id
stringlengths
4
7
url
stringlengths
33
412
title
stringlengths
1
236
text
stringlengths
100
965k
1843
https://fr.wikisource.org/wiki/Les%20bassins%20%C3%A0%20cupule/Site%20du%20Pouzat
Les bassins à cupule/Site du Pouzat
Commune : Saint-Denis-du-Pin Département : Charente-Maritime Les bassins à cupules Datation : pas de datation établie Civitas : Santonum Données sur les bassins {|border="1" cellpadding="6" cellspacing="0" align="center" |- | colspan=6 bgcolor=#ccccff | <center>Dimensions des bassins</center> |- | Bassin|Longueur| Largeur| Profondeur| Surface| Volume'|- |B1 |? |? |? |? |? |- |B2 |? |? |? |? |? |} Notes Mobilier Témoin supplémentaire de l’attrait que les Gallo-Romains éprouvaient pour la chasse, un bois de cerf a été retrouvé dans le comblement du bassin. Bibliographie DURET. Recueil de la commission des arts et monuments historiques de la Charente Inférieure'', 1883-1884, n°VII, p. 91-95.
1844
https://fr.wikisource.org/wiki/Les%20bassins%20%C3%A0%20cupule/Site%20de%20Grands-Champs
Les bassins à cupule/Site de Grands-Champs
Commune : Saint-Fraigne Département : Charente Les bassins à cupules Datation : pas de datation établie Civitas : Pictonum Données sur les bassins {|border="1" cellpadding="6" cellspacing="0" align="center" |- | colspan=6 bgcolor=#ccccff | <center>Dimensions des bassins</center> |- | Bassin|Longueur| Largeur| Profondeur| Surface| Volume'|- |B1 |1,85 m |1,30 m |1 m |2,40 m² |2,40 m³ |- |B2 |1,85 m |0,80 m |1 m |1,48 m² |1,48 m³ |- |B3 |1,50 m |1,25 m |? |1,87 m² | |} Notes B3 est à 120 mètres au sud des deux autres bassins. Les tuiles ramassées sur le site sont très nombreuses. Les deux premiers bassins au moins étaient couverts. Mobilier Il y avait une grande quantité de froment, de pois chiches et de pois calcinés, ainsi que des os d’animaux comestibles. On a aussi ramassé des fusaïoles de pierre ; des poinçons en os, des fragments d’outils en os tourné ; une clef de fer semblable à une autre trouvée au puits des Bouchauds à la même époque ; et deux anneaux de bronze. Bibliographie MARTINIÈRE, J. de la. Bulletin de la société d'archéologie et d'histoire de Charente, 1905, p XXX-XXXI. PIVETEAU, Joseph. Inventaire archéologique de la Charente. Mémoire de la Société d'archéologie et d'histoire de la Charente, 1958, p. 67 et suivantes. VERNOU, Christian. Carte archéologique de la Gaule : Département de la Charente''. Paris : Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, 1993.
1845
https://fr.wikisource.org/wiki/Les%20bassins%20%C3%A0%20cupule/Site%20de%20la%20Croix-Matelot
Les bassins à cupule/Site de la Croix-Matelot
Commune : Saint-Georges-d’Oléron Département : Charente-Maritime Les bassins à cupules Datation : pas de datation établie Civitas : Santonum Données sur les bassins {|border="1" cellpadding="6" cellspacing="0" align="center" |- | colspan=6 bgcolor=#ccccff | <center>Dimensions des bassins</center> |- | Bassin|Longueur| Largeur| Profondeur| Surface| Volume'|- |B1 |3,30 m |2 m |? |6,60 m² |? |- |B2 |2,50 m |2,20 |? |5,50 m² |? |- |B3 |2,60 m |1,80 m |0,35 m (conservée) |4,68 m² |1,638 m³ |- |B4 |3 m |1 m |? |3 m² |? |} Notes Il ne subsistait des quatres bassins que les fonds. Leurs parois ne sont pas parallèles, mais forment des quadrilatères. Ils sont disposés du nord au sud, B1 étant le plus septentrional. Les murs sont épais de 25 à 30 cm, et composés de moellons. Le mur sud de B4 est en tuiles et moellons, le mur oriental en briques et tuiles. Le béton des couvre-joints de B3 est très fin, alors que celui de B2 est à gros grain. Celui de B4 est à grain moyen. Les bassins 1 et 3 ont des fonds de dalles, B2 est une plate-forme de béton, B4 est en tegulæ noyées dans un béton à grain moyen. Comme à l’Houmeau et à Cognac, un bassin (B4) avait son fond couvert d’une matière organique noire ressemblant à de la suie. B3 était légèrement encavé par rapport aux autres bassins. Le volume de sa cupule était compris entre 10,9 et 31,4 litres. Mobilier Une tegula a été retrouvée avec une pointe d’amphore. Quelques coquillages : huîtres, moules, patelles, pétoncles, étaient aussi présents. Bibliographie EYGUN, François. Notice. Gallia'', 1963, tome 21,2, p 441.
1846
https://fr.wikisource.org/wiki/Les%20bassins%20%C3%A0%20cupule/Site%20du%20Ch%C3%AAne
Les bassins à cupule/Site du Chêne
Commune : Saint-Martial-de-Mirambeau Département : Charente-Maritime Les bassins à cupules Datation : fin du Ier ap. J.-C. Civitas : Santonum Données sur le bassin {|border="1" cellpadding="6" cellspacing="0" align="center" |- | colspan=6 bgcolor=#ccccff | <center>Dimensions du bassin</center> |- | Bassin|Longueur| Largeur| Profondeur| Surface| Volume'|- |B1 |4 m |3 m |? |12 m² |? |} Notes Les parois étaient en tegulæ et larges de quarante cm. Les dalles du fond, épaisses de trois cm, étaient biseautées et soigneusement appareillées. Elles étaient imprégnées sur toute leur épaisseur d’une substance grise. Le fond antérieur étaient identique, et posé sur 45 cm de béton. Une dalle creuse (cupule) qui appartenait à un autre bassin se trouvait dans le béton entre les deux fonds. La datation de l’ensemble du site est difficile, les fondations ne subsistaient qu’à peine. Le site a certainement été occupé au-delà ou en deçà de la fin du premier siècle car : le bassin n’a pas la même orientation que les murs, et est donc postérieur à l’édification de ceux-ci ; le bassin a connu deux diminutions de volume, successives ou simultanées, par un rehaussement de 12 cm du fond, puis par l’établissement en travers du bassin d’un mur, à 64 cm du mur nord, réduisant ainsi sa surface à 10,02 m² (soit une diminution de 16,5 %). La succession de deux ou trois phases de production décroissantes implique une occupation prolongée au-delà de cette période prospère qu’était la fin du premier siècle. Tous les autres sites connaissent au contraire une augmentation de capacité à cette époque, et les premières réductions ne datent que d’un siècle plus tard. Le volume de la cupule supérieure est de 16,7 litres. Mobilier Le site a livré quelques éléments de céramique commune de la fin du premier siècle, et des clous de fer de section carrée. Le mobilier organique était constitué d’os et de dents de chevaux et de bovidés. Bibliographie GAILLARD, Jean- LENGLET, Théophile. Rapport de fouilles du site du Chêne, à Saint-Martial-de-Mirambeau, 1980. NICOLINI, Gérard. Notice. Gallia'', 1981, tome 39,2, p. 375.
1847
https://fr.wikisource.org/wiki/Les%20bassins%20%C3%A0%20cupule/Site%20de%20Mouri%C3%A8re
Les bassins à cupule/Site de Mourière
Commune : Saint-Nazaire-sur-Charente Département : Charente-Maritime Les bassins à cupules Datation : pas de datation établie Civitas : Santonum Données sur le bassin {|border="1" cellpadding="6" cellspacing="0" align="center" |- | colspan=6 bgcolor=#ccccff | <center>Dimensions du bassin</center> |- | Bassin|Longueur| Largeur| Profondeur| Surface| Volume'|- |B1 |? |? |? |7 m² |? |} Notes Une aire bétonnée, contiguë au bassin, aurait pu servir à son alimentation. Le bassin a été coupé en deux par un mur épais de 55 cm. L’épaisseur de ce mur lui donne une assez forte résistance pour supporter la pression d’un demi-bassin plein. L’une des deux parties du bassin a donc pu servir séparément sans que l’autre soit comblée. On a ainsi cherché à se réserver la possibilité de réutiliser la deuxième partie du bassin. Mobilier Bibliographie MAGEAU. Bulletin de la société d'archéologie et d'histoire de Saintonge et d'Aunis'', 1889, p 15-16.
1848
https://fr.wikisource.org/wiki/Les%20bassins%20%C3%A0%20cupule/Site%20de%20la%20rue%20Daniel%20Massiou
Les bassins à cupule/Site de la rue Daniel Massiou
Commune : Saintes Département : Charente-Maritime Les bassins à cupules Datation : pas de datation établie Civitas : Santonum Données sur le bassin {|border="1" cellpadding="6" cellspacing="0" align="center" |- | colspan=6 bgcolor=#ccccff | <center>Dimensions du bassin</center> |- | Bassin|Longueur| Largeur| Profondeur| Surface| Volume'|- |B1 |1,85 m |1,50 m |2,45 m |2,775 m² |6,7 m³ |} Notes Le site est proche de la villa du cimetière Vivien, et en constituait peut-être une dépendance artisanale. Il est aussi assez proche de la ville antique de Saintes. Le bassin est en partie creusé dans la roche, et en partie maçonné. Il est alimenté au sud par un caniveau de tegulæ suivi sur une longueur de dix mètres. Il fait un coude 3,5 m avant le bassin. Ses deux derniers mètres sont taillés dans des blocs calcaires. Plusieurs autres traces d’occupations se trouvaient dans le voisinage immédiat : un puits à eau comblé ; deux fosses-dépotoirs, dont l’une servit à l’extraction de l’argile, et comblées avec du matériel augustéen. Mobilier Une coupe à ombilic (patère) a été retrouvée dans le comblement. Bibliographie Anonyme. Recherches archéologiques à Saintes et dans la Saintonge'', 1979, p. 174.
1849
https://fr.wikisource.org/wiki/Les%20bassins%20%C3%A0%20cupule/Site%20des%20Trains%20d%27%C3%89curat
Les bassins à cupule/Site des Trains d'Écurat
Commune : Saintes Département : Charente-Maritime Les bassins à cupules Datation : 40 à 120 ap. J.-C. Civitas : Santonum Données sur le bassin {|border="1" cellpadding="6" cellspacing="0" align="center" |- | colspan=6 bgcolor=#ccccff | <center>Dimensions du bassin</center> |- | Bassin|Longueur| Largeur| Profondeur| Surface| Volume'|- |B1 |1,33 m |1,33 m |1,40 m |1,77 m² |2,48 m³ |- |B2 |1,61 m |1,61 m |1,40 m |2,59 m² |3,62 m³ |} Notes L’état des fondations, fortement arasées par les labours, ne permet pas une restitution sûre du plan. Le petit bassin était inscrit dans un massif de maçonnerie de deux mètres trente de côté, soit des parois de cinquante cm. Le grand bassin avait des parois maçonnées également de cinquante cm d’épaisseur. Bien qu’orienté au nord, le bâtiment est très probablement un temple de traditon indigène (fanum). Sa situation sur un coteau orienté au Nord rendait une implantation humaine difficile. La pièce centrale, carrée, la galerie l’entourant, l’avancée formant pronaos le désignent plutôt comme un temple. Le foyer en plein air serait la trace de sacrifices. Le bâtiment à l’Est est à interpréter soit comme une entrée dans le templum, soit comme un deuxième temple, constituant ainsi un complexe cultuel. Le petit bassin, auquel n’est rattaché aucun dispositif d’alimentation, était probablement destiné au culte, le second, dans la cour, aux ablutions. Mobilier Le mobilier était très pauvre et permettait seulement de dater le site par quelques tessons de céramique, confirmée par des fibules et des monnaies. Bibliographie FABIOUX, Monique. Bulletin de liaison de la Direction régionale des antiquités historiques du Poitou-Charentes'', 1986, n°15, p. 40-41.
1850
https://fr.wikisource.org/wiki/Les%20bassins%20%C3%A0%20cupule/Site%20de%20Nouger%C3%A8de
Les bassins à cupule/Site de Nougerède
Commune : Salles-Lavalette Département : Charente Les bassins à cupules Datation : 40 à 120 ap. J.-C. Civitas : Petrucores Données sur le bassin {|border="1" cellpadding="6" cellspacing="0" align="center" |- | colspan=6 bgcolor=#ccccff | <center>Dimensions du bassin</center> |- | Bassin|Longueur| Largeur| Profondeur| Surface| Volume'|- |B1 |2 m |2 m |? |4 m² |? |- |B2 |Supérieure à 2 m |Supérieure à 2 m |? |4 m² |? |- |B3 |Supérieure à 2 m |Supérieure à 2 m |? |4 m² |? |} Notes Tous les bassins sont carrés. Les cupules sont décrites comme des trous (dans le fond), ayant pu servir à l’épuisement complet de l’eau. Mobilier Bibliographie GEORGE. Bulletin de la société d'archéologie et d'histoire de Charente, 1930-1931, p LXXII. VERNOU, Christian. Carte archéologique de la Gaule : Département de la Charente''. Paris : Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, 1993.
1851
https://fr.wikisource.org/wiki/Les%20bassins%20%C3%A0%20cupule/Site%20des%20Terres%20de%20Font-Belle
Les bassins à cupule/Site des Terres de Font-Belle
Commune : Segonzac Département : Charente Les bassins à cupules Datation : Deuxième moitié du I siècle ap. J.-C.-150 Civitas : Santonum Données sur le bassin {|border="1" cellpadding="6" cellspacing="0" align="center" |- | colspan=6 bgcolor=#ccccff | <center>Dimensions du bassin</center> |- | Bassin|Longueur| Largeur| Profondeur| Surface| Volume'|- |B1 |2 m |2 m |? |4 m² |? |- |B2 |2,5 m |1,5 m |1,3 m |3,75 m² |4,88 m³ |} Notes Le bâtiment est une ferme gallo-romaine de plan carré à cour centrale. La cour mesure 16,2 m de coté, soit une superficie de 262,44 m² ; le bâtiment mesure 32 m de coté, soit une surface couverte de plus de 790 m². Ici, la disposition des bassins rappelle celle que préconise Varron pour les citernes à eau. Le bassin 2 serait l’abreuvoir à animaux, le 1 serait la citerne domestique. Le système de trop-plein n’a pas été retrouvé, mais cela est normal, car les murs sont tous arasés au niveau des fondations et les niveaux de sol ont tous disparu. Mobilier La céramique (commune grise) date de 70 à 120 environ de notre ère. Des ossements d’animaux et des coquillages ont été retrouvés dans B1. Des éléments d’architecture luxueuse ont aussi servi au comblement de B1 : fragments de colonnes moulurées, de colonnes lisses, de corniches. Bibliographie PAPINOT, Jean-Claude. Notice. Gallia Informations, 1993, tome 1 et 2, p. 190-191. VERNOU, Christian. Carte archéologique de la Gaule : Département de la Charente''. Paris : Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, 1993.
1852
https://fr.wikisource.org/wiki/Les%20bassins%20%C3%A0%20cupule/Site%20du%20P%C3%A9r%C3%A9%20Maillard
Les bassins à cupule/Site du Péré Maillard
Commune : Soubise Département : Charente-Maritime Les bassins à cupules Datation : Ier-Ve siècle ap. J.-C. Civitas : Santomnum Données sur les bassins {|border="1" cellpadding="6" cellspacing="0" align="center" |- | colspan=6 bgcolor=#ccccff | <center>Dimensions des bassins</center> |- | Bassin|Longueur| Largeur| Profondeur| Surface| Volume''' |- |B1 |2,50 m |1,80 m |1,37 m |4,50 m² |6,16 m³ |- |B2 |2,40 m |1,65 m |1,40 m |3,96 m² |5,54 m³ |- |B3 |3,30 m |1,90 m |0,50 m |6,27 m² |3,13 m³ |- |B4 |2,80 m |1,85 m |1,50 m |5,18 m² |7,77 m³ |- |B5 |2,20 m |1,85 m |0,50 m |4,07 m² |2,03 m³ |} Notes Le site, entaillé par l’exploitation de la carrière située au Sud, a été à moitié démoli par les pelleteuses et les relevés ont été faits dans l’urgence. Un seuil dallé se trouvait à l’extrême limite de la zone exploitée. Le bâtiment avait une superficie de 500 m² au minimum. L’espace central situé entre les deux salles latérales n’est donc pas identifié formellement comme une pièce, et est peut-être une cour. Quatre dalles ayant pu faire partie d’un dallage de cet espace ont aussi été retrouvées. Les bassins, construits en petit appareil, étaient enduits de béton de tuileau. Les trois premiers bassins correspondent probablement à un premier état, les bassins B4 et B5 leur auraient succédé. Il n’y avait aucune communication entre les bassins. Les volumes des cupules sont de 9,9 à 28,8 litres pour B1 ; et de 7,3 à 21,2 litres pour B2. Mobilier Le mobilier recueilli est très maigre, et permet seulement de dater l’occupation du site du IIIe au Ve siècle, toujours à cause de l’extrème urgence de la fouille. La mise en rapport avec la ferme du Renfermis permet de dater le début de l'occupation probablement du Ier siècle ap. J.-C. Bibliographie GABET, Camille. Rapport de fouilles du site du Péré Maillard, à Nieul-sur-Mer, 1983. GABET, Camille. Bulletin de liaison de la Direction régionale des antiquités historiques du Poitou-Charentes, 1983, n°12, p 25. PAPINOT, Jean-Claude. Notice. Gallia'', 1985, tome 43,2, p. 499-501.
1853
https://fr.wikisource.org/wiki/Les%20bassins%20%C3%A0%20cupule/Site%20du%20Renfermis
Les bassins à cupule/Site du Renfermis
Commune : Soubise Département : Charente-Maritime Les bassins à cupules Datation : Ier-IVe siècle ap. J.-C. Civitas : Santonum Données sur les bassins Les bassins sont nommés d'après le rapport de fouilles, pour éliminer une source de confusion. {|border="1" cellpadding="6" cellspacing="0" align="center" |- | colspan=6 bgcolor=#ccccff | <center>Dimensions des bassins</center> |- | Bassin|Longueur| Largeur| Profondeur| Surface| Volume'|- |A2 |2,70 m |1,10 m |0,85 m |1,97 m² |2,52 m³ |- |A3 |3,40 m |1,13 m |0,98 m |3,84 m² |3,76 m³ |- |B2 |3,75 m |1,02 m |0,80 m |3,82 m² |3,06 m³ |- |B3 |2,31 m |1,02 m |0,80 m |2,35 m² |1,88 m³ |- |C2 |2,66 m |2,26 m |1 m |6,01 m² |6 m³ |} Notes Le site est voisin (distant de quelques mètres) de celui du Péré Maillard. La première étape d’occupation du site s’achève à la fin du IIe siècle ou au début du IIIe. Le bâtiment, qui était carré et mesurait vingt m sur douze, situé à l’emplacement des secteurs Est de celui qui nous intéressent, est alors détruit. Un bâtiment en U le remplace, et mesure vingt-huit mètres sur dix-huit. Les structures du secteur des bassins les plus anciens, aire bétonnée A1 et bassins A2 et A3 ne sont peut-être pas antérieures à cette restructuration du IIIe siècle, mais remontent peut-être au Ier siècle de notre ère. Les deux bassins étaient construits en tegulæ. Le bassin B2 est ajouté au IVe siècle, avec l’aire correspondante B1. Il connait ensuite une réduction en B3, par l’ajout d’un mur transversal (et est renforcé conjointement par des couvre-joints). Le bassin C2 et son aire C1 les remplacent tous à la fin de ce même siècle. L’aire A1, profonde comme les autres de dix à quinze cm, est reliée à A2 et A3 par des canalisations constituées d’imbrices enduites de béton de tuileau. Mobilier La plus ancienne monnaie date du règne d’Auguste. Entre celle-ci et le premier antoninien, de Claude II, on ne trouve qu’un Vespasien. Il y a six monnaies de Tétricus, et vingt-six du IVe siècle, dont la plus récente est de Constans, vers 347-348. Bibliographie BERNARD, Hélène. Rapport de fouilles du site du Renfermis à Soubise, 1984 et 1985. BERNARD, Hélène. Bulletin de liaison de la Direction régionale des antiquités historiques du Poitou-Charentes, 1986, n°15, p. 27. DUPRAT, Philippe. Bulletin de liaison de la Direction régionale des antiquités historiques du Poitou-Charentes, 1986, n°15, p. 27. FABIOUX, Monique. Bulletin de liaison de la Direction régionale des antiquités historiques du Poitou-Charentes, 1986, n°15, p. 40-41. PAPINOT, Jean-Claude. Notice. Gallia Informations'', 1989, p. 279-279.
1854
https://fr.wikisource.org/wiki/Les%20bassins%20%C3%A0%20cupule/Site%20de%20Chez-Michaud
Les bassins à cupule/Site de Chez-Michaud
Commune : Suaux-Brassac Département : Charente Les bassins à cupules Datation : Ier-IIIe siècle ap. J.-C. Civitas : Icolisma Données sur le bassin {|border="1" cellpadding="6" cellspacing="0" align="center" |- | colspan=6 bgcolor=#ccccff | <center>Dimensions du bassin</center> |- | Bassin|Longueur| Largeur| Profondeur| Surface| Volume'|- |B1 |1,39 m |1,04 m |1,10 m |1,445 m² |1,59 m³ |} Notes La villa a connu au moins trois phases de construction. Avant l’époque de fonctionnement du bassin, se trouvait à l’emplacement des pièces B-B1 un bâtiment long, dont les sols sont transpercés par le bassin. Celui-ci est construit à un court intervalle de temps de la galerie. Des extensions au sud sont encore construites ensuite. Le bassin, chose notable, est réalisé en coffrage. Ses rebords sont arrondis au niveau du sol selon un diamètre de 8 cm (cf Cognac). Le béton est en mortier jaune avec inclusion de gros éclats de silex. Le bassin est enduit intérieurement de deux couches de béton de tuileau. La cupule est en fait un trou hémisphérique pratiqué dans le fond du bassin, qui traverse le béton, épais de 7 à 8 cm, et entaille l’argile à silex vierge. Le bassin est construit au milieu d’une cour entourée d’un portique sur les côtés Nord, Ouest et Sud au moins. Le toît n’est à l’aplomb du rebord du bassin que du côté occidental. Sur trois faces, l’enduit du bassin est creusé de rainures irrégulièrement disposées et de profondeurs variables (voir le schéma avec les plans). Du coté occidental, il n’y a qu’une seule rainure. Un puits se trouvait dans la cour entre B-B1 et K, et une fosse, au fond sableux, régulièrement parementée, en grand appareil dans le fond et en petit appareil ensuite, a été découverte au Sud-Ouest du site. Le volume de la cupule est de 8,6 (si elle en forme de tronc de cône) à 12,2 litres (demi-sphère de rayon égal à 18 cm). Mobilier Aucune monnaie n’a été retrouvée sur le site. Les éléments de datation sont les multiples tessons de céramique retrouvés notamment dans la pièce K. La céramique locale est très abondante et variée, et à usage domestique, mais on a aussi recensé de la sigillée, provenant de Gaule du Sud et de Gaule centrale. Parmi les formes identifiées, on retrouve des Drag. 15/17, 17, 27, 29 précoce (Tibère), Drag. 36, un Ritt 12 (40-70), Santrot 141 et des amphores, dont une marquée COR... Parmi les objets métalliques, on trouve des clous longs et un en T, un croisillon de bronze de 5,5 cm, un tube carré de bronze d’une section de 5 mm. Du verre plat figure aussi parmi les trouvailles. Les ossements sont assez abondants, sciés pour récupérer la moelle, en éclats ou encore taillé en charnière pour l’un d’eux. Trois espèces de coquillages marins étaient présents sur le site. Bibliographie DUGAST, Jacques. Bulletin de liaison de la Direction régionale des antiquités historiques du Poitou-Charentes, 1986, n°15, p. 15-17. FERAUDY, Luc de. Bulletin de liaison de la Direction régionale des antiquités historiques du Poitou-Charentes, 1988, n°17, p. 25. PAPINOT, Jean-Claude. Notice. Gallia, 1985, tome 43,2, p. 499-501. VERNOU, Christian. Carte archéologique de la Gaule : Département de la Charente''. Paris : Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, 1993.
1855
https://fr.wikisource.org/wiki/Les%20bassins%20%C3%A0%20cupule/Site%20du%20fief%20de%20Bou%C3%A9
Les bassins à cupule/Site du fief de Boué
Commune : Taizé Département : Deux-Sèvres Les bassins à cupules Datation : Ire moitié du IIe siècle ap. J.-C. Civitas : Pictonum Données sur les bassins {|border="1" cellpadding="6" cellspacing="0" align="center" |- | colspan=6 bgcolor=#ccccff | <center>Dimensions des bassins</center> |- | Bassin|Longueur| Largeur| Profondeur| Surface| Volume'|- |B1 |4,20 m |2 m |0,58 m conservés |8,4 m² |4,87 m³ |- |B2 |2 m |1,24 m |0,58 m conservés |2,48 m² |1,44 m³ |} Notes Le site est celui de la rive convexe d’une boucle du Thouet, dans laquelle un ou des aménagements monumentaux ont été effectués. Seul un massif de maçonnerie et ses abords ont été fouillés. Des boutiques ou des ateliers artisanaux (marqués H sur le plan) s’y appuyaient. La nature du premier aménagement reste douteuse : ouvrage militaire, (la voie Portus Namnetum-Limonum [Nantes-Poitiers] passant à proximité), forum d’un vicus ou thermes (la présence d’un aqueduc orienté vers le site ayant été reconnue). La datation du massif le fait remonter au premier siècle, les bassins lui sont postérieurs. Les deux bassins sont construits en élévation, les murs de B1 ayant quatre-vingt cm d’épaisseur, ceux de B2, quarante. Le fond de B1 est en béton jaune, coulé sur un béton plus fin. Celui de B2 est en tegulæ. Le fond de B2 comme le mur de séparation B1-B2 sont noircis, comme par le feu. Le volume de la cupule est compris entre 80 et 110 litres. Mobilier Le site a livré l’habituel assortiment de pesons et fusaïoles, plus des serrures et un hachereau en fer. Bibliographie CHAMPÊME, Louis-Marie. Notice du Service régional d'archéologie (SRA) relative aux fouilles du site de Fief de Boué, à Taizé. 1991. HIERNARD, Jean-SIMON-HIERNARD, Dominique. Carte archéologique de la Gaule : Département des Deux-Sèvres''. Paris : Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, 1997.
1856
https://fr.wikisource.org/wiki/Les%20bassins%20%C3%A0%20cupule/Site%20du%20Veillon
Les bassins à cupule/Site du Veillon
Commune : Talmont-Saint-Hilaire Département : Vendée Les bassins à cupules Datation : fin du Ier au IIIe siècle ap. J.-C. Civitas : Pictonum Données sur les bassins {|border="1" cellpadding="6" cellspacing="0" align="center" |- | colspan=6 bgcolor=#ccccff | <center>Dimensions des bassins</center> |- | Bassin|Longueur| Largeur| Profondeur| Surface| Volume'|- |B1 |? |? |0,24 m conservés |6,2 m² |1,49 m³ |- |B2 |? |? |0,24 m conservés |6,3 m² |1,51 m³ |} Notes Le site est une villa à galerie de façade Nord, et à cour au Sud entre deux ailes. Elle est sur un promontoire rocheux, à distance égale (500 m) de la mer et d’un petit affluent de Payré. Le balnéaire (ou le bassin identifié comme un balnéaire) possède une cuve octogonale de 0,80 cm de diamètre. Elle a été détruite par un incendie. Au milieu du siècle dernier, un trésor monétaire de plusieurs milliers de pièces, et de quelques bijoux d’or a été dispersé. Une autre partie a été retrouvée récemment. Les deux bassins, construits en élévation, sont adossés à un blocage ” très épais “. Le bassin méridional était couvert d’une charpente. Ailleurs, seules les fondations subsistaient. Les cupules avaient un volume de 15,394 ou de 16,927 litres, selon que l’on considère qu’il s’agit de troncs de cônes ou de segments de sphères à deux bases. Mobilier La céramique était assez abondante : de la sigillée Drag18/31, 24/25, 27 et Drag 43 ; des tessons de céramique à glacure plombifère de Saint-Rémy-en-Rollat, et de la céramique commune. En-dehors de la céramique, un grand nombre de coquillages (huîtres, patelles, bigorneaux) et quelques os de bovidés ont été retrouvés. Au XIXe siècle, un trésor de bijoux d’or, de pièces d’or contenus dans un vase en bronze, de 620 deniers allant de Claude aux Sévères dans un autre vase de ronze et de 25000 à 30000 monnaies en vrac a été découvert. Les aurei datent d’Hadrien à Sévère Alexandre ; la monnaie en vrac représente, outre quelques deniers républicains très usés, 46 types de tous les règnes de Claude à Postume (dernier type représenté : la quatorzième émission d’Elmer, de 266). Les fouilles de 1979 ont découvert un trésor de 7246 antoniniens datant de Gordien III à Victorien. Bibliographie AUBIN, Gérard. Notice. Gallia, 1981, 39,2. p. 361-362. FROGET, Jean. Une villa gallo-romaine au Veillon. Olona, 1980, n°94, p.14 et suivantes. PROVOST, Michel directeur- HIERNARD, Jean- PASCAL, Jérôme. Carte archéologique de la Gaule : Département de la Vendée''. Paris : Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, 1996.
1857
https://fr.wikisource.org/wiki/Les%20bassins%20%C3%A0%20cupule/Site%20entre%20le%20Clou%20et%20Montalet
Les bassins à cupule/Site entre le Clou et Montalet
Commune : Tonnay-Charente Département : Charente-Maritime Les bassins à cupules Datation : pas de datation établie Civitas : Santonum Données sur les bassins {|border="1" cellpadding="6" cellspacing="0" align="center" |- | colspan=6 bgcolor=#ccccff | <center>Dimensions des bassins</center> |- | Bassin|Longueur| Largeur| Profondeur| Surface| Volume'|- |B1 |1,85 m |1,75 m |1 m conservés |3,23 m² |3,23 m³ |} Notes Le bassin aurait été recouvert d’une voûte, effondrée avant sa découverte, et qui aurait culminé un mètre cinquante au-dessus du fond, soit un volume éventuel supplémentaire de 720 litres. Ce fond était doté d’une cupule qui le traversait, et “ dont l’orifice se trouvait en contrebas “, selon l’auteur. Les parois de moellons étaient recouvertes de briques et de ciment à gros grains. Le volume de la cupule a pu s’établir entre 17,6 et 25 litres. Mobilier L’auteur ne signale que quelques ossements, qu’il attribue à des humains, puisqu’il pense à un tombeau ou à un silo. Bibliographie Abbé BRODUT. Revue de la Saintonge et de l'Aunis'', 1900, n°20, p. 291.
1858
https://fr.wikisource.org/wiki/Les%20bassins%20%C3%A0%20cupule/Site%20du%20Champ-Jacquet
Les bassins à cupule/Site du Champ-Jacquet
Commune : Touzac Département : Charente Les bassins à cupules Datation : pas de datation établie Civitas : Santonum Données sur les bassins {|border="1" cellpadding="6" cellspacing="0" align="center" |- | colspan=6 bgcolor=#ccccff | <center>Dimensions des bassins</center> |- | Bassin|Longueur| Largeur| Profondeur| Surface| Volume'|- |B1 |2,5 m |2,175 m |? |5,4375 m² |? |- |B2 |2,5 m |2,175 m |? |5,4375 m² |? |} Notes Le découvreur décrit les bassins comme étant recouverts d’une dalle de béton. Mobilier Bibliographie LOTTE. Bulletin de la société d'archéologie et d'histoire de Charente, 1965, p 9-10. VERNOU, Christian. Carte archéologique de la Gaule : Département de la Charente''. Paris : Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, 1993.
1863
https://fr.wikisource.org/wiki/Les%20bassins%20%C3%A0%20cupule/Conclusion
Les bassins à cupule/Conclusion
Les bassins à cupules Malheureusement, ce mémoire s’achève sur une ignorance supplémentaire. Faute de matériel suffisant, l’utilisation des bassins à cupule demeure incertaine. Il serait certainement utile, lors des prochaines découvertes, de ne plus se focaliser uniquement sur la vigne. Les dépôts analysés peuvent laisser d’autres traces chimiques, révélateurs d’autres activités. Nous apprenons toutefois que si le bassin à cupule reste une appellation satisfaisante, il est vraisemblable qu’elle ne constitue pas un élément probant de discrimination des sites. Que l’on puisse la retrouver sur des sols (comme à Civaux) ou dans un temple (comme à Saintes 2) montre que son emploi était extrêmement large. À la question : y a-t-il corrélation, dans le Centre-Ouest, entre cet élément technique et une utilisation précise, nous pouvons difficilement répondre. Deux interprétations sont également vraisemblables, et aucune n’a pu être mise réellement en évidence. Dès lors, une distinction entre sites littoraux et sites continentaux est-elle pertinente ? Les constructions et reconstructions de bassins aux II et III siècles ont-elles été dictées par une mauvaise adaptation aux besoins ? Ou bien est-ce une modification des goûts qui en est à l’origine ? Les goûts seraient-ils devenus plus exigeants et la qualité aurait-elle primé la quantité ? Encore une fois, notre ignorance de l’utilisation des bassins nous handicape pour comprendre les phénomènes ayant pu affecter les sites à bassin à cupule. En revanche, nous savons que le nombre de bassins par site n’est pas un critère pour juger de son importance à un moment donné. C’est plutôt, à cause de toutes les modifications qu’ont subis les sites, un indice concernant la durée d’occupation des sites. Sur quelques sites, cette occupation s’est prolongée au-delà de la période d’activité des bassins. Ce fait est une confirmation de l’activité artisanale de ces bassins, exploitant une ressource agricole (ou piscicole) non vivrière, mais commerciale. Les sites de Port-des-Barques et de Soubise ont ainsi pu subsister à l’époque troublée du Moyen Âge, en abandonnant leurs bassins et en se tournant vers une polyculture vivrière. Pour le premier des deux sites, qui n’était pas spécialisé au départ, ce fut comme un retour aux sources. Quant à la résolution du problème de l’utilisation des bassins, elle dépend de la chance qu’auront les archéologues dans leurs futures découvertes.
1881
https://fr.wikisource.org/wiki/Les%20Fouger%C3%AAts%20%3A%20Patrimoine%20et%20identit%C3%A9%20d%E2%80%99une%20commune%20de%20Haute-Bretagne
Les Fougerêts : Patrimoine et identité d’une commune de Haute-Bretagne
Ce mémoire dirigé par Alain Croix a été soutenu en septembre 2002 à l’Université Rennes II. La note attribuée est 15/20. Je déclare en être l’auteur, ainsi que de déposer ce texte sous licence de documentation GNU. La version papier de ce mémoire est disponible au CHRISCO, UFR Histoire, à l’Université Rennes II. Ce mémoire comporte de très nombreuses annexes photographiques prises par mes soins (donc licence GNU) que je vais essayer d’installer rapidement. Sommaire : Introduction Methodologie Les Pays de Vilaine. Les promenades, les fougerêtais et les archives : les sources du patrimoine des Fougerêts et leurs critiques. Les problèmes et les avantages de l’étude du patrimoine local. Le patrimoine des Fougerêts. Un patrimoine paysager et naturel. L’habitat fougerêtais, un patrimoine de « belles pierres. » Un patrimoine religieux. Un patrimoine ethnologique. Les acteurs locaux fougeretais. La municipalité. Les associations et les particuliers. Patrimoine, identité et avenir. Le patrimoine, marqueur identitaire. L’avenir du patrimoine aux Fougerêts. Conclusion. Les Sources. Bibliographie. </div> Fougerêts
1882
https://fr.wikisource.org/wiki/Patrimoine%20et%20Identit%C3%A9/Introduction
Patrimoine et Identité/Introduction
Introduction Jusqu’en 1997, j’ignorais entièrement l’existence de la commune de Les Fougerêts. Mes déplacements ne m’avaient jamais permis de m’aventurer jusque là, même si j’habitais à Saint-Perreux situé à une douzaine de kilomètres. Toutefois, une heureuse rencontre m’a fait découvrir une commune totalement différente de la mienne. Tout d’abord, l’attraction urbaine de Redon ne semblait pas avoir eu d’influence. Ensuite, de nombreux troupeaux de vaches parsemaient les champs, il y avait un nombre très important de jolies maisons anciennes, un Foyer des Jeunes (actif), et des personnes aux mœurs qui m’étaient totalement inconnues. Enfin, mon intérêt pour l’Histoire était comblé par l’existence d’un livre sur cette commune. Ainsi, lorsque j’ai choisi d’effectuer une maîtrise d’Histoire, une étude sur cette commune m’a semblé évidente avec l’idée sous jacente de m’interroger sur l’homme, son milieu et ses comportements. Un sujet sur le patrimoine m’est apparu comme le plus apte à concilier ce que j’avais pu déjà observer sur place et ce que, à fortiori, je pourrai interpréter. Le patrimoine est une notion qui a largement évolué. Depuis la Révolution, ce mot a assimilé une multitude de domaines les plus variés. Aujourd’hui, la notion de patrimoine est plus que l’ensemble des chefs-d’œuvre artistiques, elle regroupe autant des milieux naturels que des vestiges industriels. Le patrimoine est devenu culturel. Il est « (…) un regard porté sur certaines réalités matérielles ou non, (…) et leur a donné un sens, une utilité morale ou culturelle.» Etudier le patrimoine, c’est appréhender les hommes au sein de leurs environnements physique et culturel, savoir quelles sont leurs références, comprendre les relations entre la société et ses productions. Il s’agit d’un vaste champ d’investigation, parfois très proche de l’écologie, de la sociologie et de l’ethnologie sans s’éloigner toutefois de l’histoire. Ces multiples analyses facilitent une réflexion sur l’identité car c’est au travers du patrimoine que se construit une identité. Les membres d’une communauté s’identifient, c’est à dire se considèrent comme mêmes, autour de référents communs à tous, véritables symboles, que sont leurs éléments patrimoniaux. Cela implique une étude moins objective, en ce sens que « (…) ce qui constitue une identité, c’est essentiellement un ensemble de rapports, de perceptions et de représentations réciproques (…)». Il me faudra donc essayer de m’approcher au mieux du sentiment individuel d’appartenance à la communauté puisque « (…) les « frontières » sont avant tout « dans les têtes » (…) ». Les références patrimoniales (et donc l’identité) peuvent changer et évoluer. Je veux mettre ainsi en évidence que selon les lieux, même très proches, à l’histoire parallèle, les éléments patrimoniaux peuvent se ressembler mais aussi diverger, voire s’opposer. C’est la sensation que j’ai ressentie, à plus petite échelle, lorsque j’ai connu la commune des Fougerêts. Bien que Saint-Perreux et Les Fougerêts soient, toutes deux, des communes rurales situées dans la basse vallée de l’Oust, les habitants ne se ressemblent pas, ne pratiquent pas les mêmes « traditions » et ne les vivent pas de la même façon. Etudier le patrimoine d’une commune, c’est comprendre ses hommes, ses femmes, et leurs références ; c’est aussi analyser la vision locale du patrimoine, comment elle se manifeste aujourd’hui et quelle a été son évolution. Finalement, tout cela concourt à constituer un ensemble de données auquel les habitants s’identifient, et qui est aussi, pour une personne extérieure, les particularités du lieu et des hommes. Comme le souligne, l’introduction au Dictionnaire du patrimoine breton, « Le patrimoine [est un] réservoir d’identité.» Ce mémoire de maîtrise d’Histoire va ainsi poser plusieurs questions : quel est le patrimoine des Fougerêts ? L’ensemble de la population se réfère t-il aux même éléments ? Quel est le regard que l’on y porte ? En quoi les éléments du patrimoine peuvent-ils illustrer une identité, et quelle est-elle ? En quoi peut-on dire qu’il s’agit d’un patrimoine breton ? Faut-il s’inquiéter de l’avenir, que restera t-il du passé ? Je vais tenter de répondre à ces interrogations en dégageant dans une première partie une typologie du patrimoine des Fougerêts qui soulignera les grands éléments patrimoniaux de références à la communauté mais qui sont aussi, me semble t-il, les particularités de la commune. La seconde partie mettra en évidence, un regard, une vision qui transparaît des interventions et des choix des différents acteurs locaux du patrimoine. Je pourrai alors, dans un dernier temps, chercher à démontrer ce qu’est l’identité fougerêtaise, ce que cette identité doit au passé et ce qu’elle pourra être demain.
1883
https://fr.wikisource.org/wiki/Les%20bassins%20%C3%A0%20cupule/Recensement%20B
Les bassins à cupule/Recensement B
Les bassins à cupules Ce recensement liste les sites n’ayant pas livré de bassin comportant une cupule, mais possédant une ou plusieurs caractéristiques (généralement couvre-joint, enduit hydraulique, pente dans le fond du bassin, parfois dans l’environnement), caractéristique que l’on retrouve dans les bassins à cupule de la région. Site de Balzac 1 Lieu-dit : les Fillours Département : Charente Notes : Le bassin est enduit. Bibliographie : Chauvet, Bulletin de la société d'archéologie et d'histoire de Charente, année 1895 Site de Balzac 2 Lieu-dit : Saint-Martin Département : Charente Notes : Les bassins sont munis de couvre-joints, et sont situés au-dessus d'une fontaine. Bibliographie : Article du Bulletin de la société d'archéologie et d'histoire de Charente, n° 5, 6, année 1895, p XCVII-XCVIII Site de Fouqueure Lieu-dit : - Département : Charente Notes : chacun des quatre bassins est relié à 3 ou 4 « piscines ». Leurs angles sont arrondis (couvre-joints concaves ?), certains sont chauffés par hypocauste. Bibliographie : Piveteau, 1958 Site des Gours Lieu-dit : La Font-Brisson Département : Charente Notes : La villa était construite en pierre, et comportait de nombreuses pièces bétonnées de tuileau. Le bassin alternait pierres et arases de tegulæ. Il était enduit soigneusement. À proximité, Alexis Favraud a retrouvé cinq fosses de 20 à 60 cm de diamètre et de 21 à 1,5 m de profondeur. Il y a recueilli des coquilles d'œufs, une faux, une faucille, des pointes de flèches et une chaîne. Bibliographie : Alexis Favraud, Bulletin de la société d'archéologie et d'histoire de Charente, année 1908, p XLIV Site de Mons Lieu-dit : la Citerne Département : Charente Notes : Le fond est en béton de 20 cm. Les murs, épais de 25 cm, sont très soignés. Ils sont enduits d'un béton de tuileau très fin (brique pilée). Les angles sont munis de couvre-joints carrés de 5 cm de côté. Bibliographie : Louis Maurin, Bulletin de la société d'archéologie et d'histoire de Charente, année 1882, p XXXII-XXXIII Site de Nersac Lieu-dit : Boisdebeuil Département : Charente Notes : Le bassin est comparable à un «timbre», selon l'article. Les murs sont de briques enduites, le fond est constitué d'un béton de tuileau épais de 15 cm, posé sur un hérisson de pierres et de fragments de briques noyés dans l'argile. Sous ce comblement, on retrouve un fond plus ancien, également en béton de tuileau, posé sur le sol. Bibliographie : Article du Bulletin de la société d'archéologie et d'histoire de Charente, n° 10, 5, année 1888, p LXX Site de Vars Lieu-dit : les Combes Département : Charente Notes : le bassin est constitué de tegulæ liées par un ciment dur et rouge. Bibliographie : Article du Bulletin de la société d'archéologie et d'histoire de Charente, année 1878-1879, p 269 Site de Aumagne Lieu-dit : le Breuillac Département : Charente-Maritime Notes : les parois du bassin sont constituées de tegulæ enduites. Bibliographie : Bulletin de la société d'histoire et d'archéologie de Charente-Maritime, n° 8, 1981, p 38 Site de Bernay Lieu-dit : près du presbytère Département : Charente-Maritime Notes : dans le fond du bassin se trouvait un aménagement hexagonal, délimité par six pierres de marbre bleu posées de chant. Les cotés de l'hexagone mesuraient 58 cm, et dépassaient du fond du bassin de huit cm. Je ne sais s'il s'agit d'une cupule formant un creux dans le bassin, ou bien d'un aménagement en élévation en dessus de ce fond. S'il s'agit d'une cupule, et si les pierres sont bien en marbre, la destination artisanale du bassin parait douteuse, le marbre étant trop luxueux pour ce genre d'installation. Bibliographie : Abbé Lacurie,Excursion archéologique dans l'arrondissement de Saint-Jean-d'Angély, Bulletin monumental, 1847, p 161-163 Site de Cierzac Lieu-dit : le Pas des Gaviniers Département : Charente-Maritime Notes : le site est dans la vallée du Né, affluent de la Charente. Le premier bassin était situé sous une voûte (comme à Port-des-Barques). Le second était creusé dans le roc, et « crépi du même enduit ocreux que le Pont-du-Gard » (sic). Du coté du Né, deux conduits de tuiles, l'un partant du fond du bassin, l'autre à mi-hauteur, se dirigeaient vers le Né et était visible sur plusieurs mètres. Bibliographie : Dumontet-Origène, Bulletin de la société d'histoire et d'archéologie de Charente-Maritime, 1932, p CXXXI Site de Coulonges Lieu-dit : - Département : Charente-Maritime Notes : Seul un angle du bassin a été retrouvé : le mur Est, long de 90 cm, est conservé sur une élévation de 1,10 m. Le mur sud, qui fait un angle avec le précédent, est conservé sur une élévation de 40 cm. Tous deux sont constitués de moellons non-calibrés noyés dans l'argile. Le mur sud a une arase de tegulæ sur son sommet, et deux couches de tegulæ lui servent d'assise. Le hérisson est formé de gros blocs libres ou liés à la glaise sur 85 cm d'épaisseur. Les parois et le fond sont enduits au béton de tuileau sur quatre cm d'épaisseur. Les angles horizontaux sont munis de couvre-joints convexes. Les substructions s'étendent sur une superficie de 1800 m². Le site est proche de l'île du Bramert, dans la Charente. Bibliographie : RAS 1978 p 179 Site de Fontaine-d'Ozillac Lieu-dit : les Grandes Pièces Département : Charente-Maritime Notes : le fond est en ciment très uni. Les parois sont en double briquetage cimenté. Les angles verticaux et horizontaux sont munis de couvre-joints convexes. Bibliographie : Duret, RCAM VII, 1883-1884, p 318 Site de Fouras Lieu-dit : les Brandettes du Château Département : Charente-Maritime Notes : seul l'angle droit de deux murs a été retrouvé, dont l'un tourné vers le SE mesure 40 m de long. La surface assimilée à un fond de bassin se trouve à l'angle. Le hérisson est formé de moellons inclinés, au-dessus duquel se trouve une couche de trente à quarante cm de sable. Deux couches de béton la recouvraient primitivement, l'une de chaux et de gros sable, l'autre de chaux et de brique concassée. Ce fond de bassin a été rechappé deux fois par un béton de chaux et de brique pilée. On retrouve la même structure au village de Chevallier et au Treuil Bussac. Bibliographie : Antoine Duplais des Touches, Fouras et ses environs, Liège 1 édition, réed. à La Rochelle : Rupella, 1983 Site de Saint-Félix Lieu-dit : - Département : Charente-Maritime Notes : le bassin était construit en moellons agencés en opus spicatum et enduit d'un ciment très fin. Il était situé sous une tombelle. Un conduit de plomb se trouvait dans sa partie antérieure (sic). Des auges de pierre reliées par des tuyaux de plomb (semblables à celles de Port-des-Barques ?) ont été retrouvées. Bibliographie : Abbé Lacurie,Excursion archéologique dans l'arrondissement de Saint-Jean-d'Angély, Bulletin monumental, 1847, p 247-248 Site de Granzay Lieu-dit : au Jules (Jeulles) Département : Deux-Sèvres Notes : le bassin est construit en petit appareil enduit à la chaux. Bibliographie : Dr Merle, Bulletin de la société scientifique et historique des Deux-Sèvres, 1931, p 227 Site de Niort Lieu-dit : place du Port Département : Deux-Sèvres Notes : le bassin est situé dans le vicus occupant l'intérieur du méandre de la Sèvre, près d'une place publique datant du I siècle. Leurs orientations étant différentes, le bassin est probablement postérieur à la place et daterait du II siècle. Deux murs ont été retrouvés. Le mur nord, en pierres, est revêtu d'une couche de béton, sur laquelle sont plaquées des tegulæ. Le mur est ne possède plus son enduit. Le sol est enduit d'un simili pierre gris, d'un aspect et d'une résistance inhabituels pour une construction niortaise du II siècle. Il est épais de 18 cm. Il est en pente vers le sud. Le sol de la salle située au nord du bassin est en mortier jaune clair. Bibliographie : Jean Hiernard, Carte Archéologique du département des Deux-Sèvres, in Carte Archéologique de la Gaule. Paris : Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, 1997, p 239-240 Site de Chavagnes-en-Paillers Lieu-dit : le Ténement des Forges Département : Vendée Notes : le premier bassin était en forme de demi-cercle aplati. Il était appuyé à un mur plus ancien qui le séparait du fond du deuxième bassin, de même époque que le mur central. Le fond était en pente et épais de 7 ou 8 cm. Il était divisé en cases de tailles très différentes par des saillies de béton de 2 cm de haut et de 2 cm de large, qui ne seraient pas des joints de dalles. Au Sud, un peu d'enduit qui reposait sur un mur disparu a été retrouvé. Toutes les parois internes étaient enduites d'un mortier très rouge (forte proportion de tuileau pilé très finement). Le fond du premier bassin était enduit d'un mortier de chaux différent et non lié à celui des parois. À une époque postérieure, un emmarchement long de 1,8 m, large de 36 cm et haut de 10 cm a été rajouté dans le fond du petit bassin, diminuant son volume de 65 litres, soit 17 %. Le découvreur ne date pas sa trouvaille. Gourraud, qui a participé aux fouilles, la date de l'époque gallo-romaine. Bibliographie : Villegille, Bulletin de la société des antiquaires de l'ouest, 1841-1843, p 296-298 Gourraud, Annuaire de la société d'émulation de Vendée, n° 6, 2 série, 1876, p 161-163 Site de Scorbé-Clairvaux Lieu-dit : place de l'église Département : Vienne Notes : les parois du bassin étaient enduites, et il était muni de couvre-joints convexes. Bibliographie : François Eygun, notice in Gallia, n° 25,2, 1967, p 265-266
1885
https://fr.wikisource.org/wiki/Patrimoine%20et%20Identit%C3%A9/Methodologie
Patrimoine et Identité/Methodologie
Méthodologie Dans ce premier chapitre consacré à la méthodologie, je vais présenter les méthodes appliquées à l’étude du patrimoine de la commune des Fougerêts. Il s’agit de mettre en évidence la manière dont j’ai abordé cette étude locale comme s’intégrant dans un mouvement patrimonial des Pays de Vilaine. Je vais aussi exposer précisément, les différentes sources disponibles dans l’étude du patrimoine des Fougerêts, expliquer mes procédés à savoir pourquoi j’ai choisi ces sources, et comment j’en ai puisé les informations nécessaires. Cela me permettra finalement de dégager les divers problèmes auxquels j’ai été confronté mais aussi l’intérêt que j’ai trouvé à étudier le patrimoine d’une commune de Haute-Bretagne. Les Pays de Vilaine. L‘appellation «Pays de Vilaine» correspond à une zone géographique. Il me parait essentiel d’évoquer le cadre des Pays de Vilaine dans ce chapitre. Mon étude du patrimoine des Fougerêts et sa finalité ne pourrait pas, en effet, se comprendre en dehors de ce cadre. Mon travail s’inscrit dans un contexte où l’on cherche à présenter et analyser les caractères du patrimoine d’un « pays », tout en marquant bien son appartenance au patrimoine breton . Étudier le patrimoine des Fougerêts, c’est dégager des illustrations d’une identité gallèse, partie intégrante d’une identité bretonne . À partir de 1965, les autorités locales communales se sont préoccupées, entre autres, du développement culturel et touristique pour répondre à un déclin humain du « pays » et à une dégradation des conditions économiques . Cela a conduit à la création d’un Office de Tourisme des Pays de Vilaine, de syndicats d’initiatives locaux qui sont des conditions matérielles d’accueil . Par exemple, un Comité d’Aménagement de la Basse Vallée de l’Oust (C.A.B.V.O) est mis en place en 1969 afin de concevoir collectivement, entre les cinq premières communes participantes, l’aménagement de la vallée de l’Oust en contribuant au développement des projets de chaque commune . En 1982, le C.A.B.V.O participe à la création du Grand Site Naturel de l’Ile aux Pies. Depuis, il se consacre à l’aménagement en amont et en aval pour « (…) prévenir les risques de dégradation et de banalisation des différents milieux naturels mais aussi [pour] donner à cette vallée une vocation plus affirmée de pôle d’attraction touristique» . Ce besoin culturel et cette nécessité touristique s’appuient sur un patrimoine qui apparaît être une richesse fondamentale de ce « pays. » Les particuliers et les associations sont alors intervenus afin de recueillir ce fond patrimonial ; le Groupement Culturel Breton des Pays de Vilaine crée en 1975 est l’exemple parfait de ce travail autour des « traditions orales. » Depuis le milieu des années soixante-dix, le G.C.B.P.V organise la Bogue d’Or, qui est emblème de l’identité culturel des Pays de Vilaine. En reprenant la réflexion de M.Lamy sur les trois temps préalables menant à la constitution d’association du patrimoine, mon étude sur la commune des Fougerêts peut être comprise comme une participation . Ce mémoire n’est pas une brochure touristique ni une quête de nouveaux témoignages . Mon objectif est tout autre. Il s’agit de souligner les éléments majeurs du patrimoine des Fougerêts, d’aborder le regard des acteurs locaux et, enfin, de dégager une identité fougerêtaise. Les promenades, les fougerêtais et les archives : les sources du patrimoine des Fougerêts et leurs critiques. Je vais désormais exposer les sources qui ont été utilisées afin de me permettre de répondre aux questions formulées précédemment. Ces sources sont de trois types. Elles correspondent à des démarches et des méthodes respectivement différentes. S’imprégner du territoire. Commencer par s’imprégner du territoire me semble une démarche essentielle pour quelqu’un d’extérieur à la commune, condition préalable pour prétendre dégager une identité locale. Il s’agit d’assimiler visuellement, dans son ensemble, le territoire des Fougerêts. Il faut donc connaitre les limites communales, les divers éléments naturels, les routes, les chemins, les hameaux, l’église, etc. En fait, il faut connaitre soi-même tout ce qu’un habitant de la commune peut connaitre. L’intérêt de cette imprégnation est double. Elle m’a permis de pouvoir parler avec les Fougerêtais sans trop paraitre un étranger, mais aussi d’avoir un regard critique sur l’image de la commune et sur les éléments qui l’a compose. C’est à partir de cette réflexion et de cette nécessité, que j’ai voulu mettre en place un inventaire du patrimoine des Fougerêts. Toutefois, j’ai pris en compte que ce n’était pas l’objectif de ce sujet. L’intérêt était plutôt de dégager une typologie du patrimoine. Cette typologie aurait pour avantage de regrouper dans de grands thèmes les différentes caractéristiques du patrimoine communal afin d’en faciliter l’analyse. Je me suis alors appuyé sur le pré-inventaire de 1982 du Service de l’Inventaire de la D.R.A.C ( Direction Régionale à l'Action Culturelle ), afin de connaitre ce à quoi les professionnels sont sensibles. Cependant, il s’agit dans ce pré-inventaire de présentations succinctes de certaines croix de chemin, de maisons, de l’église paroissiale et du mobilier liturgique. J’ai du par mes visites compléter ce pré-inventaire pour me permettre de constituer une typologie. J’ai donc, au cours de ces promenades, étayé ce travail et progressé, c’est à dire que je me suis attaché à d’autres aspects du patrimoine des Fougerêts comme le «petit patrimoine» , le patrimoine naturel, le patrimoine bâti et le patrimoine ethnologique. J’ai pu, ainsi, mettre en place plusieurs fiches de dépouillements à propos de ces différents thèmes. Cette méthode qui consiste le plus souvent à observer m’a permis ainsi de souligner les grands éléments du patrimoine, leurs forces mais aussi leurs faiblesses dont les habitants de la commune n’ont pas toujours conscience. Ces sources, issues des nombreuses promenades, tiennent une place primordiale dans l’élaboration de la typologie. Les visions fougerêtaises sur le patrimoine. Les entretiens. Seule, cette première démarche ne permet pas d’aborder complètement ce qu’est le patrimoine pour les Fougerêtais, c’est à dire sur quoi se fonde l’identité locale. Je me suis attaché à récolter des témoignages afin de cerner au mieux la sensibilité des membres de la communauté. Le patrimoine ethnologique des Fougerêts m’a toujours semblé contenir des éléments potentiellement intéressants . En effet, j’ai pu retrouver dans Adolphe Orain, Van Gennep et les Sébillot, lors de mes lectures, certains éléments que j’avais pu percevoir chez les Fougerêtais que je connaissais déjà . J’ai pensé alors m’appuyer, principalement, sur ce thème lors des entretiens. Cela me permettrait d’aller au-delà du patrimoine naturel et bâti. La localisation des personnes interrogées m’a paru également être un choix important puisque le rapport aux éléments naturels n’est pas le même. Je pense que « les traditions », c’est à dire les pratiques et usages de la collectivité, sont en relations très étroites avec l’environnement naturel. Les questions préparées concernaient particulièrement les traditions calendaires, religieuses et la sorcellerie mais aussi le rapport aux éléments naturels, rivières et forêts ainsi que les activités et « les traditions » qui y sont liées. J’ai ainsi choisi des personnes d’âges et de conditions sociales variés. Le Fougerêtais le plus jeune, soumis à un entretien, a dix-sept ans et est actuellement lycéen. La personne la plus âgée a quant à elle quatre-vingt-quinze ans, originaire des Fougerêts elle y est revenue après sa vie active. Les entretiens enregistrés sont au nombre de douze, ils forment un corpus d’environ dix heures enregistrements, et concernent autant d’hommes que de femmes. J’ai, par choix ou par défaut, rencontré plusieurs personnes en même temps, par exemple H1, F1 et F2 ou bien F4, F5 et H2. Une seule de ces femmes n’est pas originaire de la commune mais du village voisin de Glénac. La moitié de ces personnes-sources a exercé sa vie active à Redon, Rennes, Nantes ou Paris. Pour la plupart de ces personnes, je suis allé les rencontrer sans prendre rendez-vous et sans savoir si elles étaient désireuses de s’entretenir. Cette méthode a parfaitement fonctionné, et elle présente l’avantage de récolter des témoignages spontanés. J’ai aussi procédé à d’autres entretiens qui n’ont pas été enregistrés. Il s’agit le plus souvent de discussions lors de réunions ou de repas de famille où je n’avais pas le matériel nécessaire pour l’enregistrement. J’ai pu, néanmoins grâce à quelques notes, regrouper six entretiens non-enregistrés afin de les utiliser au cours de cette étude. Ils concernent également un nombre identique d’hommes et de femmes. J’ai rencontré, lors de mes recherches, trois types d’entretiens . Lorsque la personne interrogée est plutôt réservée et ne répond que brièvement, l’entretien devient directif, le questionnement doit être alors précis pour éviter des blancs. Il s’agit surtout de personnes qui disent ne plus avoir beaucoup de souvenirs. L’exemple le plus équivoque est l’entretien mené avec F4 avant l’arrivée de F5 et H2. Les entretiens directifs représentent une minorité d’entretiens réalisés puisque, en général, les personnes rencontrées avaient beaucoup de choses à transmettre. Les entretiens semi-directifs que j’ai pu avoir, notamment avec F3, H4, H6 et H5, permettent aux interlocuteurs de s’exprimer librement et d’évoquer ce qui leur viennent à l’esprit en rapport avec le questionnement. L’avantage est de récolter des indications diverses qui peuvent être très utiles. Je vais ici retranscrire une partie de l’entretien effectué avec F3 : Y.S : « Et les rivières, est-ce qu’elles avaient beaucoup d’importance ? » F3 : « Les marais n’étaient pas charrués, tout le monde amenait les bêtes. Jusqu’à tant que le barrage d’Arzal a été fait, la marée montait au gué de Launay et qu’est ce qu’on a bouffé des anguilles, on en avait marre. Par-dessous les grandes herbes, on péchait des petits poissons. (…) Tout le village [vivait de la pêche et il y avait des braconniers] surtout au temps de mon grand-père. Mon père [avait un surnom pour échapper aux gendarmes], l’autre c’était Pelot du Charron, un autre c’était Queuzat. (…) » Enfin, lorsque l’interrogé monologue, j’interviens uniquement pour recadrer la discussion vers mon objectif. Je n’ai été confronté qu’à un seul cas de ce genre lors de mes recherches. H3, après m’avoir reçu, s’est assis et a commencé à évoquer sa vision du patrimoine et ses souvenirs du paysage et des gens d’autrefois. Je ne suis intervenu que pour demander quelques précisions sur certains thèmes. Ces divers témoignages m’ont permis de saisir la sensibilité des Fougerêtais autour du patrimoine de leur commune et de compléter mes informations sur ce qui me semblait être du patrimoine. Les questionnaires. J’ai également utilisé des questionnaires pour ne pas me disperser dans cette longue quête des sources. J’ai choisi de proposer ces questionnaires à un certain type d’acteur local du patrimoine. Il s’agit des diverses associations fougerêtaises qui peuvent, me semble t-il, se targuer d’un rôle, en ce sens qu’elles interviennent ou non dans l’affirmation et la protection du patrimoine local. Ces questionnaires ont donc été envoyés aux responsables de cinq associations : l’Ecole Notre-Dame des Fougerêts, le Conseil Paroissial, l’Association de Chasse Communale Agrée, le Club de danse bretonne et le Club du Troisième Age (les Ajoncs d’Or.) Les présidents m’ont soit répondu soit proposé un rendez-vous, au cours duquel ce questionnaire a été plus ou moins complété. Dans ces questionnaires, j’ai voulu me renseigner sur l’association elle-même (création, nombre de membres) et sur ses activités dans son domaine (généralement en rapport avec le patrimoine.) Ce questionnaire a été élaboré d’après un mémoire de maîtrise d’Histoire, sur la perception du patrimoine breton . Cela m’a permis de prendre conscience de la vision du patrimoine chez ces associations locales. A fortiori, ces questionnaires ont également mis en évidence une bonne compréhension de l’ensemble du patrimoine. Les réponses fournies m’ont aussi fait comprendre que la vision et le rôle de ces associations ne pouvaient pas être étudiés séparément des particuliers car il existe un rapport évident entre la perception du patrimoine des membres, et les actions associatives. Réunions et autres activités locales. J’ai pu récolter aussi une autre vision fougerêtaise sur le patrimoine grâce aux réunions mises en place par la Municipalité et par ma participation à d’autres activités locales . Il s’agit pour mes travaux d’une source très importante au même titre que les questionnaires pour les associations et les entretiens pour les particuliers. Cette présence sur le terrain présente de nombreux intérêts. J’ai eu, en effet, par exemple la possibilité de participer à une commission extra-municipale. Cette commission qui concerne le « petit patrimoine » et sa mise en valeur a été une chance pour moi, puisque j’ai pu y observer la volonté municipale. Après avoir présenté à certains membres du Conseil Municipal mes objectifs, ceux-ci ont estimé que je pouvais être utile, et inversement. Nous avons ainsi discuté du rôle de la Municipalité, de ce qu’elle voulait mettre en place dans la commune ; j’ai apporté quelques connaissances et certains résultats de mes recherches . Lors de la présentation des vœux de la Mairie en janvier 2002, la Municipalité m’a ainsi offert la possibilité de présenter à l’auditoire l’objectif de cette commission, mais aussi mes travaux dans le cadre de la maîtrise. J’ai rencontré aussi de nombreuses personnes lors de la présentation par la Chambre d’Agriculture d’un replantage de haies vives en septembre 2001 et lors de la soirée de la Passion le 16 mars 2002. Lors de ces quelques activités, j’ai récolté de nombreux renseignements et contacts qui ont pu être utiles ultérieurement. Là aussi, cela m’a permis de distinguer une certaine vitalité autour de divers éléments du patrimoine. Les archives locales. Ces sources sont les sources propres au travail d’historien. Il s’agit de documents iconographiques anciens et récents, des archives municipales, des bulletins municipaux et paroissiaux. J’ai utilisé ces sources dans la mesure où elles m’éclairent sur le patrimoine local, sur le regard que l’on y a porté autrefois ou qu’on y porte actuellement. Elles permettent d’avoir une vision d’ensemble du patrimoine local, de comprendre et de visualiser les changements, de saisir de l’extérieur quelle peut être la sensibilité et l’identité locale ; mais aussi de récolter des informations à propos d’actions patrimoniales locales notamment par la Municipalité et des membres de la paroisse. Je me suis ainsi tout d’abord attaché à récolter le maximum de documents auprès des habitants, des associations et de la Municipalité, que ce soit d’anciennes photographies, des cartes postales, des archives sonores, les archives municipales, des bulletins paroissiaux ou municipaux. Ces sources présentent l’avantage de traiter des différents domaines du patrimoine de manière brute, le plus souvent, sans aucune analyse ou réflexion. La collecte de ces documents a été rendue possible grâce aux Fougerêtais qui ont conservé beaucoup de ces témoignages. Les écrits, récoltés dans les bulletins paroissiaux et municipaux, sont des sources essentielles. Le bulletin paroissial, l’Echo des Fougerêts, tient une place primordiale puisque crée en 1957, bien avant les bulletins municipaux (1979), il a servi de bulletin d’information et de propagande religieuse, politique et communale. Dès les premières parutions, L’Echo des Fougerêts publie mensuellement des chroniques du chanoine Royer où cet érudit local raconte l’Histoire de la commune, ses souvenirs d’enfance et « les traditions» . Même si elles présentent de nombreuses analyses et réflexions personnelles, les chroniques du chanoine Royer sont des sources sur lesquelles je me suis appuyé. Les sources sonores permettent d’illustrer un patrimoine ethnologique, notamment oral. Les associations Dastum et le Groupement Culturel Breton m’ont permis d’avoir accès à quelques enregistrements . Ces enregistrements datent du milieu des années soixante-dix au début des collectages dans les Pays de Vilaine comme le Chant de la Passion des éliminatoires de la Bogue d’Or de 1975. J’ai moi-même collecté un Chant de la Passion en mars 2002 afin d’illustrer une pratique originale toujours vivante aux Fougerêts. Les photographies anciennes et récentes, les cartes postales peuvent être des témoignages importants dans la mesure où il s’agit d’un regard instantané porté sur élément du patrimoine . Je vais prendre l’exemple d’une photographie présentant la sœur d’un communiant au pied de l’if, devant l’église au début des années soixante. On peut comprendre la scène comme l’association d’un élément patrimonial à un moment fort d’une vie personnelle et religieuse. La photographie et la carte postale permettent aussi d’observer une évolution du regard porté sur le patrimoine. Les anciennes cartes postales présentent le plus souvent les châteaux locaux de la Ville Chauve ou de la Jouardays, alors qu’actuellement elles présenteraient les marais, les landes ou bien de simples maisons « traditionnelles ». J’ai, enfin, utilisé les archives municipales pour m’approcher au mieux de la vision de la Municipalité lorsque les autres sources ne me le permettaient pas. J’ai consulté les Délibérations du Conseil Municipal afin de savoir quelle a été la réaction de celui-ci après l’incendie de l’église paroissiale en 1869 ou pour savoir quel état d’esprit régnait lors de l’Inventaire des Biens du Clergé en 1906. L’inconvénient principal rencontré lors de la consultation de ces archives municipales, c’est la multiplicité des informations. Il faut savoir exactement ce que l’on veut pour ne pas errer même si l’on peut découvrir, par hasard, quelques informations intéressantes . Une critique des sources. Il me paraît maintenant nécessaire de critiquer ces sources en soulignant les problèmes de compréhensions et de crédibilités. Il existe, notamment, deux principales critiques que je me permets d’émettre. La première de ces critiques concerne les chroniques du chanoine Royer. Ces Miettes d’Histoire m’ont été particulièrement utiles pour la connaissance de l’Histoire de la commune et des « traditions » mais leurs limites sont importantes. Tout d’abord, Jean-Marie Royer ne cite aucune de ces sources et reste souvent très difficile à comprendre. Cela m’aurait été profitable de consulter des archives ou des ouvrages, qu’il avait lui-même utilisé, afin d’en faire une éventuelle lecture plus moderne avec pour objectif un souci d’y trouver un intérêt patrimonial. Je pense à la chapelle Saint-Jacques du Pont d’Oust, aujourd’hui disparue, que le chanoine cite très souvent. Les chroniques parues dans l’Echo des Fougerêts évoquent : qu’« (…) il ne sera pas inutile de rappeler qu’elle se dressait au bas du champ qui s’étend à droite de la route des Fougerêts à Peillac, en face de la maison de Mme de Courville, au lieu-dit la Saudraie». Malgré une description détaillée de la voûte, de la nef, des vitraux, des blasons et des autels, il n’y a aucune précision sur les dimensions de cette chapelle et sur sa localisation précise. Je pensais également découvrir certaines informations concernant le Chant de la Passion du Christ dans les chroniques. Malheureusement, l’érudit local ne fait aucune allusion à cette coutume religieuse aux Fougerêts alors qu’elle semble avoir marqué fortement les esprits des habitants de la commune. J’ai donc essayé le plus souvent de rechercher moi-même ses informations mais cela m’a demandé beaucoup de temps et le plus souvent je n’y suis pas parvenu. La seconde critique qui peut être émise après consultation des différentes sources, c’est l’influence des chroniques du chanoine Royer sur les Fougerêtais. Lors des entretiens, les personnes interrogées ont souvent cité le livre publié en 1998. Ces références aux chroniques de M. Royer se font de différentes manières. Tout d’abord, lorsque je présente mon travail, mes interlocuteurs me disent « Si vous voulez savoir des choses, allez voir le livre du chanoine » ou bien « Vous devriez lire le livre du chanoine ». Cette remarque est la plus récurrente et j’ai pu l’observer notamment dans les témoignages de F3, F9 et H9. Pour les Fougerêtais qui s’intéressent à l’Histoire de la commune, c’est l’ouvrage de référence. Le témoin F7, qui a écrit certains articles concernant les croix de chemin dans l’Echo des Fougerêts, m’a également expliqué que son désir était de réécrire ce livre mais qu’il manquait de temps pour l’instant. Cependant, l’influence de Miettes d’Histoire s’observe particulièrement au cœur même des témoignages. Après la retranscription de ces entretiens, j’ai pu comparer certaines informations avec celles présentes dans les chroniques : F3 : « L’histoire du Fumoux, ils appelaient ça, c’était une main qui avait un tison de feu. Si par malheur, il y en avait un qui l’appelait, il venait allumer sa pipe. (…) » Miettes d’Histoire: « Le Fumoux (…) Une main qui s’avance dans les ténèbres à hauteur d’homme, tenant comme une torche enflammée. Qu’on ne s’avise pas de le braver en disant « Fumoux, viens allumer ma pipe » ! » Le même phénomène se répète lorsque l’on évoque le retable du maître-autel de l’église paroissiale. Les Fougerêtais suivent l’opinion du chanoine qui y voit une œuvre d’artistes italiens. Ces similitudes peuvent me conduire à émettre deux hypothèses. Ces exemples peuvent illustrer l’assimilation totale par les Fougerêtais des chroniques du chanoine ou bien l’existence d’une véritable transmission orale. Les problèmes et les avantages de l’étude du patrimoine local. Les problèmes posés par l’étroitesse des sources et du sujet. Dans ce travail préliminaire qui est de recueillir le maximum de données, la difficulté consiste à ne pas faire l’amalgame entre la bibliographie et les documents bruts. Il existe, au point de vue local où d’un pays, des ouvrages qui traitent des données du terrain mais s’y glissent généralement une réflexion, une analyse. L’utilisation de la bibliographie permet uniquement de donner un sens, une explication aux sources. J’ai ainsi utilisé Adolphe Orain et les autres folkloristes, comme Paul Sébillot ou Van Gennep, exclusivement dans la mesure où leurs travaux sont nécessaires et utiles pour comprendre une société « traditionnelle » et sa culture. Cette difficulté a pu me désarçonner aux premiers abords mais lorsque j’ai commencé les entretiens avec les Fougerêtais et que mes promenades se sont multipliées, j’ai pu faire cette différence essentielle entre la bibliographie et les sources. Ma réflexion doit donc se baser sur ce que j’ai puisé des entretiens avec les Fougerêtais, des bulletins locaux d’informations et de mes observations. Ces diverses sources ont pour objectif de me permettre, le plus objectivement possible, de répondre aux questions posées. Toutefois, la recherche historique ne peut prétendre à une réelle objectivité en raison des choix de l’historien, particulièrement des sources sur lesquelles il s’appuie, et de ce qu’il en retire. J’ai choisi, par exemple pour m’approcher au plus prêt de la sensibilité des Fougerêtais, de m’appuyer sur des témoignages iconographiques, écrits et oraux de toutes époques. Mais ces sources ont pour principal inconvénient d’être une vision quelque peu narcissique. Les témoignages ont effectivement tendance à montrer les éléments patrimoniaux auxquels sont sensibles les habitants de la commune et de mettre en évidence des originalités, les raretés. Les méthodes que j’ai utilisées vont aussi dans ce sens ; en demandant aux Fougerêtais ce qui leur semble avoir une importance, je recherche moi-même une certaine subjectivité. Je pense que si les habitants des Fougerêts ont une grande estime du patrimoine de leur commune, mon travail en sera teinté. Le véritable problème est donc de maîtriser cette dérive en la relativisant. Il s’agit d’affirmer que le patrimoine de la commune n’est malgré tout ni unique ni tout à fait original ; mais au contraire qu’il est typique et qu’il s’intègre dans une étude du patrimoine breton. Les avantages d’une étude locale du patrimoine de Bretagne. Il s’agit d’exposer ici ce qu’un tel sujet a pu m’apporter personnellement. Au cours de cette étude sur le patrimoine des Fougerêts, j’ai pu apprendre à la fois des habitants eux-même mais aussi des éléments du patrimoine. Les sources m’ont permis de mieux comprendre les êtres humains, leurs sensibilités, ce que peut être une identité et son importance ; mais aussi de m’ouvrir, au point de vue culturel, à la nature, à l’habitat rural et paysan et au fond traditionnel local. Les résultats de mes recherches sur le patrimoine des Fougerêts m’ont permis, en premier lieu, de construire ma propre identité en fonction de celle des Fougerêtais. En effet, si je connais maintenant peut-être mieux Les Fougerêts que ma commune d’origine, j’ai pu y poser un regard différent et neuf. Je sais désormais ce que peuvent signifier les éléments auxquels je me réfère. Ce manque d’intérêt général à propos du patrimoine de Saint-Perreux a plusieurs origines dont, malheureusement, mon propre désintéressement. Si j’ai pu moi-même parvenir à m’intéresser et à comprendre certaines choses, j’espère que d’autres y parviendront, et alors là, j’aurai atteint mon objectif. J’ai appris la nécessité d’écouter ceux qui ont quelque chose à dire où à transmettre, d’échanger des idées et de débattre. Il s’agit d’offrir un peu de son temps à des hommes et femmes pour apprendre d’eux et pour les comprendre. Il ne s’agit pas uniquement de s’imprégner d’un paysage mais aussi des mentalités afin de s’enrichir individuellement. Mon travail, je l’espère, restituera ces divers apports pour participer à un enrichissement collectif, que la communauté est en droit de bénéficier. Il s’agit d’une façon de remercier tous ceux qui ont participés, plus ou moins indirectement, à la réalisation de cette étude. Cette année de recherches m’a permis également de perfectionner mes connaissances et ma méthode sur de nombreux éléments du patrimoine. Je ne pense pas avoir appris de nouvelles choses mais il s’agit plutôt d’avoir approfondi certaines notions et d’avoir pu y voir un intérêt. Je pense par exemple aux relations entre la nature et l’habitat, entre la nature et les activités économiques. Ces relations m’ont toujours paru évidentes sans réel besoin d’argumentation, mais j’ai du dans cette étude y réfléchir plus longuement et dégager ces arguments nécessaires à un travail scientifique. Je me suis aussi intéressé au Gallo qui est finalement devenu à mes yeux beaucoup plus qu’un patois ou qu’une sous-langue. En effet, ce parler m’apparaît aujourd’hui comme un élément fort de ce patrimoine d’une commune de Haute-Bretagne.
1887
https://fr.wikisource.org/wiki/Patrimoine%20et%20Identit%C3%A9/Le%20patrimoine%20des%20Fouger%C3%AAts
Patrimoine et Identité/Le patrimoine des Fougerêts
Le patrimoine des Fougerêts. Je vais présenter dans cette partie le patrimoine des Fougerêts en 2002, c’est à dire l’ensemble des réalités, matérielles ou non, sur lesquelles « (…) un regard [a été porté] (…) et leur a donné un sens, une utilité au moins morale ou culturelle. » J’ai mis en place une typologie qui établira les grands éléments du patrimoine de la commune. Il s’agit d’une image personnelle du patrimoine local qui s’appuie sur mes propres observations mais également sur ce que les Fougerêtais m’ont confié. Sommaire: Introduction Methodologie Les Pays de Vilaine. Les promenades, les fougerêtais et les archives : les sources du patrimoine des Fougerêts et leurs critiques. Les problèmes et les avantages de l’étude du patrimoine local. Le patrimoine des Fougerêts. Un patrimoine paysager et naturel. L’habitat fougerêtais, un patrimoine de « belles pierres. » Un patrimoine religieux. Un patrimoine ethnologique. Les acteurs locaux fougeretais. La municipalité. Les associations et les particuliers. Patrimoine, identité et avenir. Le patrimoine, marqueur identitaire. L'avenir du patrimoine aux Fougerêts. Conclusion. Les Sources. Bibliographie. Page d'accueil.
1888
https://fr.wikisource.org/wiki/Patrimoine%20et%20Identit%C3%A9/Un%20patrimoine%20paysager%20et%20naturel
Patrimoine et Identité/Un patrimoine paysager et naturel
Un patrimoine paysager et naturel. Aborder le patrimoinenaturel en premier lieu va pouvoir me permettre de localiser plus précisément la commune en l’inscrivant dans un paysage. Ce paysage possède une réelle importance en ce sens que les divers éléments naturels aident à une meilleure approche de la commune, de ses habitants, et des autres éléments du patrimoine . Lorsque j’ai parcouru Les Fougerêts, j’ai été frappé, entre autres, par un paysage de versant de vallée. En effet, le long de la pente qui s’étend des hauteurs de Couesmé au Pont d’Oust se succède une faune, une flore et des milieux naturels diversifiés. Les rivières, le marais, les cours d’eau et la tourbière. Les éléments hydrographiques ont, pour les Fougerêtais et pour ceux qui visitent la commune, une importance toute particulière puisqu’ils constituent un des aspects majeurs du paysage de la commune des Fougerêts. L’eau caractérise le Grand Site Naturel de la basse vallée de l’Oust. Il s’agit du seul Grand Site Naturel de Bretagne qui se situe hors des côtes. Dans cette vallée coexistent les marais, le Canal de Nantes à Brest, l’Oust et de nombreux autres cours d’eau. La rivière d’Oust, affluent de la Vilaine, présente des particularités importantes aux Fougerêts. Avant la construction du Canal de Nantes à Brest entre 1820 et 1840, l’Oust était séparée en deux bras sinueux. Le tronçon de ce canal a été réalisé sur un de ces bras, traçant une quasi ligne droite du Gué du Boin jusqu’à l’Ecluse de Limur à Peillac. Joseph Desmars, en 1869, décrit « (…) les mille bras de l’Oust égarés dans les marais et le canal alignant orgueilleusement vers Malestroit les peupliers de ses digues (…) » . L’autre bras de la « rivière d’Oust », que l’on prononce quelques fois « out » ou « août », demeure à son état quasi naturel . De faible largeur et profondeur, elle serpente au fond de la vallée jusqu’au Mortier de Glénacet présente l’intérêt de proposer de nombreux points de passages mais aussi d’être une barrière naturelle. Il serait hasardeux d’expliquer maintenant dans les détails l’importance de l’Oust aux Fougerêts. En effet, les activités humaines, notamment la pêche, l’agriculture et « les traditions » y sont particulièrement liées. Les différents guésou passages étaient utilisés autrefois pour mener le bétail dans les pâtures des marais. Les gués des Loulais, de Launay et du Bourg ont été utilisés jusque dans les années soixante-dix. Il n’y a que trois ponts qui franchissent l’Oust. Le pont qui relie le Port de Peillac n’a été construit qu’au XIX ème siècle remplaçant l’ancien bac . Les deux autres, des Loulais et des Cazes, sont contemporains, construits pour que les nouvelles machines agricoles puissent accéder aux terres des marais . L’Oust était également le lieu d’une remontée quotidienne des eaux. Jusqu’à la mise en service du barrage d’Arzal en 1972, beaucoup de témoignages font allusion à la difficulté de traverser la rivière avec les bêtes, « (…) de l’eau aux mollets le matin, (…) jusqu’au bassin le soir (…) », aux différents gués . Les eaux maritimes remontaient la Vilaine formant un véritable mascaret jusqu’aux marais de Saint-Perreux . Ensuite, l’eau continuait sa route dans le lit de la rivière jusqu’aux Fougerêts, et même au-delà. Cette intrusion de l’Océan avait pour principal intérêt d’y amener les anguilles. Ces poissons ont une place toute particulière puisqu’ils ont été longtemps une base de l‘alimentation pour beaucoup de Fougerêtais . C’est en raison d’une technique de pêche à l’anguille, qui utilisait les vers de terre, que les Fougerêtais sont surnommés les Béguins . Le Canal de Nantes à Brest empreinte un des anciens bras de l’Oust. Cet ancien projet, réalisé d’après les ordres de Napoléon Bonaparte, avait pour objectif de dynamiser le commerce fluvial en Bretagne. La portion fougerêtaise du Canal est inaugurée en 1842. Aujourd’hui, elle n’est plus utilisée que par des péniches de croisières et les pêcheurs. Les marais sont le symbole du pays de Redon. En effet, qui n’a jamais entendu parler, au mois de janvier ou mars, des inondations à Redon comme celles de janvier 1995 et 1999 ? Ces marais sont « (…) très vastes au moment des pluies automnales et hivernales, ils disparaissent totalement l’été, et à leur place, une herbe drue occupe le terrain». Bien que le mot marais évoque habituellement une étendue d’eau variable mais permanente comme à Glénac, les prairies humides de Saint-Perreux ou bien des Fougerêts sont considérées par tous comme de véritables marais. Le barrage d’Arzal en a, néanmoins, fortement modifié l’aspect. Aux Fougerêts, la zone de marais s’étend entre les deux cours d’eau, le Canal de Nantes à Brest et l’Oust. Dans cette zone intermédiaire se rejoignent les eaux d’écoulements d’un réseau hydrographique dense. Les précipitations gonflent les petits cours d’eau qui s’écoulent vers les zones de creux. Ainsi, le carrefour du Pont de la Noe est souvent submergé, et finalement l’Oust et le Canal débordent et recouvrent les terres intermédiaires. Le recteur Joseph Coué écrit dans l’Echo des Fougerêts en janvier 1966 : « (…) l’année 1965 s’est terminée par une bien mauvaise journée de pluie et de vent et voici qu’en ce matin du premier janvier de l’an 1966, (…) nos marais ne forment plus qu’un beau grand lac. » Les marais des Fougerêts ont longtemps rythmé la vie locale parce qu’ils offraient, par exemple, la possibilité aux agriculteurs d’y envoyer paitre le bétail et d’y organiser les mariages. Les témoignages des personnes de plus de cinquante-ans, en général, évoquent ces journées passées à garder les vaches, à s’amuser avec les autres enfants ou bien à fêter l’union de voisins. Toutefois aujourd’hui, ce n’est plus le cas en raison de l’évolution du monde agricole. Les terres des marais n’accueillent plus les troupeaux de vaches mais de grandes étendues de maïs, et ne restent à les parcourir que tracteurs et promeneurs. Les marais restent néanmoins toujours liés aux activités agricoles ; mais celles-ci ont été si bouleversées que sa perception en a été également modifiée. Ce regard nostalgique des plus anciens fait contrepoids avec une quasi-indifférence de la part des plus jeunes. Les autres cours d’eau et sources ont une aussi une importance aux Fougerêts. Ils matérialisent les limites communales, alimentent l’Oust, le Canal, les lavoirs et les puits, traversent les marais. Le ruisseau de Groutel représente la frontière à l’Ouest avec Saint-Martin-sur-Oust et se jette dans le Canal de Nantes à Brest près de Boin. Autrefois, s’élevait un moulin à eau, au lieu-dit « le moulin de Groutel », mais celui-ci n’existe plus. Un autre cours d’eau délimite Les Fougerêts et La Gacilly, c’est le ruisseau de Mabio qui s’étend d’ouest en est. Il existe trois plans d’eau principaux dans la commune, celui de Groutel, de la Ville Caro et de la Jouardays. Ils alimentent en partie les lavoirs qui se trouvent à proximité . Les sources d’eau servent également aux lavoirs comme celui de Launay. De nombreux lavoirs ont disparu lors du remembrement, mais il en subsiste encore quelques-uns. Ces sources sont nombreuses sur l’ensemble de la commune. Elles alimentent aussi les puits. La quantité de puits aux Fougerêts s’explique, entre autres, par la présence de ces sources qui courent le long de la pente vers les rivières et le marais. Il existe d’autres zones à caractère humide aux Fougerêts. Par exemple, les « noës » sont des terrains mal drainés ; j’ai pu rassembler quelques illustrations de ces termes dans la toponymie et micro toponymie locale. C’est le cas pour le hameau de la Noé Cado, du champ de la Noé du Vau Morel, du Près des Noés et du Pont de la Noe. Toutefois, c’est la tourbière de Couesmé située plus précisément à la limite Nord-Est de la commune près de la Loirie qui a attiré mon attention. Il m’a paru intéressant de l’évoquer puisqu’elle est fortement liée au réseau hydrographique de la commune. La tourbière est un écosystème d’eaux stagnantes qui peut éviter les inondations et atténuer les sécheresses. La tourbière de pente de Couesmé a pour principale conséquence la mise en place d’un microclimat ce qui conduit à une adaptation particulière de la faune et de la flore. Autrefois, la tourbière était vouée à la pâture des bêtes, mais elle est désormais protégée puisque rachetée par l’Association Communale de Chasse Agrée des Fougerêts ( A.C.C.A ) et par la Fondation Nationale pour la Protection des habitats français de la Faune sauvage . La tourbière me semble être une richesse indéniable aux Fougerêts dans la mesure où elle se situe dans une zone où l’agriculture intensive agit en général négativement sur la qualité de l’eau. L’eau représente un élément majeur du patrimoine naturel. En effet, elle se conjugue sous différentes formes, des rivières aux petits ruisseaux et sources, et des marais à la tourbière. Les Fougerêtais sont sensibles à cet aspect du patrimoine local même si le rapport à ces éléments naturels n’est pas celui d’autrefois. Le bocage et l’openfield. J’ai choisi de présenter le bocage et l’openfield dans le patrimoine naturel bien qu’ils soient, l’un et l’autre, des constructions humaines. Toutefois, ils s’intègrent à cette étude au sens de paysage. Il est donc possible d’observer sur le terrain, et grâce aux témoignages, les traces d’un bocage qui, après le remembrement, a été remplacé par l’openfield. Cette analyse consacrée aux paysages des Fougerêts aura pour objectif de mettre en évidence la vocation agricole actuelle de la commune mais aussi les changements considérables qui ont eu lieu ces quarante dernières années. Les traces du bocage aux Fougerêts sont aujourd’hui difficilement observables. Le Cadastre de 1824 permet d’observer une multitude de parcelles réservées à un usage individuel. Les usages collectifs consistaient à mettre en pâture les vaches dans les marais. Ce parcellaire réduit était délimité par de nombreux talus et haies. Dans la micro toponymie, j’ai relevé divers termes faisant allusion à de petites parcelles fermées et individuelles. Il y a par exemple le Clos du puits, la Clôture à Garet, le Grand Clos, la Petite Pièce, etc. Les seuls éléments du bocage qui demeurent visibles sont les talus, les haies de palis de schiste et les chemins creux. Les talus n’ont pas tous été arraché. Il reste encore quelques spécimens qui illustrent l’existence d’un bocage fait de centaines de micro parcelles. Les haies de palis sont assez nombreuses aux Fougerêts pour délimiter les champs. Ces « clôtures » très anciennes permettaient d’empêcher les bêtes de s’échapper de l’enclos et de délimiter les champs. Il existe aussi quelques chemins qui sont les traces les plus marquantes d’un terroir de bocage et qui sont les premiers éléments du façonnement de l’espace par l’homme. Ces sentiers datent souvent des premiers défrichements du Bas Moyen-Age. Le « chemin de la tertré » relie les Loulais à la Hallais sur environ trois cents mètres, un autre chemin creux relie la sortie du Bourg à Rochenais, en passant derrière l’actuelle Zone Artisanale. Il est possible d’observer des vestiges de chemins creux au nord-ouest de la Ville Chauve près des nouveaux chemins d’exploitations en direction de Saint-Martin. Les chemins bocagers sont de faible largeur et ont été creusés par une utilisation intensive pendant plusieurs siècles. Ils permettaient, en outre, une évacuation de l’eau si bien qu’ils devenaient particulièrement boueux au printemps et à l’automne, et comme le souligne F3, très difficilement praticables lors des gelées hivernales. Ce paysage de bocage a été profondément modifié en 1976 lors du remembrement aux Fougerêts. Cependant, entre la Croix Fourchée de bas et la Ville Macé, il est possible de se faire une petite idée de ce que pouvait être le bocage il y a encore trente ans. Le bocage apparaît pour beaucoup de Fougerêtais comme le paysage du passé. Comme les marais, c’était un lieu de jeu, de richesses naturelles mais aussi de travaux agricoles. Ces personnes, qui ont vécu ce paysage, connaissent pour la plupart les noms des champs et il est assez difficile quelques fois de suivre une conversation qui fait appel à cette micro toponymie. L’ensemble de la commune se caractérise aujourd’hui par un paysage d’openfields. Celui-ci, même perturbé par quelques talus, montre de façon évidente le caractère agricole de la commune aujourd’hui. La surface agricole représente 78% de la surface totale des Fougerêts . L’openfield aux Fougerêts est surtout visible au Sud où les exploitations céréalières, essentiellement pour la production de maïs, sont les plus importantes. La production végétale concerne 69,5% et la pâture 29,6% des 1223 hectares de la Surface Agricole Utilisable. Les stocks de céréales et d’oléoprotéagineux ont été multipliés par trois entre 1988 et 2000 et le nombre de vaches demeurent plus ou moins stable aux environs de sept cents têtes de bétail. Cette description souligne une vocation agricole qui perdure aux Fougerêts. Le remembrement est apparu très tôt comme une nécessité pour faire face aux difficultés économiques. Le témoignage de Joseph Coué dans l’Echo des Fougerêts en octobre 1969 illustre l’espoir suscité : « (…) On peut bouder le progrès, mais on n’arrêtera pas sa marche en avant. Que vienne donc au plus vite le remembrement des terres ! Il sera tout aussi profitable aux petits propriétaires qu’aux fermiers. (…) » Cela eu, en effet, pour conséquence à long terme de faire croître de six à treize le nombre d’exploitations de plus de trente-cinq hectares entre 1979 et 2000. Mais les petites exploitations familiales ont alors complètement disparu, le nombre total des exploitations passe de soixante-dix huit, en 1979, à vingt-trois en 2000. Le développement agricole local suit la conjoncture nationale, et le paysage d’openfield mis en place par cette agriculture devient un patrimoine naturel pour les nouvelles générations comme, l’a été pour les plus âgés, le paysage bocager. Les landes et les fôrêts. J’arrive maintenant à la description du patrimoine naturel des « hauteurs » des Fougerêts. Toute cette partie Nord de la commune, qui commence après le Chênot et qui s’étend d’est en ouest, se caractérise essentiellement par un paysage de crêtes où les landes et la forêt sont des éléments naturels majeurs. L’altitude varie dans cette zone entre soixante-dix et cent mètres. Selon les chiffres tirés de l’étude de Gaëlle Coueffard sur la tourbière de Couesmé, les landes couvrent 5,5% du territoire de la commune . La lande est une formation végétale rase, constituée essentiellement par les genêts, bruyères, ajoncs et fougères. La toponymie et la micro toponymie m’ont permis de relever de nombreux termes qui font allusion aux landes. Tout d’abord, le nom de la commune se rapporte aux fougères. Les chercheurs pensent, en effet, que l’étymologie des Fougerêts est issue du mot latin « filicaretum ». Les Landes de Couesmé, à l’extrême Nord, appartiennent aux Landes de Lanvaux. Cependant, dans cette zone, la végétation typique de cet élément naturel n’est plus guère présente. Les zones de landes défrichées à Couesmé ont été reboisées. Certains témoignages évoquent la récolte de la bruyère dans les landes où chacun y possédait une petite parcelle. Les landes étaient utilisées pour la litière du bétail et comme pâture aux moutons comme le laisse supposer une chanson de mariage, « J’ai tout laissé les moutons sur la lande pour voir passer la jolie mariée (…) » . L’étude de la micro toponymie d’après le Cadastre de 1997 révèle plusieurs noms évoquant cet élément naturel: les Landes de Couebo, le Clos bruyère, Landes de Caillibouis, Landes de Rochenais. Aujourd’hui, c’est principalement à Rochenais et à la Ville Caro que les landes sont les plus courantes mais elles sont souvent associées à des pins. La forêt est également une richesse naturelle aux Fougerêts. Elle couvre aujourd’hui 15,4% de la superficie totale de la commune. Constituée principalement de chênes, de châtaigniers et de pins maritimes, sa surface a fortement diminué depuis un siècle et demi. Tout comme la lande, les différentes zones forestières occupent la partie Nord de la commune. La forêt aux Fougerêts couvrait semble-t-il une très grande surface. Au Nord, cette zone forestière porte le nom de Forêt-Noire. Elle a été constituée par un reboisement récent des landes dans la partie septentrionale. Les pins maritimes et les bouleaux y sont majoritaires. La zone forestière occidentale n’est pas de même nature. En effet, la Forêt-Neuve est beaucoup plus ancienne. Elle constituait un grand ensemble dans lequel s’inscrit le château de la Forêt-Neuve à Glénac, ancienne demeure des seigneurs de Rieux. Cette Forêt-Neuve s’étendait jusqu’à la Croix Fourchée, comme il est possible de l’observer dans le Cadastre Napoléonien et par les essences présentes. Il y a effectivement beaucoup plus de feuillus, notamment les chênes et les châtaigniers. Cependant, les zones forestières ont fortement diminué. Jusqu’au début des années soixante-dix, il a eu des défrichements importants afin d’accroître la surface agricole de la commune. Ainsi, une grande partie Ouest des Fougerêts s’est séparée de sa couverture végétale. L’Echo des Fougerêts de février 1967, sous la plume du recteur Coué, évoque la « (…) disparition de tous les taillis qui s’étendaient en profondeur de gauche et de droite de la route de Saint-Jacob à la Forêt-Neuve. Ainsi, c’est toute une contrée de la commune qui commence à changer d’aspect et voici que les habitants de la Marandais si bien nichés (…) dans les bois apparaissent déjà à découvert (…) D’ici quelques mois, plus d’une cinquantaine d’hectares de taillis seront ainsi mis en labour (…) ». La forêt, d’après les témoignages recueillis, avait une grande importance dans la vie locale. J’ai rencontré plusieurs personnes qui demeuraient près de ces zones boisées, et qui ont, en effet, souligné de façon évidente les liens entre le milieu naturel et les activités humaines. Il y a, par exemple, à Saint-Jacob un pavillon de chasse du XVI ème qui appartenait à une famille noble de Bains-sur-Oust. De nombreuses personnes de ce village travaillaient dans les métiers du bois, notamment sabotier et cercliers. La faune et la flore. Je veux souligner quelques aspects de cette faune et flore, typiques à la fois des Fougerêts mais aussi de l’ensemble de ce paysage de la vallée de l’Oust. L’anguille est le poisson symbolique de l’Oust. Dans certains villages, comme aux Fougerêts, ce poisson et son mode de pêche ont donné des surnoms aux habitants. Les Fougerêtais sont appelés « Béguins », les habitants de Saint-Perreux les « Garciaux », nom donné aux anguilles pêchées dans ce village. Remontant la Vilaine et l’Oust lors des marées, ils représentaient une source de nourriture quasi inépuisable pour toutes les populations des bords de l’Oust et des marais . Avant la construction du barrage à l’estuaire de la Vilaine, les pêcheurs remplissaient leurs barques mais aujourd’hui, malgré une échelle à poisson à Arzal, la pêche d’une anguille devient très rare voire exceptionnelle pour un pécheur amateur. Je voudrais aussi parler de la tourbière de Couesmé. Dans cette zone humide unique, tout un cortège de plantes et d’animaux habituellement plus répandus dans les régions boréales sont présents. La faune et la flore se sont adaptées à ce milieu très particulier. Ainsi, j’ai pu noter la présence d’espèces très appréciées par les chasseurs comme les bécasses. Il y existe également une petite plante carnivore protégée : les Droseras. Enfin, les éléments centraux de la flore aux Fougerêts sont les châtaigniers et les pommiers. Ces arbres font partie intégrante du paysage de la commune et du pays de Redon. Les châtaignes ont longtemps été utilisées comme compléments alimentaires, bouillies ou cuites au feu de bois. Ces fruits sont l’emblème de la fête annuelle de la Teillouse à Redon à l’automne. Le bois de châtaignier est également très apprécié dans la construction. Le châtaignier est une des essences les plus présentes dans les bois et forêts locales. Il est souvent associé en alternance avec le chêne dans les haies bocagères. Le pommier et ses fruits peuvent être considérés comme un patrimoine des Fougerêts. Le cidre et l’eau-de-vie, « la goutte », sont des produits locaux de grande importance. Le cidre était, il y a encore trente ans, la boisson quotidienne, et la fabrication du cidre une activité communautaire. Dans chaque propriété, il y a au moins un petit verger, de deux ou trois pommiers. Il en existe de plus grands comme au Guet de Couesmé ou à l’Auté Garel. La production de pommes était très importante il y a encore trente ans. J’ai ainsi relevé dans l’Echo des Fougerêts, en janvier 1968, qu’ « (…) après enquête près des acheteurs [les usines de distillerie de Redon], c’est à 700 tonnes qu’on peut chiffrer la quantité de pommes. » Si l’on fait un rapide calcul, il y avait presque une tonne de pommes par personne. Comme le souligne Pascal Laloy et Ronan Désormeaux dans Regards sur le pays de Redon, « les paysages (…) tirent leurs richesses d’une heureuse imbrication de paysages très typés : en quelques centaines de mètres, nous pouvons quitter une large étendue de marais, remonter par des chemins bocagers étroits pour traverser ensuite des zones de culture très ouvertes avant de s’engager à l’intérieur de landes et de bois. » Il m’a semblé essentiel d’analyser dans un premier temps le patrimoine naturel et paysager de la commune des Fougerêts car les autres thèmes du patrimoine local y sont très fortement liés. Tout comme « (…) le paysage (…) est porteur des signes de l’œuvre antérieur des sociétés », l’homme construit son environnement à partir des richesses que lui offre la nature. Sommaire: Introduction Methodologie Les Pays de Vilaine. Les promenades, les fougerêtais et les archives : les sources du patrimoine des Fougerêts et leurs critiques. Les problèmes et les avantages de l’étude du patrimoine local. Le patrimoine des Fougerêts. Un patrimoine paysager et naturel. L’habitat fougerêtais, un patrimoine de « belles pierres. » Un patrimoine religieux. Un patrimoine ethnologique. Les acteurs locaux fougeretais. La municipalité. Les associations et les particuliers. Patrimoine, identité et avenir. Le patrimoine, marqueur identitaire. L'avenir du patrimoine aux Fougerêts. Conclusion. Les Sources. Bibliographie. Page d'accueil.
1897
https://fr.wikisource.org/wiki/Commentaire%20de%20la%20logique%20d%E2%80%99Aristote
Commentaire de la logique d’Aristote
(Attribution disputée, voir en page de discussion) Traité I : Les Cinq Universaux en logique. Chapitre I: Ce que c’est que l’universel et d’où il tire son origine. Chapitre II: Ce que c’est que le genre et d’où il tire son origine. Chapitre III: Ce que c’est que l’espèce et d’où elle tire son origine. Chapitre IV: De l’origine de la différence et ce que c’est suivant la chose et l’intention. Chapitre V: Du genre le plus général et du genre subalterne; un être ne peut pas être genre. Chapitre VI: De l’origine du propre, et comment il se trouve dans tout individu de l’espèce et toujours. Chapitre VII: Le propre est inhérent à la seule espèce, et se dit d’elle réciproquement. Chapitre VIII: De l’origine de l’accident et exposition de sa cause. Traité II : Des dix prédicaments. Chapitre I: Des divers modes de prédication. Chapitre II: Ce que c’est que la substance suivant l’intention logique. Chapitre III: De la première et de la seconde substance; ce que c’est; de l’ordre de la substance. Chapitre IV: La substance ne reçoit pas la contrariété, ni le plus ni le moins, quoiqu'elle soit sujet de l'un et de l'autre par le changement qui s'opère en elle. Traité III : Le Prédicament de la quantité. Chapitre I: Du nombre qui est une quantité discrète. Chapitre II: De la seconde espèce de la quantité discrète, c’est-à-dire du langage. Chapitre III: De la quantité continue en commun suivant l’intention logique. Chapitre IV: De la quantité qui a une position, et de ce qui est requis par rapport à cette position. Chapitre V: Des espèces de la quantité continue, et d'abord de la ligne. Chapitre VI: Du lieu qui est une espèce de la quantité continue. Chapitre VII: Du temps, comment c’est une quantité successive. Chapitre VIII: Que la quantité ne reçoit ni le plus, ni le moins, et n’a pas de contrariété, mais une chose est dite égale ou inégale à une autre suivant l’être. Traité IV : Du prédicament de la qualité. Chapitre I: Ce que c’est que la qualité en général. Chapitre II: De la première espèce de qualité, qui est l’habitude et la disposition. Chapitre III: De la seconde espèce de la qualité qui est la puissance ou l’impuissance naturelle. Chapitre IV: De la troisième espèce de la qualité, qui est la passion ou la qualité passible. Chapitre V: De la quatrième espèce de la qualité, qui est la forme, ou la figure constante dans une chose. Chapitre VI: De la qualité et de ses conditions d’après ses trois modes. Chapitre VII: Des communautés et des propriétés de la qualité. Traité V : Du prédicament aliquid et des autres prédicaments. Chapitre I: Ce qu’est ad aliquid, suivant l’intention logique. Chapitre II: De la seconde définition des relatifs qui convient aux relatifs suivant l’être, et aux relatifs réels. Chapitre III: Que la relation ne diffère de son fondement que par la réalité extrinsèque. Chapitre IV: Que l’entité des relatifs se tire des fondements. Chapitre V: Des communautés et des propriétés des relatifs. Chapitre VI: Des six autres prédicaments et de leur prédication en commun. Chapitre VII: Ce que c'est que l’action suivant la raison prédicamentale dans le deux opinions. Chapitre VIII: Quelle est l’action qui reçoit le plus et le moins avec la contrariété, quelle est celle qui ne reçoit rien de cela. Chapitre IX: Le propre de l’action est de produire la passion par soi. Chapitre X: Ce que c’est que la passion formellement, comme prédicament. Chapitre XI: Que la dénomination de la passion se fait formellement ab extrinseco. Chapitre XII: Ce que c’est que le prédicament quando, c’est le temps en tant qu’il dénomme une chose temporelle, ou le rapport du temps aux choses temporelles qu mesure. Chapitre XIII: Que quando n’est pas le rapport de la chose mesurée au temps, mais tout le contraire. Chapitre XIV: Que quando ne reçoit ni le plus ni le moins, et n’a pas de contraire, qu’il se trouve dans tout ce qui commence d’être. Traité VI : De Ubi. Chapitre I: Du prédicament Ubi, ce que c’est formellement, et en quoi il se trouve subjectivement. Chapitre II: Ubi ne reçoit ni le plus ni le moins, il n’a pas la contrariété, et se trouve dans le corps terminé par une surface. Traité VII : De la position. Chapitre I: Du prédicament de position; est-il quelque chose suivant la raison formelle ? Chapitre II: La position est la dénomination ou le rapport tiré des parties du lieu à raison des parties de la chose localisée. Chapitre III: La situation ne reçoit ni le plus ni le moins, et n’a pas de contrariété, ce qui lui est propre, c’est d’assister à la substance d’une manière prochaine. Traité VIII : De l’habitude. Chapitre I: De l’habitus en tant que prédicament, ce que c’est formellement. Chapitre II: L’habitus peut se loader immédiatement dans la substance. Chapitre III: L‘habitus reçoit le plus et le moins, mais non tout habitus, il n’a pas la contrariété. Chapitre IV: Le propre de l’habitus est d’exister tant dans le corps que dans ce qui en développe le corps suivant la division des parties. Traité IX : De l’interprétation ou énonciation. Chapitre I: Ce que c’est que le nom suivant l’intention logique. Chapitre II: Ce que c’est formellement que le verbe suivant la description logique. Chapitre III: Ce que c’est que le discours, et quelles sont ses espèces. Chapitre IV: Ce que c’est que l’énonciation, ce que c’est que le vrai et le faux. Chapitre V: La vérité et la fausseté ne sont que dans l’énonciation, et pourquoi? Chapitre VI: De l’énonciation catégorique, hypothétique, affirmative ou négative. Chapitre VII: De la quantité des propositions catégoriques sur l’inesse, à savoir de l’universelle, de la particulière, de l’indéfinie et de la singulière. Chapitre VIII: De l’opposition des propositions catégoriques existant en figure, relativement aux énonciations de inesse. Chapitre IX: Des équipollences des énonciations catégoriques de inesse. Chapitre X: Comment les énonciations catégoriques d inesse se rapportent à la vérité et à la fausseté. Chapitre XI: Ce que c’est que la proposition modale et de sa quantité. Chapitre XII: De la qualité des propositions modales quant à l’affirmation et à la négation. Chapitre XIII: De l’opposition et de l’équipollence des énonciations modales. Chapitre XIV: De l’énonciation hypothétique et de ses trois espèces. Traité X : Du syllogisme simpliciter. Chapitre I: Ce que c’est que le syllogisme, ce qui doit entrer dans sa constitution. Chapitre II: De la conversion des propositions de inesse, et de ses espèces. Chapitre III: Des conversions des propositions modales et de leur différent mode. Chapitre IV: Des syllogismes ostensifs de inesse relativement au mode et au signe. Chapitre V: Des syllogismes inutiles dans toute figure. Chapitre VI: Des syllogismes de la première figure concluant directement, et des syllogismes de la seconde figure. Chapitre VII: Des syllogismes de la troisième figure, et de la réduction de tous les syllogismes aux deux premiers modes de la première figure. Chapitre VIII: Des syllogismes à conclusion indirecte et de leur réduction. Chapitre IX: De l’inv lion du moyen terme pour les syllogisme de IOUIOS les figures, tant affirmatifs que négatifs. Chapitre X: De la différence qui ex entre le syllogisme ad impossibile et le syllogisme ostensif. Chapitre XI: Dans quels modes et dans quelles figures se font les syllogismes ad impossibile. Chapitre XII: Comment les syllogismes ad impossibile se ramènent aux syllogismes ostensifs. Chapitre XIII: Des syllogismes à propositions modales, relativement aux propositions de necessario. Chapitre XIV: Des syllogismes contingents. Chapitre XV: De la combinaison du contingent et du nécessaire dans trois figures de syllogismes. Chapitre XVI: Des syllogismes conditionnels des propositions simples. Chapitre XVII: De syllogismes conditionnels avec des propositions hypothétiques composées. Chapitre XVIII: Des syllogismes disjonctifs et des propositions réduplicatives, de la conversion par comparaison. Traité XI : Du syllogisme démonstratif. Chapitre I: Ce que c’est que le syllogisme démonstratif Chapitre II: Ce que c’est que dici de omni premièrement de soi, ou universellement. Chapitre III: Que la démonstration procède de choses vraies et nécessaires. Chapitre IV: Que la démonstration procède de prémisses où elle se trouve per se et non per accidens. Chapitre V: Que la d procède de choses premières et immédiates. Chapitre VI: Que la démonstration procède de choses propres, et non d’étrangères, ni de communes. Chapitre VII: Que la démonstration procède de choses connues par elles-mêmes. Chapitre VIII: Que la démonstration procède des causes de la conclusion. Chapitre IX: Que la démonstration principale affirmative ne se fait que dans la première figure et dans son premier mode. Chapitre X: Que la démonstration principale négative doit se faire dans le second mode de la seconde figure. Chapitre XI: Que la démonstration quia procède de l’effet à la cause, ou des causes éloignées à l’effet. Chapitre XII: Que dans une démonstration il y a quelque chose de connu avant la conclusion, et quelque chose après que la démonstration est faite. Chapitre XIII: Que la science qui procède par la cause et qui dit la forme est plus certaine que celle qui procède par l’effet et dit la matière. Chapitre XIV: Que l’unité formelle de la science se tire de l’unité formelle du sujet suivant la nature de l’objet de la science. Introduction Tous les hommes sont naturellement désireux de savoir. Or savoir est le résultat de la démonstration, car la démonstration est le syllogisme qui produit le savoir. Pour satisfaire ce désir naturel dans l’homme, la démonstration devient nécessaire; car l’effet, comme tel, ne peut pas exister sans la cause. Et comme, ainsi que nous l’avons dit, la démonstration est le syllogisme, pour la connaître il faut préalablement connaître le syllogisme. Or, le syllogisme étant un certain tout formé de parties, on ne pourra le connaître, si l’on ne connaît pas les parties. Donc, pour connaître le syllogisme, il faut d’abord connaître ses parties. Or des parties du syllogisme quelques-unes sont prochaines, comme les propositions et la conclusion, qui toutes sont appelées énonciations. D’autres sont éloignées, comme les termes qui sont les parties de l’énonciation. Il faut donc traiter de ces choses, à savoir de l’énonciation et des termes, avant de parler du syllogisme. Or tout terme qui se dit sans complexion signifie la substance, ou la quantité, ou la qualité, ou quelque chose des autres prédicaments; c’est pourquoi, avant de traiter de l’énonciation, il faut s’occuper des prédicaments. Et parce que le prédicament, dans le sens que nous entendons ici, n’est autre chose que la disposition des choses prédicables dans l’ordre prédicamental, pour connaître les prédicaments, il faut d’abord connaître les choses prédicables. Donc, pour parvenir à la science qui est l’objet des désirs de tous, tel doit être l’ordre que nous garderons avec le secours de Dieu; nous traiterons d’abord des cinq choses prédicables, secondement des dix prédicaments, troisièmement de l’énonciation, quatrièmement du syllogisme simpliciter, cinquièmement du syllogisme appliqué à la matière démonstrative ou de la démonstration. Quant au syllogisme appliqué à la matière probable, lequel appartient à la partie de la logique appelée dialectique, dont il est question dans le livre des Topiques, et au syllogisme appliqué à la matière sophistique, qui est opposé au syllogisme dialectique dont on parle dans le livre Elenchorum, je n’ai pas intention de m’en occuper pour le moment. Philosophie Logique Moyen Âge Bon pour export
1900
https://fr.wikisource.org/wiki/La%20Politique/Traduction%20Barth%C3%A9lemy-Saint-Hilaire
La Politique/Traduction Barthélemy-Saint-Hilaire
Politique Politique Politique el:Πολιτικά en:Politics (Ellis) it:Trattato dei governi ru:Политика (Аристотель)
1901
https://fr.wikisource.org/wiki/La%20Politique/Livre%20I
La Politique/Livre I
el:Πολιτικά/Α en:Politics (Ellis)/Book 1 it:Trattato dei governi/Libro primo ru:Политика (Аристотель)/О том, что такое государство
1903
https://fr.wikisource.org/wiki/La%20Politique/Livre%20II
La Politique/Livre II
el:Πολιτικά/Β en:Politics (Ellis)/Book 2 it:Trattato dei governi/Libro secondo ru:Политика (Аристотель)/О домохозяйстве и рабстве
1928
https://fr.wikisource.org/wiki/Le%20Monde%20comme%20volont%C3%A9%20et%20comme%20repr%C3%A9sentation
Le Monde comme volonté et comme représentation
Dédicaces Préface de la première édition (1818) Préface de la deuxième édition (1844) Préface de la troisième édition (1859) Préface de la quatrième édition, par Frauenstædt (1873) Les quatre livres. Livre premier. Le Monde comme représentation. Premier point de vue. Livre deuxième. Le Monde comme volonté. Premier point de vue. Livre troisième. Le Monde comme représentation. Second point de vue. Livre quatrième. Le Monde comme volonté. Second point de vue. Appendice : Critique de la philosophie kantienne Cinquante chapitres de suppléments aux quatre livres du premier volume Table des matières des trois volumes Texte entier sur une page Livre numérique: Monde Monde comme volonte et comme representation en:The World as Will and Representation ru:Мир как воля и представление (Шопенгауэр/Айхенвальд)
1940
https://fr.wikisource.org/wiki/Critique%20de%20la%20raison%20pure/Partie%201
Critique de la raison pure/Partie 1
Notes de Kant Notes du traducteur de:Kritik der reinen Vernunft/Die transzendentale Ästhetik en:Critique of Pure Reason/Volume 1/Part 1
1950
https://fr.wikisource.org/wiki/La%20Politique/Livre%20IV
La Politique/Livre IV
en:Politics (Ellis)/Book 4 it:Trattato dei governi/Libro quarto ru:Политика (Аристотель)/Разбор политических проектов Платона
1954
https://fr.wikisource.org/wiki/Note%20sur%20Nietzsche%20et%20Lange%20%3A%20%C2%AB%20le%20retour%20%C3%A9ternel%20%C2%BB
Note sur Nietzsche et Lange : « le retour éternel »
Histoire de la philosophie Philosophie Articles de 1909 Articles de la Revue philosophique de la France et de l’étranger Articles d’Alfred Fouillée
1967
https://fr.wikisource.org/wiki/Le%20Malade%20imaginaire
Le Malade imaginaire
Comédies XVIIe siècle 1673 Théâtre de Molière Médecine Notice Personnages Prologue Acte I Acte II Acte III
1968
https://fr.wikisource.org/wiki/Qu%E2%80%99est-ce%20que%20l%E2%80%99id%C3%A9alisme%20%3F
Qu’est-ce que l’idéalisme ?
Articles de 1877 Articles de Paul Janet Philosophie Revue philosophique de la France et de l'étranger
1970
https://fr.wikisource.org/wiki/%C3%89tude%20sur%20la%20th%C3%A9orie%20du%20syllogisme
Étude sur la théorie du syllogisme
Articles de la Revue philosophique de la France et de l’étranger Articles de 1876 Article de Jules Lachelier Philosophie
1975
https://fr.wikisource.org/wiki/Existence%20et%20d%C3%A9veloppement%20de%20la%20volont%C3%A9
Existence et développement de la volonté
Articles de 1892 Articles de la Revue philosophique de la France et de l’étranger Articles d’Alfred Fouillée
1996
https://fr.wikisource.org/wiki/Les%20Confessions%20%28Augustin%29
Les Confessions (Augustin)
Livre premier Livre deuxième Livre troisième Livre quatrième Livre cinquième Livre sixième Livre septième Livre huitième Livre neuvième Livre dixième Livre onzième Livre douzième Livre treizième Théologie Christianisme Philosophie Antiquité Littérature de langue latine en:The Confessions of Saint Augustine (Outler) la:Confessiones ru:Исповедь (Августин)
1997
https://fr.wikisource.org/wiki/Trait%C3%A9%20du%20libre%20arbitre
Traité du libre arbitre
Les deux premiers livres sont traduits par M. l’abbé DEFOURNY. Le troisième livre est traduit par M. l’abbé RAULX. Antiquité Littérature de langue latine Théologie Christianisme
2004
https://fr.wikisource.org/wiki/Les%20bassins%20%C3%A0%20cupule/Bibliographie
Les bassins à cupule/Bibliographie
Les bassins à cupules AMOURETTI, Marie-Claire. Les sous-produits de la fabrication de l'huile et du vin. In École française d'Athènes Supplément au Bulletin de civilisation hellénique : La production de l'huile et du vin en Méditerranée antique. Athènes : École française d'Athènes, 1993, tome XXVI, p. 463-476. Anonyme. Bulletin de la société d'archéologie et d'histoire de Charente, 1878/1879, p 269. Anonyme. Bulletin de la société d'archéologie et d'histoire de Charente, 1888, n°10, 5e série, p LXX. Anonyme. Bulletin de la société d'archéologie et d'histoire de Saintonge et d'Aunis, 1888, n° 8, p 412-413. Anonyme. Recueil de la commission des arts et monuments historiques de la Charente Inférieure, 1888, n°10, p 10. Anonyme. Bulletin de la société d'archéologie et d'histoire de Charente, 1885, n° 5, 6e série, p XCVII-XCVIII. Anonyme. Recherches archéologiques à Saintes et dans la Saintonge, 1978, p. 179. Anonyme. Recherches archéologiques à Saintes et dans la Saintonge, 1979, p. 174. Anonyme. Bulletin de la société d'archéologie et d'histoire de Charente-Maritime, 1891, n° 8, p. 38. Anonyme. Bulletin de liaison de la Direction régionale des antiquités historiques du Poitou-Charentes, 1982, n° 12, p. 36. AUBIN, Gérard. Notice. Gallia, 1981, 39,2. p. 361-362. Abbé BARBOTIN. Échillais et ses seigneurs. Saintes : Librairie Laborde, 1933. Abbé BARBOTIN. Échillais à travers les âges. La Rochelle : Éditions Rupella, 1957. BAURAUD, Daniel. Rapport de fouilles du site des Barres à Écurat, 1982. BAURAUD, Daniel. Bulletin de liaison de la Direction régionale des antiquités historiques du Poitou-Charentes, 1985, n°14, p. 27. BERNARD, Hélène. Rapport de fouilles du site du Renfermis à Soubise, 1984 et 1985. BERNARD, Hélène. Bulletin de liaison de la Direction régionale des antiquités historiques du Poitou-Charentes, 1986, n°15, p. 27. BŒSWILLWALD Étienne. in Bulletin Archéologique des Travaux historiques et scientifiques, n°1, p 3-5. Abbé BRODUT. Revue de la Saintonge et de l'Aunis, 1900, n°20, p. 291. BRUN, Jean-Pierre. L'oléiculture et la viticulture antiques en Gaule : instruments et installations de production. In École française d'Athènes : Supplément au Bulletin de civilisation hellénique : La production du vin et de l'huile en Méditerranée antique. Athènes : École française d'Athènes, 1993, tome XXVI, p. 307-341 CHAMPÊME, Louis-Marie. Notice du Service régional d'archéologie (SRA) relative aux fouilles du site de Fief de Boué, à Taizé. 1991. CHAUVET. Bulletin de la société d'archéologie et d'histoire de Charente, 1895, p. XCI. CHEVALLIER, Raymond. Les voies romaines en Gaule. Paris : Armand Collin, 1972. Collection U. DALANÇON, Alain. Rapport de fouilles du site de la Cigogne à Écurat, 1987. DANGIBEAUD, Charles. Bulletin de la société d'archéologie et d'histoire de Saintonge et d'Aunis, 1912, n°32, p. 143-144. DION, Roger. Annuaire du Collège de France. Paris : Collège de France, 1962. p 400. DUGAST, Jacques. Bulletin de liaison de la Direction régionale des antiquités historiques du Poitou-Charentes, 1986, n°15, p. 15-17. DUMONTET-ORIGÈNE. Bulletin de la société d'archéologie et d'histoire de Charente, 1932, p. CXXXI. DUPRAT, Philippe. Bulletin de liaison de la Direction régionale des antiquités historiques du Poitou-Charentes, 1986, n°15, p. 27. DURAND, Georges. Rapport de fouilles du site des Groies à Nieul-sur-Mer, 1976. DURAND, Georges. Revue de la Saintonge et de l'Aunis, 1979, p. 4 et suivantes. DURAND, Georges. Bulletin de liaison de la Direction régionale des antiquités historiques du Poitou-Charentes, 1981, n°15, p. 25. DURET. Recueil de la commission des arts et monuments historiques de la Charente Inférieure, 1883-1884, n°VII, p. 91-95. DURET. Recueil de la commission des arts et monuments historiques de la Charente Inférieure, 1883-1884, n°VII, p. 318. EMPEREUR, Jean-Yves. La production viticole en Égypte pharaonique. In École française d'Athènes : Supplément au Bulletin de civilisation hellénique : La production du vin et de l'huile en Méditerranée antique. Athènes : École française d'Athènes, 1993, tome XXVI, p. 42-47. ÉTIENNE, Robert. À propos du Garum sociorum. LATOMUS, 1970, tome XXIX, p. 297-313. EYGUN, François. Notice. Gallia, 1963, tome 21,2, p 441. EYGUN, François. Notice. Gallia, 1967, tome 25,2, p 265-266. FABIOUX, Monique. Bulletin de liaison de la Direction régionale des antiquités historiques du Poitou-Charentes, 1985, n°14, p. 37. FABIOUX, Monique. Bulletin de liaison de la Direction régionale des antiquités historiques du Poitou-Charentes, 1986, n°15, p. 40-41. FAVRAUD, Alexis. Bulletin de la société d'archéologie et d'histoire de Charente, 1908, p. XLIV. FAVRAUD, Alexis. Notes sur les communes de l'ancien arrondissement de de Ruffec. Paris : Librairie Bruno Sépulchre, 1987 (rééd.). FAVRE, Michel. Roccafortis, 1996, n°17, p. 4-7. FAUDUET, Isabelle. Les temples de tradition celtique en Gaule romaine. Paris : Éditions Errance, 1993. FERAUDY, Luc de. Bulletin de liaison de la Direction régionale des antiquités historiques du Poitou-Charentes, 1988, n°17, p. 25. FERCHAUD, Alain. Rapport de fouilles du site de Fief de Châlons, au Gua, 1976. FERCHAUD, Alain. Rapport de fouilles du site de Montsanson, au Gua, 1979. FERDIERE, Alain. Les campagnes en Gaule romaine, tome 2 : Les techniques et les productions rurales en Gaule. Paris : Éditions Errance, 1988. Collection Les Hespérides. FLOURET, Jean. Rapport de fouilles du site des Minimes, à La Rochelle, 1979. FLOURET, Jean-DURAND, Georges. Le site gallo-romain des Minimes, bilan de la fouille de sauvetage. Revue de la Saintonge et de l'Aunis, 1984, n°X, p.7 et suivantes. FLOURET, Jean-MÉTAYER, Jean. Inventaire archéologique de l'Aunis, période Gallo-Romaine, Revue de la Saintonge et de l'Aunis, 1978, n°4, p 70. FROGET, Jean. Une villa gallo-romaine au Veillon. Olona, 1980, n°94, p.14 et suivantes. GABET, Camille. L'habitat rural entre la Basse-Charente et la Seudre. Celticum, 1964, tome IX, p. 239-245. GABET, Camille. Rapport de fouilles du site du Péré Maillard, à Nieul-sur-Mer, 1983. GABET, Camille. Bulletin de liaison de la Direction régionale des antiquités historiques du Poitou-Charentes, 1983, n°12, p 25. GABET, Camille. Les bassins à cupule gallo-charentais. Roccafortis, n°1, 3e série. GAILLARD, Jean- LENGLET, Théophile. Rapport de fouilles du site du Chêne, à Saint-Martial-de-Mirambeau, 1980. GEORGE. Bulletin de la société d'archéologie et d'histoire de Charente, 1930-1931, p LXXII. GOURRAUD. Annuaire de la société d'émulation de Vendée, 1876, n°6, 2e série, p 161-163. HIERNARD, Jean-SIMON-HIERNARD, Dominique. Carte archéologique de la Gaule : Département des Deux-Sèvres. Paris : Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, 1997. IZZARRA, François de. Hommes et fleuves en Gaule romaine. Paris, Éditions Errance, 1992. JOHNSON, Hugh. Une histoire mondiale du vin, de l'Antiquité à nos jours. Traduit par DOVAZ, Claude. Paris : Hachette, 1990. Collection Pluriel. JONGKEES, J. H. Notice. Gallia, 1955, tome 13,1, p 88. Abbé LACURIE. Excursion archéologique dans l'arrondissement de Saint-Jean-d'Angély. Bulletin monumental, 1847, p 241-254. LANDRAUD, Claude. Rapport de fouilles du site de Grand-Fief-Chagnaud, à Port-des-Barques, 1988. LAVERGNE, Maurice-TEXIER, Bruno. Les sites à sel proto-historiques. Publications de la Société d'Archéologie de Charente-Maritime, 1987, p. 12-14. LEPAGE, Marc. Bulletin de liaison de la Direction régionale des antiquités historiques du Poitou-Charentes, 1982, n°11, p 61-63. LOTTE. Bulletin de la société d'archéologie et d'histoire de Charente, 1965, p 9-10. MAGEAU. Bulletin de la société d'archéologie et d'histoire de Saintonge et d'Aunis, 1889, p 15-16. MARTIN-FUGIER, Anne. La place des bonnes. Paris : Gallimard, 1979. MARTINIÈRE, J. de la. Bulletin de la société d'archéologie et d'histoire de Charente, 1905, p XXX-XXXI. MAURIN, Louis. Bulletin de la société d'archéologie et d'histoire de Charente, 1882, p XXXII-XXXIII. MAURIN, Louis. Saintes antique, des origines à la fin VIe siècle. Saintes : Société archéologique de Charente-Maritime, 1978. MAURIN, Louis. Archéologie romaine et du Haut-Moyen-Âge, Revue de la Saintonge et de l'Aunis, 1983, n°9. Dr MERLE. Bulletin de la société scientifique et historique des Deux-Sèvres, 1931, p 227. MEEKS, Dimitri. Oléiculture et viticulture dans l'Egypte pharaonique. In École française d'Athènes : Supplément au Bulletin de civilisation hellénique : La production du vin et de l'huile en Méditerranée antique. Athènes : École française d'Athènes, 1993, tome XXVI, p. 11-35. NICOLINI, Gérard. Notice. Gallia, 1977, tome 35,2, p. 376. NICOLINI, Gérard. Notice. Gallia, 1977, tome 35,2, p. 376-377. NICOLINI, Gérard. Notice. Gallia, 1979, tome 37,2, p. 390. NICOLINI, Gérard. Notice. Gallia, 1979, tome 37,2, p. 391-392. NICOLINI, Gérard. Notice. Gallia, 1979, tome 37,2, p. 392-393. NICOLINI, Gérard. Notice. Gallia, 1979, tome 37,2, p. 400. NICOLINI, Gérard. Notice. Gallia, 1981, tome 39,2, p. 371-372. NICOLINI, Gérard. Notice. Gallia, 1981, tome 39,2, p. 373-374. NICOLINI, Gérard. Notice. Gallia, 1981, tome 39,2, p. 375. NICOLINI, Gérard. Notice. Gallia, 1983, tome 41,2, p. 332-341. NICOLINI, Gérard. Notice. Gallia, 1983, tome 41,2, p. 345. NICOLINI, Gérard. Notice. Gallia, 1983, tome 41,2, p. 372. OSWALD, Félix. Index des estampilles sur sigillées, tome I. Avignon : SITES, 1983. PAPINOT, Jean-Claude. Notice. Gallia, 1985, tome 43,2, p. 499-501. PAPINOT, Jean-Claude. Notice. Gallia, 1987, tome 45,2, p. 278-280. PAPINOT, Jean-Claude. Notice. Gallia Informations, 1989, p. 245-246. PAPINOT, Jean-Claude. Notice. Gallia Informations, 1989, p. 265. PAPINOT, Jean-Claude. Notice. Gallia Informations, 1989, p. 267-268. PAPINOT, Jean-Claude. Notice. Gallia Informations, 1993, tome 1 et 2, p. 190-191. PAPINOT, Jean-Claude. Notice. Gallia Informations, 1993, tome 1 et 2, p. 202-203. PASKOFF, Roland-SLIM, Hédi-TROUSSET, Pol. Le littoral de la Tunisie dans l'Antiquité, 5 ans de recherches géo-archéologiques. Comptes-rendus des séances de l'année 1991 de l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, juillet-octobre 1991, fascicule 3, p. 535-546. PIVETEAU, Joseph. Inventaire archéologique de la Charente. Mémoire de la Société d'archéologie et d'histoire de la Charente, 1958, p. 67 et suivantes. PINEAU, Emmanuel. Revue de la Saintonge et de l'Aunis, 1893, n°13, p 81-85. PONSICH, Michel-TARRADELL, Miguel. Garum et industries antiques de salaison dans la Méditerranée Occidentale. Paris : PUF, 1965. Bibliothèque des Hautes-Études Hispaniques, tome XXXVI. PROVOST, Michel directeur- HIERNARD, Jean- PASCAL, Jérôme. Carte archéologique de la Gaule : Département de la Vendée. Paris : Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, 1996. RICHARD, Christian. Gué-de-Sciaux (sic), Antigny-sur-Vienne- Une ville gallo-romaine, fouille d'un sanctuaire. Mémoire de la Société de recherches archéologiques de Chauvigny, 1989, tome IV, p. 63-71. RICHARD, Christian. Gué-de-Sciaux 2 (sic)- Fosses et céramiques tibéro-claudiennes. Mémoire de la Société de recherches archéologiques de Chauvigny, 1991, tome VI, p. 21. ROSTOVZEFF. Histoire économique et sociale de l'Empire romain. Paris : Robert Laffont, 1988. SIMON-HIERNARD, Dominique. Rapport de fouilles du site de la Croche, à Civaux, 1981. TCHERNIA, André. Le vin de l'Italie romaine. Essai d'histoire économique d'après les amphores. Paris : École française de Rome, 1986. Collection de la BEFAR, fascicule 261. TEXIER, Bruno-LAPORTE, Luc. Rapport de fouilles du site du Haut de Pampin, à L'Houmeau, 1979. TEXIER, Bruno-LAPORTE, Luc. Les fouilles du Haut-Empire à L'Houmeau. Revue de la Saintonge et de l'Aunis, 1980, tome VI, p. 13-118. VERNOU, Christian. Carte archéologique de la Gaule : Département de la Charente. Paris : Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, 1993. VERNOU, Christian. La ferme gallo-romaine de la Haute-Sarrazine - Cognac-Crouin. Catalogue d'exposition du Musée de Cognac, du 12 septembre au 12 novembre 1990. Cognac : Musée de Cognac, 1990. VERNOU, Christian. Rapport de fouilles du site de la Haute-Sarrazine, à Cognac, 1989. VILLEGILLE. Bulletin de la Société des Antiquaires de l'Ouest, 1841-1843, p 296-298. VOYÉ, Antonin-GELEZEAU, Clément. Saint-Maigrin, paroisse, commune, seigneurie et maison seigneuriale. Paris : Hachette, 1908.
2019
https://fr.wikisource.org/wiki/Patrimoine%20et%20Identit%C3%A9/L%E2%80%99habitat%20fouger%C3%AAtais%2C%20un%20patrimoine%20de%20%C2%AB%20belles%20pierres.%20%C2%BB
Patrimoine et Identité/L’habitat fougerêtais, un patrimoine de « belles pierres. »
L’habitat fougerêtais, un patrimoine de « belles pierres » Au sein d’un paysage, la présence de l’homme s’observe à travers son habitat. Cet habitat est étroitement lié à la fois à la nature mais aussi aux activités humaines qui se sont développées dans cet environnement naturel. Il y a aux Fougerêts une importante quantité de maisons qui illustrent ces relations, en raison de leur localisation, des matériaux utilisés et de l’orientation économique. Les maisons dites traditionnelles antérieures au XX ème siècle, les manoirs et châteaux, en sont un parfait exemple. Il apparaît que ce patrimoine fougerêtais est de toute première importance par son existence, sa qualité et ses originalités. Son étude permet également de mieux comprendre la communauté locale sur une longue durée. Je vais pouvoir, au travers de l’habitat, appréhender certaines caractéristiques de la société fougerêtaise. Le règne du schiste Le schiste des Fougerêts est primordial lorsque l’on prétend présenter le patrimoine architectural de la commune. Sa couleur varie entre le bleu clair et le bleu très foncé, presque noire. La plupart des habitations des Fougerêts est bâtie en pierres locales. Il existe sur le territoire de la commune de nombreuses fosses ou « perrières », exploitations anciennes de l’« arkose de Bains », nom scientifique donné à ce schiste de couleur bleue. A Saint-Jacob, s’étendaient des grandes ardoisières qui ont été exploitées jusqu’en 1860 ; aujourd’hui la végétation y a repris ses droits, et le lieu est particulièrement dangereux en raison de la profondeur des fosses et de l’eau qui s’est accumulée. Il subsiste les traces d’autres ardoisières à la Ville Caro et à la Jouardays mais l’exploitation semble n’avoir été que temporaire et plus récente. L’importance du schiste aux Fougerêts est une réalité qu’il est impossible d’ignorer lorsque l’on parcourt les hameaux de la commune. Les maisons rurales et paysannes. Il s’agit d’un patrimoine d’une exceptionnelle richesse. Sur le territoire de la commune, j’ai pu observer la quantité et la qualité de ces maisons. La maison « traditionnelle » fougerêtaise telle que je l’entends, c’est une maison caractéristique de son milieu naturel et de la société qui l’a bâtie. Il s’agit en l’occurrence d’une modeste maison en pierre qui n’est jamais isolée mais située au sein d’un regroupement d’habitation, le hameau. Les maisons aux Fougerêts peuvent être aisément datées grâce aux nombreuses inscriptions, aux informations du Cadastre et selon certaines caractéristiques architecturales. Je vais donc exposer les grands traits de cet habitat traditionnel m’attachant tout d’abord à présenter l’aspect de ces maisons, c’est à dire la localisation, les matériaux employés pour la construction et quelques particularités locales. Ensuite, je mettrais en évidence leur organisation intérieure, mais également l’organisation au sein du hameau avec les bâtiments annexes. Ces présentations illustreront le véritable caractère rural de cet habitat, c’est à dire lié à la nature et à son exploitation, mais aussi sa continuité dans le temps. Localisation, matériaux et particularités : des maisons rurales. Une localisation dictée par la nature. La première approche de cet habitat doit être géographique, en ce sens que la localisation n’est pas le fruit du hasard. Les maisons « traditionnelles » sont généralement implantées sur les crêtes et sur les versants. Cette localisation se comprend parce qu’il s’agit souvent « (…) des lieux de passages et d’échanges, qui coïncident avec les zones d’exploitation agricole et de pêche (…) ». Aux Fougerêts, il n’y a pas d’habitations dans la zone des marais, mais certains regroupements humains se sont constitués à proximité de l’Oust. Launay, Marzan, les Loulais et la Grionnais sont d’anciennes fermes et hameaux de pêcheurs qui bénéficiaient de la présence de terres de pâture et de la rivière. Sur les versants de la vallée, la population s’est fixée le long d’anciens chemins bocagers qui reliaient les crêtes aux marais, près des parcelles agricoles, à l’abri des haies et talus. J’ai noté également que la nature a eu pour conséquence d’orienter les façades des maisons vers le sud, afin de profiter au maximum des rayons du soleil. Dans chaque hameau, les habitations s’alignent le long du chemin ou de la route, comme par exemple à la Corbais. L’alignement prévaut partout. Les habitations de la fin du XIX ème siècle ne dérogent pas à la règle. L’ardoise, matériaux de base des différents éléments de la maison fougerêtaise. Qu’elles soient du XIX ème ou plus anciennes, les maisons aux Fougerêts sont toutes construites en schiste. Cette richesse géologique locale a permis le développement d’une certaine qualité dans la construction. L’ardoise est présente dans presque tous les éléments qui constituent une maison, c’est à dire les murs, les jambages, les linteaux, les fenêtres et les cheminées. Les pans de murs sont constitués de plaques de schiste d’épaisseurs variables et de tailles diverses, entre lesquelles de la terre argileuse, du sable et quelques petites pierres sont insérés. Les plaques de schiste sont assemblées entre elles par un mortier, mélange de terre et de chaux, solidifiant l’ensemble. L’épaisseur des murs est, elle aussi, très variable de cinquante centimètres à presque un mètre selon les maisons. Il est possible de rencontrer des « mixtes », c’est à dire des murs construit en alternance de schiste et de grès ou bien de schiste et de granite. L’exemple, le plus frappant est celui de la maison des Boissières, où de grandes plaques de schiste sans mortier apparent forment les murs, tandis que les ouvertures sont en granite. Les blocs de quartz sont également utilisés dans les murs mais pour des raisons différentes. Les témoignages que j’ai recueillis aux Fougerêts ne donnent pas de réelles explications, certains pensent que c’est par manque de pierres. Ces pierres portent le nom de « belions ». Ils sont utilisés, en fait sous les murs périphériques, pour empêcher que l’humidité monte. Elles sont aussi placées en « (…) semi de pierres blanches pour équilibrer toutes les vibrations ou résonances venant des matériaux. » Il y a de nombreux exemples de l’utilisation des quartz pour la construction, et de belions pour la protection, comme à la Vigne et même dans un édifice religieux, la chapelle de Saint-Jacob. Toutefois, c’est l’ardoise qui est majoritairement utilisée dans les constructions des maisons à toute époque. Les portes sont aussi des traits caractéristiques de l’habitat « traditionnel ». Les deux éléments de la porte peuvent être analysés séparément. Les jambages de ces maisons sont constitués de différents schistes, plus ou moins épais, extraits des carrières des Fougerêts. Le jambage le plus fréquent dans les maisons « traditionnelles » est construit à partir de schiste feuilleté, de faible épaisseur, sur lequel repose le linteau. Il y a rarement de chanfrein sur les jambages de l’habitat aux Fougerêts. Ces jambages permettent une datation assez précise. Les jambages en granite sont rares sauf pour les maisons les plus cossues comme aux Boissières. Les linteaux ont, me semble t-il, une réelle valeur dans ce patrimoine de « belles pierres » en raison de leurs variétés et des nombreuses inscriptions qui y figurent. La partie supérieure des portes est le plus souvent constituée d’un bloc de schiste monolithe d’une épaisseur généralement très importante (près de quarante centimètres dans une maison du bourg), et d’une longueur impressionnante de plus d’un mètre. Les décorations et les inscriptions sur ces linteaux sont de style très varié. J’ai pu observer des fleurs de lys de petite taille, à la Brousse et dans le bourg face à l’église, gravées au centre ou aux bords du linteau. J’ai relevé de nombreux exemples de linteaux avec chanfrein et accolade, associés quelques fois à d’autres inscriptions comme une date ou bien une fleur de lys. Les portes de ces maisons dites traditionnelles ne sont pas toutes constituées de pierre, le bois ou bien le granite remplacent parfois le schiste, comme à Launay. Mais ce sont des cas rares car le granite, aux Fougerêts, est caractéristique des matériaux de construction des demeures plus riches comme les manoirs et châteaux. Les fenêtres de l’habitat rural et paysan sont de faible taille ne laissant entrer que très peu de lumière. Dans les exemples les plus anciens, les ouvertures sont souvent asymétriques. Il y a une petite fenêtre près de la porte, et au-dessus de celle-ci se trouve une gerbière. La gerbière est une ouverture pratiquée dans le toit, sans faîtage, pour permettre l’accès au grenier. C’est par-là que le foin à l’été était stocké après les moissons. Dans les maisons du XIX ème siècle, les petites fenêtres ont été remplacées par des ouvertures symétriques, au rez-de-chaussée et au premier étage. Les gerbières ont disparu, laissant place aux fenêtres modernes du grenier avec un faîtage droit. Les cheminées sont des éléments importants des maisons aux Fougerêts. Les cheminées sont constituées de trois éléments distincts. Il y a, tout d’abord, deux corbelets en schiste de très grande longueur, presque deux mètres. Sur ces corbelets repose une autre plaque de schiste mieux taillée, d’environ cinq centimètres d’épaisseur en moyenne, et qui fait généralement une quarantaine de centimètres de largeur. La hotte qui constitue le conduit de cheminée est également en schiste. La majorité de ces cheminées fonctionne encore et est rénovée. Par ailleurs, j’ai pu remarquer à la Brousse que la plaque centrale de schiste était remplacée par une planche de bois. Les particularités de l’habitat aux Fougerêts. Je vais exposer quelles sont les particularités qui font la richesse de ces maisons dans la commune des Fougerêts. Premièrement, ces maisons sont très nombreuses. Il y a très peu d’habitations construites ces cinquante dernières années, seulement quelques-unes à l’Auté Garel, à Saint-Jacob et au Bourg. Le dossier, de pré-inventaire des Fougerêts, du Service de l’Inventaire de la D.R.A.C réalisé en 1982, recense trois cent trente-cinq maisons de type ancien. Ce patrimoine n’a pas été phagocyté par un développement résidentiel de trop grande importance. Les seuls lotissements, dont l’un en construction, se situent à proximité du bourg. Il existe également un intérêt local pour ces maisons comme l’indique les permis de construire accordés en 2000. En effet, sur un total de trente-huit permis, un seul pour une nouvelle maison d’habitation, quatorze pour des garages, deux pour des vérandas et dix pour des rénovations. J’ai été surpris par l’importance des inscriptions surtout celles des linteaux. Ces inscriptions indiquent vraisemblablement l’année de construction ou bien le nom du propriétaire ou du constructeur. La plus ancienne date que j’ai recensée est gravée sur le linteau d’une maison du bourg, il s’agit de « 1616. » Malheureusement, cette maison a été restaurée au XIX ème ou XX ème siècle comme l’indique l’élévation en étage et la symétrie des ouvertures. Deux inscriptions à la Brousse et au Préaudor indiquent la même année « 1645. » A celle du Préaudor, « IAN RIVIERE P. WE : AYE IHS » est ajouté mais selon des témoignages, cette pierre aurait été dérobée à une maison de la Vigne incendiée dans les années soixante. A Launay, sur le linteau d’une petite maison l’année « 1669 » est inscrite, mais celle-ci reste relativement difficile à voir. Enfin, l’inscription la plus marquante que j’ai recensée se situe à la Corbais. Sur le monolithe de schiste, la date et le nom du propriétaire de cette maison sont inscrits : « 1687 M : e G : BURBAN. » L’érudit local, Jean-Marie Royer dans ses Miettes d’Histoire cite un notaire du XVII ème siècle, Guillaume Burban, qui semblerait être celui de l’inscription. D’ailleurs, lors d’une rencontre, les voisins m’ont confirmé cette information. Il existe d’autres inscriptions par exemple une date, un nom et une gravure à la Chesnais, une gravure à l’Auté Pataud. Ces inscriptions montrent que ces maisons ne sont pas toutes « (…) à l’origine spécifiquement paysannes », mais qu’elles « (…) sont souvent des demeures de ruraux fortunés (…) » comme cela semble être le cas à la Corbais et à la Chesnais. Ces particularités permettent de dater assez facilement l’habitat. Les maisons du XVII ème, les plus anciennes, sont généralement sans étage avec peu de fenêtres. Les murs sont construits en schiste de tailles et d’épaisseurs variées. Parfois une simple cloison de palis de schiste démarque la séparation entre deux pièces, comme à l’Auté Perrigue. Le linteau de la porte est généralement monolithe. Les habitations du XIX ème, où il y a souvent un étage, sont reconnaissables par une symétrie des ouvertures. Le schiste est généralement plus clair, mieux taillé et les linteaux portent rarement des indications. Les éléments communs à ces maisons restent les cheminées, qui n’ont varié ni de style ni de matériaux. Organisations de la maison, du hameau et des bâtiments annexes : la maison paysanne. J’ai montré que l’habitat aux Fougerêts est fortement lié à la nature par sa localisation et les matériaux employés. Toutefois, le caractère rural de l’habitation prend une signification agricole dans l’organisation intérieure de la maison, de la place de celle-ci au sein du hameau et du rôle des bâtiments annexes. L’organisation intérieure de l’habitat. Je vais essayer de présenter ce qu’est une maison rurale et paysanne aux Fougerêts, c’est à dire les éléments centraux de l’habitation autour desquels s’organise la vie de l’homme. J’ai pu rassembler ces informations grâce à la quantité d’exemples présents dans la commune, à la fois en ruine mais aussi où habitent encore des personnes âgées. La principale caractéristique de l’habitation, c’est la pièce unique dans laquelle l’homme dors, mange et reçoit. Dans cette petite salle rectangulaire de faible dimension (entre cinq et six mètres de côtés), se trouve la cheminée, la cuisine, la table et le lit. L’étage, c’est le grenier où l’on stockait les moissons. Dans les maisons les plus anciennes, il existe souvent un accès direct à une autre partie de l’habitation destinée à recevoir le bétail. Les bêtes dormaient donc près des hommes, leur fournissant davantage de chaleur. Les maisons les plus récentes qui possèdent un étage étaient organisées différemment, en ce sens que celui-ci servait au couché. Le souci d’hygiène a relégué le bétail dans d’autres bâtiments ne juxtaposant plus spécialement l’habitation humaine. L’organisation intérieure de la maison a donc évolué au cours des siècles tout en conservant son caractère paysan et rural, néanmoins, la place de l’habitation au sein du hameau n’a guère varié. Le hameau regroupait plusieurs maisons d’habitations, ainsi que d’autres bâtiments annexes eux aussi liés à l’activité rurale. Il y a, aux Fougerêts, soixante et un hameaux disséminés sur l’ensemble du territoire de la commune. La maison au cœur du hameau. Le hameau se définie par la présence d’une ou plusieurs habitations, le plus souvent le long d’un chemin ou bien un peu à l’écart, le tout, formant une cour. Ce hameau se caractérise également par la présence d’un patrimoine, que l’on qualifie de vernaculaire, composé des puits, des auges ou abreuvoirs et des fours. Il y a dans la toponymie, la preuve que l’habitation humaine est au cœur du hameau. En effet, des noms de famille sont à l’origine de ces regroupements. Ces exemples se situent dans la partie Sud de la commune ; on y observe l’Hôtel Chesnais, l’Auté Garel, l’Auté Perrigue, l’Auté Charuel, l’Auté Pataud et les Rues Nevoux. L’existence de ces hameaux remonte, vraisemblablement, à « l’osté », c’est à dire au lieu d’habitation de ces familles, noyau autour duquel se sont greffées d’autres habitations. Le chanoine Royer propose la création de l’Hôtel Chesnais, à partir de l’étude des registres paroissiaux, par un certain Jacques Chesnais de Peillac vers 1650. La famille Nevou est aussi mentionnée aux Fougerêts au XVII ème siècle. Il n’y a pas de différence entre Hôtel et Auté, si ce n’est qu’il s’agit d’une prononciation gallèse. Le hameau se situe au cœur d’une exploitation agricole comme le prouve sa situation géographique et l’organisation de l’ensemble des éléments qui y est présent. Les maisons, pour les plus anciennes, accueillent les hommes mais aussi les bêtes. La cour permet de parquer quelques fois le bétail et d’y déposer le fumier. Le patrimoine vernaculaire est aussi l’illustration de la vocation agricole du hameau et donc d’une partie de la société. Près du puits construit également en schiste se trouve généralement un abreuvoir en granite comme à la Croix Fourchée et à la Cordonnais, ces abreuvoirs servaient aux bêtes autrefois. A la Brousse et à la Ville Caro, ces puits sont placés entre deux maisons, ce qui les rendent difficilement observables. Le plus souvent, il n’y a qu’un seul puits pour le hameau, l’eau n’est pas une richesse privée mais un bien commun. Dans ces hameaux, il y a aussi un four pour la cuisson du pain de tout le « village ». Il existe à ma connaissance deux types de fours aux Fougerêts mais très peu sont en état de fonctionnement. La maison fougerêtaise est une maison rurale, souvent paysanne. Elle est située et construite à partir des éléments naturels locaux. Henri-François Buffet souligne que « (…) les logis traditionnels de Haute-Bretagne sont bâtis avec des matériaux tirés du sol même où ils se trouvent et de là, proviennent leur diversité, leur discrétion et leur charme car ils font partie intégrante du paysage qui les encadre. Leurs murailles (…) sont faites de pierres si quelque « perrière » est proche (…) ». L’organisation de la maison et du hameau met en évidence une société agricole, où certains éléments d’un patrimoine « mineur » jouent un rôle social majeur. En effet, ces puits et fours ont longtemps scellé les liens de solidarité entre les hommes. Manoirs et châteaux. L’habitat aux Fougerêts n’est pas uniquement constitué de ces maisons rurales et paysannes. Il existe sur le territoire de la commune, un nombre important de résidences d’origine seigneuriale construites au cours des siècles, et qui illustrent un autre pan de la société locale. La localisation et les matériaux ne sont pas autant liés à la nature que l’habitat rural même s’il existe certains points communs. Ces habitations sont de deux types. Il y a les châteaux et ce que l’on appelle couramment les manoirs. Les manoirs. L’appellation « manoir », telle que je l’entends ici, ne correspond pas uniquement au sens le plus commun qui veut y voir une belle et grande maison ancienne située à la campagne ; mais aussi comme Christel Douard le souligne, avec raison, ce « (…) mot couvre un large éventail de réalités, à la fois juridiques, territoriales, économiques et architecturales. » J’ai pu recenser, grâce aux témoignages et aux autres sources, trois principaux manoirs. Ceux-ci semblent illustrer une implantation de « notables » de longue durée sur le territoire de la commune dont les recherches du chanoine Royer sur l’histoire locale font mention. La plus ancienne de ces habitations semble être celle de la Cour de Launay. Située près du hameau du même nom, ce manoir est d’une conception assez simple avec un bâtiment principal rectangulaire au centre duquel s’ajoute une tourelle surmontée autrefois d’un toit. L’ensemble est construit en schiste et en granite. Ce bâtiment, aujourd’hui en très mauvais état, date du XV ème siècle comme le laisse supposer Jean-Marie Royer : « (…) en 1427, on trouve, domicilié à la Cour de Launay, Maître Guillaume Leset, maîstre des écoles du Pont d’Oust (…) ». En outre, il semble que c’est de la Cour de Launay que la famille des Castellan est originaire avant son installation à Saint-Martin-sur-Oust. Le presbytère situé à la Cordonnais est, lui aussi, à l’origine une demeure d’un seigneur. Sa partie orientale, la plus ancienne, serait un pavillon de chasse du duc Jean IV de Rieux, dont Guillaume Rio, seigneur de la Cordonnais, était « (…) le grand maître des chasses (…) ». Le chanoine Royer dans ses Miettes d’Histoire en fait une description détaillée : « (…) ce n’est qu’un pavillon, d’une pièce au rez-de-chaussée, avec une chambre et un débarras à l’étage. Mais à l’arrière, une tourelle d’angle au toit pointu lui donne une allure gentilhommière. Les ouvertures s’encadrent de blocs de pierres disposés et travaillés de façon qu’un soupçon d’élégance s’allie à l’impression de solidité un peu massive qui s’en dégage (…) ». Cette habitation devient en 1696, le presbytère officiel ; le nouveau recteur prolonge l’ancienne demeure « (…) par un bâtiment très simple (…) La gentilhommière du temps passé devint ainsi un presbytère de campagne ample et confortable (…) ». Près de la Cour de Launay, se situe le manoir de Malaquié ou du Préaudor. De la route en direction de Glénac, il est possible d’apercevoir une grande demeure, orientée au sud. L’ensemble est de grande dimension. Certains témoignages m’ont indiqué que la décoration intérieure était d’une exceptionnelle qualité, malheureusement elle a été longtemps laissée à l’abandon et soumises à de nombreuses dégradations. Dès 1427, cette ancienne ferme a été acquise par Pierre Lemarié et transmise à la famille des Le Berruyer, « seigneurs » du Pont d’Oust, dont l’un des membres meurt en 1611 avec le titre « (…) escuyer François Le Berruyer, juge de la Cour de Rieux-à-Peillac ». Il existe, semble t-il dans l’histoire de la commune, une multitude d’habitations auxquelles le titre de manoir, au sens complet du terme, pourrait être donné. Ces trois cas sont ceux à propos desquels je suis parvenu à rassembler le maximum d’informations et toutes sont des habitations d’officiers seigneuriaux. D’autres recherches sur le Moyen-Age et sur l’époque Moderne affirmeront, je l’espère, certaines hypothèses qui ne peuvent l’être aujourd’hui. Ce patrimoine est d’un accès relativement difficile pour la majorité de la population, puisque ces maisons sont aujourd’hui habitées ou en rénovation. Les châteaux. Les châteaux sur le territoire de la commune des Fougerêts sont au nombre de trois. Ils sont situés à la Jouardays, à la Ville Caro et à la Ville Chauve et ont pour particularité d’avoir été des lieux de résidence de seigneurs locaux sans être spécialement des seigneuries. Il semble que d’anciens manoirs du XIV ème et XV ème siècle en sont à l’origine notamment pour la Ville Chauve et la Jouardays. Par exemple, une carte postale représentant la Jouardays l’appelle « manoir. » Ces châteaux ont longtemps été les seules représentations touristiques des Fougerêts jusqu’à la Première Guerre Mondiale. La Ville Caro est le château le plus ancien de la commune. Sa situation s’explique par la présence à proximité d’une route, d’un chemin vers le hameau de Prénoué à Saint-Martin-sur-Oust. La configuration actuelle laisse apercevoir une large surface entourée d’une enceinte encore visible à certains endroits. La disposition des maisons dans le hameau montre l’existence d’une cour avec un pigeonnier, un puits et trois fours. Selon certains témoignages, il y avait un porche, entre les deux premières maisons, qui a disparu au cours du XX ème siècle. J’ai pu observer sur les deux pignons certaines traces qui corroborent ces dires. De nombreux témoignages, dont celui de H1 et de F1, font allusions également à des souterrains. Une personne demeurant dans ce hameau m’a indiqué que lors de travaux de canalisations, les engins ont découvert des fondations de murs à environ un mètre cinquante de profondeur. La Ville Caro a été une seigneurie appartenant à la famille des Mancel. Cette famille possède dans l’église paroissiale une chapelle qui porte aujourd’hui le nom de « la chapelle du Pont d’Oust » où l’on peut observer les armoiries des Mancel : « trois molettes surmontées de deux têtes de loup ». Cette famille s’éteint en 1642 avec la mort de la dernière descendante directe des Mancel mais la seigneurie de la Ville Caro passe aux mains d’autres familles moins « honorables », Burban et Guillart « (…) qui se disaient seigneurs du Pont d’Oust. » Le second château de la commune des Fougerêts est celui de la Jouardays. Il est constitué de trois bâtiments principaux auxquels s’ajoute une chapelle castrale située un peu à l’écart. Ces constructions sont d’époques différentes ce qui illustre une occupation qui s’étend sur une longue durée. La partie centrale est la plus ancienne. Le Service de l’Inventaire propose que cette partie du château de la Jouardays date du XVII ème siècle. Il s’agit d’une construction assez caractéristique en forme d’équerre où la porte se situe à l’angle droit. Celle-ci est surmontée d’inscriptions et de gravures qui sont aujourd’hui illisibles. L’arrière de cette partie la plus ancienne offre des informations complémentaires. Il est, en effet, possible d’observer une tourelle à mi-hauteur du mur et de petites fenêtres. Les matériaux, uniquement du schiste, sont beaucoup plus grossiers qu’en façade qui est faite de belles pierres de schiste et de tuffeau. Je peux émettre l’hypothèse que ce château a pour origine une demeure plus ancienne et plus modeste dont quelques éléments ont été conservés lors d’agrandissements et de modifications. Le bâtiment axé nord-sud est de datation intermédiaire et de style beaucoup moins recherché. La hauteur de ce bâtiment diffère des autres ainsi que les matériaux employés. Le schiste qui constitue les murs est du même aspect que celui des maisons rurales et paysannes exposées précédemment. Enfin, l’aile ouest est la plus récente et date vraisemblablement de la fin du XIX ème siècle comme peuvent le montrer l’aspect des ouvertures et leur rythme. Le château de la Jouardays possède une chapelle castrale qui est aujourd’hui en ruine. Il y manque le pignon occidental et le toit. Il ne reste que deux portes latérales et des petites fenêtres sur les côtés de l’autel. Les nombreux arbres aux alentours et l’absence de la toiture ont participé au recouvrement du pavage en schiste, par une épaisseur d’humus. Cette chapelle à pans coupés date, elle aussi vraisemblablement, au moins du XVII ème siècle. Les registres paroissiaux des Fougerêts citent, par exemple en 1697, Julien Burban « chapelain et directeur de Messire Charles d’Yvignac », seigneur de la Jouardays. Ce prêtre de la paroisse exerçait dans la chapelle du château mais aussi dans une chapelle de l’église paroissiale qui fait face à celle de la Ville Caro. La chapelle castrale a servi de lieu de sépulture jusqu’au début du XIX ème siècle. Les travaux du chanoine Royer indiquent que dès le milieu du XV ème siècle, la famille de Maigné s’installe aux Fougerêts. Cela peut soutenir l’hypothèse émise précédemment quant à l’existence d’une demeure plus modeste qui serait à l’origine de la partie la plus ancienne du château. De la même manière que la seigneurie de la Ville Caro, celle de la Jouardays s’est transmise « (…) successivement des de Maigné aux Gascher du Rouvre, aux d’Yvignac. A la veille de la Révolution, elle appartenait à une famille étrangère à la paroisse, celle des Dupin de Montmée. » Après la période révolutionnaire, la Jouardais est occupée jusqu’en 1860 par Monsieur Vallée lequel vend sa demeure à la famille de Kersabiec. Le dernier exemple de château sur le territoire des Fougerêts se situe à la Ville Chauve. La Ville Chauve n’a jamais été, selon le chanoine Royer, une seigneurie mais le lieu de résidence de différentes familles seigneuriales. La véritable installation de seigneurs à la Ville Chauve date de la première moitié du XVII ème siècle. A partir de cette date, cette « maison de campagne » de la famille de Launay et de Huchet va évoluer et s’agrandir, illustrant les différences architecturales que j’ai relevées. Au milieu du XIX ème siècle, la Ville Chauve est transmise par héritage direct, des de la Houssaye aux de Freslon qui tiendront une place importante dans la vie de la commune, tout comme les propriétaires de la Jouardays. Ce château a été aussi un des monuments les plus utilisés dans la production de carte postale sur Les Fougerêts. La description des différents éléments de cette demeure n’est pas aisée puisque je ne l’ai observé que de loin. Je ne peux émettre que quelques hypothèses et me référer aux travaux du chanoine Royer. Il me paraît évident d’affirmer que la Ville Chauve présente plusieurs bâtiments qui ont été construits à des époques diverses. La partie la plus ancienne semble être celle qui est à gauche lorsqu’on l’observe depuis la route des Zéreux. Cette hypothèse, je pense, se confirme à partir de l’observation faite depuis Saint-Martin-sur-Oust. En effet, j’ai pu remarquer que cette aile ouest présentait des différences particulièrement dans l’agencement du schiste dans les murs de construction. La partie centrale et l’aile est sont de datation plus récente comme le prouve le rythme des ouvertures, ainsi que les matériaux des murs. Ce château de la Ville Chauve possède également une chapelle privée, à pans coupés comme à la Jouardays. Elle est en très bon état extérieur, récemment restaurée par le propriétaire « (…) sans l’aide de personne (…) ». Ce patrimoine est difficilement abordable pour l’ensemble de la population et pour les visiteurs. Il est également difficile à analyser. Cela s’explique par un accès souvent mal aisé ; la Jouardays et la Ville Chauve sont situés dans des zones boisées en dehors des grands axes de communications. Il n’y a pas de véritables informations concernant l’existence de ces demeures. Heureusement, un sentier de Grande Randonnée (G-R 347) passe à proximité, et il est alors possible de s’en approcher au grand regret des propriétaires. L’habitat aux Fougerêts est diversifié. Il est constitué de simples maisons rurales et paysannes mais aussi de manoirs et châteaux. Ce patrimoine souligne l’influence de la nature dans les matériaux de construction et dans la localisation. Cependant ces « belles pierres » montrent, je pense, ce qu’a été la société des Fougerêts au cours de l’Histoire. Ces maisons, les plus simples, sont souvent des illustrations d’une société ancienne et d’une organisation particulière. Sommaire: Introduction Methodologie Les Pays de Vilaine. Les promenades, les fougerêtais et les archives : les sources du patrimoine des Fougerêts et leurs critiques. Les problèmes et les avantages de l’étude du patrimoine local. Le patrimoine des Fougerêts. Un patrimoine paysager et naturel. L’habitat fougerêtais, un patrimoine de « belles pierres. » Un patrimoine religieux. Un patrimoine ethnologique. Les acteurs locaux fougeretais. La municipalité. Les associations et les particuliers. Patrimoine, identité et avenir. Le patrimoine, marqueur identitaire. L'avenir du patrimoine aux Fougerêts. Conclusion. Les Sources. Bibliographie. Page d'accueil. Bretagne
2024
https://fr.wikisource.org/wiki/Patrimoine%20et%20Identit%C3%A9/Conclusion
Patrimoine et Identité/Conclusion
<div class="text"> Conclusion Le patrimoine de la commune des Fougerêts présente de nombreuses spécificités. La nature et le paysage en sont des éléments forts en raison d’une situation géographique particulière et d’une vocation économique majeure. L’implantation de l’homme, observable dans son habitat, est marquée par l'emploi des richesses naturelles et par une organisation sociale essentiellement agricole. Les pratiques, les usages et les croyances, caractéristiques de la communauté locale, sont également imprégnées de l’omniprésence de la nature, des activités le plus souvent collectives et de la religion. Ces éléments patrimoniaux sont sujets aux interventions des différents acteurs locaux du patrimoine. La Municipalité, les associations et les particuliers participent, en général, plus ou moins activement à leur connaissance, préservation et transmission. Les acteurs du patrimoine fougerêtais tendent à mettre en place les conditions nécessaires à un développement local dynamique basé sur le tourisme. L’ensemble de ces interventions permet, enfin, de dégager certaines caractéristiques identitaires. Ces observations des éléments patrimoniaux et des actions locales ont l’avantage de m’avoir permis de réfléchir sur l’identité fougerêtaise et sur son avenir. Cette identité fougerêtaise présente de nombreux caractères ruraux même si cette ruralité a évolué depuis une quarantaine d’années. L’identité rurale s’appuie sur un patrimoine spécifique, omniprésent et à propos duquel il existe un attachement. L’identité fougerêtaise est également bretonne, en ce sens que les usages, pratiques et croyances, éléments du patrimoine ethnologique, sont spécifiques. La bretonnité s’affirme également par un sentiment d’appartenance véhiculé par des formes expressions particulières héritées du renouveau culturel des années soixante et soixante-dix. Le patrimoine de la commune des Fougerêts ne présente pas de réelles originalités. Il me semble au contraire qu’il s’inscrit dans plusieurs ensembles. J’ai pu souligner certaines illustrations d’un patrimoine de Haute-Bretagne, par exemple, encore aujourd’hui, la forte présence du Gallo et l’attachement au chant, à la danse et à la musique. Mais je pense que le patrimoine des Fougerêts est encore plus précisément caractéristique du patrimoine du pays d’Oust et de Vilaine. J’ai pu relever quelques éléments majeurs de ce patrimoine. D’une façon générale, il s’agit des cours d’eau, de l’habitat rural et paysan, d’une architecture religieuse modeste mais fortement implantée et d’un important fond ethnologique, particulièrement diversifié. Les Fougerêts est une commune où les éléments patrimoniaux, résistant au temps, ont été l’objet d’attentions toutes particulières de la part des associations, des particuliers et des Municipalités. Cet intérêt croissant pour l’ensemble des formes culturelles du patrimoine est un élément fort à la fois des acteurs du « pays » mais aussi de son identité. L’étude du patrimoine et de l’identité de la commune des Fougerêts m’ont permis de mieux comprendre les relations, anciennes et actuelles, qui existent entre l’homme, son milieu et ses comportements. Les éléments patrimoniaux des Fougerêts que j’ai étudiés, sont les stigmates de ces relations. Ce qui m’a particulièrement interpellé, c’est à la fois l’abondance de ces traces et ce qu’elles impliquent. En effet, je pense avoir montré comment les Fougerêtais ont su conserver une identité propre résolument ouverte sur l’avenir mais qui est fortement héritière d’un passé, d’un patrimoine commun. Il s’agit, pour moi, d’illustrer au point de vue local, ce qui existe dans les Pays de Vilaine mais aussi, d’une manière plus générale, en Bretagne. Sommaire: Introduction Methodologie Les Pays de Vilaine. Les promenades, les fougerêtais et les archives : les sources du patrimoine des Fougerêts et leurs critiques. Les problèmes et les avantages de l’étude du patrimoine local. Le patrimoine des Fougerêts. Un patrimoine paysager et naturel. L’habitat fougerêtais, un patrimoine de « belles pierres. » Un patrimoine religieux. Un patrimoine ethnologique. Les acteurs locaux fougeretais. La municipalité. Les associations et les particuliers. Patrimoine, identité et avenir. Le patrimoine, marqueur identitaire. L'avenir du patrimoine aux Fougerêts. Conclusion. Les Sources. Bibliographie. Page d'accueil.
2025
https://fr.wikisource.org/wiki/Patrimoine%20et%20Identit%C3%A9/Les%20Sources
Patrimoine et Identité/Les Sources
<div class="text"> Les sources. Les sources écrites. Royer, Jean-Marie, Les Fougerêts « Miettes d’Histoire », 1998, 406 pages. Echo des Fougerêts, Bulletin paroissial (1957-1985.) Délibérations du Conseil Municipal, 1865-1908, Archives Municipales des Fougerêts. Bulletin Municipal des Fougerêts ( janvier 1979-avril 2002.) Dossier de pré-inventaire 1982, Service de l’Inventaire, Direction Régionale des Affaires Culturelles, Rue du Chapitre, Rennes. Questionnaires envoyés auprès des Présidents de cinq associations (Association Communale de Chasse Agrée, Club de Danse, Conseil Paroissial, Ecole Notre-Dame des Fougerêts, Club des Ajoncs d’Or.) Fiche Comparative 1979-1988-2000 du Recensement agricole. Les entretiens. Entretien enregistré numéro 1. Témoin H1, retraité, originaire des Fougerêts, vie active à Nantes. Témoin F1, fonctionnaire, originaire des Fougerêts, vie active à Nantes, épouse de H1. Témoin F2, retraitée, originaire des Fougerêts, vie active à Rennes, parente de H1 et F1. Type de l’entretien : semi-directif. Durée de l’entretien : deux heures. Entretien enregistré numéro 2. Témoin F3, retraité, originaire des Fougerêts, vie active à Nantes. Type de l’entretien : semi-directif. Durée de l’entretien : une heure trente. Entretien enregistré numéro 3. Témoin F4, retraitée, originaire des Fougerêts, vie active à redon. Témoin H2, retraité, originaire des Fougerêts. Témoin F5, retraitée, originaire de Glénac, épouse de H2. Type de l’entretien : directif puis semi-directif après arrivée de H2 et F5. Durée de l’entretien : deux heures trente. Entretien enregistré numéro 4. Témoin H3, retraité, originaire des Fougerêts. Type de l’entretien : non directif. Durée de l’entretien : une heure. Entretien enregistré numéro 5. Témoin H3, retraité, originaire des Fougerêts. Témoin F6, retraitée, originaire des Fougerêts, épouse de H3. Type de l’entretien : semi-directif. Durée de l’entretien : une heure. Entretien enregistré numéro 6. Témoin H5, maire des Fougerêts, originaire des Fougerêts. Type de l’entretien : semi-directif. Durée de l’entretien : une heure. Entretien enregistré numéro 7. Témoin H6, lycéen, originaire des Fougerêts. Type de l’entretien : semi-directif. Durée de l’entretien : une demi-heure. Entretien non enregistré numéro 1. Témoin F7, journaliste, originaire des Fougerêts. Entretien non enregistré numéro 2. Témoin F8, ouvrière, originaire des Fougerêts. Entretien non enregistré numéro 3. Témoin H7, ouvrier, originaire des Fougerêts, frère de F8. Entretien non enregistré numéro 4. Témoin H8, prêtre, originaire des Fougerêts. Entretien non enregistré numéro 5. Témoin H9, retraité, originaire des Fougerêts. Témoin F9, retraitée, originaire des Fougerêts, épouse de H9. Autres sources. Cadastre « Napoléonien » 1824. Cadastre 1997. Collection Carte Postale de Mlle Ollivier et M. Boissel. Commission extra municipale (novembre 2001-juillet 2002.) Visite de l’église paroissiale avec l’abbé Roger Blot, le 05 novembre 2001. Soirée de la Passion, mars 2002. Fond Dastum, Rue de la Santé, Rennes. Fond Groupement Culturel Breton, Rue des Ecoles, Redon. Sommaire: Introduction Methodologie Les Pays de Vilaine. Les promenades, les fougerêtais et les archives : les sources du patrimoine des Fougerêts et leurs critiques. Les problèmes et les avantages de l’étude du patrimoine local. Le patrimoine des Fougerêts. Un patrimoine paysager et naturel. L’habitat fougerêtais, un patrimoine de « belles pierres. » Un patrimoine religieux. Un patrimoine ethnologique. Les acteurs locaux fougeretais. La municipalité. Les associations et les particuliers. Patrimoine, identité et avenir. Le patrimoine, marqueur identitaire. L'avenir du patrimoine aux Fougerêts. Conclusion. Les Sources. Bibliographie. Page d'accueil.
2027
https://fr.wikisource.org/wiki/Patrimoine%20et%20Identit%C3%A9/Bibliographie
Patrimoine et Identité/Bibliographie
<div class="text"> Bibliographie Avertissement : J’ai consulté certains de ces ouvrages au centre de documentation du Comité des Marais à Redon (6, rue des Ecoles). Ces ouvrages seront suivis d’un *. Instruments de travail Croix, Alain et Veillard, Jean-Yves [dir.], Dictionnaire du patrimoine breton, Rennes, Apogée, 2000, 1103 pages. Floquet, C., Dictionnaire historique, archéologique et touristique des châteaux et manoirs du Morbihan, Mayenne, Floch, 1991, 267 pages. Le Mené, J.-M., Histoire archéologique, féodale et religieuse des paroisses du diocèse de Vannes, Vannes, 1891, tome 1, 549 pages. Musique bretonne : histoire des sonneurs de traditions, Douarnenez, Le Chasse-Marée/ArMen, 1996, 512 pages. OGEE, Dictionnaire, historique et géographique de la province de Bretagne, Rennes, Molliex, 1843, 534 et 263 pages. Ouvrages généraux Chalouni, Anne-Gaëlle, « La mémoire de la région » La perception du patrimoine breton, mémoire de maîtrise, Université Rennes 2, 1995, 204 pages. Croix, Alain, Guyvarc’h, Didier [dir.], Guide de l’Histoire locale, Paris, Seuil, 347 pages. Debesles, Laetitia, La dimension culturelle de la mise en place d’un pays : le cas du Pays de Redon et de Vilaine, Mémoire de Maîtrise de Géographie, Université de Rennes 2, 1999, 187 pages. Desmars, Joseph, Redon et ses environs, guide du voyageur, Redon, L.Guihaire, 1869, 180 pages. Encyclopédie Bonneton, Morbihan, Paris, éd. Bonneton, 2000, 320 pages. EVEILLARD, James-D., L’histoire de la carte postale et la Bretagne, Rennes, Editions Ouest-France, 1999, 32 pages. Guillet Jacques, et Aline, Commerçants et artisans en pays gallo : La Gacilly et ses environs 1850-1950, Crac’h, Edition des Pins, 2001, 273 pages. Laburthe-Tolra, Pierre [dir.], Le Pays de Redon, Ass. Roger Bastide, Paris, L'Harmattan, 1985, 196 pages. Laloy, Pascal et Désormeaux, Ronan, Regards sur le Pays de Redon, Rennes, Apogée, 1995, 121 pages. Le Bouedec, Gérard, Le Morbihan de la préhistoire à nos jours, Bordessoules, 1985, 508 pages. Les Annales de l’Association pour la Protection du Patrimoine Historique Redonnais, Tome 4, 1999. Patrie, Patrimoine, Genèse, n°11, Paris, Belin, 1993. Pays d’Accueil de Vilaine, Contrat Tourisme Culturel Grands Sites Naturels, l’Ile aux Pies et la Basse Vallée de l’Oust, Dossier de pré-candidature, août 1989, 15 pages *. Robert, Michel, Sociologie rurale, coll. QSJ, P.U.F, 1986, 125 pages. Ouvrages spécialisés : Nature et paysage. BOSGER Yann, La basse vallée de l’Oust : gestion et aménagement d’un patrimoine sensible, Mémoire de maîtrise de Géographie, Université de Rennes 2, 1999, 89 pages. Coueffard, Gaëlle, Tourbière de Couesmé, 1993-1995. (Rapport de stage pour une classe de Terminale STAE)*. Groupement Culturel Breton des Pays de Vilaine, Le marais des Pays de Vilaine, 1976, 41 pages*. Groupe de Vulgarisation Agricole, L’étude d ‘aménagement bocager pour la commune des Fougerêts, 2000. L’habitat. Direction Générale de l’Urbanisme, de l’Habitat et de la Construction, Le Plan d’Occupation des Sols, Guide pratique des procédures, mars 1998, 250 pages. DOUARD, Christel, LE BRIS DU REST, Erwan, DELMOTTE, Pascale, Bretagne Habitat rural et société, Itinéraire pédagogique. Ed. CRDP, 2001, 26 fiches. MIGNOT, Claude et CHATENET, Monique [dir.], Le manoir en Bretagne 1380-1600, Paris, Editions du patrimoine, 1993, 344 pages. Religion et l’art religieux. AUZAS, Pierre-Marie, L’orfèvrerie religieuse bretonne, Paris, Editions Picard, 1955, 157 pages. Guillotin de Corson, Amédée, Les Templiers et les Hospitaliers de Saint-Jean de Jérusalem en Bretagne, Marseille, réed. 1982, 306 pages. Lagrée, Michel, Religion et cultures en Bretagne 1850-1950, Paris, Fayard, 1992, 601 pages. Tapié, Victor-Louis, Le Flem, Jean-Paul, Pardailhé-Galabrun, Annick, Retables baroques de Bretagne et spiritualité du XVII ème siècle, Paris, 1972, 315 pages. Le patrimoine ethnologique. Actes du Colloque d’Angers, Langue et littérature orale dans l’Ouest de la France, Université d’Angers, mars 1983, 468 pages. Buffet, Henri-François, En Haute-Bretagne, coutumes et traditions d’Ille-et-Vilaine, des Côtes du Nord gallèse et du Morbihan gallo au XIX ème siècle, Paris, Librairie Celtique, 1954, 377 pages. Comité d’Aménagement de la Basse Vallée de l’Oust, Chemins d’eau, chemins d’hommes : Vallée de l’Oust, Grand Site Naturel, fascicule et exposition itinérante. Groupement Culturel Breton des Pays de Vilaine, Oust et Vilaine, Pays de traditions : la culture populaire, marqueur d’identité, 2000, 290 pages. Groupement Culturel Breton des Pays de Vilaine, Recherches en Pays de Vilaine, Mémoire du Pays : Jean Rouxel, réed. 1995, 105 pages. Guillotin de Corson, Amédée, Récits historiques, traditions et légendes de Haute-Bretagne, l’arrondissement de Redon, Rennes, Rue des Scribes, 1991, 205 pages. Le Braz, Anatole, La Légende de la mort chez les Bretons armoricains, Marseille, réed. 1982, 2 volumes, 448 et 506 pages. Le Roy, Florian, Vieux métiers bretons, Paris, 1944, 305 pages. Mahé, Joseph, Essai sur les antiquités du département du Morbihan, Vannes, Grâles, 1825, 479 pages. POULAIN, Albert, Sorcellerie, revenants et croyances en Haute-Bretagne, Rennes, Editions Ouest-France, 1997, 333 pages. Sébillot, Paul, Coutumes populaires de la Haute-Bretagne, Paris, Maisonneuve et Larose, réed. 1967, 376 pages. Sébillot, Paul, Traditions et superstitions en Haute-Bretagne, Paris, Maisonneuve et Larose, réed. 1967, 2 volumes, 384 et 389 pages. Sébillot, Paul-Yves, Le folklore de Bretagne, Paris, Maisonneuve et Larose, 1968, tome 1 « Les phases de la vie traditionnelle et sociale. Le travail et les distractions. », 408 pages. Van Gennep, Arnold, Manuel de folklore français contemporain, Paris, Editions Picard, 1937-1958, 3166 pages. Identité et avenir. CORBEL, Pierre, La figure du Gallo, Thèse de Sociologie, Paris, 1984, 3 tomes, 947 pages. Croix, Alain, [dir.], Bretagne 2001 : identité et avenir, P.U.R, 2001, 93 pages. LE COADIC, Ronan, L’identité bretonne, Terre de Brume, P.U.R, 1998, 479 pages. Articles. BOUTHILLIER, Robert, « Tradition chantée. » in ArMen n° 97, page 8-17. Castel, Y.-P., « La fleur de lys aux fenestrages des églises. » in ArMen n° 74, 1996, pages 64-70. Postic, Fanch, Laurent, Donatien, « Eginane, au gui l’an neuf. Une énigmatique quête chantée. » in ArMen n°1, 1986, page 42-56. SIMON, Jean-François, « La cheminée dans la maison traditionnelle. » in ArMen n°11, page 44-60. Sites internet. www.templiers.org www.maisons-paysannes.org www.tiez-breizh.org http://frey-roger.ifrance.com/frey-roger/lesfougerets.htm Sommaire: Introduction Methodologie Les Pays de Vilaine. Les promenades, les fougerêtais et les archives : les sources du patrimoine des Fougerêts et leurs critiques. Les problèmes et les avantages de l’étude du patrimoine local. Le patrimoine des Fougerêts. Un patrimoine paysager et naturel. L’habitat fougerêtais, un patrimoine de « belles pierres. » Un patrimoine religieux. Un patrimoine ethnologique. Les acteurs locaux fougeretais. La municipalité. Les associations et les particuliers. Patrimoine, identité et avenir. Le patrimoine, marqueur identitaire. L'avenir du patrimoine aux Fougerêts. Conclusion. Les Sources. Bibliographie. Page d'accueil.
2048
https://fr.wikisource.org/wiki/Les%20Meslanges
Les Meslanges
À sa lyre Amour, tu sembles ... Celui qui boit ... Foufroye moy de grace ... J’ai pour maitresse ... Le boyteus mari de Vénus ... Ode à Cassandre Ode à l'Aloüette Ode à la fièvre Ode en dialogue des yeux et de son cœur Ode en dialogue, l’Espérance et Ronsard Odelette à l’Arondelle Odelette à sa maistresse Odelette a son bouquet Quand au temple nous serons Que tu es Cicéron ... Poésie XVIe siècle Poèmes de Pierre de Ronsard
2050
https://fr.wikisource.org/wiki/Second%20Livre%20des%20amours
Second Livre des amours
<div class="text"> Amourette Bonjour mon cœur, bonjour ma douce vie Ce jour de Mai qui a la tête peinte Comme on voit sur la branche au mois de may la rose Douce Maîtresse Chanson Ha ! que je porte et de haine et d'envie Je ne suis seulement amoureux de Marie Je veus lire en trois jours l'Iliade d'Homere Je vous envoye un bouquet que ma main L'an se rajeunissait en sa verte jouvence Le vintieme d'Avril couché sur l'herbelette Ma maîtresse est toute angelette Marie, à tous les coups vous me venez reprendre Marie, baisez-moi ; non, ne me baisez pas Marie, levez-vous, ma jeune paresseuse Marie, que je sers en trop cruel destin Marie, qui voudrait votre beau nom tourner Marie, vous avez la joue aussi vermeille Marie, vous passez en taille, et en visage Pourtant si ta maîtresse... Quand je pense à ce jour, où je la vey si belle Quand je suis tout baissé sur votre belle face Vu que tu es plus blanche Amours - Second livre Amours - Second livre
2052
https://fr.wikisource.org/wiki/Sonnets%20pour%20H%C3%A9l%C3%A8ne
Sonnets pour Hélène
Je plante en ta faveur cet arbre de Cybèle Le soir qu’Amour vous fit en la salle descendre Madrigal Maîtresse, embrasse-moi, baise-moi, serre-moi Quand vous serez bien vieille, au soir, à la chandelle Tant de fois s'appointer, tant de fois se fascher Te regardant assise auprès de ta cousine Vous me distes, Maitresse, estant à la fenestre XVIe siècle Recueils de poèmes Sonnets pour Helene
2053
https://fr.wikisource.org/wiki/Derniers%20Vers%20-%20Pierre%20de%20Ronsard
Derniers Vers - Pierre de Ronsard
A son âme (Derniers Vers) Ah longues nuicts d'hyver de ma vie bourrelles (Derniers Vers) Donne moy tes presens en ces jours que la Brume (Derniers Vers) Il faut laisser maisons et vergers et jardins (Derniers Vers) Je n’ay plus que les os, un Schelette je semble (Derniers Vers) Meschantes nuicts d'hyver (Derniers Vers) Pour son tombeau (Derniers Vers) Quoy mon ame, dors tu engourdie en ta masse (Derniers Vers) Stances (Derniers Vers) Poèmes de Pierre de Ronsard
2088
https://fr.wikisource.org/wiki/Odelette%20%C3%A0%20sa%20maistresse
Odelette à sa maistresse
Je veux aymer ardentement, Aussi veus-je qu'egallement On m'ayme d'une amour ardente : Toute amitié froidement lente Qui peut dissimuler son bien Ou taire son mal, ne vaut rien, Car faire en amours bonne mine De n'aymer point c'est le vray sine. Les amans si frois en esté Admirateurs de chasteté, Et qui morfondus petrarquisent, Sont toujours sots, car ils meprisent Amour, qui de sa nature est Ardent et pront, et à qui plest De faire qu'une amitié dure Quand elle tient de sa nature. </div> Poèmes de Pierre de Ronsard
2089
https://fr.wikisource.org/wiki/Odelette%20a%20son%20bouquet
Odelette a son bouquet
Poèmes de Pierre de Ronsard Mon petit Bouquet mon mignon, Qui m'es plus fidel' compaignon Qu'Oreste ne fut à Pilade, Tout le jour quand je suis malade Mes valets qui pour leur devoir Le soing de moy debvroient avoir, Vont à leur plesir par la vile, Et ma vieille garde inutile, Aptes avoir largement beu, Yvre, s'endort aupres du feu, A l'heure qu' el' me devroit dire Des contes pour me faire rire. Mais toi petit bouquet, mais toy Ayant pitié de mon esmoy Jamais le jour tu ne me laisses Seul compaignon de mes tristesses. Que ne pui-je autant que les dieux ? Je t'envoyroi là haut aux cieux Fait d'un bouquet un astre insigne, Et te mettrois aupres du Signe Que Bacus dans le ciel posa Quand Ariadne il espousa, Qui se lamentoit, delessée Au bord desert par son Thesée. </div>
2109
https://fr.wikisource.org/wiki/Poil%20de%20Carotte
Poil de Carotte
Romans XIXe siècle Romans parus en 1894 Bon pour export Romans autobiographiques Livres illustrés Enfance maltraitée Roux
2112
https://fr.wikisource.org/wiki/Les%20Paradis%20artificiels
Les Paradis artificiels
Paradis artificiels Paradis artificiels Paradis artificiels Charles Baudelaire Œuvres complètes de Charles Baudelaire Bon pour export ru:Опиоман (Бодлер)
2196
https://fr.wikisource.org/wiki/Fragments%20%28Parm%C3%A9nide%29
Fragments (Parménide)
Antiquité Métaphysique Philosophie Poésie el:Περί φύσεως (Παρμενίδης) en:Fragments of Parmenides es:Sobre la Naturaleza
2218
https://fr.wikisource.org/wiki/L%E2%80%99%C3%89cole%20des%20femmes/%C3%89dition%20Louandre%2C%201910
L’École des femmes/Édition Louandre, 1910
Notice Épître dédicatoire Préface Personnages Acte I Acte II Acte III Acte IV Acte V Ecole des femmes 1662 Femmes
2223
https://fr.wikisource.org/wiki/La%20Science%20et%20l%E2%80%99Hypoth%C3%A8se
La Science et l’Hypothèse
Œuvres d'Henri Poincaré Science et hypothèse Science et hypothèse Science et hypothèse Science et hypothèse Bon pour export en:Science and Hypothesis pl:Nauka i Hypoteza sv:Vetenskapen och hypoteserna
2229
https://fr.wikisource.org/wiki/Le%20Jeu%20de%20l%E2%80%99amour%20et%20du%20hasard
Le Jeu de l’amour et du hasard
Personnages Acte I Acte II Acte III jeu de l amour et du hasard jeu de l amour et du hasard jeu de l amour et du hasard Bon pour export Jeux
2232
https://fr.wikisource.org/wiki/La%20Pucelle%20d%E2%80%99Orl%C3%A9ans
La Pucelle d’Orléans
Chant I Chant II Chant III Chant IV Chant V Chant VI Chant VII Chant VIII Chant IX Chant X Chant XI Chant XII Chant XIII Chant XIV Chant XV Chant XVI Chant XVII Chant XVIII Chant XIX Chant XX Chant XXI Poésie XVIIIe siècle 1762 Enfer de la Bibliothèque nationale Jeanne d'Arc ru:Начало I песни «Девственницы» (Вольтер/Пушкин)
2268
https://fr.wikisource.org/wiki/L%E2%80%99Intellectualisme%20de%20Malebranche
L’Intellectualisme de Malebranche
Intellectualisme de Malebranche Intellectualisme de Malebranche Philosophie Intellectualisme de Malebranche Bon pour export
2270
https://fr.wikisource.org/wiki/Jacques%20le%20Fataliste%20et%20son%20ma%C3%AEtre
Jacques le Fataliste et son maître
Bon pour export Œuvres de Denis Diderot Romans français Romans parus en 1875 Publiés à Paris de:Merkwürdiges Beispiel einer weiblichen Rache
2276
https://fr.wikisource.org/wiki/Le%20Barbier%20de%20S%C3%A9ville
Le Barbier de Séville
Lettre modérée sur la chute et la critique du Barbier de Séville Personnages Acte I Acte II Acte III Acte IV Bon pour export Théâtre XVIIIe siècle pl:Cyrulik Sewilski
2325
https://fr.wikisource.org/wiki/D%C3%A9claration%20islamique%20universelle%20des%20droits%20de%20l%E2%80%99homme%20de%201981
Déclaration islamique universelle des droits de l’homme de 1981
Déclaration islamique universelle des droits de l’homme proposée par le Conseil Islamique d’Europe, organisme ayant son siège à Londres. La Déclaration a été promulguée le 19 septembre 1981 à Paris, lors d’une réunion organisée à l’Unesco. La version française de cette Déclaration, présentée ci-dessous, est, comme la version anglaise, sommaire. Publiée par le Conseil Islamique, elle diverge notablement du texte original en arabe. Au nom de Dieu, le Clément, le Miséricordieux Ce manifeste-ci est une déclaration adressée aux hommes pour servir de guide et de pieuse exhortation à tous les hommes pieux (3 : 138). INTRODUCTION L’Islam a donné à l’humanité un code idéal des droits de l’homme, il y a quatorze siècles. Ces droits ont pour objet de conférer honneur et dignité à l’humanité et d’éliminer l’exploitation, l’oppression et l’injustice. Les droits de l’homme, dans l’Islam, sont fortement enracinés dans la conviction que Dieu, et Dieu seul, est l’auteur de la Loi et la source de tous les droits de l’homme. Etant donnée leur origine divine, aucun dirigeant ni gouvernement, aucune assemblée ni autorité ne peut restreindre, abroger ni violer en aucune manière les droits de l’homme conférés par Dieu. De même, nul ne peut transiger avec eux. Les droits de l’homme, dans l’Islam, font partie intégrante de l’ensemble de l’ordre islamique et tous les gouvernements et organismes musulmans sont tenus de les appliquer selon la lettre et l’esprit dans le cadre de cet ordre. Il est malheureux que les droits de l’homme soient impunément foulés aux pieds dans de nombreux pays du monde, y compris dans des pays musulmans. Ces violations flagrantes sont extrêmement préoccupantes et éveillent la conscience d’un nombre croissant d’individus dans le monde entier. Je souhaite sincèrement que cette Déclaration des droits de l’homme donne une puissante impulsion aux populations musulmanes pour rester fermes et défendre avec courage et résolution les droits qui leur ont été conférés par Dieu. La présente Déclaration des droits de l’homme est le second document fondamental publié par le Conseil islamique pour marquer le commencement du 15ème siècle de l’ère islamique, le premier étant la Déclaration islamique universelle annoncée lors de la Conférence internationale sur le Prophète Mahomet (que Dieu le bénisse et le garde en paix) et son message, organisée à Londres du 12 au 15 avril 1980. La Déclaration islamique universelle des droits de l’homme est basée sur le Coran et la Sunnah et a été élaborée par d’éminents érudits et juristes musulmans et des représentants de mouvements et courants de pensée islamiques. Que Dieu les récompense de leurs efforts et les guide sur le droit chemin. Salem Amin, Secrétaire général, [Paris] 19 septembre 1981 / 21 Dhul Qaidah 1401 Ô hommes ! Nous vous avons créés [des œuvres] d’un être mâle et d’un être femelle. Et nous vous avons répartis en peuples et en tribus afin que vous vous connaissiez entre vous. Les plus méritants sont, d’entre vous, les plus pieux (49 : 13). PREAMBULE Considérant que l’aspiration séculaire des hommes à un ordre du monde plus juste où les peuples pourraient vivre, se développer et prospérer dans un environnement affranchi de la peur, de l’oppression, de l’exploitation et des privations est loin d’être satisfaite ; Considérant que les moyens de subsistance économique surabondants dont la miséricorde divine a doté l’humanité sont actuellement gaspillés, ou inéquitablement ou injustement refusés aux habitants de la terre ; Considérant qu’Allah (Dieu) a donné à l’humanité, par ses révélations dans le Saint Coran et la Sunnah de son saint Prophète Mahomet, un cadre juridique et moral durable permettant d’établir et de réglementer les institutions et les rapports humains ; Considérant que les droits de l’homme ordonnés par la Loi divine ont pour objet de conférer la dignité et l’honneur à l’humanité et sont destinés à éliminer l’oppression et l’injustice ; Considérant qu’en vertu de leur source et de leur sanction divines, ces droits ne peuvent être restreints, abrogés ni enfreints par les autorités, assemblées ou autres institutions, pas plus qu’ils ne peuvent être abdiqués ni aliénés ; En conséquence, nous, musulmans a) qui croyons en Dieu, bienfaisant et miséricordieux, créateur, soutien, souverain, seul guide de l’humanité et source de toute Loi ; b) qui croyons dans le vicariat (khilafah) de l’homme qui a été créé pour accomplir la volonté de Dieu sur terre ; c) qui croyons dans la sagesse des préceptes divins transmis par les Prophètes, dont la mission a atteint son apogée dans le message divin final délivré par le Prophète Mahomet (la paix soit avec lui) à toute l’humanité ; d) qui croyons que la rationalité en soi, sans la lumière de la révélation de Dieu, ne peut ni constituer un guide infaillible dans les affaires de l’humanité ni apporter une nourriture spirituelle à l’âme humaine et, sachant que les enseignements de l’Islam représentent la quintessence du commandement divin dans sa forme définitive et parfaite, estimons de notre devoir de rappeler à l’homme la haute condition et la dignité que Dieu lui a conférées ; e) qui croyons dans l’invitation de toute l’humanité à partager le message de l’Islam ; f) qui croyons qu’aux termes de notre alliance ancestrale avec Dieu, nos devoirs et obligations ont priorité sur nos droits, et que chacun de nous a le devoir sacré de diffuser les enseignements de l’Islam par la parole, les actes et tous les moyens pacifiques, et de les mettre en application non seulement dans sa propre existence mais également dans la société qui l’entoure ; g) qui croyons dans notre obligation d’établir un ordre islamique : 1) où tous les êtres humains soient égaux et aucun ne jouisse d’un privilège ni ne subisse un désavantage ou une discrimination du seul fait de sa race, de sa couleur, de son sexe, de son origine ou de sa langue ; 2) où tous les êtres humains soient nés libres ; 3) où l’esclavage et les travaux forcés soient proscrits ; 4) où soient établies des conditions permettant de préserver, de protéger et d’honorer l’institution de la famille en tant que fondement de toute la vie sociale ; 5) où les gouvernants et les gouvernés soient soumis de la même manière à la Loi et égaux devant elle ; 6) où il ne soit obéi qu’à des ordres conformes à la Loi ; 7) où tout pouvoir terrestre soit considéré comme un dépôt sacré, à exercer dans les limites prescrites par la Loi, d’une manière approuvée par celle-ci et en tenant compte des priorités qu’elle fixe ; 8) où toutes les ressources économiques soient considérées comme des bénédictions divines accordées à l’humanité, dont tous doivent profiter conformément aux règles et valeurs exposées dans le Coran et la Sunnah ; 9) où toutes les affaires publiques soient déterminées et conduites, et l’autorité administrative exercée, après consultation mutuelle (shura) entre les croyants habilités à prendre part à une décision compatible avec la Loi et le bien public ; 10) où chacun assume des obligations suivant ses capacités et soit responsable de ses actes en proportion ; 11) où chacun soit assuré, en cas de violation de ses droits, que des mesures correctives appropriées seront prises conformément à la Loi ; 12) où personne ne soit privé des droits qui lui sont garantis par la Loi, sauf en vertu de ladite Loi et dans la mesure autorisée par elle ; 13) où chaque individu ait le droit d’entreprendre une action juridique contre quiconque aura commis un crime contre la société dans son ensemble ou contre l’un de ses membres ; 14) où tous les efforts soient accomplis pour libérer l’humanité de tout type d’exploitation, d’injustice et d’oppression, et pour garantir à chacun la sécurité, la dignité et la liberté dans les conditions stipulées, par les méthodes approuvées et dans les limites fixées par la Loi ; Affirmons par les présentes, en tant que serviteurs d’Allah et membres de la fraternité universelle de l’Islam, au commencement du quinzième siècle de l’ère islamique, nous engager à promouvoir les droits inviolables et inaliénables de l’homme définis ci-après, dont nous considérons qu’ils sont prescrits par l’Islam. Article 1 - Droit à la vie a) La vie humaine est sacrée et inviolable et tous les efforts doivent être accomplis pour la protéger. En particulier, personne ne doit être exposé à des blessures ni à la mort, sauf sous l’autorité de la Loi. b) Après la mort comme dans la vie, le caractère sacré du corps d’une personne doit être inviolable. Les croyants sont tenus de veiller à ce que le corps d’une personne décédée soit traité avec la solennité requise. Article 2 - Droit à la liberté a) L’homme est né libre. Aucune restriction ne doit être apportée à son droit à la liberté, sauf sous l’autorité et dans l’application normale de la Loi. b) Tout individu et tout peuple a le droit inaliénable à la liberté sous toutes ses formes - physique, culturelle, économique et politique - et doit être habilité à lutter par tous les moyens disponibles contre toute violation ou abrogation de ce droit. Tout individu ou peuple opprimé a droit au soutien légitime d’autres individus et/ou peuples dans cette lutte. Article 3 - Droit à l’égalité et prohibition de toute discrimination a) Toutes les personnes sont égales devant la Loi et ont droit à des possibilités égales et à une protection égale de la Loi. b) Toutes les personnes doivent recevoir un salaire égal à travail égal. c) Personne ne doit se voir refuser une possibilité de travailler ni subir une discrimination quelconque ni être exposé à un plus grand risque physique du seul fait d’une différence de croyance religieuse, de couleur, de race, d’origine, de sexe ou de langue. Article 4 - Droit à la justice a) Toute personne a le droit d’être traitée conformément à la Loi, et seulement conformément à la Loi. b) Toute personne a non seulement le droit mais également l’obligation de protester contre l’injustice. Elle doit avoir le droit de faire appel aux recours prévus par la Loi auprès des autorités pour tout dommage ou perte personnels injustifiés. Elle doit également avoir le droit de se défendre contre toute accusation portée à son encontre et d’obtenir un jugement équitable devant un tribunal judiciaire indépendant en cas de litige avec les autorités publiques ou avec toute autre personne. c) Toute personne a le droit et le devoir de défendre les droits de toute autre personne et de la communauté en général (hisbah). d) Personne ne doit subir de discrimination en cherchant à défendre ses droits privés et publics. e) Tout musulman a le droit et le devoir de refuser d’obéir à tout ordre contraire à la Loi, quelle que soit l’origine de cet ordre. Article 5 ­ Droit à un procès équitable a) Personne ne doit être jugé coupable d’un délit et condamné à une sanction si la preuve de sa culpabilité n’a pas été faite devant un tribunal judiciaire indépendant. b) Personne ne doit être jugé coupable avant qu’un procès équitable ne se soit déroulé et que des possibilités raisonnables de se défendre ne lui aient été fournies. c) La sanction doit être fixée conformément à la Loi, proportionnellement à la gravité du délit et compte tenu des circonstances dans lesquelles il a été commis. d) Aucun acte ne doit être considéré comme un crime s’il n’est pas clairement stipulé comme tel dans le texte de la Loi. e) Tout individu est responsable de ses actions. La responsabilité d’un crime ne peut être étendue par substitution à d’autres membres de sa famille ou de son groupe qui ne sont impliqués ni directement ni indirectement dans la perpétration du crime en question. Article 6 - Droit à la protection contre l’abus de pouvoir Toute personne a droit à la protection contre les tracasseries d’organismes officiels. Elle n’a pas à se justifier, sauf pour se défendre des accusations portées contre elle ou lorsqu’elle se trouve dans une situation où une question concernant un soupçon de participation de sa part à un crime pourrait raisonnablement être soulevée. Article 7 - Droit à la protection contre la torture Aucun individu ne doit subir de torture mentale ou physique, ni de dégradation, ni de menace de préjudice envers lui ou quiconque lui est apparenté ou cher, ni d’extorsion d’aveu d’un crime, ni de contrainte pour accepter un acte préjudiciable à ses intérêts. Article 8 - Droit à la protection de l’honneur et de la réputation Toute personne a le droit de protéger son honneur et sa réputation contre les calomnies, les accusations sans fondement et les tentatives délibérées de diffamation et de chantage. Article 9 - Droit d’asile a) Toute personne persécutée ou opprimée a le droit de chercher refuge et asile. Ce droit est garanti à tout être humain quels que soient sa race, sa religion, sa couleur ou son sexe. b) Al-Masgid al-haram (la maison sacrée d’Allah) à la Mecque est un refuge pour tous les musulmans. Article 10 - Droit des minorités a) Le principe coranique "Il n’y a pas de contrainte dans la religion" doit régir les droits religieux des minorités non musulmanes. b) Dans un pays musulman, les minorités religieuses doivent avoir le choix, pour la conduite de leurs affaires civiques et personnelles, entre la Loi islamique et leurs propres lois. Article 11 - Droit et obligation de participer à la conduite et à la gestion des affaires publiques a) Sous réserve de la Loi, tout individu de la communauté (ummah) a le droit d’exercer une fonction publique. b) Le processus de libre consultation (shura) est le fondement des rapports administratifs entre le gouvernement et le peuple. Le peuple a également le droit de choisir et de révoquer ses gouvernants conformément à ce principe. Article 12 - Droit à la liberté de croyance, de pensée et de parole a) Toute personne a le droit d’exprimer ses pensées et ses convictions dans la mesure où elle reste dans les limites prescrites par la Loi. Par contre, personne n’a le droit de faire courir des mensonges ni de diffuser des nouvelles susceptibles d’outrager la décence publique, ni de se livrer à la calomnie ou à la diffamation ni de nuire à la réputation d’autres personnes. b) La recherche de la connaissance et la quête de la vérité sont non seulement un droit mais un devoir pour tout musulman. c) Tout musulman a le droit et le devoir de se protéger et de combattre (dans les limites fixées par la Loi) contre l’oppression même si cela le conduit à contester la plus haute autorité de l’État. d) Il ne doit y avoir aucun obstacle à la propagation de l’information dans la mesure où elle ne met pas en danger la sécurité de la société ou de l’État et reste dans les limites imposées par la Loi. e) Personne ne doit mépriser ni ridiculiser les convictions religieuses d’autres individus ni encourager l’hostilité publique à leur encontre. Le respect des sentiments religieux des autres est une obligation pour tous les musulmans. Article 13 - Droit à la liberté religieuse Toute personne a droit à la liberté de conscience et de culte conformément à ses convictions religieuses. Article 14 - Droit de libre association a) Toute personne a le droit de participer à titre individuel et collectif à la vie religieuse, sociale, culturelle et politique de sa communauté et de créer des institutions et organismes destinés à prescrire ce qui est bien (ma’ruf) et à empêcher ce qui est mal (munkar). b) Toute personne a le droit d’essayer de créer des institutions permettant la mise en application de ces droits. Collectivement, la communauté est tenue de créer des conditions dans lesquelles ses membres puissent pleinement développer leur personnalité. Article 15 - L’Ordre économique et les droits qui en découlent a) Dans leur activité économique, toutes les personnes ont droit à tous les avantages de la nature et de toutes ses ressources. Ce sont des bienfaits accordés par Dieu au bénéfice de l’humanité entière. b) Tous les êtres humains ont le droit de gagner leur vie conformément à la Loi. c) Toute personne a droit à la propriété de ses biens, individuellement ou en association avec d’autres. La nationalisation de certains moyens économiques dans l’intérêt public est légitime. d) Les pauvres ont droit à une part définie de la prospérité des riches, fixée par la zakat, imposée et collectée conformément à la Loi. e) Tous les moyens de production doivent être utilisés dans l’intérêt de la communauté (ummah) dans son ensemble, et ne peuvent être ni négligés ni mal utilisés. f) Afin de promouvoir le développement d’une économie équilibrée et de protéger la société de l’exploitation, la Loi islamique interdit les monopoles, les pratiques commerciales excessivement restrictives, l’usure, l’emploi de mesures coercitives dans la conclusion de marchés et la publication de publicités mensongères. g) Toutes les activités économiques sont autorisées dans la mesure où elles ne sont pas préjudiciables aux intérêts de la communauté (ummah) et ne violent pas les Lois et valeurs islamiques. Article 16 - Droit à la protection de la propriété Aucun bien ne pourra être exproprié si ce n’est dans l’intérêt public et moyennant le versement d’une indemnisation équitable et suffisante. Article 17 - Statut et dignité des travailleurs L’Islam honore le travail et le travailleur et ordonne aux musulmans de traiter le travailleur certes avec justice, mais aussi avec générosité. Non seulement il doit recevoir promptement le salaire qu’il a gagné, mais il a également droit à un repos et à des Loisirs suffisants. Article18 ­ Droit à la sécurité sociale Toute personne a droit à la nourriture, au logement, à l’habillement, à l’enseignement et aux soins médicaux en fonction des ressources de la communauté. Cette obligation de la communauté s’étend plus particulièrement à tous les individus qui ne peuvent se prendre en charge eux-mêmes en raison d’une incapacité temporaire ou permanente. Article 19 - Droit de fonder une famille et questions connexes a) Toute personne a le droit de se marier, de fonder une famille et d’élever des enfants conformément à sa religion, à ses traditions et à sa culture. Tout conjoint possède ces droits et privilèges et est soumis aux obligations stipulées par la Loi. b) Chacun des partenaires d’un couple a droit au respect et à la considération de l’autre. c) Tout époux est tenu d’entretenir son épouse et ses enfants selon ses moyens. d) Tout enfant a le droit d’être entretenu et correctement élevé par ses parents, et il est interdit de faire travailler les jeunes enfants et de leur imposer aucune charge qui s’opposerait ou nuirait à leur développement naturel. e) Si pour une raison quelconque, des parents sont dans l’incapacité d’assumer leurs obligations vis-à-vis d’un enfant, il incombe à la communauté d’assumer ces obligations sur le compte de la dépense publique. f) Toute personne a droit au soutien matériel, ainsi qu’aux soins et à la protection de sa famille pendant son enfance, sa vieillesse ou en cas d’incapacité. Les parents ont droit au soutien matériel ainsi qu’aux soins et à la protection de leurs enfants. g) La maternité a droit à un respect, des soins et une assistance particuliers de la part de la famille et des organismes publics de la communauté (ummah). h) Au sein de la famille, les hommes et les femmes doivent se partager leurs obligations et leurs responsabilités selon leur sexe, leurs dons, talents et inclinations naturels, en tenant compte de leurs responsabilités communes vis-à-vis de leurs enfants et de leurs parents. i) Personne ne peut être marié contre sa volonté, ni perdre sa personnalité juridique ou en subir une diminution du fait de son mariage. Article 20 - Droits de la femme mariée Toute femme mariée a le droit : a) de vivre dans la maison où vit son mari ; b) de recevoir les moyens nécessaires au maintien d’un niveau de vie qui ne soit pas inférieur à celui de son conjoint et, en cas de divorce, de recevoir pendant la période d’attente légale (’iddah) des moyens de subsistance compatibles avec les ressources de son mari, pour elle-même ainsi que pour les enfants qu’elle nourrit ou dont elle a la garde ; toutes ces allocations, quels que soient sa propre situation financière, ses propres revenus ou les biens qu’elle pourrait posséder en propre ; c) de demander et d’obtenir la dissolution du mariage (khul’ah) conformément aux dispositions de la Loi ; ce droit s’ajoute à son droit de demander le divorce devant les tribunaux ; d) d’hériter de son mari, de ses parents, de ses enfants et d’autres personnes apparentées conformément à la Loi ; e) à la stricte confidentialité de la part de son époux, ou de son ex-époux si elle est divorcée, concernant toute information qu’il pourra avoir obtenue à son sujet et dont la divulgation pourrait être préjudiciable à ses intérêts. La même obligation lui incombe vis-à-vis de son conjoint ou de son ex-conjoint. Article 21 - Droit à l’éducation a) Toute personne a le droit de recevoir une éducation en fonction de ses capacités naturelles. b) Toute personne a droit au libre choix de la profession et de la carrière et aux possibilités de total développement de ses dons naturels. Article 22 - Droit à la vie privée Toute personne a droit à la protection de sa vie privée. Article 23 - Droit à la liberté de déplacement et de résidence a) Compte tenu du fait que le Monde de l’Islam est véritablement ummah islamiyyah [Communauté islamique], tout musulman doit avoir le droit d’entrer librement dans tout pays musulman et d’en sortir librement. b) Personne ne devra être contraint de quitter son pays de résidence, ni d’en être arbitrairement déporté, sans avoir recours à l’application normale de la Loi. NOTES D’EXPLICATION 1. Dans la formulation des "Droits de l’homme" qui précède, sauf stipulation contraire dans le contexte : a) Le terme "personne" englobe à la fois le sexe masculin et le sexe féminin. b) Le terme "Loi" signifie la shari’ah, c’est-à-dire la totalité des ordonnances tirées du Coran et de la Sunnah et toute autre Loi déduite de ces deux sources par des méthodes jugées valables en jurisprudence islamique. 2. Chacun des droits de l’homme énoncés dans la présente Déclaration comporte les obligations correspondantes. 3. Dans l’exercice et la jouissance des droits précités, chaque personne ne sera soumise qu’aux limites imposées par la Loi dans le but d’assurer la reconnaissance légitime et le respect des droits et de la liberté des autres et de satisfaire les justes exigences de la moralité, de l’ordre public et du bien-être général de la communauté (ummah). 4. Le texte arabe de cette Déclaration représente l’original. Déclarations de droits 1981 Islam Droits de l'homme
2353
https://fr.wikisource.org/wiki/%C3%89dit%20de%20Nantes
Édit de Nantes
1598 Protestantisme <div class="text" > PREMIER BREVET Aujourd’hui troisième jour d’avril 1598, le Roi étant à Nantes, voulant gratifier ses sujets de la religion prétendue réformée et leur aider à subvenir à plusieurs grandes dépenses qu’ils ont à supporter, a ordonné et ordonne qu’à l’avenir, à commencer du premier jour du présent mois, sera mis entre les mains de M. de Vierse [Viçose], commis par Sa Majesté à cet effet, par les trésoriers de son Épargne, chacun en son année, des rescriptions pour la somme de quarantecinq mille écus, pour employer à certains affaires secrètes qui les concernent que Sa Majesté ne veut être spécifiées, ni déclarées, laquelle somme de quarante-cinq mille écus sera assignée sur les recettes générales qui ensuivent : à savoir, Paris, six mille écus ; Rouen, six mille écus ; Caen, trois mille écus ; Orléans, quatre mille écus ; Tours, quatre mille écus ; Poitiers, huit mille écus ; Limoges, six mille écus ; Bordeaux, huit mille écus. Le tout revenant ensemble à la somme de quarante-cinq mille écus ; payable par les quatre quartiers de l’année des premiers et plus clairs deniers desdites recettes générales, sans qu’il en puisse être retranché ni reculé aucune chose pour les non-valeurs ou autrement. De laquelle somme de quarante-cinq mille écus fera fournir acquit de comptant qui sera mis dans les mains des trésoriers de sondit Epargne pour leur servir d’acquit en baillant lesdites rescriptions entières pour la somme de quarante-cinq mille écus sur lesdites généralités au commencement de chaque année. Et [au cas] où pour la commodité des susdits seront requis faire payer en recettes particulières établies, partie desdites assignations, sera mandé aux trésoriers généraux de France et receveurs généraux desdites généralités de le faire en déduction desdites rescriptions desdits trésoriers de l’Epargne, lesquelles seront après délivrées par ledit sieur de Vierse [Viçose], à ceux qui lui seront nommés par ceux de ladite religion au commencement de l’année, pour faire la recette et dépense des deniers qui devront être reçus en vertu d’icelles dont ils seront tenus rapporter au sieur de Vierse [Viçose] à la fin de l’année un état au vrai avec les quittances des parties prenantes pour informer Sa Majesté de l’emploi desdits deniers, sans que le sieur de Vierse [Viçose], ni ceux qui seront mis par ceux de ladite religion, soient tenus d’en rendre compte en aucune chambre, dont et de tout ce qui en dépend Sadite Majesté a commandé toutes lettres et dépêches nécessaires leur être expédiées en vertu du présent brevet, qu’elle a fait signer de sa main et contresigner par nous Conseiller en son Conseil d’Etat et secrétaire de ses commandements. Signé, HENRY. Et plus bas, DE NEUFVILLE. Aujourd’hui dernier jour d’avril 1598, le Roi étant à Nantes, voulant donner tout le contentement qu’il lui est possible à ses sujets de la religion prétendue réformée, sur les demandes et requêtes qui lui ont été faites de leur part pour ce qu’ils ont estimé leur être nécessaire, tant pour la liberté de leurs consciences que pour l’assurance de leurs personnes, fortunes et biens. Et pour l’assurance que Sa Majesté a de leur fidélité et sincère affection à son service, avec plusieurs autres considérations importantes au bien et au repos de cet État, Sadite Majesté, outre ce qui est contenu en l’Édit qu’elle a nouvellement résolu et qui doit être publié pour le règlement de ce qui les concerne, leur a accordé et promis que toutes les places, villes et châteaux qu’ils tenaient jusqu’à la fin du mois d’août dernier esquelles il y aura garnisons, par l’état qui en sera dressé et signé par Sa Majesté, demeureront en leur garde sous l’autorité et obéissance de Sadite Majesté par l’espace de huit ans, à compter du jour de la publication dudit Édit. Et pour les autres qu’ils tiennent où il n’y aura point de garnisons, n’y sera point altéré ni innové. N’entend toutefois Sadite Majesté que les villes et châteaux de Vendôme et Pontorson soient compris au nombre de ces places laissées en garde à ceux de ladite religion. N’entend aussi comprendre au nombre la ville, château et citadelle d’Aubenas, de laquelle elle veut disposer à sa volonté sans que si c’est entre les mains d’un de ladite religion, que cela fasse conséquence qu’elle soit après affectée à un autre de ladite religion, comme les autres villes qui leur sont accordées. Et quant à Chauvigny, elle sera rendue à l’évêque de Poitiers, seigneur du lieu, et les nouvelles fortifications faites en icelle rasées et démolies. Et pour l’entretenement des garnisons qui devront être entretenues esdits villes, places et châteaux, leur a Sa Majesté accordé jusqu’à la somme de cent quatre-vingt mille écus sans y comprendre celles de la province de Dauphiné auxquelles sera pourvu d’ailleurs de ladite somme de cent quatre-vingt mille écus par an ; leur promet et assure en faire bailler les assignations bonnes et valables sur les plus clairs deniers où seront établies ces garnisons. Et [au cas] où elles n’y suffiraient et qu’il n’y eût en icelles assez de fonds, leur sera parfourni le surplus sur les autres recettes plus prochaines, sans que les deniers puissent être divertis desdites recettes que ladite somme n’ait été entièrement fournie et acquittée. Leur a en outre Sa Majesté promis et accordé que lorsqu’elle fera et arrêtera l’état desdites garnisons, elle appellera auprès d’elle aucuns de ceux de ladite religion pour en prendre leur avis et entendre sur ce leurs remontrances, pour après en ordonner, ce qu’elle fera toujours le plus à leur contentement que faire se pourra. Et si, pendant le temps desdites huit années, il y a occasion de faire quelque changement sur ledit état, soit que cela procède du jugement qu’en fera Sadite Majesté ou que ce soit à leur réquisition, elle en usera de même qu’à le résoudre pour la première fois. Et quant aux garnisons de Dauphiné, Sa Majesté, dressant état d’icelles, prendra sur ce l’avis du sieur de Lesdiguières. Et advenant vacation d’aucuns gouverneurs et capitaines desdites places, Sadite Majesté leur promet aussi et accorde qu’elle n’en pourvoira aucun qui ne soit de ladite religion prétendue réformée et qu’il n’aît attestation du colloque où il sera résident, qu’il soit de ladite religion, et homme de bien. Se contentera néanmoins que celui qui en devra être pourvu sur le brevet qui lui en aura été expédié soit tenu, auparavant que d’en obtenir la provision, de rapporter l’attestation du colloque d’où il sera, laquelle aussi ceux du colloque seront tenus de lui bailler promptement sans le tenir en aucune longueur ; ou, en cas de refus, feront entendre à Sa Majesté les causes d’iceluil. Et ce terme desdites huit années expiré, combien que Sadite Majesté soit quitte de sa promesse pour le regard desdites villes, et eux obligés de les lui remettre, toutefois elle leur a encore accordé et promis que si esdites villes elle continue après ledit temps y tenir garnisons ou y laisser un gouverneur pour commander, qu’elle n’en dépossédera point celui qui s’en trouvera pourvu pour y en mettre un autre. Comme pareillement déclare que son intention est tant pendant ces huit années qu’après icelles, de gratifier ceux de ladite religion et leur faire part des charges, gouvernements et autres honneurs qu’elle aura à distribuer et départir indifféremment et sans aucune exception selon la qualité et mérite des personnes, comme à ses autres sujets catholiques ; sans toutefois que les villes et places qui leur pourront ci-après être commises pour y commander, autres que celles qu’ils ont à présent, puissent tirer à conséquence d’être ci-après particulièrement affectées à ceux de ladite religion. Outre ce, Sa Majesté leur a accordé que ceux qui ont été commis par ceux de ladite religion à la garde des magasins, munitions, poudres et canons d’icelles vil]es et ceux qui leur seront laissés en garde seront continués esdites charges en prenant commission du grand maître de l’artillerie et commissaire général des vivres. Lesquelles lettres seront expédiées gratuitement, mettant entre leurs mains les états signés en bonne et due forme desdits magasins, munitions, poudres et canons, sans que pour raison desdites commissions, ils puissent prétendre aucunes immunités ou privilège. Seront néanmoins employés sur l’état qui sera fait desdites garnisons, pour être payés de leurs gages sur les sommes ci-dessus accordées par Sa Majesté, pour l’entretien de leurs garnisons, sans que les autres finances de Sa Majesté en soient aucunement chargées. Et d’autant que ceux de ladite religion ont supplié Sa Majesté de leur vouloir faire entendre ce qu’il lui a plu d’ordonner pour l’exercice de celle-ci en la ville de Metz, d’autant que cela n’est assez donné clairement à entendre et compris en son Édit et Articles secrets, déclare Sa Majesté qu’elle a fait expédier lettres patentes par lesquelles il est porté que le temple ci-devant bâti dans ladite ville par les habitants d’icelle leur sera rendu pour en lever les matériaux, ou autrement en disposer comme ils verront être à faire, sans toutefois qu’il leur soit loisible d’y prêcher ni faire aucun exercice de ladite religion ; et néanmoins leur sera pourvu d’un lieu commode dans l’enclos de la ville où ils pourront faire ledit exercice public sans qu’il soit nécessaire de l’exprimer par son édit. Accorde aussi Sa Majesté que, nonobstant la défense faite de l’exercice de ladite religion à la Cour et suite d’icelle, les ducs, pairs de France, officiers de la couronne, marquis, comtes, gouverneurs et lieutenants généraux, maréchaux de camp et capitaines de gardes de Sadite Majesté qui seront à sa suite ne seront recherchés de ce qu’ils feront à leur logis, pourvu que ce soit en leur famille particulière tant seulement à portes closes et sans psalmodier à haute voix, ni rien faire qui puisse donner à connaître que ce soit exercice public de ladite religion, et si Sadite Majesté demeure plus de trois jours dans les villes et lieux où l’exercice est permis, pourra cet exercice après ledit temps y être continué comme il était avant son arrivée. Déclare Sa Majesté qu’attendu l’état présent de ses affaires, elle n’a pu comprendre pour maintenant ses pays delà les monts, Bresse et Barcellonne [Barcellonnette], en la permission par elle accordée de l’exercice de ladite religion prétendue réformée. Promet néanmoins Sa Majesté que lorsque sesdits pays seront en son obéissance, elle traitera ses sujets d’iceux pour le regard de la religion et autres points accordés par son Édit comme ses autres sujets, nonobstant ce qui est porté par ledit Édit, et cependant seront maintenus en l’état où ils sont à présent. Accorde Sa Majesté que ceux de ladite religion prétendue réformée qui doivent être pourvus des offices de présidents et conseillers créés pour servir aux chambres ordonnées de nouveau par son Edit seront pourvus lesdits offices gratuitement, et sans finance pour la première fois, sur l’état que sera présenté à Sa Majesté par les députés de l’assemblée de Châtellerault, comme aussi les substituts des procureurs et avocats généraux érigés par le même édit en la chambre de Bordeaux, et avenant incorporation de ladite chambre de Bordeaux et de celle de Toulouse auxdits parlements, lesdits substituts seront pourvus d’offices de conseillers en iceux aussi gratuitement. Sa Majesté fera aussi pourvoir messire François Pitou de l’office de substitut et procureur général en la cour de parlement de Paris, et à ces fins sera faite érection de nouveau dudit office et après le décès dudit Pitou en sera pourvu un de ladite religion prétendue réformée. Et advenant vacation par mort de deux offices de maîtres des requêtes de l’Hôtel du roi, les premiers qui vaqueront, y sera pourvu par Sa Majesté de personnes de ladite religion prétendue réformée que Sa Majesté verra être propres et capables pour le bien de son service, et pour le prix de la taxe des parties casuelles. Et cependant sera ordonné qu’en chacun quartier il y ait deux maîtres des requêtes qui seront chargés de rapporter les requêtes de ceux de ladite religion. Permet en outre Sa Majesté aux députés de ladite religion assemblés en ladite ville de Châtellerault de demeurer ensemble au nombre de dix en la ville de Saumur pour la poursuite de l’exécution de son Édit, jusqu’à ce que son Édit soit vérifié en sa cour de parlement de Paris, nonobstant qu’il leur soit enjoint par ledit Édit de se séparer promptement, sans toutefois qu’ils puissent faire au nom de ladite assemblée aucunes nouvelles demandes ni s’entremettre que de la sollicitation de l’exécution, députation, et acheminement des commissaires qui seront pour ce ordonnés. Et de tout ce que dessus, leur a Sa Majesté donné sa foi et parole par le présent brevet, qu’elle a voulu signer de sa propre main et contresigner par nous ses secrétaires d’État ; voulant icelui brevet leur valoir et avoir le même effet que si le contenu en icelui était compris en un édit vérifié en ses cours de parlement, s’étant ceux de ladite religion contentés, pour s’accommoder à ce qui est de son service et à l’état de ses affaires, de ne la presser pas de mettre cette ordonnance en autre forme plus authentique, prenant cette confiance en la parole et bonté de Sa Majesté, qu’elle les en fera jouir entièrement. Ayant à cette fin commandé que toutes les expéditions et dépêches qui seront nécessaires pour l’exécution de ce que dessus leur en soient expédiées. Ainsi signé, HENRY. Et plus bas, FORGET. Édits royaux
2482
https://fr.wikisource.org/wiki/Fables%20de%20La%20Fontaine%20%28%C3%A9d.%20Barbin%29/2/Le%20Chartier%20embourb%C3%A9
Fables de La Fontaine (éd. Barbin)/2/Le Chartier embourbé
cs:Bajky Lafonténovy/Pes a jeho stín it:Favole (La Fontaine)/Libro sesto/XVII - Il Cane, la sua Preda e l'Ombra
2599
https://fr.wikisource.org/wiki/Vingt%20mille%20lieues%20sous%20les%20mers
Vingt mille lieues sous les mers
Romans Romans de Jules Verne Science-fiction XIXe siècle Romans parus en 1870 Voyage Maritime Bon pour export en:20,000 Leagues Under the Seas es:Veinte mil leguas de viaje submarino pl:20.000 mil podmorskiej żeglugi
2600
https://fr.wikisource.org/wiki/Vingt%20mille%20lieues%20sous%20les%20mers/Partie%201/Chapitre%201
Vingt mille lieues sous les mers/Partie 1/Chapitre 1
en:20,000 Leagues Under the Seas (Walter)/Chapter 1 es:Veinte mil leguas de viaje submarino: Primera parte: Capítulo I pl:20.000 mil podmorskiej żeglugi/I
2601
https://fr.wikisource.org/wiki/Vingt%20mille%20lieues%20sous%20les%20mers/Partie%201/Chapitre%202
Vingt mille lieues sous les mers/Partie 1/Chapitre 2
es:Veinte mil leguas de viaje submarino: Primera parte: Capítulo II pl:20.000 mil podmorskiej żeglugi/II
2607
https://fr.wikisource.org/wiki/Les%20Femmes%20savantes
Les Femmes savantes
Personnages Acte I Acte II Acte III Acte IV Acte V Femmes savantes Femmes savantes Femmes savantes Femmes savantes
2615
https://fr.wikisource.org/wiki/Accords%20d%E2%80%99Accra%20III
Accords d’Accra III
Accord Accra III Accord Accra III2004 <div class="text"> 1- A l’invitation de son Excellence M. John Agyekum Kufuor, président de la République du Ghana et Président en exercice de la CEDEAO, et de son excellence Kofi Annan, secrétaire général des Nations Unies, les chefs d’État et de gouvernement africains, ci-après, ainsi que leurs représentants dûment accrédités, ont rencontré à Accra les 29 et 30 juillet 2004, son Excellence M. Laurent Gbagbo, Président de la République de Côte d’Ivoire, son Excellence Seydou Elimane Diarra, Premier ministre du Gouvernement de réconciliation nationale et les principales Forces politiques ivoiriennes signataires de l’Accord de Linas Marcoussis, à savoir le FPI, le MJP, le MPCI, le MPIGO, le PDCI-RDA, le PIT, le MFA, le RDR, l’UDCY, et l’UDPCI : Son Excellence Mathieu Kérékou Président de la République du Bénin Son Excellence Blaise Compaoré Président du Burkina-Faso, chef du Gouvernement Son Excellence Denis Sassou NGuesso Président de la République du Congo Son Excellence Laurent Gbagbo Président de la République de Côte d’Ivoire Son Excellence El Hadj Omar Bongo Ondimba Président de la République Gabonaise Son Excellence John Agyekum Kufuor Président de la République du Ghana, Président en exercice de la CEDEAO Son Excellence Gyude Bryant Président du Gouvernement national de transition du Liberia Son Excellence Amadou Toumani Touré Président de la République du Mali Son Excellence Mamadou Tandja Président de la République du Niger Président en exercice de l’UEMOA Son Excellence Chief Olusegun Obasanjo Président et Commandant-en-chef des Forces armées de la République fédérale du Nigeria Président en exercice de l’Union Africaine Son excellence Ahmad Tejan Kabbah Président de la République de Sierra Leone Son excellence Thabo MBeki Président de la République de l’Afrique du Sud Son Excellence Gnanssingbé Eyadema Président de la République Togolaise Son Excellence Fernando Da Piedade Dias Dos Santos Premier ministre de la République de l’Angola Son Excellence Cheikh Tidiane Sy Ministre d’Etat à la Présidence, représentant le Président de la République du Sénégal Son Excellence Momodou Kebba Jallow Haut Commissaire de la République de la Gambie au Ghana, représentant le Président de la République de la Gambie Son Excellence El Hadj Mamadou Falilou Bah Ambassadeur de la République de Guinée en République du Ghana, représentant le Président de la République de Guinée 2 – Les Personnalités suivantes ont également participé à la rencontre : Son Excellence Alpha Oumar Konaré Président de la Commission de l’Union Africaine Son Excellence Dr Mohammed Ibn Chambas Secrétaire exécutif de la CEDEAO 3 – Lors de la rencontre présidée par son Excellence M. John Agyekum Kufuor, les Forces politiques ivoiriennes ont examiné les différents obstacles qui se posent à la mise en œuvre totale des Accords de Linas Marcoussis et d’Accra II. Elles ont formulé des propositions quant à la manière de surmonter ces obstacles et de parvenir à un consensus sur les questions clés auxquelles le processus de paix est confronté. 4. Les forces politiques ivoiriennes ont réitéré leur engagement aux principes et programme du Gouvernement de contenu dans les accords de Linas-Marcoussis et d’Accra II. Elles ont aussi réaffirmé leur détermination à s’engager résolument dans la voie d’une application intégrale et inconditionnelle desdits accords. 5. En vue de remettre le processus de paix sur la bonne voie, et d’assurer une mise en œuvre durable des dispositions de l’Accord de Linas-Marcoussis, les forces politiques de Côte d’Ivoire ont convenu des mesures suivantes. Critères d’éligibilité à la présidence de la République (Art.35 de la Constitution) et autres réformes législatives 6. En raison des graves menaces persistantes contre l’intégrité territoriale de la Côte d’Ivoire causée par la crise continue, le président de la République doit faire valoir les pouvoirs que lui confère la constitution, en vue de la mise en des dispositions de la section III sur l’éligibilité, du programme de Gouvernement de Réconciliation Nationale annexé à l’Accord de Linas-Marcoussis pour la fin du mois de septembre 2004. 7. Comme indiqué à la réunion d’Addis-Abéba du 6 juillet 2004, le président de la République a convoqué le 28 juillet une session extraordinaire de l’Assemblée Nationale pour procéder à l’adoption de toutes les réformes juridiques conformément à l’esprit et à la lettre de l’Accord de Linas-Marcoussis. 8. Les forces politiques ont réitéré leur engagement de garantir le soutien de leurs députés à l’Assemblée Nationale pour l’adoption de ces textes législatifs pour la fin août 2004 tel que stipulé dans l’Accord de Linas-Marcoussis. Désarmement, démobilisation, réintégration (DDR) 9. Les parties se sont engagées à commencer le DDR au plus tard le 15 du mois d’octobre 2004. le processus sera conduit sur la base d’un calendrier spécifique en conformité avec les dispositions pertinentes de l’Accord de Linas-Marcoussis et les décisions adoptées à cet effet à Grand Bassam et à Yamoussoukro. Le processus de DDR concernera tous les groupes paramilitaires et de milices. Il a également été convenu de la restructuration des forces de défense et de sécurité conformément à la feuille de route élaborée et validée à Grand Bassam. 10. Elles demandent au Premier Ministre du Gouvernement de fixer un calendrier pour la restauration de l’administration d’Etat et des services publics dans l’ensemble du pays. Délégation de pouvoir au Premier Ministre 11. Les parties ont rappelé que dans sa lettre en date du 22 décembre 2003, le président a notifié au Premier Ministre que la délégation de pourvoir qui lui est conférée au terme de l’article 53 de la constitution lui permet de mettre en œuvre toutes les dispositions de l’Accord de Linas-Marcoussis jusqu’à la tenue des élections prévues en octobre 2005. A cet égard, le Président traduira les termes de sa lettre sous forme de décret qui précisera les domaines couverts par cette délégation de pouvoir conformément aux dispositions pertinentes de l’Accord de Linas-Marcoussis. Le Président de la République et le Premier Ministre se sont entendus sur un texte de décret de délégation de pouvoir et sur des mesures complémentaires adéquates. Reprise des activités du gouvernement de réconciliation nationale 12. Le Président de la République, le Premier Ministre et les Forces politiques ivoiriennes ont convenu de l’urgence de reprendre les activités du Gouvernement de Réconciliation Nationale en vue de lui permettre de jouer son rôle vital pour un retour à un ordre normal dans le pays et d’assurer une mise en œuvre durable de l’accord de Linas-Marcoussis. Ils ont également convenu de convoquer une réunion du conseil des ministres une semaine après la signature de cet accord. Droits de l’homme 13. Les parties ivoiriennes reconnaissent que la restauration d’une paix et d’une stabilité durable exige le respect des droits de l’Homme et de l’État de Droit. A cet effet, elles ont convenu de coopérer pleinement avec la commission internationale d’enquête qui a été mise en place conformément à l’Accord de Linas-Marcoussis pour enquêter sur les violations des droits de l’homme commises en Côte d’Ivoire depuis le début de la crise le 19 septembre 2002. 14. Elles ont également convenu que la Commission Nationale des Droits de l’Homme telle que prévue par l’Accord de Linas-Marcoussis soit créée et commence ses travaux sans délai. Groupe de suivi 15. Les parties sont convenues de mettre sur pied un groupe de suivi tripartite comprenant des représentant en Côte d’ivoire de la CEDEAO, de l’Union Africaine et de l’Opération des Nations Unies. Le groupe de suivi fera des rapports tous les 15 jours sur les progrès réalisés dans la mise en œuvre de l’Accord d’Accra III, au président en exercice de la CEDEAO, au président de la Commission de l’Union Africaine et au secrétaire général des Nations Unies. Motion de remerciements 16. Les parties ont exprimé leur profonde gratitude au président John Agyekum Kuffor, président en exercice de la CEDEAO et au secrétaire Général des Nations Unis, ainsi qu’à tous les Chefs d’États et autres dignitaires participant à la réunion pour leurs efforts inlassable dans la recherche de la paix en Côte d’Ivoire et pour leurs sages conseils et avis qui ont permis aux parties de parvenir au présent Accord. 17. Tous les participants ont exprimé leur profonde gratitude à son excellence Monsieur John Agyekum Kufuor, Président de la république du Ghana, au Gouvernement et au peuple ghanéen pour l’accueil chaleureux et l’hospitalité généreuse qu’ils ont contribué à la tenue des négociations dans un climat d’ouverture et d’entente mutuelle. Voir aussi Rapport de la Commission d’enquête internationale sur les allégations de violations des droits de l’homme en Côte d’Ivoire
2658
https://fr.wikisource.org/wiki/Les%20Confessions
Les Confessions
Les Confessions, d’Augustin d’Hippone Les Confessions, de Jean-Jacques Rousseau Confessions, de Paul Verlaine
2660
https://fr.wikisource.org/wiki/Lettres%20%C3%A0%20Lucilius
Lettres à Lucilius
<div class="text"> Lettres Philosophie Antiquité Stoïcisme Livre I Lettre I. Sur l’emploi du temps. Lettre II. Des voyages et de la lecture. Lettre III. Du choix des amis. Lettre IV. Sur la crainte de la mort. Lettre V. De la philosophie d’ostentation et de la vraie philosophie. La crainte et l’espérance. Lettre VI. De la véritable amitié. Lettre VII. Fuir la foule. Cruauté des spectacles de gladiateurs. Lettre VIII. Travail du sage sur lui-même. Mépris des biens extérieurs. Lettre IX. Pourquoi le sage se fait des amis. Lettre X. Utilité de la retraite. Vœux et prières des hommes. Lettre XI. Ce que peut la sagesse contre les défauts naturels. Il faut se choisir des modèles. Lettre XII. Avantages de la vieillesse. – Sur la mort volontaire. Livre II Lettre XIII. Sur la force d’âme qui convient au sage. – Ne pas trop craindre l’avenir. Lettre XIV. Jusqu’à quel point il faut soigner le corps. Lettre XV. Des exercices du corps. – De la modération dans les désirs. Lettre XVI. Utilité de la philosophie. – La nature et l’opinion. Lettre XVII. Tout quitter pour la philosophie. – Avantages de la pauvreté. Lettre XVIII. Les Saturnales à Rome. – Frugalité du sage. Lettre XIX. Quitter les hauts emplois pour le repos. Lettre XX. Même sujet. – Inconstance des hommes. Lettre XXI. Vraie gloire du philosophe. – Éloge d’Épicure. Livre III Lettre XXII. Manière de donner les conseils. – Quitter les affaires. – Peur de la mort. Lettre XXIII. La philosophie, source des véritables jouissances. Lettre XXIV. Craintes de l’avenir et de la mort. – Suicides par dégoût de la vie. Lettre XXV. Dangers de la solitude. – Se choisir un modèle de vie. Lettre XXVI. Éloge de la vieillesse. Lettre XXVII. Il n’est de bonheur que dans la vertu. – Ridicules de Sabinus. Lettre XXVIII. Inutilité des voyages pour guérir l’esprit. Lettre XXIX. Des avis indiscrets. – Que le sage plaise à lui-même, non à la foule. Livre IV Lettre XXX. Attendre la mort de pied ferme, à l’exemple de Bassus. Lettre XXXI. Dédaigner les vœux même de nos amis et l’opinion du vulgaire. Lettre XXXII. Compléter sa vie avant de mourir. Lettre XXXIII. Sur les sentences des philosophes. Penser à son tour par soi-même. Lettre XXXIV. Encouragements à Lucilius. Lettre XXXV. Il n’y a d’amitié qu’entre les gens de bien. Lettre XXXVI. Avantages du repos. – Dédaigner les vœux du vulgaire. Mépriser la mort. Lettre XXXVII. Le serment de l’homme vertueux comparé à celui du gladiateur. Lettre XXXVIII. Les courts préceptes de la philosophie préférables aux longs discours. Lettre XXXIX. Aimer mieux la médiocrité que l’excès. Lettre XL. Le vrai philosophe parle autrement que le rhéteur. Lettre XLI. Dieu réside dans l’homme de bien. – Vraie supériorité de l’homme. Livre V Lettre XLII. Rareté des gens de bien. – Vices cachés sous l’impuissance. Ce qui est gratuit coûte souvent bien cher. Lettre XLIII. Vivre comme si l’on était sous les yeux de tous. – La conscience. Lettre XLIV. La vraie noblesse est dans la philosophie. Lettre XLV. Sur les subtilités de l’école. Lettre XLVI. Éloge d’un ouvrage de Lucilius. Lettre XLVII. Qu’il faut traiter humainement ses esclaves. Lettre XLVIII.Que tout soit commun entre amis. Futilité de la dialectique. Lettre XLIX. La vie est courte. Ne point la dépenser en futilités sophistiques. Lettre L. Que peu d’hommes connaissent leurs défauts. Lettre LI. Les bains de Baïes. Leurs dangers, même pour le sage. Lettre LII. Sages et philosophes de divers ordres. Livre VI Lettre LIII. Des maladies de l’âme. La philosophie veut l’homme tout entier. Lettre LIV. Sénèque attaqué de l’asthme. Préparation à la mort. Lettre LV. Description de la maison de Vatia. L’apathie ; le vrai repos. Lettre LVI. Bruits divers d’un bain public. Le sage peut étudier même au sein du tumulte. Lettre LVII. La grotte de Naples. Faiblesses naturelles que la raison ne saurait vaincre. Lettre LVIII. De la division des êtres selon Platon. La tempérance, le suicide. Lettre LIX. Leçons de style. La flatterie. Vraies et fausses joies. Lettre LX. Vœux imprévoyants. Avidité des hommes. Lettre LXI. Se corriger, se soumettre à la nécessité. Lettre LXII. Même au sein des affaires on peut étudier. Livre VII Lettre LXIII. Ne point s’affliger sans mesure de la perte de ses amis. Lettre LXIV. Éloge du philosophe Q. Sextius. Respect dû aux anciens, instituteurs de l’humanité. Lettre LXV. Opinions de Platon, d’Aristote et des stoïciens sur la cause première. Lettre LXVI. Que tous les biens sont égaux et toutes les vertus égales. Lettre LXVII. Que tout ce qui est bien est désirable. – Patience dans les tourments. Lettre LXVIII. La retraite : n’en point faire vanité. Lettre LXIX. Que les fréquents voyages sont un obstacle à la sagesse. Livre VIII Lettre LXX. Du suicide. Quand peut-on y recourir ? Exemples mémorables. Lettre LXXI. Qu’il n’y a de bien que ce qui est honnête. Différents degrés de sagesse. Lettre LXXII. Tout abandonner pour embrasser la sagesse. Lettre LXXIII. Que les philosophes ne sont ni des séditieux ni de mauvais citoyens. Jupiter et l’homme de bien. Lettre LXXIV. Qu’il n’y a de bien que ce qui est honnête. Livre IX Lettre LXXV. Écrire simplement et comme on pense. Affections et maladies de l’âme. Trois classes d’aspirants à la sagesse. Lettre LXXVI. Sénèque, quoique vieux, prend encore des leçons. Il prouve de nouveau que l’honnête est le seul bien. N’estimer dans l’homme que son âme. Lettre LXXVII. La flotte d’Alexandrie. Mort volontaire de Marcellus. Juger d’une vie par son dénouement. Lettre LXXVIII. Le mépris de la mort, remède à tous les maux. L’opinion, mesure des biens et des maux. Lettre LXXIX. Scylla, Charybde, l’Etna. La gloire est l’ombre de la vertu. Lettre LXXX. Futilité des spectacles. Certains grands comparés à des comédiens. Livre X Lettre LXXXl. Des bienfaits, de l’ingratitude, de la reconnaissance. Lettre LXXXII. Contre la mollesse. Subtilités des dialecticiens. Lettre LXXXIII. Dieu connaît toutes nos pensées. Exercices et régime de Sénèque. Sophisme de Zénon sur l’ivresse. Livre XI - XIII Lettre LXXXIV. La lecture. Comment elle sert à la composition. Les abeilles. Lettre LXXXV. Que le sage s’interdise même les passions les plus modérées. Lettre LXXXVI. Maison de campagne et bains de Scipion l’Africain. Bains modernes. Plantation des oliviers. Lettre LXXXVII. Frugalité de Sénèque. Du luxe. Les richesses sont-elles un bien ? Lettre LXXXVIII. Des arts libéraux. Livre XIV Lettre LXXXIX. Division de la philosophie. Du luxe et de l’avarice. Lettre XC. Éloge de la philosophie. Les premiers hommes. La philosophie n’a pas inventé les arts mécaniques. Lettre XCI. Sur l’incendie de Lyon, l’instabilité des choses humaines et la mort. Lettre XCII. Contre les épicuriens. Le souverain bien n’est pas dans la volupté. Livre XV Lettre XCIII. Sur la mort de Métronax. Mesurer la vie sur l’emploi qu’on en fait, non sur sa durée. Lettre XCIV. De l’utilité des préceptes. De l’ambition, de ses angoisses. Lettre XCV. Insuffisance des préceptes philosophiques. Il faut encore des principes généraux. Sur l’intempérance. Livre XVI Lettre XCVI. Adhérer à la volonté de Dieu. La vie est une guerre. Lettre XCVII. Du procès de Clodius. Force de la conscience. Lettre XCVIII. Ne point s’attacher aux biens extérieurs. L’âme, plus puissante que la Fortune, se fait une vie heureuse ou misérable. Lettre XCIX. Sur la mort du fils de Marullus. Divers motifs de consolation. Lettre C. Jugement sur les écrits du philosophe Fabianus. Livre XVII - XVIII Lettre CI. Sur la mort de Sénécio. Vanité des longs projets. Ignoble souhait de Mécène. Lettre CII. Sur l’immortalité de l’âme. Que l’illustration après la mort est un bien. Lettre CIII. Comment l’homme doit se méfier de l’homme. Ne point rompre avec les usages reçus. Lettre CIV. Une indisposition de Sénèque. Tendresse de sa femme pour lui. Les voyages ne guérissent point les maux de l’âme. Vivre avec les grands hommes de l’antiquité. Lettre CV. Ce qui fait la sécurité de la vie. Des mauvaises consciences. Lettre CVI. Si le bien est corps. Fuir les subtilités. Lettre CVII. Se préparer à toutes les disgrâces. Suivre sans murmurer les ordres de Dieu. Lettre CVIII. Comment il faut écouter les philosophes. Attalus, Sotion, Pythagore. Tout rapporter à la vie pratique. Lettre CIX. Si le sage est utile au sage, et comment. Livre XIX - XX Lettre CX. Vœux et craintes chimériques de l’homme. Lettre CXI. Le sophiste. Le véritable philosophe. Lettre CXII. Difficulté de réformer les mauvaises habitudes. Lettre CXIII. Si les vertus sont des êtres animés : absurdes questions. Suivre la vertu sans espoir de récompense. Lettre CXIV. Que la corruption du langage vient de celle des mœurs. Mécène écrivain. Salluste. Lettre CXV. Que le discours est le miroir de l’âme. Beauté de la vertu. Sur l’avarice. Lettre CXVI. Qu’il faut bannir entièrement les passions. Lettre CXVII. Quelle différence les stoïciens mettaient entre la sagesse et être sage. Du suicide. Lettre CXVIII. Des élections à Rome. Du bien et de l’honnête. Lettre CXIX. Qu’on est riche quand on commande à ses désirs. Lettre CXX. Comment nous est venue la notion du bon et de l’honnête. L’homme est rarement semblable à lui-même. Lettre CXXI. Que tout animal a la conscience de sa constitution. Lettre CXXII. Contre ceux qui font de la nuit le jour. Le poète Montanus. Lettre CXXIII. Mœurs frugales de Sénèque. Fuir les apologistes de la volupté. Lettre CXXIV. Que le souverain bien se perçoit non par les sens, mais par l’entendement. Livre XXII Fragment d’une lettre du XXIIe livre
2670
https://fr.wikisource.org/wiki/L%E2%80%99Unique%20et%20sa%20propri%C3%A9t%C3%A9%20%28traduction%20Reclaire%29
L’Unique et sa propriété (traduction Reclaire)
Unique et sa propriété Unique et sa propriété Unique et sa propriete Anarchisme es:El Único y su Propiedad de:Der Einzige und sein Eigentum
2674
https://fr.wikisource.org/wiki/La%20Congolaise
La Congolaise
En ce jour, le soleil se lève Et notre Congo resplendit Une longue nuit s'achève Un grand bonheur a surgi Chantons tous avec ivresse Le chant de la liberté. Refrain Congolais debout fièrement partout Proclamons l'union de notre nation Oublions ce qui nous divise Soyons plus unis que jamais [: Vivons pour notre devise Unité, Travail, Progrès. :] Des forêts jusqu'à la savane Des savanes jusqu'à la mer Un seul peuple une seule âme Un seul cœur ardent et fier Luttons tous tant que nous sommes Pour notre vieux pays noir. Refrain Et s'il nous faut mourir en somme Qu'importe puisque nos enfants Partout pourront dire comme On triomphe en combattant Et dans le moindre village Chantent sous nos trois couleurs. Refrain Congolaise
2680
https://fr.wikisource.org/wiki/Chant%20de%20Ralliement
Chant de Ralliement
I. Ô Cameroun berceau de nos ancêtres, Va debout et jaloux de ta liberté. Comme un soleil ton drapeau fier doit être Un symbole ardent de foi et d'unité. Que tous tes enfants du nord au sud, de l'est à l'ouest soient tout amour, Te servir que ce soit leur seul but, Pour remplir leurs devoirs toujours. Refrain : Chère patrie, terre chérie, Tu es notre seul et vrai bonheur, notre joie et notre vie, A toi l'amour et le grand honneur. II. Tu es la tombe où dorment nos pères, Le jardin que nos aïeux ont cultivé. Nous travaillons pour te rendre prospère. Un beau jour enfin nous serons arrivés De l'Afrique sois fidèle enfant, Et progresse toujours en paix, Espérant que tes jeunes enfants, T'aimeront sans bornes à jamais. Hymnes nl:Chant de Ralliement
2682
https://fr.wikisource.org/wiki/La%20Concorde
La Concorde
Uni dans la Concorde et la fraternité Eveilletoi Gabon, une aurore se lève, En courage l'ardeur qui vibre et nous soulève ! C'est enfin notre essor vers la félicité. C'est enfin notre essor vers la félicité. I. Eblouissant et fier, le jour sublime monte Pourchassant à jamais l'injustice et la honte. Qu'il monte, monte encore et calme nos alarmes, Qu'il prône la vertu et repousse les armes. (Refrain) II. Oui que le temps heureux rêvé par nos ancêtres Arrive enfin chez nous, rejouisse les êtres, Et chasse les sorciers, ces perfides trompeurs. Qui semaient le poison et répandaient la peur. (Refrain) III. Afin qu'aux yeux du monde et des nations amies Le Gabon immortel reste digne d'envie, Oublions nos querelles, emsemble bâtissons L'édifice nouveau auquel tous nous rêvons. (Refrain) IV. Des bords de l'Ocean au cœur de la forêt, Demeurons vigilants, sans faiblesse et sans haine ! Autour de ce drapeau, qui vers l'honneur nous mène, Saluons la Patrie et chantons sans arrêt ! Hymnes
2684
https://fr.wikisource.org/wiki/Explication%20suivie%20des%20quatre%20%C3%89vangiles/Chapitre%202
Explication suivie des quatre Évangiles/Chapitre 2
<div class="text"> CHAPITRE II Versets 1-4. S. Chrysostome : (hom. 21 sur S. Jean.) Jésus est invité à ces noces, parce qu’il était très-connu dans la Galilée : « Et trois jours après il se fit des noces à Cana, en Galilée. »— ALCUIN. La Galilée est une province de la
2687
https://fr.wikisource.org/wiki/Explication%20suivie%20des%20quatre%20%C3%89vangiles/Chapitre%206
Explication suivie des quatre Évangiles/Chapitre 6
<div class="text"> CHAPITRE VI Versets. 1-14. S. Chrysostome : (hom 42 sur S. Jean) Lorsque des traits viennent tom-
2691
https://fr.wikisource.org/wiki/Explication%20suivie%20des%20quatre%20%C3%89vangiles/Chapitre%208
Explication suivie des quatre Évangiles/Chapitre 8
<div class="text"> CHAPITRE VIII Versets. l-11. alguin. (1) Nôtre-Seigneur, aux approches de sa passion, avait coutume de passer le jour dans le temple de Jérusalem pour y prêcher la parole de Dieu et y opérer dos miracles en prouve de sa divinité ; il retournait le soir à Béthanie où il demeurait chez les sœurs de Lazare, et le lendemain il revenait à Jérusalem pour y recommencer
2693
https://fr.wikisource.org/wiki/Explication%20suivie%20des%20quatre%20%C3%89vangiles/Chapitre%2011
Explication suivie des quatre Évangiles/Chapitre 11
<div class="text"> CHAPITRE XI Versets. 1-5. Bède : L’Evangéliste venait de dire que le Seigneur était allé au delà du Jourdain, et que c’est alors que Lazare tomba malade : « Or, il y avait un homme malade, nommé Lazare, de Béthanie. » De là vient que dans quelques exemplaires la conjonction copulative se trouve placée en tête de ce récit, de manière à le rattacher à ce qui précède.
2694
https://fr.wikisource.org/wiki/Explication%20suivie%20des%20quatre%20%C3%89vangiles/Chapitre%2012
Explication suivie des quatre Évangiles/Chapitre 12
<div class="text"> CHAPITRE XII Versets. 1-11. ALCUIN. Le temps où le Sauveur avait résolu de souffrir approchait ; il se rapprocha donc aussi du lieu où il devait accomplir la mystérieuse économie de sa passion : « Jésus donc, six jours avant la Pâque, vint à Béthanie. » Il se rend d’abord à Béthanie, puis à Jérusalem ; à Jérusalem pour y souffrir, à Béthanie pour que la résurrection de Lazare s’imprimât plus profondément dans la mémoire de tous ; et c’est pour cela que l’Evangéliste ajoute : « Où était mort Lazare, qu’il avait ressuscite. »
2696
https://fr.wikisource.org/wiki/Explication%20suivie%20des%20quatre%20%C3%89vangiles/Chapitre%2014
Explication suivie des quatre Évangiles/Chapitre 14
<div class="text"> CHAPITRE XIV Versets. 1-4. S. AUG. (Traité 67 sur S. Jean.) Le Sauveur voulant prévenir la crainte tout humaine que sa mort pouvait produire dans l’âme de ses disciples et le trouble qui devait s’en suivre, cherche à les consoler, en leur déclarant qu’il est Dieu lui-même : « Et il dit à ses disciples : Que votre cœur ne se trouble point, vous croyez en Dieu, croyez aussi en moi, » c’est-à-dire, si vous croyez en Dieu, par une conséquence nécessaire, vous devez croire en moi, conséquence qui ne serait point légitime, si Jésus-Christ n’était pas Dieu. Vous craignez la mort pour la nature du serviteur, que votre cœur ne se trouble
2697
https://fr.wikisource.org/wiki/Explication%20suivie%20des%20quatre%20%C3%89vangiles/Chapitre%2015
Explication suivie des quatre Évangiles/Chapitre 15
<div class="text"> CHAPITRE XV Versets 1-7 S. Chrysostome : (hom. 75 sur S. Jean) Après leur avoir déclaré qu’ils purs à cause des instructions qu’il leur avait données, il leur enseigne à faire ce qui dépend d’eux pour prêter leur concours à la grâce : « Demeurez en moi, et moi en vous. » — S. AUG. (Traité 81 sur S. Jean. ) Ils n’étaient pas en lui de la même, manière qu’il était en eux, car cette union réciproque ne pouvait être utile qu’à eux seuls. Les branches sont unies étroitement à la vigne, mais sans lui rien communiquer ; tandis que c’est d’elle qu’ils tirent le principe de leur vie. La vigne, au contraire, est unie aux branches de manière à leur communiquer sa sève vivifiante, sans rien recevoir d’eux. Ainsi cette demeure de Jésus-Christ dans les apôtres et des apôtres dans Jésus-
2826
https://fr.wikisource.org/wiki/Rapport%20de%20la%20Commission%20d%E2%80%99enqu%C3%AAte%20internationale%20sur%20les%20all%C3%A9gations%20de%20violations%20des%20droits%20de%20l%E2%80%99homme%20en%20C%C3%B4te%20d%E2%80%99Ivoire
Rapport de la Commission d’enquête internationale sur les allégations de violations des droits de l’homme en Côte d’Ivoire
Commission enquête violation Côte-d’Ivoire 2004 Droits de l'homme == Commission d’enquête internationale sur les allégations de violations des droits de l’homme en Côte d’Ivoire <div class="text" > Commission d’enquête internationale sur les allégations de violations des droits de l’homme en Côte d’Ivoire Rapport sur la situation des droits de l’homme en République de Côte d’Ivoire depuis le 19 septembre 2002 jusqu’au 15 octobre 2004 conformément aux dispositions de l’annexe VI de l’Accord de Linas-Marcoussis et à la Déclaration du président du Conseil de Sécurité du 25 mai 2004 (PRST/2004/17) Introduction Le présent rapport a été établi conformément aux dispositions du document intitulé « Termes de référence ». La méthodologie qui a présidé à cet effet est exposée au chapitre III. Conformément à son mandat, la Commission a procédé à des investigations approfondies aussi bien sur l’ensemble du territoire de la Côte d’Ivoire que dans les pays limitrophes. La Commission a cru bon d’agir ainsi, afin d’être mieux à même de s’approcher des préoccupations qui animent tant les Ivoiriens que la communauté internationale, et qui tendent à connaître la vérité dans la mesure du possible sur les événements qui se sont déroulés en Côte d’Ivoire à partir du 19 septembre 2002 en vertu de la compétence ratione temporis du mandat de la Commission. Cette démarche s’explique en outre par le souci de la Commission de mettre à la disposition des instances internationales compétentes, politiques mais surtout judiciaires éventuelles, un instrument susceptible de permettre de se faire une opinion claire quant à la participation de certaines personnes ou groupes de personnes à la perpétration des actes que la Commission a considérés comme étant constitutifs de violations graves des droits de l’homme, du droit international humanitaire ou ceux relatifs aux crimes contre l’humanité. Un tel document pourrait ainsi servir de base aux incriminations et aux poursuites éventuelles devant la justice internationale. En effet, pour les raisons exposées dans le rapport, la Commission estime que l’appareil judiciaire ivoirien n’est pas, à l’heure actuelle, en mesure de fonctionner de façon adéquate, impartiale et en toute indépendance. Le rapport se compose de 12 chapitres: Introduction (I) ; Objectifs de la mission (II) ; Méthodologie (III) ; Contexte géographique, sociopolitique et économique des événements survenus en Côte d’Ivoire (IV) ; Violations des droits de l’homme (V) ; Administration de la justice (VI) ; Violations du droit international humanitaire (VII) ; Implications des pays limitrophes et autres dans la crise ivoirienne (VIII) ; Responsabilités (IX) ; Actions menées par la Commission (X) ; Conclusions (XI) ; Recommandations (XII) Ces chapitres sont suivis de deux types d’annexes. Les premières se composent de documents de référence générale dont tout lecteur du rapport pourrait prendre connaissance; les secondes sont constituées de documents confidentiels non accessibles au public : il s’agit d’une part de la liste des témoins entendus et d’autre part de celle des personnes que la Commission a considérées comme ayant commis les plus graves violations des droits de l’homme, du droit international humanitaire ou des crimes contre l’humanité. Genèse de la Commission A la suite des événements qui ont eu lieu en Côte d’Ivoire le 19 septembre 2002, les acteurs politiques ivoiriens se sont réunis à Marcoussis sous les auspices de la France et de l’Organisation des Nations Unies, de l’Union africaine, de la Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest et de l’Organisation internationale de la francophonie. C’est à cette occasion qu’ils ont invité la communauté internationale à instituer une Commission d’enquête. En effet, l’annexe VI point 2 de l’Accord de Linas-Marcoussis dispose : « le gouvernement de réconciliation nationale demandera la création d’une Commission internationale qui diligentera des enquêtes et établira les faits sur toute l’étendue du territoire national afin de recenser les cas de violation graves des droits de l’homme et du droit international humanitaire depuis le 19 septembre 2002 ». La requête d’instituer une telle Commission a été réitérée par le président de la République de Côte d’Ivoire, Laurent Gbagbo, dans plusieurs correspondances envoyées au Secrétaire général de l’ONU. Mandat, durée et activités de la Commission Le mandat de la Commission est spécifié dans le dispositif du paragraphe 3 de l’annexe VI des Accords de Linas-Marcoussis ainsi que dans les « Termes de référence » élaborés par le Haut Commissaire des Nations Unies aux Droits de l’Homme. Le premier volet du mandat de la Commission est mentionné au point 3 de l’annexe VI des Accords de Linas-Marcoussis. Il dispose que « sur le rapport de la Commission internationale d’enquête, le gouvernement de réconciliation nationale déterminera ce qui doit être portés devant la justice pour faire cesser l’impunité ». Le mandat conféré à la Commission est explicité dans les « Termes de référence » en son paragraphe 2. Selon cette disposition, la Commission aura pour missions : a. d’enquêter sur les allégations de violations graves des droits de l’homme et du droit international humanitaire commises sur tout le territoire de la Côte d’Ivoire depuis le 19 septembre 2002. b. d’établir les faits et les circonstances de la perpétration de ces violations et dans la mesure du possible, d’identifier leurs auteurs. c. d’élargir les enquêtes sur les allégations de ces violations à des pays voisins en cas de besoin. Quant à la durée de sa mission, il est prévu au point 1 des « Termes de référence » évoqués ci-dessus, que « la Commission réalisera ses activités dans une durée de trois mois ». Afin de mener à bien ses activités, la Commission a eu la possibilité de se déployer effectivement sur l’ensemble du territoire de la Côte d’Ivoire y compris dans la partie qui se trouve sous le contrôle des Forces Nouvelles. La Commission s’est aussi rendue dans quelques pays voisins de la Côte d’Ivoire au cours des deux mois passés sur le terrain. Il s’agit du Burkina Faso, du Mali, du Ghana et du Liberia. Le choix de ces pays a été justifié par la présence d’Ivoiriens qui ont fui les zones de combat dans leur pays et ont naturellement cherché refuge à l’étranger. Par ailleurs, ce choix s’explique par la présence dans ces pays des natifs fuyant aussi les zones de combats ou cherchant à se soustraire d’exactions de toutes sortes dont ils étaient victimes en Côte d’Ivoire. Faute de temps, la Guinée n’a pas pu être visitée. Les répercussions de la crise ivoirienne sur les pays voisins ont aussi déterminé le choix des États visités. Toutefois, le déplacement d’Accra a été souhaité par le président de la République de ce pays, en sa qualité de président en exercice de la Communauté économique et de développement des États d’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) et eu égard au rôle majeur que cette organisation sous-régionale a joué dans la résolution des crises qui secouent l’Afrique de l’Ouest. Composition de la Commission Selon les dispositions II des « Termes de référence », « la Commission sera composée de cinq experts indépendants de haute qualification et moralité, disposant d’une expertise reconnue dans le domaine des droits de l’homme et du droit international humanitaire et, de préférence d’une connaissance approfondie de la région et de ses problèmes. L’exigence de représentation équilibrée des sexes sera dûment prise en compte ». Conformément à la disposition I, 1 des « Termes de référence », le Haut Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme a nommé en qualité de membres de la Commission les personnalités ci-après : Madame Fatimata Mbaye (Mauritanie), avocate ; Madame Radhia Nasraoui (Tunisie), avocate ; Monsieur Gérard Balanda Mikuin Leliel (République Démocratique du Congo) professeur d’Université et avocat ; Monsieur Almiro Rodrigues (Portugal), ancien juge au Tribunal pénal international pour l’ex-Yougolavie ; Monsieur Aref Mohamed Aref (Djibouti), avocat. Le 14 juillet 2004, à Genève, la Commission a élu son président et un vice-président, respectivement le Professeur Gérard Balanda et Madame Radhia Nasraoui. Elle a également examiné et adopté son règlement intérieur. Objectifs de la mission Contribuer à la recherche de la vérité Les enquêtes telles que spécifiées dans la partie du présent rapport consacrée à la méthodologie devraient, de l’avis de la Commission et, conformément aux vœux maintes fois répétés devant elle par les Ivoiriens, contribuer à la recherche de la vérité quant aux événements qui se sont produits en Côte d’Ivoire depuis le 19 septembre 2002 jusqu’à la date du dépôt du rapport de la Commission le 15 octobre 2004. Constituer un instrument de travail utile La Commission a tenu à faire un document utile de peur de voir le présent rapport passer pour une pure analyse et donc avoir simplement un caractère descriptif. En effet, conformément au dispositif 3 de l’annexe VI de l’Accord de Linas-Marcoussis « sur le rapport de la Commission, le gouvernement de réconciliation nationale déterminera ce qui doit être porté devant la justice pour faire cesser l’impunité ». Une telle utilité suppose comme le souligne le paragraphe 2 (b) des « Termes de référence » non seulement « d’établir les faits et les circonstances de leur perpétration, mais, dans la mesure du possible, d’en identifier les auteurs ». C’est donc à dessein que la Commission s’est employée à mener ses enquêtes de façon très approfondie auprès des personnes qui ont occupé une place centrale dans les événements tombant dans le champ de son mandat. De même, la Commission a tenu à vérifier systématiquement le contenu de certains témoignages importants susceptibles de permettre la mise en cause ou à disculper la responsabilité de certaines personnalités sur qui pesaient des rumeurs quant à leur participation directe ou indirecte, individuelle ou collective dans les assassinats ou des actes de torture, de viol ou d’autres formes de violations graves des droits de l’homme, du droit international humanitaire et des crimes contre l’humanité. La Commission a ainsi jugé nécessaire de donner un tel éclairage dans un chapitre intitulé et consacré à la responsabilité. Une telle tâche combien délicate a cependant été menée dans le seul souci de vérité. La même quête de découverte de la vérité a abouti à la découverte de nouveaux sites d’exactions ou d’inhumation collective. Cela a notamment conduit la Commission à proposer d’établir une distinction entre les charniers et les lieux d’exécutions sommaires et extra judiciaires. En effet, dans le vocabulaire courant, le vocable charnier prête à confusion. Pour la Commission, il y a lieu de distinguer entre charniers et d’autres lieux qui contiendraient des restes des êtres humains. À cet effet, la Commission qualifie de charniers uniquement des lieux où des exécutions sommaires ou extra judiciaires ont été perpétrées et où des êtres humains ont été collectivement ensevelis. L’expression fosses communes est, dans le cadre du présent rapport, réservée aux lieux d’inhumation collective des corps ou des restes humains. De tels enterrements ont en effet été pratiqués par des autorités publiques ou par des organismes humanitaires tels que les agents du CICR, de la Croix Rouge Nationale ou par ceux du Croissant Rouge pour des raisons d’hygiène ou afin d’éviter la propagation des épidémies. La même préoccupation d’approfondir la collecte des données a amené la Commission à visiter les hôpitaux, les morgues et les cimetières, à se doter de photos ou à rechercher des preuves écrites, sonores ou audio-visuelles. Cela est reflété dans la méthodologie qui a été suivie par la Commission. Contribuer aux efforts de règlement de la crise ivoirienne, au retour de la paix et à la réunification du pays C’est en disant et recherchant la vérité que le travail de la Commission pourra seulement apporter sa modeste contribution parmi les efforts visant au règlement de la crise ivoirienne et plus singulièrement au retour rapide de la paix et à la réunification du pays. Mettre fin à l’impunité et à l’irresponsabilité De tels objectifs de la mission de la Commission peuvent à long terme, contribuer à mettre progressivement fin à l’impunité et à l’irresponsabilité généralisées qui caractérisent la Côte d’Ivoire depuis les violences dont ce pays a été le théâtre.À long terme également, ces objectifs pourraient constituer des ingrédients indispensables à la restauration de l’État de droit en Côte d’Ivoire. Tout État de droit a parmi ses piliers majeurs l’administration de la justice. C’est donc à juste titre que les parties signataires des accords de Linas-Marcoussis ont déclaré au paragraphe 3 de la disposition VI de l’annexe audit Accord que grâce au rapport de la Commission internationale d’enquête, le gouvernement de réconciliation nationale déterminera ce qui doit être porté devant la justice pour faire cesser l’impunité. C’est aussi à bon droit que les signataires de l’Accord de Marcoussis ont unanimement déclaré « condamner particulièrement les actions des escadrons de la mort et de leurs commanditaires ainsi que les auteurs d’exécutions sommaires sur l’ensemble du territoire et que les auteurs et complices de ces activités devront être traduits devant la justice pénale internationale ». Méthodologie La Commission a commencé ses travaux le 12 juillet 2004 à Genève et a élaboré son règlement intérieur comme il se doit être en pareille situation le 14 juillet 2004. Sources documentaires Au cours des réunions organisées par le Haut Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme les 12, 13 et 14 juillet 2004, la Commission a eu des sessions d’information notamment sur la situation politique en Côte d’Ivoire et les aspects sécuritaires. Avant son départ en Côte d’Ivoire, la Commission a rencontré des membres du corps diplomatique accrédités en Côte d’Ivoire ainsi que des représentants des ONGs. Elle a obtenu une documentation du Haut Commissariat sur la crise en Côte d’Ivoire notamment les rapports d’autres commissions d’enquête envoyées dans ce pays. Sur le terrain et dans les pays limitrophes, la Commission a obtenu un nombre important de documents des Ministères, des organisations nationales et internationales, des organisations humanitaires, des partis politiques, des témoins et victimes. Il s’agit de documents écrits, de photos, de cassettes sonores et audiovisuelles. La Commission tient à signaler, cependant, qu’une grande partie de la documentation dont elle dispose lui a été remise les derniers jours et même au moment où elle s’apprêtait à quitter la Côte d’Ivoire. Collecte des informations par voie de témoignages Le 15 juillet 2004, la Commission s’est rendue en Côte d’Ivoire où elle a passé deux mois. Durant cette période, elle a entendu des centaines de témoins et de victimes de violations des droits de l’homme ou du droit international humanitaire. Elle a également recueilli des témoignages indirects de parents, amis ou voisins qui ont assisté à des violations ou en ont eu connaissance. En plus des témoignages individuels, la Commission a eu des témoignages collectifs de membres d’associations et de réseaux dont les activités sont en rapport avec son mandat. Visite des sites et lieux Afin d’accomplir sa mission, la Commission ne se s’est pas contentée des témoignages. Elle s’est rendue pratiquement dans tous les lieux et sites qui lui ont été signalés notamment les charniers, les fosses communes, les lieux d’exécutions sommaires et les cimetières, plus particulièrement dans les régions du Nord, de l’Ouest et du Centre Ouest. La Commission a pu découvrir de nouveaux charniers essentiellement à Man, à Korhogo, à Bouaké, à Toulepleu, à Blolequin, à Bangolo, à Vavoua et à Yamoussoukro. Elle a été assistée au cours de ces visites par la Police civile des Nations Unies (CIVPOL). La Commission regrette cependant de n’avoir pas visité les sites à Monoko-Zohi, Pélézi et Zouan-Hounien pour des raisons indépendantes à sa volonté. Elle a toutefois obtenu de nombreux témoignages et documents sur les évènements qui s’y sont produits. La Commission a également visité des hôpitaux afin de recueillir des témoignages de victimes de violations ou de s’entretenir avec des médecins et des autres membres du personnel hospitalier. La Commission a visité plusieurs morgues aussi bien à Abidjan que dans les autres villes de la Côte d’Ivoire. Elle a pu de la sorte obtenir et vérifier des informations relatives à des assassinats ou des tueries des personnes dont les dépouilles se trouvaient à ces endroits. La visite des prisons et lieux de détention a permis à la Commission de s’entretenir sans témoin avec des prisonniers et des détenus et de connaître ainsi les conditions de vie dans ces lieux.À cette fin, la Commission s’est notamment rendue à la MACA (Maison d’arrêt et de correction d’Abidjan), MAMA (Maison d’arrêt militaire d’Abidjan), et les lieux de détention de la Direction de surveillance du territoire (DST) et de la police judiciaire à Abidjan. Au Nord, elle a visité notamment les prisons de Bouaké, de Man, de Korhogo, de Boundiali, et d’Odiénné. Il en est de même des autres lieux de détention. À Ouagadougou, la Commission a eu l’occasion de visiter la prison centrale et de s’entretenir sans témoin avec un détenu dont la situation avait été portée à sa connaissance. La Commission a eu l’occasion de visiter des camps militaires, de gendarmerie et de police. Elle a pu obtenir des informations et des témoignages sur les évènements importants qui s’y sont déroulés. En raison de l’importance de la question des réfugiés et des déplacés de guerre, de leur nombre et des problèmes qu’ils posent, la Commission s’est rendue également dans ces camps et a pu recueillir des témoignages qui lui ont permis de se rendre compte des conditions de vie dans ces lieux. Le mandat de la Commission a également nécessité le déplacement dans certains pays limitrophes, le Burkina-Faso, le Mali, le Libéria et le Ghana. Le séjour dans ces pays a duré dix jours et a permis à la Commission de vérifier l’implication de certains de ces pays dans la crise en Côte d’Ivoire, de recueillir des témoignages de victimes, de réfugiés, et de visiter certains lieux. Elle a pu ainsi vérifier des informations sur des allégations de violations graves des droits de l’homme et du droit international humanitaire. Les institutions rencontrées en Côte d’Ivoire et dans les pays limitrophes La Commission a rencontré les institutions dont la nature ou l’activité est en rapport avec son mandat. Il s’agit des institutions officielles, d’autres institutions et organisations et de la société civile. Toutes ces institutions, par leur engagement et observations, ont fourni à la Commission beaucoup d’informations, documentation et témoignages. En Côte d’Ivoire Les institutions officielles La Commission a été reçue à deux reprises par le président Laurent Gbagbo. Elle a également été reçue par le Premier ministre et a eu des séances de travail avec les ministres dont les services sont en rapport avec son mandat. Il s’agit notamment du ministre des Affaires étrangères, de la Défense, de la Justice, de la Sécurité interne, de l’Administration territoriale et de la Réconciliation nationale. La Commission s’est également entretenue avec le président du Parlement et celui du Conseil économique et social. Avant son départ de la Côte d’Ivoire, elle a eu un entretien avec la Première Dame, Simone Gbagbo. D’autres institutions et organisations La Commission a rencontré, à Abidjan plus d’une fois, les représentants des Forces Nouvelles (FAFN) et leur comité directeur conduit par le Secrétaire général des Forces Nouvelles Guillaume Soro. En outre, des responsables civils et militaires des Forces nouvelles ont été rencontrés à Man, Korhogo, Bouaké, Boundiali, Odiénné et Ferkessedougou. La Commission a été reçue par les partis politiques suivants avec lesquels elle a eu des échanges de vue sur les questions relatives à son mandat : Union pour la démocratie et la paix en Côte d’Ivoire (UDPCI) ; Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI) ; Rassemblement des républicains (RDR) ; Front populaire ivoirien (FPI) ; Parti ivoirien des travailleurs (PIT) ; Mouvement des forces de l’avenir (MFA) et Parti communiste révolutionnaire de Côte d’Ivoire (PCRCI). Des réunions ont été également organisées avec les rois traditionnels, les notables et les chefs coutumiers d’une part par respect aux traditions africaines et d’autre part afin de faciliter le travail de la Commission auprès des populations dépendant de ces autorités. De plus, la Commission s’est entretenue avec les représentants des confessions religieuses. Les représentants du système des Nations Unies et notamment le Représentant spécial du secrétaire général des Nations Unies en Côte d’Ivoire et au Libéria ont reçu la Commission, lui ont fourni informations et documentations utiles. De même, les agences humanitaires ont collaboré avec la Commission en sensibilisant les témoins à se présenter devant elle. La Commission a estimé utile d’avoir des entretiens avec les Forces de la Licorne et les observateurs militaires de l’ONU compte tenu de leur présence sur le terrain depuis une période relativement longue. Elle les a rencontré plus d’une fois et dans les régions où ces forces sont déployées. La société civile La Commission a rencontré les représentants des organisations et associations de la société civile ; il en a notamment été ainsi pour : Association pour la défense des droits de l’homme (ADDH) ; Mouvement ivoirien des droits de l’domme (MIDH) ; Action pour la protection des droits de l’homme (APDH) ; Fédération de l’organisation de la société civile pour la paix ; Réseau des intellectuels ivoiriens ; Coalition de la société civile pour la paix et le développement en Côte d’Ivoire ; Coordination des mouvements des Ivoiriens du Nord de la Côte d’Ivoire (COMIN-CI) ; Fédération nationale des victimes de la guerre en Côte d’Ivoire ; Association des Maliens de Côte d’Ivoire ; Association des Burkinabés en Côte d’Ivoire ; Collectif des victimes des 25 et 26 Mars 2004 ; Comité des victimes de guerre de Bouaké ; Conseil d’action humanitaire musulman en Côte d’Ivoire (CAHMCI) ; Conseil national Islamique ; Association des imans (COSIM) ; Forum religieux supérieur ; Forum religieux ; Forum national sur la dette et la pauvreté ; Groupe d’études et de recherches sur la démocratie et le développement (GERDDES-CI) ; West African Network for Peace Building section ivoirienne (WANEP-CI) ; Union des patriotes pour la libération totale de la Côte d’Ivoire ; Réseau ivoirien des organisations féminines ; Vision et action des femmes africaines contre la guerre (VAFAG) ; Organisation des femmes actives de Côte d’Ivoire (OFACI) ; Femmes net CI ; Promotion et santé de la femme (PROSAF) ; Réseau des femmes ministres et parlementaires (REFAMP-CI) ; Fédération des femmes entrepreneurs ; Organisation des femmes d’Eburnie pour la paix (FEFEDES-CI/OFEP) ; Alliance de la jeunesse ; Fédération estudiantine et scolaire de Côte d’Ivoire (FESCI) et Association générale des élèves et étudiants de Côte d’Ivoire (AGEECI). Dans les pays limitrophes Au Burkina-Faso, au Mali et au Libéria, la Commission a eu des séances de travail avec les instances gouvernementales. Au Burkina-Faso et au Mali, elle a rencontré, particulièrement des réfugiés, des victimes de guerre en Côte d’Ivoire et leurs représentants. Dans les pays limitrophes, la Commission a également rencontré des représentants du système des Nations Unies, des agences humanitaires ainsi que ceux de la société civile. Par contre, le voyage de la Commission au Ghana, programmé à la demande du président John Kuefor et en raison du rôle joué par ce pays dans la résolution de la crise en Côte d’Ivoire et dans la sous-région a été inutile. En effet, le président Kuefor et plusieurs de ses ministres étaient absents à la date prévue. Quant aux représentants du système onusien, ils étaient en congé hebdomadaire ! Coopération avec la Commission La Commission a bénéficié de la coopération des différentes parties en Côte d’Ivoire malgré les difficultés rencontrées. Le président Gbagbo a signé un document invitant toutes les autorités, les institutions et administrations publiques à fournir à la Commission toute la documentation nécessaire et de lui permettre d’accéder à tous les lieux sans restriction. Il a mis en place un comité de liaison pour collaborer avec la Commission. Celle-ci a eu plusieurs réunions avec ce comité. Dans la région du Nord, les Forces Nouvelles ont également délivré à la Commission un document demandant à toutes les parties de lui permettre de circuler librement et d’accomplir sa mission dans de bonnes conditions. À cet effet, la chaîne de télévision des Forces Nouvelles à Bouaké a diffusé un communiqué appelant les populations à témoigner devant la Commission des violations des droits de l’homme et du droit humanitaire international, quelque soit les responsables de ces violations ! Difficultés rencontrées Au cours de sa mission, la Commission a éprouvé des difficultés qu’elle estime nécessaire de mentionner dans le présent rapport. Contour du mandat et gestion du temps La Commission n’a pas eu pleine information sur les contours de son mandat. Elle aurait souhaité passer plus de temps à Genève avant de se rendre en Côte d’Ivoire pour se préparer à mieux appréhender la situation du pays concerné par l’enquête. Ni sa mission, ni le temps qui lui a été accordé sur le terrain et pour la rédaction de son rapport n’ont été définis de manière précise. Cela a beaucoup perturbé son travail. Exigences de confidentialité et protection des témoins Au cours de sa mission aussi bien en Côte d’Ivoire (au Nord et au Sud) que dans les pays limitrophes, la Commission a constaté à quel point certains témoins étaient terrorisés. Ils n’osaient pas la contacter par crainte de représailles de toutes les parties. À Abidjan, certains témoins ont exprimé clairement leur refus de se présenter dans les locaux de la Banque Mondiale où siégeait la Commission ou dans la résidence Sainte-Anne où elle s’est installée les premiers temps. La présence constante de personnes « inconnues » à ces endroits décourageait certains témoins. Cela a poussé la Commission à déménager dans un lieu susceptible de mieux garantir l’anonymat et la protection des témoins. D’autres témoins se sont présentés mais hésitaient à parler en toute liberté craignant des représailles du côté du gouvernement pour certains et du côté des Forces Nouvelles pour d’autres. Consciente de ce problème, la Commission a toujours insisté au début de toutes les réunions et contacts que son travail se base sur la confidentialité et que les noms ne peuvent être divulgués ni d’ailleurs les données susceptibles de permettre à en identifier la source. Règles de sécurité Les règles de sécurité imposées à la Commission ne concordaient pas avec la nature de ses activités consistant essentiellement à mener des enquêtes. Bien que nécessaire, le respect des dites règles a parfois bloqué le travail de la Commission dont les membres ne pouvaient se déplacer discrètement pour contacter les témoins spécialement ceux qui avaient peur de se présenter. En effet, les règles de sécurité en vigueur sont en contradiction avec la discrétion exigée par l’activité d’enquête et surtout avec le principe selon lequel la protection des témoins commence bien avant leur témoignage. Cette position de la Commission a été corroborée par le fait qu’après son départ et plus précisément le lundi 4 octobre 2004, quatre personnes travaillant comme gardiens chez Alassane Dramane Ouattara dont certains ont témoigné dans les locaux de la Banque Mondiale ont été arrêtés et torturés. Trois d’entre eux ont été libérés alors que le quatrième Bandolo Jean Marc, a été tué par les agents de sécurité qui l’ont jeté dans la lagune alors qu’il était très affaibli, selon les survivants. Un autre témoin avait été arrêté à Abidjan au moment où la Commission était encore dans le pays. Il a été libéré suite à l’intervention de la Commission. La Commission estime ainsi qu’il y a lieu d’adapter les règles de sécurité en vigueur au travail d’enquête. Dissimulation de la vérité L’intention de dissimuler certains faits ou certaines preuves a été claire chez certaines parties aussi bien dans le Sud que dans le Nord, ce qui n’a pas facilité la tâche de la Commission. Certains témoins sont venus devant la Commission donner des informations dans l’espoir d’obtenir en contre partie une protection leur permettant de quitter le pays. Contexte géographique, socio-politique et économique Au niveau sous-régional Depuis plus de 20 ans, la sous-région ouest africaine connaît une série de coups d’État militaires qui ont eu des conséquences néfastes sur les populations civiles et sur la gestion des affaires gouvernementales de certains pays tant sur le contexte politique qu’économique et social. Contexte politique L’analyse du contexte politique général de l’Afrique de l’Ouest révèle un tableau géopolitique assez troublant et dramatique. Cette situation chaotique trouve en grande partie ses causes dans les difficultés et les réticences des gouvernants d’accepter les principes du partage du pouvoir et de la démocratie. En effet, l’accession à l’indépendance de la plupart des pays africains en 1960 avait favorisé la mise en place de gouvernements mimés sur le modèle français de la Ve République sans toutefois intégrer le principe de la séparation des pouvoirs. Cela a eu pour conséquence des revendications syndicales et politiques qui se sont souvent soldées dans la répression et la prise du pouvoir par les juntes militaires dans plus de 13 pays sur les 16 pays ouest africains qui constituent aujourd’hui la CEDEAO. De tout temps, la sous-région a eu la tradition d’accueillir des opposants politiques exilés dans les pays voisins, tels que la Côte d’Ivoire, le Sénégal et autres, pour échapper à la répression et à la persécution dans leur pays. La stabilité et la prospérité de ces pays avaient attiré nombre d’immigrés intellectuels mais aussi des analphabètes à la recherche d’un gagne pain. Ces flux migratoires n’ont souvent pas été sans heurts, surtout au moment des crises économiques des années 80. A partir des années 90, les revendications pour l’ouverture à la démocratie et au multipartisme se firent de plus en plus sentir. Cela a rendu la sous-région plus fragile, de sorte que certains experts géopoliticiens considérèrent l’Afrique de l’Ouest comme une véritable poudrière suite aux conflits armés en Sierra Leone, au Libéria, en Guinée Bissau et à la succession des coups d’États à l’exception de la Côte d’Ivoire de l’époque et du Sénégal. La menace d’une éventuelle implosion sous-régionale a amené le président François Mitterrand à inviter les chefs d’États africains francophones au sommet de la Baule en 1990. Les conséquences sont notamment le fait de chercher à endiguer la contestation de plus en plus violente des opposants et faire admettre aux pouvoirs en place de lâcher du lest en instaurant un processus démocratique et un multipartisme en Afrique. Ce consensus politique est intervenu dans un environnement socio-économique déjà miné par le recours au système clanique et tribaliste. Ces conflits, dont les tenants et les aboutissants ne seront pas approfondis dans ce rapport ont eu des conséquences fâcheuses dans certains pays limitrophes comme la Côte d’Ivoire, la Guinée Conakry, le Ghana. L’affluence de populations déplacées et réfugiées qui se sont installées le long des frontières a permis l’émergence d’une nouvelle classe économique et sociale. Contexte économique et social La sous-région a beaucoup souffert de la dégradation des conditions climatiques des années 73 qui ont occasionné l’exode des populations des pays du Sahel et de la savane vers les pays forestiers et côtiers, notamment la Côte d’Ivoire, pays francophone et limitrophe de plus de cinq pays dont les économies étaient mises à rude épreuve par les conflits. La perméabilité des frontières a accentué ce flux des populations en quête de quiétude et de bien-être vers les pays les plus prospères. Il en a résulté des situations de chocs économiques et sociales auxquelles ni les États ni les populations n’étaient préparés. La production des cultures vivrières et industrielles ainsi que l’exploitation des matières premières (cacao, café, coton, arachides, bois, or, diamant, pétrole, etc.) sont le premier motif de la ruée de plus des 2/3 des forces ouvrières de la région vers les zones côtières et forestières. En revanche, les plans d’ajustement structurel du FMI et de la Banque Mondiale, les crises économiques et les inflations des années 80 ont amené certains États et gouvernements Ouest-Africains à entreprendre des politiques de limitation de la circulation des populations et des biens, avec des mesures d’expulsion d’une grande partie de cette main-d’œuvre ouest-africaine vers d’autres contrées plus lointaines (Congo, Gabon, ex Zaïre, Angola, etc.) et des mesures de fermeture et de privatisation de sociétés. Pour faire face à cette situation, les États d’Afrique de l’Ouest ont créé le 15 mai 1975 la CEDEAO (Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest). Cette communauté économique comptait initialement 16 pays [1]. L’objectif de cette organisation consiste à promouvoir la coopération et l’intégration avec, en filigrane, une politique économique commune pouvant assurer la croissance économique, l’amélioration du niveau de vie des populations et la promotion des relations entre les États membres. L’insécurité et les conflits armés ont amené les États membres de la CEDEAO à prendre plusieurs mesures afin d’échapper à la spirale des conflits internes et des coups d’État et à ratifier un certain nombre de traités [2]. La libéralisation du commerce, mais surtout la porosité des frontières, renforcée par la présence de part et d’autre de celles-ci des mêmes groupes ethniques, voire de mêmes familles (séparés par la colonisation avec des frontières artificielles issues des indépendances) a favorisé la création de pactes socioculturels entre les habitants de ces pays. Les conflits ont attiré toute sorte d’acteurs et ont permis l’éclosion d’une nouvelle économie telle la commercialisation frauduleuse des matières premières et le trafic des armes dans la sous-région. Les combattants et les opposants politiques africains ont de tout temps bénéficié de la protection des pays limitrophes en tant que réfugiés ou exilés politiques. C’est ainsi que la Côte d’Ivoire a été pendant fort longtemps une terre d’asile pour les ressortissants Ouest-africains sans distinction aucune. Au niveau ivoirien Située sur la côte Ouest de l’Afrique, dans la partie Nord du Golfe de Guinée, la Côte d’Ivoire couvre une superficie de 322 500 km2. La Côte d’Ivoire est organisée administrativement en 18 régions et 50 départements. Elle partage ses frontières avec le Ghana à l’Est, le Libéria et la Guinée à l’Ouest, le Mali et le Burkina Faso au Nord. Le pays est divisé en zone forestière au Sud et zone de haute savane au Nord. Il compte une population de plus de 15, 9 millions avec un taux de croissance de 3, 3 % par an dont 26 % d’étrangers selon le résultat du recensement de 1998. La Côte d’Ivoire est un pays multiconfessionnel : le Nord est majoritairement musulman et le Sud chrétien et animiste. Il est composé d’une soixantaine d’ethnies regroupées dont les plus connues sont : * les Sénoufo, Dioula et Malinké ; les Gouro, Baoulé et Mangoro ; les Yacoubas, Dan, Bété, Guéré, Wobe, Krou et Dida ; les Ebrié, Adiokrou, Apollonien et Abbey et les Attié, les Akan. Contexte juridique La Constitution Ivoirienne du 23 juillet 2000, reconnaît aux individus les droits et libertés qu’ils exercent sous le contrôle de l’autorité judiciaire, sur laquelle repose la responsabilité de sauvegarder la liberté individuelle et d’assurer le respect des droits fondamentaux dans les conditions prévues par la loi. Le président de la République a l’initiative des lois d’amnistie concurremment avec l’Assemblée nationale et dispose du droit de grâce. En outre, le pays dispose d’un corps juridique normatif capable d’offrir à la société un minimum de protection et les garanties propres à un État de droit mais en réalité les textes ne sont pas souvent appliqués, comme il est exposé à la section sur l’adminstration de la justice. De plus, la Côte d’Ivoire a ratifié plusieurs instruments internationaux [3] en matière de droits de l’homme, y compris les normes internationales du travail. Ensemble normatif dont la prééminence hiérarchique sur le droit interne est également consacré par la Constitution, dont l’art. 87 prévoit que « Les Traités ou Accords régulièrement ratifiés ont, dès leur publication, une autorité supérieure à celle des lois, sous réserve, pour chaque Traité ou Accord, de son application par l’autre partie. » De plus, le préambule de la Constitution actuellement en vigueur proclame l’adhésion aux droits et libertés tels que définis dans la Déclaration universelle des Droits de l’Homme de 1948 et dans la Charte africaine des Droits de l’homme et des peuples de 1981. La Constitution en vigueur consacre également les droits et libertés fondamentales, portant sur les droits civils, politiques, économiques, sociaux et culturels. L’État s’engage à prendre des mesures législatives ou réglementaires pour en assurer l’application effective. Par ailleurs, la législation en vigueur reconnaît le droit à toute personne victime de violation de ses droits de recourir à la justice. L’état de fonctionnement de la justice Ivoirienne est reflété dans le chapitre consacré à l’administration de la justice. Cependant, les violations graves des droits de l’homme demeurent une constante en Côte d’Ivoire et ce, malgré l’appareil normatif et institutionnel dont elle s’est dotée dans le but d’assurer la protection et la promotion de ces droits. De plus, depuis le déclenchement de la crise, en septembre 2002, les violations de droits de l’homme n’ont pas cessé de croître dans l’ensemble du territoire. L’impunité existe et constitue un encouragement aux auteurs de ces violations. En application des dispositions de l’Accord de Linas-Marcoussis, la loi – Nº 2004-302, du 3 mai 2004 — portant création d’une Commission des droits de l’homme a été promulguée. Par ailleurs, une loi portant amnistie a également été adoptée au début août. En outre, plusieurs projets de loi adoptés par le gouvernement en janvier 2004 sont soumis à l’examen actuellement de l’Assemblée Nationale. Il s’agit des lois portant sur : la création, l’organisation, les attributions et le fonctionnement de la Commission nationale de supervision de l’identification (CNSI) ; l’obtention et la forme de la carte nationale d’identité ; la modification du décret portant création de l’Office national d’identification (ONI) ; la nomination du président de la Commission nationale de supervision d’identification ; la nomination du Secrétaire général de la Commission nationale de supervision de l’identification. L’Assemblée Nationale examine également un arrêté portant création de la Commission interministérielle de médias et son Secrétariat technique. Contexte politique À l’instar des autres pays de l’ensemble Ouest-africain, la Côte d’Ivoire a vécu sous le monopartisme [4] depuis son accession à l’indépendance en 1960 et un pouvoir centralisé entre les mains du président Félix Houphouët-Boigny jusqu’à la disparition de celui-ci en 1993. Le règne de Houphouët-Boigny ne s’est pas toujours fait sans heurt avec certains membres de la classe politique qui sont entrés dans l’opposition, dont l’actuel président Laurent Gbagbo qui, à plusieurs reprises, a été en prison pour ses revendications et prises de positions politiques. Dans les années 90 il y eut l’émergence d’une opposition organisée et d’une société civile très active. En 1993, une querelle de succession au pouvoir éclata au sein du Parti démocratique de la Côte d’Ivoire (PDCI) entre Henri Konan Bédié, alors président de l’Assemblée nationale et Alassane Dramane Ouattara, Premier ministre d’alors de Houphouët-Boigny. Loin de mettre un terme à leur différend, l’investiture de Bédié comme président de la République consacra plutôt une rupture entre les deux hommes. Le Rassemblement démocratique républicain (RDR) est créé par Djeni Kobina [5] avec l’appui de Alassane Dramane Ouattara, qui actuellement est le leader du RDR. Chacun des deux adversaires politiques chercha à évincer son rival. Bédié inventa le premier, le concept de l’Ivoirité dont il se servit contre Alassane Dramane Ouattara. Ce dernier s’alliera la sympathie des populations du Nord en majorité musulmane. Ce fût le point de départ de l’avènement de ce que d’aucuns appellent le « nationalisme à l’ivoirienne ». Selon les témoignages reçus et les entretiens que la Commission a eus avec certaines personnalités, cette question de nationalité liée à l’Ivoirité, que d’aucuns qualifient à tort de « faux problème », a non seulement nui à l’unité et à la solidarité nationales mais aussi reflète une revendication liée à l’accès au pouvoir politique, aux aspects économiques, à la culture et à l’immigration. Aux élections présidentielles d’octobre 1995, le FPI et le RDR, unis au sein du « Front Républicain », procèdent à un « boycott actif » ; Henri Konan Bédié est alors élu sur fond de contestation de l’opposition alimentée par la violation des libertés fondamentales et les scandales financiers, ayant comme conséquence la perte de la crédibilité internationale de la Côte d’Ivoire. À la fin de son premier mandat, le président Bédié est renversé par un coup d’État le 24 décembre 99 par le Robert Gueï, alors colonel de son état et chef de l’état-major. Le 27 décembre 99, le général Gueï suspendit la constitution et instaura un comité national de salut public composé d’officiers et de sous-officiers des différents corps de l’armée. Il forma un premier gouvernement de transition composé de principaux partis politiques ayant pour objectifs « d’assurer la sécurité des personnes et des biens, restaurer l’autorité de l’État et créer les conditions nécessaires à l’instauration d’une démocratie, en vue de l’organisation d’élections libres et transparentes permettant le retour à une vie constitutionnelle normale ». Très vite, la transition sera minée par un laisser-aller et l’arbitraire de certains éléments des forces armées. La contradiction gagna l’intérieur du CNSP (Comité national de salut public) et le crédit du gouvernement militaire s’effrita sur un fond de répression et de violences (arrestations, torture, exécutions, disparitions, etc.). Devant cette nouvelle situation, le général Gueï opéra un remaniement ministériel le 18 mai 2000, et le RDR qui faisait partie de cette transition quitta le gouvernement en gelant sa participation au sein des Commissions de la transition [6]. Ce départ ne changea rien dans le calendrier référendaire du général Gueï malgré les contestations, les campagnes référendaires sur la nouvelle constitution se focalisèrent sur les conditions d’éligibilité à la magistrature suprême. Le projet de constitution, bien que très hautement contesté, fut adopté le 24 juillet 2000 à la majorité de 86 % des voix [7]. Cette constitution entra en vigueur le 1er août 2000. En octobre 2000, la Cour suprême saisie de la candidature aux présidentielles par 19 partis politiques en rejeta 14 dont celle d’Alassane Dramane Ouattara, candidat du RDR en déclarant celui-ci non éligible au motif qu’il ne remplissait pas tous les critères de la nationalité. Le PDCI (parti du président Bédié) désavoua publiquement la décision de la Cour suprême et le RDR demanda un « boycott passif » des élections présidentielles. L’exclusion du PDCI et du RDR du scrutin ébranla sérieusement l’unité nationale, mais aussi souleva la désapprobation de la communauté internationale tant africaine (OUA) que les Nations Unies. Après les élections mouvementées du 22 octobre 2000, chacun des deux principaux candidats (Robert Gueï et Laurent Gbagbo) se déclarant vainqueur, des émeutes éclatèrent. Les partisans de Gbagbo et tous ceux qui étaient contre le régime militaire s’opposèrent aux partisans de Robert Gueï. Après la fuite du général Gueï dans son village natal, des divergences apparurent entre les manifestants. Certains clamèrent que le processus électoral était vicié et qu’il fallait le reprendre, tandis que pour d’autres, il fallait tout simplement consacrer la victoire de Laurent Gbagbo. Le premier groupe étant pour la plupart composé de militants et sympathisants du RDR et donc d’Alassane Dramane Ouattara dont la candidature avait été rejetée, a été combattu par les partisans de Laurent Gbagbo. Ces affrontements causèrent des centaines de morts, des disparitions et toute une autre série de violations de droits de l’homme. En décembre 2000, la candidature d’Alassane Dramane Ouattara est à nouveau invalidée par la Cour suprême pour « nationalité douteuse ». Ses partisans organisèrent des manifestations qui sont réprimées par les forces de sécurités aidées par les partisans du régime. Une série de violations graves des droits de l’homme s’en suivit [8]. C’est dans cette atmosphère crispée que Laurent Gbagbo arriva au pouvoir. Dès son investiture, son premier souci fut d’organiser un forum pour la réconciliation nationale en octobre et décembre 2001, mais les résultats furent diversement interprétés par les Ivoiriens. En dépit de la mise en place d’un gouvernement « d’ouverture », une rébellion armée éclata le 19 septembre 2002 simultanément dans les principales villes du pays, Abidjan, Bouaké, Korhogo et Man. Cette rébellion eut pour conséquences des assassinats politiques, de nouvelles disparitions et la division du pays en deux zones : le Nord contrôlé par les rebelles ; le Sud et le Sud-Est par le gouvernement. De nouvelles violations massives des droits de l’homme et du droit international humanitaire (décembre 2003 et janvier, mars, avril, juin et juillet 2004) sont constatées par tous les observateurs ; elles sont reflétées dans le chapitre V du rapport.. Compte tenu de leur importance sur la situation politique du pays et de leurs conséquences au regard des droits de l’homme, la Commission a jugé opportun de donner dans ce contexte un éclairage particulier des évènements des 18 et 19 septembre 2002 et leur qualification. Evénements des 18 et 19 septembre 2002 Le 18 septembre 2002, le président de la République se trouvait en visite officielle en Italie. Le ministre d’État et ministre de l’Intérieur et de la Décentralisation d’alors, Emile Boga Doudou est rentré à Abidjan, vers 18h30, venu de Paris. Ayant appris qu’une attaque était imminente, il a fait prendre quelques mesures conservatoires à la suite d’une séance de travail organisée d’urgence. Vers 3h00 du matin, des coups de feu ont été entendus un peu partout dans la ville d’Abidjan. Vers 3h20, des coups de feu ont été tirés au domicile du ministre de la défense d’alors, Lida Kouassi. Les assaillants ont pris son épouse et ses enfants en otage et les ont amené vers le camp Agban, pendant que le ministre est resté caché chez lui. Le domicile de Lida Kouassi a été attaqué par une personne dont l’identité a été révélée à la Commission. Des témoins ont aussi reconnu, parmi les attaquants du camp Agban, d’autres personnes, dont l’identité a été aussi révélée à la Commission. Aux environs de 4h du matin, la résidence de Boga Doudou a été attaquée aux Deux Plateaux à Abidjan. Le ministre Boga Doudou a essayé de s’échapper par la cour d’un voisin, mais les attaquants l’y ont trouvé et l’ont abattu par trois balles de type projectiles de fusils d’assaut. Un peu plus tard, le camp Agban et l’école de la Gendarmerie ainsi que le camp de la Brigade anti-émeute (BAE) ont été attaqués et après de durs combats, ces unités ont pu repousser les agresseurs. Comme conséquence, il y a eu beaucoup de morts parmi les civils et les militaires. Vers 7h10, un détachement a récupéré le corps inanimé de Boga Doudou pour l’amener à la présidence, où Lida Kouassi avait pris la situation en mains et avait commencé à organiser l’armée pour passer à l’attaque, le président étant en Italie et le Premier ministre introuvable. Vers 9h00, le Vicaire général de l’archevêché a appelé Lida Kouassi pour dire que des militaires portant des bérets rouges, étaient venus à la cathédrale et voulaient y entrer sous le prétexte qu’il cachait le général Gueï et qu’il ne voulait pas que les militaires violent l’espace de la cathédrale. C’est dans cette ambiance et peu après que Lida Kouassi a appris que le corps de Gueï avait été retrouvé près de la Polyclinique Pisam. Le 19 septembre 2002, dans l’après midi, Lida Kouassi a fait quelques tours des casernes des policiers pour leur apporter soutien et réconfort moral. Vers 19h30, Lida Kouassi apprend que sa femme avait été libérée. Il apprend aussi la mort de Boga Doudou par le biais du commandant de la BEA à qui il a donné l’ordre de déplacer le corps jusqu’à la résidence du président de la République. Par la suite, deux autres ministres les auraient rejoints à la résidence du président de la République. C’est en présence de ces ministres que le corps de Boga Doudou serait arrivé. Ils auraient pu voir que son visage était intact mais tout son thorax était criblé de balles. Vingt minutes plus tard, Lida Kouassi aurait appris la mort du général Gueï par l’intermédiaire d’un groupe de soldats. Il était environ 9h30 ou 9h45 du matin, alors que Lida Kouassi se trouvait en compagnie de journalistes. Ces derniers, en compagnie du groupe de soldats, seraient allés voir le corps du général Gueï et auraient confirmé sa mort ainsi que celle de son aide de camp et de ses deux gardes du corps. C’est dans la journée que Lida Kouassi aurait appris la mort de Rose Gueï qui serait survenue suite à une balle logée dans la tête et aussi la mort de Fabien Coulibaly. Vers 8h00, l’Ambassadeur d’Allemagne aurait appelé Lida Kouassi pour annoncer qu’Alassane Dramane Ouattara, son épouse et d’autres personnes, avaient trouvé refuge chez lui et qu’il n’avait pas les moyens de les protéger et qu’il craignait pour leur vie. Lida Kouassi a fait son premier discours à la nation le 19 septembre 2002 vers 10h00. Au moment où il décrivait les faits il y avait encore des combats. De même, l’ancien président Bédié aurait également appelé Lida Kouassi pour lui indiquer qu’il se cacherait à la résidence de l’Ambassadeur de Belgique. Le président Laurent Gbagbo aurait téléphoné vers 16h00 pour annoncer qu’il était à l’aéroport de Rome et qu’il voulait rentrer au pays. Lida Kouassi lui aurait conseillé d’attendre, car la ville d’Abidjan n’était pas encore totalement sécurisée. Lida Kouassi aurait pris des mesures pour sécuriser la piste jusqu’à l’arrivée du président de la République, le 20 septembre 2002 vers 20 : 00 h. Qualification des événements des 18 et 19 septembre 2002 Le matin du 19 septembre 2002, une des questions de Lida Kouassi, et qui à ce jour est encore celle de communauté ivoirienne, était de savoir si le général Robert Gueï serait l’auteur du coup d’État. À cet effet, il a reçu des informations contradictoires selon lesquelles : le général Robert Gueï serait dans la forêt de Banko, prêt à lancer une offensive avec un groupe de rebelles ; d’autres le situaient à sa résidence et, enfin, le vicaire de la cathédrale a appelé Lida Kouassi pour lui dire qu’il y avait des militaires qui voulaient fouiller la cathédrale à la recherche du général Gueï. La Commission a une idée précise sur la nature de ces événements qu’elle qualifie de « tentative de coup d’État ». À cet effet, elle fonde son opinion sur le fait que les événements susvisés se soient produits simultanément le même jour, presque au même moment à des endroits différents et éloignés, Abidjan, Bouaké, Man et Korhogo, prouvant ainsi l’existence d’une organisation méticuleusement préparée et bien coordonnée. Des témoignages dignes de foi ont établi que le général Gueï n’avait pas les moyens pour mener une telle entreprise étant donné que peu de temps avant les événements susvisés, il se trouvait retranché depuis longtemps dans son village à Ngouesso. Et pour vivre, il a sollicité une aide financière d’un de ses intimes. Par ailleurs et selon d’autres témoignages, en se rendant seul à la cathédrale d’Abidjan comme il l’a fait pour y trouver refuge, le général Gueï n’avait aucune force militaire derrière lui. La Commission a appris que quelques jours après la mort du général, certains membres de sa famille proche auraient été contraints à venir lire à la télévision ivoirienne un communiqué rédigé à l’avance et dans lequel il leur était demandé de reconnaître la responsabilité du général Gueï dans les événements et de désavouer le MPIGO, un autre mouvement rebelle qui venait de naître. La Commission a recueilli de nombreux témoignages confirmant ce genre de harcèlement des membres des familles des personnalités qui n’avaient pas la faveur du régime. La Commission a écarté l’hypothèse du soulèvement des mutins suite au mécontentement des « Zinzins et des Bahoufoués ». Cette révolte ne pouvait pas, à partir d’Abidjan, embraser tout le pays quand bien même les tenants de cette thèse allèguent l’utilisation des moyens de communication modernes. Les insurgés n’étaient pas aussi nombreux et ne disposaient pas des moyens pour planifier et coordonner l’opération. Reste l’hypothèse du règlement de compte entre les caciques du pouvoir. Cette hypothèse n’est pas soutenable car l’antagonisme et la rivalité supposés entre lesdits caciques n’auraient fait qu’une seule victime, le ministre Boga Doudou, et tenté de liquider Lida Kouassi, Alassane Dramane Ouattara et d’autres personnalités politiques de milieux divers. Cela démontrerait que le problème ne serait pas aussi généralisé pour constituer un drame politique devant déboucher sur l’écroulement du régime en faveur d’un camp. La question de la responsabilité des auteurs de la tentative de ce putsch est examinée dans le chapitre consacré à cette matière. Arrêt des hostilités et négociations des accords Les différents événements importants que la Côte d’Ivoire a connu depuis les journées critiques et sanglantes des 18 et 19 septembre 2002 et tous les autres qui sont signalés au chapitre V du présent rapport et lesquels sont caractérisés par des actes de violence, de tortures, de tueries, de meurtres et des assassinats, etc. constituent des violations des droits de l’homme ou du droit international humanitaire voire des crimes contre l’humanité. De tels actes n’ont pas laissé la communauté internationale indifférente car ce sont les populations innocentes qui en ont le plus souffert. C’est ainsi que plusieurs initiatives ont été prises en vue de mettre un terme aux hostilités. C’est dans ce contexte général de la nécessité de retour à la paix en Côte d’Ivoire qu’il faudrait replacer les différentes négociations entre les principaux acteurs politiques aux côtés des belligérants. Les chefs d’État africains comme européens, les responsables des organisations internationales telles l’Organisation des Nations Unies, l’Union Africaine, la CEDEAO, l’Union Européenne ou l’Organisation internationale de la francophonie se sont aussi mobilisés au chevet du grand malade qu’est la Côte d’Ivoire. C’est ainsi qu’eurent lieu les accords successifs de Lomé, de Linas-Marcoussis et ceux d’Accra, dont le troisième épisode s’est déroulé le 29 juillet 2004. Afin de rendre effectif l’arrêt des hostilités, il a été décidé d’établir entre les belligérants une zone tampon dite de « confiance » qui divise actuellement la Côte d’Ivoire en deux parties. Le long de cette ligne qui passe à la hauteur de Bouaké en traversant tout le pays pour atteindre Man, Toulepleu et Danané vers le Nord, se trouvent des positions des contingents des Forces de la Licorne et ceux placés sous l’autorité de l’Opération des Nations Unies en Côte d’Ivoire (ONUCI). Les négociations qui ont conduit à la conclusion de l’accord d’Accra III diffèrent de la plupart de celles qui ont été menées auparavant par le fait de compter principalement parmi les initiateurs, des chefs d’État africains de la sous-région et d’Afrique centrale. L’accord d’Accra III a réaffirmé la substance de l’Accord de Linas-Marcoussis dont l’application s’était quelque peu essoufflée à cause de divergences quant à l’interprétation de certaines dispositions de l’accord signé à Paris sous les auspices du gouvernement français. Une des dispositions de l’accord d’Accra III prévoit le désarmement des forces des parties belligérantes. La date de démarrage de cette opération a été fixée au 15 octobre 2004. Désarmement Comme dit ci-avant, le désarmement des forces des parties belligérantes ivoiriennes est un des acquis importants de l’accord d’Accra III. Malheureusement, peu après la signature dudit accord, des sons divergents ont d’ores et déjà été entendus, principalement en ce qui concerne l’interprétation de l’article 35 de la Constitution quant à l’utilisation des pouvoirs spéciaux du président de la République pour modifier un tel texte. Un autre point de la controverse consiste à savoir si le désarmement est inconditionnel ou non. L’autre point controversée trouve sa source dans la nature des forces devant être désarmées, démobilisées et faire l’objet de réinsertion éventuelle. De telles opérations concerneraient-elles aussi les forces dites « loyalistes » ou devraient-elles se limiter aux forces des ex-rebelles ? Pour rendre efficient le désarmement en Côte d’Ivoire, l’on devrait aussi prendre en compte les dimensions sous-régionales des problèmes que plusieurs pays voisins à la Côte d’Ivoire connaissent. Ces problèmes sont caractérisés par des guerres dont les séquelles n’ont pas entièrement disparu. Le trafic d’armes constitue un second défi à la réussite du processus du désarmement qui devrait bientôt commencer en Côte d’Ivoire. En effet, les sommes qui pourraient être proposées au titre d’incitation à la remise volontaire des armes en possession tant des militaires que des civils, pourraient soit garantir le succès de l’opération, soit donner lieu à des spéculations mercantiles. Par ailleurs, le succès du désarmement en Côte d’Ivoire est également tributaire du niveau de coopération et de bonne volonté des pays voisins et autres où des armes circulent ou bien où le soutien aux rebelles ivoiriens n’aurait pas été définitivement retiré. Les États de la sous-région d’Afrique de l’Ouest devraient en collaboration avec d’autres aussi, s’engager à éradiquer tout ce qui, de près ou de loin, touche au mercenariat dont les effets néfastes déstabilisent l’Afrique et qui retardent considérablement le développement des États de ce continent. De la même manière, la communauté internationale devrait veiller au désarmement généralisé et systématique dans la sous-région et prendre toutes les mesures appropriées contre les fournisseurs qui en enfreindraient l’embargo. Contexte économique et social La Côte d’Ivoire a longtemps été le premier pays de l’Afrique de l’Ouest à accueillir des immigrés venus en majorité de la sous-région et des autres pays africains, mais aussi de l’Europe (particulièrement de la France), des pays maghrébins (Maroc) et du Moyen-Orient (Liban). Cette forte immigration était due d’abord à la colonisation dont la politique s’appuyait massivement sur la main d’œuvre des pays voisins. Cette politique fut reprise et encouragée par le président Houphouët-Boigny qui avait en priorité le souci de soutenir le plus possible une forte croissance économique. Cela a donc créé une explosion migratoire de 1965 à 1975 avec untaux d’étrangers sur le sol ivoirien de 22 % [9]. La stabilité de la Côte d’Ivoire et son boom économique des années 75 ont fait qu’aujourd’hui et selon les estimations du dernier recensement de 1998, ce pays possède l’un des plus forts taux mondiaux d’immigration (26 %) répartie dans le Sud, le Sud-Ouest et le centre —Ouest. Longtemps, ce pays a constitué un creuset de cultures et d’évolution intellectuelle et ceci a eu un impact sur l’environnement politique, économique et social ainsi qu’au niveau international. L’économie ivoirienne est toujours essentiellement basée sur le secteur agricole dont dépend environ 60 % de la population active et représenterait à lui seul quelque 27 % du produit interne brut. Le pays est composé de deux grandes zones agricoles. Le Sud, qui constitue la zone forestière et où se concentrent principalement les plantations destinées à l’exportation (cacao, café, palmier à huile, hévéa, cocotier, banane, ananas) et des cultures vivrières telles que le manioc. Le Nord, constitue une zone de savane et dont l’activité productive est basée particulièrement sur les cultures vivrières : maïs, riz, mil, sorgho, arachide, ainsi que le coton et le sucre. Suite à l’effondrement des prix des principaux produits d’exportation et le poids de la dette et malgré la reprise au cours des années 90, le pays s’est vu confronté à des graves problèmes en raison de dérapage dans la gestion des finances publiques, les retards dans l’application des programmes d’ajustement structurel et la réalisation de dépenses extrabudgétaires. Cette situation a engendré des conflits avec les institutions de Bretton Woods et l’UE, conduisant finalement à la privation de ressources extérieures dont l’échéance arrivait à terme quelques mois à peine avant le conflit. Sous le règne du président Houphouët-Boigny, toutes les communautés, tant ivoiriennes qu’étrangères vivant en Côte d’Ivoire, avaient su garder des relations sociales harmonieuses et paisibles. Toutefois, ce prestige et cette harmonie ont été remis en cause par la récession économique des années 1980 et par la disparition du président Houphouët-Boigny qui avait régné en patriarche. Le clivage social né de cette situation sera exploité par les différents protagonistes politiques. Désormais, le concept de l’Ivoirité introduit par Henri Konan Bédié à son arrivée au pouvoir trouve son chemin dans tous les débats de la nation Ivoirienne. Il est fait usage de distinction entre Ivoiriens de souche et Ivoiriens de circonstance pour soutenir la thèse sur la nationalité et les reformes foncières. Beaucoup estiment encore que le taux élevé des « étrangers » en Côte d’Ivoire est un des facteurs aggravant de la crise économique et politique du pays. Cela a créé un malaise social perceptible à première vue et un réveil du sentiment d’hostilité vis-à-vis des étrangers surtout à l’égard de ceux qui vivent en Côte d’Ivoire depuis des décennies. D’après des informations concordantes, certains Ivoiriens sont considérés comme étrangers en raison de leur habillement, de leur parure, de leur religion ou de leur patronymie. Pris à partie dans le conflit ivoirien, les étrangers ont été la cible des exactions dans toutes les zones de conflits. L’accession de Laurent Gbagbo au pouvoir a ravivé, malgré sa volonté d’instaurer un gouvernement d’ouverture, selon les observateurs politiques étrangers et ivoiriens, la question de nationalité et d’étrangers (l’Ivoirité), les débats sur la constitution (notamment l’article 35), mais surtout sur la question du foncier rural dont les conséquences ont été dramatiques dans le Centre-Ouest, à l’Ouest et le Sud-Ouest du pays. Puisant sa source notamment dans l’absence de cadastres et de livres fonciers précis et tenus à jour tant au plan national qu’au niveau régional, le problème du foncier rural constituera pendant encore longtemps une cause de conflits durables. Avant 1998, les propriétés rurales n’étaient pas réglementées autrement que par la tradition. Les terres étaient cédées selon les règles coutumières dominées par l’oralité. Cette absence de recours à l’écrit constitue également une autre source de contentieux susceptible de dégénérer surtout dans un contexte qui s’y prête particulièrement. Ainsi, les contestataires politiques et sociaux beaucoup plus avertis s’en sont servi comme instrument politique au détriment de la population. En effet, cette loi de 1998, en substance, consacre le principe selon lequel seules les personnes ayant la nationalité Ivoirienne peuvent être propriétaires et acheter des terres du domaine rural, bloquant ainsi la procédure traditionnelle et coutumière de transmission à leur descendance d’héritage des personnes non ivoiriennes mais propriétaires. La loi du 23 décembre 1998, relative au domaine du foncier rural a encore compliqué davantage une situation qui l’était déjà suffisamment. En effet, cette nouvelle loi stipule en son alinéa 1er que seuls l’État, les collectivités publiques et les personnes physiques ivoiriennes sont admis à en être propriétaires. Il en résulte que, s’il n’y a pas de problème particulier en ce qui concerne les nationaux ivoiriens, il n’en est pas de même en ce qui concerne les étrangers selon qu’ils ont acquis ou non la propriété avant la loi du 23 décembre 1998. Pour les étrangers ayant acquis un droit de propriété avant la loi du 23 décembre 1998, dans la mesure où cette loi ne rétroagit pas leur droit de propriété leur est acquis. Néanmoins ils ne pourront en aucun cas céder ces droits au profit d’un autre étranger, fut-il leur propre enfant. Ce dernier dispose d’un délai de trois ans pour céder à son tour cette propriété, soit à l’État, soit à une collectivité publique, soit à une personne physique ivoirienne (article 26 de la loi). Une telle situation crée des frustrations contribuant à exacerber les tensions. Après la loi du 23 décembre 1998, les étrangers ne peuvent certes plus acquérir un droit de propriété sur le domaine foncier rural, mais peuvent toujours être locataire. Néanmoins, cette situation peut être précaire s’il s’agit d’une terre du domaine coutumier non immatriculé dans le délai de trois ans à compter du certificat foncier ou même sans certificat foncier exigé à l’article 4 de la loi foncière du 23 décembre 1998. Comme on peut le voir, cette nouvelle loi donne une importance encore plus cruciale à la question de la nationalité ivoirienne revendiquée par un très grand nombre de personnes, cependant que d’autres la leur contestent. Par ailleurs, un recensement de toutes les terres rurales et l’établissement d’un cadastre national complet et à jour ainsi qu’un livre foncier tant au niveau national qu’à celui des collectivités locales paraissent indispensables et urgents. Enfin, et sans que cette énumération ne soit exhaustive, l’absence de police et d’organes judiciaires pour arbitrer les conflits dans la plupart des régions rurales, constitue également une des causes de l’emploi de la violence en cas d’échec des conciliations coutumières. Aussi, dans les différentes négociations faites dans l’espoir de trouver une issue à cette crise profonde entre les Ivoiriens, les questions constitutionnelles, de nationalité et foncière, constituent la toile de fond de tout apaisement du conflit. Avenir économique de la Côte d’Ivoire : découverte de nouvelles richesses Outre le cacao et le café, dont la Côte d’Ivoire est respectivement le 1er et le 10e producteur mondial, produits desquels dépend plus du tiers de la population ivoirienne, le pays est aussi l’un des principaux producteurs de coton en Afrique subsaharienne. Cependant, l’activité extractive, en particulier du pétrole, du gaz, des diamants et de l’or, occupe une place importante de l’économie. Il en va de même pour l’industrie agroalimentaire et la transformation des matières premières (café, cacao, blé, fruits, oléagineux), l’industrie textile et celle du caoutchouc, ainsi que d’autres industries (plastique, emballage, chimie, pharmacie, tabac, bois, des matériaux de construction) et le tourisme. La crise débutée en septembre 2002 a porté un sérieux revers à l’économie ivoirienne. En effet, à l’exception de la production de pétrole brut et de gaz, le conflit a provoqué un véritable choc sur pratiquement l’ensemble des secteurs et notamment l’agriculture d’exportation. La production du cacao et du café a souffert du déplacement de la population des zones de production, tandis qu’au nord, l’économie cotonnière, également perturbée par ces mouvements forcés de population, s’est trouvée confrontée à des difficultés d’écoulement vers les usines et les ports d’exportation au sud. Pour ce qui est d’autres activités, telle que la production des diamants, selon certaines sources elle serait l’objet d’un détournement vers des zones frontalières, alors que l’extraction aurifère se trouve réduite aux gisements dans la région sous contrôle gouvernemental. En fait, les petites et moyennes entreprises, comme celles de grande capacité, sont essoufflées. L’ensemble des activités tourne au ralenti et certaines se sont arrêtées, alors qu’une bonne partie des produits ne peut pas être évacué ou il est parfois volé. Cette situation est aggravée par la pratique systématique de barrages et du racket aussi bien au sud que au nord, dont l’impact financier se chiffrerait quotidiennement, selon diverses sources, à plusieurs millions de Fcfa. Une grande partie de la population, notamment au nord et à l’ouest, qui disposait d’électricité n’en dispose plus ou rarement. Il en est de même pour le réseau téléphonique, les structures médicales, éducatives, judiciaires, bancaires et autres. Le délabrement économique s’est traduit par une détérioration aussi sensible au sud du pays où, malgré un certain dynamisme, la population se trouve de plus en plus confrontée à la pénurie, le chômage, l’absence de protection sociale et de soins. La population rurale qui représente plus de la moitié de la population ivoirienne se trouve confrontée à une paupérisation plus que progressive, tandis que le secteur urbain, environ 43 %, voit sa proportion de chômeurs et autres sans emploi croître progressivement. Certains estiment le taux de chômage du pays au delà de 30 %, mais dans certains régions il serait encore bien plus élevé. La Commission a reçu des témoignages faisant état d’éléments qui peuvent faire croire à un certain optimisme quant à l’avenir économique de la Côte d’Ivoire. Il serait notamment question de découvertes de puits de pétrole [10] et que la réserve serait proche de celle du Koweït et qu’ainsi, la Côte d’Ivoire pourrait devenir le deuxième producteur africain de pétrole après le Nigeria. Au surplus, il serait question, toujours selon ces témoignages, du pétrole « vert », lequel serait très prisé. À côté du pétrole, on aurait également découvert, selon des témoignages, du gaz entre San Pedro et Sassandra, la réserve en permettrait l’exploitation pendant un siècle. D’autres ressources existeraient aussi tel l’or, les diamants outre des métaux qui sont actuellement utilisés dans la fabrication de satellites. Selon cette source, la guerre en Côte d’Ivoire serait liée à cet état de choses et aurait pour but, soit d’empêcher, ou tout au moins, certains groupes à profiter de l’exploitation de ces nouvelles richesses ivoiriennes, soit entretenir le désordre dans le pays, car un tel contexte favorise l’exploitation sans contrôle des produits existants. Violations des droits de l’homme Dans le présent rapport, la Commission a jugé bon de faire refléter seulement les violations les plus graves des droits de l’homme, du droit international humanitaire et des crimes contre l’humanité qui ont été constatées. Les droits civils et politiques Droit à la vie Exécutions sommaires des personnalités politiques et militaires Exécution du général Robert Gueï, de son épouse et de sa garde rapprochée Des témoignages concordants établissent que dans la journée du 18 septembre 2002, un mouvement suspect a été observé dans le camps militaire de Akouedo à Abidjan comme si quelque chose se préparait. Un témoin a déclaré à la Commission que ces préparatifs concernaient Robert Gueï qui allait connaître des problèmes dans les heures qui allaient suivre. D’autres témoins ont indiqué à la Commission le nom du conducteur ainsi que l’identité du char « Comoé », le même qu’on retrouvera chez Alassane Ouattara et Adama Tongara (Maire d’Abobo) la nuit du 18 au 19 septembre 2002. Le 19 septembre 2002 vers 3 heures du matin, lorsque les premières attaques ont été lancées sur la ville d’Abidjan, le personnel de maison qui était en service ce jour a contacté le général Gueï pour l’informer des tirs. Vers 4 heures 30 du matin, le général Gueï est descendu de sa chambre en compagnie de son épouse et a demandé à son chauffeur d’apprêter la voiture, une Toyota Camry. Selon des témoins, le général Gueï était habillé d’un survêtement jogging de couleur blanche et de babouches. Le général a ensuite dit à son chauffeur que comme on ne sait pas qui tire et sur qui on tire, cela ne valait pas la peine de sortir. Les tirs se rapprochant de plus en plus du portail de la maison, le général Gueï et son personnel se sont réfugiés au garage. Le général a ensuite envoyé son gardien chercher une échelle à l’aide de laquelle son épouse et lui ont escaladé le mur de clôture de la résidence. Une fois descendus, ils se sont cachés derrière la clôture. Ils y sont restés jusqu’aux environs de 6 heures du matin puis le général Gueï a demandé à son épouse de retourner à la maison. Resté seul dans sa cachette, il a appelé sa femme vers 9 heures du matin pour lui dire qu’il était en train de se rendre à la cathédrale et qu’il fallait qu’elle avertisse les gens de la cathédrale afin qu’on puisse lui ouvrir le portail. Selon des sources concordantes, Robert Gueï s’est effectivement rendu à la Cathédrale d’Abidjan située non loin de sa résidence en vue d’y trouver refuge. Il a été accueilli par un membre du clergé dont la haute hiérarchie de l’église catholique en Côte d’Ivoire a refusé de révéler l’identité à la Commission. Ce membre du clergé a informé ses supérieurs de la présence de Robert Gueï à la Cathédrale. Le ministre d’État, ministre de la défense et de la protection civile, Moïse Lida Kouassi, qui était en charge de la gestion de la crise du 19 septembre 2002 jusqu’au retour de Rome du chef de l’État, a reconnu devant la Commission avoir reçu un coup de fil de la Cathédrale. Il s’agissait selon lui d’une personne, dont il ignore le nom, se présentant comme le Secrétaire général de l’archevêché qui l’a appelé dans la matinée du 19 septembre (il ne se souvient pas de l’heure exacte), pour l’informer qu’un groupe de militaires s’était rendu devant la cathédrale et, exigeaient d’entrer afin de rechercher le général Gueï. Le Secrétaire général de l’archevêché a demandé à Lida Kouassi d’ordonner aux militaires de quitter les lieux et de ne pas violer les locaux de la cathédrale. Le ministre d’État chargé de la défense a affirmé devant la Commission avoir ensuite appelé le colonel major Kasarate pour lui demander d’intervenir. Lida Kouassi a déclaré devant la Commission avoir appris la mort du général Gueï le 19 septembre 2002 vers 9 heures 30 ou 9 heures 45, par l’intermédiaire d’un groupe de soldats. Ces derniers ainsi que des journalistes qui étaient avec lui, parmi lesquels Paul Dokui, se sont rendus sur les lieux et ont contacté Lida Kouassi pour confirmer la mort du général Robert Gueï. Le ministre d’État a fait son premier discours à la nation le 19 septembre 2002 vers 10 heures du matin dans lequel il affirmait que le général Gueï était l’instigateur de la tentative de coup d’État et qu’il avait été tué au cours des combats. De nombreux témoins qui ont été avec le général Gueï juste avant le jour de sa mort, ou qui connaissaient son emploi du temps les semaines précédant les événements du 19 septembre 2002, ont réfuté la thèse officielle de l’implication du général dans l’organisation du coup d’État. D’après des témoignages concordants, le général Gueï était occupé à réorganiser son parti politique et préparait notamment les élections des bureaux des femmes de l’UDPCI. Il comptait ensuite quitter Abidjan pour retourner dans son village. À la vue des images du corps du général Gueï qui ont été présentées sur les écrans de la télévision ivoirienne le 19 septembre 2002, l’observateur a difficilement l’impression qu’il commandait des opérations militaires. Des témoins qui ont également regardé à la télévision ce jour là ont déclaré avoir remarqué que les souliers que le général Gueï portait étaient différents des babouches qu’il avait lorsqu’il a quitté la maison pour aller trouver refuge à la cathédrale. Le survêtement était également différent car celui qu’il portait en sortant de la résidence avait des manches longues contrairement à ce qu’il avait sur lui à la télévision. Le 19 septembre 2002 vers midi, l’aide de camp du général Gueï, Fabien Coulibaly avait été informé par un de ses éléments de la présence d’un char et d’une voiture 4X4 devant le domicile du général Robert Gueï et en avait fait part à l’un de ses cousins au téléphone. Le char était positionné devant le portail d’entrée. Deux hommes en treillis militaires seraient sortis du char et auraient commencé à tirer vers la résidence du général Gueï. Ils ont ensuite demandé à ceux qui se trouvaient de s’y rendre. Le capitaine Fabien Coulibaly, l’aide de camp du général Gueï, et les autres gardes se sont rendus sans résistance en obtempérant à l’ordre de l’équipe du « commando » identifiée comme étant des gendarmes dont certains appartenaient à la garde présidentielle. Selon un témoin, Fabien Coulibaly avait en effet confiance en l’officier qui leur avait intimé cet ordre car il le connaissait. Mais après s’être rendu, Fabien Coulibaly et ses compagnons ont été emmenés et tués. Des témoignages concordants font état de violences commises sur madame Gueï ainsi que sur une autre femme qui se trouvait à la résidence au moment de l’attaque. Madame Gueï aurait ensuite été abattue par l’un des militaires qui se seraient livrés à des scènes de pillage de la résidence de Robert Gueï, emportant tous les objets de valeur. L’un des éléments ayant pris part à cette opération a utilisé la voiture de madame Gueï, une Toyota Camry, pendant près de deux ans, sans plaque d’immatriculation, après l’avoir repeinte en bleu (alors qu’elle était grise à l’époque où elle était entre les mains de Madame Gueï). La Commission a eu l’occasion de voir les dépouilles de Robert Gueï et de son épouse Rose Gueï qui se trouvent encore à la morgue de Treichville, à Abidjan. Elle a pu constater que Robert Gueï et sa femme portaient de traces des balles dont les détails sont consignés dans le rapport d’autopsie du médecin légiste qui a assisté la Commission. Rose et Robert Gueï ont été abattus de balles notamment tirées à la tête et logées dans leur corps à partir d’une position qui indiquerait que les deux victimes se trouveraient par terre ou accroupies. Le médecin légiste qui a accompagné la Commission lors de cette visite à la morgue, a confirmé cette version. Exécution du ministre d’État Emile Boga Doudou Dans la nuit du 18 au 19 septembre 2002, aux environs de 4h00 du matin, des individus se déplaçant à bord d’un taxi-compteur et d’une Peugeot 505, ont attaqué la résidence de Boga Doudou, alors ministre d’État, ministre de l’Intérieur et de la Décentralisation, située au quartier Deux Plateaux, à Abidjan. Le ministre Boga Doudou a essayé de s’échapper en escaladant le mur de sa résidence pour se rendre dans la cour de son voisin Kanté Koly, où il a été retrouvé et abattu par les assaillants. Selon les conclusions du rapport d’autopsie du médecin légiste, « le ministre Boga Doudou a été atteint par trois balles de type projectiles de fusils d’assaut : une balle dans le dos, au niveau du thorax droit, une balle tirée dans la tête sous la tempe droite et une balle tirée à la face postérieure du coude droit ». Il « a été également touché par des résidus métalliques d’une déflagration dont l’onde de choc a provoqué des plaies hémorragiques du bassin et de la colonne lombaire ». Dans la cour de la villa du voisin où le ministre Boga Doudou a été abattu, la police judiciaire a découvert, au bord de la piscine, une mare de sang. Lors d’une descente sur les lieux du crime, la Commission a pu observer trois impacts de balle sur le tronc d’un rônier et plusieurs autres au sol où le corps était tombé. Les agents de la police judiciaire ont trouvé sur place des douilles de munitions de fusil automatique Kalachnikov AK47. Des impacts de balles et d’obus ont été vérifiés par la Commission à divers endroits, notamment à l’intérieur et l’extérieur (guérite, fenêtres, portes murs, véhicules) attestant la violence de l’attaque et la puissance des armes utilisées. Les agresseurs du ministre Boga Doudou n’ont pas encore été identifiés avec certitude. Néanmoins, il y a quelques indices selon lesquels, un élément de la rébellion, dont le nom a été révélé à la Commission, commandait le groupe qui a attaqué le domicile de Boga Doudou. Après l’échec de l’attaque sur Abidjan, les rebelles se sont repliés sur Bouaké, dans le centre du pays. L’un d’eux aurait été appréhendé à Yamoussoukro par les forces loyalistes et des effets personnels du ministre Boga Doudou auraient été découverts sur lui. Il est apparu à la Commission que le ministre Boga Doudou avait beaucoup d’ennemis tant à l’intérieur du régime que dans l’opposition politique et dans l’armée. Le projet de réforme de la police lui avait valu beaucoup d’ennemis. Selon un témoin, un jour au cours d’une réunion à l’école de police, des policiers lui ont jeté du gaz lacrymogène à la face. La réforme de l’identification lui a valu l’animosité des groupes d’opposition. Mais des témoignages concordants ont montré qu’il avait également beaucoup d’amis notamment au sein du RDR et pensait qu’il fallait se mettre au dessus des contingences politiques. D’après les témoignages reçus par la Commission, les assaillants connaissaient bien les habitudes et comportements du ministre Boga Doudou à son domicile pour avoir tiré la roquette sur son bureau et ciblé sa garde robe à partir de son balcon. Ils ont également tiré sur sa chaise, sur la photo de mariage (visant son front) ainsi que sur le costume qu’il portait la veille. Les assaillants ont tiré sur les véhicules de fonction tout en préservant les voitures personnelles du ministre. Evénements survenus les 18 — 19 septembre 2002 à Bouaké et dans la région du Nord La tentative du coup d’État du 19 septembre 2002 a principalement visé les villes d’Abidjan, de Bouaké et de Korhogo, attaques qui ont été menées presque simultanément et vraisemblablement préméditées. Lors de la prise de Bouaké, les rebelles ont arrêté une centaine des gendarmes qu’ils ont détenus à la caserne de la 3e légion de gendarmerie. Quelques jours plus tard et plus précisément le 6 octobre 2002, 131 personnes parmi lesquelles 61 gendarmes, 61 enfants ou neveux desdits gendarmes, ainsi que sept autres personnes civiles ont été froidement exécutées alors qu’elles étaient désarmées et enfermées dans des cellules. La Commission a constaté de visu les impacts de balles encore visibles sur les murs à l’intérieur des cellules. De même, la Commission a pu avoir une idée précise de l’endroit où se trouve la fosse commune où sont enterrées ces personnes, victimes d’une exécution extrajudiciaire et sommaire. Au surplus, les auteurs de ces exactions sont parfaitement identifiables. Les rebelles se sont également livrés à d’autres exécutions sommaires dans d’autres camps de l’armée, comme par exemple au bataillon de l’artillerie sol-sol (BASS) où les rebelles ont abattu le Colonel Loula à son domicile de plusieurs balles tirées dans le dos, alors qu’il était désarmé. Par la suite, les soldats loyalistes reprennent la ville de Bouaké et une partie de la population hostile aux rebelles s’est mise à procéder à des exécutions sommaires avec la complicité souvent passive, parfois active des forces loyalistes. Les corps des personnes ainsi sommairement exécutées étaient brûlés puis exposés dans les rues. Mais lorsque le 8 octobre les rebelles reprennent la ville de Bouaké, le même type d’exécutions sommaires a été appliqué tant sur les forces loyalistes que sur la population civile ayant manifesté son soutien. Le nombre de morts au cours de ces journées est resté extrêmement difficile à quantifier et on ne pourra parvenir à un chiffre approximatif qu’après la fouille de tous les charniers de Bouaké. À la suite de l’attaque sur Bouaké, les rebelles ont ouvert la prison et libéré tous les détenus. Vingt cinq d’entre eux ont décidé de quitter la ville et se sont dirigées vers le Nord ; arrivés à Diabo, ils cherchent à manger et à boire. Craignant que les anciens détenus ne se livrent à des pillages, les habitants de la sous-préfecture de Diabo les appréhendent et les conduisent devant le chef de canton de Bro, Kouamé Yéman Léonard, aujourd’hui âgé de 84 ans. À la demande de tous les notables convoqués à cet effet, le chef de canton a confié les anciens détenus à un groupe de jeunes dirigés par un certain Didier Kouadjo Koffi dont le père est sergent dans la Police, afin de les accompagner pour les mettre sur le chemin de la route goudronnée menant vers le nord. Arrivés au niveau du village d’Adiekro, le groupe de jeunes a massacré les anciens détenus dont seuls quatre ont pu s’échapper. La Commission a localisé très précisément le charnier et versé au dossier le procès verbal du médecin légiste et du Commissaire de police CIVPOL ayant procédé aux opérations techniques. Au début du mois de novembre, les rebelles se trouvant à Bouaké ont débarqué au village Sémien qu’ils ont encerclé puis ont commencé à tirer en visant particulièrement les jeunes. Cette descente des rebelles sur le village de Sémien a eu pour conséquences : 35 civils tués ; Des maisons pillés et incendiées et Le cacao dans les plantations pour partie brûlé et pour l’autre enlevé. Quelques mois plus tard, l’armée gouvernementale a procédé aux bombardements dans la localité de Minankro. La Commission a fait procéder à des prises photographiques de l’environnement menant au site des ossements humains. Ces lieux sont situés près du quai du bac et ont été la cible de l’attaque aérienne lors des événements du 31 décembre 2002. La Commission a également fait prélever des restes de projectiles employés pour l’attaque et qui pourront servir dans le cadre d’une procédure judiciaire. Le lieu, objet de l’attaque aérienne, est situé en bordure d’eau dans la localité de Menakro et l’attaque a visé un bateau de type traversier, une sorte de bac. La Commission signale également que la plupart des maisons désertées par leurs habitants et propriétaires, ont été pillées puis saccagées massivement, donnant ainsi l’impression de désolation. Le produit de ces pillages a été vendu dans les pays voisins, et en particulier au Mali dans un lieu dénommé « Merci Côte d’Ivoire Autres assassinats politiques La Commission a recueilli de nombreux témoignages faisant état des assassinats ciblés de personnes enlevées le plus souvent à leurs domiciles à Abidjan, suite aux événements du 19 septembre 2002. Le 20 septembre 2002, Aboubacar Dosso, aide de camp de Alassane Dramane Ouatarra, a été abattu à Abidjan, par des individus non identifiés en tenues militaires. Le 11 octobre 2002, le nommé Adama Cissé, responsable RDR de M’bahiakro, a été arrêté par des gendarmes et serait décédé le jour suivant de suite de blessures subies pendant sa détention. Vendredi 18 octobre 2002, vers 14h40, Coulibaly Lanzeni et Coulibaly Seydou, deux membres de la famille du Secrétaire général du RDR, Amadou Gon Coulibaly, ont été abattus au cimetière de Williamsville par des membres des forces de l’ordre. Les victimes assistaient aux obsèques d’une tante de la famille Coulibaly lorsque des individus habillés en treillis sont arrivés. Dans la ville de Daloa, le représentant du consul du Mali, Touré Bakary, a été enlevé par des militaires et retrouvé mort dans un marécage à Labia, le 25 octobre 2002. Vers la fin du mois d’octobre 2002, le colonel Ouatara Oyenan a été exécuté car soupçonné de soutenir la rébellion. Le 2 novembre 2002 vers 14h30, Téhé Emile, président du Mouvement Populaire Indépendant, un parti politique proche du RDR, a été enlevé de son domicile par des individus habillés en treillis militaires et fortement armés. Son corps a été retrouvé criblé de balles sur l’autoroute du nord, à la hauteur de Banco. Le 6 novembre 2002, quelques jours après l’annonce de la défection de Louis Dacoury-Tabley du parti au pouvoir, le Front Populaire Ivoirien (FPI), pour rejoindre les rangs du Mouvement Patriotique de Côte d’Ivoire (MPCI), son frère, le docteur Dacoury-Tabley Benoit, a été enlevé dans sa clinique située aux Deux Plateaux à Abidjan par des hommes en tenue militaire et retrouvé mort sur la route de la MACA. Le lundi 9 décembre 2002, Coulibaly Souleymane, 2e vice-président, et Diomandé Soualiho, Secrétaire général de la Jeunesse de l’union pour la démocratie et pour la paix ont été enlevés par des individus armés au sortir d’une réunion au siège de leur parti politique situé sur le Plateau à Abidjan. Le vendredi 13 décembre 2002, les deux responsables politiques ont été retrouvés morts dans la zone entre Agou et Adzopé. Le 2 février 2003, vers 21 heures 45, des individus en treillis militaires roulant dans deux voitures, une 4X4 et une BMW seraient arrivés au domicile de Camara Yerefin situé à Yopougon Sideci. La victime, un artiste populaire connu sous l’appellation de « H », a été enlevée et abattue. Le mercredi 23 juin 2004, Dodo Habib, Secrétaire général de la Jeunesse communiste de Côte d’Ivoire (JCOCI), a été enlevé au domicile de monsieur Ekissi Achi, leader du Parti communiste révolutionnaire de Côte d’Ivoire, situé à Yopougon Kotibet, et assassiné par des présumés membres de la Fédération Estudiantine de Côte d’Ivoire (FESCI). Cette liste de cas d’exécution sommaires d’individus pour des raisons politiques est loin d’être exhaustive et est simplement donnée à titre d’illustration. Au total, le Mouvement ivoirien des droits de l’homme a pu documenter environ trois cents assassinats suite aux événements du 19 septembre 2002. Charniers et massacres La Commission a également pu constater l’existence d’exécutions de masse ayant souvent débouché sur la constitution de charniers. La cartographie des charniers et massacres en Côte d’ivoire suite aux événements du 19 septembre 2002 (voir annexe) montre que les principaux sites de charniers ont été identifiés dans des localités comme Toulepleu, Danané, Man, Bangolo, Monoko-Zohi, Daloa, Abidjan, Bouaké, Korhogo et Odiénné. Dans la période du 6 au 9 octobre 2002, un charnier constitué des deux fosses a été signalé dans le cimetière communal de Dar-es-Salam à Bouaké. Des témoins crédibles ont affirmé devant la Commission que ce charnier contiendrait environ quatre vingt dix corps parmi lesquelles quarante huit gendarmes et trente sept membres de leurs familles ainsi que sept autres civils détenus qui ont été abattus par les forces rebelles au cours d’une série d’incidents survenus à la prison du 3e bataillon d’infanterie de Bouaké en octobre 2002. Selon un témoin rencontré à Bouaké, « vers 18 heures dans la période du 6 au 9 octobre 2002, quatre voitures sont arrivées au cimetière communal de Dar-es-Salam pour déposer des corps. J’étais avec un ami en bordure de la route qui mène à ce cimetière. Au passage du convoi, il y avait une très forte odeur de cadavre. J’ai regardé deux fois vers le convoi, et j’ai vu qu’il y avait des corps entassés dans les camions sur plusieurs niveaux. Il y avait des corps nus et d’autres habillés. J’estime qu’il y avait une cinquantaine de cadavres par camion. Au cimetière, il y avait deux fosses déjà creusées d’environ 15m2 chacune. Elles se trouvent à environ 60 m de la maison du gardien. L’odeur y était très forte. Les corps étaient en décomposition. » Vers le 5 décembre 2002, un charnier a été découvert à Monoko-Zohi, dans le secteur de Dania, au sud de Pélézi. Il était composé d’un monticule de terre d’un mètre de hauteur pour un diamètre compris entre cinq et dix mètres ainsi que deux puits contenant tous trois des restes humains. Selon des témoins, les victimes seraient au nombre de 120 environ et seraient des travailleurs immigrés en service dans les plantations de café et de cacao de la région. Ils auraient été exécutés par les FANCI lors de l’offensive sur Dania entre les 26 et 28 novembre 2002. Des hommes armés habillés en treillis militaires et transportés dans des camions avec des plaques d’immatriculation du gouvernement ivoirien sont arrivés dans le village et ont commencé à tirer en l’air. Ils se sont rendus dans le quartier des étrangers où vivaient non seulement des Burkinabé, Maliens, Guinéens et Nigérians, mais aussi des Ivoiriens originaires d’autres régions. D’après des témoins, les militaires sont arrivés avec une liste de noms et auraient accusé les villageois de soutenir la rébellion. Dans un reportage de la BBC, un témoin affirme que « les soldats tuaient certaines victimes là où ils les trouvaient et en rassemblaient d’autres pour les exécuter ensemble…certains avaient la gorge tranchée. » [11] Dans la nuit du 6 au 7 mars 2003, au cours d’une brève reprise de la ville de Bangolo par les Libériens du LIMA, combattants auprès des forces gouvernementales, des populations civiles ne participant pas aux hostilités ont été massivement exécutées. Des témoins présents sur les lieux avancent le chiffre de 200 morts qui n’a pu être vérifié. La Commission a reçu une cassette vidéo montrant un très grand nombre de cadavres principalement civils, y compris des femmes et des enfants, jonchant les rues et les pièces des maisons. Plus de 60 dépouilles ont été observées pendant la courte visite des observateurs internationaux effectuée sur les lieux le 7 mars 2003. Il est donc à craindre que beaucoup plus de cadavres soient à dénombrer. Le quartier qui semblait le plus visé serait le quartier majoritairement peuplé par des populations originaires du nord de l’ethnie Dioula. Dans cette zone, femmes, hommes et enfants ont tous été exécutés dans leurs maisons. Plusieurs morts avaient les mains attachées dans le dos. Plusieurs femmes nues auraient été violées puis égorgées. Les cadavres d’hommes étaient déculottés à des fins d’humiliation. Le 5 octobre 2003, à la sortie nord de Duékoué, en direction de Man, un charnier à ciel ouvert a été découvert. Le site est situé en bordure immédiate de la route, sur le coté droit, au pied d’un petit pont enjambant un ruisseau. D’après des témoins, il s’agissait d’un tas de cadavres humains, en état de décomposition avancée. Les squelettes sont disloqués, il était possible de compter au moins huit crânes dont cinq dans l’eau à la verticale du pont. Le nombre de corps serait de onze. Des morceaux de vêtements étaient encore visibles. Selon des témoins, ce site est connu depuis, au moins, avril 2003. Suite aux représailles et opérations de ratissage menées après les combats de la nuit du dimanche 20 juin au lundi 21 juin 2004, à Korhogo, entre deux factions de la rébellion, trois charniers ont été découverts le samedi 26 juin 2004. Le site le plus important a été localisé à l’ouest de la carrière de Korhogo. L’ONUCI a été informée de la découverte de ce charnier et une mission d’enquête a été dépêchée sur place ; elle a constaté que les corps des victimes étaient toujours en place mais enterrés au fond du ravin. Les outils ayant servi à creuser la fosse dont trois pelles portant l’inscription « corve GIS » ont été retrouvés cachés dans le buisson [12]. Avec l’accord des Forces armées des forces nouvelles, l’exhumation des corps a été faite à partir du 5 juillet 2004 et au total, 99 cadavres seulement ont été retrouvés. Selon le rapport de cette mission d’enquête de l’ONUCI, les premières constations permettent de tirer trois conclusions : La presque totalité des corps découverts sont ceux d’hommes adultes ; La grande majorité des corps découverts étaient nus ; La majorité des corps découverts ne sont pas morts d’une mort violente causée par des armes à feu. Trente et un corps présentaient des blessures dues à des armes à feu. Deux corps présentaient des blessures dues à des objets contondants alors que les soixante six autres corps ne présentaient aucune blessure similaire. D’autres charniers ont également été signalés dans la ville de Korhogo ou dans ses environs, notamment dans la Compagnie territoriale de Korhogo (CTK). Mais jusqu’à présent, ces informations n’ont pas été confirmées. La Commission a reçu des témoignages concordants sur des découvertes de corps dans un état de décomposition avancée rendant difficile toute identification et d’éventuelles enquêtes sur les circonstances de la mort. Dans de nombreux cas, ce sont des squelettes qui sont découverts dans la brousse ou au bord de la route. La Commission juge nécessaire de rendre compte de ces situations car même si tous les cas sont loin d’être élucidés, ils rendent néanmoins compte de la gravité des atteintes au droit à la vie. Les découvertes macabres dans les localités suivantes ont été signalées à la Commission (voir carte des découvertes macabres en annexe) : le 23 juin 2003, à Yaopleu, entre 10 heures et 18 heures, sept cadavres en décomposition avancée dont la mort remonterait à plus d’un mois, ont été découverts sur l’axe principal entre Danané et Zouan-Hounien ; le 23 juin 2003, à Zouan-Hounien, deux cadavres ont été découverts dans un puits et le 4 juillet 2003, un autre corps a été découvert dans un autre puits ; le 13 juillet 2004, à Bouaké, à la sortie ouest de Bouaké sur la route de Diablo, un cadavre de sexe masculin, criblé de balles et la tête explosée, rendant impossible toute identification, a été découvert. Des coups de feu ont été entendus par la population dans la nuit de vendredi à samedi provenant de cet endroit. Disparitions forcées et enlèvements Tant les forces loyalistes comme les rebelles ont été les auteurs des enlèvements, même si le nombre des victimes est difficile à préciser. Depuis les événements de septembre 2002, les disparitions forcées comme les enlèvements étaient une pratique courante de tous les belligérants de la crise en Côte d’Ivoire. La Commission a reçu de nombreux témoignages, de même que les parents des victimes qui imputent la responsabilité de ces crimes (enlèvements et disparitions forcées) aux « Escadrons de la mort ». Bien que l’existence de ces escadrons soit contestée notamment par ceux à qui leur paternité est attribuée, de nombreux témoignages et des sources concordantes ont porté à la connaissance de la Commission l’existence en Côte d’Ivoire des groupes de militaires, de la Police, de la gendarmerie ou des civils armés, souvent en uniforme, qui sont désignés pour des missions spéciales de tuer ou d’enlever des personnes gênantes pour le régime, ou soupçonnées d’être dangereuses. Ils peuvent agir le jour, mais ils agissent généralement la nuit, malgré les barrières et barrages, les contrôles militaires et le couvre-feu. Les Ivoiriens originaires du Nord ou ceux qui sont d’origines burkinabée ou malienne ont été les principales victimes, car ils ont été assimilés aux rebelles. Ces personnes ont longtemps vécu dans la psychose des enlèvements, certains ayant été obligés de s’exiler ou de quitter leurs domiciles. Cela a eu pour conséquence le déplacement massif des populations. C’est ainsi que la Commission a reçu, dans les pays limitrophes, le témoignage de plusieurs femmes qui ont du quitter la Côte d’Ivoire suite à la disparition de leurs maris. De même, plusieurs enlèvements des femmes par des forces loyalistes et des combattants rebelles ont aussi été signalés à la Commission. La Commission a constaté l’indifférence et la passivité de différents agents de l’ordre et des services judiciaires face à ce phénomène. Les seules affaires jusque-là portées à la connaissance de la police et du Procureur de la République n’ont pas encore eu de suite, à l’exception de l’affaire concernant le correspondant de RFI, Jean Hélène. Plusieurs autres cas de disparitions forcées ont été portés à la connaissance de la Commission notamment celui du journaliste Guy André Keiffer, de Koné Mamadou, nordiste assimilé aux rebelles et dont on a jamais retrouvé le corps. La Commission a aussi appris la disparition de Koumoin Kouamé Bakary, vice-président du Conseil général et adjoint au maire de Prikro, ainsi que celle de son frère Brahima Ouattara, le 20 novembre 2002, à Bassawa. Par ailleurs, la majorité des partis politiques d’opposition ont soumis à la Commission, des listes de leurs membres et militants portés disparus et dont ils attribuent l’enlèvement aux milices et forces parallèles liées au régime. Droit à l’intégrité physique La Côte d’Ivoire est partie à la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme du 10 décembre 1948. Non seulement cet instrument juridique exprime la volonté des États signataires mais aussi leur engagement de prévenir de commettre les actes de barbarie. La Commission a eu connaissance des violations graves des droits de l’homme, notamment des exécutions sommaires, détentions arbitraires, des tortures, des traitement cruels inhumains et dégradants, des arrestations arbitraires et rafles, des intimidations et persécutions. Détentions et arrestations arbitraires La majorité des personnes trouvées dans les lieux de détention visités par la Commission ignoraient le motif de leur incarcération. Certains ont été emprisonnés pour avoir été soupçonnés d’être espion des rebelles ou d’avoir soutenu les assaillants ; d’autres parce que ramassés lors de différents ratissages et d’autres encore parce qu’ils ont été appréhendés sans pièce d’identité. Lors de la visite effectuée le 14 septembre 2004 à la Direction de la surveillance du territoire (DST), la Commission a constaté la détention d’environ onze personnes accusées d’appartenir aux rebelles. Certaines de ces personnes séjourneraient à la DST depuis le 10 janvier 2004 alors que, conformément à l’article 63 du code de procédure pénale ivoirien, le délai de la garde à vue est de 48 heures renouvelable sur avis du Procureur de la République ou du juge d’instruction. Ce délai de garde à vue peut seulement être porté à un mois en cas d’atteinte à la sûreté de l`État. Les raisons données à la Commission par le directeur général de la DST pour justifier cette détention étaient que les procès-verbaux ne seraient pas terminés. Les mêmes abus et manquements ont également été constatés dans la zone occupée par les Forces Nouvelles. L’explication donnée par les différents responsables rencontrés serait que les tribunaux ne fonctionnaient plus à cause du départ des magistrats vers Abidjan. Très illustratifs de la situation, sont les mots prononcés par un chef rebelle devant la Commission, lors d’une de ses visites au Nord du pays : « Il n‎’y a pas de parquet pour l’instant ; nous jouons nous-mêmes le rôle de magistrat. Quand nos éléments commettent des erreurs on les prend et on les met en prison. Moi-même je les interpelle, je les entends et la sanction est liée à la faute commise. Parfois je leur donne une deuxième chance. Ça dépend… » La Commission a aussi constaté que dans cette même région du pays, certains prisonniers sont détenus chez le commandant de zone, le commandant de secteur ou le préfet de police. Tortures et traitements cruels, inhumains et dégradants Des actes de torture sont interdits par de nombreuses conventions internationales relatives aux droits de l’homme, spécialement l’article 7 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, l’article 2 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants et l’article 5 de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples. Cependant, plusieurs personnes ont été victimes de ces pratiques interdites depuis le déclenchement de la guerre en septembre 2002 et cela tant du côté des rebelles que du côté gouvernemental. La Commission a été informée de l’agression dont les représentants des confessions religieuses ont été victimes. Un témoin a déclaré à la Commission qu’un jour, il a été emmené au camp militaire de la base aérienne de Bouaké, où il a été frappé et privé d’eau et de nourriture. Une femme d’origine burkinabée a signalé qu’elle a été bastonnée par des éléments des forces loyalistes qui sont rentrés chez elle. Elle en a encore des cicatrices. Un homme d’origine burkinabée a expliqué à la Commission qu’en 2002, lorsqu’il se trouvait chez lui dans un des quartiers de Yopogon, d’Abidjan, des militaires ont forcé la porte de sa maison, l’ont menotté et bastonné. Ils ont emmené ses deux enfants qui, au moment du témoignage, étaient toujours portés disparus. En outre, ils ont pillé sa maison. Une jeune femme a aussi témoigné qu’un groupe de femmes dont elle faisait partie a été obligé de rester pendant deux semaines dans une cellule d’un camp militaire, avec les corps de ses parents tués. Elles ont ensuite été forcées d’enterrer ces corps. La même femme a signalé avoir été violée et forcée à boire de l’urine et du sang. La Commission a appris que lors des événements de Korhogo en juin 2004, les personnes qui avaient été enfermées dans le conteneur de la CTK devaient lécher leur propre transpiration parce qu’elles n’avaient rien à boire. Une femme a expliqué à la Commission la mort de son mari coupé en petits morceaux par des mercenaires libériens qui auraient aussi égorgé toute une famille. Une autorité a témoigné à la Commission du cas d’une femme qui a été obligée de cuire et de manger la main de son mari, tué par des mercenaires libériens. La Commission a aussi reçu l’information sur un jeune homme qui a été obligé d’avoir des rapports avec sa propre mère. Cette dernière a supplié son fils d’accepter pour avoir la vie sauve. Après l’acte, la mère a été abattue sur le champ et le fils obligé de boire le sang de sa mère. D’autres témoins ont rapporté que des parents ont été arrêtés, déshabillés devant leurs enfants, obligés de marcher à quatre pattes et de traverser le village tout nus pour ensuite être abattus. D’autres personnes ont témoigné avoir été victimes d’exécutions simulées ou des menaces de mort réitérées. La plupart des corps retrouvés dans des charniers étaient complètement nus, d’autres amputés de certains membres, ce qui laissait croire aux tortures atroces et aux humiliations subies par les victimes avant de mourir. Les cicatrices observées sur bon nombre des victimes de la torture ainsi que des photos et cassettes vidéo reçues par la Commission témoignent de l’ampleur et de la pratique généralisée de la torture tant du côté des rebelles que du côté des forces gouvernementales. Droit à la sécurité de la personne La première chose qui frappe en Côte d’Ivoire est le nombre de barrages qu’il y a, même à l’intérieur des quartiers. Cependant, la sécurité des citoyens ivoiriens n’en est pas plus sauvegardée, bien que l’article de la loi fondamentale ivoirienne déclare « la personne humaine est sacrée » et l’article 4 que « le domicile est inviolable. Les atteintes ou restrictions ne peuvent y être apportées que par la loi ». La terreur se lit sur les visages et le comportement de certains Ivoiriens et de certaines communautés qui ont été persécutées et continuent encore à l’être dans des quartiers tels Anyama, Abobo, Adjame, Williamsville et Port-Bouët. Les braquages se sont multipliés et se font en plein jour, depuis septembre 2002. Les prisons ont été cassées, ce qui a permis à beaucoup de délinquants et criminels de s’échapper et d’opérer en toute tranquillité avec quelques éléments des forces de sécurité. Les villages et villes de l’intérieur ne sont pas en reste. Au sujet des milices, la Commission a recueilli un grand nombre de témoignages prouvant l’existence des milices en Côte d’Ivoire. Ces milices existent aussi bien à Abidjan que dans les régions de l’Ouest et du Centre ; elles ont commis beaucoup d’exactions. Le recrutement des miliciens se fait généralement dans les milieux des jeunes. La « Sorbone », lieu de rencontre, situé au Plateau à Abidjan en serait un. Parmi ces milices, la Commission a eu des informations sur les « Jeunes patriotes » dirigés par Charles Blé Goudé et Serge Kuyo. Ces deux milices opéreraient essentiellement à Abidjan. Selon les témoignages, les Jeunes patriotes prépareraient, à Port-Bouët, à Cocody, à Yopougon et dans plusieurs autres quartiers d’Abidjan, appelés « les endroits de la résistance », les attaques dirigés contre leurs cibles. Ils s’entraîneraient sous l’autorité des éléments des forces armées ou de la police. À Abidjan également, le lycée Marie-Thérèse Houphouët-Boigny a été signalé comme un lieu d’hébergement des milices. Plusieurs opérations des « Jeunes patriotes » ont été organisées à la suite des décisions politiques prises par le président Laurent Gbagbo. Après le discours du 17 mai 2004, ce dernier a annoncé la suspension des ministres démissionnaires du gouvernement et déclaré que les rebelles devaient quitter l’hôtel Golf, où ils habitent. Par la suite, les jeunes patriotes de Cocody et les étudiants de la FESCI ont attaqué le Lycée français. Ils portaient des tee-shirts marqués du sigle de la FESCI. Ensuite, le mouvement s’est généralisé et ils ont attaqué les passants essentiellement des Blancs. Ils ont volé des téléphones portables, des porte-monnaies et attaqué des voitures. Ils étaient protégés par la police qui interdisait le passage aux gens pour leur permettre de manifester en toute tranquillité. Les manifestations organisées par les Jeunes patriotes sont en général violentes et accompagnées de pillages. C’était le cas de la manifestation qui a eu lieu le 9 mars 2004 devant le Palais de Justice au Plateau. Selon des témoignages crédibles, les Jeunes patriotes ont arrêté, à Yopougon le 30 août 2004 au soir, un ivoirien âgé de 55 ans. Ils étaient des dizaines à crier « À mort » ! Ils ont ensuite traîné leur victime jusqu’au poste de police le plus proche où cette personne a été détenue. La Commission a aussi appris que ces miliciens auraient tué au cours de la même semaine une autre personne, la police ayant refusé de la garder en détention. La Commission a recueilli de nombreux témoignages selon lesquels les communautés religieuses ou étrangères notamment la communauté musulmane ainsi que toute personne susceptible de gêner le pouvoir sont les cibles des milices. Au moment où la Commission était encore en Côte d’Ivoire, les Jeunes patriotes et les éléments de la FESCI ont attaqué les voitures des Nations Unies le……2004. Ils ont agi de même lors de la publication du Rapport de la Commission qui a enquêté sur les évènements des 24 et 25 mars 2004. La Commission tient à signaler également que Eugène Djué, l’un des chefs d’une branche des Jeunes patriotes, a en toute impunité proféré des menaces de mort à l’égard du représentant spécial du secrétaire général des Nations Unies dans une interview publiée dans la presse à la fin du mois d’août 2004. La FESCI a été également citée par de nombreux témoins comme étant une milice dangereuse puisque ses éléments peuvent tuer impunément. Au sujet, la Commission a notamment eu des témoignages concordants selon lesquels l’étudiant Habib Dodo, secrétaire général de l’organisation de la Jeunesse communiste de la Côte d’Ivoire (JCOCI) a été assassiné le 23 juin 2004 par les membres de la FESCI. De même, quelques dizaines de membres de la FESCI ont attaqué le domicile de Ekisi Achy, secrétaire général du Parti communiste révolutionnaire de Côte d’Ivoire (PCRCI) où résidait Habib Dodo. Ils ont brisé fenêtres, armoires, télévision et volé des bijoux et la somme de 1 600 000 FCFA. Ils ont ensuite emmené Habib Dodo qu’ils avaient déjà sauvagement agressé. D’après les témoins, ils ont obligé des taxis et minibus à les conduire au campus de Cocody. C’est au siège de la FESCI qu’un interrogatoire a eu lieu à la suite duquel la victime fut torturée à mort. Après l’avoir pendu à un arbre, les éléments de la FESCI ont mis la dépouille dans un sac qu’ils ont jeté à côté de la clôture de l’université de Cocody. À la question posée par la Commission au sujet de l’enquête dans l’affaire Habib Dodo, de hauts responsables de la police à Abidjan ont tout simplement répondu que la FESCI est accusée d’avoir tué Habib Dodo mais qu’il n’y a pas de preuve ! « On a même appelé les gens à l’occasion d’un point de presse à venir nous donner des informations, des noms ! en vain… On s’attaque à la FESCI pour attaquer à travers elle le régime de Gbagbo ! » a répondu l’un des responsables. La raison de cet assassinat n’est autre que le soutien apporté par Habib Dodo à la création d’un nouveau syndicat estudiantin, l’Association générale des élèves et étudiants de Côte d’Ivoire (AGEECI). Plusieurs autres étudiants ont été victimes de tortures et de violences, ou ils ont été expulsés définitivement de la cité universitaire pour les mêmes raisons. La Commission a eu l’occasion de constater les séquelles de tortures sur l’une des victimes. La FESCI continue de jouir d’une impunité totale, expliquée par nombreux témoins par le soutien dont bénéficie cette organisation des plus hautes autorités du pays. Les milices font également des victimes dans d’autres régions du pays. À Yamoussoukro, la Commission a recueilli une documentation et des témoignages qui prouvent que dans cette région, aussi un grand nombre de gens ont été tuées par la milice. « Yamoussoukro est entourée de cadavres. Pendant six mois on a eu plusieurs inhumations par semaine. Il s’agit de personnes tuées par balles ! » a déclaré un témoin à la Commission. Quelques semaines à peine avant la visite de la Commission dans cette ville, quatorze corps ont été découverts dans un charnier. Selon des témoignages concordants, Zambi Antoine Ansèlme, dit Scorpion, serait le responsable de ces crimes. Un autre témoin a déclaré à la Commission que très souvent les gens ont vu dans la voiture bachée de « Scorpion » des personnes ligotées. Plus tard, ils ont trouvé leurs dépouilles. Zambi Antoine Ansèlme a formé à Yamoussoukro une milice qu’il a appelé « les Scorpions guetteurs ». Cette milice a semé la terreur dans toute la région. Dans les régions de Toulepleu, Duékoué et les environs, une milice conduite par Maho, 3e délégué au maire à Guiglo, attaque les populations d’origine étrangère et tous ceux qui sont soupçonnés d’être des opposants au régime de Gbagbo. De nombreux témoins ont affirmé à la Commission que cette milice procède à des assassinats et des tueries la nuit et durant la période du couvre-feu sans que les autorités policières n’interviennent pour les arrêter ou même pour les décourager. Le jour où la Commission a effectué une visite d’enquête dans la ville de Duékoué cette milice a attaqué une famille Burkinabé. Le mari a succombé, l’épouse atteinte par balle au niveau de l’épaule et du bras a pu survivre. La Commission a pu vérifier l’information en se rendant à l’hôpital où elle a été transportée. A Blolequin, la nuit du 23 au 24 septembre 2003, la même milice de Maho, armée et en tenue de combat, aurait abattu huit ressortissants burkinabés dans le campement de Abounakro dans le département de Blolequin. Ils auraient été ligotés et attachés les uns aux autres et mitraillés. D’autres milices ont pu être identifiées tels que le Front Sécurité du Centre Ouest (FSCO), dirigé par Gnatoa Marc Bertrand, le MJG dirigé par Al Moustapha, la SOAF de Yves Dibopieu, ainsi que les GSP, GGR, UPLICI. Toutes les milices qui opèrent en Côte d’Ivoire sont armées. À Gagnoa la FSCO aurait reçu un armement le 19 mai 2003 après l’investiture du commandant Gnatoa Marc-Bertrand et cela devant les autorités politiques, administratives et militaires dans cette même ville. Ces armes, des Kalachnikov, ont été transportées jusqu’à Gagnoa, le 19 mai 2003 à 23 heures, dans un containeur de la Société CIB (Compagnie ivoirienne de bois). La Commission souligne d’autre part que tous les témoignages concordent concernant l’impunité dont bénéficient les milices. Liberté de circulation Selon le constat de la Commission et des témoignages, la liberté de circulation en Côte d’Ivoire est à appréhender sous deux angles. En premier lieu, beaucoup de personnes vivant dans la zone sous contrôle des Forces Nouvelles ou en provenance du Mali et du Burkina Faso doivent faire face à des entraves pour se rendre dans la zone sous contrôle gouvernemental. En juin 2004, ce sont plus de 1000 personnes en provenance du Mali et du Burkina Faso, dont certaines étaient de nationalité ivoirienne, qui se sont vues refuser l’entrée dans la zone Sud par les Forces Armées de Côte d’Ivoire (FANCI). Après avoir stationnées une semaine dans la zone de confiance en attente d’un éventuel déblocage de la situation, ces personnes ont finalement dû repartir d’où elles venaient. La Commission a été informée de la mort de plusieurs personnes en provenance du Nord en raison des sévices subis à des barrages en zone sud, notamment à Yamoussoukro et Toumodi. En août 2004, un bus de transport public ayant à bord 100 personnes en majorité ressortissants burkinabés et maliensa été arrêté sur l’axe Yamoussokro-Abidjan par les FANCI sur ordre de Philippe Mango. Ces personnes ont été retenues à la préfecture de police de Yamoussoukro pendant cinq jours au moins. Les femmes et les enfants ont été libérés sur l’intervention des notables et les représentants burkinabés ; les hommes ont été acheminés à Abidjan. En second lieu, l’existence de barrages, tant dans la zone sous contrôle des rebelles que dans la zone contrôlée par les troupes loyalistes, donne lieu à des extorsions d’argent et des biens. Le nombre de barrages varie en fonction de la situation sécuritaire de la localité et de l’intérêt pécuniaire que ladite localité représente. Aussi à bon nombre des barrages, les bus sont soumis à un contrôle strict des passagers et de leurs biens, ce qui donne libre court à des abus. Liberté de la presse Les efforts du gouvernement de réconciliation nationale pour la mise en œuvre du programme de Linas-Marcoussis l’ont conduit à adopter un projet de loi sur le régime juridique de la presse qui garantit la « liberté de la presse » et supprime les « peines privatives de liberté ». Quand bien même l’Union nationale des journalistes de Côte d’Ivoire (UNJCI) a salué l’adoption de ce texte qui marquera « à coup sûr un tournant décisif dans l’assainissement de l’environnement économique et juridique des entreprises de presse et leur renforcement », la Commission a reçu des témoignages et obtenu des rapports sur certaines exactions à l’encontre des organes de la presse et des journalistes. C’est surtout pour l’année 2003 que le monde ivoirien des médias a connu des moments difficiles pour lesquels les faits suivants ont été portés à la connaissance de la Commission : Le siège du quotidien « Le Patriote » a été mis à feu à deux reprises ; Le siège de la radio privée « Nostalgie » a subi le même sort ; Les « Jeunes Patriotes » ont à plusieurs reprises, déchiré des publications jugées hostiles au pouvoir et cassé des kiosques qui vendaient des publications jugées de l’opposition comme « Le Patriote », « Le Libéral », « 24 Heures », « Le Jour » et « Le Nouveau réveil ». Les livreurs de certains de ces journaux ont été plusieurs fois agressés ; Les émissions des radios étrangères RFI, Africa Numéro 1 et BBC ont été interrompues à deux reprises ; Le siège de « Canal Satellites Horizons » a un jour été attaqué ; Le journaliste Dembélé Vazoumana du quotidien « Tassouman », plus connu sous le pseudonyme de « Recteur », a été enlevé par des hommes en treillis qui l’ont séquestré pendant des jours et ont tiré à bout portant sur ses jambes ; Ouattara Nagolourgo Jonas, journaliste photographe au quotidien « Notre Voie » a été dépouillé des images qu’il collectait et menacé par les éléments des Forces Nouvelles ; Tagro Danielle du journal « Le Courrier d’Abidjan » a été agressée par un ministre, pendant qu’elle prenait des images sur l’attaque du Cabinet de ce membre du gouvernement par les étudiants ; Au cours d’une cérémonie officielle à Yamoussoukro, Diallo Ibrahim, photographe et Charles Sanga, journaliste, tous deux du quotidien « Le Patriote » ainsi que Franck Konaté du journal « 24 Heures » ont été agressés dans l’exercice de leur métier par des éléments de la Garde présidentielle ; Au moment de la mise en place du gouvernement de réconciliation nationale, un climat de règlement de compte s’est installé à la RTI (Radio télévision ivoirienne). Cela a conduit au limogeage de certains hauts fonctionnaires et journalistes dont Georges Aboké, directeur général de la RTI, Jean-Paul Dahilly, secrétaire général de la RTI, Kpan Victor, rédacteur en chef de la première chaîne, Pierre Ignace Tressia, sous-directeur de l’information à la radio, Aka Francis, Directeur de la première chaîne et Noël Gagno, sous-directeur de l’information télévisée ; M. Amadou Dagnogo, correspondant de L’Inter, est porté disparu depuis le 28 août 2004 pour avoir rendu compte des dissensions dans les rangs des ex-rebelles ; Certains journalistes ont fait l’objet de menaces et d’autres manœuvres d’intimidations à cause de leurs écrits ou de leur sympathie politique supposée. Il s’agit notamment de : Dénis Kah Zion du quotidien « Le Nouveau Réveil », Pol Dokui de la radiodiffusion ivoirienne ; Fofana Mambé du quotidien « Soir Info », Dénis Koné du quotidien « 24 Heures » et Koné Seydou de « Le Patriote ».. Le correspondant de RFI en Côte d’Ivoire, Jean Hélène a été assassiné et Guy André Kieffer a été porté disparu dans des conditions non encore complètement élucidées. Les médias ont eu une place déterminante pour la crise ivoirienne. La presse et les télévisions nationales et internationales ont joué un rôle important sur le déclenchement et déroulement des violences. La même dynamique des clivages interethniques et religieuxpar l’instrumentalisation de l’ivoirité et de la xénophobie constitue un danger pour la Côte d’Ivoire. D’une part, il y a les médias acquis au pouvoir et, d’autre part, ceux des rebelles. Les unes et les autres publient des articles et des reportages teintés de xénophobie et d’intolérance religieuse. La Commission a constaté que les médias locaux ont contribué à répandre des opinions hostiles aux étrangers et aux immigrants ce qui, en plus du litige sur la nationalité, aurait précipité et alimenté l’explosion de violence meurtrière dans la Côte d’Ivoire. La Commission a reçu en ce sens des nombreux témoignages des ressortissants étrangers, notamment burkinabés. Ils ont déclaré qu’après les évènements du 19 septembre 2002, ils ont été agressés par la population civile et par les forces de l’ordre et de sécurité. Certains médias ont eu aussi leur part de responsabilité dans le climat d’hostilité qui s’est développé en Côte d’Ivoire à l’égard des journalistes, et notamment des correspondants de la presse étrangère, qualifiée « d’ennemie de la Côte d’Ivoire » et de « complice de rebelles qui détruisent le pays ». Liberté d’association et de réunion Le déclenchement de la guerre en septembre 2002 a créé un climat d’intolérance et de suspicion à l’égard des leaders politiques, les défenseurs des droits de l’homme, les syndicalistes et les leaders des mouvements étudiants qui ne s’inscrivaient pas dans l’orthodoxie de la pensée dominante. Au niveau de la société civile, ce sont les ONGs des droits de l’homme qui ont payé un lourd tribu, particulièrement le MIDH (Mouvement ivoirien des droits de l’homme) dont le siège a été saccagé et le président vit en exil. Après avoir déménagé, le nouveau siège a fait l’objet de surveillance des services et agents de sécurité. Des convocations, harcèlements, intimidations et menaces des membres de cette ONG ont conduit certains d’entre eux de vivre longtemps dans la clandestinité pendant que d’autres ont été obligés de prendre la route de l’exil, tel est le cas de MM Épiphane Zoro et Ibrahim Doumbia respectivement président et vice président. Il a été plusieurs fois accusé de soutenir les rebelles. Le dimanche 30 mars 2003, au cours du journal télévisé à la RTI de 13H00, un conseiller à la Présidence a présenté le MIDH comme une « organisation qui dénigre la Côte d’Ivoire ». Cela a donné carte blanche aux Jeunes patriotes et autres forces parallèles dont la mission est de terroriser ceux qui sont désignés ou supposés être contre le pouvoir. En ce qui concerne les militants des partis politiques, qu’il s’agisse des rebelles ou des troupes gouvernementales, l’intolérance a rivalisé avec la violence pour réprimer tous ceux qui étaient accusés ou suspectés d’être du camp adverse, considérés comme traîtres. Au Nord, comme à l’Ouest, les ex-rebelles ont souvent pris pour cibles des gens qui avaient été politiquement actifs comme membres ou proches du FPI ou supposés tels et le fait d’être originaire du Sud faisait peser sur soi des présomptions d’espionnage lourdes de conséquences. Des populations entières ont fuit les exactions des rebelles pour venir grossir à Abidjan la masse des personnes déplacées. Il en a été de même pour les ressortissants du Nord communément appelés « Dioulas » se trouvant dans la zone sous contrôle gouvernemental, ainsi que des partis politiques d’opposition. Bien que le pluralisme politique soit consacré dans la Constitution, des témoignages portés à la connaissance de la Commission ont révélé des enlèvements, des séquestrations, des arrestations, des tracasseries, des tortures et des assassinats, le pillage et la destruction des biens des leaders et des militants du RDR, de l’UDPCI et du PDCI/RDA, certains étant accusés d’être à la base de la rébellion, d’autres de soutenir la rébellion. Liberté de culte, de conscience et de religion Les représentants des confessions religieuses ont fait part à la Commission que leurs communautés étaient la cible depuis le début de la guerre civile, au Nord comme au Sud. C’est ainsi que les chrétiens auraient été agressés parce que taxés d’espions ; au Sud, les musulmans auraient subi le même sort et seraient obligés de vivre repliés au sein de leur communauté. Des témoignages ont fait état de certaines formes de répression, de tueries et d’attaques dans les lieux de culte. Des imams ont été assassinés, notamment à Daloa et à Abidjan. Droit à la nationalité L’article 15 de la Déclaration Universelle des droits de l’homme de 1948, à laquelle la Côte d’Ivoire a souscrit, stipule que « tout individu a droit à une nationalité » et « nul ne peut être arbitrairement privé de sa nationalité ni du droit de changer de nationalité ». Par ailleurs, la loi numéro 61-415 du 14 décembre 1961 portant code de nationalité ivoirienne, modifiée par la loi numéro 72-852 du 21 décembre 1972 dans ses dispositions générales détermine ce qui suit : « la loi détermine quels individus ont à leur naissance la nationalité ivoirienne à titre de nationalité d’origine. La nationalité ivoirienne s’acquiert ou se perd après la naissance par effet de la loi ou par une décision de l’autorité publique prise dans les conditions fixées par l’article 1er ». L’article 3 dispose que « les dispositions relatives à la nationalité contenues dans les traités ou accords internationaux dûment ratifiés et publiés s’appliquent, même si elles sont contraires aux dispositions de la législation ivoirienne ». La Commission a constaté une contradiction qui pourrait exister entre la notion d’ « ivoirité » et les engagements pris par la Côte d’Ivoire. À cet égard, plusieurs témoins ont signalé à la Commission qu’après des démarches fastidieuses et coûteuses, des cartes d’identité auraient été refusées aux descendants des immigrants parfois de deuxième ou troisième génération, créant en l’espèce des apatrides. La Commission a en outre été informée que dans certains villages, une grande partie de la population, à la place d’une pièce d’identité, aurait reçu des cartes de séjour, pour des visées électoralistes. La Commission a pris acte de cette question de la nationalité qui se trouve au cœur même de la crise ivoirienne et à laquelle il faudra trouver une solution pour une paix durable. Droit de prendre part à la direction des affaires publiques de son pays Tous les Ivoiriens n’ont pas les mêmes possibilités de prendre part à la direction de leur pays. En effet, au lendemain de la guerre, beaucoup ont perdu leur travail dans les zones occupées sans pouvoir être réintégrés. Des ministres ont été obligés de se replier dans leur village afin d’échapper à des tentatives d’assassinat. La visite de certains Ministères issus du gouvernement de réconciliation laissent voir sans équivoque leur exclusion dans la direction du pays. Certains services en pâtissent. La Constitution ivoirienne consacre le droit de vote. Cependant, il existe des allégations sur la non délivrance de la pièce d’identité, pièce nécessaire pour la participation au scrutin. Cela aurait permis d’exclure des élections de 2000 des citoyens en âge de voter. L’échéance électorale de 2005 fait redouter les observateurs sur le processus électoral. Tant que la modification et le projet de loi sur la nationalité ne seront pas définitivement clôturés, il n’est pas évident que ce droit puisse s’exercer sans obstruction. Expulsions massives des populations De septembre 2002 à ce jour, il y a eu des expulsions massives de populations alors que de tels faits sont prohibés par la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme de 1948. Des villages ont été détruits et les populations contraintes de quitter tous leurs biens pour sauver leur vie. Discrimination et exclusion Cette pratique existe malgré l’adhésion de la Côte d’Ivoire aux différents textes internationaux et régionaux, repris dans leur loi fondamentale et les textes complémentaires. Les personnes vulnérables Droits des enfants Les enfants et les adolescents sont les premiers victimes de cette crise. De nombreux témoignages ont fait état de cas d’enfants, filles et garçons tués délibérément. En outre, ils ont été soumis à des actes de torture et d’autres traitements cruels, inhumains ou dégradants. La Commission a eu des témoignages sur les cas d’enfants disparus, recrutés de force et soumis à des travaux forcés. Des filles auraient été violées. Ces actes ont été constatés de part et d’autre des parties en conflit. Plusieurs organisations ont souligné l’accroissement du nombre d’enfants vivant dans la rue dans les principales villes, notamment au sud du pays. Il est certain, que cette situation est une conséquence de l’appauvrissement accéléré et de l’accroissement du chômage en milieu rural et urbain. En outre, il y a un lien évident de ce phénomène avec le déplacement forcé subi par de nombreux enfants. Des témoignages concordants ont montré l’existence d’un nombre important, d’enfants victimes de déplacement forcé et dont certains seraient sans parents. Plusieurs enfants ont été recueillis dans des centres établis par des organisations internationales et des ONGs. Quelques uns ont pu être réintégrés par la suite dans leurs familles. Un certain nombre est encore abrité dans ces centres « en raison de l’impossibilité de rentrer dans leurs villages ou régions d’origine, ou parce qu’on ignore le sort de leurs familles [13] ». De surcroît, d’autres témoignages ont signalé l’existence de villages d’enfants, notamment près de Danané et aux alentours de Bouaké, où des enfants « âgés parfois de 15 ans ou moins font office de chefs de famille, suite à la mort ou la disparition présumée de leurs parents [14] ». L’engagement des enfants dans des activités incompatibles avec leur âge reste une question inquiétante. Outre les informations ci-dessus, la Commission a pris connaissance également de la participation d’écoliers à des actes d’ordre politique, telles que des manifestations. Le recrutement des enfants (au sens de l’art. 1 de la Convention sur les droits de l’enfant) est une des conséquences multiples de la crise. Par sa résolution 1479 (2003), adopté le 13 mai 2003, le Conseil de Sécurité a engagé toutes les parties ivoiriennes à s’abstenir de recruter ou d’utiliser des mercenaires ou des unités militaires étrangères. Il a en outre exigé que, conformément à sa résolution 1460 (2003), toutes les parties au conflit qui recrutent ou utilisent des enfants en violation de leurs obligations internationales mettent fin immédiatement à cette pratique. Toutefois, divers interlocuteurs ont attiré l’attention de la Commission sur l’enrôlement des enfants, dont certains en bas âge, et leur participation à des incidents armés ou dans l’accomplissement de diverses tâches. Selon ces sources, des enfants ont été enrôlés de gré ou de force par les deux parties au conflit. Toutefois, pour ce qui est des forces gouvernementales cette pratique semble être liée à l’engagement de groupes armés agissant comme des supplétifs des forces armées nationales. Malgré certaines initiatives, notamment à Bouaké et Man, permettant l’identification de quelques 60 enfants soldats, divers observateurs civiles et militaires ont signalé la présence d’enfants soldats notamment au sein des composantes des Forces Nouvelles. Certains ont attiré l’attention sur le fait qu’au cours des trois derniers mois, des enfants soldats semblent avoir été déplacés vers d’autres régions du pays. En effet, un certain nombre de cas portés à la connaissance de la Commission montrent cette réalité. Ainsi, courant 2003, plusieurs enfants soldats se trouvaient enrôlés au sein de la force LIMA [15], engagée comme supplétifs des FANCI, de même que du groupe MODEL [16] et des forces rebelles. Entre juin et août 2004, des enfants soldats se trouvaient dans des postes de contrôle à Ferkessedougou, Sinematiali, Monoko-Zohi, Gobazra, Niakaramandougou et Bouaké. Certains de ces enfants agiraient vraisemblablement comme des supplétifs, en accomplissant des taches diverses tels que des achats, de liaison avec d’autres postes. Néanmoins, lorsqu’ils ont été aperçus, la plupart d’entre eux portaient des armes, telles que des AK 47. Violences sexuelles faites aux femmes Les plus graves violations des droits de l’homme ont été observées à travers les violences sexuelles faites aux femmes, fruit de la banalisation de la souffrance ainsi que du mépris de la dignité de la personne humaine en Côte d’Ivoire. De chaque côté des belligérants, les femmes ont été utilisées pour assouvir des appétits bestiaux des combattants dont certains étaient sous l’effet des drogues. Les cruautés et la barbarie auxquelles les femmes ont été soumises constituent une preuve que la violence à l’encontre des femmes n’est pas encore perçue comme un crime grave en Côte d’Ivoire. Les violences qui ont été portées à la connaissance de la Commission par des témoins et quelques rares fois directement par les victimes ont fait mention des viols des femmes de tous âges y compris des mineures de moins de 12 ans, des viols précédés et/ou accompagnés de traitements cruels, inhumains et dégradants, des viols en présence du conjoint et/ou des enfants, obligation de commettre l’inceste, harcèlement sexuel, attentat à la pudeur, rapt et esclavage sexuel. Le viol des femmes a été fréquemment utilisé depuis les événements du 19 septembre 2002 comme arme de guerre contre les populations dans les différentes zones de combats, de déplacements ou de résidence. Des centaines de femmes de tout âge ont été violées durant cette période. Ces viols ont eu des conséquences sociales dramatiques. En effet, des femmes et des jeunes filles qui en ont été victimes sont repoussées par leur milieu social, des enfants sont nés de ces actes et d’autres sont gravement malades (VIH/SIDA, MST, trouble mental, etc.). L’identité de certains auteurs de ces viols, parfois collectifs, a été révélée à la Commission et leurs noms figurent sur la liste confidentielle en annexe du présent rapport. Rappelons que la Côte d’Ivoire est partie à la Convention internationale sur l’élimination de toutes formes de discrimination à l’égard des femmes ratifiée le 18/12/95 et a aussi adopté la Résolution 48/104 de l’Assemblée générale des Nations Unies contre la violence faite aux femmes. La Commission a reçu le témoignage d’un homme qui a été contraint de violer sa propre fille devant le reste de la famille. Suite à cette scène, la mère est devenue folle. Dans un autre village, une femme enceinte a été déshabillée en public et a été obligée de simuler l’acte sexuel pendant plusieurs heures. Elle a accouché d’un mort né le lendemain. Dans le même village, dix femmes ont été violées par une centaine de rebelles. Une jeune fille de 16 ans a été violée par huit personnes qui lui ont par la suite cassé le bassin. Elle ne peut ni s’asseoir, ni marcher. Lors de la courte reprise de Bangolo, des viols collectifs ont été commis par les Forces LIMA. Par respect pour les victimes et pour leur éviter des représailles, la liste des victimes et de certains auteurs présumés des viols est repris en annexe confidentielle du rapport. Violations graves des droits économiques, sociaux et culturels Droits économiques et sociaux En décidant d’inclure les droits économiques et sociaux dans son rapport consacré aux violations graves des droits de l’homme commises sur toute l’étendue du territoire de Côte d’Ivoire depuis le 19 septembre 2002, la Commission est consciente de la controverse de caractère doctrinale entretenue sur la nature et la valeur des droits économiques, sociaux et culturels par rapport aux droits civils et politiques. Sans vouloir chercher à prendre position en faveur de l’une de thèses en présence et d’entrer ainsi au cœur du débat, en traitant dans le présent rapport de violations des droits économiques, sociaux et culturels, la Commission a simplement voulu souligner le caractère d’indivisibilité et interdépendance des droits de l’homme. L’être humain ne peut en effet vivre sans s’épanouir, sans jouir pleinement aussi bien des droits civils et politiques que de ceux de la catégorie dite de droits économiques, sociaux et culturels. La crise multiforme survenue en Côte d’Ivoire a de toute évidence démontré l’interdépendance et l’indivisibilité des droits évoqués plus haut. En effet, cette crise politique au départ s’est muée en bien d’autres formes à la suite de la guerre déclenchée à partir de la rébellion qui est aussi un épisode politique. Considéré ainsi globalement, la crise ivoirienne a eu des fortes conséquences aussi bien sur la jouissance des droits de l’homme que sur les dimensions économiques de tous ceux qui vivent en Côte d’Ivoire. La Commission devait donc de prendre en compte et de faire référence dans son rapport, des violations de droits économiques, sociaux et culturels. Au titre de violations graves de droits économiques, sociaux et culturels, la Commission a retenu ce qui suit : Aggravation du contexte macro-économique général La guerre qui a sévi en Côte d’Ivoire a eu des conséquences importantes mais négatives sur la jouissance des droits économiques, sociaux et culturels. Ces conséquences ont été aggravées par le contexte économique général correspondant à une période très critique. Dans les zones où des combats se sont déroulés, il en est résulté des déplacements forcés de populations et par voie de conséquence, la jouissance et le respect des droits économiques et sociaux ont été rendus très difficiles, voire réduite à néant. Avenir économique de la Côte d’Ivoire ; découverte de nouvelles richesses La Commission a reçu des témoignages faisant état d’événements qui peuvent faire croire à un certain optimisme quant à l’avenir économique de la Côte d’Ivoire. Il serait notamment question de découvertes de puits de pétrole [17] et que la réserve serait proche de celle du Koweït et qu’ainsi, la Côte d’Ivoire pourrait devenir le deuxième producteur africain de pétrole après le Nigeria. Au surplus il serait question, toujours selon ces témoignages, du pétrole « vert », lequel serait très prisé. À côté du pétrole, on aurait également découvert, selon des témoignages, du gaz entre San Pedro et Sassandra ; la réserve en permettrait l’exploitation pendant un siècle. D’autres ressources existeraient aussi tel l’or, les diamants, outre des métaux qui sont actuellement utilisés dans la fabrication de satellites. Selon cette source, la guerre en Côte d’Ivoire serait liée à cet état de choses et aurait pour but, soit d’empêcher ou tout au moins, certains groupes à profiter de l’exploitation de ces nouvelles richesses ivoiriennes, soit d’entretenir le désordre dans le pays, car un tel contexte favorise l’exploitation sans contrôle des produits existants. Position dominante de certains groupes d’intérêt Les témoignages recueillis ont aussi permis de savoir que la loi de 1998 portant code rural et foncier serait liée à la position dominante que la France ou les intérêts français occupent en Côte d’Ivoire. Selon ces sources, les Français posséderaient 45 % de la terre et que, curieusement, les sièges où se trouve la Présidence de la République et l’Assemblée nationale ivoirienne feraient l’objet d’un bail conclu avec des Français. Ces derniers contrôleraient les secteurs de l’eau et de l’électricité qui représentent une somme de 10 milliards de CFA par mois. Selon la même source, les Français contrôleraient en outre 20 000 entreprises en plus du poids que leur pays exerce sur le Franc CFA. Les Français détiendraient 70 % des bénéfices du commerce ivoirien, ces bénéfices transitant par la Banque de France. Le témoin a aussi signalé qu’en vue de la réalisation de la construction d’un troisième pont à Abidjan, la décision du gouvernement ivoirien de recourir à un appel d’offres international n’a pas plu à certains milieux. Le témoin déclare que ces faits expliqueraient le sentiment de haine ou l’animosité que les membres de ces milieux feraient montre à l’égard du président Laurent Gbabgo. Selon ce même témoin, cette haute autorité serait opposée au monopole, ce qui expliquerait également l’attitude hostile vis-à-vis de l’intéressé. Si donc l’avenir de la Côte d’Ivoire pourrait apparaître de plus radieux et prometteur, permettant d’espérer à une grande amélioration de la situation économique générale dans ce pays, le contexte économique et social consécutif à la crise ivoirienne est de loin délétère et moins reluisant. À cet égard, la Confédération des syndicats libres de la Côte d’Ivoire a donné le tableau ci-après quant à la jouissance des droits économiques et sociaux : Le chiffre des travailleurs qui ont perdu la vie pendant la guerre n’est pas connu ; En ce qui concerne le droit à la santé : au début, le gouvernement ivoirien prenait en charge un certain nombre des personnes déplacées, spécialement les enfants, ces derniers auraient été par la suite abandonnés. Ce syndicat recommande cependant que le gouvernement soit appuyé pour mieux venir en aide à cette catégorie de personnes vulnérables. Le droit à l’éducation et le travail des enfants : les interlocuteurs de la Commission l’ont informée que la guerre a freiné l’élan du gouvernement qui avait pourtant réalisé des avancées dans le domaine de l’éducation en appliquant notamment la gratuité de la scolarité de base. Mais la destruction des écoles et la dispersion des enfants, le phénomène des enfants de la rue (notamment mendiants), la prostitution des mineurs, l’enrôlement forcé des enfants, particulièrement à Bouaké, l’exploitation des enfants et surtout des filles pour des travaux domestiques, l’utilisation et la soumission des enfants à des tâches inadaptées à leur âge et à leur état, etc… ont davantage fragilisé la situation des enfants, les rendant encore plus vulnérables. À la suite de la fermeture de l’Université à Bouaké, plusieurs étudiants se sont dispersés à cause de la guerre et se retrouvent ainsi hors des études. Le syndicat Dignité a déclaré avoir obtenu de l’OIT un financement pour une campagne de sensibilisation au sein des entreprises sur la nécessité du respect du droit de l’enfant. Il s’est avéré, selon ce syndicat, que ce sont les entreprises privées, en particulier celles du coton et les mines d’or, qui utilisent le plus la main-d’œuvre infantile. À Abidjan, les enfants seraient beaucoup plus utilisés dans le secteur informel. L’enquête réalisée par ce syndicat a permis d’établir que la plupart des entreprises utilisant les enfants appartiendraient à des ressortissants Burkinabés et Maliens. Ce phénomène serait aussi perceptible dans les plantations de café et de cacao, notamment à Guiglo, dans la préfecture de Blolequin. L’utilisation de la main d’œuvre infantile serait « justifiée », à certains endroits, par le fait que pour beaucoup d’entre eux, le travail leur permettrait de se payer des cours coraniques. Selon cette même source, le Bureau international catholique sur l’enfance a effectué des enquêtes qui auraient révélé : que 15 000 enfants maliens travailleraient en Côte d’Ivoire ; que 2 500 enfants seraient occupés dans un travail dans le cadre familial ; Afin d’élucider la question du travail des enfants, une commission mixte composée de 16 membres a été constituée entre le Mali et la Côte d’Ivoire pour évaluer l’ampleur du phénomène. Le syndicat Dignité a signalé notamment qu’il a été saisi du cas de deux jeunes filles occupées dans des tâches domestiques et qui, au moment de réclamer leur salaire, ont été accusées par leur employeur d’avoir volé dans la maison de leur maître. Destruction, pillage ou fermeture d’entreprises Plusieurs autres formes des violations des droits économiques et sociaux ont été constatées du fait de la destruction et/ou de la fermeture des entreprises à la suite de la guerre. Cela a entraîné un nombre élevé de chômeurs et de déplacés. Parmi les personnes décédées, on a déploré la présence de nombreux travailleurs et de syndicalistes. Cela a décapité le fonctionnement de certaines centrales syndicales, surtout dans le Nord du pays. La guerre a aussi eu pour effet de rendre plus difficile et plus onéreuse l’écoulement des produits vers des centres de consommation ou des marchés. Cela a en outre été accentué par la division du pays en deux parties et a, par ricochet, rendu plus difficiles les conditions de vie déjà précaires des populations. Libertés syndicales Aux questions des membres de la Commission si la liberté syndicale était effectivement garantie depuis la fin du monopartisme et de ses conséquences logiques à cet égard, s’il existait une convention collective, quel était le rôle de l’inspection du travail, la délégation syndicale a répondu par l’affirmative mais a toutefois précisé que : Tous les droits syndicaux sont garantis et reconnus par le code ivoirien du travail et les conventions pertinentes de l’OIT auxquelles la Côte d’Ivoire est partie. Bien qu’étant consacrée dans ces textes, la liberté de création de syndicats et le droit de grève sont soumis à certaines restrictions réglementaires. C’est ainsi que s’agissant par exemple du droit de grève, il est exigé au préalable de donner un préavis et d’en indiquer les motifs. Il existe une convention collective adoptée dans le cadre de la législation de 1964 et 1975. Les inspecteurs du travail existent certes mais sont inefficaces parce que confrontés au phénomène de corruption généralisée qui a cours en Côte d’Ivoire. Le mouvement syndical ivoirien n’avait pas de problème majeur avec le gouvernement mais plutôt avec le patronat. À titre d’exemple, lorsque fut déclenchée en 2004, la grève de l’UFAM-CI par les travailleurs qui réclamaient la démission du chef du personnel qui leur vendait des poulets, des problèmes ont surgi au niveau du recouvrement. La police est intervenue pour disperser les travailleurs qui faisaient un sit-in ; 36 travailleurs furent licenciés. De même, lors de la grève à la plantation de la culture de l’hévéa, les travailleurs réclamaient une prime alors qu’ils venaient de bénéficier d’une augmentation de salaire de 10 %. Le syndicat est intervenu et la revendication a été jugée légale et légitime. Lors de la grève des greffiers au Ministère de la Justice, toujours pour des revendications salariales, les meneurs ont été arrêtés. Ils ont été libérés par la suite grâce à l’intervention du syndicat Solidarité. Il existe trois grands syndicats en Côte d’Ivoire : la Confédération des syndicats libres de Côte d’Ivoire baptisé « Dignité » ; l’Union générale des travailleurs de Côte d’Ivoire et la Fédération des syndicats autonomes de Côte d’Ivoire. Il a cependant été précisé à l’intention des membres de la Commission, qu’avec l’ouverture syndicale ayant coïncidé avec le début du multipartisme, certains syndicats se sont alignés sur les positions politiques concernant des questions d’intérêt national. La lutte du syndicat Dignité remonte aux années 90, plus précisément avec la grève de 1993 dont fait état le rapport du BIT relatif à l’année 1994. Il y a eu des morts mais des résultats substantiels en ont résulté : plus jamais en Côte d’Ivoire, des syndicalistes n’ont été arrêtés depuis cette date pour avoir exercé leur droit de grève ; les prélèvements obligatoires sur les salaires des travailleurs ont aussi été supprimés à partir de là. Le secrétaire général du syndicat Dignité a enfin terminé par des informations sur sa mission dans le Nord de la Côte d’Ivoire et sur un aperçu des acquis du mouvement syndical ivoirien. Exercice des droits économiques et sociaux au Nord de la Côte d’Ivoire Le secrétaire général a expliqué à la Commission que : sans l’autorisation et la protection de la Licorne, sa mission aurait été compromise car les rebelles lui auraient refusé l’accès aux entreprises qu’il pouvait visiter ; sur les 8 000 travailleurs que comptait Bouaké à l’époque, il n’en resterait que 300 ; selon des témoins, à Zouénoula, on aurait aperçu des camions immatriculés au Ghana venus charger du sucre en Côte d’Ivoire. Suite à ces informations, le secrétaire général a alerté les autorités en leur écrivant ainsi qu’à ses homologues des pays voisins. Dans ce contexte, son syndicat a bénéficié d’un financement de la Belgique pour organiser un séminaire de moralisation et de sensibilisation à Banfoura entre les travailleurs ivoiriens et burkinabés. Mais il signale regretter que le thème du séminaire ait été modifié en dernière minute pour être plutôt consacré au problème foncier en Côte d’Ivoire. Dans la partie nord où se trouvent de grandes plantations et la majeure partie de propriétaires terriens, la guerre a entraîné des destructions énormes ainsi que des pillages. Quelques acquis de la lutte syndicale ivoirienne Sur cette question, le secrétaire général a signalé à l’intention de la Commission ce qui suit, obtenu notamment grâce à l’action de son organisation : le salaire des femmes qui était initialement de 5 000 FCFA par mois est actuellement de 26 000 FCFA ; celui des travailleurs de milieux ruraux, qui était de 10 000 FCFA est également passé à 26 000 FCFA ; le SMIG est actuellement à 36’607 FCFA et passera à 42 000 FCFA au cours de la deuxième année ; certains patrons ne respectent guère l’obligation de payer le SMIG à leur personnel et le Ministère du Travail demeure sans réaction face à cette anomalie ; la protection des travailleurs et les conditions de travail ne sont pas respectées dans toutes les entreprises.À titre illustratif, le secrétaire général a mentionné le cas d’un ouvrier atteint d’une infection pulmonaire due à de mauvaises conditions de travail, mais pour lequel le médecin de l’entreprise aurait recommandé auprès de son collègue d’indiquer que ledit travailleur souffrait plutôt du VIH-SIDA. Il a aussi été évoqué qu’après septembre 2002, certains travailleurs avaient perdu leur emploi à cause de leur appartenance tribale, ethnique ou régionale. Le cas de femmes d’une entreprise de pêche a aussi été signalé. Des femmes auraient été déclarées inaptes alors qu’elles présentaient des déformations physiques dues au fait qu’elles étaient obligées de travailler dans la position debout pendant de nombreuses années. Il a aussi été fait mention d’une dame qui avait été licenciée pour avoir souhaité et obtenu de bénéficier d’un congé de maternité. Le secrétaire général a terminé en faisant observer que beaucoup d’anomalies ou d’irrégularités ou de manquements qui sont constatés dans le monde du travail au mépris des textes garantissant les conditions et les relations de travail ont lieu à cause de la corruption généralisée et à l’impunité qui sévirait en Côte d’Ivoire. Les droits culturels Au titre des violations majeures des droits culturels, la Commission tient à stigmatiser la rétention, dans différentes morgues d’Abidjan des dépouilles des personnes qui ont trouvé la mort lors des incidents ayant émaillé la répression sanglante lors de la marche qui avait été organisée le 24 mars 2004. Pour des raisons qui n’ont pas été clairement explicitées à la Commission, les familles des personnes décédées qui n’étaient pas en mesure d’honorer les factures de frais de conservation des dépouilles gardées dans des morgues, ou des familles des personnes dont l’autopsie avait été demandée par les autorités, n’étaient pas autorisées à prendre les dépouilles des leurs en vue de l’inhumation. En effet, dans les deux cas de figure, la mise à disposition de toute dépouille est subordonnée, selon la législation en vigueur en Côte d’Ivoire, à la délivrance d’un document délivrée uniquement par l’autorité judiciaire [18]. La Commission considère qu’en l’espèce, le droit à une sépulture digne et descente a été violé. En effet, la mort de ces personnes étant survenue à la suite des actes de violence causés par les services chargés du maintien de l’ordre, est donc imputable au gouvernement. Ce dernier est donc responsable de la rétention des dépouilles de ces personnes et des frais encourus à cet effet vis-à-vis de l’administration des morgues de Côte d’Ivoire. Dans les coutumes et donc, selon la culture de beaucoup de pays africains, le deuil d’une personne ne peut avoir lieu à défaut d’inhumation du corps de l’intéressé. En se fondant sur le facteur propre à la culture à certaines traditions africaines et au respect dû aux morts, la Commission a attiré la particulière attention du président Laurent Gbagbo sur cette situation. Cette autorité a décidé et promis de faire prendre des dispositions nécessaires en vue de rendre aux familles les dépouilles des leurs dont la mort est survenue à Abidjan dans le cadre des événements du 24 mars 2004. Au titre de violations des droits culturels, des cas de profanation de sépultures et d’attaques contre les lieux de culte ont aussi été signalés à la Commission. ADMINISTRATION DE LA JUSTICE Il ne peut y avoir de paix sans justice, ni de justice sans loi, ni de loi digne de ce nom sans un tribunal chargé de décider ce qui est juste et légal, dans des circonstances données.[19] Traditionnellement attribut de la souveraineté nationale, la justice constitue l’institution qui, par excellence, permet de mesurer le niveau d’existence d’un État de Droit, à un point tel que la gravité des violations des droits de l’homme est proportionnelle à l’absence de Justice. De même, la multiplication des abus de pouvoir non sanctionnés par la Justice conduit à terme à susciter des réactions en général violentes de la part des victimes. De nombreux témoignages recueillis par la Commission abondent dans le sens selon lequel la situation qui prévaut aujourd’hui en Côte d’Ivoire, et en tout cas depuis le 19 septembre 2002, puise ses sources dans les événements et les abus de toute sorte survenus bien antérieurement à cette période. Actuellement l’observateur peut constater un décalage énorme entre les textes relatifs à l’administration de la justice et les pratiques judiciaires. En effet, la Constitution ivoirienne du 1er août 2000 consacre la plupart des principes fondamentaux susceptibles de garantir un fonctionnement sain et régulier du service public de la Justice. Mais de toute évidence, durement éprouvée par les événements, la Justice ivoirienne a épousé les contours du conflit et ne s’est pas montrée à la hauteur de la confiance qui pouvait être placée en elle de sorte que la Côte d’Ivoire manque cruellement d’un organe neutre, impartial et indépendant, suffisamment efficace pour permettre la résolution pacifique des conflits. C’est ainsi que, par exemple, tous ceux ayant commis des crimes de sang, qu’ils soient putschistes, soldats gouvernementaux, gendarmes, policiers et autres, n’ont pas vu les poursuites pénales engagées à leur encontre ou, pour celles qui ont été engagées, menées à leur terme. Cela a entraîné immanquablement la frustration des victimes à qui justice n’a pas encore été rendue, cependant qu’elles voient tous les jours les auteurs jouir d’une totale impunité. Dans certains cas aucune enquête sérieuse n’a été menée, ni même la moindre information ouverte dans d’autres cas. Il en est ainsi par exemple de : l’agression dont la Côte d’Ivoire a été victime le 19 septembre 2002 ; la tentative d’assassinat de Lida Kouassi, à l’époque ministre de la défense, le 19 septembre 2002, au cours de laquelle son domicile a été attaqué nuitamment à la roquette ; la tentative d’assassinat d’Alassane Dramane Ouattara, l’assassinat de l’un de ses gardes, ni sur l’incendie criminel de sa propriété ; l’assassinat de Boga Doudou, à l’époque ministre de la sécurité intérieure, dont le domicile a été du reste saccagé postérieurement aux événements, ce qui a eu pour conséquence de faire disparaître des éléments de preuves ; l’assassinat de Robert Gueï et de son épouse ainsi que des personnes (militaires comme civiles) chargées de sa garde d’autant que les voitures privées du couple Gueï, volées le 19 septembre 2002, circuleraient au grand jour à Abidjan ; les attaques meurtrières menées par les assaillants contre un certain nombre de casernes de l’Armée, la Gendarmerie et en particulier son école ainsi que la Police ; les exécutions sommaires qui s’en sont suivies partout dans Abidjan et les communes environnantes et qui se sont poursuivies jusqu’à cette année ; l’assassinat de l’Imam Samassi, le 23 juin 2004, par quatre individus armés qui se seraient enfuis à bord de son véhicule ; l’assassinat à Bouaké d’un colonel de plusieurs balles dans le dos ; les multiples assassinats de nombreuses autres personnes. La Justice ivoirienne n’a pas enquêté, ni encore moins poursuivi : les auteurs des massacres des gendarmes désarmés de Bouaké, sommairement exécutés dans des cellules pour certains et au cimetière pour d’autres par les forces rebelles ; ni ceux ayant commis les plus hideuses atrocités dans tout l’Ouest et le Centre Ouest du pays ; tout comme elle n’a pas procédé à la moindre arrestation à la suite des nombreuses et graves exactions commises sur les populations civiles désarmées. Or, la poursuite, l’arrestation et le jugement des auteurs présumés de crimes constituent un devoir impérieux pour l’État et partant pour ceux, comme le Parquet et le Siège (lorsqu’il est saisi) à qui la Loi en a confié la tache. Recommandés par le Conseil Economique et Social dans sa résolution 1989/65 en date du 24 mai 1989, les Principes relatifs à la prévention efficace des exécutions extrajudiciaires, arbitraires et sommaires et aux moyens d’enquêter efficacement sur ces exécutions, énoncent notamment : au titre de la Prévention, 1. « Les exécutions extrajudiciaires, arbitraires et sommaires seront interdites par la législation nationale et les gouvernements feront en sorte que de telles exécutions soient considérées comme des délits punissables en vertu de leur droit pénal et frappées de peines appropriées tenant compte de la gravité du délit. Des circonstances exceptionnelles, notamment l’état de guerre ou la menace de guerre, l’instabilité politique à l’intérieur du pays, ou toute autre situation d’urgence publique, ne pourront être invoquées comme justification de ces exécutions. De telles exécutions ne devront pas avoir lieu, quelles que soient les circonstances, notamment en cas de conflit armé interne, par suite de l’emploi excessif ou illégal de la force par un agent de l’État ou toute autre personne agissant à titre officiel ou sur l’instigation ou avec le consentement explicite ou tacite d’une telle personne, et dans les situations où il y a décès pendant la détention préventive. Cette interdiction l’emportera sur les décrets publiés par l’exécutif ». 2. « Afin d’empêcher les exécutions extrajudiciaires, arbitraires et sommaires, les pouvoirs publics exerceront un contrôle rigoureux, notamment en veillant strictement au respect de la voie hiérarchique, sur tous les fonctionnaires responsables de l’arrestation, de la détention provisoire et de l’emprisonnement, ainsi que sur tous les fonctionnaires autorisés par la loi à employer la force et à utiliser les armes à feu ». au titre des Enquêtes, 9. « Une enquête approfondie et impartiale sera promptement ouverte dans tous les cas où l’on soupçonnera des exécutions extrajudiciaires, arbitraires et sommaires, y compris ceux où des plaintes déposées par la famille ou des informations dignes de foi donneront à penser qu’il s’agit d’un décès non naturel dans les circonstances données. Il existera à cette fin des procédures et des services officiels d’enquête dans les pays. L’enquête aura pour objet de déterminer la cause, les circonstances et le jour et l’heure du décès, le responsable et toute pratique pouvant avoir entraîné le décès, ainsi que tout ensemble de faits se répétant systématiquement… ». 15. « Les plaignants, les témoins, les personnes chargées de l’enquête et leurs familles jouiront d’une protection contre les violences, les menaces de violences ou toute autre forme d’intimidation. Les personnes pouvant être impliquées dans des exécutions extrajudiciaires, arbitraires ou sommaires seront écartées de toute fonction leur permettant d’exercer une autorité, directe ou indirecte, sur les plaignants, les témoins et leurs familles, ainsi que sur les personnes chargées de l’enquête ». 16. « Les familles des défunts et leurs représentants autorisés seront informés de toute audience et y auront accès, ainsi qu’à toute information touchant l’enquête ; ils auront le droit de produire d’autres éléments de preuve. La famille du défunt aura le droit d’exiger qu’un médecin ou un autre représentant qualifié assiste à l’autopsie. Lorsque l’identité du défunt aura été établie, un avis de décès sera affiché et la famille ou les parents du défunt seront immédiatement avisés. La dépouille mortelle leur sera rendue après l’enquête ». 17. « Un rapport écrit sera établi dans un délai raisonnable sur les méthodes et les conclusions de l’enquête. Il sera rendu public immédiatement et comportera une description de l’enquête et des procédures et méthodes utilisées pour apprécier les éléments de preuve, ainsi que des conclusions et recommandations fondées sur des constatations et sur la loi applicable… Les pouvoirs publics devront, dans un délai raisonnable, soit répondre au rapport de l’enquête, soit indiquer quelles mesures seront prises pour y donner suite… ». au titre de la Procédure judiciaire, 18. « Les pouvoirs publics veilleront à ce que les personnes dont l’enquête aura révélé qu’elles ont participé à des exécutions extrajudiciaires, arbitraires ou sommaires sur tout territoire tombant sous leur juridiction soient traduites en justice… » 19. « Sans préjudice du principe 3 ci-dessus, l’ordre donné par un supérieur hiérarchique ou une autorité publique ne peut pas être invoqué pour justifier des exécutions extrajudiciaires, arbitraires ou sommaires. Les supérieurs hiérarchiques, les fonctionnaires ou autres agents de l’État pourront répondre des actes commis par des agents de l’État placés sous leur autorité s’ils avaient raisonnablement la possibilité de prévenir de tels actes. En aucun cas, y compris en état de guerre, état de siège ou autre état d’urgence, une immunité générale ne pourra exempter de poursuites toute personne présumée impliquée dans des exécutions extrajudiciaires, arbitraires ou sommaires ». 20. « Les familles et les ayants droit des victimes d’exécutions extrajudiciaires, arbitraires ou sommaires auront droit à recevoir une indemnisation équitable dans un délai raisonnable ». Dans tous les cas de violations graves des droits de l’homme et du droit international humanitaire, ces principes qui figurent en bonne place dans le droit positif ivoirien n’ont pas été respectés et/ou intégralement appliqués. Par ailleurs l’indépendance des magistrats pourtant clairement affirmée à l’article 101 de la Constitution, a été singulièrement mise à mal en de nombreuses occasions autres que celles relatives aux événements extrêmement graves ayant secoué la Côte d’Ivoire. Ces occasions ont trait aux activités et aux droits des Magistrats. À titre illustratif, la Commission cite le cas du 1er Vice-président du Tribunal de 1re instance d’Abidjan Plateau purement et simplement écarté de la composition habituelle des chambres à la suite de la décision qu’il a prise et tendant à la délivrance à Alassane Dramane Ouattara d’un certificat de nationalité. Ensuite et concomitamment, suivant toutes les ordonnances prises par le juge Dietai Marcel, à l’époque où il a exercé la fonction de président du Tribunal de 1re instance d’Abidjan, ce dernier a décidé à l’article 3 de son ordonnance du 22 juillet 2002 que la délivrance d’un certificat de nationalité ne peut désormais être faite qu’à la suite d’une « délégation de signature » et par des magistrats nommément désignés à cet effet. Il a même pris soin de préciser à l’article 4 de son ordonnance que « les certificats de nationalité des personnalités politiques sont délivrées sur les instructions écrites du président du Tribunal ». Ensuite, le président du Tribunal s’est créé un domaine réservé en matière de délivrance des certificats de nationalité aux personnalités politiques, alors que traditionnellement, la délivrance de tous certificats de nationalité, sans distinction, était dévolue à la compétence du président du Tribunal et des Vice-présidents. En écartant de la composition habituelle du Tribunal la Vice-présidente qui a signé le certificat de nationalité d’Alassane Dramane Ouattara, ce même président du Tribunal d’Abidjan a ouvertement sanctionné ce magistrat en dehors de toute procédure disciplinaire légalement prévue. En ordonnant qu’un acte, somme toute de nature judiciaire, ne ferait l’objet que d’une délégation de signature, et qu’il ne serait désormais délivré que sur ses instructions écrites, il a réduit la fonction de juge à celle de simple exécutant d’un ordre hiérarchique. À la connaissance de la Commission, ces agissements n’ont pas été suivis des réactions qu’ils méritaient de la part de l’ensemble des magistrats, ni même d’ailleurs du Barreau ni des organisations de défense des droits de l’homme. Rien d’étonnant donc à ce que le même président du même Tribunal n’entame encore davantage l’indépendance des juges en étendant son pouvoir de contrôle à d’autres domaines judiciaires étrangers à la politique politicienne. C’est ainsi qu’il a écrit dans son ordonnance n° 2716/03 à l’Article deuxième : « Des permanences seront assurées en ce qui concerne les référés d’heure à heure, les certificats de nationalité, les actes d’individualité les procurations spéciales, les ordonnances sur requête, les saisies conservatoires de navire, à l’exception des saisies conservatoires article 54 de l’acte uniforme et des injonctions de payer, sous le contrôle du président du Tribunal ou de l’un de ses Vice-présidents de la manière suivante : ». Et suivent les noms des juges désignés. Ces ordonnances de Dietai Marcel ont probablement contribué à faire entrer de plain pied la justice ivoirienne dans le débat politique sans tenir compte de la primauté du droit et à créé au sein de la Magistrature, un clivage qui épouse les contours des divisions régionales, ethniques et partisanes. Il s’agit apparemment et en tout cas à la connaissance de la Commission, de la première fois où il est question de « contrôle du président du Tribunal » pour toutes les matières autres que celle des certificats de nationalité, de sorte qu’il semble bien que ces autres matières listées connaissent donc le même régime que les certificats de nationalité. Une autre occasion de manifester et de réaffirmer l’indépendance et les droits de la magistrature a été manquée par le Conseil Supérieur de la Magistrature lorsqu’il s’est réuni en Conseil de discipline pour juger 169 magistrats et 6 auditeurs de justice. Les faits sont simples et incontestés. Se plaignant de la dégradation de leurs conditions de vie et de travail et après avoir conclu à un échec dans leurs tentatives de dialogue avec l’exécutif, 169 magistrats et 6 auditeurs de justice ont organisé une marche de protestation le 5 mars 2002 doublée d’un arrêt de travail. Le 29 mai 2002, le Garde des Sceaux, ministre de la Justice et des Libertés Publiques à l’époque, a saisi le Conseil supérieur de la magistrature à l’effet de se prononcer sur les faits qualifiés de « manquement aux convenances de leur état, à l’honneur, à la délicatesse ou à la dignité » pour avoir organisé une marche de protestation suivie d’un arrêt de travail. Dans une composition irrégulière laissant supposer une sorte de cooptation, le Conseil supérieur de la magistrature a sanctionné ces magistrats, leur niant ainsi et à la fois : le droit d’être jugé par une juridiction impartiale, comme l’exige l’article 7-1.d de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples pourtant ratifiée par la Côte d’Ivoire ; les libertés de réunion et de manifestation que leur donne l’article 11 de la Constitution ; la liberté de pensée et d’expression, notamment la liberté d’opinion « garanties à tous » par l’article 9 de la Constitution ; le droit de grève reconnu par l’article 17 de la Constitution à tous les travailleurs qu’ils soient du secteur public ou du secteur privé ; l’indépendance par rapport aux chefs de juridiction lorsqu’il s’agit notamment de l’exercice d’une liberté fondamentale et comme juge siégeant au sein d’une juridiction. La Commission fait remarquer que la décision du Conseil supérieur de la magistrature n’aurait pu être déférée à la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples en particulier et/ou portée à la connaissance du Rapporteur spécial des Nations Unies sur l’indépendance de la justice. Une autre situation qui s’est produite plus récemment illustre encore plus le manque total de considération à l’égard de ceux qui sont censés arbitrer pacifiquement les conflits au sein de la société ivoirienne, en même temps qu’elle révèle au grand jour une sorte d’état de léthargie dans laquelle semble plongés à la fois le corps de la magistrature tout comme le Barreau, s’agissant de la défense de leurs propres intérêts. En effet, le 9 mars 2004, jour retenu par la Chancellerie pour l’installation d’un haut magistrat, un certain nombre de personnes dites « Patriotes » à la tête desquelles se trouvaient notamment le président Poiri Blé Simplice, magistrat de son état, Eugène Djué, président du Mouvement des patriotes et Serge Kuyo, secrétaire général de la FESCI ont manifesté devant le Palais de Justice du Plateau à Abidjan prétendant ainsi s’insurger contre sa nomination. À un moment donné, les manifestants qui entendaient s’opposer à la cérémonie d’installation, ont pris d’assaut le Palais de Justice, ont saccagé un certain nombre de bureaux et ont molesté des magistrats qui ont été dépouillés des biens trouvés sur eux ou dans leurs bureaux. Selon tous les témoignages concordants, ces faits se sont déroulés sous les yeux bienveillants des forces de l’ordre, et en particulier le lieutenant Gnanzou, adjoint au Commissaire du 1er Arrondissement du Plateau. À la connaissance de la Commission, le magistrat ayant manifesté avec les « Patriotes » et ayant ainsi participé à une action de toute évidence concertée et tendant à entraver le fonctionnement des juridictions, n’a pas été traduit devant le Conseil de discipline ; les auteurs de la mise à sac du Palais de Justice et des agressions contre les magistrats n’ont pas été inquiétés à ce jour. La Commission ignore si les policiers présents au moment des événements ont été sanctionnés. La Commission fait également remarquer que ni les syndicats de magistrats ni les magistrats victimes n’ont tenté d’éprouver le système judiciaire en exerçant leur droit de saisine de l’un des mécanismes internationaux de protection des droits de l’homme. Cela révèle le manque de considération dans laquelle est tenue la magistrature en Côte d’Ivoire, mais également la frilosité des magistrats à entamer des poursuites judiciaires dont ils connaissent très bien les voies et moyens de dépasser l’inertie apparemment ordonnée du Parquet soumis à la hiérarchie. La Commission constate en outre que la plainte introduite par les magistrats victimes, et qui fait l’objet d’une information ouverte au 7e cabinet d’instruction du Plateau, demeure encore lettre morte. L’inertie de la justice pour des agressions dont sont victimes certains de ses membres, et à travers eux non seulement l’institution, mais également la République tout entière, fait douter de la possibilité de l’existence même d’un État de droit dans le court et le moyen terme dans ce pays, hélas suffisamment meurtri. Il appartenait donc en premier lieu aux Magistrats ivoiriens et à tous les acteurs de la vie judiciaire d’agir afin de rétablir, en la reconquérant tant soit peu, la confiance d’abord des Ivoiriens. Les opérateurs économiques et la communauté internationale apprécieront ensuite et certainement une telle action susceptible de favoriser grandement la réconciliation nationale et, partant, la paix en Côte d’Ivoire et par voie de conséquence, le redémarrage de la vie économique afin que ce pays retrouve la prospérité. La Commission a également constaté l’état déplorable des conditions de vie et de travail des magistrats ivoiriens très mal payés et tout aussi mal outillés, cependant que d’autres services de l’État bénéficient des toutes dernières inventions technologiques. La Commission a recueilli des informations faisant état de corruption au sein de la Magistrature, tout comme du Barreau, ce qui ternit encore davantage l’image déjà désastreuse de la Justice ivoirienne. La Commission précise que tous les acteurs politiques sont parfaitement conscients de cette situation, mais aucun d’entre eux ne semble avoir fait état du moindre plan pour y remédier. À cet égard, la Commission se doit aussi d’attirer l’attention de tout un chacun sur l’état dangereux que présente l’univers carcéral ivoirien. Pour l’avoir visitée, la Commission signale qu’à la Maison d’arrêt et de correction d’Abidjan (MACA) aucune de l’ensemble des règles minima pour le traitement des détenus n’est pratiquement respectée. Mais pire encore, la situation qui y prévaut constitue pour les détenus un danger permanent pour leur vie. En effet, elle est surpeuplée et compte jusqu’à 7 000 (sept mille) détenus pour une capacité à l’origine de 1 500 (mille cinq cents) personnes. Les détenus sont privés d’eau la plupart du temps et ne reçoivent en tout et pour tout qu’une seule ration quotidienne de riz, d’atchéké le dimanche, de la taille d’une tasse de thé. Il arrive parfois que cette quantité ne parvienne même pas aux plus faibles qui sont détenus dans les étages les plus élevés. Au surplus, la distribution tout comme la cuisine sont gérées par des détenus qui établissent leur loi de sorte que s’impose irrésistiblement celle de la lutte pour la survie. Les détenus ont théoriquement la possibilité de se faire apporter de la nourriture de l’extérieur, mais doivent à chaque fois payer un montant total de 500 (cinq cents) francs CFA aux gardiens. Ce racket des gardiens est parfaitement connu des autorités, mais personne n’ose intervenir. Par ailleurs, cette situation à la fois de sous-alimentation et de racket, oblige les détenus à se faire apporter des denrées alimentaires en quantité suffisante pour une certaine période, et à cuire leurs repas à l’intérieur des cellules sur des réchauds électriques (là où l’électricité est fournie) sur des tables en bois, dans des conditions qui présentent un risque majeur d’incendie, susceptible de causer des dégâts humains et matériels considérables, aisément imaginables et prévisibles, compte tenu de la surpopulation carcérale et de la multiplicité des barreaux à chaque étage. Au surplus, pour les besoins de la cuisine et donc à l’intérieur même des cellules, les détenus font librement usage de couteaux, de fourchettes, de cuillères et autres ustensiles pouvant servir d’armes, le risque se présentant à chaque rixe entre détenus. De telles conditions entraînent régulièrement des épidémies comme par exemple la tuberculose ou le béribéri. Depuis cette époque, MSF apporte du riz deux fois par semaine sous forme de pâte mélangée avec la ration ordinaire. MSF a apporté également des médicaments à hauteur de 100 % des besoins jusqu’en 2003, aujourd’hui à 95 % et est présent avec une équipe de médecins et d’infirmiers composée tant d’expatriés que d’Ivoiriens. Aussi mince soit-il, un effort particulier a été consenti par l’administration ivoirienne qui a affecté une équipe médicale composée entre autres de deux médecins, six infirmiers, une sage femme, un aide soignant, un pharmacien et un technicien de laboratoire. Le personnel médical dans son ensemble est insuffisant pour faire face à toutes sortes de maladies qui entraînent immanquablement la malnutrition et la promiscuité et le peu de moyens dont dispose MSF pour assurer l’hygiène. Au surplus, les références chirurgicales sont prises en charge par MSF et avec de grosses difficultés, car sur les trois Centres hospitaliers universitaires d’Abidjan, seul celui de Cocody peut accepter et peut accueillir des urgences au bloc opératoire. En outre, MSF doit acheter les médicaments en ville (car l’hôpital ne les fournit pas) et parfois se charger des soins. Le personnel, parfaitement considéré comme compétent par les spécialistes, n’est pas en cause, les hôpitaux n’ayant plus les moyens de fonctionner correctement et de faire face aux urgences en cette période de crise profonde. Les détenus présentant des cas de pathologie psychiatrique ne disposent d’aucune prise en charge. Compte tenu tant de la situation carcérale sus résumée et de l’extrême lenteur de la justice dans le traitement de la plupart des dossiers, les cas de pathologie psychiatrique ont tendance à augmenter, aggravant ainsi les risques et l’état dangereux qui prévalent dans cette prison. Selon des témoignages concordants et dignes de foi recueillis par la Commission, la situation des autres prisons est encore plus désastreuse car elles ne bénéficient d’aucune aide extérieure. L’administration pénitentiaire ne dissimule pas cette carence ainsi que bien d’autres difficultés et reconnaît qu’elle n’est pas en mesure de respecter les engagements tant nationaux qu’internationaux de l’État du fait de la crise aiguë dans laquelle la guerre civile a plongé les finances de l’État. Cela prend une résonance particulière lorsqu’il est question de droits de la personne humaine et des impératifs en matière de nourriture, d’hygiène et de soins et que ce service public, symbole de l’autorité de l’État, au même titre que la Justice et la Défense nationale, ne peut répondre aux exigences de sa mission en faisant valoir une contrainte des finances publiques insuffisantes pour « justifier » (sic) d’aussi graves violations des droits de l’homme. Aux aspects matériels s’ajoute un facteur générateur de bien des difficultés supplémentaires tenant à l’éloignement de la MACA des lieux judiciaires laquelle explique, pour partie, le taux élevé de surpeuplement et des durées de détention préventive excessives. L’urgence à apporter des solutions à ces problèmes s’impose. Il y a aussi une particulière urgence à rétablir l’institution judiciaire à travers tout le pays. L’administration de la justice est inexistante dans les parties contrôlées par les Forces Nouvelles. Rien n’a été entrepris, à l’exception de quelques tentatives de maintenir ça et là un semblant d’administration comme notamment celle de Dosso Mazi, ancien directeur de prison à la retraite qui a repris du service à titre bénévole à la prison de Bouaké dont il assure une très bonne tenue. La Commission doit également signaler à titre d’exemple l’accroissement à Bouaké, du nombre de commissariats qui est passé de trois à dix en très peu de temps en raison de l’accroissement des actes de banditisme. Ces très modestes tentatives ne sauraient en aucun cas masquer la réalité constatée par la Commission et qui résulte de ce que les rebelles n’ont pas par exemple tenté de préserver les biens publics, tout comme les propriétés privées saccagées ; celles-ci sont pillées et détruites sous leurs yeux, donnant aujourd’hui un spectacle de désolation. L’absence même d’un semblant de justice dans la partie Nord de la Côte d’Ivoire est aggravée par le fait que la population civile est régulièrement terrorisée par les règlements de comptes parfois sauvages (comme par exemple l’égorgement de Kass) auxquels se livrent souvent ces derniers temps certains rebelles dans les rues des villes qu’ils occupent sans qu’il y ait l’intervention d’une quelconque autorité. La Commission a également eu la preuve que la quasi-totalité des biens volés en Côte d’Ivoire a été recelée et vendue au grand jour dans les pays voisins comme le Burkina Faso et le Mali. Elle est surprise que la justice de ces États ne soit pas intervenue pour arrêter et sanctionner les délinquants et les obliger à restituer les biens à leurs légitimes propriétaires en Côte d’Ivoire. Si les autorités de ces États voisins avaient, dès le départ, commencé à sévir, de tels actes ne se seraient pas développés au point de devenir une activité commerciale lucrative. Le moins que l’on puisse dire est que, dans le domaine de l’administration de la Justice, les États voisins de la Côte d’Ivoire ne se sont pas du tout montrés solidaires, ni réellement soucieux de maintenir des relations amicales dans le but de préserver la paix, alors que l’article 23 de la Charte Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples les y invite. Comme certains criminels et délinquants se trouvent encore sur leurs territoires et sont identifiables, tous les États voisins devraient entamer à leur encontre des poursuites judiciaires qui, si elles sont de toute évidence insuffisantes pour indemniser les victimes, cependant un tournant décisif dans l’histoire des relations de voisinage souvent tumultueuses en Afrique. Une telle attitude serait le prélude à une collaboration des Polices judiciaires et des Justices. Cette collaboration constituerait une des meilleures garanties contre toute activité subversive et, partant, un solide gage pour le maintien de la paix entre les États comme entre leurs populations. Violations du droit international humanitaire La Côte d’ivoire, en tant que État nouvellement indépendant, a succédé aux Conventions de Genève par sa déclaration de succession du 28 décembre 1961. Le 20 septembre 1989, elle a ratifié les deux protocoles additionnels aux Conventions de Genève. Après analyse et évaluation des faits, la Commission a pu constater de nombreuses atteintes graves aux lois et coutumes de la guerre en Côte d’Ivoire suite aux événements du 19 septembre 2002. Les violations les plus significatives sont les exécutions des membres des forces armées ne prenant pas part aux hostilités, les bombardements aériens contre des populations civiles, les événements de Korhogo du 20 et 21 juin 2004, les réfugiés et personnes déplacées, les atteintes à la vie du personnel humanitaire, les pillages et destructions des biens de caractère civil. Exécutions des membres des forces armées ayant déposé les armes Selon l’article 3 commun aux Conventions de Genève, les personnes qui ne participent pas directement aux hostilités, y compris les membres des forces armées qui ont déposé les armes et les personnes qui ont été mises hors de combat par maladie, blessure, détention, ou pour toute autre cause, seront, en toutes circonstances, traitées avec humanité, sans aucune distinction de caractère défavorable basée sur la race, la couleur, la religion ou la croyance, le sexe, la naissance ou la fortune, ou tout autre critère analogue. Les exécutions des membres des forces armées ayant déposé les armes constitueraient dès lors des cas de violations des dispositions des conventions susmentionnées. Massacre des gendarmes détenus à la prison du 3e bataillon d’infanterie de Bouaké Au cours d’une série d’incidents survenus à la prison du 3e bataillon d’infanterie de Bouaké en octobre 2002, quatre vingt dix personnes parmi lesquelles quarante huit gendarmes et trente sept membres de leurs familles ainsi que sept autres civils détenus ont été massacrés par les forces rebelles. D’après les témoignages recueillis par la Commission auprès des gendarmes rescapés, l’état-major de la 3e Légion de la gendarmerie de Bouaké a été attaqué par les rebelles du MPCI le 20 septembre 2002, provoquant un blessé grave de chaque côté. Un drapeau blanc a par la suite été hissé sur les casernes et, durant les jours suivants, une certaine cohabitation pacifique a été observée entre les gendarmes et les rebelles du MPCI. Le Vendredi 4 octobre 2002, la ville de Bouaké a connu une panne d’électricité et les rebelles craignant une infiltration des soldats loyalistes venant d’Abidjan ont mis fin à la trêve avec les gendarmes de Bouaké. Le dimanche 6 octobre 2002, après des combats avec des renforts loyalistes, les rebelles se sont rendus à la caserne de la 3e Légion de gendarmerie vers 13h00 afin de faire des vérifications. Suite à cette opération, environ cent trente et une personnes parmi lesquelles soixante trois gendarmes et soixante et un enfants ou d’autres membres de leurs familles ainsi que sept autres personnes civiles ont été contraints sous la menace des armes des rebelles, de se rendre à pied au 3e bataillon d’infanterie de Bouaké. Le même jour vers 17 heures 30, un groupe de chasseurs traditionnels Dozos, alliés à la rébellion est arrivé dans la prison et le plus âgé qui semblait être leur chef a demandé à un détenu gendarme du nom de Dali Djachi d’approcher et lui ont délivré le message suivant « tu diras à tes camarades, vous êtes tous considérés morts, mais ce qui va se passer c’est pendant la nuit ». Selon le témoignage des rescapés, vers 19 heures 30, un groupe de chasseurs Dozos est arrivé à l’intérieur de la prison. Celui qui semblait être leur chef était armé de Kalachnikov ; il a tenu des propos agressifs contre les détenus puis a ouvert le feu sur les détenus. La première rafale est allée à droite de la petite cour où étaient entassés des détenus assis. Une autre rafale a été tirée à gauche de la cour vers une porte métallique bloquée. De nombreux détenus qui étaient assis et d’autres couchés par terre ont été atteints par les tirs. Le commandant de la 3e Légion de gendarmerie se trouvait parmi les morts ainsi que trois autres gendarmes. Vers 20 heures, un deuxième groupe de Dozos armés ont pénétré de nouveau à l’intérieur ; ils ont continué à tirer sur les détenus y compris cette fois-ci les enfants des gendarmes qui, d’après les témoignages recueillis par la Commission, criaient « nous ne sommes pas gendarmes, ne nous tuez pas ». Vers 22 heures, le troisième groupe de Dozos que les rescapés ont décrit comme étant le plus meurtrier est venu à la prison et l’un d’entre eux a donné l’ordre de tuer tout le monde. L’un des Dozos a commencé à tirer sur les détenus cette fois-ci de manière soutenue, en se déplaçant sur les cadavres afin de retrouver ceux qui se cachaient et leur tirer dessus. Lors de sa descente sur le terrain, les membres de la Commission ont pu visiter la prison du 3e bataillon d’infanterie de Bouaké et constater la présence d’impactes de balles sur les murs intérieurs de la prison, les portes métalliques des cellules ainsi que les murs intérieurs des cellules. De nombreux recoupements ont également pu se faire à cette occasion, renforçant ainsi la crédibilité des témoignages faits par des rescapés devant la Commission. Le mardi 8 octobre 2002 vers 15 heures, les rebelles ont fait venir une voiture de marque KIA grand modèle, pour charger les corps des gendarmes et des membres de leurs familles. Les corps ont été conduits au cimetière du quartier Dar-Es-Salaam et ensevelis dans des fosses communes. Les gendarmes ayant servi à creuser les fosses communes ont regagné la prison après le chargement. De nombreux rescapés ont affirmé devant la Commission que le mercredi 9 octobre 2002, les rebelles ont désigné un certain nombre de détenus gendarmes pour aller enterrer les corps de quatre de leurs camarades décédés suite à leurs blessures. D’après des témoignages crédibles recueillis par la Commission, les gendarmes qui avaient été désignés pour creuser les fosses ne sont pas revenus et auraient été abattus sur les lieux de l’enterrement. Le 9 octobre 2002 vers 16 heures, sur ordre du régisseur de la prison, les détenus sont tous sortis et une fois dehors, les détenus gendarmes ont été séparés des autres détenus membres des FANCI. Les gendarmes et leurs enfants ont reçu l’ordre de monter dans les voitures bâchées qui étaient alignées dehors. Une fois installés dans les véhicules, ils ont été conduits en direction de Dougouba-Dar-es-Salaam, en allant vers le corridor nord. Les deux premières voitures bâchées sont arrivées au cimetière de Dar-es-Salam et les occupants ont été ordonnés de descendre de la voiture. En constatant la présence des fossoyeurs et de nombreux rebelles fortement armés sur les lieux, ils ont compris que le moment de leur mort était arrivé. D’après des témoignages concordants recueillis par la Commission, une Mercedes noire serait alors arrivée en toute vitesse sur les lieux et l’occupant, que les témoins n’ont pas pu identifier, a intimé l’ordre aux rebelles d’arrêter et de ramener tous les détenus au camp sur ordre du colonel. C’est du retour de cimetière que les détenus ont eu droit à une nourriture décente pour la première fois. Le 23 octobre 2002, les témoins rescapés affirment avoir reçu pour la première fois la visite des délégués du CICR qui ont procédé à leur enregistrement [20]. Cette délégation leur a ensuite rendu une série de visites respectivement le 23 octobre 2002, le 5 novembre 2002, le 3 décembre 2002 et le 5 décembre 2002. D’après des témoignages concordants, le 14 novembre 2002, les rebelles ont extrait deux détenus gendarmes, l’adjudant Vlei Dehe Paul et le maréchal de Logis chef Koue Bi Zanli, et les ont exécuté. Après cet incident, les gendarmes rescapés étaient au nombre de treize dans la prison du 3e bataillon d’infanterie de Bouaké. D’après les témoignages recueillis par la Commission, vers le 20 novembre 2002, les rebelles ont commencé à exiger une rançon de 750.000 FCFA pour la libération des détenus faute de quoi ils devaient être tués. Les familles des détenus étaient contactées par téléphone et les menaces d’exécution des détenus étaient proférées aux membres de leurs familles en cas de non paiement d’une rançon. C’est pendant cette phase de libération sous caution que, le 15 décembre 2002, les rescapés ont reçu la visite d’une délégation d’Amnesty International, qui a recueilli leurs témoignages. Le dernier détenu a été libéré le 18 janvier 2003 et le rapport d’Amnesty International a été publié par le numéro 11491 du journal Fraternité Matin, du 27 février 2003 [21]. Exécutions des « corps habillés » ne participant pas aux hostilités dans d’autres localités sous contrôle des rebelles La Commission a reçu des témoignages concordants sur les exécutions sommaires des membres des forces de l’ordre dans différentes localités tombées sous le contrôle des rebelles. Dans de nombreux cas, il s’agissait d’une véritable chasse aux policiers, gendarmes, militaires et agents des eaux et forêt, avec la complicité de certains éléments de la population qui indiquaient aux rebelles les domiciles des victimes. Ces derniers, le plus souvent, face à l’avancée des rebelles ont préféré se débarrasser de leurs uniformes et déposer les armes. Malgré le fait qu’ils ne prenaient pas part aux hostilités, ils ont continué à être recherchés et abattus par les rebelles. Le 19 septembre 2002, le colonel Yode Sery de la gendarmerie nationale a été abattu par les assaillants sur l’autoroute nord, en face de la station Shell, alors qu’il ne participait pas aux hostilités. D’autres officiers supérieurs, comme les lieutenants-colonels Dagrou Loula Joachim (chef de corps de la batterie sol air de Bouaké) et Dali Oblé (commandant de la compagnie territoriale de Korhogo), ont été exécutés par les rebelles. La Commission a obtenu des informations crédibles sur neuf cas d’exécution de policiers par des éléments appartenant à la rébellion. Il s’agit notamment du sergent chef Kouassi Jean Marie et de son épouse, le sergent stagiaire Konan N’Goran Edwige, tous deux abattus à hauteur de l’école de gendarmerie à Abidjan, le 19 septembre 2002, alors qu’ils se rendaient à l’école nationale de police. Le sergent chef Kouadio Kan, abattu le 24 septembre 2002, après avoir été dénoncé aux rebelles dans la ville de Bouaké. Le sergent de police Lago Manakale, enlevé à son domicile à Bouaké, suite aux événements du 19 septembre 2002 puis, abattu et abandonné sur la voie publique. Le sergent chef Kimou Abbe a été également exécuté le 13 octobre 2002 par les rebelles au cours de la prise de Daloa. Quatre autres policiers, le commissaire de police Kone Mehiri Evariste, l’officier de police Kena Bi Tra, des sergents de police Koffi Boitenin et Sep Kinire, ont tous froidement été abattus par des assaillants le 8 mars 2003 à Duékoué. Atteintes à la dignité et autres traitements humiliants et dégradants Les rescapés des massacres de gendarmes ont également fait état d’atteintes graves à leur dignité et de traitements humiliants, subi pendant leur détention à la prison du 3e bataillon d’infanterie de Bouaké. Le dimanche 6 octobre 2002, dès leur arrivée à la prison, ils ont été contraints de se déshabiller avant d’entrer dans leur cellule. Une fois à l’intérieur de la prison, les détenus ont fait l’objet de propos injurieux tenus à leur égard par les rebelles responsables de la prison. Des responsables de la prison ont en outre rappelé l’histoire du charnier de Yopougon, le complot du cheval blanc du général Robert Gueï et l’affaire de la Mercedes noire aux gendarmes détenus. Ils ont demandé à un gendarme originaire du nord qui se trouvait parmi les détenus pourquoi il faisait équipe avec ces « boussmani de gendarmes ». L’intéressé lui a répondu qu’il était gendarme comme les autres. Cette réponse aurait choqué le rebelle qui donna un coup de pied au bas ventre du gendarme. Les gendarmes ont également été exposés à la curiosité publique et ont reçu des insultes de la foule. D’après des témoignages concordants tout au long de leur parcours de la caserne à la prison, les gendarmes et leurs familles ont été lapidés par une foule hostile. Bombardements aériens des populations civiles D’après le droit international humanitaire, la population civile et les personnes civiles jouissent d’une protection générale contre les dangers résultants d’opérations militaires. Ni les populations civiles ni les personnes civiles ne doivent être l’objet d’attaques. Les attaques sans discrimination qui ne sont pas dirigés contre les objectifs militaires sont interdites. Les porteurs d’armes qui avaient l’obligation de respecter les principes fondamentaux du droit international humanitaire au cours du conflit ivoirien n’ont pas toujours fait la distinction entre la population civile et ceux qui prenaient directement part aux hostilités. La Commission a en effet reçu de nombreux témoignages concordants ainsi que deux preuves matérielles confirmant des attaques des populations civiles dans l’Ouest, le Centre du pays et les quartiers environnants d’Abidjan. Ces bombardements ont été menés par des hélicoptères pilotés par des mercenaires étrangers et agissant pour le compte des forces gouvernementales. Les témoins ont pu confirmer que les personnes civiles victimes de ces attaques ne participaient pas aux hostilités et ne se livraient à aucune activité à caractère militaire. La Commission a enregistré de nombreux incidents d’attaques d’hélicoptères sur les populations civiles dont les plus significatives sont les suivantes : Le mercredi 27 novembre 2002 dans l’après-midi, un hélicoptère Mi-24 a bombardé l’axe Vaoua-Diafla — Pélézi et Vaoua. Les témoins ont rendu compte de quarante morts civils sur le marché de Vaoua et de la destruction de la mairie et de la gendarmerie de Vavoua par attaque des Mi-24. Le Vendredi 6 décembre 2002, un Mi-24 a lancée une attaque sur Zanzra. Un civil aurait été tué. Le 9 décembre 2002, des observateurs internationaux ont pu constater qu’à Zanzra une école a été la cible de l’attaque du Mi-24 au canon 12.7 et roquettes. Plusieurs impacts de roquettes ont été observés. Le lundi 23 décembre 2002, attaque d’un Mig-24 sur le village de Pélézi. Le bilan est de un mort civil et deux blessés. Le mardi 31 décembre 2002, deux Mi-24 ont bombardé le village de Menakro (près de Béoumi). De nombreux témoins, qui se sont rendus sur les lieux, ont confirmé l’attaque de Mi-24, qui aurait fait au moins onze morts civils (dont des femmes) et de nombreux blessés (non décomptés). Un habitant, témoin direct des tirs des Mi-24 sur le village, a décrit ce qu’il a vu : les dessins sur les Mi-24 (dents de requin), les pilotes (blancs) et les tirs qui auraient été effectués sur le village (impacts de petit calibre constatés). Sept maisons ont été touchées dans le village. Le dimanche 6 avril 2003, des témoins ont signalé une attaque entre 14 heures et 15 heures 30, au sud de Danané le long de la Cavally sur la frontière libérienne. Le 9 avril 2003, le Comité de suivi des accords de Marcoussis s’est rendu à Danané, suite à l’attaque des Mi-24. Si aucune trace de frappes aériennes n’a été constatée dans la ville, deux zones situées sur la route à une dizaine de kilomètres au sud de Danané portent cependant la trace de tirs de roquettes et plusieurs morts et blessés graves parmi les civils ont été constatés. Des témoins ont confirmé l’attaque d’hélicoptères du jeudi 10 avril 2003, en deux phases : un tir de roquettes puis un tir au canon. Les tirs auraient fait deux morts et sept blessés (civils). Dans la matinée du lundi 14 avril 2003, de nombreux témoins ont observé des frappes de deux Mi-24 entre Zouan-Hounien et Bin-Houyé. La ville de Zouan-Hounien a été touchée, en particulier la mission catholique et le Centre de santé anti-ulcère de Buruli. Il n’y aurait pas de victimes parmi les enfants et les personnels soignants. Les seules victimes seraient des musulmans qui se seraient réfugiés dans le centre lors de l’attaque. Il y aurait trois morts et dix blessés parmi eux. Le mardi 15 avril 2003, de nombreux témoins ont signalé l’attaque des Mi-24 dans la ville de Danané et de Mahapleu. Un minibus de couleur blanche transportant une vingtaine de blessés a été touché par les bombardements. La Commission a pu voir une cassette vidéo filmée juste après ces événements et constaté la présence d’impacts de projectiles visiblement tirés à partir du ciel. Le bilan serait de vingt et un morts à Danané et de cinq morts et quarante blessés, à Mahapleu, tous civils. D’après des sources hospitalières, une cinquantaine de personnes civiles ont été atrocement blessées à la suite d’attaques héliportées contre les villes de Danané et Maheupleu. La Commission a pu visionner sur la même cassette vidéo l’image d’un bébé à l’hôpital de Danané dont les deux jambes ont été amputées suite à cette attaque. Le mercredi 16 avril 2003 une attaque d’hélicoptères sur Vavoua a été observée par de nombreux témoins. Le marché de Vavoua a été bombardé par deux Mi-24. Des témoins qui se sont rendus sur les lieux ont pu observer six morts sur le marché (quatre femmes, un homme et un enfant) et trois autres morts dans d’autres quartiers du village. Une vingtaine de blessés tous des civils ont également été signalés. Neuf impacts de roquettes ont été remarqués. Les événements de Korhogo des 20 et 21 juin 2004 Le dimanche 20 juin 2004, de 19h jusqu’à 22h, des nombreux tirs ont été entendus dans la ville de Korhogo. Le camp de la Compagnie territoriale de Korhogo (CTK), où est installée l’unité dite la Fansara 110, a été attaqué par les éléments de Atta Bibi. Les combats ont opposé les éléments de la Fansara 110, commandés par le commandant de secteur de Korhogo, le caporal-chef Kouakou Martin Fofié (proche de Soro Guillaume), à ceux commandés par le sergent Atta Bibi (proche de Ibrahim Coulibaly, dit IB), chef commando blindé de Korhogo. Le lundi 21 juin 2004 vers midi, la Fansara 110 a repris le contrôle de la ville de Korhogo. Dans l’après midi du 21 juin et du 22 juin 2004, il y eut des tirs dans toute la ville, mais de moindre intensité par rapport aux jours précédents. Le mercredi 23 juin 2004, des tirs sporadiques et surtout localisés au tour du mont Korhogo ont encore été entendus. Il en fut de même le jeudi 24 juin. Mais le 23 juin, les forces de l’Opération Licorne (la Licorne) ont reçu des informations sur l’existence, en ville et autour du Mont Korhogo, des corps de personnes qui semblaient avoir été abattues. Le vendredi 25 juin 2004, la Licorne qui est toujours restée dans son camp pendant l’évolution des combats, est sortie et allée à la morgue où ces éléments ont vu 130 corps, habillés en uniforme des Forces armées des forces nouvelles (FAFN) et aussi les corps de quatre civils. Dans la nuit du samedi 26 juin 2004, la Licorne a trouvé, au carrefour Kacine/Foche situé près de l’hôtel Chicata, le cadavre d’une personne qui venait à peine d’être exécutée. Au petit matin du 26 juin 2004, après une patrouille, la Licorne a trouvé, au Mont Korhogo, un autre cadavre d’une personne qui avait été exécutée. Le 26 juin 2004, les forces de la Licorne ont découvert l’existence d’un charnier situé derrière la carrière de Korhogo sur la route de Boundialy. Les images de ce charnier laissent apparaître des dizaines de corps nus entassés dans une ravine formée par l’écoulement des eaux pluviales. La plupart des corps retrouvés était ceux d’hommes adultes, enterrés nus, présentant des blessures dues à des armes à feu. D’autres charniers ont également été signalés dans la ville de Korhogo ou dans ses environs, notamment dans la CTK. Mais jusqu’à présent, ces informations n’ont pas été confirmées. Le 30 juin 2004, l’ONUCI a décidé d’envoyer une mission d’enquête à Korhogo. Au cours de ses travaux, la mission a procédé à l’exhumation de corps sur trois sites distincts et a également trouvé deux autres corps au pied du mont Korhogo. Au total quatre-vingt dix neuf corps ont pu être exhumés et individualisés par le médecin légiste. D’après le rapport de cette mission, les premières constations permettent de tirer trois conclusions : La presque totalité des corps découverts sont ceux d’hommes adultes à l’exception de trois personnes dont les sexes et âges n’ont pas pu être établis par le médecin légiste ; La grande majorité des corps découverts étaient nus à l’exception des vingt-quatre corps découverts sur le troisième site ; La majorité des corps découverts ne sont pas morts d’une mort violente causée par des armes à feu. Trente et un corps présentaient des blessures dues à des armes à feu. Deux corps présentaient des blessures dues à des objets contondants alors que les soixante six autres corps ne présentaient aucune blessure similaire. Le rapport de la mission de l’ONUCI conclu également que les premières allégations qui tendaient à déclarer que les victimes ont été tuées au cours des combats ne peuvent pas être justifiées. En effet, la plupart des victimes ont été enterrées nues et leurs corps ne portent aucune trace de balles. Des témoins ont également précisé à la mission d’enquête que les combattants ne sont pas enterrés en groupe mais dans des tombes individuelles. Les vingt quatre corps découverts dans la tombe du cimetière municipal présentent des blessures par balles au niveau de la tête, du thorax et des pieds. Les deux corps trouvés au pied du mont Korhogo ont les mains attachés au dos ce qui semble confirmer les caractéristiques d’une exécution sommaire. Selon de nombreux témoignages reçus par la mission d’enquête, à la suite des combats, de nombreuses personnes ont été arrêtées illégalement et détenues dans des conditions tout à fait inhumaines et dégradantes, notamment dans des containeurs. Certains détenus étaient sortis par les rebelles pour être exécutés. Une soixantaine de personnes détenues, suite aux événements des 20 et 21 juin 2004, sont mortes par suffocation dans un containeur placé au soleil. Les cadavres des détenus décédés pouvaient, d’après certains témoins, rester plusieurs jours à l’intérieur du containeur avant d’être évacués. Cette situation a causé l’infection des membres inférieurs des autres personnes détenues qui présentaient des plaies. Le 6 juillet 2004, la Licorne s’est rendue à la prison et y a trouvé quatre blessés. Elle les a amenés à son hôpital pour les faire soigner. Le 7 juillet, le médecin de la Licorne est allé à la CTK pour soigner les prisonniers blessés qui s’y trouvaient. Un prisonnier blessé était là depuis quinze jours sans soins. Aussi, elle l’a fait sortir et l’a amené à son hôpital. Comme conséquence de ces combats, il y a eu au moins 231 (deux cents trente et un) morts comptés dans la morgue et charniers, de plusieurs blessés et personnes disparues dont le nombre est encore inconnu. Les réfugiés et personnes déplacées Le conflit armé en Côte d’ivoire a provoqué des déplacements de nombreux civils qui ont été forcés ou contraints à fuir ou à quitter leur foyer ou lieu de résidence habituelle en raison notamment des violations graves des droits de l’homme et du droit international humanitaire. Le 27 septembre 2002, à Abidjan, le CICR a dénombré plus de deux mille sans-abris qui se regroupaient la nuit dans l’enceinte des églises, dans des cours privées ou des maisons en construction [22]. Les violences intercommunautaires dans l’Ouest de la Côte d’ivoire ont également provoqué le déplacement de plusieurs milliers de paysans burkinabé, maliens et allogènes. Quelques quatre mille déplacés ont trouvé refuge à la mission catholique de Duékoué [23]. Les combats à l’ouest de la Côte d’Ivoire ont entraîné un déplacement de nombreux enfants libériens réfugiés non accompagnés qui avaient été enregistré par le CICR avant la crise. Parallèlement de nombreux Ivoiriens, qui pour la plupart étaient des personnes originaires du sud de la Côte d’Ivoire travaillant dans le nord du pays, ont trouvé refuge dans la région du Mali et du Burkina Faso, proche de la Côte d’Ivoire, notamment à Sikasso et à Pô. Atteintes à la vie des personnels humanitaires Quatre volontaires de la Croix-Rouge de la Côte d’Ivoire, membres du comité local de Toulepleu et portés disparus depuis le 12 janvier 2003, ont été retrouvés morts. Selon des témoignages, ils avaient été enlevés dans l’exercice de leurs fonctions par des hommes armés [24]. La protection du personnel humanitaire est une exigence fondamentale du droit international humanitaire. Le personnel sanitaire apportant le secours aux victimes doit être respecté et protégé. Les actions de secours telles que prévues par les Conventions de Genève ne peuvent se dérouler que si la sécurité du personnel humanitaire est garantie, ce qui est arrivé au moins dans la zone de l’ouest de la Côte d’Ivoire. Pillages et destruction des biens de caractère civil Le pillage et la destruction des biens constituent l’un des traits les plus marquant de la crise ivoirienne. Les témoignages recueillis ainsi que les constats faits au cours des descentes sur le terrain ont confirmé le caractère systématique et généralisé des pillages et des destructions de biens, depuis le début des événements du 19 septembre 2002. Les agents de l’État et membres des forces de l’ordre qui étaient en service dans des zones attaquées et tombées sous contrôle de la rébellion ont dû abandonner leurs biens y compris maisons, voitures et motos. Ceux-ci ont été par la suite pillés par les rebelles. La Commission a pu notamment constater que les domiciles des personnalités qui ont été attaquées dans la nuit du 18 au 19 septembre 2002, comme le général Robert Gueï, le ministre d’État Boga Doudou, le ministre d’État Moïse Lida Kouassi et Alassane Dramane Ouatarra, ont été ensuite pillés et tous les bien emportés. De même que les résidences des personnalités comme Laurent Dona Fologo, président du Conseil économique et social, Emile Constant Bombet, ex-ministre de l’intérieur, Mamadou Ben Soumahoro, député de Bako. La conquête des localités par les rebelles a souvent été suivie de destructions de biens et de bâtiments publics et privés. Des bureaux de l’administration, notamment préfectorale et pénitentiaire ont été saccagés et de nombreux documents administratifs ont été détruits. On peut également citer les attaques contre des institutions telles que la Banque centrale des États de l’Afrique de l’ouest (BCEAO), l’exploitation des mines d’or du centre ouest et de l’ouest du pays, l’exploitation de bois, du café et du cacao. Dans des villes comme Danané, Man, Bangolo, Toulepleu et Tabou, de nombreux témoignages ont fait état de pillage systématique de biens appartenant aussi bien à des particuliers qu’à l’État ou aux entreprises. De nombreuses maisons ont été pillées, des réserves de céréales incendiées et des attaques répétées ont pratiquement paralysés l’activité agricole. Les cantines scolaires de Danané ont été pillées. À Sahibili, village situé à une dizaine de kilomètres de Toulepleu, la quasi-totalité des maisons en dur ont été endommagées, les habitations en matériaux locaux incendiées ou détruites. L’école du village a été sérieusement endommagée, les documents et dossiers des élèves emportés. Le centre de santé a été détruit et les matériaux emportés. Les hydrauliques villageoises ont été saccagées et des cadavres jetés dans certains puits dont l’usage était vital pour les populations. Le réseau électrique du village a également été détruit et les compteurs emportés. Enfin, une bonne partie de la région de l’Ouest a été coupée du monde du fait de la destruction de leurs infrastructures téléphoniques, de radio et de télévision. Le 23 septembre 2002 à Adjamé, un quartier d’Abidjan, les forces de l’ordre ont incendié un marché où des pièces de rechange de véhicule étaient vendus. Dans cette perspective, treize quartiers précaires abritant des populations pauvres ont été détruits à Abidjan. Des milliers de personnes majoritairement des étrangers et de pauvres Ivoiriens se sont retrouvés sans abris et dans une situation humanitaire préoccupante. Destruction des biens culturels et des lieux de cultes La Commission a reçu des témoignages faisant état d’acte d’hostilité dirigé contre des lieux sacrés qui ont été profanés et où des masques (objets sacrés de la région) ont été brûlés et des sites d’initiation saccagés.À l’Ouest du pays, la Commission a recueilli de nombreux témoignages de pillages et d’attaques contre les églises notamment le Centre Béthanie et les couvents de Sainte Marie et Sainte Thérèse. Des musulmans ont vu certains de leurs lieux de culte saccagés ou incendiés (mosquées, Coran, tapis et de nombreux ouvrages) [25]. Implications des pays limitrophes et autres dans la crise ivoirienne Des enquêtes menées tant en Côte d’Ivoire qu’au cours de déplacements de la Commission dans les pays limitrophes à ce pays ont révélé six types d’implications majeures directes ou indirectes de pays étrangers dans la crise ivoirienne. Il s’agit : du trafic d’armes ; de l’usage de leurs territoires comme base de départ d’activités subversives ou de base de repli ; de la méconnaissance du droit à la paix et à la sécurité ; du recel de biens volés en Côte d’Ivoire ; de l’émergence d’une économie de guerre et d’activités de mercenaires. Le trafic d’armes Comme on le sait, le processus de désarmement des groupes armés qui sont en conflit depuis deux ans en Côte d’Ivoire divisée en deux zones, ne débutera qu’à partir du 15 octobre 2004 conformément à l’article 9 de l’accord d’Accra III. Le texte de cet accord est ainsi libellé : « les parties se sont engagées à commencer le Désarmement, Démobilisation, Réintégration (DDR) au plus tard le 15 du mois d’octobre 2004. Le processus sera conduit sur la base d’un calendrier spécifique en conformité avec les dispositions pertinentes de l’Accord de Linas-Marcoussis et les décisions adoptées à cet effet à Grand Bassam et à Yamoussoukro. Le processus de DDR concernera tous les groupes paramilitaires et de milices. Il a également été convenu de la restructuration des forces de défense et de sécurité conformément à la feuille de route élaborée et validée à Grand Bassam. » Il résulte de ce qui précède que jusqu’à l’heure actuelle, les groupes armés, y compris les différentes milices et les forces parallèles qui pourraient en relever, sont toujours en possession de leurs armes respectives. Cette situation est de nature à perdurer même après la fin de la période officielle du désarmement. La porosité des frontières qui caractérise les pays d’Afrique fait que le contrôle des frontières est malaisé. Il est un fait indéniable que dans les pays en guerre ou ceux qui connaissent une instabilité politique, le commerce d’armes est très fréquent et florissant, compte tenu de bénéfices qu’il est susceptible de procurer. Au surplus, dans la phase de désarmement et celle de démobilisation, les sommes proposées en vue d’inciter ceux qui détiennent des armes à les déposer, constituent une sorte de marché ; cela fait que ceux qui déposent des armes sont tentés de s’armer de nouveau afin de prétendre percevoir de nouveau d’autres sommes. Cela a été constaté dans des pays voisins où la phase du désarmement est en cours dans un pays seulement au lieu de l’être simultanément dans tous les États de la sous-région. Un tel phénomène peut aussi être engendré si le montant proposé en vue d’inciter les porteurs d’armes à les déposer, est supérieur d’un côté seulement. En Côte d’Ivoire, le trafic d’armes existe à partir de l’extérieur, mais le circuit de leur acheminement n’a pu être clairement décelé. Cela exige des recherches plus approfondies, outre le fait du caractère secret de tout ce qui est illicite, les relations d’affaires se faisant souvent en pareil cas par personnes interposées. Cependant, des sources crédibles ont signalé à la Commission que les marchands d’armements passeraient par la Libye, le Niger, le Burkina Faso, la Mauritanie, le Mali, le Libéria et la Guinée, en dépit de dénégations officielles des gouvernements de ces pays. Il a été constaté en Côte d’Ivoire, à l’instar de nombreux autres pays qui ont connu une période de confrontation armée [26], que le trafic d’armes entraîne bien souvent une augmentation du taux de criminalité. Tel est actuellement le cas dans les grandes villes de la Côte d’Ivoire. À son tour, le banditisme donne généralement naissance à un climat d’insécurité. Base arrière et soutien aux rebelles et au gouvernement Dans le rapport d’enquête de la Commission internationale qui a précédé la présente, il est question de soupçons ou de sérieuses suspicions sur l’implication de pays étrangers. L’aide serait apportée ainsi soit directement et de façon active, soit passivement et de façon indirecte. À ce sujet, la Commission a reçu des témoignages précis de soutien actif que certains pays voisins à la Côte d’Ivoire apportent au groupe des (anciens) rebelles ivoiriens. Des noms des officiers chargés de l’encadrement ainsi que des lieux où se trouvent des camps d’entraînement des rebelles ivoiriens ont été révélés à la Commission. En application de dispositions du traité portant création et intégration des pays de l’UEMOA — Union économique et monétaire des États de l’ouest africain — et celles de la CEDEAO — Communauté économique et de développement des États d’Afrique de l’Ouest — garantissant notamment la libre circulation des personnes et des biens, des rebelles ivoiriens peuvent circuler en toute liberté dans ces pays. Un groupe de rebelles ivoiriens avait été arrêté et traduit devant la justice au Mali, du chef d’avoir passé la frontière en étant porteur d’armes. Cette situation crée souvent des tensions entre les autorités de deux pays, compte tenu de l’incompréhension qui en résulte et de la confusion quant à la nature d’activités qualifiées souvent de subversives d’un côté que les rebelles ivoiriens mènent sur le territoire d’États voisins. Si tous les paramètres du soutien extérieur qui serait apporté aux rebelles ivoiriens pourrait encore se discuter nonobstant les éléments de preuve auxquels la Commission a abouti, l’aide dont les parties en conflit en Côte d’Ivoire bénéficient pour l’engagement des mercenaires, notamment Libériens et Sierra Léonais, à côté de leurs combattants respectifs, ne fait en revanche l’objet d’aucun doute. Du côté de l’armée régulière on a en effet remarqué la présence de mercenaires notamment libériens, angolais, sud-africains et français, tandis que chez les (anciens) rebelles, on a identifié des Libériens notamment à Guiglo, Yamoussoukro et à Duékoué. Quant aux sources de financement des équipements militaires, des témoins ont rapporté à la Commission qu’au début de la rébellion, l’on a vu des paiements faits bien souvent au comptant et des armements à l’état neuf. D’autres révélations faites par certains responsables des rebelles eux-mêmes précisaient l’origine et la hauteur de certaines aides financières dont ils bénéficièrent. Une des personnes qui avait pourtant été citée au cours d’un rassemblement public, entendue sur ce fait par la Commission, a déclaré ne rien savoir de ce qui lui était imputé. L’on sait également que les agences de la BCEAO (Banque Centrale des États d’Afrique de l’Ouest) ont été mises à sac à Bouaké, à Man et à Korhogo et qu’une bonne partie des sommes ainsi obtenues aurait servi à l’achat des armes tandis qu’une autre aurait été placée dans des pays voisins. Du côté de l’armée régulière, l’on sait aussi que des équipements militaires dont notamment des hélicoptères d’origine soviétique ont été acquis par l’intermédiaire de l’ambassade de la Côte d’Ivoire auprès du Kremlin. Le nom de la personne qui a négocié ces contrats est aussi connu de la Commission. Droit à la paix et à la sécurité Le respect du droit à la paix et la sécurité des peuples constitue un des fondements majeurs de la coexistence pacifique entre les peuples et les États. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle les chefs d’État africains ont tenu à insérer dans la Charte Africaine des droits de l’homme et des peuples l’article 23 dont l’alinéa 1er stipule : « Les peuples ont droit à la paix et à la sécurité tant sur le plan national que sur le plan international. Le principe de solidarité et de relations amicales affirmé implicitement par la Charte des Organisations des Nations Unies et réaffirmé par celle de l’Organisation de l’unité africaine [27] doit présider aux rapports entre les États. » La Commission est au regret de constater que les pays voisins de la Côte d’Ivoire n’ont pas veillé au respect du principe de solidarité et de relations amicales seul susceptible de préserver la paix et la sécurité non seulement de cet État, mais également de ses voisins. En effet, la Commission a recueilli des témoignages précis et concordants dont il résulte notamment : que des groupes armés se sont entraînés dans des États voisins avant de procéder à la tentative du coup d’état du 19 septembre 2002. En d’autres termes, ces personnes ont utilisé les territoires de ces pays comme base de départ des activités subversives dirigées contre la Côte d’Ivoire. Les États ayant autorisé de telles activités subversives ont ainsi méconnu les dispositions de l’alinéa 2 de l’article 23 susmentionné qui stipule : "Dans le but de renforcer la paix, la solidarité et les relations amicales, les États parties à la présente Charte s’engagent à interdire: Qu’une personne jouissant du droit d’asile aux termes de l’article 12 de la présente Charte entreprenne une activité subversive dirigée contre son pays d’origine ou contre tout autre pays, partie à la présente Charte; Que leurs territoires soient utilisés comme base de départ d’activités subversives ou terroristes dirigées contre le peuple de tout autre État, partie à la présente Charte." que des mercenaires armés en provenance de certains États voisins ont participé au conflit ivoirien, d’un côté comme de l’autre au vu et au su de leurs États d’origine, lesquels n’ont pas agi conformément aux engagements qu’ils avaient souscrits en signant aussi bien la Charte des Nations Unies que la Charte Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples ; que des fonds très importants ont été utilisés par les rebelles avant et dès les premières heures de la tentative avortée de coup d’État du 19 septembre 2002. Or, aucun des dirigeants de la rébellion n’est suffisamment fortuné pour pouvoir la financer. Ces fonds ont bien dû provenir de l’extérieur, puisque tout aussi bien l’argent provenant de vols commis dans les banques susmentionnées était insignifiant eu égard aux besoins engendrés par la tentative de coup de force ; que certains États voisins et autres, ont également fourni de l’armement, aussi bien au gouvernement qu’aux rebelles. Ces États fournisseurs connaissaient parfaitement la situation de guerre civile qui prévalait en Côte d’Ivoire. Toutes ces participations directes ou indirectes au conflit ivoirien constituent autant d’atteintes au droit à la paix et à la sécurité des Ivoiriens comme à celle de leur État. De la même manière, ces actes sont manifestement inamicaux et sont donc contraires aux principes de solidarité et d’amitié qui doivent présider aux relations internationales. La communauté internationale doit de toute urgence trouver une solution adéquate pour veiller à ce que de tels actes ne puissent se répéter, d’autant que des dispositions aussi pertinentes que celles de l’article 23 précité de la Charte africaine ont été insuffisantes pour la préserver. À défaut, un risque de conflagration sous-régionale est à prévoir avec les conséquences les plus désastreuses sur le plan humanitaire. Recel de biens volés en Côte d’Ivoire Il est un fait constant et indéniable que la prospérité qu’avait connue la Côte d’Ivoire a pu aussi bénéficier à tous les autres pays de la sous-région. De même, depuis le déclenchement de la crise en Côte d’Ivoire, des biens tels que des voitures, des marchandises et d’autres produits fabriqués dans ce pays circulent dans les pays voisins. C’est le cas, du café et même du cacao dont certains pays limitrophes tel le Burkina Faso en seraient devenus exportateurs. Des produits volés en Côte d’Ivoire achalandent des magasins et des boutiques des commerçants dans les pays limitrophes. Cela est intimement lié au point qui est exposé ci-après au sujet de l’émergence d’une économie de guerre. Émergence d’une économie de guerre Comme il est dit ci-haut, la guerre en Côte d’Ivoire et ses conséquences désastreuses sur le plan économique ont favorisé des trafics de toute nature au profit des pays limitrophes. Ainsi, la fermeture du port d’Abidjan et la suspension du trafic ferroviaire entre cette ville et d’autres centres urbains, notamment ceux du Mali, ont permis au transport routier de prendre de l’essor en direction et au profit du port maritime de Lomé. La découverte de champs pétrolifères importants en Côte d’Ivoire et la situation d’instabilité qui y règne depuis bientôt cinq ans sont considérés comme des ingrédients qui risquent d’en assurer la prolongation, tant le désordre et le climat délétère qui résultent de tout cela profitent grandement à certains milieux. Cela constitue un très grand danger pour l’avenir de la Côte d’Ivoire et compromet les chances de sortie de crise si une expression forte de volonté collective n’est pas exprimée pour mettre rapidement fin à cette crise. Sur le plan strictement ivoirien, on déplore la mauvaise gestion, la gabegie financière et les détournements de fonds publics. On peut citer le cas de ce qui s’est passé dans la filière du cacao où des fonctionnaires du FDPEC qui géraient des fonds importants dont une partie s’est volatilisée. De même, la CAA jadis la vache à lait des dirigeants successifs de la Côte d’Ivoire, a été transformée en BNI (Banque nationale d’investissement) en dépit de son lourd passif qui devait en entraîner la dissolution. À la suite d’accords quelque peu ténébreux avec certains partenaires étrangers [28], son sauvetage s’est effectué grâce à une telle opération de transformation. Parmi les dangers des conséquences de l’économie de guerre, on pourrait mentionner la baisse du prix du cacao ivoirien consécutive à la crise. Des hommes d’affaires étrangers ont profité de cette aubaine pour racheter pratiquement la totalité du cacao de la Côte d’Ivoire qu’ils écoulent à l’extérieur à un prix beaucoup plus élevé et qu’ils veulent contrôler en le maintenant longtemps à un haut niveau à cause de la rareté créée par la suite de la baisse de la production en Côte d’Ivoire. Sous prétexte de veiller à la sécurité, la police tout autant que la gendarmerie et l’armée ont multiplié les barrages, non seulement à l’intérieur des villes comme Abidjan, mais également le long des routes vitales pour l’économie du pays ainsi que celle des États voisins. À chaque barrage, les contrôles constituent autant d’occasions de rackets à ciel ouvert et connus de toutes les autorités du pays. Le produit de ces rackets constitue des ressources bien plus importantes que les traitements mensuels, de sorte que leurs bénéficiaires ne semblent pas prêts à en voir tarir la source. Dans les zones contrôlées par les rebelles, les mêmes barrages produisent les mêmes effets. Cette économie de guerre sera difficile à combattre si on la laisse durablement entrer dans les mœurs. Au surplus, elle risque de faire tache d’huile et de s’étendre à tous les autres services publics comme c’est déjà le cas pour le service des douanes. Responsabilités Considérations générales et fondement de la responsabilité La Commission a recueilli des témoignages et des documents susceptibles d’identifier les responsables ainsi que les responsabilités dans la plupart des violations des droits de l’homme, du droit international humanitaire et des actes constitutifs de crimes contre l’humanité relevés et relatés au présent rapport. Afin de préserver d’une part la sécurité des témoins, voire aussi des auteurs, la Commission a décidé de ne pas rendre public leurs noms, tout en remettant, en même temps que le présent rapport, au Haut-Commissariat des Nations Unies pour les droits de l’homme, l’intégralité des éléments susceptibles pour un Procureur éventuellement désigné, d’engager sans délai des poursuites pénales et procéder, s’il le juge nécessaire, aux arrestations des responsables présumés déjà identifiés. Néanmoins, la Commission tient à préciser que toutes les parties impliquées dans le conflit ivoirien sont responsables, chacune en ce qui la concerne, des violations graves des droits de l’homme et du droit international humanitaire, relevées au cours de l’enquête objet du présent rapport. Il appartiendra à la Justice qui sera éventuellement désignée à cet effet, d’en déterminer l’étendue et la gravité. Comme il a déjà été écrit dans la partie introductive du présent rapport, les parties signataires de l’Accord de Linas-Marcoussis ont exprimé une volonté très claire de voir la Commission internationale d’enquête sur la Côte d’Ivoire contribuer par ses activités à établir des responsabilités des personnes présumées avoir commis de graves violations des droits de l’homme, du droit international humanitaire et des crimes contre l’humanité. Il en est de même des « Termes de référence » relatifs au mandat de la Commission. Il est stipulé au dispositif 3 de l’annexe VI du susdit Accord que : « sur le rapport de la Commission internationale le gouvernement de réconciliation nationale déterminera ce qui doit être porté devant la justice pour faire cesser l’impunité ». De même, les parties déclarent « condamner particulièrement les commanditaires des actions des escadrons de la mort et les auteurs des exécutions sommaires sur l’ensemble du territoire de la Côte d’Ivoire ». Les mêmes parties signataires de l’Accord de Linas-Marcoussis expriment également des préoccupations et affirment la nécessité d’établir des responsabilités en vue de déférer les auteurs présumés des actes constitutifs de ces violations graves devant les instances judiciaires. Les « Termes de référence » sont encore plus clairs et précis sur la question des responsabilités des auteurs de tels actes. En effet, selon le dispositif (b) du point I relatif au mandat de la Commission, une des missions de cette dernière consiste certes à « établir les faits et les circonstances de leur perpétration » mais, « dans la mesure du possible », la Commission devrait s’employer à « identifier les auteurs » des violations, ce qui revient à établir des responsabilités. Consciente de l’obligation qui lui incombe aux termes des dispositions mentionnées ci-dessus, la Commission s’est engagée à mener des enquêtes approfondies allant parfois jusqu’à avoisiner le travail d’un procureur. C’est donc notamment à cet effet que la Commission a jugé opportun de préparer et de présenter comme annexe confidentielle à son rapport, une liste nominative de personnes sur qui pèsent plus que des présomptions simples quant à leurs responsabilités dans la perpétration de certaines violations des droits de l’homme, du droit international humanitaire ou à la commission de crimes contre l’humanité. Les efforts de la Commission en ce qui concerne la quête d’établir des responsabilités se sont également étendus au niveau des États. En effet, des enquêtes ont permis de déceler une implication certaine et très active de certains gouvernements de pays étrangers ou limitrophes à la Côte d’Ivoire. Les actes qui traduisent une telle implication sont spécifiés au chapitre pertinent du présent rapport. Toutefois, la liste des pays mis en cause fait l’objet de l’annexe confidentielle audit rapport. On peut, à titre illustratif, citer le cas du soutien direct à certains groupes armés ivoiriens par la mise à leur disposition d’instructeurs militaires ou de bases d’entraînement. L’aide indirecte tacite ou volontaire à certains groupes a aussi été remarquée. C’est le cas de bases arrières dont peuvent bénéficier les membres de tels groupes. Des recherches ont aussi conduit la Commission à relever des actes dont les conséquences préjudiciables sont susceptibles de mettre en cause la responsabilité des autorités ivoiriennes, officielles ou de fait. Déjà les parties signataires de l’Accord de Linas-Marcoussis avaient envisagé la question de responsabilité individuelle des auteurs. Cela résulte du dispositif 4 de l’annexe VI de l’accord précité. En effet, aux termes de cette disposition, « le gouvernement de réconciliation nationale s’engagera à faciliter les opérations humanitaires en faveur de toutes les victimes du conflit sur l’ensemble du territoire national. Sur la base de la Commission nationale des droits de l’homme il prendra des mesures d’indemnisation et de réhabilitation des victimes'' ». Aux fins d’indemnisation ou de réhabilitation des victimes, le gouvernement ivoirien devra tout mettre en œuvre en vue de chercher à faire établir non seulement des actes répréhensibles constitutifs de violations graves des droits de l’homme, du droit international humanitaire ou de crimes contre l’humanité, mais il devra de toute évidence aussi chercher à identifier les auteurs présumés de tels actes. Parmi de tels actes, certains pourraient être imputables soit aux autorités publiques officielles ou de fait soit aux particuliers, personnes physiques ou morales. Responsabilités en ce qui concerne le début de la crise en Côte d’Ivoire Les origines de la crise en Côte d’Ivoire sont reflétées à suffisance aussi bien dans le rapport [29] que dans les documents de travail y relatifs. On peut ainsi noter que le décès en 1993 du président Félix Houphouët-Boigny et les difficultés économiques qui ont suivi marquent la fin de la stabilité économique et politique et de la coexistence pacifique entre les communautés habitant en Côte d’Ivoire. Parmi les causes de cette crise il convient de distinguer les causes internes des causes externes. Causes internes du conflit Le début de la crise interne a coïncidé avec la mutinerie dont les racines se fondent sur la crise identitaire qui s’était fait jour en Côte d’Ivoire. Cette crise a été exploitée par des leaders politiques qui développèrent ainsi pour la première fois le concept de l’ivoirité pour exclure leurs adversaires de la course au pouvoir. Ce fut l’ancien président de l’Assemblée Nationale, Henri Konan Bédié, devenu président de la République en 1993 qui, le premier, a utilisé le concept d’ivoirité. Sur cette base, plusieurs lois restrictives ont vu le jour, notamment celle permettant seulement aux Ivoiriens de « souche » de prendre part aux élections présidentielles. C’est ainsi que l’ancien Premier ministre Alassane Dramane Ouatarra fut écarté des échéances électorales de 1995 et de 2000. Par ailleurs, une loi foncière fut dans la foulée, adoptée en 1998. La conséquence en a été l’exclusion de milliers de paysans spécialement ceux originaires du Burkina Faso d’accéder à la propriété foncière à laquelle ceux d’entre eux qui avaient séjourné très longtemps en Côte d’Ivoire prétendaient ou croyaient avoir obtenue. En décembre 1999, une mutinerie de soldats menée par le général Robert Gueï s’empara du pouvoir dont Konan Bédié fut chassé et contraint de vivre en exil. Le général Gueï mit en place un gouvernement d’ouverture auquel participèrent la plupart des partis politiques. Toutefois, le concept d’ivoirité fut institutionnalisé pour l’éligibilité à la présidence de la République. Tout candidat devait être né de mère et de père eux-mêmes ivoiriens. En désapprobation de ce qui se faisait ainsi en Côte d’Ivoire, la communauté internationale, notamment l’ONU et l’ex OUA ainsi que l’Organisation Internationale de la Francophonie (OIF) s’abstinrent d’envoyer des observateurs au déroulement des élections de 2002. Robert Gueï s’autoproclama vainqueur de ces élections ce qui déclencha des manifestations de rue qui ont été réprimées dans la violence. Laurent Gbagbo, leader du Front Populaire Ivoirien (FPI), fut en revanche proclamé président de la République par la cour suprême de justice. L’exclusion du processus électoral d’Alassane Dramane Ouattara, originaire du nord de la Côte d’Ivoire avait entraîné de la confusion accentuée par le climat général de tension et de violence politique qui avait régné pendant la période postélectorale. C’est ainsi notamment que, comme Ouattara était de surcroît musulman, une vague de xénophobie déferla et gagna tout le pays, à tel enseigne qu’un antagonisme prit naissance non seulement entre les populations du nord et celles du sud mais également entre musulmans et non musulmans. C’est dans ce nouveau contexte sur fond de tension sociopolitique qu’éclata la mutinerie des 700 soldats exclus de l’armée communément appelés les « Zins Zins et les Bahoufoués ». Cette mutinerie avait pour théâtre Abidjan, Bouaké et Korhogo. Elle fut le détonateur et le ferment de la rébellion qui divisera la Côte d’Ivoire en deux. Le Sud resta aux mains du gouvernement, le Nord et le Centre passèrent sous occupation des rebelles regroupés à l’époque sous le Mouvement Patriotique de Côte d’Ivoire — MPCI. Deux nouveaux groupes rebelles firent leur apparition dans l’ouest le 28 novembre 2002. Il s’agit respectivement du mouvement pour la paix et la justice (MPJ) et du mouvement populaire ivoirien du grand ouest (MPIGO). Au début du conflit, les soldats mutins exprimèrent avant tout des revendications tendant à obtenir leur réintégration au sein de l’armée et l’amélioration de leur statut. Leur progression dans le nord du pays fit naître d’autres revendications de nature politique telles que la réforme de la constitution et de la loi foncière, la démission du président Gbagbo et l’organisation de nouvelles élections. Causes externes du conflit Dans cette catégorie de causes, on peut épingler les éléments ci-après qui illustrent cette situation : Jadis le pays le plus riche de la sous-région doté d’une économie solide, la Côte d’Ivoire avait commencé à sombrer dans la crise vers la fin du règne d’Houphouët Boigny. Cette déstabilisation du pays a engendré la fuite des investissements et la délocalisation de certaines usines vers d’autres pays de la sous-région. La découverte de quinze champs pétrolifères en Côte d’Ivoire est considérée par certains médias nationaux [30] et internationaux comme étant un élément renforçant cette déstabilisation. Cela constitue en outre un centre d’intérêt au conflit voire de la main mise sur les ressources économiques du pays par les États voisins et par les Occidentaux. Depuis le début du conflit, le gouvernement ivoirien n’a pas cessé de soutenir l’existence d’une ingérence entre autres du Burkina Faso dans ses affaires intérieures, notamment par l’aide que ce pays apporterait aux rebelles du MPCI par le trafic d’armes qui s’est installé effectivement dans la sous-région et tout spécialement dans les pays proches de zones et plus spécialement dans les pays proches de zones frontalières où les combats ont eu lieu. Le gouvernement ivoirien fait également grief à l’endroit du Burkina Faso de permettre aux rebelles du MPCI de s’y entraîner et d’y trouver des bases arrières de repli. À l’encontre des autorités libériennes, la Côte d’Ivoire fait valoir leur soutien aux actions des rebelles. Il est indéniable à l’heure actuelle que les deux parties ivoiriennes en conflit ont eu recours aux service des mercenaires originaires notamment du Libéria, d’Afrique du Sud, de l’Angola, de la France pour le gouvernement et de ceux en provenance du Libéria et de la Sierra Léone en ce qui concerne les rebelles du MPCI. Selon des témoignages, les rebelles libériens engagés étaient des opposants au régime de Charles Taylor. Leurs unités de combat étaient baptisées « Lima » ou « Fire ». Il y avait aussi des Ghanéens, des Guinéens, des Burkinabés, des Français, des Sud-Africains. La Commission a reçu une liste avec des noms des mercenaires notamment français et sud-africains. En vue de lancer l’offensive lors de la reprise de Man et Danané, les mercenaires combattant aux côtés des forces loyalistes auraient reçu beaucoup d’argent à titre de motivation. Pour Blolequin, 15 millions de FCFA ; pour Toulepleu, 15 millions de FCFA ; pour Danané, 30 millions de FCFA. De ce qui précède, la Commission est portée à faire endosser les responsabilités des conséquences de situations nées dans le contexte précisé ci-dessus sur tous les pères fondateurs du concept de l’ivoirité et sur le gouvernement qui l’a institutionnalisé et a élaboré d’autres lois discriminatoires. À l’encontre du pouvoir en place au moment des faits A la charge des autorités publiques officielles ou de fait ivoiriennes au moment des faits, la Commission a épinglé notamment des violations graves ci-après : Les assassinats politiques planifiés spécialement du général Robert Gueï, son épouse, sa garde rapprochée et de son personnel de maison dans la matinée du 19 septembre 2002 ; Les bombardements des populations civiles par les hélicoptères dans plusieurs localités dont celles de l’Ouest du pays et les destructions et décès qui en ont résulté spécialement sur les populations civiles. Ces bombardements ont notamment eu lieu à Vavoua, Pélézi, Zouan-Hounien, Marhapleu, Danané et à Menakro ; Les meurtres ciblés commis sur des personnes en raison de leur appartenance ethnique, religieuse, régionale ou nationale tels des actes de toute sorte commis notamment à l’encontre de Maliens, Burkinabés et de Guinéens ; Les tentatives d’assassinat sur la personne d’Alassane Dramane Ouattara et son épouse, d’Adama Tongara (le maire de la commune d’Abobo) et sa famille dans la nuit du 18 au 19 septembre 2002 ; L’organisation de milices et les conséquences diverses des exactions de toute sorte commises par elles. Responsabilités des forces parallèles Au cours des auditions des témoins que la Commission a organisé, des informations précises et concordantes ainsi que des documents probants ont été fournis quant à l’existence, l’organisation et l’utilisation des milices ou autres forces parallèles. Les lieux d’entraînement de ces milices ont aussi été révélés à la Commission. Des sources concordantes ont aussi signalé et les photos figurant au dossier prouvent que ces milices sont armées. Les noms des principaux dirigeants de ces milices ont été portés à la connaissance de la Commission et les photos permettent de les identifier avec précision. Il semble que la Fédération des étudiants et scolaires de Côte d’Ivoire, en sigle FESCI, dont les principaux dirigeants se trouvent au campus de l’Université de Cocody, constitue une des pépinières de recrutement et d’actions opérationnelles d’une partie des milices dont il est question. Des informations de sources dignes de foi ont permis à la Commission de savoir que la FESCI aurait de tout temps et spécialement depuis le pouvoir du président Henri Konan Bédié, pris parti en faveur des groupements politiques. La situation aurait atteint son point culminant sous le président Laurent Gbagbo lorsque l’âge limite de participation aux élections a été abaissé à 18 ans. C’est donc à des fins électorales que la FESCI serait utilisée par le parti à la recherche des voix des électeurs. À la charge des ex-rebelles La responsabilité des anciens rebelles peut notamment être établie en ce qui concerne les événements ou les actes ci-après : L’assassinat d’Emile Boga Doudou survenue dans la nuit du 18 au 19 septembre 2002 ; les enquêtes ont révélé que cet acte ne peut être imputé à Kante Koly ni à Lida Kouassi [31], comme la rumeur l’avait présenté ; Les attaques généralisées contre les agents de l’État et les représentants des forces de l’ordre ; Le massacre des gendarmes, celui des membres de leurs familles et d’autres personnes à Bouaké ; Le meurtre du Colonel Loula abattu de plusieurs balles tirées dans le dos à son domicile du camp BASS (Bataillon d’Artillerie Sol-Sol) qu’il commandait à Bouaké ; La mise à sac des banques (BCEAO) à Bouaké et à Korhogo ; La tentative d’assassinat de Lida Kouassi et l’enlèvement de sa femme et de ses enfants à Abidjan dans la nuit du 18 au 19 septembre 2002 ; Le décès des civils et des membres des forces de l’ordre survenu par suffocation, à la suite de leur enfermement et exposition en plein soleil dans un containeur à Bouaké et à Korhogo ; L’égorgement puis le dépeçage du corps de Kassoum Bamba dit Kass en plein jour et dans la rue à Bouaké. Compte tenu du fait que ces actes ont eu lieu pendant la guerre et à l’égard des populations civiles et des « corps habillés » (militaires, gendarmes, policiers, agents des eaux et forêt) qui étaient désarmés et ne participaient pas aux hostilités, la Commission considère qu’il y a eu violation des dispositions du droit international humanitaire. Le meurtre commis sur la personne des danseuses « Adjanou » sommairement exécutées à Bouaké. L’organisation des milices et les conséquences diverses des exactions de toute sorte commises par elles, notamment dans l’Ouest et le Centre-Ouest de la Côte d’Ivoire où des populations de villages entiers ont été massacrées gratuitement et sauvagement. Responsabilités des forces étrangères Des enquêtes ont aussi révélé la responsabilité des forces étrangères sur certains événements survenus en Côte d’Ivoire. On peut citer le cas de trois étudiants du secondaire de M’Bahiakro qui ont été grièvement blessés par les membres d’une armée étrangère opérant en Côte d’Ivoire sous le mandat des Nations Unies. Ces étudiants ont été blessés dans le cadre d’une marche pacifique de « patriotes » organisée fin novembre 2003 lors de l’occupation de Bouaké par les rebelles. Lors d’une visite à ces étudiants au centre hospitalier de la PISAM d’Abidjan où ils séjournent depuis plus d’un an, la Commission a été informée par les autorités que les militaires de cette force internationale de maintien de la paix avaient tiré sans sommation sur la foule des étudiants manifestants. À l’occasion de cette visite, la Commission a également pu se rendre compte de l’ampleur des blessures subies par eux et qui font qu’encore près d’une année après l’événement de M’Bahiakro, les trois infortunés se trouvent toujours à l’hôpital pour des soins de kinésithérapie. Ils ont ainsi perdu une année d’étude outre le fait qu’ils se trouvent confrontés à des dépenses auxquelles leurs familles ne peuvent faire face. De plus, les intéressés sont obligés de séjourner à Abidjan loin de leurs foyers respectifs. Deux de ces étudiants sont obligés de porter des prothèses toute leur vie. De même, à deux reprises, certains éléments de cette force étrangère ont participé au vol d’argent perpétré au siège de la BCEAO qui a été mis à sac et dont il est question ci-avant. Responsabilités des pays limitrophes et autres Les responsabilités des pays limitrophes et autres découlent principalement des actes de leur implication dans la crise ivoirienne qui ont été relevés au chapitre pertinent du présent rapport. Des principaux actes ci-après ont été relevés à la charge de ces pays : Au niveau du trafic d’armes, le comportement des gouvernements des pays fournisseurs d’armes aux parties en conflit en Côte d’Ivoire par le commerce clandestin qui s’établit en pareil cas devrait être stigmatisé, étant donné qu’ils nuisent par de tels actes à la stabilité et au retour à la paix. Cela touche non seulement la Côte d’Ivoire mais aussi toute la sous-région d’Afrique de l’Ouest. En ce qui concerne les bases arrières et/ou le soutien aux parties en conflit : l’aide active ou passive que certains pays limitrophes apportent aux protagonistes ivoiriens qui sont en conflit, influe très négativement sur l’ensemble de la situation, aussi bien en Côte d’Ivoire que dans toute la sous-région. Les auteurs de tels actes qui, en droit international constituent des violations des dispositions de la Charte de l’ONU comme celle de l’UA qui garantissent les principes du respect de l’intégrité territoriale et de la non ingérence dans les affaires intérieures d’autres États, devraient en être tenus responsables ainsi que de leurs conséquences préjudiciables. En ce qui concerne le recel des biens volés en Côte d’Ivoire, le droit pénal des États incrimine les actes de recel de biens d’autrui. Il devrait en être de même au niveau des États voisins de la Côte d’Ivoire. En ce qui concerne la Côte d’Ivoire, les pays limitrophes qui, soit ne découragent pas, soit s’abstiennent de sanctionner tous ceux qui participent au commerce illicite des biens souvent volés ou acquis en violation des lois ou des règlements, devraient eux-mêmes être considérés comme des complices. Pour ce qui est de l’émergence d’une économie de guerre, elle fleurit indubitablement à l’ombre des actes de pillage ou de recels des biens acquis de manière illicite à la suite de trafics de toute sorte de produits ivoiriens et au grand détriment de l’économie de la Côte d’Ivoire. En pareil cas, la Commission estime que tous les pays ainsi que toutes les personnes qui participent aux actes de pillages ou de recels des produits ivoiriens, devraient porter une part de responsabilité car il y a là une activité illicite et criminelle qui devrait être découragée. Au sujet de l’usage du territoire des États comme base de départ d’activités subversives, d’attaque ou de repli et le mercenariat, il y a lieu de remarquer que de tels actes, qui ne sont en réalité qu’une variante d’aide ou de soutien, que certains pays voisins à la Côte d’Ivoire qui ont déjà été mentionnés apportent aux protagonistes ivoiriens en conflits. Il y a là des actes qui constituent des violations des principes de la Charte de l’ONU qui interdisent l’immixtion des États dans les affaires intérieures des autres États et prescrivent l’obligation du respect de l’intégrité territoriale des États [32]. Quant à l’activité des mercenaires, elle est interdite en ce qui concerne le recrutement, l’entraînement, l’utilisation et le financement de personnes susceptibles de s’y engager. Une telle interdiction découle de conventions internationales existant au niveau international et notamment au niveau des États africains [33]. Il en découle que les pays limitrophes à la Côte d’Ivoire ou étrangers qui, d’une façon ou d’une autre, sont impliqués dans les activités prohibées par ces deux conventions, devraient en être tenus responsables. Les mercenaires, pris isolément ou leur organisation, devraient pouvoir être châtiés pour atteinte à la sécurité ; une telle incrimination existe dans la législation de tous les États. De même, l’organisation sous la bannière de laquelle opèrent les mercenaires, devrait être considérée comme une association de malfaiteurs. Quelques actions de la Commission Au cours de sa mission sur le terrain, la Commission a réalisé quatre actions qui méritent d’être signalées. Il s’agit de l’obtention par le président Laurent Gbagbo de la décision de rendre aux familles les dépouilles gardées dans différentes morgues d’Abidjan, l’accord de remise en liberté de deux détenus à Korogho, Odiéné et à Bouaké, la protection de quelques témoins sensibles et, enfin, l’assouplissement du nombre de barrages de contrôle routier. Remise aux familles des dépouilles Dès la première semaine de son séjour en Côte d’Ivoire, la Commission a appris que de nombreuses familles n’ont pu retirer des morgues les dépouilles de personnes décédées au cours de la répression ayant sanctionné la marche du 25 mars 2004 interdite par décret présidentiel, et à l’issue de laquelle plusieurs décès et autres formes de violence ou de sévices ont été enregistrés. Cette situation était due au non paiement des factures d’autopsies pratiquées par l’équipe de médecine légale d’Abidjan, l’unique qui est du reste opérationnelle pour l’ensemble du pays. L’absence de paiement de telles factures par le gouvernement faisait que le Procureur de la République d’Abidjan n’avait pas délivré aux familles l’autorisation exigée en pareil cas pour leur permettre de retirer à la morgue les dépouilles de leurs parents. La Commission a profité de la première visite rendue au président de la République pour évoquer cette question, en tenant compte de l’existence d’une coutume assez fréquente dans plusieurs pays d’Afrique et selon laquelle, le deuil ne peut être organisé qu’après l’enterrement d’un défunt, et tenant compte de la nécessité de faire respecter le droit à une sépulture consacrée par les dispositions de l’article 15 du PDESC. Séance tenante, le chef de l’État a donné instruction à ses proches collaborateurs de liquider les frais de médecine légiste et de morgues de la ville d’Abidjan où des dépouilles de victimes des événements du 24 et 25 mars 2002 étaient retenues. Des actions dans ce sens sont toujours en cours. [34] Remise en liberté de détenus Au cours de déplacements de la Commission à Bouaké, Korhogo et à Odiéné, elle a eu l’occasion de visiter des prisons et autres lieux de détention, où des cas d’irrégularités ont été portés à sa connaissance. À la maison d’arrêt de Bouaké et de Korhogo (CTK), la Commission a constaté la présence d’un enfant mineur d’âge parmi des adultes. Cet enfant se trouvait là depuis plusieurs mois à cause du vol d’une moto. À la suite de l’intervention des Commissaires témoins de cette situation, l’enfant fut immédiatement libéré ; il fut accompagné par eux auprès de ses parents. Ces deniers n’espéraient plus revoir leur enfant compte tenu des conditions générales qui régnaient dans les prisons à l’époque. Une femme détenue sur simple dénonciation avérée inexacte a également été libérée à l’occasion de la visite de membres de la Commission. Protection de témoins sensibles Le point IV des termes de référence relatif aux activités de la Commission prévoit en sa disposition 6 : « La Commission n’a pas les moyens de garantir la protection des individus et de leurs familles contre les menaces et les vengeances de toute sorte pour avoir coopéré avec elle. Elle prévoit toutefois toutes les dispositions nécessaires dans le cadre de son mandat pour s’assurer de leur protection… ». En application de ces dispositions, la Commission a recommandé la protection de certains témoins sensibles ; il s’agit soit de ceux dont les dépositions pouvaient facilement en révéler l’identité, soit eu égard au danger que pouvait faire courir sur leur vie le fait de coopérer avec elle. Action en faveur des orphelins de gendarmes tués dans l’exercice de leurs fonctions Lors de témoignages, la Commission a été saisie de doléances des veuves des gendarmes morts aux combats pour défendre la patrie. Ces veuves ont notamment fait état de difficultés qu’elles éprouvent pour faire face aux frais de soins de santé et de scolarité de leurs enfants. La Commission a profité d’une séance de travail avec le comité de liaison mis en place par le gouvernement ivoirien afin de faciliter les relations avec elle pour proposer que les orphelins de gendarmes morts dans ces conditions soient considérés comme étant des « pupilles de la nation ». Un tel statut pouvait permettre à leur bénéficiaire d’accéder à la gratuité des cours dans certains établissements d’enseignement public tel l’école militaire ou celle de la gendarmerie ou de la police, en plus de la gratuité des soins de santé. Cette proposition de la Commission a été accueillie très favorablement. Assouplissement des mesures de contrôle Dès le premier soir de leur arrivée à Abidjan, les membres de la Commission ont été frappés par l’existence du nombre élevé de postes de contrôle de police dont l’effet était double. D’une part, le ralentissement de la fluidité du trafic urbain et d’autre part, des rackets quasi publics qui accompagnaient ces contrôles. Les rackets qui s’opèrent au détriment de la population civile et qui constituent ainsi une forme d’entrave à la liberté de circulation, sont accentués à cause de la modicité des soldes, spécialement des militaires et des membres de la police. [35] Il semble que les agents nouvellement recrutés au sein de la police perçoivent une solde mensuelle de 180 000 FCFA qui est versée en deux tranches de 90 000 CFA chacune. Une telle situation durera aussi longtemps que des mesures tendant à l’amélioration de la solde de cette catégorie de personnel ne seront pas prises. Cette forme de corruption quasi officielle tolérée par les autorités publiques a de bonne heure été dénoncée par la Commission auprès du ministre d’État chargé de la sécurité intérieure. Cette autorité a réagi immédiatement à cette observation et a fait assouplir le nombre de postes de contrôle routier de la police du moins dans la ville d’Abidjan. Au surplus, le Ministère de la Sécurité intérieure étudie sérieusement les voies et moyens de combattre cette corruption, tout en préservant les impératifs de sécurité. En attendant il a ordonné par circulaire à tous ses collaborateurs de veiller à responsabiliser les dirigeants de la police de chaque arrondissement pour bannir les barrages intempestifs. La Commission a été heureuse de constater que la Direction générale de la Police veille au grain et elle souhaite que ce genre de réaction perdure au-delà du départ de la Commission. Conclusions Les enquêtes que la Commission a menées aussi bien sur l’ensemble du territoire de la Côte d’Ivoire qu’au cours de ses déplacements dans les États limitrophes à ce pays, ont permis de constater de nombreuses violations des droits de l’homme, du droit international humanitaire ainsi que des actes constitutifs de crimes contre l’humanité ; Ces violations ont eu pour ferment le contexte général créé à la suite de la situation politique qui a prévalu en Côte d’Ivoire après la mort du président Félix Houphouët-Boigny en 1993 ; Il y a lieu d’ajouter à ce contexte général les difficultés économiques qui ont secoué la Côte d’Ivoire juste après et leurs répercussions au niveau des pays de la sous-région d’Afrique de l’Ouest ; Sont aussi la cause des violations constatées, les événements consécutifs à l’implosion du pays survenue à partir de la situation créée à travers la Côte d’Ivoire dans les journées fatidiques des 18 et 19 septembre 2002 qui déterminent le point de départ du mandat de la Commission ; En ce qui concerne les différentes violations, la Commission a seulement retenu, et à titre d’exemple, les violations considérées comme les plus graves. Par cette expression, la Commission entend attacher de l’importance quant à la nature ou à l’ampleur de certains actes qui ont été commis. La Commission signale à cet égard que les différentes catégories de telles violations ne devraient notamment pas tomber sous le champ d’application des actes susceptibles d’être amnistiés comme du reste le prévoit la loi portant amnistie en Côte d’Ivoire ; Les enquêtes de la Commission ont été faites suivant la méthodologie décrite au chapitre III du rapport. Les actes constitutifs de graves violations ont été constatés dans le domaine des droits de l’homme, dans celui du droit international humanitaire et au regard de crimes contre l’humanité ; La Commission a retenu de nombreuses violations des droits de l’homme « stricto sensu » et dans leur dimension économique sociale et culturelle. Toutefois, elle a jugé bon d’indiquer seulement dans le rapport, celles considérées comme étant les plus graves ; Au titre de violations des droits de l’homme « stricto sensu », les investigations et les témoignages ont permis de constater des massacres spécialement ceux perpétrés dans l’Ouest et le Centre, des cas de disparitions, des assassinats politiques, des actes de torture, des actes de répressions brutales et d’agression ; Des exécutions sommaires et extrajudiciaires, tel le cas des danseuses « d’Adjanou » survenu à Bouaké, ont aussi été constatées. Cela explique la découverte de nouveaux charniers faite par la Commission ; Des violences sexuelles faites aux femmes ont été signalées ainsi que de nombreuses violations des droits de l’enfant. Les enfants ont en effet été utilisés par les belligérants, certains parmi eux ont été enrôlés de force ; Des femmes ont aussi été contraintes d’effectuer des travaux contre leur gré lors de leur capture par les belligérants ; Des cas de détentions et d’arrestations arbitraires ont également été relevés ; La Commission confirme l’existence des milices dans les deux camps et de nombreux témoignages ont fait état de leur utilisation dans des opérations qui sont à la base des violations graves des droits de l’homme ; Le mauvais état de fonctionnement de la justice, au Sud, est largement présenté dans le rapport ; au Nord, elle est inexistante ; Des entraves à la liberté d’expression et d’opinion, à celle d’association, de réunion, de culte et de conscience sont aussi reflétées dans le rapport ; Des cas d’entraves à la participation des personnes à la direction des affaires publiques du pays ont aussi été enregistrés spécialement lors du processus électoral de 2002. Il en découle que l’exercice du droit de vote n’a pas été conforme aux standards internationaux. Ceci a fait que la communauté internationale avait refusé de superviser ces élections ; Des actes de discrimination ou d’exclusion ainsi que des expulsions massives des populations étrangères sont aussi signalés dans le rapport ; Le rapport fait également état de nombreuses violations graves des droits économiques, sociaux et culturels. De telles violations sont consécutives à l’aggravation de la situation économique qui a prévalu en Côte d’Ivoire spécialement à la suite des actes de belligérance et au climat de xénophobie entretenu par certains opérateurs politiques. Ainsi, des entreprises ont dû fermer mettant des travailleurs au chômage. Les combats ont aussi obligé les étudiants et les élèves à cesser d’étudier ; situation qui persiste jusqu’à l’heure actuelle ; Des documents fournis à la Commission ont aussi révélé le contrôle des affaires par la position dominante qu’occupent certains intérêts étrangers en Côte d’Ivoire ; Les droits syndicaux des travailleurs ont aussi été méconnus de nombreuses fois ; La jouissance des droits économiques et sociaux connaît un stade plus critique au Nord du pays à cause de la guerre et de l’attitude des nouveaux chefs ; Quelques acquis de la lutte syndicale ivoirienne sont signalés dans le rapport. La Commission a épinglé des aspects importants de violation des droits culturels. Il s’agit de la rétention aux morgues de certaines villes des dépouilles des personnes décédées lors de la marche des 25 et 26 mars 2004 ; une sanglante répression disproportionnée en a résulté. Le défaut de paiement des factures du médecin légiste justifierait ce déni du droit à la sépulture ; Des cas de profanation de cimetières et des lieux de culte ont aussi été constatés ; Quant aux violations du droit international humanitaire et de crimes contre l’humanité, le rapport signale en particulier des cas survenus à l’occasion de combats spécialement au Nord, au Centre et à l’Ouest du pays ; La Commission a pu établir aussi des infractions graves aux Conventions de Genève du 12 août 1949, spécialement des actes survenus à la suite d’attaques menées par hélicoptère contre des populations civiles dans les localités de Vavoua, Pélézi, Menakro, Danané, Mahapleu, Zouan-Hounien et Bin-Houyé, Monoko-Zohi, les exécutions de quatre vingt-dix gendarmes, des membres de leurs familles et d’autres personnes détenues à Bouaké en octobre 2002 et les massacres liés aux événements des 20 et 21 juin 2004 à Korhogo ; La Commission tient à mentionner à l’honneur des parties belligérantes en ce qui concerne le respect du droit international humanitaire, que pendant toute la période des hostilités, il n’y a jamais eu de coupure volontaire d’eau et d’électricité. Cette attitude positive est essentiellement due aux enseignements du droit international humanitaire dispensés par la délégation du CICR en Côte d’Ivoire. Les dirigeants de cette organisation venaient en effet d’initier à cet enseignement les responsables des forces armées de la Côte d’Ivoire dont les principaux membres se sont retrouvés par la suite dans des camps adverses ; La Commission a relevé un certain nombre de crimes particulièrement graves comme des meurtres, tortures, viols et autres actes inhumains, ayant été commis dans le cadre d’une attaque généralisée ou systématique lancée contre des populations civiles dans des localités comme Toulepleu, Monoko-Zohi, Daloa, Bangolo, Blolequin, Man, Bouaké, Korhogo et Abidjan. Ces actes de par leur gravité sont constitutifs aux yeux de la Commission de crimes contre l’humanité au sens de l’article 7 du Statut de Rome de la Cour Pénale Internationale ; Des investigations de la Commission ont permis d’identifier certains auteurs présumés de violations qui ont été portées à la connaissance de la Commission. Elle a relevé de nombreux témoignages selon lesquels bon nombre d’exactions ont été commises par des personnes armées et habillées en treillis durant le couvre feu à Abidjan, Duékoué, Toulepleu et Guiglo, notamment sans que les forces de l’ordre n’aient interpellé qui que ce soit. La liste des personnes présumées avoir commis des violations graves des droits de l’homme, du droit international humanitaire et des crimes contre l’humanité se trouve en annexe confidentielle au présent rapport ; La Commission a pu tirer des conséquences quant à l’imputabilité de certains actes ou ceux de certains événements importants. Il en est ainsi notamment en ce qui concerne la responsabilité du gouvernement et des rebelles sur les évènements antérieurs à la crise ivoirienne ; D’autres responsabilités se sont également révélées à la charge d’une force internationale opérant actuellement en Côte d’Ivoire sous le mandat de l’ONUCI ; La Commission a aussi attiré l’attention sur l’implication des pays voisins à la Côte d’Ivoire ou autres et donc leur responsabilité quant à certains actes tels, l’encouragement aux actes de recel de biens ivoiriens, au commerce illicite, à l’économie de guerre qui s’installe progressivement dans certains pays, au soutien actif ou passif que les gouvernements de certains pays limitrophes à la Côte d’Ivoire auraient accordé aux anciens rebelles ivoiriens ; La Commission retient la responsabilité de chacun des mercenaires et leur impute les actes répréhensibles qu’ils ont commis en Côte d’Ivoire et dont ils devront un jour répondre ; La Côte d’Ivoire a déposé à la Cour Pénale Internationale (CPI) le 1er octobre 2003, une déclaration de reconnaissance de la compétence de cette Cour pour « identifier, poursuivre et juger les auteurs et complices des actes commis sur le territoire ivoirien depuis les évènements du 19 septembre 2002 ». Cette déclaration a été effectuée conformément à l’article 12 du statut de la CPI. Néanmoins, cette déclaration vise des faits commis antérieurement à son dépôt. C’est ainsi que, pour éviter toute manœuvre tendant à éluder la compétence de la cour et en raison du caractère sous-régional voire même international du conflit ivoirien, la Commission conclut à la nécessité de la saisine de la CPI par le Conseil de sécurité dans le cadre des dispositions du chapitre VII de la Charte de l’ONU ; Compte tenu de l’importance et des implications du problème foncier et rural en Côte d’Ivoire et de conflits qui en résultent et dont les conséquences se font sentir quant à la jouissance des droits de l’homme, la Commission estime que ces conflits ne peuvent, en aucun cas, être réglés de façon satisfaisante, harmonieuse et impartiale en l’état actuel de faiblesses constatées dans le fonctionnement de l’appareil judiciaire ivoirien ; Eu égard au grave danger que fait peser la circulation facile et l’utilisation des armes ainsi que leur impact négatif sur les efforts déployés par la communauté internationale pour aboutir rapidement à la paix en Côte d’Ivoire, la Commission estime que le désarmement des belligérants devrait se faire sans condition aucune ; La Commission clôt le chapitre consacré aux conclusions majeures auxquelles elle est parvenue dans son rapport en formulant des recommandations ci-après. Recommandations Eu égard aux conclusions auxquelles est parvenue la Commission, elle formule les recommandations majeures suivantes : Aux acteurs Ivoiriens Œuvrer en vue d’un retour rapide à la paix et à la réunification du pays et faire en sorte que les représentants de toutes les parties signataires des accords de paix en Côte d’Ivoire soient tous, sans exclusion, autorisés, s’ils le désirent, à concourir à toutes les élections ; Régler la question de la nationalité, ainsi que les conditions d’électorat et d’éligibilité en tenant compte des réalités démographiques propres à la Côte d’Ivoire notamment le fait d’avoir le taux le plus élevé d’étrangers par rapport aux autres pays du continent africain ; Faire faire un cadastre et un registre foncier ruraux et, à cet effet, eu égard à la complexité et l’exacerbation résultant des traditions ethniques parfois divergentes, nommer un organe indépendant pour le faire, ainsi qu’un autre pour trancher et arbitrer les litiges fonciers pendant une période transitoire ; Désigner très rapidement une commission indépendante et impartiale pour identifier les victimes et œuvrer pour que ces dernières ou leurs ayant droits reçoivent une indemnisation équitable dans un délai raisonnable ; Renoncer au recours et à l’usage de la force comme moyen de règlement de conflit ou d’accession au pouvoir et privilégier le dialogue et la tolérance en toute circonstance ; Mettre en place une armée nationale républicaine et d’autres services de sécurité de même nature ; Procéder au désarmement complet et sans condition de toutes les forces parallèles engagées ou non dans les combats ou dans les services de sécurité, de la police, de la gendarmerie et de l’armée ; Procéder en outre, avec toutes les mesures d’accompagnement que cela suppose, à la démobilisation des enfants soldats et au renvoi sans délai dans leur pays respectif, de tous ceux qui auraient été engagés et auraient servi comme mercenaires. Sévir contre ces personnes conformément aux dispositions des instruments nationaux et internationaux pertinents ; Appliquer en toute bonne foi et dans leur esprit, tous les accords signés en vue de parvenir à la paix et à la réconciliation nationale. Il s’agit en particulier des accords de Linas-Marcoussis et d’Accra III ; Procéder sans délai ni condition au désarmement, à la démobilisation et à la réintégration des combattants conformément aux dispositions pertinentes des accords signés entre les parties ivoiriennes en présence de la communauté internationale ; Restaurer la légalité républicaine ainsi que l’autorité de l’État sur toute l’étendue du territoire ivoirien ; Rétablir sur toute l’étendue du territoire ivoirien l’ensemble des services publics et en particulier les services de santé, d’éducation, de justice et de maintien de l’ordre, sans oublier ceux d’approvisionnement en eau et en énergie électrique ; Conformément à la résolution 1989/65 du Conseil économique et social en date du 24 mai 1989, ouvrir promptement et mener rapidement à leur terme, des enquêtes approfondies et impartiales dans tous les cas où auront été ou seront soupçonnés des exécutions extrajudiciaires, arbitraires et sommaires, y compris ceux où des plaintes déposées par les familles ou des informations dignes de foi donneront à penser qu’il s’agit d’un décès non naturel dans les circonstances données. L’enquête devra avoir pour objet de déterminer la cause, les circonstances et le jour et l’heure du décès ainsi que la désignation du responsable présumé. Toute enquête ouverte suite à un décès devra comporter une autopsie adéquate, le rassemblement et l’analyse de toutes les preuves physiques ou écrites et l’audition des témoins. En règle générale, tous les services concourant à l’enquête devront rigoureusement appliquer les principes relatifs à la prévention efficace des exécutions extrajudiciaires, arbitraires ou sommaires et aux moyens d’enquêter efficacement sur ces exécutions ; Écarter de l’exercice de toute fonction officielle leur permettant d’exercer une autorité sur les plaignants, les témoins et leurs familles ainsi que sur les personnes chargées de l’enquête, les personnes pouvant être impliquées dans des exécutions extrajudiciaires, arbitraires ou sommaires, et en général dans toute violation graves des droits de l’homme ainsi que du droit international humanitaire. Il en sera de même en ce qui concerne les supérieurs hiérarchiques, les fonctionnaires ou autres agents de l’État pouvant répondre des actes commis par des agents de l’État placés sous leur autorité s’ils avaient raisonnablement la possibilité de prévenir de tels actes ; Traduire en justice ou extrader, à la demande d’une éventuelle juridiction pénale internationale, les personnes dont l’enquête aura conclu qu’elles ont participé à des exécutions extrajudiciaires, arbitraires ou sommaires, et en général à toute violation grave des droits de l’homme, du droit international humanitaire et des crimes contre l’humanité sur tout le territoire ivoirien ; Prendre les mesures nécessaires pour que les femmes victimes de violences sexuelles bénéficient de soutien et des soins médicaux et psychologiques appropriés ; Protéger les plaignants, les témoins, les personnes chargées de l’enquête et leurs familles contre les violences, les menaces de violences ou toute forme d’intimidation ; Informer de toute audience, les victimes, leurs familles et leurs représentants autorisés ; leur garantir l’accès à cette audience ainsi qu’à toute information relative à l’enquête ; Appliquer la législation nationale et les instruments internationaux interdisant les exécutions extrajudiciaires, arbitraires et sommaires, et en général toutes les violations des droits de l’homme et du droit international humanitaire ; Renforcer la formation des magistrats et garantir leur indépendance, leur impartialité et leur intégrité dans l’exercice de leurs fonctions ; Veiller à l’application effective de la législation proscrivant la xénophobie, la haine raciale et toute forme de discrimination. Ratifier tous les instruments internationaux relatifs à la promotion, la défense et la protection des droits de l’homme et du droit international humanitaire. Il en est de même du Traité de Rome portant création de la CPI ; Réformer l’institution judiciaire en veillant au strict respect, notamment des instruments internationaux déjà ratifiés ; Établir chaque année un inventaire des biens des personnes exerçant une activité publique, y compris les magistrats ; Inclure dans le cursus scolaire et universitaire, en le rendant obligatoire, l’enseignement des droits de l’homme et du droit international humanitaire ; Assurer une formation au respect des droits de l’homme et du droit international humanitaire à toutes les personnes chargées d’un service public y compris les forces de l’ordre et l’armée ; Veiller à ce que les pouvoirs publics et les officiers de police connaissent et respectent les principes de base sur le recours à la force et l’utilisation des armes à feu par les responsables de l’application des lois, tels qu’adoptés par le 8e Congrès des Nations Unies du 7 septembre 1990 pour la prévention du crime et le traitement des délinquants. Aux États voisins de la Côte d’Ivoire Respecter strictement et conformément à la Charte des Nations Unies, le principe de la non-ingérence dans les affaires intérieures d’autres États ainsi que celui de l’intégrité territoriale et de la souveraineté nationale ; Respecter les principes de bon voisinage et l’engagement de règlement pacifique des différends ; Intensifier et poursuivre la coopération en vue du développement et du bien-être des populations respectives, sur la base d’égalité, de fraternité et de compréhension mutuelle ; Procéder sans délai à la poursuite et à l’arrestation de toute personne qui se serait livrée à des crimes ou des délits en Côte d’Ivoire en le signalant au représentant diplomatique de cet État afin de permettre, le cas échéant, à la Justice, de demander leur extradition ; Poursuivre et traduire en justice sans délai, les auteurs de vols et de recels de biens frauduleusement soustraits en provenance de la Côte d’Ivoire pour ensuite en assurer la restitution à leur légitime propriétaire et veiller à l’indemnisation des victimes ; Interdire à toute personne étrangère, conformément aux dispositions de l’article 23 de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples, d’entreprendre une activité subversive dirigée contre son pays d’origine ou contre tout autre pays partie à ladite charte. Veiller à ce qu’aucun territoire ne soit utilisé comme base de départ d’activités subversives ou terroristes dirigées contre un autre État partie à ladite Charte. À l’Union Africaine Peser de tout son poids en vue d’un règlement rapide de la crise ivoirienne en raison de ses répercussions négatives dans la sous-région et, à cet effet, user de tous les moyens à sa disposition et recourir à la tradition africaine en matière de résolution des conflits ; Veiller au respect par les États africains des dispositions de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples, et en particulier de son article 23 ; Inviter les États africains à conclure des conventions relatives aux victimes atteintes dans leur intégrité physique ou mentale, d’une souffrance morale, d’une perte matérielle ou d’une atteinte grave à leurs droits fondamentaux, qui représentent des violations des normes internationalement reconnues en matière des droits de l’homme et du droit international humanitaire ; Rappeler aux États africains la nécessité de réexaminer périodiquement leur législation et les pratiques en vigueur pour les adapter au besoin, à l’évolution des situations, adopter et appliquer, si nécessaire, des textes législatifs afin de proscrire tout acte constituant un abus grave du pouvoir politique ou économique. Encourager les politiques et les mécanismes de prévention de ces actes, et prévoir des droits et des recours appropriés pour les victimes desdits actes et en garantir l’exercice ; Inviter les États africains qui n’ont pas encore ratifié le Protocole créant la Cour africaine des droits de l’homme et des Peuples à le faire sans délai. Publier la liste des États africains n’ayant pas encore ratifié ce texte. À la communauté internationale en général et à l’Organisation des Nations Unies en particulier Organiser et prévoir un mécanisme précis et rapide d’alerte pour dénoncer toute violation grave des droits de l’homme et du droit international humanitaire afin d’éviter aux citoyens de recourir à la révolte comme moyen suprême de résistance à la tyrannie ou à l’oppression ; Assurer aux parties ivoiriennes participant à toute négociation les concernant, un soutien juridique approprié afin d’éviter des interprétations contradictoires des actes issus de ces négociations ; Apporter au gouvernement de réconciliation nationale tout l’appui nécessaire en vue de la reconstruction du pays et l’organisation d’élections démocratiques, libres et transparentes ; Maintenir en Côte d’Ivoire la Mission de maintien de la paix aussi longtemps que la situation l’exigera et couvrir tout le territoire des officiers des droits de l’homme chargés d’observer la situation des droits de l’homme dans tout le pays ; Au Conseil de Sécurité des Nations Unies de saisir, en application du chapitre 7 de la Charte, le Procureur près la Cour pénale internationale afin de poursuivre les auteurs présumés des violations les plus graves des droits de l’homme, du droit international humanitaire et des crimes contre l’humanité relevant de la compétence de cette Cour et commis en Côte d’Ivoire ; Œuvrer, en collaboration avec les autorités ivoiriennes, à la recherche des disparus et favoriser la réunification des familles dispersées par le fait de la guerre. [1] 15 États actuellement. [2] Le traité de la CEDEAO signé le 24 juillet 93 ; le protocole relatif au mécanisme de prévention, de gestion, de règlement des conflits, de maintien de la paix et de la sécurité signé à Lomé le 10 décembre 1999 et le protocole additionnel, A/SP1/12/01 sur la Démocratie et la Bonne Gouvernance signé à Dakar le 21 décembre 2001. [3] Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants de 1984 (CAT), la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples de 1981 ; Pacte international droits civils et politiques (ICCPR), et le Pacte international de droits économiques, sociaux et culturels de 1966 ; Convention de Genève de 1949 ; Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes de 1979 (CEDAW) ; Convention relative aux droits de l’enfant de 1989. Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale (CERD). [4] PDCI créé par Félix Houphouët— Boigny, 1er président de la Côte d’Ivoire. [5] Djeni a été avec le président Gbagbo un des opposants politiques du temps de président Houphouët–Boigny. [6] Au moment où la Commission consultative constitutionnelle et électorale était chargée de l’élaboration du projet de constitution et de la loi électorale et la Commission chargée du découpage des circonscriptions pour les élections législatives n’avait pas commencé son travail. [7] cf. Le rapport des Commissions d’enquête précédentes. [8] Rapports de mission des Commissions d’enquête U.N précédentes sur la Côte d’Ivoire de 2000, 2002, 2003 et 2004 [9] Ce taux concernait toutes les nationalités étrangères confondues [10] Qui, selon ces témoignages, se situeraient dans la région de San Pedro [11] Voir Joan Baxter, « Eyewitness : Ivory Coast mass grave », British Broadcasting Corporation, 9 décembre 2002. Cité également par Human Rights Watch : Prise entre deux guerres ; violences contre des civils dans l’ouest de la Côte d’ivoire » août 2003 p.20 [12] GIS est le nom donné à une section des Forces armées des forces nouvelles et qui signifie groupe d’intervention spéciale. [13] Témoignage reçu à Man [14] Témoignages à Abidjan, Man, Guiglo et Toulepleu [15] Les diverses sources consultés coïncident à dire que le groupe LIMA, composé majoritairement par des membres de l’ethnie guéré et dont la plus part seraient d’origine libériens, fait partie des supplétifs engagés par les FANCI (Forces armées nationales de Côte d’Ivoire). Selon ces sources, elle avait au début de mars 2003 dans ses rangs des femmes, des enfants et des adolescents, et poursuivait vraisemblablement l’enrôlement de jeunes dans ses rangs. Force LIMA est un groupe de supplétifs libériens engagé par les FANCI. Ce seraient des Guéré ou de la branche libérienne (Krhan). [16] Groupe constitué et lié aux rebelles. [17] Qui, selon ces témoignages, se situeraient dans la région de San Pedro [18] En l’occurrence, le Procureur de la République. Ce document est qualifié « au nom de la loi » [19] Benjamin Ferencz, Procureur du Tribunal de Nuremberg [20] Cette visite a été confirmée dans le communiqué de presse du CICR relatif à la situation en Côte d’ivoire du 31 octobre 2002. [21] Voir Amnesty International : Côte d’Ivoire : une suite de crimes impunis, du massacre des gendarmes à Bouaké aux charniers de Daloa, de Monoko-Zohi et de Man, Londres, 27 février 2003 [22] Voir le communiqué de presse du CICR relatif à la situation en Côte d’ivoire du 27 septembre 2002 [23] Voir le communiqué de presse du CICR relatif à la situation en Côte d’ivoire du 17 octobre 2002 [24] Voir le communiqué de presse du CICR relatif à la situation en Côte d’ivoire du 19 mars 2003 [25] Voir : Situation des musulmans, conseil national islamique, centre d’étude d’information et de documentation P. 17 [26] Comme au Libéria ou en Sierra Leone [27] Devenue depuis juillet 2002, l’Union Africaine [28] Et dont la Commission a eu connaissance [29] Voir contexte politique et social aussi bien au niveau de la Côte d’Ivoire qu’à celui de la sous-région [30] Document de travail soumis à la mission d’enquête en Côte d’Ivoire en 2002. Page 3 [31] Voir le chapitre des violations des droits de l’homme et spécialement la section relative aux assassinats politiques (cas Boga Doudou et Robert Gueï notamment) [32] Articles 2 & 7 de la Charte de l’ONU [33] Convention Internationale et Convention Africaine sur les activités des mercenaires [34] Voir notamment la lettre 695/RPCI-1/KN/2004 du 29 septembre 2004 adressée au président de la Commission par la Mission permanente de la Côte d’Ivoire à Genève (voir annexe….). [35] En Côte d’Ivoire, le statut de la Gendarmerie avait sensiblement été amélioré sous le défunt Boga Doudou, alors ministre de l’Intérieur.
2833
https://fr.wikisource.org/wiki/La%20L%C3%A9gislation%20relative%20aux%20condamnations%20%C3%A0%20mort%20pendant%20la%20Deuxi%C3%A8me%20Guerre%20mondiale%20en%20Suisse
La Législation relative aux condamnations à mort pendant la Deuxième Guerre mondiale en Suisse
Ce pré-mémoire de doctorat dirigé par Jean-Claude Favez et François Walter a été soutenu en été 2002 à l'Université de Genève. Le travail a été accepté par le jury (pas de note attribuée sur ce genre de travail). Je déclare en être l'auteur, ainsi que de déposer ce texte sous licence de documentation GNU. Mrc2000 14:01, 24 Dec 2004 (UTC) Sommaire: En guise d'introduction I. La peine de mort selon la constitution de 1874 et le code pénal militaire de 1851 II. La trahison dans le droit pénal suisse : de 1927 à 1945 III. La peine de mort après la deuxième guerre mondiale IV. Conclusion V. Annexes Notes Histoire Mémoires Peine de mort
2834
https://fr.wikisource.org/wiki/La%20l%C3%A9gislation%20relative%20aux%20condamnations%20%C3%A0%20mort%20pendant%20la%20Deuxi%C3%A8me%20Guerre%20mondiale%20en%20Suisse/Introduction
La législation relative aux condamnations à mort pendant la Deuxième Guerre mondiale en Suisse/Introduction
En Suisse, durant la Deuxième Guerre mondiale, dix-sept personnes accusées de trahison sont passées par les armes. En outre, seize autres condamnés à mort échappent à l'exécution : l'un est gracié par l'Assemblée fédérale et les autres ne se trouvent pas en Suisse 1. Toutes ces condamnations, prononcées par des tribunaux militaires, ont eu lieu entre la fin de l'année 1942 et le début de l'année 1945. Dans tous les cas, la trahison s'est faite au bénéfice de l'Allemagne national-socialiste, alors que les cas d'espionnage au profit de l'Italie sont peu nombreux et de peu d'importance, tous comme ceux concernant les Alliés 2. Quant à l'origine des personnes exécutées, tous sont Suisses allemands, à l'exception d'un ressortissant du Liechtenstein ; si l'on regarde les seize autres condamnations à mort, on constate qu'il y a six Suisses allemands, sept Allemands, deux ressortissants du Liechtenstein et un Français 3. A titre de comparaison, on peut remarquer que pendant la Première Guerre mondiale aucune condamnation à mort ne fût prononcée, alors même que le nombre de délits punissables de mort était plus élevé (le droit militaire en vigueur était le droit pour le temps de guerre 4). L'application de la peine de mort en Suisse pendant la Deuxième Guerre mondiale pose un certain nombre de questions. Qui étaient les "traîtres à la patrie" ?Pour quels motifs ont-ils été condamnés ? Quelles étaient leurs motivations ? Quel était l'état de l'opinion face à ces affaires de trahison ? Comment l'Allemagne a-t-elle interprété ces condamnations à mort ? Comment le sujet a-t-il été traité durant les décennies qui ont suivi la fin de la guerre ? Pour ce pré-mémoire de doctorat, nous avons décidé de nous limiter à un aspect particulier des condamnations à mort pendant la Deuxième Guerre mondiale : l'aspect juridique. Nous décrirons donc assez brièvement l'histoire de la législation concernant la peine de mort en Suisse, en portant l'accent sur la période de la Deuxième Guerre mondiale, et sur la législation au regard de laquelle les condamnations à mort ont été prononcées, voire exécutées. Ce point de vue juridique ne laisse pas toujours beaucoup de place à l'histoire, mais c'est, à notre avis, une base essentielle pour comprendre les problèmes posés par ces jugements et leur exécution. Quant aux aspects historiques, nous les traiterons en détail dans le travail de doctorat proprement dit. Page d'accueil Suite
2835
https://fr.wikisource.org/wiki/La%20l%C3%A9gislation%20relative%20aux%20condamnations%20%C3%A0%20mort%20pendant%20la%20Deuxi%C3%A8me%20Guerre%20mondiale%20en%20Suisse/1
La législation relative aux condamnations à mort pendant la Deuxième Guerre mondiale en Suisse/1
Pour comprendre ce qui se passe en matière de trahison et des peines qui la sanctionnent, il nous semble essentiel de posséder une vue d'ensemble sur ce qui s'est passé, avant la Deuxième Guerre mondiale, sur le plan fédéral et cantonal, et selon les différents textes de loi concernés (la Constitution, le code pénal militaire et les codes pénaux cantonaux). Comme l'histoire de la peine de mort en Suisse a déjà été faite 5, du moins en grande partie, nous n'en rappellerons que les grandes lignes nécessaires à notre propos. I.1. La peine de mort dans la Constitution de 1874 La Constitution fédérale de 1874, qui remplace celle de 1848, énonce dans l'article 65 le principe de l'abolition de la peine de mort, avec une seule réserve : le droit militaire en temps de guerre 6. Parallèlement, les peines corporelles sont abolies : ainsi on abandonne complètement un système où les peines s'inscrivent sur le corps même du condamné, que ce soit par la torture, les châtiments, ou, en dernière extrémité, par la mort. Toutefois, cette législation abolitionniste, très progressiste pour l'époque, ne dure pas longtemps : dès 1879, le peuple accepte une nouvelle version de l'article 65 de la Constitution 7, qui autorise les cantons à réintroduire la peine de mort dans leur législation. En effet, chaque canton est libre, dans les limites fixées par la Constitution, d'élaborer son propre droit pénal car la Confédération n'a pas les compétences pour légiférer en matière de droit pénal 8, sauf concernant les mesures pour protéger la Confédération et le droit pénal militaire, puisque l'armée est chose fédérale 9. Selon Stefan Suter 10, un véritable mouvement populaire s'est manifesté en faveur de la peine de mort ; il trouverait son origine dans la recrudescence de la criminalité que l'on constate un peu partout en Europe à la fin du XIXème siècle, et qui serait notamment due à la crise économique des années 70. I.2. La peine de mort dans le droit pénal des cantons 11 A la suite de la votation de 1879, plusieurs cantons rétablissent la peine de mort dans leur législation, essentiellement pour punir les meurtres. Nous nous retrouvons donc en présence de quatre situations cantonales différentes : les cantons ayant rétablit la peine capitale et procédant effectivement à une ou plusieurs exécutions entre 1879 et 1941 (Fribourg, Obwald, Lucerne, Zoug, Schwytz, Uri), les cantons ayant prononcé des condamnations à mort mais ne les ayant pas exécutées (Valais et Schaffhouse), les cantons qui ne prononcent aucune condamnation à mort quand bien même leur droit connaît cette peine (Grisons, Saint-Gall et Appenzell Rhodes-Intérieures) et les cantons qui ne connaissent pas la peine de mort. Au total, de 1879 et 1941, 22 condamnations à mort sont prononcées en Suisse, dont 9 sont exécutées (soit une tous les sept ans). On ne peut donc pas dire que les guillotines tombent à un rythme très soutenu, la condamnation à mort et, a fortiori, son exécution, étant réservées à des cas exceptionnels. De plus, la tendance est à la baisse, comme le montrent les chiffres concernant la période 1851-1873, pendant laquelle 95 personnes sont condamnées à mort en Suisse, dont 38 sont exécutées. En regardant les positions des cantons face à la peine de mort, on constate un clivage assez net entre les cantons protestants et les cantons catholiques : les premiers sont généralement réfractaires à la peine de mort, alors que les seconds la prévoient presque tous dans leur législation. Cette règle souffre toutefois quelques exceptions, comme Nidwald, catholique mais qui ne connaît pas la peine de mort, et Schaffhouse, protestant mais qui prononce quatre condamnations (dont aucune n'est exécutée). En outre, certains cantons qui avaient accepté la nouvelle teneur de l'article 65 en votation populaire, dont des cantons protestants, ne réintroduisent pas la peine de mort pour autant (Vaud, Argovie, Appenzell Rhodes-Extérieures, Soleure, Glaris et Nidwald). On peut encore faire deux constatations à propos de la peine de mort dans les droits cantonaux ; premièrement, les cantons qui réintroduisent cette peine après la votation de 1879 le font très rapidement (des huit cantons et deux demi-cantons qui la rétabliront la peine de mort, Fribourg sera le dernier à le faire par une loi du 24 novembre 1894 entrée en vigueur en juillet 1895; son code pénal de 1924 comportera encore cette sanction, mais elle ne sera plus appliquée), et ne l'abolissent pas avant l'entrée en vigueur du code pénal suisse en 1942. On se trouve donc en présence d'une opposition tranchée entre adversaires et partisans de la peine de mort, sans que les positions ne varient au cours du temps (du moins du point de vue de la législation). Deuxième constatation : la dernière exécution capitale a lieu peu avant l'entrée en vigueur du code pénal suisse, à Obwald, en 1940. Comme nous l'avons signalé, selon la Constitution de 1874 la Confédération n'a pas le pouvoir de légiférer en matière pénale. Mais, en 1898, l'article 64 de la Constitution est modifié et complété par un article 64bis. Ce dernier, accepté en votation populaire le 13 novembre 1898, autorise la Confédération à édicter la législation pénale, aux dépens des cantons 12. Cette date marque donc le point de départ du code pénal suisse, qui entrera en vigueur en 1942. Ces quarante ans, qui séparent l'acceptation du principe de sa réalisation, voient plusieurs projets de code pénal, de longues discussions aux Chambres et finalement le verdict populaire à la suite d'un référendum 13. Le problème posé par la peine de mort - faut-il ou ne faut-il pas l'inclure dans le code pénal- suscite de longs débats 14 sur lesquels nous ne nous attarderons pas puisque cela n'entre pas dans le cadre de notre sujet. On peut tout de même constater que l'on se retrouve dans la même situation qu'en 1874, la peine de mort étant abolie du droit pénal ordinaire, mais pas de la législation militaire de temps de guerre. I.3. La peine de mort dans le droit pénal militaire Le code pénal militaire de 1851 15 Le premier code pénal militaire de la Confédération helvétique date du 27 août 1851. Les délits pour lesquels la peine de mort est prévue ne sont pas excessivement nombreux, le début du XIXème ayant vu une évolution dans le sens de la restriction des délits punis de cette peine. Par contre, la peine de mort est possible en temps de paix, du moins jusqu'à ce que l'article 65 de la Constitution de 1874, dans son état originel, abolisse la peine de mort en Suisse (exception faite du temps de guerre). La nouvelle teneur de l'article accepté en 1879 ne comprend plus cette clause. Toutefois, il ne faut pas se méprendre sur la définition du temps de guerre selon le code pénal militaire de 1851, car la distinction n'est faite qu'entre le temps de paix et le temps de guerre, ce dernier ayant un sens assez extensif. Ainsi, la peine de mort est possible même lors de la simple mise sur pied de troupes, par exemple pour la sauvegarde de l'ordre intérieur. Quant au mode d'exécution de la peine de mort, le code pénal militaire de 1851 connaît, outre la fusillade, la décapitation, qui est une peine infamante réservée aux délits particulièrement graves et crapuleux. Alors que la fusillade est exécutée par la troupe, la décapitation l'est par un bourreau professionnel, mais toutes les exécutions sont publiques ; par ailleurs, le code prévoit un certain décorum pour les exécutions, avec drapeaux, tambours et autres symboles 16. Différents projets de révision du code pénal militaire de 1851 vont voir le jour après 1874, car l'organisation de l'armée est profondément modifiée par la nouvelle constitution. Pourtant, concernant le droit matériel, aucun de ces projets n'aboutira avant le code pénal militaire de 1927 ; seules des modifications ponctuelles de la législation vont modifier le droit militaire dans le sens d'un adoucissement des peines 17. L'Organisation judiciaire et la procédure pénale pour l'armée fédérale de 1889 Si le droit matériel n'est pas fondamentalement modifié avant 1927, il en est autrement de la procédure réglant le fonctionnement de la justice militaire. En effet, en 1889, une nouvelle procédure pénale pour l'armée fédérale voit le jour 18. Du fait que cette procédure est restée en vigueur jusqu'au 1er janvier 1980, nous allons en examiner quelques articles intéressant notre sujet, mais nous reviendrons plus loin sur le déroulement des procès militaires 19. L'Organisation judiciaire et procédure pénale pour l'armée fédérale a pour but de régler le fonctionnement des tribunaux militaires; elle définit donc les personnes soumises à la juridiction militaire, la composition des tribunaux militaires, le déroulement de l'instruction, les voies de recours possibles, etc. En ce qui nous concerne, la peine de mort, la nouvelle procédure introduit une modification importante dans le mode d'exécution des condamnés à mort, puisqu'elle n'autorise plus que la fusillade, et bannit donc implicitement l'autre mode d'exécution en vigueur jusqu'alors, la décapitation 20. Cette disposition sera répétée dans le code pénal militaire de 1927, à l'article 27 21. Il est en outre spécifié que la fusillade doit être exécutée par la troupe elle-même. Cependant, la loi de 1889 ne précise pas d'avantage la procédure d'exécution de la peine de mort, laissant au Conseil fédéral le soin d'édicter des prescriptions à ce sujet (ce qu'il fera dans une ordonnance datée du 9 juillet 1940 22). Les tribunaux militaires se composent généralement de sept juges, à l'exception du tribunal militaire de cassation qui n'en comprend que cinq. Il existe également un tribunal extraordinaire, chargé de juger les délits commis par des militaires de très haut rang, qui sera supprimé en 1980 par la nouvelle procédure pénale militaire. L'article 158 stipule qu'une condamnation à mort ne peut être prononcée que dans le cas où six juges sur sept se prononcent en sa faveur (alors que pour tous les autres types de condamnations, une majorité simple suffit). D'autre part, selon l'article 211, " En temps de guerre le tribunal peut ordonner l'exécution immédiate du jugement, nonobstant recours en cassation, en révision ou en grâce, si, de l'avis unanime des juges, le salut de la patrie l'exige. ". Cette clause exceptionnelle est à considérer comme un corrélatif de l'état de nécessité ; répétée dans l'ordonnance du 28 mai 1940, mais concernant alors le service actif, elle n'eût jamais à être appliquée. Une exécution sommaire, sans jugement, pourrait même se justifier dans des cas très exceptionnels (article 26, " État de nécessité " 23). Toujours au chapitre de la procédure, notons encore les prescriptions de l'article 214, qui, concernant les condamnations à mort, confère le droit de grâce à l'Assemblée fédérale, alors qu'en temps de paix le droit de grâce appartient au Conseil fédéral, et qu'en cas de service actif et en temps de guerre il appartient au général. Pendant la Deuxième Guerre mondiale, les Chambres n'accorderont qu'une seule fois la grâce à un condamné à mort 24. Page d'accueil Suite
2836
https://fr.wikisource.org/wiki/La%20l%C3%A9gislation%20relative%20aux%20condamnations%20%C3%A0%20mort%20pendant%20la%20Deuxi%C3%A8me%20Guerre%20mondiale%20en%20Suisse/2
La législation relative aux condamnations à mort pendant la Deuxième Guerre mondiale en Suisse/2
II.1. L'évolution du droit pénal militaire Le code pénal militaire de 1927 Il nous faut maintenant regarder d'un peu plus près le droit pénal militaire en vigueur pendant la Deuxième Guerre mondiale. Le droit pénal militaire doit être considéré comme un cas particulier du droit pénal civil, mais comme nous l'avons déjà noté, la Suisse se trouve dans une situation un peu spéciale car elle dispose d'un droit pénal militaire fédéral bien avant d'avoir unifié le droit pénal ordinaire. En effet, avant 1942, chaque canton applique non seulement sa propre procédure dans ses propres tribunaux, ce qui est encore le cas aujourd'hui, mais encore selon sa propre législation pénale. Nous nous trouvons donc dans la situation où le même délit peut être jugé très différemment selon que l'inculpé se trouve soumis à la juridiction militaire ou civile. Du point de vue militaire, par contre, tous les Suisses sont soumis au même droit ; en effet, l'article 20 de la Constitution spécifie que " les lois sur l'organisation de l'armée émanent de la Confédération ". La nécessité de réviser le code pénal militaire de 1851, qui s'était déjà fait sentir après la centralisation de l'armée en 1874, devient d'autant plus évidente après la mobilisation de 1914-1918. En effet, le code pénal militaire s'est révélé inadapté face à une situation imprévue, qui n'est ni la guerre ni la paix (car le code ne connaît que ces deux possibilités) ; de plus, les peines sont considérées de manière générale comme trop sévères. Pour ces raisons, un nouveau code pénal militaire est présenté aux Chambres par le Conseil fédéral, en 1918 25. Nous allons voir en quoi il consiste, dans sa version adoptée par le parlement en 1927 (cette version est presque identique au projet présenté par le Conseil fédéral en 1918). A qui et à quoi s'applique le droit militaire ? Il s'applique aux délits commis par des militaires, aux civils quand ce sont les intérêts de l'armée qui sont atteints, et, en temps de guerre, aux prisonniers de guerre. Remarquons tout de suite que les domaines de compétence personnel et matériel ont été l'objet de plusieurs remaniements avant et pendant la guerre, de nouvelles catégories de personnes étant soumises à la compétence des tribunaux militaires, et de nouveau délits étant considérés comme relevant exclusivement de la justice militaire. Autre remarque importante : le domaine de compétence personnel des tribunaux militaires varie en fonction de la situation dans laquelle se trouve l'armée. Autrement dit, certaines personnes ne sont soumises à la juridiction militaires qu'en temps de guerre, de service actif ou de paix. En effet, aux deux situations que connaissait l'ancien code s'ajoute le cas de service actif ; celui-ci n'est pas défini de manière explicite, mais il doit être compris comme étant la situation dans laquelle se trouve l'armée (ou une partie de celle-ci) si la Suisse n'est ni en guerre ni en paix 26. Le temps de paix n'est pas non plus défini, mais il concerne les militaires en cours d'instruction (école de recrue, cours de répétition, cours d'État-major,...). En revanche, la notion de temps de guerre est claire : elle s'applique lorsque la Suisse est en guerre ou quand le Conseil fédéral, en cas de danger de guerre imminent, le décide 27. Autrement dit, soit la Suisse est en guerre de facto, soit la Suisse est en guerre par une décision explicite du Conseil fédéral qui doit être approuvée par les Chambres. De tout cela, il découle que le code pénal militaire doit contenir des dispositions concernant non seulement les délits purement militaires commis par des militaires, mais aussi les délits ordinaires commis durant le service (vol, meurtre, abus de confiance,...), ainsi que les délits pouvant être commis par des civils mais tombant sous la juridiction militaire (la trahison militaire fait partie de ces délits). De plus, les peines prévues varient souvent en fonction de la situation dans laquelle les délits ont été commis, le service actif et, à plus forte raison le temps de guerre, agissant comme des circonstances aggravantes 28. Concernant la peine de mort, plusieurs articles du code pénal militaire sont à relever, au premier rang desquels nous plaçons l'article 27, qui stipule très précisément que la peine de mort est exclue du droit militaire suisse, sauf en temps de guerre 29. Cette disposition est d'ailleurs répétée dans chaque article ou la peine capitale est prévue, sous la forme : "...le juge pourra prononcer la réclusion [à vie, pour cinq ans au moins, ...], ou en temps de guerre la peine de mort si ... " 30. Une dizaine de délits peuvent être punis de la peine de mort en temps de guerre ; ils peuvent l'être mais ne le doivent jamais, car il y a toujours une peine alternative prévue (à la seule exception de la désertion avec passage à l'ennemi, article 83) 31. Parmi ces délits, citons pour exemple l'assassinat, le brigandage, le pillage, le brigandage de guerre, les services rendus à l'ennemi, la trahison militaire, les crimes ou délits de garde et la capitulation. Enfin, on peut remarquer que la peine de mort s'applique également aux mineurs dès 14 ans. " In bezug auf die Todesstrafe haben wir für Jugendliche keine besondere Bestimmung. Es ist deshalb nach dem Gesetz durchaus möglich, dass gegen Jugendliche von 14-18 Jahren die Todesstrafe verhängt wird. " 32 Relevons également l'article 86 33, qui est invoqué dans tous les cas de condamnations à mort durant la Seconde Guerre mondiale. Cette article punit la violation de secrets militaires intéressant la défense nationale, un délit qui peut aussi bien être commis par un militaire que par un civil, mais qui est toujours du ressort de la juridiction militaire. La peine de mort n'intervient que dans l'alinéa 2 de l'article 86, c'est-à-dire dans le cas ou les actes auraient entravés ou compromis les opérations de l'armée suisse. Nous reviendrons sur cet article lorsqu'il sera question de l'ordonnance du 28 mai 1940. Quant à l'article 87, relatif à la trahison militaire, il réprime des délits que l'on pourrait assimiler au sabotage ; en fait, il concerne la haute trahison (mais le terme n'est pas utilisé), alors que l'article 86 concerne la trahison militaire, qui requiert l'existence d'un pays tiers. La langue allemande fait la différence entre Hochverrat et Landesverrat 34. Les modifications du droit pénal après 1927 Dès le début des années trente, le Conseil fédéral édicte des arrêtés fédéraux comportant des mesures pénales qui complètent ou modifient tantôt le droit militaire, tantôt le droit ordinaire. Parmi les actes visés par ces mesures, un grand nombre est en relation avec des atteintes portées à l'indépendance et à la sûreté de la Confédération. Dans cette législation, qui se construit au coup par coup, on discerne nettement les craintes grandissantes à l'égard de la montée des tensions politiques entre extrême gauche et extrême droite, mais aussi les craintes face à un danger extérieur. Relativement aux dangers encourus par la Confédération dans un contexte international toujours plus tendu, l'arrêté fédéral urgent du 21 juin 1935 35 est probablement le plus important. En effet, il crée l'ébauche d'une législation pénale fédérale réprimant les services de renseignements politiques, militaires et économiques, que l'on retrouvera dans le code pénal suisse de 1942 (article 272 à 274). Fait plus important encore, cet arrêté aboutit à la création de la police fédérale, qui joue un rôle central dans les enquêtes sur les affaires de trahison, en coordination avec le Service de contre-espionnage. Dans le même lignée, on peut également citer la loi fédérale du 8 octobre 1936 36, qui complète la législation pénale ordinaire en matière de trahison. Enfin, une ordonnance rédigée le 14 avril 1939, mais entrée en vigueur le 2 septembre 1939, dresse une liste d'actes qui doivent être réprimés (cela concerne essentiellement les éventuels agissements d'une cinquième colonne). En ce qui concerne plus particulièrement le droit pénal militaire, différents actes législatifs rendent également compte de la perception d'un danger de plus en plus pressant. C'est ainsi que le Conseil fédéral adopte des arrêtés qui soumettent toujours plus de personnes (ou d'actes délictueux) aux juridictions militaires ; en outre, il prend des mesures destinées à protéger l'armée contre la propagande subversive ou le sabotage 37. Toutefois, pour notre sujet, ces nouvelles dispositions n'apportent pas de changements importants puisqu'elles ne peuvent pas entraîner de condamnation à mort. En revanche, elles démontrent que les autorités ont compris que la guerre moderne engageait de nouveaux moyens (propagande, cinquième colonne, sabotage, ...), et qu'elles étaient prêtes à les affronter. Avec l'entrée en vigueur du code pénal suisse, le 1er janvier 1942, le code pénal militaire subit quelques adaptations destinées à mettre les deux codes en adéquation 38. Les quelques modifications que cela entraîne pour notre sujet sont mineures, raison pour laquelle nous ne nous attarderons pas là-dessus. On peut tout de même signaler l'ajout d'un article 86bis concernant le sabotage, qui reprend l'article 2 de l'ordonnance du 28 mai 1940 ; cette ordonnance stipule également que toutes les personnes ayant commis des actes de sabotage seront jugées par des tribunaux militaires. L'ordonnance du 28 mai 1940 Nous avons déjà mentionné à plusieurs reprises l'ordonnance du Conseil fédéral du 28 mai 1940, et nous allons examiner maintenant en quoi réside son importance pour le thème de la peine de mort pendant la Deuxième Guerre mondiale. En fait, cette ordonnance introduit la peine capitale dans le droit pénal militaire pendant le service actif, et toutes les condamnations à mort prononcées pendant la guerre en Suisse l'ont été en vertu des modifications apportées par elle. Autrement dit, sans ce texte il n'y aurait eu aucune condamnation à mort. Le contenu de l'ordonnance tient en neuf articles, mais deux seulement concernent notre sujet : les articles 6 et 7. L'article 6 aggrave les peines prévues dans les articles 86 et 87 du code pénal militaire, mettant ainsi en vigueur les peines prévues pour le temps de guerre. Toutefois, le Conseil fédéral introduit une nouveauté importante puisque seul le deuxième alinéa de l'article 86 prévoyait la peine capitale, alors que le premier alinéa ne prévoyait que la réclusion, même en temps de guerre. Quant à l'article 7 de l'ordonnance, il ne concerne notre sujet que de manière théorique, puisqu'il règle un cas qui ne s'est jamais présenté, à savoir le cas où les sept juges, à l'unanimité, décident que l'exécution doit être immédiate car le salut de la patrie l'exige. Cette règle de procédure existe déjà dans l'Ordonnance de procédure pénale pour l'armée fédérale de 1889 (article 211), mais l'article commence par ces mots : " En temps de guerre... ". Avec le nouvel article, l'exécution immédiate est aussi possible en cas de service actif, ce qui peut paraître étrange car on ne voit pas dans quel cas une exécution immédiate pourrait se justifier, à part en temps de guerre justement. Voici comment le Conseil fédéral justifie les mesures introduites par l'ordonnance du 28 mai 1940: "On a pu cependant constater, notamment lors des événements survenus au printemps, que cette réglementation ne tient pas suffisamment compte des difficultés et dangers de la situation actuelle. Aussi le commandement de l'armée, les organes de la justice militaire et l'opinion publique ont-ils réclamé avec raison une répression plus énergique des actes qui menacent notre force militaire et la sécurité du pays. Vu la nécessité d'agir rapidement et eu égard au caractère provisoire de la plupart des modifications prévues, le recours à la législation extraordinaire s'imposait." 39 L'ordonnance du 28 mai 1940 pose différents problèmes juridiques, qui laissent l'impression que si les mesures prises en matière de peine de mort n'étaient peut-être pas illégitimes, elles étaient pour le moins très discutables d'un point de vue légal 40. Cependant, il faut reconnaître que du point de vue du droit constitutionnel la situation n'est pas du tout claire, en particulier parce que le Conseil fédéral est investi de pouvoirs extraordinaires par l'Assemblée fédérale, bien qu'aucun texte législatif ne fixe quoi que ce soit en cette matière. Le droit d'exception repose, en Suisse, sur des règles non écrites tirées de l'expérience, en particulier celle de la Première Guerre mondiale 41. Il est donc possible de discuter à l'infini des problèmes posés par la délégation de légiférer donnée par le parlement à l'exécutif fédéral. Il est même soutenable de penser que cette délégation est anticonstitutionnelle, puisqu'il n'est dit nulle part que les représentants du peuple ont le droit de se défaire de leur pouvoir. Le premier point à poser problème dans l'ordonnance du 28 mai 1940, c'est la contradiction absolue qui existe entre le principe général posé à l'article 27 - pas de peine de mort en dehors du temps de guerre - et la nouvelle teneur des articles 86 et 87 qui introduisent la peine de mort pour le service actif en cours. Il apparaît pourtant que les Chambres fédérales, de manière très claire et pour une question de principe, s'étaient opposées à la peine de mort en dehors du temps de guerre. Le peuple n'avait pas eu à prendre parti sur ce sujet car il n'y eût pas de référendum contre cette loi, ce qui permet de dire que le peuple a également accepté cette version du code pénal militaire. Autre argument de poids, qui, à défaut d'indications contraires, permettait de penser que les Suisses ne voulaient pas de la peine de mort, le code pénal suisse de 1942 ; en effet, celui-ci abolit la peine de mort pour tous les délits jugés par des tribunaux civils, et il a été accepté comme tel par l'assemblée fédérale et en référendum par le peuple. On était donc en droit de supposer que ni les Chambres ni le peuple ne voulaient de la peine de mort en dehors du temps de guerre. Certes, ce code n'était pas encore en vigueur, mais il venait d'être accepté par les Chambres et par le peuple. On peut cependant relever qu'en dernière instance ce sont les représentants du peuple, c'est-à-dire l'Assemblée fédérale, qui disposent du pouvoir de grâce (ce qui n'empêche pourtant pas la peine de mort d'être prononcée). Deuxième point qui pose problème : le procédé utilisé par le Conseil fédéral pour modifier le code pénal militaire. En effet, la doctrine juridique n'admet pas qu'une loi fédérale puisse être modifiée par une simple ordonnance. En modifiant le droit militaire par une ordonnance (qui ne peut en aucun cas être considérée comme une ordonnance exécutive), le Conseil fédéral déroge à la règle du contrarius actus, qui veut qu'un acte législatif ne soit modifié que par un autre acte d'ordre égal ou supérieur (la hiérarchie étant: constitution, loi fédérale, arrêté fédéral, ordonnance). L'application de cette règle aurait eu comme conséquence, importante, que les autorités législatives ayant promulgué le code pénal militaire (à savoir les Chambres et, s'il l'avait désiré, le peuple) n'auraient pas été exclues d'emblée par la modification de ce code. Car il s'agit bien d'une modification, et non d'une simple mise en vigueur de prescriptions prévues pour d'autres conditions : outre la transformation de certaines peines, l'ordonnance introduit la peine de mort pour un délit qui ne la connaissait pas (le premier alinéa de l'article 86). Certes, l'ordonnance est soumise à la ratification des Chambres, mais elle n'en demeure pas moins un acte législatif du pouvoir exécutif. En outre, le peuple ne peut en aucun cas se prononcer sur cette mesure, alors qu'un référendum aurait pu être lancé contre un arrêté fédéral ou une loi fédérale. On conclura donc que le Conseil fédéral, en promulguant cette ordonnance, a probablement outrepassé ses compétences, ce d'autant plus que l'urgence de la situation n'était pas telle qu'une consultation populaire ait été exclue. On en veut pour preuve, a posteriori certes, que la première condamnation à mort surviendra plus de deux ans après la mise en vigueur de cette ordonnance. D'ailleurs, si la situation avait été urgente au point de prendre une décision aussi importante de manière si rapide, le Conseil fédéral aurait pu choisir un autre moyen pour mettre en vigueur la peine de mort sans déroger à aucune loi, en déclarant, par un arrêté fédéral urgent et conformément à l'article 5 du code pénal militaire 42, que la Suisse était en temps de guerre, ce qui aurait eu pour effet de mettre en vigueur les dispositions du temps de guerre. S'il ne l'a pas fait, c'est probablement pour éviter que la population ne prenne peur, ce qu'elle avait déjà tendance à faire en mai-juin 1940. De plus, la Suisse s'était déclarée "en guerre", il aurait fallut savoir contre qui elle l'était 43. D'autre part, on peut aussi penser que la raison d'État, c'est dans l'air du temps, prend le pas sur les libertés individuelles ; on peut encore penser que, pendant la Deuxième Guerre mondiale, la cinquième colonne prend une importance insoupçonnée par le législateur de 1927, et que cela justifie, pour certains délits particuliers, des mesures comparables aux mesures de guerre. Effectivement, la situation du printemps 1940 était aussi imprévue et spéciale qu'elle l'était en 1914, quand la Suisse ne connaissait que la guerre ou la paix. En 1940, la Suisse n'est pas en guerre, mais la guerre semble tellement imminente qu'elle n'est déjà plus en service actif. Pour conclure ce chapitre délicat, disons que le Conseil fédéral a pris une mesure certainement anticonstitutionnelle et excessive sur certains points, mais en partie légitime. Il reste à déterminer, et nous nous proposons de la faire dans le travail de doctorat proprement dit, les motivations du Conseil fédéral et la procédure qu'il a suivie ainsi que les réactions de l'opinion publique 44. Le déroulement des procès militaires Nous allons voir maintenant, de manière assez sommaire, quelques éléments de procédure pénale militaire. Le point de départ d'une enquête est généralement la police ; deux polices sont plus particulièrement concernées lorsqu'il s'agit d'affaires d'espionnages : la police fédérale, qui dépend du Ministère public de la Confédération, et donc du Département de justice et police, et le Service de contre-espionnage qui dépend de l'armée. Les rapports entre ces deux services semblent d'ailleurs avoir été assez mauvais 45. Pour ce qui en est de la justice militaire, la procédure pénale de 1889 46 établit des tribunaux de division (à raison d'un tribunal par division), et prévoit la possibilité de créer des tribunaux supplémentaires. Une instance est chargée des recours, c'est le tribunal militaire de cassation, et une autre instance est chargée des demandes de grâce, c'est le Conseil fédéral en temps de paix ou le général en cas de service actif ou de guerre. Cette dernière règle de procédure souffre deux exceptions, où la grâce est de la compétence l'Assemblée fédérale : les condamnations à mort et les jugements rendus par le tribunal extraordinaire. Tous les juges de ces tribunaux militaires sont nommés par le Conseil fédéral, ce qui motive une grande partie de l'opposition des socialistes contre la justice militaire, qui y voient une justice de classe et de partis 47. Les tribunaux militaires sont toujours collégiaux, c'est-à-dire que les décisions sont toujours prises par plusieurs juges. Les tribunaux territoriaux et de division se composent de sept juges, alors que la tribunal de cassation et le tribunal extraordinaire se composent de cinq juges. La justice militaire est placée sous la direction de l'auditeur en chef de l'armée, qui est à l'armée ce que le procureur de la Confédération est à la justice pénale fédérale. Pendant la Deuxième Guerre mondiale, deux types de tribunaux composent la première instance de la justice militaire: les tribunaux territoriaux et les tribunaux de division. Les tribunaux de division jugent les délits commis par des militaires appartenant à leur unité 48. Quant aux tribunaux territoriaux, ils sont chargés de juger les civils justiciables devant les tribunaux militaires, les militaires internés ou hospitalisés en Suisse et les militaires Suisses " lorsque le for de l'incorporation ou de l'attribution n'est pas déterminé " 49 ; les affaires sont réparties entre les tribunaux territoriaux selon une organisation géographique qui recoupe les frontières linguistiques 50. A partir de 1938, il y a neuf tribunaux de division, un pour chacune des neuf divisions et quatre tribunaux territoriaux (qui entrent en fonction le 29 août 1939). Certains de ses tribunaux seront par la suite dédoublés (tribunal territorial 2A et 2B, tribunal de division 3A et 3B,...). Lorsqu'un jugement a été prononcé par un tribunal militaire, le condamné peut faire recours auprès du tribunal militaire de cassation ; si ce dernier rejette le recours, le condamné peut déposer une demande de grâce. En ce qui concerne les condamnations à mort, le droit de grâce appartient à l'Assemblée fédérale. Celle-ci, à la veille de l'examen des trois premières demandes de grâces déposées par les trois premiers condamnés à mort, édicte un règlement sur la manière de procéder dans cette situation 51. Si l'Assemblée fédérale rejette le recours en grâce, il n'y a plus d'autres voies de recours et le jugement doit être exécuté, suivant la procédure établie par l'ordonnance du Conseil fédéral du 9 juillet 1940 52, car aucun autre texte, dans la procédure militaire ou dans le code, ne spécifiait quoi que ce soit pour le déroulement des exécutions. Le condamné doit être fusillé par un peloton de vingt soldats, qui, placés à six pas, tirent tous ensemble une balle chacun. Il est prévu qu'un officier tire le coup de grâce au cas où le condamné ne serait pas mort, ce qui arriva dès la troisième exécution 53. En effet, la fusillade, qui pourrait passer pour un mode d'exécution très efficace, ne l'est en réalité pas tellement 54. En revanche, contrairement à ce qui se fait aux États-Unis ou en France par exemple, aucun fusil n'est chargé à blanc 55. II. 2. Opinions et réactions face à la peine de mort Bien que nous comptions examiner plus en détails les réactions de l'opinion face à la peine de mort dans le travail de doctorat proprement dit, il nous semble intéressant de voir quelques réactions face à la législation relative à la peine de mort. Comme on pouvait s'y attendre, lors des discussions au parlement sur le projet de code pénal militaire présenté par le Conseil fédéral en 1918, le Conseil des États adopte une attitude plus conservatrice que le Conseil National à l'égard de la peine de mort. Ainsi, à propos de l'article 27 du code pénal militaire, la majorité du Conseil des États s'était prononcé pour un texte ne spécifiant pas que la peine de mort n'était possible qu'en temps de guerre ; par ailleurs, il était également opposé à l'idée que les condamnations à mort n'ayant pas été exécutées en temps de guerre soient d'office converties en réclusion à perpétuité. Autrement dit, le Conseil des États était prêt à accepter l'exécution de la peine de mort également en temps de paix 56. D'autre part, le Conseil des États voulait rester plus proche du code de 1851, en n'incluant pas un cas de service actif, intermédiaire entre la paix et la guerre. Au Conseil National le débat se positionne plus à gauche, avec les interventions de Huber et Naine 57 notamment. En effet, pour la fraction social-démocrate un code pénal militaire n'est pas nécessaire, pas plus qu'une justice militaire, puisque le soldat suisse n'est qu'un citoyen en uniforme: le code pénal ordinaire doit donc être appliqué à tout le monde et en tous temps puisqu'il n'y a qu'une catégorie de personnes, les citoyens-soldats. Une minorité de la commission du Conseil National chargée d'examiner le projet de code pénal militaire se prononce même pour la suppression complète de la peine de mort 58; cette minorité se compose de parlementaires de gauche. Un autre problème qui divise la droite et la gauche est la définition du temps de guerre : la gauche s'oppose à ce que le Conseil fédéral puisse décréter que la Suisse est en guerre; elle préférerait que seule l'Assemblée fédérale puisse le faire 59. On voit, à travers ces prises de position, que la gauche joue un rôle d'opposition face au pouvoir exécutif dans lequel, rappelons-le, elle n'est pas représentée avant l'élection de Nobs en 1943. Son opposition à la justice militaire est aussi largement motivée par le fait que le Conseil fédéral nomme tous les membres de la justice militaire ; cela, ajouté à l'antimilitarisme traditionnel de la gauche, amène une résistance certaine au nouveau code proposé. Entre ces deux tendances (un Conseil des États majoritairement conservateur et une minorité du Conseil National qui voudrait aller beaucoup plus loin dans les réformes que le Conseil fédéral), il se trouve tout de même une majorité assez importante qui est, pour l'essentiel, tout à fait d'accord avec le projet présenté par le Conseil fédéral. Cette tendance l'emporte finalement. Quant à l'ordonnance du 28 mai 1940, qui doit être ratifiée par les Chambres, elle n'y provoque que fort peu de discussions. Au Conseil des États, Schmucki 60 déclare que " Die Not und Arglist der Zeit rechtfertigt ohne weiteres diese Strafe [la peine de mort]. " 61, tout comme Seiler au Conseil National : " Die Zweckmässigkeit der neuen Bestimmungen für die Periode der erhöhten Kriegsgefahr ist nicht bestritten. " 62. Toujours au Conseil national, Johannes Huber fait une intervention assez critique sur l'ordonnance, mais pas sur les deux articles concernant la peine de mort. L'opinion des socialistes sur la peine de mort aurait-elle évolué, comme aurait évolué l'opinion publique en général 63 ? Leur ralliement à la défense nationale a-t-il été si complet qu'ils défendent des positions qu'ils auraient absolument rejetées cinq ou dix ans plus tôt ? Se rendent-ils compte que ces mesures ne peuvent toucher que l'extrême droite en général, et les milieux favorables à l'Allemagne en particulier ? En tous cas, nous essaierons de répondre de manière plus complète à ces questions dans notre travail de doctorat, où nous tenterons également de cerner l'opinion publique face au problème des condamnations à mort pendant la Deuxième Guerre mondiale. Toutefois, alors que le Conseil fédéral aurait voulu intégrer l'ordonnance du 28 mai 1940 dans le code pénal, profitant d'une révision du code pénal militaire pour l'adapter au code pénal suisse, le Parlement s'y oppose. En effet, il pense que cela peut bien attendre la fin de la guerre, et que le climat n'est pas propice à un tel changement de la loi. Page d'accueil Suite
2837
https://fr.wikisource.org/wiki/La%20l%C3%A9gislation%20relative%20aux%20condamnations%20%C3%A0%20mort%20pendant%20la%20Deuxi%C3%A8me%20Guerre%20mondiale%20en%20Suisse/3
La législation relative aux condamnations à mort pendant la Deuxième Guerre mondiale en Suisse/3
III.1. La fin du droit d'exception et l'abolition complète de la peine de mort La fin du service actif signifie également la fin de la possibilité de condamner à mort pour les tribunaux militaires. L'ordonnance du 28 mai 1940 est révoquée par une décision du 3 août 1945, avec entrée en vigueur le 20 août. Du fait que la législation militaire a subi un grand nombre de modifications durant la période de guerre, et qu'elle a également montré quelques insuffisances, les autorités amorcent une révision du code pénal militaire dès 1947. Cette deuxième révision du code pénal militaire 64 aboutit le 21 décembre 1950, mais ne change rien en matière de peine de mort. La troisième révision du code pénal militaire, le 5 octobre 1967, concerne essentiellement l'introduction du statut d'objecteur de conscience dans la loi, mais n'introduit pas de modification pour la peine de mort. A l'occasion de la modification du 23 mars 1979, le conseiller national Merz 65 propose d'abolir la peine de mort de la législation militaire, y compris en temps de guerre. Cette proposition va être assez nettement repoussée, par 59 voix contre 26. Ce rejet est principalement motivé par la vague de terrorisme qui frappe les pays voisins, et qui les conduit plutôt vers une réintroduction ou une extension de la peine de mort que vers son abolition. Tous les députés reconnaissent, et Merz le premier, que le moment est mal choisi pour abolir complètement la peine de mort de la législation suisse 66. On n'en reste donc là, jusqu'à la modification du 23 octobre 1981, qui supprime la peine de mort uniquement dans l'article 130, c'est-à-dire pour le brigandage. Il faut attendre 1989 pour que le conseiller national Pini 67 lance une initiative parlementaire dont l'objectif est d'abolir complètement la peine de mort dans le code pénal militaire. Cette initiative ne provoque guère de débats au Conseil national, puisqu'il n'y a personne pour s'y opposer. Au Conseil des États, par contre, une petite minorité de huit conseillers votent contre cette modification. La nouvelle loi, sans peine de mort, quel que soit le délit et quelle que soit la situation dans laquelle il a été commis, entre en vigueur le 1er septembre 1992. Depuis cette date, la législation suisse ne connaît plus la peine de mort. Toutefois, comme le Conseil fédéral et le conseiller aux États Danioth 68 l'ont rappelé, dans une situation exceptionnelle, sous la pression d'une menace existentielle et sous le régime d'un droit d'urgence, la peine de mort pourrait très bien être rétablie. D'ailleurs, en vertu de l'article 26 (qui concerne l'état de nécessité 69), la peine de mort, et même la décimation de ses propres troupes, peuvent tout à fait trouver une justification. Page d'accueil Suite
2838
https://fr.wikisource.org/wiki/La%20l%C3%A9gislation%20relative%20aux%20condamnations%20%C3%A0%20mort%20pendant%20la%20Deuxi%C3%A8me%20Guerre%20mondiale%20en%20Suisse/4
La législation relative aux condamnations à mort pendant la Deuxième Guerre mondiale en Suisse/4
Ce travail, très descriptif, ne se prête guère aux grandes conclusions. Cependant, il est quand même possible de faire quelques constatations. Premièrement, en étudiant les condamnations à mort durant la Deuxième Guerre mondiale, il faut se souvenir que l'exécution capitale est encore dans les mœurs pour les délits de droit commun, bien que de façon exceptionnelle. En fait, on est dans une période où, en Suisse, cette peine est en voie de disparition. Mais, par une étrange coïncidence, alors que 1940 est la date de la dernière exécution capitale prononcée sous l'empire d'un droit cantonal, c'est aussi l'année où le Conseil fédéral établit la peine de mort en dehors du temps de guerre. Et alors que 1942 voit l'entrée en vigueur du nouveau droit pénal fédéral, exempt de la peine de mort, c'est aussi l'année des premières exécutions militaires. Dans cette perspective, les dix-sept exécutions ayant eu lieu pendant la Deuxième Guerre ne sont qu'un ultime soubresaut avant l'abolition complète de la peine de mort. Deuxièmement, on se souviendra que la Suisse vit alors une situation de péril comme elle en a rarement connue ; rapidement encerclée de toutes parts, elle se replie et a l'impression qu'elle ne peut compter que sur elle-même. Dans ce contexte, les traîtres à la patrie pouvaient difficilement compter sur la clémence des juges, surtout quand les mots d'ordre officiels étaient " Résister " ou " Tenir ". Il est significatif, à cet égard, de voir à quel point la Suisse s'est montrée intransigeante face à l'Allemagne, en condamnant à mort certains de ses ressortissants. Mais ce fût peut-être une concession d'en condamner aussi peu ; peut-être aussi que l'on s'est arrangé pour n'avoir jamais à exécuter les condamnations prononcées contre des Allemands. Il reste également à éclaircir le jeu des influences des différentes autorités sur la législation, et la manière de l'appliquer, concernant la peine de mort dans le droit militaire : qui a voulu cette législation d'exception ? Qui y a résisté ? Quelle fut l'opinion des membres du Conseil fédéral ? Quelles furent les positions au sein de l'armée ? Les tribunaux militaires, plus liés à l'exécutif que ne le sont en général les tribunaux civils, furent-ils l'objet de pressions ? Les réponses à ces questions pourraient apporter des éléments intéressants pour la compréhension du système helvétique en cas de crise ; en effet, si en temps normal la Suisse peut être décrite comme un pays fondamentalement démocratique, il n'en va pas de même dans les périodes troublées. La Première Guerre mondiale, avec le régime des pleins pouvoirs, avait mis la démocratie en sourdine au profit d'un régime plutôt autoritaire. Les années qui ont suivit n'avaient vu qu'un retour progressif à la normalité, excepté dans le domaine économique où s'était généralisé l'usage des arrêtés fédéraux urgents. En 1939, avec le régime des pouvoirs extraordinaires, l'exécutif fédéral se voit à nouveau investit de larges pouvoirs législatifs. André Manuel constate d'ailleurs que la Suisse se caractérise, pendant les années de guerre, par un régime plus autoritaire que celui de la plupart des autres pays, y compris de ceux qui prennent part à la guerre 70. Aux questions que nous avons posées dans cette conclusion, comme à celles que nous posions dans l'introduction de ce travail, nous essayerons de répondre dans le travail de doctorat. Page d'accueil Annexes
2839
https://fr.wikisource.org/wiki/La%20l%C3%A9gislation%20relative%20aux%20condamnations%20%C3%A0%20mort%20pendant%20la%20Deuxi%C3%A8me%20Guerre%20mondiale%20en%20Suisse/5
La législation relative aux condamnations à mort pendant la Deuxième Guerre mondiale en Suisse/5
V.1. Les textes de lois les plus importants pour le présent travail V.1.1. Article 65 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 29 mai 1874 . RO 1, p. 20. Abrogé en 1879. La peine de mort est abolie. Sont réservées toutefois les dispositions du code pénal militaire, en temps de guerre. Les peines corporelles sont abolies V.1.2. Article 65 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 29 mai 1874 . RO 4, p. 66. Accepté en votation populaire le 18 mai 1879. Encore en vigueur aujourd'hui. Il ne pourra être prononcé de condamnation à mort pour cause de délit politique. Les peines corporelles sont interdites. V.1.3. Organisation judiciaire et procédure pénale pour l'armée fédérale, 28 juin 1889 . RO 11, 254. Art. 214. Le condamné à une peine de détention peut recourir en grâce auprès du conseil fédéral, en service actif auprès du commandant en chef, aussi longtemps que la peine n'a pas reçu son entière exécution. En cas de condamnation à mort ou lorsque le jugement a été rendu par le tribunal militaire extraordinaire, le droit de grâce appartient à l'assemblée fédérale. V.1.4. Ordonnance concernant les dispositions pénales pour l'état de guerre, 6 août 1914 . RO 30, p. 370. Article premier. Les dispositions des lois militaires édictées pour le temps de guerre sont applicables pendant la durée de la présente mise sur pied des troupes. V.1.5. Article 27 du code pénal militaire, Loi fédérale du 13 juin 1927 RO 43, p. 382. État jusqu'en 1992. 1. La peine de mort ne peut être prononcée qu'en temps de guerre. Le condamné à mort sera fusillé. 2. Toute condamnation à mort prononcée, mais non exécutée en temps de guerre, sera d'office convertie en réclusion à vie. V.1.6. Article 86 du code pénal militaire, Loi fédérale du 13 juin 1927 . RO 43, pp. 397-8. État jusqu'en 1992. 1. Celui qui, pour les faire connaître ou les rendre accessibles à un État étranger, à un de ses agents ou au public, aura espionné des faits, des dispositions, des procédés ou des objets tenus secrets dans l'intérêt de la défense nationale, celui qui, intentionnellement, aura fait connaître ou rendu accessibles à un État étranger, à un de ses agents ou au public des faits, des dispositions, des procédés ou des objets tenus secrets dans l'intérêt de la défense nationale, sera puni de réclusion. 2. La peine sera la réclusion pour trois ans au moins si ces actes ont été commis alors que des troupes sont mises sur pied pour un service actif. Le juge pourra prononcer la réclusion à vie, ou en temps de guerre la peine de mort, si ces actes ont entravé ou compromis les opérations de l'armée suisse. 3. La peine sera l'emprisonnement si le délinquant a agi par négligence. V.1.7. Article 5 du code pénal militaire, Loi fédérale du 13 juin 1927 RO 43, p. 377. État jusqu'à aujourd'hui. Au sens du présent code, le temps de guerre existe non seulement quand la Suisse est en guerre, mais aussi lorsqu'en cas de danger de guerre imminent le Conseil fédéral met en vigueur les dispositions établies pour le temps de guerre. V.1.8. Articles 6 et 7 de l'Ordonnance modifiant et complétant le CPM, 28 mai 1940 . RO En vigueur jusqu'au 20 août 1945. Art. 6. Pour les infractions énumérées ci-après, les peines prévues par le code pénal militaire sont aggravées comme il suit : 1. Le juge pourra prononcer la réclusion à vie ou la peine de mort : a. En cas de violation de secrets intéressant la défense nationale (art. 86) ; b. En cas de trahison militaire (art. 87). 2. Le juge pourra prononcer la réclusion à vie : a. En cas de propagation de fausses informations (art. 89) ; b. En cas d'actes d'hostilité contre un belligérant ou contre des troupes étrangères (art. 92) ; c. En cas de provocation et d'incitation à la violation des devoirs militaires (art. 98, ch. 2.). Art. 7. Le tribunal militaire peut ordonner l'exécution immédiate du jugement, nonobstant recours en cassation, en révision ou en grâce, si, de l'avis unanime des juges, le salut de la patrie l'exige. V. 1. 9. Ordonnance concernant l'exécution de la peine de mort, 9 juillet 1940 . Document classifié " A l'usage exclusif du service " Le Conseil fédéral suisse, vu l'article 210, 2e alinéa, de l'organisation judiciaire et procédure pénale pour l'armée fédérale, arrête : Article premier. Sous réserve des dispositions des articles 204 et 211 de l'organisation judiciaire et procédure pénale pour l'armée fédérale, de l'article 7 de l'ordonnance du 28 mai 1940 modifiant et complétant le code pénal militaire, ainsi que de l'article 66 de la convention internationale du 27 juillet 1927 relative au traitement des prisonniers de guerre, la peine de mort prononcée par un tribunal militaire sera, une fois le jugement passé en force et, le cas échéant, un recours en grâce rejeté par l'Assemblée fédérale (art. 214, 2e al., OJPPM), exécutée conformément aux prescriptions ci-après : Art. 2. Le condamné à mort sera fusillé. Aucune condamnation à mort prononcée contre des aliénés ou des femmes enceintes ne pourra être exécutée. Art. 3. Si le condamné à mort est incorporé dans l'armée, la peine de mort sera exécutée sur l'ordre de son commandant de régiment. S'il ne fait pas partie d'un régiment, elle sera exécutée sur l'ordre d'un officier désigné par le commandant de l'unité d'armée à laquelle le condamné appartient ou dont il relève directement. Dans tous les autres cas, l'auditeur de l'armée désigne l'officier sous l'ordre duquel la peine de mort doit être exécutée. Art. 4. Lorsqu'un jugement portant condamnation à mort est passé en force, le grand juge en communique aussitôt le dispositif au département militaire fédéral, en 6 exemplaires. Le département militaire transmet ce dispositif au canton d'exécution, ainsi qu'à l'officier chargé de l'exécution. Art. 5. La peine de mort est exécutée sans délai. L'officier qui est chargé de l'exécution en fixe le lieu et l'heure. Il commande, par ordre spécial, les personnes et les troupes dont la présence est nécessaire. Il informe l'autorité du canton d'exécution et l'invite à se faire représenter. Art. 6. Outre les troupes indispensables au service d'ordre, un peloton de 20 hommes portant fusil sera commandé. L'exécution n'est pas publique. Y assistent seuls, outre les troupes commandées à cet effet : a) Un représentant du canton chargé de l'exécution, s'il a été désigné ; b) le grand juge, l'auditeur et le greffier du tribunal qui a prononcé ; c) le défenseur ; d) un aumônier de la confession du condamné ; e) deux officiers du service de santé. Art. 7. L'officier chargé de l'exécution désigne un officier pour diriger les opérations. Il prescrit la manière dont le condamné doit être amené sur le lieu d'exécution, et indique s'il doit être lié et si les yeux doivent lui être bandés. Art. 8. Sur le lieu d'exécution, le grand juge lit le dispositif du jugement, puis autorise l'officier chargé de l'exécution à faire passer le condamné de vie à trépas. L'officier chargé de l'exécution ordonne à l'officier qui dirige les opérations de faire fusiller le condamné par le peloton. Après que l'aumônier aura été autorisé à s'entretenir encore une fois avec le condamné, le peloton sera placé sur deux rangs, à six pas du condamné, puis l'on commandera le feu. Si le condamné n'est pas mort, un officier ou sous-officier désigné d'avance sera chargé de tirer le coup mortel. Les officiers présents du service de santé constatent le décès. Art. 9. Le greffier du tribunal militaire dressera le procès-verbal de l'exécution, qu'il signera avec le grand juge. Art. 10. Le département militaire fédéral et les proches du condamné seront informés immédiatement de l'exécution. Les proches pourront, sur leur demande, disposer du cadavre pour l'ensevelir. Berne, le 9 juillet 1940. Au nom du Conseil fédéral suisse : Le président de la Confédération, Pilet-Golaz. Le chancelier de la Confédération, G. Bovet. V.1.10. Article 5 du Règlement de l'Assemblée fédérale (Chambres réunies), 9 novembre 1942 . RO 58, p. 1048. Art. 5. S'il s'agit de condamnations à mort, les dispositions sont en outre applicables. Le recours doit être adressé à la chancellerie fédérale dans les trois jours à compter de l'entrée en force du jugement. Dès que le Conseil fédéral est prêt à rapporter, le président de la commission des grâces convoque celle-ci. Le Conseil fédéral y délègue un ou plusieurs de ses membres ; l'auditeur en chef assiste également aux délibérations. La commission siège à huis clos. Les membres sont tenus de garder le secret des délibérations. Le président de la commission des grâces avise le président de l'Assemblée fédérale dès que la commission est prête à rapporter. L'assemblée est convoquée aussi tôt que possible. L'Assemblée fédérale siège à huis clos. Les débats ne sont pas sténographiés. La commission présente un rapport oral aussi complet que possible. Des écrits ne pourront être distribués à l'assemblée qu'avec l'assentiment du Conseil fédéral. La votation a lieu au scrutin secret. Le président vote. Pour le calcul de la majorité absolue, il n'est pas tenu compte des bulletins blancs ou nuls. En cas d'égalité des voix, le recours est considéré comme admis. Le bureau de l'Assemblée fédérale rédige et fait remettre à la presse un communiqué. V.1.11. Article 26 du code pénal militaire, Loi fédérale du 13 juin 1927 . RO 43, pp. 381-382. Modifié par la LF du 13 juin 1941, RO 57, pp. 1303-1304. Etat actuel. Art. 26 1. Lorsqu'un acte aura été commis pour préserver d'un danger imminent et impossible à détourner autrement un bien appartenant à l'auteur de l'acte, notamment la vie, l'intégrité corporelle, la liberté, l'honneur, le patrimoine, cet acte ne sera pas punissable si le danger n'était pas imputable à une faute de son auteur et si, dans les circonstances où l'acte a été commis, le sacrifice du bien menacé ne pouvait être raisonnablement exigé de l'auteur de l'acte. Si le danger était imputable à une faute de ce dernier ou si, dans les circonstances où l'acte a été commis, le sacrifice du bien menacé pouvait être raisonnablement exigé de l'auteur de l'acte, le juge atténuera librement la peine (art. 47). 2. Lorsqu'un acte aura été commis pour préserver d'un danger imminent et impossible à détourner autrement un bien appartenant à autrui, notamment la vie, l'intégrité corporelle, la liberté, l'honneur, le patrimoine, cet acte ne sera pas punissable. Si l'auteur pouvait se rendre compte que le sacrifice du bien menacé pouvait être raisonnablement exigé de celui auquel le bien appartenait, le juge atténuera librement la peine (art. 47). 3. L'acte commis par un chef ou un supérieur en service actif pour maintenir la discipline ou pour se faire obéir en cas de danger militaire, notamment en cas de mutinerie ou devant l'ennemi, ne sera pas punissable si cet acte était le seul moyen d'obtenir l'obéissance nécessaire. V. 2. Statistiques des condamnations à mort Condamnations selon les articles 86 CPM, 274 et 301 CPS et de l'ACF du 14 avril 1939 Commentaire: Ce tableau indique toutes les condamnations en rapport avec l'espionnage et la trahison. On remarque que les cas de trahison sont plus nombreux que ceux d'espionnage. Nationalités des 478 condamnés Commentaire : Ce tableau donne la répartition par pays des espions et des traîtres arrêtés pendant la Deuxième Guerre mondiale. La Suisse y contribue à raison de 59 % et l'Allemagne à raison de 30 %. Parmi les autres pays, seul le Liechtenstein se distingue nettement. Le nombre élevé pour l'Allemagne en 1940 s'explique par une tentative de sabotage des aérodromes suisses, dont la plupart des auteurs ont été arrêtés avant d'avoir pu mettre leurs plans à exécution. On peut voir qu'en matière judiciaire la Suisse n'a pas fait beaucoup de concessions à l'Allemagne. Nature des peines prononcées contre les 478 condamnés Commentaire: Les condamnations à mort représentent 7 % du total des peines prononcées contre des activités d'espionnage. 64 % des peines sont prononcées en 1943 ou en 1944. Condamnation selon l'art 86 CPM seulement Ce tableau montre que près de 10 % des personnes condamnées pour une infraction à l'article 86 CPM ont été condamnées à mort. Si l'on ne prend en compte que les personnes exécutées, au nombre de 17, cela représente 5 % du total des condamnations en vertu de cet article. Là encore, 64 % des peines sont prononcées en 1943 ou en 1944. Condamnations à mort par nationalité Commentaire: La Suisse et l'Allemagne représentent 87 % des cas ; bien que l'échantillon soit assez mince, ces chiffres correspondent à la tendance générale en matière d'espionnage et de trahison. A nouveau le Liechtenstein se distingue, alors que le cas du Français est un peu particulier et pourrait, sans beaucoup forcer, entrer dans le décompte des Allemands (voir l'introduction de ce travail, p. 3). V.3. Abréviations ACF Arrêté du Conseil fédéral AF Arrêté fédéral BS (CE/CN) Bulletin sténographique officiel de l'Assemblée fédérale. (Conseil des États / Conseil national) CPM Code pénal militaire CPS Code pénal suisse Cst Constitution fédérale de la Confédération suisse FF Feuille fédérale de la Confédération suisse LF Loi fédérale OJPPM Organisation judiciaire et procédure pénale pour l'armée fédérale PPM Procédure pénale militaire RO Recueil officiel des lois fédérales V.4. Bibliographie choisie AMSTEIN, André: Die Bestimmungen über den politischen und militärischen Narichtendienst nach schweizerischem Recht, Berne, 1949. CLERC, François Introduction à l'étude du Code pénal suisse. Partie générale, Lausanne, 1942. COMTESSE, Frédéric Henri: Der strafrechtliche Staatsschutz gegen hochverräterische Umbetriebe im schweizerischen Bundesrecht, Zurich, 1942. Conseil fédéral: Rapport du Conseil fédéral à l'Assemblée fédérale concernant l'activité antidémocratique exercée par des Suisses et des étrangers en relation avec la période de guerre de 1939 à 1945 ,FF, 28.12.45, 17.5.46 et 21.5.46. Conseil fédéral: Rapport du Conseil fédéral à l'Assemblée fédérale sur les poursuites engagées contre des Suisses nationaux-socialistes pour atteinte à l'indépendance de la Confédération, FF, 30.11.48. DOLLFUS, Roger: Bericht des Generaladjuddanten des Armee an der Oberbefehlshaber des Armee über den Aktivdienst 1939-1945. EUGSTER, Jakob: La peine de mort dans le droit pénal militaire suisse, in Revue de criminologie et de police technique, 1962, n° 4, pp. 293-299. FUHRER, Hans Rudolf: Spionage gegen die Schweiz. Die geheimen deutschen Narichtendienste gegen die Schweiz im Zweiten Weltkrieg, 1939-1945, Frauenfeld, 1982. GUISAN, Henri: Rapport du Général à l'Assemblée fédérale sur le service actif 1939-1945, Berne, 1946. GYSIN, Kurt: Todesstrafe und todeswürdige Verbrechen im schweizerischen Militärstrafrecht, Zurich, 1953. HODLER, Thomas: Verräterei nach schweizerischem Militarstrafrecht, Zurich, 1974. IMBERT, Jean: La peine de mort, Paris, 1993. JAUN, Rudolf: Das schweizerische Generalstabskorps 1875-1945, Bâle - Francfort, 1991. KAUER, Hans: Der strafrechtliche Staatsschutz der Schweizerischen Eidgenossenschaft (unter besonderer Berücksichtigung der legatorischen Entwicklung zwischen 1933/1945), Berne, 1948. KREIS, Georg (s.d.): La protection politique de l'État en Suisse. L'évolution de 1935 à 1990, Berne, 1993. LÜÖND, Karl: Spionage und Landesverrat in der Schweiz, 2 volumes, Zurich, 1977. MÄDER, Paul: Geschichtliches über Todes-Strafe in der Schweiz. (Unter besonderer Berücksichtung der Entwicklung im Kanton St. Gallen seit 1803 und im Bunde seit 1848), Uznach, 1934. MANUEL, André: Les pleins pouvoirs en droit public fédéral suisse, Lausanne, 1953. MEIENBERG, Nicolas: Reportages en Suisse. L'exécution du traître à la patrie Ernst S., Genève, 1977. MONESTIER, Martin: Peines de mort: histoire et techniques. Histoire et techniques des exécutions capitales des origines à nos jours, Paris, 1994. MÜLLER, Martin: Die Entwicklung der Bundespolizei und ihre heutige Organisation, Zurich, 1949. NOLL, Peter: Landesverräter. 17 Lebensläufe und Todesurteile. 1942-1944, Frauenfeld, 1980. SENN, Hans: Der schweizerische Generalstab. Band VII: Anfänge einer Dissuasionstrategie während des Zweiten Weltkrieges, Bâle-Francfort, 1995. Suisse: Bulletin sténographique de l'Assemblée fédérale. Conseil national et Conseil des Etats. Suisse: Feuille fédérale de la Confédération suisse. Suisse: Recueil officiel des lois et ordonnances de la Confédération suisse. Suisse: Sites Internet de l'administration fédérale SUTER, Stefan: Guillotine oder Zuchthaus ? Die Abschaffung der Todesstrafe in der Schweiz, Bâle, 1997. TRÜSSEL, Fritz: Das eidgenössiche Militärstrafrecht im Aktivdienst, in Revue pénale suisse, 1940, n° 54, pp. 237 à 258. TURNES, Flurin: Begnadigungsrecht und Begnadigungsverfahren bei Toddesstrafe im Militärstrafrecht, Berne, 1945. WALTHER, Albert: Die Todesstrafe im schweizerischen Militär-Strafrecht, Affoltern, 1934. WEBER, Ardo: Der militärische Landesverrat im schweizerischen Recht, Wädenswil, 1939. WELTI, Hans: Organisation und Bedeutung der Territorialgerichte, Zurich, 1942. WENGEN, M. C. à: Das System der strafbaren Handlungen und der Strafen im schweizerischen Militärstrafrecht, in Revue pénale suisse, 1941, n° 55, pp. 211-241. Page d'accueil
2840
https://fr.wikisource.org/wiki/La%20l%C3%A9gislation%20relative%20aux%20condamnations%20%C3%A0%20mort%20pendant%20la%20Deuxi%C3%A8me%20Guerre%20mondiale%20en%20Suisse/Notes
La législation relative aux condamnations à mort pendant la Deuxième Guerre mondiale en Suisse/Notes
Notes 10 20 30 40 50 60 70 1. Voir Annexes, V. 2. 2. Roger DOLLFUS : Bericht des Generaladjuddanten des Armee an der Oberbefehlshaber des Armee über den Aktivdienst 1939-1945, p. 257. 3. Le cas du Français est un peu particulier, car il est né Allemand, son père et sa mère étant Allemands, mais était Français au moment de son jugement. La grâce lui ayant été accordée par l'Assemblée fédérale, il a demandé, et obtenu, la nationalité allemande pendant sa détention en Suisse. 4. Ordonnance concernant les dispositions pénales pour l'état de guerre, 6 août 1914 (RO 30, p. 370). 5. Voir notamment Stefan SUTER : Guillotine oder Zuchthaus ? Die Abschaffung der Todesstrafe in der Schweiz, Bâle, 1997. 6. Voir Annexes, V. I. 1. 7. Voir Annexes, V. I. 2. 8. Article 64 de la Constitution de 1874. 9. Article 20 de la Constitution de 1874. 10. Op. cit. 11. Stefan SUTER : op. cit. 12. L'arrêté fédéral est accepté par 72 % des votants, mais cinq cantons et demi le refusent (Uri, Schwyz, Obwald, Nidwald, Fribourg, Appenzell Rhodes-Intérieures, Valais). 13. Accepté par les Chambres le 21 décembre 1937 et par le peuple le 3 juillet 1938, le CPS entre en vigueur le 1er janvier 1942 et le demeure jusqu'à aujourd'hui. 14. Par exemples au parlement : BS (CE), 1931, séance du 9 juin 1931. 15. Sur ce sujet, voir Albert WALTHER: Die Todesstrafe im schweizerischen Militär-Strafrecht, Affoltern, 1934. 16. Jakob EUGSTER : La peine de mort dans le droit pénal militaire suisse, in Revue de criminologie et de police technique, 1962, n° 4, pp. 296-297.Jakob EUGSTER cite longuement les articles du code qui règlent la procédure d'exécution (articles 434, 438. 439). 17. LF du 23 juin 1904 (RO 20, p. 121); Ordonnance concernant l'exécution de la peine d'emprisonnement sous le régime militaire, 29 février 1916 (RO 32, p. 65); Ordonnance modifiant, durant le présent service actif, certaines dispositions du code pénal militaire du 27 août 1851, 12 octobre 1915 (RO 31, p. 323); Arrêté du Conseil fédéral concernant le droit de grâce en matière militaire, 12 mai 1916 (RO 32, p. 185) 18. En 1980, la procédure pénale pour l'armée fédérale (OJPPM) est remplacée par la procédure pénale militaire (PPM). 19. Voir plus bas. 20. Article 210. 21. Voir Annexes, V. I. 5. 22. Voir plus bas. 23. Voir Annexes, V. I. 11. 24. Le 22 mars 1945, par 126 voix contre 80. 25. Message du Conseil fédéral à l'Assemblée fédérale concernant un projet de code pénal militaire suisse, 26 novembre 1918 (FF, 1918 V p. 349) ; le code pénal projeté figure à la suite du message, à la page 425 et suivantes. 26. Une certaine confusion peut naître du fait que le code parle du cas de service actif mais du temps de guerre. C'est que le service actif peut ne concerner qu'une partie de l'armée, alors que la guerre concerne le pays dans son entier. 27. Voir Annexes, V. I. 7. Dans le projet présenté par le Conseil fédéral en 1918, le temps de guerre n'est pas non plus défini, ce qui aurait pu mener à de nombreuses confusions. 28. Dans le code pénal militaire de 1851, c'est le contraire: la paix est une sorte de circonstance atténuante, car le code est avant tout destiné au temps de guerre. 29. Voir Annexes, V. I. 5. 30. Ce dispositif n'apparaît pas dans le projet du Conseil fédéral de 1918, mais le législateur a voulu poser sans confusion possible l'abolition de la peine de mort hors du temps de guerre. 31. Pour M.C. à WENGEN, l'article 86, alinéa 2, en temps de guerre, n'a pas de peine alternative et la sanction est donc toujours la peine de mort ; à notre avis, c'est une mauvaise interprétation du texte de l'article. Das System der strafbaren Handlungen und der Strafen im schweizerischen Militärstrafrecht, in Revue pénale suisse, 1941, n° 55, pp. 211 à 241. 32. Albert WALTHER : op. cit., p.77. 33. Voir Annexes, V. I. 6. 34. Frédéric Henri COMTESSE : Der strafrechtliche Staatschutz gegen hochverräterische Umtriebe im schweizerischen Bundesrecht, Zurich, 1942, p. 15. 35. AF tendant à garantir la sûreté de la Confédération, 21 juin 1935 (RO 51, p. 495). 36. LF réprimant les atteintes à l'indépendance de la Confédération (addition au code pénal fédéral du 4 février 1853), 8 octobre 1936 (RO 53, p. 37). 37. AF concernant les régions fortifiées, 18 mars 1937 (RO 53, p. 162) ; ACF interdisant dans l'armée la propagande contraire à l'ordre public, 4 décembre 1939 (RO 55, p. 1509) ; ACF concernant des mesures de sûreté dans les régions d'intérêt militaire, 8 juin 1940 (RO 56, p. 613). 38. LF adaptant au code pénal suisse le code pénal militaire et la loi sur l'organisation judiciaire et la procédure pénale pour l'armée fédérale, 13 juin 1941 (RO 57, p. 1301). 39. IIIe Rapport du Conseil fédéral à l'Assemblée fédérale sur les mesures prises par lui en vertu de ses pouvoirs extraordinaires, 19 novembre 1940 (FF 1940, p. 1226). 40. C'est l'avis de Kurt GYSIN : Todesstrafe und todeswürdige Verbrechen im schweizerischen Militärstrafrecht, Zurich, 1953, pp. 56-57 et p. 73 :"Wenn man bedenkt, dass der Gesetzgeber mit Ar. 27 MSTG ausdrücklich die Todesstrafe für die Aktivdienst ohne Kriegszeit ausschalten wollte, so bedeutet die Androhung im Aktivdienst 1940 nicht nur eine Anwendung der Todesstrafe über das geltende Gesetz hinaus, sondern eine Anwendung, welche im klaren Widerspruch zur Auffassung des Gesetzgebers erfolgte, und in dieser Beziehung somit eine dem ordentlichen Gesetz widersprechende Anwendung." 41. Pendant la Première Guerre mondiale, l'Assemblée fédérale avait donné les pleins pouvoirs au Conseil fédéral, alors que pendant la Seconde Guerre mondiale elle lui donne des pouvoirs extraordinaires. A part ça, la délégation de pouvoir est, par son étendue, similaire dans les deux cas. Sur les problèmes constitutionnels posés par les pouvoirs extraordinaires, voir MANUEL : Les pleins pouvoirs en droit public fédéral suisse, Lausanne, 1953. 42. Voir Annexes, V. I. 7. 43. C'est l'interprétation de l'adjudant général de l'armée, Roger DOLLFUS : Bericht des Generaladjudanten..., p. 247 : "Bei der Kriegsentwicklung im Früjahr 1940 mit der Überfall der neutralen Staaten Norwegen, Holland und Belgien und der raschen Annäherung des Krieges an unsere Grenzen war die Frage aufgetaucht, ob nicht im Sinne des Art. 5 MStG vorübergehend die auch bei schon blosser Kriegsgefahr zulässigen kriegsrechtlichen Bestimmungen des Militärstrafgesetzes in Kraft gesetzt werden sollten. Man hat aber wegen der Beunruhigung, die eine solche Massnahme hätte hervorrufen können und der Möglichkeit, dass sie auch im Auslande hätte falsch ausgelegt werden können, es vorgezogen, sich darauf zu beschränken einige Sondertatbestände zu schaffen und verschärfte Strafen einzuführen." 44. Dans l'état actuel de nos recherches, tout ce que l'on peut dire est que le Journal de Genève, en mai et juin 1940, ne mentionne à aucun moment cette ordonnance. 45. Georg KREIS (s.d.): La protection politique de l'Etat en Suisse. L'évolution de 1935 à 1990, Berne, 1993, p. 211. 46. Organisation judiciaire et procédure pénale pour l'armée fédérale, 28 juin 1889 (RO 11, p. 254). 47. Les socialistes ont lancé une initiative populaire intitulée "Suppression de la justice militaire", qui a été nettement refusée par le peuple le 30 janvier 1921. Voir les débats au Conseil national les 9 et 15 octobre 1924, notamment Johannes Huber (représentant de Saint-Gall, appartenant au Parti socialiste). 48. En ce qui concerne la compétence des tribunaux militaires, voir notamment Hans WELTI : Organisation und Bedeutung der Territorialgerichte, Zurich, 1942. 49. ACF concernant la compétence des tribunaux territoriaux, 29 août 1939 (RO 55, p. 762). 50. ACF concernant la compétence des tribunaux de division et des tribunaux territoriaux, 4 février 1938 (RO 54, p. 62). 51. Règlement de l'Assemblée fédérale (Chambres réunies), 9 novembre 1942 (RO 58, p. 1047) ; voir Annexes, V. I. 10, p. 30. 52. Voir Annexes, V. 1. 9. 53. Nicolas MEIENBERG : Reportages en Suisse. L'exécution du traître à la patrie Ernst S., Genève, 1976, pp. 15-16. 54. Martin MONESTIER: Peines de mort: histoire et techniques. Histoire et techniques des exécutions capitales des origines à nos jours, Paris, 1994. 55. Idem, pp. 238-240. Le livre de Karl LÜÖND (Spionage und Landesverrat in der Schweiz) comprend quelques documents très précis sur les deux premières exécutions suisses, ainsi que le témoignage d'un participant à ces exécutions. 56. BS (CE), 1926, 29 septembre 1926, p. 173. 57. Charles Naine (27 juin 1874 - 29 décembre 1926) : avocat à La-Chaux-de-Fonds, journaliste (rédacteur à la Sentinelle puis au Droit du Peuple) et chef du PS neuchâtelois. Antimilitariste convaincu, comme le prouve le fait qu'en 1903 il refuse de faire son service militaire, ce qui lui vaut quelques mois de prison. En 1914, Charles Naine refuse de voter les pleins pouvoirs au Conseil fédéral et se distancie ainsi de la majorité du Parti socialiste suisse. 58. Voir aussi Albert WALTHER, op. cit., p. 37 ; Stefan SUTER : op. cit., p. 60 et p. 74, relève aussi l'opposition des socialistes mais face à la peine de mort dans le code pénal ordinaire. 59. BS (CN), 1924, 9 octobre 1924, p. 599 et ss. 60. Johann Schmuki, démocrate-chrétien, représentant de Saint-Gall de décembre 1936 à juin 1957. 61. BS (CE), 1940, 9 décembre 1940. 62. BS (CN), 1940, 5 décembre 1940. 63. François CLERC : Introduction à l'étude du Code pénal suisse. Partie générale, Lausanne, 1942, p. 143 ( ?). 64. La première révision étant la Loi fédérale du 13 juin 1941 adaptant le CPM au CPS, voir plus haut. 65. Christian Merz, socialiste, représentant d'Appenzell Rhodes-Extérieures de septembre 1974 à novembre 1983. 66. BS (CN), 1978, 18 janvier 1978, pp. 115-117. 67. Massimo Pini, Conseiller national du Tessin de juin 1979 à décembre 1999, appartenant au Parti de la Liberté. 68. Hans Danioth, démocrate-chrétien, représentant d'Uri de novembre 1987 à décembre 1999. 69. Voir Annexes, V. I. 11. L'état de nécessité recouvre notamment ce qu'ailleurs on appelle la légitime défense. 70. A l'exception de la Grande-Bretagne; André MANUEL: op. cit., p. 29. Page d'accueil
2845
https://fr.wikisource.org/wiki/Le%20Principe%20anarchiste
Le Principe anarchiste
Principe anarchiste Principe anarchiste Principe anarchiste Essais Essais politiques Bon pour export Les Temps nouveaux
2848
https://fr.wikisource.org/wiki/La%20Commune%20de%20Paris
La Commune de Paris
Œuvres La Commune de Paris, poème d’Eugène Pottier La Commune de Paris, texte de Pierre Kropotkine Voir aussi La Commune de Paris au jour le jour, texte d’Élie Reclus La Commune de Paris et l’annexion de la banlieue, texte de Jules Le Berquier
2873
https://fr.wikisource.org/wiki/Les%20Logiciels%20libres%20en%20documentation/11
Les Logiciels libres en documentation/11
Abuledu AbulÉdu – http://www.abuledu.org [En ligne]. Bordeaux : AbulÉdu (Association bordelaise des utilisateurs de logiciels libres en éducation). [consulté le 12 avril 2004]. Disponible sur : http://abuledu.org/rubrique4.html ADAE. Guide de choix et d'usage des licences de logiciels libres pour les administrations [En ligne].Paris : ADAE (pour le développement de l’administration électronique), 2002. [Consulté le 14 février 2004]. Disponible sur http://www.adae.pm.gouv.fr/article.php3?id_article=172. ADELE Bruno. Je suis libre - - [En ligne]. Paris : 2000. [Consulté le 19 décembre 2003] Disponible sur http://www.jesuislibre.org. Allard, Philippe.Les Systèmes de gestion intégrée de bibliothèque, [En ligne]. [consulté le 11/ janvier 2004] Disponible sur http://wiki.crao.net/index.php.BiblioTicSystèmesDeGestionIntégréeDeBibliothèques AFUL. Pour une véritable politique de développement du logiciel libre dans l'éducation nationale, [En ligne]. Paris : Association francophone des utilisateurs de Linux et des logiciels libres. [Consulté le 12 décembre 2003] Disponible sur http://www.aful.org/presse/pr-20040114-men ADULLACT. Association des Développeurs et Utilisateurs de Logiciels Libres pour l'Administration et les Collectivités Territoriales [En ligne]. Paris : ADULLACT. [Consulté le 14 décembre 2003]. Disponible sur http://www.adullact.org/ AVANTI. Avanti [En ligne]. [Consulté le 31 mai 2004]. Avantilibrarysystems. Disponible sur http://home.earthlink.net/~schlumpf/avanti/index.html Bonnet Renaud. Nietzsche, version Open Source, [En ligne]. [Consulté le 25 février 2004] Disponible sur http://www.01net.com/article/125782.html Bordage, Frédéric. Quatre SGBDR open source pour Windows, Décision micro et réseaux, no 570, 17 novembre 2003, p 24-27 BREDA-NTIC UNESCO, [En ligne]. [Consulté le 02 juin 2004] Disponible sur http://www.dakar.unesco.org/ntci/multimedia/ressource.htm. CROCHET-DAMAIS, Antoine. Les multiples vies de l'intranet de la CNAM, [En ligne]. Paris : Journal du net, 2003. [Consulté le 25 février 2004] Disponible sur http://solutions.journaldunet.com/0310/031027_cnam.shtml. david_ccac, Logiciel documentaire, [En ligne]. Infogasy.net, 2004. [Consulté le 02 mai 2004] Disponible sur http://wiki.infogasy.net/doku.php?id=logicieldocumentaire. Davy, Philippe. Novell accélère sur la voie du libre,.01 Informatique, no 1763, 2 avril 2004, p 10 Logiciels libres de gestion de bibliothèques, Documentaliste Science de l’information, vol. 41, no 1 Drechsler, Michèle. Un dispositif de circonscription pour favoriser la mutualisation, Dossiers de l’ingéniérie éducative, mars 2004, no 46, p 60-61 Équilibres informéthiques. Équilibres informéthiques Équilibres informéthiques [En ligne]. [Consulté le 31 mai 2004]. Équilibres informéthiques : Lausanne, 2004. Disponible sur http://www.equilibres.ch/spip/index.php Framasoft. FRAMASOFT – Annuaire de logiciels libres [En ligne]. Framasoft [Consulté le 10 décembre 2003] Disponible sur http://www.framasoft.net/ GNU GNUTECA. GNU GNUTECA [En ligne]. GnuTeca. [Consulté le 30 décembre 2003] Disponible sur http://gnuteca.codigolivre.org.br. Guillemin, Christophe. Polémique autour d’un accord entre Microsoft et l’Éducation Nationale [En ligne]. Paris : CNET-France. [Consulté le 07 février 2004] Disponible sur http://www.zdnet.fr/actualites/business/0,39020715,39140224,00.htm. KOHA. Koha – Open Source Library System [En ligne]. [Consulté le 29 mai 2004] Disponible sur http://www.koha.org Kotadia, Mounir. Microsoft met plus de six mois pour corriger une « faille critique de Windows », [En ligne]. Paris : CNET-France, 2004. [Consulté le 24/02 /2004]. Disponible sur http://www.zdnet.fr/actualites/technologie/0,39020809,39141308,00.htm?feed Monteil, Michèle, Le militantisme du libre entrave l’innovation pédagogique, Dossiers de l’ingéniérie éducative, mars 2004, no 46, p 56-59 oss4lib. Oss4lib – home – Open Source Systems for Libraries. [En ligne]. SourceForge, 2001. [Consulté le 21 décembre 2003]. Disponible sur http://www.oss4lib.org Piot Jacques. Ah ! La version 2.0 de Koha n’est certainement pas la dernière, [En ligne]. Toulouse : CRDP, 2004. [Consulté le 25 février 2004] Disponible sur http://www.crdp-toulouse.fr/neteclair/article.php3?id_article=237. Le Quérouzec, Olivier. Microsoft coupable de négligences selon Gartner. [En ligne]. Paris : Yahoo! Actualités, 2004. [Consulté le 24 février 2004] Disponible sur http://fr.news.yahoo.com/040217/34/3nbt4.html. Roumieux, Olivier. Les logiciels libres même en bibliothèque, Archimag, Février 2002, p 40-42 Rycks. Rycks : le logiciel libre [En ligne]. Bordeaux : Rycks. [Consulté le 12 novembre 2004]. Disponible sur http://www.rycks.com/libre/. SLIS. LE PROJET SLIS – Page officielle [En ligne]. Échirolles : Académie de Grenoble, 1998. [consulté le 1er juin 2004]. Disponible sur : http://www.ac-grenoble.fr/carmi-internet/slis/ SourceForge. OpenBiblio :: a library system that’s free. [En ligne]. [Consulté le 12 janvier 2004]. Disponible sur http://obiblio.sourceforge.net Sutter, Eric. Études comparatives et benchmarks : incidences sur la fonction documentaire, Documentaliste-Sciences de l’information, 2000, vol. 37, no 2, p 110-117 Toolinux. News Toolinfo. [En ligne]. Paris : Toolinux. [Consulté le 14 janvier 2004] Disponible sur http://www.toolinux.com/lininfo/news/logiciels/index.htm UNESCO. United Nations Educational, Scientific and Cultural Orgnaization | UNESCO.ORG. [En ligne]. New-York : Unesco, [Consulté le 03 mars 2004] Disponible sur http://portal.unesco.org/ci/ev.php?URL_ID=12034&URL_DO=DO_TOPIC&URL_SECTION=201. Yahoo! Actualités, Sept failles de Windows encore en attente de correctifs chez Microsoft, [En ligne]. Paris : Yahoo! Actualités, 2004. [Consulté le 24 février 2004] Disponible sur http://fr.news.yahoo.com/040213/7/3n62r.html.
2917
https://fr.wikisource.org/wiki/Le%20Cas%20Wagner/trad.%20Albert
Le Cas Wagner/trad. Albert
Notes de bas de page Notes d’Henri Albert placées en fin de volume Pour ne point déparer l’aspect du texte nous avons renvoyé à cette place quelques notes relatives à la traduction : XIXe siècle Esthétique Littérature de langue allemande Philosophie Bon pour export
2927
https://fr.wikisource.org/wiki/La%20Chanson%20de%20Roland/Raoul%20Mortier
La Chanson de Roland/Raoul Mortier
Carles li reis, nostre emper[er]e magnes Set anz tuz pleins ad estet en Espaigne : Tresqu’en la mer cunquist la tere altaigne. N’i ad castel ki devant lui remaigne ; Mur ne citet n’i est remes a fraindre, Fors Sarraguce, ki est en une muntaigne. Li reis Marsilie la tient, ki Deu nen aimet ; Mahumet sert e Apollin recleimet : Nes poet guarder que mals ne l’i ateignet. AOI. Li reis Marsilie esteit en Sarraguce. Alez en est en un verger suz l’umbre ; Sur un perrun de marbre bloi se culchet, Envirun lui plus de vint milie humes. Il en apelet e ses dux e ses cuntes : « Oëz, seignurs, quel pecchet nus encumbret : Li emper[er]es Carles de France dulce En cest païs nos est venuz cunfundre. Jo nen ai ost qui bataille li dunne, Ne n’ai tel gent ki la sue derumpet. Cunseilez mei cume mi savie hume, Si m(e) guarisez e de mort et de hunte. » N’i ad paien ki un sul mot respundet, Fors Blancandrins de Castel de Valfunde. Blancandrins fut des plus saives paiens : De vasselage fut asez chevaler, Prozdom i out pur sun seignur aider ; E dist al rei : « Ore ne vus esmaiez ! Mandez Carlun a l’orguillus, (e) al fier, Fedeilz servises e mult granz amistez. Vos li durrez urs e leons e chens, Set cenz camelz e mil hosturs muers, D’or e d’argent.IIII.C. muls cargez, Cinquante carre, qu’en ferat carier : Ben en purrat luer ses soldeiers. En ceste tere ad asez osteiet ; En France, ad Ais, s’en deit ben repairer. Vos le sivrez a la feste seint Michel : Si recevrez la lei de chrestiens, Serez ses hom par honur e par ben. S’en volt ostages, e vos l’en enveiez, U dis u vint pur lui afiancer. Enveiu[n]s i les filz de noz muillers : Par nun d’ocire i enveierai le men. Asez est melz qu’il i perdent le chefs, Que nus perduns l’onur ne la deintet, Ne nus seiuns cunduiz a mendeier. » AOI. Dist Blancandrins : « Pa[r] ceste meie destre E par la barbe ki al piz me ventelet, L’ost des Franceis verrez sempres desfere. Francs s’en irunt en France la lur tere. Quant cascuns ert a sun meillor repaire, Carles serat ad Ais, a sa capele ; A seint Michel tendrat mult halte feste. Vendrat li jurz, si passerat li termes, N’orrat de nos paroles ne nuveles. Li reis est fiers e sis curages pesmes : De noz ostages ferat tre[n]cher les testes ; Asez est mielz, qu’il i perdent les testes, Que nus perduns clere Espaigne, la bele, Ne nus aiuns les mals ne les suffraites. » Dient paien : « Issi poet il ben estre ! » Li reis Marsilie out sun cunseill finet : Sin apelat Clarin (…) de Balaguet, Estamarin e Eudropin, sun per, E Priamun e Guarlan le barbet, E Machiner e sun uncle, Maheu, E Joüner e Malbien d’ultremer, E Blancandrins, por la raisun cunter. Des plus feluns dís en ad apelez : « Seignurs baruns, a Carlemagnes irez ; Il est al siege a Cordres la citet. Branches d’olives en voz mains porterez, Ço senefiet pais e humilitet. Par voz saveirs sem puez acorder, Jo vos durrai or e argent asez, Teres e fiéz tant cum vos en vuldrez. » Dient paien : « De ço avun nus asez ! » AOI. Li reis Marsilie out finet sun cunseill ; Dist a ses humes : « Seignurs, vos en ireiz ; Branches d’olive en voz mains portereiz, Si me direz a Carlemagne, le rei, Pur le soen Deu qu’il ait m(er)ercit de mei. Ja einz ne verrat passer cest premer meis, Que jel sivrai od mil de mes fedeilz, Si recevrai la chrestiene lei, [S]erai ses hom par amur e par feid ; S’il voelt ostages, il en avrat par veir. » Dist Blancandrins : « Mult bon plait en avreiz. » AOI. Dis blanches mules fist amener Marsilies, Que li tramist li reis de Suatilie ; Li frein sunt d’or, les seles d’argent mises. Cil sunt muntez ki le message firent, Enz en lur mains portent branches d’olive. Vindrent a Charles ki France ad en baillie : Nes poet guarder que alques ne l’engignent. AOI. Li empereres se fait e balz e liez, Cordres ad prise e les murs peceiez, Od ses cadables les turs en abatied. Mult grant eschech en unt si chevaler D’or e d argent e de guarnemenz chers. En la citet nen ad remes paien, Ne seit ocis, u devient chrestien. Li empereres est en un grant verger, Ensembl od lui Rollant et oliver Sansun li dux e anseis li fiers Gefreid d anjou le rei gunfanuner, E si i furent e gerin et gerers, La u cist furent, des altres i out bien : De dulce france i ad quinze milliers. Sur palies blancs siedent cil cevaler, As tables juent pur els esbaneier E as eschecs li plus saive e li veill, E escremissent cil bacheler leger. Desuz un pin delez un eglenter Un faldestoed i unt fait tut d or mer, La siet li reis, ki dulce france tient. Blanche ad la barbe e tut flurit le chef, Gent ad le cors e le cuntenant fier, S’est, kil demandet, ne l estoet enseigner. E li message descendirent a pied, Sil saluerent par amur e par bien. Blancandrins ad tut premereins parled, E dist al rei : « Salvez seiez de Deu Le glorius, que de[v]u[n]s aürer ! Iço vus mandet reis Marsilies, li bers : Enquis ad mult la lei de salvetez ; De sun aveir vos voelt asez duner, Urs e leuns e veltres enchaignez, Set cenz cameilz e mil hosturs muez, D’or e d’argent.IIII. cenz muls trussez, Cinquante care, que carier en ferez ; Tant i avrat de besanz esmerez Dunt bien purrez voz soldeiers luer. En cest païs avez estet asez ; En France, ad Ais, devez bien repairer ; La vos sivrat, ço dit mis avoez. » Li empereres tent (…) ses mains vers Deu, Baisset sun chef, si cumencet a penser. AOI. Li empereres en tint sun chef enclin ; De sa parole ne fut mie hastifs : Sa custume est qu’il parolet a leisír. Quant se redrecet, mult par out fier lu vis ; Dist as messages : « Vus avez mult ben dit. Li reis Marsilies est mult mis enemis. De cez paroles que vos avez ci dit, En quel mesure en purrai estre fiz ? » – « Voet par hostages, » ço dist li Sarrazins, « Dunt vos avrez ú dis ú quinze ú vint. Pa[r] num de ocire i metrai un mien filz, E sin avrez, ço quid, de plus gentilz. Quant vus serez el palais seignurill, A la grant feste seint Michel del Peril, Mis avoez la vos sivrat, ço dit ; Enz en voz bainz que Deus pur vos i fist, La vuldrat il chrestiens devenir. » Charles respunt : « Uncore purrat guarir. » AOI. Bels fut li vespres e li soleilz fut cler. Les dis mulez fait Char[l]es establer, El grant verger fait li reis tendre un tref, Les dis messages ad fait enz hosteler ; .XII. serjanz les unt ben cunreez. La noit demurent tresque vint al jur cler. Li empereres est par matin levet ; Messe e matines ad li reis escultet. Desuz un pin en est li reis alez, Ses baruns mandet pur sun cunseill finer : Par cels de France voelt il del tut errer. AOI. Li emper[er]es s’en vait desuz un pin. Ses baruns mandet pur sun cunseill fenir : Le duc Oger, (e) l’arcevesque Turpin, Richard li Vélz e sun nev[old] Henri, E de Gascuigne li proz quens Acelin Tedbald de Reins e Milun, sun cusin ; E si i furent e Gerers e Gerin ; Ensembl’ od els li quens Rollant i vint, E Oliver, li proz e li gentilz ; Des Francs de France en i ad plus de mil. Guenes i vint, ki la traïsun fist. Des ore cumencet le cunseill que mal prist. AOI. « Seignurs barons, » dist li emperere Carles, « Li reis Marsilie m’ad tramis ses messages ; De sun aveir me voelt duner grant masse, Urs e leuns e veltres caeignables, Set cenz cameilz e mil hosturs muables, Quatre cenz mulz cargez del ór d’Arabe, Avoec iço plus de cinquante care ; Mais il me mandet que en France m’en alge : Il me sivrat ad Aís, a mun estage, Si recevrat la nostre lei plus salve ; Chrestiens ert, de mei tendrat ses marches ; Mais jo ne sai quels en est sis curages. » Dient Franceis : « Il nus i cuvent guarde ! » AOI. Li empereres out sa raisun fenie. Li quens Rollant, ki ne l’otriet mie, En piez se drecet, si li vint cuntredire. Il dist al rei : « Ja mar crerez Marsilie. Set anz [ad] pleins, que en Espaigne venimes ; Jo vos cunquis e Noples e Commibles, Pris ai Valterne e la tere de Pine E Balasgued e Tuele e Sezilie. Li reis Marsilie i fist mult que traïtre : De ses pai[ens il vus] enveiat quinze, Cha(n)cuns portout une branche d’olive ; Nuncerent vos cez paroles meïsme. A vos Franceis un cunseill en presistes : Loerent vos alques de legerie. Dous de voz cuntes al paien tramesistes, L’un fut Basan e li altres Basilies ; Les chef en prist es puis desuz Haltilie. Faites la guer[re] cum vos l’avez enprise : En Sarraguce menez vostre ost banie, Metez le sege a tute vostre vie, Si vengez cels que li fels fist ocire ! » AOI. Li empe[re]re en tint sun chef enbrunc, Si duist sa barbe, afaitad sun gernun, Ne ben ne mal ne respunt sun nevuld. Franceis se taisent ne mais que Guenelun, En piez se drecet, si vint devant Carlun, Mult fierement cumencet sa raisun, E dist al rei : « Ja mar crerez bricun, Ne mei ne altre, se de vostre prod nun. Quant ço vos mandet li reis Marsiliun, Qu’il devendrat jointes ses mains tis hom, E tute Espaigne tendrat par vostre dun, Puis recevrat la lei que nus tenum, Ki ço vos lodet que cest plait degetuns, Ne li chalt, sire, de quel mort nus muriuns. Cunseill d orguill n’est dreiz que a plus munt, Laissun les fols, as sages nus tenuns. » AOI. Apres iço i est Neimes venud ; Meillor vassal n’aveit en la curt nul, E dist al rei : « Ben l’avez entendud, Guenes li quens ço vus ad respondud, Saveir i ad, mais qu’il seit entendud. Li reis Marsilie est de guere vencud : Vos li avez tuz ses castels toluz, Od voz caables avez fruiset ses murs, Ses citez arses e ses humes vencuz ; Quant il vos mandet, qu’aiez mercit de lui, Pecchet fereit, ki dunc li fesist plus, U par ostage vos (en) voelt faire soürs ; Ceste grant guerre ne deit munter a plus. » Dient Franceis : « Ben ad parlet li dux. » AOI. – « Seignurs baruns, qui i enveieruns En Sarraguce al rei Marsiliuns ? » Respunt dux Neimes : « Jo irai par vostre dun ! Livrez m’en ore le guant e le bastun. » Respunt li reis : « Vos estes saives hom ; Par ceste barbe e par cest men gernun, Vos n’irez pas uan de mei si luign. Alez sedeir, quant nuls ne vos sumunt. » – « Seignurs baruns, qui i purruns enveier Al Sarrazin ki Sarraguce tient ? » Respunt Rollant : « Jo i puis aler mult ben ! » – « Nu ferez certes ! » dist li quens Oliver ; « Vostre curages est mult pesmes e fiers ; Jo me crendreie, que vos vos meslisez. Se li reis voelt, jo i puis aler ben. » Respunt li reis : « Ambdui vos en taisez ! Ne vos ne il n’i porterez les piez. Par ceste barbe que veez [blancheier], Li duze per mar i serunt jugez ! » Franceis se taisent : as les vus aquisez. Turpins de Reins en est levet del renc, E dist al rei : « Laisez ester voz Francs ! En cest païs avez estet set anz ; Mult unt oüd e peines e ahans. Dunez m’en, sire, le bastun e le guant, E jo irai al Sarazin en Espaigne, Sin vois vedeir alques de sun semblant. » Li empereres respunt par maltalant : « Alez sedeir desur cel palie blanc ! N’en parlez mais, se jo nel vos cumant ! » AOI. – « Francs chevalers, » dist li emperere Carles, « Car m’eslisez un barun de ma marche, Qu’a Marsiliun me portast mun message. » Ço dist Rollant : « Ço ert Guenes, mis parastre. » Dient Franceis : « Car il le poet ben faire ; Se lui lessez, n’i trametrez plus saive. » E li quens Guenes en fut mult anguisables ; De sun col getet ses grandes pels de martre, E est remes en sun blialt de palie. Vairs out [les oilz] e mult fier lu visage, Gent out le cors e les costez out larges ; Tant par fut bels tuit si per l’en esguardent. Dist a Rollant : « Tut fol, pur quei t’esrages ? Ço set hom ben que jo sui tis parastres ; Si as juget qu’a Marsiliun en alge ! Se Deus ço dunet que jo de la repaire, Jo t’en muvra[i] un si grant contr[a]ire Ki durerat a trestut tun edage. » Respunt Rollant : « Orgoill ói e folage. Ço set hom ben, n’ai cure de manace ; Mai[s] saives hom, il deit faire message : Si li reis voelt, prez sui por vus le face. » Guenes respunt : « Pur mei n’iras tu mie ! AOI. Tu n’ies mes hom ne jo ne sui tis sire. Carles comandet que face sun servise : En Sarraguce en irai a Marsilie ; Einz i f[e]rai un poi de [le]gerie, Que jo n’esclair ceste meie grant ire. » Quant l’ot Rollant, si cumençat a rire. AOI. Quant ço veit Guenes que ore s’en rit Rollant, Dunc ad tel doel pur poi d’ire ne fent, A ben petit que il ne pert le sens ; E dit al cunte : « Jo ne vus aim nient ; Sur mei avez turnet fals jugement. Dreiz emperere, veiz me ci en present, Ademplir voeill vostre comandement. » « En Sarraguce sai ben, [qu’]aler m’estoet. AOI. Hom ki la vait, repairer ne s’en poet. Ensurquetut si ai jo vostre soer, Sin ai un filz, ja plus bels n’en estoet : Ço est Baldewin, » ço dit, « ki ert prozdoem. A lui lais jo mes honurs e mes fieus. Gua[r]dez le ben, ja nel verrai des oilz. » Carles respunt : « trop avez tendre coer. Puisquel comant, aler vus en estoet. » Ço dist li reis : « Guenes venez avant. AOI. Si recevez le bastun e lu guant. Oït l’avez, sur vos le jugent Franc. » – « Sire, » dist Guenes, « ço ad tut fait Rollant ! Ne l’amerai a trestut mun vivant, Ne Oliver, por ço qu’il est si cumpainz ; Li duze per, por [ço] qu’il l’aiment tant, Desfi les ci, sire, vostre veiant. » Ço dist li reis : « Trop avez maltalant. Or irez vos certes, quant jol cumant. » – « Jo i puis aler, mais n’i avrai guarant : AOI. Nu l’out Basilies ne sis freres Basant. » Li empereres li tent sun guant le destre ; Mais li quens Guenes iloec ne volsist estre : Quant le dut prendre, si li caït a tere. Dient Franceis : « Deus ! que purrat ço estre ? De cest message nos avendrat grant perte. » – « Seignurs » dist Guenes, « vos en orrez noveles ! » – « Sire, » dist Guenes, « dunez mei le cungied ; Quant aler dei, n’i ai plus que targer. » Ço dist li reis : « Al Jhesu e al mien ! » De sa main destre l’ad asols e seignet, Puis li livrat le bastun e le bref. Guenes li quens s’en vait a sun ostel, De guarnemenz se prent a cunreer, De ses meillors que il pout recuvrer : Esperuns d’or ad en ses piez fermez, Ceint Murglies, s’espee, a sun costed ; En Tachebrun, sun destrer est munted ; L’estreu li tint sun uncle Guinemer. La veïsez tant chevaler plorer, Ki tuit li dient « Tant mare fustes, ber ! En (la) cort al rei mult i avez ested, Noble vassal vos i solt hom clamer. Ki ço jugat, que doüsez aler Par Charlemagne n’er(cs) guariz ne tensez. Li quens Rollant nel se doüst penser, Que estrait estes de mult grant parented. » Enpres li dient : « Sire, car nos menez ! » Ço respunt Guenes : « Ne placet Damnedeu ! Mielz est que sul moerge que tant bon chevaler. En dulce France, seignurs, vos en irez : De meie part ma muiller saluez, E Pinabel, mun ami e mun per, E Baldewin, mun filz que vos savez, E lui aidez e pur seignur le tenez. » Entret en sa veie, si s’est achiminez. AOI. Guenes chevalchet suz une olive halte, Asemblet s’est as sarrazins messag[es]. Mais Blancandrins ki envers lu s’atarget ; Par grant saveir parolet li uns a l’altre. Dist Blancandrins : « Merveilus hom est Charles, Ki cunquist Puille e trestute Calabre ; Vers Engletere passat il la mer salse, Ad oes seint Perre en cunquist le chevage : Que nus requert ça en la nostre marche ? » Guenes respunt : « Itels est sis curages, Jamais n’ert hume ki encuntre lui vaille. » AOI. Dist Blancandrins : « Francs sunt mult gentilz home ; Mult grant mal funt e [cil] duc e cil cunte A lur seignur, ki tel cunseill li dunent : Lui e altrui travaillent, e cunfundent. » Guenes respunt : « Jo ne sai veirs nul hume, Ne mes Rollant, ki uncore en avrat hunte. Er matin sedeit li emperere suz l’umbre ; Vint i ses nies, out vestue sa brunie, E out predet dejuste Carcasonie ; En sa main tint une vermeille pume : « Tenez bel sire, » dist Rollant a sun uncle, « De trestuz reis vos present les curunes. » Li soens orgoilz le devreit ben cunfundre, Kar chascun jur de mort [il] s’abandunet. Seit, ki l’ociet, tute pais puis avriúmes. » AOI. Dist Blancandrins : « Mult est pesmes Rollant, Ki tute gent voelt faire recreant, E tutes teres met en chalengement ! Par quele gent quiet il espleiter tant ? » Guenes respunt : « Par la franceise gent. Il l’a[i]ment tant ne li faldrunt nient ; Or e argent lur met tant en present, Muls e destrers, e palies e guarnemenz ; L’emperere meïsmes ad tut a sun talent. Cunquerrat li les teres d’ici qu’en Orient. » AOI. Tant chevalcherent Guenes e Blancandrins, Que l’un a l’altre la sue feit plevit, Que il querreient, que Rollant fust ocis. Tant chevalcherent e veies e chemins, Que en Sarraguce descendent suz un if. Un faldestoet out suz l’umbre d’un pin ; Esvolupet fut d’un palie alexandrin : La fut li reis ki tute Espaigne tint ; Tut entur lui vint milie Sarrazins. N’i ad celoi ki mot sunt ne mot tint, Pur les nuveles qu’il vuldreient oïr. Atant as vos Guenes e Blanchandrins. Blancandrins vint devant l’empereür ; Par le puig[n] tint le cunte Guenelun, E dist al rei : « Salvez seiez de Mahun E d’Apollin, qui seintes leis tenuns ! Vostre message fesime[s] a Charlun. Ambes ses mains en levat cuntre munt, Loat sun Deu, ne fist altre respuns. Ci vos enveiet un sun noble barun, Ki est de France, si est mult riches hom : Par lui orrez si avrez pais u nun. » Respunt Marsilie : « Or diet, nus l’orrum ! » AOI. Mais li quens Guenes se fut ben purpenset. Par grant saver cumencet a parler Cume celui ki ben faire le set, E dist al rei : « Salvez seiez de Deu Li Glorius, qui devum aürer ! Iço vus mandet Carlemagnes, li ber, Que recevez seinte chrestientet ; Demi Espaigne vos voelt en fiu duner. Se cest acorde ne vulez otrier, Pris e liez serez par poested ; Al siege ad Ais en serez amenet, Par jugement serez iloec finet ; La murrez vus a hunte e a viltet. » Li reis Marsilies en fut mult esfreed. Un algier tint, ki d’or fut enpenet, Ferir l’en volt, se n’en fust desturnet. AOI. Li reis Marsilies ad la culur muee ; De sun algeir ad la hanste crollee. Quant le vit Guenes, mist la main a l’espee, Cuntre dous deie l’ad del furrer getee, Si li ad dit : « Mult estes bele e clere ! Tant vus avrai en curt a rei portee ! Ja nel dirat de France li emperere, Que suls i moerge en l’estrange cuntree, Einz vos avrunt li meillor comperee. » Dient paien : « Desfaimes la mellee ! » Tuit li preierent li meillor Sarrazin, Qu’el faldestoed s’es[t] Marsilies asis. Dist l’algalifes : « Mal nos avez baillit, Que li Franceis asmastes a ferir ; Vos le doüssez esculter e oïr. » – « Sire, » dist Guenes, « mei l’avent a suffrir ; Jo ne lerreie, por l’or que Deus fist Ne por tut l’aveir, ki seit en cest païs, Que jo ne li die, se tant ai de leisir, Que Charles li mandet, li reis poesteïfs, Par mei li mandet, sun mortel enemi. » Afublez est d’un mantel sabelin, Ki fut cuvert d’une palie alexandrin. Getet le a tere, sil receit Blancandrin ; Mais de s’espee ne volt mie guerpir ; En sun puign destre par l’orie punt la tint. Dient paien : « Noble baron ad ci ! » AOI. Envers le rei s’est Guenes aproismet, Si li ad dit : « À tort vos curuciez, Quar ço vos mandet Carles, ki France tient, Que recevez la lei de chrestiens ; Demi Espaigne vus durat il en fiet. L’altre meitet avrat Rollant, sis nies : Mulz orguillos parçuner i avrez ! Si ceste acorde ne volez otrier, En Sarraguce vus vendrat aseger ; Par poestet serez pris e liez ; Menet serez... [tut] dreit ad Ais le siet : Vus n’i avrez palefreid ne destrer, Ne mul ne mule que puissez chevalcher ; Getet serez sur un malvais sumer. Par jugement iloec perdrez le chef. Nostre emperere vus enveiet cest bref. » El destre poign al paien l’ad liv(e)ret. Marsilies fut esculurez de l’ire ; Freint le seel, getet en ad la cire, Guardet al bref, vit la raisun escrite : « Carle me mandet, ki France ad en baillie, Que me remembre de la dolur e (de) l’ire, Ço est de Basan e de sun frere Basilie, Dunt pris les chefs as puis de Haltoíe ; Se de mun cors voeil aquiter la vie, Dunc li envei mun uncle, l’algalife ; Altrement ne m’amerat il mie. » Apres parlat ses filz envers Marsilies, E dist al rei : « Guenes ad dit folie ; Tant ad erret nen est dreiz que plus vivet. Livrez le mei, jo en ferai la justise. » Quant l’oït Guenes, l’espee en ad branlie ; Vait s’apuier suz le pin a la tige. Enz el verger s’en est alez li reis, Ses meillors humes enmeinet ensembl’od sei : E Blancandrins i vint, al canud peil, E Jurfaret, ki est ses filz e ses heirs, E l’algalifes, sun uncle e sis fedeilz. Dist Blancandrins : « Apelez le Franceis, De nostre prod m’ad plevie sa feid. » Ço dist li reis : « E vos l’i ameneiz. » E Guenes (l’)ad pris par la main destre ad deiz, Enz el verger l’en meinet josqu’al rei. La purparolent la traïson seinz dreit. AOI. « Bel sire Guenes, » ço li ad dit Marsilie, « Jo vos ai fait alques de legerie, Quant por ferir vus demustrai grant ire. Guaz vos en dreit par cez pels sabelines ; Melz en valt l’or que ne funt cinc cenz livres : Einz demain noit en iert bele l’amendise. » Guenes respunt : « Jo nel desotrei mie. Deus se lui plaist, a bien le vos mercie ! » AOI. Ço dist Marsilies : « Guenes par veir sacez, En talant ai que mult vos voeill amer, De Carlemagne vos voeill oïr parler. Il est mult vielz, si ad sun tens uset ; Men escient dous cenz anz ad passet. Par tantes teres ad sun cors demened, Tanz [colps] ad pris sur sun escut bucler, Tanz riches reis cunduit a mendisted : Quant ert il mais recreanz d’osteier ? » Guenes respunt : « Carles n’est mie tels. N’est hom kil veit e conuistre le set Que ço ne diet que l’emperere est ber. Tant nel vos sai ne preiser ne loer Que plus n’i ad d’onur e de bontet. Sa grant valor, kil purreit acunter ? De tel barnage l’ad Deus enluminet, Meilz voelt murir que guerpir sun barnet. » Dist li paiens : « Mult me puis merveiller De Carlemagne, ki est canuz e vielz ! Men escientre dous cenz anz ad e mielz. Par tantes teres ad sun cors traveillet, Tanz colz ad pris de lances e d’espiet, Tanz riches reis cunduiz a mendistiet : Quant ert il mais recreanz d’osteier ? » – « Ço n’iert, » dist Guenes : « tant cum vivet sis niés : N’at tel vassal suz la cape del ciel. Mult par est proz sis cumpainz Oliver. Les.XII. pers, que Carles ad tant chers, Funt les enguardes a.XX. milie chevalers. Soürs est Carles, que nuls home ne crent. » AOI. Dist li Sarrazins : « Merveille en ai grant De Carlemagne, ki est canuz e blancs ! Mien escientre plus ad de.II.C. anz. Par tantes teres est alet cunquerant, Tanz colps ad pris de bons espiez trenchanz, Tanz riches reis morz e vencuz en champ : Quant ier il mais d’osteier recreant ? » – « Ço n’iert, » dist Guenes, « tant cum vivet Rollant : N’ad tel vassal d’ici qu en Orient. Mult par est proz Oliver, sis cumpainz ; Li.XII. per, que Carles aimet tant, Funt les enguardes a.XX. milie de Francs, Soürs est Carlles, ne (cre) crent hume vivant. » AOI. – « Bel sire Guenes » dist marsilies li reis, « Jo ai tel gent, plus bele ne verreiz ; Quarte cenz milie chevalers puis aveir. Puis m’en cumbatre a Carlles e a Franceis ? » Guenes respunt : « Ne vus a ceste feiz ! De voz paiens mult grant perte i avreiz. Lessez (la) folie, tenez vos al saveir. L’empereür tant li dunez aveir, N’i ait Franceis ki tot ne s’en merveilt. Par.XX. hostages que li enveiereiz En dulce France s’en repairerat li reis ; Sa rereguarde lerrat derere sei : Iert i sis nies, li quens Rollant, (…) ço crei, E Oliver, li proz e li curteis. Mort sunt li cunte, se est ki mei en creit. Carlles verrat sun grant orguill cadeir ; N’avrat talent, que ja mais vus guerreit. » AOI. – « Bel sire Guenes,[ » ço dist li reis Marsilies,] « Cum faitement purrai Rollant ocire ? » Guenes respont : « Ço vos sai jo ben dire. Li reis serat as meillors porz de Sizer ; Sa rereguarde avrat detres sei mise ; Iert i sis nies, li quens Rollant, li riches, E Oliver, en qui il tant se fiet ; .XX. milie Francs unt en lur cumpaignie. De voz paiens lur enveiez.C. milie : Une bataille lur i rendent cil primes ; La gent de France iert blecee e blesmie ; Nel di por ço, des voz iert la martirie. Altre bataille lur livrez de meïsme : De quel que seit Rollant n’estuertrat mie. Dunc avrez faite gente chevalerie ; N’avrez mais guere en tute vostre vie. » AOI. – « Chi purreit faire, que Rollant i fust mort, Dunc perdreit Carles le destre braz del cors, Si remeindreient les merveilluses óz ; N’asemblereit jamais Carles si grant esforz ; Tere Major remeindreit en repos. » Quan l’ot Marsilie, si l’ad baiset el col, Puis si cumencet a venir ses tresors. AOI. Ço dist Marsilies : « Qu’en parlereient il plus ? Cunseill n’est proz dunt hume n’est sevus. La traïsun me jurrez de Rollant si illi est. » Ço respunt Guenes : « Issi seit cum vos plaist ! » Sur les reliques de s’espee Murgleis, La traïsun jurat, e si s’en est forsfait. AOI. Un faldestoed i out d’un olifant ; Marsilies fait porter un livre avant : La lei i fut Mahum e Tervagan. Ço ad juret li Sarrazins espans : Se en rereguarde troevet le cors Rollant, Cumbatrat sei a trestute sa gent, E, se il poet, murrat i veirement. Guenes respunt : « Ben seit vostre comant ! » AOI. A tant i vint uns paiens, Valdabruns : Icil en vait al rei Marsiliun ; Cler en riant l’ad dit a Guenelun : « Tenez m’espee, meillur n’en at nuls hom ; Entre les helz ad plus de mil manguns. Par amistiez, bel sire, la vos duins, Que (v)[n]os aidez de Rollant le barun, Qu’en rereguarde trover le poüsum. » – « Ben serat fait, » li quens Guenes respunt. Puis se baiserent es vis e es mentuns. Apres i vint un paien, Climorins. Cler en riant a Guenelun l’ad dit : « Tenez mun helme, unches meillor ne vi. Si nos aidez de Rollant li marchis, Par quel mesure le poüssum hunir. » – « Ben serat fait, » Guenes respundit. Puis se baiserent es buches e es vis. AOI. A tant i vint la reine Bramimunde. « Jo vos aim mult, sire, » dist ele al cunte, « Car mult vos priset mi sire e tuit si hume. A vostre femme enveierai dous nusches ; Bien i ad or, matices e jacunces : Eles valent mielz que tut l’aveir de Rume, Vostre emperere si bones n’en out unches. » Il les ad prises, en sa hoese les butet, AOI. Li reis apelet Malduit sun tresorer : « L’aveir Carlun est il apareillez ? » E cil respunt : « Oïl, sire, asez bien : .VII.C. cameilz, d’or e argent cargiez, E.XX. hostages, des plus gentilz desuz cel. » AOI. Marsilies tint Guen[elun] par l’espalle ; Si li ad dit : « Mult par ies ber e sage. Par cele lei que vos tenez plus salve, Guardez de nos ne turnez le curage. De mun aveir vos voeill dunner grant masse : .X. muls cargez del plus fin or d’Arabe ; Jamais n’iert an, altretel ne vos face. Tenez les clefs de ceste citet large, Le grant aveir en presentez al rei Carles, Pois me jugez Rollant a rereguarde. Sel pois trover a port ne a passage, Liverrai lui une mortel bataille. » Guenes respunt : « Mei est vis que trop targe ! » Pois est munted, entret en sun veiage. AOI. Li empereres aproismet sun repaire. Venuz en est a la citet de Galne. Li quens Rollant il l’ad e prise e fraite ; Puis icel jur en fut cent anz deserte. De Guenelun atent li reis nuveles, E le treüd d’Espaigne, la grant tere. Par main en l’albe, si cum li jurz esclairet, Guenes li quens est venuz as herberges. AOI. Li empereres est par matin levet ; Messe e matines ad li reis escultet. Sur l’erbe verte estut devant sun tref. Rollant i fut e Oliver li ber, Neimes li dux e des altres asez. Guenes i vint, li fels, li parjurez. Par grant veisdie cumencet a parler, E dist al rei : « Salvez seiez de Deu ! De Sarraguce ci vos aport les clefs ; Mult grant aveir vos en faz amener, E.XX. hostages ; faites les ben guarder ! E si vos mandet reis Marsilies li ber, De l’algalifes nel devez pas blasmer, Kar a mes oilz vi.IIII.C. milie armez, Halbers vestuz, alquanz healmes fermez, Ceintes espees as punz d’or neielez, Ki l’en cunduistrent tresqu’en la mer : De Marcilie s’en fuient por la chrestientet, Que il ne voelent ne tenir ne guarder. Einz qu’il oüssent.IIII. liues siglet, Sis aquillit e tempeste e ored : La sunt neiez, jamais nes en verrez ; Se il fust vif, jo l’oüsse amenet. Del rei paien, sire, par veir creez, Ja ne verrez cest premer meis passet Qu’il vos sivrat en France le regnet, Si recevrat la lei que vos tenez, Jointes ses mains iert vostre comandet ; De vos tendrat Espaigne le regnet. » Ço dist li reis : « Graciet en seit Deus ! Ben l’avez fait, mult grant prod i avrez. » Par mi cel ost funt mil grailles suner ; Franc desherbergent, funt lur sumers trosser : Vers dulce France tuit sunt achiminez. AOI. Carles li magnes ad Espaigne guastede Les castels pris, (...) les citez violees. Ço dit li reis que sa guere out finee. Vers dulce France chevalchet l’emperere. Li quens Rollant ad l’enseigne fermee En sur un tertre cuntre le ciel levee. Franc se herbergent par tute la cuntree. Paien chevalchent par cez greignurs valees, Halbercs vestuz e tres bien fermeez Healmes lacez e ceintes lur espees, Escuz as cols e lances adubees. En un bruill par sum les puis remestrent, .IIII.C. milie atendent l’ajurnee. Deus ! quel dulur que li Franceis nel sevent ! AOI. Tresvait le jur, la noit est aserie. Carles se dort, li empereres riches. Sunjat qu’il eret al greignurs porz de Sizer, Entre ses poinz teneit sa hanste fraisnine. Guenes li quens l’ad sur lui saisie ; Par tel air l’at estrussee e brandie, Qu’envers le cel en volent les escicles. Carles se dort, qu’il ne s’esveillet mie. Apres iceste altre avisiun sunjat : Qu’il en France ert, a sa capele, ad Ais, El destre braz li morst uns vers si mals. Devers Ardene vit venir uns leuparz, Sun cors demenie mult fierement asalt. D’enz de la sale uns veltres avalat, Que vint a Carles le galops e les salz, La destre oreille al premer uer trenchat, Ireement se cumbat al lepart. Dient Franceis, que grant bataille i ad ; Il ne sevent, liquels d’els la veintrat. Carles se dort, mie ne s’esveillat. AOI. Tresvait la noit, e apert la clere albe. Par mi cel host suvent e menu reguarded :. Li empereres mult fierement chevalchet. « Seignurs barons, » dist li emperere Carles, « Veez les porz e les destreiz passages : Kar me jugez, ki ert en la rereguarde. » Guenes respunt : « Rollant cist miens fillastre : N’avez baron de si grant vasselage. » Quant l’ot li reis, fierement le reguardet, Si li ad dit : « Vos estes vifs diables. El cors vos est entree mortel rage. E ki serat devant mei en l’ansguarde ? » Guenes respunt : « Oger de Denemarche : N’avez barun, ki mielz de lui la facet. » Li quens Rollant quant il s’oït juger, AOI. Dunc ad parled a lei de chevaler : « Sire parastre, mult vos dei aveir cher : La rereguarde avez sur mei jugiet. N’i perdrat Carles, li reis ki France tient, Men escientre palefreid ne destrer, Ne mul ne mule que deiet chevalcher, Ne n’i perdrat ne runcin ne sumer, Que as espees ne seit einz eslegiet. » Guenes respunt : « Veir dites, jol sai bien. » AOI. Quant ot Rollant, qu’il ert en la rereguarde, Ireement parlat a sun parastre : « Ahi ! culvert, malvais hom de put aire, Qui[d]ás, le guant me caïst en la place, Cume fist a tei le bastun devant Carle ? » AOI. – « Dreiz emperere, » dist Rollant le barun, « Dunez mei l’arc, que vos tenez el poign. Men escientre nel me reproverunt Que il me chedet, cum fist a Guenelun De sa main destre, quant reçut le bastun. » Li empereres en tint sun chef enbrunc, Si duist sa barbe, e detoerst sun gernun ; Ne poet muer que des oilz ne plurt. Anpres iço i est Neimes venud : Meillor vassal n’out en la curt de lui ; E dist al rei : « Ben l’avez entendut ; Li quens Rollant, il est mult irascut. La rereguarde est jugee (…) sur lui : N’avez baron ki jamais la remut. Dunez li l’arc que vos avez tendut, Si li truvez ki tres bien li aiut ! » Li reis li dunet, e Rollant l’a reçut. Li empereres apelet ses nies Rollant : « Bel sire nies, or savez veirement, Demi mun host vos lerrai en present. Retenez les, ço est vostre salvement. » Ço dit li quens : « Jo n’en ferai nient ; Deus me cunfunde, se la geste en desment ! .XX. milie Francs retendrai ben vaillanz. Passez les porz trestut soürement : Ja mar crendrez nul hume a mun vivant ! » Li quens Rollant est muntet el destrer. AOI. Cuntre lui vient sis cumpainz Oliver ; Vint i Gerins e li proz quens Gerers, E vint i Otes, si i vint Berengers, E vint i Astors e Anseïs li veillz ; Vint i Gerart de Rossillon li fiers ; Venuz i est li riches dux Gaifiers. Dist l’arcevesque : « Jo irai, par mun chef ! » – « E jo od vos, » ço dist li quens Gualters ; « Hom sui Rollant, jo ne li dei faillir. » Entr’e[l]s eslisent.XX. milie chevalers. AOI. Li quens Rollant Gualter de l’Húm apelet : « Pernez mil Francs de France, nostre tere, Si purpernez les deserz e les tertres, Que l’emperere nis un des soens n’i perdet. » AOI. Respunt gualter : « Pur vos le dei ben faire. » Od mil Franceis de France, la lur tere, Gualter desrenget les destreiz e les tertres, N’en descendrat pur malvaises nuveles, Enceis qu’en seient. VII.C. espees traites. Reis Almaris, del regne de Belferne Une bataille lur livrat le jur pesme. Halt sunt li pui e li val tenebrus, Les roches bises, les destreiz merveillus. Le jur passerent Franceis a grant dulur ; De.XV. lius en ot hom la rimur. Puis que il venent a la Tere Majur, Virent Guascuigne, la tere lur seignur. Dunc le remembret des fius e des honurs, E des pulcele e des gentilz oixurs : Cel nen i ad ki de pitet ne plurt. Sur tuz les altres est Carles anguissus : As porz d’Espaigne ad lesset sun nevold. Pitet l’en prent, ne poet muer n’en plurt. AOI. Li.XII. per sunt remes en Espaigne. .XX. milie F(r)rancs unt en lur cumpaigne, N’en unt poür ne de murir dutance. Li emperere s’en repairet en France ; Suz sun mantel en fait la cuntenance. Dejuste lui li dux Neimes chevalchet E dit al rei : « De quei avez pesance ? » Carles respunt : « Tort fait kil me demandet ! Si grant doel ai ne puis muer nel pleigne. Par Guenelun serat destruite France, Enoit m’avint un avisiun d’angele, Que entre mes puinz me depeçout ma hanste, Chi ad juget mis nes a (la) rereguarde. Jo l’ai lesset en une estrange marche ! Deus ! se jol pert, ja n’en avrai escange ! » AOI. Carles li magnes ne poet muer n’en plurt. .C. milie Francs pur lui unt grant tendrur, E de Rollant merveilluse poür. Guen[e]s li fels en ad fait traïsun : Del rei paien en ad oüd granz duns, Or e argent, palies e ciclatuns, Muls e chevals e cameilz e leuns. Marsilies mandet d’Espaigne les baruns, Cuntes, vezcuntes e dux e almaçurs, Les amirafles e les filz as cunturs : .IIII.C. milie en ajustet en.III. jurz. En Sarraguce fait suner ses taburs ; Mahumet levent en la plus halte tur. N’i ad paien nel prit e nel aort. Puis si chevalchent, par mult grant cuntençun, La Tere Certeine e les vals e les munz : De cels de France virent les gunfanuns. La rereguarde des.XII. cumpaignuns Ne lesserat bataille ne lur dunt. Li nies Marsilie, il est venuz avant, Sur un mulet od un bastun tuchant. Dist a sun uncle belement en riant : « Bel sire reis, jo vos ai servit tant, Sin ai oüt e peines e ahans, Faites batailles e vencues en champ ! Dunez m’un feu, ço est le colp de Rollant ; Jo l’ocirai a mun espiet trenchant. Se Mahumet me voelt estre guarant, De tute Espaigne aquiterai les pans Des porz d’Espaigne entresqu’a Durestant. Las serat Carles, si recrerrunt si Franc ; Ja n’avrez mais guere en tut vostre vivant. » Li reis Marsilie l’en ad dunet le guant. AOI. Li nies Marsilies tient le guant en sun poign, Sun uncle apelet de mult fiere raisun : « Bel sire reis, fait m’avez un grant dun. Eslisez mei.XII. de voz baruns, Sim cumbatrai as.XII. cumpaignuns. » Tut premerein l’en respunt Falsaron, Icil ert frere al rei Marsiliun : « Bel sires nies, e jo e vos [í]irum. Ceste bataille veirement la ferum : La rereguarde de la grant host Carlun, Il est juget que nus les ocirum. » AOI. Reis Corsalis, il est de l’altre part : Barbarins est e mult de males arz. Cil ad parlet a lei de bon vassal : Pur tut l’or Deu ne volt estre cuard […] As vos poignant Malprimis de Brigant : Plus curt a piet que ne fait un cheval. Devant Marsilie cil s’escriet mult halt : « Jo cunduirai mun cors en Rencesvals ; Se truis Rollant, ne lerrai que nel mat ! » Uns amurafles i ad de Balaguez : Cors ad mult gent e le vis fier e cler ; Puis que il est sur un cheval muntet, Mult se fait fiers de ses armes porter ; De vasselage est il ben alosez ; Fust chrestiens, asez oüst barnet. Devant Marsilie cil en est escriet : « En Rencesvals irai mun cors juer ! Se truis Rollant, de mort serat finet, E Oliver e tuz les.XII. pers. Franceis murrunt a doel e a viltiet. Carles li magnes velz est e redotez : Recreanz ert de sa guerre mener, Si nus remeindrat Espaigne en quitedet. » Li reis Marsilie mult l’en ad merciet. AOI. Uns almaçurs i ad de Moriane ; N’ad plus felun en la tere d’Espaigne. Devant Marsilie ad faite sa vantance : « En Rencesvals guierai ma cumpaigne, .XX. milie ad escuz e a lances. Se trois Rollant, de mort li duins fiance. Jamais n’ert jor que Carles ne se pleignet. » AOI. D’altre part est Turgis de Turteluse : Cil est uns quens, si est la citet sue. De chrestiens voelt faire male vode. Devant Marsilie as altres si s’ajust, Ço dist al rei : « Ne vos esmaiez unches ! Plus valt Mahum que seint Perre de Rume ! Se lui servez, l’onur del camp ert nostre. En Rencesvals a Rollant irai juindre, De mort n’avrat guarantisun pur hume. Veez m’espee, ki est e bone e lunge : A Durendal jo la metrai encuntre ; Asez orrez, laquele irat desure. Franceis murrunt, si a nus s’abandunent ; Carles li velz avrat e deol e hunte : Jamais en tere ne portera curone. » De l’altre part est Escremiz de Valterne : Sarrazins est, si est sue la tere. Devant Marsilie s’escriet en la presse, « En Rencesvals irai l’orgoill desfaire. Se trois Rollant, n’en porterat la teste, Ne Oliver, ki les altres cadelet ; Li.XII. per tuit sunt jugez a perdre ; Franceis murrunt e France en ert deserte, De bons vassals avrat Carles suffraite. » AOI. D’altre part est uns paiens, Esturganz ; Estramariz i est, un soens cumpainz : Cil sunt felun, traïtur suduiant. Ço dist Marsilie : « Seignurs, venez avant ! En Rencesvals irez as porz passant, Si aiderez a cunduire ma gent. » E cil respundent : « (Sire,) a vostre comandement ! Nus asaldrum Oliver e Rollant ; Li.XII. per n’avrunt de mort guarant. Noz espees sunt bones e trenchant ; Nus les feruns vermeilles de chald sanc. Franceis murrunt, Carles en ert dolent. Tere Majur vos metrum en present. Venez i, reis, sil verrez veirement : L’empereor vos metrum en present. » Curant i vint Margariz de Sibilie ; Cil tient la tere entre[s]qu’as Cazmarine. Pur sa beltet dames li sunt amies : Cele nel veit vers lui ne s’esclargisset ; Quant ele le veit, ne poet muer ne riet ; N’i ad paien de tel chevalerie. Vint en la presse, sur les altres s’escriet E dist al rei : « Ne vos esmaiez mie ! En Rencesvals irai Rollant ocire, Ne Oliver n’en porterat la vie ; Li.XII. per sunt remes en martirie. Veez m’espee, ki d’or est enheldie : Si la tramist li amiralz de Primes. Jo vos plevis qu’en vermeill sanc ert mise. Franceis murrunt e France en ert hunie ; Carles li velz a la barbe flurie, Jamais n’ert jurn qu’il n’en ait doel e ire. Jusqu’a un an avrum France saisie ; Gesir porrum el burc de seint Denise. » Li reis paiens parfundement l ’enclinet. AOI. De l’altre part est Chernubles de Munigre ; Jusqu’a la tere si chevoel li balient ; Greignor fais portet par giu, quant il s’enveiset, Que.IIII. mulez ne funt, quant il sumeient. Icele tere, ço dit, dun il esteit, Soleill n’i luist, ne blet n’i poet pas creistre, Pluie n’i chet, rusee n’i adeiset, Piere n’i ad que tute ne seit neire. Dient alquanz que diables i meignent. Ce dist Chernubles : « Ma bone espee ai ceinte ; En Rencesvals jo la teindrai vermeille. Se trois Rollant li proz enmi ma veie, Se ne l’asaill, dunc ne faz jo que creire, Si cunquerrai Durendal od la meie. Franceis murrunt e France en ert deserte. » A icez moz li.XII. [per] s’alient ; Itels.C. milie Sarrazins od els meinent, Ki de bataille s’argüent,e hasteient : Vunt s’aduber desuz une sapide. Paien s’adubent des osbercs sarazineis, Tuit li plusur en sunt (saraguzeis) dublez en treis, Lacent lor elmes mult bons sarraguzeis, Ceignent espees de l’acer vianeis ; Escuz unt genz, espiez valentineis, E gunfanuns blancs e blois e vermeilz. Laissent les mulz e tuz les palefreiz, Es destrers muntent, si chevalchent estreiz. Clers fut li jurz e bels fut li soleilz : N’unt guarnement que tut ne reflambeit. Sunent mil grailles por ço que plus bel seit : Granz est la noise, si l’oïrent Franceis. Dist Oliver : « Sire cumpainz, ce crei, De Sarrazins purum bataille aveir. » Respont Rollant : « E ! Deus la nus otreit ! Ben devuns ci estre pur nostre rei : Pur sun seignor deit hom susfrir destreiz E endurer e granz chalz e granz freiz, Sin deit hom perdre e del quir e del peil. Or guart chascuns que granz colps (l’)[i] empleit, Que malvaise cançun de nus chantet ne seit ! Paien unt tort e chrestiens unt dreit ; Malvaise essample n’en serat, ja de mei. » AOI. Oliver est desur un pui haut muntez, Guardet su destre par mi un val herbus, Si veit venir cele gent paienur, Sin apelat Rollant, sun cumpaignun : « Devers Espaigne vei venir tel bruur, Tanz blancs osbercs, tanz elmes flambius ! Icist ferunt nos Franceis grant irur. Guenes le sout, li fel, li traïtur, Ki nus jugat devant l’empereür. » – « Tais Oliver, » li quens Rollant respunt, « Mis parrastre est, ne voeill que mot en suns. » Oliver est desur un pui muntet ; Or veit il ben d’Espaigne le regnet E Sarrazins, ki tant sunt asemblez. Luisent cil elme, ki ad or sunt gemmez, E cil escuz e cil osbercs safrez E cil espiez, cil gunfanun fermez. Sul les escheles ne poet il acunter ; Tant en i ad que mesure n’en set. E lui meïsme en est mult esguaret. Cum il einz pout, del pui est avalet, Vint as Franceis, tut lur ad acuntet. Dist Oliver : « Jo ai paiens veüz : Unc mais nuls hom en tere n’en vit plus. Cil devant sunt.C. milie ad escuz Helmes laciez e blancs osbercs vestuz Dreites cez hanstes, luisent cil espiet brun. Bataille avrez, unches mais tel ne fut. Seignurs Franceis, de Deu aiez vertut ! El camp estez, que ne seium vencuz ! » Dient Franceis : « Dehet ait ki s’en fuit ! Ja pur murir ne vus en faldrat uns. » AOI. Dist Oliver : « Paien unt grant esforz, De noz Franceis m’i semblet aveir mult poi ! Cumpaign Rollant, kar sunez vostre corn : Si l’orrat Carles, si returnerat l’ost. » Respunt Rollant : « Jo fereie que fols ! En dulce France en perdreie mun los. Sempres ferrai de Durendal granz colps ; Sanglant en ert li branz entresqu’a l’or. Felun paien mar i vindrent as porz : Jo vos plevis, tuz sunt jugez a mort. » AOI. – « Cumpainz Rollant l’olifan car sunez : Si l’orrat Carles, ferat l’ost returner, Succurrat nos li reis od tut sun barnet. » Respont Rollant : « Ne placet Damnedeu Que mi parent pur mei seient blasmet Ne France dulce ja cheet en viltet ! Einz i ferrai de Durendal asez, Ma bone espee que ai ceint al costet : Tut en verrez le brant ensanglentet. Felun paien mar i sunt asemblez : Jo vos plevis, tuz sunt a mort livrez. » AOI. – « Cumpainz Rollant, sunez vostre olifan : Si l’orrat Carles, ki est as porz passant. Je vos plevis, ja returnerunt Franc. » – « Ne placet Deu, » ço li respunt Rollant, « Que ço seit dit de nul hume vivant, Ne pur paien, que ja seie cornant ! Ja n’en avrunt reproece mi parent ! Quant jo serai en la bataille grant E jo ferrai e mil colps e.VII. cenz, De Durendal verrez l’acer sanglent. Franceis sunt bon, si ferrunt vassalment, Ja cil d’Espaigne n’avrunt de mort guarant. » Dist Oliver : « D’iço ne sai jo blasme ? Jo ai veüt les Sarrazins d’Espaigne, Cuverz en sunt li val e les muntaignes E li lariz e trestutes les plaignes. Granz sunt les oz de cele gent estrange ; Nus i avum mult petite cumpaigne. » Respunt Rollant : « Mis talenz en est graigne. Ne placet Damnedeu ne ses angles Que ja pur mei perdet sa valur France ! Melz voeill murir que huntage me venget. Pur ben ferir l’emperere plus nos aimet. » Rollant est proz e Oliver est sage ; Ambedui unt me[r]veillus vasselage. Puis que il sunt as chevals e as armes, Ja pur murir n’eschiverunt bataille. Bon sunt li cunte e lur paroles haltes. Felun paien par grant irur chevalchent. Dist Oliver : « Rollant, veez en alques ! Cist nus sunt pres, mais trop nus est loinz Carles. Vostre olifan, suner vos nel deignastes ; Fust i li reis, n’i oüssum damage. Guardez amunt devers les porz d’Espaigne : Veeir poez, dolente est la rereguarde ; Ki ceste fait, jamais n’en ferat altre. » Respunt Rollant : « Ne dites tel ultrage ! Mal seit del coer ki el piz se cuardet ! Nus remeindrum en estal en la place ; Par nos í ert e li colps e li caples. » AOI. Quant Rollant veit que la bataille serat, Plus se fait fiers que leon ne leupart. Franceis escriet, Oliver apelat : « Sire cumpainz, amis, nel dire ja ! Li emperere, ki Franceis nos laisat, Itels.XX. milie en mist a une part Sun escientre n’en i out un cuard. Pur sun seignur deit hom susfrir granz mals E endurer e forz freiz e granz chalz, Sin deit hom perdre del sanc e de la char. Fier de [ta] lance e jo de Durendal, Ma bone espee, que li reis me dunat. Se jo i moert, dire poet ki l’avrat (E purrunt dire) que ele fut a noble vassal. » D’altre part est li arcevesques Turpin, Sun cheval broche e muntet un lariz, Franceis apelet, un sermun lur ad dit : « Seignurs baruns, Carles nus laissat ci ; Pur nostre rei devum nus ben murir. Chrestientet aidez a sustenir ! Bataille avrez, vos en estes tuz fiz, Kar a voz oilz veez les Sarrazins. Clamez vos culpes, si preiez Deu mercit ! Asoldrai vos pur voz anmes guarir. Se vos murez, esterez seinz martirs, Sieges avrez el greignor pareïs. » Franceis de[s]cendent, a tere se sunt mis, E l’arcevesque de Deu les beneïst : Par penitence les cumandet a ferir. Franceis se drecent, si se metent sur piez. Ben sunt asols e quites de lur pecchez, E l’arcevesque de Deu les ad seignez ; Puis sunt muntez sur lur curanz destrers. Adobez sunt a lei de chevalers E de bataille sunt tuit apareillez. Li quens Rollant apelet Oliver : « Sire cumpainz, mult ben le saviez Que Guenelun nos ad tuz espiez ; Pris en ad or e aveir e deners. Li emperere nos devreit ben venger. Li reis Marsilie de nos ad fait marchet ; Mais as espees l’estuvrat esleger. » AOI. As porz d’Espaigne en est passet Rollant Sur Veillantif, sun bun cheval curant. Portet ses armes, mult li sunt avenanz, Mais sun espiet vait li bers palmeiant, Cuntre le ciel vait la mure turnant, Laciet en su un gunfanun tut blanc ; Les renges li batent josqu’as mains. Cors ad mult gent, le vis cler e riant. Sun cumpaignun apres le vait sivant, E cil de France le cleiment a guarant. Vers Sarrazins reguardet fierement E vers Franceis humeles e dulcement, Si lur ad dit un mot curteisement : « Seignurs barons, suef pas alez tenant ! Cist paien vont grant martirie querant. Encoi avrum un eschec bel e gent : Nuls reis de France n’out unkes si vaillant. » A cez paroles vunt les oz ajustant. AOI. Dist Oliver : « N’ai cure de parler. Vostre olifan ne deignastes suner, Ne de Carlun mie vos n’en avez. Il n’en set mot, n’i ad culpes li bers. Cil ki la sunt ne funt mie a blasmer. Kar chevalchez a quanque vos puez ! Seignors baruns, el camp vos retenez ! Pur deu vos pri, ben seiez purpensez De colps ferir, de receivre e (de) duner ! L’enseigne Carle n’i devum ublier. » A icest mot sunt Franceis escriet. Ki dunc oïst « Munjoie » demander, De vasselage li poüst remembrer. Puis si chevalchent, Deus ! par si grant fiertet ! Brochent ad ait pur le plus tost aler, Si vunt ferir, que fereient il el ? E Sarrazins nes unt mie dutez ; Francs e paiens, as les vus ajustez. Li nies Marsilie, il ad a num Aelroth ; Tut premereins chevalchet devant l’ost. De noz Franceis vait disant si mals moz : « Feluns Franceis, hoi justerez as noz, Traït vos ad ki a guarder vos out. Fols est li reis ki vos laissat as porz. Enquoi perdrat France dulce sun los, Charles li magnes le destre braz del cors. » Quant l’ot Rollant, Deus ! si grant doel en out ! Sun cheval brochet, laiset curre a esforz, Vait le ferir li quens quanque il pout. L’escut li freint e l’osberc li desclot, Trenchet le piz, si li briset les os, Tute l’eschine li desevret del dos, Od sun espiet l’anme li getet fors, Enpeint le ben, fait li brandir le cors, Pleine sa hanste del cheval l’abat mort, En dous meitiez li ad briset le col ; Ne leserat, ço dit, que n’i parolt : « Ultre culvert ! Carles n’est mie fol, Ne traïsun unkes amer ne volt. Il fist que proz qu’il nus laisad as porz : Oí n’en perdrat France dulce sun los. Ferez i, Francs, nostre est li premers colps ! Nos avum dreit, mais cist glutun unt tort. » AOI. Un duc i est, si ad num Falsaron : Icil er[t] frere al rei Marsiliun ; Il tint la tere Datliun e Balbiun. Suz cel nen at plus encrisme felun. Entre les dous oilz mult out large le front, Grant demi pied mesurer i pout hom. Asez ad doel quant vit mort sun nevold, Ist de la prese, si se met en bandun, E se s’escriet l’enseigne paienor ; Envers Franceis est mult cuntrarius : « Enquoi perdrat France dulce s’onur ! » Ot le Oliver, sin ad mult grant irur ; Le cheval brochet des oriez esperuns, Vait le ferir en guise de baron. L’escut li freint e l’osberc li derumpt, El cors li met les pans del gunfanun, Pleine sa hanste l’abat mort des arçuns ; Guardet a tere, veit gesir le glutun, Si li ad dit par mult fiere raison : « De voz manaces, culvert, jo n’ai essoign. Ferez i, Francs, kar tres ben les veincrum ! » – « Munjoie ! » escriet, ço est l’enseigne Carlun. AOI. Uns reis i est, si ad num Corsablix : Barbarins est, d’un estra[n]ge païs. Si apelad les altres Sarrazins : « Ceste bataille ben la puum tenir, Kar de Franceis i ad asez petit. Cels ki ci sunt devum aveir mult vil ; Ja pur Charles n’i ert un sul guarit : Or est le jur qu’els estuvrat murir. » Ben l’entendit li arc[e]vesques Turpin. Suz ciel n’at hume que [tant] voeillet haïr ; Sun cheval brochet des esperuns d’or fin, Par grant vertut si l ’est alet ferir. L’escut li freinst, l’osberc li descumfist, Sun grant espiet par mi le cors li mist, Empeint le ben, que mort le fait brandir, Pleine sa hanste l’abat mort el chemin. Guardet arere, veit le glutun gesir, Ne laisserat que n’i parolt, ço dit : « Culvert paien, vos i avez mentit ! Carles, mi sire, nus est guarant tuz dis ; Nostre Franceis n’unt talent de fuïr. Voz cumpaignuns feruns trestuz restifs ; Nuveles vos di : mort vos estoet susfrir. Ferez, Franceis ! Nul de vus ne s’ublit ! Cist premer colp est nostre, Deu mercit ! » – « Munjoie ! » escriet por le camp retenir. Engelers fiert Malprimis de Brigal ; Sis bons escuz un dener ne li valt : Tute li freint la bucle de cristal, L’une meitiet li turnet cuntreval ; L’osberc li rumpt entresque a la charn, Sun bon espiet enz el cors li enbat. Li paiens chet cuntreval a un quat ; L’anme de lui en portet Sathanas. AOI. E sis cumpainz Gerers fiert l’amurafle : L’escut li freint e l’osberc li desmailet, Sun bon espiet li me(n)t en la curaille, Empeint le bien, par mi le cors li passet, Que mort l’abat el camp, pleine sa hanste. Dist Oliver : « Gente est nostre bataille ! » Sansun li dux, (il) vait ferir l’almaçur : L’escut li freinst, ki est a flurs e ad ór, Li bons osbercs ne li est guarant prod, Trenchet li le coer, le firie e le pulmun, Que l’abat [mort], qui qu’en peist u qui nun. Dist l’arcevesque : « Cist colp est de baron ! » E Anseïs laiset le cheval curre, Si vait ferir Turgis de Turteluse ; L’escut li freint desuz l’oree bucle, De sun osberc li derumpit les dubles, Del bon espiet el cors li met la mure, Empeinst le ben, tut le fer li mist ultre, Pleine sa hanste el camp mort le tresturnet. Ço dist Rollant : « Cist colp est de produme ! » Et Engelers li Guascuinz de Burdele Sun cheval (…) brochet, si li laschet la resne, Si vait ferir Escremiz de Valterne : L’escut del col li freint e escantelet, De sun osberc li rumpit la ventaille, Sil fiert el piz entre les dous furceles, Pleine sa hanste l’abat mort de la sele ; Apres li dist : « Turnet estes a perdre ! » AOI. E Gualter fie[r]t un paien, Estorgans, Sur sun escut en la pene devant, Que tut li trenchet le vermeill e le blanc ; De sun osberc li ad rumput les pans, El cors li met sun bon espiet tre[n]chant, Que mort l’abat de sun cheval curant. Apres li dist : « Ja n’i avrez guarant ! » E Berenger, il fiert Astramariz : L’escut li freinst, l’osberc li descumfist, Sun fort escut par mi le cors li mist, Que mort l’abat entre mil Sarrazins. Des.XII. pers li.X. en sunt ocis ; Ne mes que dous n’en i ad remes vifs ; Ço est Chernubles e li quens Margariz. Margariz est mult vaillant chevalers, E bels e forz e isnels e legers. Le cheval brochet, vait ferir Oliver : L’escut li freint suz la bucle d’or mer, Lez le costet li conduist sun espiet. Deus le guarit, qu’el(l) cors ne l’ad tuchet. La hanste fruisset, mie n’en a(d)[b]atiet. Ultre s’en vait, qu’il n’i ad desturber ; Sunet sun gresle pur les soens ralier. La bataille est merveilluse e cumune. Li quens Rollant mie ne s’asoüret, Fiert de l’espiet tant cume hanste li duret ; A.XV. cols l’ad fraite e […] perdue, Trait Durendal, sa bone espee nue, Sun cheval brochet, si vait ferir Chernuble : L’elme li freint u li carbuncle luisent, Trenchet la cors e la cheveleüre, Si li trenchat les oilz e la faiture, Le blanc osberc, dunt la maile est menue, E tut le cors tresqu’en la furcheüre, Enz en la sele, ki est a or batue ; El cheval est l’espee aresteüe, Trenchet l’eschine, hunc n’i out quis [joi]nture, Tut abat mort el pred sur l’erbe drue ; Apres li dist : « Culvert, mar i moüstes ! De Mahumet ja n’i avrez aiude. Par tel glutun n’ert bataille oi vencue. » Li quens Rollant par mi le champ chevalchet, Tient Durendal, ki ben trenchet e taillet, Des Sarrazins lur fait mult grant damage. Ki lui veïst l’un geter mort su[r] l’altre, Li sanc tuz clers gesir par cele place ! Sanglant en ad e l’osberc e [la] brace, Sun bon cheval le col e les [es]palles. E Oliver de ferir ne se target, Li.XII. per n’en deivent aveir blasme, E li Franceis i fierent e si caplent. Moerent paien e alquanz en i pasment. Dist l’arcevesque : « Ben ait nostre barnage ! » – « Munjoie ! » escriet, ço est l’enseigne Carle. AOI. E Oliver chevalchet par l’estor, Sa hanste est frait, n’en ad que un trunçun, E vait fer(en)[ir] un paien, Malun : L’escut li freint, ki est ad or e a flur, Fors de la teste li met les oilz ansdous, E la cervele li chet as piez desuz ; Mort le tresturnet od tut.VII.C. des lur. Pois ad ocis Turgis e Esturguz ; La hanste briset e esclicet josqu’as poinz. Ço dist Rollant : « Cumpainz, que faites vos ? En tel bataille n’ai cure de bastun ; Fers e acers i deit aveir valor. U est vostre espee, ki Halteclere ad num ? D’or est li helz e de cristal li punz. » – « Ne la poi traire, » Oliver li respunt, « Kar de ferir oi jo si grant bosoign. » AOI. Danz Oliver trait ad sa bone espee, Que ses cumpainz Rollant li ad tant demandee, E il li ad cum chevaler mustree. Fiert un paien, Justin de Val Ferree : Tute la teste li ad par mi sevree, Trenchet le cors e [la] bronie safree, La bone sele, ki a ór est gemmee, E al ceval a l’eschine trenchee ; Tut abat mort devant loi en la pree. Ço dist Rollant : « Vos receif jo, frere ! Por itels colps nos eimet li emperere. » De tutes parz est « Munjo[i]e » escriee. AOI. Li quens Gerins set el ceval Sorel E sis cumpainz Gerers en Passecerf, Laschent lor reisnes, brochent amdui a ait, E vunt ferir un paien, Timozel, L’un en l’escut e li altre en l’osberc, Lur dous espiez enz el cors li unt frait, Mort le tresturnent tres enmi un guaret, Ne l’oï dire ne jo mie nel sai Liquels d’els dous en fut li plus isnels. Esprieres icil fut filz Burdel, .......................... E l’arcevesque lor ocist Siglorel, L’encanteür ki ja fut en enfer : Par artimal l’i cundoist Jupiter. Ço dist Turpin : « Icist nos ert forsfait. » Respunt Rollant : « Vencut est le culvert. Oliver, frere, itels colps me sunt bel ! » La bataille est aduree endementres. Franc e paien merveilus colps i rendent. Fierent li un, li altre se defendent. Tant hanste i ad e fraite e sanglente, Tant gunfanun rumpu e tant enseigne ! Tant bon Franceis i perdent lor juvente ! Ne reverrunt lor meres ne lor femmes, Ne cels de France ki as porz les atendent. AOI. Karles li magnes en pluret, si se demente. De ço qui calt ? N’en avrunt sucurance. Malvais servis[e] le jur li rendit Guenes, Qu’en Sarraguce sa maisnee alat vendre ; Puis en perdit e sa vie e ses membres ; El plait ad Ais en fut juget a prendre, De ses parenz ensembl’od lui tels trente Ki de murir nen ourent esperance. AOI. La bataille est merveilluse e pesant ; Mult ben i fiert Oliver e Rollant, Li arcevesques plus de mil colps i rent, Li.XII. per ne s’en targent nient, E li Franceis i fierent cumunement. Moerent paien a miller(e)[s] e a cent ; Ki ne s’en fuit de mort n’i ad guarent ; Voillet o nun, tut i laisset sun tens. Franceis i perdent lor meillors guarnemenz ; Ne reverrunt lor peres ne lor parenz Ne Carlemagne, ki as porz les atent. En France en ad mult merveillus turment ; Orez i ad de tuneire e de vent, Pluies e gresilz desmesureement ; Chiedent i fuildres e menut e suvent, E terremoete ço i ad veirement. De seint Michel de(l) P(aris)[eril] josqu’as Seinz Des Besençun tresqu’as [port] de Guitsand N’en ad recet dunt del mur ne cravent. Cuntre midi tenebres i ad granz ; N’i ad clartet, se li ciels nen i fent. Hume nel veit,ki mult ne s espaent. Dient plusor : « Ço est li definement, La fin del secle ki nus est en present. » Il nel sevent, ne dient veir nient : Ço est li granz dulors por la mort de Rollant. Franceis i unt ferut de coer e de vigur ; Paien sunt morz a millers e a fuls : De cent millers n’en poent guarir dous. Rollant dist : « Nostre hume sunt mult proz : Suz ciel n’ad home plus en ait de meillors. » Il est escrit en la Geste Francor Que vassals ad li nostre empereür. Vunt par le camp, si requerent les lor, Plurent des oilz de doel e de tendrur Por lor parenz par coer e par amor. Li reis Marsilie od sa grant ost lor surt. AOI. Marsilie vient par mi une valee Od sa grant ost que il out asemblee. .XX. escheles ad li reis anumbrees. Lacent cil’elme as perres d’or gemmees, E cil escuz e cez bronies sasfrees ; .VII. milie graisles i sunent la menee : Grant est la noise par tute la contree. Ço dist Rollant : « Oliver, compaign, frere, Guenes li fels ad nostre mort juree ; La traïsun ne poet estre celee ; Mult grant venjance en prendrat l’emperere. Bataille avrum e forte [e] aduree, Unches mais hom tel ne vit ajustee. Jo i ferrai de Durendal, m’espee, E vos, compainz, ferrez de Halteclere. En tanz lius les avum nos portees ! Tantes batailles en avum afinees ! Male chançun n’en deit estre cantee. » AOI. Marsilies veit de sa gent le martirie, Si fait suner ses cors e ses buisines, Puis si chevalchet od sa grant ost banie. Devant chevalchet un Sarrasin, Abisme : Plus fel de lui n’out en sa cumpagnie. Te(t)ches ad males e mult granz felonies ; Ne creit en Deu, le filz sainte Marie ; Issi est neirs cume peiz ki est demise ; Plus aimet il traïsun e murdrie Qu’(e) il ne fesist trestut l’or de Galice ; Unches nuls hom nel vit juer ne rire. Vasselage ad e mult grant estultie : Por ço est drud al felun rei Marsilie ; Sun dragun portet a qui sa gent s’alient. Li arcevesque ne l’amerat ja mie ; Cum il le vit, a ferir le desiret. Mult quiement le dit a sei meïsme : « Cel Sarraz[in] me semblet mult herite : Mielz est mult que jo l’alge ocire. Unches n’amai cuard ne cuardie. » AOI. Li arcevesque cumencet la bataille. Siet el cheval qu’il tolit a Grossaille, Ço ert uns reis qu’l ocist en Denemarche. Li destrers est e curanz e aates, Piez ad copiez e les gambes ad plates, Curte la quisse e la crupe bien large, Lungs les costez e l’eschine ad ben halte, Blanche la cue e la crignete jalne Petites les oreilles, la teste tute falve ; Beste nen est nule ki encontre lui alge. Li arcevesque brochet par tant grant vasselage : Ne laisserat qu’Abisme nen asaillet ; Vait le ferir en l’escut amiracle : Pierres i ad, ametistes e topazes, Esterminals e carbuncles ki ardent ; En Val Metas li dunat uns diables, Si li tramist li amiralz Galafes. Turpins i fiert, ki nient ne l’esparignet, Enpres sun colp ne quid que un dener vaillet, Le cors li trenchet tres l’un costet qu’a l’altre, Que mort l’abat en une voide place. Dient Franceis : « Ci ad grant vasselage ! En l’arcevesque est ben la croce salve. » Franceis veient que paiens i ad tant, De tutes parz en sunt cuvert li camp ; Suvent regretent Oliver e Rollant Les.XII. pers, qu’il lor seient guarant. E l’arcevesque lur dist de sun semblant : « Seignors barons, n’en alez mespensant ! Pur Deu vos pri que ne seiez fuiant, Que nuls prozdom malvaisement n’en chant. Asez est mielz que moerium cumbatant. Pramis nus est, fin prendrum a itant, Ultre cest jurn ne serum plus vivant ; Mais d’une chose vos soi jo ben guarant : Seint pareïs vos est abandunant ; As Innocenz vos en serez seant. » A icest mot si s’esbaldissent Franc, Cel nen i ad « Munjoie ! » ne demant. AOI. Un Sarrazin i out de Sarraguce, De la citet l’une meitet est sue : Ço est Climborins, ki pas ne fut produme. Fiance prist de Guenelun le cunte, Par amistiet l’en baisat en la buche, Si l’en dunat s’espee e s’escarbuncle. Tere Major ço dit, metrat a hunte, A l’emperere si toldrat la curone. Siet el ceval qu’il cleimet Barbamusche, Plus est isnels que esprever ne arunde. Brochet le bien, le frein li abandunet, Si vait ferir Engeler de Guascoigne. Nel poet guarir sun escut ne sa bronie : De sun espiet el cors li met la mure, Empeint le ben, tut le fer li mist ultre, Pleine sa hanste el camp mort le tresturnet. Apres escriet : « Cist sunt bon a (o)[c]unfundre ! Ferez, paien, pur la presse derumpre ! » Dient Franceis : « Deus quel doel de prodome ! » AOI. Li quens Rollant en apelet Oliver : « Sire cumpainz, ja est morz Engeler ; Nus n’avium plus vaillant chevaler. » Respont li quens : « Deus le me doinst venger ! » Sun cheval brochet des esperuns d’or mier, Tient Halteclere, sanglent en est l’acer, Par grant vertut vait ferir le paien. Brandist sun colp e li Sarrazins chiet ; L’anme de lui en portent aversers. Puis ad ocis le duc Alphaïen ; Escababi i ad le chef trenchet ; .VII. Arrabiz i ad deschevalcet : Cil ne sunt proz ja mais pur guerreier. Ço dist Rollant : « Mis cumpainz est irez ! Encuntre mei fait asez a preiser. Pur itels colps nos ad Charles plus cher. » A voiz escriet : « Ferez i, chevaler ! » AOI. D’altre part est un paien, Valdabrun : Celoi levat le rei Marsiliun, Sire est par mer de.IIII.C. drodmunz ; N’i ad eschipre quis cleim se par loi nun. Jerusalem prist ja par traïsun, Si violat le temple Salomon, Le patriarche ocist devant les funz. Cil ot fiance del cunte Guenelon : Il li dunat s’espee e mil manguns. Siet el cheval qu’il cleimet Gramimund, Plus est isnels que nen est uns falcuns. Brochet le bien des aguz esperuns, Si vait ferir li riche duc Sansun, L’escut li freint e l’osberc li derumpt, El cors li met les pans del gunfanun, Pleine sa hanste l’abat mort des arçuns : « Ferez paien, car tres ben les veintrum ! » Dient Franceis : « Deus quel doel de baron. ! » AOI. Li quens Rollant, quant il veit Sansun mort, Poez saveir que mult grant doel en out. Sun ceval brochet, si li curt ad esforz ; Tient Durendal, qui plus valt que fin ór. Vait le ferir li bers, quanque il pout, Desur sun elme, ki gemmet fut ad or : Trenchet la teste e la bronie e le cors, La bone sele, ki est gemmet ad or, E al cheval parfundement le dos ; Ambure ocit, ki quel blasme ne quil lot. Dient paien(t) […] : « Cist colp nus est mult fort ! » Respont Rollant : « Ne pois amer les voz ; Devers vos est li orguilz e li torz. » AOI. D’Affrike i ad un Affrican venut, Ço est Malquiant, le filz al rei Malcud. Si guarnement sunt tut a or batud ; Cuntre le ciel sur tuz les altres luist. Siet el ceval qu’il cleimet Salt Perdut : Beste nen est ki poisset curre a lui. Il vait ferir Anseïs en l’escut : Tut li trenchat le vermeill e l’azur ; De sun osberc li ad les pans rumput, El cors li met e le fer e le fust ; Morz est li quens, de sun tens n’i ad plus. Dient Franceis : « Barun, tant mare fus ! » Par le camp vait Turpin li arcevesque ; Tel coronet ne chantat unches messe Ki de sun cors feïst […] tantes proecces. Dist al paien : « Deus tut mal te tramette ! Tel ad ocis dunt al coer me regrette. » Sun bon ceval i ad fait esdemetre, Si l’ad ferut sur l’escut de Tulette, Que mort l’abat desur le herbe verte. De l’altre part est un paien, Grandonies, Filz Capuel, le rei de Capadoce(neez). Siet el cheval que il cleimet Marmorie, Plus est isnels que n’est oisel ki volet ; Laschet la resne, des esperuns le brochet, Si vait ferir Gerin par sa grant force. L’escut vermeill li freint, de col li portet ; Aprof li ad sa bronie desclose, El cors li met tute l’enseingne bloie, Que mort l’abat en une halte roche. Sun cumpaignun Gerers ocit uncore E Berenger e Guiun de Seint Antonie ; Puis vait ferir un riche duc Austorje, Ki tint Valeri e envers sur le Rosne. Il l’abat mort ; paien en unt grant joie. Dient Franceis : « Mult decheent li nostre ! » [L]i quens Rollant tint s’espee sanglente. Ben ad oït que Franceis se dementent ; Si grant doel ad que par mi quiet fendre ; Dist al paien : « Deus tut mal te consente ! Tel as ocis que mult cher te quid vendre ! » Sun ceval brochet, ki oït del cuntence. Ki quel cumpert, venuz en sunt ensemble. Grandonie fut e prozdom e vaillant E vertuus e vassal cumbatant. Enmi sa veie ad encuntret Rollant. Enceis nel vit, sil recunut veirement Al fier visage e al cors qu’il out gent E al reguart e al contenement : Ne poet muer qu’il ne s’en espoent, Fuïr s’en voel, mais ne li valt nient : Li quens le fiert tant vertuusement Tresqu’al nasel tut le elme li fent, Trenchet le nes e la buche e les denz, Trestut le cors e l’osberc jazerenc De l’oree sele (se)[les] dous alves d’argent E al ceval le dos parfundement ; Ambure ocist seinz nul recoevrement, E cil d’Espaigne s’en cleiment tuit dolent. Dient Franceis : « Ben fiert nostre guarent ! » La bataille est e merveillose e grant. Franceis i ferent des espiez brunisant. La veïssez si grant dulor de gent, Tant hume mort e nasfret e sanglent ! L’un gist sur l’altre e envers e adenz. Li Sarrazin nel poent susfrir tant : Voelent u nun, si guerpissent le camp. Par vive force les encacerent Franc. AOI. La (la) b[at]aille est m[erv]eilluse e hastive. Franceis i ferent par vigur e par ire, Tren[chen]t cez poinz, cez costez, cez eschines, Cez vestemenz entresque as chars vives. Sur l’erbe verte li cler sancs s’en afilet. ..................... « Tere Major, Mahummet te maldie ! Sur tute gent est la tue hardie. » Cel nen i ad ki ne criet : « Marsilie ! Cevalche, rei ! Bosuign avum d’aïe ! » Li quens Rollant apelet Oliver : « Sire cumpaign, sel volez otrier, Li arcevesque est mult bon chevaler, Nen ad meillor en tere ne suz cel ; Ben set ferir e de lance e d’espiet. » Respunt li quens : « Kar li aluns aider ! » A icest mot l’unt Francs recumencet. Dur sunt li colps e li caples est grefs ; Mu(n)lt grant dulor i ad de chrestiens. Ki puis veïst Rollant e Oliver De lur espees e ferir e capler ! Li arcevesque i fiert de sun espiet, Cels qu’il unt mort, ben les poet hom preiser ; Il est escrit es cartres e es brefs, Ço dit la Geste, plus de.IIII. milliers. As quatre [es]turs lor est avenut ben ; Li quint apres lor est pesant e gref. Tuz sunt ocis cist Franceis chevalers, Ne mes seisante, que Deus i ad esparniez : Einz que il moergent, se vendrunt mult cher. Li quens Rollant des soens i veit grant perte ; AOI. Sun cumpaignun Oliver en apelet : « Bel sire, chers cumpainz, pur Deu, que vos enhaitet ? Tanz bons vassals veez gesir par tere ! Pleindre poüms France dulce, la bele : De tels barons cum or remeint deserte ! E ! reis, amis, que vos ici nen estes ? Oliver, frere, cumment le purrum nus faire ? Cum faitement li manderum nuveles ? » Dist Oliver : « Jo nel sai cument quere. Mielz voeill murir que hunte nus seit retraite. » AOI. Ço dist Rollant : « Cornerai l’olifant, Si l’orrat Carles, ki est as porz passant. Jo vos plevis ja returnerunt Franc. » Dist Oliver : « Vergoigne sereit grant E reprover a trestuz voz parenz ; Iceste hunte dureit al lur vivant ! Quant jel vos dis, n’en feïstes nient ; Mais nel ferez par le men loement. Se vos cornez, n’ert mie hardement. Ja avez vos ambsdous les braz sanglanz ! » Respont li quens : « Colps i ai fait mult genz ! » AOI. Ço dit Rollant : « Forz est nostre bataille ; Jo cornerai, si l’orrat li reis Karles. » Dist Oliver : « Ne sereit vasselage ! Quant jel vos dis, cumpainz, vos ne deignastes. Si fust li reis, n’i oüsum damage. Cil ki la sunt n’en deivent aveir blasme. » Dist Oliver : « Par ceste meie barbe, Se puis veeir ma gente sorur Alde, Ne jerrei(e)z ja mais entre sa brace ! » AOI. Ço dist Rollant : « Por quei me portez ire ? » (E cil) E il respont : « Cumpainz, vos le feïstes, Kar vasselage par sens nen est folie ; Mielz valt mesure que ne fait estultie. Franceis sunt morz par vostre legerie. Jamais Karlon de nus n’avrat servise. Sem(e) creïsez, venuz i fust mi sire ; Ceste bataille oüsum faite u prise ; U pris ú mort i fust li reis Marsilie. Vostre proecce, Rollant, mar la ve[ï]mes ! Karles li Magnes de nos n’avrat aïe. N’ert mais tel home des qu’a Deu juïse. Vos i murrez e France en ert (…) huníe. Oi nus defalt la leial cumpaignie : Einz le vesp(e)re mult ert gref la departie. » AOI. Li arceves[ques] les ót cuntrarier, Le cheval brochet des esperuns d’or mer, Vint tresqu’a els, sis prist a castier : « Sire Rollant, e vos, sire Oliver, Pur Deu vos pri, ne vos cuntraliez ! Ja li corners ne nos avreit mester, Mais nepurquant si est il asez melz : Venget li reis, si nus purrat venger ; Ja cil d’Espaigne ne s’en deivent turner liez. Nostre Franceis i descendrunt a pied, Truverunt nos e morz e detrenchez, Leverunt nos en bieres sur sumers, Si nus plurrunt de doel e de pitet, Enfuerunt [nos] en aitres de musters ; N’en mangerunt ne lu ne porc ne chen. » Respunt Rollant : « Sire, mult dites bien. » AOI. Rollant ad mis l’olifan a sa buche, Empeint le ben, par grant vertut le sunet. Halt sunt li pui e la voiz est mult lunge, Granz.XXX. liwes l’oïrent il respundre. Karles l’oït e ses cumpaignes tutes. Ço dit li reis : « Bataille funt nostre hume ! » E Guenelun li respundit encuntre : « S’altre le desist, ja semblast grant mençunge ! » AOI. Li quens Rollant, par peine e par ahans, Par grant dulor sunet sun olifan. Par mi la buche en salt fors li cler sancs. De sun cervel le temple en est rumpant. Del corn qu’il tient l’oiïe en est mult grant : Karles l’entent, ki est as porz passant. Naimes li duc l’oïd, si l’escultent li Franc. Ce dist li reis : « Jo oi le corn Rollant ! Unc nel sunast se ne fust (cu)cumbatant. » Guenes respunt : « De bataille est il nient ! Ja estes veilz e fluriz e blancs ; Par tels paroles vus resemblez enfant. Asez savez le grant orgoill Rollant ; Ço est merveille que Deus le soefret tant. Ja prist il Noples seinz le vostre comant ; Fors s’en eissirent li Sarrazins dedenz, Sis cumbatirent al bon vassal Rollant ; Puis od les ewes (…) lavat les prez del sanc, Pur cel le fist ne fust a[pa]rissant. Pur un sul levre vat tute jur cornant, Devant ses pers vait il ore gabant. Suz cel n’ad gent ki [l’]osast (re)querre en champ. Car chevalcez ! Pur qu’alez arestant ? Tere Major mult est loinz ça devant. » AOI. Li quens Rollant ad la buche sanglente. De sun cervel rumput en est li temples. L’olifan sunet a dulor e a peine. Karles l’oït e ses Franceis l’entendent, Ço dist li reis : « Cel corn ad lunge aleine ! » Respont dux Neimes : « Baron i fait la p[e]ine ! Bataille i ad, par le men escientre. Cil l’at traït ki vos en roevet feindre. Adubez vos, si criez vostre enseigne, Si sucurez vostre maisnee gente : Asez oez que Rollant se dementet ! » Li empereres ad fait suner ses corns. Franceis descendent, si adubent lor cors D’osbercs e de helmes e d’espees a or. Escuz unt genz e espiez granz e forz, E gunfanuns blancs e vermeilz e blois. Es destrers muntent tuit li barun de l’ost, Brochent ad ait tant cum durent li port. N’i ad celoi (a celoi) a l’altre ne parolt : « Se veïssum Rollant einz qu’il fust mortz, Ensembl’od lui i durriums granz colps. » De ço qui calt ? car demuret i unt trop. Esclargiz est li vespres e li jurz. Cuntre le soleil reluisent cil adub, Osbercs e helmes i getent grant flambur, E cil escuz, ki ben sunt peinz a flurs, E cil espiez(z), cil oret gunfanun. Li empereres cevalchet par irur E li Franceis dolenz et cur[uçus](ius) ; N’i ad celoi ki durement ne plurt, E de Rollant sunt en grant poür. Li reis fait prendre le cunte Guenelun, Sil cumandat as cous de sa maisun. Tut li plus maistre en apelet, Besgun. « Ben le me guarde, si cume tel felon ! De ma maisnee ad faite traïsun. » Cil le receit, si met.C. cumpaignons De la quisine, des mielz e des pejurs. Icil li peilent la barbe e les gernuns ; (Morz est Turpin le guerreier Charlun) Cascun le fiert.IIII. colps de sun puign ; Ben le batirent a fuz e a bastuns ; E si li metent el col un caeignun, Si l’encaeinent altresi cum un urs ; Sur un sumer l’unt mis a deshonor. Tant le guardent quel rendent a Charlun. Halt sunt li pui e tenebrus e grant, AOI. Li val parfunt e les ewes curant. Sunent cil graisle e derere e devant, E tuit rachatent encuntre l’olifant. Li empereres chevalchet ireement, E li Franceis cur(i[…]us)uçus e dolent ; N’i ad celoi n’i plurt e se dement, E p[ri]ent Deu qu’il guarisset Rollant Josque il vengent el camp cumunement : Ensembl’od lui i ferrunt veirement. De ço qui calt ? car ne lur valt nient. Demurent trop, n’i poedent estre a tens. AOI. Par grant irur chevalchet li reis Charles ; Desur (…) sa brunie li gist sa blanche barbe. Puignent ad ait tuit li barun de France ; N’i ad icel ne demeint irance Que il ne sunt a Rollant le cataigne, Ki se cumbat as Sarrazins d’Espaigne ; Si est blecet, ne quit que anme i remaigne. Deus ! quels seisante humes i ad en sa cumpaigne ! Unches meillurs n’en out reis ne c[at]aignes. AOI. Rollant reguardet es munz e es lariz ; De cels de France i veit tanz morz gesir ! E il les pluret cum chevaler gentill : « Seignors barons, de vos ait Deus mercit ! Tutes voz anmes otreit il pareïs ! En seintes flurs il les facet gesir ! Meillors vassals de vos unkes ne vi. Si lungement tuz tens m’avez servit, A oes Carlon si granz païs cunquis ! Li empereres tant mare vos nurrit ! Tere de France mult estes dulz païs Oi desertet a tant rubostl exill. Barons Franceis, pur mei vos vei murir : Jo ne vos pois tenser ne guarantir. Aït vos Deus, ki unkes ne mentit ! Oliver, frere, vos ne dei jo faillir. De doel murra, se altre ne m’i ocit. Sire cumpainz, alum i referir ! » Li quens Rollant el champ est repairet : Tient Durendal, cume vassal i fiert. Faldrun de Pui i ad par mi trenchet, E.XXIIII. de tuz les melz preisez : Jamais n’iert home plus se voeillet venger. Si cum li cerfs s’en vait devant les chiens, Devant Rollant si s’en fuient paiens. Dist l’arcevesque : « Asez le faites ben ! Itel valor deit aveir chevaler Ki armes portet e en bon cheval set ; En bataille deit estre forz e fiers, U altrement ne valt.IIII. deners ; Einz deit monie estre en un de cez mustiers, Si prierat tuz jurz por noz peccez. » Respunt Rollant : « Ferez, nes esparignez ! » A icest mot l’unt Francs recumencet. Mult grant damage i out de chrestiens. Home ki ço set, que ja n’avrat prisun En tel bataill[e] fait grant defension : Pur ço sunt Francs si fiers cume leuns. As vus Marsilie en guise de barunt. Siet el cheval qu’il apelet Gaignun, Brochet le ben, si vait ferir Bevon, Icil ert sire de Belne e de Digun, L’escut li freint e l’osberc li derumpt, Que mort l’abat seinz altre descunfisun ; Puis ad ocis Yvoeries e Ivon Ensembl’od els Gerard de Russillun. Li quens Rollant ne li est guaires loign ; Dist al paien : « Damnesdeus mal te duinst ! A si grant tort m’ociz mes cumpaignuns ! Colp en avras einz que nos departum, E de m’espee enquoi savras le nom. » Vait le ferir en guise de baron : Trenchet li ad li quens le destre poign. Puis prent la teste de Jurfaleu le Blund, Icil ert filz al rei Marsiliun. Paien escrient : « Aíe nos, Mahum ! Li nostre deu, vengez nos de Carlun. En ceste tere nus ad mis tels feluns ! Ja pur murir le camp ne guerpirunt. » Dist l’un a l’altre : « E ! car nos en fuiums ! » A icest mot tels.C. milie s’en vunt : Ki ques rapelt, ja n’en returnerunt. AOI. De ço qui calt ? Se fuit s’en est Marsilies, Remes i est sis uncles, Marganices, Ki tint Kartagene, Alfrere, Garmalie E Ethiope, une tere maldite. La neire gent en ad en sa baillie ; Granz unt les nes e lees les oreilles, E sunt ensemble plus de cinquante milie. Icil chevalchent fierement e a íre, Puis escrient l’enseigne paenime. Ço dist Rollant : « Ci recevrums ma[r]tyrie, E or sai ben n’avons guaires a vivre ; Mais tut seit fel cher ne se vende primes ! Ferez, seignurs, des espees furbies, Si calengez e voz (e) mors e voz vies ! Que dulce France par nus ne seit hunie ! Quant en cest camp vendrat Carles, mi sire, De Sarrazins verrat tel discipline, Cuntre un des noz en truverat morz.XV., Ne lesserat que nos ne beneïsse. » AOI. Quan Rollant veit la contredite gent Ki plus sunt neirs que nen est arrement, Ne n’unt de blanc ne mais que sul les denz, Ço dist li quens : « Or sai jo veirement Que hoi murrum par le mien escient. Ferez Franceis, car jol vos recumenz ! » Dist Oliver : « Dehet ait li plus lenz ! » A icest mot Franceis se fierent enz. Quant paien virent que Franceis i out poi, Entr’els en unt e orgoil e cunfort. Dist l’un a l’altre : « L’empereor ad tort. » Li Marganices sist sur un ceval sor, Brochet le ben des esperuns a or, Fiert Oliver derere en mi le dos. Le blanc osberc li ad descust el cors, Par mi le piz sun espiet li mist fors, E dit apres : « Un col avez pris fort ! Carles li magnes mar vos laissat as porz ! Tort nos ad fait : nen est dreiz qu’il s’en lot, Kar de vos sul ai ben venget les noz. » Oliver sent que a mort est ferut. Tient Halteclere, dunt li acer fut bruns, Fiert Marganices sur l’elme a or, agut, E flurs (e) e cristaus en acraventet jus ; Trenchet la teste d’ici qu’as denz menuz, Brandist sun colp, si l’ad mort abatut, E dist apres : « Paien mal aies tu ! Iço ne di que Karles n’i ait perdut ; Ne a muiler ne a dame qu’aies veüd, N’en vanteras el regne dunt tu fus Vaillant a un dener que m’i aies tolut, Ne fait damage ne de mei ne d’altrui ! » Apres escriet Rollant qu’il li aiut. AOI. Oliver sent qu’il est a mort nasfret. De lui venger ja mais ne li ert lez. En la grant presse or i fiert cume ber, Trenchet cez hanstes e cez escuz buclers, E piez e poinz e seles e costez. Ki lui veïst Sarrazins desmembrer, Un mort sur altre geter, De bon vassal li poüst remembrer. L’enseigne Carle n’i volt mie ublier : « Munjoie ! » escriet e haltement e cler. Rollant apelet, sun ami e sun per : « Sire cumpaign, a mei car vus justez ! A grant dulor ermes hoi desevrez. » AOI. Rollant reguardet Oliver al visage : Teint fut e pers, desculuret e pale. Li sancs tuz clers par mi le cors li raiet : Encuntre tere en cheent les esclaces. « Deus ! » dist li quens, « or ne sai jo que face. Sire cumpainz, mar fut vostre barnage ! Jamais n’iert hume ki tun cors cuntrevaillet. E ! France dulce, cun hoi remendras guaste De bons vassals, cunfundue e chaiete ! Li emperere en avrat grant damage. » A icest mot sur sun cheval se pasmet. AOI. As vus Rollant sur sun cheval pasmet, E Oliver ki est a mort nasfret : Tant ad seinet (ki) li oil li sunt trublet ; Ne loinz ne pres (es) ne poet vedeir si cler Que rec[on]oistre poisset nuls hom mortel. Sun cumpaignun, cum il l’at encontret, Sil fiert amunt sur l’elme a or gemet : Tut li detrenchet d’ici qu’al nasel ; Mais en la teste ne l’ad mie adeset. A icel colp l’ad Rollant reguardet, Si li demandet dulcement e suef : « Sire cumpain, faites le vos de gred ? Ja est ço Rollant, ki tant vos soelt amer ! Par nule guise ne m’aviez desfiet ! » Dist Oliver : « Or vos oi jo parler ; Jo ne vos vei, veied vus Damnedeu ! Ferut vos ai, car le me pardunez ! » Rollant respunt : « Jo n’ai nient de mal. Jol vos parduins ici e devant Deu. » A icel mot l’un a l’altre ad clinet. Par tel […] amur as les vus desevred ! Oliver sent que la mort mult l’angoisset. Ansdous les oilz en la teste li turnent, L’oíe pert e la veüe tute ; Descent a piet, a l[a] tere se culchet, Durement en halt si recleimet sa culpe, Cuntre le ciel ambesdous ses mains juintes, Si priet Deu que pareïs li dunget E beneïst Karlun e France dulce, Sun cumpaignun Rollant sur tuz humes. Falt li le coer, le helme li embrunchet, Trestut le cors a la tere li justet. Morz est li quens, que plus ne se demuret. Rollant li ber le pluret, sil duluset ; Jamais en tere n’orrez plus dolent hume ! Or veit Rollant que mort est sun ami, Gesir adenz, a la tere sun vis, Mult dulcement a regreter le prist : « Sire cumpaign, tant mar fustes hardiz ! Ensemble avum estet e anz e dis ; Nem fesis mal ne jo nel te forsfis. Quant tu es mor[t], dulur est que jo vif ! » A icest mot se pasmet li marchis Sur sun ceval que cleimet Veillantif. Afermet est a ses estreus d’or fin : Quel part qu’il alt, ne poet mie chaïr. Ainz que Rollant se seit aperceüt, De pasmeisuns guariz ne revenuz, Mult grant damage li est apareüt : Morz sunt Franceis, tuz les i ad perdut, Senz l’arcevesque e senz Gualter del Hum. Repairez est des muntaignes jus ; A cels d’Espaigne mult s’i est cumbatuz ; Mort sunt si hume, sis unt paiens (…) vencut ; Voeillet (illi) o nun, desuz cez vals s’en fuit, Si reclaimet Rollant, qu’il li aiut : « E ! gentilz quens, vaillanz hom, ú ies tu ? Unkes nen oi poür, la u tu fus. Ço est Gualter, ki cunquist Maelgut, Li nies Droün, al vieill e al canut ! Pur vasselage suleie estre tun drut. Ma hanste est fraite e percet mun escut, E mis osbercs desmailet e rumput ; Par mi le cors hot une lances […] ferut. Sempres murrai, mais cher me sui vendut ! » A icel mot l’at Rollant entendut ; Le cheval brochet, si vient poignant vers lui. AOI. Rollant ad doel, si fut maltalentifs ; En la grant presse cumencet a ferir. De cels d’Espaigne en ad get[et] mort.XX., E Gualter.VI. e l’arcevesque.V. Dient paien : « (Felun) Feluns humes ad ci ! Guardez, seignurs, qu’il n’en algent vif ! Tut par seit fel ki nes vait envaïr, E recreant ki les lerrat guar[ir] ! » Dunc recumencent e le hu e le cri ; De tutes parz le revunt envaïr. AOI. Li quens Rollant fut noble guerrer, Gualter de Hums est bien bon chevaler, Li arcevesque prozdom e essaiet : Li uns ne volt l’altre nient laisser. En la grant presse i fierent as paiens. Mil Sarrazins i descendent a piet, E a cheval sunt.XL. millers. Men escientre nes osent aproismer. Il lor lancent e lances e espiez, E wigres e darz e museras e agiez e gieser. As premers colps i unt ocis Gualter, Turpins de Reins tut sun escut percet, Quasset sun elme, si l’unt nasfret el chef, E sun osberc rumput e desmailet ; Par mi le cors nasfret de.IIII. espiez ; Dedesuz lui ocient sun destrer. Or est grant doel quant l’arcevesque chiet. AOI. Turpins de Reins, quant se sent abatut, De.IIII. espiez par mi le cors ferut, Isnelement li ber resailit sus ; Rollant reguardet, puis si li est curut, E dist un mot : « Ne sui mie vencut ! Ja bon vassal nen ert vif recreüt. » Il trait Almace, s’espee de acer brun, En la grant presse mil colps i fiert e plus, Puis le dist Carles qu’il n’en esparignat nul ; Tels.IIII. cenz i troevet entur lui : Alquanz nafrez, alquanz par mi ferut, Si out d’icels ki les chefs unt perdut. Ço dit la Geste e cil ki el camp fut : Li ber Gilie, por qui Deus fait vertuz, E fist la chartre el muster de Loüm. Ki tant ne set ne l’ad prod entendut. Li quens Rollant genteme[n]t se cumbat, Mais le cors ad tressuet e mult chalt ; En la teste ad e dulor e grant mal : Rumput est li temples, por ço que il cornat. Mais saveir volt se Charles i vendrat : Trait l’olifan, fieblement le sunat. Li emperere s’estut, si l’escultat : « Seignurs, » dist il, « mult malement nos vait ! Rollant mis nies hoi cest jur nus defalt. Jo oi al corner que guaires ne vivrat. Ki estre i voelt isnelement chevalzt ! Sunez voz graisles tant que en cest ost ad ! » Seisante milie en i cornent si halt, Sunent li munt e respondent li val : Paien l’entendent, nel tindrent mie en gab ; Dit l’un a l’altre : « Karlun avrum nus ja ! » Dient paien : « L’emperere repairet ! AOI. De cels de France oe(n)z suner les graisles ! Se Carles vient, de nus i avrat perte. Se R[ollant] vit, nostre guere renovelet, Perdud avuns Espaigne, nostre tere. » Tels.IIII. cenz s’en asemble[nt] a helmes, E des meillors ki el camp quient estre : A Rollant rendent un estur fort e pesme. Or ad li quens endreit sei asez que faire. AOI. Li quens Rollant, quant il les veit venir, Tant se fait fort e fiers e maneviz ! Ne lur lerat tant cum il serat vif. Siet el cheval qu’om cleimet Veillantif, Brochet le bien des esperuns d’or fin, En la grant presse les vait tuz envaïr, Ensem[b]l’od lui arcevesques Turpin. Dist l’un a l’altre : « Ça vus traiez ami ! De cels de France les corns avuns oït : Carles repairet, li reis poesteïfs ! » Li quens Rollant unkes n’amat cuard Ne orguillos, ne malvais (…) hume de male part, Ne chevaler, se il ne fust bon vassal. Li arcevesques Turpin en apelat : « Sire, a pied estes e jo sui a ceval ; Pur vostre amur ici prendrai estal ; Ensemble avruns e le ben e le mal ; Ne vos lerrai pur nul hume de car. Encui rendruns a paiens cest asalt. Les colps des mielz, cels sunt de Durendal. » Dist l’arcevesque : « Fel seit ki ben n’i ferrat. Carles repairet, ki ben nus vengerat. » Paien dient : « Si mare fumes nez ! Cum pes[mes] jurz nus est hoi ajurnez ! Perdut avum noz seignurs e noz pers. Carles repeiret od sa grant ost li ber ; De cels de France odum les graisles clers, Grant est la noise de « Munjoie ! » escrier. Li quens Rollant est de tant grant fiertet, Ja n’ert vencut pur nul hume carnel. Lancuns a lui, puis sil laissums ester. » E il si firent darz e wigres asez, Espiez e lances e museraz enpennez ; (Le) L’escut Rollant unt frait e estroet, E sun osberc rumput e desmailet ; Mais enz el cors ne l’unt mie adeset. Mais Veillantif unt en.XXX. lius nafret, Desuz le cunte, si l’i unt mort laisset. Paien s’en fuient, puis sil laisent ester. Li quens Rollant i est remes a pied. AOI. Paien s’en fuient, curucus e irez ; Envers Espaigne tendent de l’espleiter. Li quens Rollant nes ad dunt encalcer : Perdut i ad Veillantif sun destrer ; Voellet o nun, remes i est a piet. A l’arcevesque Turpin alat aider : Sun elme ad or li deslaçat del chef, Si li tolit le blanc osberc leger, E sun blialt li ad tut detrenchet ; En ses granz plaies les pans li ad butet ; Cuntre sun piz puis si l’ad enbracet ; Sur l’erbe verte puis l’at suef culchet, Mult dulcement li ad Rollant preiet : « E ! gentilz hom, car me dunez cunget ! Noz cumpaignuns, que oümes tanz chers, Or sunt il morz : nes i devuns laiser. Joes voell aler querre e entercer, Dedevant vos juster e enrenger. » Dist l’arcevesque : « Alez e repairez ! Cist camp est vostre, mercit Deu […] mien. » Rollant s’en turnet, par le camp vait tut suls, Cercet les vals e si cercet les munz : Iloec truvat Gerin e Gerer sun cumpaignun. E si truvat Berenger e Attun ; Iloec truvat Anseïs e Sansun, Truvat Gerard le veill de Russillun. Par uns e uns les ad pris le barun, A l’arcevesque en est venuz a tut, Sis mist en reng dedevant ses genuilz. Li arcevesque ne poet muer n’en plurt, Lievet sa main, fait sa b[en]eïçun, Apres ad dit : « Mare fustes, seignurs ! Tutes voz anmes ait Deus li Glorius ! En pareïs les metet en se[i]ntes flurs ! La meie mort me rent si anguissus : Ja ne verrai le riche empereuür ! » Rollant s’en turnet, le camp vait recercer, Sun cumpaignun ad truvet, Oliver : Encuntre sun piz estreit l’ad enbracet ; Si cum il poet a l’arcevesques en vent, Sur un escut l’ad as altres culchet, E l’arcevesque (les) [l’]ad asols e seignet. Idunc agreget le doel e la pitet. Ço dit Rollant : « Bels cumpainz Oliver, Vos fustes fils al duc Reiner Ki tint la marche del val de Runers. Pur hanste freindre e pur escuz peceier, Pur orgoillos veincre e esmaier, E pur prozdomes tenir e cunseiller, E pur glutun veincre e esmaier, En nule tere n’ad meillor chevaler ! » Li quens Rollant, quant il veit mort ses pers, E Oliver, qu’il tant poeit amer, Tendrur en out, cumencet a plurer. En sun visage fut mult desculurez. Si grant doel out que mais ne pout ester ; Voeillet o nun, a tere chet pasmet. Dist l’arcevesque : « Tant mare fustes ber ! » Li arcevesques quant vit pasmer Rollant, Dunc out tel doel unkes mais n’out si grant. Tendit sa main, si ad pris l’olifan : En Rencesvals ad un ewe curant ; Aler i volt, sin durrat a Rollant. Sun petit pas s’en turnet cancelant. Il est si fieble qu’il ne poet en avant ; N’en ad vertut, trop ad perdut del sanc. Einz que om alast un sul arpent de camp, Falt li le coer, si est chaeit avant. La sue mort l’i vait mult angoissant. Li quens Rollant revient de pasmeisuns : Sur piez se drecet, mais il ad grant dulur. Guardet aval e si guardet amunt : Sur l’erbe verte, ultre ses cumpaignuns, La veit gesir le nobilie barun, Ço est l’arcevesque, que Deus mist en sun num. Cleimet sa culpe, si reguardet amunt, Cuntre le ciel amsdous ses mains ad juinz, Si priet Deu que pareïs li duinst. [Morz est Turpin, le guerreier Charlun.] Par granz batailles e par mult bels sermons, Cuntre paiens fut tuz tens campiuns. Deus li otreit (la sue) seinte beneïçun ! AOI. Li quens Rollant veit l’ar[ce]vesque a tere : Defors sun cors veit gesir la buele ; Desuz le frunt li buillit la cervele. Desur sun piz, entre les dous furceles, Cruisiedes ad ses blanches [mains], les beles. Forment le pleignet a la lei de sa tere : « E ! gentilz hom, chevaler de bon aire, Hoi te cumant al Glorius celeste ! Jamais n’ert hume plus volenters le serve. Des les apostles ne fut hom tel prophete Pur lei tenir e pur humes atraire. Ja la vostre anme nen ait sufraite ! De pareïs li seit la porte uverte ! » Ço sent Rollant que la mort li est pres Par les oreilles fors se ist la cervel. De ses pers priet Deu ques apelt, E pois de lui a l’angle Gabriel. Prist l’olifan, que reproce n’en ait, E Durendal s’espee en l’altre main. D’un arcbaleste ne poet traire un quarrel, Devers Espaigne en vait en un guaret ; Muntet sur un tertre ; desuz un arbre bel(e) Quatre perruns i ad, de marbre fait(e). Sur l’erbe verte si est caeit envers : La s’est pasmet, kar la mort li est pres. Halt sunt li pui e mult halt les arbres. Quatre perruns i ad luisant de marbre. Sur l’erbe verte li quens Rollant se pasmet. Uns Sarrazins tute veie l’esguardet : Si se feinst mort, si gist entre les altres ; Del sanc luat sun cors e sun visage. Met sei en piez e de curre s’astet. Bels fut e forz e de grant vasselage ; Par sun orgoill cumencet mortel rage ; Rollant saisit e sun cors e ses armes, E dist un mot : « Vencut est li nies Carles ! Iceste espee porterai en Arabe. » En cel tirer(es) li quens s’aperçut alques. Ço sent Rollant que s’espee li tolt. Uvrit les oilz, si li ad dit un mot : « Men escientre, tu n’ies mie des noz ! » Tient l’olifan, que unkes perdre ne volt, Sil fiert en l’elme, ki gemmet fut a or : Fruisset l’acer e la teste e les ós, Amsdous les oilz del chef li ad mis fors ; Jus a ses piez si l’ad tresturnet mort. Apres li dit : « Culvert paien, cum fus unkes si ós Que me saisis, ne a dreit ne a tort ? Ne l’orrat hume, ne t’en tienget por fol. Fenduz en est mis olifans el gros, Caiuz en est li cristals e li ors. » Ço sent Rollant la veúe ad perdue ; Met sei sur piez, quanqu’il poet, s’esvertuet ; En sun visage sa culur ad perdue. Dedevant lui ad une perre byse : .X. colps i fiert par doel e par rancune. Cruist li acers, ne freint, [ne] n’esgruignet. « E ! » dist li quens, « sainte Marie, aiue ! E ! Durendal, bone, si mare fustes ! Quant jo mei perd, de vos n’en ai mais cure. Tantes batailles en camp en ai vencues. E tantes teres larges escumbatues, Que Carles tient, ki la barbe ad canue ! Ne vos ait hume ki pur altre fuiet ! Mult bon vassal vos ad lung tens tenue : Jamais n’ert tel en France l’asolue. » Rollant ferit el perrun de sardónie. Cruist li acers, ne briset ne n’esgrunie. Quant il ço vit que n’en pout mie freindre, A sei meïsme la cumencet a pleindre : « E ! Durendal, cum es bele, e clere, e blanche ! Cuntre soleill si luises e reflambes ! Carles esteit es vals de Moriane, Quant Deus del cel li mandat par sun a[n]gle, Qu’il te dunast a un cunte cataignie : Dunc la me ceinst li gentilz reis, li magnes. Jo l’en cunquis Namon e Bretaigne, Si l’en cunquis e Peitou e le Maine ; Jo l’en cunquis Normendie la franche, Si l’en cunquis Provence e Equitaigne E Lumbardie e trestute (r)Romaine ; Jo l’en cunquis Baiver e tute Flandres, E Burguigne e trestute Puillanie, Costentinnoble, dunt il out la fiance, E en Saisonie fait il ço, qu’il demandet ; Jo l’en cunquis e Escoce e Vales Islonde, E Engletere, que il teneit sa cambre ; Cunquis l’en ai païs e teres tantes, Que Carles tient, ki ad la barbe blanche. Pur ceste espee ai dulor e pesance : Mielz voeill murir qu’entre paiens remaigne. Deus ! Perre, n’en laise(i)t hunir France ! » Rollant ferit en une perre bise, Plus en abat que jo ne vos sai dire. L’espee cruist, ne fruisset, ne ne brise, Cuntre ciel amunt est resortie. Quant veit li quens que ne la freindrat mie, Mult dulcement la pleinst a sei meïsme : « E ! Durendal, cum es bele e seintisme ! En l’oriet punt asez i ad reliques : La dent seint Perre e del sanc seint Basilie, E des chevels mun seignor seint Denise, Del vestement i ad seinte Marie. Il nen est dreiz que paiens te baillisent ; De chrestiens devrez estre servie. Ne vos ait hume ki facet cuardie ! Mult larges teres de vus avrai cunquises, Que Carles les tent, ki la barbe ad flurie. E li empereres en est ber e riches. » Ço sent Rollant que la mort le tresprent, Devers la teste sur le quer li descent. Desuz un pin i est alet curant, Sur l’erbe verte s’i est culcet adenz, Desuz lui met s’espee e l’olifan (en sumet) ; Turnat sa teste vers la paiene gent ; Pur ço l’at fait que il voelt veirement Que Carles diet e trestute sa gent, Li gentilz quens, qu’il fut mort cunquerant. Cleimet sa culpe e menut e suvent ; Pur ses pecchez Deu (recleimet) en puroffrid lo guant. AOI. Ço sent Rollant de sun tens n’i ad plus. Devers Espaigne est en un pui agut ; A l’une main si ad sun piz batud : « Deus, meie culpe vers les tues vertuz De mes pecchez, des granz e des menuz Que jo ai fait des l’ure que nez fui Tresqu’a cest jur que ci sui consoüt ! » Sun destre guant en ad vers Deu tendut : Angles del ciel i descendent a lui. AOI. Li quens Rollant se jut desuz un pin ; Envers Espaigne en ad turnet sun vis. De plusurs choses a remembrer li prist : De tantes teres cum li bers conquist, De dulce France, des humes de sun lign, De Carlemagne, sun seignor, kil nurrit. Ne poet muer n’en plurt e ne suspirt. Mais lui meïsme ne volt mettre en ubli, Cleimet sa culpe, si priet Deu mercit : « Veire Patene, ki unkes ne mentis, Seint Lazaron de mort resurrexis, E Daniel des leons guaresis, Guaris de mei l’anme de tuz perilz Pur les pecchez que en ma vie fis ! » Sun destre guant a Deu en puroffrit ; Seint Gabriel de sa main l’ad pris. Desur sun braz teneit le chef enclin ; Juntes ses mains est alet a sa fin. Deus tramist sun angle Cherubin, E seint Michel del Peril ; Ensembl’od els sent Gabriel i vint. L’anme del cunte portent en pareïs. Morz est Rollant, Deus en ad l’anme es cels. Li emperere en Rence[s]val[s] parvient. Il nen i ad ne veie ne senter, Ne voide tere, ne alne (illi) [ne] plein pied, Que il n’i ait o Franceis ó paien. Carles escriet : « U estes vos, bels nies ? U est l’arcevesque e li quens Oliver ? U est Gerins e sis cumpainz Gerers ? U est Otes e li quens Berengers Ive e Ivorie, que jo aveie tant chers ? Que est devenuz li Guascuinz Engeler ? Sansun li dux e Anseïs li bers ? U est Gerard de Russillun li veilz ? Li.XII. per, que jo aveie laiset ? » De ço qui chelt, quant nul n’en respundiet ? – « Deus ! » dist li reis, « tant me pois esmaer Que jo ne fui a l’estur cumencer ! » Tiret sa barbe cum hom ki est iret ; Plurent des oilz si baron chevaler ; Encuntre tere se pasment.XX. millers. Naimes li dux en ad mult grant pitet. Il n’en i ad chevaler ne barun Que de pitet mult durement ne plurt ; Plurent lur filz, lur freres, lur nevolz, E lur amis e lur lige seignurs ; Encuntre tere se pasment […] li plusur. Naimes li dux d’iço ad fait que proz, Tuz premereins l’ad dit l empereür : « Veez avant de dous liwes de nus, Ve[d]e[i]r puez les granz chemins puldrus, (Que) Qu’ase(n)z i ad de la gent paienur. Car chevalchez ! Vengez ceste dulor ! » – « E ! Deus ! » dist Carles, « ja sunt il ja si luinz ! Cunse[i]l[l]ez mei e dreit[ure] e honur ; De France dulce m’unt tolud la flur. » Li reis cumandet Gebuin e Otun, Tedbalt de Reins e le cunte Milun : « Guardez le champ e les vals e les munz. Lessez gesir les morz tut issi cun il sunt, Que n’i adeist ne beste ne lion, Ne n’i adeist esquier ne garçun ; Jo vus defend que n’i adeist nuls hom, Josque Deus voeil[l]e que en cest camp revengum. » E cil respundent dulcement, par amur : « Dreiz emperere, cher sire, si ferum ! » Mil chevaler i retienent des lur. AOI. Li empereres fait ses graisles suner, Puis si chevalchet od sa grant ost li ber. De cels d’Espaigne unt lur les dos turnez, Tenent l’enchalz, tuit en sunt cumunel. Quant veit li reis le vespres decliner, Sur l’erbe verte descent li reis en un pred, Culchet sei a tere, si priet Damnedeu Que li soleilz facet pur lui arester, La nuit targer e le jur demurer. Ais li un angle ki od lui soelt parler, Isnelement si li ad comandet : « Charle, chevalche, car tei ne faudrad clartet ! La flur de France as perdut, ço set Deus. Venger te poez de la gent criminel. » A icel mot est l’emperere muntet. AOI. Pur Karlemagne fist Deus vertuz mult granz, Car li soleilz est remes en estant. Paien s’en fuient, ben les chalcent Franc. El Val Tenebrus la les vunt ateignant, Vers Sarraguce les enchalcent […] franc, A colps pleners les en vunt ociant, Tolent lur veies e les chemins plus granz. L’ewe de Sebre, el lur est dedevant : Mult est parfunde, merveill[us]e e curant ; Il n’en i ad barge, ne drodmund ne caland. Paiens recleiment un lur deu, Tervagant, Puis saillent enz, mais il n’i unt guarant. Li adubez en sunt li plus pesant, Env(er)ers les funz s’en turnerent alquanz ; Li altre en vunt cuntreval flotant. Li miez guariz en unt boüd itant, Tuz sunt neiez par merveillus ahan. Franceis escrient : « Mare fustes, Rollant ! » AOI. Quant Carles veit que tuit sunt mort paiens, Alquanz ocis e li plusur neiet, Mult grant eschec en unt si chevaler, Li gentilz reis descendut est a piet, Culchet sei a tere, sin ad Deu graciet. Quant il se drecet, li soleilz est culchet. Dist l’emperere : « Tens est del herberger ; En Rencesvals est tart del repairer : Nos chevals sunt e las e ennuiez. Tolez lur les seles, le freins qu’il unt es chefs, E par cez prez les laisez refreider. » Respundent Franc : « Sire, vos dites bien. » AOI. Li emperere ad prise sa herberge. Franceis descendent en la tere deserte, A lur chevals unt toleites les seles, Les freins a or e metent jus des testes, Livrent lur prez, asez i ad fresche herbe ; D’altre cunreid ne lur poeent plus faire. Ki mult est las, il se dort cuntre tere. Icele noit n’unt unkes escalguaite. Li emperere s’est culcet en un pret : Sun grant espiet met a sun chef li ber ; Icele noit ne se volt il desarmer, Si ad vestut sun blanc osberc sasfret, Laciet sun elme, ki est a or gemmet, Ceinte Joiuse, unches ne fut sa per, Ki cascun jur muet.XXX. clartez. Asez savum de la lance parler Dunt Nostre Sire fut en la cruiz nasfret : Carles en ad la mure, mercit Deu ; en l’oret punt l’ad faite manuvrer. Pur ceste honur e pur ceste bontet, Li nums Joiuse l’espee fut dunet. Baruns franceis nel deivent ublier : Enseigne en unt de « Munjoie ! » crier ; Pur ço nes poet nule gent cuntrester. Clere est la noit e la lune luisante. Carles se gist, mais doel ad de Rollant E d’Oliver li peiset mult forment, Des.XII. pers e de la franceise gent. [Qu’]en Rencesvals ad laiset morz sang[l]enz. Ne poet muer n’en plurt e nes dement E priet Deu qu’as anmes seit guarent. Las est li reis, kar la peine est mult grant ; Endormiz est, ne pout mais en avant. Par tuz les prez or se dorment li Franc. N’i ad cheval ki puisset ester en estant ; Ki herbe voelt, il la prent en gisant. Mult ad apris ki bien conuist ahan. Karles se dort cum hume traveillet. Seint Gabriel li ad Deus enveiet : L’empereür li cumandet a guarder. Li angles est tute noit a sun chef. Par avisiun li ad anunciet D’une bataille ki encuntre lui ert : Senefiance l’en demustrat mult gref. Carles guardat amunt envers le ciel, Veit les tuneires e les venz e les giels, E les orez, les merveillus tempez, E fous e flambes i est apareillez : Isnelement sur tute sa gent chet. Ardent cez hanstes de fraisne e de pumer E cez escuz jesqu’as bucles d’or mier, Fruisent cez hanstes de cez trenchanz espiez, Cruissent osbercs e cez helmes d’acer. En grant dulor i veit ses chevalers. Urs e leuparz les voelent puis manger, Serpenz e guivres, dragun e averser ; Grifuns i ad, plus de trente millers : N’en i ad cel a Franceis ne s’agiet. E Franceis crient : « Carlemagne, aidez ! » Li reis en ad e dulur e pitet ; Aler i volt, mais il ad desturber. Devers un gualt uns granz leons li vint, Mult par ert pesmes e orguillus e fiers ; Sun cors meïsmes i asalt e requert, E prenent sei a braz ambesdous por loiter ; Mais ço ne set liquels abat ne quels chiet. Li emperere n’est mie esveillet. Apres icel li vien[t] un altre avisiun, Qu’il ert en France, ad Ais, a un perrun, En dous chaeines si teneit un brohun. Devers Ardene veeit venir.XXX. urs, Cascun parolet altresi cume hum. Diseient li : « Sire rendez le nus ! Il nen est dreiz que il seit mais od vos ; Nostre parent devum estre a sucurs. » De sun paleis uns veltres acurt ; Entre les altres asaillit le greignur Sur l’erbe verte ultre ses cumpaignuns. La vit li reis si merveillus estur ; Mais ço ne set liquels veint ne quels nun. Li angles Deu ço ad mustret al barun. Carles se dort tresqu’al demain, al cler jur. Li reis Marsilie s’en fuit en Sarraguce. Suz un olive est descendut en l’umbre, S’espee rent e sun elme e sa bronie ; Sur la verte herbe mult laidement se culcet ; La destre main ad perdue trestute ; Del sanc qu’en ist se pasmet e angoiset. Dedevant lui sa muiller, Bramimunde, Pluret e criet, mult forment se doluset ; Ensembl’od li plus de.XX. mil humes, Si maldient Carlun e France dulce. Ad Apolin (en) curent en une crute, Tencent a lui, laidement le despersunent : « E ! malvais deus, por quei nus fais tel hunte ? Cest nostre rei por quei lessas cunfundre ? Ki mult te sert, malvais luer l’en dunes ! » Puis si li tolent se sceptre e sa curune. Par les mains le pendent sur une culumbe, Entre lur piez a tere le tresturnent, A granz bastuns le batent e defruisent. E Tervagan tolent sun escarbuncle, E Mahumet enz en un fosset butent, E porc e chen le mordent e defulent. De pa(i)smeisuns en est venuz Marsilies : Fait sei porter en sa cambre voltice ; Plusurs culurs i ad peinz e escrites. E Bramimunde le pluret, la reïne, Trait ses chevels, si se cleimet caitive, A l’altre mot mult haltement s’escriet : « E ! Sarraguce, cum ies oi desguarnie Del gentil rei ki t’aveit en baillie ! Li nostre deu i unt fait felonie, Ki en bataille oi matin le faillirent. Li amiralz i ferat cuardie S’il ne cumbat a cele gent hardie, Ki si sunt fiers n’unt cure de lur vies. Li emperere od la barbe flurie, Vasselage ad e mult grant estultie ; S’il ad bataill(i)e, il ne s’en fuirat mie. Mult est grant doel que n’en est ki l’ociet ! » Li emperere par sa grant poestet, .VII. anz tuz plens ad en Espaigne estet ; Prent i chastels e alquantes citez. Li reis Marsilie s’en purcacet asez : Al premer an fist ses brefs seieler, En Babilonie Baligant ad mandet, Ço est l’amiraill, le viel d’antiquitet, Tut survesquiet e Virgilie e Omer, En Sarraguce alt sucurre li ber ; E, s’il nel fait, il guerpirat ses deus E tuz ses ydeles que il soelt adorer, Si recevrat sainte chrestientet, A Charlemagne se vuldrat acorder. E cil est loinz, si ad mult demuret ; Mandet sa gent de.XL. regnez, Ses granz drodmunz en ad fait aprester, Eschiez e barges e galies e nefs. Suz Alixandre ad un port juste mer : Tut sun navilie i ad fait aprester. Ço est en mai, al premer jur d’ested : Tutes ses oz ad empeintes en mer. Granz sunt les oz de cele gent averse : Siglent a fort e nagent e guvernent. En sum cez maz e en cez (les) [h]altes vernes, Asez i ad carbuncles e lanternes ; La sus amunt pargetent tel luiserne Par la noit la mer en est plus bele. E cum il vienent en Espaigne la tere, Tut li païs en reluist e esclairet. Jesqu’a Marsilie en parvunt les noveles. AOI. Gent paienor ne voelent cesser unkes : Issent de mer, venent as ewes dulces, Laisent Marbrose e si laisent Marbrise, Par Sebre amunt tut lur naviries turnent. Asez i ad lanternes e carbuncles : Tute la noit mult grant clartet lur dunent. A icel jur venent a Sarraguce. AOI. Clers est li jurz et li soleilz luisant. Li amiralz est issut del calan : Espaneliz fors le vait adestrant, .XVII. reis apres le vunt siwant ; Cuntes e dux i ad ben ne sai quanz. Suz un lorer, ki est en mi un camp, Sur l’erbe verte getent un palie blanc : U[n] faldestoed i unt mis d’olifan. Desur s’asiet li paien Baligant ; Tuit li altre sunt remes en estant. Li sire d’els premer parlat avant : « Oiez ore, franc chevaler vaillant ! Carles li reis, l’emperere des Francs, Ne deit manger, se jo ne li cumant. Par tute Espaigne m’at fait guere mult grant : En France dulce le voeil aler querant. Ne finerai en trestut mun vivant Josqu’il seit mort u tut vif recreant. » Sur sun genoill en fiert sun destre guant. Puis qu’il l’ad dit, mult s’en est afichet Que ne lairat pur tut l’or desuz ciel, Que il ainz ad Ais, o Carles soelt plaider. Si hume li lo[d]ent, si li unt cunseillet. Puis apelat dous de ses chevalers, L’un Clarifan e l’altre Clarïen : « Vos estes filz al rei Maltraïen, Ki messages soleit faire volenters. Jo vos cumant qu’en Sarraguce algez ; Marsiliun de meie part li nunciez, Cuntre Franceis li sui venut aider. Se jo truis ó, mult grant bataille i ert ; Si l’en dunez cest guant ad or pleiet, El destre poign si li faites chalcer. Si li portez cest [bast]uncel d’or mer, E a mei venget pur reconoistre sun feu. En France irai pur Carles guerreier ; S’en ma mercit ne se culzt a mes piez E ne guerpisset la lei de chrestiens, Jo li toldrai la co(r)rune del chef. » Paien respundent « Sire, mult dites bien. » Dist Baligant : « Car chevalchez, barun ! L’un port le guant, li alt]r]e le bastun ! » E cil respundent « Cher sire, si ferum. » Tant chevalcherent que en Sarraguce sunt. Passent.X. portes, traversent.IIII. punz, Tutes les rues u li burgeis estunt. Cum il aproisment en la citet amunt, Vers le paleis oïrent grant fremur ; Asez i ad de cele gent paienur, Plurent e crient, demeinent grant dolor, Pleignent lur deus Tervagan e Mahum E Apollin, dunt il mie n’en unt. Dist cascun a l’altre : « Caitifs, que devendrum ? Sur nus est venue male confusiun. Perdut avum le rei Marsiliun : Li quens Rollant li trenchat ier le destre poign. Nus n’avum mie de Jurfaleu le Blunt. Trestute Espaigne iert hoi en lur bandun. » Li dui message descendent al perrun. Lur chevals laisent dedesuz un olive : Dui Sarrazin par les resnes les pristrent. E li message par les mantels se tindrent, Puis sunt muntez sus el paleis altisme. Cum il entrent en la cambre voltice, Par bel amur malvais saluz li firent : « Cil Mahumet ki nus ad en baillie, E Tervagan e Apollin, nostre sire, Sálvent le rei e guardent la reïne ! » Dist Bramimunde : « Or oi mult grant folie ! Cist nostre deu sunt en recreantise. En Rencesval m[al]vaises vertuz firent : Noz chevalers i unt lesset ocire ; Cest mien seignur en bataille faillirent ; Le destre poign ad perdut, n’en ad mie, Si li trenchat li quens Rollant, li riches. Trestute Espaigne avrat Carles en baillie. Que devendrai, duluruse, caitive ? E ! lasse, que n’en ai un hume ki m’ociet ! » AOI. Dist Clarien « Dame, ne parlez mie itant ! Messages sumes al paien Baligant. Marsiliun, ço dit, serat guarant, Si l’en enveiet sun bastun e sun guant. En Sebre avum.IIII. milie calant, Eschiez e barges e galees curant ; Drodmunz i ad ne vos sai dire quanz. Li amiralz est riches e puisant : En France irat Carlemagne querant ; Rendre le quidet u mort ó recreant. » Dist Bramimunde « Mar en irat itant ! Plus pres d’ici purrez truver les Francs. En ceste tere ad estet ja.VII. anz. Li emperere est ber e cumbatant : Meilz voel murir que ja fuiet de camp ; Suz ciel n’ad rei qu’il prist a un enfant. Carles ne creint nuls hom ki seit vivant. » – « Laissez ço ester !« dist Marsilies li reis. Dist as messages : « Seignurs, parlez a mei ! Ja veez vos que a mort sui destreit, Jo si nen ai filz ne fille ne heir : Un en aveie, cil fut ocis her seir. Mun seignur dites qu’il me vienge veeir. Li amiraill ad en Espaigne dreit : Quite li cleim, se il la voelt aveir, Puis la defendet encuntre li Franceis ! Vers Carlemagne li durrai bon conseill : Cunquis l’avrat d’oi cest jur en un meis. De Sarraguce les clefs li portereiz ; Pui li dites, il n’en irat, s’il me creit. » Cil respundent : « Sire, vus dites veir. » AOI. Ço dist Marsilie : « Carles l’emperere Mort m’ad mes homes, ma tere deguastee, E mes citez fraites e violees. Il jut anuit sur cel ewe de Sebre : Jo ai cunte n’i ad mais que.VII. liwes. L’amirail dites que sun host i amein. Par vos li mand bataille i seit justee. » De Sarraguce les clefs li ad livrees. Li messager ambedui l’enclinerent, Prenent cu(i)[n]get, a cel mot s’en turnerent. Li dui message es chevals sunt muntet. Isnelement issent de la citet, A l’amiraill en vunt esfreedement ; De Sarra[gu]ce li presentent les cles. Dist Baligant : « Que avez vos truvet ? U est Marsilie, que jo aveie mandet ?« Dist Clarïen : « Il est a mort nasfret. Li emperere fut ier as porz passer, Si s’en vuolt en dulce France aler. Par grant honur se fist rereguarder : Li quens Rollant i fut remes, sis nies, E Oliver e tuit li.XII. per, De cels de France.XX. milie adubez. Li reis Marsilie s’i cumbatit, li bers. Il e Rollant el camp furent remes : De Durendal li dunat un colp tel Le destre poign li ad del cors sevret ; Sun filz ad mort, qu’il tant suleit amer, E li baron qu’il i out amenet. Fuiant s’en vint, qu’il n’i pout mes ester. Li emperere l’ad enchalcet asez. Li reis mandet que vos le sucurez. Quite vus cleimet d’Espaigne le regnet. » E Baligant cumencet a penser ; Si grant doel ad por poi qu’il n’est desvet. AOI. « Sire amiralz, » dist Clarïens, « En Rencesvals une bataille out íer. Morz est Rollant e li quens Oliver, Li.XII. per, que Carles aveit tant cher ; De lur Franceis i ad mort.XX. millers. Li reis Marsilie le destre poign i perdit, E l’emperere asez l’ad enchalcet, En ceste tere n’est remes chevaler Ne seit ocis o en Sebre neiet. Desur la rive sunt Frances herbergiez : En cest païs nus sunt tant aproeciez, Se vos volez, li repaires ert grefs. » E Baligant le reguart en ad fiers, En sun curage en est joüs e liet. Del faldestod se redrecet en piez, Puis escriet : « Baruns, ne vos targez ! Eissez des nefs, muntez, si cevalciez ! S’or ne s’en fuit Karlemagne li veilz, Li reis Marsilie enqui serat venget : Pur sun poign destre l’en liverai le che(s)[f]. » Paien d’Arabe des nefs se sunt eissut, Puis sunt muntez es chevals e es muls ; Si chevalcherent, que fereient il plus ? Li amiralz, ki trestuz les esmut, Sin apelet Gemalfin, un sun drut : « Jo te cumant de tutes mes oz l’aunde. » Puis en un sun destrer brun est munte ; Ensembl’od lui emmeinet.IIII. dux. Tant chevalchat qu’en Sarraguce fut. A un perron de marbre est descenduz, E quatre cuntes l’estreu li unt tenut. Par les degrez el paleis muntet sus, E Bramidonie vient curant cuntre lui ; Si li ad dit : « Dolente, si mare fui ! A itel hunte, sire, mon seignor ai perdut ! » Chet li as piez, li amiralz la reçut ; Sus en la chambre ad doel en sunt venut. AOI. Li reis Marsilie, cum il veit Baligant, Dunc apelat dui Sarrazin espans : « Pernez m’as braz, sim(e) drecez en seant. » Al puign senestre ad pris un de ses guanz. Ço dist Marsilie : « Sire reis, amiralz, Teres tutes ici […] rengnes vos rendemas E Sarraguce e l’onur qu’i apent. Mei ai perdut e tute ma gent. » E cil respunt : « Tant sy jo plus dolent. Ne pois a vos tenir lung parlement : Jo sai asez que Carles ne m’atent, E nepurquant de vos receif le guant. » Al doel qu’il ad s’en est turnet plurant. AOI. Par les degrez jus del paleis descent, Muntet el ceval, vient a sa gent puignant. Tant chevalchat, qu’il est premers devant, De uns ad altres si se vait escriant : « Venez paien, car ja s’en fuient Frant ! » AOI. Al matin, quant primes pert li albe, Esveillez est li e[m]perere Carles. Sein Gabriel, ki de part Deu le guarde, Levet sa main, sur lui fait sun signacle. Li reis descent, si ad rendut ses armes, Si se desarment par tute l’ost li altre. Puis sunt muntet, par grant vertut chevalchent Cez veiez lunges e cez chemins mult larges, Si vunt ve[d]eir le merveillus damage En Rencesvals, la ó fut la bataille. AOI. En Rencesvals en est Carles venuz. Des morz qu’il troevet cumencet a plurer. Dist a Franceis : « Segnu[r]s, le pas tenez ; Kar mei meïsme estoet avant aler Pur mun nev[ol]d que vuldreie truver. A Eis esteie, a une féste anoel : Si se vant(t)[er]ent mi vaillant chevaler De granz batailles, de forz esturs pleners. D’une raisun oï Rollant parler : Ja ne (ne) murreit en estrange regnet Ne trespassast ses hume[s] e ses pers ; Vers lur païs avreit sun chef turnet ; Cunquerrantment si finereit li bers. » Plus qu’en ne poet un bastuncel jeter, Devant les altres est en un pui muntet. Quant l’empereres vait querre sun nevold, De tantes herbes el pre truvat les flors, Ki sunt vermeilz del sanc de noz barons ! Pitet en ad, ne poet muer n’en plurt. Desuz dous arbres parvenuz est […] li reis. Les colps Rollant conut en treis per(r)uns, Sur l’erbe verte veit gesir sun nevuld ; Nen est merveille se Karles ad irur. Descent a pied, aled i est pleins curs, Entre ses mains ansdous prent le priest suus ; Sur lui se pasmet, tant par est anguissus. Li empereres de pasmeisuns revint. Naimes li dux e li quens Acelin, Gefrei d’Anjou e sun frere Henri Prenent le rei, sil drecent suz un pin. Guardet a la tere, veit sun nevold gesir. Tant dulcement a regreter le prist : « Amis Rollant, de tei ait Deus mercit ! Unques nuls hom tel chevaler ne vit Por granz batailles juster e defenir. La meie honor est turnet en declin. » Carles se pasmet, ne s’en pout astenir. AOI. Carles li reis se vint de pasmeisuns ; Par mains le tienent.III. de ses barons. Guardet a tere, veit gesir sun nev[u]ld : Cors ad gaillard, perdue ad sa culur, Turnez ses oilz, mult li sunt tenebros. Carles le pleint par feid e par amur : « Ami Rollant, Deus metet t’anme en flors, En pareïs, entre les glorius ! Cum en Espaigne venis [a] mal seignur ! Jamais n’ert jurn que de tei n’aie dulur. Cum decarrat ma force e ma baldur ! N’en avrai ja ki sustienget m’onur ; Suz ciel ne quid aveir ami un sul ! Se jo ai parenz, n’en i ad nul si proz. » Trait ses crignels, pleines ses mains amsdous, Cent milie Franc en unt si grant dulur N’en i ad cel ki durement ne plurt. AOI. « Ami Rollant, jo m’en irai en France. Cum jo serai a Loün, en ma chambre, De plusurs regnes vendrunt li hume estrange ; Demanderunt : « U est quens cataignes ? » Jo lur dirrai qu’il est morz en Espaigne. A grant dulur tendrai puis mun reialme : Jamais n’ert jur que ne plur ne n’en pleigne. » – « Ami Rollant, prozdoem, juvente bele, Cum jo serai a Eis, em ma chapele, Vendrunt li hume, demanderunt noveles ; Jes lur dirrai, merveilluses e pesmes : « Morz est mis nies, ki tant me fist cunquere. » Encuntre mei revelerunt li Seisne, E Hungre e Bugre e tante gent averse, Romain, Puillain e tuit icil de Palerne E cil d’Affrike e cil de Califerne ; Puis entrerunt mes peines e mes suffraites. Ki guierat mes oz a tel poeste, Quant cil est [morz] ki tuz jurz nos cadelet ? E ! France, cum remeines deserte ! Si grant doel ai que jo ne vuldreie estre ! » Sa barbe blanche cumencet a detraire, Ad ambes mains les chevels de sa teste. Cent milie Francs s’en pasment cuntre tere. « Ami Rollant, de tei ait Deus mercit ! L’anme de tei seit mise en pareïs ! Ki tei ad mort France ad mis en exill. Si grant dol ai que ne voldreie vivre, De ma maisnee, ki por mei est ocise ! Ço duinset Deus, le filz sainte Marie, Einz que jo vienge as maistres porz de Sirie, L’anme del cors me seit oi departie, Entre les lur aluee e mise, E ma car fust delez els enfuïe ! » Ploret des oilz, sa blanche bar[b]e tiret. E dist dux Naimes : « Or ad Carles grant ire. » AOI. – « Sire emperere, » ço dist Gefrei d’Anjou, « Ceste dolor ne demenez tant fort ! Par tut le camp faites querre les noz, Que cil d’Espaigne en la bataille unt mort ; En un carne(l)[r] cumandez que hom les port. » Ço dist li reis : « Sunez en vostre corn ! » AOI. Gefreid d’Anjou ad sun greisle sunet. Franceis descendent, Carles l’ad comandet. Tuz lur amis qu’il i unt morz truvet, Ad un carne(l)[r] sempres les unt portet. Asez i ad evesques e abez, Munies, canonies, proveires coronez : Si sunt asols e seignez de part Deu. Mirre e timoine i firent alumer, Gaillardement tuz les unt encensez ; A grant honor pois les unt enterrez. Sis unt laisez : qu’en fereient il el ? AOI. Li emperere fait Rollant costeïr E Oliver e (e) l’arcevesque Turpin, Devant sei les ad fait tuz uvrir E tuz les quers en paile recuillir : Un blanc sarcou de marbre sunt enz mis ; E puis les cors des barons si unt pris, En quirs de cerf les seignurs unt mis : Ben sunt lavez de piment e de vin. Li reis cumandet Tedbalt e Gebuin, Milun le cunte e Otes le marchis : « En.III. carettes les guiez […] tres ben. » Bien sunt cuverz d’un palie galazin. AOI. Venir s’en volt li emperere Carles, Quant de paiens li surdent les enguardes. De cels devant i vindrent dui messages, De l’amirail li nuncent la bataille : « Reis orguillos, nen est fins que t’en alges ! Veiz Baligant, ki apres tei chevalchet : Granz sunt les oz qu’il ameinet d’Arabe. Encoi verrum se tu as vasselage.« AOI. Carles li reis en ad prise sa barbe ; Si li remembret del doel e [del] damage, Mult fierement tute sa gent reguardez ; Puis si s’escriet a sa voiz grand e halte : « Barons franceis, as chevals e as armes ! » AOI. Li empereres tuz premereins s’adubet : Isnelement ad vestue sa brunie, Lacet sun helme, si ad ceinte Joiuse, Ki pur soleill sa clartet n’en muet ; Pent a sun col un escut de Biterne, Tient sun espiet, sin fait brandir la hanste, En Tencendur, sun bon cheval, puis muntet : Il le cunquist es guez desuz Marsune, Sin getat mort Malpalin de Nerbone ; Laschet la resne, mult suvent l’esperonet, Fait sun eslais, veant cent mil humes, AOI. Recleimet Deu e l’apostle de Rome. Par tut le champ cil de France descendent, Plus de cent milie s’en adubent ensemble ; Guarnemenz unt ki ben lor atalente[n]t, Cevals curanz e lur armes mult gentes ; Puis sunt muntez e unt grant science. S’il troevent oí, bataille quident rendre. Cil gunfanun sur les helmes lur pendent. Quant Carles veit si beles cuntenances, Sin apelat Jozeran de Provence, Naimon li duc, Antelme de Maience : « En tels vassals deit hom aveir fiance ! Asez est fols ki entr’els se dem[ent]et. Si Arrabiz de venir ne se repentent, La mort Rollant lur quid cherement rendre. » Respunt dux Neimes : « E Deus le nos cunsente ! » AOI. Carles apelet Rabe[l] e Guinemán. Ço dist li reis : « Seignurs, jo vos cumant, Seiez es lius Oliver e Rollant : L’un port l’espee e l’altre l’olifant, Si chevalcez el premer chef devant, Ensembl’od vos.XV. milie de Franc(ei)s, De bachelers, de noz (…) meillors vaillanz. Apres icels en avrat altretant, Sis guierat Gibuins e Guinemans. » Naimes li dux e li quens Jozerans Icez eschieles ben les vunt ajustant. S’il troevent oí, bataille i ert mult grant. AOI. De Franceis sunt les premeres escheles. Apres les dous establisent la terce ; En cele sunt li vassal de Baivere, A.XX. [milie] chevalers la preiserent ; Ja devers els bataille n’ert lessee. Suz cel n’ad gent que Carles ait plus chere, Fors cels de France, ki les regnes cunquerent. Li quens Oger li Daneis, li puinneres, Les guierat, kar la cumpaigne est fiere. AOI. Treis escheles ad l’emperere Carles. Naimes li dux puis establist la quarte De tels barons qu’asez unt vasselage : Alemans sunt e si sunt d’Alemaigne ; Vint milie sunt, ço dient tuit li altre. Ben sunt guarniz e de chevals e d’armes ; Ja por murir ne guerpirunt bataille. Sis guierat Hermans li dux de Trace. Einz i murat que cuardise i facet. AOI. Naimes li dux e li quens Jozerans La quinte eschele unt faite de Normans : .XX. milie sunt, ço dient tuit li Franc. Armes unt beles e bons cevals curanz ; Ja pur murir cil n’erent recreanz. Suz ciel n’ad gent ki plus poissent en camp. Richard li velz les guierat el camp : Cil i ferrat de sun espiet trenchant. AOI. La siste eschele unt faite de Bretuns : .XXX. milie chevalers od els unt. Icil chevalchent en guise de baron, Peintes lur hanstes, fermez lur gunfanun. Le seignur d’els est apelet Oedun : Icil cumandet le cunte Nevelun, Tedbald de Reins e le marchis Otun : « Guiez ma gent, jo vos en faz le dun ! » AOI. Li emperere ad.VI. escheles faites. Naimes li dux puis establist la sedme De Peitevins e des barons d’Alverne : .XL. milie chevalers poeent estre. Chevals unt bons e les armes mult beles. Cil sunt par els en un val suz un tertre ; Sis beneïst Carles de sa main destre. Els guierat Jozerans e Godselmes. AOI. E l’oidme eschele ad Naimes establie : De Flamengs est [e] des barons de Frise. Chevalers unt plus de.XL. milie ; Ja devers els n’ert bataille guerpie. Ço dist li reis « Cist ferunt mun servise. » Entre Rembalt e Hamon de Galice Les guierunt tut par chevalerie. AOI. Entre Naimon e Jozeran le cunte La noefme eschele unt faite de prozdomes De Loherengs e de cels de Borgoigne. .L. milie chevalers unt par cunte, Helmes laciez e vestues lor bronies ; Espiez unt forz e les hanstes sunt curtes. Si Arrabiz de venir ne demurent, Cil les ferrunt, s’il a els s’abandunent. Sis guierat Tierris, li dux d’Argone. AOI. La disme eschele est des baruns de France : Cent milie sunt de noz meillors cataignes. Cors unt gaillarz e fieres cuntenances, Les chefs fluriz e les barbes unt blanches, Osbercs vestuz e lur brunies dubleines, Ceintes espees franceises e d’Espaigne ; Escuz unt genz, de multes cunoisances. Puis sunt muntez, la bataille demandent ; « Munjoie ! » escrient : Od els est Carlemagne. Gefreid d’Anjou portet l’orieflambe : Seint Piere fut (…), si aveit num Romaine ; Mais de Munjoie iloec out pris eschange. AOI. Li emperere de sun cheval descent ; Sur l’erbe verte se est culchet adenz, Turnet su[n] vis vers le soleill levant, Recleimet Deu mult escordusement : « Veire Paterne, hoi cest jor me defend, Ki guaresis Jonas tut veirement De la baleine ki en sun cors l’aveit E espar(i)gnas le rei de Niniven E Daniel del merveillus turment Enz en la fosse des leons o fut enz, Les.III. enfanz tut en un fou ardant : La tue amurs me seit hoi en present ! Par ta mercit, se tei plaist, me cunsent Que mun nevold pois[se] venger Rollant ! » Cum ad oret, si se drecet en estant, Seignat sun chef de la vertut poisant. Muntet li reis en sun cheval curant ; L’estreu li tindrent Neimes e Jocerans ; Prent sun escut e sun espiet trenchant. Gent ad le cors, gaillart e ben seant, Cler le visage e de bon cuntenant. Puis si chevalchet mult aficheement. Sunent cil greisle e derere e devant ; Sur tuz les altres bundist li olifant. Plurent Franceis pur pitet de Rollant. Mult gentement li emperere chevalchet : Desur sa bronie fors ad mise sa barbe. Pur sue amor altretel funt li altre : Cent milie Francs en sunt reconoisable. Passent cez puis e cez roches plus haltes, E cez parfunz val(ee)s, ces destreit anguisables, Issent des porz e de la tere guaste, Devers Espaigne sunt alez en la marche ; En un emplein unt prise lur estage. A Baligant repairent ses enguardes. Uns Sulians ki ad dit sun message : « Veüd avum li orguillus reis Carles. Fiers sunt si hume, n’unt talent qu’il li faillent. Adubez vus, sempres avrez bataille ! » Dist Baligant : « Or oi grant vasselage. Sunez voz graisles, que mi paien le sace[n]t ! » Par tute l’ost funt lur taburs suner, E cez buisines e cez greisles mult cler : Paien descendent pur lur cors aduber. Li amiralz ne se voelt demurer : Vest une bronie dunt li pan sunt sasfret, Lacet sun elme, ki ad or est gemmet, Puis ceint s’espee al senestre costet. Par sun orgoill li ad un num truvet : Par la spee Carlun dunt il oït parler ...................... Ço ert s’enseigne en bataille campel : Ses chevalers en ad fait escrier. Pent a sun col un soen grant escut let : D’or est la bucle e de cristal listet, La guige en est d’un bon palie roet ; Tient sun espiet, si l’apelet Maltet : La hanste grosse cume uns tinels ; De sul le fer fust uns mulez trusset. En sun destrer Baligant est muntet ; L’estreu li tint Marcules d’Ultremer. La forcheüre ad asez grant li ber, Graisles les flancs e larges les costez ; Gros ad le piz, belement est mollet, Lees les espalles e le vis ad mult cler, Fier le visage, le chef recercelet, Tant par ert blancs cume flur en estet ; De vasselage est suvent esprovet. Deus ! quel baron, s’oüst chrestientet ! Le cheval brochet, li sancs en ist tuz clers, Fait sun eslais, si tressalt un fosset, Cinquante pez i poet hom mesurer. Paien escrient : « Cist deit marches tenser ! N’i ad Franceis, si a lui vient juster, Voeillet o nun, n’i perdet sun edet. Carles est fols que ne s’en est alet. » AOI. Li amiralz ben resemblet barun. Blanche ad la barbe ensement cume flur, E de sa lei mult par est saives hom, E en bataille est fiers e orgoillus. Ses filz Malpramis mult est chevalerus : Granz est e forz e trait as anceisurs. Dist a sun perre : « Sire, car cevalchum ! Mult me merveill se ja verrum Carlun. » Dist Baligant : « Oïl, car mult est proz. En plusurs gestes de lui sunt granz honurs. Il n’en at mie de Rollant sun nevold : N’avrat vertut ques tienget cuntre nus. » AOI. – « Bels filz Malpramis, » ço li dist Baligant, « Li altrer fut ocis le bon vassal Rollant E Oliver, li proz e li vaillanz, Li.XII. per qui Carles amat tant, De cels de France.XX. milie cumbatanz. Trestuz les altres ne pris jo mie un guant. Li empereres repairet veirement, S’il m’at nunciet mes mes, li Sulians, .X. escheles en unt faites mult granz. Cil est mult proz ki sunet l’olifant, D’un graisle cler racatet ses cumpaignz ; E si cevalcent el premer chef devant, Ensembl’od els.XV. milie de Francs, De bachelers que Carles cleimet enfanz. Apres icels en i ad ben altretanz : Cil i ferrunt mult orgoillusement. » Dist Malpramis : « Le colp vos en demant. » AOI. – « Filz Malpramis, » Baligant li ad dit, « Jo vos otri quanque m’avez ci quis. Cuntre Franceis sempres irez ferir ; Si i merrez Torleu, le rei persis, E Dapamort, un altre rei leutiz. Le grant orgoill se ja puez matir, Jo vos durrai un pan de mun païs Des Cheriant entresqu’en Val Marchis. » Cil respunt : « Sire, vostre mercit ! » Passet avant, le dun en requeillit, Ço est de la tere ki fut al rei Flurit, A itel ore unches puis ne la vit, Ne il n’en fut ne vestut ne saisit. Li amiraill chevalchet par cez oz. Sis filz le siut, ki mult ad grant le cors. Li reis Torleus e li reis Dapamort .XXX. escheles establissent mult tost : Chevalers unt a merveillus esforz ; En la menur.L. milie en out. La premere est de cels de Butentrot, E l’altre apres de Micenes as chefs gros ; Sur les eschines qu’il unt en mi les dos Cil sunt seiet ensement cume porc. AOI. E la t(er)erce est de Nubles e de Blos, E la quarte est de Bruns e d’Esclavoz, E la quinte est de Sorbres e de Sorz, E la siste est d’Ermines e de Mors, E la sedme est de cels de Jericho, E l’oitme est de Nigres e la noefme de Gros, E la disme est de Balide la fort : Ço est une gent ki unches ben ne volt. AOI. Li amiralz en juret quanqu’il poet De Mahumet les vertuz e le cors : « Karles de France chevalchet cume fols. Bataille i ert, se il ne s’en destolt ; Jamais n’avrat el chef corone d’or. » Dis escheles establisent apres. La premere est des Canelius les laiz, De Val Fuit sun venuz en traver. L’altre est de Turcs e la terce de Pers, E la quarte est de Pinceneis e de Pers, E la quinte est de Solteras e d’Avers, E la siste est d’Ormaleus e d’Eugiez, E la sedme est de la gent Samuel, L’oidme est de Bruise e la noefme de Clavers, E la disme est d’Occian le desert : Ço est une gent ki Damnedeu ne sert ; De plus feluns n’orrez parler jamais. Durs unt les quirs ensement cume fer : Pur ço n’unt soign de elme ne d’osberc ; En la bataille sunt felun e engres. AOI. Li amiralz.X. escheles ad justedes : La premere est des jaianz de Malprese, L’altre est de Hums e la terce de Hungres, E la quarte est de Baldise la lunge E la quinte est de cels de Val Penuse E la siste est de […] Maruse, E la sedme est de Leus e d’Astrimónies ; L’oidme est d’Argoilles e la noefme de Clarbone, E la disme est des barbez de Fronde : Ço est une gent ki Deu nen amat unkes. Geste Francor.XXX. escheles i numbrent. Granz sunt les oz u cez buisines sunent. Paien chevalchent en guise de produme. AOI. Li amiralz mult par est riches hoem. Dedavant sei fait porter sun dragon E l’estandart Tervagan e Mahum E un ymagene Apolin le felun. Des Canelius chevalchent envirun. Mult haltement escrient un sermun : « Ki par noz Deus voelt aveir guarison, Sis prit e servet par grant afflictiun ! » Paien i baissent lur chefs e lur mentun ; Lor helmes clers i suzclinent enbrunc. Dient F[r]anceis : « Sempres murrez, glutun ! De vos seit hoi male confusiun ! Li nostre Deu, guarantisez Carlun ! Ceste bataille seit ju(ic)get en sun num ! » AOI. Li amiralz est mult de grant saveir ; A sei apelet sis filz e les dous reis : « Seignurs barons, devant chevalchereiz, Mes escheles tutes les guiereiz ; Mais des meillors voeill jo retenir treis : L’un ert de Turcs e l’altre d’Ormaleis, E la terce est des jaianz de Malpreis. Cil d’Ociant ierent e[n]sembl’ot mei, Si justerunt a Charles e a Franceis. Li emperere, s’il se cumbat od mei, Desur le buc la teste perdre en deit. Trestut seit fiz, n’i avrat altre dreit. » AOI. Granz sunt les oz e les escheles beles ; Entr’els nen at ne pui ne val ne tertre, Selve ne bois ; asconse n’i poet estre ; Ben s’entreveient en mi la pleine tere. Dist Baligant : « La meie gent averse, Car chevalchez pur la bataille quere ! » L’enseigne portet Amborres d’Oluferne. Paien escrient, « Precieuse » l’apelent. Dient Franceis : « De vos seit hoi grant perte ! » Mult haltement : « Munjoie ! » renuvelent. Li emperere i fait suner ses greisles, E l’olifan, ki tres(tu)tuz les esclairet. Dient paien : « La gent Ca[r]lun est bele. Bataille avrum e aduree e pesme. » AOI. Grant est la plaigne e large la cuntree. Luisent cil elme as perres d’or gemmees, E cez escuz e cez bronies safrees, E cez espiez, cez enseignes fermees. Sunent cez greisles, les voiz en sunt mult cleres ; De l’olifan haltes sunt les menees. Li amiralz en apelet sun frere, Ço est Canabeus, li reis de Floredee : Cil tint la terre entresqu’en Val Sevree. Les escheles Charlun li ad mustrees : « Veez l’orgoil de France la loee ! Mult fierement chevalchet li emperere ; Il est darere od cele gent barbee. Desur lur bronies lur barbes unt getees, Altresi blanches cume neif sur gelee. Cil i ferrunt de lances e d’espees, Bataille avrum e forte e aduree : Unkes nuls hom ne vit tel ajustee. » Plus qu’om ne lancet une verge pelee, Baligant ad ses cumpaignes trespassees. Une raisun lur ad dit e mustree : « Venez, paien, kar jo(n) irai en l’estree. » De sun espiet la hanste en ad branlee ; Envers Karlun la mure en ad turnee. AOI. Carles li magnes, cum il vit l’amiraill, E le dragon, l’enseigne e l’estandart, De cels d’Arabe si grant force i par (ar)ad, De la cuntree unt purprises les parz, Ne mes que tant (scue)[cume] l’empereres en ad, Li reis de France s’en escriet mult halt : « Barons franceis, vos estes bons vassals. Tantes batailles avez faites en camps ! Veez paien : felun sunt e cuart, Tutes lor leis un dener ne lur valt. S’il unt grant gent, d’iço, seignurs, qui calt ? Ki errer voelt, a mei venir s’en alt ! » Des esperons puis brochet le cheval, E Tencendor li (a)ad fait.IIII. salz. Dient Franceis : « Icist reis est vassals ! Chevalchez, bers ! Nul de nus ne vus falt. » Clers fut li jurz e li soleilz luisanz. Les oz sunt beles e les cumpaignes granz. Justees sunt les escheles devant. Li quens Rabels e li quens Guinemans Lascent les resnes a lor cevals curanz, Brochent a eit ; dunc laisent curre Francs : Si vunt ferir de lur espiez trenchanz. AOI. Li quens Rabels est chevaler hardiz, Le cheval brochet des esperuns d’or fin, Si vait ferir Torleu, le rei persis, N’escut ne bronie ne pout sun colp tenir : L’espiet a or li ad enz el cors mis, Que mort l’abat sur un boissun petit. Dient F[r]anceis : « Damnedeus nos aït ! » Carles ad dreit, ne li devom faillir. » AOI. E Guineman justet a un rei leutice. Tute li freint la targe, ki est flurie ; Apres li ad la bronie descunfite ; Tute l’enseigne li ad enz el cors mise, Que mort l’abat, ki qu’en plurt u kin riet. A icest colp cil de France s’esc(ri)rient : « Ferez, baron, ne vos targez mie ! Carles ad dreit vers la gent [pa]iesnie ; Deus nus ad mis al plus verai juïse. » AOI. Malpramis siet sur un cheval tut blanc ; Cunduit sun cors en la presse des Francs. De (u) uns es altres granz colps i vait ferant, L’un mort sur l’altre suvent vait trescevant. Tut premereins s’escriet Baligant : « Li mien baron, nurrit vos ai lung tens. Veez mun fils, Carlun le vait querant, A ses armes tanz barons calunjant : Meillor vassal de lui ja ne demant. Succurez le a voz espiez trenchant ! » A icest mot paien venent avant, Durs colps i fierent, mult est li caples granz. La bataille est merveilluse e pesant : Ne fut si fort enceis ne puis cel tens. AOI. Granz sunt les oz e les cumpaignes fieres, Justees sunt trestutes les escheles, E li paien merveillusement fierent. Deus ! tantes hanstes i ad par mi brisees, Escuz fruisez e bronies desmaillees ! La veïsez la tere si junchee : L’erbe del camp, ki est verte e delgee ............................. Li amiralz recleime sa maisnee : « Ferez, baron, sur la gent chrestiene ! » La bataille est mult dure e afichee ; Unc einz ne puis ne fut si fort ajustee ; Josqu’a la [nuit] nen ert fins otriee. AOI. Li amiralz la sue gent apelet : « Ferez, paien : por el venud n’i estes ! Jo vos durrai muillers gentes e beles, Si vos durai feus e honors e teres. » Paien respundent : « Nus le devuns ben fere. » A colps pleners de lor espiez i perdent : Plus de cent milie espees i unt traites. Ais vos le caple e dulurus e pesmes ; Bataille veit cil ki entr’els volt estre. AOI. Li emperere recleimet ses Franceis : « Seignors barons, jo vos aim, si vos crei. Tantes batailles avez faites pur mei, Regnes cunquis e desordenet reis ! Ben le conuis que gueredun vos en dei E de mun cors, de terres e d’aveir. Vengez voz fi[l]z, voz freres e voz heirs, Qu’en Rencesvals furent morz l’altre seir ! Ja savez vos cuntre paiens ai dreit. » Respondent Franc : « Sire, vos dites veir. » Itels.XX. miliers en ad od sei, Cumunement l’en prametent lor feiz, Ne li faldrunt pur mort ne pur destreit. N’en i ad cel sa lance n’i empleit ; De lur espees i fierent demaneis. La bataille est de merveillus destreit. AOI. E Malpramis parmi le camp chevalchet ; De cels de France i fait mult grant damage. Naimes li dux fierement le reguardet, Vait le ferir cum hume vertudable. De sun escut li freint la pene halte, De sun osberc les dous pans li desaffret ; El cors li met tute l’enseigne jalne, Que mort [l’abat] entre.VII.C. des altres. Reis Canabeus, le frere a l’amiraill, Des esporuns ben brochot sun cheval ; Trait ad l’espee, le punt est de cristal, Si fiert Naimun en l’elme principal : L’une meitiet l’en fruissed d’une part, Al brant d’acer l’en trenchet.V. des laz, Li capelers un dener ne li valt ; Trenchet la coife entresque a la char, Jus a la tere une piece en abat. Granz fut li colps, li dux en estonat, Sempres caïst, se Deus ne li aidast. De sun destrer le col en enbraçat. Se li paiens une feiz recuvrast, Sempres fust mort li nobilies vassal. Carles de France i vint, kil succurat. AOI. Naimes li dux tant par est anguissables, E li paiens de ferir mult le hastet. Carles li dist : « Culvert, mar le baillastes ! » Vait le ferir par sun grant vasselage : L’escut li freint, cuntre le coer li quasset, De sun osberc li desrumpt la ventaille, Que mort l’abat : la sele en remeint guaste. Mult ad grant doel Carlemagnes li reis, Quant Naimun veit nafret devant sei, Sur l’erbe verte le sanc tut cler caeir. Li empereres li ad dit a cunseill : « Bel sire Naimes, kar chevalcez od mei ! Morz est li gluz ki en destreit vus teneit ; El cors li mis mun espiet une feiz. » Respunt li dux : « Sire, jo vos en crei. Se jo vif alques, mult grant prod i avreiz. » Puis sunt justez par amur e par feid, Ensembl’od els tels.XX. milie Franceis. N’i ad celoi que n’i fierge o n’i capleit. AOI. Li amiralz chevalchet par le camp, Si vait ferir le cunte Guneman, Cuntre le coer li fruisset l’escut blanc, De sun osberc li derumpit les pans, Les dous costez li deseivret des flancs, Que mort l’abat de sun cheval curant. Puis ad ocis Gebuin e Lorain, Richard le Veill, li sire des Normans. Paien escrient : « Preciuse est vaillant ! Ferez, baron, nus i avom guarant ! » AOI. Ki puis veist li chevaler d’Arabe, Cels d’Occiant e d’Argoillie e de Bascle ! De lur espiez ben i fierent e caplent ; E li Franceis n’unt talent que s’en algent ; Asez i moerent e des uns e des altres. Entresqu’al vespre est mult fort la bataille, Des francs barons i ad mult gran damage. Doel i avrat, enceis qu’ele departed. AOI. Mult ben i fierent Franceis e Arrabit ; Fruissent cil hanste se cil espiez furbit. Ki dunc veïst cez escuz si malmis, Cez blancs osbercs ki dunc oïst fremir, E cez escuz sur cez helmes cruisir, Cez chevalers ki dunc veïst caïr E humes braire, contre tere murir, De grant dulor li poüst suvenir ! Ceste bataille est mult fort a suffrir. Li amiralz recleimet Apolin E Tervagan e Mahumet altresi : « Mi Damnedeu, jo vos ai mult servit ! Tutes tes ymagenes ferai d’or fin. » AOI. ................................. As li devant un soen drut, Gemalfin. Males nuveles li aportet e dit : « Baligant, sire, mal este oi baillit. Perdut avez Malpramis vostre fils, E Canabeus, vostre frere, est ocis. A dous Franceis belement en avint. Li empereres en est l’uns, ço m’est vis : Granz ad le cors, ben resenblet marchis ; Blanc[he] ad la barbe cume flur en avrill. » Li amiralz en ad le helme enclin, E en apres sin enbrunket sun vis : Si grant doel ad sempres quiad murir. Sin apelat Jangleu l’Ultremarin. Dist l’amiraill : « Jangleu, venez avant ! Vos estes proz e vostre saveir est grant ; Vostre conseill ai oc evud tuz tens. Que vos en semblet d’Arrabiz e de Francs ? Avrum nos la victorie del champ ? » E cil respunt : « Morz estes, Baligant ! Ja vostre deu ne vos erent guarant. Carles est fiers e si hume vaillant ; Unc ne vi gent ki si fust cumbatant. Mais reclamez les barons d’Occiant, Turcs e Enfruns, Arabiz e Jaianz. Ço que estre en deit, ne l’alez demurant. » Li amiraill ad sa barbe fors mise, Altresi blanche cume flur en espine : Cument qu’il seit, ne s’i voelt celer mie. Met a sa buche une clere buisine, Sunet la cler, que si paien l’oïrent ; Par tut le camp ses cumpaignes ralient. Cil d’Ociant i braient e henissent, Arguille si cume chen i glatissent ; Requerent Franc par si grant estultie, El plus espes ses rumpent e partissent : A icest colp en jetent mort.VII. milie. Li quens Oger cuardise n’out unkes ; Meillor vassal de lui ne vestit bronie. Quant de Franceis les escheles vit rumpre, Si apelat Tierri, le duc d’Argone, Gefrei d’Anjou e Jozeran le cunte, Mult fierement Carles en araisunet : « Veez paien cum ocient voz humes ! Ja Deu ne placet qu’el chef portez corone, S’or n’i ferez pur venger vostre hunte. » N’i ad icel ki un sul mot respundet : Brochent ad eit, lor cevals laissent cure, Vunt les ferir la o il les encuntrent. Mult ben i fiert Carlemagnes li reis, AOI. Naimes li dux e Oger li Daneis, Geifreid d’Anjou ki l’enseigne teneit. Mult par est proz danz Ogers li Daneis ! Puint le ceval, laisset curre ad espleit, Si vait ferir celui ki le dragun teneit, Qu’Ambure cravente en la place devant sei E le dragon e l’enseigne le rei. Baligant veit sun gunfanun cadeir E l’estandart Mahumet remaneir. Li amiralz alques s’en aperceit Que il ad tort e Carlemagnes dreit. Paien d’Arabe s’en turnent plus.C. Li emperere recleimet ses parenz : « Dites, baron, por Deu, si m’aidereiz. » Respundent Francs : « Mar le demandereiz. Trestut seit fel ki n’i fierget a espleit ! » AOI. Passet li jurz, si turnet a la vespree. Franc e paien i fierent des espees. Cil sunt vassal ki les oz ajusterent. Lor enseignes n’i unt mie ubliees : Li amira[l]z « Preciuse ! » ad criee, Carles « Munjoie ! », l’enseigne renumee. L’un conuist l’altre as haltes voiz e as cleres ; En mi le camp amdui s’entr’encuntrerent : Si se vunt ferir, granz colps s’entredunerent De lor espiez en lor targes roees. Fraites les unt desuz cez bucles lees. De lor osbercs les pans en desevrerent : Dedenz cez cors mie ne s’adeserent : Rumpent cez cengles e cez seles verserent, Cheent li rei, a tere se turbecherent, Isnelement sur lor piez releverent. Mult vassalment unt traites les espees. Ceste bataille n’en ert mais destornee : Seinz hume mort ne poet estre achevee. AOI. Mult est vassal Carles de France dulce ; Li amiralt, il nel crent ne ne dutet. Cez lor espees tutes nues i mustrent, Sur cez escuz mult granz colps s’entredunent, Trenchent les quirs e cez fuz ki sunt dubles ; Cheent li clou, si pecerent les bucles ; Puis fierent il nud a nud sur les bronies ; Des helmes clers li fous en escarbunet. Ceste bataille ne poet remaneir unkes, Josque li uns sun tort i reconuisset. AOI. Dist l’amiraill : « Carles, kar te purpenses, Si pren cunseill que vers mei te repentes ! Mort as (…) mun filz, par le men esciente ; A mult grant tort mun païs me calenges ; Deven mes hom, en fedeltet voeill rendre ; Ven mei servir d’ici qu’en Oriente ! » Carles respunt : « Mult grant viltet me sembl[e] ; Pais ne amor ne dei a paien rendre. Receif la lei que Deus nos apresentet, Christientet, e pui te amerai sempres ; Puis serf e crei le rei omnipotente ! » Dist Baligant : « Malvais sermun cumences ! » Puis vunt ferir des espees qu’unt ceintes. AOI. Li amiralz est mult de grant vertut. Fier Carlemagne sur l’elme d’acer brun, Desur la teste li ad frait e fendut ; Met li l’espee sur les chevels menuz, Prent de la carn grant pleine palme e plus : Iloec endreit remeint li os tut nut. Carles cancelet, por poi qu’il n’est caüt ; Mais Deus ne volt qu’il seit mort ne vencut. Seint Gabriel est repairet a lui, Si li demande : « Reis magnes, que fais tu ? » Quant Carles oït la seinte voiz de l’angle, N’en ad poür ne de murir dutance ; Repairet loi vigur e remembrance. Fiert l’amiraill de l’espee de France, L’elme li freint o li gemme reflambent, [T]renchet la teste pur la cervele espandre [E] tut le vis tresqu’en la barbe blanche, Que mort l’abat senz nule recuvrance. « Munjoie ! » escriet pur la reconuisance. A icest mot venuz i est dux Neimes : Prent Tencendur, muntet i est li reis magnes. Paien s’en turnent, ne volt Deus qu’il i remainent. Or sunt Franceis a icels qu’il demandent. Paien s’en fuient, cum Damnesdeus le volt. Encalcent Francs e l’emperere avoec. Ço dist li reis : « Seignurs, vengez voz doels, Si esclargiez voz talenz e voz coers, Kar hoi matin vos vi plurer des oilz. » Respondent Franc : « Sire, çó nus estoet. » Cascuns i fiert tanz granz colps cum il poet. Poi s’en estoerstrent d’icels ki sunt iloec. Granz est li calz, si se levet la puldre. Paien s’en fuient e Franceis les anguissent ; Li enchalz duret d’ici qu’en Sarraguce. En sum sa tur muntee est Bramidonie, Ensembl’od li si clerc e si canonie De false lei, que Deus nen amat unkes : Ordres nen unt ne en lor chefs corones. Quant ele vit Arrabiz si cunfundre, A halte voiz s’escrie : « Aiez nos, Mahum ! E ! gentilz reis, ja sunt vencuz noz humes, Li amiralz ocis a si grant hunte ! » Quant l’ot Marsilie, vers sa pareit se turnet, Pluret des oilz, tute sa chere enbrunchet : Morz est de doel. Si cum pecchet l’encumbret, L’anme de lui as vifs diables dunet. AOI. Paien sunt morz, alquant cunfundue, E Carles ad sa bataille vencue. De Sarraguce ad la porte abatue : Or set il ben que n’est mais defendue. Prent la citet, od sa gent i est venue ; Par poestet icele noit i jurent. Fiers est li reis a la barbe canue, E Bramidonie les turs li ad rendues : Les dis sunt grandes, les cinquante menues. Mult ben espleitet qui Damnesdeus aiuet. Passet li jurz, la noit est aserie ; Clers est la lune e les esteiles flambient. Li emperere ad Sarraguce prise. A mil Franceis funt ben cercer la vile, Les sinagoges e les mahumeries ; A mailz de fer e a cuignees qu’ils tindrent, Fruissent les ymagenes e trestutes les ydeles : N’i remeindrat ne sorz ne falserie. Li reis creit en Deu, faire voelt sun servise ; E si evesque les eves beneïssent, Meinent paien ent[r]esqu’al baptisterie : S’or i ad cel qui Carles cuntredie voillet, Il le fait pendre o ardeir ou ocire. Baptizet sunt asez plus de.C. milie Veir chrestien, ne mais sul la reïne. En France dulce iert menee caitive : Ço voelt li reis par amur cunvertisset. Passet la noit, si apert le cler jor. De Sarraguce Carles guarnist les turs ; Mil chevalers i laissat puigneürs ; Guardent la vile a oes l’empereor. Mandet li reis e si hume trestuz E Bramidonie, qu’il meinet en sa prisun ; Mais n’ad talent que li facet se bien nun. Repairez sunt a joie e a baldur. Passent Nerbone par force e par vigur ; Vint a Burdeles la citet de… Desur l’alter seint Severin le baron Met l’oliphan plein d’or e de manguns : Li pelerin le veient ki la vunt. Passet Girunde a mult granz nefs qu’i sunt ; Entresque a Blaive ad cunduit sun nevold E Oliver, sun nobilie cumpaignun, E l’arcevesque, ki fut sages e proz. En blancs sarcous fait metre les seignurs A Seint Romain ; la gisent li baron. Francs les cumandent a Deu e a ses nuns. Carles cevalchet e les vals e les munz ; Entresqu’a Ais ne volt prendre sujurn. Tant chevalchat qu’il descent al perrun. Cume il est en sun paleis halçur, Par ses messages mandet ses jugeors : Baivers e Saisnes, Loherencs e Frisuns ; Alemans mandet, si mandet Borguignuns, E Peitevins e Normans e Bretuns, De cels de France des plus saives qui sunt. Des ore cumencet le plait de Guenelun. Li empereres est repairet d’Espaigne, E vient a Ais, al meillor sied de France ; Muntet el palais, est venut en la sale. As li Alde venue, une bele damisele. Ço dist al rei : « O est Rollant le catanie, Ki me jurat cume sa per a prendre ? » Carles en ad e dulor e pesance, Pluret des oilz, tiret sa barbe blance : « Soer, cher’amie, de hume mort me demandes. Jo t’en durai mult esforcet eschange : Ço est Loewis, mielz ne sai a parler ; Il est mes filz e si tendrat mes marches. » Alde respunt : « Cest mot mei est estrange. Ne place Deu ne ses seinz ne ses angles Apres Rollant que jo vive remaigne ! » Pert la culor, chet as piez Carlemagne, Sempres est morte, Deus ait mercit de l’anme ! Franceis barons en plurent e si la pleignent. Alde la bel[e] est a sa fin alee. Quidet li reis que el[le] se seit pasmee ; Pited en ad, sin pluret l’emperere ; Prent la as mains, si l’en ad relevee. Desur l(es)[’]espalles ad la teste clinee. Quant Carles veit que morte l’ad truvee, Quatre cuntesses sempres i ad mandees. A un muster de nuneins est portee ; La noit la guaitent entresqu’a l ’ajurnee. Lunc un alter belement l’enterrerent. Mult grant honor i ad li reis dunee, AOI. Li emperere est repairet ad Ais. Guenes li fels, en caeines de fer, En la citet est devant le paleis. A un estache l’unt atachet cil serf, Les mains li lient a curreies de cerf ; Tres ben le batent a fuz e a jamelz : N’ad deservit que altre ben i ait ; A grant dulur iloec atent sun plait. Il est escrit en l’anciene geste Que Carles mandet humes de plusurs teres. Asemblez sunt ad Ais, a la capele. Halz est li jurz, mult par est grande la feste, Dient alquanz del baron seint Silvestre. Des ore cumencet le plait e les noveles De Guenelun, ki traïsun ad faite. Li emperere devant sei l’ad fait traire. AOI. « Seignors barons » dist Carlemagnes li reis, « De Guenelun car me jugez le dreit ! Il fut en l’ost tresque en Espaigne od mei, Si me tolit.XX. milie de mes Franceis E mun nevold, que ja mais ne verreiz, E Oliver, li proz e li curteis ; Les.XII. pers ad traït por aveir. » Dist Guenelon : « Fel seie se jol ceil ! Rollant me forfist en or et en aveir, Pur que jo quis sa mort e sun destreit ; Mais traïsun nule n’en i otrei. » Respundent Franc : « Ore en tendrum cunseill. » Devant le rei la s’estut Guenelun : Cors ad gaillard, el vis gente color ; S’il fust leials, ben resemblast barun. Veit cels de France e tuz les jugeürs, De ses parenz.XXX. ki od lui sunt ; Puis s’escriat haltement, a grant voeiz : « Por amor Deu, car m’entendez, barons ! Seignors, jo fui en l’ost avoec l’empereür, Serveie le par feid e par amur. Rollant sis nies me coillit en haür, Si me jugat a mort e a dulur. Message fui al rei Marsiliun ; Par mun saveir vinc jo a guarisun. Jo desfiai Rollant le poigneor E Oliver e tuiz lur cumpaignun ; Carles l’oïd e si nobilie baron. Venget m’en sui, mais n’i ad traïsun. » Respundent Francs : « À conseill en irums. » Quant Guenes veit que ses granz plaiz cumencet, De ses parenz ensemble [od li] i out trente. Un en i ad a qui li altre entendent : Ço est Pinabel del castel de Sorence ; Ben set parler e dreite raisun rendre ; Vassals est bons por ses armes defendre, AOI. Ço li dist Guenes : « En vos […] ami… Getez mei hoi de mort e de calunje ! » Dist Pinabel : « Vos serez guarit sempres. N’i ad Frances ki vos juget a pendre, U l’emper[er]e les noz dous cors en asemblet, Al b(a)rant d’acer que jo ne l’en desmente. » Guenes li quens a ses piez se presente. Bavier e Saisnes sunt alet a conseill, E Peitevin e Norman e Franceis ; Asez i ad Alemans e Tiedeis. Icels d’Alverne(ne) i sunt li plus curteis ; Pur Pinabel se cuntienent plus quei. Dist l’un a l’altre : « Bien fait a remaneir ! Laisum le plait e si preium le rei Que Guenelun cleimt quite ceste feiz, Puis si li servet par amur e par feid. Morz est Rollant, ja mais nel revereiz ; N’ert recuvret por ór ne por aveir : Mult sereit fols ki [l]a(a) se cumbatreit. » N’en i ad celoi nel graant e otreit, Fors sul Tierri, le frere(re) dam Geifreit. AOI. A Charlemagne repairent si barun ; Dient al rei : « Sire, nus vos prium Que clamez quite le cunte Guenelun, Puis si vos servet par feid e par amor. Vivre le laisez, car mult est gentilz hoem. Ja por murir n’en ert veüd gerun, Ne por aveir ja nel recuverum. » Ço dist li reis : « Vos estes mi felun ! » AOI. Quant Carles veit que tuz li sunt faillid, Mult l’enbrunchit e la chere e le vis ; Al doel qu’il ad si se cleimet caitifs. Ais li devant uns chevalers, [Tierris], Frere Gefrei a un duc angevin. Heingre out le cors e graisle e eschewid, Neirs les chevels e alques bruns [le vis] ; N’est gueres granz ne trop nen est petiz. Curteisement a l’emperere ad dit : « Bels sire reis, ne vos dementez si. Ja savez vos, que mult vos ai servit ; Par anceisurs dei jo tel plait tenir. Que que Rollant a Guenelun forsfesist, Vostre servise l’en doüst bien guarir ! Guenes est fels d’iço qu’il le traït ; Vers vos s’en est parjurez e malmis. Pur ço le juz jo a prendre e a murir E sun cors metre… Si cume fel ki felonie fist. Se or ad parent ki m’en voeille desmentir, A ceste espee, que jo ai ceinte ici, Mun jugement voel sempres guarantir. » Respundent Franc : « Or avez vos ben dit. » Devant lu rei est venuz Pinabel, Granz est e forz e vassals e isnel : Qu’il fiert a colp, de sun tens n’i ad mais. E dist al rei : « Sire, vostre est li plaiz : Car cumandez, que tel noise n’i ait ! Ci vei Tierri, ki jugement ad fait. Jo si li fals, od lui m’en cumbatrai. » Met li el poign de cerf le destre guant. Dist li emper[er]es : « Bons pleges en demant. » .XXX. parenz l’i plevissent leial. Ço dist li reis : « E jol vos recr[e]rai. » Fait cels guarder tresque li dreiz en serat. AOI. Quant veit Tierri qu’or en ert la bataille, Sun destre guant en ad presentet Carle. Li emperere l’i recreit par hostage, Puis fait porter.IIII. bancs en la place ; La vunt sedeir cil kis deivent cumbatre. Ben sunt malez, par jugement des altres, Sil purparlat Oger de Denemarche ; E puis demandent lur chevals e lur armes. Puis que il sunt a bataille jugez, AOI. Ben sunt cunfes e asols e seignez : Oent lur messes e sunt acuminiez ; Mult granz offrendes metent par cez musters. Devant Carlun andui sunt repairez : Lur esperuns unt en lor piez calcez, Vestent osberc blancs e forz e legers, Lur helmes clers unt fermez en lor chefs, Ceinent espees enheldees d’or mier, En lur cols pendent lur escuz de quarters, En lur puinz destres unt lur trenchanz espiez ; Puis sunt muntez en lur curanz destrers. Idunc plurerent.C. milie chevalers, Qui pur Rollant de Tierri unt pitiet. Deus set asez cument la fins en ert. Dedesuz Ais est la pree mult large : Des dous baruns justee est la bataille. Cil sunt produme e de grant vasselage E lur chevals sunt curanz e aates. Brochent les bien, tutes les resnes lasquent ; Par grant vertut vait ferir l’uns li altre ; Tuz lur escuz i fruissent e esquassent, Lur osbercs rumpent e lur cengles depiecent, Les alves turnent, les seles cheent a tere. .C. mil humes i plurent, kis esguardent. A tere sunt ambdui li chevaler, AOI. Isnelement se drecent sur lur piez. Pinabels est forz e isnels e legers. Li uns requiert l’altre, n’unt mie des destrers. De cez espees enheldees d’or mer, Fierent e caplent sur cez helmes d’acer ; Granz sunt les colps, as helmes detrencher. Mult se dementent cil Franceis chevaler. « E ! Deus, » dist Carles, « le dreit en esclargiez ! » Dist Pinabel : « Tierri, car te recreiz ! Tes hom serai par amur e par feid, A tun plaisir te durrai mun aveir, Mais Guenelun fai acorder al rei ! » Respont Tierri : « Ja n’en tendrai cunseill. Tut seie fel se jo mie l’otrei ! Deus facet hoi entre nus dous le dreit ! » AOI. Ço dist Tierri : « Pinabel mult ies ber, Granz ies e forz e tis cors ben mollez ; De vasselage te conoissent ti per ; Ceste bataille, car la laisses ester ! A Carlemagne te ferai acorder ; De Guenelun justise ert faite tel, Jamais n’ert jur que il n’en seit parlet. » Dist Pinabel : « Ne placet Damnedeu ! Sustenir voeill trestut mun parentet ; N’en recrerrai pur nul hume mortel ; Mielz voeill murir que il me seit reprovet. » De lur espees cumencent a capler Desur cez helmes, ki sunt a or gemez ; Cuntre le ciel en volet li fous tuz clers. Il ne poet estre qu’il seient desevrez : Seinz hume mort ne poet estre afinet. AOI. Mult par est proz Pinabel de Sorence ; Si fiert Tierri sur l’elme de Provence : Salt en li fous, que l’erbe en fait esprendre ; Del brant d’acer la mure li presentet, Desur le frunt li ad faite descendre. Parmi le vis (li ad faite descendre) : La destre joe en ad tute sanglente ; L’osberc del dos josque par sum le ventre. Deus le guarit, que mort ne l’acraventet. AOI. Ço veit Tierris, que el vis est ferut : Li sancs tuz clers en chiet el pred herbus Fiert Pinabel sur l’elme d’acer brun, Jusqu’al nasel li ad frait e fendut, Del chef li ad le cervel espandut, Brandit sun colp, si l’ad mort abatut. A icest colp est li esturs vencut. Escrient Franc : « Deus i ad fait vertut ! Asez est dreiz que Guenes seit pendut E si parent, ki plaidet unt pur lui. » AOI. Quant Tierris ad vencue sa bataille, Venuz i est li emperere Carles, Ensembl’od lui de ses baruns quarante, Naimes li dux, Oger de Danemarche, Geifrei d’Anjou e Willalme de Blaive. Li reis ad pris Tierri entre sa brace, Tert lui le vis od ses granz pels de martre, Celes met jus, puis li afublent altres ; Mult suavet le chevaler desarment. [Munter l’unt] fait en une mule d’Arabe ; Repairet s’en a joie e a barnage ; Vienent ad Ais, descendent en la place. Des ore cumencet l’ocisiun des altres. Carles apelet ses cuntes e ses dux : « Que me loez de cels qu’ai retenuz ? Pur Guenelun erent a plait venuz, Pur Pinabel en ostage renduz. » Respundent Franc : « Ja mar en vivrat uns ! » Li reis cumandet un soen veier, Basbrun : « Va, sis pent tuz a l’arbre de mal fust ! Par ceste barbe dunt li peil sunt canuz, Se uns escapet, morz ies e cunfunduz. » Cil li respunt : « Qu’en fereie jo e el ? » Od.C. serjanz par force les cunduit. .XXX. en i ad d’icels ki sunt pendut. Ki hume traïst, sei ocit e altroi. AOI. Puis sunt turnet Bavier e Aleman E Peitevin e Bretun e Norman. Sor tuit li altre l’unt otriet li Franc Que Guenes moerget par merveillus ahan. Quatre destrers funt amener avant, Puis si li lient e les piez e les mains. Li cheval sunt orgoillus e curant ; Quatre serjanz les acoeillent devant, Devers un’ewe ki est en mi un camp. Guenes est turnet a perdiciun grant ; Trestuit si nerf mult li sunt estendant E tuit li membre de sun cors derumpant : Sur l’erbe verte en espant li cler sanc. Guenes est mort cume fel recreant. Hom ki traïst altre, nen est dreiz qu’il s’en vant. Quant li empereres ad faite sa venjance, Sin apelat ses evesques de France, Cels de Baviere e icels d’Alemaigne : « En ma maisun ad une caitive franche. Tant ad oït e sermuns e essamples, Creire voelt Deu, chrestientet demandet. Baptizez la, pur quei Deus en ait l’anme. » Cil li respundent : « Or seit faite par marrenes : Asez cruiz e linees dames… » As bainz ad Aís mult sunt granz les ci… La baptizent la reïne d’Espaigne : Truvee li unt le num de Juliane. Chrestiene est par veire conoisance. Quant l’emperere ad faite sa justise E esclargiez est la sue grant ire, En Bramidonie ad chrestientet mise, Passet li jurz, la nuit est aserie. Culcez s’est li reis en sa cambre voltice. Seint Gabriel de part Deu li vint dire : « Carles, sumun les oz de tun emperie ! Par force iras en la tere de Bire, Reis Vivien si succuras en Imphe, A la citet que paien unt asise : Li chrestien te recleiment e crient. » Li emperere n’i volsist aler mie : « Deus, » dist li reis, « si penuse est ma vie ! » Pluret des oilz, sa barbe blanche tiret. Ci falt la geste que Turoldus declinet. Moyen Âge Textes sans source scannée Chanson de Roland
2934
https://fr.wikisource.org/wiki/Humain%2C%20trop%20humain
Humain, trop humain
(trad. Henri Albert) Avant-propos (1886) Opinions et Sentences mêlées (1878) Le Voyageur et son Ombre (1880) Littérature de langue allemande XIXe siècle Domaine public en 2026 Textes mis en ligne sur Wikisource avant fin 2012
2940
https://fr.wikisource.org/wiki/Fondements%20de%20la%20m%C3%A9taphysique%20des%20m%C5%93urs%20%28trad.%20Delbos%29/Pr%C3%A9face
Fondements de la métaphysique des mœurs (trad. Delbos)/Préface
<div class="text"> L’ancienne philosophie grecque se divisait en trois sciences : la PHYSIQUE, l’ÉTHIQUE et la LOGIQUE. Cette division est parfaitement conforme à la nature des choses et l’on n’a guère d’autre perfectionnement à y apporter que celui qui consiste à y ajouter le principe sur lequel elle se fonde, afin que de cette façon on s’assure d’une part qu’elle est complète, que d’autre part l’on puisse déterminer exactement les subdivisions nécessaires. Toute connaissance rationnelle ou bien est matérielle et se rapporte à quelque objet, ou bien est formelle et ne s’occupe que de la forme de l’entendement et de la raison en eux-mêmes et des règles universelles de la pensée en général sans acception d’objets. La philosophie formelle s’appelle LOGIQUE, tandis que la philosophie matérielle, celle qui a affaire à des objets déterminés et aux lois auxquelles ils sont soumis, se divise à son tour en deux. Car ces lois sont ou des lois de la nature ou des lois de la liberté. La science de la première s’appelle PHYSIQUE, celle de la seconde s’appelle ÉTHIQUE : celle-là est encore nommée Philosophie naturelle, celle-ci Philosophie morale, La Logique ne peut avoir de partie empirique, c’est-à-dire de partie où les lois universelles et nécessaires de la pensée s’appuieraient sur des principes qui seraient tirés de l’expérience : car autrement dit elle ne serait pas une logique, c’est-à-dire un canon pour l’entendement et la raison qui vaut pour toute pensée et qui doit être démontré. Au contraire, la Philosophie naturelle aussi bien que la Philosophie morale peuvent avoir chacune sa partie empirique, car il faut qu’elles assignent leurs lois, l’une à la nature en tant qu’objet d’expérience, l’autre à la volonté de l’homme en tant qu’elle est affectée par la nature : lois, dans le premier cas, d’après lesquelles tout arrive : dans le second cas, d’après lesquelles tout doit arriver, mais en tenant compte pourtant encore des conditions qui font que souvent ce qui doit arriver n’arrive point. On peut appeler empirique toute philosophie qui s’appuie sur des principes de l’expérience ; pure, au contraire, celle qui expose ses doctrines en partant uniquement de principes a priori. Celle-ci, lorsqu’elle est simplement formelle, se nomme Logique, mais si elle est restreinte à des objets déterminés de l’entendement, elle se nomme Métaphysique. De la sorte naît l’idée d’une double métaphysique, une Métaphysique de la nature et une Métaphysique des mœurs. La Physique aura ainsi, outre sa partie empirique, une partie rationnelle ; de même l’Ethique ; cependant ici la partie empirique pourrait recevoir particulièrement le nom d’Anthropologie pratique, la partie rationnelle proprement celui de Morale. Toutes les industries, tous les métiers et tous les arts ont gagné à la division du travail. La raison en est qu’alors ce n’est pas un seul qui fait tout, mais que chacun se borne à une certaine tâche qui, par son mode d’exécution, se distingue sensiblement des autres, afin de pouvoir s’en acquitter avec la plus grande perfection possible et avec plus d’aisance. Là où les travaux ne sont pas ainsi distingués et divisés, où chacun est un artiste à tout faire, les industries restent encore dans la plus grande barbarie. Or ce serait sans doute un objet qui en lui-même ne serait pas indigne d’examen que de se demander si la philosophie pure n’exige pas dans toutes ses parties un homme spécial qui soit à elle, et si pour l’ensemble de cette industrie qui est la science, il ne vaudrait pas mieux que ceux qui sont habitués à débiter, conformément au goût du public, l’empirique mêlé au rationnel en toutes sortes de proportions qu’eux-mêmes ne connaissent pas, qui se qualifient eux-mêmes de vrais penseurs tandis qu’ils traitent de songe-creux ceux qui travaillent à la partie purement rationnelle, que ceux-là, dis-je, fussent avertis de ne pas mener de front deux occupations qui demandent à être conduites de façon tout à fait différente, dont chacune exige peut-être un talent particulier, et dont la réunion en une personne ne fait que des gâcheurs d’ouvrage, Néanmoins, je me borne ici à demander si la nature de la science ne requiert pas qu’on sépare toujours soigneusement la partie empirique de la partie rationnelle, qu’on fasse précéder la Physique proprement dite (empirique) d’une Métaphysique de la nature, d’autre part, l’Anthropologie pratique d’une Métaphysique des mœurs, qui devraient être soigneusement expurgées l’une et l’autre de tout élément empirique, cela afin de savoir tout ce que la raison pure peut faire dans les deux cas et à quelles sources elle puise elle-même cet enseignement a priori qui est le sien, que d’ailleurs cette dernière tâche soit entreprise par tous les moralistes (dont le nom est légion) ou seulement par quelques-uns qui s’y sentent appelés. Comme mes vues portent ici proprement sur la philosophie morale, je limite à ces termes stricts la question posée : ne pense-t-on pas qu’il soit de la plus extrême nécessité d’élaborer une bonne fois une Philosophie morale pure qui serait complètement expurgée de tout ce qui ne peut être qu’empirique et qui appartient à l’Anthropologie ? Car qu’il doive y avoir une telle philosophie, cela résulte en toute évidence de l’idée commune du devoir et des lois morales, Tout le monde doit convenir que pour avoir une valeur morale, c’est-à-dire pour fonder une obligation, il faut qu’une loi implique en elle une absolue nécessité, qu’il faut que ce commandement : “ Tu ne dois pas mentir ", ne se trouve pas valable pour les hommes seulement en laissant à d’autres êtres raisonnables la faculté de n’en tenir aucun compte, et qu’il en est de même de toutes les autres lois morales proprement dites ; que par conséquent le principe de l’obligation ne doit pas être ici cherché dans la nature de l’homme, ni dans les circonstances où il est placé en ce monde, mais a priori dans les seuls concepts de la raison pure ; et que toute autre prescription qui se fonde sur des principes de la simple expérience, fût-elle à certains égards une prescription universelle, du moment que pour la moindre part, peut-être seulement par un mobile, elle s’appuie sur des raisons empiriques, si elle peut être appelée une règle pratique, ne peut jamais être dite une loi morale. Ainsi non seulement les lois morales, y compris leurs principes, se distinguent essentiellement, dans toute connaissance pratique, de tout ce qui renferme quelque chose d’empirique, mais encore toute philosophie morale repose entièrement sur sa partie pure, et, appliquée à l’homme, elle ne fait pas le moindre emprunt à la connaissance de ce qu’il est (Anthropologie) ; elle lui donne, au contraire, en tant qu’il est un être raisonnable, des lois a priori Il est vrai que ces lois exigent encore une faculté de juger aiguisée par l’expérience, afin de discerner d’un côté dans quels cas elles sont applicables, afin de leur procurer d’autre part un accès dans la volonté humaine et une influence pour la pratique ; car l’homme, affecté qu’il est lui-même par tant d’inclinations, est bien capable sans doute de concevoir l’idée d’une raison pure pratique, mais n’a pas si aisément le pouvoir de la rendre efficace in concreto dans sa conduite. Une Métaphysique des mœurs est donc rigoureusement nécessaire, non pas seulement à cause d’un besoin de la spéculation, afin d’explorer la source des principes pratiques qui sont a priori dans notre raison, mais parce que la moralité elle-même reste exposée à toutes sortes de corruptions, aussi longtemps que manque ce fil conducteur et cette règle suprême qui permet de l’apprécier exactement. Car, lorsqu’il s’agit de ce qui doit être moralement bon, ce n’est pas assez qu’il y ait conformité à la loi morale, il faut encore que ce soit pour la loi morale que la chose se fasse ; sinon, cette conformité n’est que très accidentelle et très incertaine, parce que le principe qui est étranger à la morale produira sans doute de temps à autre ces actions conformes, mais souvent aussi des actions contraires à la loi. Or la loi morale dans sa pureté et dans sa vérité (ce qui précisément en matière pratique est le plus important) ne doit pas être cherchée ailleurs que dans une Philosophie pure ; aussi faut-il que celle-ci (la Métaphysique) vienne en premier lieu ; sans elle il ne peut y avoir en aucune façon de philosophie morale. Je dirai même que celle qui mêle ces principes purs avec les principes empiriques ne mérite pas le nom de philosophie (car la philosophie se distingue précisément de la connaissance rationnelle commune en ce qu’elle expose dans une science à part ce que cette connaissance commune ne saisit que mélangé) ; elle mérite bien moins encore le nom de philosophie morale, puisque justement par cet amalgame elle porte atteinte à la pureté de la moralité elle-même et qu’elle va contre sa propre destination. Qu’on n’aille pas croire cependant que ce qui est réclamé ici on l’ait déjà dans la propédeutique que l’illustre Wolff a mise en tête de sa philosophie morale, je veux dire dans ce qu’il a appelé Philosophie pratique universelle, et qu’ici par suite il n’y ait pas précisément un champ entièrement nouveau à fouiller. Justement parce qu’elle devait être une philosophie pratique universelle, ce qu’elle a considéré, ce n’a pas été une volonté de quelque espèce particulière, comme une volonté qui serait déterminée sans mobiles empiriques d’aucune sorte, tout à fait en vertu de principes a priori et qu’on pourrait nommer une volonté pure, mais le vouloir en général, avec toutes les actions et conditions qui dans ce sens général lui appartiennent ; elle se distingue donc d’une Métaphysique des mœurs de la même façon que la Logique générale se distingue de la Philosophie transcendantale ; la Logique générale, en effet, expose les opérations et les règles de la pensée en général tandis que la Philosophie transcendantale expose uniquement les opérations et les règles spéciales de la pensée PURE, c’est-à-dire de la pensée par laquelle des objets sont connus complètement a priori. C’est que la Métaphysique des mœurs doit examiner l’idée et les principes d’une volonté pure possible, non les actions et les conditions du vouloir humain en général, qui pour la plus grande part sont tirées de la Psychologie. Le fait que dans la Philosophie pratique générale il est aussi question (bien à tort cependant) de lois morales et de devoir, ne constitue aucune objection à ce que j’affirme. En effet, les auteurs de cette science restent encore fidèles en cela à l’idée qu’ils s’en font ; ils ne distinguent pas, parmi les principes de détermination, ceux qui, comme tels, sont représentés tout à fait a priori par la seule raison et sont proprement moraux, de ceux qui sont empiriques, que l’entendement érige en concepts généraux par la simple comparaison des expériences ; ils les considèrent au contraire sans avoir égard à la différence de leurs origines, ne tenant compte que de leur nombre plus ou moins grand (car ils sont tous à leurs yeux de la même espèce), et ils forment ainsi leur concept d’obligation ; ce concept. à la vérité, n’est rien moins que moral ; mais le caractère en est tout ce qu’on peut attendre qu’il soit dans une philosophie qui sur l’origine de tous les concepts pratiques possibles ne décide nullement, s’ils se produisent a priori ou simplement a posteriori. Or, dans l’intention où je suis de publier un jour une Métaphysique des mœurs, je la fais précéder de ce livre qui en pose les fondements Sans doute il n’y a à la rigueur, pour pouvoir la fonder, que la Critique d’une raison pure pratique, comme pour fonder la Métaphysique il faut la Critique de la raison pure spéculative que j’ai déjà publiée. Mais, d’une part, la première de ces Critiques n’est pas d’une aussi extrême nécessité que la seconde, parce qu’en matière morale la raison humaine, même dans l’intelligence la plus commune, peut être aisément portée à un haut degré d’exactitude et de perfection, tandis que dans son usage théorique, mais pur, elle est tout à fait dialectique ; d’autre part, pour la Critique d’une raison pure pratique, si elle doit être complète, je crois indispensable que l’on se mette à même de montrer en même temps l’unité de la raison pratique avec la raison spéculative dans un principe commun ; car, en fin de compte, il ne peut pourtant y avoir qu’une seule et même raison, qui ne doit souffrir de distinction que dans ses applications. Or je ne pourrais ici encore pousser mon travail à ce point d’achèvement sans introduire des considérations d’un tout autre ordre et sans embrouiller le lecteur. C’est pourquoi, au lieu du titre de Critique de la raison pure pratique, je me suis servi de Fondements de la Métaphysique des mœurs Et comme aussi, en troisième lieu, une Métaphysique des mœurs, malgré ce que le titre a d’effrayant, peut néanmoins à un haut degré être populaire et appropriée à l’intelligence commune, je juge utile d’en détacher ce travail préliminaire où en sont posés les fondements, afin de n’avoir pas besoin dans la suite d’ajouter l’élément de subtilité inévitable en ces matières à des doctrines plus aisées à entendre. Quant à ces Fondements, que je présente au public, ils ne sont rien de plus que la recherche et l’établissement du principe suprême de la moralité, ce qui suffit à constituer une tâche complète dans son plan et qu’il y a lieu de séparer de toute autre recherche morale. Sans doute mes assertions sur ce problème essentiel si important et qui jusqu’à présent n’a pas été encore, tant s’en faut, traité de façon satisfaisante, recevraient de l’application du principe à tout le système et de la puissance d’explication suffisante qu’il manifeste en tout une grande confirmation ; mais j’ai dû renoncer à cet avantage, qui au fond eût été plus d’accord avec mon amour-propre qu’avec l’intérêt de tous ; car la facilité à s’appliquer un principe ainsi que son apparente suffisance ne fournissent pas de démonstration absolument sûre de son exactitude ; elles suscitent plutôt un certain parti pris de ne pas l’examiner et l’apprécier en toute rigueur pour lui-même, sans égard aux conséquences. J’ai suivi dans cet écrit la méthode qui est, à mon avis, la plus convenable, quand on veut procéder analytiquement de la connaissance commune à la détermination de ce qui en est le principe suprême, puis, par une marche inverse, redescendre synthétiquement de l’examen de ce principe et de ses sources à la connaissance commune où l’on en rencontre l’application. L’ouvrage se trouve donc ainsi divisé : 1° Première section : passage de la connaissance rationnelle commune de la moralité à la connaissance philosophique. 2° Deuxième section : passage de la philosophie morale populaire à la Métaphysique des mœurs. 3° Troisième section : dernière démarche de la Métaphysique des mœurs à la Critique de la raison pure pratique.
2941
https://fr.wikisource.org/wiki/Fondements%20de%20la%20m%C3%A9taphysique%20des%20m%C5%93urs%20%28trad.%20Delbos%29/Premi%C3%A8re%20section
Fondements de la métaphysique des mœurs (trad. Delbos)/Première section
<div class="text"> De tout ce qu’il est possible de concevoir dans le monde, et même en général hors du monde, il n’est rien qui puisse sans restriction être tenu pour bon, si ce n’est seulement une BONNE VOLONTÉ. L’intelligence, le don de saisir les ressemblances des choses, la faculté de discerner le particulier pour en juger, et les autres talents de l’esprit, de quelque nom qu’on les désigne, ou bien le courage, la décision, la persévérance dans les desseins, comme qualités du tempérament, sont sans doute à bien des égards choses bonnes et désirables ; mais ces dons de la nature peuvent devenir aussi extrêmement mauvais et funestes si la volonté qui doit en faire usage, et dont les dispositions propres s’appellent pour cela caractère, n’est point bonne. Il en est de même des dons de la fortune. Le pouvoir, la richesse, la considération, même la santé ainsi que le bien-être complet et le contentement de son état, ce qu’on nomme le bonheur, engendrent une confiance en soi qui souvent aussi se convertit en présomption, dès qu’il n’y a pas une bonne volonté pour redresser et tourner vers des fins universelles l’influence que ces avantages ont sur l’âme, et du même coup tout le principe de l’action ; sans compter qu’un spectateur raisonnable et impartial ne saurait jamais éprouver de satisfaction à voir que tout réussisse perpétuellement à un être que ne relève aucun trait de pure et bonne volonté, et qu’ainsi la bonne volonté paraît constituer la condition indispensable même de ce qui nous rend dignes d’être heureux. Il y a, bien plus, des qualités qui sont favorables à cette bonne volonté même et qui peuvent rendre son œuvre beaucoup plus aisée, mais qui malgré cela n’ont pas de valeur intrinsèque absolue, et qui au contraire supposent toujours encore une bonne volonté. C’est là une condition qui limite la haute estime qu’on leur témoigne du reste avec raison, et qui ne permet pas de les tenir pour bonnes absolument. La modération dans les affections et les passions, la maîtrise de soi, la puissance de calme réflexion ne sont pas seulement bonnes à beaucoup d’égards, mais elles paraissent constituer une partie même de la valeur intrinsèque de la personne ; cependant il s’en faut de beaucoup qu’on puisse les considérer comme bonnes sans restriction (malgré la valeur inconditionnée que leur ont conférée les anciens). Car sans les principes d’une bonne volonté elles peuvent devenir extrêmement mauvaises ; le sang-froid d’un scélérat ne le rend pas seulement beaucoup plus dangereux, il le rend aussi immédiatement à nos yeux plus détestable encore que nous ne l’eussions jugé sans cela. Ce qui fait que la bonne volonté est telle, ce ne sont pas ses œuvres ou ses succès, ce n’est pas son aptitude à atteindre tel ou tel but proposé, c’est seulement le vouloir ; c’est-à-dire que c’est en soi qu’elle est bonne ; et, considérée en elle-même, elle doit sans comparaison être estimée bien supérieure à tout ce qui pourrait être accompli par elle uniquement en faveur de quelque inclination et même, si l’on veut, de la somme de toutes les inclinations. Alors même que, par une particulière défaveur du sort ou par l’avare dotation d’une nature marâtre, cette volonté serait complètement dépourvue du pouvoir de faire aboutir ses desseins ; alors même que dans son plus grand effort elle ne réussirait à rien ; alors même qu’il ne resterait que la bonne volonté toute seule (je comprends par là, à vrai dire, non pas quelque chose comme un simple vœu, mais l’appel à tous les moyens dont nous pouvons disposer), elle n’en brillerait pas moins, ainsi qu’un joyau, de son éclat à elle, comme quelque chose qui a en soi sa valeur tout entière. L’utilité ou l’inutilité ne peut en rien accroître ou diminuer cette valeur. L’utilité ne serait en quelque sorte que la sertissure qui permet de mieux manier le joyau dans la circulation courante ou qui peut attirer sur lui l’attention de ceux qui ne s’y connaissent pas suffisamment, mais qui ne saurait avoir pour effet de le recommander aux connaisseurs ni d’en déterminer le prix. Il y a néanmoins dans cette idée de la valeur absolue de la simple volonté, dans cette façon de l’estimer sans faire entrer aucune utilité en ligne de compte, quelque chose de si étrange que, malgré même l’accord complet qu’il y a entre elle et la raison commune, un soupçon peut cependant s’éveiller : peut-être n’y a-t-il là au fond qu’une transcendante chimère, et peut-être est-ce comprendre à faux l’intention dans laquelle la nature a délégué la raison au gouvernement de notre volonté. Aussi allons-nous, de ce point de vue, mettre cette idée à l’épreuve Dans la constitution naturelle d’un être organisé, c’est-à-dire d’un être conformé en vue de la vie, nous posons en principe qu’il ne se trouve pas d’organe pour une fin quelconque, qui ne soit du même coup le plus propre et le plus accommodé à cette fin. Or, si dans un être doué de raison et de volonté la nature avait pour but spécial sa conservation, son bien-être, en un mot son bonheur, elle aurait bien mal pris ses mesures en choisissant la raison de la créature comme exécutrice de son intention. Car toutes les actions que cet être doit accomplir dans cette intention, ainsi que la règle complète de sa conduite, lui auraient été indiquées bien plus exactement par l’instinct, et cette fin aurait pu être bien plus sûrement atteinte de la sorte qu’elle ne peut jamais l’être par la raison ; et si à une telle créature la raison devait par surcroît échoir comme une faveur, elle n’aurait dû lui servir que pour faire des réflexions sur les heureuses dispositions de sa nature. pour les admirer, pour s’en réjouir et en rendre grâces à la Cause bienfaisante, mais non pour soumettre à cette faible et trompeuse direction sa faculté de désirer et pour se mêler gauchement de remplir les desseins de la nature ; en un mot, la nature aurait empêché que la raison n’allât verser dans un usage pratique et n’eût la présomption, avec ses faibles lumières, de se figurer le plan du bonheur et des moyens d’y parvenir ; la nature aurait pris sur elle le choix, non seulement des fins, mais encore des moyens mêmes, et avec une sage prévoyance elle les eût confiés ensemble simplement à l’instinct. Au fait, nous remarquons que plus une raison cultivée s’occupe de poursuivre la jouissance de la vie et du bonheur, plus l’homme s’éloigne du vrai contentement. Voilà pourquoi chez beaucoup, et chez ceux-là mêmes qui ont fait de l’usage de la raison la plus grande expérience, il se produit, pourvu qu’ils soient assez sincères pour l’avouer, un certain degré de misologie, c’est-à-dire de haine de la raison. En effet, après avoir fait le compte de tous les avantages qu’ils retirent, je ne dis pas de la découverte de tous les arts qui constituent le luxe ordinaire, mais même des sciences (qui finissent par leur apparaître aussi comme un luxe de l’entendement), toujours est-il qu’ils trouvent qu’en réalité ils se sont imposé plus de peine qu’ils n’ont recueilli de bonheur ; aussi, à l’égard de cette catégorie plus commune d’hommes qui se laissent conduire de plus près par le simple instinct naturel et qui n’accordent à leur raison que peu d’influence sur leur conduite, éprouvent-ils finalement plus d’envie que de dédain? Et en ce sens il faut reconnaître que le jugement de ceux qui limitent fort et même réduisent à rien les pompeuses glorifications des avantages que la raison devrait nous procurer relativement au bonheur et au contentement de la vie, n’est en aucune façon le fait d’une humeur chagrine ou d’un manque de reconnaissance envers la bonté du gouvernement du monde, mais qu’au fond de ces jugements gît secrètement l’idée que la fin de leur existence est toute différente et beaucoup plus noble, que c’est à cette fin, non au bonheur, que la raison est spécialement destinée, que c’est à elle en conséquence, comme à la condition suprême, que les vues particulières de l’homme doivent le plus souvent se subordonner. Puisque, en effet, la raison n’est pas suffisamment capable de gouverner sûrement la volonté à l’égard de ses objets et de la satisfaction de tous nos besoins (qu’elle-même multiplie pour une part), et qu’à cette fin un instinct naturel inné l’aurait plus sûrement conduite ; puisque néanmoins la raison nous a été départie comme puissance pratique, c’est-à-dire comme puissance qui doit avoir de l’influence sur la volonté il faut que sa vraie destination soit de produire une volonté bonne, non pas comme moyen en vue de quelque autre fin, mais bonne en soi-même ; c’est par là qu’une raison était absolument nécessaire, du moment que partout ailleurs la nature, dans la répartition de ses propriétés, a procédé suivant des fins. Il se peut ainsi que cette volonté ne soit pas l’unique bien, le bien tout entier ; mais elle est néanmoins nécessairement le bien suprême, condition dont dépend tout autre bien, même toute aspiration au bonheur. Dans ce cas, il est parfaitement possible d’accorder avec la sagesse de la nature le fait que la culture de la raison, indispensable pour la première de ces fins qui est inconditionnée, quand il s’agit de la seconde, le bonheur, qui est toujours conditionnée, en limite de bien des manières et même peut en réduire à rien, au moins dans cette vie, la réalisation. En cela la nature n’agit pas contre toute finalité ; car la raison qui reconnaît que sa plus haute destination pratique est de fonder une bonne volonté, ne peut trouver dans l’accomplissement de ce dessein qu’une satisfaction qui lui convienne, c’est-à-dire qui résulte de la réalisation d’une fin que seule encore une fois elle détermine, cela même ne dût-il pas aller sans quelque préjudice porté aux fins de l’inclination. Il faut donc développer le concept d’une volonté souverainement estimable en elle-même, d’une volonté bonne indépendamment de toute intention ultérieure, tel qu’il est inhérent déjà à l’intelligence naturelle saine, objet non pas tant d’un enseignement que d’une simple explication indispensable, ce concept qui tient toujours la plus haute place dans l’appréciation de la valeur complète de nos actions et qui constitue la condition de tout le reste : pour cela nous allons examiner le concept du DEVOIR, qui contient celui d’une bonne volonté, avec certaines restrictions, il est vrai, et certaines entraves subjectives, mais qui, bien loin de le dissimuler et de le rendre méconnaissable, le font plutôt ressortir par contraste et le rendent d’autant plus éclatant. Je laisse ici de côté toutes les actions qui sont au premier abord reconnues contraires au devoir, bien qu’à tel ou tel point de vue elles puissent être utiles : car pour ces actions jamais précisément la question ne se pose de savoir s’il est possible qu’elles aient eu lieu par devoir, puisqu’elles vont même contre le devoir. Je laisse également de côté les actions qui sont réellement conformes au devoir, pour lesquelles les hommes n’ont aucune inclination immédiate, qu’ils n’en accomplissent pas moins cependant, parce qu’une autre inclination les y pousse. Car, dans ce cas, il est facile de distinguer si l’action conforme au devoir a eu lieu par devoir ou par vue intéressée. Il est bien plus malaisé de marquer cette distinction dès que l’action est conforme au devoir, et que par surcroît encore le sujet a pour elle une inclination immédiate. Par exemple, il est sans doute conforme au devoir que le débitant n’aille pas surfaire le client inexpérimenté, et même c’est ce que ne fait jamais dans tout grand commerce le marchand avisé ; il établit au contraire un prix fixe, le même pour tout le monde, si bien qu’un enfant achète chez lui à tout aussi bon compte que n’importe qui. On est donc loyalement servi : mais ce n’est pas à beaucoup près suffisant pour qu’on en retire cette conviction que le marchand s’est ainsi conduit par devoir et par des principes de probité ; son intérêt l’exigeait, et l’on ne peut pas supposer ici qu’il dût avoir encore par surcroît pour ses clients une inclination immédiate de façon à ne faire, par affection pour eux en quelque sorte, de prix plus avantageux à l’un qu’à l’autre. Voilà donc une action qui était accomplie, non par devoir, ni par inclination immédiate, mais seulement dans une intention intéressée. Au contraire, conserver sa vie est un devoir, et c’est en outre une chose pour laquelle chacun a encore une inclination immédiate. Or, c’est pour cela que la sollicitude souvent inquiète que la plupart des hommes y apportent n’en est pas moins dépourvue de toute valeur intrinsèque et que leur maxime n’a aucun prix moral. Ils conservent la vie conformément au devoir sans doute, mais non par devoir. En revanche, que des contrariétés et un chagrin sans espoir aient enlevé à un homme tout goût de vivre, si le malheureux, à l’âme forte, est plus indigné de son sort qu’il n’est découragé ou abattu, s’il désire la mort et cependant conserve la vie sans l’aimer, non par inclination ni par crainte, mais par devoir, alors sa maxime a une valeur morale. Être bienfaisant, quand on le peut, est un devoir, et de plus il y a de certaines âmes si portées à la sympathie, que même sans aucun autre motif de vanité ou d’intérêt elles éprouvent une satisfaction intime à répandre la joie autour d’elles et qu’elles peuvent jouir du contentement d’autrui, en tant qu’il est leur œuvre. Mais je prétends que dans ce cas une telle action, si conforme au devoir, si aimable qu’elle soit, n’a pas cependant de valeur morale véritable, qu’elle va de pair avec d’autres inclinations, avec l’ambition par exemple qui, lorsqu’elle tombe heureusement sur ce qui est réellement en accord avec l’intérêt public et le devoir, sur ce qui par conséquent est honorable, mérite louange et encouragement, mais non respect ; car il manque à la maxime la valeur morale, c’est-à-dire que ces actions soient faites, non par inclination, mais par devoir. Supposez donc que l’âme de ce philanthrope soit assombrie par un de ces chagrins personnels qui étouffent toute sympathie pour le sort d’autrui, qu’il ait toujours encore le pouvoir de faire du bien à d’autres malheureux, mais qu’il ne soit pas touché de l’infortune des autres, étant trop absorbé par la sienne propre, et que, dans ces conditions, tandis qu’aucune inclination ne l’y pousse plus, il s’arrache néanmoins à cette insensibilité mortelle, et qu’il agisse, sans que ce soit sous l’influence d’une inclination, uniquement par devoir alors seulement son action a une véritable valeur morale. Je dis plus : si la nature avait mis au cœur de tel ou tel peu de sympathie, si tel homme (honnête du reste) était froid par tempérament et indifférent aux souffrances d’autrui, peut-être parce qu’ayant lui-même en partage contre les siennes propres un don spécial d’endurance et d’énergie patiente, il suppose aussi chez les autres ou exige d’eux les mêmes qualités ; si la nature n’avait pas formé particulièrement cet homme (qui vraiment ne serait pas son plus mauvais ouvrage) pour en faire un philanthrope, ne trouverait-il donc pas encore en lui de quoi se donner à lui-même une valeur bien supérieure à celle que peut avoir un tempérament naturellement bienveillant? A coup sûr! Et c’est ici précisément qu’apparaît la valeur du caractère, valeur morale et incomparablement la plus haute, qui vient de ce qu’il fait le bien, non par inclination, mais par devoir. Assurer son propre bonheur est un devoir (au moins indirect) ; car le fait de ne pas être content de son état, de vivre pressé de nombreux soucis et au milieu de besoins non satisfaits pourrait devenir aisément une grande tentation d’enfreindre ses devoirs. Mais ici encore, sans regarder au devoir, tous les hommes ont déjà d’eux-mêmes l’inclination au bonheur la plus puissante et la plus intime, parce que précisément dans cette idée du bonheur toutes les inclinations s’unissent en un total. Seulement le précepte qui commande de se rendre heureux a souvent un tel caractère qu’il porte un grand préjudice à quelques inclinations, et que pourtant l’homme ne peut se faire un concept défini et sûr de cette somme de satisfaction à donner à toutes qu’il nomme le bonheur ; aussi n’y a-t-il pas lieu d’être surpris qu’une inclination unique, déterminée quant à ce qu’elle promet et quant à l’époque où elle peut être satisfaite, puisse l’emporter sur une idée flottante, qu’un goutteux, par exemple, puisse mieux aimer savourer ce qui est de son goût, quitte à souffrir ensuite, parce que, selon son calcul, au moins dans cette circonstance, il ne s’est pas, par l’espérance peut-être trompeuse d’un bonheur qui doit se trouver dans la santé, privé de la jouissance du moment présent. Mais dans ce cas également, si la tendance universelle au bonheur ne déterminait pas sa volonté, si la santé pour lui du moins n’était pas une chose qu’il fût si nécessaire de faire entrer dans ses calculs, ce qui resterait encore ici, comme dans tous les autres cas, c’est une loi, une loi qui lui commande de travailler à son bonheur, non par inclination, mais par devoir, et c’est par là seulement que sa conduite possède une véritable valeur morale. Ainsi doivent être sans aucun doute également compris les passages de l’Écriture où il est ordonné d’aimer son prochain, même son ennemi. Car l’amour comme inclination ne peut pas se commander ; mais faire le bien précisément par devoir, alors qu’il n’y a pas d’inclination pour nous y pousser, et même qu’une aversion naturelle et invincible s’y oppose, c’est là un amour pratique et non pathologique qui réside dans la volonté, et non dans le penchant de la sensibilité, dans des principes de l’action et non dans une compassion amollissante ; or cet amour est le seul qui puisse être commandé. Voici la seconde proposition : une action accomplie par devoir tire sa valeur morale non pas du but qui doit être atteint par elle, mais de la maxime d’après laquelle elle est décidée ; elle ne dépend donc pas de la réalité de l’objet de l’action, mais uniquement du principe du vouloir d’après lequel l’action est produite sans égard à aucun des objets de la faculté de désirer. Que les buts que nous pouvons avoir dans nos actions, que les effets qui en résultent, considérés comme fins et mobiles de la volonté, ne puissent communiquer à ces actions aucune valeur absolue, aucune valeur morale, cela est évident par ce qui précède. Où donc peut résider cette valeur, si elle ne doit pas se trouver dans la volonté considérée dans le rapport qu’elle a avec les effets attendus de ces actions? Elle ne peut être nulle part ailleurs que dans le principe de la volonté, abstraction faite des fins qui peuvent être réalisées par une telle action ; en effet, la volonté placée juste au milieu entre son principe à priori qui est formel, et son mobile à posteriori qui est matériel, est comme à la bifurcation de deux routes ; et puisqu’il faut pourtant qu’elle soit déterminée par quelque chose, elle devra être déterminée par le principe formel du vouloir en général, du moment qu’une action a lieu par devoir ; car alors tout principe matériel lui est enlevé. Quant à la troisième proposition, conséquence des deux précédentes, je l’exprimerais ainsi : le devoir est la nécessité d’accomplir une action par respect pour la loi. Pour l’objet conçu comme effet de l’action que je me propose, je peux bien sans doute avoir de l’inclination, mais jamais du respect, précisément parce que c’est simplement un effet, et non l’activité d’une volonté. De même, je ne peux avoir de respect pour une inclination en général, qu’elle soit mienne ou d’un autre ; je peux tout au plus l’approuver dans le premier cas, dans le second cas aller parfois jusqu’à l’aimer, c’est-à-dire la considérer comme favorable à mon intérêt propre. Il n’y a que ce qui est lié à ma volonté uniquement comme principe et jamais comme effet, ce qui ne sert pas à mon inclination, mais qui la domine, ce qui du moins empêche entièrement qu’on en tienne compte dans la décision, par suite la simple loi pour elle-même, qui puisse être un objet de respect et par conséquent être un commandement. Or, si une action accomplie par devoir doit exclure complètement l’influence de l’inclination et avec elle tout objet de la volonté, il ne reste rien pour la volonté qui puisse la déterminer, si ce n’est objectivement la loi, et subjectivement un pur respect pour cette loi pratique. par suite la maxime () d’obéir à cette loi, même au préjudice de toutes mes inclinations. Ainsi, la valeur morale de l’action ne réside pas dans l’effet qu’on en attend, ni non plus dans quelque principe de l’action qui a besoin d’emprunter son mobile à cet effet attendu. Car, tous ces effets (contentement de son état, et même contribution au bonheur d’autrui) pourraient être aussi bien produits par d’autres causes ; il n’était donc pas besoin pour cela de la volonté d’un être raisonnable. Et cependant, c’est dans cette volonté seule que le souverain bien, le bien inconditionné, peut se rencontrer. C’est pourquoi se représenter la loi en elle-même, ce qui à coup sûr n’a lieu que dans un être raisonnable, et faire de cette représentation, non de l’effet attendu, le principe déterminant de la volonté, cela seul peut constituer ce bien si excellent que nous qualifions de moral, présent déjà dans la personne même qui agit selon cette idée. mais qu’il n’y a pas lieu d’attendre seulement de l’effet de son action (). Mais quelle peut donc être cette loi dont la représentation, sans même avoir égard à l’effet qu’on en attend, doit déterminer la volonté pour que celle-ci puisse être appelée bonne absolument et sans restriction ? Puisque j’ai dépossédé la volonté de toutes les impulsions qui pourraient être suscitées en elle par l’idée des résultats dus à l’observation de quelque loi, il ne reste plus que la conformité universelle des actions à la loi en général, qui doit seule lui servir de principe ; en d’autres termes, je dois toujours me conduire de telle sorte que je puisse aussi vouloir que ma maxime devienne une loi universelle. Ici donc c’est la simple conformité à la loi en général (sans prendre pour base quelque loi déterminée pour certaines actions qui sert de principe à la volonté, et qui doit même lui servir de principe, si le devoir n’est pas une illusion vaine et un concept chimérique). Avec ce qui vient d’être dit, la raison commune des hommes, dans l’exercice de son jugement pratique, est en parfait accord, et le principe qui a été exposé, elle l’a toujours devant les yeux. Soit, par exemple, la question suivante : ne puis-je pas, si je suis dans l’embarras, faire une promesse avec l’intention de ne pas la tenir? Je distingue ici aisément entre les sens que peut avoir la question : demande-t-on s’il est prudent ou s’il est conforme au devoir de faire une fausse promesse? Cela peut être sans doute prudent plus d’une fois. À la vérité, je vois bien que ce n’est pas assez de me tirer, grâce à ce subterfuge, d’un embarras actuel, qu’il me faut encore bien considérer si de ce mensonge ne peut pas résulter pour moi dans l’avenir un désagrément bien plus grand que tous ceux dont je me délivre pour l’instant ; et comme, en dépit de toute ma prétendue finesse, les conséquences ne sont pas si aisées à prévoir que le fait d’avoir une fois perdu la confiance d’autrui ne puisse m’être bien plus préjudiciable que tout le mal que je songe en ce moment à éviter, n’est-ce pas agir avec plus de prudence que de se conduire ici d’après une maxime universelle et de se faire une habitude de ne rien promettre qu’avec l’intention de le tenir? Mais il me paraît ici bientôt évident qu’une telle maxime n’en est pas moins toujours uniquement fondée sur les conséquences à craindre. Or, c’est pourtant tout autre chose que d’être sincère par devoir, et de l’être par crainte des conséquences désavantageuses ; tandis que dans le premier cas le concept de l’action en soi-même contient déjà une loi pour moi, dans le second cas il faut avant tout que je cherche à découvrir autre part quels effets peuvent bien être liés pour moi à l’action. Car, si je m’écarte du principe du devoir, ce que je fais est certainement tout à fait mal ; mais si je suis infidèle à ma maxime de prudence, il peut, dans certains cas, en résulter pour moi un grand avantage, bien qu’il soit en vérité plus sûr de m’y tenir. Après tout, en ce qui concerne la réponse à cette question, si une promesse trompeuse est conforme au devoir, le moyen de m’instruire le plus rapide, tout en étant infaillible, c’est de me demander à moi-même : accepterais-je bien avec satisfaction que ma maxime (de me tirer d’embarras par une fausse promesse) dût valoir comme une loi universelle (aussi bien pour moi que pour les autres)? Et pourrais-je bien me dire : tout homme peut faire une fausse promesse quand il se trouve dans l’embarras et qu’il n’a pas d’autre moyen d’en sortir? Je m’aperçois bientôt ainsi que si je peux bien vouloir le mensonge, je ne peux en aucune manière vouloir une loi universelle qui commanderait de mentir ; en effet, selon une telle loi, il n’y aurait plus à proprement parler de promesse, car il serait vain de déclarer ma volonté concernant mes actions futures à d’autres hommes qui ne croiraient point à cette déclaration ou qui, s’ils y ajoutaient foi étourdiment, me payeraient exactement de la même monnaie : de telle sorte que ma maxime, du moment qu’elle serait érigée en loi universelle, se détruirait elle-même nécessairement. Donc, pour ce que j’ai à faire afin que ma volonté soit moralement bonne, je n’ai pas précisément besoin d’une subtilité poussée très loin. Sans expérience quant au cours du monde, incapable de parer à tous les événements qui s’y produisent, il suffit que je demande : peux-tu vouloir aussi que ta maxime devienne une loi universelle? Si tu ne le peux pas, la maxime est à rejeter, et cela en vérité non pas à cause d’un dommage qui peut en résulter pour toi ou même pour d’autres, mais parce qu’elle ne peut pas trouver place comme principe dans une législation universelle possible ; pour une telle législation en retour la raison m’arrache un respect immédiat ; et si pour l’instant je ne saisis pas encore sur quoi il se fonde (ce qui peut être l’objet des recherches du philosophe), il y a du moins ceci que je comprends bien, c’est que c’est l’estimation d’une valeur de beaucoup supérieure à la valeur de tout ce qui est mis à un haut prix par l’inclination, et que c’est la nécessité où je suis d’agir par pur respect pour la loi pratique qui constitue le devoir, le devoir auquel il faut que tout autre motif cède, car il est la condition d’une volonté bonne en soi dont la valeur passe tout. Ainsi donc, dans la connaissance morale de la raison humaine commune, nous sommes arrivés à ce qui en est le principe, principe qu’à coup sûr elle ne conçoit pas ainsi séparé dans une forme universelle, mais qu’elle n’en a pas moins toujours réellement devant les yeux et qu’elle emploie comme règle de son jugement. Il serait ici aisé de montrer comment, ce compas à la main, elle a dans tous les cas qui surviennent la pleine compétence qu’il faut pour distinguer ce qui est bien, ce qui est mal, ce qui est conforme ou contraire au devoir, pourvu que, sans lui rien apprendre le moins du monde de nouveau, on la rende attentive, comme le faisait Socrate, à son propre principe, de montrer par suite qu’il n’est besoin ni de science ni de philosophie pour savoir ce qu’on a à faire, pour être honnête et bon, même sage et vertueux. L’on pouvait même bien supposer déjà d’avance que la connaissance de ce qu’il appartient à tout homme de faire, et par conséquent encore de savoir, doit être aussi le fait de tout homme, même du plus commun. Ici, l’on ne peut point considérer sans admiration combien, dans l’intelligence commune de l’humanité, la faculté de juger en matière pratique l’emporte de tout point sur la faculté de juger en matière théorique. Dans l’usage de cette dernière, quand la raison commune se risque à s’éloigner des lois de l’expérience et des perceptions des sens, elle tombe dans de manifestes absurdités et dans des contradictions avec elle-même, tout au moins dans un chaos d’incertitudes, d’obscurités et d’inconséquences. En matière pratique, au contraire, la faculté de juger commence précisément surtout à bien manifester ses avantages, lorsque l’intelligence commune exclut des lois pratiques tous les mobiles sensibles. Celle-ci devient même subtile alors, soit qu’elle veuille chicaner avec sa conscience ou avec d’autres prétentions concernant ce qui doit être qualifié d’honnête, soit même qu’elle veuille pour son instruction propre déterminer avec exactitude la valeur des actions ; et, ce qui est le principal, elle peut, dans ce dernier cas, espérer y toucher juste tout aussi bien que peut se le promettre n’importe quel philosophe ; bien plus, elle est en cela presque plus sûre encore que le philosophe, car celui-ci ne saurait avoir d’autre principe qu’elle, et il peut d’autre part laisser aisément son jugement s’embrouiller par une foule de considérations étrangères qui n’appartiennent pas au sujet, et le faire dévier de la droite voie. Dès lors, ne serait-il pas plus à propos de s’en tenir, dans les choses morales, au jugement de la raison commune, et de n’introduire tout au plus la philosophie que pour exposer le système de la moralité d’une façon plus complète et plus claire, que pour présenter les règles qui la concernent d’une façon plus commode pour l’usage (et plus encore pour la discussion), mais non pour dépouiller l’intelligence humaine commune, même au point de vue pratique, de son heureuse simplicité, et pour l’engager par la philosophie dans une nouvelle voie de recherches et d’instruction? C’est une belle chose que l’innocence ; le malheur est seulement qu’elle sache si peu se préserver, et qu’elle se laisse si facilement séduire. Voilà pourquoi la sagesse même qui — consiste d’ailleurs bien plus dans la conduite que dans le savoir — a cependant encore besoin de la science, non pour en tirer des enseignements, mais pour assurer à ses prescriptions l’influence et la consistance. L’homme sent en lui-même, à l’encontre de tous les commandements du devoir que la raison lui représente si hautement respectables, une puissante force de résistance, elle est dans ses besoins et ses inclinations, dont la satisfaction complète se résume à ses yeux sous le nom de bonheur. Or, la raison énonce ses ordres, sans rien accorder en cela aux inclinations, sans fléchir, par conséquent, avec une sorte de dédain et sans aucun égard pour ces prétentions si turbulentes et par là même si légitimes en apparence (qui ne se laissent supprimer par aucun commandement). Mais de là résulte une dialectique naturelle, c’est-à-dire un penchant à sophistiquer contre ces règles strictes du devoir, à mettre en doute leur validité, tout au moins leur pureté et leur rigueur, et à les accommoder davantage, dès que cela se peut, à nos désirs et à nos inclinations, c’est-à-dire à les corrompre dans leur fond et à leur faire perdre toute leur dignité, ce que pourtant même la raison pratique commune ne peut, en fin de compte, approuver. Ainsi la raison humaine commune est poussée, non par quelque besoin de la spéculation (besoin qui ne lui vient jamais, tant qu’elle se contente d’être simplement la saine raison), mais par des motifs tout pratiques, à sortir de sa sphère et à faire un pas dans le champ d’une philosophie pratique, et cela pour recueillir sur la source de son principe, sur la définition exacte qu’il doit recevoir en opposition avec les maximes qui s’appuient sur le besoin et l’inclination, des renseignements et de claires explications, de sorte qu’elle se tire d’affaire en présence de prétentions opposées et qu’elle ne coure pas le risque, par l’équivoque où elle pourrait aisément tomber, de perdre tous les vrais principes moraux. Ainsi, se développe insensiblement dans l’usage pratique de la raison commune, quand elle se cultive, une dialectique qui l’oblige à chercher secours dans la philosophie, comme cela lui arrive dans l’usage théorique ; et, par suite, pas plus dans le premier cas sans doute que dans le second, elle ne peut trouver de repos nulle part ailleurs que dans une critique complète de notre raison. Notes On entend par maxime le principe subjectif du vouloir ; le principe objectif (c’est-à-dire le principe qui servirait aussi subjectivement de principe pratique à tous les êtres raisonnables, si la raison avait plein pouvoir sur la faculté de désirer) est la loi pratique. On pourrait m’objecter que sous le couvert du terme de respect je ne fais que me réfugier dans un sentiment obscur, au lieu de porter la lumière dans la question par un concept de la raison. Mais, quoique le respect soit un sentiment, ce n’est point cependant un sentiment reçu par influence ; c’est, au contraire, un sentiment spontanément produit par un concept de la raison, et par là même spécifiquement distinct de tous les sentiments du premier genre, qui se rapportent à l’inclination, ou à la crainte. Ce que je reconnais immédiatement comme loi pour moi, je le reconnais avec un sentiment de respect qui exprime simplement la conscience que j’ai de la subordination de ma volonté à une loi sans entremise d’autres influences sur ma sensibilité, la détermination immédiate de la volonté par la loi et la conscience que j’en ai, c’est ce qui s’appelle le respect, de telle sorte que le respect doit être considéré, non comme la cause de la loi, mais comme l’effet de la loi sur le sujet. À proprement parler, le respect est la représentation d’une valeur qui porte préjudice à mon amour-propre. Par conséquent, c’est quelque chose qui n’est considéré ni comme objet d’inclination, ni comme objet de crainte, bien qu’il ait quelque analogie avec les deux à la fois. L’objet du respect est donc simplement la loi, loi telle que nous nous l’imposons à nous mêmes, et cependant comme nécessaire en soi. En tant qu’elle est la loi, nous lui sommes soumis, sans consulter l’amour-propre ; en tant que c’est par nous qu’elle nous en imposée, elle est une conséquence de notre volonté ; au premier point de vue elle a de l’analogie avec la crainte ; au second, avec l’inclination. Tout respect pour une personne n’est proprement que respect pour la loi (loi d’honnêteté, etc) dont cette personne nous donne l’exemple. Puisque nous considérons aussi comme un devoir d’étendre nos talents, nous voyons de même dans une personne qui a des talents comme l’exemple d’une loi (qui nous commande de nous exercer à lui ressembler en cela), et voilà ce qui constitue notre respect. Tout ce qu’on désigne sous le nom d’intérêt moral consiste uniquement dans le respect pour la loi.
2942
https://fr.wikisource.org/wiki/Fondements%20de%20la%20m%C3%A9taphysique%20des%20m%C5%93urs%20%28trad.%20Delbos%29/Deuxi%C3%A8me%20section
Fondements de la métaphysique des mœurs (trad. Delbos)/Deuxième section
<div class="text"> Si nous avons tiré jusqu'ici notre concept du devoir de l'usage commun de la raison pratique, il n'en faut nullement conclure que nous l'ayons traité comme un concept empirique. Loin de là, si nous appliquons notre attention à l'expérience de la conduite des hommes, nous nous trouvons en présence de plaintes continuelles et, nous l'avouons nous-mêmes, légitimes, sur ce fait, qu'il n'y a point d'exemples certains que l'on puisse rapporter de l'intention d'agir par devoir, que mainte action peut être réalisée conformément à ce que le devoir ordonne, sans qu'il cesse pour cela d'être encore douteux qu'elle soit réalisée proprement par devoir et qu'ainsi elle ait une valeur morale. Voilà pourquoi il y a eu en tout temps des philosophes qui ont absolument nié la réalité de cette intention dans les actions humaines et qui ont tout attribué à l'amour-propre plus ou moins raffiné; ils ne mettaient pas en doute pour cela la justesse du concept de moralité; ils parlaient au contraire avec une sincère affliction de l'infirmité et de l'impureté de la nature humaine, assez noble, il est vrai, suivant eux, pour faire sa règle d'une idée si digne de respect, mais en même temps trop faible pour la suivre, n'usant de la raison qui devrait servir à lui donner sa loi que pour prendre souci de l'intérêt des inclinations, soit de quelques-unes d'entre elles, soit, si l'on met les choses au mieux, de toutes, en les conciliant entre elles le mieux possible. En fait, il est absolument impossible d'établir par expérience avec une entière certitude un seul cas où la maxime d'une action d'ailleurs conforme au devoir ait uniquement reposé sur des principes moraux et sur la représentation du devoir. Car il arrive parfois sans doute qu'avec le plus scrupuleux examen de nous-mêmes nous ne trouvons absolument rien qui, en dehors du principe moral du devoir, ait pu être assez puissant pour nous pousser à telle ou telle bonne action et à tel grand sacrifice; mais de là on ne peut nullement conclure avec certitude que réellement ce ne soit point une secrète impulsion de l'amour-propre qui, sous le simple mirage de cette idée, ait été la vraie cause déterminante de la volonté; c'est que nous nous flattons volontiers en nous attribuant faussement un principe de détermination plus noble; mais en réalité nous ne pouvons jamais, même par l'examen le plus rigoureux, pénétrer entièrement jusqu'aux mobiles secrets; or, quand il s'agit de valeur morale, l'essentiel n'est point dans les actions, que l'on voit, mais dans ces principes intérieurs des actions, que l'on ne voit pas. On ne peut pas non plus rendre à ceux qui se rient de toute moralité, comme d'une chimère de l'imagination humaine qui s'exalte elle-même par présomption, de service plus conforme à leur désirs, que de leur accorder que les concepts du devoir ( avec cette facilité de conviction paresseuse qui fait aisément admettre qu'il en est également ainsi de tous les autres concepts) doivent être dérivés uniquement de l'expérience; c'est, en effet, leur préparer un triomphe certain. Je veux bien, par amour de l'humanité, accorder que la plupart de nos actions soient conformes au devoir; mais si l'on examine de plus près l'objet et la fin, on se heurte partout au cher moi, qui toujours finit par ressortir; c'est sur lui, non sur le strict commandement du devoir, qui le plus souvent exigerait l'abnégation de soi-même, que s'appuie le dessein dont elles résultent. Il n'est pas précisément nécessaire d'être un ennemi de la vertu, il suffit d'être un observateur de sang-froid qui ne prend pas immédiatement pour le bien même le vif désir de voir le bien réalisé, pour qu'à certains moments (surtout si l'on avance en âge et si l'on a le jugement d'une part mûri par l'expérience, d'autre part aiguisé par l'observation) on doute que quelque véritable vertu se rencontre réellement dans le monde. Et alors il n'y a rien pour nous préserver de la chute complète de nos idées du devoir, pour conserver dans l'âme un respect bien fondé de la loi qui le prescrit, si ce n'est la claire conviction que, lors même qu'il n'y aurait jamais eu d'actions qui fussent dérivées de ces sources pures, il ne s'agit néanmoins ici en aucune façon de savoir si ceci ou cela a lieu, mais que la raison commande par elle-même et indépendamment de tous les faits donnés ce qui doit avoir lieu, que par suite des actions dont le monde n'a peut-être jamais encore offert le moindre exemple jusqu'aujourd'hui, dont la possibilité d'exécution pourrait être mise en doute par celui-là précisément qui fonde tout sur l'expérience, sont cependant ordonnées sans rémission par la raison, que, par exemple, la pure loyauté dans l'amitié n'en est pas moins obligatoire pour tout homme, alors même qu'il se pourrait qu'il n'y eût jamais d'ami loyal jusqu'à présent, parce que ce devoir est impliqué comme devoir en général avant toute expérience dans l'idée d'une raison qui détermine la volonté par des principes a priori. Si l'on ajoute qu'à moins de contester au concept de moralité toute vérité et toute relation à quelque objet possible, on ne peut disconvenir que la loi morale ait une signification à ce point étendue qu'elle doive valoir non seulement pour des hommes, mais tous les êtres raisonnables en général, non pas seulement sous des conditions contingentes et avec des exceptions, mais avec une absolue nécessité, il est clair qu'aucune expérience ne peut donner lieu de conclure même à la simple possibilité de telles lois apodictiques. Car de quel droit pourrions-nous ériger en objet d'un respect sans bornes, comme une prescription universelle pour toute nature raisonnable, ce qui peut-être ne vaut que dans les conditions contingentes de l'humanité? Et comment des lois de la détermination de notre volonté devraient-elles être tenues pour des lois de la détermination de la volonté d'un être raisonnable en général, et à ce titre seulement, pour des lois applicables aussi à notre volonté propre, si elles étaient simplement empiriques et si elles ne tiraient pas leur origine complètement a priori d'une raison pure, mais pratique? On ne pourrait non plus rendre un plus mauvais service à la moralité que de vouloir la faire dériver d'exemples. Car tout exemple qui m'en est proposé doit lui-même être jugé auparavant selon des principes de la moralité pour qu'on sache s'il est bien digne de servir d'exemple originel, c'est-à-dire de modèle; mais il ne peut nullement fournir en tout premier lieu le concept de moralité. Même le Saint de l'Evangile doit être d'abord comparé avec notre idéal de perfection morale avant qu'on le reconnaisse comme tel; aussi dit-il de lui-même : Pourquoi m'appelez-vous bon, moi (que vous voyez)? Nul n'est bon (le type du bien) que Dieu seul (que vous ne voyez pas). Mais d'où possédons-nous le concept de Dieu comme souverain bien? Uniquement de l'idée que la raison trace a priori de la perfection morale et qu'elle lie indissolublement au concept d'une libre volonté. En matière morale l'imitation n'a aucune place; des exemples ne servent qu'à encourager, c'est-à-dire qu'ils mettent hors de doute la possibilité d'exécuter ce que la loi ordonne; ils font tomber sous l'intuition ce que la règle pratique exprime d'une manière plus générale; mais ils ne peuvent jamais donner le droit de mettre de côté leur véritable original, qui réside dans la raison, et de se régler sur eux. Si donc il n'y a pas de vrai principe suprême de la moralité qui ne doive s'appuyer uniquement sur une raison pure indépendamment de toute expérience, je crois qu'il n'est même pas nécessaire de demander s'il est bon d'exposer ces concepts sous forme universelle (in abstracto), tels qu'ils existent a priori avec les principes qui s'y rattachent, supposé du moins que la connaissance proprement dite doive se distinguer de la connaissance commune et prendre le titre de philosophique. Mais de nos jours cette question pourrait bien être nécessaire. Car, si l'on recueillait les suffrages pour savoir laquelle doit être préférée, ou bien d'une connaissance rationnelle pure séparée de tout élément empirique, d'une métaphysique des mœurs par conséquent, ou bien d'une philosophie pratique populaire, on devine bien vite de quel côté pencherait la balance. Il est sans contredit tout à fait louable de descendre aussi aux concepts populaires lorsqu'on a réussi d'abord à s'élever, et de façon à satisfaire pleinement l'esprit, jusqu'aux principes de la raison pure. Procéder ainsi, c'est fonder tout d'abord la doctrine des mœurs sur une métaphysique, et ensuite celle-ci fermement établie, la rendre accessible par vulgarisation. Mais il est tout à fait absurde de vouloir condescendre à cette accommodation dès les premières recherches, dont dépend toute l'exactitude des principes. Ce n'est pas seulement que ce procédé ne saurait jamais prétendre au mérite extrêmement rare d'une véritable vulgarisation philosophique; car il n'y a vraiment rien de difficile à se faire comprendre du commun des hommes quand pour cela on renonce à toute profondeur de pensée; mais il en résulte alors une fastidieuse mixture d'observations entassées pêle-mêle et de principes d'une raison à moitié raisonnante; les cerveaux vides s'en repaissent, parce qu'il y a là malgré tout quelque chose d'utile pour le bavardage quotidien; mais les esprits pénétrants n'y trouvent que confusion, et dans leur désappointement ils ne peuvent, sans savoir à quoi se prendre, qu'en détourner les yeux. Cependant, s'il est des philosophes qui ne soient pas dupes de trompe-l'oeil, ils trouvent un accueil peu favorable, quand ils détournent pour un temps de la prétendue vulgarisation, afin de conquérir le droit de vulgariser une fois seulement qu'ils seront arrivés à des vues définies. Que l'on examine seulement les essais sur la moralité composés dans ce goût favori; on trouvera tantôt la destination particulière de la nature humaine (mais de temps à autre aussi l'idée d'une nature raisonnable en général), tantôt la perfection, tantôt le bonheur, ici le sentiment moral, là la crainte de Dieu, un peu de ceci, mais un peu de cela également, le tout singulièrement mêlé; cependant on ne s'avise pas de demander si c'est bien dans la connaissance de la nature humaine (que nous ne pouvons pourtant tenir que de l'expérience) qu'il faut chercher les principes de la moralité; et du moment qu'il n'en est pas ainsi, du moment que ces principes sont entièrement a priori, indépendants de toute matière empirique, et ne doivent pouvoir se trouver que dans les purs concepts de la raison, et nulle part ailleurs, pas même pour la moindre part, on n'a pas cependant l'idée de mettre résolument tout à fait à part cette recherche conçue comme philosophie pure pratique ou (si l'on ose se servir d'un nom si décrié) comme Métaphysique (3) des mœurs, de la porter pour elle-même à sa pleine perfection et de demander au public qui souhaite la vulgarisation de prendre patience jusqu'à la fin de cette entreprise. Or une telle Métaphysique des mœurs, complètement isolée, qui n'est mélangée ni d'anthropologie, ni de théologie, ni de physique ou d'hyperphysique, encore moins de qualités occultes (qu'on pourrait appeler hypophysiques), n'est pas seulement un indispensable substrat de toute connaissance théorique des devoirs définie avec certitude, elle est encore un desideratum de la plus haute importance pour l'accomplissement effectif de leurs prescriptions. Car la représentation du devoir et en général de la loi morale, quand elle est pure et qu'elle n'est mélangée d'aucune addition étrangère de stimulants sensibles, a sur le cœur humain par les voies de la seule raison ( qui s'aperçoit alors qu'elle peut être pratique par elle-même) une influence beaucoup plus puissante que celle de tous les autres mobiles (4) que l'on peut évoquer du champ de l'expérience, au point que dans la conscience de sa dignité elle méprise ces mobiles, et que peu à peu elle est capable de leur commander; au lieu qu'une doctrine morale bâtarde, qui se compose de mobiles fournis par des sentiments et des inclinations en même temps que de concepts de la raison, rend nécessairement l'âme hésitante entre des motifs d'action qui ne se laissent ramener à aucun principe, qui ne peuvent conduire au bien que tout à fait par hasard, et qui souvent aussi peuvent conduire au mal. Par ce qui précède, il est évident que tous les concepts moraux ont leur siège et leur origine complètement a priori dans la raison, dans la raison humaine la plus commune aussi bien que dans celle qui est au plus haut degré spéculative; qu'ils ne peuvent pas être abstraits d'une connaissance empirique, et par suite, simplement contingente; que c'est cette pureté d'origine qui les rend précisément dignes comme ils le sont de nous servir de principes pratiques suprêmes; que tout ce qu'on ajoute d'empirique est autant d'enlevé à leur véritable influence et à la valeur absolue des actions; que ce n'est pas seulement une exigence de la plus haute rigueur, au point de vue théorique, quand il s'agit simplement de spéculation, mais qu'il est encore de la plus grande importance pratique de puiser ces concepts et ces lois à la source de la raison pure, de les présenter purs et sans mélange, qui plus est, de déterminer l'étendue de toute cette connaissance rationnelle pratique et cependant pure, c'est-à-dire la puissance entière de la raison pure pratique, de s'abstenir ici toutefois, quoique la philosophie spéculative le permette et qu'elle le trouve même parfois nécessaire, de faire dépendre les principes de la nature particulière de la raison humaine, mais puisque des lois morales doivent valoir pour tout être raisonnable en général, de les déduire du concept universel d'un être raisonnable en général, et ainsi d'exposer toute la morale, qui dans son application aux hommes a besoin de l'anthropologie, d'abord indépendamment de cette dernière science, comme philosophie pure, c'est-à-dire comme métaphysique, de l'exposer, dis-je, ainsi complètement (ce qui est aisé à faire dans ce genre de connaissance tout à fait séparé), en ayant bien conscience que si l'on n'est pas en possession de cette métaphysique, c'est peine inutile, je ne veux pas dire de déterminer exactement pour le jugement spéculatif l'élément moral du devoir dans tout ce qui est conforme au devoir, mais qu'il est même impossible, en ce qui concerne simplement l'usage commun et pratique, et particulièrement l'instruction morale, de fonder la moralité sur ses vrais principes, de produire par là des dispositions morales pures et de les inculquer dans les âmes pour le plus grand bien du monde. Or, afin d'aller dans ce travail, en nous avançant par une gradation naturelle, non pas simplement du jugement moral commun (qui est ici fort digne d'estime) au jugement philosophique, comme cela a été fait à un autre moment, mais d'une philosophie populaire, qui ne va pas au-delà de ce qu'elle peut atteindre à tâtons au moyen d'exemples, jusqu'à la métaphysique (qui ne se laisse arrêter par rien d'empirique, et qui, devant mesurer tout l'ensemble de la connaissance rationnelle de cette espèce, s'élève en tout cas jusqu'aux Idées, là où les exemples même nous abandonnent), il nous faut suivre et exposer clairement la puissance pratique de la raison, depuis ses règles universelles de détermination jusqu'au point où le concept du devoir en découle. Toute chose dans la nature agit d'après des lois. Il n'y a qu'un être raisonnable qui ait la faculté d'agir d'après la représentation des lois, c'est-à-dire d'après les principes, en d'autres termes, qui ait une volonté. Puisque, pour dériver les actions des lois, la raison est requise, la volonté n'est rien d'autre qu'une raison pratique. Si la raison chez un être détermine infailliblement la volonté, les actions de cet être qui sont reconnues nécessaires, objectivement sont aussi reconnues telles subjectivement, c'est-à-dire qu'alors la volonté est une faculté de choisir cela seulement que la raison, indépendamment de l'inclination, reconnaît comme pratiquement nécessaire, c'est-à-dire comme bon. Mais si la raison ne détermine pas suffisamment par elle seule la volonté, si celle-ci est soumise encore à des conditions subjectives (à de certains mobiles) qui ne concordent pas toujours avec les conditions objectives, en un mot, si la volonté n'est pas encore en soi pleinement conforme à la raison (comme cela arrive chez les hommes), alors les actions qui sont reconnues nécessaires objectivement sont subjectivement contingentes, et la détermination d'une telle volonté, en conformité avec des lois objectives, est une contrainte; c'est-à-dire que le rapport des lois objectives à une volonté qui n'est pas complètement bonne est représenté comme la détermination de la volonté d'un être raisonnable par des principes de la raison sans doute, mais par des principes auxquels cette volonté, selon sa nature, n'est pas nécessairement docile. La représentation d'un principe objectif, en tant que ce principe est contraignant pour une volonté, s'appelle un commandement (de la raison), et la formule du commandement s'appelle un IMPERATIF. Tous les impératifs sont exprimés par le verbe devoir (sollen), et ils indiquent par là le rapport d'une loi objective de la raison à une volonté qui, selon sa constitution subjective, n'est pas nécessairement déterminée par cette loi (une contrainte). Ils disent qu'il serait bon de faire telle chose ou de s'en abstenir; mais ils le disent à une volonté qui ne fait pas toujours une chose parce qu'il lui est représenté qu'elle est bonne à faire. Or cela est pratiquement bon, qui détermine la volonté au moyen des représentations de la raison, par conséquent non pas en vertu de causes subjectives, mais objectivement, c'est-à-dire en vertu de principes qui sont valables pour tout être raisonnable en tant que tel. Ce bien pratique est distinct de l'agréable, c'est-à-dire de ce qui a de l'influence sur la volonté uniquement au moyen de la sensation en vertu de causes purement subjectives, valables seulement pour la sensibilité de tel ou tel, et non comme principe de la raison, valable pour tout le monde (5). Une volonté parfaitement bonne serait donc tout aussi bien sous l'empire de lois objectives (lois du bien); mais elle ne pourrait pour cela être représentée comme contrainte à des actions conformes à la loi, parce que d'elle-même, selon sa constitution subjective, elle ne peut être déterminée que par la représentation du bien. Voilà pourquoi il n'y a pas d'impératif valable pour la volonté divine et en général pour une volonté sainte; le verbe devoir est un terme qui n'est pas ici à sa place, parce que déjà de lui-même le vouloir est nécessairement en accord avec la loi. Voilà pourquoi les impératifs sont seulement des formules qui expriment le rapport de lois objectives du vouloir en général à l'imperfection subjective de la volonté de tel ou tel être raisonnable, par exemple de la volonté humaine. Or tous les impératifs commandent ou hypothétiquement ou catégoriquement. Les impératifs hypothétiques représentent la nécessité pratique d'une action possible, considérée comme moyen d'arriver à quelque autre chose que l'on veut (ou du moins qu'il est possible qu'on veuille). L'impératif catégorique serait celui qui représenterait une action comme nécessaire pour elle-même, et sans rapport à un autre but, comme nécessaire objectivement. Puisque toute loi pratique représente une action possible comme bonne, et par conséquent comme nécessaire pour un sujet capable d'être déterminé pratiquement par la raison, tous les impératifs sont des formules par lesquelles est déterminée l'action qui, selon le principe d'une volonté bonne en quelque façon, est nécessaire. Or, si l'action n'est bonne que comme moyen pour quelque autre chose, l'impératif est hypothétique; si elle est représentée comme bonne en soi, par suite comme étant nécessairement dans une volonté qui est en soi conforme à la raison, le principe qui la détermine est alors l'impératif catégorique. L'impératif énonce donc quelle est l'action qui, possible par moi, serait bonne, et il représente la règle pratique en rapport avec une volonté qui n'accomplit pas sur-le-champ une action parce qu'elle est bonne, soit que le sujet ne sache pas toujours qu'elle est bonne, soit que, le sachant, il adopte néanmoins des maximes contraires aux principes objectifs d'une raison pratique. L'impératif hypothétique exprime donc seulement que l'action est bonne en vue de quelque fin, possible ou réelle. Dans le premier cas, il est un principe PROBLEMATIQUEMENT pratique; dans le second, un principe ASSERTORIQUEMENT pratique. L'impératif catégorique qui déclare l'action objectivement nécessaire en elle-même, sans rapport à un but quelconque, c'est-à-dire sans quelque autre fin, a la valeur d'un principe APODICTIQUEMENT pratique. On peut concevoir que tout ce qui n'est possible que par les forces de quelque être raisonnable est aussi un but possible pour quelque volonté, et de là vient que les principes de l'action, en tant que cette action est représentée comme nécessaire pour atteindre à quelque fin possible susceptible d'être réalisée par là, sont infiniment nombreux. Toutes les sciences ont une partie pratique, consistant en des problèmes qui supposent que quelque fin est possible pour nous, et en des impératifs qui énoncent comment cette fin peut être atteinte. Ces impératifs peuvent donc être appelés en général des impératifs de l'HABILETE. Que la fin soit raisonnable et bonne, ce n'est pas du tout de cela qu'il s'agit ici, mais seulement de ce qu'il faut faire pour l'atteindre. Les prescriptions que doit suivre le médecin pour guérir radicalement son homme, celles que doit suivre un empoisonneur pour le tuer à coup sûr, sont d'égale valeur, en tant qu'elles leur servent les unes et les autres à accomplir parfaitement leurs desseins. Comme dans la première jeunesse on ne sait pas quelles fins pourraient s'offrir à nous dans le cours de la vie, les parents cherchent principalement à faire apprendre à leurs enfants une foule de choses diverses ; ils pourvoient à l'habileté dans l'emploi des moyens en vue de toutes sortes de fins à volonté, incapables qu'ils sont de décider pour aucune de ces fins, qu'elle ne puisse pas d'aventure devenir réellement plus tard une visée de leurs enfants, tandis qu'il est possible qu'elle le devienne un jour ; et cette préoccupation est si grande qu'ils négligent communément de leur former et de leur rectifier le jugement sur la valeur des choses qu'ils pourraient bien avoir à se proposer pour fins. Il y a cependant une fin que l'on peut supposer réelle chez tous les êtres raisonnables (en tant que des impératifs s'appliquent à ces êtres, considérés comme dépendants), par conséquent un but qui n'est pas pour eux une simple possibilité, mais dont on peut certainement admettre que tous se le proposent effectivement en vertu d'une nécessité naturelle, et ce but est le bonheur. L'impératif hypothétique qui représente la nécessité pratique de l'action comme moyen d'arriver au bonheur est ASSERTORIQUE. On ne peut pas le présenter simplement comme indispensable à la réalisation d'une fin incertaine, seulement possible, mais d'une fin que l'on peut supposer avec certitude et a priori chez tous les hommes, parce qu'elle fait partie de leur essence. Or on peut donner le nom de prudence (6), en prenant ce mot dans son sens le plus étroit, à l'habileté dans le choix des moyens qui nous conduisent à notre plus grand bien-être. Aussi l'impératif qui se rapporte aux choix des moyens en vue de notre bonheur propre, c'est-à-dire la prescription de la prudence, n'est toujours qu'hypothétique ; l'action est commandée, non pas absolument, mais seulement comme moyen pour un autre but. Enfin il y a un impératif qui, sans poser en principe et comme condition quelque autre but à atteindre par une certaine conduite, commande immédiatement cette conduite. Cet impératif est CATEGORIQUE. Il concerne, non la matière de l'action, ni ce qui doit en résulter, mais la forme et le principe dont elle résulte elle-même ; et ce qu'il y a en elle d'essentiellement bon consiste dans l'intention, quelles que soient les conséquences. Cet impératif peut être nommé l'impératif de la MORALITE. L'acte de vouloir selon ces trois sortes de principes est encore clairement spécifié par la différence qu'il y a dans le genre de contrainte qu'ils exercent sur la volonté. Or, pour rendre cette différence sensible, on ne pourrait, je crois, les désigner dans leur ordre d'une façon plus appropriée qu'en disant : ce sont ou des règles de l'habileté, ou des conseils de la prudence, ou des commandements (des lois) de la moralité. Car il n'y a que la loi qui entraîne avec soi le concept de d'une nécessité inconditionnée, véritablement objective, par suite d'une nécessité universellement valable, et les commandements sont des lois auxquelles il faut obéir, c'est-à-dire se conformer même à l'encontre de l'inclination. L'énonciation de conseils implique, il est vrai, une nécessité, mais une nécessité qui ne peut valoir que sous une condition objective contingente, selon que tel ou tel homme fait de ceci ou de cela une part de son bonheur ; au contraire, l'impératif catégorique n'est limité par aucune condition, et comme il est absolument, quoique pratiquement nécessaire, il peut être très proprement nommé un commandement. On pourrait encore appeler les impératifs du premier genre techniques (se rapportant à l'art), ceux du second genre pragmatiques (7) (se rapportant au bien-être), ceux du troisième genre moraux (se rapportant à la libre conduite en général, c'est-à-dire aux mœurs). Maintenant cette question se pose : comment tous ces impératifs sont-ils possibles ? Cette question tend à savoir comment on peut se représenter, non pas l'accomplissement de l'action que l'impératif ordonne, mais simplement la contrainte de la volonté, que l'impératif énonce dans la tâche à remplir. Comment un impératif de l'habileté est possible, c'est ce qui n'a certes pas besoin d'explication particulière. Qui veut la fin, veut aussi (en tant que la raison a sur ses actions une influence décisive) les moyens d'y arriver qui sont indispensablement nécessaires, et qui sont en son pouvoir. Cette proposition est, en ce qui concerne le vouloir, analytique ; car l'acte de vouloir un objet, comme mon effet, suppose déjà ma causalité, comme causalité d'une cause agissante, c'est-à-dire l'usage des moyens, et l'impératif déduit le concept d'actions nécessaires à cette fin du seul concept de la volonté de cette fin (sans doute pour déterminer les moyens en vue d'un but qu'on s'est proposé, des propositions synthétiques sont requises ; mais elles concernent le principe de réalisation, non de l'acte de la volonté, mais de l'objet). Que pour diviser d'après un principe certain une ligne droite en deux parties égales, il me faille des extrémités de cette ligne décrire deux arcs de cercle, c'est sans doute ce que la mathématique nous enseigne uniquement au moyen de propositions synthétiques ; mais que, sachant que cette action seule permet à l'effet projeté de se produire, si je veux pleinement l'effet, je veuille aussi l'action qu'il requiert, c'est là une proposition analytique ; car me représenter une chose comme un effet que je peux produire d'une certaine manière, et me représenter moi-même, à l'égard de cet effet, comme agissant de cette même façon, c'est tout un. Les impératifs de la prudence, si seulement il était aussi facile de donner un concept déterminé du bonheur, seraient tout à fait de la même nature que ceux de l'habileté ; ils seraient tout aussi bien analytiques. Car ici comme là l'on pourrait dire que qui veut la fin veut aussi (nécessairement selon la raison) les moyens indispensables d'y arriver qui sont en son pouvoir. Mais, par malheur, le concept du bonheur est un concept si indéterminé, que, malgré le désir qu'a tout homme d'arriver à être heureux, personne ne peut jamais dire en termes précis et cohérents ce que véritablement il désire et il veut. La raison en est que tous les éléments qui font partie du concept du bonheur sont dans leur ensemble empiriques, c'est-à-dire qu'ils doivent être empruntés à l'expérience, et que cependant pour l'idée du bonheur un tout absolu, un maximum de bien-être dans mon état présent et dans toute ma condition future, est nécessaire. Or il est impossible qu'un être fini, si perspicace et en même temps si puissant qu'on le suppose, se fasse un concept déterminé de ce qu'il veut ici véritablement. Veut-il la richesse ? Que de soucis, que d'envie, que de pièges ne peut-il pas par là attirer sur sa tête ! Veut-il beaucoup de connaissance et de lumières ? Peut-être cela ne fera-t-il que lui donner un regard plus pénétrant pour lui représenter d'une manière d'autant plus terrible les maux qui jusqu'à présent se dérobent à sa vue et qui sont pourtant inévitables, ou bien que charger de plus de besoins encore ses désirs qu'il a déjà bien assez de peine à satisfaire. Veut-il une longue vie ? Qui lui répond que ce ne serait pas une longue souffrance? Veut-il du moins la santé ? Que de fois l'indisposition du corps a détourné d'excès où aurait fait tomber une santé parfaite, etc. ! Bref, il est incapable de déterminer avec une entière certitude d'après quelque principe ce qui le rendrait véritablement heureux : pour cela il lui faudrait l'omniscience. On ne peut donc pas agir, pour être heureux, d'après des principes déterminés, mais seulement d'après des conseils empiriques, qui recommandent, par exemple, un régime sévère, l'économie, la politesse, la réserve, etc., toutes choses qui, selon les enseignements de l'expérience, contribuent en thèse générale pour la plus grande part au bien-être. Il suit de là que les impératifs de la prudence, à parler exactement, ne peuvent commander en rien, c'est-à-dire représenter des actions d'une manière objective comme pratiquement nécessaires, qu'il faut les tenir plutôt pour des conseils (consilia) que pour des commandements (prœcepta) de la raison ; le problème qui consiste à déterminer d’une façon sûre et générale quelle action peut favoriser le bonheur d’un être raisonnable est un problème tout à fait insoluble ; il n’y a donc pas à cet égard d’impératif qui puisse commander, au sens strict du mot, de faire ce qui rend heureux, parce que le bonheur est un idéal, non de la raison, mais de l’imagination, fondé uniquement sur des principes empiriques, dont on attendrait vainement qu’ils puissent déterminer une action par laquelle serait atteinte la totalité d’une série de conséquences en réalité infinie. Cet impératif de la prudence serait en tout cas, si l’on admet que les moyens d’arriver au bonheur se laissent fixer avec certitude, une proposition pratique analytique. Car il ne se distingue de l’impératif de l’habileté que sur un point, c’est que pour ce dernier la fin est simplement possible, tandis que pour celui-là elle est donnée en fait ; mais comme tous deux commandent simplement les moyens en vue de ce qu’on est supposé vouloir comme fin, l’impératif qui ordonne de vouloir les moyens à celui qui veut la fin est dans les deux cas analytique. Sur la possibilité d’un impératif de ce genre, il n’y a donc pas l’ombre d’une difficulté. Au contraire, la question de savoir comment l’impératif de la moralité est possible, est sans doute la seule qui ait besoin d’une solution, puisque cet impératif n’est en rien hypothétique et qu’ainsi la nécessité objectivement représentée ne peut s’appuyer sur aucune supposition, comme dans les impératifs hypothétiques. Seulement il ne faut ici jamais perdre de vue que ce n’est par aucun exemple, que ce n’est point par suite empiriquement, qu’il y a lieu de décider s’il y a en somme quelque impératif de ce genre ; mais ce qui est à craindre, c’est que tous les impératifs qui paraissent catégoriques n’en soient pas moins de façon détournée hypothétiques. Si l’on dit, par exemple : tu ne dois pas faire de promesse trompeuse, et si l’on suppose que la nécessité de cette abstention ne soit pas comme un simple conseil qu’il faille suivre pour éviter quelque autre mal, un conseil qui reviendrait à peu près à dire : tu ne dois pas faire de fausse promesse, de peur de perdre ton crédit, au cas où cela viendrait à être révélé ; si plutôt une action de ce genre doit être considérée en elle-même comme mauvaise et qu’ainsi l’impératif qui exprime la défense soit catégorique, on ne peut néanmoins prouver avec certitude dans aucun exemple que la volonté soit ici déterminée uniquement par la loi sans autre mobile qu’elle, alors même qu’il semble en être ainsi ; car il est toujours possible que la crainte de l’opprobre, peut-être aussi une obscure appréhension d’autres dangers, ait sur la volonté une influence secrète. Comment prouver par l’expérience la non-réalité d’une cause, alors que l’expérience ne nous apprend rien au-delà de ceci, que cette cause, nous ne l’apercevons pas ? Mais dans ce cas le prétendu impératif moral, qui comme tel paraît catégorique et inconditionné, ne serait en réalité qu’un précepte pragmatique, qui attire notre attention sur notre intérêt et nous enseigne uniquement à le prendre en considération. Nous avons donc à examiner tout à fait a priori la possibilité d’un impératif catégorique, puisque nous n’avons pas ici l’avantage de trouver cet impératif réalisé dans l’expérience, de telle sorte que nous n’ayons à en examiner la possibilité que pour l’expliquer, et non pour l’établir. En attendant, ce qu’il faut pour le moment remarquer, c’est que l’impératif catégorique seul a la valeur d’une LOI pratique, tandis que les autres impératifs ensemble peuvent bien être appelés des principes, mais non des lois de la volonté; en effet, ce qui est simplement nécessaire à faire pour atteindre une fin à notre gré peut être considéré en soi comme contingent, et nous pourrions toujours être déliés de la prescription en renonçant à la fin ; au contraire, le commandement inconditionné n’abandonne pas au bon plaisir de la volonté la faculté d’opter pour le contraire ; par suite, il est le seul à impliquer en lui cette nécessité que nous réclamons pour la loi. En second lieu, pour cet impératif catégorique ou cette loi de la moralité, la cause de la difficulté (qui est d’en saisir la possibilité) est aussi très considérable. Cet impératif est une proposition pratique synthétique a priori (8) et puisqu’il y a tant de difficultés dans la connaissance théorique à comprendre la possibilité de propositions de ce genre, il est aisé de présumer que dans la connaissance pratique la difficulté ne sera pas moindre. Pour résoudre cette question, nous allons d’abord chercher s’il ne serait pas possible que le simple concept d’un impératif catégorique en fournit ainsi la formule, formule contenant la proposition qui seule peut être un impératif catégorique ; car la question de savoir comment un tel commandement absolu est possible alors même que nous en connaissons le sens, exigera encore un effort particulier et difficile que nous réservons pour la dernière section de l’ouvrage. Quand je conçois un impératif hypothétique en général, je ne sais pas d’avance ce qu’il contiendra, jusqu’à ce que la condition me soit donnée. Mais c’est un impératif catégorique que je conçois, je sais aussitôt ce qu’il contient. Car, puisque l’impératif ne contient en dehors de la loi que la nécessité, pour la maxime (9), de se conformer à cette loi, et que la loi ne contient aucune condition à laquelle elle soit astreinte, il ne reste rien que l'universalité d'une loi en général, à laquelle la maxime de l'action doit être conforme, et c'est seulement cette conformité que l'impératif nous représente proprement comme nécessaire. Il n'y a donc qu'un impératif catégorique, et c'est celui-ci : Agis uniquement d'après la maxime qui fait que tu peux vouloir en même temps qu'elle devienne une loi universelle. Or, si de ce seul impératif tous les impératifs du devoir peuvent être dérivés comme de leur principe, quoique nous laissions non résolue la question de savoir si ce qu'on appelle le devoir n'est pas en somme un concept vide, nous pourrons cependant tout au moins montrer ce que nous entendons par là et ce que ce concept veut dire. Puisque l'universalité de la loi d'après laquelle des effets se produisent constitue ce qu'on appelle proprement nature dans le sens le plus général (quant à la forme), c'est-à-dire l'existence des objets en tant qu'elle est déterminée selon des lois universelles, l'impératif universel du devoir pourrait encore être énoncé en ces termes : Agis comme si la maxime de ton action devait être érigée par ta volonté en LOI UNIVERSELLE DE LA NATURE. Nous allons maintenant énumérer quelques devoirs, d'après la division ordinaire des devoirs en devoirs envers nous-mêmes et devoirs envers les autres hommes, en devoirs parfaits et en devoirs imparfaits (10). 1. Un homme, à la suite d'une série de maux qui ont fini par le réduire au désespoir, ressent du dégoût pour la vie, tout en restant assez maître de sa raison pour pouvoir se demander à lui-même si ce ne serait pas une violation du devoir envers soi que d'attenter à ses jours. Ce qu'il cherche alors, c'est si la maxime de son action peut bien devenir une loi universelle de la nature. Mais voici sa maxime : par amour de moi-même, je pose en principe d'abréger ma vie, si en la prolongeant j'ai plus de maux à en craindre que de satisfaction à en espérer. La question est donc seulement de savoir si ce principe de l'amour de soi peut devenir une loi universelle de la nature. Mais alors on voit bientôt qu'une nature dont ce serait la loi de détruire la vie même, juste par le sentiment dont la fonction spéciale est de pousser au développement de la vie, serait en contradiction avec elle-même, et ainsi ne subsisterait pas comme nature; que cette maxime ne peut donc en aucune façon occuper la place d'une loi universelle de la nature, et qu'elle est en conséquence contraire au principe suprême de tout devoir. 2. Un autre se voit poussé par le besoin à emprunter de l'argent. Il sait bien qu'il ne pourra pas le rendre, mais il voit bien aussi qu'on ne lui prêtera rien s'il ne s'engage ferme à s'acquitter à une époque déterminée. Il a envie de faire cette promesse; mais il a aussi assez de conscience pour se demander : n'est-il pas défendu, n'est-il pas contraire au devoir de se tirer d'affaire par un tel moyen? Supposé qu'il prenne cependant ce parti; la maxime de son action signifierait ceci : quand je crois être à court d'argent, j'en emprunte, et je promets de rendre, bien que je sache que je n'en ferai rien. Or il est fort possible que ce principe de l'amour de soi ou de l'utilité personnelle se concilie avec tout mon bien-être à venir; mais pour l'instant la question est de savoir s'il est juste. Je convertis donc l'exigence de l'amour de soi en une loi universelle, et j'institue la question suivante : qu'arriverait-il si ma maxime devenait une loi universelle? Or je vois là aussitôt qu'elle ne pourrait jamais valoir comme loi universelle de la nature et s'accorder avec elle-même, mais qu'elle devrait nécessairement se contredire. Car admettre comme une loi universelle que tout homme qui croit être dans le besoin puisse promettre ce qui lui vient à l'idée, avec l'intention de ne pas tenir sa promesse, ce serait même rendre impossible le fait de promettre avec le but qu'on peut se proposer par là, étant donné que personne ne croirait à ce qu'on lui promet, et que tout le monde rirait de pareilles démonstrations, comme de vaines feintes. 3. Un troisième trouve en lui un talent qui, grâce à quelque culture, pourrait faire de lui un homme utile à bien des égards. Mais il se voit dans une situation aisée, et il aime mieux se laisser aller au plaisir que s'efforcer d'étendre et de perfectionner ses heureuses dispositions naturelles. Cependant il se demande encore si sa maxime, de négliger ses dons naturels, qui en elle-même s'accorde avec son penchant à la jouissance, s'accorde aussi bien avec ce que l'on appelle le devoir. Or il voit bien que sans doute une nature selon cette loi universelle pourrait toujours encore subsister, alors même que l'homme ( comme l'insulaire de la mer du Sud ) laisserait rouiller son talent et ne songerait qu'à tourner sa vie vers l'oisiveté, le plaisir, la propagation de l'espèce, en un mot, vers la jouissance ; mais il ne peut absolument pas VOULOIR que cela devienne une loi universelle de la nature, ou que cela soit implanté comme tel en nous par un instinct naturel. Car, en tant qu'être raisonnable, il veut nécessairement que toutes les facultés soient développées en lui parce qu'elles lui sont utiles et qu'elles lui sont données pour toutes sortes de fins possibles. 4. Enfin un quatrième, à qui tout va bien, voyant d'autres hommes (à qui il pourrait bien porter secours) aux prises avec de grandes difficultés, raisonne ainsi : Que m'importe ? Que chacun soit aussi heureux qu'il plaît au Ciel ou que lui-même peut l'être de son fait ; je ne lui déroberai pas la moindre part de ce qu'il a, je ne lui porterai pas même envie ; seulement je ne me sens pas le goût de contribuer en quoi que ce soit à son bien-être ou d'aller l'assister dans le besoin ! Or, si cette manière de voir devenait une loi universelle de la nature, l'espèce humaine pourrait sans doute fort bien subsister, et assurément dans de meilleures conditions que lorsque chacun a sans cesse à la bouche les mots de sympathie et de bienveillance, et même met de l'empressement à pratiquer ces vertus à l'occasion, mais en revanche trompe dès qu'il le peut, trafique du droit des hommes ou y porte atteinte à d'autres égards. Mais, bien qu'il soit parfaitement possible qu'une loi universelle de la nature conforme à cette maxime subsiste, il est cependant impossible de VOULOIR qu'un tel principe vaille universellement comme loi de la nature. Car une volonté qui prendrait ce parti se contredirait elle-même ; il peut en effet survenir malgré tout bien des cas où cet homme ait besoin de l'amour et de la sympathie des autres, et où il serait privé lui-même de tout espoir d'obtenir l'assistance qu'il désire par cette loi de la nature issue de sa volonté propre. Ce sont là quelques-uns des nombreux devoirs réels, ou du moins tenus par nous pour tels, dont la déduction à partir du principe unique que nous avons énoncé, tombe clairement sous les yeux. Il faut que nous puissions vouloir que ce qui est une maxime de notre action devienne une loi universelle; c'est là le canon qui permet l'appréciation morale de notre action en général. Il y a des actions dont la nature est telle que leur maxime ne peut même pas être conçue sans contradiction comme une loi universelle de la nature, bien loin qu'on puisse poser par la volonté qu'elle devrait le devenir. Il y en a d'autres dans lesquelles on ne trouve pas sans doute cette impossibilité interne, mais telles cependant qu'il est impossible de vouloir que leur maxime soit élevée à l'universalité d'une loi de la nature, parce qu'une telle volonté se contredirait elle-même. On voit aisément que la maxime des premières est contraire au devoir strict ou étroit (rigoureux), tandis que la maxime des secondes n'est contraire qu'au devoir large (méritoire), et qu'ainsi tous les devoirs, en ce qui concerne le genre d'obligation qu'ils imposent (non l'objet de l'action qu'ils déterminent), apparaissent pleinement par ces exemples dans leur dépendance à l'égard du même unique principe. Si maintenant nous faisons attention à nous-mêmes dans tous les cas où nous violons un devoir, nous trouvons que nous ne voulons pas réellement que notre maxime devienne une loi universelle, car cela nous est impossible ; c'est bien plutôt la maxime opposée qui doit rester universellement une loi ; seulement nous prenons la liberté d'y faire une exception pour nous, ou (seulement pour cette fois) en faveur de notre inclination. En conséquence, si nous considérions tout d'un seul et même point de vue, à savoir du point de vue de la raison, nous trouverions une contradiction dans notre volonté propre en ce sens que nous voulons qu'un certain principe soit nécessaire objectivement comme loi universelle, et que néanmoins il n'ait pas une valeur universelle subjectivement, et qu'il souffre des exceptions. Mais comme nous considérons à un moment notre action du point de vue d'une volonté pleinement conforme à la raison, et ensuite aussi cette même action du point de vue d'une volonté affectée par l'inclination, il n'y a ici réellement pas de contradiction, mais bien une résistance de l'inclination aux prescriptions de la raison (antagonismus) : ce qui fait que l'universalité du principe (universalitas) est convertie en une simple généralité (generalitas), et que le principe pratique de la raison doit se rencontrer avec la maxime à moitié chemin. Or, bien que ce compromis ne puisse être justifié dans notre propre jugement quand celui-ci est impartialement rendu, il montre cependant que nous reconnaissons réellement la validité de l'impératif catégorique et que (avec un entier respect pour lui) nous nous permettons quelques exceptions sans importance, à ce qu'il nous semble, et pour lesquelles nous subissons une contrainte. Ainsi nous avons réussi au moins à prouver que le devoir est un concept qui doit avoir un sens et contenir une législation réelle pour nos actions ; cette législation ne peut être exprimée que dans des impératifs catégoriques, nullement dans des impératifs hypothétiques ; en même temps nous avons, ce qui est déjà beaucoup, exposé clairement, et en une formule qui le détermine pour toute application, le contenu de l'impératif catégorique qui doit renfermer le principe de tous les devoirs (s'il y a des devoirs en général). Mais nous ne sommes pas encore parvenus à démontrer a priori qu'un tel impératif existe réellement, qu'il y ait une loi pratique qui commande absolument par soi sans aucun mobile, et que l'obéissance à cette loi soit le devoir. Quand on se propose de mener à bien une telle entreprise, il est de la plus haute importance de se tenir ceci pour dit : c'est qu'il ne faut pas du tout se mettre en tête de vouloir dériver la réalité de ce principe de la constitution particulière de la nature humaine. Car le devoir doit être une nécessité pratique inconditionnée de l'action ; il doit donc valoir pour tous les êtres raisonnables (les seuls auxquels peut s'appliquer absolument un impératif), et c'est seulement à ce titre qu'il est aussi une loi pour toute volonté humaine. Au contraire, ce qui est dérivé de la disposition naturelle propre de l'humanité, ce qui est dérivé certains sentiments et de certains penchants, et même, si c'est possible, d'une direction particulière qui serait propre à la raison humaine et ne devrait pas nécessairement valoir pour la volonté de tout être raisonnable, tout cela peut bien nous fournir une maxime à notre usage, mais non une loi, un principe subjectif selon lequel nous pouvons agir par penchant et inclination, non un principe objectif par lequel nous aurions l'ordre d'agir, alors même que tous nos penchants, nos inclinations et les dispositions de notre nature y seraient contraires ; cela est si vrai que la sublimité et la dignité intrinsèque du commandement exprimé dans un devoir apparaissent d'autant plus qu'il trouve moins de secours et même plus de résistance dans les causes subjectives, sans que cette circonstance affaiblisse le moins du monde la contrainte qu'impose la loi ou enlève quelque chose à sa validité. Or nous voyons ici la philosophie placée dans une situation critique : il faut qu'elle trouve une position ferme sans avoir, ni dans le ciel ni sur la terre, de point d'attache ou de point d'appui. Il faut que la philosophie manifeste ici sa pureté, en se faisant la gardienne de ses propres lois, au lieu d'être le héraut de celles que lui suggère un sens inné ou je ne sais quelle nature tutélaire. Celles-ci, dans leur ensemble, valent sans doute mieux que rien ; elles ne peuvent cependant jamais fournir des principes comme ceux que dicte la raison et qui doivent avoir une origine pleinement et entièrement a priori, et tirer en même temps de là leur autorité impérative, n'attendant rien de l'inclination de l'homme, attendant tout de la suprématie de la loi et du respect qui lui est dû, ou, dans le cas contraire, condamnant l'homme à se mépriser et à s'inspirer de l'horreur au-dedans de lui-même. Donc tout élément empirique non seulement est impropre à servir d'auxiliaire au principe de la moralité, mais est encore au plus haut degré préjudiciable à la pureté des mœurs. En cette matière, la valeur propre, incomparablement supérieure à tout, d'une volonté absolument bonne, consiste précisément en ceci, que le principe de l'action est indépendant de toutes les influences exercées par des principes contingents, les seuls que l'expérience peut fournir. Contre cette faiblesse ou même cette basse manière de voir, qui fait qu'on cherche le principe moral parmi des mobiles et des lois empiriques, on ne saurait trop faire entendre d'avertissements ni trop souvent ; car la raison, dans sa lassitude, se repose volontiers sur cet oreiller, et , bercée dans son rêve par de douces illusions (qui ne lui font cependant embrasser, au lieu de Junon, qu'un nuage), elle substitue à la moralité un monstre bâtard formé de l'ajustement artificiel de membres d'origine diverse qui ressemble à tout ce qu'on veut y voir, sauf cependant à la vertu, pour celui qui l'a une fois envisagée dans sa véritable forme. (11) La question est donc celle-ci : est-ce une loi nécessaire pour tous les êtres raisonnables, que de juger toujours leurs actions d'après des maximes telles qu'ils puissent vouloir eux-mêmes qu'elles servent de lois universelles ? Si cette loi est telle, elle doit être liée (tout à fait a priori) au concept de la volonté d'un être raisonnable en général. Mais pour découvrir cette connexion, il faut, si fort qu'on y répugne, faire un pas en avant, je veux dire vers la Métaphysique, bien que ce soit dans un de ses domaines qui est distinct de la philosophie spéculative, à savoir, dans la Métaphysique des mœurs. Dans une philosophie pratique, où il s'agit de poser, non pas des principes de ce qui arrive, mais des lois de ce qui doit arriver, quand même cela n'arriverait jamais, c'est-à-dire des lois objectives pratiques, nous n'avons pas par là même à instituer de recherche sur les raisons qui font qu'une chose plaît ou déplaît, sur les caractères par lesquels le plaisir de la simple sensation se distingue du goût, et sur la question de savoir si le goût se distingue d'une satisfaction universelle de la raison, à nous demander sur quoi repose le sentiment du plaisir et de la peine, comment de ce sentiment naissent les désirs et les inclinations, comment des désirs et des inclinations naissent, par la coopération de la raison, des maximes : car tout cela fait partie d'une doctrine empirique de l'âme qui devrait constituer la seconde partie d'une doctrine de la nature, si l'on considère celle-ci comme philosophie de la nature, en tant qu’elle est fondée sur des lois empiriques. Mais ici il s’agit de la loi pratique objective, par suite du rapport d’une volonté à elle-même, en tant qu’elle se détermine uniquement par la raison; dans ce cas, en effet, tout ce qui a rapport à ce qui est empirique se supprime de lui-même, parce que si la raison par elle seule détermine la conduite( et c’est précisément ce dont nous avons à présent à rechercher la possibilité), il faut qu’elle le fasse nécessairement a priori. La volonté est conçue comme une faculté de se déterminer soi-même à agir conformément à la représentation de certaines lois. Et une telle faculté ne peut se rencontrer que dans des êtres raisonnables. Or ce qui sert à la volonté de principe objectif pour se déterminer elle-même, c’est la fin, et, si celle-ci est donnée par la seule raison, elle doit valoir également pour tous les êtres raisonnables. Ce qui, au contraire, contient simplement le principe de la possibilité de l’action dont l’effet est la fin s’appelle le moyen. Le principe subjectif du désir est le mobile, le principe objectif du vouloir est le motif; de là la différence entre des fins objectives qui tiennent à des motifs valables pour tout être raisonnable. Des principes pratiques sont formels, quand ils font abstraction de toutes les fins subjectives; ils sont matériels, au contraire, quand ils supposent des fins de ce genre. Les fins qu’un être raisonnable se propose à son gré comme effets de son action (les fins matérielles) ne sont toutes que relatives; car ce n’est simplement que leur rapport à la nature particulière de la faculté de désirer du sujet qui leur donne la valeur qu’elles ont, laquelle, par suite, ne peut fournir des principes universels pour tous les êtres raisonnables, non plus que des principes nécessaires et valables pour chaque volition, c’est-à-dire de lois pratiques. Voilà pourquoi toutes ces fins relatives ne fondent que des impératifs hypothétiques. Mais supposé qu’il y ait quelque chose dont l’existence en soi- même ait une valeur absolue, quelque chose qui, comme fin en soi, pourrait être un principe de lois déterminées, c’est alors en cela seulement que se trouverait le principe d’un impératif catégorique possible, c’est-à-dire d’une loi pratique. Or je dis : l’homme, et en général tout être raisonnable, existe comme fin en soi, et non pas simplement comme moyen dont telle ou telle volonté puisse user à son gré; dans toutes ses actions, aussi bien dans celles qui le concernent lui-même que dans celles qui concernent d’autres êtres raisonnables, il doit toujours être considéré en même temps comme fin. Tous les objets des inclinations n’ont qu’une valeur conditionnelle; car, si les inclinations et les besoins qui en dérivent n’existaient pas, leur objet serait sans valeur. Mais les inclinations mêmes, comme sources du besoin, ont si peu une valeur absolue qui leur donne le droit d’êtres désirées pour elles-mêmes, que, bien plutôt, en être pleinement affranchi doit être le souhait universel de tout être raisonnable. Ainsi la valeur de tous les objet à acquérir par notre action est toujours conditionnelle. Les êtres dont l’existence dépend, à vrai dire, non pas de notre volonté, mais de la nature, n’ont cependant, quand ce sont des êtres dépourvus de raison, qu’une valeur relative, celle de moyens, et voilà pourquoi on les nomme des choses; au contraire, les êtres raisonnables sont appelés des personnes, parce que leur nature les désigne déjà comme des fins en soi, c’est-à-dire comme quelque chose qui ne peut pas être employé simplement comme moyen, quelque chose qui par suite limite d’autant toute faculté d’agir comme bon nous semble (et qui est un objet de respect). Ce ne sont donc pas là des fins simplement subjectives, dont l’existence, comme effet de notre action, à une valeur pour nous : ce sont des fins objectives, c’est-à-dire des choses dont l’existence est une fin soi-même, et même une fin telle qu’elle ne peut être remplacée par aucune autre, au service de laquelle les fins objectives devraient se mettre, simplement comme moyens. Sans cela, en effet, on ne pourrait trouver jamais rien qui eût une valeur absolue. Mais si toute valeur était conditionnelle, et par suite contingente, il serait complètement impossible de trouver pour la raison un principe pratique suprême. Si donc il doit y avoir un principe pratique suprême, et au regard de la volonté humaine un impératif catégorique, il faut qu’il soit tel que, par la représentation de ce qui, étant une fin en soi, est nécessairement une fin pour tout homme, il constitue un principe objectif de la volonté, que par conséquent il puisse servir de loi pratique universelle. Voici le fondement de ce principe : la nature raisonnable existe comme fin en soi. L’homme se représente nécessairement ainsi sa propre existence; c’est donc en ce sens un principe subjectif d’actions humaines. Mais tout autre être raisonnable se présente également ainsi son existence, en conséquence du même principe rationnel qui vaut aussi pour moi (12); c’est donc en même temps un principe objectif dont doivent pouvoir être déduites, comme d’un principe pratique suprême, toutes les lois de la volonté. L’impératif pratique sera donc celui-ci : Agis de telle sorte que tu traites l’humanité aussi bien dans ta personne que dans la personne de tout autre toujours en même temps comme une fin, et jamais simplement comme un moyen. Restons-en aux exemples précédents : En premier lieu, selon le concept du devoir nécessaire envers soi-même, celui qui médite le suicide se demandera si son action peut s’accorder avec l’idée de l’humanité comme fin en soi. Si, pour échapper à une situation pénible, il se détruit lui-même, il se sert d’une personne, uniquement comme d’un moyen destiné à maintenir une situation supportable jusqu’à la de la vie. Mais l’homme n’est pas une chose; il n’est pas par conséquent un objet qui puisse être traité simplement comme un moyen; mais il doit dans toutes ses actions être toujours considéré comme une fin en soi. Ainsi je ne puis disposer en rien de l’homme en ma personne, soit pour le mutiler, soit pour l'endommager, soit pour le tuer. (Il faut que je néglige ici de déterminer de plus près ce principe, comme il le faudrait pour éviter toute méprise, dans le cas où, par exemple, il s’agit de me laisser amputer les membres pour me sauver, de risquer ma vie pour la conserver; cette détermination appartient à la morale proprement dite.) En second lieu, pour ce qui est du devoir nécessaire ou devoir strict envers les autres, celui qui a l’intention de faire à autrui une fausse promesse apercevra aussitôt qu’il veut se servir d’un autre homme simplement comme d’un moyen, sans que ce dernier contienne en même temps la fin en lui-même. Car celui que je veux par cette promesse faire servir à mes desseins ne peut absolument pas adhérer à ma façon d’en user envers lui et contenir ainsi lui-même la fin de cette action. Cette violation du principe de l’humanité dans d’autres hommes tombe plus évidemment sous les yeux quand on tire les exemples d’atteintes portées à la liberté ou à la priorité d’autrui. Car là il apparaît clairement que celui qui viole les droits des hommes a l’intention de se servir de la personne des autres simplement comme d’un moyen, sans considérer que les autres, en qualité d’êtres raisonnables, doivent être toujours estimés en même temps comme des fins, c’est-à-dire uniquement comme des êtres qui doivent pouvoir contenir aussi en eux la fin de cette même action (13). En troisième lieu, pour ce qui est du devoir contingent (méritoire) envers soi-même, ce n’est pas assez que l’action ne contredise par l’humanité dans notre personne, comme fin en soi; il faut encore qu’elle soit en accord avec elle. Or il y a dans l’humanité des dispositions à une perfection plus grande, qui font partie de la nature a l’égard de l’humanité dans le sujet que nous sommes; négliger ces dispositions, cela pourrait bien à la rigueur être compatible avec la conservation de l’humanité comme fin en soi, mais non avec l’accomplissement de cette fin. En quatrième lieu, au sujet du devoir méritoire envers autrui, la fin naturelle qu’ont tous les hommes, c’est leur bonheur propre. Or, à coup sûr, l’humanité pourrait subsister, si personne ne contribuait en rien au bonheur d’autrui, tout en s’abstenant d’y porter atteinte de propos délibéré; mais ce ne serait là cependant qu’un accord négatif, non positif, avec l’humanité comme fin en soi, si chacun ne tâchait pas aussi de favoriser, autant qu’il est en lui, les fins des autres. Car le sujet étant une fin en soi, il faut que ses fins, pour que cette représentation produise chez moi tout son effet, soient aussi, autant que possible, mes fins. Ce principe, d’après lequel l’humanité et toute nature raisonnable en général sont considérées comme fin en soi (condition suprême qui limite a liberté des actions de tout homme), n’est pas emprunté à l’expérience d’abord à cause de son universalité, puisqu’il s’étend tous les êtres raisonnables en général : sur quoi aucune expérience ne suffit à rien déterminer; ensuite parce qu’en principe l’humanité est représentée, non comme une fin des hommes (subjective), c’est-à-dire comme un objet dont on se fait en réalité une fin de son propre gré, mais comme une fin objective, qui doit, qu’elles que soient les fins que nous nous proposions, constituer en qualité de loi la condition suprême restrictive de toutes les fins subjectives, et parce qu’ainsi ce principe dérive nécessairement de la raison pure. C’est que le principe de toute législation pratique réside objectivement dans la règle et dans la forme de l’universalité, qui la rend capable (d’après le premier principe) d’être une loi (qu’on peut dire à la rigueur une loi de la nature), tandis que subjectivement c’est dans la fin qu’il réside ; or le sujet de toutes les fins, c’est tout être raisonnable, comme fin en soi (d’après le second principe) ; de là résulte maintenant le troisième principe pratique de la volonté, comme condition suprême de son accord avec la raison pratique universelle, à savoir, l’idée de la volonté de tout être raisonnable conçue comme volonté instituant une législation universelle. Selon ce principe on rejettera toutes les maximes qui ne peuvent s’accorder avec la législation universelle propre de la volonté. La volonté n’est donc pas simplement soumise à la loi ; mais elle y est soumise de telle sorte qu’elle doit être regardée également comme instituant elle-même la loi, et comme n’y étant avant tout soumise (elle peut s’en considérer elle–même comme l’auteur) que pour cette raison. Les impératifs, selon le genre de formules que nous avons présentées plus haut, soit celui qui exige que les actions soient conformes à des lois universelles comme dans un ordre de la nature, soit celui qui veut que les êtres raisonnables aient la prérogative universelle de fins en soi, excluaient sans doute de leur autorité souveraine toute immixtion d’un intérêt quelconque, à titre de mobile, par cela même qu’ils étaient représentés comme catégoriques ; mais ils n’étaient admis comme catégoriques que parce qu’il fallait en admettre de tels si l’on voulait expliquer le concept de devoir. Mais qu’il y ait des propositions pratiques qui commandent catégoriquement, c’est une vérité qui ne pouvait se démontrer dès l’abord, et il n’est même pas possible que cette démonstration se produise ici encore, dans cette section. Une chose toutefois n’en pouvait pas moins se faire : c’était que le détachement de tout intérêt dans l’acte de vouloir par devoir, considéré comme le caractère spécifique qui distingue l’impératif catégorique de l’impératif hypothétique, fût indiqué en même temps dans l’impératif même, au moyen de quelque détermination qui lui serait inhérente, et c’est ce qui arrive maintenant dans cette troisième formule du principe, à savoir dans l’idée de la volonté de tout être raisonnable conçue comme volonté qui institue une législation universelle. Car si nous concevons une telle volonté, quelque possibilité qu’il y ait à ce qu’une volonté soumise à des lois soit liée encore à ces lois par intérêt, il est impossible qu’une volonté qui est elle-même souveraine législatrice dépende en ce sens d’un intérêt quelconque, car une volonté ainsi dépendante aurait elle-même encore besoin d’une autre loi, qui vînt astreindre l’intérêt de son amour-propre à cette condition, d’être capable de valoir comme loi universelle. Ainsi le principe selon lequel toute volonté humaine apparaît comme une volonté instituant par toutes ses maximes une législation universelle (14), si seulement il apportait avec lui la preuve de sa justesse, conviendrait parfaitement bien à l’impératif catégorique, en ce que, précisément à cause de l’idée de la législation universelle, il ne se fonde sur aucun intérêt et qu’ainsi parmi tous les impératifs possibles il peut seul être inconditionné ; ou mieux encore, en retournant la proposition, s’il y a un impératif catégorique (c’est-à-dire une loi pour la volonté de tout être raisonnable), il ne peut que commander de toujours agir en vertu de la maxime d’une volonté, qui pourrait en même temps se prendre elle-même pour objet en tant que législatrice universelle ; car alors seulement le principe pratique est inconditionné ainsi que l’impératif auquel on obéit ; il n’y a en effet absolument aucun intérêt sur lequel il puisse se fonder. Il n’est maintenant plus surprenant, si nous jetons un regard en arrière sur toutes les tentatives qui ont pu être faites pour découvrir le principe de la moralité, que toutes aient nécessairement échoué. On voyait l’homme lié par son devoir à des lois, mais on ne réfléchissait pas qu’il n’est soumis qu’à sa propre législation, encore que cette législation soit universelle, et qu’il n’est obligé d’agir que conformément à sa volonté propre, mais à sa volonté établissant par destination de la nature une législation universelle. Car si l’on ne le concevait que comme soumis à une loi (quelle qu’elle soit), celle-ci impliquerait nécessairement en elle un intérêt sous forme d’attrait ou de contrainte, parce qu’elle ne dériverait pas comme loi de sa volonté, et que sa volonté serait forcée conformément à la loi par quelque chose d’autre à agir d’une certaine manière. Or c’était cette conséquence de tout point inévitable qui faisait que tout effort pour trouver un principe suprême du devoir était perdu sans retour. Car on ne découvrait jamais le devoir, mais la nécessité d’agir par un certain intérêt. Que cet intérêt fut un intérêt personnel ou un intérêt étranger, l’impératif affectait toujours alors nécessairement un caractère conditionnel et ne pouvait en rien être bon pour le commandement moral. J’appellerai donc ce principe, principe de l’AUTONOMIE de la volonté, en opposition avec tous les autres principes, que pour cela je mets au compte de l’HÉTÉRONOMIE. Le concept suivant lequel tout être raisonnable doit se considérer comme établissant par toutes les maximes de sa volonté une législation universelle afin de se juger soi-même et ses actions de ce point de vue, conduit à un concept très fécond qui s’y rattache, je veux dire le concept d’un règne des fins. Or par règne j’entends la liaison systématique de divers êtres raisonnables par des lois communes. Et puisque des lois déterminent les fins pour ce qui est de leur aptitude à valoir universellement, si l’on fait abstraction de la différence personnelle des être raisonnables et aussi de tout le contenu de leurs fins particulières, on pourra concevoir un tout de toutes les fins (aussi bien des êtres raisonnables comme fins en soi que des fins propres que chacun peut se proposer), un tout consistant en une union systématique, c’est-à-dire un règne des fins qui est possible d’après les principes énoncés plus haut. Car des êtres raisonnables sont tous sujets de la loi selon laquelle chacun d’eux ne doit jamais se traiter soi-même et traiter tous les autres simplement comme des moyens, mais toujours en même temps comme des fins en soi. Or de là dérive une liaison systématique d’êtres raisonnables par des lois objectives communes, c’est-à-dire un règne qui, puisque ces lois ont précisément pour but le rapport de ces êtres les uns aux autres, comme fins et moyens, peut être appelé règne des fins (qui n’est à la vérité qu’un idéal). Mais un être raisonnable appartient, en qualité de membre, au règne des fins, lorsque, tout en y donnant des lois universelles, il n’en est pas moins lui-même soumis aussi à ces lois. Il y appartient, en qualité de chef, lorsque, donnant des lois, il n’est soumis à aucune volonté étrangère. L’être raisonnable doit toujours se considérer comme législateur dans un règne des fins qui est possible par la liberté de la volonté, qu’il y soit membre ou qu’il y soit chef. Mais à la place de chef il ne peut prétendre simplement par les maximes de sa volonté ; il n’y peut prétendre que s’il est un être pleinement indépendant, sans besoins, et avec un pouvoir qui est sans restriction adéquat à sa volonté. La moralité consiste donc dans le rapport de toute action à la législation qui seule rend possible un règne des fins. Or cette législation doit se trouver dans tout être raisonnable même, et doit pouvoir émaner de sa volonté, dont voici alors le principe : n’accomplir d’action que d’après une maxime telle qu’elle puisse comporter en outre d’être une loi universelle, telle donc seulement que la volonté puisse se considérer elle-même comme constituant en même temps par sa maxime une législation universelle. Si maintenant les maximes ne sont pas tout d’abord par leur nature nécessairement conforme à ce principe objectif des êtres raisonnables, considérés comme auteurs d’une législation universelle, la nécessité d’agir d’après ce principe s’appelle contrainte pratique, c’est-à-dire devoir. Dans le règne des fins le devoir ne s’adresse pas au chef, mais bien à chacun des membres, et à tous à la vérité dans la même mesure. La nécessité pratique d’agir selon ce principe, c’est-à-dire le devoir, ne repose en rien sur des sentiments, des impulsions et des inclinations, mais uniquement sur le rapport des êtres raisonnables entre eux, dans ce rapport, la volonté d’un être raisonnable doit toujours être considérée en même temps comme législatrice, parce qu’autrement l’être raisonnable ne se pourrait pas concevoir comme fin en soi. La raison rapporte ainsi chacune des maximes de la volonté conçue comme législatrice universelle à chacune des autres volontés, et même à chacune des actions envers soi-même, et cela non pas pour quelque autre motif pratique ou quelque futur avantage, mais en vertu de l’idée de la dignité d’un être raisonnable qui n’obéit à d’autre loi que celle qu’il institue en même temps lui-même. Dans le règne des fins tout à un PRIX ou une DIGNITÉ. Ce qui a un prix peut être aussi bien remplacé par quelque chose d’autre, à titre d’équivalent ; au contraire, ce qui est supérieur à tout prix, ce qui par suite n’admet pas d’équivalent, c’est ce qui a une dignité. Ce qui rapporte aux inclinations et aux besoins généraux de l’homme, cela a un prix marchand ; ce qui, même sans supposer de besoin, correspond à un certain goût, c’est-à-dire à la satisfaction que nous procure un simple jeu sans but de nos facultés mentales, cela a un prix de sentiment ; mais ce qui constitue la condition, qui seule peut faire que quelque chose est une fin en soi, cela n’a pas seulement une valeur relative, c’est-à-dire un prix, mais une valeur intrinsèque, c’est-à-dire une dignité. Or la moralité est la condition qui seule peut faire qu’un être raisonnable est une fin en soi ; car il n’est possible que par elle d’être un membre législateur dans le règne des fins. La moralité, ainsi que l’humanité, en tant qu’elle est capable de moralité, c’est donc là ce qui seul a de la dignité. L’habileté et l’application dans le travail ont un prix marchand ; l’esprit, la vivacité d’imagination, l’humour, ont un prix de sentiment ; par contre, la fidélité à ses promesses, la bienveillance par principe (non la bienveillance d’instinct), ont une valeur intrinsèque. Ni la nature ni l’art ne contiennent rien qui puisse être mis à la place de ces qualités, si elles viennent à manquer ; car leur valeur consiste, non dans les effets qui en résultent, non dans l’avantage et le profit qu’elles constituent, mais dans les intentions, c’est-à-dire dans les maximes de la volonté qui sont prêtes à se traduire ainsi en actions, alors même que l’issue ne leur serait pas favorable. Ces actions n’ont pas besoin non plus d’être recommandées par quelque disposition subjective ou quelque goût qui nous les ferait considérer avec une faveur et une satisfaction immédiates ; elles n’ont besoin d’aucun penchant ou sentiment qui nous pousse immédiatement vers elles ; elles présentent la volonté qui les accomplit comme l’objet d’un respect immédiat ; il n’y a que la raison qui soit requise, pour les imposer à la volonté, sans chercher à les obtenir d’elles par insinuation, ce qui au surplus dans des devoirs serait contradictoire. C’est cette estimation qui fait reconnaître la valeur d’une telle disposition d’esprit comme une dignité, et elle la met à part infiniment au-dessus de tout prix ; on ne peut d’aucune manière la mettre en balance, ni la faire entrer en comparaison avec n’importe quel prix, sans porter atteinte en quelque sorte à sa sainteté. Et qu’est-ce donc qui autorise l’intention moralement bonne ou la vertu à élever de si hautes prétentions ? Ce n’est rien moins que la faculté qu’elle confère à l’être raisonnable de participer à l’établissement des lois universelles, et qui le rend capable par là même d’être membre d’un règne possible des fins : ce à quoi il était déjà destiné par sa propre nature comme fin en soi, et pour cela précisément comme législateur dans le règne des fins, comme libre au regard de toutes les lois de la nature, n’obéissant qu’aux lois qu’il établit lui-même et selon lesquelles ses maximes peuvent appartenir à une législation universelle (à laquelle il se soumet en même temps lui-même). Nulle chose, en effet, n’a de valeur en dehors de celle que la loi lui assigne. Or la législation même qui détermine toute valeur doit avoir précisément pour cela une dignité, c’est-à-dire une valeur inconditionnée, incomparable, que traduit le mot de respect, le seul qui fournisse l’expression convenable de l’estime qu’un être raisonnable en doit faire. L’autonomie est donc un principe de la dignité de la nature humaine et de toute nature raisonnable. Les trois manières que nous avons indiquées de représenter le principe de la moralité ne sont au fond qu’autant de formules d’une seule et même loi, formules dont chacune contient en elle par elle-même les deux autres. Il y a cependant entre elles une différence, qui à vrai dire est plutôt subjectivement qu’objectivement pratique, et dont le but est de rapprocher (selon une certaine analogie) une idée de la raison de l’intuition et par là du sentiment. Toutes les maximes ont : 1° Une forme, qui consiste dans l’universalité, et à cet égard la formule de l’impératif moral est la suivante : il faut que les maximes soient choisies comme si elles devaient avoir la valeur de lois universelles de la nature; 2° Une matière, c’est-à-dire une fin, et voici alors ce qu’énonce la formule : l’être raisonnable, étant par sa nature une fin, étant par suite une fin en soi, doit être pour toute maxime une condition qui serve à restreindre toutes les fins simplement relatives et arbitraires ; 3° Une détermination complète de toutes les maximes par cette formule, à savoir, que toutes les maximes qui dérivent de notre législation propre doivent concourir à un règne possible des fins comme à un règne de la nature (15). Le progrès se fait ici en quelque sorte selon les catégories, en allant de l’unité de la forme de la volonté (de son universalité) à la pluralité de la matière ( des objets c’est-à-dire des fins), et de là à la totalité ou l’intégralité du système Mais on fait mieux de procéder toujours, quand il s’agit de porter un jugement moral, selon la stricte méthode, et de prendre pour principe la formule universelle de l’impératif catégorique : Agis selon la maxime qui peut en même temps s’ériger elle-même en loi universelle. Mais si l’on veut en même temps ménager à la loi morale l’accès des âmes, il est très utile de faire passer la même action par les trois concepts indiqués et de la rapprocher par là autant que possible de l’intuition. Nous pouvons maintenant finir par où nous avions commencé, c’est-à-dire par le concept de la volonté inconditionnellement bonne. Est absolument bonne la volonté qui ne peut être mauvaise, dont par suite la maxime, quand elle est convertie en loi universelle, ne peut jamais se contredire elle-même. Ce principe est donc aussi sa loi suprême : agis toujours d’après une maxime telle que tu puisses la vouloir en même temps portée à l’universel, à la façon d’une loi ; c’est l’unique condition sous laquelle une volonté ne peut jamais être en opposition avec elle-même, et un tel impératif est catégorique. Et puisque le caractère qu’à la volonté de valoir comme loi universelle pour des actions possibles a de l’analogie avec la connexion universelle de l’existence des choses selon des lois universelles, qui est l’élément formel de la nature en général, l’impératif catégorique peut encore s’exprimer ainsi : Agis selon des maximes qui puissent se prendre en même temps elles-mêmes pour objet comme lois universelles de la nature. C’est donc ainsi qu’est constituée la formule d’une volonté absolument bonne. La nature raisonnable se distingue des autres par ceci, qu’elle se pose à elle-même une fin. Cette fin serait la matière de toute bonne volonté. Mais comme, dans l’idée d’une volonté absolument bonne sans condition restrictive (la fait d’atteindre telle ou telle fin), il faut faire abstraction de toute fin à réaliser (qui ne pourrait rendre bonne une volonté que relativement), il faut que la fin soit conçue ici, non pas comme une fin à réaliser, mais comme une fin existant par soi, qu’elle soit par suite conçue d’une façon seulement négative, c’est-à-dire comme une fin contre laquelle on ne doit jamais agir, qui ne doit donc jamais être estimée simplement comme moyen, qui doit être toujours estimée en même temps dans tout acte de vouloir comme une fin. Or cette fin ne peut être autre chose que le sujet même de toutes les fins possibles, puisque celui-ci est en même temps le sujet d’une volonté absolument bonne possible ; en effet, une volonté absolument bonne ne peut sans contradiction être mise au-dessous d’aucun autre objet. Le principe : agis à l’égard de tout être raisonnable ( de toi-même et des autres) de telle sorte qu’il ait en même temps dans ta maxime la valeur d’une fin en soi, ne fait donc qu’un au fond avec le principe : agis selon une maxime qui contienne en même temps en elle l’aptitude à valoir universellement pour tout être raisonnable. Car dire que dans tout usage des moyens en vue d’une fin je dois imposer à ma maxime cette condition limitative, qu’elle vaille universellement comme une loi pour tout sujet, revient précisément à ceci : que pour principe fondamental de toutes les maximes des actions il faut poser que le sujet des fins, c’est-à-dire l’être raisonnable même, ne doit jamais être traité simplement comme un moyen, mais comme une condition limitative suprême dans l’usage de tous les moyens, c’est-à-dire toujours en même temps comme une fin. Or il suit de là incontestablement que tout être raisonnable, comme fin en soi, doit pouvoir, au regard de toutes les lois, quelles qu’elles soient, auxquelles il peut être soumis, se considérer en même temps comme auteur d’une législation universelle, car c’est précisément cette aptitude de ses maximes à constituer une législation universelle qui le distingue comme fin en soi ; il suit pareillement que c’est sa dignité (sa prérogative), par-dessus tous les simples êtres de la nature, qui implique qu’il doit considérer ses maximes toujours de son point de vue à lui, mais qui est aussi en même temps le point de vue de tout être raisonnable conçu comme législateur (voilà pourquoi on appelle aussi de tels êtres des personnes). Or c’est ainsi qu’un monde d’êtres raisonnables (mundus intelligibilis), considéré comme un règne des fins, est possible, et cela par la législation propre de toutes les personnes comme membres. D’après cela, tout être raisonnable doit agir comme s’il était toujours par ses maximes un membre législateur dans le règne universel des fins. Le principe formel de ces maximes est : agis comme si ta maxime devait servir en même temps de loi universelle (pour tous les êtres raisonnables). Un règne des fins n’est donc possible que par analogie avec un règne de la nature ; mais le premier ne se constitue que d’après des maximes, c’est-à-dire d’après les règles que l’on s’impose à soi-même, tandis que le dernier ne se constitue que selon des lois de causes efficientes soumises à une contrainte extérieure. Malgré cela, on n’en donne pas moins à l’ensemble de la nature, bien qu’il soit considéré comme une machine, en tant qu’il a rapport à des êtres raisonnables considérés comme des fins, le nom justifié par là de règne de la nature. Or un tel règne des fins serait effectivement réalisé par des maximes dont l’impératif catégorique prescrit la règle à tous les êtres raisonnables, si elles étaient universellement suivies. Mais quoique l’être raisonnable ne puisse pas compter que, quand il suivrait lui-même ponctuellement cette maxime, ce soit un motif pour que tous les autres y soient également fidèles, ni non plus que le règne de la nature et la disposition de ce règne selon des fins concourent avec lui, comme avec un membre digne d’en faire partie, à un règne des fins possibles par lui-même, c’est-à-dire favorise son attente du bonheur, cependant cette loi : agis d’après les maximes d’un membre qui institue une législation universelle pour un règne des fins simplement possible, subsiste dans toute sa force parce qu’elle commande catégoriquement. Et c’est en cela précisément que consiste ce paradoxe : que seule la dignité de l’humanité, en tant que nature raisonnable, indépendamment de tout autre fin à atteindre par là, ou de tout avantage, que par suite le respect pour une simple idée n’en doive pas moins servir de prescription inflexible pour la volonté, et que ce soit juste cette indépendance de la maxime à l’égard de tous les mobiles de cette sorte qui en fasse la sublimité, et qui rende tout sujet raisonnable digne d’être un membre législateur dans le règne des fins ; car autrement on ne devrait le représenter que soumis à la loi naturelle de ses besoins. Alors même que le règne de la nature aussi bien que le règne des fins seraient conçus comme unis sous un chef, et qu’ainsi le second de ces règnes ne serait plus une simple idée, mais acquerrait une véritable réalité, il y aurait là assurément pour cette idée un bénéfice qui lui viendrait de l’addition d’un mobile puissant, mais en aucune façon d’un accroissement de sa valeur intrinsèque; car, malgré cela, il n’en faudrait pas moins se représenter toujours ce législateur unique et infini lui-même comme jugeant de la valeur des être raisonnables seulement d’après leur conduite désintéressée telle qu’elle leur est prescrite à eux-mêmes en vertu de cette idée uniquement. L’essence des choses ne se modifie pas par leur rapports externes, et ce qui, abstraction faite de ces derniers, suffit à constituer la valeur absolue de l’homme, est aussi la mesure d’après laquelle il doit être jugé par qui que ce soit, même par l’Être suprême. La moralité, est donc le rapport des actions à l’autonomie de la volonté, c’est-à-dire à la législation universelle possible par les maximes de cette volonté. L’action qui peut s’accorder avec l’autonomie de la volonté est permise : celle qui ne le peut pas est défendue. La volonté dont les maximes s'accordent nécessairement avec les lois de l'autonomie est une volonté sainte, absolument bonne. La dépendance d'une volonté qui n'est pas absolument bonne à l'égard du principe de l'autonomie ( la contrainte morale), c'est l'obligation. L'obligation ne peut donc être rapportée à un être saint. La nécessité objective d'une action en vertu de l'obligation s'appelle devoir. Par le peu que je viens de dire, on n'aura pas maintenant de peine à s'expliquer comment il se fait que, bien que sous le concept du devoir nous nous figurions une sujétion à la loi, nous nous représentions cependant aussi par là une certaine sublimité et une certaine dignité attachées à la personne qui remplit tous ses devoirs. Car ce n'est pas en tant qu'elle est soumise à la loi morale qu'elle a en elle de la sublimité, mais bien en tant qu'au regard de cette même loi elle est en même temps législatrice, et qu'elle n'y est subordonnée qu'à ce titre. Nous avons également montré plus haut comment ce n'est ni la crainte, ni l'inclination, mais uniquement le respect pour la loi qui est le mobile capable de donner à l'action une valeur morale. Notre volonté propre, supposé qu'elle n'agisse que sous la condition d'une législation universelle rendue possible par ses maximes, cette volonté idéale, qui peut être la nôtre, est l'objet propre du respect, et la dignité de l'humanité consiste précisément dans cette faculté qu'elle a d'établir des lois universelles, à la condition toutefois d'être en même temps soumise elle-même à cette législation. L'autonomie de la volonté comme principe suprême de la moralité L'autonomie de la volonté est cette propriété qu'a la volonté d'être à elle-même sa loi (indépendamment de toute propriété des objets du vouloir). Le principe de l'autonomie est donc : de toujours choisir de telle sorte que les maximes de notre choix soient comprises en même temps comme lois universelles dans ce même acte de vouloir. Que cette règle pratique soit un impératif, c'est-à-dire que la volonté de tout être raisonnable y soit nécessairement liée comme à une condition, cela ne peut être démontré par la simple analyse des concepts impliqués dans la volonté, car c'est là une proposition synthétique; il faudrait dépasser la connaissance des objets et entrer dans une critique du sujet, c'est-à-dire de la raison pure pratique; en effet, cette proposition synthétique, qui commande apodictiquement, doit pouvoir être connue entièrement a priori; or ce n'est pas l'affaire de la présente section. Mais que le principe en question de l'autonomie soit l'unique principe de la morale, cela s'explique bien par une simple analyse des concepts de la moralité. Car il se trouve par là que le principe de la moralité doit être un impératif catégorique, et que celui-ci ne commande ni plus ni moins que cette autonomie même. L'hétéronomie de la volonté comme source de tous les principes illégitimes de la moralité Quand la volonté cherche la loi qui doit la déterminer autre part que dans l'aptitude de ses maximes à instituer une législation universelle qui vienne d'elle; quand en conséquence, passant par-dessus elle-même, elle cherche cette loi dans la propriété de quelqu'un de ses objets, il en résulte toujours une hétéronomie. Ce n'est pas alors la volonté qui se donne à elle-même la loi, c'est l'objet qui la lui donne par son rapport à elle. Ce rapport, qu'il s'appuie sur l'inclination ou sur les représentations de la raison, ne peut rendre possibles que des impératifs hypothétiques; je dois faire cette chose, parce que je veux cette autre chose. Au contraire, l'impératif moral, par conséquent catégorique, dit : je dois agir de telle ou telle façon, alors même que je ne voudrais pas autre chose. Par exemple, d'après le premier impératif, on dit : je ne dois pas mentir, si je veux continuer à être honoré; d'après le second on dit : je ne dois pas mentir, alors même que le mensonge ne me ferait pas encourir la moindre honte. Ce dernier impératif doit donc faire abstraction de tout objet, en sorte que l'objet n'ait absolument aucune influence sur la volonté : il faut en effet que la raison pratique (la volonté) ne se borne pas à administrer un intérêt étranger, mais qu'elle manifeste uniquement sa propre autorité impérative, comme législation suprême. Ainsi, par exemple, je dois chercher à assurer le bonheur d'autrui, non pas comme si j'étais par quelque endroit intéressé à sa réalité (soit par une inclination immédiate, soit indirectement à cause de quelque satisfaction suscitée par la raison), mais uniquement pour ceci, que la maxime qui l'exclut ne peut être comprise dans un seul et même vouloir comme loi universelle. Classification de tous les principes de la moralité qui peuvent résulter du concept fondamental de l'hétéronomie, tel que nous l'avons défini. La raison humaine a ici comme partout dans son usage pur, aussi longtemps que la Critique lui a manqué, tenté toutes les fausses voies possibles avant de réussir à rencontrer la seule vraie. Tous les principes qu'on peut admettre de ce point de vue sont ou empiriques ou rationnels. Les PREMIERS, tirés du principe du bonheur, sont fondés sur le sentiment, physique ou moral; les SECONDS, tirés du principe de la perfection, sont fondés, ou bien sur le concept rationnel de la perfection, considérée comme effet possible, ou bien sur le concept d'une perfection existant par soi (la volonté de Dieu), considérée comme cause déterminante de notre volonté. Des principes empiriques sont toujours impropres à servir de fondement à des lois morales. Car l'universalité avec laquelle elles doivent valoir pour tous les êtres raisonnables sans distinction, la nécessité pratique inconditionnée qui leur est imposée par là, disparaissent si le principe en est dérivé de la constitution particulière de la nature humaine ou des circonstances contingentes dans lesquelles elle est placée. Cependant le principe du bonheur personnel est le plus condamnable, non pas seulement parce qu'il est faux et que l'expérience contredit la supposition que le bien-être se règle toujours sur le bien-faire; non pas même seulement parce qu'il ne contribue pas le moins du monde à fonder la moralité, car c'est tout autre chose de rendre un homme heureux que de le rendre bon, de le rendre prudent et perspicace pour son intérêt que de le rendre vertueux; mais parce qu'il suppose sous la moralité des mobiles qui plutôt la minent et en ruinent toute la grandeur; ils comprennent en effet dans une même classe les motifs qui poussent à la vertu et ceux qui poussent au vice; ils enseignent seulement à mieux calculer; mais ils effacent absolument la différence spécifique qu'il y a entre les deux. Quant au sentiment moral, ce prétendu sens particulier (16) (si superficiel qu'il soit de recourir à lui, attendu que ce sont ceux qui sont incapables de penser qui croient se tirer d'affaire avec le sentiment, même dans ce qui se rapporte uniquement à des lois universelles, et bien que des sentiments qui par nature se distinguent les uns des autres par une infinité de degrés ne fournissent guère une mesure égale du bien et du mal, sans compter que celui qui juge par son sentiment ne peut point du tout juger valablement pour les autres), il se rapproche cependant davantage de la moralité et de la dignité qui lui est propre, parce qu'il fait à la vertu l'honneur de lui attribuer immédiatement la satisfaction qu'elle donne et le respect que nous avons pour elle, et qu'il ne lui dit pas pour ainsi dire en face que ce n'est pas sa beauté, mais seulement l'intérêt qui nous attache à elle. Parmi les principes rationnels de la moralité, le concept ontologique de la perfection (si vide, si indéterminé qu'il soit, et par là si impropre à employer pour découvrir dans le champ immense de la réalité possible le maximum de ce qui nous convient, et bien que, pour distinguer spécifiquement de toute autre la réalité dont il s'agit ici, il soit immanquablement entraîné à tourner dans un cercle, et qu'il ne puisse éviter de supposer tacitement la moralité qu'il doit expliquer), ce concept vaut néanmoins mieux encore que le concept théologique qui déduit la moralité d'une volonté divine absolument parfaite, non seulement parce que nous n'avons pas malgré tout l'intuition de la perfection de Dieu, et que nous ne pouvons la dériver que de nos concepts, dont le principal est celui de la moralité, mais parce que, si nous ne procédons pas de la sorte (pour ne pas nous exposer au grossier cercle vicieux qui se produirait en effet dans l'explication), le seul concept qui nous reste de la divine volonté, tiré des attributs de l'amour de la gloire et de la domination, lié aux représentations redoutables de la puissance et de la colère, poserait nécessairement les fondements d'un système de morale qui serait juste le contraire de la moralité. Or, si j'avais à opter entre le concept du sens moral et celui de la perfection en général (qui du moins tous les deux ne portent pas atteinte à la moralité, quoiqu'ils soient tout à fait impuissants à la soutenir comme fondements), je me résoudrais en faveur du dernier, parce qu'au moins en enlevant à la sensibilité, pour le remettre au tribunal de la raison, le soin de décider la question, bien qu'il ne décide rien ici, il réserve cependant sans la fausser pour une détermination plus précise l'idée indéterminée (d'une volonté bonne en soi). Au reste, je crois pouvoir me dispenser d'une réfutation étendue de tous ces systèmes. Cette réfutation est si aisée, elle est même probablement si bien aperçue de ceux-là mêmes dont la profession exige qu'ils se déclarent pour une de ces théories (car des auditeurs ne souffrent pas volontiers la suspension du jugement), que ce serait uniquement du temps perdu que d'y insister. Mais ce qui nous intéresse ici davantage, c'est de savoir que ces principes ne donnent jamais d'autre premier fondement à la moralité que l'hétéronomie de la volonté et que c'est précisément pour cela qu'ils doivent nécessairement manquer leur but. Toutes les lois qu'on songe à prendre pour base un objet de la volonté afin de prescrire à la volonté la règle qui la détermine, la règle n'est qu'hétéronomie; l'impératif est conditionné, dans les termes suivants : si ou parce que l'on veut cet objet, on doit agir de telle ou telle façon; par suite, cet impératif ne peut jamais commander moralement, c'est-à-dire catégoriquement. Que l'objet détermine la volonté au moyen de l'inclination, comme dans le principe du bonheur personnel, ou au moyen de la raison appliquée aux objets possibles, de notre vouloir en général, comme dans le principe de la perfection, la volonté ne se détermine jamais immédiatement elle-même par la représentation de l'action, mais seulement par le mobile résultant de l'influence que l'effet présumé de l'action exerce sur elle: je dois faire telle chose parce que je veux telle autre chose; et ici il faut encore, dans le sujet que je suis, supposer une autre loi, selon laquelle je veux nécessairement cette autre chose, laquelle loi à son tour a besoin d'un impératif qui impose à cette maxime un sens défini. Car, comme l'impul­sion que la représentation d'un objet réalisable par nos for­ces doit imprimer à la volonté du sujet selon ses facultés naturelles, fait partie de la nature du sujet, soit de la sen­sibilité (de l'inclination et du goût), soit de l'entendement et de la raison, qui, selon la constitution particulière de leur nature, s'appliquent à un objet avec satisfaction, ce serait donc proprement la nature qui donnerait la loi; et alors non seulement cette loi, comme telle, devant être connue et démontrée uniquement par l'expérience, est contingente en soi et impropre par là à établir une règle pratique apodictique telle que doit être la règle morale; mais elle n'est jamais qu' une hétéronomie de la volonté; la volonté ne se donne pas à elle-même sa loi; c'est une impulsion étrangère qui la lui donne, à la faveur d'une constitution spéciale du sujet qui le dispose à la recevoir. La volonté absolument bonne, dont le principe doit être un impératif catégorique, sera donc indéterminée à l'égard de tous les objets; elle ne contiendra que la forme du vou­loir en général, et cela comme autonomie; c'est-à-dire que l'aptitude de la maxime de toute bonne volonté à s'ériger en loi universelle est même l'unique loi que s'impose à elle­-même la volonté de tout être raisonnable, sans faire inter­venir par-dessous comme principe un mobile ou un inté­rêt quelconque. Comment une telle proposition pratique synthétique a priori est possible et pourquoi elle est nécessaire, c'est là un problème dont la solution ne peut plus se trouver dans les limites de la Métaphysique des mœurs. Nous n'avons même pas affirmé ici la vérité de cette proposition: encore moins avons-nous prétendu en avoir une preuve entre les mains. Nous avons seulement montré, par le développe­ment du concept universellement reçu de la moralité, qu'une autonomie de la volonté y est inévitablement liée, ou plutôt en est le fondement. Celui donc qui tient la mora­lité pour quelque chose de réel, et non pour une idée chi­mérique sans vérité, doit aussi accepter le principe que nous lui avons assigné. Cette section a donc été comme la pre­mière purement analytique. Quant à prouver maintenant que la moralité n'est pas une chimère, assertion qui est une conséquence bien fondée, si l'impératif catégorique est vrai, et avec lui l'autonomie de la volonté, et s'il est absolument nécessaire comme un principe a priori, cela exige la possi­bilité d'un usage synthétique de la raison pure pratique, mais que nous ne pouvons pas tenter, sans instituer aupa­ravant une Critique de cette faculté même de la raison; dans la dernière section nous en tracerons les traits princi­paux, ceux qui suffisent à notre but. Notes Note 3 de Kant : On peut si l'on veut (de même que l'on distingue la mathématique pure de la mathématique appliquée, la logique pure de la logique appliquée), distinguer aussi la philosophie pure des mœurs (métaphysique) de la philosophie des mœurs appliquée (c'est-à-dire appliquée à la nature humaine). Grâce à cette dénomination, on sera tout aussitôt averti que les principes moraux ne doivent pas être fondés sur les propriétés de la nature humaine, mais qu'ils doivent exister pour eux-mêmes a priori et que c'est de tels principes que doivent pouvoir être dérivées des règles pratiques, valables pour toute nature raisonnable, par suite aussi pour la nature humaine. Note 4 de Kant : J'ai une lettre de feu l’excellent Sulzer, où il me demande quelle peut donc être la cause qui fait que les doctrines de la vertu, si propres qu'elles soient à convaincre la raison, aient cependant si peu d'efficacité. J'ajournai ma réponse afin de me mettre en mesure de la donner complète Mais il n'y a pas d'autre raison à donner que celle-ci, à savoir que ceux-là mêmes qui enseignent ces doctrines n'ont pas ramené leurs concepts à l'état de pureté, et qu'en voulant trop bien faire par cela même qu'ils poursuivent dans tous les sens des motifs qui poussent au bien moral, pour rendre le remède tout à fait énergique, ils le gâtent. Car l'observation la plus commune montre que si l'on présente un acte de probité détaché de toute vue d’intérêt quel qu'il soit, en ce monde ou dans l'autre, accompli d'une âme ferme même au milieu des plus grandes tentations que fait naître le besoin ou la séduction de certains avantages, il laisse bien loin derrière lui et éclipse tout acte analogue qui dans la plus petite mesure seulement aurait été affecté par un mobile étranger, qu'il lui élève l'âme et qu'il excite le désir d'en pouvoir faire autant. Même des enfants d'âge moyen ressentent cette impression, et l'on ne devrait jamais non plus leur présenter les devoirs autrement. Note 5 de Kant : On appelle inclination la dépendance de la faculté de désirer à l'égard des sensations, et ainsi l'inclination témoigne toujours d'un besoin. Quant à la dépendance d'une volonté qui peut être déterminée d'une façon contingente, à l'égard des principes de la raison, on l'appelle un intérêt. Cet intérêt ne se trouve donc que dans une volonté dépendante qui n'est pas d'elle-même toujours en accord avec la raison; dans la volonté divine on ne peut pas concevoir d'intérêt. Mais aussi la volonté humaine peur prendre intérêt à une chose sans pour cela agir par intérêt. La première expression désigne l'intérêt pratique que l'on prend à l'action; la seconde, l'intérêt pathologique que l'on prend à 1'objet de l'action. La première manifeste seulement la dépendance de la volonté à l'égard des principes de la raison en elle-même; la seconde, la dépendance de la volonté à l'égard des principes de la raison mise au service de l'inclination, puisqu’alors la raison ne fournit que la règle pratique des moyens par lesquels on peut satisfaire au besoin de l’inclination. Dans le premier cas, c’est l’action qui m'intéresse; dans le second, c’est l’objet de l’action (en tant qu’il m'est agréable). Nous avons vu dans la première section que dans une action accomplie par devoir, on doit considérer non pas l’intérêt qui s’attache à l’objet, mais seulement celui qui s’attache à l’action même et à son principe rationnel (la loi). Note 6 de Kant : Le terme de prudence est pris en un double sens ; selon le premier sens, il peut porter le nom de prudence par rapport au monde ; selon le second, celui de prudence privée. La première est l’habileté d’un homme à agir sur ses semblables de façon à les employer à ses fins. La seconde est la sagacité qui le rend capable de faire converger toutes ses fins vers son avantage à lui, et vers un avantage durable. Cette dernière est proprement celle à laquelle se réduit la valeur de la première, et de celui qui est prudent de la première façon sans l’être de la seconde on pourrait dire plus justement qu’il est ingénieux et rusé, mais en somme imprudent. Note 7 de Kant : Il me semble que le sens propre du mot pragmatique peut être ainsi très exactement déterminé. En effet, on appelle pragmatiques les sanctions qui ne se déroulent pas proprement du droit des Etats comme lois nécessaires, mais de la précaution prise pour le bien-être général. Une histoire est composée pragmatiquement, quand elle rend prudent, c’est-à-dire quand elle apprend au monde d’aujourd’hui comment il peut prendre soin de ses intérêts mieux ou du moins tout aussi bien que le monde d’autrefois. Note 8 de Kant : Je lie l’action à la volonté, sans présupposer de condition tirée de quelque inclination : je la lie a priori, par suite nécessairement (quoique ce ne soit qu’objectivement, c’est-à-dire sous l’idée d’une raison qui aurait plein pouvoir sur toutes les causes subjectives de détermination). C’est donc là une proposition pratique qui ne dérive pas analytiquement le fait de vouloir une action d’un autre vouloir déjà supposé (car nous n’avons pas de volonté si parfaite), mais qui le lie immédiatement au concept de la volonté d’un être raisonnable, comme quelque chose qui n’y est pas contenu. Note 9 de Kant : La maxime est le principe subjectif de l’action, et doit être distinguée du principe objectif, c’est-à-dire de la loi pratique. La maxime contient la règle pratique que la raison détermine selon les conditions du sujet (en bien des cas selon son ignorance, ou encore selon ses inclinations), et elle est ainsi le principe d’après lequel le sujet agit; tandis que la loi est le principe objectif, valable pour tout être raisonnable, le principe d'après lequel il doit agir, c’est-à-dire un impératif. Note 10 de Kant : On doit remarquer ici que je me réserve entièrement de traiter de la division des devoirs dans une Métaphysique des mœurs qui paraîtra plus tard, et que cette division ne se trouve ici par conséquent que comme une division commode (pour classer mes exemples). Au reste, j’entends ici par devoir parfait celui qui n’admet aucune exception en faveur de l’inclination, et ainsi je reconnais non seulement des devoirs parfaits extérieurs, mais encore des devoirs parfaits intérieurs, ce qui est en contradiction avec l’usage du mot reçu dans les écoles : mais je n’ai pas l’intention de justifier ici cette conception, car, qu’on me l’accorde ou non, peu importe à mon dessein. Note 11 de Kant : Envisager la vertu dans sa véritable forme, ce n'est pas autre chose qu'exposer la moralité dégagée de tout mélange d'élément sensible et dépouillée de tout faux ornement que lui prête l'attrait de la récompense ou l'amour de soi. Combien alors elle obscurcit tout ce qui paraît séduisant aux inclinations, c'est ce que chacun peut aisément apercevoir avec le plus léger effort de sa raison, pourvu qu'elle ne soit pas tout à fait corrompue pour toute abstraction. Note 12 de Kant : Cette proposition, je l’avance ici comme postulat. On en trouvera les raisons dans la dernière section. Note 13 de Kant : Qu’on n’aille pas croire qu’ici la formule triviale : quod tibi non vis fieri, etc., puisse servir de règle ou de principe. Car elle est uniquement déduite du principe que nous avons posé, et encore avec diverses restrictions; elle ne peut être une loi universelle, ça elle ne contient pas le principe des devoirs envers soi-même, ni celui des devoirs de charité envers autrui (il y a bien des gens en effet pour consentir volontiers à ce qu’autrui ne soit pas obligé de leur bien faire, pourvu qu’ils puissent être dispensés de bien faire à autrui), ni enfin celui des devoirs stricts des hommes les uns envers les autres, car le criminel pourrait, d’après ce principe, argumenter contre le juge qui le punit, etc. Note 14 de Kant : je peux être dispensé ici d’apporter des exemples pour l’explication de ce principe ; car ceux qui tout à l’heure éclaircissaient l’impératif catégorique et ses formules peuvent ici tous servir de même pour cette fin. Note 15 de Kant : La téléologie considère la nature comme un règne des fins, la morale, un règne possible des fins comme un règne de la nature. Là le règne des fins est une idée théorique destinée à expliquer ce qui est donné. Ici c’est une idée pratique, qui sert à accomplir ce qui n'est pas donné, mais ce qui peut devenir réel par notre façon d’agir, et cela conformément à cette idée même. Note 16 de Kant : Je range le principe du sentiment moral dans celui du bonheur, parce que tout intérêt empirique promet, par l'agrément qu'une chose procure, que cela ait lieu immédiatement et sans considération d'avantages, ou que ce soit dans des vues intéressées, de contribuer au bien-être. Pareillement, il faut, avec Hutcheson, ranger le principe de la sympathie pour le bonheur d'autrui dans ce même principe du sens moral, admis par lui.
2943
https://fr.wikisource.org/wiki/Fondements%20de%20la%20m%C3%A9taphysique%20des%20m%C5%93urs%20%28trad.%20Delbos%29/Troisi%C3%A8me%20section
Fondements de la métaphysique des mœurs (trad. Delbos)/Troisième section
<div class="text"> La volonté est une sorte de causalité des êtres vivants, en tant qu’ils sont raisonnables, et la liberté serait la pro­priété qu’aurait cette causalité de pouvoir agir indépendam­ment de causes étrangères qui la déterminent ; de même que la nécessité naturelle est la propriété qu’a la causalité de tous les êtres dépourvus de raison d’être déterminée à agir par l’influence de causes étrangères. La définition qui vient d’être donnée de la liberté est négative, et par conséquent, pour en saisir l’essence, infé­conde ; mais il en découle un concept positif de la liberté, qui est d’autant plus riche et plus fécond. Comme le concept d’une causalité implique en lui celui de lois, d’après lesquelles quelque chose que nous nommons effet doit être posé par quelque autre chose qui est la cause, la liberté, bien qu’elle ne soit pas une propriété de la volonté se conformant à des lois de la nature, n’est pas cependant pour cela en dehors de toute loi ; au contraire, elle doit être une causalité agissant selon des lois immuables, mais des lois d’une espèce particulière, car autrement une volonté libre serait un pur rien. La nécessité naturelle est, elle, une hété­ronomie des causes efficientes ; car tout effet n’est alors pos­sible que suivant cette loi, que quelque chose d’autre déter­mine la cause efficiente de la causalité. En quoi donc peut bien consister la liberté de la volonté, sinon dans une auto­nomie, c’est-à-dire dans la propriété qu’elle a d’être à elle-même sa loi ? Or cette proposition : la volonté dans toutes les actions est à elle-même sa loi, n’est qu’une autre for­mule de ce principe : il ne faut agir que d’après une maxime qui puisse aussi se prendre elle-même pour objet à titre de loi universelle. Mais c’est précisément la formule de l’impératif catégorique et le principe de la moralité ; une volonté libre et une volonté soumise à des lois morales sont par conséquent une seule et même chose. Si donc la liberté de la volonté est supposée, il suffit d’en analyser le concept pour en déduire la moralité avec son principe. Ce principe cependant est toujours une proposi­tion synthétique, qui peut s’énoncer ainsi : une volonté absolument bonne est celle dont la maxime peut toujours enfermer en elle-même la loi universelle qu’elle est capa­ble d’être ; car, par l’analyse du concept d’une volonté abso­lument bonne, on ne peut découvrir cette propriété de la maxime. Mais des propositions synthétiques de ce genre ne sont possibles qu’à la condition que deux notions soient liées l’une à l’autre grâce à leur union avec une troisième où elles doivent de part et d’autre se rencontrer. Le concept positif de la liberté fournit ce troisième terme, qui ne peut être, comme pour les causes physiques, la nature du monde sensible (dont le concept comprend le concept de quelque chose, considéré comme cause, et le concept de quelque autre chose à quoi la cause se rapporte, et qui est considéré comme effet). Mais quel est ce troisième terme auquel nous renvoie la liberté et dont nous avons a priori une idée, il est encore trop tôt pour pouvoir l’indiquer ici, ainsi que pour faire comprendre comment le concept de la liberté se déduit de la raison pure pratique et comment par là également est possible un impératif catégorique : tout cela exige encore quelque préparation. Ce n’est pas assez d’attribuer, pour quelque raison que ce soit, la liberté à notre volonté, si nous n’avons pas une raison suffisante de l’attribuer aussi telle quelle à tous les êtres raisonnables. Car, puisque la moralité ne nous sert de loi qu’autant que nous sommes des êtres raisonnables, c’est pour tous les êtres raisonnables qu’elle doit également valoir ; et comme elle doit être dérivée uniquement de la propriété de la liberté, il faut aussi prouver la liberté comme propriété de la volonté de tous les êtres raisonnables ; et il ne suffit pas de la prouver par certaines prétendues expériences de la nature humaine (ce qui d’ailleurs est absolu­ment impossible ; il n’y a de possible qu’une preuve a priori) ; mais il faut la démontrer comme appartenant en général à l’activité d’êtres raisonnables et doués de volonté. Je dis donc : tout être qui ne peut agir autrement que sous l’idée de la liberté est par cela même, au point de vue pra­tique, réellement libre ; c’est-à-dire que toutes les lois qui sont inséparablement liées à la liberté valent pour lui exactement de la même façon que si sa volonté eût été aussi reconnue libre en elle-même et par des raisons valables au regard de la philosophie théorique. Et je soutiens qu’à tout être raisonnable, qui a une volonté, nous devons attri­buer nécessairement aussi l’idée de la liberté, et qu’il n’y a que sous cette idée qu’il puisse agir. Car dans un tel être nous concevons une raison qui est pratique, c’est-à-dire qui est douée de causalité par rapport à ses objets. Or il est impossible de concevoir une raison qui en pleine conscience recevrait pour ses jugements une direction du dehors ; car alors le sujet attribuerait, non pas à sa raison, mais à une impulsion, la détermination de sa faculté de juger. Il faut que la raison se considère elle-même comme l’auteur de ses principes, à l’exclusion de toute influence étrangère ; par suite, comme raison pratique ou comme volonté d’un être raisonnable, elle doit se regarder elle-même comme libre ; c’est-à-dire que la volonté d’un être raisonnable ne peut être une volonté lui appartenant en propre que sous l’idée de la liberté, et qu’ainsi une telle volonté doit être, au point de vue pratique, attribuée à tous les êtres raisonnables. Nous avons en fin de compte ramené le concept déter­miné de la moralité à l’idée de la liberté ; mais il ne nous était pas possible de démontrer celle-ci comme quelque chose de réel, pas même en nous et dans la nature humaine ; nous nous sommes bornés à voir qu’il nous faut la suppo­ser, si nous voulons concevoir un être comme raisonnable, comme doué de la conscience de sa causalité par rapport aux actions, c’est-à-dire comme doué de volonté, et ainsi nous trouvons que, précisément pour le même motif, nous devons attribuer à tout être doué de raison et de volonté cette propriété, de se déterminer à agir sous l’idée de la liberté. Or nous avons vu que de la supposition de ces idées découle aussi la conscience d’une loi de l’action ; d’après cette loi, les principes subjectifs des actions, c’est-à-dire les maximes, doivent toujours être adoptés tels qu’ils puissent valoir aussi objectivement, c’est-à-dire universellement comme principes, et servir par là une législation qui, tout en étant émanée de nous-mêmes, soit une législation universelle. Mais pourquoi dois-je me soumettre à ce principe, et cela en ma qualité d’être raisonnable en général ? Et pourquoi aussi par là même tous les autres êtres doués de raison ? J’accorde volontiers qu’aucun intérêt ne m’y pousse, car il n’y aurait plus alors d’impératif catégorique ; mais il faut bien pourtant que j’y prenne nécessairement un intérêt et que je vois comment cela se fait. Car ce « je dois » est proprement un « je veux » qui vaut pour tout être raisonnable, à la condition que chez lui la raison soit pratique sans empêchement ; pour les êtres qui, comme nous, sont affectés d’une sensibilité, c’est-à-dire de mobiles d’une autre espèce, chez qui ne se produit pas toujours ce que la raison ferait à elle seule et par soi, cette nécessité de l’action s’exprime seulement par le verbe « devoir », et la nécessité subjective se distingue de la nécessité objective. Il semble donc que nous nous soyons contenté de supposer proprement la loi morale, c’est-à-dire le principe même de l’autonomie de la volonté, dans l’idée de la liberté, sans pouvoir démontrer la réalité et la nécessité objective de ce principe en lui-même ; ainsi sans doute nous aurions encore toujours gagné quelque chose de tout à fait considérable en déterminant au moins le vrai principe avec plus d’exactitude qu’on ne l’avait fait jusque-là ; mais en ce qui concerne sa validité et la nécessité pratique de s’y soumettre, nous ne serions pas plus avancés. Car, si l’on nous demandait pourquoi donc l’universelle validité de notre maxime, érigée en loi, doit être la condition restrictive de nos actions, sur quoi nous fondons la valeur que nous conférons à cette façon d’agir, valeur qui doit être si grande qu’il ne peut y avoir nulle part de plus haut intérêt, comment il se fait que l’homme ne croie avoir que par là le sentiment de sa valeur personnelle, au prix de laquelle l’importance d’un état agréable ou désagréable ne doit être compté pour rien : à ces questions nous n’aurions aucune réponse satisfaisante à fournir. Nous trouvons bien, il est vrai, que nous pouvons prendre un intérêt à une qualité personnelle, dont l’intérêt de notre situation ne dépend pas, mais qui du moins nous rendrait capables de participer à une condition heureuse au cas où celle-ci serait dispensée par la raison, c’est-à-dire que le simple fait d’être digne du bonheur, même sans être mû par le désir d’y participer, peut intéresser en soi ; mais ce jugement n’est en réalité que l’effet de l’importance que nous avons déjà supposée aux lois morales (lorsque par l’idée de la liberté nous nous détachons de tout intérêt empirique). Mais que nous devions nous en détacher, c’est-à-dire nous considérer comme libres dans l’action, et cependant nous tenir pour soumis à certaines lois, afin de trouver dans notre seule personne une valeur qui puisse nous dédommager de la perte de tout ce qui donne un prix à notre condition, comment cela est possible, et par conséquent d’où vient que la loi morale oblige, c’est ce que nous ne pouvons encore voir par là. Il y a ici, on doit l’avouer franchement, une espèce de cercle vicieux manifeste, dont, à ce qu’il me semble, il n’y a pas moyen de sortir. Nous nous supposons libres dans l’ordre des causes efficientes afin de nous concevoir dans l’ordre des fins comme soumis à des lois morales, et nous nous concevons ensuite comme soumis à ces lois parce que nous nous sommes attribué la liberté de la volonté ; en effet, la liberté et la législation propre de la volonté sont toutes deux de l’autonomie ; ce sont par suite des concepts réciproques ; mais c’est pour cela précisément qu’on ne peut se servir de l’un pour expliquer l’autre et en rendre raison. Tout ce qu’on peut faire ainsi, c’est, au point de vue logique, de ramener des représentations en apparence différentes d’un seul et même objet à un concept unique (comme on réduit diverses fractions de même valeur à leur plus simple expression). Mais il nous reste encore une ressource, c’est de rechercher si, lorsque nous nous concevons par la liberté comme des causes efficientes a priori, nous ne nous plaçons pas à un autre point de vue que lorsque nous nous représentons nous-mêmes d’après nos actions comme des effets que nous avons visibles devant nos yeux. Il est une remarque qui, pour être présentée, n’exige pas précisément de subtile réflexion, mais dont on peut bien supposer que l’intelligence la plus commune est capable de la faire, à sa manière, il est vrai par un discernement obscur de la faculté de juger, qu’elle nomme sentiment : c’est ce que toutes les représentations qui nous viennent autrement qu’à notre gré (telles sont les représentations des sens) ne nous font connaître les objets que comme ils nous affectent, de telle sorte que ce qu’ils peuvent être en soi nous reste inconnu ; c’est que, par conséquent, au moyen de cette espèce de représentations, en dépit des plus grands efforts d’attention et de toute la clarté que peut y ajouter l’entendement, nous ne pouvons arriver qu’à la connaissance des phénomènes, jamais à celle des choses en soi. Cette distinction une fois faite (et il suffit pour cela de la différence déjà observée entre les représentations qui nous viennent du dehors, dans lesquelles nous sommes passifs, et celles que nous produisons uniquement de nous-mêmes, dans lesquelles nous manifestons notre activité) ; il en résulte naturellement qu’il faut reconnaître et supposer derrière les phénomènes quelque chose d’autre encore qui n’est pas phénomène, à savoir, les choses en soi, quoique nous concédions volontiers que, puisqu’elles ne peuvent jamais nous être connues si ce n’est seulement par la manière dont elles nous affectent, nous ne pouvons jamais approcher d’elles davantage et savoir ce qu’elles sont en elles-mêmes. De là nécessairement une distinction, établie en gros il est vrai, entre un monde sensible et un monde intelligible, le premier pouvant beaucoup varier selon la différence de la sensibilité chez les divers spectateurs, tandis que le second, qui sert de fondement au premier, reste toujours le même. Même l’homme, d’après la connaissance qu’il a de lui par le sens intime, ne peut se flatter de se connaître lui-même tel qu’il est en soi. Car, comme il ne se produit pas en quelque sorte lui-même et qu’il acquiert le concept qu’il a de lui non pas a priori, mais empiriquement, il est naturel qu’il ne puisse également prendre connaissance de lui-même que par le sens intime, en conséquence de l’apparence phénoménale de sa nature et par la façon dont sa conscience est affectée. Mais en même temps il doit admettre nécessairement au-dessus de cette modalité de son propre sujet composée de purs phénomènes quelque chose d’autre encore qui lui sert de fondement, à savoir son Moi, quelle qu’en puisse être d’ailleurs la nature en elle-même ; et ainsi pour ce qui a rapport à la simple perception et à la capacité de recevoir les sensations, il doit se regarder comme faisant partie du monde sensible, tandis que pour ce qui en lui peut être activé pure (c’est-à-dire ce qui arrive à la conscience non point par une affection des sens, mais immédiatement), il doit se considérer comme faisant partie du monde intelligible, dont néanmoins il ne sait rien de plus. C’est là la conclusion que l’homme qui réfléchit doit porter sur toutes les choses qui peuvent s’offrir à lui ; il est probable qu’on la trouverait aussi dans l’intelligence la plus commune, qui, comme on sait, incline fort à toujours attendre derrière les objets des sens quelque réalité invisible agissant par soi, mais qui en revanche corrompt cette tendance en se représentant immédiatement cet invisible sous une forme encore sensible, c’est-à-dire en voulant en faire un objet d’intuition, et qui ainsi n’en est pas plus avancée. Or l’homme trouve réellement en lui une faculté par laquelle il se distingue de toutes les autres choses, même de lui-même, en tant qu’il est affecté par des objets, et cette faculté est la raison. Comme spontanéité pure, la raison est encore supérieure à l’entendement, et voici précisément en quoi : bien que l’entendement soit aussi une spontanéité, qu’il ne contienne pas seulement, comme la sensibilité, des représentations qui ne naissent que lorsqu’on est affecté par des choses (et par suite lorsqu’on est passif), cependant il ne peut produire par son activité d’autres concepts que ceux qui servent simplement à soumettre les représentations sensibles à des règles et à les unir par là dans une conscience ; sans cet usage qu’il fait de la sensibilité, il ne penserait absolument rien, au contraire la raison manifeste dans ce que l’on appelle les Idées une spontanéité si pure, qu’elle s’élève par là bien au-dessus de ce que la sensibilité peut lui fournir et qu’elle manifeste sa principale fonction en distinguant l’un de l’autre le monde sensible et le monde intelligible, et en assignant par là à l’entendement même ses limites. Voilà pourquoi un être raisonnable doit, en tant qu’intelligence (et non pas par conséquent du côté de ses facultés inférieures), se regarder lui-même comme appartenant, non au monde sensible, mais au monde intelligible ; il a donc deux points de vue d’où il peut se considérer lui-même et connaître les lois de l’exercice de ses facultés, par suite de toutes ses actions ; d’un côté, en tant qu’il appartient au monde sensible, il est soumis à des lois de la nature (hétéronomie) ; de l’autre côté, en tant qu’il appartient au monde intelligible, il est soumis à des lois qui sont indépendantes de la nature, qui ne sont pas empiriques, mais fondées uniquement dans la raison. Comme être raisonnable, faisant par conséquent partie du monde intelligible, l’homme ne peut concevoir la causalité de sa volonté propre que sous l’idée de la liberté ; car l’indépendance à l’égard des causes déterminantes du monde sensible (telle que la raison doit toujours se l’attribuer), c’est la liberté. Or à l’idée de la liberté est absolument lié le concept de l’autonomie, à celui-ci le principe universel de la moralité, qui idéalement sert de fondement à toutes les actions des êtres raisonnables, de la même façon que la loi de la nature à tous les phénomènes. Ainsi est écarté le soupçon que nous élevions tout à l’heure, selon lequel il y aurait un cercle vicieux secrètement contenu dans notre façon de conclure de la liberté à l’autonomie, et de celle-ci à la loi morale : il pouvait sembler, en effet, que nous ne prenions pour principe l’idée de la liberté qu’en vue de la loi morale, afin de conclure ensuite, en retour, celle-ci de la liberté, que par conséquent de cette loi nous ne pouvions donner absolument aucune raison, que c’était là seulement comme une demande d’adhésion à un principe que des âmes bien pensantes nous accorderaient volontiers, mais que nous serions à jamais incapables d’établir comme une proposition démontrable. A présent nous voyons bien que lorsque nous nous concevons comme libres, nous nous transportons dans le monde intelligible comme membres de ce monde et que nous reconnaissons l’autonomie de la volonté avec sa conséquence, la moralité ; mais si nous nous concevons comme soumis au devoir, nous nous considérons comme faisant partie du monde sensible et en même temps du monde intelligible. L’être raisonnable se marque sa place, comme intelligence, dans le monde intelligible, et ce n’est que comme cause efficiente appartenant à ce monde qu’il nomme sa causalité une volonté. D’un autre côté, il a pourtant aussi conscience de lui-même comme d’une partie du monde sensible, où ses actions se trouvent comme de simples manifestations phénoménales de cette causalité ; cependant la possibilité de ces actions ne peut être saisie au moyen de cette causalité que nous ne connaissons pas ; mais au lieu d’être ainsi expliquées, elles doivent être comprises, en tant que faisant partie du monde sensible, comme déterminées par d’autres phénomènes, à savoir, des désirs et des inclinations. Si donc j’étais membre uniquement du monde intelligible, mes actions seraient parfaitement conformes au principe de l’autonomie et de la volonté pure ; si j’étais seulement une partie du monde sensible, elles devraient être supposées entièrement conformes à la loi naturelle des désirs et des inclinations, par suite à l’hétéronomie de la nature. (Dans le premier cas, elles reposeraient sur le principe suprême de la moralité ; dans le second cas, sur celui du bonheur.) Mais puisque le monde intelligible contient le fondement du monde sensible, et par suite aussi de ses lois, et qu’ainsi au regard de ma volonté (qui appartient entièrement au monde intelligible) il est un principe immédiat de législation, et puisque aussi c’est de cette manière qu’il doit être conçu, quoique par un autre côté je sois un être appartenant au monde sensible, je n’en devrai pas moins, comme intelligence, me reconnaître soumis à la loi du premier, c’est-à-dire à la raison qui contient cette loi dans l’idée de la liberté, et par là à l’autonomie de la volonté ; je devrai conséquemment considérer les lois du monde intelligible comme des impératifs pour moi, et les actions conformes à ce principe comme des devoirs. Et ainsi des impératifs catégoriques sont possibles pour cette raison que l’idée de la liberté me fait membre d’un monde intelligible. Il en résulte que si je n’étais que cela, toutes mes actions seraient toujours conformes à l’autonomie de la volonté ; mais, comme je me vois en même temps membre du monde sensible, il faut dire qu’elles doivent l’être. Ce « devoir » catégorique représente une proposition synthétique a priori, en ce qu’à une volonté affectée par des désirs sensibles s’ajoute encore l’idée de cette même volonté, mais en tant qu’elle appartient au monde intelligible, c’est-à-dire pure et pratique par elle-même, contenant la condition suprême de la première selon la raison ; à peu près comme aux intuitions du monde sensible s’ajoutent les concepts de l’entendement, qui par eux-mêmes ne signifient rien que la forme d’une loi en général et par là rendent possibles des propositions synthétiques a priori sur lesquelles repose toute connaissance d’une nature. L’usage pratique que le commun des hommes fait de la raison confirme la justesse de cette déduction. Il n’est personne, même le pire scélérat, pourvu qu’il soit habitué à user par ailleurs de la raison, qui, lorsqu’on lui met sous les yeux des exemples de loyauté dans les desseins, de persévérance dans l’observation de bonnes maximes, de sympathie et d’universelle bienveillance (cela même lié encore à de grands sacrifices d’avantages et de bien-être), ne souhaite de pouvoir, lui aussi, être animé des mêmes sentiments. Il ne peut pas sans doute, uniquement à cause de ses inclinations et de ses penchants, réaliser cet idéal en sa personne ; mais avec cela il n’en souhaite pas moins en même temps d’être affranchi de ces inclinations qui lui pèsent à lui-même. Il témoigne donc par là qu’il se transporte en pensée, avec une volonté qui est libre des impulsions de la sensibilité, dans un ordre de choses bien différent de celui que constituent ses désirs dans le champ de la sensibilité ; car de ce souhait il ne peut attendre aucune satisfaction de ses désirs, par suite aucun état de contentement pour quelqu’une de ses inclinations réelles ou imaginables (par là, en effet, l’idée même qui lui arrache ce souhait perdrait sa prééminence) ; il n’en peut attendre qu’une plus grande valeur intrinsèque de sa personne. Or il croit être cette personne meilleure, lorsqu’il se reporte au point de vue d’un membre du monde intelligible, ce à quoi l’astreint malgré lui l’idée de la liberté, c’est-à-dire de l’indépendance à l’égard des causes déterminantes du monde sensible ; à ce point de vue, il a conscience d’une bonne volonté qui de son propre aveu constitue la loi pour la volonté mauvaise qu’il a en tant que membre du monde sensible : loi dont il reconnaît l’autorité tout en la violant. Ce qu’il doit moralement, c’est donc ce qu’il veut proprement de toute nécessité comme membre d’un monde intelligible, et cela même n’est conçu par lui comme devoir qu’en tant qu’il se considère en même temps comme membre du monde sensible. Tous les hommes se conçoivent libres dans leur volonté. De là viennent tous les jugements sur les actions telles qu’elles auraient dû être, bien qu’elles n’aient pas été telles. Cependant cette liberté n’est pas un concept de l’expérience, et elle ne peut même pas l’être, puisque ce concept subsiste toujours, bien que l’expérience montre le contraire de ce qui, dans la supposition de la liberté, en est nécessairement représenté comme la conséquence. D’un autre côté, il est également nécessaire que tout ce qui arrive soit immanquablement déterminé selon des lois de la nature, et cette nécessité naturelle n’est pas non plus un concept de l’expérience, précisément pour cette raison que c’est un concept qui implique en soi celui de nécessité, par suite celui d’une connaissance a priori. Mais ce concept d’une nature est confirmé par l’expérience et doit même être inévitablement supposé, si l’expérience, c’est-à-dire une connaissance cohérente des objets des sens d’après des lois universelles, est possible. Voilà pourquoi la liberté est seulement une idée de la raison ; dont la réalité objective est en soi douteuse, tandis que la nature est un concept de l’entendement qui prouve et doit nécessairement prouver sa réalité par des exemples qui offrent l’expérience. Or c’est là sans doute l’origine d’une dialectique de la raison, car, en ce qui concerne la volonté, la liberté qu’on lui attribue paraît être en opposition avec la nécessité de la nature ; toutefois, quoique au point de vue spéculatif, placée entre ces deux directions, la raison trouve le chemin de la nécessité naturelle mieux frayé et plus praticable que celui de la liberté, pourtant au point de vue pratique, le sentier de la liberté est le seul où il soit possible d’user de sa raison dans la conduite de la vie ; voilà pourquoi il est tout aussi impossible à la philosophie la plus subtile qu’à la raison humaine la plus commune de mettre en doute la liberté par des arguties. La raison doit donc bien supposer qu’on ne saurait trouver de véritable contradiction entre la liberté et la nécessité naturelle des mêmes actions humaines ; car elle ne peut pas plus renoncer au concept de la nature qu’à celui de la liberté. Cependant il faut tout au moins supprimer d’une façon convaincante cette apparente contradiction ; alors même qu’on ne pourrait jamais comprendre comment la liberté est possible. Car, si la conception de la liberté est à ce point contradictoire avec elle-même ou avec la nature, qui est également nécessaire, elle devrait être résolument sacrifiée au profit de la nécessité naturelle. Or il serait impossible d’échapper à cette contradiction, si le sujet qui se croit libre se concevait, quand il se dit libre, dans le même sens ou juste sous le même rapport que lorsqu’il se suppose, à l’égard de la même action, soumis à la loi de la nature. Aussi est-ce une tâche à laquelle la philosophie spéculative ne peut se soustraire, que de monter du moins que ce qui fait que la contradiction qu’elle croit voir est illusoire, c’est que nous concevons l’homme, quand nous le qualifions de libre, en un autre sens et sous un autre rapport que lorsque nous le considérons comme soumis, en tant que fragment de la nature, aux lois de cette nature même ; c’est que non seulement les deux choses peuvent fort bien aller ensemble mais encore qu’elles doivent être conçues comme nécessairement unies dans le même sujet ; car, sans cela, on ne pourrait expliquer pourquoi nous devrions charger la raison d’une idée qui, bien qu’elle se laisse unir sans contradiction à une autre idée suffisamment justifiée, nous jette dans un embarras qui gêne singulièrement la raison dans son usage théorique. Mais ce devoir incombe uniquement à la philosophie spéculative, qui doit ouvrir par là un libre chemin à la philosophie pratique. Ce n’est donc pas du bon plaisir du philosophe qu’il dépend de lever ou de laisser sans l’aborder, selon sa volonté, cette apparente contradiction ; car, dans ce dernier cas, la théorie est à cet égard un bonum vacans, dont le fataliste peut de plein droit prendre possession et dont il peut chasser toute morale comme d’une prétendue propriété qu’elle possède sans titre. Cependant on ne peut pas dire encore ici que commencent les frontières de la philosophie pratique. Car, pour vider le débat, elle n’a nullement qualité ; ce qu’elle demande seulement à la raison spéculative, c’est de mettre fin au désaccord où l’engage l’embarras de questions théoriques, afin que la raison pratique ait repos et sécurité à l’égard des entreprises extérieures qui pourraient lui disputer le terrain sur lequel elle veut s’établir. Mais la prétention légitime qu’a la raison humaine, même la plus commune, à la liberté de la volonté, se fonde sur la conscience et sur la supposition admise de l’indépendance de la raison à l’égard des causes de détermination purement subjectives, dont l’ensemble constitue ce qui appartient seulement à la sensation, par conséquent ce qui a reçu le nom général de sensibilité. L’homme qui se considère de la sorte comme intelligence va s’établir par là dans un autre ordre de choses et dans un rapport à des principes déterminants d’une tout autre espèce, quand il se conçoit comme une intelligence douée de volonté et par suite de causalité, que quand il se perçoit comme un phénomène dans le monde sensible (ce qu’il est aussi en effet) et qu’il subordonne sa causalité, selon une détermination extérieure, aux lois de la nature. Or il s’aperçoit bientôt que les deux peuvent et même doivent aller ensemble. Car qu’une chose dans l’ordre des phénomènes (appartenant au monde sensible) soit soumise à certaines lois, dont elle est indépendante à titre de chose ou d’être en soi, cela n’implique pas la moindre contradiction ; que l’homme doive se représenter et se concevoir lui-même de cette double façon, c’est ce qui se fonde, d’un côté, sur la conscience qu’il a de lui-même comme d’un objet affecté par le sens, de l’autre sur la conscience qu’il a de lui-même comme intelligence, c’est-à-dire comme être indépendant, dans l’usage de la raison, des impressions sensibles (par suite comme faisant partie du monde intelligible). De là vient que l’homme s’attribue une volonté qui ne se laisse mettre à son compte rien de ce qui appartient simplement à ses désirs et à ses inclinations, et qui au contraire conçoit comme possibles par elle, bien mieux, comme nécessaire, des actions qui ne peuvent être accomplies qu’avec un renoncement à tous les désirs et à toutes les sollicitations sensibles. La causalité de telles actions réside en lui comme intelligence et dans les lois des effets et des actions qui sont conformes aux principes d’un monde intelligible ; de ce monde il ne sait rien de plus à la vérité, sinon que c’est seulement la raison, je veux dire la raison pure, indépendante de la sensibilité, qui y donne la loi. Et comme aussi c’est là seulement, en tant qu’intelligence, qu’il est le moi véritable (tandis que comme homme il n’est que le phénomène de lui-même), ces lois s’adressent à lui immédiatement et catégoriquement ; de telle sorte que ce à quoi poussent inclinations et penchants (par suite toute la nature du monde sensible), ne peut porter atteinte aux lois de sa volonté considérée comme intelligence ; bien plus, il ne prend pas la responsabilité de ces inclinations et de ces penchants, il ne les impute pas à son véritable moi, c’est-à-dire à sa volonté ; il ne s’attribue que la complaisance qu’il pourrait avoir à leur endroit, s’il leur accordait une influence sur ses maximes au préjudice des lois rationnelles de la volonté. En s’introduisant ainsi par la pensée dans un monde intelligible, la raison pratique ne dépasse en rien ses limites, elle ne les dépasserait que si elle voulait, en entrant dans ce monde, s’y apercevoir, s’y sentir. Ce n’est là qu’une conception négative par rapport au monde sensible, lequel ne donne pas de lois à la raison dans la détermination de la volonté, et elle n’est positive qu’en ce point, que cette liberté, comme détermination négative, est liée en ce même temps à une faculté (positive) et précisément à une causalité de la raison que nous nommons une volonté, c’est-à-dire à la faculté d’agir de telle sorte que le principe des actions soit conforme au caractère essentiel d’une cause rationnelle, en d’autres termes, à la condition que la maxime érigée en loi soit universellement valable. Mais si la raison voulait encore tirer du monde intelligible un objet de la volonté, c’est-à-dire un mobile, elle dépasserait ses limites et elle se flatterait de connaître quelque chose dont elle ne sait rien. Le concept d’un monde intelligible n’est donc qu’un point de vue, que la raison se voit obligée d’adopter en dehors des phénomènes, afin de se concevoir elle-même comme pratique, ce qui ne serait pas possible si les influences de la sensibilité étaient déterminantes pour l’homme, ce qui pourtant est nécessaire si l’on ne doit pas lui dénier la conscience de lui-même comme intelligence, par conséquent comme cause rationnelle, et agissant par raison, c’est-à-dire libre dans son opération. Assurément cette conception entraîne l’idée d’un autre ordre et d’une autre législation que l’ordre et la législation du mécanisme naturel qui concerne le monde sensible, et elle rend nécessaire le concept d’un monde intelligible (c’est-à-dire le système total des êtres raisonnables comme choses en soi), mais cela sans la moindre prétention à dépasser ici la pensée de ce qui en est simplement la condition formelle, je veux dire l’universalité de la maxime de la volonté comme loi, par conséquent l’autonomie de cette faculté qui peut seule être compatible avec sa liberté ; tandis qu’au contraire toutes les lois qui sont déterminées par leur rapport à un objet donnent une hétéronomie qui ne peut se rencontrer que dans des lois de la nature et qui ne peut concerner que le monde sensible. Mais où la raison franchirait toutes ses limites, ce serait si elle entreprenait de s’expliquer comment une raison pure peut être pratique, ce qui reviendrait absolument au même que de se proposer d’expliquer comment la liberté est possible. Car nous ne pouvons expliquer que ce que nous pouvons ramener à des lois dont l’objet peut être donné dans quelque expérience possible. Or la liberté est une simple idée, dont la réalité objective ne peut en aucune façon être mise en évidence d’après des lois de la nature, par suite dans aucune expérience possible, qui, en conséquence, par cela même qu’on ne peut jamais mettre sous elle un exemple, selon quelque analogie, ne peut jamais comprise ni même seulement aperçue. Elle ne vaut que comme une supposition nécessaire de la raison dans un être qui croit avoir conscience d’une volonté, c’est-à-dire d’une faculté bien différente de la simple faculté de désirer (je veux dire une faculté de se déterminer à agir comme intelligence, par suite selon des lois de la raison, indépendamment des instincts naturels). Or, là où cesse une détermination selon des lois de la nature, là cesse également toute explication, et il ne reste plus qu’à se tenir sur la défensive, c’est-à-dire qu’à repousser les objections de ceux qui prétendent avoir vu plus profondément dans l’essence des choses et qui, à cause de cela, déclarent hardiment la liberté impossible. On peut leur montrer seulement que la contradiction qu’ils croient avoir découverte là ne consiste qu’en ceci : pour rendre la loi de la nature valable en ce qui concerne les actions humaines, ils devaient considérer nécessairement l’homme comme phénomène ; lorsque maintenant on exige d’eux qu’ils aient à le concevoir, en tant qu’intelligence, comme une chose en soi, ils n’en continuent pas moins à le considérer encore comme phénomène ; alors à coup sûr le fait de soustraire la causalité de l’homme (c’est-à-dire sa volonté) aux lois naturelles du monde sensible dans un seul et même sujet constituerait une contradiction ; cette contradiction s’évanouirait cependant, s’ils voulaient bien réfléchir et, comme de juste, reconnaître que derrière les phénomènes il doit y avoir pourtant pour les fonder (quoique cachées) les choses en soi, et qu’on ne peut pas exiger que les lois de leur opération soient identiques à celles auxquelles sont soumises leurs manifestations phénoménales. L’impossibilité subjective d’expliquer la liberté de la volonté est la même que l’impossibilité de découvrir et de faire comprendre que l’homme puisse prendre un intérêt à des lois morales ; et cependant c’est un fait que l’homme y prend réellement un intérêt, dont le principe est en nous ce que nous appelons le sentiment moral, sentiment que quelques-uns font passer à tort pour la mesure de notre jugement moral, alors qu’il doit être plutôt regardé comme l’effet subjectif que la loi produit sur la volonté, et dont la raison seule fournit les principes objectifs. Pour qu’un être, qui est à la fois raisonnable et affecté d’une sensibilité, veuille ce que la raison seule prescrit comme devant se faire, il faut sans doute que la raison ait une faculté de lui inspirer un sentiment de plaisir ou de satisfaction, lié à l’accomplissement du devoir ; il faut qu’elle ait par conséquent une causalité par laquelle elle détermine la sensibilité conformément à ses principes. Mais il est tout à fait impossible de comprendre, c’est-à-dire d’expliquer a priori, comment une simple idée, qui ne contient même en elle rien de sensible, produit un sentiment de plaisir ou de peine, car c’est là une espèce particulière de causalité, dont nous ne pouvons, comme de toute causalité, rien absolument déterminer a priori, mais au sujet de laquelle nous ne devons consulter que l’expérience. Or, comme cette dernière ne peut offrir de rapport de cause à effet qu’entre deux objets d’expérience, et comme ici la raison pure doit être par de simple idées (qui ne fournissent point d’objets pour l’expérience) la cause d’un effet qui assurément se trouve dans l’expérience, il nous est, à nous autres hommes, tout à fait impossible d’expliquer comment et pourquoi l’universalité de la maxime comme loi, par suite la moralité, nous intéresse. La seule chose certaine, c’est que la moralité ne vaut pas pour parce qu’elle présente un intérêt (car c’est là une hétéronomie et une dépendance de la raison pratique à l’égard de la sensibilité, c’est-à-dire à l’égard d’un sentiment qui jouerait le rôle de principe, auquel cas elle ne pourrait jamais établir de législation morale), mais c’est que la moralité présente un intérêt parce qu’elle vaut pour nous en tant qu’hommes, car c’est de notre volonté, conçue comme intelligence, par suite de notre véritable moi, qu’elle est née, or ce qui appartient au simple phénomène est nécessairement subordonné par la raison à la nature de la chose en soi. Donc à la question : comment un impératif catégorique est-il possible ? on peut assurément répondre dans cette mesure, que l’on peut indiquer la seule supposition dont dépend sa possibilité, à savoir l’idée de la liberté, et que l’on peut encore apercevoir la nécessité de cette supposition, ce qui pour l’usage pratique de la raison, c’est-à-dire pour la conviction de la validité de cet impératif, et par suite aussi de la loi morale, est suffisant ; mais comment cette supposition même est possible, c’est ce qui ne laissera jamais apercevoir d’aucune raison humaine. Supposé que la volonté d’une intelligence est libre, il en résulte alors nécessairement son autonomie, comme la condition formelle qui est la seule sous laquelle elle peut être déterminée. Il n’est pas seulement fort possible (comme peut le montrer la philosophie spéculative) de supposer le liberté de la volonté (sans tomber en contradiction avec le principe de la nécessité naturelle dans la liaison des phénomènes du monde sensible), mais encore il est nécessaire, sans autre condition, à un être qui a conscience de sa causalité par la raison, par conséquent d’une volonté (distincte des désirs) de l’admettre pratiquement, c’est-à-dire en idée, sous toutes ses actions volontaires, à titre de condition. Or comment une raison pure, sans autre mobiles d’où qu’ils soient tirés, peut par elle-même être pratique, c’est-à-dire comment le simple principe de la validité universelle de toutes ses maximes comme lois (lequel serait assurément la forme d’une raison pure pratique), sans aucune matière (objet) de la volonté à quoi on puisse prendre d’avance quelque intérêt, peut par lui-même fournir un mobile et produire un intérêt qui peut être dit purement moral ; ou, en d’autres termes, comment une raison pure peut être pratique, expliquer cela, c’est ce dont est absolument incapable toute raison humaine, et toute peine, tout travail pour en chercher l’explication, est en pure perte. C’est absolument comme si je m’appliquais à découvrir comment la liberté même est possible comme causalité d’une volonté. Car ici j’abandonne le principe d’explication philosophique, et je n’en ai pas d’autre. Assurément je pourrais aller courir des aventures dans le monde intelligible, qui me reste encore, dans le monde des intelligences ; mais quoique j’en aie une idée, et bien fondée, je n’en ai pas toutefois la moindre connaissance, et il est également impossible que jamais j’en obtienne aucune par tout l’effort de ma raison naturelle. Cette idée ne signifie qu’un quelque chose qui subsiste, lorsque j’ai exclu des principes de détermination de ma volonté tout ce qui appartient au monde sensible, de façon simplement à restreindre le principe des mobiles tirés du champ de la sensibilité, en limitant ce champ et en montrant qu’il ne comprend pas en lui le tout du tout, et qu’en dehors de lui il y a plus d’une chose encore ; mais ce plus, je n’en sais pas davantage. De la raison pure qui conçoit cet idéal, il me reste, quand j’ai fait abstraction de toute matière, c’est-à-dire de toute connaissance des objets, que la forme, c’est-à-dire la loi pratique de la validité universelle des maximes, et, en conformité avec elle, la conception de la raison, considérée, par rapport à un monde intelligible pur, comme une cause efficiente possible, c’est-à-dire une cause déterminant la volonté, ici le mobile doit faire entièrement défaut ; à moins que cette idée d’un monde intelligible ne soit elle-même le mobile, ou ce à quoi la raison prend originairement un intérêt ; mais expliquer cela, c’est précisément le problème que nous ne pouvons résoudre. Ici donc est la limite extrême de toute investigation morale. Or la déterminer, c’est déjà même de grande importance, afin que d’une part la raison n’aille pas dans le monde sensible, au préjudice de la moralité, errer à la recherche du motif suprême de la détermination et d’un intérêt compréhensible sans doute, mais empirique, et que d’autre part, elle n’aille pas battre vainement des ailes, sans changer de place, dans cet espace de concepts transcendants, vide pour elle, qui s’appelle le monde intelligible, et qu’elle ne se perde pas parmi les chimères. D’ailleurs l’idée d’un monde intelligible pur, conçu comme un tout formé de toutes les intelligences, dont nous faisons partie nous-mêmes comme êtres raisonnables (quoique d’autre part nous soyons membres aussi du monde sensible), reste toujours une idée d’un usage possible et licite en vue d’une croyance rationnelle, quoique tout savoir se termine à la frontière de ce monde ; par le magnifique idéal d’un règne universel des fins en soi (des êtres raisonnables), dont nous ne pouvons faire partie comme membres qu’en ayant soin de nous conduire d’après les maximes de la liberté comme si elle étaient des lois de la nature, elle est destinée à produire en nous un vif intérêt pour la loi morale. L’usage spéculatif de la raison, par rapport à la nature, conduit à l’absolue nécessité de quelque cause suprême du monde ; l’usage pratique de la raison, à l’égard de la liberté, conduit aussi à une absolue nécessité, mais qui est seulement la nécessité des lois des actions d’un être raisonnable, comme tel. Or c’est un principe essentiel de tout usage de notre raison, que de pousser la connaissance qu’elle nous donne jusqu’à la conscience de sa nécessité (car sans cela ce ne serait pas une connaissance de la raison). Mais la même raison est soumise également à une restriction tout aussi essentielle, qui consiste en ce qu’elle ne peut apercevoir la nécessité ni de ce qui est ou de ce qui arrive, ni de ce qui doit arriver, sans poser comme principe une condition sous laquelle cela est, ou arrive, ou doit arriver. Mais de la sorte, par la perpétuelle poursuite de la condition, la raison ne peut que voir sa satisfaction toujours ajournée. Aussi cherche-t-elle sans relâche le nécessaire inconditionné, et se voit-elle forcée de l’admettre, sans aucun moyen de se le rendre compréhensible, trop heureuse si elle peut seulement découvrir le concept qui s’accorde avec cette supposition. Il n’y a donc pas de reproche à faire à notre déduction du principe suprême de la moralité, c’est plutôt à la raison humaine en général qu’il faudrait s’en prendre, si nous ne réussissons pas à expliquer une loi pratique inconditionnée (telle que doit être l’impératif catégorique) dans sa nécessité absolue. On ne saurait, en effet, nous blâmer de ne pas pouvoir le faire au moyen d’une condition, c’est-à-dire de quelque intérêt posé comme principe, car ce ne serait plus alors une loi morale, c’est-à-dire une loi suprême de la liberté. Et ainsi nous ne comprenons pas sans doute la nécessité pratique inconditionnée de l’impératif moral, mais nous comprenons du moins son incompréhensibilité, et c’est tout ce qu’on peut exiger raisonnablement d’une philosophie qui s’efforce d’atteindre dans les principes aux limites de la raison humaine.
2950
https://fr.wikisource.org/wiki/L%E2%80%99%C3%89lixir%20de%20longue%20vie
L’Élixir de longue vie
Elixir de longue vie Elixir de longue vie Elixir de longue vie Œuvres d’Honoré de Balzac es:El_elixir_de_larga_vida
2956
https://fr.wikisource.org/wiki/La%20Tentation%20de%20saint%20Antoine%20%E2%80%93%20%C3%89d.%20L.%20Conard%20%281910%29/La%20Tentation%20de%20saint%20Antoine
La Tentation de saint Antoine – Éd. L. Conard (1910)/La Tentation de saint Antoine
Tentation de saint antoine Romans parus en 1874 Tentation de saint antoine Bon pour export  I.  –   II.  –  III.  –  IV.  –  V.  –  VI.  –  VII.  À LA MÉMOIRE DE MON AMI ALFRED LEPOITTEVIN DÉCÉDÉ À LA NEUVILLE-CHANT-D’OISEL le 3 avril 1848.