission rogatoire; qu’en effet celui-ci est âgé et vient de surmonter de graves ennuis de santé; (...) Attendu que Monsieur Gabriel Casse doit être invité à confirmer les termes de son attestation du 16 février 1981 devant une autorité judiciaire qui lui posera en outre toutes questions utiles à la manifestation de la vérité et qui, en même temps, pourra faire rapport au parquet de Bruxelles sur les antécédents professionnels et moraux de l’intéressé; Attendu que ladite attestation du 16 février 1981 a une incidence directe sur le fondement de la prévention de prétendu faux intellectuel que constituerait le reçu signé le 2 décembre 1972 par le Prince Charles de Belgique et qui conditionne les préventions qui lui sont postérieures en date; (...) Attendu qu’il doit être d’urgence remédié à cette lacune de l’instruction qui consiste à refuser de faire entendre, à la requête de mes requérants, les deux témoins qui, en raison de l’importance de leur connaissance personnelle et exclusive des faits essentiels, auraient pu réduire à néant les accusations du plaignant (...); Que la demande est fondée sur l’article 6 § 3, d) (art. 6-3-d) de la Convention européenne de Sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés Fondamentales; (...)." D’après les requérants, l’audition de M. Casse leur eût permis de se disculper des trois principales accusations retenues contre eux, à savoir les préventions A1, A9 et C4 (paragraphe 22 ci-dessus). Le 27 mars 1981, le procureur de la République de Grasse fit exécuter une commission rogatoire émanant du parquet de Bruxelles, lequel avait demandé l’audition de M. Casse "1o sur les relations qu’il a[vait] eues et celles qu’il aurait encore avec les époux Bricmont-Barré; 2o sur le contenu des ‘attestations’ dont il [était] fait état en annexe". Entendu le 20 juin 1981 par la police de Cannes, M. Casse répondit à la première question et confirma son attestation du 16 février 1981. Dans son jugement du 15 février 1982 (paragraphes 27-29 ci-dessus), le tribunal de première instance de Bruxelles releva parmi les lacunes de l’instruction l’absence d’audition de M. Gruner - décédé depuis la clôture de l’instruction - et le fait que les personnes les mieux placées pour fournir des renseignements n’avaient été ni interpellées ni ouïes comme témoins, malgré le désir formellement exprimé par M. et Mme Bricmont. Dans leurs conclusions d’appel du 17 novembre 1982 (paragraphe 30 ci-dessus), ces derniers demandèrent l’audition, sous serment, de Me Merkt (paragraphe 18 ci-dessus), "pour connaître la date à laquelle et les conditions dans lesquelles [était] sortie de son cabinet d’avocat la photocopie de la lettre confidentielle que son confrère et client G. Bricmont lui [avait] envoyée le 3 mai 1977" (paragraphe 32 ci-dessus). Invoquant l’article 6 (art. 6) de la Convention, ils estimaient ne pas abuser ainsi de leurs droits de défense car Me Merkt était la seule personne dont ils invitaient la cour à recueillir le témoignage. En décembre 1982, les requérants produisirent une nouvelle attestation de M. Casse, datée du 17 décembre 1982; il y déclarait se tenir à la disposition des autorités judiciaires pour confirmer sous serment le contenu de ses attestations antérieures (paragraphe 53 ci-dessus). Dans son arrêt du 9 mars 1983 (paragraphes 31-33 ci-dessus), la cour d’appel ne répondit pas de manière expresse à la demande d’audition de Me Merkt mais, examinant la cause de nullité qui résulterait de la présence au dossier de la lettre du 3 mai 1977 (paragraphe 56 ci-dessus), considéra qu’aucune violation du secret professionnel n’était établie à charge de ce dernier; elle ne se prononça pas sur la valeur des attestations de M. Casse. C. L’instruction financière et comptable Le 27 septembre 1977, le juge d’instruction de Bruxelles adressa un télégramme à son homologue du tribunal de grande instance de Mont-de-Marsan (France); il l’invitait à décerner un mandat permettant de rechercher et saisir, dans un domaine situé à Vielle-Soubiran et occupé par M. et Mme Bricmont, toutes les pièces relatives à onze sociétés et Anstalten. Le même jour, il envoya au juge informateur de Genève une dépêche le priant d’une part de faire rechercher et saisir chez M. Natalizzi, expert-comptable qui avait succédé à M. Gruner, tous les titres d’une certaine société et les documents se rapportant à quatre Anstalten, d’autre part de se procurer auprès de Me Merkt la comptabilité, les dossiers et la correspondance concernant diverses Anstalten. Le juge d’instruction de Genève rendit effectivement, le 28 septembre 1977, une ordonnance en ce sens. La lettre de M. Bricmont à Me Merkt, du 3 mai 1977 (paragraphe 32 ci-dessus), fut saisie à cette occasion. Le 30 septembre 1977, le juge d’instruction de Bruxelles expédia un télégramme similaire à son collègue du tribunal de grande instance de Grasse. Par une autre dépêche du 19 octobre 1977, il pria son collègue de Paris de demander à la Banque de Paris et des Pays-Bas, ainsi qu’à la Banque nationale de Paris, de fournir le relevé de toutes les opérations passées sur des comptes ouverts au nom des requérants et d’une certaine société, selon le cas. Le 9 janvier 1978, il délivra une seconde commission rogatoire destinée au juge d’instruction de Genève afin que celui-ci fît procéder sur place à une saisie et à une enquête à la Banque de Paris et des Pays-Bas au sujet d’un document argué de faux, daté du 18 février 1974 et attestant le paiement au prince du prix d’un achat de mobilier. Ces diverses recherches ne permirent pas d’appréhender la comptabilité des Anstalten. Devant la chambre du conseil, M. et Mme Bricmont demandèrent l’audition des directeurs de la succursale genevoise de la Banque de Paris et des Pays-Bas, mais sans résultat. Dans son jugement du 15 février 1982 (paragraphes 27-29 ci-dessus), le tribunal de première instance de Bruxelles releva parmi les lacunes de l’instruction l’absence de toute expertise comptable et financière concernant les opérations réalisées sur l’ordre ou au nom du prince et des requérants, dont divers numéros de comptes bancaires en Belgique ou à l’étranger figuraient au dossier. Quant aux Anstalten en cause, il semblait bien qu’un examen de leurs comptes aurait pu avoir lieu: de nombreux extraits se trouvaient parmi les pièces saisies, de sorte que l’on aurait pu s’adresser aux organismes bancaires pour prendre connaissance des opérations effectuées sur ces comptes, au moins dans la mesure où le litige y avait trait; en tout cas, rien ne démontrait le contraire. D’un autre côté, le jugement constata que le requérant avait eu "le grand tort" de ne pas tenir une comptabilité méthodique et chronologique des sommes qu’il encaissait et payait au nom du prince et de négliger parfois de déférer à des demandes précises du tribunal. Dans leurs conclusions d’appel, M. et Mme Bricmont invoquèrent l’absence de toute expertise comptable et financière telle qu’elle avait été relevée par le tribunal, pour en déduire la nullité de l’instruction du fait de ses lacunes. Répondant à la critique que lui avait adressée le tribunal, le requérant estimait inadmissible que le prince, non content de refuser son concours à la manifestation de la vérité, reprochât à la partie adverse la manière dont elle annotait des transferts de capitaux effectués sans trace bancaire de par sa propre volonté à lui. Dans son arrêt du 9 mars 1983 (paragraphes 31-33 ci-dessus), la cour d’appel ne se prononça pas expressément sur les conclusions tirées par les requérants de la nullité de l’instruction. En déclarant établies les préventions A3 et A10, elle eut notamment égard au fait que M. Bricmont n’avait produit aucun document comptable. Pour fixer la peine, elle releva enfin que l’instruction écrite révélait le désir du prince de dissimuler le plus possible les biens de son patrimoine au fisc, à ses créanciers et à ses héritiers légaux, et que le requérant en avait profité pour tenter de le dépouiller de sa fortune. D. La demande de production de la gouache "Orage sur Cannes" Le 30 août 1978, M. Bricmont communiqua au juge d’instruction la copie d’un document daté du 19 mai 1976 et ainsi libellé: "Par la présente, je soussigné comte de Flandre, prince Charles de Belgique, donne à Maître Georges Bricmont, du barreau de Bruxelles et, à défaut, à Mme Bricmont, la disposition des sociétés et Anstalt[en] que je possède ou contrôle." Selon lui, le comte de Flandre reconnaissait de la sorte l’existence de "donations manuelles"; en application de l’article 938 du code civil, les préventions de détournement d’actions ou de titres de propriété de sociétés ou d’Anstalten se trouvaient donc privées d’un élément essentiel. Par une lettre du 8 septembre 1978, le requérant précisa au magistrat instructeur que la donation avait en réalité été principalement consentie à son épouse. Le 22 novembre 1978, Mme Bricmont obtint du président du tribunal de Grasse la désignation d’un huissier, M. Bernard, chargé de dresser l’inventaire du mobilier d’un château où elle avait disposé, jusqu’en février 1976, d’un bureau en qualité de président-directeur général de la société anonyme Sansovino et de directeur général de la société civile immobilière Caldana. La mission de M. Bernard ne concernait pas la procédure pénale pendante à Bruxelles; elle était motivée par le souhait de la requérante de posséder une liste officielle de ses objets et meubles placés sous la garde de l’administrateur judiciaire de la société Caldana, M. Denape. Elle consistait donc à relever la présence, notamment, de tableaux mais non le texte de leurs dédicaces éventuelles. Le 3 janvier 1979, l’huissier constata que quatre tableaux signés du comte de Flandre et dédicacés à M. et Mme Bricmont - dont une gouache "Orage sur Cannes", datée du 21 janvier 1976 - se trouvaient dans le bureau de direction, à l’intérieur d’une armoire fermée à clé. A la suite d’un interrogatoire de son mari, le 2 octobre 1979, au sujet de l’acte de donation du 19 mai 1976, Mme Bricmont écrivit au juge d’instruction le 22 octobre 1979. Elle estimait indispensable qu’il prît connaissance du texte de la dédicace du 21 janvier 1976 figurant sur la gouache "Orage sur Cannes", lequel reflétait la "tournure d’esprit" favorable du prince à son égard. La requérante ajoutait: "(...) il serait indiqué que vous la soumettiez au prince Charles qui pourra ainsi vous dire si elle est bien de sa main. Dans l’affirmative, il pourra aussi vous dire s’il renonce, pour le cas d’espèce, à ses perfides insinuations sur d’imaginaires utilisations de blanc-seings. Ci-joint un P.V. du 3 janvier 1979 de l’huissier Bernard, de Cannes, qui établit, contradictoirement avec Denape, que les quatre tableaux en question sont entreposés dans mon bureau dans le château Sansovino. Ils sont enfermés dans une armoire métallique; celle-ci, comme le bureau, est fermée à clefs. C’est moi qui ai les clefs de l’armoire et du bureau sans toutefois y avoir accès. Ce n’est que par Denape que celui-ci m’est interdit sans décision de justice mais avec menaces d’interventions physiques des concierges et de Busuttil au cas où je voudrais m’y rendre pour reprendre les objets qui m’appartiennent. La position de Denape est d’autant plus abusive que personne ne conteste mon droit de propriété sur les objets en question. Dès lors, je vous prie instamment de transmettre dans le département des Alpes Maritimes une commission rogatoire ayant pour objet de me faire remettre et, à défaut, de faire saisir lesdits objets personnels que j’estime essentiels pour ma défense et qui reposent dans le château de Sansovino. Particulièrement: lettres, notes, photos et tableaux. Il n’est pas nécessaire de faire forcer les serrures des meubles et locaux du château puisque Denape et moi-même possédons chacun une partie des clefs. Il suffira que la police française, chargée d’exécuter la commission rogatoire, demande à Denape comme à moi-même de l’accompagner sur les lieux afin de lui ouvrir les locaux et meubles et pour lui indiquer les objets dont je demande la restitution tant pour votre édification que pour les besoins de ma défense." Devant la chambre du conseil M. et Mme Bricmont demandèrent à nouveau la production du texte de la dédicace, mais en vain. Dans son jugement du 15 février 1982 (paragraphes 27-29 ci-dessus), le tribunal de première instance de Bruxelles rangea parmi les lacunes de l’instruction "le refus, non motivé, du magistrat instructeur de réserver une suite favorable à la demande des prévenus de faire procéder au relevé du texte et à l’identification de l’auteur de la dédicace figurant sur la gouache ‘Orage sur Cannes’ se trouvant à Cannes, en possession de l’administrateur provisoire Denape, et qui accréditerait la version des prévenus". En examinant la prévention A8, relative à l’acte de donation du 19 mai 1976 (paragraphes 22 et 64 ci-dessus), il estima regrettable que le "devoir d’instruction [consistant à procéder à une commission rogatoire] [n’eût] pas été accompli ainsi que le commandaient les droits de la défense"; il lui parut "tout aussi regrettable que les prévenus ne donn[assent], [fût-]ce de mémoire, le contenu de cette dédicace". Dans leurs conclusions d’appel du 17 novembre 1982 (paragraphe 30 ci-dessus), M. et Mme Bricmont demandèrent, à propos de la prévention A8, que la partie civile produisît la gouache "Orage sur Cannes" car "la dédicace, datée du 21 janvier 1976, établirait que cette donation [avait] bien été voulue telle quelle par le donateur". Dans son arrêt du 9 mars 1983 (paragraphes 31-33 ci-dessus), la cour d’appel de Bruxelles ne répondit pas expressément sur ce point; elle se référa pourtant aux conclusions de la partie civile, le comte de Flandre, selon lesquelles la demande constituait une "attaque de diversion". PROCEDURE SUIVIE DEVANT LA COMMISSION Dans leur requête du 13 février 1984 à la Commission (no 10857/84), M. et Mme Bricmont prétendaient ne pas avoir bénéficié d’un procès équitable, compte tenu de la qualité du prince. Ils formulaient de très nombreuses doléances. En particulier, ils alléguaient que la procédure avait revêtu un caractère inéquitable en raison des lacunes de l’instruction; ils l’estimaient incompatible dans son ensemble avec le paragraphe 1 de l’article 6 (art. 6-1) de la Convention et de plus, sur certains points, avec les alinéas b) (art. 6-3-b) (absence d’expertise financière et comptable, non-production de la gouache "Orage sur Cannes") et d) (art. 6-3-d) (refus de confrontation et d’audition du prince, non-audition ou audition insuffisante selon le cas, de certains témoins) du paragraphe 3. Le 15 juillet 1986, la Commission a retenu les griefs des requérants concernant l’instruction de leur affaire et a déclaré la requête irrecevable pour le surplus. Dans son rapport du 15 octobre 1987 (article 31) (art. 31), elle conclut: - qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 (art. 6-1) en ce que les requérants se sont trouvés, quant à la procédure, dans une situation moins favorable que le prince (dix voix contre une) et de l’article 6 § 3 d) (art. 6-3-d) à cause de la non-audition de Me Merkt (six voix contre cinq); - que la non-production de la gouache et l’absence d’expertise comptable n’ont pas enfreint l’article 6 § 3 b) (art. 6-3-b), ni la non-audition de MM. Gruner et Casse l’article 6 § 3 d) (art. 6-3-d) (unanimité); - qu’aucune question distincte ne se pose sur le terrain de l’article 6 § 1 (art. 6-1) quant à la non-audition de MM. Gruner et Casse et de Me Merkt, ni du fait de la non-production de la gouache et de l’absence d’expertise comptable (unanimité). Le texte intégral de l’avis de la Commission et de l’opinion séparée dont il s’accompagne figure en annexe au présent arrêt.
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE M. Jens Soering, né le 1er août 1966, est allemand. Il se trouve actuellement détenu en Angleterre en attendant son extradition vers les États-Unis d’Amérique où il devrait répondre d’accusations d’assassinat dans l’État de Virginie. Les homicides dont il s’agit eurent lieu dans le comté de Bedford, en Virginie, en mars 1985. Les victimes, William Reginald Haysom (72 ans) et Nancy Astor Haysom (53 ans), étaient les parents de l’amie du requérant, Elizabeth Haysom, de nationalité canadienne. Dans les deux cas, la mort résultait de multiples blessures et coups de couteau massivement portés au cou, à la gorge et sur le tronc. A l’époque, le requérant et Elizabeth Haysom, âgés respectivement de 18 et 20 ans, étaient étudiants à l’Université de Virginie. Ils disparurent ensemble de cet État en octobre 1985, mais en avril 1986 la police les arrêta en Angleterre en raison d’escroqueries sur des chèques. Entre le 5 et le 8 juin 1986, un inspecteur du Sheriff’s Department du comté de Bedford interrogea M. Soering en Angleterre. Dans une déclaration écrite sous serment du 24 juillet 1986, il indiqua que l’intéressé avait reconnu les meurtres en sa présence et devant deux fonctionnaires de police du Royaume-Uni. Selon ses dires, il était amoureux de Mlle Haysom mais comme les parents de la jeune fille s’opposaient à leur liaison, elle et lui avaient projeté de les tuer; ayant loué une voiture à Charlottesville, ils avaient gagné Washington où ils se forgèrent un alibi; de là, il s’était rendu à la maison des parents et avait discuté avec eux de ses relations avec leur fille; lorsqu’ils l’avertirent qu’ils feraient tout pour les contrecarrer, une dispute éclata et il les tua avec un couteau. Le 13 juin 1986, un "grand jury" de la cour (Circuit Court) du comté de Bedford mit en accusation le requérant, du chef d’assassinat passible de la peine de mort (capital murder) sur la personne des parents Haysom et d’assassinats non passibles de cette peine (non-capital murders) sur la personne de chacun d’eux. Le 11 août 1986, le gouvernement des États-Unis d’Amérique sollicita l’extradition de M. Soering et de Mlle Haysom en vertu du traité anglo-américain d’extradition de 1972 (paragraphe 30 ci-dessous). Le 12 septembre, un juge de la Magistrates’ Court de Bow Street reçut du ministre de l’Intérieur une invitation à décerner un mandat d’arrêt contre le requérant, sur la base de l’article 8 de la loi de 1870 sur l’extradition (paragraphe 32 ci-dessous). L’intéressé fut arrêté le 30 décembre à la prison de Chelmsford après y avoir purgé une peine pour escroquerie sur des chèques. Le 29 octobre 1986, l’ambassade britannique à Washington adressa aux autorités américaines la demande suivante: "En raison de l’abolition de la peine capitale en Grande-Bretagne, l’Ambassade a été chargée de chercher à obtenir, conformément au traité d’extradition, une assurance que dans le cas où M. Soering serait livré et reconnu coupable des crimes dont il se trouve accusé, la peine capitale, si elle est imposée, ne recevra pas exécution. Si des motifs constitutionnels empêchaient le gouvernement américain de donner pareille assurance, les autorités britanniques le prient de s’engager à recommander aux autorités compétentes de ne pas prononcer la peine capitale ou, si elle est prononcée, de ne pas l’exécuter." Le 30 décembre 1986, un procureur allemand (Staatsanwalt) de Bonn interrogea M. Soering en prison. Dans une attestation écrite sous serment, il rapporta que ce dernier lui avait affirmé notamment "n’avoir jamais voulu tuer M. et Mme Haysom et (...) pouvoir seulement se rappeler leur avoir infligé des blessures au cou, ce qui devait avoir un lien avec leur mort ultérieure"; les jours précédents, Elizabeth et lui-même n’avaient nullement parlé de les tuer. Le procureur se référait aussi à des documents mis à sa disposition, par exemple les déclarations du requérant à l’inspecteur de police américain, les rapports d’autopsie et deux rapports psychiatriques concernant l’intéressé (paragraphe 21 ci-dessous). Le 11 février 1987, le tribunal de district de Bonn lança contre M. Soering un mandat d’arrêt relatif aux assassinats qu’on lui reprochait. Le 11 mars, le gouvernement de la République fédérale d’Allemagne réclama au Royaume-Uni l’extradition du requérant en vertu du traité d’extradition de 1872 entre les deux États (paragraphe 31 ci-dessous). Le ministre de l’Intérieur reçut alors du directeur des poursuites (Director of Public Prosecutions) l’avis que si la demande démontrait certes la compétence des juridictions allemandes pour juger l’intéressé, les éléments produits, à savoir de simples aveux passés devant le procureur de Bonn sans avertissement préalable (caution), ne constituaient pas un commencement de preuve de culpabilité; partant, la loi de 1870 sur l’extradition (paragraphe 32 ci-dessous) ne permettait pas au juge de placer M. Soering sous écrou extraditionnel en attendant son envoi en Allemagne. Par une lettre du 20 avril 1987 au directeur du bureau des Affaires internationales, division des Affaires criminelles, ministère de la Justice des États-Unis, l’Attorney du comté de Bedford (Virginie), M. James W. Updike Jr, précisa que dans l’hypothèse où le requérant ne pourrait être jugé dans son propre pays sur la base de ses seuls aveux, il n’existait aucun moyen d’obliger des témoins à se rendre des États-Unis en Allemagne pour y comparaître devant un tribunal répressif. Par une note diplomatique du 23 avril, les États-Unis invitèrent le Royaume-Uni à livrer le requérant à eux-mêmes et non à la République fédérale. Le 8 mai 1987, Elizabeth Haysom fut extradée vers les États-Unis. Après avoir plaidé coupable, le 22 août, de complicité dans l’assassinat de ses parents, elle s’entendit condamner le 6 octobre à 90 ans de réclusion (45 ans pour chaque assassinat). Le 20 mai 1987, le gouvernement britannique informa la République fédérale que les États-Unis avaient, les premiers, "présenté une demande étayée par des commencements de preuve, en vue de l’extradition de M. Soering"; eu égard à l’ensemble des circonstances de l’espèce, ajoutait-il, il avait conclu que le tribunal devait continuer à examiner ladite demande de la manière habituelle. Il signalait en outre qu’il avait sollicité auprès des autorités américaines des assurances sur la question de la peine de mort et que si le tribunal plaçait le requérant sous écrou extraditionnel, la remise à ces mêmes autorités serait subordonnée à l’obtention d’assurances suffisantes. En sa qualité de procureur du comté de Bedford, M. Updike fit le 1er juin 1987 la déclaration sous serment suivante: "Je certifie par la présente que si Jens Soering devait être convaincu de l’assassinat aggravé qu’on l’accuse d’avoir commis dans le comté de Bedford, en Virginie (...), une démarche sera menée au nom du Royaume-Uni auprès du juge, au moment de la fixation de la peine, pour lui signaler que le Royaume-Uni souhaite ne voir ni infliger ni exécuter la peine de mort." Communiquées au gouvernement britannique le 8 juin sous couvert d’une note diplomatique, ces assurances furent réitérées dans les mêmes termes par M. Updike dans une nouvelle déclaration sous serment du 16 février 1988, adressée au Royaume-Uni par une note diplomatique du 17 mai 1988. Dans cette même note, le gouvernement fédéral des États-Unis s’engageait à veiller au respect, par les autorités compétentes de l’État de Virginie, de leur promesse d’intervenir au nom du Royaume-Uni. Au cours de la présente procédure, les autorités virginiennes ont avisé le gouvernement britannique que M. Updike ne comptait pas donner d’autres assurances et se proposait de requérir la peine capitale contre M. Soering car, selon lui, les éléments de preuve justifiaient une telle attitude. Le 16 juin 1987, à la Magistrates’ Court de Bow Street, une audience relative au placement sous écrou extraditionnel se déroula devant le Chief Stipendiary Magistrate. Le gouvernement des États-Unis fournit des éléments de preuve d’après lesquels, dans la nuit du 30 mars 1985, M. Soering avait tué William et Nancy Astor Haysom chez eux, dans le comté de Bedford en Virginie. Il se fonda en particulier sur les aveux de l’intéressé tels que les relatait l’attestation de l’inspecteur de police du comté de Bedford (paragraphe 13 ci-dessus). Les conseils du requérant produisirent le rapport d’un consultant de psychiatrie médico-légale, le Dr Henrietta Bullard. Daté du 15 décembre 1986, il indiquait que leur client, immature et inexpérimenté, avait perdu son identité personnelle dans une relation de symbiose avec son amie - jeune femme énergique, persuasive et perturbée. Il concluait: "Entre Mlle Haysom et Soering, il existait une ‘folie à deux’; le partenaire le plus perturbé était Mlle Haysom. (...) Au moment de l’infraction, Jens Soering souffrait selon moi de troubles mentaux dus à des causes endogènes et qui altéraient fortement sa responsabilité. Le syndrome psychiatrique qualifié de ‘folie à deux’ est un état mental bien connu où l’un des partenaires est suggestible au point de croire aux hallucinations psychotiques de l’autre. La perturbation dont se trouve atteinte Mlle Haysom frise la psychose et, au fil de nombreux mois, la jeune fille a pu persuader Soering que pour permettre à leur couple de survivre il devrait peut-être tuer ses parents à elle. (...) [Elle] avait sur [lui] un effet stupéfiant et hypnotisant qui l’a plongé dans un état psychologique anormal l’empêchant de penser de manière rationnelle ou discuter les absurdités de la conception qu’[elle] avait de sa vie et de l’influence de ses parents. (...) En conclusion, je considère qu’au moment des infractions, Soering souffrait d’une anomalie mentale qui, dans ce pays, lui permettrait de plaider non coupable d’assassinat, mais coupable d’homicide." Les conclusions du Dr Bullard rejoignaient en substance celles d’un rapport psychiatrique antérieur, établi le 11 décembre 1986 par le Dr John R. Hamilton, médecin-chef de l’hôpital de Broadmoor, mais non produit devant la Magistrates’ Court. Le juge estima que l’expertise du Dr Bullard n’entrait en ligne de compte pour aucune des questions à trancher par lui et plaça le requérant sous écrou en attendant l’arrêté ministériel de renvoi aux États-Unis. Le 29 juin 1987, M. Soering sollicita de la Divisional Court une ordonnance d’habeas corpus concernant sa détention et l’autorisation de demander un contrôle judiciaire. Le 11 décembre, il essuya un double refus de la Divisional Court (le Lord Justice Lloyd et le juge Macpherson). A l’appui de ladite demande, il avait soutenu que l’assurance fournie par les autorités américaines avait si peu de valeur que nul ministre raisonnable ne pouvait la trouver satisfaisante au regard de l’article IV du traité anglo-américain d’extradition (paragraphe 36 ci-dessous). Dans son jugement, le Lord Justice convint qu’elle "laiss[ait] à désirer": "L’article IV du traité envisage une assurance que la peine capitale ne recevra pas exécution. Il doit entendre par là, je présume, une assurance donnée par l’exécutif - en l’occurrence le gouverneur de l’État de Virginie - ou en son nom. Or l’attestation sous serment de M. Updike, loin de représenter une [telle] assurance (...), se ramène à un engagement de faire auprès du juge des démarches au nom du Royaume-Uni. Je ne puis croire qu’il s’agisse là de ce que l’on voulait à l’époque de la signature du traité. Toutefois, je comprends qu’il peut fort bien y avoir des difficultés à obtenir davantage au moyen d’une assurance, en raison du caractère fédéral de la Constitution des États-Unis." La demande d’autorisation fut rejetée parce que prématurée. Le Lord Justice Lloyd déclara: "Le ministre n’a pas encore décidé s’il faut tenir l’assurance pour satisfaisante, ni certainement s’il échet ou non de décerner un mandat pour l’extradition de Soering. D’autres éléments peuvent survenir. Notre Cour ne se laissera jamais placer dans la situation d’avoir à contrôler une décision administrative non arrêtée." Il se fonda sur un motif supplémentaire: "En second lieu, même si le ministre avait déjà résolu de considérer l’assurance comme satisfaisante, les éléments dont nous disposons actuellement ne suffisent de loin pas à me convaincre que pareille décision eût été irrationnelle au sens Wednesbury." (paragraphe 35 ci-dessous) Le 30 juin 1988, la Chambre des Lords refusa au requérant l’autorisation de recourir contre la décision de la Divisional Court. Le 14 juillet 1988, M. Soering invita le ministre de l’Intérieur à user de son pouvoir discrétionnaire de ne pas ordonner sa remise aux États-Unis, en vertu de l’article 11 de la loi de 1870 sur l’extradition (paragraphe 34 ci-dessous). Le ministre n’y consentit pas et, le 3 août 1988, signa un arrêté prescrivant de livrer le requérant aux autorités américaines. Cependant, l’intéressé n’a pas été renvoyé aux États-Unis, à la suite des mesures provisoires indiquées dans la présente procédure par la Commission puis par la Cour européennes (paragraphes 4 ci-dessus et 77 ci-dessous). Le 5 août 1988, le requérant fut transféré dans un hôpital pénitentiaire où il demeura, jusqu’au début de novembre 1988, sous le régime spécial applicable aux détenus risquant de se suicider. D’après un rapport psychiatrique du Dr D. Somekh, daté du 16 mars 1989 et produit au nom de M. Soering, la crainte que celui-ci éprouve de subir des violences physiques extrêmes et des sévices homosexuels de la part d’autres détenus du "couloir de la mort" en Virginie a notamment un profond effet psychologique sur lui. Une montée de désespoir se manifesterait chez lui et il existerait des raisons objectives de redouter qu’il n’attente à ses jours. Par une déclaration du 20 mars 1989, adressée à la Cour, le requérant précise que si le gouvernement britannique exigeait son expulsion en République fédérale d’Allemagne, il s’y plierait et n’élèverait aucune objection de fait ou de droit contre la délivrance ou l’exécution d’une ordonnance à cette fin. II. LÉGISLATION ET PRATIQUE INTERNES PERTINENTES DU ROYAUME-UNI A. Droit pénal En Angleterre, l’assassinat se définit comme un homicide illicite et prémédité. La peine encourue est la réclusion à perpétuité. Il ne peut s’agir de la peine capitale (Murder (Abolition of the Death Penalty) Act 1965 - loi de 1965 sur l’abolition de la peine de mort pour assassinat, article 1). Selon l’article 2 de la loi de 1957 sur l’homicide (Homicide Act 1957), une personne qui en a tué une autre n’est pas déclarée coupable d’assassinat si elle souffrait, à l’époque, d’une anomalie mentale (due à un développement mental atrophié, à toute autre cause interne ou encore à une maladie ou un accident) telle que sa responsabilité se trouvait largement altérée. Du fait de cet article, elle peut se voir déclarer coupable d’homicide mais non d’assassinat. Les tribunaux anglais n’ont pas compétence pour réprimer les actes commis à l’étranger par des étrangers, sauf dans certains cas sans rapport avec la présente affaire. En conséquence, ni le requérant, de nationalité allemande, ni Elizabeth Haysom, de nationalité canadienne, ne pouvaient ni ne peuvent être jugés au Royaume-Uni. B. Extradition Le droit général pertinent en matière d’extradition figure dans les lois de 1870-1935 sur l’extradition. Les conditions de l’extradition entre le Royaume-Uni et les États-Unis d’Amérique sont fixées par le traité d’extradition signé par les deux États le 8 juin 1972, un traité complémentaire signé le 25 juin 1982 et un échange de notes des 19 et 20 août 1986 portant amendement au traité complémentaire. Elles ont été intégrées au droit du Royaume-Uni par des ordonnances (Orders in Council) (the United States of America (Extradition) Order 1976, S.I. 1976/2144, et the United States of America (Extradition) (Amendment) Order 1986, S.I. 1986/2020). Aux termes de l’article I du traité d’extradition, "chaque Partie contractante s’engage à extrader vers l’autre, dans les circonstances et sous réserve des conditions énoncées dans le présent traité, toute personne découverte sur son territoire qui est accusée ou reconnue coupable d’une infraction [mentionnée dans le traité et y compris l’assassinat], commise dans la juridiction de l’autre Partie". L’extradition entre le Royaume-Uni et la République fédérale d’Allemagne se trouve régie par le traité du 14 mai 1872 entre le Royaume-Uni et l’Allemagne pour la remise mutuelle des criminels en fuite, renouvelé avec des amendements par un accord signé à Bonn le 23 février 1960 et ultérieurement modifié par un échange de notes des 25 et 27 septembre 1978. Ces accords ont été incorporés dans le droit du Royaume-Uni par des ordonnances (the Federal Republic of Germany (Extradition) Order 1960, S.I., 1960/1375, et the Federal Republic of Germany (Extradition) (Amendment) Order 1978, S.I., 1978/1403). Saisi d’une demande d’extradition, le ministre peut, par ordonnance, inviter un magistrate à délivrer un mandat d’arrêt contre le criminel en fuite (loi de 1870 sur l’extradition, articles 7 et 8). Au Royaume-Uni, la procédure d’extradition consiste en une audience devant un magistrate. D’après l’article 10 de la loi de 1870 sur l’extradition, si "des preuves sont apportées qui (sous réserve des dispositions de la présente loi) justifieraient, en droit anglais, le renvoi en jugement du détenu au cas où l’infraction dont on l’accuse aurait été commise en Angleterre, (...) le (...) juge ordonne sa détention; dans le cas contraire, il ordonne la mise en liberté". Il doit être convaincu qu’il existe assez de preuves pour renvoyer l’accusé en jugement; avant pareil renvoi, un commencement de preuve doit avoir été fourni. "Il s’agit de savoir si, au vu des seules preuves dont dispose le magistrate, un jury raisonnable, et éclairé par le président de manière satisfaisante, conclurait à la culpabilité" (Schtraks v. Government of Israel, Appeal Cases, 1964, p. 556). L’article 11 de la loi de 1870 sur l’extradition permet de contester par la voie de l’habeas corpus les décisions prises dans pareille procédure. En pratique, la demande est présentée à une Divisional Court et, sur autorisation, à la Chambre des Lords. Les procédures d’habeas corpus tendent surtout à vérifier que le juge était bien compétent pour statuer, qu’il disposait de preuves suffisantes pour justifier la détention, que l’infraction commise est passible d’extradition et ne revêt pas un caractère politique, et qu’il n’existe aucun autre obstacle à l’extradition. L’article 12 de la loi de 1870 prévoit l’élargissement du détenu, s’il n’est pas livré, à l’issue de cette instance ou dans les deux mois qui suivent le placement sous écrou extraditionnel, sauf arguments suffisants en sens contraire. D’après l’article 11 de la loi de 1870, le ministre peut ne pas signer l’arrêté d’extradition (Atkinson v. United States, Appeal Cases, 1971, p. 197). Cette latitude peut prévaloir sur toute décision judiciaire prescrivant de remettre le fugitif à l’État requérant, et tout détenu qui a présenté en vain une demande d’habeas corpus peut s’adresser à cet effet au ministre. En étudiant l’opportunité d’ordonner l’extradition du fugitif, le ministre est tenu de prendre en compte tout élément de preuve nouveau non produit devant le magistrate (Schtraks v. Government of Israel, loc. cit.). Le détenu a en outre la faculté de contester, par une procédure de contrôle judiciaire, tant la décision du ministre rejetant sa demande que celle de signer l’arrêté. Le tribunal peut alors rechercher si l’exercice du pouvoir discrétionnaire par le ministre se trouve entaché d’illégalité, d’irrationalité ou d’irrégularité procédurale (Council of Civil Service Unions and Others v. Minister for the Civil Service, All England Law Reports, 1984, vol. 3, p. 935). L’irrationalité se détermine sur la base des principes de droit administratif exposés dans l’arrêt Associated Provincial Picture Houses Ltd v. Wednesbury Corporation (King’s Bench, 1948, vol. 1, p. 223) et appelés les "principes Wednesbury" de l’attitude raisonnable. En matière d’extradition, le critère serait qu’un ministre raisonnable n’aurait jamais pris un arrêté de remise dans de telles circonstances. Comme le montre le jugement rendu en l’espèce par le Lord Justice Lloyd, de la Divisional Court, (paragraphe 22 ci-dessus), si le ministre s’appuie sur des assurances données par l’État requérant, on peut contrôler le caractère raisonnable de l’argument qu’il en tire. Selon le gouvernement britannique, en vertu du même principe un tribunal aurait compétence pour annuler la décision de livrer un fugitif à un pays où existe un risque sérieux et avéré de traitements inhumains ou dégradants, au motif qu’au vu de l’ensemble des circonstances de la cause aucun ministre raisonnable ne pouvait la prendre. Dans R. v. Home Secretary, ex parte Bugdaycay (All England Law Reports, 1987, vol. 1, p. 940, à la p. 952) - une affaire de refus d’asile portée devant la Chambre des Lords -, Lord Bridge, tout en reconnaissant les limites des principes Wednesbury, a précisé que les tribunaux appliquent ceux-ci très strictement à l’encontre du ministre quand la vie de l’intéressé se trouve menacée: "A l’intérieur de ces limites, j’estime que le tribunal doit, en fonction de la gravité de l’objet de la décision administrative, pouvoir soumettre cette dernière à l’examen le plus rigoureux pour s’assurer qu’elle n’est en aucune façon viciée. Le droit le plus fondamental de l’homme est le droit à la vie et, lorsqu’une décision administrative est attaquée comme de nature à mettre en danger la vie du requérant, les éléments sur lesquels elle se fonde appellent à coup sûr le contrôle le plus scrupuleux." Lord Templeman ajoutait (à la page 956): "Lorsqu’une décision viciée risque de menacer la vie ou la liberté, une responsabilité particulière incombe à mon avis au tribunal dans l’examen du processus décisionnel." Toutefois, les tribunaux n’annulent pas une décision du ministre du seul fait qu’il a omis de rechercher s’il y avait ou non violation de la Convention européenne des Droits de l’Homme (R v. Secretary of State, ex parte Kirkwood, Weekly Law Reports, 1984, vol. 1, p. 913). En outre, les tribunaux n’ont pas compétence pour prescrire à la Couronne des mesures provisoires dans une procédure de contrôle judiciaire (Kirkwood, ibid., et R v. Secretary of State for Transport, ex parte Factortame Ltd and Others, The Times, 19 mai 1989). Les lois sur l’extradition ne contiennent aucune disposition sur la peine de mort, mais l’article IV du traité anglo-américain est ainsi libellé: "Si l’infraction pour laquelle l’extradition est demandée est passible de la peine de mort selon la législation pertinente de la Partie requérante, alors que la législation pertinente de la Partie requise ne prévoit pas cette peine dans les mêmes circonstances, l’extradition peut être refusée sauf si la Partie requérante donne à la Partie requise des assurances suffisantes que la peine capitale ne sera pas exécutée." Dans le cas d’un fugitif réclamé par les États-Unis et passible de la peine capitale, le ministre a pour pratique, en vertu dudit article IV, d’accepter du parquet de l’État concerné l’assurance qu’une intervention sera faite auprès du juge, au moment du prononcé de la peine, pour exprimer le voeu du Royaume-Uni que la peine capitale ne soit ni infligée ni exécutée. M. David Mellor, alors secrétaire d’État à l’Intérieur, décrivait ainsi cet usage: "Les assurances écrites concernant la peine capitale, que le ministre obtient des autorités fédérales, équivalent à l’engagement que les vues du Royaume-Uni seront exposées au juge. Au moment du prononcé de la peine, le juge sera informé que le Royaume-Uni ne souhaite pas que la peine capitale soit infligée ou exécutée. Autrement dit, les autorités britanniques livrent un fugitif, ou consentent à envoyer une personne devant un tribunal américain, s’il est clairement entendu que la peine capitale ne sera pas exécutée; elle ne l’a jamais été en pareil cas. L’exécution d’un individu renvoyé de la sorte porterait gravement atteinte aux accords d’extradition entre nos deux pays." (Hansard, 10 mars 1987, col. 955) Il n’y a cependant jamais eu de cas où l’efficacité d’une telle assurance ait été vérifiée. Des demandes concurrentes d’extradition pour la même infraction et provenant de deux États différents ne sont pas courantes. Si elles arrivent en même temps, le ministre décide à laquelle il faut donner suite, compte tenu de tous les faits de la cause, notamment la nationalité du fugitif et le lieu d’accomplissement de l’infraction. A cet égard, l’article X du traité anglo-américain d’extradition dispose: "Si l’extradition d’un individu est demandée concurremment par l’une des Parties contractantes et par un ou plusieurs autres États, pour la même infraction ou pour des infractions différentes, la Partie requise doit prendre sa décision, dans la mesure où sa législation le lui permet, compte tenu de toutes les circonstances, notamment les dispositions figurant à cet égard dans tout accord en vigueur entre la Partie requise et la Partie requérante, la gravité relative et le lieu d’accomplissement des infractions, les dates respectives des demandes, la nationalité de la personne recherchée et la possibilité de l’extrader ultérieurement à un autre État." III. LÉGISLATION INTERNE PERTINENTE DE L’ÉTAT DE VIRGINIE A. Législation concernant l’assassinat La définition et la classification pertinentes de l’assassinat et les peines correspondantes se trouvent régies par le code de Virginie de 1950, avec ses amendements, et par la jurisprudence des tribunaux de l’État et de la Fédération. L’article 18.2-31 du code de Virginie énumère huit types d’homicide passibles de la peine capitale et relevant de la catégorie 1 des crimes les plus graves, y compris "le fait de tuer sciemment, délibérément et avec préméditation plus d’une personne dans le cadre du même acte ou de la même opération" (alinéa g)). La peine prévue pour un crime de la catégorie 1 est "la mort ou la réclusion à vie" (code de Virginie, article 18.2-10 a)). Mis à part le cas d’un tueur à gages, seul le "tireur", à savoir l’auteur effectif de l’homicide, peut être accusé d’assassinat passible de la peine capitale (Johnston v. Commonwealth, 220 Virginia Reports (Va.) 146, 255 South Eastern Reporter, Second Series (S.E.2d) 525 (1979)). L’assassinat non passible de la peine capitale est classé comme assassinat de premier ou deuxième degré, puni de durées variables d’emprisonnement (code de Virginie, articles 18.2-10 b) et 18.2-32). Dans la plupart des procès pour crimes graves, y compris l’assassinat passible de la peine capitale, l’accusé a le droit d’être jugé par un jury. Il peut y renoncer mais le fait rarement. B. Procédure de prononcé de la peine En Virginie, le prononcé de la peine dans une affaire d’assassinat passible de la peine capitale suit une procédure distincte de la détermination de la culpabilité. Après avoir constaté la culpabilité de l’accusé dans une telle affaire, le même jury, ou le même magistrat siégeant sans jury, continue à recueillir des éléments relatifs à la peine. Est recevable toute preuve pertinente concernant l’infraction et l’accusé. Les données plaidant pour la démence ne sont soumises à presque aucune limitation, tandis que la loi restreint celles qui militent pour la rigueur (code de Virginie, article 19.2-264.4). On ne peut pas prononcer la peine de mort si l’accusation n’a pas prouvé au-delà de tout doute raisonnable qu’il existe au moins l’une des circonstances aggravantes prévues par la loi: "dangerosité future" ou "atrocité". Il y a "dangerosité future" s’il apparaît probable que l’accusé commettra à l’avenir "des actes de violence criminelle" qui constitueraient une "menace grave et permanente pour la société" (code de Virginie, article 19.2-264.2). Il y a "atrocité" si le crime était "outrageusement atroce ou commis pour le plaisir, de manière horrible ou inhumaine en ce qu’il comportait torture, dépravation de l’esprit ou voies de fait qualifiées sur la victime" (code de Virginie, ibidem). Les mots "dépravation de l’esprit" visent "un degré de turpitude morale et d’avilissement psychique dépassant ce qui est inhérent à la définition légale habituelle de l’intention coupable et de la préméditation". Les mots "voies de fait qualifiées" s’entendent de violences qui "dépassent qualitativement et quantitativement le minimum nécessaire pour accomplir un acte d’assassinat" (Smith v. Commonwealth, 219 Va. 455, 248 S.E.2d 135 (1978),certiorari refusé, 441 United States Supreme Court Reports (U.S.) 967 (1979)). La preuve de blessures multiples subies par la victime - notamment une blessure au cou qui, même considérée isolément, constitue une voie de fait qualifiée compte tenu de la manière sauvage et méthodique dont son auteur l’a infligée, puis a laissé sa victime souffrir atrocement en attendant la mort - est considérée comme répondant au critère d’"atrocité" prévu dans cet article (Edmonds v. Commonwealth, 229 Va. 303, 329 S.E.2d 807, certiorari refusé, 106 Supreme Court Reporter (S.Ct.) 339, 88 United States Supreme Court Report, Lawyers’ Edition, Second Series (L.Ed.2d) 324 (1985)). La loi de Virginie n’interdit pas d’infliger la peine de mort à un jeune ayant atteint la majorité - fixée à 18 ans dans cet État (code de Virginie, article 1.13.42). L’âge est un élément à apprécier par le jury. (Peterson v. Commonwealth, 225 Va. 289, 302 S.E.2d 520, certiorari refusé, 464 U.S. 865, 104 S.Ct. 202, 78 L.Ed.2d 176 (1983)). La loi précise de manière non limitative les circonstances atténuantes: "i) l’accusé n’a pas d’antécédents criminels importants, ou ii) le crime grave a été commis alors que l’accusé se trouvait sous l’empire d’une perturbation mentale ou émotionnelle extrême, ou iii) la victime a participé à la conduite de l’accusé ou a consenti à l’acte, ou iv) au moment où le crime grave a été commis, la capacité de l’accusé d’apprécier le caractère criminel de sa conduite ou de conformer celle-ci aux exigences de la loi était sensiblement réduite, ou v) l’âge de l’accusé au moment où il a perpétré le crime grave" (code de Virginie, article 19.2-264.4B). Si un procès pour crime passible de la peine capitale se déroule devant un jury, celui-ci doit, avant de prononcer la peine, examiner tous les éléments de preuve, favorables ou défavorables, pertinents pour la fixer. En particulier, il ne peut condamner à mort l’accusé qu’après avoir envisagé les circonstances atténuantes de l’infraction (Watkins v. Commonwealth, 229 Va. 469, 331 S.E.2d 422 (1985), certiorari refusé, 475 U.S. 1099, 106 S.Ct. 1503, 89 L.Ed.2d 903 (1986)). En outre, sauf unanimité au sein du jury la peine ne peut pas être la mort, mais la réclusion à vie (code de Virginie, article 19.2-264.4). Même s’il constate une ou plusieurs des circonstances aggravantes prévues par la loi, le tribunal demeure libre de prononcer une peine de réclusion à vie plutôt que la mort, à la lumière des circonstances atténuantes ou par simple humanité (Smith v. Commonwealth, loc. cit.). Après une condamnation à mort, le juge doit ordonner l’établissement d’un rapport d’enquête sur les antécédents de l’accusé et sur "tout autre fait pertinent, afin que le tribunal puisse déterminer si la peine capitale est appropriée et juste"; après examen du rapport, le juge peut annuler la peine de mort et infliger une peine de réclusion à vie (code de Virginie, article 19.2-264.5). A la suite d’un moratoire consécutif à une décision de la Cour suprême des États-Unis (Furman v. Georgia, 92 S.Ct. 2726 (1972)), l’imposition de la peine capitale a repris en Virginie en 1977; depuis lors, sept personnes ont été exécutées. Le mode d’exécution est l’électrocution. La jurisprudence estime constitutionnel le régime juridique de la peine capitale en Virginie, y compris le contrôle obligatoire de la peine (paragraphe 52 ci-dessous): il empêche d’infliger ladite peine de manière arbitraire ou capricieuse et délimite étroitement le pouvoir discrétionnaire du juge la prononçant (Smith v. Commonwealth, loc. cit.; Turnver v. Bass, 753 Federal Reporter, Second Series (F.2d) 342 (4th Circuit, 1985); Briley v. Bass, 750 F.2d 1238 (4th Circuit, 1984)). La peine capitale prévue par la législation sur l’assassinat ne constitue pas davantage une peine cruelle et inhabituelle et elle ne refuse à l’accusé ni droits de la défense ni égalité de protection (Stamper v. Commonwealth, 220 Va. 260, 257 S.E.2d 808 (1979), certiorari refusé, 445 U.S. 972, 100 S.Ct. 1666, 64 L.Ed.2d 249 (1980)). La Cour suprême de Virginie a rejeté la thèse selon laquelle la mort par électrocution provoquerait "des souffrances inutiles avant la mort et des souffrances émotionnelles en attendant l’exécution de la peine" (ibidem). C. Démence, troubles mentaux et responsabilité atténuée Le droit virginien n’admet généralement pas comme moyen de défense la diminution de la capacité de discernement (Stamper v. Commonwealth, 228 Va. 707, 324 S.E.2d 682 (1985)). En Virginie, la démence est un moyen de défense reconnu qui, s’il aboutit, empêche tout verdict de culpabilité. Il vaut lorsque l’accusé sait son acte mauvais, mais le commet sous l’empire d’une impulsion irrésistible, provoquée par une maladie mentale affectant sa volonté (Thompson v. Commonwealth, 193 Va. 704, 70 S.E.2d 284 (1952), et Godley v. Commonwealth, 2 Virginia Court of Appeals Reports (Va. App.) 249 (1986)), ou lorsqu’il ne comprend pas la nature, le caractère et les conséquences de son acte ou ne peut distinguer le bien du mal (Price v. Commonwealth, 228 Va. 452, 323 S.E.2d 106 (1984)). Si aucun moyen de défense tiré de la démence n’est présenté, l’état mental de l’accusé n’entre en ligne de compte, au stade de l’examen de la culpabilité, que dans la mesure où il pourrait prouver un fait litigieux, par exemple la préméditation de l’homicide (Le Vasseur v. Commonwealth, 225 Va. 564, 304 S.E.2d 644 (1983), certiorari refusé, 464 U.S. 1063, 104 S.Ct. 744, 79 L.Ed.2d 202 (1984)). Dans un procès pour assassinat passible de la peine capitale, l’état mental de l’accusé au moment du crime, y compris une maladie mentale quelconque, peut être invoqué comme circonstance atténuante au stade de la fixation de la peine. Parmi les éléments de preuve pertinents figurent, entre autres, ceux d’où il ressort que l’intéressé subissait l’influence d’un trouble mental ou émotionnel extrême ou qu’au moment de l’infraction, son aptitude à apprécier le caractère criminel de sa conduite se trouvait gravement réduite (code de Virginie, article 19.2-264.4B - paragraphe 45 ci-dessus). De plus, les indigents accusés d’assassinat passible de la peine capitale ont droit à se voir désigner un expert agréé en santé mentale qui aidera à préparer et présenter les informations concernant leurs antécédents, leur personnalité et leur état mental en vue d’établir l’existence de circonstances atténuantes (code de Virginie, article 19.2-264.3:1). Sur présentation de preuves relatives à l’état mental de l’accusé, on peut choisir d’infliger la réclusion à vie au lieu de la peine de mort. D. Recours pour les condamnés à mort La Cour suprême de Virginie revoit systématiquement toute affaire dans laquelle la peine capitale a été prononcée, que l’accusé ait ou non plaidé coupable. Outre qu’elle examine "toute erreur" alléguée par le condamné dans son recours, elle recherche si la sentence capitale a été rendue "sous l’influence de la passion, d’un préjugé ou de tout autre facteur arbitraire" et si elle est excessive ou hors de proportion "avec la peine infligée dans des affaires analogues" (code de Virginie, article 17-110.1). Ce recours direct et automatique est régi par le règlement de la Cour suprême de Virginie, qui fixe différents délais pour déposer les dossiers. En outre, le contrôle des condamnations à mort bénéficie d’une priorité absolue (article 5.23; voir aussi code de Virginie, article 17-110.2). En général, le temps nécessaire ne dépasse pas six mois. Une fois la procédure achevée, la peine de mort est exécutée sauf sursis à exécution c’est-à-dire, en pratique, sauf si le détenu exerce un nouveau recours. Depuis 1977, il semble y avoir eu un seul cas dans lequel la Cour suprême de Virginie a commué elle-même la peine capitale en réclusion à vie. Le condamné peut demander à la Cour suprême des États-Unis de réexaminer par certiorari l’arrêt de la Cour suprême de Virginie. S’il échoue, il peut attaquer le verdict et la peine par la voie de l’habeas corpus devant les tribunaux de l’État comme de la Fédération. Il peut déposer une demande d’habeas corpus soit devant la Cour suprême de Virginie, soit devant la juridiction du fond avec possibilité de recours à la Cour suprême de Virginie, puis saisir derechef la Cour suprême des États-Unis pour faire contrôler par certiorari la décision d’habeas corpus rendue au niveau de l’État. Il peut alors former une demande d’habeas corpus devant le tribunal fédéral de district, dont la décision est susceptible de recours devant la cour d’appel fédérale du ressort puis, en cas d’échec, d’une demande de certiorari devant la Cour suprême des États-Unis. A chaque étape de ses recours parallèles, le condamné peut solliciter un sursis à exécution jusqu’à la décision définitive sur ses demandes. Les lois et les règlements des tribunaux de Virginie et de la Fédération fixent des délais pour attaquer une condamnation ou les décisions rendues dans une procédure d’habeas corpus. Il n’existe cependant aucun délai pour déposer la première demande d’habeas corpus au niveau de l’État ou de la Fédération. Les moyens recevables en appel et dans le cadre d’une procédure d’habeas corpus sont limités par "la règle des objections simultanées" à ceux qui ont été invoqués au cours du procès (article 5.25 du règlement de la Cour suprême de Virginie). Elle repose sur le principe que le procès lui-même est "l’événement principal", de sorte que les véritables questions litigieuses doivent se discuter et se trancher en première instance et non en appel ou dans toute autre procédure de contrôle ultérieur. Elle a été adoptée pour empêcher de tendre des pièges aux juges du fond (Keeney v. Commonwealth, 147 Va. 678, 137 South Eastern Reporter (S.E.) 478 (1927)), pour permettre à ceux-ci de statuer sur les points litigieux intelligemment et pour éviter des recours superflus, des renversements de décisions et des procès viciés (Woodson v. Commonwealth, 211 Va. 285, 176 S.E.2d 818 (1970), certiorari refusé, 401 U.S. 959 (1971)). Elle s’applique également dans les affaires où il y a risque de peine capitale et les juridictions fédérales la reconnaissent (Briley v. Bass, 584 Federal Supplement (F. Supp.) 807 (district oriental de Virginie), confirmé, 742 F.2d 155 (4th Circuit, 1984)). Par exception, les erreurs n’ayant suscité aucune objection pendant le procès peuvent être dénoncées en appel si l’intérêt de la justice l’exige ou si l’on démontre l’existence d’une cause valable. La Cour suprême de Virginie s’est prévalue de cette exception pour renverser une condamnation à mort pour assassinat (Ball v. Commonwealth, 221 Va. 754, 273 S.E.2d 790 (1981)). Si la peine capitale a été prononcée, sa proportionnalité et le point de savoir si elle a été infligée sous l’influence de la passion, d’un préjugé ou de tout autre facteur arbitraire (paragraphe 52 ci-dessus), font l’objet d’un contrôle même si l’objection n’a pas été soulevée au procès (Briley v. Bass, loc. cit.). L’intervalle moyen entre le procès et l’exécution en Virginie, calculé sur la base des sept exécutions qui ont eu lieu depuis 1977, va de six à huit ans. Les retards découlent surtout d’une stratégie des condamnés détenus, consistant à prolonger le plus possible les procédures de recours. La Cour suprême des États-Unis n’a pas encore examiné ni tranché la question du "syndrome du couloir de la mort", et en particulier celle de savoir s’il échappe à l’interdiction des "peines cruelles ou inhabituelles" par le Huitième Amendement à la Constitution des États-Unis. E. Assistance d’un avocat pour les recours Tout détenu condamné à mort a un avocat pour le représenter, choisi à titre privé ou désigné d’office. Toutefois, aucune loi n’exige expressément l’octroi de l’assistance judiciaire aux détenus indigents désireux de former une demande en habeas corpus. Néanmoins, une cour d’appel des États-Unis a jugé récemment qu’il incombe à l’État de Virginie d’assurer aux détenus indigents et condamnés à mort l’assistance d’avocats pour contester la sentence par une action d’habeas corpus au niveau de l’État (Giarratano v. Murray, 847 F.2d 1118 (4th Circuit, 1988) (plénière) - affaire actuellement pendante devant la Cour suprême des États-Unis). La jurisprudence n’édicte pas la même obligation pour les procédures d’habeas corpus et de certiorari au niveau fédéral (ibid., p. 1122, col. 1), au motif qu’un tribunal fédéral disposerait du dossier de la juridiction de recours, du compte rendu officiel des débats et de l’avis du tribunal de l’État (dans une procédure de certiorari) ou des conclusions écrites d’un avocat, du compte rendu et de l’avis du tribunal (dans une procédure d’habeas corpus). Les détenus de Virginie bénéficient aussi de renseignements et d’une aide juridiques grâce à des bibliothèques de droit et à des avocats pénitentiaires. Ces derniers peuvent les assister "pour toute question juridique touchant à leur incarcération" (code de Virginie, article 53.1-40), notamment pour rédiger des demandes en habeas corpus et en désignation d’un défenseur. Le détenu n’est pas obligé d’avoir le ministère d’un avocat; il peut ester seul devant les tribunaux de l’État et de la Fédération. Pourtant, de nos jours, aucun détenu condamné à mort en Virginie ne s’est trouvé sans l’assistance d’un avocat pendant le procès et les procédures d’appel ou d’habeas corpus. Jamais non plus il n’a dû affronter l’exécution sans avocat. F. Autorités impliquées dans la procédure de la peine de mort Pour chaque comté de l’État de Virginie, il existe un Attorney (procureur), élu tous les quatre ans (article VII (4) de la Constitution de Virginie). Sa fonction principale consiste à exercer les poursuites dans toutes les affaires pénales de son ressort (code de Virginie, article 15.1-18.1). Il peut choisir la catégorie d’assassinat à viser dans l’acte d’accusation, mais cette latitude est limitée par le respect de l’éthique propre à sa charge et par le devoir qu’il a, envers la loi et la population, d’opter pour la qualification la mieux étayée par les pièces du dossier. Il est indépendant dans l’exercice de ses fonctions: en aucun cas - qu’il s’agisse d’inculper, de requérir une peine ou de donner des assurances à ce sujet - il ne reçoit d’ordres de l’Attorney General de Virginie (code de Virginie, article 2.1-124), du gouverneur de Virginie ou de personne d’autre. Il a la faculté d’engager des négociations sur ce que plaidera la défense, mais le tribunal n’est pas tenu d’accepter tout accord qui en résulterait (article 3A.8 du règlement de la Cour suprême de Virginie). Les juges des tribunaux de district et des juridictions supérieures de l’État de Virginie ne sont pas élus, mais désignés. Leurs activités sont régies par des normes de déontologie judiciaire (Canons of Judicial Conduct), qui sont publiées et que la Cour suprême de Virginie a adoptées comme règlement. La première d’entre elles exige le respect de strictes règles de conduite afin de préserver l’intégrité et l’indépendance de la magistrature. Le gouverneur de l’État de Virginie a le pouvoir illimité "de commuer la peine capitale" (article V, paragraphe 12, de la Constitution de Virginie). Par principe il ne promet pas, avant le verdict et le prononcé de la peine, d’en user plus tard. Depuis 1977, il ne l’a jamais exercé. G. Conditions de réclusion au pénitencier de Mecklenburg On compte actuellement 40 condamnés à mort en Virginie. La plupart se trouvent au pénitencier de Mecklenburg, établissement moderne de sécurité maximale, d’une capacité totale de 335 détenus. Le règlement intérieur (IOP 821.1) fixe des procédures uniformes de fonctionnement pour l’administration, la sécurité, le contrôle et la fourniture des services nécessaires aux détenus du couloir de la mort. En outre, les conditions de réclusion sont définies en détail par une ordonnance d’homologation d’un règlement amiable (consent decree), rendue par le tribunal fédéral de district de Richmond dans l’affaire Alan Brown et al. v. Allyn R. Sielaff et al. (5 avril 1985). Le service de l’exécution des peines (Department of Corrections) de Virginie et une association (American Civil Liberties Union) veillent au respect des termes de cette décision. Le tribunal fédéral de district reste lui aussi compétent pour en assurer l’observation. Les moyens permettant de formuler des réclamations et, si elles sont fondées, de les faire aboutir sont les suivants: 1) la procédure, approuvée par un tribunal fédéral, du service de l’exécution des peines de Virginie concernant la présentation des griefs des détenus; y participent le directeur de la prison, l’administrateur régional et le directeur des prisons ainsi que le médiateur régional; 2) les contacts officiels ou officieux entre défenseurs des détenus et personnel de la prison; 3) une plainte en justice pour infraction au consent decree; 4) une action en responsabilité civile, intentée en vertu de la législation fédérale ou virginienne. Une cellule de condamné à mort mesure 3 m sur 2,2. Les détenus ont environ 7 h 30 de récréation par semaine l’été, et 6 h l’hiver, si le temps le permet. Le quartier des condamnés à mort comprend deux cours de récréation, toutes deux équipées de terrains de basket-ball et l’une de poids et haltères. Les condamnés peuvent aussi quitter leur cellule en d’autres occasions, par exemple pour recevoir des visites ou se rendre à la bibliothèque de droit ou à l’infirmerie de la prison. En outre, ils disposent tous les matins d’une heure à passer en dehors de leur cellule dans une zone commune. Tout condamné à mort peut être affecté à des corvées, par exemple de nettoyage. Quand les détenus se déplacent dans la prison, ils portent des menottes et des fers spéciaux autour de la taille. Lorsqu’ils sortent de leur cellule, les détenus du couloir de la mort se trouvent dans une zone commune appelée "pod". Les gardiens restent dans une guérite à l’extérieur. En cas de trouble, ou de rixe entre détenus, ils ne peuvent intervenir tant que leur supérieur présent ne les en a pas chargés. Le requérant a produit maints documents pour établir la tension extrême, la dégradation psychologique et les risques de sévices homosexuels et d’agressions que subissent les détenus du couloir de la mort, y compris au pénitencier de Mecklenburg. Le gouvernement britannique les a vivement contestés sur la base de déclarations sous serment d’agents du service de l’exécution des peines de Virginie. Les condamnés à mort bénéficient des mêmes services médicaux que les autres détenus. Une infirmerie, dotée des installations, du matériel et du personnel voulus, fournit nuit et jour des possibilités d’hospitalisation, et un service des urgences fonctionne dans chaque bâtiment. Mecklenburg offre aussi des services psychologiques et psychiatriques aux détenus du couloir de la mort. Le tribunal fédéral du district oriental de Virginie a récemment estimé suffisant le traitement psychiatrique mis à la disposition des condamnés à mort de Mecklenburg (Stamper et al. v. Blair et al., décision du 14 juillet 1988). Les détenus peuvent recevoir des visites, dans un parloir muni d’hygiaphones, les samedis, dimanches et jours de fête entre 8 h 30 et 15 h 30. Les avocats ont accès à leurs clients pendant les heures ouvrables normales, sur demande, ainsi qu’aux heures normales de visite. Les condamnés à mort connus pour leur bonne conduite peuvent recevoir, dans des parloirs sans séparation, la visite de membres de leur proche famille deux jours par semaine. Le courrier écrit par les détenus est relevé tous les jours et celui qu’ils reçoivent leur est distribué tous les soirs. Pour des raisons de sécurité, et en vertu de règles applicables à tous les établissements de Virginie, des fouilles de routine ont lieu dans l’ensemble du pénitencier chaque trimestre. Elles peuvent durer environ une semaine. Pendant ces périodes, dites de "bouclage", on confine les détenus dans leur cellule; ils prennent des douches, reçoivent des soins médicaux, dentaires ou psychologiques en dehors de leur cellule, si le personnel médical le juge nécessaire, et sur demande peuvent se rendre à la bibliothèque de droit; ils sont aussi autorisés à recevoir la visite de leur avocat et à communiquer avec lui par téléphone. Les autres services, tels les repas, leur sont assurés dans leur cellule. Pendant le "bouclage", les privilèges et activités hors cellule augmentent peu à peu jusqu’au retour à la normale. Un "bouclage" peut aussi être ordonné de temps à autre pour le couloir de la mort s’il apparaît que certains détenus projettent peut-être des troubles, une prise d’otage ou une évasion. Quinze jours avant la date prévue pour sa mise à mort, le condamné est transféré dans un bâtiment voisin de la chambre d’exécution où se trouve la chaise électrique. Il y demeure sous surveillance constante et isolé. Il n’a pas de lumière dans sa cellule, tandis que l’extérieur reste éclairé en permanence. Un détenu qui exerce les voies de recours peut être placé à plusieurs reprises dans ledit bâtiment. H. La fourniture et l’effet d’assurances en matière de peine capitale Les relations entre le Royaume-Uni et les États-Unis d’Amérique en matière d’extradition relèvent des autorités fédérales et non de celles des États. Pour les infractions à la législation d’un État, les autorités fédérales n’ont cependant aucun pouvoir juridiquement contraignant de donner, dans une affaire d’extradition, l’assurance que la peine capitale ne sera pas prononcée ou exécutée. En pareil cas seul l’État jouit d’un tel pouvoir; s’il décide d’en user, il appartient au gouvernement des États-Unis d’assurer le gouvernement requis que la promesse sera honorée. Selon des pièces fournies par les autorités virginiennes, la procédure de prononcé de la peine capitale en Virginie, et notamment les dispositions relatives au rapport d’enquête après le verdict (paragraphe 47 ci-dessus), permettrait au juge appelé à fixer la peine d’avoir égard aux représentations qui seraient faites au nom du gouvernement britannique en vertu de l’assurance fournie par l’Attorney du comté de Bedford (paragraphe 20 ci-dessus). En outre, le gouverneur aurait la faculté d’avoir égard aux voeux du gouvernement britannique en examinant un recours en grâce (paragraphe 60 ci-dessus). I. Entraide en matière pénale Il n’y a aucun moyen d’obliger des témoins américains à déposer à un procès en République fédérale d’Allemagne, mais ils seraient en principe libres, sauf s’ils se trouvaient détenus, de comparaître volontairement devant un tribunal allemand et les autorités allemandes assumeraient leurs frais. En outre, un tribunal fédéral américain peut, sur commission rogatoire ou demande d’un tribunal étranger, ordonner à quelqu’un de faire une déposition ou déclaration, ou de produire une pièce ou autre chose aux fins d’une procédure devant un tribunal étranger (28 United States Code, article 1782). De plus, les documents publics, par exemple le compte rendu d’un procès pénal, peuvent être communiqués aux autorités étrangères de poursuite. IV. LÉGISLATION ET PRATIQUE PERTINENTES DE LA RÉPUBLIQUE FÉDÉRALE D’ALLEMAGNE Le droit pénal allemand s’applique aux actes commis à l’étranger par un ressortissant allemand dès lors qu’ils y sont punissables (code pénal, article 7 § 2). L’article 211 § 2 du code pénal définit ainsi l’assassinat: "Est assassin celui qui tue un être humain par envie de tuer, pour assouvir son instinct sexuel, par cupidité ou pour d’autres motifs vils, sournoisement ou cruellement ou par des moyens constituant un danger public, ou pour permettre l’accomplissement d’une autre infraction, ou pour la dissimuler." L’assassinat est passible de la réclusion à vie (code pénal, article 211 § 1), la Constitution (article 102 de la Loi fondamentale de 1949) ayant aboli la peine de mort. Aux termes de la loi (modifiée) de 1953 sur les tribunaux pour jeunes, si un jeune adulte - une personne d’au moins 18 ans, mais de moins de 21 (article 1 § 3) - accomplit une infraction, le juge applique les dispositions qui valent pour les mineurs - les personnes ayant au moins 14 ans, mais pas encore 18 au moment de l’infraction (ibidem) - si, entre autres, "l’appréciation générale portée sur la personnalité du délinquant, compte tenu aussi des conditions de son environnement, révèle qu’étant donné son développement moral et mental il demeurait assimilable à un mineur au moment [de] l’infraction" (article 105 § 1). Les jeunes adultes relevant de cet article encourent au maximum un emprisonnement spécial de six mois à dix ans ou, sous certaines conditions, de durée indéterminée (articles 18, 19 et 105 § 3). Si au contraire le développement personnel du jeune adulte délinquant correspond à son âge, le droit pénal général s’applique mais le juge peut infliger de dix à quinze ans d’emprisonnement au lieu d’une peine perpétuelle (article 106 § 1). Si, au moment de l’infraction, le délinquant était incapable d’apprécier le caractère délictueux de l’acte, ou de se comporter en conséquence, à cause d’un trouble mental ou émotionnel morbide, d’un trouble profond de la conscience, d’une déficience mentale ou d’une autre anomalie mentale ou émotionnelle grave, on ne peut le déclarer coupable, ni le sanctionner (code pénal, article 20), mais on peut ordonner son placement dans un établissement psychiatrique pour une durée indéterminée (code pénal, article 63). Dans l’hypothèse d’une responsabilité atténuée, c’est-à-dire si l’aptitude du délinquant à apprécier le caractère délictueux de l’acte, ou à se comporter en conséquence, au moment de l’infraction se trouve grandement diminuée pour l’une des raisons énumérées à l’article 20 (code pénal, article 21), la peine peut être réduite; en particulier, dans les affaires d’homicide un emprisonnement de trois ans au moins remplace la réclusion à vie (code pénal, article 49 §§ 1 et 2). Le tribunal peut aussi ordonner le placement en hôpital psychiatrique. En cas de risque de condamnation à mort, le gouvernement fédéral n’accorde l’extradition que si l’État requérant lui donne sans équivoque l’assurance que la peine capitale ne sera pas prononcée ou exécutée. Le traité germano-américain d’extradition du 20 juin 1978, en vigueur depuis le 29 août 1980, renferme une disposition (article 12) correspondant pour l’essentiel à l’article IV du traité anglo-américain d’extradition (paragraphe 36 ci-dessus). Au cours de la procédure, le gouvernement de la République fédérale d’Allemagne a précisé qu’il aurait refusé l’extradition car il n’aurait pas jugé suffisante une assurance du genre de celle que le gouvernement des États-Unis a fournie en l’espèce. Selon une jurisprudence récente, il appartient à la cour d’appel de contrôler le caractère suffisant de pareille assurance. PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION M. Soering a saisi la Commission le 8 juillet 1988 (requête no 14038/88). Il exprimait la conviction qu’en dépit des assurances reçues par le gouvernement britannique, il risquait fort de se voir condamner à la peine capitale si on le livrait aux États-Unis d’Amérique. Il alléguait que dans les circonstances de la cause, et eu égard en particulier au "syndrome du couloir de la mort", il subirait ainsi un traitement et une peine inhumains et dégradants, contraires à l’article 3 (art. 3) de la Convention. Il ajoutait que son extradition aux États-Unis violerait l’article 6 § 3 c) (art. 6-3-c) en raison de l’absence, dans l’État de Virginie, d’une assistance judiciaire pour exercer divers recours. Il prétendait enfin qu’au mépris de l’article 13 (art. 13), le droit du Royaume-Uni ne lui offrait aucun recours effectif pour son grief tiré de l’article 3 (art. 3). Le 11 août 1988, le président de la Commission a indiqué au gouvernement britannique, en vertu de l’article 36 du règlement intérieur, qu’il était souhaitable, dans l’intérêt des parties et pour le bon déroulement de la procédure, de ne pas extrader le requérant aux États-Unis tant que la Commission n’aurait pas eu la possibilité d’examiner le dossier. Elle a renouvelé cette indication à plusieurs reprises jusqu’à la saisine de la Cour. La Commission a retenu la requête le 10 novembre 1988. Dans son rapport du 19 janvier 1989 (article 31) (art. 31), elle relève une violation de l’article 13 (art. 13) (sept voix contre quatre), mais non de l’article 3 (art. 3) (six voix contre cinq) ni de l’article 6 § 3 c) (art. 6-3-c) (unanimité). Le texte intégral de son avis et des opinions séparées dont il s’accompagne figure en annexe au présent arrêt. CONCLUSIONS PRESENTEES A LA COUR PAR LE GOUVERNEMENT BRITANNIQUE À l’audience publique du 24 avril 1989, le gouvernement britannique a confirmé les conclusions figurant dans son mémoire. Elles invitaient la Cour à dire "1. que ni l’extradition du requérant, ni aucun acte ou décision du gouvernement du Royaume-Uni à cet égard, n’enfreignent l’article 3 (art. 3) de la Convention; que ni l’extradition du requérant, ni aucun acte ou décision du gouvernement du Royaume-Uni à cet égard, n’enfreignent l’article 6 § 3 c) (art. 6-3-c) de la Convention; qu’il n’y a pas eu violation de l’article 13 (art. 13) de la Convention; qu’il ne se pose, sur le terrain de l’article 50 (art. 50) de la Convention, aucun problème appelant un examen de la part de la Cour". Il a soutenu aussi que les griefs supplémentaires formulés devant la Cour par le requérant sur le terrain de l’article 6 (art. 6) sortaient du cadre de l’affaire telle que la Commission l’a déclarée recevable.
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE En 1974, M. Jacobsson acquit une propriété de 2.644 m² (Salem 23:1) dans le centre de Rönninge, commune de Salem, banlieue située à quelque 20 kilomètres au sud-ouest de Stockholm. Sur le terrain, qui se trouve à environ 400 m au nord-ouest de la gare de Rönninge, se dresse une maison monofamiliale où réside l’intéressé. Lors de l’achat, le bien-fonds était englobé dans un plan de subdivision (avstyckningsplan - paragraphe 31 ci-dessous) de 1938, qui interdisait de construire sur un terrain de moins de 1500 m2 ne disposant pas de conduites d’eau et d’égouts suffisants (un système d’adduction d’eau et d’égouts avait été installé à la fin des années 60). Il relevait aussi d’un plan sectoriel (områdesplan - paragraphe 26 ci-dessous) de 1972, qui le décrivait comme destiné principalement à l’usage du public et renfermant des espaces verts, des rues et des aires de stationnement; en outre, il tombait sous le coup d’une interdiction de construire prononcée, le 26 août 1974 avec effet jusqu’au 1er septembre 1976, en vertu de l’article 35 de la loi de 1947 sur la construction (byggnadslagen, "la loi de 1947" - paragraphe 35 ci-dessous). Selon le Gouvernement, les règlements relatifs aux zones non planifiées (utomplansbestämmelser) s’appliquaient également, mais le requérant le conteste (paragraphe 33 ci-dessous). La première interdiction frappant de la sorte la propriété du requérant avait été décrétée le 21 septembre 1965, pour un an, par la préfecture (länsstyrelsen) du comté de Stockholm. Celle-ci la prorogea ultérieurement pour un ou deux ans chaque fois, en dernier lieu le 11 juillet 1985 jusqu’au 11 juillet 1987, et le terrain ne resta libre que pendant quelques brefs intervalles. Le 1er juillet 1987, l’entrée en vigueur de la loi de 1987 sur l’aménagement du territoire et la construction (Plan - och Byglagen, "la loi de 1987") entraîna l’abolition et le remplacement du système existant d’interdictions de construire (paragraphes 44-45 ci-dessous). Le 1er janvier 1974, la commune de Salem fusionna avec celle de Botkyrka, mais le 1er janvier 1983 elle redevint une commune distincte. Dans un avis préalable du 28 janvier 1975, sollicité par le requérant, la commission de la construction (byggnadsnämnden) de Botkyrka se déclara non disposée à permettre le fractionnement du terrain. Elle se référait notamment au plan sectoriel de 1972. S’adressant à la préfecture, M. Jacobsson la pria d’ordonner à la commune d’adopter un plan d’urbanisme (stadsplan) pour le centre de Rönninge. Dans un avis du 31 mars 1976, elle souligna que seul le gouvernement avait compétence pour agir ainsi. Elle ajouta que la procédure de planification lui paraissait engagée à un point tel que pareille injonction n’était pas nécessaire. Le requérant se plaignit aussi au médiateur parlementaire (justitieombudsmannen, J0). Par une lettre du 25 février 1976, celui-ci répondit être bien au fait des problèmes que pouvaient soulever des interdictions de construire de longue durée. Renvoyant à l’une de ses observations antérieures et aux travaux préparatoires de la nouvelle législation sur la construction, il concluait que la plainte n’appelait pas d’autres mesures. Le 28 juin 1979, le conseil municipal (kommunfullmäktige) vota un schéma directeur (generalplan) relatif à une partie de la commune de Botkyrka et selon lequel la propriété de M. Jacobsson devait servir à la construction d’immeubles d’habitation de plus de deux étages. Le 15 janvier 1980, la commission de la construction déclara, en réponse à une demande de l’intéressé, qu’elle n’était pas prête à lui accorder une dérogation à l’interdiction ou un permis de construire une maison monofamiliale et un garage sur son terrain. Il saisit la préfecture, plaidant l’invalidité de l’interdiction de construire, mais elle rejeta le recours le 25 avril 1980. Elle interprétait la décision de la commission comme un refus de consentir une dérogation et précisait qu’à ses yeux les constructions envisagées pourraient aller à l’encontre du but de l’interdiction en vigueur et entraver les plans d’urbanisme futurs tels que les indiquait le schéma directeur de 1979; elle n’apercevait pas de raisons spéciales de s’écarter de l’appréciation de la commission. En avril 1983, cette dernière sollicita de la préfecture, en vertu de l’article 168 de la loi de 1947, le retrait du droit de construire prévu par le plan de subdivision de 1938. Le 23 mars 1984, elle essuya un refus fondé notamment sur les motifs ci-après: "La longue durée de l’interdiction [de construire] découle en grande partie de modifications apportées aux objectifs de planification à la suite, entre autres, des changements de structure municipale survenus deux fois sous l’empire de l’interdiction (...). La préfecture estime que l’interdiction en vigueur donne à la municipalité assez de latitude pour la planification urbaine future. En dépit des objections de certains propriétaires [dont le requérant], elle juge qu’un abandon [du plan de subdivision] ne se justifie pas." Le 6 juin 1983, la préfecture décida de proroger l’interdiction de construire pour la zone en question. Elle déclarait notamment que la commune nouvellement constituée (paragraphe 10 ci-dessus) devait avoir un peu de temps pour fixer sa position quant à l’aménagement de Rönninge; la demande d’une nouvelle interdiction de construire devait s’appuyer sur un calendrier des amendements au plan ou sur une autre proposition tendant à la levée de l’interdiction. Contestant, entre autres, la régularité de la décision de la préfecture, le requérant s’adressa au gouvernement qui rejeta le recours le 15 décembre 1983. Le 13 février 1984, la commission exécutive de la commune (kommunstyrelsen) adopta un programme selon lequel la zone où se trouve le terrain de M. Jacobsson servirait à la construction de maisons multifamiliales en 1988; elle ajoutait qu’il fallait donner priorité à la planification. Le 23 février 1984, le conseil municipal approuva un programme sectoriel dans le même sens. Le 11 juillet 1984, la préfecture frappa la zone en question d’une nouvelle interdiction de construire. Sa décision indiquait que la commune comptait effectuer en 1984 certains travaux afin d’établir les plans nécessaires. Le requérant saisit le gouvernement qui, tirant argument des travaux de planification en cours, le débouta le 8 novembre 1984. Le 12 juin 1984, la commission de la construction déclara dans un nouvel avis préalable, sollicité par l’intéressé, qu’en raison de l’interdiction existante elle n’accorderait pas de permis de construire. Le requérant attaqua cette décision devant la préfecture, plaidant notamment que l’interdiction englobant son terrain avait expiré le 6 juin 1984. Le 21 août 1984, la commission concéda qu’il y avait eu erreur et annula sa décision du 12 juin, mais en prit une nouvelle de teneur semblable, car une autre interdiction de construire s’appliquait depuis le 11 juillet 1984. A un stade ultérieur, la préfecture annula la décision prise par la commission le 21 août et rejeta le recours contre celle du 12 juin; elle relevait qu’une interdiction de construire se trouvait en vigueur lorsqu’elle avait examiné l’affaire. M. Jacobsson se pourvut alors devant la cour administrative d’appel (kammarrätten) de Stockholm et le gouvernement. Le 24 avril 1986, celui-ci annula la décision de la préfecture, estimant que l’avis de la commission ne revêtait pas un caractère contraignant et, partant, ne se prêtait pas à un recours. Le 16 mars 1987, la cour administrative d’appel débouta le requérant en se référant à la décision du gouvernement. Le 1er novembre 1988, la Cour suprême refusa au requérant l’autorisation de se pourvoir devant elle. Le 20 mars 1986, le conseil municipal adopta un nouveau plan sectoriel couvrant entre autres le terrain litigieux et mentionnant la possibilité d’utiliser la zone pour y édifier des maisons mono- ou multifamiliales. Selon le Gouvernement, il s’agit de la dernière étape des travaux préparatoires à l’élaboration d’un plan d’urbanisme. Elle n’a eu aucune incidence sur la validité du plan de subdivision (paragraphe 8 ci-dessus). Le 10 juillet 1987, le requérant déposa derechef une demande d’avis préalable concernant l’octroi d’un permis de construire sur son terrain (paragraphe 9 ci-dessus). La commission de la construction résolut toutefois, en vertu des règles introduites par la loi de 1987, de différer sa décision de deux ans (paragraphe 45 ci-dessous). II. DROIT ET PRATIQUE INTERNES PERTINENTS A. Le système de la loi de 1947 sur la construction Législation sur la construction et l’urbanisme Jusqu’au 1er juillet 1987, le droit de construire sur son propre terrain était régi par la loi de 1947 sur la construction et par un décret que le gouvernement avait pris en 1959 en vertu de celle-ci (byggnadsstadgan, "le décret de 1959"). Aux termes de l’article 1 de la loi de 1947, on ne pouvait construire sur son terrain qu’avec un permis et sous les conditions fixées par le gouvernement. L’article 54 du décret de 1959 précisait qu’il fallait un permis pour toute construction nouvelle (paragraphes 37-39 ci-dessous), à l’exception de certains édifices publics et d’extensions mineures aux résidences et fermes existantes. L’article 5 de la loi de 1947 subordonnait pareille construction à un examen préalable du point de savoir si la propriété s’y prêtait d’une manière générale. L’examen devait s’opérer selon une procédure de planification, sauf dans le cas des zones non urbanisées, pour lesquelles il pouvait avoir lieu lors de l’étude d’une demande de permis. Plans et règlements Un schéma directeur (generalplan) était dressé par la municipalité dans la mesure où il s’imposait pour servir de cadre à des plans plus détaillés. Plutôt qu’à des schémas directeurs complets, rarement tenus pour nécessaires, les municipalités avaient tendance à recourir en la matière à des plans plus simples et moins minutieux, dénommés d’habitude plans sectoriels (områdesplan) et non régis par la loi. Quant aux plans d’urbanisme (stadsplan), il en existait pour celles des zones urbaines où le besoin s’en faisait sentir (article 24). Plus détaillés que le schéma directeur, ils définissaient la vocation des divers espaces - habitations, rues, places, espaces verts, etc. - et fournissaient aussi des indications précises sur leur destination (article 25). Des plans de construction (byggnadsplan) étaient élaborés pour les zones devenues fortement peuplées, mais ils n’exigeaient pas les dispositions détaillées d’un plan d’urbanisme. Adoptés par le conseil municipal, les plans d’urbanisme et de construction devaient être approuvés par la préfecture. Au cours de la procédure, les propriétaires avaient plusieurs occasions de présenter leurs observations. Si une municipalité n’adoptait pas de plan d’urbanisme ou de construction, le gouvernement pouvait lui prescrire de le faire dans un délai donné. Les plans de subdivision (avstyckningsplan) constituaient une catégorie ancienne. Se bornant à délimiter les espaces constructibles et ceux destinés à l’usage public, ils ne réglementaient pas la construction en soi. Lors de l’introduction de la loi de 1947, il parut préférable de les conserver jusqu’à leur remplacement par d’autres plans. D’après les clauses transitoires des articles 168 de la loi de 1947 et 83 du décret de 1959, on devait les considérer à certains égards comme des plans de construction, sauf décision contraire de la préfecture. En outre, la loi de 1947 reconnaissait aux communes un droit de préemption, jamais exercé en l’espèce, sur certains biens-fonds qu’un schéma directeur ou un plan d’urbanisme affectait à l’usage public; par exemple, elles pouvaient acquérir des zones qu’un plan d’urbanisme réservait à des espaces publics (article 41). Le prix d’achat était fixé par le tribunal foncier (fastighetsdomstolen) conformément aux règles de la loi de 1972 sur l’expropriation (expropriationslagen - "la loi de 1972"). La réglementation relative aux zones non planifiées (non englobées dans un plan d’urbanisme ou de construction) interdisait entre autres de construire de nouveaux bâtiments sur des propriétés jugées ne pas s’y prêter pour des raisons d’intérêt général. Selon le Gouvernement, elle valait aussi pour les zones couvertes par des plans de subdivision, mais d’après le requérant il n’en allait pas ainsi. Les interdictions de construire D’après l’article 56 du décret de 1959, les autorités ne pouvaient octroyer des permis pour de nouveaux édifices qui entraîneraient un aménagement urbain (tätbebyggelse) dans un secteur non englobé dans un plan d’urbanisme ou un plan de construction. Les zones régies par des plans de subdivision échappaient à cette défense, encore que la préfecture pût, aux termes de l’article 168 de la loi de 1947, les y assujettir. Si l’on envisageait d’adopter un plan d’urbanisme, l’article 35 de la loi de 1947 habilitait la préfecture à interdire toute construction nouvelle dans la zone concernée. Pareille interdiction valait pour un an, mais pouvait être prolongée de deux ans chaque fois. Elle pouvait donner lieu à des dérogations si la procédure de planification ne s’en trouvait pas entravée. Selon l’article 158 de la loi de 1947, les dispositions relatives aux constructions nouvelles s’appliquaient aussi à "toute transformation d’un bâtiment existant qui, selon des règles établies par le gouvernement, [pouvait] être classée parmi les constructions nouvelles". L’article 75 du décret de 1959 précisait: "Par ‘construction nouvelle’ on entend: a) l’édification d’un bâtiment entièrement nouveau; b) l’extension latérale ou verticale d’un bâtiment existant; c) la reconstruction de l’extérieur ou de l’intérieur d’un bâtiment, ou toute transformation assez importante pour que l’on puisse l’assimiler à une reconstruction; d) l’adaptation, totale ou partielle, d’un bâtiment à un usage essentiellement différent du précédent; e) toute transformation d’un bâtiment le rendant incompatible avec le schéma directeur, plan d’urbanisme ou plan de construction en vigueur ou avec les règlements relatifs à des activités de construction dans des zones non régies par des plans d’urbanisme ou de construction; f) toute autre transformation d’un bâtiment qui, dans son état présent, ne cadre pas avec les plans ou règlements susmentionnés, sauf s’il s’agit d’un immeuble d’habitation comportant au maximum deux logements, ou de ses dépendances. Ne constitue cependant pas une ‘construction nouvelle’, au sens du présent article, l’installation d’un chauffage central, de toilettes ou d’autres équipements sanitaires dans un bâtiment qui, même si pareille installation n’a pas été autorisée, doit subsister en l’état pendant une période considérable." Les demandes de permis de construire Toute demande de permis de construire était adressée à la commission locale de la construction. Si elle tombait sous le coup d’une interdiction de construire, on considérait en pratique qu’elle impliquait une demande de dérogation. L’intéressé pouvait toutefois solliciter d’abord une dérogation, sans plus, puis un permis s’il obtenait satisfaction. L’instruction d’une demande de permis amenait à rechercher si la construction envisagée allait à l’encontre d’un plan adopté, des règlements relatifs aux zones non planifiées ou d’une interdiction de bâtir et si elle répondait aux impératifs techniques de la construction. En l’absence de pareils obstacles, il fallait octroyer le permis. Les propriétaires fonciers avaient coutume de demander, au sujet de leurs possibilités de construire, des avis préalables. Ceux-ci n’étaient pas contraignants. Les recours contre les décisions Si la commission de la construction refusait un permis ou une dérogation, un recours s’ouvrait devant la préfecture. À leur tour, les décisions de celle-ci pouvaient être attaquées devant le gouvernement, pour les dérogations, et devant la cour administrative d’appel pour les permis. Dans le second cas, il existait une possibilité de recours ultérieur à la Cour administrative suprême, moyennant une autorisation préalable. Si la préfecture tranchait les deux questions à la fois, le recours devait être porté devant la cour administrative d’appel. Si cette dernière estimait que la construction n’exigeait pas de dérogation à une interdiction de construire, elle poursuivait l’examen de la question du permis. Sinon, elle déférait le dossier au gouvernement en y joignant son avis sur la question du permis. Il n’y avait pas de limite au nombre des demandes de permis ou de dérogation que pouvait présenter un propriétaire foncier. Les autorités étaient tenues d’examiner le problème chaque fois qu’elles en recevaient une. Si la préfecture prononçait une interdiction de construire, ou refusait en première instance une dérogation, sa décision pouvait donner lieu à un recours au gouvernement. En outre, celui-ci pouvait être saisi d’un recours sur les questions relatives à l’approbation, par la préfecture, de plans d’urbanisme et de construction. Toutefois, les propriétaires fonciers concernés ne pouvaient pas requérir formellement la municipalité ou la préfecture, respectivement, d’adopter et d’approuver un plan. B. La loi de 1987 sur l’aménagement du territoire et la construction Le 1er juillet 1987, la loi de 1987 sur l’aménagement du territoire et la construction a remplacé la loi de 1947. Elle a supprimé la possibilité d’édicter le genre d’interdictions de construire dénoncées en l’espèce. Elle y a substitué la faculté, pour la commission de la construction, de différer de deux ans au maximum sa décision sur une demande de permis ou d’avis préalable. Passé ce délai le permis, ou un avis préalable favorable, doivent être délivrés sauf s’ils se heurtent à un plan détaillé et sous réserve du respect de certaines exigences d’ordre purement technique. C. Constitution d’unités foncières Le morcellement des propriétés relève des agences de constitution des biens immobiliers (fastighetsbildningsmyndigheterna). Les nouvelles unités doivent être conçues de manière telle que tous les biens en cause répondent en permanence à leur destination compte tenu de leur situation, de leur superficie et d’autres facteurs. Dans les secteurs assujettis à des plans d’urbanisme ou de subdivision, le morcellement doit se conformer au plan. Si d’autres règlements s’appliquent, une interdiction de construire par exemple, il doit les respecter eux aussi. Contre les décisions des agences de constitution des biens immobiliers, un recours s’ouvre devant les juridictions ordinaires. D. La loi de 1972 sur l’expropriation En son chapitre 2, article 1, la loi de 1972 sur l’expropriation (paragraphe 32 ci-dessus) habilite les communes à exproprier à des fins de planification: "Un terrain sis dans une zone à forte densité de population ne peut être exproprié que si l’on peut raisonnablement supposer qu’il sera, dans un avenir prévisible, touché par une activité de construction de grand intérêt pour la collectivité ou s’il importe, aux fins d’un aménagement planifié ou pour une autre raison analogue, que la commune l’acquière." En matière d’indemnisation, les expropriations opérées en vertu de ce texte obéissent aux clauses générales du chapitre 4 de la même loi. PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION Dans sa requête du 11 janvier 1984 à la Commission (no 10842/84), M. Allan Jacobsson se plaignait de ne pouvoir, en dépit des articles 6 par. 1 et 13 (art. 6-1, art. 13) de la Convention, contester en justice la légalité et la compatibilité avec la Convention et le Protocole no 1 (P1) des interdictions de construire frappant son terrain. Il dénonçait en outre la longue durée de validité de celles-ci, l’estimant contraire aux articles 17 et 18 (art. 17, art. 18) de la Convention ainsi qu’à l’article 1 du Protocole no 1 (P1-1). La Commission a retenu la requête le 15 avril 1986. Dans son rapport du 8 octobre 1987 (article 31 de la Convention) (art. 31), elle conclut à l’unanimité qu’il y a eu violation de l’article 6 par. 1 (art. 6-1), mais non des articles 17 et 18 (art. 17, art. 18), et qu’il ne s’impose pas d’examiner séparément le grief tiré de l’article 13 (art. 13). Elle relève en outre, par sept voix contre quatre, l’absence de manquement aux exigences de l’article 1 du Protocole no 1 (P1-1). Le texte intégral de son avis et des opinions dissidentes dont il s’accompagne figure en annexe au présent arrêt.
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE A. Genèse de l’affaire La société anonyme Unión Alimentaria Sanders exerce son activité dans l’industrie alimentaire et a son siège social à Madrid. En 1974, elle conclut un contrat aux termes duquel elle financerait l’élevage de porcs, qui lui appartenaient, dans une ferme de la société Linconin S.A. En échange, cette dernière devait payer le prix des animaux et les frais financiers, mais en raison de son insolvabilité elle ne put honorer ses engagements; entre temps, elle avait vendu les porcs. Des poursuites pénales introduites contre Linconin S.A. et ses administrateurs furent classées à la suite d’une mesure générale de grâce. B. La procédure devant le tribunal de première instance de Barcelone Le 2 mai 1979, Unión Alimentaria Sanders S.A. assigna devant le tribunal de première instance (juzgado de primera instancia) de Barcelone, en paiement de la somme dont elle s’estimait créancière, Linconin S.A. et son administratrice, Mme P. Les jugeant insolvables, elle intenta en outre contre elles et trois particuliers, à titre subrogatoire, deux actions visant l’exécution et l’inscription au registre foncier de contrats d’achat de terres et d’une ferme par les deux premières défenderesses. L’affaire fut attribuée au tribunal de première instance no 9 de Barcelone, qui cita les défenderesses à comparaître. Cependant, une seule d’entre elles, Mme B., se rendit à la convocation, les autres étant introuvables. Elle souleva des exceptions préliminaires et présenta des observations sur le fond. Le 27 novembre 1980, le juge invita les parties à fournir leurs moyens de preuve, ce qui eut lieu du 17 décembre 1980 au 26 mars 1981. Une fois cette opération terminée, il les pria de formuler leurs conclusions puisqu’elles ne demandaient pas d’audience. La société requérante le fit le 29 octobre, Mme B. le 12 novembre. Par une ordonnance (providencia) du 28 décembre 1981, le juge mit l’affaire en délibéré (declaró los autos conclusos para sentencia). D’après l’article 678 du code de procédure civile, le jugement devait être rendu dans les douze jours, ou dans les quinze si le dossier contenait plus de mille cotes. Le 10 juillet 1983, Unión Alimentaria Sanders S.A. écrivit au juge pour se plaindre d’une violation de l’article 24 par. 2 de la Constitution, qui garantit "le droit à un procès public sans retards indus (sin dilaciones indebidas) et avec toutes les garanties". Le 21 octobre 1983, elle saisit le Tribunal constitutionnel afin qu’il conclût à l’existence d’un tel retard, enjoignît au tribunal de première instance de se prononcer et proclamât le droit de la société requérante à une indemnité pour les dommages entraînés par ledit retard. Le Tribunal constitutionnel rejeta le recours (recurso de amparo) le 23 janvier 1985 (paragraphes 17-19 ci-dessous). Le 17 décembre 1983, le tribunal de première instance no 9 accueillit en partie l’action: il condamna Linconin S.A. et son administratrice à verser solidairement à la demanderesse une somme de 1.852.343 pesetas 67, augmentée des intérêts légaux, et deux des défenderesses assignées à titre subrogatoire à exécuter le contrat de vente de certaines terres et à en provoquer l’inscription au registre foncier. En revanche, il débouta la société requérante de ses prétentions contre Mme B. L’un de ses attendus de fait reconnaissait le retard mis à statuer, mais n’en indiquait pas les raisons. C. La procédure devant la cour d’appel de Barcelone Unión Alimentaria Sanders S.A. attaqua le jugement le 23 décembre 1983. Le dossier fut communiqué à la cour d’appel (Audiencia Territorial) de Barcelone le 25 avril 1984 et la cause attribuée en mai à la 1ère chambre civile de celle-ci. Le 5 juin, la société requérante s’affirma prête à plaider; le 10 juillet, la cour d’appel constata que les défenderesses se trouvaient déchues de leur droit de formuler des observations écrites car elles n’avaient pas comparu. Le 13 septembre 1984, après étude du dossier par le juge rapporteur, elle déclara l’affaire en état, sans toutefois fixer une date d’audience. Une troisième chambre civile, créée entre temps, se vit charger de l’affaire le 27 septembre 1985, en application d’une décision du 4 septembre. Le 17 mars 1986, elle désigna un nouveau juge rapporteur et décida que les débats se dérouleraient le 6 mai. Le 12 mai 1986, elle accueillit en partie l’appel de la société requérante et condamna Mme B. à rembourser à Linconin S.A. une certaine somme payée pour l’achat des terres; elle confirma le jugement pour le surplus. Son arrêt fut notifié à la requérante par le tribunal de première instance le 13 septembre. D. La procédure devant le Tribunal constitutionnel Parallèlement à la procédure d’appel, le Tribunal constitutionnel examina le recours qu’Unión Alimentaria Sanders S.A. avait formé le 21 octobre 1983 (paragraphe 13 ci-dessus). Il l’admit le 30 novembre, puis reçut les observations du ministère public, de la société requérante et de l’avocat de l’État (Abogado del Estado). Le ministère public reconnaissait l’existence d’un retard indu, non expliqué par le tribunal de première instance, mais estimait qu’une fois reprise la marche normale du procès et prononcé le jugement, le recours ne visait plus qu’à une indemnisation. Quant à l’avocat de l’État, l’affaire lui semblait avoir perdu son objet. Dans son arrêt de rejet du 23 janvier 1985, le Tribunal constitutionnel commença par écarter ces deux thèses; il se prononça ensuite sur le fond: "Après avoir passé en revue les critères relatifs à la complexité du litige et au comportement des autorités judiciaires et des parties, il convient d’examiner les répercussions du procès sur les droits et intérêts en jeu. Il s’agit là d’un des facteurs à considérer, ainsi que l’a souvent relevé la Cour européenne des Droits de l’Homme (arrêt Buchholz). Dans sa demande d’indemnité, le requérant n’a pas fait état d’autres conséquences du retard que celle relative à l’annotation conservatoire qu’il avait, pour se couvrir contre l’issue du procès, constituée avec caution lors du procès civil afin de prendre en compte l’éventuelle indemnisation des défendeurs, s’ils obtenaient gain de cause. Rien n’a été dit des répercussions concrètes de la durée du procès sur les droits ou intérêts du demandeur; dans son exposé, celui-ci se borne à relever l’incidence susmentionnée de la mesure conservatoire prévue à l’article 42 de la loi hypothécaire, ainsi que des ‘dommages moraux’ sur lesquels il reste vague. Il apparaît ainsi que le facteur temps ne revêtait pas, en l’occurrence, une importance capitale. Comme seuls se trouvaient engagés les frais judiciaires et le montant de la caution, il ne semble pas que cette affaire dont était chargé le tribunal de Barcelone méritât de se voir accorder la priorité. Si d’autres litiges plus urgents étaient pendants, rien n’empêchait de leur accorder la priorité et de remettre provisoirement à plus tard la décision qui fait l’objet de l’actuel recours d’amparo. Il faut également envisager ce qui est considéré comme la norme en matière de niveau d’activités et de rendement d’un tribunal, compte tenu du volume d’affaires à traiter. C’est à ce facteur que se réfère l’avocat de l’État quand il expose la situation non seulement du tribunal qui avait à connaître du litige sur lequel porte ce recours d’amparo, mais également des autres tribunaux de Barcelone chargés des procès ordinaires - et autres - relevant de leur compétence. Il souligne à cet égard l’accumulation temporaire d’affaires et y trouve l’une des justifications de la durée du procès qui nous intéresse. Ce facteur doit retenir l’attention de ce Tribunal, tout comme il a retenu celle de la Cour européenne des Droits de l’Homme qui a statué, sous l’angle de l’article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention, sur des retards constatés au cours de différents types de procès. On peut, à titre d’exemple, citer l’arrêt Buchholz. La durée d’un procès ordinaire portant sur une affaire complexe et très litigieuse, mais ne justifiant pas de se voir accorder la priorité, doit s’évaluer à partir de cet ensemble de facteurs et en fonction du temps total investi dans le procès. Dans la mesure où le droit à un procès sans retards indus ne se confond pas avec le strict respect des échéances judiciaires ni nécessairement avec l’absence de toute situation anormale, les retards enregistrés au cours du procès civil qui nous occupe ne suffisent pas pour autoriser à conclure à une violation de l’article 24 par. 2 de la Constitution." (Boletín de Jurisprudencia Constitucional no 46, février 1985, p. 152) L’un des juges exprima cependant une opinion dissidente: "(...) Faute de justification dûment apportée par l’organe judiciaire, il nous reste à rechercher si la lenteur dont on l’accuse constitue ou non un ‘retard’ au sens de l’article 24. Même en admettant la pertinence des critères adoptés dans l’arrêt, l’auteur de cette opinion individuelle n’approuve pas l’application qui en est faite. La demande fut introduite le 2 mai 1979 et le jugement rendu le 17 décembre 1983. Une durée globale de plus de quatre ans et demi est en principe excessive si nous prenons en compte (...) le ‘temps total investi dans le procès’, et en particulier si nous rappelons que l’organe judiciaire ne nous a signalé aucune particularité de l’affaire pouvant justifier une telle lenteur. Faute de justification circonstanciée, on ne peut pas non plus (...) ‘envisager ce qui est considéré comme la norme en matière de niveau d’activités et de rendement d’un tribunal’. En effet, étant normal ce qui correspond à la norme et non ce qui l’ignore, même si la norme est le plus souvent négligée, la lenteur traditionnelle des services de justice ne saurait être considérée comme ‘normale’. En outre, si la durée des procès continuait à s’allonger, si le non-respect des normes de ‘rendement des services de justice’ se généralisait, et s’il fallait toujours se fonder sur ces circonstances ‘anormales’, mais courantes, pour mesurer le respect ou la violation du droit à un procès sans retards indus, la protection de ce droit fondamental se trouverait, par là même, réduite à néant. (...)" (ibidem, p. 154). E. La demande en exécution de l’arrêt de la cour d’appel Le 18 octobre 1986, Unión Alimentaria Sanders S.A. demanda au tribunal de première instance no 9 de Barcelone l’exécution de l’arrêt de la cour d’appel et la saisie des biens des défenderesses, dont elle donnait la liste. Cette demande demeure pendante. II. LA SITUATION DES JURIDICTIONS DE BARCELONE Dans son rapport pour 1982, le Conseil supérieur de la magistrature relevait que chacun des tribunaux de première instance de Barcelone avait dû traiter en moyenne 1.800 dossiers. Ces mêmes juridictions sont restées dépourvues de juges pendant des périodes de plus en plus rapprochées, malgré le recours à des remplaçants pour des affaires urgentes. Tel fut le cas du tribunal de première instance no 9: le magistrat dut être suppléé à plusieurs reprises en 1982-1983 en raison de son état de santé. Il partit à la retraite le 27 juillet 1983 et l’installation de son successeur n’eut lieu que le 21 septembre 1983. Celui-ci quitta le poste deux mois plus tard, le laissant à nouveau vacant. Jusqu’au 22 février 1984, date à laquelle le nouveau juge titulaire prit ses fonctions, le juge titulaire du tribunal de première instance no 1 de Barcelone s’occupa, comme remplaçant, des affaires du tribunal no 9 et c’est lui qui statua en l’espèce (paragraphe 14 ci-dessus). Des difficultés analogues ont régné à la cour d’appel de Barcelone, au point que le Médiateur (Defensor del Pueblo) y consacra un chapitre de son rapport pour 1985: il soulignait le grand nombre des plaintes relatives à la durée des procédures devant les chambres civiles et mentionnait l’enquête ouverte à leur sujet (Boletín oficial de las Cortes Generales, 15 septembre 1986, p. 125). De 1981 à 1984, le volume du contentieux des deux chambres avait augmenté de 62 %. Deux postes de juges furent créés en 1983, mais l’insuffisance de cette mesure conduisit à instituer, en 1985, une chambre supplémentaire à qui l’on confia des causes pendantes devant les deux autres: 964 de la première et 586 de la deuxième. Il fallut en informer les parties, désigner de nouveaux rapporteurs et fixer un nouveau calendrier pour combler le retard en fonction du degré d’urgence des affaires. En juin 1985, le conseil (Junta de Gobierno) de l’Ordre des avocats de Barcelone lança une campagne pour obtenir une amélioration des services de justice dans cette ville, au moyen d’un manifeste qui en janvier 1986 avait déjà recueilli la signature de mille avocats. D’une manière plus générale, dans ses rapports pour 1983 et 1984 le Médiateur avait attiré l’attention de la Chambre des députés (Congreso de Diputados) sur la fréquence des griefs concernant les lenteurs de la justice et la difficulté d’obtenir l’exécution des jugements et arrêts. L’année suivante, il qualifia la situation d’alarmante; elle s’expliquait selon lui, notamment, par le manque de personnel et les changements répétés de magistrats. Aussi bien l’État espagnol a-t-il pris en la matière plusieurs mesures à l’échelle nationale. Ainsi, une loi organique du 10 janvier 1980 a institué le Conseil supérieur de la magistrature et la loi organique du 1er juillet 1985 sur le pouvoir judiciaire a réorganisé le système. Dans l’intervalle, un décret royal du 3 juillet 1981 a doté Barcelone de quatre nouveaux tribunaux de première instance, qui fonctionnent depuis septembre 1981, et une loi du 21 mai 1982 y a créé de nouveaux arrondissements judiciaires. Enfin, une loi du 28 décembre 1988 a restructuré complètement l’administration de la justice. De 1989 à 1992, l’effectif des juges devrait passer de 2.000 à 3.570. Barcelone possédera 10 tribunaux de plus, moyennant la reconversion des tribunaux de district en tribunaux de première instance, ce qui portera le nombre de ceux-ci à 44 en 1992. Quant à la cour de Barcelone (Audiencia Provincial), elle devrait compter 64 magistrats. PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION Dans sa requête du 5 juillet 1985 à la Commission (no 11681/85), Unión Alimentaria Sanders S.A. dénonçait la durée de la procédure civile qu’elle avait engagée en mai 1979 devant le tribunal de première instance no 9 de Barcelone; elle l’estimait contraire à l’article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention. La Commission a retenu la requête le 11 décembre 1987. Dans son rapport du 13 octobre 1988 (article 31) (art. 31), elle conclut par treize voix contre une à la violation de l’article 6 par. 1 (art. 6-1). Le texte intégral de son avis et de l’opinion dissidente dont il s’accompagne figure en annexe au présent arrêt.
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I. LES CIRCONSTANCES DE L'ESPECE Toutes deux Suédoises, Mme Cecilia Eriksson et sa fille Lisa Eriksson sont nées respectivement en 1942 et le 24 février 1978. En janvier 1979, la première épousa le père de la seconde, dont elle eut aussi un fils, Jonas, en janvier 1981. Ils divorcèrent en février 1986 et Cecilia obtint la garde des deux enfants. Depuis mars 1978, Lisa vit dans un foyer d'accueil à Oskarström. Sa mère a d'abord résidé à Köttkulla, près d'Ulriceham, mais en 1987 elle a déménagé à Köping. A. Prise en charge de Lisa Eriksson par l'autorité publique et efforts déployés par sa mère pour en obtenir la mainlevée Le 23 mars 1978, le Conseil social du district sud (södra sociala distriktsnämnden) de Lidingö ("le Conseil") décida, sur la base des articles 25, alinéa a), et 29 de la loi de 1960 sur la protection de l'enfance (barnavårdslagen 1960:97, "la loi de 1960", paragraphe 36 ci-dessous), la prise en charge de Lisa par l'autorité publique au motif que les conditions de vie dans la famille laissaient à désirer. Le bébé fut placé dans un foyer d'accueil à Oskarström. A l'époque, Cecilia Eriksson avait des problèmes personnels. Elle avait été condamnée à quatorze mois d'emprisonnement pour recel et pour détention de stupéfiants. Elle se convertit pendant son incarcération et appartient actuellement à la Congrégation de Philadelphie (Mouvement pentecôtiste). En mai 1980, le Conseil écarta une demande en mainlevée dont elle l'avait saisi. Elle se pourvut devant le tribunal administratif départemental (länsrätten) de Stockholm, qui la débouta le 22 octobre 1981, puis devant la cour administrative d'appel (kammarrätten) de la même ville, qui rejeta son recours le 11 mars 1982. A partir du 1er janvier 1982, la prise en charge de Lisa au titre de la loi de 1960 fut réputée adoptée en vertu de l'article 1 par. 1 de la loi de 1980 portant dispositions spéciales sur l'assistance aux adolescents (lagen 1980:621 med särskilda bestämmelser om vård av unga, "la loi de 1980", paragraphe 36 ci-dessous). En mars 1982, Cecilia Eriksson sollicita derechef auprès du Conseil la mainlevée de la prise en charge et, de plus, l'autorisation de rencontrer Lisa chez elle à Köttkulla. Elle essuya un double refus dont elle se plaignit au tribunal administratif départemental. Le 3 novembre 1982, celui-ci la débouta sur le premier point, faute de contacts préparatoires suffisants entre la fillette et ses parents par le sang; il renvoya la question des visites au Conseil pour réexamen. Cecilia Eriksson attaqua le jugement devant la cour administrative d'appel. B. Mainlevée de la prise en charge - interdiction de retirer l'enfant du foyer d'accueil et réglementation des visites Toutefois, le 21 janvier 1983 le Conseil estima que la prise en charge de l'enfant ne se justifiait plus au regard de la loi de 1980; il décida: a) d'y mettre fin conformément à l'article 5 par. 1 a) de la loi de 1980, à compter du 15 février 1983; b) d'interdire jusqu'à nouvel ordre aux parents par le sang, en vertu de l'article 28 de la loi de 1980 sur les services sociaux (socialtjänstlagen 1980:620, paragraphe 42 ci-dessous), de retirer Lisa de son foyer d'accueil (flyttningsförbud); c) d'inviter la clinique psychiatrique pour enfants et adolescents (barn- och ungdomspsykiatriska kliniken, "la clinique psychiatrique") de Halmstad à présenter des recommandations sur les contacts entre Lisa et ses parents par le sang, compte tenu de ce que l'objectif à long terme du Conseil consistait à leur rendre leur fille; d) de la prier de se prononcer aussi sur une proposition tendant à ce que Lisa séjournât chez eux pendant les vacances d'été; e) que dans le cadre des contacts entre elle et eux aurait lieu, avant le 1er mars 1983, une réunion à laquelle assisteraient au moins l'un des deux parents nourriciers et un tiers. L'interdiction de retrait s'appuyait notamment sur cinq certificats médicaux. Etablis à la clinique psychiatrique et signés par Mme Essving-Levay, médecin diplômé d'Etat, et Mme Gulli Tärn, curateur, ils indiquaient que Lisa était profondément attachée à sa famille d'accueil et que son transfert chez ses parents par le sang menacerait sa santé mentale et son développement. Dans ces conditions, la cour d'appel administrative n'aperçut aucune raison de statuer (paragraphe 11 ci-dessus). Le 24 février 1983, dans un nouveau certificat signé par les mêmes personnes, la clinique psychiatrique préconisa une visite trimestrielle. En outre, elle estimait prématuré de laisser Lisa séjourner chez ses parents par le sang pendant l'été. A ses yeux, l'enfant ne devait pas retourner chez eux dans l'immédiat, mais rester auprès de ses parents nourriciers. Le 31 mars 1983, le Conseil accorda à Cecilia Eriksson le droit de voir Lisa dans sa famille d'accueil tous les deux mois. C. Première série de procédures contre l'interdiction de retrait Représentée par un avocat, Cecilia Eriksson recourut devant le tribunal administratif départemental de Stockholm contre la décision du Conseil lui interdisant de reprendre l'enfant; elle en demandait l'annulation ou, à titre subsidiaire, la limitation dans le temps. Lors d'une audience tenue le 13 septembre 1983, le tribunal entendit Mme Essving-Levay, le père naturel de Lisa et un expert de la préfecture (länsstyrelsen). Cette dernière avait aussi produit un avis écrit où figurait le passage suivant: "La préfecture considère que Lisa devrait demeurer dans le foyer d'accueil. Cette proposition lui paraît conforme aux buts de l'article 28 de la loi sur les services sociaux, relatif à l'interdiction de retrait. Lisa a en ce moment assez de difficultés à vivre en sachant qu'elle n'est pas la fille de ses parents nourriciers et sous la menace d'être obligée à chaque instant de quitter le seul environnement sécurisant qu'elle connaisse. L'expérience enseigne qu'en grandissant, elle montrera plus de curiosité envers ses parents par le sang et pour sa propre origine. Alors seulement, elle aura suffisamment de maturité pour franchir les premières étapes d'un regroupement familial. D'ici là, on irait à l'encontre de son intérêt si on la transférait chez ses parents par le sang." Le Conseil adressa au tribunal administratif départemental un autre certificat médical de la clinique psychiatrique. Daté du 7 septembre 1983 et revêtu des mêmes signatures que les précédents, il déclarait notamment que Lisa devait à l'évidence rester dans sa famille d'accueil et que l'en retirer comporterait un risque non négligeable pour sa santé mentale. Le 10 octobre 1983, le tribunal accueillit en partie le recours: il limita au 31 mars 1984 la durée de validité de l'interdiction de reprendre l'enfant. Il se fonda entre autres sur les motifs suivants: "Les contacts des parents par le sang avec Lisa ne sont devenus plus réguliers que depuis deux ans, avec le concours notamment de Mme Essving-Levay. Ainsi, en 1982 Lisa a rencontré ses parents en juin et en août à Halmstad, en septembre à Köttkula et en novembre à Oskarström. Elle a rencontré sa mère à certaines occasions en 1983, en dernier lieu le 25 août lorsque son frère Jonas a accompagné celle-ci à Oskarström. Ce que l'on sait de l'atmosphère des rencontres donne à penser que leur rareté ne s'explique sans doute pas uniquement par le comportement de Cecilia Eriksson. Les parents nourriciers, et aussi l'attitude de tiers mêlés à la question du retrait de Lisa, y ont probablement beaucoup contribué. Plusieurs fois par écrit et à l'audience devant le tribunal, Mme Essving-Levay a exprimé l'opinion que le traitement psychiatrique de Lisa avait pour but principal non de favoriser un retrait immédiat, mais plutôt d'améliorer les rapports de l'enfant avec ses parents par le sang. En même temps, il a été précisé que ce traitement repose sur l'avis de Mme Essving-Levay, pour qui Lisa devrait demeurer dans sa famille d'accueil. Il faut enfin mentionner qu'en adoptant la décision litigieuse, le [Conseil] a présenté le retrait de Lisa comme son objectif à long terme. Depuis sa naissance ou presque, Lisa vit dans sa famille d'accueil. Aujourd'hui, cinq ans plus tard, elle y est à l'évidence fortement enracinée. Elle n'a rencontré que rarement ses parents par le sang. Il faut donc présumer que la replacer chez eux impliquerait des risques considérables pour sa santé. Il appert cependant, notamment du témoignage de Mme Essving-Levay, qu'il s'agit d'une fillette de cinq ans normalement développée et d'un niveau intellectuel plutôt supérieur à la moyenne. Cet élément et d'autres permettent d'escompter qu'un transfert de Lisa - bien sûr après de plus amples contacts préparatoires avec les parents par le sang - n'entraînera qu'une perturbation passagère de son développement. Le tribunal a dès lors décidé de limiter dans le temps la décision attaquée, conformément à la seconde demande de Cecilia Eriksson. En conséquence, l'interdiction de retrait pourra, pendant une période nettement précisée, servir à consolider les relations entre Lisa et ses parents." Le Conseil se pourvut devant la cour administrative d'appel de Stockholm pour réclamer une interdiction de durée illimitée. Représentée par un avocat, Cecilia Eriksson conclut en ordre principal à l'annulation de l'interdiction et, subsidiairement, à la confirmation du jugement. La cour tint une audience pendant laquelle elle entendit Mme Essving-Levay et la mère nourricière de Lisa. Consultée par elle, la Direction nationale de la santé et de la protection sociale (socialstyrelsen) donna, le 13 février 1984, son avis sur les dangers que courrait Lisa si on la retirait à sa famille d'accueil. Elle déclara notamment ceci: "Sur le terrain de la psychiatrie infantile, il faut relever que la [clinique psychiatrique] a clairement exprimé l'avis qu'il ne faudrait pas reprendre Lisa à sa famille d'accueil. La Direction nationale estime cet avis justifié car il se fonde sur la connaissance du développement et des besoins des enfants, appliquée à la situation particulière de Lisa. Aux yeux de la Direction nationale, un changement des personnes chargées d'élever un enfant constitue toujours une intervention grave et ne doit pas se produire sans des raisons impérieuses, par exemple si l'enfant est mal soigné là où il se trouve. La recherche en psychologie infantile et les expériences cliniques démontrent qu'une séparation risque de nuire gravement à l'état mental de l'enfant. En l'espèce, Lisa, aujourd'hui âgée de six ans, vit depuis sa plus tendre enfance dans la même famille d'accueil où elle s'est bien développée aux côtés d'adultes à qui elle est attachée. Elle traverse une phase importante de son développement et n'a pas encore atteint l'âge et la maturité nécessaires pour décider par elle-même. Il ne faudrait pas la placer devant un pareil choix. Malgré les efforts déployés, elle n'a pas de contacts réguliers avec ses parents par le sang. Il ressort du dossier que son père n'a pas assisté aux rencontres organisées en 1983 avec les parents nourriciers. Il n'a pas vu Lisa depuis 1982. Des faits nouveaux sont apparus, qui modifient la situation du foyer des parents par le sang. Les [documents communiqués par la cour] indiquaient seulement que la réinsertion des parents se poursuivait bien. Une conversation téléphonique avec le directeur des services sociaux d'Ulriceham, le 17 janvier 1984, a révélé que le père a perdu son emploi temporaire et s'est remis à boire. Condamné pour conduite en état d'ivresse, il s'est vu privé de son permis de conduire. Le poste de gardienne d'enfants occupé par la mère est temporaire et ne vaut que pour la durée du congé de maternité de la titulaire. La mère ne prête cependant à aucune critique quant à son travail. La Direction nationale considère, eu égard aux circonstances de l'espèce, qu'à retirer Lisa de sa famille d'accueil on créerait un risque, non négligeable, pour sa santé mentale et son développement. Il importe dès lors que l'enfant puisse demeurer dans son foyer d'accueil. La Direction estime que l'article 28 de la loi sur les services sociaux s'applique, mais qu'il convient de régler pour l'avenir la sécurité de Lisa sur le plan juridique. Le [Conseil] doit donc rechercher si la [loi de 1980] joue à nouveau, à la lumière du changement de situation chez les parents par le sang. Il doit aussi étudier la possibilité de demander un transfert de la garde aux parents nourriciers en vertu du chapitre 6, article 8, du code parental [föräldrabalken, paragraphe 50 ci-dessous]." Le 6 mars 1984, la cour administrative d'appel réforma le jugement du tribunal administratif départemental en fixant au 30 juin 1984 le terme de l'interdiction de reprendre l'enfant. Son arrêt reposait, notamment, sur les motifs suivants: "Après enquête, rien ne permet de douter de l'aptitude de Cecilia Eriksson à s'occuper d'enfants. Le jeune frère de Lisa, Jonas, vit au foyer de Cecilia qui s'y occupe aussi d'un autre enfant comme gardienne d'enfants au service de la municipalité. Le 31 mars 1983, le [Conseil] a décidé que Cecilia Eriksson aurait le droit de rendre visite à Lisa tous les deux mois dans sa famille d'accueil. A l'audience devant la cour administrative d'appel, il est apparu qu'un ou plusieurs représentants du [Conseil] avaient assisté à ces rencontres sporadiques organisées par le Conseil, que Cecilia Eriksson n'avait jamais eu la possibilité, à ces occasions, de rester seule avec sa fille et que la mère nourricière n'avait pas cru déjà venu le moment d'informer Lisa qu'il s'agissait de sa mère. Cecilia Eriksson n'a pas encore été autorisée à recevoir Lisa chez elle. La cour administrative d'appel analyse ainsi la situation. Plus d'un an a passé depuis que le [Conseil] a résolu de lever la prise en charge décidée en vertu de la loi [de 1980] et de s'employer à réunir Lisa et ses parents par le sang. L'instruction ne donne pas à penser que Cecilia Eriksson n'ait pas accepté les directives du [Conseil] concernant son droit de visite pendant cette période. La cour constate que les mesures préparatoires adoptées jusqu'ici par le [Conseil] en vue du transfert de Lisa n'ont manifestement pas été conçues pour favoriser un tel regroupement de manière appréciable. Pour le transfert de l'enfant à ses parents par le sang, on ne peut considérer que les choses se présentent autrement aujourd'hui que l'an dernier. Lisa ne sait même toujours pas que c'est sa mère qui lui rend visite dans la famille d'accueil. Selon les renseignements fournis à la cour pendant les débats, l'antagonisme que le tribunal administratif départemental a perçu entre la mère nourricière et Cecilia Eriksson persiste. Aux yeux de la [cour], il ne constitue pourtant pas nécessairement un obstacle absolu à des mesures préparatoires au transfert de l'enfant chez ses parents par le sang. Nul ne conteste que sans préparation pareil transfert comporterait très certainement de grands dangers pour la santé de Lisa. Cecilia Eriksson a déclaré en avoir bien conscience et ne pas souhaiter reprendre définitivement sa fille tant que celle-ci risquera d'en pâtir. A la lumière de l'ensemble des éléments recueillis, la cour trouve néanmoins justifiée une interdiction provisoire de retrait. Au vu de ces éléments, il est raisonnable de la limiter dans le temps. Les mesures préparatoires arrêtées jusqu'ici ne paraissent pas suffisantes pour permettre de transférer l'enfant dans le délai fixé par le tribunal. La cour administrative d'appel estime qu'avant la levée de l'interdiction, il faut un peu plus de temps pour élaborer des mesures préparatoires; elle présume que le [Conseil], en poursuivant son objectif de réunir l'enfant et ses parents par le sang, fera dès que possible de nouvelles tentatives et intensifiera ses efforts en ce sens." Tant Cecilia Eriksson, assistée d'un avocat, que le Conseil se pourvurent devant la Cour administrative suprême (regeringsrätten). La première se désista ultérieurement. Le 11 octobre 1984, la Cour administrative suprême donna gain de cause au Conseil en confirmant la décision, prise par lui le 21 janvier 1983, de prononcer une interdiction valable jusqu'à nouvel ordre. Elle motiva ainsi son arrêt: "Aux termes de l'article 28 de la loi sur les services sociaux, le Conseil social de district peut, si l'intérêt de l'enfant l'exige, interdire au titulaire de la garde de retirer ce dernier à sa famille d'accueil au cas où pareil retrait créerait un risque non négligeable de nuire à sa santé physique ou mentale. Quand un enfant est placé dans une famille d'accueil, il faut normalement avoir pour but de le réunir plus tard à ses parents. L'interdiction visée à l'article 28 de la loi sur les services sociaux doit être considérée comme une mesure temporaire, adoptée dans l'attente du moment propice pour reprendre l'enfant à sa famille d'accueil sans l'exposer au risque des effets néfastes mentionnés dans cet article. Pour décider une telle interdiction, il faut tenir compte notamment de l'âge de l'enfant, de son développement, de sa personnalité, de ses relations affectives, du temps pendant lequel ont pris soin de lui d'autres personnes que ses parents par le sang, de ses conditions de vie actuelles et futures ainsi que de ses contacts avec ses parents pendant qu'il s'en trouvait séparé. Cecilia Eriksson s'étant désistée de son recours contre l'arrêt de la cour administrative d'appel, il incombe à la [Cour administrative suprême] de rechercher si l'interdiction de retrait doit rester en vigueur jusqu'à nouvel ordre - comme le préconise le [Conseil] - ou être limitée dans le temps - comme le réclame la [mère]. Pour statuer sur la durée de pareille interdiction, il faut avoir égard au risque de voir l'enfant souffrir dans sa santé physique ou mentale si on le sépare de son foyer. Si, dès le prononcé de l'interdiction, on estime avec assez de certitude que le risque disparaîtra après une date donnée, quand des mesures déterminées auront été prises ou auront produit leurs effets, il faut la limiter à cette date. Si au contraire l'on ne sait pas au juste quand on pourra transférer l'enfant chez ses parents par le sang sans l'exposer à un risque non négligeable, l'interdiction doit rester en vigueur jusqu'à nouvel ordre et la question du transfert être soulevée derechef ultérieurement, lorsque l'on pourra mieux apprécier le risque pour la santé de l'enfant. Indépendamment de la durée de l'interdiction, il incombe au [Conseil] de veiller à l'adoption sans retard des mesures destinées à réunir parents et enfant. Il en va spécialement ainsi lorsque, dans les circonstances indiquées à l'instant, le Conseil a jugé nécessaire de prononcer une interdiction jusqu'à nouvel ordre. A défaut, l'enfant risque fort de s'attacher davantage, dans l'intervalle, à la famille qu'il est sur le point de quitter. Les efforts tendant à établir une relation entre Lisa et ses parents par le sang ont commencé il y a déjà environ trois ans, mais si l'on en croit le dossier ils n'ont pas dépassé le stade d'entrevues occasionnelles entre elle, eux et sa famille actuelle, le plus souvent - à la suite de directives du [Conseil] - en présence d'un tiers adulte. Les rencontres ont été marquées par l'antagonisme entre les adultes des deux familles et avant comme après Lisa, qui semble n'avoir saisi que tout récemment qui sont ses parents par le sang, a donné des signes d'anxiété et de tension psychologique. Des éléments de preuve relatifs à l'intensité de ses réactions, il ressort nettement que le transfert ne pourra pas se réaliser avant un délai supérieur à celui qu'ont prescrit les juridictions inférieures. Les mesures voulues pour réunir la famille n'ayant pas encore été prises, rien ne permet, pour l'instant, de fixer une date à laquelle le transfert pourrait s'opérer sans nuire à la santé mentale de Lisa. Partant, l'interdiction de retrait doit rester en vigueur jusqu'à nouvel ordre." D. Deuxième série de procédures contre l'interdiction de retrait Le 28 novembre 1984, Cecilia Eriksson invita le Conseil à lui confier à nouveau Lisa. Il s'y refusa le 18 janvier 1985, estimant que si l'on retirait la fillette à sa famille d'accueil, sa santé mentale courrait le même risque qu'à l'époque où la Cour administrative suprême avait statué, le 11 octobre 1984 (paragraphe 22 ci-dessus). La première requérante attaqua cette décision devant le tribunal administratif départemental, le priant d'annuler l'interdiction de retrait et de lui restituer l'enfant conformément aux règles du chapitre 21 du code parental (paragraphes 46-49 ci-dessous). Elle se désista de son recours le 8 octobre 1985, de sorte que le tribunal raya l'affaire du rôle le 23. D'après l'intéressée, le Conseil l'avait informée, par l'intermédiaire d'une équipe privée de psychologues à laquelle il s'était adressé en janvier 1985 pour résoudre la question des contacts entre la mère et Lisa, qu'elle ne pourrait rencontrer sa fille seule aussi longtemps qu'elle engagerait des procédures, mais qu'elle en aurait parfois la faculté - en fin de semaine - si elle abandonnait son action. Or, et elle le savait, l'une des conditions de sa réunion avec son enfant était qu'elles apprissent à se connaître. Là résiderait la raison de son désistement. Le Gouvernement conteste ces affirmations. Au cours d'une conversation téléphonique avec un agent des services sociaux, le 7 novembre 1985, Cecilia Eriksson elle-même aurait nié avoir reçu de telles informations et aurait déclaré que son avocat avait "beaucoup exagéré" en comparant la situation à du chantage. Les psychologues lui avaient toutefois expliqué, le Gouvernement le reconnaît, que les rencontres se trouveraient facilitées si Lisa ne vivait pas sous la menace de devoir retourner chez sa mère à l'issue des instances judiciaires en cours. E. Refus du Conseil de statuer sur la question des visites Le 6 août 1985, avant de se désister de son recours, Cecilia Eriksson demanda au Conseil de l'autoriser à rendre visite à sa fille une fin de semaine sur deux. Il décida, le 16 août 1985, "de ne pas statuer pour le moment sur les visites ni sur leur fréquence". Il relevait que, faute d'une disposition légale lui permettant de se prononcer en la matière, il ne pouvait fournir aucune indication sur les voies de recours. F. Troisième série de procédures contre l'interdiction de retrait Le 15 janvier 1987, Cecilia Eriksson invita derechef le Conseil à lever l'interdiction de retrait. Le 13 mars 1987, il résolut d'étudier les conséquences d'une telle mesure pour Lisa. Le 21 mai 1987, la clinique psychiatrique lui adressa un rapport, signé par Mme Essving-Levay et une psychologue agréée, Mme Anne Christiansson, où figurait le passage suivant: "Comment, à notre avis, Lisa réagira-t-elle à un éventuel transfert chez Cecilia? Elle régressera. Elle risque fort de régresser au point de perdre contact avec la réalité, autrement dit de devenir psychotique, état très difficile à traiter et de nature à perdurer selon toute probabilité. Par exemple, elle se repliera sur elle-même et ne s'adaptera pas au monde environnant. Elle ne pourra fréquenter l'école, préoccupée qu'elle sera par ses angoisses et son chaos intérieur. Si on la reprend à ses parents nourriciers, elle le ressentira comme une profonde trahison de leur part. Notre pronostic pessimiste s'appuie sur des éléments et réactions apparus pendant la thérapie de Lisa. La fillette est faible, manque de confiance et n'a pas assez de ressort pour faire face à une séparation. Nos conversations de cette année avec elle ont revêtu un caractère terrifiant. Elle affirme ne plus vouloir vivre si elle doit aller chez Cecilia. Depuis de nombreuses années, elle vit dans la crainte d'être enlevée à son foyer par Cecilia. Selon nous, Lisa doit pouvoir rester définitivement dans sa famille d'accueil. Si on l'en sépare pour la transférer chez Cecilia, il existera un risque non négligeable de voir sa santé mentale en pâtir irrémédiablement, à quoi s'ajoutera un danger pour sa vie même." Le 5 juin 1987, le Conseil décida de ne pas lever l'interdiction de retrait. Cecilia Eriksson introduisit alors un recours devant le tribunal administratif départemental de Stockholm, lui demandant en même temps de lui rendre immédiatement Lisa en vertu du chapitre 21, article 7, du code parental (paragraphe 49 ci-dessous). Après avoir tenu audience le 26 août 1987, le tribunal désigna comme expert (sakkunnig) un psychologue qui n'avait pas pris part à l'enquête antérieure. Sa décision renfermait les observations suivantes: "Le problème, pour le tribunal, est que la législation en vigueur ne reflète pas tout à fait les principes fondamentaux les plus récents généralement reconnus dans les sciences de la médecine et du comportement, à savoir qu'un enfant dans la situation de Lisa ne devrait jamais être renvoyé auprès de son parent, même investi de la garde. Telle que l'ont interprétée notamment certaines juridictions supérieures, elle implique en réalité l'existence d'un seuil de tolérance très élevé quant aux souffrances et aux risques auxquels on peut exposer un enfant en le renvoyant chez son parent soit dans le cadre de visites, soit à titre définitif. Ce seuil peut être abaissé si l'on estime graves, et/ou probablement durables, les dangers que le regroupement fera courir à la santé et au développement futur de l'enfant. Cette appréciation juridique doit aussi tenir compte de la santé de l'enfant avant le regroupement. De l'avis du tribunal, il serait exact de dire que la législation en vigueur reconnaît encore aux parents le droit d'élever eux-mêmes leurs enfants et d'en prendre soin dans une plus large mesure que ne le font les sciences contemporaines de la médecine et du comportement, soucieuses du seul bien-être de l'enfant. En examinant le dossier, le tribunal doit donc mettre en balance le droit de Cecilia Eriksson à vivre auprès de Lisa et à l'élever avec les risques auxquels on exposera la santé et le développement de la seconde si l'on répond aux légitimes revendications de la première." Le 15 juin 1988, le tribunal rejeta tant le recours contre l'interdiction de retrait que la demande présentée en vertu du code parental. Dans son jugement, il déclara notamment: "Aux yeux du tribunal, il va de soi que le Conseil social de district doit répondre à des exigences élevées lorsqu'il décide des mesures propres à faciliter les rencontres entre Cecilia et Lisa pour ouvrir la voie à un regroupement. Les tensions qui ont existé entre les intéressés, les autorités et le personnel chargé de la thérapie ne constituent par conséquent pas une excuse. La passivité du Conseil ressort, par exemple, du fait qu'il n'a pas réagi à la dégradation des rapports entre Cecilia Eriksson et Söderling-Gard [une conseillère familiale engagée par le Conseil]. Söderling-Gard a exprimé l'avis que Cecilia Eriksson ne devrait jamais récupérer Lisa et sa tâche consistait à essayer de l'en convaincre (...). Il est frappant que dans de telles circonstances, qu'il devait connaître de longue date, le Conseil n'ait adopté aucune mesure soit pour amener Söderling-Gard à se comporter elle-même conformément à l'arrêt de la Cour administrative suprême, soit pour engager quelqu'un d'autre à cette fin. Le Conseil n'a pris aucune des mesures positives voulues pour favoriser efficacement les visites et la réunion de la famille. Il a au contraire contribué de la sorte à réduire les possibilités de lever l'interdiction de retrait. Sa relative passivité a eu pour résultat de rendre celle-ci auto-exécutoire." Cecilia Eriksson attaqua le jugement devant la cour administrative d'appel, qui la débouta le 31 octobre 1988. Le 9 décembre 1988, la Cour administrative suprême lui refusa l'autorisation de recourir contre ce dernier arrêt. G. Demande de transfert de la garde aux parents nourriciers Le Conseil intenta devant le tribunal de première instance (tingsrätten) de Sjuhäradsbygden une action en transfert de la garde de Lisa aux parents nourriciers, sur la base du chapitre 6, article 8, du code parental (paragraphe 50 ci-dessous). Le tribunal tint audience le 10 octobre 1987, puis ordonna au Conseil social compétent de formuler un avis. En outre, il rejeta une demande par laquelle le Conseil l'invitait à prononcer pareil transfert à titre provisoire en attendant de statuer au principal. H. Précisions concernant les contacts entre les requérants Du début à la fin de la prise en charge (1978-1983), il y eut au total huit rencontres entre Cecilia Eriksson et Lisa. Par la suite et jusqu'en septembre 1987, on en compta 29 selon le Gouvernement et 25 d'après Cecilia Eriksson: six en 1983, cinq en 1984, cinq en 1985, neuf en 1986 et au moins quatre en 1987 (selon le Gouvernement). Cecilia Eriksson prétend que quatre d'entre elles seulement, de deux heures chacune, se déroulèrent sans la surveillance des parents nourriciers, de travailleurs sociaux ou des deux. II. DROIT INTERNE PERTINENT A. La loi de 1980 sur les services sociaux et la loi de 1980 portant dispositions spéciales sur l'assistance aux adolescents Depuis le 1er janvier 1982, les règles fondamentales relatives aux responsabilités de la puissance publique envers les jeunes figurent dans la loi sur les services sociaux, laquelle prévoit des mesures de soutien et de prévention adoptées avec l'accord des intéressés. Les décisions arrêtées en vertu de la législation antérieure, la loi de 1960 sur la protection de l'enfance, et qui demeuraient en vigueur au 31 décembre 1981, ont été réputées se fonder sur la nouvelle législation, qu'il s'agisse de la loi sur les services sociaux ou de la loi de 1980 portant dispositions spéciales sur l'assistance aux adolescents. Prise en charge d'office Quand les parents n'acceptent pas les mesures nécessaires, la loi de 1980 permet d'ordonner une prise en charge d'office. Aux termes de son article 1 paras. 1 et 2, "Une personne de moins de dix-huit ans doit être prise en charge par l'autorité en vertu de la présente loi si l'on peut présumer que les soins nécessaires ne peuvent lui être assurés avec le consentement de la ou des personnes qui en ont la garde et, s'il s'agit d'un adolescent de quinze ans ou plus, avec le sien. Un jeune doit bénéficier d'une telle prise en charge si sa santé ou son développement se trouvent en danger faute de soins ou en raison d'une autre circonstance propre à sa famille; s'il compromet gravement sa santé ou son développement par l'abus d'agents formateurs d'habitudes, un comportement criminel ou toute autre attitude comparable." Il incombe au premier chef à chaque municipalité de promouvoir un développement favorable chez les jeunes. A cette fin, elle est dotée d'un conseil social de district, composé de non-spécialistes assistés de travailleurs sociaux professionnels. Si le Conseil estime nécessaire la prise en charge d'un enfant, la loi de 1980 précise qu'il doit demander au tribunal administratif départemental de la prononcer. La décision du tribunal peut être attaquée devant la cour administrative d'appel et il existe une possibilité de recours ultérieur à la Cour administrative suprême moyennant l'autorisation de celle-ci. Une fois rendue l'ordonnance de prise en charge, le Conseil doit l'exécuter et s'occuper des détails d'ordre pratique: lieu de placement de l'enfant, instruction et autres soins à lui dispenser, etc. D'après la loi, la prise en charge doit se dérouler de manière à permettre à l'enfant de conserver un contact étroit avec sa famille et de lui rendre visite à son domicile. Cette exigence signifie parfois qu'après une certaine période il retournera chez lui pour y résider, bien que restant officiellement sous assistance. L'article 16 de la loi de 1980 habilite le Conseil à réglementer les visites des parents aux enfants, et vice versa, et à ne pas révéler aux premiers le lieu où séjournent les seconds. Contre de telles décisions en la matière, les intéressés disposent d'un recours devant les juridictions administratives. L'article 5 oblige le Conseil à surveiller de près le traitement des enfants ayant fait l'objet d'une telle prise en charge et à "mettre fin à [celle-ci] lorsqu'elle n'est plus nécessaire." Interdiction de reprendre l'enfant L'article 28 par. 1 de la loi sur les services sociaux habilite le Conseil à interdire le retrait de l'enfant: "Le Conseil social peut, pour une période donnée ou jusqu'à nouvel ordre, interdire à la personne investie de la garde de retirer un mineur du foyer visé à l'article 25 [c'est-à-dire un foyer d'accueil] s'il existe un risque non négligeable de nuire à la santé physique ou mentale de l'enfant en le séparant de son foyer d'accueil. S'il y a des raisons plausibles de croire à pareil risque avant même l'achèvement de l'enquête nécessaire, une interdiction temporaire peut être prononcée pour quatre semaines au plus, dans l'attente de la décision définitive. Une interdiction prononcée en vertu du présent article n'empêche pas de retirer un enfant de son foyer d'accueil en application d'une décision rendue au titre du chapitre 21 du code parental." Le projet de loi précisait qu'une perturbation passagère ou tout autre inconvénient occasionnel pour l'enfant ne suffirait pas à justifier une interdiction de retrait (1979/80:1, p. 541). Il ajoutait que parmi les facteurs à considérer figureraient l'âge de l'enfant, son degré de développement, sa personnalité et ses liens affectifs, ses conditions de vie actuelles et futures, la durée de sa séparation d'avec ses parents et les contacts qu'il aurait eus alors avec eux. S'il avait quinze ans ou davantage, il faudrait de bonnes raisons pour aller à l'encontre de ses préférences, mais même celles d'enfants plus jeunes devraient compter. La commission parlementaire permanente des questions sociales déclara dans son rapport (SOU 1979/80:44, p. 78), notamment, que l'on pourrait prononcer une telle interdiction dans l'hypothèse où un retrait risquerait de nuire à la santé physique ou mentale de l'enfant, donc même en l'absence de critiques sérieuses contre le titulaire de la garde. Elle souligna en outre que la disposition en cause visait à protéger les intérêts de l'enfant, lesquels devaient prévaloir, en cas de conflit, sur ceux du titulaire de la garde quant au choix du domicile du premier. Elle partit aussi de l'idée qu'une séparation risquait en général de porter préjudice à l'enfant. Des transferts répétés ou intervenant après une longue période, quand l'enfant aurait noué des liens étroits avec la famille d'accueil, ne pouvaient donc être acceptés sans de solides raisons. Le besoin, pour l'enfant, de relations sereines et de conditions de vie sûres devait constituer l'élément déterminant. L'article 28 ne vaut pas pour les enfants confiés à des familles d'accueil en vertu de l'article 1 de la loi de 1980. Le droit du titulaire de la garde à fixer le domicile de l'enfant se trouve suspendu durant pareil placement. Il renaît en principe à la fin de ce dernier, mais les services sociaux peuvent le suspendre à nouveau en application de l'article 28. Selon l'article 73 de la loi sur les services sociaux, une décision adoptée sur la base de l'article 28 peut être attaquée devant les juridictions administratives. Outre les parents par le sang, l'enfant et les parents nourriciers se voient en pratique autorisés à introduire un tel recours. La juridiction compétente peut désigner un curateur ad litem chargé de défendre les intérêts de l'enfant au cas où ils entreraient en conflit avec ceux du titulaire de la garde. Dans un récent arrêt (n° 2377 du 18 juillet 1988), la Cour administrative suprême a déclaré sans effet juridique, et insusceptible de recours contentieux administratif, une décision du Conseil restreignant le droit de visite des requérants, M. et Mme Olsson, pendant la période de validité d'une interdiction de retrait prononcée en vertu de l'article 28 de la loi sur les services sociaux. Elle a relevé: "Aux termes de l'article 16 de la [loi de 1980] (...), un Conseil peut limiter le droit de visite à l'égard d'enfants pris en charge par l'autorité publique en application de la loi. La législation pertinente ne lui attribue aucun pouvoir analogue sous l'empire d'une interdiction de retrait. Partant, les instructions données par le président du Conseil pour limiter le droit de visite n'ont aucun effet juridique et aucun droit de recours ne peut se déduire des principes généraux de droit administratif, ni de la Convention européenne des Droits de l'Homme." B. Le code parental Le chapitre 21 du code parental régit l'exécution des jugements ou décisions relatifs à la garde et autres questions voisines. D'après l'article 1, le tribunal administratif départemental connaît des actions tendant à l'exécution des jugements ou décisions des juridictions ordinaires en matière de garde ou de remise d'enfants ainsi que de visites à ces derniers. L'article 5 précise que l'exécution ne peut avoir lieu contre le gré d'un enfant de douze ans ou plus, sauf si le tribunal administratif départemental la croit nécessaire dans l'intérêt de celui-ci. Aux termes de l'article 7, si l'enfant habite chez un tiers la personne investie de la garde peut, même en l'absence de jugement ou décision au sens de l'article 1, demander au tribunal administratif départemental de le lui confier. Pareille mesure peut être refusée si l'intérêt de l'enfant exige l'examen de la question de la garde par une juridiction ordinaire. Pour statuer en vertu de ce texte, le tribunal respecte aussi les conditions de l'article 5 (paragraphe 48 ci-dessus). Le chapitre 6 du code parental habilite le Conseil, dans certains cas, à inviter les juridictions ordinaires à substituer aux parents, pour l'exercice de la garde, les personnes qui s'occupent en fait de l'enfant. L'article 8 dispose: "Si un enfant a toujours été pris en charge et élevé dans un foyer familial autre que celui de ses parents et si son intérêt milite à l'évidence pour le maintien des rapports existants et pour le transfert de la garde aux personnes qui l'ont reçu, ou à l'une d'elles, le tribunal désigne la ou lesdites personnes pour exercer la garde en qualité de tuteur(s) ad hoc." En dehors de l'adoption, pareil transfert est la mesure la plus rigoureuse qui s'offre contre les parents par le sang. Ils conservent certains droits et obligations, tels le droit de visite et l'obligation alimentaire, mais leur qualité juridique de titulaires de la garde passe définitivement aux parents nourriciers. Un rapport de la Commission des questions sociales (socialberedningen), créée par le gouvernement, préconise de coordonner prise en charge d'office et interdiction de retrait, afin d'éviter une double procédure (SOU 1986:20). Un enquêteur ad hoc nommé par le gouvernement a formulé une suggestion analogue dans un rapport présenté en avril 1987 (Ds S 1987:3). PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION Dans leur requête du 7 décembre 1984 à la Commission (n° 11373/85), Mme Cecilia Eriksson et sa fille Lisa alléguaient des violations des articles 6 par. 1, 8 et 13 (art. 6-1, art. 8, art. 13) de la Convention et 2 du Protocole n° 1 (P1-2). Elles prétendaient aussi qu'au mépris de l'article 25 (art. 25) de la Convention, il y avait eu entrave à l'exercice de leur droit de saisir la Commission, les autorités internes ayant décidé de ne pas leur accorder l'assistance judiciaire pour l'introduction de leur requête. Le 11 mai 1987, la Commission a retenu cette dernière tout en décidant de ne prendre aucune mesure quant au grief tiré de l'article 25 (art. 25). Dans son rapport du 14 juillet 1988 (article 31) (art. 31), elle arrive à la conclusion: - par huit voix contre deux, qu'il y a eu infraction à l'article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention en ce qui concerne le droit de visite à Lisa (paragraphe 26 ci-dessus); - par neuf voix contre une, que les droits des deux requérantes au titre de l'article 8 (art. 8) ont été méconnus; - à l'unanimité, que pour le surplus il n'y a eu violation ni de la Convention ni du Protocole n° 1. Le texte intégral de son avis et des opinions, dissidente et concordante, dont il s'accompagne figure en annexe au présent arrêt.
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I. LES CIRCONSTANCES DE L'ESPÈCE A. Quant à M. Fox et Mme Campbell Les deux premiers requérants, M. Bernard Fox et Mme Maire Campbell, sont mari et femme mais ne vivent plus ensemble. Ils résident à Belfast, en Irlande du Nord. Le 5 février 1986, la police les y appréhenda et les emmena au commissariat de la Royal Ulster Constabulary (R.U.C.) de Woodbourne, où eut lieu une fouille complète du véhicule dans lequel ils voyageaient. Vingt-cinq minutes après leur arrivée, soit à 15 h 40, ils furent mis en état d'arrestation en vertu de l'article 11 § 1 de la loi de 1978 sur l'état d'urgence en Irlande du Nord (Northern Ireland (Emergency Provisions) Act, "la loi de 1978", paragraphe 16 ci-dessous). On les informa que leur arrestation se fondait sur ce texte, le policier compétent les soupçonnant de terrorisme. On leur dit aussi qu'ils pouvaient demeurer détenus pendant 72 heures. On les conduisit alors au commissariat de Castlereagh où la police les interrogea, séparément, de 20 h 15 à 22 h. Soupçonnés d'avoir participé le jour même à des activités de renseignement et de messagerie au bénéfice de l'Armée républicaine irlandaise provisoire ("l'I.R.A. provisoire"), ils durent s'expliquer sur ce point pendant leur détention. On les questionna en outre au sujet de leur appartenance présumée à ladite organisation. D'après le Gouvernement, lorsqu'elle intercepta leur voiture la police possédait déjà les renseignements à la base des soupçons pesant sur eux. Ils ne furent inculpés d'aucune infraction. M. Fox recouvra la liberté le 7 février 1986 à 11 h 40, Mme Campbell cinq minutes plus tard. Sans compter le temps mis à les amener au commissariat, ils avaient donc été détenus respectivement 44 heures et 44 heures et 5 minutes. Au moment de leur arrestation, on leur montra la notice destinée aux personnes en garde à vue et décrivant leurs droits. On ne les traduisit pas devant un juge et ils n'eurent pas l'occasion de solliciter leur élargissement sous caution. Le 6 février ils engagèrent tous deux une procédure d'habeas corpus, mais on les relâcha avant qu'un juge eût examiné leur demande. En 1979 M. Fox avait été condamné, pour plusieurs infractions à la législation sur les explosifs et appartenance à l'I.R.A., à des peines (non cumulées) de 12 et 5 ans de prison respectivement, Mme Campbell à 18 mois avec sursis pour avoir trempé dans des infractions à ladite législation. B. Quant à M. Hartley Le troisième requérant, M. Samuel Hartley, réside à Waterfoot, dans le comté d'Antrim en Irlande du Nord. Le 18 août 1986 à 7 h 55, la police l'appréhenda chez lui en présence de ses parents; elle l'informa d'emblée qu'il était arrêté en vertu de l'article 11 § 1 de la loi de 1978, parce que soupçonné de terrorisme. Elle l'emmena au commissariat d'Antrim, où elle lui remit dès son arrivée une copie de la notice destinée aux personnes en garde à vue. Elle l'y interrogea de 11 h 05 à 12 h 15. On le soupçonnait d'avoir été mêlé à un rapt qui avait eu lieu à Ballymena plus tôt dans le mois et au cours duquel des hommes masqués et armés, présumés avoir des rapports avec l'I.R.A. provisoire, avaient enlevé un jeune homme et une jeune femme. L'enlèvement avait eu pour but, pensait-on, de contraindre la jeune femme à retirer une allégation de viol formulée par elle l'année précédente et qui avait valu à une personne une condamnation à trois ans d'emprisonnement. Le Gouvernement a déclaré à l'audience devant la Commission que d'après le compte rendu du premier interrogatoire de M. Hartley, ce dernier fut questionné au sujet d'activités terroristes menées dans un espace géographique restreint et bien défini ainsi que de ses accointances avec l'I.R.A. provisoire. Le compte rendu n'en dit pas davantage, mais la zone dont il s'agit correspond à celle du rapt. M. Hartley nia toute participation à celui-ci, mais il n'a pas démenti l'affirmation du Gouvernement selon laquelle on l'avait interrogé à ce propos. Il ne fit l'objet d'aucune inculpation. On le relâcha le 19 août 1986 à 14 h 10, après 30 heures et 15 minutes. Il n'intenta aucune action du chef de son arrestation ou de sa détention. II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS A. Introduction La population de l'Irlande du Nord - un million et demi d'âmes - a subi ces vingt dernières années une campagne de terrorisme (arrêt Irlande c. Royaume-Uni du 18 janvier 1978, série A n° 25, pp. 9-31, §§ 11-77, et arrêt Brogan et autres du 29 novembre 1988, série A n° 145-B, p. 21, § 25) qui s'est traduite par plus de 2.750 tués, dont près de 800 membres des forces de l'ordre, ainsi que par 31.900 mutilés ou blessés, et a fini par s'étendre au reste du Royaume-Uni et au continent européen. Une législation spéciale a cherché à remédier à la situation. Ont notamment été édictées la loi de 1978 et ses devancières, à savoir la loi de 1973 sur l'état d'urgence en Irlande du Nord (Northern Ireland (Emergency Provisions) Act, "la loi de 1973") et celle de 1975 la modifiant (Northern Ireland (Emergency Provisions) (Amendment) Act, "la loi de 1975"), destinées à aider les forces de sécurité à mieux combattre la menace du terrorisme. B. L'article 11 de la loi de 1978 Abrogé en 1978, l'article 11 de la loi de 1978 instituait, entre autres, un pouvoir d'arrestation. Ses clauses pertinentes étaient ainsi libellées: "1. Tout agent de police peut arrêter sans mandat toute personne qu'il soupçonne de terrorisme. (...) Une personne arrêtée en vertu du présent article ne peut demeurer en garde à vue plus de soixante-douze heures; ne s'appliquent pas à elle les articles 132 de la loi de 1964 sur les Magistrates' Courts en Irlande du Nord et l'article 50 § 3 de la loi de 1968 sur l'enfance et la jeunesse en Irlande du Nord (obligation de traduire toute personne arrêtée devant une Magistrates' Court dans les quarante-huit heures de l'arrestation)." Le paragraphe 2 permettait de pénétrer dans les lieux où se trouvait, ou était supposé se trouver, un terroriste présumé et d'y perquisitionner. Aux termes du paragraphe 4, un agent de police pouvait photographier les personnes arrêtées en vertu de l'article 11 et prendre leurs empreintes digitales et palmaires. L'article 31 § 1 de la loi de 1978 définit le "terroriste" comme "toute personne impliquée dans la commission ou tentative de commission de tout acte de terrorisme ou dans la direction, l'organisation ou l'entraînement de personnes pour les besoins du terrorisme", le terrorisme comme "le recours à la violence à des fins politiques, et notamment dans le dessein d'effrayer l'ensemble ou une partie de la population." L'article 21 et l'annexe 2 de la loi de 1978 proscrivent certaines organisations, dont l'I.R.A. (y compris l'I.R.A. provisoire). Se rend coupable d'infraction quiconque appartient ou déclare appartenir à une telle organisation, recherche pour elle des appuis ou en suscite, lui apporte ou reçoit sciemment pour elle une contribution, pousse ou invite à y adhérer ou exécute en son nom des ordres, directives ou demandes émanant d'un de ses membres. Les pouvoirs d'arrestation et de détention définis à l'article 11 de la loi de 1978 constituaient à l'origine un élément du système de garde à vue créé par la loi de 1973 pour remplacer l'internement (arrêt Irlande c. Royaume-Uni précité, série A n° 25, pp. 38-39, § 88). Reconduit par les lois de 1975 et 1978, ce régime se trouvait aboli en 1980 à l'exception de l'article 11, qui servit désormais de base à un pouvoir autonome d'arrestation et de détention pour une période allant jusqu'à 72 heures. Depuis son adoption en 1973, la législation attribuant ledit pouvoir devait donner lieu à un réexamen périodique au Parlement. Ainsi, aux termes de l'article 33 de la loi de 1978 les dispositions dont il s'agit arrivaient à échéance tous les six mois; elles furent renouvelées chaque fois jusqu'à leur abrogation en 1987. En 1983, le ministre pour l'Irlande du Nord invita Sir George Baker, haut magistrat à la retraite, à étudier le jeu de la loi de 1978 afin de déterminer si elle ménageait un juste équilibre entre le maintien des libertés individuelles dans la mesure la plus large possible et l'octroi, aux forces de sécurité et aux tribunaux, de pouvoirs suffisants pour protéger la population des menées terroristes. Il en résulta une série de recommandations, énumérées dans un rapport publié en avril 1984 (Command Paper, Cmnd. 9222). Sir George Baker y énonçait les remarques suivantes: "263. D'une manière générale, il me paraît vain de remonter au-delà de 1973 pour faire des recommandations en 1984, mais pour comprendre les clauses de la [loi de 1978] en matière d'arrestation et de détention il convient de rappeler que le décret n° 10 édicté en vertu de la loi de 1922 sur les pouvoirs d'exception en Irlande du Nord (Special Powers Act (Northern Ireland)) précisait: 'Pour préserver la paix et l'ordre, tout membre de la R.U.C. peut autoriser l'arrestation sans mandat et la détention, pendant 48 heures au maximum, de toute personne aux fins d'interrogatoire.' (souligné par moi) Ce pouvoir général d'arrestation aux fins d'interrogatoire ne disparut pas complètement quand Westminster abrogea la loi sur les pouvoirs d'exception. Il fut redéfini et en partie réinstauré par la [loi de 1978] et les P.T.A. [lois de 1974 et 1976 portant dispositions temporaires relatives à la prévention du terrorisme], mais les mots 'aux fins d'interrogatoire' ne figurent nulle part dans ces textes; on ne peut que les en inférer. De nombreuses critiques s'élèvent contre le recours prétendument illégal à l'arrestation pour 'recueillir des informations', se procurer des renseignements d'importance secondaire ou se livrer à des manoeuvres de harcèlement. Peut-être vaudrait-il mieux consacrer explicitement dans la loi le pouvoir de la R.U.C., en l'entourant bien sûr des contrôles appropriés. Dans R. c. Houghton, devant la chambre criminelle de la Court of Appeal anglaise, le juge Lawton a estimé que la police jouissait d'un tel pouvoir en vertu des P.T.A. (Criminal Appeal Reports 1987, p. 197). 264. Contrairement aux dispositions de la [loi de 1978] qui traitent des procès pour infractions de caractère terroriste et n'exigent pas une dérogation à l'article 6 (art. 6) de la Convention européenne, celles qui concernent les pouvoirs d'arrestation semblent méconnaître les règles minimales de l'article 5 (art. 5). Aussi le Royaume-Uni a-t-il formulé un avis de dérogation au titre de l'article 15 (art. 15). L'article 5 § 1 c) (art. 5-1-c) requiert des soupçons plausibles qu'un individu a commis une infraction et une arrestation opérée afin de conduire l'intéressé devant l'autorité judiciaire compétente. L'article 11 [de la loi de 1978] ne prescrit rien de tel et il ne doit même pas y avoir infraction. (...) Toute action propre à éviter que le Royaume-Uni n'ait à invoquer l'avis de dérogation pour excuser des violations de la Convention est souhaitable. (...) Soupçons ou soupçons plausibles 280. Seul un juriste ou un législateur soupçonnerait (ou soupçonnerait raisonnablement?) une différence, mais il y en a une car selon la jurisprudence, que j'approuve, le Parlement a dû agir à dessein en utilisant les deux expressions. L'article 11 se contente d'un critère subjectif: le policier éprouvait-il des soupçons? S'il soupçonnait sincèrement et véritablement de terrorisme la personne arrêtée, il n'appartient pas à un tribunal d'examiner plus avant l'exercice du pouvoir en cause. En revanche, là où la loi requiert des soupçons plausibles le contrôle de leur plausibilité relève des tribunaux. Il y a là un critère objectif. Le tribunal peut se pencher sur les faits d'où naissent les soupçons, pour déterminer s'ils sont de nature à fournir des raisons plausibles. Des soupçons plausibles ne représentent eux-mêmes pas autant que les éléments nécessaires pour constituer un commencement de preuve ('prima facie case'). Des preuves par ouï-dire (hearsay) peuvent justifier des soupçons plausibles, mais ne pas suffire à fonder une inculpation. 281. J'entrevois un seul danger si l'on exige la plausibilité des soupçons: les faits les motivant peuvent avoir été signalés par une source confidentielle que l'on ne peut dévoiler devant un tribunal dans une instance civile pour arrestation arbitraire. Pourtant, l'article 12 de la P.T.A., auquel la R.U.C. a recouru plus souvent en 1982 et 1983, énonce cette condition de plausibilité. Les chiffres relatifs aux arrestations sont les suivants: Au titre de l'art. 11 Au titre de l'art. 12 [de la loi de 1978] de la P.T.A. 1982 1.902 828 1983 (au 1er octobre) 964 883 (...) Critère employé pour choisir entre les deux possibilités dans un cas donné: le temps pendant lequel la personne à arrêter peut demeurer détenue. (...) 283. Je n'ai reçu aucune indication me donnant à penser que l'existence de simples soupçons, et non de soupçons plausibles, ait jamais joué un rôle dans la décision d'opter pour l'article 11 de préférence à l'article 12; plusieurs officiers supérieurs de police m'ont même affirmé que cet élément ne les influencerait pas. En outre, si je comprends bien on enseigne aujourd'hui aux policiers qu'ils doivent, pour arrêter un terroriste présumé, nourrir des soupçons semblables à ceux exigés pour toute autre infraction. Je conclus, dès lors, qu'ils ne devraient pas pouvoir procéder à une arrestation sans mandat en l'absence de soupçons plausibles; il faudrait le spécifier dans les textes relatifs aux nouveaux pouvoirs d'arrestation que je propose à la place de l'article 11 § 1 et à l'article 13 § 1. (...) 285. Le policier qui opère une arrestation en vertu de l'article 11 n'a pas besoin de mentionner une infraction précise ni d'informer le suspect des raisons de l'arrestation comme le voudrait la common law, d'après laquelle 'tout citoyen a le droit de savoir sur la base de quelle accusation ou de quel soupçon de quel crime on se saisit de lui'. Il lui suffit de dire à l'intéressé qu'il l'appréhende en vertu de cet article parce qu'il le soupçonne de terrorisme. (...)" L'exercice du pouvoir prévu à l'article 11 § 1 a été examiné par la Chambre des Lords dans l'affaire McKee c. Chief Constable for Northern Ireland (All England Law Reports 1985, vol. 1, pp. 1-4). La haute juridiction a considéré que la régularité de la mesure dépendait de l'état d'esprit du policier concerné: ce dernier devait soupçonner de terrorisme la personne appréhendée par lui, sans quoi l'arrestation était illégale; il pouvait fonder ses soupçons sur des renseignements reçus de son supérieur, mais non procéder à une arrestation en vertu de l'article 11 sur les instructions d'un supérieur éprouvant les soupçons nécessaires s'il ne les partageait pas lui-même. Lord Roskill, avec qui les autres Lords marquèrent leur accord, déclara que les soupçons pouvaient ne pas reposer sur des raisons plausibles, mais devaient être sincères. L'existence de soupçons chez un policier étant un critère subjectif, les tribunaux ne pouvaient en contrôler que la sincérité; les seules questions à trancher consistaient à savoir si le policier nourrissait des soupçons et cela sincèrement. En outre, une arrestation sans mandat obéit aux règles de common law énoncées par la Chambre des Lords dans l'affaire Christie c. Leachinsky (Appeal Cases 1947, pp. 587 et 600). L'intéressé doit être informé du motif exact de son arrestation, dans un langage qu'il comprend, normalement dès sa mise en garde à vue ou, si des circonstances particulières le justifient, dès que possible par la suite. Il se trouve régulièrement arrêté au titre de l'article 11 § 1 de la loi de 1978 si on l'avise qu'il est appréhendé en vertu de ce texte au motif qu'on le soupçonne de terrorisme (affaires McElduff, Northern Ireland Reports 1972, vol. 1, et McKee c. Chief Constable, loc. cit.). L'article 6 de la loi de 1987 sur l'état d'urgence en Irlande du Nord (Northern Ireland (Emergency Provisions) Act), entrée en vigueur le 15 juin 1987 et postérieure aux faits de la présente cause, a remplacé l'article 11 § 1 de la loi de 1978. Il se borne à conférer le pouvoir de pénétrer dans certains locaux et d'y perquisitionner afin d'arrêter des personnes sur la base de l'article 12 de la loi de 1984 portant dispositions provisoires en matière de prévention du terrorisme (Prevention of Terrorism (Temporary Provisions) Act - arrêt Brogan et autres précité, série A n° 145-B, p. 22, § 30) et, à l'heure actuelle, de l'article 14 de la loi de 1989 de même objet. Ces deux derniers articles limitent explicitement l'autorisation d'arrêter sans mandat aux cas où il y a des "raisons plausibles" de soupçon. C. Voies de recours Deux voies de recours s'ouvraient à quiconque estimait irrégulières son arrestation ou sa détention au titre de l'article 11: engager une action en habeas corpus (procédure par laquelle une personne privée de sa liberté peut demander d'urgence son élargissement); réclamer au civil des dommages-intérêts pour détention illégale (arrêt Brogan et autres précité, série A n° 145-B, p. 25, §§ 39-41). Dans les deux hypothèses, le contrôle de légalité portait sur des questions de procédure telles que celles de savoir si l'intéressé avait été bien informé des motifs réels de son arrestation (Christie c. Leachinsky, loc. cit.) et si les conditions de l'article 11 § 1 se trouvaient remplies. Ainsi qu'on l'a déjà relevé, le tribunal examinait non pas la plausibilité des soupçons ayant motivé l'arrestation, mais la sincérité des soupçons du policier (McKee c. Chief Constable, loc. cit.). PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION M. Fox et Mme Campbell ont saisi la Commission le 16 juin 1986 (requêtes n° 12244/86 et 12245/86), M. Hartley le 2 septembre suivant (requête n° 12383/86). Ils affirmaient tous trois que leur arrestation et leur détention avaient méconnu le paragraphe 1 de l'article 5 (art. 5-1) de la Convention et qu'il y avait eu aussi violation des paragraphes 2, 4 et 5 (art. 5-2, art. 5-4, art. 5-5). Ils alléguaient de surcroît qu'au mépris de l'article 13 (art. 13), ils n'avaient disposé d'aucun recours effectif devant une "instance" nationale pour l'examen de leurs griefs. Le 11 décembre 1986, la Commission a ordonné la jonction des requêtes en vertu de l'article 29 de son règlement intérieur; elle a retenu l'affaire le 10 mai 1988. Dans son rapport du 4 mai 1989 (article 31) (art. 31), elle relève qu'il y a eu, dans le chef de chacun des requérants, infraction aux paragraphes 1, 2 et 5 de l'article 5 (art. 5-1, art. 5-2, art. 5-5) (7 voix contre 5) mais non au paragraphe 4 (art. 5-4) (9 voix contre 3). Elle estime en outre que nulle question distincte ne se pose sous l'angle de l'article 13 (art. 13) (unanimité). Le texte intégral de son avis et des opinions séparées dont il s'accompagne figure en annexe au présent arrêt. CONCLUSIONS PRESENTEES A LA COUR À l'audience publique du 26 mars 1990, le Gouvernement a confirmé en substance les conclusions de son mémoire. Elles invitaient la Cour "à décider et déclarer, pour chacun des trois requérants, que les faits ne révèlent aucune infraction aux paragraphes 1, 2, 4 ou 5 de l'article 5 (art. 5-1, art. 5-2, art. 5-4, art. 5-5) de la Convention; qu'ils ne révèlent aucune violation de l'article 13 (art. 13) ou, en ordre subsidiaire, que nulle question distincte ne se pose au regard de ce texte". De leur côté, les requérants ont maintenu en substance les conclusions de leur mémoire, lesquelles demandaient à la Cour "de décider et déclarer, pour chacun [d'eux], que les faits révèlent une infraction aux paragraphes 1, 2, 4 et 5 de l'article 5 (art. 5-1, art. 5-2, art. 5-4, art. 5-5) de la Convention; qu'ils révèlent une violation de l'article 13 (art. 13)".
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Citoyen français né en Guadeloupe, M. Michel Sophie Delta y réside aujourd’hui après avoir séjourné un certain temps en métropole. A. L’enquête de police Le 29 mars 1983 à 18 h 40, une jeune fille de seize ans, Mlle Poggi, se trouvait avec une amie du même âge, Mlle Blin, dans une station du métro de Paris. Deux individus de couleur les accostèrent; l’un d’eux ravit à Mlle Poggi une chaîne et un crucifix en or qu’elle portait au cou, puis s’enfuit vers la sortie. Les deux jeunes filles s’étant aussitôt rendues au commissariat central du 12e arrondissement, le gardien de la paix Bonci, accompagné par elles, interpella M. Delta à 19 h dans un immeuble situé à la bouche du métro. La victime et son amie affirmèrent d’emblée le reconnaître. Cependant, la fouille du suspect puis des locaux ne donna aucun résultat. Conduit au commissariat central du 12e arrondissement, le requérant fut interrogé à 20 h 40 par l’inspecteur principal Mercier, officier de police judiciaire, sur son état civil et ses moyens d’existence, puis placé en garde à vue. Le lendemain de 10 h à 10 h 20, l’inspecteur Duban, lui aussi officier de police judiciaire, l’entendit sur les faits. M. Delta déclara que quatre individus l’avaient attaqué vers 18 h 30, le pourchassant jusque dans le métro et lui dérobant un briquet et 100 francs. Il avança l’hypothèse que l’un d’eux avait pu perpétrer le vol au moment où les deux jeunes filles passaient par là. Il attribua sa fuite à la peur que lui avaient inspirée lesdits individus. Ensuite, mais à une heure non précisée dans le procès-verbal, l’inspecteur Duban ouït les deux jeunes filles séparément, chacune en présence de sa mère. Elles confirmèrent que la personne interpellée était bien l’auteur du méfait. La victime déposa plainte pour vol avec violences. M. Delta ne fut jamais confronté avec Mlles Poggi et Blin. Le commissaire divisionnaire, chef de la 4e brigade territoriale, transmit le dossier au parquet. B. La procédure judiciaire Devant le tribunal correctionnel de Paris Le procureur de la République de Paris ne jugea pas nécessaire l’ouverture d’une instruction et utilisa donc la procédure de la saisine directe (articles 393 à 397-7 du code de procédure pénale, dans la version résultant de la loi "sécurité et liberté" du 2 février 1987). Le 31 mars 1983, M. Delta comparut devant la 23e chambre du tribunal correctionnel de Paris qui, par un jugement avant dire droit, ordonna une expertise psychiatrique et une enquête de personnalité; elle le plaça sous mandat de dépôt. Le 5 mai, elle lui infligea trois ans d’emprisonnement. Son jugement contenait les motifs suivants: "Attendu que les faits (vol avec violences en arrachant à la victime une chaîne de cou et un crucifix) [sont établis] par les témoignages recueillis[,] notamment par les déclarations du gardien de la paix Bonci venu témoigner à la barre sous la foi du serment, malgré les contestations du prévenu; [qu’]il convient de le retenir dans les liens de la prévention en le sanctionnant très sévèrement compte tenu de la nature de l’infraction commise avec violences; Attendu d’autre part que par jugement en date du 22 octobre 1981 Delta (...) a été condamné pour vol avec violences à la peine de deux ans d’emprisonnement par la cour d’appel de Paris, qu’il se trouve de ce fait en état de récidive légale au sens de l’article 58 du code pénal; (...)" Bien que dûment convoquées par le ministère public, les deux jeunes filles ne s’étaient pas présentées à la barre et n’en avaient pas indiqué les raisons. Le tribunal n’avait pris aucune mesure de contrainte fondée sur l’article 439 du code de procédure pénale (paragraphe 24 ci-dessous). Quant au prévenu, dont la défense avait incombé successivement à deux avocats stagiaires commis d’office, il n’avait point, par voie de conclusions écrites, proposé l’audition de témoins ni demandé un supplément d’information. Devant la cour d’appel de Paris Le condamné interjeta appel en se prétendant l’objet d’une confusion de personnes. Il demandait aussi expressément, en invoquant les articles 513, deuxième alinéa, du code de procédure pénale (paragraphe 25 ci-dessous) et 6 par. 3 d) de la Convention, la convocation de la victime, de la personne qui l’accompagnait et de deux témoins à décharge; il aurait lui-même pressé le concierge et un habitant de l’immeuble où il avait trouvé refuge d’alerter la police, craignant pour sa sécurité si ses poursuivants le rejoignaient. Le 28 septembre 1983, la cour d’appel de Paris (10e chambre) confirma en entier le jugement de première instance après avoir repoussé la demande d’audition de témoins en ces termes: "La demoiselle Poggi a, après l’arrestation du prévenu, déclaré que celui-ci était bien l’homme qui lui avait arraché la chaîne. Mlle Blin a, elle aussi, identifié Delta comme étant le coupable du vol à l’arraché dont Mlle Poggi a été victime. Ces déclarations donnent à la Cour l’intime conviction que le prévenu s’est rendu coupable des faits reprochés et rendent inutiles les auditions de témoins demandées." Devant la Cour de cassation M. Delta forma un pourvoi en alléguant la violation des articles 6 par. 3 d) (art. 6-3-d) de la Convention et 513 du code de procédure pénale. La Cour de cassation (chambre criminelle) rejeta le recours par un arrêt du 4 octobre 1984, ainsi motivé: "Attendu qu’il appert de l’arrêt attaqué que Delta, poursuivi pour vol avec violences, estimant être l’objet d’une confusion de personne, a déposé des conclusions tendant à voir ordonner par la cour l’audition de la victime et de témoins; que pour écarter cette demande, les juges du fond, après avoir analysé les dépositions, recueillies au cours de l’enquête, de la demoiselle Poggi, victime[,] et du témoin Bonci, ont énoncé que ‘ces déclarations donnent à la Cour l’intime conviction que le prévenu s’est rendu coupable des faits reprochés et rendent inutiles les auditions de témoins’ sollicitées; Attendu qu’en statuant ainsi, la Cour, loin de violer les dispositions de la Convention européenne de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales, a donné une base légale à cette décision; Que, dès lors, le moyen qui se borne à tenter de remettre en cause l’appréciation souveraine par les juges d’appel de l’ensemble des éléments de preuve versés aux débats, ainsi que de l’opportunité d’ordonner un supplément d’information, ne saurait être accueilli; (...)" C. La libération du requérant M. Delta recouvra la liberté le 9 septembre 1985; sa détention avait duré un peu plus de deux ans et cinq mois. II. L’AUDITION DES TÉMOINS PAR LES JURIDICTIONS CORRECTIONNELLES DE JUGEMENT En droit français, l’audition des témoins par les juridictions correctionnelles de jugement obéit à un régime différent selon qu’elles statuent en première instance ou en appel. A. L’audition devant le tribunal correctionnel Les principales dispositions du code de procédure pénale applicables en la matière devant le tribunal correctionnel sont les suivantes: Article 437 "Toute personne citée pour être entendue comme témoin est tenue de comparaître, de prêter serment et de déposer." Article 438 "Le témoin qui ne comparaît pas ou qui refuse, soit de prêter serment, soit de faire sa déposition, peut être, sur réquisitions du ministère public, condamné par le tribunal à la peine portée à l’article 109." Article 439 "Si le témoin ne comparaît pas, et s’il n’a pas fait valoir un motif d’excuse reconnu valable et légitime, le tribunal peut, sur réquisitions du ministère public ou même d’office, ordonner que ce témoin soit immédiatement amené devant lui par la force publique pour y être entendu, ou renvoyer l’affaire à une prochaine audience. (...)." Article 442 "Avant de procéder à l’audition des témoins, le président interroge le prévenu et reçoit ses déclarations. Le ministère public ainsi que la partie civile et la défense, celles-ci par l’intermédiaire du président, peuvent lui poser des questions." Article 444 "Les témoins déposent ensuite séparément, soit sur les faits reprochés au prévenu, soit sur sa personnalité et sur sa moralité. Parmi les témoins cités, ceux qui sont produits par les parties poursuivantes sont entendus les premiers, sauf pour le président à régler lui-même souverainement l’ordre d’audition des témoins. Peuvent également, avec l’autorisation du tribunal, être admises à témoigner, les personnes proposées par les parties, qui sont présentes à l’ouverture des débats sans avoir été régulièrement citées." Article 452 "Les témoins déposent oralement. Toutefois ils peuvent, exceptionnellement, s’aider de documents avec l’autorisation du président." Article 454 "Après chaque déposition, le président pose au témoin les questions qu’il juge nécessaires et, s’il y a lieu, celles qui lui sont proposées par les parties. Le témoin peut se retirer après sa déposition, à moins que le président n’en décide autrement. Le ministère public, ainsi que la partie civile et le prévenu, peuvent demander et le président peut toujours ordonner, qu’un témoin se retire momentanément de la salle d’audience après sa déposition, pour y être introduit et entendu s’il y a lieu après d’autres dépositions avec ou sans confrontation." Article 455 "Au cours des débats le président fait, s’il est nécessaire, représenter au prévenu ou aux témoins les pièces à conviction et reçoit leurs observations." B. L’audition devant la cour d’appel Les règles de procédure édictées pour le tribunal correctionnel valent en principe aussi pour la cour d’appel. Elles subissent toutefois devant celle-ci une importante exception résultant du deuxième alinéa de l’article 513 du code de procédure pénale, ainsi libellé: "Les témoins ne sont entendus que si la cour a ordonné leur audition." Ce texte a donné lieu à une jurisprudence de la chambre criminelle de la Cour de cassation, laquelle paraît avoir opéré un revirement en 1989, donc après les faits de la cause. La jurisprudence jusqu’en 1989 La chambre criminelle a très tôt décidé que les juges d’appel n’étaient pas tenus d’ouïr à nouveau les témoins déjà entendus en première instance, même lorsque cette audition avait été demandée; elle les obligeait cependant à statuer sur les réquisitions prises et, en cas de refus, à en indiquer les motifs (30 octobre et 13 décembre 1890, Bulletin criminel (Bull.) no 212 et 253 ; 20 octobre 1892, Recueil périodique Dalloz (D.P.) 1894, I, p. 140; 13 janvier 1916, D.P. 1921, I, p. 63; 20 décembre 1955, Dalloz 1956, sommaires, p. 29). Si elles l’estimaient utile ou nécessaire, les juridictions d’appel pouvaient ordonner la comparution de témoins n’ayant pas déposé devant le tribunal correctionnel, mais elles motivaient suffisamment leur refus d’en convoquer si elles rendaient un arrêt déclarant qu’il n’y avait pas lieu à un supplément d’information (20 octobre 1892, Bull. no 212; 9 février 1924, Bull. no 70; 5 novembre 1975, Bull. no 237, p. 629). La jurisprudence depuis 1989 La doctrine de la chambre criminelle semble avoir nettement évolué avec un arrêt Randhawa du 12 janvier 1989: "Attendu qu’aux termes de l’article 6, paragraphe 3 d) (art. 6-3-d), de la Convention européenne de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales, ‘tout accusé a droit notamment à interroger ou faire interroger les témoins à charge’; qu’il en résulte que, sauf impossibilité, dont il leur appartient de préciser les causes, les juges d’appel sont tenus, lorsqu’ils en sont légalement requis, d’ordonner l’audition contradictoire des témoins à charge qui n’ont, à aucun stade de la procédure, été confrontés avec le prévenu; Attendu que Sarb Randhawa, prévenu de trafic de stupéfiants et infraction douanière, a déposé devant la cour d’appel des conclusions demandant que soient entendus contradictoirement les témoins Joris Suray et Catherine Guillaume qu’il avait fait citer et sur les dépositions desquels reposait exclusivement, selon ses dires, la déclaration de culpabilité; qu’il précisait qu’il n’avait pu à aucun moment de la procédure les faire interroger; Attendu que pour rejeter ces conclusions et bien qu’il fonde la culpabilité du prévenu sur les seules déclarations des témoins précités, l’arrêt attaqué se borne à relever que les témoins dont la comparution était réclamée avaient été entendus lors de l’enquête préliminaire et de l’instruction préparatoire et que le prévenu avait été informé des charges découlant de leurs déclarations; Mais attendu que si le refus d’entendre un témoin à charge n’enfreint pas, en tant que tel, les dispositions susvisées de la Convention, les juges pouvant tenir compte des difficultés particulières posées par l’audition contradictoire de ce témoin, tel le risque d’intimidations, de pressions ou de représailles, encore faut-il que ce refus ait lieu dans le respect des droits de la défense et que les juges s’expliquent sur l’impossibilité de la confrontation; Que tel n’est pas le cas en l’espèce et que la cassation est dès lors encourue; (...)" (Bull. 1989, no 13, pp. 37-38) Un arrêt X du 22 mars 1989 a confirmé cette solution (Bull. 1989, no 144, pp. 369-371). PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION Dans sa requête du 4 août 1984 à la Commission (no 11444/85), M. Delta alléguait une infraction à l’article 6 paras. 1 et 3 d) (art. 6-1, art. 6-3-d) de la Convention: il n’aurait pas bénéficié d’un procès équitable car sa condamnation aurait reposé exclusivement sur les déclarations faites à la police par des témoins que ni lui ni son avocat n’avaient pu interroger. La Commission a retenu la requête le 8 septembre 1988. Dans son rapport du 12 octobre 1989 (article 31) (art. 31), elle conclut à la violation du paragraphe 1 de l’article 6, combiné avec le paragraphe 3 d) (art. 6-1, art. 6-3-d). Le texte intégral de son avis, unanime, figure en annexe au présent arrêt. CONCLUSIONS PRESENTEES A LA COUR Dans son mémoire, le requérant a invité la Cour à "Dire et juger qu’en l’espèce, la France a violé l’article 6 par. 1, combiné avec les paragraphes 2 et 3 b) et d) (art. 6-1, art. 6-2, art. 6-3-b); Constater ces violations et en conséquence, Condamner la France à payer à M. Delta la somme de 156 698,49 f. (...) avec intérêts au taux légal français, à compter de la décision à intervenir, le tout en réparation du préjudice matériel, par lui subi; La condamner également à lui payer la somme de 600 000 f. (...) avec intérêts au taux légal français, à compter de la décision à intervenir, le tout en réparation du préjudice moral, par lui subi, tant du fait de la violation elle-même et du sentiment de détresse qui en a résulté, que de celui de la privation de liberté, dans des conditions de détention difficiles, pendant une durée de 2 ans et 7 mois; La condamner enfin à dédommager directement Me Divier, avocat au barreau de Paris, en lui versant la somme de 24 000 f. (...), également avec intérêts au taux légal français, à compter de la décision à intervenir, le tout à titre de compensation pour le manque à gagner par lui subi, du fait de la défense gratuite assurée au profit de M. Delta, mais hors du cadre de l’aide judiciaire, tant en cause d’appel qu’en cassation; Enfin, si la Cour l’estime équitable, la condamner à dédommager également directement Me Divier du manque à gagner par lui subi, du fait, au stade de la Commission et de la Cour européennes, de diligences non totalement couvertes par l’assistance judiciaire, selon les éléments donnés plus haut."
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE A. M. Thynne Le premier requérant, M. Michael Keith Thynne, est un citoyen britannique né en 1951. Le 27 octobre 1975 il se reconnut coupable, devant la Central Criminal Court de Londres, de viol et sodomie. Le 24 novembre 1975, il se vit condamner par le juge (Recorder) à la réclusion à perpétuité pour chaque chef d’accusation. Le 7 août 1975, moins de trente-six heures après sa sortie de prison, il avait réussi à entrer dans un appartement en se présentant comme un policier chargé d’enquêter sur un cambriolage qui venait de s’y produire. Une femme mariée âgée de 45 ans y vivait à l’époque. Il la menaça de la tuer avec un couteau si elle faisait du bruit, lui dit de se déshabiller, la viola, la sodomisa et lui infligea aussi quelques blessures légères avec une paire de ciseaux qu’il avait trouvée sur place. L’intéressé, qui avait purgé diverses peines d’emprisonnement pour vol et cambriolage, avait un casier judiciaire chargé. Eu égard à la nature de ses troubles de la personnalité - qu’un psychiatre avait qualifiés de "graves troubles de caractère psychopathique" -, le juge n’estima pas appropriés un internement, ni une longue peine à durée déterminée. Il prononça une peine à durée indéterminée, de manière à permettre au ministre de l’Intérieur d’élargir M. Thynne dès que son état se serait assez amélioré pour se prêter raisonnablement à une telle mesure. Le juge déclara: "Sans les rapports psychiatriques que j’ai vus, je vous infligerais une très longue peine d’emprisonnement. En l’occurrence, je vais vous condamner à perpétuité pour chaque chef d’accusation afin que les personnes à même de constater d’éventuelles atténuations de vos troubles de la personnalité, les personnes capables de pratiquer sur votre lobe frontal, avec votre accord, tout traitement chirurgical qui paraîtrait nécessaire, apprécient le moment où il pourra sembler peu dangereux de vous libérer." Le requérant sollicita auprès d’un juge unique l’autorisation d’attaquer devant la chambre criminelle de la cour d’appel (Court of Appeal, Criminal Division) les condamnations à perpétuité, parce que manifestement excessives et injustes dans leur principe car elles aboutissaient à une incarcération plus longue que la peine adéquate de durée déterminée. Débouté, il renouvela sa demande devant la cour plénière, qui l’écarta le 22 mars 1976 par les motifs suivants: "Sans entrer plus avant dans le détail des infractions, nous tenons pour évident - et le conseil du demandeur le reconnaît du reste - qu’il s’agissait d’une agression très grave et violente comportant non seulement des voies de fait, mais aussi l’atteinte à la pudeur et les traitements indignes subis par la victime. (...) Les condamnations à perpétuité sont prononcées dans des cas où l’infraction revêt une telle gravité qu’elle mérite une sanction aussi sévère et exemplaire même en l’absence d’un grand risque de récidive. On en inflige également lorsque le public a besoin et doit absolument bénéficier d’une protection, même si l’infraction peut n’être pas si grave, parce qu’il existe un risque très réel de récidive. La présente affaire ne relève d’aucune de ces catégories qui correspondent à des situations extrêmes, mais à n’en pas douter les infractions étaient ici vraiment très graves et la Cour, eu égard aux rapports médicaux concernant cet homme, ne peut aucunement avoir la certitude qu’au sein de la communauté, il ne donnerait pas libre cours à de pareils accès, très préjudiciables pour autrui. Dès lors, le travail de pesée incombant à la Cour se révèle fort malaisé devant des faits de cette nature. Selon nous, la condamnation à perpétuité n’implique pas nécessairement en l’espèce un très long séjour en prison. Tout dépend du régime appliqué à l’intéressé et du traitement que celui-ci peut obtenir. Si la Cour optait plutôt pour une peine de durée déterminée, elle devrait la fixer de manière à garantir qu’il reste très longtemps en prison. En l’occurrence, cela signifierait probablement qu’elle se laisserait aller à imposer une peine si longue qu’il demeurerait privé de sa liberté au-delà de la durée probable de son incarcération en cas de condamnation à perpétuité." En mai 1977, l’établissement pénitentiaire psychiatrique de Grendon Underwood consentit à accueillir M. Thynne, mais celui-ci résolut de ne pas accepter la place offerte on lui dit qu’il ne recouvrerait pas automatiquement à bref délai la liberté, en raison d’avis médicaux le déclarant inapte à recevoir un traitement chirurgical ou psychiatrique. À la suite de démarches menées au nom du requérant, le comité mixte de la commission de libération conditionnelle et du ministère de l’Intérieur (Joint Parole Board - Home Office Committee) eut à connaître de son cas. En août 1980, il recommanda de déférer l’intéressé au comité local de contrôle (Local Review Committee, "le comité local") en septembre 1981, une fois achevée sa sixième année de détention. Le comité local décida de ne pas préconiser l’élargissement. Le 1er mai 1982, M. Thynne s’évada d’une prison ouverte et accomplit plusieurs infractions. Il fut arrêté le 26 juillet 1982, puis condamné à six mois d’emprisonnement pour vol, possession illicite de stupéfiants et actes de vandalisme, peine confondue avec la peine de réclusion à perpétuité déjà infligée. Le 22 octobre 1982, la commission de libération conditionnelle (Parole Board, "la commission") proposa de communiquer derechef le dossier au comité local neuf mois après l’arrivée du requérant à la prison de Maidstone. Néanmoins, ce dernier s’échappa le 16 mars 1983, au cours d’une visite à sa mère gravement malade. On le reprit deux jours plus tard et la saisine du comité local fut reportée à juin 1984. En juin 1983, on le transféra à la prison de Blundestone. Le psychiatre de l’établissement l’y examina; il n’aperçut aucun signe de maladie mentale, ni aucune nécessité de traitement psychiatrique. Le comité local ne se prononça pas en faveur de l’élargissement. En janvier 1985, les fonctionnaires compétents (Ministers) admirent que l’aspect répressif de la peine (le "tarif", paragraphes 52-53 ci-dessous) se trouvait couvert et que seul le risque continuait à entrer en ligne de compte pour le maintien en détention. En juillet 1985, la commission recommanda un nouveau contrôle dans le délai de deux ans. En juillet 1987 le comité local opina derechef pour la poursuite de l’emprisonnement, puis en mai 1989 pour l’élargissement. Toutefois, après avoir reconsidéré le cas en décembre 1989 la commission préconisa une fois encore le maintien en détention, en prévoyant non pas une date de libération mais un autre contrôle un an après le placement du requérant dans une prison à régime ouvert. B. M. Wilson Le deuxième requérant, M. Benjamin Wilson, est un citoyen britannique né en 1916. Le 17 mai 1972, devant la Central Criminal Court de Londres, il se reconnut coupable, entre autres, d’un chef de sodomie, de deux chefs de tentative de sodomie et de sept chefs d’attentat à la pudeur sur des garçons de moins de seize ans. Il avait de très nombreux antécédents d’infractions sexuelles et se vit condamner à la réclusion à perpétuité pour sodomie et à sept ans d’emprisonnement, à purger simultanément, pour chacun des neuf autres chefs d’accusation. En prononçant la peine, le juge déclara: "J’admets pleinement que, dans une large mesure, vous ne pouvez vous maîtriser. Cela diminue votre responsabilité morale, mais il me faut m’acquitter de deux obligations. La première consiste à trouver la peine adéquate en ce qui vous concerne, eu égard à votre profil, physique et mental. La seconde - la plus importante, je crois, dans les circonstances de la cause -, je l’ai envers le public, notamment le jeune public: je dois le protéger contre des gens comme vous qui, pour une raison ou une autre, ne peuvent se dominer. J’espère qu’avec le temps on pourra trouver une méthode de traitement pour votre bizarre infirmité. Je pense que ce serait une bonne chose pour la société en général et pour vous en particulier. Ce que je vais faire dans votre cas pourra vous paraître sévère, mais votre avocat vous expliquera sûrement plus tard que cela peut en réalité vous laisser plus d’espoir que si je me contentais, par exemple, de quatre, cinq ou six ans, voire sept ans, dans un cas donné. Le tribunal décide que pour le chef d’accusation de sodomie, le huitième de l’acte d’accusation, vous irez en prison à vie. En ce qui concerne les chefs d’accusation de tentative de sodomie et d’attentat à la pudeur, vous irez en prison pour sept ans. Toutes ces peines seront confondues. Je ne doute pas que <votre avocat> vous indiquera ce qu’il en est d’une condamnation à perpétuité mais, encore une fois, je pense que ma principale obligation en l’espèce consiste à protéger le public et le jeune public, compte tenu des faits qui, d’après ce que j’ai appris, se sont produits dans votre cas. Je souhaite seulement qu’avec le temps une forme de traitement puisse vous aider, peut-être celle à laquelle se réfère le médecin dans le rapport que j’ai vu." Le requérant sollicita l’autorisation d’attaquer le jugement devant la chambre criminelle de la cour d’appel. Débouté par un juge unique en octobre 1972, il renouvela sa demande devant la cour plénière, mais l’abandonna en juin 1973, quelques jours avant la date fixée pour l’audience. En juillet 1976, il invita la cour d’appel à constater la nullité de son désistement. Tout en s’y refusant le 26 novembre 1976, elle traita quelque peu du bien-fondé du recours. Le Lord Justice Shaw s’exprima ainsi: "(...) le requérant n’a pu fournir la preuve d’une situation propre à permettre à la Cour de l’autoriser à retirer son désistement. Nous avons estimé devoir étudier dans une certaine mesure l’historique de l’affaire pour établir que même si nous consentions à un tel retrait, le requérant n’aurait absolument rien à gagner à nous voir remplacer la peine de réclusion à perpétuité par une très longue peine qui, en réalité, ne s’en distinguerait pas. Mais une peine à durée indéterminée, s’il veut la mettre à profit pour s’amender et développer sa force de caractère, lui offre de bien meilleures chances qu’une longue peine à durée déterminée." Trois ans après la condamnation, le comité mixte de la commission de libération conditionnelle et du ministère de l’Intérieur se pencha une première fois sur le cas de M. Wilson; il recommanda que le comité local l’examinât après sept années d’emprisonnement. En conséquence, le comité local considéra le dossier en 1979 et en saisit la commission. Le 11 décembre 1981, elle préconisa un élargissement sous surveillance et sous contrôle psychiatrique, en décembre 1982 au plus tard. Le 14 septembre 1982, le ministre ayant donné son accord le 3, l’intéressé recouvra la liberté à condition - de vivre dans un foyer pour probationnaires; - de coopérer avec son agent de probation; - de se présenter aux rendez-vous fixés par le psychiatre conseil compétent et de suivre tout traitement prescrit; - de s’abstenir de toute activité impliquant un contact avec de jeunes garçons sans l’autorisation de son agent de probation. Cinq mois après, le 11 février 1983, la commission recommanda le rappel du requérant et, le 14, le ministre rapporta la mesure de libération conditionnelle dont celui-ci avait bénéficié. A son retour en prison, M. Wilson apprit qu’on le réincarcérait pour cause de conduite préoccupante et de défaut de collaboration avec l’agent chargé de le surveiller. Il exerça son droit de formuler des observations écrites contre sa réintégration, mais la commission, saisie par le ministre de l’Intérieur, refusa le 16 septembre 1983 de revenir sur la décision. Le 6 avril 1984, l’intéressé engagea une procédure de contrôle judiciaire pour voir casser cette décision: selon lui, on ne lui avait pas communiqué assez de détails sur les motifs de sa réincarcération, comme l’eût exigé l’article 62 par. 3 de la loi de 1967 sur la justice pénale, et il n’avait donc pu développer sa thèse de manière efficace. Le ministère de l’Intérieur reconnut l’insuffisance des motifs invoqués; le 5 octobre 1984, il présenta des conclusions d’une page. Elles affirmaient notamment: - que le requérant avait essayé de se faire exclure du foyer en refusant de payer son loyer, en racontant ses infractions aux autres résidents, au risque de subir des violences de leur part, et en laissant dans la salle de séjour une casquette d’écolier pour signaler qu’il avait l’intention de récidiver; - qu’il avait protesté contre le refus de l’agent de probation de lui permettre de participer à des activités sportives locales; - qu’il avait montré de l’intérêt pour le spectacle de garçons jouant au football et que son psychiatre le soupçonnait de rechercher des moyens d’entrer à nouveau en contact avec des garçons. Le ministère de l’Intérieur résolut alors de lui donner l’occasion d’adresser à la commission des observations complémentaires. M. Wilson en profita, déniant les allégations portées contre lui. Le 7 novembre 1984, ses conseils demandèrent communication de plusieurs rapports dont la commission disposait au moment où elle avait statué. La Divisional Court se prononça le 20 mars 1985: elle cassa la décision de la commission du 16 septembre 1983 (paragraphe 25 ci-dessus) pour vice de forme, en ce que l’on n’avait pas fourni au requérant des motifs suffisants pour lui permettre de se défendre correctement. Par une lettre du 20 mars 1985, le conseil de M. Wilson réclama la communication du rapport de probation qui mentionnait un défaut de coopération, ainsi qu’une audience où son client serait assisté d’un avocat. La commission ne lui répondit pas; après avoir siégé le 22 mars 1985, elle maintint sa décision de ne pas relâcher le requérant. En décembre 1986, le comité local réexamina le dossier; il ne recommanda pas d’élargir M. Wilson. En juin 1987, la commission préconisa de saisir le comité local deux ans plus tard. Il étudia donc derechef le cas en juin 1989, mais n’opina pas en faveur d’une mise en liberté. En octobre 1989, la commission se pencha sur l’affaire et se prononça pour un nouveau contrôle dans le délai de deux ans, ou à une date antérieure si la santé de l’intéressé devait se dégrader au point qu’on ne le jugerait plus dangereux. Le ministre marqua son accord. Le prochain contrôle devrait avoir lieu en octobre 1991. C. M. Gunnell Le troisième requérant, M. Edward James Gunnell, est un citoyen britannique né en 1930. Le 15 décembre 1965, la Central Criminal Court de Londres le déclara coupable, entre autres, de quatre viols et deux tentatives de viol. Elle le condamna à la réclusion à perpétuité pour chacun des viols et à sept années d’emprisonnement pour chacune des deux tentatives de viol, ces dernières peines étant confondues entre elles et avec les premières. Plusieurs de ces infractions avaient suivi le même scénario. Pour quatre d’entre elles, le requérant était entré, sous un prétexte plausible, dans des maisons où ses victimes, des femmes au foyer et une jeune fille au pair, se trouvaient seules; par la force - dans un cas, le couteau sous la gorge - ou sous la menace d’y recourir, il avait eu un rapport sexuel avec elles. Selon des avis médicaux incontestés, il souffrait de "troubles mentaux" au sens de la loi de 1959 sur la santé mentale (à savoir une psychopathie) et avait besoin de soins et d’un traitement constants dans un environnement médical de sécurité maximale. Le juge Roskill, qui rendit la sentence, conclut néanmoins qu’en raison de la gravité des infractions il devait y avoir une sanction et qu’elle ne se concevait pas sans emprisonnement. Il déclara: "(...) Ces infractions doivent figurer parmi les pires cas de viol ou de tentative de viol dont ait jamais eu à connaître un tribunal de ce pays. Certes, je n’ignore pas que vous avez passé une grande partie de votre enfance dans des établissements psychiatriques et j’admets, d’après certaines dépositions orales recueillies ce matin, que vous souffrez de troubles psychopathiques. Les pièces du dossier révèlent pourtant sans conteste, et nul ne peut en douter, que vous saviez très bien ce que vous faisiez et que vous aviez pleinement conscience de l’horreur de vos actes. J’ai écouté avec beaucoup d’attention les rapports médicaux que j’ai eu l’occasion d’entendre ce matin et j’ai essayé d’y accorder tout le poids possible. On m’a conjuré de régler votre sort par une décision d’hospitalisation et de vous envoyer à Rampton, où vous seriez interné dans des conditions de sécurité et recevriez tous les soins nécessaires. Il est souvent manifestement juste qu’un tribunal s’acquitte de sa tâche en tenant compte, exclusivement ou pour l’essentiel, des besoins du délinquant, mais la présente affaire me semble d’une telle ampleur que je ne puis me contenter de les prendre seuls en considération. A la vérité, si je vous envoyais à Rampton vous y séjourneriez en lieu sûr et dans cette mesure le public se trouverait à l’abri, mais il y a d’autres aspects auxquels je dois avoir égard dans l’intérêt général. Il importe surtout de bien montrer que de pareils crimes - commis contre de simples ménagères vaquant chez elles à leurs occupations quotidiennes pendant que leur compagnon travaille au dehors - appellent, une fois constatés à la charge d’un individu déterminé, une décision révélant avec clarté que la loi se préoccupe et se préoccupera toujours de protéger les gens qui souffrent comme vous avez fait souffrir ces femmes en les agressant sexuellement de manière aussi effroyable. Il doit y avoir une sanction en l’espèce, et elle ne peut se réaliser sans un emprisonnement. Il garantira la sécurité du public contre vous et le ministre de l’Intérieur a toute latitude, si la nécessité d’un traitement apparaît et quand elle apparaîtra, pour vous transférer dans un établissement où vous pourrez en suivre un. Selon moi une seule peine convient en l’occurrence. Je commencerai par le chef d’accusation no 3: pour celui-ci, la Cour décide que vous serez incarcéré jusqu’à la fin de vos jours. Elle prononce des peines perpétuelles analogues pour les chefs 4, 5 et 7, sur lesquels elle vous convainc de viol." Le 22 juin 1966, la chambre criminelle de la cour d’appel refusa au requérant l’autorisation de recourir contre ce jugement. Dans son arrêt, le Lord Chief Justice Parker s’exprima ainsi: "Il s’agit d’une affaire choquante et l’on ne conçoit aucun moyen sur la base duquel puisse aboutir la demande d’autorisation d’attaquer le verdict de culpabilité. En réalité, l’intéressé se borne à exprimer le désir de citer à comparaître trois des plaignantes pour contester à nouveau leur témoignage. La cour refuse de proroger le délai à observer pour le dépôt de cette même demande. En ce qui concerne la demande d’autorisation de relever appel contre la peine infligée pour les viols et les tentatives de viol, il échet de noter que le requérant a trente-cinq ans; bien qu’il ait commis des infractions auparavant, aucune d’elles ne revêtait un caractère violent ou sexuel, mais il a un passé chargé sur le plan psychiatrique. Envoyé dès 1946 au Manor Hospital d’Epsom, il s’en échappa dix-huit fois. Interné en 1950 au Farmfield Hospital, à Horley, il s’enfuit à trois reprises. Transféré en 1951 à l’hôpital de Rampton, il n’essaya pas de s’en évader, connaissant peut-être la difficulté d’une telle entreprise. Néanmoins, en 1959 il fut libéré sous condition de Rampton puis, en 1960, soustrait à l’application de la loi de 1959 sur les troubles mentaux (Mental Deficiency Act). D’après les témoignages - du reste non controversés - des médecins, le requérant pouvait faire l’objet d’une décision d’internement au titre de la loi de 1959 sur la santé mentale, en sa qualité de psychopathe ayant besoin de soins et de traitements constants dans un environnement médical de sécurité maximale tel que Rampton, où une place se trouvait vacante à l’époque. Le juge ayant écarté cette solution, le motif de recours consisterait ici à soutenir qu’il a eu tort, par principe, d’envoyer le demandeur en prison, et non à l’hôpital, dès lors que d’après les attestations de deux médecins il se prêtait à une décision d’internement et à un traitement (...). Notre cour entend préciser qu’elle souscrit à chacune des paroles du juge. D’ailleurs, une décision antérieure (Morris, Queen’s Bench 1961, no 2, p. 237) a souligné que malgré la compétence du tribunal pour prendre une décision d’internement, il peut y avoir des cas où une sanction s’impose et où il se justifie d’envoyer le délinquant en prison, étant entendu que l’article 72 de la loi de 1959 sur la santé mentale habilite pleinement le ministre de l’Intérieur à faire soigner l’intéressé à l’hôpital au besoin. La cour aimerait mentionner une autre raison qui légitime la décision de première instance. A l’évidence, il s’agit d’un dangereux psychopathe qui, à moins de rester détenu dans des conditions de stricte sécurité, risque de représenter une menace pour le public. Rampton passe certes pour un hôpital de haute sécurité, mais cela ne signifie pas que le demandeur ne s’en échapperait pas. Surtout, il échet de rappeler que ce dangereux psychopathe en a déjà été relâché sous condition. Gardant à l’esprit l’intérêt du public, la cour estime beaucoup plus prudent de maintenir M. Gunnell en prison tant qu’il le faudra, au lieu de laisser un hôpital s’en occuper dans le cadre d’une relation de médecin à patient pouvant conduire à penser qu’il peut recouvrer la liberté sans risque, alors qu’il demeure une menace pour le public. Entièrement convaincue que la peine était juste, la cour rejette la demande." En décembre 1980, la commission examina le cas de l’intéressé conformément aux dispositions de la partie III de la loi de 1967 sur la justice pénale. Elle recommanda de relâcher M. Gunnell dans le délai de 15 mois, pour autant qu’il aurait continué à bien se comporter, qu’il aurait accompli de manière satisfaisante des périodes de détention dans une prison à régime ouvert, tout comme son programme de travail en préparation à la libération, et que des mesures appropriées auraient été arrêtées pour le reloger. Après avoir consulté les magistrats visés à l’article 61 par. 1 de la loi de 1967 (paragraphe 56 ci-dessous), le ministre de l’Intérieur adopta cette recommandation et l’on indiqua au requérant le 4 mars 1982 comme date provisoire d’élargissement. En mars 1982, le requérant recouvra la liberté moyennant les conditions suivantes: - coopérer avec son agent de probation; - recevoir à la clinique du Dr Field, à l’hôpital St Leonard de Londres N1, les soins et le traitement préconisés; - persévérer à prendre, sous forme de comprimés, un traitement hormonal inhibiteur de la libido. On ne lui donna aucune raison de croire qu’il les avait enfreintes à un degré notable. Toutefois, deux incidents survenus en janvier et février 1983 provoquèrent la révocation de son élargissement et sa réincarcération. Le premier eut lieu en janvier 1983. Un agent interpella M. Gunnell au sujet d’une plainte qu’une femme avait portée auprès de la police et selon laquelle il s’était trouvé dans son jardin, à l’arrière de la maison, et l’avait regardée par la fenêtre. Le requérant protesta de la pureté de ses intentions: il aurait simplement, par signes, indiqué à la dame aperçue chez elle qu’il désirait un verre d’eau pour avaler ses comprimés d’hormone, et elle serait allée lui en chercher un tandis qu’il attendait à la porte. On n’a jamais prétendu qu’il lui eût fait le moindre mal, mais on devait alléguer par la suite qu’il avait agi "de manière suspecte". Quand l’intéressé lui dit avoir passé dix-sept ans en prison pour viol, l’agent l’emmena au commissariat aux fins d’interrogatoire, mais un de ses supérieurs consentit à la libération de M. Gunnell, faute de preuve d’une infraction quelconque. Le second incident survint en février 1983. Le requérant fut à nouveau interpellé et questionné par la police, informée par le commissariat de Finchley Road qu’on l’avait vu en train d’observer une femme nettoyant sa voiture, puis découvert dans le jardin situé derrière la maison de celle-ci. Plus tard, il fut appréhendé à quelque distance de là, par le même agent de police qu’en janvier, et gardé à vue. Après environ huit heures de détention, le ministre révoqua sa libération conditionnelle, en vertu de l’article 62 par. 2 de la loi de 1967, à cause des similitudes entre son comportement actuel et les circonstances qui avaient entouré l’accomplissement des infractions primitives. L’intéressé fut conduit à la prison de Pentonville où, dès son arrivée, un directeur adjoint lui annonça qu’il comparaîtrait devant une commission d’accueil. A son tour, celle-ci lui dit qu’on l’avait réincarcéré en raison de la révocation de sa libération conditionnelle; elle ajouta qu’un autre directeur adjoint et un membre du comité local le rencontreraient pour lui signaler les motifs de sa réintégration, une fois le dossier reçu du ministère de l’Intérieur. Transféré ultérieurement à la prison de Wormwood Scrubs, M. Gunnell eut plusieurs conversations avec un directeur adjoint très peu de temps après son admission. Selon le jugement de la High Court du 2 novembre 1983 (paragraphe 48 ci-dessous), il se montra entièrement conscient d’avoir été ramené à la prison à la suite des incidents de janvier et février. Il affirma n’avoir rien fait de mal à ces occasions, mais donna la très nette impression de comprendre pleinement le pourquoi de la décision adoptée à son endroit par les autorités. Le 1er mars 1983, il eut un entretien avec un membre du comité local. Le 25 février, il avait signé un formulaire aux termes duquel il souhaitait en voir adresser le compte rendu à la commission comme constituant ses observations écrites; il en présenta cependant lui-même séparément. Son interlocuteur ne possédait pas la version intégrale et définitive des rapports de police, mais celle dont il disposait fournissait assez de renseignements pour lui révéler ce qui s’était passé en janvier et février. Il ne communiqua pas à l’intéressé le dossier médical, ni celui de l’agent de probation; ils discutèrent néanmoins du second. Saisie le 4 mars 1983 par le ministre de l’Intérieur en vertu de l’article 62 par. 4 de la loi de 1967, la commission exprima un avis préliminaire confirmant la révocation de la libération conditionnelle de M. Gunnell. Le 25 mars, elle repoussa les objections de celui-ci mais émit une recommandation non contraignante (paragraphe 56 ci-dessous) selon laquelle, sous réserve de mesures à arrêter aux fins d’un relogement satisfaisant et d’une surveillance psychiatrique continue, il devait être relâché dans le délai d’un mois, soit le 25 avril 1983. En mai 1983, après avoir consulté le Lord Chief Justice et le juge dont émanait la sentence, conformément à l’article 67 par. 1 de la loi de 1967, le ministre ne souscrivit pas à ladite recommandation mais décida que l’on réexaminerait le cas en mars 1984. Se plaignant de n’avoir pu se défendre lui-même, le requérant lui adressa par la suite une requête; elle fut écartée par une réponse, datée du 3 août 1983, qui contenait selon lui les premières explications écrites des motifs de sa réincarcération et le premier compte rendu officiel quelque peu détaillé des allégations portées contre lui. Le 9 août 1983, l’intéressé pria la High Court de l’autoriser à réclamer un contrôle judiciaire des décisions par lesquelles la commission et le ministre de l’Intérieur avaient confirmé la révocation initiale de son élargissement; elle y consentit le 18. Il sollicita la communication de certains documents relatifs à l’examen de son cas par cette même commission et par le ministre. Le 10 octobre 1983, lors d’une audience préparatoire, il essuya un refus que la Divisional Court confirma pendant l’examen de la demande de contrôle judiciaire, qu’elle repoussa le 2 novembre 1983. Le 30 octobre 1984, la cour d’appel rejeta le recours qu’il avait formé contre cette dernière décision. En 1984, commission et ministre de l’Intérieur étudièrent à nouveau le dossier, mais M. Gunnell ne fut pas élargi. Il recouvra derechef la liberté, sous condition, en septembre 1988, sous le contrôle du service de probation de Londres-centre. Le 24 septembre 1990, la Central Criminal Court de Londres a condamné le requérant, qui avait plaidé coupable et dont la libération conditionnelle venait d’être révoquée, à la réclusion à perpétuité pour une tentative de viol, cinq attentats à la pudeur et trois vols qualifiés. II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS A. Les peines perpétuelles "discrétionnaires" Une condamnation à perpétuité revêt un caractère obligatoire en cas d’assassinat ("peine perpétuelle obligatoire"). Le tribunal peut aussi en infliger une, dans l’exercice de son pouvoir d’appréciation, à une personne convaincue de l’une des infractions pour lesquelles la législation en vigueur prévoit la réclusion à perpétuité comme peine maximale ("peine perpétuelle discrétionnaire"). L’imposition d’une peine perpétuelle "discrétionnaire" ne dépend d’aucune autre condition légale, mais depuis plus de trente ans elle n’a lieu en pratique, grosso modo, que pour un crime très grave en soi et si l’accusé apparaît comme une personne instable risquant de récidiver, donc dangereuse pour le public eu égard à son comportement futur probable sauf modification de son état (Hodgson, Criminal Appeal Reports 1967, no 52, p. 113; Picker, Criminal Appeal Reports 1970, no 54, p. 330; Wilkinson, Criminal Appeal Reports (S) 1983, no 5, p. 105). Dans son arrêt en l’affaire R v. Wilkinson, le Lord Chief Justice Lane a déclaré: "La condamnation à la réclusion à perpétuité, lorsqu’elle n’est pas obligatoire, nous semble ne convenir vraiment et ne devoir être prononcée que dans les circonstances les plus exceptionnelles. A de rares exceptions près (...) il faut la réserver, en règle générale (...), aux délinquants dont, pour une raison ou une autre, le cas ne peut se traiter sur le terrain de la loi sur la santé mentale bien que leur état mental les rende dangereux pour la vie ou l’intégrité physique d’autrui. Il est parfois impossible de dire quand ce risque s’éloignera; aussi une peine indéterminée s’impose-t-elle afin que le détenu puisse être suivi dans son évolution par ceux qui l’ont sous leur surveillance en prison et reste privé de sa liberté aussi longtemps seulement que son élargissement menace la sécurité publique." Dans leur pratique, les juridictions anglaises distinguent l’usage de la peine perpétuelle "discrétionnaire" de celui des peines d’emprisonnement à durée déterminée ou fixe. Le principe le plus important pour arrêter la longueur des secondes est qu’elle doit refléter la gravité de l’infraction; il peut y avoir remise du tiers de la peine pour bonne conduite et libération conditionnelle une fois subi un tiers de celle-ci. Dans trois décisions récentes (R v. Secretary of State for the Home Department, ex parte Handscomb and Others, Criminal Law Reports 1988, vol. 86, p. 59; R v. Secretary of State, ex parte Benson, 1988, et R v. Secretary of State, ex parte Bradley, 1990, encore inédites), la Divisional Court a reconnu qu’un individu frappé d’une peine perpétuelle "discrétionnaire" ne saurait devoir passer en prison, pour expier sa faute, plus de temps que le "tarif", soit la période jugée nécessaire pour répondre aux impératifs de la rétribution et de la dissuasion. En l’affaire Bradley, le Lord Justice Stuart-Smith a précisé ainsi la nature de la peine perpétuelle "discrétionnaire": "A n’en pas douter, la raison d’être ou justification d’une peine perpétuelle ‘discrétionnaire’ consiste en ceci: dans des cas exceptionnels, les intérêts de la sécurité publique ne sauraient se trouver suffisamment sauvegardés par l’infliction d’une peine à durée déterminée, même la plus longue possible - c’est-à-dire la peine ‘tarifée’ méritée à titre de châtiment et augmentée dans la mesure limitée où la jurisprudence autorise à le faire pour protéger le public; il faut, au contraire, parer au danger actuellement perçu de voir le détenu, après avoir purgé toute peine légale à durée fixe, rester une grave menace pour la société s’il recouvre la liberté. On y parvient au moyen d’une peine perpétuelle permettant de protéger le public et de réévaluer le danger une fois expirée la période ‘tarifée’. (...) (...) La juridiction dont émane la sentence reconnaît que le prononcé d’une peine perpétuelle peut très bien avoir pour conséquence d’amener le délinquant à subir une peine supérieure, parfois de loin, aux exigences d’une juste rétribution. Elle ne saurait donc l’exposer à ce risque que pour une raison impérieuse: la conscience d’un grave péril futur représentant une probabilité réelle de dangerosité. Elle n’a pourtant de ce péril, par la force des choses, qu’un sentiment imprécis. Elle doit projeter son appréciation de nombreuses années en avant, sans avoir bénéficié d’un processus constant de contrôle et de rapport analogue à celui dont profitera la commission de libération conditionnelle. Chargée de cette tâche après la période ‘tarifée’, ladite commission est ainsi beaucoup mieux placée pour juger de l’ampleur exacte du danger que créera l’élargissement du détenu." B. Les peines prévues et infligées en cas de viol et de sodomie D’après la loi de 1956 sur les délits sexuels (Sexual Offences Act), la réclusion perpétuelle constitue la peine maximale pour viol (article 1 et annexe 2) et pour sodomie sur la personne d’un garçon de moins de seize ans (article 12 par. 1 et annexe 2). Selon l’avis d’un expert de la politique des juridictions anglaises en matière de condamnations, la pratique de la cour d’appel montre qu’en l’absence de preuve d’instabilité mentale et de dangerosité, la peine prononcée ne dépasse guère dix ans d’emprisonnement pour sodomie et dix-huit pour viol aggravé (attestation écrite sous serment du Dr D.A. Thomas, du 29 juillet 1988). C. La loi de 1967 sur la justice pénale Aux termes de l’article 61 de la loi de 1967 sur la justice pénale (Criminal Justice Act 1967), le ministre ne peut relâcher sous condition une personne condamnée à la réclusion à vie que si la commission de libération conditionnelle l’y a engagé et après avoir consulté le Lord Chief Justice of England plus, si possible, le juge dont émanait la sentence. L’article 62 par. 1 l’habilite à révoquer la libération conditionnelle d’un individu que ladite commission préconise de réincarcérer. Un détenu réintégré de la sorte doit être informé des motifs de son rappel et de son droit de formuler des observations; s’il use de cette faculté, le ministre doit saisir la commission. L’article 62 par. 2 l’autorise à procéder lui-même à pareille révocation, sans recueillir l’opinion de la commission, s’il paraît opportun, dans l’intérêt général, de le faire avant qu’une telle consultation soit possible; il doit cependant saisir la commission du cas d’un détenu ainsi rappelé. Si elle se prononce en faveur de l’élargissement conditionnel immédiat d’un détenu réincarcéré dont elle a étudié le dossier en vertu de l’article 62, le ministre doit donner effet à cette recommandation. L’article 59 définit la composition et les fonctions de la commission et des comités locaux: "1. En vue de l’exercice des fonctions que cette partie de la présente loi lui attribue pour l’Angleterre et le pays de Galles, il existe un organe dénommé commission de libération conditionnelle (...) et composé d’un président et d’au moins quatre autres membres désignés par le ministre. (...) La commission conseille le ministre en ce qui concerne: a. la libération conditionnelle en vertu de l’article 60 par. 1 ou 61, et la réintégration en prison en vertu de l’article 62 de la présente loi, des personnes du dossier desquelles le ministre la saisit; b. les conditions dont s’accompagnent ces libérations, ainsi que leur modification ou annulation; c. toute autre question dont elle se trouve ainsi saisie en rapport avec la libération conditionnelle ou la réintégration des personnes auxquelles s’applique ledit article 60 ou 61. Les dispositions suivantes s’appliquent à la conduite de la procédure devant la commission dans toute affaire dont elle connaît: a. la commission examine l’affaire sur la base de tout document que lui communique le ministre, de tout rapport qu’elle se procure et de tout renseignement qu’elle recueille oralement ou par écrit; b. si, dans un cas particulier, elle estime nécessaire d’interroger l’intéressé avant de se prononcer, elle peut en charger l’un de ses membres et prend en considération le compte rendu de pareil entretien; (...) Les documents que le ministre doit communiquer à la commission aux fins du paragraphe précédent comprennent entre autres: a. si l’affaire déférée à la commission a trait à une libération relevant de l’article 60 ou 61 de la présente loi, toute observation que l’intéressé a faite par écrit au sujet de son dernier interrogatoire opéré conformément aux dispositions du paragraphe suivant, ou depuis lors; b. si elle a trait à une personne réintégrée en vertu de l’article 62 de la présente loi, toute observation faite par écrit conformément à cet article. Le ministre peut, par règlement, prévoir a. l’établissement et la constitution de comités locaux de contrôle chargés, à des moments ou dans des circonstances fixés par règlement ou sur la base d’un règlement, d’examiner le cas de personnes pouvant prétendre à un élargissement en vertu de l’article 60 ou 61 de la présente loi, ou sur le point de le pouvoir, et de rendre compte au ministre de leur aptitude à recouvrer la liberté sous condition; b. un entretien entre de telles personnes et un membre de pareil comité (autre qu’un agent pénitentiaire). Les dispositions arrêtées au titre du présent paragraphe peuvent différer selon les cas." Quant à la composition de la commission, l’annexe 2 à la loi de 1967 ajoute: "1. La commission de libération conditionnelle comprend notamment: a. une personne qui exerce ou a exercé une fonction judiciaire; b. un psychiatre inscrit au registre; c. une personne choisie par le ministre parce qu’elle connaît la surveillance des détenus libérés, ou l’assistance post-pénitentiaire à ceux-ci, et qu’elle en a l’expérience; d. une personne choisie par [lui] pour avoir étudié les causes de la délinquance ou le traitement des délinquants." La commission compte toujours en son sein trois juges à la High Court, trois circuit judges et un juge temporaire (recorder). Peuvent traiter les affaires dont on la saisit trois de ses membres ou davantage (règlement de 1967 sur la commission de libération conditionnelle). En pratique, elle siège par petits groupes dont chacun, s’il s’agit d’une personne condamnée à vie, inclut un juge à la High Court et un psychiatre. Les juges appartenant à la commission sont nommés par le ministre (article 59 par. 1 de la loi de 1967) après consultation du Lord Chief Justice. En application de l’article 59 par. 6, le ministre a doté chaque prison d’un comité local de contrôle appelé à le conseiller sur l’opportunité de relâcher des détenus sous condition. Il a coutume de lui demander son opinion avant de s’adresser à la commission. Avant que le comité local n’examine le dossier, l’un de ses membres entend le détenu si celui-ci y consent. D. Les procédures administratives de contrôle des peines perpétuelles "discrétionnaires" et "obligatoires" Les procédures de contrôle applicables à toutes les peines perpétuelles, dans le cadre de la loi de 1967, ont évolué en quatre phases: a. Une fois l’article 61 de ladite loi entré en vigueur, la pratique consistait à déférer à la commission tous les cas de peines perpétuelles si le détenu avait purgé sept ans au plus, quelles que fussent les perspectives de libération anticipée. Pour formuler ses recommandations au ministre quant à l’élargissement d’un détenu à vie, la commission prenait en compte l’opinion des magistrats visés à l’article 61. b. En 1973 fut créé un comité mixte de la commission de libération conditionnelle et du ministère de l’Intérieur, chargé de proposer au ministre une date pour le premier contrôle officiel auquel se livrerait le comité local, à titre d’étape préalable au contrôle de la commission (paragraphe 57 ci-dessus). En général, il commençait à examiner la question après que l’intéressé avait subi environ trois ans de prison, mais ce système devint de moins en moins efficace car le comité ne suggérait de dates que dans la moitié environ des cas dont il connaissait. Selon ces modalités, les magistrats visés à l’article 61 n’étaient consultés que lorsque l’élargissement semblait constituer une possibilité réaliste. c. En 1983, le comité mixte fut dissous et de nouvelles dispositions prises pour la fixation de la date du premier contrôle officiel par le comité local. Désormais, lesdits magistrats étaient consultés, en principe, quand le détenu à vie avait purgé environ trois ans de sa peine; on les invitait à donner leur sentiment sur le laps de temps nécessaire pour satisfaire aux impératifs de la répression et de la dissuasion (le "tarif"). A la lumière de leur avis, le ministre arrêtait la date de la première saisine du comité local, d’habitude trois ans avant la fin de la période "tarifée". d. Le 23 juillet 1987, dans une réponse écrite à la Chambre des Communes, le ministre s’exprima ainsi en réaction à l’arrêt Handscomb and Others de la Divisional Court (paragraphe 52 ci-dessus): " J’accepte la conclusion de la Divisional Court selon laquelle des arguments de poids militent en faveur d’une telle consultation" - avec les magistrats, au sujet de la période nécessaire pour satisfaire aux impératifs de la répression et de la dissuasion - "le plus tôt possible après le prononcé d’une peine perpétuelle ‘discrétionnaire’. En accord avec le Lord Chief Justice, j’estime que le meilleur moyen de recueillir l’opinion des magistrats consiste à inviter le juge dont émane la sentence à m’écrire, par l’intermédiaire du Lord Chief Justice, dans tous les cas de peine perpétuelle ‘discrétionnaire’, afin de se prononcer sur la période nécessaire à ses yeux pour satisfaire aux impératifs de la répression et de la dissuasion. Il aura égard à la peine à durée déterminée qu’il eût prononcée sans l’élément d’instabilité mentale, et/ou de risque pour le public, qui l’a amené à opter pour une peine perpétuelle; il prendra aussi en compte la fraction théorique de la peine que l’intéressé aurait pu escompter se voir remettre pour bonne conduite si on lui avait infligé une peine à durée déterminée. La date du premier contrôle officiel de la commission de libération conditionnelle sera fixée alors conformément au sentiment des magistrats sur les exigences de la répression et de la dissuasion; comme par le passé, il aura normalement lieu trois ans avant l’expiration de cette période. Le Lord Chief Justice et moi-même sommes convenus que cette nouvelle procédure commencera de fonctionner le 1er octobre 1987. (...) Je provoquerai un contrôle de chaque cas de peine perpétuelle ‘discrétionnaire’ dans lequel un premier contrôle devait avoir lieu en janvier 1988 ou plus tard. Là où sa fixation se fondait sur des considérations autres que l’opinion des magistrats quant aux impératifs de la répression et de la dissuasion, la date sera modifiée de manière à cadrer avec cette opinion. (...) Pour les détenus emprisonnés à vie du chef d’assassinat, hypothèse où la peine ne relève pas du pouvoir d’appréciation du tribunal, la question de la peine théorique équivalente à durée déterminée ne se pose pas. Je continuerai à prendre en compte le sentiment des magistrats sur les impératifs de la répression et de la dissuasion en pareil cas comme un facteur, parmi d’autres (notamment la nécessité de préserver la confiance du public dans le système judiciaire), à mettre dans la balance pour fixer le moment du premier contrôle. Je veillerai à ce que la date du premier contrôle officiel en pareil cas soit arrêtée conformément à ma politique globale, afin que le temps passé en prison par des individus condamnés à vie pour les crimes de violence les plus graves traduise pleinement les préoccupations du public devant de tels crimes. (...) Aucun condamné à vie ne restera détenu plus de dix-sept ans sans un contrôle officiel de son cas, même si la période jugée nécessaire pour satisfaire aux impératifs de la répression et de la dissuasion dépasse vingt ans. (...) Toutefois, comme l’a précisé la Divisional Court, l’élargissement de pareil condamné relève uniquement de mon pouvoir d’appréciation; il m’appartient de décider, après avoir reçu la recommandation de la commission (...) et consulté les magistrats visés à l’article 61 par. 1 de la loi de 1967 (...), quand se produira la libération effective." E. Le contrôle judiciaire En sus de son droit de présenter des observations à la commission de libération conditionnelle, en vertu de la loi de 1967 (paragraphes 56-59 ci-dessus), un individu détenu pour subir une peine perpétuelle "discrétionnaire" peut solliciter auprès de la High Court le contrôle judiciaire de toute décision de ladite commission, ou du ministre de l’Intérieur, entachée d’après lui d’illégalité, d’irrationalité ou d’irrégularité procédurale (arrêt Weeks du 2 mars 1987, série A no 114, pp. 18-19, paras. 30-31). PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION MM. Thynne, Wilson et Gunnell ont saisi la Commission les 3 juin, 1er septembre et 24 avril 1985 respectivement. Ils prétendaient tous trois que le droit britannique ne leur ouvrait aucune procédure judiciaire pour le contrôle continu de la légalité de leur détention ou plus précisément, dans le cas des deux derniers, de leur réincarcération. Ils invoquaient le paragraphe 4 de l’article 5 (art. 5-4) de la Convention, auquel M. Wilson ajoutait le paragraphe 5 (art. 5-5). Le 6 septembre 1988 la Commission a ordonné la jonction des trois requêtes, en vertu de l’article 29 de son règlement intérieur, et les a déclarées recevables. Dans son rapport du 7 septembre 1989 (article 31) (art. 31), elle conclut par dix voix contre deux à la violation du paragraphe 4 de l’article 5 (art. 5-4) dans le chef de chacun des requérants, ainsi que du paragraphe 5 (art. 5-5) dans celui de M. Wilson. Le texte intégral de son avis et des opinions séparées dont il s’accompagne figure en annexe au présent arrêt. CONCLUSIONS PRESENTEES A LA COUR PAR LE GOUVERNEMENT A l’audience publique du 25 juin 1990, le Gouvernement a confirmé en substance les conclusions de son mémoire. Elles invitaient la Cour "à dire: i. qu’il n’y a eu violation de l’article 5 par. 4 (art. 5-4) dans le chef d’aucun des requérants; ii. qu’il n’y a pas eu violation de l’article 5 par. 5 (art. 5-5) dans le chef du deuxième requérant."
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Sans profession ni domicile fixe, M. Jean Kruslin se trouve actuellement détenu à Fresnes (Val-de-Marne). Les 8 et 14 juin 1982, un juge d’instruction de Saint-Gaudens (Haute-Garonne), saisi de l’affaire de l’assassinat d’un banquier, M. Jean Baron, dans la nuit du 7 au 8 juin à Montréjeau ("affaire Baron"), délivra deux commissions rogatoires au chef d’escadron commandant la section de recherches de la gendarmerie de Toulouse. Par la seconde, il le chargeait de placer sous écoute le téléphone d’un suspect, M. Dominique Terrieux, qui résidait dans cette ville. Du 15 au 17 juin, la gendarmerie intercepta ainsi dix-sept communications en tout. Le requérant, hébergé à l’époque par M. Terrieux dont il utilisait parfois l’appareil, avait participé à plusieurs d’entre elles et spécialement, le 17 juin entre 21 et 23 h, à une conversation avec un individu qui l’appelait d’une cabine publique à Perpignan (Pyrénées-Orientales). Au cours de leur bref entretien, les deux hommes avaient parlé à mots couverts d’une affaire distincte de l’affaire Baron et relative notamment au meurtre, le 29 mai 1982, de M. Henri Père, employé de la bijouterie "La Gerbe d’Or", à Toulouse ("affaire de la Gerbe d’Or"). Les gendarmes le signalèrent le lendemain à des collègues de la police judiciaire. Commis rogatoirement, le 11 juin 1982, par un juge d’instruction de Toulouse pour enquêter sur cette affaire, ceux-ci entendirent aussitôt l’enregistrement de ladite conversation, le firent transcrire et en annexèrent le texte à un procès-verbal dressé le 18 juin à 0 h; la bande originale demeura entre les mains de la gendarmerie, sous scellé. Le 18 à l’aube, la gendarmerie appréhenda M. Kruslin chez M. Terrieux et le mit en garde à vue au titre de l’affaire Baron. Dans le cadre, cette fois, de l’affaire de "La Gerbe d’Or", il fut interrogé en début d’après-midi par la police judiciaire - qui l’avait déjà interpellé le 15 juin, puis relâché après quatre heures environ - et inculpé le lendemain, semble-t-il, avec M. Terrieux et le nommé Patrick Antoine, d’homicide volontaire, vols qualifiés et tentative de vol qualifié. Le juge d’instruction de Toulouse procéda, le 25 octobre 1982, à une confrontation des trois intéressés, marquée en particulier - après rupture du scellé en leur présence - par l’audition intégrale de la bande magnétique susmentionnée, y compris la conversation de la soirée du 17 juin. M. Kruslin adopta la même attitude que devant la police le 18 juin: il protesta de son innocence et nia - pour cette communication, mais non pour d’autres - qu’il s’agît de sa propre voix. De son côté, M. Terrieux affirma ne plus la reconnaître, alors qu’il l’avait identifiée à un stade antérieur. La fermeture du scellé eut lieu, elle aussi, devant les inculpés. Le requérant refusa de signer tant le procès-verbal que la fiche de scellé. Par la suite, il réclama une expertise. Le magistrat instructeur la lui accorda par une ordonnance du 10 février 1983, mais dans leur rapport du 8 juin 1983 les trois experts désignés estimèrent pouvoir conclure, "avec une probabilité de 80 %", que la voix analysée par eux était bien celle de M. Kruslin. Devant la chambre d’accusation de la cour d’appel de Toulouse, saisie après la clôture de l’instruction, le requérant réclama l’annulation de l’enregistrement de la communication litigieuse, parce que réalisé dans une procédure qui, selon lui, ne le concernait pas: l’affaire Baron. Le 16 avril 1985, la chambre d’accusation écarta l’exception en ces termes: "(...) si ces écoutes téléphoniques ont été ordonnées par le juge d’instruction au tribunal de grande instance de Saint-Gaudens dans une autre procédure, il demeure que ni l’article 11" - qui consacre le principe du caractère secret de l’instruction - "ni les articles R.155 et R.156 du code de procédure pénale n’interdisent aux juges de décider que soient annexés à une procédure pénale les éléments d’une autre procédure dont la production peut être de nature à les éclairer et à contribuer à la manifestation de la vérité, la seule condition exigée étant, ce qui est bien le cas en l’espèce, qu’une telle jonction ait un caractère contradictoire et que les pièces communiquées aient été soumises à la discussion des parties (...)." Elle s’inspirait apparemment là, en l’étendant par analogie au domaine des écoutes, d’une jurisprudence constante de la chambre criminelle de la Cour de cassation, élaborée à propos d’autres mesures d’instruction (voir par exemple 11 mars 1964, Bulletin (Bull.) no 86; 13 janvier 1970, Bull. no 21; 19 décembre 1973, Bull. no 480; 26 mai et 30 novembre 1976, Bull. no 186 et 345; 16 mars et 2 octobre 1981, Bull. no 91 et 256). Par le même arrêt, la chambre d’accusation renvoya M. Kruslin - avec quatre autres individus, dont MM. Terrieux et Antoine - devant la cour d’assises de la Haute-Garonne pour y répondre, quant à lui, des crimes de complicité d’homicide volontaire, de vols qualifiés et de tentative de vol qualifié. Le requérant se pourvut en cassation. Le deuxième de ses cinq moyens s’appuyait sur l’article 8 (art. 8) de la Convention: il reprochait à la chambre d’accusation de la cour d’appel de Toulouse d’avoir "refusé de prononcer la nullité des écoutes téléphoniques provenant d’une autre procédure; alors que l’ingérence des autorités publiques dans la vie privée et familiale, le domicile et la correspondance d’une personne ne constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la prévention des infractions pénales que si elle est prévue par une loi qui doit remplir la double condition suivante: être d’une qualité telle qu’elle use de termes clairs pour indiquer à tous, de manière suffisante, en quelles circonstances et sous quelles conditions elle habilite la puissance publique à opérer pareille atteinte, secrète et virtuellement dangereuse, au droit au respect de la vie privée et de la correspondance, et de définir l’étendue et les modalités d’exercice d’un tel pouvoir avec une netteté suffisante pour fournir à l’individu une protection adéquate contre l’arbitraire; qu’aucune disposition de la loi française - et en particulier l’article 81 du code de procédure pénale - ne répond à ces conditions". Dans son mémoire ampliatif du 11 juin 1985 (pp. 5-8), le conseil de M. Kruslin invoqua la jurisprudence de la Cour européenne des Droits de l’Homme, tant en matière d’écoutes téléphoniques (arrêts Klass et autres du 6 septembre 1978 et Malone du 2 août 1984, série A no 28 et 82) qu’à d’autres égards (arrêts Golder du 21 février 1975, Sunday Times du 26 avril 1979, Silver et autres du 25 mars 1983, série A no 18, 30 et 61). La chambre criminelle de la Cour de cassation rendit un arrêt de rejet le 23 juillet 1985. Sur le point considéré, elle motiva ainsi sa décision: "(...) Attendu que l’examen des pièces de la procédure révèle qu’a été annexée à l’information, alors suivie par le juge d’instruction de Toulouse contre X du chef d’homicide volontaire en raison de la mort de Henri Père, la transcription du contenu d’une bande magnétique supportant l’enregistrement de conversations passant par la ligne téléphonique dont le nommé Terrieux est attributaire; que cet enregistrement avait été réalisé en exécution d’une commission rogatoire délivrée par le juge d’instruction de Saint-Gaudens dans le cadre d’une information ouverte aussi contre X, au sujet d’un autre homicide volontaire; que c’est en raison de son intérêt pour l’information relative à la mort de Père que cette transcription a été effectuée par des officiers de police judiciaire, commis rogatoirement par le magistrat instructeur de Toulouse; Que les termes des propos enregistrés ont été portés à la connaissance des divers intéressés, notamment de Kruslin, lequel a été amené à s’en expliquer, tant au cours de l’enquête sur commission rogatoire qu’à la suite de son inculpation; qu’en outre une expertise portant sur la bande enregistrée, jointe ensuite à la procédure, a été pratiquée sur décision régulière du juge d’instruction; Attendu qu’en cet état, en refusant de prononcer l’annulation des écoutes téléphoniques provenant d’une autre procédure, la chambre d’accusation n’a pas encouru le grief énoncé au moyen; Qu’en effet, en premier lieu, aucune disposition de la loi n’interdit d’annexer à une procédure pénale les éléments d’une autre procédure dont la production peut être de nature à éclairer les juges et à contribuer à la manifestation de la vérité; que la seule condition exigée est qu’une telle jonction ait un caractère contradictoire, ce qui est le cas en l’espèce où les documents sont soumis à la discussion des parties; Qu’en second lieu, il résulte des articles 81 et 151 du code de procédure pénale et des principes généraux de la procédure pénale que notamment, d’une part, des écoutes téléphoniques ne peuvent être ordonnées par un juge d’instruction, par voie de commission rogatoire, que sur présomption d’une infraction déterminée ayant entraîné l’ouverture de l’information dont le magistrat est saisi et que ces mesures ne sauraient viser, de façon éventuelle, toute une catégorie d’infractions; que, d’autre part, les écoutes ordonnées doivent être réalisées sous le contrôle du juge d’instruction, sans que soit mis en oeuvre aucun artifice ou stratagème et sans qu’elles puissent avoir pour résultat de compromettre les conditions d’exercice des droits de la défense; Que ces dispositions auxquelles est soumis le recours par le juge d’instruction aux écoutes téléphoniques et auxquelles il n’est pas établi qu’il ait été en l’espèce dérogé, répondent aux exigences résultant de l’article 8 (art. 8) de la Convention européenne de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales; (...)" (Bull. no 275, pp. 713-715) Il ressort du dossier que l’enregistrement de l’entretien téléphonique du 17 juin 1982 a constitué un élément déterminant dans les poursuites intentées contre l’intéressé. Elles ont débouché, le 28 novembre 1986, sur un arrêt de la cour d’assises de la Haute-Garonne. Acquitté du chef de meurtre, mais condamné à quinze ans de réclusion criminelle pour vol à main armée et tentative de vol à main armée, M. Kruslin a formé un pourvoi que la Cour de cassation a rejeté le 28 octobre 1987; il paraît n’avoir cessé de protester de son innocence. Dans l’affaire Baron, d’autre part, la chambre d’accusation de la cour d’appel de Toulouse a également renvoyé le requérant, le 2 juin 1987, devant la cour d’assises de la Haute-Garonne avec M. Antoine et un certain Charles Croce. Il a dénoncé là aussi la nullité des écoutes opérées du 15 au 17 juin 1982; le 4 novembre 1987, la chambre criminelle de la Cour de cassation a écarté le moyen par des motifs identiques, mutatis mutandis, à ceux de son arrêt précité du 23 juillet 1985 (paragraphe 12 ci-dessus - Recueil Dalloz Sirey (D.S.) 1988, sommaires, p. 195). Le 2 décembre 1988, la cour d’assises a infligé au requérant la peine de la réclusion criminelle à perpétuité pour assassinat; il a introduit un pourvoi que la chambre criminelle de la Cour de cassation a rejeté le 6 novembre 1989. Toutefois, les griefs dont il a saisi la Commission concernent uniquement les écoutes utilisées dans l’affaire de "La Gerbe d’Or". II. LA LÉGISLATION ET LA JURISPRUDENCE PERTINENTES Le droit pénal français consacre le principe de la liberté de la preuve: "hormis les cas où la loi en dispose autrement, les infractions peuvent être établies par tout mode de preuve (...)" (article 427 du code de procédure pénale). Aucun texte de valeur législative n’habilite en termes exprès les juges d’instruction à opérer ou ordonner des écoutes téléphoniques, non plus du reste qu’à pratiquer ou prescrire diverses mesures d’usage pourtant fréquent, par exemple des prises de photographies ou d’empreintes, des filatures, des surveillances, des réquisitions, des confrontations de témoins et des reconstitutions. En revanche, le code de procédure pénale leur attribue explicitement compétence pour en adopter plusieurs autres qu’il réglemente en détail, telles les mises en détention provisoire, les saisies et les perquisitions. Sous l’empire de l’ancien code d’instruction criminelle, la Cour de cassation avait censuré le recours aux écoutes judiciaires sinon en général, du moins dans des circonstances révélant d’après elle, de la part d’un magistrat instructeur ou de la police, un manque de "loyauté" incompatible avec "les règles de la procédure pénale" et "les garanties essentielles aux droits de la défense" (Chambres réunies, 31 janvier 1888, ministère public c. Vigneau, Dalloz 1888, jurisprudence, pp. 73-74; chambre criminelle, 12 juin 1952, Imbert, Bull. no 153, pp. 258-260; chambre civile, 2e section, 18 mars 1955, époux Jolivot c. époux Lubrano et autres, D.S. 1955, jurisprudence, pp. 573-574, et Gazette du Palais (G.P.) 1955, jurisprudence, p. 249). Quant à elles, certaines juridictions du fond, appelées à se prononcer sur la question, semblaient plutôt enclines à reconnaître la licéité de pareille écoute s’il n’y avait eu ni "guet-apens" ni "provocation"; elles se fondaient sur l’article 90 dudit code (tribunal correctionnel de la Seine, 10e chambre, 13 février 1957, ministère public contre X, G.P. 1957, jurisprudence, pp. 309-310). Depuis l’entrée en vigueur du code de procédure pénale de 1958, la jurisprudence prend en compte à cet égard, entre autres, les articles 81, 151 et 152, ainsi libellés: Article 81 (premier, quatrième et cinquième alinéas) "Le juge d’instruction procède, conformément à la loi, à tous les actes d’information qu’il juge utiles à la manifestation de la vérité. (...) Si le juge d’instruction est dans l’impossibilité de procéder lui-même à tous les actes d’instruction, il peut donner commission rogatoire aux officiers de police judiciaire afin de leur faire exécuter tous les actes d’information nécessaires dans les conditions et sous les réserves prévues aux articles 151 et 152. Le juge d’instruction doit vérifier les éléments d’information ainsi recueillis. (...)" Article 151 (tel qu’il se présentait à l’époque des faits de la cause) "Le juge d’instruction peut requérir par commission rogatoire tout juge de son tribunal, tout juge d’instance du ressort de ce tribunal, tout officier de police judiciaire compétent dans ce ressort ou tout juge d’instruction, de procéder aux actes d’information qu’il estime nécessaires dans les lieux soumis à la juridiction de chacun d’eux. La commission rogatoire indique la nature de l’infraction, objet des poursuites. Elle est datée et signée par le magistrat qui la délivre et revêtue de son sceau. Elle ne peut prescrire que des actes d’instruction se rattachant directement à la répression de l’infraction visée aux poursuites. (...)" Article 152 "Les magistrats ou officiers de police judiciaire commis pour l’exécution exercent, dans les limites de la commission rogatoire, tous les pouvoirs du juge d’instruction. (...)" Une loi du 17 juillet 1970 a introduit dans le code civil un article 9 qui garantit à chacun le "droit au respect de sa vie privée". Elle a, de plus, inséré dans le code pénal un article 368 punissant "d’un emprisonnement de deux mois à un an et d’une amende (...), ou de l’une de ces deux peines seulement, quiconque aura volontairement porté atteinte à l’intimité de la vie privée d’autrui: En écoutant, en enregistrant ou transmettant au moyen d’un appareil quelconque des paroles prononcées dans un lieu privé par une personne, sans le consentement de celle-ci; (...)." Pendant les travaux préparatoires, l’un des vice-présidents de la commission des lois de l’Assemblée nationale, M. Zimmermann, demanda "certains apaisements" destinés à préciser que ce texte "n’empêchera[it] pas le juge d’instruction de donner très régulièrement, bien sûr sans utiliser aucune provocation et en observant toutes les formes de la loi, commission rogatoire à l’effet de procéder à certaines écoutes" (Journal officiel, Assemblée nationale, débats de 1970, p. 2074). Le Garde des Sceaux, M. René Pleven, lui répondit: "(...) il n’est pas du tout question de toucher aux pouvoirs des juges d’instruction qui peuvent en effet, dans les conditions prescrites par la loi, ordonner certaines écoutes"; il ajouta un peu plus tard: "Quand un fonctionnaire procède à une écoute, il ne peut le faire légalement que s’il est couvert par une commission rogatoire de l’autorité judiciaire ou par une instruction ministérielle" (ibidem, p. 2075). Là-dessus, les deux chambres du Parlement votèrent le projet sans l’avoir amendé sur ce point. L’article 41 du code des postes et télécommunications rend passible "des peines portées à l’article 187 du code pénal" - amende, emprisonnement et interdiction temporaire de toute fonction ou emploi public - "tout fonctionnaire public", ou "toute personne admise à participer à l’exécution du service", "qui viole le secret de la correspondance confiée au service des télécommunications". De son côté, l’article 42 menace "des peines prévues à l’article 378 du code pénal", relatif au secret professionnel - emprisonnement et amende -, "toute personne qui, sans l’autorisation de l’expéditeur ou du destinataire, divulgue, publie ou utilise le contenu des correspondances transmises par la voie radioélectrique (...)". Destinée aux fonctionnaires des P.T.T., l’instruction générale no 500-78 sur le service téléphonique contient cependant les dispositions suivantes, reproduites ici dans leur version modifiée en 1964 (article 24 du fascicule III): "Les chefs de centre et les receveurs ou gérants sont tenus de déférer à toute réquisition ayant pour objet (...) l’écoute, par l’autorité intéressée, des communications originaires ou à destination d’un poste téléphonique déterminé, et émanant: D’un juge d’instruction (art. 81, 92 et 94 du code de procédure pénale), ou de tout magistrat ou officier de police judiciaire ayant reçu commission rogatoire (art. 152); (...)." Publiée au bulletin officiel du ministère des Postes et Télécommunications, ladite instruction générale constitue, selon le Gouvernement, un "texte réglementaire d’application". Le développement frappant de diverses formes graves de délinquance - grand banditisme, terrorisme, trafic de stupéfiants, etc. - semble avoir entraîné en France une nette accélération de la fréquence du recours aux écoutes téléphoniques judiciaires. Aussi la jurisprudence les concernant apparaît-elle beaucoup plus abondante que jadis; elle ne les condamne pas en soi, bien qu’elle témoigne à l’occasion d’une certaine répugnance envers elles (cour d’appel de Paris, 9e chambre correctionnelle, 28 mars 1960, Cany et Rozenbaum, G.P. 1960, jurisprudence, pp. 253-254). Postérieures pour la plupart aux faits de la cause (juin 1982), les décisions que Gouvernement, Commission et requérant ont signalées à la Cour, ou dont elle a eu connaissance par ses propres moyens, ont peu à peu apporté une série de précisions. Celles-ci ne se dégagent pas encore toutes d’arrêts de la Cour de cassation et ne constituent pas pour l’instant un corpus jurisprudentiel homogène, en raison même du caractère isolé de certaines décisions ou motivations. Elles peuvent se résumer ainsi. a) Les articles 81 et 151 du code de procédure pénale (paragraphe 17 ci-dessus) habilitent les juges d’instruction, et eux seuls dans le cadre d’une information judiciaire, à opérer pareille écoute ou, solution bien plus courante en pratique, à en charger un officier de police judiciaire, au sens de l’article 16, au moyen d’une commission rogatoire (voir notamment Cour de cassation, chambre criminelle, 9 octobre 1980, Tournet, Bull. no 255, pp. 662-664; 24 avril 1984, Peureux, Huvig et autre, D.S. 1986, jurisprudence, pp. 125-128; 23 juillet 1985, paragraphe 12 ci-dessus; 4 novembre 1987, paragraphe 14 ci-dessus; 15 février 1988, Schroeder, et 15 mars 1988, Arfi, Bull. no 128, pp. 327-335). Il s’agit là d’un "acte d’information" parfois "utile à la manifestation de la vérité". Comparable à la saisie de lettres ou de télégrammes (voir notamment cour d’appel de Poitiers, chambre correctionnelle, 7 janvier 1960, Manchet, Juris-Classeur périodique (J.C.P.) 1960, jurisprudence, no 11599, et cour d’appel de Paris, chambre d’accusation, 27 juin 1984, F. et autre, D.S. 1985, jurisprudence, pp. 93-96), la mise sur écoutes ne se heurte pas plus qu’elle aux dispositions de l’article 368 du code pénal, eu égard aux travaux préparatoires et au principe de la liberté des preuves (paragraphes 15 et 18 ci-dessus - tribunal de grande instance de Strasbourg, 15 février 1983, S. et autres, inédit; cour d’appel de Colmar, 9 mars 1984, Chalvignac et autre, inédit mais cité par le Gouvernement à l’audience du 6 mai 1988 devant la Commission; cour d’appel de Paris, chambre d’accusation, arrêt précité du 27 juin 1984 et arrêt du 31 octobre 1984, Li Siu Lung et autres, G.P. 1985, sommaires, pp. 94-95). b) Le magistrat instructeur ne saurait délivrer une telle commission rogatoire "que sur présomption d’une infraction déterminée ayant entraîné l’ouverture de l’information" dont la conduite lui incombe, et non pour "toute une catégorie d’infractions" visées "de façon éventuelle"; cela ressort non seulement des articles 81 et 151 (deuxième et troisième alinéas) du code de procédure pénale, mais également "des principes généraux de la procédure pénale" (voir notamment Cour de cassation, chambre criminelle, arrêts précités des 23 juillet 1985, 4 novembre 1987 et 15 mars 1988). Jusqu’ici, la jurisprudence française paraît n’avoir jamais subordonné la validité des écoutes à une certaine gravité des faits à élucider, ni à la fixation d’une durée maximale par le juge d’instruction. c) "Dans les limites de la commission rogatoire" dont il se trouve saisi - au besoin par télécopie (cour d’appel de Limoges, chambre correctionnelle, 18 novembre 1988, Lecesne et autres, D.S. 1989, sommaires, p. 394) -, l’officier de police judiciaire exerce "tous les pouvoirs du juge d’instruction" (article 152 du code de procédure pénale). Il en use sous le contrôle de celui-ci, que le cinquième alinéa de l’article 81 oblige à "vérifier les éléments d’information (...) recueillis" (voir notamment Cour de cassation, chambre criminelle, arrêts précités des 9 octobre 1980, 24 avril 1984, 23 juillet 1985, 4 novembre 1987 et 15 mars 1988). Il arrive apparemment que la commission rogatoire se présente comme une délégation générale englobant, sans la mentionner en termes exprès, la possibilité d’écoutes téléphoniques (Cour de cassation, chambre civile, 2e section, arrêt précité du 18 mars 1955, et cour d’appel de Paris, arrêt précité du 28 mars 1960). d) Un officier de police judiciaire ne saurait en aucun cas se livrer à des écoutes en l’absence de commission rogatoire et de sa propre initiative, par exemple pendant l’enquête préliminaire antérieure à l’ouverture de l’information judiciaire (voir notamment Cour de cassation, chambre criminelle, 13 juin 1989, Derrien, et 19 juin 1989, Grayo, Bull. no 254, pp. 635-637, et no 261, pp. 648-651; Assemblée plénière, 24 novembre 1989, Derrien, D.S. 1990, p. 34, et J.C.P. 1990, jurisprudence, no 21418, avec les conclusions de M. l’avocat général Émile Robert). e) Les écoutes ne doivent s’accompagner d’"aucun artifice ou stratagème" (voir notamment Cour de cassation, chambre criminelle, arrêts précités des 9 octobre 1980, 24 avril 1984, 23 juillet 1985, 4 novembre 1987, 15 février 1988 et 15 mars 1988), sans quoi il échet d’éliminer du dossier pénal, par voie de retrait ou de cancellation, les données qu’elles ont servi à rassembler (voir notamment Cour de cassation, chambre criminelle, arrêts précités des 13 et 19 juin 1989). f) Elles ne doivent pas davantage "avoir pour résultat de compromettre les conditions d’exercice des droits de la défense" (voir notamment Cour de cassation, chambre criminelle, arrêts précités des 9 octobre 1980, 24 avril 1984, 23 juillet 1985, 4 novembre 1987, 15 février 1988, 15 mars 1988 et 19 juin 1989), et notamment de méconnaître le caractère confidentiel des relations du suspect ou de l’inculpé avec son conseil, ni plus généralement le secret professionnel de l’avocat, du moins lorsque celui-ci n’agit pas en une autre qualité (cour d’appel d’Aix-en-Provence, chambre d’accusation, 16 juin 1982 et 2 février 1983, Sadji Hamou et autres, G.P. 1982, jurisprudence, pp. 645-649, et 1983, jurisprudence, pp. 313-315; cour d’appel de Paris, chambre d’accusation, arrêt précité du 27 juin 1984). g) Sous cette réserve, les écoutes peuvent porter sur les communications téléphoniques en provenance ou à destination d’un inculpé (Cour de cassation, chambre criminelle, arrêts précités des 9 octobre 1980 et 24 avril 1984) aussi bien que d’un simple suspect, tel M. Terrieux en l’espèce (paragraphe 9 ci-dessus - voir aussi les jugement et arrêts précités rendus par le tribunal de grande instance de Strasbourg le 15 février 1983, la cour d’appel de Colmar le 9 mars 1984 et la chambre d’accusation de la cour d’appel de Paris le 27 juin 1984) ou encore d’un tiers, par exemple un témoin, que l’on a des raisons de croire en possession de renseignements sur les auteurs ou les circonstances de l’infraction (voir notamment cour d’appel d’Aix-en-Provence, arrêt précité du 16 juin 1982). h) Elles peuvent concerner une cabine publique (tribunal correctionnel de la Seine, 10e chambre, 30 octobre 1964, Trésor public et Société de courses c. L. et autres, D.S. 1965, jurisprudence, pp. 423-424) tout comme une ligne privée, qu’il y ait ou non dérivation sur une table d’écoutes (Cour de cassation, chambre criminelle, 13 juin 1989, et Assemblée plénière, 24 novembre 1989, précités). i) L’officier de police judiciaire contrôle l’enregistrement des conversations sur bande magnétique - ou sur cassette -, puis leur transcription, s’il ne les réalise pas lui-même; "dans le choix" des extraits "soumis à l’examen de la juridiction", il lui appartient de déterminer "les propos pouvant tomber sous le coup de poursuites pénales". Il s’acquitte de ces diverses tâches "sous sa responsabilité et sous le contrôle du juge d’instruction" (tribunal de grande instance de Strasbourg, jugement précité du 15 février 1983, confirmé par la cour d’appel de Colmar le 9 mars 1984; cour d’appel de Paris, arrêt précité du 27 juin 1984). j) Les bandes magnétiques originales - qui en l’espèce furent placées sous scellé (paragraphes 8-9 ci-dessus) - "constituent des pièces à conviction", et non "des actes de l’information", mais "n’ont que la valeur d’indices de preuve"; la "transcription de leur contenu dans des procès-verbaux" sert à le "matérialiser afin d’en permettre la consultation" (Cour de cassation, chambre criminelle, 28 avril 1987, Allieis, Bull. no 173, pp. 462-467). k) Si ladite transcription soulève un problème de traduction vers le français, les articles 156 et suivants du code de procédure pénale, relatifs aux expertises, ne s’appliquent pas pour autant à la désignation et au travail du traducteur (Cour de cassation, chambre criminelle, 6 septembre 1988, Fekari, Bull. no 317, pp. 861-862 (extraits), et 18 décembre 1989, M. et autres, encore inédit). l) "Aucune disposition de la loi n’interdit" de verser au dossier d’une affaire pénale des "éléments d’une autre procédure", par exemple des bandes magnétiques et des procès-verbaux de transcription, s’ils paraissent "de nature à éclairer les juges et à contribuer à la manifestation de la vérité", pourvu "qu’une telle jonction" revête "un caractère contradictoire" (cour d’appel de Toulouse, chambre d’accusation, 16 avril 1985, paragraphe 11 ci-dessus; Cour de cassation, chambre criminelle, 23 juillet 1985, paragraphe 12 ci-dessus, et 6 septembre 1988, précité). m) La défense doit pouvoir prendre connaissance des procès-verbaux de transcription, entendre les enregistrements originaux, en discuter l’authenticité pendant l’information puis les débats et demander "toute mesure d’instruction utile" - par exemple une expertise, comme en l’espèce (paragraphe 10 in fine ci-dessus) - "quant à leur contenu et aux circonstances de leur réalisation" (voir notamment Cour de cassation, chambre criminelle, 23 juillet 1985, paragraphe 12 ci-dessus, 16 juillet 1986, Illouz, inédit, et 28 avril 1987, Allieis, précité). n) Si le juge d’instruction exerce son contrôle sur l’officier de police judiciaire, il subit à son tour celui de la chambre d’accusation, qu’il peut du reste saisir lui-même - tout comme le procureur de la République - en vertu de l’article 171 du code de procédure pénale. De leur côté, les juridictions du fond et la Cour de cassation peuvent avoir à connaître, selon le cas, d’exceptions ou moyens tirés - en particulier par un accusé mais aussi, à l’occasion, par le ministère public (Cour de cassation, arrêts précités des 19 juin et 24 novembre 1989) - d’un manquement aux exigences résumées plus haut, ou à d’autres règles applicables en la matière d’après les intéressés. Il ne s’agit cependant pas là de nullités d’ordre public, que l’on puisse reprocher à une cour d’appel de n’avoir pas relevées d’office: elles "n’affect[ent] que les droits de la défense" (Cour de cassation, chambre criminelle, 11 décembre 1989, Takrouni, encore inédit). A partir de 1981, semble-t-il, des justiciables ont invoqué avec une fréquence croissante l’article 8 (art. 8) de la Convention - et, beaucoup plus rarement, l’article 6 (art. 6) (Cour de cassation, chambre criminelle, 23 avril 1981, Pellegrin et autres, Bull. no 117, pp. 328-335, et 21 novembre 1988, S. et autres, inédit) -, à l’appui de leurs griefs contre des écoutes téléphoniques; ils ont parfois cité - comme en l’espèce (paragraphe 12 ci-dessus) - la jurisprudence de la Cour européenne des Droits de l’Homme. Jusqu’ici, les juridictions françaises n’ont estimé contraires à l’article 8 § 2 (art. 8-2) ("prévue par la loi"), ou au droit interne stricto sensu, que des écoutes réalisées sans commission rogatoire, au stade de l’enquête préliminaire (voir notamment Cour de cassation, arrêts précités des 13 juin et 24 novembre 1989), ou dans des conditions demeurées obscures (voir notamment Cour de cassation, arrêt précité du 19 juin 1989), ou encore au mépris des droits de la défense (cour d’appel de Paris, chambre d’accusation, arrêt précité du 31 octobre 1984). Dans tous les autres cas, elles ont tantôt constaté l’absence de violation (Cour de cassation, chambre criminelle, arrêts précités des 24 avril 1984, 23 juillet 1985, 16 juillet 1986, 28 avril 1987, 4 novembre 1987, 15 février 1988, 15 mars 1988, 6 septembre 1988 et 18 décembre 1989, ainsi que 16 novembre 1988, S. et autre, inédit, et les jugement et arrêts précités des 15 février 1983 (Strasbourg), 9 mars 1984 (Colmar) et 27 juin 1984 (Paris)), tantôt déclaré le moyen irrecevable pour des raisons diverses (Cour de cassation, chambre criminelle, arrêts précités des 23 avril 1981, 21 novembre 1988 et 11 décembre 1989, ainsi que les arrêts inédits des 24 mai 1983, S. et autres, 23 mai 1985, Y.H.W., 17 février 1986, H., 4 novembre 1986, J., et 5 février 1990, B. et autres). Assez divisée sur la compatibilité des écoutes téléphoniques - judiciaires et autres -, telles qu’elles se pratiquent en France, avec les normes juridiques nationales et internationales en vigueur dans le pays, la doctrine paraît en revanche unanime à estimer souhaitable, voire nécessaire que le Parlement s’efforce de résoudre le problème en s’inspirant de l’exemple donné par nombre d’États étrangers (voir notamment Gaëtan di Marino, observations relatives à l’arrêt Tournet du 9 octobre 1980 (Cour de cassation), J.C.P. 1981, jurisprudence, no 19578; Albert Chavanne, "Les résultats de l’audio-surveillance comme preuve pénale", Revue internationale de droit comparé, 1986, pp. 752-753 et 755; Gérard Cohen-Jonathan, "Les écoutes téléphoniques", Mélanges en l’honneur de Gérard J. Wiarda, 1988, p. 104; Jean Pradel, "Écoutes téléphoniques et Convention européenne des Droits de l’Homme", D.S. 1990, chronique, pp. 17-20). En juillet 1981, le gouvernement créa une commission d’étude qui rassemblait autour de M. Robert Schmelck, alors premier président de la Cour de cassation, des sénateurs et députés de différentes tendances politiques, des magistrats, des professeurs, des hauts fonctionnaires et un avocat. Elle présenta un rapport le 25 juin 1982, mais il est demeuré secret et n’a pas débouché, jusqu’ici, sur le dépôt d’un projet de loi. PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION Devant la Commission, qu’il a saisie le 16 octobre 1985 (requête no 11801/85), M. Kruslin a soulevé un seul grief: il a fait valoir que l’écoute et l’enregistrement de sa communication téléphonique du 17 juin 1982 avaient enfreint l’article 8 (art. 8) de la Convention. La Commission a retenu la requête le 6 mai 1988. Dans son rapport du 14 décembre 1988 (article 31) (art. 31), elle conclut par dix voix contre deux à l’existence de pareil manquement. Le texte intégral de son avis et de l’opinion dissidente dont il s’accompagne figure en annexe au présent arrêt. CONCLUSIONS PRESENTEES A LA COUR À l’audience, l’agent du Gouvernement, le délégué de la Commission et le conseil du requérant ont invité la Cour - le premier, à "bien vouloir dire qu’il n’y a pas eu violation de l’article 8 (art. 8) de la Convention dans la présente affaire"; - le deuxième, "à conclure que dans le cas d’espèce il y a eu violation de l’article 8 (art. 8)"; - le troisième, à "prononcer une condamnation du gouvernement français dans cette affaire".
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE M. Franz Weber, journaliste de nationalité suisse, réside à Clarens, dans le canton de Vaud. Le 2 avril 1980, le requérant et l’une des associations qu’il anime, Helvetia Nostra, portèrent plainte pour diffamation contre R.M., auteur d’une lettre parue dans le "Courrier des lecteurs" du journal "l’Est vaudois" sous le titre "Franz Weber vous berne". La lettre renfermait les passages suivants: "Comme vous tous probablement, j’ai retiré de ma boîte aux lettres une nouvelle feuille de collecte par laquelle des gens sans scrupule viennent vous taper. On en a vraiment ras le bol, et je pense que Franz Weber ferait mieux d’aller démolir les cheminées qui foisonnent dans le ciel de Bâle et en même temps protéger ses chers sujets les phoques prisonniers au zoo, que de nous casser les pieds avec ses initiatives, dont il vit à vos dépens si vous ne le savez pas encore. Si M. Franz Weber avait le courage de présenter son bordereau d’impôt, vous seriez stupéfaits d’en prendre connaissance. Mais voilà, la liste des contribuables de la commune n’est pas rendue publique, et il est facile de se retrancher derrière cette sorte de censure, et de vivre par la bande aux crochets de braves personnes qui croient encore à l’utilité de ces marginaux, et par là témoignent de leur méfiance envers les autorités de notre pays tout entier, oh combien! démocratiquement élues par le peuple. Que chacun ait le courage de faire comprendre à HELVETIA NOSTRA (que c’est beau pour vous entôler) qu’on en a assez de faire le jeu d’hommes qui vivent à vos crochets et dont la manière d’agir frise le code. (...)." Ouï par le juge d’instruction ("juge informateur") de l’arrondissement de Vevey-Lavaux, R.M. reconnut le caractère virulent de ces accusations, l’attribuant à une dépression nerveuse dont il souffrait à l’époque. M. Weber refusa toute conciliation. Afin d’établir la vérité de ses allégations, R.M. l’invita alors à produire un certain nombre de pièces concernant sa situation financière ainsi que celle de ses associations. Le juge informateur prescrivit, le 4 novembre 1980, la communication des statuts et des comptes des deux derniers exercices d’Helvetia Nostra et de la Fondation Franz Weber. Faute de les avoir reçus, il rendit le 22 janvier 1981 une ordonnance de séquestre, mais il dut la renouveler le 13 avril 1981 car le requérant n’y avait pas obtempéré. En mai 1981, M. Weber transmit sous pli scellé les comptes d’Helvetia Nostra mais non ceux de la Fondation. Deux ordonnances ultérieures de séquestre ne furent pas exécutées. Mécontent de la manière dont le juge informateur s’acquittait de sa tâche, le requérant déposa, le 1er mars 1982, une plainte pénale pour abus d’autorité et contrainte, mais le juge d’instruction du canton de Vaud refusa d’y donner suite, sur quoi M. Weber récusa en bloc le tribunal cantonal. Inculpé de diffamation (article 173 du code pénal), R.M. fut déféré le 1er mars 1982 au tribunal de police du district de Vevey. Il en appela de l’ordonnance de renvoi, mais le tribunal d’accusation le débouta le 25 mai 1982. Le 2 mars 1982, lors d’une conférence de presse tenue à Lausanne, le requérant informa le public de la poursuite en diffamation contre R.M., des ordonnances de production et de séquestre des comptes des associations et de la remise de ces derniers sous pli scellé. Il indiqua, en outre, qu’il avait introduit une demande en récusation et une plainte contre le juge informateur. M. Weber avait déjà divulgué les trois premiers renseignements lors d’une conférence de presse tenue le 11 mai 1981 à Berne et au cours de laquelle il avait dénoncé "le complot que les autorités vaudoises [avaient] monté contre lui dans le but de l’intimider". A. La procédure devant le président de la cour de cassation pénale du Tribunal cantonal vaudois Le 3 mars 1982, les quotidiens "Gazette de Lausanne", "24 heures" et "Tribune/Le Matin" rapportèrent les déclarations du requérant. Le président de la cour de cassation pénale du canton de Vaud ouvrit d’office, en vertu de l’article 185 § 3 du code vaudois de procédure pénale, une instruction sommaire pour violation du secret de l’enquête. Par une lettre du 10 mars 1982, il enjoignit à M. Weber de fournir, dans les dix jours, des informations sur ce qu’il avait dit exactement le 2 mars 1982. Le requérant répondit le 22 mars 1982. Il nia avoir donné des "renseignements sur les opérations de l’enquête" et invoqua les articles 6 et 10 (art. 6, art. 10) de la Convention. Le 27 avril 1982, le président de la cour de cassation lui infligea une amende de 300 francs suisses, asortie d’un délai d’épreuve d’un an aux fins de radiation du contrôle cantonal. Il fonda sa décision sur les motifs suivants: "II. 1. Franz Weber invoque l’article 6 (art. 6) de la Convention européenne des Droits de l’Homme (CEDH) et critique la procédure prévue par l’art. 185 al. 3 du code de procédure pénale (CPP) qui est la même que celle prévue aux art. 384 al. 2, 386 al. 2 et 336 CPP. Ce grief n’est pas pertinent, car l’art. 6 (art. 6) CEDH ne s’applique pas à la procédure sommaire d’instruction prévue pour ces contraventions de procédure du droit cantonal, réservé par l’art. 335 ch. 1 al. 2 du code pénal (CP), au motif qu’il ne s’agit pas d’une ‘accusation en matière pénale’. (...) Franz Weber fait encore valoir qu’il n’a pas révélé des faits secrets le 2 mars 1982, ces faits étant déjà tombés dans le domaine public à la suite de sa conférence de presse du 11 mai 1981. Aucune instruction n’ayant été ouverte à la suite de la conférence de presse du 11 mai 1981 et Franz Weber n’ayant pas eu l’occasion d’user de son droit d’être entendu, il n’y a pas lieu de s’en occuper dans la présente procédure. En outre, l’action pénale sera prescrite (art. 12 de la loi pénale vaudoise, 4 de la loi sur les contraventions, 109 CP) à bref délai. Il est exact qu’à la suite de la conférence de presse du 11 mai 1981, les faits relatés lors de la conférence de presse du 2 mars 1982 étaient connus de tout le monde, mais cela est sans importance, car la violation du secret de l’enquête consiste à ‘révéler’ un fait qui devrait être tenu secret. Peu importe dès lors que le fait qui devait être tenu secret fût connu d’un nombre limité ou indéterminé de personnes parce que le secret a déjà été violé par un tiers ou par le même auteur. L’élément objectif de l’infraction prévue et réprimée par l’art. 185 CP est donc réalisé. Cette contravention est punissable même si elle a été commise par négligence (art. 4 de la loi pénale vaudoise, 6 de la loi sur les contraventions). Il est manifeste qu’en l’espèce Franz Weber a agi intentionnellement. En révélant qu’il avait demandé la récusation du magistrat instructeur, Franz Weber révélait l’existence de l’enquête, mais l’on peut douter qu’il s’agisse là d’un ‘renseignement sur l’enquête’. La révélation du dépôt d’une plainte pénale, qui peut être constitutive d’une autre infraction, ne tombe pas sous le coup de l’art. 185 CP, notamment lorsque la plainte fait l’objet d’un refus de suivre. Franz Weber admet lui-même que la violation du secret de l’enquête était délibérée. L’argument d’une sorte d’état de nécessité qu’il invoque ne vaut rien puisqu’il avait la possibilité de recourir au Tribunal d’accusation contre les ordonnances de séquestre des comptes de la fondation Franz Weber et de l’association Helvetia Nostra, possibilité qu’il utilisa deux jours plus tard. (...)." B. La procédure devant la cour de cassation pénale du Tribunal cantonal vaudois Contre cette décision, M. Weber introduisit un recours que la cour de cassation pénale, statuant à huis clos (article 431 §§ 2 et 3 du code vaudois de procédure pénale) le 15 octobre 1982, rejeta à l’unanimité par les motifs suivants: "(...) En l’espèce, le fait de révéler le dépôt d’une plainte pénale - le 2 avril 1980 contre [R.M.] et le 1er mars 1982 contre le magistrat instructeur - n’est pas un renseignement sur l’enquête, sinon dans la mesure où il implique - et révèle - que l’enquête a été ouverte (...), mais il est exact qu’il peut constituer une infraction (diffamation, calomnie, de la part du plaignant). L’article 185 du code de procédure pénale (CPP) n’est donc pas applicable à la révélation du dépôt de la première plainte parce qu’elle était punissable comme diffamation et à la révélation du dépôt de la seconde plainte parce qu’il n’y a pas eu d’enquête ouverte. Le prononcé est donc bien fondé sur ce point. La révélation de la récusation n’est pas un renseignement sur l’enquête. L’objet de l’enquête n’est pas la récusation et en révélant une demande de récusation, on ne dit rien sur l’objet de l’enquête, son contenu, ses résultats. Reste en revanche qu’on révèle l’existence de ladite enquête; mais une telle révélation n’est pas punissable selon l’art. 185 CPP, puisque la révélation était punissable comme diffamation. La révélation des ordonnances de production et de séquestre des comptes au dossier constitue des renseignements sur l’enquête. Reste à savoir si l’on peut parler de révélation dans la mesure où les faits avaient déjà été livrés au public lors d’une précédente conférence de presse. (...) L’article 185 CPP, qui tend aussi et même principalement à protéger l’intérêt public au déroulement d’une enquête dans les meilleures conditions, interdit la communication par une partie de renseignements tirés du dossier; il suffit donc que les faits soient de nature secrète, sans qu’ils soient nécessairement encore secrets; la communication de faits de nature secrète à quelqu’un qui les connaît déjà à la suite d’une précédente indiscrétion est donc punissable. D’ailleurs, le recourant ne saurait se prévaloir de la notoriété alors que celle-ci est due à une première révélation faite par lui-même. C’est donc à juste titre que le recourant a été condamné. (...)." Enfin, la cour de cassation pénale annula d’office l’inscription de l’amende au contrôle cantonal. Elle nota que d’après le droit vaudois et nonobstant leur convertibilité en journées d’"arrêts", les amendes pour "contravention de procédure", telle que la violation du secret de l’enquête, revêtaient un caractère disciplinaire car elles visaient à assurer le déroulement normal de l’instruction. Sur ce point, le droit cantonal se distinguait du droit fédéral. C. La procédure devant le Tribunal fédéral M. Weber saisit le Tribunal fédéral d’un recours de droit public. Il invoquait les articles 10 et 6 (art. 10, art. 6) de la Convention. A ses yeux, ce dernier trouvait à s’appliquer en raison de la nature pénale de l’amende infligée, convertible, selon l’article 18 bis d’un arrêté du 23 janvier 1942, en une peine privative de liberté. Le 16 novembre 1983, le Tribunal fédéral rejeta le recours. Il releva notamment: "(...) Le recourant soutient (...) que l’art. 185 du code vaudois de procédure pénale (CPP vaud.) viole in abstracto, subsidiairement in concreto, la liberté d’expression telle qu’elle est garantie par le droit constitutionnel fédéral et l’art. 10 (art. 10) de la Convention européenne des Droits de l’Homme (CEDH). Ce faisant, il méconnaît que l’intérêt public peut légitimer certaines restrictions à l’exercice de ce droit fondamental (...). L’art. 10 al. 2 (art. 10-2) in fine CEDH prévoit au demeurant expressément que de telles restrictions sont admissibles lorsqu’elles constituent des mesures nécessaires dans une société démocratique, notamment pour garantir l’autorité et l’impartialité du pouvoir judiciaire. La règle posée par l’art. 185 CPP vaud. s’inscrit clairement dans le cadre de ces principes. Une pesée des intérêts concurrents en jeu conduit aux mêmes conclusions. Si l’on peut certes comprendre que le recourant a eu des motifs de s’insurger contre le déroulement parfois peu orthodoxe de la procédure dirigée contre lui, il ne faut pas perdre de vue qu’il disposait des voies de recours usuelles, qu’il a d’ailleurs parfois utilisées avec succès; son intérêt à s’exprimer sur cette question en public ainsi que l’intérêt de l’opinion à être informée par ce biais ne saurait l’emporter sur celui d’assurer à l’appareil judiciaire des conditions de fonctionnement aussi sereines et impartiales que possible. A cet égard, l’interdiction de communiquer des renseignements sur l’enquête jusqu’à sa clôture et les sanctions qui y sont attachées respectent sans nul doute le principe de la proportionnalité. En examinant si l’ingérence incriminée se fondait sur des motifs suffisants qui la rendaient nécessaire dans une société démocratique en tenant compte de tous les aspects de l’affaire relevant de l’intérêt public (Cour européenne des Droits de l’Homme, affaire Sunday Times, série A no 30, par. 65-67), on ne peut que conclure, notamment en comparant les intérêts en jeu dans l’affaire Sunday Times précitée et dans le cas du recourant, à l’absence de toute violation de la liberté d’expression. (...) En l’espèce, le recourant encourait une amende maximale de 500 fr. (art. 185 al. 1 CPP vaud.) et s’est vu infliger une amende de 300 fr. Au regard du droit vaudois, une telle sanction relève typiquement du domaine de la discipline procédurale. Cela n’est cependant pas décisif selon les juridictions européennes. De telles règles visent en général surtout les avocats, auquel cas leur caractère disciplinaire ne fait pas de doute; les parties à une procédure pénale peuvent cependant être soumises elles aussi à une certaine discipline. On doit certes admettre que la mesure prise à l’égard du recourant aurait pu l’être sur la base d’une combinaison entre l’art. 184 CPP vaud., qui instaure le secret de l’enquête, et de l’art. 293 du code pénal (CP), qui punit des arrêts ou de l’amende celui qui aura livré à la publicité des actes d’une instruction ou des débats d’une autorité qui sont secrets en vertu de la loi. L’application du code pénal aurait alors justifié celle de l’art. 6 par. 1 (art. 6-1) CEDH. Tel n’a cependant pas été le cas, et c’est sur la base d’une règle de procédure cantonale que le recourant s’est vu infliger une sanction dont le caractère disciplinaire ou pénal ne peut être déterminé qu’en appréciant son degré de sévérité. Le recourant démontre, non sans pertinence, qu’une telle amende est convertible en 10 jours d’arrêts en vertu de l’art. 12 de l’arrêté vaudois sur le recouvrement des amendes et leur conversion en arrêts. Une telle procédure ne laisse en effet qu’un pouvoir d’appréciation très limité à l’autorité et ne lui permet en tout cas pas de répondre après coup aux exigences posées par l’art. 6 (art. 6) CEDH. Le recourant perd cependant de vue que l’art. 49 ch. 3 al. 2 du code pénal suisse (CPS) permet au juge d’exclure la conversion lorsque le condamné aura apporté la preuve qu’il est, sans sa faute, dans l’impossibilité de payer l’amende. Dans de telles conditions, l’éventualité d’une peine privative de liberté ne saurait fonder le caractère pénal de la sanction prise en l’espèce. Au demeurant, si l’amende infligée en l’espèce n’est pas d’un montant négligeable, elle entre cependant dans la catégorie des sanctions qui, par leur nature, leur durée ou leurs modalités, sont réputées ne pas causer un préjudice important. L’éventualité d’une conversion en une peine privative de liberté n’y change rien, puisqu’elle est possible dans le seul cas où le recourant refuserait de s’acquitter de l’amende par pure mauvaise volonté. Les garanties instituées à l’art. 6 par. 1 (art. 6-1) CEDH n’étaient donc pas applicables, en l’occurrence." Le requérant s’acquitta de l’amende en janvier 1985. II. LE DROIT INTERNE PERTINENT A. Le code vaudois de procédure pénale Le secret de l’enquête se trouve régi par les articles 184 et 185 du code vaudois de procédure pénale, ainsi libellés: Article 184 "Toute enquête demeure secrète jusqu’à sa clôture définitive. Les magistrats ou fonctionnaires ne peuvent communiquer ni pièce ni renseignement sur l’enquête, sinon aux experts, aux témoins ou à une autorité, dans la mesure où la communication est utile à l’instruction ou justifiée par des motifs d’ordre administratif ou judiciaire." Article 185 "Les parties, leurs conseils et les employés de ceux-ci, ainsi que les experts et les témoins, sont tenus de respecter le secret de l’enquête, sous peine d’une amende jusqu’à cinq cents francs, à moins que l’acte ne soit punissable en vertu d’autres dispositions. La peine prévue à l’alinéa précédent est prononcée, d’office ou sur dénonciation, par le président de la Cour de cassation. Celui-ci statue après une instruction sommaire." En 1983, le requérant fut le promoteur de l’initiative constitutionnelle "pour une justice pénale à visage humain", qui tendait, entre autres, à voir abroger l’article 185. Elle correspondait à la démarche des auteurs du code genevois de procédure pénale de 1977, qui n’assortit d’aucune sanction l’obligation de respecter le secret de l’instruction, dont il exempte même complètement les témoins, le plaignant, l’accusé et leurs conseils. Au référendum du 20 mai 1984, le peuple du canton de Vaud rejeta l’initiative Weber à une nette majorité. B. Le code pénal suisse L’article 293 § 1 du code pénal suisse - qui n’a pas trouvé à s’appliquer en l’espèce (paragraphe 19 ci-dessus) - dispose: "Celui qui, sans en avoir le droit, aura livré à la publicité tout ou partie des actes, d’une instruction ou des débats d’une autorité qui sont secrets en vertu de la loi ou d’une décision prise par l’autorité dans les limites de sa compétence sera puni des arrêts ou de l’amende." C. L’arrêté cantonal vaudois du 23 janvier 1942 sur la poursuite des amendes et leur conversion en arrêts L’arrêté cantonal du 23 janvier 1942, complété et modifié à plusieurs reprises, prévoit notamment: Article 8 "Si le condamné n’a ni payé, ni racheté l’amende et qu’une poursuite paraît devoir rester infructueuse, le préfet convertit l’amende en arrêts. (...) Le préfet peut toutefois exclure en tout temps la conversion si le condamné lui apporte la preuve qu’il est, sans sa faute, dans l’impossibilité de payer l’amende." Article 12 "Le taux de conversion est d’un jour d’arrêts pour trente francs d’amende; il n’est pas tenu compte des fractions inférieures à trente francs; la durée des arrêts ne peut pas dépasser trois mois. (...)." Article 14 "Le département adresse dans les 24 heures dès leur réception, au préfet du for du tribunal qui a statué, les expéditions des jugements et décisions comportant condamnation à une amende qui lui sont communiqués. Il ordonne au préfet d’exécuter le jugement ou la décision." Article 15 "Si le condamné n’a ni payé, ni racheté l’amende et qu’une poursuite paraît devoir rester infructueuse, le préfet en informe le département en vue de faire convertir l’amende en arrêts, à moins que cette conversion n’ait d’emblée été exclue par le jugement ou la décision en cause." Article 17 "Le président du tribunal décide s’il y a lieu de convertir l’amende en arrêts, conformément à l’article 49 du code pénal, et procède selon les articles 459 et 460 du code de procédure pénale. (...)." Article 18 bis "En cas d’amendes prononcées à raison de contraventions à des dispositions de procédure pénale ou civile, les articles 14 et 15 sont applicables. Dans le cas de l’article 15, le département fera rapport au magistrat compétent, lequel pourra convertir l’amende en arrêts, totalement ou partiellement; il avisera le département de sa décision. Les articles 8 et 10 à 13 sont applicables à la conversion, avec cette réserve que le magistrat compétent pour statuer est: a) le président du tribunal cantonal pour les amendes prononcées par lui-même ou par le tribunal en corps; b) le président des différentes sections ou cours du Tribunal cantonal pour les amendes prononcées par lui-même ou par la section ou cour; (...)." III. LA RÉSERVE DE LA SUISSE À L’ARTICLE 6 § 1 (art. 6-1) DE LA CONVENTION A. Libellé Au moment du dépôt de l’instrument de ratification de la Convention, le gouvernement suisse a formulé la réserve suivante: "Le principe de la publicité des audiences proclamé à l’article 6, paragraphe 1 (art. 6-1), de la Convention ne sera pas applicable aux procédures qui ont trait (...) au bien-fondé d’une accusation en matière pénale et qui, conformément à des lois cantonales, se déroulent devant une autorité administrative. Le principe de la publicité du prononcé du jugement sera appliqué sans préjudice des dispositions des lois cantonales de procédure civile et pénale prévoyant que le jugement n’est pas rendu en séance publique, mais est communiqué aux parties par écrit." B. L’arrêt Schaller La jurisprudence suisse a été amenée à se prononcer sur la notion d’autorité administrative. Le Tribunal fédéral a ainsi indiqué, dans son arrêt Schaller du 2 décembre 1983: "Au demeurant, l’expression ‘autorité administrative’ ne figure pas dans le texte de la Convention, mais bien dans celui de la réserve que la Suisse a faite au sujet du principe de la publicité des débats et des jugements énoncé à l’art. 6 (art. 6) de la Convention européenne des Droits de l’Homme (CEDH). Il ne s’agit donc pas d’une notion conventionnelle qui devrait être interprétée selon le principe de la confiance, c’est-à-dire dans le sens que les autres États signataires pourraient et devraient de bonne foi lui donner, ni directement selon les art. 31 et 32 de la Convention de Vienne du 23 mai 1969, que la Suisse n’a pas encore ratifiée. Une réserve faite au moment de la ratification d’un traité est une déclaration unilatérale qui doit être interprétée, en général, par référence au droit interne de l’État qui l’a adoptée, comme une disposition légale ou réglementaire. Une interprétation conforme à la volonté de l’État déclarant permet, s’agissant d’une réserve, de prendre en considération l’objectif réel visé par cette dernière, dont la justification découle précisément des particularités du droit national (...). Dès lors, il convient de prendre en considération le sens que le Gouvernement et le Parlement helvétiques ont voulu donner à cette expression ‘autorité administrative’. Si les Chambres fédérales ont accepté la réserve sans discussion ni commentaire, le Conseil fédéral a donné les précisions suivantes dans son Message de 1968 (FF [Feuille fédérale] 1968 II p. 1118/1119): ‘(...) En Suisse, ainsi que nous l’avons relevé plus haut, les autorités administratives peuvent être appelées à trancher des litiges de droit privé et à prononcer des peines comme le ferait un juge pénal. Or la procédure administrative n’est en principe pas publique. Il en va de même de la procédure devant les tribunaux administratifs, malgré son caractère contradictoire. Il est en outre douteux que le principe de la publicité soit applicable de manière générale à la procédure en matière pénale administrative.’ En revanche, dans son Message du 4 mars 1974 (FF 1974 I p. 1020), le Conseil fédéral s’est contenté d’affirmer que la procédure devant les autorités administratives n’est pas publique. Il est donc possible de confirmer la jurisprudence de l’arrêt R. et consorts du 25 novembre 1982 précité. Au regard du Message de 1968, on constate que la Suisse entendait exclure l’application du principe de la publicité des débats et du jugement non seulement devant l’administration, mais aussi devant les tribunaux administratifs malgré le caractère contradictoire de cette procédure. D’ailleurs, il serait compatible avec le principe de la bonne foi d’admettre que la réserve n’est pas applicable à telle ou telle autorité en raison de son organisation, mais bien plutôt des fonctions qu’elle exerce, en l’occurrence des fonctions administratives. cc) C’est avec raison que l’autorité intimée a considéré pouvoir faire application de la réserve faite au sujet de l’art. 6 (art. 6) CEDH et a admis qu’en Suisse ‘le droit disciplinaire relève du droit administratif et les autorités qui l’appliquent exercent une compétence administrative’." PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION M. Weber a saisi la Commission le 15 mai 1984 (requête no 11034/84). Il alléguait un manquement aux exigences de l’article 6 § 1 (art. 6-1) de la Convention (droit à un procès équitable et public en vue d’une décision sur une "accusation en matière pénale"), en ce que la procédure sommaire avait été menée en chambre du conseil et sans audition des parties et des témoins. Il prétendait aussi que l’imposition d’une amende constituait une atteinte injustifiée à son droit à la liberté d’expression, garanti par l’article 10 (art. 10). La Commission a retenu la requête le 7 juillet 1988. Dans son rapport du 16 mars 1989 (article 31) (art. 31), elle conclut à la non-violation de l’article 6 § 1 (art. 6-1) - qui selon elle ne s’applique pas en l’espèce - (neuf voix contre quatre), mais à la violation de l’article 10 (art. 10) (unanimité). Le texte intégral de son avis et de l’opinion dissidente dont il s’accompagne figure en annexe au présent arrêt. CONCLUSIONS PRESENTEES A LA COUR PAR LE GOUVERNEMENT À l’audience, le Gouvernement a confirmé les conclusions qui figuraient dans son mémoire. Elles invitaient la Cour à dire "quant à l’article 6 § 1 (art. 6-1) de la Convention - à titre principal, que cette disposition n’est pas applicable au cas d’espèce; - à titre subsidiaire, que compte tenu de la réserve formulée par la Suisse à cette disposition, le principe de publicité n’était pas applicable à la procédure litigieuse; quant à l’article 10 (art. 10) de la Convention - que l’ingérence étatique litigieuse était justifiée au regard du paragraphe 2 (art. 10-2) de cette disposition."
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE A. Genèse de l’affaire Ressortissant norvégien né en 1948, le requérant eut en 1965 un accident de la route qui provoqua chez lui des lésions cérébrales graves. Il manifesta par la suite une nette tendance à l’agressivité. En 1967, il se vit condamné à un internement de sûreté (sikring) de cinq ans au maximum, en vertu de l’article 39 § 1 e) du code pénal norvégien, pour infraction aux articles 227, 228 et 292 (voies de fait ainsi que coups et blessures). Une expertise psychiatrique, recueillie à l’époque, le déclara malade mental (sinnssyk) et il séjourna de mai 1967 à juillet 1972 dans des établissements psychiatriques. De 1973 à 1978, il demeura détenu environ quatre ans soit à l’hôpital central du Telemark, soit à l’hôpital psychiatrique de Reitgjerdet au titre de la loi sur la santé mentale (lov om psykisk helsevern). B. La condamnation de 1978 - autorisation de recourir à des mesures de sûreté Ayant agressé son père, M. E. fut placé en 1978 sous "observation judiciaire" (judisiell observasjon). Cette fois, l’expert conclut qu’il ne s’agissait pas d’un malade mental, mais d’un individu aux facultés mentales insuffisamment développées et durablement altérées (mangelfullt utviklede og varig svekkede sjelsevner), chez qui existait un risque évident de nouvelles infractions pénales. Le 26 juin 1978, le tribunal d’arrondissement (herredsret) de Kragerø infligea au requérant soixante jours de prison pour infraction à l’article 228 du code pénal; il autorisa aussi l’application des mesures de sûreté énumérées à l’article 39 § 1 a) à f), pour un maximum de cinq ans. Il souligna qu’un internement préventif dans une prison, en vertu de l’article 39 § 1 f), aurait probablement une influence négative sur l’intéressé; on ne devait donc y recourir qu’en cas d’urgence. Le tribunal déclara escompter que les autorités compétentes prendraient les dispositions nécessaires pour éviter des séjours prolongés en prison. À la suite de ce jugement, la police sollicita l’admission du condamné à l’hôpital central du Telemark, mais celui-ci la refusa car il considérait M. E. comme un psychopathe souffrant de lésions cérébrales et dont aucun traitement psychiatrique ne paraissait pouvoir améliorer l’état. Le 3 juillet 1978, le parquet résolut d’interner le requérant, conformément à l’article 39 § 1 e), dans un pavillon de sécurité à l’établissement national de détention pénale et de sûreté d’Ila ("Ila"). Le 8 septembre 1978, M. E. sollicita son élargissement sous tutelle de sûreté (sikring i frihet). Le 18, le directeur d’Ila transmit la demande au ministère de la Justice en formulant l’avis que malgré la difficulté de trouver une solution appropriée, il ne semblait pas adéquat de détenir l’intéressé en prison. Le 5 octobre 1978, le ministère décida néanmoins que ce dernier resterait à Ila jusqu’à nouvel ordre. Le 10 janvier 1979, l’avocat du requérant, se référant au jugement du 26 juin 1978 (paragraphe 9 ci-dessus), invita le ministère de la Justice à libérer son client et à le placer sous tutelle de sûreté conformément à l’article 39 § 1 a) à c). Appuyée par le directeur d’Ila, sa démarche aboutit le 24 avril 1979 au résultat souhaité. Cependant, une semaine environ plus tard M. E. dut regagner Ila faute d’avoir respecté les conditions prescrites. Il bénéficia d’un nouveau régime de permission spéciale, mais refusa de retourner à Ila quand expira le temps d’absence autorisé; la police l’y ramena le 16 août 1979. Par une lettre du 17 décembre 1979 au ministère de la Justice, le directeur d’Ila recommanda de relâcher le requérant sous tutelle de sûreté, au titre de l’article 39 § 1 a) à c). Il soulignait que le cas relevait manifestement de la psychiatrie et ne se prêtait pas à un internement pénitentiaire; il engageait le ministère à prendre contact avec les services de santé pour confier l’intéressé à un établissement psychiatrique approprié. Le 21 janvier 1980, le ministère de la Justice décida, en vertu de l’article 39 § 1 a) à c), de libérer le requérant à la condition, entre autres, qu’il résidât chez ses parents. En raison de plusieurs incidents violents, M. E. fut pourtant arrêté derechef; le 15 juin 1980, le tribunal d’arrondissement de Kragerø le condamna à quatre-vingt-dix jours de prison, peine considérée comme subie pendant la détention provisoire. Le 24 juillet 1980, le ministère résolut de réinterner le requérant à Ila sur la base de l’article 39 § 1 e). Le 2 juin 1981, l’intéressé fut à nouveau envoyé chez ses parents sous tutelle de sûreté, en application de l’article 39 § 1 a) à c). Plusieurs incidents malheureux conduisirent le ministère à recourir une fois encore à l’article 39 § 1 e). M. E. réintégra donc Ila le 17 juillet 1981. Pendant son séjour au pavillon de sécurité, il agressa des gardiens à plusieurs reprises. L’administration pénitentiaire essaya de le faire transférer à l’hôpital psychiatrique de Reitgjerdet, mais cela se révéla impossible car il ne remplissait pas les conditions d’admission fixées par la loi sur la santé mentale. Par une lettre du 16 septembre 1981, le directeur d’Ila demanda l’assistance du ministère de la Justice pour placer le requérant dans un établissement de soins psychiatriques. Le ministère conclut, semble-t-il, que pareille mesure était irréalisable sauf si la situation évoluait et si le requérant devenait psychotique au sens de la loi sur la santé mentale. Le 5 février 1982, le ministère de la Justice se prévalut de l’article 39 § 1 f) du code pénal; le 16, l’intéressé fut incarcéré à la prison d’arrondissement d’Oslo puis, le 4 novembre, au pénitencier national d’Ullersmo ("Ullersmo"). C. La condamnation de 1983 - autorisation de recourir à des mesures de sûreté, à l’exclusion de la détention dans un pavillon de sécurité ou en prison Alors que le requérant se trouvait ainsi détenu, le tribunal d’arrondissement d’Asker et Baerum lui infligea, le 18 mars 1983, six mois de prison pour avoir, par trois fois, agressé des gardiens à Ila et Ullersmo. L’expertise psychiatrique établie pour le procès concluait, comme auparavant, qu’il ne s’agissait pas d’un malade mental mais d’un individu aux facultés mentales insuffisamment développées et durablement altérées. Quant à des mesures de sûreté, le tribunal souligna que d’après les renseignements recueillis la détention dans une prison ou un établissement analogue se révélait contre-indiquée et avait un effet destructeur sur le requérant. Constatant que celui-ci était manifestement justiciable d’un traitement psychiatrique, il recommandait de ne rien négliger pour lui dispenser des soins adéquats. Dès lors, il autorisa le parquet à prendre des mesures de sûreté en vertu de l’article 39 § 1, à l’exception toutefois de la détention dans un pavillon de sécurité ou en prison, prévue aux alinéas e) et f). D. La condamnation de 1984 - autorisation de recourir à des mesures de sûreté, y compris la détention dans un pavillon de sécurité ou en prison Après avoir purgé sa peine, le requérant recouvra la liberté le 18 novembre 1983. D’abord placé dans un appartement à Kragerø sous la surveillance de la police locale, il fut, le 19 décembre 1983, arrêté, mis en détention provisoire et inculpé derechef d’infractions aux articles 227 et 228 du code pénal. Une nouvelle expertise psychiatrique aboutit à la même conclusion que les deux précédentes (paragraphes 9 et 20 ci-dessus). Le 20 septembre 1984, le tribunal d’arrondissement de Kragerø le déclara coupable sur la plupart des points et le condamna à cent vingt jours de prison. Il habilita en outre le parquet à utiliser l’une quelconque des mesures de sûreté mentionnées à l’article 39 § 1 du code pénal, pendant une période de cinq ans au maximum. Quant à leurs conditions d’emploi, il se référa aux décisions antérieures (paragraphes 9 et 20 ci-dessus). Il estima pourtant ne pouvoir interdire aux autorités compétentes de recourir, s’il le fallait, à un internement de sûreté dans une prison ou un pavillon de sécurité, conformément à l’article 39 § 1 e) et f), eu égard à la force physique de M. E. et à son absence presque complète de maîtrise de soi dans certaines situations. Elles en eurent apparemment besoin car l’intéressé demeura à Ila. Le requérant attaqua devant la Cour suprême (Høyesterett) la décision relative à l’internement de sûreté. Dans un arrêt du 12 janvier 1985, le juge Røstad déclara au nom de la Cour unanime: "(...) Il me semble sans nul doute nécessaire d’élargir la portée des mesures de sûreté ainsi que le prévoit le jugement litigieux. Avec le tribunal d’arrondissement, j’estime réunies les conditions d’un internement de sûreté. [Le requérant], que l’on doit considérer comme une personnalité déviante - condition exigée par l’article 39 [du code pénal] -, risque fort de commettre de nouvelles infractions y compris des menaces (article 227). J’ajoute que l’on ne saurait trouver disproportionné d’imposer des mesures de sûreté à un délinquant aussi nettement dangereux. Selon moi, la protection de la société demande que les autorités puissent ordonner les mesures de sûreté voulues pour empêcher [le requérant] d’accomplir de nouvelles infractions graves. A la suite du résumé donné par l’avocat de la défense, je soulignerai que je n’aperçois pas sur quelle base on irait se fonder pour prétendre contraire à [l’article 3] (art. 3) de la Convention (...) la décision d’un tribunal norvégien autorisant l’emploi de mesures de sûreté en pareil cas. Il appartient aux organes de mise en oeuvre de veiller à donner à la mesure de sûreté une forme qui tout en sauvegardant les intérêts de la société, essaie aussi de servir ceux du [requérant], y compris son besoin d’un traitement psychiatrique. (...) En l’espèce, plusieurs personnes ont souligné que [le requérant] a surtout besoin de soins et singulièrement de soins psychiatriques. Je souscris à cette opinion; j’ajoute que j’attends du parquet, de l’administration pénitentiaire et des services de santé qu’ils continuent à rechercher, de concert, une solution propre à éviter l’internement de sûreté en prison. Une proposition de traitement a été élaborée et présentée à notre Cour après une réunion tenue le 13 novembre 1984, mais on n’a pu l’appliquer car [le requérant] l’a repoussée. Elle impliquait son retour dans le Telemark où un appartement devait être acheté pour lui à Skien, près d’un hôpital psychiatrique. Elle prévoyait en outre un traitement par médicaments et la possibilité de réinterner rapidement [le requérant] s’il ne respectait pas des conditions importantes, par exemple celles qui régissaient ses séjours à Kragerø, ou s’il ne suivait pas son traitement médical. Le facteur temps et les conséquences graves qui pourraient découler, pour [le requérant], du placement continu dans des institutions relevant des autorités pénitentiaires, commandent de découvrir au plus tôt une solution adéquate tenant compte des intérêts légitimes tant [du requérant] que de la société." Le 7 novembre 1985, M. E. fut envoyé d’Ila à Ullersmo sur décision du ministère de la Justice, prise en vertu de l’article 39 § 1 f) du code pénal. Après ce transfert, il se déclara prêt à accepter les conditions que prévoyait le programme mentionné dans l’arrêt précité de la Cour suprême (paragraphe 23). Les autorités prirent contact avec l’hôpital auquel elles songeaient pour en contrôler l’exécution; il leur répondit qu’il ne pouvait se charger du requérant jusqu’à la création d’un service pour patients difficiles. Elles sollicitèrent aussi l’admission de M. E. à l’hôpital psychiatrique de Reitgjerdet. Toutefois, le règlement général applicable la réservait aux patients "souffrant de très graves troubles mentaux" et le requérant ne passait pas pour entrer dans cette catégorie. En conséquence, l’hôpital pria la direction de la santé publique du ministère des Affaires sociales de consentir à une dérogation, mais elle lui indiqua le 26 février 1986 que la loi l’en empêchait. M. E. vécut néanmoins vingt-trois jours à l’hôpital en avril-mai 1986. La commission de contrôle (kontrollkommisjonen) de l’hôpital étudia son cas le 6 mai; elle estima non établi qu’il s’agît d’un psychotique ou que les autres conditions nécessaires pour séjourner dans l’établissement fussent remplies. L’intéressé retourna donc à Ullersmo. Le 29 octobre 1986, le tribunal d’arrondissement d’Asker et Baerum lui infligea quarante-cinq jours d’emprisonnement avec sursis pour avoir agressé un gardien. Le 12 janvier 1987, le requérant fut transféré d’Ullersmo au centre de réinsertion de Sunnås, près d’Oslo, afin d’y suivre pendant deux semaines un traitement psychologique. Il y subit certains examens, mais fut renvoyé à Ullersmo après avoir attaqué l’une des infirmières. Le 24 février 1987, il fut transféré à l’hôpital psychiatrique de Reitgjerdet où l’on constata qu’il était devenu psychotique. Remplissant ainsi les conditions d’un placement forcé, il y séjourna jusqu’au 4 décembre 1987; à cette date, l’hôpital conclut qu’il n’était plus psychotique. M. E. y resta cependant de son plein gré, mais au bout de quelques semaines il témoigna de l’agressivité envers les autres malades et le personnel. Comme il refusait de se voir admettre au pavillon réservé aux patients difficiles, il fut renvoyé à Ullersmo, toujours sur l’autorisation du ministère de la Justice, accordée en vertu de l’article 39 § 1 f) du code pénal. Les mesures de sûreté furent modifiées à compter du 8 février 1988. En application de l’article 39 § 1 a) à c), le ministère décida que l’intéressé sortirait d’Ullersmo pour résider dans une maison à Skien, en liberté mais sous le contrôle du service de probation et d’aide postpénitentiaire (kriminalomsorg i frihet). Le 19 avril 1988, le requérant attaqua les travailleurs sociaux qui le surveillaient; le même jour, le ministère résolut de substituer à la tutelle de sûreté prévue à l’article 39 § 1 a) à c) un internement dans un établissement fermé, au moins pour une courte période, sur la base de l’article 39 § 1 f). M. E. fut transféré à la prison d’arrondissement d’Arendal. E. La première contestation, par le requérant, de la décision de le maintenir en internement de sûreté Le 27 avril 1988, il assigna le ministère de la Justice devant le tribunal d’Oslo, alléguant la nullité de la décision du 19 avril 1988. En cours d’instance, le ministère ordonna le 18 mai 1988 de le placer à nouveau sous tutelle de sûreté conformément à l’article 39 § 1 a) à c). Transféré en conséquence, le lendemain, d’Arendal à son domicile de Skien, l’intéressé se désista le 17 juin 1988 puisqu’il ne se trouvait plus détenu. F. La seconde contestation, par le requérant, de la décision de le maintenir en internement de sûreté Après plusieurs incidents violents, le ministère de la Justice prescrivit le 21 juillet 1988, sur recommandation du service de probation et d’aide postpénitentiaire, de mettre fin à la tutelle de sûreté à Skien et de transférer le requérant à Ila en vertu de l’article 39 § 1 e). Alors en détention provisoire et inculpé de plusieurs infractions pénales, M. E. saisit le tribunal d’Oslo, le 3 août 1988 - pendant les vacances judiciaires -, d’une action dirigée contre le ministère. Dans sa demande de contrôle judiciaire, il sollicitait une procédure rapide. D’après lui, le ministère avait à plusieurs égards violé la loi sur l’administration publique: il n’avait pas précisé les faits sur lesquels se fondait sa volonté de le réinterner, lui avait refusé l’accès à des documents versés au dossier et n’avait jamais pris de décision formelle, empêchant ainsi tout recours. Toujours selon l’intéressé, sa réincarcération constituait une riposte déraisonnablement sévère à son comportement, d’autant qu’elle ne s’accompagnait d’aucune limite de temps, et le ministère avait tourné les garanties de l’article 96 de la Constitution en usant de mesures de sûreté au lieu d’emprunter la voie pénale ordinaire. L’affaire fut d’abord confiée à un juge puis, le 8 août, à un autre. A son retour de vacances, le 15 août, celui-ci commença les préparatifs d’une audience mais il eut, semble-t-il, du mal à entrer en contact avec l’avocat du requérant; il n’y réussit que le 24 août. La citation à comparaître fut signifiée le lendemain au ministère, dont les observations en réponse parvinrent au tribunal presque aussitôt. Les débats se déroulèrent le 7 septembre, la première date acceptable pour toutes les personnes en cause; y furent entendus le requérant et cinq témoins. Le tribunal rejeta la demande le 27 septembre 1988. Il déclara notamment: "L’affaire concerne la validité de la décision du ministère de la Justice de modifier les mesures de sûreté imposées au requérant, en remplaçant la tutelle de sûreté par un internement dans un pavillon de sécurité. (...) Sur l’article 96 de la Constitution Le tribunal [souligne] que seule une juridiction peut ordonner les mesures de sûreté prévues à l’article 39. Si, comme [en l’espèce,] un jugement autorise le recours aux mesures énumérées à l’article 39 § 1 a) - f) pour cinq ans au maximum, cela signifie que le tribunal a décidé que [le requérant] peut être soumis à différentes mesures de sûreté, dont la détention en section fermée, mais pour une période non supérieure au délai fixé. Sa décision définit l’étendue des mesures de sûreté pouvant être appliquées à [l’intéressé] conformément aux règles de l’article 39. Le texte légal habilitant le ministère à modifier les mesures de sûreté figure à l’article 39 § 4, alinéa 2. Voir ausssi l’article 39 § 3, selon lequel les ‘mesures sont levées dès qu’on ne les juge plus nécessaires, mais peuvent être rétablies s’il y a lieu’. Le tribunal n’estime pas ces dispositions contraires à l’article 96 de la Constitution, aux termes duquel ‘nul ne peut être condamné à une peine, sinon par décision judiciaire’. La décision du ministère portant réintégration dans une section de haute sécurité, au titre de l’article 39 § 3, se fondait sur le jugement autorisant le recours à des mesures de sûreté. Sur la question des vices de procédure [Le requérant] a été clairement averti, pendant sa détention provisoire, que le ministère envisageait de modifier les mesures de sûreté. Cela ressort du compte rendu de l’audience tenue par le tribunal d’arrondissement de Kragerø le 27 juin 1988. (...) Les témoins ont confirmé que [le requérant] a été avisé du changement (...). Le tribunal constate que l’affaire a été traitée convenablement, eu égard à l’article 16 (...) de la loi sur l’administration publique [forvaltningsloven, loi du 10 février 1967, paragraphe 38 ci-dessous]. Rien n’établit non plus que le ministère ait négligé les règles de l’article 17. (...) Au demeurant, le tribunal constate que même si [le requérant] avait ressenti le besoin de plus amples renseignements, l’article 41 de [ladite] loi (...) aurait joué (...) Sur l’équité de la décision La décision ne fixe pas de délai, mais il n’en résulte pas que [le requérant] doive s’attendre à voir son internement dans un pavillon de sécurité se prolonger jusqu’à l’échéance de la période de sûreté. Au contraire, la Cour a été informée que l’on étudie un nouveau programme de tutelle de sûreté et que l’on se propose de substituer pareille tutelle, avant la fin d’octobre 1988, aux mesures de sûreté en vigueur. L’article 39 du code pénal ne commande pas d’assortir d’un délai distinct la décision de modifier les mesures de sûreté. La loi oblige seulement à fixer une limite maximale. La question de la durée d’une telle modification dépend du temps nécessaire pour organiser un nouveau programme de tutelle de sûreté. (...) Selon le tribunal, le défaut d’avoir précisé un délai ne permet pas de considérer la décision comme inéquitable. Il ne serait pas non plus exact de la tenir pour inéquitable parce que les reproches adressés au [requérant] pourraient conduire à une inculpation. Une infraction punissable peut justifier le passage à une mesure de sûreté plus rigoureuse, mais semblable changement s’appuie alors sur les objectifs des mesures de sûreté et l’on ne peut le considérer comme une peine. Si la présente affaire doit se poursuivre et déboucher sur une condamnation [du requérant], le point de savoir s’il est équitable de prévoir à la fois une peine et un internement de sûreté pendant un temps appellera un examen au moment de la fixation de la peine. Le fait que [le requérant] a dû subir la modification des mesures de sûreté revêtira de l’importance en pareil cas, lequel peut se comparer à la situation inverse visée à l’article 39 § 5 du code pénal." M. E. n’attaqua pas le jugement et demeura interné à Ila. G. Évolution ultérieure Le 21 octobre 1988, le ministère de la Justice ordonna d’élargir le requérant et de le placer sous tutelle de sûreté en vertu de l’article 39 § 1 a) à c) du code pénal. Ramené chez lui à Skien, l’intéressé méconnut plusieurs fois les restrictions imposées, en conséquence de quoi le ministère résolut, le 27 décembre 1988, de le réinterner à Ila conformément à l’article 39 § 1 e). M. E. ne paraît pas avoir contesté cette décision. Le 11 janvier 1989, il se vit infliger par le tribunal d’arrondissement de Kragerø, pour infraction à l’article 227 du code pénal et à l’article 228 combiné avec l’article 230 (menaces et voies de fait), une peine de cent vingt jours de prison, considérée comme purgée pendant la détention provisoire; il resta détenu à Ila au titre de l’article 39 § 1 e). Le 3 février 1990, le parquet du Vestfold et du Telemark invita le tribunal d’arrondissement de Kragerø à prolonger de trois ans l’autorisation, accordée par la Cour suprême, d’appliquer des mesures de sûreté à partir du 12 janvier 1985 (paragraphe 23 ci-dessus), car elle allait expirer le 25 février 1990. A la demande de la police, le tribunal décida, le 12 février, que le requérant demeurerait détenu jusqu’au 26 mars 1990, en vertu de l’article 171 du code de procédure pénale. L’intéressé recourut contre cette décision devant la cour d’appel (lagmannsret) d’Agder. Il estimait sa détention irrégulière; en particulier, il déniait toute base légale à la prorogation litigieuse dès lors qu’on ne l’accusait d’aucune nouvelle infraction du type visé à l’article 39 du code pénal. Sur ce point, la cour d’appel statua ainsi: "A n’en pas douter, on a toujours admis jusqu’ici en droit norvégien la possibilité de prolonger la période pendant laquelle peuvent être prononcées des mesures de sûreté, même en l’absence de nouvelle infraction (...). L’obligation légale, pour le tribunal, de leur assigner une limite de durée répond, entre autres, à un souci favorable au condamné: passé un certain temps, celui-ci doit bénéficier d’un nouveau contrôle judiciaire de la nécessité de telles mesures. Si la possibilité de pareil contrôle n’existait pas, il faudrait prévoir une période d’autorisation assez longue pour permettre au tribunal d’acquérir à un degré suffisant la certitude que des mesures de sûreté ne s’imposeraient plus à l’échéance. Dans le système actuel, les tribunaux n’ont pas besoin de déterminer la période à partir de semblables considérations; ils peuvent se borner à fixer, dans un premier temps, une durée qui sera probablement plus brève, en général, que sans la possibilité d’un nouveau contrôle." La Cour suprême a rejeté le recours ultérieur de M. E. le 16 mars 1990. Le 14 avril 1990, toutefois, le parquet a retiré sa demande et le requérant a recouvré la liberté le lendemain. II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS A. Les mesures de sûreté prévues à l’article 39 du code pénal Aux termes de l’article 39 du code pénal: "1. Si (...) une personne aux facultés mentales insuffisamment développées ou durablement altérées commet un acte sans cela punissable, et s’il existe un risque de la voir, en raison de son état, en commettre un à nouveau, le tribunal peut décider que le ministère public, à des fins de sécurité, a) lui assignera ou interdira un lieu de séjour donné; b) la placera sous le contrôle de la police, ou d’un agent de probation spécialement désigné à cet effet, et lui enjoindra de se présenter à la police ou audit agent à des intervalles déterminés; c) lui interdira de consommer des boissons alcoolisées; d) la confiera aux soins de particuliers offrant toute garantie; e) la placera, si possible, dans un hôpital psychiatrique, un sanatorium, un établissement de cure ou un pavillon de sûreté, conformément aux dispositions générales édictées par le Roi; f) la détiendra en prison. (...) Ces mesures sont levées dès qu’on ne les juge plus nécessaires, mais peuvent être rétablies s’il y a lieu. Les mesures de sûreté énumérées de a) à d) peuvent s’appliquer cumulativement. Le tribunal fixe la période maximale durant laquelle des mesures de sûreté pourront être appliquées sans nouvelle approbation de sa part. Si le tribunal n’en a pas décidé autrement, le ministère public a le choix entre les mesures de sûreté énumérées. La décision de lever, rétablir ou remplacer pareille mesure appartient au ministère. Le rapport d’un médecin expert est en principe requis avant toute décision relative à des mesures de sûreté ou à leur levée. Il en va de même, à des intervalles réguliers, pendant la période d’application de telles mesures. Si l’acte a entraîné le prononcé d’une peine, le ministère peut décider la remise totale ou partielle de celle-ci au cas où des mesures de sûreté sont imposées en vertu du paragraphe 1. (...)" La décision judiciaire d’imposer des mesures de sûreté obéit aux clauses générales du code de procédure pénale (straffeprosessloven) et peut donner lieu à des recours jusque devant la Cour suprême. Les règles relatives à la modification des mesures de sûreté figurent à l’article 11 du décret royal du 1er septembre 1961, ainsi libellé: "Un an au plus après le début des mesures de sûreté et, par la suite, à des intervalles n’excédant pas un an, les mesures en question sont soumises au ministère de la Justice, accompagnées d’un exposé sur le point de savoir si elles doivent subsister sans changement ou s’il y a lieu de les remplacer ou supprimer. La question peut être soulevée avant le terme prévu si des raisons spéciales l’exigent. Le ministère est saisi par le parquet ou, si la personne condamnée à des mesures de sûreté purge une peine de prison ou subit lesdites mesures dans un établissement du système pénitentiaire, par le directeur de l’établissement concerné. Le rapport du parquet contient des renseignements sur la situation de la personne condamnée à des mesures de sûreté, ainsi qu’un exposé de l’agent de probation, du service de probation et d’aide postpénitentiaire, du tuteur, ou encore de l’hôpital ou de tout autre établissement où elle a été placée. Le rapport est établi par l’officier de police chargé d’instruire l’affaire, puis adressé par lui au procureur général (statsadvokaten) qui le transmet au ministère de la Justice." Le ministère examine également la question de la levée ou de la modification des mesures si l’intéressé le demande. Il lui arrive souvent de reconsidérer plusieurs fois par an l’opportunité d’un internement de sûreté dans un cas donné. Les décisions du ministère (et, le cas échéant, du parquet) sont régies par la loi sur l’administration publique; il en résulte, notamment, qu’elles doivent motiver tout changement aux mesures de sûreté et qu’elles peuvent faire l’objet d’un appel devant le conseil de la Couronne. Cependant, la personne concernée peut aussi les attaquer directement, avant ou après épuisement des voies de recours administratives, devant les juridictions ordinaires, lesquelles en contrôlent la légalité dans l’exercice de la compétence découlant du principe constitutionnel non écrit de la suprématie judiciaire, établi au milieu du siècle dernier. Le chapitre 33 du code de procédure civile (tvistemålsloven, loi no 6 du 13 août 1915) renferme des dispositions spéciales et détaillées sur le contrôle judiciaire des décisions administratives en matière de privation de liberté et d’autres mesures coercitives. Toutefois, elles ne s’appliquent que si les textes légaux pertinents le précisent, par exemple en cas de détention au titre de la loi sur la santé mentale. Elles ne jouent pas quand l’intéressé se trouve placé, comme M. E. la plupart du temps, ailleurs que dans un établissement psychiatrique, et notamment dans un pavillon de sécurité ou une prison en vertu de l’article 39 § 1 e) ou f) du code pénal. B. Contrôle judiciaire La procédure de contrôle judiciaire prévue par la Constitution relève du chapitre 30 du code de procédure civile. Elle permet de contester la validité tant de réglementations générales que de décisions individuelles. Les tribunaux s’assurent que les autorités administratives ont agi dans le cadre juridique qui les lie. Ils vérifient la compétence de l’organe duquel émanait la décision ou réglementation litigieuse et le respect des exigences de procédure, dont celles de la loi sur l’administration publique. Ils jouissent toujours d’un pouvoir illimité pour examiner les faits à la base de la décision. Ainsi, des psychiatres peuvent les assister en qualité d’experts, aux termes du chapitre 18 du code de procédure civile, là où la capacité mentale de l’intéressé entre en ligne de compte. Leur compétence ne subit pas non plus de restriction quant au contrôle de l’application des textes légaux en vigueur (rettsanvendelsesskønn) par les autorités administratives, même quand les premiers semblent reconnaître aux secondes une certaine latitude en utilisant, par exemple, les mots "déraisonnable", "inacceptable" ou "bons usages commerciaux". Toutefois, dans le cas de décisions administratives purement discrétionnaires, à savoir les décisions ou mesures qui s’insèrent dans un processus décisionnel spécifique non défini par la loi pertinente (fritt skønn ou hensiktsmessighetsskønn), les tribunaux se bornent en général à rechercher s’il y a eu détournement de pouvoir ou si la décision est manifestement déraisonnable. Dans l’exercice de leur contrôle sur les pouvoirs publics, les juridictions norvégiennes interprètent aussi, autant que possible, leur droit national d’une manière compatible avec les traités souscrits par le Royaume, dont la Convention, même en l’absence d’incorporation officielle à l’ordre juridique interne ("principe de présomption"). A plusieurs occasions, la Cour suprême a ainsi examiné la conformité de son interprétation du droit national aux obligations de la Norvège au regard d’instruments internationaux en matière de droits de l’homme, et en particulier de la Convention telle que la comprennent la Cour et la Commission: arrêt du 16 décembre 1961, Norsk Retstidende ("NRt") 1961, p. 1350; arrêt du 28 mars 1966, NRt 1966, p. 476, avec référence à la décision de la Commission déclarant irrecevable la requête no 1468/62, Iversen c. Norvège; arrêt du 8 octobre 1974, NRt 1974, p. 935; arrêt du 26 février 1982, NRt 1982, p. 35; arrêt du 23 octobre 1984, NRt 1984, p. 1175, avec référence aux arrêts de la Cour européenne dans les affaires Winterwerp (24 octobre 1979, série A no 33) et X c. Royaume-Uni (5 novembre 1981, série A no 76); arrêt du 15 mai 1987, NRt 1987, p. 612, avec référence à l’arrêt Klass et autres du 6 septembre 1978 (série A no 28); arrêt précité du 16 mars 1990 (paragraphe 33 ci-dessus); arrêt du 16 mars 1990 (en l’affaire L. no 470/1990), avec référence à l’arrêt Hauschildt du 24 mai 1989 (série A no 154). Elle ne s’est cependant jamais trouvée devant un conflit flagrant entre la Convention et la législation du pays. Par son arrêt précité du 26 février 1982 qui concernait, entre autres, les conséquences des travaux d’aménagement de la rivière Alta, la Cour plénière unanime a reconnu dans la Convention une source de droit positif. Le juge Christiansen a déclaré en son nom: "Il faut nuancer ce que j’ai dit des limites du contrôle judiciaire. En l’espèce, on a plaidé que des règles de droit international liant la Norvège protègent la population same contre les atteintes portées à ses intérêts par l’aménagement de la rivière Alta. Les dispositions concernant le contrôle judiciaire de la validité des actes administratifs n’empêchent pas notre Cour d’examiner à fond le point de savoir si les travaux litigieux enfreignent des normes de droit international [la Convention et le Pacte international relatif aux droits civils et politiques]." Le "principe de présomption" se trouve énoncé avec une netteté particulière dans l’arrêt précité du 23 octobre 1984, qui traitait du contrôle judiciaire à ouvrir en cas d’internement dans un hôpital psychiatrique, en application de l’article 39 § 1 e), d’une personne déjà soumise à des mesures de sûreté. La Cour suprême a d’abord relevé que ni le libellé ni les travaux préparatoires de la loi applicable ne fournissaient d’indications expresses sur la manière de résoudre le problème. Elle a poursuivi ainsi: "La décision à prendre doit donc tenir compte de toutes les circonstances, et notamment de la nécessité d’interpréter le droit interne, dans la mesure du possible, en conformité aux traités internationaux que la Norvège a ratifiés, en l’occurrence la [Convention]". Après une étude approfondie de la jurisprudence de la Cour européenne en la matière, la Cour suprême a conclu que son interprétation du droit norvégien sur le point litigieux respectait les exigences de l’article 5 § 4 (art. 5-4). De son côté, une récente opinion concordante a souligné l’importance de ce principe pour l’examen de l’ampleur du contrôle judiciaire à opérer sur la décision de détenir quelqu’un en vertu de l’article 39 du code pénal (arrêt du 11 décembre 1989, NRt 1989, p. 1327). L’un des membres de la Cour suprême, M. Smith, a cru devoir y marquer son désaccord avec une déclaration qui figurait dans l’opinion dissidente d’un juge à la cour d’appel et selon laquelle les décisions du parquet dans le domaine des mesures de sûreté de l’article 39 ne pouvaient donner lieu à pareil contrôle: "Il faut répondre (...) que d’après [l’arrêt précité du 23 octobre 1984], une personne soumise à des mesures de sûreté et, de plus, internée dans un établissement psychiatrique a droit, à des intervalles raisonnables, à une décision sur la légalité de son maintien en détention; la Cour suprême se fonde là, notamment, sur l’article 5 § 4 (art. 5-4) de la [Convention], tel que l’interprètent la Commission et la Cour. A mon sens, ce droit à un contrôle judiciaire, consacré par l’article 5 § 4 (art. 5-4) et que la Cour suprême a reconnu à l’une des catégories de personnes assujetties à semblable mesure, doit être étendu par les tribunaux à d’autres individus subissant pareille mesure et privés de leur liberté dans d’autres institutions." Si la décision administrative attaquée concerne uniquement l’application de dispositions légales claires, les tribunaux peuvent enjoindre aux autorités d’agir conformément à la loi. Si au contraire elle revêt un caractère purement discrétionnaire, ils ne s’y estiment habilités qu’en présence de circonstances spéciales; à défaut, ils se bornent à statuer sur sa validité. Aux termes du chapitre 15 de la loi sur le recouvrement des créances civiles (tvangsfullbyrdelsesloven, loi no 7 du 13 août 1915), la juridiction exerçant le contrôle judiciaire, en première instance ou en appel, peut ordonner des mesures conservatoires (midlertidig forføyning), par exemple un sursis à exécution. Elle peut en outre, en vertu de l’article 148 du code de procédure civile, rendre sa décision exécutoire par provision si on l’y invite et "si des circonstances spéciales l’exigent". Les demandes de contrôle judiciaire de décisions administratives sont fréquentes: on en a compté 225 en 1985, 218 en 1986 et 201 en 1987. Elles représentent plus du tiers des affaires civiles examinées par la Cour suprême. Toutefois, jamais jusqu’ici une juridiction norvégienne n’a infirmé une décision administrative prise en vertu de l’article 39 du code pénal. PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION Dans sa requête du 13 mai 1985 à la Commission (no 11701/85), M. E. dénonçait, comme contraires à l’article 3 (art. 3) de la Convention, les conditions de sa détention et de son traitement, en particulier ses longues périodes d’isolement cellulaire dans un pavillon de sécurité à Ila et en prison de 1978 à 1988. Il alléguait aussi que pendant sa détention, il n’avait pas eu accès à un tribunal remplissant les exigences de l’article 5 § 4 (art. 5-4). La Commission a déclaré la requête irrecevable quant à l’article 3 (art. 3) (décision partielle du 7 mars 1988), mais recevable pour l’article 5 § 4 (art. 5-4) (décision du 12 mai 1988). Dans son rapport du 16 mars 1989 (article 31) (art. 31), elle conclut à la violation de l’article 5 § 4 (art. 5-4). Le texte intégral de son avis, unanime, figure en annexe au présent arrêt.
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE A. La vente forcée aux enchères de 1979 M. Gösta Håkansson, agent de police, réside à Höör et M. Sune Sturesson, agriculteur, à Skånes Fagerhult. Le 4 décembre 1979, ils achetèrent pour 240.000 couronnes suédoises (SEK) une propriété agricole, Risböke 1:3, sise dans la commune de Markaryd et mise en vente forcée (exekutiv auktion, "la vente de 1979"). Les principaux enchérisseurs, MM. Bertil Bjarnhagen et Michael Borg, avaient offert respectivement 235.000 et 220.000 SEK. En juillet 1979, le domaine avait fait l’objet d’une saisie destinée à garantir le remboursement des dettes des propriétaires précédents envers trois banques. Selon une estimation rendue publique avant la vente, sa valeur vénale (saluvärde) atteignait 140.000 SEK. D’après le procès-verbal dressé par le représentant de la préfecture (länsstyrelsen) du comté de Kronoberg, lors de la vente on signala au public les dispositions des articles 2 par. 10 et 16 de la loi de 1979 sur l’acquisition de terres (jordförvärvslagen 1979:230, "la loi de 1979"); elles prévoyaient qu’un acquéreur devait revendre la propriété dans les deux ans sauf si, dans l’intervalle, la Commission régionale de l’agriculture (lantbruksnämnden) du même comté l’autorisait à la conserver ou s’il relevait de l’une des exceptions énoncées (paragraphes 28 et 32 ci-dessous). Selon les requérants, un représentant de la préfecture avait assuré, pendant une visite publique de la propriété le 27 novembre 1979, qu’en l’espèce l’octroi du permis nécessaire aurait sûrement lieu à bref délai; la préfecture l’aurait confirmé au moment de l’adjudication. A l’appui de ces allégations, ils produisent trois déclarations écrites, signées chacune en 1989 par une personne ayant assisté à la vente aux enchères ou à la visite publique. B. Les demandes de permis de conserver la propriété Le 7 janvier 1980, la préfecture établit un contrat de vente (köpebrev) rappelant aux requérants le libellé de l’article 16 par. 1 de la loi de 1979. Le même jour, ils prièrent la Commission régionale de l’agriculture de les autoriser à garder Risböke 1:3. Par une lettre du 5 février 1980, elle les informa qu’il fallait considérer ce bien-fonds, en raison de sa superficie, de son emplacement et de sa nature, comme une "unité de rationalisation" (rationaliserings- fastighet) devant servir au remembrement d’autres propriétés de la région, susceptibles d’une meilleure mise en valeur. Elle ajoutait que l’on pouvait s’attendre à un rejet de la demande en vertu de l’article 4 par. 1, alinéa 3, de la loi de 1979 (paragraphe 30 ci-dessous), car des voisins envisageaient d’acquérir le terrain. Elle indiquait aussi qu’il y avait des raisons de juger le prix payé excessif pour un rachat (inlösen - paragraphe 34 ci-dessous). Le 15 février 1980, la Commission régionale repoussa la demande au motif que la propriété constituait une "unité de rationalisation". MM. Håkansson et Sturesson se pourvurent devant la Direction nationale de l’agriculture (lantbruksstyrelsen), qui écarta le recours le 5 septembre 1980. La décision relevait ce qui suit. Risböke 1:3 avait une contenance de 41 hectares, dont 18 de forêts et 8 de pâturages, le tout sans aucun bâtiment. Le bien-fonds de M. Sturesson, comprenant 63 hectares de forêts et 10 de pâturages, se trouvait à 25 kilomètres de là. Par leur acquisition, les appelants voulaient composer des unités qui, à court terme, créeraient des emplois et, à long terme, deviendraient des domaines rentables qu’exploiteraient leurs enfants. Toutefois, selon la Commission régionale de l’agriculture il n’y avait place que pour un agriculteur actif dans la région. Enfin, M. Michael Borg, preneur à bail de deux propriétés avoisinantes dont l’une appartenait à son père, avait manifesté un grand intérêt à l’achat du terrain en cause. La Direction concluait: "La Direction nationale de l’agriculture estime, à l’instar de la Commission régionale (...), que [ledit terrain] ne remplit pas les conditions nécessaires pour demeurer une unité cultivable autonome. Elle considère en outre qu’avec l’installation d’un nouvel arrivant, l’agriculteur actif dans le secteur aurait probablement plus de mal à développer son entreprise à lui." Les requérants introduisirent un recours auprès du gouvernement (ministère de l’Agriculture), qui le rejeta le 26 février 1981. Le 4 janvier 1982 ils sollicitèrent derechef l’autorisation de conserver Risböke 1:3, mais la Commission régionale la leur refusa le 25. Elle déclarait que le domaine passait pour une unité se prêtant à la rationalisation et devait servir au remembrement de biens-fonds de la région susceptibles d’une meilleure mise en valeur. Elle précisait ne pas être disposée à le racheter au prix de 240.000 SEK. MM. Håkansson et Sturesson se pourvurent devant la Direction nationale de l’agriculture; elle les débouta le 15 novembre 1982 après avoir inspecté les lieux, aucun élément nouveau ne l’incitant à revenir sur sa décision précédente. Le 27 octobre 1983, le gouvernement repoussa un recours ultérieur dont ils l’avaient saisi. Par une lettre du 11 janvier 1985, ils l’invitèrent à réexaminer cette dernière décision. Le 14 mars 1985, il rappela qu’elle revêtait un caractère définitif et, en conséquence, résolut de ne prendre aucune autre mesure quant à la demande. C. La procédure de rachat Les requérants introduisirent devant le tribunal foncier (fastighetsdomstolen) de Växjö une instance tendant au rachat, par l’État, de Risböke 1:3 en vertu de l’article 14 de la loi de 1979 (paragraphe 34 ci-dessous). Il les débouta le 11 décembre 1981 au motif que ce texte, eu égard à la clarté de son libellé, ne pouvait s’appliquer par analogie à leur situation. Ils attaquèrent le jugement devant la cour d’appel de Göta (Göta hovrätt), qui le confirma le 1er juillet 1982. Le 14 juillet 1983, la Cour Suprême (högsta domstolen) leur refusa l’autorisation de la saisir. D. La revente forcée aux enchères de 1985 A la demande de la Commission régionale de l’agriculture, la préfecture ordonna, le 10 novembre 1983, la revente forcée aux enchères de Risböke 1:3 conformément aux articles 16 et 17 de la loi de 1979 (paragraphes 36-38 ci-dessous); le service de recouvrement forcé (kronofogdemyndigheten) de Växjö devait en assurer l’organisation. En février et mars 1984, la Direction nationale des forêts (skogsvårdsstyrelsen) estima la valeur de la propriété, calculée sur la base de la réglementation relative au contrôle des prix (soit, en principe, en fonction du rapport), à 100.000 SEK et sa valeur vénale à 200.000 SEK au plus. En avril 1984 une nouvelle évaluation, opérée par l’ingénieur topographe en chef (överlantmätaren) du comté de Kronoberg, situa la valeur vénale à 125.000 SEK. Le 19 avril 1984, le service de recouvrement forcé retint ce dernier chiffre. MM. Håkansson et Sturesson s’en plaignirent à la cour d’appel de Göta, qui les débouta le 4 juin 1984; selon elle, on ne pouvait recourir contre pareille estimation car il s’agissait d’une simple étape préparatoire à une décision ultérieure sur la vente de la propriété (paragraphe 39 ci-dessous). Ils voulurent saisir la Cour Suprême, mais le 23 août 1984 elle leur en refusa l’autorisation. A leur demande, la préfecture désigna deux experts ad hoc le 26 juin 1984 (paragraphe 37 ci-dessous). Dans leur rapport d’octobre 1984, ils conclurent que Risböke 1:3 avait une valeur vénale estimée à 172.000 SEK, compte tenu de certaines dépenses jugées nécessaires pour abattre des arbres (essentiellement des sapins de Noël), plantés par les requérants peu auparavant, afin d’éclaircir la forêt. Les enchères eurent lieu le 18 juin 1985 ("la vente de 1985"). Le service de recouvrement forcé nota que la valeur vénale estimée de la propriété s’élevait à 172.000 SEK et sa valeur imposable à 107.000 SEK; il fixa la mise à prix à 172.000 SEK. Une seule offre fut présentée; d’un montant de 172.000 SEK, elle émanait de la Commission régionale de l’agriculture et le service de recouvrement forcé l’accepta. Une fois déduits les frais d’évaluation et d’enchères, les intéressés perçurent 155.486 SEK 50. Avant la vente de 1985, la Commission régionale de l’agriculture avait reçu cinq demandes d’autorisation préalable (förhandstillstånd) d’acquérir le terrain (paragraphe 36 ci-dessous). Le 10 avril 1984, elle accueillit celle de MM. Michael et Thorwald Borg, à charge pour eux de solliciter, dans les deux mois suivant l’adjudication, la fusion de Risböke 1:3 avec deux terrains avoisinants qu’ils avaient achetés dans l’intervalle (paragraphe 12 ci-dessus). Elle repoussa les autres demandes les 10 et 14 juin 1985. Le 19 juin 1985, les requérants s’adressèrent à la cour d’appel de Göta pour qu’elle annulât la vente forcée. Selon eux, la propriété n’avait pas été vendue au prix du marché, comme l’exigeait la loi, car l’évaluation qui avait abouti au chiffre de 172.000 SEK reposait seulement sur une appréciation du rendement du bien-fonds. Ils déclaraient avoir l’intention de produire un nouveau rapport d’évaluation devant la cour d’appel, mais elle les débouta le 3 juillet 1985. Ils introduisirent un recours ultérieur devant la Cour Suprême; ils y contestaient aussi l’impartialité des deux experts ad hoc, au motif que ceux-ci avaient eu l’obligation, aux termes de l’article 6 du décret de 1979 sur l’acquisition de terres (paragraphe 37 ci-dessous), de consulter la Commission régionale de l’agriculture - qui pour finir acheta le domaine - au moment de leur évaluation. Ils ne formulaient aucune plainte quant à l’absence d’audience publique devant la cour d’appel. Le 20 août 1985, la Cour Suprême leur refusa l’autorisation de la saisir. Le 17 décembre 1985, la Commission régionale de l’agriculture vendit Risböke 1:3 à MM. Michael et Thorwald Borg pour 125.000 SEK. Le 17 janvier 1986, ils en sollicitèrent la fusion avec leurs deux autres propriétés comme le voulait leur permis d’acquérir (paragraphe 23 ci-dessus); le 11 avril 1986, l’agence locale de constitution des biens immobiliers (fastighetsbildningsmyndigheten) y consentit. II. LE DROIT INTERNE PERTINENT La loi de 1979 sur l’acquisition de terres a été promulguée pour donner effet aux directives en matière agricole adoptées par le Riksdag en 1977 et pour répondre aux objectifs de la politique forestière et d’aménagement du territoire. Elle devait en particulier favoriser la création et la sauvegarde de domaines familiaux rentables, de manière à renforcer les liens entre culture et propriété, et contribuer en outre à une rationalisation structurelle permanente de l’agriculture et de la sylviculture. Par son article 1, elle subordonne à l’octroi d’un permis l’acquisition d’un domaine classé fiscalement dans la catégorie des exploitations agricoles. L’article 2 énumère certaines exceptions; échappe, par exemple, à l’exigence d’une autorisation l’achat d’une propriété par un organe public autre qu’une entreprise commerciale (paragraphe 2), ou lors d’une vente forcée aux enchères (paragraphe 10) ne relevant pas de l’article 17 (paragraphe 36 ci-dessous). Pour statuer sur une demande de permis, les pouvoirs publics doivent tenir compte de l’opportunité d’encourager la création et le développement d’exploitations agricoles, sylvicoles et horticoles rationnelles (article 3). L’article 4 par. 1 prévoit qu’il échet de refuser l’autorisation "1. si le prix ou tout autre élément excèdent, dans une mesure non négligeable, la valeur du bien-fonds eu égard à son rendement et à d’autres paramètres, si l’on peut supposer que l’acquisition est réalisée surtout à titre d’investissement, si le bien-fonds est nécessaire à la rationalisation de l’agriculture ou de la sylviculture, (...)" Le paragraphe 2 dispose, notamment, que l’alinéa 1 du paragraphe 1 ne s’applique pas à un achat opéré lors d’une vente forcée aux enchères au titre de l’article 17 de la loi (paragraphe 36 ci-dessous). D’après l’article 12, il faut en principe solliciter le permis dans les trois mois qui suivent l’acquisition; la question de son octroi ou de son refus ne peut donner lieu à examen avant celle-ci, sauf dans certaines situations dont aucune n’existait en l’espèce au moment de la vente de 1979. Toutefois, la délivrance du permis précède l’adjudication dans le cas d’une vente publique aux enchères organisée, comme celle de 1985, en vertu de l’article 17 (paragraphe 36 ci-dessous). Aux termes de l’article 16 par. 1, une propriété acquise lors d’une adjudication forcée dans des circonstances qui, en cas de cession de gré à gré (paragraphe 28 ci-dessus), auraient exigé une autorisation, doit être revendue dans les deux ans sauf si lesdites circonstances ont disparu entre temps ou si la Commission régionale de l’agriculture a permis à l’acheteur de conserver le bien. La délivrance de pareil permis obéit entre autres aux articles 3 et 4, à l’exception du paragraphe 1 de ce dernier. Le contrat de vente établi après l’adjudication forcée doit rappeler les règles de l’article 16. Si la Commission régionale n’accorde pas l’autorisation de garder une propriété acquise lors d’une telle adjudication, un recours contre sa décision s’ouvre devant la Direction nationale de l’agriculture puis le gouvernement. "Lorsque l’achat se trouve atteint de caducité à la suite d’un refus de permis opposé en vertu de l’article 4 par. 1, alinéa 3", c’est-à-dire au nom de la rationalisation de l’agriculture et de la sylviculture, l’article 14 oblige l’État à "racheter le bien-fonds au prix d’achat convenu si le vendeur le demande"; il n’en va pourtant pas ainsi lorsque ce prix dépasse, dans une mesure non négligeable, la valeur du bien-fonds compte tenu de son rendement et d’autres paramètres, ou que les conditions sont déraisonnables à d’autres égards. Rien n’astreint l’État à racheter d’une propriété acquise lors d’une vente forcée aux enchères, pareille acquisition ne dépendant pas d’une autorisation préalable (paragraphes 18 et 28 ci-dessus). Aux termes de l’article 14 par. 2, quiconque demande le rachat doit saisir le tribunal foncier, dont le jugement peut être attaqué devant la cour d’appel et pour finir devant la Cour Suprême si elle y consent. Si un bien-fonds n’a pas été revendu à temps dans un cas où l’article 16 l’exigeait (paragraphe 32 ci-dessus), la préfecture ordonne, en vertu du même texte et à la requête de la Commission régionale de l’agriculture, de le vendre au moyen d’une adjudication, à organiser par le service de recouvrement forcé conformément aux dispositions de l’article 17. Il ne peut alors être cédé qu’à une personne titulaire d’un permis (paragraphe 31 ci-dessus) ou qui, telle ladite Commission, en est dispensée par l’article 2 de la loi de 1979 (paragraphe 28 ci-dessus). L’article 17 précise qu’une vente forcée aux enchères ne peut aboutir sans l’offre d’un prix au moins égal à la valeur à attribuer à la propriété conformément aux dispositions du chapitre 12 du code des exécutions forcées (utsökningsbalken, en particulier l’article 3). Il ajoute que la fixation de cette valeur estimée incombe au service de recouvrement forcé ou, si le propriétaire a sollicité dans les délais une évaluation ad hoc, à des experts désignés par la préfecture. Dans les deux cas, l’évaluation s’opère en consultation avec la Commission régionale (article 6 du décret gouvernemental de 1979 sur l’acquisition de terres, jordförvärvsförordningen 1979:231). L’article 17 prévoit en outre que si le bien-fonds ne trouve pas preneur lors de l’adjudication, la Commission régionale peut, dans les deux ans, inviter la préfecture à procéder à de nouvelles enchères. En l’absence de pareille demande, ou d’une offre acceptable aux secondes enchères, les propriétaires ne sont plus tenus de vendre. Contre les décisions du service de recouvrement forcé relatives à une adjudication, le chapitre 18, article 1, du code des exécutions forcées ouvre un recours devant une cour d’appel puis, en dernier ressort, devant la Cour Suprême si elle y consent. D’après l’article 6 par. 2 du même chapitre, toutefois, une mesure purement préparatoire doit en général être attaquée en même temps que la décision définitive. Les règles du code de procédure judiciaire de 1942 (rättegångsbalken) s’appliquent en la matière, mutatis mutandis (chapitre 18, article 1, du code des exécutions forcées). Le chapitre 52 dudit code précise en son article 10: "Si l’instruction d’une affaire exige l’audition d’une partie ou d’une autre personne par la cour d’appel, celle-ci fixe les modalités qu’elle juge appropriées." Si la cour d’appel décide d’en tenir, les débats se déroulent en public (chapitre 5, article 1, du code de procédure judiciaire). PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION Dans leur requête du 3 avril 1984 à la Commission (no 11855/85), MM. Håkansson et Sturesson invoquaient les articles 6, 13 et 14 (art. 6, art. 13, art. 14) de la Convention ainsi que l’article 1 du Protocole no 1 (P1-1). Le 15 juillet 1987, la Commission a retenu la requête à l’exception de deux griefs tirés de l’article 6 (art. 6) de la Convention et relatifs d’une part au fait que les juridictions compétentes n’avaient pas ordonné à l’État de racheter le bien-fonds, d’autre part à l’absence de débats publics devant la Cour Suprême lorsqu’elle décida, en 1985, de ne pas autoriser les intéressés à recourir contre la vente forcée de cette année-là. Dans son rapport du 13 octobre 1988 (article 31) (art. 31), elle arrive à la conclusion: - qu’il n’y a pas eu violation de l’article 1 du Protocole no 1 (P1-1), seul (dix voix contre deux) ou combiné avec l’article 14 (art. 14+P1-1) de la Convention (unanimité), pour autant que les requérants reprochent à l’État de leur avoir vendu la propriété pour 240.000 SEK lors de l’adjudication de décembre 1979, puis de leur avoir refusé le permis de la conserver et de l’avoir enfin rachetée 172.000 SEK en juin 1985 à l’occasion d’une nouvelle vente forcée aux enchères; - qu’il y a eu deux violations de l’article 6 (art. 6) de la Convention, faute d’abord d’une procédure conforme à ses exigences pour le litige concernant le refus de l’autorisation de garder le domaine (unanimité), en raison ensuite de ce que l’examen du recours des requérants contre la vente de 1985 ne donna lieu à aucune audience publique devant la cour d’appel de Göta (sept voix contre cinq); - qu’il ne s’impose pas d’examiner l’affaire sous l’angle de l’article 13 (art. 13) de la Convention (unanimité). Le texte intégral de l’avis de la Commission et des opinions en partie dissidentes dont il s’accompagne figure en annexe au présent arrêt.
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Domicilié à Linz, M. Karl Obermeier travaillait autrefois pour une compagnie d’assurance privée ("la compagnie") comme directeur du bureau régional de Haute-Autriche. I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE La suspension du requérant En 1974, un litige s’éleva entre elle et lui au sujet de certaines charges rémunérées qu’elle entendait lui retirer. M. Obermeier saisit le tribunal du travail (Arbeitsgericht) de Vienne. Le 10 mars 1978, le lendemain de la première audience, il se vit suspendre de ses fonctions par son employeur, lequel estimait pouvoir prendre pareille décision à tout moment et sans motif. La première phase de la procédure relative à la suspension Après avoir en vain réclamé l’ouverture d’une procédure disciplinaire, le requérant introduisit une instance contre sa suspension: il intenta le 9 mars 1981, devant le tribunal du travail de Linz, une action déclaratoire (Feststellungsklage) et, à titre subsidiaire, une action en exécution d’une prestation (Leistungsklage). Elles tendaient respectivement à faire constater la non-validité et à obtenir la révocation de la mesure litigieuse. Il alléguait notamment que celle-ci constituait une sanction prononcée contre lui pour avoir assigné la compagnie en justice, ce qui la rendait abusive. Le tribunal du travail de Linz le débouta le 23 avril 1981. Le 25 novembre 1981, le tribunal régional (Landesgericht) de Linz accueillit l’appel de l’intéressé pour la partie du jugement relative à la révocation. Il releva que l’article 32 de la convention collective des employés d’assurance (paragraphe 45 ci-dessous), applicable en l’espèce, subordonnait la suspension d’un employé à certaines conditions dont le juge de première instance aurait dû vérifier le respect. La circonstance que M. Obermeier avait engagé des poursuites judiciaires contre son employeur ne pouvait à elle seule justifier la mesure incriminée. Le tribunal rejeta l’appel pour le surplus, considérant qu’aux termes de l’article 228 du code de procédure civile (Zivilprozessordnung), un jugement déclaratoire ne peut porter que sur l’existence d’un rapport juridique (Rechtsverhältnis) et non sur la validité d’un acte juridique (Rechtshandlung), telle la suspension d’un travailleur. Sur pourvoi de la compagnie, la Cour suprême (Oberster Gerichtshof) confirma, le 30 mars 1982, le jugement du tribunal régional. L’affaire fut donc renvoyée devant le tribunal du travail. Le premier licenciement et la procédure administrative relative à l’autorisation préalable Entre temps, la compagnie avait résolu de licencier M. Obermeier par voie de "mise à la retraite administrative" (administrative Pensionierung). Cette décision, prise en vertu de l’article 33 § 9 de la convention collective (paragraphe 44 ci-dessous), fut signifiée à l’intéressé le 14 juillet 1981 et devait déployer ses effets le 31 mars 1982. Au préalable, le 8 mai 1981, la compagnie avait, comme l’y obligeait l’article 8 § 2 de la loi sur le recrutement des personnes handicapées (Invalideneinstellungsgesetz, paragraphe 47 ci-dessous), sollicité auprès du Conseil pour les personnes handicapées (Invalidenausschuss, "le Conseil") l’autorisation de congédier le requérant. Le 21 mai 1980, celui-ci avait été déclaré invalide au sens de cette loi. Le Conseil considéra que l’article 8 § 2 abandonnait l’autorisation à son pouvoir discrétionnaire, mais qu’il devait user de ce dernier conformément à l’esprit de la loi, c’est-à-dire en tenant compte de l’intérêt légitime de l’employeur au licenciement et du besoin particulier de protection sociale du travailleur. Après audience, il donna son accord le 8 juillet 1981, au motif que la confiance entre les parties était irrémédiablement ébranlée. Alléguant notamment que le Conseil avait négligé d’instruire l’affaire et recueilli les seules observations de la compagnie, M. Obermeier recourut contre la décision. Le chef du gouvernement provincial (Landeshauptmann) de Haute-Autriche la confirma le 16 octobre 1981 au terme d’une procédure sans débats. À son tour saisie par le requérant, la Cour administrative (Verwaltungsgerichtshof) le débouta le 9 mars 1983. Elle estima non contraire à la loi, parce que non entachée d’erreurs de droit, l’autorisation de licencier accordée par le Conseil et confirmée au second degré, la décision litigieuse n’ayant pas transgressé le cadre du pouvoir discrétionnaire conféré par la loi aux autorités administratives (paragraphe 53 ci-dessous). Elle ajouta que les principes de procédure avaient été respectés au cours de l’instance administrative, notamment quant à l’accès de M. Obermeier au dossier. Le requérant attaqua l’arrêt de la Cour administrative par une requête (no 10247/83) à la Commission européenne des Droits de l’Homme, qui la déclara irrecevable le 12 mars 1986 (Décisions et rapports no 46, pp. 77-80). La seconde phase de la procédure relative à la suspension Parallèlement à la procédure administrative concernant l’autorisation de licenciement, le tribunal du travail de Linz reprit, à la suite du renvoi par la Cour suprême (paragraphe 12 ci-dessus), l’examen de la suspension du requérant. La compagnie excipa de l’absence d’intérêt légitime (Rechtsschutzbedürfnis) de M. Obermeier à la révocation de sa suspension, en raison du congédiement intervenu depuis lors. Le requérant, lui, contesta la régularité de cette dernière mesure; il souligna notamment qu’elle remontait à l’époque où l’autorisation donnée par le Conseil ne revêtait pas un caractère définitif, la cause demeurant en instance devant la Cour administrative. Le tribunal rejeta la demande de M. Obermeier le 9 décembre 1982: le licenciement avait été prononcé avec l’autorisation de l’organe administratif compétent et la procédure devant la Cour administrative ne déployait pas d’effet suspensif. Le tribunal régional de Linz confirma la sentence le 11 mai 1983 en notant que, dans l’intervalle, cette Cour avait rejeté le recours du requérant. Sur pourvoi de celui-ci, la Cour suprême annula, le 23 octobre 1984, les décisions des juridictions du travail. Renversant son ancienne jurisprudence, elle estima que la compagnie aurait dû attendre que l’autorisation du Conseil fût définitive (rechtskräftig). Le congédiement se révélant donc nul, la demande dirigée contre la suspension présentait un intérêt; en conséquence, la Cour la renvoya au tribunal du travail. La procédure administrative relative à l’autorisation rétroactive du premier licenciement À la suite de cet arrêt, la compagnie adressa au requérant, le 21 décembre 1984, une nouvelle notification de licenciement, devant prendre effet le 30 juin 1985. Le 9 janvier 1985, elle sollicita auprès du Conseil une autorisation rétroactive pour le congédiement prononcé le 14 juillet 1981. Elle allégua que le revirement de jurisprudence opéré par la Cour suprême n’avait pas été prévisible et constituait donc un cas exceptionnel au sens de l’article 8 § 2 de la loi sur le recrutement des personnes handicapées. Le Conseil rejeta la demande le 14 mars 1985; selon lui, elle se heurtait au caractère définitif (Rechtskraft) de sa décision du 8 juillet 1981 (paragraphe 15 ci-dessus). Sur recours des deux parties, le chef du gouvernement provincial réforma cette décision le 17 juin 1985 et donna son consentement rétroactif au premier congédiement. Le 23 juillet 1985, le requérant se pourvut devant la Cour constitutionnelle (Verfassungsgerichtshof) qui renvoya l’affaire, le 25 novembre 1985, à la Cour administrative. Celle-ci accueillit le recours le 21 mai 1986, estimant que la compagnie avait commis une erreur de droit en négligeant d’attendre que l’autorisation fût devenue définitive. En conséquence, le chef du gouvernement provincial confirma, le 1er juin 1986, la décision du Conseil du 14 mars 1985. Là-dessus, M. Obermeier invita le Conseil à constater, en vertu des articles 8 à 12 de la loi sur le recrutement des personnes handicapées, que son contrat de travail subsistait. Le Conseil et le chef du gouvernement provincial se déclarèrent, respectivement les 10 février 1986 et 12 janvier 1987, incompétents au profit des juridictions ordinaires. La troisième phase de la procédure relative à la suspension Statuant en vertu du renvoi ordonné par la Cour suprême le 23 octobre 1984 (paragraphe 22 ci-dessus), le tribunal du travail de Linz donna gain de cause au requérant le 30 janvier 1985. D’après lui, les procédures judiciaires engagées contre la compagnie par M. Obermeier n’avaient rien d’abusif et ne justifiaient donc pas une mesure de suspension, par laquelle l’employeur avait préjugé de l’issue des instances pendantes. Le 31 juillet 1985, le tribunal régional de Linz réforma cette décision sur appel de la compagnie. Le requérant l’avait pourtant invité à suspendre la procédure en attendant les sentences des Cours constitutionnelle et administrative, qu’il avait saisies (paragraphe 25 ci-dessus). Le tribunal s’estima toutefois lié par la décision du chef du gouvernement provincial, du 17 juin 1985, autorisant le licenciement à compter du 31 mars 1982 (paragraphe 24 ci-dessus). Il en conclut que M. Obermeier n’avait plus aucun intérêt légitime à obtenir la révocation de sa suspension. La Cour suprême rejeta, le 15 juillet 1986, le pourvoi formé par le requérant le 7 octobre 1985. Elle approuva le tribunal régional d’avoir considéré comme obligatoire l’autorisation du chef du gouvernement provincial: seuls compétents pour appliquer la loi sur le recrutement des personnes handicapées, les organes administratifs n’étaient pas tenus par l’opinion, exprimée par la Cour suprême dans son arrêt du 23 octobre 1984 (paragraphe 22 ci-dessus), selon laquelle ne se trouvaient pas réunies les conditions mises par l’article 8 § 2 de ladite loi à l’octroi d’une autorisation rétroactive. Elle précisa qu’il ne revenait pas aux tribunaux civils de contrôler les décisions des autorités administratives; ils devaient, au contraire, fonder sur elles leurs jugements, sans autre examen. Dans son arrêt, la Cour suprême ne tint pas compte du recours que le requérant avait exercé auprès des Cours constitutionnelle et administrative. Elle semble même avoir ignoré l’existence de l’arrêt rendu par la seconde le 21 mai 1986 (paragraphe 25 ci-dessus). La procédure relative aux deux licenciements devant les juridictions du travail Parallèlement à ses démarches administratives, M. Obermeier attaqua aussi son licenciement devant les juridictions du travail. Le 16 août 1982, il saisit le tribunal du travail de Linz d’une action tendant à le faire déclarer inopérant. Il reprochait à la compagnie de n’avoir pas attendu que l’autorisation du Conseil ne fût plus susceptible de recours et de n’avoir pas non plus informé le comité d’entreprise comme l’exigeait l’article 105 § 1 de la loi sur les relations de travail (Arbeitsverfassungsgesetz - paragraphe 46 ci-dessous). Après avoir suspendu la procédure le 9 décembre 1982, le tribunal débouta M. Obermeier le 14 août 1985, au motif qu’entre-temps le chef du gouvernement provincial avait donné son consentement rétroactif au licenciement (paragraphe 24 ci-dessus). Les parties n’interjetèrent pas appel. A la suite de l’arrêt rendu par la Cour administrative le 21 mai 1986 (paragraphe 25 ci-dessus), le requérant introduisit, le 22 juillet 1986, un recours en révision (Wiederaufnahmsklage) et demanda que l’instance s’étendît au second congédiement. Le tribunal du travail de Linz accueillit le recours par un jugement du 24 septembre 1986, que la cour d’appel de Linz (Oberlandesgericht) confirma le 3 février 1987 et la Cour suprême le 15 juillet. Statuant au fond le 15 septembre 1987, le tribunal du travail constata que légalement M. Obermeier demeurait en fonction. D’après lui, l’autorisation préalable accordée par le Conseil ne déployait pas d’effets permanents et seul pouvait se fonder sur elle un licenciement qui lui fût étroitement lié dans le temps et quant au fond; or il n’en allait pas ainsi du second. Sur recours de la compagnie, la cour d’appel de Linz réforma cette sentence le 15 mars 1988: on se trouvait devant une situation continue, de sorte qu’il existait un lien suffisant entre le consentement donné par l’autorité administrative et le congédiement prononcé le 21 décembre 1984. Le requérant prétend avoir invoqué pendant les débats, comme motif supplémentaire de nullité de son licenciement, la méconnaissance de l’article 33 § 9 de la convention collective (paragraphe 44 ci-dessous) exigeant le consentement valable du comité d’entreprise. Le procès-verbal d’audience notifié à l’intéressé le 31 mars 1988 ne mentionnait pas ses déclarations à ce sujet; aussi l’attaqua-t-il, le 5 avril 1988, au moyen d’une opposition que la cour d’appel rejeta le 12 parce que tardive. Dans l’intervalle, le requérant s’était pourvu en cassation contre l’arrêt de la cour d’appel du 15 mars 1988 (paragraphe 34 ci-dessus). Par un mémoire ampliatif du 23 juin 1988, il souligna que son second licenciement n’avait pas été précédé d’une autorisation régulière du comité d’entreprise, respectant les exigences de l’article 33 § 9 de la convention collective. La Cour suprême rejeta le pourvoi le 29 juin: l’article 105 de la loi sur les relations de travail, qui prévoit la nullité de tout congédiement prononcé sans la consultation préalable du comité d’entreprise, ne s’appliquait pas à une personne handicapée; en pareil cas, en effet, une consultation dudit comité se faisait déjà par l’entremise du Conseil agissant en vertu de l’article 8 § 2 de la loi sur le recrutement des personnes handicapées. Quant au mémoire du 23 juin, la Cour le déclara irrecevable en vertu du principe de l’unicité de la voie de droit (Grundsatz der Einmaligkeit des Rechtsmittels, paragraphe 60 ci-dessous). Le 30 juin 1988, avant même d’avoir reçu copie de l’arrêt de la Cour suprême, le requérant introduisit une nouvelle instance devant le tribunal régional de Linz, siégeant comme tribunal social et du travail. Il réclamait un jugement constatant la nullité du second licenciement, au motif que la compagnie n’avait pas obtenu, comme l’exigeait l’article 33 § 9 de la convention collective, le consentement préalable du comité d’entreprise. Le tribunal le débouta le 23 septembre 1988, estimant que l’accord donné par le comité d’entreprise en 1981 valait aussi pour le congédiement de 1984. La cour d’appel, puis la Cour suprême rejetèrent les recours de M. Obermeier, les 28 février et 14 juin 1989 respectivement. Le requérant saisit derechef le même tribunal le 21 mars 1989; il l’invitait à déclarer nuls, pour violation des "bonnes moeurs" (Sittenwidrigkeit), le congédiement du 21 décembre 1984 et l’autorisation des organes administratifs. Le tribunal rejeta la demande le 12 mai 1989: ces derniers s’étaient implicitement prononcés sur la question en marquant leur accord en vertu de l’article 8 § 2 de la loi sur le recrutement des personnes handicapées, car une autorisation donnée en vue d’un licenciement contraire aux bonnes moeurs eût méconnu les critères auxquels la Cour administrative soumettait la validité de pareille décision. La cour d’appel de Linz confirma ce jugement le 10 octobre. Sur pourvoi de M. Obermeier, la Cour suprême annula ces deux sentences mais débouta l’intéressé de sa demande le 14 mars 1990, eu égard à la force de chose jugée des décisions judiciaires clôturant les procédures par lesquelles il avait déjà contesté la validité de son licenciement devant les juridictions du travail (paragraphes 30-38 ci-dessus). La quatrième phase de la procédure relative à la suspension Entre temps, le requérant avait réclamé devant les juridictions du travail, le 22 juillet 1986, la réouverture de la procédure relative à sa suspension, close par la Cour suprême le 15 juillet 1986 (paragraphe 29 ci-dessus); il s’appuyait sur l’arrêt que la Cour administrative avait prononcé le 21 mai 1986 (paragraphe 25 ci-dessus). Le tribunal régional rejeta le recours en révision, le 15 octobre 1986, pour un motif de procédure mais sur pourvoi de l’intéressé la Cour suprême y fit droit le 15 juillet 1987 et renvoya l’affaire à la cour d’appel de Linz, devenue compétente en vertu de la nouvelle loi sur les juridictions sociales et du travail. Le 19 novembre 1987, ladite cour prononça la réouverture mais accueillit la requête de la compagnie tendant à ce qu’il fût sursis à statuer jusqu’à l’issue de l’instance relative au licenciement du 21 décembre 1984. Elle en décida ainsi malgré la longue durée de la procédure, en raison du caractère nettement préjudiciel de la décision attendue. La suspension reste maintenue. II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS Le droit matériel a. Le droit des contrats Les contrats de travail obéissent au droit commun des contrats (articles 859 et s. du code civil, Allgemeines Bürgerliches Gesetzbuch) et aux dispositions particulières en matière de contrats de services (Dienstvertrag, articles 1151 et s. du même code), complétées par la loi sur les employés (Angestelltengesetz, Bundesgesetzblatt no 292/1921, modifiée). Celle-ci prévoit, en son article 27, qu’un licenciement ne peut être prononcé que pour certaines raisons précises énumérées par elle. En général, les contrats de travail se concluent sur la base de conventions collectives (Kollektivverträge) dont les règles font partie des conditions de travail, sauf clause contraire du contrat individuel. La convention collective des employés d’assurances du service administratif (Kollektivvertrag für Angestellte der Versicherungsunternehmen - Innendienst), applicable en l’espèce, pose le principe selon lequel, à de rares exceptions près, un employé permanent ne peut être congédié que dans le cadre d’une procédure disciplinaire (article 33 § 4). Parmi les exceptions figure la "mise à la retraite administrative" (administrative Pensionierung - article 33 § 9). Elle suppose notamment le consentement préalable du comité d’entreprise. L’article 32 de ladite convention, consacré à la "suspension" (Suspendierung), est ainsi libellé: "1. La suspension ne constitue pas une sanction, mais une mesure administrative préventive qui peut être décidée par la direction dans les cas suivants: a. lorsqu’un employé est soumis à une enquête pénale ou disciplinaire; b. en cas de manquement grave au respect et à la soumission dus aux supérieurs; c. si la sécurité du service et les intérêts de l’entreprise l’exigent. Pendant la durée de la suspension, l’employé continue à percevoir son salaire. Il conserve également ses droits d’avancement à l’ancienneté." b. Le licenciement des salariés en général Le licenciement des salariés est régi en principe par l’article 105 de la loi sur les relations de travail (Arbeitsverfassungsgesetz, Bundesgesetzblatt no 22/1974). Dans sa version applicable à l’époque des faits, celui-ci disposait: "Contestation de licenciements (1) Avant de licencier un travailleur, le chef d’entreprise en avertit le comité d’entreprise qui peut présenter ses observations dans un délai de cinq jours ouvrables. (2) Si le comité d’entreprise le demande, le chef d’entreprise délibère avec lui sur le licenciement dans le délai de cinq jours fixé pour formuler des observations. Tout licenciement prononcé avant l’expiration de ce délai est nul sauf si le comité d’entreprise s’est déjà exprimé. (3) Au cas où le comité d’entreprise ne l’aurait pas expressément autorisé dans le délai fixé au paragraphe (1), le licenciement envisagé peut être attaqué devant le bureau de conciliation si (...) le licenciement est socialement injustifié et si le travailleur est employé dans l’établissement depuis six mois déjà. Est socialement injustifié le licenciement qui lèse les intérêts vitaux de l’employé, à moins que le chef d’entreprise ne puisse prouver que le licenciement se fonde a) sur des circonstances relatives à la personne de l’employé et portant préjudice aux intérêts de l’entreprise; b) sur des exigences de l’entreprise qui s’opposent au maintien en activité de l’employé. (...) En recherchant si l’on se trouve bien en présence d’un licenciement socialement injustifié il faut, dans le cas de travailleurs d’un certain âge, prêter tout particulièrement attention au fait qu’ils ont exercé leur activité pendant de longues années, sans interruption, au sein de l’établissement ou de l’entreprise à laquelle appartient l’établissement et aux difficultés prévisibles qu’ils auront, en raison de leur âge, pour se réintégrer dans la vie professionnelle. (4) Le chef d’entreprise notifie le licenciement au comité d’entreprise. S’il s’est expressément opposé au licenciement envisagé, le comité d’entreprise peut, dans le délai d’une semaine à compter de la notification du licenciement, attaquer celui-ci devant le bureau de conciliation, à la demande du travailleur licencié. Si le comité d’entreprise ne défère pas à une telle demande, le travailleur peut attaquer lui-même le licenciement devant le bureau de conciliation dans la semaine qui suit l’expiration du délai imparti au comité d’entreprise. (5) (...) (6) Si le bureau de conciliation fait droit à la demande, le licenciement est nul. La décision du bureau de conciliation est définitive." Le bureau de conciliation agit comme tribunal du travail. c. Le licenciement des personnes handicapées L’article 8 de la loi sur le recrutement des personnes handicapées (Invalideneinstellungsgesetz, Bundesgesetzblatt no 22/1970, modifiée) dispose, au sujet de leur licenciement, ce qui suit: "Licenciement (1) Sauf dans les cas où est exigé un délai-congé plus long, une personne handicapée bénéficiant d’un statut spécial ne peut être licenciée par son employeur que moyennant un préavis de quatre semaines (...) (2) Une [telle] personne (...) ne peut être licenciée par son employeur que si le Conseil pour les personnes handicapées, (...) après avoir consulté le comité d’entreprise (...), a donné son autorisation; dans cette procédure, l’employé a la qualité de partie. Sans préjudice des dispositions légales subordonnant à des conditions supplémentaires la cessation des rapports de travail, est nul tout licenciement prononcé sans l’autorisation du Conseil pour les personnes handicapées, à moins que celui-ci, dans des cas exceptionnels, ne la donne rétroactivement. L’article 105 §§ 2 à 6 de la loi sur les relations de travail (Bundesgesetzblatt no 22/1974) ne s’applique pas au licenciement des personnes handicapées bénéficiant d’un statut spécial." Le droit procédural a. La procédure administrative Sauf disposition contraire de la loi sur le recrutement des personnes handicapées, la procédure suivie par le Conseil pour les personnes handicapées et, en cas de recours, par l’autorité de deuxième degré obéit aux règles du code de procédure administrative générale (Allgemeines Verwaltungsverfahrensgesetz, Bundesgesetzblatt no 172/1950, modifié). L’article 19a de ladite loi désigne comme autorité de deuxième degré le chef du gouvernement provincial (Landeshauptmann), agissant en tant qu’organe de l’administration fédérale indirecte (mittelbare Bundesverwaltung) au sens de l’article 103 de la Constitution fédérale (Bundesverfassungsgesetz). En cette qualité, il se trouve soumis aux instructions (Weisungen) du ministre fédéral des Affaires sociales (Bundesminister für Soziale Verwaltung - articles 103 § 1 et 20 § 1, combinés, de la Constitution fédérale). Aux termes de l’article 64 du code de procédure administrative générale, le recours au chef du gouvernement provincial a un effet suspensif. La décision ainsi rendue vaut comme définitive (formell rechtskräftig) bien qu’elle puisse être attaquée devant la Cour administrative (Verwaltungsgerichtshof) et la Cour constitutionnelle (Verfassungsgerichtshof) en vertu, respectivement, des articles 131 et 144 de la Constitution fédérale. Ces recours ne déploient aucun effet suspensif, à moins que lesdites cours n’en décident autrement (articles 30 de la loi sur la Cour administrative (Verwaltungsgerichtshofgesetz), Bundesgesetzblatt no 10/1985, et 85 de la loi sur la Cour constitutionnelle (Verfassungsgerichtshofgesetz), Bundesgesetzblatt no 85/1953). La Cour administrative annule la décision si elle ne rejette pas le recours pour défaut de fondement; elle ne se prononce sur le fond que si l’autorité compétente a failli à son devoir de statuer (article 42 § 1 de la loi sur la Cour administrative). Lorsqu’il lui incombe de contrôler la légalité d’un acte administratif, elle tranche sur la base des faits constatés par l’autorité dont il s’agit et sous l’angle des seuls griefs présentés, sauf en cas d’incompétence de ladite autorité ou de violation de règles de procédure (article 41 de la loi précitée). A ce sujet, la loi apporte une précision: la Cour annule l’acte attaqué, pour infraction à pareille règle, quand les faits tenus par l’administration pour établis se trouvent, sur un point essentiel, démentis par le dossier, qu’il échet de les compléter sur un tel point et qu’il y a inobservation de règles dont l’application correcte aurait pu conduire à une décision différente (article 42 § 2, alinéa 3), de la loi précitée). Si en cours d’examen apparaissent des motifs inconnus jusqu’alors des parties, la Cour doit entendre celles-ci et, au besoin, suspendre la procédure (article 41 § 1). La procédure consiste pour l’essentiel en un échange de mémoires (article 36), suivi, sous réserve de quelques hypothèses énumérées dans la loi, d’une audience contradictoire et, en principe, publique (articles 39 et 40). L’article 94 de la Constitution prescrit la séparation à tous les niveaux des autorités administratives d’avec les tribunaux. De son côté, l’article 130 § 2 trouve à s’appliquer lorsque la Cour administrative doit contrôler la légalité d’un acte administratif pris dans l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire que la loi confère à l’autorité administrative compétente. Il dispose: "Il n’y a pas illégalité (Rechtswidrigkeit) quand le législateur s’abstient de réglementer de manière contraignante le comportement de l’autorité administrative et confie à celle-ci le soin de le déterminer et que l’autorité a usé de ce pouvoir discrétionnaire conformément à la loi." b. La procédure judiciaire Jusqu’à l’entrée en vigueur, le 1er janvier 1987, de la loi sur les juridictions sociales et du travail (Arbeits- und Sozialgerichtsgesetz, Bundesgesetzblatt no 104/1985), la procédure suivie en l’espèce relevait de la loi sur les juridictions du travail (Arbeitsgerichtsgesetz, Bundesgesetzblatt no 170/1946, modifiée). Celle-ci prévoyait des tribunaux du travail de première instance au niveau des tribunaux de district (Bezirksgerichte, article 6); les recours étaient introduits devant les juridictions civiles de droit commun, c’est-à-dire les tribunaux régionaux et la Cour suprême qui, à cet effet, constituaient des chambres spéciales (articles 25 § 2 et 26). La nouvelle législation attribue compétence en la matière à des chambres spéciales des tribunaux régionaux (sauf à Vienne), des cours d’appel et, en cassation, de la Cour suprême (article 2). Sous l’empire de l’ancienne loi, une affaire traitée en appel était rejugée, les parties pouvant présenter de nouveaux faits et éléments de preuve (article 25 § 1). S’alignant sur les principes qui régissent les procédures d’appel en général, les textes en vigueur depuis le 1er janvier 1987 ne le permettent plus qu’à certaines conditions (article 63 de la loi sur les juridictions sociales et du travail). En outre, ils précisent que les procédures relatives à des conflits du travail et des conflits sociaux doivent être menées avec une diligence toute particulière (article 39 § 1). Sauf disposition contraire, elles obéissent aux règles du code de procédure civile (Zivilprozessordnung). L’article 228 de ce code prévoit la possibilité d’intenter une action en constatation (Feststellungsklage) de l’existence ou de l’absence d’un rapport juridique ou d’un droit (Bestehen oder Nichtbestehen eines Rechtsverhältnisses oder Rechtes) si le plaignant y a un intérêt légitime (rechtliches Interesse). Pour les actions en exécution d’une prestation (Leistungsklagen), la loi ne requiert pas expressément pareil intérêt, mais en général on le considère comme une condition nécessaire à toute action en justice. Au sujet des questions préalables donnant lieu à une autre procédure encore pendante, l’article 190 dispose: "Suspension de procédure en raison de décisions sur des questions préalables (1) Si la solution d’un litige dépend en tout ou en partie de l’existence d’un rapport juridique qui fait l’objet d’une autre instance judiciaire pendante ou qui doit être constaté dans le cadre d’une procédure administrative pendante, la chambre peut ordonner la suspension de la procédure jusqu’à ce qu’il ait été statué définitivement sur ce rapport juridique. (2) (...) (3) Après conclusion définitive de la procédure judiciaire ou administrative en cause, l’instance au principal se poursuit à la demande des parties ou d’office." Le tribunal doit donc trancher lui-même la question préalable si elle ne donne pas lieu à une autre procédure pendante. En vertu de son pouvoir discrétionnaire, il en a la faculté si pareille instance demeure en cours. Une fois la décision sur la question préalable définitivement rendue par l’autorité judiciaire ou administrative compétente, on considère d’ordinaire qu’elle lie le tribunal. L’article 38 du code de procédure administrative générale contient une disposition identique applicable aux autorités administratives. L’article 530 du code de procédure civile prévoit, sous certaines conditions, la possibilité de rouvrir une procédure civile (Wiederaufnahmsklage): "Recours en révision (1) Une instance close par une décision au fond peut être rouverte à la demande d’une partie - 4. (...) si un jugement pénal sur lequel se fonde la décision a été annulé depuis lors par un autre jugement devenu définitif; si la partie concernée se trouve ou est mise en mesure d’invoquer un jugement antérieur, passé en force de chose jugée, qui porte sur le même droit ou rapport juridique et règle définitivement le litige entre les parties à la procédure à rouvrir; si la partie concernée apprend de nouveaux faits ou si elle se trouve ou est mise en mesure d’invoquer des éléments de preuve qui, s’ils avaient été présentés et invoqués au cours de l’instance antérieure, auraient conduit à une décision plus favorable pour elle. (2) Le recours en révision pour les motifs mentionnés aux points 6 et 7 n’est recevable que si la partie qui l’exerce n’a pas été en mesure, sans faute de sa part, d’invoquer le jugement devenu définitif ou les nouveaux faits ou éléments de preuve avant la fin des débats ayant débouché sur la décision de première instance." En l’espèce (paragraphes 32 et 41 ci-dessus), la Cour suprême a précisé qu’en cas d’annulation ou de modification ultérieure d’une décision administrative devenue définitive, considérée comme obligatoire par les tribunaux, le recours en révision est recevable par application analogique de l’article 530 § 1, no 5. En général, elle examine les pourvois en cassation à huis clos (article 509 du code de procédure civile) et sur la base du dossier (article 508). Elle ne prend en compte des faits ou des éléments de preuve nouveaux que dans la mesure restreinte où ils sont admissibles et où de surcroît ils figurent dans le mémoire du demandeur au pourvoi ou le mémoire en réponse (articles 504 § 2 et 507 § 3 - Neuerungsverbot). Le droit autrichien connaît en outre le principe de l’unicité de la voie de droit (Grundsatz der Einmaligkeit des Rechtsmittels), qui interdit la présentation de mémoires ampliatifs. La Cour suprême doit normalement statuer au fond. Elle ne peut renvoyer l’affaire aux juridictions inférieures qu’à certaines conditions (article 510), parmi lesquelles figure le cas où la procédure en cause se trouve entachée d’un vice de nature à empêcher une discussion complète et un examen approfondi du litige (article 503 no 2). PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION Dans sa requête du 24 septembre 1985 à la Commission (no 11761/85), M. Obermeier dénonçait une double violation de l’article 6 § 1 (art. 6-1) de la Convention: il y aurait eu à la fois entrave à son droit d’accès à un tribunal et dépassement du délai raisonnable dans l’examen d’une contestation relative à ses droits de caractère civil. Il invoquait aussi son droit à un recours effectif devant une instance nationale (article 13) (art. 13) et se prétendait victime, en tant qu’invalide, d’une discrimination contraire à l’article 14 (art. 14). La Commission a retenu la requête le 10 juillet 1987. Dans son rapport du 15 décembre 1988 (article 31) (art. 31), elle exprime l’opinion unanime: - qu’il y a bien eu infraction à l’article 6 § 1 (art. 6-1) sur les deux points considérés; - que nulle question distincte ne se pose sur le terrain de l’article 13 (art. 13); - qu’il n’est pas nécessaire de se prononcer sur les griefs tirés de l’article 14 (art. 14). Le texte intégral de son avis figure en annexe au présent arrêt.
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Citoyen portugais domicilié à Vila Nova de Famalicão, M. Manuel Moreira de Azevedo est chauffeur d’autobus. Le 23 janvier 1977, l’un de ses beaux-frères, M. Bernardo Gonçalves de Sousa, le blessa à la tête d’un coup de feu à la suite d’une altercation familiale. Conduite d’urgence à l’hôpital São João de Porto, la victime y resta jusqu’au 2 février 1977. Le jour même, la police arrêta le suspect et porta les faits à la connaissance du procureur de la République, lequel invita le juge d’instruction près le tribunal de première instance de Vila Nova de Famalicão à procéder à un interrogatoire. A. La procédure d’instruction L’enquête préliminaire (inquérito preliminar - 23 janvier 1977-21 mai 1980) Faute d’indices suffisants pour conclure à l’existence d’une tentative d’homicide volontaire, le juge d’instruction ordonna, le 24 janvier 1977, la libération provisoire de M. Gonçalves de Sousa, moyennant le versement d’une caution de 10 000 escudos. Il décida en outre de transmettre le dossier au ministère public pour la poursuite de l’enquête. Le 17 février, un médecin légiste examina le requérant et sollicita la communication du rapport établi par l’hôpital de São João de Porto. Le rapport lui ayant été fourni le 21 mars, le ministère public fixa au 28 la date du contrôle médical. A cette dernière date, le médecin légiste estima que les lésions résultant de l’agression avaient causé à M. Moreira de Azevedo une incapacité de travail de 90 jours. Le 28 avril, il considéra que ce dernier avait encore besoin de 30 jours de congé. Le 26 mai il constata la guérison, mais prescrivit d’autres examens spécialisés. Le 2 juin 1977, le requérant déclara intervenir en qualité d’auxiliaire (assistente) du ministère public dans la procédure d’instruction préparatoire. Le magistrat instructeur accueillit sa demande le 18. Les 18 octobre et 7 novembre, un oto-rhino-laryngologiste et un ophtalmologue examinèrent l’intéressé. Sur la recommandation du second eut lieu, le 24 octobre 1978, un examen neurologique. Suivirent, le 11 juin 1979, un électro-encéphalogramme et, le 23 août, un nouveau contrôle médical ordonné par le ministère public. Le 3 octobre 1979, ce dernier décida, à la demande du médecin légiste, une deuxième analyse neurologique. La faculté de médecine de Porto l’ayant informé qu’elle ne pourrait examiner le patient avant 1981, le ministère public confia cette tâche au médecin légiste; il l’invitait en particulier à se prononcer sur "l’intention de donner la mort" qu’aurait eue M. Gonçalves de Sousa. Dans un rapport du 8 mai 1980, le praticien conclut que M. Moreira de Azevedo était guéri, que la période d’incapacité de travail correspondait à celle déjà retenue et qu’il y avait bien eu intention homicide. Au vu du rapport, le ministère public transmit le dossier au juge le 21 mai 1980 en le priant d’ouvrir l’instruction préparatoire. L’instruction préparatoire (instrução preparatória - 26 mai 1980-5 juillet 1984) Le 26 mai 1980, le juge demanda au Conseil de médecine légale (Conselho médico-legal) d’étudier les divers rapports médicaux (article 200 du code de procédure pénale), mais en vain. Transféré au tribunal d’instruction criminelle (tribunal de instrução criminal) de Santo Tirso, le dossier fut enregistré au greffe le 1er juillet 1982. Le 8 mars 1982, le requérant écrivit au juge de Vila Nova de Famalicão pour réclamer un nouvel examen par le médecin légiste et dénoncer la durée de la procédure. Le 6 juillet 1982, le juge du tribunal d’instruction criminelle de Santo Tirso sollicita l’avis du ministère public sur l’applicabilité d’une loi d’amnistie. Dans une missive du 13 octobre 1982, M. Moreira de Azevedo se plaignit de ce que sa lettre du 8 mars (paragraphe 25 ci-dessus) ne figurait pas au dossier; il réitérait sa démarche. Le 19 octobre 1982, le juge du tribunal d’instruction criminelle de Santo Tirso enjoignit à son tour au Conseil de médecine légale d’étudier les rapports médicaux et, le 4 novembre, demanda au médecin légiste des précisions sur son rapport du 8 mai 1980. Le 19 novembre 1982, ce dernier préconisa un nouvel examen neurologique, que le juge ordonna le 23. Entre-temps, par une lettre du 13 novembre 1982 parvenue au tribunal d’instruction criminelle le 2 février 1983, le Conseil de médecine légale avait exprimé le souhait que le médecin légiste spécifiât le nombre de jours d’incapacité de travail et la nature des séquelles de l’agression. Le 23 février 1983, le praticien décrivit les lésions et indiqua que le requérant avait subi une incapacité de travail de 120 jours et souffrait toujours d’une infirmité: perte d’une partie de la boîte crânienne et surdité de l’oreille gauche. Un neurologue examina M. Moreira de Azevedo le 8 mars 1983 et envoya son rapport au juge le 5 juillet. Le 21 mars 1984, le magistrat réclama au médecin légiste son rapport. Reçu le 5 avril 1984, le document fut adressé au Conseil de médecine légale le même jour. Cet organisme en approuva les conclusions le 26 avril 1984, en ajoutant que l’agression avait provoqué une infirmité et une incapacité totale. Le 14 mai 1984, le juge fixa au 24 l’interrogatoire du requérant et de l’inculpé. Le premier fut effectivement entendu à cette date mais le second, souffrant, ne comparut pas. Le 25 mai, le plaignant demanda l’audition de cinq témoins. Le 28, le juge décida que l’inculpé serait interrogé le 7 juin 1984. Ce dernier s’étant absenté pour une durée indéterminée, l’huissier de justice ne put toutefois lui signifier l’ordonnance. Le 5 juin 1984, M. Moreira de Azevedo présenta un rapport des services publics de la santé, daté du 15 avril 1981 et établi à la suite d’une expertise médicale; le document concluait à l’existence d’une incapacité de 64 %. Le 6 juin 1984, le juge décerna un mandat d’amener à l’encontre de l’inculpé et, le 14, ouït les témoins indiqués par le requérant. Le 1er juillet 1984, l’officier de police compétent l’informa que M. Gonçalves de Sousa avait disparu. Le 5 juillet 1984, le juge clôtura l’instruction préparatoire et transmit le dossier au ministère public. Le 10 juillet, ce dernier demanda l’ouverture de l’instruction contradictoire et formula ses réquisitions (acusação). Il réclama l’arrestation de l’inculpé, car des poursuites pour tentative d’homicide volontaire ne permettaient pas une mesure de liberté provisoire. L’instruction contradictoire (instrução contraditória - 16 juillet 1984-27 juillet 1984) Le 16 juillet 1984, le juge déclara ouverte l’instruction contradictoire et ordonna l’arrestation de l’inculpé, mais celui-ci demeura introuvable. Le 27 juillet, il clôtura l’instruction et transmit le dossier au ministère public, qui prit ses réquisitions le 8 octobre 1984. Renvoyé en jugement le 16 novembre 1984, l’inculpé fut, le 26, arrêté puis placé en détention provisoire. Le 12 décembre, le tribunal fixa au 5 février 1985 la date de l’audience. Le 21 décembre, le requérant sollicita l’interrogatoire de deux témoins. B. La procédure de jugement Le procès en première instance Le 5 février 1985, au début de l’audience, le conseil du requérant demanda oralement au tribunal de première instance de Vila Nova de Famalicão, en vertu de l’article 34 par. 3 du code de procédure pénale, de renvoyer à la procédure ultérieure d’exécution du jugement ("liquidação em execução de sentença") la fixation éventuelle du taux de l’indemnité. Le 18 février 1985, le tribunal relaxa le prévenu du chef de tentative d’homicide, mais le condamna pour coups et blessures à quatorze mois d’emprisonnement et au versement à la victime de dommages-intérêts, d’un montant à déterminer lors de la procédure d’exécution du jugement. Le requérant et le condamné interjetèrent appel. L’arrêt de la cour d’appel de Porto, du 30 octobre 1985 Le 30 octobre 1985, la cour d’appel (tribunal de relação) de Porto accueillit le recours de M. Gonçalves de Sousa tout en déclarant l’action pénale éteinte par prescription (cinq ans). L’arrêt de la Cour suprême, du 7 mai 1986 M. Moreira de Azevedo saisit alors la Cour suprême (Supremo Tribunal de Justiça) qui, le 7 mai 1986, confirma l’arrêt attaqué. La lettre de notification fut envoyée le lendemain au requérant, qui fut censé l’avoir reçue le troisième jour après l’envoi (article 1 par. 3 du décret-loi no 121/76). II. LE DROIT INTERNE PERTINENT A. L’exercice de l’action pénale Au Portugal, l’exercice de l’action pénale relève en principe du ministère public. Aux termes de l’article 1er du décret-loi no 35007 du 13 octobre 1945, "L’action pénale est publique; son exercice appartient au ministère public avec les restrictions prévues aux articles suivants". Ces restrictions concernent les cas où des autorités policières ou administratives ou d’autres organes de l’État peuvent intenter l’action pénale, mais elles ne valent en général que pour de simples contraventions. Le décret-loi no 605/75 du 3 novembre 1975 indique également, dans son article 1er, que "sauf dans les cas prévus par la loi, la procédure est diligentée par le ministère public qui, selon les cas, ouvre l’enquête préliminaire ou transmet le dossier au juge d’instruction". Dans certaines hypothèses, des personnes privées peuvent participer à la procédure pénale en qualité d’assistentes. Le décret-loi no 35007 dispose en son article 4: "Peuvent intervenir dans la procédure comme assistentes: 1o Ceux sans l’accusation ou la plainte de qui le ministère public ne peut exercer l’action pénale; 2o Les victimes, titulaires des intérêts que la loi pénale a spécialement voulu protéger par l’incrimination; 3o Le mari dans les procès ayant pour objet des infractions dont a été victime sa femme, sauf si elle s’y oppose; 4o Le conjoint non séparé de corps et de biens, ou le veuf, ou tout ascendant, descendant, frère ou soeur, dans les cas de décès ou d’incapacité de la victime à diriger sa personne; 5o Toute personne dans les procès relatifs aux crimes de péculat, concussion ou corruption passive ou active. Par. 1o - Les assistentes ont la position d’auxiliaires du ministère public; leur intervention dans la procédure est subordonnée à l’activité de celui-ci, sauf exceptions prévues par la loi. Par. 2o - Les assistentes ont cependant compétence, en particulier, pour 1o Présenter des réquisitions indépendamment de celles du ministère public; 2o Intervenir directement dans l’instruction contradictoire, pour offrir des preuves et demander au juge d’effectuer les démarches adéquates; 3o Recourir contre l’ordonnance de renvoi en jugement, le jugement ou l’ordonnance mettant fin à la procédure, même si le ministère public ne l’a pas fait. Par. 3o - (...) (abrogé) Par. 4o - Dans le cas où les assistentes présentent des réquisitions pour des faits différents de ceux qui constituent l’objet des réquisitions du ministère public, ils ne pourront attaquer la décision du juge si celui-ci accueille les réquisitions du ministère public. Par. 5o - Les assistentes peuvent intervenir à tout stade de la procédure, l’acceptant dans l’état où elle peut se trouver, et ce jusqu’à cinq jours avant l’audience de jugement." Le décret précise en son préambule: "3. L’exercice de l’action pénale appartient au ministère public en tant qu’organe de l’État. Le droit de punir est un droit exclusif de l’État et par conséquent les particuliers peuvent, aux termes de la loi, collaborer à l’exercice de l’action pénale par le ministère public, mais non l’exercer en tant que droit propre (...)." L’article 70 du code de procédure pénale dispose que l’instruction préparatoire est secrète. En son paragraphe 1, il précise que l’inculpé et l’assistente peuvent prendre connaissance de certaines pièces du dossier, à condition qu’il n’en résulte aucun inconvénient pour la découverte de la vérité. B. Le droit de la victime à réparation Le code de procédure pénale en vigueur à l’époque - un nouveau texte s’applique depuis le 1er janvier 1988 - contenait plusieurs dispositions relatives au droit de la victime à réparation: Article 29 "La demande en dommages-intérêts découlant d’un fait punissable dont les auteurs sont les responsables doit être introduite dans la procédure pénale en cours et ne peut faire l’objet d’une action intentée devant les tribunaux civils que dans les cas prévus par le présent code." Article 30 "Hors le cas où les poursuites ne peuvent être exercées que sur plainte ou accusation privées, l’action civile peut être introduite séparément devant le tribunal civil lorsque l’action pénale n’a pas été exercée par le ministère public dans un délai de six mois à compter de la dénonciation ou n’a pas progressé pendant cette même période, que la procédure a été classée ou que l’accusé a été acquitté. Par. 1o - Si l’action pénale ne peut être exercée que sur plainte ou accusation privées, la victime peut intenter l’action civile mais dans ce cas l’action pénale s’éteint. Par. 2o - Si la procédure pénale a été exercée, l’action civile ne peut être introduite séparément que lorsque la procédure pénale n’a pas progressé pendant six mois ou plus, sans faute de l’assistente, que la procédure a été classée ou que l’accusé a été acquitté." Article 32 "La demande en dommages-intérêts peut être faite dans la procédure pénale même par celui qui ne s’est pas constitué assistente. Par. 1o - Le ministère public doit demander des dommages-intérêts au bénéfice de l’État, si ce dernier y a droit, et au bénéfice des personnes collectives d’intérêt public ou des incapables à qui elle serait due, lorsqu’ils ne sont pas représentés par un avocat dans la procédure. Par. 2o - La requête introduisant une demande de dommages-intérêts est présentée par articles. Par. 3o - Les preuves concernant l’indemnisation sont offertes dans les mêmes délais que celles concernant l’action pénale (...)." Article 34 "En cas de condamnation, le juge fixe un montant à verser aux victimes à titre de dommages-intérêts, même en l’absence de demande. Par. 1o - Lorsque la loi accorde une réparation civile à d’autres personnes, une indemnité est fixée pour chacune d’elles. Par. 2o - Le juge détermine le montant de l’indemnité dans sa sagesse; il prend en compte la gravité de l’infraction, le dommage matériel et moral, la situation économique et la condition sociale de la victime et de l’auteur de l’infraction. Par. 3o - Les personnes ayant droit à l’indemnité peuvent demander, avant le prononcé du jugement de première instance, qu’elle soit déterminée en exécution de ce dernier; dans ce cas la liquidation et l’exécution ont lieu devant le tribunal civil, le jugement pénal en constituant le titre exécutif. Par. 4o - Si, dans les cas où la loi le permet, l’action civile en dommages-intérêts est en cours ou a été jugée par le tribunal civil, la réparation n’est pas fixée dans l’action pénale." L’article 12 du décret-loi no 605/75 précité indique de son côté: "En cas d’acquittement, le juge condamne l’accusé au paiement de dommages-intérêts, une fois prouvés un fait de caractère illicite ou une responsabilité fondée sur le risque. L’article 34 du code de procédure pénale s’applique en pareil cas, avec les adaptations nécessaires." Par un arrêt de règlement (assento) du 28 janvier 1976, la Cour suprême a jugé que le tribunal civil n’a pas compétence pour octroyer une indemnité s’il en a déjà été accordé une dans l’action pénale (Diário da República, série 1, 11 mars 1976). Bien qu’elle concerne des indemnités civiles et pénales pour infraction au code de la route, cette décision contient les considérants de portée générale suivants: "L’article 29 [du code de procédure pénale] consacre le principe de l’interdépendance (...) des actions pénale et civile plutôt sous la forme d’une grande dépendance de l’action civile par rapport à l’action pénale. (...) (...) (...) La formulation des réquisitions dans la procédure pénale, constituant la demande de condamnation du prévenu, peut donc bien se comprendre comme impliquant la demande d’une indemnisation pour la victime, puisque la loi impose toujours la seconde comme conséquence de la première. (...) (...) quant au montant de l’indemnité, le jugement pénal s’impose à la victime qu’elle ait ou non présenté une demande au civil (...)." PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION Dans sa requête du 16 novembre 1984 à la Commission (no 11296/84), M. Moreira de Azevedo se plaignait de la durée de la procédure relative à l’action pénale engagée par le ministère public le 24 janvier 1977 devant le tribunal de première instance de Vila Nova de Famalicão; il l’estimait contraire à l’article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention. La Commission a retenu la requête le 15 avril 1988. Dans son rapport du 10 juillet 1989 (article 31) (art. 31), elle conclut par huit voix contre six à l’absence de violation de l’article 6 par. 1 (art. 6-1). Le texte intégral de son avis et des opinions séparées dont il s’accompagne figure en annexe au présent arrêt. CONCLUSIONS PRESENTEES A LA COUR PAR LE GOUVERNEMENT Dans son mémoire du 16 mars 1990, le Gouvernement a invité la Cour "à dire que l’article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention n’est pas applicable à la procédure litigieuse".
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I. Les circonstances de l'espèce M. Mats Jacobsson possède un terrain de 2079 m2, Tullinge 17:289 (autrefois stadsäga, "Stg", 3594), situé à Botkyrka - une commune de la banlieue sud de Stockholm - et sur lequel se dresse une petite maison. Lorsqu'il l'acheta en 1973, la propriété relevait d'un plan de construction remontant à 1938 ("le plan de 1938") et prévoyant qu'en principe aucun terrain à bâtir ne devait avoir une surface inférieure à 1500 m2; par exception, il pouvait s'agir d'un bien-fonds d'au moins 1000 m2 en un lieu doté de conduites d'eau et d'égouts suffisants. Depuis juin 1954, la propriété a été presque sans arrêt frappée d'une série d'interdictions de construire provisoires, décrétées pour un ou deux ans chacune en vertu de l'article 109 de la loi de 1947 sur la construction (byggnadslagen 1947:385, "la loi de 1947" - paragraphe 23 ci-dessous), en attendant un amendement du plan en vigueur. Depuis la même date, toute construction se trouve également prohibée dans la zone sur la base de l'article 110 (paragraphe 24 ci-dessous), jusqu'à l'aménagement de routes, de systèmes d'adduction d'eau et d'égouts adéquats. Après que le requérant, parmi d'autres, eut dénoncé les inconvénients du système d'égouts existant dans le secteur où se trouve sa propriété, la préfecture (länsstyrelsen) demanda, en juin 1981, à la commune d'y installer des égouts pour la fin de 1982, ce qu'elle fit. Le 16 décembre 1982, le conseil municipal (kommunfullmäktige) adopta une proposition de réforme du plan de 1938. Elle tendait notamment à ce que tout terrain à bâtir, pourvu ou non de conduites d'eau et d'égouts, eût désormais une superficie d'au moins 1500 m2. Elle visait aussi à interdire toute construction nouvelle sur l'emplacement de la maison du requérant. M. Mats Jacobsson éleva des objections. Selon lui, les amendements limiteraient indûment la construction et supprimeraient irrégulièrement le droit d'édifier une seconde habitation, droit qui s'attachait auparavant aux biens-fonds comme le sien en vertu du plan de 1938. Le 4 juillet 1983, la préfecture entérina cependant le plan modifié, en vertu de l'article 108 de la loi de 1947 (paragraphe 21 ci-dessous). Sa décision déclarait, entre autres, acceptable que la commune consentît seulement à une faible utilisation des sols; une telle politique ne pouvait passer pour contraire à la loi de 1947. En ce qui concerne le droit de construire, la préfecture notait: "Stg 3594 comprend 2079 m2. Le plan de 1938 exige pour les lotissements une surface minimale de 1500 m2. Il permet certes de la ramener à 1000 m2 si le terrain figure dans une zone dotée de conduites d'eau et de tout-à-l'égout avant ou à l'occasion de la construction et conformément à un plan approuvé par le conseil de l'hygiène (hälsovårdsnämnden), mais cela implique une initiative privée en faveur d'une installation commune à plusieurs propriétés afin d'y bâtir. Or depuis 1954, date de l'interdiction de construire décrétée au titre de l'article 110 de la loi [de 1947], les propriétaires n'ont pris aucune mesure en ce sens. Les conduites actuelles d'eau et de tout-à-l'égout ne sont devenues nécessaires que pour résoudre les problèmes sanitaires qui avaient surgi dans le secteur malgré la grande taille des lotissements. On ne saurait donc considérer comme remplies les conditions fixées par le plan pour autoriser des lotissements de moins de 1500 m2. Partant, la préfecture estime que le plan en vigueur ne donne aucun droit évident à morceler Stg 3594. En conséquence, et eu égard à l'intérêt général qu'il y a à ne pas préjuger de l'aménagement futur, elle juge acceptable la décision de la commune de ne pas accueillir la demande de nouveaux droits de construire formulée par M. Jacobsson." Le 19 janvier 1984, le Gouvernement repoussa un recours du requérant contre la décision de la préfecture, sauf sur un point: il admit que M. Jacobsson n'aurait plus à démolir sa maison pour pouvoir construire sur sa propriété (paragraphe 11 ci-dessus). Le requérant invita la Cour administrative suprême (regeringsrätten) à rouvrir la procédure; d'après lui, la décision du gouvernement se fondait sur de fausses prémisses et le plan proposé enfreignait la loi. Ladite Cour le débouta le 5 juin 1984. II. Droit et pratique internes pertinents A. Législation sur la construction et l'urbanisme Jusqu'au 30 juin 1987, le droit de bâtir sur son propre terrain était régi par la loi de 1947 et par un décret que le Gouvernement avait pris en 1959 en vertu de celle-ci (byggnadsstadgan, "le décret de 1959"). Depuis le 1er juillet 1987 la matière relève d'une nouvelle loi, la loi sur l'aménagement du territoire et la construction (plan- och bygglagen), qui toutefois n'entre pas ici en ligne de compte. Aux termes de l'article 1 de la loi de 1947, on ne pouvait construire sur son terrain qu'avec un permis et sous les conditions fixées par le gouvernement. L'article 54 du décret de 1959 précisait qu'il fallait un permis pour toute construction nouvelle, à l'exception de certains édifices publics et d'extensions mineures aux résidences et fermes existantes. Le traitement d'une demande amenait à rechercher si le projet allait à l'encontre d'un plan adopté (ou, le cas échéant, des règlements relatifs aux zones non planifiées) ou d'une interdiction de bâtir et s'il répondait aux impératifs techniques pertinents. En l'absence de semblable obstacle, il fallait octroyer le permis. L'article 5 de la loi de 1947 subordonnait pareille construction à un examen préalable du point de savoir si la propriété s'y prêtait d'une manière générale. L'examen devait en principe s'opérer selon une procédure de planification. B. Plans de construction La loi de 1947 prévoyait que le détail des normes d'utilisation des sols figurerait dans des plans d'urbanisme (stadsplaner) ou de construction (byggnadsplaner). Un plan de construction devait indiquer les limites des zones ayant telle ou telle vocation (article 107 de la loi de 1947) et contenir toute réglementation spéciale de la mise en valeur ou de l'emploi des secteurs concernés, par exemple l'interdiction d'exploiter une certaine partie des sols. D'après l'article 108 de la loi de 1947, les plans de construction (et leurs modifications: article 23 du décret de 1959) devaient être adoptés par le conseil municipal, puis approuvés par la préfecture, avant d'acquérir force de loi. Un propriétaire lésé par la décision préfectorale d'entériner un plan pouvait l'attaquer devant le gouvernement, en première et dernière instance (article 150). La loi de 1947 ne définissait pas les conditions matérielles de modification ou d'agrément d'un plan de construction. En recherchant si un amendement pouvait restreindre ou supprimer le droit de bâtir reconnu à un propriétaire par un plan existant, les autorités devaient toutefois peser d'un côté l'intérêt public s'attachant à pareil changement, de l'autre l'atteinte aux intérêts privés en jeu (articles 4 de la loi de 1947 et 9 du décret de 1959). C. Interdictions de construire Dans le cas où l'on envisageait d'élaborer ou modifier un tel plan, l'article 109 de la loi habilitait la préfecture à interdire, à la demande de la commune, les constructions nouvelles dans la zone. L'interdiction valait pour un an au plus, mais la préfecture pouvait la prolonger de deux ans au maximum chaque fois. Par son paragraphe 1, l'article 110 prohibait toute construction nouvelle non conforme au plan applicable. Le paragraphe 2 permettait à la préfecture de proscrire pareille construction, en un secteur englobé dans ce même plan, jusqu'à l'aménagement de routes, de conduites d'eau et d'égouts suffisants. La préfecture pouvait consentir des dérogations aux interdictions susmentionnées, mais dans la mesure où il s'agissait de s'écarter d'un plan de construction elle ne le pouvait pas sans l'accord de la commission de la construction de la commune (byggnadsnämnden - article 110 de la loi de 1947). Celle-ci pouvait octroyer elle-même la dérogation en premier degré si le gouvernement lui en avait délégué la compétence. Un refus de dérogation pouvait être attaqué devant le gouvernement, en premier et dernier ressort, mais nul recours ne s'offrait si une commission de la construction n'acceptait pas que l'on s'écartât du plan (article 71 du décret de 1959). PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION M. Mats Jacobsson a saisi la Commission le 5 août 1984 (requête n° 11309/84). Il invoquait les articles 6 § 1 et 13 (art. 6-1, art. 13) de la Convention, aucun tribunal ne pouvant connaître de ses droits au titre du plan de 1938. Il dénonçait aussi une infraction à l'article 1 du Protocole n° 1 (P1-1), au motif que son droit à user de sa propriété conformément audit plan lui avait été retiré sans qu'un intérêt général se trouvât établi. Le 8 octobre 1985 la Commission avait déclaré la requête irrecevable, mais elle l'a retenue le 8 mars 1988, sauf quant à l'article 1 du Protocole n° 1 (P1-1), après avoir rouvert la procédure. Dans son rapport du 16 mars 1989 (article 31 de la Convention) (art. 31), elle arrive à la conclusion qu'il y a eu violation de l'article 6 § 1 (art. 6-1) (quatorze voix contre trois) et qu'il n'y a pas lieu d'examiner séparément le grief relatif à l'article 13 (art. 13) (unanimité). Le texte intégral de son avis et des opinions dissidentes dont il s'accompagne figure en annexe au présent arrêt. * _______________ * Note du greffier: Pour des raisons d'ordre pratique il n'y figurera que dans l'édition imprimée (volume n° 180-A de la série A des publications de la Cour), mais chacun peut se le procurer auprès du greffe. _______________
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I. Les circonstances de l'espèce Mme Hendrika Wilhelmina van der Leer, ressortissante néerlandaise née en 1922, réside actuellement à La Haye. Le 28 septembre 1983, le bourgmestre de La Haye ordonna l'internement de la requérante, qui en avait déjà subi d'autres, dans un hôpital psychiatrique de la ville. Après que le président du tribunal d'arrondissement (Arrondissementsrechtbank) en eut refusé la prolongation par une décision du 3 octobre 1983, la requérante y resta néanmoins de son plein gré. Le 18 novembre 1983, à la demande du mari de la requérante, le juge cantonal (Kantonrechter) de La Haye autorisa la détention forcée de celle-ci dans le même hôpital pour une période de six mois. La demande s'appuyait sur un certificat médical établi par un psychiatre qui avait examiné l'intéressée le 16. Il y répondait par la négative à la question de savoir s'il serait inutile ou médicalement contre-indiqué qu'un juge entendît Mme van der Leer. Le juge cantonal ne tint aucune audience, de sorte qu'il n'y eut pas de procès-verbal. Aux termes de l'ordonnance, la nécessité d'interner la requérante dans un hôpital psychiatrique ressortait à suffisance du certificat médical. Sur le formulaire type utilisé, on avait biffé la mention préimprimée selon laquelle le juge n'avait pas ouï l'intéressée parce que c'eût été inutile ou médicalement contre-indiqué. Mme van der Leer ne fut pas informée de la décision et n'en reçut pas non plus de copie. A la suite de son placement en isolement, le 28 novembre 1983, elle prit conscience du caractère forcé de sa détention et se mit immédiatement en rapport avec son avocat. Invitée par lui, le 6 décembre, à la libérer, la direction de l'hôpital s'y refusa le 15 décembre en se fondant sur l'avis négatif de son médecin-chef. La demande fut transmise le 20 décembre 1983 au procureur de la Reine (Officier van Justitie) qui en saisit, le 6 février 1984, le tribunal d'arrondissement de La Haye. Des débats se déroulèrent devant le tribunal d'arrondissement les 5 mars, 16 avril et 7 mai 1984, Mme van der Leer y étant chaque fois représentée par son conseil. Le 26 mars 1984, le tribunal déclara vouloir entendre le médecin traitant et prescrivit sa comparution ainsi que la production des rapports médicaux de l'hôpital, mais cette décision interlocutoire ne reçut d'effet ni à l'audience du 16 avril ni à celle du 7 mai 1984. Faute d'éléments permettant de conclure que Mme van der Leer présentait un danger à cause de sa maladie mentale, le tribunal ordonna son élargissement à cette dernière date. Avec l'aide de son mari, Mme van der Leer avait toutefois déjà quitté l'hôpital sans autorisation le 31 janvier 1984. L'hôpital lui avait accordé un congé à l'essai à partir du 7 février, mais elle ne l'apprit qu'indirectement, dans le courant du mois de mars. II. Droit et pratique internes pertinents Aux Pays-Bas, l'internement des aliénés est régi par une loi du 27 avril 1884 sur le contrôle des malades mentaux par l'Etat, communément appelée loi sur les malades mentaux (Krankzinnigenwet). A. Procédure d'internement en cas d'urgence S'il y a urgence, le bourgmestre a compétence pour prescrire l'admission forcée d'un "malade mental" dans un hôpital psychiatrique. Aux termes de l'article 35 c) de la loi, il recueille d'abord l'avis d'un psychiatre ou, si la chose ne se révèle pas possible, d'un autre médecin. Dès qu'il a ordonné un internement, il informe le procureur de la Reine et lui envoie la déclaration médicale sur laquelle il s'est fondé. A son tour, le procureur la communique, au plus tard le lendemain, au président du tribunal d'arrondissement en requérant, le cas échéant, le maintien de l'internement. Le président statue dans les trois jours. S'il refuse de la prolonger, la privation de liberté prend fin à la date de sa décision. B. Autorisation d'internement provisoire L'article 12 de la loi habilite, entre autres, le conjoint d'une personne atteinte de troubles mentaux à inviter par écrit le juge cantonal à autoriser l'internement temporaire de celle-ci dans un hôpital psychiatrique pour la raison que l'intérêt de l'ordre public ou du patient l'exige. D'après l'article 16, pareille demande s'accompagne d'une attestation motivée établie par un médecin agréé, spécialiste des maladies mentales et nerveuses. L'attestation doit relever que le patient souffre de troubles mentaux et qu'un traitement dans un asile est nécessaire ou souhaitable. Elle précise dans la mesure du possible si l'état de l'intéressé rend son audition par le juge inutile ou médicalement contre-indiquée. Le juge accorde l'autorisation d'internement provisoire sollicitée si l'attestation médicale, seule ou combinée avec les circonstances relatées et les pièces produites, montre à suffisance que le traitement dans un hôpital psychiatrique est "nécessaire ou souhaitable" (article 17 § 1 de la loi). La Cour de cassation (Hoge Raad) des Pays-Bas a interprété ces derniers mots comme signifiant que le malade doit présenter un danger pour lui-même, pour autrui ou pour l'ordre public au point qu'il soit nécessaire ou souhaitable de le soigner dans une clinique psychiatrique (arrêt du 4 novembre 1983, Nederlandse Jurisprudentie (NJ) 1984, n° 162). Le juge a l'obligation d'entendre l'intéressé sauf s'il déduit du certificat médical que ce serait inutile ou médicalement contre-indiqué (article 17 § 3). La Cour de cassation a jugé qu'il doit motiver la décision de ne pas procéder à une telle audition (arrêt du 27 novembre 1981, NJ 1983, n° 56). "Dans la mesure du possible", il doit se renseigner, entre autres, auprès de l'auteur de la demande d'internement et auprès du conjoint du malade (article 17 § 4). L'article 72 du règlement I (Reglement I) édicté en exécution de la loi sur l'organisation judiciaire (wet op de rechterlijke organisatie) prévoit la présence d'un greffier "aux audiences et auditions" ("terechtzittingen en verhoren"). L'ordonnance d'internement n'est ni susceptible d'appel ni notifiée à la personne concernée (article 17 §§ 1 et 8); son renouvellement doit être sollicité dans les six mois qui suivent le jour de son prononcé (article 22). C. Elargissement du patient D'après l'article 29 de la loi, le malade peut à tout moment inviter la direction de l'hôpital à le libérer. Celle-ci doit immédiatement consulter le médecin-chef. S'il conclut au rejet de la demande, la direction la transmet, avec l'avis en question, au procureur de la Reine qui en général saisit le tribunal d'arrondissement. Au sujet de la procédure, l'article 29 renvoie à l'article 23, aux termes duquel le tribunal d'arrondissement a la faculté, mais non l'obligation, d'entendre le malade. Dans un arrêt du 2 décembre 1983 (NJ 1984, n° 164), toutefois, la Cour de cassation a jugé qu'eu égard à l'article 5 (art. 5) de la Convention, ces dispositions doivent s'interpréter comme conférant au patient interné le droit d'être entendu et d'invoquer tout élément propre à contribuer à sa libération; cela implique le droit non seulement de se faire assister par un avocat, mais aussi d'exiger la présence d'un expert qui puisse combattre les arguments de la direction de l'hôpital. PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION Dans sa requête du 18 mai 1984 à la Commission (n° 11509/85), Mme van der Leer alléguait que son internement dans un hôpital psychiatrique n'avait pas eu lieu "conformément aux voies légales" et n'était pas "régulier", au sens du paragraphe 1 de l'article 5 (art. 5-1) de la Convention. Elle dénonçait en outre un manquement aux exigences des paragraphes 2 et 4 (art. 5-2, art. 5-4), affirmant ne pas avoir été informée de l'ordonnance du 18 novembre 1983 et n'avoir pas eu la possibilité d'en faire contrôler "à bref délai" la légalité par un tribunal. Elle prétendait enfin qu'au mépris de l'article 6 § 1 (art. 6-1), il n'avait pas été décidé, dans le cadre d'un procès équitable, des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil. La Commission a retenu la requête le 16 juillet 1986. Dans son rapport du 14 juillet 1988 (article 31) (art. 31), elle conclut à l'unanimité à la violation de l'article 5 §§ 1, 2 et 4 (art. 5-1, art. 5-2, art. 5-4) mais non de l'article 6 § 1 (art. 6-1). Le texte intégral de son avis et de l'opinion séparée dont il s'accompagne figure en annexe au présent arrêt*. _______________ * Note du greffier: Pour des raisons d'ordre pratique il n'y figurera que dans l'édition imprimée (volume 170 de la série A des publications de la Cour), mais chacun peut se le procurer auprès du greffe. _______________
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Le requérant, M. Reinhard Helmers, est allemand. Maître de conférences, il réside à Lund en Suède. En 1979, il vit écarter sa candidature à un poste d’enseignant à l’Université de Lund. Estimant discriminatoire cette décision et partial le jury de nomination, il saisit la Direction nationale de l’enseignement supérieur (universitets- och högskoleämbetet, "l’UHÄ"), qui invita une commission universitaire ad hoc à présenter un avis écrit. Dans celui- ci, daté du 2 octobre 1980, la commission déclara notamment que dans son recours, M. Helmers avait accusé la personne finalement choisie pour le poste, M. L., de l’avoir obtenu par des pressions occultes sur l’un des membres du jury, un certain professeur E. (qui avait aussi participé à la procédure de recrutement), en remerciement de l’assistance prêtée par le premier dans une campagne menée par le second contre M. Helmers. Le 10 décembre 1981, le gouvernement, statuant en dernier ressort, repoussa le recours du requérant contre la nomination de M. L. Entre temps M. Helmers, jugeant diffamatoire la déclaration de la commission universitaire, avait porté plainte auprès de la police. Le procureur du district de Lund opta toutefois pour le non-lieu, décision que le procureur général confirma définitivement. Le requérant résolut alors d’user de la faculté offerte par le chapitre 20, article 8, du code de procédure judiciaire (rättegångsbalken): engager des poursuites privées pour diffamation ou, à titre subsidiaire, pour diffamation aggravée (förtal ou grovt förtal, chapitre 5, articles 1 et 2, du code pénal, brottsbalken), ainsi que pour fausses déclarations (osant intygande, chapitre 15, article 11, du même code), contre l’un des membres de la commission universitaire ad hoc, M. F., et la secrétaire de celle-ci, Mme E. Il reprochait aussi à la seconde d’avoir incité M. F. à commettre ces infractions (chapitre 23, article 4, du code pénal). La peine maximale prévue par la loi pour diffamation aggravée était de deux ans d’emprisonnement. M. Helmers se prévalut en outre de la possibilité ménagée par le chapitre 22, article 1, du code de procédure judiciaire, de se constituer partie civile; il réclamait une couronne suédoise à chacun des accusés. Le 9 septembre 1981, le tribunal de première instance (tingsrätten) de Lund tint une audience publique à laquelle le requérant et les accusés purent prendre la parole. Dans son jugement, rendu le 19 novembre 1981, il releva que la manière dont la commission ad hoc avait résumé le recours de M. Helmers remplissait les critères objectifs de la diffamation, parce que de nature à discréditer le requérant. Il estima en revanche que ni Mme E. ni M. F. ne tombaient sous le coup du droit pénal: les déclarations de la commission ne pouvaient engager la responsabilité de la première, car elle avait agi à titre de simple rapporteur et non de membre participant à la décision; quant au second, rien ne l’obligeait à se prononcer puisqu’il n’avait pas assisté à l’examen du recours de M. Helmers par la commission, mais on devait considérer comme justifiable qu’en sa qualité de membre de la commission il eût joint son avis. Après avoir contrôlé la fidélité du résumé, le tribunal conclut: "Il n’était pas aisé, pour la commission, de synthétiser la longue argumentation de M. Helmers, que le tribunal trouve du reste difficile à interpréter. Ainsi que l’ont soutenu M. F. et Mme E., le résumé doit donc passer pour une interprétation raisonnable. D’ailleurs, il n’est pas établi que M. F. ait proféré sciemment des affirmations inexactes." Rien ne lui paraissant non plus prouver que Mme E. eût fait une fausse déclaration ou incité M. F. à commettre un délit, le tribunal débouta le requérant de ses poursuites privées et de sa demande en dommages-intérêts. Le 9 décembre 1981, M. Helmers se pourvut devant la cour d’appel (hovrätten) de Skåne et Blekinge. Il alléguait, entre autres, ce qui suit. A l’encontre d’une jurisprudence constante, le tribunal de première instance avait exclu toute responsabilité pénale dans le chef de Mme E. au motif qu’elle avait été seulement rapporteur et non un membre décideur de la commission ad hoc. Celle-ci avait rédigé un résumé erroné. La circonstance que l’un des professeurs mêlés à la procédure de recrutement litigieuse, M. E., avait mené une longue campagne contre M. Helmers était devenue notoire dans toute l’Europe ainsi qu’il ressortait de manuels de droit, de documents parlementaires, d’articles de journaux et d’émissions de radio et de télévision. On savait aussi qu’il avait essayé d’obtenir la suppression de la matière d’enseignement pour laquelle avait eu lieu ladite procédure; en témoignaient, entre autres, une plainte au chancelier de la Justice (justitiekanslern) et un recours des étudiants à l’UHÄ. Dès lors, le recours de M. Helmers à cette dernière (paragraphe 12 ci-dessus) ne pouvait se comprendre que comme la contestation, pour partialité, de la participation du professeur E. à la décision de nomination. N’ayant pu manquer de le percevoir, Mme E. et M. F. étaient tous deux coupables de diffamation en raison de leur déclaration injurieuse dans l’avis de la commission. M. Helmers ajoutait que même si le tribunal avait eu du mal à résumer son argumentation, on ne pouvait en dire autant des accusés: pendant quatre mois, ils avaient eu en leur possession toutes les pièces relatives à la nomination en cause. Il soulignait en outre, à cet égard, que ses moyens d’appel mentionnaient tous les faits pertinents, bien connus des personnes concernées du département universitaire dont il s’agissait. Il priait enfin la cour d’appel d’organiser une audience contradictoire. La cour reçut la réplique de Mme E. et de M. F. le 11 mars 1982. Elle la communiqua le lendemain à M. Helmers avec une note indiquant que l’affaire pouvait se trancher sans débats et qu’il avait deux semaines pour présenter ses conclusions. Il les déposa le 16 avril; la cour les transmit aux accusés le même jour, accompagnées d’une note analogue à celle qu’elle lui avait envoyée. D’avril à novembre 1982, les parties saisirent la cour d’observations écrites complémentaires. Selon M. Helmers, certains des documents provenant des accusés manquaient de pertinence car ils en appelaient simplement à des préjugés politiques; il invitait la cour à les écarter. Il se référait notamment à quatre articles de journaux, rédigés par des tiers, et à un communiqué de presse du secrétaire de la Commission européenne des Droits de l’Homme, du 15 mars 1982, lesquels se rapportaient tous à une requête antérieure de M. Helmers (no 8637/79), déclarée irrecevable le 10 mars 1982 (paragraphes 24-25 ci-dessous). La cour d’appel rendit son arrêt le 28 novembre 1983, sans audience publique préalable. Elle repoussa l’exception d’irrecevabilité que le requérant avait soulevée contre certaines des pièces fournies par les accusés. Sur le fond, elle estima M. F. et Mme E. responsables de l’avis de la commission du 2 octobre 1980, propre selon elle à discréditer le requérant. Et d’ajouter: "Le chapitre 5, article 1, second alinéa, du code pénal limite l’étendue de la responsabilité pénale pour diffamation. Une personne ayant formulé une déclaration diffamatoire se trouve dégagée de toute responsabilité lorsque, notamment, elle avait l’obligation de s’exprimer et que les renseignements donnés étaient véridiques ou reposaient sur des éléments plausibles. Le législateur a fait figurer les cas de nomination parmi ceux dans lesquels il peut y avoir conflit entre des intérêts contradictoires. En l’espèce, tant M. F. que Mme E. avaient l’obligation de s’exprimer. Peu importe, à cet égard, que M. F. n’ait livré son opinion que plus tard. En outre, il faut voir dans le résumé - à l’instar du tribunal de première instance - une synthèse raisonnable des arguments avancés par M. Helmers dans son mémoire ampliatif. Les renseignements donnés par M. F. et Mme E. reposaient donc sur des éléments plausibles. Partant, la cour ne saurait juger les accusés coupables de diffamation. Elle ne peut pas non plus accueillir les poursuites dirigées contre eux pour fausses déclarations, ou contre Mme E. pour incitation à commettre ces délits. Eu égard à cette conclusion concernant la responsabilité pénale des défendeurs, il échet de rejeter, tout comme le tribunal de première instance, la demande de M. Helmers en dommages-intérêts." Le requérant se pourvut devant la Cour suprême (högsta domstolen). Selon lui, des vices graves de procédure avaient eu lieu en première instance; bien qu’il les eût signalés à la cour d’appel, elle avait statué sur le fond à partir d’éléments nouveaux et sans débats. A l’appui de ses griefs, il invoquait aussi l’article 6 (art. 6) de la Convention et les lourdes conséquences que le résultat de la procédure entraînerait pour lui. Le 21 décembre 1984, la Cour suprême lui refusa l’autorisation de la saisir. II. LE CODE DE PROCÉDURE JUDICIAIRE D’après le chapitre 21 du code de procédure judiciaire, les juridictions inférieures ne se prononcent pas au pénal, en principe, sans que l’accusé ait pu se défendre lors d’une audience contradictoire. Il existe pourtant des exceptions, surtout en appel. Ainsi, le chapitre 51 du même code disposait à l’époque en son article 21 (amendé depuis lors avec effet au 1er juillet 1984): "La cour d’appel peut statuer sans audience si le parquet interjette appel dans le seul intérêt du prévenu ou si la partie adverse se rallie à l’appel de ce dernier. L’affaire peut se trancher sans audience si le tribunal de première instance a relaxé le prévenu, ou a dispensé de peine le coupable, ou l’a déclaré exempt de peine en raison de troubles mentaux, ou l’a condamné à une amende ou à une sanction pécuniaire (vite) et s’il n’y a pas lieu d’imposer une sanction plus lourde que celles mentionnées ci-dessus ni d’en infliger une autre (...)." La cour d’appel connaît du fait comme du droit, mais sa plénitude de juridiction a ses limites. D’après l’article 23 du chapitre 51, par exemple, elle ne peut en principe modifier au détriment du prévenu l’appréciation des preuves opérée en première instance sans que celles-ci soient produites devant elle; en son article 25 (tel que l’ont amendé les lois no 22 et 228 de 1981), le chapitre 51 lui interdit d’infliger sur appel du prévenu, ou du parquet dans l’intérêt du prévenu, une peine pouvant passer pour plus lourde que celle prononcée en première instance. PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION Dans sa requête du 6 février 1985 à la Commission (no 11826/85), M. Helmers se plaignait d’infractions aux articles 6, 9, 10, 13, 14, 17 et 25 (art. 6, art. 9, art. 10, art. 13, art. 14, art. 17, art. 25) de la Convention. Les 14 mars 1986 et 5 mai 1989, la Commission a déclaré irrecevables tous ses griefs à une exception près: à cette dernière date, elle a retenu le moyen qu’il tirait de l’article 6 (art. 6) quant à l’absence d’audience publique devant la cour d’appel. Dans son rapport du 6 février 1990 (article 31) (art. 31), elle relève à l’unanimité un manquement aux exigences de cette disposition. Le texte intégral de son avis figure en annexe au présent arrêt.
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE A. Introduction Pine Valley et Healy Holdings avaient pour activités principales l’achat et la mise en valeur de terrains. La première, filiale à 100 % de la seconde, a été rayée du registre du commerce le 26 octobre 1990 et dissoute le 6 novembre, faute d’avoir produit des bilans annuels pendant plus de huit ans. Healy Holdings n’en a pas communiqué non plus depuis 1981; les 14 octobre et 29 novembre 1985, deux créanciers privilégiés lui ont désigné un syndic. Quant au troisième requérant, M. Daniel Healy, administrateur délégué et unique actionnaire effectif (beneficial shareholder) de Healy Holdings, une ordonnance judiciaire anglaise du 19 juillet 1990 l’a déclaré failli. Le 15 novembre 1978, Pine Valley s’était engagée à acquérir un bien-fonds de 21,5 acres à Clondalkin, dans le comté de Dublin, pour 550 000 livres irlandaises (IR £). Elle s’appuyait sur un certificat préalable d’urbanisme (paragraphe 29 ci-dessous) délivré, le 10 mars 1977, pour la construction d’un entrepôt industriel et de bureaux sur le site. Consignée dans le registre d’urbanisme (official planning register, paragraphe 31 ci-dessous), l’autorisation émanait du ministre des Collectivités locales et s’adressait au propriétaire de l’époque, M. Patrick Thornton; celui-ci avait recouru contre la décision, adoptée le 26 avril 1976 par le service d’urbanisme (planning authority) du conseil de comté de Dublin, de ne pas lui décerner un certificat d’urbanisme à part entière, au motif, entre autres, que le terrain se trouvait dans une zone agricole destinée à préserver une ceinture verte. Le 15 septembre 1980, le conseil de comté refusa le permis de construire (paragraphe 29 ci-dessous) que Pine Valley, se fiant au certificat préalable, avait sollicité le 16 juillet. Là-dessus, la société demanda une ordonnance conditionnelle de mandamus qui enjoignît au conseil de le lui délivrer; la High Court en prononça une le 8 décembre 1980, puis la rendit absolue le 27 mai 1981. Le 17 juillet 1981, Pine Valley vendit le domaine à Healy Holdings pour 550 000 IR £. B. La première affaire Pine Valley Le conseil de comté de Dublin ayant attaqué l’ordonnance de la High Court, la Cour suprême annula, le 5 février 1982, l’octroi du certificat préalable d’urbanisme, pour excès de pouvoir: la disposition légale applicable, à savoir l’article 26 de la loi de 1963 sur l’urbanisme et l’aménagement du territoire dans les collectivités locales (Local Government (Planning and Development) Act), n’habilitait pas le ministre à prendre, à la suite d’un recours contre un refus des services d’urbanisme, une décision contraire, comme en l’espèce, au plan d’aménagement du territoire (paragraphe 9 ci-dessus). En conséquence, le terrain ne put être mis en valeur et se déprécia fortement. En juin 1988, le syndic de Healy Holdings le vendit de gré à gré pour 50 000 IR £. C. La loi de 1982 sur l’urbanisme et l’aménagement du territoire dans les collectivités locales La loi de 1982 sur l’urbanisme et l’aménagement du territoire dans les collectivités locales ("la loi de 1982") fut promulguée afin d’homologuer les certificats et permis dont la validité pouvait se discuter après l’arrêt de la Cour suprême. Elle entra en vigueur le 28 juillet 1982. Aux termes de son article 6: "1. Un certificat ou permis accordé sur recours (...) avant le 15 mars 1977 n’est pas invalide, et ne doit pas être censé l’avoir jamais été, du seul fait que les aménagements en cause contrevenaient ou auraient contrevenu de manière appréciable au plan d’aménagement du territoire élaboré par le service d’urbanisme dont émanait la décision attaquée. Si, sans le présent paragraphe, les dispositions du paragraphe 1, ou telles d’entre elles, allaient à l’encontre d’un droit garanti à quelqu’un par la Constitution, elles ne joueraient que sous réserve des restrictions nécessaires pour éviter un tel conflit mais sortiraient, pour le surplus, leur plein et entier effet." La date du 15 mars 1977 était celle de la création de la commission de l’aménagement du territoire (An Bord Pleanála), que la loi de 1976 sur l’urbanisme et l’aménagement du territoire dans les collectivités locales avait investie des fonctions d’organe de recours confiées auparavant au ministre des Collectivités locales. En son article 2, la loi de 1982 régissait aussi la durée de validité de certains permis. Par exemple, un certificat préalable octroyé le 10 mars 1977, comme en l’espèce, expirait le 10 mars 1984. D’après l’article 4, les services d’urbanisme pouvaient toutefois proroger le délai à condition, entre autres, que des travaux importants eussent déjà été exécutés avant son échéance. Pendant le débat du Seanad Éireann (Sénat d’Irlande) sur la loi de 1982, le ministre d’État à l’environnement s’entendit poser la question suivante: "Sauf erreur, la Cour suprême a déclaré nuls certains certificats d’urbanisme. Je reconnais la nécessité d’une réforme, mais à qui incombera-t-il de dire, au titre du paragraphe 2, s’il y a risque d’atteinte aux droits conférés à un individu par la Constitution? Faudra-t-il saisir à nouveau la Cour suprême? Qu’en est-il? Le ministre pourrait-il nous préciser ses intentions?" Il répondit ainsi: "Ce point se trancherait en justice. Le rédacteur parlementaire a inséré le paragraphe 2, avec l’accord de l’Attorney General, afin de sauvegarder les droits des parties à tout procès en instance et de faire en sorte que nul tribunal ne perde sa compétence pour statuer sur une question soulevée devant lui. Ce paragraphe vise aussi à régler le cas d’une atteinte inconstitutionnelle à un droit de propriété." (Compte rendu officiel des débats du 22 juillet 1982 au Sénat d’Irlande, colonnes 1411 à 1435) Le 4 août 1982, Pine Valley demanda au conseil de comté de Dublin le permis de construire (paragraphe 29 ci-dessous) en se fondant sur le certificat préalable délivré en 1977; elle ne mentionnait pas la loi de 1982. Elle essuya un refus le 10 décembre, au motif que dans la première affaire Pine Valley la Cour suprême avait constaté l’invalidité dudit certificat et pour quatre autres raisons d’ordre technique. Elle n’attaqua pas cette décision devant la commission de l’aménagement du territoire, ni sur un autre terrain juridique: selon les requérants, un recours n’eût servi de rien car la commission ne devait s’occuper que des impératifs de l’urbanisme et de l’aménagement du territoire (paragraphe 30 ci-dessous) et ne pouvait donner une interprétation authentique de l’article 6 de la loi de 1982. Quelques mois après le refus du conseil, les requérants mirent en branle la seconde affaire Pine Valley (paragraphes 20-27 ci-dessous). Alors qu’elle se trouvait pendante, deux démarches furent entreprises en leur nom. D’abord, le 27 avril 1983, leur architecte écrivit à la commission d’aménagement du territoire; affirmant que Pine Valley ne pouvait bénéficier de l’article 6 par. 1 de la loi de 1982, il sollicitait un réexamen de la situation "injuste" de ses clients. La commission répondit, le 2 mai, qu’elle regrettait de ne pouvoir y remédier. En second lieu, par une lettre du 7 septembre 1984 les solicitors des requérants invitèrent la commission à se prononcer sur le recours dont le ministre des Collectivités locales avait connu à l’origine, en mars 1977 (paragraphe 9 ci-dessus), selon des modalités déclarées non valides par la suite. Elle répondit, le 23 novembre, qu’il n’appelait plus une décision de sa part. Les solicitors l’ayant priée d’en préciser les raisons, elle répondit sans plus, le 8 janvier 1985, que l’avis juridique recueilli par elle était confidentiel et qu’elle devait se borner à indiquer sa position. D. La seconde affaire Pine Valley Le jugement de la High Court Le 11 mars 1983, Pine Valley intenta contre le ministre de l’Environnement, en sa qualité de successeur du ministre des Collectivités locales, une action - à laquelle Healy Holdings et M. Healy se joignirent le 25 janvier 1985 - en dommages-intérêts pour manquement à des obligations légales, représentation erronée et négligente des faits et négligence. Ultérieurement, les demandeurs modifièrent leurs conclusions de manière à réclamer à l’État une indemnité pour atteinte à leurs droits de propriété, garantis par la Constitution. Avec le consentement des parties, la High Court décida le 28 janvier 1985 qu’il y avait lieu de débattre d’abord du point de savoir si les demandeurs avaient un motif d’action et qu’il lui faudrait se prononcer à cet égard sur les questions de droit suivantes: a) les demandeurs disposaient-ils contre le ministre de l’Environnement, à raison de l’octroi à M. Thornton d’un certificat préalable d’urbanisme fondé sur un avis juridique, d’une action en dommages-intérêts pour - manquement à ses obligations légales; - négligence; et/ou - représentation erronée et négligente des faits? b) dans les circonstances de la cause, l’État - avait-il omis de protéger les droits de propriété des demandeurs? si oui, une action en dommages-intérêts s’ouvrait-elle contre lui? - avait-il par ses lois respecté et, dans la mesure du possible, protégé les droits de propriété des demandeurs? dans la négative, une action en dommages-intérêts s’ouvrait-elle contre lui? Le 28 juin 1985, la High Court jugea que les requérants n’avaient pas de motif d’action en justice, sur quoi ils se pourvurent devant la Cour suprême. Le 22 juillet, ils conclurent entre eux un accord: Pine Valley et Healy Holdings cédaient à M. Healy tous leurs droits dans la procédure, lui attribuaient tout bénéfice pouvant résulter de celle-ci et renonçaient à toute prétention; de son côté, il s’engageait à supporter les frais. L’arrêt de la Cour suprême Le 30 juillet 1986, la Cour suprême unanime écarta le recours (Irish Law Reports Monthly, 1987, pp. 753-768). En rejetant l’action en dommages-intérêts pour manquement à des obligations légales, le Chief Justice Finlay (approuvé par les juges Griffin et Hederman) estima que la décision ministérielle de délivrer un certificat préalable d’urbanisme, contraire au plan d’aménagement du territoire, n’entrait dans aucune des catégories d’excès de pouvoir propres à fonder une action en dommages-intérêts; en particulier, rien ne montrait qu’il eût eu conscience de ne pas jouir du pouvoir dont il se prévalait. Quant aux griefs de négligence et de représentation erronée et négligente des faits, le Chief Justice les repoussa surtout pour la raison qu’en accordant l’autorisation, le ministre avait agi de bonne foi et conformément à l’avis des jurisconsultes de son département. Au sujet de l’atteinte alléguée aux droits de propriété des requérants, garantis par la Constitution, il déclara: "A cet égard, il faut d’abord, me semble-t-il, rechercher s’il y a eu atteinte injustifiée aux droits de propriété des requérants ou si ces derniers ont subi une injustice. En décidant, en 1977, d’octroyer au propriétaire de l’époque un certificat préalable d’urbanisme, le ministre ne voulait nullement limiter les droits dudit propriétaire ou empiéter sur eux, mais au contraire les étendre et les promouvoir. L’achat de terrains à aménager constitue, à l’évidence, l’un des principaux exemples de démarche commerciale de caractère spéculatif ou risqué. L’évolution des valeurs marchandes, les fluctuations économiques, les changements dans les décisions des services d’urbanisme ou leur annulation, et bien d’autres facteurs encore, peuvent accroître ou réduire la valeur des terrains pour les acquéreurs. Je puis admettre qu’à première vue, l’annulation finale de la décision du ministre par notre Cour a contribué sans doute, en l’espèce, à diminuer la valeur des terrains pour les demandeurs. Il n’en résulte pourtant pas nécessairement, à mon sens, qu’ils aient subi une injustice et à n’en pas douter il n’y a pas eu d’atteinte injustifiée à leurs droits de propriété. L’article 40 par. 3, alinéas 1 et 2 [de la Constitution irlandaise], oblige l’État, en premier lieu, à protéger et soutenir par ses lois, dans la mesure du possible, les droits individuels, en second lieu à protéger de son mieux les droits de propriété de chacun contre les attaques injustes et, en cas d’injustice, à les rétablir. En l’affaire Moynihan v. Greensmyth (Irish Reports 1977, p. 55), notre Cour, dans son arrêt rendu par le Chief Justice O’Higgins, s’est exprimée ainsi: ‘Nous relevons que la garantie de protection conférée par l’article 40 par. 3, alinéa 2, de la Constitution s’accompagne des mots ‘de son mieux’. Ils impliquent la possibilité de circonstances amenant l’État à mettre en balance la protection par lui du droit dont il s’agit et d’autres obligations découlant du souci du bien commun.’ J’estime raisonnable de considérer comme l’une des exigences du bien commun que les personnes investies par la loi de pouvoirs de décision ne puissent se voir assignées en dommages-intérêts quand elles ont agi sans négligence et de bonne foi. Une telle immunité contribuerait à l’exercice efficace et résolu de ces pouvoirs et aiderait à éviter, me semble-t-il, les hésitations et retards de nature à se produire dans le cas contraire. Selon moi, on ne saurait donc en l’occurrence parler d’une obligation manifeste, pour l’État, d’indemniser les demandeurs. Dès lors, je conclus aussi au rejet des arguments avancés en faveur de l’octroi de dommages-intérêts pour violation de droits garantis par la Constitution. Je n’ai pas besoin de me prononcer sur la possibilité d’une action fondée sur le fait que le Parlement (Oireachtas) aurait omis de légiférer pour protéger des droits individuels, par opposition à l’action tendant à faire annuler des lois qui ne les protègent pas ou ne les défendent pas à un degré suffisant; je n’émets aucune opinion à ce sujet." Dans leurs déclarations, certains membres de la Cour suprême traitèrent du point de savoir si la validation rétroactive des autorisations d’urbanisme, opérée par l’article 6 de la loi de 1982 (paragraphes 14-15 ci-dessus), couvrait le certificat préalable délivré à M. Thornton en 1977. La question ne figurait pas expressément sur la liste convenue des problèmes de droit à trancher (paragraphe 20 ci-dessus) et n’avait pas prêté à controverse pendant la procédure: dans son mémoire en réponse, l’État n’avait pas combattu le moyen, formulé par les demandeurs dans leur acte introductif d’instance, selon lequel la loi les empêchait de profiter de la validité rétroactive conférée par cet article. Selon le Chief Justice Finlay, la loi de 1982 renfermait, "pour les cas concernant les droits constitutionnels de tiers", une clause de sauvegarde "qui semblait exclure les demandeurs du bénéfice de la validation rétroactive". D’après le juge Henchy (approuvé par le juge Griffin), l’article 6 de la loi de 1982 opérait une validation rétroactive sauf "lorsqu’elle se heurterait à un droit individuel garanti par la Constitution". En conséquence il ne s’appliquait pas à Pine Valley, car elle "avait exercé son droit constitutionnel de déférer à la justice la question de la validité du certificat d’urbanisme". Le juge Lardner s’exprima en ces termes: "On a sans doute craint que l’article 6 par. 1 [de la loi de 1982] ne pût aboutir à révoquer l’arrêt de notre Cour [dans la première affaire Pine Valley], ce qui pourrait représenter une atteinte injustifiable du législateur à une décision judiciaire. Voilà probablement pourquoi on a inséré le paragraphe 2, destiné à éviter pareille ingérence. Et les conseils des deux parties s’accordent à reconnaître qu’il privait les requérants du bénéfice du paragraphe 1." Certains membres de la Cour parlèrent aussi des effets découlant de ce que les demandeurs ne bénéficiaient pas de la validation rétroactive. Pour le juge Henchy: "Les conseils de Pine Valley ont attaqué l’exclusion comme injustement discriminatoire envers elle. Or à mon sens l’article [6], bien qu’il ait entraîné une différenciation, avait pour premier et principal objectif d’éviter un empiétement inconstitutionnel sur le domaine judiciaire, résultant de la tentative de valider un certificat d’urbanisme jugé par les tribunaux non valable. Partant, Pine Valley n’a subi aucune injustice par le jeu de l’article 6 de la loi de 1982." Le juge Lardner déclara de son côté: "(...) d’après les requérants, les priver du bénéfice de l’article 6 par. 1 s’analyse a) en une atteinte injuste à leurs droits de propriété, ou en une injustice qui touche à ceux-ci et b) en une différenciation inéquitable entre eux-mêmes et d’autres personnes ayant obtenu du ministre, sur recours, des certificats ou autorisations au titre de la section IV de la loi de 1963 et bénéficiant, eux, de l’article 6 par. 1. Quant au premier point, le Parlement me paraît avoir inséré le paragraphe 2 pour respecter, plutôt que de s’y immiscer, les décisions judiciaires tranchant la controverse juridique soulevée dans la première affaire Pine Valley et le droit, conféré par la Constitution aux parties en cause - demandeurs et défendeurs -, de soumettre leur différend aux tribunaux plutôt qu’au Parlement. Il existe peut-être un certain conflit entre [ce même droit] et les intérêts des présents requérants dans leur propriété. Il ne s’ensuit pourtant pas nécessairement, à mes yeux, que les requérants aient subi une injustice, et je suis convaincu de l’absence d’atteinte inique à leurs droits de propriété ou de discrimination illicite à leur encontre. Les personnes, tels les requérants, que le paragraphe 2 de l’article 6 a exclues du bénéfice du paragraphe 1 et les autres titulaires d’une autorisation ou d’un certificat d’urbanisme, accordés par le ministre sur recours, qui ont bénéficié du paragraphe 1 et ne relèvent pas du paragraphe 2, forment deux groupes qui se trouvaient et se trouvent dans des situations différentes; il a toujours existé une raison valable et sérieuse à la distinction opérée par ces deux paragraphes." Le juge Henchy ajouta qu’une fois annulé le certificat préalable d’urbanisme, il y avait eu inexécution de la clause de transfert de propriété, ce qui aurait ouvert à Pine Valley une action en dommages-intérêts contre le vendeur. Elle aurait pu aussi lui réclamer, par une action pour enrichissement sans cause, la partie du prix d’achat imputable au certificat d’urbanisme. Faute d’avoir prouvé l’impossibilité d’obtenir ainsi réparation, elle ne démontrait pas avoir subi une injustice au sens de l’article 40 par. 3, alinéa 2, de la Constitution. II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS A. La Constitution irlandaise Dans la Constitution irlandaise figurent les dispositions suivantes : Article 40 "1. En tant que personnes humaines, tous les citoyens sont égaux devant la loi. Cela n’empêche pas l’État de prendre en considération, dans sa législation, les différences de capacité physique et morale, ou de fonction sociale. (...) 1o L’État s’engage à respecter dans ses lois et, dans la mesure du possible, à protéger et soutenir par ses lois les droits individuels du citoyen. 2o En particulier, par ses lois [il] protège de son mieux contre les attaques injustes, la vie, la personne, l’honneur et les droits de propriété de tout citoyen et, en cas d’injustice, il les défend." Article 43 "1. 1o L’État reconnaît que l’homme, en sa qualité d’être raisonnable, a un droit naturel, antérieur au droit positif, à la propriété privée des biens extérieurs. 2o [Il] s’engage en conséquence à ne pas adopter de loi qui tenterait d’abolir le droit à la propriété privée ou le droit général de transférer sa propriété, d’en disposer par testament et d’hériter. 1o L’État reconnaît toutefois que l’exercice des droits visés aux dispositions précédentes du présent article doit, dans une société civilisée, être régi par les principes de la justice sociale. 2o En conséquence, si les circonstances l’exigent, [il] peut délimiter par une loi l’exercice de ces droits en vue de le concilier avec les impératifs du bien commun." B. Le droit de l’urbanisme Certificats, certificats préalables et homologations Outre la loi de 1982 (paragraphes 14-16 ci-dessus), le principal texte législatif pertinent était, à l’époque, la loi de 1963 sur l’urbanisme et l’aménagement du territoire dans les collectivités locales, telle que l’avait amendée la loi de 1976 du même nom ("la loi de 1963"). La loi de 1963 et des règlements d’application prévoyaient la délivrance, par les services d’urbanisme, de "certificats" et de "certificats préalables" pour l’aménagement des sols. Les certificats se suffisaient à eux-mêmes. Les certificats préalables impliquaient l’approbation du principe de l’aménagement proposé, mais étaient octroyés sous réserve de l’homologation ultérieure, par lesdits services ou sur recours, de plans détaillés, faute de quoi les travaux ne pouvaient commencer. Les services d’urbanisme devaient examiner une demande d’homologation à l’aune des paramètres fixés par le certificat préalable, mais sans revenir sur le principe de l’opération. Ils ne pouvaient révoquer les certificats préalables que dans l’hypothèse d’un changement des circonstances pertinentes au regard des exigences de l’urbanisme et de l’aménagement de la zone considérée. L’article 26 par. 1 de la loi de 1963 obligeait les services d’urbanisme à se borner, quand ils étudiaient une demande de certificat ou d’homologation, à prendre en compte les "besoins de leur secteur en matière d’urbanisme et d’aménagement du territoire". Contre leur décision s’ouvrait un recours devant le ministre des Collectivités locales ou, après le 15 mars 1977 (paragraphe 15 ci-dessus), devant la commission d’aménagement du territoire. D’après le paragraphe 5 b) de l’article 26, les dispositions du paragraphe 1 s’appliquaient, mutatis mutandis, au traitement de pareil recours. Si ce dernier soulevait un point de droit, le ministre ou la commission pouvait en saisir la High Court (article 82 par. 3). Selon la loi de 1963, les certificats d’urbanisme - à consigner dans un registre tenu par les services compétents - valaient pour le terrain en question et pour "toute personne y possédant alors des intérêts" (articles 8 et 28 par. 5). Indemnisation En dehors de diverses exceptions énumérées à l’article 56, l’article 55 par. 1 de la loi de 1963 accordait un droit à indemnité en ces termes: "Si, à la suite d’une réclamation adressée aux services d’urbanisme, il s’avère qu’une décision prise en vertu de la section IV de la loi et refusant d’autoriser un projet d’aménagement (...) a diminué la valeur qu’au moment de son adoption le bien-fonds en cause représentait pour une personne, celle-ci a droit, sous réserve des clauses de la présente section, à recevoir des services d’urbanisme une indemnité d’un montant égal à la dépréciation et, dans le cas de l’occupant du terrain, la réparation du dommage (éventuellement) subi par lui dans le cadre des activités commerciales, industrielles ou professionnelles qu’il y exerçait." Le dépôt des demandes formulées au titre de cet article devait avoir lieu six mois au plus après la notification de la décision, sauf prorogation consentie par la Circuit Court (article 55 par. 6). Injonction d’acquérir Aux termes de l’article 29 par. 1 de la loi de 1963: "Si, dans une affaire jugée sur recours en vertu de la présente section (...), l’autorisation d’aménager un terrain a été refusée, ou accordée seulement sous conditions, et si le propriétaire prétend a) qu’en son état actuel, le terrain ne se prête plus à un usage raisonnablement rentable, b) que l’on ne peut pas davantage le rendre apte à un tel usage au moyen d’un autre aménagement, autorisé en application de la présente section (...) ou que les services d’urbanisme se sont engagés à autoriser, c) et que, dans le cas d’une autorisation conditionnelle du genre mentionné plus haut, l’exécution des aménagements ainsi acceptés ne permet pas de le rendre apte à pareil usage, il peut, dans les six mois de cette décision (ou dans un délai plus long accordé par le ministre), enjoindre aux services d’urbanisme d’acquérir ses droits sur le terrain en cause, conformément aux dispositions du présent article." La valeur du terrain concerné par une telle injonction d’acquérir était fixée au montant que l’on pouvait escompter en cas de vente de gré à gré aux conditions normales du marché. C. Indépendance du pouvoir judiciaire En l’affaire Buckley and others (Sinn Fein) v. Attorney General (Irish Reports 1950, p. 67), la Cour suprême a établi que le législateur ne saurait intervenir dans une cause pendante devant un tribunal. Il appert en revanche qu’une fois la procédure achevée il peut valablement annuler, avec effet rétroactif, la décision rendue, sans méconnaître le principe de l’indépendance de la justice (voir, par exemple, la loi Garda Siochána de 1979, annulant l’arrêt de la Cour suprême en l’affaire Garvey and others v. Ireland, Irish Reports 1981, p. 75). PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION Les requérants ont saisi la Commission le 6 janvier 1987 (requête no 12742/87). D’après eux, l’État défendeur avait enfreint l’article 1 du Protocole no 1 (P1-1) faute de valider rétroactivement leur certificat préalable d’urbanisme ou de leur accorder une indemnité, ou une autre réparation, pour la dépréciation de leur bien. Ils se plaignaient aussi d’une discrimination, contraire à l’article 14 de la Convention combiné avec ledit article 1 (art. 14+P1-1), dans la jouissance de leur droit de propriété. Ils affirmaient enfin que la législation irlandaise ne leur offrait, pour leurs griefs précités, aucun recours efficace comme l’eût voulu l’article 13 (art. 13) de la Convention. La Commission a retenu la requête le 3 mai 1989. Dans son rapport du 6 juin 1990 (article 31) (art. 31), elle conclut: a) à l’absence de violation des droits de Pine Valley (unanimité), de Healy Holdings (neuf voix contre quatre) et de M. Healy (dix voix contre trois) au titre de l’article 1 du Protocole no 1 (P1-1); b) à la violation des droits de Healy Holdings et de M. Healy (douze voix contre une), mais non de Pine Valley (unanimité), au titre de l’article 14 de la Convention combiné avec ledit article 1 (art. 14+P1-1); c) à l’absence de violation de l’article 13 (art. 13) de la Convention (unanimité). Le texte intégral de son avis, ainsi que des deux opinions séparées dont il s’accompagne, figure en annexe au présent arrêt. CONCLUSIONS PRESENTEES A LA COUR PAR LE GOUVERNEMENT Dans son mémoire, le Gouvernement invite la Cour: "1. Quant aux moyens préliminaires, à juger et déclarer: a) que les requérants ne peuvent se prétendre victimes au sens de l’article 25 (art. 25) de la Convention; b) qu’ils n’ont pas épuisé les voies de recours internes comme l’exigeait l’article 26 (art. 26) de la Convention; Quant à l’article 1 du Protocole no 1 (P1-1), à juger et déclarer qu’il n’y a pas eu violation de cet article dans le chef des requérants; Quant à l’article 14 de la Convention combiné avec l’article 1 du Protocole no 1 (art. 14+P1-1), à juger et déclarer qu’il n’y a eu violation de ces dispositions dans le chef d’aucun des trois requérants; Quant à l’article 13 (art. 13) de la Convention, à juger et déclarer qu’il n’y a pas eu violation de cet article; Quant à l’article 50 (art. 50) de la Convention: a) à juger et déclarer que l’octroi d’une réparation n’est ni justifié ni opportun; b) en ordre subsidiaire, si et dans la mesure où elle relèverait une violation de l’un quelconque des articles de la Convention, à juger et déclarer que pareil constat constitue en soi une satisfaction équitable suffisante dans les circonstances de la cause." A l’audience du 21 mai 1991, le Gouvernement a confirmé ces conclusions en substance, tout en ajoutant qu’il y aurait lieu selon lui, le cas échéant, de réserver la question de l’application de l’article 50 (art. 50).
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I. INTRODUCTION A. Les requérants Les requérants - désignés conjointement ci-après par "S.T." - sont Times Newspapers Ltd, éditeur de l’hebdomadaire national britannique du dimanche The Sunday Times, et M. Andrew Neil, son rédacteur en chef. Ils reprochent aux juridictions anglaises de leur avoir imposé des interdictions provisoires de publier des éléments du livre Spycatcher et des informations émanant de son auteur, M. Peter Wright. B. Les injonctions provisoires (interlocutory injunctions) Dans un procès, quand le demandeur sollicite le prononcé d’une injonction permanente contre le défendeur, les tribunaux anglais jouissent du pouvoir discrétionnaire de lui en accorder une de caractère provisoire; imposant une restriction temporaire, valable jusqu’à la décision au principal, elle a pour but de sauvegarder ses intérêts dans l’intervalle. En général, il se voit alors inviter à s’engager à verser des dommages et intérêts à la partie adverse au cas où celle-ci l’emporterait pour finir. Les principes régissant la délivrance de telles injonctions ont été mentionnés dans les instances suivies en l’espèce; définis dans l’affaire American Cyanamid Co. v. Ethicon Ltd (Appeal Cases 1975, p. 396), ils peuvent se résumer ainsi. a) Il n’appartient pas au tribunal, à ce stade, d’essayer de trancher des questions de fait controversées ou des points de droit délicats, exigeant une argumentation et une réflexion approfondies. b) A moins que le dossier ne révèle pas en l’état l’existence de chances réelles, pour le demandeur, d’obtenir l’injonction permanente souhaitée par lui, le tribunal doit rechercher, à la lumière des circonstances de la cause, si la balance des avantages et inconvénients (balance of convenience) penche pour ou contre l’octroi de la mesure provisoire réclamée. c) Il ne faut normalement pas prononcer d’injonction provisoire lorsqu’une indemnité fournirait au demandeur une réparation suffisante s’il gagnait le procès, mais rien ne s’oppose à la délivrance de pareille injonction lorsqu’il en va autrement et que les dommages et intérêts à verser par le demandeur conformément à sa promesse, s’il succombait, procureraient au défendeur une compensation appropriée. d) La question de la balance des avantages et inconvénients se pose s’il existe un doute quant à l’adéquation des possibilités d’indemnisation s’offrant à l’une des parties ou aux deux. e) Si les autres facteurs paraissent s’équilibrer, la prudence commande d’opter pour des mesures aptes à préserver le statu quo. C. Spycatcher M. Peter Wright travailla pour le gouvernement britannique comme agent haut placé des services britanniques de sécurité (MI5) de 1955 à 1976, année où il résigna ses fonctions. Par la suite, sans autorisation préalable de ses anciens employeurs, il écrivit ses mémoires, sous le titre Spycatcher, et prit des dispositions pour les faire publier en Australie, où il vivait alors. Le livre traitait des structures, des méthodes et du personnel du MI5. En outre, il relatait des activités prétendument illégales des services de sécurité: l’auteur affirmait notamment que le MI5 en avait mené pour ébranler le gouvernement travailliste de 1974-1979; qu’il avait cambriolé et truffé de micros les ambassades de pays alliés et hostiles; qu’il avait conçu et opéré d’autres activités illégales et secrètes dans le pays comme à l’étranger; et que Sir Roger Hollis, qui le dirigeait vers la fin de la carrière de l’intéressé, était un agent soviétique. Auparavant, M. Wright avait en vain cherché à persuader le gouvernement britannique de soumettre ces allégations à une enquête indépendante. Semblable enquête fut aussi demandée en 1987, notamment par diverses personnalités éminentes du gouvernement travailliste de 1974-1979, mais en pure perte. Une partie du contenu de Spycatcher avait déjà paru dans certains livres de M. Chapman Pincher sur les services de sécurité. De plus, en juillet 1984 M. Wright avait accordé à la "Granada Television", chaîne privée fonctionnant au Royaume-Uni, une assez longue interview - qui fut rediffusée en décembre 1986 - au sujet du travail des services en question. Vers la même époque, leurs méthodes et secrets firent l’objet d’autres ouvrages et d’une autre émission télévisée, sans grande réaction du gouvernement. D. La procédure engagée en Australie En septembre 1985, l’Attorney General d’Angleterre et du Pays de Galles ("l’Attorney General") introduisit au nom du gouvernement britannique, devant l’Equity Division de la Cour suprême de Nouvelle-Galles du Sud (Australie), une instance tendant à voir interdire la publication de Spycatcher ainsi que de tout renseignement y figurant et ayant sa source dans le travail de M. Wright pour les services de sécurité. Il se fondait non sur la notion de secret d’État, mais sur l’idée que la divulgation de tels renseignements par M. Wright constituerait un manquement, notamment, au devoir de discrétion résultant de son emploi passé. Le 17 septembre, l’intéressé et ses éditeurs, Heinemann Publishers Australia Pty Ltd, prirent l’engagement - qu’ils respectèrent - de ne rien publier en attendant l’examen de la demande du gouvernement. Tout au long de la procédure en Australie, ce dernier s’attaqua au livre comme tel; il refusa d’indiquer quels passages il jugeait nuisibles à la sécurité nationale. II. LA PROCÉDURE DE RÉFÉRÉ (INTERLOCUTORY PROCEEDINGS) EN ANGLETERRE ET LES ÉVÉNEMENTS AYANT MARQUÉ SON DÉROULEMENT A. Les articles de l’Observer et du Guardian; les injonctions prononcées à leur suite Alors que la procédure australienne demeurait pendante, l’hebdomadaire national britannique du dimanche l’Observer et le quotidien national britannique The Guardian publièrent dans leurs pages intérieures, les dimanche 22 et lundi 23 juin 1986 respectivement, de brefs articles signalant l’audience à venir et donnant certains détails du contenu du manuscrit de Spycatcher. Depuis quelque temps, les deux journaux menaient campagne en faveur d’une enquête indépendante relative au fonctionnement des services de sécurité. Les indications fournies incluaient les allégations ci-après d’agissements irréguliers, délictueux et inconstitutionnels d’agents du MI5: a) le MI5 avait posé des micros clandestins lors de toutes les conférences diplomatiques organisées à Lancaster House, à Londres, dans les années 1950 et 1960, ainsi que lors des négociations de 1979 pour l’indépendance du Zimbabwe; b) il avait fait de même chez des diplomates français, allemands, grecs et indonésiens, ainsi que dans la suite d’hôtel occupée par M. Khrouchtchev pendant sa visite en Grande-Bretagne vers 1950, et s’était, de manière routinière, rendu coupable de cambriolages et de poses de micros (en particulier de pénétrations par effraction dans des consulats soviétiques à l’étranger); c) il avait en vain conspiré pour assassiner le président égyptien Nasser lors de la crise de Suez; d) il avait comploté contre Harold Wilson pendant son mandat de premier ministre de 1974 à 1976; e) il avait détourné (au mépris de ses instructions) une partie de ses crédits pour enquêter sur des groupes politiques de gauche en Grande-Bretagne. Les articles de l’Observer et du Guardian, rédigés respectivement par MM. David Leigh et Paul Lashmar et par M. Richard Norton-Taylor, se fondaient sur les investigations menées par ceux-ci auprès de sources confidentielles, et non sur des communiqués de presse internationaux ou documents analogues accessibles à chacun. Cependant, une bonne partie des informations y figurant avait déjà paru ailleurs (paragraphe 12 ci-dessus). Les juridictions anglaises en inférèrent par la suite que les renseignements des journalistes émanaient très probablement des bureaux des éditeurs de Spycatcher ou des solicitors agissant en leur nom et au nom de l’auteur (voir la décision rendue le 21 décembre 1987 par le juge Scott, paragraphe 40 ci-dessous). L’Attorney General engagea devant la Chancery Division de la High Court of Justice d’Angleterre et du Pays de Galles, pour manquement au devoir de discrétion, une action contre The Observer Ltd, propriétaire et éditeur de l’Observer, M. Donald Trelford, rédacteur en chef, et MM. Leigh et Lashmar, ainsi que contre Guardian Newspapers Ltd, propriétaire et éditeur du Guardian, M. Peter Preston, rédacteur en chef, et M. Norton-Taylor. Il demandait au tribunal d’interdire à titre permanent aux défendeurs - désignés conjointement ci-après par "O. et G." - de publier tout renseignement tiré de Spycatcher. Il se fondait sur l’idée que les informations contenues dans les mémoires revêtaient un caractère confidentiel; or si un tiers entrait en possession de renseignements qu’il savait provenir d’un manquement au devoir de discrétion, il assumait envers leur source première la même obligation que leur bénéficiaire originel. Il fut admis que l’octroi de dommages et intérêts eût constitué pour l’Attorney General une réparation insuffisante et inadéquate; seule une injonction répondrait à son attente. Les preuves produites à l’appui de la demande consistaient en deux attestations sous serment que Sir Robert Armstrong, secrétaire du Conseil des Ministres britannique, avait signées les 9 et 27 septembre 1985 pour la procédure pendante en Australie. Il y affirmait notamment que la publication de tout récit reposant sur des informations accessibles à M. Wright en sa qualité de membre des services de sécurité causerait des dommages incalculables, aussi bien aux services eux-mêmes qu’à leurs agents et aux autres personnes identifiées, en raison des indiscrétions qu’elle impliquait. Elle ébranlerait aussi la confiance des pays amis, ainsi que d’autres organisations et personnes, dans les services de sécurité et créerait le risque de voir d’autres agents ou ex-agents de ces derniers chercher à publier des renseignements analogues. Le 27 juin 1986, l’Attorney General obtint le prononcé d’ordonnances sur requête qui prohibaient pareille publication jusqu’à l’issue des procès au fond. Saisi par O. et G., le juge Millett, siégeant dans la Chancery Division, décida, après une audience contradictoire qui eut lieu le 11 juillet, qu’elles resteraient en vigueur sous réserve de quelques modifications. Il accorda aux défendeurs la faculté d’en solliciter l’amendement ou la levée moyennant un préavis de vingt-quatre heures. Les motifs sur lesquels il s’appuyait peuvent se résumer brièvement ainsi. a) À divulguer des informations acquises en qualité de membre des services de sécurité, M. Wright enfreindrait son devoir de discrétion. b) O. et G. voulaient publier d’autres renseignements - inédits ou non - provenant directement ou indirectement de M. Wright et révélant des activités prétendument illégales des services de sécurité. c) Ni le droit à la liberté d’expression, ni celui d’empêcher la divulgation d’informations reçues sous le sceau du secret n’étaient absolus. d) Appelé à résoudre un conflit entre deux intérêts publics - s’opposer à de telles divulgations ou les autoriser -, le tribunal devait avoir égard à toutes les considérations pertinentes, dont les faits suivants: il s’agissait d’une demande en référé et non du procès au principal; les injonctions sollicitées à ce stade n’étaient que temporaires; les refuser pourrait causer un tort irréparable et priver en pratique l’Attorney General de ses droits. Dans de telles circonstances, le tribunal devait trancher en faveur de l’interdiction sauf s’il constatait l’existence d’un moyen de défense d’ordre public et de nature à prospérer, par exemple si la publication projetée concernait des actes illégaux dont l’intérêt public exigeait la révélation. On pouvait voir dans cette démarche soit une exception aux principes "American Cyanamid" (paragraphe 10 ci-dessus), soit leur application à un cas d’espèce où chacune des deux parties invoquait l’intérêt général. e) L’Attorney General en avait moins à la diffusion d’assertions concernant les services de sécurité qu’à leur origine: elles émanaient d’un ancien agent desdits services. Or voilà le fait précis que souhaitaient publier O. et G. Des preuves crédibles - les deux attestations sous serment de Sir Robert Armstrong (paragraphe 16 ci-dessus) - étayaient la thèse selon laquelle l’apparence de confidentialité était indispensable au fonctionnement des services de sécurité, lesquels ne pourraient s’acquitter efficacement de leur tâche, avec les risques qui en résulteraient pour la sécurité nationale, si l’on savait leurs membres haut placés libres de divulguer ce qu’ils avaient appris durant leur carrière. Sans doute fallait-il encore examiner ces preuves pendant le procès au fond, mais le refus de prononcer une injonction provisoire ouvrirait la porte à une publication indirecte et priverait à jamais l’Attorney General des droits qu’il pouvait invoquer devant le tribunal. Si l’on se souvenait, notamment, que les activités illégales alléguées avaient eu lieu dans un passé assez lointain, aucun intérêt impérieux n’exigeait du reste de les révéler sans plus tarder plutôt qu’après le procès. Par la suite, la cour d’appel (paragraphes 19 et 34 ci-dessous) puis, à l’unanimité, la commission de recours de la Chambre des Lords (paragraphes 35-36 ci-dessous) estimèrent que le juge Millett avait eu raison de rendre ces premières ordonnances sur requête. Le 25 juillet 1986, la cour d’appel débouta O. et G. d’un recours formé par eux et confirma les ordonnances, sous réserve de légères modifications. Se référant aux principes "American Cyanamid" (paragraphe 10 ci-dessus), elle considéra que le juge Millett ne s’était pas fourvoyé et n’avait pas usé de son pouvoir d’appréciation sur une base erronée. Elle refusa l’autorisation de saisir la Chambre des Lords et déclara que l’affaire se prêtait à une décision à bref délai. Telles qu’elle les amenda, les ordonnances ("les ordonnances Millett") interdisaient à O. et G., jusqu’au procès au principal ou jusqu’à nouvel ordre, "1. de révéler ou publier, ou faire ou laisser révéler ou publier, à l’intention de quiconque, toute information recueillie par Peter Maurice Wright en sa qualité d’agent des services britanniques de sécurité et dont ils sav[ai]ent ou [avaient] des raisons de penser qu’elle prov[enait] ou [avait] été obtenue directement ou indirectement de lui; d’attribuer à l’intéressé, nommément ou non, dans toute révélation ou publication de leur part destinée à qui que ce [fût], tout renseignement relatif aux services britanniques de sécurité." Elles contenaient les tempéraments suivants: "1. la présente ordonnance n’interdit pas de citer textuellement des affirmations de Peter Maurice Wright, soit qu’elles figurent dans des ouvrages déjà publiés de M. Chapman Pincher, soit qu’il les ait proférées en personne dans une ou plusieurs émissions de la chaîne de télévision ‘Granada’; ne l’enfreindra pas la révélation ou publication de tout élément cité en audience publique devant la Cour suprême de Nouvelle-Galles du Sud, sauf si le juge y siégeant la prohibe, ou qu’il ne sera pas interdit de publier après le procès en cours devant celle-ci dans l’affaire no 4382 de 1985; ne l’enfreindra pas un compte rendu fidèle et objectif de débats a) de l’une quelconque des chambres du Parlement du Royaume-Uni si elle consent à leur publication; ou b) devant une juridiction du Royaume-Uni siégeant en audience publique." Le 6 novembre 1986, la commission de recours de la Chambre des Lords autorisa O. et G. à se pourvoir contre la décision de la cour d’appel. Ils se désistèrent par la suite à la lumière de son arrêt du 30 juillet 1987 (paragraphes 35-36 ci-dessous). B. Le jugement de première instance en Australie Le procès relatif à l’action intentée en Australie par le gouvernement britannique (paragraphe 13 ci-dessus) eut lieu en novembre et décembre 1986. Au Royaume-Uni et ailleurs, les media le rapportèrent en détail. Le 13 mars 1987, le juge Powell repoussa la demande de l’Attorney General contre M. Wright et ses éditeurs; il estima que beaucoup des informations données par Spycatcher n’étaient plus confidentielles et que la publication des autres ne léserait ni le gouvernement britannique ni les services de sécurité. Là-dessus, il rendit une ordonnance relevant les défendeurs de leur engagement de ne pas publier. L’Attorney General saisit alors la cour d’appel de Nouvelle-Galles du Sud qui, après avoir tenu audience dans la semaine du 27 juillet 1987, réserva sa décision. Les intimés avaient à nouveau promis de ne pas publier jusqu’à l’issue du recours. C. Les articles de presse ultérieurs concernant Spycatcher; l’affaire Independent Le 27 avril 1987, un long résumé de certaines des allégations figurant dans Spycatcher parut dans le quotidien national britannique The Independent; il prétendait se fonder sur une copie du manuscrit. Plus tard dans la même journée, le London Evening Standard et le London Daily News publièrent des articles tirés de ce résumé. Le lendemain, l’Attorney General sollicita devant la Queen’s Bench Division de la High Court l’autorisation de poursuivre les éditeurs et rédacteurs en chef de ces trois journaux pour contempt of court, c’est-à-dire à raison d’un comportement visant à entraver l’administration de la justice ou à lui nuire. Il l’obtint le 29 avril. Dans cette procédure ("l’affaire Independent"), il n’agissait pas – comme dans l’instance pendante contre O. et G. pour divulgation d’informations confidentielles - à titre de représentant du gouvernement, mais de manière indépendante et en sa qualité de "gardien de l’intérêt public à une bonne administration de la justice". Des articles analogues à ceux du 27 avril sortirent le 29 en Australie dans le Melbourne Age et le Canberra Times, puis le 3 mai aux États-Unis d’Amérique dans le Washington Post. Le 29 avril 1987, O. et G. réclamèrent la levée des ordonnances Millett (paragraphe 19 ci-dessus). D’après eux, les circonstances avaient nettement changé depuis lors; ils en voulaient pour preuve ce que la procédure australienne avait laissé filtrer et les articles insérés dans la presse britannique le 27 avril. Les débats relatifs à leurs demandes s’ouvrirent le 7 mai devant le vice-chancelier, Sir Nicolas Browne-Wilkinson, mais il les suspendit en attendant le règlement d’une question juridique préliminaire, soulevée dans l’affaire Independent (paragraphe 22 ci-dessus) et dont leur résultat lui semblait largement tributaire: "le fait, pour une personne, de se livrer à une publication en pleine connaissance d’une ordonnance rendue contre un tiers et que celui-ci enfreindrait s’il agissait de même, s’analyse-t-il en un délit de contempt of court au motif qu’il perturbe ou entrave le cours de la justice quant à ladite ordonnance?" Le 11 mai, à l’invitation du vice-chancelier, l’Attorney General poursuivit la procédure dans l’affaire Independent devant la Chancery Division de la High Court et le vice-chancelier résolut d’aborder la question préliminaire. Le 14 mai 1987, Viking Penguin Incorporated, qui avait acheté aux éditeurs australiens de M. Wright les droits de publication de Spycatcher aux États-Unis, exprima l’intention d’y publier le livre. Le 2 juin 1987, le vice-chancelier trancha la question préliminaire dans l’affaire Independent. Il jugea que les articles parus le 27 avril 1987 (paragraphe 22 ci-dessus) ne pouvaient, en droit, constituer un contempt of court: ils ne violaient pas les termes mêmes des ordonnances Millett et ni celles-ci, ni leur violation éventuelle par leurs destinataires ne concernaient directement les trois journaux en cause. L’Attorney General interjeta appel. Le 15 juin 1987, O. et G. sollicitèrent la reprise de l’instruction de leur demande de levée desdites ordonnances en invoquant le projet de publication aux États-Unis (paragraphe 23 ci-dessus). La question fut toutefois tenue en suspens jusqu’à l’issue du recours formé par l’Attorney General dans l’affaire Independent, dont l’examen débuta le 22 juin. D. Le Sunday Times commence à publier Spycatcher en feuilleton Le 12 juillet 1987, le Sunday Times, qui avait acheté aux éditeurs australiens de M. Wright les droits de publication par épisodes dans la presse britannique et s’était procuré une copie du manuscrit auprès de Viking Penguin Incorporated, aux États-Unis, inséra dans ses dernières éditions, afin d’éviter le risque d’une action en référé, une première série d’extraits de Spycatcher. Il expliqua que l’opération était programmée pour coïncider avec la publication du livre aux États-Unis, prévue pour le 14 juillet. Le 13 juillet, l’Attorney General assigna S.T. en justice, pour contempt of court, au motif que la publication déjouait le but des ordonnances Millett. E. La publication de Spycatcher aux États-Unis d’Amérique Le 14 juillet 1987, Viking Penguin Incorporated publia Spycatcher aux États-Unis d’Amérique; quelques exemplaires avaient été mis en vente dès la veille. Le livre connut d’emblée un énorme succès. Le gouvernement britannique, avisé qu’une action destinée à interdire la publication aux États-Unis n’aboutirait pas, n’entreprit rien en ce sens dans ce pays, ni au Canada où l’ouvrage devint aussi un "best-seller". Un grand nombre d’exemplaires de Spycatcher furent alors importés au Royaume-Uni, notamment par des citoyens britanniques qui l’avaient acheté soit lors d’un séjour aux États-Unis soit, par téléphone ou par courrier, auprès de librairies américaines. Les numéros de téléphone et adresses de telles maisons, prêtes à l’envoyer au Royaume-Uni, y étaient largement diffusés par voie de publicité. Le gouvernement britannique jugea préférable de ne pas user de son pouvoir d’empêcher pareilles importations, estimant que la mesure avait de fortes chances de rester inefficace. En revanche, il fit en sorte que l’on ne pût trouver le livre dans les librairies ou bibliothèques publiques au Royaume-Uni. F. L’issue de l’affaire Independent Le 15 juillet 1987, la cour d’appel annonça qu’elle allait réformer la décision du vice-chancelier dans l’affaire Independent (paragraphe 25 ci-dessus). Ses motifs, communiqués le 17, étaient pour l’essentiel les suivants: les ordonnances Millett voulaient préserver la confidentialité des renseignements contenus dans Spycatcher, en attendant le résultat final des actions engagées contre O. et G.; le comportement de l’Independent, du London Evening Standard et du London Daily News pouvait, en droit, constituer un délit de contempt of court car la divulgation desdits renseignements supprimerait leur caractère confidentiel, priverait donc ces mêmes actions de leur objet et, dès lors, entraverait l’administration de la justice. La cour d’appel renvoya l’affaire à la High Court, qu’elle chargea de déterminer si les trois journaux avaient agi dans le dessein de provoquer pareille entrave (articles 2 par. 3 et 6 c) de la loi de 1981 sur le contempt of court). Elle refusa aux intimés l’autorisation de saisir la Chambre des Lords et ils ne la demandèrent pas directement auprès de cette dernière. Ils ne s’adressèrent pas davantage à la High Court afin qu’elle modifiât les ordonnances Millett. L’arrêt de la cour d’appel aboutit à rendre celles-ci obligatoires pour tous les media britanniques, y compris le Sunday Times. G. L’issue des procédures en référé dans les affaires Observer, Guardian et Sunday Times; le maintien des ordonnances Millett S.T. indiqua clairement que sauf à se le voir interdire en justice, il publierait le deuxième épisode du feuilleton Spycatcher le 19 juillet 1987. Le 16, l’Attorney General sollicita une injonction prohibant l’insertion de nouveaux extraits dans les colonnes de l’hebdomadaire, car elle constituerait un contempt of court en raison de l’effet combiné des "ordonnances Millett" et de la décision finale en l’affaire Independent (paragraphe 30 ci-dessus). Le vice-chancelier délivra le même jour une telle injonction, valable jusqu’au 21 juillet 1987. Il fut convenu qu’il examinerait, le 20, la requête d’O. et G. en mainlevée des "ordonnances Millett" (paragraphe 26 ci-dessus) et que S.T., lié en fait lui aussi par elles, aurait le droit de plaider à l’appui de ladite requête. Il fut en outre décidé que le vice-chancelier instruirait de surcroît la demande d’injonction contre S.T. formulée par l’Attorney General et qu’il la repousserait s’il rapportait les ordonnances Millett. Après avoir ouï les comparants du 20 au 22 juillet 1987, le vice-chancelier statua à cette dernière date, révoquant les ordonnances et rejetant la demande d’injonction. Les motifs de sa décision peuvent se résumer brièvement ainsi. a) Eu égard notamment à la publication aux États-unis (paragraphes 28-29 ci-dessus), la situation avait subi un changement complet et il fallait rechercher si les injonctions se justifieraient dans les nouvelles circonstances. b) Vu la jurisprudence, et malgré la transformation du contexte, il fallait présumer que l’Attorney General disposait encore d’arguments défendables pour arriver à l’octroi d’une ordonnance contre O. et G. au moment du procès au fond; les principes "American Cyanamid" ordinaires (paragraphe 10 ci-dessus) trouvaient donc à s’appliquer. c) Comme une indemnité constituerait pour l’Attorney General une réparation inefficace et n’en fournirait aucune aux journaux, il y avait lieu de mettre en balance les avantages et inconvénients; la préservation de la confidentialité devait prévaloir sauf si un autre intérêt public pesait plus lourd. d) Pour le maintien des injonctions jouaient les éléments suivants: il ne s’agissait que d’une procédure de référé; il n’y avait rien de neuf ou d’urgent au sujet des allégations de M. Wright; les ordonnances lieraient tous les media, de sorte que ne surgirait aucun problème de discrimination; des promesses de ne pas publier demeuraient en vigueur en Australie; lever les injonctions signifierait que les tribunaux étaient incapables de sauvegarder la confidentialité; les maintenir dissuaderait les personnes tentées d’imiter M. Wright. e) En faveur de leur levée militaient les considérations ci-après: la publication aux États-Unis avait, dans une large mesure, privé d’objet les actions engagées par l’Attorney General; les publications dans la presse, surtout quand elles concernaient des allégations d’agissements illégaux dans les services publics, ne devaient être interdites que si l’on ne pouvait l’éviter; les tribunaux perdraient tout crédit s’ils rendaient des ordonnances manifestement inaptes à atteindre leur but. f) Les deux plateaux s’équilibraient assez bien et la décision n’était point évidente, mais non sans hésitation la balance penchait du côté de la levée des injonctions. L’Attorney General attaqua aussitôt la décision du vice-chancelier; les ordonnances contre O. et G., mais non contre S.T. (paragraphe 32 ci-dessus), restèrent en vigueur pendant l’examen du recours. Dans un arrêt du 24 juillet 1987, la cour d’appel déclara: a) que le vice-chancelier ayant commis plusieurs erreurs de droit, elle pouvait exercer son propre pouvoir d’appréciation; b) que la publication de Spycatcher aux États-Unis rendait inadéquat le maintien des ordonnances Millett dans leur forme originale; c) qu’il convenait, en revanche, de les amender de manière à interdire la publication, à titre professionnel, de tout ou partie du livre ou d’autres affirmations de M. Wright, ou à lui attribuées, sur des questions de sécurité, tout en permettant "un résumé" de ses allégations "en termes très généraux". D’après les membres de la cour d’appel, le maintien des ordonnances aiderait à restaurer la confiance dans les services de sécurité, en montrant que des mémoires ne pouvaient paraître sans autorisation (Sir John Donaldson, Master of the Rolls), et à protéger les droits de l’Attorney General jusqu’au procès (Lord Justice Ralph Gibson); il cadrerait avec l’obligation, pour les tribunaux, de décourager la diffusion de textes écrits au mépris du devoir de discrétion (Lord Justice Russell). La cour d’appel accorda aux parties le droit de saisir la Chambre des Lords. Après avoir entendu les parties du 27 au 29 juillet 1987 (aucune d’elles n’approuva la solution de compromis adoptée par la cour d’appel), la commission de recours (Appellate Committee) de la Chambre des Lords statua le 30 juillet. Par trois voix (Lord Brandon of Oakbrook, Lord Templeman et Lord Ackner) contre deux (Lord Bridge of Harwich, président sortant de la commission des affaires de sécurité, et Lord Oliver of Aylmerton), elle se prononça pour le maintien des ordonnances Millett. En réalité, elles demeurèrent en vigueur jusqu’à l’ouverture, le 23 novembre 1987, des audiences relatives au bien-fondé des actions intentées pour divulgation d’informations confidentielles (paragraphe 39 ci-dessous). La majorité décida en outre d’en élargir la portée en supprimant une partie des tempéraments qui avaient permis de rendre compte à certaines conditions de la procédure australienne (paragraphe 19 ci-dessus), car les injonctions risquaient d’être tournées si des journaux anglais reproduisaient des passages de Spycatcher lus en audience publique. D’après le Gouvernement, cet amendement n’eut aucune incidence pratique sur les articles consacrés à ladite procédure. Le 13 août 1987, les membres de la commission de recours donnèrent par écrit leurs motifs qui peuvent se résumer brièvement ainsi. a) Lord Brandon of Oakbrook i. Les actions de l’Attorney General contre O. et G. tendaient à sauvegarder un intérêt public important: préserver le plus possible le caractère secret des services de sécurité; comme le reconnaît l’article 10 par. 2 (art. 10-2) de la Convention, le droit à la liberté d’expression est sujet à certaines exceptions, dont la protection de la sécurité nationale. ii. Purement temporaires, les interdictions litigieuses avaient pour but d’assurer le statu quo jusqu’au procès, et leur maintien ne préjugeait pas de la décision à prendre au principal sur la demande d’injonctions permanentes. iii. On ne pouvait pas vraiment contester l’opinion, émise par les juridictions inférieures avant la publication aux États-Unis, selon laquelle l’Attorney General disposait d’arguments très valables pour obtenir de telles ordonnances au procès. iv. Ladite publication avait certes affaibli ces arguments, mais ils restaient défendables; on ne savait trop si, en droit, elle avait eu pour résultat de relever la presse de son devoir de non-divulgation. Sans doute les dommages potentiels signalés par Sir Robert Armstrong (paragraphe 16 ci-dessus) s’étaient-ils déjà réalisés pour la plupart, mais les tribunaux demeuraient peut-être à même d’arrêter des mesures aptes à limiter le risque de voir d’autres agents des services de sécurité provoquer à l’avenir des préjudices analogues, danger si grave qu’ils devaient s’évertuer à le minimiser. v. Il existait un seul moyen de bien apprécier la valeur de la thèse de l’Attorney General et de ménager un juste équilibre entre les intérêts publics en jeu: organiser un procès sur le fond, au cours duquel des preuves seraient produites et soumises à une discussion contradictoire. vi. Un retrait immédiat des injonctions réduirait cette même thèse à néant au stade de la procédure de référé, sans que l’Attorney General eût eu l’occasion de l’exposer en s’appuyant sur des preuves appropriées. vii. Leur maintien jusqu’au procès ne ferait, en cas de rejet des demandes de l’Attorney General, que retarder, sans l’empêcher, l’exercice du droit des journaux à publier des informations qui, d’ailleurs, se rapportaient à des événements remontant à un passé lointain. viii. Entre une solution ne pouvant nuire à la cause de la presse que de manière temporaire et nullement irréparable, et une autre qui pouvait porter à celle de l’Attorney General un préjudice définitif, les intérêts généraux de la justice obligeaient à préférer la première. b) Lord Templeman (qui marquait son accord avec Lord Brandon et Lord Ackner) i. Le recours concernait un conflit entre le droit du public à être protégé par les services de sécurité et son droit à recevoir de la presse des informations complètes. Il amenait dès lors à prendre en compte la Convention; il s’agissait de savoir si l’ingérence découlant des ordonnances était, le 30 juillet 1987, nécessaire dans une société démocratique pour un ou plusieurs des motifs énumérés à l’article 10 par. 2 (art. 10-2). ii. Au regard de la Convention, les interdictions s’analysaient en mesures nécessaires à la sécurité nationale, à la protection de la réputation ou des droits d’autrui, pour empêcher la divulgation d’informations confidentielles et pour garantir l’autorité du pouvoir judiciaire. Elles empêcheraient de léser les services de sécurité, notamment par la diffusion à grande échelle, aujourd’hui et demain, d’accusations auxquelles leurs membres ne pouvaient répondre. Leur levée eût doté la presse du pouvoir de se soustraire à une ordonnance judiciaire destinée à protéger la confidentialité des renseignements recueillis par un agent desdits services. c) Lord Ackner (qui approuvait Lord Templeman) i. Les membres de la commission de recours estimaient tous: que l’Attorney General disposait d’arguments défendables pour demander une injonction permanente; que des dommages-intérêts n’offriraient aucune utilité pour l’État: si les ordonnances Millett ne demeuraient pas en vigueur, il perdrait à jamais toute chance de voir prononcer des interdictions permanentes lors du procès; que le maintien desdites ordonnances ne constituait pas un "muselage définitif" de la presse: si elle gagnait le procès, elle acquerrait la faculté de publier des textes dénués pour l’instant de toute urgence; qu’il existait un intérêt public, réel et digne de protection, à un fonctionnement efficace des services de sécurité; qu’il commandait - les journaux ne le contestaient pas – de décourager l’utilisation du marché britannique pour répandre les mémoires non autorisés d’agents de ces services. ii. Il y aurait donc déni de justice à refuser de maintenir les ordonnances jusqu’au procès: on balayerait sans débat l’élément intérêt public et priverait l’Attorney General, de manière prématurée et permanente, de la protection des tribunaux. d) Lord Bridge of Harwich i. La thèse favorable au maintien des ordonnances Millett – appropriées à l’origine - n’aurait pas plus de force au moment du procès que dans l’immédiat; il serait absurde de les proroger à titre temporaire si l’on ne pouvait démontrer que des interdictions permanentes se justifiaient. ii. Le public ayant désormais libre accès aux allégations de Spycatcher, les ordonnances ne pouvaient manifestement plus servir l’intérêt de la sécurité nationale en protégeant des informations sensibles. iii. L’Attorney General pouvait probablement encore invoquer l’existence d’une obligation formelle à la charge des journaux, mais il s’agissait de savoir si les ordonnances Millett restaient aptes à protéger un intérêt de sécurité nationale assez impérieux pour légitimer l’atteinte à la liberté d’expression qui en résultait. L’argument tiré de l’effet dissuasif de leur maintien ne pesait pas lourd. iv. Essayer de priver le public britannique d’informations librement accessibles ailleurs constituait un net pas en arrière vers la censure, caractéristique d’un régime totalitaire, et conduirait, si l’on persistait, à la condamnation et à l’humiliation du Gouvernement par la Cour européenne des Droits de l’Homme. e) Lord Oliver of Aylmerton i. L’ordonnance initiale du juge Millett était entièrement fondée. ii. Au début, les interdictions visaient à préserver la confidentialité d’allégations alors non publiées, mais la publication de Spycatcher l’avait définitivement réduite à néant. On pouvait se demander s’il se justifiait de recourir à des injonctions contre les journaux (qui n’avaient contribué en rien à cette publication) pour atteindre l’ultime but qu’elles pouvaient servir: punir M. Wright et fournir un exemple pour d’autres. iii. Les journaux avaient présenté leur défense en partant de l’idée que l’Attorney General disposait toujours d’arguments solides pour obtenir des injonctions durables, et l’opinion selon laquelle le nouveau et délicat point de droit soulevé ne devrait pas se trancher sans un complément de discussion au procès ne manquait pas de valeur. Toutefois, eu égard à l’accessibilité générale des renseignements figurant dans Spycatcher, on n’apercevait guère le moyen de plaider avec succès que les journaux devaient se voir interdire en permanence de les publier, et la thèse de l’Attorney General avait peu de chances de se renforcer dans l’intervalle. Il ne subsistait donc aucune raison plausible de prononcer de telles interdictions au moment du procès, de sorte qu’il fallait lever les ordonnances Millett. H. L’issue de la procédure en Australie; la poursuite de la publication de Spycatcher Par un arrêt du 24 septembre 1987, la cour d’appel de Nouvelle-Galles du Sud rejeta le recours de l’Attorney General (paragraphe 21 ci-dessus); d’après la majorité, aucune juridiction australienne n’avait compétence pour en connaître car il s’analysait en une tentative visant à faire appliquer indirectement le droit public d’un État étranger, ou trancher le point de savoir si la publication nuirait à l’intérêt public au Royaume-Uni. L’Attorney General saisit la High Court d’Australie. En raison de la publication de Spycatcher aux États-Unis et ailleurs, elle refusa de la prohiber en Australie en attendant l’audience; l’ouvrage y parut le 13 octobre. Elle repoussa le pourvoi le 2 juin 1988: selon le droit international, les cours et tribunaux d’Australie ne pouvaient accueillir une demande - telle celle de l’Attorney General - destinée à sauvegarder les intérêts du gouvernement britannique concernant ses services de sécurité. D’autres procédures, engagées par l’Attorney General aux fins d’injonctions à adresser à des journaux, aboutirent à Hong-Kong mais non en Nouvelle-Zélande. Entre-temps, la publication et la diffusion de Spycatcher et de son contenu se poursuivaient à grande échelle, non seulement aux États-Unis (environ 715 000 exemplaires imprimés, presque tous vendus au 31 octobre 1987) et au Canada (environ 100 000 exemplaires imprimés), mais aussi en Australie (145 000 exemplaires imprimés, dont la moitié écoulés en un mois) et en Irlande (30 000 exemplaires imprimés et distribués). Près de 100 000 exemplaires furent envoyés dans divers pays européens autres que le Royaume-Uni, un certain nombre expédiés d’Australie vers des pays d’Asie. Le livre fit l’objet d’émissions radiodiffusées en anglais au Danemark et en Suède ainsi que de traductions en douze langues, dont dix européennes. III. LE PROCÈS AU FOND EN ANGLETERRE A. La divulgation d’informations confidentielles Le 27 octobre 1987, l’Attorney General assigna S.T. en justice pour divulgation d’informations confidentielles; outre la délivrance d’injonctions, il sollicitait un jugement déclaratoire et le versement des bénéfices engrangés par le défendeur (account of profits). Les débats relatifs au bien-fondé de cette action et de celles de l’intéressé contre O. et G. (paragraphe 15 ci-dessus) - dans lesquelles, par un amendement du 30 octobre, il réclamait à présent un jugement déclaratoire en sus d’une injonction - eurent lieu devant le juge Scott, de la High Court, en novembre-décembre 1987. Celui-ci entendit les témoins de chacune des parties, dont Sir Robert Armstrong (paragraphe 16 ci-dessus). En outre, il maintint les injonctions provisoires en attendant de statuer au principal. Dans sa décision, qu’il rendit le 21 décembre 1987, figuraient les observations et conclusions suivantes. a) À l’appui de sa demande d’injonctions permanentes, l’Attorney General invoquait le souci non plus de préserver le caractère confidentiel de certaines informations, mais de promouvoir l’efficacité et la réputation des services de sécurité. b) Lorsque l’on cherchait à contraindre au secret un journal entré en possession de renseignements réputés confidentiels, l’étendue de cette obligation dépendait du poids relatif des intérêts qu’elle était censée protéger et de ceux que servirait une divulgation. c) Il fallait prendre en compte l’article 10 (art. 10) de la Convention et les arrêts de la Cour européenne; il en ressortait qu’une restriction à la liberté d’expression dans l’intérêt de la sécurité nationale ne pouvait passer pour nécessaire si elle ne correspondait pas à un "besoin social impérieux" et n’apparaissait pas "proportionnée aux buts légitimes poursuivis". d) M. Wright avait envers l’État le devoir de ne dévoiler aucune information obtenue par lui au cours de sa carrière au sein du MI5. Il y avait failli en écrivant Spycatcher et en le présentant à la publication; l’édition et la diffusion subséquentes du livre s’analysaient en une violation supplémentaire, de sorte que l’Attorney General aurait droit à une ordonnance interdisant à M. Wright, ou à tout agent de l’intéressé, de publier Spycatcher au Royaume-Uni. e) O. et G. n’avaient pas enfreint l’obligation de discrétion qu’ils avaient assumée en recueillant les révélations non autorisées de M. Wright: leurs articles respectifs des 22 et 23 juin 1986 (paragraphe 14 ci-dessus) parlaient de manière honnête, et en termes généraux, du procès à venir en Australie; de surcroît, la divulgation de deux des affirmations de M. Wright se justifiait par un motif supplémentaire, tiré de l’allégation d’irrégularités ("iniquity"). f) S.T., lui, avait manqué à ladite obligation en publiant la première série d’extraits du livre le 12 juillet 1987 (paragraphe 27 ci-dessus): on y trouvait des passages qui ne soulevaient pas de questions d’intérêt public l’emportant sur celles de sécurité nationale. g) S.T. devait verser les bénéfices réalisés par lui grâce à la publication de ce premier épisode. h) Il y avait lieu de débouter l’Attorney General de ses demandes d’injonctions permanentes, car la publication et la diffusion à l’échelle mondiale de Spycatcher depuis juillet 1987 avaient eu pour résultat de relever les journaux et autres tiers de toute obligation de discrétion quant aux renseignements figurant dans l’ouvrage; à cet égard, une mise en balance des éléments de sécurité nationale invoqués et de l’intérêt public à la liberté de la presse montrait que ce dernier prédominait. i) L’Attorney General n’avait pas droit à une injonction générale qui prohibât la publication future d’informations provenant de M. Wright ou d’autres membres des services de sécurité. Après avoir ouï les parties, le juge Scott prononça de nouvelles interdictions temporaires valables jusqu’à un arrêt de la cour d’appel; elles comprenaient une disposition autorisant à rendre compte de la procédure australienne (paragraphes 19 et 35 ci-dessus). Sur recours de l’Attorney General et recours incident de S.T., la cour d’appel, composée de Sir John Donaldson, Master of the Rolls, du Lord Justice Dillon et du Lord Justice Bingham, confirma la décision du juge Scott le 10 février 1988. Néanmoins, Sir John Donaldson marqua son désaccord avec l’opinion de ce dernier selon laquelle l’Observer et le Guardian n’avaient pas manqué à leur obligation de discrétion et la demande d’injonction formée contre eux en juin 1986 n’était pas "proportionnée au but légitime poursuivi". Le Lord Justice Bingham, lui, désapprouva le juge Scott d’avoir estimé que S.T. avait failli à son obligation en publiant la première série d’extraits de Spycatcher, qu’il devait abandonner ses bénéfices et que l’Attorney General avait droit, dans les circonstances existant en juillet 1987, à des ordonnances empêchant d’insérer de nouveaux épisodes. Après audition des parties, la cour d’appel prononça elle aussi de nouvelles interdictions temporaires, valables jusqu’à l’arrêt de la Chambre des Lords; elle autorisa O., G. et S.T. à en demander l’amendement ou la levée en cas de retard anormal. A son tour, la commission de recours de la Chambre des Lords - Lord Keith of Kinkel, Lord Brightman, Lord Griffiths, Lord Goff of Chieveley et Lord Jauncey of Tullichettle - confirma la décision du juge Scott le 13 octobre 1988. Rejetant un pourvoi de l’Attorney General et un pourvoi incident de S.T., elle considéra: "i. qu’une obligation de discrétion pouvait découler d’un contrat ou du principe d’équité (equity) et qu’une personne ayant acquis des informations dans des circonstances emportant pareille obligation devait être empêchée de les divulguer à autrui; qu’une telle obligation incombait à un tiers possédant des renseignements réputés confidentiels, sauf si elle se trouvait éteinte parce qu’ils étaient devenus accessibles au grand public ou si un intérêt public supérieur exigeait leur divulgation; que pour obtenir une ordonnance destinée à mettre obstacle à la révélation de secrets gouvernementaux, l’État devait prouver que celle-ci risquait de nuire ou avait nui à l’intérêt public; que les injonctions ne correspondaient plus à une nécessité, le contenu de Spycatcher ayant perdu tout caractère secret par sa diffusion à l’échelle mondiale et tout particulier désireux de se procurer un exemplaire du livre le pouvant aisément; que, dès lors, il y avait lieu de les lever; ii. (avec l’opinion dissidente de Lord Griffiths) que les articles des 22 et 23 juin [1986] ne renfermaient pas d’informations préjudiciables à l’intérêt public; qu’en les publiant l’Observer et le Guardian n’avaient pas violé leur obligation de discrétion; que l’État n’aurait donc pas eu droit à une injonction permanente contre eux; iii. qu’en publiant le premier épisode de Spycatcher le 12 juillet 1987, le Sunday Times avait méconnu son obligation de discrétion; qu’il ne pouvait exciper ni d’une publication antérieure, ni de la révélation d’agissements illégaux; que la parution imminente de l’ouvrage aux États-Unis ne constituait pas une justification; que, partant, le Sunday Times devait verser les bénéfices résultant de son infraction; iv. que l’atteinte à l’intérêt général ne pouvait pas s’aggraver, car les renseignements fournis par Spycatcher étaient dorénavant dans le domaine public et ne présentaient plus aucun caractère secret; qu’il ne fallait pas interdire à l’Observer et au Guardian de diffuser le contenu du livre, ni (Lord Griffiths marquant ici son désaccord) au Sunday Times d’en publier de nouveaux épisodes; v. que les agents et ex-agents des services de sécurité avaient envers l’État, leur vie durant, un devoir de discrétion et que comme dans leur grande majorité ils ne révéleraient pas à la presse de renseignements confidentiels, il ne convenait pas d’imposer à celle-ci une interdiction générale d’encore publier des informations livrées par l’un d’entre eux au sujet des assertions de Spycatcher." B. Contempt of court Le procès au fond relatif aux accusations de contempt of court portées par l’Attorney General contre l’Independent, le London Evening Standard, le London Daily News (paragraphe 22 ci-dessus), S.T. (paragraphe 27 ci-dessus) et certains autres journaux se déroula devant le juge Morritt, de la High Court, en avril 1989. Le 8 mai celui-ci constata, notamment, une telle infraction à la charge de l’Independent et de S.T., à chacun desquels il infligea une amende de 50 000 livres. Le 27 février 1990, la cour d’appel rejeta leur recours contre la déclaration de culpabilité mais conclut qu’il ne fallait pas prononcer d’amende. La commission de recours de la Chambre des Lords repoussa, le 11 avril 1991, un pourvoi de S.T. contre ladite déclaration. PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION Dans sa requête du 31 juillet 1987 à la Commission (no 13166/87), S.T. alléguait que les interdictions temporaires en cause portaient une atteinte injustifiée à sa liberté d’expression, garantie par l’article 10 (art. 10) de la Convention. Il soutenait en outre qu’au mépris de l’article 13 (art. 13), aucun recours effectif devant une "instance" nationale ne s’offrait à lui pour son grief tiré de l’article 10 (art. 10) et qu’il avait subi une discrimination contraire à l’article 14 (art. 14). La Commission a retenu la requête le 5 octobre 1989. Dans son rapport du 12 juillet 1990 (article 31) (art. 31), elle conclut à l’unanimité qu’il y a eu infraction à l’article 10 (art. 10) mais non aux articles 13 et 14 (art. 13, art. 14). Le texte intégral de son avis et de l’opinion concordante dont il s’accompagne figure en annexe au présent arrêt. Le 2 février 1989, S.T. a saisi la Commission d’une requête distincte - encore pendante devant elle - relative au constat selon lequel il avait manqué à son devoir de discrétion en publiant, le 12 juillet 1987, le premier extrait de Spycatcher (paragraphe 42 iii. ci-dessus). A l’audience du 25 juin 1991, il a informé la Cour qu’il allait en déposer une troisième, dirigée contre le constat d’un contempt of court de sa part (paragraphe 44 ci-dessus). CONCLUSIONS PRESENTEES A LA COUR A l’audience du 25 juin 1991, S.T. a invité la Cour à dire que la prorogation des ordonnances le 30 juillet 1987 avait méconnu l’article 10 (art. 10); à enjoindre au Gouvernement de lui rembourser les frais et dépens encourus par lui en Angleterre et à Strasbourg; à préciser que le critère établi dans American Cyanamid Co. v. Ethicon Ltd ne cadrait pas avec ce texte. Pour son compte, le Gouvernement a demandé à la Cour de conclure, ainsi qu’il l’en avait priée dans son mémoire, à l’absence de violation des droits garantis à S.T. par les articles 10, 13 et 14 (art. 10, art. 13, art. 14).
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I. LES CIRCONSTANCES DE LA CAUSE Ressortissante française domiciliée à La Varenne Saint-Hilaire (Val-de-Marne), Mme Monique Letellier a pris en gérance un café-restaurant en mars 1985. Mère de huit enfants issus de deux mariages successifs, elle vivait séparée de son deuxième époux M. Merdy, pompiste dans une station-service, et cohabitait avec un tiers à l’époque des faits. Le 6 juillet 1985, M. Merdy fut tué d’un coup de feu tiré d’une voiture. Un témoin ayant relevé le numéro minéralogique du véhicule, la police interpella le jour même M. Gérard Moysan qu’elle trouva en possession d’un fusil à pompe. Il avoua être l’auteur du coup de feu, mais précisa qu’il avait agi sur les instructions de la requérante : elle se serait engagée à lui verser, ainsi qu’à l’un de ses amis M. Michel Bredon - qui la chargea lui aussi -, une somme de 40 000 f. pour donner la mort à son mari, et lui aurait avancé 2000 f. pour l’acquisition de l’arme. Mme Letellier nia les faits tout en reconnaissant avoir vu l’arme du crime, déclaré en public vouloir se débarrasser de son conjoint et donné son accord "sans arrière-pensée" à M. Moysan qui lui avait proposé de s’en charger. Elle prétendit d’autre part avoir remis les 2000 f. à ce dernier, qualifié par elle de "pauvre gosse", afin qu’il pût acheter un véhicule automobile. Le 8 juillet 1985, lors de l’interrogatoire de première comparution, le juge d’instruction près le tribunal de grande instance de Créteil inculpa l’intéressée de complicité d’assassinat et la plaça sous mandat de dépôt criminel. A. La procédure d’instruction La première demande de mise en liberté, du 20 décembre 1985 Le 20 décembre 1985, la requérante sollicita son élargissement en alléguant l’absence d’indices sérieux de culpabilité. Elle prétendait en outre offrir toutes les garanties de représentation en justice : domicile, fonds de commerce exploité par elle seule, et huit enfants dont certains restaient à sa charge. Le 24 décembre 1985, le juge d’instruction ordonna sa mise en liberté sous contrôle judiciaire, par les motifs suivants : "(...) en l’état de la procédure la détention n’est plus nécessaire à la manifestation de la vérité ; (...) si l’inculpée offre des garanties de représentation suffisantes justifiant sa libération, un contrôle judiciaire paraît opportun." Il astreignait la requérante à ne pas sortir sans autorisation préalable de certaines limites territoriales, à se présenter à lui une fois par semaine, à jour et heure fixes, à répondre à ses convocations et à se plier aux mesures de contrôle portant sur ses activités professionnelles, à s’abstenir de recevoir ou rencontrer quatre personnes nommément désignées ainsi que d’entrer en relation avec elles de quelque façon que ce fût. Là-dessus, le juge des tutelles rendit à Mme Letellier la garde de ses quatre enfants mineurs. Sur recours du procureur de la République de Créteil, la chambre d’accusation de la cour d’appel de Paris infirma l’ordonnance le 22 janvier 1986, se réservant désormais le contentieux de la détention. Elle releva notamment : "(...) Il existe (...) dans ce dossier de multiples présomptions contre l’inculpée de s’être rendue coupable de complicité d’assassinat, ce qui constitue un acte criminel d’une exceptionnelle gravité ayant causé à l’ordre public un trouble très important qui ne saurait s’atténuer dans le court laps de temps de six mois. Les investigations se poursuivent, il convient d’empêcher toute manoeuvre de nature à nuire à la manifestation de la vérité. D’autre part, en raison du niveau élevé de la peine légalement encourue, on est fondé à craindre qu’elle ne tente d’échapper aux poursuites dont elle est l’objet. Aucune mesure de contrôle judiciaire n’étant opérante à ces divers égards. En définitive : la détention provisoire reste l’unique moyen pour empêcher une pression sur les témoins. Elle est nécessaire pour préserver l’ordre public du trouble causé par l’infraction et pour garantir le maintien de l’inculpée à la disposition de la justice. (...)." En conséquence, la requérante, qui avait recouvré la liberté le 24 décembre 1985, réintégra la maison d’arrêt le 22 janvier 1986. À l’audience du 16 janvier 1986, Mme Letellier avait déposé un mémoire en défense. Elle y soulignait qu’elle avait attendu l’issue de la phase principale de l’instruction pour introduire sa demande d’élargissement; ainsi, tous les témoins avaient été ouïs par la police judiciaire ou par le juge d’instruction, deux séries de confrontations avec M. Moysan avaient eu lieu et toutes les commissions rogatoires avaient été exécutées. Elle relevait aussi que les articles 144 et suivants du code de procédure pénale n’érigeaient nullement la gravité des faits reprochés en une condition du placement et du maintien en détention provisoire et que les parties civiles n’avaient formulé aucune observation après avoir appris sa libération. Priant la chambre de confirmer l’ordonnance de mise en liberté sous contrôle judiciaire du 24 décembre 1985, elle déclarait qu’elle n’avait nullement l’intention de se soustraire à la justice, qu’elle se plierait scrupuleusement au contrôle judiciaire, qu’elle présentait de solides garanties de recomparution et qu’une nouvelle incarcération ruinerait moralement et matériellement une famille entière dont elle demeurait l’unique chef. Mme Letellier forma un pourvoi que la chambre criminelle de la Cour de cassation rejeta le 21 avril 1986 par les motifs ci-après : "(...) Attendu que, pour infirmer l’ordonnance de mise en liberté sous contrôle judiciaire de Letellier Monique, épouse Merdy, poursuivie pour complicité d’assassinat de son mari, la chambre d’accusation, après avoir exposé les faits reprochés à cette dernière et noté l’existence de divergences entre les dires de celle-ci et les diverses dépositions recueillies, relève que les faits ont causé un trouble non encore atténué à l’ordre public, que des investigations se poursuivant il importe d’empêcher toute manoeuvre de nature à nuire à la manifestation de la vérité et à faire pression sur les témoins, et que le niveau élevé de la peine légalement encourue rend incertaine la représentation de l’inculpée en cas de libération ; que les juges estiment qu’aucune mesure de contrôle judiciaire ne peut être opérante à ces divers égards ; Attendu qu’en cet état la Cour de cassation est en mesure de s’assurer que la chambre d’accusation a ordonné le maintien en détention de Letellier Monique, épouse Merdy, par une décision spécialement motivée d’après les éléments de l’espèce, et pour des cas que précisent les articles 144 et 145 du code de procédure pénale ; (...)." La deuxième demande de mise en liberté, du 24 janvier 1986 Le 24 janvier 1986, la requérante sollicita derechef son élargissement; la chambre d’accusation de la cour d’appel de Paris le lui refusa par une décision du 12 février 1986 analogue à la précédente (paragraphe 13 ci-dessus). Sur pourvoi de Mme Letellier, la Cour de cassation censura l’arrêt le 13 mai 1986, pour violation des droits de la défense : ni l’intéressée ni son conseil n’avaient été avertis de la date de l’audience fixée pour l’examen de la demande. Elle renvoya l’affaire devant la chambre d’accusation de la cour d’appel de Paris, autrement composée. À son tour, celle-ci repoussa ladite demande le 17 septembre 1986. Elle estima qu’il existait, "au vu du dossier (...), des présomptions sérieuses contre l’inculpée de s’être rendue coupable de complicité d’assassinat". Elle considéra, "dans ces conditions (...), la détention de l’inculpée [comme] nécessaire, eu égard à la gravité des faits (...) et au niveau de la peine [encourue], pour garantir son maintien à la disposition de la justice et préserver l’ordre public". Quant aux griefs tirés de la violation de l’article 5 §§ 3 et 4 (art. 5-3, art. 5-4) de la Convention, elle les écarta en soulignant qu’ils n’invoquaient aucun texte du code de procédure pénale et qu’elle se prononçait avec la diligence voulue par celui-ci. À l’audience du 16 septembre 1986, Mme Letellier avait présenté un mémoire en défense. Elle y invitait la chambre à l’élargir, "faute d’avoir vu sa demande de mise en liberté jugée dans un délai raisonnable" au sens de l’article 5 § 3 (art. 5-3) de la Convention, et à lui donner acte de ce qu’elle ne s’opposait pas à l’adoption d’une mesure de contrôle judiciaire à son encontre. Saisie par Mme Letellier, la Cour de cassation annula cet arrêt le 23 décembre 1986 : elle constata que la juridiction d’appel n’avait pas répondu aux conclusions relatives au dépassement du "délai raisonnable" de l’article 5 § 3 (art. 5-3). Statuant sur renvoi le 17 mars 1987, la chambre d’accusation de la cour d’appel d’Amiens rejeta la demande en ces termes : "(...) Attendu que (...) les charges reposent bien sur les éléments suffisants, pertinents et objectifs que le mémoire prétend à tort absents en la cause ; Attendu qu’eu égard à la complexité du dossier et aux diligences qu’il nécessite l’instruction reste renfermée dans des délais raisonnables, au sens de la Convention européenne, par rapport aux dates auxquelles Mme Letellier a été placée en détention et s’y trouve maintenue ; que la procédure n’a jamais été délaissée, ainsi que l’examen du dossier permet de le constater; Attendu que par le grief du dépassement de délais raisonnables Mme Letellier vise aussi les délais apportés au jugement de sa demande de mise en liberté (...) et en déduit, par analogie avec les articles 194 et 574-1 du code de procédure pénale français, qu’ils auraient dû être compris entre 30 jours et 3 mois; Mais attendu qu’aucune des dispositions dudit code expressément applicables au litige n’a été transgressée et que force est de constater que les délais écoulés entre la date de la demande et celle du présent arrêt ne sont que le résultat inévitable des voies de recours qui se sont succédé ; Attendu enfin que le maintien en détention demeure nécessaire pour préserver l’ordre public du trouble causé par une complicité aussi déterminante, en l’état des charges criminelles, à l’homicide commis sur la personne de M. Merdy ; que la mesure de ce trouble, porté au corps social tout entier, n’est pas seulement fonction des réactions des proches de la victime, contrairement à ce que soutient le mémoire (...)." La requérante se pourvut en cassation. Elle invoquait notamment l’article 5 § 3 (art. 5-3) de la convention : elle reprochait à la chambre d’accusation d’avoir "omis de rechercher si une détention de plus de vingt-deux mois, cependant que l’instruction [n’était] pas encore terminée, n’excédait pas le délai raisonnable". Elle alléguait en outre une violation de l’article 5 § 4 (art. 5-4) : le délai de quatre-vingt-trois jours entre l’arrêt de cassation du 23 décembre 1986 et l’arrêt de la juridiction de renvoi ne pouvait passer pour "bref". La Cour de cassation rejeta le recours le 15 juin 1987, par les motifs suivants : "(...) Attendu que pour répondre aux conclusions de l’inculpée invoquant les dispositions de l’article 5 § 3 (art. 5-3) de la Convention européenne de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales, selon elle, méconnues, les juges de renvoi retiennent que par rapport aux dates auxquelles Monique Letellier a été placée en détention provisoire et s’y trouve maintenue, les poursuites, eu égard à leur complexité et aux investigations qu’elles nécessitent, restent renfermées dans les délais raisonnables au sens de ladite convention ; que force est de constater que les délais écoulés entre la date de sa demande de mise en liberté, adressée le 24 janvier 1986, et celle du présent arrêt ne sont que le résultat inévitable des voies de recours qui se sont succédé et que l’arrêt rapporte ; Attendu par ailleurs que pour rejeter cette demande de mise en liberté et ordonner le maintien de l’inculpée en détention provisoire, la chambre d’accusation, après avoir évoqué les présomptions pesant sur Monique Letellier, note que cette dernière nie toute complicité alors que les déclarations successives des deux principaux témoins sont en opposition avec la version de l’inculpée ; que selon les juges, le maintien de l’inculpée en détention provisoire demeure nécessaire pour préserver l’ordre public du trouble que cause une complicité à l’homicide commis sur la personne d’un époux ; Attendu qu’en l’état de ces énonciations, la Cour de cassation est en mesure de s’assurer que la chambre d’accusation, qui n’était pas saisie de conclusions invoquant les dispositions de l’article 5 § 4 (art. 5-4) de la convention précitée, et qui n’était pas tenue par les prescriptions de l’article 145-1 alinéa 3 du code de procédure pénale, inapplicables en matière criminelle, a, sans méconnaître les textes visés aux moyens, prononcé par une décision spécialement motivée d’après les éléments de l’espèce, dans les conditions et pour les cas limitativement énumérés par les articles 144 et 145 du code de procédure pénale ; (...)." Les autres demandes de mise en liberté Pendant l’instruction, la requérante forma six autres demandes de mise en liberté : les 14 février, 21 mars, 19 novembre et 15 décembre 1986, puis les 31 mars et 5 août 1987. La chambre d’accusation de la cour d’appel de Paris les repoussa les 5 mars, 10 avril, 5 décembre et 23 décembre 1986 ainsi que les 10 avril et 24 août 1987. Elle se fonda sur les motifs suivants : Arrêt du 5 mars 1986 "(...) Il existe par conséquent dans ce dossier de multiples présomptions contre l’inculpée de s’être rendue coupable de complicité d’assassinat, ce qui constitue un acte criminel d’une exceptionnelle gravité ayant causé à l’ordre public un trouble très important qui ne saurait s’atténuer dans le court laps de temps de sept mois. Les investigations se poursuivent, il convient d’empêcher toute manoeuvre de nature à nuire à la manifestation de la vérité. D’autre part, en raison du niveau élevé de la peine légalement encourue, on est fondé à craindre qu’elle ne tente d’échapper aux poursuites dont elle est l’objet. Aucune mesure de contrôle judiciaire n’étant opérante à ces divers égards. En définitive, la détention provisoire reste l’unique moyen pour empêcher une pression sur les témoins. Elle est nécessaire pour préserver l’ordre public du trouble causé par l’infraction et pour garantir le maintien de l’inculpée à la disposition de la justice. (...)." Arrêts des 10 avril et 5 décembre 1986 Identiques au précédent - lui-même très semblable à celui du 22 janvier 1986 (paragraphe 13 ci-dessus) -, à ceci près que le sixième alinéa n’y figurait pas et que le premier se terminait au mot "complicité". Arrêt du 23 décembre 1986 "(...) Il existe, dans ces conditions, de sérieux indices de culpabilité à la charge de Mme Merdy qui ont d’ailleurs été relevés en dernier lieu par un arrêt de cette chambre d’accusation en date du 5 décembre 1986. Les faits qui sont imputés à Mme Merdy ont gravement perturbé l’ordre public et ce trouble subsiste. On peut, par ailleurs, redouter que si elle était remise en liberté, elle ne tente, eu égard à la gravité de la peine encourue, de se soustraire aux poursuites criminelles dont elle est l’objet. Les obligations d’un contrôle judiciaire seraient insuffisantes en l’espèce. La détention provisoire de Mme Merdy est nécessaire pour préserver l’ordre public du trouble causé par l’infraction et garantir son maintien à la disposition de la justice. (...)." Arrêt du 10 avril 1987 "(...) Des indices sérieux pèsent sur Letellier Monique, compte tenu de la constance des déclarations de M. Moysan. Aucun autre élément nouveau n’est porté ce jour à la connaissance de la Cour pour être de nature à modifier la situation pénitentiaire de Letellier Monique. Le maintien en détention provisoire de celle-ci est toujours nécessaire pour préserver l’ordre public du trouble grave causé par l’infraction et pour garantir sa représentation en justice. Les obligations d’un contrôle judiciaire seraient à l’évidence insuffisantes pour atteindre ces objectifs. (...)." Arrêt du 24 août 1987 "(...) En l’état actuel de la procédure, Monique Letellier fait l’objet d’une ordonnance de transmission des pièces à Monsieur le procureur Général en date du 8 juillet 1987 du juge d’instruction de Créteil, ce qui laisse augurer que le règlement est proche pour permettre à la juridiction compétente de statuer dans un délai raisonnable. En conséquence, la détention provisoire est absolument nécessaire en raison du trouble particulièrement grave causé par l’infraction. Il est à craindre que Monique Letellier ne tente de se soustraire aux poursuites, compte tenu du quantum de la peine encourue. En conséquence, il est impératif que cette inculpée soit maintenue en détention pour garantir son maintien à la disposition de la juridiction de jugement. Les garanties d’un contrôle judiciaire seraient à l’évidence insuffisantes pour atteindre tous ces objectifs. (...)." Dans les mémoires en défense qu’elle présenta lors des audiences des 23 décembre 1986, 3 mars 1987 et 10 avril 1987, Mme Letellier faisait état de contradictions dans l’instruction et les déclarations des témoins. Elle contestait de surcroît les arguments avancés pour justifier la prolongation de sa détention : selon elle, une fois libérée elle demeurerait à la disposition de la justice et l’ordre public ne serait en rien menacé ; elle se plierait scrupuleusement à une éventuelle mesure de contrôle judiciaire ; elle offrirait de très solides garanties de recomparution et son maintien en détention ruinerait moralement et matériellement une famille entière dont elle restait l’unique chef. Elle réclamait le bénéfice de la présomption d’innocence, principe fondamental et intangible du droit français. Dans son mémoire du 3 mars 1987, la requérante invoquait aussi l’article 5 § 3 (art. 5-3) de la Convention. Elle notait que "(...) conformément à la jurisprudence de la Cour européenne des Droits de l’Homme, le rapprochement entre, d’une part, les motifs indiqués dans la (et les) décision(s) relatives à la (et les) demande(s) de mise en liberté provisoire et, d’autre part, les faits non controuvés indiqués par [elle] dans ses recours, [lui] permet[tait] d’affirmer que lesdits motifs contenus tant dans l’arrêt (...) du 12 février 1986 que dans l’arrêt antérieur du 22 janvier 1986 et dans les arrêts postérieurs [n’étaient] ni pertinents ni suffisants". Elle ajoutait que les parties civiles, la mère et la soeur de la victime, n’avaient formulé aucune observation lors du dépôt de ses demandes d’élargissement de décembre 1985, janvier, février, mars, novembre et décembre 1986, tandis qu’elles avaient combattu avec vigueur celles de M. Moysan ; elle reprit ce dernier argument dans son mémoire du 10 avril 1987. L’affaire suivit son cours. Le 26 mai 1987, le juge d’instruction prononça une ordonnance de soit-communiqué. Le 1er juillet, le procureur de la République de Créteil déposa son réquisitoire définitif de transmission des pièces au parquet général de la cour d’appel, que le magistrat instructeur prescrivit le 8. B. La procédure de jugement Le 26 août 1987, la chambre d’accusation décida la mise en accusation de la requérante pour "s’être, courant 1985, dans le Val-de-Marne, et depuis moins de dix ans, rendue complice de l’homicide volontaire avec préméditation commis le 6 juillet 1985 par Gérard Moysan sur la personne de Bernard Merdy, en ayant par dons, promesses, menaces, abus d’autorité ou de pouvoir, provoqué à cette action ou donné des instructions pour la commettre". Le 9 septembre 1987, le parquet de Créteil avertit le conseil de Mme Letellier que "l’affaire [était] susceptible de venir à l’audience, courant premier trimestre 1988". Par une lettre du 21 octobre 1987, l’avocat signala cependant qu’il se trouverait empêché du 1er février au 15 mars 1988, en raison de sa participation à un autre procès devant les assises de la Vienne. Le 23 mars 1988, le procureur de la République avisa le conseil de l’accusée que l’affaire se jugerait les 9 et 10 mai 1988. A cette dernière date, la cour d’assises du Val-de-Marne condamna Mme Letellier à trois ans d’emprisonnement pour complicité d’assassinat. Elle infligea à M. Moysan quinze années de réclusion criminelle pour assassinat et acquitta M. Bredon. La requérante ne se pourvut pas en cassation ; elle recouvra la liberté le 17 mai 1988, la détention provisoire étant imputée de plein droit sur la peine (article 24 du code pénal). II. LA LÉGISLATION PERTINENTE Les dispositions du code de procédure pénale relatives à la détention provisoire et applicables à l’époque des faits de la cause sont les suivantes : Article 144 "En matière correctionnelle, si la peine encourue est égale ou supérieure soit à un an d’emprisonnement en cas de délit flagrant, soit à deux ans d’emprisonnement dans les autres cas et si les obligations du contrôle judiciaire sont insuffisantes au regard des fonctions définies à l’article 137, la détention provisoire peut être ordonnée ou maintenue : 1o Lorsque la détention provisoire de l’inculpé est l’unique moyen de conserver les preuves ou les indices matériels ou d’empêcher soit une pression sur les témoins ou les victimes, soit une concertation frauduleuse entre inculpés et complices ; 2o Lorsque cette détention est nécessaire pour préserver l’ordre public du trouble causé par l’infraction ou pour protéger l’inculpé, pour mettre fin à l’infraction ou prévenir son renouvellement ou pour garantir le maintien de l’inculpé à la disposition de la justice. (...)." (Une loi du 6 juillet 1989 a rendu l’article 144 expressément applicable en matière criminelle.) Article 145 "En matière correctionnelle, le placement en détention provisoire est prescrit par une ordonnance qui peut être rendue en tout état de l’information et doit être spécialement motivée d’après les éléments de l’espèce par référence aux dispositions de l’article 144 ; cette ordonnance est notifiée verbalement à l’inculpé qui en reçoit copie intégrale contre émargement au dossier de la procédure. En matière criminelle, il est prescrit par mandat, sans ordonnance préalable. (...) Le juge d’instruction statue en audience de cabinet, après un débat contradictoire au cours duquel il entend les réquisitions du ministère public, puis les observations de l’inculpé et, le cas échéant, celles de son conseil. (...)." Article 148 "En toute matière, la mise en liberté peut être demandée à tout moment au juge d’instruction par l’inculpé ou son conseil, sous les obligations prévues à l’article précédent [à savoir : l’engagement de l’intéressé "de se représenter à tous les actes de la procédure aussitôt qu’il en sera requis et de tenir informé le magistrat instructeur de tous ses déplacements"]. Le juge d’instruction communique immédiatement le dossier au procureur de la République aux fins de réquisitions. Il avise en même temps, par tout moyen, la partie civile qui peut présenter des observations. (...) Le juge d’instruction doit statuer, par ordonnance spécialement motivée dans les conditions prévues à l’article 145-1, au plus tard dans les cinq jours de la communication au procureur de la République. (...) La mise en liberté, lorsqu’elle est accordée, peut être assortie de mesures de contrôle judiciaire. (...)." Article 194 "(...) Celle-ci [la chambre d’accusation] doit, en matière de détention provisoire, se prononcer dans les plus brefs délais et au plus tard dans les trente jours [quinze depuis le 1er octobre 1988] de l’appel prévu par l’article 186, faute de quoi l’inculpé est mis d’office en liberté, sauf si des vérifications concernant sa demande ont été ordonnées ou si des circonstances imprévisibles et insurmontables mettent obstacle au jugement de l’affaire dans le délai prévu au présent article." Article 567-2 "La chambre criminelle saisie d’un pourvoi contre un arrêt de la chambre d’accusation rendu en matière de détention provisoire doit statuer dans les trois mois qui suivent la réception du dossier à la Cour de cassation, faute de quoi l’inculpé est mis d’office en liberté. Le demandeur en cassation ou son avocat doit, à peine de déchéance, déposer son mémoire exposant les moyens de cassation dans le délai d’un mois à compter de la réception du dossier, sauf décision du président de la chambre criminelle prorogeant, à titre exceptionnel, le délai pour une durée de huit jours. Après l’expiration de ce délai, aucun moyen nouveau ne peut être soulevé par lui et il ne peut plus être déposé de mémoire. (...)." PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION Dans sa requête du 21 août 1986 à la Commission (no 12369/86), Mme Letellier se plaignait que sa détention provisoire eût duré au-delà du "délai raisonnable" prévu à l’article 5 § 3 (art. 5-3) de la Convention. Elle alléguait de surcroît que les diverses juridictions successivement saisies de sa demande de mise en liberté du 24 janvier 1986 n’avaient pas statué "à bref délai" comme le prescrivait l’article 5 § 4 (art. 5-4). La Commission a retenu la requête le 13 mars 1989. Dans son rapport du 15 mars 1990 (article 31) (art. 31), elle conclut à la violation des paragraphes 3 (art. 5-3) (unanimité) et 4 (art. 5-4) (dix-sept voix contre une) de l’article 5. Le texte intégral de son avis et de l’opinion concordante dont il s’accompagne figure en annexe au présent arrêt. CONCLUSIONS PRESENTEES A LA COUR PAR LE GOUVERNEMENT À l’audience, le Gouvernement a confirmé les conclusions de son mémoire. Il y invitait la Cour à "bien vouloir juger qu’il n’y a pas eu, en l’espèce, violation de l’article 5 §§ 3 et 4 (art. 5-3, art. 5-4) de la Convention".
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I. LES CIRCONSTANCES DE L'ESPÈCE Citoyen marocain né le 28 septembre 1963 à Casablanca, M. Abderrahman Moustaquim habite actuellement à Liège. Il arriva en Belgique en juillet 1965 au plus tard, avec sa mère, pour y rejoindre son père qui avait émigré quelque temps auparavant et exploitait une boucherie. Jusqu'à son expulsion en juin 1984, il résida dans ce pays, muni d'un permis d'établissement. Trois de ses sept frères et soeurs y naquirent. L'un de ses frères aînés avait déjà la nationalité belge au moment des faits litigieux. A. Les mesures de garde et les poursuites pénales La procédure devant les juridictions de la jeunesse a) Le tribunal de la jeunesse de Liège Pendant la minorité pénale du requérant, qui s'acheva le 28 septembre 1981, le tribunal de la jeunesse de Liège eut à connaître de 147 faits reprochés à celui-ci, dont 82 vols qualifiés, 39 tentatives de vol qualifié et 5 vols avec violence. Il adopta diverses mesures de garde, de préservation ou d'éducation. Il décida ainsi à dix reprises, entre janvier 1980 et mai 1981, l'incarcération de M. Moustaquim à la prison de Lantin, pour des périodes n'excédant pas quinze jours (article 53 de la loi du 8 avril 1965 relative à la protection de la jeunesse - paragraphe 27 ci-dessous). Le 15 mai 1981, le juge d'instruction de Liège plaça le requérant sous mandat d'arrêt. b) La chambre de la jeunesse de la cour d'appel de Liège Ayant à examiner à son tour les 147 faits mentionnés plus haut, la chambre de la jeunesse de la cour d'appel de Liège rendit le 30 juin 1981 un arrêt de dessaisissement. Elle releva notamment que "le mineur délinquait déjà avant d'avoir atteint ses 14 ans ; qu'à ce titre, il relevait déjà de la juridiction et que durant la présente instance, il n'a[vait] pas cessé de commettre des infractions". Elle renvoya donc l'affaire au ministère public aux fins de poursuites devant la juridiction compétente (article 38 de la loi précitée du 8 avril 1965 - paragraphe 27 ci-dessous). La procédure devant les juridictions ordinaires a) Le tribunal correctionnel de Liège Inculpé de 26 faits qui avaient eu lieu entre le 10 février 1980 et le mois de janvier 1981, M. Moustaquim comparut devant le tribunal correctionnel de Liège le 2 décembre 1981. Le dossier à charge du prévenu et de ses six complices comprenait un rapport de synthèse établi le 14 juillet 1980 par la gendarmerie de Liège. Ce document notait que les intéressés "viv[ai]ent marginalement, ne rentrant qu'exceptionnellement à leur domicile ou dans le home où ils [étaient] placés" ; il indiquait au sujet du requérant : "Sujet marocain, frère aîné du précité. Est considéré comme étant l'un des meneurs de la bande. Est actuellement plongé dans la grosse criminalité. Il est prêt à tout et ses 'stages' à la prison de Lantin ne lui sont aucunement bénéfiques. Dès qu'il est sorti, il recommence ses vols. Menant une vie oisive, dormant le jour, sortant la nuit pour commettre ses méfaits, il s'associe avec des 'gars sûrs'. Les vols qu'il commet sont à certains moments calculés et, par conséquent, importants. A d'autres occasions, les vols sont odieux voire même crapuleux. L'intéressé est prêt à tout et son escalade dans la délinquance ne fait qu'empirer. Il est un réel danger pour la société." Toujours le 2 décembre 1981, le tribunal correctionnel reconnut M. Moustaquim coupable de 20 des 26 faits en cause et le condamna à vingt mois d'emprisonnement, avec un sursis probatoire de cinq ans pour la moitié de la peine. Il le relaxa pour le surplus. b) La cour d'appel de Liège Le ministère public ayant interjeté appel, la cour de Liège statua le 9 novembre 1982. Réformant le jugement de première instance, elle déclara le requérant coupable de 22 des 26 faits incriminés. Elle lui infligea des peines d'emprisonnement de deux ans (pour 4 vols qualifiés, 12 tentatives de vol qualifié, 1 vol simple et 1 recel), un mois (pour une destruction de voiture), deux fois huit jours (pour deux inculpations de coups volontaires) et quinze jours (pour une inculpation de menaces). Elle l'acquitta de quatre préventions (attentat à la pudeur avec violences sur une mineure de plus de seize ans ; association de malfaiteurs ; tentative de vol qualifié ; destruction de clôture rurale). Ne lui accordant aucun sursis, elle ordonna son arrestation immédiate. Les détentions subies par le requérant Auparavant, M. Moustaquim avait été incarcéré à dix reprises entre janvier 1980 et mai 1981 pour des périodes n'excédant pas quinze jours (paragraphe 10 ci-dessus). Le 15 mai 1981, le juge d'instruction de Liège l'avait placé sous mandat d'arrêt jusqu'à, semble-t-il, sa comparution devant la chambre de la jeunesse de la cour d'appel de Liège, le 30 juin 1981 (paragraphes 11-12 ci-dessus). L'intéressé avait aussi subi une brève détention préventive avant son procès du 2 décembre 1981 devant le tribunal correctionnel de Liège (paragraphes 13-14 ci-dessus). Il purgea une partie - dix-huit mois sur vingt-six - des peines d'emprisonnement prononcées contre lui par la cour d'appel de Liège le 9 novembre 1982 (paragraphe 15 ci-dessus) ; il recouvra la liberté en avril 1984. Entre janvier et août 1983, il avait bénéficié de trois congés pénitentiaires de trois jours chacun. B. La procédure d'expulsion L'avis de la Commission consultative des étrangers Saisie par le ministère de la Justice le 9 septembre 1983, la Commission consultative des étrangers rendit son avis le 24 novembre 1983. Concluant que l'expulsion se justifierait légalement mais l'estimant "inopportune", elle énonçait les motifs suivants : "Les très nombreux délits commis par l'intéressé, et réprimés par la Cour d'appel de Liège le 9/11/1982, constituent, pour la plupart, des atteintes graves à l'ordre public, justifiant la mesure envisagée. Il s'agit en effet notamment de 26 vols qualifiés en plus de vols simples, de recels, de destruction, de coups et de menaces. Les peines prononcées furent: 2 ans d'emprisonnement + 1 mois + 8 jours + 8 jours + 15 jours. La Commission ne retient pas, au nombre des faits constitutifs d'atteinte à l'ordre public, l'attentat à la pudeur avec violences et menaces dont il est question dans l'exposé des faits établi par le ministère public (Note P. 2 - Dossier - pièce 27). Le conseil de l'intéressé a déclaré à la Commission que son client avait été acquitté de ce chef. La Commission constate que, dans la même pièce 27 transmise par le ministère public à l'Office des étrangers, la rubrique 'Nature de la prévention' ne reprend pas le délit d'attentat à la pudeur alors que tous les autres délits dont il est question dans l'exposé des faits y sont énumérés. Le dossier ne permet pas de savoir si l'erreur s'est glissée dans l'exposé des faits ou dans la rubrique 'Nature de la prévention'. Pendant sa minorité pénale, il a été placé à plusieurs reprises dans des homes. Les faits réprimés par l'arrêt précité ont fait l'objet d'un dessaisissement du Tribunal de la Jeunesse. La Commission estime toutefois que la mesure envisagée serait inopportune pour les motifs suivants : Jeune âge de l'intéressé (qui est né le 28/9/1963), tant à l'époque des faits qu'actuellement encore. Il est arrivé en Belgique à l'âge de 1 an, en juillet 1965. Toute sa famille vit en Belgique (père, mère, 7 autres enfants dont 4 sont nés ici). L'intéressé apprend un métier - (apprenti boucher) - et pourrait être aidé par son père qui est boucher. Celui-ci serait propriétaire de la boucherie qu'il exploite. L'intéressé a déjà bénéficié de deux congés pénitentiaires au moins, qui se seraient déroulés sans incident et dont l'octroi révèle une certaine confiance dans son comportement." L'arrêté d'expulsion Un arrêté royal du 28 février 1984, notifié à M. Moustaquim le 14 mars et destiné à entrer en vigueur au moment de sa libération, lui enjoignit "de quitter le territoire du Royaume, avec interdiction d'y rentrer pendant dix ans, (...) sauf autorisation spéciale du Ministre de la Justice". Il se fondait sur les raisons ci-après : "(...) Considérant que [l'intéressé] a commis une série de 26 faits de vols qualifiés, tentatives de vols qualifiés, vol simple, recel, destruction de véhicule, coups volontaires et menaces, faits établis pour lesquels le 9 novembre 1982 il a d'ailleurs été condamné par la Cour d'appel de Liège à des peines devenues définitives de deux ans d'emprisonnement, 1 mois d'emprisonnement, 8 jours d'emprisonnement et 100 frs, 8 jours d'emprisonnement et 100 frs et 15 jours d'emprisonnement et 100 frs ; Considérant qu'il ne s'agit en fait là que d'une partie des 147 faits commis par l'intéressé pendant sa minorité pénale et dont a été saisi le tribunal de la jeunesse (entre autres 5 vols avec violences, 82 vols qualifiés, 39 tentatives de vols qualifiés) sans compter les 15 faits de vols de bijoux, d'armes et de numéraire commis après les faits qui ont donné lieu à la condamnation ci-dessus ; Vu l'avis de la Commission consultative des étrangers qui estime que l'expulsion est légalement justifiée mais néanmoins inopportune ; Considérant que la Commission malgré cet avis reconnaît que les très nombreux délits commis par l'intéressé constituent pour la plupart des atteintes graves à l'ordre public justifiant l'expulsion ; Considérant que l'intéressé a commis une série importante de méfaits et qu'il est considéré par la gendarmerie locale comme étant l'un des meneurs d'une dangereuse bande de jeunes dévoyés et qu'il constitue un réel danger pour la société ; Considérant que par son comportement personnel l'intéressé a, dès lors, gravement porté atteinte à l'ordre public ; Considérant que la sauvegarde de l'ordre public doit prévaloir sur les considérations d'ordre social ou familial, développées par la Commission ; (...)" Le requérant devait s'exécuter dans les trente jours de sa sortie de l'établissement pénitentiaire où il se trouvait détenu. Le 17 février 1984, le père de M. Moustaquim avait écrit à la Reine pour qu'elle intervînt en faveur de son fils. Le 22 mars 1984, l'Office des étrangers l'informa du rejet de sa demande ainsi que de la signature de l'arrêté. Les recours au Conseil d'État Agissant en qualité de représentant du requérant, son père introduisit devant le Conseil d'État, le 29 avril 1984, deux recours sollicitant, respectivement, un sursis à exécution de l'arrêté d'expulsion et l'annulation de ce dernier. La haute juridiction écarta le premier le 22 juin 1984. M. Moustaquim quitta la Belgique quelques jours plus tard. Le 16 octobre 1985, le Conseil d'État rejeta la requête en annulation par les motifs suivants : "(...) Considérant que l'arrêté attaqué se fonde essentiellement sur 147 faits qui sont reconnus par A. Moustaquim, et dont 26 lui ont valu de lourdes condamnations et ont été considérés par la Commission consultative des étrangers comme constituant, pour la plupart, des atteintes graves à l'ordre public justifiant légalement l'expulsion ; Considérant que les 15 faits contestés apparaissent, selon les termes mêmes de la décision attaquée ('sans compter 15 faits') comme un motif surabondant par rapport aux faits non contestés qui ont été retenus pour justifier la mesure d'expulsion ; Considérant qu'il ne résulte pas de l'acquittement dont A. Moustaquim a bénéficié du chef de la prévention d'association de malfaiteurs, que les renseignements fournis par la gendarmerie locale et dont la décision attaquée fait état, seraient controuvés au point de n'avoir pu servir partiellement de base à l'appréciation selon laquelle A. Moustaquim constituerait un réel danger pour la société ; que le moyen n'est pas fondé ; Considérant que, dans un dernier mémoire par ailleurs tardif, A. Moustaquim soulève encore cinq moyens ; (...) que le troisième moyen nouveau tiré 'de la violation des articles 3 et 8 (art. 3, art. 8) de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme, en ce que l'acte querellé constituerait à la fois un traitement inhumain ou dégradant et une atteinte intolérable à la vie privée et familiale', n'est pas fondé ; qu'en effet, d'une part, une mesure d'expulsion ordonnée en vertu de la loi ne saurait être assimilée ni à une peine, ni à un traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 3 (art. 3) de la Convention ; que, d'autre part, le respect de la vie privée et familiale garanti par l'article 8 (art. 8) de ladite convention ne fait pas obstacle à ce que soit prise une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sûreté publique ; que, de même, n'est pas fondé le quatrième moyen nouveau tiré de la violation de l'article 14 (art. 14) de ladite convention, aucun indice ne permettant de faire croire que le requérant a fait l'objet, en raison de sa nationalité, d'une discrimination proscrite par cet article (art. 14); (...)" C. La situation depuis l'expulsion Le séjour hors de Belgique Après son départ de Belgique à la fin de juin 1984, M. Moustaquim ne se rendit pas au Maroc, mais en Espagne où des amis de ses parents l'hébergèrent. Engagé à quitter ce pays, il s'installa à Stockholm où il demeura pratiquement sans interruption jusqu'au 20 janvier 1990. Il y vécut - tantôt en règle, tantôt clandestinement - d'expédients et de travaux "au noir" dans des restaurants grecs et italiens ; il trouvait un gîte chez ses employeurs et quelques amis de rencontre. Lorsqu'il parvenait à amasser un pécule suffisant, il gagnait un pays non scandinave pour s'y procurer un visa touristique suédois de trois mois. Il tenta aussi d'obtenir un permis de séjour de longue durée ; le 10 mars 1989, l'ambassade suédoise à Athènes l'autorisa à résider en Suède jusqu'au 27 août de la même année, titre qui fut renouvelé pour six mois. Par un acte notarié du 24 avril 1985, M. Moustaquim chargea son avocat d'effectuer "une déclaration d'option de patrie" en vertu, notamment, de l'article 13 § 4 du nouveau code de la nationalité belge (paragraphe 29 ci-dessous). L'officier de l'état civil de Liège estima la déclaration irrecevable dans cette ville car le requérant n'y avait plus son domicile depuis son expulsion. Saisie d'une demande semblable, l'ambassade de Belgique en Suède répondit qu'elle ne pouvait prendre en compte une résidence irrégulière. Les avocats du requérant sollicitèrent en référé la suspension de l'exécution de l'arrêté d'expulsion ; ils invoquaient une aggravation de la situation de M. Moustaquim, chez qui un psychiatre de Stockholm avait diagnostiqué, le 24 septembre 1987, une dépression provoquée par la rupture des liens familiaux. Par une ordonnance du 21 mars 1988, le juge des référés de Liège refusa d'adopter la mesure provisoire en question. Le 1er avril 1988, un des conseils de l'intéressé pria le ministre de la Justice de "rapporter ou suspendre l'arrêté d'expulsion", mais sa lettre demeura sans réponse. Le retour en Belgique Un arrêté royal du 14 décembre 1989 suspendit temporairement l'arrêté d'expulsion : "(...) Considérant que l'intéressé est [venu] en Belgique à l'âge de deux ans ; Considérant que toute sa famille est régulièrement établie en Belgique ; Considérant qu'il y a lieu de donner une chance de réinsertion à l'intéressé ; Sur la proposition de Notre Ministre de la Justice, Nous avons arrêté et arrêtons : Article 1er - L'arrêté royal d'expulsion pris le 28 février 1984 en application de la loi du 15 décembre 1980 sur l'accès au territoire, le séjour, l'établissement et l'éloignement des étrangers, à charge de Moustaquim Abderrahman, né à Casablanca le 28 septembre 1963, est suspendu durant une période d'épreuve de 2 ans au cours de laquelle l'intéressé est autorisé à séjourner dans le Royaume. Article 2 - Le maintien de la suspension et de l'autorisation de séjour prévues à l'article 1er est subordonné au respect des deux conditions suivantes dans le chef de l'intéressé : - disposer personnellement de moyens d'existence suffisants, - ne pas porter atteinte à l'ordre public ou à la sécurité nationale. Article 3 - A défaut d'une décision contraire, l'arrêté royal d'expulsion du 28 février 1984 sera abrogé de plein droit à l'expiration de la période d'épreuve de 2 ans prévue à l'article 1er. (...)" L'Office des étrangers avisa le conseil du requérant le 29 décembre, en précisant que les dispositions nécessaires avaient été prises pour que son client ne fût pas inquiété lors de son arrivée à l'aéroport de Bruxelles, dans l'attente de l'accomplissement des formalités administratives. Le 29 janvier 1990, il lui transmit un sauf-conduit autorisant M. Moustaquim à pénétrer sur le territoire belge et à y rester trente jours. Rentré dès le 20 janvier, le requérant se présenta le 6 février à l'administration communale de Liège et obtint sa domiciliation dans cette ville, chez ses parents. Le 13 avril, il reçut un titre de séjour - à savoir un certificat d'inscription au registre des étrangers - valable un an et renouvelable. Il travaille désormais dans la boucherie paternelle et s'est inscrit à l'école de formation permanente des classes moyennes. II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS A. La loi du 8 avril 1965 sur la protection de la jeunesse La loi du 8 avril 1965 sur la protection de la jeunesse remplace celle du 15 mai 1912 ; elle a pour objectif de préserver la santé, la moralité ou l'éducation des jeunes de moins de dix-huit ans ("mineurs"). En principe, les "faits infractionnels" commis par eux ne peuvent plus donner lieu qu'à des mesures de garde, de préservation ou d'éducation et non à des sanctions pénales. La loi de 1965 contient des dispositions relatives à la "protection sociale" et d'autres qui ont trait à la "protection judiciaire". La protection judiciaire de la jeunesse incombe à des juridictions spécialisées : le tribunal de la jeunesse, qui est une section du tribunal de première instance et comprend une ou plusieurs chambres à juge unique, et les chambres de la jeunesse de la cour d'appel, elles aussi composées d'un seul membre. L'article 36 de la loi de 1965 détermine les cas dans lesquels les juridictions de la jeunesse peuvent adopter, à l'endroit des mineurs, les diverses mesures énumérées par la loi. Elles peuvent agir sur les réquisitions du ministère public dans plusieurs hypothèses, dont celle de "mineurs (...) poursuivis du chef d'un fait qualifié infraction". Lesdites juridictions peuvent aussi intervenir sur la plainte de "personnes investies de la puissance paternelle ou assumant la garde (...) d'un mineur (...) qui, par son inconduite ou son indiscipline, donne de graves sujets de mécontentement". Les mesures qu'il leur appartient d'ordonner se trouvent, pour l'essentiel, énumérées à l'article 37 : a) réprimande (article 37, 1o) ; b) soumission du mineur à la surveillance du comité de protection de la jeunesse ou d'un délégué à la protection de la jeunesse (article 37, 2o) ; c) maintien du mineur dans son milieu sous certaines conditions, par exemple l'obligation de fréquenter un établissement scolaire, d'accomplir une prestation éducative ou philanthropique ou de se soumettre aux directives d'un centre d'orientation éducative ou d'hygiène mentale (article 37, 2o) ; d) placement du mineur, sous la surveillance du comité de protection de la jeunesse ou d'un délégué à la protection de la jeunesse, chez toute personne digne de confiance ou dans tout établissement approprié (article 37, 3o) ; e) placement du mineur dans un établissement d'observation et d'éducation surveillée de l'État (article 37, 4o). Si les juridictions de la jeunesse sont saisies à raison d'un "fait qualifié infraction", imputé à un mineur de plus de seize ans, elles peuvent, si elles estiment "inadéquates" les mesures prévues à l'article 37, se dessaisir et renvoyer l'affaire au ministère public aux fins de poursuites devant la juridiction compétente (article 38 de la loi de 1965). Le dessaisissement est considéré comme une mesure exceptionnelle, à n'appliquer qu'en dernière extrémité. Le législateur l'a prévu pour faire face aux mineurs délinquants précoces ou pervers. En 1987, les juridictions belges de la jeunesse ont prononcé 13 904 décisions ; dans 87 cas, elles ont résolu de se dessaisir au profit de tribunaux correctionnels. Selon l'article 53 de la loi de 1965, un mineur peut, "s'il est matériellement impossible de trouver une personne ou une institution en mesure de le recueillir sur-le-champ", "être gardé provisoirement dans une maison d'arrêt pour un terme qui ne peut dépasser quinze jours". B. La loi du 15 décembre 1980 sur l'accès au territoire le séjour, l'établissement et l'éloignement des étrangers La loi du 15 décembre 1980 sur l'accès au territoire, le séjour, l'établissement et l'éloignement des étrangers régit le statut administratif de ceux-ci. Même s'ils possèdent un permis d'établissement, elle autorise leur expulsion lorsqu'ils ont "gravement porté atteinte à l'ordre public ou à la sécurité nationale" (article 20, deuxième alinéa). Avant une telle expulsion, le ministre de la Justice doit recueillir l'avis de la Commission consultative des étrangers, qui se compose d'un magistrat, d'un avocat et d'un membre d'une association de défense des étrangers. Signé par le Roi, l'arrêté d'expulsion peut donner lieu à un recours en annulation devant le Conseil d'État (article 69). Celui-ci peut, à la demande de l'intéressé, accorder un sursis à exécution jusqu'à l'issue dudit recours (article 70, premier alinéa). Il s'assure que la mesure litigieuse se fonde sur le seul comportement personnel de l'étranger, la simple existence d'une condamnation pénale n'entraînant pas automatiquement l'expulsion. C. Le nouveau code de la nationalité belge Entré en vigueur le 1er janvier 1985 - donc après les faits de la cause -, le nouveau code de la nationalité belge figure dans une loi du 12 juillet 1984. Son article 13 § 4 permet d'acquérir la qualité de Belge à "l'enfant qui, pendant au moins un an avant l'âge de six ans, a eu sa résidence principale en Belgique avec une personne à l'autorité de laquelle il était légalement soumis". Ledit code remplace notamment une loi du 25 mars 1894 qui exigeait, même pour l'étranger né en Belgique, un acte législatif de naturalisation. PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION Dans sa requête du 13 mai 1986 à la Commission (no 12313/86), M. Moustaquim alléguait que son expulsion de Belgique enfreignait plusieurs dispositions de la Convention : l'article 8 (art. 8), pour atteinte au respect de sa vie familiale et privée ; l'article 14 combiné avec l'article 8 (art. 14+8), pour discrimination fondée sur la nationalité ; l'article 3 (art. 3), pour traitement inhumain et dégradant ; l'article 6 (art. 6), car le Conseil d'État ne constituait pas en l'occurrence un tribunal impartial ; l'article 7 (art. 7), car il s'agissait d'une sanction infligée pour des faits qui ne s'analysaient pas tous en infractions pénales au moment où ils avaient eu lieu. Le 10 avril 1989, la Commission a retenu la requête quant aux conséquences de la mesure d'expulsion, mais a écarté le grief tiré de l'article 6 (art. 6), inapplicable en l'espèce d'après elle. Dans son rapport du 12 octobre 1989 (article 31) (art. 31), elle conclut à la violation de l'article 8 (art. 8) (dix voix contre trois), mais non des articles 14 - combiné avec l'article 8 (art. 14+8) -, 3 et 7 (art. 3, art. 7) (unanimité). Le texte intégral de son avis et des deux opinions dissidentes dont il s'accompagne figure en annexe au présent arrêt. CONCLUSIONS PRESENTEES A LA COUR Dans son mémoire, le requérant a prié la Cour "de déclarer que dans l'espèce (...) l'État belge a porté atteinte aux droits du requérant, garantis par l'article 8 (art. 8) de la Convention, tant pris isolément que combiné avec l'article 14 (art. 14+8) (...) [et] de réserver la demande de satisfaction équitable sur pied de l'article 50 (art. 50)". A l'audience, le conseil du Gouvernement a conclu que "la requête doit être déclarée non fondée".
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Le requérant est le rédacteur en chef de la revue politique satirique "MHUX fl-Interesstal-Poplu" (PAS dans l’intérêt du peuple). Le 3 janvier 1986 y parut un article intitulé "Mix-Xena tax-Xandir" (Paysage audiovisuel). Il commentait une séance de la Chambre maltaise des Représentants, retransmise en direct à la télévision, et renfermait les passages suivants: "FAITES ENTRER LE CLOWN D’aucuns ont été choqués de ce que j’écrivais récemment, à savoir que, pendant les débats sur le budget, je suis devenu fou furieux et ai commencé à lancer des tomates sur mon téléviseur. Or cela se passait avant que certains députés eussent pris la parole. Je laisserai vos petites têtes fertiles imaginer ce que j’ai fait quand deux d’entre eux en particulier se sont exprimés. LE CLOWN DU PARLEMENT J’ignore si j’enfreindrai les lois sur la sédition en qualifiant un ministre de clown, mais je ne peux m’empêcher de donner mon opinion sur le comportement de Debono Grech au Parlement. Debono Grech essayait délibérément, semble-t-il, de nous faire rire. Dans ce cas, il ridiculise ce que l’on tient pour la plus haute institution du pays. Voyons à quoi jouait Debono Grech. Sa première phrase était censée soulever quelque hilarité: il affirmait que Lawrence Gatt, député nationaliste, avait désespérément besoin d’une paire de lunettes. Plaisanterie assez plate. Il s’est mis ensuite à invectiver Bonello Dupuis [député nationaliste] et à le décrire comme un homme dépourvu de principes. Puis il a essayé derechef de nous faire rire en évoquant l’abattage des porcs. Bref, il a essayé une fois, deux fois et même trois de faire le clown. Certaines de ses plaisanteries étaient plutôt vulgaires. J’étais très en colère de voir le représentant du peuple - donc de votre serviteur - chargé des questions agricoles utiliser ce débat plein de gravité et d’importance pour faire le clown. Eh bien, ai-je pensé, si Debono Grech a le droit de parler à sa guise à la télévision, chez moi, il m’appartient à moi aussi de m’exprimer franchement. Et j’ai commencé à le huer de toutes mes forces et si j’avais eu assez de tomates, je les aurais utilisées à d’autres fins. Vous vous demandez peut-être comment j’ai réagi quand ‘il-Profs’ Bartolo de Cospicua a pris le micro. D’abord, cet homme ignore toujours que Mintoff a démissionné et il continue aujourd’hui encore à lui faire écho. Ensuite, si vous analysez le discours de Bartolo vous n’y trouverez rien qui vaille. Au moins dans celui de Debono Grech pouvez-vous découvrir quelque élément digne d’intérêt, mais absolument rien dans celui de Bartolo. Alors, je vais vous dire ce que j’ai fait lorsque ce professeur s’est levé pour parler. J’ai poussé de tels cris que les voisins ont cru à une crise d’épilepsie. Pour couronner le tout, Mme Grech, cette vieille fouine, est entrée chez moi sans crier gare et sans permission; elle m’a trouvé par terre, en pleine extase de hurlements. Elle m’a cru devenu fou. Vraiment, la scène devant le téléviseur avait de quoi effrayer. Bartolo gesticulait en débitant des absurdités dans le téléviseur Magruvision pendant que je gisais sur le sol, les quatre fers en l’air, en gesticulant comme un fou. Tout cela en vue d’avoir assez de matière pour ‘MHUX’. Afin de persuader Mme Grech que je n’étais pas réellement malade, j’ai dû la laisser me prendre le pouls ainsi que la température et examiner ma langue." Le 13 janvier 1986, MM. Debono Grech et Bartolo, deux des députés mentionnés, signalèrent l’article à la Chambre des Représentants en le qualifiant d’atteinte aux privilèges parlementaires. Le 10 février, avant toute audition du requérant, le président de la Chambre annonça qu’après avoir étudié la question il constatait de prime abord pareille infraction. La Chambre vota le jour même, sur proposition de M. Debono Grech, une résolution où elle déclarait estimer l’écrit litigieux "attentatoire à ses privilèges" au regard de l’article 11 par. 1 k) de l’ordonnance sur les privilèges et pouvoirs de la Chambre des Représentants (chapitre 179 du recueil révisé des lois de Malte, paragraphe 20 ci-dessous, "l’ordonnance"). Le 4 mars 1986, elle débattit d’une motion de M. Joseph Cassar, appuyée par M. Debono Grech et tendant à citer M. Demicoli, en vertu de l’article 13 par. 2 de l’ordonnance, à comparaître devant elle pour répondre d’une accusation de diffamation relevant de l’article 11 par. 1 k). La motion se lisait ainsi: "Attendu que la Chambre a décidé, par résolution votée à la séance du 10 février 1986, que l’article intitulé ‘Mix-Xena tax-Xandir’, paru en page 4 du ‘MHUX fl-Interesstal-Poplu’ du 3 janvier 1986, doit être réputé porter atteinte aux privilèges selon l’article 11 par. 1 k) de l’ordonnance sur les privilèges et pouvoirs des membres de la Chambre; La Chambre ordonne à Carmel Demicoli, demeurant appartement 1, Ferrini Court, University Street, Msida, en sa qualité de rédacteur en chef de la revue ‘MHUX fl-Interesstal-Poplu’, de comparaître devant elle à sa séance du 17 mars 1986 à 18 h 30 pour y indiquer pourquoi il ne devrait pas être reconnu coupable d’atteinte aux privilèges selon l’article 11 par. 1 k) de l’ordonnance sur les privilèges et pouvoirs des membres de la Chambre; Elle ordonne aussi la comparution de tout témoin que son greffier sera invité à convoquer." M. Fenech Adami, alors chef de l’opposition, attira l’attention sur le libellé de la résolution du 10 février 1986, irrégulier d’après lui faute de préciser que l’on avait constaté seulement de prime abord une atteinte aux privilèges. M. Cassar, quant à lui, soutint que la motion ne proclamait pas la culpabilité du requérant: "Nous ne le déclarons pas coupable. Nous disons simplement: venez ici le 17 mars nous indiquer pourquoi vous ne l’êtes pas. Et si vous réussissez à nous en convaincre, nous dirons que vous ne l’êtes pas; sinon, nous dirons que vous l’êtes." La motion de M. Cassar fut adoptée à l’issue du débat. Le 13 mars 1986, M. Demicoli contesta devant le tribunal civil de Malte, siégeant en matière constitutionnelle, les poursuites engagées contre lui par la Chambre des Représentants: il fit valoir que, de caractère pénal, elles violaient son droit, garanti par l’article 40 de la Constitution (paragraphe 22 ci-dessous), à un procès équitable devant un tribunal indépendant et impartial. Les 17, 18 et 19 mars 1986, il comparut avec son avocat devant la Chambre des Représentants avant que le tribunal eût statué. Soulevant un point d’ordre, un membre de la Chambre plaida que celle-ci devait suspendre la procédure jusqu’au jugement du tribunal sur le plan constitutionnel, mais le président en décida autrement. Le requérant s’entendit alors demander: "Le rédacteur en chef s’estime-t-il coupable ou non ? Monsieur Demicoli, vous estimez-vous coupable ?" Comme il refusa de répondre, il fut menacé d’autres poursuites, pour outrage (contempt) à la Chambre. Un député, M. Joseph Brincat, en appela lui aussi au règlement: selon lui, les poursuites pour atteinte aux privilèges devant être considérées comme pénales - thèse admise par le président -, il fallait appliquer la règle de procédure pénale d’après laquelle qui ne dit mot doit être présumé avoir répondu "non coupable". M. Cassar exposa les éléments à la charge du requérant; il lut l’article litigieux et conclut que celui-ci insultait MM. Debono Grech et Bartolo quant à leur comportement à la Chambre. Le président invita ces derniers à s’exprimer; tous deux affirmèrent se sentir ridiculisés dans leur qualité de membres de la Chambre ainsi que dans leur vie privée. M. Debono Grech ajouta ultérieurement: "Monsieur le Président, c’est la dernière fois que je viens ici ou que je vais en justice à propos de cette boue. Et s’ils m’attaquent personnellement, je ne chercherai pas réparation ici et ne saisirai pas les tribunaux. D’accord ? Et si cela cause des ennuis à ma famille, si vous [désignant l’avocat de la défense] le [le requérant] défendez, [‘je vous poursuivrai’ (traduction du Gouvernement)] [‘je me vengerai’ (traduction du requérant)]". Le 19 mars 1986, la Chambre vota une résolution ainsi libellée: "Après examen de l’affaire d’atteinte à ses privilèges issue de l’article publié à la page 4 du numéro 63 du 3 janvier 1986 de la revue ‘MHUX fl-Interesstal-Poplu’, La Chambre déclare le rédacteur en chef Carmel Demicoli coupable de pareille atteinte aux privilèges parlementaires." Elle renvoya la question de la sanction à une autre séance eu égard, selon le Gouvernement, à la procédure constitutionnelle en instance. Le 16 mai 1986, le tribunal civil donna gain de cause au requérant. Il commença par relever que les poursuites ne revêtaient pas un caractère pénal: "La Chambre des Représentants n’est pas une juridiction ordinaire, bien qu’en raison du système déjà mentionné de freins et contrepoids elle remplisse des fonctions quasijudiciaires, en sus de sa fonction principale de législateur. Et la loi qui régit les privilèges parlementaires et l’outrage au Parlement (chapitre 179) n’appartient pas au droit pénal du pays. Certes, comme le soutient le demandeur, les sanctions qu’elle prévoit ressemblent beaucoup à celles du code pénal, mais la décision de la Chambre n’est pas une condamnation pénale émanant d’un tribunal répressif; et si la déclaration de culpabilité pour outrage au Parlement et les conséquences qui en découlent prennent la même forme de sanctions pénales (avertissement, sanction pécuniaire, emprisonnement), il ne s’agit pourtant pas de condamnations pénales." Le jugement continuait cependant ainsi: "La Chambre peut engager des poursuites pour outrage du chef, notamment, ‘k) [de] la publication de tout écrit diffamatoire à l’égard du président ou de tout député, concernant ce qu’il a dit ou fait ès qualités au sein de la Chambre ou d’une de ses commissions (article 11 du chapitre 179)’. Pour que la Chambre ait compétence pour ouvrir une telle procédure, il doit y avoir un écrit diffamatoire (question mélangée de fait et de droit). La loi ne dit pas que cet élément doit être établi par la Chambre, mais qu’il doit exister objectivement; l’existence de l’écrit diffamatoire doit donc être constatée d’abord objectivement par le tribunal, après quoi une procédure pour outrage se déroule devant la Chambre." Le tribunal concluait que l’ordonnance en question n’autorisait pas cette dernière à définir d’office en quoi consiste un écrit diffamatoire; quand elle connaît d’une affaire d’outrage au Parlement, la Chambre doit se conformer aux principes élémentaires de la justice. Partant, il fallait replacer l’intéressé dans la situation antérieure à l’ouverture des poursuites contre lui pour atteinte aux privilèges parlementaires et ne pas en introduire de nouvelles sur la base des résolutions et motion en cause. Sur recours des deux parties, la Cour constitutionnelle désapprouva les conclusions du tribunal civil le 13 octobre 1986. Elle estima que la Constitution habilitait la Chambre à voter des lois fixant ses privilèges, pouvoirs et immunités, qu’en conséquence les pouvoirs conférés à celle-ci par le chapitre 179 des lois de Malte ne violaient pas le droit, garanti par l’article 40 de la Constitution, à un procès équitable devant un tribunal indépendant et que la juridiction inférieure n’avait donc pas compétence pour examiner l’affaire plus avant ni pour octroyer les redressements indiqués dans son jugement. Le 9 décembre 1986, la Chambre des Représentants convoqua M. Demicoli pour statuer sur la sanction à lui infliger. Interrogé sur le point de savoir s’il désirait parler, il déclara, par l’intermédiaire de son avocat, qu’il n’avait rien à dire au sujet de la peine mais qu’il se plierait à la décision de la Chambre. Il s’entendit condamner à une amende de 250 livres maltaises et à publier dans son journal la résolution du 19 mars 1986. MM. Debono Grech et Bartolo avaient participé à toute la procédure engagée contre lui, à ceci près que le second mourut avant la séance du 9 décembre 1986. Le requérant n’a pas encore payé son amende et aucune mesure n’a été prise jusqu’ici pour l’y contraindre. II. LÉGISLATION INTERNE PERTINENTE En matière de privilèges de la Chambre des Représentants s’appliquaient à l’époque les dispositions ci-après de l’ordonnance: Article 9 "Aux fins du code pénal (chapitre 12), le serment prêté ou la déclaration faite par un témoin ou un expert devant la Chambre des Représentants ou l’une de ses commissions est assimilé à un serment prêté ou une déclaration faite devant un tribunal en matière civile." Article 11 "1. La Chambre a le pouvoir de punir d’une admonestation, d’un emprisonnement de soixante jours au plus ou d’une amende de cinq cents livres au plus, ou des deux à la fois, toute personne, membre ou non de la Chambre, coupable de l’un des actes suivants: (...) k) la publication de tout écrit diffamatoire à l’égard du président ou de tout député, concernant ce qu’il a dit ou fait ès qualités au sein de la Chambre ou d’une de ses commissions; (...) Aux fins du présent article, ‘publication’ s’entend de tout acte par lequel un imprimé est ou peut être communiqué ou signalé à quelqu’un, ou par lequel sont diffusés des mots ou images (...) Une personne est réputée coupable des actes mentionnés [à l’alinéa] k) (...) du paragraphe 1 du présent article si la publication visée [audit alinéa] k) (...) consiste à publier par imprimé à Malte un texte diffamatoire, un compte rendu mensonger ou altéré ou une présentation déformée de faits, ou à distribuer à Malte pareil imprimé, d’où qu’il émane, renfermant un texte diffamatoire, un compte rendu mensonger ou altéré, ou une présentation déformée de faits, ou à diffuser sur les ondes, à partir d’un lieu quelconque de Malte ou du dehors, un texte diffamatoire, un compte rendu mensonger ou altéré, ou une présentation déformée de faits." Dans le cas d’un journal, le paragraphe 6 habilite la Chambre à ordonner, en plus des peines prévues au paragraphe 1, la publication, dans un numéro ultérieur, de la résolution déclarant l’accusé coupable d’un acte visé à l’alinéa k). Article 13 "1. (...) (...) la Chambre peut, par un avis signé du greffier, sommer le contrevenant de comparaître devant elle à une séance déterminée pour y répondre de l’accusation. Si le contrevenant ne comparaît pas, le président de la Chambre, sur instruction de celle-ci, peut légitimement décerner un mandat prescrivant d’arrêter l’intéressé et de l’amener devant elle. (...) Dans tous les cas, le contrevenant a la faculté de prendre la parole pour se défendre et (...) d’être assisté d’un avocat. (...)" Article 14 "1. (...) Lorsque la Chambre inflige une amende, celle-ci doit être versée auprès du comptable du Trésor, par les soins du greffier de la Chambre, deux jours francs au plus après le prononcé. A la séance qui suit, le greffier informe le président du paiement ainsi opéré ou de son défaut; dans le second cas, la Chambre peut décider de convertir l’amende en peine d’emprisonnement ou prendre toute mesure qu’elle juge opportune." La loi de 1974 sur la presse (loi no XL de 1974) érige les écrits diffamatoires en infractions pénales. Aux termes de son article 3, "Les infractions visées dans la présente partie de la loi se commettent par voie de publication ou de distribution à Malte d’un imprimé, d’où qu’il émane, ou par voie de diffusion sur les ondes." Selon l’article 11, "Sauf disposition contraire de la présente loi, quiconque diffame autrui par l’un des moyens mentionnés à l’article 3, encourt, en cas de constat de culpabilité: a) un emprisonnement de trois mois au plus, une amende (multa) de deux cents livres au plus ou les deux à la fois, si l’écrit diffamatoire contient, à l’encontre de l’intéressé, des imputations visant à nuire à sa réputation, à le ridiculiser ou à lui attirer le mépris public; b) dans tous les autres cas, un emprisonnement d’un mois au plus ou une amende." La Constitution de Malte mentionne elle aussi les privilèges du Parlement. D’après l’article 34, nul ne peut être privé de sa liberté sauf si la loi le permet, notamment en exécution d’une ordonnance de la Chambre des Représentants le condamnant pour outrage à elle-même ou à ses membres, ou pour atteinte à ses privilèges, ou enjoignant de le déférer devant elle. L’article 40 reconnaît à toute personne accusée d’une infraction pénale le droit à un procès équitable, dans un délai raisonnable, devant un tribunal indépendant et impartial établi par la loi. L’article 41 par. 1 garantit la liberté d’expression sous la réserve suivante, ménagée par le paragraphe 2: "Aucun texte législatif, ni aucune disposition arrêtée en vertu d’une loi, ne peuvent être considérés comme contraires au paragraphe 1 du présent article, ou incompatibles avec lui, pour autant que la loi dont il s’agit prévoit des mesures a) raisonnablement nécessaires i. dans l’intérêt de la défense, de l’ordre public, de la moralité ou de la décence publiques, ou de la santé publique; ou ii. pour (...) protéger les privilèges du Parlement (...) (...)." PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION Dans sa requête du 22 mai 1987 à la Commission (no 13057/87), M. Demicoli prétendait que la procédure menée contre lui devant la Chambre des Représentants portait sur le bien-fondé d’une "accusation en matière pénale", au sens de l’article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention, et qu’au mépris de ce dernier il n’avait pas joui d’un procès équitable et public devant "un tribunal indépendant et impartial". Il alléguait aussi un manquement aux exigences de la présomption d’innocence, garantie par l’article 6 par. 2 (art. 6-2). La Commission a retenu la requête le 15 mars 1989. Dans son rapport du 15 mars 1990 (article 31) (art. 31), elle arrive à la conclusion unanime qu’il y a eu violation de l’article 6 par. 1 (art. 6-1) et que nulle question distincte ne se pose sur le terrain de l’article 6 par. 2 (art. 6-2). Le texte intégral de son avis et de l’opinion concordante dont il s’accompagne figure en annexe au présent arrêt.
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M. Karl Brandstetter est un négociant autrichien en vins domicilié à Hadres (Basse-Autriche). I. LES CIRCONSTANCES PARTICULIÈRES DE L’AFFAIRE A. La genèse de la cause Le 16 mai 1983, un inspecteur fédéral des chais (Bundeskellereiinspektor) visita l’entreprise du requérant, en vertu de l’article 27 de la loi (amendée) de 1961 sur les vins (Weingesetz no 187/1961, "la loi sur les vins"). Il préleva trois types d’échantillons dans deux cuves de vin blanc de 1982, lesquelles furent placées sous scellés et saisies (article 28; paragraphe 35 ci-dessous). Après avoir laissé à l’intéressé les deux échantillons-témoins (Gegenproben), il adressa les deux échantillons réglementaires (Anzeigeproben) à l’Institut fédéral de recherche en agrochimie (Landwirtschaftlich-chemische Bundesversuchsanstalt, "l’Institut agricole") pour examen (article 30 de la loi sur les vins). Ils se composaient tous de deux bouteilles. L’inspecteur retira en outre de chacune des cuves un échantillon de réserve (Reserveprobe), pour le cas où une analyse complémentaire apparaîtrait nécessaire. Le 9 juin 1983, l’Institut agricole dressa un rapport contenant les résultats d’une analyse chimique des vins, laquelle révélait un taux anormalement bas d’extraits naturels et de substances minérales. Y figuraient aussi les conclusions auxquelles avait abouti une commission officielle de contrôle de la qualité des vins (amtliche Weinkostkommission, paragraphe 35 ci-dessous); elle avait constaté, le 25 mai 1983, que le vin des échantillons avait été dilué avec de l’eau. Les teneurs n’atteignant pas le seuil exigé par l’ordonnance sur les vins (Weinverordnung), l’Institut agricole soupçonna M. Brandstetter d’avoir enfreint l’article 45 par. 1 a) et b) de la loi sur les vins, combiné avec les articles 44 par. 1 f) et 43 par. 3 (concernant, notamment, la vente au public de "vin d’imitation" et frelaté). B. La procédure relative à la qualité des vins Devant le tribunal de district de Haugsdorf Dès le 8 juin 1983, l’Institut agricole avait informé de ses soupçons le tribunal de district (Bezirksgericht) de Haugsdorf (article 30 par. 9 de la loi sur les vins, paragraphe 35 ci-dessous), sur quoi le procureur de district (Bezirksanwalt) engagea des poursuites contre le requérant au titre de l’article 45 de la loi sur les vins. Pour les besoins de sa défense, l’intéressé fit analyser à Vienne les échantillons-témoins par M. Niessner, de l’Institut fédéral de contrôle et de recherche sur les denrées alimentaires (Bundesanstalt für Lebensmitteluntersuchung und -forschung, "l’Institut alimentaire"). Le 9 août 1983, M. Niessner releva que leur teneur en extraits naturels et substances minérales ne se situait pas au-dessous du minimum voulu. Toutefois, leur dégustation par une commission de contrôle le 14 juillet 1983 avait confirmé l’addition d’eau dans au moins l’un d’eux (par six voix sur sept), mais n’avait pu l’établir avec certitude pour l’autre (par cinq voix sur sept). Le 4 octobre 1983, lors d’une première audience, M. Brandstetter plaida non coupable et invita le tribunal de district à ordonner une expertise destinée à prouver que son vin n’était ni "d’imitation" ni frelaté. Le tribunal en chargea M. Bandion, de l’Institut agricole, qui n’avait contribué ni à la première analyse des échantillons réglementaires par ledit Institut ni à la rédaction du rapport de ce dernier. M. Bandion déposa le 22 novembre 1983, lors d’une deuxième audience. D’après lui, la différence entre les résultats de son examen et ceux obtenus par M. Niessner montrait qu’une grave erreur avait été commise dans au moins l’une des analyses; il préconisait de recourir aux échantillons de réserve pour tirer la chose au clair. Le tribunal lui confia le soin d’élaborer un rapport à ce sujet. Le requérant déclara que la discordance pouvait s’expliquer aussi par une circonstance déjà signalée par lui à la police le 22 juillet 1983: l’inspecteur des chais avait utilisé un seau sale pour prélever les échantillons, qu’il avait versés dans des flacons où demeurait un résidu d’eau; il n’avait vidé les bouteilles restantes que devant les protestations de l’intéressé. Entendus comme témoins, l’épouse et les deux fils de ce dernier confirmèrent ses dires. L’inspecteur et son assistant, ouïs eux aussi comme témoins, prétendirent au contraire qu’il s’agissait d’un seau propre et que le liquide subsistant dans les flacons était du vin servant à les rincer. L’inspecteur l’avait indiqué à M. Brandstetter quand celui-ci se plaignit, et d’ailleurs il avait vidé ensuite les flacons. L’analyse des échantillons de réserve eut lieu à l’Institut agricole le 21 décembre 1983, sous la supervision de M. Bandion. Elle déboucha sur des conclusions analogues à celles concernant les premiers échantillons, mais il n’y eut pas de dégustation par une commission de contrôle. Dans son rapport du 17 janvier 1984, M. Bandion écrivit que la nouvelle analyse avait corroboré la première, opérée par l’Institut agricole, et suscitait donc des doutes sérieux sur l’examen effectué par M. Niessner, de l’Institut alimentaire. Les résultats scientifiques correspondaient aux constatations des commissions de contrôle, qui avaient décelé l’addition d’eau dans chacun des échantillons sauf un. Tout comme les résultats gustatifs, ils révélaient une adjonction prohibée d’eau et de sucre, ainsi qu’une teneur en extraits et substances naturels inférieure au niveau exigé par l’ordonnance sur les vins. On ne pouvait pourtant qualifier les produits du requérant de "vin d’imitation". Certaines assertions de M. Brandstetter et de membres de sa famille pendant les débats (paragraphe 15 ci-dessus) devaient être inexactes eu égard aux résultats de l’analyse chimique, notamment celles qui avaient trait à l’emploi d’un seau sale par l’inspecteur des chais. Au demeurant, on ne pouvait déterminer de l’extérieur si un résidu liquide dans des bouteilles vertes était de l’eau ou du vin. Une nouvelle audience se déroula le 14 février 1984. L’avocat de l’intéressé critiqua l’avis de M. Bandion: les liens étroits de celui-ci avec l’Institut agricole lui ôtaient l’objectivité nécessaire par rapport à la première analyse et avaient pu l’inciter à en défendre les résultats contre ceux dont M. Niessner avait rendu compte; il avait du reste outrepassé ses fonctions en se prononçant sur des questions de fait et de droit au lieu de se borner à une analyse chimique. En conséquence, la défense demandait un complément d’instruction, à savoir le prélèvement de nouveaux échantillons dans les deux cuves saisies, l’audition de plusieurs autres experts, dont M. Niessner, et la consultation des procès-verbaux de la commission de contrôle. Elle alléguait aussi l’inobservation des règles prescrites pour une dégustation. De surcroît, l’expert désingé par le tribunal n’avait pas expliqué les différences entre les conclusions respectives des deux instituts; il s’était contenté d’estimer erronées celles de l’Institut alimentaire et correctes celles de son propre Institut. Le même jour, le tribunal de district déclara M. Brandstetter coupable de frelatage de vins (article 45 par. 1 a) de la loi sur les vins) et lui infligea 5 600 schillings d’amende. Il ordonna également la confiscation du vin contenu dans les deux cuves saisies - 27 000 litres au total - (article 46 par. 1) et la publication du jugement (article 45 par. 3). Celui-ci se fondait pour l’essentiel sur l’expertise de M. Bandion. Il en citait de longs passages, d’après lui probants car on y trouvait un examen convaincant, détaillé, précis et exhaustif des différences d’analyse entre les deux instituts. Il refusa cependant de prendre en compte certaines affirmations de l’expert, qui portaient abusivement sur des questions de droit et d’appréciation des preuves. En fixant la peine, le tribunal considéra comme aggravante la circonstance que M. Brandstetter avait formulé des allégations mensongères sur la manière dont l’inspecteur avait rempli sa tâche. En outre, il repoussa la demande de complément d’instruction. Il ne l’estima pas pertinente dans la mesure où elle concernait la procédure de dégustation, qui n’avait pas fourni d’éléments suffisants. Le prélèvement d’autres échantillons eût été d’après lui superflu, d’autant que l’on ne pouvait exclure un changement de la composition du vin, laissé entre temps dans les cuves scellées. Il en allait de même de l’audition de nouveaux experts, car aucun doute ne planait sur la fiabilité des résultats de l’Institut agricole, corroborés en partie par ceux de l’Institut alimentaire, ni sur l’objectivité de M. Bandion. Devant le tribunal régional de Korneuburg M. Brandstetter fit appel. Il réitérait sa demande de complément d’instruction et plaidait qu’en l’écartant, le tribunal de district avait méconnu les droits de la défense. Le tribunal régional (Kreisgericht) de Korneuburg le débouta le 7 mai 1984. Il nota que le requérant n’avait pas soulevé d’objections contre l’expert dès la désignation de celui-ci, mais uniquement au vu du rapport. L’objectivité de M. Bandion n’inspirait aucun doute: particulièrement expérimenté et consciencieux, il n’avait pas contribué à l’analyse des premiers échantillons, avait critiqué les conclusions non seulement de l’Institut alimentaire, mais aussi, à certains égards, de son propre Institut, et avait expliqué en détail les différences entre les unes et les autres. Il n’y avait rien à redire à la citation d’extraits de son avis dans le jugement. S’agissant d’un avis probant, point n’était besoin de recueillir de nouveaux éléments (paragraphes 17 et 19 ci-dessus). La consultation du procès-verbal dressé par la commission de contrôle ne s’imposait pas davantage: le rapport de l’Institut alimentaire contenait un résumé de la procédure de dégustation, laquelle d’ailleurs ne pouvait donner que des indices de caractère accessoire en comparaison des preuves fournies par l’analyse chimique. C. La procédure concernant l’altération de preuves Devant le tribunal de district de Haugsdorf Une fois sa condamnation définitive, M. Brandstetter voulut intenter contre la République d’Autriche une action en responsabilité du chef des inacceptables vices de procédure (Verfahrensfehler) commis, d’après lui, par les tribunaux dans la procédure concernant la qualité des vins. Pour assurer la conservation des preuves (Beweissicherungsantrag, article 384 du code de procédure civile), il réclama le prélèvement d’échantillons supplémentaires dans les cuves placées sous scellés. Le tribunal de district de Haugsdorf rejeta la demande le 22 mai 1984, mais le tribunal régional de Korneuburg réforma sa décision le 12 juin sur recours de l’intéressé. Le tribunal de district désigna comme expert M. Flack, membre du personnel de l’antenne de l’Institut agricole dans le Burgenland et qui n’avait pas pris part aux poursuites relatives à la qualité des vins. Il le chargea de superviser, le 16 août 1984, le prélèvement des nouveaux échantillons, puis de les analyser. Dans son rapport du 27 septembre, M. Flack constata des différences entre les résultats respectifs de son analyse et de celles opérées par l’Institut agricole sur les échantillons réglementaires et de réserve recueillis le 16 mai 1983 (paragraphe 10 ci-dessus). Elles ne pouvaient, selon lui, s’expliquer par des changements dans la composition du vin avec l’écoulement du temps, ni par les effets des mesures conservatoires autorisées par le juge. Il les attribuait à l’addition de substances propres à augmenter la teneur en extraits naturels (alcool, glycérine et minéraux). Le 25 septembre 1984, donc deux jours avant la présentation officielle de son rapport, M. Flack avait informé de ses conclusions le tribunal de district, qui engagea d’office contre M. Brandstetter des poursuites pénales pour altération de preuves (article 293 du code pénal). Choisi comme expert par le tribunal, M. Flack remit son rapport le 23 octobre 1984. Confirmant le précédent, il soulignait que la composition des nouveaux échantillons était analogue à celle des échantillons-témoins prélevés le 16 mai 1983 et analysés par l’Institut alimentaire (paragraphe 13 ci-dessus). Devant le tribunal régional de Korneuburg Sur la foi de cette expertise, le parquet requit la condamnation de M. Brandstetter pour altération de preuves, en vertu de l’article 293 du code pénal. Les débats eurent lieu devant le tribunal régional de Korneuburg les 4 juillet et 12 septembre 1985. Le prévenu prétendit ne pas avoir eu la possibilité matérielle de manipuler les échantillons-témoins du 16 mai 1983, parce qu’absent de son entreprise avant leur envoi à l’Institut alimentaire. D’après lui, toutes les mesures adoptées pour conserver le vin en question l’avaient été en présence et sous la surveillance de l’inspecteur des chais qui avait prélevé les premiers échantillons. Il signala que certains des flacons renfermant les échantillons-témoins, et expédiés par lui à l’Institut provincial de contrôle et recherche en agrochimie (Landwirtschaftlich- chemische Landesversuchs- und Untersuchungsanstalt) de Graz, s’étaient cassés pendant le transport mais que le goulot, demeuré entier, de l’un d’eux montrait bien qu’il n’y avait pas eu rupture des scellés. Il déclara que M. Niessner, l’expert qui avait analysé les échantillons-témoins (paragraphe 13 ci-dessus), pouvait en atteste; il sollicita sa citation à comparaître pour établir que les scellés posés par l’inspecteur fédéral des chais étaient intacts au moment de la remise desdits échantillons à l’Institut alimentaire et que le vin examiné par M. Niessner était identique à celui vérifié par l’Institut agricole. Les conclusions initiales de ce dernier étaient donc inexactes et la qualité du vin à l’époque du prélèvement des premiers échantillons, en mai 1983, était la même que celle du vin analysé par M. Flack au cours de la procédure tendant à la conservation des preuves. La défense réclamait en outre la désignation de M. Niessner comme deuxième expert afin qu’il pût rendre compte de la qualité du vin étudié par lui. Le tribunal accueillit la première demande, mais écarta la seconde. Entendu donc à titre de témoin à la deuxième audience, M. Niessner confirma que les scellés étaient intacts, pour autant qu’il avait pu le constater alors, mais précisa qu’on ne pouvait totalement exclure l’hypothèse de manipulations car d’habitude on ne procédait pas à un examen criminalistique détaillé. Toutefois, ni l’accusation ni la défense ne l’interrogèrent sur la qualité du vin du requérant ou sur une autre explication possible des différences susmentionnées. Le 12 septembre 1985, le tribunal régional jugea le requérant coupable et lui infligea trois mois d’emprisonnement. Il souscrivit à l’opinion de M. Flack selon laquelle seule l’adjonction ultérieure de substances pouvait expliquer les différences notables d’analyse observées. Il l’estimait logique et convaincante, d’autant qu’elle cadrait avec les conclusions de M. Bandion dans la procédure menée en vertu de la loi sur les vins (paragraphes 15 et 16 ci-dessus). Quant à l’impossibilité matérielle alléguée par l’accusé, le tribunal se référa aux "méthodes bien connues" (gerichtsbekannte Methoden) qui consistent à remplacer le contenu d’un flacon scellé en chauffant le récipient pour en retirer avec soin sceau et bouchon, ou en injectant des substances avec une seringue à travers ce dernier. Le bris de l’une des bouteilles pouvait d’ailleurs provenir de l’échec d’une telle tentative. Le tribunal jugea superflu de désigner M. Niessner comme second expert: l’intéressé avait déjà produit un rapport sur la qualité du vin, qu’il avait analysé en qualité d’expert privé, et les conclusions de son analyse avaient donné lieu à une discussion approfondie dans le rapport de M. Bandion. Devant la cour d’appel de Vienne Le 24 septembre 1986, la cour d’appel (Oberlandesgericht) de Vienne rejeta le recours (Berufung) de M. Brandstetter contre ce jugement. D’après elle, le tribunal régional n’avait pas négligé la pièce à conviction produite par le requérant, à savoir le goulot cassé du flacon de l’un des échantillons-témoins, dont le sceau était intact; en outre, l’échantillon dont il s’agissait ne pouvait servir de preuve faute d’avoir été analysé. Quant aux résultats de l’examen des échantillons-témoins par l’Institut alimentaire, ceux de l’étude des échantillons réglementaires par l’Institut agricole les contredisaient et, selon l’avis convaincant de M. Flack, la discordance ne pouvait s’expliquer que par l’addition de substances dans les échantillons-témoins. Le tribunal régional avait aussi pris en compte les conclusions identiques auxquelles M. Bandion avait abouti dans la procédure antérieure, ainsi que la déposition du témoin Niessner sur la possibilité de manipuler un flacon scellé. Il avait, de plus, décrit les méthodes bien connues permettant d’y arriver. Il avait donc fondé sa conclusion sur des motifs suffisants. En conséquence, la cour d’appel n’estima pas nécessaire de consulter un nouvel expert comme le demandait le prévenu: les conditions définies à l’article 126 du code de procédure pénale ne se trouvaient pas réunies (paragraphe 36 ci-dessous). M. Brandstetter subit trente et un jours de sa peine; il bénéficia d’un sursis pour le reliquat, à la suite d’une mesure de grâce présidentielle. D. La procédure pour diffamation Devant le tribunal régional de Korneuburg Le 20 août 1984, le parquet avait engagé contre le requérant des poursuites pénales pour diffamation. Il lui reprochait d’avoir accusé à tort l’inspecteur des chais d’irrégularités dans le prélèvement des premiers échantillons, le 16 mai 1983 (paragraphe 15 ci-dessus), et de l’avoir exposé de la sorte à des sanctions disciplinaires. Le 29 octobre 1984, le tribunal régional de Korneuburg condamna M. Brandstetter à trois mois d’emprisonnement avec sursis, pour diffamation, en raison de la déclaration ci-après, faite par lui à la police le 22 juillet 1983 (paragraphe 15 ci-dessus) et consignée à sa demande expresse: "[L’inspecteur des chais] a aussi utilisé à cette fin [prélever les échantillons de vin] un seau plutôt sale. Lors du remplissage des bouteilles, j’ai remarqué qu’elles contenaient de l’eau, qui restait sans doute du rinçage. Il m’a dit toutefois que cela n’avait pas d’importance." Ces assertions, inexactes et il le savait, auraient pu provoquer l’ouverture d’une procédure disciplinaire contre l’inspecteur, car elles donnaient l’impression qu’il n’avait pas vidé les flacons quand le prévenu l’y avait invité; or le contraire se trouvait établi. Le tribunal fondait ses constatations sur le dossier de l’affaire relative à la qualité des vins, notamment l’expertise et le témoignage de M. Bandion, les dépositions de l’inspecteur et de son assistant, les dires du requérant et des membres de sa famille ainsi que le jugement du 14 février 1984 (paragraphes 15 et 18 ci-dessus). Devant la cour d’appel de Vienne a) Première procédure Le 23 avril 1985, la cour d’appel de Vienne rejeta le recours de M. Brandstetter et confirma en entier le jugement du tribunal régional. Dans la mesure où l’intéressé avait prétendu que la déclaration incriminée (paragraphe 31 ci-dessus) se justifiait par l’exercice des droits de la défense (articles 199 et 202 du code de procédure pénale) et ne pouvait donc s’analyser en une diffamation punissable, elle renvoya à la jurisprudence et la doctrine constantes: ces droits ne pouvaient englober une conduite ne se bornant pas à servir la défense d’un accusé, mais portant aussi atteinte aux droits d’autrui par des allégations propres à constituer une nouvelle infraction pénale. L’intéressé ayant sciemment éveillé de faux soupçons à l’égard de l’inspecteur, l’article 297 du code pénal entrait en jeu. La cour ajouta que le parquet n’avait pas tacitement renoncé à des poursuites bien qu’il n’eût pas réagi d’emblée. Enfin, elle ne décela aucun vice de procédure dans la façon dont le tribunal régional avait apprécié les preuves: il avait examiné en détail les résultats de la procédure, de manière logique et cohérente par rapport au dossier, et en avait tiré des conclusions réalistes concernant l’élément subjectif. Elle estima décisif que les flacons, indépendamment du point de savoir si on les avait rincés à l’eau ou au vin, ne pouvaient plus contenir une quantité importante de liquide une fois vidés selon la méthode décrite par l’inspecteur des chais en termes plausibles et convaincants. b) Seconde procédure A la demande de M. Brandstetter, le procureur général (Generalprokurator) forma un pourvoi en cassation dans l’intérêt de la loi (Nichtigkeitsbeschwerde zur Wahrung des Gesetzes), dirigé contre la composition de la cour d’appel. La Cour Suprême (Oberster Gerichtshof) accueillit le recours le 28 janvier 1987 et renvoya l’affaire à cette dernière. A l’audience du 24 mars 1987, la défense allégua que l’un des magistrats présents avait déjà participé à la première instance d’appel et devait donc se récuser. La cour ajourna les débats au 28 avril 1987, date à laquelle elle siégea dans une composition conforme à la loi; elle confirma, tel quel, son arrêt du 23 avril 1985 (paragraphe 32 ci-dessus). Le requérant invita ultérieurement le procureur général à introduire un nouveau pourvoi en cassation dans l’intérêt de la loi, mais en vain. A cette occasion, il découvrit que les arrêts des 23 avril 1985 et 28 avril 1987 reprenaient presque mot pour mot les observations ("croquis") du procureur général (Oberstaatsanwalt) près la cour d’appel de Vienne, soumises à celle-ci le 29 mars 1985, qui ne lui avaient pas été signifiées et dont il n’avait pas eu connaissance à l’époque. II. LA LÉGISLATION AUTRICHIENNE PERTINENTE La loi sur les vins habilite un inspecteur fédéral des chais à prélever du vin dans les cuves de l’entreprise visitée et à l’envoyer à l’Institut agricole pour analyse. Un échantillon-témoin scellé doit être laissé à l’entreprise. En outre, il y a lieu de prélever un échantillon de réserve aux fins de toute nouvelle analyse qui pourrait se révéler nécessaire. Après quoi les cuves peuvent être placées sous scellés (articles 27 et 28). L’Institut agricole analyse les échantillons réglementaires et dresse un rapport renfermant ses conclusions et les résultats d’une dégustation opérée par la commission officielle de contrôle de la qualité des vins (article 30 par. 3). Celle-ci se compose d’un président (le directeur de l’Institut agricole) et d’au moins cinq experts dégustateurs désignés par le ministère fédéral de l’Agriculture et des Forêts. Elle décide, à la majorité qualifiée (cinq voix sur cinq ou six, six voix sur sept, etc.), si la qualité du vin correspond à son appellation. La dégustation, dont un règlement intérieur fixe les modalités, ne se déroule pas en public. L’identité des membres de la commission - tenus au secret - n’est pas divulguée (article 30 paras. 4-8). L’Institut agricole doit signaler au parquet ou tribunal compétent toute infraction dont l’analyse lui donne lieu de soupçonner l’existence (article 30 par. 9). En ce qui concerne les expertises judiciaires, l’article 30 par. 10 disposait à l’époque: "Si le tribunal éprouve des doutes au sujet des constatations ou de l’avis de l’Institut agricole, ou estime qu’ils appellent un complément ou s’ils ont suscité des objections fondées, il entend à titre d’expert celui des agents de l’Institut qui a procédé à l’analyse ou à l’établissement du rapport afin de lui faire exposer et compléter les constatations ou le rapport." A tous autres égards, la preuve par expertise obéit aux règles du code de procédure pénale. En particulier, le tribunal peut nommer un autre expert si des doutes subsistent ou si les constatations du premier "sont obscures, vagues, contradictoires", etc (articles 125 et 126 du code de procédure pénale). D’après l’article 249 de ce code, seuls le ministère public et l’avocat de la défense, ou l’inculpé, ont le droit de poser des questions aux témoins et experts. Le tribunal peut autoriser ces derniers à interroger les témoins et le prévenu, tandis que les témoins n’ont pas cette possibilité. PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION Par ses requêtes des 6 septembre 1984 (11170/84), 13 mars 1987 (12876/87) et 21 octobre 1987 (13468/87), M. Brandstetter formulait les griefs ci-après: dans les poursuites relatives à la qualité des vins et à l’altération de preuves, il n’aurait pas bénéficié du procès équitable voulu par l’article 6 par. 1 (art. 6-1) ni du droit protégé par l’article 6 par. 3 d) (art. 6-3-d), en raison de la position que les experts de l’Institut agricole occupaient par rapport à d’autres personnes ayant elles aussi établi des expertises; il y aurait eu en outre méconnaissance, dans la première procédure, de l’article 6 par. 3 c) (art. 6-3-c), à cause de la condamnation ultérieure infligée à l’intéressé, pour diffamation, du chef de déclarations qu’il avait faites pendant l’instruction pour se défendre, et, dans la seconde, de la présomption d’innocence garantie par l’article 6 par. 2 (art. 6-2); enfin, dans l’affaire de diffamation la cour d’appel aurait, à son tour, manqué à l’exigence d’un procès équitable en s’appuyant sur des observations du parquet non communiquées à la défense. Le 14 juillet 1987, la Commission a déclaré la première requête manifestement mal fondée sur deux points et recevable pour le surplus. Le 10 juillet 1989, elle a retenu les deux autres et décidé de les joindre au restant de la première. Dans son rapport du 8 mai 1990 (article 31) (art. 31), elle arrive à la conclusion: a) que dans l’affaire relative à la qualité des vins, l’absence d’égalité de traitement entre l’accusation et la défense en matière d’expertise a transgressé l’article 6 par. 1 de la Convention, combiné avec l’article 6 par. 3 d) (art. 6-1, art. 6-3-d) (unanimité); b) qu’il en est allé de même dans l’affaire relative à l’altération de preuves (unanimité); c) que la condamnation du requérant pour diffamation a enfreint l’article 6 par. 3 c) (art. 6-3-c) (neuf voix contre trois); d) que nulle question distincte ne se pose quant au point de savoir si, dans la procédure relative à l’altération de preuves, se sont produites d’autres atteintes au droit du requérant à un procès équitable (article 6 par. 1) (art. 6-1), ou à la présomption d’innocence (article 6 par. 2) (art. 6-2) (unanimité); e) que dans les poursuites pour diffamation, le principe de l’égalité des armes, consacré par l’article 6 par. 1 (art. 6-1), n’a pas été violé (onze voix contre une). Le texte intégral de l’avis ainsi exprimé et des deux opinions séparées dont il s’accompagne figure en annexe au présent arrêt.
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M. Konrad Wiesinger et son épouse Klara sont des agriculteurs autrichiens établis à Hartkirchen en Haute-Autriche. Ils se plaignent d’opérations de remembrement Zusammenlegungsverfahren) que leurs terres ont subies depuis juillet 1975. I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE A. Les opérations de remembrement Le 22 juillet 1975, l’autorité agricole de district (Agrarbezirksbehörde, "l’Autorité de district") de Linz engagea le processus de remembrement de Hacking, en application de l’article 29 de la loi de Haute-Autriche de 1972 sur l’aménagement des terres agricoles (Flurverfassungs-Landesgesetz, "la loi de 1972"). Touchant au moins 67 propriétaires, l’opération concernait environ 172 hectares, dont la propriété des requérants à Hartkirchen. Le 15 juillet 1976, M. et Mme Wiesinger firent une "déclaration de voeux" (Wunschaufnahme) exprimant le souhait de recevoir des parcelles proches de leur ferme. Le 13 août 1976, l’Autorité de district adopta le plan d’évaluation des terres, contre lequel ils n’exercèrent pas de recours. Le 13 octobre 1978, elle ordonna le transfert provisoire des parcelles compensatoires (Grundabfindungen) sur la base d’un projet de plan de remembrement (Neueinteilungsplan), conformément à l’article 22 de la loi de 1972 (paragraphe 36 ci-dessous). Les requérants avaient consenti à ce projet, qui leur allouait une parcelle de 23 219 m² jouxtant leur exploitation, et n’attaquèrent pas la décision de transfert. Tout en perdant la propriété de leurs terres - y compris les cinq parcelles mentionnées au paragraphe 12 ci-dessous -, qui revint à l’association des propriétaires (paragraphe 33 ci-dessous), ils acquirent provisoirement celle de certaines parcelles sous condition résolutoire: le plan définitif de remembrement les en priverait s’il ne leur en confirmait pas l’attribution (article 22 de la loi de 1972). B. La modification du plan de zonage de Hartkirchen Le 1er septembre 1978, le conseil municipal de Hartkirchen avait adopté un plan de zonage (Flächenwidmungsplan, paragraphes 42-43 ci-dessous) que le gouvernement du Land approuva le 10 octobre. La propriété des Wiesinger, touchée par le remembrement, y conservait son caractère agricole bien que certaines parcelles voisines eussent été reconverties en terrains à bâtir en 1976 et 1978. À la demande des nouveaux propriétaires (provisoires), le conseil municipal modifia le plan de zonage le 16 novembre 1979. Il qualifia de terrains à bâtir cinq parcelles, d’une superficie de 25 206 m², qui avaient appartenu aux requérants. Le 16 avril 1980, le gouvernement du Land entérina la décision, laquelle devint définitive le 6 mai. Par la suite, les cinq parcelles furent divisées en lots et vendues à plusieurs personnes qui se virent accorder des permis d’y construire. C. La procédure engagée par les requérants à la suite de la modification du plan de zonage Le 10 août 1982, M. et Mme Wiesinger demandèrent à l’Autorité de district de leur rendre les cinq parcelles en les soustrayant au remembrement. Selon eux, il s’agissait désormais de terres de valeur spéciale que la loi laissait en principe aux propriétaires antérieurs. A titre subsidiaire, ils sollicitaient l’octroi de terrains à bâtir ou d’une indemnité (Geldwertentschädigung). Ils réclamaient en même temps une réparation pécuniaire (Schadensersatz): ils affirmaient avoir subi, en raison de l’impossibilité de vendre eux-mêmes les cinq parcelles après la modification du plan de zonage, une perte d’intérêts (Zinsverlust) qu’ils chiffraient à 1 600 000 schillings autrichiens en partant d’un prix de 400 schillings par mètre carré et d’un taux d’intérêt de 10 %. L’Autorité de district répondit par une lettre du 17 janvier 1983. Renvoyant à la loi de Haute-Autriche de 1979 sur l’aménagement des terres agricoles ("la loi de 1979"), qui avait remplacé celle de 1972, elle relevait qu’il fallait présenter les demandes d’indemnité dans un délai de six mois à compter du moment où le plan de remembrement devenait définitif (article 20 par. 6, paragraphe 37 ci-dessous). Elle priait donc les requérants d’attendre la publication du plan, prévue pour le mois de juillet. Estimant que l’Autorité de district n’avait pas tranché dans le délai légal de six mois les questions qu’ils lui avaient soumises, les époux Wiesinger invitèrent, le 23 août 1983, la Commission régionale de la réforme agraire (Landesagrarsenat, "la Commission régionale") à statuer (article 73 de la loi générale sur la procédure administrative, Allgemeines Verwaltungsverfahrensgesetz, paragraphe 41 ci-dessous). Elle se prononça le 17 novembre. Elle rejeta la demande tendant à exclure les cinq parcelles du remembrement: pour atteindre leurs buts, les opérations devaient englober les terres en question, et la circonstance qu’il s’agissait désormais de lots à bâtir n’y changeait rien. Quant aux autres réclamations des requérants, elle trouva justifié le refus de l’Autorité de district de trancher, leur bien-fondé ne pouvant s’apprécier qu’une fois le plan de remembrement devenu définitif. Elle enjoignit à l’Autorité de district de ne plus approuver ou autoriser le morcellement des terres en cause et de ne consentir désormais ni à des conversions en terrains à bâtir ni à la délivrance de permis de construire. Les Wiesinger saisirent la Commission suprême de la réforme agraire (Oberster Agrarsenat, "la Commission suprême"). Le 1er février 1984, elle déclara leur recours irrecevable; la Cour constitutionnelle (Verfassungsgerichtshof), puis la Cour administrative (Verwaltungsgerichtshof) confirmèrent sa décision les 27 juin et 25 septembre 1984. Dès le 10 janvier 1984, les requérants avaient attaqué la décision de la Commission régionale du 17 novembre 1983 (paragraphe 15 ci-dessus) directement devant la Cour administrative. Elle statua le 20 mars 1984. Tout en confirmant la décision incriminée quant au refus de leur rendre les cinq parcelles, elle leur donna gain de cause pour le surplus: l’Autorité de district ne s’étant pas prononcée sur leurs demandes subsidiaires dans le délai légal de six mois, la Commission régionale aurait dû trancher elle-même. Saisie derechef, la Commission régionale statua le 18 octobre 1984. Selon elle, la loi de 1979 ne permettait pas l’octroi d’une indemnité au titre du préjudice allégué: elle prévoyait que les propriétaires de lots de valeur spéciale couverts par un remembrement devraient en principe être dédommagés par l’attribution de terres de même nature. Quant aux terrains à bâtir réclamés par les Wiesinger, la Commission releva que le transfert provisoire des parcelles empêchait pour le moment d’en modifier la répartition. Il ne préjugeait cependant pas le plan de remembrement qui réglerait définitivement la question des terres de valeur spéciale. D’autre part, seul le plan de zonage de Hartkirchen indiquait les lots à bâtir et il existait ainsi un lien indissoluble entre lui et la question de la compensation légale pour les terres de valeur spéciale. Le zonage, qui relevait de la compétence des communes et non des autorités agricoles, constituait donc un préalable. Or le conseil municipal de Hartkirchen avait exprimé l’intention de convertir en terrains à bâtir quelques-unes des parcelles compensatoires attribuées aux requérants, mais n’en avait jusque-là fixé ni l’étendue ni l’emplacement. La Commission régionale conclut qu’elle ne pouvait se prononcer sur le fond qu’à la suite d’un appel contre le plan de remembrement, une fois celui-ci adopté et publié. Là-dessus, M. et Mme Wiesinger saisirent la Cour constitutionnelle. Le 24 juin 1985, elle refusa d’examiner leur recours, l’affaire ne soulevant aucune question spécifique de droit constitutionnel, et renvoya la cause à la Cour administrative ainsi qu’ils l’y invitaient en ordre subsidiaire. La Cour administrative les débouta le 19 novembre 1985. Elle nota d’abord qu’ils avaient obtenu les parcelles souhaitées par eux-mêmes et qui demeuraient qualifiées de terres agricoles. Ils n’avaient donc subi aucun inconvénient temporaire leur ouvrant droit à réparation. Sans doute le plan de zonage avait-il reclassé une partie de leurs anciennes terres après leur transfert provisoire, mais le plan de remembrement, qui devait assurer la compensation prévue par la loi, aurait à prendre en compte tout changement de la valeur des terrains en cours de procédure, par exemple à la suite d’un nouveau plan de zonage comme en l’occurrence. Partant, la décision attaquée n’était pas illégale. D. La procédure engagée par les requérants pour accélérer les opérations de remembrement Se référant à l’article 7a par. 4 de la loi fédérale de 1950 sur la procédure agricole (Agrarverfahrensgesetz, "la loi fédérale de 1950"), qui prescrit la publication du plan de remembrement au plus tard trois ans après la décision définitive de transfert provisoire des parcelles, les requérants avaient demandé à la Commission régionale, dès le 17 janvier 1984, de s’emparer du dossier en vertu de l’article 73 de la loi générale sur la procédure administrative (paragraphes 37 et 41 ci-dessous). Elle s’y refusa le 7 juin: elle ne s’estimait habilitée à adopter le plan de remembrement que si l’inobservation du délai légal de trois ans découlait exclusivement d’une faute de l’Autorité de district, ce qui n’était pas le cas. Depuis le transfert provisoire, l’Autorité de district s’était employée avec constance à préparer ledit plan. Son travail avait connu des retards en raison, notamment, du tracé d’une nouvelle route nationale traversant la zone et des voies d’accès à celle-ci, mesures qui avaient obligé à reconsidérer la situation de 43 propriétaires. En outre, beaucoup de pièces du dossier avaient dû rester quelques mois à la Commission régionale pour les besoins de l’examen du recours d’un propriétaire; de même, celui que les Wiesinger avaient introduit le 23 août 1983 avait exigé l’envoi du dossier à la Commission régionale, puis à la Commission suprême et à la Cour administrative, empêchant ainsi toute décision dans l’intervalle. L’Autorité de district aurait pu arrêter et publier le plan de remembrement dès 1983 si le changement du plan de zonage de Hartkirchen n’avait pas rendu nécessaires de nouvelles réflexions, enquêtes et consultations. Pour accélérer l’adoption définitive du premier, elle en avait discuté avec la commune de Hartkirchen dès le 8 septembre 1983, puis avec les organes compétents dans le domaine de l’aménagement du territoire les 25 janvier, 22 février, 5 mars et 10 avril 1984. Comme le plan de zonage n’était toujours pas arrêté, on n’avait pu adopter le plan de remembrement car l’Autorité de district n’était pas encore en mesure de déterminer si la répartition des terres assurait aux intéressés une compensation légale suffisante au regard des critères de la loi. En outre, les principes d’une saine administration commandaient de ne pas arrêter le plan de remembrement avant le plan de zonage. La conduite de l’Autorité de district se justifiait donc. L’article 38 de la loi générale sur la procédure administrative permettait de suspendre (aussetzen) une procédure jusqu’à la décision définitive sur une question préliminaire faisant l’objet d’une autre instance; en l’occurrence, le zonage constituait une question préliminaire pour la procédure de remembrement. Les requérants saisirent la Commission suprême qui les débouta le 6 mars 1985. Elle commença par confirmer la décision de la Commission régionale selon laquelle la compétence de celle-ci pour adopter un plan de remembrement valait pour le seul cas où l’inobservation du délai légal de trois ans découlait exclusivement d’une faute de l’Autorité de district. D’après la jurisprudence constante de la Cour administrative, on ne pouvait parler d’une telle faute si le retard résultait du comportement de l’une des parties ou d’un obstacle insurmontable. En l’espèce, nul ne reprochait aux requérants une attitude critiquable, mais on ne pouvait pas non plus imputer à l’Autorité de district le dépassement du délai susmentionné. Pendant toute la procédure de remembrement, elle devait prendre en compte les plans de zonage et leurs éventuelles modifications. Il était donc impossible, et même contraire aux principes d’une saine administration, d’arrêter un plan de remembrement quand il n’existait aucun plan définitif d’aménagement du territoire ou de zonage et que se poursuivaient des négociations destinées à en établir un. Même avant le dépôt du recours des Wiesinger, l’autorité compétente avait mené de nouvelles inspections du terrain et eu des contacts avec la commune de Hartkirchen, qui envisageait de convertir en terrains à bâtir quelques parcelles attribuées aux intéressés. Dans ces conditions, il ne se justifiait pas d’adopter un plan de remembrement qui serait probablement vicié dès le départ si la commune modifiait ultérieurement le plan de zonage. La mise au point de ce dernier constituait en effet un préalable à l’adoption du plan de remembrement. Pour toutes ces raisons, l’Autorité de district avait bien fait de suspendre la procédure en attendant la décision définitive de la commune; la responsabilité du retard pris par la procédure de remembrement ne pesait pas sur elle. M. et Mme Wiesinger attaquèrent cette décision devant la Cour constitutionnelle qui, le 23 novembre 1985, refusa d’examiner leur recours, par les mêmes motifs que le 24 juin (paragraphe 19 ci-dessus), et renvoya la cause à la Cour administrative conformément à leurs conclusions subsidiaires. La Cour administrative les débouta le 8 avril 1986. Elle approuva notamment la Commission régionale d’avoir décliné sa compétence, car le dépassement du délai légal n’était pas dû à la seule Autorité de district. En outre, les réclamations des intéressés quant à la nature et à l’étendue des parcelles compensatoires concernaient la question de l’indemnisation légale, à trancher par le plan de remembrement. E. Le plan de remembrement L’Autorité de district publia le plan de remembrement le 16 juillet 1986 (paragraphe 37 ci-dessous); il rendait aux Wiesinger 9 680 m² de leurs anciennes terres et leur accordait des lots d’une superficie de 19 909 m², classés comme zone susceptible d’être convertie en terrains à bâtir (Bauerwartungsland). Elle rappela qu’ils avaient déjà perçu, en 1974, une indemnité pour certaines parcelles qu’ils avaient dû céder pour les besoins de la construction de la nouvelle route nationale. Elle rejeta leur demande de dédommagement pour la plus-value de leurs anciennes terres à la suite du reclassement de celles-ci, s’agissant d’un élément pris en considération lors de l’attribution définitive des parcelles compensatoires. Enfin, elle constata qu’ils n’avaient subi aucun préjudice temporaire et n’avaient droit à aucune réparation financière. Les requérants attaquèrent le plan devant la Commission régionale. Selon eux, les terres qu’ils avaient reçues pour finir ne valaient pas autant que leurs anciennes propriétés; ils avaient souffert une perte supérieure à 4 000 000 schillings. Les diverses autorités agricoles recherchèrent d’abord un règlement amiable: l’Autorité de district du 20 octobre 1986 au 8 juillet 1987, au cours de douze réunions, puis la Commission régionale du 28 septembre 1987 au 28 août 1989, par dix-huit rencontres avec les parties concernées, les autorités locales, l’administration des ponts et chaussées, ainsi que l’institution de contrôle de la classification des terrains. A ces occasions, la Commission régionale invita la commune compétente à reconvertir en lot à bâtir une certaine parcelle qu’elle destinait aux requérants. Les efforts ainsi déployés n’aboutirent cependant pas. Après leur échec, la Commission régionale tint une audience le 28 septembre 1989. Le 24 janvier 1990, elle accueillit en partie le recours des Wiesinger: elle leur alloua une fraction de leurs anciennes terres, désormais reclassées, et d’autres lots convertis ou à convertir en sites industriels. Par contre, elle rejeta derechef leur demande de dédommagement pécuniaire. Les requérants se pourvurent devant la Commission suprême, qui les débouta le 5 décembre 1990. Après avoir examiné en détail leurs doléances, elle conclut qu’ils avaient reçu des parcelles compensatoires d’une valeur égale à celle de leurs propriétés d’antan, comme le voulait la loi de 1979. La décision incriminée ne portait donc pas atteinte à leurs droits. On pouvait d’ailleurs affirmer, si l’on comparait la nouvelle situation de l’agriculture de la région avec l’ancienne, que le plan de remembrement avait réussi et avait atteint ses objectifs. Entre temps, les requérants avaient saisi la Cour constitutionnelle; elle n’a pas encore statué. F. Autres démarches des requérants Avant l’adoption du plan de remembrement, les Wiesinger s’adressèrent aux tribunaux civils pour empêcher les travaux de construction qui avaient commencé sur leurs anciennes terres. Le 16 octobre 1985, le tribunal régional (Kreisgericht) de Wels se déclara incompétent. La cour d’appel (Oberlandesgericht) de Linz annula ce jugement le 21 février 1986, mais la Cour suprême (Oberster Gerichtshof) confirma, le 19 juin 1986, que les juridictions civiles ne pouvaient statuer en la matière. En raison des pouvoirs exclusifs que la législation autrichienne conférait à l’Autorité de district (article 102 par. 2 de la loi de 1979, paragraphe 33 ci-dessous), la haute juridiction ne souhaitait pas se conformer à sa jurisprudence antérieure bien que celle-ci eût trait à des faits analogues. Les requérants demandèrent de leur côté l’autorisation d’ériger deux silos à fourrage sur leurs parcelles compensatoires près de leur ferme, mais les autorités la leur refusèrent en raison de leur qualité de simples propriétaires provisoires des terrains en question. II. LA LÉGISLATION PERTINENTE A. La législation agricole Le remembrement des terres agricoles En matière de remembrement des terres agricoles, les normes de base figurent dans la loi fédérale sur les principes régissant l’aménagement des terres agricoles (Flurverfassungs-Grundsatzgesetz 1951), amendée en 1977. Les Länder ont traité dans des lois sur l’aménagement des terres agricoles (Flurverfassungs-Landesgesetze) les questions que leur a laissées le législateur fédéral. En Haute-Autriche, le remembrement fait l’objet de la loi de 1979 sur l’aménagement des terres agricoles ("la loi de 1979"); elle a remplacé une législation de 1972 qui elle-même avait succédé à une loi de 1911, remise en vigueur en 1954. Les procédures dont il s’agit en l’espèce commencèrent sous l’empire de la loi de 1972, qui constitua la base de la décision de transfert provisoire, mais par la suite elles relevèrent de celle de 1979. Destiné à améliorer la structure de la propriété agricole et l’infrastructure de la zone concernée (article 1 par. 1 de la loi de 1979), le remembrement comprend l’adoption de mesures et installations communes ainsi qu’une redistribution des terres. Il comporte les phases suivantes: - ouverture des opérations; - établissement de l’état d’occupation des sols en cause et évaluation de ceux-ci; - détermination des mesures et installations communes; - le cas échéant, transfert provisoire des terres; - adoption du plan de remembrement. Aucune d’elles ne peut commencer avant qu’une décision définitive n’ait clôturé la précédente. Décidée d’office, l’ouverture de la procédure sert à délimiter la zone de remembrement qui peut englober, outre des terres agricoles et forestières, d’autres parcelles offertes en vue de leur inclusion dans l’opération et le terrain nécessaire aux installations communes (articles 2 et 3). Les sols non nécessaires au remembrement peuvent être soustraits à la zone par la suite (article 4 par. 2). Les propriétaires forment une association (Zusammenlegungsgemeinschaft), personne morale de droit public. L’ouverture a pour effet de créer, pour toute la durée de la procédure, des restrictions à l’usage des terres; tout changement d’affectation exige l’approbation de l’autorité agricole concernée, qui seule a compétence pour connaître, entre autres, des litiges relatifs à la propriété et à la location des terres de la zone de remembrement (article 102). Une fois la décision d’ouverture devenue définitive, l’autorité agricole dresse l’état d’occupation des sols et les apprécie (articles 11 et 12). Sa décision (Besitzstandsausweis und Bewertungsplan) arrête leur valeur selon des critères précis (article 13). Chacun des propriétaires en cause peut contester l’évaluation non seulement de ses propres biens-fonds, mais aussi de ceux des autres. Sitôt définitive, la décision de l’autorité agricole les lie tous. Au besoin, des mesures communes telles que l’amendement des sols et la modification du terrain ou du paysage, et des installations communes comme des chemins privés, des ponts et fossés, des canaux de drainage ou d’irrigation, sont ordonnées par une décision spécifique de l’autorité compétente (Plan der gemeinsamen Massnahmen und Anlagen), laquelle doit également régler la question des frais, partagés en général entre les propriétaires. L’article 22 des lois de 1972 et 1979 autorise un transfert provisoire des terres avant l’adoption du plan de remembrement, même si quelques propriétaires s’y opposent. Aucun recours ne s’ouvre contre une décision de transfert provisoire prise par l’autorité compétente. L’article 7 de la loi fédérale de 1950 sur les autorités agricoles (Agrarbehördengesetz, amendée en 1974, "la loi fédérale de 1950/1974") précise cependant que la Commission régionale statue en dernière instance sauf dans les cas où l’on peut saisir la Commission suprême (paragraphe 39 ci-dessous). Le transfert provisoire a pour but essentiel d’assurer une exploitation rationnelle de la zone englobée dans l’opération de remembrement pendant la période intermédiaire. Les attributaires acquièrent la propriété des parcelles transférées, sous condition résolutoire: ils la perdent si le plan définitif de remembrement ne leur en confirme pas l’attribution (Eigentum unter auflösender Bedingung, article 22 par. 2). En principe, un tel transfert ne donne pas lieu à une inscription au cadastre, en raison de ladite condition résolutoire et parce que les parties peuvent se voir attribuer d’autres parcelles au terme de la procédure. Toute inscription requiert l’accord de l’Autorité de district (articles 94 et suivants). À l’issue de la procédure, l’autorité agricole compétente adopte le plan de remembrement (Zusammenlegungsplan, article 21). Depuis 1977, il doit être publié au plus tard trois ans après la décision définitive de transfert provisoire des parcelles (article 7a par. 4 de la loi fédérale de 1950), sans quoi l’intéressé peut inviter l’autorité supérieure à évoquer l’affaire. Il s’agit d’un acte administratif qui s’accompagne de cartes et d’autres renseignements techniques; son rôle le plus important consiste à déterminer la compensation due aux propriétaires parties à la procédure. A cet égard, la loi de 1979 prévoit notamment les règles suivantes: - en fixant les diverses compensations en terres, il échet de tenir compte des désirs des personnes directement concernées, dans la mesure où on le peut sans enfreindre la loi ni porter atteinte aux intérêts publics majeurs auxquels doit répondre le remembrement; - tout propriétaire dont les terres se trouvent incluses dans l’opération de remembrement a droit soit à une compensation en terres de valeur équivalente soumises à cette même opération soit, en cas d’impossibilité, à la restitution de ses parcelles antérieures, y compris des terrains à bâtir (article 19); - si la valeur des terres change au cours de l’opération, même après le transfert provisoire, il faut y avoir égard en fixant l’attribution définitive dans le cadre du remembrement (article 14 par. 1); - le dépôt des demandes de compensation doit se produire dans les six mois de la date à laquelle le plan de remembrement devient définitif (article 20 par. 6). La législation du Land ne prévoit pas de réparation pécuniaire pour le préjudice subi, avant l’entrée en vigueur d’un plan définitif de remembrement, par les propriétaires qui ont contesté avec succès la légalité de la compensation reçue en nature. Les autorités agricoles En Haute-Autriche, l’organe appelé à se prononcer en première instance est l’Autorité agricole de district, de caractère purement administratif. Les autorités supérieures sont la Commission régionale, établie auprès du Bureau du gouvernement du Land (Amt der Landesregierung), puis la Commission suprême, créée au sein du ministère fédéral de l’Agriculture et des Forêts (Bundesministerium für Land- und Forstwirtschaft). Constituant une sorte de "tribunaux administratifs spécialisés", elles comptent des juges parmi leurs membres. Les décisions (Bescheide) de l’Autorité de district peuvent donner lieu à un appel (Berufung) devant la Commission régionale. Celle-ci statue en dernier ressort sauf si elle a modifié la décision en cause et si le litige concerne l’une des questions énumérées à l’article 7 par. 2 de la loi fédérale de 1950/1974, telle la légalité de la compensation dans l’hypothèse d’un remembrement; en pareil cas, un recours s’ouvre devant la Commission suprême. L’administration ne peut ni annuler ni amender leurs décisions, mais on peut les attaquer devant la Cour administrative (articles 8 de la loi fédérale de 1950/1974 et 12 par. 2 de la Constitution fédérale). La procédure devant les commissions de la réforme agraire obéit à la loi fédérale de 1950, dont l’article 1er précise que la loi générale sur la procédure administrative s’applique, sauf un article sans pertinence en l’espèce et sous réserve des modifications et compléments prévus par ladite loi. Les commissions assument la responsabilité de la conduite de la procédure (article 39 de la loi générale sur la procédure administrative). Aux termes de l’article 9 paras. 1 et 2 de la loi fédérale de 1950, elles statuent après une audience non publique. Elles doivent se prononcer sans retard (ohne unnötigen Aufschub) et au maximum six mois après leur saisine (article 73 par. 1). Si les parties ne reçoivent pas communication de la décision (Erkenntnis) dans ce délai, elles peuvent s’adresser à l’autorité supérieure, à laquelle il incombe alors de trancher (article 73 par. 2). Au cas où cette dernière ne le fait pas dans le délai légal, la compétence échoit, sur demande de l’intéressé, à la Cour administrative (articles 132 de la Constitution fédérale et 27 de la loi sur la Cour administrative). B. L’aménagement par zonage En l’espèce, l’aménagement par zonage relève de la loi de Haute-Autriche sur l’aménagement du territoire (Raumordnungsgesetz). Le droit autrichien considère comme des arrêtés (Verordnungen) les plans de zonage et leurs amendements éventuels, même s’ils concernent une seule propriété. Leur établissement ne se situe donc pas dans le cadre de la procédure administrative habituelle et les intéressés ne sont point parties à l’opération. Les communes compétentes (Gemeinden) doivent cependant tenir compte des activités d’aménagement de leurs voisines et d’autres organes locaux de droit public, ainsi que des mesures importantes à l’échelle régionale prises par d’autres responsables de l’aménagement (article 15 par. 10), tels les projets des autorités agricoles. La légalité des arrêtés peut se contester devant la Cour constitutionnelle (article 139 de la Constitution). Toutefois, selon la jurisprudence, une personne touchée par un plan de zonage ne peut agir directement de la sorte si elle dispose d’un recours administratif. Il en va ainsi, notamment, lorsque le plan de zonage se trouve à l’origine de la délivrance ou du retrait de permis de construire. Les intéressés sont censés invoquer leurs droits dans une procédure administrative relative au permis; ils peuvent alléguer que le plan de zonage sous-jacent manque de base légale ou se heurte à la législation applicable. En dernier ressort, la question peut être déférée à la Cour constitutionnelle, au moyen d’un recours introduit en vertu de l’article 144 de la Constitution fédérale ou d’une demande formulée par la Cour administrative au titre des articles 89 par. 2 et 139. C. Les recours devant les Cours constitutionnelle et administrative Les décisions des commissions de la réforme agraire peuvent être attaquées devant la Cour constitutionnelle. Aux termes de l’article 144 de la Constitution fédérale, elle recherche s’il y a eu atteinte à un droit garanti au requérant par la Constitution ou application d’un arrêté (Verordnung) contraire à la loi, d’une loi inconstitutionnelle ou d’un traité international incompatible avec le droit autrichien (rechtswidrig). Par dérogation à la règle de principe de l’article 133 par. 4 de la Constitution fédérale, l’article 8 de la loi fédérale de 1950/1974 ouvre contre ces mêmes décisions un recours devant la Cour administrative. Elle peut être saisie avant ou après la Cour constitutionnelle, qui lui renvoie l’affaire si le requérant l’y invite et si elle conclut à l’absence de violation du droit invoqué (article 144 par. 3 de la Constitution fédérale). Selon l’article 130 de la Constitution fédérale, la Cour administrative connaît des requêtes qui allèguent l’illégalité d’un acte administratif (Bescheid) ou un manquement de l’autorité compétente à son obligation de décider. Elle examine en outre, lorsque la loi l’y habilite, les recours introduits contre les décisions d’organes comprenant des juges parmi leurs membres, par exemple les commissions de la réforme agraire (paragraphe 39 ci-dessus). PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION Dans leur requête du 12 août 1985 à la Commission (no 11796/85), M. et Mme Wiesinger se prétendaient victimes d’atteintes à leur droit à un examen de leur cause dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, au sens de l’article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention, et à leur droit de propriété tel que le protège l’article 1 du Protocole no 1 (P1-1); ils affirmaient en outre avoir été traités moins favorablement que les nouveaux propriétaires de leurs anciennes terres, au mépris de l’article 14 (art. 14) de la Convention. La Commission a retenu la requête le 10 juillet 1989, à l’exception du grief concernant l’indépendance et l’impartialité des autorités agricoles. Dans son rapport du 6 juin 1990 (article 31) (art. 31), elle conclut à la violation des articles 6 par. 1 de la Convention et 1 du Protocole no 1 (art. 6-1, P1-1); elle n’estime pas nécessaire de rechercher s’il y a eu aussi infraction à l’article 14 (art. 14) de la Convention. Le texte intégral de son avis, unanime, figure en annexe au présent arrêt. CONCLUSIONS PRESENTEES A LA COUR A l’audience du 22 avril 1991, le Gouvernement a invité la Cour à dire qu’"il n’y a eu violation ni de l’article 6 (art. 6) de la Convention ni de l’article 1 du Protocole no 1 (P1-1), considéré isolément ou combiné avec l’article 14 de la Convention (art. 14+P1-1)". Les requérants ont prié la Cour de constater la méconnaissance des articles 6 par. 1 de la Convention et 1 du Protocole no 1 (art. 6-1, P1-1); ils ont en outre présenté une demande de satisfaction équitable au titre de l’article 50 (art. 50) de la Convention.
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Citoyen italien, M. Massimo Caleffi habite Rome. En application de l'article 31 par. 1 (art. 31-1) de la Convention, la Commission a constaté les faits suivants (paragraphes 15-20 de son rapport - paragraphe 11 ci-dessous): "15. Le 21 novembre 1977, le requérant assigna la [Società italiana degli autori ed editori (S.I.A.E.)], auprès de laquelle il était employé, devant le juge d'instance ('pretore') de Rome, pour se voir reconnaître le droit à une qualification professionnelle correspondant aux fonctions exercées depuis le 1er avril 1972 et obtenir le versement d'une somme égale à la différence de rétribution qui en résultait. Le 26 septembre 1979, ce juge condamna la [S.I.A.E.] au paiement de 15 433 243 lires italiennes, somme calculée en fonction de la dépréciation de la monnaie et majorée des intérêts légaux. La [S.I.A.E.] effectua le paiement mais, le 18 décembre 1979, elle interjeta appel contre la décision du juge d'instance. Celle-ci fut totalement réformée par décision du 20 mai 1980 du tribunal de Rome, qui rejeta toutes les demandes du requérant. Le texte de la décision fut déposé au greffe le 27 septembre 1980. Le 19 décembre 1980, le requérant se pourvut en cassation. Le 6 février 1984, la Cour de cassation accueillit le pourvoi et renvoya la cause au tribunal de Velletri. Le texte de l'arrêt fut déposé au greffe le 17 avril 1984. Le 11 avril 1985, le requérant demanda au tribunal de renvoi la condamnation de la [S.I.A.E.] au paiement de 79 311 490 lires, somme qu'il alléguait lui être due pour la période allant de 1979 au 8 février 1983, date de son départ à la retraite. L'audience devant la chambre du tribunal fut fixée au 16 décembre 1985. Le 29 mai 1985, les représentants des parties demandèrent que l'audience fût avancée, afin de procéder à un règlement amiable de l'affaire. Le 1er juin 1985, le tribunal fit droit à cette demande et avança l'audience au 1er juillet 1985. A cette date, le requérant accepta de renoncer à toute prétention envers la [S.I.A.E.], en échange de la somme de 20 908 784 lires ainsi que du remboursement des frais de procédure et des honoraires d'avocat." PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION Dans sa requête du 20 septembre 1985 à la Commission (n° 11890/85), M. Caleffi se plaignait de la durée de la procédure civile engagée par lui. Il alléguait la violation de l'article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention. La Commission a retenu la requête le 10 mars 1989. Dans son rapport du 6 mars 1990 (article 31) (art. 31), elle conclut, à l'unanimité, qu'il y a eu infraction à l'article 6 par. 1 (art. 6-1). Le texte intégral de son avis figure en annexe au présent arrêt*. _______________ * Note du greffier: Pour des raisons d'ordre pratique il n'y figurera que dans l'édition imprimée (volume 206-B de la série A des publications de la Cour), mais chacun peut se le procurer auprès du greffe. _______________ CONCLUSIONS PRESENTEES A LA COUR PAR LE GOUVERNEMENT Le Gouvernement a confirmé à l'audience du 22 janvier 1991 les conclusions de son mémoire. Elles invitaient la Cour à dire "qu'il n'y a pas eu violation de la Convention".
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M. Natale Brigandì habite Florence. En juillet 1961, à Reggio de Calabre, un certain M. B. démolit un local à usage d'entrepôt, appartenant au requérant, et édifia un nouveau bâtiment sur la parcelle ainsi libérée. I. La procédure de première instance Le 14 mai 1962, M. Brigandì assigna M. B. devant le tribunal de Reggio de Calabre; il réclamait la démolition de l'immeuble édifié par celui-ci, la reconstruction de l'entrepôt et une indemnité. Le tribunal rejeta la première demande le 23 juillet 1973; tout en attribuant à M. B. - qui l'y avait invité en vertu de l'article 938 du code civil - la propriété du terrain, il le condamna au versement de 10 772 000 lires italiennes de dommages et intérêts au requérant. II. La procédure d'appel M. Brigandì attaqua le jugement le 24 mai 1974; il discutait l'applicabilité dudit article 938 et réclamait le retour à la situation antérieure. Après avoir tenu audience les 14 août 1974 et 27 janvier 1975, la cour d'appel de Reggio de Calabre mit l'affaire en délibéré le 15 mai 1975. Elle prononça le 8 juillet 1975 un premier arrêt sur le fond. Elle y constatait entre autres que l'article 938 ne jouait pas en l'espèce, que M. B. avait agi de manière illicite et qu'il devait non seulement indemniser M. Brigandì, mais aussi rétablir les lieux en état. Par une ordonnance du même jour, elle désigna un expert dont la tâche consistait à déterminer si l'immeuble construit par M. B. comprenait un local correspondant à l'entrepôt démoli et, dans la négative, à indiquer les travaux nécessaires à une remise en état. L'expert prêta serment le 12 janvier 1976. Après avoir visité le terrain les 20 septembre et 14 décembre 1976 puis le 11 janvier 1977, il produisit son rapport le 10 février 1977. Les parties ne se rendirent pas à l'audience fixée pour le 14 février. A la suivante, le 23 mai 1977, le requérant contesta le rapport. Convoqué par la cour d'appel, l'expert ne comparut que le 26 juin 1978; entre temps, quatre audiences (28 novembre 1977 et 23 janvier, 24 avril et 22 mai 1978) avaient été différées avec l'accord des parties. Chargé de fournir de plus amples renseignements, il déposa un rapport complémentaire le 12 octobre 1978. Lors de débats qui se déroulèrent les 26 février et 28 mai 1979, M. Brigandì combattit les nouvelles conclusions de l'expert. Il engagea la cour à sommer celui-ci de répondre dûment aux questions soulevées ou, à défaut, à le remplacer. D'autres audiences se tinrent les 10 décembre 1979 et 24 mars 1980; au cours de la première, le requérant présenta l'avis d'un expert privé. L'affaire fut déclarée en état le 14 avril 1980. Le 26 mai 1980, les parties saisirent de leurs conclusions le conseiller de la mise en état (consigliere istruttore), qui les invita à les développer devant la cour elle-même le 28 mai 1981. A cette date, l'audience fut renvoyée au 22 octobre 1981 en raison de l'absence dudit conseiller. La cour d'appel mit l'affaire en délibéré le 18 février 1982. Par un arrêt du 20 janvier 1983, déposé au greffe le 18 février, elle confirma qu'il incombait à M. B. de rétablir les lieux en leur état antérieur; elle le condamna à verser au requérant 80 190 000 lires, plus les intérêts, pour dommage matériel et 30 000 000 pour préjudice moral. III. La procédure en cassation Le 23 juin 1983, M. B. se pourvut en cassation. Le requérant produisit son mémoire le 3 août et sollicita, le 20 novembre, la fixation de l'audience. Prévue pour le 6 juin 1984, celle-ci fut reportée au 12 décembre à la demande du conseil de M. B. A cette dernière date, la chambre chargée d'examiner le pourvoi se dessaisit au profit de l'Assemblée plénière (sezioni unite) car M. B. avait en substance excipé de l'incompétence de la juridiction judiciaire (giudice ordinario). La Cour de cassation statua le 13 juin 1985. Par un arrêt déposé au greffe le 23 novembre, elle rejeta le pourvoi quant à la remise en état de l'entrepôt et au préjudice moral. Elle cassa toutefois la décision d'appel, pour défaut de motivation, dans la mesure où celle-ci avait tranché la question de la reconstruction d'une cave annexée à l'entrepôt; elle estima en outre que le dommage matériel n'avait pas été déterminé correctement. Sur ces deux points, elle renvoya la cause devant la cour d'appel de Messine. IV. La procédure sur renvoi après cassation Le 10 septembre 1986, M. Brigandì assigna M. B. devant ladite cour d'appel. L'instruction débuta le 20 janvier 1987. L'audience du 17 mars fut renvoyée, à la demande du requérant, et la suivante ajournée du 16 juin au 7 juillet. Après avoir présenté leurs conclusions au conseiller de la mise en état le 3 novembre 1987, les parties comparurent le 3 octobre 1988 devant la cour. Ayant mis l'affaire en délibéré, celle-ci ordonna, le 31 octobre, que les actes de la procédure de première instance (paragraphes 10-11 ci-dessus) fussent versés au dossier et chargea un expert d'évaluer le manque à gagner subi par M. Brigandì. Le 17 janvier 1989, le conseiller de la mise en état impartit à l'expert un délai de quatre-vingt-dix jours pour s'acquitter de sa tâche et fixa au 2 mai 1989 l'audience suivante. Celle-ci et deux autres (16 mai et 4 juillet) furent annulées car l'expert ne produisit son rapport que le 25 septembre. Le 3 octobre, les parties furent invitées à présenter leurs conclusions à l'audience du 7 novembre 1989. Par un arrêt du 23 juillet 1990, déposé au greffe le 8 octobre, la cour d'appel accorda au requérant une indemnité de 11 355 155 lires - plus les incidences de la dépréciation de la monnaie et les intérêts - pour dommage matériel, mais le débouta en ce qui concerne la cave annexée à l'entrepôt. A la connaissance de la Cour, aucune des parties ne s'est pourvue en cassation. PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION Dans sa requête du 22 février 1985 à la Commission (n° 11460/85), l'intéressé se plaignait de la durée de la procédure civile engagée par lui et de la méconnaissance de son droit au respect de ses biens; il invoquait les articles 6 de la Convention et 1 du Protocole n° 1 (art. 6, P1-1). La Commission a retenu la requête le 5 décembre 1988. Dans son rapport du 6 décembre 1989 (article 31) (art. 31), elle conclut à la violation de l'article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention (unanimité), mais non de l'article 1 du Protocole n° 1 (P1-1) (douze voix contre sept). Le texte intégral de son avis et de l'opinion dissidente dont il s'accompagne figure en annexe au présent arrêt*. _______________ * Note du greffier: Pour des raisons d'ordre pratique il n'y figurera que dans l'édition imprimée (volume 194-B de la série A des publications de la Cour), mais chacun peut se le procurer auprès du greffe. _______________ CONCLUSIONS PRESENTEES A LA COUR PAR LE GOUVERNEMENT A l'audience du 3 octobre 1990, le Gouvernement a confirmé la conclusion de son mémoire, où il invitait la Cour à dire "qu'il n'y a pas eu violation de la Convention ni du Protocole n° 1 dans la présente affaire".
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M. Claudio Zanghì, professeur d’Université, habite Rome. Copropriétaire d’une résidence secondaire sise dans l’arrière-pays de Catane (Sicile), il reprocha en 1982 à une voisine, Mme D., de l’avoir lésé par certains travaux accomplis sur un bien-fonds contigu au sien. Les dégâts consistaient notamment dans l’écroulement d’un mur de clôture haut d’un mètre. Mme D. le reconstruisit, mais en l’élevant à deux mètres. L’intéressé perdit ainsi l’avantage de jouir de la vue de la mer. Le 3 avril 1982, il introduisit une instance devant le tribunal de Catane. Il l’invitait à constater l’existence d’une servitude de vue au profit de son fonds et à condamner sa voisine au rétablissement de la situation antérieure ainsi qu’au paiement de dommages et intérêts. Ouverte le 25 mai 1982, l’instruction se poursuivit jusqu’au 22 janvier 1985; les parties présentèrent alors leurs conclusions au juge de la mise en état (giudice istruttore) qui les renvoya devant le tribunal, les débats devant se tenir le 29 mai 1986. Le jour venu ce dernier reporta l’examen de la cause - en raison de la mutation de l’un des juges - au 10 mars 1988, date à laquelle il mit l’affaire en délibéré. Adopté le 17 mars, le jugement fut déposé au greffe le 9 mai 1988; il accueillait les demandes du requérant qui le notifia à la défenderesse le 19 juillet. Le 27 septembre 1988, celle-ci interjeta appel. Des audiences eurent lieu les 20 janvier 1989, 18 mai 1989 et 28 mai 1990 devant le conseiller de la mise en état (consigliere istruttore) qui renvoya alors les parties devant la cour d’appel pour présenter leurs conclusions. Selon les renseignements fournis à la Cour, elle n’a pas encore statué. PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION Dans sa requête du 16 avril 1985 à la Commission (no 11491/85), l’intéressé se plaignait de la durée de la procédure civile engagée par lui et de la méconnaissance de son droit au respect de ses biens; il invoquait les articles 6 de la Convention et 1 du Protocole no 1 (art. 6, P1-1). La Commission a retenu la requête le 5 décembre 1988. Dans son rapport du 11 décembre 1989 (article 31) (art. 31) elle conclut, à l’unanimité, qu’il y a eu violation de l’article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention, mais non de l’article 1 du Protocole no 1 (P1-1). Le texte intégral de son avis et de l’opinion séparée dont il s’accompagne figure en annexe au présent arrêt. CONCLUSIONS PRESENTEES A LA COUR PAR LE GOUVERNEMENT À l’audience du 3 octobre 1990, le Gouvernement a confirmé la conclusion de son mémoire, où il invitait la Cour à dire "qu’il n’y a pas eu violation de la Convention ni du Protocole no 1 dans la présente affaire".
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Ressortissant italien, M. Aventino Frau habite Salo où il exerce la profession d'avocat. En application de l'article 31 par. 1 (art. 31-1) de la Convention, la Commission a constaté les faits suivants (paragraphes 14-31 de son rapport - paragraphe 12 ci-dessous): "14. Les faits à l'origine de la requête sont les mêmes que ceux qui ont donné lieu à la requête n° 10253/83, Savoldi c. Italie, dans laquelle le requérant est mentionné comme 'membre du Parlement F.', requête déclarée recevable par la Commission le 5 juillet 1985*. _______________ * Note du greffier: On peut se procurer le texte de cette décision auprès de la Direction des Droits de l'Homme du Conseil de l'Europe. _______________ Le 16 novembre 1973 le requérant, qui était parlementaire, avait adressé une question parlementaire au ministre du Trésor au sujet d'irrégularités survenues dans la gestion de la banque 'Banco di Milano'. Dans sa réponse, datée du 9 août 1974, le ministre du Trésor fit savoir que les autorités judiciaires avaient été saisies d'une demande d'enquête le 5 décembre 1973. La banque 'Banco di Milano' fut soumise à une liquidation forcée le 16 janvier 1975. Le 18 janvier 1975, D. L., son directeur général, fut arrêté pour appropriation indue et banqueroute frauduleuse. D. L. s'enfuit en Suisse, d'où le 14 juillet 1975 il porta plainte à la fois auprès des autorités suisses et italiennes contre le requérant et Savoldi (avocat et conseiller du requérant), pour extorsion de fonds à son détriment. Une enquête fut ouverte par les autorités judiciaires des deux pays. a) Procédure instruite en Suisse Dès le 6 octobre 1975, les autorités suisses, faisant suite à une commission rogatoire des autorités judiciaires italiennes, remirent en mains propres au procureur de la République de Milan, chargé de l'affaire, les actes de la procédure instruite à Lugano. Cela ressort d'une lettre adressée par le juge d'instruction de Lugano au procureur de la République de Milan, rédigée dans les termes suivants: 'Je vous transmets en retour la commission rogatoire du 6 octobre 1975, effectuée aujourd'hui même au moyen de la remise en vos mains de la documentation figurant au dossier de la procédure que que j'instruis contre les accusés indiqués en référence'. A la suite de contacts et d'accords avec les autorités judiciaires italiennes, le 2 septembre 1977 les autorités suisses se dessaisirent finalement du dossier au profit de ces dernières. b) Procédure instruite en Italie De leur côté, les autorités italiennes avaient ouvert une enquête. Le procureur de la République de Milan, constatant que dans une interview à la presse, qu'il lui avait fait parvenir, D. L. accusait expressément les trois personnes susmentionnées du délit d'extorsion de fonds, décida, le 22 septembre 1975, d'ouvrir une enquête préliminaire. Le 21 octobre 1975, le procureur de la République transmit le dossier au juge d'instruction pour qu'il instruisît l'affaire. Les actes relatifs à l'instruction de l'affaire furent accomplis dans leur quasi-totalité avant le 8 février 1976, puisqu'à cette date le juge d'instruction invita le parquet à prendre ses réquisitions (article 369 du code de procédure pénale). En ce qui concerne le requérant, il fut nécessaire de demander la levée de l'immunité parlementaire. Cela fut fait par le ministère public le 20 octobre 1975. Le requérant ayant renoncé à s'en prévaloir, la décision put être prise le 13 avril 1976. Elle fut communiquée au ministère de la Justice par lettre du 21 avril 1976 du président de la Chambre des députés. Le juge d'instruction envoya également deux commissions rogatoires aux autorités judiciaires suisses, les 16 novembre 1975 et 7 janvier 1976, avant que le 2 septembre 1977 ces dernières ne se dessaisissent définitivement du dossier. Le Gouvernement a cependant indiqué que la documentation gardée en territoire suisse ne parvint aux autorités italiennes que le 5 avril 1978. A la suite de cette transmission, les inculpés furent à nouveau interrogés par le juge d'instruction. Le 18 décembre 1978, le juge d'instruction de Milan renvoya en jugement le requérant et les autres accusés et déposa un dossier constitué d'environ 1000 pages. c) Jugement L'affaire fut inscrite au rôle du tribunal de Milan en 1979. La première audience, qui devait avoir lieu le 28 mai 1979, dut être remise une première fois au 24 septembre 1979 car le plaignant n'avait pas été cité à comparaître. Cette seconde audience dut également être ajournée car la composition du tribunal n'était pas la même que lors de la première audience; elle fut reportée au 19 novembre 1979. A l'issue de l'audience tenue à cette date, le requérant fut relaxé pour insuffisance de preuves. Le jugement fut déposé au greffe du tribunal le 23 novembre 1979. Le requérant releva appel. (...) d) Procédure incidente Le 17 mai 1979, le coaccusé du requérant avait soulevé un conflit de compétence territoriale. Le tribunal de Milan rejeta l'exception par ordonnance du 19 novembre 1979. Le 22 novembre 1979, le coaccusé du requérant se pourvut en cassation contre cette ordonnance. Par arrêt du 17 juin 1980, déposé au greffe le 8 juillet suivant, la Cour de cassation cassa l'ordonnance du tribunal de Milan et résolut le conflit en ordonnant la transmission au tribunal de Milan des actes de la procédure instruite par le parquet de Rome. Le dossier pénal, qui avait été transmis à la Cour de cassation pour les besoins de la cause, fut retourné le 17 février 1981 à la cour d'appel de Milan devant laquelle le procès était pendant. e) Procédure d'appel Aucune nouvelle mesure d'instruction ne fut ordonnée en appel. Une première audience fut fixée par la cour d'appel au 15 janvier 1982, mais elle dut être reportée au 10 mai 1982 car les juges n'avaient pas reçu le dossier de la procédure ouverte à Rome qui, suite à l'arrêt de la Cour de cassation, aurait dû leur être transmis (voir procédure incidente). Ce dossier fut transmis le 19 février 1982. A l'audience du 10 mai 1982, le procureur général demanda le renvoi du procès à une date ultérieure. L'audience eut finalement lieu le 30 juin 1982. L'arrêt rendu par la cour d'appel le jour même fut déposé au greffe le 15 juillet 1982. Il confirmait la relaxe du requérant", fondée cette fois sur l'absence de faits délictueux ("perché il fatto non sussiste"). Le délai ouvert au parquet général pour se pourvoir en cassation expira le 3 juillet 1982 (article 199 du code de procédure pénale). PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION Dans sa requête du 22 décembre 1982 à la Commission (n° 12147/86), M. Frau se plaignait de la durée de la procédure; il invoquait l'article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention. Il allégua par la suite d'autres méconnaissances de la même disposition. Le 5 septembre 1989, la Commission a retenu la requête quant au premier grief et l'a déclarée irrecevable pour le surplus. Dans son rapport du 5 décembre 1989 (article 31) (art. 31), elle conclut à l'unanimité qu'il y a eu infraction à l'article 6 par. 1 (art. 6-1). Le texte intégral de son avis figure en annexe au présent arrêt*. _______________ * Note du greffier: Pour des raisons d'ordre pratique il n'y figurera que dans l'édition imprimée (volume 195-E de la série A des publications de la Cour), mais chacun peut se le procurer auprès du greffe. _______________
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Citoyen italien, M. Dino Girolami habite Florence où il est commis de boucherie. En application de l'article 31 par. 1 (art. 31-1) de la Convention, la Commission a constaté les faits suivants (paragraphes 13-19 de son rapport - paragraphe 11 ci-dessous): "13. Le requérant et une autre personne ont été poursuivis pour une escroquerie portant sur une somme d'environ 50 millions de lires italiennes, commise aux dépens d'une société coopérative à l'occasion d'une transaction relative à la vente de viandes produites par cette dernière. Sur plainte du 10 décembre 1977 de la société coopérative, la police établit un rapport daté du 15 mars 1978 qui fut transmis au parquet de Coni. Le parquet engagea contre le requérant et un coaccusé des poursuites pour escroquerie qualifiée. L'ordre d'arrestation lancé le 25 mars 1978 contre le requérant ne put être exécuté, ce dernier s'étant soustrait à la justice. Le 16 mai 1978, l'instruction fut confiée à un juge d'instruction. Le 9 janvier 1979, le défenseur du requérant demanda au juge d'instruction de révoquer l'ordre d'arrestation qui frappait le requérant (article 277 du code de procédure pénale). Le juge d'instruction le révoqua par décision du 30 mai 1979. Le 19 novembre 1979, le requérant se présenta au juge d'instruction et fut interrogé. Le 5 janvier 1980, le parquet de Coni prit ses réquisitions et demanda le renvoi en jugement du requérant et de son coaccusé. Le 24 mai 1980, le juge d'instruction de Coni rendit une ordonnance de renvoi en jugement du requérant devant le tribunal de Coni. La première audience devant le tribunal de Coni, qui avait d'abord été fixée au 11 janvier 1985, fut ajournée à la demande du défenseur du requérant qui à cette date était engagé dans un autre procès. Le 14 janvier 1985, le juge fixa pour l'audience la date du 14 juin 1985. Lors de cette audience, l'avocat du requérant en demanda la remise pour permettre au requérant, qui était détenu dans une autre localité pour y purger une peine et était revenu au dernier moment sur sa renonciation à comparaître, de participer à la procédure. L'audience fut reportée au 11 avril 1986. Lors de cette audience, l'avocat de son coaccusé, appuyé par l'avocat du requérant, souleva une exception d'incompétence territoriale du tribunal de Coni. Par jugement du 11 avril 1986 (déposé au greffe le 24 avril), le tribunal de Coni se déclara incompétent et ordonna la transmission du dossier au parquet de Livourne. Le dossier parvint au parquet de Livourne le 19 juin 1986. L'audience devant le tribunal de Livourne, qui avait d'abord été fixée au 7 janvier 1987, eut lieu le 3 avril 1987 car le tribunal dut ordonner l'accompagnement forcé de témoins à l'audience. A cette même date, le tribunal de Livourne relaxa le requérant pour insuffisance de preuves et condamna son coaccusé pour escroquerie. Le jugement, déposé au greffe le 11 mai 1987, est devenu définitif à l'égard du requérant le 3 mai 1987, aucun appel n'ayant été relevé de ce jugement." PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION Dans sa requête du 8 octobre 1987 à la Commission (n° 13324/87), M. Girolami se plaignait de la durée de la procédure; il invoquait l'article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention. La Commission a retenu la requête le 5 septembre 1989. Dans son rapport du 5 décembre 1989 (article 31) (art. 31), elle conclut à l'unanimité qu'il y a eu infraction à l'article 6 par. 1 (art. 6-1-. Le texte intégral de son avis figure en annexe au présent arrêt*. _______________ * Note du greffier: Pour des raisons d'ordre pratique il n'y figurera que dans l'édition imprimée (volume 196-E de la série A des publications de la Cour), mais chacun peut se le procurer auprès du greffe. _______________
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Citoyen néerlandais, M. Jacobus Koster réside actuellement à Gainesville, en Floride (États-Unis). Le 11 mars 1987, pendant son service militaire obligatoire, il refusa obstinément, malgré des avertissements, d’obéir à l’ordre de prendre livraison d’une arme et d’un uniforme. Là-dessus, il fut arrêté le jour même à 15 h 45, puis placé en détention provisoire, mesure approuvée à 16 h 30 par le commandant de son unité. La police militaire (Koninklijke marechaussee) l’interrogea à 19 h. Le vendredi 13 mars, il comparut, assisté d’un avocat désigné, devant l’officier commissaire (officier-commissaris) chargé d’instruire l’affaire. Devant le conseil de guerre réuni à huis clos le lundi 16 mars, l’avocat de M. Koster plaida que la durée de l’incarcération avait dépassé la limite de quatre jours résultant, d’après lui, de l’article 5 par. 3 (art. 5-3) de la Convention. Il ajouta que la juridiction militaire ne présentait pas l’indépendance et l’impartialité voulues pour trancher des questions de ce genre. Le conseil de guerre confirma néanmoins la détention antérieure et la prolongea de trente jours, afin, selon lui, de préserver la discipline militaire. D’après lui, l’article 5 par. 3 (art. 5-3) ne fixait pas de bornes précises dans le temps. Le conseil aurait du reste siégé dans les meilleurs délais, eu égard aux grandes manoeuvres biennales auxquelles ses membres militaires participaient à l’époque; de surcroît, le quatrième jour suivant l’arrestation était un dimanche. De plus, la Commission européenne aurait reconnu, dans son avis sur les requêtes van der Sluijs (no 9362/81), Zuiderveld (no 9363/81) et Klappe (no 9387/81), la compétence des conseils de guerre pour statuer en la matière. Le 9 septembre 1987, la Cour suprême militaire condamna l’intéressé à une peine d’un an d’emprisonnement, sur laquelle s’imputa la période déjà passée sous les verrous. II. DROIT INTERNE PERTINENT A l’époque des faits, la procédure pénale pour les armées de terre et de l’air obéissait, notamment en matière d’arrestation et de détention provisoire, au code de procédure des armées de terre et de l’air (Rechtspleging bij de Land- en Luchtmacht - "le code"), amendé en dernier lieu le 24 novembre 1978 et abrogé avec effet au 1er janvier 1991. Il habilitait tout officier ou sous-officier à arrêter un militaire de grade inférieur soupçonné d’une infraction grave si les circonstances exigeaient une privation immédiate de liberté (article 4 du code); la détention qui en résultait ne devait pas dépasser vingt-quatre heures, sauf prolongation par le commandant d’unité conformément à l’article 7 (article 5). Le commandant d’unité devait traiter l’affaire sans tarder. Il pouvait ordonner la mise ou le maintien du suspect en détention provisoire, notamment si cela se révélait nécessaire pour préserver la discipline dans l’armée. Il signalait au général tout cas d’incarcération supérieure à quatre jours (article 7, premier, deuxième et sixième alinéas). Le général devait traduire l’inculpé devant le conseil de guerre s’il y avait lieu (article 11, 1er alinéa). L’ordre de renvoi devait être formulé par écrit et indiquer s’il convenait ou non de libérer l’intéressé, les motifs de mise en détention énoncés à l’article 7 s’appliquant par analogie (article 14, premier et deuxième alinéas). La détention prescrite ou maintenue par la décision de renvoi en jugement ne pouvait excéder quatorze jours sauf si le conseil de guerre la prolongeait, par période de trente jours, à la demande de l’auditeur militaire (article 31). Tout prévenu incarcéré en vertu de ladite décision devait être ouï par l’officier commissaire dans les meilleurs délais et en tout cas dans les quatre jours de la saisine; à cette occasion, il pouvait avoir l’assistance d’un conseiller (article 33, premier alinéa). Avant de prolonger la détention, le conseil de guerre devait accorder à l’intéressé et à son avocat la faculté d’être entendus (article 33, second alinéa). Une directive du 21 mars 1983 régissait le renvoi en jugement de militaires en détention provisoire. Elle disposait: "En application de l’article 5 par. 3 (art. 5-3-) de la Convention européenne des Droits de l’Homme, on prendra soin de soumettre au conseil de guerre siégeant en chambre du conseil, pour confirmation ou prolongation, toute détention provisoire d’un militaire dans les quatre jours de l’arrestation. A cet effet, on procédera ainsi: Tout officier ou sous-officier qui arrête provisoirement un militaire soupçonné d’une infraction en informe dans les meilleurs délais le commandant d’unité de l’intéressé. Si, après avoir entendu le suspect, le commandant d’unité estime qu’il y a lieu de maintenir/prolonger la détention, il en informe par téléphone l’auditeur militaire (auditeur- militair/fiscaal), au plus tard deux jours après l’arrestation, soit personnellement, soit par délégation (par exemple au commandant de brigade compétent de la police militaire). En cas de comparution du suspect devant l’auditeur militaire, celui-ci en fixe, avec le commandant d’unité ou en son nom, l’heure et le lieu en sorte que normalement, dans les quatre jours suivant l’arrestation: a) le suspect puisse se voir traduit devant l’auditeur militaire; b) celui-ci puisse remettre son avis à l’autorité dont relève le renvoi en jugement; c) cette dernière puisse rendre une ordonnance de renvoi (comprenant aussi une décision au sujet de la détention); d) le suspect puisse être entendu par le commandant d’unité; e) l’auditeur militaire puisse soumettre la question de la confirmation/prolongation de la détention du suspect au conseil de guerre. Les différentes armes adapteront en conséquence leur réglementation (VS27-1 et VVKM 142)." Un arrêté ministériel du 19 décembre 1983 avait incorporé cette directive au Règlement sur l’application du droit pénal et disciplinaire militaire (Voorschrift Toepassing Militair straf- en tuchtrecht KL/Flu). PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION Dans sa requête du 31 mars 1987 à la Commission (no 12843/87), M. Koster se plaignait de n’avoir pas été "aussitôt" traduit devant le conseil de guerre comme l’exige l’article 5 par. 3 (art. 5-3). La Commission a retenu la requête le 6 septembre 1989. Dans son rapport du 3 septembre 1990 (article 31) (art. 31), elle conclut à l’unanimité à la violation dudit article. Le texte intégral de son avis figure en annexe au présent arrêt.
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Ressortissant français résidant à Basse-Terre (Guadeloupe), Me Roland Ezelin exerce la profession d’avocat. A. La genèse de l’affaire Certains mouvements indépendantistes et syndicats de Guadeloupe organisèrent à Basse-Terre, le 12 février 1983, une manifestation publique destinée à protester contre deux décisions judiciaires condamnant trois militants à des peines d’emprisonnement et d’amende pour dégradation de bâtiments publics. Le requérant, alors vice-président du Syndicat des avocats de la Guadeloupe, y participa en portant une pancarte. Le commissaire principal de Basse-Terre dressa le jour même un procès-verbal et l’envoya au procureur de la République de cette ville. Accompagné de onze annexes, ce document relate : "Nous trouvant au service, Sommes informés par message radio que la manifestation organisée à ce jour par les divers mouvements indépendantistes dès 9 heures au Champ d’Arbaud à Basse-Terre et dont nous suivons l’évolution, a pris la forme d’un défilé en ville, que les manifestants se sont mis en marche à 10 h 30 et qu’ils parcourent les rues de la ville en scandant des slogans hostiles à la police et à la justice et qu’au cours du défilé des inscriptions à la peinture ont été portées sur divers bâtiments et notamment l’Institut d’émission d’Outre-mer, dit ‘Caisse centrale’ ; Que le groupe qui est parti du Champ d’Arbaud, composé de 450 à 500 personnes, a fusionné, à hauteur de la rue Schoelcher, avec un autre groupe de 500 personnes, formant ainsi un groupe compact de mille personnes environ, dont les leaders marchent en tête et donnent les mots d’ordre [,] des slogans à scander par haut-parleurs, et que parmi ces leaders ont été reconnus les personnages suivants : - Roland Thesauros (Université Antilles-Guyane), - Luc Reinette, leader du M.P.G.I. (Mouvement populaire pour une Guadeloupe indépendante), ancien membre du G.L.A. sorti de prison après le 10 mai 1981, - Max Safrano, chef présumé de l’A.L.N. (Armée de libération nationale), inculpé, et élargi la veille de la prison de Basse-Terre, - Fernand Curier [,] du Syndicat U.T.S./U.G.T.G. [,] récemment condamné (le 1er février 1983) par la cour d’appel de Basse-Terre à 15 jours d’emprisonnement et 10 000 francs d’amende, - la soeur de Joseph Samson, condamné le 7 février 1983 par le tribunal correctionnel de Basse-Terre à la même peine, - Rosan Mounien, autre syndicaliste de l’U.T.A./U.G.T.G., - Marc-Antoine, condamné le 7 septembre 1983 par la cour d’appel de Basse-Terre en même temps qu’Alexander, ... et d’autres, connus comme des extrémistes particulièrement exaltés et déterminés, dont un nommé Rupaire, etc... et que le cortège ainsi constitué se trouve présentement au cours Nolivos, qu’il s’engage rue de la République, et qu’il va arriver devant le commissariat. A cet instant, disons rendre compte des faits par radio à M. le directeur départemental des polices urbaines (indicatif ‘Polaire’) lequel se trouve au palais de justice avec deux pelotons de gendarmes mobiles que nous avons convenu de déployer en bas du boulevard Félix-Eboué de façon à interdire l’accès au palais de justice pour prévenir toute exaction contre ce bâtiment et le palais du conseil général. A onze heures dix minutes, les manifestants arrivent devant le commissariat de police et se massent devant le poste. Pendant que je prenais les dispositions nécessaires pour [parer à] l’attaque éventuelle des locaux, les manifestants prenaient position devant le poste où devaient avoir lieu deux prises de paroles par des meneurs étrangers à la circonscription et inconnus des policiers présents. Les propos, tenus en créole, tendaient à exhorter les policiers à se démobiliser et à rejoindre leurs rangs. Puis, s’ensuivait une violente mise à l’index du gardien Beaugendre, accusé de trahison, après quoi, la foule des manifestants devait scander durant un quart d’heure : "BEAUGENDRE-MAKO ! UN JOU OU KE PAYE" (un jour tu vas payer) sur l’air des lampions. Parmi les manifestants, étaient identifiés les personnages suivants : Roland Thesauros, Luc Reinette, Max Safrano, Fernand Curier, Rosan Mounien, Rupaire, Marc-Antoine, la famille de Samson (P.V. no 1) ainsi que le docteur Corentin (P.V. no 7) et Me Ezelin, avocat à la Cour, ces deux dernières personnes déployant une banderole comportant l’inscription "AVOCATS-MEDECINS" (P.V. no 7). Cependant, la plus grande partie des manifestants, parmi lesquels se trouvaient les plus excités et les plus agressifs, étaient des personnes étrangères à Basse-Terre, la plupart originaires de la Grande-Terre semble-t-il, et par conséquent inconnues des fonctionnaires de police; Les manifestants quittaient le commissariat vers 11 h 30 en direction du palais de justice et du conseil général. Tenu constamment informé des faits, mon directeur me faisait alors savoir qu’il renonçait à disposer un barrage fixe au bas du boulevard Eboué, comme nous l’avions décidé, et qui aurait été destiné à empêcher les manifestants d’approcher les deux points névralgiques du palais de justice et du conseil général, en raison de la trop forte supériorité numérique de ces derniers. Le cortège empruntait alors le boulevard Félix-Eboué qu’il devait remonter jusqu’au Champ d’Arbaud où devait s’opérer la dispersion, après avoir marqué deux arrêts prolongés, ponctués de prises de paroles et de slogans repris par la foule, d’abord devant le palais de justice pour insulter les magistrats, puis à hauteur de la prison pour manifester leur solidarité aux militants emprisonnés. Après le passage des manifestants, on devait constater qu’ils avaient mis à profit ces arrêts pour maculer les murs des bâtiments administratifs d’inscriptions outrageantes et injurieuses tracées à la peinture verte, rouge et noire. L’enquête immédiatement entreprise n’a pas permis d’identifier les auteurs de ces dégradations. Selon les renseignements recueillis, la plupart des inscriptions ont été tracées par des jeunes filles étrangères à Basse-Terre, sans doute pour éviter au maximum d’être reconnues. L’une d’elles serait enseignante à Pointe-à-Pitre mais ce fait n’a pu être établi formellement. Les Renseignements généraux ont confirmé que les auteurs de ces inscriptions faisaient partie des manifestants arrivés par autocar de Pointe-à-Pitre. Ils ne connaissent pas leurs identités. En conséquence, je vous transmets, en l’état, la présente procédure. Cependant, cette affaire retient toute l’attention de mes services. Tout fait nouveau, tout renseignement permettant l’identification des auteurs des faits, serait immédiatement exploité, et je ne manquerais pas de vous en tenir informé." B. La procédure d’instruction Une information contre X fut ouverte le 21 février 1983 pour dégradation de bâtiments publics et outrages à magistrats. Le 24, le procureur général près la cour d’appel de Basse-Terre écrivit en ces termes au bâtonnier de l’Ordre des avocats de la Guadeloupe : "J’ai l’honneur de vous transmettre sous ce pli la photocopie d’un rapport de police en date du 21 février 1983 duquel il résulte que Me Ezelin, avocat au barreau départemental de la Guadeloupe, aurait participé, dans des conditions de nature à mettre en jeu sa responsabilité au regard de l’article 226 du code pénal," - paragraphe 23 ci-dessous - "à une manifestation publique dirigée contre l’institution judiciaire. Je vous prie de bien vouloir m’adresser votre avis sur cette affaire, après avoir recueilli les explications de votre confrère." Par une lettre du 14 mars 1983, le bâtonnier indiqua au procureur général le résultat de ses investigations : " - (...) Me R. Ezelin [n’avait pas porté] une banderole avec un tiers mais [porté] seul une pancarte avec l’intitulé suivant ‘Syndicat des avocats de la Guadeloupe contre la loi sécurité et liberté’ ; - il ne p[ouvait] lui être imputé aucun acte, aucun geste, aucun propos outrageant à l’encontre des magistrats. Sa participation à une manifestation [s’était] donc limitée à une protestation contre l’usage de la loi ‘sécurité et liberté’. (...)." Et de conclure : "Dans ces conditions, compte tenu : - des faits : dans l’hypothèse la plus défavorable pour Me R. Ezelin, la prise en compte du rapport de M. le commissaire principal (...) ne lui impute aucun geste, aucun acte, aucun propos outrageant ; - des dispositions de l’article 226 du code pénal, il ne m’apparaît pas que puisse être retenue la responsabilité de mon confrère R. Ezelin [,] exerçant son libre droit de réunion à une manifestation non interdite, et portant une pancarte avec l’inscription ‘Syndicat des avocats de la Guadeloupe contre la loi sécurité et liberté’. (...)." Convoqué le 25 avril 1983, après une remise, par le juge d’instruction pour déposer en tant que témoin, le requérant déclara n’avoir rien à dire sur l’affaire. Le 19 mai 1983, l’instruction déboucha sur une ordonnance de non-lieu, au motif qu’aucun élément n’avait été recueilli permettant d’identifier les auteurs des inscriptions, ni ceux des propos outrageants ou menaçants tenus au cours de la manifestation. C. Les poursuites disciplinaires contre le requérant La décision du conseil de l’Ordre des avocats Le 1er juin 1983, le procureur général adressa au bâtonnier une plainte dirigée contre le requérant et ainsi conçue : "J’ai l’honneur, pour faire suite à ma lettre du 24 février 1983 et à notre entretien du 31 mai dernier, de vous saisir, conformément à l’article 113 du décret du 9 juin 1972," - paragraphe 25 ci-dessous - "du comportement de Me Ezelin, avocat inscrit au tableau des avocats de l’Ordre de la Guadeloupe. Je vous avais transmis dans ma précédente correspondance la photocopie d’un rapport de police en date du 21 février 1983 qui relatait la participation de Me Ezelin à une manifestation organisée le 12 février 1983 à Basse-Terre. Cette manifestation avait pour objet de contester deux décisions de justice rendues l’une le 1er février 1983 par la cour d’appel de Basse-Terre contre Fernand Curier, l’autre le 7 du même mois par le tribunal de grande instance de Basse-Terre contre Gérard Quidal et Joseph Samson, auxquels il était reproché des faits de dégradation de bâtiments publics. Au cours de cette manifestation, des inscriptions particulièrement outrageantes ont été notamment faites à la peinture sur les murs du palais de justice, traitant l’un des magistrats qui avait participé à l’une des décisions de fasciste et l’ensemble des juges de ‘MAKO’ [maquereaux]. Des menaces de mort ont même été maintes fois scandées par les manifestants à l’encontre de policiers témoins des faits. Une information contre X du chef de dégradation de bâtiments publics, outrages à magistrat et complicité a été diligentée par le juge d’instruction de Basse-Terre. Tous les individus signalés comme ayant participé à la manifestation ont été entendus et ont affirmé n’avoir vu personne procéder aux inscriptions ou, à tout le moins, ignorer l’identité des auteurs. Seul Roland Ezelin a refusé de répondre aux questions. La procédure ayant été clôturée par une ordonnance de non-lieu, je vous adresse ci-joint photocopie de son procès-verbal de déposition de témoin, dont la date avait été retardée de plus d’un mois pour satisfaire à ses convenances. Cette attitude conforte donc, à mon avis, l’opinion selon laquelle Me Ezelin, qui connaissait le but de la manifestation (cf. photocopies des tracts distribués à cette occasion), a voulu, en y participant, s’associer de façon exemplaire aux critiques faites par une organisation politique de la justice en Guadeloupe, et qu’en tout état de cause ni les menaces de mort proférées ni les inscriptions injurieuses faites à l’égard des magistrats devant lesquels il est appelé à plaider ne l’ont surpris en l’occurrence, ni même choqué en tant qu’avocat. Son refus de répondre en qualité de témoin au magistrat instructeur constitue de surcroît une attitude de mépris à l’égard de la justice. Il m’apparaît dans ces conditions qu’il y a eu en l’espèce manquement prévu par l’article 106 du décret du 9 juin 1972," - paragraphe 25 ci-dessous - "et c’est pourquoi je vous demande, Monsieur le bâtonnier, de bien vouloir saisir le conseil de l’Ordre d’une procédure disciplinaire à l’encontre de Me Ezelin. (...)." Siégeant en audience disciplinaire en vertu de l’article 104 du décret no 72-468 du 9 juin 1972 (paragraphe 25 ci-dessous), le conseil de l’Ordre adopta, le 25 juillet 1983, l’arrêté ci-après : "(...) Considérant que, sur la première série de faits reprochés à Me Roland Ezelin, est déjà intervenu, sur demande de M. le procureur général, un avis de M. le bâtonnier de l’Ordre en date du 14 mars 1983, qu’il résulte tant dudit avis que des explications recueillies à nouveau de Me Roland Ezelin que sa participation à la manifestation incriminée, à l’appel du Syndicat des avocats dont il est un des responsables, avait pour objet une protestation contre l’usage de la procédure de saisine directe et la persistance de la loi dite sécurité et liberté aujourd’hui abrogée, qu’il ne résulte pas de l’information que Me Roland Ezelin, dans le cadre de sa participation à ladite manifestation, ait commis un manquement à l’article 106 du décret du 9 juin 1972 et puisse en conséquence faire l’objet d’une sanction disciplinaire ; Considérant, au demeurant, que la procédure diligentée sur ces faits a été clôturée par une ordonnance de non-lieu aujourd’hui définitive ; Considérant, en ce qui concerne la seconde série de faits reprochés à Me Roland Ezelin, qu’il résulte tant de l’instruction à laquelle il a été procédé, que des explications de Me Roland Ezelin que son refus de déclaration au juge d’instruction a été motivé par des préoccupations tirées de l’article 105 du code de procédure pénale" - paragraphe 24 ci-dessous - "et le souci du respect de l’article 89 du décret du 9 juin 1972," - paragraphe 25 ci-dessous - "certaines personnes convoquées devant le juge d’instruction à propos des faits pour lesquels son témoignage était sollicité, l’ayant consulté déjà en sa qualité d’avocat ; Considérant qu’il est exact, comme le soutient Me Roland Ezelin, que par lettre en date du 24 février 1983, M. le procureur général avait fait savoir à M. le bâtonnier que Me Roland Ezelin ‘avait participé, dans des conditions de nature à mettre en jeu sa responsabilité au regard de l’article 226 du code pénal, à une manifestation publique dirigée contre l’institution judiciaire’ ; Considérant que Me Roland Ezelin, informé de cette accusation, était ainsi fondé à se prévaloir des dispositions de l’article 105 du code de procédure pénale ; Considérant que s’il peut paraître regrettable que Me Roland Ezelin n’ait pas davantage explicité devant le juge son refus de déclaration, il n’est pas apparu au conseil que ce refus puisse être considéré comme un mépris envers la justice et les institutions judiciaires ; que du reste, s’il avait été jugé comme suffisamment conséquent pour constituer une entrave au déroulement normal de la procédure en cause, le juge d’instruction n’eût pas manqué de faire usage des dispositions de l’article 109 du code de procédure pénale" - paragraphe 24 ci-dessous - "et le ministère public de prendre des réquisitions adéquates avant que n’intervienne l’ordonnance de non-lieu venue régler la procédure d’instruction ayant fait l’objet de la convocation à témoin de Me Roland Ezelin ; En conséquence, eu égard aux pièces du dossier, aux explications fournies par Me Roland Ezelin, à l’excellent comportement professionnel habituel de cet avocat, le conseil estime qu’il n’y a pas lieu à prononcer de sanction disciplinaire contre Me Roland Ezelin ; Par ces motifs, Le conseil de l’Ordre, statuant en matière disciplinaire et en premier ressort, Arrête Article 1er - Il n’y a pas lieu à sanction disciplinaire contre Me Roland Ezelin à raison des faits ayant fait l’objet de la saisine de M. le procureur général en date du 1er juin 1983. Article 2 - Le conseil recommande à M. le bâtonnier de rappeler, tant à Me Roland Ezelin qu’à l’ensemble des avocats, les règles traditionnelles de rigueur et de discernement dans toutes les activités où leur qualité d’avocat peut être engagée. (...)." L’arrêt de la cour d’appel de Basse-Terre, du 12 décembre 1983 Le procureur général attaqua la décision précitée devant la cour d’appel de Basse-Terre. A l’audience, il invita celle-ci à infliger au requérant la peine disciplinaire de l’avertissement. Le 12 décembre 1983, la cour d’appel infirma l’arrêté du conseil de l’Ordre et prononça contre Me Ezelin la peine disciplinaire du blâme, plus sévère que celle de l’avertissement : "(...) Attendu qu’il est constant que Me Ezelin a participé le 12 février 1983 à une manifestation qui se déroulait dans les rues de Basse-Terre ; Attendu que le rapport de police et ses pièces annexes déterminent, sans contradiction, que l’objet reconnu de la manifestation, organisée par les mouvements indépendantistes du département, était de protester avec éclat contre les récentes condamnations de trois militants à 15 jours d’emprisonnement et 10 000 F d’amende pour dégradation de bâtiments administratifs." [Suivait un résumé du rapport reproduit au paragraphe 11 ci-dessus.] "Il n’est pas prétendu que Me Ezelin ait participé à cette manifestation plus activement que par sa présence constante et le port de la pancarte. A la suite de ces faits, une information fut ouverte contre X des chefs de dégradation des bâtiments publics, outrages à magistrat et complicité. Me Ezelin fut convoqué en qualité de témoin par le juge d’instruction ainsi qu’un certain nombre de personnes reconnues par les policiers. Après sa prestation de serment, le procès-verbal de son audition est rédigé comme suit : ‘- Vous m’expliquez les circonstances des faits qui motivent ce dossier. Moi je n’ai rien à dire sur l’affaire. S.I. - Je répète que je n’ai rien à dire sur cette affaire. Question : Etiez-vous présent dans la manifestation qui s’est déroulée le 12 février dernier dans les rues de Basse-Terre ? Dans l’affirmative, avez-vous vu des gens peindre sur les murs de divers bâtiments de cette ville ? Réponse : Je n’ai rien à dire sur cette affaire. Lecture faite, persiste, signe avec nous et avec le greffier.’ Attendu que des éléments ainsi explicités, il résulte que Me Ezelin, avocat à la Cour et membre du conseil de l’Ordre, a participé à l’ensemble de la manifestation qui s’est déroulée dans les conditions sus-énoncées, non contestées ; Qu’au cours de cette manifestation, de graves menaces à l’encontre d’un gardien de la paix ont été constamment proférées ainsi que des injures à l’égard de différentes autres personnes, notamment d’un conseiller à la Cour, d’une personnalité régionale et du corps des magistrats, que les murs du palais de justice ainsi que ceux du conseil général qui lui fait face ont été entièrement maculés d’inscriptions particulièrement injurieuses et outrageantes à l’égard des mêmes personnes ; Qu’il est certain que Me Ezelin, qui faisait partie du cortège, notamment lors de ses arrêts devant le commissariat puis devant le palais de justice et la maison d’arrêt, ne pouvait pas ne pas voir ces inscriptions outrageantes et injurieuses qui étaient en train d’être peintes en très grands caractères sur tous les murs du palais de justice, lieu de travail commun des magistrats et des avocats, et du conseil général, qu’il ne pouvait pas ne pas entendre les menaces et injures qui n’ont cessé d’être proférées à l’égard des mêmes personnes ; Qu’il se présentait lui-même comme avocat puisqu’il portait une pancarte énonçant sa profession et qu’à aucun moment il ne s’est désolidarisé des actes injurieux et outrageants commis par les manifestants, ni [n’a] abandonné le cortège ; Attendu que de tels errements, de la part d’un avocat faisant état publiquement de sa profession, ne peuvent être justifiés, comme il le fait plaider, par des convictions personnelles ou par des consignes d’un syndicat et constituent à sa charge un manquement à la délicatesse dénoncé par l’article 106 du décret du 9 juin 1972 ; Attendu par ailleurs que Me Ezelin, entendu par le juge d’instruction en qualité de témoin, a refusé de faire sa déposition sur les faits dont il avait eu connaissance, sans alléguer de motif ; Qu’il a ainsi contrevenu aux dispositions de l’article 109 alinéa 3 du code de procédure pénale qui s’imposent à tout citoyen et dont en sa qualité d’avocat il ne pouvait méconnaître les obligations ; Et [que,] dès lors que Me Ezelin a contrevenu à une disposition de la loi et a manqué à la délicatesse, il s’est exposé aux sanctions disciplinaires énumérées à l’article 107 du décret du 9 juin 1972 ;" [paragraphe 25 ci-dessous] "Qu’eu égard aux bons renseignements professionnels qui lui sont unanimement reconnus, la Cour considère que la peine prononcée doit être celle du blâme ; Par ces motifs Vu les articles 22 et suivants de la loi no 71-1130 du 31 décembre 1971 et les articles 104 et suivants du décret no 72-468 ; Statuant publiquement en formation d’assemblée des Chambres ; Infirme la décision prise le 25 juillet 1983 par le conseil de l’Ordre du barreau départemental de la Guadeloupe, barreau près la cour d’appel de Basse-Terre, siégeant comme conseil de discipline ; Prononce à l’encontre de Me Ezelin, avocat de ce barreau, la peine disciplinaire du blâme ; Le condamne aux dépens. (...)." (Gazette du Palais, 9 février 1984, jurisprudence, pp. 76-77) L’arrêt de la Cour de cassation, du 19 juin 1985 Le requérant se pourvut en cassation contre l’arrêt précité. Il soutenait en particulier que la sanction disciplinaire prononcée contre lui enfreignait les articles 10 et 11 (art. 10, art. 11) de la Convention. Le 19 juin 1985, la Cour de cassation (1re chambre civile) rendit un arrêt de rejet où elle relevait notamment : "(...) (...) que sans retenir contre l’avocat une responsabilité collective pour des faits délictueux commis par d’autres manifestants, la cour d’appel a énoncé qu’au cours de la manifestation, qui avait pour objet de protester avec éclat contre de récentes condamnations pénales, des outrages avaient été proférés et des expressions injurieuses inscrites sur tous les murs du palais de justice, visant le corps des magistrats, ainsi qu’un conseiller à la cour d’appel nommément désigné et une personnalité du département exerçant la profession d’avocat ; que la juridiction du second degré ajoute que Me Ezelin, qui se présentait à la manifestation en qualité d’avocat, qui avait entendu les menaces et outrages et qui avait vu les inscriptions injurieuses inscrites sur les murs du palais de justice, lieu de travail commun des magistrats et avocats, n’a, à aucun moment, exprimé sa désapprobation de ces excès, ni abandonné le cortège pour se désolidariser de ces actes délictueux ; qu’elle a pu en déduire que ce comportement constituait un manquement à la délicatesse caractérisant une faute disciplinaire ; (...) (...) (...) que l’article 109 du code de procédure pénale fait obligation à toute personne entendue comme témoin de faire une déposition, et qu’aux termes de l’article 106 du décret du 9 juin 1972, toute contravention aux lois ou aux règlements constitue une faute disciplinaire, indépendamment de la faculté qu’a le juge d’instruction de prononcer une amende contre le témoin qui refuse de déposer ; que la cour d’appel a constaté qu’aux questions posées par le magistrat instructeur, et notamment à la question : ‘Etiez-vous présent à la manifestation qui s’est déroulée le 12 février 1983 dans les rues de Basse-Terre [?]’, Me Ezelin s’est borné à répondre : ‘Je n’ai rien à dire sur cette affaire’ ; qu’elle ajoute que l’avocat n’a, pour expliquer cette attitude, allégué aucun motif ; qu’elle a pu en déduire que Me Ezelin, qui avait ainsi refusé de faire une déposition sans invoquer aucune justification de ce refus tenant à l’article 105 du code de procédure pénale ou au secret professionnel, avait commis une contravention à la loi et un manquement à la délicatesse envers le juge d’instruction, constitutifs d’une faute disciplinaire ; que la juridiction du second degré a ainsi légalement justifié sa décision et que le moyen n’est fondé en aucune de ses branches (...)." (Gazette du Palais, 11-12 octobre 1985, pp. 16-17) II. DROIT ET PRATIQUE INTERNES PERTINENTS Il y a lieu de reproduire les dispositions suivantes du droit français : A. Dispositions générales Le code pénal Article 226, premier alinéa "Quiconque aura publiquement par actes, paroles ou écrits, cherché à jeter le discrédit sur un acte ou une décision juridictionnelle, dans des conditions de nature à porter atteinte à l’autorité de la justice ou à son indépendance, sera puni de un à six mois d’emprisonnement et de 500 F à 90 000 F d’amende ou de l’une de ces deux peines seulement." Le code de procédure pénale Article 105 "Le juge d’instruction chargé d’une information, ainsi que les magistrats et officiers de police judiciaire agissant sur commission rogatoire, ne peuvent dans le dessein de faire échec aux droits de la défense, entendre comme témoins des personnes contre lesquelles il existe des indices graves et concordants de culpabilité." Article 109 "Toute personne citée pour être entendue comme témoin est tenue de comparaître, de prêter serment et de déposer, sous réserve des dispositions de l’article 378 du code pénal [secret professionnel]. Si le témoin ne comparaît pas, le juge d’instruction peut, sur les réquisitions du procureur de la République, l’y contraindre par la force publique et le condamner à une amende de 2 500 F à 5 000 F. S’il comparaît ultérieurement, il peut toutefois, sur production de ses excuses et justifications, être déchargé de cette peine par le juge d’instruction, après réquisitions du procureur de la République. La même peine peut, sur les réquisitions de ce magistrat, être prononcée contre le témoin qui, bien que comparaissant, refuse de prêter serment et de faire sa déposition. (...)." B. Dispositions propres aux avocats Le décret du 9 juin 1972 "organisant la profession d’avocat, pris pour l’application de la loi du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques" Article 89 "L’avocat, en toute matière, ne doit commettre aucune divulgation contrevenant au secret professionnel. Il doit, notamment, respecter le secret de l’instruction en matière pénale en s’abstenant de communiquer des renseignements extraits du dossier ou de publier des documents, pièces ou lettres intéressant une information en cours." Article 104 "Le conseil de l’Ordre siégeant comme conseil de discipline poursuit et réprime les infractions et les fautes commises par un avocat ou un ancien avocat dès lors qu’à l’époque où les faits ont été commis, il était inscrit au tableau, sur la liste du stage ou sur la liste des avocats honoraires d’un barreau." Article 106 "Toute contravention aux lois et règlements, toute infraction aux règles professionnelles, tout manquement à la probité, à l’honneur ou à la délicatesse même se rapportant à des faits extra-professionnels expose l’avocat qui en est l’auteur aux sanctions disciplinaires énumérées à l’article 107." Article 107 "Les peines disciplinaires sont : L’avertissement ; Le blâme ; La suspension, laquelle ne peut excéder trois années ; La radiation du tableau des avocats ou de la liste du stage ou le retrait de l’honorariat. L’avertissement, le blâme et la suspension peuvent comporter la privation, par la décision qui prononce la peine disciplinaire, du droit de faire partie du conseil de l’Ordre pendant une durée n’excédant pas dix ans. Le conseil de l’Ordre peut en outre, à titre de sanction accessoire, ordonner l’affichage dans les locaux de l’Ordre de toute peine disciplinaire." Article 113 "Le bâtonnier soit de sa propre initiative, soit à la demande du procureur général ou sur la plainte de toute personne intéressée, procède à une enquête sur le comportement de l’avocat mis en cause. Il classe l’affaire ou prononce le renvoi devant le conseil de l’Ordre. S’il était saisi d’une plainte, il avertit le plaignant. Si les faits lui avaient été signalés par le procureur général, il avise ce dernier. (...)." La loi du 15 juin 1982 "relative à la procédure applicable en cas de faute professionnelle commise à l’audience par un avocat" L’avocat est lié par le serment qu’il prononce en prenant ses fonctions et dont le texte figure à l’article 1 de la loi du 15 juin 1982 : "Je jure, comme avocat, d’exercer la défense et le conseil avec dignité, conscience, indépendance et humanité." Avant l’entrée en vigueur de ladite loi, les termes du serment étaient les suivants : "Je jure, comme avocat, d’exercer la défense et le conseil avec dignité, conscience, indépendance et humanité, dans le respect des tribunaux, des autorités publiques et des règles de mon Ordre, ainsi que de ne rien dire ni publier qui soit contraire aux lois, aux règlements, aux bonnes moeurs, à la sûreté de l’État et à la paix publique." (article 23 du décret du 9 juin 1972) L’avocat qui a prêté serment avant l’entrée en vigueur de la loi du 15 juin 1982 est réputé l’avoir prononcé selon la formulation actuelle. Dans un arrêt du 9 juin 1964, la Cour de cassation (1re chambre civile) a jugé que le serment de l’avocat "l’astreint également, en toutes circonstances, à ne pas s’écarter du respect dû aux tribunaux et aux autorités publiques ; (...)". (Juris-classeur périodique 1964, II, no 13797, note J.A.) En outre, dans un arrêt du 30 juin 1965 (chambre criminelle, Bouvier) elle a estimé qu’un avocat, tout en pouvant s’élever contre une méconnaissance des droits de la défense, doit s’abstenir de toute expression pouvant porter atteinte à l’honneur ou à la délicatesse d’un magistrat. PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION Dans sa requête du 16 octobre 1985 à la Commission (no 11800/85), Me Ezelin invoquait les articles 10 et 11 (art. 10, art. 11) de la Convention : d’après lui, la sanction disciplinaire prononcée à son encontre enfreignait gravement ses libertés d’expression et de réunion pacifique. La Commission a retenu la requête le 13 mars 1989. Dans son rapport du 14 décembre 1989 (article 31) (art. 31), elle conclut à la violation de l’article 11 (art. 11) (quinze voix contre six) et estime que nulle question distincte ne se pose sur le terrain de l’article 10 (art. 10) (unanimité). Le texte intégral de son avis et de l’opinion dissidente dont il s’accompagne figure en annexe au présent arrêt. CONCLUSIONS PRESENTEES A LA COUR À l’audience du 20 novembre 1990, l’agent du Gouvernement a maintenu les conclusions de son mémoire. Elles demandaient à la Cour de "bien vouloir juger qu’il n’y a pas eu violation de l’article 11 (art. 11)" et de confirmer l’opinion de la Commission selon laquelle "aucune question distincte ne se pose sur le terrain de l’article 10 (art. 10)". Le conseil du requérant a, quant à lui, invité la Cour à relever une atteinte aux libertés d’expression et de réunion pacifique, garanties par les articles 10 et 11 (art. 10, art. 11), et à octroyer à son client l’indemnité réclamée.
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Citoyen italien, M. Bernardino Alimena habite Belvedere Marittimo (Cosenza) où il exerce la profession d'avocat. En application de l'article 31 par. 1 (art. 31-1) de la Convention, la Commission a constaté les faits suivants (paragraphes 14-25 de son rapport - paragraphe 12 ci-dessous): "14. Le 8 février 1978, le requérant a été inculpé d'outrage à magistrat au cours d'une audience (article 343 du code de procédure pénale, 'C.P.P.'). Il lui a été reproché d'avoir proféré à l'endroit du magistrat, qui avait statué en son absence dans une affaire dans laquelle il intervenait en qualité de conseil, alors qu'il avait dûment prévenu le tribunal de son retard, les mots suivants: 'un tel comportement est arbitraire et n'est pas correct', en jetant le dossier sur le bureau du magistrat. Le magistrat concerné ordonna sur-le-champ l'arrestation du requérant et entama la procédure de flagrant délit. Le ministère public demanda la révocation de la mesure de privation de liberté et la relaxe du requérant, estimant que son comportement ne constituait pas une infraction. L'avocat du requérant souleva une exception d'incompétence au sens de l'article 60 du C.P.P. (qui a été depuis amendé par la loi du 22 décembre 1980, n° 879) dont le premier alinéa disposait: 'Si des poursuites pénales sont ouvertes contre un juge ou un membre du ministère public ou si un tel magistrat a été victime d'une infraction et que la procédure relève de l'organe judiciaire auprès duquel le magistrat concerné exerce ses fonctions, la Cour de cassation défère l'affaire à un autre organe judiciaire ayant une compétence analogue.' Le 20 mars 1978, le procureur de la République de Cosenza transmit le dossier au procureur général près la cour d'appel de Catanzaro; le 25 mars 1978, le procureur général près la cour d'appel de Catanzaro saisit la Cour de cassation. Par décision du 2 juin 1978, la Cour de cassation renvoya l'affaire devant le tribunal de Potenza. Le dossier lui fut transmis le 14 juillet 1978. L'instruction - faite suivant la procédure sommaire - se limita à l'interrogatoire du requérant, qui eut lieu le 19 octobre 1978, et à celui du magistrat concerné, effectué le 24 avril 1979. Une demande du défenseur du requérant du 29 octobre 1978 tendant à l'audition de témoins n'eut pas de suites. Le 7 mai 1979, le ministère public demanda la citation en jugement du requérant. Le 18 novembre 1981, le requérant fut cité à comparaître à l'audience du 1er février 1982. L'accusé étant absent, le tribunal procéda par défaut mais dut reporter l'examen de l'affaire au 22 février 1982 pour entendre un témoin, puis à nouveau au 22 mars 1982 pour les mêmes motifs. A cette date, à l'issue de l'audience à laquelle le requérant était présent, le tribunal de Potenza, après avoir accordé au requérant les circonstances atténuantes, le condamna à huit mois de détention avec sursis. Il décida que la condamnation ne figurerait pas au casier judiciaire du requérant. Le jugement fut déposé au greffe du tribunal le 29 mars 1982. Le requérant releva appel du jugement devant la cour d'appel de Potenza. Il déposa son mémoire le 5 mai 1982. Le dossier fut transmis à la cour d'appel de Potenza le 29 septembre 1982. Le 1er décembre 1982, le requérant fut cité à comparaître devant la cour d'appel de Potenza. L'audience fixée au 3 février 1983 fut ajournée, le requérant ayant soulevé une exception de nullité de la procédure de première instance. L'affaire fut inscrite à l'audience du 24 mars 1983. A cette date la cour d'appel confirma le jugement. L'arrêt fut déposé au greffe le 11 avril 1983. Le requérant se pourvut en cassation dès le 24 mars 1983. Il déposa ses moyens le 11 mai 1983. Le dossier fut envoyé à la Cour de cassation le 4 juin 1983. Le 14 décembre 1983, la Cour de cassation annula l'arrêt attaqué pour défaut de motivation et renvoya l'affaire devant la cour d'appel de Salerne. Le dossier parvint à la cour d'appel de Salerne le 21 avril 1984 et le 25 septembre 1984 le requérant fut cité à comparaître. La cour d'appel de Salerne fixa une audience au 13 novembre 1984. Lors de l'audience, elle ordonna de nouveaux débats et reporta la procédure au 17 janvier 1985. Lors de cette audience, la cour entendit les intéressés et les témoins puis ajourna l'audience au 21 février 1985. A cette date, la cour d'appel relaxa le requérant pour insuffisance de preuves. Son arrêt fut déposé au greffe le 5 mars 1985. Estimant devoir bénéficier d'un acquittement pur et simple, le requérant se pourvut en cassation et déposa son mémoire le 17 avril 1985. La Cour de cassation fixa l'examen du pourvoi au 27 juin 1985 et notifia la date de l'audience à l'avocat du requérant par lettre du 15 mai 1985. Lorsqu'il se rendit à la Cour de cassation le 27 juin 1985, l'avocat du requérant apprit que la Cour avait examiné le pourvoi la veille, sans l'avoir informé du changement de la date de l'audience, et avait rejeté le pourvoi. L'arrêt du 26 juin 1985 fut déposé au greffe de la Cour le 22 novembre 1985." PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION Dans sa requête du 8 novembre 1985 à la Commission (n° 11910/85), M. Alimena se plaignait de la durée de la procédure et d'une violation des droits de la défense; il invoquait l'article 6 paras. 1 et 3 c) (art. 6-1, art. 6-3-c) de la Convention. La Commission a retenu la requête le 5 septembre 1989. Dans son rapport du 5 décembre 1989 (article 31) (art. 31), elle conclut à l'unanimité qu'il y a eu infraction à l'article 6 paras. 1 et 3 c) (art. 6-1, art. 6-3-c). Le texte intégral de son avis figure en annexe au présent arrêt*. _______________ * Note du greffier: Pour des raisons d'ordre pratique il n'y figurera que dans l'édition imprimée (volume 195-D de la série A des publications de la Cour), mais chacun peut se le procurer auprès du greffe. _______________ CONCLUSIONS PRESENTEES A LA COUR PAR LE GOUVERNEMENT A l'audience du 1er octobre 1990, le Gouvernement a confirmé la conclusion de son mémoire, où il invitait la Cour à dire "qu'il n'y a pas eu violation de la Convention".
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Professeur de nationalité italienne, Mme Bruna Mori réside à Gênes. En application de l'article 31 § 1 (art. 31- 1) de la Convention, la Commission a constaté les faits suivants (paragraphes 14-22 de son rapport - paragraphe 11 ci-dessous) : "14. La requérante a fait l'objet de poursuites pour diffamation suite à une plainte ('querela') déposée le 12 janvier 1981 au parquet de Gênes par X, juge au tribunal administratif régional. Celui-ci alléguait que la requérante avait affirmé, en se servant d'expressions injurieuses, que par intérêt personnel il avait induit le tribunal administratif à rendre un jugement qui était défavorable à la requérante. En fait cette procédure est l'aboutissement d'une série de plaintes et dénonciations ayant comme protagonistes la requérante et X. Par une plainte, déposée le 3 janvier 1981 par la requérante auprès du procureur général de Gênes à l'encontre de X, celle-ci entendait dénoncer des manoeuvres d'intimidation à son encontre dont X se serait rendu responsable. X fut entendu par les autorités judiciaires et, à son tour, déposa une plainte contre la requérante pour calomnie ainsi que pour diffamation concernant d'autres faits. Un seul dossier fut ouvert concernant l'ensemble des plaintes, mais aucune inculpation ne fut élevée contre les intéressés en attendant un approfondissement des faits. La requérante affirme avoir eu connaissance des poursuites engagées contre elle de manière fortuite en mai 1982. Les charges dont elle faisait l'objet lui furent communiquées formellement le 13 octobre 1982 lors de son interrogatoire par le parquet de Gênes, devant lequel elle s'était présentée volontairement dans ce but. L'instruction suivit son cours. Le 9 février 1983, X demanda une prorogation du délai pour la citation de témoins en laissant toutefois entrevoir la possibilité d'un retrait de sa plainte. Le 9 juin 1983, le parquet de Gênes transmit le dossier de l'affaire au juge d'instance (pretore) de Gênes. Le 21 mai 1986 la requérante se présenta à nouveau, de son propre chef, au juge d'instance de Gênes afin d'être interrogée. Le 23 décembre 1986, la requérante adressa une lettre au juge d'instance déclarant renoncer à l'application de l'amnistie - prévue par une loi du 16 décembre 1986 - et demandant un non-lieu ou la fixation de la date du procès. Le 26 mars 1987, le juge d'instance cita la requérante à comparaître à l'audience du 27 avril 1987. Le procès se déroula au cours de deux audiences, les 27 et 28 avril 1987 ; à cette dernière audience, la requérante fut relaxée pour insuffisance de preuves (assoluzione per insufficienza di prove). Les motifs de la décision furent déposés au greffe le 23 mai 1987. La requérante interjeta appel du jugement afin d'obtenir sa relaxe pure et simple. Le parquet de Gênes interjeta appel pour obtenir une condamnation contre elle. Le 21 juillet 1987, le dossier fut transmis au tribunal d'appel. Le 12 août 1987 la requérante sollicita la fixation du procès en appel, en faisant remarquer que dans le cas contraire la durée de la procédure l'empêcherait d'obtenir que son innocence fût établie, étant donné que l'infraction dont elle était accusée allait être prescrite en juin 1988. Toutefois, à la date de présentation de la requête (26 novembre 1987) la date du procès d'appel n'avait pas encore été fixée. De surcroît, le président de la chambre du tribunal désignée pour juger cette affaire, souhaitant se récuser, transmit le dossier au président du tribunal de Gênes, afin que celui-ci décidât sur la question de son remplacement (article 63 du code de procédure pénale). Le 30 mars 1988, le tribunal de Gênes prononça la relaxe pure et simple de la requérante. Le 21 avril 1988, le parquet se pourvut en cassation. Le 22 septembre 1988, la Cour de cassation décida en chambre du conseil que l'infraction était prescrite." PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION Dans sa requête du 26 novembre 1987 à la Commission (n° 13552/88), Mme Mori se plaignait de la durée de la procédure ; elle invoquait l'article 6 § 1 (art. 6-1) de la Convention. La Commission a retenu la requête le 5 septembre 1989. Dans son rapport du 5 décembre 1989 (article 31) (art. 31), elle conclut à l'unanimité qu'il y a eu infraction à l'article 6 § 1 (art. 6-1). Le texte intégral de son avis figure en annexe au présent arrêt*. _______________ * Note du greffier : Pour des raisons d'ordre pratique il n'y figurera que dans l'édition imprimée (volume 197-C de la série A des publications de la Cour), mais chacun peut se le procurer auprès du greffe. _______________ CONCLUSIONS PRESENTEES A LA COUR PAR LE GOUVERNEMENT A l'audience du 1er octobre 1990, le Gouvernement a confirmé la conclusion de son mémoire, où il invitait la Cour à dire "qu'il n'y a pas eu violation de la Convention".
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Citoyen italien, M. Giuseppe Maj habite Milan où il exerce la profession d'ingénieur. En application de l'article 31 par. 1 (art. 31-1) de la Convention, la Commission a constaté les faits suivants (paragraphes 13-17 de son rapport - paragraphe 11 ci-dessous): "13. Le 24 décembre 1981, le véhicule à bord duquel voyageaient le requérant et deux autres personnes fut arrêté pour un contrôle à un poste de la frontière avec la France. A bord de la voiture la police trouva une serpe d'un genre prohibé, 2 270 000 lires (soit environ 12 000 FF) et du matériel d'information concernant des procès instruits contre des terroristes ou la situation pénitentiaire de terroristes détenus. Le requérant fut accusé de port d'armes prohibé, infraction à la législation des changes et association subversive. Le 26 décembre 1981, les poursuites concernant le port d'armes furent confiées au juge d'instance d'Aoste; le 28 décembre 1981, le procureur de la République d'Aoste ordonna l'arrestation du requérant pour les autres délits et transmit le dossier au parquet de Bergame. Peu de jours après son arrestation, le 4 janvier 1982, le requérant fut mis en liberté provisoire pour insuffisance d'indices à sa charge. Le procureur de la République de Bergame interrogea le requérant le 4 janvier 1982. Le 21 février 1985, le parquet demanda que l'affaire fût traitée suivant la procédure formelle et le dossier fut transmis au juge d'instruction le 22 février 1985. Le 9 septembre 1987, ce dernier prononça un non-lieu, dans les termes suivants: '(...) la richesse et l'importance du matériel saisi dans l'automobile et dans les habitations des prévenus, la destination de ces derniers [France] (...), la parenté (...) du requérant ainsi que son attitude au cours du procès (même sans avoir égard au contenu de l'interrogatoire, il suffit de considérer que [le requérant] a refusé de signer le procès-verbal, à la mode du 'communiste combattant'), indiquent sans l'ombre d'un doute que les trois inculpés constituent ces eaux dans lesquelles pendant des années le poisson terroriste a pu nager et qui ont constitué pour lui quelque chose de similaire à son placenta. Quant à l'accusation spécifique (...), il faut dire qu'aucun élément de plus ou de différent par rapport à ceux mis en lumière par le ministère public (...) n'a été acquis.' (...)" PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION Dans sa requête du 18 juillet 1987 à la Commission (n° 13087/87), M. Maj se plaignait de la durée de la procédure menée contre lui à Bergame; il invoquait l'article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention. La Commission a retenu la requête le 5 septembre 1989. Dans son rapport du 5 décembre 1989 (article 31) (art. 31), elle conclut à l'unanimité qu'il y a eu infraction à l'article 6 par. 1 (art. 6-1). Le texte intégral de son avis figure en annexe au présent arrêt*. _______________ * Note du greffier: Pour des raisons d'ordre pratique il n'y figurera que dans l'édition imprimée (volume 196-D de la série A des publications de la Cour), mais chacun peut se le procurer auprès du greffe. _______________
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Le requérant, Giovanni Diana, est un ressortissant italien né en 1942 à Valle Gottasecca (Cuneo), actuellement résidant à Rocchetta di Cairo (Savone). Devant la Commission il est représenté par Maître Romeo Pastrengo, avocat au barreau de Savone. Les faits de la cause, tels qu'ils ont été exposés par les parties, peuvent se résumer comme suit. Par acte notifié les 12 et 14 avril 1978, le requérant assigna M.Z. et Mme V. devant le tribunal de Savone pour voir déclarer qu'il avait de manière légitime modifié les conditions d'exercice de la servitude de passage grevant sa propriété. Le 5 juin 1981, la procédure ainsi engagée fut jointe à deux autres procédures - entamées fin novembre/début décembre 1979 l'une, en mars 1981 l'autre - ayant respectivement pour objet la vérification de l'étendue de ladite servitude de passage et la vérification des abus commis par M.Z. et Mme V. dans l'exercice de leur droit de passage. Entretemps, 7 audiences avaient eu lieu les 26 mai 1978, 6 octobre 1978, 19 janvier 1979, 19 avril 1980, 30 mai 1980, 31 octobre 1980 et 12 décembre 1980. Le 3 juillet 1981, le juge d'instrution ordonna la comparution personnelle des parties en les convoquant à l'audience du 17 novembre 1981, date à laquelle il décida une descente sur les lieux. Celle-ci fut effectuée le 30 avril 1982. Le 12 novembre 1982, le juge d'instruction convoqua les parties à l'audience du 21 décembre 1982, date à laquelle il décida une nouvelle descente sur les lieux, en vue de rechercher une solution amiable de l'affaire. La date du 26 mars 1983, initialement retenue, fut reportée au 16 avril 1983, conformément à la demande présentée par les parties le 25 mars 1983. Le jour prévu, compte tenu de ce qu'un réglement amiable de l'affaire ne pouvait être obtenu, le juge d'instruction, faisant droit à la demande du requérant, révoqua l'inspection. Deux autres audiences eurent lieu les 3 et 17 juin 1983. Puis le juge d'instruction fut transféré. L'audience suivante devant le nouveau juge n'eut lieu que le 23 novembre 1984. Après les audiences des 1er et 29 mars 1985, le juge d'instruction invita les parties à préciser leurs conclusions à l'audience du 12 juillet 1985. A cette date il transmit l'affaire à la chambre compétente du tribunal. L'audience devant la chambre du tribunal eut lieu le 8 mai 1987. Le jugement - qui reconnaît le bien-fondé de l'action du requérant - fut adopté le 28 mai et déposé au greffe le 12 août 1987. Le 23 octobre 1987, M.Z. et Mme V. interjetèrent appel contre la décision du tribunal de Savone. A l'audience du 28 avril 1988, les parties précisèrent leurs conclusions et l'affaire fut attribuée à la chambre compétente de la cour d'appel de Gênes, devant laquelle une audience aurait eu lieu le 17 mars 1989. Le 5 octobre 1989, l'appel fut rejeté. Le texte de l'arrêt fut déposé au greffe le 30 octobre 1989. Il ne ressort pas qu'un pourvoi en cassation ait été formé contre cet arrêt. GRIEFS Devant la Commission le requérant se plaint de la durée de la procédure et allègue la violation de l'article 6 par. 1 de la Convention. PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION La présente requête a été introduite le 3 octobre 1985 et enregistrée le 3 décembre 1985. Le 10 mars 1988, la Commission, en application de l'article 42 par. 2 b) de son Règlement intérieur, a décidé de porter la requête à la connaissance du Gouvernement défendeur et de l'inviter à lui présenter par écrit ses observations sur la recevabilité et le bien-fondé de la requête. Le Gouvernement a présenté ses observations le 6 juillet 1988 et le requérant y a répondu le 23 septembre 1988.
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Ressortissant belge domicilié à Lummen (Belgique), M. André Borgers est actuellement avocat au barreau de Hasselt. Élu conseiller provincial le 8 novembre 1981, il demanda à être démis des fonctions de juge de paix suppléant qu’il exerçait depuis le 12 avril 1976 mais que le code judiciaire rendait incompatibles avec son nouveau mandat. Le 16 juin 1981 il avait été traduit, du chef de faux et d’usage de faux en écritures, devant la cour d’appel d’Anvers, compétente en vertu du privilège de juridiction dont il jouissait en sa qualité de magistrat. Elle lui infligea le 19 mai 1982 six mois d’emprisonnement avec sursis et une amende de 40 000 francs belges. Le requérant se pourvut en cassation. Selon lui, l’arrêt le condamnant n’était pas légalement motivé, méconnaissait la foi due aux procès-verbaux d’interrogatoire et avait été rendu à la suite d’une violation des droits de la défense. Conformément à l’usage, le parquet général près la cour d’appel d’Anvers ne présenta pas de mémoire en réponse. Le 20 mars 1984, la Cour de cassation accueillit le pourvoi et censura la décision querellée, pour défaut de motivation. Auparavant, elle avait entendu à l’audience le rapport du conseiller d’Haenens et les conclusions conformes de l’avocat général Tillekaerts, qui avait assisté aussi au délibéré en vertu de l’article 1109 du code judiciaire (paragraphe 17 ci-dessous). La cour d’appel de Gand, juridiction de renvoi, l’ayant condamné le 14 novembre 1984 à des peines identiques aux précédentes (paragraphe 11 ci-dessus), l’intéressé saisit à nouveau la Cour de cassation; il se plaignait notamment d’un défaut de motivation de ce dernier arrêt et d’une interprétation erronée des dispositions pénales relatives au faux en écritures et à la prescription. La Cour le débouta le 18 juin 1985, après une audience où elle entendit le rapport du conseiller d’Haenens et les conclusions conformes de l’avocat général Tillekaerts, lequel avait participé aussi aux délibérations (paragraphe 17 ci-dessous). II. DROIT ET PRATIQUE INTERNES PERTINENTS A. Le ministère public près la Cour de cassation de Belgique Aux termes de l’article 141 du code judiciaire, "Le procureur général près la Cour de cassation n’exerce pas l’action publique, sauf lorsqu’il intente une action dont le jugement est attribué à la Cour de cassation." Ce texte remplace l’article 37 de l’arrêté du Prince souverain, du 15 mars 1815, en cause dans l’affaire Delcourt (précitée, paragraphe 3 ci-dessus) et ainsi libellé: "Même en matière criminelle, le procureur général près la cour ne peut être considéré comme partie; il ne donne que des conclusions, à moins qu’il n’ait demandé lui-même la cassation. Dans ce cas, il présente son réquisitoire, qui, déposé au greffe, est remis sans autre formalité au rapporteur désigné par le premier président et distribué ensuite avec le rapport entre les membres du parquet." Sans doute le ministère public assume-t-il le rôle de partie lorsque la Cour statue au fond, mais il s’agit là de cas plutôt rares. Parmi eux figurent le jugement des ministres (article 90 de la Constitution), la prise à partie (articles 613, 2o, et 1140 à 1147 du code judiciaire) et les poursuites disciplinaires contre certains magistrats (articles 409, 410 et 615 du même code). En dehors de ces hypothèses exceptionnelles, le parquet de cassation exerce, en toute indépendance, les fonctions de conseiller de la Cour. A ce titre, il lui arrive fréquemment de conclure au rejet du pourvoi formé par le ministère public près une juridiction du fond, ou à l’admission de celui d’un prévenu, voire de soulever d’office un moyen contre une sentence de condamnation. Au sujet de la procédure, tant civile que pénale, devant la Cour de cassation, le code judiciaire dispose: Article 1107 "Après le rapport, les avocats présents à l’audience sont entendus. Leurs plaidoiries ne peuvent porter que sur les questions de droit proposées dans les moyens de cassation ou sur les fins de non-recevoir opposées au pourvoi. Le ministère public donne ensuite ses conclusions, après quoi aucune note ne sera reçue." Article 1109 "Le ministère public a le droit d’assister à la délibération à moins qu’il se soit lui-même pourvu en cassation; il n’a pas voix délibérative." Un pourvoi émane du parquet général quand celui-ci l’introduit dans l’intérêt de la loi (articles 1089 et 1090 du code judiciaire et 442 du code d’instruction criminelle), ou sur la dénonciation du ministre de la Justice (articles 1088 du code judiciaire et 441 du code d’instruction criminelle). La règle qui, en pareil cas, exige l’absence du ministère public au délibéré de la Cour s’appliquait déjà sous l’empire de l’arrêté du Prince souverain, du 15 mars 1815 (paragraphe 16 ci-dessus), mais il ne la formulait pas expressément (compte rendu des audiences du 30 septembre 1969 dans l’affaire Delcourt, série B no 9, p. 215). Il se bornait à disposer, en son article 39: "En matière de cassation, le ministère public a le droit d’assister à la délibération lorsqu’elle n’a pas lieu à l’instant et dans la même salle d’audience, mais il n’a pas voix délibérative." B. La discipline judiciaire Les magistrats du ministère public L’article 400 du code judiciaire établit ainsi la hiérarchie disciplinaire du parquet: "Le Ministre de la justice exerce sa surveillance sur tous les officiers du ministère public, le procureur général près la Cour de cassation sur les procureurs généraux près les cours d’appel et ces derniers sur les membres du parquet général et de l’auditorat général, sur les procureurs du Roi, les auditeurs du travail et leurs substituts." Il a succédé à l’article 154 de la loi d’organisation judiciaire de 1869, mentionné dans l’arrêt Delcourt (précité, série A no 11, p. 16, par. 30). L’article 414 du code judiciaire précise: "Le procureur général près la cour d’appel peut appliquer aux magistrats du ministère public qui lui sont subordonnés les peines de l’avertissement, de la censure simple et de la censure avec réprimande. Le procureur général près la Cour de cassation exerce les mêmes pouvoirs à l’égard des avocats généraux près cette Cour et des procureurs généraux près les cours d’appel. Le Ministre de la justice peut de même avertir et censurer tous les officiers du ministère public ou proposer au Roi leur suspension ou leur révocation." Les magistrats du siège Au sujet des poursuites disciplinaires contre les juges et du rôle y revenant au procureur général près la Cour de cassation, il y a lieu de citer les dispositions suivantes du même code: Article 409 "La Cour de cassation seule connaît des poursuites disciplinaires en destitution." Article 413 "Les magistrats suppléants" - tel M. Borgers de 1976 à 1981 (paragraphe 10 ci-dessus) - "relèvent, en cette qualité, des mêmes autorités disciplinaires que les magistrats effectifs." Article 418 "L’action disciplinaire est exercée d’office par l’autorité compétente en ce qui concerne les juges; si elle a pour objet l’avertissement, elle est exercée par l’autorité compétente pour prononcer cette mesure; dans les autres cas, elle est exercée par le premier président de la cour compétente. Elle peut toujours être exercée sur réquisition du ministère public." PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION Dans sa requête du 5 décembre 1985 à la Commission (no 12005/86), M. Borgers invoquait notamment l’article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention. Il critiquait la participation d’un avocat général près la Cour de cassation au délibéré: selon lui, elle avait porté atteinte à son droit à un procès équitable et au principe de l’égalité des armes. Par la suite, il s’est plaint en outre de n’avoir pu ni répondre aux conclusions de ce magistrat ni avoir la parole en dernier à l’audience du 18 juin 1985 (paragraphe 15 ci-dessus). Le 12 avril 1989, la Commission a retenu ces griefs et déclaré la requête irrecevable pour le surplus. Dans son rapport du 17 mai 1990 (article 31 de la Convention) (art. 31), elle conclut, par quatorze voix contre une, à la violation de l’article 6 par. 1 (art. 6-1). Le texte intégral de son avis et de l’opinion séparée dont il s’accompagne figure en annexe au présent arrêt.
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S., maçon, réside à Zurich. À l’automne 1980, un mouvement de protestation éclata dans la ville de Winterthour (canton de Zurich) contre la livraison de centrales nucléaires à un pays d’Amérique latine alors sous régime militaire. Il continua en 1981 par des manifestations contre la tenue d’une exposition internationale d’armements ainsi que par l’inscription de graffiti et l’occupation d’immeubles pour protester contre la pénurie de logements. En 1983 et 1984 eut lieu une série d’incendies criminels et d’attentats à l’explosif qui endommagèrent plusieurs bâtiments publics et privés dont le domicile de M. Friedrich, à l’époque conseiller fédéral et chef du département de Justice et de Police. Le 20 juillet 1984, la police de Winterthour constitua un groupe spécial chargé de coordonner la recherche des auteurs de ces infractions; il opéra des filatures, des écoutes téléphoniques et la vidange régulière des poubelles d’une communauté qui, pensait-on, abritait les coupables. Le 20 novembre, la police arrêta vingt-sept personnes; à cette occasion, elle saisit de nombreux documents. Dix des intéressés furent relâchés le jour même. Les autres, placés en détention préventive dans l’isolement complet, sans pouvoir correspondre librement avec leurs avocats, firent chacun l’objet d’une procédure distincte. Soupçonné d’avoir trempé dans les infractions susmentionnées, S. fut arrêté chez lui, à Genève, le 21 novembre 1984, mais réussit à prendre la fuite. Appréhendé à nouveau le 30 mars 1985, il se vit inculper d’usage d’explosifs en relation avec l’attentat contre la maison de M. Friedrich. Les 2 et 4 avril 1985, le procureur général de la Confédération transmit aux autorités genevoises divers documents incriminant le requérant. Interrogé le 10 avril par des agents du ministère public fédéral au sujet des accusations pesant sur lui, l’intéressé se prévalut de son droit de se taire. A. La phase de l’instruction Le 22 mai 1985, la poursuite de l’instruction échut au parquet du district de Winterthour (Bezirksanwaltschaft) et S. fut conduit à la prison de cette ville. Après l’avoir entendu le 28 mai 1985, le procureur de district ("le procureur") l’accusa d’avoir provoqué une explosion au domicile de M. Friedrich et d’avoir déclenché un incendie dans un centre de protection civile; il le plaça derechef en détention préventive en raison du risque de fuite et de collusion avec ses coïnculpés. Le 7 juin 1985, il l’accusa de surcroît d’avoir incendié deux stands de tir, inondé un local commercial et endommagé des biens par des graffiti. Selon l’avocat du requérant, toutes ces imputations se fondaient sur des expertises graphologiques établies à partir de pièces dont la police s’était emparée le 20 novembre 1984 (paragraphe 9 ci-dessus). Le 19 juillet 1985, les autorités genevoises communiquèrent au parquet de Winterthour les résultats des enquêtes qu’elles avaient menées de leur côté. La surveillance des contacts et de la correspondance du requérant avec son conseil En avril 1985, l’intéressé avait demandé à sa mère de prier Me Rambert, l’avocat d’un autre inculpé, W., d’assumer aussi sa défense. Celui-ci ayant refusé, S. désigna, le 1er mai 1985, Me Garbade, que le président de la chambre d’accusation de la cour d’appel de Zurich nomma défenseur d’office le 10 juin avec effet rétroactif au 4 mai. Le 8 mai 1985, alors qu’il se trouvait encore incarcéré à Berne, le requérant avait pu conférer librement avec Me Garbade pendant une demi-heure environ. A partir du 15 mai, au contraire, les visites se déroulèrent sous la surveillance d’un fonctionnaire de police. Trois lettres de l’intéressé à son avocat, datées des 4, 6 et 21 mai, furent interceptées; elles servirent ultérieurement à des expertises graphologiques. Après son transfert à la prison de Winterthour, S. continua de subir un contrôle de son courrier et des visites de son conseil; toutefois, il put rencontrer sans témoins, le 29 mai, un avocat pressenti par sa mère pour assumer sa défense, Me H. Le 31 mai 1985, le requérant s’entretint avec Me Garbade en présence d’un policier qui prit des notes et, après une heure, interrompit leur discussion au motif qu’elle ne portait plus sur l’affaire et qu’il devait vaquer à d’autres occupations. Dans une lettre du 12 juin 1985, le procureur de Winterthour informa le procureur général de Zurich que les mesures adoptées lui semblaient nécessaires en raison du risque de voir l’avocat de l’intéressé se concerter avec des confrères ou des coïnculpés. Il invoquait l’article 18 par. 2 du code de procédure pénale de Zurich, aux termes duquel "L’inculpé arrêté est autorisé à avoir des contacts écrits et verbaux avec son défenseur, dans la mesure où l’objectif de l’enquête n’est pas contrecarré. Dès que la durée de la détention préventive excède quatorze jours, il n’est plus permis de refuser à l’inculpé, sans des motifs spéciaux, notamment le risque de collusion, l’autorisation de consulter librement et sans surveillance son défenseur. Dès la clôture de l’instruction, le requérant peut exercer ce droit sans aucune restriction. (...)." Le 27 juin 1985, la chambre d’accusation de la cour d’appel de Zurich autorisa l’avocat de S. à consulter au greffe du tribunal trois rapports de police et quelques procès-verbaux des dépositions des coïnculpés, mais non à en établir des copies. Depuis lors et jusqu’en janvier 1986 (paragraphe 33 ci-dessous), Me Garbade n’eut accès à aucune autre pièce du dossier. De nombreux conflits surgirent entre le personnel de surveillance et l’avocat, en particulier le 23 août 1985, lorsque celui-ci voulut remettre à son client quelques décisions et lettres du procureur de district ainsi que la copie du mémoire du recours de droit public du 19 août 1985 (paragraphe 27 ci-dessous). Le fonctionnaire s’empara de ce document et le communiqua au procureur. A la demande du parquet de Winterthour, le président de la chambre d’accusation de la cour d’appel de Zurich prolongea jusqu’au 12 septembre 1986 la détention préventive du requérant afin de l’empêcher de s’entendre avec ses coïnculpés, élargis entre temps, et d’altérer les éléments de preuve. En octobre 1985, Me Garbade prit connaissance de quelques extraits du rapport final de police du 8 août 1985, mais il n’eut accès au dossier qu’en janvier 1986. La première série de recours contre les mesures de surveillance Le 3 juin 1985, l’intéressé introduisit un recours devant la chambre d’accusation de la cour d’appel de Zurich pour se plaindre de la surveillance de la visite du 31 mai (paragraphe 16 ci-dessus). Il le compléta le 14 juin à la suite d’autres visites qui eurent lieu les 7 et 14 juin. La chambre d’accusation débouta S. le 27 juin. Elle soulignait qu’on le soupçonnait d’avoir commis les infractions en cause et estima qu’eu égard à la complexité et à l’ampleur de l’enquête menée par les autorités, il existait un grave risque de collusion; l’inculpé ayant refusé de témoigner, il aurait aisément pu altérer les preuves car ses coïnculpés, sauf W., avaient recouvré la liberté. En outre, il avait gardé avec eux des contacts étroits et avait à répondre de manquements graves ayant porté atteinte à l’ordre public et social. A quoi s’ajoutait un danger involontaire de collusion de la part de Me Garbade, vu les relations qu’il entretenait avec les conseils des autres inculpés et notamment de W. Quant au comportement du policier chargé de surveiller la visite du 31 mai 1985 (paragraphe 16 ci-dessus), il pouvait se justifier. Le requérant contesta cette décision devant la chambre civile de la cour d’appel de Zurich, laquelle la confirma le 26 juillet 1985. D’après elle, le refus de témoigner laissait apparaître un risque de collusion avec les coïnculpés et il y avait lieu de présumer que le prévenu s’emploierait de toutes ses forces à faire coïncider (abstimmen) leurs déclarations respectives. Sans doute Me H. avait-il pu conférer librement avec lui, mais la chambre civile ne jugea pas dignes de foi les allégations de Me Garbade selon lesquelles ses contacts avec les conseils des autres accusés n’étaient pas plus étroits que ceux de Me H.; en outre, le défenseur de W. avait averti le parquet que tous les avocats étaient convenus de coordonner leur stratégie. La chambre ajoutait: "Ce comportement n’est pas inacceptable, mais il doit être compatible avec l’impératif de la recherche de la vérité (Gebot der materiellen Wahrheitsfindung). Puisque les inculpés représentés par les avocats Garbade et Rambert usent de leur droit de s’abstenir de toute déclaration, le danger n’est pas exclu que les avocats de la défense non seulement coordonnent leur manière de procéder sur le plan tactique et juridique, mais aussi, délibérément ou non, nuisent à la découverte de la vérité matérielle. Il existe dès lors, précisément pour des infractions telles que les présentes qui doivent s’analyser en atteintes à l’ordre public et social, assez d’indices révélant un danger de collusion dans la personne de l’avocat de la défense." Le 10 juin 1985, d’autre part, le requérant avait attaqué une décision du président de la chambre d’accusation prolongeant sa détention préventive. Il se plaignait de l’impossibilité de consulter toutes les pièces du dossier et du caractère purement écrit de la procédure. Le 18 juillet 1985, la chambre d’accusation avait rejeté le recours et entériné la prolongation jusqu’au 12 septembre 1985, au motif qu’il existait un risque de collusion et de fuite. S. saisit alors, les 19 et 27 août, le Tribunal fédéral de deux recours de droit public. Dans le premier, dirigé contre l’arrêt du 18 juillet 1985 (paragraphe 25 ci-dessus), il invoquait l’article 6 par. 3 b) de la Convention combiné avec l’article 5 par. 4 (art. 6-3-b, art. 5-4): selon lui, la surveillance des visites rendait illusoire son droit d’introduire un recours, au sens de l’article 5 par. 4 (art. 5-4), et son droit à être équitablement entendu se trouvait vidé de sa substance quant au contrôle de la légalité de sa détention préventive. En particulier, ladite surveillance entravait toute conversation confidentielle avec son avocat, destinée à réfuter les preuves rassemblées pendant l’instruction; de plus, il n’avait pas accès au dossier et son avocat ne pouvait en prendre copie. Le second recours visait les arrêts des 27 juin et 26 juillet 1985 (paragraphes 23 et 24 ci-dessus); il formulait pour l’essentiel les mêmes griefs. Le Tribunal fédéral rejeta le recours du 19 août (paragraphe 27 ci-dessus) le 15 octobre 1985. Il constata notamment que Me Garbade, à qui il appartenait de rédiger la demande d’élargissement, avait eu accès au dossier de sorte qu’il n’avait pas été porté atteinte aux droits de S. dans la procédure de prorogation de la détention provisoire. Il ajouta que l’avocat aurait eu droit, au plus tard au stade de la mise en état, à une copie du dossier pour son client s’il l’avait demandée. Le recours du 27 août 1985 (paragraphe 27 ci-dessus) subit le même sort le 4 décembre. Le Tribunal fédéral estima que seuls entraient en ligne de compte les articles 4 de la Constitution fédérale et 6 par. 3 c) (art. 6-3-c) de la Convention - tel que l’avait interprété la Commission européenne des Droits de l’Homme -, et non l’article 6 par. 3 b) (art. 6-3-b) car la surveillance n’avait pas nui à la préparation du procès. Or les autorités n’avaient pas versé dans l’arbitraire en qualifiant les infractions litigieuses d’atteintes systématiques à l’ordre public et social: les inculpés semblaient extrêmement dangereux et il y avait lieu de supposer qu’ils auraient employé des moyens illégaux même pendant la procédure judiciaire. Par conséquent, et indépendamment de la personne de Me Garbade, la surveillance des contacts de celui-ci avec son client cadrait avec la Constitution et la Convention européenne. En cas d’irrégularités imputables à un avocat, il incombait en premier lieu aux autorités disciplinaires de le sanctionner. Un conseil pouvait, délibérément ou non, devenir complice d’un accusé. Il en allait spécialement ainsi de Me Garbade, qui entretenait des relations étroites avec Me Rambert dont le client, W., avait été autorisé à communiquer librement avec lui. Le requérant ne pouvait pour autant se prétendre victime d’une discrimination car W., détenu depuis beaucoup plus longtemps, se trouvait inculpé d’infractions supplémentaires. La deuxième série de recours contre les mesures de surveillance Entre temps, la surveillance ne s’était pas relâchée. Le policier qui en avait la charge avait établi des notes les 23 août, 11 octobre, 21 octobre et 18 décembre; elles furent ultérieurement versées au dossier. Il ressortait de la première que Me Garbade avait dû lui montrer les pièces qu’il examinait avec son client. Par une lettre du 15 octobre 1985, le parquet de Winterthour avait informé le procureur général que le contrôle visait à écarter tout risque de collusion; il estimait toutefois improbable qu’une certaine conversation écoutée pût, d’une manière ou d’une autre, servir de moyen de preuve contre S. Le 21 octobre 1985, le procureur de Winterthour avisa Me Garbade qu’il mettrait fin à la surveillance aussitôt après avoir entendu le requérant sur les accusations portées contre lui. L’avocat répondit que tant qu’elle durerait, celui-ci s’abstiendrait de toute déclaration. La surveillance des visites et de la correspondance fut levée le 10 janvier 1986 après un interrogatoire d’une journée et demie. Invité à cette occasion par le procureur à s’exprimer, l’intéressé avait usé de son droit de se taire. Par la suite, il put conférer avec son conseil au local de la bibliothèque de la prison sans vitre de séparation ni aucune autre restriction. Le 20 décembre 1985, le requérant avait introduit un recours dirigé notamment contre la surveillance des visites et l’interdiction pour lui de consulter le dossier. Le 8 janvier 1986, la chambre d’accusation de la cour d’appel de Zurich avait sursis à statuer sur le premier point, au motif que le parquet s’apprêtait à renoncer à ladite surveillance. Quant au second, elle avait relevé que S. demeurait soupçonné des infractions en cause et que la longueur de l’instruction résultait de son silence obstiné. Le 10 juillet 1986, elle constata que le grief réservé par elle le 8 janvier n’avait plus d’objet depuis la levée des mesures de surveillance (paragraphe 33 ci-dessus). Pour déterminer si le requérant devait supporter les dépens et pouvait prétendre à des dommages-intérêts, elle évalua les chances de succès que le recours aurait offertes si la surveillance avait continué. Elle nota que les circonstances mentionnées dans l’arrêt du Tribunal fédéral du 4 décembre 1985 (paragraphe 29 ci-dessus) n’avaient pas changé jusqu’au 20 décembre, date de sa propre saisine, de sorte que les limitations à la libre communication de l’intéressé avec son conseil restaient alors justifiées; en conséquence, elle ne lui alloua aucune réparation pécuniaire. S. attaqua cette décision devant la chambre civile de la cour d’appel de Zurich, laquelle la confirma le 19 janvier 1987, estimant elle aussi que le recours du 20 décembre 1985 aurait probablement échoué. Le requérant forma enfin un recours de droit public le 27 février 1987. Le Tribunal fédéral l’en débouta le 30 novembre 1987. Se bornant à rechercher si le refus de toute indemnité se trouvait entaché d’arbitraire, il releva l’existence d’un risque de collusion et approuva pour l’essentiel les conclusions de la chambre d’accusation (paragraphe 34 ci-dessus). B. L’acte d’accusation et la procédure devant la cour d’appel de Zurich Dans une expertise établie le 26 mars 1986 pour le parquet de Winterthour, la police de Zurich avait formulé l’opinion que certaines des lettres anonymes envoyées au lendemain des infractions litigieuses émanaient sans nul doute de l’intéressé. Le dernier interrogatoire eut lieu le 28 juillet 1986. D’après le procès-verbal, S. ne voulut pas répondre aux accusations portées contre lui et son avocat les attribua au fait que l’on prêtait à son client des convictions anarchistes. Long de 235 pages, le rapport final (Schlussbericht) du parquet de Winterthour, du 21 août 1986, reprochait au requérant dix-neuf infractions et tentatives d’incendie criminel, sa participation à trois attentats à l’explosif ainsi que divers vols et dommages causés à des biens dont une voie ferroviaire, le préjudice atteignant 7 670 000 francs suisses environ. Le rapport fut transmis au parquet général de Zurich. Les 12 septembre, 6 octobre et 22 décembre 1986, l’intéressé demanda en vain au ministère public un complément d’instruction. Il réitéra sa démarche le 1er avril 1987. Conformément à l’article 198 a par. 3 c) du code zurichois de procédure pénale, il laissa à la chambre d’accusation le choix de la juridiction qui allait le juger. Elle décida de le renvoyer devant la cour d’appel plutôt que devant la cour d’assises (Geschworenengericht), considérant que ses intérêts - eu égard notamment à son jeune âge - seraient ainsi mieux protégés. Les débats devaient commencer le 14 janvier 1988, mais le requérant ne comparut pas. La cour d’appel sursit alors à statuer. Une nouvelle audience se déroula le 11 décembre 1989 en l’absence, non motivée, de S. qui avait été mis en liberté provisoire le 15 septembre 1988. La cour d’appel le jugea coupable, notamment, de fabrication d’explosifs, d’incendie, de vol et de dommages à la propriété, et le condamna à sept ans de réclusion, moyennant déduction de 1 291 jours passés en détention préventive, et aux frais et dépens. Le requérant fit opposition. Toujours en son absence, un nouveau procès eut lieu le 8 février 1990. Après avoir entendu son avocat et le représentant du procureur général de Zurich, la cour d’appel confirma son arrêt du 11 décembre 1989. Il saisit la Cour de cassation du canton de Zurich d’un pourvoi qui entraîna la suspension de l’exécution de cet arrêt. PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION Dans ses requêtes des 18 novembre 1986 (no 12629/87) et 28 mai 1988 (no 13965/88), S. se plaignait de n’avoir pas été autorisé à communiquer librement et sans contrôle avec son avocat; à cet égard, il invoquait l’article 6 par. 3 b) et c) (art. 6-3-b, art. 6-3-c) de la Convention. Il prétendait en outre que la surveillance litigieuse avait rendu illusoire son droit d’introduire un recours devant un tribunal, au sens de l’article 5 par. 4 (art. 5-4). Il alléguait enfin une violation de l’article 13 (art. 13), au motif que le Tribunal fédéral s’était borné à rechercher si les autorités zurichoises avaient versé dans l’arbitraire en estimant que le recours du 20 décembre 1985 eût été rejeté (paragraphe 34 ci-dessus). Le 12 décembre 1988, la Commission a ordonné la jonction des requêtes en vertu de l’article 29 de son règlement intérieur. Le 9 novembre 1989, elle a déclaré irrecevable, pour défaut manifeste de fondement, le grief tiré de l’article 13 (art. 13); en revanche, elle a retenu les allégations relatives aux articles 5 par. 4 et 6 par. 3 b) et c) (art. 5-4, art. 6-3-b, art. 6-3-c). Dans son rapport du 12 juillet 1990 (article 31) (art. 31), elle arrive aux conclusions suivantes: - il y a eu violation de l’article 6 par. 3 c) (art. 6-3-c) en ce que le requérant, du 31 mai 1985 au 10 janvier 1986, n’a pu s’entretenir librement avec son avocat (quatorze voix contre une); - aucune question distincte ne se pose sur le terrain des articles 6 par. 3 b) (art. 6-3-b) (quatorze voix contre une) et 5 par. 4 (art. 5-4) (unanimité). Le texte intégral de son avis et de l’opinion dissidente dont il s’accompagne figure en annexe au présent arrêt*. * Note du greffier: Pour des raisons d’ordre pratique il n’y figurera que dans l’édition imprimée (volume 220 de la série A des publications de la Cour), mais on peut se le procurer auprès du greffe. CONCLUSIONS PRESENTEES A LA COUR PAR LE GOUVERNEMENT Dans son mémoire, le Gouvernement a invité la Cour "à dire que la Suisse n’a pas violé la Convention européenne des Droits de l’Homme à raison des faits qui ont donné lieu aux deux requêtes introduites par S."
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Citoyen italien, M. Roberto Angelucci habite Rome où il exerce une activité commerciale. En application de l'article 31 par. 1 (art. 31-1) de la Convention, la Commission a constaté les faits suivants (paragraphes 13-17 de son rapport - paragraphe 11 ci-dessous): "13. Le requérant fut interpellé sur la voie publique lors d'une rafle anti-drogue de la police, effectuée en août 1975. Il affirme avoir été conduit au commissariat. Une perquisition aurait été effectuée à son domicile par la police sans autorisation préalable des autorités judiciaires. Elle ne donna aucun résultat et le requérant fut relâché le jour même. Le Gouvernement a soutenu qu'il ne ressort d'aucune pièce du dossier que le requérant ait été arrêté et qu'une perquisition ait été effectuée à son domicile. Un rapport de police ultérieur, daté du 5 août 1975, dénonça le requérant, ainsi que d'autres personnes, au parquet de Rome pour association de malfaiteurs aggravée et trafic de stupéfiants. Un dossier fut ouvert par le parquet sous le n° 9773/75 A. Le 14 août 1975, le ministère public demanda des renseignements complets sur l'état civil du requérant et, le 3 décembre 1977, il demanda l'extrait de casier judiciaire de ce dernier. Le 10 mai 1978, le requérant nomma un défenseur. Le 27 octobre 1978, le défenseur du requérant déposa au parquet la requête suivante: 'compte tenu du fait que depuis 1975 une procédure (n° 9773/75 A) relative à une grave accusation est pendante contre le requérant, que ce dernier est totalement étranger aux faits et a été impliqué dans une rafle de police alors qu'il était dans sa voiture, que les charges qui pèsent contre lui lui ont causé et continuent de lui causer un grave préjudice, je demande à tout le moins que vous interrogiez l'intéressé qui pourra ainsi donner tous les éclaircissements nécessaires sur les faits qui lui sont reprochés'. Le 28 novembre 1980, le parquet transmit le dossier au juge d'instruction et requit des poursuites contre le requérant pour association de malfaiteurs et trafic de stupéfiants. Une instruction fut ouverte selon la procédure ordinaire et l'affaire enregistrée au rôle du juge d'instruction sous le n° 3175/80 A. Le 3 décembre 1980, l'instruction fut confiée à la 10e chambre d'instruction près le tribunal de Rome et par la suite elle passa à la 3e chambre. Le 13 février 1981, le requérant demanda, sans succès, à être interrogé par le juge d'instruction. Le mandat de comparution notifié au requérant est daté du 11 janvier 1986. Le requérant fut interrogé pour la première fois par le juge d'instruction le 28 janvier 1986, suite au mandat de comparution émis par ce dernier. Après cet interrogatoire et sans qu'aucun autre acte d'instruction eût été accompli, il bénéficia le 16 juillet 1986 d'un non-lieu, sur les réquisitions conformes du ministère public. Dans ces réquisitions il était mis en évidence que le requérant, ainsi que des coaccusés, avait été poursuivi pour avoir été mentionné dans le rapport de police du 5 août 1975 comme étant un 'client du café de via delle Noci', sans qu'aucun autre élément ait pu être relevé contre lui." PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION Dans sa requête du 10 décembre 1986 à la Commission (n° 12666/87), M. Angelucci se plaignait de la durée de la procédure; il invoquait l'article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention. La Commission a retenu la requête le 5 septembre 1989. Dans son rapport du 13 décembre 1989 (article 31) (art. 31), elle conclut, à l'unanimité, qu'il y a eu infraction à l'article 6 par. 1 (art. 6-1). Le texte intégral de son avis et de l'opinion séparée dont il s'accompagne figure en annexe au présent arrêt*. _______________ * Note du greffier Pour des raisons d'ordre pratique il n'y figurera que dans l'édition imprimée (volume 196-C de la série A des publications de la Cour), mais chacun peut se le procurer auprès du greffe. _______________
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I. INTRODUCTION A. Les requérantes Les requérantes sont d’un côté a) Open Door Counselling Ltd ("Open Door"), société enregistrée en Irlande et qui s’occupait, entre autres, de conseiller les femmes enceintes à Dublin et ailleurs en Irlande; de l’autre, b) Dublin Well Woman Centre Ltd ("Dublin Well Woman"), société elle aussi enregistrée en Irlande et qui assurait un service analogue dans deux cliniques de Dublin, c) Bonnie Maher et Ann Downes, qui travaillaient pour le Centre à titre de conseillères expérimentées et d) Mme X et Mme Maeve Geraghty, nées en 1950 et 1970, qui se joignent à la requête de Dublin Well Woman en tant que femmes en âge de procréer. Elles reprochent toutes aux juridictions irlandaises d’avoir interdit à Open Door et Dublin Well Woman de fournir aux femmes enceintes, dans le cadre de consultations non directives, des renseignements sur les possibilités d’avortement en dehors du territoire irlandais (paragraphes 13 et 20 ci-dessous). Open Door et Dublin Well Woman sont des associations sans but lucratif. La première cessa ses activités en 1988 (paragraphe 21 ci-dessous). La seconde, créée en 1977, offre une large gamme de services: conseil conjugal, contrôle des naissances, consultation sur des questions liées à la procréation et à la santé. Ils concernent tous les aspects de la santé féminine: frottis, examens sénologiques, stérilité, insémination artificielle et conseil aux femmes enceintes. En 1983, à l’époque du référendum qui déboucha sur le Huitième Amendement à la Constitution (paragraphe 28 ci- dessous), Dublin Well Woman publia une brochure où elle indiquait notamment avoir obtenu des avis juridiques sur les incidences de ce texte: il permettrait "à chacun de solliciter en justice une ordonnance interdisant [à la requérante] de dispenser" les services de conseil non directif. Elle y avertissait aussi les lecteurs qu’un individu pourrait, de même, réclamer une injonction judiciaire afin d’empêcher une femme de se rendre à l’étranger s’il pensait qu’elle voulait y subir une interruption de grossesse. B. La procédure relative à l’injonction Devant la High Court Le 28 juin 1985, la S.P.U.C. engagea contre les sociétés requérantes des poursuites devant la High Court, à titre privé; le 24 septembre 1986, une ordonnance de celle-ci les convertit en une action exercée par l’Attorney General dans l’intérêt de l’ordre public (the Attorney General at the relation of the Society for the Protection of Unborn Children (Ireland) Ltd v. Open Door Counselling Ltd and Dublin Well Woman Centre Ltd, Irish Reports 1988, pp. 593-627). La S.P.U.C. entendait voir déclarer contraires à l’article 40 par. 3, alinéa 3, de la Constitution, qui protège le droit à la vie des enfants à naître (paragraphe 28 ci-dessous), les activités des sociétés requérantes consistant à signaler aux femmes enceintes relevant de la juridiction de la Cour, les possibilités de se rendre à l’étranger pour s’y faire avorter; elle demandait de plus qu’une ordonnance interdît aux défenderesses de prodiguer pareils conseils ou assistance. Aucun élément de preuve ne fut produit à l’audience: le procès se déroulait sur la base de certains faits reconnus. Ceux admis alors par Dublin Well Woman peuvent se résumer ainsi: a) elle conseillait, de manière non directive, des femmes enceintes résidant en Irlande; b) l’avortement ou interruption de grossesse pouvait figurer parmi les solutions discutées à cette occasion; c) si une femme enceinte envisageait d’y recourir, la requérante prenait des dispositions pour l’adresser à une clinique médicale de Grande-Bretagne; d) dans certaines circonstances, elle pouvait organiser le voyage de l’intéressée; e) elle inspectait la clinique médicale de Grande-Bretagne pour s’assurer du respect des normes les plus rigoureuses; f) ces cliniques avaient procédé à des avortements sur des femmes enceintes conseillées au préalable par la requérante; g) pendant de nombreuses années, dont 1984, des femmes enceintes résidant en Irlande avaient été envoyées dans des cliniques médicales de Grande-Bretagne pratiquant l’avortement. Open Door reconnut les mêmes faits, sauf le point d). Dans l’arrêt de la Cour suprême en l’espèce (16 mars 1988, Irish Reports 1988, p. 621), le Chief Justice Finlay définit ainsi la notion de conseil non directif: "Au nom de chacune des défenderesses, on a plaidé que par conseil non directif, dans le cadre de cette série de faits reconnus, on doit entendre une consultation ne comportant ni incitation ni jugement, mais destinée par nature à conduire l’intéressée à se prononcer elle-même sur son problème et sur la manière de le résoudre après réflexion. L’intéressée n’a pas contesté cette interprétation des mots ‘conseil non directif’ dans le contexte des activités des défenderesses. Il s’ensuit, à l’évidence, qu’un conseil non directif à une femme enceinte ne consiste jamais à lui recommander l’avortement comme le meilleur parti à prendre, mais pas davantage à l’en dissuader pour une raison quelconque." Le 19 décembre 1986, le juge Hamilton, président de la High Court, conclut qu’Open Door et Dublin Well Woman, en renseignant les femmes enceintes relevant de la juridiction de la cour sur les possibilités d’aller à l’étranger y subir un avortement ou y obtenir de plus amples précisions sur pareille intervention hors d’Irlande, se livraient à des activités illégales au regard de l’article 40 par. 3, alinéa 3, de la Constitution. Il rappela que le droit pénal irlandais érige en infraction le fait ou la tentative de procurer un avortement, de pratiquer un avortement ou d’y contribuer en fournissant une substance ou un instrument nocifs (articles 58 et 59 de la loi de 1861 sur les infractions contre les personnes (Offences against the Person Act 1861), paragraphe 29 ci-dessous). En outre, le droit constitutionnel du pays protégeait également le droit à la vie de l’enfant à naître, dès la conception. En conséquence, la High Court rendit une ordonnance "interdisant définitivement aux défenderesses [Open Door et Dublin Well Woman], conjointement et individuellement, ainsi qu’à leurs employés ou agents, de conseiller ou aider les femmes enceintes relevant de [sa] juridiction (...) en vue d’un avortement ou d’une consultation plus poussée en la matière". Elle ne statua pas sur les frais, laissant chaque partie supporter les siens. Devant la Cour suprême Open Door et Dublin Well Woman attaquèrent cette décision devant la Cour suprême, laquelle les débouta par un arrêt unanime que le Chief Justice Finlay prononça le 16 mars 1988. Elle releva que les requérantes n’estimaient pas indispensable, pour leurs services aux femmes enceintes d’Irlande, de prendre elles-mêmes la moindre part à l’organisation du voyage de celles qui voulaient aller à l’étranger pour y subir un avortement, ni de se charger de leur réserver une place dans des cliniques. En revanche, elles jugeaient essentiel d’indiquer à de telles femmes les nom, adresse et numéro de téléphone d’une clinique précise, inspectée par leurs soins et connue d’elles pour son respect de normes strictes, ainsi que les moyens de communiquer avec elle. Sur la nécessité de prohiber l’activité susmentionnée comme inconstitutionnelle, le Chief Justice Finlay déclara: "(...) L’issue du litige ne dépend en rien de la preuve, par le demandeur, de ce que les défenderesses préconisaient ou encourageaient des interruptions de grossesse. Eu égard à la nature des garanties offertes par l’article 40 par. 3, alinéa 3, de la Constitution, il faut avant tout déterminer si les activités reconnues par les défenderesses aidaient des femmes enceintes, relevant de la juridiction de la Cour, à se rendre à l’étranger pour subir un avortement. En d’autres termes, la question de fait à trancher consiste à savoir si elles prêtaient ainsi assistance à la destruction de la vie d’enfants à naître. Je crois hors de doute, au vu des faits reconnus par les défenderesses, qu’elles contribuaient en définitive à la destruction de vies à naître, par le biais de l’avortement, en ce sens qu’elles aidaient les femmes enceintes ayant choisi cette solution à prendre contact avec une clinique en Grande-Bretagne qui pratiquerait l’intervention. Si une femme désireuse d’interrompre une grossesse pouvait, grâce aux services de conseil de l’une ou l’autre des défenderesses, obtenir l’adresse précise d’une clinique de Grande-Bretagne pratiquant cette intervention, son numéro de téléphone et le moyen de communiquer avec elle, force est d’en conclure, me semble-t-il, qu’on l’aidait en somme sciemment à parvenir à ses fins. La constatation de l’éminent juge de première instance, selon laquelle les défenderesses aidaient des femmes enceintes à se rendre à l’étranger pour obtenir des informations plus complètes sur l’avortement et y subir cette opération, me paraît donc solidement étayée par les éléments de preuve du dossier (...)" La Cour suprême ajouta qu’il n’y avait pas lieu, en l’espèce, d’interpréter le membre de phrase "compte dûment tenu de l’égal droit à la vie reconnu à la mère", figurant à l’article 40 par. 3, alinéa 3: les requérantes ne plaidaient pas que le service fourni par elles aux femmes enceintes eût pour objectif unique ou principal le respect de ce droit. Open Door et Dublin Well Woman avançaient que si elles n’assuraient pas ces consultations, les femmes enceintes n’en réussiraient pas moins, probablement, à subir une interruption de grossesse, dans des conditions plus hasardeuses pour leur santé. La Cour suprême écarta l’argument en ces termes: "Même si on pouvait l’établir, il n’y aurait pas là une raison valable pour que la Cour n’interdise pas les activités auxquelles se livraient les défenderesses. Lorsqu’on en appelle à leur compétence pour protéger et soutenir un droit garanti par la Constitution, la tâche des tribunaux, qui ne dépend pas de l’existence d’une législation, doit se limiter aux questions en jeu et aux parties au litige. Si l’Oireachtas légifère pour protéger et soutenir pareil droit, il peut choisir des termes plus larges que ne l’exige la solution de tel ou tel cas particulier. Les tribunaux ne peuvent adopter cette perspective large. Ils doivent s’en tenir aux questions en jeu et aux parties au litige. Pour s’opposer à une prohibition frappant les activités des défenderesses en l’espèce, on ne saurait donc objecter, à mon sens, que d’autres personnes ou les activités d’autres groupes ou organismes peuvent fort bien aboutir elles aussi au résultat favorisé par [ces mêmes] activités (...)." Au sujet de l’existence d’un droit constitutionnel à l’information sur les possibilités d’avortement à l’étranger, la Cour déclara: "L’avortement met fin à la vie que porte la femme enceinte. Il s’agit, aux termes de l’article 40 par. 3, alinéa 3, d’une atteinte directe au droit à la vie que la Constitution garantit à cet enfant à naître. Il s’ensuit nécessairement que la Constitution ne saurait impliquer un droit non formulé à l’information sur l’accès à un service d’avortement situé hors de l’État et qui, si l’on y recourait, aurait pour conséquence directe de réduire à néant le droit à la vie de l’enfant à naître, expressément garanti par la Constitution. Sur ce point, on a plaidé en outre que le droit de recevoir et donner des informations qui - a-t-on allégué - existe et importe en l’espèce, se trouve, bien que non expressément consacré, implicitement visé ou compris dans le droit des citoyens à exprimer librement leurs convictions et opinions, lequel, garanti par l’article 40 par. 6, 1er alinéa i), de la Constitution, peut dans certaines circonstances englober comme droit annexe celui d’obtenir un renseignement. Il me paraît pourtant hors de doute qu’on ne saurait puiser dans la Constitution le droit à obtenir un renseignement afin de bafouer le droit à la vie qu’elle reconnaît à l’enfant à naître." La Cour suprême confirma la décision de la High Court de prononcer une interdiction, mais modifia de la sorte les termes de l’injonction: "Il est (...) définitivement interdit aux défenderesses, conjointement et individuellement, ainsi qu’à leurs employés ou agents, d’aider les femmes enceintes relevant de la juridiction [de la Cour] à se rendre à l’étranger pour y subir des avortements, en leur signalant une clinique, en prenant des dispositions en vue de leur déplacement ou en leur indiquant le nom d’une ou de cliniques données, leur adresse et le moyen de communiquer avec elles, ou de toute autre manière." Le 3 mai 1988, les sociétés requérantes se virent condamner aux frais et dépens de leur recours à la Cour suprême. À la suite de l’arrêt de cette dernière, Open Door, sans disponibilités, cessa ses activités. C. Rebondissements judiciaires ultérieurs Le 25 septembre 1989, la S.P.U.C. invita la High Court à déclarer illégale la diffusion, dans certaines publications estudiantines, d’indications sur les nom et adresse de cliniques pratiquant l’avortement en dehors du territoire irlandais et à en prohiber la distribution. Dans une instance similaire, la Cour suprême lui avait reconnu qualité pour demander en justice des mesures destinées à protéger le droit à la vie des enfants à naître (S.P.U.C. c. Coogan et autres, Irish Reports 1989, pp. 734-751). Le 11 octobre 1989, la High Court décida de déférer certaines questions préjudicielles à la Cour de Justice des Communautés européennes, en vertu de l’article 177 du Traité de la CEE, pour savoir si le droit communautaire protégeait la liberté d’information en matière de services d’interruption de grossesse au dehors de l’Irlande. Le 19 décembre 1989, la Cour suprême, saisie d’un recours contre cette décision, rendit une ordonnance provisoire (interlocutory injunction) interdisant aux étudiants de "publier ou diffuser, ou d’aider à imprimer, publier ou diffuser toute publication produite sous leurs auspices et fournissant des renseignements à des personnes (y compris des femmes enceintes) sur les nom et adresse de cliniques données pratiquant l’avortement et sur les moyens de communiquer avec un tel établissement" (S.P.U.C. c. Stephen Grogan et autres, Irish Reports 1989, pp. 753-771). Le Chief Justice Finlay (approuvé par les juges Walsh, Griffin et Hederman) estima que les motifs adoptés par la Cour dans l’affaire des sociétés requérantes valaient pour les activités des étudiants: "Je rejette, comme spécieux, l’argument selon lequel on peut distinguer entre l’activité ici en cause - à savoir publier dans des manuels pour étudiants le nom, l’adresse et le numéro de téléphone, à partir de cet État, de cliniques d’avortement situées au Royaume-Uni et diffuser ces manuels en Irlande - et l’activité condamnée par notre Cour en l’affaire [Open Door Counselling], au motif que dans cette dernière les informations se transmettaient lors d’entretiens personnels non directifs. Bien évidemment, c’est la fourniture de tels renseignements à des femmes enceintes, et non leur mode de communication, qui crée l’illégalité sur le plan constitutionnel, et notre arrêt Open Door Counselling ne se prête à aucune autre interprétation." Le juge McCarthy se prononça lui aussi en faveur d’une interdiction et formula les observations suivantes: "Comme l’on peut se procurer ces informations par diverses sources telles que des magazines importés, je ne suis nullement persuadé qu’une ordonnance interdisant aux défendeurs de les publier sauverait la vie d’un seul enfant à naître, mais je suis absolument sûr que si les tribunaux ne veillent pas dès aujourd’hui au respect de cette garantie telle que nous l’avons conçue dans l’affaire A.G. (S.P.U.C.) c. Open Door Counselling Ltd (Irish Reports 1988, p. 593), le principe de la prééminence du droit se videra de son sens." Par un arrêt du 4 octobre 1991 sur les questions à elle déférées en vertu de l’article 177 du Traité CEE (paragraphes 22-23 ci-dessus), la Cour de Justice des Communautés européennes a jugé que "l’interruption médicale de grossesse, réalisée conformément au droit de l’État où elle a lieu," constitue "un service au sens de l’article 60". Toutefois, "le lien entre l’activité des associations d’étudiants [concernées] et les interruptions médicales de grossesse pratiquées par les cliniques d’un autre État membre" lui a paru "trop ténu pour que l’interdiction de diffuser des informations puisse être considérée comme une restriction" à la liberté de prestation de services, "relevant de l’article 59 du traité". Elle n’a pas recherché si l’interdiction se heurtait à l’article 10 (art. 10) de la Convention: eu égard à ses conclusions relatives à la restriction aux services, elle a estimé que la réglementation nationale en cause "ne se situ[ait] pas dans le cadre du droit communautaire". En conséquence, elle n’a pas trouvé contraires à celui-ci les restrictions à la diffusion d’informations par des étudiants (affaire C 159, S.P.U.C. c. Stephen Grogan et autres, Recueil, pp. 4733-4742). La question de l’interprétation à donner à l’article 40 par. 3, alinéa 3, de la Constitution a surgi aussi devant la Cour suprême en l’affaire Attorney General c. X et autres. L’Attorney General avait invité les tribunaux à défendre à une jeune fille, âgée de quatorze ans et enceinte, de se rendre à l’étranger pour y subir une interruption de grossesse. Elle affirmait avoir été violée et envisager le suicide. Par un arrêt du 5 mars 1992, la Cour suprême a jugé qu’une telle opération se concilie avec l’article 40 par. 3, alinéa 3, s’il s’avère qu’en son absence la vie de la mère courrait probablement un risque réel et sérieux. Estimant qu’il en allait ainsi en l’espèce, elle a levé l’interdiction prononcée par la High Court en première instance. Une majorité de trois membres (le Chief Justice Finlay, les juges Hederman et Egan) a exprimé l’opinion que l’article 40 par. 3, alinéa 3, habilite les tribunaux, pour protéger et soutenir le droit à la vie de l’enfant à naître, à enjoindre dans certains cas à une femme enceinte de ne pas quitter le territoire en vue d’une interruption de grossesse. A l’audience devant la Cour européenne des Droits de l’Homme, le Gouvernement a formulé la déclaration suivante à la lumière de l’arrêt de la Cour suprême dans cette affaire: " (...) les personnes qui, au regard du droit irlandais, peuvent prétendre à une interruption de grossesse dans ces circonstances, doivent être considérées comme ayant droit à un accès approprié à des informations sur les possibilités de pareille intervention, en Irlande ou à l’étranger." D. Éléments de preuve fournis par les requérantes Les requérantes ont présenté à la Cour des pièces attestant que le nombre - bien supérieur à 3 500 par an - des Irlandaises allant se faire avorter en Grande-Bretagne, n’a pas sensiblement baissé. Elles ont aussi produit l’avis d’un expert en santé publique, le Dr J.R. Ashton, d’après qui l’interdiction décidée en l’espèce peut entraîner cinq conséquences préjudiciables à la santé des Irlandaises: augmentation des naissances d’enfants non désirés et rejetés; augmentation des interruptions de grossesse illégales et hasardeuses; insuffisance de la préparation des Irlandaises à semblable intervention; augmentation des délais d’attente, d’où taux de complications accru; insuffisance des soins postopératoires quant au traitement des complications médicales et aux conseils en matière de contraception. Dans ses observations écrites à la Cour, la S.P.U.C. affirme que la progression du nombre des avortements subis en Angleterre par des Irlandaises, rapide avant la promulgation de l’article 40 par. 3, alinéa 3, s’est beaucoup ralentie depuis lors. En outre, le nombre des naissances chez les femmes mariées s’élèverait "très nettement". D’après les requérantes, les renseignements incriminés paraissent dans des journaux et revues britanniques importés en Irlande tout comme dans les pages jaunes de l’annuaire de Londres, que l’on peut se procurer auprès des services téléphoniques irlandais. Ils figureraient aussi dans des publications telles que le British Medical Journal, disponible en Irlande. Sans contester l’exactitude de ces indications, le Gouvernement souligne que nul journal ou magazine n’a été fourni à la Cour à titre de preuve. II. DROIT ET PRATIQUE INTERNES CONCERNANT LA PROTECTION DES ENFANTS À NAÎTRE A. Protection par la Constitution L’article 40 par. 3, alinéa 3, de la Constitution irlandaise (Huitième Amendement), entré en vigueur en 1983 après référendum, précise: "L’État reconnaît le droit à la vie de l’enfant à naître et, compte dûment tenu du droit égal de la mère à la vie, s’engage à le respecter dans ses lois et, dans la mesure du possible, à le protéger et soutenir par ses lois." La Cour suprême l’a interprété en l’espèce, dans l’affaire S.P.U.C. c. Grogan et autres (Irish Reports 1989, p. 753) et dans l’affaire Attorney General c. X et autres (paragraphes 22-25 ci-dessus). B. Protection par la loi L’interdiction légale de l’avortement figure aux articles 58 et 59 de la loi de 1861 sur les infractions contre les personnes. Aux termes de l’article 58, "Toute femme enceinte qui, afin de se provoquer une fausse couche, s’administre illicitement un poison ou une autre substance nocive, ou utilise illicitement un instrument ou tout autre moyen dans cette même intention, et quiconque, de manière illicite et afin de provoquer la fausse couche d’une femme, enceinte ou non, lui administre ou l’amène à prendre un poison ou une autre substance nocive, ou utilise illicitement un instrument ou tout autre moyen dans cette même intention, se rendent coupables d’un crime et, en cas de verdict de culpabilité, sont passibles [de l’emprisonnement à perpétuité] (...)" L’article 59 est ainsi libellé: "Quiconque fournit ou procure illicitement un poison, une autre substance nocive, un instrument ou tout autre moyen, en les sachant destinés à servir illicitement à provoquer la fausse couche d’une femme, enceinte ou non, se rend coupable d’un délit et, en cas de verdict de culpabilité, (...)" D’après l’article 16 de la loi de 1929 sur la censure des publications (Censorship of Publications Act 1929), modifié par l’article 12 de la loi de 1979 sur la santé et le contrôle des naissances (Health (Family Planning) Act 1979), "Commet un acte illégal quiconque, sans y avoir été habilité par une autorisation écrite à lui délivrée en vertu du présent article: a) imprime ou publie, ou fait ou permet d’imprimer ou de publier, b) vend ou expose, offre ou conserve pour la vente, ou c) distribue, offre ou conserve pour la distribution, tout ouvrage ou périodique, qu’il figure ou non sur la liste des publications prohibées, préconisant ou pouvant raisonnablement passer pour préconiser des manoeuvres destinées à provoquer un avortement ou une fausse couche ou toute méthode, traitement ou instrument à utiliser à cette fin." L’article 58 de la loi de 1961 sur la responsabilité civile (Civil Liability Act 1961) précise que "le droit [applicable en la matière] vaut pour un enfant à naître, aux fins de sa protection, au même titre que s’il était né, à condition qu’il soit né vivant par la suite". L’article 10 de la loi de 1979 sur la santé et le contrôle des naissances réaffirme l’interdiction légale de l’avortement: "Aucune clause de la présente loi ne peut passer pour autoriser a) les manoeuvres abortives, b) l’accomplissement de tout autre acte prohibé par les articles 58 et 59 de la loi de 1861 sur les infractions contre les personnes (articles interdisant l’administration de drogues ou l’emploi d’instruments destinés à des manoeuvres abortives), ou c) la vente, l’importation dans l’État, la fabrication, la publicité ou l’étalage de produits abortifs." C. Jurisprudence En dehors du présent litige et de ses prolongements (paragraphes 11-25 ci-dessus), la Cour suprême a traité du droit à la vie de l’enfant à naître dans plusieurs arrêts (voir, par exemple, McGee c. Attorney General (Irish Reports 1974, p. 264), G. c. An Bord Uchtala (Irish Reports 1980, p. 32) et Norris c. Attorney General (Irish Reports 1984, p. 36). En l’affaire G. c. An Bord Uchtala (loc. cit.), le juge Walsh a dit: "[Un enfant] a le droit à la vie elle-même et le droit à être protégé contre toute menace dirigée contre son existence, avant ou après la naissance (...). Le droit à la vie implique nécessairement le droit de naître, le droit de protéger et défendre cette vie et de la faire protéger et défendre (...)" La Cour suprême a jugé aussi que les cours et tribunaux, en leur qualité de gardiens des droits fondamentaux énoncés dans la Constitution, jouissent de pouvoirs aussi étendus que l’exige la défense de celle-ci (The State (Quinn) c. Ryan, Irish Reports 1965, p. 70). En outre, la violation d’un droit constitutionnel par un particulier peut donner lieu à une action en dommages-intérêts (Meskell c. C.I.E., Irish Reports 1973, p. 121). En statuant sur l’affaire The People c. Shaw, le juge Kenny a déclaré: "Quand le peuple a adopté la Constitution de 1937, il a prévu (article 40 par. 3) que l’État s’engage à respecter dans ses lois et, dans la mesure du possible, à protéger et soutenir par ses lois les droits individuels du citoyen. Spécialement, par ses lois il protège de son mieux contre les attaques injustes, la vie, la personne, l’honneur et les droits de propriété de tout citoyen et, en cas d’injustice, il les défend. J’appelle l’attention sur le mot ‘État’. L’obligation de mettre cette garantie en oeuvre pèse non sur le seul Oireachtas, mais sur chaque branche de l’État qui exerce les pouvoirs législatif, exécutif ou judiciaire: à preuve l’article 6. Le mot ‘lois’, à l’article 40 par. 3, englobe, en sus des lois votées par l’Oireachtas, les décisions de justice et les actes administratifs et réglementaires émanant des ministres." (Irish Reports 1982, p. 1) PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION Les requérantes ont saisi la Commission les 19 août et 22 septembre 1988 (requêtes no 14234 et 14235/88). Elles alléguaient que l’injonction incriminée s’analysait en une atteinte injustifiée à leur droit de recevoir ou communiquer des informations et enfreignait l’article 10 (art. 10) de la Convention. Open Door, Mme X et Mme Geraghty prétendaient en outre que les restrictions constituaient une ingérence, incompatible avec l’article 8 (art. 8), dans leur droit au respect de leur vie privée; Open Door y voyait de surcroît une discrimination contraire à l’article 14 combiné avec les articles 8 et 10 (art. 14+8, art. 14+10). Après avoir ordonné la jonction des requêtes le 14 mars 1989, la Commission les a retenues le 15 mai 1990. Dans son rapport du 7 mars 1991 (article 31) (art. 31), elle conclut: a) par huit voix contre cinq, que l’injonction de la Cour suprême a violé l’article 10 (art. 10) dans le chef des sociétés et conseillères requérantes; b) par sept voix contre six, qu’elle l’a aussi violé dans le chef de Mmes X et Geraghty; c) par sept voix contre deux, avec quatre abstentions, qu’il ne s’imposait pas d’examiner plus avant les griefs de Mmes X et Geraghty sous l’angle de l’article 8 (art. 8); d) à l’unanimité, qu’il n’y a pas eu violation de l’article 8 (art. 8), ni de l’article 14 (art. 14), dans le chef d’Open Door. Le texte intégral de son avis, ainsi que des sept opinions séparées dont il s’accompagne, figure en annexe au présent arrêt. CONCLUSIONS PRESENTEES A LA COUR PAR LE GOUVERNEMENT À l’audience publique du 24 mars 1992, le Gouvernement a maintenu en substance les arguments et conclusions de son mémoire, par lequel il invitait la Cour à constater l’absence de violation de la Convention.
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M. Francesco Lombardo habite à Rome. En application de l’article 31 par. 1 (art. 31-1) de la Convention, la Commission a constaté les faits suivants (paragraphes 15-30 de son rapport): "A. Les circonstances de l’affaire Le requérant prêta service dans la gendarmerie (Carabinieri) entre le 15 août 1946 et le 14 mars 1974. A partir de cette date, il fut réformé à cause de deux maladies - un ulcère et une néoplasie - qui l’avaient rendu invalide. Le requérant perçoit depuis le 29 janvier 1975 une pension de retraite ordinaire. Le 10 juin 1974, il présenta une demande visant à obtenir une ‘pension privilégiée ordinaire’ au motif que les maladies ayant causé son invalidité étaient ‘dues au service’. Le 19 octobre 1976, le requérant fut examiné à l’hôpital militaire de Messine par le collège médico-légal auprès du ministère de la Défense. Le 26 novembre 1976, ce collège conclut que la néoplasie ayant causé l’invalidité du requérant n’était pas ‘due au service’. Le 21 mai 1977, en statuant sur la demande du requérant, le ministre de la Défense lui attribua un traitement privilégié d’une durée de deux ans, au motif que l’ulcère dont le requérant souffrait était ‘dû au service’, mais rejeta la demande pour autant que la néoplasie était concernée. Par une lettre recommandée du 20 décembre 1977, le requérant saisit la Cour des comptes d’un recours contre cette décision. Le recours, reçu par la Cour des comptes le 22 décembre 1977, parvint à la chambre compétente de celle-ci le 3 janvier 1978 et fut enregistré sous le no 0110931. Le 7 septembre 1978, le requérant demanda de traiter son recours par priorité, en dérogation au critère chronologique normalement suivi. A la suite de cette demande, le 13 septembre 1978, le greffe de la Cour demanda au ministère de la Défense le dossier administratif du requérant et, le 23 septembre 1978, en sollicita l’envoi. Par une note du 20 octobre 1978, le ministère de la Défense fit savoir qu’une mesure administrative concernant le requérant [ - un ajustement de sa pension - ] était en cours d’adoption et que le dossier serait transmis par la suite. Le dossier parvint au greffe de la Cour le 4 décembre 1980. Le 13 janvier 1981, le recours du requérant et le dossier furent transmis au procureur général, qui [, accueillant une demande de l’intéressé, du 23 février 1982,] décida le 8 janvier 1983 de traiter l’affaire par priorité. Le 17 septembre 1985, le procureur général demanda l’avis du collège médico-légal auprès du ministère de la Défense. Cet avis lui parvint le 7 avril 1986 et confirma que la néoplasie du requérant n’était pas ‘due au service’. Sur la base de cet avis, le 6 juin 1987, le procureur général déposa ses conclusions et demanda le rejet du recours. Le 28 octobre 1987, le requérant demanda à nouveau que son affaire fût traitée par priorité. Le 30 novembre 1987, le président de la chambre de la Cour des comptes chargée de l’affaire fixa l’audience devant celle-ci au 27 avril 1988. Cette audience n’eut cependant pas lieu car, à la suite de l’arrêt no 270 de la Cour constitutionnelle, du 25 février 1988, la chambre juridictionnelle de la Cour des comptes de Palerme devint compétente pour connaître de l’affaire, qui lui fut attribuée le 25 mai 1988. Cette chambre entendit la cause à l’audience du 15 février 1989, à l’issue de laquelle elle déclara fondé le recours du requérant. Le texte de l’arrêt fut déposé au greffe le 7 juillet 1989. (...) B. Le droit interne applicable Conformément aux dispositions du décret du président de la République no 1092 du 29 décembre 1973, le droit à pension dite ‘privilégiée ordinaire’ est reconnu aux fonctionnaires de l’État lorsque la cessation de leur rapport d’emploi avec l’administration découle d’une infirmité ou lésion attribuable à des raisons de service. Les fonctionnaires contribuent directement à alimenter le fonds de pension au moyen de versements mensuels dont le montant est calculé en pourcentage du salaire et retenu sur celui-ci. La nature de l’infirmité ou de la lésion est prise en considération pour la détermination des barèmes en fonction desquels le montant de la pension est calculé. S’il s’agit d’un militaire de carrière, ces barèmes vont de 30 à 100 % de l’assiette fixée pour le calcul de la pension, assiette constituée par la dernière rétribution perçue intégralement augmentée, le cas échéant, de certaines indemnités. Il s’ensuit que le montant de la pension accordée n’est pas directement en relation avec le montant des cotisations que l’intéressé a versées au fonds de pension." Le 26 novembre 1991, le requérant a informé la Cour que l’État italien venait de lui verser une partie du montant litigieux. PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION L’intéressé a saisi la Commission le 3 octobre 1984. Invoquant l’article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention, il se plaignait de la durée de la procédure engagée par lui. La Commission a retenu la requête (no 11519/85) le 5 mars 1990. Dans son rapport du 10 juillet 1991 (article 31) (art. 31), elle relève, par treize voix contre six, une violation de l’article 6 par. 1 (art. 6-1). Le texte intégral de son avis, et de l’opinion dissidente dont il s’accompagne, figure en annexe au présent arrêt. CONCLUSIONS PRESENTEES A LA COUR PAR LE GOUVERNEMENT A l’audience, le Gouvernement a invité la Cour à "dire et juger qu’il n’y a pas eu de violation" de la Convention dans la présente affaire.
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Le 10 octobre 1984, la High Court de Glasgow infligea au requérant une peine d’emprisonnement à vie pour voies de fait et assassinat. L’une de ces infractions consistait en particulier dans l’incendie volontaire de la porte d’entrée d’un appartement, acte qui avait causé la mort de six des neuf membres d’une même famille dans leur sommeil. Le juge recommanda que l’intéressé subît au moins vingt années de prison en raison, notamment, du caractère effroyable des crimes et de son casier judiciaire qui le décrivait comme un "homme d’une violence impitoyable". M. Campbell fut d’abord rangé dans la catégorie B, qualification minimale pour un détenu condamné à trois ans d’emprisonnement (ou davantage) ou convaincu d’une infraction comportant de graves violences. A la suite d’un incident à la prison de Peterhead, on l’inculpa de plusieurs délits et on le reclassa dans la catégorie A, qui regroupe les détenus demandant le plus haut degré de sécurité. Malgré l’abandon ultérieur de ces accusations par la Couronne, il demeura dans la catégorie A du 4 novembre 1985 au 9 mars 1988. Depuis lors, il figure à nouveau dans la catégorie B. Il a séjourné entre autres dans les prisons de Perth et Peterhead, fort éloignées du cabinet de son solicitor à Glasgow. Il purge désormais sa peine au quartier spécial de celle de Barlinnie, à Glasgow. Depuis son incarcération, le requérant avait consulté son solicitor au sujet: d’une action en dommages-intérêts contre le ministre pour l’Écosse du chef de lésions résultant de voies de fait commises par un gardien à la prison de Peterhead le 3 novembre 1985; d’une action en dommages-intérêts contre le même ministre, à raison d’une infestation par des poux pendant son séjour dans le pavillon hospitalier de cette prison en novembre 1985; d’une demande éventuelle de dommages-intérêts dirigée contre ledit ministre, au titre de voies de fait auxquelles un gardien se serait livré lors d’un incident à la prison de Barlinnie le 25 avril 1987; de poursuites éventuelles contre lui-même pour des voies de fait qu’il aurait infligées à un gardien à la suite du même incident; du refus de le laisser communiquer avec son solicitor au sujet dudit incident; du déni au requérant du droit de correspondre librement et sans restriction avec ses conseils juridiques sur toutes les questions ci-dessus; d’une requête (no 12323/86) à la Commission européenne des Droits de l’Homme ("la Commission"), relative entre autres à sa mise au secret et au droit de consulter son solicitor tandis qu’il se trouvait détenu à l’hôpital; de la requête à l’origine de la présente affaire. Le 16 septembre 1985, le solicitor de M. Campbell écrivit au directeur de la prison de Peterhead pour demander que l’ensemble de sa correspondance avec son client circulât sans entraves. Après en avoir discuté avec le requérant, le directeur adjoint répondit au solicitor, le 23 septembre 1985, que nulle lettre à lui adressée par son client au sujet de sa requête à la Commission ne serait ouverte si elle indiquait clairement avoir trait à la Convention. Dans une nouvelle lettre, du 4 octobre 1985, au directeur de la prison de Peterhead, le solicitor prétendit que l’on n’avait pas entièrement donné suite à celle du 16 septembre, le directeur adjoint ne lui ayant fourni aucune assurance que ses lettres à M. Campbell ne seraient pas interceptées. Le 15 octobre, le directeur adjoint répondit que toute lettre de solicitors concernant une requête à la Commission, et se signalant comme telle par a) la mention du nom du cabinet et b) les initiales CEDH en évidence sur l’enveloppe, serait décachetée en présence du détenu et remise à celui-ci sans avoir été lue (paragraphe 25 ci-dessous). Il précisa qu’il n’en irait pas de même des lettres de solicitors relatives à d’autres questions que la requête à la Commission. Le 24 octobre 1985, le solicitor du requérant écrivit au Scottish Home and Health Department (département écossais de l’Intérieur et de la Santé, "SHHD"), service ministériel chargé de l’administration pénitentiaire en Écosse, pour l’inviter derechef à soustraire à toute interception ses lettres au requérant. Le 29, M. Campbell adressa au ministre pour l’Écosse une pétition dénonçant la censure du courrier échangé par lui avec son solicitor. Dans sa réponse du 19 juin 1986 à cette plainte et à d’autres, le SHHD l’informa que le directeur adjoint de Peterhead avait avisé ses solicitors, le 15 octobre 1985, que toute correspondance "relative à des procédures au titre de la CEDH" devait porter une marque claire propre à en garantir la confidentialité, mais que toute autre correspondance entre un détenu et ses conseillers juridiques subissait un contrôle aux termes d’instructions permanentes aux établissements pénitentiaires. Le 16 juin 1986, le SHHD écrivit au solicitor de l’intéressé pour lui confirmer les dispositions applicables à la correspondance des solicitors concernant des questions pendantes devant la Commission, mais rappela que toute autre correspondance restait soumise à la réglementation normale, qui prévoyait l’ouverture et la lecture du courrier des détenus (paragraphes 19-22 ci-dessous). Le 19 juin 1986, le requérant se plaignit à nouveau du contrôle des lettres envoyées par son solicitor. Il réitéra ces griefs le 27. Dans ses réclamations, il signalait aussi aux autorités l’ouverture du courrier à destination et en provenance de la Commission européenne des Droits de l’Homme. La réponse du SHHD lui parvint le 15 juillet; elle se référait au système en vigueur tel qu’il ressortait de la correspondance échangée entre son solicitor et la direction de la prison de Peterhead en septembre et octobre 1985. Dans une pétition du 4 novembre 1986, le requérant s’en prit une fois encore à l’ouverture de toute la correspondance juridique, à l’exception des lettres relatives à la Convention. Il reçut une réponse à cette requête, et à d’autres, le 24 juillet 1987; elle indiquait notamment que le traitement réservé à sa correspondance se fondait sur des instructions pénitentiaires permanentes. Elle ajoutait toutefois que les termes des instructions existantes étaient en cours de révision en la matière. Dans une nouvelle réclamation, du 30 décembre 1986, M. Campbell allégua que l’on avait ouvert et photocopié, avant de la lui délivrer, une lettre émanant d’un cabinet de solicitors. Par une lettre du 16 juin 1987, le SHHD confirma au solicitor du requérant que l’on était en train de réexaminer les dispositions relatives à la correspondance des détenus à la lumière du règlement amiable conclu dans l’affaire McComb (requête no 10621/83, rapport de la Commission du 15 mai 1986 - paragraphe 23 ci-dessous). Il l’avisait que jusqu’à l’issue des discussions entre le SHHD et la Law Society of Scotland, les textes en cause continueraient à s’appliquer à la correspondance entre un détenu et son conseiller juridique; en particulier, seule la correspondance relative à des questions en instance devant la Commission serait acheminée non décachetée. Il appert cependant qu’au moins certaines des lettres de la Commission furent ouvertes. Le requérant mentionne celles des 20 juin 1985, 17 juillet 1985, 9 octobre 1985, 20 novembre 1985, 22 avril 1986, 22 mai 1986, 7 janvier 1987, 4 juin 1987, 18 août 1987, 2 octobre 1987, 7 octobre 1987 et 3 novembre 1987, qui porteraient dans le coin supérieur droit la marque de la censure de la prison. Le Gouvernement le concède pour cinq d’entre elles (des 17 juillet 1985, 9 octobre 1985, 20 novembre 1985, 22 avril 1986 et 18 août 1987). Selon lui, peut-être en va-t-il de même de trois autres (des 20 juin 1985, 22 mai 1986 et 7 janvier 1987), mais l’on ne peut identifier les marques. Quant aux missives restantes, il n’y figurerait aucun signe reconnaissable et l’on ne saurait donc dire si elles furent décachetées ou non. Le solicitor du requérant demanda l’aide judiciaire pour saisir une juridiction civile à raison de l’ingérence dans la correspondance de son client. La commission d’aide judiciaire de la Cour suprême la refusa le 7 octobre 1986, au motif que M. Campbell n’avait vraisemblablement aucune cause d’action. Elle ajouta qu’il pouvait recevoir des visites de ses conseils juridiques et ne se prétendait pas hors d’état de leur donner des instructions de vive voix. Le 5 décembre 1986, la commission centrale d’aide judiciaire de la Law Society of Scotland repoussa le recours de l’intéressé contre cette décision. II. DROIT ET PRATIQUE INTERNES PERTINENTS A. Cadre juridique général A l’époque, le système pénitentiaire écossais obéissait à la loi de 1952 sur les prisons d’Écosse (Prisons (Scotland) Act, "la loi de 1952"), abrogée depuis; la loi de 1989 sur les prisons d’Écosse a réintroduit des dispositions analogues. D’après les articles 1 et 3 de la loi de 1952, la surveillance et la direction générale des prisons écossaises incombaient au ministre pour l’Écosse. L’article 35 par. 1 l’habilitait "à réglementer [par voie de texte législatif (statutory instrument)] l’organisation et la gestion des prisons (...) ainsi que la classification, le traitement, l’emploi, la discipline et le contrôle des détenus". En vertu de l’article 35 par. 1, le ministre a édicté le règlement pénitentiaire de 1952 pour l’Écosse (Prison (Scotland) Rules 1952, "le règlement pénitentiaire"), amendé depuis lors à plusieurs reprises et publié. Au titre de son autorité générale sur les prisons et de divers pouvoirs que ledit règlement lui attribue lui-même, il donne aussi aux directeurs de prison des consignes administratives sous la forme d’instructions permanentes (Standing Orders, "instructions") et de circulaires administratives. Les instructions relatives à la correspondance sont également publiées. Au moment de son incarcération, tout détenu se voit remettre ou autorisé à consulter une brochure résumant règlement pénitentiaire et instructions. B. Correspondance avec les conseillers juridiques Les communications entre les détenus et leurs conseillers juridiques ou les tiers sont principalement régies par l’article 74 du règlement pénitentiaire. En son paragraphe 4, il prévoit - sous réserve d’une exception étrangère au cas d’espèce - que "chaque lettre à un détenu, ou d’un détenu, doit être lue par le directeur ou par un membre du personnel par lui délégué à cet effet". La validité de l’article 74 par. 4 a été constatée en justice dans l’affaire Leech v. Secretary of State for Scotland (jugement du 26 octobre 1990 de l’Outer House of the Court of Session), qui concernait la lecture de la correspondance d’un détenu avec un conseiller juridique au sujet d’une instance judiciaire éventuelle. Le tribunal a notamment estimé impossible de qualifier l’article 74 par. 4 d’irrationnel, car "on ne saurait supposer qu’il n’existe pas de bons motifs de contrôler la correspondance d’un détenu, même quand elle s’échange entre lui et son conseiller juridique." L’article 124 par. 2 autorise les personnes placées en détention provisoire à écrire à leurs conseillers juridiques. D’après l’article 124 par. 3, toute communication écrite confidentielle adressée par un tel détenu à titre d’instructions à son conseil peut être acheminée sans subir l’examen d’un fonctionnaire pénitentiaire, sauf si le directeur a lieu de penser qu’elle renferme des éléments sans rapport avec pareil mandat. L’article 127 étend cette possibilité aux détenus condamnés sous le coup de nouveaux chefs d’inculpation. Des dispositions analogues valent, selon l’article 132 par. 2, pour l’exercice d’un recours de l’intéressé. A cela s’ajoute l’instruction M, qui traite en détail des communications entre les détenus et des tiers. Les détenus et le public peuvent s’en procurer des exemplaires. L’instruction Ma1 (a) énonce le but du contrôle de la correspondance: empêcher qu’elle ne serve à préparer une évasion ou des troubles ou à compromettre d’une autre manière la sécurité de l’établissement, et répondre à d’autres exigences raisonnables de l’administration pénitentiaire. Aux termes de l’instruction Ma1 (d), tout contrôle ou lecture de la correspondance doit s’opérer aussi vite que possible. La majeure partie de la correspondance avec les conseils juridiques se trouve régie par l’instruction Ma6 (e), qui concerne la correspondance générale. D’après l’instruction Ma7, cette correspondance "ne doit pas renfermer: a) Des plans d’évasion ou des éléments de nature à compromettre, si on les tolérait, la sécurité d’un établissement pénitentiaire. b) Des plans ou éléments propres à aider ou encourager à consommer une infraction disciplinaire ou pénale (y compris des tentatives visant à faire échec aux finalités de la justice en suggérant la fabrication ou la suppression de preuves). c) Des éléments propres à compromettre la sécurité nationale. d) Des procédés de fabrication d’armes, explosifs, poisons ou autres moyens de destruction. e) Des messages obscurs ou codés difficiles à comprendre ou déchiffrer. f) Des menaces de violences ou de dommages matériels, propres à effrayer le destinataire. g) Des essais de chantage ou d’extorsion. h) Des éléments indécents ou obscènes. i) Des renseignements de nature à exposer quelqu’un à une menace incontestable ou à un danger actuel de violences ou de dommage corporel. j) Des griefs visant les conditions de détention et que le détenu n’a pas encore soulevés par les voies prescrites (...) k) Des éléments destinés à la publication ou à une utilisation par la radio ou la télévision (ou qui, si on les envoyait, seraient probablement publiés ou diffusés) (...) l) Des éléments constituant la conduite d’une activité lucrative (...) m) Dans le cas d’un détenu en instance d’expulsion, des éléments constituant ou organisant une transaction financière (...) n) Dans le cas d’un détenu sous le coup d’une ordonnance de mise en règlement judiciaire, ou en état de faillite et non réhabilité, des éléments constituant ou organisant une transaction financière (...)" La conclusion, le 15 mai 1986, d’un règlement amiable dans l’affaire McComb c. Royaume-Uni (requête no 10621/83, rapport de la Commission, Décisions et rapports (D. R.) no 50, pp. 81-89) a entraîné l’adoption de nouvelles modalités relatives à la correspondance échangée par un détenu avec son conseil juridique au sujet d’une action judiciaire en cours. Elles figurent dans l’instruction Ma8, entrée en vigueur le 21 mars 1988: "Une correspondance avec un conseil juridique à propos d’une action judiciaire à laquelle un détenu est déjà partie, ou d’une décision judiciaire à venir, ne peut être lue ou interceptée que si le directeur a lieu de penser qu’elle renferme d’autres éléments. Une telle lettre peut être examinée aux fins de la recherche de pièces illicites, mais dans ce seul but et en présence du détenu expéditeur ou destinataire. Toute autre correspondance avec un conseil juridique peut être lue et ne doit renfermer aucun élément visé dans l’instruction Ma7 (a) à (i) et (k) à (n). On ne peut l’intercepter au motif qu’elle renferme des éléments interdits par l’instruction Ma7 (j), sauf s’il est manifeste que le détenu ne sollicite pas un avis juridique mais que sa lettre a un autre objet." La marche à suivre en la matière se trouve décrite dans une circulaire du 26 février 1988 aux directeurs de prison. Le solicitor doit envoyer pareil courrier dans une enveloppe cachetée portant les mots "Procédure judiciaire", avec sa signature, et placée dans une autre destinée au directeur de la prison. On remet au détenu l’enveloppe intérieure sans l’ouvrir. S’il s’agit d’un détenu non encore partie à une instance judiciaire, mais qui envisage d’en engager une, toute correspondance peut être décachetée et lue. En pratique, cela n’arrive pas dans les "prisons à régime ouvert", de basse sécurité, ni dans les "quartiers spéciaux" de très haute sécurité. Ailleurs, les lettres le plus fréquemment ouvertes sont celles qui émanent des détenus des catégories à haut risque. C. Correspondance relative à une procédure au titre de la Convention européenne des Droits de l’Homme L’instruction M consacre aussi des clauses spécifiques à la correspondance avec la Commission ou la Cour européennes des Droits de l’Homme, ou avec un conseil juridique, à propos d’une requête à la Commission ou d’une procédure pendante devant celle-ci ou la Cour. D’après l’instruction Ma10, pareille correspondance ne doit contenir aucun élément prohibé par l’instruction Ma7 (a) à (c) ou (e) (paragraphe 22 ci-dessus). D’autres dispositions générales relatives à la Convention figurent dans les instructions Ma1(b) et Mf. En particulier, l’instruction Mf7 interdit explicitement de lire la correspondance échangée entre un détenu et son conseil juridique au sujet d’une requête à la Commission ou d’une procédure en découlant, sauf si le directeur a lieu de penser qu’elle comprend d’autres éléments. Selon le Gouvernement, les lettres adressées sous pli fermé par les détenus à la Commission suivent d’ordinaire leur chemin sans qu’on les ouvre. Il n’en va pas de même de celles de la Commission: on en examine le contenu pour s’assurer qu’il correspond à ce qu’il doit être, mais on ne les lit pas et on les délivre peu après à l’intéressé. PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION M. Campbell a saisi la Commission le 14 janvier 1986 (requête no 13590/88). Il se plaignait d’une ingérence, contraire aux articles 8 et 10 (art. 8, art. 10) de la Convention, des autorités pénitentiaires dans sa correspondance avec son solicitor, la Commission et un député. Il alléguait aussi la violation de l’article 6 par. 1 (art. 6-1), pour s’être vu refuser l’assistance judiciaire afin de contester devant les juridictions civiles les mesures prises par les autorités pénitentiaires concernant sa correspondance. Le 8 novembre 1989, la Commission a retenu la requête quant à l’ouverture, par les autorités pénitentiaires, de la correspondance de l’intéressé avec son solicitor et la Commission (article 8) (art. 8). Elle a déclaré irrecevables les autres griefs, mais décidé de rechercher plus avant si le décachetage de sa propre correspondance avec M. Campbell enfreignait ou non l’article 25 par. 1 (art. 25-1) de la Convention. Dans son rapport du 12 juillet 1990 (article 31) (art. 31), elle conclut: par onze voix contre une, qu’il y a eu violation de l’article 8 (art. 8) en ce qui concerne l’ouverture de la correspondance du requérant avec son solicitor à propos de procédures envisagées ou en cours; par huit voix contre quatre, qu’il y a eu violation de l’article 8 (art. 8) en ce qui concerne l’ouverture de la correspondance générale du requérant avec son solicitor; par onze voix contre une, qu’il y a eu violation de l’article 8 (art. 8) en raison de l’ouverture de la correspondance du requérant avec elle-même; par dix voix contre deux, que le requérant n’a subi aucune entrave à l’exercice effectif de son droit de recours, garanti par l’article 25 par. 1 (art. 25-1). Le texte intégral de son avis, ainsi que des opinions dissidentes dont il s’accompagne, figure en annexe au présent arrêt. CONCLUSIONS PRESENTEES A LA COUR PAR LE GOUVERNEMENT À l’audience du 23 septembre 1991, le Gouvernement a invité la Cour à dire: qu’il n’y a pas eu violation de l’article 8 (art. 8); que le requérant n’a subi aucune entrave à l’exercice effectif de son droit de recours individuel, garanti par l’article 25 par. 1 (art. 25-1) in fine de la Convention.
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Citoyen français né en 1952 et domicilié à Bastia, en Haute-Corse, M. Félix Tomasi est à la fois commerçant et comptable salarié. A l’époque de son arrestation, il militait dans une formation politique de l’île, dont il était le trésorier et qui présentait des candidats aux élections locales. Le 23 mars 1983, la police l’interpella dans son magasin et le plaça en garde à vue jusqu’au 25 mars au commissariat central de Bastia. Elle le soupçonnait d’avoir participé à un attentat perpétré à Sorbo-Ocagnano (Haute-Corse) dans la soirée du 11 février 1982 contre le centre de repos de la Légion étrangère, inoccupé à cette période de l’année: le caporal-chef Rossi et le légionnaire Steinte, qui sans armes en assuraient l’entretien et le gardiennage, avaient été blessés par des coups de feu, le premier mortellement, le second très grièvement. L’attaque avait été exécutée par un commando de plusieurs personnes au visage dissimulé par des cagoules. L’ex-FLNC (Front de libération nationale de la Corse), un mouvement indépendantiste dissous par décret, l’avait revendiqué le lendemain, tout comme les vingt-quatre attentats à l’explosif qui avaient eu lieu la même nuit. Le tribunal de grande instance de Bastia avait ouvert, le 12 février 1982, une information des chefs d’assassinat, tentative d’assassinat et transport d’armes et de munitions des première et quatrième catégories. Le même jour, le magistrat instructeur avait délivré une commission rogatoire au service régional de police judiciaire (SRPJ) d’Ajaccio. I. LA PROCÉDURE PÉNALE ENGAGÉE CONTRE LE REQUÉRANT A. La procédure d’instruction (25 mars 1983 - 27 mai 1986) La procédure suivie à Bastia (25 mars 1983 - 22 mai 1985) a) Les actes d’instruction i. Le juge Pancrazi Le 25 mars 1983, M. Pancrazi, juge d’instruction à Bastia, inculpa M. Tomasi et le plaça en détention provisoire, au terme de la première comparution; il fit de même pour un certain M. Pieri. Il interrogea le requérant le 8 avril sur le fond. Il entendit des témoins les 28, 29 et 31 mars, 14 et 29 avril, 19 et 30 mai, 2 juin 1983. Il interrogea le 19 mai M. Pieri, le 26 un autre coïnculpé, M. Moracchini, en détention provisoire depuis le 24 mars 1983; il les confronta entre eux les 30 et 31 mai puis le 1er juin. En outre, il lança des commissions rogatoires les 26 mai et 27 octobre 1983. L’interrogatoire récapitulatif de M. Tomasi et de M. Pieri se déroula le 18 octobre 1983, celui de M. Moracchini le 21 novembre. Le 26 octobre 1983, le magistrat instructeur se transporta sur les lieux. ii. Le juge Huber La charge du dossier échut à un autre juge d’instruction, M. Huber, à compter du 2 janvier 1984. M. Pieri s’évada le 22 janvier 1984; il fut repris le 1er juillet 1987. Entre le 4 mai 1984 et le 10 janvier 1985, le magistrat rendit plusieurs ordonnances de jonction et de soit-communiqué. Le 24 janvier 1985, il rejeta une demande de jonction de pièces présentée par le requérant. b) Les demandes d’élargissement M. Tomasi présenta onze demandes de mise en liberté. Le juge d’instruction les repoussa par des ordonnances des 3 mai, 14 juin et 24 octobre 1983, 2 janvier 1984, 24 janvier, 20 mars, 5 avril, 18 avril, 24 avril, 3 mai et 7 mai 1985. Il délivra le 6 juin 1984 une commission rogatoire en vue de l’audition à Marseille de l’intéressé sur les conditions de sa détention provisoire. Ladite audition eut lieu le 18 juin. Le requérant attaqua les ordonnances des 14 juin 1983, 2 janvier 1984, 24 janvier et 20 mars 1985, mais la chambre d’accusation de la cour d’appel de Bastia les confirma les 7 juillet 1983, 26 juin 1984, 20 février et 17 avril 1985. Dans son arrêt du 20 février 1985, elle déclara que la poursuite de la détention s’imposait pour prévenir une pression sur les témoins, empêcher une concertation frauduleuse avec les complices, préserver l’ordre public du trouble causé par l’infraction et garantir le maintien de M. Tomasi à la disposition de la justice. c) La requête en dessaisissement Le 10 janvier 1985, le procureur de la République de Bastia adressa au parquet général de cette ville une requête en dessaisissement motivée par le climat d’intimidation régnant dans l’île. Saisie le 25 mars par son procureur général, la Cour de cassation (chambre criminelle) statua le 22 mai; elle renvoya l’affaire devant le juge d’instruction de Bordeaux, "dans l’intérêt d’une bonne administration de la justice" (article 662 du code de procédure pénale). La procédure suivie à Bordeaux (22 mai 1985 - 27 mai 1986) a) Les actes d’instruction Le 5 septembre 1985, M. Nicod, juge d’instruction à Bordeaux, entendit M. Tomasi pour la première et dernière fois. Il interrogea M. Moracchini les 1er octobre 1985 et 13 janvier 1986, ainsi que M. Satti - un autre coïnculpé - le 15 novembre 1985. En outre, il les confronta entre eux le 13 décembre 1985. Le magistrat instructeur rendit une ordonnance de soit-communiqué le 14 janvier 1986. Le 14 février 1986, le procureur de la République de Bordeaux prit un réquisitoire définitif de transmission du dossier au parquet général. De la mi-mars à la mi-avril 1986, le juge d’instruction versa au dossier diverses pièces. Le 17 avril, il rendit une nouvelle ordonnance de soit-communiqué, avec visa du parquet de Bordeaux. Le dossier fut transmis au parquet général par un réquisitoire du 22 avril 1986. b) Les demandes d’élargissement M. Tomasi réclama par sept fois son élargissement. Le juge d’instruction rejeta ses demandes les 31 mai, 7 juin, 29 juin, 13 août, 10 septembre et 8 octobre 1985 ainsi que le 14 janvier 1986. Saisie de certaines ordonnances du magistrat, la chambre d’accusation de la cour d’appel de Bordeaux les confirma par des arrêts des 3 septembre et 29 octobre 1985. Le premier se référait à la particulière gravité des faits, à l’existence de "charges précises et efficientes", au risque de pression ou concertation frauduleuse ainsi qu’à la nécessité de préserver l’ordre public et de garantir la représentation en justice. Quant au second, il contenait la motivation suivante: "(...) il est évident que les faits reprochés à l’appelant sont d’une particulière gravité et ont profondément perturbé l’ordre public; que sans négliger les justes observations que le conseil de l’inculpé a développées sur la longueur de la procédure, il apparaît cependant, ainsi qu’en a jugé le magistrat instructeur, que le maintien en détention de Tomasi est nécessaire pour préserver l’ordre public du trouble qui y a été apporté par les faits dont il s’agit et qu’il s’impose également pour éviter toute pression ou concertation frauduleuse et garantir la représentation en justice de l’intéressé;" Les deux arrêts donnèrent lieu à des pourvois du requérant, que la chambre criminelle de la Cour de cassation repoussa les 3 décembre 1985 et 22 janvier 1986. Sa dernière décision se fondait sur les raisons ci-après: "Attendu qu’en cet état la Cour de cassation est en mesure de s’assurer que la chambre d’accusation a ordonné le maintien en détention du demandeur par une décision motivée par les éléments de l’espèce, dans les conditions et pour les cas que précise l’article 144 du code de procédure pénale; qu’il se déduit également des motifs de l’arrêt qu’il y avait, en l’espèce, comme le prévoit l’article 5 par. 1 c) (art. 5-1-c) de la Convention (...), des raisons plausibles de soupçonner que l’inculpé avait commis une infraction; qu’il en résulte, en outre, qu’eu égard aux circonstances particulières de l’affaire et de la procédure la durée de détention doit être tenue pour raisonnable;" B. La procédure de jugement (27 mai 1986 - 22 octobre 1988) Les renvois en jugement a) Le premier renvoi Le 27 mai 1986, la chambre d’accusation de la cour d’appel de Bordeaux prononça la mise en accusation de M. Tomasi ainsi que de M. Pieri pour homicide volontaire avec préméditation et guet-apens, tentative d’homicide volontaire avec préméditation et guet-apens, et transport d’armes des première et quatrième catégories, avec leurs munitions; elle les renvoya - de même que MM. Moracchini et Satti - devant la cour d’assises de la Gironde. Le 13 septembre 1986, la chambre criminelle de la Cour de cassation accueillit le pourvoi introduit le 27 juin 1986 par le requérant, au motif que l’avocat de la défense n’avait pas eu la parole le dernier lors de l’audience du 27 mai. Elle renvoya l’affaire devant la chambre d’accusation de la cour d’appel de Poitiers, à charge pour celle-ci de la porter devant la cour d’assises de la Gironde au cas où il y aurait lieu de prononcer la mise en accusation (article 611 du code de procédure pénale). b) Le deuxième renvoi Le 9 décembre 1986, la chambre d’accusation de Poitiers renvoya M. Tomasi devant la cour d’assises de la Gironde. Son arrêt ne donna pas lieu à un pourvoi en cassation. c) Le troisième renvoi Le 3 février 1987, la chambre d’accusation de la cour d’appel de Bordeaux déclina sa compétence pour renvoyer le requérant - mais non ses trois coaccusés - devant la cour d’assises spécialement composée de la Gironde, c’est-à-dire non dotée d’un jury populaire. Le parquet général l’avait invitée à appliquer les dispositions de la loi no 86-1020 du 9 septembre 1986, qui prévoit de déférer à pareille juridiction les personnes accusées de faits de terrorisme. Le 7 mai 1987, la chambre criminelle de la Cour de cassation rejeta sur ce point le pourvoi formé par le procureur général près la cour d’appel de Bordeaux. Le 16 juin 1987, la chambre d’accusation de Poitiers accueillit une requête introduite le 20 mai 1987 par le ministère public et renvoya l’intéressé devant la cour d’assises spécialement composée de la Gironde. Elle reconnaissait ainsi que les infractions reprochées à M. Tomasi se trouvaient "en relation avec une entreprise individuelle ou collective ayant pour but de troubler gravement l’ordre public par l’intimidation ou la terreur" (article 706-16 du code de procédure pénale). À nouveau saisie par l’intéressé, la chambre criminelle de la Cour de cassation le débouta de son pourvoi le 24 septembre 1987. Les demandes d’élargissement a) La première demande Par un arrêt du 27 mai 1986 (paragraphe 24 ci-dessus), la chambre d’accusation de Bordeaux rejeta une demande d’élargissement présentée le 6 mai par M. Tomasi. Elle donnait les raisons ci-après: "Certes la détention provisoire commencée le 25 mars 1983 est très longue. Mais cette longueur s’explique par l’attitude systématique adoptée par les inculpés et les difficultés considérables rencontrées par le juge d’instruction. La durée de cette détention, quoique longue, ne constitue pas, en soi, une violation de la Convention européenne des Droits de l’Homme. Tout au contraire, le maintien en détention apparaît en l’espèce indispensable en raison de la gravité exceptionnelle des faits et dans la mesure où Tomasi n’hésiterait pas à prendre la fuite s’il était remis en liberté." L’intéressé ayant introduit un pourvoi, la chambre criminelle de la Cour de cassation écarta le moyen tiré de la violation de l’article 5 par. 3 (art. 5-3) de la Convention. Son arrêt du 13 septembre 1986 indiquait à ce sujet: "(...) en cet état la Cour de cassation est en mesure de s’assurer que le maintien en détention du demandeur a été régulièrement ordonné dans les conditions prévues par l’article 148-1 C.P.P. [code de procédure pénale], par une décision spécialement motivée d’après les éléments de l’espèce ainsi que l’exige l’article 145 du même code et pour des cas limitativement énumérés par son article 144; (...) en outre la chambre d’accusation s’est expliquée au sujet de la complexité et de la durée de la procédure par une appréciation souveraine des éléments de fait, exempte d’insuffisance ou de contradiction, dont elle a déduit que la durée de la détention provisoire n’excédait pas un délai raisonnable [; il s’ensuit] que le moyen ne saurait être accueilli (...)" b) La deuxième demande M. Tomasi présenta une nouvelle demande de libération le 19 janvier 1987. La chambre d’accusation de Bordeaux se déclara incompétente par un arrêt du 3 février 1987 (paragraphe 27 ci-dessus), la mise en accusation ayant été prononcée par celle de Poitiers. c) La troisième demande Le 17 avril 1987, le requérant sollicita de nouveau sa mise en liberté. La chambre d’accusation de Bordeaux la lui refusa le 28 avril: l’arrêt de mise en accusation se fondait sur des motifs précis et circonstanciés, les faits revêtaient une gravité extrême et la détention s’imposait pour préserver l’ordre public du trouble qu’ils avaient causé. d) La quatrième demande Saisie le 22 mai 1987 d’une demande de libération, la chambre d’accusation de la cour d’appel de Poitiers la repoussa le 2 juin par les motifs ci-après: "[Attendu] qu’une campagne d’intimidation contre les témoins, policiers et magistrats, a été menée en cours d’information; Attendu que la seule énonciation (...) des faits ayant conduit à l’inculpation de Tomasi suffit, outre que ces derniers ont gravement troublé l’ordre public, à justifier le maintien en détention de l’inculpé; qu’il est fort à craindre, en effet, que celui-ci, s’il était libéré, entre en relation avec des personnes membres du FLNC qui ne manqueraient sans doute pas de l’aider à se soustraire à l’action de la justice ; qu’il n’apparaît pas que le maintien en détention soit de nature, en l’espèce, à porter atteinte aux dispositions de la Convention (...)" e) La cinquième demande Le 6 novembre 1987, le requérant réclama derechef son élargissement à la chambre d’accusation de Bordeaux. Elle le débouta le 13 novembre, en raison de la gravité extrême des faits et de la nécessité de préserver l’ordre public du trouble créé par ces derniers. Il introduisit alors un pourvoi que la chambre criminelle de la Cour de cassation rejeta le 2 mars 1988. Le procès Le 22 janvier 1988, le premier président de la cour d’appel de Bordeaux avait fixé au 16 mai 1988 l’ouverture de la session de la cour d’assises. Le 28 avril, le premier président décida de la reporter au 17 octobre 1988, à la suite d’une correspondance échangée en mars et avril par le parquet général avec les conseils de M. Tomasi et de M. Pieri. Les 15 juillet et 23 septembre, il modifia la composition de la juridiction de jugement. Les débats eurent lieu du 17 au 22 octobre 1988. A cette dernière date, le requérant fut acquitté et libéré sur-le-champ. Ses trois coaccusés se virent infliger une peine d’un an d’emprisonnement avec sursis, pour transport ou détention - selon le cas - d’une arme de première catégorie. C. La procédure en réparation (18 avril 1989 - 8 novembre 1991) La requête à la Commission d’indemnisation Le 18 avril 1989, M. Tomasi forma devant la Commission d’indemnisation près la Cour de cassation une demande fondée sur l’article 149 du code de procédure pénale. D’après ce texte, "(...) une indemnité peut être accordée à la personne ayant fait l’objet d’une détention provisoire au cours d’une procédure terminée à son égard par une décision de non-lieu ou d’acquittement devenue définitive, lorsque cette détention lui a causé un préjudice manifestement anormal et d’une particulière gravité". Les conclusions du procureur général près la Cour de cassation Le 5 juin 1991, le procureur général près la Cour de cassation présenta à la Commission d’indemnisation les conclusions suivantes: "(...) LE CONTENTIEUX DE LA DETENTION Pendant la durée de sa détention, Tomasi a déposé vingt demandes de mise en liberté, soit onze demandes devant le juge d’instruction de Bastia, et neuf devant le juge d’instruction et la chambre d’accusation de Bordeaux. Six arrêts confirmatifs ont été rendus, quatre par la chambre d’accusation de Bastia et deux par celle de Bordeaux. Enfin, deux arrêts de la chambre criminelle de la Cour de cassation respectivement en date des 17 octobre et 2 mars 1988 rejetaient les pourvois de Tomasi à l’encontre des deux arrêts de la chambre d’accusation de Bordeaux. Les décisions de rejet des demandes de mise en liberté étaient motivées, par le juge d’instruction comme par la chambre d’accusation, par la gravité exceptionnelle des faits, le trouble causé à l’ordre public, la nécessité de maintenir l’inculpé à la disposition de la justice et le risque de pression sur les témoins. DISCUSSION Sur la durée de la procédure Du 12 février 1982, date d’ouverture de l’information, au 25 mars 1983, Tomasi n’est pas encore en cause. Du 25 mars 1983, date de l’inculpation de Tomasi, au 18 octobre 1983, date de son interrogatoire récapitulatif, la procédure se déroule à une allure normale, et ne subit aucun retard. Du mois de novembre 1983 au mois de mai 1984, la procédure est ralentie, et se compose d’actes qui auraient pu déjà avoir été effectués si les commissions rogatoires ou les ordonnances les prescrivant avaient été rendues plus tôt. Ainsi ce n’est qu’en mars 1984 qu’a lieu le retour de la commission rogatoire concernant les lunettes de la victime, qui n’a été délivrée que le 27 octobre 1983 (...), alors qu’elle aurait pu l’être dès le début de l’information. De même, ce n’est que le 26 mai 1983 (...) qu’a été délivrée la commission rogatoire prescrivant notamment une enquête sur les victimes, sur le camp de Sorbo-Ocagnano, ainsi qu’une étude et des plans des lieux. Les pièces d’exécution de cette commission rogatoire n’ont été retournées que dans le courant des mois de mars et avril 1984, ce qui a incontestablement allongé les délais de procédure. Du mois de mai 1984 au mois de janvier 1985, la procédure a traîné de façon incompréhensible. C’est ainsi qu’il s’est écoulé près de trois mois entre l’ordonnance de soit- communiqué du 4 mai 1984 et le réquisitoire supplétif du 31 juillet 1984, demandant une expertise balistique qui avait déjà eu lieu. Ce n’est pourtant que le 15 novembre suivant, soit trois mois et demi plus tard, que le juge d’instruction rendra son ordonnance de rejet de ladite demande d’expertise. Du mois de janvier 1985 au mois de mai 1985, les délais de transmission des pièces à la chambre d’accusation puis à la Cour de cassation et de retour du dossier à Bordeaux semblent normaux. En revanche, ce n’est que le 5 septembre 1985, soit plus de trois mois après sa saisine, que le juge d’instruction de Bordeaux procéda à son premier acte d’instruction sur le fond en entendant Tomasi, après avoir par quatre fois rejeté ses demandes de mise en liberté. Ce délai apparaît excessif, un dossier comportant un détenu étant prioritaire pour le juge d’instruction, qui doit en prendre connaissance et l’instruire le plus rapidement possible. De septembre 1985 au 14 janvier 1986, les interrogatoires et les confrontations se sont poursuivis à la cadence d’un acte par mois. Des auditions plus rapprochées auraient permis de raccourcir les délais dans des proportions significatives. Du mois de janvier 1986 au mois de mai 1986, le délai paraît normal pour assurer le règlement du dossier et son renvoi devant la cour d’assises. En revanche, du mois de mai 1986 aux mois de mars-avril 1988, la procédure a subi un retard qui ne peut en aucun cas trouver sa justification dans les voies de recours exercées par les inculpés en vertu des droits qu’ils tiennent de la loi. Enfin, il est à noter que c’est d’un commun accord entre le parquet général et la défense qu’il a été décidé, dans le courant des mois de mars et avril 1988, d’abandonner la session de mai, et de la remplacer par une session fixée au 17 octobre 1988. En conclusion, compte tenu de l’importance et de la complexité de l’affaire, la durée de l’information ne pouvait qu’être supérieure à la moyenne. Cependant, elle aurait pu être considérablement raccourcie sans les divers retards relevés ci-dessus. Sur la nécessité de la détention de Tomasi pendant la durée de la procédure Compte tenu de la nature et de la gravité des faits ainsi que des résultats de l’enquête de police, la mise en détention de Tomasi était justifiée dans un premier temps, jusqu’à son interrogatoire récapitulatif du 18 octobre 1983. D’ailleurs, jusqu’à cette date, Tomasi n’a pas déposé de demande de mise en liberté. Toutefois, à la date du 18 octobre 1983, les témoins étaient déjà entendus et les confrontations effectuées. Les actes postérieurs, notamment les commissions rogatoires et les expertises, ne concernaient pas directement Tomasi, à l’exception des expertises médicales ordonnées à la suite de ses déclarations sur les conditions de sa garde à vue, lesquelles ne sauraient à l’évidence justifier son maintien en détention. D’ailleurs, il faut souligner qu’entre le 18 octobre 1983, date du procès-verbal récapitulatif, et le 17 octobre 1988, date de l’ouverture de la session de la cour d’assises, soit pendant une durée de cinq années, Tomasi n’a été interrogé qu’une seule fois, le 5 septembre 1985, et ce sur sa demande. Les rejets de ses différentes demandes de mise en liberté étaient fondés sur la gravité exceptionnelle des faits, le trouble causé à l’ordre public, la nécessité de maintenir l’inculpé à la disposition de la justice et le risque de pression sur les témoins. Or, la gravité, même exceptionnelle, des faits ne peut constituer un motif de détention que si des charges suffisantes existent à l’encontre de la personne détenue. En l’espèce, l’inculpation de Tomasi, qui a toujours clamé son innocence et effectué diverses grèves de la faim, reposait exclusivement sur des déclarations de Moracchini, lesquelles étaient loin d’avoir la précision qui leur a été prêtée tout au long de la procédure. En effet, on relève dans diverses pièces de la procédure, et notamment dans: - le rapport du procureur de la République au procureur général de Bastia, du 11 avril 1983 (...), - la note d’information du SRPJ d’Ajaccio du 8 juin 1983 (...), - la requête en dessaisissement du juge d’instruction de Bastia du 10 janvier 1985 (...), que Moracchini a déclaré que Tomasi lui avait proposé de participer à la ‘nuit bleue’ du 11 au 12 février 1982, et notamment de commettre un attentat contre le camp de légionnaires de Sorbo-Ocagnano. Or, la lecture exhaustive de toutes les déclarations de Moracchini permet de constater que s’il a effectivement déclaré que Tomasi lui avait proposé de participer à la ‘nuit bleue’, à aucun moment il n’a parlé d’un attentat à l’encontre du camp de légionnaires (...) Bien au contraire, Moracchini a toujours affirmé n’en avoir eu connaissance pour la première fois que le lendemain des faits. C’est ainsi notamment qu’au cours de son procès-verbal d’interrogatoire de première comparution (...), Moracchini a déclaré: ‘Je savais que Pieri fréquentait Félix Tomasi. Ce dernier m’avait bien proposé quelques jours avant de participer à une ‘nuit bleue’. J’avais refusé, en aucun cas il ne m’avait précisé quel aurait été l’attentat que j’aurais eu à commettre. Pour moi, je n’ai connu l’affaire des légionnaires que par les journaux, le 12 février au matin.’ Par ailleurs, il convient de relever que tous les témoins qui ont confirmé les déclarations de Moracchini n’ont fait que rapporter les propos que leur a tenus celui-ci. Aucun n’a été témoin direct des faits. En outre, il ne semble pas que la mise en liberté de Tomasi, qui justifiait de bonnes garanties de représentation et qui n’avait jamais été condamné, ait pu présenter un risque de pression sur les témoins ou sur Moracchini, coïnculpé libre. En effet, Tomasi, comme Pieri et Moracchini, n’a été mis en détention que plus d’un an après les faits, et Pieri, mis en cause par les mêmes témoins que Tomasi, s’est évadé de prison le 22 janvier 1984, et est demeuré en liberté pendant trois ans et demi, jusqu’à son arrestation le 1er juillet 1987, sans qu’il ait été constaté de pressions sur lesdits témoins. Enfin, il convient de préciser que Félix Tomasi a introduit en date du 10 mars 1987 une requête auprès de la Commission européenne des Droits de l’Homme en application de l’article 25 (art. 25) de la Convention européenne de Sauvegarde des Droits de l’Homme, en alléguant les griefs suivants: - durée excessive de sa détention provisoire (violation de l’article 5 par. 3 (art. 5-3) de la Convention); - traitements inhumains et dégradants subis pendant sa garde à vue (violation de l’article 3 (art. 3) de la Convention); - durée excessive de la procédure d’instruction ouverte sur plainte avec constitution de partie civile (violation de l’article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention). Cette requête a fait l’objet d’un rapport de la Commission européenne des Droits de l’Homme, adopté le 11 décembre 1990, aux termes duquel la Commission a déclaré la requête recevable et a conclu par douze voix contre deux qu’il y a eu, en l’espèce, violation de l’article 3 (art. 3) de la Convention, par treize voix contre une qu’il y a eu violation de l’article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention,et à l’unanimité des voix qu’il y a eu violation de l’article 5 par. 3 (art. 5-3) de la Convention. EN CONCLUSION Compte tenu des divers éléments ci-dessus exposés, ainsi que des conditions particulièrement pénibles de détention, Félix Tomasi, qui a effectué cinq ans et près de sept mois de détention et contre lequel l’information n’a mis en relief que des charges fragiles et insuffisantes, a subi de ce fait un préjudice important. Je conclus, pour toutes ces raisons, à l’octroi d’une indemnisation qui apparaît justifiée." La décision de la Commission d’indemnisation Par une décision non motivée du 8 novembre 1991, la Commission d’indemnisation octroya 300 000 francs français (f.) à l’intéressé. II. LA PROCÉDURE PÉNALE ENGAGÉE PAR LE REQUÉRANT A. L’origine et le dépôt de la plainte Interpellé le 23 mars 1983 à 9 h (paragraphe 8 ci-dessus), M. Tomasi était demeuré en garde à vue jusqu’au 25 à 9 h, soit pendant quarante-huit heures, le juge Pancrazi ayant, le 24 à 6 h, accordé à la police une prolongation de vingt-quatre heures. Pendant cette période, le requérant: a) avait assisté à une perquisition à son domicile le 23 mars de 9 h 15 à 12 h 50; b) avait subi plusieurs interrogatoires: - le 23 mars de 13 h 15 à 14 h 30, de 17 h 30 à 20 h et de 20 h 40 à 22 h 15, soit au total cinq heures et vingt minutes; - le 24 mars de 1 h 30 à 2 h, de 4 h à 4 h 45, de 11 h à 13 h, de 15 h 40 à 20 h et de 20 h 30 à 21 h 20, soit au total huit heures et vingt-cinq minutes; - le 25 mars de 4 h 30 à 4 h 50, soit vingt minutes; c) avait été examiné le 24 mars à 11 h par un médecin, qui avait conclu à la compatibilité de son état de santé avec la prolongation de la garde à vue. Le requérant signa le procès-verbal récapitulatif dressé à la fin de la garde à vue, mais refusa d’en faire autant pour celui de son dernier interrogatoire. Le 25 mars 1983, lors de sa première comparution devant le juge d’instruction (paragraphe 10 ci-dessus), il déclara ce qui suit: "Je prends acte des inculpations que vous me notifiez. Je suis militant public de la CCN [Cunsulta di i cumitati naziunalisti]. Je ne fais pas partie du FLNC. Je m’expliquerai ultérieurement en présence de mon avocat, Me Stagnara. Je voudrais cependant ajouter que j’ai été frappé pendant le cours de la garde à vue par des inspecteurs; je ne veux pas donner les noms. Je n’ai pas eu de temps de repos. J’ai été obligé de réclamer à manger au médecin qui m’a visité car j’ai été laissé sans manger et je n’ai eu en tout et pour tout qu’un seul sandwich. Ce matin, j’ai été mis nu devant la fenêtre ouverte pendant deux ou trois heures. Ensuite, on m’a rhabillé et on m’a tabassé. Cela n’a jamais cessé du début de la garde à vue jusqu’à la fin. Je vous montre sur ma poitrine des ecchymoses, ainsi qu’une rougeur sous l’oreille gauche." Le magistrat fit inscrire à la suite de ladite déclaration la mention "vu exact". Le 29 mars 1983, M. Tomasi porta plainte contre X, avec constitution de partie civile, "pour violences et voies de fait commises par des fonctionnaires dans l’exercice de leurs fonctions et abus d’autorité". Le lendemain, le doyen des juges d’instruction ordonna le versement d’une consignation fixée à 1 200 f. et communiqua le dossier au parquet. B. La procédure d’instruction (29 mars 1983 - 6 février 1989) La procédure suivie à Bastia (29 mars 1983 - 20 mars 1985) a) Les actes d’instruction i. Le juge Pancrazi Le 29 mars, M. Pancrazi, juge d’instruction, entendit comme témoin le docteur Bereni, médecin-chef de la maison d’arrêt de Bastia. Celui-ci déclara: "Je suis médecin de l’administration pénitentiaire, j’ai examiné Pieri Charles à son entrée à la maison d’arrêt et Félix Tomasi, comme je le fais pour tous les détenus. (...) En ce qui concerne Tomasi Félix, j’ai constaté un hématome derrière l’oreille gauche, avec une légère diffusion descendante vers la joue. J’ai constaté sur le thorax de légères égratignures superficielles. En outre, Tomasi a allégué des douleurs à la tête et au cou, ainsi qu’aux jambes, aux bras et au dos, mais comme je l’ai mentionné, je n’ai pu conforter ces allégations par des constatations objectives. Dans un cas comme dans l’autre, il s’agit de très légères blessures sans aucun caractère de gravité, qui ne peuvent entraîner d’incapacité de travail." Le 25 mars 1983, le même magistrat avait confié au docteur Rovere, expert près la cour d’appel de Bastia, la mission de "1. Procéder à l’examen des blessures, maladies ou infirmités dont souffre la victime, les décrire, en préciser les conséquences probables et donner son avis sur leurs causes; Fixer la nature de l’incapacité et évaluer sa durée probable." Le praticien, qui avait examiné M. Tomasi le 26 mars 1983 à 12 h à la maison d’arrêt, en présence du juge d’instruction, déposa son rapport le 30 mars. Il y indiquait ce qui suit: "III. ÉTAT ACTUEL 1) Doléances Monsieur Tomasi Félix se plaint de: Otalgies gauches, vives . Céphalées pariétales, bilatérales, vives . Lombalgies peu intenses . Douleurs abdominales sus-ombilicales Pas d’autre doléance formulée. 2) Examen clinique (...) a) Examen général: Poids: 60 kg; taille: 1 m 65 (évaluée) . Tension artérielle: 11,5/7 . Fréquence cardiaque: 84 pulsations par minute . Auscultation cardio-pulmonaire: normale. b) Segment crâno-facial: - Deux excoriations à peine visibles, l’une à la tempe droite et l’autre au-dessus du sourcil droit - Petite ecchymose palpébrale supérieure gauche horizontale, mesurant 2 cm de long de couleur rouge violacé - Douleurs alléguées à la palpation du crâne dans la région pariétale droite - Rougeur conjonctivale, bilatérale (l’intéressé déclare qu’elle existait avant sa garde à vue), d’origine non traumatique - Examen neurologique: . Pupilles égales, régulières et contractiles . Pas de nystagmus . Romberg négatif . Pas de dissymétrie, pas d’adiadococinésie . Réflexes ostéo-tendineux normaux . Pas de déviation à l’épreuve des index et à celle de la marche aveugle - Oreille gauche: . L’hélix et l’anthélix sont le siège d’une ecchymose de couleur rouge foncé, chaude et alléguée douloureuse à la palpation . Le conduit auditif externe et le tympan ne présentent pas de lésion traumatique. c) Rachis cervical: Pas de trace apparente de traumatisme . Pression des apophyses épineuses cervicales C1 et C2 alléguée douloureuse . Mouvements du cou non limités, perception de craquements articulaires lors des inclinaisons latérales (banals après trente ans) . Pas de contracture musculaire. d) Thorax et abdomen: - Stries ecchymotiques (vibices) situées . une au niveau du manubrium sternal . une au niveau de l’appendice xyphoïde . trois autres au niveau de la région épigastrique . une au niveau de l’hypochondre droit. Ces éléments sont de couleur rouge, entourés d’un halo violacé visible à jour fixant et allégués douloureux à la palpation. - Pas d’hépatomégalie - Pas de splénomégalie - Léger ballonnement abdominal. e) Région lombaire: Pas de trace apparente de traumatisme . Pas de limitation de l’amplitude des mouvements du tronc . Pas de contracture musculaire para-vertébrale. f) Bras gauche: A la face postéro-interne, au niveau de son tiers supérieur, existe une ecchymose de couleur rouge avec un pourtour violacé dans sa partie inférieure, mesurant 8 cm de long et 4 cm de large, alléguée douloureuse à la palpation. Au-dessous de cette ecchymose il en existe deux autres, de forme arrondie, mesurant 1,5 cm de diamètre, de tonalité moins forte. IV. DISCUSSION ET CONCLUSIONS Monsieur Tomasi Félix présente, objectivées par l’examen du 26 mars 1983: - Des ecchymoses superficielles au niveau de la paupière supérieure gauche, à la face antérieure du thorax, dans les régions épigastriques et de l’hypochondre droit, au niveau du bras gauche et de l’oreille gauche - Deux excoriations cutanées à peine visibles de la tempe droite. La couleur rouge des ecchymoses avec un halo périphérique violacé permet de fixer leur date de survenue dans une fourchette de deux à quatre jours avant le moment de l’examen du 26 mars 1983. La présence simultanée d’excoriations et d’ecchymoses permet d’affirmer la nature traumatique de ces lésions; toutefois, des examens biologiques pourraient être effectués afin d’éliminer une cause médicale favorisante. Leur étendue et leur forme ne sont pas caractéristiques de leur mode de survenue: elles sont donc compatibles avec les déclarations de l’intéressé mais aussi avec une autre cause traumatique. Ces lésions entraînent une incapacité temporaire totale de trois jours." Le 24 juin 1983, le juge Pancrazi entendit M. Tomasi en qualité d’inculpé. Après avoir reçu lecture des rapports d’expertise médicale relatifs aux victimes de l’attentat du 12 février 1982 ainsi qu’à ses coïnculpés et à lui-même, le requérant déclara: "Les lésions qui ont été constatées lors des expertises établies pour la première par le Dr Rovere et pour la seconde par les Drs Rocca et Ansaldi, m’ont été faites par le commissaire [D.], son adjoint [A.] et par une partie des autres inspecteurs de la police judiciaire. J’ai été battu pendant quarante heures d’affilée. Je n’ai pas eu un instant de repos. On m’a laissé sans manger et sans boire. Un inspecteur, que je saurais reconnaître, m’a mis un pistolet chargé sur la tempe et sur la bouche, pour me faire parler. On m’a craché plusieurs fois au visage. On m’a laissé déshabillé pendant une partie de la nuit, dans un bureau, avec portes et fenêtres ouvertes. Je rappelle que nous étions au mois de mars. J’ai passé la quasi-totalité de la garde à vue debout, les mains derrière le dos avec des menottes aux poignets. On me tapait la tête contre le mur, on me donnait des ‘manchettes’ dans le ventre, des gifles et des coups de pied sans arrêt. Quand je tombais à terre on me donnait des coups de pied ou des gifles pour me faire relever. On m’a également menacé de mort, le commissaire [D.] et l’inspecteur [A.] m’ont dit que si je m’en sortais de cette affaire, ils me tueraient. Ils ont dit aussi qu’ils tueraient mes parents. Ils ont dit qu’il y avait eu un attentat à Lumio où il y avait eu un blessé et qu’il arriverait la même chose à mes parents, qu’ils plastiqueraient pour les tuer. Je tiens à préciser en ce qui concerne les lésions de l’oreille gauche, qu’outre l’ecchymose relevée par le Dr Rovere, j’ai saigné, plus précisément j’avais des saignements qui se révélaient lorsque je mettais un coton-tige dans mon oreille. Cela a duré une quinzaine de jours. J’ai demandé à consulter un spécialiste et le Dr Vellutini m’a dit que j’avais un tympan percé. Je me suis rendu compte également par la suite que j’avais une dent cassée. Je n’ai donc pu le signaler aux experts. Les Drs Rocca et Ansaldi ont affirmé que l’ecchymose palpébrale supérieure gauche pouvait faire évoquer la forme des lunettes; or, mes lunettes sont supportées par le nez et si elles peuvent laisser des traces sur le nez, elles ne peuvent, en aucun cas, en laisser dans la partie supérieure de l’oeil." ii. Le juge N’Guyen À la suite du dépôt de la plainte de M. Tomasi et sur demande du procureur de la République, le président du tribunal de grande instance de Bastia désigna, le 2 juin 1983, un autre juge d’instruction, M. N’Guyen. Sans attendre l’issue de la requête en désignation de juridiction (paragraphe 55 ci-dessous), ce dernier avait déjà commis deux experts près la cour d’appel de Bastia, les docteurs Rocca et Ansaldi, qui avaient examiné le requérant le 29 mars 1983 à la maison d’arrêt et rendu leur rapport le 1er avril. Ce document était ainsi rédigé: "RAPPEL DES FAITS L’intéressé déclare: ‘Les 23 et 24 mars 1983 j’ai été roué de coups pendant environ trente-six heures. J’ai reçu de nombreux coups de poing et coups de pied au niveau essentiellement de l’abdomen, du crâne et de la face.’ DOLEANCES EXPRIMEES CE JOUR: Le malade se plaint: - de douleurs au niveau de l’oreille gauche; - de bourdonnements d’oreilles; - de maux de tête; - de douleurs au niveau de la région lombaire; - de douleurs abdominales; - [illisible]. EXAMEN CLINIQUE PRATIQUE CE JOUR: - Poids: 60 kg - Taille: 1 m 65 - T.A.: 13/8 - Pouls: 72 pulsations/mn. Examen de la face et du crâne: Monsieur Tomasi porte des verres correcteurs pour myopie. A l’inspection nous constatons: - une discrète ecchymose palpébrale supérieure gauche de couleur violacée, longue de 2 cm; - des excoriations minimes de 3 mm de diamètre situées: 1 - au niveau de la tempe droite, 2 - au-dessus du sourcil droit. La poursuite de l’examen de la face nous montre: - une sensibilité particulière au niveau des muscles masticateurs à la palpation, surtout marquée à droite; - par ailleurs, la motilité oculaire est normale; - l’examen de la sensibilité superficielle au niveau de la face est normal; - la motricité faciale est normale. La poursuite de l’examen nous montre: - un érythème diffus, prononcé, situé sur le pavillon de l’oreille gauche; - l’acuité auditive semble normale, testée au ‘tic-tac’ de la montre et à la voix chuchotée. Examen thoraco-abdominal: A l’inspection on retrouve: - quelques excoriations cutanées de quelques millimètres de diamètre, situées au niveau de l’hypochondre droit, de l’épigastre, basi-thoraciques droites et para-sternales gauches, proches de la xyphoïde; - par ailleurs, l’auscultation pulmonaire, la palpation et la percussion thoracique sont normales; - de même, l’examen de l’abdomen montre un ventre souple et indolore; - l’examen des organes génitaux externes ne révèle pas d’ecchymose, pas d’hématome, pas de plaie, pas de trace de traumatisme. Examen des membres supérieurs: - Il existe au niveau du bras gauche, sur la face postéro- interne, dans la partie moyenne du bras, une ecchymose longue de 8 cm, large de 4 cm, de forme ovalaire. Cette ecchymose est de couleur jaunâtre en son centre et verdâtre en périphérie. - Il existe par ailleurs deux points ecchymotiques au voisinage de la première ecchymose, de forme arrondie, d’environ 4 mm de diamètre, de couleur également verdâtre. Examen des membres inférieurs: Examen strictement normal. Examen neurologique: - L’épreuve de Romberg est négative - Il n’existe pas de déviation des index - La force musculaire [illisible] est conservée - Les réflexes ostéo-tendineux sont présents et symétriques - La sensibilité est normale - La coordination est normale. DISCUSSION ET CONCLUSION Après interrogatoire et examen clinique complet de Monsieur Félix Tomasi, nous avons constaté les lésions suivantes: - deux ecchymoses, dont une discrète située sur la paupière gauche et la seconde plus importante au niveau du bras gauche; - par ailleurs, il existait des excoriations disséminées situées au niveau thoracique et para-sternal ainsi que sur la tempe droite et le sourcil droit. Ces excoriations sont de taille minime. Il est à noter que les douleurs et bourdonnements d’oreille signalés nécessitent un avis sapiteur ORL. Compte tenu de la couleur des ecchymoses, nous pouvons fixer la date du traumatisme causal approximativement entre quatre et huit jours. L’ecchymose brachiale gauche peut être le résultat d’une pression manuelle et digitale de forte intensité. Quant à l’ecchymose palpébrale supérieure gauche, elle peut faire évoquer la forme de la monture supérieure des lunettes portées par Monsieur Tomasi. Les excoriations cutanées retrouvées ne sont caractéristiques d’aucun agent traumatique précis. Il est à noter que nous n’avons retrouvé aucune plaie, aucune trace de brûlure, ni autre lésion susceptible d’évoquer des actes de torture." Le 21 avril 1983, les deux médecins formulèrent, à la demande du juge d’instruction, un complément d’expertise. Ils y concluaient que "Monsieur Tomasi Félix peut bénéficier d’une incapacité temporaire totale de deux jours". Le 1er juillet 1983, le juge N’Guyen entendit le requérant en qualité de partie civile. Le plaignant fit la déclaration ci-après: "- (...) Je crois que nous sommes arrivés au commissariat aux environs de midi. On a commencé à m’interroger et on a tapé le premier P.V. [procès-verbal]. J’ai dit que j’étais militant de la CCN. On m’a demandé si je savais pourquoi j’étais là. J’ai répondu que ce n’était pas la première fois que l’on interpellait des militants de la CCN. - C’est à ce moment-là qu’ils ont commencé à me frapper: le commissaire [D.] me donnait des gifles. Chaque fois qu’il venait au bureau, il encourageait ses hommes. Il disait qu’il fallait me faire parler et qu’il fallait employer tous les moyens. Il m’a frappé durant les deux jours de G.A.V. [garde à vue]. - Son adjoint, [A.], m’a également frappé. Il m’a donné des coups de manchette au ventre et il disait que ça ne laissait pas de trace. Il me prenait par les cheveux et me tapait la tête contre le mur. Il y en avait d’autres mais je ne connais pas leur nom: il y avait un petit brun aux cheveux noirs qui, je crois, s’appelait [G.]. Il me donnait des gifles et des coups de poing. Je peux également citer [L.] puisque c’est lui qui m’a dit son nom. Il y en avait également d’autres mais je ne peux pas donner de nom. Ces gens-là m’ont frappé sans arrêt sauf quand je parlais. Dès que je m’arrêtais de parler, ils me frappaient. - Je précise qu’on m’avait mis les menottes dans le dos et que je devais rester debout à cinquante centimètres du mur. Ça a commencé dès le début de la G.A.V. La fouille n’a [pas] eu lieu au rez-de-chaussée mais au 2e étage. - Je me souviens qu’il y en avait également un qui faisait équipe avec [A.], qui avait la même taille, la tête dégarnie. Lui aussi m’a frappé constamment durant la G.A.V. Il me prenait la tête et me frappait contre le mur. - Il n’y a pas eu de repos la première nuit, ni la deuxième. - J’ai été interrogé par une quinzaine d’inspecteurs qui se relayaient. Des fois, ils étaient trois, souvent ils étaient dix à quinze. J’ai passé presque quarante-huit heures dans le même bureau. - J’ai été redescendu le 25 mars à peu près vers 6 h du matin. Jusque-là, je n’avais eu aucun temps de repos. Je n’ai ni mangé, ni bu. - Le premier soir, j’ai réclamé à boire et à manger. Les policiers ne m’ont rien donné. Le lendemain, comme j’avais réclamé un médecin, il est venu. Je lui ai dit que j’avais été battu sans arrêt depuis plus de vingt-quatre heures, que je n’avais pas mangé et bu et que j’avais affaire à des tortionnaires. Je lui ai fait constater les marques de coups sur l’estomac et le visage. Il n’a rien répondu. Il m’a pris la tension. Il a dit aux inspecteurs que je pouvais tenir le coup. J’ai d’ailleurs écrit à l’Ordre des médecins à ce sujet. Quand je lui ai dit que je n’avais rien mangé, il a regardé les policiers. Les policiers ont eu une attitude embarrassée et m’ont demandé ce que je voulais. J’ai dit que je voulais un café et un sandwich. Ils ont refusé le café et m’ont dit que je l’aurais si je parlais. Le sandwich est passé à la poubelle. Ce n’est que le lendemain matin que les policiers de l’Urbaine m’ont donné trois ou quatre cafés avec des croissants et des pains au chocolat. C’est la raison pour laquelle je suis arrivé au Palais de Justice dans un état surexcité. - Je tiens à ajouter que l’inspecteur [L.] a sorti son pistolet de la ceinture, qui était chargé, et me l’a mis sur la tempe et sur la bouche. Il m’a dit de parler. Je lui ai répondu que je ne pouvais pas raconter n’importe quoi. Il m’a lu les P.V. des autres. Il m’a dit que je devais dire la même chose. - Par la suite, [G.] m’a craché une dizaine de fois au visage et m’a giflé. - Le tortionnaire [D.] venait souvent dans le bureau et a demandé à plusieurs reprises ‘vous ne l’avez pas encore déshabillé’. - La nuit tombée, on m’a fait changer de bureau. C’était toujours au 2e étage mais dans un angle mort. Là, on m’a complètement déshabillé. Cela se passait durant la 2e nuit. J’étais entièrement nu, des chaussettes aux pieds. [D.] est arrivé. Il a demandé pourquoi on ne m’avait pas retiré les chaussettes. Il m’a giflé et on a continué à m’interroger comme ça, les fenêtres et les portes ouvertes. C’était une nuit de mars froide. Je précise que dans la pièce où l’on m’avait placé on ne pouvait pas me voir de l’extérieur. Dans la pièce précédente, on prenait soin de baisser le rideau métallique au moment où on allumait la lumière. - A un moment donné, on m’a autorisé à m’asseoir. C’est quand [B.] est arrivé. Il m’a pris par la chemise ou le blouson et m’a bousculé. Il m’a fait enlever les menottes que j’avais dans le dos et m’a fait asseoir. Il a fait sortir tous les inspecteurs et le commissaire. Il m’a demandé si je voulais quelque chose. Je lui ai dit que je voulais aller aux toilettes et me rincer. Il m’a laissé aller. Il m’a parlé ensuite pendant une heure. On a parlé comme on parle aujourd’hui. - Ça se passait le 24 vers 8 ou 10 h du soir. [B.] est parti. On m’a remis les menottes et on a continué à me frapper. - Je dois préciser aussi que j’avais les bras et les jambes engourdis. Il m’est arrivé [sous] les coups de tomber. Les policiers me faisaient relever en me donnant des coups de pied et me tapant la tête contre le mur. - Il y a eu aussi des menaces contre ma famille. On m’a menacé de plastiquer l’appartement où habitent mes parents. Ils m’ont dit qu’il y avait une femme de Lumio qui avait été plastiquée et qui avait été blessée et qu’ils feraient la même chose à mes parents pour les tuer. Ils m’ont dit qu’ils tueraient aussi la famille de mon frère et de ma soeur. - L’inspecteur [L.] m’a dit qu’il me ferait fermer le magasin. Que ce seraient les Français qui le rachèteraient. Il a dit qu’il ferait partir tous les Corses. Il m’a dit qu’il me plastiquerait aussi le magasin. - Il y a eu également des menaces contre moi. Les tortionnaires m’ont menacé de mort. Ils ont dit qu’ils m’amèneraient au camp de la Légion à Calvi et qu’ils me laisseraient aux mains des légionnaires. Je dois préciser qu’il y a beaucoup d’autres choses mais qu’il n’est pas possible de relater ce qui s’est passé pendant quarante heures en une heure. [A.] m’a traité de gauchiste. Il m’a dit que j’avais sûrement voté Mitterrand et que ça c’était le résultat. Ils m’ont dit aussi qu’ils étaient une quinzaine d’inspecteurs sûrs et que je n’avais pas intérêt à porter plainte. Ils m’ont dit que ce n’était pas le cas pour les policiers de l’Urbaine, car il y avait des sympathisants et qu’ils n’étaient pas sûrs d’eux. Je tiens à vous dire que si je suis libéré car je suis innocent, s’il m’arrive quelque chose, il ne faut pas aller chercher ailleurs. Ils m’ont dit que si j’étais libéré, ils s’occuperaient de moi." Par une lettre du 3 juillet 1983, l’avocat du requérant pria le magistrat instructeur de procéder à la confrontation de son client avec les officiers de police judiciaire qui avaient participé aux interrogatoires; il lui suggéra aussi d’entendre les quatre personnes gardées à vue pendant la même période car elles "pourraient avoir été témoins auditifs ou visuels de faits concernant les sévices au commissariat de Bastia", ainsi que le docteur Vellutini "qui a eu pour mission d’examiner M. Tomasi à la suite de ses ennuis de santé au niveau des oreilles"; il l’invita en outre à verser au dossier le procès-verbal de première comparution devant le juge Pancrazi. Les parties n’ont fourni ni à la Commission ni à la Cour aucune indication sur des actes d’instruction qui auraient été accomplis entre le 1er juillet 1983 et le 15 janvier 1985. b) Les requêtes en désignation de juridiction i. La première requête Le 31 mars 1983, le procureur de la République de Bastia présenta à la chambre criminelle de la Cour de cassation une requête tendant à la désignation de "la juridiction chargée de l’instruction ou du jugement de l’affaire". Il agissait en application de l’article 687 du code de procédure pénale qui vise le cas où "un officier de police judiciaire est susceptible d’être inculpé d’un crime ou d’un délit, qui aurait été commis dans la circonscription où il est territorialement compétent, hors ou dans l’exercice de ses fonctions". La Cour de cassation rendit le 27 avril 1983 une décision négative, car la requête n’indiquait ni les noms ni les fonctions des personnes qui pourraient être poursuivies en conséquence de la plainte de M. Tomasi. ii. La seconde requête Le 15 janvier 1985, le procureur de la République de Bastia saisit derechef la chambre criminelle aux fins de désignation de la juridiction compétente. La Cour de cassation prononça son arrêt le 20 mars 1985. Elle annulait les actes d’instruction accomplis après le 1er juillet 1983, date à laquelle la partie civile avait précisé l’identité des personnes mises en cause. En outre, elle chargeait le juge d’instruction de Bordeaux d’instruire la plainte du requérant. La procédure suivie à Bordeaux (20 mars 1985 - 6 février 1989) a) Devant le juge d’instruction (23 avril 1985 - 23 juin 1987) i. Le juge Nicod Le 23 avril 1985, le procureur de la République de Bordeaux déposa un réquisitoire introductif et le président du tribunal de grande instance de cette ville nomma un magistrat instructeur, M. Nicod. Ce dernier entendit M. Tomasi une seule fois, le 5 septembre 1985. Le 24, il versa au dossier la copie certifiée conforme de plusieurs pièces du dossier ouvert à Bastia, notamment les procès- verbaux de garde à vue et de première comparution ainsi que les rapports d’expertises médicales. Par une lettre adressée au juge le 4 octobre, le requérant sollicita une confrontation avec les policiers qui l’avaient interrogé. Les 13 décembre 1985 et 13 janvier 1986, le magistrat entendit en qualité de témoins des personnes qui avaient été gardées à vue dans les mêmes locaux et à la même période que le requérant. M. Moracchini déclara avoir vu ce dernier le quatrième jour à la maison d’arrêt de Bastia et constaté sur lui des marques à l’abdomen ainsi qu’un écoulement d’une oreille. ii. Le juge Lebehot M. Nicod ayant été nommé à un autre poste, le président du tribunal de grande instance de Bordeaux le remplaça le 7 janvier 1987 par un autre magistrat, M. Lebehot. Le 13 janvier 1987, celui-ci délivra une commission rogatoire au directeur de l’Inspection générale de la Police nationale pour qu’il procédât à une enquête approfondie. Quinze fonctionnaires de police qui avaient participé aux arrestations, perquisitions et interrogatoires furent entendus entre le 3 et le 24 février 1987. Aucun d’eux ne se reconnut l’auteur de violences sur les personnes gardées à vue et ne fut confronté avec M. Tomasi. Les pièces d’exécution de la commission rogatoire parvinrent au tribunal le 6 mars 1987. Le 23 juin 1987, le juge d’instruction rendit une ordonnance de non-lieu. Il adoptait les motifs du réquisitoire adressé la veille par le procureur de la République de Bordeaux: "(...) vu les dénégations formelles et précises des fonctionnaires mis en cause, les seules accusations formulées par la partie civile, même si elles sont étayées par quelques constatations médicales objectives, ne peuvent constituer à elles seules des indices graves et concordants de culpabilité de nature à justifier une ou plusieurs inculpations." b) Devant la chambre d’accusation de la cour d’appel (26 juin 1987 - 12 juillet 1988) Par une lettre du 26 juin 1987, M. Tomasi attaqua l’ordonnance de non-lieu devant la chambre d’accusation de la cour d’appel de Bordeaux. Il dénonçait notamment l’absence de confrontation avec les fonctionnaires de police et de prise en compte de toutes les séquelles de sa garde à vue, en particulier le percement du tympan de l’oreille révélé par des examens postérieurs. Le 12 octobre, il écrivit au président pour réclamer une confrontation. La chambre d’accusation rendit le 3 novembre 1987 son arrêt par lequel elle recevait le requérant en son appel et, avant dire droit, ordonnait un supplément d’information. Le conseiller chargé de ce dernier délivra le 19 janvier 1988 une commission rogatoire au directeur de l’Inspection générale de la Police nationale. Furent ainsi entendus trois nouveaux fonctionnaires de police, quatre personnes - dont M. Filippi - qui s’étaient trouvés en garde à vue en même temps que M. Tomasi, et l’oto-rhino-laryngologiste - le docteur Vellutini - qui avait examiné celui-ci en avril 1983. Le 28 janvier 1988, M. Filippi déclara avoir vu l’intéressé le 25 mars 1983 au matin: M. Tomasi avait "le visage tuméfié et bouffi", les cheveux "ébouriffés", "des ecchymoses sur le thorax, à l’abdomen ainsi que sous l’aisselle du bras droit"; il s’était plaint d’avoir été "tout le temps roué de coups" et avait "même sorti une dent de sa poche". Le 25 février 1988, le docteur Vellutini déposa comme suit: "(...) J’ai procédé à l’examen médical de M. Tomasi Félix en consultation externe à l’hôpital de Bastia. Je ne peux pas préciser la date, mais c’était en 1983. Je l’ai soigné pour otite avec peut-être une perforation tympanée. Je l’ai examiné une ou deux fois, pas plus. Cela, je l’ai déjà précisé au juge d’instruction N’Guyen dans son cabinet. Ceci s’est passé dans le cadre d’une consultation ordinaire et en cela, je ne délivre jamais de certificat médical, me bornant à soigner les malades qui me sont présentés. (...)" Le magistrat remit le supplément d’information le 18 avril 1988. Le 12 juillet 1988, la chambre d’accusation confirma l’ordonnance de non-lieu pour les raisons ci-après: "(...) attendu sans doute qu’Antoine Filippi, qui a été gardé à vue dans le même temps que Tomasi, a affirmé qu’il avait remarqué dans le hall du commissariat que celui-ci ‘avait le visage tuméfié et bouffi’ et qu’il avait par la suite ‘personnellement vu qu’il présentait des ecchymoses sur le thorax, l’abdomen ainsi que sous l’aisselle du bras droit’, que son coïnculpé Joseph Moracchini a pour sa part déclaré que Tomasi ‘avait toute la poitrine écorchée et perdait du liquide par une oreille’, attendu que ces déclarations majorent quelque peu les constatations faites par le juge d’instruction lui-même, lors de la présentation de Tomasi à son cabinet, de la présence d’ecchymoses sur sa poitrine et d’une rougeur sous l’oreille gauche et celles des praticiens commis ou requis à diverses étapes de la procédure, attendu que, durant la garde à vue, le 24 mars 1983 à 11 h, le docteur Gherardi a examiné Tomasi qui s’est plaint à lui d’avoir été battu mais qu’il n’a personnellement alors rien constaté. Qu’à son arrivée à la maison d’arrêt, le 25 mars 1983, Tomasi a été vu, dans le cadre des visites systématiques de détenus, par le médecin-chef Bereni qui a relevé la présence d’un hématome derrière l’oreille gauche avec une légère diffusion descendant vers la joue et de légères égratignures superficielles au niveau du thorax et qui a noté l’allégation de douleurs à la tête, au cou, aux jambes, au bras et au dos sans signe objectif. Qu’un expert, le docteur Rovere, commis par le juge d’instruction, a examiné Tomasi le 26 mars 1983 à 12 h et constaté que celui-ci présentait des ecchymoses superficielles au niveau de la paupière supérieure gauche, à la face antérieure du thorax, dans les régions épigastriques et de l’hypocondre droit, au niveau du bras gauche et de l’oreille gauche, ainsi que deux excoriations cutanées à peine visibles de la tempe droite; que ledit expert a précisé que la couleur rouge des ecchymoses avec un halo périphérique violacé permettait de fixer leur date de survenue dans une fourchette de deux à quare jours avant l’examen et souligné que la présence simultanée d’excoriations et d’ecchymoses permettait d’affirmer leur nature traumatique mais sans définir la cause même du traumatisme, fixant à trois jours la durée de l’incapacité temporaire totale. Attendu que le rapport d’expertise confié aux docteurs Rocca et Ansaldi, dans le cadre de l’information ouverte contre X (...) [paragraphe 46 ci-dessus], a révélé lors de l’examen pratiqué le 29 mars la présence de deux ecchymoses dont une discrète située sur la paupière gauche pouvant évoquer la forme de la monture supérieure de lunettes de l’intéressé et l’autre plus importante au niveau du bras gauche, pouvant être le résultat d’une pression manuelle et digitale de forte intensité ainsi que d’excoriations disséminées situées au niveau thoracique et parasternal, sur la tempe droite et le sourcil droit, ne caractérisant aucun agent traumatique précis. Attendu que l’hypothèse d’un percement du tympan et de saignements d’oreille n’a pas été expressément confirmée par le docteur Vellutini, spécialiste ORL, et se trouve explicitement contredite par les docteurs Rovere et Bereni. Attendu en tout cas que l’étude comparative des différentes constatations effectuées par plusieurs praticiens et experts dans un temps proche de la date supposée des faits de violence dénoncés par Tomasi a fait apparaître une véritable inadéquation entre ces violences (coups de poing et de pied; manchettes; coups de tête contre le mur pendant près de quarante heures) et le caractère minime des traumatismes dont l’origine discutée ne peut être définie. Attendu que les officiers de police judiciaire mis en cause nient expressément les faits, que toute confrontation paraît désormais inutile, attendu qu’il y a doute sur la réalité des faits allégués par Tomasi;" c) Devant la Cour de cassation (21 juillet 1988 - 6 février 1989) Le 21 juillet 1988, M. Tomasi forma un pourvoi que la chambre criminelle de la Cour de cassation déclara irrecevable le 6 février 1989, par les motifs suivants: "Attendu que les énonciations de l’arrêt attaqué mettent la Cour de cassation en mesure de s’assurer que, pour confirmer l’ordonnance entreprise, la chambre d’accusation, après avoir analysé les faits dont elle était saisie par la plainte, a exposé les motifs dont elle a déduit qu’il n’existait pas contre quiconque charges suffisantes d’avoir commis les délits de violences et voies de fait par fonctionnaires dans l’exercice de leurs fonctions; Attendu que le moyen proposé, en ce qu’il revient à discuter la valeur des motifs de fait et de droit retenus par les juges, ne contient aucun des griefs que l’article 575 [du code de procédure pénale] autorise la partie civile à formuler à l’appui de son pourvoi contre un arrêt de non-lieu de la chambre d’accusation en l’absence de pourvoi du ministère public;" C. Les événements ultérieurs A la demande de M. Tomasi, le docteur Bereni, toujours médecin-chef de la maison d’arrêt de Bastia, établit le 4 juillet 1989 un certificat qu’il remit en mains propres à l’intéressé "pour faire et valoir ce que de droit". Ce document était ainsi rédigé: "Je soussigné, docteur Jean Bereni, (...) certifie avoir examiné les clichés radiographiques pratiqués sur Monsieur Tomasi, le 2 avril 1983 au Centre hospitalier de Toga Bastia. Les radiographies du massif temporal gauche montrent un épaississement du conduit auditif externe avec rupture du tympan et présence d’un hématome rétrotympanique. Les radiographies sous incidence spéciales (Hitz) du massif facial montrent au niveau de l’articulé dentaire du maxillaire supérieur gauche l’absence de la première molaire. A la suite de ces examens Monsieur le docteur Vellutini, médecin-chef du service ORL, avait prescrit l’utilisation de gouttes auriculaires (Otipax) et moi-même lui ai prescrit un traitement antalgique et des somnifères." En réponse à une lettre du 26 août 1991, le directeur du Centre hospitalier régional de Bastia communiqua au requérant les "précisions" ci-après: "a) Les recherches complémentaires effectuées n’ont pas permis de trouver de nouveaux éléments d’ordre médical qui pourraient s’ajouter aux informations mentionnées dans mon attestation en date du 4 juillet 1989, en ce qui concerne votre passage au Centre hospitalier général de Bastia pour une consultation externe en ORL, vraisemblablement le 1er avril 1983. b) A la date de cet examen, il n’existait pas à l’ancien hôpital de Toga de service structuré pour les consultations externes de spécialités; dans ces conditions, dans les cas de simples passages sans hospitalisation pour examen par un praticien spécialiste, il n’y avait pas systématiquement l’établissement d’un compte rendu médical d’observations (le docteur Vellutini, alors praticien hospitalier ORL, contacté par mes services au sujet de votre affaire, n’a pas été en mesure de fournir des renseignements complémentaires dont il aurait pu avoir souvenance). c) En fait, il y a tout lieu de penser que le ou les clichés radiographiques vous concernant ont été (comme cela continue du reste de se faire pour les examens en externe pour les détenus non hospitalisés) aussitôt remis à vos accompagnants à l’intention du service médical de la maison d’arrêt, sans qu’une copie soit conservée par l’hôpital. d) De surcroît - dans l’hypothèse donc peu probable où des documents médicaux vous concernant aient fait l’objet d’un classement - le déménagement des services de l’ancien hôpital et l’ouverture, en 1985, du nouvel hôpital, ont entraîné de nombreuses opérations de manutention pour un volume considérable de dossiers et de documents, ce qui a pu inévitablement être à l’origine de perturbations dans les classements. e) Les recherches de documents concernant Messieurs Moracchini et Pieri se sont également avérées sans résultats. En tout état de cause, je vois mal comment une action qui, comme vous en évoquez l’éventualité, serait intentée contre le Centre hospitalier de Bastia, en référé ou au fond, permettrait de retrouver des documents médicaux dont l’existence dans les archives de l’hôpital est pour le moins très improbable et qui ont fait l’objet de recherches aussi approfondies qu’infructueuses." PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION Dans sa requête du 10 mars 1987 à la Commission (no 12850/87), M. Tomasi invoquait les articles 3, 6 par. 1 et 5 par. 3 (art. 3, art. 6-1, art. 5-3) de la Convention: il prétendait avoir subi pendant sa garde à vue des traitements inhumains et dégradants; il dénonçait aussi la durée de la procédure qu’il avait engagée à propos de ces derniers; il affirmait enfin que sa détention provisoire avait dépassé un "délai raisonnable". La Commission a retenu la requête le 13 mars 1990. Dans son rapport du 11 décembre 1990 (article 31) (art. 31), elle conclut à la violation des articles 3 (art. 3) (douze voix contre deux), 6 par. 1 (art. 6-1) (treize voix contre une) et 5 par. 3 (art. 5-3) (unanimité). Le texte intégral de son avis et de l’opinion dissidente dont il s’accompagne figure en annexe au présent arrêt. CONCLUSIONS PRESENTEES A LA COUR Dans son mémoire, le Gouvernement a demandé à la Cour "de bien vouloir juger qu’il n’y a pas eu, en l’espèce, violation des articles 5 par. 3, 3 et 6 par. 1 (art. 5-3, art. 3, art. 6-1) de la Convention". De leur côté, les conseils du requérant ont prié la Cour de "Dire que M. Tomasi a été victime, lors de sa garde à vue dans les locaux de police, de traitements inhumains et dégradants en violation des dispositions de l’article 3 (art. 3) de la Convention. Dire que la procédure engagée par M. Tomasi pour obtenir réparation du préjudice subi du fait de ces traitements n’a pas été conduite dans un délai raisonnable, en violation des dispositions de l’article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention. Dire que, placé en détention provisoire, M. Tomasi n’a pas été jugé dans un délai raisonnable ou libéré pendant la procédure, en violation des dispositions de l’article 5 par. 3 (art. 5-3) de la Convention. Fixer à 2 376 588 f. la satisfaction équitable des conséquences subies par M. Tomasi du fait des violations, par les autorités françaises, de l’article 5 par. 3 (art. 5-3) de la Convention. Fixer à 500 000 f. la satisfaction équitable des conséquences subies par M. Tomasi du fait des violations, par les autorités françaises, des articles 3 et 6 par. 1 (art. 3, art. 6-1) de la Convention. Dire que la République française sera tenue aux frais, honoraires et dépens de la présente procédure, comprenant les frais et honoraires de défense évalués à 237 200 f. Sous toutes réserves." Quant au délégué de la Commission, il a invité la Cour, dans ses observations écrites, "à rejeter comme irrecevable l’argumentation que le Gouvernement entend fonder sur l’article 26 (art. 26) de la Convention".
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Ancien magistrat, M. Giancarlo Lombardo vécut à Rome jusqu’à son décès. En application de l’article 31 par. 1 (art. 31-1) de la Convention, la Commission a constaté les faits suivants (paragraphes 23-35 de son rapport): "23. Les pensions des fonctionnaires et des magistrats, n’étant pas indexées, ont évolué en Italie de telle sorte que le montant des pensions versées par l’État aux magistrats retraités ayant le même grade et la même ancienneté de service, mais ayant pris leur retraite à des dates différentes, présentaient des variations importantes que le requérant estimait injustifiées. Pour ce motif, en même temps qu’un certain nombre d’autres magistrats retraités, le requérant saisit la Cour des comptes italienne, le 11 novembre 1980, d’un recours contre un décret du ministère de la Justice rejetant sa demande de révision du montant de sa pension, et souleva une exception d’inconstitutionnalité des dispositions de loi dont découlait la disparité de traitement. Le 18 novembre 1980, le secrétariat de la Cour des comptes invita le ministère de la Justice à lui transmettre le dossier du requérant, ce qui fut fait le 5 décembre 1980. Le 31 décembre 1980, le dossier fut envoyé au procureur général près la Cour des comptes pour qu’il procédât à l’instruction de l’affaire et formulât ses conclusions. Lesdites conclusions furent versées au dossier le 19 janvier 1982. Le 7 juin 1982, le procureur général, considérant que l’affaire soulevait des questions de principe, en demanda l’examen par les sections réunies de la Cour des comptes. Ultérieurement, l’examen du recours fut ajourné dans l’attente du résultat de l’appel que le procureur général avait interjeté le 5 juillet 1982 auprès des sections réunies de la Cour des comptes contre une décision de la section compétente en matière de pensions, qui avait statué dans une affaire analogue. Le déroulement de cette procédure d’appel s’avéra laborieux. En effet, lors de la première audience (fixée au 6 octobre 1982), une première question de constitutionnalité fut soulevée. Ne l’estimant pas manifestement mal fondée, les sections réunies de la Cour des comptes en saisirent la Cour constitutionnelle par une décision (ordinanza) no 73 du même jour. La Cour constitutionnelle statua par un arrêt déposé le 7 mars 1984. Les sections réunies de la Cour des comptes furent à nouveau saisies, à la suite d’une demande formulée en ce sens le 7 janvier 1985 par l’avocat de l’État. Une audience fut fixée au 5 juin 1985. Lors de l’audience, une nouvelle exception d’inconstitutionnalité fut soulevée. Ne l’estimant pas manifestement mal fondée, la Cour des comptes saisit à nouveau la Cour constitutionnelle par une décision no 104 du même jour. Le dossier fut envoyé à la Cour constitutionnelle le 18 septembre 1985. Elle fixa au 21 avril 1988 l’audience destinée à l’examen de l’exception d’inconstitutionnalité. Son arrêt fut transmis aux sections réunies de la Cour des comptes le 23 juin 1988. L’examen de l’affaire fut fixé devant la Cour des comptes, sections réunies, pour le 12 octobre 1988. L’audience dut cependant être reportée d’office au 27 octobre 1988, à la suite d’une grève du personnel. A cette date, la Cour des comptes renvoya l’affaire à la section compétente. Sa décision fut déposée au greffe le 14 novembre 1988. La section compétente fixa au 22 février 1989 l’audience consacrée à l’examen de l’affaire et des nombreuses autres affaires pendantes, dont celle du requérant. Par un arrêt du 13 mars 1989, déposé au greffe le 20, elle accueillit en partie la demande du requérant et ordonna la révision de sa pension, la réévaluation des sommes dues et le versement des intérêts sur ces sommes." Le 17 juillet 1989, le procureur général communiqua ledit arrêt au ministère de la Justice afin que ce dernier en assurât l’exécution. PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION L’intéressé a saisi la Commission le 29 juillet 1986. Il se plaignait de la différence de traitement établie en matière de pension entre les magistrats, à égalité de grade et d’ancienneté, sur la seule base de la date à laquelle ils avaient pris leur retraite. Selon lui, elle portait atteinte au droit des intéressés au respect de leurs biens (article 1 du Protocole no 1) (P1-1), à leur droit à la vie et au respect de leur dignité (article 2 de la Convention) (art. 2) ainsi qu’à leur droit à l’information sur leurs conditions de vie pendant leur retraite (article 10) (art. 10); elle constituait aussi une discrimination injustifiée (article 14) (art. 14). Invoquant l’article 6 par. 1 (art. 6-1), il dénonçait de surcroît la durée de la procédure engagée par lui devant la Cour des comptes. Le 9 novembre 1990, la Commission a retenu la requête (no 12490/86) quant au dernier grief mais l’a déclarée irrecevable pour le surplus. Dans son rapport du 14 octobre 1991 (article 31) (art. 31), elle relève à l’unanimité une violation de l’article 6 par. 1 (art. 6-1). Le texte intégral de son avis figure en annexe au présent arrêt. CONCLUSIONS PRESENTEES A LA COUR PAR LE GOUVERNEMENT A l’audience, le Gouvernement a invité la Cour à "dire et juger qu’il n’y a pas eu violation" de la Convention dans la présente affaire.
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I. LES CIRCONSTANCES DE L'ESPECE A. La genèse de l'affaire Nés respectivement en 1951 et 1974, Mme Margareta Andersson et son fils Roger Andersson sont citoyens suédois. Ils résidèrent d'abord à Växjö, mais s'installèrent en 1985 à Nybro. Le 5 juin 1985, le président de la commission sociale n° 1 du conseil social (socialnämndens socialutskott I) de Växjö décida la prise en charge immédiate et provisoire de Roger en vertu de l'article 6 de la loi de 1980 portant dispositions spéciales sur l'assistance aux adolescents (lagen 1980:621 med särskilda bestämmelser om vård av unga - "la loi de 1980"). Sa décision devait permettre à la clinique psychiatrique pour enfants et adolescents ("la clinique") de Växjö d'étudier la situation de l'intéressé. Elle se fondait sur le rapport d'un agent des services sociaux, de la même date, qui relevait notamment ce qui suit. Quand Roger commença de fréquenter l'école en 1981, on avait constaté qu'il manquait de sociabilité et de maturité; il se montrait fort timide, inhibé et peu assuré. Les services sociaux de Växjö avaient alors formulé, pour l'aider, plusieurs suggestions que Margareta Andersson écarta. A partir de décembre 1984, Roger cessa d'aller à l'école régulièrement. Sa mère et lui déménagèrent plus tard à une adresse inconnue des services sociaux mais qu'ils réussirent à découvrir (à Nybro) après enquête. Le rapport concluait que le comportement de la mère perturbant gravement la santé et le développement de Roger, celui-ci avait subi sans doute longtemps un traitement préjudiciable à sa condition mentale. Comme sa santé et son développement couraient un danger de plus en plus grand et que Margareta Andersson entraverait l'enquête, la prise en charge s'imposait d'urgence. Le 11 juin 1985, les services sociaux résolurent d'interdire les contacts entre les requérants en attendant que le tribunal administratif départemental (länsrätten) de Växjö eût statué sur la question de l'assistance. Ils autorisèrent toutefois certains entretiens téléphoniques. L'interdiction serait réexaminée dès qu'on ne jugerait plus néfaste pour Roger d'avoir des relations avec sa mère. Par deux décisions du 14 juin 1985, le tribunal administratif confirma l'ordonnance de prise en charge provisoire et entérina l'interdiction. Le médecin-chef adjoint de la clinique, entendu en qualité d'expert, avait déclaré notamment qu'il fallait réglementer les contacts de Margareta Andersson avec Roger; il serait "trop dramatique pour Roger de laisser sa mère lui rendre visite". Elle ne pouvait supporter sa séparation de lui; elle avait en réalité besoin d'assistance à l'égal de lui-même. Ce n'était pas lui qui avait à s'occuper d'elle. L'interdiction des contacts était donc nécessaire tant que Margareta Andersson se trouverait dans un aussi mauvais état. Margareta Andersson attaqua en vain ces décisions devant la cour administrative d'appel (kammarrätten) de Jönköping. Le 26 juillet 1985, la Cour administrative suprême (regeringsrätten) lui refusa l'autorisation de la saisir. Le conseil social sollicita auprès du tribunal administratif départemental une ordonnance de prise en charge au titre du deuxième paragraphe, alinéa 1, de l'article 1 de la loi de 1980. Après audience, le tribunal accueillit la demande le 17 juillet 1985, entre autres par les motifs suivants: "L'enquête menée en l'espèce ne révèle aucune raison de critiquer la manière dont Margareta Andersson dirige sa maison. A notre connaissance, les conditions matérielles [y] sont satisfaisantes. L'enquête prouve cependant que la situation y est de nature à nuire au développement social et affectif d'un adolescent. Devant le tribunal administratif départemental, Margareta Andersson a taxé d'inexactitude foncière les informations fournies dans la requête du conseil social. Au vu des résultats de la procédure, il faut considérer qu'elle confirme ainsi son inaptitude à comprendre la situation de Roger. Le comportement de l'enfant montre clairement un développement social et affectif perturbé. Il apparaît dès lors indispensable de donner à l'enfant l'aide et le soutien dont il a besoin pour surmonter ses difficultés. Eu égard à l'attitude de Margareta Andersson, on ne saurait escompter que les mesures nécessaires puissent être adoptées par elle ou avec son aval. En conséquence, on doit confier aux services sociaux la réadaptation de Roger. Il échet donc d'accueillir la demande du conseil social." Ainsi que l'avait décidé le président de la commission sociale (paragraphe 9 ci-dessus), Roger fut placé à la clinique de Växjö le 5 juin 1985, mais le 15 juillet il s'en échappa pour rejoindre sa mère. Le 26 août, elle conclut avec le conseil un accord selon lequel l'assistance de Roger se poursuivrait à leur domicile de Nybro, après un bref séjour à la clinique. En mars 1986, Roger cessa de fréquenter l'école. Le président de la commission sociale lui fit dès lors réintégrer la clinique, le 29 avril, en vue de le placer dans un foyer d'accueil. Toutefois, l'enfant s'enfuit à nouveau le 13 mai et alla chez sa mère où la police le reprit le 5 août 1986. Dans l'intervalle, le 22 mai 1986, le conseil avait décidé d'envoyer Roger dans un foyer d'accueil. Margareta Andersson s'en plaignit au tribunal administratif départemental, qui la débouta le 19 août après une audience à laquelle elle comparut assistée d'un conseil, Roger y étant représenté par un avocat commis d'office (offentligt biträde). Elle se pourvut alors devant la cour administrative d'appel, qui rejeta son recours le 17 octobre. Le 19 décembre 1986, la Cour administrative suprême lui refusa l'autorisation de la saisir. Pendant que se déroulait cette procédure, Roger fut transféré, le 23 août, dans un foyer d'accueil - chez M. Meijer et Mme Höjsholt - à Glimåkra, à 120 kilomètres environ de Nybro. Il y demeura la plupart du temps, à l'exception de deux séjours à l'hôpital, jusqu'à la mainlevée de l'ordonnance de prise en charge, le 27 avril 1988 (paragraphe 45 ci-dessous). Il fut hospitalisé une première fois du 3 au 25 février 1987, pour traitement du diabète, puis du 26 février au 3 mai 1988 parce qu'il avait absorbé une trop forte dose d'insuline. Depuis cette dernière date, il vit chez sa mère à Nybro. B. Restrictions aux contacts Décisions prononçant l'interdiction des contacts Le 6 août 1986, le chef de district adjoint des services sociaux de Växjö résolut ce qui suit: "Jugeant la chose nécessaire pour atteindre les objectifs de l'assistance, l'agent soussigné, dûment autorisé par le [conseil] et dans l'attente de la réunion de la commission sociale, décide qu'une interdiction des contacts (umgängesförbud) entre [les requérants], en application de l'article 16 par. 1 de la loi de 1980, entrera en vigueur aujourd'hui et vaudra jusqu'à nouvel ordre. Un réexamen de la décision aura lieu dès qu'un contact personnel entre la mère et l'enfant ne sera plus considéré comme préjudiciable à celui-ci." Dans un rapport du 15 août 1986 au conseil, l'agent des services sociaux chargé du dossier indiqua les raisons de la décision précitée et recommanda le maintien de l'interdiction dans le cadre d'un plan d'assistance pour Roger. Il invoquait pour l'essentiel les éléments ci-après: a) Margareta Andersson avait été mêlée à chacune des deux fuites de Roger hors de la clinique. Elle avait en outre exprimé l'intention de déménager à une adresse inconnue des pouvoirs publics ou de quitter le pays, afin d'éviter des "persécutions". b) Elle avait exercé une influence négative sur Roger au cours de ses visites à la clinique; elle avait adopté parfois un comportement si déplacé que des membres du personnel de la clinique l'en avaient fait sortir. c) Pendant le séjour de Roger à la clinique, il s'était révélé impossible d'amener Margareta Andersson à une forme quelconque de coopération. Alors qu'on lui avait refusé des contacts avec son fils, elle lui avait néanmoins envoyé de l'argent et des messages l'incitant à s'échapper; elle les avait cachés dans des vêtements et jouets qu'elle lui destinait. d) Les membres du personnel du service qui s'occupait de Roger avaient constaté qu'il se conduisait d'une manière "très méfiante, mais calme" et qu'il s'était davantage attaché à eux. Il semblait dominer la situation mieux que sa mère et n'avait pas demandé à téléphoner à celle-ci. e) Pour réaliser les objectifs de la prise en charge, il fallait empêcher pour un temps Margareta Andersson d'avoir "aucune forme de contact avec Roger". D'après le rapport, la décision du 6 août 1986 avait été communiquée à Margareta Andersson de vive voix le 8 août. Le 21 août 1986, la commission sociale entérina le plan d'assistance proposé, y compris l'interdiction des visites. Elle précisait: "[une] interdiction de contacts s'appliquera entre (...) Margareta et Roger Andersson, en vertu de l'article 16 par. 1 [de la loi de 1980], jusqu'à nouvel ordre et jusqu'à ce que des contacts appropriés puissent être organisés sans risque de nuire à l'enfant." Selon la thèse défendue par le conseil pendant la procédure judiciaire interne ultérieure (paragraphes 34-35 ci-dessous), l'interdiction englobait non seulement les visites, mais aussi les communications téléphoniques et la correspondance entre les requérants. Visites Avec l'accord des services sociaux, Margareta Andersson et Roger se rencontrèrent les 5 octobre et 30 décembre 1986 au domicile de la famille Helgesson à Sibbhult, près de Glimåkra. Une visite prévue pour le 3 décembre n'eut pas lieu parce que Margareta Andersson n'en accepta pas les modalités. Ainsi que l'agent des services sociaux l'expliqua dans un rapport du 30 mars 1987 au conseil, M. et Mme Helgesson avaient été désignés comme parents nourriciers de soutien. Leur tâche consistait à ménager chez eux des rencontres entre les requérants, pour faciliter les contacts entre ceux-ci sans provoquer de rupture dans les relations de Roger avec son foyer d'accueil. Les rencontres se déroulaient en présence des Helgesson, du père nourricier - M. Meijer - et d'un ou deux travailleurs sociaux. Elles duraient environ deux heures chacune. Peu après la première, Roger tenta de s'enfuir du foyer d'accueil. Une nouvelle réunion était projetée pour le début de février 1987, mais il fallut l'annuler car Roger se trouvait hospitalisé pour diabète (du 3 au 25 février 1987). Selon le Gouvernement, pendant ce séjour à l'hôpital des efforts particuliers furent consentis pour laisser Margareta Andersson y visiter son fils, mais il se révéla impossible de s'entendre sur les conditions de ces rencontres parce qu'elle insistait pour voir Roger seule. Elle se rendit toutefois auprès de lui le 19 février 1987. A cette occasion, elle eut une violente altercation avec le père nourricier qui, contre son gré à elle, était venu assister à l'entretien; il mit un terme à celui-ci en la forçant à quitter la salle. D'après le Gouvernement, l'incident se produisit parce que Margareta Andersson n'avait averti de son arrivée ni l'hôpital, ni les services sociaux, ni le père nourricier et avait essayé d'emmener son fils avec elle. A en croire les requérants, les services sociaux l'avaient autorisée à voir Roger ce jour-là; elle-même et son représentant avaient indiqué au personnel que comme Roger se trouvait beaucoup mieux à l'hôpital que dans son foyer d'accueil, elle souhaitait qu'il y demeurât. Il n'y aurait donc jamais eu aucun risque qu'elle l'enlevât. Margareta Andersson dénonça le père nourricier à la police, pour diverses voies de fait, mais le parquet classa la plainte après enquête. Sur recours, le chef du parquet de Malmö confirma cette décision. D'autres rencontres eurent lieu chez les Helgesson les 24 juin, 13 juillet et peut-être 20 août 1987. Contrairement aux précédentes, elles se déroulèrent sous la seule surveillance de M. et Mme Helgesson, ainsi que le tribunal administratif départemental l'avait prescrit dans un jugement du 1er juin 1987 (paragraphe 39 ci-dessous). Selon le Gouvernement il y eut aussi une réunion le 5 août 1987, mais les requérants le contestent. Les 2 et 24 avril, 25 juin et 26 octobre 1987, Mme Wintler, travailleur social désigné par les services sociaux pour assister Margareta Andersson, lui proposa de participer à l'organisation de toute rencontre future avec Roger. La requérante s'y refusa, mais exprima le désir qu'ils fussent réunis. Ils se rencontrèrent chez elle le 28 novembre 1987, en présence des Helgesson et de Mme Wintler. D'après le Gouvernement, des réunions semblables eurent lieu également le 20 décembre 1987 ainsi que les 9 et 30 janvier 1988; les requérants le nient. Le 5 février 1988, la commission sociale décida que des rencontres se produiraient à raison d'une par mois jusqu'en mai au domicile de Margareta Andersson et que dans l'intervalle il y en aurait d'autres chez les Helgesson (paragraphe 43 ci-dessous). Le tribunal administratif départemental précisa, le 17 février, que les secondes se tiendraient au moins deux fois par mois (paragraphe 44 ci-dessous). Emmené entre temps à l'hôpital le 26 février 1988, Roger y séjourna jusqu'au 3 mai (paragraphe 15 ci-dessus). Pendant cette période, sa mère put lui rendre visite et rester la nuit à son chevet. Elle passa au total environ deux semaines dans l'établissement. Communications téléphoniques et correspondance Selon une note du chef de district adjoint, datée du 4 mars 1987, l'interdiction des contacts entre les requérants fut appliquée de la manière suivante jusqu'à nouvel ordre: "L'interdiction englobe les communications téléphoniques et la correspondance. Margareta a la faculté, à certains moments de la semaine, d'entrer en rapport par téléphone avec le médecin de Roger et Mme Helgesson. Elle a aussi des contacts téléphoniques avec [le père nourricier]. Ses lettres à Roger seront d'abord lues par [le père nourricier]." Selon les requérants, Margareta Andersson adressa environ deux lettres par mois à Roger au foyer d'accueil, mais il n'en reçut aucune, apparemment parce que le père nourricier les avait gardées par devers lui. De plus, alors que son fils se trouvait à l'hôpital en février 1987, elle lui envoya plusieurs missives qui ne lui parvinrent pas davantage car le personnel hospitalier les avait interceptées et transmises au père nourricier. Le Gouvernement affirme, lui, que dans la mesure où il a pu l'établir seules furent interceptées deux lettres de la mère, non datées mais probablement rédigées en février 1987. Dans l'une, elle disait avoir parlé de l'affaire à la radio et s'être vu refuser des contacts téléphoniques avec son fils; elle invitait celui-ci à informer le médecin de l'hôpital, afin d'obtenir son appui, qu'il n'était pas content de la famille d'accueil. Dans l'autre, elle lui signalait le jour de l'émission et le nom de son nouvel avocat, qui ne négligerait aucun effort pour qu'il retournât à la maison. Elle lui demandait aussi de lui indiquer comment les choses se passaient à Glimåkra. Le Gouvernement a donné ces lettres au représentant des requérants à l'audience du 26 août 1991. Selon lui, les services sociaux n'avaient pu les retrouver qu'à la fin d'avril 1991. Il ressort en outre du dossier que le père nourricier avait défendu à Roger d'appeler Margareta Andersson ou de lui écrire et avait pris certaines mesures préventives en ce sens. L'enfant n'en expédia pas moins deux lettres à sa mère au cours de l'automne 1986. Le 5 février 1988, la commission sociale releva les requérants de l'interdiction de correspondre; elle les autorisa en outre à communiquer par téléphone, à condition que l'initiative vînt de Roger (paragraphe 43 ci-dessous). C. Première série de procédures contre les restrictions aux contacts Margareta Andersson attaqua la décision du 21 août 1986 (paragraphe 19 ci-dessus) devant le tribunal administratif départemental; elle réclamait tout à la fois le retrait de l'interdiction des visites et le droit de parler à Roger par téléphone. Une audience eut lieu le 11 septembre 1986; elle y comparut assistée d'un conseil. Le lendemain, le tribunal déclara la seconde requête irrecevable et rejeta la première au fond, par les motifs que voici: "Margareta Andersson a plaidé notamment ce qui suit. L'interdiction des contacts imposée par la commission sociale irait au-delà de ce qu'exige la mise en oeuvre de l'ordonnance de prise en charge. Elle remonte à une date antérieure au transfert de Roger à Glimåkra. La situation aurait changé maintenant que Roger y vit. Rien ne montrerait que [Margareta Andersson] exercerait aujourd'hui une influence négative sur lui. Elle ne se serait pas immiscée dans l'actuel placement et n'aurait pas cherché à saboter les mesures adoptées à présent. Le ressentiment qu'elle a manifesté découlerait de ce qu'elle ne saisit pas pourquoi il fallait prendre son fils en charge. Sans doute les sacs de vêtements apportés par elle à Roger pendant son séjour à la clinique (...) renfermaient-ils de l'argent et une carte annonçant qu'elle l'aiderait à quitter cet endroit, mais il n'en résulterait pas qu'elle l'ait encouragé à s'évader; c'était sa manière à elle de lui dire qu'elle essaierait de le ramener chez elle en appelant de la décision de prise en charge. Roger rencontrerait beaucoup de difficultés dans le foyer d'accueil de Glimåkra. Par des conversations téléphoniques avec les parents nourriciers, elle aurait su qu'il reste assis seul dans sa chambre, en train de pleurer. Il voudrait retourner à la maison. En outre, il servirait là-bas de domestique; il devait faire vaisselle et ménage. D'après le conseil social, les événements ont obligé à empêcher les contacts; cela engloberait l'interdiction, pour Margareta Andersson, de s'entretenir au téléphone avec Roger. Le conseil aurait déployé de grands efforts pour se rapprocher de la mère et instaurer avec elle une véritable coopération. En vain. Il entendrait ne pas risquer l'échec de nouvelles tentatives. La clinique (...) aurait souligné qu'un tel échec pourrait avoir de graves conséquences pour Roger. Les déclarations de Margareta Andersson prouveraient qu'elle est prête à emmener son fils. Or il se développerait bien dans le foyer d'accueil. Le conseil aurait pour but d'améliorer sa coopération avec la mère. Dans son esprit, un mois au moins devrait s'écouler entre le transfert de l'enfant et tout contact de sa mère avec lui. S'il aboutit à un accord convenable avec elle, le conseil compte la laisser voir l'enfant à la fin de septembre ou au début d'octobre. Le tribunal administratif départemental considère ce qui suit. La décision de prendre en charge Roger, en vertu de [la loi de 1980], puis de le transférer à Glimåkra repose sur l'incapacité de Margareta Andersson à lui dispenser les soins nécessaires. Par deux fois, alors qu'il séjournait à la clinique (...), il s'en est échappé et a réussi, avec l'aide de sa mère, à en rester longtemps éloigné. Lors du dernier séjour de Roger à la clinique (...), Margareta Andersson a essayé de lui donner un message qui, pour lui, signifiait qu'elle allait l'enlever. Cela étant, et vu la nécessité de ne pas interrompre un placement à peine commencé et d'empêcher Margareta Andersson d'influencer Roger, le tribunal administratif départemental estime que la commission sociale a de bonnes raisons de décider d'interdire les contacts. Il juge cependant utile de préciser que si l'on peut arriver à une coopération fructueuse avec Margareta Andersson, il importe qu'une rencontre ait lieu entre la mère et son fils comme le projette le conseil. Selon l'article 20 par. 3 [sans doute par. 4] de [la loi de 1980], une décision du conseil se prête à un recours au tribunal administratif départemental quand elle a statué, en vertu de l'article 16, sur le droit de voir un enfant. Le tribunal constate qu'en prohibant toute communication téléphonique avec Roger, le conseil a restreint les contacts de Margareta Andersson par application de l'article 11 de la loi. Or, d'après l'article 20, aucun recours ne s'ouvre contre une telle décision." Margareta Andersson saisit alors la cour administrative d'appel qui, après un nouvel examen de tous les aspects de l'interdiction litigieuse, la débouta par un arrêt du 11 novembre 1986 fondé, entre autres, sur les motifs suivants: "L'article 16 de [la loi de 1980] habilite le conseil social à restreindre les contacts du parent investi de la garde avec l'enfant, lorsque l'exécution de l'ordonnance de prise en charge l'exige. Il peut s'agir de l'interdiction des communications épistolaires ou téléphoniques entre le parent et l'enfant comme de la non-divulgation du lieu de résidence de ce dernier. En appliquant ce texte, on ne doit en principe limiter les contacts que dans la mesure strictement nécessaire. D'après les explications du conseil social à l'audience devant le tribunal administratif départemental, la décision attaquée (...) comportait l'interdiction des communications épistolaires et téléphoniques. Elle repose en entier sur l'article 16 de la loi. Le tribunal aurait donc dû se pencher sur les parties de la décision qui concernaient ces communications. Partant, il échet d'étudier l'appel de Margareta Andersson quant à l'interdiction dans son ensemble. (...) Pendant la période de prise en charge, le conseil doit en principe s'efforcer de maintenir des contacts entre Roger et Margareta Andersson, mais les circonstances peuvent le forcer à les restreindre, en vertu de l'article précité de la loi. Du dossier et de la procédure menée en l'espèce (...) il ressort que Margareta Andersson n'aperçoit pas la nécessité d'une prise en charge de Roger et qu'elle est hostile au placement de l'enfant hors de chez elle. Elle a déjà déjoué des tentatives de le placer ailleurs, en allant le rechercher et en séjournant avec lui en un endroit inconnu des autorités. La manière dont s'est passée sa dernière rencontre avec lui, et ses propres déclarations devant la cour administrative d'appel, portent à croire qu'elle ne consentira pas à le voir rester dans la famille d'accueil. Or le placement dans le foyer d'accueil ne saurait réussir que si l'enfant s'y sent en sécurité. Les parents nourriciers doivent en outre pouvoir régler paisiblement les problèmes de Roger. Dès que sa mère sera à même d'accepter la prise en charge et le transfert dans la famille d'accueil et qu'elle se montrera coopérative, elle devrait avoir l'occasion de voir Roger. Toutefois, elle a prouvé que pour le moment elle n'est pas prête à pareille collaboration. Dans ces conditions, le conseil avait de bonnes raisons de décider d'interdire tout contact, même par lettre et par téléphone." Le 19 décembre 1986, la Cour administrative suprême refusa à Margareta Andersson l'autorisation de se pourvoir devant elle contre l'arrêt précité. D. Deuxième série de procédures dirigées, entre autres, contre les restrictions aux contacts Le 9 avril 1987, la commission sociale repoussa des demandes de Margareta Andersson en mainlevée de l'ordonnance de prise en charge et de l'interdiction des contacts. Elle précisa notamment ceci: "l'interdiction des contacts, décidée en vertu de l'article 16 par. 1 de [la loi de 1980,] restera en vigueur (...) jusqu'à ce que des contacts adéquats puissent être organisés sans dommage pour l'enfant". En réexaminant cette décision le 14 mai 1987, elle la compléta ainsi: a) bien que pouvant s'interpréter comme une interdiction totale des contacts, la décision du 9 avril 1987 se bornait à les limiter; b) ces restrictions devaient continuer conformément à l'article 16 par. 1 de la loi de 1980. Toute rencontre entre les requérants devait être planifiée et se dérouler en consultation avec les services sociaux locaux de Växjö, chez les Helgesson et en présence du père nourricier. Margareta Andersson saisit le tribunal administratif départemental, réclamant la cessation de la prise en charge ou, en ordre subsidiaire, des restrictions aux contacts avec l'enfant. Le tribunal tint une audience à laquelle les requérants furent l'un et l'autre représentés par un conseil et où déposèrent le père nourricier et M. Mats Eriksson, un travailleur social. Ce dernier avait surveillé et aidé le foyer d'accueil durant un mois, aussitôt après le placement de Roger. Par un jugement du 1er juin 1987, le tribunal modifia la décision du conseil du 9 avril: désormais, seuls M. et Mme Helgesson devraient assister aux rencontres. Ecartant le recours pour le surplus, il statua ainsi quant aux restrictions aux contacts: "Au sujet du droit à des contacts, le conseil social a déclaré qu'il n'y a aucune limitation du nombre des rencontres pouvant être ménagées. Parmi les restrictions figure l'interdiction de se téléphoner ou de s'écrire. L'article 16 de [la loi de 1980] habilite le conseil à restreindre le droit du parent investi de la garde à des contacts avec l'enfant quand les finalités de la prise en charge par l'autorité publique l'exigent. En appliquant ce texte, on doit chercher à ne pas limiter le droit à des contacts au-delà du strict nécessaire. A l'audience devant le tribunal administratif départemental, Margareta Andersson a montré qu'elle n'aperçoit pas la nécessité de placer Roger à l'assistance. Elle a pour seul but de le ramener à la maison. Son attitude crée pour lui un conflit de loyauté. Sa manière d'agir au moment où il s'est évadé de la clinique de Växjö, sa tentative à lui de s'enfuir après la visite de sa mère à la famille d'accueil et son comportement lorsqu'elle lui rendit visite à l'hôpital de Kristianstad, attestent qu'il s'impose de restreindre leurs contacts pour réussir la prise en charge. Le tribunal administratif départemental estime que le conseil social a de bonnes raisons de restreindre le droit à des contacts, même par lettre ou par téléphone. Margareta Andersson a déclaré qu'elle n'ira pas voir son fils si Henry Meijer [le père nourricier] assiste aux rencontres. Le tribunal juge important de modifier la décision du conseil pour encourager Margareta Andersson à se rendre auprès de son fils. Au début, on ne pourra y arriver que si Henry Meijer n'assiste pas aux rencontres. Pour faciliter l'instauration de contacts, aucune autre personne désignée par le conseil ne doit se trouver là. Pendant la visite, qui aura lieu à leur domicile, la présence des époux Helgesson suffira. Il ne faut rien changer d'autre à la décision de restreindre les contacts." Saisie par la requérante, la cour administrative d'appel confirma le jugement le 10 juillet 1987, après une audience à laquelle celle-ci et son fils furent représentés comme devant le tribunal et la première comparut en personne. L'arrêt motiva ainsi le maintien des restrictions aux contacts: "Pendant les débats, on a signalé que Margareta Andersson avait rendu visite à Roger chez les époux Helgesson, à Sibbhult, le 24 juin [1987]. La rencontre - la première (...) depuis février - s'est bien passée. Les modalités exactes des contacts futurs - ainsi que de la prise en charge à l'avenir - dépendent pour beaucoup de l'attitude et du comportement de Margareta Andersson. La cour administrative d'appel estime que d'autres rencontres réussies doivent se dérouler, au foyer des Helgesson par exemple, avant que d'autres types de contacts puissent être admis." La requérante sollicita l'autorisation de se pourvoir devant la Cour administrative suprême, mais celle-ci la lui refusa le 20 août 1987. E. Troisième série de procédures dirigées, entre autres, contre les restrictions aux contacts Le 15 décembre 1987, la commission sociale repoussa derechef une demande de Margareta Andersson en mainlevée de la prise en charge ou, à titre subsidiaire, des restrictions aux contacts. Le 5 février 1988, elle décida que des rencontres mensuelles devaient être organisées chez Margareta Andersson, et non plus seulement chez les Helgesson. En outre, elle rapporta l'interdiction de correspondre et atténua celle de communiquer par téléphone (paragraphes 26 et 33 ci-dessus). Dans un recours ultérieur au tribunal administratif départemental, Margareta Andersson réclama la fin de la prise en charge; en ordre subsidiaire, le placement de l'enfant chez elle; en ordre encore plus subsidiaire, l'abrogation des restrictions aux visites. Après une audience à laquelle les requérants furent tous deux représentés par un conseil, le tribunal écarta la demande principale le 17 février 1988. Quant aux deux revendications subsidiaires, il déclara: "Le conseil social n'a pas examiné la demande de Margareta Andersson tendant à voir le placement se poursuivre à son domicile à elle. Le tribunal ne peut pas davantage en connaître car la loi ne l'habilite pas à fixer le lieu de résidence de Roger. Au sujet des limitations aux contacts, le conseil a exprimé l'intention d'étudier dans un esprit libéral la demande de Margareta Andersson de rencontrer Roger à Glimåkra. Il a aussi précisé que la restriction n'empêche pas les intéressés de se rencontrer en privé, mais signifie qu'un membre de la famille Helgesson doit être présent dans la maison où ils se réunissent. Vu les agissements passés de Margareta Andersson et son attitude sur la question du placement, le tribunal estime que les restrictions aux contacts doivent subsister. Il faut les concevoir de façon à ne pas contrecarrer l'instauration de rapports fructueux. Le tribunal constate qu'il en va bien ainsi de celles qu'a prescrites la commission sociale. Pour éviter toute incertitude, il juge bon de spécifier que les rencontres chez les Helgesson, à Glimåkra, se dérouleront au moins deux fois par mois. Pour le reste, il confirme la décision du conseil quant au droit de visite. Les dispositions qui précèdent vaudront jusqu'à la fin du trimestre scolaire du printemps de 1988, après quoi aura lieu un nouvel examen." Saisie par Margareta Andersson, la cour administrative d'appel mit fin, le 27 avril 1988, à la prise en charge de Roger. Elle considéra que si la raison principale de la situation antérieure de l'enfant - l'incapacité de sa mère à lui offrir des soins et une sécurité suffisants - demeurait, les objectifs de l'ordonnance de prise en charge se trouvaient atteints dans une large mesure, Roger ayant acquis l'aptitude à entretenir de bonnes relations sociales et une certaine estime de lui-même. La cour releva que l'attitude négative de Margareta Andersson à l'endroit des services sociaux avait plutôt empiré pendant la prise en charge et qu'il existait un grand risque de la voir continuer à refuser de coopérer avec eux et avec l'école, même si Roger retournait chez elle. Néanmoins, il y avait lieu de croire que ce retour aurait une influence positive sur le sort de l'adolescent, car on éviterait les conflits engendrés par les mesures d'assistance. En outre, Roger était devenu assez solide et conscient de sa propre situation pour ne point pâtir d'un manque éventuel de soins de la part de sa mère. II. DROIT INTERNE PERTINENT A. Décisions de prise en charge Les règles fondamentales relatives aux responsabilités de la puissance publique envers les jeunes figurent dans la loi de 1980 sur les services sociaux (socialtjänstlagen 1980:620), laquelle prévoit des mesures de soutien et de prévention adoptées avec l'accord des intéressés. A l'époque des faits de la cause, quand les parents n'acceptaient pas les mesures nécessaires la loi de 1980 portant dispositions spéciales sur l'assistance aux adolescents (lagen 1980:621 med särskilda bestämmelser om vård av unga - "la loi de 1980") permettait d'ordonner une prise en charge d'office. Une nouvelle législation l'a remplacée en 1990 (paragraphes 65-66 ci-dessous). Aux termes de l'article 1 de la loi de 1980: "Une personne de moins de dix-huit ans doit être prise en charge par l'autorité en vertu de la présente loi si l'on peut présumer que les soins nécessaires ne peuvent lui être assurés avec le consentement de la ou des personnes qui en ont la garde et, s'il s'agit d'un adolescent de quinze ans ou plus, avec le sien. Un jeune doit bénéficier d'une telle prise en charge si sa santé ou son développement se trouvent en danger faute de soins ou en raison d'une autre circonstance propre à sa famille; s'il compromet gravement sa santé ou son développement par l'abus d'agents formateurs d'habitudes, un comportement criminel ou toute autre attitude comparable. (...)" Il incombe au premier chef à chaque municipalité de promouvoir un développement favorable chez les jeunes. A cette fin, elle est dotée d'un conseil social de district. Composé de non-spécialistes assistés de travailleurs sociaux professionnels, il fonctionne sous la surveillance et le contrôle de la préfecture (länsstyrelsen) et de la Direction nationale de la santé et de la protection sociale (socialstyrelsen). En son article 2, la loi de 1980 précisait que si le conseil estimait nécessaire la prise en charge d'un enfant, il devait demander au tribunal administratif départemental de la prononcer. B. Application des décisions de prise en charge Généralités Une fois rendue l'ordonnance de prise en charge, le conseil devait l'exécuter et s'occuper des détails d'ordre pratique: lieu de placement de l'enfant, instruction et autres soins à lui dispenser, etc. (articles 11 à 16). L'article 11 de la loi de 1980 se lisait ainsi: "(...) le conseil fixe les modalités de la prise en charge du jeune concerné et le lieu où celui-ci résidera pendant la durée du placement. Il peut consentir à ce que l'intéressé reste dans son propre foyer si cette solution paraît la mieux indiquée pour organiser la prise en charge, mais aux fins de la présente loi la prise en charge doit toujours commencer au dehors. Le conseil, ou la personne à laquelle il confie la prise en charge, maintient le jeune sous surveillance et adopte à son égard les décisions nécessaires à la levée du placement." Quant à la nature des fonctions attribuées au conseil par la loi de 1980, les travaux préparatoires de celle-ci, tels que les reproduisait le projet du gouvernement (1979/80:1, partie A, pp. 596-597), fournissent les indications suivantes: "Une fois décidée la prise en charge par l'autorité publique, le conseil exerce la puissance parentale avec les parents ou à leur place. Pour autant que l'exige l'exécution de la prise en charge, il a les mêmes devoirs et la même autorité que les parents. Comme eux, il peut arrêter les mesures voulues pour empêcher le jeune de nuire à lui-même ou à autrui (...), [ou] de s'enfuir (...); [il] peut aussi trancher (...) des questions privées concernant l'enfant, telles que soins ou traitements médicaux et autorisations de voyage ou de travail. Conformément aux principes régissant la coopération entre les services sociaux et les [intéressés] pour la mise en oeuvre de la prise en charge, le conseil doit en la matière consulter les parents si les circonstances s'y prêtent. Le fait qu'il assume la responsabilité de la prise en charge du jeune ne saurait donc aboutir à priver ceux-ci de toute influence. Les parents et le jeune lui-même doivent, dans la limite du possible, participer à l'exécution de la prise en charge. Dès lors, c'est seulement dans la mesure nécessaire à cette exécution que le conseil, de par la décision du tribunal administratif départemental, exerce la puissance parentale à l'égard du jeune." Réglementation des contacts L'article 15 de la loi de 1980 prévoyait la possibilité d'imposer des restrictions à la correspondance de personnes prises en charge en vertu du deuxième paragraphe, alinéa 2, de l'article 1, pour des raisons telles que la toxicomanie ou la délinquance (paragraphe 47 ci-dessus): "Toute lettre ou autre correspondance adressée ou reçue par une personne à qui s'applique l'article 13 peut subir un contrôle si le souci du bon ordre du foyer ou la situation particulière du jeune le justifient. A cette fin, la personne désignée pour la prise en charge au foyer peut ouvrir et lire le courrier destiné au jeune ou envoyé par lui. Le courrier à l'arrivée est confisqué s'il contient un élément que le jeune n'a pas le droit de posséder. La correspondance entre le jeune et une autorité suédoise, un avocat ou un conseil commis d'office est acheminée sans contrôle préalable." L'article 16 était ainsi libellé: "Si cela se révèle nécessaire à la mise en oeuvre de la prise en charge prévue par la présente loi, le conseil peut fixer les modalités de l'exercice, par un parent ou une autre personne investie de la garde du jeune, de leur droit à des contacts avec lui; décider que le lieu de résidence du jeune ne sera pas indiqué au parent ou à [pareille personne]." Les travaux préparatoires, tels que les reproduit le projet de loi (1979/80:1, partie A, p. 601), fournissent l'explication suivante: "Dans la mise en oeuvre de la prise en charge, le conseil doit collaborer le plus possible avec les parents et contribuer au maintien de leurs contacts avec l'enfant. (...) une décision de prise en charge ne doit pas conduire à restreindre leur droit à pareils contacts au-delà de ce que requiert son exécution. Les circonstances peuvent cependant être de nature à exiger que les parents ne rencontrent pas l'enfant pendant la période de prise en charge. Par exemple, il peut exister un risque de les voir s'immiscer sans autorisation dans la prise en charge. Leur situation personnelle, par exemple en cas d'abus grave [d'alcool ou de drogue] ou de maladie mentale, peut elle aussi commander qu'ils ne rencontrent jamais l'enfant (...). Les dispositions projetées sur les restrictions au droit à des contacts devraient être appliquées de manière restrictive. [Le conseil] ne devrait refuser de révéler aux parents le lieu de résidence de l'enfant que dans des hypothèses exceptionnelles." Dans son rapport (Statens offentliga utrednigar - "SOU" 1979/80:44, p. 116), la Commission parlementaire permanente des questions sociales releva qu'il incombait en principe au conseil social d'arrêter toutes les décisions relatives aux visites à l'enfant; cela découlait de sa compétence générale pour décider de la situation de l'intéressé pendant la prise en charge. Toutefois, les parents avaient un droit particulier à voir leur enfant et il importait de préserver des contacts réguliers entre eux. La Commission ajoutait cependant: "les circonstances peuvent (...) obliger à interdire aux parents toute rencontre avec l'enfant pendant un temps ou jusqu'à nouvel ordre." D'après une circulaire de la Direction nationale de la santé et de la protection sociale, relative à la loi de 1980 (1981:2, p. 112), l'article 16 habilitait le conseil à restreindre ou à supprimer complètement les rencontres des parents avec l'enfant. Il n'existe encore aucun arrêt de la Cour administrative suprême sur l'application de l'article 16 de la loi de 1980 aux conversations téléphoniques et au courrier. En 1971, elle en a toutefois rendu un, publié dans son recueil annuel (Regeringsrättens Årsbok, RÅ 1971, p. 283), au sujet de la disposition correspondante de la loi de 1960 sur la protection de l'enfance (barnavårdslagen 1960:97, remplacée par la loi de 1980). En l'espèce, elle rejeta à l'unanimité un recours contre une interdiction de contacts pendant un an, laquelle couvrait les visites comme les entretiens téléphoniques. A l'époque, la saisine de la Cour administrative suprême ne dépendait pas d'une autorisation de celle-ci (paragraphe 64 ci-dessous), de sorte que le recours fut écarté au fond. L'arrêt ne précisait pas pourquoi. Ainsi que l'a expliqué le Gouvernement, l'absence de motifs cadre avec la pratique de la Cour administrative suprême; elle signifie que cette dernière a souscrit au raisonnement et aux conclusions de la juridiction inférieure. Un bref compte rendu de l'arrêt précité parut dans ledit recueil en tant que notisfall - catégorie de décisions qui, selon le Gouvernement, ne constituent pas de véritables précédents jurisprudentiels mais peuvent aider à résoudre des problèmes juridiques. Le Gouvernement a signalé à la Cour les quatre autres affaires suivantes. Le 5 juillet 1982, la cour administrative d'appel de Sundsvall modifia une interdiction de contacts téléphoniques de manière à permettre à une mère d'appeler sa fille directement une fois par quinzaine, au lieu d'une fois par semaine par l'intermédiaire d'un agent des services sociaux. La prohibition allait de pair avec des restrictions aux rencontres. Ni cet arrêt ni le jugement de première instance n'indiquaient sur quelle clause de la loi de 1980 ils s'appuyaient. Le 15 juin 1987, la même cour administrative d'appel confirma, en se référant à l'article 16 de la loi de 1980, la défense faite à une mère de rencontrer son fils, pour une période de deux ans, et d'entrer en contact avec lui par téléphone. Rien ne montre que la mère eût discuté la légalité de l'interdiction, ni que la cour en ait douté. Le 20 mars 1991, la cour administrative d'appel de Stockholm a entériné des mesures limitant les contacts d'un père avec sa fille à une conversation téléphonique chaque dimanche entre 17 h et 18 h. Le 24 mai 1991, la Cour administrative suprême a refusé d'autoriser le père à se pourvoir devant elle. Le litige a été tranché sur la base de l'article 14 de la loi de 1990, qui a remplacé l'article 16 de celle de 1980 (paragraphes 65-66 ci-dessous). Enfin, le tribunal administratif départemental de Göteborg a rejeté le 3 octobre 1990, en se fondant sur l'article 14 de la loi de 1990, un recours contre des limitations aux rencontres et aux contacts téléphoniques d'une mère avec son fils. Elle ne pouvait l'appeler que deux fois par semaine, à 17 h au plus tard, et contestait la légalité des mesures incriminées. Le tribunal a déclaré que "la jurisprudence applicable assimile les contacts téléphoniques aux visites ('umgänge') dont parle l'article 14". La cour administrative d'appel de Göteborg a confirmé le jugement le 11 janvier 1991. La Cour administrative suprême a autorisé un pourvoi le 23 juillet 1991 et devrait statuer au printemps 1992. Depuis 1972, il existe en Suède un fichier informatisé de données, accessible au public; il fournit des renseignements sur les arrêts de la Cour administrative suprême et des quatre cours administratives d'appel. On y trouve, entre autres, la nature de l'affaire, une brève description des questions soulevées, le nom de la juridiction et des parties ainsi que la date de la décision. Les règles applicables au fichier ont subi au fil des ans des modifications dont aucune n'entre ici en ligne de compte. Leur version actuelle figure dans le règlement de 1990 sur l'enregistrement et les statistiques des affaires portées devant la Cour administrative suprême, la Cour suprême de la Sécurité sociale et les cours administratives d'appel (Föreskrifter om dagbokföring och statistikregistrering i mål i regeringsrätten, försäkringsöverdomstolen och kammarrätterna, DVFS 1990:25, B1), adopté par l'Administration nationale de la Justice (domstolsverket) le 11 décembre 1990, avec effet au 1er janvier 1991. C. Recours Contre les décisions du tribunal administratif départemental ordonnant la prise en charge d'un enfant, un recours s'ouvrait, sous l'empire de la loi de 1980, devant la cour administrative d'appel puis, moyennant autorisation, devant la Cour administrative suprême. Un parent pouvait aussi attaquer devant le tribunal administratif départemental (puis la cour administrative d'appel et, moyennant autorisation, la Cour administrative suprême): a) le refus d'un conseil social de lever la prise en charge prescrite en application de ladite loi; b) les décisions arrêtées par un conseil, en vertu de la même loi, pour fixer le lieu où commencerait la prise en charge, modifier une décision de placement, réglementer le droit de visite des parents (article 16) et ne pas leur indiquer, à eux ou à la personne investie de la garde, où résidait l'enfant (article 20). En principe partie à la procédure, l'enfant devait pourtant avoir atteint l'âge de quinze ans pour posséder la capacité d'ester en justice (processbehörighet). Jusque-là, en avait la jouissance la personne investie de la garde (SOU 1987:7, pp. 66-70); selon l'article 19 de la loi de 1980, l'enfant devait alors être entendu si l'instruction de la cause pouvait s'en trouver facilitée et si l'on ne pensait pas que cela nuirait à l'intéressé. La saisine de la Cour administrative suprême dépend de l'autorisation de celle-ci, accordée, aux termes de l'article 36 de la loi de 1971 sur la procédure administrative (förvaltningsprocesslagen 1971:291), dans les circonstances suivantes: "1. si l'examen par la Cour administrative suprême revêt de l'importance pour aider à interpréter la loi; ou si des raisons particulières militent en faveur de pareil examen, telle l'existence d'un motif de révision ou d'une négligence ou erreur graves ayant manifestement influé sur l'issue de l'affaire devant la cour administrative d'appel." D. Nouvelle législation Depuis le 1er juillet 1990, donc après les faits de l'espèce, la loi de 1980 est remplacée par celle de 1990 portant dispositions spéciales sur l'assistance aux adolescents (lagen 1990:52 med särskilda bestämmelser om vård av unga - "la loi de 1990"), qui la modifie et la complète. La nouvelle loi reprend pour l'essentiel les dispositions précitées de sa devancière. Toutefois, son article 14, qui se substitue à l'ancien article 16 (paragraphe 54 ci-dessus), est ainsi libellé: "Il incombe au conseil social de répondre autant que possible aux besoins du jeune d'avoir des contacts avec ses parents ou la personne investie de la garde. Si la mise en oeuvre de mesures de prise en charge adoptées en vertu de la présente loi l'exige, le conseil peut fixer les modalités d'exercice du droit de visite par un parent ou une autre personne investie de la garde, ou décider que le lieu de résidence du jeune ne doit pas être indiqué au parent ou [à une telle personne]. Il examine au moins une fois tous les trois mois si les décisions visées au deuxième paragraphe restent nécessaires." PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION Dans leur requête du 13 février 1987 à la Commission (n° 12963/87), Margareta et Roger Andersson dénonçaient la prise en charge du second par l'autorité publique, le maintien en vigueur de l'ordonnance d'assistance, le placement de l'enfant dans un foyer d'accueil et les restrictions imposées à leurs contacts mutuels, dont leurs communications épistolaires et téléphoniques. Ils alléguaient des infractions à l'article 8 (art. 8) de la Convention. Ils se plaignaient aussi de l'absence d'un "recours effectif", au sens de l'article 13 (art. 13), quant auxdites restrictions. Roger invoquait en outre les articles 2, 3, 4, 9 et 10 (art. 2, art. 3, art. 4, art. 9, art. 10) et prétendait avoir subi, au mépris de l'article 25 (art. 25), une entrave à l'exercice de son droit de recours devant la Commission. Le 10 octobre 1989, la Commission a retenu les griefs relatifs à l'interdiction des contacts, et notamment des communications épistolaires et téléphoniques (article 8) (art. 8), ainsi qu'à l'absence de recours effectif (article 13) (art. 13), mais a décidé de n'adopter aucune mesure quant à ceux tirés de l'article 25 (art. 25) et a déclaré tous les autres irrecevables. Dans son rapport du 3 octobre 1990 (article 31) (art. 31), elle relève une violation de l'article 8 (art. 8) (unanimité), mais non de l'article 13 (art. 13) dans le chef de Margareta Andersson (unanimité) ni de Roger Andersson (dix voix contre deux). Le texte intégral de son avis et de l'opinion dissidente dont il s'accompagne figure en annexe au présent arrêt*. _______________ * Note du greffier: Pour des raisons d'ordre pratique il n'y figurera que dans l'édition imprimée (volume 226-A de la série A des publications de la Cour), mais chacun peut se le procurer auprès du greffe. _______________ CONCLUSIONS PRESENTEES A LA COUR PAR LE GOUVERNEMENT A l'audience du 26 août 1991, le Gouvernement a confirmé les conclusions de son mémoire, invitant la Cour à dire "qu'il n'y a pas eu violation de la Convention en l'espèce".
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE A. Le contexte Citoyen islandais et écrivain de profession, M. Thorgeir Thorgeirson réside à Reykjavik en Islande. De 1979 à 1983 se produisirent dans ce pays une série d’incidents qui suscitèrent des allégations de brutalités policières. Il y eut à ce sujet une dizaine de plaintes à la police. La dernière, déposée à l’automne 1983, émanait d’un journaliste, M. Skafti Jónsson; elle entraîna la poursuite de trois membres de la police de Reykjavik, dont deux furent acquittés et un condamné. L’affaire défraya la chronique et déclencha un vaste débat sur les relations entre le public et la police. Elle amena le requérant à publier dans le quotidien Morgunbladid, les 7 et 20 décembre 1983 respectivement, deux articles relatifs aux brutalités policières. Le premier était ainsi rédigé (retraduit de l’anglais): "AU FAIT! Lettre ouverte au ministre de la Justice, M. Jón Helgason Monsieur le Ministre, Récemment, les feux de la presse se sont soudain braqués sur un problème qui me tracasse - voire m’obsède - depuis des années. Un journaliste de l’organe si progressiste de votre propre parti - Tíminn [Le Temps] - a vécu une douloureuse expérience dans la jungle de la vie nocturne de Reykjavik, dont il a rapporté quelques blessures. Souvent, les périls de la jungle et autres contrées inhospitalières peuvent nous aider à percevoir quelles épreuves ont dû endurer les missionnaires, tels Stanley et Livingstone, même s’ils prêchaient le Royaume de Dieu et non l’Utopie coopérative. En l’occurrence, la victime, le journaliste Skafti, compte parmi vos missionnaires politiques. Les photos de son visage tuméfié, étalées sur quatre colonnes dans la presse, nous ont naturellement scandalisés. Nous répugnons à penser que les agents de notre police ont abîmé ainsi le séduisant visage de ce journaliste qui, à ses dires, cherchait innocemment son pardessus au moment où les bêtes en uniforme de ladite jungle l’ont attaqué. A mon avis, le cas de Skafti importe peu, mais comme il a éveillé beaucoup d’intérêt et provoqué d’abondants commentaires, j’aimerais en profiter pour vous signaler que le véritable problème est en réalité plus vaste et bien plus terrifiant. La mésaventure de Skafti, sur laquelle les journaux ont attiré notre attention, n’est que le sommet de l’iceberg. En dessous, la sombre mer du silence dissimule les neuf dixièmes du problème. Voilà de quoi je voudrais vous faire prendre conscience, vous, ministre de la Justice, donc à la tête de ces fauves en uniforme qui rampent, silencieusement ou non, dans la jungle de la vie nocturne de notre ville. Je ne sous-estime certes pas les épreuves et souffrances endurées sans nécessité par ce jeune homme, mais il va sans nul doute se rétablir. Les bleus sur son visage vont virer au violet puis au brun, avant de disparaître pour finir. Il réintégrera son poste au Temps et son histoire se perdra sous le monceau des scandales quotidiens s’amassant comme la neige pendant la tempête. A moins que nous ne saisissions cette occasion pour étudier le problème dans son ensemble. Il y a plusieurs années, je dus passer quelques semaines dans un service de notre hôpital communal. Dans une chambre donnant sur le même couloir, un jeune homme d’une vingtaine d’années gisait sur son lit. Un jeune homme prometteur et charmant, à ceci près que la paralysie dont il se trouvait atteint l’empêchait totalement de bouger, sauf les yeux. Il pouvait lire à l’aide d’un équipement spécial et si une main secourable lui tournait les pages. Ses chances de guérison étaient, paraît-il, minimes. Ses compagnons de chambre me racontèrent queses blessures lui avaient été infligées par les videurs d’un restaurant et par des policiers. Ne pouvant le croire d’emblée, j’interrogeai le personnel hospitalier. Eh bien oui: il s’agissait effectivement d’une victime de la patrouille de nuit de Reykjavik. L’image de cet adolescent paralysé m’a en quelque sorte poursuivi hors de l’hôpital et je n’ai pu m’empêcher d’en parler. J’ai alors découvert que la plupart des gens connaissaient différents cas de personnes ayant subi une expérience analogue, voire pire, avec les bêtes en uniforme. Certaines avaient vu leur âge mental réduit à celui d’un nouveau-né par l’effet de prises au collet que policiers et videurs apprennent et pratiquent avec une brutale spontanéité, au lieu de traiter les gens avec prudence et précaution. De tels récits, identiques en substance, il y en a tant que l’on ne peut plus guère les écarter comme de simples mensonges. Autre constante, aussi indissociable de ces histoires que la brutalité de la stupidité: l’affirmation qu’il ne servirait à rien de porter plainte contre un membre de la police en pareil cas. L’enquête serait confiée à un autre service de la police et menée par un groupe d’élite s’estimant tenu de laver les policiers de toute accusation. Les victimes des brutes policières demeurent abandonnées à leur triste sort et les années passent sans la moindre discussion sérieuse de leur cause. Une de ces rares occasions se présente peut-être aujourd’hui. D’où ma lettre. Je ne doute guère qu’il y ait quelque chose d’intrinsèquement mauvais dans un système où les personnes au pouvoir semblent bafouer toute justice et méconnaître leur devoir en permettant à des brutes sadiques de donner libre cours à leurs penchants pervers - quelle qu’en soit la victime. A mon avis, le chef de la police de Reykjavik témoigne d’entêtement en refusant de relever de leurs fonctions les policiers mis en cause pendant que se déroule l’enquête sur l’affaire Jónsson. Et il ne semble guère perdre de sa superbe bien qu’il affronte en l’espèce l’un de vos propres partisans. Mais nous verrons. Même si M. Jónsson gagne son procès, ce sera une exception et rien ne changera. D’autres victimes de cette brutalité continueront de s’amonceler en silence. D’après moi, le vrai problème tient à un système dans lequel des policiers enquêtent sur les manquements de collègues à la déontologie. Je le pense avec d’autres personnes beaucoup plus compétentes, lesquelles hésitent manifestement à se prononcer, de peur des représailles musclées qui pourraient s’ensuivre. La question est grave à ce point. Deux de vos prédécesseurs au poste de ministre de la Justice ont reçu de moi des lettres relatives à ces problèmes. Aucun d’eux n’a eu la courtoisie de répondre. Ayant récemment examiné des photographies de vous dans le journal, j’ai été frappé par l’expression de probité et de juvénile assurance se dégageant de votre visage: le type même de physionomie qui, même si elle n’a été composée à l’origine que pour le photographe, pourrait à tout moment pénétrer aisément votre personnalité. Voilà pourquoi je vous écris à vous aussi. Ma proposition reste la même: Cessez de mettre les affaires de brutalités policières dans cette factice et inutile machine à laver automatique. Tant que les policiers seront autorisés à se blanchir mutuellement, vous ne pourrez pas même envisager les mesures à prendre d’urgence, par exemple imposer des tests d’intelligence et de personnalité aux policiers avant qu’on leur enseigne certaines techniques fatales à exercer sur leurs concitoyens, ou instituer leur responsabilité personnelle dans les cas où ils auraient momentanément perdu le contrôle de leurs nerfs, toutes conditions indispensables à l’existence d’une police compétente, digne des pouvoirs qu’on lui confère. Mais comment nous débarrasser du vieux système? Il vous faut réunir des personnes dignes de confiance en une commission chargée d’enquêter sur les rumeurs, qui deviennent peu à peu l’opinion publique, selon lesquelles les actes de brutalité se développent au sein de la police de Reykjavik et sont étrangement étouffés. Elle pourrait inviter les victimes de brutalités policières à livrer leurs témoignages aux fins de vérification éventuelle. On peut espérer que seule une infime minorité de policiers verraient retenir leur responsabilité. A ceux-là, il faudrait conseiller de chercher un autre emploi. J’ai l’impression que notre problème de la police peut se comparer au prétendu problème de la jeunesse en ce qu’assez peu d’individus sont responsables de l’image négative dans l’opinion publique, et qu’ils ne peuvent passer pour les plus représentatifs, ni les plus intelligents, de l’un et l’autre groupe. J’ai vu les policiers de cette ville accomplir maintes bonnes actions et j’ai rencontré dans leurs rangs nombre d’individus exemplaires. Nous ne saurions nous en passer. Je me sens pourtant moralement obligé, envers ce jeune homme rencontré à l’hôpital communal, de rassembler mon courage pour vous proposer la chose suivante: essayons de faire le ménage, de sorte que les aventuriers prêts à se risquer dans la jungle de la vie nocturne de Reykjavik puissent au moins être certains qu’un policier en uniforme ne figure point parmi les périls encourus. Il y a déjà bien assez de fauves sans cela. Il arrive à un justiciable de présenter une demande subsidiaire pour le cas où sa prétention principale échouerait. Si vous, Jón Helgason, n’assuriez pas le déroulement de cette enquête neutre, j’inviterais des journalistes compétents (Skafti par exemple) à la mener et à en publier les résultats dans un ouvrage qui très probablement deviendrait un succès de librairie. Je serais prêt à tout moment à participer à cette entreprise. Sincèrement et respectueusement vôtre, Thorgeir Thorgeirson" Quant au second article, il contenait les passages suivants (retraduits de l’anglais): "FRAPPE, LA MOUCHE EST SUR MON NEZ ... Déclaration de Thorgeir Thorgeirson à propos du comportement du policier Einar Bjarnason au cours d’une émission télévisée dans la soirée du 13 décembre dernier. (...) Mardi dernier 13 décembre, la télévision a diffusé une émission sur le problème de la police. Parmi les participants se trouvaient deux intellectuels de la police que, de l’avis de nombreux téléspectateurs, on laissa s’exprimer sans aucune retenue. L’unique spectateur que j’aie entendu excuser Bjarki et Einar a plaidé qu’ils étaient deux seulement et que, chose regrettable, il manquait un troisième homme de leur côté: leur chef. Cela se peut bien. Vers la fin de l’émission, Einar, qui se trouve être le président de l’association de la police de Reykjavik, a organisé un intermède amusant: après avoir consulté Bjarki avec force bruissements de papier et chuchotements, il s’est mis à lire à haute voix un document dactylographié (que la police s’était arrangée pour faire signer par une personne n’ayant rien à voir là-dedans) renfermant des obscénités sur votre serviteur et le qualifiant de faux jeton et de fieffé menteur. Einar aurait aisément pu lancer son message sans enfreindre la loi sur la radiodiffusion et risquer ainsi à la fois son honneur et son emploi. Son attitude a rendu perplexes de nombreux spectateurs. Rien d’étonnant à cela. L’incident ne pouvant guère s’expliquer par un simple manque de maîtrise de soi, je me vois contraint d’ajouter un article à ce que je croyais être mon dernier mot sur la question il y a une semaine (ces lignes sont écrites le jeudi 15 décembre et seront remises au journal le vendredi 16). Il me faut relater l’expérience que j’ai vécue au cours de la semaine écoulée. Mercredi passé, le 7 décembre, Morgunbladid a publié ma lettre au plus haut responsable du monde judiciaire dans ce pays. J’y priais l’intéressé d’ordonner immédiatement une enquête neutre sur le problème de la police au lieu de renvoyer éternellement ce problème à lui-même. Bien sûr, je n’escomptais pas que mon texte serait applaudi dans les commissariats. Un certain malentendu est toujours inévitable. Les idées fausses se sont épanouies autour de la question; selon ma conception de la tâche de l’écrivain, il doit, au moins parfois, être la conscience du monde qui l’entoure, mais comme il fallait s’y attendre nos policiers semblent d’un avis tout différent. Aucun mal à cela. Curieusement, le matin où ma lettre au ministre Jón Helgason parut dans le journal, beaucoup de personnes me téléphonèrent, dont M. Gudmundur Hermannsson. Se présentant comme commissaire de police (yfirlögreglubjónn) à Reykjavik, il voulait savoir à quel cas j’avais fait allusion dans mon article. Je lui dis qu’il s’agissait de la situation générale et non d’un incident isolé. Les cas visés se chiffraient par centaines au moins. Gudmundur me demanda ensuite le nom du jeune homme paralysé de l’hôpital communal, celui que j’avais cité. Je lui répondis, et c’était vrai, que je ne l’avais probablement jamais su. Je lui demandai alors si la police procédait à des investigations dans cette affaire et il me dit que oui. Je lui signalai que vu les circonstances, la police montrerait beaucoup de témérité si elle enquêtait une fois de plus sur elle-même. Du coup, je refusai de parler davantage au téléphone, si ce n’est que j’indiquai à mon interlocuteur la date de mon hospitalisation. Nous nous sommes dit adieu. (...) Les jours ont passé jusqu’au dimanche. Les journaux regorgeaient de témoignages larmoyants de policiers. Morgunbladid a publié dans son édition dominicale un article de l’un d’eux, Jóhannes Jónsson, qui se référait aux nouvelles du vendredi 9; cela signifiait que son manuscrit avait dû parvenir à la rédaction le samedi. J’ai trouvé la chose bizarre, sachant que le délai normal de parution d’un article dans Morgunbladid est de l’ordre de quatre à six jours à compter de la présentation du manuscrit. Du moins en va-t-il ainsi pour les citoyens ordinaires comme nous. Dans son article, le policier réitérait aussi la ‘vérité policière’ selon laquelle le cas auquel Thorgeir ‘avait voulu se référer’ se trouvait décrit à la page 13 de Morgunbladid de vendredi. (...) Depuis lors, quelque chose s’est produit et il me faut à présent prier Hall de tenir sa promesse et de publier la présente déclaration. Sans doute le coup porté par Einar vers la fin de l’émission télévisée de mardi dernier a-t-il été si maladroit qu’il a manqué sa cible et ne m’a pas touché, mais je dois souligner à quel point son comportement était caractéristique de celui de la police. Qu’y a-t-il à la racine du ‘problème de la police’? Tout simplement ceci: d’après beaucoup de gens, nos policiers ont déjà agressé trop de leurs concitoyens, coupables ou innocents. Ils ont sévi beaucoup trop souvent. Leurs récentes réactions dans la presse montrent qu’ils connaissent bien les romans de Thoroddsen, où apparaît fréquemment le personnage qui se livre au commérage et répand des rumeurs. Ils pourraient aussi avoir lu la Saga de Grettir le Fort, dont le principe était le suivant: on guérit le mal en évoquant le pire. En tout cas, telle semble être la philosophie adoptée par eux. Il s’agit d’un principe beaucoup trop pathétique pour que l’on puisse en envisager l’application par toute la police si nous voulons vraiment que les administrés apprécient ses services. Depuis mardi, beaucoup de gens m’ont téléphoné pour dire que la prestation des policiers à la télévision était, vue par nos enfants, une exhibition désastreuse de caractéristiques nationales. - Ils auraient dû être en uniforme, a dit quelqu’un, tant leur attitude coïncidait avec l’image que l’opinion publique se fait progressivement du système de défense de notre police: intimidation, falsifications, actions illégales, superstitions, irréflexion, sottise. Je n’invente rien. Le titre de cet article provient du conte populaire que chacun devrait connaître: l’histoire du couple qui chasse la mouche. J’y ai pensé tandis que j’observais l’inspecteur aux prises avec son araignée au plafond pendant l’émission télévisée. Au cas où notre ministre de la Justice n’aurait pas eu le temps de la regarder, je lui suggère d’emprunter l’enregistrement, que la chaîne de télévision a conservé, du moins s’il veut voir une illustration quasi parfaite de ce que le public entend de plus en plus par ‘problème de la police’. L’émission devrait nous fournir un exemple de la nécessité d’un examen impartial du problème pour empêcher la police de persister à se nuire en ‘enquêtant’ sur les affaires qui touchent son amour- propre et son puéril orgueil. Mettons fin à ces brutalités et étudions la proposition figurant dans ma lettre au ministre de la Justice. On pourrait même envisager la spirituelle idée avancée par un mien ami: - Thorgeir, m’a-t-il dit, pourquoi ne pas charger un bon psychologue pour enfants de se pencher sur ces brutalités policières? Espérons que le problème n’est pas aussi compliqué. Je vous remercie de publier cet article. Thorgeir Thorgeirson" Le ministère de la Justice répondit au requérant par une lettre datée du 9 janvier 1984. Il l’informait que les problèmes soulevés se discutaient à divers niveaux: le Parlement (Althing) les avait inscrits à son ordre du jour, de sorte que le ministre de la Justice pourrait lui rendre compte sous peu des réflexions et propositions formulées en la matière. B. L’enquête et l’action en diffamation Par une lettre du 27 décembre 1983, l’association de la police de Reykjavik avait invité le procureur de la République à ouvrir une enquête sur les allégations précitées. Il transmit donc le dossier à la police judiciaire nationale (la "PJN") le 21 mai 1984, la chargeant de rechercher s’il y avait eu diffamation au sens de l’article 108 du code pénal général de 1940 (loi no 19/1940; "le code pénal"). Le 18 juin, elle entendit le requérant assisté de son avocat. En conséquence, le procureur dressa, le 13 août 1985, un acte inculpant le requérant de diffamation de membres non spécifiés de la police de Reykjavik, infraction réprimée par l’article 108 du code pénal. Du premier article, il jugeait diffamatoires les passages suivants: "bêtes en uniforme" (paragraphe 9(3) ci-dessus); "de ces fauves en uniforme" (paragraphe 9(6) ci- dessus); "Ses compagnons de chambre me racontèrent que ses blessures lui avaient été infligées par les videurs d’un restaurant et par des policiers. Ne pouvant le croire d’emblée, j’interrogeai le personnel hospitalier. Eh bien oui: il s’agissait effectivement d’une victime de la patrouille de nuit de Reykjavik" (paragraphe 9(9) ci-dessus); "J’ai alors découvert que la plupart des gens connaissaient différents cas de personnes ayant subi une expérience analogue, voire pire, avec les bêtes en uniforme. Certaines avaient vu leur âge mental réduit à celui d’un nouveau-né par l’effet de prises au collet que policiers et videurs apprennent et pratiquent avec une brutale spontanéité, au lieu de traiter les gens avec prudence et précaution. De tels récits, identiques en substance, il y en a tant que l’on ne peut plus guère les écarter comme de simples mensonges" (paragraphe 9(10) ci-dessus); "victimes des brutes policières" (paragraphe 9(11) ci-dessus); "en permettant à des brutes sadiques de donner libre cours à leurs penchants pervers" (paragraphe 9(13) ci-dessus). Quant au second article, le procureur en estimait diffamatoire l’extrait ci-après: "tant leur attitude coïncidait avec l’image que l’opinion publique se fait progressivement du système de défense de notre police: intimidation, falsifications, actions illégales, superstitions, irréflexion, sottise" (paragraphe 10(15) ci-dessus). Le 9 septembre 1985, M. Thorgeir Thorgeirson se vit notifier l’acte d’accusation qui le citait à comparaître le lendemain devant une chambre à juge unique - M. Pétur Gudgeirsson - du tribunal correctionnel de Reykjavik. A sa demande, la séance fut reportée au 17 septembre, date à laquelle le tribunal tint une audience où l’intéressé comparut accompagné de Me Tómas Gunnarsson, avocat à la Cour suprême. Le procureur de la République n’était pas là. Les débats se déroulèrent ainsi: a) Comme le veut le deuxième paragraphe de l’article 77 du code de procédure pénale de 1974 (loi no 74/1974), le juge informa le prévenu qu’on l’interrogeait parce qu’on le soupçonnait d’une infraction. b) Me Tómas Gunnarsson fut désigné pour assurer la défense du requérant. Ils reçurent copie de l’intégralité du dossier. c) Questionné par le juge sur le point de savoir s’il avait rédigé les deux articles incriminés, l’intéressé répondit par l’affirmative mais souligna que les passages cités dans l’acte d’accusation, bien que corrects, avaient été détachés de leur contexte. d) Mis en présence d’un procès-verbal de ses déclarations du 18 juin 1984 à la PJN, ainsi que d’une lettre adressée par lui à celle-ci le 19, il confirma l’exactitude du premier et reconnut avoir écrit la seconde. e) Le juge lui ayant demandé s’il pouvait étayer les passages litigieux de ses articles, il soutint que dans le contexte de l’acte d’accusation, sur lequel il s’était déjà exprimé, il n’en avait ni la possibilité ni l’obligation: ces propos ne venaient pas de lui mais de l’accusation. f) Le requérant réclama un délai pour consulter les pièces du dossier et préparer ses observations. Une nouvelle audience fut fixée au 24 septembre 1985. M. Thorgeir Thorgeirson et son conseil comparurent le jour dit devant le tribunal, derechef hors la présence du ministère public. L’avocat invita le juge Pétur Gudgeirsson à se déporter, au motif que l’absence de l’accusation à cette audience et aux précédentes l’avait amené à assumer le double rôle de représentant du parquet et de juge. Le 25 septembre 1985, le juge statua en ces termes (retraduits de l’anglais): "L’affaire ne justifie pas [une procédure contradictoire] conforme à l’article 130 du code de procédure pénale. La requête en récusation ne repose sur aucun argument valable et manque de tout fondement. Le juge n’est ni tenu ni en droit de se déporter." L’intéressé sollicita l’autorisation de saisir la Cour suprême d’un recours incident contre cette décision, mais le parquet la lui refusa le 26 septembre 1985 en vertu de l’article 171 du code de procédure pénale. Il pria ensuite le ministère de la Justice de charger un procureur ad hoc d’étudier l’opportunité de pareille autorisation, mais sa demande fut rejetée le 18 octobre. Du 9 octobre 1985 au 28 avril 1986, le tribunal correctionnel tint six séances supplémentaires consacrées à la présentation de pièces et d’exposés oraux ainsi qu’à l’audition de témoins. Le requérant et son conseil assistèrent à chacune d’elles. Il en alla de même du procureur de la République sauf le 17 février 1986, lorsque le tribunal visionna l’enregistrement sur magnétoscope d’une émission télévisée. A l’audience du 25 octobre 1985, le juge Pétur Gudgeirsson montra au requérant des photographies d’une personne et lui demanda s’il s’agissait du jeune homme, rencontré à l’hôpital local, qu’il avait décrit dans le premier article (paragraphe 9(8) ci-dessus). M. Thorgeir Thorgeirson répondit ainsi: "(...) il est étonnant, pour un adulte expérimenté, d’en entendre un autre poser une telle question. Je vois et j’étudie de cent à deux cents personnes par jour. Cela correspondrait à la population entière de l’Islande en sept ans à peu près. Un individu que je vois moins de cinquante fois ne pénètre donc pas dans ma mémoire, sauf raisons particulières. Il est, dès lors, tout à fait absurde et contraire à la nature du cerveau humain de demander à quelqu’un s’il reconnaît une personne qu’il a pu voir sept ans plus tôt. Je puis néanmoins affirmer qu’il ne s’agit pas du jeune homme auquel je pensais en rédigeant l’article ‘Au fait!’ (...)" À l’audience du 28 avril 1986, les parties admirent que le tribunal pouvait clôturer l’instruction. Il accorda au conseil jusqu’au 3 juin 1986 pour présenter par écrit les moyens de la défense; le procureur déclara qu’il ne prendrait pas d’autres réquisitions. Dans son mémoire, déposé le 3 juin 1986, M. Thorgeir Thorgeirson tirait à nouveau argument de l’absence du parquet à certaines audiences pour conclure au rejet des poursuites ou à son acquittement (paragraphes 17-19 ci-dessus). Sur le fond, il soutenait notamment ce qui suit (retraduit de l’anglais): "C’est, bien sûr, le commun des mortels qui subit la brutalité des policiers (...). Une telle expérience est plutôt mémorable, et normalement on la raconte à autrui. Les descriptions sont souvent grossies en cours de route. A mesure que le nombre des cas augmente, il se forme une opinion publique; elle est naturellement plus rude encore que le problème lui- même. Dans une large mesure, je l’ai utilisée comme un élément essentiel de mon article ‘Au fait!’. L’opinion publique est évidemment un fait en soi, et ses origines sont en général moins importantes et prêtent moins à contestation (...) Si l’opinion publique s’aigrit, la confiance dans les policiers se perd, et même dans ceux qui n’ont jamais fait de mal à une mouche. A l’automne 1983, ce phénomène avait atteint des proportions franchement dangereuses pour la sûreté publique. J’ai pris conscience de ce péril quand a surgi l’affaire Skafti Jónsson. Et mon article (...) paru dans Morgunbladid le 7 décembre 1983 représentait ma réaction à cette redoutable situation. J’estime qu’en le rédigeant j’accomplissais le devoir d’un écrivain honorable qui étudie l’esprit de la nation et rend compte de ses observations sans détour. Cela saute aux yeux de quiconque s’attache à lire l’article dans son intégralité en s’efforçant de comprendre ce qui s’y trouve écrit. (...) Mais l’objet principal de l’article, et de ses conclusions, était de demander au ministre d’ouvrir une enquête afin de déterminer si l’opinion publique avait raison ou tort. Il s’agissait de poser une question légitime et urgente. Bien que j’aie voulu écrire un article entièrement dans les limites de la loi, je ne cache pas que j’ai aussi recherché une formulation propre à susciter des réponses des parties intéressées. Toute la question, bien sûr, portait sur la justesse de l’analyse de l’opinion publique menaçante. Si cette dernière se trompait, on pouvait s’attendre à voir les autorités de police - seules en mesure de posséder une connaissance exhaustive du problème - réagir avec le calme, la confiance et la sérénité qui siéent à des âmes respectables et honnêtes. Le conseil de l’association de la police et le chef de la police auraient simplement recommandé au ministre d’ouvrir dès que possible, comme je le demandais, une enquête impartiale sur la question. Une telle réaction aurait aussi beaucoup tranquillisé le public, car elle aurait constitué un témoignage de bonne foi." Le juge Pétur Gudgeirsson statua le 16 juin 1986, lors d’une audience à laquelle assista le requérant. Il rejeta le grief tiré de l’absence du ministère public à certaines audiences. Sur le fond, il releva notamment (retraduit de l’anglais): "D’après les éléments recueillis, le prévenu a subi un traitement à l’hôpital de la ville de Reykjavik du 19 juin au 11 juillet 1978. A la même époque s’y trouvait un patient du nom de Trausti Ellidason (...) [complètement] paralysé pour avoir été agressé par une (...) connaissance (...). On a montré au prévenu des photographies de Trausti Ellidason, prises à l’hôpital communal le lendemain de l’agression. Il a déclaré que Trausti Ellidason n’est pas l’homme décrit par lui dans son article (...) du Morgunbladid; (...) Un enregistrement vidéo de l’émission de télévision ‘Opinions variées’, diffusée le 13 décembre 1983, a été produit à titre de preuve. (...) Elle portait sur le maintien de l’ordre, les relations entre les citoyens et la police et ‘l’affaire Skafti’ (...). A la fin du programme, M. Einar Bjarnason, brigadier de police et président de l’association de la police de Reykjavik, déclara (...) pouvoir démontrer le manque de fondement de l’article incriminé, car il avait (...) une attestation du jeune homme dont le prévenu avait parlé dans le Morgunbladid. Il en donna lecture. On y lit notamment: ‘Ce que Thorgeir Thorgeirson dit de mon cas dans son article est faux du début à la fin.’ Après enquête, [M. Bjarnason] et l’agent de police Bjarki Elíasson jugèrent que la déclaration émanait de la personne au sujet de laquelle le prévenu avait écrit. Sur demande du conseil de celui-ci (...), [M.] Einar Bjarnason a été appelé à témoigner. Il a affirmé qu’il s’agissait de la déclaration d’un jeune homme invalide, Trausti Ellidason (...). Il a précisé qu’il s’était renseigné sur l’époque à laquelle le prévenu et Trausti Ellidason avaient séjourné à l’hôpital; on avait alors supposé que le premier avait visé le second dans son article. Voilà comment la police avait obtenu l’attestation. Le témoin a ajouté qu’à sa connaissance aucun policier de Reykjavik n’avait jamais causé, dans l’exercice de ses fonctions, des blessures semblables à celles décrites par le requérant dans son article du 7 décembre 1983. (...) D’après la défense, par ses deux articles le prévenu accomplissait son devoir d’écrivain envers la société en signalant que la police avait infligé à des gens des lésions corporelles, en mettant au jour ces problèmes et en réclamant des mesures officielles de prévention. [De tels faits ne susciteraient] guère d’attention si on ne les révèle pas dans les media, et même alors ils passeraient souvent inaperçus. Une formulation vigoureuse et des artifices de style sembleraient en outre nécessaires; les écrivains le sauraient fort bien. Le prévenu serait un professionnel de l’écriture depuis de longues années et les pouvoirs publics auraient reconnu ses travaux, notamment en le rémunérant. Il aurait agi sous la protection de l’article 72 de la Constitution, lequel interdit la censure et les autres restrictions à la liberté de la presse. Toutefois, le texte constitutionnel cité précise aussi qu’une personne peut voir sa responsabilité engagée à raison de propos imprimés, principe depuis toujours indiscuté en droit islandais. Divers textes de loi incriminent la formulation de certaines idées ou déclarations en public, notamment sous forme imprimée. Outre l’article 108 du code pénal (...), on peut mentionner à cet égard les articles 88, 95, 121, 125, 210, 229 et 233a) à 237. La qualité d’écrivain ne vaut au prévenu aucun privilège, ni une liberté d’expression plus grande que celle d’autrui. Ses articles ont paru sous son nom et il s’en reconnaît l’auteur. Il vivait en Islande au moment où le Morgunbladid les a publiés. En vertu de l’article 15 de la loi de 1956 relative au droit de publication (...), il assume donc une responsabilité tant pénale que civile à raison de leur contenu. Aux termes de l’acte d’accusation, les propos fondant les préventions s’en prenaient à des agents non identifiés de la police de Reykjavik. Bien que d’après sa lettre l’article 108 du code pénal (...) vise des infractions lésant des fonctionnaires déterminés (...), il joue aussi quand la victime est un groupe défini de fonctionnaires (voir l’arrêt reproduit dans le recueil de la jurisprudence de la Cour suprême, vol. LIV, p. 57). Les mots ‘bêtes en uniforme’ et ‘de ces fauves en uniforme’ doivent, dans le contexte où ils ont paru, être tenus pour injurieux et offensants envers des agents non identifiés de la police de Reykjavik. Ils tombent sous le coup de l’article 108 du code pénal (...) L’acte d’accusation les considère comme des allégations diffamatoires. Eu égard au troisième paragraphe de l’article 118 du code de procédure pénale (...), le prévenu peut néanmoins voir sa responsabilité engagée du chef de leur publication; ses actes ont été correctement rapportés et l’on ne saurait estimer qu’il a subi un préjudice dans la préparation de sa défense. Les passages ‘Ses compagnons de chambre (...) patrouille de nuit de Reykjavik’, ‘J’ai alors découvert (...) de simples mensonges’ et ‘les victimes des brutes policières’ sont réputés constituer, tant par eux-mêmes que dans le contexte de l’article (...), des allégations imputant à des agents non identifiés de la police de Reykjavik de nombreux actes graves d’agression physique contre des personnes qui en sont restées handicapées. Ils relèvent ainsi de l’article 218 (...) du code pénal (...), dont la violation expose son auteur à de lourdes peines de prison. Le prévenu n’a pas justifié ses allégations, et [leur] publication (...) le rend passible d’une peine en vertu de l’article 108 du code pénal (...) Les termes ‘avec les bêtes en uniforme’ et ‘brutes policières’ s’analysent eux aussi en insultes et offenses à l’égard de membres non identifiés de la police de Reykjavik. L’acte d’accusation les qualifie de diffamatoires, mais (...) le prévenu peut néanmoins avoir à en répondre sur le terrain de l’article 108 du code pénal. Le membre de phrase ‘en permettant à des brutes sadiques de donner libre cours à leurs penchants pervers’ est considéré, dans le contexte dudit article, comme injurieux et offensant envers des agents non identifiés de la police de Reykjavik. L’acte d’accusation le qualifie de diffamatoire, mais (...) le prévenu peut néanmoins avoir à en répondre sur le terrain de l’article 108 (...) Le passage ‘(...) tant leur attitude coïncidait avec l’image que l’opinion publique se fait progressivement du système de défense de notre police: intimidation, falsifications, actions illégales, superstitions, irréflexion, sottise’ n’a pas été justifié. A l’exception des mots ‘superstitions, irréflexion, sottise’, il impute à des agents non identifiés de la police de Reykjavik des falsifications et autres infractions (...). Cela relève des dispositions des chapitres XIV et XVII du code pénal (...), dont la violation peut entraîner une lourde peine d’emprisonnement. Par ces déclarations, le prévenu s’est rendu passible d’une peine fondée sur l’article 108 du code pénal (...) En revanche, les mots ‘superstitions, irréflexion, sottise’ restent dans les limites d’une critique acceptable et ne mettent pas en jeu la responsabilité de l’intéressé (...)" Le tribunal condamna M. Thorgeir Thorgeirson à une amende de 10 000 couronnes islandaises, convertible en huit jours d’emprisonnement à défaut de paiement dans les quatre semaines de la signification du jugement. Il mit en outre à sa charge tous les frais de la cause, y compris les honoraires de son défenseur. Requérant et parquet se pourvurent devant la Cour suprême, qui examina l’affaire le 22 septembre 1987. L’avocat de l’intéressé demanda l’annulation non seulement du jugement du tribunal correctionnel mais aussi de la totalité de la procédure, depuis l’établissement de l’acte d’accusation, et le renvoi de l’affaire au tribunal correctionnel. En ordre subsidiaire, il sollicita la relaxe pure et simple de son client. Le procureur conclut, lui, à l’aggravation de la peine. Dans son arrêt du 20 octobre 1987, la Cour suprême releva notamment (retraduit de l’anglais): "(...) la demande d’annulation de la procédure se fonde sur les moyens déjà soumis au tribunal correctionnel le 24 septembre 1985; l’avocat de la défense avait alors déclaré: ‘(...) aucun représentant du ministère public n’a assisté (...) à aucune audience antérieure (...). Vu les articles 20 par. 1 et 36 par. 1, alinéa 1, [du code de procédure pénale], le prévenu estime illégal qu’une même personne joue le double rôle de juge et de procureur dans la même espèce. Le juge n’ayant pas veillé à rectifier cet état de choses, nous demandons son remplacement (...)’ Le juge du tribunal correctionnel a rejeté la demande par une décision contre laquelle le parquet a refusé d’autoriser un recours incident devant la Cour suprême (...). Au cours de l’instruction de la présente cause, considérée comme exemptée de réquisitoire conformément à l’article 130 du code précité, il n’a été fourni aucun élément propre à justifier la récusation du juge ou l’annulation de la [condamnation] (...) La Cour confirme la décision du tribunal quant à la culpabilité du prévenu, à l’application de la loi pénale et à la peine (...). Elle laisse aussi intacte celle qui a trait aux dépens." Dans une opinion dissidente, un des membres de la Cour s’exprima ainsi (retraduit de l’anglais): "Dans toute action pénale relative à des propos diffamatoires, il faut déterminer clairement à qui on les estime préjudiciables. Il le faut tant pour les besoins de la défense que pour résoudre la difficile question de savoir quelles limites il convient d’assigner à la discussion de problèmes d’intérêt public. L’acte d’accusation précise (...) que l’action concerne des ‘allégations diffamatoires contre des policiers’, dirigées ‘contre des membres non identifiés de la police de Reykjavik’. Il doit donc s’interpréter comme visant une infraction au détriment des policiers de Reykjavik en général. J’admets certes qu’il s’agit de propos durs et non justifiés comme tels, mais eu égard à la manière, décrite ci-dessus, dont l’acte d’accusation a présenté l’affaire, je ne crois pas remplies les conditions voulues pour condamner quelqu’un en vertu de l’article 108 du code pénal (...), texte à lire à la lumière du principe fondamental du droit constitutionnel islandais relatif à la liberté d’expression par la parole et par l’écrit. Dès lors, j’estime qu’il échet de relaxer le prévenu et de mettre à la charge du Trésor la totalité des frais devant le tribunal [correctionnel] et la Cour suprême, y compris les honoraires du conseil commis à l’intéressé devant celle-ci." II. LE DROIT INTERNE APPLICABLE A. La liberté d’expression et la diffamation de fonctionnaires Aux termes de l’article 72 de la Constitution de la République d’Islande du 17 juin 1944: "Toute personne a le droit d’exprimer ses opinions sous forme imprimée. Elle peut cependant voir sa responsabilité engagée à ce titre devant les tribunaux. Aucune censure ou autre restriction à la liberté de la presse ne peut jamais être imposée." La responsabilité visée dans ce texte se trouve précisée par la loi. D’après l’article 15 de la loi de 1956 sur le droit de publication (loi no 57/1956), un auteur peut encourir une responsabilité, tant pénale que civile, du chef de publications faites sous son nom à son domicile en Islande au moment de la publication ou s’il se trouve dans le ressort des juridictions islandaises lors de l’introduction d’une instance contre lui. Si la publication n’a pas été faite à son nom, la responsabilité peut incomber à l’éditeur, au rédacteur en chef, au vendeur, au distributeur ou à l’imprimeur. Le code pénal réprime les publications diffamatoires. Selon l’article 108, consacré à la diffamation de fonctionnaires, "Quiconque injurie ou insulte un fonctionnaire par des propos ou par des actes, ou formule des allégations diffamatoires à l’encontre ou au sujet de celui-ci dans l’exercice de ses fonctions, ou du chef de l’exercice de ses fonctions, s’expose à une amende, à une détention ou à un emprisonnement de trois ans au plus. Toute allégation, même démontrée, peut rendre son auteur passible d’amende s’il l’a formulée de manière impudente." En l’espèce, le tribunal correctionnel et la majorité de la Cour suprême ont estimé l’article 108 applicable aux déclarations diffamatoires dirigées non pas contre des fonctionnaires bien déterminés, mais contre un groupe limité de fonctionnaires non identifiés. Cette interprétation trouve appui dans deux arrêts de la Cour suprême: Procureur de la République c. Jónas Kristjánsson, du 19 janvier 1983, et Procureur de la République c. Agnar Bogason, du 31 octobre 1952. B. La procédure pénale L’article 20 du code de procédure pénale attribue au procureur de la République, secondé par le procureur de la République adjoint ainsi que par plusieurs procureurs et substituts, l’exercice de l’action publique. L’article 21 lui confère un pouvoir de direction et de contrôle pour les enquêtes en matière pénale. L’article 115 l’habilite à engager des poursuites en dressant un acte d’accusation. Ce document doit indiquer avec clarté, entre autres, le tribunal qui connaîtra de l’affaire, le nom de l’inculpé, l’infraction alléguée et la peine encourue. Il est alors transmis, avec le dossier, au tribunal compétent. Le juge désigné pour examiner la cause mentionne sur l’acte d’accusation, notifié par la suite à l’inculpé, la date de l’ouverture officielle du procès. Selon l’article 121, ce dernier commence par une audience au cours de laquelle le tribunal correctionnel met l’acte d’accusation et d’autres pièces à la disposition du prévenu. Si l’intéressé passe à ce stade des aveux explicites, l’affaire est jugée sur-le-champ. A défaut, il doit avoir l’occasion de produire ses preuves et de présenter sa défense, par écrit ou oralement, avec l’assistance de son conseil s’il en a été désigné un. Le procureur de la République détermine si l’affaire mérite une procédure contradictoire au sens des articles 131 à 136. Dans l’affirmative, le ministère public assiste à l’audience devant le juge du tribunal correctionnel. Aux termes de l’article 130, il en va ainsi: a) dans le cas d’une infraction punissable d’un emprisonnement de plus de huit ans; b) dans le cas d’une infraction punissable d’un emprisonnement de plus de cinq ans si les points de droit ou de fait soulevés l’exigent; c) si la cause concerne des questions d’un intérêt particulier ou si son issue revêt d’une autre manière une grande importance pour le public. En dehors de ces hypothèses, le déroulement de l’instance obéit aux articles 123 à 129. Le prévenu présente sa défense devant le juge en l’absence du ministère public, sauf décision contraire du procureur de la République. Si le parquet ne comparaît pas, il incombe au juge, conformément à la règle générale de l’article 75, d’étudier d’office et en pleine indépendance l’ensemble des questions de fait et de droit en jeu, même si elles ont déjà donné lieu à une enquête et à des rapports du parquet. Il examine aussi chacun des aspects de nature à établir la culpabilité ou l’innocence du prévenu, ainsi que toute circonstance atténuante ou aggravante. Une fois cette analyse achevée et après que le prévenu - ou son conseil - a produit ses preuves et observations écrites, le juge statue sur la base de tous les éléments recueillis. Une condamnation prononcée par lui peut être attaquée devant la Cour suprême. Le procureur de la République doit assister à l’audience de celle-ci même s’il s’en est abstenu devant le tribunal correctionnel. La Cour suprême connaît des faits comme du droit. En vertu de l’article 185, si elle estime entachée de vices graves la procédure menée devant le tribunal correctionnel, elle peut soit l’annuler en entier soit invalider le jugement rendu. Elle peut alors renvoyer l’affaire, en tout ou partie, à la juridiction inférieure en vue d’une nouvelle décision. D’après l’article 171, un prévenu peut, avec l’autorisation du procureur de la République, saisir la Cour suprême d’un recours incident contre un refus de se récuser que lui oppose le juge du tribunal correctionnel. A défaut d’autorisation, il lui est loisible de demander à la Cour suprême, dans le cadre d’un pourvoi ordinaire, d’annuler la procédure de première instance au motif que le juge aurait dû se déporter. L’article 36 du code de procédure civile (loi no 85/1936), qui d’après l’article 15 du code de procédure pénale s’applique aussi en matière criminelle, énumère les causes suivantes de récusation: a) le juge est partie au litige ou représentant ou parent d’une partie; b) il a témoigné en l’espèce ou servi d’expert immobilier ou de commissaire-priseur en relation avec l’affaire; c) il a plaidé en l’espèce ou conseillé une partie; d) il est hostile à une partie; e) l’affaire présente un intérêt financier ou moral pour lui-même ou pour ses proches; f) il existe une autre raison de craindre chez lui une inaptitude à examiner l’affaire de manière impartiale. Si l’une des causes précitées empêche un juge de siéger, le ministre de la Justice en désigne un autre pour connaître de l’affaire. C. Révision du code de procédure pénale Un code de procédure pénale révisé doit entrer en vigueur le 1er juillet 1992. L’article 123 du projet prescrit l’ajournement en cas d’absence du ministère public lors d’une audience. PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION Dans sa requête du 19 novembre 1987 à la Commission (no 13778/88), M. Thorgeir Thorgeirson alléguait que l’action en diffamation engagée contre lui et sa condamnation subséquente avaient violé son droit à un procès équitable devant un tribunal impartial et son droit de se défendre lui-même, garantis par l’article 6 paras. 1 et 3 c) (art. 6-1, art. 6-3-c) de la Convention ainsi que son droit à la liberté d’expression, protégé par l’article 10 (art. 10). Le 14 mars 1990, la Commission a retenu les griefs tirés a) de l’absence du procureur de la République à certaines audiences et de ses répercussions sur l’impartialité du tribunal correctionnel de Reykjavik; b) de l’atteinte à la liberté d’expression de l’intéressé. Elle a déclaré la requête irrecevable pour le surplus. Dans son rapport du 11 décembre 1990 (article 31) (art. 31), elle relève une infraction à l’article 10 (art. 10) (treize voix contre une) mais non à l’article 6 par. 1 (art. 6-1) (unanimité). Le texte intégral de son avis et de l’opinion dissidente dont il s’accompagne figure en annexe au présent arrêt. CONCLUSIONS PRESENTEES A LA COUR PAR LE GOUVERNEMENT À l’audience du 22 janvier 1992, le Gouvernement a invité la Cour à juger, conformément aux conclusions de son mémoire du 16 septembre 1991, qu’il n’y a pas eu méconnaissance de la Convention en l’espèce.
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Les Éditions Périscope sont une société anonyme de droit français, dont le siège se trouve à Paris. Fondées en avril 1960, elles entendaient créer une revue intitulée "Périscope de l’usine et du bureau", qui analyserait les produits industriels nouveaux et offrirait un "service lecteurs intégré". Il s’agissait d’un type de périodique alors inconnu en France. A. La genèse de l’affaire Le 21 octobre 1960, la société requérante pria la Commission paritaire des publications et agences de presse ("la Commission paritaire") de délivrer à sa revue un certificat d’inscription afin qu’elle bénéficiât des abattements fiscaux et des tarifs postaux préférentiels consentis aux organes de presse. La Commission paritaire rejeta la demande le 8 décembre 1960 et réserva le même sort à deux autres, les 9 février 1961 et 17 janvier 1964. Elle ne répondit pas à une quatrième, formulée le 30 juin 1970. Bien qu’assimilables à des décisions faisant grief car ils liaient l’administration, ses avis ne donnèrent pas lieu à un recours pour excès de pouvoir devant le Conseil d’État. Le motif avancé ne varia jamais: la revue était assimilable à un support publicitaire car elle constituait un trait d’union entre ses abonnés et des fabricants, à des fins de transaction commerciale. Elle publiait les fiches techniques établies par le constructeur lui-même pour les matériels présentés; le lecteur intéressé par un modèle retournait à la direction de "Périscope de l’usine et du bureau" une fiche avec la référence dudit modèle; le constructeur recevait alors la fiche en question et envoyait la documentation correspondante. Or la société aurait dû, pour obtenir les avantages revendiqués, consacrer au moins un tiers de sa surface à une information d’intérêt général ou doter son service lecteurs d’un apport rédactionnel critique. Les Éditions Périscope présentèrent aussi deux requêtes officieuses qui se soldèrent par les refus des secrétaires généraux du ministère des Postes et Télécommunications (8 avril 1961) et de la Commission paritaire (27 octobre 1966). Elles menèrent également auprès des pouvoirs publics, jusqu’en 1974, des démarches qui demeurèrent vaines. "Périscope de l’usine et du bureau" cessa de paraître en octobre 1974 et la société éditrice fut mise en règlement judiciaire puis en liquidation de biens. Toutefois, le tribunal de commerce de Paris prononça la rétractation de son jugement après que le président-directeur général eut consenti à supporter le passif sur ses deniers personnels. Le 15 mars 1976, les Éditions Périscope adressèrent un recours gracieux au ministre des Finances, au secrétaire d’État aux Postes et Télécommunications et au secrétaire d’État auprès du premier ministre, porte-parole du gouvernement. Elles entendaient obtenir une indemnité de 200 millions de francs en réparation du préjudice qu’elles estimaient avoir subi depuis 1962 par la faute du service public. Elles ne reçurent pas de réponse. B. La procédure devant le tribunal administratif de Paris Le recours Les Éditions Périscope saisirent le tribunal administratif de Paris le 12 novembre 1976. Elles l’invitaient à "Faire droit au (...) recours et, pour les motifs (...) exposés, condamner l’État à [leur] verser la somme de deux cents millions de francs à titre de réparation du préjudice à [elles] causé par les fautes du service public. Subsidiairement, ordonner une expertise pour déterminer l’importance du préjudice subi par la Société Éditions Périscope." L’instruction Partie défenderesse, le premier ministre déposa le 25 février 1977 un mémoire concluant au débouté. Le ministre de l’Économie et des Finances et le secrétaire d’État aux Postes et Télécommunications firent de même les 4 mars et 18 avril. Le 17 juin 1977, les Éditions Périscope présentèrent un mémoire ampliatif qu’elles complétèrent le 15 novembre; elles avaient sollicité des prolongations de délai les 27 avril et 1er juin afin de se procurer de nouvelles pièces. Le 18 novembre 1977, le ministre délégué à l’Économie et aux Finances confirma ses conclusions antérieures. Dans un nouveau mémoire enregistré le 16 mars 1978, la société requérante indiquait notamment: "A ce jour, seul le ministre des Finances a répondu au mémoire du 15 juin 1977 par un mémoire du 18 novembre 1977. Il apparaît clairement que les Administrations concernées abusent de leur position privilégiée pour retarder le plus possible la solution du procès (...). Cet abus apparaît d’autant plus manifeste que ces Administrations possèdent des moyens en matériel et en personnel qui leur permettent de respecter des délais raisonnables de réponse." En conséquence, elle invitait le tribunal "[à] lui donner acte de sa protestation contre le silence dilatoire des Administrations défenderesses et [à] leur faire injonction de répondre dans un délai très bref aux mémoires de la Société des 15 juin et 15 novembre 1977". Le premier ministre déclara, le 28 mars 1978, qu’il maintenait ses conclusions du 25 février 1977 et reprenait à son compte les observations du ministre délégué à l’Économie et aux Finances et du secrétaire d’État aux Postes et Télécommunications. Les Éditions Périscope revinrent à la charge dans un quatrième mémoire, déposé le 22 mai 1978: "L’absence de réponse du ministre des Finances et du secrétaire d’État aux Postes et Télécommunications démontre qu’ils n’ont aucun argument supplémentaire à opposer aux explications et documents produits les 15 juin et 15 novembre par la société requérante. Dans ces conditions, [celle-ci] demande au tribunal administratif de considérer comme terminée l’instruction écrite, et de fixer une date d’audience pour l’examen du litige (...)." Elles en présentèrent deux de plus les 25 octobre 1978 et 29 mai 1979. Le premier comportait la conclusion suivante: "Le silence du ministre des Postes à la suite des trois derniers mémoires de la société, la lettre du premier ministre du 21 mars 1978 s’en remettant aux mémoires des autres ministres, la répétition par le ministre du Budget des arguments du ministre des Finances, l’absence totale de discussion du préjudice par les défendeurs, les délais écoulés démontrent que l’État a terminé l’exposé de ses moyens de défense. Dans ces conditions, la société requérante prie le tribunal administratif de bien vouloir fixer au plus vite l’examen du recours introduit depuis deux ans." Quant au second, il se terminait ainsi: "La société Périscope constate que les défendeurs ont tous affirmé reprendre leurs arguments précédents. L’exposé de leurs moyens est donc achevé. La société (...) demande donc à nouveau au tribunal administratif de Paris d’évoquer l’affaire à une prochaine audience, se réservant d’y faire présenter des observations orales par son conseil." En outre, l’avocat des Éditions Périscope écrivit le 13 janvier 1979 au président du tribunal administratif pour qu’il fixât la date de l’audience. Il n’estimait "pas admissible (...) que l’Administration [pût] indéfiniment retarder la solution d’une instance au préjudice du demandeur". Le ministre du Budget soumit un mémoire complémentaire le 10 juin 1978, tout comme le secrétaire d’État aux Postes et Télécommunications le 23 janvier 1979. Ce dernier indiqua de surcroît, le 22 octobre, qu’il persistait "en tous points" dans ses précédentes conclusions. Le jugement du 27 avril 1981 Après une audience publique tenue le 6 avril 1981, le tribunal administratif rejeta la requête le 27 par les motifs suivants: "Considérant que la requête de la Société Éditions Périscope tend à ce que le Tribunal déclare l’État responsable du préjudice causé à la requérante par la discrimination opérée par les administrations intéressées au profit d’entreprises concurrentes en ce qui concerne tant les affranchissements postaux que les allégements fiscaux sans en faire profiter également la requérante en dépit de ses demandes réitérées, condamne l’État à lui payer de ces chefs une indemnité de 200 000 000 F et subsidiairement ordonne une expertise pour déterminer l’importance du préjudice subi; Considérant que si la requérante se fonde sur l’illégalité du refus de son inscription sur la liste des publications bénéficiant des avantages susvisés [allégements fiscaux], il lui appartenait de contester, en temps utile, les impositions qu’elle estimait établies en méconnaissance de l’exonération édictée à l’article 261-8-1o du code général des impôts; qu’elle ne peut plus remettre en cause ladite imposition par la voie d’une action en dommages et intérêts dirigée contre le ministre du Budget dès l’instant qu’elle n’établit pas l’illégalité des refus; Considérant que, de son côté, l’Administration des Postes n’a pas commis une faute de nature à engager la responsabilité de l’État en ne faisant pas bénéficier la requérante d’un tarif postal spécial dès l’instant qu’il résulte de l’article D 18 du code des postes et télécommunications que l’application de ces tarifs est subordonnée à la production d’un certificat d’inscription délivré par la Commission paritaire (...); qu’il appartenait à la requérante, si elle s’y croyait fondée, de contester dans le délai réglementaire de deux mois la légalité d’une décision de refus; qu’il résulte de l’instruction que l’attention des dirigeants de la requérante a été en vain appelée à diverses reprises sur la différence de structure de sa revue par rapport aux revues concurrentes et sur les changements qu’elle devait y apporter pour bénéficier du régime économique de la presse; Considérant que la circonstance alléguée que diverses entreprises concurrentes auraient indûment bénéficié des avantages en cause, à supposer même qu’elle fût établie, ce qui n’est d’ailleurs pas établi par l’instruction, n’est pas de nature à constituer une atteinte au principe d’égalité devant le service public; (...)." C. La procédure devant le Conseil d’État Le recours Par un recours introduit le 15 juillet 1981, les Éditions Périscope demandèrent au Conseil d’État d’"annuler le jugement attaqué [du tribunal administratif], condamner l’État à [leur] verser une somme de 200 millions de francs à titre de dommages-intérêts, subsidiairement ordonner une expertise afin de déterminer l’importance du préjudice qui [leur avait] été causé par les mesures discriminatoires dont [elles avaient] été victime[s]". L’instruction L’affaire, dont le tribunal avait transmis le dossier au Conseil d’État le 11 août 1981, fut attribuée le 15 à la 10e sous-section du contentieux. Les Éditions Périscope déposèrent un mémoire ampliatif le 13 novembre 1981; elles signalèrent le 18 décembre une erreur typographique qui s’y était glissée. Le dossier fut communiqué successivement à trois membres du gouvernement: le ministre de l’Économie et des Finances, du 24 novembre 1981 au 2 mars 1982; le ministre délégué auprès du ministre de l’Industrie et de la Recherche, chargé des Postes et Télécommunications, du 16 mars 1982 au 16 mai 1983, après que le Conseil d’État en eut réclamé le retour le 5 mai 1983; le secrétaire d’État auprès du premier ministre, chargé des Techniques de la Communication, du 14 juin au 3 octobre 1983. Le premier sollicita le 27 janvier 1982 un délai supplémentaire d’un mois pour présenter son mémoire, ce qu’il fit le 2 mars suivant. Le deuxième adressa le sien le 14 novembre 1983, après avoir indiqué le 16 mai de la même année qu’il entendait "répondre dans les meilleurs délais". Le troisième en avait soumis un le 3 octobre 1983. La société requérante en déposa un nouveau le 28 octobre 1983 et produisit des pièces les 10 et 24 février 1984. Chargé du dossier le 10 janvier 1984, un auditeur rendit son rapport le 16 avril. La séance d’instruction eut lieu le 21 novembre et l’affaire fut ensuite inscrite au rôle des 10e et 7e sous-sections réunies du 6 mars 1985. L’arrêt du 22 mars 1985 Le Conseil d’État rejeta le recours par un arrêt du 22 mars 1985, ainsi motivé: "(...) Considérant qu’en vertu des dispositions de l’article 1er du décret du 25 mars 1950, modifié par le décret du 2 août 1960, la Commission paritaire (...) est chargée de donner un avis sur l’application des textes législatifs et réglementaires prévoyant des allégements en faveur de la presse en matière de taxes fiscales, de tarifs postaux et de droits de douane; qu’aux termes de l’article 3 dudit décret, la Commission [paritaire] examine si la publication paraît remplir les conditions fixées par ces textes et, dans l’affirmative, délivre à la publication un certificat d’inscription, qui doit être produit à l’appui de toute demande tendant à obtenir le bénéfice de dégrèvements fiscaux et postaux; que le refus du certificat d’inscription a le caractère d’un avis conforme qui interdit à l’autorité administrative compétente d’accorder les aides dont s’agit; Considérant que, par décisions en date des 8 décembre 1960, 9 février 1961 et 17 janvier 1964, la Commission paritaire (...) a refusé de délivrer le certificat d’inscription à la revue ‘Périscope de l’usine et du bureau’, en se fondant sur les dispositions du 6o de l’article 72 de l’annexe III au code général des impôts, lesquelles, dans leur rédaction applicable aux faits de l’espèce, excluent du bénéfice de l’exonération prévue par les dispositions du 1o du [paragraphe] 8 de l’article 261 du même code les journaux ou publications périodiques assimilables aux ‘publications ayant pour objet principal la recherche ou le développement des transactions d’entreprises commerciales, industrielles, bancaires, d’assurances ou d’autres natures dont elles sont, en réalité, les instruments de publicité ou de réclame’; Considérant, d’une part, qu’il résulte de l’instruction, et qu’il n’est d’ailleurs pas contesté, que la revue mensuelle ‘Périscope de l’usine et du bureau’ était au nombre des publications visées par la disposition susénoncée de l’article 72 de l’annexe III au code général des impôts, eu égard, notamment, à son contenu et à la part de sa surface qu’elle consacrait à des réclames ou à des articles s’apparentant à des messages publicitaires; que c’est ainsi, à bon droit, que le certificat d’inscription ne lui a pas été délivré; Considérant, d’autre part, que, si les avantages refusés à la revue ‘Périscope de l’usine et du bureau’ ont été accordés à des publications dont elle soutient qu’elles lui faisaient concurrence, il n’est nullement établi, contrairement à ce qu’allègue la société requérante, que ces publications présentaient des caractéristiques rédactionnelles et comportaient une proportion de publicité de nature à leur conférer le caractère ‘d’instruments de la publicité ou de réclame’, au sens de la disposition précitée du code général des impôts, et à justifier, ainsi, que leur fût refusé le bénéfice des aides à la presse; que dès lors, la société requérante n’est, en tout état de cause, pas fondée à soutenir que la Commission [paritaire] aurait commis une faute de nature à engager la responsabilité de l’État en accordant illégalement à d’autres revues, selon elles comparables à celle qu’elle édite, le certificat qui lui a été refusé; Considérant qu’il résulte de ce qui précède que la société anonyme ‘Éditions Périscope’ n’est pas fondée à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande d’indemnité." PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION Dans leur requête du 20 septembre 1985 à la Commission (no 11760/85), les Éditions Périscope alléguaient plusieurs infractions à l’article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention: les juridictions administratives n’auraient pas entendu leur cause dans un délai raisonnable; le Conseil d’État n’aurait pas constitué un tribunal impartial, car deux de ses membres auraient connu de l’affaire auparavant et son arrêt ne mentionnait pas le nom des magistrats ayant statué ni ne reproduisait, dans le texte notifié, le résumé des arguments des parties qui figurait dans la version manuscrite. Le 12 avril 1989, la Commission a retenu la requête quant à la durée de la procédure mais a écarté les autres griefs. Dans son rapport du 11 octobre 1990 (article 31) (art. 31), elle conclut à la violation de l’article 6 par. 1 (dix-sept voix contre deux). Le texte intégral de son avis et de l’opinion dissidente dont il s’accompagne figure en annexe au présent arrêt. CONCLUSIONS PRESENTEES A LA COUR Dans son mémoire, le Gouvernement a invité la Cour à "bien vouloir rejeter la présente requête qui est mal fondée". Quant au conseil de la société requérante, il a prié la Cour "- de déclarer fondé son recours tiré de la violation de l’article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention par l’État français, - y faisant droit, de condamner l’État français pour violation de l’article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention, et de le condamner à lui verser une indemnité en réparation du préjudice sur la base des demandes présentées à ce titre par la requérante".
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I. LES CIRCONSTANCES DE LA CAUSE Saisi d’une plainte que la fille mineure de M. T., âgée alors de quatorze ans, avait introduite le 19 mai 1982, le parquet de Gênes ouvrit contre celui-ci une information pour viol. Il lui envoya le 15 février 1983, à Djedda (Arabie Séoudite), une "communication judiciaire" afin de l’avertir de l’ouverture de poursuites et de l’inviter à élire domicile en Italie pour les besoins de la procédure. Le requérant affirme ne pas l’avoir reçue car le 13 février il avait quitté Djedda, où il avait travaillé un certain temps, pour Khartoum (Soudan). Il se serait d’ailleurs rendu à l’ambassade d’Italie de cette ville pour signaler son changement d’adresse. Le 26 novembre 1983, le juge d’instruction le déclara introuvable (irreperibile) et le dota d’un avocat d’office. Toutes les pièces à lui notifier furent désormais déposées au greffe, le défenseur en étant avisé chaque fois. Le 13 décembre 1983, le juge d’instruction décerna un mandat d’arrêt qui demeura inexécuté parce que l’on ne savait où atteindre M. T. Dans un procès-verbal du 10 janvier 1984, la police releva que ce dernier n’habitait pas au lieu indiqué. Le juge d’instruction ayant renvoyé l’intéressé en jugement, le président du tribunal de Gênes chargea la police d’entreprendre de nouvelles recherches. Le 25 septembre 1984, elle dressa un procès-verbal qui en constatait l’échec; elle informa ledit magistrat que d’après les renseignements recueillis par elle, le prévenu avait un emploi au Soudan. A son tour, le président le déclara introuvable. Le 9 octobre 1984, le tribunal de Gênes condamna par contumace M. T. à sept ans d’emprisonnement, à la déchéance de ses droits civiques et à des peines accessoires. Le défenseur commis d’office ayant interjeté appel, la police s’efforça derechef de découvrir M. T., mais en vain (procès-verbaux des 20 mars et 7 juillet 1986), de sorte qu’il fut à nouveau déclaré introuvable. Le 1er octobre 1986, la cour d’appel de Gênes confirma le jugement attaqué. On notifia sa décision au requérant de la manière prévue à l’article 500 du code de procédure pénale en vigueur à l’époque (paragraphe 21 ci-dessous), car selon un procès- verbal de police du 7 novembre 1986 il restait introuvable. Il n’y eut pas de pourvoi en cassation. Le parquet de Gênes lança un mandat d’arrêt le 4 mars 1987. Le 20 août, M. T. fut arrêté à Copenhague, dans les locaux de l’ambassade d’Italie, et extradé le 29 octobre. A son arrivée dans son pays, il reçut notification de sa condamnation et, le 3 novembre 1987, du mandat d’arrêt du 4 mars. Le 5 novembre, il souleva un "incident d’exécution" (incidente d’esecuzione) contre ledit mandat. Il se plaignait d’avoir été condamné sans pouvoir se défendre, alors pourtant que les autorités compétentes connaissaient son adresse. Le tribunal de Gênes le débouta le 17 décembre. D’après lui, l’intéressé avait été régulièrement avisé des poursuites et au demeurant il n’en ignorait pas l’existence: cela ressortait notamment d’une lettre qu’il avait écrite à sa femme le 30 septembre 1983. Le requérant forma un pourvoi en cassation que le tribunal de Gênes estima irrecevable, le 10 mars 1988, faute de moyens déposés à l’appui. M. T. affirme ne pas avoir bénéficié de l’assistance d’un avocat pour en présenter. Saisie d’un second pourvoi, la Cour de cassation confirma la déclaration d’irrecevabilité le 20 mai 1988. Elle ajouta que M. T. ne pouvait plus soulever, au stade de l’exécution d’un arrêt désormais passé en force de chose jugée, des griefs relatifs au déroulement du procès. Aux paragraphes 27 et 28 de son rapport, la Commission formule les constatations que voici: "27. Le requérant reconnaît avoir été indirectement au courant des poursuites dont il faisait l’objet puisque son épouse lui aurait appris en juin 1982 que sa fille, enceinte, avait porté plainte contre lui pour viol. Le 21 juin 1982, il avait d’ailleurs écrit au magistrat chargé de l’affaire pour contester les faits relatés dans la plainte (...) De surcroît, le requérant s’était expliqué de son comportement à sa femme dans une lettre qu’il lui adressa le 21 mai 1983. Cette lettre, où figurait son adresse, avait été versée au dossier pénal. Il indique qu’il écrivait régulièrement à sa femme, à laquelle il envoyait également de l’argent, et à sa mère; toutes deux connaissaient son adresse. Enfin, il souligne que son passeport avait été renouvelé le 8 février 1984 à Khartoum, puis à nouveau en 1987 toujours à Khartoum, ce qui impliquait un avis favorable de l’ambassade d’Italie en Arabie Séoudite et de la préfecture de Gênes. Il n’était donc pas introuvable." Devant la Commission, M. T. avait allégué qu’il avait essayé à plusieurs reprises de partir du Soudan pendant la période du 15 février 1984 au 17 juillet 1987, mais que les autorités de ce pays l’en avaient empêché. Il a fini de purger sa peine en 1991. II. LE DROIT INTERNE PERTINENT A. La communication judiciaire À l’époque considérée, la communication judiciaire était l’acte par lequel l’autorité judiciaire informait de l’ouverture d’une instruction la personne soupçonnée d’avoir commis une infraction et l’invitait à désigner un défenseur de son choix ainsi qu’à indiquer le domicile où il faudrait lui notifier les pièces de la procédure. Elle précisait les dispositions législatives méconnues et la date du fait reproché. Le juge d’instruction, s’il y avait instruction "formelle", ou le ministère public, en cas d’instruction "sommaire", envoyaient la communication dès le début de leur enquête (articles 304 et 390 du code de procédure pénale). La communication était adressée en recommandé avec avis de réception. Si le pli n’était pas délivré parce que le destinataire demeurait introuvable (irreperibile), un huissier de justice procédait à la notification selon les formes ordinaires (articles 168 à 175 du code de procédure pénale). B. Notification et procès par défaut ou par contumace Dans ses arrêts Foti et autres du 10 décembre 1982, Colozza du 12 février 1985 et Brozicek du 19 décembre 1989 (série A no 56, p. 12, paras. 33-36, no 89, p. 11, paras. 18-19, pp. 12-13, paras. 21-23 et no 167, pp. 13-14, par. 26), la Cour a donné un aperçu de la législation italienne en vigueur à l’époque en matière de notification à personne ou à inculpé "introuvable" et de procès par défaut ou par contumace (contumacia). En l’espèce, il y a lieu de citer l’article 177 bis de l’ancien code de procédure pénale (remplacé depuis le 24 octobre 1989), ainsi libellé: "Si le dossier fournit une indication précise du lieu où l’inculpé demeure à l’étranger, le ministère public ou le juge d’instance (pretore) avise celui-ci, par lettre recommandée, de la procédure ouverte à son encontre en l’invitant à déclarer ou élire un domicile pour la notification des pièces à l’endroit où se déroule la procédure. Cette formalité ne suspend ni ne retarde la procédure. Au cas où l’on ne connaît pas l’adresse de l’inculpé à l’étranger ou si celui-ci ne déclare pas ou n’élit pas de domicile, ou donne à ce sujet des renseignements insuffisants ou inadéquats, le juge ou le ministère public prend la décision (decreto) prévue à l’article 170. Les dispositions précédentes ne s’appliquent pas lorsqu’il faut obligatoirement décerner un mandat d’arrêt." Selon le deuxième alinéa de l’article 170, "Le juge ou le ministère public (...) prend une décision nommant un défenseur à l’inculpé qui n’en a pas encore un là où se déroule la procédure et ordonnant que les notifications n’ayant pu se faire et à venir s’opèrent au moyen d’un dépôt au greffe de l’organe judiciaire devant lequel se déroule la procédure. Le défenseur est avisé sans retard de tout dépôt." Il échet de reproduire en outre le texte des deux articles suivants: Article 500 "Dans le cas d’une procédure par défaut ou par contumace, le jugement ou arrêt est notifié par extrait au prévenu ou accusé et peut faire l’objet des recours ouverts contre les jugements ou arrêts contradictoires, sous réserve de ce que prévoit le troisième alinéa de l’article 199." Article 199 "(...) Pour les jugements ou arrêts visés à l’article 500, le délai ouvert à l’inculpé ou accusé court à partir du jour de la notification. (...)" PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION L’intéressé a saisi la Commission le 1er avril 1988 en invoquant les articles 5 par. 1 a), 6 paras. 1, 2 et 3 a) à d), 8, 9, 10, 13 et 14 de la Convention (art. 5-1-a, art. 6-1, art. 6-2, art. 6-3-a, art. 6-3-b, art. 6-3-c, art. 6-3-d, art. 8, art. 9, art. 10, art. 13, art. 14). Sur le terrain de l’article 6 (art. 6), il alléguait que la procédure par contumace suivie contre lui l’avait privé des garanties voulues. Le 3 décembre 1990, la Commission a retenu ce dernier grief et déclaré la requête (no 14104/88) irrecevable pour le surplus. Dans son rapport du 4 juillet 1991 (article 31) (art. 31), elle relève à l’unanimité la violation de l’article 6 par. 1 (art. 6-1). Le texte intégral de son avis figure en annexe au présent arrêt.
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I. LES CIRCONSTANCES PARTICULIÈRES DE L’ESPÈCE Citoyen hongrois, M. Megyeri vit en Allemagne depuis 1975. En novembre 1981, il fut provisoirement interné dans un hôpital psychiatrique après l’introduction d’une procédure tendant à cette fin. Le 14 mars 1983, le tribunal régional (Landgericht) de Cologne, devant lequel l’avait représenté un avocat commis d’office, ordonna de le placer dans un tel établissement en vertu de l’article 63 du code pénal. Selon lui, le requérant avait accompli des actes qui s’analysaient en infractions pénales (attitude insultante, coups et blessures, résistance à la police, comportement créant un risque pour la circulation et délit de fuite), mais dont on ne pouvait le tenir pour responsable parce qu’il souffrait d’une psychose schizophrène avec des signes de paranoïa. S’appuyant en particulier sur une expertise médicale, le tribunal déclara que l’intéressé constituait un danger pour la collectivité, car il fallait s’attendre à le voir se livrer à de nouveaux actes illicites graves. Le 7 septembre 1984, le tribunal administratif (Verwaltungsgericht) de Cologne se prononça dans l’une des nombreuses instances engagées par le requérant au sujet de son internement: il le jugea incapable de mener lui-même (betreiben) une procédure judiciaire. Il trouvait si manifeste l’existence de troubles mentaux qu’il ne s’imposait pas de recourir à une expertise. Le 3 septembre 1984 puis le 5 août 1985, le tribunal régional d’Aix-la-Chapelle, se référant à l’article 67 e par. 2 du code pénal (paragraphe 16 ci-dessous), prescrivit la poursuite de l’internement. Dans la seconde décision, il constata que les hallucinations de M. Megyeri avaient empiré et suggéra d’entamer une procédure de mise sous tutelle (Entmündigungsverfahren). Le 3 mars 1986 le requérant, qui avait tenté de faire rouvrir la procédure pénale dirigée contre lui (paragraphe 7 ci-dessus), invita le tribunal régional à remplacer l’avocat qui y avait agi en son nom et à lui indiquer pourquoi celui-ci n’avait pas assisté au contrôle ultérieur de sa détention. Le tribunal l’informa par écrit, le 12 mars, que la loi n’exigeait pas en pareil cas la représentation des internés par des avocats d’office. Le 7 juillet 1986, le tribunal régional examina derechef, conformément à l’article 67 e par. 2, la question de la libération à l’essai du requérant et la trancha par la négative. Renvoyant à sa décision du 5 août 1985, il estima prématuré de vérifier si l’intéressé ne commettrait pas d’infractions une fois sorti de l’hôpital. Il se fondait entre autres sur le rapport écrit de trois experts, dont deux médecins de l’établissement, d’où il ressortait que la santé mentale de l’intéressé s’était encore dégradée, qu’il ne consentait pas à subir un traitement et qu’il témoignait d’une nette propension à un comportement agressif et à la violence. Le tribunal tirait aussi argument de sa propre impression de M. Megyeri: entendu par lui le 7 juillet, ce dernier avait formulé de nombreuses doléances et prétendu être quelqu’un d’autre. S’appuyant sur la jurisprudence récente de la Cour constitutionnelle fédérale (Bundesverfassungsgericht - paragraphe 17 ci-dessous), le tribunal régional jugea le maintien de l’internement proportionné à l’objectif visé: protéger la collectivité. Il nota enfin qu’une procédure de mise sous tutelle se trouvait pendante. Le 2 septembre 1986, la cour d’appel (Oberlandesgericht) de Cologne écarta le recours immédiat (sofortige Beschwerde) du requérant contre cette décision. L’intéressé ne fut pas représenté par un conseil dans la procédure de 1986 relative à son élargissement éventuel. Il avait soulevé auparavant la question de l’assistance d’un avocat (paragraphe 9 ci-dessus), mais il ne paraît pas avoir explicitement invité le tribunal régional ou la cour d’appel à lui en désigner un et ils n’en parlèrent pas dans leurs décisions. Aux dires de l’agent du Gouvernement, il y a lieu de présumer qu’ils avaient examiné le problème d’office puisque le droit allemand impose pareille nomination dans certaines circonstances. Le 10 février 1987, un comité de trois membres de la Cour constitutionnelle fédérale - lequel, conformément à la pratique habituelle en pareil cas, n’avait pas tenu d’audience - refusa de statuer sur le recours (Verfassungsbeschwerde) de M. Megyeri contre les décisions du tribunal régional et de la cour d’appel, au motif qu’il n’avait pas assez de chances de prospérer. Selon la Cour constitutionnelle, la non- désignation d’un conseil par les tribunaux dans la procédure de 1986 ne pouvait soulever aucune objection en droit constitutionnel, car jusque-là il n’avait pas été manifeste que sa maladie rendait le requérant inapte à se défendre lui- même (paragraphe 18 ci-dessous). Toutefois, l’image clinique se stabilisant et le terme de la détention n’étant pas prévisible, pareille désignation entrerait en ligne de compte à l’avenir (in Betracht kommen wird). Le 19 mars 1987, le tribunal d’instance (Amtsgericht) de Cologne résolut de mettre l’intéressé sous tutelle. Après avoir ouï celui-ci et eu égard à une expertise de juillet 1986, il estima que M. Megyeri souffrait de graves troubles mentaux l’empêchant de gérer ses affaires. Dans les procédures de contrôle postérieures à mai 1987, un avocat d’office représenta le requérant. Le 4 juillet 1988, le tribunal régional ordonna la poursuite de l’internement, mais réduisit à six mois le délai de réexamen de la situation car on escomptait que le traitement médical améliorerait l’état de santé de l’intéressé. Le 4 janvier 1989, le tribunal régional, attachant une importance particulière à la circonstance que celui-ci se trouvait désormais sous tutelle, ordonna de le libérer, avec mise à l’épreuve, à la date du 8 mai 1989. Il fixa à trois ans la durée de la surveillance de la conduite de M. Megyeri, auquel il enjoignit de ne pas quitter son lieu de résidence sans l’accord du service de probation. Depuis lors, le requérant vit dans un pavillon ouvert d’un établissement psychiatrique de Cologne. Ses demandes en restitution de sa capacité juridique ont échoué jusqu’ici, au motif que son état ne s’est pas amélioré. II. LE DROIT INTERNE PERTINENT A. Internement dans un établissement psychiatrique Les dispositions suivantes du code pénal (Strafgesetzbuch) jouent un rôle en l’espèce. Article 67 d par. 2 (Suspension de l’internement, avec mise à l’épreuve) "En l’absence de prévision d’une durée maximale (...), le tribunal suspend l’internement, avec mise à l’épreuve, dès que l’on peut raisonnablement vérifier si l’interné n’accomplira plus d’acte illégal en dehors de l’hôpital psychiatrique. La suspension s’accompagne d’un contrôle de la conduite de l’intéressé." Article 67 e (Contrôle de l’internement) "1. Le tribunal peut vérifier à tout moment s’il y a lieu de suspendre l’internement, avec mise à l’épreuve. Il doit le faire avant l’expiration de certains délais. Les délais sont: - (...) - d’un an [pour l’internement] dans un établissement psychiatrique; - (...)" Selon la jurisprudence de la Cour constitutionnelle fédérale (arrêt du 8 octobre 1985 - 2 BvR 1150/80, 2 BvR 1504/82 - Entscheidungssammlung des Bundesverfassungsgerichts, vol. 70, pp. 297 et ss.), le principe de proportionnalité régit l’internement d’une personne et son maintien dans un hôpital psychiatrique. Le juge qui statue sur une libération à l’essai doit prendre en compte, notamment, le risque d’infractions pénales graves (erheblich), la conduite et le comportement délictueux passés de l’interné, les changements observés en l’espèce depuis la décision d’internement et les conditions de vie futures de l’intéressé. Plus longtemps dure l’internement, plus la proportionnalité appelle un contrôle rigoureux. B. Désignation d’un défenseur La question de la défense d’un accusé par un avocat se trouve régie par l’article 140 du code de procédure pénale (Strafprozessordnung). Le paragraphe 1 énumère plusieurs cas précis de participation obligatoire d’un conseil; le paragraphe 2 dispose: "Dans les autres cas, le président désigne, sur demande ou d’office, un défenseur lorsqu’en raison de la gravité de l’acte ou de la complexité des données de fait ou de droit de la cause, le concours d’un défenseur paraît nécessaire ou que l’inculpé ne peut manifestement pas se défendre lui-même (...)" Le paragraphe 2 s’applique par analogie à la procédure de contrôle prévue à l’article 67 e du code pénal. PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION Dans sa requête du 22 octobre 1986 à la Commission (no 13770/88), M. Megyeri formulait des doléances concernant plusieurs séries de procédures relatives à son internement dans un établissement psychiatrique; il invoquait les articles 2 à 14, 17 et 18 (art. 2, art. 3, art. 4, art. 5, art. 6, art. 7, art. 8, art. 9, art. 10, art. 11, art. 12, art. 13, art. 14) de la Convention, 1 et 2 du Protocole no 1 (P1-1, P1-2) et 2 du Protocole no 4 (P4-2). Par une décision partielle du 12 octobre 1988, la Commission a ajourné l’examen du grief dirigé contre la procédure de 1986 devant le tribunal régional d’Aix-la- Chapelle et la cour d’appel de Cologne, qui portait sur la libération éventuelle de l’intéressé; elle a déclaré irrecevable le surplus de la requête. Le 10 juillet 1989 elle a rayé celle-ci du rôle, estimant que M. Megyeri n’entendait pas la poursuivre. Toutefois, le 13 février 1990 elle l’y a réinscrite et l’a retenue. Dans son rapport du 26 février 1991 (article 31) (art. 31), elle conclut à l’unanimité à la violation de l’article 5 par. 4 (art. 5-4) de la Convention en ce que nul avocat ne fut commis d’office pour assister le requérant dans ladite procédure. Le texte intégral de son avis figure en annexe au présent arrêt.
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Ressortissant italien, M. Michelangelo Borgese habite Rome et se trouve au chômage. En application de l'article 31 par. 1 (art. 31-1) de la Convention, la Commission a constaté les faits suivants (paragraphes 16-20 de son rapport): "16. Le 4 septembre 1984, le requérant assigna l'Istituto Nazionale della Previdenza Sociale (INPS) devant le juge d'instance (pretore) de Rome pour voir reconnaître son droit à une pension d'invalidité. L'instruction débuta à l'audience du 13 novembre 1984, date à laquelle le juge d'instance ordonna l'accomplissement d'une expertise médicale. L'audience du 19 décembre 1984 fut reportée à cause d'une grève des avocats et, à l'audience du 9 janvier 1985, l'expert désigné prêta serment. Le 13 février 1985, l'expertise médicale fut déposée au greffe. Deux autres audiences eurent lieu les 6 mars et 17 avril 1985. Puis, à l'issue de l'audience du 22 mai 1985, le juge d'instance condamna l'INPS au paiement de la pension requise et des arriérés à compter du 1er novembre 1983. Le texte de la décision fut déposé au greffe le 22 mai 1985. Le 5 novembre 1985, l'INPS interjeta appel contre cette décision et, le 12 novembre 1985, le président du tribunal de Rome fixa l'audience devant la chambre compétente du tribunal au 17 septembre 1987. A cette date, le tribunal ordonna une nouvelle expertise médicale. A l'issue de l'audience du 12 avril 1988, le tribunal estima que le requérant avait droit à la pension à compter du 31 décembre 1984 et rejeta l'appel de l'INPS pour le surplus. Le texte du jugement fut déposé au greffe le 6 juillet 1988. (...)." D'après les renseignements fournis à la Cour par le requérant, ledit jugement est devenu définitif le 6 juillet 1989, faute de pourvoi en cassation. PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION L'intéressé a saisi la Commission le 15 avril 1987. Il se plaignait de la durée de la procédure civile engagée par lui et invoquait l'article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention. La Commission a retenu la requête (n° 12870/87) le 11 mai 1990. Dans son rapport du 15 janvier 1991 (article 31) (art. 31), elle exprime à l'unanimité l'opinion qu'il y a eu violation de l'article 6 par. 1 (art. 6-1). Le texte intégral de son avis figure en annexe au présent arrêt*. _______________ * Note du greffier: pour des raisons d'ordre pratique il n'y figurera que dans l'édition imprimée (volume 228-B de la série A des publications de la Cour), mais chacun peut se le procurer auprès du greffe. _______________ CONCLUSIONS PRESENTEES A LA COUR PAR LE GOUVERNEMENT A l'audience, le Gouvernement a confirmé la conclusion de son mémoire; il y invitait la Cour à dire "qu'il n'y a pas eu violation de la Convention dans la présente affaire".
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Citoyens autrichiens, M. Heinrich Pfeifer et Mme Margit Plankl se virent, en 1982, placés en détention provisoire au titre de poursuites pénales distinctes ouvertes contre eux devant le tribunal régional (Landesgericht) de Klagenfurt ("le tribunal régional"). Le présent litige ne porte pas sur celles qui concernent la seconde d’entre eux. A. Les poursuites contre M. Pfeifer Devant le tribunal régional de Klagenfurt a) L’instruction Le 12 novembre 1982, M. Kaiser, juge d’instruction audit tribunal, décerna un mandat d’arrêt contre M. Pfeifer. Il le soupçonnait de divers délits, notamment d’escroquerie qualifiée, de cambriolages réalisés en professionnel, de faux et de suppression de documents, de recel de choses volées et de détention illégale d’armes à feu. A l’appui de l’incarcération, il invoquait les dangers de fuite, de collusion et de répétition d’infractions (article 175 par. 1, alinéas 2 à 4, du code de procédure pénale). M. Pfeifer fut appréhendé à Klagenfurt le 20 novembre 1982 et conduit le lendemain devant M. Arnold, juge de permanence (Journalrichter, article 179 par. 1 du code de procédure pénale), qui l’informa des raisons de son arrestation. Interrogé en l’absence de son avocat, il reconnut posséder illégalement des armes à feu mais se défendit de toute autre infraction. Le juge le mit en détention provisoire. Le même jour, le juge Kaiser ordonna le transfèrement de l’intéressé à Vienne où le tribunal pénal régional (Landesgericht für Strafsachen) avait, le 20 novembre, décerné contre lui un mandat d’arrêt car il le soupçonnait d’avoir participé à un vol à main armée dans la capitale. La procédure engagée à Klagenfurt fut jointe à celle intentée à Vienne et M. Pfeifer demeura à la maison d’arrêt de Vienne du 22 novembre 1982 au 24 février 1983. À la suite d’une disjonction prononcée le 20 janvier 1983, le tribunal régional de Klagenfurt redevint compétent pour la procédure incriminée en l’espèce. Chargé de l’affaire, le juge Startinig ouvrit, le 25 février 1983, une instruction préparatoire (Voruntersuchung) et prescrivit le maintien de l’incarcération du requérant (article 180 paras. 1 et 2, alinéas 1 à 3, du code de procédure pénale). La cour d’appel (Oberlandesgericht) de Graz autorisa par deux fois, pour une période maximale de dix mois en tout, la prolongation de la détention provisoire. Le 23 mai 1983, M. Pfeifer récusa le magistrat instructeur, qu’il estimait prévenu, mais le 26 le président du tribunal régional déclara la demande dénuée de fondement. Le 30 juin, le requérant porta plainte contre M. Startinig pour excès de pouvoir, à cause du refus d’autoriser la visite de M. Peters (paragraphes 2 et 5 ci-dessus). Le parquet ayant résolu de ne pas poursuivre, il introduisit lui-même une action privée subsidiaire (Subsidiaranklage, paragraphe 14 ci-dessous). Dans la procédure principale, l’avocat de M. Pfeifer avait présenté un mémoire le 21 juin 1983. Le 19 juillet, le procureur déposa un acte d’accusation retenant uniquement les préventions de recel de choses volées et de détention illégale d’armes à feu. La cour d’appel de Graz repoussa, le 18 août 1983, une objection (Einspruch) élevée par l’inculpé contre ledit acte. b) Le jugement M. Pfeifer fut renvoyé en jugement devant le tribunal régional, composé de deux magistrats de carrière - M. Kaiser, qui présidait, et M. Arnold - et de deux échevins (Schöffen). Le 31 août 1983, le juge Kaiser le convoqua pour l’avertir qu’il avait connu de l’affaire jusqu’au 31 décembre 1982, en qualité de juge d’instruction (paragraphes 7 et 9 ci-dessus), et que dès lors l’article 68 par. 2 du code de procédure pénale l’empêchait de siéger lors du procès; au cours de l’entrevue, M. Pfeifer renonça à son droit d’agir en nullité de ce chef (article 281 par. 1, première phrase, dudit code - paragraphes 22 et 24 ci-dessous). Le 1er septembre 1983, le président l’informa que le juge Arnold se trouvait lui aussi exclu par l’article 68 par. 2, pour avoir mené l’interrogatoire du 21 novembre 1982 à titre de juge de permanence (paragraphe 8 ci-dessus). L’inculpé renonça également à son droit de se pourvoir en nullité sur ce point. Dans les deux cas, il signa les procès-verbaux pertinents en l’absence de son représentant, qui n’avait pas été convoqué pour l’occasion et qu’il avait déclaré ne pas estimer nécessaire de consulter. Les débats eurent lieu les 16 septembre et 7 octobre 1983, avec la participation des deux magistrats susnommés. Le défenseur du requérant n’éleva aucune objection contre la composition du tribunal régional, ni ne récusa les juges Kaiser et Arnold. A l’audience du 7 octobre 1983, il ne signala pas davantage au tribunal que dans le cadre de la procédure pénale engagée contre M. Startinig, le troisième juge d’instruction (paragraphe 11 ci-dessus), son client avait, le 23 septembre 1983, récusé tous les membres du tribunal régional de Klagenfurt, dont MM. Kaiser et Arnold. La Cour d’appel de Graz devait finalement accueillir cette demande le 10 novembre 1983, les juges en question s’étant déportés; renvoyée en conséquence au tribunal régional de Leoben, l’affaire se solda par l’abandon des poursuites. Toujours le 7 octobre 1983, le tribunal infligea trois ans d’emprisonnement à M. Pfeifer pour recel qualifié de choses volées (article 164 par. 3 du code pénal) et détention illégale d’armes à feu (article 36 de la loi sur les armes - Waffengesetz). Devant la Cour Suprême Le condamné forma un recours en nullité (Nichtigkeitsbeschwerde) et un appel contre la peine (Berufung). La Cour Suprême (Oberster Gerichtshof) les rejeta le 29 février 1984. Sur le premier point, elle nota que la défense n’avait pas soulevé à temps la question de la participation des juges Kaiser et Arnold, récusés dans une affaire antérieure, sans quoi il eût incombé au tribunal régional de rendre une décision interlocutoire. L’admission ultérieure de la récusation relative à ladite affaire (paragraphe 14 ci-dessus) n’autorisait pas à conclure que les deux magistrats de carrière étaient également prévenus dans la procédure pénale engagée contre M. Pfeifer. De surcroît, ce dernier ne pouvait plus plaider que les juges Kaiser et Arnold auraient en principe dû se déporter en vertu de l’article 68 par. 2 du code de procédure pénale (paragraphe 22 ci-dessous), car avant le procès il avait explicitement renoncé à son droit de les récuser par ce motif. En outre, la Cour Suprême confirma la peine. B. La censure de la correspondance entre les deux requérants La mesure de censure Durant leur détention provisoire, les requérants correspondirent entre eux. Au début de l’été 1983, le juge d’instruction censura une lettre de Mme Plankl à M. Pfeifer, en biffant et rendant illisibles certains passages qui n’ont pas été reconstitués au cours des procédures internes, mais auraient eu le contenu suivant (traduction): "Je me demande s’il y a encore quelqu’un de normal dans cette maison de fous (...) Dans la vie ce sont des minus et ils se prennent ici pour des dieux. Certains des gardiens sont des pensionnaires comme nous. Ils sont toujours à épier les femmes, ces voyeurs bien comme il faut, ce tas de singes! Je hais tout cela!" La plainte de Mme Plankl à la chambre du conseil du tribunal régional Mme Plankl adressa une plainte à la chambre du conseil (Ratskammer) du tribunal régional. Elle estimait illégale la forme de censure utilisée, car l’article 187 par. 2 du code de procédure pénale permettait d’intercepter les lettres, mais non de les rendre illisibles. En outre, il n’acceptait la censure que pour les lettres propres à nuire au but de la détention ou éveillant le soupçon d’une infraction dont l’auteur peut être poursuivi d’office avec ou sans l’autorisation de la victime; or bien que renfermant des remarques critiques sur le personnel de la prison, les passages incriminés ne tombaient pas sous le coup de ces règles. L’examen de la plainte eut lieu à huis clos, en l’absence de la requérante et de son représentant. Après avoir entendu le ministère public et étudié un rapport du juge d’instruction, la chambre du conseil débouta la requérante le 26 juillet 1983. Selon elle, le biffage partiel d’une lettre représentait une mesure moins sévère que la rétention de celle-ci. Il relevait donc des pouvoirs du juge d’instruction au titre de l’article 187 par. 2 du code de procédure pénale (paragraphe 25 ci-dessous) et ne portait pas atteinte aux droits de Mme Plankl. Il se justifiait en outre car les passages en question, considérés dans ledit rapport comme des "plaisanteries de caractère insultant contre des gardiens de prison", diffamaient (üble Nachrede) des fonctionnaires dans l’exercice de leurs fonctions (article 111 par. 1 du code pénal, combiné avec l’article 117 par. 2), infraction de nature à légitimer une mesure de censure au regard de l’article 187 par. 2. Le pourvoi dans l’intérêt de la loi devant la Cour Suprême Après que la Commission eut communiqué la requête au gouvernement autrichien, le parquet général (Generalprokuratur) saisit la Cour Suprême d’un pourvoi dans l’intérêt de la loi (Nichtigkeitsbeschwerde zur Wahrung des Gesetzes). Il formulait deux moyens. En premier lieu, ni le fait d’avoir rendu illisibles (Unleserlichmachen) certains passages ni la décision de la chambre du conseil ne trouvaient appui dans l’article 187 par. 2. Ce dernier exigeait d’intercepter toute lettre d’un inculpé en détention provisoire à un particulier si elle éveillait le soupçon d’une infraction à poursuivre d’office (von Amts wegen). Or il n’en allait pas ainsi des passages oblitérés. Si d’aventure ils s’analysaient en un délit réprimé par les articles 111 par. 1 ou 115 par. 1 du code pénal, seule en principe pouvait agir la victime; des poursuites d’office (avec l’accord de celle-ci et de l’autorité dont elle dépend) fondées sur l’article 117 par. 2 du code pénal n’étaient possibles que pour des injures de "personne à personne", à l’exclusion de celles qui figuraient dans une lettre. En second lieu, l’article 187 par. 2 ne permettait que la non-communication de lettres, et non l’oblitération de certains passages. Le 20 octobre 1987, après une audience publique, la Cour Suprême rejeta le premier moyen mais accueillit le second. a) Partant de la prémisse que les passages litigieux contenaient des "plaisanteries de caractère insultant contre des gardiens de prison", elle estima qu’il y avait des raisons de soupçonner la requérante d’injure (Beleidigung - article 115 du code pénal) plutôt que de diffamation (article 111). Quand elle visait un fonctionnaire dans l’exercice de ses fonctions, une telle infraction devait être poursuivie d’office, avec l’agrément de la victime (article 117 par. 2 du code pénal, paragraphe 26 ci-dessous). En l’espèce, elle résultait de la remise par Mme Plankl d’une lettre non cachetée à un gardien de la prison afin qu’il la communiquât au juge d’instruction; plusieurs gardiens ou membres du personnel judiciaire avaient pu ainsi, dans l’exercice de leurs fonctions, prendre connaissance de sa substance. L’article 117 par. 2 du code pénal trouvant à s’appliquer, la mesure en question tombait sous le coup de l’article 187 par. 2 du code de procédure pénale. b) Le juge d’instruction et la chambre du conseil avaient pourtant méconnu ce texte qui autorisait à retenir des lettres et non à en oblitérer certains passages. En réalité, le juge d’instruction n’avait pas pris une "mesure moins sévère" en vertu d’un pouvoir implicite, mais une mesure différente portant atteinte aux intérêts du parquet et des gardiens de prison concernés, car ils pouvaient ouvrir une procédure pénale contre Mme Plankl du chef des remarques formulées par elle dans sa lettre. La loi avait été violée sur ce dernier point, mais l’intéressée n’en avait point pâti et ne pouvait dès lors se plaindre du rejet de son recours par la chambre du conseil. II. LE DROIT INTERNE PERTINENT A. Règles relatives à l’exclusion ou récusation des juges Aux termes de l’article 68 par. 2 du code de procédure pénale, "Nul magistrat ayant connu d’une affaire en qualité de juge d’instruction (...) ne peut prendre part à la procédure de jugement dans la même affaire (...)" L’"exclusion" (Ausschliessung) des juges obéit aux dispositions ci-après du code de procédure pénale: Article 70 par. 1 "Le juge doit signaler immédiatement au président de la juridiction dont il est membre toute circonstance emportant son exclusion (...)" Article 71 par. 1 "Tout membre d’une juridiction (Gerichtsperson) s’abstient, à peine de nullité, de tout acte judiciaire dès qu’il a connaissance d’une cause d’exclusion en sa personne. Il peut accomplir ceux qui revêtent un caractère d’urgence, mais uniquement s’il y a péril en la demeure et si l’on ne peut désigner immédiatement un autre juge ou greffier (...)" De son côté, l’article 72 autorise toute partie à la procédure à récuser (ablehnen) un juge si elle peut démontrer l’existence de raisons de douter de son entière impartialité. Il vise expressément des motifs "autres [que ceux régissant l’exclusion]", mais les tribunaux ont coutume de l’étendre aux cas où une partie soulève une question relative à l’exclusion d’un juge. En effet, celle d’un juge de première instance ne peut se plaider ultérieurement au moyen d’un pourvoi en cassation si l’intéressé n’a pas été récusé avant ou pendant le procès, ou aussitôt après que le demandeur a eu connaissance du motif d’exclusion (article 281 par. 1, alinéa 1, du code de procédure pénale). La procédure applicable en la matière est la suivante: Article 73 "La demande par laquelle une partie récuse un juge peut à tout moment, mais au moins vingt-quatre heures avant les débats si elle vise un membre de la juridiction saisie, et au plus tard trois jours après la citation à comparaître si elle concerne une juridiction tout entière, être déposée auprès du tribunal auquel appartient le magistrat en cause, ou formulée oralement devant le greffier. Elle précise et, dans la mesure du possible, étaye les motifs de la récusation." B. Règles relatives au contrôle de la correspondance Le contrôle de la correspondance des inculpés en détention provisoire obéit à l’article 187 du code de procédure pénale, ainsi rédigé: "1. Les inculpés en détention provisoire peuvent (...) correspondre par écrit avec toute personne dont il n’y a pas lieu de craindre qu’elle compromette le but de la détention provisoire (...) (...) Il y a toujours lieu d’intercepter les lettres des détenus si elles éveillent le soupçon que par elles se commet une infraction à instruire même sans demande d’un intéressé, sauf quand elles ont pour destinataire un corps représentatif général national, un tribunal ou une autre autorité nationale, ou la Commission européenne des Droits de l’Homme. (...)" Les décisions relatives aux personnes avec qui le détenu peut correspondre et le contrôle de sa correspondance relèvent du juge d’instruction. Les plaintes concernant de telles décisions doivent être adressées à la chambre du conseil du tribunal régional (article 188 du code de procédure pénale). Aux fins de l’article 187 par. 2, les délits à poursuivre d’office (Offizialdelikte) peuvent légitimer la rétention d’une lettre, à la différence des infractions dont la poursuite relève d’un particulier (Privatanklagedelikte). De même, il ressort de l’arrêt rendu par la Cour Suprême le 20 octobre 1987 (paragraphe 21 ci-dessus) que pareille mesure peut se justifier aussi dans le cas d’une infraction dont la poursuite par le ministère public dépend de l’autorisation de la victime (Ermächtigungsdelikte), par exemple si elle vise un fonctionnaire agissant dans l’exercice de ses fonctions. A cet égard, l’article 117 par. 2 du code pénal dispose: "Si une atteinte punissable à l’honneur d’un fonctionnaire (...) se commet pendant l’exercice des fonctions (...) de l’intéressé, le ministère public doit en poursuivre l’auteur, avec le consentement de la victime et de l’autorité dont elle dépend, dans le délai normalement ouvert à la première pour solliciter le déclenchement des poursuites. Il en va de même lorsque pareille infraction se commet, en relation avec une [des] activités professionnelles [dudit fonctionnaire], dans un imprimé, à la radio, ou d’une autre manière propre à la rendre accessible à un large public". PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION Dans leur requête du 23 septembre 1983 à la Commission (no 10802/84), M. Pfeifer et Mme Plankl alléguaient diverses violations des articles 3, 5, 6, 7, 8 et 13 (art. 3, art. 5, art. 6, art. 7, art. 8, art. 13) de la Convention. Le premier soutenait notamment qu’il y avait eu méconnaissance de son droit à voir sa cause examinée par un tribunal indépendant et impartial établi par la loi, au sens de l’article 6 par. 1 (art. 6-1). En outre, les deux requérants voyaient dans la censure d’une lettre de Mme Plankl à M. Pfeifer une atteinte injustifiée à leur droit au respect de leur correspondance, garanti par l’article 8 (art. 8). Les 13 mai 1987, 15 décembre 1988 et 8 mai 1989, la Commission a déclaré la requête irrecevable à l’exception de deux griefs qu’elle a retenus à la dernière de ces dates. Dans son rapport du 11 octobre 1990 (article 31) (art. 31), elle conclut à la violation des articles 6 par. 1 (art. 6-1) (unanimité) et 8 (art. 8) (dix voix contre une). Le texte intégral de son avis figure en annexe au présent arrêt. CONCLUSIONS PRESENTEES A LA COUR PAR LE GOUVERNEMENT À l’audience du 24 septembre 1991, l’agent du Gouvernement a prié la Cour "de dire que faute d’épuisement des voies de recours internes elle ne peut connaître du bien-fondé de la requête en ce qui concerne M. Pfeifer et, en ordre subsidiaire, de dire qu’il n’y a eu violation de l’article 8 (art. 8) de la Convention dans le chef d’aucun des deux requérants, ni de l’article 6 (art. 6) pour la procédure pénale engagée contre M. Pfeifer".
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE De nationalité suisse, M. Ludwig Lüdi réside à Röschenz, dans le canton de Berne. En 1983, alors qu’il se trouvait en Allemagne, il fut inculpé de trafic de stupéfiants. Le 30 novembre, la 16e chambre pénale du tribunal régional de Stuttgart rendit une ordonnance de non-lieu fondée sur certains obstacles procéduraux, notamment l’intervention d’un agent infiltré (V-Mann) allemand. Sur recours du ministère public, la Cour fédérale de Justice (Bundesgerichtshof) cassa, le 23 mai 1984, ladite ordonnance et renvoya l’affaire devant le tribunal régional de Stuttgart. Celui-ci suspendit la procédure sine die au motif que l’intéressé et son coaccusé, qui se trouvaient en liberté depuis le 2 septembre 1983, avaient regagné la Suisse. A. L’intervention de l’agent infiltré et l’arrestation du requérant Le 15 mars 1984, la police allemande informa la police cantonale bernoise que le requérant avait demandé à un compatriote, rencontré pendant sa détention, 200 000 francs suisses pour financer l’achat en Suisse d’environ 5 kg de cocaïne. Afin d’obtenir de plus amples renseignements sur le trafic de stupéfiants et de saisir la substance en question, le juge d’instruction du tribunal de Laufon ouvrit une enquête préliminaire le 15 mars 1984; il ordonna de surcroît, avec l’accord de la chambre d’accusation de la cour d’appel du canton de Berne et en vertu de l’article 171 b) du code bernois de procédure pénale (paragraphe 26 ci-dessous), la mise sur écoute des conversations téléphoniques de M. Lüdi. Le 20 juin, la chambre d’accusation consentit à la prolongation des écoutes jusqu’au 15 septembre 1984. D’autre part, la police de Laufon et l’unité spéciale pour la lutte anti-drogue désignèrent un membre assermenté de la police cantonale bernoise qui, sous le pseudonyme de Toni, devait se faire passer pour un acheteur potentiel de la cocaïne. Elles agissaient avec l’autorisation de l’état-major de la police cantonale et informèrent de leur plan le juge d’instruction du tribunal de Laufon. D’après le Gouvernement, Toni avait participé du 12 au 13 décembre 1978 à un cours destiné aux fonctionnaires cantonaux chargés de la lutte contre le trafic de stupéfiants et visant à les rendre attentifs aux limites de leur mission d’infiltration et aux dispositions légales pertinentes. Juste avant son intervention dans la présente affaire, Toni se vit rappeler, lors d’un entretien avec ses supérieurs, les bornes à ne pas franchir. Le requérant rencontra Toni les 19 et 21 mars, le 15 mai et les 5 et 14 juin 1984, chaque fois à l’initiative de l’agent, dont il ignorait l’identité réelle, l’adresse et le numéro de téléphone. Arrêté le 1er août 1984, il fut inculpé de trafic illicite de stupéfiants. Le même jour, le juge d’instruction du tribunal de Laufon mit fin aux écoutes. Par une lettre du 22 août 1984, il avisa l’intéressé qu’il en avait ordonné et qu’elles avaient duré du 15 mars au 2 juin 1984. Selon les rapports de Toni, M. Lüdi avait promis de vendre à celui-ci, agissant en tant qu’intermédiaire, 2 kg de cocaïne d’une valeur de 200 000 francs suisses, et avait emprunté 22 000 francs suisses à un tiers pour l’achat de cocaïne ou d’autres stupéfiants. Le 3 août 1984, la police perquisitionna au domicile du requérant et trouva des traces de cocaïne et de haschisch sur un certain nombre d’objets. Le 5 septembre 1984, le juge d’instruction du tribunal de Laufon ordonna l’élargissement de l’inculpé, au motif que celui-ci avait passé d’"amples aveux sur les parties essentielles de l’instruction [et qu’]il n’y a[vait] donc plus aucun risque de collusion ni de fuite". Se fondant sur les résultats de l’enquête préliminaire, la police bernoise déposa une dénonciation le 25 octobre 1984. B. La procédure devant le tribunal de district de Laufon Le 4 juin 1985, le tribunal de district de Laufon reconnut l’intéressé coupable de sept infractions à la loi fédérale sur les stupéfiants et lui infligea trois ans d’emprisonnement. Afin de préserver l’anonymat de l’agent infiltré, il refusa de citer ce dernier comme témoin à charge; d’après lui, les procès-verbaux des écoutes téléphoniques et les rapports de l’agent établissaient clairement que même sans l’intervention de ce dernier, M. Lüdi avait eu l’intention de servir d’intermédiaire pour livrer d’importantes quantités de stupéfiants. C. La procédure devant la cour d’appel de Berne M. Lüdi en appela de sa condamnation pour deux des sept infractions: la tentative de livrer de la cocaïne à Toni et celle d’acheter de la cocaïne ou une autre drogue grâce à l’emprunt qu’il avait contracté. Le 24 octobre 1985, la cour d’appel de Berne (1ère chambre) confirma le jugement du 4 juin 1985 (paragraphe 16 ci-dessus). Il renonça, lui aussi, à ouïr l’agent infiltré. Il constata que l’administration des preuves devant le premier juge avait corroboré pour l’essentiel le contenu du rapport de Toni, notamment quant au déroulement général des faits. Elle révélait nettement que l’intéressé, qui du reste ne le contestait pas, avait déployé des efforts intensifs pour procurer à Toni 2 kg de cocaïne, pris contact avec M. puis avec B., voyagé au Tessin, ainsi qu’en Italie, et organisé des rencontres entre Toni et un fournisseur éventuel. Après avoir minimisé les choses au départ, il s’était en définitive résolu à reconnaître tous ces éléments qui ressortaient en partie aussi de l’écoute de ses entretiens téléphoniques ainsi que des déclarations de M. On devait considérer comme établi que M. Lüdi avait été le premier à parler avec S. de l’achat de cocaïne; S. l’avait d’ailleurs confirmé, bien que sur ce point il eût quelque peu atténué ses dépositions initiales. Le tribunal répondit ensuite à la thèse du requérant selon laquelle l’article 23 par. 2 de la loi fédérale sur les stupéfiants ne s’appliquait pas aux activités de Toni: l’accusé tombait sous le coup de l’article 19 de ladite loi du seul fait qu’avant son premier contact avec l’agent infiltré il avait envisagé un important marché portant sur de la cocaïne. Enfin, les procès-verbaux circonstanciés des écoutes indiquaient très clairement que M. Lüdi avait tenté avec obstination (beharrlich), et de sa propre initiative, de se livrer à un trafic de cocaïne et qu’il avait à cette fin songé à engager Toni comme "financier" car lui-même ne disposait pas des moyens appropriés. D. Les recours devant le Tribunal fédéral Le condamné saisit alors le Tribunal fédéral d’un recours de droit public et d’un recours en nullité. Dans le premier, il alléguait une atteinte à son droit au respect de sa vie privée, incompatible avec l’article 8 (art. 8) de la Convention. Il avançait d’abord que la mise sur écoute de ses conversations téléphoniques n’était pas "prévue par la loi" et ne se justifiait pas au regard du paragraphe 2 car on le soupçonnait simplement d’avoir eu l’intention de commettre une infraction; d’autre part, il dénonçait l’intervention d’un agent infiltré, destinée, selon lui, à l’inciter à se livrer à un trafic de stupéfiants. Il alléguait en outre que les écoutes téléphoniques ne pouvaient servir de preuve et qu’à elle seule la lecture des rapports de l’agent, sans audition de celui-ci, avait nui à l’exercice de ses droits de défense, au mépris de l’article 6 (art. 6). Le 8 avril 1986, le Tribunal fédéral rejeta le recours de droit public par les motifs suivants: "(...) a) Le recours de droit public soulève deux objections aux écoutes téléphoniques ordonnées. D’abord, une mesure de surveillance aurait été prescrite au stade des ‘enquêtes préliminaires de police’ alors qu’elle n’était nullement réglée par la loi; une instruction préparatoire n’aurait été entamée que pour sauver les apparences. En second lieu, l’appelant prétend que le droit de la procédure pénale de Berne ne permet aucune surveillance téléphonique préventive; or, la présente affaire ne concernerait pas l’instruction d’une infraction qui avait été commise, mais des infractions sur le point de se produire. b) Aux termes de l’article 171 b) du code de procédure pénale du canton de Berne (StrV), le juge d’instruction peut ordonner la surveillance de la correspondance postale et des communications téléphoniques ou télégraphiques d’un prévenu ‘si la poursuite pénale a pour objet un crime ou un délit dont la gravité ou la particularité justifie l’intervention, ou un acte punissable commis au moyen du téléphone’. Il n’est pas contesté qu’en l’espèce l’ordre de mise sur écoute téléphonique émanait de l’autorité compétente et que les règles procédurales visées à l’article 171 c) du StrV furent respectées. Il ne ressort pas du code de procédure pénale que le droit cantonal exclue les écoutes téléphoniques à la phase préliminaire de l’enquête; l’appelant ne l’a pas non plus démontré. La mise sur écoutes est souvent indiquée précisément au début d’investigations, selon les circonstances. De ce point de vue, rien n’indique que l’ordonnance dénoncée ait pu enfreindre la Constitution ou soit due à une interprétation arbitraire du droit cantonal. c) Il n’y a pas lieu de rechercher en l’occurrence si, d’après le libellé de l’article 171 b) du StrV, la surveillance téléphonique et les autres mesures qu’il réglemente doivent se borner strictement à l’instruction des infractions déjà commises, excluant ainsi la possibilité d’une surveillance préventive lorsqu’il existe de fortes présomptions que des infractions sont sur le point de se commettre. D’après l’article 19 par. 1, alinéa 6, de la loi sur les stupéfiants (Betäubungsmittelgesetz), celui qui prend des mesures pour participer de quelque manière à la distribution, au transport ou à la détention de drogue, a déjà commis une infraction. Par son comportement tel que l’Allemagne l’avait rapporté, c’est-à-dire sa recherche d’un financement pour un trafic de cocaïne, Lüdi avait déjà pris des mesures dans le sens indiqué ci-dessus, de sorte que les éléments de l’infraction se trouvaient constitués et que la surveillance téléphonique ordonnée avait trait non seulement à la découverte d’infractions projetées, mais encore à l’instruction d’actes criminels d’ores et déjà commis. En outre, on pourrait interpréter l’article 171 b) du StrV par analogie et y voir aussi la base légale de mesures préventives lorsque la gravité ou la particularité de l’infraction présagée justifie l’intervention. La surveillance téléphonique ordonnée en l’espèce en raison de graves soupçons n’a assurément pas constitué un abus de droit. a) L’intervention d’agents infiltrés n’est pas expressément réglée dans le droit de procédure pénale suisse, mais selon l’opinion dominante elle est admissible en principe lorsque la nature des infractions peut justifier l’intervention d’un agent infiltré et lorsque ce dernier examine d’une manière essentiellement passive l’activité délictueuse, sans exercer sur autrui une influence incitative à commettre un acte criminel. (...) A l’article 23 par. 2 de la loi fédérale sur les stupéfiants, le législateur fédéral a expressément tenu compte de la possibilité de recourir aux services d’agents infiltrés dans le domaine du trafic des stupéfiants. b) Le recours de droit public (...) ne conteste pas d’une manière générale et par principe l’admissibilité d’une enquête par agent infiltré du point de vue de la prééminence du droit, mais il exprime l’idée que le recours à pareil agent s’analyse en une grave ingérence dans la vie privée et la liberté personnelle de l’intéressé et qu’une telle ingérence n’est possible dans un État de droit que si elle a une base légale suffisamment précise (...) La jurisprudence et la doctrine suisses n’ont pas examiné jusqu’ici la condition d’une base légale pour le recours à des agents infiltrés, qu’elles n’ont pas expressément reconnu comme une restriction à la prééminence du droit. Il s’agirait d’une prolongation et d’une extension des motifs du législateur sous- jacents à la condition d’une réglementation légale des écoutes téléphoniques et des mesures d’investigation similaires. Alors que les mesures coercitives prévues par le droit de procédure pénale (telles l’arrestation, la perquisition au domicile, etc.) vont clairement à l’encontre de la volonté de la personne concernée dotée de droits protégés par la loi, et que la surveillance clandestine des communications téléphoniques, postales et télégraphiques porte atteinte, dans l’intérêt de la répression de la criminalité, à des sphères privées protégées par la loi, la problématique de l’intervention d’agents infiltrés se situe sur un plan différent: la liberté personnelle de l’individu concerné ne se trouve pas restreinte; il n’a pas non plus à subir d’autres mesures coercitives, mais il entre en contact avec un partenaire inconnu de lui et avec lequel il n’aurait pas affaire s’il savait que celui-ci travaille aux fins d’une enquête criminelle. Lorsque, par le biais de ces contacts, l’agent infiltré s’assure simplement d’une conduite criminelle qui se serait produite d’une manière analogue ou semblable même sans son intervention, cette dernière ne soulève aucune objection. Elle serait au contraire inadmissible dans le cas où l’agent infiltré prendrait l’initiative, en quelque sorte, et provoquerait une activité criminelle qui sinon n’aurait jamais eu lieu; en effet, les autorités de poursuite ne doivent pas provoquer une criminalité afin de poursuivre les délinquants dont la propension à commettre des infractions, existant peut-être mais à l’état latent, ne se serait pas concrétisée autrement. Si l’agent infiltré favorise l’infraction sans qu’on puisse considérer qu’il en a été directement l’instigateur ou l’incitateur, mais néanmoins de telle manière que l’on doive supposer que l’acte criminel aurait été d’une moindre ampleur ou gravité sans sa ‘participation’, il faut en tenir compte pour le prononcé de la peine. L’intervention d’un agent infiltré ne viole pas un droit fondamental protégé par la Constitution fédérale (ou la Convention européenne). Le délinquant est libre de ses décisions et de son comportement à l’égard de l’agent en question; il est toutefois trompé quant à l’identité de son partenaire aux négociations et quant aux liens de celui-ci avec la police. Le droit constitutionnel ne protège pas le délinquant contre l’observation de son comportement illégal par un fonctionnaire de police dont il ignore la qualité. Il ne découle pas davantage de la Convention européenne (de l’article 8) (art. 8) qu’il soit protégé contre l’intervention d’un agent infiltré. Il appartient au législateur de décider si, en raison d’abus éventuels, celle-ci devrait être régie par la loi et si pareille réglementation serait plus propre à prévenir des abus que la jurisprudence à l’heure actuelle. D’après le droit constitutionnel et législatif en vigueur, le recours à un agent infiltré est admissible dans les limites fixées par les principes généraux de la prééminence du droit, sans qu’il soit besoin d’une disposition légale expresse. Il existe d’autres mesures d’investigation - telle la surveillance permanente d’un suspect - qui peuvent hautement affecter le domaine de la vie privée et conduire à l’établissement de faits que l’intéressé souhaiterait dissimuler, sans qu’on ait jamais jugé indispensable de leur donner une base légale. c) Dès lors qu’en l’état actuel du droit le recours à des agents infiltrés ne requiert aucune base légale, il n’y a pas lieu de rechercher si, en l’absence d’une disposition correspondante du droit procédural cantonal, l’article 23 par. 2 de la loi sur les stupéfiants peut passer pour une base légale suffisante. Son libellé indique qu’il ne s’agit pas d’une norme de procédure pénale permissive, mais d’une norme de droit matériel régissant la question, que nous n’avons pas à examiner ici, de savoir dans quelles conditions les actes d’un agent infiltré constituant objectivement les éléments d’une infraction ne sont pas punissables. L’activité de l’agent infiltré ‘Toni’ n’a pas outrepassé les limites, indiquées ci-dessus, admises dans un État de droit: a) L’instruction d’infractions présumées en matière de stupéfiants ne peut souvent se faire, de par leur nature, qu’au moyen d’un agent infiltré. C’est précisément dans ce domaine que cette méthode se révèle nécessaire et efficace (...). Une fois signalées de bonnes raisons de penser que l’appelant pourrait procéder à un important trafic de cocaïne, il n’était pas déraisonnable de faire jouer à un agent de police le rôle d’un acheteur. Il ne s’agissait pas d’une interprétation arbitraire du droit procédural cantonal, ni d’une atteinte à un droit fondamental ou à un droit de l’homme protégé par la Convention européenne. b) A partir des déclarations des diverses parties, et d’une appréciation raisonnable et non arbitraire des éléments de preuve, la juridiction de première instance a constaté que Lüdi avait d’abord mentionné un trafic de cocaïne à Schneider et avait ensuite spontanément offert de la ‘marchandise’ aussi à la partie intéressée ‘Toni’. Même si par la suite ce fut toujours ‘Toni’ qui prit contact avec Lüdi pour savoir comment les choses progressaient, il n’en résulte pas que l’appelant n’a pas commis d’infraction. Lüdi de son propre mouvement prit contact avec des fournisseurs potentiels et chercha aussi à financer un trafic de stupéfiants ailleurs. N’ayant pas le numéro de téléphone de ‘Toni’, il devait nécessairement attendre que celui-ci l’appelât. Le point essentiel est que ‘Toni’ n’a pas agi comme instigateur mais, en simulant être un acheteur, a simplement facilité l’enquête sur les activités de l’appelant, lesquelles tendaient à un important trafic de cocaïne. Le recours fait longuement valoir qu’on ne peut tenir compte, directement ou indirectement, des déclarations de l’agent infiltré ‘Toni’, pour cette autre raison qu’il ne fut pas cité à comparaître et entendu comme témoin (...). Si l’on admet que le recours à des agents infiltrés se justifie dans l’intérêt public pour une lutte aussi efficace que possible contre le trafic des stupéfiants, il s’ensuit que l’identité et les méthodes d’enquête de pareils agents ne doivent pas être divulguées à la légère dans une procédure pénale; en effet, leur intervention ultérieure deviendrait en pratique impossible. L’anonymat des agents infiltrés n’enfreint pas en soi les principes de la procédure pénale ou les droits constitutionnels. Lorsque des faits pertinents au regard de la loi sont contestés, la question de savoir quel poids il faut attribuer aux déclarations écrites de l’agent que la Cour n’a pas entendu, relève du pouvoir d’appréciation du juge. Les actes reprochés à l’appelant comme préparatoires à des infractions sont établis par le résultat des écoutes téléphoniques, les propres déclarations de l’intéressé et celles des autres personnes ayant participé à la procédure. La juridiction de première instance a attribué à l’agent infiltré un rôle actif moins important que le requérant dans son récit des faits: il faut y voir non une marque d’arbitraire, mais une appréciation défendable des éléments du dossier. (...)" (Annuaire suisse de droit international, 1987, pp. 229- 230 et 232-234) En revanche, par un arrêt du même jour la cour de cassation du Tribunal fédéral accueillit le recours en nullité. En condamnant le requérant, le tribunal de Laufon n’avait pas assez pris en compte l’incidence, sur le comportement de celui-ci, de l’action de l’agent infiltré; quant à la cour d’appel de Berne, elle n’avait mentionné ni l’issue de la procédure engagée contre l’intéressé en Allemagne ni le fait que son casier judiciaire était vierge. Le Tribunal fédéral renvoya l’affaire devant la cour d’appel de Berne. Le 19 février 1987, la première chambre de cette dernière réduisit la peine à dix-huit mois d’emprisonnement avec sursis et mise à l’épreuve pendant trois ans; elle ordonna aussi la poursuite du traitement ambulatoire que M. Lüdi avait commencé pendant sa détention. Elle motivait sa décision par le souci d’avoir égard à l’intervention de Toni et par une expertise psychiatrique d’après laquelle le requérant se trouvait sous l’empire de la cocaïne au moment des faits et ne portait donc qu’une responsabilité limitée. II. LE DROIT INTERNE PERTINENT A. La loi fédérale du 3 octobre 1951 sur les stupéfiants En ses articles 19 et 23, la loi sur les stupéfiants prévoit: Article 19 "1. Celui qui, sans droit, cultive des plantes à alcaloïdes ou du chanvre en vue de la production de stupéfiants, celui qui, sans droit, fabrique, extrait, transforme ou prépare des stupéfiants, celui qui, sans droit, entrepose, expédie, transporte, importe, exporte ou passe en transit, celui qui, sans droit, offre, distribue, vend, fait le courtage, procure, prescrit, met dans le commerce ou cède, celui qui, sans droit, possède, détient, achète ou acquiert d’une autre manière, celui qui prend des mesures à ces fins, celui qui finance un trafic illicite de stupéfiants ou sert d’intermédiaire pour son financement, celui qui, publiquement, provoque à la consommation des stupéfiants ou révèle des possibilités de s’en procurer ou d’en consommer, est passible, s’il a agi intentionnellement, de l’emprisonnement ou de l’amende. Dans les cas graves, la peine sera la réclusion ou l’emprisonnement pour une année au moins; elle pourra être cumulée avec l’amende jusqu’à concurrence de 1 million de francs. Le cas est grave notamment lorsque l’auteur a) sait ou ne peut ignorer que l’infraction porte sur une quantité de stupéfiants qui peut mettre en danger la santé de nombreuses personnes, b) agit comme affilié à une bande formée pour se livrer au trafic illicite des stupéfiants, c) se livre au trafic par métier et qu’il réalise ainsi un chiffre d’affaires ou un gain important. (...)" Article 23 "1. Si un fonctionnaire chargé de l’exécution de cette loi commet intentionnellement une infraction au sens des articles 19 à 22, les pénalités sont aggravées de manière adéquate. Le fonctionnaire n’est pas punissable lorsque, à des fins d’enquête, il aura accepté lui-même ou par l’intermédiaire d’un tiers, une offre de stupéfiants, ou qu’il en aura pris possession personnellement ou par l’intermédiaire d’un tiers, même s’il n’a pas révélé sa qualité et son identité." Message du Conseil fédéral à l’Assemblée fédérale, du 9 mai 1973, concernant une modification de la loi fédérale sur les stupéfiants [et plus particulièrement l’introduction d’un nouvel article 23] "(...) La modification introduite à la fin de la phrase vise à donner davantage de latitude au juge pour la fixation de la peine lorsqu’un fonctionnaire chargé de l’application de la loi sur les stupéfiants enfreint délibérément cette dernière. Avec les dispositions du projet, ajoutées à la suite de l’actuel article 23, on entend faciliter les recherches de la police dans un domaine où elles sont particulièrement difficiles. Il s’agit de permettre à la police d’approcher les milieux de trafiquants et de revendeurs sans s’exposer au reproche d’avoir provoqué la commission d’une infraction, voire de l’avoir commise elle-même. Le trafic illicite des stupéfiants a souvent été cité comme exemple du type parfait de bandes internationales bien organisées, dont certaines ont été démantelées au cours de ces derniers mois. Il faut donner à la police les moyens adéquats pour accroître l’efficacité de son action contre ces bandes de trafiquants, ainsi que nous y engage le Conseil de l’Europe. L’article 32 du code pénal (devoir de fonction) ne suffit pas pour justifier une telle procédure. Dans chaque cas particulier, elle doit être fondée sur une base légale (Prof. Max Waiblinger, no 1204, Fiches juridiques suisses, faits justificatifs). (...)" Le Gouvernement souligne que les juridictions cantonales et fédérale considèrent que l’article 23 par. 2 permet seulement une attitude passive des agents infiltrés, lesquels encourent une sanction pénale en cas d’instigation ou de provocation de leur part. On ne pourrait en outre ordonner l’intervention de tels agents que dans des affaires graves de criminalité organisée en matière de trafic de stupéfiants. Le Tribunal fédéral a jugé que le texte en cause dérogeait à d’éventuelles dispositions cantonales contraires: "(...) il n’est pas nécessaire que l’article 23 par. 2 de la loi sur les stupéfiants ait pour but de régler un problème de procédure, ce que le recourant conteste: il suffit que la législation cantonale compromette l’anonymat que le législateur fédéral, dont la volonté ne fait ici aucun doute si l’on considère les extraits des travaux parlementaires cités avec pertinence par l’autorité cantonale, a entendu garantir à ceux qui traquent les trafiquants de drogue. L’anonymat voulu par le législateur n’a qu’une raison d’être: permettre à l’enquêteur de poursuivre son travail postérieurement à l’arrestation de celui ou de ceux qu’il a confondus et permettre de mener plusieurs affaires de front sans que la conclusion de l’une d’elles mette fin à son activité dans les autres. Si une fois l’enquête terminée, le policier doit se faire connaître à visage découvert en expliquant avec détails le rôle qu’il a joué, il saute aux yeux qu’il devra renoncer à poursuivre son travail car il sera brûlé dans les milieux de la drogue. C’est pour cela que le respect des articles 58 et 59 du code cantonal de procédure pénale est contraire à l’article 23 par. 2 de la loi sur les stupéfiants (...)" (cour de cassation pénale, arrêt du 5 juin 1986). B. Le code bernois de procédure pénale Le code bernois de procédure pénale envisage diverses mesures d’instruction: Article 171 b) "Le juge d’instruction peut ordonner la surveillance de la correspondance postale, des communications téléphoniques et télégraphiques du prévenu et la saisie de son courrier postal, si la poursuite pénale a pour objet un crime ou un délit dont la gravité ou la particularité justifie l’intervention, ou un acte punissable commis au moyen du téléphone." Article 171 c) "1. Dans les vingt-quatre heures qui suivent sa décision, le juge d’instruction en soumet une copie, accompagnée du dossier et d’un bref exposé des motifs, à l’approbation de la chambre d’accusation. La décision reste en vigueur trois mois au plus; le juge d’instruction peut la proroger de trois mois au maximum. L’ordonnance de prorogation, accompagnée du dossier et de l’exposé des motifs, doit être soumise, dix jours avant l’expiration du délai, à l’approbation de la chambre d’accusation. Le juge d’instruction met fin à la surveillance dès qu’elle n’est plus nécessaire, ou que le délai est écoulé, ou au moment où sa décision est rapportée." C. Le code pénal suisse Les articles 24 et 32 du code pénal suisse disposent: Article 24 "1. Celui qui intentionnellement décide autrui à commettre un crime ou un délit encourra, si l’infraction a été commise, la peine applicable à l’auteur de cette infraction. Celui qui aura tenté une personne à commettre un crime encourra la peine prévue pour la tentative de cette infraction." Article 32 "Ne constitue pas une infraction l’acte ordonné par la loi, ou par un devoir de fonction ou de profession; il en est de même de l’acte que la loi déclare permis ou non punissable." PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION M. Lüdi a saisi la Commission le 30 septembre 1986. Il se plaignait de la mise sur écoute de ses conversations téléphoniques, doublée de sa manipulation par un agent infiltré; il y voyait une violation de son droit au respect de sa vie privée (article 8) (art. 8). Il soutenait en outre que sa condamnation reposait uniquement sur les rapports établis par ledit agent, lequel n’avait pas été cité à comparaître comme témoin; il alléguait la méconnaissance de ses droits à un procès équitable (article 6 par. 1) (art. 6-1) et à interroger ou faire interroger des témoins à charge (article 6 par. 3 d)) (art. 6-3-d). La Commission a retenu la requête (no 12433/86) le 10 mai 1990. Dans son rapport du 6 décembre 1990 (article 31) (art. 31), elle conclut à la violation de l’article 8 (art. 8) (dix voix contre quatre) et du paragraphe 3 d) de l’article 6, combiné avec le paragraphe 1 (art. 6-3-d, art. 6-1) (treize voix contre une). Le texte intégral de son avis et des deux opinions dissidentes dont il s’accompagne figure en annexe au présent arrêt. CONCLUSIONS PRESENTEES A LA COUR PAR LE GOUVERNEMENT Le Gouvernement invite la Cour à dire que "dans le cas d’espèce, et pour autant que le requérant ait qualité de ‘victime’, il n’y a eu violation ni de l’article 8 (art. 8) de la Convention, ni de l’article 6 paragraphe 3 lettre d) (art. 6-3-d), en liaison avec le paragraphe 1 (art. 6-1) de cette disposition".
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Ressortissant français né en 1963, X est décédé le 2 février 1992 après plusieurs hospitalisations. Il vivait à Paris chez ses parents; il percevait une allocation publique de 3 000 francs français (f.) par mois pour adulte handicapé et n’exerçait pas de profession. Hémophile, il avait subi plusieurs transfusions sanguines, notamment entre septembre 1984 et janvier 1985 à l’hôpital Saint-Antoine à Paris. Il se révéla, le 21 juin 1985, qu’il était séropositif par rapport au virus d’immunodéficience humaine (V.I.H.). Comme d’autres hémophiles avaient été infectés par le V.I.H., l’Association française des hémophiles tenta d’obtenir de l’État la réparation du préjudice souffert par ses membres contaminés. N’ayant pu aboutir à un règlement, elle invita ses adhérents à intenter des recours contentieux avant l’échéance de la prescription quadriennale. A. Le recours administratif Le 1er décembre 1989, X adressa - comme l’exige l’article R.102 du code des tribunaux administratifs (paragraphe 23 ci- dessous) - une demande préalable d’indemnisation au ministre de la Solidarité, de la Santé et de la Protection sociale. Il réclamait une somme de 2 500 000 f.; selon lui, sa contamination par le V.I.H. résultait du retard fautif du ministre à mettre en oeuvre une réglementation adéquate de la délivrance des produits sanguins. Six cent quarante-neuf autres requêtes gracieuses furent envoyées au ministre. Le directeur général de la santé rejeta celle de l’intéressé le 30 mars 1990, à la veille de l’expiration du délai légal de quatre mois (paragraphe 23 ci-dessous). B. Le recours contentieux X sollicita l’assistance judiciaire le 27 avril 1990; elle lui fut accordée le 8 juin. Le 30 mai, il saisit le tribunal administratif de Paris d’un recours tendant à l’annulation de la décision ministérielle et à la condamnation de l’État à lui payer une indemnité de 2 500 000 f., plus les intérêts légaux. Quelque quatre cents requêtes émanant de personnes qui se trouvaient dans la même situation furent introduites devant les juridictions administratives. Attribuées au tribunal administratif de Paris, elles soulevaient des questions tantôt communes (responsabilité de l’État dans la réglementation des opérations de transfusion sanguine), tantôt propres à chaque dossier (date et conditions de la contamination). Le dépôt des premiers mémoires Le 11 juillet 1990, X présenta un mémoire ampliatif que le tribunal transmit au ministre le 22 août. Il y soulignait notamment les répercussions qu’avaient eues sur lui la révélation de sa séropositivité et "l’idée d’être potentiellement atteint d’un mal incurable". Dans un mémoire complémentaire du 29 octobre 1990, il insista sur l’urgence de son cas: "(...) l’état de santé de l’exposant s’est aggravé depuis le mois de septembre 1990 comme en atteste le certificat médical produit. C’est pourquoi il requiert du tribunal l’application de l’article R.111 [paragraphe 23 ci-dessous] du code des tribunaux administratifs: mise en demeure au ministre défendeur d’avoir à conclure. Cette mise en demeure permettra que soit respecté le droit du requérant à ce que sa cause soit entendue dans un délai raisonnable selon les termes de l’article 6 (art. 6) de la Convention européenne des Droits de l’Homme. Ce droit doit être respecté en prenant en compte son état de santé et ce d’autant plus que le ministre ayant rejeté expressément la demande préalable, le dossier de l’exposant a nécessairement déjà fait l’objet d’un examen; la défense de l’administration ne nécessite donc pas de délai particulier qui justifierait l’atteinte au droit que l’exposant tire de la Convention européenne des Droits de l’Homme. PAR CES MOTIFS L’exposant conclut à ce qu’il plaise au tribunal administratif de Paris d’adresser au ministre de la Santé, de la Solidarité et de la Protection Sociale une mise en demeure de produire sa défense dans un bref délai, et persiste dans ses précédentes conclusions." Établi par le professeur Frottier, le certificat médical en question indiquait: "Je soussigné, chef de service, certifie que [X] (...) est suivi de très longue date par le service d’hémostase et des soins transfusionnels de l’établissement Saint-Antoine, du CNTS [Centre national de transfusion sanguine]. Il a été hospitalisé pour la première fois dans le service des maladies infectieuses du 17 au 27 septembre 1990, puis il a été réadmis à l’hôpital Saint-Antoine le 5 octobre 1990, d’abord en médecine puis en réanimation médicale puis, à partir du 11 octobre 1990, dans le service des maladies infectieuses où il se trouve actuellement. L’affection dont il souffre justifie sa prise en charge pour une durée indéterminée par un service spécialisé dans les traitements des maladies infectieuses. (...)" Le ministère des Affaires sociales et de la Solidarité répondit par un mémoire daté du 12 décembre 1990, déposé le 21 février 1991 et communiqué à l’intéressé le 27 février. Il y invitait le tribunal à "rejeter la demande du requérant", mais ajoutait: "Cependant, pour le cas où il vous paraîtrait que le principe d’une faute de l’État pourrait être retenu, je vous demande de bien vouloir procéder à la désignation d’un expert afin d’établir si le préjudice pour lequel le requérant demande une indemnisation est véritablement imputable à cette faute." Le 3 avril 1991, X présenta son mémoire en réplique où il concluait au rejet de la demande d’expertise. Il précisait: "C’est à titre principal au rejet de la demande d’expertise que conclut l’exposant, cette expertise n’étant demandée par le ministre défendeur que pour faire établir si le préjudice subi par l’exposant serait bien imputable à sa faute. Le lien de causalité étant bien déterminé dans le dossier de l’exposant, la seule question à trancher par le tribunal est celle de savoir si le ministre a commis une faute. Cette appréciation du caractère fautif du retard dans les mesures de protection de la santé publique lui incombant peut être portée au vu du dossier du tribunal qui peut demander en outre la communication de l’expertise du Pr Jacquillat au tribunal de grande instance. A titre très subsidiaire, s’il devait charger un nouvel expert de l’éclairer en la matière (le Pr Jacquillat étant malheureusement décédé) celui-ci devrait pouvoir se faire remettre les travaux de son prédécesseur." Les compléments d’instruction et la fin de la procédure écrite Les 5 avril, 27 mai et 28 juin 1991, le président de la section compétente du tribunal administratif de Paris demanda au ministre ou au directeur de la Fondation nationale de transfusion sanguine, selon le cas, certains renseignements et documents; ils lui répondirent les 25 avril, 6 juin, 26 juillet et 30 octobre 1991. Ces diverses mesures d’instruction valaient pour l’ensemble du contentieux, relatif à des hémophiles contaminés, en instance devant le tribunal administratif de Paris. Parmi les éléments ainsi versés au dossier figurait un rapport intitulé "Transfusion sanguine et SIDA en 1985. Chronologie des faits et des décisions pour ce qui concerne les hémophiles"; l’Inspection générale des affaires sociales (I.G.A.S.) l’avait établi le 10 septembre 1991, ainsi que le ministre des Affaires sociales et de l’Intégration et le ministre délégué à la Santé l’en avaient prié le 10 juin précédent. Il relatait les faits et analysait les décisions prises, pour l’essentiel entre 1983 et 1985, afin d’assurer la "sécurité transfusionnelle" au cours des premières années de développement du SIDA. X fut informé de ces diverses mesures d’instruction le 6 septembre 1991. Il reçut communication des pièces fournies tant par l’administration que par la Fondation nationale de transfusion sanguine. Les 10 et 17 septembre 1991, X présenta deux mémoires complémentaires dans lesquels il se déclarait "maintenant atteint d’un SIDA avéré". Le second mémoire contenait une requête en référé-provision (paragraphe 23 ci-dessous). Le ministère des Affaires sociales et de la Solidarité déposa le 30 octobre un nouveau mémoire en défense et, le 7 novembre, le juge demanda au requérant des documents de caractère médical. Le jugement Les débats se déroulèrent le 18 décembre 1991. Le surlendemain, le tribunal administratif de Paris débouta X par les motifs suivants: "(...) Considérant que [X] recherche l’État en responsabilité à raison des fautes qui auraient été commises par le ministre chargé de la santé dans l’exercice des pouvoirs de police sanitaire qui lui sont dévolus par les dispositions combinées des articles L.668 et L.669 du code de la santé publique; qu’au soutien de ses conclusions le requérant fait valoir que le ministre a tardé à interdire la distribution aux hémophiles des produits sanguins contaminés par le virus de l’immunodéficience humaine (V.I.H.) alors que, dès 1983, le procédé du chauffage du sang permettait d’inactiver ce virus, et que l’autorité ministérielle n’a pas informé la communauté hémophile des risques graves encourus par l’utilisation de tels produits; qu’il est également reproché à l’autorité ministérielle ayant exercé ses pouvoirs de police sanitaire le 23 juillet 1985 d’avoir différé jusqu’au 1er octobre 1985 la fin du remboursement par les caisses d’assurance maladie des produits sanguins utilisés par les hémophiles, mesure dont il n’est pas contesté qu’elle équivalait, en fait, à une interdiction à raison du coût élevé des produits dits ‘facteurs VIII et IX’; Considérant que par un nouveau mémoire enregistré le 11 juillet 1990, [X] fait subsidiairement valoir que la responsabilité de l’État est également engagée sur le terrain de la responsabilité pour faute présumée dans l’organisation et le fonctionnement du service public de la transfusion sanguine; qu’il invoque également la responsabilité de l’État sur le fondement du risque créé par l’activité dangereuse du service public de la transfusion sanguine; Sur la responsabilité de l’État Considérant que le service public de la transfusion sanguine est assuré en France par des associations de droit privé dépourvues de prérogatives de puissance publique, lesquelles sont d’ailleurs exercées exclusivement par l’État détenteur, ainsi qu’il a été dit ci-dessus, des pouvoirs de police sanitaire spécifiques; que, par contre, l’État n’est ni prescripteur, ni fabricant, ni fournisseur des produits sanguins incriminés [;] que, dès lors, sa responsabilité ne saurait être recherchée qu’à raison des fautes commises dans l’exercice de son pouvoir réglementaire, dont il appartient au requérant d’établir la réalité; Considérant qu’il résulte de l’instruction que les progrès des connaissances scientifiques sur le V.I.H., dont les premières manifestations pathologiques sont apparues dès 1980, tant sur le plan de sa transmission que sur celui des techniques d’inactivation, ont été très lents et ont fait l’objet de controverses à l’intérieur de la communauté scientifique elle-même; que, notamment, si le procédé de chauffage du sang a été agréé par l’administration américaine de la santé dès le début de l’année 1983, cette technique a été élaborée pour lutter contre le virus de l’hépatite; que son efficacité à l’encontre du V.I.H. est restée pendant plusieurs mois purement hypothétique; que, de surcroît, une partie des chercheurs craignaient que l’utilisation de cette technique fût de nature à nuire à la qualité coagulante et auto-immunisante des produits; que, si ces craintes se sont révélées non fondées, l’appréciation des responsabilités encourues doit nécessairement se faire en l’état des connaissances scientifiques de l’époque; qu’ainsi, en se bornant, le 20 juin 1983, à édicter, par voie de circulaire, une recommandation relative à la sélection des donneurs de sang, à l’information des donneurs et médecins des centres de transfusion des risques potentiels de contamination, l’autorité administrative n’a pas commis de faute de nature à engager sa responsabilité; qu’il en est de même, et pour des motifs identiques, de l’absence d’information de la communauté hémophile sur les risques encourus; Mais considérant qu’après cette date les connaissances scientifiques se sont constamment approfondies; que l’État, qui était d’ailleurs membre de droit de la Fondation nationale de transfusion sanguine, ne pouvait ignorer ni ces progrès ni l’extension de l’épidémie; qu’il ne pouvait se retrancher derrière l’absence de disponibilité de tests de dépistage du V.I.H. fiables pour justifier son attentisme dès lors que les cas de SIDA dans la communauté hémophile révélaient l’existence d’un lien de causalité statistiquement significatif entre l’administration des produits sanguins dérivés et la contamination par le V.I.H.; qu’en admettant même que demeuraient quelques incertitudes sur d’hypothétiques effets secondaires de la technique du chauffage au début de l’année 1985, la révélation de l’ampleur de la catastrophe sanitaire annoncée commandait qu’il soit mis fin autoritairement et sans délai à la distribution de produits sanguins contaminés; Considérant qu’il résulte de l’instruction, et notamment du rapport de l’inspection générale des affaires sociales, que l’autorité ministérielle a été informée au plus tard et de manière certaine le 12 mars 1985 de la très forte probabilité de ce qu’en région parisienne ‘tous les produits sanguins préparés à partir des pools de donneurs parisiens [étaient] actuellement contaminés’; que l’auteur de ce rapport relève pertinemment que l’importance de ce message ne semble pas avoir été perçue; qu’ainsi, en n’édictant pas immédiatement une mesure d’interdiction de distribution desdits produits, en droit ou en fait, l’autorité chargée de la police sanitaire a commis une faute de nature à engager la responsabilité de l’État; Considérant, de surcroît, que lorsque, le 23 juillet 1985, l’autorité a pris la juste mesure du péril sanitaire en décidant la suppression du remboursement des produits sanguins non chauffés, elle a cru devoir différer la date d’effet de sa décision au 1er octobre 1985; qu’eu égard à la certitude alors établie de ce que tous les produits sanguins étaient contaminés, elle ne saurait se retrancher, pour justifier l’aménagement d’une période transitoire, ni derrière le consentement de la communauté hémophile, laquelle n’était d’ailleurs pas exactement informée de l’ampleur de la catastrophe, ni derrière une prétendue nécessité de maintenir l’autosuffisance des hémophiles alors que des produits assainis étaient disponibles sur le marché international; Considérant, en revanche, que les conséquences physiologiques de la surcontamination des personnes déjà séropositives à la date du 12 mars 1985, rendue possible en raison de la carence de l’État susévoquée, sont, en l’état actuel des connaissances scientifiques, totalement hypothétiques; que, par suite, le préjudice allégué de ce fait est purement éventuel et ne saurait ouvrir droit à réparation; Considérant que, de tout ce qui précède, il résulte que la responsabilité de l’État est engagée à l’égard des personnes atteintes d’hémophilie et qui ont été contaminées par le V.I.H. à l’occasion de la transfusion de produits sanguins non chauffés pendant la période de responsabilité susdéfinie, soit entre le 12 mars et le 1er octobre 1985; Considérant que si l’État, ainsi qu’il a été dit ci-dessus, n’est ni le prescripteur, ni le fabricant, ni le fournisseur des produits sanguins incriminés, et s’il appartient à la seule autorité judiciaire d’apprécier la réalité des responsabilités encourues par les centres de transfusion sanguine, ces centres n’en assument pas moins une mission de service public; que dans ces conditions il y a lieu, pour le tribunal administratif, de condamner l’État à réparer l’intégralité du préjudice; Sur le lien de causalité entre le préjudice de [X] et la responsabilité de l’État Considérant qu’à supposer que [X], qui a reçu pour le traitement de son hémophilie non des facteurs coagulants VIII ou IX dont il est établi ci-dessus qu’ils ont été fautivement distribués, mais des cryoprécipités A, puisse utilement rechercher la responsabilité de l’État, il résulte du dossier que sa séropositivité V.I.H. a été révélée le 20 mars 1985, laquelle, compte tenu d’une période incompressible de séroconversion, doit être regardée comme effectivement intervenue antérieurement au début de la période de responsabilité de l’État susdéfinie; que dès lors, les conclusions de sa requête ne peuvent qu’être rejetées;" Le juge du fond s’étant prononcé, celui des référés rejeta, par une ordonnance du 15 janvier 1992, la requête en référé- provision (paragraphe 18 ci-dessus). Devant la cour administrative d’appel de Paris Le 20 janvier 1992, X a saisi la cour administrative d’appel de Paris, devant laquelle la procédure, reprise par ses parents, demeure en instance. II. LES MÉCANISMES D’INDEMNISATION EXISTANTS Les comparants ont fourni à la Cour des renseignements sur les divers mécanismes d’indemnisation des victimes du SIDA mis en place depuis le 10 juillet 1989, notamment par la loi no 91-1406 du 31 décembre 1991 "portant diverses dispositions d’ordre social" (Journal officiel de la République française du 4 janvier 1992). III. LE DROIT PROCÉDURAL PERTINENT À l’époque des faits de la cause, le code des tribunaux administratifs contenait notamment les dispositions suivantes: Article R.102 "Sauf en matière de travaux publics, le tribunal administratif ne peut être saisi que par voie de recours formé contre une décision, et ce, dans les deux mois à partir de la notification ou de la publication de la décision attaquée. Le silence gardé pendant plus de quatre mois sur une réclamation par l’autorité compétente vaut décision de rejet. (...)" Article R.111 "Le président du tribunal administratif adresse une mise en demeure à l’administration ou à la partie qui n’a pas observé le délai qui lui a été imparti en exécution des articles R.105 et R.110; en cas de force majeure, un nouveau et dernier délai peut être accordé." Article R.129 "Le président du tribunal administratif ou de la cour administrative d’appel ou le magistrat que l’un d’eux délègue peut accorder une provision au créancier qui a saisi le tribunal ou la cour d’une demande au fond, lorsque l’existence de l’obligation n’est pas sérieusement contestable. Il peut, même d’office, subordonner le versement de la provision à la constitution d’une garantie." Article R.142 "Immédiatement après l’enregistrement de la requête introductive d’instance au greffe, le président du tribunal ou, à Paris, le président de la section à laquelle cette requête a été transmise désigne un rapporteur. Sous l’autorité du président de la formation de jugement à laquelle il appartient, le rapporteur fixe, eu égard aux circonstances de l’affaire, le délai accordé, s’il y a lieu, aux parties pour produire mémoire complémentaire, observations, défense ou réplique. Il peut demander aux parties, pour être joints à la procédure contradictoire, toutes pièces ou tous documents utiles à la solution du litige." Article R.182 "Un membre du tribunal administratif ou de la cour administrative d’appel peut être commis par la formation de jugement ou par son président pour procéder à toutes mesures d’instruction autres que celles qui sont prévues aux sections 1 à 4 du présent chapitre." PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION X a saisi la Commission le 19 février 1991. Il alléguait le dépassement du délai raisonnable dont l’article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention exige le respect. La Commission a retenu la requête (no 18020/91) le 12 juillet 1991. Dans son rapport du 17 octobre 1991 (article 31) (art. 31), elle conclut, par treize voix contre deux, qu’il y a eu violation de l’article 6 par. 1 (art. 6-1). Le texte intégral de son avis et de l’opinion dissidente dont il s’accompagne figure en annexe au présent arrêt.
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Femme au foyer de nationalité italienne, Mme Caterina Cappello habite Rome. En application de l'article 31 par. 1 (art. 31-1) de la Convention, la Commission a constaté les faits suivants (paragraphes 16-22 de son rapport): "16. Le 19 août 1976, la requérante fut renversée par une motocyclette et gravement blessée. Le conducteur, un mineur, fut poursuivi au pénal. Le 23 mars 1979, le tribunal des mineurs de Cagliari l'acquitta par amnistie. Par assignation du 16 mai 1980, la requérante engagea devant le tribunal de Tempio Pausania (Sassari) une action en dommages et intérêts contre le jeune conducteur, ses parents et le propriétaire de la motocyclette. La première audience, fixée au 2 octobre 1980, n'eut lieu que le 2 octobre 1981 à cause de la mutation du juge de la mise en état chargé du dossier. Le 16 février 1984 l'affaire, étant en état, fut transmise à la chambre compétente du tribunal, devant laquelle les parties auraient dû comparaître le 22 novembre 1984. Cependant, l'audience fut reportée sine die à cause de la mutation du juge de la mise en état. Celui-ci fut remplacé en janvier 1987 et l'audience devant la chambre du tribunal fixée au 19 février 1987. Toutefois, à cette date, le procès fut interrompu suite au décès de l'avocat de l'un des défendeurs. La procédure reprit par assignation déposée au greffe du tribunal le 24 mars 1987. L'audience devant la chambre du tribunal, fixée d'abord au 11 juin 1987, n'eut lieu que le 19 novembre 1987. Le 16 décembre 1987, le tribunal rendit son jugement faisant droit aux demandes de la requérante. Le texte du jugement fut déposé au greffe le 19 décembre 1987. (...)." Le 29 juin 1990, la cour d'appel de Cagliari, saisie par les défendeurs puis, semble-t-il, par la requérante à titre reconventionnel, confirma le jugement tout en augmentant le montant de l'indemnité allouée. Le texte de son arrêt fut déposé au greffe le 26 septembre 1990. Il ne paraît pas y avoir eu de pourvoi en cassation. PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION L'intéressée a saisi la Commission le 7 février 1987. Elle se plaignait de la durée de la procédure civile engagée par elle et invoquait l'article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention. La Commission a retenu la requête (n° 12783/87) le 11 mai 1990. Dans son rapport du 5 décembre 1990 (article 31) (art. 31), elle exprime à l'unanimité l'opinion qu'il y a eu violation de l'article 6 par. 1 (art. 6-1). Le texte intégral de son avis figure en annexe au présent arrêt*. _______________ * Note du greffier: pour des raisons d'ordre pratique il n'y figurera que dans l'édition imprimée (volume 230-F de la série A des publications de la Cour), mais chacun peut se le procurer auprès du greffe. _______________
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Ressortissants italiens, M. Gennaro Pandolfelli et Mme Domenica Palumbo habitaient Rome lors du décès du premier. En application de l'article 31 par. 1 (art. 31-1) de la Convention, la Commission a constaté les faits suivants (paragraphes 16-27 de son rapport): "16. Le 13 septembre 1972, les requérants assignèrent Mme M. devant le juge d'instance (pretore) de Terracina, pour voir reconnaître leur droit de passage sur le terrain de celle-ci. L'instruction débuta à l'audience du 13 octobre 1972. A l'audience du 2 février 1973, le juge d'instance ordonna l'accomplissement d'une expertise. L'expert désigné prêta serment à l'audience du 24 février 1973 et un délai de cinquante jours lui fut imparti pour le dépôt de l'expertise. Cependant, le délai n'ayant pas été respecté, l'audience du 27 avril 1973 fut reportée au 8 juin 1973. L'instruction se poursuivit aux audiences des 26 octobre 1973 (date à laquelle les requérants demandèrent la convocation de l'expert pour obtenir certains éclaircissements), 22 février 1974, 26 avril 1974 (date à laquelle Mme M. demanda une descente sur les lieux), 17 mai 1974, 25 octobre 1974, 14 février 1975, 21 février 1975 et 5 décembre 1975. A cette date l'affaire fut mise en délibéré. Cependant, par ordonnance du 6 mars 1976, le juge d'instance décida de rouvrir l'instruction et d'obtenir de l'expert d'autres éclaircissements. Le 2 avril 1976, l'expert comparut et un délai de trente jours lui fut assigné pour le dépôt d'un complément d'expertise. Suivirent les audiences des 1er octobre 1976, 4 février 1977 (reportée à la demande des parties), 27 mai 1977 (reportée à la demande de Mme M.), 21 octobre 1977, 27 janvier 1978 (reportée d'office) et 28 avril 1978. L'affaire fut à nouveau mise en délibéré à l'audience du 9 février 1979. Le 14 février 1979, le juge d'instance se déclara incompétent pour trancher le litige et affirma la compétence du tribunal de Latina. Le 23 mars 1979, les requérants demandèrent à la Cour de cassation qu'elle statuât sur la compétence (istanza di regolamento di competenza), ce qu'elle fit le 28 décembre 1979 en déclarant compétent le juge d'instance de Terracina. Le texte de l'arrêt fut déposé au greffe le 28 mars 1980. A l'audience du 31 octobre 1980, le juge d'instance invita les parties à présenter leurs conclusions, ce qu'elles firent à l'audience du 27 février 1981. A l'issue de l'audience du 27 novembre 1981, le juge d'instance fit droit à la demande des requérants. Le texte de la décision fut déposé au greffe le 18 décembre 1981. Le 3 décembre 1982, Mme M. interjeta appel devant le tribunal de Latina. La première audience devant le juge de la mise en état eut lieu le 8 février 1983. L'audience suivante, fixée au 28 juin 1983, fut reportée d'office au 20 octobre 1983. Il y eut encore une audience le 10 janvier 1984. Puis, à l'audience du 26 juin 1984, les parties présentèrent leurs conclusions. L'audience devant la chambre compétente du tribunal, fixée au 9 décembre 1986, fut reportée d'office au 22 mars 1988, à cause de la mutation du juge de la mise en état. Sur demande des requérants, déposée au greffe le 16 décembre 1986, cette audience fut avancée au 24 novembre 1987. Mais elle fut par la suite reportée au 22 décembre 1987. A cette date, l'affaire fut mise en délibéré et, le 12 janvier 1988, le tribunal réforma la décision du juge d'instance et rejeta la demande des requérants. Le texte du jugement fut déposé au greffe le 26 février 1988. (...)." D'après les renseignements fournis à la Cour, les requérants ont formé, le 20 décembre 1988, un pourvoi sur lequel la Cour de cassation a statué le 31 mai 1991; l'arrêt n'aurait pas encore été déposé. PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION Les requérants ont saisi la Commission le 20 août 1987. Ils se plaignaient de la durée de la procédure civile engagée par eux et invoquaient l'article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention. La Commission a retenu la requête (n° 13218/87) le 11 mai 1990. Dans son rapport du 15 janvier 1991 (article 31) (art. 31), elle conclut à l'unanimité qu'il y a eu violation de l'article 6 par. 1 (art. 6-1). Le texte intégral de son avis figure en annexe au présent arrêt*. _______________ * Note du greffier: pour des raisons d'ordre pratique il n'y figurera que dans l'édition imprimée (volume 231-B de la série A des publications de la Cour), mais chacun peut se le procurer auprès du greffe. _______________
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Retraité de nationalité italienne, M. Antonio Ridi habite Florence. En application de l'article 31 par. 1 (art. 31-1) de la Convention, la Commission a constaté les faits suivants (paragraphes 16-24 de son rapport): "16. Par acte notifié le 4 mai 1976, le requérant et trois autres personnes assignèrent M. Z. devant le tribunal de Bellune, demandant la réparation du dommage résultant de l'élargissement illégitime d'un chemin charretier, qui traversait le terrain dont ils étaient copropriétaires, ainsi que sa remise en état. 17. Après les audiences des 3 novembre 1976, 9 mars et 11 mai 1977, le juge de la mise en état ordonna, le 22 février 1978, l'accomplissement d'une expertise. 18. L'expert désigné à cette date, puis un autre expert, nommé le 6 février 1979, renoncèrent à leur mandat. Un troisième expert, nommé le 2 mai 1979, prêta serment à l'audience du 27 juin 1979 et déposa son expertise le 25 août 1979. 19. Deux audiences eurent lieu les 24 octobre 1979 et 16 janvier 1980. A cette date, le requérant demanda un complément d'expertise qui fut présenté le 28 mars 1980. 20. A l'audience suivante, tenue le 29 octobre 1980, le requérant demanda le remplacement de l'expert, au motif que l'expertise n'aurait pas été digne de foi. Il renouvela sa demande aux audiences des 15 avril et 11 novembre 1981. Le juge de la mise en état y fit droit le 12 mars 1982 et convoqua un nouvel expert. Celui-ci prêta serment à l'audience du 7 avril 1982 et fut chargé de déposer son expertise dans un délai de quatre-vingt-dix jours. Ce délai n'ayant pas été respecté, l'audience du 14 juillet 1982 fut reportée au 13 octobre 1982, date à laquelle il fut considéré que l'affaire était en état d'être jugée. 21. A l'audience du 2 mars 1983, les parties présentèrent leurs conclusions et la cause fut transmise à la chambre compétente du tribunal. 22. Les parties auraient dû comparaître devant celle-ci le 17 janvier 1984. Cependant, l'audience n'eut lieu que le 16 avril 1985 parce qu'entre-temps le juge de la mise en état avait été muté. 23. Le 8 mai 1985, le tribunal rendit son jugement, qui reconnaît le bien-fondé de l'action du requérant. Le texte du jugement fut déposé au greffe le 8 octobre 1985. Le 18 septembre 1986, M. Z. interjeta appel contre la décision du tribunal. 24. La procédure devant la cour d'appel de Venise, dont le déroulement n'a pas été précisé, se termina à l'audience du 15 mars 1988, date à laquelle la cour rendit son arrêt. Il en ressort que le requérant et les autres copropriétaires avaient aliéné le terrain litigieux le 17 décembre 1976 et que les acquéreurs l'avaient transféré à M. Z. le 11 septembre 1986. La cour d'appel n'eut donc à se prononcer que sur les dommages causés à la partie demanderesse jusqu'au 17 décembre 1976, dommages qu'elle évalua à 100 000 lires italiennes au total. Le texte de l'arrêt fut déposé au greffe de la cour d'appel le 2 mai 1988. 25. (...)." Dans une lettre du 28 mars 1991, le requérant affirme avoir formé, le 8 mars 1989, un pourvoi que la Cour de cassation n'a cependant pas pris en considération, parce que non présenté par un avocat. PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION L'intéressé a saisi la Commission le 12 octobre 1985. Il se plaignait de la durée de la procédure civile engagée par lui et invoquait l'article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention. La Commission a retenu la requête (n° 11911/85) le 11 mai 1990. Dans son rapport du 15 janvier 1991 (article 31) (art. 31), elle conclut à l'unanimité qu'il y a eu violation de l'article 6 par. 1 (art. 6-1). Le texte intégral de son avis figure en annexe au présent arrêt*. _______________ * Note du greffier: pour des raisons d'ordre pratique il n'y figurera que dans l'édition imprimée (volume 229-B de la série A des publications de la Cour), mais chacun peut se le procurer auprès du greffe. _______________
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Ressortissante italienne, Mme Silvia Steffano habite Rome où elle exerce la profession d'avocat. En application de l'article 31 par. 1 (art. 31-1) de la Convention, la Commission a constaté les faits suivants (paragraphes 16-21 de son rapport): "16. Du 30 juin au 28 juillet 1982, la requérante, avocate stagiaire, fit partie d'une commission d'examens pour la session du baccalauréat en tant qu''expert'. Elle reçut la rétribution prévue par la loi pour tous les membres des commissions d'examens. Estimant avoir droit également, en tant que membre sans rapport d'emploi avec l'administration, à une rétribution calculée sur la base de la rétribution mensuelle des professeurs, elle en fit demande au recteur (Provveditore agli studi). Sa demande fut rejetée le 17 septembre 1982. Le 13 novembre 1982, elle saisit le tribunal administratif régional (TAR) de Lombardie, pour qu'il constatât son droit au complément de rétribution demandé. Le même jour elle demanda que fût fixée la date des débats. Trois autres demandes furent présentées par la requérante les 5 mai 1983, 23 octobre 1984 et 30 avril 1986. Le 1er décembre 1987, le président du TAR fixa les débats au 29 janvier 1988, date à laquelle le TAR débouta la requérante de son action. Le texte du jugement fut déposé au greffe le 17 octobre 1988. Le 13 avril 1989, la requérante releva appel devant le Conseil d'Etat (...)" Le 16 juillet 1991, le Gouvernement a informé la Cour que la haute juridiction administrative avait délibéré le 5 juillet 1991, mais que le dépôt de l'arrêt n'avait pas encore eu lieu. La Cour ne dispose d'aucun renseignement plus récent*. _______________ * Note du greffier: le lendemain du prononcé du présent arrêt, le greffier a reçu du gouvernement italien une communication d'où il ressort que le Conseil d'Etat a débouté la requérante de son appel par une décision du 5 juillet 1991, déposée au greffe le 30 janvier 1992. _______________ PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION L'intéressée a saisi la Commission le 16 juin 1986. Elle se plaignait de la durée de la procédure civile engagée par elle et invoquait l'article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention. La Commission a retenu la requête (n° 12409/86) le 11 mai 1990. Dans son rapport du 5 décembre 1990 (article 31) (art. 31), elle exprime à l'unanimité l'opinion qu'il y a eu violation de l'article 6 par. 1 (art. 6-1). Le texte intégral de son avis figure en annexe au présent arrêt*. _______________ * Note du greffier: pour des raisons d'ordre pratique il n'y figurera que dans l'édition imprimée (volume 230-C de la série A des publications de la Cour), mais chacun peut se le procurer auprès du greffe. _______________
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Géomètre de nationalité italienne, M. Salvatore Tumminelli habite Caltanissetta. En application de l'article 31 par. 1 (art. 31-1) de la Convention, la Commission a constaté les faits suivants (paragraphes 17-21 de son rapport): "17. Le 29 mai 1979, le requérant, géomètre, demanda au président du tribunal de Caltanissetta une injonction de payer contre M. M., en alléguant que celui-ci lui devait la somme de 1 324 000 lires italiennes pour des prestations professionnelles. Le 31 mai 1979, le président émit une injonction de payer (decreto d'ingiunzione) contre M. M., qui fit opposition à l'injonction le 3 juillet 1979, engageant ainsi une procédure civile ordinaire contre le requérant. L'instruction débuta à l'audience du 22 novembre 1979, qui fut suivie de l'audience du 24 avril 1980, date à laquelle M. M. demanda un renvoi. Le juge de la mise en état fixa l'audience suivante au 26 juin 1980, mais il fut muté par la suite. L'audience n'eut lieu que le 5 février 1981, devant le président du tribunal remplaçant le juge de la mise en état. Le président ne prit aucune décision sur les demandes d'instruction avancées par les parties et se limita à reporter l'audience au 25 juin 1981. Cependant, l'audience n'eut lieu que le 4 février 1982, devant le nouveau juge de la mise en état. Le 8 février 1982, celui-ci fixa au 8 juillet 1982 l'audience destinée à l'audition de certains témoins indiqués par les parties. A cette date, deux témoins proposés par le requérant et un témoin proposé par M. M. furent entendus. L'examen de l'affaire fut ajourné au 24 mars 1983 pour qu'un deuxième témoin proposé par M. M. fût entendu. Cependant, ce témoin ne comparut pas, n'ayant pas été dûment cité à comparaître. L'audience fut donc reportée au 29 septembre 1983, mais elle n'eut lieu que le 11 avril 1985. A cette date, les parties demandèrent à nouveau l'audition du témoin. Ledit témoin, dûment cité, ne se présenta ni à l'audience du 11 juillet 1985 ni à celle du 17 octobre 1985. Le 6 février 1986, le juge de la mise en état infligea une amende au témoin et ordonna qu'il fût conduit manu militari à l'audience du 6 mars 1986. Cependant, cette dernière audience n'eut pas lieu à cause de la mutation du juge de la mise en état. Après le remplacement de ce dernier, une audience fut fixée au 12 janvier 1988 devant le nouveau juge de la mise en état, mais le requérant ne fut pas dûment informé et ne s'y présenta pas. L'audience fut dès lors reportée au 20 septembre 1988, date à laquelle le juge de la mise en état fixa l'audience d'audition du témoin au 23 février 1989. Toutefois, à cette audience le témoin, malade, ne comparut pas et l'audience fut reportée au 29 juin 1989 puis d'office successivement au 21 décembre 1989, au 29 janvier 1991 et au 5 novembre 1991." D'après les renseignements fournis à la Cour par le Gouvernement, à cette dernière date l'examen de l'affaire fut ajourné au 19 mars 1992. PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION L'intéressé a saisi la Commission le 29 octobre 1987. Il se plaignait de la durée de la procédure civile engagée par lui et invoquait l'article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention. La Commission a retenu la requête (n° 13362/87) le 11 mai 1990. Dans son rapport du 5 mars 1991 (article 31) (art. 31), elle conclut à l'unanimité qu'il y a eu violation de l'article 6 par. 1 (art. 6-1). Le texte intégral de son avis figure en annexe au présent arrêt*. _______________ * Note du greffier: pour des raisons d'ordre pratique il n'y figurera que dans l'édition imprimée (volume 231-H de la série A des publications de la Cour), mais chacun peut se le procurer auprès du greffe. _______________
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Femme au foyer de nationalité italienne, Mme Ida Biondi habite Rome. En application de l'article 31 par. 1 (art. 31-1) de la Convention, la Commission a constaté les faits suivants (paragraphes 16-18 de son rapport): "16. Le 7 mars 1986, la requérante assigna l'Istituto Nazionale della Previdenza Sociale (INPS) devant le juge d'instance (pretore) de Rome pour voir reconnaître son droit à une pension d'invalidité. L'instruction débuta à l'audience du 30 mai 1986, date à laquelle le juge d'instance ordonna l'accomplissement d'une expertise médicale et un expert prêta serment. A l'issue de l'audience du 3 octobre 1986, le juge d'instance rejeta la demande de la requérante. Le texte de la décision fut déposé au greffe le jour même. Le 3 février 1987, la requérante interjeta appel contre cette décision et, le 5 février 1987, le président du tribunal de Rome fixa l'audience devant la chambre compétente du tribunal au 21 février 1989. (...)." D'après les renseignements fournis à la Cour par la requérante, le tribunal a statué le 10 octobre 1991 mais son jugement n'a pas encore été déposé au greffe. PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION L'intéressée a saisi la Commission le 17 avril 1987. Elle se plaignait de la durée de la procédure civile engagée par elle et invoquait l'article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention. La Commission a retenu la requête (n° 12871/87) le 11 mai 1990. Dans son rapport du 15 janvier 1991 (article 31) (art. 31), elle exprime à l'unanimité l'opinion qu'il y a eu violation de l'article 6 par. 1 (art. 6-1). Le texte intégral de son avis figure en annexe au présent arrêt*. _______________ * Note du greffier: pour des raisons d'ordre pratique il n'y figurera que dans l'édition imprimée (volume 228-C de la série A des publications de la Cour), mais chacun peut se le procurer auprès du greffe. _______________ CONCLUSIONS PRESENTEES A LA COUR PAR LE GOUVERNEMENT A l'audience, le Gouvernement a confirmé la conclusion de son mémoire; il y invitait la Cour à dire "qu'il n'y a pas eu violation de la Convention dans la présente affaire".
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Société à responsabilité limitée, la requérante a son siège à Vaiano (Florence). En application de l'article 31 par. 1 (art. 31-1) de la Convention, la Commission a constaté les faits suivants (paragraphes 16-21 de son rapport): "16. Le 14 octobre 1982, la société X assigna la requérante devant le tribunal de Modène pour voir déclarer l'inexistence d'un contrat de vente que la requérante prétendait avoir conclu avec elle. La requérante se constitua le 13 janvier 1983, en demandant reconventionnellement que le tribunal, après avoir déclaré la validité dudit contrat, en ordonnât l'exécution. L'instruction débuta à l'audience du 18 janvier 1983, suivie par les audiences des 12 avril, 14 juin, 8 novembre 1983, 13 mars 1984 (reportée à la demande de la partie demanderesse) et 15 mai 1984. Le 21 mai 1984, faisant droit à une demande de la société X, le juge de la mise en état ordonna l'audition d'un témoin qui fut entendu à l'audience du 24 avril 1985. Deux autres audiences eurent lieu le 5 novembre 1985 et le 18 mars 1986. A cette dernière date, les parties présentèrent leurs conclusions. Le juge de la mise en état renvoya l'affaire à la chambre compétente du tribunal, fixant au 15 mars 1989 l'audience devant celle-ci. Le 12 avril 1989, le tribunal rejeta la demande de la société X et fit droit à celle de la requérante. Le texte de son jugement fut déposé au greffe le 4 septembre 1989. Le 9 mars 1990, la société X interjeta appel contre ce jugement devant la cour d'appel de Bologne." D'après les renseignements fournis à la Cour par le Gouvernement et la requérante, la première audience eut lieu le 13 juin 1990; la société appelante demanda un report destiné à laisser à Manifattura FL le temps de se constituer. La cause fut ajournée au 10 octobre 1990, puis au 17 avril 1991, pour la présentation des conclusions. A cette occasion, la requérante se constitua et obtint une remise jusqu'au 29 mai 1991. L'affaire fut alors renvoyée devant la chambre pour l'audience de plaidoiries, fixée au 15 octobre 1993. PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION L'intéressée a saisi la Commission le 9 juillet 1986. Elle se plaignait de la durée de la procédure civile engagée contre elle et invoquait l'article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention. La Commission a retenu la requête (n° 12407/86) le 11 mai 1990. Dans son rapport du 15 janvier 1991 (article 31) (art. 31), elle exprime à l'unanimité l'opinion qu'il y a eu violation de l'article 6 par. 1 (art. 6-1). Le texte intégral de son avis figure en annexe au présent arrêt*. _______________ * Note du greffier: pour des raisons d'ordre pratique il n'y figurera que dans l'édition imprimée (volume 230-B de la série A des publications de la Cour), mais chacun peut se le procurer auprès du greffe. _______________ CONCLUSIONS PRESENTEES A LA COUR PAR LE GOUVERNEMENT A l'audience, le Gouvernement a confirmé la conclusion de son mémoire; il y invitait la Cour à dire "qu'il n'y a pas eu violation de la Convention dans la présente affaire".
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Ressortissant italien, M. Luigi Golino habite Marcianise (Caserte). En application de l'article 31 par. 1 (art. 31-1) de la Convention, la Commission a constaté les faits suivants (paragraphes 16-23 de son rapport): "16. Le 24 août 1980, le requérant fut victime d'un accident de la circulation (une collision entre la motocyclette qu'il conduisait et celle conduite par Mme F.), à la suite duquel il fut gravement blessé. 17. Une procédure pénale engagée contre Mme F., dans le cadre de laquelle une expertise médicale fut également effectuée, se termina par un non-lieu suite à l'application d'une loi d'amnistie. 18. Par acte notifié le 4 septembre 1982, le requérant assigna Mme F. et M. M. devant le tribunal de Santa Maria Capua Vetere en demandant la réparation des dommages résultant de l'accident. 19. L'instruction de la cause, amorcée à l'audience du 14 décembre 1982, se poursuivit aux audiences des 5 avril 1983, 8 juillet 1983 (reportée à la demande des défendeurs), 8 novembre 1983, 23 décembre 1983, 10 avril 1984, 25 septembre 1984 et 25 janvier 1985. 20. Le 28 mai 1985, le juge de la mise en état invita les parties à présenter leurs conclusions à l'audience du 19 novembre 1985. Mais, à cette date, le juge de la mise en état eut à remplir d'autres tâches et l'audience fut reportée d'office au 1er avril 1986. A cette date, faisant droit à une demande des défendeurs, le juge de la mise en état ordonna qu'une expertise fût accomplie afin d'établir la gravité des lésions subies par le requérant et convoqua l'expert à l'audience du 26 septembre 1986. 21. Celle-ci fut reportée d'office au 6 février 1987, toujours en raison de l'empêchement du juge de la mise en état. A cette date, l'expert prêta serment. Il visita le requérant le 26 février 1987 et déposa l'expertise le 12 mai 1987. A l'issue de l'audience du 5 juin 1987, l'affaire était en état. 22. Le 27 novembre 1987, les parties présentèrent leurs conclusions et le juge de la mise en état renvoya l'affaire à la chambre compétente du tribunal. L'audience devant celle-ci eut lieu le 21 février 1989, date à laquelle l'affaire fut mise en délibéré. 23. Le 14 mars 1989, le tribunal condamna les défendeurs au paiement de dommages et intérêts. Le texte du jugement fut déposé au greffe le 27 mai 1989." D'après les renseignements fournis à la Cour par le Gouvernement, aucun appel n'a été interjeté. PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION L'intéressé a saisi la Commission le 16 avril 1986. Il se plaignait de la durée de la procédure civile engagée par lui et invoquait l'article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention. La Commission a retenu la requête (n° 12172/86) le 11 mai 1990. Dans son rapport du 15 janvier 1991 (article 31) (art. 31), elle conclut à l'unanimité qu'il y a eu violation de l'article 6 par. 1 (art. 6-1). Le texte intégral de son avis figure en annexe au présent arrêt*. _______________ * Note du greffier: pour des raisons d'ordre pratique il n'y figurera que dans l'édition imprimée (volume 229-H de la série A des publications de la Cour), mais chacun peut se le procurer auprès du greffe. _______________
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Ressortissants italiens, MM. Giovanni Lorenzi, Ivano Bernardini et Alessio Gritti habitent Bergame. En application de l'article 31 par. 1 (art. 31-1) de la Convention, la Commission a constaté les faits suivants (paragraphes 17-26 de son rapport): "17. Le 27 mars 1975, les requérants assignèrent devant le tribunal de Brescia le ministre des Travaux publics, en demandant la réparation des dommages résultant d'une inondation causée par le débordement d'un torrent. L'instruction débuta à l'audience du 19 mai 1975, qui fut suivie des audiences du 13 octobre 1975 (reportée à la demande des parties) et du 22 décembre 1975, date à laquelle les parties demandèrent que le tribunal se prononçât sur des questions préjudicielles de compétence. A l'audience du 15 mars 1976, les parties présentèrent leurs conclusions concernant lesdites questions et l'affaire fut transmise à la chambre compétente du tribunal. L'audience devant celle-ci eut lieu le 21 octobre 1976. Par décision non définitive du 25 novembre 1976, le tribunal de Brescia rejeta les exceptions préliminaires soulevées par l'administration et affirma sa compétence à connaître de l'affaire. L'instruction reprit à l'audience du 21 février 1977 et, le 3 octobre 1977, le juge de la mise en état ordonna l'accomplissement d'une expertise. L'expert désigné prêta serment à l'audience du 9 janvier 1978 et un délai de cent vingt jours lui fut assigné pour le dépôt de l'expertise. Cependant, le délai n'ayant pas été respecté, l'audience du 5 juin 1978 fut reportée au 13 novembre 1978 puis au 5 mars 1979. Douze autres audiences eurent lieu les 18 juin 1979, 5 novembre 1979, 11 février 1980, 5 mai 1980, 6 octobre 1980, 12 janvier 1981 (toutes reportées à la demande des parties), 27 avril 1981 (reportée d'office), 1er février 1982, 29 mars 1982, 4 octobre 1982, 10 janvier 1983 (toutes reportées à la demande des parties) et 14 mars 1983. Les parties présentèrent leurs conclusions à l'audience du 16 mai 1983 et l'affaire fut attribuée à la chambre compétente du tribunal. L'audience devant celle-ci eut lieu le 31 mai 1984. Le 6 juin 1984, le tribunal de Brescia condamna le ministre des Travaux publics à dédommager les requérants. Le texte du jugement fut déposé au greffe le 30 novembre 1984. Le 20 mai 1985, le ministre des Travaux publics interjeta appel contre ce jugement. La procédure devant la cour d'appel de Brescia débuta à l'audience du 9 octobre 1985, qui fut suivie de l'audience du 6 novembre 1985. A l'audience du 22 janvier 1986, les parties présentèrent leurs conclusions et, à l'issue de l'audience du 26 novembre 1986, la cour d'appel débouta le ministre des Travaux publics de son appel et leva les montants des dommages et intérêts à verser aux requérants. Le texte de l'arrêt fut déposé au greffe le 20 janvier 1987. Le 30 avril 1987, le ministre se pourvut en cassation. L'audience devant la Cour de cassation eut lieu le 9 mars 1989. A cette date, celle-ci cassa l'arrêt attaqué, après avoir constaté que la matière litigieuse était du ressort du tribunal régional des Eaux publiques. Le texte de l'arrêt fut déposé au greffe le 15 mai 1990. Il ne ressort d'aucune pièce que la procédure ait été reprise devant la juridiction compétente." PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION Les intéressés ont saisi la Commission le 15 septembre 1987. Ils se plaignaient de la durée de la procédure civile engagée par eux et invoquaient l'article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention. La Commission a retenu la requête (n° 13301/87) le 11 mai 1990. Dans son rapport du 5 mars 1991 (article 31) (art. 31), elle conclut à l'unanimité qu'il y a eu violation de l'article 6 par. 1 (art. 6-1). Le texte intégral de son avis figure en annexe au présent arrêt*. _______________ * Note du greffier: pour des raisons d'ordre pratique il n'y figurera que dans l'édition imprimée (volume 231-G de la série A des publications de la Cour), mais chacun peut se le procurer auprès du greffe. _______________
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Ressortissant italien, M. Vittorio Maciariello habite Ostia Lido (Rome). En application de l'article 31 par. 1 (art. 31-1) de la Convention, la Commission a constaté les faits suivants (paragraphes 16-20 de son rapport): "16. Le 31 mai 1983, le requérant engagea une procédure de divorce devant le tribunal de Santa Maria Capua Vetere. 17. Le requérant et son épouse comparurent devant le président du tribunal le 9 juillet 1983. Puis l'affaire fit l'objet d'une série de remises, prononcées d'office, aux audiences des 29 novembre 1983, 10 avril 1984, 6 novembre 1984, 26 mars 1985 et 17 septembre 1985, à cause à la fois de la mutation du juge de la mise en état et de l'impossibilité de le remplacer à brève échéance. 18. L'instruction débuta effectivement à l'audience du 28 janvier 1986. A cette date, le juge de la mise en état ordonna l'audition de certains témoins. L'audience suivante fut reportée d'office du 8 mai 1986 au 23 octobre 1986. 19. Le 13 novembre 1986, les parties présentèrent leurs conclusions et l'affaire fut renvoyée à la chambre compétente du tribunal. 20. L'affaire fut mise en délibéré à l'audience du 10 février 1987 et le tribunal rendit son jugement le 19 février 1987. Le texte de celui-ci fut déposé au greffe le 14 mars 1987. 21. (...)." D'après les renseignements fournis à la Cour par le Gouvernement, aucune des parties n'a interjeté appel. PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION L'intéressé a saisi la Commission le 23 mai 1986. Il se plaignait de la durée de la procédure civile engagée par lui et invoquait l'article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention. La Commission a retenu la requête (n° 12284/86) le 11 mai 1990. Dans son rapport du 5 décembre 1990 (article 31) (art. 31), elle exprime à l'unanimité l'opinion qu'il y a eu violation de l'article 6 par. 1 (art. 6-1). Le texte intégral de son avis figure en annexe au présent arrêt*. _______________ * Note du greffier: pour des raisons d'ordre pratique il n'y figurera que dans l'édition imprimée (volume 230-A de la série A des publications de la Cour), mais chacun peut se le procurer auprès du greffe. _______________
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La requérante est une société de construction ayant son siège à Naples. En application de l'article 31 par. 1 (art. 31-1) de la Convention, la Commission a constaté les faits suivants (paragraphes 17-25 de son rapport): "17. Par acte notifié le 3 novembre 1980, l'intéressée assigna devant le tribunal de Naples neuf copropriétaires de l'immeuble qu'elle avait eu pour tâche de faire édifier, en demandant le paiement de sommes qui lui étaient dues au titre des dépenses communes. Avant que l'instruction ne commencât, la requérante se désista de son action contre cinq sociétaires qui lui avaient versé les sommes dont elle était créancière. Une sociétaire, Mme I., à laquelle la requérante demandait une somme de 818 726 lires italiennes, contesta le bien-fondé de ses prétentions. Trois autres sociétaires ne se présentèrent pas devant le juge. L'instruction débuta à l'audience du 16 décembre 1980, suivie par les audiences des 17 mars, 9 juin (date à laquelle la partie défenderesse demanda un renvoi, le conseil de la requérante étant absent) et 5 novembre 1981. Aux audiences des 23 février et 11 mai 1982, la requérante demanda l'audition de Mme I., mais la partie défenderesse s'y opposa. Deux audiences eurent lieu les 24 juin et 23 novembre 1982, date à laquelle le juge d'instruction décida d'entendre Mme I. et M. Q., président de la société requérante. A l'audience du 29 mars 1983, ni Mme I. ni M. Q. n'étaient présents. Ce dernier comparut à l'audience du 5 juillet 1983, qui fut reportée à la demande de la partie défenderesse. Mme I. fut entendue le 13 décembre 1983. L'audition de M. Q. n'eut jamais lieu. Deux autres audiences eurent lieu les 15 mai et 13 novembre 1984, après quoi les parties présentèrent leurs conclusions à l'audience du 24 octobre 1985 et le juge de la mise en état renvoya l'affaire à la chambre compétente du tribunal. L'audience devant celle-ci fut fixée au 24 juin 1987. La requérante demanda qu'elle fût avancée, mais, le 23 janvier 1986, le président du tribunal rejeta cette demande compte tenu de la surcharge du rôle. Après l'audience du 24 juin 1987, par ordonnance du 8 juillet 1987, déposée le 25 septembre 1987, la chambre du tribunal renvoya l'affaire devant le juge de la mise en état puisque l'assignation du 3 novembre 1980 n'avait pas été dûment notifiée à deux des trois sociétaires déclarés défaillants. L'audience devant le juge de la mise en état fut fixée au 2 février 1988. Trois audiences eurent lieu les 25 octobre 1988 (date à laquelle la requérante se désista de son action contre les deux sociétaires qu'elle n'avait pas cités), 15 décembre 1988 et 30 mars 1989. A cette date, les parties présentèrent leurs conclusions et le juge de la mise en état fixa l'audience devant la chambre compétente du tribunal au 3 avril 1991." D'après les renseignements fournis à la Cour par la requérante, la prochaine audience devant le tribunal devrait se dérouler le 25 mars 1992. PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION L'intéressée a saisi la Commission le 25 février 1986. Elle se plaignait de la durée de la procédure civile engagée par elle et invoquait l'article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention. La Commission a retenu la requête (n° 12145/86) le 11 mai 1990. Dans son rapport du 5 mars 1991 (article 31) (art. 31), elle exprime à l'unanimité l'opinion qu'il y a eu violation de l'article 6 par. 1 (art. 6-1). Le texte intégral de son avis figure en annexe au présent arrêt*. _______________ * Note du greffier: pour des raisons d'ordre pratique il n'y figurera que dans l'édition imprimée (volume 231-E de la série A des publications de la Cour), mais chacun peut se le procurer auprès du greffe. _______________ CONCLUSIONS PRESENTEES A LA COUR PAR LE GOUVERNEMENT A l'audience du 29 octobre 1991, le Gouvernement a confirmé la conclusion de son mémoire; il y invitait la Cour à dire "qu'il n'y a pas eu violation de la Convention dans la présente affaire".
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La requérante est une société à responsabilité limitée en cours de liquidation. En application de l'article 31 par. 1 (art. 31-1) de la Convention, la Commission a constaté les faits suivants (paragraphes 16-26 de son rapport): "16. Par acte notifié les 26 septembre et 2 octobre 1980, l'intéressée assigna devant le tribunal de Tarante M. N. - dont elle était créancière - ainsi que la société E., pour voir déclarer que cette dernière devait à M. N. la somme de 30 000 000 lires italiennes. Son but était de faire retrancher de cette somme celle qui, selon elle, lui était due par M. N. 17. La requérante assigna, en même temps, l'Istituto Nazionale della Previdenza Sociale (INPS), qui avait intérêt à la cause en tant que créditeur de M. N. 18. L'instruction débuta à l'audience du 6 novembre 1980. M. N. et la société E. ne comparurent pas et furent déclarés défaillants. Trois autres audiences eurent lieu les 19 février, 23 avril et 9 juillet 1981. A cette date, la requérante et l'INPS présentèrent leurs conclusions et l'affaire fut attribuée à la chambre compétente du tribunal. 19. Après avoir entendu la requérante et l'INPS à l'audience du 26 mars 1982, la chambre du tribunal estima qu'il était nécessaire de procéder à une audition de témoins (dont la requérante s'était réservé d'indiquer le nom par la suite) pour établir si M. N. était créancier de la société E. et, par ordonnance du 30 avril 1982, renvoya l'affaire devant le juge de la mise en état. 20. Le seul témoin finalement indiqué fut cité à l'audience du 24 juin 1982, puis à celle du 18 novembre 1982, mais il ne se présenta pas. Le 17 février 1983, le juge de la mise en état déclara l'interruption du procès à cause de la faillite de M. N. 21. Le 21 février 1983, la requérante réactiva la procédure, qui reprit à l'audience du 28 avril 1983. Les 14 juillet et 1er décembre 1983, l'examen de l'affaire fut renvoyé à la demande de l'INPS, la requérante et les autres parties n'ayant pas comparu. A l'audience du 1er mars 1984, la requérante et l'INPS présentèrent leurs conclusions et l'affaire fut attribuée à la chambre compétente du tribunal. 22. Après avoir entendu la requérante et l'INPS à l'audience du 2 novembre 1984, cette chambre constata qu'on n'avait pas effectué l'audition qu'elle avait requise par son ordonnance du 30 avril 1982 et, par ordonnance du 16 novembre 1984, renvoya une deuxième fois l'affaire devant le juge de la mise en état. 23. Le témoin à entendre fut cité à l'audience du 14 février 1985, mais il ne comparut pas. Le juge de la mise en état ordonna alors aux carabiniers d'en assurer la présence à l'audience du 16 mai 1985. Cependant, cet ordre ne fut pas exécuté et l'audition n'eut lieu que le 3 octobre 1985. L'affaire étant alors en état, la requérante et l'INPS présentèrent leurs conclusions à l'audience du 9 janvier 1986. 24. L'audience devant la chambre compétente du tribunal eut lieu le 30 janvier 1987 et, par jugement du 13 février 1987, la demande de la requérante fut rejetée à cause de la faillite de M. N. Le texte de la décision fut déposé au greffe le 11 mai 1987. 25. Par acte notifié en date du 31 juillet et du 5 août 1987, la requérante interjeta appel de ce jugement auprès de la cour d'appel de Lecce. 26. Le déroulement de l'instruction devant cette juridiction n'a pas été précisé, mais il apparaît que l'affaire fut mise en délibéré à l'audience du 13 avril 1989. Le 27 avril 1989, la cour d'appel confirma la décision attaquée. Le texte de son arrêt fut déposé au greffe le 10 juin 1989. (...)." D'après les renseignements fournis à la Cour par la requérante, il n'y a pas eu de pourvoi en cassation. PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION L'intéressée a saisi la Commission le 1er avril 1986. Elle se plaignait de la durée de la procédure civile engagée par elle et invoquait l'article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention. La Commission a retenu la requête (n° 12088/86) le 11 mai 1990. Dans son rapport du 5 décembre 1990 (article 31) (art. 31), elle exprime à l'unanimité l'opinion qu'il y a eu violation de l'article 6 par. 1 (art. 6-1). Le texte intégral de son avis figure en annexe au présent arrêt*. _______________ * Note du greffier: pour des raisons d'ordre pratique il n'y figurera que dans l'édition imprimée (volume 229-F de la série A des publications de la Cour), mais chacun peut se le procurer auprès du greffe. _______________ CONCLUSIONS PRESENTEES A LA COUR PAR LE GOUVERNEMENT A l'audience, le Gouvernement a confirmé la conclusion de son mémoire; il y invitait la Cour à dire "qu'il n'y a pas eu violation de la Convention dans la présente affaire".
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Ressortissant italien, M. Achille Cardarelli habitait Florence jusqu'à son décès. En application de l'article 31 par. 1 (art. 31-1) de la Convention, la Commission a constaté les faits suivants (paragraphes 16-32 de son rapport): "16. Par acte notifié le 23 décembre 1977, le requérant, propriétaire d'un appartement endommagé par des infiltrations d'eau, assigna M. M. - propriétaire de l'appartement d'où les infiltrations provenaient - devant le tribunal de Florence. Il demanda l'élimination de la cause des dégâts des eaux, ainsi que des dommages et intérêts. 17. L'instruction débuta à l'audience du 2 février 1978, suivie par les audiences des 18 mai 1978 (où les héritiers de l'entrepreneur qui avait restructuré la maison intervinrent dans le procès) et 8 mars 1979 (audience initialement prévue pour le 19 octobre 1978). 18. A l'audience du 27 avril 1979, de nouvelles infiltrations d'eau s'étant produites, le requérant demanda au juge de la mise en état d'arrêter les mesures conservatoires nécessaires pour éviter des dégâts ultérieurs. Par ailleurs, il informa le juge du décès du conseil de M. M., ce qui provoqua une interruption du procès. 19. Le 2 mai 1979, en vue de statuer sur la demande de mesures conservatoires, le juge de la mise en état nomma un expert qui prêta serment à l'audience du 31 mai 1979. Un délai de soixante jours lui fut imparti pour le dépôt de l'expertise. Ce délai ne fut pas respecté et l'examen de l'affaire, ajourné aux audiences des 5 octobre, 8 novembre et 6 décembre 1979, ne reprit qu'à l'audience du 10 janvier 1980. 20. Entre-temps, par acte notifié le 26 octobre 1979, le requérant assigna M. M. devant le tribunal de Florence, en engageant une action en réparation des dommages résultant des nouvelles infiltrations. 21. Le 1er février 1980, se fondant sur les résultats de l'expertise, le juge de la mise en état ordonna de neutraliser le système d'arrivée d'eau. 22. Le 15 février 1980, M. M. demanda la révocation de cette ordonnance, car la mesure arrêtée obligeait en pratique ses locataires à quitter les lieux. Le 16 février 1980, le juge de la mise en état ordonna aux parties de se présenter personnellement à l'audience du 22 février 1980. A l'issue de celle-ci, il convoqua l'expert à l'audience du 29 février 1980 pour le charger d'un complément d'expertise. 23. A l'audience du 10 avril 1980, la demande en dommages et intérêts introduite par le requérant le 26 octobre 1979 fut jointe à la première. 24. Après le dépôt du complément d'expertise, deux audiences eurent lieu les 15 et 16 mai 1980. Le 27 mai 1980, le juge de la mise en état modifia l'ordonnance du 1er février 1980 et arrêta de nouvelles mesures conservatoires. L'expert fut chargé de diriger les travaux et autorisé à prendre toute mesure technique nécessaire afin d'éviter d'autres infiltrations d'eau. 25. Deux autres audiences eurent lieu les 3 et 17 juillet 1980. Lors de cette dernière, le juge de la mise en état, faisant droit à une demande du requérant, fixa à l'expert un délai de douze jours pour terminer les travaux. 26. Cependant, de nouvelles infiltrations se produisirent et, à l'audience du 18 septembre 1980, le requérant demanda au juge de prendre des mesures efficaces et de remplacer l'expert. 27. Le 26 septembre 1980, le juge de la mise en état, faisant prévaloir l'intérêt du requérant, ordonna que le système d'arrivée d'eau fût neutralisé dans un délai de trente jours. 28. Après les audiences des 5 décembre 1980 et 20 février 1981, à l'audience du 5 mars 1981, le juge de la mise en état fixa au 9 octobre 1981 l'audience pour l'audition des témoins indiqués par les parties. Celle-ci continua également aux audiences des 2 avril et 24 juin 1982. L'audience suivante, fixée au 18 novembre 1982, fut reportée au 28 janvier 1983 à cause d'une erreur dans les notifications. A cette date l'audition des témoins se termina. 29. A l'audience du 3 mars 1983, les parties demandèrent la fixation d'une audience pour la présentation des conclusions qui, amorcée le 30 juin 1983, se poursuivit à l'audience du 27 octobre 1983 pour ne se terminer qu'à l'audience du 15 décembre 1983. Le juge de la mise en état renvoya l'affaire à la chambre compétente du tribunal, afin qu'elle fût discutée à l'audience du 10 décembre 1985. 30. Cependant, la mort du défendeur en octobre 1985 provoqua une deuxième interruption du procès. 31. Le 2 mars 1986, la procédure fut reprise par le requérant. Une nouvelle audience devant la chambre fut fixée au 23 février 1988. Cependant, cette audience n'eut pas lieu parce que le juge rapporteur avait été muté à la cour d'appel en octobre 1987. 32. Par ordonnance du 10 juillet 1989, le juge appelé à le remplacer fixa l'audience au 30 octobre 1990." D'après les documents et renseignements fournis à la Cour par le Gouvernement, la Commission et le conseil du requérant: - à la suite de l'acte d'assignation du 26 octobre 1979 (paragraphe 9 ci-dessus, n° 20), M. M. demanda derechef l'intervention des héritiers de l'entrepreneur, ainsi que du plombier; - à l'audience du 30 octobre 1990 (paragraphe 9 ci-dessus, n° 32), l'avocat de M. Cardarelli informa le tribunal du décès de son client, survenu le 21 février 1987, ce qui provoqua une troisième interruption de l'instance; - le 8 avril 1991, Me Soldani Benzi, en sa qualité de curateur de la succession, sollicita auprès du juge d'instance de Florence l'autorisation de poursuivre le procès; - l'ayant obtenue, il invita le président du tribunal, le 15 avril, à fixer l'audience de plaidoiries devant la chambre; - le 17, ledit magistrat décida que les débats se dérouleraient le 11 février 1992. PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION L'intéressé a saisi la Commission le 9 avril 1986. Il se plaignait de la durée de la procédure civile engagée par lui et invoquait l'article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention. La Commission a retenu la requête (n° 12148/86) le 11 mai 1990. Dans son rapport du 15 janvier 1991 (article 31) (art. 31), elle conclut à l'unanimité qu'il y a eu violation de l'article 6 par. 1 (art. 6-1). Le texte intégral de son avis figure en annexe au présent arrêt*. _______________ * Note du greffier: pour des raisons d'ordre pratique il n'y figurera que dans l'édition imprimée (volume 229-G de la série A des publications de la Cour), mais chacun peut se le procurer auprès du greffe. _______________
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Représentant de commerce de nationalité italienne, M. Antonio Tusa habite Caltanissetta. En application de l'article 31 par. 1 (art. 31-1) de la Convention, la Commission a constaté les faits suivants (paragraphes 16-26 de son rapport): "16. Le 27 novembre 1973, le requérant assigna devant le tribunal d'Agrigente M. R. et la société d'assurance X, en demandant la réparation des dommages résultant d'une collision entre sa voiture et celle conduite par M. R. L'instruction débuta à l'audience du 27 février 1974. L'audience suivante, fixée au 26 juin 1974, fut reportée au 15 janvier 1975 à cause de l'empêchement du juge de la mise en état. Le 17 janvier, le juge de la mise en état ordonna l'accomplissement d'une expertise médicale. L'audience du 26 mars 1975 fut reportée à la demande des parties et, à l'audience du 28 mai 1975, le juge de la mise en état entendit M. R. Celui-ci fut autorisé à demander la copie du procès-verbal et du rapport rédigés par la gendarmerie après l'accident, en vue de les verser au dossier. Aux audiences des 3 décembre 1975, 17 mars 1976, 19 mai 1976, 23 février 1977, 1er juin 1977 et 23 novembre 1977 l'examen de l'affaire fut ajourné, M. R. n'ayant pu obtenir les documents demandés à la gendarmerie. Entre temps, le 19 mai 1976, l'Istituto Nazionale delle Assicurazioni Malattia (INAM) était intervenu dans le procès et, le 5 novembre 1976, l'expertise médicale avait été déposée au greffe. A l'audience du 15 mars 1978, le juge de la mise en état ordonna l'audition de certains témoins, faisant droit à une demande présentée par le requérant au début de la procédure. Les témoins cités à l'audience du 25 octobre 1978 ne se présentèrent qu'à celle du 28 février 1979. L'audience suivante, fixée initialement au 24 octobre 1979, n'eut lieu que le 2 janvier 1980. A cette date, la partie défenderesse demanda un renvoi pour pouvoir présenter les documents demandés à la gendarmerie. Deux autres audiences eurent lieu les 30 avril et 5 novembre 1980. A l'issue de cette dernière, le juge de la mise en état fixa au 4 février 1981 l'audience pour la présentation des conclusions. Cependant, à cette date M. R. demanda un nouveau renvoi en vue de présenter les documents demandés à la gendarmerie. L'Istituto Nazionale della Previdenza Sociale (INPS) intervint dans le procès, à la place de l'INAM. A l'audience du 17 juin 1981, M. R. produisit les copies du procès-verbal et du rapport de la gendarmerie concernant l'accident. Il demanda l'audition de deux gendarmes qui avaient visité les lieux après l'accident. Les audiences des 9 décembre 1981 et 31 mars 1982 furent reportées parce que les deux témoins n'avaient pu être localisés. A l'audience du 6 octobre 1982, le premier gendarme fut entendu. A l'audience du 9 mars 1983, l'autre gendarme n'avait pu encore être cité. L'audience suivante, qui avait été fixée au 2 novembre 1983, n'eut lieu que le 11 avril 1984 et fut encore reportée, le témoin ne pouvant pas être présent. La nouvelle audience du 4 juillet 1984 fut reportée au 30 janvier 1985 à cause des élections. L'audience suivante, prévue pour le 26 juin 1985, n'eut lieu que le 5 mars 1986. A cette date, les parties présentèrent leurs conclusions et le juge de la mise en état renvoya l'affaire à la chambre compétente du tribunal. L'audience devant celle-ci, fixée au 4 décembre 1986, fut reportée au 18 juin 1987, puis au 3 mars 1988, à cause de la mutation du juge rapporteur. Le 16 mars 1988, le tribunal condamna solidairement les défendeurs à payer au requérant des dommages et intérêts. Le texte du jugement fut déposé au greffe le 28 avril 1988. (...)." D'après les renseignements fournis à la Cour par le Gouvernement, M. R. interjeta contre ledit jugement, à une date non précisée, un appel auquel le requérant et la société X répondirent par des appels incidents les 26 septembre et 26 octobre 1988. Par un arrêt du 5 avril 1991, déposé au greffe le 8 octobre, la cour d'appel de Palerme débouta M. R. et accorda gain de cause à M. Tusa. Il ne paraît y avoir eu de pourvoi en cassation jusqu'ici. PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION L'intéressé a saisi la Commission le 7 octobre 1987. Il se plaignait de la durée de la procédure civile engagée par lui et invoquait l'article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention. La Commission a retenu la requête (n° 13299/87) le 11 mai 1990. Dans son rapport du 5 décembre 1990 (article 31) (art. 31), elle conclut à l'unanimité qu'il y a eu violation de l'article 6 par. 1 (art. 6-1). Le texte intégral de son avis figure en annexe au présent arrêt*. _______________ * Note du greffier: pour des raisons d'ordre pratique il n'y figurera que dans l'édition imprimée (volume 231-D de la série A des publications de la Cour), mais chacun peut se le procurer auprès du greffe. _______________
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE A. Informationsverein Lentia Association de copropriétaires et habitants d’une résidence de 458 appartements et 30 commerces située à Linz, la première requérante entreprit d’améliorer la communication entre eux par la création d’un réseau fermé de télévision câblée. Les programmes devaient se limiter à des questions d’intérêt commun relatives aux droits des membres. Le 9 juin 1978, elle sollicita une autorisation d’exploitation en vertu de la loi sur les télécommunications (Fernmeldegesetz, paragraphe 17 ci-dessous). La Direction régionale des postes et télécommunications (Post- und Telegraphendirektion) de Linz n’ayant pas répondu dans le délai de six mois prévu à l’article 73 du code de procédure administrative (Allgemeines Verwaltungsverfahrensgesetz), l’intéressée saisit la Direction générale (Generaldirektion für die Post- und Telegraphenverwaltung), rattachée au ministère fédéral des Transports (Bundesministerium für Verkehr). Celle-ci rejeta la demande le 23 novembre 1979. D’après elle, l’article 1 par. 2 de la loi constitutionnelle portant garantie de l’indépendance de la radiotélédiffusion (ci-après "radiodiffusion"; Bundesverfassungsgesetz über die Sicherung der Unabhängigkeit des Rundfunks, "la loi constitutionnelle sur la radiodiffusion", paragraphe 19 ci-dessous) avait attribué au législateur fédéral une compétence exclusive pour réglementer cette activité; or il ne l’avait exercée qu’une fois, en édictant la loi sur l’Office autrichien de radiodiffusion (Bundesgesetz über die Aufgaben und die Einrichtung des Österreichischen Rundfunks, paragraphe 20 ci-dessous). Aucune autre personne ne pouvait donc prétendre à pareille licence, faute de base légale. Quant à l’article 10 (art. 10) de la Convention, il ne se trouvait nullement violé car le Constituant n’avait fait qu’user de son pouvoir d’instaurer un régime d’autorisations, conformément à la troisième phrase du paragraphe 1 (art. 10-1). Là-dessus, la requérante en dénonça la méconnaissance devant la Cour constitutionnelle, qui statua le 16 décembre 1983. Pour celle-ci, la liberté de créer et d’exploiter des stations de radio- et de télédiffusion était sujette aux prérogatives reconnues au législateur par les paragraphes 1 in fine et 2 de l’article 10 (art. 10-1, art. 10-2) (Gesetzesvorbehalt). Partant, seule pouvait enfreindre ce texte une décision administrative dont le fondement légal se révélât soit inexistant, soit non conforme à la Constitution, soit encore appliqué de manière inconcevable (in denkunmöglicher Weise an[ge]wendet). D’autre part, la loi constitutionnelle sur la radiodiffusion avait créé un système subordonnant toute activité de ce genre à une concession du législateur fédéral. Destiné à garantir l’objectivité et le pluralisme (Meinungsvielfalt), il serait inefficace si n’importe qui pouvait en obtenir le bénéfice. En l’état, celui-ci était réservé à l’Office autrichien de radiodiffusion (Österreichischer Rundfunk, ORF), aucune loi d’application n’étant venue s’ajouter à celle qui le régit. Contrairement à ses affirmations, la plaignante entendait bel et bien pratiquer la radiodiffusion au sens de la loi constitutionnelle, car ses émissions devaient s’adresser à un cercle général à composition variable. Ladite loi avait donc suffi à fonder l’acte querellé. En conséquence, la Cour constitutionnelle rejeta la plainte et la transmit à la Cour administrative. Le 10 septembre 1986, celle-ci adopta en substance les motifs de la Cour constitutionnelle et à son tour débouta l’intéressée. B. Jörg Haider De 1987 à 1989, le deuxième requérant conçut le projet de créer, avec d’autres personnes, une station de radio privée en Carinthie. Il l’abandonna ensuite, une étude lui ayant montré que le droit applicable et son interprétation par la Cour constitutionnelle empêchaient la délivrance de la licence nécessaire. Aussi n’en fit-il jamais la demande. C. Arbeitsgemeinschaft Offenes Radio (AGORA) Association autrichienne membre de la Fédération européenne des radios libres (FERL), la troisième requérante ambitionne d’installer en Carinthie méridionale une antenne servant à diffuser, en allemand et en slovène, un programme non commercial de radio dont les promoteurs exploitent déjà en Italie une station mobile autorisée. AGORA sollicita en 1988 une concession, que la Direction régionale des postes et télécommunications de Klagenfurt, puis la Direction générale de Vienne lui refusèrent les 19 décembre 1989 et 9 août 1990 respectivement. Sur la base de sa propre jurisprudence (paragraphe 10 ci-dessus), la Cour constitutionnelle rejeta le 30 septembre 1991 un recours dirigé contre cette décision. D. Wilhelm Weber Actionnaire d’une société italienne gérant une radio commerciale qui émet vers l’Autriche, le quatrième requérant désire exercer la même activité dans ce pays. Eu égard à la législation en vigueur, il a cependant renoncé à toute démarche auprès des autorités. E. Radio Melody GmbH La cinquième requérante est une société à responsabilité limitée de droit autrichien. Le 8 novembre 1988, elle invita la Direction régionale des postes et télécommunications de Linz à lui attribuer une fréquence destinée à une radio locale qu’elle comptait lancer à Salzbourg. Le 28 avril 1989, elle essuya un refus, approuvé les 12 juillet 1989 et 18 juin 1990 par la Direction générale puis par la Cour constitutionnelle, laquelle se fonda sur son arrêt du 16 décembre 1983 (paragraphe 10 ci-dessus). II. LE DROIT INTERNE PERTINENT A. La loi du 13 juillet 1949 relative aux télécommunications ("Fernmeldegesetz") Aux termes de la loi du 13 juillet 1949 relative aux télécommunications, "le droit de créer et d’exploiter des installations de télécommunications (Fernmeldeanlagen) est réservé aux autorités fédérales (Bund)" (article 2 par. 1). Celles-ci peuvent toutefois habiliter des personnes physiques ou morales à l’exercer à l’égard d’installations déterminées (article 3 par. 1). Aucune concession n’est requise dans certains cas, dont celui d’une implantation à l’intérieur d’une propriété privée (article 5). B. L’ordonnance ministérielle du 18 septembre 1961 relative aux installations privées de télécommunications ("Verordnung des Bundesministeriums für Verkehr und Elektrizitätswirtschaft über Privatfernmeldeanlagen") L’ordonnance ministérielle du 18 septembre 1961 relative aux installations privées de télécommunications fixe notamment les conditions d’établissement et d’exploitation des installations privées de télécommunications relevant du contrôle des autorités fédérales. D’après la jurisprudence, elle ne saurait toutefois servir de fondement légal à l’attribution de concessions. C. La loi constitutionnelle du 10 juillet 1974 portant garantie de l’indépendance de la radiodiffusion ("Bundesverfassungs-gesetz über die Sicherung der Unabhängigkeit des Rundfunks") D’après l’article 1 de la loi constitutionnelle du 10 juillet 1974 portant garantie de l’indépendance de la radiodiffusion, " (...) La radiodiffusion est régie selon des modalités à préciser par une loi fédérale. Celle-ci doit notamment contenir des dispositions garantissant l’objectivité et l’impartialité de l’information, le respect du pluralisme, l’équilibre des programmes ainsi que l’indépendance des personnes et organes chargés d’exécuter les tâches définies au paragraphe 1. La radiodiffusion au sens du paragraphe 1 est un service public." D. La loi du 10 juillet 1974 relative à l’Office autrichien de radiodiffusion ("Bundesgesetz über die Aufgaben und die Einrichtung des Österreichischen Rundfunks") La loi du 10 juillet 1974 relative à l’Office autrichien de radiodiffusion crée celui-ci et l’érige en personne morale autonome de droit public. Il est tenu de fournir une information complète sur les événements politiques, économiques, culturels et sportifs importants; à cet effet, il diffuse notamment, dans le respect de l’objectivité et du pluralisme, des actualités, des reportages, des commentaires et des avis critiques (article 2, par. 1, alinéa 1), et ce au travers d’au moins deux chaînes de télévision et trois stations de radio, dont une régionale (article 3). Un temps d’antenne revient aux partis politiques représentés au Parlement national ainsi qu’à des associations représentatives (article 5 par. 1). Une commission de contrôle (Kommission zur Wahrung des Rundfunkgesetzes) statue sur tous les litiges relatifs à l’application de cette loi qui ne relèvent pas de la compétence d’une autorité administrative ou juridictionnelle (articles 25 et 27). Elle se compose de dix-sept membres indépendants, dont neuf juges, nommés pour quatre ans par le président de la République sur proposition du gouvernement fédéral. E. La jurisprudence relative à la radiodiffusion câblée dite "passive" ("passiver Kabelrundfunk") Le 8 juillet 1992, la Cour administrative a décidé que ne tombait pas sous la loi constitutionnelle du 10 juillet 1974 (paragraphe 19 ci-dessus) la radiodiffusion câblée dite "passive", consistant à diffuser intégralement par le câble des programmes captés par antenne. En conséquence, la seule circonstance que ceux-ci proviennent d’une station étrangère et s’adressent principalement ou exclusivement à un public autrichien ne saurait fonder le refus de délivrer l’autorisation nécessaire à ce type d’exploitation. F. Évolution ultérieure Le 1er janvier 1994 doit entrer en vigueur une loi sur les stations de radio régionales (Regionalradiogesetz, Journal officiel (Bundesgesetzblatt) no 1993/506); sous certaines conditions, elle permettra aux autorités d’octroyer à des personnes physiques ou morales privées des licences pour la création et l’exploitation de stations régionales de radio. PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION Les requérants ont saisi la Commission à des dates s’échelonnant du 16 avril 1987 au 20 août 1990 (requêtes nos 13914/88, 15041/89, 15717/89, 15779/89 et 17207/90). Ils alléguaient que l’impossibilité d’obtenir une licence d’exploitation s’analysait en une atteinte injustifiée à leur droit de communiquer des informations et enfreignait l’article 10 (art. 10) de la Convention. Les premier et troisième requérants y voyaient en outre une discrimination contraire à l’article 14, combiné avec l’article 10 (art. 14+10). Le cinquième se plaignait de surcroît d’une infraction à l’article 6 (art. 6), en ce qu’il n’aurait pu déférer le litige à un "tribunal" au sens de ce texte. Après avoir ordonné la jonction des requêtes les 13 juillet 1990 et 14 janvier 1992, la Commission en a retenu le 15 janvier 1992 les griefs relatifs aux articles 10 et 14 (art. 10, art. 14) et a rejeté celui qui concernait l’article 6 (art. 6). Dans son rapport du 9 septembre 1992 (article 31) (art. 31), elle conclut: - qu’il y a eu violation de l’article 10 (art. 10) (à l’unanimité pour la première requérante, par quatorze voix contre une pour les autres); - qu’il ne s’impose pas de se placer de surcroît sur le terrain de l’article 14 (art. 14) (à l’unanimité pour la première requérante, par quatorze voix contre une pour la troisième). Le texte intégral de son avis, ainsi que des opinions séparées dont il s’accompagne, figure en annexe au présent arrêt. CONCLUSIONS DU GOUVERNEMENT Le Gouvernement invite la Cour à constater "que dans les espèces soumises, ni l’article 10 (art. 10), ni l’article 14 combiné avec l’article 10 (art. 14+10) n’ont été violés".
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Née en 1948 et de nationalité suisse, Mme Margrit Schuler-Zgraggen s’est mariée en 1972. Elle a son domicile à Schattdorf, dans le canton d’Uri. A. L’octroi d’une rente d’invalidité En 1973, elle entra au service de l’entreprise industrielle D. à Altdorf (canton d’Uri). Son employeur retenait régulièrement sur son salaire des cotisations au régime fédéral d’assurance-invalidité (paragraphe 33 ci-dessous). Au printemps 1975, elle contracta une tuberculose pulmonaire ouverte. Le 29 avril 1976, elle sollicita une "rente" (pension) en alléguant une incapacité de travail due à sa maladie. La caisse de compensation (Ausgleichskasse) de l’Industrie suisse des machines et de la métallurgie (Schweizerische Maschinen- und Metallindustrie) décida, le 24 septembre 1976, de lui accorder une demi-rente d’invalidité pour la période du 1er avril au 31 octobre 1976. Le 28 septembre 1978, l’entreprise D. licencia l’intéressée à compter du 1er janvier 1979, en raison de sa maladie. Mme Schuler-Zgraggen ayant déposé une nouvelle demande de rente, la caisse de compensation résolut le 25 mars 1980 de lui allouer une rente complète avec effet au 1er mai 1978, l’estimant physiquement et mentalement inapte à un emploi. En 1981 puis 1982, l’assurance-invalidité réexamina la situation et confirma l’octroi de la pension. Le 4 mai 1984, l’intéressée donna naissance à un fils. B. La procédure devant la commission de l’assurance- invalidité du canton d’Uri Les examens médicaux En 1985, la commission de l’assurance-invalidité (IV-Kommission) du canton d’Uri invita Mme Schuler-Zgraggen à subir un examen au centre d’observation médicale de l’assurance- invalidité (Medizinische Abklärungsstelle der Invalidenversicherung) à Lucerne. Le centre en question demanda aux docteurs F. et B. deux avis (Konsilien) sur l’état de santé de l’intéressée, l’un pneumologique et l’autre psychiatrique, qu’ils lui adressèrent respectivement les 10 et 24 décembre 1985. Il en établit une synthèse le 14 janvier 1986, à laquelle il joignit le rapport au docteur B. Il concluait à une incapacité totale de travailler comme employée de bureau et évaluait à 60-70 % l’aptitude de la requérante à accomplir des tâches ménagères. La décision du 21 mars 1986 Le 21 mars 1986, la commission de l’assurance-invalidité supprima, avec effet au 1er mai 1986, la rente versée à Mme Schuler-Zgraggen et qui s’élevait alors à 2 016 francs suisses (FS) par mois: la requérante avait vu sa situation familiale profondément changer avec la naissance de son enfant; elle bénéficiait d’une amélioration de son état de santé; enfin, elle se trouvait en mesure à 60-70 % de s’occuper de son foyer et de son fils. C. La procédure devant la commission de recours pour l’assurance-vieillesse, survivants et invalidité du canton d’Uri L’appel et les demandes d’accès et de communication Le 21 avril 1986, Mme Schuler-Zgraggen interjeta appel (Beschwerde) devant la commission de recours pour l’assurance- vieillesse, survivants et invalidité (Rekurskommission für die Alters-, Hinterlassenen- und Invalidenversicherung) du canton d’Uri ("la commission de recours"). Réclamant l’octroi d’une rente d’invalidité complète ou, à défaut, d’une demi-rente, elle soutenait notamment que la loi fédérale sur l’assurance- invalidité lui donnait droit à une rente dans la mesure où son degré d’invalidité atteignait au moins 66,66 %. Afin de continuer à percevoir sa rente, elle invitait aussi la commission à reconnaître un effet suspensif à son recours. Ladite commission la débouta de cette dernière demande le 7 mai. Le 22 mai, Mme Schuler-Zgraggen renonça aux services de son avocat. Le 26 mai, elle se rendit au siège de la commission de l’assurance-invalidité pour consulter son dossier médical, que la commission de recours avait adressé à cette dernière. Elle essuya un refus. Elle écrivit le même jour à la commission de l’assurance- invalidité pour s’en plaindre et pour exiger l’accès au dossier ou au moins une photocopie de certaines pièces importantes. Par une lettre du 28 juillet 1986 à ladite commission, elle sollicita derechef l’autorisation de consulter le dossier, notamment "tous les rapports médicaux, protocoles d’examen et résultats de laboratoires de 1975 à 1986", ainsi que la communication de documents essentiels. La décision du 8 mai 1987 La commission de recours rejeta l’appel le 8 mai 1987. En premier lieu, le droit de consulter le dossier n’impliquait pas celui d’emporter des pièces ni celui d’obtenir des photocopies. Il suffisait que l’intéressée eût eu la faculté de prendre connaissance de son dossier au greffe de la commission de recours; or elle n’en avait pas usé malgré de multiples invitations en ce sens. Ensuite, on ne pouvait écarter l’idée que, même valide, la requérante se serait contentée de s’occuper de son foyer après la naissance de son fils. Au demeurant, eu égard notamment à l’expertise réalisée par le centre d’observation médicale, l’invalidité en question ne suffisait pas, pour une mère au foyer, à ouvrir droit à pension. Mme Schuler-Zgraggen se trouvait en mesure de déployer une activité plus importante, si tant est qu’elle eût souhaité travailler nonobstant sa nouvelle situation familiale. Le refus de verser une pension pouvait l’aider à guérir de sa fixation névrotique sur son incapacité à travailler. La procédure ultérieure Le 11 août 1987, Mme Schuler-Zgraggen écrivit à la commission de recours. Elle affirmait avoir besoin de l’ensemble des documents et des rapports d’experts afin d’évaluer les chances de succès de son action. Elle se référait à un scintigramme de perfusion, une épreuve fonctionnelle respiratoire, des analyses des gaz du sang et un pléthysmogramme. Par une lettre du 13 août, la commission de recours lui répondit en ces termes: "(...) ces documents ont servi de base à l’établissement des différents rapports médicaux. Ils ne se trouvent dans notre dossier qu’en raison du droit de consultation qui vous a été accordé. Nous ne sommes donc pas en mesure de vous en présenter davantage." D. La procédure devant le Tribunal fédéral des assurances Le recours de droit administratif Le 20 août 1987, Mme Schuler-Zgraggen forma devant le Tribunal fédéral des assurances un recours de droit administratif contre la décision de la commission de recours. Elle entendait obtenir une rente complète ou, à titre subsidiaire, le renvoi de l’affaire devant l’organe de première instance. Elle réclamait aussi la permission de consulter son dossier en entier (vollumfängliches Akteneinsichtsrecht). Le Tribunal fédéral des assurances reçut des observations du secrétariat de l’assurance-invalidité de la caisse de compensation le 20 octobre 1987 et de l’Office fédéral des assurances sociales le 9 novembre. Le premier concluait à la suppression de la rente d’invalidité; le second proposait le rejet du recours, en se fondant sur un rapport de son propre service médical, lequel se référait notamment à l’expertise réalisée par le centre d’observation médicale. Par une lettre du 23 novembre 1987, le Tribunal informa la requérante de l’envoi de l’ensemble de son dossier à la commission de recours qui, "dans les quatorze prochains jours, [devait] tenir tous les documents à [sa] disposition pour consultation". Un délai de dix jours s’ouvrirait ensuite à l’intéressée pour compléter son recours de droit administratif. Le 30 novembre 1987, Mme Schuler-Zgraggen consulta son dossier et photocopia certains documents. Le 1er décembre, ledit dossier retourna au Tribunal fédéral des assurances. Me Schleifer, avocat, écrivit à ce dernier le 7 décembre pour l’aviser qu’il représenterait désormais la requérante et pour demander la communication du dossier, laquelle eut lieu le 11. Le 11 janvier 1988, Mme Schuler-Zgraggen présenta un mémoire complémentaire à l’appui de son recours. Elle y déplorait notamment que l’expertise réalisée par le centre d’observation médicale présumât le fonctionnement normal de ses poumons et s’appuyât sur le rapport du docteur F., lequel ne figurait pourtant pas dans le dossier. Elle dénonçait en outre le caractère arbitraire de l’opinion de la commission de recours selon laquelle, même valide, elle se serait vouée à des tâches domestiques en raison de la naissance de son enfant. L’arrêt du 21 juin 1988 Le Tribunal fédéral des assurances rendit son arrêt le 21 juin 1988: Mme Schuler-Zgraggen présentait depuis le 1er mai un degré d’invalidité de 33,33 % et avait donc droit à une demi-rente si elle se trouvait dans une situation financière difficile; comme le dossier ne contenait aucun élément sur ce point, il fallait renvoyer l’affaire à la caisse de compensation. En la matière, la tâche du Tribunal ne se limitait pas à contrôler le respect du droit fédéral et l’absence d’excès ou abus de pouvoir d’appréciation; elle s’étendait à l’opportunité de la décision attaquée, les faits constatés par la juridiction inférieure et les demandes des parties ne liant pas le juge fédéral. La requérante avait obtenu gain de cause quant à son grief tiré du défaut de délivrance, par la commission de recours, de la totalité des pièces aux fins de consultation; elle avait eu la faculté de plaider devant le Tribunal fédéral et de compulser le dossier de ce dernier, lequel avait étudié librement la cause en fait et en droit. Au sujet de la demande de rente, la haute juridiction précisa ce qui suit: "Il faut (...) se rappeler que nombre de femmes mariées travaillent en dehors de leur domicile jusqu’à la naissance de leur premier enfant, même si elles interrompent cette activité aussi longtemps que de besoin pour élever elles-mêmes leurs enfants. Il faut appliquer aussi en l’espèce cette hypothèse tirée de l’expérience de la vie courante, qui doit être dûment prise en compte dans la détermination de la méthode applicable pour le calcul de l’invalidité (...). L’enfant, né le 4 mai 1984, n’avait pas encore deux ans au moment où la décision de suppression contestée a été prise, à savoir le 21 mars 1986 (...); ainsi, selon toute probabilité (nach dem Beweisgrad der überwiegenden Wahrscheinlichkeit) (...), il faut supposer que la requérante, même si son état de santé ne s’était pas détérioré, aurait limité son activité à la fonction de mère au foyer." Pareille circonstance dispensait d’étudier l’aptitude de Mme Schuler-Zgraggen à exercer sa précédente profession; il s’agissait en revanche de rechercher si et dans quelle mesure l’intéressée avait subi des limitations dans son activité de mère au foyer. A cet égard, il suffisait de se fonder sur l’expertise réalisée par le centre d’observation médicale. L’absence dans le dossier du rapport d’expertise pneumologique constituait assurément une certaine lacune (ein gewisser Mangel), mais l’examen effectué par le spécialiste de médecine interne permettait de répondre à la question de savoir s’il y avait eu, à partir de 1980, une modification de l’état des poumons. Depuis lors, la requérante ne suivait plus un traitement pour la tuberculose et se trouvait à cet égard parfaitement apte à travailler. Quant à sa névrose, elle s’était considérablement atténuée dans l’intervalle. Enfin, un handicap résultant de problèmes du dos pouvait théoriquement s’évaluer à 25 % tout au plus. Le 17 juillet 1989, la caisse de compensation décida que Mme Schuler-Zgraggen ne pouvait prétendre à une demi-rente car ses revenus de 1986, 1987 et 1988 dépassaient de beaucoup les plafonds applicables ces années-là dans les "cas pénibles" (paragraphe 35 ci-dessous). L’intéressée n’exerça pas de recours. II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS A. L’assurance-invalidité Deux lois fédérales - l’une du 20 décembre 1949 sur l’assurance-vieillesse et survivants ("la LAVS") et l’autre du 19 juin 1959 sur l’assurance-invalidité ("la LAI") - régissent l’assurance-invalidité. Les assurés L’assurance-invalidité revêt un caractère obligatoire pour toute personne résidant en Suisse (article 1 de la LAVS). Peuvent y adhérer sur une base volontaire certaines personnes, notamment les Suisses demeurant à l’étranger (article 2 de la LAVS). La gestion La gestion de l’assurance-invalidité incombe à des associations cantonales et professionnelles, sous la surveillance de la Confédération (articles 49-73 de la LAVS et 53-67 de la LAI). Le financement À l’heure actuelle, le financement de l’assurance- invalidité provient des cotisations des assurés et des employeurs pour une moitié environ et pour l’autre des contributions de l’État. Les cotisations ne connaissent pas de plafond. Celles des assurés sont automatiquement retenues sur les salaires. Bénéficient d’une dispense les enfants, épouses et veuves sans emploi des assurés, alors que les autres personnes n’exerçant pas d’activité lucrative versent de 43 à 1 200 FS par an (articles 3 de la LAI et de la LAVS). Les rentes L’article 28 de la LAI porte sur l’évaluation de l’invalidité. Son paragraphe 1 prévoit un échelonnement de la rente selon le degré d’invalidité: octroi d’une rente entière pour au moins 66,66 % et d’une demi-rente pour au moins 50 %. A l’époque des faits, une invalidité de 33,33 % n’ouvrait le droit à une demi-rente que "dans les cas pénibles"; il faut aujourd’hui présenter au moins 40 % pour obtenir un quart de rente. Quant au paragraphe 2, il dispose: "Pour l’évaluation de l’invalidité, le revenu du travail que l’invalide pourrait obtenir en exerçant l’activité qu’on peut raisonnablement attendre de lui, après exécution éventuelle de mesures de réadaptation et compte tenu d’une situation équilibrée du marché du travail, est comparé au revenu qu’il aurait pu obtenir s’il n’était pas invalide." Le montant de la rente se détermine sur la base du revenu annuel moyen de l’assuré, que l’on calcule en divisant le revenu total qui sert d’assiette aux cotisations par le nombre des années de cotisations (articles 36 et suivants de la LAI combinés avec les articles 29 et suivants de la LAVS). Pour les rentes ordinaires complètes, le plafond correspond au double du minimum. Les cotisations peuvent faire l’objet de saisies et le droit de les réclamer se prescrit par cinq ans (articles 15 et 16 de la LAVS). B. La procédure de recours L’accès au dossier De l’article 4 de la Constitution fédérale, qui consacre le principe d’égalité, le Tribunal fédéral a déduit le droit du justiciable à consulter le dossier de son affaire devant un organe juridictionnel. Le droit en question implique la faculté d’avoir accès aux pièces officielles et de prendre des notes, mais non celle d’emporter le dossier ou d’exiger l’établissement et la remise de copies (arrêt du 31 mars 1982, Arrêts du Tribunal fédéral suisse (ATF), vol. 108, Ire partie a), pp. 5-9). Sur ce dernier point, le Tribunal fédéral a cependant admis que les particuliers peuvent réclamer des copies, pour autant qu’il n’en résulte pas un travail excessif ni des frais élevés pour l’autorité (arrêt du 4 septembre 1986, ATF, vol. 112, Ire partie a), pp. 377-381). Les audiences a) Devant les autorités de recours L’article 85 par. 2 e), première phrase, de la LAVS dispose que "Si les circonstances le justifient, le juge ordonne des débats". b) Devant le Tribunal fédéral des assurances Aux termes de l’article 14 par. 2 du règlement du Tribunal fédéral des assurances, "Dans la procédure de recours, les parties n’ont pas le droit d’exiger des débats. D’entente avec la chambre, le président a la faculté d’ordonner des débats, à la requête d’une partie ou d’office. Les parties peuvent consulter le dossier avant l’audience de jugement (...)" PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION Mme Schuler-Zgraggen a saisi la Commission le 29 décembre 1988. Elle se plaignait d’abord d’une atteinte à son droit à un procès équitable (article 6 par. 1 de la Convention) (art. 6-1), en raison d’un accès insuffisant au dossier de la commission de recours ainsi que de l’absence d’audience devant le Tribunal fédéral des assurances. Elle alléguait aussi que l’hypothèse adoptée par ce dernier, à savoir qu’elle eût renoncé à un emploi même si elle n’avait pas eu de problèmes de santé, avait constitué une discrimination fondée sur le sexe (article 14 combiné avec l’article 6 par. 1) (art. 14+6-1). La Commission a retenu la requête (no 14518/89) le 30 mai 1991. Dans son rapport du 7 avril 1992 (article 31) (art. 31), elle conclut a) qu’il n’y a eu violation de l’article 6 par. 1 (art. 6-1) ni en raison de l’absence de débats (dix voix contre cinq) ni sous l’angle de l’accès au dossier (treize voix contre deux); b) qu’il n’y a pas eu non plus violation de l’article 14 combiné avec l’article 6 par. 1 (art. 14+6-1) (neuf voix contre six). Le texte intégral de son avis et des six opinions dissidentes dont il s’accompagne figure en annexe au présent arrêt. CONCLUSIONS PRESENTEES A LA COUR Dans son mémoire, le Gouvernement a invité la Cour à "dire que dans le cas d’espèce (pour autant que l’article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention trouve à s’appliquer et que la requérante ait, sur un grief spécifique, qualité de victime et sur un autre ait épuisé les voies de recours internes), il n’y a pas eu violation de l’article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention ou de toute autre disposition de cet instrument". De son côté, le conseil de la requérante a prié la Cour - "de ne pas s’écarter de l’orientation consacrée par les arrêts Feldbrugge et Deumeland et de décider qu’en l’espèce, également, les droits revendiqués par la requérante revêtent essentiellement un caractère civil, tombant dans le domaine d’application de l’article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention"; - "de décider qu’il y a eu violation de l’article 6 par. 1 (art. 6-1) concernant le droit à bénéficier d’une audience contradictoire"; - "de décider que l’article 14 de la Convention combiné avec l’article 6 par. 1 (art. 14+6-1) a été violé par le Tribunal fédéral des assurances".
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE A. Introduction Citoyenne autrichienne résidant à Gaissau, Mme Ingrid Hoffmann est ménagère. En 1980 - elle s’appelait alors Mlle Berger - elle épousa M. S., un technicien du téléphone. A l’époque, tous deux étaient catholiques. Ils eurent deux enfants: un fils, Martin, en 1980, et une fille, Sandra, en 1982, qui reçurent le baptême catholique. La requérante abandonna l’Église catholique pour devenir témoin de Jéhovah. Le 17 octobre 1983, elle intenta une action en divorce contre M. S. Emmenant les enfants, elle le quitta en août ou septembre 1984, à un moment où la procédure demeurait pendante. Le divorce fut prononcé le 12 juin 1986. B. Procédure devant le tribunal de district d’Innsbruck Après leur séparation, tant la requérante que M. S. saisirent le tribunal de district (Bezirksgericht) d’Innsbruck afin de se voir conférer l’autorité parentale (Elternrechte) sur les enfants. M. S. alléguait que ces derniers, si on les laissait aux soins de leur mère, courraient le risque d’être élevés d’une manière qui leur porterait tort. Il estimait hostiles à la société les principes éducationnels de la confession à laquelle appartenait l’intéressée, en ce qu’ils décourageaient tout contact avec les non-membres, toute expression de patriotisme (tel le fait de chanter l’hymne national) et la tolérance religieuse. Tout cela conduirait à l’isolement social des enfants. En outre, l’opposition catégorique des témoins de Jéhovah aux transfusions sanguines pourrait donner lieu à des situations où les enfants se trouveraient menacés dans leur vie ou leur santé. Au sujet de son fils, M. S. relevait que Martin devrait finalement refuser d’accomplir son service militaire, voire le service civil de remplacement. La requérante se prétendait mieux en mesure de s’occuper des enfants, car elle pouvait se consacrer entièrement à eux et en tant que mère elle était plus apte à leur procurer l’environnement familial nécessaire. Elle affirmait que M. S. n’assurait même pas leur entretien comme l’y obligeaient la loi et la morale. Elle reconnaissait cependant qu’elle voulait les éduquer selon ses propres convictions. Se référant notamment à l’avis d’un expert en psychologie infantile, le bureau de la jeunesse de l’administration du district d’Innsbruck (Bezirkshauptmannschaft, Abteilung Jugendfürsorge) se déclara favorable à l’octroi de l’autorité parentale à la requérante. Le 8 janvier 1986, le tribunal de district en décida ainsi et débouta M. S. D’après lui, seul entrait en ligne de compte l’intérêt des enfants. Les conditions matérielles d’existence des deux parents permettaient à chacun d’eux de bien prendre soin de Martin et Sandra; toutefois, le père aurait besoin de l’aide de sa mère. Vivant avec la requérante depuis un an et demi, c’est avec elle que les enfants avaient les liens affectifs les plus forts; les en séparer pourrait leur causer un préjudice psychologique. Dès lors, mieux valait les laisser auprès d’elle. Le tribunal ajouta: "Leur père a pourtant fait valoir là-contre - il s’agit en somme de son unique argument - que l’appartenance d’Ingrid S. à la confession des témoins de Jéhovah a de graves effets préjudiciables sur les deux enfants. A ce sujet, il faut préciser d’emblée que les convictions religieuses des parents ne constituent nullement, en soi, un critère pertinent pour statuer, en vertu de l’article 177 par. 2 du code civil, sur les droits et obligations parentaux. Un parent ne saurait se voir refuser ou retirer ces droits en raison de sa seule qualité de membre d’une minorité religieuse. En l’espèce, il y avait cependant lieu de rechercher si les convictions religieuses de la mère ont une influence négative notable sur la manière dont elle élève ses enfants et si leur bien-être en souffre. A ce propos, il est apparu en particulier qu’Ingrid S. ne permettrait pas de leur donner des transfusions sanguines, qu’elle s’interdit à elle-même de célébrer avec tout le monde des fêtes traditionnelles comme Noël et Pâques, qu’une certaine tension marque les relations des enfants avec un milieu de confession différente et qu’ils ont plus de mal à s’intégrer dans des institutions sociales telles que le jardin d’enfants et l’école. Néanmoins, l’instruction a montré le caractère injustifié de la crainte, exprimée par le père, que les convictions religieuses de leur mère ne conduisent à l’isolement social complet des enfants. De même, les investigations menées n’ont révélé aucun danger potentiel, autre que ceux décrits plus haut, pour leur développement et leur épanouissement. Néanmoins, les faits mentionnés ci-dessus (transfusions sanguines, fêtes, difficultés d’intégration sociale) sont en principe de nature à entraîner des conséquences dommageables pour les enfants. Il fallait le vérifier en l’espèce. A cet égard, apparaît d’abord non convaincant l’argument du père selon lequel le refus d’une transfusion sanguine en cas d’urgence menacerait gravement la vie et la santé de Martin et Sandra. En effet, une décision judiciaire prise au titre de l’article 176 du code civil peut suppléer au défaut de consentement des parents à une telle transfusion, médicalement nécessaire, au profit de l’un des enfants (voir p. ex. tribunal régional d’Innsbruck, 3.7.1979, 4R 128/79): d’après ce texte, chacun peut inviter le tribunal à ordonner les mesures exigées par la sauvegarde de l’intérêt de l’enfant, quand le parent investi de l’autorité parentale crée par son comportement un risque pour ce même intérêt. Grâce à cette possibilité de saisir - à tout moment - le tribunal, l’attitude d’Ingrid S. en matière de transfusions sanguines ne représente pas un danger pour les enfants. Quant à sa position négative à l’égard des fêtes, il ne faut pas oublier qu’elle a expressément accepté de voir le père emmener les enfants en ces occasions et célébrer les fêtes avec eux selon ses propres conceptions. Les convictions religieuses de leur mère ne privent donc pas Martin et Sandra de la possibilité de célébrer les fêtes en question comme tout le monde, de sorte que là non plus ils ne subissent aucun tort. Des doutes formulés au sujet de l’action éducative de la mère, en raison de la confession de celle-ci, il ne reste en définitive qu’une circonstance significative: à cause des préceptes des témoins de Jéhovah, Martin et Sandra auront plus tard un peu plus de peine à s’intégrer dans des groupes sociaux et occuperont, jusqu’à un certain point, une place à part dans la société. Leur bien-être ne court cependant pas là, aux yeux du tribunal, un danger assez grand pour interdire de les laisser à leur mère, avec laquelle ils ont des liens affectifs si étroits et sont habitués à vivre. Tout bien pesé, on doit conclure qu’en dépit des plus grandes difficultés d’intégration sociale, décrites ci-dessus, l’intérêt des enfants demande d’attribuer l’autorité parentale à la mère plutôt qu’au père." C. Procédure devant le tribunal régional d’Innsbruck M. S. interjeta appel devant le tribunal régional (Landesgericht) d’Innsbruck. Celui-ci le débouta par une décision du 14 mars 1986 ainsi motivée: "L’appelant allègue pour l’essentiel l’incompatibilité de la décision de première instance avec l’intérêt des enfants, vu l’appartenance de la mère à la communauté religieuse des témoins de Jéhovah. Il met en avant les critères et les buts propres à cette dernière ainsi que les attitudes sociales - mauvaises d’après lui - qui en résultent; il s’ensuivrait que l’attribution de l’autorité parentale à la mère léserait les deux enfants, qui risqueraient en particulier d’être acculés à un isolement social coupé des réalités. Pareille argumentation ne résiste pas à l’examen. Les témoins de Jéhovah, jadis dénommés `étudiants de la Bible’ et qui forment une communauté fondée sur leur interprétation de celle-ci, ne sont pas interdits en Autriche; on peut dès lors partir de l’idée que leurs buts ne se heurtent ni à la loi ni aux bonnes moeurs (article 16 de la loi fondamentale, combiné avec l’article 9 (art. 9) de la Convention européenne des Droits de l’Homme). L’appartenance de la mère à cette communauté religieuse ne peut donc à elle seule représenter un danger pour le bien-être des enfants (...) Certes, les convictions religieuses de leur mère auront aussi, selon toute vraisemblance, des répercussions sur leur surveillance et leur éducation, ce qui peut les amener à vivre dans un état de tension avec leur environnement de confession différente. Toutefois, la juridiction inférieure a déjà, pour une part, analysé en détail la thèse de M. S.; elle a expliqué par le menu, et de manière concluante, pourquoi les objections du père contre l’octroi de l’autorité parentale à la mère ne peuvent en définitive prévaloir. Quant aux nouveaux arguments tirés d’un sens insuffisant de la démocratie et d’un manque de soumission à l’État, ils ne sauraient eux non plus jeter le doute sur la décision de première instance sous l’angle de l’intérêt des enfants: il suffit de rappeler que la communauté religieuse des témoins de Jéhovah est légalement reconnue et que le tribunal de district n’avait donc pas besoin, contrairement à ce que prétend M. S., d’ordonner d’office une expertise sur les buts ou la nature des témoins de Jéhovah. On ne peut pas davantage reprocher audit tribunal de n’avoir pas prescrit une expertise médicale sur la question, à nouveau soulevée par le recours, de l’hostilité des témoins de Jéhovah aux transfusions sanguines: si la solution judiciaire (ordonnance au titre de l’article 176 du code civil) intervenait trop tard, il appartiendrait en définitive au médecin saisi du problème de se prononcer en fonction, d’abord, de la nécessité de sauver une vie et ensuite seulement de l’opposition des témoins de Jéhovah aux transfusions. Ne saurait non plus prospérer l’argument supplémentaire de M. S. d’après lequel un transfert bien organisé de la garde des enfants à son profit, moyennant un droit de visite correctement aménagé pour la mère, ne pourrait produire l’effet de choc qu’a engendré, à l’époque, leur enlèvement brutal par elle et selon lequel la décision attaquée légalise cet acte unilatéral. L’appelant perd ici de vue que comme l’intérêt des enfants figure au premier plan, la manière dont ils sont arrivés là où on les élève aujourd’hui n’est pas forcément décisive. Même un comportement illégal de la mère n’entrerait en ligne de compte sur ce point que dans la mesure où il autoriserait à constater chez elle une inaptitude à exercer les droits de garde et d’éducation; autrement, pour statuer sur l’attribution de l’autorité parentale peu importe de savoir si le parent concerné s’est lui- même approprié la garde des enfants. Il reste cependant que Martin et Sandra ont connu jusqu’à présent auprès de leur mère un développement harmonieux, ont avec elle une relation plus intime qu’avec leur père et, malgré ses options philosophiques, n’ont subi aucun préjudice dans leur croissance ni surtout dans leur développement psychique; l’appelant ne pouvait sérieusement prétendre le contraire." D. Procédure devant la Cour suprême M. S. saisit la Cour suprême (Oberster Gerichtshof) d’un pourvoi en cassation (außerordentlicher Revisionsrekurs). Le 3 septembre 1986, elle infirma la décision du tribunal régional d’Innsbruck et conféra l’autorité parentale à M. S., au lieu de la requérante, par les motifs suivants: "Le demandeur n’a pas prétendu jusqu’ici que les enfants soient de confession catholique romaine; il a en revanche déclaré que leur mère les éduque selon les principes de la doctrine des témoins de Jéhovah, ce qui a été vérifié. Leur non-appartenance à cette confession n’a pas non plus prêté à controverse. Partant, il incombait aux juridictions inférieures de rechercher si semblable éducation dispensée par la mère n’enfreignait pas la loi fédérale de 1985 sur l’éducation religieuse des enfants (Bundesgesetz über die religiöse Kindererziehung), BGBl (Bundesgesetzblatt, Journal officiel fédéral) 1985/155 (nouvelle publication de la loi du 15.7.1921 sur l’éducation religieuse des enfants, dRGB (deutsches Reichsgesetzblatt, Journal officiel du Reich allemand) I. 939). D’après l’article 1 de ladite loi, les parents décident conjointement de l’éducation religieuse d’un enfant pour autant qu’ils sont titulaires des droits de garde et d’éducation. Leur accord, révocable à tout moment, prend fin au décès de l’un d’eux. L’article 2 par. 1 prévoit qu’en cas d’absence ou de disparition d’un tel accord, l’éducation religieuse obéit aux dispositions du code civil relatives à la garde et à l’éducation des enfants. D’après le paragraphe 2 du même article, toutefois, un parent ne peut décider sans le consentement de l’autre, pendant toute la durée du mariage, que l’enfant sera éduqué dans une confession différente de celle qui leur était commune au moment du mariage, ou dans laquelle il a été élevé jusqu’ici. Comme de toute manière les enfants n’appartiennent pas à la confession des témoins de Jéhovah, leur éducation d’après les principes de cette secte (ainsi que le soutient à bon droit le demandeur, il ne s’agit pas d’une communauté religieuse reconnue: voir Adamovich-Funk, Österreichisches Verfassungsrecht, vol. 3, p. 415) a enfreint l’article 2 par. 2 de la loi de 1985. L’inobservation de ce texte par le tribunal régional est manifestement contraire à la loi. Dans leurs décisions, les juridictions inférieures ont en outre négligé l’intérêt des enfants (...). Le refus, constaté, de la mère de consentir à une transfusion sanguine dont auraient besoin ses enfants menace leur bien-être, car la saisine du tribunal pour y suppléer (...) en cas d’urgence peut, à l’occasion, entraîner un retard fatal et l’on tient pour illégale une intervention médicale pratiquée sur un enfant sans l’acord de la personne investie de la garde (...). Il est aussi constant que les enfants deviendront des marginaux si on les élève selon les préceptes des témoins de Jéhovah. On ne saurait oublier ces considérations quand on décide, pour la première fois, à quel époux il y a lieu d’octroyer les droits de garde et d’éducation. Sans doute est-il préférable de confier à leur mère des enfants en bas âge (...), mais seulement s’il y a équivalence des autres conditions (...). La mère ne jouit d’aucune priorité en matière d’attribution de l’autorité parentale (...). Dans l’intérêt des enfants, il faut accepter la tension, du reste en général purement passagère, que leur cause le changement de la personne chargée de leur éducation (...). Rien, dans le dossier, ne donne à penser que ce changement `s’accompagnerait probablement de préjudices psychiques graves pour les enfants’ (...). De l’avis même des juridictions inférieures, le père est apte à pourvoir à l’éducation des enfants; ils entretiennent une bonne relation avec lui et avec leur grand-mère, qui s’occupera d’eux quand il devra s’absenter pour son travail; leur hébergement est assuré chez leurs grands-parents paternels. Dès lors, seul le transfert de l’autorité parentale au père correspond à l’intérêt des enfants." II. LES TÉMOINS DE JÉHOVAH Au nombre d’environ quatre millions dans le monde, sans compter les sympathisants non initiés, les témoins de Jéhovah forment un mouvement religieux particulier, apparu aux États-Unis dans les années 1870. Connus autrefois sous d’autres noms tels que les étudiants de la Bible, ils ont adopté leur présente appellation en 1931. Un trait essentiel de leur doctrine est la croyance que les Saintes Écritures, dans leur version originale en hébreu et en grec, constituent la parole révélée de Jéhovah Dieu et doivent donc se prendre au pied de la lettre. Le refus d’accepter des transfusions sanguines se fonde sur plusieurs passages dont le suivant, tiré des Actes des Apôtres 15: 28-29 (traduction du Monde Nouveau): "L’esprit saint et nous-mêmes, en effet, avons jugé bon de ne mettre sur vous aucun autre fardeau que ces choses- ci qui sont nécessaires: s’abstenir des choses sacrifiées aux idoles, et du sang, et de ce qui est étouffé, et de la fornication. Si vous vous gardez avec soin de ces choses, vous prospérerez (...)" III. DROIT INTERNE PERTINENT A. Le code civil L’article 177 du code civil autrichien (Allgemeines Bürgerliches Gesetzbuch) règle l’attribution de l’autorité parentale dans l’hypothèse, notamment, du divorce des parents: "1. Les parents d’un enfant légitime mineur, si leur mariage est dissous par divorce, annulé ou déclaré nul, ou s’ils vivent séparés de manière non passagère, peuvent soumettre au tribunal un accord précisant lequel d’entre eux exercera désormais seul l’autorité parentale. Le tribunal approuve l’accord si celui-ci répond à l’intérêt de l’enfant. Si aucun accord n’intervient dans un délai raisonnable, ou si l’accord conclu ne répond pas à l’intérêt de l’enfant, le tribunal décide lequel des deux parents exercera désormais seul l’autorité parentale; toutefois, il ne statue qu’à la demande de l’un d’eux dans le cas d’une séparation non passagère." Pendant comme après le mariage, le tribunal peut être appelé à substituer son approbation ou son consentement à celui d’un ou des deux parents. Le texte applicable est l’article 176, ainsi libellé: "Si les intérêts d’un enfant mineur se trouvent compromis par le comportement des parents, le tribunal ordonne les mesures nécessaires pour les protéger, quel que soit l’auteur de sa saisine; il peut le faire à la demande de l’un des parents lorsque ceux-ci n’arrivent pas à s’entendre sur une question importante pour l’enfant. Il peut notamment prononcer un retrait total ou partiel de l’autorité parentale, y compris les droits de consentement et d’approbation prévus par la loi. Il lui incombe aussi, le cas échéant, de suppléer le consentement ou l’approbation d’un parent, exigés par la loi, lorsque le refus ne se fonde sur aucun motif légitime." Pour statuer en vertu des articles 176 et 177, les tribunaux suivent les critères définis à l’article 178 a): "Pour apprécier l’intérêt de l’enfant, il faut avoir égard à sa personnalité et à ses besoins, en particulier ses talents, ses aptitudes, ses inclinations et ses possibilités de développement, ainsi que les conditions de vie de ses parents." B. Régime de la vie religieuse La liberté de religion est garantie par l’article 14 de la loi fondamentale (Staatsgrundgesetz), aux termes duquel "1. La liberté de croyance et de conscience est pleinement garantie à chacun. La jouissance des droits civils et politiques est indépendante de la confession; toutefois, celle-ci ne saurait justifier aucune dérogation aux devoirs civiques. Nul ne peut être contraint d’accomplir un acte religieux ou de participer à une fête religieuse, sauf en vertu d’un pouvoir conféré par la loi à une autre personne ayant autorité sur lui." L’Autriche possède un système de reconnaissance légale des communautés religieuses, instauré par une loi du 20 mai 1874 (Gesetz betreffend die gesetzliche Anerkennung von Religionsgesellschaften, RGBl (Reichsgesetzblatt, Journal officiel de l’Empire autrichien) 1874/68). Seules cinq communautés religieuses sont ainsi reconnues, dont l’Eglise catholique romaine mais non les témoins de Jéhovah. Les groupements religieux non légalement reconnus ont la personnalité juridique des "associations" (Vereine) de droit commun. L’éducation religieuse des enfants est régie par la loi fédérale de 1985 sur l’éducation religieuse des enfants, reproduction d’une loi allemande de 1921 incorporée dans la législation autrichienne en 1939 (paragraphe 15 ci-dessus). Aux termes de l’article 1, "Les parents décident conjointement de l’éducation religieuse d’un enfant pour autant qu’ils sont titulaires des droits de garde et d’éducation. Leur accord est révocable à tout moment et prend fin au décès de l’un d’eux." L’article 2 précise: "1. En cas d’absence ou de disparition d’un tel accord, les dispositions du code civil relatives à la garde et à l’éducation des enfants valent aussi pour l’éducation religieuse. Toutefois, pendant toute la durée du mariage aucun des parents ne peut décider sans le consentement de l’autre que l’enfant sera éduqué dans une confession différente de celle qui leur était commune au moment du mariage, ou dans laquelle il a été élevé jusqu’ici, ou qu’il doit cesser de suivre les cours de religion. En l’absence de pareil consentement, il est possible de demander la médiation ou une décision du tribunal des tutelles. Celui-ci statue en fonction des buts de l’éducation, même en dehors des cas visés à l’article 176 du code civil. Au préalable, il doit entendre les époux et, au besoin, les parents, alliés et enseignants de l’enfant s’il ne doit pas en découler des retards importants ou des frais disproportionnés. L’enfant doit être entendu s’il a atteint l’âge de dix ans." C. Les interventions médicales La nécessité d’une autorisation parentale avant toute transfusion sanguine à un mineur résulte des lois concernant les interventions médicales en général. Ainsi, la loi sur les hôpitaux (Krankenanstaltengesetz, BGBl 1/1957) dispose en son article 8: "1. (...) Les malades hospitalisés ne peuvent recevoir des soins médicaux que conformément aux principes et aux méthodes reconnues de la science médicale. Un patient ne peut subir un traitement thérapeutique spécial, y compris une intervention chirurgicale, sans son accord ou, s’il a moins de dix-huit ans ou si son niveau de maturité ou son état de santé mentale ne lui permettent pas de juger de la nécessité ou de l’utilité du traitement, sans l’accord de son représentant légal. L’accord n’est pas requis si le traitement présente une urgence telle que le retard entraîné par la recherche du consentement du malade ou de son représentant légal menacerait sa vie ou risquerait de nuire gravement à sa santé. Le médecin-chef de l’hôpital, ou celui de qui relève la gestion du service hospitalier concerné, se prononce sur la nécessité et l’urgence d’un traitement." L’article 110 du code pénal (Strafgesetzbuch) érige en infraction le fait d’administrer un traitement médical sans le consentement requis: "1. Quiconque soigne une autre personne sans son accord, même conformément aux règles de la science médicale, est puni d’un d’emprisonnement pouvant atteindre six mois au plus ou d’une amende pouvant atteindre 360 fois le taux journalier. Si l’auteur a omis de s’assurer de l’accord du patient parce qu’un retard dans le traitement lui paraissait de nature à menacer gravement la vie ou la santé de l’intéressé, il n’y a lieu de le punir en vertu du paragraphe 1 que dans l’hypothèse où le danger présumé n’existait pas et où il aurait pu s’en rendre compte en témoignant de la diligence nécessaire (...) L’auteur ne peut être poursuivi qu’à la demande du patient traité sans son accord." PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION Mme Hoffmann a saisi la Commission le 20 février 1987. Elle se plaignait de s’être vu refuser la garde de ses enfants en raison de ses convictions religieuses. Elle invoquait son droit au respect de sa vie familiale (article 8 de la Convention) (art. 8), sa liberté de religion (article 9) (art. 9) et son droit d’assurer l’éducation de ses enfants conformément à ses convictions religieuses (article 2 du Protocole no 1) (P1-2); elle se prétendait en outre victime d’une discrimination fondée sur la religion (article 14) (art. 14). La Commission a retenu la requête (no 12875/87) le 10 juillet 1990. Dans son rapport du 16 janvier 1992 (article 31) (art. 31), elle conclut: a) par huit voix contre six, à la violation de l’article 8 combiné avec l’article 14 (art. 14+8); b) par douze voix contre deux, à l’absence de question distincte sur le terrain de l’article 9 (art. 9), pris isolément ou combiné avec l’article 14 (art. 14+9); c) à l’unanimité, à la non-violation de l’article 2 du Protocole no 1 (P1-2). Le texte intégral de son avis, ainsi que des opinions séparées dont il s’accompagne, figure en annexe au présent arrêt.
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE La requérante (ci-après: "Dombo") est une société à responsabilité limitée de droit néerlandais, continuation d’une société anonyme (naamloze vennootschap) fondée à l’origine en 1958. Elle a son siège social à Nimègue. A l’époque considérée, elle possédait des parts du capital de plusieurs autres sociétés, de caractère commercial, dont elle assurait la gestion. Ses propres actions étaient détenues par une fondation (stichting) qui en délivrait des certificats, lesquels se trouvaient apparemment tous entre les mains de M. H.C. van Reijendam. L’intéressé figurait aussi parmi les dirigeants de la société. Il en fut le directeur général unique de 1963 à son licenciement (paragraphe 15 ci-dessous), à l’exception d’une brève période - du 4 février au 23 mars 1981 - durant laquelle il fut suspendu de ses fonctions et remplacé par M. C.U. et Mme van L. Dombo avait alors pour banquier la Nederlandsche Middenstandsbank N.V. (ci-après: "la banque"), plus précisément sa succursale de Nimègue dont le gérant était M. van W. D’après les statuts de la société, celui-ci n’était pas directeur de la banque elle-même; il ne pouvait la représenter - notamment par l’octroi de crédits à concurrence d’un montant déterminé - que dans des limites précises. Entre Dombo et la banque existait un accord selon lequel Dombo et ses filiales bénéficiaient de facilités de crédit sur compte courant, à savoir des autorisations de découvert. En août 1980, la ligne de crédit en question s’élevait à 500 000 florins, plus une autorisation temporaire de découvert à hauteur de 250 000 florins. Cet arrangement avait été consacré par la confirmation écrite d’une convention verbale à cet effet et par un contrat du 11 août 1980, aux termes duquel la banque ouvrait un compte joint au nom de Dombo et de ses filiales, qui assumaient une responsabilité solidaire et indivisible quant au respect de leurs obligations envers la banque. Un litige surgit entre Dombo et la banque au sujet du développement de leurs relations financières de décembre 1980 à février 1981. Au cours de la procédure civile qui s’ensuivit, les parties donnèrent des faits des versions qui divergeaient sur des points importants. Celle de Dombo peut se résumer ainsi: a) Au début de décembre 1980, la banque, par l’intermédiaire du gérant de sa succursale de Nimègue, M. van W., aurait promis oralement d’augmenter de 1 600 000 florins le crédit dont disposait Dombo, lequel se monterait donc à 2 100 000 florins au total. Comme M. van Reijendam l’aurait expliqué à M. van W., Dombo en avait besoin pour reprendre les activités commerciales d’une société à responsabilité limitée, O., qui avait fait faillite; il fallait agir vite. L’accord verbal devait être rédigé plus tard, mais dès ce stade M. van Reijendam aurait consenti par écrit à se porter lui-même garant pour Dombo et ses filiales à concurrence de 350 000 florins. A la suite de cette modification du contrat du 11 août 1980, Dombo aurait ouvert auprès de la banque un compte affecté à ses activités relatives au rachat de O., et la banque aurait délivré plusieurs fois des lettres de crédit. b) Au début de janvier 1981, Dombo se serait vu offrir l’occasion de reprendre deux autres sociétés à responsabilité limitée, T. et D., qui se débattaient dans des difficultés financières. Pour couvrir le prix de ces acquisitions, elle aurait sollicité une nouvelle extension de sa ligne de crédit; M. van Reijendam et M. van W. en auraient débattu. A la suite de ces discussions, la banque aurait proposé par écrit à Dombo, le 22 janvier 1981, de hausser le plafond de crédit jusqu’à 5 000 000 florins. Anticipant cette extension, elle aurait versé 350 000 florins pour le rachat de T. et D. et accepté ultérieurement le prélèvement, par M. van Reijendam, de 100 000 florins de plus aux mêmes fins. M. van W. aurait exigé une hypothèque à titre de sûreté pour ces montants et aurait amené M. van Reijendam à signer une procuration en blanc. La banque aurait utilisé ce document pour faire passer devant notaire un acte hypothéquant tous les biens immeubles de Dombo, de ses filiales et de M. van Reijendam en personne. Destiné à garantir un crédit de 1 600 000 florins, il aurait donc constitué une sûreté supplémentaire pour la rallonge visée à l’alinéa a) ci-dessus. c) Le 28 janvier 1981, la banque, par l’intermédiaire de M. van W., aurait inopinément et sans explication retiré sa confiance à M. van Reijendam. Elle l’aurait invité à se démettre et gelé sans préavis tous les comptes de Dombo, dont le solde débiteur global, à savoir 783 436 florins 06, restait bien en deçà de la limite convenue de 2 100 000 florins. Quant à la version de la banque, elle peut se résumer ainsi: a) Dombo aurait effectivement sollicité une ligne de crédit plus élevée en vue de reprendre les activités commerciales de la société O. Tout en lui donnant son accord de principe, la banque lui aurait demandé certains renseignements complémentaires, et notamment ses comptes de l’année précédente (1979); or elle ne les aurait jamais reçus, ce qui aurait empêché de conclure la convention élargissant les facilités de crédit. Toutefois, dans le contexte de la reprise des activités de la société O. (qu’elle approuvait en principe), la banque se serait montrée disposée, vu l’urgence des besoins de financement, à permettre à Dombo de devancer l’extension desdites facilités, en lui fournissant plusieurs lettres de crédit. Elle aurait prié M. van Reijendam de s’en porter lui-même garant à concurrence de 350 000 florins. A la fin de janvier 1981, la somme pour laquelle elle s’était engagée atteignait 848 000 florins. La banque précisait qu’il existait une différence entre une lettre de crédit et un crédit fondé sur un contrat de compte courant; la première s’accompagnerait seulement de risques occasionnels et à court terme, tandis que le second en impliquerait de plus permanents et à long terme. b) La banque reconnaissait aussi la deuxième demande d’extension des facilités de crédit pour la reprise des sociétés T. et D. A cet égard, M. van Reijendam aurait annoncé que d’autres personnes donneraient leur caution personnelle pour au moins 2 000 000 florins. Sur la foi de cette déclaration, la banque aurait écrit à Dombo, le 22 janvier 1981, qu’elle consentait en principe à hausser le plafond de crédit jusqu’à 5 000 000 florins, sous réserve toutefois de certaines conditions relatives aux comptes annuels et aux sûretés. N’ayant reçu ni les uns ni les autres, elle aurait annulé son offre par une lettre du 19 mars 1981 à Dombo. Elle confirmait le transfert de 350 000 florins, mais niait avoir su à quoi devait servir cette somme. M. van Reijendam l’aurait trompée sur ce point. Il en irait de même du retrait de 100 000 florins. La banque aurait relevé cette tromperie dans sa lettre du 19 mars 1981, ajoutant qu’en conséquence elle résilierait la convention de crédit (qu’elle avait pourtant continué à honorer) si M. van Reijendam devait assumer à nouveau les fonctions de gérant de Dombo (alinéa c) ci-dessous). Elle disait avoir exigé les hypothèques à titre de sûreté pour les lettres de crédit visées à l’alinéa a) ci-dessus et pour le retrait des sommes précitées de 350 000 et 100 000 florins. Les hypothèques auraient été constituées en vertu d’une procuration rédigée par un notaire qui - cela ressortait du document lui-même - en avait donné lecture avant que M. van Reijendam la signât. La banque démentait l’existence d’une procuration en blanc. c) Elle se défendait catégoriquement d’avoir bloqué les comptes de Dombo le 28 janvier 1981. En tout cas, le total des retraits opérés sur eux excédait alors la limite convenue de 750 000 florins puisqu’il laissait un solde négatif de 784 657 florins 75. La banque aurait cependant précisé qu’elle n’avait plus confiance en M. van Reijendam après la découverte de l’imposture susmentionnée. Ses doutes sur l’aptitude de l’intéressé à demeurer à la tête de Dombo se seraient vérifiés plus tard quand il fut suspendu de ses fonctions de directeur général, avec effet du 4 février 1981, et envoyé peu après dans un institut psychiatrique en exécution d’une ordonnance judiciaire. Du 4 février 1981 au 23 mars 1981, la banque aurait poursuivi ses relations avec Dombo, désormais dirigée par M. C.U. et Mme van L. Elle aurait continué à lui allouer du crédit afin de financer les activités reprises de la société O. Après le retour de M. van Reijendam, elle aurait offert à Dombo toutes facilités pour réduire sa dette; quand il apparut que M. van Reijendam n’entendait pas agir en ce sens, elle aurait résilié la convention de crédit, à partir du 30 octobre 1981. Alors seulement elle aurait bloqué les comptes. II. PROCÉDURE DEVANT LES TRIBUNAUX INTERNES Le 11 mars 1983, en vertu d’une ordonnance judiciaire qu’elle avait obtenue, Dombo saisit certaines sommes qu’elle devait encore à la banque et assigna celle-ci devant le tribunal d’arrondissement (arrondissementsrechtbank) d’Arnhem; elle réclamait une indemnité pour le dommage que lui aurait causé le manquement de la banque à ses engagements. Il y eut d’abord un large échange d’écritures: chaque partie présenta des observations à trois reprises et produisit de nombreux documents; en outre, Dombo proposa l’audition de témoins, en particulier les directeurs généraux, M. C.U. et Mme van L., qui avaient temporairement remplacé M. van Reijendam, pour prouver que des négociations avaient eu lieu à l’époque en vue d’élever la ligne de crédit de 2 100 000 à 2 600 000 florins. Là-dessus, le tribunal rendit, le 2 février 1984, un jugement interlocutoire autorisant Dombo à citer des témoins afin d’établir, premièrement, que la banque avait gelé ses comptes le 28 janvier 1981 et, deuxièmement, que les facilités de crédit existantes avaient été augmentées de 1 600 000 florins en décembre 1980. De plus, il ordonna la comparution personnelle, devant l’un de ses membres, de représentants de Dombo et de la banque capables de fournir des renseignements et habilités à conclure un règlement amiable. La banque attaqua le jugement devant la cour d’appel (gerechtshof) d’Arnhem, alléguant qu’il eût fallu débouter Dombo d’emblée. D’après elle, Dombo avait abandonné la base initiale de son action et celle qu’elle avait adoptée entre-temps ne pouvait donc manifestement pas lui servir d’appui. Elle ne justifiait d’ailleurs d’aucun intérêt et la demande de preuves formulée par le tribunal d’arrondissement était en tout cas trop vague et unilatérale. Après que les deux parties eurent déposé une déclaration écrite, fourni de nouvelles pièces et, par l’intermédiaire de leurs avocats, plaidé leur cause oralement (Dombo réitérant son offre de preuve), la cour d’appel statua le 8 janvier 1985: écartant les arguments de la banque, elle confirma le jugement querellé. A la requête des deux parties, elle usa de son pouvoir d’évocation. En conséquence, elle ordonna que l’audition des témoins eût lieu le 13 février 1985 devant l’un de ses propres membres, M. van E., mais réserva sa décision sur la date de la comparution personnelle des représentants des parties jusqu’au moment où les témoins auraient été entendus. Dombo en cita plusieurs, dont M. van Reijendam. Produisant le procès-verbal d’une assemblée de ses actionnaires, daté du 29 juin 1984, elle fit valoir que l’intéressé avait été licencié de ses fonctions de directeur général pour cause de "pénurie de fonds". Elle soumit en outre un document indiquant que M. van Reijendam avait été enregistré, le 27 novembre 1984, comme demandeur d’emploi, ainsi qu’un extrait du registre de commerce d’où il ressortait qu’une autre personne avait été nommée directeur général de Dombo le 10 décembre 1984. La banque s’opposa à l’audition de M. van Reijendam. Elle tirait argument de la règle selon laquelle une partie à l’instance ne peut elle-même être ouïe comme témoin (paragraphes 23 et 25-26 ci-dessous). Elle soutenait que le licenciement de M. van Reijendam ne reflétait pas la situation réelle, mais avait eu pour seul but de lui permettre de témoigner. Par un arrêt du 12 février 1985, le conseiller Van E. accueillit l’objection et refusa d’entendre M. van Reijendam. Il avait abouti à la conclusion que le licenciement et le remplacement de celui-ci constituaient tous deux des actes simulés (schijnhandelingen), uniquement destinés à donner à l’intéressé la possibilité de témoigner dans la procédure en cours. Il soulignait que M. van Reijendam, présent aux débats du 30 octobre 1984 devant la cour d’appel, n’avait pas protesté quand l’avocat de Dombo l’avait désigné comme le directeur général de celle-ci. Il ajoutait que les motifs allégués pour expliquer le licenciement ne lui semblaient pas plausibles. Les six autres témoins cités par Dombo déposèrent les 13 et 20 février 1985. L’un d’eux, M. C.U., le fit les deux jours. Directeur financier de Dombo du milieu de l’année 1977 à mai 1980, il avait conservé depuis lors des rapports avec elle en tant que conseiller extérieur. En novembre et décembre 1980 il avait été "très étroitement associé" à sa gestion, ce qui avait conduit à le désigner comme directeur général statutaire après la suspension de M. van Reijendam le 4 février 1981 (paragraphe 11, alinéa c), ci-dessus). Le 13 février, M. C.U. affirma notamment avoir assisté à plusieurs rencontres des parties entre novembre 1980 et le 28 janvier 1981; sans pouvoir se rappeler les termes exacts utilisés, il avait entendu M. van W. dire quelque chose comme: "Alors, pour l’instant nous prendrons comme point de départ un crédit de 1 600 000 florins." Ouï une deuxième fois à la demande de Dombo, il corrigea sa déclaration précitée: il expliqua qu’outre l’autorisation initiale de découvert à concurrence de 500 000 florins, la banque avait consenti une nouvelle ligne de crédit limitée à 1 600 000 florins pour des reprises (essentiellement celle des activités de la société O., une petite fraction devant servir au rachat de la société T.). Il y avait eu plusieurs discussions - auxquelles le témoin avait participé - au sujet du nouveau plafond à fixer. Dans l’exercice de son droit à une contre-enquête, la banque cita deux de ses employés, dont le gérant de sa succursale de Nimègue, M. van W. Dombo combattit la convocation de ce dernier, au motif qu’à tous les stades de la relation de crédit, de même que dans la procédure en cours, il avait été et demeurait le représentant officiel de la banque; l’entendre à ce stade, alors que M. van Reijendam n’avait pu l’être, détruirait le juste équilibre à ménager entre les parties à un litige civil. Le conseiller Van E. rejeta l’objection par une décision rendue oralement le 13 mars 1985. Il jugea d’abord et avant tout que M. van W. avait qualité pour déposer comme témoin en l’espèce, car ni formellement ni matériellement il n’était partie à l’instance; il ajouta que l’on ne pouvait invoquer, à l’appui de la thèse contraire, le fait qu’entendre M. van W., mais non M. van Reijendam, placerait Dombo dans une situation désavantageuse. M. van E. procéda immédiatement à l’audition des témoins de la banque. Les deux parties présentèrent ensuite des mémoires détaillés où elles analysaient les dépositions recueillies. Dombo produisit nombre de documents supplémentaires, y compris des déclarations de personnes non ouïes comme témoins. La banque fournit elle aussi quelques pièces de plus et Dombo répondit par écrit aux observations de la banque. La cour d’appel prononça son arrêt final le 11 mars 1986. Elle y étudiait d’abord de près les dépositions des témoins. Elle notait que celles de M. C.U. (paragraphe 16 ci-dessus) se contredisaient sur un point important, le chiffre retenu pour l’extension des facilités de crédit; elle ajoutait que cette divergence, pour laquelle nulle explication n’avait été donnée, rendait moins convaincantes les affirmations du témoin. Passant à l’examen de diverses attestations écrites produites par Dombo, elle en écartait deux pour défaut de signature. Quant à une autre, signée de M. van Reijendam, elle lui attribuait la même valeur qu’à une déclaration émanant de Dombo elle-même. Et de poursuivre: "La cour d’appel considère que Dombo n’a pas apporté la preuve requise. Les dépositions des témoins [D., H. et O.] ne sont pas assez précises; quant à la déclaration de [C.U.] et à celle, notariée, de [S.] - dont l’expérience ne remonte pas au-delà du 12 mai 1981 -, elles se trouvent contredites par celles des témoins [Van W. et K.]. L’absence de toute preuve écrite d’un acte aussi important que l’accord mentionné par Dombo, alors qu’il devrait normalement y en avoir, oblige la cour à se livrer à une évaluation stricte des preuves, ce qui entre également en ligne de compte. Le procès a permis d’établir que de décembre 1980 à janvier 1981, la [banque] avait bien consenti à Dombo, sous diverses formes, des facilités de crédit supérieures aux montants auxquels celle-ci pouvait prétendre en vertu d’un quelconque accord écrit. Il n’en résulte pourtant pas nécessairement que Dombo y avait droit par là même, en ce sens que la [banque] ne saurait, pour des motifs qui lui seraient propres, pratiquer sur lesdites facilités une sorte d’embargo temporaire. La complaisance avec laquelle la [banque] a autorisé Dombo à dépasser, de beaucoup, la limite de crédit officiellement en vigueur donne à réfléchir, mais elle peut s’expliquer par les négociations entre les parties concernant la fixation d’une ligne de crédit nettement plus élevée, négociations révélées pendant le procès et au cours desquelles, les parties en conviennent, la somme de 2 600 000 florins fut mentionnée. Il ressort clairement de la déclaration du témoin [Van W.] - et Dombo ne l’a plus contesté après l’audition de l’intéressé - qu’à la fin de janvier 1981, celui qui était alors le directeur général de Dombo réussit par deux fois, en trompant le témoin, à retirer des sommes importantes au- delà de ce qu’il fallait déjà considérer officiellement comme un découvert substantiel des comptes consolidés de Dombo. Cela pouvait fournir à la [banque] des motifs raisonnables de ‘couper’, pour un temps, ‘le robinet du crédit’ à Dombo." La cour d’appel ajoutait que la convention n’ayant pas été prouvée, il n’y avait pas lieu de rechercher si la banque avait, en violation de celle-ci, réellement bloqué les comptes de Dombo, qu’elle débouta de sa demande. En juin 1986, Dombo se pourvut devant la Cour de cassation (Hoge Raad). Le paragraphe 2 de son mémoire ampliatif, assez long, attaquait en particulier la décision, prise par le conseiller Van E., d’accueillir les objections à l’audition de M. van Reijendam comme témoin pour Dombo et de repousser celles qui critiquaient l’audition de M. van W. comme témoin pour la banque. On y lisait notamment ceci: "En outre, les décisions de la cour d’appel, (même) si on les examine en bloc, pèchent par leur incompatibilité avec l’article 6 de la [Convention] (art. 6), qui garantit à chacun le droit à ce que sa cause soit entendue équitablement lorsqu’il s’agit de statuer sur ses droits et obligations de caractère civil. En effet, ce texte implique (notamment) que les parties doivent pouvoir se combattre à armes égales et que toute partie à un litige civil doit pouvoir présenter sa thèse au tribunal dans des conditions qui ne la placent pas dans une situation de net désavantage par rapport à la partie adverse." Dans ses conclusions du 8 janvier 1988, l’avocat général exprima l’avis que Dombo avait raison de soutenir que "d’après les conceptions juridiques actuelles", la personne "assimilable à une partie" doit pouvoir témoigner. A l’appui de cette opinion, il se référa au nouveau droit de la preuve en matière civile, adopté entre-temps par le Parlement (paragraphe 27 ci-dessous). Dans le même sens, il s’appuya aussi sur l’article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention, que selon lui Dombo pouvait à bon droit invoquer. A cet égard, il releva notamment ce qui suit: "Le problème en l’espèce est que [M. van W.] a pu présenter en détail aux juges sa version de ce qui, en 1980, a (ou n’a pas) été discuté et conclu entre lui et M. van Reijendam (sa déposition couvre quatre pages du procès-verbal de l’audience et deux pages de l’arrêt de la cour d’appel), tandis que M. van Reijendam n’en a pas eu l’occasion. Or le succès de l’action de Dombo en dépendait." Et de conseiller à la Cour de cassation d’accueillir le recours de Dombo. La haute juridiction rejeta le pourvoi le 19 février 1988. Elle écarta l’argument tiré des "conceptions juridiques actuelles", estimant que le droit de la preuve applicable en l’espèce se fondait sur l’interdiction, pour les parties, de témoigner en leur propre cause, de sorte que l’on ne pouvait anticiper l’entrée en vigueur de la loi nouvelle, à l’économie toute différente. Elle repoussa également le grief relatif à l’article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention: d’après elle, il partait de l’idée que la cour d’appel avait violé le principe en vertu duquel "les droits procéduraux des deux parties doivent être équivalents". Or à ses yeux ce raisonnement "(...) méconna[issait] la règle selon laquelle le juge du fait est libre, pour apprécier la force probante des déclarations de témoins, de prendre en compte la nature et l’étroitesse des liens d’un témoin avec une partie en cause, et qu’il doit aussi juger une déposition à la lumière de ce que la partie adverse a soutenu dans ses observations écrites ou lors de sa comparution personnelle". III. DROIT ET PRATIQUE INTERNES PERTINENTS A. Aptitude des parties à témoigner, en général: l’ancien droit Avant l’entrée en vigueur, le 1er avril 1988, des "nouvelles règles de preuve en matière civile" (paragraphe 27 ci-dessous), la question était régie par les codes civil (Burgerlijk Wetboek - C.C.) et de procédure civile (Wetboek van Burgerlijke Rechtsvordering - C.P.C.), qui tous deux remontaient à 1838 et s’inspiraient, dans une large mesure, des codes français correspondants. L’ancien droit, applicable à l’époque de la procédure litigieuse, ne précisait pas qu’une personne n’était pas recevable à témoigner dans sa propre cause. On admettait pourtant en général que, pour citer la Cour de cassation, "l’un des principes du droit néerlandais de la procédure civile [interdisait] d’entendre comme témoin dans sa propre cause une personne formellement ou matériellement partie à un procès" (arrêt du 1er février 1963, NJ (Nederlandse Jurisprudentie) 1964, no 157). Cette opinion s’appuyait notamment sur l’article 1947 par. 1 du C.C., qui refusait la qualité de témoins aux parents et alliés en ligne directe, au conjoint et à l’ex-conjoint d’une partie. La règle empêchant une partie de témoigner elle-même fut confirmée et appliquée strictement par la Cour de cassation à maintes reprises, ainsi que le montrent, entre autres, des arrêts des 22 mai 1953 (NJ 1953, no 647), 1er février 1963 (NJ 1964, no 157) et 5 janvier 1973 (NJ 1973, no 106), plus ceux que mentionne le paragraphe 25 ci-dessous. Il n’en résultait pourtant pas que les tribunaux ne pussent ouïr les parties en personne. Ils disposaient des ressources suivantes: a) Les serments décisoire et supplétoire, impliquant l’audition sous serment d’une partie à l’instance. i. Une partie pouvait inviter l’autre à confirmer sous serment l’exactitude d’un fait controversé. La prestation d’un tel serment rendait irrecevable la preuve du contraire, tandis qu’en cas de refus l’allégation contraire était réputée vraie. Il s’agissait là du serment décisoire (beslissende eed; articles 1967 à 1976 du C.C.). ii. Le tribunal avait en outre la possibilité de déférer, d’office ou à la requête d’une partie, le serment supplétoire (aanvullende eed) à la partie qui lui semblait la plus indiquée à cet effet, dans la mesure où les déclarations auxquelles le serment devait se rapporter n’étaient ni prouvées ni entièrement gratuites (articles 1977 et 1978 du C.C.). Les parties demandaient assez souvent le recours à pareil serment si elles craignaient que leurs preuves ne fussent insuffisantes; elles priaient alors le tribunal de les autoriser à les compléter de la sorte s’il les jugeait lui-même trop faibles. b) A quoi s’ajoutaient trois moyens d’entendre des parties sans prestation de serment: i. L’"interrogatoire" d’une partie, à la requête de l’autre, "sur des points litigieux" (verhoor op vraagpunten, articles 234 à 247 du C.P.C.); la partie sollicitant un tel interrogatoire devait d’abord déposer ses questions, mais le tribunal - tout comme ladite partie - avait la faculté d’en soulever aussi d’autres, suscitées par l’interrogatoire. ii. La comparution personnelle des parties à titre d’information (comparitie tot het geven van inlichtingen; article 19a du C.P.C.), ordonnée d’office ou à la requête de l’une d’elles; en principe, semblable ordonnance tendait à la comparution des deux parties. iii. A l’occasion de plaidoiries (pleidooien): l’article 20 du C.P.C. permettait aux parties de présenter leur propre cause oralement, mais c’était chose très rare; toutefois, elles assistaient fréquemment aux audiences et le tribunal pouvait en profiter pour leur poser des questions (article 144 par. 2 du C.P.C.). On estimait d’ordinaire que les déclarations faites dans ces trois hypothèses ne constituaient pas des preuves à l’appui de la thèse de la partie dont elles émanaient. B. Personnes morales Quand une personne morale était partie à une procédure, la règle prohibant l’audition d’une partie comme témoin valait pour toute personne physique devant lui être assimilée. Il en allait ainsi lorsqu’une personne physique avait agi dans la procédure en qualité de représentant d’une personne morale (voir notamment Cour de cassation, 27 juin 1913, NJ 1913, p. 865; 28 avril 1916, NJ 1916, p. 786; 19 janvier 1922, NJ 1922, p. 319; 17 janvier 1969, NJ 1969, no 251), ou que la loi ou les statuts de ladite personne morale l’y habilitaient (voir notamment Cour de cassation, 9 janvier 1942, NJ 1942, no 302; 12 janvier 1973, NJ 1973, no 104; 26 octobre 1979, NJ 1980, no 486; 18 novembre 1984, NJ 1984, no 256). L’aptitude de quelqu’un à témoigner devait s’apprécier à la lumière de la situation existant au moment où il devait déposer. En vertu de ce principe général, on considérait de coutume que l’ancien directeur d’une personne morale pouvait témoigner après son licenciement, tandis qu’il ne l’aurait pu à l’époque où il se trouvait en fonctions (voir notamment Cour de cassation, 28 juin 1985, NJ 1985, no 888). Toutefois, tel n’était pas le cas si l’intéressé n’avait pas réellement perdu son poste au sein de la personne morale et si son licenciement devait s’analyser en un acte simulé (schijnhandeling - voir notamment Cour de cassation, 18 novembre 1983, NJ 1984, no 256, et l’arrêt rendu par elle en l’espèce le 19 février 1988, publié avec une note dans NJ 1988, no 725). C. Aptitude des parties à témoigner: le nouveau droit La loi du 3 décembre 1987 (Staatsblad (Journal officiel) 590), entrée en vigueur le 1er avril 1988, a profondément modifié le droit de la preuve en matière civile. Le projet d’où elle est issue remonte à 1969. Parmi les raisons du long délai écoulé avant son adoption figurait la controverse sur le point de savoir s’il fallait abandonner, ou au contraire maintenir, le principe selon lequel on ne devait pas laisser les parties témoigner. Durant toute la procédure parlementaire, la question donna lieu à un débat animé au sein du Parlement comme au dehors, mais pour finir on décida de renoncer à l’ancienne pratique. A présent, l’article 190 du C.P.C. autorise les parties à témoigner dans leur propre cause. En conséquence, les serments décisoire et supplétoire (paragraphe 24, alinéa a), ci-dessus) ont disparu. Des travaux préparatoires, il ressort que les cas "dans lesquels l’insuffisance des preuves fournies par une partie entraîne une inégalité juridique" ont spécialement amené à une conclusion: "les arguments militant pour la capacité des parties à témoigner pesaient plus lourd que la crainte de partialité et de problèmes d’appréciation, qui du reste pouvaient aussi bien surgir dans l’hypothèse d’autres déclarations de témoins". A titre d’exemple de pareille inégalité, on précisa "qu’une partie, personne physique, non admise à déposer comme témoin [pouvait] avoir pour adversaire, par exemple, une partie, personne morale, en mesure de citer des tiers dont la crédibilité [pouvait] pourtant inspirer exactement les mêmes doutes, vu l’étroitesse de leurs liens avec ladite partie ou avec la procédure. (...) [O]n discerne mal pourquoi un individu devrait pouvoir faire en justice une déclaration sous serment sur des questions dont il a eu à s’occuper, tandis que l’autre personne concernée n’aurait pas cette faculté. La remarque vaut indépendamment de toute insuffisance de preuve, en ce sens qu’aucune autre preuve n’est disponible (...)" (Parlementaire Geschiedenis Nieuw Bewijsrecht, Travaux préparatoires du nouveau droit de la preuve, pp. 189-190) Il échet de relever que des différences subsistent entre un témoin partie à l’instance et un témoin qui ne l’est pas. En l’occurrence, on notera sans plus que d’après l’article 213 par. 1 du C.P.C., la déclaration d’un témoin partie en cause "relativement aux faits à établir par lui ne saurait constituer une preuve à son profit, sauf si elle ajoute à une preuve incomplète". PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION Dombo a saisi la Commission le 15 août 1988. Elle alléguait que par leur refus d’entendre son directeur (ou ancien directeur) comme témoin, alors qu’elles avaient recueilli le témoignage du gérant de la succursale de son adversaire, les juridictions compétentes l’avaient placée dans une situation désavantageuse par rapport à ce dernier, et donc contraire au principe de "l’égalité des armes", consacré par l’article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention. La Commission a retenu la requête (no 14448/88) le 3 septembre 1991. Dans son rapport du 9 septembre 1992 (article 31) (art. 31) elle aboutit, par quatorze voix contre cinq, à la conclusion qu’il y a eu violation de l’article 6 par. 1 (art. 6-1). Le texte intégral de son avis et de l’opinion dissidente dont il s’accompagne figure en annexe au présent arrêt.
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Citoyenne française, Mme A. exerce la profession de médecin spécialisé en cardiologie et réside à Paris. Le 23 juillet 1981, un juge d’instruction de Paris l’inculpa, ainsi que cinq autres personnes dont M. Serge Gehrling, de tentative d’homicide volontaire, infraction à la législation sur les armes et munitions, et infraction à la loi du 25 juillet 1980 sur la protection et le contrôle des matières nucléaires. Le même jour, il la plaça sous mandat de dépôt. Elle recouvra la liberté, sous contrôle judiciaire, le 26 mars 1982 par décision de la chambre d’accusation de la cour d’appel de Paris. Le 7 mars 1991, le magistrat instructeur rendit une ordonnance de non-lieu à l’égard des six prévenus, y compris la requérante, au motif qu’il n’y avait pas de charges suffisantes contre eux. A. L’enregistrement litigieux et le dépôt de la plainte de la requérante En juillet ou août 1980, M. Gehrling se rendit dans les locaux de la police nationale à Paris. Il indiqua au commissaire divisionnaire Aimé-Blanc, chef de l’Office central de répression du banditisme, que Mme A. l’avait chargé d’assassiner M. Pierre de Varga, lui-même inculpé d’une tentative d’assassinat visant le prince Jean de Broglie et détenu à la maison d’arrêt de la Santé, à Paris. Il se proposa de téléphoner au domicile de la requérante pour l’entretenir des modalités d’exécution du crime et enregistrer la conversation téléphonique. Le commissaire accepta. Une fois en possession de l’enregistrement, il avisa ses supérieurs des risques qui pesaient sur M. de Varga, sans révéler l’identité de son indicateur ni l’existence de la cassette. Interrogé le 22 septembre 1981 dans le cadre de l’information ouverte du chef de tentative d’homicide volontaire sur la personne de M. de Varga, le commissaire Aimé-Blanc déclara au juge d’instruction: "Gehrling, à 22 h 30, dans mon bureau, a appelé [Mme A.], il l’a fait parler sur cette affaire et la conversation a duré un bon quart d’heure. J’ai procédé à son enregistrement à l’aide d’un magnétophone; j’ai conservé la bande de cet enregistrement que je tiens à votre disposition. (...) J’indique que je n’ai pas rendu compte de cette prise d’enregistrement à mon directeur." Le lendemain, sur injonction du magistrat, il lui remit la cassette. Le 9 novembre 1981, Mme A. déposa une plainte, avec constitution de partie civile, contre M. Gehrling et le commissaire Aimé-Blanc, pour atteinte à l’intimité de la vie privée et violation du secret des correspondances téléphoniques. Elle invoquait les articles 368, 369 et 378 du code pénal ainsi que l’article L.42 du code des postes et télécommunications (paragraphes 18 et 22 ci-dessous). B. L’instruction de la plainte Devant le juge d’instruction Le 28 janvier 1985, le magistrat chargé d’instruire la plainte rendit une ordonnance de non-lieu. Il commença par relever que les conversations enregistrées n’avaient pas trait à la vie privée: "(...) (...) les délits prévus et réprimés par les [articles 368-1o et 369 du code pénal] supposent non seulement une atteinte effective à la vie privée d’autrui, mais encore la volonté de porter atteinte à un droit subjectif fondamental. (...) Or, en l’espèce, il résulte de la translation écrite du document magnétique obtenu par Serge Gehrling que les propos tenus par Mme [A.] - à l’exception de rares éléments résultant d’indications spontanées sans rapport avec l’objet général de l’entretien - sont extérieurs à la vie affective ou personnelle de la plaignante." Au sujet de la violation alléguée de l’article L.42 du code des postes et télécommunications, le juge précisa ce qui suit: "Ce texte dispose expressément que la protection du secret n’est accordée à l’interlocuteur ou au destinataire qu’en l’absence d’un consentement donné par l’un d’entre eux, à la révélation. L’un des protagonistes de la conversation, Serge Gehrling, ayant manifesté par la remise de l’enregistrement au commissaire Aimé-Blanc, le consentement prévu par le texte précité, le délit n’est donc pas constitué." Devant la chambre d’accusation de la cour d’appel de Paris Sur appel de Mme A., la chambre d’accusation de la cour de Paris confirma ladite ordonnance le 22 octobre 1985, par les motifs suivants: "(...) (...) l’un [des interlocuteurs], en l’espèce Gehrling, ayant consenti à cette divulgation [du contenu d’une communication téléphonique] en remettant volontairement au commissaire Aimé-Blanc la bande d’enregistrement, le délit [de violation du secret des communications téléphoniques] n’est pas constitué et l’ordonnance entreprise doit être confirmée de ce chef. (...) (...) il apparaît que la conversation enregistrée entre Gehrling et dame [A.] est entièrement étrangère à la vie affective ou personnelle de celle-ci; que bien au contraire Gehrling a placé délibérément son entretien sur deux supports, la préparation de l’assassinat ou un trafic douanier, cherchant ainsi à provoquer chez sa correspondante la confirmation des déclarations qu’il avait faites au commissaire Aimé-Blanc (...) Dans ces conditions, il apparaît qu’à aucun moment Gehrling n’a cherché à faire révéler par dame [A.] un secret de sa vie privée, sentimentale, familiale ou physique, ne cherchant qu’à recueillir des propos révélant des faits constituant des infractions graves à la loi pénale, exclusives de tout caractère intime." Devant la Cour de cassation Mme A. se pourvut en cassation; elle dénonçait entre autres l’irrégularité du mode de désignation des conseillers à la chambre d’accusation. Le 11 mai 1987, la chambre criminelle accueillit le pourvoi et renvoya la cause devant la chambre d’accusation de Paris autrement composée. Devant la chambre d’accusation de la cour d’appel de Paris Le 13 janvier 1988, la chambre d’accusation confirma de nouveau l’ordonnance de non-lieu, par les motifs suivants: "[Considérant qu’] il résulte de la translation écrite de la bande magnétique, enregistrée par Serge Gehrling dans le bureau du commissaire divisionnaire Aimé-Blanc, que les paroles tenues à son domicile par [Mme A.] s’analysent, à l’exception de rares éléments qui résultent d’indications spontanées sans rapport avec l’objet général de l’entretien, en des échanges allusifs au sujet d’un projet d’homicide volontaire et d’une affaire de trafic douanier; que Gehrling a délibérément placé la discussion sur ces deux sujets, sur lesquels il ramène systématiquement son interlocutrice au cours de la communication; que [Mme A.] a ainsi été soumise à un questionnaire par lequel M. Gehrling a cherché à provoquer la confirmation des révélations qu’il avait faites au commissaire de police; Considérant que les déclarations de Lucien Aimé-Blanc et de Serge Gehrling établissent de manière concordante que le second a consenti à la révélation de cette conversation; I. Sur l’atteinte à l’intimité de la vie privée de la partie civile Considérant en premier lieu que le délit réprimé par l’article 368 du code pénal suppose une atteinte effective à l’intimité de la vie privée d’autrui; que le regard ou l’écoute illicitement porté doit avoir capté des situations, des activités, des attitudes ou des paroles, relatives aux états, sentiments, opinions ou occupations qu’une volonté légitime autorise à ne faire partager qu’à un cercle restreint et qui ont trait à la vie familiale, affective, patrimoniale, à la pensée, à la santé et aux loisirs; Que tel n’est pas le cas des paroles relatives à la préparation d’un projet criminel susceptible de constituer une atteinte à la vie d’un tiers et de causer un trouble à l’ordre public; Considérant dès lors, en l’espèce, que les propos tenus par [Mme A.] à son domicile et enregistrés à son insu par Gehrling qui ne l’avait appelée que pour parler d’un projet d’homicide volontaire sur la personne de M. De Varga dont elle aurait été l’instigatrice, et qui a systématiquement maintenu la conversation sur ce sujet et sur celui d’un trafic douanier, échappent au domaine de la vie privée; Qu’il s’ensuit que Serge Gehrling ne s’est pas rendu coupable du délit d’atteinte à la vie privée d’autrui; Considérant en second lieu que la conservation et la révélation d’enregistrements ou de documents obtenus par surprise ou à l’insu d’autrui ne sont punissables, aux termes de l’alinéa 1er de l’article 369 du code pénal, que s’ils ont trait à l’intimité de la vie privée; Que la bande magnétique sur laquelle a été enregistrée la conversation échangée entre la partie civile et Gehrling concerne des propos qui n’ont manifestement aucun lien avec la vie privée des personnes qui les ont tenus; Que Lucien Aimé-Blanc ne s’est donc pas rendu coupable du délit qui lui est reproché; II. Sur la violation du secret des correspondances téléphoniques Considérant que l’article 42 du code des postes et télécommunications incrimine la divulgation par un tiers du contenu des communications téléphoniques dont il protège le secret, l’un ou l’autre des interlocuteurs pouvant consentir à la révélation qui ne revêt alors plus aucun caractère pénal; Qu’en l’espèce, étant observé que la partie civile ne critique pas la décision de non-lieu rendue sur ce point, Lucien Aimé-Blanc ne s’est pas rendu coupable de ce délit dès lors qu’il est démontré par la procédure que Serge Gehrling a manifesté son consentement à la divulgation éventuelle de la communication téléphonique par la remise volontaire de l’enregistrement qui en avait été réalisé à son initiative et à cette fin;" Devant la Cour de cassation Mme A. forma derechef un pourvoi, que la Cour de cassation rejeta le 8 novembre 1988. Le premier moyen alléguait la violation de l’article 191 du code de procédure pénale et concernait, à nouveau, la composition de la chambre d’accusation de Paris. La Cour suprême le jugea non fondé. Quant au second, pris de la violation des article 368 et 369 du code pénal et de l’article 593 du code de procédure pénale, il avait trait aux motifs du non-lieu et se lisait ainsi: "(...) l’arrêt attaqué a décidé qu’il n’y avait pas lieu à suivre contre Aimé-Blanc et Gehrling du chef d’atteinte à la vie privée de Mme [A.]; (...) alors que d’une part l’atteinte à la vie privée d’autrui est caractérisée par l’enregistrement de paroles prononcées dans un lieu privé et l’absence de consentement de la personne qui les prononce quant à l’enregistrement de ses propos; (...) alors que d’autre part l’arrêt qui (...) reconnaît (...) que la conversation téléphonique incriminée n’avait pas pour seul objet le prétendu projet d’homicide volontaire, mais ne rapporte pas les propos étrangers à cet objet et qui pouvaient concerner strictement la vie privée de la partie civile, ne met pas la Cour de cassation en mesure d’exercer son contrôle et ne satisfait pas aux conditions essentielles de son existence légale; et alors qu’enfin l’arrêt qui retient que ‘les propos tenus par Mme A. à son domicile (...) échappent au domaine de la vie privée’ tandis qu’il constate par ailleurs que la conversation téléphonique comportait des ‘éléments d’indications spontanées sans rapport avec l’objet général de l’entretien’, et qui reconnaît ainsi l’existence de propos susceptibles de concerner la vie strictement privée de la partie civile, est entaché d’une contradiction et ne satisfait pas aux conditions essentielles de son existence légale;" La chambre criminelle déclara le moyen irrecevable, pour les raisons ci-après: "Attendu que les énonciations de l’arrêt attaqué mettent la Cour de cassation en mesure de s’assurer que, pour confirmer l’ordonnance entreprise, la chambre d’accusation, après avoir analysé l’ensemble des faits dénoncés par la partie civile, a répondu aux articulations essentielles des mémoires de celle-ci et a exposé les motifs desquels elle a estimé pouvoir déduire que n’étaient pas réunis à la charge des inculpés les éléments constitutifs des infractions reprochées; Qu’aux termes de l’article 575 du code de procédure pénale, la partie civile n’est pas admise à contester le bien-fondé de tels motifs, certains fussent-ils erronés en droit ou contradictoires, à l’appui de son seul pourvoi contre un arrêt de cette nature;" II. LE DROIT INTERNE PERTINENT A. Le code pénal Trois dispositions du code pénal entrent en ligne de compte en l’espèce: Article 368 "Sera puni d’un emprisonnement de deux mois à un an et d’une amende de 2 000 à 50 000 f, ou de l’une de ces deux peines seulement, quiconque aura volontairement porté atteinte à l’intimité de la vie privée d’autrui: 1o En écoutant, en enregistrant ou transmettant au moyen d’un appareil quelconque des paroles prononcées dans un lieu privé par une personne, sans le consentement de celle-ci; (...)" Article 369 "Sera puni des peines prévues à l’article 368 quiconque aura sciemment conservé, porté ou volontairement laissé porter à la connaissance du public ou d’un tiers, ou utilisé publiquement ou non, tout enregistrement ou document, obtenu à l’aide d’un des faits prévus à cet article. (...)" Article 378 "(...) toutes personnes dépositaires, par état ou profession ou par fonctions temporaires ou permanentes, des secrets qu’on leur confie, qui, hors le cas où la loi les oblige ou les autorise à se porter dénonciateurs, auront révélé ces secrets, seront punies d’un emprisonnement d’un mois à six mois et d’une amende de 500 f à 15 000 f. (...)" La jurisprudence et la législation françaises pertinentes ont évolué postérieurement aux faits de la cause. Par un arrêt Derrien du 13 juin 1989, la chambre criminelle de la Cour de cassation a décidé que "si les articles 81 et 151 du code de procédure pénale permettent au juge d’instruction d’ordonner, sous certaines conditions, les écoutes ou enregistrements d’entretiens téléphoniques, aucune disposition légale n’autorise les officiers de police judiciaire [à] y procéder dans le cadre d’une enquête préliminaire" (Bulletin criminel (Bull.) no 254; Recueil Dalloz Sirey (D.S.) 1989, informations rapides, p. 219). Le 24 novembre 1989, l’assemblée plénière de la Cour suprême a annulé des écoutes téléphoniques opérées en dehors d’une information: "(...) Attendu qu’il résulte de l’arrêt attaqué et des pièces de la procédure qu’ayant été avisés de ce que Christian Baribeau se serait livré à un trafic de stupéfiants et aurait eu notamment pour client André Salmeron, les services de police, agissant d’initiative, ont invité Salmeron à téléphoner à Baribeau en vue de prendre rendez-vous pour une livraison de drogue et ont enregistré leur entretien sur radiocassette, puis dressé un procès-verbal de cette opération; qu’à l’heure convenue pour le rendez-vous, les policiers ont pu ainsi pénétrer à la suite de Salmeron dans le domicile de Baribeau, interpeller les occupants et procéder à perquisition; Attendu que, pour refuser de prononcer la nullité du procès-verbal relatant l’écoute et l’enregistrement de cette conversation, la cour d’appel énonce que les services de police n’ont pas employé un procédé technique de captation et de conservation de toutes les conversations téléphoniques échangées à partir du poste d’un abonné; Attendu qu’en se déterminant ainsi, alors que, sans avoir reçu d’un juge commission rogatoire à cette fin, les services de police avaient procédé, à l’insu de Baribeau, à l’écoute et à l’enregistrement de propos tenus par celui-ci sur la ligne téléphonique qui lui était attribuée, la cour d’appel a violé les textes susvisés." (Bull. no 440; D.S. 1990, jurisprudence, p. 34) La loi no 91-646 du 10 juillet 1991 relative au secret des correspondances émises par la voie des télécommunications n’a pas modifié les articles 368, 369 et 378 du code pénal, mais a introduit un nouvel article 186-1 ainsi libellé: "Tout dépositaire ou agent de l’autorité publique, tout agent de l’exploitant public des télécommunications, tout agent d’un autre exploitant de réseau de télécommunications autorisé ou d’un autre fournisseur de services de télécommunications qui, agissant dans l’exercice de ses fonctions ou à l’occasion de l’exercice de ses fonctions, aura ordonné, commis ou facilité, hors les cas prévus par la loi, l’interception ou le détournement des correspondances émises, transmises ou reçues par la voie des télécommunications, l’utilisation ou la divulgation de leur contenu, sera puni d’un emprisonnement de trois mois à cinq ans et d’une amende de 5 000 f à 10 000 f. (...)" B. Le code des postes et télécommunications Aux termes de l’article L.42 du code des postes et télécommunications, "Toute personne qui, sans l’autorisation de l’expéditeur ou du destinataire, divulgue, publie ou utilise le contenu des correspondances transmises par la voie radioélectrique ou révèle leur existence est punie des peines prévues à l’article 378 du code pénal." La loi précitée du 10 juillet 1991 a abrogé ce texte. C. Le code civil L’article 9 du code civil dispose: "Chacun a droit au respect de sa vie privée. Les juges peuvent, sans préjudice de la réparation du dommage subi, prescrire toutes mesures, telles que séquestre, saisie et autres, propres à empêcher ou faire cesser une atteinte à l’intimité de la vie privée; ces mesures peuvent, s’il y a urgence, être ordonnées en référé." PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION Mme A. a saisi la Commission le 15 février 1989. Elle prétendait que l’enregistrement d’une de ses conversations téléphoniques avait méconnu son droit au respect de sa vie privée et de sa correspondance, garanti par l’article 8 (art. 8) de la Convention. La Commission a retenu la requête (no 14838/89) le 30 mars 1989. Dans son rapport du 2 septembre 1992 (article 31) (art. 31), elle conclut, par neuf voix contre une, à la violation de l’article 8 (art. 8). Le texte intégral de son avis et de l’opinion dissidente dont il s’accompagne figure en annexe au présent arrêt. CONCLUSIONS PRESENTEES A LA COUR PAR LE GOUVERNEMENT Dans son mémoire, le Gouvernement "demande à la Cour de bien vouloir juger que la présente requête a été introduite après le délai de six mois prévu par l’article 26 (art. 26) de la Convention, subsidiairement que les voies de recours internes n’ont pas été épuisées et très subsidiairement que le grief n’est pas fondé".
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE M. Lennhart et Mme Gunny Zander, citoyens suédois, sont mari et femme et résident à Gryta (commune de Västerås). Depuis 1966, ils y possèdent une propriété jouxtant un terrain sur lequel une société - Västmanlands Avfallsaktiebolag ("la VAFAB") -stocke et traite entre autres des déchets domestiques et industriels. Le 1er juillet 1983, la commission des autorisations pour la protection de l’environnement (koncessionsnämnden för miljöskydd, "la commission des autorisations") délivra à la VAFAB un premier permis pour exercer ses activités à cet endroit, en vertu de la loi de 1969 sur la protection de l’environnement (miljöskyddslagen 1969:387, "la loi de 1969"). En 1979, on avait découvert que des déchets contenant du cyanure avaient été déversés sur la décharge; les analyses de l’eau potable provenant d’un puits voisin avaient révélé une concentration excessive en cyanure. La commission de l’hygiène (hälsovårdsnämnden, dénommée par la suite miljö - och hälsoskyddsnämnden) de Västerås avait alors interdit d’utiliser cette eau et alimenté provisoirement le propriétaire du terrain concerné, tributaire du puits, en eau potable de la commune. En octobre 1983, de nouvelles analyses établirent la présence d’une trop forte quantité de cyanure dans six autres puits proches de la décharge, dont l’un se trouvait sur la propriété des intéressés. Aussi défense fut-elle faite d’en consommer l’eau et fournit-on temporairement aux propriétaires des terrains, dont les requérants, de l’eau potable de la commune. Toutefois, en juin 1984 l’Agence nationale de l’alimentation (livsmedelsverket) recommanda de relever de 0mg01 à 0mg1 par litre le taux maximal de cyanure toléré. A partir de février 1985, la municipalité cessa donc de ravitailler en eau les propriétaires dont il s’agit. En juillet 1986, la VAFAB invita la commission des autorisations à lui renouveler sa licence et à la laisser étendre ses activités sur la décharge. Les requérants et d’autres propriétaires exigèrent que l’octroi du permis s’accompagnât d’une mesure de précaution, au sens de l’article 5 de la loi de 1969 (paragraphe 12 ci-dessous): l’obligation, pour la VAFAB, de leur livrer gratuitement de l’eau potable, car l’activité projetée comportait et continuerait de comporter un danger de pollution pour leur eau. Le 13 mars 1987, la commission des autorisations accueillit la requête de la VAFAB et rejeta celle de l’ensemble des propriétaires en cause, au motif qu’il n’y avait sans doute, du point de vue de l’eau, aucun lien entre la décharge et les puits. Elle ajouta que malgré un risque éventuel de pollution, elle estimait déraisonnable de subordonner le permis à une mesure aussi générale que celle réclamée par les plaignants. Elle posa cependant certaines conditions, dont une analyse minutieuse de l’eau des puits à des intervalles réguliers et la communication des résultats aux propriétaires. S’il s’avérait que l’on avait lieu de soupçonner une pollution de l’eau par la décharge, il incomberait à la VAFAB de s’employer immédiatement à fournir de l’eau aux propriétaires selon les consignes de la préfecture (länsstyrelsen). Contestant lesdites conditions, les requérants attaquèrent cette décision devant le gouvernement. Statuant en dernier ressort (paragraphe 13 ci-dessous), il rejeta leur recours le 17 mars 1988. II. LE DROIT INTERNE PERTINENT A. La loi de 1969 L’article 1 de la loi de 1969 qualifie d’activité dangereuse pour l’environnement, aux fins de celle-ci, toute utilisation des terres pouvant provoquer notamment une pollution de l’eau. Aux termes de l’article 5, "Quiconque mène ou entend mener une activité dangereuse pour l’environnement, doit adopter les mesures protectrices, se conformer aux restrictions à l’activité et prendre les autres précautions pouvant raisonnablement s’imposer pour éviter ou réparer les effets dommageables de celle-ci. L’obligation de remédier à de tels effets subsiste après la cessation de l’activité. Pour apprécier l’étendue des obligations découlant du premier paragraphe, il faut considérer ce qui est techniquement réalisable à l’égard de l’activité dont il s’agit, ainsi que les intérêts publics et privés en jeu. Pour maintenir un équilibre entre les divers intérêts, il faut accorder un poids particulier, d’un côté à la nature de la zone risquant de subir des perturbations et à l’incidence de celles-ci, de l’autre à l’utilité de l’activité, au coût des mesures protectrices et aux autres répercussions financières des précautions en cause." Si la commission des autorisations accepte une activité dangereuse pour l’environnement, sa décision doit préciser laquelle et sous quelles conditions (article 18). Toute personne concernée peut l’attaquer devant le gouvernement (article 48). A l’époque où il a débouté les intéressés (paragraphe 11 ci-dessus), ses décisions n’étaient pas susceptibles de contrôle judiciaire (pour plus de précisions, voir en particulier l’arrêt Sporrong et Lönnroth c. Suède du 23 septembre 1982, série A no 52, pp. 19-20, par. 50). Depuis l’entrée en vigueur, le 1er juin 1988, de la loi sur le contrôle judiciaire de certaines décisions administratives, la légalité de diverses décisions du gouvernement peut se discuter devant la Cour suprême administrative. Les requérants n’ont toutefois pu en profiter en l’espèce, la loi ne rétroagissant pas. La commission des autorisations se compose d’un président et de trois autres membres, tous désignés par le gouvernement. Le président doit être rompu aux questions juridiques et avoir exercé des fonctions judiciaires. Les autres membres doivent avoir, l’un des compétences et de la pratique dans le domaine technique, le deuxième de l’expérience dans des activités relevant de la Direction nationale de la protection de l’environnement (naturvårdverket) et le troisième dans le secteur de l’industrie (article 11 de la loi de 1969). L’article 34 ouvre la possibilité de saisir le tribunal foncier (fastighetsdomstolen), formation spéciale du tribunal de première instance (tingsrätten), d’une plainte relative à une activité dangereuse pour l’environnement. Pareille plainte peut tendre, par exemple, à faire subordonner celle-ci à des mesures de protection ou de précaution. Aux termes de l’article 22, en revanche, le titulaire d’une licence délivrée en vertu de la loi de 1969 ne peut se voir ordonner de suspendre l’activité en question, ni de prendre des mesures de précaution au-delà de celles qu’a pu prescrire le permis. Les exceptions énumérées aux articles 23 à 25, 29 et 40 ne jouent pas ici. B. La loi de 1986 sur les dommages à l’environnement D’après l’article 3 de la loi de 1986 sur les dommages à l’environnement (miljöskadelagen 1986:225, "la loi de 1986"), quiconque a subi un dommage corporel ou autre, à la suite de la pollution d’eaux souterraines ou de cours d’eau, peut réclamer une indemnité devant le tribunal foncier. La demande peut se diriger contre la ou les personnes à l’origine de l’activité nuisible (article 6). L’octroi d’une réparation dépend de l’existence d’une forte probabilité de lien causal entre l’activité dénoncée et le préjudice (article 3). Que l’activité ait été tolérée en vertu de la loi de 1969 n’exclut pas une responsabilité au titre de celle de 1986. Contre la décision du tribunal foncier sur une demande d’indemnité, un recours s’ouvre devant la cour d’appel (hovrätten) et, moyennant autorisation, devant la Cour suprême (Högsta domstolen). PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION M. et Mme Zander ont saisi la Commission le 2 septembre 1988. Ils invoquaient l’article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention, en ce qu’ils ne disposaient d’aucune possibilité de contrôle judiciaire de la décision autorisant la VAFAB à accroître ses activités sur la décharge. La Commission a retenu la requête (no 14282/88) le 14 octobre 1991. Dans son rapport du 14 octobre 1992 (article 31) (art. 31), elle relève à l’unanimité une violation de l’article 6 par. 1 (art. 6-1). Le texte intégral de son avis figure en annexe au présent arrêt. CONCLUSIONS PRESENTEES A LA COUR PAR LE GOUVERNEMENT A l’audience du 22 juin 1993, le Gouvernement a invité la Cour, comme déjà dans son mémoire du 5 mai 1993, à constater l’absence de manquement aux exigences de la Convention.
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Mme Roberta De Micheli habite à Rome. En application de l'article 31 par. 1 (art. 31-1) de la Convention, la Commission a constaté les faits suivants (paragraphes 17-23 de son rapport): "17. Le 25 août 1986, la requérante se vit notifier une injonction de payer un montant de 700 millions de lires italiennes (soit environ 3 500 000 FF), émise le 29 juillet 1986 en faveur de la société Z. par le président du tribunal d'Udine. Cette mesure était assortie d'une clause d'exécution provisoire. La requérante y fit opposition, assignant la société Z. devant le tribunal d'Udine par un acte de citation notifié le 16 septembre 1986. L'affaire fut inscrite au rôle à une date non précisée. L'instruction débuta à l'audience du 20 octobre 1986 et se poursuivit jusqu'à celle du 21 novembre 1988. (...) le 27 octobre 1986, le juge de la mise en état rejeta une demande formulée par la requérante lors de la première audience et tendant à obtenir la suspension de l'exécution provisoire de l'injonction de payer et reporta l'examen de l'affaire au 8 juin 1987. Le 27 janvier 1987, la requérante sollicita alors du juge de la mise en état la fixation d'une audience à une date plus rapprochée, ce qui lui fut refusé le 3 février 1987, motif pris de la surcharge de travail du tribunal. A l'issue de l'audience du 8 juin 1987, une audience fut fixée au 11 janvier 1988 afin que les parties présentassent leurs conclusions finales. Cependant, [elle] ne put avoir lieu à cette date car entre-temps le juge de la mise en état avait été muté. Elle se tint finalement le 21 novembre 1988, soit après plus d'un an et cinq mois. A l'issue de cette audience, l'affaire fut envoyée à la chambre compétente du tribunal pour être examinée à l'audience du 22 juin 1989. Toutefois, la chambre retransmit le dossier au juge de la mise en état pour un complément d'instruction (production de documents). La documentation requise fut déposée à l'audience du 11 décembre 1989, soit près de six mois plus tard. L'affaire fut alors mise en délibéré. Par un jugement du 25 octobre 1990, déposé au greffe le 17 décembre 1990, le tribunal d'Udine annula l'injonction [litigieuse] (...)" D'après les renseignements fournis par le Gouvernement (paragraphe 10 ci-dessus), cette décision devint définitive le 25 mars 1991. PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION Mme De Micheli a saisi la Commission le 27 février 1987. Invoquant l'article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention, elle se plaignait de la durée de la procédure civile engagée par elle. La Commission a retenu la requête (n° 12775/87) le 8 juillet 1991. Dans son rapport du 13 janvier 1992 (article 31) (art. 31), elle relève à l'unanimité qu'il y a eu violation de l'article 6 par. 1 (art. 6-1). Le texte intégral de son avis figure en annexe au présent arrêt*. _______________ * Note du greffier: pour des raisons d'ordre pratique il n'y figurera que dans l'édition imprimée (volume 257-D de la série A des publications de la Cour), mais on peut se le procurer auprès du greffe. _______________
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Mme Emma Billi habite Genzano di Roma. En application de l'article 31 par. 1 (art. 31-1) de la Convention, la Commission a constaté les faits suivants (paragraphes 16-21 de son rapport): "16. Par un acte de citation du 3 juin 1969, notifié le 7 juin 1969, la commune de Pérouse assigna devant le tribunal de la même ville la SAI, société d'assistance entre salariés et retraités. Constituée dans le but d'allouer des subventions ou des prêts à ses membres, la SAI était financée par les contributions spécifiques des associés composant la société et au moyen de retenues sur les salaires des associés salariés. La commune de Pérouse accusa la SAI d'avoir encaissé des sommes considérables à son détriment par l'intermédiaire du comptable qui cumulait les fonctions de secrétaire-comptable de ladite société et de comptable en chef de la commune. Le 22 mai 1969, le président du tribunal avait ordonné la saisie conservatoire des biens immobiliers appartenant aux membres du conseil d'administration de la SAI, dont faisait partie Milziade Billi, le père de la requérante. Celui-ci décéda en cours de procès et la requérante, en sa qualité d'héritière, poursuivit la procédure et se constitua à l'audience du 25 janvier 1973. Le 22 février 1973, le juge de la mise en état requit une expertise comptable et fixa au 6 avril 1973 l'audience en vue de la prestation de serment de l'expert. Le 6 avril 1973, un délai de six mois fut imparti à celui-ci et l'audience suivante fut fixée au 15 novembre 1973. A compter de cette date, l'examen de l'affaire fut reporté à plusieurs reprises tantôt à la demande de l'expert, celui-ci sollicitant des délais supplémentaires pour l'accomplissement de sa mission (les 28 février 1974, 21 mai 1974, 8 octobre 1974), tantôt à la demande des avocats des parties qui étaient dans l'attente du dépôt du rapport d'expertise (les 15 novembre 1973, 2 mai 1974, 17 octobre 1974). Le 19 décembre 1974, le juge de la mise en état ordonna un complément d'expertise. Le 20 février 1975, un délai de quatre-vingt-dix jours fut accordé à l'expert qui demanda et obtint une prorogation jusqu'au 26 septembre 1975. Les deux audiences qui suivirent furent reportées à la demande des avocats, la première dans l'attente du dépôt du rapport de l'expert (le 19 juin 1975), la deuxième pour l'examen dudit rapport (le 22 janvier 1976). L'audience suivante du 15 juin 1976, reportée au 14 décembre 1976, fut une nouvelle fois différée au 21 février 1978 pour permettre aux avocats de conclure. Le 21 février 1978, l'affaire fut renvoyée à la formation collégiale du tribunal. Toutefois, le 12 janvier 1979 le procès fut interrompu en raison de l'accession à la majorité d'un des héritiers de l'un des défendeurs, jusqu'alors représenté dans la procédure par son tuteur. L'avocat de la commune demanda la reprise de l'affaire et le 17 avril 1979, le juge de la mise en état fixa l'audience au 19 octobre 1979. A cette date, l'examen de l'affaire fut reporté au 25 janvier 1980, le dossier étant introuvable, puis au 30 juin 1980, au 31 octobre 1980 et au 3 avril 1981 en raison de la mutation du juge de la mise en état dans un autre service et de l'absence de juge chargé de l'affaire. Le 3 avril 1981, alors que selon les avocats l'affaire était en état d'être jugée, le tribunal de Pérouse estima nécessaire un nouveau complément d'expertise. Par une ordonnance du 19 mai 1981, ce même tribunal désigna un juge de la mise en état qui, le 13 juillet 1981, chargea l'expert d'élucider un certain nombre de points soulevés par les avocats dans leurs conclusions. L'affaire connut alors une série d'ajournements (les 16 décembre 1981, 10 février 1982, 21 avril 1982, 14 juin 1982, 20 septembre 1982 et 16 mars 1983) motivés par l'attente du dépôt du complément d'expertise. Le 1er octobre 1982, le juge de la mise en état accorda un délai supplémentaire à l'expert et les deux audiences qui suivirent furent différées, à la demande des avocats des parties, au motif que l'expert n'avait toujours pas déposé son rapport. Après maintes injonctions faites à l'expert par le juge de la mise en état et à la suite d'un courrier de l'expert, du 8 mars 1984, sollicitant la désignation d'un autre expert, le juge de la mise en état nomma un nouvel expert qui prêta serment le 14 mai 1984. A partir de cette date, l'examen de l'affaire fut encore différé à deux reprises (les 28 novembre 1984 et 22 avril 1985) dans l'attente du dépôt du rapport d'expertise. Le 29 mai 1985, le rapport fut déposé et les avocats sollicitèrent un renvoi afin d'examiner ledit rapport. Le 18 septembre 1985, le juge de la mise en état requit du greffe le dossier pénal, les faits dénoncés par la commune ayant par ailleurs donné lieu à des poursuites pénales. A compter de cette date l'affaire subit maints ajournements (les 13 novembre 1985, 18 décembre 1985, 3 décembre 1986, 27 janvier 1987, 5 février 1987) pour dépôt de conclusions des avocats. Le 21 juillet 1986, le président du tribunal avait nommé un nouveau juge de la mise en état. Le 5 février 1987, l'instruction fut close et l'affaire envoyée au tribunal pour y être jugée le 9 avril 1988. Par un jugement du 14 mai 1988, déposé au greffe le 7 novembre 1988, le tribunal de Pérouse débouta la commune." D'après les renseignements fournis par le Gouvernement (paragraphe 10 ci-dessus), cette décision n'a pas fait l'objet d'un appel de la part de la requérante, à l'égard de qui elle est devenue définitive le 7 novembre 1989. PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION Mme Billi a saisi la Commission le 20 janvier 1989. Invoquant l'article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention, elle se plaignait de la durée de la procédure civile litigieuse. La Commission a retenu la requête (n° 15118/89) le 8 juillet 1991. Dans son rapport du 9 décembre 1991 (article 31) (art. 31), elle relève à l'unanimité une violation de l'article 6 par. 1 (art. 6-1). Le texte intégral de son avis figure en annexe au présent arrêt*. _______________ * Note du greffier: pour des raisons d'ordre pratique il n'y figurera que dans l'édition imprimée (volume 257-G de la série A des publications de la Cour), mais on peut se le procurer auprès du greffe. _______________
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M. Bartolomeo Pizzetti habite Fontanella (province de Bergame). En application de l'article 31 par. 1 (art. 31-1) de la Convention, la Commission a constaté les faits suivants (paragraphes 16-25 de son rapport): "16. Le 6 septembre 1983, le requérant assigna M.G. devant le tribunal de Bergame en réparation de dommages résultant de coups et blessures subis au cours d'une altercation. L'instruction de l'affaire débuta à l'audience du 27 octobre 1983, suivie de quatre autres audiences les 14 novembre 1983, 2 février, 6 avril et 14 juin 1984. L'audience suivante, fixée au 22 novembre 1984, fut reportée d'office," - au 11 avril 1985 - "le juge de la mise en état ayant été appelé à d'autres fonctions. Ce juge fut ensuite muté. Le 21 juin 1986, le tribunal de Bergame rejeta une demande du requérant visant à obtenir la nomination d'un autre juge de la mise en état et la fixation d'une nouvelle audience, au motif que la charge de travail des divers magistrats ne permettait pas de leur attribuer d'autres affaires. Le 3 février 1988, le requérant renouvela sa demande et, le 9 février 1988, un nouveau juge de la mise en état fut nommé. L'examen de l'affaire reprit à l'audience du 31 mars 1988, reportée à la demande du requérant à l'audience du 22 septembre 1988. L'audience suivante eut lieu le 19 janvier 1989. Par ordonnance du 15 mars 1989, le juge de la mise en état, faisant droit à une demande du requérant, ordonna la citation de certains témoins à l'audience du 31 octobre 1989 et convoqua un expert à l'audience du 2 novembre 1989. Ces deux audiences furent ajournées au motif qu'une tentative de règlement amiable était en cours. A l'audience du 7 novembre 1989, le juge de la mise en état constata que cette tentative n'avait pas abouti. Entre-temps, le requérant avait révoqué le mandat de son représentant, de sorte que l'audience du 7 novembre 1989 et celle du 22 mars 1990 furent renvoyées pour lui permettre de nommer un nouveau conseil. L'audience suivante, fixée au 5 juillet 1990, fut reportée d'office au 11 avril 1991, puis - à la demande du requérant - avancée au 4 octobre 1990. A cette date le juge de la mise en état, faisant droit à la demande du représentant du requérant - qui se constitua à nouveau -, ordonna l'accomplissement d'une expertise et nomma un expert à cet effet. Une audience fut fixée au 18 octobre 1990 en vue de la prestation de serment de l'expert. Toutefois, cette audience fut reportée au 29 novembre 1990, l'expert n'ayant pas comparu. A cette date, l'expert désigné prêta serment. (...)" D'après les renseignements fournis à la Cour par le Gouvernement, le 24 janvier 1991 ledit expert renonça à son mandat car le requérant refusait de subir une visite médicale qui aurait dû avoir lieu le 7 décembre 1990. Une audience fixée pour le 28 mars 1991 fut reportée d'office au 3 octobre 1991. A une date non précisée, l'intéressé bénéficia de l'assistance judiciaire gratuite. Son nouveau conseil se constitua le 12 avril 1991. Le 3 juin, il demanda en vain le remplacement du juge de la mise en état. Le 1er octobre 1991, l'affaire échut finalement à un autre magistrat. Désigné le 26 mars 1992, un autre expert vit préciser sa mission le 14 mai. La prochaine audience devait avoir lieu le 3 décembre 1992. PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION L'intéressé a saisi la Commission le 29 juillet 1986. Il dénonçait la lenteur de l'examen de son action civile et l'absence, en droit italien, d'un recours effectif contre la durée excessive d'une procédure. Il invoquait les articles 6 par. 1 et 13 (art. 6-1, art. 13) de la Convention. La Commission a retenu la requête (n° 12444/86) le 2 juillet 1990. Dans son rapport du 10 décembre 1991 (article 31) (art. 31), elle relève une violation de l'article 6 par. 1 (art. 6-1) (unanimité), mais non de l'article 13 (art. 13) (quatorze voix contre six). Le texte intégral de son avis et de l'opinion dissidente dont il s'accompagne figure en annexe au présent arrêt*. _______________ * Note du greffier: pour des raisons d'ordre pratique il n'y figurera que dans l'édition imprimée (volume 257-C de la série A des publications de la Cour), mais on peut se le procurer auprès du greffe. _______________
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Ressortissant autrichien, M. Karl Sekanina réside à Vienne. Le 1er août 1985, la police l’arrêta car elle le suspectait d’avoir assassiné son épouse, tombée le 4 juillet 1985 d’une fenêtre de leur domicile conjugal, au cinquième étage d’un immeuble sis à Linz. A. La détention provisoire Le lendemain, il fut interrogé puis placé en détention provisoire. Il y demeura jusqu’au 30 juillet 1986, à la suite de plusieurs prolongations. La cour d’appel (Oberlandesgericht) de Linz prononça la dernière d’entre elles le 30 avril 1986; elle autorisa une incarcération d’une année au total, en vertu de l’article 193 paras. 3 et 4 du code de procédure pénale. Outre l’assassinat de son épouse, on reprochait à l’intéressé d’avoir menacé un codétenu à propos de certains aveux relatifs au premier chef d’accusation. Les juridictions autrichiennes se fondèrent sur divers indices et témoignages. B. Le jugement Le 30 juillet 1986, une cour d’assises (Geschworenengericht) près le tribunal régional (Landesgericht) de Linz acquitta le requérant des deux charges pesant sur lui; les jurés rejetèrent la première par sept voix contre une et la deuxième à l’unanimité. Le dispositif et les motifs de l’arrêt se lisaient ainsi: "En vertu de l’article 259 par. 3 du code de procédure pénale, Karl Leopold Sekanina est acquitté des accusations portées contre lui, à savoir: 1) le 4 juillet 1985, il aurait tué intentionnellement son épouse, Maria Sekanina, en lui donnant, au moyen d’un seau en plastique, un coup qui l’aurait fait passer par la fenêtre ouverte de leur appartement au cinquième étage, entraînant pour elle des blessures mortelles à l’issue d’une chute de 16 m 5 environ; 2) au début du mois d’août 1985, il aurait contraint Egon Werger, en le menaçant de mort - une fois dehors, aurait-il déclaré, il ne manquerait pas de dénicher et descendre ses codétenus s’ils le "balançaient" -, à ne pas révéler ce qu’il avait dit dans leur cellule au sujet du déroulement des faits du 4 juillet 1985. (...) MOTIFS L’acquittement se fonde sur le verdict du jury." Quant au premier chef d’accusation, le compte rendu (Niederschrift) de la délibération énonçait ce qui suit: "Aucune preuve concluante ne permet de condamner M. Sekanina pour assassinat. D’après l’expertise médicale du professeur Kaiser, Mme Sekanina aurait pu encore traiter son époux d’assassin. Les déclarations de certains témoins ne nous paraissent pas crédibles." Au sujet du second, les jurés relevaient que les trois autres codétenus des intéressés affirmaient ne pas avoir entendu de graves menaces de mort. En conséquence, le requérant recouvra aussitôt la liberté. Le parquet ne se pourvut pas contre l’arrêt. C. La demande de remboursement de frais et d’indemnité pour la détention subie Le lendemain, le requérant sollicita une participation de l’État aux frais nécessaires exposés pour sa défense, en vertu de l’article 393a du code de procédure pénale (paragraphe 15 ci-dessous), ainsi qu’un dédommagement pour le préjudice matériel causé par son maintien en détention. Le 4 novembre 1986, le parquet jugea excessive la somme réclamée au titre des frais. Il combattit aussi la seconde demande, estimant non remplies les conditions définies à l’article 2 par. 1 b) de la loi de 1969 sur l’indemnisation en matière pénale (Strafrechtliches Entschädigungsgesetz, "loi de 1969" - paragraphe 16 ci-dessous). Le tribunal régional de Linz rendit deux décisions distinctes. Le 12 décembre 1986, il octroya à M. Sekanina 22 546 schillings 50 pour les frais nécessaires à sa défense. Le 15 janvier 1987, la cour de Linz rejeta l’appel introduit par l’intéressé pour contester ce montant. Par contre, le tribunal avait refusé le 10 décembre d’allouer le dédommagement sollicité, pour les raisons ci-après: "L’article 2 par. 1 b) de la loi [de 1969] subordonne à une condition le droit à indemnité: la dissipation des soupçons qui pesaient sur le demandeur pendant la procédure pénale. Il n’en va ainsi que si tous les indices jouant contre la personne arrêtée ont été réfutés, en sorte qu’ils ont cessé de plaider pour la culpabilité de la personne soupçonnée. Or en l’espèce, eu égard à l’ensemble des éléments à charge, les soupçons n’ont pu être entièrement dissipés. Il subsiste d’importants éléments de suspicion, notamment les nombreuses menaces proférées de manière répétée par M. Sekanina, ses voies de fait et ses manifestations d’agressivité, la satisfaction visible que lui a inspirée la mort de son épouse, la manière dont il a décrit les faits à un codétenu, la diversité des versions de l’accident, la forte pression financière à laquelle il se trouvait soumis, l’échec de ses efforts pour obtenir l’autorité parentale sur ses deux enfants et l’agressivité progressivement accumulée de ce chef, ainsi que l’espoir de toucher une assurance-vie au décès de son épouse. De surcroît, le décompte des voix des jurés révèle que l’acquittement n’a été acquis qu’au bénéfice du doute." La cour d’appel de Linz confirma cette décision le 25 février 1987. Elle rejeta la thèse selon laquelle l’article 2 par. 1 b) de la loi de 1969 (paragraphe 16 ci-dessous) violait la Constitution et l’article 6 par. 2 (art. 6-2) de la Convention en exigeant, outre l’acquittement, l’absence de toute suspicion. D’après elle, la présomption d’innocence devait être respectée dans la procédure antérieure au jugement, mais ne conférait pas à tout détenu le droit à une indemnité en cas d’acquittement. La disposition contestée concernerait non pas la culpabilité, mais la persistance de soupçons. Qu’un tribunal ait constaté celle-ci ne méconnaîtrait pas la présomption d’innocence. La cour d’appel ajoutait: "Le recours n’est pas davantage justifié quant au fond. Contrairement à ce que prétend son auteur, on ne saurait déduire du seul décompte des voix du jury (...) qu’un verdict aussi clair signifie dissipation des soupçons. Pour savoir si des soupçons persistent ou non, le procès-verbal des délibérations du jury pourrait offrir une plus grande utilité. Or son contenu (...) donne plutôt à penser que tout soupçon n’avait pas disparu de l’esprit des jurés. Toutefois, comme le collège appelé à statuer en vertu de la loi [de 1969] n’est pas, quant à la présence de soupçons, lié par le verdict (d’acquittement) rendu au principal, ledit procès-verbal (...) ne revêt pas non plus une importance décisive. On ne peut guère contester qu’après l’enquête de police, mais aussi après l’instruction préparatoire, de graves soupçons pesaient sur l’appelant. Ainsi, la cour d’appel de Linz déclara encore, dans sa décision du 30 avril 1986, (...) que la détention provisoire de M. Sekanina pouvait durer jusqu’à un an, confirmant de la sorte la gravité des soupçons. Dans la décision attaquée, la juridiction de première instance a conclu à la persistance des soupçons en invoquant notamment, à bon droit, les nombreuses menaces proférées de manière répétée par M. Sekanina, ses voies de fait, la satisfaction visible que lui inspira la mort de son épouse, la manière dont il décrivit les faits à un codétenu, la diversité des versions de l’accident, l’importante pression financière à laquelle il se trouvait soumis, l’échec de ses efforts pour obtenir l’autorité parentale sur ses deux enfants et son espoir de toucher une assurance-vie au décès de sa femme. Au sujet de la diversité des versions de l’accident données par lui à des tiers, la cour renvoie spécialement aux dépositions des témoins Gundula Sekanina (pages 45, 50 et 51 du compte rendu) et Johanna et Kurt Schöllnberger (pages 105, 106, 117 et 119) lors des audiences du 28 au 30 juillet 1986. A son collègue Siegfried Wurzinger, l’appelant déclara qu’au moment de la chute il se tenait dans une autre pièce (Wurzinger, pages 126, 127); au contraire, Brigitte Grasböck a constaté que pendant la chute, l’intéressé - portant une veste de couleur claire et dont elle voyait tout le buste - se trouvait déjà à la fenêtre, les bras tendus vers l’extérieur, en train de déverser l’eau d’un seau; elle croyait se souvenir qu’au moment où il descendit auprès de sa femme, il portait une veste de couleur bleue (Grasböck, pages 65 et 66 du compte rendu). Lors de son interrogatoire (enregistré par écrit) par la direction de la police fédérale de Linz le 2 août 1985 (page 214, volume 1), il déclara que, peu avant de tomber, sa femme s’était querellée avec lui. D’après le témoignage d’Egon Werger, l’appelant lui avait révélé "qu’au milieu de la dispute, dans un accès de colère, il s’était précipité sur sa femme" (pages 166 et 167 du compte rendu d’audience). Plusieurs témoins l’ont dépeint comme un être coléreux et brutal (pages 44 et 82 du compte rendu). Il aurait plusieurs fois proféré des menaces de mort contre son épouse, en dernier lieu une semaine environ avant sa mort (pages 113 et 572, volume 1, page 216, volume 2, et pages 58, 75, 76, 102, 115, 142 et 143 du compte rendu des audiences). Il échet enfin de signaler que le 3 juillet 1985, donc la veille du décès de son épouse, l’appelant réclama à son tailleur un costume de couleur sombre commandé en 1983, au motif qu’il en avait à présent besoin." La cour d’appel concluait: "Si l’on considère dans leur ensemble les circonstances énumérées ci-dessus, et pour l’essentiel non réfutées lors du procès, les jurés ont estimé les soupçons insuffisants pour justifier un verdict de culpabilité, mais on ne saurait parler d’une dissipation de ceux-ci." II. LE DROIT INTERNE APPLICABLE A. Jugement d’acquittement Aux termes de l’article 259 du code de procédure pénale, "La Cour rend un arrêt d’acquittement: (...) 2. (...) 3. si elle constate que l’acte motivant la poursuite n’est pas réprimé par la loi, que l’infraction n’est pas constituée, qu’il n’est pas prouvé que l’intéressé a commis l’acte dont on l’accuse, qu’il y a des circonstances qui en suppriment le caractère délictueux ou que la poursuite se trouve exclue pour des motifs autres que ceux mentionnés aux paragraphes 1 et 2." B. Remboursement des frais de procédure Selon l’article 393a du même code "(1) Si une personne poursuivie au pénal, autrement que sur la seule base d’une citation directe par un particulier ou de l’action d’une partie civile (article 48), est acquittée (...), l’État lui verse, à sa demande, une contribution à ses frais de défense. Celle-ci couvre les dépens nécessairement et réellement exposés par l’intéressé; sauf dans le cas de l’article 41 par. 2, elle comporte aussi une participation forfaitaire aux frais de son défenseur (...) (2) (...) (3) Il n’y a pas lieu à indemnité si l’accusé a volontairement fait naître le soupçon à l’origine des poursuites, ou en cas d’arrêt de celles-ci au seul motif que l’intéressé a agi en état d’irresponsabilité ou que l’autorisation de poursuivre a été retirée pendant les débats." C. Indemnité au titre de la détention provisoire Le droit d’un accusé acquitté à une réparation au titre de la détention provisoire qu’il a subie se trouve régi par l’article 2 par. 1 b) de la loi de 1969, ainsi libellé: "(1) A droit à une indemnité: a) (...) b) la victime qui, mise en garde à vue ou en détention provisoire par une juridiction nationale (...), parce que soupçonnée d’une infraction passible de poursuites en Autriche, a été ultérieurement acquittée de ce chef d’inculpation ou autrement mise hors de cause, si les soupçons pesant sur elle ont été dissipés ou si la poursuite se trouve exclue pour d’autres raisons qui existaient déjà à l’époque de l’arrestation; (...)" PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION M. Sekanina a saisi la Commission le 21 avril 1987. Il se plaignait d’une atteinte à la présomption d’innocence, garantie à l’article 6 par. 2 (art. 6-2): en rejetant sa demande d’indemnité pour détention abusive, les juridictions autrichiennes auraient estimé, malgré son acquittement, que des soupçons pesaient encore sur lui. La Commission a retenu la requête (no 13126/87) le 3 septembre 1991. Dans son rapport du 20 mai 1992 (article 31) (art. 31), elle conclut, par dix-huit voix contre une, à la violation de l’article 6 par. 2 (art. 6-2). Le texte intégral de son avis, et de l’opinion dissidente dont il s’accompagne, figure en annexe au présent arrêt.
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE De nationalité allemande, M. Jean-Gustave Funke est né en 1925 et décédé le 22 juillet 1987. Il exerçait la profession de représentant de commerce et avait son domicile en France, à Lingolsheim (Bas-Rhin). Sa veuve, Mme Ruth Monney, est Française et réside à Strasbourg. A. La visite domiciliaire et la saisie Le 14 janvier 1980, trois agents des douanes de Strasbourg, accompagnés d’un officier de police judiciaire, se rendirent au domicile du requérant et de son épouse pour se procurer des "précisions sur leurs avoirs à l’étranger"; ils agissaient au vu de renseignements fournis par les services fiscaux de Metz. M. Funke admit avoir été ou demeurer titulaire de plusieurs comptes bancaires à l’étranger, pour des motifs professionnels et familiaux, et déclara ne détenir chez lui aucun relevé. De 10 h 30 à 15 h, les agents des douanes procédèrent à la fouille des lieux; ils découvrirent des relevés et des chéquiers émanant de banques étrangères, ainsi que la facture d’une réparation automobile effectuée en Allemagne et deux appareils photographiques. Ils saisirent ces documents et objets, et dressèrent le même jour un procès-verbal. B. Les procédures judiciaires La visite domiciliaire et la saisie opérées par les douanes ne débouchèrent pas sur des poursuites pénales pour infraction à la réglementation sur les relations financières avec l’étranger. En revanche, elles donnèrent lieu, parallèlement, à des instances relatives à la production de documents et à l’adoption de mesures provisoires. La procédure relative à la production de documents (14 janvier 1980 - 18 décembre 1990) a) La procédure principale Lors de leur visite domiciliaire du 14 janvier 1980, les agents des douanes exigèrent du requérant qu’il fournît "les relevés des différents comptes pour les trois années écoulées, à savoir 1977, 1978 et 1979, pour la Postsparkasse de Munich, la P.K.O. de Varsovie, la Société de Banque suisse de Bâle, la Deutsche Bank de Kehl, ainsi que l’épargne-logement de la Württembergische Bausparkasse de Leonberg et enfin le portefeuille d’actions de la Deutsche Bank de Kehl". M. Funke s’y engagea, puis se ravisa. i. Devant le tribunal de police de Strasbourg Le 3 mai 1982, l’administration des douanes le cita devant le tribunal de police de Strasbourg, aux fins de condamnation au paiement d’une amende et d’une astreinte de 50 francs français (f) par jour jusqu’à la production des relevés de compte; elle présenta aussi une demande de contrainte par corps. Le 27 septembre 1982, le tribunal infligea au requérant une amende de 1 200 f et lui enjoignit de "présenter à l’administration des douanes les relevés bancaires des banques ‘Société de Banque suisse’ à Bâle, la ‘P.K.O.’ à Varsovie, la ‘Deutsche Bank’ à Kehl, le compte épargne à la Württembergische Bausparkasse à Leonberg (R.F.A.), ainsi que tout document concernant le financement de son appartement acquis à Schonach (R.F.A.), sous peine d’une astreinte de 20 f par jour de retard". Il se fondait sur les motifs ci-après: " (...) Attendu que le 12.2.1980, M. Funke déclare au service des douanes qu’il n’est pas en mesure de communiquer les documents qu’il s’était engagé à présenter; Qu’il n’en fournit pas la raison, ne présente aucune correspondance tendant à démontrer qu’il a effectué des démarches pour obtenir les documents exigés ou apportant la preuve que les banques étrangères lui ont refusé un tel document; Attendu que M. Funke reconnaît avoir acquis à Schonach (R.F.A.) un studio en commun avec son frère, en présente les photocopies de l’acte de vente et de l’inscription au livre foncier, mais refuse toute communication des documents concernant le financement dudit appartement; Attendu que l’article 65 du code des douanes prévoit que ‘les agents des douanes ayant au moins le grade d’inspecteur ... peuvent exiger la communication des papiers et documents de toute nature relatifs aux opérations intéressant leur service’; Qu’il résulte de la présente procédure de la direction des douanes que l’agent poursuivant a le grade d’inspecteur; Que les documents recherchés, soit les extraits de compte et les documents concernant le financement de l’appartement, peuvent être intégrés dans la catégorie des documents prévus dans l’article 65 du code des douanes; Attendu que le même article 65 prévoit dans son paragraphe 1 sous i) que ces recherches peuvent se faire ‘chez toutes les personnes physiques ou morales directement ou indirectement intéressées à des opérations régulières ou irrégulières relevant de la compétence du service des douanes’; Qu’en la matière le terme ‘chez’ ne doit pas être limité ‘au domicile de ...’ mais doit être interprété comme ‘auprès de (...)’; En effet, toute interprétation contraire permettrait à l’intéressé de se soustraire aux investigations du service des douanes en détenant tout document compromettant en dehors de son domicile; Attendu que la visite domiciliaire et les propres déclarations de l’intéressé ont suffisamment apporté la preuve que des comptes en banque et des opérations de financement concernant le prévenu existent, pour permettre aux services des douanes d’exercer leur droit de communication sur les documents y correspondant et ceci malgré leur absence au domicile de M. Funke; Attendu que titulaire d’un compte utilisé à l’étranger, M. Funke doit être destinataire, comme tout titulaire de compte, des extraits consécutifs à tout mouvement sur ce compte; qu’un extrait est le prolongement, le reflet de la situation d’un compte à un moment donné; que le titulaire du compte est propriétaire de ses extraits et peut à tout moment les réclamer à sa banque, laquelle ne peut les lui refuser;" ii. Devant la cour d’appel de Colmar Sur appel du condamné, du ministère public et de l’administration des douanes, la cour de Colmar statua le 14 mars 1983. Elle confirmait le jugement de première instance, sauf pour la communication des documents relatifs au financement de l’appartement à Schonach, et portait l’astreinte à 50 f par jour de retard. L’intéressé ayant tiré argument de la Convention, la cour répondit ainsi: "Attendu que l’article 413 bis du code des douanes, applicable à la matière des relations financières avec l’étranger en vertu de l’article 451 du même code, punit d’un emprisonnement de 10 jours à un mois et d’une amende de 400 à 2 000 f tout refus de communication de pièces, toute dissimulation de pièces dans les cas prévus notamment à l’article 65 du code précité; Qu’aux termes de ce dernier texte, les agents des douanes peuvent exiger la communication des pièces et documents de toute nature relatifs aux opérations intéressant leur service, en général, chez toutes les personnes physiques ou morales directement ou indirectement intéressées à des opérations régulières ou irrégulières relevant de la compétence des services des douanes; Attendu qu’en l’espèce, Funke n’encourt qu’une peine fiscale et donc une amende; Attendu qu’il n’apparaît pas que la prérogative instituée par les textes précités au profit d’une administration d’ordre fiscal heurte la sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales que l’instrument du droit international invoqué a pour objet de garantir; Que la cause du prévenu a été entendue équitablement; Que, bien évidemment, les infractions que l’accomplissement du devoir de communication est susceptible de révéler ne se trouvent pas encore déférées devant le juge et que les objections de principe soulevées par Funke revêtent dans ces conditions un caractère prématuré; Qu’au demeurant, si toute personne accusée d’une infraction est présumée innocente jusqu’à ce que sa culpabilité ait été légalement établie, l’article 6 par. 2 (art. 6-2) de la Convention ne limite pas autrement les modes de preuve que la loi du for met à la disposition de la partie poursuivante pour emporter la conviction du juge; Qu’enfin l’obligation pour un défendeur de produire dans une instance un élément de preuve susceptible d’être utilisé contre lui par son adversaire n’est pas propre à la matière douanière ou fiscale puisqu’aussi bien l’article 11 du nouveau code de procédure civile l’édicte également; Attendu, d’un autre côté, que si l’article 8 (art. 8) de la Convention dispose que toute personne a droit au respect de sa vie privée et de sa correspondance, il peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit dès lors que celle-ci est prévue par la loi et constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire notamment au bien-être économique du pays et à la défense de l’ordre ou à la prévention des infractions pénales; Que, dans la plupart des pays signataires de la Convention, les administrations douanières et fiscales se trouvent d’ailleurs investies d’un droit d’investigation direct auprès des banques;" iii. Devant la Cour de cassation Le 21 novembre 1983, la Cour de cassation (chambre criminelle) rejeta le pourvoi qu’avait formé M. Funke. Elle écarta en ces termes le troisième et dernier moyen, qui s’appuyait notamment sur les articles 6 et 8 (art. 6, art. 8) de la Convention: "Attendu que la cour d’appel énonce que si toute personne accusée d’une infraction est présumée innocente jusqu’à ce que sa culpabilité soit légalement établie, l’article 6 (art. 6) de la Convention (...) ne limite pas autrement les modes de preuve que ‘la loi du for’ met à la disposition de la partie poursuivante pour emporter la conviction des juges; que s’il est vrai que l’article 8 (art. 8) de la Convention dispose que toute personne a droit au respect de sa vie privée et de sa correspondance, il (...) peut [y] avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit dès lors que cette ingérence est prévue par la loi et constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire notamment au bien-être économique du pays et à la défense de l’ordre ou à la prévention des infractions pénales; Attendu qu’en cet état, et abstraction faite de tout motif surabondant, la cour d’appel a justifié sa décision; que le moyen ne saurait dès lors être accueilli;" b) La procédure en recouvrement de l’astreinte Par un procès-verbal du 30 mai 1984, l’administration des douanes constata le refus de M. Funke d’exécuter l’arrêt de la cour d’appel de Colmar, du 14 mars 1983 (paragraphe 13 ci-dessus). Le 2 janvier 1985, elle notifia à la banque du requérant un avis à tiers détenteur; elle lui enjoignait de payer une somme de 10 750 f représentant le montant de l’astreinte due par son client pour la période du 31 mai au 31 décembre 1984. i. Devant le tribunal d’instance de Strasbourg Saisi par l’intéressé, le tribunal d’instance de Strasbourg confirma l’avis en question le 27 mars 1985: l’administration pouvait valablement recouvrer la créance d’astreinte résultant d’une décision judiciaire exécutoire, dans les mêmes conditions que pour une amende douanière et nonobstant l’introduction d’une requête - dénuée d’effet suspensif - devant la Commission européenne des Droits de l’Homme. ii. Devant la cour d’appel de Colmar Sur recours de M. Funke, la cour d’appel de Colmar rendit, le 20 février 1989, un arrêt infirmant le jugement du 27 mars 1985 et annulant l’avis à tiers détenteur. iii. Devant la Cour de cassation L’administration des douanes ayant introduit un pourvoi, la Cour de cassation le repoussa le 18 décembre 1990, jugeant - avec la cour d’appel - que l’on ne pouvait percevoir le montant de l’astreinte douanière par la voie d’un avis à tiers détenteur. À la suite de cet arrêt, l’administration renonça au recouvrement en cause. La procédure relative aux mesures provisoires (16 avril 1982 - juillet 1990) a) L’adoption des mesures i. Devant le tribunal d’instance de Strasbourg Le 16 avril 1982, l’administration des douanes pria le président du tribunal d’instance de Strasbourg d’ordonner la contrainte réelle sur les biens mobiliers et immobiliers de M. Funke jusqu’à concurrence de 100 220 f. Une moitié de cette somme devait tenir lieu de confiscation des moyens de paiement "échappés", l’autre correspondait à l’amende due. Invoquant les articles 341 bis-1 (paragraphe 32 ci-dessous) et 459 du code des douanes, l’administration affirmait disposer d’ores et déjà d’une créance certaine à l’encontre du requérant. En effet, les documents saisis à Lingolsheim montraient qu’il avait enfreint l’article 1er du décret du 24 novembre 1968, aux termes duquel tout règlement opéré à l’étranger par des résidents en France devait se réaliser par les soins d’un intermédiaire agréé (banque ou P.T.T.) implanté en France. Le tribunal d’instance accueillit la demande par une ordonnance du 21 avril 1982. Le 26 mai 1982, il prononça un jugement rejetant le "contredit" (article 924 du code de procédure civile local) formé par l’intéressé. ii. Devant la cour d’appel de Colmar Par un arrêt du 28 juillet 1982, la cour d’appel de Colmar écarta le recours de M. Funke contre ledit jugement: sans des saisies conservatoires, il fallait craindre que l’exécution de la décision à venir au principal ne se révélât impossible ou beaucoup plus malaisée; en outre, le créancier avait rendu croyables ses prétentions en produisant des procès-verbaux de constat (articles 917 et 920 du code de procédure civile local). Le requérant ne se pourvut point en cassation. b) La levée des mesures Le 22 novembre 1989, Mme Monney présenta une requête en mainlevée des saisies conservatoires (article 926 du code de procédure civile local); elle voulait amener ainsi l’administration à porter devant le juge du fond la question de l’existence de la créance qui avait motivé lesdites saisies. Elle sollicita aussi la vente d’un immeuble. Par une ordonnance du 31 mai 1990, le tribunal d’instance de Strasbourg impartit au directeur général des douanes un délai d’un mois pour engager la procédure au fond. L’administration y renonça et consentit en juillet 1990 à la levée des saisies et de l’hypothèque qui les accompagnait. II. LE DROIT DOUANIER PERTINENT Les dispositions répressives du droit douanier passent en France pour former un droit pénal spécial. A. La constatation des infractions Les agents constateurs En ce qui concerne les agents constateurs, deux dispositions du code des douanes entrent en ligne de compte: Article 453 "Les agents ci-après désignés sont habilités à constater les infractions à la législation et à la réglementation des relations financières avec l’étranger: Les agents des douanes; Les autres agents de l’administration des finances ayant au moins le grade d’inspecteur; Les officiers de police judiciaire. Les procès-verbaux de constatation dressés par les officiers de police judiciaire sont transmis au ministre de l’économie et des finances qui saisit le parquet s’il le juge à propos." Article 454 "Les agents visés à l’article précédent sont habilités à effectuer en tous lieux des visites domiciliaires dans les conditions prévues par l’article 64 du présent code." Les visites domiciliaires a) Le régime applicable Au moment de la visite litigieuse (14 janvier 1980), l’article 64 du code des douanes était ainsi rédigé: "1. Pour la recherche des marchandises détenues frauduleusement dans le rayon des douanes, à l’exception des agglomérations dont la population s’élève au moins à 2 000 habitants, ainsi que pour la recherche en tous lieux des marchandises soumises aux dispositions de l’article 215 ci- après, les agents des douanes peuvent procéder à des visites domiciliaires en se faisant accompagner d’un officier municipal du lieu ou d’un officier de police judiciaire. En aucun cas, ces visites ne peuvent être faites pendant la nuit. Les agents des douanes peuvent intervenir sans l’assistance d’un officier municipal du lieu ou d’un officier de police judiciaire: a) pour opérer les visites, recensements et contrôles à domicile chez les titulaires d’un compte ouvert d’animaux ou d’un titre de pacage; b) pour rechercher des marchandises qui, poursuivies à vue sans interruption dans les conditions prévues par l’article 332 ci-après, sont introduites dans une maison ou autre bâtiment même sis en dehors du rayon. S’il y a refus d’ouverture des portes, les agents des douanes peuvent les faire ouvrir en présence d’un officier municipal du lieu ou d’un officier de police judiciaire." b) Le régime ultérieur Les lois de finances des 30 décembre 1986 (article 80-I et II) et 29 décembre 1989 (article 108-III, 1 à 3) ont modifié l’article 64, qui se lit désormais ainsi: "1. Pour la recherche et la constatation des délits douaniers, visés aux articles 414 à 429 et 459 du présent code, les agents des douanes habilités à cet effet par le directeur général des douanes et droits indirects peuvent procéder à des visites en tous lieux, même privés, où les marchandises et documents se rapportant à ces délits sont susceptibles d’être détenus et procéder à leur saisie. Ils sont accompagnés d’un officier de police judiciaire. a) Hormis le cas de flagrant délit, chaque visite doit être autorisée par une ordonnance du président du tribunal de grande instance du lieu de la direction des douanes dont dépend le service chargé de la procédure, ou d’un juge délégué par lui. L’ordonnance n’est susceptible que d’un pourvoi en cassation selon les règles prévues par le code de procédure pénale; ce pourvoi n’est pas suspensif. Les délais de pourvoi courent à compter de la notification ou de la signification de l’ordonnance. L’ordonnance comporte: - le cas échéant, mention de la délégation du président du tribunal de grande instance; - l’adresse des lieux à visiter; - le nom et la qualité du fonctionnaire habilité qui a sollicité et obtenu l’autorisation de procéder aux opérations de visite. Le juge motive sa décision par l’indication des éléments de fait et de droit qu’il retient et qui laissent présumer, en l’espèce, l’existence des agissements frauduleux dont la preuve est recherchée. Si, à l’occasion de la visite, les agents habilités découvrent l’existence d’un coffre dans un établissement de crédit dont la personne occupant les lieux visités est titulaire et où des pièces, documents, objets ou marchandises se rapportant aux agissements visés au 1. sont susceptibles de se trouver, ils peuvent, sur autorisation délivrée par tout moyen par le juge qui a pris l’ordonnance, procéder immédiatement à la visite de ce coffre. Mention de cette autorisation est portée au procès-verbal prévu au b) du 2. Le juge doit vérifier de manière concrète que la demande d’autorisation qui lui est soumise est bien fondée; cette demande doit comporter tous les éléments d’information en possession de l’administration de nature à justifier la visite. Il désigne l’officier de police judiciaire chargé d’assister à ces opérations et de le tenir informé de leur déroulement. La visite s’effectue sous le contrôle du juge qui l’a autorisée. Lorsqu’elle a lieu en dehors du ressort de son tribunal de grande instance, il délivre une commission rogatoire, pour exercer ce contrôle, au président du tribunal de grande instance dans le ressort duquel s’effectue la visite. Le juge peut se rendre dans les locaux pendant l’intervention. A tout moment, il peut décider la suspension ou l’arrêt de la visite. L’ordonnance est notifiée verbalement et sur place au moment de la visite à l’occupant des lieux ou à son représentant qui en reçoit copie intégrale contre récépissé ou émargement au procès-verbal prévu au b) du 2. En l’absence de l’occupant des lieux ou de son représentant, l’ordonnance est notifiée après la visite par lettre recommandée avec avis de réception. La notification est réputée faite à la date de réception figurant sur l’avis. A défaut de réception, il est procédé à la signification de l’ordonnance dans les conditions prévues par les articles 550 et suivants du code de procédure pénale. Les délais et modalités de la voie de recours sont mentionnés sur les actes de notification et de signification. b) La visite ne peut être commencée avant six heures ni après vingt et une heures. Elle est effectuée en présence de l’occupant des lieux ou de son représentant; en cas d’impossibilité, l’officier de police judiciaire requiert deux témoins choisis en dehors des personnes relevant de son autorité ou de celle de l’administration des douanes. Les agents des douanes mentionnés au 1. ci-dessus, l’occupant des lieux ou son représentant et l’officier de police judiciaire peuvent seuls prendre connaissance des pièces et documents avant leur saisie. L’officier de police judiciaire veille au respect du secret professionnel et des droits de la défense conformément aux dispositions du troisième alinéa de l’article 56 du code de procédure pénale; l’article 58 de ce code est applicable. Le procès-verbal, auquel est annexé un inventaire des marchandises et documents saisis, est signé par les agents des douanes, l’officier de police judiciaire et par les personnes mentionnées au premier alinéa du présent b); en cas de refus de signer, mention en est faite au procès-verbal. Si l’inventaire sur place présente des difficultés, les pièces et documents saisis sont placés sous scellés. L’occupant des lieux ou son représentant est avisé qu’il peut assister à l’ouverture des scellés qui a lieu en présence de l’officier de police judiciaire; l’inventaire est alors établi. Une copie du procès-verbal et de l’inventaire est remise à l’occupant des lieux ou à son représentant. Un exemplaire du procès-verbal et de l’inventaire est adressé au juge qui a délivré l’ordonnance dans les trois jours de son établissement. Les agents des douanes peuvent intervenir sans l’assistance d’un officier de police judiciaire: a) pour opérer les visites, recensements et contrôles à domicile chez les titulaires d’un compte ouvert d’animaux ou d’un titre de pacage; b) pour rechercher des marchandises qui, poursuivies à vue sans interruption dans les conditions prévues par l’article 332 ci-après, sont introduites dans une maison ou autre bâtiment même sis en dehors du rayon. S’il y a refus d’ouverture des portes, les agents des douanes peuvent les faire ouvrir en présence d’un officier de police judiciaire." La communication de documents a) L’obligation L’article 65-1 du code des douanes accorde à l’administration des douanes un droit de communication particulier: "Les agents des douanes ayant au moins le grade d’inspecteur ou d’officier et ceux chargés des fonctions de receveur peuvent exiger la communication des papiers et documents de toute nature relatifs aux opérations intéressant leur service: (...) i) (...) en général, chez toutes les personnes physiques ou morales directement ou indirectement intéressées à des opérations régulières ou irrégulières relevant de la compétence du service des douanes." b) La sanction Quiconque refuse de communiquer des pièces s’expose à un emprisonnement de dix jours à un mois et à une amende de 600 à 3 000 f (article 413 bis-1 du code des douanes). En outre, il peut se voir infliger une astreinte de 10 f au minimum par jour de retard (article 431) et subir une contrainte par corps (article 382). Les mesures conservatoires Selon l’article 341 bis-1 du code des douanes, "Les procès-verbaux de douane, lorsqu’ils font foi jusqu’à inscription de faux, valent titre pour obtenir, conformément au droit commun, l’autorisation de prendre toutes mesures conservatoires utiles à l’encontre des personnes pénalement ou civilement responsables, à l’effet de garantir les créances douanières de toute nature résultant desdits procès-verbaux." B. La poursuite des infractions Aux termes de l’article 458 du code des douanes, "La poursuite des infractions à la législation et à la réglementation des relations financières avec l’étranger ne peut être exercée que sur la plainte du ministre de l’économie et des finances ou de l’un de ses représentants habilités à cet effet." PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION M. Funke a saisi la Commission le 13 février 1984. Il soulevait plusieurs griefs: sa condamnation pénale pour refus de produire les documents demandés par les douanes aurait méconnu son droit à un procès équitable (article 6 par. 1 de la Convention) (art. 6-1) ainsi que le principe de la présomption d’innocence (article 6 par. 2) (art. 6-2); sa cause n’aurait pas été entendue dans un délai raisonnable (article 6 par. 1) (art. 6-1); la visite et la saisie opérées à son domicile par des agents des douanes auraient porté atteinte à son droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance (article 8) (art. 8). La Commission a retenu la requête (no 10828/84) le 6 octobre 1988. Dans son rapport du 8 octobre 1991 (article 31) (art. 31), elle conclut à l’absence de violation a) de l’article 6 par. 1 (art. 6-1), qu’il s’agisse du principe de l’équité de la procédure (sept voix contre cinq) ou de la durée de celle-ci (huit voix contre quatre); b) de l’article 6 par. 2 (art. 6-2) (neuf voix contre trois); c) de l’article 8 (art. 8) (six voix contre six, avec la voix prépondérante du président). Le texte intégral de son avis et des trois opinions dissidentes dont il s’accompagne figure en annexe au présent arrêt. CONCLUSIONS PRESENTEES A LA COUR Dans son mémoire, le Gouvernement a invité la Cour à "bien vouloir rejeter l’ensemble des griefs soulevés par M. Funke et repris par Mme Funke". Quant au conseil du requérant, il a demandé à la Cour de "constater qu’il y a violation de l’article 6 paras. 1 et 2 (art. 6-1, art. 6-2), de l’article 8 paras. 1 et 2 (art. 8-1, art. 8-2), et de l’article 13 (art. 13) de la Convention; donner acte au requérant qu’il sollicite une satisfaction équitable de 300 000 f; condamner l’État défendeur à verser au requérant la somme de 125 000 f au titre des frais et dépens, majorée de la taxe sur la valeur ajoutée; dire que l’ensemble des sommes produiront intérêts au taux légal un mois après le prononcé de l’arrêt".
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