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https://fr.wikisource.org/wiki/Charte%20internationale%20des%20Droits%20de%20l%E2%80%99Homme%20%281948%29/D%C3%A9claration%20universelle%20des%20Droits%20de%20l%E2%80%99Homme
Charte internationale des Droits de l’Homme (1948)/Déclaration universelle des Droits de l’Homme
<div class="text" > zh-cn:世界人权宣言 zh-tw:世界人權宣言 Résolutions de l'Assemblée générale de l'ONU A ONU 1948 Droits de l'homme
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https://fr.wikisource.org/wiki/%C3%89tapes%20vers%20la%20paix%20int%C3%A9rieure
Étapes vers la paix intérieure
1964 Dans ma jeunesse, je fis deux découvertes très importantes. Tout d'abord, je découvris que gagner de l'argent et le dépenser sans discernement n'avait aucun sens. Je sentais que ma raison de vivre était ailleurs, mais à cette époque, je ne savais pas très bien pourquoi je vivais. Une recherche très approfondie du sens à donner à ma vie me conduisit, un lendemain d'une nuit passée entièrement en forêt, à un point dont je sais aujourd'hui qu'il a été un point de rupture radicale. Je me suis sentie totalement prête à donner ma vie, sans la moindre réserve, à consacrer ma vie au service. J'avais atteint un point de non retour. Après une telle expérience, il n'est plus possible de revenir à une vie centrée sur elle-même. C'est ainsi que j'abordai la seconde phase de ma vie. Je commençai à vivre de manière à pouvoir donner ce que je pouvais donner, au lieu de prendre ce qu'il m'était possible de prendre. Je pénétrai dans un monde neuf et merveilleux. Ma vie commença à prendre sens. Je reçus la grâce merveilleuse d'une excellente santé. Depuis, je n'eux plus ni refroidissement, ni maux de tête (la plupart des maladies ont des causes psychiques). C'est à ce moment que je réalisai que ma vie serait consacrée à travailler pour la paix, dans tous les domaines : la paix entre les peuples, la paix entre les groupes, la paix entre les individus et ce qui est extrêmement important, la paix intérieure. Un long chemin sépare néanmoins le désir de donner sa vie du don lui-même. Pour moi, cela signifia quinze années de préparation et de recherche intérieures. Pendant cette période, j'appris à discerner ce que les psychologues nomment le Soi et la conscience. Je compris peu à peu que tout se passe comme si nous avions deux personnalités, ou deux natures, ou deux volontés, avec deux points de vue différents. Étant donné que ces deux points de vue sont très différents, je vécus alors une lutte entre mes deux personnalités, avec des hauts et des bas. Au milieu de ce combat, je vécus l'expérience d'un sommet merveilleux. Pour la première fois, je ressentis ce qu'est la paix intérieure : une unité, une unité avec tous les êtres humains, une unité avec toute la Création. Depuis, je ne me suis plus jamais sentie vraiment séparée. Toujours à nouveau, je pouvais revenir à ce sommet merveilleux pour y rester pendant longtemps. Je n'en retombais que pour de courtes périodes. Un matin, je sentis que je n'aurai plus jamais à redescendre dans la vallée. Je sentis que, pour moi, la lutte était terminée, que j'avais enfin réussi à donner ma vie, et à trouver la paix intérieure. J'avais atteint un nouveau point de non retour. Tu n'as plus à combattre. La lutte est terminée : en effet, tu veux faire le bien, sans avoir à te forcer. Mais mon développement ne se termina pas pour autant. Je fis de grands progrès dans cette troisième phase de ma vie. Et pourtant, il me semblait que le motif central du puzzle de ma vie était achevé, et qu'il ne s'agissait plus que d'ajouter des morceaux du bord. Il y a toujours un côté qui grandit, mais le développement est harmonieux. On a l'impression d'être constamment immergé dans l'amour, la liberté, la joie, comme dans une enveloppe protectrice. Ceci donne une force qui te permet d'affronter directement toute situation. Ceux qui te voient de l'extérieur peuvent estimer que tu as de grands problèmes, mais cette source interne d'énergie te permet de résoudre facilement ces problèmes. Rien ne paraît dificile. Tu possèdes le calme, la gaieté, du temps pour tout. Tu n'as plus à lutter pour quoi que ce soit, ni à te donner du mal. La vie est pleine, la vie est bonne, mais elle n'est jamais encombrée. Ceci est un point important : si ta vie est en harmonie avec ta place dans l'ordre du monde, et si tu respectes les lois qui régissent cet univers, ta vie sera pleine et bonne, mais pas encombrée. Si elle est encombrée, c'est que tu en fais plus que ce qui est bon pour toi, dans le plan de l'univers. À présent, la vie ne consiste plus à prendre, mais à donner. Dès que tu te concentres sur le don, tu découvres ceci : de même que tu ne peux rien donner sans recevoir, tu ne peux rien recevoir sans donner --- même des choses merveilleuses comme la santé, le bonheur et la paix intérieure. Tu ressens une énergie infinie, inépuisable, aussi inépuisable que l'air. Tu as l'impression d'être directement branchée à la source de l'énergie de l'univers. À présent, tu contrôles ta vie. Tu comprends qu'il est impossible de contrôler l'égo. L'égo est contrôlé par le désir de confort, le bien-être du corps, les exigences de l'esprit et les explosions des passions. Je puis à présent dire à mon corps : Couche-toi ici, sur ce sol de ciment et endors-toi. Et il m'obéit. Je puis dire à mon esprit : Concentre-toi sur ce problème et débranche tout le reste. Et il obéit. Je puis dire à mes sentiments : Restez calmes, même si la situation est terrible. Et ils se calment. La vie change complètement. Un grand philosophe a dit : Celui qui semble avoir perdu le rythme, obéit peut-être à une autre cadence. Tu obéis à une autre cadence, à celle de ta nature supérieure, et non plus à celle de ta nature inférieure. Ce n'est qu'à cette époque, en 1953, que je me suis sentie conduite, appelée ou poussée à entreprendre mon pélerinage pour la paix sur terre, un voyage au sens traditionnel. La tradition du pélerinage veut que l'on parte à pieds, avec confiance, dans la prière, pour rencontrer les gens. Je porte une tunique avec une inscription Pélerin pour la Paix sur le devant. Je considère que c'est désormais mon nom. Il souligne ma mission plutôt que ma personne. Sur le dos, il est inscrit : 40 000 km à pieds pour la paix. Cette tunique interpelle les gens dans la rue. Losque je parcours les routes et que je traverse les villes, les gens m'abordent, et ceci me permet de parler de paix avec eux. J'ai parcouru 40 000 km à pieds, sans un centime en poche. Je ne possède que ce que je porte sur moi et dans mon petit sac. Je ne suis membre d'aucune organisation. Je marche, jusqu'à ce que l'on m'offre un abri, et je jeûne jusqu'à ce que l'on m'offre à manger. Je poursuivrai mon pélerinage jusqu'à ce que l'humanité découvre le chemin qui conduit à la paix. Et je puis dire, en toute honnêteté, que j'ai reçu tout ce dont j'avais besoin pour mon voyage, sans avoir rien demandé. Ceci montre combien en réalité les êtres humains sont bons. Je porte toujours avec moi mon message de paix : Voici le chemin qui conduit à la paix --- surmonte le mal par le bien, le mensonge par la vérité, la haine par l'amour. Ce message n'est pas nouveau. Ce qui est nouveau, c'est de le mettre en pratique. Sa mise en pratique n'est pas seulement valable sur le plan international, mais aussi sur le plan individuel. Je pense que la situation mondiale est un reflet de la situation qui existe dans le cœur des êtres humains, un reflet de notre propre immaturité. Si nous étions des êtres équilibrés, mûrs, la guerre ne poserait aucun problème --- elle serait impossible. Nous pouvons tous travailler pour la paix. Nous pouvons y travailler là où nous nous trouvons, à l'intérieur de nous-mêmes. Plus nous avons de paix en nous-mêms, plus nous rayonnons cette paix autour de nous. Je crois que le désir de survie ne nous procure qu'une paix mondiale instable, qui pour durer, doit s'accompagner d'un grand réveil intérieur. Je crois que la découverte de l'énergie nucléaire nous a fait entre dans une ère nouvelle. Cette ère nouvelle nécessite une Renaissance nouvelle, qui nous amène à un niveau de conscience supérieur pour nous permettre de résoudre les problèmes de ère nouvelle. C'est pourquoi mon premier objectif est la paix intérieure, comme étape vers la paix dans le monde. Lorque je parle des étapes vers une paix intérieure, j'en parle suite à ma propre expérience. Il n'y a pas un nombre fixe d'étapes. Il peut y en avoir plus ou moins. Les étapes vers la paix intérieure n'ont pas non plus à être franchies dans un ordre donné. La première étape pour l'un sera la dernière pour l'autre. À chacun de choisir comme première étape celle qui lui semble la plus facile. Dès que l'on a franchi quelques étapes, les autres sembleront plus faciles. Il est aussi possible de se compléter. Personne parmi nous ne doit se sentir appelé à entreprendre un pélerinage, et je n'essaie d'y entraîner personne, mais nous pouvons collaborer dans la recherche d'une harmonie pour notre propre vie. Je crois qu'en m'entendant aborder l'une ou l'autre des étapes vers la paix intérieure, tu reconnaîtras des étapes que tu as également franchies. J'aimerais d'abord évoquer quelques préliminaires qui m'ont été nécessaires. La première préparation est une attitude juste face à la vie. Cela signifie : ne fuis plus la réalité. Ne vis plus superficiellement. Il y a des millions de gens qui ne trouvent rien qui en vaille réellement la peine. Accepte d'affronter ouvertement la vie, quitte la superficialité et vas en profondeur, là où se trouvent la vérité et la réalité. C'est ce que nous allons faire maintenant. C'est en cela que réside toute l'essence d'une attitude valable face aux problèmes de la vie. Si tu pouvais embrasser tout l'horizon, si tu pouvais discerner toute l'histoire, tu comprendrais que tu ne rencontres jamais aucun problème qui n'ait son utilité pour ta vie, qui ne puisse contribuer à ta croissance intérieure. Lorsque tu as compris cela, tu considères chaque problème comme une occasion cachée. Si tu renonces à affronter les problèmes, tu erres dans ta vie et tu ne peux grandir intérieurement. Ce n'est qu'en résolvant les problèmes en accord avec une vision supérieure que nous pourrons croître intérieurement. Les problèmes de la communauté doivent être résolus collectivement, et personne ne trouvera de paix intérieure s'il évite d'apporter sa contribution à la solution de problèmes collectifs comme le désarmement et la paix mondiale. C'est pourquoi nous devons toujours réfléchir ensemble à ces problèmes et en parler ensemble et travailler ensemble à leur solution. La seconde préparation consiste à mettre notre vie en accord avec les lois qui régissent l'univers. Il n'y a pas que le monde et les créatures qui aient été créés. Il y a également les lois qui les régissent. Ces lois concernent aussi bien le domaine physique que le domaine psychique. Elles déterminent le comportement humain. Si nous le comprenons et que nous essayons de mettre notre vie en accord avec ces lois, notre vie deviendra harmonieuse. Si nous négligeons ces lois, nous nous créons des difficultés à nous-mêmes. Nous devenons nos pires ennemis. Dès que, par notre ignorance, nous sortons de cette harmonie, nous souffrons. Lorsque nous croyons tout savoir mieux et que nous ne vivons pas en harmonie, nous souffrons beaucoup. Ces lois sont bien connues et reconnues, et pour cette raison, elles doivent être aussi bien vécues. Je m'attachai à un projet très intéressant : je commençai à vivre toutes les bonnes choses auxquelles je croyais. Je ne me suis pas précipitée pour les essayer toutes à la fois. Bien mieux, j'ai commencé à cesser de faire ce que je savais être faux. Ceci peut aller très vite. C'est la voie la plus facile. Se transformer est très long et très difficile. Lorsque j'avais négligé de faire quelque chose dont je savais que cela devait être fait, je le faisais immédiatement. La vie a toujours besoin d'un certain délai pour rattraper la foi, mais c'est possible. Aujourd'hui, si je crois quelque chose, je le fais également. Autrement, ma vie n'aurait aucun sens. Plus je vis selon mes convictions les plus profondes, plus je reçois, et plus je suis ouverte à de nouvelles intuitions. Ces lois sont valables pour chacun d'entre nous. Mais il y a encore une troisième préparation, qui concerne quelque chose de particulier à chaque être humain. Chacun d'entre nous a une place bien précise dans l'ordre du monde. Si tu ne sais pas encore très bien quelle est ta place, je te propose te tenter de la trouver dans un silence absolu. C'est lorsque je marche au milieu des merveilles de la nature, ouverte à tout, en silence, que j'eus de merveilleuses intuitions. Lorsque tu fais toutes les bonnes choses auxquelles tu te sens appelé, même si au début ce ne sont que de très petites choses, tu commences à jouer le rôle qui t'est attribué dans l'ordre du monde. Tu leur donnes la priorité sur les choses superficielles qui troublent généralement la vie humaine. Il ya des gens qui savent et qui n'agissent pas. Ceci est d'une tristesse infinie. Je me souviens d'un jour, où, sur une route, une très belle voiture s'arrêta à ma hauteur. L'homme me dit : Comme c'est beau d'obéir à votre vocation ! Je lui répondis : Je crois fermement que c'est à chacun de faire ce qu'il croit être juste. Il commençait à me raconter ce qui le motivait. C'était une bonne cause, qui valait la peine d'être poursuivie. Je m'enthousiasmai vraiment, persuadée qu'il y travaillait. Je lui dis : C'est merveilleux. Et comment faites-vous ? Il me répondit : Oh, je n'y travaille pas. Ce genre de travail n'est pas rentable. Je n'oublierai jamais combien cet homme semblait désespérément malheureux. À notre époque matérialiste, nous mesurons le succès à l'aide de critères totalement erronés. Nous le mesurons en dollars et en biens matériels. Et pourtant, ce n'est pas à ce niveau que se trouvent le bonheur ni la paix intérieure. Si tu crois en quelque chose et que tu n'agis pas en conséquence, tu es vraiment quelqu'un de très malheureux. Il y a encore une quatrième préparation, à savoir la simplification de la vie, la mise en accord dans sa vie du bien-être intérieur avec le bien-être extérieur. Dès que j'eus consacré ma vie au service, je sentis qu'il ne m'était plus possible de recevoir plus que ce dont j'avais besoin, alors que dans le monde tant de gens ont moins que ce dont ils ont besoin. Ceci m'amena à restreindre mes besoins aux choses vraiment nécessaires. Je pensais que cela serait difficile et que je traverserais des périodes pénibles, mais je me trompais. À présent que je ne possède que ce que je porte sur moi et dans mon sac, j'ai l'impression qu'il ne me manque rien. Ce que je désire correspond exactement à ce dont j'ai besoin. Il te serait absolument impossible de me faire accepter quelque chose dont je n'aurai pas besoin. J'ai découvert cette grande vérité, à savoir qu'une possession inutile est un poids inutile. Ceci ne veut pas dire que chacun a les mêmes besoins. Tes besoins peuvent être beaucoup plus grands que les miens. Si tu as une famille, il te faut un foyer pour tes enfants. Mais je crois que tout ce qui dépasse les besoins --- et je ne parle pas seulement des besoins physiques --- peut devenir un fardeau. La simplicité de la vie donne une grande liberté. Lorsque j'ai compris cela, j'ai réalisé dans ma vie l'harmonie entre le bien-être extérieur et le bien-être intérieur. Il me faut ajouter quelque chose d'important, qui ne concerne pas la vie de l'individu, mais celle de la société. Notre monde s'est tellement éloigné de cette harmonie, nous sommes tellement obnubilés par le côté matériel, que nous sommes même capables d'utiliser l'énergie nucléaire pour en faire des bombes et exterminer le genre humain. Ceci est dû au fait que nous avons tellement négligé notre équilibre intérieur par rapport à notre bien-être matériel. Il est nécessaire, à l'avenir, de développer le domaine intérieur, psychologique, pour pouvoir mettre en accord les deux domaines, et utiliser avec discernement le bien-être matériel que nous avons atteint. Je découvris aussi que diverses formes de purifications m'étaient demandées. La première est très simple : c'est la purification du corps. Il s'agit de ta manière de vivre. Manges-tu avec mesure ? Manges-tu pour vivre ? La plupart des gens que je connais vivent pour manger. Sais-tu quand t'arrêter de manger ? Ceci est très important à savoir. Tes habitudes de sommeil sont-elles raisonnables ? J'essaie d'aller très tôt au lit et d'avoir beaucoup d'heures de sommeil. As-tu suffisamment d'air pur ? de soleil ? de contacts avec la nature ? On pourrait penser que ce domaine serait le premier dans lequel l'être humain accepterait de travailler. Mon expérience m'a prouvé que c'est souvent le dernier. En effet, cela implique l'abandon de quelques mauvaises habitudes, et il n'y a rien à quoi nous ne soyons plus attachés. Je ne puis assez souligner la seconde purification, car c'est la purification des pensées. Si tu pouvais réaliser combien tes pensées ont de force, tu ne pourrais plus avoir de pensées négatives. Les pensées positives peuvent exercer une grande force en direction du bien. Si elles sont négatives, elles peuvent --- et le font --- te rendre physiquement malade. Je me souviens d'un homme de 65 ans qui manifestait les symptômes d'une maladie chronique. Je m'entretins avec lui et je découvris sans pouvoir tout de suite me l'expliquer, une certaine amertume en lui. Il s'entendait bien avec sa femme et avec ses enfants adultes, et il s'entendait bien avec son entourage, mais l'amertume était partout présente. Je découvris qu'il en voulait à son père, mort depuis longtemps, parce qu'il avait permis à son frère d'étudier et pas à lui. Dès qu'il arriva à se débarasser de cette amertume, la maladie s'atténua, et bientôt elle disparu. Si tu éprouves encore la moindre amertume à l'encontre de quelqu'un, ou que tu as une pensée négative, quelle qu'elle soit, il faut t'en débarasser immédiatement. Elle ne blesse personne d'autre que toi-même. On dit que la haine blesse celui qui hait et non celui qui est haï. Il ne te suffit pas de faire et de dire ce qui est juste, il te faut aussi penser ce qui est juste pour que ta vie devienne harmonieuse. La troisième purification est la purification des désirs. Que désires-tu ? Désires-tu de nouveaux habits ou des distractions ou de nouveaux meubles ou une voiture ? Il te faut atteindre le point où tu n'aurais plus qu'un seul désir, celui de connaître ta place dans l'ordre du monde et de la remplir. En y réfléchissant, y a-t-il quelque chose d'autre qui vaille vraiment la peine d'être recherché ? La quatrième purification est la purification des motifs. Quelles sont les raisons qui te poussent à entreprendre ceci ou cela ? Si c'est simplement l'avidité ou l'égoïsme, ou la glorification du Soi, je te dirais : Ne le fais pas. Ne fais rien pour de tels motifs. Mais ce n'est pas si facile, car nous faisons les choses pour de très bonnes et de très mauvaises raisons. Prenons un homme d'affaires. Ses motifs ne sont sans doute pas les plus nobles. Mais il y a aussi le souci pour sa famille, et parfois le désir d'être utile à la collectivité. Des motifs mélangés. Si tu veux trouver la paix intérieure, tes motifs doivent être tournés vers l'extérieur : le désir de service, le don et non la possession. J'ai connu un homme, un bon architecte. À l'évidence, son métier lui convenait très bien, mais il l'exerçait pour de mauvaises raisons, à savoir gagner le plus d'argent possible, et s'élever au-dessus du niveau des Dupont et Durand. Il travaillait à s'en rendre malade, et je le rencontrai peu après. Je l'amenai à rendre de petits services. Je lui parlai des joies du service, sachant que lorsqu'il y aurait goûté une fois, il ne pourrait plus jamais retomber dans une vie entièrement égoïste. Nous avons échangé quelques lettres après cette rencontre. La troisième année de mon pélerinage, mon chemin me conduisit dans sa ville. Quand j'allai lui rendre visite, je le reconnus à peine. Il avait complètement changé. Il était toujours architecte. Il était en train de tracer un plan et me dit : Vois-tu, je réalise ceci de manière à ne pas dépasser leurs possibilités matérielles. Ensuite, je le construirai sur leur petit bout de terrain pour que ce soit beau. Il travaillait pour rendre service aux gens pour lesquels il dessinait ce plan. Sa femme me raconta que son bureau s'était agrandi et que les gens venaient de très loin pour lui faire dessiner les plans de leur maison. J'ai rencontré quelques personnes qui pour changer leur vie ont dû changer leur métier. Mais j'en ai rencontré bien plus qui n'ont eu que leurs raisons d'agir à changer pour changer leur vie. Et enfin, il faut lâcher prise. Si tu as lâché prise pour l'essentiel, tu as trouvé la paix intérieure qui naît de l'abandon de la volonté de tout décider par soi-même. Tu peux t'y exercer en renonçant à tout mauvais projet vers lequel tu te sens poussé, sans cependant le refouler. Si tu te sens pousser à faire ou à dire quelque chose qui n'est pas bien, il t'est toujours possible de penser ou de dire quelque chose de bien. Détourne-toi consciemment de ce qui est mauvais, et utilise la même énergie pour faire ou dire quelque chose de bien. Cela marche. Ensuite, il faut abandonner tout sentiment de séparation. Au début, nous nous sentons séparés et nous jugeons tout par rapport à nous, comme si nous étions le centre de l'univers. Même si la raison nous dit que c'est faux, nous agissons cependant comme si c'était le cas. En réalité, nous sommes les cellules du corps de l'humanité. Nous ne sommes pas séparés de nos frères humains. Ce n'est qu'à partir de ce point de vue supérieur que tu peux comprendre ce que signifie : Aime ton prochain comme toi-même. À partir de ce point de vue, il n'y a plus qu'une seule voie réaliste pour atteindre l'objectif qui est le bien commun. Aussi longtemps que tu ne travailles que pour ton petit moi égoïste, tu n'es qu'une seule cellule contre toutes les autres cellules, et tu t'exclus de l'harmonie. Dès que tu commences à travailler pour le bien commun, tu te trouves en accord avec tous les êtres humains. Ceci est la manière la plus harmonieuse de vivre. Il y a encore une troisième forme d'abandon, c'est l'abandon de tous les liens. Les biens matériels doivent être remis à leur place. Ils sont là pour être utilisés. Il est absolument juste de les utiliser. C'est pour ceci qu'ils existent. Tout ce que tu ne peux lâcher quand tu n'en as plus besoin te possède. À notre époque matérialiste, nombreux sont ceux qui sont possédés par leurs possessions. Nous ne sommes pas libres. Il y a encore une autre forme de possession. Tu ne possède aucun être humain, quel que soit son lien avec toi. Aucun mari ne possède sa femme, aucune femme ne possède son mari, aucun parent ne possède ses enfants. Lorsque nous croyons posséder un être humain, nous avons tendance à prendre sa vie en mains. Ceci conduit à une situation extrêmement dysharmonieuse. Ce n'est qu'au moment où nous reconnaissons que nous ne les possédons pas, qu'ils doivent vivre en accord avec leurs propres motivations intérieures, que nous cessons de vouloir conduire leur vie à leur place, c'est à ce moment seulement que nous découvrons que nous pouvons vivre en harmonie avec eux. Et pour terminer, il faut abandonner tout sentiment négatif. Je n'évoquerai qu'un sentiment négatif, éprouvé par les personnes les meilleures, qu'elles ne peuvent abandonner, à savoir les soucis. Je n'entends pas par là le désir de faire tout ce qui est possible de faire dans une situation donnée. Par souci, j'entends ruminer en rond, inutilement, des choses que l'on ne peut plus changer. Voici un exemple. On se fait rarement du souci pour le moment présent, il est généralement accepté. Quand on se fait du souci, c'est en général pour se torturer avec un passé que l'on aurait dû oublier depuis longtemps, ou alors pour l'avenir qui n'est même pas encore là. Nous avons tendance à ne prendre conscience que superficiellement du présent. Mais comme c'est le seul moment qu'il nous soit possible de vivre, si tu ne le vis pas, tu ne pourras jamais te sentir vraiment bien dans ta vie. Si tu vis le moment présent, alors tu ne te feras pas de souci. Pour moi, chaque instant apporte une nouvelle occasion de me rendre utile. Une dernière remarque sur les sentiments négatifs qui m'a déjà souvent aidé, et qui en a aidé d'autres. Rien de ce qui vient du dehors, aucun être humain qui m'approche de l'extérieur ne peut me blesser intérieurement. J'ai compris qu'il n'y a que mes propres mauvaises actions, que je puis contrôler, qui puissent me blesser psychiquement. Mes propres mauvaises actions, bien que rusées, je puis les contrôler, ainsi que ma propre incapacité d'agir, dans certaines situations qui exigent que j'agisse, comme la situation mondiale actuelle. Quelle libération lorsque j'eus compris cela. Je cessai immédiatement de me faire du mal à moi-même. À présent, on pourrait m'infliger les pires des maux, je ne ressentirais qu'une immense compassion pour cette personne tombée hors de l'harmonie, malade psychiquement, capable d'infliger le mal. Je ne me ferai certainement pas mal à moi-même par de fausses réactions comme l'amertume ou la colère. Tu peux entièrement contrôler le fait de te laisser ou non blesser psychiquement, et tu peux cesser, à chaque instant, de te blesser toi-même. Voilà les étapes vers la paix intérieure que je souhaite partager avec toi. Il n'y a rien de neuf dans tout cela. Il s'agit de vérités généralement admises. Je les ai simplement évoquées dans mon propre langage, et j'ai traduit des concepts à partir de ma propre expérience. Les lois qui régissent l'univers travaillent pour le meilleur dès que nous leur obéissons. Chaque transgression de ces lois ne peut être que de courte durée, contenant en elle-même la source de sa propre destruction. Dans chaque vie humaine, le bien permet à chaque instant à l'être humain d'obéir à ces lois, et beaucoup choisissent librement de le faire. C'est donc à nous de décider quand nous obéirons et quand nous trouverons l'harmonie à la fois en nous et dans notre monde. Résumé Quatre préparatifs Prends une attitude juste face à la vie. Arrête de fuir ou de vivre en surface. Cette attitude ne suscite que dysharmonie dans ta vie. Affronte ouvertement la vie et plonge au-delà de la surface facile, pour découvrir ses vérités et ses réalités. Résous les problèmes que la vie te pose et tu verras que leur solution contribue à ton propre développement intérieur. La recherche collective d'une solution à des problèmes collectifs mène également à ton développement. Il ne faut jamais écarter de tels problèmes. Vis de bonne foi. Les lois qui régissent le comportement humain s'appliquent aussi rigoureusement que les lois de la pesanteur. L'obéissance à ces lois nous mène à l'harmonie. Comme beaucoup de ces lois sont universellement admises, tu peux commencer en vivant concrètement selon tes bonnes convictions. Trouve ta place dans l'ordre du monde. Tu as un rôle à jouer dans l'ordre du monde. Ce n'est qu'en toi-même que tu peux découvrir la nature de ce rôle. Tu peux le rechercher dans le silence absolu. Tu peux commencer à vivre en harmonie, en faisant toutes les bonnes actions vers lesquelles tu te sens attiré, en leur donnant la priorité dans ta vie sur les choses superficielles qui encombrent la vie de la plupart des êtres humains. Simplifie ta vie pour mettre en accord les aspirations intérieures et extérieures. Les biens inutiles sont un fardeau inutile. Souvent la vie n'est pas seulement encombrée de biens inutiles, mais encore d'activités dépourvues de sens. Une vie encombrée est une vie inharmonieuse qui doit être simplifiée. Dans la vie, les désirs et les besoins doivent se confondre. Cette harmonie est indispensable, tant pour la vie personnelle que pour la vie collective. Quatre purifications Purification du temple du corps Es-tu libéré de toutes tes mauvaises habitudes ? Dans ton alimentation, donnes-tu la préférence aux aliments indispensables à la vie ? aux fruits, aux céréales complètes, aux légumes, aux noix ? Vas-tu tôt au lit et as-tu suffisamment de sommeil ? As-tu suffisamment d'air pur ? de soleil ? de contact avec la nature ? Si tu peux répondre oui à ces questions, tu es déjà très en avance dans la voie de la purification du temple du corps. Purification des pensées Il ne suffit pas de faire ce qui est juste. Il faut aussi penser ce qui est juste. Les pensées positives peuvent constituer une grande force pour le bien. Les pensées négatives peuvent te rendre physiquement malade. Il ne peut subsister aucun conflit entre toi et les autres. Tu ne pourras trouver l'harmonie intérieure que lorsque tu auras cessé d'avoir des pensées inharmonieuses. Purification des désirs Comme tu es sur Terre pour vivre en accord avec les lois qui régissent le comportement humain et conformément à ton rôle dans l'ordre du monde, tes désirs devraient tendre vers cet idéal. Purification des motifs Il est évident que tes motifs ne doivent jamais être l'avidité, l'égoïsme ou l'exaltation du soi, ni même la recherche égoïste de ta propre paix intérieure. Ton objectif doit être le service de ton prochain, et alors seulement, ta vie deviendra harmonieuse. Il faut te détacher de quatre choses Abandon de la volonté de décider par soi-même C'est comme s'il y avait deux personnes en toi, le Soi inférieur, qui généralement te domine par l'égoïsme, et le Soi supérieur, qui n'attend qu'une chose, c'est de te guider merveilleusement. Tu dois mettre en retrait le Soi inférieur en renonçant à faire toutes les mauvaises actions vers lesquelles tu te sens entraîné, et ceci, non en les refoulant, mais en les transformant, pour que le Soi supérieur puisse prendre en charge ta vie. Abandon du sentiment d'être séparé Chacun d'entre nous, dans le monde entier, est une cellule du corps de l'humanité. Tu n'es pas séparé des autres êtres humains, et tu ne peux trouver l'harmonie à toi tout seul. Tu ne trouveras l'harmonie que lorsque tu auras pris conscience de l'unité de tout être et que tu travailleras pour le bien de tous. Le détachement des liens Ce n'est que lorsque tu te seras détaché de tous les liens que tu seras vraiment libre. Les biens matériels sont là pour être utilisés. Tout ce dont tu ne peux te séparer lorsque cela ne t'est plus utile te possède. Tu ne peux vivre en harmonie avec les être humains si tu as l'impression de les posséder et que tu essaies de contrôler leur vie. L'abandon de tout sentiment négatif Travaille à te détacher de tous les sentiments négatifs. Si tu vis dans l'instant présent, qui est véritablement le seul instant que tu as à vivre, tu auras moins tendance à te faire des soucis. Si tu comprends que ceux qui agissent mal sont psychiquement malades, ton amertume se transformera en compassion. Lorsque tu comprendras que toutes tes souffrances intérieures sont provoquées par tes propres mauvaises actions, ou tout ce que tu négliges d'entreprendre, tu cesseras de te blesser toi-même. Pensées Chacun d'entre nous peut consacrer sa vie au bien. À chaque rencontre, demande-toi ce que tu pourrais dire d'encourageant --- une parole gentille, un conseil utile, un témoignage d'admiration. Dans chaque situation, demande-toi ce que tu peux faire de bien --- un don bien pensé, une attitude pleine d'attention, une main secourable. Il existe un critère qui permet d'évaluer la justesse des pensées et des actes, à savoir : t'ont-ils apporté la paix intérieure ? S'il y a quelque chose qui cloche, il faut chercher plus avant. Si tu aimes vraiment les gens, ils réagiront de manière amicale. Lorsque je blesse quelqu'un, c'est moi-même que je blesse. Je sais que si mon attitude avait été correcte, je ne l'aurai pas blessé, même si nos avis divergent. << Avant de laisser parler la langue, il faut qu'elle perde l'aiguillon qui blesse.À ceux qui se sentent déprimés, je dirai : essaie de t'entourer de belle musique et de belles fleurs. Essaie de lire des textes et de te souvenir de choses qui t'inspirent. Essaie de faire une liste de toutes les choses qui t'inspirent de la reconnaissance. S'il y a une bonne action que tu veux faire depuis longtemps, fais-là. Fais-toi un plan et suis-le. Même si les autres te témoignent de la pitié, n'aie jamais pitié de toi. Ceci a une influence mortelle sur le bien-être spirituel. Considère chaque problème, quelle que soit sa gravité, comme une occasion de croissance spirituelle, et tires-en le meilleur parti. Dans tout ce que tu lis, dans toutes tes rencontres, retiens toujours le bon côté, ce que ton propre maître intérieur te signale être bon pour toi. Laisse tomber le reste. Pour savoir comment te conduire justement et en vérité, il est bien préférable de t'en remettre à ton propre maître intérieur plutôt qu'à des êtres humains ou à des lectures. Les livres et les humains ne peuvent que t'inspirer. S'ils n'éveillent rien en toi, ils sont sans importance. Nul n'est vraiment libre s'il est encore attaché à des biens matériels ou à des lieux ou à des êtres humains. Nous devons pouvoir utiliser les objets quand nous en avons besoin, et nous en détacher sans regrets lorsqu'ils ont perdu toute utilité. Nous devons être capables d'être reconnaissants pour l'endroit dans lequel nous nous trouvons, et d'en jouir, et pouvoir néanmoins le quitter sans regrets si nous sommes appelés ailleurs. Nous devons pouvoir vivre en amitié avec des gens sans avoir le sentiment de les posséder et de devoir prendre en mains leur vie. Tout ce que tu cherches à retenir te maintient prisonnier. Si tu veux la liberté, tu dois donner la liberté. La vie spirituelle est la vraie vie. Tout le reste est illusion et tromperie. Seuls ceux qui se soumettent à Dieu seul sont vraiment libres. Seuls ceux qui tendent vers le but suprême trouveront l'harmonie dans leur vie. Ceux qui agissent pour les motifs les plus élevés deviennent une force pour le bien. Il n'est pas important de toucher de manière visible les autres. Il ne faut jamais rechercher ou souhaiter de résultats. Sache que toute attitude juste de ta part, que chaque bonne parole que tu auras dite, que chaque pensée positive a un effet bénéfique. Chacun peut travailler pour la paix. Chaque fois que tu introduis l'harmonie dans une situation de conflit, tu contribues à la paix générale. Dans la mesure où ta propre vie est en paix, tu la rayonnes dans ton entourage et dans le monde. Ce que l'on reçoit de l'extérieur peut être comparé au savoir. Cela conduit à une croyance qui n'est que rarement assez forte pour s'incarner dans l'action. Ce qui a mûri à l'intérieur, après s'être confronté avec le monde extérieur, ou encore ce que l'on a reçu directement de l'intérieur (comme dans mon cas), peut être comparé à la sagesse. Elle mène à la connaissance qui pousse à l'action. Dans notre développement spirituel, il nous est souvent demandé de prendre de nouveaux départs et de clore beaucoup de chapitres de notre vie, jusqu'au moment où nous ne sommes plus attachés aux biens matériels et où nous devenons capables d'aimer tous les êtres humains sans nous sentir liés à eux. Tu ne peux laisser derrière toi aucune situation sans te sentir blessé, sauf si tu la quittes dans l'amour. Si tu veux enseigner à d'autres êtres humains, jeunes ou vieux, tu dois les prendre là où ils se trouvent, à leur niveau de conscience. Si tu vois qu'ils ont déjà dépassé ton niveau de conscience, laisse-toi enseigner par eux. Comme les étapes vers la paix intérieure peuvent être parcourues dans un ordre très variable, nous pouvons tous apprendre les uns des autres. Nous pouvons résister à la violence physique même si nous n'avons pas encore appris le chemin de l'amour. La violence physique existera aussi longtemps que nous n'aurons pas choisi la voie de l'amour. Les lois ne peuvent apporter que la paix intérieure. La voie de la paix intérieure passe par l'amour. Concentre-toi sur le don, afin de pouvoir t'ouvrir pour recevoir. Concentre-toi sur une vie dirigée par tes intuitions supérieures, afin de pouvoir t'ouvrir à de nouvelles intuitions. Parfois ton corps te cause des difficultés qui te rappellent qu'il n'est qu'un vêtement transparent, et que la réalité anime le corps comme une force indestructible. La paix intérieure conduit à un développement spirituel harmonieux. C'est le soi supérieur qui dirige ta vie. Tu es prêt à faire librement la volonté de Dieu, sans devoir t'y forcer. Rien ne menace ceux qui font la volonté de Dieu. Et la volonté de Dieu, c'est l'amour et la foi. Ceux qui éprouvent de la haine et de la peur ne vivent pas en accord avec la volonté de Dieu. Il existe toujours une voie juste. Notre souffrance est causée par notre immaturité. Si nous étions des êtres humains mûrs, il n'y aurait plus de guerre. Elles seraient impossibles. Bien entendu, je fais confiance à la loi de l'amour. Étant donné que l'univers est en accord avec les lois de l'amour, en quoi d'autre pourrais-je placer ma confiance ? Je puise la connaissance directement à la source de la connaissance et non dans ses reflets. Je fais également place en moi à des connaissances nouvelles en vivant selon mes intuitions. Il est impossible de méconnaître une intuition qui vient directement de la source. Elle s'accompagne d'une compréhension totale, qui permet de l'expliquer et d'en parler. Juger autrui ne t'apporte rien et te blesse spirituellement. Ce n'est qu'en amenant les autres à se juger eux-mêmes que tu atteins un objectif important. Ne pense jamais qu'un effort véritable soit inutile --- chaque effort réel produit de bons fruits, que nous en voyions ou non les résultats. Concentre-toi seulement sur la pensée, la vie et l'action pour la paix, tâche de communiquer ton enthousiasme pour la paix aux autres, et remets les résultats entre les mains de Dieu. Tu ne peux changer personne, sauf toi-même. Ce n'est que lorsque tu seras devenu toi-même un bon exemple que tu pourras amener les autres à se transformer eux-mêmes. Dans toute situation de conflit, il faut rechercher une solution qui tienne compte des intérêts de toutes les parties concernées, plutôt qu'une solution qui t'avantage toi-même. Seule une solution qui tient compte de toutes les parties concernées peut être utile à long terme. Si ton travail doit porter des fruits, tes motifs doivent être valables. Extraits de ma correspondance Q. Travailles-tu pour vivre ? R. Je travaille pour vivre d'une manière un peu particulière. Je donne ce qu'il m'est possible de donner, des pensées, des paroles et des actes, à ceux que je rencontre et à l'humanité. En échange, je prends ce que les gens veulent bien me donner, mais je ne leur demande rien. Ils sont bénis grâce à leurs dons, et moi je le suis par les miens. Q. Pourquoi n'acceptes-tu pas d'argent ? R. Je parle de vérité spirituelle, et il ne faudrait jamais vendre la vérité spirituelle. Ceux qui la vendent se blessent eux-mêmes spirituellement. L'argent qui me vient dans mon courrier --- sans que je l'ai demandé --- je l'utilise pour les frais d'impression et les timbres. Ceux qui essaient d'acheter une vérité spirituelle essaient de se la procurer avant d'être prêt à la recevoir. Dans cet univers merveilleux, bien ordonné, elle leur sera donnée dès qu'ils seront prêts à la recevoir. Q. Ne te sens-tu jamais seule, découragée ou lasse ? R. Non. Quand tu converses constamment avec Dieu, tu ne peux pas te sentir seule. Lorsque tu collabores au plan merveilleux de Dieu, et que tu sais que chaque vrai effort porte de bons fruits, tu ne peux pas être découragée. Si tu as trouvé la paix intérieure, tu es en contact avec la source d'énergie de l'univers, et tu ne peux te sentir lasse. Q. Que signifie lâcher prise pour l'être humain ? R. Lâcher prise ne signifie pas arrêter toute activité, mais modifier son activité dans le sens d'une vie plus consacrée au service. Ceci devrait en conséquence être la partie la plus belle de ta vie, un temps d'activité joyeuse pleine de sens. Q. Comment puis-je me sentir proche de Dieu ? R. Dieu est amour et chaque fois que tu t'exprimes à l'extérieur avec amour et bonté, tu exprimes le divin. Dieu est vérité, et chaque fois que tu cherches la vérité, tu cherches Dieu. Dieu est beauté, et chaque fois que tu admires la beauté d'une fleur ou d'un coucher de soleil, tu entres en contact avec Dieu. Dieu est l'intelligence qui crée tout ce qui unit, relie et donne vie à tout. C'est ainsi que tu es Dieu et que Dieu est en toi. Tu ne peux aller nulle part où Dieu ne soit pas. Les lois de Dieu régissent tout, les lois physiques comme les lois psychiques. Si tu ne les observes pas, tu es malheureux. Tu te sens séparé de Dieu. Si tu leur obéis, tu te sens en harmonie, tu te sens proche de Dieu. Q. Que signifie faire le bien ? Et comment puis-je y consacrer ma vie ? R. Le bien est ce qui est bien pour toi et bien pour les autres. Tu peux recevoir des intuitions de l'extérieur, mais en fin de compte, c'est à toi de déterminer à quelles bonnes actions tu veux consacrer ta vie. Ensuite, tu peux faire un plan pour déterminer comment vivre une vie bonne et suivre ce plan. Un tel plan peut concerner des choses qui enrichiront le corps, comme la marche et l'exercice physique, ou qui stimulent l'esprit, comme les lectures enrichissantes, ou qui élèvent les sentiments comme de la belle musique. Mais s'il doit être utile sur le plan spirituel, il doit en premier lieu être inspiré par le service d'autrui. Q. Lorsque je me trouve face à un problème, puis-je le résoudre intellectuellement ? R. S'il s'agit d'un problème de santé, demande-toi Ai-je fais du mal à mon corps ? S'il s'agit d'un problème psychologique, demande-toi Ai-je été aussi aimante que Dieu me le demande ? S'il s'agit d'un problème financier, demande-toi Ai-je vécu à la mesure de mes moyens ? Ce que tu fais dans le présent détermine l'avenir. En conséquence, utilise le présent pour créer un avenir merveilleux. Tes pensées créent sans arrêt ton équilibre intérieur. Elles contribuent également à influer sur ton entourage. Fixe tes pensées sur le bien, pense à ce qui pourrait arriver de meilleur, pense à Dieu. Q. Comment puis-je commencer à vivre réellement ? R. Je commençai à vivre réellement lorsque je commençai à étudier chaque situation pour savoir comment l'utiliser pour le service. J'appris que je ne devais pas imposer mon aide, mais l'offrir, tout simplement. Je pouvais tendre une main secourable, ou offrir un sourire amical ou une parole encourageante. J'appris que nous pouvons conserver les choses importantes de la vie en donnant. Q. Comment une simple mère de famille, ou une épouse peuvent-elles trouver ce que tu sembles posséder ? R. Celui qui vit en famille, comme la majorité des êtres humains, trouve la paix intérieure de la même manière que moi. Obéis aux lois de Dieu qui sont les mêmes pour chacun d'entre nous. Et pas seulement aux lois physiques, mais aussi aux lois psychiques qui déterminent le comportement humain. Tu peux commencer en vivant réellement selon tes convictions --- comme je l'ai fait moi-même. Trouve ton rôle particulier dans le plan divin qui réserve à chaque être humain une place. Conformes-y tes actes. Tu peux le discerner dans le silence absolu, comme je l'ai fait moi-même. Vivre en famille ne constitue pas un empêchement à la croissance spirituelle, c'est bien souvent même un avantage. Nous continuons à nous développer en recherchant des solutions à nos problèmes. Vivre en famille pose beaucoup de problèmes qui nous aident à grandir. Lorsque nous vivons en famille, notre première tâche consiste à surmonter notre égoïsme et à nous concentrer sur notre famille. Le pur amour est la volonté de donner sans idée de recevoir en retour, et la famille offre la possibilité la meilleure du pur amour : l'amour d'une mère ou d'un père pour ses enfants. Q. Est-ce que la croissance de la beauté intérieure est toujours accompagnée de souffrance ? R. Ta croissance spirituelle sera douloureuse jusqu'au moment où tu feras volontairement la volonté de Dieu, sans devoir t'y forcer. Si tu n'es pas en accord avec la volonté de Dieu, tu auras des problèmes, dont l'objectif sera de te mettre en accord. Si tu fais librement la volonté de Dieu, tu éviteras les problèmes. Q. N'atteindrais-je jamais une phase de calme où je ne ressente plus la nécessité de me développer ? R. Lorsque tu as trouvé la paix intérieure, tu ne ressens plus la nécessité de te développer. Tu es heureuse d'être, ce qui signifie également que tu suis les directives divines. Tu continues à te développer, mais harmonieusement. Q. Qu'est-ce qu'un être humain vraiment religieux ? R. Je dirais qu'un être humain vraiment religieux a une attitude religieuse : une attitude aimante face aux autres êtres vivants, une attitude obéissante face à Dieu, face aux lois de Dieu et aux desseins de Dieu, et une attitude religieuse face à lui-même. Il sait qu'il est autre chose qu'un être égoïste, autre chose qu'un simple corps, et que la vie est plus que simplement la vie terrestre. Q. Comment surmonte-t-on la peur ? R. Je dirais qu'on surmonte la peur par une attitude religieuse. Si tu as une attitude aimante face à ton prochain, tu n'auras pas peur de lui. << L'amour parfait bannit la crainte. Une attitude obéissante face à Dieu te rend constamment conscient de la présence de Dieu. Tu ne peux plus avoir peur. Si tu sais que tu ne fais qu'habiter ton corps passager, et qu'en réalité tu animes ton corps, comment pourrais-tu avoir peur ? Pélerin pour la paix Extraits de lettres Quatre lettres Un jour, alors que j'étais en train de répondre à mon courrier, une femme me dit : Que peuvent faire les gens pour la paix ? Je répondis : << Voyons un peu ce que disent ces lettres. La première disait : Je suis une paysanne. Depuis que je vous ai parlé, j'ai compris que je devais faire quelque chose pour la paix, d'autant plus que j'élève mes quatre fils. À présent, j'écris chaque jour une lettre à un membre d'un gouvernement, ou des Nations Unies, à une personne qui a contribué à la cause de la paix. Je l'en remercie, pour le soutenir moralement. La lettre suivante disait : La paix mondiale me semblait être quelque chose de démesuré. Depuis que je vous ai parlé, j'ai résolu un conflit qui m'opposait à ma belle-sœur. La dernière lettre :Depuis que je vous ai parlé, j'ai arrêté de fumer. Lorsque tu fais quelque chose pour la paix du monde, ou pour la paix entre les groupes, entre des individus ou pour ta propre paix intérieure, tu améliores la situation globale de la paix. Chaque fois que tu introduis de l'harmonie dans une situation conflictuelle, tu contribues à la cause de la paix. Les choses les plus précieuses Après un séjour merveilleux dans le désert, je marche à nouveau dans les rues d'une ville où j'ai vécu à une certaine époque. Il est une heure de l'après-midi. Des centaines d'êtres humains, bien habillés, aux figures pâles ou maquillées se hâtent selon des itinéraires déterminés, allant à leur travail ou en revenant. Vêtue de ma chemise délavée et de mes pantalons usés, je marche au milieu d'eux. Les semelles de caoutchouc de mes baskets souples ne font aucun bruit au milieu du claquement des souliers élégants, étroits, à talons hauts. Dans les quartiers pauvres, on me tolère. Dans les quartiers chics, on me lance des regards étonnés et souvent méprisants. De part et d'autre de la rue sont exposés des objets proposés à l'achat, que nous pouvons acquérir à condition d'accepter de vivre une vie ordonnée, jour après jour, année après année. Certains objets sont plus ou moins utiles, d'autres sont de la pure camelote. Certains objets sont d'une certaine beauté, d'autre sont effroyablement laids. Des milliers d'objets sont exposés. Pourtant les choses les plus précieuses sont absentes. Ni la liberté, ni la santé, ni le bonheur, ni la paix du cœur ne sont exposés. Pour obtenir ces choses, mes amis, il est probable qu'il vous faudra à votre tour quitter les sentiers battus au risque d'être dévisagés avec mépris. Le négatif opposé au positif J'ai choisi la voie positive. Au lieu de m'apesantir sur les maux que je combats, je souligne le bien pour lequel je vis. Celui qui choisit la voie négative s'attarde sur le mal, passe son temps à le juger, à le critiquer, parfois même à l'injurier. La voie négative a un effet négatif sur l'être humain qui la choisit, alors que la voie positive l'enrichit. Lorsque le mal est attaqué, il se défend et en sort renforcé, même s'il était faible et désordonné. S'il n'y a pas d'attaque et que de bonnes influences s'exercent dans une situation donnée, non seulement le mal disparaît, mais celui qui fait le mal est transformé. La voie positive construit, la voie négative irrite. Lorsque tu irrites les gens, ils réagissent conformément à leurs instincts primaires, souvent violemment, irrationnellement. Si tu abordes positivement les gens, ils réagissent conformément à leur nature supérieure, avec bon sens et sensibilité. L'irritation est un état transitoire. Le travail positif, l'inspiration peut avoir un effet qui dure toute une vie. Heureux... Heureux ceux qui n'attendent aucun remerciement quand ils donnent, car ils seront richement récompensés. Heureux ceux qui traduisent en actes leurs convictions. La vérité de Dieu leur sera révélée à jamais. Heureux ceux qui font la volonté de Dieu sans s'attacher aux résultats, car leur récompense sera grande. Heureux ceux qui aiment leur prochain et lui font confiance. Ils pénètrent jusqu'au bien en l'être humain et obtiennent une réponse aimante. Heureux ceux qui ont vu la réalité, car ils savent que ce n'est pas l'extérieur qui est réel et indestructible, mais ce qui anime l'intérieur. Heureux ceux qui ont donné leur vie et ont été bénis quand ils ont eu le courage et la foi de surmonter les difficultés du chemin, car ils seront bénis une seconde fois. Heureux ceux qui avancent sur la voie spirituelle sans rechercher égoïstement la paix intérieure, car ils la trouveront. Heureux ceux qui n'essaient pas d'enfoncer les portes du royaume, mais qui au contraire tentent de s'en approcher dans l'humilité, l'amour et la pureté, car ils les traverseront de part en part. Tu peux rencontrer Dieu Il existe une force, plus grande que nous, qui agit en nous comme partout ailleurs dans l'univers. J'appelle cette force Dieu. Sais-tu ce que signifie rencontrer Dieu, se placer sous le commandement de Dieu, avoir constamment conscience de la présence de Dieu ? La connaissance de Dieu signifie être si plein de joie que celle-ci déborde et continue à agir pour bénir le monde. Je n'ai plus qu'un seul désir. Faire la volonté de Dieu. Il n'y a plus aucun problème. Si Dieu m'appelle à un pélerinage, je m'y engage avec joie. Si Dieu m'appelle à d'autres tâches, je les remplis avec la même joie. Si mes actes m'attirent des critiques, je les supporte la tête haute. Si mes actes m'attirent des félicitations, je les transmets immédiatement à Dieu, car je ne suis rien qu'un petit instrument, à travers lequel Dieu agit. Si Dieu m'appelle à une tâche, il me donne également force et soutien. Il me montre la voie et m'inspire les paroles justes. Que la voie soit aisée ou difficile, je chemine dans la lumière de l'amour de Dieu, dans sa paix, dans sa joie, et j'adresse à Dieu des chants de reconnaissance et de louange. Voici ce qu'est la connaissance de Dieu. Et il n'est pas réservé aux grands de connaître Dieu. C'est au petit peuple, comme toi et moi. Dieu nous cherche toujours, toi et moi. Tu peux trouver Dieu, il suffit de le chercher, dans l'obéissance aux lois divines, dans l'amour pour les êtres humains, dans l'abandon de ta volonté de décider par toi-même, l'abandon de tes attachements, de tes pensées et sentiments négatifs. Et si tu trouves Dieu, ceci se passe dans le silence : tu trouves Dieu au plus profond de toi-même. La liberté de la simplicité Certains croient que ma vie consacrée à la simplicité et au service est dure et sans joie. Ils ne connaissent pas la liberté que procure la simplicité. J'en sais assez sur l'alimentation pour bien nourrir mon corps, et je jouis d'une excellente santé. J'apprécie la nourriture, mais je mange pour vivre et je ne vis pas pour manger. Je sais quand m'arrêter. Je ne suis pas esclave de la mode. Je ne suis pas esclave du confort. Je dors aussi bien dans un lit douillet que dans l'herbe qui borde la route. Je ne m'encombres pas de biens inutiles ou d'activités dépourvues de sens. Ma vie est pleine et bonne, sans être encombrée, et je fais mon travail facilement et avec joie. Je me sens entourée de beauté. Je perçois la beauté en chaque être humain que je rencontre, car je vois Dieu en tout. Je discerne les lois qui régissent cet univers, et je trouve l'harmonie en m'y conformant avec bonheur et dans la joie. Je discerne mon rôle dans l'ordre du monde, et je trouve l'harmonie en le vivant avec bonheur et dans la joie. Je reconnais mon unité avec l'humanité et mon unité avec Dieu. Mon bonheur déborde dans l'amour et le don face à chacun et en tout lieu. Au sujet de la peur Il n'y a pas de plus grand obstacle à la paix du monde et à la paix intérieure que la peur. Nous développons une haine inexplicable pour celui que nous craignons. La peur et la haine s'accumulent en nous. Ceci nous blesse spirituellement et augmente les tensions dans ce monde. Par cette concentration négative, nous attirons vers nous ce que nous craignons. Si nous ne craignons rien et que nous rayonnons l'amour, nous pouvons nous attendre au bien. Le monde attend tellement un message et un exemple d'amour et de foi. Au sujet des êtres humains de notre temps Si nous voulons apporter une contribution à l'avènement de l'âge d'or, nous devons voir le bien dans l'être humain. Nous devons savoir qu'il est là, quelle que soit la profondeur à laquelle il est enfoui. Oui, l'apathie et l'égoïsme sont également présents, mais le bien est également présent. Et on ne peut l'atteindre au moyen de la raison, mais par l'amour et par la foi. L'amour peut sauver les êtres humains de la destruction nucléaire. Aime Dieu, tourne-toi vers Lui avec toute ta capacité d'accueil et de responsabilité. Aime ton prochain, tourne-toi vers lui avec amitié, prêt à donner. Prépare-toi à devenir un enfant de Dieu en suivant la voie de l'amour. Sur l'immaturité La grande souffrance de l'humanité provient de son immaturité. Si les êtres humains étaient adultes, la guerre ne serait pas un problème, elle serait impossible. Dans leur immaturité, les êtres humains veulent à la fois la paix et ce qui cause la guerre. Mais de même que les enfants atteignent l'âge adulte, les êtres humains sont capables de mûrir. Nos institutions et nos gouvernements reflètent notre immaturité. Si nous mûrissons, nous choisirons de meilleures autorités et construirons des institutions meilleures. En définitive, la cause de tous les maux est notre refus de travailler à notre propre amélioration. Formule magique Il existe une formule magique qui permet de résoudre tous les problèmes :Cherche à résoudre le problème et non à gagner tel ou tel avantage. Une formule magique évite tout problème : Prends garde à ne pas attaquer, et non pas à ne pas être attaqué. Mon message Mes amis, la situation mondiale est grave. L'humanité chancelle et avance avec des pas hésitants sur l'arête qui sépare le chaos de l'âge d'or. Des forces puissantes la poussent en direction du chaos. Si nous, les êtres humains qui vivons sur cette terre ne nous réveillons pas de notre léthargie et ne nous arrachons pas rapidement et résolument au chaos, tout ce que nous aimons sera balayé dans la destruction totale qui fondra sur nous. Voilà quelle est la voie de la paix : Surmonte le mal par le bien, le mensonge par la vérité, et la haine par l'amour.Je t'en prie, ne dis pas étourdiment que ce ne sont que des formules religieuses, impraticables dans la vie courante. Il s'agit de lois qui déterminent le comportement humain et qui s'appliquent aussi rigoureusement que les lois de la pesanteur dans le domaine physique. Négliger ces lois dans sa vie conduit au chaos. En obéissant à ces lois, cela permettrait à notre monde angoissé, las de la guerre, d'entrer dans une ère de paix, un temps de plénitude de vie dont la dimension dépasserait nos rêves les plus fous. Activités décentralisées pour la paix Vous pouvez fonder un groupe de paix à partir d'un groupe de prière pour la paix, pour rechercher la voie de la paix. L'étude de textes sur la paix intérieure peut constituer un bon début, par exemple ce fascicule. Lisez un paragraphe, méditez-le en silence et discutez-en ensemble. Celui qui arrive à comprendre et à discerner la vérité spirituelle qui s'y trouve est prêt à travailler pour la paix. Ensuite, vous pouvez fonder un groupe de recherche sur la paix. Nous devons nous faire une idée la plus claire possible sur la situation actuelle du monde et sur ce qui est nécessaire pour la transformer en une situation de paix. Il est clair que toutes les guerres doivent disparaître. Il est évident que nous devons trouver les moyens de déposer, tous ensemble, nos armes. Nous devons construire des mécanismes qui empêchent la violence physique dans un monde où la violence psychologique continue d'exister. Toutes les nations doivent renoncer aux Nations Unies au droit de faire la guerre. Nous, les êtres humains du monde, devons apprendre à placer le bien de l'humanité au dessus du bien de quelque groupe particulier que ce soit. La famine et la souffrance doivent être soulagées, la guerre et la haine doivent disparaître. Il faut travailler à la paix entre les groupes. Notre problème national numéro un est l'adaptation de notre économie à une situation de paix. Nous avons besoin d'un ministère de la paix dans le gouvernement de notre pays qui fasse une recherche approfondie sur les moyens pacifiques de résoudre les conflits. Alors seulement nous pourrons adresser la même demande aux autres pays. Après avoir compris la situation mondiale et recherché les étapes nécessaires pour résoudre les problèmes, vous êtes prêt à vous engager dans ungroupe d'action pour la paix''. Celui-ci peut se développer progressivement en réagissant à chaque problème que vous avez compris. (...) Il peut s'agir de l'envoi de lettres, de réunions publiques, la diffusion d'ouvrages sur la paix, des discussions avec ses voisins sur la paix, des semaines pour la paix, des fêtes pour la paix, des marches pour la paix. Il peut également s'agir de voter pour quelqu'un qui s'engagera avec détermination pour la paix. Les actions sont très diverses, chacun peut y trouver ce qui lui convient le mieux. Dans notre temps de crise, il faudrait qu'il y ait un groupe actif pour la paix dans chaque ville. Pour commencer, un tel groupe n'a besoin que d'une poignée de personnes. Il peut commencer grâce à toi.
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https://fr.wikisource.org/wiki/Les%20Fleurs%20du%20mal%20%281861%29/L%E2%80%99Homme%20et%20la%20Mer
Les Fleurs du mal (1861)/L’Homme et la Mer
be:Чалавек і мора (Жылка/Бадлер) cs:Výbor z Květů zla/Člověk a moře de:Der Mensch und das Meer es:El hombre y el mar hu:Az ember és a tenger pl:Człowiek i morze pt:O Homem e o Mar ru:Человек и море (Бодлер/Чюмина)
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https://fr.wikisource.org/wiki/Pour%20le%20bien-%C3%AAtre%20de%20tous
Pour le bien-être de tous
Préface En Occident, les gens pensent généralement que le devoir d’un homme est de promouvoir le bonheur de la majorité de l’humanité, et le bonheur est supposé signifier seulement satisfaction physique et prospérité économique. Si les lois de moralité sont brisées dans la conquête du bonheur, cela n’a pas beaucoup d’importance. L’objet à atteindre étant la satisfaction de la majorité, les Occidentaux pensent qu’il n’y a aucun mal si celui-ci est atteint au détriment de la minorité. Les conséquences de cette ligne de pensée sont inscrites en grand sur la face de l’Europe. Cette recherche exclusive d’un bien-être physique et économique sans tenir compte de la moralité est contraire à la loi divine, comme quelques hommes sages de l’Occident l’ont montré. L’un d’eux était John Ruskin qui exprime dans son livre Unto This Last que les hommes ne peuvent être heureux que s’ils obéissent à la loi divine. De nos jours, nous Indiens, cherchons à tout prix à imiter l’Occident. S’il est nécessaire d’imiter les vertus de l’Occident, tous admettront que nous nous devons d'éviter toutes les mauvaises choses, et les standards occidentaux sont, sans aucun doute, souvent mauvais. Les Indiens d’Afrique du Sud sont réduits à une misérable situation. Nous nous expatrions pour gagner de l’argent, et en essayant de devenir riches rapidement, nous perdons de vue la moralité et oublions que Dieu jugera tous nos actes. L’intérêt personnel absorbe nos énergies et paralyse notre capacité de discernement entre le bien et le mal. Le résultat est, qu’au lieu de gagner quelque chose, nous perdons tout bénéfice en restant en pays étranger, ou au moins, nous n’en prenons pas tout le profit escompté. La moralité est un ingrédient essentiel dans toutes les confessions du monde, et autant que la religion, notre bon sens nous indique la nécessité d’observer la loi morale. D’après Ruskin, nous ne pouvons être heureux qu’en respectant cette loi. Platon, dans L’Apologie de Socrate, nous donne une idée de notre devoir d’homme. Socrate était bon comme sa parole. Je perçois Unto This Last comme une extension de ses idées. Il nous dit comment les hommes doivent se conduire dans les divers chemins de la vie s’ils ont l’intention de transformer ces idées en actions. Ce qui suit n’est pas une traduction [en gujarati] du livre de Ruskin, mais une paraphrase, parce qu’une traduction ne serait pas particulièrement utile aux lecteurs de Indian Opinion. Même le titre n’a pas été traduit mais paraphrasé en Sarvodaya [le bien-être de chacun], ce qui était le but de Ruskin en écrivant ce livre. Les Racines de la Vérité Parmi les désillusions qui ont affligé l’humanité à différentes périodes, la plus grande peut-être et certainement la moins honorable est l’économie moderne basée sur l’idée qu’un moyen d’action avantageux peut être déterminé en dehors de l’influence d’un caractère social. Bien sûr, comme dans toutes les autres désillusions, l’économie politique a une idée plausible de sa racine. Les caractères sociaux, dit l’économiste, sont accidentels et des éléments dérangeants de la nature humaine. Mais l’avarice ou le désir de progrès sont des éléments constants. Laissez-nous éliminer les éléments changeants, et considérons l’homme pratiquement comme une machine à faire de l’argent. Examinons par quelles lois du travail, de l’achat et de la vente, le plus de richesse peut être accumulée. Une fois ces lois déterminées, chaque individu pourra y intégrer autant de caractère social perturbant qu’il le souhaite. Ceci serait une méthode logique d’analyse si les éléments accidentels introduits ensuite étaient de même nature que les caractères examinés en premier. Supposons un corps en mouvement influencé par des forces constantes et changeantes, le plus simple moyen d’observer sa course est de tracer d’abord celle-ci selon les facteurs constants, puis d’introduire ensuite les causes de variations. Mais les éléments perturbateurs du problème social ne sont pas de même nature que les éléments constants. Ils altèrent l’essence de l’objet examiné une fois qu’ils ont été introduits. Ils n’opèrent pas mathématiquement, mais chimiquement, introduisant des conditions qui rendent toutes nos connaissances d’alors inapplicables. Je ne douterais pas des conclusions de la science économique si j’en acceptais les termes. Mais elles ne m’intéressent pas plus que les conclusions d’une science de la gymnastique qui soutiendrait que les hommes n’ont pas de squelette. On pourrait montrer, avec cette supposition, qu’il serait bénéfique de rouler les gymnastes en boule, de les aplatir en galettes ou de les étirer en câbles. Ces résultats obtenus, le squelette serait réinséré à leur constitution, entraînant divers inconvénients. Le raisonnement pourrait être admirable, les conclusions vraies, et la science seulement déficiente dans son application. L’économie politique moderne est basée sur des raisonnements semblables. Elle imagine l’homme comme un corps sans âme, et construit donc ses lois en conséquence. Comment de telles lois peuvent-elles s’appliquer à l’homme auquel l’âme est un élément prédominant ? OOO L’économie politique n’est pas du tout une science. Elle n’est d’aucune aide quand les ouvriers font grève. Les patrons ont un point de vue sur la question, les ouvriers un autre, et aucune économie politique ne peut comprendre cela. Conflit après conflit, on s’efforce vainement de montrer que les intérêts des patrons ne sont pas antagonistes à ceux des ouvriers. En fait, rien n’entraîne que des personnes doivent être antagonistes parce que leurs intérêts le sont. S’il n’y a qu’un morceau de pain dans une maison et que la mère et l’enfant sont affamés, leurs intérêts ne sont pas les mêmes. Si la mère le mange, l’enfant le veut. Si l’enfant le mange, la mère doit travailler le ventre vide. Cela n’induit pas qu’il y ait un antagonisme entre eux, qu’ils vont se battre pour le pain, et que la mère, étant la plus forte, l’obtiendra et le mangera. De même, il n’est pas certain, parce que leurs intérêts sont divers, que des personnes éprouveront de l’hostilité pour d’autres et utiliseront la violence ou la ruse pour obtenir un avantage. Même si l’on considère les hommes comme n’étant dirigés par aucune autre influence morale que celles qui affecte les rats ou les porcs, on ne peut montrer, d’une façon générale, que les intérêts du patron et de l’ouvrier sont opposés. Parce que, selon les circonstances, ils peuvent être divergeants ou non. C’est, en fait, dans l’intérêt des deux que le travail soit correctement fait et que l’ouvrier obtienne un juste salaire. Mais dans la répartition des dividendes, le gain de l’un peut être, ou pas, la perte de l’autre. Ce n’est pas dans l’intérêt du patron de payer un salaire si bas qu’il laissera l’ouvrier malade et déprimé. Ce n’est pas non plus dans l’intérêt de l’ouvrier de percevoir un salaire tellement élevé qu’il conduise son patron à la faillite. Un chauffeur ne devrait par désirer un haut salaire si la compagnie est trop pauvre pour garder la machine en état. C’est pourquoi toute tentative de déduire des règles d’action de la somme des opportunités est vaine, car aucune action humaine n’a jamais été définie par le Créateur comme guidée par la somme des opportunités, mais par l’équilibre de la justice. Il a donc rendu toutes les tentatives pour déterminer une opportunité toujours plus futiles. Personne ne sait quel sera le résultat final, pour lui-même ou pour d’autres, d’une ligne de conduite donnée. Mais chacun peut savoir, et la plupart d’entre nous savent, ce qui est juste et ce qui ne l’est pas. Et nous pouvons tous savoir que les conséquences de la justice seront finalement les meilleures possibles, à la fois pour les autres et pour nous-mêmes, bien que nous ne savons pas ce qui est le mieux, ni comment il viendra. OOO Dans le terme de justice, je veux inclure l’affection – celle qu’un homme doit à un autre. Toutes les relations justes entre un dirigeant et un exécutant dépendent finalement de cela. Considérons, par exemple, la situation des serviteurs domestiques. Nous supposerons que le maître de maison essaie seulement d’obtenir autant de travail de ses serviteurs qu’il le peut, au salaire qu’il leur donne. Il ne leur permet jamais d’être désœuvrés. Il les nourrit et les loge aussi mal qu’ils puissent le supporter. En faisant cela, il n’y a aucune violation de sa part de ce qui est communément appelé « justice ». Il emploie les domestiques pour la totalité de leur temps et pour tout service, les limites de sa rigueur étant fixées par la pratique des autres maîtres des environs. Si le serviteur peut obtenir une meilleure place, il est libre de la prendre. Ceci est la vision politico-économique de cette situation en accord avec les docteurs de cette science qui affirme que par cette procédure, la plus grande quantité moyenne de travail sera obtenue du serviteur, et donc le plus grand bénéfice pour la communauté, et à travers la communauté, au serviteur lui-même. Ce n’est pourtant pas le cas. Ce le serait si le serviteur était une machine dont la puissance motrice était la vapeur, le magnétisme ou quelque énergie dont on puisse calculer la force. Mais il est au contraire une machine dont la puissance motrice est l’Âme. La force de l’Âme entre dans toutes les équations de l’économiste sans qu’il le sache, et falsifie tous les résultats. La plus grande quantité de travail ne sera pas produite par cette curieuse machine pour de l’argent ou sous la contrainte. Elle le sera quand la force motrice, c’est à dire, la volonté ou l’esprit de la créature, atteind sa puissance maximale par son propre carburant : l’affection. Il arrive souvent que lorsque le maître est un homme de bon sens et d’énergie, beaucoup de travail matériel peut être obtenu sous la contrainte. Il arrive aussi que lorsque le maître est indolent et faible, son serviteur ne produise qu’une quantité de travail limitée, mal effectué. Mais la loi universelle de la question est que, pour un maître, un serviteur et une quantité donnée d’énergie et de bon sens, le plus grand résultat matériel qu’ils peuvent obtenir ne le sera pas par antagonisme, mais par affection mutuelle. Et ceci ne sera pas moins vrai si l’indulgence est abusée ou si la gentillesse rencontre l’ingratitude. Car le serviteur qui, gentiment traité, sera ingrat et vindicatif s’il est traité rudement. Et l’homme qui est malhonnête envers un maître libéral sera injurieux envers un maître sévère. Dans tous les cas et avec toutes les personnes, le traitement généreux produira le résultat le plus efficace. Je considère ici l’affection entièrement comme une puissance motrice, aucunement comme une chose désirable ou noble en elle-même. Je la regarde simplement comme une force irrégulière, rendant futiles tous les calculs de l’économiste ordinaire. L’affection ne devient une vraie puissance motrice que si tous les autres motifs et conditions de l’économiste sont ignorés. Traitez le serviteur aimablement avec l’idée d’obtenir sa gratitude et son travail pour acompte, et vous n’obtiendrez, comme vous le méritez, ni gratitude ni travail pour votre bienveillance. Mais traitez-le aimablement sans aucun dessein matériel, et tous les objectifs économiques seront remplis. Ici comme partout, qui sauvera sa vie la perdra, et qui la perdra la trouvera. Un autre exemple simple de relations entre un dirigeant et un exécutant est ce qui existe entre le commandant d’un régiment et ses hommes. Si l’on suppose que l’officier souhaite simplement appliquer les règles de discipline pour rendre le régiment le plus efficace avec le moins d’efforts pour lui-même, il ne sera pas capable, par aucune règle, sur ce principe égoïste, de développer la force maximum de ses subordonnés. Mais s’il a des relations personnelles plus directes avec ses hommes, plus de soins pour leurs intérêts et un plus grand attachement pour leur vie, il développera leur force effective à un degré qu’on ne peut atteindre par d’autres moyens, à travers leur affection pour sa propre personne et leur confiance dans son caractère. Ceci s’applique plus strictement quand le nombre concerné est plus grand : une charge peut souvent être réussie bien que les hommes n’aiment pas leurs officiers. Une bataille a rarement été gagnée s’ils n’aiment pas leur général. OOO Un groupe de bandits (comme en Haute-Écosse dans les temps anciens) peut être animé par l’affection parfaite, et alors chaque membre est prêt à donner sa vie pour celle de son chef. Mais un groupe d’hommes associés légalement dans le but de produire et de vendre n’est habituellement pas animé par de tels sentiments, et aucun d’eux n’est prêt à donner sa vie pour celle de son chef. Un serviteur ou un soldat est engagé pour un salaire et une période définis. Mais un ouvrier l’est pour un salaire variable suivant la demande de travail, et avec le risque d’être mis au chômage suivant les aléas du commerce. Dans ces conditions, aucune forme d’affection ne peut exister, seulement une forme explosive d’aversion. Deux choses seulement rentrent en considération en la matière : Comment le niveau de salaire peut être régulé pour ne pas varier avec la demande de travail. Comment est-il possible que des groupes d’ouvriers soient engagés et maintenus, quel que soit l’état du commerce, à un taux fixe de salaire sans augmenter ou diminuer leur nombre, pour leur donner un intérêt permanent à l’établissement où ils sont employés, comme celui des serviteurs d’une vieille famille ou comme l’esprit de corps des soldats dans un régiment d’élite. OOO I. Un fait curieux dans l’histoire des erreurs humaines est la négation par l’économiste de la possibilité de tels salaires fixes ne variant pas avec la demande de travail. Nous ne vendrions pas notre Premier Ministre en adjudication à la hollandaise ; si nous étions malades, nous ne chercherions pas un médecin qui prendrait moins que le prix habituel ; en litige, nous ne réduirions pas les honoraires de l’avocat ; pris sous une pluie battante, nous ne marchanderions pas le prix fixé avec le conducteur de bus ou de taxi. Le meilleur travail est et a toujours été, comme tout travail doit l’être, payé à un salaire fixe. Le lecteur répondra peut-être, stupéfait : « Quoi ! Payer le bon et le mauvais travail de même ? » Certainement. Vous payez déjà à salaire égal, sans rechigner, les bons et les mauvais prêtres, travaillant sur votre âme, les bons et les mauvais médecins, travaillant sur votre corps ; bien mieux, vous pourriez payer à salaire égal, sans vous plaindre, les bons et les mauvais ouvriers de votre maison. « Oui, mais je choisis mon médecin suivant ce que je pense de la qualité de son travail. » De toutes façons, vous choisissez votre maçon. Le propre du bon ouvrier est d’être choisi. Le bon système respectant tout travail est celui où, ce travail étant payé à un salaire fixe, le bon ouvrier sera employé et le mauvais chômera. Le mauvais système est celui où le mauvais ouvrier a la possibilité d’offrir son travail à moitié prix, et donc prend la place du bon ouvrier ou le force à travailler pour un salaire insuffisant. II. Cette égalité de salaire, donc, est le premier objet que nous avons à découvrir. Le second est de maintenir un nombre constant d’ouvriers au travail, quelle que soit la demande aléatoire pour l’article qu’ils produisent. Le salaire qui permet à un ouvrier de vivre est nécessairement plus élevé si son travail est soumis à des interruptions que s’il est assuré et continu. Dans le dernier cas, il obtiendra un revenu plus faible, mais fixe. L’assurance d’un travail régulier pour l’ouvrier est, comme pour son patron, intéressante à long terme, bien qu’elle ne permette pas de gros profits, de prendre de grands risques, ou de spéculer. Le soldat est prêt à donner sa vie pour son chef. Il a donc un honneur plus grand que l’ouvrier ordinaire. En réalité, le devoir du soldat n’est pas de tuer, mais d’être tué pour la défense des autres. La raison pour laquelle le monde honore le soldat est que sa vie est au service de l’État. Cela est vrai également pour le respect que nous donnons au juge, au médecin ou au prêtre, fondé finalement sur leur sacrifice. L’homme de loi s’efforcera de juger avec impartialité, et en viendra ce qui peut. Le médecin soignera ses patients avec attention, quelles qu’en soient les difficultés. Le prêtre instruira sa congrégation et la dirigera vers le droit chemin. Tous les membres effectifs de ces soi-disant professions d’études sont dans l’estime du public plus que le dirigeant d’une firme commerciale, car celui-ci est toujours présumé agir égoïstement. Son travail peut être tout à fait nécessaire à la communauté, mais sa motivation est comprise comme totalement personnelle. Le premier objectif du commerçant est, dans toutes ses affaires, d’obtenir le maximum de profit pour lui-même en échange du minimum pour le consommateur (du moins le public le pense). Se faire reconnaître par un statut politique est le principe nécessaire de son action. Le commerçant le revendique et les consommateurs l’adoptent réciproquement, proclamant par la loi de l’univers que l’attitude d’un acheteur est de marchander et que celle d’un vendeur est de tricher, le public condamne involontairement l’homme de commerce pour sa complaisance avec sa propre situation et le considère pour toujours comme appartenant à un grade inférieur de la personnalité humaine. Et ils doivent faire avec. Ils auront à découvrir une forme de commerce qui n’est pas exclusivement égoïste. Ou plutôt ils doivent découvrir qu’il n’y a jamais eu et qu’il ne peut exister d’autres formes de commerce, et que ce qu’ils ont appelé commerce n’était que tromperie. Dans le vrai commerce, comme dans la prédication ou le combat conformes à la vérité, il est nécessaire d’admettre l’idée d’une perte volontaire occasionnelle. Cet argent doit être perdu, aussi bien que des vies, dans un sens de devoir. Le marché peut avoir ses martyrs comme l’Eglise, et le commerce a son héroïsme autant que la guerre. Cinq grandes professions intellectuelles existent dans toutes les nations civilisées : La profession du Soldat est de défendre la nation. Celle du Prêtre est de l’instruire. Celle du Médecin est de la garder en bonne santé. Celle du Juge est d’y rendre la justice. Celle du Commerçant est de la pourvoir. Le devoir de tous ces hommes est à l’occasion de mourir pour elle. Car en vérité, l’homme qui ne sait pas quand mourir ne sait pas comment vivre. Remarquez que la fonction du commerçant est de pourvoir la nation. Ce n’est pas plus sa fonction d’obtenir un profit pour lui-même que celle du prêtre d’obtenir son salaire. Ce salaire est un accessoire nécessaire, mais non le but de sa vie s’il est un vrai prêtre, pas plus que les honoraires sont le but de la vie d’un vrai médecin. Le profit n’est pas non plus le but de la vie d’un véritable commerçant. Pour tous les trois, si ce sont des hommes de vérité, leur travail doit être fait quel que soit leur profit – même pour rien, ou pour le contraire d’un profit ; la fonction du prêtre étant d’instruire, celle du médecin de soigner et celle du commerçant de pourvoir. Il doit appliquer toute sa sagacité et son énergie pour produire le mieux possible les objets qu’il vend, et les distribuer au plus bas prix là où ils sont les plus nécessaires. Parce que la production d’un objet courant demande le concours d’un grand nombre de vies et de mains, le commerçant devient le maître et le responsable d’un grand nombre de gens plus directement qu’un officier militaire ou qu’un prêtre. S’il faillit, la responsabilité des conditions de vie des personnes engagées dans son commerce lui revient en grande part. Son devoir devient, non seulement de produire les biens les meilleurs et les moins chers, mais aussi de rendre l’emploi des personnes engagées dans la production le plus bénéfique pour elles. Ces deux fonctions demandent pour leur plein exercice la plus haute intelligence autant que la patience, la gentillesse et le tact. Le commerçant doit mettre toute son énergie comme le soldat ou le médecin doivent le faire, pour donner, si nécessaire, leur vie comme il peut leur être demandé. Il doit principalement veiller à deux choses : premièrement, ses engagements ; deuxièmement, la perfection et la pureté des objets qu’il produit et qu’il vend. Plutôt que d’accepter une détérioration ou une altération, de demander un prix exorbitant et injuste, il doit faire face sans peur à toute forme de détresse, de pauvreté et de travail qui serait nécessaire pour maintenir cette qualité et ses engagements. Dans sa fonction de responsable des personnes qu’il emploie, l’homme de commerce est investi d’une autorité et d’une responsabilité de chef de famille. Souvent, quand un jeune entre dans un établissement commercial, il est soustrait à l’autorité de sa famille. Son patron doit devenir son père, car celui-ci n’est plus là pour lui fournir une aide pratique et constante. Ainsi le seul moyen pour que le patron soit juste avec ses employés, est qu’il se demande s’il prend de telles décisions et s’il agit réellement avec eux, comme il le ferait avec ses propres enfants. Supposons que le capitaine d’une frégate prenne son propre fils comme marin. Il doit toujours traiter les hommes dont il a la charge comme il traiterait son fils. Supposons qu’un chef d’entreprise prenne son fils comme simple ouvrier. Il doit toujours traiter chacun de ses employés comme il traiterait son fils. Ceci est la seule règle véritable, efficace et pratique, qui peut être donnée dans le domaine de l’économie. Le capitaine d’un bateau doit être le dernier à le quitter en cas de naufrage et doit partager la moindre nourriture en cas de famine. De même, en cas de crise, le chef d’entreprise doit en supporter les conséquences avec ses employés, et même prendre sur lui plus qu’il ne leur demande, comme un père se sacrifierait pour ses enfants dans une famine, un naufrage ou une bataille. Tout ceci semble très étrange. Mais la seule réelle curiosité en la matière est que cela ne soit pas toujours ainsi. Car tout cela est vrai pratiquement et en dernier ressort, toutes les autres doctrines étant impossibles en pratique dans un état progressif de vie nationale, toute la vie que nous possédons maintenant comme nation est mise en danger par quelques esprits forts et quelques cœurs pleins de foi dans les principes économiques enseignés par notre multitude. Mais ces principes conduisent à la destruction nationale. En ce qui concerne les modes et les formes de destruction auxquelles ils conduisent, j’ai l’espoir de détailler dans un prochain chapitre. Les Veines de la Richesse Un économiste ordinaire ferait, en quelques mots, la réponse suivante à nos affirmations : « Il est vrai que certains avantages de nature générale seraient obtenus par le développement des affections sociales. Mais les économistes ne prennent jamais ces avantages en considération. Notre science est simplement “une science qui permet de devenir riche”. Loin d’être erronée, elle est, par expérience, efficace en pratique. Ceux qui en suivent les préceptes s’enrichisssent, et ceux qui s’en écartent deviennent pauvres. Tous les capitalistes d’Europe ont acquis leur fortune en suivant les lois de notre science. Il est vain d’apporter des astuces logiques contre la force des faits accomplis. Tous les hommes d’affaires savent par expérience comment l’argent est gagné et comment il est perdu. » Excusez-moi : les hommes d’affaires gagnent effectivement de l’argent, mais sans savoir s’ils le font grâce à de nobles moyens ou si leurs gains contribuent au bien-être national. Ils ne connaissent que rarement la signification du mot « riche ». Et s’ils la connaissent, ils ne prennent pas en compte le fait qu’il s’agit d’un mot relatif, qui implique son opposé « pauvre » autant que le mot « nord » implique son opposé « sud ». Les économistes écrivent comme s’il était possible, en suivant certains préceptes scientifiques, que tous deviennent riches ; alors que la richesse est une puissance comme celle de l’électricité, agissant seulement à travers les inégalités ou les négations d’elle-même. La force de la pièce de monnaie que vous avez dans votre poche dépend entièrement de son absence dans la poche de votre voisin. S'il n’en voulait pas, elle ne vous serait d’aucune utilité. Le degré de puissance qu’elle possède dépend précisément de son besoin par votre voisin, et l’art de devenir riche, dans le sens ordinaire de l’économie mercantile, est donc également et nécessairement l’art de maintenir pauvre votre prochain. Je souhaite que le lecteur comprenne la différence entre les deux économies que l’on peut qualifier l’une de « politique », l’autre de « mercantile ». L’économie politique consiste simplement en la production, la préservation et la distribution, aux moments et aux lieux les plus appropriés, de choses utiles ou agréables. Le fermier qui récolte son fourrage au bon moment ; le maçon qui fait des briques avec un mortier de bonne qualité ; la femme au foyer qui prend soin des meubles de son salon et garde sa cuisine de tout déchet ; tous sont des économistes politiques dans le vrai sens final, accroissant continuellement la richesse et le bien-être de la nation dont ils sont membres. L’économie mercantile, elle, signifie l’accumulation, dans les mains de quelques individus, de droits légaux ou de pouvoirs sur le travail des autres. Toutes ces prétentions impliquent précisément autant de pauvreté ou de dettes d’un côté quelles impliquent de richesse ou de droits de l’autre. L’idée de richesse parmi les hommes actifs des nations civilisées fait généralement référence à cette richesse commerciale. Et en estimant leurs possessions, ils calculent plutôt la valeur de leurs chevaux et de leurs champs par la quantité d’argent qu’ils peuvent en obtenir, que la valeur de leur argent par le nombre de chevaux et de champs qu’ils peuvent se procurer. Les biens concrets sont de peu d’utilité pour son possesseur tant qu’ils ne sont pas accompagnés du pouvoir commercial sur le travail. Supposons quelqu’un doté d’une grande quantité de terres productives et de riches gisements d’or dans son sol, des troupeaux de bétail sans nombre, des maisons, des jardins et des entrepôts ; et supposons, après tout, qu’il ne puisse obtenir aucun employé. Pour avoir des employés, quelques-uns de ses voisins doivent être pauvres et vouloir son or ou son blé. Si personne n’en veut, si personne n’accepte de travailler sous ses ordres, il devra donc lui-même cuire son pain, fabriquer ses vêtements, labourer son champ et garder ses troupeaux. Son or ne lui sera pas plus utile que des cailloux jaunes dans son champ. Ses provisions pourriront car il ne peut les consommer. Il ne pourra pas manger ni porter plus de vêtements qu’un autre homme. Il devra mener une vie simple de dur labeur même pour se procurer un confort ordinaire. Je présume que les hommes les plus cupides de l’humanité n’accepteraient, dans ces conditions, cette sorte de richesse qu’avec peu d’enthousiasme. Ce qui est réellement désiré sous le nom de richesse, est essentiellement le pouvoir sur les hommes : dans son plus simple sens, le pouvoir d’obtenir, pour notre propre avantage, le travail d’un employé, d’un commerçant ou d’un artiste. Et ce pouvoir de la richesse est bien sûr plus ou moins grand en directe proportion de la pauvreté des hommes sur lesquels il est exercé, et en proportion inverse du nombre de personnes qui sont aussi riches que nous, et qui sont prêtes à payer le même prix pour un article dont l’offre est limitée. Si le musicien est pauvre, il chantera pour un petit salaire, aussi longtemps qu’une seule personne peut le payer. Mais si plusieurs le peuvent, il chantera pour celle qui lui offrira le plus. Ainsi, l’art de devenir riche, dans le sens commun du terme, n’est pas seulement l’art d’accumuler beaucoup d’argent pour nous-mêmes, mais aussi celui de découvrir comment notre voisin peut en obtenir pour le moins possible. En termes exacts, c’est l’art d’établir le maximum d’inégalités en notre faveur. L’affirmation absurde et irréfléchie que de telles inégalités sont nécessairement avantageuses est la racine de la plupart des sophismes ou interprétations populaires erronées dans le domaine de l’économie. Car le résultat d’une inégalité dépend d’abord des méthodes avec lesquelles elle fut obtenue, et ensuite des intentions auxquelles elle est appliquée. Des richesses injustement acquises nuisent à coup sûr à la nation où elles existent durant leur acquisition ; et injustement dirigées, nuisent plus encore durant leur existence. Mais des richesses justement acquises profitent à la nation pendant leur acquisition ; et noblement utilisées, l’aident plus encore par leur existence. Ainsi la circulation de la richesse dans la nation ressemble à celle du sang dans le corps. Il existe un flux qui vient des émotions stimulantes ou d’un exercice salutaire, et un autre qui vient de la honte ou de la fièvre. Dans le corps, une effusion apporte la chaleur et la vie, et une autre la putréfaction. De même qu’une mauvaise répartition locale du sang entraîne une diminution de la santé générale du corps physique, toutes les actions morbides de la richesse entraîneront un affaiblissement des ressources du corps politique. Supposons deux marins naufragés sur une côte inhabitée et obligés de se suffire à eux-mêmes par leur propre travail pendant plusieurs années. S’ils gardent tous deux la santé et travaillent constamment et amicalement ensemble, ils pourront eux-mêmes construire une maison, et avec le temps, posséderont en commun quelques terres cultivées et des provisions stockées pour un usage futur. Toutes ces choses seront, en fait, des biens ou de la propriété. Et s’ils ont tous deux durement travaillé, ils auront chacun droit à une part ou un usage égal de ces richesses. Leur économie politique consisterait simplement dans la préservation attentive et la juste division de leurs possessions. Pourtant, il se peut qu’au bout de quelque temps, l’un d’eux ne soit pas satisfait de leur association. Ils pourraient donc diviser la terre en parts égales, afin que chacun puisse désormais vivre et travailler sur sa propre terre. Si, après leur séparation, l’un d’eux tombe malade, et ne peut travailler sa terre au moment critique, celui de semer ou de récolter par exemple, il demandera naturellement à son voisin de semer ou de récolter pour lui. Mais son compagnon pourrait dire, en toute justice : « Je ferai ce travail supplémentaire pour toi. Mais tu dois me promettre d’en faire autant pour moi à un autre moment. Je compterai combien d’heures je travaillerai dans ton champ, et tu devras me donner une promesse écrite de travailler le même nombre d’heures dans le mien, si jamais j’ai besoin de ton aide, et si tu peux me l’apporter. » Si la maladie de l’homme handicapé se prolonge, et qu’en diverses circonstances, il acquiert l’aide de son voisin pendant plusieurs années, il devra donner, à chaque occasion, une promesse écrite de travailler sous les ordres de son compagnon pour le même nombre d’heures qu’il a été aidé, aussitôt qu’il en sera capable. Quelles seront les positions des deux hommes quand l’invalide sera capable de travailler ? Considérés comme un ’polis’ ou état, ils seront plus pauvres qu’ils ne l’auraient été dans des conditions normales. Leur richesse aura diminué de la quantité que le travail de l’homme malade aurait produite dans l’intervalle. Son ami pourrait avoir travaillé avec une énergie accrue par l’augmentation des besoins, mais sa propre terre aura inévitablement souffert de la diminution de son travail. Et la propriété totale des deux hommes sera moindre qu’elle n’aurait été si tous deux étaient demeurés actifs et en bonne santé. Mais leurs relations seront aussi profondément altérées. L’homme malade n’aura pas seulement promis son travail pour plusieurs années, mais il aura aussi épuisé sa part de provisions. Il sera donc dépendant de son voisin pour sa nourriture pendant un certain temps. Pour celle-ci, il devra encore promettre son propre travail. Supposons les promesses écrites entièrement tenues. Celui qui a précédemment travaillé pour deux peut maintenant, s’il le veut, se reposer complètement. Restant inactif, il peut non seulement forcer son compagnon à tenir ses promesses précédentes, mais aussi lui en imposer de nouvelles, à un montant arbitraire, pour la nourriture qu’il doit lui avancer. Il n’y aurait pas la moindre inégalité (dans le sens ordinaire du mot) dans cet arrangement. Mais si un étranger arrive sur la côte à ce stade avancé de leur économie politique, il trouverait un homme commercialement riche et l’autre commercialement pauvre. Il verrait, non sans surprise, deux hommes vivant séparément, l’un passant ses jours dans l’oisiveté, l’autre travaillant pour deux dans l’espoir de retrouver son indépendance dans un futur éloigné. Je souhaite que le lecteur note spécialement le fait que l’acquisition d’une richesse mercantile qui consiste en un droit sur du travail signifie une diminution politique de la richesse tangible qui consiste en des biens concrets. Prenons un autre exemple, plus proche du déroulement ordinaire des affaires du commerce. Supposons que trois hommes, plutôt que deux, forment une petite république isolée, et soient obligés de se séparer pour cultiver différentes terres à quelque distance les uns des autres, chacun produisant une denrée différente, et chacun ayant besoin du produit récolté par les autres. Imaginons que le troisième homme, pour gagner du temps pour les trois, transporte simplement les produits d’une ferme à une autre, et reçoit en échange une part de chacun des biens transportés. Si ce transporteur apporte toujours à chaque endroit et au bon moment ce qui est prioritairement voulu, les opérations des deux autres fermiers prospèreront, et le plus grand profit possible en produits ou en richesses sera atteint par ce petit arrangement. Mais si le transport entre les propriétaires terriens n’est possible que grâce au transporteur, et si celui-ci garde les articles qui lui ont été confiés jusqu’à une période d’extrême nécessité pour ses partenaires, il peut alors demander aux fermiers en détresse, en échange de leurs biens, qu’ils lui apportent le reste de leur production. Il est aisé de voir que s’il utilise ingénieusement ses opportunités, il possèdera bientôt la plus grande part des surplus produits par ses deux compatriotes. Enfin, dans une année de pénurie, il pourra tout acheter pour lui-même et maintenir dès lors les propriétaires comme ses ouvriers ou ses serviteurs. Ce serait un cas de richesse commerciale acquise dans les plus exacts principes de l’économie politique moderne. Mais dans ce cas aussi, il est clair que la richesse de l’État ou celle des trois hommes considérés comme une société, sera collectivement moindre qu’elle n’aurait été si le commerçant s’était contenté d’un juste profit. Les opérations des deux fermiers auront été restreintes au maximum. Les limitations d’approvisionnement des denrées nécessaires aux moments critiques, ajoutées au manque de vitalité conséquent à la prolongation d’une lutte pour une meilleure existence, auront diminué les résultats effectifs de leur travail. Et les provisions accumulées par le commerçant ne seront pas équivalentes à celles qui auraient rempli les greniers des fermiers et le sien, s’il avait été honnête. Par conséquent, quel que soit le profit ou la quantité de richesse nationale, la question se réduit à un problème abstrait de justice. La valeur réelle de la richesse acquise dépend du signe moral qui lui est attaché, de même qu’une quantité mathématique dépend du signe algébrique qui lui est associé. Toute accumulation donnée de richesse commerciale peut indiquer soit des industries prospères, des énergies progressives et des ingénuités productives, soit une luxure mortelle, une tyrannie sans merci et une querelle ruineuse. Et ces attributs ne sont pas seulement des qualités morales de la richesse que celui qui la recherche peut dédaigner, selon son bon plaisir. Ce sont littéralement des attributs matériels de la richesse, dépréciant ou augmentant la signification monétaire de la somme en question. Une masse d’argent est le résultat d’une action qui, durant son accumulation, a créé, si elle est juste, ou détruit, si elle est injuste, dix fois la quantité originale. En conséquence, l’idée que des directions peuvent être données pour l’accumulation de richesses sans tenir compte des sources morales, est peut-être le plus insolent et le plus futile de tout ce que les hommes ont transmis à travers leurs vices. Autant que je le sache, il n’y a rien dans notre passé d’aussi disgracieux pour l’intelligence humaine que l’idée moderne que l’adage commercial « d'acheter au cours le plus bas et revendre au plus haut » représente un principe valable d’économie nationale. Acheter au cours le plus bas ? Oui, mais pourquoi le cours est-il si bas ? Le charbon de bois peut être bon marché parmi les ruines de votre maison après un incendie ; et les briques peuvent être bradées dans votre rue après un tremblement de terre ; mais l’incendie et le tremblement de terre ne seront pas en conséquence des bénéfices nationaux. Revendre au plus haut ? Oui, mais pourquoi le prix est-il si élevé ? Vous avez bien vendu votre pain aujourd’hui. Mais est-ce à un homme mourant qui vous a donné sa dernière pièce et qui n’aura plus jamais besoin de pain ? Ou à un homme riche qui, demain, achètera votre ferme par dessus votre tête ? Ou à un soldat en route pour piller la banque où vous avez mis votre fortune ? » Cela, vous ne pouvez pas le savoir. Vous ne pouvez être sûr que d’une chose : à savoir, que votre action est juste et loyale, ce qui est tout ce qui vous concerne pour l’entreprendre ; soyez sûr que vous avez fait votre part en apportant finalement dans le monde un état de choses qui n’engendrera pas le pillage ou la mort. Nous avons montré que la valeur principale de l’argent consiste dans son pouvoir sur les êtres humains ; que sans ce pouvoir, de grandes possessions matérielles sont inutiles, et que pour une personne possédant un tel pouvoir, comparativement non nécessaires. Mais le pouvoir sur les êtres humains peut être acquis par d’autres moyens que par l’argent. Ce pouvoir moral a une valeur monétaire aussi réelle que celle représentée par des monnaies sonnantes. Une main d’homme peut être pleine d’or invisible, et une poignée ou un signe de cette main peut être plus puissant qu’une pluie de lingots. Voyons plus loin. Si la richesse apparente échoue dans ce pouvoir, elle cesse d’être richesse, car son essence consiste en son autorité sur les hommes. Aujourd’hui, il n’apparaît pas qu’en Angleterre, notre autorité sur les hommes soit absolue. Finalement, puisque l’essence de la richesse consiste en un pouvoir sur les hommes, ne s’ensuit-il pas que, plus nobles et plus nombreuses seront les personnes sur lesquelles elle a un pouvoir, plus grande sera la richesse ? Il peut même apparaître, après quelques considérations, que les personnes elles-mêmes, et non l’or et l’argent, sont la richesse. Les vraies veines de la richesse sont en chair et en sang, non en pierre. L’achèvement final de toute richesse est la création du plus grand nombre possible d’êtres humains pleins de vie, aux yeux brillants et au cœur joyeux. Dans une époque future encore non envisagée, je peux même imaginer que l’Angleterre, plutôt que d’orner les turbans de ses esclaves avec des diamants de Golkonda, et par là montrer sa richesse matérielle, pourrait au moins, comme une mère chrétienne, acquérir les vertus et les trésors d’une mère non chrétienne, et être capable de diriger ses fils vers le futur, en disant « Ce sont MES joyaux ». Une Justice équitable Quelques siècles avant l’ère chrétienne, un marchand juif, connu pour avoir rassemblé l’une des plus grandes fortunes de son temps (et réputé aussi pour sa grande sagacité pratique), a laissé à ses héritiers quelques maximes générales qui ont été préservées même jusqu’à nos jours. Elles étaient respectées par les Vénitiens qui avaient placé une statue de ce marchand à l’angle de l’un de leurs principaux bâtiments. Ces écrits sont ensuite tombés en désuétude, étant opposés à l’esprit du commerce moderne. Il a écrit, par exemple : « L’obtention de trésors par des mensonges est une vanité jetée aux yeux de ceux qui cherchent la mort. » Il a ajouté, avec la même signification : « Les trésors de méchanceté ne profitent en rien. Mais la vérité délivre de la mort. » Ces deux passages sont à noter pour leurs assertions que la mort est la seule issue réelle à la somme des acquisitions de richesses par toute combine injuste. Si nous lisons, à la place de « mensonge », titre falsifié, faux prétexte ou publicité trompeuse, nous percevons plus clairement la relation de ces phrases avec le commerce moderne. L’homme sage a dit encore : « Celui qui oppresse le pauvre pour accroître ses richesses deviendra sûrement pauvre.» Et encore plus fortement : « Ne vole pas le pauvre parce qu’il est pauvre ; ni n’opprime l’affligé en faisant du commerce. Car Dieu détruira l’âme de ceux qui les ont détruits.» Voler le pauvre parce qu’il est pauvre est tout particulièrement la forme mercantile du vol, consistant à prendre l’avantage des besoins de l’homme pour obtenir son travail ou sa propriété à un prix réduit. Le voleur ordinaire de grands chemins vole le riche, mais le commerçant vole le pauvre. Mais les deux passages les plus remarquables sont les suivants : « Le riche et le pauvre se sont rencontrés ; Dieu est leur créateur. Le riche et le pauvre se sont rencontrés ; Dieu est leur lumière. » « Ils se sont rencontrés. » Ceci pour dire que, aussi longtemps que le monde dure, l’action et la réaction de la richesse et de la pauvreté sont seulement assignées comme une loi du monde, comme le flot du ruisseau vers la mer. « Dieu est leur créateur ». Aussi cette action peut être, soit juste et noble, soit bouleversante et destructive. Elle peut être la rage des flots dévastateurs ou l’écoulement de la vague bienfaisante. L’un ou l’autre de ces effets se produit suivant la connaissance que le riche et le pauvre ont que Dieu est leur lumière. Le courant des ruisseaux est une image parfaite de la richesse. Où la terre descend, l’eau coule. Ainsi la richesse devrait aller où elle est nécessaire. Mais la disposition et l’administration des rivières peuvent être altérées par la préméditation humaine. Que le torrent soit une bénédiction ou une malédiction dépend du travail et de l’intelligence administrative de l’homme. Des centaines de régions du monde, avec un sol riche et un climat favorable, sont devenues des déserts par la rage de leurs propres rivières ; et non seulement des déserts, mais frappées par la peste. Le torrent qui, droitement dirigé, aurait coulé de champ en champ dans une douce irrigation, purifié l’air, apporté leur nourriture aux hommes et aux bêtes, et porté leurs fardeaux pour eux en son sein, maintenant envahit la plaine et empoisonne le vent : son haleine empeste et sa force affame. De la même manière, les lois humaines peuvent guider le flot de la richesse. Si le torrent est parfaitement dirigé par la tranchée et limité par la digue, il deviendra l’eau de vie, la richesse dans les mains de la sagesse ; si, au contraire, il est laissé à son propre flot incontrôlé, il produira la dernière et la plus mortelle des plaies nationales : l’eau de Marah, qui nourrit les racines du mal. La nécessité de ces lois de distribution ou de contrainte est curieusement ignorée dans la définition ordinaire de sa propre « science » par l’économiste. Il l’appelle « la science qui permet de devenir riche ». Mais il existe de nombreux arts et sciences qui permettent de devenir riche. Empoisonner les gens sur de grandes propriétés était largement employé au Moyen-Age. L’altération de la nourriture des gens de petites propriétés est largement utilisée aujourd’hui. Tous ces moyens font partie des sciences ou des arts qui permettent de devenir riche. Ainsi l’économiste en appelant sa science, « une science qui permet de devenir riche », doit préciser les limitations du caractère de sa science. Présumons qu’il veut dire qu’elle est celle « qui permet de devenir riche par des moyens justes ou légaux ». Dans cette définition, que signifie les mots « juste » et « légal » ? Car des procédés peuvent être légaux, sans qu’ils soient, d’aucune manière, justes. Si, en conséquence, nous gardons seulement le mot « juste » dans notre définition, il s’ensuit que, pour devenir riche scientifiquement, nous devrions devenir riches avec justice – et donc savoir ce qui est juste. C’est le privilège des poissons, des rats et des loups, de vivre suivant les lois de l’offre et de la demande. Mais c’est la distinction de l’humanité de vivre suivant celles du droit. Nous devons donc examiner quelles sont les lois de la justice concernant le paiement du travail. Le paiement en argent, comme il est dit dans le précédent chapitre, consiste simplement en la promesse à une personne qui travaille pour nous, que, pour le temps ou le travail qu’il passe à notre service aujourd’hui, nous lui accorderons un temps ou apporterons un travail équivalent à son service quand il le demandera à tout moment futur. Si nous promettons de lui donner moins de travail qu’il nous donne, nous le sous-payons. Si nous promettons de lui donner plus de travail qu’il nous donne, nous le surpayons. En pratique, quand deux hommes sont prêts à travailler et qu’un seul acheteur veut cette œuvre, ils se font concurrence mutuellement, et celui qui obtient le travail est sous-payé. À l’inverse, quand deux acheteurs veulent l’œuvre et qu’une seule personne est prête à l’effectuer, les demandeurs surenchérissent l’un sur l’autre, et l’ouvrier est surpayé. Le principe central d’un paiement droit et juste se situe entre ces deux situations d’injustice. Le travail droitement dirigé est bénéfique comme l’est une semence, et le fruit (ou intérêt comme on l’appelle) du travail donné en premier, ou avancé, devrait être pris en compte et équilibré par une quantité supplémentaire de travail dans le remboursement subséquent. En conséquence, la forme typique de marchandage sera : si vous me donnez une heure aujourd’hui, je vous donnerai une heure et cinq minutes sur demande ; si vous me donnez un kilogramme de pain aujourd’hui, je vous donnerai un kilo et cent grammes sur demande, etc. Maintenant, si deux hommes sont prêts à travailler, et si j’en emploie un qui offre son travail à moitié prix, il sera à moitié affamé et l’autre au chômage. Même si je paie le salaire dû à l’ouvrier que j’ai choisi, le second sera sans travail. Mais mon ouvrier pourra vivre, et j’aurais fait un juste emploi de mon argent. Si je paie le salaire dû à mon ouvrier, je ne pourrai pas amasser des richesses superflues et gaspiller l’argent dans le luxe, et ajouter à la masse de pauvreté dans le monde. L’ouvrier qui reçoit un salaire équitable agira avec justice envers ses subordonnés. Ainsi le torrent de la justice ne séchera pas, mais accumulera une force en s’écoulant. Et une nation avec un tel sens de la justice sera heureuse et prospère. Ainsi, nous voyons que les économistes se trompent en pensant que la concurrence est bonne pour une nation. Elle permettra seulement à l’acheteur d’obtenir un service injustement bon marché, et le riche deviendra plus riche, et le pauvre plus pauvre. À long terme, cela ne peut que conduire la nation à la ruine. Un ouvrier doit recevoir un juste salaire en accord avec ses capacités. Il y aura alors une sorte de compétition, mais les personnes seront heureuses et pleines de talents, car elles n’auront pas à se concurrencer les unes les autres, mais devront accroître leurs talents pour être employées. C’est le secret de l’attraction des emplois gouvernementaux dans lesquels le salaire est fixé suivant le grade des postes. Un candidat n’a pas à offrir son travail pour un moindre salaire, mais seulement s’il est plus capable que ses compétiteurs. Le cas est le même dans l’armée ou la marine, où il y a peu de corruption. Mais dans le commerce et l’industrie règne une concurrence oppressante qui a pour résultat la fraude, la querelle et le vol. Des biens de mauvaise qualité sont manufacturés. L’industriel, l’ouvrier, le consommateur, chacun est guidé par son propre intérêt. Cela empoisonne toutes les relations humaines. Les ouvriers ont faim et font grève, Les industriels deviennent malhonnêtes et les consommateurs aussi négligent l’aspect éthique de leur propre comportement. Une injustice conduit à beaucoup d’autres, et à la fin, l’employeur, l’exécutant et le consommateur sont mécontents et vont à la ruine. La richesse même des gens agit parmi eux comme une malédiction. Rien dans l’histoire n’est aussi disgracieux pour l’intelligence humaine que notre acceptation de la doctrine habituelle des économistes comme une science. Je ne connais aucun précédent dans l’histoire d’une nation établissant une désobéissance systématique au premier principe de sa religion déclarée. Les écrits que nous estimons (verbalement) comme divins, non seulement dénoncent l’amour de l’argent comme l’origine de tous les maux, et comme une idolâtrie répugnante de la déité, mais déclarent que le service de Mammon est l’opposé précis et irréconciliable du service de Dieu. Et toutes les fois qu’ils parlent de richesse et de pauvreté absolues, ils déclarent malédiction aux riches et bénédiction aux pauvres. La véritable économie politique est l’économie de la justice. Les gens seront heureux tant qu’ils apprennent à rendre justice et à être droit. Tout le reste n’est pas seulement vain, mais conduit tout droit à la destruction. Enseigner aux gens à devenir riches par n’importe quels moyens est leur porter un immense préjudice. Ad valorem Nous avons vu comment les idées sur lesquelles est basée l’économie politique sont fourvoyées. Traduites en action, elles ne peuvent que rendre la nation et l’individu malheureux. Elles rendent le pauvre plus pauvre et le riche plus riche, et ni l’un ni l’autre ne sont plus heureux pour cela. L’économie ne prend pas en compte la conduite des hommes, mais affirme que l’accumulation de richesses est un signe de prospérité, et que le bonheur des nations ne dépend que de leur richesse. Plus il y a d’industries, dit-elle, le meilleur c’est. Les hommes quittent donc leur ferme et leur village avec son air frais et viennent dans les villes, où ils vivent diminués au milieu du bruit, de la noirceur et d’exhalations mortelles. Ce qui conduit à la détérioration physique de la nation, et accroît l’avarice et l’immoralité. Si quelques-uns parlent d’agir pour éradiquer le vice, les soi-disant hommes sages diront qu’il est absolument inutile que le pauvre reçoive une éducation, et qu’il vaut mieux laisser les choses telles qu’elles sont. Ils oublient pourtant que les riches sont responsables de l’immoralité des pauvres, qui travaillent comme des esclaves pour leur fournir leurs luxes, et qu’ils n'ont aucun moment à eux pour leur propre amélioration. Parce qu’ils envient les riches, les pauvres essaient aussi de devenir riches, et quand ils échouent dans leurs efforts, ils sont en colère. Ils perdent ainsi tout bon sens, et essaient de gagner de l’argent par la fraude. La richesse et le travail sont donc stériles de tous fruits ou utilisés pour se quereller. Le travail dans le sens réel du terme est celui qui produit des articles utiles, qui soutiennent la vie humaine, tels que la nourriture, les vêtements ou les maisons, et rendent les hommes capables de perfectionner le plus possible les fonctions de leur propre vie, et d’exercer une influence qui facilite la vie des autres. L’établissement de grandes industries dans le but de devenir riche conduit au péché. Beaucoup de gens amassent des richesses, mais peu en font un bon usage. La richesse accumulée qui conduit à la destruction d’une nation ne lui est d’aucune utilité. Les capitalistes des temps modernes sont responsables de la large propagation des guerres injustes dont l’avidité de l’humanité est l’origine. Certaines personnes disent qu’il n’est pas possible de transmettre le savoir pour améliorer la condition des masses. Laissez-nous vivre comme il nous semble bon et amasser des richesses, disent-elles. Mais cette attitude est immorale. Si un homme juste observe des règles d’éthique et n’est pas influencé par l’avidité, il aura un esprit discipliné, il suivra le droit chemin, et il influencera les autres par ses actes. Si les individus qui constituent une nation sont immoraux, la nation l’est aussi. Si nous nous comportons selon notre bon vouloir, et qu’en même temps, nous reprochons à notre voisin ses erreurs, le résultat ne peut être que regrettable. Nous voyons donc que l’argent est seulement un instrument qui cause la misère autant que le bonheur. Dans les mains d’un homme juste, il permet la culture de la terre et la récolte de la moisson. Les agriculteurs travaillent avec un contentement innocent et la nation est heureuse. Mais dans les mains d’un homme corrompu, l’argent permet la production de la poudre à canon qui détruit ceux qui la produisent autant que ses victimes. En conséquence, IL N’Y A DE RICHESSE QUE LA VIE. Le pays le plus riche est celui qui nourrit le plus grand nombre d’êtres humains nobles et heureux. L’homme le plus riche est celui qui, ayant amélioré au maximum de sa propre vie, a aussi la plus large influence serviable sur la vie des autres, à la fois par lui-même et par ses possessions. Nous ne sommes pas ici pour encourager notre propre indulgence, mais pour que chacun de nous travaille en accord avec ses capacités. Si un homme vit dans l’oisiveté, un autre doit travailler deux fois plus. C’est la racine de la détresse du pauvre en Angleterre. Certains travaux comme la taille des bijoux sont futiles, d’autres destructifs comme la guerre. Ils apportent une diminution du capital national, et ne sont pas bénéfiques pour le travailleur lui-même. Les hommes semblent employés, mais en réalité, ils sont inactifs. Les riches oppressent les pauvres par une mauvaise utilisation des richesses. Les employeurs et les employés sont à couteaux tirés entre eux, et les hommes sont réduits au niveau de bêtes. Conclusion Le livre de Ruskin ainsi paraphrasé n’est pas moins une leçon pour les Indiens que pour les Anglais à qui il était premièrement adressé. En Inde, de nouvelles idées sont dans l’air. Les jeunes gens qui reçoivent une éducation occidentale sont pleins d’esprit. Cet esprit devrait être dirigé dans de bonnes directions, autrement il ne peut que nous nuire. « Vive l’autodétermination ! » est un slogan. « Industrialisons le pays ! » en est un autre. Mais nous comprenons avec difficulté ce que veut dire le swaraj, l’autodétermination. Le Natal, par exemple, en bénéficie, mais son indépendance pourrit le pays car ce pays accable les Noirs et opprime les Indiens. Si par chance, ceux-ci quittaient le Natal, les Blancs se battraient entre eux et apporteraient leur propre destruction. Nous pourrions, au contraire du Natal, avoir notre indépendance comme le Transvaal, où l’un des dirigeants, le Général Smuts, trahit ses promesses, dit une chose et en fait une autre. Il se passe des services des policiers anglais et emploie des Afrikaners à leur place. Je ne crois pas que cela aidera aucune des nationalités dans le long terme. Des hommes égoïstes pilleront leur propre peuple, quand tous les étrangers seront dépossédés. En conséquence, l’indépendance n’est pas suffisante pour rendre une nation heureuse. Quel serait le résultat de l’autonomie accordée à une bande de voleurs ? Ils ne seront heureux que s’ils sont placés sous le contrôle d’un homme sage et juste qui ne soit pas un voleur lui-même. Les États-Unis, l’Angleterre et la France, par exemple, sont des États puissants, mais rien ne permet de penser que leurs citoyens sont réellement heureux. Swaraj signifie en réalité contrôle de soi. Celui capable de son propre contrôle observe les règles de moralité, ne triche et ne ment pas, rend son devoir envers ses parents, sa femme et ses enfants, ses employés et ses voisins. Un tel homme jouit de swaraj, où qu’il vive. Une nation jouit de swaraj si elle possède un grand nombre de tels citoyens. Il n’est pas juste qu’un peuple en dirige un autre. Le pouvoir britannique en Inde est un mal, mais ne croyons pas que tout sera bien quand les Britanniques quitteront l’Inde. L’existence du pouvoir britannique dans le pays est due à notre désunion, à notre immoralité et à notre ignorance. Si ces défauts nationaux étaient vaincus, non seulement les Britanniques quitteraient l’Inde sans un coup de feu, mais nous jouirions d’un réel swaraj. Quelques Indiens stupides s’excitent et jettent des bombes, mais si tous les Britanniques du pays étaient tués, les assassins deviendraient les dirigeants de l’Inde qui n’aurait que changé de maîtres. Les bombes jetées aujourd’hui sur les Anglais seront dirigées contre les Indiens quand les Anglais ne seront plus là. C’est un Français qui a assassiné le Président de la République française. C’est un Américain qui a assassiné le Président Cleveland. N’imitons pas aveuglément les Occidentaux. Si l’indépendance ne peut être obtenue en tuant des Anglais, elle ne le sera pas plus en construisant de vastes industries. L’or et l’argent peuvent être accumulés, mais ils ne conduiront pas à l’établissement de l’indépendance. Ruskin a prouvé cela à la perfection. La civilisation occidentale est un jeune bébé, âgé de seulement cinquante ou cent ans. Et elle a déjà réduit l’Europe à une condition pitoyable. Prions que l’Inde soit sauve du destin qui a submergé l’Europe, où les nations empoisonnées sont sur le point de s’attaquer les unes les autres, et ne gardent le silence qu’à cause de l’entassement des armements. Un jour, il y aura une explosion, et alors l’Europe sera un véritable enfer sur terre. Les races non blanches sont considérées comme des proies légitimes par tous les États européens. Quoi d’autre pouvons-nous attendre où la cupidité est la passion dirigeante dans le cœur des hommes ? Les Européens s’abattent sur les nouveaux territoires comme des corbeaux sur un morceau de viande. Je suis conduit à penser que ceci est dû à leur industrie de production de masse. L’Inde doit vraiment obtenir son indépendance, mais elle doit l’obtenir par de justes méthodes. Notre indépendance doit être un réel swaraj, qui ne peut être obtenu ni par la violence, ni par l’industrialisation. L’Inde était auparavant une terre d’or, car les Indiens avaient alors un cœur d’or. La terre est encore la même, mais c’est un désert, car nous sommes corrompus. Elle ne peut redevenir une terre d’or que si le métal de base qui est notre actuel caractère national est transmuté en or. La pierre philosophale qui peut effectuer cette transformation est un petit mot de deux syllabes : satya (vérité). Si chaque Indien est attaché à la vérité, le swaraj viendra à nous de son propre accord. Littérature indienne 1910 XXe siècle Essais Thèses et Mémoires universitaires Bon pour export Traduction Wikisource en:Sarvodaya gu:સર્વોદય
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Commentaires sur Unto This Last de M. K. Gandhi
Thèses et Mémoires universitairesXXe siècle Gandhi, une pensée moderne Dans un chapitre de son autobiographie intitulé La Magie d'un livre (4e partie, chapitre XVIII), Gandhi nous dit comment il a découvert Unto This Last de Ruskin pendant un voyage en train en Afrique du Sud : Impossible de m'en détacher. Dès que je l'eus ouvert, il m'empoigna. De Johannesburg à Durban, le parcours prend vingt-quatre heures. Le train arrivait le soir. Je ne pus fermer l'œil de la nuit. Je résolus de changer de vie en conformant ma nouvelle existence aux idées exprimées dans cet ouvrage. (...) Je crois que ce livre immense me renvoya alors, comme un miroir, certaines de mes convictions les plus profondes ; d'où la grande séduction qu'il exerça sur moi et la métamorphose qu'il causa dans ma vie. (...) Voici, tels qu'ils m'apparurent, les trois enseignements de cet ouvrage : Que le meilleur de l'individu se retrouve dans le meilleur de la collectivité ; Que le travail de l'homme de loi ne vaut ni plus ni moins que celui du barbier, dans la mesure où tout le monde a également droit à gagner sa vie par son travail ; Qu'une vie de labeur - celle du laboureur ou de l'artisan, par exemple - est la seule qui vaille la peine d'être vécue. Gandhi est né en 1869, à Porbandar, un port du Gujarat, dans l'ouest de l'Inde. En 1889, il part à Londres faire des études de droit. Après des débuts médiocres comme avocat au Gujarat et à Bombay, il obtient de s'occuper d'une affaire en Afrique du Sud. C'est là qu'il formera sa philosophie et la méthode qu'il nommera satyagraha, l'attachement à la vérité. Vingt ans plus tard, il revient en Inde, accueilli comme un héros. En 1919, il lance les premières campagnes de désobéissance civile sur une grande échelle, exemple encore inégalé dans l'histoire. Après quelque trente années de luttes, pendant lesquelles Gandhi effectue de nombreux jeûnes et séjours en prison, l'Inde obtient son indépendance, sans avoir utilisé la force militaire. Mais celle-ci est amère : elle est obtenue au prix de la partition de l'Inde et du Pakistan qui résulte en une sanglante guerre civile : environ un million de morts, dix millions de réfugiés des deux cotés de la frontière. Le 30 janvier 1948, il est assassiné par un fanatique hindou membre d'une organisation intégriste qui lui reproche les concessions qu'il a faites aux Musulmans. Aujourd'hui, encore et plus que jamais, son influence en Inde et dans le monde est importante, sans être toutefois toujours reconnue. Dans de nombreux domaines, les habitudes ou les lois ont évolué dans la direction préconisée par Gandhi. Ce livre en est témoin. Nous avons admis, longtemps après, ce que prônaient Ruskin et Gandhi, alors qu'ils ont été décriés en leur temps. Aujourd'hui, la pensée de Gandhi pourrait-elle encore apporter à la société occidentale un élément positif nouveau ? Pour une grande partie de l'opinion, cette question est saugrenue, voire déplacée. Comment peut-on prétendre qu'une philosophie venant d'un pays en développement, et de l'un de ceux qui rencontrent le plus de problèmes économiques, sociaux et culturels, pourrait apporter des solutions aux problèmes de la société occidentale ? La pensée de Gandhi peut paraître inutile et dépassée, mais je pense que celle-ci est résolument tournée vers l'avenir, et prétends qu'elle apporte une réflexion nécessaire à l'évolution du monde entier, et des pays occidentaux en particulier. C'est une opinion peut répandue et contraire à la mode intellectuelle d'aujourd'hui. Ceci pour deux raisons : cette pensée est encore peu connue en dehors d'un milieu militant et dans l'ensemble mal comprise malgré les très nombreuses études et bibliographies qui lui ont été consacré (plus de 1200 ouvrages !). D'autre part, la prétendue supériorité de la civilisation occidentale par rapport aux civilisations orientales, croyance répandue parmi de nombreux intellectuels autant que parmi le grand public, renforce cet a priori. Pourtant de nombreux auteurs ont déjà montré l'intérêt universel de la philosophie de Gandhi. Déjà en 1924, à l'aube des luttes non-violentes pour l'indépendance de l'Inde, Romain Rolland écrivait que cette philosophie est le véhicule d'une nouvelle raison de vivre, de mourir, et d'agir pour toute l'humanité et apporte à l'Europe épuisée un nouveau viatique. On a souvent prétendu que la pensée de Gandhi, étant fondée sur l'hindouisme, était inapplicable ailleurs qu'en Inde. En fait, cette idée repose sur une profonde méconnaissance de cette pensée. Bien que certains de ses traits soient propres aux philosophies de l'Orient, une grande partie de la théorie et de la pratique de Gandhi est foncièrement étrangère à l'Orient, et à l'hindouisme en particulier. Un sociologue indien, Asis Nandy, écrit : La nature des réformes sociales qu'il proposait et l'activisme politique qu'il exigeait des Indiens bouleversaient profondément les tendances dominantes de la culture indienne, spécialement celle des Hindous. La pensée et l'action de Gandhi constituaient, par rapport à l'éthos dominant de la civilisation indienne, une attitude fondamentalement déviante. En effet, nous avons tendance à oublier que Gandhi a formé sa pensée en Angleterre, en Afrique du Sud et par la lecture d'auteurs occidentaux : Ruskin, Tolstoï, Thoreau. Je pense également que la redécouverte de ces auteurs à la lumière de l'interprétation gandhienne et de l'évolution récente du monde serait profitable à la société occidentale. Certaines de leurs œuvres sont introuvables aujourd'hui, en français en particulier. La Bible, et particulièrement le Sermon sur la Montagne, a aussi été une source importante de la pensée de Gandhi. Seule une petite partie de l'œuvre littéraire de Gandhi a été traduite et publiée en français. On pourrait reprendre, trente ans après, l'argumentaire de présentation de la collection Pensée gandhienne dirigée par Lanza del Vasto aux Editions Denoël. La plupart des livres de cette collection étant épuisés, il est donc encore nécessaire de "combler une lacune dans l'histoire contemporaine et dans la science sociale moderne".Le Français, est-il écrit, qui voudrait étudier la libération de l'Inde et la révolution originale dont elle fut le fruit, manque de certains documents de première main.Pour l'étude de la non-violence et de toutes ses implications et applications, quelques-uns des textes fondamentaux que les Indiens et les Anglais ont à leur disposition lui font défaut.La moitié peut-être [en fait plus de 90% !] de l'œuvre écrite de Gandhi est inédite en France. Quant aux théoriciens les plus éminents du mouvement, ils y restent inconnus, même de nom.Des 50.000 pages environ que représente cette œuvre, une dizaine de livres environ ont été publiés, dont quatre seulement sont encore disponibles aujourd'hui ! Satyagraha in South-Africa, l'une de ses œuvres majeures, n'a jamais été traduite. Une réédition de certains ouvrages, ainsi que de nouvelles publications, sont donc nécessaires pour permettre aux lecteurs francophones de connaître et de comprendre la pensée de Gandhi. Une partie des problèmes de la société occidentale, comme l'échec de nombreux mouvements réformateurs, tient à l'ignorance de l'un des principes fondateurs de cette pensée. La perte de la crédibilité de la politique aujourd'hui, comme en témoignent les scandales de ces dernières années liés au financement des partis politiques, découle de l'absence d'un minimum d'éthique dans la conduite et la gestion des affaires publiques. C'est dans ce domaine que la science politique de Gandhi nous serait le plus profitable. En fait, ce n'est pas seulement cette pensée et cette œuvre que nous devons redécouvrir, c'est un ensemble de philosophies, d'auteurs qui montrent que l'approche exclusivement économique des problèmes de société est fondamentalement erronée. John Ruskin est le chef de cette école. L'un des premiers, il a dénoncé le capitalisme sauvage qui détruit le tissu social et créé la pauvreté. Nous devons admettre que le colonialisme culturel occidental a propagé une vision uniquement mercantile des problèmes, et abandonner l'idée que "tout ce qui accroît la production de ressources données accroît le bien-être. L'idée que les biens matériels sont importants, et qu'ils sont le point principal dont le bien-être et le bonheur dépendent, est le cœur de notre problème. Par opposition, la pensée de Gandhi repose avant tout sur une éthique, une morale religieuse. Il affirme, sans la moindre hésitation, mais aussi en toute humilité, que ceux qui disent que la religion n'a rien à voir avec la politique, ne savent pas ce que signifie la religion. Et cette foi est tout le contraire de l'intégrisme qui resurgit aujourd'hui dans certaines religions, dans le christianisme et l'islam en particulier. Gandhi est revenu aux sources de l'hindouisme, comme Franz Alt propose de revenir aux sources du christianisme. Ce dernier explique : Au cours des dernières années, il m'est apparu qu'il n'était plus possible de séparer humanisme, religion, politique ou développement psychique. Ce n'est pas la même chose, mais ils sont indissolublement liés. Notre existence religieuse, politique et privée constitue un tout. (...) Le schisme le plus lourd de conséquences qui ait affecté le christianisme n'est pas la séparation de l'Eglise opérée par Luther, mais la scission entre religion et politique. Cette argumentation est reprise aujourd'hui par de nombreux auteurs, en général peu connus et en dehors des médias. Rajni Kothari, un auteur indien, écrit : En définitive, Gandhi avait raison : politique et religion sont étroitement jumelées. Ou bien l'Etat est un instrument de la moralité, ou bien il devient un instrument d'une action – que ce soit le progrès ou la gloire nationale, ou la gloire de la personne qui est censée personnifier le destin de tout le peuple. Libéré des impératifs moraux, l'Etat devient totalitaire, quelle que soit sa constitution. Ceci est également vrai pour nos démocraties. Cet article montre bien les causes des graves crises du monde moderne : intégrismes contre dictatures militaires, fanatismes religieux contre oligarchies d'Etat, etc. Il insiste sur l'influence des leaders indiens, et de Gandhi en particulier, pour imprégner la politique d'un code moral, pour lui associer le concept de service, de devoir. La persistance, consciente ou inconsciente, d'une prétendue supériorité de notre civilisation par rapport à d'autres contribue à maintenir un préjugé défavorable à l'égard de la pensée de Gandhi. Ce préjugé est particulièrement fort contre la civilisation indienne sur le plan économique et social. Il repose sur une méconnaissance de cette civilisation autant que sur un "racisme intellectuel". Sur le plan social, nous opposons le système des castes au principe des droits de l'homme. En fait, cette société, même avec ses inégalités, a souvent un plus grand respect pour l'être humain que la société occidentale. Bien que la femme ne participe pas à la vie publique dans la société traditionnelle indienne (mais cela est en train de changer), elle est mieux respectée en temps que personne. Par exemple, en Inde, la prostitution est rare et presque exclusivement liée au tourisme étranger, et la pornographie est quasiment inexistante. Dans les domaines qui lui sont traditionnellement réservés, comme la charge de la maison ou l'éducation des enfants, la femme exerce une autorité sans partage. Et en hindi, tout mot peut être mis au féminin ! La persistance de graves problèmes économiques en Inde voudrait montrer la supériorité du matérialisme occidental. Ces mêmes analyses sous-estiment, voire nient, le flux constant de richesses et de personnes qualifiées des pays du Sud vers les pays occidentaux, depuis le début de la colonisation jusqu'à ce jour. On doit souligner que l'indépendance des pays dominés n'a pas arrêté ce flux. Plusieurs auteurs ont bien montré les causes du sous-développement économique de ce pays : la ponction sur l'économie indienne de la puissance colonisatrice britannique, puis des pays capitalistes à cause du prix très bas des produits exportés. Erikson écrit que l'Angleterre, "en dépit de ses lumières et de ses idéaux élevés, a exploité et drainé le subcontinent indien dans quatre domaines de la vie nationale : l'économie, la politique, la culture et l'esprit". L'industrialisation et le développement économique de l'Europe occidentale, en particulier de la France et de l'Angleterre, coïncident avec le développement de leurs puissances coloniales respectives. Au XVIIème siècle, le niveau de vie des paysans indiens était supérieur à celui d'aujourd'hui. Il n'y avait pas de famines en Inde avant l'installation du pouvoir politique colonial. La misère n'est apparue qu'avec la colonisation. Le problème démographique est une conséquence de la misère, et non une cause comme, veulent le faire croire bon nombre d'Occidentaux. Bien sûr, aujourd'hui, un cercle vicieux s'est installé, dont l'Inde a bien du mal à sortir. Enfin, le système social traditionnel de l'Inde n'a pas pour objectif un enrichissement économique, mais un développement spirituel. Le capitalisme comme le marxisme affirme que l'industrialisation des pays du Sud est nécessaire au bien-être de leur population. Ce que réfute totalement Gandhi. La croyance qui tient la possession d'un bien-être matériel comme le but ultime à atteindre est originaire de l'Occident. L'objectif de l'hindouisme est "la fondation d'une société universelle totalement imprégnée de valeurs religieuses universellement reconnues. (…) Chaque individu devrait ainsi associer dans sa vie la quête personnelle de la connaissance de soi à une contribution nécessaire au bien-être de tous dans la société. (…) Chaque membre de la société doit ainsi contribuer au maintien d'un ordre qui constitue la seule garantie de son propre bien-être." La société occidentale est donc caractérisée par une recherche du profit personnel. Ce comportement est le plus souvent inconscient et se révèle à la rencontre d'une société qui a une conception de base différente. Cela explique à la fois la fascination des Occidentaux pour la société indienne et le choc psychologique ressenti par eux à la rencontre de cette société. "Le refus d'une source de moralité et d'autorité transcendante à la personne humaine et la promotion de l'homme comme centre de l'univers ayant là charge de le régenter, sont à la base de la conception occidentale du monde." C'est aussi la base de nos problèmes ! Devant l'impasse dans laquelle nous nous sommes engagés, notre seule possibilité est de chercher des solutions à l'extérieur de notre société. Voici une citation anonyme tirée de "Notre Avenir à Tous" : "Nous, en Asie, à mon sens, nous cherchons un équilibre entre la vie spirituelle et la vie matérielle. J'ai observé que vous aviez essayé de séparer la religion de l'aspect technologique de la vie. N'est-ce pas là exactement l'erreur des pays occidentaux qui mettent au point une technologie sans éthique, sans religion. Si tel est le cas et si nous avons la possibilité de prendre une nouvelle orientation, ne devrions-nous pas conseiller au groupe chargé de la technologie de rechercher un type différent de technologie, fondé non seulement sur la rationalité, mais aussi sur l'aspect spirituel ?" Ce qui est vrai pour la science et la technologie, l'est aussi pour l'économie et la politique. D'autre part, il est aujourd'hui admis que les ressources de la planète, en particulier énergétiques, ne peuvent soutenir une consommation comparable à celle des pays occidentaux pour l'ensemble de l'humanité. "Un nombre croissant d'observateurs s'accordent pour reconnaître que la situation critique de l'espèce humaine justifie un changement radical de nos objectifs et des moyens d'y parvenir." L'air pur, l'eau potable, les terres cultivables ne sont pas inépuisables. Les quantités disponibles d'énergies fossiles (pétrole, gaz, charbon, etc.) sont limitées. La production de déchets met en danger notre futur. Gandhi avait déjà prévu cette situation avant qu'elle fasse l'objet de campagnes électorales : "Si la Terre produit assez pour les besoins de chacun, elle ne produit pas suffisamment pour l'avidité de tous." La prise de conscience des problèmes d'écologie est relativement tardive en France en comparaison avec d'autres pays occidentaux. Fait significatif, le rapport de la Commission Mondiale sur l'environnement et le Développement n'a pas été publié en France, et il est considéré comme "le document le plus important de la décennie [1980-1990] sur l'avenir du monde." La pensée de Gandhi s'oppose principalement à celle de Descartes. Pour ce dernier, la morale n'est qu'une des branches de la philosophie, alors que la morale est le fondement absolu de la pensée de Gandhi. Descartes différencie une morale provisoire et une morale définitive, et soutient que le progrès de la science bénéficie à la morale. L'arme atomique, l'expérience des pays communistes et des chambres à gaz nazies nous montrent où cela nous mène : à la négation des Droits de l'Homme qui fondent nos démocraties ou à la destruction de l'humanité. Gandhi, par contre, subordonne tout progrès scientifique ou technique au contrôle de la morale. Si ce contrôle n'existe pas, les découvertes scientifiques ne sont pas utilisées pour une plus grande connaissance de l'être humain, mais comme palliatif des problèmes sociaux ou, pire, comme source de profit aux dépens d'êtres humains ou de la nature. Tout progrès scientifique ou technique qui n'est pas accompagné d'un progrès social et spirituel est une déformation vicieuse de notre capacité intellectuelle. Tenter de résoudre un problème par une avancée de la technique plutôt que par un progrès social et spirituel, conduit à déplacer ce problème dans l'espace ou dans le temps. La technocratie, c'est-à-dire un système où les techniciens ont une influence prépondérante – c'est-à-dire le nôtre... – ne peut engendrer une société où l'être humain est pleinement épanoui. La prépondérance du matériel sur l'humain aboutit à des aberrations à tous les niveaux de la société. On nous fait manger du pétrole en "beefsteak" et on fait rouler des véhicules avec du carburant produit avec des végétaux qui pourraient être consommés. On étudie la psychologie humaine grâce à des expériences sur des souris en cage. On greffe des organes d'animaux sur le corps humain. On oublie que l'homme n'est pas une machine qui fonctionne si on lui fournit un carburant chimiquement adéquat. Le même type de raisonnement conduit invariablement à des conclusions erronées, à des monstruosités qui avilissent l'homme. Lanza del Vasto écrit : "Le matérialisme est une erreur qui consiste à traiter les problèmes de la vie et de l'esprit selon des méthodes qui ont fait leur preuve dans l'étude des choses de la matière." Aujourd'hui, l'éthique et la morale reviennent en force malgré l'influence grandissante du matérialisme dans toutes les sociétés. On peut assister à la formation de Comités d'Ethique dans tous les pays occidentaux, et à la création de banques alternatives où l'éthique, la solidarité et la transparence sont privilégiées par rapport à la recherche du profit. Pour comprendre la pensée de Gandhi, comme toute pensée d'origine non occidentale, nous devons donc dissocier la notion de culture de celle de civilisation. La civilisation ne peut se définir uniquement par un certain état de la culture, de la science, de la technique, de la politique, de l'économie, du social ou du droit. Si l'idée de civilisation est associée à une idée de valeur, ce ne peut-être que de valeurs morales. Nous déclarons une société positive ou évoluée selon des critères propres à notre civilisation, et qui n'ont rien d'universels. Si nous prenons comme critère l'évolution spirituelle de ses membres, la civilisation indienne, qui a pour leitmotiv la recherche de l'Absolu, ne peut être qu'une "grande" civilisation. Et Gandhi, l'un de ses derniers rénovateurs, ne peut être qu'un homme de morale. Les Ouvriers de la Dernière Heure Gandhi découvrit Unto This Last en mars 1904 en Afrique du Sud grâce à un ami rencontré dans un restaurant végétarien, Henry Polak rédacteur en chef du journal The Critic à Johannesburg. Il décida, non seulement, de changer immédiatement sa propre vie en accord avec l'enseignement de Ruskin, mais établit Indian Opinion dans une ferme où tous recevraient un salaire égal, sans distinction de fonction, de race ou de nationalité. Peu de temps après, Gandhi acquit cinquante hectares à Phoenix, près de Durban, où il installa sa famille et toute son équipe. Quand le moteur de la presse tomba en panne, il suppléa à la déficience de la mécanique grâce à une presse à main et à la participation de toute la communauté au travail de l'impression. Dans Unto This Last, Gandhi trouva une grande partie de ses idées sociales et économiques. Ruskin était concerné par les mêmes problèmes et apportait les solutions qui ont plu à Gandhi comme si elles étaient les siennes. Il dit aussi : "Trois modernes ont marqué ma vie d'un sceau profond et ont fait mon enchantement: Raychandbhai [écrivain gujarati connu pour ses polémiques religieuses], Tolstoï, par son livre "Le Royaume des Cieux est en vous", et Ruskin et son Unto This Last." Par la suite, il lira deux autres ouvrages de Ruskin : A Joy for Ever et The Crown of Wild Olive. Gandhi adapta Unto This Last en gujarati en 1908 sous le nom de Sarvodaya, le bien-être de chacun. C'est aussi le nom qu'il donna à sa philosophie. Valji Govindji Desai traduisit cette adaptation en anglais en 1951. Les qualificatifs applicables à l'œuvre de Ruskin le sont aussi à celle de Gandhi. Aussi, je parlerai de "leur" livre. John Ruskin Ruskin est né à Londres en 1819. De sa mère, il tient une stricte éducation religieuse évangéliste, et de son père, son intérêt pour les voyages, les paysages, la peinture et l'architecture. A treize ans, il découvrit les œuvres de Turner ce qui détermina les préoccupations de toute sa vie : la perfection et la véritable beauté de toute chose se trouvent dans les intentions qui ont conduit à sa réalisation. L'année suivante, son père l'emmène en Suisse, où il découvre avec ravissement les paysages alpestres. En 1842, il obtient un diplôme universitaire à Oxford où il enseignera plus tard. Ses écrits, nombreux et variés, traitent de peinture, d'architecture, et de l'art italien, principalement de Venise et Florence. Il a aussi écrit des contes moraux, des essais de géologie et d'économie politique. Il effectua de nombreux voyages en France et en Italie. Il est mort à Londres en 1900. Pour plus de détails sur la vie et l'œuvre de Ruskin, on se reportera aux biographies qui lui ont été consacrées et à l'excellente édition anglaise de Unto This Last en livre de poche présentée par Clive Wilmer. La première et la plus importante clé de la politique de Ruskin se trouve dans l'instruction biblique de sa mère. Ruskin a aussi été largement inspiré par Thomas Carlyle (1795-1881). Unto This Last est publié pour la première fois en décembre 1860 dans le mensuel "Cornhill Magazine" sous forme d'articles. Ruskin dit lui-même qu'ils furent "très violemment critiqués", obligeant l'éditeur à interrompre la publication au bout de quatre mois. Les critiques ont vivement attaqué ces essais et les abonnés envoyèrent des lettres de protestation. Mais Ruskin contre-attaque et publie les quatre essais en livre en mai 1862. Au début, Unto This Last se vendit mal. Par la suite, l'ouvrage atteint une certaine renommé jusqu'au début de ce siècle. En 1910, plus de 100 000 copies avaient été vendues, et le livre avait été traduit en français, en allemand, en italien, et par Gandhi, en gujarati. Peu à peu, les économistes professionnels ont reconnu sa valeur. A la fin de sa vie, Ruskin le considérait comme le meilleur et le plus valable de tous ses écrits. Ruskin a eu une large influence sur la législation sociale européenne. Clive Wilmer dit : "L'influence de Ruskin sur notre société est incalculable." Le but de Unto This Last est double : définir la richesse, et démontrer que certaines conditions morales sont essentielles pour l'obtenir. Ce n'est pas un essai pour définir une nouvelle théorie économique ou pour proposer des politiques particulières. C'est d'abord et avant tout une critique des croyances et des idées populaires. Les économistes avaient défini un "homme économique" qui agit "invariablement pour obtenir la plus grande quantité de nécessités, de facilités ou de luxe, avec la plus petite quantité de travail et d'effort physique nécessaires dans l'état de connaissance existant". Autrement dit, il ne serait motivé que par le désir d'un gain matériel. Ils n'imaginent pas qu'un tel être existe, mais prétendent seulement qu'il est nécessaire d'isoler l'objet de leur investigation, car "c'est la méthode que la science doit obligatoirement suivre". Leurs buts sont de découvrir comment les lois du marché permettent aux personnes le souhaitant d'acquérir des richesses, et l'homme économique leur fournit un bon modèle. Pour Ruskin, et pour Gandhi, c'est précisément cela que la science ne doit pas faire. Si un tel individu n'existe pas, comment ce modèle pourrait-il être utilisé pour comprendre les actions humaines dans la réalité ? Plus que tout, dans le cas de la nature humaine, comment est-il possible de' séparer la compréhension d'une action de son jugement moral ? Ce que les économistes veulent apparemment proposer, même si ce n'est pas leur intention, est que la société dans son ensemble profite de l'avidité et du matérialisme des individus égoïstes. Il semble qu'ils recommandent une telle conduite. Beaucoup de politiciens et d'industrialistes les comprennent certainement de cette façon, et agissent selon ce qu'ils prennent pour leurs conseils, ce qui suffit à Ruskin et à Gandhi pour démontrer l'irresponsabilité de la méthode. Unto This Last L'expression Unto This Last a pour origine la parabole du vigneron (Matthieu 20.1-16). Car le Royaume des Cieux est semblable à un maître de maison qui sortit dès le matin, afin de louer des ouvriers pour sa vigne. Il convint avec eux d'un denier par jour, et les envoya à sa vigne. Il sortit vers la troisième heure, et il vit d'autres qui étaient sur la place sans rien faire. Il leur dit: "Allez aussi à ma vigne, et je vous donnerai ce qui sera raisonnable." Et ils s'en allèrent. Il sortit de nouveau vers la sixième et la neuvième heure, et fit de même. Etant sortit vers la onzième heure, il en trouva d'autres qui étaient sur la place, et leur dit : "Pourquoi vous tenez-vous ici toute la journée sans rien faire ?" Ils répondirent : "Personne ne nous a loués." Allez aussi à ma vigne, leur dit-il. Quand le soir fut venu, le maître de la vigne dit à son intendant: "Appelle les ouvriers, et paie-les le salaire, en allant des derniers aux premiers." Ceux de la onzième vinrent, et reçurent chacun un denier. Les premiers vinrent ensuite, croyant recevoir davantage ; mais ils reçurent aussi chacun un denier. En le recevant, ils murmurèrent contre le maître de la maison, et dirent: "Ces derniers n'ont travaillé qu'une heure, et tu les traites à l'égal de nous, qui avons supporté la fatigue et la chaleur du jour." Il répondit à l'un d'eux : "Mon ami, je ne te fais pas tort. N'as-tu pas convenu avec moi d'un denier ? Prends ce qui te revient et va-t-en. Je veux donner à ce dernier autant qu'à toi. Ne m'est-il pas permis de faire de mon bien ce que je veux ? Ou vois-tu d'un mauvais oeil que je sois bon ? Ainsi les derniers seront les premiers, et les premiers seront les derniers." Ruskin tenait la signification spirituelle de ce texte pour admise. Ce qui compte dans Unto This Last est la signification économique de l'enseignement du Christ. L'appréciation de ce passage n'est jamais directement déclarée, mais une lecture attentive du livre suggère deux idées directives. Premièrement, la relation économique entre un employeur et son employé ne doit pas être vue comme une question de profit ou d'avantage, mais de justice. Ainsi, le maître de maison paie tous ses ouvriers de la même façon, non parce qu'il sous-paie "ceux qui ont supporté la fatigue et la chaleur du jour", mais parce que tous les hommes ont des besoins identiques. Ainsi, la justice doit être vue dans la reconnaissance du besoin et dans la responsabilité réciproque. Ensuite, la parabole soutient ce qui semblait la plus excentrique proposition de Ruskin : le taux de salaire doit être fixe pour un travail donné, quel qu'en soit la qualité. Ce qui est aujourd'hui communément admis, bien que les tenants du libéralisme sauvage souhaitent remettre en cause ce principe. Gandhi, comme Ruskin, a répété tout au long de sa vie que l'être humain est fondamentalement moral. Il ne dénie pas qu'il est capable d'avidité, d'immoralité et de manque de cœur. Il affirme simplement que l'on ne peut comprendre l'humanité, ni même la nature de la richesse ou de l'avidité, si l'on ne reconnaît pas que l'être humain est aussi capable d'abnégation, d'honneur, de justice et d'amour. Ce que les méthodes scientifiques abstraites semblent avoir découvert en lui ne sera pas seulement faux (et donc inutile), mais découragera ses vertus dans l'intérêt du progrès économique. Et l'individu, divisé entre des motifs nobles et vils, apprendra que les plus vils sont bénéfiques à la société, et se sentira en conséquence justifié dans son choix égoïste. Unto This Last est d'abord un cri de colère contre l'injustice et l'inhumanité. Les théories des économistes ont outragé ses plus fortes convictions morales. Il critique des penseurs qui proclament avoir fondé une science. Limiter le message du livre à des sentiments moraux serait accepter ce que lui reprochent ses détracteurs : d'être un sentimental qui ne peut faire face à la réalité. Mais le livre est aussi une attaque des méthodes philosophiques et scientifiques que les économistes tiennent pour acceptées. Ruskin et Gandhi résistent totalement à la tendance de la civilisation moderne d'un point de vue intellectuel autant que moral. Ils contestent la méthode, particulière aux temps modernes, qui consiste à travailler par spécialisation. La réalité est déformée quand on isole l'objet de l'étude et quand on détache les considérations matérielles de la morale. Leur argument peut-être relié avec leur objection à la démocratie libérale, qu'ils décrivent comme l'expression politique d'une pensée qui conçoit chaque homme comme la somme de ses intérêts personnels, détaché d'un contexte social. Ils voyaient la division du travail comme une forme d'esclavage. Ils ne mettent pas seulement en cause une théorie générale, mais des situations spécifiquement économiques. Ce qui nous attire dans Unto This Last est la façon précise avec laquelle, à l'analyse s'ajoute l'ironie, la passion et l'imagination. Le premier essai commence avec une attaque de la notion d'homme économique. Dans la plupart des affaires humaines, il est normal de regarder le gain personnel comme secondaire dans le service désintéressé de son prochain. La même chose doit s'appliquer à l'industrie et au commerce : le travail du fabricant et du vendeur doit être de pourvoir la communauté en biens et en services utiles. Le second anticipe la charge de sentimentalisme. A l'aide de fables simples, il montre que l'honneur dans les affaires commerciales est non seulement désirable, mais essentiel pour une prospérité véritable. Les économistes ne comprennent pas cet argument car ils isolent l'individu de la société. Le modèle proposé pour l'Etat est la cellule familiale où la survie et la prospérité sont profondément interdépendantes. Ce qui conduit naturellement à la considération de la juste récompense du travail dans le troisième essai. Le concept de justice abstraite existe derrière toutes les transactions humaines. Ce concept est inné, et quand il est violé, celui qui en souffre se sent lui-même la victime d'un crime. Un salaire injuste est donc une forme de vol. Dans le dernier essai, sont esquissés quelques-uns des critiques écologistes aux cités modernes. Il définit ce qu'est un objet utile, ce que n'avaient pas fait les économistes du XIXème siècle. Puis vient la définition d'une véritable richesse, à savoir, qu'elle ne se trouve pas dans la possession de biens matériels, mais dans le cœur d'individus "nobles et généreux". Le texte de Gandhi est beaucoup plus court que celui de Ruskin. Dans l'original, les quatre chapitres sont de taille sensiblement équivalente. Dans la paraphrase de Gandhi, leur longueur est décroissante. Il est aussi très différent par le style, moins littéraire, et le vocabulaire, fortement simplifié. Gandhi a supprimé toutes les références à d'autres écrits donnés par Ruskin, principalement ceux de John Stuart Mill, Adam Smith et David Ricardo. Mais des passages entiers sont identiques et l'analyse est la même. Gandhi a ajouté une conclusion où il adapte les arguments de Ruskin à la situation de l'Inde. Aucun autre livre, excepté la Baghavad Gita, n'a eu une influence aussi importante sur la pensée de Gandhi. Conclusion Il est remarquable que les dysfonctionnements actuels de notre société aient été si bien prévus et analysés il y a plus d'un siècle. On peut exactement appliquer les commentaires de Unto This Last, écrits pour le libéralisme du XIXème siècle, à l'économie des pays capitalistes d'aujourd'hui. Ceux-ci ont appliqué à leur système social certaines des propositions de Ruskin et de Gandhi, comme le taux horaire fixe, le salaire minimum, le droit à certains besoins essentiels. Mais l'idée que le niveau de salaire doit être fixe pour un temps de travail équivalent est complètement pervertie dans leurs relations économiques avec les pays du Sud. Les échanges sont totalement faussés par le niveau des taux de change. Dans le cas de l'Inde, la valeur de la roupie a été divisée par cinq en dix ans ! Mais le prix des marchandises et des services échangés, fixé en devises fortes, est resté le même. Pire, les prix des produits vendus ont augmenté, tandis que ceux des produits achetés ont chuté. Les conditions se sont encore aggravées au désavantage des pays les plus pauvres. Par contre, ce qui n'a pas changé est encore le fléau principal qui ravage la société moderne : la démoralisation de l'économie est la cause des maux de notre société, comme l'apparition d'une nouvelle pauvreté, le chômage dont aucun remède n'endigue la croissance régulière. Il semble aussi que les communautés fondées par Gandhi en Afrique du Sud, Phoenix Settlement et Tolstoy Farm, aient été inspirées par une innovation de Ruskin : The Guild of St. George. L'œuvre de Ruskin est donc à l'origine de la plupart des principes économiques et sociaux de Gandhi, et de ceux qui l'ont suivi. C'est en conséquence un ouvrage fondamental dans l'évolution des idées et des pratiques alternatives dans la société moderne.
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https://fr.wikisource.org/wiki/Loi%20constitutionnelle%20de%201867
Loi constitutionnelle de 1867
Constitutions du Canada Documents juridiques canadiens1867 en:Constitution Act, 1867 <div class="text"> Loi concernant l'Union et le gouvernement du Canada, de la Nouvelle-Écosse et du Nouveau-Brunswick, ainsi que les objets qui s'y rattachent. Considérant que les provinces du Canada, de la Nouvelle-Écosse et du Nouveau-Brunswick ont exprimé le désir de contracter une Union Fédérale pour ne former qu’une seule et même Puissance (Dominion) sous la couronne du Royaume-Uni de la Grande-Bretagne et d’Irlande, avec une constitution reposant sur les mêmes principes que celle du Royaume-Uni : Considérant de plus qu’une telle union aurait l’effet de développer la prospérité des provinces et de favoriser les intérêts de l’Empire Britannique : Considérant de plus qu’il est opportun, concurremment avec l’établissement de l’union par autorité du parlement, non seulement de décréter la constitution du pouvoir législatif de la Puissance, mais aussi de définir la nature de son gouvernement exécutif : Considérant de plus qu’il est nécessaire de pourvoir à l’admission éventuelle d’autres parties de l’Amérique du Nord britannique dans l’union : I. Préliminaires Titre abrégé 1 Titre abrégé : Loi constitutionnelle de 1867 2 Abrogé. II. Union Établissement de l'union 3 Il sera loisible à la Reine, de l'avis du Très-Honorable Conseil Privé de Sa Majesté, de déclarer par proclamation qu'à compter du jour y désigné, mais pas plus tard que six mois après la passation de la présente loi, les provinces du Canada, de la Nouvelle-Écosse et du Nouveau-Brunswick ne formeront qu'une seule et même Puissance sous le nom de Canada; et dès ce jour, ces trois provinces ne formeront, en conséquence, qu'une seule et même Puissance sous ce nom. Interprétation des dispositions subséquentes de la loi 4 À moins que le contraire n'y apparaisse explicitement ou implicitement, le nom de Canada signifiera le Canada tel que constitué sous la présente loi. Quatre provinces 5 Le Canada sera divisé en quatre provinces, dénommées: Ontario, Québec, Nouvelle-Écosse et Nouveau-Brunswick. Provinces d'Ontario et Québec 6 Les parties de la province du Canada (telle qu'existant à la passation de la présente loi) qui constituaient autrefois les provinces respectives du Haut et du Bas-Canada, seront censées séparées et formeront deux provinces distinctes. La partie qui constituait autrefois la province du Haut-Canada formera la province d'Ontario; et la partie qui constituait la province du Bas-Canada formera la province de Québec. Provinces de la Nouvelle-Écosse et du Nouveau-Brunswick 7 Les provinces de la Nouvelle-Écosse et du Nouveau-Brunswick auront les mêmes délimitations qui leur étaient assignées à l'époque de la passation de la présente loi. Recensement décennal 8 Dans le recensement général de la population du Canada qui, en vertu de la présente loi, devra se faire en mil huit cent soixante et onze, et tous les dix ans ensuite, il sera fait une énumération distincte des populations respectives des quatre provinces. III. Pouvoir exécutif La Reine est investie du pouvoir exécutif 9 À la Reine continueront d'être et sont par la présente attribués le gouvernement et le pouvoir exécutifs du Canada. Application des dispositions relatives au gouverneur-général 10 Les dispositions de la présente loi relatives au gouverneur général s'étendent et s'appliquent au gouverneur général du Canada, ou à tout autre Chef Exécutif ou Administrateur pour le temps d'alors, administrant le gouvernement du Canada au nom de la Reine, quel que soit le titre sous lequel il puisse être désigné. Constitution du conseil privé 11 Il y aura, pour aider et aviser, dans l'administration du gouvernement du Canada, un conseil dénommé le Conseil Privé de la Reine pour le Canada; les personnes qui formeront partie de ce conseil seront, de temps à autre, choisies et mandées par le Gouverneur-Général et assermentées comme Conseillers Privés; les membres de ce conseil pourront, de temps à autre, être révoqués par le gouverneur-général. Pouvoirs conférés au gouverneur-général, en conseil ou seul 12 Tous les pouvoirs, attributions et fonctions qui, — par une loi du parlement de la Grande-Bretagne, ou du parlement du Royaume-Uni de la Grande-Bretagne et d'Irlande, ou de la législature du Haut-Canada, du Bas-Canada, du Canada, de la Nouvelle-Écosse ou du Nouveau-Brunswick, lors de l'union, — sont conférés aux gouverneurs ou lieutenants-gouverneurs respectifs de ces provinces ou peuvent être par eux exercés, de l'avis ou de l'avis et du consentement des conseils exécutifs de ces provinces, ou avec la coopération de ces conseils, ou d'aucun nombre de membres de ces conseils, ou par ces gouverneurs ou lieutenants-gouverneurs individuellement, seront, en tant qu'ils continueront d'exister et qu'ils pourront être exercés, après l'union, relativement au gouvernement du Canada, — conférés au gouverneur-général et pourront être par lui exercés, de l'avis ou de l'avis et du consentement ou avec la coopération du Conseil Privé de la Reine pour le Canada ou d'aucun de ses membres, ou par le gouverneur-général individuellement, selon le cas; mais ils pourront, néanmoins (sauf ceux existant en vertu de lois de la Grande-Bretagne ou du parlement du Royaume-Uni de la Grande-Bretagne et d'Irlande), être révoqués ou modifiés par le parlement du Canada. Application des dispositions relatives au gouverneur-général en conseil 13 Les dispositions de la présente loi relatives au gouverneur-général en conseil seront interprétées de manière à s'appliquer au gouverneur-général agissant de l'avis du Conseil Privé de la Reine pour le Canada. Le gouverneur-général autorisé à s'adjoindre des députés 14 Il sera loisible à la Reine, si Sa Majesté le juge à propos, d'autoriser le gouverneur-général à nommer, de temps à autre, une ou plusieurs personnes, conjointement ou séparément, pour agir comme son ou ses députés dans aucune partie ou parties du Canada, pour, en cette capacité, exercer, durant le plaisir du gouverneur-général, les pouvoirs, attributions et fonctions du gouverneur-général, que le gouverneur-général jugera à propos ou nécessaire de lui ou leur assigner, sujet aux restrictions ou instructions formulées ou communiquées par la Reine; mais la nomination de tel député ou députés ne pourra empêcher le gouverneur-général lui-même d'exercer les pouvoirs, attributions ou fonctions qui lui sont conférés. Commandement des armées 15 À la Reine continuera d'être et est par la présente attribué le commandement en chef des milices de terre et de mer et de toutes les forces militaires et navales en Canada. Siège du gouvernement du Canada 16 Jusqu'à ce qu'il plaise à la Reine d'en ordonner autrement, Ottawa sera le siège du gouvernement du Canada. IV. Pouvoir législatif Constitution du parlement du Canada 17 Il y aura, pour le Canada, un parlement qui sera composé de la Reine, d'une chambre haute appelée le Sénat, et de la Chambre des Communes. Privilèges etc., des chambres 18 Les privilèges, immunités et pouvoirs que posséderont et exerceront le Sénat et la Chambre des Communes et les membres de ces corps respectifs, seront ceux prescrits de temps à autre par loi du Parlement du Canada; mais de manière à ce qu'aucune loi du Parlement du Canada définissant tels privilèges, immunités et pouvoirs ne donnera aucuns privilèges, immunités ou pouvoirs excédant ceux qui, lors de la passation de la présente loi, sont possédés et exercés par la Chambre des Communes du Parlement du Royaume-Uni de la Grande-Bretagne et d'Irlande et par les membres de cette Chambre. Première session du parlement 19 Le parlement du Canada sera convoqué dans un délai de pas plus de six mois après l'union. 20 Abrogé. Le Sénat Nombre de sénateurs 21 Sujet aux dispositions de la présente loi, le Sénat se composera de cent cinq membres, qui seront appelés sénateurs. (11) Représentation des provinces au Sénat 22 En ce qui concerne la composition du Sénat, le Canada sera censé comprendre quatre divisions : 1. Ontario; 2. Québec; 3. les provinces Maritimes - la Nouvelle-Écosse et le Nouveau-Brunswick ainsi que l'Île-du-Prince-Édouard; 4. les provinces de l'Ouest: le Manitoba, la Colombie-Britannique, la Saskatchewan et l'Alberta; En ce qui concerne la province de Québec, chacun des vingt-quatre sénateurs la représentant, sera nommé pour l'un des vingt-quatre collèges électoraux du Bas-Canada énumérés dans la cédule A, annexée au chapitre premier des statuts refondus du Canada. Qualités exigées des sénateurs 23 Les qualifications d'un sénateur seront comme suit : 1. Il devra être âgé de trente ans révolus ; 2. Il devra être sujet-né de la Reine, ou sujet de la Reine naturalisé par loi du parlement de la Grande-Bretagne, ou du parlement du Royaume-Uni de la Grande-Bretagne et d'Irlande, ou de la législature de l'une des provinces du Haut-Canada, du Bas-Canada, du Canada, de la Nouvelle-Écosse, ou du Nouveau-Brunswick, avant l'union, ou du parlement du Canada, après l'union ; 3. Il devra posséder, pour son propre usage et bénéfice, comme propriétaire en droit ou en équité, des terres ou tenements tenus en franc et commun socage, - ou être en bonne saisine ou possession, pour son propre usage et bénéfice, de terres ou tenements tenus en franc-alleu ou en roture dans la province pour laquelle il est nommé, de la valeur de quatre mille piastres en sus de toutes rentes, dettes, charges, hypothèques et redevances qui peuvent être attachées, dues et payables sur ces immeubles ou auxquelles ils peuvent être affectés; 4. Ses propriétés mobilières et immobilières devront valoir, somme toute, quatre mille piastres, en sus de toutes ses dettes et obligations ; 5. Il devra être domicilié dans la province pour laquelle il est nommé ; 6. En ce qui concerne la province de Québec, il devra être domicilié ou posséder sa qualification foncière dans le collège électoral dont la représentation lui est assignée. Nomination des sénateurs 24 Le gouverneur-général mandera de temps à autre au Sénat, au nom de la Reine et par instrument sous le grand sceau du Canada, des personnes ayant les qualifications voulues; et, sujettes aux dispositions de la présente loi, les personnes ainsi mandées deviendront et seront membres du Sénat et sénateurs. 25. Abrogé. Nombre de sénateurs augmenté en certains cas 26 Si en aucun temps, sur la recommandation du gouverneur-général, la Reine juge à propos d'ordonner que quatre ou huit membres soient ajoutés au Sénat, le gouverneur-général pourra, par mandat adressé à quatre ou huit personnes (selon le cas) ayant les qualifications voulues, représentant également les quatre divisions du Canada, les ajouter au Sénat. Réduction du Sénat au nombre régulier 27 Dans le cas où le nombre des sénateurs serait ainsi en aucun temps augmenté, le gouverneur-général ne mandera aucune personne au Sénat, sauf sur pareil ordre de la Reine donné à la suite de la même recommandation, tant que la représentation de chacune des quatre divisions du Canada ne sera pas revenue au nombre fixe de vingt-quatre sénateurs. Maximum du nombre des sénateurs 28 Le nombre des sénateurs ne devra en aucun temps excéder cent treize. Sénateurs nommés à vie 29 (1) Sous réserve du paragraphe (2), un sénateur occupe sa place au Sénat sa vie durant, sauf les dispositions de la présente loi. Retraite à l'âge de soixante-quinze ans (2) Un sénateur qui est nommé au Sénat après l'entrée en vigueur du présent paragraphe occupe sa place au Sénat, sous réserve de la présente loi, jusqu'à ce qu'il atteigne l'âge de soixante-quinze ans. Les sénateurs peuvent se démettre de leurs fonctions 30 Un sénateur pourra, par écrit revêtu de son seing et adressé au gouverneur-général, se démettre de ses fonctions au Sénat, après quoi son siège deviendra vacant. Cas dans lesquels les sièges des sénateurs deviendront vacants 31 Le siège d'un sénateur deviendra vacant dans chacun des cas suivants: 1. Si, durant deux sessions consécutives du parlement, il manque d'assister aux séances du Sénat ; 2. S'il prête un serment, ou souscrit une déclaration ou reconnaissance d'allégeance, obéissance ou attachement à une puissance étrangère, ou s'il accomplit un acte qui le rend sujet ou citoyen, ou lui confère les droits et les privilèges d'un sujet ou citoyen d'une puissance étrangère ; 3. S'il est déclaré en état de banqueroute ou de faillite, ou s'il a recours au bénéfice d'aucune loi concernant les faillis, ou s'il se rend coupable de concussion ; 4. S'il est atteint de trahison ou convaincu de félonie, ou d'aucun crime infamant ; 5. S'il cesse de posséder la qualification reposant sur la propriété ou le domicile; mais un sénateur ne sera pas réputé avoir perdu la qualification reposant sur le domicile par le seul fait de sa résidence au siège du gouvernement du Canada pendant qu'il occupe sous ce gouvernement une charge qui y exige sa présence. Nomination en cas de vacance 32 Quand un siège deviendra vacant au Sénat par démission, décès ou toute autre cause, le gouverneur-général remplira la vacance en adressant un mandat à quelque personne capable et ayant les qualifications voulues. Questions quant aux qualifications et vacances, etc. 33 S'il s'élève quelque question au sujet des qualifications d'un sénateur ou d'une vacance dans le Sénat, cette question sera entendue et décidée par le Sénat. Orateur du Sénat 34 Le gouverneur-général pourra, de temps à autre, par instrument sous le grand sceau du Canada, nommer un sénateur comme orateur du Sénat, et le révoquer et en nommer un autre à sa place. Quorum du Sénat 35 Jusqu'à ce que le parlement du Canada en ordonne autrement, la présence d'au moins quinze sénateurs, y compris l'orateur, sera nécessaire pour constituer une assemblée du Sénat dans l'exercice de ses fonctions. Votation dans le Sénat 36 Les questions soulevées dans le Sénat seront décidées à la majorité des voix, et dans tous les cas, l'orateur aura voix délibérative; quand les voix seront également partagées, la décision sera considérée comme rendue dans la négative. La Chambre des Communes Constitution de la Chambre des Communes 37 La Chambre des Communes sera, sujette aux dispositions de la présente loi, composée de deux cent quatre-vingt-quinze membres, dont quatre-vingt-dix-neuf représenteront Ontario, soixante-quinze Québec, onze la Nouvelle-Écosse, dix le Nouveau-Brunswick, quatorze le Manitoba, trente-deux la Colombie-Britannique, quatre l'Île-du-Prince-Édouard, vingt-six l'Alberta, quatorze la Saskatchewan, sept Terre-Neuve, un le territoire du Yukon et deux les territoires du Nord-Ouest. Convocation de la Chambre des Communes 38 Le gouverneur-général convoquera, de temps à autre, la Chambre des Communes au nom de la Reine, par instrument sous le grand sceau du Canada. Exclusion des sénateurs de la Chambre des Communes 39 Un sénateur ne pourra ni être élu, ni siéger, ni voter comme membre de la Chambre des Communes. Districts électoraux des quatre provinces 40 Jusqu'à ce que le parlement du Canada en ordonne autrement, les provinces d'Ontario, de Québec, de la Nouvelle-Écosse et du Nouveau-Brunswick seront, en ce qui concerne l'élection des membres de la Chambre des Communes, divisées en districts électoraux comme suit: 1. La province d'Ontario sera partagée en comtés, divisions de comtés (Ridings), cités, parties de cités et villes tels qu'énumérés dans la première annexe de la présente loi; chacune de ces divisions formera un district électoral, et chaque district désigné dans cette annexe aura droit d'élire un membre. 2. La province de Québec sera partagée en soixante-cinq districts électoraux, comprenant les soixante-cinq divisions électorales en lesquelles le Bas-Canada est actuellement divisé en vertu du chapitre deuxième des Statuts Refondus du Canada, du chapitre soixante-quinze des Statuts Refondus pour le Bas-Canada, et de l'acte de la province du Canada de la vingt-troisième année du règne de Sa Majesté la Reine, chapitre premier, ou de toute autre loi les amendant et en force à l'époque de l'union, de telle manière que chaque division électorale constitue, pour les fins de la présente loi, un district électoral ayant droit d'élire un membre. 3. Nouvelle-Écosse Chacun des dix-huit comtés de la Nouvelle-Écosse formera un district électoral. Le comté d'Halifax aura droit d'élire deux membres, et chacun des autres comtés, un membre. 4. Nouveau-Brunswick Chacun des quatorze comtés dont se compose le Nouveau-Brunswick, y compris la cité et le comté de St. Jean, formera un district électoral. La cité de St. Jean constituera également un district électoral par elle-même. Chacun de ces quinze districts électoraux aura droit d'élire un membre. (21) Continuation des lois actuelles d'élection 41. Jusqu'à ce que le parlement du Canada en ordonne autrement, toutes les lois en force dans les diverses provinces, à l'époque de l'union, concernant les questions suivantes ou aucune d'elles, savoir: l'éligibilité ou l'inéligibilité des candidats ou des membres de la chambre d'assemblée ou assemblée législative dans les diverses provinces, les votants aux élections de ces membres, les serments exigés des votants, les officiers-rapporteurs, leurs pouvoirs et leurs devoirs, le mode de procéder aux élections, le temps que celles-ci peuvent durer, la décision des élections contestées et les procédures y incidentes, les vacations des sièges en parlement et l'exécution de nouveaux brefs dans les cas de vacations occasionnées par d'autres causes que la dissolution, s'appliqueront respectivement aux élections des membres envoyés à la Chambre des Communes par ces diverses provinces. Mais, jusqu'à ce que le parlement du Canada en ordonne autrement, à chaque élection d'un membre de la Chambre des Communes pour le district d'Algoma, outre les personnes ayant droit de vote en vertu de la loi de la province du Canada, tout sujet anglais du sexe masculin, âgé de vingt-et-un ans ou plus et tenant feu et lieu, aura droit de vote. (22) [Abrogé] 42. Abrogé. (23) [Abrogé] 43. Abrogé. (24) Orateur de la Chambre des Communes 44. La Chambre des Communes, à sa première réunion après une élection générale, procédera, avec toute la diligence possible, à l'élection de l'un de ses membres comme orateur. Quand la charge d'orateur deviendra vacante 45. Survenant une vacance dans la charge d'orateur, par décès, démission ou autre cause, la Chambre des Communes procédera, avec toute la diligence possible, à l'élection d'un autre de ses membres comme orateur. L'orateur exerce la présidence 46. L'orateur présidera à toutes les séances de la Chambre des Communes. Pourvu au cas de l'absence de l'orateur 47. Jusqu'à ce que le parlement du Canada en ordonne autrement, si l'orateur, pour une raison quelconque, quitte le fauteuil de la Chambre des Communes pendant quarante-huit heures consécutives, la chambre pourra élire un autre de ses membres pour agir comme orateur; le membre ainsi élu aura et exercera, durant l'absence de l'orateur, tous les pouvoirs, privilèges et attributions de ce dernier. (25) Quorum de la Chambre des Communes 48. La présence d'au moins vingt membres de la Chambre des Communes sera nécessaire pour constituer une assemblée de la chambre dans l'exercice de ses pouvoirs; à cette fin, l'orateur sera compté comme un membre. Votation dans la Chambre des Communes 49. Les questions soulevées dans la Chambre des Communes seront décidées à la majorité des voix, sauf celle de l'orateur, mais lorsque les voix seront également partagées, et en ce cas seulement, l'orateur pourra voter. Durée de la Chambre des Communes 50. La durée de la Chambre des Communes ne sera que de cinq ans, à compter du jour du rapport des brefs d'élection, à moins qu'elle ne soit plus tôt dissoute par le gouverneur-général. (26) Révisions électorales 51. (1) À l'entrée en vigueur du présent paragraphe et, par la suite, à l'issue de chaque recensement décennal, il est procédé à la révision du nombre des députés et de la représentation des provinces à la Chambre des communes selon les pouvoirs conférés et les modalités de temps ou autres fixées en tant que de besoin par le Parlement du Canada, compte tenu des règles suivantes : Règles 1 Il est attribué à chaque province le nombre de députés résultant de la division du chiffre de sa population par le quotient du chiffre total de la population des provinces et de deux cent soixante-dix-neuf, les résultats dont la partie décimale dépasse 0,50 étant arrondis à l'unité supérieure. 2. Le nombre total des députés d'une province demeure inchangé par rapport à la représentation qu'elle avait à la date d'entrée en vigueur du présent paragraphe si l'application de la règle 1 lui attribue un nombre inférieur à cette représentation. (27) Yukon, Territoires du Nord-Ouest et Nunavut (2) Le territoire du Yukon, les Territoires du Nord-Ouest et le Nunavut, dans les limites et selon la description qu'en donnent respectivement l'annexe du chapitre Y-2 des Lois révisées du Canada (1985), l'article 2 du chapitre N-27 des Lois révisées du Canada (1985), dans sa version modifiée par l'article 77 du chapitre 28 des Lois du Canada de 1993, ainsi que l'article 3 du chapitre 28 des Lois du Canada de 1993, ont droit à un député chacun.(28) Constitution de la Chambre des Communes 51A. Nonobstant quoi que ce soit en la présente loi, une province doit toujours avoir droit à un nombre de membres dans la Chambre des Communes non inférieur au nombre de sénateurs représentant cette province. (29) Augmentation du nombre des membres de la Chambre des Communes 52. Le nombre des membres de la Chambre des Communes pourra de temps à autre être augmenté par le parlement du Canada, pourvu que la proportion établie par la présente loi dans la représentation des provinces reste intacte. LÉGISLATION FINANCIÈRE; SANCTION ROYALE Bills pour lever des crédits et des impôts 53. Tout bill ayant pour but l'appropriation d'une portion quelconque du revenu public, ou la création de taxes ou d'impôts, devra originer dans la Chambre des Communes. Recommandation des crédits 54. Il ne sera pas loisible à la Chambre des Communes d'adopter aucune résolution, adresse ou bill pour l'appropriation d'une partie quelconque du revenu public, ou d'aucune taxe ou impôt, à un objet qui n'aura pas, au préalable, été recommandé à la chambre par un message du gouverneur-général durant la session pendant laquelle telle résolution, adresse ou bill est proposé. Sanction royale aux bills, etc. 55. Lorsqu'un bill voté par les chambres du parlement sera présenté au gouverneur-général pour la sanction de la Reine, le gouverneur-général devra déclarer à sa discrétion, mais sujet aux dispositions de la présente loi et aux instructions de Sa Majesté, ou qu'il le sanctionne au nom de la Reine, ou qu'il refuse cette sanction, ou qu'il réserve le bill pour la signification du bon plaisir de la Reine. Désaveu, par ordonnance rendue en conseil, des lois sanctionnées par le gouverneur-général 56. Lorsque le gouverneur-général aura donné sa sanction à un bill au nom de la Reine, il devra, à la première occasion favorable, transmettre une copie authentique de la loi à l'un des principaux secrétaires d'État de Sa Majesté; si la Reine en conseil, dans les deux ans après que le secrétaire d'État l'aura reçu, juge à propos de la désavouer, ce désaveu, - accompagné d'un certificat du secrétaire d'État, constatant le jour où il aura reçu la loi - étant signifié par le gouverneur-général, par discours ou message, à chacune des chambres du parlement, ou par proclamation, annulera la loi à compter du jour de telle signification. Signification du bon plaisir de la Reine quant aux bills réservés 57. Un bill réservé à la signification du bon plaisir de la Reine n'aura ni force ni effet avant et à moins que dans les deux ans à compter du jour où il aura été présenté au gouverneur-général pour recevoir la sanction de la Reine, ce dernier ne signifie, par discours ou message, à chacune des deux chambres du parlement, ou par proclamation, qu'il a reçu la sanction de la Reine en conseil. Ces discours, messages ou proclamations, seront consignés dans les journaux de chaque chambre, et un double dûment certifié en sera délivré à l'officier qu'il appartient pour qu'il le dépose parmi les archives du Canada. V. CONSTITUTIONS PROVINCIALES POUVOIR EXÉCUTIF Lieutenants-gouverneurs des provinces 58. Il y aura, pour chaque province, un officier appelé lieutenant-gouverneur, lequel sera nommé par le gouverneur-général en conseil par instrument sous le grand sceau du Canada. Durée des fonctions des lieutenants-gouverneurs 59. Le lieutenant-gouverneur restera en charge durant le bon plaisir du gouverneur-général; mais tout lieutenant-gouverneur nommé après le commencement de la première session du parlement du Canada, ne pourra être révoqué dans le cours des cinq ans qui suivront sa nomination, à moins qu'il n'y ait cause; et cette cause devra lui être communiquée par écrit dans le cours d'un mois après qu'aura été rendu l'ordre décrétant sa révocation, et l'être aussi par message au Sénat et à la Chambre des Communes dans le cours d'une semaine après cette révocation si le parlement est alors en session, sinon, dans le délai d'une semaine après le commencement de la session suivante du parlement. Salaires des lieutenants-gouverneurs 60. Les salaires des lieutenants-gouverneurs seront fixés et payés par le parlement du Canada. (30) Serments, etc., du lieutenant-gouverneur 61. Chaque lieutenant-gouverneur, avant d'entrer dans l'exercice de ses fonctions, prêtera et souscrira devant le gouverneur-général ou quelque personne à ce par lui autorisée, les serments d'allégeance et d'office prêtés par le gouverneur-général. Application des dispositions relatives au lieutenant-gouverneur 62. Les dispositions de la présente loi relatives au lieutenant-gouverneur s'étendent et s'appliquent au lieutenant-gouverneur de chaque province ou à tout autre chef exécutif ou administrateur pour le temps d'alors administrant le gouvernement de la province, quel que soit le titre sous lequel il est désigné. Conseils exécutifs d'Ontario et Québec 63. Le conseil exécutif d'Ontario et de Québec se composera des personnes que le lieutenant-gouverneur jugera, de temps à autre, à propos de nommer, et en premier lieu, des officiers suivants, savoir: le procureur-général, le secrétaire et registraire de la province, le trésorier de la province, le commissaire des terres de la couronne, et le commissaire d'agriculture et des travaux publics, et - dans la province de Québec - l'orateur du conseil législatif, et le solliciteur général. (31) Gouvernement exécutif de la Nouvelle-Écosse et du Nouveau-Brunswick 64. La constitution de l'autorité exécutive dans chacune des provinces du Nouveau-Brunswick et de la Nouvelle-Écosse continuera, sujette aux dispositions de la présente loi, d'être celle en existence lors de l'union, jusqu'à ce qu'elle soit modifiée sous l'autorité de la présente loi. (32) Pouvoirs conférés au lieutenant-gouverneur d'Ontario ou Québec, en conseil ou seul 65. Tous les pouvoirs, attributions et fonctions qui - par une loi du parlement de la Grande-Bretagne, ou du parlement du Royaume-Uni de la Grande-Bretagne et d'Irlande, ou de la législature du Haut-Canada, du Bas-Canada ou du Canada, avant ou lors de l'union - étaient conférés aux gouverneurs ou lieutenants-gouverneurs respectifs de ces provinces ou pouvaient être par eux exercés, de l'avis, ou de l'avis et du consentement des conseils exécutifs respectifs de ces provinces, ou avec la coopération de ces conseils ou d'aucun nombre de membres de ces conseils, ou par ces gouverneurs ou lieutenants-gouverneurs individuellement, seront -en tant qu'ils pourront être exercés après l'union, relativement au gouvernement d'Ontario et Québec respectivement - conférés au lieutenant-gouverneur d'Ontario et Québec, respectivement, et pourront être par lui exercés, de l'avis ou de l'avis et du consentement ou avec la coopération des conseils exécutifs respectifs ou d'aucun de leurs membres, ou par le lieutenant-gouverneur individuellement, selon le cas; mais ils pourront, néanmoins (sauf ceux existant en vertu de lois de la Grande-Bretagne et d'Irlande), être révoqués ou modifiés par les législatures respectives d'Ontario et Québec. (33) Application des dispositions relatives aux lieutenants-gouverneurs en conseil 66. Les dispositions de la présente loi relatives au lieutenant-gouverneur en conseil seront interprétées comme s'appliquant au lieutenant-gouverneur de la province agissant de l'avis de son conseil exécutif. Administration en l'absence, etc., du lieutenant-gouverneur 67. Le gouverneur-général en conseil pourra, au besoin, nommer un administrateur qui remplira les fonctions de lieutenant-gouverneur durant l'absence, la maladie ou autre incapacité de ce dernier. Sièges des gouvernements provinciaux 68. Jusqu'à ce que le gouvernement exécutif d'une province en ordonne autrement, relativement à telle province, les sièges du gouvernement des provinces seront comme suit, savoir: pour Ontario, la cité de Toronto; pour Québec, la cité de Québec; pour la Nouvelle-Écosse, la cité d'Halifax; et pour le Nouveau-Brunswick, la cité de Frédericton. POUVOIR LÉGISLATIF 1. ONTARIO Législature d'Ontario 69. Il y aura, pour Ontario, une législature composée du lieutenant-gouverneur et d'une seule chambre appelée l'assemblée législative d'Ontario. Districts électoraux 70. L'assemblée législative d'Ontario sera composée de quatre-vingt-deux membres qui devront représenter les quatre-vingt-deux districts électoraux énumérés dans la première annexe de la présente loi. (34) 2. QUÉBEC Législature de Québec 71. Il y aura, pour Québec, une législature composée du lieutenant-gouverneur et de deux chambres appelées le conseil législatif de Québec et l'assemblée législative de Québec. (35) Constitution du conseil législatif 72. Le conseil législatif de Québec se composera de vingt-quatre membres, qui seront nommés par le lieutenant-gouverneur au nom de la Reine, par instrument sous le grand sceau de Québec, et devront, chacun, représenter l'un des vingt-quatre collèges électoraux du Bas-Canada mentionnés à la présente loi; ils seront nommés à vie, à moins que la législature de Québec n'en ordonne autrement sous l'autorité de la présente loi. Qualités exigées des conseillers législatifs 73. Les qualifications des conseillers législatifs de Québec seront les mêmes que celles des sénateurs pour Québec. Cas dans lesquels les sièges des conseillers législatifs deviennent vacants 74. La charge de conseiller législatif de Québec deviendra vacante dans les cas, mutatis mutandis, où celle de sénateur peut le devenir. Vacances 75. Survenant une vacance dans le conseil législatif de Québec, par démission, décès ou autre cause, le lieutenant-gouverneur, au nom de la Reine, nommera, par instrument sous le grand sceau de Québec, une personne capable et ayant les qualifications voulues pour la remplir. Questions quant aux vacances, etc. 76. S'il s'élève quelque question au sujet des qualifications d'un conseiller législatif de Québec ou d'une vacance dans le conseil législatif de Québec, elle sera entendue et décidée par le conseil législatif. Orateur du conseil législatif 77. Le lieutenant-gouverneur pourra, de temps à autre, par instrument sous le grand sceau de Québec, nommer un membre du conseil législatif de Québec comme orateur de ce corps, et également le révoquer et en nommer un autre à sa place. Quorum du conseil législatif 78. Jusqu'à ce que la législature de Québec en ordonne autrement, la présence d'au moins dix membres du conseil législatif, y compris l'orateur, sera nécessaire pour constituer une assemblée du conseil dans l'exercice de ses fonctions. Votation dans le conseil législatif de Québec 79. Les questions soulevées dans le conseil législatif de Québec seront décidées à la majorité des voix, et, dans tous les cas, l'orateur aura voix délibérative; quand les voix seront également partagées, la décision sera considérée comme rendue dans la négative. Constitution de l'assemblée législative de Québec 80. L'assemblée législative de Québec se composera de soixante-cinq membres, qui seront élus pour représenter les soixante-cinq divisions ou districts électoraux du Bas-Canada, mentionnés à la présente loi, sauf toute modification que pourra y apporter la législature de Québec; mais il ne pourra être présenté au lieutenant-gouverneur de Québec, pour qu'il le sanctionne, aucun bill à l'effet de modifier les délimitations des divisions ou districts électoraux énumérés dans la deuxième annexe de la présente loi, à moins qu'il n'ait été passé à ses deuxième et troisième lectures dans l'assemblée législative avec le concours de la majorité des membres représentant toutes ces divisions ou districts électoraux; et la sanction ne sera donnée à aucun bill de cette nature à moins qu'une adresse n'ait été présentée au lieutenant-gouverneur par l'assemblée législative déclarant que tel bill a été ainsi passé. (36) 3. ONTARIO ET QUÉBEC [Abrogé] 81. Abrogé. (37) Convocation des assemblées législatives 82. Le lieutenant-gouverneur d'Ontario et de Québec devra, de temps à autre, au nom de la Reine, par instrument sous le grand sceau de la province, convoquer l'assemblée législative de la province. Restriction quant à l'élection des personnes ayant des emplois 83. Jusqu'à ce que la législature d'Ontario ou de Québec en ordonne autrement, quiconque acceptera ou occupera dans la province d'Ontario ou dans celle de Québec, une charge, commission ou emploi, d'une nature permanente ou temporaire, à la nomination du lieutenant-gouverneur, auquel sera attaché un salaire annuel ou quelque honoraire, allocation, émolument ou profit d'un genre ou montant quelconque payé par la province, ne sera pas éligible comme membre de l'assemblée législative de cette province, ni ne devra y siéger ou voter en cette qualité; mais rien de contenu au présent article ne rendra inéligible aucune personne qui sera membre du conseil exécutif de chaque province respective ou qui remplira quelqu'une des charges suivantes, savoir: celles de procureur-général, secrétaire et régistraire de la province, trésorier de la province, commissaire des terres de la couronne, et commissaire d'agriculture et des travaux publics, et, dans la province de Québec, celle de solliciteur général, ni ne la rendra inhabile à siéger ou à voter dans la chambre pour laquelle elle est élue, pourvu qu'elle soit élue pendant qu'elle occupera cette charge. (38) Continuation des lois actuelles d'élection 84. Jusqu'à ce que les législatures respectives de Québec et Ontario en ordonnent autrement, toutes les lois en force dans ces provinces respectives, à l'époque de l'union, concernant les questions suivantes ou aucune d'elles, savoir: l'éligibilité ou l'inéligibilité des candidats ou des membres de l'assemblée du Canada, les qualifications et l'absence des qualifications requises des votants, les serments exigés des votants, les officiers-rapporteurs, leurs pouvoirs et leurs devoirs, le mode de procéder aux élections, le temps que celles-ci peuvent durer, la décision des élections contestées et les procédures y incidentes, les vacations des sièges en parlement, et l'émission et l'exécution de nouveaux brefs dans les cas de vacations occasionnées par d'autres causes que la dissolution, s'appliqueront respectivement aux élections des membres élus pour les assemblées législatives d'Ontario et Québec respectivement. Mais, jusqu'à ce que la législature d'Ontario en ordonne autrement, à chaque élection d'un membre de l'assemblée législative d'Ontario pour le district d'Algoma, outre les personnes ayant droit de vote en vertu de la loi de la province du Canada, tout sujet anglais du sexe masculin âgé de vingt-et-un ans ou plus, et tenant feu et lieu, aura droit de vote. (39) Durée des assemblées législatives 85. La durée de l'assemblée législative d'Ontario et de l'assemblée législative de Québec ne sera que de quatre ans, à compter du jour du rapport des brefs d'élection, à moins qu'elle ne soit plus tôt dissoute par le lieutenant-gouverneur de la province. (40) Session annuelle de la législature 86. Il y aura une session de la législature d'Ontario et de celle de Québec, une fois au moins chaque année, de manière qu'il ne s'écoule pas un intervalle de douze mois entre la dernière séance d'une session de la législature dans chaque province, et sa première séance dans la session suivante. (41) Orateur, quorum, etc. 87. Les dispositions suivantes de la présente loi, concernant la Chambre des Communes du Canada, s'étendront et s'appliqueront aux assemblées législatives d'Ontario et de Québec, savoir: les dispositions relatives à l'élection d'un orateur en première instance et lorsqu'il surviendra des vacances, aux devoirs de l'orateur, à l'absence de ce dernier, au quorum et au mode de votation, tout comme si ces dispositions étaient ici décrétées et expressément rendues applicables à chaque assemblée législative. 4. NOUVELLE-ÉCOSSE ET NOUVEAU-BRUNSWICK Constitution des législatures de la Nouvelle-Écosse et du Nouveau-Brunswick 88. La constitution de la législature de chacune des provinces de la Nouvelle-Écosse et du Nouveau-Brunswick continuera, sujette aux dispositions de la présente loi, d'être celle en existence à l'époque de l'union, jusqu'à ce qu'elle soit modifiée sous l'autorité de la présente loi. (42) 5. ONTARIO, QUÉBEC ET NOUVELLE-ÉCOSSE [Abrogé] 89. Abrogé. (43) 6. LES QUATRE PROVINCES Application aux législatures des dispositions relatives aux crédits, etc. 90. Les dispositions suivantes de la présente loi, concernant le parlement du Canada, savoir: les dispositions relatives aux bills d'appropriation et d'impôts, à la recommandation de votes de deniers, à la sanction des bills, au désaveu des lois, et à la signification du bon plaisir quant aux bills réservés, - s'étendront et s'appliqueront aux législatures des différentes provinces, tout comme si elles étaient ici décrétées et rendues expressément applicables aux provinces respectives et à leurs législatures, en substituant toutefois le lieutenant-gouverneur de la province au gouverneur-général, le gouverneur-général à la Reine et au secrétaire d'État, un an à deux ans, et la province au Canada. VI. DISTRIBUTION DES POUVOIRS LÉGISLATIFS POUVOIRS DU PARLEMENT Autorité législative du parlement du Canada 91. Il sera loisible à la Reine, de l'avis et du consentement du Sénat et de la Chambre des Communes, de faire des lois pour la paix, l'ordre et le bon gouvernement du Canada, relativement à toutes les matières ne tombant pas dans les catégories de sujets par la présente loi exclusivement assignés aux législatures des provinces; mais, pour plus de garantie, sans toutefois restreindre la généralité des termes ci-haut employés dans le présent article, il est par la présente déclaré que (nonobstant toute disposition contraire énoncée dans la présente loi) l'autorité législative exclusive du parlement du Canada s'étend à toutes les matières tombant dans les catégories de sujets ci-dessous énumérés, savoir: 1 Abrogé. (44) 1A. La dette et la propriété publiques. (45) 2. La réglementation du trafic et du commerce. 2A. L'assurance-chômage. (46) 3. Le prélèvement de deniers par tous modes ou systèmes de taxation. 4. L'emprunt de deniers sur le crédit public. 5. Le service postal. 6. Le recensement et les statistiques. 7. La milice, le service militaire et le service naval, et la défense du pays. 8. La fixation et le paiement des salaires et honoraires des officiers civils et autres du gouvernement du Canada. 9. Les amarques, les bouées, les phares et l'île de Sable. 10. La navigation et les bâtiments ou navires (shipping). 11. La quarantaine et l'établissement et maintien des hôpitaux de marine. 12. Les pêcheries des côtes de la mer et de l'intérieur. 13. Les passages d'eau (ferries) entre une province et tout pays britannique ou étranger, ou entre deux provinces. 14. Le cours monétaire et le monnayage. 15. Les banques, l'incorporation des banques et l'émission du papier-monnaie. 16. Les caisses d'épargne. 17. Les poids et mesures. 18. Les lettres de change et les billets promissoires. 19. L'intérêt de l'argent. 20. Les offres légales. 21. La banqueroute et la faillite. 22. Les brevets d'invention et de découverte. 23. Les droits d'auteur. 24. Les Indiens et les terres réservées pour les Indiens. 25. La naturalisation et les aubains. 26. Le mariage et le divorce. 27. La loi criminelle, sauf la constitution des tribunaux de juridiction criminelle, mais y compris la procédure en matière criminelle. 28. L'établissement, le maintien, et l'administration des pénitenciers. 29. Les catégories de sujets expressément exceptés dans l'énumération des catégories de sujets exclusivement assignés par la présente loi aux législatures des provinces. Et aucune des matières énoncées dans les catégories de sujets énumérés dans le présent article ne sera réputée tomber dans la catégorie des matières d'une nature locale ou privée comprises dans l'énumération des catégories de sujets exclusivement assignés par la présente loi aux législatures des provinces. (47) POUVOIRS EXCLUSIFS DES LÉGISLATURES PROVINCIALES Sujets soumis au contrôle exclusif de la législation provinciale 92. Dans chaque province la législature pourra exclusivement faire des lois relatives aux matières tombant dans les catégories de sujets ci-dessous énumérés, savoir: 1 Abrogé. (48) 2. La taxation directe dans les limites de la province, dans le but de prélever un revenu pour des objets provinciaux; 3. Les emprunts de deniers sur le seul crédit de la province; 4. La création et la tenure des charges provinciales, et la nomination et le paiement des officiers provinciaux; 5. L'administration et la vente des terres publiques appartenant à la province, et des bois et forêts qui s'y trouvent; 6. L'établissement, l'entretien et l'administration des prisons publiques et des maisons de réforme dans la province; 7. L'établissement, l'entretien et l'administration des hôpitaux, asiles, institutions et hospices de charité dans la province, autres que les hôpitaux de marine; 8. Les institutions municipales dans la province; 9. Les licences de boutiques, de cabarets, d'auberges, d'encanteurs et autres licences, dans le but de prélever un revenu pour des objets provinciaux, locaux, ou municipaux; 10. Les travaux et entreprises d'une nature locale, autres que ceux énumérés dans les catégories suivantes: (a) Lignes de bateaux à vapeur ou autres bâtiments, chemins de fer, canaux, télégraphes et autres travaux et entreprises reliant la province à une autre ou à d'autres provinces, ou s'étendant au-delà des limites de la province; (b) Lignes de bateaux à vapeur entre la province et tout pays dépendant de l'empire britannique ou tout pays étranger; (c) Les travaux qui, bien qu'entièrement situés dans la province, seront avant ou après leur exécution déclarés par le parlement du Canada être pour l'avantage général du Canada, ou pour l'avantage de deux ou d'un plus grand nombre des provinces; 11 L'incorporation des compagnies pour des objets provinciaux; 12. La célébration du mariage dans la province; 13. La propriété et les droits civils dans la province; 14. L'administration de la justice dans la province, y compris la création, le maintien et l'organisation de tribunaux de justice pour la province, ayant juridiction civile et criminelle, y compris la procédure en matières civiles dans ces tribunaux; 15. L'infliction de punitions par voie d'amende, pénalité, ou emprisonnement, dans le but de faire exécuter toute loi de la province décrétée au sujet des matières tombant dans aucune des catégories de sujets énumérés dans le présent article; 16. Généralement toutes les matières d'une nature purement locale ou privée dans la province. RESSOURCES NATURELLES NON RENOUVELABLES, RESSOURCES FORESTIÈRES ET ÉNERGIE ÉLECTRIQUE Compétence provinciale 92A. (1) La législature de chaque province a compétence exclusive pour légiférer dans les domaines suivants : (a) prospection des ressources naturelles non renouvelables de la province; (b) exploitation, conservation et gestion des ressources naturelles non renouvelables et des ressources forestières de la province, y compris leur rythme de production primaire; (c) aménagement, conservation et gestion des emplacements et des installations de la province destinés à la production d'énergie électrique. Exportation hors des provinces (2) La législature de chaque province a compétence pour légiférer en ce qui concerne l'exportation, hors de la province, à destination d'une autre partie du Canada, de la production primaire tirée des ressources naturelles non renouvelables et des ressources forestières de la province, ainsi que de la production d'énergie électrique de la province, sous réserve de ne pas adopter de lois autorisant ou prévoyant des disparités de prix ou des disparités dans les exportations destinées à une autre partie du Canada. Pouvoir du Parlement (3) Le paragraphe (2) ne porte pas atteinte au pouvoir du Parlement de légiférer dans les domaines visés à ce paragraphe, les dispositions d'une loi du Parlement adoptée dans ces domaines l'emportant sur les dispositions incompatibles d'une loi provinciale. Taxation des ressources (4) La législature de chaque province a compétence pour prélever des sommes d'argent par tout mode ou système de taxation : (a) des ressources naturelles non renouvelables et des ressources forestières de la province, ainsi que de la production primaire qui en est tirée; (b) des emplacements et des installations de la province destinés à la production d'énergie électrique, ainsi que de cette production même. Cette compétence peut s'exercer indépendamment du fait que la production en cause soit ou non, en totalité ou en partie, exportée hors de la province, mais les lois adoptées dans ces domaines ne peuvent autoriser ou prévoir une taxation qui établisse une distinction entre la production exportée à destination d'une autre partie du Canada et la production non exportée hors de la province. "Production primaire" (5) L'expression "production primaire" a le sens qui lui est donné dans la sixième annexe. Pouvoirs ou droits existants (6) Les paragraphes (1) à (5) ne portent pas atteinte aux pouvoirs ou droits détenus par la législature ou le gouvernement d'une province lors de l'entrée en vigueur du présent article. (49) ÉDUCATION Législation au sujet de l'éducation 93. Dans chaque province, la législature pourra exclusivement décréter des lois relatives à l'éducation, sujettes et conformes aux dispositions suivantes: (1) Rien dans ces lois ne devra préjudicier à aucun droit ou privilège conféré, lors de l'union, par la loi à aucune classe particulière de personnes dans la province, relativement aux écoles séparées (denominational); (2) Tous les pouvoirs, privilèges et devoirs conférés et imposés par la loi dans le Haut-Canada, lors de l'union, aux écoles séparées et aux syndics d'écoles des sujets catholiques romains de Sa Majesté, seront et sont par la présente étendus aux écoles dissidentes des sujets protestants et catholiques romains de la Reine dans la province de Québec; (3) Dans toute province où un système d'écoles séparées ou dissidentes existera par la loi, lors de l'union, ou sera subséquemment établi par la législature de la province - il pourra être interjeté appel au gouverneur-général en conseil de toute loi ou décision d'aucune autorité provinciale affectant aucun des droits ou privilèges de la minorité protestante ou catholique romaine des sujets de Sa Majesté relativement à l'éducation; (4) Dans le cas où il ne serait pas décrété telle loi provinciale que, de temps à autre, le gouverneur-général en conseil jugera nécessaire pour donner suite et exécution aux dispositions du présent article, - ou dans le cas où quelque décision du gouverneur-général en conseil, sur appel interjeté en vertu du présent article, ne serait pas mise à exécution par l'autorité provinciale compétente - alors et en tout tel cas, et en tant seulement que les circonstances de chaque cas l'exigeront, le parlement du Canada pourra décréter des lois propres à y remédier pour donner suite et exécution aux dispositions du présent article, ainsi qu'à toute décision rendue par le gouverneur-général en conseil sous l'autorité de ce même article. (50) Québec 93A. Les paragraphes (1) à (4) de l'article 93 ne s'appliquent pas au Québec. (50.1) UNIFORMITÉ DES LOIS DANS ONTARIO, LA NOUVELLE-ÉCOSSE ET LE NOUVEAU-BRUNSWICK Uniformité des lois dans trois provinces 94. Nonobstant toute disposition contraire énoncée dans la présente loi, le parlement du Canada pourra adopter des mesures à l'effet de pourvoir à l'uniformité de toutes les lois ou de parties des lois relatives à la propriété et aux droits civils dans Ontario, la Nouvelle-Écosse et le Nouveau-Brunswick, et de la procédure dans tous les tribunaux ou aucun des tribunaux de ces trois provinces; et depuis et après la passation de toute loi à cet effet, le pouvoir du parlement du Canada de décréter des lois relatives aux sujets énoncés dans telles lois, sera illimité, nonobstant toute chose au contraire dans la présente loi; mais toute loi du parlement du Canada pourvoyant à cette uniformité n'aura d'effet dans une province qu'après avoir été adoptée et décrétée par la législature de cette province. PENSIONS DE VIEILLESSE Législation concernant les pensions de vieillesse et les prestations additionnelles 94A. Le Parlement du Canada peut légiférer sur les pensions de vieillesse et prestations additionnelles, y compris des prestations aux survivants et aux invalides sans égard à leur âge, mais aucune loi ainsi édictée ne doit porter atteinte à l'application de quelque loi présente ou future d'une législature provinciale en ces matières. (51) AGRICULTURE ET IMMIGRATION Pouvoir concurrent de décréter des lois au sujet de l'agriculture, etc. 95. Dans chaque province, la législature pourra faire des lois relatives à l'agriculture et à l'immigration dans cette province; et il est par la présente déclaré que le parlement du Canada pourra de temps à autre faire des lois relatives à l'agriculture et à l'immigration dans toutes les provinces ou aucune d'elles en particulier; et toute loi de la législature d'une province relative à l'agriculture ou à l'immigration n'y aura d'effet qu'aussi longtemps et que tant qu'elle ne sera incompatible avec aucune des lois du parlement du Canada. VII. JUDICATURE Nomination des juges 96. Le gouverneur-général nommera les juges des cours supérieures, de district et de comté dans chaque province, sauf ceux des cours de vérification dans la Nouvelle-Écosse et le Nouveau-Brunswick. Choix des juges dans Ontario, etc. 97. Jusqu'à ce que les lois relatives à la propriété et aux droits civils dans Ontario, la Nouvelle-Écosse et le Nouveau-Brunswick, et à la procédure dans les cours de ces provinces, soient rendues uniformes, les juges des cours de ces provinces qui seront nommés par le gouverneur-général devront être choisis parmi les membres des barreaux respectifs de ces provinces. Choix des juges dans Québec 98. Les juges des cours de Québec seront choisis parmi les membres du barreau de cette province. Durée des fonctions des juges 99. (1) Sous réserve du paragraphe (2) du présent article, les juges des cours supérieures resteront en fonction durant bonne conduite, mais ils pourront être révoqués par le gouverneur général sur une adresse du Sénat et de la Chambre des Communes. Cessation des fonctions à l'âge de 75 ans (2) Un juge d'une cour supérieure, nommé avant ou après l'entrée en vigueur du présent article, cessera d'occuper sa charge lorsqu'il aura atteint l'âge de soixante-quinze ans, ou à l'entrée en vigueur du présent article si, à cette époque, il a déjà atteint ledit âge. (52) Salaires, etc. des juges 100. Les salaires, allocations et pensions des juges des cours supérieures, de district et de comté (sauf les cours de vérification dans la Nouvelle-Écosse et le Nouveau-Brunswick) et des cours de l'Amirauté, lorsque les juges de ces dernières sont alors salariés, seront fixés et payés par le parlement du Canada. (53) Cour générale d'appel, etc. 101. Le parlement du Canada pourra, nonobstant toute disposition contraire énoncée dans la présente loi, lorsque l'occasion le requerra, adopter des mesures à l'effet de créer, maintenir et organiser une cour générale d'appel pour le Canada, et établir des tribunaux additionnels pour la meilleure administration des lois du Canada. (54) VIII. REVENUS; DETTES; ACTIFS; TAXE Création d'un fonds consolidé de revenu 102. Tous les droits et revenus que les législatures respectives du Canada, de la Nouvelle-Écosse et du Nouveau-Brunswick, avant et à l'époque de l'union, avaient le pouvoir d'approprier, sauf ceux réservés par la présente loi aux législatures respectives des provinces, ou qui seront perçus par elles conformément aux pouvoirs spéciaux qui leur sont conférés par la présente loi, formeront un fonds consolidé de revenu pour être approprié au service public du Canada de la manière et soumis aux charges prévues par la présente loi. Frais de perception, etc. 103. Le fonds consolidé de revenu du Canada sera permanemment grevé des frais, charges et dépenses encourus pour le percevoir, administrer et recouvrer, lesquels constitueront la première charge sur ce fonds et pourront être soumis à telles révision et audition qui seront ordonnées par le gouverneur-général en conseil jusqu'à ce que le parlement y pourvoie autrement. Intérêt des dettes publiques provinciales 104. L'intérêt annuel des dettes publiques des différentes provinces du Canada, de la Nouvelle-Écosse et du Nouveau-Brunswick, lors de l'union, constituera la seconde charge sur le fonds consolidé de revenu du Canada. Traitement du gouverneur-général 105. Jusqu'à modification par le parlement du Canada, le salaire du gouverneur-général sera de dix mille louis, cours sterling du Royaume-Uni de la Grande-Bretagne et d'Irlande; cette somme sera acquittée sur le fonds consolidé de revenu du Canada et constituera la troisième charge sur ce fonds. (55) Emploi du fonds consolidé 106. Sujet aux différents paiements dont est grevé par la présente loi le fonds consolidé de revenu du Canada, ce fonds sera approprié par le parlement du Canada au service public. Transfert des valeurs, etc. 107. Tous les fonds, argent en caisse, balances entre les mains des banquiers et valeurs appartenant à chaque province à l'époque de l'union, sauf les exceptions énoncées à la présente loi, deviendront la propriété du Canada et seront déduits du montant des dettes respectives des provinces lors de l'union. Transfert des propriétés énumérées dans l'annexe 108. Les travaux et propriétés publics de chaque province, énumérés dans la troisième annexe de la présente loi, appartiendront au Canada. Propriété des terres, mines, etc. 109. Toutes les terres, mines, minéraux et réserves royales appartenant aux différentes provinces du Canada, de la Nouvelle-Écosse et du Nouveau-Brunswick lors de l'union, et toutes les sommes d'argent alors dues ou payables pour ces terres, mines, minéraux et réserves royales, appartiendront aux différentes provinces d'Ontario, Québec, la Nouvelle-Écosse et le Nouveau-Brunswick, dans lesquelles ils sont sis et situés, ou exigibles, restant toujours soumis aux charges dont ils sont grevés, ainsi qu'à tous intérêts autres que ceux que peut y avoir la province. (56) Actif et dettes provinciales 110. La totalité de l'actif inhérent aux portions de la dette publique assumées par chaque province, appartiendra à cette province. Responsabilité des dettes provinciales 111. Le Canada sera responsable des dettes et obligations de chaque province existantes lors de l'union. Responsabilité des dettes d'Ontario et Québec 112. Les provinces d'Ontario et Québec seront conjointement responsables envers le Canada de l'excédent (s'il en est) de la dette de la province du Canada, si, lors de l'union, elle dépasse soixante-deux millions cinq cent mille piastres, et tenues au paiement de l'intérêt de cet excédent au taux de cinq pour cent par année. Actif d'Ontario et Québec 113. L'actif énuméré dans la quatrième annexe de la présente loi, appartenant, lors de l'union, à la province du Canada, sera la propriété d'Ontario et Québec conjointement. Dette de la Nouvelle-Écosse 114. La Nouvelle-Écosse sera responsable envers le Canada de l'excédent (s'il en est) de sa dette publique si, lors de l'union, elle dépasse huit millions de piastres, et tenue au paiement de l'intérêt de cet excédent au taux de cinq pour cent par année. (57) Dette du Nouveau-Brunswick 115. Le Nouveau-Brunswick sera responsable envers le Canada de l'excédent (s'il en est) de sa dette publique, si lors de l'union, elle dépasse sept millions de piastres, et tenu au paiement de l'intérêt de cet excédent au taux de cinq pour cent par année. Paiement d'intérêt à la Nouvelle-Écosse et au Nouveau-Brunswick 116. Dans le cas où, lors de l'union, les dettes publiques de la Nouvelle-Écosse et du Nouveau-Brunswick seraient respectivement moindres que huit millions et sept millions de piastres, ces provinces auront droit de recevoir, chacune, du gouvernement du Canada, en paiements semi-annuels et d'avance, l'intérêt au taux de cinq pour cent par année sur la différence qui existera entre le chiffre réel de leurs dettes respectives et le montant ainsi arrêté. Propriétés publiques provinciales 117. Les diverses provinces conserveront respectivement toutes leurs propriétés publiques dont il n'est pas autrement disposé dans la présente loi, sujettes au droit du Canada de prendre les terres ou les propriétés publiques dont il aura besoin pour les fortifications ou la défense du pays. [Abrogé] 118. Abrogé. (58) Subvention additionnelle au Nouveau-Brunswick 119. Le Nouveau-Brunswick recevra du Canada, en paiements semi-annuels et d'avance, durant une période de dix ans à compter de l'union, une subvention supplémentaire de soixante-trois mille piastres par année; mais tant que la dette publique de cette province restera au dessous de sept millions de piastres, il sera déduit sur cette somme de soixante-trois mille piastres, un montant égal à l'intérêt à cinq pour cent par année sur telle différence. (59) Forme des paiements 120. Tous les paiements prescrits par la présente loi, ou destinés à éteindre les obligations contractées en vertu d'une loi des provinces du Canada, de la Nouvelle-Écosse et du Nouveau-Brunswick respectivement et assumés par le Canada, seront faits, jusqu'à ce que le parlement du Canada l'ordonne autrement, en la forme et manière que le gouverneur-général en conseil pourra prescrire de temps à autre. Manufactures canadiennes, etc. 121. Tous articles du crû, de la provenance ou manufacture d'aucune des provinces seront, à dater de l'union, admis en franchise dans chacune des autres provinces. Continuation des lois de douane et d'accise 122. Les lois de douane et d'accise de chaque province demeureront en force, sujettes aux dispositions de la présente loi, jusqu'à ce qu'elles soient modifiées par le parlement du Canada. (60) Exportation et importation entre deux provinces 123. Dans le cas où des droits de douane seraient, à l'époque de l'union, imposables sur des articles, denrées ou marchandises, dans deux provinces, ces articles, denrées ou marchandises pourront, après l'union, être importés de l'une de ces deux provinces dans l'autre, sur preuve du paiement des droits de douane dont ils sont frappés dans la province d'où ils sont exportés, et sur paiement de tout surplus de droits de douane (s'il en est) dont ils peuvent être frappés dans la province où ils sont importés. (61) Impôts sur les bois au Nouveau-Brunswick 124. Rien dans la présente loi ne préjudiciera au privilège garanti au Nouveau-Brunswick de prélever sur les bois de construction les droits établis par le chapitre quinze du titre trois des statuts revisés du Nouveau-Brunswick, ou par toute loi l'amendant avant ou après l'union, mais n'augmentant pas le chiffre de ces droits; et les bois de construction des provinces autres que le Nouveau-Brunswick ne seront pas passibles de ces droits. (62) Terres publiques, etc., exemptées des taxes 125. Nulle terre ou propriété appartenant au Canada ou à aucune province en particulier ne sera sujette à la taxation. Fonds consolidé du revenu provincial 126. Les droits et revenus que les législatures respectives du Canada, de la Nouvelle-Écosse et du Nouveau-Brunswick avaient, avant l'union, le pouvoir d'approprier, et qui sont, par la présente loi, réservés aux gouvernements ou législatures des provinces respectives, et tous les droits et revenus perçus par elles conformément aux pouvoirs spéciaux qui leur sont conférés par la présente loi, formeront dans chaque province un fonds consolidé de revenu qui sera approprié au service public de la province. IX. DISPOSITIONS DIVERSES DISPOSITIONS GÉNÉRALES [Abrogé] 127. Abrogé. (63) Serment d'allégeance, etc. 128. Les membres du Sénat ou de la Chambre des Communes du Canada devront, avant d'entrer dans l'exercice de leurs fonctions, prêter et souscrire, devant le gouverneur-général ou quelque personne à ce par lui autorisée, et pareillement, les membres du conseil législatif ou de l'assemblée législative d'une province devront, avant d'entrer dans l'exercice de leurs fonctions, prêter et souscrire, devant le lieutenant-gouverneur de la province ou quelque personne à ce par lui autorisée, le serment d'allégeance énoncé dans la cinquième annexe de la présente loi; et les membres du Sénat du Canada et du conseil législatif de Québec devront aussi, avant d'entrer dans l'exercice de leurs fonctions, prêter et souscrire, devant le gouverneur-général ou quelque personne à ce par lui autorisée, la déclaration des qualifications énoncée dans la même annexe. Les lois, tribunaux et fonctionnaires actuels continueront d'exister, etc. 129. Sauf toute disposition contraire prescrite par la présente loi, toutes les lois en force en Canada, dans la Nouvelle-Écosse ou le Nouveau-Brunswick, lors de l'union, tous les tribunaux de juridiction civile et criminelle, toutes les commissions, pouvoirs et autorités ayant force légale, et tous les officiers judiciaires, administratifs et ministériels, en existence dans ces provinces à l'époque de l'union, continueront d'exister dans les provinces d'Ontario, de Québec, de la Nouvelle-Écosse et du Nouveau-Brunswick respectivement, comme si l'union n'avait pas eu lieu; mais ils pourront, néanmoins (sauf les cas prévus par des lois du parlement de la Grande-Bretagne ou du parlement du Royaume-Uni de la Grande-Bretagne et d'Irlande), être révoqués, abolis ou modifiés par le parlement du Canada, ou par la législature de la province respective, conformément à l'autorité du parlement ou de cette législature en vertu de la présente loi. (64) Fonctionnaires transférés au service du Canada 130. Jusqu'à ce que le parlement du Canada en ordonne autrement, tous les officiers des diverses provinces ayant à remplir des devoirs relatifs à des matières autres que celles tombant dans les catégories de sujets assignés exclusivement par la présente loi aux législatures des provinces, seront officiers du Canada et continueront à remplir les devoirs de leurs charges respectives sous les mêmes obligations et pénalités que si l'union n'avait pas eu lieu. (65) Nomination des nouveaux officiers 131. Jusqu'à ce que le parlement du Canada en ordonne autrement, le gouverneur-général en conseil pourra de temps à autre nommer les officiers qu'il croira nécessaires ou utiles à l'exécution efficace de la présente loi. Obligations naissant des traités 132. Le parlement et le gouvernement du Canada auront tous les pouvoirs nécessaires pour remplir envers les pays étrangers, comme portion de l'empire Britannique, les obligations du Canada ou d'aucune de ses provinces, naissant de traités conclus entre l'empire et ces pays étrangers. Usage facultatif et obligatoire des langues française et anglaise 133. Dans les chambres du parlement du Canada et les chambres de la législature de Québec, l'usage de la langue française ou de la langue anglaise, dans les débats, sera facultatif; mais dans la rédaction des archives, procès-verbaux et journaux respectifs de ces chambres, l'usage de ces deux langues sera obligatoire; et dans toute plaidoirie ou pièce de procédure par-devant les tribunaux ou émanant des tribunaux du Canada qui seront établis sous l'autorité de la présente loi, et par-devant tous les tribunaux ou émanant des tribunaux de Québec, il pourra être fait également usage, à faculté, de l'une ou de l'autre de ces langues. Les lois du parlement du Canada et de la législature de Québec devront être imprimées et publiées dans ces deux langues. (66) ONTARIO ET QUÉBEC Nomination des fonctionnaires exécutifs pour Ontario et Québec 134. Jusqu'à ce que la législature d'Ontario ou de Québec en ordonne autrement, les lieutenants-gouverneurs d'Ontario et de Québec pourront, chacun, nommer sous le grand sceau de la province, les fonctionnaires suivants qui resteront en charge durant bon plaisir, savoir: le procureur-général, le secrétaire et régistraire de la province, le trésorier de la province, le commissaire des terres de la couronne, et le commissaire d'agriculture et des travaux publics, et, en ce qui concerne Québec, le solliciteur-général; ils pourront aussi, par ordonnance du lieutenant-gouverneur en conseil, prescrire de temps à autre les attributions de ces fonctionnaires et des divers départements placés sous leur contrôle ou dont ils relèvent, et des officiers et employés y attachés; et ils pourront également nommer d'autres fonctionnaires qui resteront en charge durant bon plaisir, et prescrire, de temps à autre, leurs attributions et celles des divers départements placés sous leur contrôle ou dont ils relèvent, et des officiers et employés y attachés. (67) Pouvoirs, devoirs, etc., des fonctionnaires exécutifs 135. Jusqu'à ce que la législature d'Ontario ou de Québec en ordonne autrement, tous les droits, pouvoirs, devoirs, fonctions, obligations ou attributions conférés ou imposés aux procureur-général, solliciteur-général, secrétaire et régistraire de la province du Canada, ministre des finances, commissaire des terres de la couronne, commissaire des travaux publics, et ministre de l'agriculture et receveur-général, lors de la passation de la présente loi, par toute loi, statut ou ordonnance du Haut-Canada, du Bas-Canada ou du Canada, n'étant pas d'ailleurs incompatibles avec la présente loi, seront conférés ou imposés à tout fonctionnaire qui sera nommé par le lieutenant-gouverneur pour l'exécution de ces fonctions ou d'aucune d'elles; le commissaire d'agriculture et des travaux publics remplira les devoirs et les fonctions de ministre d'agriculture prescrits, lors de la passation de la présente loi, par la loi de la province du Canada, ainsi que ceux de commissaire des travaux publics. (68) Grands sceaux 136. Jusqu'à modification par le lieutenant-gouverneur en conseil, les grands sceaux d'Ontario et de Québec respectivement seront les mêmes ou d'après le même modèle que ceux usités dans les provinces du Haut et du Bas-Canada respectivement avant leur union comme province du Canada. Interprétation des lois temporaires 137. Les mots "et de là jusqu'à la fin de la prochaine session de la législature", ou autres mots de la même teneur, employés dans une loi temporaire de la province du Canada non-expirée avant l'union, seront censés signifier la prochaine session du parlement du Canada, si l'objet de la loi tombe dans la catégorie des pouvoirs attribués à ce parlement et définis dans la présente constitution, si non, aux prochaines sessions des législatures d'Ontario et de Québec respectivement, si l'objet de la loi tombe dans la catégorie des pouvoirs attribués à ces législatures et définis dans la présente loi. Citations erronées 138. Depuis et après l'époque de l'union, l'insertion des mots "Haut-Canada" au lieu "d'Ontario", ou "Bas-Canada" au lieu de "Québec", dans tout acte, bref, procédure, plaidoirie, document, matière ou chose, n'aura pas l'effet de l'invalider. Proclamations ne devant prendre effet qu'après l'union 139. Toute proclamation sous le grand sceau de la province du Canada, lancée antérieurement à l'époque de l'union, pour avoir effet à une date postérieure à l'union, qu'elle ait trait à cette province ou au Haut-Canada ou au Bas-Canada, et les diverses matières et choses y énoncées auront et continueront d'y avoir la même force et le même effet que si l'union n'avait pas eu lieu. (69) Proclamations lancées après l'union 140. Toute proclamation dont l'émission sous le grand sceau de la province du Canada est autorisée par quelque loi de la législature de la province du Canada, qu'elle ait trait à cette province ou au Haut-Canada ou au Bas-Canada, et qui n'aura pas été lancée avant l'époque de l'union, pourra l'être par le lieutenant-gouverneur d'Ontario ou de Québec (selon le cas), sous le grand sceau de la province; et, à compter de l'émission de cette proclamation, les diverses matières et choses y énoncées auront et continueront d'avoir la même force et le même effet dans Ontario ou Québec que si l'union n'avait pas eu lieu. (70) Pénitencier 141. Le pénitencier de la province du Canada, jusqu'à ce que le parlement du Canada en ordonne autrement, sera et continuera d'être le pénitencier d'Ontario et de Québec. (71) Dettes renvoyées à l'arbitrage 142. Le partage et la répartition des dettes, crédits, obligations, propriétés et de l'actif du Haut et du Bas-Canada seront renvoyés à la décision de trois arbitres, dont l'un sera choisi par le gouvernement d'Ontario, l'un par le gouvernement de Québec, et l'autre par le gouvernement du Canada; le choix des arbitres n'aura lieu qu'après que le parlement du Canada et les législatures d'Ontario et de Québec auront été réunis; l'arbitre choisi par le gouvernement du Canada ne devra être domicilié ni dans Ontario ni dans Québec. (72) Partage des archives 143. Le gouverneur-général en conseil pourra de temps à autre ordonner que les archives, livres et documents de la province du Canada qu'il jugera à propos de désigner, soient remis et transférés à Ontario ou à Québec, et ils deviendront dès lors la propriété de cette province; toute copie ou extrait de ces documents, dûment certifiée par l'officier ayant la garde des originaux, sera reçue comme preuve. (73) Établissement de townships dans Québec 144. Le lieutenant-gouverneur de Québec pourra, de temps à autre, par proclamation sous le grand sceau de la province devant venir en force au jour y mentionné, établir des townships dans les parties de la province de Québec dans lesquelles il n'en a pas encore été établi, et en fixer les tenants et aboutissants. X. CHEMIN DE FER INTERCOLONIAL [Abrogé] 145. Abrogé. (74) XI. ADMISSION DES AUTRES COLONIES Pouvoir d'admettre Terreneuve, etc. 146. Il sera loisible à la Reine, de l'avis du très-honorable Conseil Privé de Sa Majesté, sur la présentation d'adresses de la part des chambres du Parlement du Canada, et des chambres des législatures respectives des colonies ou provinces de Terreneuve, de l'Île du Prince Édouard et de la Colombie Britannique, d'admettre ces colonies ou provinces, ou aucune d'elles dans l'union, et, sur la présentation d'adresses de la part des chambres du parlement du Canada, d'admettre la Terre de Rupert et le Territoire du Nord-Ouest, ou l'une ou l'autre de ces possessions, dans l'union, aux termes et conditions, dans chaque cas, qui seront exprimés dans les adresses et que la Reine jugera convenable d'approuver, conformément à la présente; les dispositions de tous ordres en conseil rendus à cet égard, auront le même effet que si elles avaient été décrétées par le parlement du Royaume-Uni de la Grande-Bretagne et d'Irlande. (75) Représentation de Terreneuve et l'Île du Prince-Édouard au Sénat 147. Dans le cas de l'admission de Terreneuve et de l'Île du Prince Édouard, ou de l'une ou de l'autre de ces colonies, chacune aura droit d'être représentée par quatre membres dans le Sénat du Canada; et (nonobstant toute disposition contraire énoncée dans la présente loi) dans le cas de l'admission de Terreneuve, le nombre normal des sénateurs sera de soixante-seize et son maximum de quatre-vingt-deux; mais lorsque l'Île du Prince Édouard sera admise, elle sera censée comprise dans la troisième des trois divisions en lesquelles le Canada est, relativement à la composition du Sénat, partagé par la présente loi; et, en conséquence, après l'admission de l'Île du Prince Édouard, que Terreneuve soit admise ou non, la représentation de la Nouvelle-Écosse et du Nouveau-Brunswick dans le Sénat, au fur et à mesure que des sièges deviendront vacants, sera réduite de douze à dix membres respectivement; la représentation de chacune de ces provinces ne sera jamais augmentée au delà de dix membres, sauf sous l'autorité des dispositions de la présente loi relatives à la nomination de trois ou six sénateurs supplémentaires en conséquence d'un ordre de la Reine. (76) PREMIÈRE ANNEXE (77) Districts électoraux d'Ontario A Divisions électorales actuelles Comtés 1. Prescott. 2. Glengarry. 3. Stormont. 4. Dundas. 5. Russell. 6. Carleton. 7. Prince Edouard. 8. Halton. 9. Essex. Divisions de comtés 10. Division nord de Lanark. 11. Division sud de Lanark. 12. Division nord de Leeds et division nord de Grenville. 13. Division sud de Leeds. 14. Division sud de Grenville. 15. Division est de Northumberland. 16. Division ouest de Northumberland (sauf le township de Monaghan sud). 17. Division est de Durham. 18. Division ouest de Durham. 19. Division nord d'Ontario. 20. Division sud d'Ontario. 21. Division est d'York. 22. Division ouest d'York. 23. Division nord d'York. 24. Division nord de Wentworth. 25. Division sud de Wentworth. 26. Division est d'Elgin. 27. Division ouest d'Elgin. 28. Division nord de Waterloo. 29. Division sud de Waterloo. 30. Division nord de Brant. 31. Division sud de Brant. 32. Division nord d'Oxford. 33. Division sud d'Oxford. 34. Division est de Middlesex. Cités, parties de cités et villes 35. Toronto ouest. 36. Toronto est. 37. Hamilton. 38. Ottawa. 39. Kingston. 40. London. 41. Ville de Brockville, avec le township d'Elizabethtown y annexé. 42. Ville de Niagara, avec le township de Niagara y annexé. 43. Ville de Cornwall, avec le township de Cornwall y annexé. B Nouvelles divisions électorales 44. Le district judiciaire provisoire d'Algoma. Le comté de Bruce, partagé en deux divisions appelées respectivement divisions nord et sud: 45. La division nord de Bruce comprendra les townships de Bury, Lindsay, Eastnor, Albemarle, Amabel, Arran, Bruce, Elderslie, et Saugeen, et le village de Southampton. 46. La division sud de Bruce comprendra les townships de Kincardine (y compris le village de Kincardine), Greenock, Brant, Huron, Kinross, Culross, et Carrick. Le comté de Huron, séparé en deux divisions, appelées respectivement divisions nord et sud: 47. La division nord comprendra les townships d'Ashfield, Wawanosh, Turnbury, Howick, Morris, Grey, Colborne, Hullett, y compris le village de Clinton, et McKillop. 48. La division sud comprendra la ville de Goderich et les townships de Goderich, Tuckersmith, Stanley, Hay, Usborne et Stephen. Le comté de Middlesex, partagé en trois divisions, appelées respectivement divisions nord, ouest et est: 49. La division nord comprendra les townships de McGillivray et Biddulph (soustraits au comté de Huron) et Williams Est, Williams Ouest, Adélaïde et Lobo. 50. La division ouest comprendra les townships de Delaware, Carradoc, Metcalfe, Mosa, et Ekfrid et le village de Strathroy. [La division est comprendra les townships qu'elle renferme actuellement, et sera bornée de la même manière.] 51. Le comté de Lambton comprendra les townships de Bosanquet, Warwick, Plympton, Sarnia, Moore, Enniskillen, et Brooke, et la ville de Sarnia. 52. Le comté de Kent comprendra les townships de Chatham, Dover, Tilbury Est, Romney, Raleigh, et Harwich, et la ville de Chatham. 53. Le comté de Bothwell comprendra les townships de Sombra, Dawn et Euphemia (soustraits au comté de Lambton), et les townships de Zone, Camden et son augmentation, Orford et Howard (soustraits au comté de Kent). Le comté de Grey, partagé en deux divisions, appelées respectivement divisions sud et nord: 54. La division sud comprendra les townships de Bentinck, Glenelg, Artemesia, Osprey, Normandy, Egremont, Proton et Melancthon. 55. La division nord comprendra les townships de Collingwood, Euphrasia, Holland, Saint-Vincent, Sydenham, Sullivan, Derby et Keppel, Sarawak et Brooke, et la ville d'Owen Sound. Le comté de Perth, partagé en deux divisions, appelées respectivement divisions sud et nord: 56. La division nord comprendra les townships de Wallace, Elma, Logan, Ellice, Mornington, et Easthope Nord, et la ville de Stratford. 57. La division sud comprendra les townships de Blanchard, Downie, South Easthope, Fullarton, Hibbert et les villages de Mitchell et Ste. Marys. Le comté de Wellington, partagé en trois divisions, appelées respectivement divisions nord, sud et centre: 58. La division nord comprendra les townships de Amaranth, Arthur, Luther, Minto, Maryborough, Peel et le village de Mount Forest. 59. La division centre comprendra les townships de Garafraxa, Erin, Eramosa, Nichol, et Pilkington, et les villages de Fergus et Elora. 60. La division sud comprendra la ville de Guelph, et les townships de Guelph et Puslinch. Le comté de Norfolk, partagé en deux divisions, appelées respectivement divisions sud et nord: 61. La division sud comprendra les townships de Charlotteville, Houghton, Walsingham, et Woodhouse et son augmentation. 62. La division nord comprendra les townships de Middleton, Townsend, et Windham, et la ville de Simcoe. 63. Le comté d'Haldimand comprendra les townships de Oneida, Seneca, Cayuga nord, Cayuga sud, Raynham, Walpole et Dunn. 64. Le comté de Monck comprendra les townships de Canborough et Moulton et Sherbrooke, et le village de Danville (soustraits au comté d'Haldimand), les townships de Caistor et Gainsborough (soustraits au comté de Lincoln) et les townships de Pelham et Wainfleet (soustraits au comté de Welland). 65. Le comté de Lincoln comprendra les townships de Clinton, Grantham, Grimsby, et Louth, et la ville de Ste. Catherines. 66. Le comté de Welland comprendra les townships de Berthie, Crowland, Humberstone, Stamford, Thorold, et Willoughby, et les villages de Chippewa, Clifton, Fort Erié, Thorold et Welland. 67. Le comté de Peel comprendra les townships de Chinguacousy, Toronto et l'augmentation de Toronto, et les villages de Brampton et Streetsville. 68. Le comté de Cardwell comprendra les townships de Albion et Caledon (soustraits au comté de Peel), et les townships de Adjala et Mono (soustraits au comté de Simcoe). Le comté de Simcoe, partagé en deux divisions, appelées respectivement divisions sud et nord: 69. La division sud comprendra les townships de Gwillimbury ouest, Tecumseth, Innisfil, Essa, Tosorontio, Mulmur, et le village de Bradford. 70. La division nord comprendra les townships de Nottawasaga, Sunnidale, Vespra, Flos, Oro, Medonte, Orillia et Matchedash, Tiny et Tay, Balaklava et Robinson, et les villes de Barrie et Collingwood. Le comté de Victoria, partagé en deux divisions, appelées respectivement divisions sud et nord: 71. La division sud comprendra les townships de Ops, Mariposa, Emily, Verulam et la ville de Lindsay. 72. La division nord comprendra les townships de Anson, Bexley, Carden, Dalton, Digby, Eldon, Fénélon, Hindon, Laxton, Lutterworth, Macaulay et Draper, Sommerville et Morrison, Muskoka, Monck et Watt (soustraits au comté de Simcoe), et tous autres townships arpentés au nord de cette division. Le comté de Peterborough, partagé en deux divisions, appelées respectivement divisions ouest et est: 73. La division ouest comprendra les townships de Monaghan sud (soustrait au comté de Northumberland), Monaghan Nord, Smith, Ennismore et la ville de Peterborough. 74. La division est comprendra les townships d'Asphodel, Belmont et Methuen, Douro, Dummer, Galway, Harvey, Minden, Stanhope et Dysart, Otonabee et Snowden et le village de Ashburnham, et tous autres townships arpentés au nord de cette division. Le comté de Hastings, partagé en trois divisions, appelées respectivement divisions ouest, est et nord: 75. La division ouest comprendra la ville de Belleville, le township de Sydney, et le village de Trenton. 76. La division est comprendra les townships de Thurlow, Tyendinaga, et Hungerford. 77. La division nord comprendra les townships de Rawdon, Huntingdon, Madoc, Elzevir, Tudor, Marmora et Lake, et le village de Stirling, et tous autres townships arpentés au nord de cette division. 78. Le comté de Lennox comprendra les townships de Richmond, Adolphustown, Fredericksburgh nord, Fredericksburgh sud, Ernest Town et l'Isle Amherst, et le village de Napanee. 79. Le comté d'Addington comprendra les townships de Camden, Portland, Sheffield, Hinchinbrooke, Kaladar, Kennebec, Olden, Oso, Anglesea, Barrie, Clarendon, Palmerston, Effingham, Abinger, Miller, Canonto, Denbigh, Loughborough et Bedford. 80. Le comté de Frontenac comprendra les townships de Kingston, l'Ile Wolfe, Pittsburgh et l'Ile Howe, et Storrington. Le comté de Renfrew, partagé en deux divisions, appelées respectivement divisions sud et nord: 81. La division sud comprendra les townships de McNab, Bagot, Blithfield, Brougham, Horton, Admaston, Grattan, Matawatchan, Griffith, Lyndoch, Raglan, Radcliffe, Brudenell, Sebastopol, et les villages de Arnprior et Renfrew. 82. La division nord comprendra les townships de Ross, Bromley, Westmeath, Stafford, Pembroke, Wilberforce, Alice, Petawawa, Buchanan, Algoma sud, Algoma nord, Fraser, McKay, Wylie, Rolph, Head, Maria, Clara, Haggerty, Sherwood, Burns et Richard, et tous autres townships arpentés au nord-ouest de cette division. Les villes et villages incorporés à l'époque de l'union, non mentionnés spécialement dans cette annexe, devront faire partie du comté ou de la division dans laquelle ils sont situés. DEUXIÈME ANNEXE Districts Électoraux de Québec spécialement fixés Comtés de Pontiac. Missisquoi. Compton. Ottawa. Brome. Wolfe et Richmond. Argenteuil. Shefford. Mégantic. Huntingdon. Stanstead. La ville de Sherbrooke. TROISIÈME ANNEXE Travaux et propriétés publiques de la province devant appartenir au Canada 1. Canaux, avec les terrains et pouvoirs d'eau y adjacents. 2. Havres publics. 3. Phares et quais, et l'Île de Sable. 4. Bateaux à vapeur, dragueurs et vaisseaux publics. 5. Améliorations sur les lacs et rivières. 6. Chemins de fer et actions dans les chemins de fer, hypothèques et autres dettes dues par les compagnies de chemins de fer. 7. Routes militaires. 8. Maisons de douane, bureaux de poste, et tous autres édifices publics, sauf ceux que le gouvernement du Canada destine à l'usage des législatures et des gouvernements provinciaux. 9. Propriétés transférées par le gouvernement impérial, et désignées sous le nom de propriétés de l'artillerie. 10. Arsenaux, salles d'exercice militaires, uniformes, munitions de guerre, et terrains réservés pour les besoins publics et généraux. QUATRIÈME ANNEXE Actif devenant la propriété commune d'Ontario et Québec Fonds de bâtisse du Haut-Canada. Asiles d'aliénés. École Normale. Palais de justice à Aylmer, Montréal, Kamouraska (Bas-Canada). Société des hommes de loi, Haut-Canada. Commission des chemins à barrières de Montréal. Fonds permanent de l'université. Institution royale. Fonds consolidé d'emprunt municipal, Haut-Canada. Fonds consolidé d'emprunt municipal, Bas-Canada. Société d'agriculture, Haut-Canada. Octroi législatif en faveur du Bas-Canada. Prêt aux incendiés de Québec. Compte des avances, Témiscouata. Commission des chemins à barrières de Québec. Éducation - Est. Fonds de bâtisse et de jurés, Bas-Canada. Fonds des municipalités. Fonds du revenu de l'éducation supérieure, Bas-Canada. CINQUIÈME ANNEXE Serment d'allégeance Je, A.B., jure que je serai fidèle et porterai vraie allégeance à Sa Majesté la Reine Victoria. N.B. - Le nom du Roi ou de la Reine du Royaume-Uni de la Grande-Bretagne et d'Irlande, alors régnant, devra être inséré, au besoin, en termes appropriés. Déclaration des qualifications exigées Je, A.B., déclare et atteste que j'ai les qualifications exigées par la loi pour être nommé membre du Sénat du Canada (ou selon le cas), et que je possède en droit ou en équité comme propriétaire, pour mon propre usage et bénéfice, des terres et tenements en franc et commun socage [ou que je suis en bonne saisine ou possession, pour mon propre usage et bénéfice, de terres et tenements en franc-alleu ou en roture (selon le cas),] dans la province de la Nouvelle-Écosse (ou selon le cas), de la valeur de quatre mille piastres, en sus de toutes rentes, dettes, charges, hypothèques et redevances qui peuvent être attachées, dues et payables sur ces immeubles ou auxquelles ils peuvent être affectés, et que je n'ai pas collusoirement ou spécieusement obtenu le titre ou la possession de ces immeubles, en tout ou en partie, dans le but de devenir membre du Sénat du Canada, (ou selon le cas,) et que mes biens mobiliers et immobiliers valent, somme toute, quatre mille piastres en sus de mes dettes et obligations. SIXIÈME ANNEXE (78) Production primaire tirée des ressources naturelles non renouvelables et des ressources forestières 1. Pour l'application de l'article 92A : a) on entend par production primaire tirée d'une ressource naturelle non renouvelable : (i) soit le produit qui se présente sous la même forme que lors de son extraction du milieu naturel, (ii) soit le produit non manufacturé de la transformation, du raffinage ou de l'affinage d'une ressource, à l'exception du produit du raffinage du pétrole brut, du raffinage du pétrole brut lourd amélioré, du raffinage des gaz ou des liquides dérivés du charbon ou du raffinage d'un équivalent synthétique du pétrole brut; b) on entend par production primaire tirée d'une ressource forestière la production constituée de billots, de poteaux, de bois d'œuvre, de copeaux, de sciure ou d'autre produit primaire du bois, ou de pâte de bois, à l'exception d'un produit manufacturé en bois. ANNEXE B LOI CONSTITUTIONNELLE DE 1982(79) PARTIE I CHARTE CANADIENNE DES DROITS ET LIBERTÉS Attendu que le Canada est fondé sur des principes qui reconnaissent la suprématie de Dieu et la primauté du droit : Garantie des droits et libertés Droits et libertés au Canada 1. La Charte canadienne des droits et libertés garantit les droits et libertés qui y sont énoncés. Ils ne peuvent être restreints que par une règle de droit, dans des limites qui soient raisonnables et dont la justification puisse se démontrer dans le cadre d'une société libre et démocratique. Libertés fondamentales Libertés fondamentales 2. Chacun a les libertés fondamentales suivantes : a) liberté de conscience et de religion; b) liberté de pensée, de croyance, d'opinion et d'expression, y compris la liberté de la presse et des autres moyens de communication; c) liberté de réunion pacifique; d) liberté d'association. Droits démocratiques Droits démocratiques des citoyens 3. Tout citoyen canadien a le droit de vote et est éligible aux élections législatives fédérales ou provinciales. Mandat maximal des assemblées 4. (1) Le mandat maximal de la Chambre des communes et des assemblées législatives est de cinq ans à compter de la date fixée pour le retour des brefs relatifs aux élections générales correspondantes. (80) Prolongations spéciales (2) Le mandat de la Chambre des communes ou celui d'une assemblée législative peut être prolongé respectivement par le Parlement ou par la législature en question au-delà de cinq ans en cas de guerre, d'invasion ou d'insurrection, réelles ou appréhendées, pourvu que cette prolongation ne fasse pas l'objet d'une opposition exprimée par les voix de plus du tiers des députés de la Chambre des communes ou de l'assemblée législative. (81) Séance annuelle 5. Le Parlement et les législatures tiennent une séance au moins une fois tous les douze mois. (82) Liberté de circulation et d'établissement Liberté de circulation 6. (1) Tout citoyen canadien a le droit de demeurer au Canada, d'y entrer ou d'en sortir. Liberté d'établissement (2) Tout citoyen canadien et toute personne ayant le statut de résident permanent au Canada ont le droit : a) de se déplacer dans tout le pays et d'établir leur résidence dans toute province; b) de gagner leur vie dans toute province. Restriction (3) Les droits mentionnés au paragraphe (2) sont subordonnés : a) aux lois et usages d'application générale en vigueur dans une province donnée, s'ils n'établissent entre les personnes aucune distinction fondée principalement sur la province de résidence antérieure ou actuelle; b) aux lois prévoyant de justes conditions de résidence en vue de l'obtention des services sociaux publics. Programmes de promotion sociale (4) Les paragraphes (2) et (3) n'ont pas pour objet d'interdire les lois, programmes ou activités destinés à améliorer, dans une province, la situation d'individus défavorisés socialement ou économiquement, si le taux d'emploi dans la province est inférieur à la moyenne nationale. Garanties juridiques Vie, liberté et sécurité 7. Chacun a droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne; il ne peut être porté atteinte à ce droit qu'en conformité avec les principes de justice fondamentale. Fouilles, perquisitions ou saisies 8. Chacun a droit à la protection contre les fouilles, les perquisitions ou les saisies abusives. Détention ou emprisonnement 9. Chacun a droit à la protection contre la détention ou l'emprisonnement arbitraires. Arrestation ou détention 10. Chacun a le droit, en cas d'arrestation ou de détention : a) d'être informé dans les plus brefs délais des motifs de son arrestation ou de sa détention; b) d'avoir recours sans délai à l'assistance d'un avocat et d'être informé de ce droit; c) de faire contrôler, par habeas corpus, la légalité de sa détention et d'obtenir, le cas échéant, sa libération. Affaires criminelles et pénales 11. Tout inculpé a le droit : a) d'être informé sans délai anormal de l'infraction précise qu'on lui reproche; b) d'être jugé dans un délai raisonnable; c) de ne pas être contraint de témoigner contre lui-même dans toute poursuite intentée contre lui pour l'infraction qu'on lui reproche; d) d'être présumé innocent tant qu'il n'est pas déclaré coupable, conformément à la loi, par un tribunal indépendant et impartial à l'issue d'un procès public et équitable; e) de ne pas être privé sans juste cause d'une mise en liberté assortie d'un cautionnement raisonnable; f) sauf s'il s'agit d'une infraction relevant de la justice militaire, de bénéficier d'un procès avec jury lorsque la peine maximale prévue pour l'infraction dont il est accusé est un emprisonnement de cinq ans ou une peine plus grave; g) de ne pas être déclaré coupable en raison d'une action ou d'une omission qui, au moment où elle est survenue, ne constituait pas une infraction d'après le droit interne du Canada ou le droit international et n'avait pas de caractère criminel d'après les principes généraux de droit reconnus par l'ensemble des nations; h) d'une part de ne pas être jugé de nouveau pour une infraction dont il a été définitivement acquitté, d'autre part de ne pas être jugé ni puni de nouveau pour une infraction dont il a été définitivement déclaré coupable et puni; i) de bénéficier de la peine la moins sévère, lorsque la peine qui sanctionne l'infraction dont il est déclaré coupable est modifiée entre le moment de la perpétration de l'infraction et celui de la sentence. Cruauté 12. Chacun a droit à la protection contre tous traitements ou peines cruels et inusités. Témoignage incriminant 13. Chacun a droit à ce qu'aucun témoignage incriminant qu'il donne ne soit utilisé pour l'incriminer dans d'autres procédures, sauf lors de poursuites pour parjure ou pour témoignages contradictoires. Interprète 14. La partie ou le témoin qui ne peuvent suivre les procédures, soit parce qu'ils ne comprennent pas ou ne parlent pas la langue employée, soit parce qu'ils sont atteints de surdité, ont droit à l'assistance d'un interprète. Droits à l'égalité Égalité devant la loi, égalité de bénéfice et protection égale de la loi 15. (1) La loi ne fait acception de personne et s'applique également à tous, et tous ont droit à la même protection et au même bénéfice de la loi, indépendamment de toute discrimination, notamment des discriminations fondées sur la race, l'origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, le sexe, l'âge ou les déficiences mentales ou physiques. Programmes de promotion sociale (2) Le paragraphe (1) n'a pas pour effet d'interdire les lois, programmes ou activités destinés à améliorer la situation d'individus ou de groupes défavorisés, notamment du fait de leur race, de leur origine nationale ou ethnique, de leur couleur, de leur religion, de leur sexe, de leur âge ou de leurs déficiences mentales ou physiques. (83) Langues officielles du Canada Langues officielles du Canada 16. (1) Le français et l'anglais sont les langues officielles du Canada; ils ont un statut et des droits et privilèges égaux quant à leur usage dans les institutions du Parlement et du gouvernement du Canada. Langues officielles du Nouveau-Brunswick (2) Le français et l'anglais sont les langues officielles du Nouveau-Brunswick; ils ont un statut et des droits et privilèges égaux quant à leur usage dans les institutions de la Législature et du gouvernement du Nouveau-Brunswick. Progression vers l'égalité (3) La présente charte ne limite pas le pouvoir du Parlement et des législatures de favoriser la progression vers l'égalité de statut ou d'usage du français et de l'anglais. Communautés linguistiques française et anglaise du Nouveau-Brunswick 16.1. (1) La communauté linguistique française et la communauté linguistique anglaise du Nouveau-Brunswick ont un statut et des droits et privilèges égaux, notamment le droit à des institutions d'enseignement distinctes et aux institutions culturelles distinctes nécessaires à leur protection et à leur promotion. Rôle de la législature et du gouvernement du Nouveau-Brunswick (2) Le rôle de la législature et du gouvernement du Nouveau-Brunswick de protéger et de promouvoir le statut, les droits et les privilèges visés au paragraph (1) est confirmé. (83.1) Travaux du Parlement 17. (1) Chacun a le droit d'employer le français ou l'anglais dans les débats et travaux du Parlement. (84) Travaux de la Législature du Nouveau-Brunswick (2) Chacun a le droit d'employer le français ou l'anglais dans les débats et travaux de la Législature du Nouveau-Brunswick. (85) Documents parlementaires 18. (1) Les lois, les archives, les comptes rendus et les procès-verbaux du Parlement sont imprimés et publiés en français et en anglais, les deux versions des lois ayant également force de loi et celles des autres documents ayant même valeur. (86) Documents de la Législature du Nouveau-Brunswick (2) Les lois, les archives, les comptes rendus et les procès-verbaux de la Législature du Nouveau-Brunswick sont imprimés et publiés en français et en anglais, les deux versions des lois ayant également force de loi et celles des autres documents ayant même valeur. (87) Procédures devant les tribunaux établis par le Parlement 19. (1) Chacun a le droit d'employer le français ou l'anglais dans toutes les affaires dont sont saisis les tribunaux établis par le Parlement et dans tous les actes de procédure qui en découlent. (88) Procédures devant les tribunaux du Nouveau-Brunswick (2) Chacun a le droit d'employer le français ou l'anglais dans toutes les affaires dont sont saisis les tribunaux du Nouveau-Brunswick et dans tous les actes de procédure qui en découlent. (89) Communications entre les administrés et les institutions fédérales 20. (1) Le public a, au Canada, droit à l'emploi du français ou de l'anglais pour communiquer avec le siège ou l'administration centrale des institutions du Parlement ou du gouvernement du Canada ou pour en recevoir les services; il a le même droit à l'égard de tout autre bureau de ces institutions là où, selon le cas : a) l'emploi du français ou de l'anglais fait l'objet d'une demande importante; b) l'emploi du français et de l'anglais se justifie par la vocation du bureau. Communications entre les administrés et les institutions du Nouveau-Brunswick (2) Le public a, au Nouveau-Brunswick, droit à l'emploi du français ou de l'anglais pour communiquer avec tout bureau des institutions de la législature ou du gouvernement ou pour en recevoir les services. Maintien en vigueur de certaines dispositions 21. Les articles 16 à 20 n'ont pas pour effet, en ce qui a trait à la langue française ou anglaise ou à ces deux langues, de porter atteinte aux droits, privilèges ou obligations qui existent ou sont maintenus aux termes d'une autre disposition de la Constitution du Canada. (90) Droits préservés 22. Les articles 16 à 20 n'ont pas pour effet de porter atteinte aux droits et privilèges, antérieurs ou postérieurs à l'entrée en vigueur de la présente charte et découlant de la loi ou de la coutume, des langues autres que le français ou l'anglais. Droits à l'instruction dans la langue de la minorité Langue d'instruction 23. (1) Les citoyens canadiens : a) dont la première langue apprise et encore comprise est celle de la minorité francophone ou anglophone de la province où ils résident, b) qui ont reçu leur instruction, au niveau primaire, en français ou en anglais au Canada et qui résident dans une province où la langue dans laquelle ils ont reçu cette instruction est celle de la minorité francophone ou anglophone de la province, ont, dans l'un ou l'autre cas, le droit d'y faire instruire leurs enfants, aux niveaux primaire et secondaire, dans cette langue. (91) Continuité d'emploi de la langue d'instruction (2) Les citoyens canadiens dont un enfant a reçu ou reçoit son instruction, au niveau primaire ou secondaire, en français ou en anglais au Canada ont le droit de faire instruire tous leurs enfants, aux niveaux primaire et secondaire, dans la langue de cette instruction. Justification par le nombre (3) Le droit reconnu aux citoyens canadiens par les paragraphes (1) et (2) de faire instruire leurs enfants, aux niveaux primaire et secondaire, dans la langue de la minorité francophone ou anglophone d'une province : a) s'exerce partout dans la province où le nombre des enfants des citoyens qui ont ce droit est suffisant pour justifier à leur endroit la prestation, sur les fonds publics, de l'instruction dans la langue de la minorité; b) comprend, lorsque le nombre de ces enfants le justifie, le droit de les faire instruire dans des établissements d'enseignement de la minorité linguistique financés sur les fonds publics. Recours Recours en cas d'atteinte aux droits et libertés 24. (1) Toute personne, victime de violation ou de négation des droits ou libertés qui lui sont garantis par la présente charte, peut s'adresser à un tribunal compétent pour obtenir la réparation que le tribunal estime convenable et juste eu égard aux circonstances. Irrecevabilité d'éléments de preuve qui risqueraient de déconsidérer l'administration de la justice (2) Lorsque, dans une instance visée au paragraphe (1), le tribunal a conclu que des éléments de preuve ont été obtenus dans des conditions qui portent atteinte aux droits ou libertés garantis par la présente charte, ces éléments de preuve sont écartés s'il est établi, eu égard aux circonstances, que leur utilisation est susceptible de déconsidérer l'administration de la justice. Dispositions générales Maintien des droits et libertés des autochtones 25. Le fait que la présente charte garantit certains droits et libertés ne porte pas atteinte aux droits ou libertés -- ancestraux, issus de traités ou autres -- des peuples autochtones du Canada, notamment : a) aux droits ou libertés reconnus par la proclamation royale du 7 octobre 1763; b) aux droits ou libertés existants issus d'accords sur des revendications territoriales ou ceux susceptibles d'être ainsi acquis. (92) Maintien des autres droits et libertés 26. Le fait que la présente charte garantit certains droits et libertés ne constitue pas une négation des autres droits ou libertés qui existent au Canada. Maintien du patrimoine culturel 27. Toute interprétation de la présente charte doit concorder avec l'objectif de promouvoir le maintien et la valorisation du patrimoine multiculturel des Canadiens. Égalité de garantie des droits pour les deux sexes 28. Indépendamment des autres dispositions de la présente charte, les droits et libertés qui y sont mentionnés sont garantis également aux personnes des deux sexes. Maintien des droits relatifs à certaines écoles 29. Les dispositions de la présente charte ne portent pas atteinte aux droits ou privilèges garantis en vertu de la Constitution du Canada concernant les écoles séparées et autres écoles confessionnelles. (93) Application aux territoires 30. Dans la présente charte, les dispositions qui visent les provinces, leur législature ou leur assemblée législative visent également le territoire du Yukon, les territoires du Nord-Ouest ou leurs autorités législatives compétentes. Non-élargissement des compétences législatives 31. La présente charte n'élargit pas les compétences législatives de quelque organisme ou autorité que ce soit. Application de la charte Application de la charte 32. (1) La présente charte s'applique : a) au Parlement et au gouvernement du Canada, pour tous les domaines relevant du Parlement, y compris ceux qui concernent le territoire du Yukon et les territoires du Nord-Ouest; b) à la législature et au gouvernement de chaque province, pour tous les domaines relevant de cette législature. Restriction (2) Par dérogation au paragraphe (1), l'article 15 n'a d'effet que trois ans après l'entrée en vigueur du présent article. Dérogation par déclaration expresse 33. (1) Le Parlement ou la législature d'une province peut adopter une loi où il est expressément déclaré que celle-ci ou une de ses dispositions a effet indépendamment d'une disposition donnée de l'article 2 ou des articles 7 à 15 de la présente charte. Effet de la dérogation (2) La loi ou la disposition qui fait l'objet d'une déclaration conforme au présent article et en vigueur a l'effet qu'elle aurait sauf la disposition en cause de la charte. Durée de validité (3) La déclaration visée au paragraphe (1) cesse d'avoir effet à la date qui y est précisée ou, au plus tard, cinq ans après son entrée en vigueur. Nouvelle adoption (4) Le Parlement ou une législature peut adopter de nouveau une déclaration visée au paragraphe (1). Durée de validité (5) Le paragraphe (3) s'applique à toute déclaration adoptée sous le régime du paragraphe (4). Titre Titre 34. Titre de la présente partie :Charte canadienne des droits et libertés. PARTIE II DROITS DES PEUPLES AUTOCHTONES DU CANADA Confirmation des droits existants des peuples autochtones 35. (1) Les droits existants - ancestraux ou issus de traités - des peuples autochtones du Canada sont reconnus et confirmés. Définition de " peuples autochtones du Canada " (2) Dans la présente loi, " peuples autochtones du Canada " s'entend notamment des Indiens, des Inuit et des Métis du Canada. Accords sur des revendications territoriales (3) Il est entendu que sont compris parmi les droits issus de traités, dont il est fait mention au paragraphe (1), les droits existants issus d'accords sur des revendications territoriales ou ceux susceptibles d'être ainsi acquis. Égalité de garantie des droits pour les deux sexes (4) Indépendamment de toute autre disposition de la présente loi, les droits - ancestraux ou issus de traités - visés au paragraphe (1) sont garantis également aux personnes des deux sexes. (94) Engagement relatif à la participation à une conférence constitutionnelle 35. 1 Les gouvernements fédéral et provinciaux sont liés par l'engagement de principe selon lequel le premier ministre du Canada, avant toute modification de la catégorie 24 de l'article 91 de la " Loi constitutionnelle de 1867 ", de l'article 25 de la présente loi ou de la présente partie : a) convoquera une conférence constitutionnelle réunissant les premiers ministres provinciaux et lui-même et comportant à son ordre du jour la question du projet de modification; b) invitera les représentants des peuples autochtones du Canada à participer aux travaux relatifs à cette question. (95) PARTIE III PÉRÉQUATION ET INÉGALITÉS RÉGIONALES Engagements relatifs à l'égalité des chances 36. (1) Sous réserve des compétences législatives du Parlement et des législatures et de leur droit de les exercer, le Parlement et les législatures, ainsi que les gouvernements fédéral et provinciaux, s'engagent à a) promouvoir l'égalité des chances de tous les Canadiens dans la recherche de leur bien-être; b) favoriser le développement économique pour réduire l'inégalité des chances; c) fournir à tous les Canadiens, à un niveau de qualité acceptable, les services publics essentiels. Engagement relatif aux services publics (2) Le Parlement et le gouvernement du Canada prennent l'engagement de principe de faire des paiements de péréquation propres à donner aux gouvernements provinciaux des revenus suffisants pour les mettre en mesure d'assurer les services publics à un niveau de qualité et de fiscalité sensiblement comparables. (96) PARTIE IV CONFÉRENCE CONSTITUTIONNELLE [Abrogé] 37. Abrogé. (97) PARTIE IV.I CONFÉRENCES CONSTITUTIONNELLES [Abrogé] 37.1 Abrogé. (98) PARTIE V PROCÉDURE DE MODIFICATION DE LA CONSTITUTION DU CANADA(99) Procédure normale de modification 38. (1) La Constitution du Canada peut être modifiée par proclamation du gouverneur général sous le grand sceau du Canada, autorisée à la fois : a) par des résolutions du Sénat et de la Chambre des communes; b) par des résolutions des assemblées législatives d'au moins deux tiers des provinces dont la population confondue représente, selon le recensement général le plus récent à l'époque, au moins cinquante pour cent de la population de toutes les provinces. Majorité simple (2) Une modification faite conformément au paragraphe (1) mais dérogatoire à la compétence législative, aux droits de propriété ou à tous autres droits ou privilèges d'une législature ou d'un gouvernement provincial exige une résolution adoptée à la majorité des sénateurs, des députés fédéraux et des députés de chacune des assemblées législatives du nombre requis de provinces. Désaccord (3) La modification visée au paragraphe (2) est sans effet dans une province dont l'assemblée législative a, avant la prise de la proclamation, exprimé son désaccord par une résolution adoptée à la majorité des députés, sauf si cette assemblée, par résolution également adoptée à la majorité, revient sur son désaccord et autorise la modification. Levée du désaccord (4) La résolution de désaccord visée au paragraphe (3) peut être révoquée à tout moment, indépendamment de la date de la proclamation à laquelle elle se rapporte. Restriction 39. (1) La proclamation visée au paragraphe 38(1) ne peut être prise dans l'année suivant l'adoption de la résolution à l'origine de la procédure de modification que si l'assemblée législative de chaque province a préalablement adopté une résolution d'agrément ou de désaccord. Idem (2) La proclamation visée au paragraphe 38(1) ne peut être prise que dans les trois ans suivant l'adoption de la résolution à l'origine de la procédure de modification. Compensation 40. Le Canada fournit une juste compensation aux provinces auxquelles ne s'applique pas une modification faite conformément au paragraphe 38(1) et relative, en matière d'éducation ou dans d'autres domaines culturels, à un transfert de compétences législatives provinciales au Parlement. Consentement unanime 41. Toute modification de la Constitution du Canada portant sur les questions suivantes se fait par proclamation du gouverneur général sous le grand sceau du Canada, autorisée par des résolutions du Sénat, de la Chambre des communes et de l'assemblée législative de chaque province : a) la charge de Reine, celle de gouverneur général et celle de lieutenant-gouverneur; b) le droit d'une province d'avoir à la Chambre des communes un nombre de députés au moins égal à celui des sénateurs par lesquels elle est habilitée à être représentée lors de l'entrée en vigueur de la présente partie; c) sous réserve de l'article 43, l'usage du français ou de l'anglais; d) la composition de la Cour suprême du Canada; e) la modification de la présente partie. Procédure normale de modification 42. (1) Toute modification de la Constitution du Canada portant sur les questions suivantes se fait conformément au paragraphe 38(1) : a) le principe de la représentation proportionnelle des provinces à la Chambre des communes prévu par la Constitution du Canada; b) les pouvoirs du Sénat et le mode de sélection des sénateurs; c) le nombre des sénateurs par lesquels une province est habilitée à être représentée et les conditions de résidence qu'ils doivent remplir; d) sous réserve de l'alinéa 41d), la Cour suprême du Canada; e) le rattachement aux provinces existantes de tout ou partie des territoires; f) par dérogation à toute autre loi ou usage, la création de provinces. Exception (2) Les paragraphes 38(2) à (4) ne s'appliquent pas aux questions mentionnées au paragraphe (1). Modification à l'égard de certaines provinces 43. Les dispositions de la Constitution du Canada applicables à certaines provinces seulement ne peuvent être modifiées que par proclamation du gouverneur général sous le grand sceau du Canada, autorisée par des résolutions du Sénat, de la Chambre des communes et de l'assemblée législative de chaque province concernée. Le présent article s'applique notamment : a) aux changements du tracé des frontières interprovinciales; b) aux modifications des dispositions relatives à l'usage du français ou de l'anglais dans une province. Modification par le Parlement 44. Sous réserve des articles 41 et 42, le Parlement a compétence exclusive pour modifier les dispositions de la Constitution du Canada relatives au pouvoir exécutif fédéral, au Sénat ou à la Chambre des communes. Modification par les législatures 45. Sous réserve de l'article 41, une législature a compétence exclusive pour modifier la constitution de sa province. Initiative des procédures 46. (1) L'initiative des procédures de modification visées aux articles 38, 41, 42 et 43 appartient au Sénat, à la Chambre des communes ou à une assemblée législative. Possibilité de révocation (2) Une résolution d'agrément adoptée dans le cadre de la présente partie peut être révoquée à tout moment avant la date de la proclamation qu'elle autorise. Modification sans résolution du Sénat 47. (1) Dans les cas visés à l'article 38, 41, 42 ou 43, il peut être passé outre au défaut d'autorisation du Sénat si celui-ci n'a pas adopté de résolution dans un délai de cent quatre-vingts jours suivant l'adoption de celle de la Chambre des communes et si cette dernière, après l'expiration du délai, adopte une nouvelle résolution dans le même sens. Computation du délai (2) Dans la computation du délai visé au paragraphe (1), ne sont pas comptées les périodes pendant lesquelles le Parlement est prorogé ou dissous. Demande de proclamation 48. Le Conseil privé de la Reine pour le Canada demande au gouverneur général de prendre, conformément à la présente partie, une proclamation dès l'adoption des résolutions prévues par cette partie pour une modification par proclamation. Conférence constitutionnelle 49. Dans les quinze ans suivant l'entrée en vigueur de la présente partie, le premier ministre du Canada convoque une conférence constitutionnelle réunissant les premiers ministres provinciaux et lui-même, en vue du réexamen des dispositions de cette partie. PARTIE VI MODIFICATION DE LA LOI CONSTITUTIONNELLE DE 1867 50. (100) 51. (101) PARTIE VII DISPOSITIONS GÉNÉRALES Primauté de la Constitution du Canada 52. (1) La Constitution du Canada est la loi suprême du Canada; elle rend inopérantes les dispositions incompatibles de toute autre règle de droit. Constitution du Canada (2) La Constitution du Canada comprend : a) la Loi de 1982 sur le Canada, y compris la présente loi; b) les textes législatifs et les décrets figurant à l'annexe; c) les modifications des textes législatifs et des décrets mentionnés aux alinéas a) ou b). Modification (3) La Constitution du Canada ne peut être modifiée que conformément aux pouvoirs conférés par elle. Abrogation et nouveaux titres 53. (1) Les textes législatifs et les décrets énumérés à la colonne I de l'annexe sont abrogés ou modifiés dans la mesure indiquée à la colonne II. Sauf abrogation, ils restent en vigueur en tant que lois du Canada sous les titres mentionnés à la colonne III. Modifications corrélatives (2) Tout texte législatif ou réglementaire, sauf la Loi de 1982 sur le Canada, qui fait mention d'un texte législatif ou décret figurant à l'annexe par le titre indiqué à la colonne I est modifié par substitution à ce titre du titre correspondant mentionné à la colonne III; tout Acte de l'Amérique du Nord britannique non mentionné à l'annexe peut être cité sous le titre de Loi constitutionnelle suivi de l'indication de l'année de son adoption et éventuellement de son numéro. Abrogation et modifications qui en découlent 54. La partie IV est abrogée un an après l'entrée en vigueur de la présente partie et le gouverneur général peut, par proclamation sous le grand sceau du Canada, abroger le présent article et apporter en conséquence de cette double abrogation les aménagements qui s'imposent à la présente loi. (102) [Abrogé] 54.1 Abrogé. (103) Version française de certains textes constitutionnels 55. Le ministre de la Justice du Canada est chargé de rédiger, dans les meilleurs délais, la version française des parties de la Constitution du Canada qui figurent à l'annexe; toute partie suffisamment importante est, dès qu'elle est prête, déposée pour adoption par proclamation du gouverneur général sous le grand sceau du Canada, conformément à la procédure applicable à l'époque à la modification des dispositions constitutionnelles qu'elle contient. Versions française et anglaise de certains textes constitutionnels 56. Les versions française et anglaise des parties de la Constitution du Canada adoptées dans ces deux langues ont également force de loi. En outre, ont également force de loi, dès l'adoption, dans le cadre de l'article 55, d'une partie de la version française de la Constitution, cette partie et la version anglaise correspondante. Versions française et anglaise de la présente loi 57. Les versions française et anglaise de la présente loi ont également force de loi. Entrée en vigueur 58. Sous réserve de l'article 59, la présente loi entre en vigueur à la date fixée par proclamation de la Reine ou du gouverneur général sous le grand sceau du Canada. (104) Entrée en vigueur de l'alinéa 23(1)a) pour le Québec 59. (1) L'alinéa 23(1)a) entre en vigueur pour le Québec à la date fixée par proclamation de la Reine ou du gouverneur général sous le grand sceau du Canada. Autorisation du Québec (2) La proclamation visée au paragraphe (1) ne peut être prise qu'après autorisation de l'assemblée législative ou du gouvernement du Québec. (105) Abrogation du présent article (3) Le présent article peut être abrogé à la date d'entrée en vigueur de l'alinéa 23(1)a) pour le Québec, et la présente loi faire l'objet, dès cette abrogation, des modifications et changements de numérotation qui en découlent, par proclamation de la Reine ou du gouverneur général sous le grand sceau du Canada. Titres 60. Titre abrégé de la présente loi : Loi constitutionnelle de 1982; titre commun des lois constitutionnelles de 1867 à 1975 (n°2) et de la présente loi : Lois constitutionnelles de 1867 à 1982. Mentions 61. Toute mention des " Lois constitutionnelles de 1867 à 1982 " est réputée constituer également une mention de la " Proclamation de 1983 modifiant la Constitution". (106) ANNEXE de la LOI CONSTITUTIONNELLE DE 1982 ACTUALISATION DE LA CONSTITUTION Item Colonne I Colonne II Colonne III Loi visée Modification Nouveau titre 1. Acte de l'Amérique du Nord britannique, 1867, 30-31 Victoria, c. 3 (R.-U.) (1) L'article 1 est abrogé et remplacé par ce qui suit : " 1. Titre abrégé : Loi constitutionnelle de 1867. " Loi constitutionnelle de 1867 (2) L'article 20 est abrogé. (3) La catégorie 1 de l'article 91 est abrogée. (4) La catégorie 1 de l'article 92 est abrogée. 2. Acte pour amender et continuer l'acte trente-deux et trente-trois Victoria, chapitre trois, et pour établir et constituer le gouvernement de la province de Manitoba, 1870, 33 Victoria, c. 3 (Canada) (1) Le titre complet est abrogé et remplacé par ce qui suit : " Loi de 1870 sur le Manitoba. " Loi de 1870 sur le Manitoba (2) L'article 20 est abrogé. 3. Arrêté en conseil de Sa Majesté admettant la Terre de Rupert et le Territoire du Nord-Ouest, en date du 23 juin 1870 Décret en conseil sur la terre de Rupert et le territoire du Nord-Ouest 4. Arrêté en conseil de Sa Majesté admettant la Colombie-Britannique, en date du 16 mai 1871 Conditions de l'adhésion de la Colombie-Britannique 5. Acte de l'Amérique du Nord britannique, 1871, 34-35 Victoria, c. 28 (R.-U.) L'article 1 est abrogé et remplacé par ce qui suit : " 1. Titre abrégé : Loi constitutionnelle de 1871. " Loi constitutionnelle de 1871 6. Arrêté en conseil de Sa Majesté admettant l'Île-du-Prince-Édouard, en date du 26 juin 1873 Conditions de l'adhésion de l'Île-du-Prince-Édouard 7. Acte du Parlement du Canada, 1875, 38-39 Victoria, c. 38 (R.-U.) Loi de 1875 sur le Parlement du Canada 8. Arrêté en conseil de Sa Majesté admettant dans l'Union tous les territoires et possessions britanniques dans l'Amérique du Nord, et les îles adjacentes à ces territoires et possessions, en date du 31 juillet 1880 Décret en conseil sur les territoires adjacents 9. Acte de l'Amérique du Nord britannique, 1886, 49-50 Victoria, c. 35 (R.-U.) L'article 3 est abrogé et remplacé par ce qui suit : " 3. Titre abrégé : Loi constitutionnelle de 1886. " Loi constitutionnelle de 1886 10. Acte du Canada (limites d'Ontario) 1889, 52-53 Victoria, c. 28 (R.-U.) Loi de 1889 sur le Canada (frontières de l'Ontario) 11. Acte concernant l'Orateur canadien (nomination d'un suppléant) 1895, 2e session, 59 Victoria, c. 3 (R.-U.) La loi est abrogée. 12. Acte de l'Alberta, 1905, 4-5 Édouard VII, c. 3 (Canada) Loi sur l'Alberta 13. Acte de la Saskatchewan, 1905, 4-5 Édouard VII, c. 42 (Canada) Loi sur la Saskatchewan 14. Acte de l'Amérique du Nord britannique, 1907, 7 Édouard VII, c. 11 (R.-U.) L'article 2 est abrogé et remplacé par ce qui suit : " 2. Titre abrégé : Loi constitutionnelle de 1907. " Loi constitutionnelle de 1907 15. Acte de l'Amérique du Nord britannique, 1915, 5-6 George V, c. 45 (R.-U.) L'article 3 est abrogé et remplacé par ce qui suit : " 3. Titre abrégé : Loi constitutionnelle de 1915. " Loi constitutionnelle de 1915 16. Acte de l'Amérique du Nord britannique, 1930, 20-21 George V, c. 26 (R.-U.) L'article 3 est abrogé et remplacé par ce qui suit : " 3. Titre abrégé : Loi constitutionnelle de 1930. " Loi constitutionnelle de 1930 17. Statut de Westminster, 1931, 22 George V, c. 4 (R.-U.) Dans la mesure où ils s'appliquent au Canada : a) l'article 4 est abrogé; b) le paragraphe 7(1) est abrogé. Statut de Westminster de 1931 18. Acte de l'Amérique du Nord britannique, 1940, 3-4 George VI, c. 36 (R.-U.) L'article 2 est abrogé et remplacé par ce qui suit : " 2. Titre abrégé : Loi constitutionnelle de 1940. " Loi constitutionnelle de 1940 19. Acte de l'Amérique du Nord britannique, 1943, 6-7 George VI, c. 30 (R.-U.) La loi est abrogée. 20. Acte de l'Amérique du Nord britannique, 1946, 9-10 George VI, c. 63 (R.-U.) La loi est abrogée. 21. Acte de l'Amérique du Nord britannique, 1949, 12-13 George VI, c. 22 (R.-U.) L'article 3 est abrogé et remplacé par ce qui suit : " 3. Titre abrégé : Loi sur Terre-Neuve. " Loi sur Terre-Neuve 22. Acte de l'Amérique du Nord britannique (n° 2) 1949, 13 George VI, c. 81 (R.-U.) La loi est abrogée. 23. Acte de l'Amérique du Nord britannique, 1951, 14-15 George VI, c. 32 (R.-U.) La loi est abrogée. 24. Acte de l'Amérique du Nord britannique, 1952, 1 Elizabeth II, c. 15 (Canada) La loi est abrogée. 25. Acte de l'Amérique du Nord britannique, 1960, 9 Elizabeth II, c. 2 (R.-U.) L'article 2 est abrogé et remplacé par ce qui suit : " 2. Titre abrégé : Loi constitutionnelle de 1960. " Loi constitutionnelle de 1960 26. Acte de l'Amérique du Nord britannique, 1964, 12-13 Elizabeth II, c. 73 (R.-U.) Acte de l'Amérique du L'article 2 est abrogé et remplacé par ce qui suit : " 2. Titre abrégé : Loi constitutionnelle de 1964. " Loi constitutionnelle de 1964 27. Acte de l'Amérique Nord britannique, 1965, 14 Elizabeth II, c. 4, Partie I (Canada) L'article 2 est abrogé et remplacé par ce qui suit : " 2. Titre abrégé de la présente partie : Loi constitutionnelle de 1965. " Loi constitutionnelle de 1965 28. Acte de l'Amérique du Nord britannique, 1974, 23 Elizabeth II, c. 13, Partie I (Canada) L'article 3, modifié par le paragraphe 38(1) de la loi 25-26 Elizabeth II, c. 28 (Canada), est abrogé et remplacé par ce qui suit : " 3. Titre abrégé de la présente partie : Loi consitutionnnelle de 1974. " Loi constitutionnelle de 1974 29. Acte de l'Amérique du Nord britannique, 1975, 23-24 Elizabeth II, c. 28, Partie I (Canada) L'article 3, modifié par l'article 31 de la loi 25-26 Elizabeth II, c. 28 (Canada), est abrogé et remplacé par ce qui suit : " 3. Titre abrégé de la présente partie : Loi constitutionnelle n° 1 de 1975. " Loi constitutionnelle n °1 de 1975 30. Acte de l'Amérique du Nord britannique n° 2, 1975, 23-24 Elizabeth II, c. 53 (Canada) L'article 3 est abrogé et remplacé par ce qui suit : " 3. Titre abrégé : Loi constitutionnelle n° 2 de 1975. " Loi constitutionnelle n° 2 de 1975
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https://fr.wikisource.org/wiki/J%E2%80%99accuse%E2%80%A6%21
J’accuse…!
Essais XIXe siècle Articles de 1898 Affaire Dreyfus Œuvres d'Émile Zola L’Aurore (journal) Bon pour export
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https://fr.wikisource.org/wiki/Fables%20de%20La%20Fontaine%20%28%C3%A9dition%20originale%29
Fables de La Fontaine (édition originale)
Épître à Monseigneur le Dauphin Préface La Vie d’Ésope le Phrygien À Monseigneur le Dauphin Livre I La Cigale et la Fourmi Le Corbeau et le Renard La Grenouille qui se veut faire aussi grosse que le Bœuf Les deux Mulets Le Loup et le Chien La Génisse, la Chèvre et la Brebis en société avec le Lion La Besace L’Hirondelle et les petits Oiseaux Le Rat de Ville, et le Rat des Champs Le Loup et l’Agneau L’homme, et son Image Le Dragon à plusieurs têtes, et le Dragon à plusieurs queues Les Voleurs et l’Âne Simonide préservé par les Dieux La mort et le Malheureux La mort et le Bûcheron L’Homme entre deux âges, et ses deux Maîtresses Le Renard et la Cigogne L’Enfant et le Maître d’école Le Coq et la Perle Les Frelons et les Mouches à miel Le Chêne et le Roseau Livre II Contre ceux qui ont le goût difficile Conseil tenu par les Rats Le Loup plaidant contre le Renard par-devant le Singe Les deux Taureaux et une Grenouille La Chauve-souris et les deux Belettes L’Oiseau blessé d’une flèche La Lice et sa Compagne L’Aigle et l’Escarbot Le Lion et le Moucheron L’Âne chargé d’éponges, et l’Âne chargé de sel Le Lion et le Rat La Colombe et la Fourmi L’Astrologue qui se laisse tomber dans un puits Le Lièvre et les Grenouilles Le Coq et le Renard Le Corbeau voulant imiter l’Aigle Le Paon se plaignant à Junon La Chatte métamorphosée en Femme Le Lion et l’Âne chassant Testament expliqué par Ésope Livre III Le Meunier, son Fils, et l’Âne Les Membres et l’Estomac Le Loup devenu Berger Les Grenouilles qui demandent un Roi Le Renard et le Bouc L’Aigle, la Laie, et la Chatte L’Ivrogne et sa femme La Goutte et l’Araignée Le Loup et la Cigogne Le Lion abattu par l’Homme Le Renard et les Raisins Le Cygne et le Cuisinier Les Loups et les Brebis Le Lion devenu vieux Philomèle et Progné La Femme noyée La Belette entrée dans un Grenier Le Chat et un vieux Rat Livre IV Le Lion amoureux Le Berger et la Mer La Mouche et la Fourmi Le Jardinier et son Seigneur L’Âne et le petit Chien Le Combat des Rats et des Belettes Le Singe et le Dauphin L’Homme et l’Idole de bois Le Geai paré des plumes du Paon Le Chameau, et les Bâtons flottants La Grenouille et le Rat Tribut envoyé par les Animaux à Alexandre Le Cheval s’étant voulu venger du Cerf Le Renard et le Buste Le Loup, la Chèvre, et le Chevreau Le Loup, la Mère et l’Enfant Parole de Socrate Le Vieillard et ses enfants L’Oracle et l’Impie L’Avare qui a perdu son trésor L’œil du Maître L’Alouette et ses petits, avec le Maître d’un champ Livre V Le Bûcheron et Mercure Le pot de terre et le Pot de fer Le petit Poisson et le Pêcheur Les Oreilles du Lièvre Le Renard ayant la queue coupée La Vieille et les deux Servantes Le Satyre et le Passant Le Cheval et le Loup Le Laboureur et ses enfants La Montagne qui accouche La Fortune et le jeune Enfant Les Médecins La Poule aux œufs d’or L’Âne portant des reliques Le Cerf et la Vigne Le Serpent et la Lime Le Lièvre et la Perdrix L’Aigle et le Hibou Le Lion s’en allant en guerre L’Ours et les deux Compagnons L’Âne vêtu de la peau du Lion Livre VI Le Pâtre et le Lion Le Lion et le Chasseur Phœbus et Borée Jupiter et le Métayer Le Cochet, le Chat et le Souriceau Le Renard, le Singe, et les Animaux Le Mulet se vantant de sa généalogie Le Vieillard et l’Âne Le Cerf se voyant dans l’eau Le Lièvre et la Tortue L’Âne et ses Maîtres Le Soleil et les Grenouilles Le Villageois et le Serpent Le Lion malade, et le Renard L’Oiseleur, l’Autour et l’Alouette Le Cheval et l’Âne Le Chien qui lâche sa proie pour l’ombre Le Chartier embourbé Le Charlatan La Discorde La jeune Veuve Épilogue Avertissement À Madame de Montespan Livre VII Les Animaux malades de la peste Le mal marié Le Rat qui s’est retiré du monde Le Héron – La Fille Les Souhaits La Cour du Lion Les Vautours et les Pigeons Le Coche et la Mouche La Laitière et le Pot au lait Le Curé et le Mort L’homme qui court après la Fortune, et l’homme qui l’attend dans son lit Les deux Coqs L’ingratitude et l’injustice des hommes envers la Fortune Les Devineresses Le Chat, la Belette, et le petit Lapin La tête et la queue du Serpent Un Animal dans la Lune Livre VIII La mort et le mourant Le Savetier et le Financier Le Lion, le Loup et le Renard Le pouvoir des Fables L’Homme et la Puce Les Femmes et le Secret Le Chien qui porte à son cou le dîné de son Maître Le Rieur et les Poissons Le Rat et l’Huître L’Ours et l’Amateur des Jardins Les deux Amis Le Cochon, la Chèvre et le Mouton Tircis et Amarante Les Obsèques de la Lionne Le Rat et l’Éléphant L’Horoscope L’Âne et le Chien Le Bassa et le Marchand L’Avantage de la Science Jupiter et les Tonnerres Le Faucon et le Chapon Le Chat et le Rat Le Torrent et la Rivière L’Éducation Les deux Chiens et l’Âne mort Démocrite et les Abdéritains Le Loup et le Chasseur Livre IX Le Dépositaire infidèle Les deux Pigeons Le Singe et le Léopard Le Gland et la Citrouille L’Écolier, le Pédant, et le Maître d’un jardin Le Statuaire et la Statue de Jupiter La Souris métamorphosée en fille Le Fou qui vend la Sagesse L’Huître, et les Plaideurs Le Loup, et le Chien maigre Rien de trop Le Cierge Jupiter et le Passager Le Chat et le Renard Le Mari, la Femme, et le Voleur Le Trésor, et les deux Hommes Le Singe, et le Chat Le Milan et le Rossignol Le Berger et son troupeau Discours à Madame de La Sablière Les deux Rats, le Renard, et l’Œuf Livre X L’Homme et la Couleuvre La Tortue et les deux Canards Les Poissons et le Cormoran L’Enfouisseur et son Compère Le Loup et les Bergers L’Araignée et l’Hirondelle La Perdrix et les Coqs Le Chien à qui on a coupé les oreilles Le Berger et le Roi Les Poissons et le Berger qui joue de la flûte Les deux Perroquets, le Roi et son fils La Lionne et l’Ourse Les deux Aventuriers et le Talisman Discours à Monsieur le Duc de La Rochefoucauld Le Marchand, le Gentilhomme, le Pâtre et le Fils de Roi Livre XI Le Lion Pour Monseigneur le Duc du Maine Le Fermier, le Chien, et le Renard Le songe d’un habitant du Mogol Le Lion, le Singe, et les deux Ânes Le Loup, et le Renard Le Paysan du Danube Le vieillard, et les trois jeunes hommes Les Souris, et le Chat-huant Épilogue À Monseigneur le duc de Bourgogne Livre XII Les Compagnons d’Ulysse Le Chat et les deux Moineaux Du Thésauriseur et du Singe Les deux Chèvres Le vieux Chat et la jeune Souris Le Cerf malade La Chauve-Souris, le Buisson, et le Canard La querelle des Chiens et des Chats, et celle des Chats et des Souris Le Loup et le Renard L’Écrevisse et sa Fille L’Aigle et la Pie Le Milan, le Roi, et le Chasseur Le Renard, les Mouches, et le Hérisson L’Amour et la Folie Le Corbeau, la Gazelle, la Tortue, et le Rat La Forêt et le Bûcheron Le Renard, le Loup, et le Cheval Le Renard et les Poulets d’Inde Le Singe Le Philosophe Scythe L’Éléphant, et le Singe de Jupiter Un Fou et un Sage Le Renard Anglais Daphnis et Alcimadure Philémon et Baucis La Matrone d’Éphèse Belphégor Les Filles de Minée Le Juge Arbitre, l’Hospitalier, et le Solitaire ( ici) A Aigle et la Pie (L’) Aigle et le Hibou (L’) Aigle et l’Escarbot (L’) Aigle, la Laie et la Chatte (L’) Alouette et ses petits, avec le Maître d’un champ (L’) Amour et la Folie (L’) Âne chargé d’éponges, et l’Âne chargé de sel (L’) Âne et le Chien (L’) Âne et le petit Chien (L’) Âne et ses Maîtres (L’) Âne portant des reliques (L’) Âne vêtu de la peau du Lion (L’) Animal dans la Lune (Un) Animaux malades de la peste (Les) Araignée et l’Hirondelle (L’) Astrologue qui se laisse tomber dans un puits (L’) Avantage de la Science (L’) Avare qui a perdu son trésor (L’) B Bassa et le Marchand (Le) Belette entrée dans un Grenier (La) Belphégor Berger et la Mer (Le) Berger et le Roi (Le) Berger et son troupeau (Le) Besace (La) Bûcheron et Mercure (Le) C Cerf et la Vigne (Le) Cerf malade (Le) Cerf se voyant dans l’eau (Le) Chameau, et les Bâtons flottants (Le) Charlatan (Le) Chartier embourbé (Le) Chat et le Rat (Le) Chat et le Renard (Le) Chat et les deux Moineaux (Le) Chat et un vieux Rat (Le) Chat, la Belette, et le petit Lapin (Le) Chatte métamorphosée en Femme (La) Chauve-souris et les deux Belettes (La) Chauve-Souris, le Buisson, et le Canard (La) Chêne et le Roseau (Le) Cheval et l’Âne (Le) Cheval et le Loup (Le) Cheval s’étant voulu venger du Cerf (Le) Chien à qui on a coupé les oreilles (Le) Chien qui lâche sa proie pour l’ombre (Le) Chien qui porte à son cou le dîné de son Maître (Le) Cierge (Le) Cigale et la Fourmi (La) Coche et la Mouche (Le) Cochet, le Chat et le Souriceau (Le) Cochon, la Chèvre et le Mouton (Le) Colombe et la Fourmi (La) Combat des Rats et des Belettes (Le) Compagnons d’Ulysse (Les) Conseil tenu par les Rats Contre ceux qui ont le goût difficile Coq et la Perle (Le) Coq et le Renard (Le) Corbeau et le Renard (Le) Corbeau, la Gazelle, la Tortue, et le Rat (Le) Corbeau voulant imiter l’Aigle (Le) Cour du Lion (La) Curé et le Mort (Le) Cygne et le Cuisinier (Le) D Daphnis et Alcimadure Démocrite et les Abdéritains Dépositaire infidèle (Le) Deux Amis (Les) Deux Aventuriers et le Talisman (Les) Deux Chèvres (Les) Deux Chiens et l’Âne mort (Les) Deux Coqs (Les) Deux Mulets (Les) Deux Perroquets, le Roi et son Fils (Les) Deux Pigeons (Les) Deux Rats, le Renard, et l’Œuf (Les) Deux Taureaux et une Grenouille (Les) Devineresses (Les) Dieux voulant instruire un fils de Jupiter (Les) Discorde (La) Discours à Monsieur le Duc de La Rochefoucauld Dragon à plusieurs têtes, et le Dragon à plusieurs queues (Le) E Écolier, le Pédant, et le Maître d’un jardin (L’) Écrevisse et sa Fille (L’) Éducation (L’) Éléphant, et le Singe de Jupiter (L’) Enfant et le Maître d’école (L’) Enfouisseur et son Compère (L’) F Faucon et le Chapon (Le) Femme noyée (La) Femmes et le Secret (Les) Fermier, le Chien, et le Renard (Le) Fille (La) Filles de Minée (Les) Forêt et le Bûcheron (La) Fortune et le jeune Enfant (La) Fou et un Sage (Un) Fou qui vend la Sagesse (Le) Frelons et les Mouches à miel (Les) G Geai paré des plumes du Paon (Le) Génisse, la Chèvre et la Brebis en société avec le Lion (La) Gland et la Citrouille (Le) Goutte et l’Araignée (La) Grenouille et le Rat (La) Grenouille qui se veut faire aussi grosse que le Bœuf (La) Grenouilles qui demandent un Roi (Les) H Héron (Le) Hirondelle et les Petits Oiseaux (L’) Homme entre deux âges, et ses deux Maîtresses (L’) Homme et la Couleuvre (L’) Homme et la Puce (L’) Homme et l’Idole de bois (L’) Homme, et son Image (L’) Homme qui court après la Fortune, et l’homme qui l’attend dans son lit (L’) Horoscope (L’) Huître, et les Plaideurs (L’) I Ingratitude et l’injustice des hommes envers la Fortune (L’) Ivrogne et sa femme (L’) J Jardinier et son Seigneur (Le) Jeune Veuve (La) Juge Arbitre, l’Hospitalier, et le Solitaire (Le) Jupiter et le Métayer Jupiter et le Passager Jupiter et les Tonnerres L Laboureur et ses enfants (Le) Laitière et le Pot au lait (La) Lice et sa Compagne (La) Lièvre et la Perdrix (Le) Lièvre et la Tortue (Le) Lièvre et les Grenouilles (Le) Ligue des Rats (La) Lion (Le) Lion abattu par l’Homme (Le) Lion amoureux (Le) Lion devenu vieux (Le) Lion et l’Âne chassant (Le) Lion et le Chasseur (Le) Lion et le Moucheron (Le) Lion et le Rat (Le) Lion, le Loup et le Renard (Le) Lion, le Singe et les deux Ânes (Le) Lion malade, et le Renard (Le) Lion s’en allant en guerre (Le) Lionne et l’Ourse (La) Loup devenu Berger (Le) Loup et la Cigogne (Le) Loup et l’Agneau (Le) Loup et le Chasseur (Le) Loup et le Chien (Le) Loup, et le Chien maigre (Le) Le Loup, et le Renard (Le) (Livre XI) Loup et le Renard (Le) (Livre XII) Loup et les Bergers (Le) Loup, la Chèvre, et le Chevreau (Le) Loup, la Mère, et l’Enfant (Le) Loup plaidant contre le Renard par-devant le Singe (Le) Loups et les Brebis (Les) M Mal marié (Le) Marchand, le Gentilhomme, le Pâtre et le Fils de Roi (Le) Mari, la Femme, et le Voleur (Le) Matrone d’Éphèse (La) Médecins (Les) Membres et l’Estomac (Les) Meunier, son Fils, et l’Âne (Le) Milan et le Rossignol (Le) Milan, le Roi, et le Chasseur (Le) Montagne qui accouche (La) Mort et le Bûcheron (La) Mort et le Malheureux (La) Mort et le mourant (La) Mouche et la Fourmi (La) Mulet se vantant de sa généalogie (Le) O Obsèques de la Lionne (Les) Œil du Maître (L’) Oiseau blessé d’une flèche (L’) Oiseleur, l’Autour et l’Alouette (L’) Oracle et l’Impie (L’) Oreilles du Lièvre (Les) Ours et l’Amateur des jardins (L’) Ours et les deux Compagnons (L’) P Paon se plaignant à Junon (Le) Parole de Socrate Pâtre et le Lion (Le) Paysan du Danube (Le) Perdrix et les Coqs (La) Petit Poisson et le Pêcheur (Le) Phœbus et Borée Philémon et Baucis Philomèle et Progné Philosophe Scythe (Le) Poissons et le Berger qui joue de la flûte (Les) Poissons et le Cormoran (Les) Pot de terre et le Pot de fer (Le) Poule aux œufs d’or (La) Pour Monseigneur le Duc du Maine Pouvoir des Fables (Le) Q Querelle des Chiens et des Chats, et celle des Chats et des Souris (La) R Rat de Ville, et le Rat des Champs (Le) Rat et l’Éléphant (Le) Rat et l’Huître (Le) Rat qui s’est retiré du monde (Le) Renard Anglais (Le) Renard ayant la queue coupée (Le) Renard et la Cigogne (Le) Renard et le Bouc (Le) Renard et le Buste (Le) Renard et l’Écureuil (Le) Renard et les Poulets d’Inde (Le) Renard et les Raisins (Le) Renard, le Loup, et le Cheval (Le) Renard, le Singe, et les Animaux (Le) Renard, les Mouches, et le Hérisson (Le) Rien de trop Rieur et les Poissons (Le) S Satyre et le Passant (Le) Savetier et le Financier (Le) Serpent et la Lime (Le) Simonide préservé par les Dieux Singe (Le) Singe, et le Chat (Le) Singe et le Dauphin (Le) Singe et le Léopard (Le) Soleil et les Grenouilles (Le) (Livre VI) Soleil et les Grenouilles (Le) (Fable non recueillie) Songe d’un habitant du Mogol (Le) Souhaits (Les) Souris, et le Chat-huant (Les) Souris métamorphosée en fille (La) Statuaire et la Statue de Jupiter (Le) T Testament expliqué par Ésope Tête et la Queue du Serpent (La) Du Thésauriseur et du Singe Tircis et Amarante Torrent et la Rivière (Le) Tortue et les deux Canards (La) Trésor, et les deux Hommes (Le) Tribut envoyé par les Animaux à Alexandre V Vautours et les Pigeons (Les) Vieillard et l’Âne (Le) Vieillard, et les trois jeunes hommes (Le) Vieillard et ses enfants (Le) Vieille et les deux Servantes (La) Vieux Chat et la jeune Souris (Le) Villageois et le Serpent (Le) Voleurs et l’Âne (Les) Fables de La Fontaine Fables de La Fontaine Fables de La Fontaine cs:Bajky Lafonténovy en:Fables (La Fontaine/Wright) it:Favole (La Fontaine) vi:Thơ ngụ ngôn La Fontaine
1359
https://fr.wikisource.org/wiki/Fables%20de%20La%20Fontaine%20%28%C3%A9d.%20Barbin%29/2/L%E2%80%99Ours%20et%20les%20deux%20Compagnons
Fables de La Fontaine (éd. Barbin)/2/L’Ours et les deux Compagnons
cs:Bajky Lafonténovy/Medvěd a dva soudruzi it:Favole (La Fontaine)/Libro quinto/XX - L'Orso e i due Compari vi:Con Gấu và hai bác lái
1364
https://fr.wikisource.org/wiki/La%20Conqu%C3%AAte%20du%20pain
La Conquête du pain
Conquete du pain Conquête du pain Anarchisme Bon pour export el:Η κατάκτηση του ψωμιού en:The Conquest of Bread gl:A conquista do pan ru:Хлеб и воля (Кропоткин)
1366
https://fr.wikisource.org/wiki/La%20Conqu%C3%AAte%20du%20pain/L%E2%80%99aisance%20pour%20tous
La Conquête du pain/L’aisance pour tous
el:Η κατάκτηση του ψωμιού/Ευημερία για όλους (μετάφραση Βραχόκηπου) en:The Conquest of Bread/Chapter II ru:Хлеб и воля (Кропоткин)/Глава 2. Довольство для всех
1367
https://fr.wikisource.org/wiki/La%20Conqu%C3%AAte%20du%20pain/Le%20Communisme%20anarchiste
La Conquête du pain/Le Communisme anarchiste
el:Η κατάκτηση του ψωμιού/Αναρχοκομουνισμός en:The Conquest of Bread/Chapter III ru:Хлеб и воля (Кропоткин)/Глава 3. Анархический коммунизм
1368
https://fr.wikisource.org/wiki/La%20Conqu%C3%AAte%20du%20pain/L%E2%80%99expropriation
La Conquête du pain/L’expropriation
el:Η κατάκτηση του ψωμιού/Απαλλοτρίωση en:The Conquest of Bread/Chapter IV ru:Хлеб и воля (Кропоткин)/Глава 4. Экспроприация
1370
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La Conquête du pain/Les denrées
el:Η κατάκτηση του ψωμιού/Διατροφή en:The Conquest of Bread/Chapter V ru:Хлеб и воля (Кропоткин)/Глава 5. Жизненные припасы
1371
https://fr.wikisource.org/wiki/La%20Conqu%C3%AAte%20du%20pain/Le%20logement
La Conquête du pain/Le logement
el:Η κατάκτηση του ψωμιού/Κατοικία en:The Conquest of Bread/Chapter VI ru:Хлеб и воля (Кропоткин)/Глава 6. Жилища
1372
https://fr.wikisource.org/wiki/La%20Conqu%C3%AAte%20du%20pain/Le%20v%C3%AAtement
La Conquête du pain/Le vêtement
el:Η κατάκτηση του ψωμιού/Ρουχισμός en:The Conquest of Bread/Chapter VII ru:Хлеб и воля (Кропоткин)/Глава 7. Одежда
1373
https://fr.wikisource.org/wiki/La%20Conqu%C3%AAte%20du%20pain/Les%20voies%20et%20moyens
La Conquête du pain/Les voies et moyens
el:Η κατάκτηση του ψωμιού/Τρόποι και μέσα en:The Conquest of Bread/Chapter VIII ru:Хлеб и воля (Кропоткин)/Глава 8. Пути и средства
1374
https://fr.wikisource.org/wiki/La%20Conqu%C3%AAte%20du%20pain/Les%20besoins%20de%20luxe
La Conquête du pain/Les besoins de luxe
el:Η κατάκτηση του ψωμιού/Η ανάγκη της πολυτέλειας en:The Conquest of Bread/Chapter IX ru:Хлеб и воля (Кропоткин)/Глава 9. Потребности, составляющие роскошь
1375
https://fr.wikisource.org/wiki/La%20Conqu%C3%AAte%20du%20pain/Le%20travail%20agr%C3%A9able
La Conquête du pain/Le travail agréable
el:Η κατάκτηση του ψωμιού/Ευχάριστη εργασία en:The Conquest of Bread/Chapter X ru:Хлеб и воля (Кропоткин)/Глава 10. Привлекательный труд
1376
https://fr.wikisource.org/wiki/La%20Conqu%C3%AAte%20du%20pain/La%20libre%20entente
La Conquête du pain/La libre entente
el:Η κατάκτηση του ψωμιού/Ελεύθερη συμφωνία en:The Conquest of Bread/Chapter XI ru:Хлеб и воля (Кропоткин)/Глава 11. Свободное соглашение
1377
https://fr.wikisource.org/wiki/La%20Conqu%C3%AAte%20du%20pain/Objections
La Conquête du pain/Objections
el:Η κατάκτηση του ψωμιού/Αντιρρήσεις en:The Conquest of Bread/Chapter XII ru:Хлеб и воля (Кропоткин)/Глава 12. Некоторые возражения
1379
https://fr.wikisource.org/wiki/La%20Conqu%C3%AAte%20du%20pain/Le%20salariat%20collectiviste
La Conquête du pain/Le salariat collectiviste
el:Η κατάκτηση του ψωμιού/Το μισθολογικό σύστημα του Κολλεκτιβισμού en:The Conquest of Bread/Chapter XIII ru:Хлеб и воля (Кропоткин)/Глава 13. Наемный труд в коллективистском обществе
1380
https://fr.wikisource.org/wiki/La%20Conqu%C3%AAte%20du%20pain/Consommation%20et%20production
La Conquête du pain/Consommation et production
el:Η κατάκτηση του ψωμιού/Κατανάλωση και παραγωγή en:The Conquest of Bread/Chapter XIV ru:Хлеб и воля (Кропоткин)/Глава 14. Потребление и производство
1382
https://fr.wikisource.org/wiki/La%20Conqu%C3%AAte%20du%20pain/La%20d%C3%A9centralisation%20des%20industries
La Conquête du pain/La décentralisation des industries
el:Η κατάκτηση του ψωμιού/Η αποκέντρωση της Βιομηχανίας en:The Conquest of Bread/Chapter XVI ru:Хлеб и воля (Кропоткин)/Глава 16. Децентрализация промышленности
1383
https://fr.wikisource.org/wiki/La%20Conqu%C3%AAte%20du%20pain/L%E2%80%99agriculture
La Conquête du pain/L’agriculture
el:Η κατάκτηση του ψωμιού/Αγροκαλιέργεια en:The Conquest of Bread/Chapter XVII ru:Хлеб и воля (Кропоткин)/Глава 17. Сельское хозяйство
1495
https://fr.wikisource.org/wiki/Le%20Ch%C3%AAne%20et%20le%20Roseau
Le Chêne et le Roseau
Fables de La Fontaine cs:Bajky Lafonténovy/Dub a rákos it:Favole (La Fontaine)/Libro primo/XXII - La Canna e la Quercia
1502
https://fr.wikisource.org/wiki/Le%20Cid/%C3%89dition%20Ginn
Le Cid/Édition Ginn
Personnages Acte I Acte II Acte III Acte IV Acte V Examen Cid Cid Cid Cid Cid Bon pour export
1504
https://fr.wikisource.org/wiki/Ph%C3%A8dre%20%28Racine%29%2C%20Didot%2C%201854
Phèdre (Racine), Didot, 1854
Préface Personnages Acte I Acte II Acte III Acte IV Acte V XVIIe siècle Théâtre de Jean Racine Tragédies Bon pour export
1510
https://fr.wikisource.org/wiki/La%20Marseillaise%20%2815%20couplets%29
La Marseillaise (15 couplets)
. Allons enfants de la Patrie, Le jour de gloire est arrivé ! Contre nous de la tyrannie, L’étendard sanglant est levé, (bis) Entendez-vous dans les campagnes Mugir ces féroces soldats ? Ils viennent jusque dans vos bras, Égorger vos fils, vos compagnes ! Refrain Aux armes, citoyens, Formez vos bataillons, Marchons, marchons ! Qu’un sang impur Abreuve nos sillons ! (Refrain alternatif : Aux armes, citoyens, Formez vos bataillons, Marchez, marchez ! Qu’un sang impur Abreuve vos sillons ! Aux armes, citoyens, Formons nos bataillons, Marchons, marchons ! Qu’un sang impur Abreuve nos sillons ! ) . Que veut cette horde d’esclaves, De traîtres, de rois conjurés ? Pour qui ces ignobles entraves, Ces fers dès longtemps préparés ? (bis) Français, pour nous, ah ! quel outrage ! Quels transports il doit exciter ! C’est nous qu’on ose méditer De rendre à l’antique esclavage ! (Refrain) . Quoi ! des cohortes étrangères, Feraient la loi dans nos foyers ! Quoi ! ces phalanges mercenaires Terrasseraient nos fiers guerriers ! (bis) Grand Dieu ! par des mains enchaînées Nos fronts sous le joug se ploieraient De vils despotes deviendraient Les maîtres de nos destinées ! (Refrain) . Tremblez, tyrans et vous perfides L'opprobre de tous les partis, Tremblez ! vos projets parricides Vont enfin recevoir leurs prix ! (bis) Tout est soldat pour vous combattre, S'ils tombent, nos jeunes héros, La terre en produit de nouveaux, Contre vous tout prêts à se battre ! (Refrain) . Français, en guerriers magnanimes, Portez ou retenez vos coups ! Épargnez ces tristes victimes, À regret s'armant contre nous. (bis) Mais ces despotes sanguinaires, Mais ces complices de Bouillé Tous ces tigres qui, sans pitié, Déchirent le sein de leur mère ! (Refrain) . (Couplet souvent seul retenu aujourd’hui après le premier) Amour sacré de la Patrie Conduis, soutiens nos bras vengeurs Liberté, Liberté chérie, Combats avec tes défenseurs ! (bis) Sous nos drapeaux, que la victoire Accoure à tes mâles accents, Que tes ennemis expirants Voient ton triomphe et notre gloire ! (Refrain) . (Couplet des enfants) Nous entrerons dans la carrière Quand nos aînés n’y seront plus Nous y trouverons leur poussière Et la trace de leurs vertus (bis) Bien moins jaloux de leur survivre Que de partager leur cercueil Nous aurons le sublime orgueil De les venger ou de les suivre ! (Refrain) . (Couplet supprimé par Servan, Ministre de la Guerre en 1792) Dieu de clémence et de justice Vois nos tyrans, juge nos cœurs Que ta bonté nous soit propice Défends-nous de ces oppresseurs (bis) Tu règnes au ciel et sur terre Et devant Toi, tout doit fléchir De ton bras, viens nous soutenir Toi, grand Dieu, maître du tonnerre. (Refrain) Couplets supplémentaires . Peuple français, connais ta gloire ; Couronné par l’Égalité, Quel triomphe, quelle victoire, D’avoir conquis la Liberté ! (bis) Le Dieu qui lance le tonnerre Et qui commande aux éléments, Pour exterminer les tyrans, Se sert de ton bras sur la terre. (Refrain) . Nous avons de la tyrannie Repoussé les derniers efforts ; De nos climats, elle est bannie ; Chez les Français les rois sont morts. (bis) Vive à jamais la République ! Anathème à la royauté ! Que ce refrain, partout porté, Brave des rois la politique. (Refrain) . La France que l’Europe admire A reconquis la Liberté Et chaque citoyen respire Sous les lois de l’Égalité ; (bis) Un jour son image chérie S’étendra sur tout l’univers. Peuples, vous briserez vos fers Et vous aurez une Patrie ! (Refrain) . Foulant aux pieds les droits de l’Homme, Les soldatesques légions Des premiers habitants de Rome Asservirent les nations. (bis) Un projet plus grand et plus sage Nous engage dans les combats Et le Français n’arme son bras Que pour détruire l’esclavage. (Refrain) . Oui ! déjà d’insolents despotes Et la bande des émigrés Faisant la guerre aux Sans-Culottes Par nos armes sont altérés ; (bis) Vainement leur espoir se fonde Sur le fanatisme irrité, Le signe de la Liberté Fera bientôt le tour du monde. (Refrain) . Ô vous ! que la gloire environne, Citoyens, illustres guerriers, Craignez, dans les champs de Bellone, Craignez de flétrir vos lauriers ! (bis) Aux noirs soupçons inaccessibles Envers vos chefs, vos généraux, Ne quittez jamais vos drapeaux, Et vous resterez invincibles. (Refrain) . Enfants, que l’Honneur, la Patrie Fassent l’objet de tous nos vœux ! Ayons toujours l’âme nourrie Des feux qu’ils inspirent tous deux. (bis) Soyons unis ! Tout est possible ; Nos vils ennemis tomberont, Alors les Français cesseront De chanter ce refrain terrible. (Refrain) France Marseillaise Chansons révolutionnaires
1513
https://fr.wikisource.org/wiki/Vive%20la%20reine
Vive la reine
<div class=text> Dieu protège la reine De sa main souveraine ! Vive la reine ! Qu’un règne glorieux, Long et victorieux Rende son peuple heureux. Vive la reine ! Hymnes
1520
https://fr.wikisource.org/wiki/Discours%20de%20la%20m%C3%A9thode%20%28%C3%A9d.%20Cousin%29
Discours de la méthode (éd. Cousin)
XVIIe siècle Philosophie Philosophie des sciences 1637 Œuvres de Descartes en:Discourse on the Method es:Discurso del método it:Discorso sul metodo
1526
https://fr.wikisource.org/wiki/D%C3%A9cimales%20de%20%CF%80
Décimales de π
Pour 126 decimales : Que j’aime à faire apprendre un nombre utile aux sages ! Glorieux Archimède, artiste ingénieux, Toi de qui Syracuse aime encore la gloire, Soit ton nom conservé par de savants grimoires ! Jadis, mystérieux, un problème bloquait Tout l’admirable procédé, l’œuvre grandiose Que Pythagore découvrit aux anciens Grecs. O, quadrature ! Vieux tourment du philosophe ! Insoluble rondeur, trop longtemps vous avez Défié Pythagore et ses imitateurs. Comment intégrer l’espace bien circulaire ? Former un triangle auquel il équivaudra ? Nouvelle invention : Archimède inscrira Dedans un hexagone, appréciera son aire, Fonction du rayon. Pas trop ne s’y tiendra Dédoublera chaque élément antérieur ; Toujours de l’orbe calculée approchera ; Définira limite ; enfin, l’arc, le limiteur De cet inquiétant cercle, ennemi trop rebelle ! Professeur, enseignez son problème avec zèle ! Mathématiques
1533
https://fr.wikisource.org/wiki/Le%20Roi%20des%20montagnes
Le Roi des montagnes
Roi des montagnes Roi des montagnes Romans parus en 1857 Bon pour export Œuvres d'Edmond About es:El rey de las montañas
1545
https://fr.wikisource.org/wiki/Faut%20plus%20d%27gouvernement
Faut plus d'gouvernement
À chaque coin de rue Le travailleur surpris Sur l’affiche se rue Des candidats d’Paris On voit beaucoup d’promesses Écrites sur le papier Mais l’peuple ne vit pas d’messes Alors ça l’fait crier Refrain : L’gouvernement d’Ferry Est un système pourri Ceux d’Floquet, de Constans Sont aussi dégoûtants Carnot ni Boulanger Ne pourront rien changer Pour être heureux vraiment Faut plus d’gouvernement Le gros ventru qu’engraisse L’suffrage universel Vient vous battre la grosse caisse Comme monsieur Géraudel Il vous promet tout rose Mais quand il est élu Ça n’est plus la même chose Il vous tourne le cul ! Certains énergumènes Débitants de discours Vous redisent les rengaines Qu’on entend tous les jours Moi j’suis un homme intègre Moi j’suis un érudit Mon copain est un pègre Mais l’populo leur dit : Refrain Même des socialistes Membres de comités Soutiennent des fumistes Qui s’portent députés Y’a pas à s’y méprendre Qu’ils soient rouges, bleus ou blancs Il vaudrait mieux les pendre Que d’leur foutre vingt-cinq francs Tu leur paies des ripailles Toi, peuple souverain Et lorsque tu travailles À peine as-tu du pain Ne sois donc plus si bête Au lieu d’aller voter Casse-leur la margoulette Et tu pourras chanter Refrain De toute cette histoire Voici la conclusion L’électeur c’est notoire N’a pas tout’ sa raison J’n'aim’ pas le fataliste Je n’ai ni foi ni loi Je suis abstentionniste Ami voici pourquoi : Refrain Faut plus d’gouvernement Faut plus d’gouvernement 1889
1547
https://fr.wikisource.org/wiki/Dialogue%20entre%20un%20pr%C3%AAtre%20et%20un%20moribond
Dialogue entre un prêtre et un moribond
Le prêtre — Arrivé à cet instant fatal, où le voile de l’illusion ne se déchire que pour laisser à l’homme séduit le tableau cruel de ses erreurs et de ses vices, ne vous repentez-vous point, mon enfant, des désordres multipliés où vous ont emporté la faiblesse et la fragilité humaine ? Le moribond — Oui, mon ami, je me repens. Le prêtre — Eh bien, profitez de ces remords heureux pour obtenir du ciel, dans le court intervalle qui vous reste, l’absolution générale de vos fautes, et songez que ce n’est que par la médiation du très saint sacrement de la pénitence qu’il vous sera possible de l’obtenir de l’éternel. Le moribond — Je ne t’entends pas plus que tu ne m’as compris. Le prêtre — Eh quoi ! Le moribond — Je t’ai dit que je me repentais. Le prêtre — Je l’ai entendu. Le moribond — Oui, mais sans le comprendre. Le prêtre — Quelle interprétation ?… Le moribond — La voici… Créé par la nature avec des goûts très vifs, avec des passions très fortes ; uniquement placé dans ce monde pour m’y livrer et pour les satisfaire, et ces effets de ma création n’étant que des nécessités relatives aux premières vues de la nature ou, si tu l’aimes mieux, que des dérivaisons essentielles à ses projets sur moi, tous en raison de ses lois, je ne me repens que de n’avoir pas assez reconnu sa toute-puissance, et mes uniques remords ne portent que sur le médiocre usage que j’ai fait des facultés (criminelles selon toi, toutes simples selon moi) qu’elle m’avait données pour la servir ; je lui ai quelquefois résisté, je m’en repens. Aveuglé par l’absurdité de tes systèmes, j’ai combattu par eux toute la violence des désirs, que j’avais reçus par une inspiration bien plus divine, et je m’en repens, je n’ai moissonné que des fleurs quand je pouvais faire une ample récolte de fruits… Voilà les justes motifs de mes regrets, estime-moi assez pour ne m’en pas supposer d’autres. Le prêtre — Où vous entraînent vos erreurs, où vous conduisent vos sophismes ! Vous prêtez à la chose créée toute la puissance du créateur, et ces malheureux penchants vous ont égaré, vous ne voyez pas qu’ils ne sont que des effets de cette nature corrompue, à laquelle vous attribuez la toute-puissance. Le moribond — Ami, il me paraît que ta dialectique est aussi fausse que ton esprit. Je voudrais que tu raisonnasses plus juste, ou que tu ne me laissasses mourir en paix. Qu’entends-tu par créateur, et qu’entends-tu par nature corrompue ? Le prêtre — Le créateur est le maître de l’univers, c’est lui qui a tout fait, tout créé, et qui conserve tout par un simple effet de sa toute-puissance. Le moribond — Voilà un grand homme assurément. Eh bien, dis-moi pourquoi cet homme-là qui est si puissant a pourtant fait selon toi une nature si corrompue. Le prêtre — Quel mérite eussent eu les hommes, si Dieu ne leur eût pas laissé leur libre arbitre, et quel mérite eussent-ils à en jouir s’il n’y eût sur la terre la possibilité de faire le bien et celle d’éviter le mal ? Le moribond — Ainsi ton dieu a voulu faire tout de travers pour tenter, ou pour éprouver sa créature ; il ne la connaissait donc pas, il ne se doutait donc pas du résultat ? Le prêtre — Il la connaissait sans doute, mais encore un coup il voulait lui laisser le mérite du choix. Le moribond — A quoi bon, dès qu’il savait le parti qu’elle prendrait et qu’il ne tenait qu’à lui, puisque tu le dis tout-puissant, qu’il ne tenait qu’à lui, dis-je, de lui faire prendre le bon. Le prêtre — Qui peut comprendre les vues immenses et infinies de Dieu sur l’homme et qui peut comprendre tout ce que nous voyons ? Le moribond — Celui qui simplifie les choses, mon ami, celui surtout qui ne multiplie pas les causes, pour mieux embrouiller les effets. Qu’as-tu besoin d’une seconde difficulté, quand tu ne peux pas expliquer la première, et dès qu’il est possible que la nature toute seule ait fait ce que tu attribues à ton dieu, pourquoi veux-tu lui aller chercher un maître ? La cause de ce que tu ne comprends pas, est peut-être la chose du monde la plus simple. Perfectionne ta physique et tu comprendras mieux la nature, épure ta raison, bannis tes préjugés et tu n’auras plus besoin de ton dieu. Le prêtre — Malheureux ! je ne te croyais que socinien, j’avais des armes pour te combattre, mais je vois bien que tu es athée, et dès que ton cœur se refuse à l’immensité des preuves authentiques que nous recevons chaque jour de l’existence du créateur, je n’ai plus rien à te dire. On ne rend point la lumière à un aveugle. Le moribond — Mon ami, conviens d’un fait, c’est que celui des deux qui l’est le plus, doit assurément être plutôt celui qui se met un bandeau que celui qui se l’arrache. Tu édifies, tu inventes, tu multiplies, moi je détruis, je simplifie. Tu ajoutes erreurs sur erreurs, moi je les combats toutes. Lequel de nous deux est aveugle ? Le prêtre — Vous ne croyez donc point en Dieu ? Le moribond — Non. Et cela pour une raison bien simple, c’est qu’il est parfaitement impossible de croire ce qu’on ne comprend pas. Entre la compréhension et la foi, il doit exister des rapports immédiats ; la compréhension n’agit point, la foi est morte, et ceux qui, dans tel cas prétendraient en avoir, en imposent. Je te défie toi-même de croire au dieu que tu me prêches, parce que tu ne saurais me le démontrer, parce qu’il n’est pas en toi de me le définir, que par conséquent tu ne le comprends pas, que, dès que tu ne le comprends pas, tu ne peux plus m’en fournir aucun argument raisonnable et qu’en un mot tout ce qui est au-dessus des bornes de l’esprit humain, est ou chimère ou inutilité ; que ton dieu ne pouvant être l’une ou l’autre de ces choses, dans le premier cas je serais un fou d’y croire, un imbécile dans le second. Mon ami, prouve-moi l’inertie de la matière, et je t’accorderai le créateur, prouve-moi que la nature ne se suffit pas à elle-même, et je te permettrai de lui supposer un maître ; jusque-là n’attends rien de moi, je ne me rends qu’à l’évidence, et je ne la reçois que de mes sens ; où ils s’arrêtent ma foi reste sans force. Je crois le soleil parce que je le vois, je le conçois comme le centre de réunion de toute la matière inflammable de la nature, sa marche périodique me plaît sans m’étonner. C’est une opération de physique, peut-être aussi simple que celle de l’électricité, mais qu’il ne nous est pas permis de comprendre. Qu’ai-je besoin d’aller plus loin, lorsque tu m’auras échafaudé ton dieu au-dessus de cela, en serais-je plus avancé, et ne me faudra-t-il pas encore autant d’effort pour comprendre l’ouvrier que pour définir l’ouvrage ? Par conséquent, tu ne m’as rendu aucun service par l’édification de ta chimère, tu as troublé mon esprit, mais tu ne l’as pas éclairé et je ne te dois que de la haine au lieu de reconnaissance. Ton dieu est une machine que tu as fabriquée pour servir tes passions, et tu l’as fait mouvoir à leur gré, mais dès qu’elle gêne les miennes trouve bon que je l’aie culbutée, et dans l’instant où mon âme faible a besoin de calme et de philosophie, ne viens pas l’épouvanter de tes sophismes, qui l’effraieraient sans la convaincre, qui l’irriteraient sans la rendre meilleure ; elle est, mon ami, cette âme, ce qu’il a plu à la nature qu’elle soit, c’est-à-dire le résultat des organes qu’elle s’est plu de me former en raison de ses vues et de ses besoins ; et comme elle a un égal besoin de vices et de vertus, quand il lui a plu de me porter aux premiers, elle m’en a inspiré les désirs, et je m’y suis livré tout de même. Ne cherche que ses lois pour unique cause à notre inconséquence humaine, et ne cherche à ses lois d’autres principes que ses volontés et ses besoins. Le prêtre — Ainsi donc tout est nécessaire dans le monde. Le moribond — Assurément. Le prêtre — Mais si tout est nécessaire, tout est donc réglé. Le moribond — Qui te dit le contraire ? Le prêtre — Et qui peut régler tout comme il l’est si ce n’est une main toute-puissante et toute sage ? Le moribond — N’est-il pas nécessaire que la poudre s’enflamme quand on y met le feu ? Le prêtre — Oui. Le moribond — Et quelle sagesse trouves-tu à cela ? Le prêtre — Aucune. Le moribond — Il est donc possible qu’il y ait des choses nécessaires sans sagesse et possible par conséquent que tout dérive d’une cause première, sans qu’il y ait ni raison ni sagesse dans cette première cause. Le prêtre — Où voulez-vous en venir ? Le moribond — A te prouver que tout peut être ce qu’il est et ce que tu vois, sans qu’aucune cause sage et raisonnable le conduise, et que des effets naturels doivent avoir des causes naturelles, sans qu’il soit besoin de leur en supposer d’antinaturelles, telle que le serait ton dieu qui lui-même, ainsi que je te l’ai déjà dit, aurait besoin d’explication, sans en fournir aucune ; et que, par conséquent dès que ton dieu n’est bon à rien, il est parfaitement inutile ; qu’il y a grande apparence que ce qui est inutile est nul et que tout ce qui est nul est néant ; ainsi, pour me convaincre que ton dieu est une chimère, je n’ai besoin d’aucun autre raisonnement que celui qui me fournit la certitude de son inutilité. Le prêtre — Sur ce pied-là, il me paraît peu nécessaire de vous parler de religion. Le moribond — Pourquoi pas, rien ne m’amuse comme la preuve de l’excès où les hommes ont pu porter sur ce point-là le fanatisme et l’imbécillité ; ce sont des espèces d’écarts si prodigieux, que le tableau selon moi, quoique horrible, en est toujours intéressant. Réponds avec franchise et surtout bannis l’égoïsme. Si j’étais assez faible que de me laisser surprendre à tes ridicules systèmes sur l’existence fabuleuse de l’être qui me rend la religion nécessaire, sous quelle forme me conseillerais-tu de lui offrir un culte ? Voudrais-tu que j’adoptasse les rêveries de Confucius, plutôt que les absurdités de Brahma, adorerais-je le grand serpent des nègres, l’astre des Péruviens ou le dieu des armées de Moïse, à laquelle des sectes de Mahomet voudrais-tu que je me rendisse, ou quelle hérésie de chrétiens serait selon toi préférable ? Prends garde à ta réponse. Le prêtre — Peut-elle être douteuse. Le moribond — La voilà donc égoïste. Le prêtre — Non, c’est t’aimer autant que moi que de te conseiller ce que je crois. Le moribond — Et c’est nous aimer bien peu tous deux que d’écouter de pareilles erreurs. Le prêtre — Et qui peut s’aveugler sur les miracles de notre divin rédempteur ? Le moribond — Celui qui ne voit en lui que le plus ordinaire de tous les fourbes et le plus plat de tous les imposteurs. Le prêtre — O dieux, vous l’entendez et vous ne tonnez pas ! Le moribond — Non, mon ami, tout est en paix, parce que ton dieu, soit impuissance, soit raison, soit tout ce que tu voudras enfin, dans un être que je n’admets un moment que par condescendance pour toi, ou si tu l’aimes mieux pour me prêter à tes petites vues, parce que ce dieu, dis-je, s’il existe comme tu as la folie de le croire, ne peut pas pour nous convaincre avoir pris des moyens aussi ridicules que ceux que ton Jésus suppose. Le prêtre — Eh quoi, les prophéties, les miracles, les martyrs, tout cela ne sont pas des preuves ? Le moribond — Comment veux-tu en bonne logique que je puisse recevoir comme preuve tout ce qui en a besoin soi-même ? Pour que la prophétie devînt preuve, il faudrait d’abord que j’eusse la certitude complète qu’elle a été faite ; or cela étant consigné dans l’histoire, ne peut plus avoir pour moi d’autre force que tous les autres faits historiques, dont les trois quarts sont fort douteux ; si à cela j’ajoute encore l’apparence plus que vraisemblable qu’ils ne me sont transmis que par des historiens intéressés, je serai comme tu vois plus qu’en droit d’en douter. Qui m’assurera d’ailleurs que cette prophétie n’a pas été l’effet de la combinaison de la plus simple politique comme celle qui voit un règne heureux sous un roi juste, ou de la gelée dans l’hiver ; et si tout cela est, comment veux-tu que la prophétie ayant un tel besoin d’être prouvée puisse elle-même devenir une preuve ? A l’égard de tes miracles, ils ne m’en imposent pas davantage. Tous les fourbes en ont fait, et tous les sots en ont cru ; pour me persuader de la vérité d’un miracle, il faudrait que je fusse bien sûr que l’événement que vous appelez tel fût absolument contraire aux lois de la nature, car il n’y a que ce qui est hors d’elle qui puisse passer pour miracle, et qui la connaît assez pour oser affirmer que tel est précisément celui où elle est enfreinte ? Il ne faut que deux choses pour accréditer un prétendu miracle, un bateleur et des femmelettes ; va, ne cherche jamais d’autre origine aux tiens, tous les nouveaux sectateurs en ont fait, et ce qui est plus singulier, tous ont trouvé des imbéciles qui les ont crus. Ton Jésus n’a rien fait de plus singulier qu’Apollonius de Thyane, et personne pourtant ne s’avise de prendre celui-ci pour un dieu ; quant à tes martyrs, ce sont bien assurément les plus débiles de tous tes arguments. Il ne faut que de l’enthousiasme et de la résistance pour en faire, et tant que la cause opposée m’en offrira autant que la tienne, je ne serai jamais suffisamment autorisé à en croire une meilleure que l’autre, mais très porté en revanche à les supposer toutes les deux pitoyables. Ah ! mon ami, s’il était vrai que le dieu que tu prêches existât, aurait-il besoin de miracles, de martyrs et de prophéties pour établir son empire, et si, comme tu le dis, le cœur de l’homme était son ouvrage, ne serait-ce pas là le sanctuaire qu’il aurait choisi pour sa loi ? Cette loi égale, puisqu’elle émanerait d’un dieu juste, s’y trouverait d’une manière irrésistible également gravée dans tous, et d’un bout de l’univers à l’autre, tous les hommes se ressemblant par cet organe délicat et sensible se ressembleraient également par l’hommage qu’ils rendraient au dieu de qui ils le tiendraient, tous n’auraient qu’une façon de l’aimer, tous n’auraient qu’une façon de l’adorer ou de le servir et il leur deviendrait aussi impossible de méconnaître ce dieu que de résister au penchant de son culte. Que vois-je au lieu de cela dans l’univers, autant de dieux que de pays, autant de manières de servir ces dieux que de différentes têtes ou de différentes imaginations, et cette multiplicité d’opinions dans laquelle il m’est physiquement impossible de choisir serait selon toi l’ouvrage d’un dieu juste ? Va, prédicant tu l’outrages ton dieu en me le présentant de la sorte, laisse-moi le nier tout à fait, car s’il existe, alors je l’outrage bien moins par mon incrédulité que toi par tes blasphèmes. Reviens à la raison, prédicant, ton Jésus ne vaut pas mieux que Mahomet, Mahomet pas mieux que Moïse, et tous trois pas mieux que Confucius qui pourtant dicta quelques bons principes pendant que les trois autres déraisonnaient ; mais en général tous ces gens-là ne sont que des imposteurs, dont le philosophe s’est moqué, que la canaille a crus et que la justice aurait dû faire pendre. Le prêtre — Hélas, elle ne l’a que trop fait pour l’un des quatre. Le moribond — C’est celui qui le méritait le mieux. Il était séditieux, turbulent, calomniateur, fourbe, libertin, grossier farceur et méchant dangereux, possédait l’art d’en imposer au peuple et devenait par conséquent punissable dans un royaume en l’état où se trouvait alors celui de Jérusalem. Il a donc été très sage de s’en défaire et c’est peut-être le seul cas où mes maximes, extrêmement douces et tolérantes d’ailleurs, puissent admettre la sévérité de Thémis ; j’excuse toutes les erreurs, excepté celles qui peuvent devenir dangereuses dans le gouvernement où l’on vit ; les rois et leurs majestés sont les seules choses qui m’en imposent, les seules que je respecte, et qui n’aime pas son pays et son roi n’est pas digne de vivre. Le prêtre — Mais enfin, vous admettez bien quelque chose après cette vie, il est impossible que votre esprit ne se soit pas quelquefois plu à percer l’épaisseur des ténèbres du sort qui nous attend, et quel système peut l’avoir mieux satisfait que celui d’une multitude de peines pour celui qui vit mal et d’une éternité de récompenses pour celui qui vit bien ? Le moribond — Quel, mon ami ? Celui du néant ; jamais il ne m’a effrayé, et je n’y vois rien que de consolant et de simple ; tous les autres sont l’ouvrage de l’orgueil, celui-là seul l’est de la raison. D’ailleurs il n’est ni affreux ni absolu, ce néant. N’ai-je pas sous mes yeux l’exemple des générations et régénérations perpétuelles de la nature ? Rien ne périt, mon ami, rien ne se détruit dans le monde ; aujourd’hui homme, demain ver, après-demain mouche, n’est-ce pas toujours exister ? Et pourquoi veux-tu que je sois récompensé de vertus auxquelles je n’ai nul mérite, ou puni de crimes dont je n’ai pas été le maître ; peux-tu accorder la bonté de ton prétendu dieu avec ce système et peut-il avoir voulu me créer pour se donner le plaisir de me punir, et cela seulement en conséquence d’un choix dont il ne me laisse pas le maître ? Le prêtre — Vous l’êtes. Le moribond — Oui, selon tes préjugés ; mais la raison les détruit et le système de la liberté de l’homme ne fut jamais inventé que pour fabriquer celui de la grâce qui devenait si favorable à vos rêveries. Quel est l’homme au monde qui, voyant l’échafaud à côté du crime, le commettrait s’il était libre de ne pas le commettre ? Nous sommes entraînés par une force irrésistible, et jamais un instant les maîtres de pouvoir nous déterminer pour autre chose que pour le côté vers lequel nous sommes inclinés. Il n’y a pas une seule vertu qui ne soit nécessaire à la nature et réversiblement, pas un seul crime dont elle n’ait besoin, et c’est dans le parfait équilibre qu’elle maintient des uns et des autres, que consiste toute sa science, mais pouvons-nous être coupables du côté dans lequel elle nous jette ? Pas plus que ne l’est la guêpe qui vient darder son aiguillon dans ta peau. Le prêtre — Ainsi donc, le plus grand de tous les crimes ne doit nous inspirer aucune frayeur ? Le moribond — Ce n’est pas là ce que je dis, il suffit que la loi le condamne, et que le glaive de la justice le punisse, pour qu’il doive nous inspirer de l’éloignement ou de la terreur, mais, dès qu’il est malheureusement commis, il faut savoir prendre son parti, et ne pas se livrer au stérile remords ; son effet est vain, puisqu’il n’a pas pu nous en préserver, nul, puisqu’il ne le répare pas ; il est donc absurde de s’y livrer et plus absurde encore de craindre d’en être puni dans l’autre monde si nous sommes assez heureux que d’avoir échappé de l’être en celui-ci. A Dieu ne plaise que je veuille par là encourager au crime, il faut assurément l’éviter tant qu’on le peut, mais c’est par raison qu’il faut savoir le fuir, et non par de fausses craintes qui n’aboutissent à rien et dont l’effet est sitôt détruit dans une âme un peu ferme. La raison, mon ami, oui, la raison toute seule doit nous avertir que de nuire à nos semblables ne peut jamais nous rendre heureux, et que notre cœur, que de contribuer à leur félicité, est la plus grande pour nous que la nature nous ait accordé sur la terre ; toute la morale humaine est renfermée dans ce seul mot : rendre les autres aussi heureux que l’on désire de l’être soi-même et ne leur jamais faire plus de mal que nous n’en voudrions recevoir. Voilà, mon ami, voilà les seuls principes que nous devions suivre et il n’y a besoin ni de religion, ni de dieu pour goûter et admettre ceux-là, il n’est besoin que d’un bon cœur. Mais je sens que je m’affaiblis, prédicant, quitte tes préjugés, sois homme, sois humain, sans crainte et sans espérance ; laisse là tes dieux et tes religions ; tout cela n’est bon qu’à mettre le fer à la main des hommes, et le seul nom de toutes ces horreurs a plus fait verser de sang sur la terre, que toutes les autres guerres et les autres fléaux à la fois. Renonce à l’idée d’un autre monde, il n’y en a point, mais ne renonce pas au plaisir d’être heureux et d’en faire en celui-ci. Voilà la seule façon que la nature t’offre de doubler ton existence ou de l’étendre. Mon ami, la volupté fut toujours le plus cher de mes biens, je l’ai encensée toute ma vie, et j’ai voulu la terminer dans ses bras : ma fin approche, six femmes plus belles que le jour sont dans ce cabinet voisin, je les réservais pour ce moment-ci, prends-en ta part, tâche d’oublier sur leurs seins à mon exemple tous les vains sophismes de la superstition, et toutes les imbéciles erreurs de l’hypocrisie. NOTE : Le moribond sonna, les femmes entrèrent et le prédicant devint dans leur bras un homme corrompu par la nature, pour n’avoir pas su expliquer ce que c’était que la nature corrompue. Essais Philosophie XVIIIe siècle 1926
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Phèdre (Platon, trad. Meunier)
Philosophie AntiquitéŒuvres de Platon Théâtre Théâtre à formater Domaine public en 2031 Textes mis en ligne sur Wikisource avant fin 2012 ru:Федр (Платон) en:Phaedrus#PHAEDRUS. es:Fedro <div class="text"> Socrate [227] Où vas-tu donc, mon cher Phèdre, et d’où viens-tu ? Phèdre De chez Lysias, fils de Céphale, Socrate, et je vais hors des murs faire une promenade. Assis depuis l’aurore, j’ai chez Lysias passé de longues heures ; et, pour obéir à Acouménos, ton ami et le mien, je me promène sur les routes : « On s’y délasse mieux, dit-il, que dans les dromes. » Socrate Il a raison, mon ami. Mais Lysias, à ce qu’il paraît, était donc en ville ? Phèdre Oui, chez Epicrate, dans cette maison appelée Morykienne, proche du temple de Zeus Olympien. Socrate Et quel y fut votre passe-temps ? Lysias évidemment vous aura régalés de discours ? Phèdre Tu le sauras, si tu as le loisir de m’accompagner et de m’écouter. Socrate Quoi donc ? Ne penses-tu pas, pour parler comme Pindare, que je mette au-dessus de toute occupation l’occasion d’entendre ton entretien avec Lysias ? Phèdre Avance donc. Socrate Parle seulement. Phèdre En vérité, Socrate, il t’appartient d’écouter nos propos. La conversation, en effet, qui nous tint occupés, je ne sais trop comment, eut l’amour pour objet. Lysias avait traité d’une tentative faite sur un beau garçon qu’aurait sollicité un homme non amoureux. C’est donc là qu’il fait montre d’ingéniosité, car il soutient qu’on doit accorder ses faveurs à celui qui n’aime pas plutôt qu’à celui qui aime. Socrate Oh ! la noble âme ! Plût au ciel qu’il eût aussi écrit qu’il fallait accorder ses faveurs à la pauvreté plutôt qu’à l’opulence, à la vieillesse plutôt qu’à la jeunesse, et à toutes les autres misères attachées à mon sort, comme à celui de la plupart d’entre nous ! Ce seraient là vraiment des discours agréables et utiles au peuple. Quant à moi, j’ai un tel désir de t’écouter que, même si tout en te promenant tu vas jusqu’à Mégare, et que, selon la méthode d’Hérodicos tu retournes de nouveau sur tes pas dès que tu es parvenu jusqu’au mur, je ne songerai pas à te quitter. Phèdre Que dis-tu, excellent Socrate ? [228] Penses-tu que moi, simple particulier, je puisse me souvenir d’une façon digne de son auteur de ce discours que Lysias, le plus habile des écrivains de nos jours, à loisir composa et travailla longtemps ? J’en suis bien éloigné. Et pourtant, plutôt que beaucoup d’or je voudrais ce talent. Socrate O Phèdre, si je ne connais point Phèdre, c’est que je n’ai plus souvenir de moi-même ! Mais connais l’un et l’autre, et je sais bien que Phèdre, en écoutant un discours de Lysias, non seulement l’a une fois écouté, mais qu’à plusieurs reprises il a prié Lysias de le lui répéter, et que complaisamment Lysias s’y est prêté. Et cela même ne lui a point suffi ; il a fini par s’emparer du manuscrit pour y examiner ce qu’il aimait le plus. Depuis le matin il est resté assis, attentif à ce soin, jusqu’à ce que, la fatigue venue, il soit sorti se promener. Mais, par le chien, comme je le présume, à moins qu’il ne fût d’une excessive longueur, il savait déjà par cœur tout ce discours. Il s’en allait hors des murs pour le déclamer. Mais, ayant rencontré un homme que tourmente la maladie d’entendre des discours, il s’est, en le voyant, réjoui d’avoir à qui faire partager son délire, et il l’a prié d’avancer avec lui. Puis, comme cet amant des discours lui demandait de discourir, il fit d’abord des façons, comme s’il n’avait nulle envie de parler. Finalement, il était sur le point, si l’on n’eût pas voulu l’écouter de bon gré, de se faire entendre par force. Toi donc, Phèdre, conjure-le de faire, dès à présent, ce qu’il fera certainement tout à l’heure. Phèdre En vérité, le parti pour moi de beaucoup le meilleur est de te redire le discours au mieux que je pourrai, car tu ne me parais pas homme à me laisser aller, avant que, d’une manière ou d’une autre, je n’aie pris la parole. Socrate Je te parais tout à fait ce que vraiment je suis. Phèdre Je ferai donc ainsi ; mais vraiment, Socrate, je n’ai pas absolument appris mot pour mot ce discours. Toutefois, je sais à peu près le sens général de tous les arguments que Lysias fit valoir pour distinguer celui qui aime de celui qu’il n’aime pas. Je vais en résumé te rapporter par ordre chacun d’eux, en commençant par le premier. Socrate Montre-moi donc auparavant, cher amour, ce que tu tiens en ta main gauche, sous ton manteau. Je me figure que ce doit être ce discours. Si c’est lui, sache que, malgré ma grande amitié pour toi, je ne pense pas du tout, quand nous avons ici Lysias même, devoir me prêter à te faire exercer ton talent. Allons ! montre-moi ce que tu tiens. Phèdre Arrête-toi. Tu m’as ôté, Socrate, l’espérance que j’avais de m’exercer sur toi. Mais où veux-tu que nous allions nous asseoir pour faire cette lecture ? Socrate [229] Détournons-nous par ici et descendons l’Ilissos ; puis, là où nous le voudrons, nous nous assoirons dans le calme. Phèdre C’est bien à propos, semble-t-il, que je me suis trouvé sans chaussure ; pour toi, tu vas toujours à pieds nus. Facilement ainsi nous pourrons, en nous baignant les pieds, entrer dans ce mince courant, chose non désagréable en cette saison surtout et par un si beau jour. Socrate Avance donc, et cherche en même temps où nous pourrons nous asseoir. Phèdre Vois-tu ce platane très haut ? Socrate Pourquoi donc ? Phèdre Là il y a de l’ombre, une brise légère, de l’herbe pour s’asseoir, ou même, si nous voulons, pour nous étendre. Socrate Dirige-toi vers lui. Phèdre Dis-moi donc, Socrate, n’est-ce point près d’ici que Borée, dit-on, des bords de l’Ilissos enleva Orithyie ? Socrate On le dit. Phèdre Mais serait-ce ici même ? Ce filet d’eau est si charmant, si pur, si transparent et si propre en ses bords aux jeux des jeunes filles ! Socrate Non, c’est plus bas, à deux ou trois stades environ, là où nous passons l’eau pour aller au temple d’Agra. Un autel de Borée s’y érige d’ailleurs. Phèdre Je ne l’ai jamais remarqué. Mais, au nom de Zeus, dis-moi, Socrate : crois-tu, toi, que ce récit mythologique soit vrai ? Socrate Mais si je n’y croyais pas, comme les sages, je ne serais point désemparé. Je sophistiquerais dès lors en déclarant que le souffle de Borée précipite cette nymphe du haut des roches voisines où elle jouait avec Pharmakéia ; et, qu’étant morte ainsi, elle passa pour avoir été enlevée par Borée, soit d’ici même, soit de l’Aréopage, car un autre récit rapporte qu’elle fut enlevée de là-bas et non d’ici. Quant à moi, Phèdre, je trouve charmantes ces explications, mais elles demandent un homme trop habile, trop astreint à la peine et jamais assuré de réussir en tout, vu qu’il sera contraint après cela d’expliquer la forme des Hippocentaures et celle aussi de la Chimère. Puis, c’est l’afflux d’une foule d’êtres du même genre, Gorgones, ou Pégases ; une multitude d’autres prodiges inconcevables ; une suite extravagante de si monstrueuses créatures, qu’un incrédule qui s’efforcerait, en se servant même d’une sagesse grossière, de ramener au vraisemblable chacune de ses formes, aurait besoin de beaucoup de loisir. Or je n’ai, quant à moi, aucun loisir pour cela. En voici la raison, mon ami. [230] Je ne puis pas encore, selon le précepte de Delphes, me connaître moi-même, et il me semble ridicule de chercher à connaître, en m’ignorant encore, des choses étrangères. Voilà pourquoi, renonçant à ces fables, je m’en remets sur ce point à la croyance commune ; et, comme je le disais tout à l’heure, au lieu d’examiner ces prodiges, je m’examine moi-même, et je cherche à savoir si je suis un monstre plus entortillé et plus fumeux que Typhon, ou un animal plus doux et plus simple qui tient de la nature une part de lumière et de divinité. Mais à propos, mon ami, ne sommes-nous pas tout en parlant, arrivés à l’arbre où tu nous conduisais ? Phèdre Oui, c’est bien l’arbre lui-même. Socrate Par Héra ! quel beau lieu de repos ! Ce platane, en effet, s’étend très largement, et s’élève très haut ; et ce gattilier élancé répand aussi un merveilleux ombrage. Comme il est au plus haut de sa fleur, il dégage en ce lieu l’odeur la plus suave. Voici encore que, sous ce platane, la plus agréable des sources épanche une eau très fraîche, comme l’indique ce que mon pied ressent. Elle doit être, à en juger par ces figurines et par ces statues, consacrée à des Nymphes, et à Achéloüs. Goûte encore, si tu veux, tout ce qu’a d’attrayant et de très agréable le bon air que ce lieu permet de respirer ; il accompagne le chœur des cigales d’une harmonieuse mélodie d’été. Mais, c’est le charme de l’herbe qui plus que tout m’enchante ; en pente douce, elle a poussé en quantité suffisante pour qu’on s’y étende et qu’on ait la tête parfaitement à l’aise. Quel excellent guide des étrangers tu serais, mon cher Phèdre ! Phèdre Et toi, mon admirable ami, tu te montres sous le jour le plus étrange ; car, pour parler comme toi, tu ressembles tout à fait à un étranger que l’on guide, et non pas à un habitant du pays. Au vrai, tu ne sors pas de la ville, tu ne voyages pas, et tu me fais penser que tu n’es jamais sorti hors des remparts. Socrate Pardonne-moi, mon ami. C’est que j’aime à m’instruire. Or les champs et les arbres ne veulent rien m’apprendre, mais les hommes s’y prêtent dans la ville. Toi, cependant, tu me parais avoir trouvé le moyen de m’inciter à sortir. Comme on se fait suivre, en effet, d’animaux affamés en agitant devant eux un rameau ou un fruit : toi, de même, en me tendant des discours manuscrits, tu pourrais me conduire tout autour de l’Attique et partout ailleurs où bon te semblerait. Maintenant donc, puisque me voici parvenu jusqu’ici, Je vais m’étendre sur l’herbe. Pour toi, prends l’attitude qui te semblera la plus commode pour lire, et lis dès que tu l’auras prise. Phèdre Ecoute donc. « Tu connais certes quelles sont mes intentions, et tu sais que je pense qu’il est de notre profit à tous deux qu’elles puissent aboutir. [231] J’estime que ma demande ne doit point échouer par le seul motif que je ne suis point ton amant. Les amants, en effet, regrettent le bien qu’ils ont fait, une fois que leur désir est éteint. Ceux qui n’ont pas d’amour, au contraire, n’ont jamais occasion seyante au repentir, car ce n’est point par contrainte, mais librement, comme s’ils s’occupaient excellemment des biens de leurs demeures, qu’ils font, dans la mesure de leurs moyens, du bien à leurs amis. Les amants considèrent en outre, et les dommages que leur amour fit à leurs intérêts et les largesses qu’ils ont dû consentir ; puis, en y ajoutant la peine qu’ils ont eue, ils pensent depuis longtemps avoir déjà payé à leurs aimés le juste prix des faveurs obtenues. Par contre, ceux qui ne sont pas épris ne peuvent, ni prétexter les affaires négligées par amour, ni mettre en ligne de compte les souffrances passées, ni alléguer les différends familiaux qu’ils ont eus. Exempts de tous ces maux, il ne leur reste plus qu’à s’empresser de mettre en acte tout ce qu’ils croient devoir leur donner du plaisir. Mais, dira-t-on peut-être, il est juste de faire le plus grand cas des amants, parce qu’ils aiment davantage ceux dont ils sont épris, et qu’ils sont prêts en paroles et en actes, même au prix de la haine des autres, à tout tenter pour plaire à leurs aimés. Or il est facile de reconnaître qu’ils ne disent point la vérité, puisque, s’ils viennent à en aimer un autre, ils donneront à ce dernier toutes leurs préférences ; et, de toute évidence, si l’aimé d’aujourd’hui le réclame, ils iront jusqu’à nuire à leurs aimés d’hier. Et comment pourrait-on raisonnablement accorder une telle faveur à un homme tombé en un tel mal qu’aucune personne d’expérience ne voudrait essayer de l’en guérir ? Les amants eux-mêmes avouent qu’ils sont malades plutôt que sains d’esprit ; ils ont conscience de leurs sentiments insensés, mais ils ne peuvent pas se rendre maîtres d’eux-mêmes. Dès lors, une fois dans leur bon sens, comment pourraient ils approuver ce qu’ils ont décidé en un tel état d’âme ? D’ailleurs, si, parmi les amants, tu veux obtenir le meilleur, ton choix ne peut porter que sur un petit nombre ; mais si tu veux chercher parmi les autres, l’ami qui te serait le plus avantageux, ton choix s’étend sur une multitude ; et, dans une multitude, tu peux avoir un bien plus grand espoir d’y rencontrer quelqu’un digne de ta tendresse. [232] Si cependant tu crains l’opinion établie, si tu redoutes le blâme d’un public informé, songe qu’il est naturel que les amants, désireux d’être enviés dans la mesure qu’eux-mêmes se jugent dignes d’envie, soient entraînés à parler, à se faire valoir, et à montrer aux yeux de tous qu’ils ne se sont pas donné une peine inutile. Quant à ceux qui n’aiment pas, restant maîtres d’eux-mêmes, ils préfèrent à l’opinion des hommes un meilleur avantage. Nombreux sont en outre les gens forcément informés des relations des amants ; on les voit accompagner leurs aimés et s’en faire un devoir, de sorte que, quand on les aperçoit ensemble converser, on ne manque pas de penser qu’ils viennent d’atteindre ou qu’ils vont atteindre l’objet de leurs désirs. Quant à ceux qui n’aiment pas, on ne cherche pas à blâmer leur commerce, car on sait bien qu’il est nécessaire que par amitié ou tout autre agrément, les hommes parlent entre eux. Et si quelque autre appréhension t’assaille à la pensée qu’il est difficile que l’affection soit durable, qu’un motif quelconque peut soulever quelque dissentiment et amener pour les deux un dénouement malheureux, dénouement qui, surtout à toi qui as négligé ce que tu avais de plus précieux, t’apportera grand dommage : avec raison alors, tu auras surtout à craindre les amants. Nombreux sont, en effet, les motifs qui peuvent chagriner les amants ; ils pensent que tout arrive pour leur porter dommage. Aussi cherchent-ils à détourner ceux qu’ils aiment de se lier à d’autres ; ils craignent les riches qui par leurs richesses pourraient les surpasser ; ils redoutent les instruits qui pourraient l’emporter en intelligence sur eux, et ils se mettent en garde contre tous ceux qui ont quelque puissant crédit. Ils te persuadent d’avoir pour eux de l’aversion et te réduisent ainsi à être privé d’amis ; mais si tu veux, pour ménager tes intérêts, montrer une sagesse supérieure à la leur, tu en viendras alors à une rupture. Quant à tous ceux qui ne sont pas amoureux, mais qui doivent à leur seul mérite l’accomplissement de ce qu’ils désiraient, ils ne sont point jaloux des familiers de leurs amis ; mais ils seraient plutôt prêts à prendre en haine ceux qui ne voudraient point les fréquenter, dans la pensée qu’un tel refus est dédain et qu’avantageuse est leur fréquentation. Leur commerce ainsi a beaucoup plus de chance d’engendrer l’amitié que la haine. Au reste parmi les amants, beaucoup s’éprennent du corps avant d’avoir connu le caractère de l’aimé et mis à l’épreuve ses autres qualités, de telle sorte qu’on ne peut pas savoir si ces amants, après avoir satisfait leurs désirs, voudront encore aimer. [233] Il n’en est pas de même de ceux qui sont sans amour ; comme ils n’avaient entre eux, avant d’avoir accompli leurs désirs, que des liens d’amitié, il n’est pas vraisemblable que le plaisir goûté fasse leur amitié moindre, mais de telles faveurs demeurent comme un signe des faveurs à venir. S’il te convient de devenir meilleur, fie-toi à moi plutôt qu’à un amant. Les amants, en effet, sans se soucier du mieux, approuveront tes paroles et tes actes, tantôt par crainte de te déplaire, tantôt parce que le désir corrompt leur jugement. C’est par de tels effets que l’amour se signale. Il fait que les amants malheureux se chagrinent à propos de ce qui n’afflige personne, et il contraint les amants fortunés à louer en leurs aimés ce qui ne comporte aucun sujet de joie. Il sied donc de beaucoup plus plaindre les amoureux que de les envier. Or, si tu veux m’écouter, ce ne sera point tout d’abord la volupté du moment que je rechercherai dans ton commerce intime, mais je saurai aussi dans l’avenir servir ton intérêt. Inasservi par l’amour, maître de moi-même, je ne soulèverai point pour des raisons futiles des haines violentes ; même pour des raisons graves, je serai lent à me livrer à un léger dépit. J’aurai de l’indulgence pour tout ce qui est involontaire offense et je m’efforcerai d’écarter l’offense volontaire, car ce sont là les signes d’une amitié qui doit longtemps durer. Mais, si tu viens à penser qu’il n’est pas possible que l’amitié soit forte sans qu’il ne s’y trouve de l’amour, réfléchis qu’avec ce sentiment nous n’estimerions guère nos fils, nos pères, et nos mères ; nous ne posséderions aucun ami fidèle, de ces amis qui nous viennent, non du désir amoureux, mais de bien différentes habitudes de vie. S’il faut en outre accorder ses faveurs à ceux qui les sollicitent le plus, il convient aussi de favoriser en toute circonstance, non les plus dignes, mais ceux qui sont dans le plus grave embarras. Pour les avoir, en effet, débarrassés des plus grands maux, ils te garderont une reconnaissance très grande. De même, pour dépenser ton avoir, tu devras inviter, non pas tes amis, mais des mendiants et des gens affamés. Ce sont ceux-là, en effet, qui te chériront, qui te feront escorte, qui s’empresseront à tes portes, qui seront les plus charmés, qui te voueront la gratitude la plus vive, et qui pour ton bonheur feront des vœux nombreux. [234] Mais peut-être convient-il de favoriser, non ceux qui te sollicitent ardemment, mais ceux qui pourront le mieux te témoigner de la reconnaissance ; non pas ceux qui aiment seulement, mais ceux qui sont dignes de ta condescendance ; non point ceux qui veulent jouir du printemps de ta vie, mais ceux qui dans ta vieillesse te feront part de leurs biens ; non ceux qui se vanteront partout de leurs succès, mais ceux qui par pudeur s’en tairont devant tous ; non ceux qui durant quelques jours se montreront empressés, mais ceux dont l’amitié ne changera jamais tout au cours de leur vie ; non ceux qui, le désir apaisé, chercheront un prétexte de haine, mais ceux qui, une fois ton printemps disparu, te montreront alors leur réelle valeur. Souviens-toi donc de mes paroles, et songe que les amants s’entendent par leurs amis reprocher comme une mauvaise action leur sollicitude, tandis que jamais ceux qui ne sont pas épris n’ont encouru le blâme de leurs proches pour avoir par amour lésé leurs intérêts. Peut-être me demanderas-tu si je te conseille d’accorder tes faveurs à tous ceux qui ne sont pas des amants ? Pour moi, je présume qu’aucun amoureux ne saurait t’engager à garder envers tous les amants, une pareille disposition d’esprit. Pour qui réfléchit, en effet, de telles complaisances ne seraient pas dignes du même attrait ; et si tu voulais t’en cacher des autres, tu ne le pourrais pas aussi facilement. Or, il faut que nos liaisons, loin de nous porter préjudice, nous soient utiles à tous deux. Je crois avoir suffisamment parlé. Mais si tu désires plus ample explication et si tu crois que j’ai commis quelque omission, interroge-moi. » Que te semble de ce discours, Socrate ? N’est-il pas merveilleux à tous les égards, et spécialement par l’heureux choix des mots ? Socrate Divin même, ami, au point que j’en suis dans la stupéfaction ! Mais c’est à cause de toi, Phèdre, que je suis ainsi impressionné. Je te considérais, et tu me semblais radieux en lisant ce discours. Et, persuadé que mieux que moi tu entends tel sujet, je te suivais ; et, tout en te suivant, je me suis laissé gagner par le transport qui se voyait sur ton divin visage. Phèdre Allons, veux-tu donc ainsi t’amuser ? Socrate Te semble-t-il que je m’amuse et que je ne sois point sérieux ? Phèdre Pas du tout, Socrate. Mais, au nom de Zeus protecteur de l’amitié, dis-moi sincèrement : Penses-tu qu’il y ait en Grèce un autre homme qui puisse, avec plus de grandeur et avec plus d’abondance, traiter un tel sujet ? Socrate Quoi donc ? Faut-il encore que je loue avec toi l’auteur de ce discours d’avoir dit ce qu’il fallait qu’il dise, et n’est-ce point assez de reconnaître que ses paroles sont claires et précises, et que chaque expression est exactement bien tournée ? S’il le faut, par amitié pour toi, je te concéderai ce mérite de forme, puisque le fond du discours, étant donné ma nullité, m’est demeuré caché. [235] Je n’ai fait attention qu’au seul art oratoire, et je n’ai pas pensé que Lysias lui-même puisse être satisfait du fond de son discours. Il m’a semblé, Phèdre, à moins que tu ne penses tout autrement que moi, que Lysias répète deux ou trois fois les mêmes choses, soit comme un homme à court pour parler d’abondance sur le même sujet, soit que peut-être il n’ait point eu souci d’en dire davantage. Il m’a semblé parler comme un jeune homme qui prétendrait montrer qu’il est capable de dire les mêmes choses de diverses manières, et de s’exprimer excellemment chaque fois. Phèdre Tu ne dis rien qui vaille, Socrate, car ce discours vaut avant tout par ceci : rien de tout ce qui valait, dans le sujet traité, la peine d’être dit n’y a été omis, de telle sorte qu’on ne pourrait jamais ni plus ni mieux dire que tout ce qu’il y est dit. Socrate Je ne puis plus sur ce point être de ton avis. Les anciens sages, hommes et femmes, qui ont parlé et écrit sur le même sujet me contrediraient si, par égard pour toi, je te cédais. Phèdre Et quels sont ces sages, et où as-tu entendu des discours meilleurs que celui-ci ? Socrate Je ne puis ainsi sur-le-champ te répondre. Mais il est bien certain que j’ai entendu mieux, soit chez la belle Sappho, soit chez le sage Anacréon, soit même chez quelque prosateur. D’où vient donc que je te parle avec tant d’assurance ? C’est que je me sens, divin Phèdre, une poitrine pleine et prête, sur le même sujet, à pouvoir autrement et non moins bien parler. Je sais aussi qu’aucune de ces pensées n’a pu venir de moi, car je connais mon ignorance. Reste donc à croire que ces pensées, provenant par ouï-dire de sources étrangères, m’ont rempli comme un vase. Mais j’ai l’esprit si lourd que je ne puis me rappeler ni comment ni de qui je les ai entendues. Phèdre Tu as ainsi, très noble ami, parfaitement parlé. Ne me dis point, même si je t’en prie, ni de qui ni comment tu les as entendues. Fais simplement ce que tu viens de dire : engage-toi à prononcer, sans rien lui emprunter, un discours et meilleur et non moins étendu que celui du manuscrit. Et moi, comme les neuf archontes, je m’engage à ériger à Delphes, en or et de grandeur nature, non seulement ma statue, mais la tienne aussi. Socrate Tu es, Phèdre, tout à fait aimable, et tu vaux vraiment ton pesant d’or, si tu crois que je vais soutenir que Lysias du tout au tout s’est mépris, et que je suis capable de parler en tout, tout autrement que lui ! Même avec le plus piètre écrivain, pareille chose, je crois, ne saurait arriver. [236] Ainsi, sur le sujet qui nous occupe, penses-tu qu’un orateur qui, pour soutenir qu’il faut accorder ses faveurs à celui qui n’aime point plutôt qu’à celui qui aime, omettrait de louer la sagesse de l’un et de blâmer la démence de l’autre, arguments essentiels à sa thèse, pourrait trouver encore quelque autre chose à dire ? Pour moi, je pense qu’il faut permettre et pardonner à l’orateur ces lieux communs nécessaires, qu’il faut louer chez lui, non pas leur invention mais leur disposition, et qu’il ne faut, à la louange de la disposition ajouter celle de l’invention, que pour des arguments qui ne s’imposent pas, mais qui restent pourtant d’invention difficile. Phèdre Je m’accorde avec toi, car tes paroles me semblent pondérées. Voici donc ce que je ferai quant à moi. Je te permets de poser en principe que celui qui aime a l’esprit plus dément que celui qui n’aime point. Quant au reste, si tu trouves des arguments différents, plus nombreux et plus forts que ceux de Lysias, que ta statue travaillée au marteau se dresse à Olympie, près de l’offrande des Cypsélides. Socrate M’as-tu pris au sérieux, Phèdre, parce que, pour te taquiner, j’ai entrepris ton amant ? Crois-tu vraiment que je vais essayer de discourir avec plus de savoir et de diversité que lui ? Phèdre C’est à mon tour, ami, d’avoir sur toi une prise analogue. Il faut absolument que tu parles, comme tu le pourras, afin de ne pas nous réduire à renouveler la scène banale que jouent les comédiens, quand ils se renvoient des railleries de l’un à l’autre. Ne te prête pas non plus à me forcer de répéter tes paroles : « O Socrate, si je ne connais point Socrate, je ne me souviens plus de moi-même », ou encore « il avait envie de parler, mais il faisait des façons ». Sache donc bien que nous ne partirons pas d’ici avant que tu n’aies dit ce que tu prétendais avoir dans la poitrine. Nous sommes seuls, l’endroit est solitaire, et je suis le plus fort et aussi le plus jeune. Pour toutes ces raisons, entends ce que, je dis, et ne te résous pas à discourir par force plutôt que de plein gré. Socrate Mais, heureux Phèdre, je serais ridicule, sur le même sujet, d’opposer au travail d’un excellent auteur, l’improvisation d’un simple particulier. Phèdre Sais-tu ce qu’il en est ? Cesse de faire devant moi beau visage, car j’ai peut-être le mot qui te fera parler. Socrate Ne le dis point, je t’en prie. Phèdre Non, je vais le dire au contraire. Ce mot est un serment. Oui, je te le jure, mais par quel et quel dieu ? Veux-tu que ce soit par ce platane ? Je jure donc, que si tu ne prononces pas ton discours devant cet arbre même, plus jamais je ne te montrerai ni te réciterai quelque discours que ce soit et de qui que ce soit. Socrate Ah ! scélérat ! Comme tu as bien su trouver l’infaillible moyen d’amener un homme amoureux des discours à faire ce que tu veux. Phèdre Qu’as-tu donc alors à tergiverser ? Socrate Non, je n’hésite plus, après le serment que tu as fait. Comment pourrais-je être capable de me priver d’un pareil régal ? Phèdre Parle donc. Socrate [237] Sais-tu ce que je vais faire ? Phèdre Quoi donc ? Socrate Je vais parler en me voilant la tête, afin de parvenir le plus vite possible à la fin de mon discours, et d’éviter ainsi, en ne te voyant pas, de me trouver embarrassé par la honte. Phèdre Parle seulement ; pour le reste, fais comme tu voudras. Socrate Venez, ô Muses, soit que vous deviez le surnom de Lygies à la douceur de vos chants ou à la race musicienne des Lygiens, soutenez-moi dans le discours que me contraint à proférer cet excellent jeune homme, afin que l’ami dont il paraissait tout à l’heure admirer la sagesse lui paraisse à présent plus admirable encore. Il était donc un enfant, ou plutôt un jeune adolescent d’une beauté parfaite. Il avait un très grand nombre d’amants. Mais l’un d’eux était rusé ; et, sans être moins amoureux que les autres, il avait persuadé à cet enfant qu’il ne ressentait pour lui aucun amour. Or, un jour qu’il le sollicitait, il entreprit de le convaincre qu’il fallait, de préférence à celui qui aime, accorder ses faveurs à celui qui n’aime pas, et il parla ainsi : « En toute chose, mon enfant, quand on veut honnêtement discuter, il n’est qu’un seul moyen de commencer. Il faut savoir sur quoi porte la discussion, si l’on ne veut pas tout à fait s’égarer. La plupart des hommes oublient qu’ils ignorent l’essence de chaque chose. Aussi, comme s’ils la connaissaient, ils ne s’entendent pas au début du débat ; et, à mesure qu’ils avancent, ils se rendent compte, comme il est naturel, qu’ils ne sont d’accord, ni avec eux-mêmes, ni avec les autres. Ne souffrons donc pas, toi et moi, ce dont aux autres nous faisons un reproche. Mais, puisque nous avons à décider entre nous s’il vaut mieux entrer en relations d’amitié avec un homme sans amour plutôt qu’avec un homme épris, établissons d’abord ce qu’est l’amour et quelle est sa puissance. Puis, ayant d’un commun accord convenu d’une définition, ayons les yeux fixés sur elle, rapportons-y toute notre recherche, et voyons si l’amour est utile ou nuisible. Que l’amour soit un désir, c’est évident pour tous. Mais nous savons, d’autre part, que ceux qui n’aiment pas désirent aussi ce qui est beau. Comment donc discernerons-nous celui qui aime de celui qui n’aime pas ? Il faut aussi penser qu’il est en chacun de nous deux principes qui nous gouvernent, qui nous dirigent et que nous suivons là où ils nous conduisent. L’un est le désir inné du plaisir ; l’autre, sentiment acquis, est la propension vers le mieux. Ces deux principes sont en nous tantôt en harmonie, tantôt en désaccord, et tantôt l’un, tantôt l’autre l’emporte. Quand donc, soumis à la raison, ce sentiment nous conduit vers le mieux et domine, cette domination s’appelle tempérance. [238] Quand, au contraire, c’est le désir déraisonnable qui nous pousse au plaisir, et nous soumet à son pouvoir, cette souveraineté prend le nom d’intempérance. Mais cette intempérance reçoit de nombreux noms, car elle est susceptible de variétés et de formes-nombreuses. Quand une de ces formes se trouve prédominante, elle donne son nom à l’homme qu’elle maîtrise, nom qu’il n’est ni beau ni honorable d’avoir. Ainsi, au sujet de la nourriture, quand le désir l’emporte sur la raison du mieux et les autres désirs, il se dénomme alors gloutonnerie et fait nommer glouton celui qui en est possédé. Quand c’est le désir de l’ivresse qui tyrannise et conduit celui qui le possède, on sait alors le surnom qu’il reçoit. Quant aux autres désirs, frères de ceux-là, on sait pertinemment de quels noms rappelant ces désirs, on convient d’appeler ceux qu’ils ont subjugués. Mais à quel désir ai-je pensé en disant tout ceci ? C’est déjà presque facile à discerner, mais ce qu’on dit est sûrement plus clair que ce qu’on ne dit pas. Je veux donc parler de ce désir qui, dépourvu de raison, maîtrise notre élan vers la droiture, nous conduit au plaisir que donne la beauté ; vigoureusement renforcé par d’autres désirs de la même famille qui nous poussent vers la beauté du corps, il prend en vainqueur la direction de nous-mêmes, tire son nom de cette force et se dénomme Éros. » Eh bien ! Te semble-t-il comme à moi, mon cher Phèdre, que j’éprouve quelque trouble divin ? Phèdre Tout à fait vrai, Socrate. Un ruissellement inaccoutumé de paroles t’emporte. Socrate Ecoute-moi dès lors en silence, car véritablement ce lieu paraît être divin. Si donc, au cours de mon discours, j’en arrivais par hasard à être transporté par le délire des Nymphes, n’en sois point étonné. Je ne suis plus à présent très loin du ton du dithyrambe. Phèdre Rien de plus vrai. Socrate C’est pourtant toi qui es en cause. Mais écoute le reste de ce que j’ai à dire ; car l’inspiration pourrait peut-être se détourner de moi. Mais le dieu sans doute saura s’en occuper ! Quant à nous, revenons au discours à faire à cet enfant. « Ainsi, très bon ami, nous avons dit et défini ce qui se trouve être l’objet de notre discussion. Allons plus loin et, regardant à cette définition, envisageons maintenant quel avantage ou quel désavantage il est vraisemblable d’attendre des complaisances que l’on a pour un amant ou pour un ami sans amour. Celui que le désir subjugue et que le plaisir asservit, doit nécessairement chercher en ce qu’il aime tout l’agrément possible. Or, tout ce qui ne s’oppose pas à un esprit malade lui est très agréable ; tout ce qui le surpasse et tout ce qui l’égale, lui est odieux. [239] Un amant donc ne se résignera pas volontiers à rencontrer en son ami un supérieur ou un égal ; il travaillera sans cesse à le rabaisser et à le ravaler. Or, l’ignorant est inférieur au savant, le lâche au courageux, l’homme qui ne sait pas parler à l’orateur habile, et l’esprit lourd à l’âme pénétrante. Entre tous ces défauts, et bien d’autres encore qui se sont formés ou se sont trouvés innés en l’âme de l’aimé, l’amant devra fatalement se réjouir des uns, s’adapter aux autres ou se priver du plaisir du moment. Il deviendra aussi fatalement jaloux ; il écartera son ami d’une foule de relations qui pourraient être utiles et rendre cet ami le plus homme possible, et il lui causera de ce chef un grave préjudice, le plus grave de tous, s’il était privé de ce qui pourrait le rendre très sensé : je veux parler de la divine philosophie. Fatalement, l’amant en écartera très au loin son aimé, car il craindra de s’attirer ses dédains. Il fera tout pour que cet aimé reste dans une complète ignorance, et qu’il n’ait d’yeux que pour son seul amant. S’il obéit, cet ami sera pour son amant le plus charmant possible, mais il se sera fait à lui-même le plus funeste tort. Ainsi, quant à l’intelligence, l’homme amoureux est un tuteur et un associé nullement avantageux. Quant à la complexion du corps et à son entretien, quelle sera cette complexion, et comment entretiendra ce corps, lorsqu’il en sera devenu le maître, l’amant que la passion contraint à poursuivre le plaisir de préférence au bien ? On le verra rechercher un garçon mou et sans muscles, élevé, non dans un pur soleil, mais dans une ombre épaisse, ignorant les mâles fatigues et les sueurs sèches du travail, accoutumé à un genre de vie efféminé et délicat, paré, à défaut de beauté naturelle, de couleurs et d’ornements étrangers, faisant montre enfin de tous les autres goûts qui suivent de telles mœurs Tout cela est patent et ne vaut pas la peine d’en parler davantage. Bornons-nous donc en somme, avant de passer à autre chose, à remarquer que dans la guerre et dans toutes les autres grandes nécessités, un tel efféminé ne peut qu’accroître l’audace des ennemis, inspirer de la crainte à ses amis et même à ses amants. Cela est si manifeste que je renonce à m’en préoccuper. Reste à dire maintenant de quelle utilité ou de quel dommage peuvent être aux biens que possède l’aimé, la société et l’influence d’un amant. [240] Il est clair pour tout le monde, et surtout pour l’amant, qu’il n’a rien tant à cœur que de voir son aimé frustré de ce qu’il a de plus cher, de plus attachant et de plus sacré ; il souhaiterait qu’il soit privé de père, de mère, de parents et d’amis, car il les tient pour des entraveurs et des censeurs de son très doux commerce. Si cet aimé possède une fortune en or ou en tout autre bien, l’amant croira que ce garçon n’est point de séduction aussi facile, ni une fois séduit, de maniement aussi aisé. Pour toutes ces raisons il est inévitable que l’amant soit jaloux quand son aimé possède des richesses, et que, quand il se ruine, ce même amant en devienne joyeux. Bien plus, l’amant désire encore que son aimé reste le plus longtemps possible sans femme, sans enfants, sans foyer, afin que le plus longtemps possible il puisse jouir de ses douces faveurs. L’homme est sujet à bien des maux ; mais un dieu a mêlé à la plupart de ces maux une volupté passagère. Ainsi le flatteur, bête terrible et funeste fléau, la nature l’a doté d’un agrément auquel ne manque pas la grâce. On réprouve comme pernicieux le commerce d’une courtisane, et il y a beaucoup d’autres créatures, d’autres pratiques analogues qui nous sont, au moins pour un jour, tout à fait agréables. Mais ce n’est point assez que l’amant soit funeste à son ami, il lui devient par son assiduité journalière souverainement désagréable. Un vieux proverbe dit que ceux d’un même âge se plaisent avec ceux du même âge. Quand on est d’âge égal, en effet, on est je crois porté vers les mêmes plaisirs, et la conformité des goûts engendre l’amitié. Et pourtant, cette intimité même est sujette au dégoût. En toute chose et pour tous, la contrainte est pesante ; elle est surtout pesante au jeune favori qui possède un amant d’un âge différent. Lorsqu’un amant plus vieux s’unit, en effet, à un garçon plus jeune, ni le jour, ni la nuit il ne voudrait de bon gré le quitter. Poussé par l’aiguillon de la nécessité, il poursuit le plaisir que sans cesse lui donne l’occasion de voir, d’entendre, de toucher, de sentir son aimé par chacun de ses sens, de sorte que c’est pour la volupté qu’il s’attache à le servir étroitement. Mais, quelles consolations, quels plaisirs cet amant pourra-t-il, tout au cours de leur intimité, donner à son aimé, pour l’empêcher d’en venir au comble du dégoût ? Il aura sous les yeux un visage âgé et défleuri, et toutes les autres tares qui suivent les années, tares dont la simple mention est déjà rebutante, sans parler du fait d’être sans cesse astreint à subir ses instances. Surveillé par une jalousie soupçonneuse dans toutes ses démarches et tous ses entretiens, il entendra de la part de son amant à jeun, tantôt d’inopportunes et excessives louanges et tantôt d’insupportables reproches ; mais, quand cet amant sera ivre, en dehors de ces insupportables reproches, il usera contre lui d’une violence et d’une hardiesse de langage qui le couvriront de honte. Funeste et déplaisant quand il aime, l’amant, quand il cesse dans la suite d’aimer, devient dès lors infidèle aux promesses qu’il prodiguait avec tant de serments et de supplications. [241] Ne pouvant qu’à grand-peine obtenir que son aimé supportât ce pénible commerce, il le retenait en lui donnant des biens à espérer. Mais, lorsqu’il faut s’acquitter, changeant alors et de maître et de chef, l’amant, au lieu de se soumettre à la folie et à l’amour, se soumet à la raison et à la sagesse ; il est devenu tout autre à l’insu de son aimé. L’un, dès lors, exige le prix de ses faveurs d’autrefois ; il rappelle à son amant, comme s’il parlait au même homme, toutes ses démarches et toutes ses paroles. L’autre, dans sa confusion, n’ose pas avouer qu’il a changé ; il ne sait comment tenir les serments et les promesses qu’il fit au début de sa folie d’autrefois ; il a maintenant recouvré la raison ; il est devenu sage, et il ne voudrait pas refaire ce que fit l’homme qu’il a été, ni redevenir ce qu’il était jadis. Toutes ces raisons le déterminent à fuir ; il se voit contraint d’éviter celui qu’auparavant il aimait ; et, l’écaille étant retournée, de poursuivant il devient fugitif. Le bien-aimé se voit alors forcé de le poursuivre ; il s’indigne, il jure par les dieux qu’il a, dès le début, totalement ignoré qu’il ne fallait jamais accorder ses faveurs à un homme amoureux et par là même insensé, mais bien plutôt à un homme sans amour et maître de lui-même. En agissant autrement, il s’abandonnait fatalement à un homme sans foi, d’humeur difficile, jaloux, désagréable, nuisible à sa fortune, nuisible au bon état du corps, mais nuisible surtout à l’instruction de son âme, instruction qui est en vérité et qui sera toujours, aux yeux des hommes et des dieux, la plus précieuse chose. Il faut, mon enfant, méditer tout cela, et savoir que la tendresse d’un amant n’est pas une amitié bienveillante, mais une sorte de mets dont cet amant veut se rassasier : tout comme les loups aiment l’agneau, les amants aiment le bien-aimé. » Voilà ce que j’avais à dire, Phèdre ! Tu ne m’entendras pas dire un mot de plus ; mon discours est pour toi désormais terminé. Phèdre Je croyais cependant que tu n’étais qu’à la moitié de ton discours, que tu allais également parler de l’homme sans amour, montrer qu’il faut de préférence lui accorder ses faveurs, et traiter aussi de tous les avantages que nous vaut son commerce. D’où vient donc, Socrate, que maintenant tu t’arrêtes ? Socrate Ne t’es-tu pas aperçu, bienheureux ami, que je ne parle plus sur le ton du dithyrambe, mais que ma voix déjà rendait un son épique ? Et cela, quand il ne faut que blâmer ! Mais si j’entreprends de louer cet homme sans amour, t’imagines-tu ce que je pourrai faire ? Ne sens-tu pas que les Nymphes, à l’influence desquelles tu m’as livré avec préméditation, vont me jeter en un délire évident ? Je dis donc en un mot, que tout ce que nous avons blâmé chez l’homme épris se tourne en avantage chez l’homme sans amour. Qu’est-il besoin d’un long discours ? J’en ai dit assez sur les deux. Tel qu’il est, mon discours produira l’effet qu’il doit produire. [242] Pour moi, repassant la rivière, je m’en retourne avant d’être contraint à subir de ta part de plus grandes violences. Phèdre Pas encore, Socrate, pas avant que la chaleur ardente soit passée. Ne vois-tu pas qu’il est presque midi ; c’est l’heure qu’on appelle immobile. Restons plutôt à discuter ensemble sur ce que nous venons de dire. Dès qu’il fera plus frais, nous partirons. Socrate Tu as pour les discours, Phèdre, une passion divine, et vraiment je t’admire. Je suis persuadé que, de tous les discours qui ont été produits durant ta vie, c’est à toi qu’en revient le plus grand nombre, soit que tu les aies toi-même prononcés, soit que tu les aies fait d’une façon ou d’une autre, composer par autrui. J’en excepte toutefois Simmias de Thèbes Quant aux autres, tu les dépasses infiniment, et voici qu’à cette heure tu me parais encore devoir être la cause d’un discours à te faire. Phèdre Ce n’est pas là déclaration de guerre ! Mais comment suis-je en cause, et de quoi s’agit-il ? Socrate Lorsque j’étais, bon ami, sur le point de repasser la rivière, j’ai senti ce signal divin et familier qui m’arrête toujours au moment où je vais accomplir une action. J’ai cru entendre ici même une voix qui me défendait de partir avant de m’être astreint à une expiation, comme si j’avais commis quelque faute à l’égard de la divinité. C’est que je suis devin, en effet ; non certes un devin très sérieux ; mais je le suis à la façon de ceux qui connaissent mal leurs lettres : j’en sais seulement assez pour mon usage. Aussi suis-je déjà clairement informé de ma faute, tant il est vrai, ami, que l’âme aussi est douée d’un pouvoir de divination. Depuis longtemps, en effet, quelque chose me troublait durant que je parlais. Je craignais, selon ce que dit Ibycos, étant coupable envers les dieux, d’en tirer gloire auprès des hommes. Je me rends compte à présent de ma faute. Phèdre De quelle faute parles-tu ? Socrate Du terrible, Phèdre, du terrible discours que tu as apporté, et de celui que tu m’as fait prononcer. Phèdre Comment cela ? Socrate Ces discours sont stupides et, qui plus est, impies. Pourrait-il s’en trouver de plus terribles ? Phèdre Non, si ce que tu dis est vrai. Socrate Quoi donc ? Ne crois-tu pas qu’Éros soit fils d’Aphrodite et qu’il soit aussi dieu ! Phèdre On le dit. Socrate Ni Lysias pourtant, ni toi, dans le discours que par ma bouche, ensorcelée par toi, tu viens de prononcer, ne l’avez dit. Si donc Éros est dieu ou quelque chose de divin, ce qu’il est en effet, il ne saurait être mauvais. Or nos deux récents discours à son sujet l’ont déclaré mauvais. Ils sont donc une offense à Éros. [243] Je les trouve en outre d’une niaiserie tout à fait élégante. Ne disant rien de sensé ni de vrai, ils se prévalent de valoir quelque chose, parce qu’ils pourront tromper quelques hommelets et se faire parmi eux une réputation. Il faut donc, ami, que je me purifie. Or il y a, pour ceux qui se sont mépris quand ils parlaient des dieux, un moyen antique de purification. Homère ne le connut pas, mais Stésichore s’en servit. Privé de la vue pour avoir diffamé Hélène, il ne méconnut pas, comme Homère, la cause de son malheur. Mais en homme inspiré par les Muses, il comprit cette cause et chanta aussitôt : « Non, ce discours n’est pas vrai : tu n’es jamais montée sur les navires aux beaux bancs de rameurs, tu n’es jamais entrée dans la citadelle de Troie. » Quand il eut achevé tout ce poème appelé Palinodie, à l’instant même il recouvra la vue. Pour moi, je veux être plus sage que ces deux poètes, tout au moins en ceci : je vais essayer avant qu’il me punisse de l’avoir diffamé, de vouer à Eros une palinodie. Je parlerai cette fois la tête découverte, sans me voiler, comme tout à l’heure je le fis par pudeur. Phèdre Tu ne pouvais rien dire, Socrate, qui me fût plus agréable. Socrate Tu dois comprendre, mon bon Phèdre, toute l’impudence de nos deux discours, du mien et de celui du manuscrit. Si, en effet, quelque homme bien né et d’un doux caractère, épris d’un jeune garçon de mêmes mœurs, ou ayant été jadis aimé lui-même, nous avait entendus dire que les amants pour de petits motifs soulèvent de grandes haines, qu’ils sont pour leurs aimés soupçonneux et funestes, ne crois-tu pas qu’il eût pensé entendre des gens élevés parmi les matelots et sans aucune idée d’un amour généreux, tant il eût été loin de s’accorder avec nous sur les reproches que nous adressions à Éros ? Phèdre Par Zeus, c’est bien possible, Socrate. Socrate Aussi, pour n’avoir point à rougir devant cet homme, ni à redouter la vengeance d’Éros, je désire qu’un discours lave comme à l’eau douce l’âcre salure des discours entendus. Je conseille également à Lysias d’écrire le plus vite possible, qu’il faut, pour de mêmes motifs, accorder ses faveurs à l’amant qui aime plutôt qu’à l’amant sans amour. Phèdre Sache donc bien qu’il en sera ainsi. Si tu prononces, en effet, l’éloge de l’amant amoureux, il faudra bien que je force Lysias à écrire pour sa part sur le même sujet. Socrate Sur ce point, tant que tu seras ce que tu es, je m’en rapporte à toi. Phèdre Parle donc en toute confiance. Socrate Mais où est l’enfant à qui je m’adressais ? Il faut encore qu’il entende ce que j’ai à dire, et qu’il n’aille pas, sans l’avoir entendu, favoriser un amant sans amour. Phèdre Cet enfant est toujours à tes côtés, tout à fait près de toi ; il y restera autant que tu voudras. Socrate [244] Figure-toi donc, bel enfant, que le précédent discours était de Phèdre, fils de Pythoclès, du dème de Myrrhinunte, et que celui que je vais prononcer est de Stésichore l’Himère, fils d’Euphémos. Voici comment il doit parler : « Non, ce discours n’est pas vrai ; non, il ne faut pas, lorsqu’on a un amant, lui préférer un homme sans amour, par cela seul que l’un est en délire et l’autre en son bon sens. Ce serait bien parler, s’il était évident que le délire fût un mal. Mais, au contraire, le délire est pour nous la source des plus grands biens, quand il nous est donné par divine faveur. C’est dans le délire que la prophétesse de Delphes et que les prêtresses de Dodone ont rendu aux États de la Grèce, comme aux particuliers, maints éminents services ; de sang-froid, elles n’ont été que peu ou pas du tout utiles. Si nous parlions ici de la Sibylle et des autres devins, de tous ceux qui, inspirés par les dieux, ont par de nombreuses prédictions auprès de gens nombreux rectifié l’avenir : nous parlerions avec prolixité de tout ce que chacun sait. Mais voici sur ce sujet un digne témoignage. Ceux des Anciens qui ont créé les noms, n’ont pas cru que le délire fût une chose honteuse, ou bien répréhensible. Auraient-ils, en effet, attaché ce nom même au plus beau de tous les arts, à l’art qui décide de l’avenir et qu’ils ont appelé, du nom même du délire, maniké ? S’ils lui ont donné ce nom, c’est qu’ils pensaient que le délire est vraiment beau, quand il nous vient d’un don divin. Les hommes de maintenant, insérant sottement un t dans le corps de ce mot, en ont fait mantiké (mantique). Quand, au contraire, des hommes de sang-froid cherchent à connaître l’avenir en observant les oiseaux et d’autres signes, comme cet art part de la réflexion pour procurer à la pensée humaine (oiésis) : intelligence (nous) et connaissance (istoria), on l’a nommé oionoistiké ; les modernes, par l’insertion d’un pompeux oméga, en ont fait oiônistiké (oiônistiké : art des augures). Ainsi, autant la divination l’emporte en perfection et en honneur sur l’art augural, autant le nom l’emporte sur le nom, et l’objet sur l’objet : autant aussi, au témoignage des Anciens, le délire l’emporte en beauté sur la sagesse, et le don qui vient de Dieu, sur l’art qui vient de l’homme. Quand, pour châtier d’antiques forfaits, des maladies et des fléaux terribles fondirent de quelque part sur certaines familles, le délire survenant à propos, et faisant ouïr une voix prophétique à ceux auxquels il fallait s’adresser, trouva moyen de conjurer ces maux en recourant à des prières aux dieux et à des cérémonies. Ainsi donc, en provoquant des purifications et des initiations, le délire sauva pour le présent et le temps à venir, celui qu’il inspirait, et découvrit à l’homme véritablement transporté et possédé, les moyens de conjurer les maux qui peuvent survenir. [245] Il y a, venant des Muses, une troisième espèce de possession et de délire. Quand il s’empare d’une âme tendre et pure, il la réveille, la transporte, et, célébrant par des odes et par d’autres poèmes les innombrables exploits des oiseux, il fait l’éducation des générations descendantes. Quant à celui qui, persuadé que l’art suffit à faire de lui un bon poète, ose, sans le délire que concèdent les Muses, approcher des portes de la poésie, celui-là ne fera qu’un poète imparfait, car la poésie d’un homme de sang-froid est toujours éclipsée par celle d’un inspiré. Tels sont, et je pourrais encore t’en citer bien d’autres, les beaux effets du délire qui nous provient des dieux. Gardons-nous donc de le redouter, et ne nous laissons pas troubler ni effrayer par ceux qui proclament qu’il faut préférer à l’amant que le délire agite, l’ami maître de lui. Il leur resterait à prouver, pour remporter le prix de la victoire, que ce n’est point pour le bien de l’amant et de l’aimé que les dieux leur inspirent de l’amour. De notre côté, nous avons, au contraire, à prouver que c’est pour notre plus grand bonheur que les dieux nous envoient ce délire. Notre démonstration, certes, ne persuadera point les habiles ; elle convaincra les sages. Il faut donc d’abord examiner quelle est exactement la nature de l’âme et divine et humaine, en observant ses sentiments et ses actes. Nous partirons du principe suivant. Toute âme est immortelle, car ce qui est toujours en mouvement est immortel. L’être qui donne et qui d’un autre côté reçoit le mouvement, cesse de vivre quand le mouvement cesse. Seul, l’être qui se meut lui-même, parce qu’il ne peut pas se manquer à lui-même, ne finit jamais de se mouvoir, mais il est aussi pour tout ce qui est mû, source et principe de mouvement. Or, un principe est sans commencement, car tout ce qui commence doit nécessairement provenir d’un principe, et le principe ne peut naître de rien. Si le principe, en effet, naissait de quelque chose, il ne serait plus principe. Mais, puisque le principe est sans commencement, il ne peut pas non plus recevoir une fin. Si le principe périssait, en effet, jamais il ne pourrait lui-même de quelque chose renaître, et jamais, s’il est vrai que tout doit provenir d’un principe, aucune autre chose ne pourrait naître en lui. Ainsi, l’être qui se meut lui-même est le principe du mouvement, et cet être ne peut ni périr, ni renaître. S’il en était autrement, le ciel tout entier et la création tout entière tomberaient ensemble dans l’immobilité, et jamais ne retrouveraient plus la possibilité de se mouvoir et de renaître. L’immortalité de l’être qui se meut par lui-même étant donc démontrée, personne ne craindra d’affirmer que le mouvement est l’essence et la nature même de l’âme. Tout corps, en effet, qui est mû par une impulsion du dehors, est sans âme. Tout corps, par contre, qui reçoit le mouvement du dedans, c’est-à-dire de lui-même, possède une âme, puisque la nature de l’âme consiste en cela même. [246] En conséquence, s’il est vrai que ce qui se meut soi-même n’est point autre chose que l’âme, il résulte de cette affirmation que nécessairement l’âme ne peut avoir ni naissance ni fin. Mais j’ai assez parlé de son immortalité. Il faut maintenant traiter de sa nature. Pour montrer ce qu’elle est, il faudrait une science absolument divine et une explication très étendue. Mais, pour se figurer ce que peut être cette âme, une science humaine et une explication plus restreinte suffisent. Nous parlerons en suivant ce dernier point de vue. Supposons donc que l’âme ressemble aux forces combinées d’un attelage ailé et d’un cocher. Tous les chevaux et les cochers des dieux sont bons et de bonne race ; ceux des autres êtres sont formés d’un mélange. Chez nous d’abord, le chef de l’attelage dirige deux chevaux ; en outre, si l’un des coursiers est beau, bon et de race excellente, l’autre, par sa nature et par son origine, est le contraire du premier. Nécessairement donc la conduite de notre attelage est difficile et pénible. Mais pour quelle raison, un être vivant est-il donc désigné, tantôt comme mortel, tantôt comme immortel : c’est ce qu’il faut essayer d’expliquer. Tout ce qui est âme prend soin de tout ce qui est sans âme, fait le tour du ciel tout entier et se manifeste tantôt sous une forme et tantôt sous une autre. Quand elle est parfaite et ailée, elle parcourt les espaces célestes et gouverne le monde tout entier. Quand elle a perdu ses ailes, elle est emportée jusqu’à ce qu’elle s’attache à quelque chose de solide ; là, elle établit sa demeure, prend un corps terrestre et paraît, par la force qu’elle lui communique, faire que ce corps se meuve de lui-même. Cet ensemble, composé et d’une âme et d’un corps, est appelé être vivant et qualifié de mortel par surnom. Quant au nom d’immortel, il ne peut être défini par aucun raisonnement raisonné ; mais, dans l’impossibilité où nous sommes de voir et de connaître exactement Dieu, nous nous l’imaginons comme un être immortel ayant une âme et possédant un corps, éternellement l’un à l’autre attachés. Toutefois, qu’il en soit de ces choses et qu’on en parle ainsi qu’il plaît à Dieu ! Recherchons, quant à nous, la cause qui fait que l’âme perd ses ailes et les laisse tomber. Elle est telle que voici. La force de l’aile est par nature de pouvoir élever et conduire ce qui est pesant vers les hauteurs où habite la race des dieux. De toutes les choses attenantes au corps, ce sont les ailes qui le plus participent à ce qui est divin. Or ce qui est divin, c’est le beau, le sage, le bon et tout ce qui est tel. Ce sont ces qualités qui nourrissent et fortifient le mieux l’appareil ailé de l’âme, tandis que leurs contraires, le mauvais et le laid, le consument et le perdent. Le grand chef, Zeus, s’avance le premier dans le ciel en conduisant son char ailé ; il règle tout, veille sur tout. Derrière lui, s’avance l’armée des dieux et des génies disposée en onze cohortes. Hestia, seule, reste dans le palais des dieux. [247] Tous ceux des autres qui comptent au nombre des douze dieux conducteurs, marchent en tête de leur cohorte, dans l’ordre qui fut prescrit à chacun d’eux. De nombreuses visions bienheureuses, de nombreuses évolutions divines animent donc l’intérieur du ciel, où la race des dieux bienheureux circule pour accomplir la tâche assignée à chacun. Derrière eux, marchent tous ceux qui veulent et qui peuvent les suivre, car l’envie n’a point place dans le chœur des dieux. Lorsqu’ils vont assister au repas et prendre part au festin, ils montent travers des régions escarpées, jusqu’au plus haut sommet de la voûte du ciel. Toujours en équilibre, les chars des dieux sont faciles à conduire et montent aisément. Ceux qui les suivent, par contre, ne grimpent qu’avec peine, car le coursier doué d’une complexion vicieuse s’affaisse, s’incline vers la terre et s’alourdit, s’il n’a pas été bien dressé par ses cochers. Alors une tâche pénible et une lutte suprême s’offrent à l’âme de l’homme. Les âmes appelées immortelles, quand elles sont parvenues au sommet, passent au-dehors et vont se placer sur le dos même du ciel ; et, tandis qu’elles s’y tiennent, le mouvement circulaire les emporte, et elles contemplent l’autre côté du ciel. Aucun poète d’ici-bas n’a jusqu’ici chanté cette région supra-céleste, et jamais aucun dignement. Voici pourtant ce qu’elle est, car il faut oser dire la vérité, surtout quand on parle sur la Vérité même. L’Essence qui possède l’existence réelle, celle qui est sans couleur, sans forme et impalpable ; celle qui ne peut être contemplée que par le seul guide de l’âme, l’intelligence ; celle qui est la source du savoir véritable, réside en cet endroit. Pareille à la pensée de Dieu qui se nourrit d’intelligence et de science absolue, la pensée de toute âme, cherchant à recevoir l’aliment qui lui convient, se réjouit de revoir après un certain temps l’Être en soi, se nourrit et se rend bienheureuse en contemplant la vérité, jusqu’à ce que le mouvement circulaire la ramène à son point de départ. Durant cette révolution, elle contemple la justice en soi, elle contemple la sagesse, elle contemple la science, non cette science sujette au devenir, ni celle qui diffère selon les différents objets que maintenant nous appelons des êtres, mais la science qui a pour objet l’Être réellement être. Puis, quand elle a de même contemplé les autres êtres réels et qu’elle s’en est nourrie, elle plonge à nouveau dans l’intérieur du ciel, et rentre en sa demeure. Dès qu’elle y est rentrée, le cocher attache ses chevaux à la crèche, leur jette l’ambroisie, et les abreuve ensuite de nectar. Telle est la vie des dieux. [248] Parmi les autres âmes, celle qui suit et ressemble le mieux à la divinité, élève la tête de son cocher vers cet envers du ciel, et se laisse emporter par le mouvement circulaire. Mais, troublée par ses coursiers, elle ne contemple qu’avec peine les êtres doués d’une existence réelle. Telle autre, tantôt s’élève et tantôt s’abaisse ; et, violentée par ses chevaux, elle aperçoit certaine réalités tandis que d’autres lui échappent. Les autres âmes sont toutes avides de monter ; mais, incapables de suivre, elles sombrent dans le remous qui les emporte, se jettent les unes sur les autres et se foulent aux pieds, chacune essayant de se porter avant l’autre. De là un tumulte, une lutte et les sueurs d’une suprême fatigue. Par la maladresse des cochers, beaucoup d’âmes alors deviennent boiteuses, beaucoup brisent une grande partie de leurs ailes. Toutes, malgré leurs efforts répétés, s’éloignent sans avoir été admises à contempler l’Être réel ; elles s’en vont n’ayant obtenu qu’opinion pour pâture. La cause de cet intense empressement à découvrir la plaine de vérité, est que l’aliment qui convient à la partie la plus noble de l’âme provient de la prairie qui s’y trouve, et que la nature de l’aile ne peut s’alimenter que de ce qui est propre à rendre l’âme légère. Il est aussi une loi d’Adrastée. Toute âme, dit-elle, qui a pu être la suivante d’un dieu et contempler quelques vérités absolues, est jusqu’à un autre périodique retour à l’abri de tout mal ; et, si elle reste capable de toujours accompagner son dieu, elle sera pour toujours hors de toute atteinte. Lorsque l’âme pourtant, impuissante à suivre les dieux, ne peut point arriver à la contemplation, et que par malheur, en s’abandonnant à l’oubli et en se remplissant de vices, elle s’appesantit : alors, une fois appesantie, elle perd ses ailes et tombe sur la terre. Dès lors, une loi lui défend d’animer à la première génération le corps d’un animal, mais prescrit à l’âme qui a contemplé le plus de vérités, de générer un homme qui sera ami de la sagesse, ami du beau, des Muses ou de l’amour. L’âme qui tient le second rang doit donner un roi juste ou guerrier mais apte à commander ; celle du troisième rang produira un politique, un administrateur ou un homme d’affaires ; celle du quatrième, un gymnaste infatigable ou quelque homme versé dans la guérison des maladies du corps ; celle du cinquième mènera la vie d’un devin ou d’un initiateur ; celle du sixième conviendra à un poète ou à quelque autre imitateur celle du septième animera un artisan ou un agriculteur celle du huitième, un sophiste ou un flatteur du peuple celle du neuvième, un tyran. Dans tous ces états, quiconque a vécu en pratiquant la justice obtient en échange une destinée meilleure ; celui qui l’a violée tombe dans une pire. [249] Aucune âme d’ailleurs ne retourne avant dix mille années au point d’où elle était partie ; car, avant ce temps, elle ne recouvre pas ses ailes, à moins qu’elle n’ait été l’âme d’un philosophe loyal ou celle d’un homme épris pour les jeunes gens d’un amour que dirige la philosophie. Alors, au troisième retour de mille ans, si elles ont trois fois successivement mené la même vie, elles recouvrent leurs ailes et s’en retournent après la trois millième année vers les dieux. Quant aux autres âmes, lorsqu’elles ont achevé leur première existence, elles subissent un jugement. Une fois jugées, les unes vont dans les prisons qui, sont sous terre s’acquitter de leur peine ; les autres, allégées par l’arrêt de leur juge, se rendent en un certain endroit du ciel où elles mènent la vie qu’elles ont méritée, tandis qu’elles vivaient sous une forme humaine. Au bout de mille ans, les unes et les autres reviennent se désigner et se choisir une nouvelle existence ; elles choisissent le genre de vie qui peut plaire à chacune. Alors l’âme humaine peut entrer dans la vie d’une bête, et l’âme d’une bête, pourvu qu’elle ait été celle d’un homme jadis, peut animer un homme de nouveau, car l’âme qui jamais n’a vu la vérité ne saurait s’attacher à une forme humaine. Pour être homme, en effet, il faut avoir le sens du général, sens grâce auquel l’homme peut, partant de la multiplicité des sensations, les ramener à l’unité par le raisonnement. Or cette faculté est une réminiscence de tout ce que jadis a vu notre âme quand, faisant route avec Dieu et regardant de haut ce qu’ici-bas nous appelons des êtres, elle dressait sa tête pour contempler l’Être réel. Voilà pourquoi il est juste que seule la pensée du philosophe ait des ailes ; elle ne cesse pas, en effet, de se ressouvenir selon ses forces des choses mêmes qui font que Dieu même est divin. L’homme qui sait bien se servir de ces réminiscences, initié sans cesse aux initiations les plus parfaites, devient seul véritablement parfait. Affranchi des préoccupations humaines, attaché au divin, il est considéré comme un fou par la foule, et la foule ne voit pas que c’est un inspiré. C’est ici qu’en voulait venir tout ce discours sur la quatrième espèce de délire. Quand un homme, apercevant la beauté d’ici-bas, se ressouvient de la beauté véritable, son âme alors prend des ailes, et, les sentant battre, désire s’envoler. Impuissante, elle porte comme un oiseau ses regards vers le ciel, néglige les sollicitudes terrestres, et se fait accuser de folie. Mais ce transport qui l’élève est en lui-même et dans ses causes excellentes le meilleur des transports, et pour celui qui le possède et pour celui auquel il se communique. Cet homme que ce délire possède, aimant la beauté dans les jeunes garçons, reçoit le nom d’amant. Effectivement, comme nous l’avons dit, toute âme humaine a par nature contemplé les êtres véritables ; elle ne serait point entrée sans cela dans le corps d’un humain. [250] Mais, se ressouvenir à la vue des choses de la terre de cette contemplation, n’est point facile pour toute âme. Certaines âmes n’ont, en effet, que brièvement aperçu ce qui est dans le ciel ; d’autres, étant tombées sur la terre, ont eu le malheur de se laisser entraîner dans l’injustice par de mauvaises compagnies, et d’oublier les mystères sacrés qu’elles avaient alors contemplés. Il reste seulement un petit nombre d’âmes qui en ont gardé un souvenir suffisant. Quand donc ces âmes aperçoivent ici-bas quelque image des choses qu’elles ont vues dans le ciel, elles sont alors frappées d’étonnement et ne peuvent plus se contenir. Elles ignorent pourtant d’où leur provient ce trouble, car elles n’ont pas des perceptions assez claires. C’est qu’ici-bas, en effet, les images de la justice, de la sagesse et des autres biens des âmes, ne jettent aucun éclat, et c’est à peine si l’obscurité de nos organes permet à peu d’entre nous, en rencontrant ces images, de contempler le modèle de ce qu’elles figurent. Mais alors, la beauté était splendide à contempler, lorsque, mêlés à un chœur bienheureux, nous, à la suite de Zeus, les autres, à celle d’un autre dieu, nous contemplions ce ravissant spectacle, et qu’initiés à des mystères qu’il est permis d’appeler très heureux, nous les célébrions en un état parfait, exempts des maux qui nous attendaient dans le temps à venir, admis à contempler dans une pure lumière, comme des mystes et des épopées, des apparitions parfaites, simples, immuables et béatifiques, purs nous-mêmes et point encore scellés dans ce qu’aujourd’hui nous appelons le corps que nous portons, emprisonnés en lui comme l’huître en sa coquille. Que ces paroles soient un hommage au souvenir, grâce auquel le regret de ces visions d’alors vient de nous faire à présent trop longuement parler. Quant à la beauté, elle brillait, nous l’avons dit, parmi ces visions. Retombés sur la terre, nous voyons encore, par le plus clairvoyant de nos sens, cette même beauté très clairement resplendir. La vue est, en effet, la plus pénétrante des facultés sensitives du corps. La sagesse pourtant n’est point par elle aperçue ; elle susciterait de prodigieuses amours, si elle offrait à nos yeux une image aussi claire que celle de la beauté. Il en serait de même de toutes les essences dignes de notre amour. Mais pour le moment, la beauté seule jouit du privilège d’être l’objet le plus visible et le plus attrayant. L’homme pourtant dont l’initiation n’est point récente ou qui s’est laissé corrompre, ne s’élève pas promptement de la beauté d’ici-bas vers la beauté parfaite, quand il contemple sur terre l’image qui en porte le nom. Aussi, loin de se sentir frappé de respect à sa vue, il cède alors au plaisir à la façon des bêtes, cherche à saillir cette image, à lui semer des enfants, et, dans la frénésie de ses fréquentations, il ne craint ni ne rougit de poursuivre une volupté contre nature. [251] Mais l’homme, qui a été récemment initié ou qui a beaucoup contemplé dans le ciel, lorsqu’il aperçoit en un visage une belle image de la beauté divine, ou quelque idée dans un corps de cette même beauté, il frissonne d’abord, il sent survenir en lui quelques-uns de ses troubles passés ; puis, considérant l’objet qui émeut ses regards, il le vénère comme un dieu. Et, s’il ne craignait de passer pour un vrai frénétique, il offrirait comme à une statue divine ou à un dieu, des sacrifices à son aimé. À son aspect, comme sous l’emprise d’un frisson, il change de visage, une sueur et une chaleur étrange le saisissent. A peine, en effet, a-t-il reçu par les yeux les émanations de la beauté, qu’il s’échauffe et que se ranime la nature de ses ailes. Cette chaleur fait fondre tout ce qui, au temps de la croissance, était depuis longtemps fermé par un durcissement, et empêchait les ailes de pousser. Sous l’afflux nourrissant de ces émanations, la tige de l’aile se gonfle et prend, depuis la racine, un élan de croissance dans toute la forme de l’âme, car autrefois l’âme était tout ailée. En cet état l’âme entière bouillonne et se soulève. Elle souffre ce qu’ont à supporter ceux dont les dents se forment. Lorsqu’elles commencent à pousser, leur développement provoque tout autour des gencives une démangeaison et une irritation. L’âme souffre d’un pareil agacement lorsque ses ailes commencent à pousser, car la pousse des ailes occasionne une effervescence, une irritation et un prurit du même genre. Quand elle porte son regard sur la beauté d’un garçon, des parcelles s’en détachent et s’écoulent en elle - de là le nom dont on appelle le désir. En la pénétrant ces parcelles la raniment ; elle se réchauffe, se repose de la douleur et se réjouit. Mais, quand elle est séparée du bien-aimé, et qu’elle se dessèche, les bouches des issues par où sortent les ailes se dessèchent aussi, se ferment et empêchent le germe des ailes de se développer. Enfermés avec le désir dans l’intérieur de l’âme, ces germes bondissent comme un pouls agité, heurtent chacune des issues qui leur sont réservées, de sorte que l’âme entière, aiguillonnée de toutes parts, devient furieuse et affligée. D’un autre côté, pourtant, le souvenir du beau la réjouit. Ce mélange de douleur et de joie la tourmente par son étrangeté ; elle s’enrage dans sa perplexité ; sa frénésie l’empêche durant la nuit de dormir et de rester pendant le jour en place ; elle court, avide, là où elle croit pouvoir apercevoir celui qui détient la beauté. Quand elle l’a vu et qu’elle s’est imprégnée de désir, elle sent s’ouvrir ce qui s’était fermé naguère, elle se reprend à respirer, et, cessant de sentir aiguillons et douleurs, elle cueille en cet instant la volupté la plus suave. [252] Dès lors, l’amant ne voudrait plus volontairement se séparer de son aimé : personne ne lui est plus précieux ; il oublie mère, frères et tous ses compagnons, et si alors, en la négligeant, il perd sa fortune, il ne s’en soucie point. Les usages et les convenances qu’il se piquait auparavant d’observer, il les méprise tous. Prêt à être esclave, il consent à dormir où l’on voudra, pourvu que ce soit le plus près de son désir. Outre qu’il révère, en effet, celui qui détient la beauté, il ne trouve qu’en lui seul le médecin de ses plus grands tourments. Ce sentiment, bel enfant à qui s’adresse mon discours, les hommes l’ont appelé Éros. Quant au nom que lui donnent les dieux, tu en riras sans doute en l’apprenant, du fait de ta jeunesse. Certains Homérides, je crois, citent à propos d’Éros, deux vers tirés d’un poème en réserve, dont l’un est tout à fait injurieux et fort peu mesuré. Ils chantent ainsi : « Les mortels l’appellent Éros ailé Les immortels, Ptéros, parce qu’il donne des ailes. » On peut croire ou ne pas croire à ces vers. Mais la cause et la nature des ardeurs des amants sont exactement telles que je les ai décrites. Si l’homme que l’amour a saisi fut un suivant de Zeus, il a plus de vigueur pour pouvoir supporter le joug du dieu ailé. Ceux qui ont été les serviteurs d’Arès et qui l’ont suivi dans son évolution, quand ils sont captivés par Éros et qu’ils se croient outragés par leur aimé, deviennent meurtriers et sont prêts à se sacrifier eux-mêmes ainsi que leur aimé. Ainsi, c’est en honorant et en imitant, autant qu’il le peut, le dieu dont il fut le choreute, que chacun passe son existence, aussi longtemps du moins qu’il n’est pas corrompu et qu’il vit sa première génération sur terre. De la même manière, chacun se gouverne en imitant ceux qu’il aime et ceux avec lesquels il noue des relations. Chaque homme, selon son caractère, se choisit un amour parmi les beaux garçons ; il s’en fait comme un dieu, lui dresse une statue, la charge d’ornements, comme pour la vénérer et célébrer ses mystères. Les serviteurs de Zeus recherchent un ami qui ait l’âme de Zeus ; ils examinent s’il aime la sagesse et s’il est par nature apte au commandement ; et, quand ils l’ont rencontré et qu’ils s’en sont épris, ils font tout pour le rendre tel que ce dieu est. S’ils ne s’étaient point jusqu’ici engagés dans la voie de cette activité, ils s’y appliquent alors en s’instruisant où ils peuvent et par leurs propres efforts. [253] Se mettant à la piste pour trouver par eux-mêmes la nature de leur dieu, ils y réussissent à force d’être contraints d’intensément regarder vers ce dieu. Puis, quand ils l’ont atteint par le ressouvenir, l’enthousiasme les prend et ils se saisissent, autant du. s qu’il est possible à l’homme de participer à la divinité, de son caractère et de ses activités. Comme ils attribuent à leur aimé la cause de ce progrès, ils l’en chérissent davantage ; et, quand ils ont, comme les Bacchantes, puisé en Zeus leur exaltation, ils la déversent sur l’âme du bien-aimé, et le rendent le plus semblable possible à leur dieu. Ceux qui suivaient Héra cherchent une âme royale, et, quand ils l’ont trouvée, ils agissent de même. Les suivants d’Apollon et de chacun des autres dieux, se conformant également à leur divinité, cherchent un jeune ami du même naturel ; quand ils l’ont rencontré, ils imitent leur dieu, persuadent leurs aimés de l’imiter aussi et les conduisent à se régler, autant que cela est possible à chacun, sur l’activité de ce dieu et sur l’idée qu’ils en ont. Bien loin pour leurs aimés d’user d’envie ou de basse malveillance, ils font tous les efforts possibles pour les rendre en tout absolument semblables et à eux-mêmes et au dieu qu’ils honorent. Tel est le zèle des vrais amants, et telle est, s’ils réalisent ce qu’ils désirent, l’initiation dont j’ai parlé, belle et béatifique initiation qui, par l’effet du délire de l’amant, peut atteindre, s’il se laisse gagner, le bien-aimé. Or, voici comment il se laisse gagner. Ayant distingué, au début de ce mythe, trois parties en chaque âme, j’ai assimilé les deux premières à deux chevaux et la troisième à un cocher. Continuons à nous servir encore de ces mêmes figures. Des deux chevaux, disions-nous, l’un est bon, l’autre est vicieux. Il reste à dire maintenant, puisque nous ne l’avons pas dit, en quoi consiste l’excellence de l’un et le vice de l’autre. Le premier a, des deux, la plus belle prestance ; sa forme est élancée et découplée ; il a l’encolure haute, les naseaux recourbés, la robe blanche, les yeux noirs ; il est avec tempérance et pudeur amoureux de l’estime, et pour ami, il a l’opinion vraie ; sans qu’on le frappe, par simple exhortation et par seule raison, il se laisse conduire. Le second au contraire est tortu, épais, jointuré au hasard ; il a le cou trapu, l’encolure épaisse, le visage camard, la robe noire, les yeux glauques ; il est sanguin, ami de la violence et de la vantardise ; velu tout autour des oreilles, il est sourd, et n’obéit qu’avec peine à l’aiguillon et au fouet. [254] Quand donc le cocher, apercevant un objet digne d’amour, sent toute son âme se pénétrer de chaleur et se voit atteint par le prurit et l’aiguillon du désir, celui des deux chevaux qui est docile aux rênes, alors comme toujours dominé par la pudeur, se contient pour ne pas assaillir le bien-aimé. Mais l’autre coursier n’est détourné ni par le fouet ni par l’aiguillon du cocher ; il bondit et saute avec violence, donne toutes les peines à son compagnon d’attelage et à son cocher, et les, contraint à se diriger vers le jeune garçon et à lui rappeler le souvenir du charme des plaisirs d’Aphrodite. Tout d’abord cocher et compagnon résistent, car ils sont indignés qu’on les pousse à des actes indignes et affreux. Mais à la fin, lorsque leurs maux n’ont plus de bornes, ils se laissent entraîner, cèdent et consentent à faire ce qu’il ordonne’ : ils s’attachent au bien-aimé et contemplent cette apparition fulgurante qu’est un aimé pour un amant. A cette vue, la mémoire du cocher se reporte vers la nature de la beauté, et il la revoit de nouveau affermie avec la tempérance sur un trône sacré. Cette vision le remplit de frayeur ; saisi de crainte, il se renverse sur le dos et tire en même temps et avec tant de force les rênes en arrière, que les deux chevaux sont contraints de s’asseoir sur leurs croupes, l’un de bon gré, car il ne résiste pas, et l’autre, le violent, tout à fait malgré lui. Tandis qu’ils se reculent, l’un, sous le coup de la pudeur et de la stupéfaction, inonde l’âme entière de sueur ; mais l’autre, guéri de la douleur que le mors et la chute lui causèrent, ayant à peine repris haleine, se répand en colères et charge d’outrages son cocher et son compagnon d’attelage sous prétexte qu’ils ont, par lâcheté et couardise, abandonné leur poste et violé leur accord. Il les contraint de revenir à la charge, et c’est à grand-peine qu’il cède à leurs prières de remettre à plus tard. Quand arrive le terme convenu, comme ils font semblant d’oublier, il les rappelle à leur engagement, les violente, hennit, tire sur les guides et les oblige pour de mêmes propos à s’approcher du bien-aimé. Quand ils s’en sont approchés, il se penche sur lui, raidit sa queue, mord son frein et tire avec impudence sur les rênes. Frappé d’une émotion plus forte, le cocher alors se rejette en arrière comme s’il allait franchir la barrière, tire avec plus de vigueur le mors qui est aux dents du cheval emporté, ensanglante sa langue diffamatrice et ses mâchoires, fait toucher terre à ses jambes et sa croupe, et le livre aux douleurs. Lorsqu’il a souffert à diverses reprises la même expérience, le coursier vicieux perd sa fougue, il obéit humilié à la prévoyance du cocher et, quand il voit le bel enfant, il se meurt de terreur. C’est alors seulement, avec respect et crainte, que l’âme de l’amant peut suivre le bien-aimé. [255] Cependant, l’aimé qui se voit entouré de toutes sortes de soins et révéré comme un dieu, non point par quelqu’un qui simule l’amour mais qui vraiment l’éprouve : cet aimé, qui se sent naturellement porté par l’amitié vers celui qui a pour lui de la sollicitude, a pu entendre auparavant ses condisciples ou certaines autres personnes déblatérer contre l’amour et soutenir qu’il est honteux d’avoir commerce avec un amoureux, et il a pu sous ce prétexte repousser son amant. Mais, avec le temps qui passe, l’âge et la nécessité l’amènent à l’accepter en son intimité. Jamais, en effet, il n’a été dans les arrêts du destin que le méchant soit l’ami du méchant et que le vertueux ne puisse être l’ami du vertueux. Or, quand le bien-aimé a été accueilli auprès de son amant, quand il a prêté l’oreille à ses propos et joui de son intimité, la bienveillance de l’amant se manifeste de plus près, et surprend son aimé ; il sent alors que l’affection de tous ses autres amis et de tous ses parents n’est rien auprès de la tendresse dont l’entoure un amant que l’enthousiasme possède. Lorsqu’il a quelque temps fréquenté cet amant ‘ quand il a vécu dans son intimité et qu’il l’a touché dans les gymnases ou en d’autres rencontres, alors la source de ce courant que Zeus, amoureux de Ganymède, dénomma le désir, se porte à flots vers l’amant ; une partie pénètre en lui ; et, quand il en est rempli, le reste se répand au-dehors. Puis, de la même manière qu’un souffle ou qu’un son ayant frappé un corps lisse et dur revient au point d’où il était parti : ainsi, par le chemin des yeux, le courant de la beauté revient vers l’âme de l’aimé, l’atteint et la remplit, ouvre les passages des ailes, les ranime, provoque leur croissance, et remplit d’amour l’âme du bien-aimé. Il aime donc, mais il ignore quoi. Il ne sait pas ce qu’il éprouve et il est incapable de l’exprimer ; mais, tel un homme qui a pris la cécité d’un autre, il ne peut pas dire la cause de son mal et ne se rend pas compte qu’il se voit en son amant comme dans un miroir. En sa présence, il sent comme lui ses tourments s’apaiser ; en son absence, il le désire encore comme il en est désiré ; son amour est l’image réfléchie de l’amour qu’a pour lui son amant. Il n’appelle pas cette affection du nom d’amour, il la croit une amitié. Quoique plus faiblement, il désire comme lui le voir, le toucher, l’embrasser et coucher avec lui. Et certes, comme il est naturel, il ne tarde point à le faire. Tandis qu’à ses côtés il est couché, le coursier lascif de l’amant a bien des choses à dire à son cocher, et, pour prix de tant de peines, il se juge digne d’un peu de jouissance. [256] Quant au coursier du bien-aimé, il n’a rien à dire ; gonflé de désirs et plein d’hésitations, il étreint son amant, l’embrasse comme on accueille le plus cher des amis ; et, tandis qu’ils sont étendus côte à côte, il est prêt pour sa part à ne point se refuser de complaire à l’amant, si par hasard il en fait la demande. Mais d’un autre côté son compagnon d’attelage et le cocher par pudeur et raison s’y opposent. Alors, si la partie la meilleure de l’âme, amenant les amants à une conduite ordonnée et à la philosophie, remporte la victoire, ils passent dans le bonheur et dans l’union leur existence d’ici-bas. Maîtres d’eux-mêmes et réglés dans leur vie, ils tiennent en servage tout ce qui porte le vice dans les âmes et affranchissent ce-qui les pousse à la vertu. À la fin de leur vie, reprenant leurs ailes et devenant légers, ils sortent vainqueurs d’une de ces trois luttes véritablement olympiques, et c’est alors un bien si grand pour eux que ni la sagesse humaine, ni le délire divin ne sont capables d’en procurer à l’homme un plus parfait. Mais s’ils ont au contraire embrassé un genre de vie plus grossier et sans philosophie, s’ils ne se sont attachés qu’aux honneurs, peut-être alors se peut-il que, dans l’ivresse ou dans quelque autre instant d’oubli, les deux chevaux intempérants surprennent leurs âmes sans défense, les amènent au même but, leur fassent choisir le genre de vie le plus envié du vulgaire et les entraînent à réaliser jusqu’au bout leurs désirs. Quand ils se sont satisfaits, ils recommencent encore, mais rarement, parce qu’ils n’agissent pas avec l’approbation de l’âme tout entière. Ces amants aussi restent amis, mais moins unis que ceux qui se sont retenus, soit durant le temps de leur amour, soit lorsqu’il est fini. Ils pensent, en effet, qu’ils se sont donné et qu’ils ont mutuellement reçu les gages de foi les plus solides, et qu’il serait impie de briser de tels liens, et d’en arriver un jour à se fuir. À la fin de leur vie, sans ailes encore mais brûlant de s’ailer, leurs âmes sortent du corps et reçoivent pour leur délire amoureux une grande récompense. La loi défend, en effet, aux âmes qui ont commencé leur voyage céleste de descendre dans les ténèbres et d’entreprendre un voyage sous terre. Menant une vie brillante, elles sont heureuses de voyager ensemble ; et, quand elles reçoivent des ailes, elles les reçoivent ensemble en récompense de leur amour. Tels sont, mon enfant, les grands et les divins bienfaits que te procurera l’amitié d’un amant. Mais l’intimité d’un familier sans amour, falsifiée par une sagesse mortelle, appliquée à régir des intérêts périssables et mesquins, enfantera dans l’âme aimée cette bassesse servile que la foule vante comme une vertu : [257] bassesse qui conduira cette âme à rouler, privée de raison, autour de la terre et sous terre, pendant neuf mille ans. Voilà, cher Éros, la palinodie la plus belle et la meilleure qu’il soit en mon pouvoir de produire et de t’offrir. Si j’ai été contraint d’en rendre poétiques et les mots et les phrases, c’est Phèdre qui m’a contraint à m’exprimer ainsi. Pardonne à mon premier discours et reçois celui-ci en faveur. Sois-moi propice et bienveillant. Ne me retire pas et ne mutile pas dans ta colère cet art d’aimer dont tu m’as gratifié. Accorde-moi d’être plus prisé que jamais auprès des beaux garçons. Si naguère, Phèdre et moi, nous t’avons en paroles cruellement offensé, n’en accuse que Lysias, le père de ce débat Fais qu’il renonce à écrire de telles compositions ; tourne-le vers la philosophie, comme s'y est tourné son frère Polémarque, afin que son amant qui m’écoute ne soit plus hésitant comme il l’est à cette heure, mais qu’il travaille à se faire simplement, en s’aidant de l’étude de la philosophie, une vie pour Éros. » Phèdre Je joins ma prière à la tienne, Socrate, pour implorer la réalisation de tes vœux, si toutefois ces vœux nous sont un avantage. J’ai tout admiré de ton dernier discours, et je sais de combien il l’emporte sur le premier en beauté. J’ai tout lieu de craindre que Lysias ne me paraisse un obscur orateur s’il en vient, dans un nouveau discours, à se comparer avec toi. Dernièrement d’ailleurs, merveilleux Socrate, un de nos hommes politiques, le prenant à partie, lui reprochait d’écrire, et le traitait, au long de sa diatribe, de faiseur de discours. Il se pourrait donc bien que par amour-propre il refusât d’écrire. Socrate Tu portes un jugement ridicule, jeune homme, et, sur ton ami, tu te trompes très fort, si tu le crois si effrayé. Peut-être aussi penses-tu que l’homme qui le blâmait, lui parlait vraiment pour lui faire des reproches ? Phèdre Son but était patent, Socrate ! Et tu sais toi-même que les plus puissants et les plus respectés des hommes de nos cités rougissent de composer des discours et de laisser des écrits ; ils appréhendent l’opinion de l’avenir et redoutent d’être appelés des sophistes. Socrate Tu oublies, Phèdre, que le dicton « coude charmant » a pris son nom du grand coude du Nil. Outre ce coude, tu oublies que ce sont les plus fiers des hommes politiques qui aiment le plus à rédiger des discours et à laisser des écrits. Chaque fois qu’ils ont à composer un discours, ils ont une telle tendresse pour les approbations, qu’ils inscrivent d’abord les noms de ceux qui à tout propos les approuvent. Phèdre Que dis-tu là ? Je ne te comprends pas. Socrate [258] Tu ne comprends pas qu’au début de tout écrit d’un homme politique, le nom de son approbateur est inscrit en premier lieu ? Phèdre Comment cela ? Socrate « Il a plu », affirme-t-il, « au Sénat » ou « au peuple » ou à tous les deux, « sur la proposition d’un tel... ». Et celui qui propose se cite alors lui-même en grande majesté et fait son propre éloge. Après cela, il continue encore d’exposer sa sagesse à ses approbateurs en produisant parfois un ouvrage fort long. Te semble-t-il qu’une composition de ce genre soit autre chose qu’un discours écrit ? Phèdre Il ne me le semble pas. Socrate Si ce discours écrit est accepté, l’auteur sort tout joyeux du théâtre. Est-il rejeté, et l’écrivain se voit-il reconnu sans talent dans l’art de composer, jugé indigne d’écrire, il s’en afflige, et ses amis avec lui se désolent. Phèdre Assurément. Socrate Il est donc évident que, loin de mépriser une telle occupation, les hommes politiques en font le plus grand cas. Phèdre Tout à fait, certes. Socrate Quoi donc ! Quand un orateur ou un roi est capable d’assumer la puissance d’un Lycurgue, d’un Solon, d’un Darius, et de s’immortaliser dans un Etat en faisant des discours, ne se regarde-t-il pas lui-même comme un dieu toute sa vie durant, et la postérité ne porte-t-elle pas sur lui le même jugement en considérant ses écrits ? Phèdre Assurément. Socrate Penses-tu donc qu’un de ces politiques, quel que soit son caractère et d’où que vienne sa malveillance pour Lysias, puisse lui reprocher son talent d’écrivain ? Phèdre Ce n’est point vraisemblable, d’après ce que tu dis ; en agissant ainsi, il blâmerait, ce me semble, sa propre passion. Socrate Il est donc évident pour chacun, que le fait même d’écrire des discours n’implique aucune honte. Phèdre Pour quel motif, en effet ? Socrate Mais voici, selon moi, ce qu’il y a de honteux : ce n’est point de parler et d’écrire d’une belle façon, c’est de parler et d’écrire honteusement et mal. Phèdre C’est évident. Socrate Quelle est donc la façon de bien ou mal écrire ? Devrons-nous, Phèdre, interroger sur ce point Lysias ou quelque autre de ceux qui ont écrit ou qui doivent écrire sur un sujet politique ou privé, en vers comme un poète, ou en prose comme un simple écrivain ? Phèdre Tu demandes si nous le devons ? Et pourquoi vivrions-nous à vrai dire, si ce n’est pour de tels plaisirs ? Non certes pour ces plaisirs que doit précéder une peine sans laquelle éprouver du plaisir nous serait impossible, ce qui est le cas de presque tous les plaisirs que nous donne le corps, plaisirs qui justement sont appelés serviles. Socrate Nous avons du loisir, semble-t-il. [259] Et puis, il y a les cigales qui chantent sur nos têtes dans la chaleur étouffante ; elles conversent entre elles et semblent nous regarder. Si donc elles nous voyaient tous deux, comme la plupart des hommes au beau milieu du jour, cesser nos entretiens, nous assoupir et laisser par elles nos esprits paresseux se bercer, elles se moqueraient avec raison de nous. Elles penseraient que des esclaves sont venus auprès d’elles dormir en cet asile comme des moutons en sieste auprès d’une fontaine. Mais si elles nous voient converser entre nous et passer auprès d’elles, sans nous laisser charmer par leurs chants de Sirènes, peut-être nous concéderont-elles, dans leur admiration, cette récompense que les dieux leur ont donné d’attribuer aux hommes. Phèdre Quelle récompense accordent-elles ? Je n’en ai, ce me semble, jamais ouï parler. Socrate Il ne sied pas à un ami des Muses de n’avoir sur ces choses jamais rien entendu. On dit qu’avant la naissance des Muses les cigales étaient des hommes. Quand les Muses naquirent et que le chant avec elles parut, il y eut des hommes qui furent alors tellement transportés de plaisir qu’ils oublièrent en chantant le boire et le manger, et moururent sans s’en apercevoir. De ces hommes les cigales naquirent. Elles reçurent des Muses le privilège de n’avoir besoin d’aucune nourriture, de chanter dès leur naissance et jusqu’à l’heure de leur mort sans boire ni manger puis, une fois mortes, d’aller auprès des Muses leur annoncer par qui chacune d’elles ici-bas est honorée. Elles indiquent ainsi à Terpsichore ceux qui l’ont honorée dans les chœurs, rendant cette Muse d’une extrême bienveillance pour eux. A Érato, elles nomment ceux qui l’ont célébrée dans leurs poèmes d’amour, et aux autres Muses, ceux qui leur ont rendu l’hommage qui convient. À Calliope, la plus ancienne, et à Uranie, la cadette, elles découvrent les noms de ceux qui vivent dans la philosophie et qui honorent les arts auxquels elles président. Ces deux Muses, qui veillent surtout aux mouvements du ciel et aux discours des hommes et des dieux, sont celles dont les accents sont les plus beaux. Voici donc pour parler et pour ne point dormir au beau milieu du jour, de nombreuses raisons. Phèdre Parlons donc, en effet. Socrate Examinons donc ce que nous voulions tout à l’heure soumettre à l’examen : la raison qui fait qu’un discours ou qu’un écrit est beau, ou ne l’est pas. Phèdre C’est cela même. Socrate N’est-il pas nécessaire à ceux qui veulent parler avec heur et beauté, que leur pensée connaisse la vérité à propos du sujet qu’ils auront à traiter ? Phèdre [260] J’ai entendu dire à ce propos, mon cher Socrate, qu’il n’est pas nécessaire au futur orateur d’avoir appris ce qui est véritablement juste, mais ce qui paraît tel à la foule chargée de décider ; ni ce qui est réellement beau ou bon, mais ce qui semble tel. C’est, en effet, la vraisemblance et non la vérité qui peut persuader. Socrate Il ne faut, Phèdre, rejeter aucune des paroles qu’ont proférées des sages, mais examiner ce qu’elles signifient. Et ce que tu viens de dire ne doit pas non plus être négligé. Phèdre Tu parles avec raison. Socrate Examinons-le donc de la façon que voici. Phèdre De quelle façon ? Socrate Si je te persuadais d’acquérir un cheval pour repousser l’ennemi ; si tous les deux nous ignorions ce que c’est qu’un cheval, et si je savais seulement que Phèdre prend pour un cheval celui des animaux domestiques qui a les plus grandes oreilles... Phèdre Ce serait ridicule, Socrate. Socrate Non, pas encore. Mais si je voulais sérieusement te persuader en composant un discours où je vanterais l’âne en parlant du cheval ; si je te disais que c’est un animal dont la possession est inestimable à la maison et à l’armée, propre à te porter au combat, capable de transporter tes bagages et, apte à bien d’autres usages... Phèdre Ce serait le comble du ridicule. Socrate Mais ne vaut-il pas mieux être un ami ridicule plutôt qu’un ami dangereux et funeste ? Phèdre Apparemment. Socrate Ainsi donc, lorsqu’un orateur, ignorant le bien et le mal, surprend la cité dans une même ignorance et la persuade en la louant, non pas de prendre l’ombre d’un âne pour un cheval, mais le mal pour le bien ; quand, après avoir étudié les préjugés de la foule, il la persuade de faire le mal au lieu du bien, quels fruits penses-tu que la rhétorique puisse alors récolter de ce qu’elle a semé ? Phèdre Des fruits assez peu convenables. Socrate Mais, bon ami, n’aurions-nous pas par hasard, plus grossièrement qu’il ne fallait, vitupéré la rhétorique ? Elle pourrait peut-être nous répondre : "Qu’avez-vous, étranges raisonneurs, pour radoter ainsi ? Je ne contrains personne à apprendre à parler sans connaître le vrai. Mais, si vous voulez m’en croire, assurez-vous d’abord la possession du vrai et venez ensuite à moi ; car, je l’affirme bien haut, on aura beau réellement connaître la vérité, on n’en sera pas plus capable pour cela de parvenir sans moi, par l’art de la parole, à la persuasion." Phèdre N’aurait-elle pas raison d’ainsi parler ? Socrate Je te le concède, si les voix qui s’élèvent vers elle rendent témoignage que la rhétorique est un art. Mais je crois en entendre qui s’approchent, protestent et affirment qu’elle ment, qu’elle n’est point un art, mais un simple passe-temps. "En dehors de la possession de la vérité, dit le Laconien, il n’y a pas et il n’y aura jamais de véritable art de la parole." Phèdre [261] Il faut entendre ces voix, Socrate. Fais-les ici comparaître ; enquiers-toi de ce qu’elles disent, et pour quelles raisons. Socrate Venez, illustres rejetons, persuadez Phèdre, père de beaux enfants, que, s’il ne s’est point assez appliqué à la philosophie, jamais il ne sera capable sur quoi que ce soit de pouvoir discourir. Que Phèdre réponde. Phèdre Interrogez. Socrate La rhétorique n’est-elle pas en somme l’art de conduire les âmes par la parole, non seulement dans les tribunaux et dans les autres assemblées publiques, mais encore dans les réunions privées ? N’est-ce point le même art dans les grandes et les petites choses, et son loyal emploi est-il moins respectable dans les choses légères que dans les choses graves ? N’est-ce pas ainsi que tu l’as entendu définir ? Phèdre Non, par Zeus, ce n’est pas ainsi tout à fait. L’art de parler et d’écrire est destiné surtout aux actions judiciaires, et cet art de parler s’étend aussi aux harangues publiques. Je n’ai pas oui dire qu’il s’étendît plus loin. Socrate Tu ne connais donc que les traités oratoires que, dans leurs loisirs, Nestor et Ulysse composèrent sous Ilion, et tu n’as jamais ouï parler de ceux de Palamède ? Phèdre Non, par Zeus, pas plus que des traités de Nestor, à moins que tu ne supposes que Gorgias soit Nestor, et Thrasymaque ou Théodore, Ulysse. Socrate Peut-être bien. Mais laissons-les. Quant à toi, dis-moi, dans les tribunaux, ce que font les parties ? Ne parlent-elles pas contradictoirement ? Qu’en disons-nous ? Phèdre C’est cela même. Socrate Se contredisent-elles sur le juste ou l’injuste ? Phèdre Certainement. Socrate Ainsi donc, celui qui sait contredire avec art peut faire paraître à son gré une même chose à de mêmes personnes, tantôt juste et tantôt injuste ? Phèdre Pourquoi pas ? Socrate Et dans une harangue publique, il peut faire paraître au peuple les mêmes choses, tantôt bonnes, tantôt mauvaises ? Phèdre Assurément. Socrate Ne savons-nous pas que le Palamède d’Élée parlait avec tant d’art qu’il faisait paraître à ses auditeurs les mêmes choses semblables et dissemblables, unes et multiples, en repos ou bien en mouvement ? Phèdre Tout à fait, certes. Socrate Ce n’est donc pas seulement aux tribunaux et aux assemblées politiques que se rapporte l’art de la controverse. Mais il y a, semble-t-il, un art unique qui s’applique à toutes les formes de la parole, et cet art, s’il est vrai qu’il existe, peut nous mettre en état de rendre toute chose semblable à toute chose dans tous les cas possibles et aux yeux de toutes les personnes possibles ; et, lorsqu’un homme a recours aux assimilations et qu’il les dissimule, cet art nous donne aussi de les mettre en lumière. Phèdre Que veux-tu dire par là ? Socrate Je vais, je crois, mieux m’expliquer en procédant ainsi : "L’illusion se produit-elle entre des choses très différentes, plutôt qu’entre celles qui ne diffèrent que peu ?" Phèdre Entre des choses qui ne diffèrent que peu. Socrate [262] Et si tu veux changer de place, ne passeras-tu pas mieux inaperçu en te déplaçant petit à petit, plutôt qu’en allant à grands pas du côté opposé ? Phèdre Sans contredit. Socrate Il faut donc que celui qui veut duper un autre sans se leurrer soi-même, sache exactement distinguer la ressemblance et la différence des choses ? Phèdre C’est nécessaire. Socrate Pourra-t-il, s’il ignore la vérité de chaque chose, discerner si la chose qu’il ignore possède avec les autres une grande ou une petite ressemblance ? Phèdre C’est impossible. Socrate Il est donc évident que l’erreur de ceux qui ont une opinion contraire à la vérité et qui se trompent, provient de certaines ressemblances ? Phèdre Il en arrive ainsi. Socrate Est-il donc possible qu’on ait l’art d’opérer petit à petit, de ressemblance en ressemblance, un changement dans l’auditeur, de le conduire en chaque cas de la vérité à son contraire, et d’éviter soi-même cette erreur, si l’on ignore l’essence de chaque chose ? Phèdre Jamais. Socrate L’art des discours n’est donc, mon ami, quand on ignore la vérité et qu’on ne poursuit que l’opinion, qu’un art, ce me semble, ridicule et grossier ? Phèdre Il court le risque d’être ainsi. Socrate Veux-tu donc, dans le discours de Lysias que tu portes et dans ceux que nous avons prononcés, que nous cherchions à savoir quelles sont les choses proférées qui sont ou ne sont pas du ressort de l’art ? Phèdre Tout à fait volontiers, car maintenant, faute d’exemples appropriés, nous discutons en quelque sorte à vide. Socrate En vérité c’est un heureux hasard, semble-t-il, qui nous a fait prononcer deux discours propres à montrer par des exemples, que celui qui possède le vrai peut en jouant sur les mots induire ses auditeurs en erreur. Pour moi, Phèdre, j’attribue aux dieux de cet endroit la cause de ce hasard. Peut-être aussi ces interprètes des Muses qui chantent sur nos têtes, nous ont-elles inspiré cet heureux privilège, car je suis pour ma part étranger à tout art oratoire. Phèdre Qu’il en soit comme tu dis ; fais-moi seulement connaître ce que tu as à dire. Socrate Eh bien, lis-moi le commencement du discours de Lysias. Phèdre « Tu connais quelles sont mes intentions, et tu sais que je pense qu’il est de notre profit à tous deux qu’elles puissent aboutir. J’estime que ma demande ne doit point échouer par le seul motif que je ne suis pas ton amant. Les amants en effet regrettent... » Socrate Arrête. Il faut expliquer en quoi Lysias se trompe et pourquoi il compose sans art. N’est-ce pas vrai ? Phèdre [263] Oui. Socrate N’est-il pas évident pour tout homme que, sur des questions comme celles qui nous occupent, nous sommes tantôt d’accord sur les unes et que tantôt sur d’autres nous sommes en désaccord ? Phèdre Je crois comprendre ce que tu dis, mais parle plus clairement. Socrate Quand un homme, en effet, prononce le mot fer ou argent, ne concevons-nous pas tous la même chose ? Phèdre Assurément. Socrate Mais si l’on prononce le mot juste ou bon, l’un ne pense-t-il pas différemment de l’autre, et ne sommes-nous pas dès lors en controverse les uns avec les autres et même avec nous-mêmes. Phèdre C’est tout à fait exact. Socrate Il y a donc des cas où nous sommes d’accord, et d’autres sur lesquels nous ne le sommes pas ? Phèdre Il en est ainsi. Socrate Eh bien ! dans lequel de ces deux cas sommes-nous le plus faciles à tromper, et dans laquelle de ces deux circonstances la rhétorique a-t-elle le plus grand des pouvoirs ? Phèdre C’est évidemment dans celle où nous pouvons errer. Socrate Il faut donc, pour aborder l’art oratoire, commencer par apprendre à méthodiquement distinguer ces deux cas, puis à saisir le caractère spécifique de l’un comme de l’autre : celui qui doit forcément faire errer la pensée de la foule, et celui qui n’y saurait parvenir. Phèdre Celui qui, Socrate, aurait appris à découvrir ces caractères aurait trouvé une méthode habile. Socrate Il faut ensuite, je pense, en abordant tout sujet, ne pas s’y jeter à l’aveugle, mais posséder la nette perception du genre auquel se trouve appartenir ce dont il veut traiter. Phèdre Pourquoi donc ? Socrate Voici. Dirons-nous que l’amour est une de ces choses sujettes à controverse, oui ou non ? Phèdre Il est sans doute de ces choses sujettes à controverse. Crois-tu, s’il en était autrement, qu’il t’eût été possible d’affirmer de l’amour ce que tu en as dit tout à l’heure : qu’il pouvait être un mal pour l’amant et l’aimé, et, sous un autre aspect, le plus grand des biens. Socrate Tu parles excellemment. Mais réponds encore à ceci, car l’enthousiasme a quelque peu troublé mes souvenirs ; ai-je défini l’amour en commençant mon discours ? Phèdre Oui, par Zeus, et merveilleusement. Socrate Hélas ! tu avoues ainsi que les nymphes de l’Achéloüs et que Pan, fils d’Hermès, sont plus habiles dans l’art des discours que le fils de Céphale, Lysias. Ai-je parlé pour ne rien dire, et Lysias, en commençant son discours sur l’amour, nous a-t-il fait admettre ce qu’il voulait réellement entendre par Éros ? A-t-il ensuite, en liant tous ses arguments, conduit tout son discours à une conclusion ? Veux-tu que nous en relisions le début ? Phèdre Comme tu voudras. Mais ce que tu cherches n’est point là toutefois. Socrate Lis ; je veux entendre Lysias lui-même. Phèdre « Tu connais certes quelles sont mes intentions, et tu sais que je pense qu’il est de notre profit à tous deux qu'elles puissent aboutir. [264] J’estime que ma demande ne doit point t’étonner par le seul motif que je ne suis point ton amant. Les amants, en effet, regrettent le bien qu’ils ont fait, une fois que leur désir est éteint. » Socrate Il s’en faut de beaucoup, semble-t-il, que Lysias se soit conformé à ce que nous demandons. Il ne débute point par le commencement, mais par la fin, comme s’il s’appliquait, en nageant sur le dos, à remonter le courant du discours. Ne commence-t-il pas par où finirait un amant satisfait parlant au bien-aimé ? Me suis-je trompé, Phèdre, chère tête ? Phèdre C’est justement pour la fin, Socrate, que ce discours a été composé. Socrate Mais le reste ? Ne te semble-t-il pas que toutes les idées de son discours ont été jetées pêle-mêle ? Te paraît-il que ce qu’il dit en second lieu doive de toute nécessité être placé à cette seconde place, plutôt que telle ou telle autre partie de son discours ? Il m’a semblé quant à moi, dans mon ignorance, que Lysias bravement s’était dicté pour l’écrire tout ce qui s’offrait à son esprit. Mais toi, distingues-tu dans sa composition un plan d’après lequel il ait rigoureusement disposé avec ordre et en rapport les unes avec les autres, les choses qu’il a dites ? Phèdre Tu es trop bon de me croire en état de pouvoir aussi exactement discerner les procédés de Lysias. Socrate Mais je pense que tu m’accorderas du moins que tout discours doit être constitué comme un être vivant, avec un corps qui lui soit propre, de telle sorte qu’il ne soit ni sans tête, ni sans pieds, mais qu’il possède un milieu et des extrémités en rapport avec les autres parties et rédigés pour un ensemble. Phèdre Comment le nier en effet ? Socrate Examine donc si le discours de ton ami est ainsi composé, ou si c’est autrement, et tu trouveras qu’il ne diffère en rien de l’épitaphe qui fut, dit-on, gravée pour Midas le Phryge. Phèdre Quelle est cette épitaphe, et qu’a-t-elle de remarquable ? Socrate La voici : « Je suis une vierge d’airain, et je repose étendue sur le tombeau de Midas. Tant que l’eau coulera et que les grands arbres verdiront, Fixée ici, sur ce tombeau arrosé de larmes abondantes, J’annoncerai aux passants que Midas ici a été enseveli. » De ce qu’on peut indifféremment placer à la première ou à la dernière place n’importe quel vers, tu t’en rends compte tout aussi bien que moi. Phèdre Tu te moques de notre discours, Socrate. Socrate Laissons-le donc pour ne point t’affliger, bien qu’il contienne, à mon avis, nombre d’exemples sur lesquels il serait utile de porter le regard, pour essayer de ne pas les imiter, et revenons aux autres discours. Il s’y trouvait, je crois, ce qu’il convient que considèrent tous ceux qui veulent réfléchir sur l’art de discourir. Phèdre Que veux-tu dire par là ? Socrate [265] Ces deux discours étaient contradictoires. L’un affirmait, en effet, qu’il faut accorder ses faveurs à l’amant l’autre, à celui qui ne sent pas d’amour. Phèdre Et avec quelle vigueur ils soutenaient leur thèse Socrate Je croyais que tu allais dire le mot juste : avec quel délire ! C’est là pourtant le mot que je cherchais. N’avons nous pas dit, en effet, que l’amour est un délire, oui ou non ? Phèdre Oui. Socrate Et qu’il y a deux espèces de délire : l’un, causé par la faiblesse humaine ; l’autre, par une transposition divine de nos habitudes normales ? Phèdre Tout à fait vrai. Socrate Et, dans cette transposition divine, nous avons distingué quatre parts relevant de quatre dieux. Nous avons rapporté le délire prophétique à Apollon ; celui des initiés, à Dionysos ; celui des poètes, aux Muses, et le quatrième enfin, qui est celui des amants, à Aphrodite et à Éros. C’est ce dernier délire occasionné par l’amour que nous avons déclaré le meilleur. Et, je ne sais trop comment, tandis que nous tracions l’image de la passion amoureuse, touchant tantôt la vérité peut-être, tantôt peut-être aussi nous égarant loin d’elle, combinant en somme un discours assez persuasif, nous avons, en nous jouant avec décence et piété, célébré par un hymne mythique et ton maître et le mien, Phèdre : Éros, chef des beaux garçons. Phèdre Et j’ai été, quant à moi, fort charmé de l’entendre. Socrate Prenons-le donc comme exemple, et voyons comment ce discours a passé du blâme à la louange. Phèdre Que veux-tu dire par là ? Socrate À mon avis, tout le reste ne fut en vérité que jeu. Mais, tout ce qu’au hasard nous avons exprimé, a été pourtant dit selon deux procédés qui ne seraient pas sans crédit, si quelqu’un pouvait avec habileté en saisir la puissance. Phèdre Quels sont-ils ? Socrate Embrasser d’abord d’un coup d’oeil et ramener à une seule idée ce qui de côté et d’autre était épars, afin qu’après avoir défini chaque chose, on puisse rendre clair ce qu’on veut enseigner. C’est ainsi que tout à l’heure nous avons défini ce que peut être Éros. Cette définition a pu être bonne ou mauvaise, mais elle nous a du moins permis de mettre en notre discours clarté et concordance. Phèdre Et quel est le second procédé, Socrate ? Socrate Il consiste à pouvoir de nouveau diviser une idée suivant ses articulations naturelles, et à ne point essayer, à la manière d’un mauvais dépeceur, de briser aucune de ses parties. [266] Ainsi, dans nos deux discours de tout à l’heure, nous avons ramené le délire de l’esprit à une idée générale commune ; puis, comme dans un corps unique il y a des membres doubles portant le même nom, les uns à droite, les autres à gauche : de même, nos deux discours ont avant tout envisagé le délire comme une forme unique par nature ; puis, l’un des deux, s’attaquant au côté gauche, l’a divisé et n’a point cessé de le subdiviser, avant d’avoir trouvé de ce côté une sorte d’amour de gauche, qu’il a blâmé avec juste raison. L’autre, nous conduisant à droite du délire, y a trouvé un amour du même nom, mais d’origine divine ; il l’a mis en avant et l’a loué comme la cause des plus grands bien pour nous. Phèdre Tu dis les choses les plus vraies. Socrate Voilà, Phèdre, ce dont je suis amoureux, des divisions et des synthèses, grâce auxquelles je puis être capable et de parler et de penser. Et si je crois qu’un autre homme est à même de voir dans les choses leur unité et multiplicité, « je marche sur ses traces comme sur celles d’un dieu ». Ceux qui ont ce pouvoir, Dieu sait si j’ai tort ou raison de les nommer ainsi, je les appelle, tout au moins jusqu’ici, des dialecticiens. Quant à ceux qui ont près de toi ou auprès de Lysias étudié, dis-moi de quel nom il faut les appeler ? Serait-ce là cet art de la parole dont Thrasymaque et les autres se sont servis pour devenir d’habiles orateurs et pour rendre également habiles ceux qui ont voulu, comme à des rois, leur apporter des présents ? Phèdre Ces hommes sont vraiment rois ; mais ils ignorent l’art dont tu t’informes. Tu me parais d’ailleurs le nommer justement en l’appelant dialectique. Mais il me semble que nous n’avons point encore abordé la rhétorique. Socrate Que dis-tu ? Y aurait-il donc, en dehors de la dialectique, quelque beau procédé que l’on pourrait aussi s’approprier par art ? Gardons-nous bien, toi et moi, de le mésestimer, et disons en quoi consiste cette rhétorique dont nous n’avons point parlé. Phèdre Il y aurait beaucoup à dire, Socrate, s’il fallait rapporter tout ce qui est écrit dans les livres sur l’art de discourir. Socrate Tu me le rappelles à propos. Il est dit qu’il faut d’abord, je crois, qu’un exorde soit proféré au début du discours. Sont-ce là ces sortes de choses, oui ou non, que tu appelles les élégances de l’art ? Phèdre Oui. Socrate En second lieu, arrive la narration, suivie des témoignages ; en troisième lieu, les preuves convaincantes ; en quatrième lieu, les vraisemblances probantes. On parle aussi de la confirmation et de la surconfirmation : procédés qu’inventa, je crois, l’habile artisan de discours qui nous vint de Byzance. Phèdre Veux-tu parler de l’éminent Théodore ? Socrate [267] Oui, certes. Il nous apprit aussi comment il faut établir la réfutation et la surréfutation dans l’accusation comme dans la défense. Introduisons encore parmi nous le glorieux Euhénos de Paros qui, le premier, inventa l’allusion et l’éloge indirect, et qui, dit-on, mit en vers pour aider la mémoire l’art du blâme indirect : c’était un habile homme. Laisserons-nous dormir et Tisias et Gorgias, eux qui ont découvert que le vraisemblable est bien plus estimable que le vrai, qui ont pu par la puissance de leur parole faire paraître petites les choses qui sont grandes et grandes celles qui sont petites, donner aux nouveautés une apparence ancienne, et aux choses anciennes un air de nouveauté, et qui ont su enfin, tantôt avec concision et tantôt avec une prolixité infinie, composer des discours sur toutes sortes de sujets ? Un jour que j’en parlais à Prodicos, il se mit à rire et m’assura que lui seul avait trouvé la méthode exigée par l’art de la parole : il n’y faut, disait-il, ni prolixité, ni concision, mais une juste mesure. Phèdre C’était, Prodicos, très sagement parler. Socrate Ne dirons-nous rien d’Hippias ? Je crois, en effet, que l’étranger d’Élis serait du même avis que Prodicos. Phèdre Comment en serait-il autrement ? Socrate Ne parlerons-nous point des poétiques discours de Polos, de ses répétitions, de ses sentences, de ses comparaisons, de ses mots que Licymnios lui offrit en présents pour la poésie de la belle éloquence ? Phèdre Les procédés de Protagoras, Socrate, n’étaient-ils point du, même genre ? Socrate Son élocution était correcte, mon enfant, et d’autres belles et nombreuses qualités s’y ajoutaient. Dans l’art de se lamenter sur la vieillesse et de s’apitoyer sur l’indigence, la puissance du rhéteur de Chalcédoine me parait sans rivale. C’était un homme merveilleusement et également habile à soulever les foules et à calmer par ses incantations, comme il disait lui-même, celles qu’il avait une fois soulevées. Il excellait encore à accuser et à délier l’accusation d’où qu’elle vînt. Quant à la fin du discours, tous paraissent être du même avis, soit que les uns l’appellent récapitulation, soit que les autres lui donnent un autre nom. Phèdre Tu veux parler du résumé où l’on rappelle aux auditeurs, à la fin du discours, tout ce qui a été dit ? Socrate C’est de cela dont je parle. Mais toi, as-tu quelque autre chose à dire sur l’art de discourir ? Phèdre Je ne vois que choses insignifiantes et ne valant pas la peine d’en parler. Socrate [268] Laissons-les donc si elles sont sans intérêt, et voyons plutôt au grand jour, quelle est, et quand éclate la puissance de l’art. Phèdre Sa puissance est formidable, Socrate, du moins dans les assemblées de la foule. Socrate Elle l’est, en effet. Mais vois aussi toi-même, ami divin, si la trame de leur art ne te parait point comme à moi relâchée. Phèdre Explique-toi seulement. Socrate Dis-moi : si quelqu’un venait trouver ton ami Éryximaque ou son père Acouménos, et leur disait : « Je sais, en appliquant certains remèdes, échauffer à mon gré ou refroidir le corps ; je puis, si bon me semble, faire vomir ou évacuer par le bas, et produire quantité d’autres effets de même sorte. Avec ces connaissances, je prétends être médecin, et faire des médecins de tous ceux à qui je transmettrai ce savoir. » Que penses-tu qu’ils diraient en l’écoutant ? Phèdre Quoi d’autre que de demander à cet homme s’il sait encore à qui et quand il faut appliquer chacun de ces remèdes, et jusqu’à quelle mesure ? Socrate Et si cet homme répliquait : « Je n’en sais absolument rien ; mais je prétends que celui qui par moi aura été instruit, sera par lui-même en état de faire ce que vous demandez. » Phèdre Ils répondraient, je pense : « Cet homme est fou. Pour avoir appris dans un livre ou être par hasard tombé sur quelques recettes, il se croit devenu médecin, alors qu’il n’entend rien à l’art médical. » Socrate Bien plus, si quelqu’un s’approchait de Sophocle et d’Euripide et leur disait : « Je sais composer sur un petit sujet des tirades sans fin, traiter en raccourci la plus ample matière, susciter à mon gré la pitié, exciter à l’inverse terreurs et menaces, et tous les autres sentiments de ce genre ; et j’estime qu’en enseignant ces procédés, je transmets l’art de faire une tragédie. » Phèdre Ces deux poètes, Socrate, riraient, je crois, aux dépens de cet homme, s’il s’imaginait que la tragédie puisse être autre chose qu’une composition où tous les éléments s’accordent et se coordonnent pour former un ensemble. Socrate Je crois néanmoins qu’ils se garderaient de grossièrement le blâmer. Mais, tout comme un musicien qui rencontrerait un homme s’imaginant posséder l’harmonie, parce qu’il sait rendre le son d’une corde le plus grave ou le plus aigu possible, ce musicien ne dirait pas cruellement à cet homme : « Ô malheureux, tu es de sombre humeur ! » Mais, avec la douceur qui sied au musicien : « Mon excellent ami, lui dirait-il, il faut savoir ce que tu sais si l’on veut connaître l’harmonie ; mais rien n’empêche, au point où tu en es, qu’on ne puisse à peu près rien entendre à l’harmonie. Tu possèdes les notions nécessaires pour aborder l’harmonie, mais non l’harmonie même. » Phèdre Rien de plus juste. Socrate [269] Sophocle de même expliquerait à son homme qu’il possède les notions nécessaires à l’art tragique, mais non pas l’art tragique lui-même. Et Acouménos répondrait au sien qu’il connaît les notions préliminaires de la médecine, mais non la médecine. Phèdre Assurément. Socrate Et si Adraste à la douce parole ou Périclès nous avaient entendus parler naguère de ces beaux expédients, de ces concisions de style, de ces comparaisons et de tous ces autres procédés que nous devions, disions-nous, examiner au grand jour, penses-tu qu’ils eussent, comme toi et moi dans notre rusticité, fâcheusement répondu par une parole incorrecte à ceux qui ont écrit sur ces préceptes, et qui les ont enseignés comme étant l’art de la rhétorique ? Plus sages que nous, n’est-ce pas nous-mêmes qu’ils réprimanderaient en disant : « Phèdre, et toi, Socrate, il ne faut point s’irriter mais pardonner, s’il s’est trouvé quelques hommes qui, ignorant la dialectique, ont été dans l’incapacité de définir ce qu’est l’art oratoire, Dans leur ignorance, ils ont présumé, parce qu’ils étaient en possession des notions indispensables pour aborder l’art de la parole, avoir trouvé l’art de la rhétorique elle-même ; et, en enseignant aux autres ces notions, ils ont cru proprement leur enseigner la rhétorique. Mais, quant à l’art de disposer chacun de ces moyens en vue de la persuasion et d’ordonner l’ensemble de leurs compositions, ils ne s’en sont point occupés, et ils ont pensé que leurs disciples pouvaient dans leurs discours le trouver par eux-mêmes. » Phèdre Il est possible, Socrate, que l’art que ces hommes donnent pour la rhétorique dans leurs leçons et dans leurs traités, se borne en effet à ce que tu en dis. Tu me parais ainsi dire la vérité. Mais le véritable art de parler et de persuader, comment et où peut-on l’acquérir ? Socrate On l’obtient, Phèdre, de la même manière que l’on obtient d’être un lutteur accompli. Vraisemblablement, et peut-être même nécessairement, la perfection dans cet art est soumise aux mêmes conditions que dans les autres arts. Si la nature t’a doué du don de la parole, tu deviendras un orateur apprécié, à condition d’y joindre la science et l’exercice. Mais s’il te manque une de ces conditions, tu ne seras jamais qu’un orateur imparfait. Pour arriver à cet art, ce n’est point par la méthode de Thrasymaque et de Lysias qu’on me parait devoir y parvenir. Phèdre Quelle en est la méthode ? Socrate Il y a chance, mon noble ami, que ce soit à bon droit Périclès qui ait été, de tous les orateurs, le plus parfait dans l’art de la parole. Phèdre Pourquoi donc ? Socrate C’est que tous les grands arts ont besoin de cette spéculation verbeuse et de ces dissertations transcendantes au sujet de la nature. [270] C’est bien d’elles, en effet, que semble provenir l’élévation de pensée qui s’y trouve, et le parfait achèvement de tout. Ce sont ces qualités que Périclès ajouta à ses dons naturels. Ayant, je crois, rencontré Anaxagore, homme de haute pensée, il se remplit auprès de lui de spéculations transcendantes, et pénétra la nature de l’esprit et de l’intelligence, sujets qu’Anaxagore a longuement traités, et il tira de là tout ce qui se rapportait à l’art de la parole. Phèdre Que veux-tu dire par là ? Socrate Qu’il en est sans doute de la rhétorique comme de la médecine. Phèdre Comment cela ? Socrate Dans l’un et l’autre de ces arts, il faut analyser la nature, celle du corps dans l’un, celle de l’âme dans l’autre, si, au lieu de la routine et de l’usage, tu veux user de l’art pour procurer au corps par des remèdes et par des aliments, la force et la santé, et faire naître dans l’âme, par des discours et des activités légitimes, la persuasion qu’on veut y transférer, ainsi que la vertu. Phèdre Qu’il en soit ainsi, Socrate, c’est vraisemblable. Socrate Penses-tu qu’on puisse suffisamment connaître la nature de l’âme, sans la connaissance de la nature universelle ? Phèdre S’il faut en croire Hippocrate, descendant d’Asclépios, il n’est même pas possible de connaître le corps par une autre méthode. Socrate Hippocrate parle bien, mon ami. Mais, outre Hippocrate, il faut encore consulter la raison et examiner s’il s’accorde avec elle. Phèdre J’y consens. Socrate Examine donc ce que disent sur la nature Hippocrate et la droite raison. Pour étudier la nature de quelque chose que ce soit, ne faut-il pas s’y prendre ainsi ? Se demander d’abord si la chose que nous voulons connaître et pouvoir aussi faire connaître à autrui, est simple ou composée. Puis, si la chose est simple, examiner son influence, comment et sur quoi elle agit, comment et par quoi elle peut être affectée. Si, au contraire, la chose est composée, il faut alors dénombrer ses parties, traiter chacune d’elles comme une chose simple, voir en quoi et comment elle agit, en quoi et par quoi elle peut être affectée. Phèdre Tu cours le risque, Socrate, de dire la vérité. Socrate Toute autre méthode est un trajet d’aveugle. Ce n’est point à l’aveugle, en effet, ni au sourd, que l’on doit comparer celui qui veut traiter tout sujet avec art. Mais il est au contraire évident que pour enseigner à discourir avec art, il faut savoir exactement indiquer l’essence de la chose à laquelle se rapporte l’art de la parole ; cette essence, c’est l’âme. Phèdre Sans aucun doute. Socrate [271] N’est-ce point vers l’âme que tend tout l’effort de cet art N’entreprend-il pas, oui ou non, de porter en elle la persuasion ? Phèdre Oui. Socrate Il est donc évident que Thrasymaque, ou tout autre qui voudrait enseigner avec soin l’art de la rhétorique devra d’abord, avec toute l’exactitude possible, décrire l’âme et montrer si elle est une et identique par nature, ou composée comme la forme du corps : car c’est cela que nous appelons indiquer la nature d’une chose. Phèdre Parfaitement. Socrate Il décrira en second lieu, comment et sur quoi elle agit, comment et par quoi elle peut être affectée. Phèdre Sans nul doute. Socrate En troisième lieu, ayant classé par genres les discours et les âmes, ainsi que leurs propriétés respectives, il en suivra les relations causales, accordera chaque discours à chaque âme, et enseignera quels discours pourront, en vertu de quelles causes, nécessairement produire la persuasion dans telle âme, ou rester sans effet sur telle autre. Phèdre Cette méthode me parait excellente. Socrate Toute autre méthode d’exposition ou d’explication, soit orale, soit écrite, ne saurait jamais être, ami, la méthode de l’art, ni dans le sujet qui nous occupe, ni dans aucun autre. Quant aux hommes qui ont écrit de nos jours des traités de rhétorique, et que tu as entendus discourir, ce sont d’astucieux trompeurs qui dissimulent leur parfaite connaissance de l’âme. Tant qu’ils ne parleront pas et qu’ils n’écriront pas de la manière que j’entends, gardons-nous de croire qu’ils composent avec art. Phèdre Quelle est cette manière ? Socrate Il n’est point facile de trouver des termes pour le dire. Néanmoins, comment il faut écrire pour écrire avec art, je veux bien, autant que je le puis, te le communiquer. Phèdre Parle donc. Socrate Puisque la fonction du discours est de conduire les âmes, il faut de toute nécessité que celui qui veut devenir orateur, sache combien il y a d’espèces d’âmes. Or, il en est de plusieurs sortes et de diverses qualités. De là vient que tels hommes sont tels, et tels autres sont autres. À ces distinctions d’âmes, respectivement correspondent autant d’espèces de discours. Telles âmes, par de tels discours, en vertu de telle cause et sur de telles choses, sont faciles à convaincre ; telles autres, par les mêmes moyens, difficilement arrivent au même résultat. Il faut ensuite, après avoir suffisamment approfondi ces principes, observer les effets de leur mise en pratique, et pouvoir ainsi avec acuité les suivre par la pensée. Si l’orateur agissait autrement, jamais il ne serait plus avancé que lorsqu’il était à l’école de ses maîtres. Mais, lorsqu’il sera suffisamment capable de juger par quels discours tel homme peut être persuadé, et qu’il pourra en sa présence le pressentir et se dire : [272] Voici l’homme, voici le caractère que jadis en paroles mes maîtres m’ont dépeint ; il est maintenant en fait devant moi, et il faut lui adresser tels discours pour obtenir telle persuasion ; quand il saura saisir en outre les occasions de parler ou de se taire, se servir à propos d’un style concis, émouvant, véhément, discerner l’opportunité ou l’inopportunité du recours à toutes les formes de discours que l’école lui aura fait apprendre : alors, il aura atteint la parfaite beauté de l’art de la parole, ce qui était auparavant impossible. Mais si quelqu’un, soit en parlant, soit en enseignant ou soit en écrivant, manque à quelqu’une de ces conditions, il aura beau prétendre s’exprimer avec art, il n’aura nul moyen d’être persuasif. Mais quoi ! dira peut-être l’auteur de ce traité, pensez-vous, Phèdre, et toi, Socrate, qu’il faille admettre cette façon d’enseigner l’art oratoire, ou en chercher une autre ? Phèdre Il est impossible, Socrate, d’en adopter une autre, bien que ce soit, semble-t-il, une assez rude tâche. Socrate Tu dis la vérité. Aussi faut-il retourner en tous sens toutes les théories, et voir s’il n’y aurait pas vers cet art quelque chemin plus facile et plus court, afin de ne pas nous engager en vain sur une route longue et raboteuse, quand nous pouvons en prendre une brève et tout unie. Mais si tu as trouvé quelque moyen de nous aider, dans les leçons que tu a entendues de Lysias ou de tel autre, essaye de t’en souvenir et de me les redire. Phèdre Essayer, je le puis ; mais rien présentement ne s’offre à mon esprit. Socrate Veux-tu que je te rapporte, moi, le langage qu’à des gens s’occupant de ces choses, j’ai entendu tenir ? Phèdre Certainement. Socrate On dit, Phèdre, qu’il est juste de plaider même la cause du loup. Phèdre Plaide la, toi aussi. Socrate Ces rhéteurs disent donc qu’il ne faut pas tant vanter notre méthode, ni remonter si haut par d’aussi longs détours. Ils ajoutent, comme nous le disions au commencement de cet entretien, qu’il est tout à fait inutile pour devenir un habile orateur, de connaître la vérité sur la justice et sur la bonté des choses et des hommes, et de savoir si ces qualités sont naturelles ou acquises. Dans les tribunaux, en effet, on ne s’inquiète absolument pas de dire la vérité, mais de persuader. Or la persuasion relève du vraisemblable, et c’est au vraisemblable, si l’on veut discourir avec art, que l’on doit s’attacher. Il est même des cas où l’on doit se garder d’exposer les faits comme ils se sont passés : c’est quand ils n’ont aucune vraisemblance. Il faut alors, dans l’accusation comme dans la défense, les présenter sous un jour vraisemblable. L’orateur doit donc en tous les cas s’attacher au vraisemblable, et congédier la vérité. [273] La vraisemblance, soutenue d’un bout à l’autre du discours, voilà ce qui constitue tout l’art de la parole. Phèdre Tu as bien exposé, Socrate, ce que disent ceux qui se donnent pour maîtres dans l’art de discourir. Je me rappelle, en effet, que nous avons déjà brièvement touché cette question, car elle parait de suprême importance à ces maîtres de l’art. Socrate Tu as, à coup sûr, méticuleusement parcouru en tous sens les écrits de Tisias. Que pourtant Tisias nous dise encore si, par vraisemblance, il entend autre chose que ce qui parait être vrai à la foule. Phèdre Pourrait-il entendre autre chose ? Socrate Ayant découvert, semble-t-il, cette ingénieuse règle d’art, il a écrit que, si un homme faible et courageux est traduit en justice pour avoir frappé un homme fort et lâche, et lui avoir dérobé son manteau ou autre chose, ni le fort ni le faible ne doivent dire la vérité. Le lâche ne doit pas soutenir qu’il a été battu par un seul homme courageux, et le courageux doit essayer de prouver qu’ils étaient tous deux seuls, en recourant à un argument de ce genre : « Comment, fort comme je suis, me serais-je attaqué à un homme aussi faible ? » Le lâche en répliquant n’avouera pas sa lâcheté, mais il aura recours à quelque autre mensonge qui donnera peut-être à son adversaire l’occasion de le confondre. Tout le reste est dans ce genre, et voilà ce qu’ils appellent s’exprimer avec art. N’est-ce pas vrai, Phèdre ? Phèdre Sans aucun doute. Socrate Ah ! c’était un homme redoutable, semble-t-il, que l’inventeur de cet art de cacher sa pensée, Tisias ou un autre, quel qu’il pût être et quel que fût le nom qu’il était fier de porter ! Mais, ami, ne pourrions-nous pas, oui ou non, dire à cet homme... Phèdre Quoi donc ? Socrate Ceci : « Tisias, bien avant que tu n’arrives, nous nous trouvions déjà avoir depuis longtemps affirmé que cette vraisemblance s’impose à la foule par sa ressemblance avec la vérité. Nous exposions naguère que celui qui connaît la vérité, sait aussi le mieux, en toutes circonstances, trouver ces ressemblances. Si tu as donc quelque autre chose à dire au sujet de l’art oratoire, nous sommes prêts à t’entendre ; sinon, nous nous en tiendrons aux principes que nous avons posés, et nous dirons que si l’orateur ne sait point dénombrer les différents caractères de ses auditeurs, s’il ne sait point diviser les choses en espèces, s’il est incapable de ramener à une seule idée chaque idée singulière, jamais il ne sera un orateur habile, autant du moins qu’il est possible à l’homme. Jamais d’ailleurs il n’acquerra ce talent sans un immense labeur. Si le sage assume cette peine, ce n’est point tant pour parler aux hommes et traiter avec eux, que pour être en état, dans la mesure où il le peut, de plaire aux dieux par ses paroles, et de leur être agréable en toute sa conduite. [274] Il ne faut pas, Tisias, assurent de plus sages que nous, qu’un homme d’intelligence se soucie, si ce n’est par surcroît, de plaire à des compagnons d’esclavage, mais à des maîtres bons et de bonne origine. Cesse donc de t’étonner si ce circuit est long ; car, non comme tu le crois, c’est pour de grandes choses qu’il faut faire ce détour, et ces très belles choses, comme nos propos l’indiquent, naissent, si on le veut, de l’art de la parole. » Phèdre Tu me parais affirmer, Socrate, des choses tout à fait belles, pourvu qu’on soit à même de les atteindre. Socrate Mais il est beau de tendre vers la beauté, et de souffrir pour elle ce qu’il peut arriver de souffrir. Phèdre Certainement. Socrate Mais nous avons suffisamment parlé de ce qui fait, à propos des discours, l’art ou le manque d’art. Phèdre Assurément. Socrate Il nous reste, n’est-ce pas, à examiner la convenance ou l’inconvenance qu’il peut y avoir à écrire, et de quelle manière il est honnête ou indécent de le faire ? Phèdre Oui. Socrate Sais-tu, à propos de discours, quelle est la manière de faire ou de parler qui te rendra à Dieu le plus agréable possible ? Phèdre Pas du tout. Et toi ? Socrate Je puis te rapporter une tradition des anciens, car les anciens savaient la vérité. Si nous pouvions la trouver par nous-mêmes, nous inquiéterions-nous des opinions des hommes ? Phèdre Quelle plaisante question ! Mais dis-moi ce que tu prétends avoir entendu raconter. Socrate J’ai donc oui dire qu’il existait près de Naucratis, en Égypte, un des antiques dieux de ce pays, et qu’à ce dieu les Égyptiens consacrèrent l’oiseau qu’ils appelaient ibis. Ce dieu se nommait Theuth. C’est lui qui le premier inventa la science des nombres, le calcul, la géométrie, l’astronomie, le trictrac, les dés, et enfin l’écriture. Le roi Thamous régnait alors sur toute la contrée ; il habitait la grande ville de la Haute-Égypte que les Grecs appellent Thèbes l’égyptienne, comme ils nomment Ammon le dieu-roi Thamous. Theuth vint donc trouver ce roi pour lui montrer les arts qu’il avait inventés, et il lui dit qu’il fallait les répandre parmi les Égyptiens. Le roi lui demanda de quelle utilité serait chacun des arts. Le dieu le renseigna ; et, selon qu’il les jugeait être un bien ou un mal, le roi approuvait ou blâmait. On dit que Thamous fit à Theuth beaucoup d’observations pour et contre chaque art. Il serait trop long de les exposer. Mais, quand on en vint à l’écriture : « Roi, lui dit Theuth, cette science rendra les Égyptiens plus savants et facilitera l’art de se souvenir, car j’ai trouvé un remède pour soulager la science et la mémoire. » Et le roi répondit : « Très ingénieux Theuth, tel homme est capable de créer les arts, et tel autre est à même de juger quel lot d’utilité ou de nocivité ils conféreront à ceux qui en feront usage. Et c’est ainsi que toi, père de l’écriture, tu lui attribues, par bienveillance, tout le contraire de ce qu’elle peut apporter. [275] Elle ne peut produire dans les âmes, en effet, que l’oubli de ce qu’elles savent en leur faisant négliger la mémoire. Parce qu’ils auront foi dans l’écriture, c’est par le dehors, par des empreintes étrangères, et non plus du dedans et du fond d’eux-mêmes, que les hommes chercheront à se ressouvenir. Tu as trouvé le moyen, non point d’enrichir la mémoire, mais de conserver les souvenirs qu’elle a. Tu donnes à tes disciples la présomption qu’ils ont la science, non la science elle-même. Quand ils auront, en effet, beaucoup appris sans maître, ils s’imagineront devenus très savants, et ils ne seront pour la plupart que des ignorants de commerce incommode, des savants imaginaires au lieu de vrais savants. » Phèdre Il t’en coûte peu, Socrate, de proférer des discours égyptiens ; tu en ferais, si tu voulais, de n’importe quel pays que ce soit. Socrate Les prêtres, cher ami, du sanctuaire de Zeus à Dodone ont affirmé que c’est d’un chêne que sortirent les premières paroles prophétiques. Les hommes de ce temps-là, qui n’étaient pas, jeunes gens, aussi savants que vous, se contentaient dans leur simplicité d’écouter un chêne ou une pierre, pourvu que ce chêne ou cette pierre dissent la vérité. Mais à toi, il importe sans doute de savoir qui est celui qui parle et quel est son pays, car tu n’as pas cet unique souci : examiner si ce qu’on dit est vrai ou faux. Phèdre Tu as raison de me blâmer, car il me semble aussi qu’il faut penser de l’écriture ce qu’en dit le Thébain. Socrate Ainsi donc, celui qui croit transmettre un art en le consignant dans un livre, comme celui qui pense, en recueillant cet écrit, acquérir un enseignement clair et solide, est vraiment plein de grande simplicité. Sans contredit, il ignore la prophétie d’Ammon, s’il se figure que des discours écrits puissent être quelque chose de plus qu’un moyen de réveiller le souvenir chez celui qui déjà connaît ce qu’ils contiennent. Phèdre Ce que tu dis est très juste. Socrate C’est que l’écriture, Phèdre, a, tout comme la peinture, un grave inconvénient. Les œuvres picturales paraissent comme vivantes ; mais, si tu les interroges, elles gardent un vénérable silence. Il en est de même des discours écrits. Tu croirais certes qu’ils parlent comme des personnes sensées ; mais, si tu veux leur demander de t’expliquer ce qu’ils disent, ils te répondent toujours la même chose. Une fois écrit, tout discours roule de tous côtés ; il tombe aussi bien chez ceux qui le comprennent que chez ceux pour lesquels il est sans intérêt ; il ne sait point à qui il faut parler, ni avec qui il est bon de se taire. S’il se voit méprisé ou injustement injurié, il a toujours besoin du secours de son père, car il n’est pas par lui-même capable de se défendre ni de se secourir. Phèdre Tu dis encore ici les choses les plus justes. Socrate [276] Courage donc, et occupons-nous d’une autre espèce de discours, frère germain de celui dont nous avons parlé ; voyons comment il naît, et de combien il surpasse en excellence et en efficacité le discours écrit. Phèdre Quel est donc ce discours et comment racontes-tu qu’il naît ? Socrate C’est le discours qui s’écrit avec la science dans l’âme de celui qui étudie ; capable de se défendre lui-même, il sait parler et se taire devant qui il convient. Phèdre Tu veux parler du discours de l’homme qui sait, de ce discours vivant et animé, dont le discours écrit, à justement parler, n’est que l’image ? Socrate C’est cela même. Mais dis-moi : si un cultivateur intelligent avait des graines auxquelles il tînt et dont il voulût avoir des fruits, irait-il avec soin les semer dans les jardins estivaux d’Adonis, pour avoir le plaisir de les voir en huit jours devenir de belles plantes ? Ou bien, s’il le faisait, ne serait-ce pas en guise d’amusement, ou à l’occasion d’une fête ? Mais pour les graines dont il voudrait s’occuper avec sollicitude, ne suivrait-il pas l’art de l’agriculture, les semant en un terrain convenable, et se réjouissant si tout ce qu’il a semé parvenait en huit mois à sa maturité ? Phèdre C’est bien ainsi qu’il ferait, Socrate, s’occupant, comme tu dis, des unes avec sollicitude, des autres en guise d’amusement. Socrate Et celui qui possède la science du juste, du beau, du bien, dirons-nous qu’il a moins d’intelligence que le cultivateur dans l’emploi de ses graines ? Phèdre Pas du tout, certes. Socrate Il n’écrira donc pas avec empressement ce qu’il sait sur de l’eau ; il ne le sèmera pas, avec encre et roseau, dans des discours incapables de se défendre en parlant, et incapables aussi de manière suffisante d’enseigner la vérité. Phèdre Ce n’est pas vraisemblable. Socrate Non, certes. Mais ce sera, semble-t-il, en guise d’amusement qu’il sèmera et écrira, si toutefois il écrit, dans les jardins de l’écriture. Amassant ainsi un trésor de souvenirs pour lui-même, quand il aura atteint l’oubli qu’apporte la vieillesse, et pour tous ceux qui marcheront sur ses traces, il se réjouira de voir pousser ces plantes délicates. Et, tandis que d’autres poursuivront d’autres amusements, se gaveront dans les banquets et dans d’autres passe-temps du même genre, lui, répudiant ces plaisirs, passera probablement sa vie dans les amusements dont je viens de parler. Phèdre C’est, en effet, Socrate, un très noble amusement, en regard des vils amusements des autres, que celui d’un homme capable de se jouer en écrivant des discours, et en imaginant des mythes sur la justice et sur les autres choses dont tu viens de parler. Socrate Ceci est vrai, mon cher Phèdre. Mais il est encore, je pense, une bien plus belle manière de s’occuper de l’art de la parole : c’est, quand on a rencontré une âme bien disposée, d’y planter et d’y semer avec la science, en se servant de l’art dialectique, des discours aptes à se défendre eux-mêmes et à défendre aussi celui qui les sema ; [277] discours qui, au lieu d’être sans fruits, porteront des semences capables de faire pousser d’autres discours en d’autres âmes, d’assurer pour toujours l’immortalité de ces semences, et de rendre heureux, autant que l’homme peut l’être, celui qui les détient. Phèdre Cette manière est effectivement bien plus belle. Socrate Ces principes admis, nous pouvons à présent, Phèdre, nous prononcer sur le débat. Phèdre Quel débat ? Socrate Celui dont 1’examen nous a conduits où nous sommes. Nous nous demandions si Lysias méritait nos reproches pour avoir écrit des discours, et nous recherchions quels sont les discours qui sont écrits avec art ou sans art. Il me semble que nous avons expliqué dans une juste mesure, ce qui est conforme à l’art et ce qui ne l’est pas. Phèdre Il me le semble aussi ; mais de nouveau rappelle-moi comment. Socrate Tant qu’on ne connaîtra pas la vérité sur chacune des choses dont on écrit ou dont on parle, tant qu’on ne sera pas capable de définir chaque chose en elle-même, et qu’on ne pourra pas, après l’avoir définie, la diviser en espèces jusqu’à l’indivisible ; tant qu’on ne saura point également pénétrer la nature de l’âme, reconnaître la forme de discours qui correspond à chaque naturel, disposer et ordonner ses discours de façon à offrir à une âme complexe des discours pleins de complexité et en totale harmonie avec elle, à une âme simple des discours simples : jamais on ne sera capable avant ce temps de manier l’art de la parole, autant que le comporte la nature du discours, ni pour enseigner, ni pour persuader, comme tout notre débat vient précédemment de nous le révéler. Phèdre C’est absolument ce qui nous a paru. Socrate Quant à savoir s’il est beau ou honteux de prononcer et d’écrire des discours, et dans quels cas l’auteur avec justice est à blâmer ou non, ce que nous avons dit tout à l’heure ne suffit-il pas à le mettre en lumière ? Phèdre Qu’avons-nous dit ? Socrate Que si Lysias, ou tout autre, a jamais écrit ou veut écrire sur une question d’intérêt privé ou d’ordre public, rédigeant des lois, composant un traité politique, tout en ayant cru mettre en ce qu’il écrivait une grande solidité et une grande clarté, de tels écrits ne pourront rapporter que blâme à leur auteur, que cette critique soit formulée ou non. Ignorant, en effet, en veille comme en songe, le juste et l’injuste, le mal et le bien, il ne saurait en vérité échapper au blâme le plus répréhensible, même si la foule tout entière applaudissait son œuvre. Phèdre Il ne le saurait, en effet. Socrate Mais celui qui pense qu’en un discours écrit, quel qu’en soit le sujet, il y a nécessairement beaucoup d’amusement, et que jamais discours, soit en vers ou en prose, écrit ou prononcé, n’est digne de grande estime, non plus que ces discours que, sans discernement et sans dessein d’instruire, mais en vue de charmer, prononcent les rhapsodies. [278] Aussi, l’homme qui croit que les meilleurs écrits ne peuvent réellement servir qu’à réveiller les souvenirs de ceux qui savent ; qui pense que les discours composés pour enseigner, prononcés en vue d’instruire, et véritablement écrits dans l’âme avec le juste, le beau et le vrai pour objet, sont les seuls qui soient clairs, parfaits et dignes de considération ; qui estime qu’il faut tenir de tels discours pour des enfants légitimes, celui d’abord que l’auteur porte en lui, s’il garde en lui ce qu’il a découvert, ceux qui ensuite, fils ou frères de ceux-là, sont honnêtement nés, les uns dans telles âmes, les autres dans telles autres : un tel homme, s’il dit adieu aux autres formes de discours, court le risque, Phèdre, d’être celui-là même auquel toi et moi nous voudrions ressembler. Phèdre Pour ma part, de tout cœur je le souhaite, et le demande aux dieux. Socrate Finissons : nous avons assez joué sur l’art de la parole. Toi, va retrouver Lysias et dis-lui qu’étant descendus tous les deux vers le ruisseau et le temple des Nymphes, nous y avons entendu des discours qui nous commandaient d’annoncer à Lysias et à tous ceux qui composent des discours, à Homère, à tous ceux qui ont composé des poèmes chantés et non chantés, à Solon enfin, et à tous ceux qui, sous le nom de lois, ont rédigé des traités politiques, que si, en composant leurs ouvrages, ils ont connu la vérité, se sont trouvés capables de défendre par des preuves ce qu’ils ont rédigé et de faire par leurs paroles, que leurs écrits paraissent sans valeur, ce n’est point leur activité d’écrivain, mais leur souci du vrai qui leur vaudra leur nom. Phèdre Et de quel nom veux-tu les appeler ? Socrate Les nommer sages, Phèdre, me paraît un grand nom qui ne convient qu’à Dieu seul. Les appeler amis de la sagesse ou de tout autre nom semblable, leur serait plus seyant et mieux approprié. Phèdre Rien ne serait plus à propos. Socrate Quant à celui qui n’a rien de plus précieux que ce qu’il a composé ou écrit, retournant à loisir sens dessus dessous sa pensée, ajoutant une chose pour retrancher une autre, tu l’appelleras, comme il le mérite, poète, faiseur de discours, ou rédacteur de lois. Phèdre Oui, certes. Socrate Redis donc tout cela à ton ami. Phèdre Mais toi, que vas-tu faire ? car il ne faut pas non plus négliger ton ami. Socrate Quel ami ? Socrate Le bel Isocrate. Que lui diras-tu, Socrate, et nous, que dirons-nous de lui ? Socrate Isocrate est encore jeune, Phèdre. Je veux bien te dire cependant ce que j’augure de lui. Phèdre [279] Quoi donc ? Socrate Il me semble qu’il est trop bien doué par la nature pour comparer son éloquence à celle de Lysias, et qu’il l’emporte aussi sur lui par un plus noble caractère. Je ne serais point surpris si, en avançant en âge et dans le genre de discours où il s’essaye à présent, il prévalait, comme sur des enfants, sur tous ceux qui jamais se sont adonnés à l’art de discourir. Je crois encore, si cet art ne lui suffisait pas, qu’un élan plus divin le porterait vers des œuvres plus hautes ; car par nature, ami, l’amour d’une certaine sagesse habite en sa pensée. Voilà donc, de la part des dieux de cet endroit, ce que j’ai à dire à Isocrate, comme à mon bien-aimé. De ton côté, répète à Lysias, comme à ton bien-aimé, ce que nous avons dit. Phèdre Je le ferai. Mais partons, puisque la chaleur est devenue plus douce. Socrate Ne conviendrait-il pas, avant que nous partions, de faire une prière aux dieux de cet endroit ? Phèdre Je le veux bien. Socrate « Ô cher Pan, et vous, divinités de ces lieux, donnez moi la beauté intérieure, et faites que tout ce que j’ai d’extérieur soit en accord avec ce qui m’est intérieur. Que riche me paraisse le sage, et que j’aie seulement la juste quantité d’or que nul autre qu’un sage ne pourrait ni porter ni mener avec soi ! » Avons-nous, Phèdre, quelque autre chose encore à demander ? J’ai, quant à moi, suffisamment exprimé tous mes vœux. Phèdre Fais donc les mêmes vœux pour moi ; car entre amis tout est commun. Socrate Partons. el:Φαίδρος
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Traité des sensations
Avis important au lecteur Dessein de cet ouvrage Première partie. Des sens qui, par eux-mêmes, ne jugent pas des objets extérieurs Chapitre I. Des premières connaissances d’un homme borné au sens de l’odorat. Chapitre II. Des opérations de l’entendement dans un homme borné au sens de l’odorat, et comment les différents degrés de plaisir et de peine sont le principe de ces opérations. Chapitre III. Des désirs, des passions, de l’amour, de la haine, de l’espérance, de la crainte et de la volonté dans un homme borné au sens de l’odorat. Chapitre IV. Des idées d’un homme borné au sens de l’odorat. Chapitre V. Du sommeil et des songes d’un homme borné à l’odorat. Chapitre VI. Du moi, ou de la personnalité d’un homme borné à l’odorat. Chapitre VII. Conclusion des chapitres précédents. Chapitre VIII. D’un homme borné au sens de l’ouïe. Chapitre IX. De l’odorat et de l’ouïe réunis. Chapitre X. Du goût seul, et du goût joint à l’odorat et à l’ouïe. Chapitre XI. D’un homme borné au sens de la vue. Chapitre XII. De la vue avec l’odorat, l’ouïe et le goût. Seconde partie. Du toucher, ou du seul sens qui juge par lui-même des objets extérieurs Chapitre I. Du moindre degré de sentiment, où l’on peut réduire un homme borné au sens du toucher. Chapitre II. Cet homme, borné au moindre degré de sentiment, n’a aucune idée d’étendue, ni de mouvement. Chapitre III. Des sensations qu’on attribue au toucher et qui ne donnent cependant aucune idée d’étendue. Chapitre IV. Considérations préliminaires à la solution de la question : Comment nous passons de nos sensations à ma connaissance des corps. Chapitre V. Comment un homme borné au toucher découvre son corps et apprend qu’il y a quelque chose hors de lui. Chapitre VI. Du plaisir, de la douleur, des besoins, et des désirs dans un homme borné au sens du toucher. Chapitre VII. De la manière dont un homme borné au sens du toucher, commence à découvrir l’espace. Chapitre VIII. Des idées que peut acquérir un homme borné au sens du toucher. Chapitre IX. Observations propres à faciliter l’intelligence de ce qui se-ra dit en traitant de la vue. Chapitre X. Du repos, du sommeil, et du réveil dans un homme borné au sens du toucher. Chapitre XI. De la mémoire, de l’imagination et des songes dans un homme borné au sens du toucher. Chapitre XII. Du principal organe du toucher. Troisième partie. Comment le toucher apprend aux autres sens à juger des objets extérieurs. Chapitre I. Du toucher avec l’odorat. Chapitre II. De l’ouïe, de l’odorat et du tact réunis. Chapitre III. Comment l’œil apprend à voir la distance, la situation, la figure, la grandeur et le mouvement des corps. Chapitre IV. Pourquoi on est porté à attribuer à la vue des idées qu’on ne doit qu’au toucher. Par quelle suite de réflexions on est parvenu à détruire ce préjugé. Chapitre V. D’un aveugle-né, à qui les cataractes ont été abaissées. Chapitre VI. Comment on pourrait observer un aveugle-né, à qui on abaisserait les cataractes. Chapitre VII. De l’idée que la vue jointe au toucher donne de la durée. Chapitre VIII. Comment la vue, ajoutée au toucher, donne quelque connaissance de la durée du sommeil, et apprend à distinguer l’état de songe de l’état de veille. Chapitre IX. De la chaîne des connaissances, des abstractions et des désirs, lorsque la vue est ajoutée au toucher, à l’ouïe et à l’odorat. Chapitre X. Du goût réuni au toucher. Chapitre XI. Observations générales sur la réunion des cinq sens. Quatrième partie. Des besoins de l’industrie et des idées d’un homme seul, qui jouit de tous ses sens Chapitre I. Comment cet homme apprend à satisfaire à ses besoins avec choix. Chapitre II. De l’état d’un homme abandonné à lui-même, et comment les accidents auxquels il est exposé, contribuent à son instruction. Chapitre III. Des jugements qu’un homme abandonné à lui-même peut porter de la bonté et de la beauté des choses. Chapitre IV. Des jugements qu’un homme abandonné à lui-même peut porter des objets dont il dépend. Chapitre V. De l’incertitude des jugements que nous portons sur l’existence des qualités sensibles. Chapitre VI. Considérations sur les idées abstraites et générales, que peut acquérir un homme qui vit hors de toute société. Chapitre VII. D’un homme trouvé dans les forêts de Lithuanie. Chapitre VIII. D’un homme qui se souviendrait d’avoir reçu successivement l’usage de ses sens. Chapitre IX. Conclusion. Dissertation sur la liberté Philosophie XVIIIe siècle1754
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Apologie de Socrate (trad. Cousin)
Philosophie Œuvres de Platon Antiquité Bon pour export el:Απολογία Σωκράτους (Πλάτων) en:Apology (Plato) es:Apología de Sócrates it:L'apologia di Socrate la:Apologia Socratis nl:Plato's verdediging van Socrates ru:Апология Сократа sr:Одбрана Сократова uk:Апологія Сократа
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De la constance du sage
Antiquité Philosophie Philosophie morale en:On the Firmness of the Wise Man es:De la constancia del sabio la:De constantia sapientis
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Méditations métaphysiques
XVIIe siècle Philosophie Philosophie des sciences 1637 Œuvres de Descartes en:Discourse on the Method es:Discurso del método it:Discorso sul metodo
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https://fr.wikisource.org/wiki/La%20Volont%C3%A9%20de%20puissance
La Volonté de puissance
Ce texte est une compilation réalisée sur l’un des nombreux plans que Nietzsche avait envisagés, ici celui ébauché à Nice le 17 mars 1887. L’édition des aphorismes de la Volonté de puissance n'est pas considérée aujourd'hui comme fiable (certains fragments ne sont pas de Nietzsche). Nietzsche en avait en fin de compte abandonné le projet. Voir La Volonté de puissance. </div> Volonté de puissance Volonté de puissance Volonté de puissance
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Du contrat social
Éditions disponibles : 1762 : Texte entier 1772 : 1782 : avec des variantes 1896 : avec la première version (pp. 243-303) 1903 : Texte entier </div> Philosophie politique 1762 XVIIIe siècle Œuvres de Jean-Jacques Rousseau en:The Social Contract es:El contrato social ko:사회계약론
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Discours sur les sciences et les arts/Édition Genève 1782
Discours sur les sciences et les arts Discours sur les sciences et les arts 1750 Sciences Théories des arts
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Émile, ou De l’éducation
Éditions disponibles : 1782 : , (dont : Préface, I, II, III, IV, V). 1852 : (dont : Préface, I, II, III, IV, V). XVIIIe siècle Philosophie 1762 Éducation Œuvres de Jean-Jacques Rousseau
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https://fr.wikisource.org/wiki/Discours%20sur%20l%E2%80%99origine%20et%20les%20fondements%20de%20l%E2%80%99in%C3%A9galit%C3%A9%20parmi%20les%20hommes
Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes
XVIIIe siècle Philosophie politique À la République de Genève Préface Première partie Seconde partie Notes en:Discourse on Inequality
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De l’unité de l’intellect
Philosophie la:De unitate intellectus contra Averroistas <div class="text"> But de ce livre: recherche de la vérité sur l'intelligence humaine Ainsi que tous les hommes désirent naturellement connaître la vérité, de même tous ont un désir naturel d’éviter l’erreur et de la combattre quand ils le peuvent. Mais parmi toutes les erreurs, la plus honteuse est celle que l’on commet à l’égard de l’intellect, à l’aide duquel nous sommes faits pour éviter l’erreur et connaître la vérité. Depuis longtemps beaucoup d’esprits se sont laissé surprendre par l’erreur d’Averroès, qui s’efforce de prouver que l’intellect, qu’Aristote reconnaît comme possible, par une dénomination fausse, est une espèce de substance séparée du corps quant à l’essence, et qui lui est unie, d’une certaine façon quant à la formé; et de plus, qu’il est possible qu’il n’y ait qu’un intellect commun pour tous: depuis long temps nous avons réfuté cette erreur. Mais puisque l’impudence de nos adversaires ne cesse de combattre la vérité, nous avons formé le projet de repousser ce système par de nouvelles preuves, contre lesquels on ne pourrait élever aucun doute. Il n’est pas nécessaire de démontrer ici la fausseté de cette opinion, en tant qu’opposée au dogme chrétien: cela est évident pour tout le monde. Car si on nie la différence de l’intellect dans tous les hommes, lequel seul de toutes les parties de l’âme est incorruptible, et immortel, il s’ensuit qu’il ne reste rien après la mort, de l’âme des hommes, que l’unité de l’intellect, et qu’il n’y a ni peine ni récompense. Nous allons prouver que cette erreur répugne autant aux principes de la saine philosophie qu’aux dogmes de la foi. Et comme quelques-uns ne partagent pas l’opinion des Latins en cette matière, et prétendent être les disciples des Péripatéticiens, dont ils n’ont jamais ouvert les livres, excepté Aristote, qui fut le fondateur de la secte, nous prouverons que cette erreur est en complète contradiction avec ses paroles et sa manière de voir. Définition de l'âme Il faut donc admettre d'abord la définition de l’âme, que donne Aristote dans son second livre de l’Ame lorsqu’il dit qu’elle est le premier acte d’un corps physique organisé. Et de peur qu’on ne dise que cette définition ne convient pas parfaitement à l’âme, à cause de ce qu’il avait dit plus haut sous condition (mais il faut avouer qu’il y a quelque chose de commun à toutes les âmes), qu’ils croient avoir été dit dans le sens que ce n’était pas possible, il faut l’expliquer par ce qui suit. Il dit en effet: "Nous avons dit en général ce qu’est l’âme. C’est une substance qui est selon la raison, et il en est ainsi, parce qu’elle était une partie de ce corps, c’est-à-dire la forme substantielle d’un corps physique organisé." La suite de ce qu’il dit prouve qu’il n’exclut pas la partie intelligente, dans sa pensée. Il est évident qu’on ne peut pas séparer l'âme du corps, et qu’elle n’est aucune partie du corps participant de sa nature; car elle est elle-même l’acte de certaines parties de sa substance. Mais selon d’autres, rien n’empêche qu’il en soit ainsi, parce que les actes n’appartiennent à aucun corps, ce qu’on ne peut entendre que de la partie intelligente de l’âme, à savoir l’intellect et la volonté. Ce qui prouve clairement que certaines parties de l’âme, qu’il avait définie généralement, en disant qu’elle est un acte du corps, sont des actes, et que d’autres ne sont les actes d’aucun corps. Car autre chose est que l’âme soit un acte du corps, autre chose qu’une partie d’elle-même soit un acte du corps, comme on le prouvera plus loin. Et il démontre dans ce même chapitre, que l’âme est un acte du corps, parce que quelques-unes de ses parties sont des actes du corps, eu disant: "Il faut considérer dans, les parties ce que nous avons dit du tout." La suite prouve encore plus clairement comment cette définition générale embrasse l’intellect. Car, après avoir suffisamment prouvé que l’âme est un acte du corps, parce que l’âme séparée du corps n’est pas vivante dans le fait; et cependant parce qu’une chose peut être pré sente dans le fait à une autre, non seulement si elle est sa forme, mais encore si elle lui imprime le mouvement, comme une matière combustible est mise en feu à la présence de l’élément qui brûle, et toute chose sujette au mouvement, est mise en action par la présence d’un moteur, quelqu’un pourrait se demander si le corps est ainsi vivant et animé à la présence de l’âme, ou comme la matière est en action par la présence de la forme, et surtout, parce que Maton a soutenu que l’âme n’était pas unie au corps comme une forme, mais plutôt comme moteur et modérateur, comme le prouvent Plotin et Grégoire de Nysse; et pour cette rais je les crois Grecs et non Latins. C’est donc cette opinion que semble embrasser Aristote, lorsqu’il ajoute: "Il est très peu évident que l’âme soit l’acte du corps comme le pilote est l’acte d’un vaisseau." Et comme après ces paroles il y avait encore doute, il ajoute encore: "Il ne faut rien affirmer de l’âme et parler d’elle au figuré," parce que sans doute la question n’était pas suffisamment éclaircie. Or, pour dissiper tout doute, il s’efforce de démontrer ce qu’il y a de plus certain en soi et selon la raison, par ce qui est moins prouvé en soi, mais l’est davantage à notre égard, c’est-à-dire par les effets de l’âme qui sont ses actes. C’est pourquoi il distingue d’abord les opérations de l’âme, en disant que ce qui est animé diffère d’existence de ce qui est inanimé, et qu’il y a beaucoup de choses qui appartiennent à la vie, comme l’intelligence, le sentiment et le mouvement, la position par rapport au lieu, le mouvement quant à l’alimentation et à la croissance; parce que tout ce qui a quelqu’une de ces modifications, est vivant. Et après avoir montré l’indépendance réciproque de toutes ces modifications, c’est-à-dire, comment l’une vit indépendamment de l’autre, il arrive à dire que l’âme est le principe de tous es différents états, et qu’elle se compose de différentes parties, végétative, sensitive, intelligente et motrice, et que tout cela est réuni dans un même sujet, par exemple l’homme. Une seule âme, plusieurs facultés Et comme Platon a écrit qu’il y avait plusieurs âmes dans l’homme, par le moyen desquelles il pouvait accomplir les différentes opérations de la vie, il fait cette question, à savoir si chacune de ses facultés est une âme, ou seulement une partie de l’âme; et au cas qu’elles soient des parties d’une seule âme, si elles différent seulement selon la raison, ou encore par le lieu qu’elles occupent, c’est-à-dire par l’organe au quel elles sont attachées. Et il ajoute qu’on peut répondre facilement à quelques-unes de ces questions tandis que d’autres restent douteuses. Il prouve ensuite que ce qui concerne l’âme végétative et sensible est clair, parce que les plantes et quelques animaux vivent après leur division, et qu’on aperçoit toutes les opérations de l’âme dans chacune de leurs parties, comme dans leur entier. Il démontre qu’il y a doute pour d’autres, en disant qu’il n’y a rien de prouvé pour l’intellect et la puissance prospective, non pas qu’il veuille niet que l’intellect soit une âme, comme son commentateur et ses partisans le soutiennent avec mauvaise foi. Car ce n’est pas une conséquence de ce qu’il a avancé plus haut. D’où il faut conclure qu’il n’est pas prouvé que l’intellect est une âme ou une partie de l’âme, et s’il est une partie de l’âme, elle est distinguée par son siége particulier; ou seulement par la raison. Et bien qu’il dise que ceci n’est pas prouvé, il expose ce qui apparaît de prime abord, par ces paroles: "Il semble qu’il y a une autre espèce d’âme," ce qui pourtant " doit pas s’en tendre dans le sens perfide de son commentateur et de ses adhérents; mais qu’on attribue l’intellect, cri sens douteux, à l’âme, ou bien que la définition qu’on en a donnée ne peut pas lui être appliquée. Ce qui suit explique de quelle manière on doit l’entendre, c’est-à-dire qu’ils sont séparés comme ce qui est impérissable l’est de ce qui est corruptible. Il y en a donc une antre espèce, parce que notre intellect semble être immortel et que les autres parties de l’âme sont corruptibles. Et parce que ce qui est corruptible et ce qui est éternel ne peuvent se trouver, dans une même substance, il semble que cette séparation ne peut se produire que dans les parties de rame, c’est-à-dire dans l’intellect, mais non dans le corps, comme le dit faussement le commentateur, mais dans les autres parties de l’âme, et qu’elles ne peuvent pas se réunir dans une seule substance de l’âme. Ce qui suit prouve qu’on doit l’entendre ainsi. Il est évident que les autres parties de l’âme ne peu être séparées, par la substance la raison, ou par leur siège. On a déjà répondu à cette question par tout ce qui a été dit plus haut. Ce qu’il ajoute prouve qu’on doit entendre ces paroles, non de la séparation de l’âme d’avec le corps, mais de ses puissances entre elles. La raison prouve qu’elles sont distinctes entre elles. Car il est clair qu’il y a une grande différence entre le sentiment et la pensée. Ceci prouve évidemment qu'il répond ici en particulier à la question soulevée plus haut. Car on a émis ce doute, à savoir si une partie de l’âme est séparée de l’autre par la raison seulement ou par la place qu’elle occupe. Mettant de côté ce qui a trait à l’intellect, duquel il ne décide rien, il dit que les autres parties de l’âme ne peuvent être séparées par leur siége, mais qu’elles diffèrent par la raison. Ceci donc une fois posé, que l’âme est divisée en végétative, sensitive, intellectuelle et motrice, il s’efforce de prouver que l’âme est unie au corps dans toutes ses parties, non comme le pilote au vaisseau, mais comme la matière à la forme. Et alors on détermine ce qu’est l’âme en générai, ce qu’on n’avait dit jusque-là qu’au figuré. Et il le prouve par les opérations de l’âme. Car il est clair que le principe par lequel une chose est produite, est la forme de ce principe comme nous disons que nous connaissons par l’âme et par la science, mais d’abord plutôt par la science que par l’âme; parce que nous ne savons par l’âme que parce qu’elle a la science. De même, nous disons que nous sommes guéris par le corps et par la santé, mais d’abord par la santé. Ainsi, il est évident que la science est la forme de l'âme, et la santé la forme du corps. Et il procède ainsi. L’âme est d’abord ce qui nous donne la vie, ce qu’il dit en tant qu’elle est végétative; ce qui nous donne le sentiment, en tant que sensitive; ce qui nous donne le mouvement, comme force motrice; ce qui nous donne l’intelligence; à cause de l’intellect; et il conclut par ces paroles: "Parce qu’elle est toujours une raison et une forme, ruais non en tarit que matière et sujet." Il affirme donc ici clairement ce qu’il avait dit plus haut, que l’âme est un acte d’un corps physique non seulement de l’âme végétative, sensitive et motrice, mais encore intellectuelle. L'âme forme du corps Aristote pensait donc que le principe de notre intelligence est la forme du corps physique. Mais de peur qu’on ne vienne à penser qu’il ne veuille pas dire que ce qui nous donne la faculté de comprendre, n’est pas l’intellect possible, mais quelqu’autre chose, nous citons ses paroles du troisième livre de l’Âme, en parlant de l’intellect possible, qui excluent tout doute à cet égard: "Or, je dis que qui doit à l’âme l’intelligence et la pensée. Mais avant d’aborder cette pensée d’Aristote, écrite au troisième livre de l’Âme, arrêtons-nous un peu plus à celle du second livre, afin qu’en comparant ses paroles, on puisse voir quelle fut sa pensée sur l’âme. Les diverses facultés de l'âme Après avoir défini l’âme en général, il commence à distinguer ses diverses facultés et il dit qu’elles sont végétatives, sensitives, appétitives, motrices et intellectuelles. Ce qu’il dit, en expliquant chacune de ces facultés en particulier, de la faculté intellectuelle, prouve qu’il entend par là l’intellect. Autrement: ce qui est intellectuel est comme l’intellect de l’homme. Il pense donc que l’intellect est une puissance de l’âme, qui est un acte du corps; et on saisit toute la suite de sa pensée, qui veut dire que l’intellect est une puissance de l’âme et de plus que la définition de l’âme peut convenir à toutes ses parties. Il est donc clair que la raison de l’âme et de la forme sera toujours la même: car la forme n’est pas en dehors de la figure d’un triangle, ni de toutes celles qu’on en peut tirer, ni cette âme, en dehors de toutes les autres dont nous avons parlé. Il ne faut donc pas chercher une autre âme en dehors de celles dont il a été question, auxquelles on peut appliquer la définition donnée plus haut. Différence entre âme et intellect Aristote ne s’étend pas d’avantage sur l’intellect, dans son second livre, si ce n’est qu’il démontre que le raisonnement et l’intellect est la dernière et la plus petite des âmes, parce qu’on la rencontre plus rarement, comme la suite le fait voir. Mais parce qu’il y a une grande différence entre le mode d’opérer de l’intellect et de l’imagination, il ajoute qu’il y a une autre raison de l’intellect spéculatif. Il remet au troisième livre à faire cet examen. Et pour qu’on ne dise pas, comme le fait Averroès, avec tant de perfidie, qu’Aristote soutient qu’il y a une autre raison de l’intellect spéculatif, parce que l’intellect n’est pas l'âme, ni une partie d'elle, il réfute ceci, au commencement du troisième livre, où il fait le résumé de son traité de l’intellect. Il dit en effet, dans le chapitre de la partie de l’âme, qui connaît et qui juge: "Qu’on ne soutienne pas, qu’on dit cela seulement dans ce sens, que l’on oppose l’intellect possible à l’intellect actif, comme quelques-uns se l'imagine. Car on a dit cela avant qu’Aristote eût fait sa distinction de l’intellect possible et de l’intellect actif; ce qui lui a fait dire que l’intellect est une partie de l’âme en général, qui renferme l’actif et le possible, comme il a distingué clairement l’actif de toutes les autres parties de l’âme, comme on l’a déjà dit. Mais il faut considérer l’ordre et le soin admirable dans la méthode d’Aristote. Car il commence dans son troisième livre, à traiter la question de l’intellect, qu’il avait laissée indécise dans le second. Il y avait surtout deux points obscurs. D’abord: 1° Savoir si l’intellect est distinct des autres parties de l’âme, par la raison seulement, ou encore par la localisation. Question qu’il n’a pas décidée, puisqu’il dit: "Nous n’avons encore rien de certain sur l’intellect et la faculté de perception." Et il résume cette question, en ces mots: "Soit qu’on puisse le séparer des autres parties de l’âme, soit qu’il ne le soit pas par l’étendue, mais par la raison." Il entend le mot dévisible en étendue, dans le sens qu’il l’avait déclaré divisible par la localisation. 2° Il y avait pas donné la différence de l’intellect avec les autres parties de l’âme, lorsqu’il ajoute un peu plus bas: "Il y a une autre raison de l’intellect spéculatif, et il la cherche, en disant: "Il faut coi:sidérer en quoi il diffère." Et il s’efforce d’en donner une qui puisse s’accorder avec les deux opinions énoncées, soit que l’âme soit divisible ou non étendue, ou en localisation de ses autres parties: ce qu’indique assez sa manière de parler. Car il dit qu’il faut examiner si l’intellect diffère des autres parties de l’âme, soit qu’on puisse l'en séparer par l’étendue ou la localisation, c’est-à-dire, le sujet, ou seule ment par la raison. D’où l'on voit clairement qu’il n’a pas l’intention de placer cette différence dans sa séparation d’essence et de nature avec le corps; car il ne pouvait le soutenir avec les deux opinions émises plus haut, mais il veut faire consister leur différence dans le mode d’opération qui leur est propre. Puis il ajoute: "Et ce qu’est l'intellect lui-même." Ainsi donc d’après les paroles d’Aristote, il es évident jusqu’à cette heure qu’il a voulu dire que l’intellect est une partie de l’âme, laquelle est un acte d’un corps physique. Mais puisque Averroès a voulu soutenir, d’après quelques paroles qui suivent, que l’intention, d’Aristote avait été de dire que l’intellect n’est pas l’âme, laquelle est un acte du corps ou une partie de cette âme ainsi conçue, il faut examiner plus crapuleusement les paroles suivantes. Aussitôt après avoir posé la question de la différence de l’intellect et de la matière, il demande en quoi l’intellect ressemble aux corps, et en quoi il en diffère. Les organes du corps Il avait en effet arrêté ces deux opinions touchant les organes, à savoir, qu’ils sont en puissance pour les corps, et qu’ils entrent en souffrance et sont détruits par l’usage des meilleures choses corporelles. C’est donc là ce que cherche à savoir Aristote, lorsqu’il dit: "S’il en est de l’intelligence comme du sentiment, elle aura le même sort, c’est-à-dire qu’elle sera viciée par les meilleures choses intelligibles, comme les sens par les plus excellentes choses sensibles, ou toute autre chose semblable: "c’est-à-dire, l’intelligence ressemble-t-elle au sentiment, différente cependant en ce qu’elle ne peut souffrir? Il répond donc aussitôt à cette question, et il conclut, non de ce qui précède, mais de ce qui suit, bien que ce soient les antécédents qui lui servent de preuve, qu’il faut que cette partie de l’âme soit impassible pour qu’elle ne souffre pas d’altération, comme les organes. Il y a cependant une certaine souffrance que l’on reconnaît communément comme attachée à l’intelligence. Elle diffère donc en cela du sentiment. Il démontre donc que c’est en cela qu’elle ressemble au sentiment, parce qu’il faut que cette partie de l’âme soit susceptible d’une forme intelligente, et qu'elle soit en puissance à l’égard de cette forme, et qu’elle ne l’est pas naturellement en acte, comme nous l’avons dit des’ sens, qui sont en puissance à l’égard des choses matérielles, et lion en acte. Il conclut qu’il doit en être ainsi de l’intelligence à l’égard des choses intellectuelles, comme des sens envers les objets matériels. Or, il en tiré cette conclusion pour combattre le système d’Empédocle et de quelques anciens philosophes, qui soutenaient que la faculté qui connaît doit être de même nature que l’objet connu, comme étant nous-mêmes composés de terre, nous connaissons la terre, et composés d’eau, nous connaissons l’eau. Or, Aristote a prouvé plus haut que ceci ne pouvait pas être vrai à l’égard des sens, parce que la faculté sensitive n’est pas en acte, mais seulement en puissance, et il en dit autant de l’intellect. Mais il y a de la différence entre l’intellect et les sens, parce que le sentiment ne connaît pas tout, mais la vue perçait les couleurs, l’ouïe les sons, et ainsi des autres; tandis que l’intellect est capable de tout connaître. Or, les anciens philosophes, qui soutenaient que la faculté cognitive doit être de même nature que les choses connues, disaient que l’âme, dès lors qu’elle connaît tout, devait être un composé des principes de toutes choses. Mais puisque Aristote a déjà démontré, en le comparant aux sens, que l’intellect n’est pas en acte la faculté de connaître, mais seulement en puissance, il conclut au contraire qu’il est nécessaire que l’intellect, puisqu’il connaît tout, soit une essence pure, c’est-à-dire sans mélange de toute autre chose, comme le prétendait Empédocle. Et il ers appelle au témoignage d’Anaxagore, parlant, non du même intellect, mais de l’intellect qui est le moteur de tout. De même donc qu’Anaxagore a dit due l’intellect était exempt de toute nature étrangère et maître dans son choix, de même nous pouvons dire que l’intellect humain doit être d’une seule et même nature pour connaître tout; et il en donne cette preuve, qui se trouve dans le texte grec. Ce qui est à l’intérieur exclut ce qui lui est étranger et ne lui laisse pas de place; l’organe de la vue nous peut faire comprendre cette proposition. Car, s’il y avait une couleur quelconque dans l’intérieur de la prunelle de l’oeil, cette couleur intérieure l’empêcherait d’apercevoir une couleur extérieure et lui ôterait, en certaine façon, la possibilité de voir autre chose. De même, si un objet quelconque que l’intellect connaît, comme de la terre ou de l’eau, le froid ou le chaud, était dans l’intérieur de l’intellect, il l’obstruerait lui-même et l’empêcherait de rien connaître autre chosé. Mais comme il connaît tout, il en conclut qu’il n’a aucune nature particulière des corps matériels qu’il connaît, mais celle-là seule qui est possible, c’est-à-dire une impuissance radicale pour ce qui est de comprendre ce qui est de sa nature, mais elle devient active lorsqu’il le comprend de fait, comme les sens in actu deviennent sensibles par l’application de cette faculté, comme il l’avait dit dans le second livre. Il est donc amené à dire que l’intellect n’est rien de ce qui existe, avant qu’il conçoive réellement, ce qui est en opposition à l’opinion des anciens, qui soutenaient qu’il est tout, dans le fait. Et parce qu’il avait rappelé cette parole d’Anaxagore, en parlant de l’intellect qui est maître de tout, dans la crainte qu’on pensât qu’il avait raisonné ainsi de cet intellect, il se sert de cette façon de parler. "Qui est dit intellect de l’âme;" je dis que l’intellect, par lequel l’âme pense et comprend, n’est rien dans le fait de ce qui existe avant l’acte de l’intelligence. De là ressortent deux choses. 1° La première, qu’il ne parla pas ici d’un intellect qui soit une substance séparée, mais de l’intellect dont il nous a déjà entretenus, qui est une puissance et une partie de l’âme par laquelle l’âme comprend. 2° La seconde qu’il a prouvée déjà, que l’intellect n’a pas une nature déterminée in actu; mais il n’a pas encore prouvé que ce n’est pas une faculté du corps, comme le soutient Averroès; mais il tire aussitôt cette conclusion de ce qu’il a dit, car on lit: " D’où il n’est pas raisonnable de le confondre avec le corps." Et il prouve ce second point par le premier, qu’il a déjà démontré, à savoir: que l’intellect n’a pas de fait une nature matérielle. D’où il est évident qu’il n’est pas mêlé avec le corps, parce que s’il était confondu avec lui, il aurait une nature corporelle. Et c'est ce qu’il ajoute: "Car on deviendra froid ou chaud, si quelque organe du corps est affecté de cette sensation." Car le sentiment proportionné à son organe, et est façonné en un sens à sa nature. Aussi les impressions des sens suivent-elles les modifications des organes. On comprend donc que l’intellect ne peut pas être mêlé avec le corps, parce qu’il n’a pas d’organes comme les sens. Et il prouve que l’âme est sans organes, en citant l’opinion de ceux qui soutenaient que l’âme est le siége des idées, prenant dans le sens le plus large, d’après la manière de penser des Platoniciens, le mot siége pour toute espèce de faculté réceptive, bien que le siége des idées ne con vienne pas à l’âme tout entière, mais seulement à l’âme intellective. Car l’âme sensitive ne reçoit pas en elle les idées, mais dans un organe; et la partie intellective ne les reçoit pas dans un organe, mais dans elle-même. Ainsi, il n’y a pas un siége des idées qui les ait dans le fait, mais seulement en puissance. Différence entre intelligence et sens Comme il a déjà fait voir ce qui convient à l’intellect par la comparaison des sens, il revient à ce qu’il avait dit d’abord, qu’il faut que la partie intellective soit passive, et avec une étonnante sagacité il conclut à sa différence par sa similitude même. Il prouve donc, par conséquent, que l’intellect et les sens ne sont pas également possibles, par la raison que les sens sont détériorés par les qualités des choses matérielles, tandis que l’intellect ne l’est pas par celle des choses intelligibles. Il tire sa preuve de ce qui a été prouvé plus haut que le sensitif n’est pas sans corps, tandis que l’intellect est séparé. Or, ils s’appuient sur cette dernière parole pour appuyer leur erreur, exprimant par là que l’intellect n’est pas l’âme ni une partie de l’âme, mais bien une substance séparée; mais ils oublient ce qu’Aristote a dit un peu plus haut. Car, comme on dit ici que l’âme sensitive n’est pas sans corps, et que l’intellect est séparé, de même il a dit plus haut que l’intellect devient tel que son organe, par exemple, froid ou chaud, s’il en a un, comme l’âme sensitive. C’est pourquoi il soutient que l’âme sensitive n’est pas sans corps et que l’intellect est séparé, parce que l’âme sensitive n’est pas sans corps et que l’intellect n’en a pas. Il est donc clairement prouvé et tout à fait hors de doute, que telle fut l’opinion d’Aristote sur l’intellect possible, que l’intellect est une espèce d’âme, laquelle est un acte du corps, de manière cependant que l'intellect de l’âme n'ait pas d'organe corporel, comme les autres puissances de l’âme Or, si on fait un instant de réflexion, il n'est pas difficile de comprendre comment l’âme est la forme du corps, et que ses qualités ne soient pas celles du corps. Car nous voyons dans beaucoup de choses que la forme est l’acte d’un corps composé d’éléments, et possède cependant des qualités qui ne sont celles d’aucun élément, mais doit être attribuée à une forme provenant d’un autre principe, par exemple, d’un corps céleste, de même que l’aimant a la propriété d’attirer le fer, et le jaspe d’arrêter le sang, nous verrons peu à peu que les formes les plus distinguées ont des qualités de plus en plus supérieures à la matière. C’est pourquoi la dernière des formes, qui est l’âme humaine, a une puissance supérieure en tout à la matière du corps, c’est-à-dire à l’intellect. Ainsi donc, bien que l’intellect soit séparé, puisqu’il n’est pas une puissance du corps, mais de l’âme, l’âme est néanmoins un acte du corps. Et nous ne disons pas que l’âme, qui renferme l’intellect, surpasse tellement la matière, ne soit pas dans le corps, mais que l’intellect, qu’Aristote appelle une puissance de l’âme, n’est pas un acte du corps; et l’âme n’est pas un acte du corps par l’intermédiaire de ses facultés, mais elle est par elle-même un acte du corps, qui le spécifie, tandis que quelques-unes de ses puissances sont des actes de quelques parties du corps, qui leur donnent leur aptitude pour certaines fonctions. Ainsi donc, la puissance, qui est l’intellect, n’est l’acte d’aucunes parties du corps, parce qu’il n’accomplit pas ses fonctions au moyen d’un organe corporel. De peur qu’on puisse croire que nous interprétons à notre sens les paroles d’Aristote, il faut les citer. Il demande, en effet, dans le second livre de sa Physique, jusqu’à quel point il faut connaître la forme et ce qu’elle est; car il ne permet pas au physicien de considérer toute espèce de forme; et ensuite il résout ainsi la question: "De même que le médecin considère sans cesse les nerfs, et le forgeron le fer, c’est-à-dire jusqu’à ce qu’il en ait fait ce qu’il se propose; et il montre à quel dessein, en ces termes: "Tout est la cause de cette fin, a comme s’il disait: Le médecin consulte le pouls, en tant qu’il a trait à la santé, et le forgeron considère le fer à cause de l’oeuvre qu’il en veut faire. Et parce que le physicien considère la forme en tant qu’elle est dans la matière, car elle est la forme d’u corps sujet à changement; de même le naturaliste considère la forme en tant qu’elle est dans la matière: donc le terme de la considération du physicien, de la forme, est dans la forme, qui est dans la matière d’une certaine façon, et n’y est pas d’une autre. Car ces formes sont au dernier degré des formes séparées et immatérielles. Aussi il ajoute: "Il y a, à cet égard, une considération naturelle touchant les formes, qui sont séparées, à la vérité, mais qui sont des formes dans la matière." Il dit quelles sont ces formes, par ces paroles: "L’homme et le soleil engendrent l’homme avec de la matière." La forme de l’homme est donc dans la matière, et est séparée. Elle est en effet dans la matière par l’être qu’elle donne au corps, et ainsi elle est la cause de la génération et séparée, dans la puissance qui est propre à l’homme, à savoir l’intellect. Il n’est cloue pas impossible qu’il y ait une forme dans la matière, et que sa vertu soit séparée, comme nous l’avons dit pour l’intellect. L'intellect est une faculté de l'âme On procède encore d’une autre manière pour prouver qu’Aristote ne pensait pas que l’intellect fût dans l’âme, ou qu’il fût une partie de l’âme, unie au corps comme forme. Car il dit en plusieurs endroits que l'intellect est éternel et incorruptible, comme, par exemple, dans son second livre du Traité de l’âme, où il dit, "que cela seulement est séparé comme l’éternel du corruptible;" et dans le premier livre, où il dit, "que l’intellect paraît être une substance et qu’il ne subit pas d’altération;" et dans le troisième: "Cela seul est séparé, qui est véritablement, et cela seul est immortel et indestructible." Bien que quelques auteurs n’entendent pas ces paroles de l’intellect possible, mais de l'actif, il est évident, d’après toutes ces preuves, qu’Aristote pensait que l’intellect était quelque chose d’incorruptible. Or, il semble que rien d’incorruptible puisse être la forme d’un corps corruptible. Car il n’est pas accidentel à la forme, mais il est en lui d’être dans la matière; autrement il serait, par accident, un composé de matière et de forme. Mais rien ne peut exister sans ce qui est en soi; donc la forme d’un corps ne peut être dans le corps. Si donc le corps est corruptible, il s’ensuivrait que la forme du corps devrait être corruptible. De plus, les formes séparées de la matière, et les formes qui sont dans la matière, ne sont pas les mêmes en espèce, comme il le prouve dans le septième livre de sa Métaphysique. À plus forte raison, une seule et même forme ne peut être à la fois sans le corps et dans le corps. Après la décomposition du corps, la forme du corps est détruite, ou elle passe à un autre corps. Si donc l’intellect est la forme du corps, il s’ensuit de toute nécessité que l’intellect est corruptible. Cette considération a fait impression sur l’esprit de plusieurs. Car saint Grégoire de Nysse veut qu’Aristote pensât que l’âme est corruptible, parce qu’il disait qu’elle était la forme du corps. Quelques autres, au contraire ont pensé qu’elle passait d’un corps à un autre; d’autres qu’elle avait un corps corruptible duquel elle ne devait jamais être séparée. C’est pourquoi il nous faut prouver, par les paroles d’Aristote, qu’il pensait que l’âme intellective était la forme du corps, et pourtant incorruptible. Car, après avoir démontré dans le onzième livre de sa Métaphysique, que les formes ne sont pas antérieures à la matière, parce que quand un homme a recouvré la santé, il y a la santé en lui, et la forme d’une houle d’airain est avec la forme de l’airain: il demande en conséquence, si une forme reste après la matière, et il parle ainsi dans le sens de Boèce. li faut donc examiner si quelque chose reste après la matière. Car rien n’empêche qu’il en soit ainsi dans certains cas, par exemple l’âme, non tout entière, mais quant à l’intellect; car il est impossible, peut-être, qu’il en soit ainsi de toutes ses parties. Il est donc clair qu’il dit de l’âme qui est la forme, pour la partie intellective, que rien n’empêche qu’elle survive au corps, et pourtant qu’elle n’a pas été avant lui. Car, quand même il aurait dit, en sens absolu, que les causes motrices existaient avant, tandis qu’il n’en est pas ainsi pour les causes formelles, il n’a pas fait cette question, à savoir, si quelque forme a précédé la matière, mais si la forme survivait à la matière et il répond que rien ne rend chose impossible pour la forme qui est l’âme, quant à la partie intellective. Puisque donc, d’après les paroles précédentes d’Aristote, cette forme, qui est l’âme, survit au corps, non pour le tout, mais quant à l’intellect, il reste à examiner pourquoi la partie intellective, plutôt que les autres parties et que les autres forme survivent à leurs matières. Il faut donc tirer la raison de tout ceci, des paroles mêmes d’Aristote. L'intellect est immatériel Il dit en effet dans son troisième livre de l’Ame: "Cela seulement est séparé, qui existe véritablement, et cela seul est immortel et durable. Il semble donc donner cette raison, qu’une substance est séparée, parce qu’elle est immortelle et impérissable. Mais il y a doute pour savoir de quel intellect il veut parler, quelques-uns l’entendant de l’intellect possible, d’autres de l’intellect actif, ce qui est également faux, si on considère attentivement les paroles d’Aristote. Car il avait dit que l’un et l’autre étaient une substance séparée. Il faut donc qu’on l’entende de toute la partie intellective, qui est séparée, parce qu’elle n’a pas d’organe propre, comme on le voit dans Aristote. Car il avait dit dans son premier livre du Traité de l’Âme: "Si quelqu’une des opérations de l’âme ou de ses passions lui est propre, elle est toujours séparée; mais si elle ne lui appartient pas, elle n’est pas séparable, et la raison est celle-ci." Chaque être agit en tant qu’il existe, et ses actes sont conformes à son mode d’existence. Donc lés formes qui n’agissent qu’en union avec leur matière, n’agissent pas elles-mêmes, mais par leur composé, qui agit par la forme. En sorte que ces formes n’existent pas, à proprement parler, mais il y a quelque chose en elles qui est actif. Car, de même que la chaleur n’échauffe pas, mais le chaud, de même, à proprement parler, la chaleur n’existe pas par le calorique, mais le chaud existe par la chaleur. C’est pourquoi Aristote dit dans son dixième livre de la Métaphysique, "qu’il n’est pas exact de dire des accidents qu’ils sont des êtres, mais plutôt qu appartiennent à l’être." il en est de même des formes substantielles qui n’ont pas d’action hors de la communication avec la matière, excepté que le principe de cette forme est celui de la substance de l’être. Donc, une forme qui agit par une puissance ou une vertu qui lui est propre, en dehors de toute communication avec sa matière, a l’être; et elle n’existe pas au moyen d’une essence composée, comme les autres formes, mais les qualités qui la composent ressortent de son essence. C’est pourquoi, si on dissout ce composé, on détruit sa forme qui n’existe que par cet en semble. Mais pour que cette forme n’existe plus, il n’est pas nécessaire de détruire ce composé qui tient sou existence par la forme, tandis qu’elle ne le tient pas de lui. Mais si on vient à nous objecter qu’Aristote dit dans son premier livre de l’Âme que comprendre, aimer et haïr ne sont pas des passions de l’âme, mais d’un être qui les a reçues comme des dons ou qualités, et qui, après leur dépérissement, n’a ni mémoire, ni affection; car ils ne lui étaient pas propres, mais c’était un attribut commun comme on l’a dit; on peut répondre par les paroles de Thémistius, traitant cette question. "Aristote, dit-il, a plutôt l’air de douter que d’affirmer." Car il n’avait pas encore combattu l’opinion de ceux qui soutenaient que l’intellect ne différait en rien des sens aussi dans tout ce chapitre il parle de l’intellect comme du sentiment. Ceci est évident surtout dans le passage où il prouve que l’intellect est corruptible par l’exemple des sens qui ne sont pas détruits par la vieillesse. Aussi parle-t-il l’un et de l’autre, sans condition et en forme de doute, confondant ensemble ce qui regarde l’intellect et ce qu regarde les sens, ce qui est surtout clair dans ce qu’il dit au commencement de sa réponse; car si se réjouir, ou être dans la tristesse, ou comprendre, sont des mouvements, on les subit. Mais si on persistait à dire qu’Aristote parle ici d’une manière précise, il reste encore une réponse, parce que l’intellect est appelé un acte d’union, non en soi, mais par accident, en tant que son objet, qui est une image, est dans l’organe corporel, bien que cet acte ne soit pas produit par l’organe. Si on demande encore si l’intellect ne comprend pas sans image de l’objet conçu, nous répondrons, comment pourra-t-il avoir une ‘opération intellectuelle, lorsque l’âme sera séparée du corps. Celui qui fait cette objection devrait savoir que le naturaliste ne peut pas en donner la solution. Aussi Aristote dit-il dans le second livre de son Traité de Physique, eu parlant de l’âme: "C’est à la première philosophie de dire ce qu’est l’âme, et comment elle est séparable." L'intellect dans l'âme séparée du corps Il faut donc croire que l’âme séparée aura un autre moyen de comprendre que dans son union avec le corps, c’est-à-dire un moyen comme celui de toutes les autres substances séparées. Aussi, ce n’est pas sans raison qu’Aristote demande, dans son troisième livre du Traité de l’Âme," si l’intellect non séparé comprend par sa vertu quelque chose de séparé. Par où il donne à entendre que l’intellect séparé peut comprendre ce qu’il ne peut pas non séparé. Il faut aussi remarquer que, plus haut, il appelle séparé l’intellect possible et l’intellect actif, et qu’ici il ne dit pas qu’il soit séparé. Il est séparé, en effet, en tant n’est pas un acte organique et non séparé, comme partie ou puissance de l‘âme, qui est un acte du corps, comme on l’a déjà dit. Ces questions sont toute résolues dans les écrits d’Aristote, sur les substances séparées, d’après ce qu’il dit au commencement du douzième Traité de Métaphysique, que nous avons vus au nombre de quatorze, quoiqu’ils n’aient pas été traduits dans notre langue. D’après ceci, les objections n’ont plus de valeur. Car il est de l’essence de l'âme d’être unie à un corps: elle en est empêchée par accident, non de son côté, mais par le fait du corps qui tombe en dissolution; comme il est dans sa nature subtile d’être enlevée en haut, car c’est le propre des corps subtils d’être enlevés hors de terre, comme le dit Aristote dans son huitième livre de Physique. Mais il peut surgir quelque obstacle qui n'empêche de s’élever. De là la réponse à l’autre difficulté. Car de même que ce qui a une nature subtile et ce qui est grossier et terrestre diffèrent de nature, et que cependant ce qui a une nature propre à être élevée, bien qu’elle ne le soit pas toujours à cause de quelque obstacle, soit la même chose par le nombre et l’espèce, de même deux formes, dont l’une a une nature propre à être unie à un corps et que l’autre ne le peut pas, diffèrent de nature. Cependant un être, un en nombre et en essence, peut être capable d’être uni à un corps, malgré qu’il arrive par le fait de quelque obstacle qui peut survenir, qu’il soit tantôt uni à un corps, et tantôt qu’il ne le soit pas. Ils s’appuient encore, pour autoriser leur erreur, sur ce que dit Aristote dans son Traité de la Génération des animaux, que "l’intellect seul vient du dehors, et qu’il est seul divin." Mais jamais une forme, qui est un acte de la matière, ne lui vient du dehors, mais existe dans la puissance même de la matière. L’intellect. Il est donc pas une forme du corps. Ils objectent encore que toute forme d’un corps, mixte est produite par les éléments, en Sorte que si l’intellect était la forme du corps humain, il ne serait pas produit par une cause extérieure, mais par les éléments. Ils objectent encore qu’il suivrait de notre manière de voir que l’âme végétative et sensitive serait à l’extérieur, ce qui est contraire à l’opinion d’Aristote, surtout si l’âme était composée d’une seule substance dont les puissances seraient sensitive, végétative et intellectuelle, puisque, d’après Aristote, elle est séparé du corps. Or ce que nous avons dit plus haut donne de suite la solution de ces difficultés. Car, lorsqu’on dit que toutes les formes viennent de la puissance de la matière, il faut savoir qu’il y a deux manières dont la forme peut être tirée de la matière. 1° Premièrement, la forme peut dépendre de la matière, quant à l’essence et à la formation de l’être, 2° secondement, elle peut exister avant la forme. Si cela ne signifie rien autre chose, sinon que la matière a préexisté à la forme, il faut voir ce que c’est que tirer la forme de la puissance de la matière. Car si on veut dire seulement que la matière préexistait en puissance pour la forme, on peut également dire que la matière corporelle préexiste en puissance pour l’âme intellective; c’est pourquoi Aristote dit, dans son Traité de la Génération des animaux: "On doit croire que l’âme végétative est en puissance dans les semences et les foetus qui ne sont pas encore séparés, mais non en acte avant que les foetus, qui sont déjà séparés, prennent de la nourriture et exercent les fonctions de l’âme. Car dans le commencement, toutes ces choses semblent exister de la vie de leur principe originel." On peut raisonner de la même façon pour l’âme sensitive et pour l’âme intellective. Car elles doivent exister en puissance avant d’être en acte, pour qu’elles ne soient jamais en puissance, par la raison qui fait qu’elles doivent être en acte. Nous avons, en effet, démontré que les autres formes qui n’ont aucune opération, en dehors de toute communication avec la matière, doivent être tellement en acte, qu’elles soient plutôt dans ce qui les compose et avec quoi elles coexistent, que dans une existence propre: de même que toute leur essence est dans leur réunion avec la matière, de même, dit-on, qu’elles viennent entièrement de la puissance de la matière. Mais l’âme intellective, étant active sans l’intermédiaire des corps, n’a pas son existence seulement dans l’union avec la matière, ce qui fait qu’on ne peut pas dire qu’elle en est tirée, mais plutôt qu’elle tire son origine d’un principe extérieur, comme le démontrent ces paroles d’Aristote "L’intellect vient d’un principe extérieur, et est purement divin." Et voici la raison qu’il en donne " Car, dit-il, rien de corporel ne se mêle à ses opérations. L'intellect n'est pas mélangé de matière Ce qui m’étonne, c’est la source d’où l’on tire la seconde objection, à savoir: "Que si l’âme intellective était la forme d’un corps mixte, elle serait produite par un mélange d’éléments, tandis qu’aucune âme n’a cette origine." Car Aristote ajoute aussitôt après ces paroles: "Chaque vertu ou chaque puissance de l’âme, semble tenir d’un autre corps, mais plus divin que ceux que nous appelons les éléments;" Or, la nature de ce corps est différente à raison de la noblesse ou du rang de l’âme. Car il y a dans le principe des êtres quelque chose qui fait qu’il y a des principes secondaires, comme on dit la chaleur et non le feu, non qu’il y ait une telle propriété, mais un principe renfermé dans la semence et la vapeur séminale, et la nature qui est dans cet esprit est proportionnée à l’élément qui compose les astres. Loin donc que l’intellect ait son origine dans le mélange des éléments, l’âme végétative elle-même n’est pas leur production. Quant à la troisième objection, par laquelle on veut établir que l’âme végétative et l'âme sensitive, viennent d’un principe extérieur, elle n’entre pas dans le but de la discussion. Car on a vu par les paroles d’Aristote, qu’il laisse la question indécise, à savoir: "Si l’intellect diffère des autres parties de l’âme par son siége et son sujet, comme dit Platon, ou par la raison seulement." Il n’y a pas d’inconvénient à soutenir qu’elles ont le même sujet, comme cela paraît plus vraisemblable. Car, Aristote dit dans son second livre du Traité de l'âme," qu’elles sont à l’égard de l’âme, comme il en est des figures de géométrie." Car dans toutes leurs conséquences qu’on en peut tirer, il y a une puissance qui existe avant elles, dans ces opérations et dans les êtres animés, comme dans le quarré on trouve le triangle et dans l’être sensitif, le végétatif. De même aussi, l’âme intellective a le même sujet; question qu’il laisse toujours douteuse. Il faut dire aussi que l'âme végétative et l’âme sensitive sont dans l’intellective, comme le triangle et le carré sont dans le Pentagone. Le quarré diffère bien, à la vérité, du triangle, par sa nature, mais non du triangle qui est une puissance en lui-même, comme le quaternaire du ternaire, lequel est une partie de celui-là, mais du ternaire, qui existe en dehors de lui et s’il arrivait que plusieurs figures fussent faites par différents agents, le triangle qui existe indépendamment du carré, aurait une autre cause productrice que le carré, comme il a une autre forme; mais le triangle qui est dans le quarré, aurait la même cause productrice. L'âme végétative Ainsi donc, l’âme végétative, qui a une existence à part de celle de l’âme sensitive, est une autre espèce d’âme, et dépend d’une autre cause productrice: cependant l’âme sensitive et végétative ont le même principe, qui est renfermé dans l'âme sensitive. Il n’y a donc pas d’inconvénient à soutenir que l’âme végétative et l’âme sensitive, qui sont dans l’âme intellective, viennent d’une cause en dehors de l’âme, qui a donné naissance à l’intellective. Car on peut sans crainte de se tromper, attribuer à la puissance d’un agent supérieur, l’effet produit par un agent inférieur, et à plus forte raison. En sorte que, bien que l'âme intellective vienne d’un agent extérieur, elle a cependant les qualités de l’âme végétative et de l’âme sensitive, qui sont produites par des agents inférieurs. Ainsi donc, après avoir pesé attentivement, presque toutes les paroles d’Aristote, sur l’intellect humain, on voit qu’il pensait que l’âme humaine est un acte du corps et qu’une partie d’elle-même est l’intellect possible ou de puissance. Maintenant il faut voir ce qu’en pensaient les autres Péripatéticiens et examiner ce que dit Thémistius dans son commentaire de l'âme. Il y a, dit-il, "une double distinction à faire de l’esprit humain, à savoir: l’intellect de puissance et l’intellect actif." Attaquant le premier corps à corps, il le dégage des ténèbres, le met en lumière et le fait voir en action, ensuite il forme en lui comme un espèce de casier, où viennent se ranger toutes les sciences et toutes les connaissances possibles. Car de même qu’une pierre non taillée ou un métal non travaillé, dont la première a en puissance une maison et l’autre une statue, ne peuvent être employés à la forme d’une maison ou d’une statue à moins que l’art de l’ouvrier ne façonne ces matériaux et ne les approprie à devenir une maison ou une statue, ainsi est-il nécessaire que l’intellect de puissance soit perfectionné par l’autre intellect, lequel, parce qu’il est parfait lui-même et toujours actif, ne peut s’associer à aucune puissance ni s’identifier avec elle, qu’il excite et qu’il exerce cette aptitude et cette facilité de l’intellect à comprendre, comme un art qu’il exerce, et lui donne la parfaite connaissance des choses. Et ici l’intellect séparé et impassible, reste pur de tout mélange. L'intellect passif Quant à l’intellect de puissance, bien qu’il ait la même dignité et la même vertu que l’intellect actif, étant cependant quelquefois plus uni et plus rapproché de l’âme humaine, perd quelque chose de sa no blesse, dans cette société avilissante. De même que lorsque l’approche d’une lumière frappe les yeux et les couleurs, son éclat illumine non seulement la vue, mais encore les couleurs: de même quand l’intellect actif agite l’intellect de puissance, non seulement il le met en mouvement, mais il faut que les choses conçues en puissance, il les conçoive en action; et ce sont là les formes matérielles et l’ensemble de toutes les notions chacun des sens. Et il ajoute après peu de mots: "La comparaison de l’art, appliquée à la matière, peut être appliquée à l'intellect actif à l'égard de l'intellect de puissance." Ainsi il fait tout et il s'applique à tout; d'où il suit que, lorsque nous le voulons, nous pouvons tout comprendre et tout examiner, parce que l'intellect actif n’est pas comme l’art, en dehors de sa matière, mais fondu tout entier dans l’intellect de puissance. Gravez un écusson dans l’essence même du bronze ou du fer, non à la surface seulement, ne pénétrera-t-il pas toute la masse du métal? De même l’intellect actif joint à l’intellect de puissance, ne fait plus qu’un avec lui, parce qu’il n’est plus que la même chose, composée de matière et de forme, et cependant cette fusion a deux motifs; et après quelques mots, il ajoute: "Nous sommes donc le lien d’union de ces deux intellects." Si dans tout ce qui réunit l’acte et la puissance, les choses se passent de manière à ce que l’objet et l’essence soient différents, il s’ensuit que je suis une chose et mon essence ne autre, de façon que je sois composé d’acte et de puissance et que mon essence soit seule: c’est pourquoi j’écris ce que je pense et je le livre au public. L’intellect, qui est composé de puissance, écrit, non en tant que formé de puissance, mais en tant qu’il est actif, parce que toute son action aboutit là et y est attachée, et puis il ajoute encore plus clairement, pour en revenir au point d’où nous sommes partis, comme autre chose est d’être un animal ou d’être son être animal, et de même que pour l’être de l’âme animale, de même je suis une chose, l’être de moi, une autre, -et mon essence une autre. Mais mon essence ne vient pas de l’âme sensitive, qui sert de matière à l’intellect de puissance ou à l’intellect actif; par conséquent elle doit tirer son origine et la dépendance de l’intellect actif. Car l’intellect est à proprement parler, le seul qu’on puisse regarder comme la forme et la forme des formes, et les autres intellects inférieurs sont tantôt considérés comme sujets et tantôt comme formes. Sans doute, l’ordre logique et celui de la nature veulent que les supérieurs soient la forme des inférieurs et ceux-ci la matière des supérieurs. On fait donc l’intellect actif la forme suprême et souveraine, qui se perfectionne, qui se complète dans ce concours, et lui met comme la dernière main, comme ne pouvant avoir aucune forme supérieure et plus distinguée, à la quelle elle puisse faire servir l’intellect actif de matière. C’est pourquoi nous sommes à proprement parler l'esprit et l’intellect, et ensuite combattant l’opinion de quelques adversaires, il dit: "Aristote ayant établi que dans toute créature l’un devant servir de matière et l’autre de forme motrice et perfective, il faut, dit-il, qu’il y ait les mêmes différences dans l’âme, et qu’il y ait un intellect tel quel, qui soit la partie la plus excellente de l’âme raisonnable, et après quelques mots, il ajoute " Je veux qu’on puisse établir et conclure de ces paroles, qu’Aristote pensait que l’intellect actif était quelque chose de nous, ou notre être même. On voit donc des paroles précédentes de Thémistius, qu’il dit que non seulement l’intellect possible, mais encore l’intellect actif, est une partie de l’âme humaine, qu’Aristote le pensait et de plus que l’homme n’est pas dans l’âme sensitive, comme quelques-uns l’avancent faussement, mais plutôt dans l’âme intellective et princière. Je ne connais pas les ouvrages de Théophraste, mais Thémistius a cité les paroles, dans son Commentaire de l’âme, que voici: "Je pense que je dois ici faire attention aux paroles de Théophraste sur l’intellect actif et potentiel." C’est pourquoi il écrit sur l’intellect potentiel: puisque l’intellect de l’homme lui vient par voie étrangère et extérieure, et qu’il lui est comme inoculé et incorporé, on demande pourquoi on dit qu’il est engendré avec nous, et enfin quelle est la consistance de sa nature. Assurément, ce que l’on dit ici, due l’intellect n’est rien en acte, mais tout en puissance, est parfaitement juste quant au sens, cependant on ne doit pas rejeter entièrement cette proposition, ni tellement affirmer qu’il n’est pas actif, qu’on l’anéantisse: ce serait avancer une fausseté et prêter matière à des contestations ou à des disputes; mais il faut l’entendre en ce sens, qu’une certaine puissance sui generis ait l’esprit pour sujet et principe de formes, telle qu’on trouve cette faculté dans les objets matériels, servant de hase à leur formation et à leur existence. Mais quand on dit que l’âme nous vient extérieurement, il ne faut pas affirmer que nous pensions qu’elle nous est inoculée et surajoutée, mais qu’il arrive que dès notre naissance elle s’empare de nous et nous environne. La nature de l'intellect possible Théophraste, après s’être fait cette double question: 1° Comment l’intellect possible, étant hors de nous, est-il confondu avec notre nature? 2° Quelle est la nature de l'intellect possible? Il répond d’abord à la seconde question, qu’il est tout en puissance, non pas comme s’il n’existait pas du tout, mais comme les sens à l’égard des objets matériels, et il tire de là la réponse à la première question, qu’il ne nous vient pas du dehors, comme s’il nous était ajouté accidentellement et après un certain temps, mais dès le premier instant de notre formation, et comme embrassant et renfermant la nature humaine. Quant à Alexandre, à qui on fait dire que l’intellect possible était la forme du corps, Averroès lui-même l’avoue, bien que, comme je le crois, il ait mal entendu le sens d’Alexandre, il lui fait trop signifier, ainsi qu’aux expressions de Thémistius. Car lorsqu’il fait dire à Alexandre que l’intellect possible n’est autre chose qu’une préparation, qui est dans la nature humaine, à l’intellect actif et aux choses intelligibles, il a pensé que cette disposition n’était que la puissance intellectuelle de l’âme pour les choses intelligibles: c’est pourquoi il ajoute que ce n’est pas une puissance du corps, parce qu’une telle puissance n’a pas d’organe corporel, et non par la raison qu’oppose Averroès, qu’aucune disposition n’est une faculté corporelle. Et pour passer des Grecs aux Arabes, il est certain qu’Avicenne crut que l’intellect était une faculté de l’âme, qui est la forme du corps. Car il écrit, dans son Traité de l’âme: "L’intellect actif, c’est-à-dire pratique, a besoin, pour toutes ses opérations, du corps et des facultés corporelles; et l’intellect contemplatif se sert du corps, mais pas toujours ni absolument. Car il se suffit lui-même à lui-même. L’âme humaine n’est rien de tout ceci, mais c’est ce qui a toutes ces facultés; et comme nous le dirons plus tard, c’est une substance solitaire qui a par elle-même une aptitude aux actes, dont les uns n’atteignent leur fin qu’à l’aide d’intermédiaires, et par l’usage qu’elle en fait; d’autres qui n’ont aucunement besoin de ces moyens d’action. "De même, dit-il dans sa première partie que l’âme humaine est la première perfection du corps naturel instrumental, par laquelle il lui est donné d’agir d’après sa libre détermination, et d’arriver, à l’aide de la réflexion, à tout comprendre." Ce qu’il ajoute ensuite est vrai, et il en donne la preuve: "L’âme humaine, en tant que propre et connue à elle-même, c’est-à-dire en tant que puissance intellectuelle, n’est pas une forme pour le corps, et n’a pas besoin qu’on lui donne un organe." Ensuite il faut ajouter ces paroles d’Algazel: "Comme le mélange des éléments est fait avec une sagesse si parfaite et si admirable, qu’on ne peut rien trouver de plus beau et de plus parfait, il a reçu du souverain principe et distributeur des formes, l’aptitude à recevoir la plus belle des formes qui est l’âme de l’homme." Or, cette âme humaine a deux facultés, l’une d’action et l’autre d’intelligence, qu’il appelle intellect, comme la suite va le démontrer. Et ensuite, il donne une foule de preuves, pour faire voir que l’opération de l’intellect n’a pas lieu à l’aide d’un organe corporel. Notre opinion, en ce sens, ne vient pas de notre désir de combattre l’erreur que nous venons d’exposer, par l’autorité des philosophe mais pour faire voir que non seulement les Latins, qui ne sont pas goûtés de tout le monde, mais que les Grecs et les Arabes pensèrent aussi que l’intellect est une partie, une puissance, ou une vertu de l’âme, qui est la forme du corps. Aussi m’étonné-je que quelques Péripatéticiens se soient glorifiés d’avoir partagé cette erreur, si ce n’est parce qu’ils préféraient se tromper avec les autres Péripatéticiens qu’avec Averroès qui fut moins un Péripatéticien que le corrupteur de la philosophie des Péripatéticiens. Opinion de saint Thomas sur: "l'intellect, puissance de l'âme" Après avoir prouvé par les paroles d’Aristote et de ses partisans, que l’intellect est une puissance de l’âme, laquelle est la forme du corps, malgré que cette puissance, qui est l’intellect, ne soit pas l’acte d’un organe, parce que ses opérations n’ont aucun rapport avec aucune fonction corporelle, comme le dit Aristote, il faut examiner ce qu’on doit en penser. Et parce que, d’après la doctrine d’Aristote, il faut juger des principes des actes par les actes eux-mêmes, nous devons, ce semble, examiner d’abord l’intellect, qui est la faculté de comprendre, dans l’action qui lui est propre, et nous n’avons rien de mieux à faire que de suivre Aristote dans son raisonnement. "L’âme, dit-il, est le principe de la vie et de l’intelligence; donc elle est la raison et la forme, d’un corps quelconque." Et cette raison lui paraît si forte, qu’il la regarde comme une démonstration; car il dit au commencement du chapitre: "Car il ne faut pas seulement donner une raison convaincante, comme quelques mots le prouvent assez, mais il faut encore prouver quelle en est la cause, comme on démontre un tétragone ou un carré, par l’emploi de la ligne moyenne proportionnelle." Et ce qui prouve la solidité et la force de cette démonstration, c’est que toutes les fois qu’on s’en éloigne, on tombe nécessairement dans le faux. Il est clair, en effet, que l’homme est intelligent. Car si nous ne l’étions pas, nous ne nous inquiéterions pas de l’intellect, et lorsque nous cherchons à comprendre l’intellect, nous ne nous enquérons que du principe qui nous rend intelligents. Aussi Aristote dit-il: "Je dis l’intellect, par lequel l’âme comprend;" et il conclut ainsi: "Si quelque chose est le premier principe de notre intellect, il doit être la forme du corps," parce qu’il approuve d’abord que ce par quoi on agit d’abord, est une forme, ce qui se prouve par l’action, car rien n’agit qu’en tant qu’il est en acte. Or, tout ce qui est en acte l’est par la forme, d’où il suit que le premier principe d’action est une forme. Mais si on vient nous dire que le principe de l’action de comprendre, à laquelle nous donnons le nom d’intellect, n’est pas une forme, il faut qu’on nous dise comment l’action de ce principe est l’action d’un homme, ce qu’on a cherché à expliquer diversement, entre autres Averroès, en disant que le principe de cette intelligence, que nous appelons intellect possible, n’est pas l’âme ni une partie de l’âme, à moins qu’on émette cette opinion comme un doute, mais plutôt une substance séparée; et il ajoute que "l’intelligence de cette substance séparée es-t mon intelligence à moi, ou tout autre, soit que cet intellect possible soit uni à vous ou à moi, par les idées qui sont en vous ou en moi." Ce qu’il dit s’opérer de la sorte. Car l’idée intelligible, qui est une avec l’intellect possible, puisqu’elle est sa forme et son acte, a deux sujets: le premier, l’idée elle-même, le second, l’intellect possible. L’intellect possible est donc continué en nous par sa forme, au moyen des idées, et ainsi lorsque l’intellect possible comprend, l’homme comprend. Mais nous allons prouver par trois raisons que cela ne signifie rien du tout. 1° D’abord, parce que la continuation de l’intellect dans l’homme ne commencerait pas à sa première génération, comme le dit Théophraste et que l’insinue Aristote dans son second livre de Physique, où il dit que "le terme naturel de la considération de la forme à la forme s’applique à celle d’après laquelle l’homme est engendré par l’homme et le soleil." Or, il est évident que le terme naturel de toute considération est l’intellect; mais, selon Averroès, l’intellect n’est pas continué dans l’homme par sa génération, mais par l’opération des sens, lorsqu’il devient sensible en acte, car "l’idée n’est que le mouvement actuel imprimé par les sens," comme il le dit dans le troisième livre du Traité de l’Âme. 2° Parce que cette union n’aurait pas de terme unique, mais serait diverse et décomposée. Car il est évident qu’une idée intelligible, en tant qu’elle est dans l’imagination, est conçue en puissance: elle est dans l’intellect possible en acte, abstraction faite de la représentation. Si donc l’idée intelligible n’est pas la forme de l’intellect possible, à moins qu’elle ne soit abstraite des formes, il s’ensuit que ce n’est pas par les formes que l’idée intelligible ne continue pas l’intellect par les formes, mais plutôt qu’il en est séparé; à moins de dire, peut-être, que l’intellect possible est continué par les formes, comme une glace continue l’homme dont l’image est représentée dans un miroir. Mais il est évident que cette continuation ne suffit pas pour celle de l’acte. Car il est clair que l’action du miroir, qui consiste à représenter une forme, ne peut pas être attribuée à l’homme qu représente, de même l’action de l’intellect possible ne peut être attribuée à cet homme, qui est un individu quelconque, pour qu’il comprenne. 3° Parce que, supposé qu’une même idée fût numériquement la forme de l’intellect possible, et qu’elle fût en même temps dans les formes, cette union serait encore insuffisante pour l’intelligence de l’homme. Car il est clair que par idée intelligible on entend quelque chose; mais on entend quelque chose par la puissance intellective, comme on sent par la puissance sensitive. Ainsi un mur sur lequel il y a une peinture dont l’idée sensible est en acte, est vu et ne voit pas; mais un animal qui a la puissance visuelle, dans laquelle est cette image, voit. Or, il en est ainsi de l’union de l’intellect possible avec l’homme qui se représente des objets dont les idées sont dans l’intellect possible, comme de l’union d’un mur peint qui renferme l’idée de sa couleur. De même donc que le mur ne voit pas, mais fait voir sa couleur, il s’ensuivrait que l’homme ne comprendrait pas, mais que ses idées seraient conçues par l’intellect possible. Mais quelques-uns, voyant que d’après le raisonnement d’Averroès on ne pouvait admettre que l’homme comprend, s’y prirent d’une autre manière, et dirent que l’intellect était uni au corps en qualité de moteur, et qu’ainsi comme il se fait un tout du corps et de l’intellect, comme du moteur et de l’objet mû, l’intellect est une partie de l’homme, et alors on attribue à un homme l’opération de l’intellect, comme on lui attribue l’opération de l’oeil, qui consiste à voir. Place de l'intellect dans une personne Mais il faut demander quand on établit cette proposition, ce que est que cet être individuel appelé Sortès. D’abord savoir, si Sortès est l’intellect seul qui est le moteur, ou s’il est ce qui est mis en mouvement par ce qui est le corps animé cependant d’une âme végétative et sensitive, ou s’il est un composé de l’un ou de l’autre. Et d’après cette proposition, ou s’arrêtera à ce troisième sens, à savoir que Sortès est un composé de l’un et de l’autre. Employons donc contre ces adversaires, l’argument d’Aristote, dans son huitième livre de la Métaphysique. "Car, ce qui est composé de différentes parties, fait un ensemble et non un amas incohérent. Mais il y a un tout indépendant des parties de l’ensemble, qui est une autre substance; puisque dans tels corps, la vitalité est la cause de l’unité, dans tels autres, les humeurs, ou tout autre modification de l'être." Mais une telle substance est une raison unique, sans agrégation de parties, comme l’Iliade, et ayant une unité d’existence. Qu’est-ce donc qui compose l’unité de l’homme, et en vertu de quoi est-il un et non multiple par exemple, être animé et bipède, ou est-il, comme quelques-uns le prétendent, un animal même et un véritable bipède. En effet, l’homme n’est pas tout cela, mais ces choses seront hommes, en tant qu’elles entreront en participation de la composition de l’homme, non nu, mais composé de deux substances, à savoir de l’animal non bipède; et dans tout son ensemble, l’homme ne sera pas un et multiple, animal et bipède. Mais franche ment, avec toutes ces définitions et ces raisonnement on n’expose pas plus qu’on ne résout la difficulté. Mais si, comme nous l’avons expliqué, on dit ceci est la matière, cela la forme, là la puissance, ail leurs l’acte, alors il n’y aura plus de doute. Mais si l’on dit que Sortès n’est pas un naturellement, mais seulement par la réunion du moteur et de l’objet qui est mû, il s’ensuit plusieurs inconvénients. Premièrement d’abord, parce que si chaque chose est un, ayant une existence propre, il s’ensuivra que Sortès ne sera rien, et qu’il n’aura ni genre ni espèce, et de plus qu’il n’aura aucune action, parce que l’action n’appartient qu’à l’être: c’est pourquoi nous ne disons pas que l’intelligence du pilote soit l’intelligence du tout, qui est le pilote et le vaisseau, mais seulement du pilote; de même l’intelligence ne sera pas l'acte de Sortès mais de l’intellect seulement, qui se sert du corps de Sortès. Car l’action d’une partie est l’action du tout, seulement dans le tout qui est un être unique: et si on emploie une autre manière de parler, elle est impropre. Et si on dit que de cette manière le ciel comprend par son moteur, c’est attaquer une question très difficile. C’est par l’intellect humain que nous arrivons à la connaissance des intellects supérieurs, et non en sens inverse. Mais si on dit que cet individu qu’on appelle Sortès, est un corps animé par une âme végétative et sensitive, comme il paraît d’après ceux qui prétendent que ce n’est pas l’intellect qui fait la spécialité de l’homme, mais l’âme sensitive ennoblie par quelque connaissance de l’intellect possible, alors l’intellect n’est à l’égard de Sortès, que ce qu’est la force motrice à l’égard de l’objet auquel elle imprime le mouvement. Mais on voit par plusieurs raisons, que l’action de l’intellect, qui est l'intelligence, ne peut être attribuée à Sortès. 1° D’abord parce que, dit Aristote dans le second livre de sa Métaphysique, "toute oeuvre qui est en dehors de l’action, a son action dans l’oeuvre qui se fait, comme la construction dans un édifice et l’action de tisser, dans un tissu; de même de toute autre chose, et tout à fait ainsi du mouvement dans un objet qui est mû. Tandis que l’agent dont l’oeuvre n’est pas en dehors de son action, a son action en lui, comme la ‘vision est dans celui qui voit et la réflexion dans le miroir. De même si on suppose que l’intellect est uni à Sortès en qualité de moteur, il importe peu que l’intelligence soit dans Sortès ou que Sortès soit intelligent, parce que l’intelligence est une action, qui est seulement dans l’intellect. Il est évident d’après cela que ce que l’on dit est faux, à savoir: que l’intellect n’est pas un acte du corps, mais l’intelligence elle-même. Car l’intelligence ne peut être l’acte d’une chose qui n’est pas l’acte de l’intellect, parce que l’intelligence n’existe qu’en tant qu’elle est dans l’intellect; comme la vision n’est que dans la vue: de même la vision ne peut-être que dans ce qui est l’acte de la vue. 2° Secondement, parce que l’action propre d'un moteur n’appartient pas à l’instrument ou au mouvement, mais l’action de l’instrument est, au contraire, le fait du moteur principal. Car on ne peut pas dire qu’une scie se sert de l’artisan, mais on peut dire que l’ouvrier scie, ce qui est le fait de la scie. Or l’opération propre de l’intellect est de comprendre. D’où, supposé même que l’intelligence Soit une action qui se communique, comme le mouvement, il ne s’ensuivrait pas, que l’on puisse attribuer l’intelligence à Sortès, quand même l’intellect lui serait uni comme moteur seulement. 3° Troisièmement, en sens inverse, on attribue l’action et le mouvement aux objets mis en mouvement, quand il s’agit d’agents dont l’action passe à un autre sujet. Car quand ou parle de construction, on dit. que l’architecte bâtit, et que l’édifice est construit. Si donc l’intelligence était une action communicable, comme le mouvement, on ne devrait pas dire que Sortès comprend, par cela seul que l’intellect lui serait uni comme moteur, mais plutôt que l'intellect comprendrait et que Sortès serait compris, ou peut-être que l’intellect en comprenant donnerait le mouvement à Sortès et que Sortès serait uni eu action. Cependant il arrive quelquefois que l’action du principe moteur est transformée en l’objet uni en mouvement; par exemple, lorsque le mouvement l’imprime à un autre objet, par cela même qu’il se meut, comme un objet chaud en échauffe un autre. On pourrait donc dire, que ce qui est uni par l’intellect, qui se meut en comprenant, comprend par cela seul qu’il est mis en mouvement. Mais Aristote combat cette proposition, dans son second livre de Traité de l’Âme, d’où nous avons tiré le principe de ce raisonnement. Car après avoir dit que ce qui fait d’abord que nous savons et que nous sommes sains, est une forme, c’est-à-dire, la science et la santé, il ajoute car les actes semblent être dans le sujet qui y est soumis: ce que Thémistius explique de cette manière. Car si la science et la Santé sont dans d’autres sujets, par exemple, le maître et le médecin, nous avons néanmoins fait voir, en parlant des choses naturelles, qui sont les actes dans les sujets en qui s’opèrent ces actes. C’est donc là la pensée d’Aristote, et cela est évident, que lorsqu’un objet mis en mouvement, se meut et a reçu l’action du principe moteur, il faut qu’il y ait en lui quelqu’acte communiqué par un principe moteur, qui possède cette faculté d’impulsion; c’est là son principe d’action, son acte et sa forme. De même qu’un objet chaud, réchauffe par la chaleur qu’il a reçue lui-même. Supposé donc que l’intellect donne le mouvement à l’âme de Sortès en l’éclairant, ou de toute autre façon, l’impression que lui laisse l’intellect, est d’abord ce que Sortès comprend. Or, ce qu’il comprend d’abord, comme les sensations qui lui viennent des sen est tout en puissance, comme l’a prouvé Aristote: et il n’aurait pas de nature propre, pour cette raison, si ce n’est parce qu’il est possible, et pal’ conséquent qu’il n’est pas mêlé au corps, mais qu’il est séparé. Supposé donc qu’il y ait un intellect séparé qui donne le mouvement à Sortès, il faut pourtant encore que cet intellect possible, dont parle Aristote, soit l’âme de Sortès, de même que le sens qui est en puissance, pour toutes les choses sensibles, qui donne le sentiment à Sortès. Mais si on prétend que cet être, qui est Sortès, n’est pas quelque chose, composé de l’intellect et d’un corps animé, ou n’est pas un corps animé seulement, mais qu’il est seulement l’intellect, on tombera alors dans le système de Platon, lequel, au rapport de Grégoire de Nysse, n’admet pas, à cause de cette difficulté, que l’homme soit composé de corps et d’âme, mais une âme, faisant servir le corps à son usage, et comme revêtu du corps. Mais Plotin, comme le rapporte Macrobe, affirme que l’âme est l’homme, en ces termes: "Ce qui paraît à nos yeux, n’est pas l’homme réel, mais bien ce qui gouverne ce que nous voyons." Ainsi, lorsque la vie animale est enlevée par la mort, le corps privé de son gouverneur, tombe et se dissout, et c’est ce qu’il y a de mortel, qu’on aperçoit dans l’homme. Tandis que l’âme, qui est l’homme véritable, est exempte de toute atteinte mortelle. Ce Plotin, parmi tous les grands commentateurs, est mis au nombre de ceux d’Aristote, comme Simplicius l’écrit dans son commentaire des Attributs. Cette opinion ne paraît pas trop s’éloigner des écrits d’Aristote, car il dit au neuvième livre de sa Morale: "qu’il est d’un homme de bien de faire le bien, même par sa grâce." Or l’intellect semble devoir être la grâce de chacun. Il ne dit pas ceci, il est vrai, comme si l’homme était le seul intellect, mais parce que ce qu'il y a de plus estimable dans l’homme, est son intellect. Ce qui lui fait dire encore dans les livres suivants que, de même qu’une ville est la société la mieux organisée et tout autre état semblable, ainsi l’homme; ce qui lui fait ajouter que chaque homme est cela, c’est-à-dire l’intellect ou je crois surtout que c’est en ce sens que Thémistius a dit les paroles citées plus haut, et Plotin celles que nous avons rapportées," que l’homme est âme ou intellect." Mais on prouve de plusieurs manières, que l’homme n’est pas âme ou intellect seulement. 1° Premièrement, d’abord par saint Grégoire de Nysse qui ajoute, après avoir donné l’opinion de Platon: "Ces paroles ont un sens difficile ou incompréhensible." Comment l’âme avec le corps ne peut-elle faire qu’un même être? Car elle n’est pas une seule chose, étant unie avec son enveloppe terrestre. 2° Secondement, parce qu’Ai dans le septième livre de la Métaphysique, dit que " l’homme et le cheval, et autres semblables, ne sont pas seulement une forme, mais un tout universel composé de matière et de forme, et individuel, composé de matière et de forme, comme, par exemple, Socrate. Il en est de même des autres choses, et il le prouve, parce que nulle partie du corps ne peut être complète sans quelque partie de l’âme; et si on fait la soustraction de l’âme, on ne peut dire ni l’oeil, ni la chair autrement qu’en général, ce qui n’aurait pas lieu si un homme ou Socrate était seulement intellect ou l'âme. 3° Troisièmement, il s’ensuivrait que puisque l’intellect n’est exercé que par la volonté, comme ceci est prouvé, dans le troisième livre de l’Âme, que l’intellect serait soumis à la volonté, que l’homme ne garderait son corps qu’autant qu’il le voudrait, et qu’il le dépouillerait à son gré, ce qui est manifestement faux. Ainsi donc, il est évident que l’intellect n’est pas uni à Sortès seulement comme à un moteur, et que, quand bien même il en serait ainsi, il ne servirait de rien que Sortès comprît. Ceux donc qui veulent défendre cette proposition doivent avouer qu’ils n’y comprennent rien, et qu’ils ne méritent pas qu’on leur fasse l’honneur de discuter avec eux, ou bien que ce que dit Aristote est vrai, c’est-à-dire que le principe par lequel nous avons l’intelligence est l’idée et la forme. On peut aussi conclure de là que l’homme reçoit quelque idée, ou il ne reçoit ni idée, ni rien autre chose, sinon par la forme. Donc, ce par quoi l’homme est favorisé de la puissance des idées, est la forme, Or, quelque être que ce soit prend l’idée du principe de l’action propre de l’idée. Or l’opération propre de l’homme en tant qu’homme, est de comprendre. Car c’est par là qu’il diffère des autres animaux; c’est pourquoi Aristote place la suprême félicité dans cette opération. Mais, comme le dit Aristote, le principe de notre intelligence est l’intellect. Il faut donc qu’il soit uni à notre corps, comme forme, non de manière à ce que la puissance intellective soit l’acte de quelque organe, mais parce qu’elle est une puissance de l’âme, laquelle est un acte du corps physique organisé. De plus, d’après l’avis de ces philosophes, tous les principes de la philosophie morale sont détruits. Car on enlève tout ce qu’il y a en nous; il n’y a rien en effet, que par la volonté, d’où nous appelons volontaire ce qu’il y a en nous. Or la volonté est dans l’intellect, comme le prouve Aristote dans son troisième livre du Traité de l’Âme, et dès lors que l’intellect et la volonté sont dans les substances séparées, il arrive aussi que la volonté aime ou hait quelque chose en général, comme nous haïssons les voleurs, comme le dit Aristote dans sa Rhétorique. Si donc l’intellect n’est pas quelque partie d’un homme, ou n’est pas véritablement un avec lui, mais seulement avec lui par l’image des objets, ou en qualité de moteur, il n’y aura pas de volonté dans un homme, mais dans l’intellect séparé; et alors cet homme ne sera pas le maître de ses actions, et elles ne seront, par conséquent, dignes ni d’éloge, ni de blâme; ce qui est détruire les principes de la philosophie morale. Ceci étant absurde et contraire à la vie humaine (car il ne faut plus ni préceptes, ni lois), il s'en que l’intellect nous est tellement uni, qu’il ne fait plus qu’un avec nous, ce qui ne pourrait être en aucune façon, à moins qu’il ne soit, comme nous l’avons dit, une puissance de l’âme, qui nous est unie comme forme. Il reste donc qu’on doit s’en tenir, sans hésiter, à cette opinion, à cause des rapports de la foi, comme on dit; mais encore, parce que vouloir la combattre, c’est lutter contre l’évidence. Il n’est pas difficile de réduire à néant les difficultés qu’on nous oppose. Car on dit qu’il s’ensuit de notre manière de voir que l’intellect est une forme matérielle, et qu’elle n’est pas entièrement dépouillée de toute espèce de nature des objets sensibles, et, par conséquent, tout ce qui entre dans l’intellect y est reçu comme dans une matière, en particulier, et non en général. De plus, si l’intellect est une forme matérielle qui ne soit pas comprise en acte, il ne pourra pas se Comprendre lui-même, ce qui est évidemment faux; car aucune forme matérielle n’est comprise en acte. Or la solution de ces difficultés nous est donnée par ce que nous avons dit plus haut; car nous ne disons pas que l’âme humaine est la forme du corps, selon la puissance intellective, laquelle, d’après la doctrine d’Aristote, n’est l’acte d’aucun organe. Il reste donc que l’âme est immatérielle, quant à la puissance intellective, comprenant immatériellement et se comprenant elle-même. Ce qui a fait dire à Aristote ces paroles remarquables, que "l’âme, non tout entière, mais quant à l’intellect, est le siége des idées." Mais si on nous objecte que a puissance de l’âme ne peut être plus immatérielle et plus simple que son essence, cette difficulté n’a de valeur qu’autant que l’âme humaine serait la forme de la matière, de façon qu’elle n’existerait pas dans sa propre essence, mais par une essence composée, comme cela a lieu pour les autres formes qui n’ont par elles-mêmes ni leur essence, ni leur force active, sans communication de matière, et qui sont, à cause de cela, mêlées à la matière. Mais l’âme humaine étant une forme dans son essence, qui communique avec la matière d’une certaine façon, mais sans l’absorber entièrement, parce que la sublimité de cette forme dépasse la capacité de la matière, rien n’empêche qu’elle ne soit quelque pm et quelque opération, hors de l’action de la matière. Mais que nos adversaires fassent donc attention que si ce principe intellectuel, par lequel nous comprenons, était distinct et séparé de l’âme, qui est la forme de notre corps, dans son essence, il serait en lui-même intelligent et intelligible, et quelquefois intelligent et d’autres fois il ne le serait pas. De plus il n’aurait pas besoin de se connaître à l’aide des actes et des choses intelligibles, mais il se connaîtrait par lui-même, comme les autres substances séparées. Et il n’aurait pas également besoin, comme nous, d’images pour comprendre. Car il n’est pas dans l’ordre des choses que les substances supérieures aient recours aux inférieures, pour atteindre leurs principales perfections; de nième que les corps célestes ne sont ni formés, ni appropriés à leurs fonctions par les corps inférieurs. On tombe dans une grossière erreur, quand on soutient que l’intellect est un principe séparé quant à la substance, lequel, pourtant, est complété par les idées qui lui viennent des objets extérieurs, et alors il devient intelligent en acte. L'unité de l'intellect possible Après ces réflexions sur l’opinion qu’on avance, que l’intellect n’est pas l’âme qui est la forme de notre corps, ni une partie de l’âme, mais quelque chose de séparé, quant à la substance, il reste à examiner cette autre opinion, que l’intellect possible est un en toutes choses. On aurait peut-être quelque raison de faire cette affirmation de l’intellect actif, et plusieurs philosophes l’ont faite. Car ceci est vrai, si un seul agent a plusieurs fonctions, de même qu seul soleil perfectionne toutes les puissances visuelles des animaux; bien que ce ne soit pas l’opinion d’Aristote, qui pense que l’intellect actif est quelque chose qui est adjoint à l’âme, ce qui fait qu’il le compare à la lumière. Mais Platon, en supposant que l’intellect est une substance séparée, l’a comparé au soleil, comme l’affirme Thémistius. Il n’y a qu’un soleil, à la vérité, mais il y a plusieurs lumières répandues par le soleil pour éclairer. Quoi qu’il en soit néanmoins de l’intellect actif, plusieurs raisons nous prouvent qu’on ne peut pas soutenir que l'intellect possible est le même chez tons les hommes Premièrement d’abord, parce que si l’intellect possible est ce par quoi nous sommes intelligents, on est forcé de dire qu’un être intelligent en particulier est l’intellect, ou que l’intellect lui est formellement inhérent, non de telle manière qu’il soit la forme du corps, niais parce qu’il est une puissance de l’âme qui est la forme du corps. Mais si on nous dit qu’un homme en particulier est l’intellect, il s’ensuit que cet homme-là ne diffère pas d’un autre homme en particulier, et que tous les hommes n’en font qu’un, non par la participation de l’espèce, mais quant au même individu. Mais si l’intellect est en nous formellement, comme-nous l’avons dit, il s’ensuit que chaque corps a une âme différente. De même, en effet, que l’homme est composé de corps et d’âme, de même un homme, Callias ou Sortès par exemple, se compose de ce corps et de cette âme. Si les âmes au contraire sont différentes et que l’intellect possible soit la puissance intellective de l’âme, il faut qu’il diffère en nombre, car on -ne peut imaginer comment la puissance de plusieurs choses soit une par le nombre. Que si l’on vient nous dire que l’homme est intelligent par l’intellect, comme par quelque chose qui lui est propre, qui est cependant une partie de lui-même non comme forme du comme moteur, nous répondrons que nous avons déjà démontré qu’avec dette supposition on ne peut pas soutenir que Sortès est intelligent, par-là même que l’intellect comprend, malgré qu’il soit seulement un moteur, de même que l’homme voit par-là même que l’oeil voit. Et pour suivre la comparaison, supposons qu’il n’y ait qu’un oeil seulement pour tous les hommes, tous les hommes ne feraient-ils qu’un seul voyant, ou plusieurs voyants? Comment l'intellect connaît Pour l’éclaircissement de cette vérité, il faut faire attention qu’on ne peut pas dire la même chose du premier moteur et de l’instrument. Car si plusieurs hommes se servent du même instrument, on dira qu’il y a plusieurs opérations, par exemple, lorsque plusieurs se servent d’une même fronde, pour lancer des pierres, ou d’un seul levier pour les élever en l’air. Si au contraire le même agent principal emploie plusieurs instruments, il pourra arriver que les opérations seront différentes, à cause de la diversité des instruments. Quelquefois l’opération est une, quoiqu’on y ait fait servir plusieurs instruments. Ainsi donc l’unité de celui qui opère ne tient pas aux instruments, mais au principal objet qui les emploie. Ceci donc, une fois posé, si l’oeil était l’agent principal, qui se servît de toutes les puissances de l’âme et de toutes les parties du corps, comme d’instruments, plu sieurs êtres ayant un seul oeil, ne feraient qu’un seul voyant. Si donc l’oeil n’est pas ce qui est le principal de l’homme, mais s’il y a quelque chose en lui de supérieur qui se serve de l’oeil, qui est diversifié dans différents sujets, il y aura plusieurs voyants, mais avec un seul oeil. Or, il est évident que l’intellect est ce qu y a de principal dans l’homme et qu’il se sert de toutes les puissances de l’âme et de tous les membres du corps, comme d’organes. C’est pourquoi Aristote a dit très ingénieusement que "l’homme est surtout intellect." Si donc il n’y a qu’un intellect pour tous les hommes, il s’ensuit qu’il n’y a qu’une seule intelligence, une seule volonté, et un seul usage de ces attributs, au gré de la volonté, selon la différence du caractère des hommes. Il s’ensuit encore, qu’il n’y a aucune différence entre les hommes, quant au libre usage de la volonté, mais qu’elle est la même pour tous, si l’intellect, en qui réside la souveraineté et la puissance de se servir de tous les autres attributs, est le même chez tous les hommes, ce qui est évidemment faux et impossible. Car ceci répugne à l’évidence et détruit toute science morale et tout ce qui tend à la conservation de la société, qui est naturelle à tout le monde, comme dit Aristote. Et puis, si tous les hommes comprennent par un seul intellect, de quelque façon qu’il leur soit uni, comme forme ou comme moteur, il s’ensuit nécessairement qu’il n’y a qu’un intellect pour tous les hommes, qui n’est en même temps que saisissable à un seul. Par exemple, si je comprends une pierre et vous également de votre côté, il faudra qu’il n’y ait pour vous et pour moi qu’une seule opération intellectuelle. Car cette opération ne peut pas être celle du même principe actif, qu’il soit forme ou moteur, à l’égard du même objet, à moins qu’il n’y ait qu’une même action de même espèce, dans le même temps, ce qui est prouvé par le sentiment du Philosophe, au cinquième livre de sa Physique. En sorte que, si plusieurs hommes n’avaient qu’un même œil, ils ne verraient tous que le même objet, dans le même temps. De même aussi, si tous les hommes n’avaient que le même intellect, il s’ensuivrait qu’il n’y aurait de la part de tous les hommes, qui comprendraient la même chose, dans le même temps, qu’une seule et unique action intellectuelle, et surtout lorsque rien de ce qui établit une différence entre les hommes ne différerait dans l’opération intellectuelle. Car les images sont les préliminaires de l’action de l’intellect, comme les couleurs le sont de celle de la vue, en sorte que leur diversité ne fait pas la diversité de l’action de l’intellect, surtout pour un seul objet intelligible. Cependant, d’après cela, on dit que la science de celui-ci est différente de la science de celui-là, en tant qu’il comprend ce dont il a l’idée, et l’autre en tant qu’il a l’idée de ce qu’il comprend. Mais dans deux hommes qui savent et qui comprennent la nième chose, l’opération intellectuelle ne peut être modifiée, par la diversité des idées. Il faut encore prouver que cette opinion répugne ouvertement au système d’Aristote. Car après avoir dit que l’intellect possible est séparé, et que tout est en puissance, il ajoute que sachant tout, en acte, comme on dit qu’on soit en acte, c’est-à-dire, de cette manière, et comme on dit que celui qui sait, est en acte en tant qu’il a cette faculté; il ajoute ensuite: Cela a lieu, qu'on peut opérer par soi-même: Il y a donc puissance en un certain sens, mais non comme ceci avait lieu avant qu’on connût ou qu’on sût. Et après avoir fait la question, si l’intellect est simple et passible, et s’il n’a rien de commun avec quoi que ce soit, comme le dit Anaxagore, comment il pourra comprendre, si cette action est quelque chose de passible? Pour résoudre cette difficulté, il répond Que l’intellect est, en un certain sens, une puissance intelligible, mais qu’elle n’est rien en acte, avant d’avoir conçu, Il faut qu’il en soit de l’intellect, comme d’un tableau, sur lequel aucun caractère n’est tracé. Aristote pense donc que l’intellect possible est en puissance, avant qu’il sache et qu’il connaisse rien, comme un tableau sur lequel on n’a rien écrit. Mais il peut apprendre et acquérir par son aptitude pour la science par laquelle il petit opérer par lui-même, quoiqu’il soit alors en puissance, pour voir en acte. Sur quoi il faut remarquer trois choses. 1° Premièrement, que l’aptitude à la science st le premier acte de l’intellect possible, lequel est en acte par là même, et peut opérer par lui-même. Mais la science n’est pas en raison des images présentes, comme quelques-uns l’assurent, et une faculté que nous acquérons par la réflexion et le fréquent exercice, qui nous ramène à l’intellect possible, par les idées que nous avons. 2° Il faut remarquer, secondement, qu’avant que nous ayons rien appris ou découvert, l’intellect possible est en puissance, comme un tableau nu. 3° Troisièmement, que par nos connaissances ou nos découvertes, l’intellect possible est un acte; Or, ceci ne saurait exister, s’il n’y a qu’un intellect possible pour tous ceux qui existent, qui ont été ou qui seront. Car il est clair que les idées sont conservées dans l’intellect, car il est le siége des idées, comme le philosophe l’a dit plus haut, et de plus la science est un état permanent. Si donc que l’a mis en acte avant nous, à l’égard de quelques idées intelligibles et l’a rendu parfait quant à la science, cette connaissance et ces idées demeurent en lui. Mais comme tout récipient doit être vide de ce qu’il reçoit, il est impossible que ce que j’apprends et ce que je découvre soit acquis dans l’intellect possible. Et si cependant on vient nous dire que, par les inventions de notre esprit, l’intellect possible devient de nouveau un acte, quant à quelque chose, par exemple, si je découvre quelque chose d’intelligible, que personne n’a encore trouvé, on ne peut pas en dire autant si j’apprends cette chose, parce que on ne peut m’apprendre une vérité, si clic n’a été connue d’abord par celui qui me l’enseigne. On a donc dit faux, quand on a soutenu que l’intellect était en puissance, avant qu’on m’ait enseigné ou que j’aie découvert quelque chose. Mais si on ajoute que tous les hommes ont toujours été, comme le dit Aristote, il s’ensuivra qu’il faudra dire qu’il n’y a pas eu un premier homme qui ait eu l’intelligence et que les idées intelligibles ne sont venues dans l’intellect possible, pal’ les idées d’aucun homme, mais que les idées intelligibles sont toujours dans l’intellect possible. C’est donc à tort qu’Aristote a écrit que l’intellect actif rendait intelligibles en acte, les choses intelligibles en puissance. Il a donc mal dit, quand il a prétendu que les images sont à l’intellect possible, ce que les cou leurs sont à la vue, si l’intellect possible ne reçoit rien des images. Quoiqu’il semble irrationnel que la substance séparée reçoive quelque chose de nos idées et qu’elle ne puisse se comprendre, qu’après notre réflexion, par les découvertes de notre esprit ou par notre intelligence, puisque Aristote ajoute après ces paroles: "Et alors il peut se comprendre lui-même par les forces de son esprit ou par les leçons d’autrui. Car la substance séparée est intelligente par elle-même, en sorte que l’intellect possible se comprendrait lui-même par sa propre essence, s’il était une substance séparée, et il n’aurait pas besoin pour cela des idées intelligibles qui lui surviendraient à l’aide de notre intelligence et de nos efforts. Mais si on veut échapper à ces difficultés en disant, qu’Aristote dit tout cela de l’intellect possible, en tant que nous le continuons et en tant qu’il est en soi; nous répondons d’abord, que ce n’est pas là le sens des paroles d’Aristote; bien mieux, il parle de l’intellect possible en tant qu’il est ce qu’il est lui-même et distinct de l’intellect actif. Mais si on insiste encore sur les paroles d’Aristote, supposons avec nos adversaires, que l’intellect possible a toujours eu ces idées intelligibles que nous prolongeons en nous, par nos idées. Il faudra que les idées intelligibles qui sont dans l’intellect possible et celles qui sont en nous, soient entendues de l’une de ces trois manières: 1° que les idées intelligibles qui sont dans l’intellect possible, soient reçues par celles qui sont en nous, comme le signifient les paroles d’Aristote, ce qui, d’après la proposition énoncée, ne peut avoir lieu, comme nous en avons donné la preuve; 2° que ces idées ne soient pas reçues par les nôtres, mais qu’elles les illuminent comme, par exemple, des images qui seraient dans l’oeil iraient s’irradier sur les couleurs qui seraient sur un mur; 3° ou que les idées intelligibles qui sont dans l’intellect possible, ne sont pas reçues par nos idées, ou qu’elles n’y ajoutent rien. Si on admet la seconde manière, à savoir que les idées intelligibles jettent du jour sur nos idées et qu’elles les fassent comprendre, il s’en suit d’abord que les idées intelligibles sont intelligibles en acte, non par l’intellect actif, mais par l’intellect possible, d’après ses idées. Secondement, que cette irradiation des idées ne pourra pas les rendre intelligibles en acte, car elles ne deviennent intelligibles eu acte que par abstraction; or, ceci serait plutôt une acceptation qu’une abstraction. Et de plus, comme toute acquisition est en raison du sujet qui reçoit, l’illumination des idées qui sont dans l’intellect possible, ne se fera pas sur les idées qui sont en nous à l’état intelligible, mais à l’état matériel et sensible, et de cette façon nous ne pourrons pas tout comprendre par une semblable irradiation. Or, si les idées de l’intellect possible n’éclairent pas nos idées et n’en sont pas reçues, elles seront tout à fait disparates et n’auront aucune relation avec les nôtres et n’ajouteront rien à leur intelligence, ce qui répugne ouvertement à la vérité. Ainsi, de toutes manières, il est impossible qu’il n’y ait qu’un intellect possible pour tous les hommes. Pas de pluralité d'intellect possible dans un homme. Il reste maintenant à répondre aux difficultés par lesquelles ou prétend combattre la pluralité de l’intellect possible. 1° La première est que tout ce qui se multiplie en raison de la division de la matière est une forme matérielle. D’où il suit que les substances séparées n’ont pas de pluralité dans l’unité d’espèce. Si donc il y avait plusieurs intellects dans plusieurs hommes qui sont en eux par la division de la matière, il faudrait nécessairement que l’intellect fût une forme matérielle, ce qui va contre les paroles d’Aristote et les preuves par lesquelles il démontre que l’intellect est séparé. Donc s’il est séparé et qu’il ne soit pas une forme matérielle, il n’est pas multiplié en raison de la multiplication des corps. Ils s’appuient surtout sur cette raison, que Dieu ne peut pas faire que plusieurs intellects de la même espèce soient dans plusieurs hommes. Car, disent-ils, il y aurait contradiction, parce qu’une matière qui pourrait se multiplier différerait de la nature de la forme séparée. On va trop loin, si l’on veut conclure de là qu’aucune forme séparée n'est une en nombre, ni quelque chose d’individuel. On fait ici une erreur de mots, car il n’y a d’unité en nombre que celle qui se tire du nombre. Or, toute forme dégagée de la matière n’a pas d’unité de nombre, parce qu’elle n’a pas en elle la cause du nombre, parce que la cause du nombre se prend dans la matière. Mais pour commencer par les derniers; ils semblent ignorer le mot propre de ce que nous avons dit en dernier lieu. Car Aristote dit dans le quatrième livre de sa Métaphysique que "l’unité d’être de toutes les substances n’est pas par accident, et qu’il n’y a pas d’unité hors de l’être." Si donc la substance séparée est un être, elle est une quant à sa substance, surtout quand Aristote vient dire dans son huitième livre de la Métaphysique, que " ce qui n’a pas de matière n’a pas de raison pour avoir l’unité et l’être." Or, il dit dans le cinquième livre de sa Métaphysique, que "l’unité peut exister de quatre manières en nombre, en espèce, en genre et en proportion." Et il ne faut pas dire qu’une substance séparée est une, seulement en espèce ou en genre, parce que cela n’est pas l’unité de l’être simplement. Il reste donc que toute substance séparée est une en nombre; et on ne dit pas qu’une chose est une en nombre, parce qu’elle a l’unité du nombre, car le nombre n’est pas la cause de l’unité, mais, au contraire, parce qu’elle n’est pas divisible en l’énumérant. Car l’unité est ce qui n’est pas divisible; et, de plus, il n’est pas vrai que la matière soit la cause de tout nombre. Car Aristote aurait vainement cherché le nombre des substances séparées. Il dit aussi dans le cinquième livre de sa Métaphysique, "qu’il est très multiplié, non seulement dans le nombre, mais encore dans le genre et dans l’espèce." Il est. faux encore que la substance séparée n’ait pas une existence personnelle et ne soit quelque chose d’individuel, autrement elle ne serait capable d’aucune action, puisque les actes ne sont que le fait des êtres individuels, comme le dit le Philosophe, ce qui lui fait écrire contre Platon au septième livre de la Métaphysique, que "si les idées sont séparées, on ne pourra attribuer l’idée à plusieurs, et elle ne pourra être singularisée, ainsi que tous les autres individus qui sont uniques dans leur espèce, comme le soleil et la lune. Car la matière n’est pas le principe de l’individuation dans les choses matérielles, à moins que plusieurs individus n’entrent en participation de la matière, puisqu’elle est le premier sujet qui n’a pas son existence dans une autre, ce qui fait dire à Aristote, eu parlant de l’idée, que "si elle était séparée, elle serait une substance individuelle qu’on ne pourrait attribuer à plusieurs." Les substances séparées sont donc individuelles et personnelles; ce n’est pas la matière qui les fait ainsi, mais parce qu’elles ne sont pas nées dans un autre être, et, par conséquent, elles ne peuvent être attribuées à plusieurs. Il suit de là que si une forme est faite pour être reçue par un autre sujet, de manière qu’elle soit l’acte de quelque matière, elle peut être individualisée et multipliée, en raison de la matière. Or, nous avons démontré déjà que l’intellect est une puissance de l’âme, laquelle est un acte du corps. Il y a donc plusieurs âmes dans plu sieurs corps, et dans plusieurs âmes plusieurs puissances intellectuelles, que l’on appelle intellect; mais il ne s’ensuit pas pourtant que l’intellect soit une vertu matérielle, comme on l’a prouvé. Si on nous objecte qu’étant multipliés à raison des corps, il s’ensuit qu’une fois les corps détruits, il ne reste pas plusieurs âmes, nous répondrons que ce que nous avons déjà dit donne la solution de ces difficultés. Car chaque chose est un être, comme elle est une, comme dit Aristote au quatrième livre de la Métaphysique. Ainsi donc, de même que l’être de l’âme est dans le corps, en tant qu’elle est la forme du corps, et qu’elle n’est pas avant le corps, elle reste cependant dans son être après la mort du corps, de façon que chaque l'âme garde son unité, et, par conséquent, plusieurs âmes font une pluralité. On fait vainement de savantes argumentations pour prouver que Dieu ne peut pas faire qu’il y ait plusieurs intellects de la même espèce, dans la persuasion que ceci renferme une contradiction. Supposé, en effet, qu’il ne fût pas dans la nature de l’intellect d’être multiplié, il ne s’ensuivrait pas néanmoins qu’il y eût contradiction, si l’intellect était multiplié. Car rien n’empêche qu’une chose qui n’a pas dans sa nature la raison d’une autre chose, ne puisse pas cependant l’avoir d’une autre cause: ainsi un corps lourd n’a pas la puissance de se tenir en l’air, mais il n’y a pas contradiction à ce qu’un corps lourd soit élevé dans l’air; seulement il y aurait contradiction à ce qu’il se fût élevé en l’air par sa propre nature. De même donc, s’il n’y avait qu’un intellect pour tout le monde, parce qu’il n’aurait pas la raison de se multiplier il le pourrait cependant par une cause surnaturelle, sans que ceci impliquât contradiction, ce que nous disons non seulement pour le cas présent, mais pour qu’on n’applique pas à d’autres cas ce mode d’argumentation. Car on pourrait aussi bien dire que Dieu ne peut pas faire que les morts ressuscitent et que les aveugles voient. Nos adversaires emploient un autre raisonnement pour appuyer leur erreur. Ils demandent si l’intellect en vous et en moi est parfaitement un ou deux en nombre, et un en espèce. S’il est un seulement, alors il n’y a qu’un intellect; s’il y en a deux en nombre et un en espèce, il s'ensuit que les intellects contiendront l’objet conçu. Car tout ce qui est deux en nombre et un en espèce est un seul intellect, parce qu’il n’y a qu’une quiddité, par laquelle ils sont conçus; et on irait ainsi jusqu’à l’infini, ce qui est impossible. Il est donc impossible qu’il y ait deux intellects en vous et en moi; il n’y a donc, par conséquent, qu’un seul intellect en nombre dans tous les hommes. Or il faut demander à ces hommes qui croient raisonner si habilement, si c’est contre la raison de l’intellect, en tant qu’il est intellect, ou en tant qu’il est l’intellect de l’homme, qu’il y a deux intellects en nombre et un seul en espèce; or il est évident, d’après la raison qu’ils nous donnent, que c’est contre la raison de l’intellect en tant qu’intellect. Car il est de la raison de l’intellect, en tant qu’intellect, qu’il ne faut pas qu’on fasse abstraction de ce qui fait qu’il est intellect. Donc, d’après leur propre raisonnement, nous pouvons conclure naturellement qu’il y a un seul intellect, et qu’il n’y en a pas un seul pour tous les hommes. Et si, d’après leur raisonnement, il n’y a qu’un intellect, il s’ensuit qu’il n’y a qu’un intellect dans tout l’univers, et non seulement dans tous les hommes. Par conséquent, notre intellect n’est pas une substance séparée, mais il est Dieu lui même, et alors disparaît complètement la pluralité des substances séparées. Mais si on voulait répliquer et dire que l’intellect substance séparée et l’intellect d’une autre n’est pas le même en espèce, parce que les intellects diffèrent en espèce, on commettrait encore une erreur. Parce que ce qui est compris est à l’égard de l’intellect et de l’action de l’intelligence comme l’objet est à l’acte et à la puissance car l’objet ne reçoit pas l’idée de l’acte, ni de la puissance, mais au contraire. Il faut donc conclure simplement que l’intellect d’une chose, par exemple d’une pierre, est un, non seulement dans tous les hommes, mais encore dans tous les intellects. Ce qu'est l"intellect Reste à savoir ce que c’est que l’intellect. Car si l’on dit que l’intellect est une image immatérielle existant dans l’intellect possible on ne s’aperçoit pas quoi tombe dans l’idée de Platon, qui prétend qu’on ne peut avoir aucune connaissance des choses sensibles, tandis qu’on soit parfaitement ce qu’est une forme séparée. Car il ne fait rien à notre opinion, qu’on dise que la connaissance que l’on a d’une pierre est celle de la forme séparée d’une pierre qui est dans l’intellect car il s’ensuit, dans tous les cas, qu’on a la connaissance non des choses qui sont présentes, mais encore des choses séparées. Comme Platon a prétendu que ces formes immatérielles existaient par elles-mêmes, il pouvait soutenir également que les intellects tiraient la connaissance d’une vérité, d’une forme séparée. Mais ceux qui disent que ces formes immatérielles qu’ils prétendent être des intellects, sont forcés d’avouer qu’il n’y a qu’un intellect non seulement pour tous les hommes, mais simplement. Il faut donc dire avec Aristote que l’intellect, qui est un, est la nature elle-même ou la quiddité des choses. Car il y a une science naturelle et d’autres connaissances des objets créés, mais non des idées intellectuelles. Car si l’intellect était non la nature de la pierre qui est dans l’objet, mais l’idée qui est dans l’intellect, il s’ensuivrait que je ne comprendrais pas l’objet qui est une pierre, mais seulement l’idée qui est séparée de la pierre. Il est vrai que la nature de la pierre, en tant q!l’individualisée, est comprise en puissance, mais n’est conçue en acte que par l’intermédiaire des objets sensibles et des sens, les idées sont transmises à l’imagination, et les idées intelligibles, qui sont dans l’intellect possible, en sont tirées par la puissance de l’intellect actif. Ces idées ne sont pas pour l’intellect possible, comme des intellects, mais comme des idées par lesquelles l’intellect conçoit. De même les images qui sont dans la vue, ne sont pas les objets eux-mêmes, mais ce qui fait que l’oeil voit, à moins que l’intellect se reflète sur lui-même, ce qui ne peut pas arriver pour les sens. Si l’acte de l’intellect était une action qui se communiquât à une matière étrangère, comme, par exemple, le mouvement et le feu, il s’ensuivrait que l’intelligence serait en raison du mode de la nature des individus, comme l’action du feu est en raison du combustible. Mais comme l’intelligence est un acte qui reste dans l’être intelligent, comme Aristote le dit au neuvième livre de sa Métaphysique, il s’ensuit que l’intelligence est en raison de l’être intelligent, c’est-à-dire selon la mesure de l’idée par laquelle l’intellect comprend. Or, comme elle est séparée des principes individualisateurs, elle ne représente pas l’objet et individuellement et dans sa condition propre mais seulement la nature en général. Car rien n’empêche, si deux choses sont unies dans un objet, que l’une d’elles puisse arriver aux sens sans l’autre; ainsi la couleur du miel ou d’un fruit peut frapper les regards, sans que le goût soit affecté de leur saveur. C’est donc une même chose qui est conçue par vous et par moi, mais elle l’est autrement par vous et autrement par moi, c’est-à-dire par une autre idée intelligente; autre est l’acte de mon intelligence, autre est celui de votre intelligence, autre est mon intellect, autre est le vôtre. C’est ce qui fait dire à Aristote qu’il y a une science particulière quant au sujet, comme on dit que la connaissance de la grammaire qu’a une personne est dans son esprit, mais non dans sa personne. En sorte que quand mon intellect sent qu’il comprend, il a l’idée d’un acte personnel et singulier, mais quand il voit simplement comprendre, il conçoit quelque chose en général, car l’individualisation ne répugne pas à l’intelligibilité, mais seulement la matérialité. Or comme il y a des individualités immatérielles, comme nous l’avons dit plus haut, des substances séparées, rien n’empêche de concevoir de telles individualités. On voit de là comment la même science peut être dans le disciple et le maître. Elle est la même quant à l’objet connu, mais non quant aux idées intelligibles, par lesquelles la science arrive à l’esprit de l’un et de l’autre. Sous ce rapport, la science est individualisée en vous et en moi, et il n’est pas nécessaire que la science qu’a le disciple lui soit donnée par le maître, comme l’eau reçoit la chaleur du feu, mais comme la santé qui est dans un remède, de la santé qui est dans l’idée du médecin. Car, de même qu’il y a dans le malade un principe naturel de sauté, auquel le médecin donne des moyens pour perfectionner la santé, de même y a-t-il dans le disciple le principe naturel de la science, qui est l’intellect actif et les premiers principes innés. Le maître lui vient en aide en déduisant les conséquences des principes naturels; de même le médecin cherche à guérir par les moyens qu’emploie la nature, c’est-à-dire par le froid et le chaud, et le maître conduit à la science par les mêmes voies que suivrait celui qui la découvrirait lui-même, c'est-à-dire en procédant du connu à l’inconnu; et de même que ce n’est pas la puissance du médecin qui rend la santé au malade, mais les forces de la nature, ainsi le disciple acquiert la science par ses propres facultés, et non en raison de celles du maître. L'intellect est un après la mort du corps L’objection qu’on fait ensuite, que s’il restait plusieurs substances intellectuelles après la destruction des corps, elles seraient sans but, comme le dit Aristote au onzième livre de sa Métaphysique, si les substances séparées n’animaient pas de corps, se résout facilement, si on fait attention aux paroles d’Aristote. Car il dit avant de donner cette raison," il faut laisser à de plus savants de dire pourquoi il est raisonnable d’admettre tant de substances et de principes immuables." D’où l’où peut voir qu’il n’admet pas de nécessité, mais une certaine probabilité. Ensuite, comme ce qui n’atteint pas le but auquel il est destiné, est inutile, on ne peut pas dire, même sous la simple probabilité, que les substances séparées seraient inutiles, si elles n’animaient pas de corps à moins qu’on admette que la fin des substances séparées est l’animation des corps, ce qui est tout à fait impossible, puisque la fin vaut mieux que les moyens. Donc Aristote ne veut pas dire qu’elles seraient inutiles, si elles n’animaient pas de corps, mais que toute substance immortelle a un but excellent par elle-même: Car la perfection d’une chose consiste à être non seulement bonne en soi, mais encore à communiquer ses qualités aux autres. Or on ne soit pas comment les substances séparées communiquent la bonté aux êtres qui leur sont inférieurs, si ce n’est par le mouvement de certains corps; aussi c’est de là qu’Aristote déduit une espèce de probabilité qu’il n’y a d’autres substances séparées que celles que l’on connaît par les mouvements des corps célestes, bien que ceci ne soit pas nécessaire, comme il l’avoue lui-même. Nous avouons que l’âme humaine séparée du corps n’a pas sa dernière perfection, puisqu’elle est une partie de la nature humaine. Car la partie n’est pas parfaite tant qu’elle est séparée du tout. Mais elle n’est pas inutile pour cela, parce que la fin de l’âme humaine n’est pas d’animer les corps, mais sa fin est l’intelligence, en laquelle consiste sa félicité, comme Aristote le prouve dans le dixième livre de sa Morale. Nos adversaires veulent appuyer leur erreur en disant que s’il y avait plusieurs intellects pour plusieurs hommes, comme l’intellect est incorruptible, il s’ensuivrait qu’il y en aurait une infinité, puisque, d’après l’opinion d’Aristote, le monde est éternel, et qu’il y a toujours eu des hommes. Algazel répond ainsi dans sa Métaphysique: "Que dans ces deux cas, ce qui aura été sans l’autre, c’est-à-dire la quantité ou le nombre sans ordre, ne peut être sans l’infinité, comme le mouvement du ciel." Il ajoute encore: "Nous convenons également que les âmes humaines, qui sont susceptibles d’être séparées des corps, sont infinies en nombre, quoiqu’elles aient l’être simultanément, parce qu’il n’y a pas entre elles d’ordre naturel, en dehors duquel elles cessent d’être des âmes, parce qu’il h’y en a aucune qui soit le principe des autres, puisqu’elles n’ont entre elles ni priorité, ni postériorité de nature et de position." Car elles n’ont pas d’antériorité et de postériorité les unes à l’égard des autres, quant au temps de leur création. Or dans leurs essences, en tant qu’essences, il n’y a aucun rang, puisqu’elles sont égales en être, mais elles ne le sont pas quant aux corps et aux lieux à la cause et l’effet. Nous ignorons comment Aristote résoudrait ces objections, parce que nous n’avons pas cette partie de sa Métaphysique, qui traite des substances séparées. Car il dit dans son second livre de Physique, "qu’il appartient à la première philosophie d’examiner quelles sont les formes qui sont séparées et séparables quant à la matière." Il est clair que cette question n’est nullement embarrassante pour les catholiques qui croient que le monde a eu un commencement. Il est évident qu’on dit une fausseté, quand on soutient que les philosophes Arabes et admettaient que l’intellect n’était pas multiplié à raison du nombre des créatures intelligentes, quoique les Latins ne l’aient pas cru. Algazel était Arabe et non Latin. Avicenne, qui était Arabe aussi, dit dans son livre de l’Âme: "Donc il n’y a pas une seule âme, mais plusieurs, et son essence est la même." Pour rie pas passer sans parler des Grecs, nous allons rapporter ce que pense Thémistius dans son commentaire de l’Âme. Pour résoudre la question qu’il se fait, si l’intellect actif est un ou multiple, il ajoute en réponse: "Faut-il croire qu’il n’y a qu’un intellect illuminateur, ou plusieurs qui sont éclairés, et ensuite plusieurs intellects sous illuminateurs. De même, bien qu’il n’y ait qu’un soleil, la lumière qui en sort et qu’il reflète en est comme séparée et divisée, et est ainsi répandue et distribuée dans divers rayons. C’est pourquoi Aristote ne compare pas l’intellect au soleil, mais à la lumière, tandis que Platon le compare au soleil. Donc les paroles de Thémistius prouvent que ni l’intellect actif dont parle Aristote, n’est un et illuminateur, ni que l’intellect possible n’est illuminé; mais il est vrai que le principe illuminateur est un, c’est-à-dire quelque substance séparée, ou Dieu, selon les catholiques, ou l’intelligence suprême, selon Avicenne. Thémistius prouve l’unité de ce principe séparé, par cela même que le maître et le disciple comprennent la même chose. Ce qui n’aurait pas lieu, s’il n’y avait un seul principe illuminateur. Ce qu’il dit ensuite, que plusieurs ont douté de l’unité de l’intellect possible, est vrai. Il n’ajoute rien de plus sur ce sujet, parce que son intention n’était pas de parler des différentes opinions des philosophes, mais d’exposer celles d’Aristote, de Platon et de Théophraste. Et il finit en disant: "J’ai dit cela, pour montrer qu’il faut beaucoup d’étude et de recherches, pour se prononcer sur ce que dit le philosophe." Il est temps de faire voir ce que l’on peut recueillir de tout ce que nous avons rapporté de l’opinion d’Aristote, de Théophraste et surtout de Platon. Du reste, ce n’est pas ici le lieu, et je laisse à d’autres de dire ce que l’on a pensé de l’âme. Mais je crois qu’il est facile de conclure, d’après les paroles que j’ai citées et l’analyse que j’ai faite de leurs ouvrages, sur cette matière, quelle fut l’opinion d’Aristote, de Théophraste et de Platon. Donc il est évident qu’Aristote, Théophraste et Platon lui-même n’eurent pas pour principe qu’il n’y avait qu’un intellect possible pour tous les hommes. Il est également facile de voir qu’Averroès expose avec mauvaise foi l’opinion de Thémistius et de Théophraste, sur l’intellect possible et actif. C’est donc à juste titre que nous l’avons appelé le corrupteur de la philosophie péripatéticienne. Aussi il est étonnant que quelques-uns, en voyant seulement le Commentaire d’Averroès, osent soutenir qu’il a écrit que tous les philosophes Grecs ou Arabes, excepté les Latins, pensaient ainsi. Il est encore plus étonnant, ou plutôt ceci mérite toute notre indignation, qu’un homme, qui se dit chrétien, ose parler avec tant d’irrévérence de la foi chrétienne. Par exemple, lorsqu’on vient nous dire que les Latins n’admettent pas ceci dans leurs principes, c’est-à-dire qu’il n’y a qu’un seul intellect, parce que leur religion s’y oppose. Il y a deux maux en cela: d’abord, on doute si c’est contre la foi; secondement, parce qu’on insinue qu’on n’est pas de cette religion, et parce qu’ensuite on ajoute peu après: Voilà la raison pour laquelle les catholiques semblent penser de la sorte, où on appelle seulement opinion un article de foi., Ce qui suit accuse encore une plus grande témérité, à savoir, que Dieu ne peut pas faire qu’il y ait plusieurs intellects, parce que ceci implique contradiction. Mais ce qu’on ajoute plus bas est bien plus grave: la raison me fait croire nécessairement qu’il n’y a qu’un intellect, mais par la foi, je crois fermement le contraire. Donc on pense que la foi nous impose des croyances dont le contraire est une conclusion nécessaire. Or, comme il n’y a pas de conclusion nécessaire, à moins d’une vérité nécessaire, dont le contraire est faux et impossible, il s’ensuit, d’après ce dire, que la foi a pour objet le faux et l’impossible, ce que Dieu même ne peut pas faire et ce qui blesse des oreilles catholiques. Ce qui est encore audacieusement téméraire, c’est de mettre en doute non des questions de philosophie, mais des articles de foi, par exemple, si l’âme souffre du feu de l’enfer, et soutenir que l’opinion des docteurs, à cet égard, doit être réprouvée. On pourrait donc ainsi soumettre au jugement de la raison, les mystères de la Trinité, de l’Incarnation, et autres semblables, dont ou ne saurait parler qu’en bégayant! Conclusion Voilà ce que nous avons écrit pour réfuter l’erreur que nous avons exposée, non par les enseignements de la foi, mais par les paroles et les raisonnements des philosophes. Que si quelqu’un, fier de son faux savoir, veut combattre ce que nous avons dit, qu’il ne nous attaque pas dans l’ombre, ni en présence d’enfants qui ne sont pas capables de décider des questions difficiles, mais qu’il lance, s’il en a le cou rage, un écrit dans le public, et il trouvera non seulement moi, qui suis le dernier de tous, mais beaucoup d’autres écrivains, nobles tenants de la vérité, qui sauront réfuter ses erreurs et éclairer son ignorance.
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https://fr.wikisource.org/wiki/Correspondance%20avec%20%C3%89lisabeth
Correspondance avec Élisabeth
Correspondance Correspondance Correspondance Œuvres de Descartes <div class="text"> Élisabeth à Descartes - La Haye, 16 mai 1643 Descartes à Élisabeth - Egmond du Hoef, 21 mai 1643 Élisabeth à Descartes - La Haye, 20 juin 1643 Descartes à Élisabeth - Egmond du Hoef, 28 juin 1643 Élisabeth à Descartes - La Haye, 1er juillet 1643 Descartes à Élisabeth - Egmond du Hoef, novembre 1643 Élisabeth à Descartes - La Haye, 21 novembre 1643 Descartes à Élisabeth - Egmond du Hoef, novembre 1643 Descartes à Élisabeth - Paris, juillet 1644 (?) Élisabeth à Descartes - La Haye, 1er août 1644 Descartes à Élisabeth - Le Crévis, août 1644 Descartes à Élisabeth - Egmond, 18 mai 1645 Élisabeth à Descartes - La Haye, 24 mai 1645 Descartes à Élisabeth - Egmond, mai ou juin 1645 Élisabeth à Descartes - La Haye, 22 juin 1645 Descartes à Élisabeth - Egmond, juin 1645 Descartes à Élisabeth - Egmond, 21 juillet 1645 Descartes à Élisabeth - Egmond, 4 août 1645 Élisabeth à Descartes - La Haye, 16 août 1645 Descartes à Élisabeth - Egmond, 18 août 1645 Élisabeth à Descartes - La Haye, août 1645 Descartes à Élisabeth - Egmond, 1er septembre 1645 Élisabeth à Descartes - La Haye, 13 septembre 1645 Descartes à Élisabeth - Egmond, 15 septembre 1645 Élisabeth à Descartes - Riswyck, 30 septembre 1645 Descartes à Élisabeth - Egmond, 6 octobre 1645 Élisabeth à Descartes - La Haye, 28 octobre 1645 Descartes à Élisabeth - Egmond, 3 novembre 1645 Élisabeth à Descartes - La Haye, 30 novembre 1645 Élisabeth à Descartes - La Haye, 27 décembre 1645 Descartes à Élisabeth - Egmond, janvier 1646 Élisabeth à Descartes - La Haye, 25 avril 1646 Descartes à Élisabeth - Mai 1646 Descartes à Élisabeth - Egmond, mai 1646 Élisabeth à Descartes - La Haye, juillet 1646 Descartes à Élisabeth - Egmond, septembre 1646 Élisabeth à Descartes - Berlin, 10 octobre 1646 Descartes à Élisabeth - Novembre 1646 Élisabeth à Descartes - Berlin, 29 novembre 1646 Descartes à Élisabeth - Egmond, décembre 1646 Élisabeth à Descartes - Berlin, 21 février 1647 Descartes à Élisabeth - La Haye, mars 1647 Élisabeth à Descartes - Berlin, 11 avril 1647 Descartes à Élisabeth - Egmond, 10 mai 1647 Élisabeth à Descartes - Crossen, mai 1647 Descartes à Élisabeth - La Haye, 6 juin 1647 Descartes à Élisabeth - Egmond, 20 novembre 1647 Élisabeth à Descartes - Berlin, 5 décembre 1647 Descartes à Élisabeth - Egmond, 31 Janvier 1648 Élisabeth à Descartes - Crossen, 30 juin 1648. Descartes à Élisabeth - Paris, juin ou juillet 1648 Élisabeth à Descartes - Crossen, juillet 1648 Élisabeth à Descartes - Crossen, 23 août 1648 Descartes à Élisabeth - Egmond, octobre 1648 Descartes à Élisabeth - Egmond, 22 février 1649 Descartes à Élisabeth - Egmond, 31 mars 1649 Descartes à Élisabeth - Egmond, Juin 1649 Descartes à Élisabeth - Stockholm, 9 octobre 1649 Élisabeth à Descartes - 4 décembre 1649
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La Valeur de la Science
Œuvres d'Henri Poincaré Valeur de la science Valeur de la science Valeur de la science Bon pour export pl:Wartość nauki
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https://fr.wikisource.org/wiki/Les%20Lois%20%28trad.%20Chambry%29
Les Lois (trad. Chambry)
<div class="text"> INTERLOCUTEURS UN ÉTRANGER ATHÉNIEN ; CLINIAS, CRÉTOIS ; MÉGILLOS, LACÉDÉMONIEN Ces trois personnages s'entretiennent en marchant le long du chemin qui va de la ville de Cnossos, en Crête, à l'antre et au temple de Zeus, but de leur voyage. LIVRE PREMIER I L'ATHÉNIEN (01) Est-ce un dieu, étrangers, ou un homme à qui vous rapportez l'établissement de vos lois ? CLINIAS C'est un dieu, étranger, oui, un dieu, s'il faut parler juste. Chez nous, c'est Zeus (02) ; à Lacédémone, patrie de Mégillos, on dit, je crois, que c'est Apollon (03), n'est-ce pas ? MÉGILLOS Oui. L'ATHÉNIEN Rapportes-tu le fait, comme Homère, qui dit que Minos allait s'entretenir avec son père tous les neuf ans (04) et que c'est sur les indications de ce dieu qu'il établit les lois qu'il vous a données ? CLINIAS C'est ce qu'on dit en effet chez nous, et que son frère Rhadamanthe, dont vous connaissez certainement le nom, fut le plus juste des hommes. Aussi nous pouvons dire, nous autres Crétois, qu'il a mérité cet éloge pour avoir alors bien réglé les jugements. L'ATHÉNIEN Et c'est un beau titre de gloire, et qui sied parfaitement à un fils de Zeus. Mais, puisque vous avez été tous les deux nourris dans un milieu si bien policé, je compte que nous aurons plaisir à nous entretenir aujourd'hui sur la forme du gouvernement et les lois, parlant et écoutant tour à tour pendant le chemin que nous avons à faire. Aussi bien la route de Cnossos à l'antre et au temple de Zeus (05), est, à ce que j'ai ouï dire, assez longue, et l'on y trouve, naturellement, par la chaleur qu'il fait à présent, des reposoirs ombragés par de grands arbres, où nous ferons bien, à notre âge, de nous arrêter souvent, pour nous alléger la fatigue en causant ensemble et arriver sans nous presser au terme de notre excursion. CLINIAS Oui, étranger, nous trouverons en avançant de hauts cyprès dans les bois sacrés, des beautés naturelles admirables et des prairies où nous pourrons prendre du repos. L'ATHÉNIEN Voilà qui est bien. CLINIAS Oui, et quand nous les aurons vus, nous le dirons encore plus volontiers. Mais allons à la grâce de Dieu. II L'ATHÉNIEN Ainsi soit-il ! Maintenant dis-moi, à quelle fin la loi a-t-elle institué chez vous les repas en commun, les gymnases et l'espèce de vos armes ? CLINIAS M'est avis, étranger, qu'il est à la portée de n'importe qui de comprendre la raison de nos institutions. Vous voyez quelle est partout en Crète la nature du terrain ce n'est pas un pays de plaine comme la Thessalie. Aussi c'est l'usage des chevaux qui prévaut en Thessalie, chez nous la course à pied ; car notre pays est inégal et se prête à l'exercice de la course à pied. Dans ces conditions, il est indispensable d'avoir des armes légères pour courir sans être chargé. Or la légèreté des arcs et des flèches semble bien appropriée à ce but (06). C'est en prévision de la guerre que ces usages ont été établis, et c'est en fixant les yeux sur la guerre que le législateur a tout organisé ; c'est là du moins mon opinion. Si en effet il a rassemblé les citoyens dans les repas publics, c'est sans doute qu'il avait remarqué chez tous les peuples que, lorsqu'ils sont en campagne, ils sont forcés par cela même de manger ensemble tant que la guerre dure, pour assurer leur sûreté. Je crois qu'il a voulu par là condamner la sottise de la multitude, qui ne se rend pas compte que toutes les cités durant toute leur existence sont en état de guerre entre elles, et que, si, à la guerre, il faut, pour se garder, prendre ses repas en commun et avoir des chefs et des soldats chargés de veiller à la sécurité des citoyens, il faut aussi le faire en temps de paix. C'est que ce que la plupart des hommes appellent paix n'est paix que de nom, et qu'en réalité la guerre, quoique non déclarée, est l'état naturel des cités les unes à l'égard des autres. En considérant les choses de ce point de vue, tu trouveras que c'est en vue de la guerre que le législateur des Crétois a fait ses institutions publiques et particulières et qu'il nous a remis ses lois à garder, vu que tout le reste n'est d'aucune utilité, ni les biens ni les institutions, si l'on n'est pas les plus forts à la guerre, puisque tous les biens des vaincus passent aux mains des vainqueurs. III L'ATHÉNIEN Je vois, étranger, que tu t'es bien exercé à discerner les principes de la législation crétoise. Mais expliquemoi ceci encore plus clairement. Étant donné le but que tu assignes à une bonne constitution, il me semble que tu dis qu'une ville doit être organisée de manière à vaincre les autres villes à la guerre. N'est-ce pas ? CLINIAS C'est exactement cela, et je m'imagine que notre camarade est de mon avis. MÉGILLOS N'importe quel Lacédémonien, divin Clinias, ne saurait répondre que oui. L'ATHÉNIEN Mais si cette vue est juste à l'égard des villes entre elles, en est-il autrement de bourgade à bourgade ? CLINIAS Non pas. L'ATHÉNIEN Alors c'est la même chose ? CLINIAS Oui. L'ATHÉNIEN Mais quoi ? pour une maison à l'égard d'une autre maison de la bourgade et pour un homme isolément à l'égard d'un autre homme, est-ce encore la même chose ? CLINIAS C'est la même. L'ATHÉNIEN Et l'homme isolé à l'égard de lui-même doit-il se regarder comme un ennemi en face d'un ennemi ? Ou que faut-il dire ? CLINIAS O étranger Athénien, je ne dirai pas attique, car tu me parais digne d'être appelé du nom de la déesse, tu as jeté plus de clarté dans notre discours en le ramenant à son principe, en sorte que tu découvriras maintenant plus aisément que nous avons eu raison de dire que tous sont ennemis de tous, tant les États que les particuliers, et que chacun d'eux est en guerre avec lui-même. L'ATHÉNIEN Que dis-tu là, merveilleux ami ? CLINIAS Qu'ici aussi, étranger, de toutes les victoires la première et la plus belle est celle qu'on remporte sur soi-même, comme aussi de toutes les défaites la plus honteuse et la plus funeste est d'être vaincu par soi-même. Cela veut dire qu'il y a en chacun de nous un ennemi de nous-même. L'ATHÉNIEN Renversons donc l'ordre de notre discours. Puisque chacun de nous est tantôt meilleur, tantôt pire que lui-même, dirons-nous que la même chose a lieu dans la famille, dans la bourgade et dans la cité, ou ne le dirons-nous pas ? CLINIAS Veux-tu dire que l'une est tantôt meilleure, tantôt pire qu'elle-même ? L'ATHÉNIEN Oui. CLINIAS Cette question aussi, tu as bien fait de la poser ; car il en est absolument de même sans aucune différence dans les États : dans tous ceux où les bons ont l'avantage sur la multitude et les méchants, on peut dire justement qu'ils sont meilleurs qu'eux-mêmes et on a grandement raison de les féliciter d'une telle victoire. C'est le contraire dans le cas contraire. L'ATHÉNIEN Laissons de côté la question de savoir si le pire est parfois supérieur au meilleur; cela exigerait une trop longue discussion. Mais je comprends à présent ce que tu veux dire, c'est qu'il peut arriver que des citoyens de la même race et de la même ville, méprisant la justice, se réunissent en grand nombre et asservissent par la force les justes qui sont moins nombreux, et, lorsqu'ils ont remporté la victoire, on peut dire avec raison que l'État est inférieur à lui même et mauvais, et que, s'ils ont le dessous, il est supérieur à lui-même et bon. CLINIAS Ce que tu viens de dire, Athénien, est tout à fait étrange, et cependant il faut de toute nécessité convenir que c'est juste. IV L'ATHÉNIEN Allons maintenant, examinons ceci aussi. Supposons plusieurs frères du même père et de la même mère. Il ne serait pas du tout extraordinaire que la majorité d'entre eux fût injuste et la minorité juste. CLINIAS Non, assurément. L'ATHÉNIEN Il ne siérait, ni à moi ni à toi, de rechercher si, les méchants étant vainqueurs, toute la maison et la parenté serait dite pire qu'elle-même et meilleure qu'elle-même, s'ils étaient vaincus ; car notre examen ne porte pas à présent sur la convenance ou l'inconvenance des expressions, mais sur ce qui constitue naturellement la justesse ou l'erreur en matière de lois. CLINIAS Rien de plus vrai que ce que tu dis, étranger. MÉGILLOS C'est exact en effet, et je suis de ton avis sur le point que nous débattons à présent. L'ATHÉNIEN Considérons encore ceci. Ces frères dont nous parlions tout à l'heure pourraient avoir quelqu'un pour les juger. CLINIAS Certainement. L'ATHÉNIEN Quel serait le meilleur juge, celui qui ferait mourir ceux d'entre eux qui sont méchants et ordonnerait aux bons de se gouverner eux-mêmes, ou celui qui, remettant le pouvoir aux bons, laisserait vivre les mauvais à condition d'obéir volontairement aux autres ? Mais supposons un troisième juge d'une autre qualité, qui, trouvant une famille divisée, serait capable, sans faire périr personne, de rétablir pour l'avenir la concorde parmi ses membres, en leur donnant des lois et en veillant par là à maintenir leur amitié. CLINIAS Un pareil juge, un tel législateur serait de beaucoup le meilleur. L'ATHÉNIEN Et pourtant ce serait en vue du contraire de la guerre qu'il leur dicterait ses lois. CLINIAS C'est vrai. L'ATHÉNIEN Mais celui qui établit l'harmonie dans la cité, est-ce en songeant à la guerre étrangère qu'il embellit le mieux la vie, ou en songeant à cette guerre qui naît souvent dans un État et qu'on appelle sédition, guerre qu'on voudrait surtout ne jamais voir éclater dans sa patrie, ou la voir étouffer le plus vite possible quand elle est née ? CLINIAS Il est évident que c'est en vue de cette dernière. L'ATHÉNIEN Et dans le cas d'une sédition, est-il quelqu'un qui préférât la paix gagnée par la ruine des uns et la victoire des autres, plutôt que l'amitié et la paix obtenue par une réconciliation et la nécessité de tourner ensuite son attention vers les ennemis du dehors ? CLINIAS Chacun préférerait pour sa patrie le second cas au premier. L'ATHÉNIEN N'en est-il pas de même du législateur ? CLINIAS Sans doute. L'ATHÉNIEN Alors n'est-ce pas en vue du plus grand bien que tout législateur doit porter ses lois ? CLINIAS Sans contredit. L'ATHÉNIEN Or le plus grand bien n'est ni la guerre ni la sédition, il faut au contraire souhaiter de n'en avoir jamais besoin, mais la paix et la bienveillance mutuelle. Il semble donc que la victoire que la cité peut remporter sur elle-même ne doit pas être comptée parmi les plus grands biens, mais parmi les nécessaires. C'est comme si l'on croyait qu'un corps malade, après avoir été purgé par le médecin est dans le meilleur état, et qu'alors on ne fît aucune attention au corps qui n'en a pas du tout besoin. De même un homme qui aurait la même conception sur le bonheur de l'État ou des particuliers ne saurait jamais être un bon politique, ni un législateur exact, s'il se préoccupe uniquement et avant, tout des guerres du dehors. Il faut pour cela qu'il règle ce qui concerne la guerre en vue de la paix plutôt que de régler ce qui concerne la paix en vue de la guerre. V CLINIAS Ce que tu dis, étranger, paraît juste, et je m'étonne que notre législateur, ni celui de Lacédémone, n'ait pas mis tous ses soins à réaliser ce but. L'ATHÉNIEN C'est bien possible ; mais ce n'est pas le moment de disputer âprement entre nous : il faut au contraire nous questionner paisiblement, sachant que nous, comme eux, nous nous intéressons vivement à ce sujet. Suivez maintenant ce que j'ai à en dire. Faisons comparaître Tyrtée, athénien de race, mais adopté comme citoyen par les Lacédémoniens (07), l'homme du monde qui a fait le plus d'estime des vertus guerrières, comme il paraît par les vers où il dit : « Je ne mentionnerais pas, je n'estimerais en rien celui qui n'est pas très vaillant à la guerre, fût-il le plus riche des hommes et possédât-il beaucoup de biens." et il les énumère presque tous. Tu as sans doute, toi aussi, entendu réciter ces poèmes. Pour Mégillos, il en a, je pense, les oreilles rebattues. MÉGILLOS Certainement. CLINIAS Ils ont en effet passé de Lacédémone chez nous. L'ATHÉNIEN Allons maintenant; interrogeons ensemble ce poète et disons lui : "O Tyrtée, le plus divin des poètes, tu as bien fait voir ton talent et ta vertu en louant excellemment les hommes qui excellent à la guerre. Aussi nous sommes à présent, à ce qu'il nous semble, Mégillos, Clinias de Cnossos que voici et moi, entièrement d'accord avec toi sur ce point ; mais nous désirons savoir clairement si nous parlons ou non des mêmes hommes. Dis-nous donc : reconnais tu comme nous qu'il y a deux espèces de guerre ; sinon, quel est ton avis." A cette question, il n'est pas besoin, je crois d'avoir l'esprit de Tyrtée pour répondre, ce qui est la vérité, qu'il y en a deux, l'une que nous appelons tous sédition et qui est, comme nous le disions tout à l'heure, la plus cruelle de toutes. Nous admettrons tous, je pense, que l'autre espèce de guerre est celle que nous menons au dehors contre des hommes d'autre race, avec lesquels nous sommes en conflit, guerre beaucoup plus douce que l'autre. CLINIAS Sans contredit. L'ATHÉNIEN Voyons maintenant quels hommes et quelle guerre tu avais en vue en louant les uns et blâmant les autres si hautement. Ce sont, ce me semble, les guerres du dehors ; car tu dis dans tes poèmes que tu ne saurais supporter les hommes qui n'osent pas regarder en face la mort sanglante ni tenir ferme contre l'ennemi dans la mêlée. D'après ces vers nous pouvons, nous, te dire : "Toi, Tyrtée, tu loues surtout ceux qui se distinguent dans les guerres du dehors contre les étrangers." Tyrtée n'en conviendrait-il pas ? CLINIAS Sans doute. L'ATHÉNIEN Nous, au contraire, nous disons que, si bons qu'ils soient, il y en a de meilleurs, à savoir ceux qui font éclater leur valeur dans la guerre la plus violente. Et nous en avons pour garant Théognis (08), citoyen de Mégare en Sicile, qui dit : "L'homme fidèle dans les cruelles dissensions, Kyrnos, vaut son poids d'or et d'argent. " Cet homme-là, nous prétendons que dans la guerre la plus pénible il est infiniment supérieur à l'autre, qu'il l'est à peu près autant que la justice, la tempérance et la prudence jointes au courage sont supérieures au courage seul ; car, pour être fidèle et incorruptible dans des séditions, il faut réunir en soi toutes les vertus, au lieu que, pour soutenir un combat de pied ferme et pour être décidé à mourir, comme dit Tyrtée, c'est à faire à une foule infinie de mercenaires, lesquels sont généralement audacieux, malfaisants, insolents et les plus insensés de presque tous les hommes, à part un très petit nombre. A quoi donc aboutit tout ce discours et que voulons-nous prouver là ? C'est évidemment que tout d'abord et le législateur crétois inspiré par Zeus et tout autre législateur de valeur, si petite soit-elle, fixera toujours avant tout pour faire ses lois ses yeux sur la plus grande vertu. Or cette vertu, c'est, comme le dit Théognis, la fidélité dans les circonstances difficiles, qu'on peut appeler la justice parfaite. Quant à la vertu que Tyrtée a louée avant toutes les autres, elle est belle sans doute, et le poète l'a fait valoir à propos, mais néanmoins on peut dire en toute justice qu'elle n'est que la quatrième en nombre et en valeur. VI CLINIAS Ainsi donc, étranger, nous rejetons notre législateur parmi les législateurs du dernier ordre ? L'ATHÉNIEN Non pas, mon excellent ami, c'est nous-mêmes que nous rejetons ainsi, quand nous croyons que Lycurgue et Minos ont eu principalement la guerre pour objet dans toute la législation de Lacédémone et, dans celle de ce pays. CLINIAS Mais alors que devions-nous dire ? L'ATHÉNIEN Ce que je crois conforme a la vérité et ce qu'il est juste de dire quand on parle d'une législation divine, c'est-à-dire que ce n'est pas en vue d'une partie de la vertu et la moindre qu'il légiférait, mais en vue de la vertu entière, et qu'il a cherché ses lois dans chacune des espèces qui la composent, sans se borner à celles que les législateurs de nos jours envisagent et recherchent ; car chacun d'eux ne cherche à présent et ne se propose que l'espèce dont il a besoin, l'un celle qui regarde les héritages et les épicières (09), l'autre les voies de fait, et d'autres une foule de choses de cette nature. Mais nous affirmons, nous, qu'une recherche bien conduite en matière de lois doit commencer comme nous l'avons fait, car j'approuve entièrement la manière dont tu t'y es pris pour exposer les lois de ton pays. Il est juste en effet de commencer par la vertu et de dire que c'est en vue de la vertu que Minos posait ses lois. Mais quand tu as dit qu'en légiférant, il rapportait tout à une partie de la vertu, et encore à la moins considérable, ton assertion ne m'a plus semblé juste, et c'est pour cela que j'ai introduit ensuite toute cette discussion. Maintenant veux-tu que je t'explique comment j'aurais voulu que tu divises le sujet, et ce que j'aurais désiré t'entendre dire ? CLINIAS Certainement. L'ATHÉNIEN Ce que tu aurais dû dire, étranger, le voici : "Ce n'est pas sans raison que les lois des Crétois sont singulièrement estimées dans toute la Grèce. C'est qu'elles sont bonnes, puisqu'elles rendent heureux ceux qui les pratiquent, en leur procurant tous les biens. Or il y a deux espèces de biens ; les uns sont humains, les autres divins. Les premiers sont attachés aux seconds, et, si un État reçoit les plus grands, il acquiert en même temps les moindres, et, s'il ne les reçoit pas, il est privé des deux. Les moindres sont la santé, qui tient la tète, en second lieu vient la beauté, en troisième lieu la vigueur, soit à la course, soit dans tous les autres mouvements du corps, et en quatrième lieu la richesse, non pas Plutus aveugle, mais Plutus clairvoyant, et marchant à la suite de la prudence. Dans l'ordre des biens divins, celui qui est en tête est la prudence ; au second rang, derrière elle, la tempérance réglée avec intelligence ; au troisième, la justice, mélange de ces vertus avec le courage ; et au quatrième, le courage. Ces derniers biens se rangent tous par leur nature avant les premiers, et c'est ainsi que le législateur doit aussi les ranger. Il faut ensuite que toutes les autres prescriptions enjointes aux citoyens aient en vue les divins, et les divins la prudence en son entier, qui tient le premier rang. Il faut d'abord s'occuper des mariages qui unissent les citoyens entre eux, puis de la naissance et de l'éducation des enfants, mâles et femelles, les suivre de la jeunesse jusqu'à l'âge mûr et à la vieillesse, pour les honorer comme on le doit ou les frapper de peines infamantes ; il faut observer et surveiller dans toutes leurs relations leurs chagrins, leurs plaisirs, leur goûts pour tous les objets d'amour, et les blâmer ou les louer justement au moyen même des lois. Il faut faire de même pour leurs colères, leurs craintes, les troubles que l'adversité excite dans les âmes et le calme que la prospérité y ramène, tous les accidents qui surprennent les hommes dans les maladies, à la guerre, dans la pauvreté et dans les situations contraires. En tous ces cas, il faut enseigner et définir ce qu'il y a de beau et de laid dans les dispositions de chacun. Après cela, il est nécessaire que le législateur porte son attention sur les acquisitions et les dépenses des citoyens et la manière dont elles se font, sur la formation et la dissolution des sociétés volontaires et involontaires qu'on fait en vue de tout cela et la manière dont on se comporte à l'égard les uns des autres en chacun de ces cas. Il doit examiner dans quels actes la justice est observée, dans quels actes elle fait défaut, distribuer des récompenses à ceux qui observent docilement les lois et infliger des peines fixées d'avance à ceux qui leur désobéissent. Quand enfin il sera parvenu au terme de sa constitution complète, il faudra qu'il s'occupe des morts et qu'il voie de quelle manière on donnera la sépulture à chacun d'eux et quels honneurs il convient de leur rendre. Quand il aura observé tout cela, il préposera au maintien de ses lois des magistrats qui jugeront, les uns d'après la raison, les autres d'après l'opinion vraie, en sorte que ce corps d'institutions assorti dans ses parties par l'intelligence paraisse marcher à la suite de la tempérance et de la justice, et non de la richesse et de l'ambition. C'est ainsi, étrangers, que j'aurais désiré et que je désire encore à présent que vous exposiez comment tout cela se trouve dans les lois attribuées à Zeus et à Apollon pythien, que Minos et Lycurgue ont édictées, et comment elles ont été rangées dans un ordre parfaitement clair pour un homme que l'étude et la pratique ont rendu habile dans la législation, mais qui n'est pas visible pour nous autres. VII CLINIAS Comment devons-nous donc, étranger, traiter ce qui suit ? L'ATHÉNIEN Il faut, à mon avis, procéder à nouveau comme nous avons commencé et exposer en détail les exercices qui se rapportent au courage, puis passer, si vous le voulez bien, à une autre espèce de vertu et à une autre ensuite ; et la méthode que nous aurons suivie dans l'examen de la première, nous essaierons, en la prenant pour modèle, de l'appliquer aux autres et, en causant ainsi, nous allégerons la fatigue de la route. Nous ferons voir ensuite, si Dieu le veut, que ce que nous venons de dire de la vertu en général vise au même but. MÉGILLOS C'est bien dit. Essaye d'abord de juger l'avocat de Zeus que tu as devant toi. L'ATHÉNIEN Je vais essayer, mais je te jugerai, toi aussi, et moi-même ; car nous sommes tous intéressés ici. Répondez-moi donc : nous disons bien que les repas en commun et les exercices gymniques ont été imaginés par le législateur en vue de la guerre. MÉGILLOS Oui. L'ATHÉNIEN Et la troisième et la quatrième espèce ? Il faudrait peut-être passer ainsi en revue les parties du reste de la vertu, soit qu'on appelle ainsi ses parties ou qu'il faille leur donner un autre nom quelconque, pourvu qu'il laisse bien voir ce qu'il exprime. MÉGILLOS Pour la troisième espèce que le législateur a trouvée, je dirais volontiers, et n'importe quel Lacédémonien aussi, que c'est la chasse. L'ATHÉNIEN Essayons aussi de dire quelle est la quatrième et la cinquième. MÉGILLOS Pour la quatrième, je peux encore essayer de la dire c'est l'endurance à la douleur, fort pratiquée chez nous dans les combats de main et dans les rapts où l'on reçoit toujours beaucoup de coups. Il y a aussi ce qu'on appelle la cryptie, exercice prodigieusement pénible et propre à donner de lendurance, et l'habitude d'aller nu-pieds et de coucher sans couverture en hiver, celle de se servir soi-même sans recourir à des esclaves, d'errer la nuit comme le jour à travers tout le pays. Nous avons encore les gymnopédies (10) , terribles exercices pour nous endurcir en luttant contre les fortes chaleurs, et une masse d'autres, si nombreux qu'on ne finirait jamais de les énumérer. L'ATHÉNIEN C'est fort bien dit, étranger lacédémonien. Mais voyons, que dirons-cous du courage ? Dirons-nous simplement qu'il consiste à lutter contre la crainte et la douleur uniquement, ou aussi contre les désirs, les plaisirs et certaines flatteries d'une séduction dangereuse, qui rendent molles comme de la cire les âmes de ceux-mêmes qui se croient austères ? MÉGILLOS A mon avis, il s'exerce contre tout cela à la fois. L'ATHÉNIEN Si nous nous rappelons ce qui a été dit tout à l'heure, Clinias prétendait qu'il y a des États et des particuliers inférieurs à eux-mêmes. N'est-ce pas vrai, étranger de Cnossos ? CLINIAS Exactement vrai. L'ATHÉNIEN Eh bien maintenant, lequel des deux appellerons-nous lâche; est-ce celui qui succombe à la douleur, ou n'est-ce pas plutôt celui qui se laisse vaincre par le plaisir ? CLINIAS A mon avis, c'est celui qui se laisse vaincre par le plaisir, et nous sommes tous d'accord pour dire que, l'homme vaincu par le plaisir est plus honteusement inférieur à lui même que celui qui l'est par la douleur. L'ATHÉNIEN Mais alors le législateur de Zeus et celui d'Apollon n'ont-ils donc recommandé dans leur code qu'un courage boiteux, capable de résistance uniquement du côté gauche, mais incapable du côté droit de tenir contre les objets agréables et flatteurs, ou bien se soutient-il des deux côtés ? CLINIAS Des deux côtés, suivant moi. L'ATHÉNIEN Revenons encore là-dessus. Quelles sont chez vous, dans vos deux villes, les institutions qui vous permettent de goûter les plaisirs, au lieu de les fuir, institutions analogues à celles qui, au lieu de vous faire éviter les douleurs, vous jettent au milieu d'elles et vous forcent et vous déterminent par les honneurs que vous en retirez à les surmonter ? Où trouve-t-on dans vos lois une prescription du même genre ? Dites-moi quelle est celle qui rend chez vous les mêmes hommes courageux à la fois contre les douleurs et contre les plaisirs, qui les fait vaincre ce qu'il faut vaincre et fait qu'ils ne sont pas inférieurs aux ennemis qui sont les plus proches d'eux et les plus dangereux. MÉGILLOS J'ai pu, étranger, citer beaucoup de lois pour résister à la douleur ; mais je ne suis pas également en fonds pour parler des plaisirs à propos d'objets importants et remarquables, mais peut-être le serais-je sur de minces objets. CLINIAS Moi non plus, je ne suis pas à même de faire voir dans les lois de la Crète des prescriptions comme celles que tu demandes. L'ATHÉNIEN O les meilleurs des étrangers, il n'y a rien d'étonnant à cela. Mais si quelqu'un de nous, amoureux de la vérité et de la perfection, trouve quelque chose à redire aux lois de son pays, ne nous fâchons pas et traitons-nous doucement les uns les autres. CLINIAS C'est juste, étranger athénien, et il faut t'écouter. L'ATHÉNIEN Le fait est, Clinias, que nous aurions mauvaise grâce à notre âge de nous en choquer. CLINIAS Assurément. L'ATHÉNIEN Qu'on ait raison ou non de critiquer la constitution de Lacédémone et de la Crète, c'est une autre question ; mais pour ce qu'on en dit dans le vulgaire, peut-être suis-je mieux placé que vous deux pour le savoir ; car chez vous, parmi ces lois si bien établies, une des plus belles est celle qui défend aux jeunes gens d'y rechercher ce qu'elles ont de bon et ce qu'elles ont de défectueux ; ils doivent s'accorder à dire d'une seule voix et du même cœur qu'elles ont été parfaitement conçues, puisque les dieux en sont les auteurs, et ils ne doivent en aucun façon supporter qu'on en parle autrement devant eux. Les vieillards seuls qui ont quelque remarque à faire sur vos lois peuvent s'en ouvrir aux magistrats et aux gens de leur âge, mais pas devant les jeunes gens. CLINIAS Tu as parfaitement raison, étranger, et tu es un bon devin ; car, bien que tu n'aies pas assisté aux délibérations du législateur quand il fit cette loi, il me semble que tu as fort bien conjecturé son intention et que tu en parles fort justement. L'ATHÉNIEN Nous sommes donc nous, puisqu'il n'y a point ici de jeunes gens, autorisés, vu notre âge, par le législateur à nous entretenir entre nous seuls sur ce sujet, sans commettre aucune faute. CLINIAS C'est exact. Aussi ne te fais pas faute de critiquer nos lois. Il n'y a pas de déshonneur à reconnaître qu'une chose est défectueuse, d'autant plus que c'est le moyen d'y remédier, si l'on accueille la censure sans amertume et avec bienveillance. VIII L'ATHÉNIEN Fort bien ; mais je ne parlerai pas pour critiquer vos lois avant d'en avoir fait un examen aussi solide que possible, ou plutôt je n'en parlerai que pour exposer mes doutes. Vous êtes, parmi les Grecs et les barbares que nous connaissons, les seuls à qui le législateur a enjoint de s'abstenir des plaisirs et des divertissements les plus vifs et même d'y goûter, tandis que pour les peines et les craintes, dont nous parlions tout à l'heure, il a pensé que, si on les fuit de l'enfance jusqu'à la fin, lorsqu'ensuite la nécessité vous jette dans les travaux, les craintes et les peines, on fuira devant ceux qui s'y sont exercés et on deviendra leur esclave. C'est la même pensée, ce me semble, qui aurait dû venir à l'esprit du même législateur par rapport aux plaisirs ; il aurait dit se dire : "Si mes citoyens ne font pas dès la jeunesse l'essai des plus grands plaisirs et ne s'exercent pas à rester maîtres d'eux quand ils en jouissent, en sorte que la douceur de la volupté ne les entraîne jamais à commettre un acte honteux, il leur arrivera la même chose qu'à ceux qui se laissent vaincre par la crainte : ils deviendront d'une autre manière et plus honteusement encore les esclaves de ceux qui sont assez forts pour rester maîtres d'eux mêmes au milieu des plaisirs et de ceux qui en ont pris la jouissance, gens qui sont parfois très méchants, et leur âme sera en partie esclave, en partie libre, et ils ne seront pas dignes d'être, appelés franchement courageux et libres. Voyez donc si vous trouvez quelque raison à ce que nous venons de dire. CLINIAS Cela nous paraît raisonnable, quand nous t'entendons parler ; mais de t'en croire d'emblée et sans difficulté sur des matières de cette conséquence, c'est plutôt le fait de jeunes gens irréfléchis. L'ATHÉNIEN Maintenant, pour achever la revue des matières que nous nous sommes proposé de faire, il faut Clinias et toi, étranger de Lacédémone, parler de la tempérance. Que trouverons-nous sur ce point, comme tout à l'heure sur ce qui regarde la guerre, de mieux réglé dans vos États que dans ceux qui se gouvernent au hasard ? MÉGILLOS Cela n'est guère facile à dire. CLINIAS Il me semble pourtant que les repas en commun et les exercices gymniques ont été bien imaginés en vue de ces deux vertus. L'ATHÉNIEN Je crois bien, étrangers, qu'une constitution politique peut difficilement, en théorie comme en pratique, échapper à toute contestation. Il y a des chances qu'il en soit ici comme dans la médecine, qui ne peut prescrire pour un même tempérament un seul régime qui ne soit à la fois nuisible à la santé et salutaire à certains égards. C'est ainsi que vos gymnases et vos repas en commun sont avantageux pour les États en bien des points, mais fâcheux par rapport aux séditions, comme en témoignent les enfants des Milésiens, des Béotiens et des Thuriens. En outre, cette institution parait avoir perverti l'usage des plaisirs de l'amour, tel qu'il a été réglé par la nature, non seulement pour les hommes, mais encore pour les animaux ; et c'est là un reproche que l'on peut faire à vos cités d'abord, ensuite à toutes celles qui s'appliquent particulièrement à la gymnastique. De quelque façon qu'il faille envisager cette sorte de plaisir, soit en badinant, soit sérieusement, il faut songer que c'est à l'union de la femelle et du mâle en vue de la génération que la nature a attaché ce plaisir, et que l'union des mâles avec les mâles et des femelles avec les femelles va contre la nature et que cet audacieux désordre vint d'abord de leur impuissance à se maîtriser dans le plaisir. Tout le monde accuse les Crétois d'avoir inventé la fable de Ganymède. Persuadés que leurs lois venaient de Zeus, ils ont imaginé cette fable sur son compte afin de pouvoir eux aussi goûter ce plaisir à l'exemple du dieu. Mais laissons là cette fiction. Lorsque les hommes s'inquiètent de faire des lois, presque toute leur attention doit rouler sur le plaisir et la douleur, tant par rapport aux mœurs publiques qu'à celles des particuliers. Ce sont deux sources ouvertes par la nature qui ne cessent de couler. Quand on y puise à l'endroit, dans le temps et dans la mesure convenables, que ce soit un État, un particulier ou un animal, on en rapporte le bonheur ; mais, si l'on y puise sans discernement et hors de propos, on est au contraire malheureux. IX MÉGILLOS Tout cela est vrai, semble-t-il, et je ne trouve pas de mots pour y répondre. Cependant il me semble que le législateur de Lacédémone a bien fait de nous ordonner de fuir les plaisirs. Pour les lois de Cnossos, notre camarade les défendra, s'il veut ; mais pour celles de Sparte, je crois qu'on n'en pouvait établir de plus belles en ce qui touche les plaisirs; car les plaisirs, les violences et les sottises de toute sorte auxquelles les hommes sont le plus exposés, tout cela a été banni de tout le pays par notre législation, et tu ne verras, ni dans les campagnes ni dans les villes qui dépendent de Sparte, ni ces banquets, ni ce qui en est la suite et qui excite au plus haut point le goût de toutes sortes de plaisirs, et il n'est personne qui, rencontrant un citoyen ivre qui parcourt les rues en chantant et dansant, ne lui inflige le plus sévère châtiment ; il a beau alléguer les Dionysies (11) pour excuse, il ne peut y échapper. Ce n'est pas comme chez vous, où j'en ai vu sur des charrettes, ni comme à Tarente, une de nos colonies, où j'ai vu toute la ville plongée dans l'ivresse aux Dionysies. Chez nous, on ne voit rien de tel. L'ATHÉNIEN Étranger lacédémonien, tous ces divertissements n'ont rien que de louable, quand on y met une certaine réserve ; ils n'énervent que lorsqu'on s'y abandonne entièrement, et des gens de chez nous se défendraient vite et te riposteraient en te jetant à la face le relâchement des femmes lacédémoniennes (12). Enfin à Tarente, et chez nous et chez vous, il n'y a, je crois, qu'une chose à répondre pour montrer que ces usages, loin d'être repréhensibles, sont fondés en raison. Chacun, en effet, peut répondre à l'étranger qui s'étonne de voir un usage auquel il n'est pas habitué : "Ne t'étonne pas, étranger, telle est la loi chez nous ; peut-être est-elle chez vous différente sur ce point." Mais nous, en ce moment, mes amis, nous ne discutons pas sur les hommes en général, mais sur les défauts ou les qualités des seuls législateurs. Entrons donc dans quelques détails au sujet de l'ivresse en général ; car c'est un point de grande importance et ce n'est pas à un législateur médiocre qu'il appartient d'en juger. Je ne discute pas la question générale de savoir s'il faut ou non boire du vin ; je ne parle que de l'ivresse et je me demande s'il faut en user à cet égard comme les Scythes, les Perses et aussi les Carthaginois, les Celtes, les Ibères et les Thraces, toutes races guerrières, ou comme vous en usez vous-mêmes. Chez vous, on s'en abstient entièrement, à ce que tu dis, tandis que chez les Scythes et les Thraces, les femmes comme les hommes, boivent le vin tout à fait pur et en versent sur leurs habits, persuadés que c'est un rite honorable et qui porte bonheur. Les Perses aussi en font un grand usage, ainsi que des autres plaisirs sensuels que vous rejetez, mais ils sont en cela plus réglés. MÉGILLOS Mais tous ces peuples-là, mon bon, nous les mettons en fuite, quand nous prenons les armes en main. L'ATHÉNIEN N'allégue pas cette raison, mon excellent ami ; car il y a eu et il y aura encore beaucoup de défaites et de victoires dont il est difficile d'assigner la cause. Ce n'est pas en citant ces défaites et ces victoires que nous pouvons établir une ligne de démarcation entre les institutions qui sont bonnes et celles qui ne le sont pas ; cette démarcation prêterait toujours à la controverse. A la guerre, ce sont les grands Etats qui triomphent des petits et qui les asservissent. Ainsi les Syracusains ont subjugué les Locriens, qui passent pour avoir été les plus policés de ces contrées, et les Athéniens, les Céiens, (13) et nous trouverions mille autres exemples de ce genre. Mais essayons plutôt de voir ce qu'il nous faut penser de chaque institution, en l'examinant en elle-même ; laissons de côté pour le moment ces victoires et ces défaites et disons que tel usage est bon en soi, tel autre mauvais. Mais d'abord écoutez-moi vous dire comment il faut en ces matières mêmes examiner ce qui est bon et ce qui ne l'est pas. MÉGILLOS Qu'as-tu donc à dire là-dessus ? X L'ATHÉNIEN Il me paraît que tous ceux qui, discourant sur un usage, se mettent aussitôt à le blâmer ou à l'approuver dès que l'on en a prononcé le nom, ne s'y prennent pas comme il faut. C'est juste comme si, entendant louer le froment comme un bon aliment, on le dépréciait sans s'être informé de ses effets, ni du profit qu'on en tire, ni comment, à qui, avec quoi, dans quel état et comment on doit le servir. C'est précisément ce que nous faisons maintenant dans notre discussion. On n'a pas plus tôt parlé de l'ivresse qu'à cc mot seul les uns l'ont blâmée, les autres louée, et bien mal à propos ; car c'est sur la foi de témoins et de panégyristes que nous fondons nos louanges les uns et les autres, et nous croyons donner un argument sans réplique, soit parce que nous produisons beaucoup de témoins, soit parce que nous voyons ceux qui s'en abstiennent vaincre dans les combats ; mais le désaccord continue entre nous. Si donc nous procédons de même dans l'examen de chacune des autres lois, nous montrerons, ce me semble, peu d'intelligence. Il me paraît nécessaire de procéder autrement, et je veux, à propos de cette question même de l'ivresse, essayer de vous montrer, si je puis, la vraie méthode pour examiner tous les usages de ce genre, puisque des milliers et des milliers de nations qui sont là-dessus en désaccord avec vous entreraient en lutte contre votre opinion. MÉGILLOS Si vraiment il y a une bonne manière d'examiner ces questions, nous ne devons pas nous lasser d'écouter. L'ATHÉNIEN Allons, examinons la chose à peu près ainsi. Supposons que quelqu'un loue l'élevage des chèvres et l'animal lui-même comme étant une belle possession, et qu'un autre, ayant vu des chèvres paissant sans berger, faire des dégâts dans les champs cultivés, les blamât et qu'il fît le même reproche à tout animal sans maître ou avec de mauvais maîtres, croirons-nous qu'un pareil blâme soit tant soit peu fondé en raison ? MÉGILLOS Assurément non. L'ATHÉNIEN Et pour être un bon pilote, dirons-nous qu'il suffit de posséder la science nautique, que d'ailleurs on soit sujet ou non au mal de mer ? Qu'en dirons-nous ? MÉGILLOS Pas du tout, si à la science il joint le mal dont tu parles. L'ATHÉNIEN Et un général d'armée ? Sera-t-il capable de commander, s'il possède l'art de la guerre, et s'il est lâche dans le danger et que l'ivresse de la peur lui donne la nausée ? MÉGILLOS Comment le serait-il alors ? L'ATHÉNIEN Et s'il n'a ni science, ni courage ? MÉGILLOS Ce serait un très mauvais général, fait pour commander non des hommes, mais de pauvres femmelettes. L'ATHÉNIEN Et quand il s'agit de louer ou de blâmer une assemblée quelconque, qui a naturellement un chef et qui peut être utile avec ce chef, si quelqu'un n'avait jamais vu cette assemblée en bon accord avec elle-même sous la direction d'un chef, mais toujours sans chef ou avec du mauvais chefs, croirons-nous qu'en voyant de telles assemblées, il puisse les blâmer ou les louer avec justesse ? MÉGILLOS Comment le pourrait-il, s'il n'a jamais vu ni fréquenté aucune de ces assembles bien gouvernées ? L'ATHÉNIEN Eh bien, parmi les nombreuses associations qui existent, ne pouvons-nous compter les convives et les banquets comme une sorte d'association ? MÉGILLOS Certainement si. L'ATHÉNIEN Or cette association, l'a-t-on jamais vue jusqu'ici tenue correctement ? Il vous est facile à vous deux de répondre que vous n'en avez encore vu absolument aucune ; car elles ne sont pas en usage dans votre pays ni tolérées par la loi. Mais moi, j'ai assisté à beaucoup de banquets, et en beaucoup d'endroits ; en outre, j'ai des renseignements sur presque tous, et j'ose dire que je n'en ai jamais vu ni entendu nommer un seul où tout se soit passé régulièrement, et que tout, sauf quelques points peu importants et peu nombreux, y est en général on peut dire complètement défectueux. CLINIAS Comment entends-tu cela, étranger ? Explique-toi encore plus clairement ; car nous autres, nous n'avons, comme tu dis, aucune expérience de ces sortes d'assemblée, et, lors même que nous y assisterions, nous ne pourrions peut-être pas reconnaître sur-le-champ ce qui s'y passe correctement ou non. L'ATHÉNIEN C'est vraisemblable, mais je vais m'expliquer ; essaye de me suivre. Dans toutes les réunions et les associations, quel qu'en soit l'objet, il est de règle qu'il y ait toujours un chef : tu comprends cela ? CLINIAS Sans doute. L'ATHÉNIEN Or, nous venons de dire qu'à la guerre le chef doit être courageux. CLINIAS Il le faut en effet. L'ATHÉNIEN Un homme courageux est moins troublé par la crainte que le lâche. CLINIAS C'est vrai aussi. L'ATHÉNIEN Mais s'il y avait moyen de mettre à la tête d'une armée un général qui ne craignit absolument rien et ne se troublât de rien, ne le ferions-nous pas à tout prix ? CLINIAS Certainement si. L'ATHÉNIEN Mais il ne s'agit pas ici d'un chef qui commande une armée contre l'ennemi en temps de guerre, mais d'un chef qui commande à des amis qui se réunissent dans des sentiments de bienveillance mutuelle. CLINIAS C'est vrai. L'ATHÉNIEN Or une telle assemblée, si elle s'enivre, n'ira pas sans tumulte, n'est-ce pas ? CLINIAS C'est impossible en effet ; c'est même, je pense, tout le contraire. L'ATHÉNIEN Dés lors, n'est-ce pas un chef qu'il faut tout d'abord à ces gens-là aussi ? CLINIAS Certainement : il n'y a pas d'affaire où l'on en ait autant besoin. L'ATHÉNIEN Et n'est-ce pas un chef ennemi du tumulte qu'il faut, s'il est possible, leur procurer ? CLINIAS Sans doute. L'ATHÉNIEN Et à l'égard de l'assemblée, il faut, je pense, qu'il soit prudent, car il doit veiller à conserver l'amitié qui en lie les membres et même prendre soin de l'augmenter quand ils sont réunis. CLINIAS Rien de plus vrai. L'ATHÉNIEN Dès lors, ne faut-il pas donner à des gens qui s'enivrent un chef sobre et sage ? car, s'il est le contraire, s'il est jeune et peu sage et s'enivre pour commander à des gens ivres, il aura bien de la chance s'il ne cause pas quelque grand mal. CLINIAS Un mal immense. L'ATHÉNIEN Si donc on condamne ces assemblées dans les États où elles se tiennent, quand tout s'y passe aussi correctement que possible, parce qu'on s'en prend à l'institution même, il peut se faire que la condamnation soit fondée en raison. Mais si on les critique, parce qu'on les voit remplies des plus grands désordres, il est évident premièrement qu'on ignore que les choses ne se passent point comme elles devraient se passer et deuxièmement que tout autre chose paraîtra aussi mauvaise, si un maître, un chef sobre y fait défaut. Ne remarques-tu pas qu'un pilote ivre, ou tout autre chef de n'importe quelle entreprise, renverse tout, bateaux, chars, armée, en un mot, tout ce qui peut être gouverné par lui ? XI CLINIAS Ce que tu viens de dire, étranger, est parfaitement vrai. Mais dis-moi encore une chose : si cet usage des banquets était pratiqué comme il convient, quel bien pourraient-ils nous faire à nous ? Pour reprendre l'exemple cité tout à l'heure, si l'on donne un bon général à une armée, il assurera la victoire à ceux qui le suivront, ce qui n'est pas un mince avantage, et ainsi du reste. Mais supposons un banquet dirigé comme il faut, quel avantage en résultera-t-il pour les particuliers ou pour l'État ? L'ATHÉNIEN Quel grand bien pourrait-on dire que l'éducation bien conduite d'un seul enfant ou d'un seul chœur d'enfants apporte à l'État ? Si l'on me posait une pareille question, je répondrais que d'un seul enfant la ville ne tirerait qu'un mince profit ; mais si tu me demandes quel grand avantage l'État recueille de l'éducation générale donnée aux enfants, il me sera facile de répondre que des jeunes gens bien élevés deviendront de bons citoyens et que devenus tels, ils se comporteront noblement en toutes rencontres, et qu'en particulier ils remporteront à la guerre la victoire sur les ennemis. L'éducation amène donc ainsi la victoire avec elle, mais la victoire à son tour pervertit parfois l'éducation. Que de gens, en effet, sont devenus plus insolents à la suite d'une victoire sur l'ennemi et à qui cette insolence a causé des maux sans nombre ! Jamais encore l'éducation n'est devenue une victoire à la thébaine (14), tandis que beaucoup de victoires ont été et seront funestes aux vainqueurs. CLINIAS Tu me parais, cher ami, persuadé que le fait de se réunir pour passer le temps à boire contribue pour une grande part à l'éducation, pourvu que l'on y observe la règle. L'ATHÉNIEN Je n'en doute point. CLINIAS Pourrais-tu affirmer que ce que tu viens de dire est vrai ? L'ATHÉNIEN Soutenir avec assurance, étranger, que c'est la vérité, alors que beaucoup de gens le contestent, cela n'appartient qu'à un dieu. Mais s'il faut dire ce que j'en pense, je ne refuse pas, puisque nous nous sommes engagés dans une discussion sur des lois et sur la politique. CLINIAS Essayons de saisir justement ta pensée sur un sujet où les avis sont à présent si partagés. L'ATHÉNIEN C'est ce qu'il faut faire : donnons toutes nos forces à la discussion, vous pour me suivre, moi pour essayer d'une manière ou d'une autre de vous éclaircir ma pensée. Mais écoutez d'abord une chose que j'ai à vous dire. Les Athéniens passent dans toute la Grèce pour aimer à parler et à parler beaucoup, tandis qu'à Lacédémone on aime la brièveté et qu'en Crète on préfère s'appliquer à penser plutôt qu'à parler. Aussi je me demande si vous ne trouverez pas que je parle beaucoup sur un bien mince sujet, et que je fais un discours interminable pour vous éclaircir ma pensée sur un objet aussi peu important que l'ivresse. Or pour redresser cet usage en conformité avec la nature, on ne peut rien dire de clair ni de suffisant sans parler de la vraie nature de la musique, et l'on ne peut non plus parler de la musique sans embrasser l'éducation tout entière, ce qui exige de très longs développements. Voyez donc ce que nous pouvons faire, si nous devons laisser ce sujet pour le moment et passer à un autre touchant les lois. MEGILLOS Tu ne sais peut-être pas, étranger athénien, que ma famille est chargée à Lacédémone de l'hospitalité publique envers Athènes. Il arrive que les enfants eux-mêmes, quand ils apprennent qu'ils sont les proxènes (15) d'une ville, se sentent dès le jeune âge de l'inclination pour elle et la regardent comme une deuxième patrie après la leur ; c'est précisément ce qui m'est arrivé à moi aussi. Lorsque les Lacédémoniens blâmaient ou louaient les Athéniens et que j'entendais les enfants me dire : "Athènes, Mégillos, s'est bien ou mal comportée à notre égard", je prenais tout de suite votre parti contre ceux qui lançaient le blâme sur votre ville et j'avais pour vous une entière sympathie ; et maintenant encore votre langue me charme et ce qu'on dit communément des Athéniens, que, lorsqu'ils sont bons, ils le sont supérieurement, me parait la vérité même ; car ce sont les seuls qui, sans y être forcés, par un penchant naturel, par un don divin, ont une bonté véritable et sans feinte. Aussi, en ce qui me concerne, tu peux parler hardiment d tant qu'il te plaira. CLINIAS Écoute aussi, étranger, et reçois favorablement ce que j'ai à te dire, et ne crains pas de dire tout ce que tu voudra. Tu as sans doute entendu dire ici qu'Épiménide fut un homme divin. Il était de ma famille. Dix ans avant les guerres médiques, sur l'ordre d'un oracle du dieu, il se rendit chez vous. Après y avoir fait les sacrifices que le dieu lui avait prescrits, voyant que les Athéniens redoutaient l'expédition des Perses, il leur prédit qu'ils ne viendraient pas de dix ans, et que, lorsqu'ils seraient venus, ils s'en retourneraient sans avoir rien fait de ce qu'ils espéraient, après avoir souffert plus de maux qu'ils n'en avaient fait. Alors vos ancêtres se lièrent d'hospitalité avec nous, et, depuis ce temps là, nos ancêtres et moi-même vous avons toujours été très attachés. L'ATHÉNIEN Pour ce qui est de vous, vous êtes, je le vois, disposés à m'écouter ; pour ce qui est de moi, je suis prêt à parler, mais le pourrai-je ? La tâche n'est pas facile. Il faut essayer pourtant. Commençons donc par définir en vue de la discussion ce que c'est que l'éducation et quelle est sa vertu ; car c'est par elle que doit passer la discussion que nous nous proposons à présent, jusqu'à ce qu'elle arrive au dieu du vin. CLINIAS Oui, procédons ainsi, si tu le trouves bon. L'ATHÉNIEN Tandis que j'explique ce qu'il faut entendre par éducation, examinez si ce que j'aurai dit vous plaît. CLINIAS Tu n'as qu'à parler. XII L'ATHÉNIEN Je parle donc et j'affirme que celui qui veut devenir bon en quoi que ce soit, doit s'y exercer dès l'enfance, soit en s'amusant, soit en s'en occupant sérieusement, sans rien négliger de ce qui s'y rapporte. Il faut, par exemple, que celui qui veut devenir un bon laboureur ou un bon architecte s'amuse, celui-ci à construire de petits châteaux d'enfant, celui-là à remuer la terre, que le maître qui les élève leur fournisse à l'un et à l'autre de petits outils faits sur le modèle des véritables, qu'ils apprennent à l'avance tout ce qu'il est nécessaire qu'ils sachent à l'avance, par exemple à mesurer et à niveler, s'ils doivent être charpentiers, à monter à cheval, s'ils doivent être soldats, ou à faire quelque autre apprentissage de ce genre pour s'amuser ; en un mot il faut essayer au moyen des jeux de tourner les plaisirs et les goûts des enfants vers le but qu'ils doivent finalement atteindre. Je dis donc que l'essentiel de l'éducation consiste dans cette discipline bien entendue qui pousse autant que possible l'esprit de l'enfant qui s'amuse à aimer ce qui, lorsqu'il sera devenu un homme, doit le rendre accompli dans la vertu propre à sa profession. Voyez si jusqu'à présent ce que j'ai dit est de votre goût. CLINIAS Oui, assurément. L'ATHÉNIEN Ne laissons pas non plus à ce que nous appelons éducation une signification vague. Quand nous blâmons ou louons l'éducation que certaines gens ont reçue, nous disons qu'un tel d'entre cous est bien élevé et que tel autre est mal élevé, alors même qu'ils en ont reçu une excellente pour le trafic, pour le commerce de mer ou pour d'autres professions du même genre. Ce n'est pas là pour nous, je pense, l'éducation dont nous traitons à présent ; nous parlons en effet de celle qui vise à nous former à la vertu dès l'enfance, qui nous inspire un désir ardent de devenir un citoyen parfait, sachant commander et obéir selon la justice. Or voilà celle que nous cherchons à définir et qui, ce me semble, mérite seule le nom d'éducation. Quant à celle qui vise l'acquisition des richesses ou de la force ou de tout autre talent, où la sagesse et la justice n'entrent pour rien, c'est une éducation d'artisans et d'esclaves, qui ne mérite pas du tout le nom d'éducation. Pour nous, ne disputons pas avec eux sur les termes, mais retenons ce point sur lequel nous venons de tomber d'accord, que ceux qui ont été bien élevés deviennent d'ordinaire vertueux et qu'ainsi on ne doit jamais mépriser l'éducation, car de tous les avantages, c'est le premier pour un homme vertueux. Que si parfois on en dévie et qu'il soit possible de rentrer dans la bonne voie, il faut toujours et toute sa vie mettre tous ses efforts à y arriver. CLINIAS C'est juste, et nous sommes d'accord avec toi. L'ATHÉNIEN Nous sommes aussi convenus précédemment que ceux qui sont capables de se commander à eux-mêmes sont des gens de bien et que ceux qui en sont incapables sont des méchants. CLINIAS C'est très juste. L'ATHÉNIEN Reprenons, pour l'éclaircir davantage, ce que nous entendons par là, et permettez-moi d'essayer, si avec le secours d'une image je pourrais mieux vous expliquer la chose. XIII CLINIAS Parle seulement. L'ATHÉNIEN N'admettons-nous pas que chacun de nous est un ? CLINIAS Si. L'ATHÉNIEN Et qu'il a en lui deux conseillers insensés opposés l'un à l'autre, qu'on appelle le plaisir et la douleur ? CLINIAS C'est vrai. L'ATHÉNIEN Et avec ces deux-là, la prévision de l'avenir, qui porte le nom commun d'attente ; mais l'attente de la douleur se nomme proprement crainte et celle du plaisir confiance. A toutes ces passions préside la raison qui prononce sur ce qu'elles ont de bon ou de mauvais, et, lorsque le jugement de la raison devient la décision commune de l'État, il prend le nom de loi. CLINIAS J'ai quelque peine à te suivre ; continue cependant comme si je suivais. MÉGILLOS J'éprouve, moi aussi, la même difficulté. L'ATHÉNIEN Formons-nous là-dessus l'idée suivante : figurons-nous que chacun des êtres animés que nous sommes est une machine merveilleuse, sortie de la main des dieux, soit qu'ils l'aient composée pour s'amuser, soit qu'ils aient eu quelque dessein sérieux, car cela, nous ne le savons pas. Mais ce que nous savons, c'est que ces passions sont en nous comme des nerfs et des fils qui, se mouvant en sens opposé les uns aux autres, nous tirent et nous retirent vers des actions opposées ; et c'est là que se trouve la démarcation entre la vertu et le vice. Car la raison nous dit qu'il ne faut jamais suivre qu'un de ces fils, sans l'abandonner en aucune occasion, et résister aux autres. Et ce fil n'est autre que le fil d'or et sacré de la raison, appelé la loi commune de l'État. Les autres fils sont de fer et raides ; celui-là est souple, parce qu'il est d'or, tandis que les autres sont de toute sorte d'espèces. Il faut donc seconder la plus belle direction, celle de la loi, parce que la raison, si belle qu'elle soit, étant douce et éloignée de toute violence, a besoin d'être aidée par des serviteurs pour que le fil d'or triomphe des autres. Ainsi le mythe qui nous représente comme des machines merveilleuses sauvegarde la vertu et nous fait mieux voir ce que signifie être supérieur et inférieur à soi-même et que les États et les particuliers qui ont pris une connaissance exacte de ces fils qui sont en nous et qui nous tirent à eux doivent conformer leur conduite à cette connaissance, et qu'un État qui tient cette connaissance soit de quelque dieu, soit d'un homme qui la possède, doit en faire sa loi dans son administration et dans ses rapports avec les autres États. Par cette figuration le vice et la vertu sont plus faciles à distinguer, et, grâce à cette clarté plus grande, nous verrons peut-être mieux ce que sont l'éducation et les autres institutions, et aussi l'usage de s'enivrer dans les banquets, que l'on serait tenté de regarder comme un objet trop mince pour être traité si longuement sans nécessité. CLINIAS Il se peut qu'il mérite cette longue discussion. L'ATHÉNIEN C'est bien dit. Achevons donc une étude qui mérite que nous nous en occupions à présent. XIV CLINIAS Parle donc. L'ATHÉNIEN Si nous faisions boire cette machine jusqu'à l'enivrer, en quel état la mettrions-nous ? CLINIAS Qu'as-tu en vue en me posant cette question ? L'ATHÉNIEN Il n'est pas encore question de cela. Mais d'une manière générale, si on la fait boire ainsi, quel effet cela produira-t-il sur elle ? Je vais essayer de t'expliquer plus clairement encore ce que je veux dire. Voici ce que je te demande : est-ce que l'effet du vin n'est pas d'intensifier nos plaisirs, nos peines, nos colères et nos amours ? CLINIAS Oui, et de beaucoup. L'ATHÉNIEN Et nos sensations, notre mémoire, nos opinions, nos pensées n'en deviennent-elles pas aussi plus fortes, ou plutôt n'abandonnent-elles pas l'homme qui s'est gorgé de vin jusqu'à l'ivresse ? CLINIAS Elles l'abandonnent entièrement. L'ATHÉNIEN N'arrive-t-il pas au même état d'âme que lorsqu'il n'était encore qu'un petit enfant ? CLINIAS Sans doute. L'ATHÉNIEN Alors il n'est plus du tout maître de lui. CLINIAS Plus du tout. L'ATHÉNIEN Ne pouvons-nous pas dire qu'il est alors dans l'état le plus mauvais ? CLINIAS Le plus mauvais de beaucoup. L'ATHÉNIEN Ce n'est donc pas seulement, semble-t-il, le vieillard qui retombe en enfance, mais aussi l'homme ivre. CLINIAS Tu ne pouvais mieux dire, étranger. L'ATHÉNIEN Dès lors, peut-on trouver une raison pour entreprendre de nous persuader qu'il faut goûter à cette débauche et ne pas la fuir de toutes ses forces et de tout son pouvoir ? CLINIAS Il semble que oui, puisque tu dis toi-même que tu es prêt dès à présent à le soutenir. L'ATHÉNIEN C'est vrai, ce que tu me rappelles là, et je suis tout prêt à tenir parole, puisque vous avez déclaré tous les lieux que vous m'écouteriez volontiers. CLINIAS Comment ne t'écouterions-nous pas, ne fût-ce que parce qu'il est surprenant et étrange de soutenir qu'on doit de gaieté de cœur se mettre dans un état si avilissant ? L'ATHÉNIEN C'est de l'état de l'âme que tu parles, n'est-ce pas ? CLINIAS Oui. L'ATHÉNIEN Et le corps, camarade, faut-il le réduire à un mauvais état, à la maigreur, à la laideur et à l'impuissance ? Nous oserions bien étonnés qu'on puisse en arriver là volontairement. CLINIAS Certainement. L'ATHÉNIEN Quoi donc ? Croirons-nous que ceux qui vont de leur plein gré chez les médecins pour se droguer ignorent que, peu de temps après et pour de longs jours, ils auront le corps en si piteux état que, s'ils devaient l'avoir ainsi jusqu'à la fin de leur vie, ils aimeraient mieux mourir ? Et ne savons-nous pas en quel état de faiblesse les pénibles exercices du gymnase réduisent sur le moment ceux qui s'y soumettent ? CLINIAS Nous savons tout cela. L'ATHÉNIEN Et qu'ils s'y rendent volontiers en vue du profit qu'ils en retireront ? CLINIAS Parfaitement. L'ATHÉNIEN Ne faut-il pas porter le même jugement sur les autres usages ? CLINIAS Si fait. L'ATHÉNIEN Il faut donc juger de même aussi l'usage des banquets, si on peut lui reconnaître à juste titre les mêmes avantages. CLINIAS Sans doute. L'ATHÉNIEN Si donc nous trouvons qu'il ait pour nous autant d'utilité que la gymnastique, il l'emporte d'abord sur elle en ce qu'il n'est pas accompagné de douleurs et que l'autre l'est. CLINIAS C'est juste ; mais je serais bien surpris que nous puissions y trouver une telle utilité. L'ATHÉNIEN C'est cela même, ce me semble, qu'il nous faut essayer de prouver à présent. Dis-moi : ne pouvons-nous pas observer qu'il y a deux espèces de craintes assez opposées ? CLINIAS Lesquelles ? L'ATHÉNIEN Les voici. Nous craignons d'abord les maux dont nous nous sentons menacés. CLINIAS Oui. L'ATHÉNIEN Ensuite nous craignons souvent l'opinion à la pensée qu'on nous prendra pour des méchants, si nous faisons ou disons quelque chose de malhonnête ; nous appelons cette crainte pudeur, c'est le nom, je crois, que tout le monde lui donne. CLINIAS C'est exact. L'ATHÉNIEN Telles sont les deux craintes dont je parlais. La deuxième combat en nous la douleur et les autres objets terribles ; elle n'est pas moins opposée à la plupart des plaisirs et aux plus grands. CLINIAS C'est très juste. L'ATHÉNIEN N'est-il pas vrai que le législateur et tout homme de quelque valeur tient cette crainte en très grand honneur et que, lui donnant le nom de pudeur, il qualifie d'impudence la confiance qui lui est opposée et la regarde comme le plus grand mal public et privé qui soit au monde ? CLINIAS Tu dis vrai. L'ATHÉNIEN N'est-ce pas cette crainte qui en maintes occasions importantes fait notre sûreté et qui, notamment à la guerre, contribue plus que toute autre chose à nous assurer la victoire et le salut ? Il y a en effet deux choses qui procurent la victoire, l'audace contre l'ennemi et la crainte de se déshonorer devant ses amis. CLINIAS Cela est certain. L'ATHÉNIEN Il faut donc que chacun de nous soit à la fois sans crainte et craintif, et c'est pourquoi nous avons distingué l'une de l'autre. CLINIAS Il le faut en effet. L'ATHÉNIEN Et si l'on veut rendre un homme intrépide, c'est en l'exposant à craindre beaucoup d'objets effrayants qu'à l'aide de la loi on le rend tel. CLINIAS Il y a apparence. L'ATHÉNIEN Et si nous voulons inspirer à quelqu'un la crainte de ce qu'il est juste de craindre, n'est-ce pas en le mettant aux prises avec l'impudence et en l'exerçant contre elle qu'il faut lui apprendre à vaincre en combattant ses penchants au plaisir ? C'est en luttant contre sa propre lâcheté et en la surmontant qu'il deviendra parfait en ce qui regarde le courage. Quiconque n'aura pas fait l'expérience de ce genre de combat et ne s'y sera pas exercé ne sera même pas courageux à demi ; et jamais il ne sera parfaitement tempérant, s'il n'a pas été aux prises avec une foule de plaisirs et de désirs qui le poussent à l'impudence et à l'injustice, et s'il ne les a pas vaincus à l'aide de la raison, du travail et de l'art, soit dans ses amusements, soit dans ses occupations sérieuses et si, au contraire, il n'a jamais éprouvé la force de toutes ces séductions. CLINIAS Non, selon soute vraisemblance. XV L'ATHÉNIEN Mais quoi ? Y a-t-il un dieu qui ait donné aux hommes un breuvage propre à inspirer la crainte, en sorte que, plus on en prend pour en boire, plus, à chaque gorgée, on se sent malheureux et rempli de crainte pour le présent et pour l'avenir, si bien qu'on finit par s'effrayer de tout, fût-on le plus courageux des hommes, et que cependant, quand on a dormi et cuvé ce qu'on a bu, on redevient chaque fois tel qu'on était avant ? CLINIAS Y a-t-il jamais eu au monde un breuvage de cette nature, étranger ? L'ATHÉNIEN Jamais ; mais s'il y en avait un quelque part, le législateur ne s'en servirait-il pas utilement pour inspirer le courage, et n'aurions-nous pas sujet de lui dire à propos de ce breuvage : "Voyons, législateur, quels que soient ceux pour qui tu légifères, Crétois ou autres, est-ce qu'avant tout tu ne souhaiterais pas de pouvoir soumettre à l'épreuve le courage et la lâcheté de tes citoyens ?" CLINIAS Il est évident que personne ne répondrait non. L'ATHÉNIEN Et de faire cette épreuve en toute sûreté, sans grands dangers, ou dans des conditions contraires ? CLINIAS En toute sûreté : c'est point sur lequel tout le monde sera d'accord. L'ATHÉNIEN Et ne te servirais-tu pas de ce breuvage pour les jeter dans ces craintes et reconnaître dans cette épreuve leurs caractères, et pour les forcer ainsi à devenir intrépides en les encourageant, les admonestant, les récompensant, en couvrant au contraire d'opprobre quiconque rejetterait tes conseils et ne deviendrait pas en tout point tel que tu l'ordonnerais, en laissant aller sans le punir celui qui se serait bien et bravement exercé, et en punissant celui qui se serait mal exercé ? Ou bien refuserais-tu absolument d'employer ce breuvage, sans avoir d'ailleurs rien à objecter contre lui ? CLINIAS Comment pourrait-on refuser, étranger ? L'ATHÉNIEN Il est certain, mon ami, que cette épreuve serait d'une merveilleuse facilité en comparaison de celles d'aujourd'hui, soit qu'on la fît seul, ou avec quelques personnes ou avec autant de gens qu'on voudrait. Si, par égard pour la pudeur, et parce qu'il pense qu'il ne doit d pas se laisser voir avant d'être en bon état, un homme voulait s'exercer tout seul dans la solitude contre la crainte, il ferait bien de prendre ce breuvage, au lieu de cent autres remèdes. Il en serait de même si, se croyant en bonne forme grâce à son naturel et à l'exercice, il n'hésitait pas à s'entraîner avec plusieurs convives et à faire voir qu'il surmonte et domine assez la force qu'a nécessairement le breuvage, pour ne pas commettre une seule faute importante par indécence, et pour se préserver, grâce à sa vertu, de toute altération, et pour se retirer, avant d'arriver à l'ivresse extrême, redoutant les effets de ce breuvage, capable de terrasser tous les hommes. CLINIAS Oui, étranger, un tel homme serait sage d'agir ainsi. L'ATHÉNIEN Revenons à notre législateur et disons-lui : "Il est vrai, législateur, qu'un dieu n'a pas donné aux hommes un tel remède contre la crainte et que nous n'en avons pas imaginé nous-mêmes ; car je ne mets pas les enchanteurs en ligne de compte. Mais n'avons-nous pas un breuvage qui inspire l'intrépidité et une confiance téméraire et hors de raison ?" Qu'en dirons-nous? CLINIAS Nous en avons un, répondra-t-il : c'est le vin. L'ATHÉNIEN N'a-t-il pas une vertu opposée à celui dont nous venons de parler, qui rend tout de suite l'homme qui en a bu plus gai qu'il n'était avant ; qui fait que, plus il y goûte, plus il se remplit de belles espérances et de l'idée de sa puissance ; qui à la fin le fait parler avec une franchise et une liberté entière, dans la persuasion qu'il est sage, et qui lui ôte toute espèce de crainte, au point qu'il n'hésite pas à dire ni à faire tout cc qui lui passe par la tête ! CLINIAS Je pense que tout le monde en conviendra avec nous. MÉGILLOS Sans contredit. XVI L'ATHÉNIEN Rappelons-cous ce que nous avons dit : qu'il y a dans notre âme deux choses dont il faut prendre soin, l'une qui est d'accroître notre confiance autant que possible, l'autre de porter nos craintes au plus haut degré possible. CLINIAS C'est, croyons-nous, ce que tu appelais pudeur. L'ATHÉNIEN Votre mémoire est fidèle. Mais, puisque le courage et l'intrépidité ne peuvent s'acquérir qu'en s'exerçant à affronter les objets terribles, examinons s'il ne faudrait pas rechercher le contraire dans les cas contraires. CLINIAS II y a apparence. L'ATHÉNIEN C'est dans les cas où nous sommes naturellement le plus confiants et le plus hardis qu'il faudrait, ce semble, nous exercer à réprimer l'impudence et la hardiesse dont nous sommes remplis et à craindre en toute occasion d'oser dire, souffrir ou faire quoi que ce soit de honteux. CLINIAS Il le semble. L'ATHÉNIEN Ce qui nous fait commettre ces actes honteux, n'est-ce pas la colère, l'amour, l'insolence, l'ignorance, l'amour du luxe, la lâcheté et aussi la richesse, la beauté, la force et tous les enivrements du plaisir qui égarent notre raison ? Or, pour faire l'essai de ces passions d'abord et s'exercer ensuite à les vaincre, peut-on citer une épreuve plus aisée et plus inoffensive, un plaisir mieux approprié à ce but que les divertissements des banquets, pourvu qu'on y apporte quelque circonspection ? Examinons la chose de plus près. Pour reconnaître le caractère difficile et farouche d'un homme, source de mille injustices, n'est-il pas plus dangereux d'en faire l'épreuve en concluant des contrats avec les risques qu'ils comportent que de l'observer dans une fête de Dionysos où l'on se rencontre avec lui ? Pour éprouver un homme asservi aux plaisirs de l'amour, lui confierons-nous nos filles, nos fils et nos femmes, et risquerons-nous ce que nous avons de plus cher pour reconnaître son caractère ? Je n'en finirais jamais d'énumérer les milliers de raisons qui feraient voir combien il est plus avantageux d'observer autrement tes caractères, sans avoir de dommage à craindre; et sur ce sujet ni les Crétois ni personne autre, je crois, ne pourraient contester que cette manière de l'éprouver les uns les autres ne soit convenable et que, pour la facilité, la sûreté et ta rapidité, elle ne l'emporte sur les autres épreuves. CLINIAS Cela est vrai. L'ATHÉNIEN Or ce qui fait connaître le caractère et la disposition des hommes est une des choses les plus utiles à l'art de les rendre meilleurs, qui est, nous pouvons, je crois, le dire, l'art de la politique n'est-ce pas ? CLINIAS Assurément. Notes (01) Cet Athénien, c'est Platon lui-même, comme le dit Cicéron, De Legibus, V. (02) "Par les lois que Jupiter a données aux Crétois, ou que Minos a reçues de ce dieu, comme disent les poètes, il est ordonné qu'on endurcisse la jeunesse au travail." Cicéron, Tusculanes, II, 14. (03) Lycurgue, dit Cicéron (De diuinatione, I, 43), fit confirmer par l'autorité d'Apollon Delphien les lois qu'il destinait à Lacédémone. Voici, à ce sujet, ce que dit Hérodote, II, 65 : "Quelquesuns racontent que la Pythie indiqua à Lycurgue la constitution maintenant établie à Sparte; mais, selon les Lacédémoniens eux-mêmes, Lycurgue, ayant reçu la tutelle de son neveu Léobate, roi de Sparte, apporta ses lois de la Crète." (04) Odyssée, XIX, 178-179 : "Parmi les cités de la Crète était la grande ville de Cnossos, où Minos régna neuf ans, s'entretenant avec le grand Zeus." Tel est le sens des vers d'Homère. On supposa plus tard que Minos se rendait tous les neuf ans dans l'antre du Dictè. (05) Cet antre et ce temple étaient sur le mont Dicté, aujourd'hui Lasthi (2.185 m.). C'est dans l'antre du Dictè que Zeus fut nourri par des abeilles. Cf. Virgile, Géorgiques, IV, 149-152 : "Je vais exposer l'instinct dont Jupiter lui-même a doté les abeilles en récompense de ceci, qu'attirées par le bruit que faisaient les Curètes et leurs armes retentissantes, elles nourrirent le roi du ciel dans l'antre du Dictè. (06) Les Crétois passaient pour être les meilleurs archers de la Grèce. (07) On raconte que, pendant la seconde guerre de Messénie, (645-628) les Lacédémoniens, sur le conseil de la pythie, demandèrent aux Athéniens de leur envoyer un chef pour réparer leurs insuccès. Les Athéniens, par dérision, leur envoyèrent un maitre d'école boiteux, appelé Tyrtée. Mais ce maître d'école sut par ses élégies relever le courage des Spartiates et leur rendre la victoire. Il est d'ailleurs probable, vu le fier patriotisme qui respire dans les fragments qui nous restent de Tyrtée, que leur auteur était Spartiate. (08) Théognis de Mégare vécut dans la deuxième moitié du VIe siècle avant. J.-C., en un temps où les luttes de l'aristocratie et. de la démocratie déchiraient la ville. Il était noble et détestait la plèbe, qu'il vilipende dans ses élégies, dont la plupart sont adressées à Kyrnos, jeune homme noble, qui était peut-être son parent. II lui enseignait la vie à peu près comme Hésiode l'avait fait à son frère Persès. De là le caractère didactique et gnomique de ses poésies, pleines de sentences morales. On en fil des extraits, et c'est ainsi qu'il est arrivé jusqu'à nous un grand nombre de fragments, environ quatorze cents, parmi lesquels on reconnaît une soixantaine d'apocryphes. Ces fragments nous laissent voir une âme emportée et violente, révoltée par les maux qui accablent l'humanité. (09) On appelait épiclère l'héritière unique, que le plus proche parent devait épouser, d'après le droit athénien, pour maintenir les biens dans la famille. (10) Les gymnopédies étaient une fête annuelle qu'on célébrait à Sparte en l'honneur des guerriers morts à Thyréa. Elle était célébrée par des danses dle deux troupes d'hommes et d'enfants nus. (11) Les Dionysies étaient des fêtes en l'honneur de Dionysos (Bacchus). Il y avait les grandes Dionysies, dans le mois d'élaphèbolion et les petites Dyonisies ou Dionysies des champs. On célébrait des fêtes du même genre à Rome sous le nom de Liberalia. On sait que c'est au milieu de ces fêtes que la comédie attique prit naissance. Ignotum tragicae genus invenisse Camoenae Dicitur, et plaustris vexisse pomata Thespis, Quae canerent agerentque peruncti faecibus ora Hor. Art poèt. 215-218. (12) "Pour les femmes, dit Aristote, on prétend que Lycurgue, ayant entrepris de les assujettir aux lois, éprouva de leur part tant de résistance qu'il finit par renoncer à son dessein... Le dérèglement des femmes fait tache à la constitution." Politique, II, VI, 8 et 9. (13) Les Céiens sont les habitants de file de Céos, une des Cyclades. (14) Une victoire à la Thébaine ou à la Cadméenne se disait pour désigner une victoire désastreuse pour les vainqueurs comme pour les vaincus, comme celle d'Étéocle sur Polynice, (15) On appelait proxène un étranger lié par l'hospitalité à telle ou telle ville dont il défendait les intérêts. LIVRE II I L'ATHÉNIEN Après cela, il faut, ce me semble, examiner au sujet des banquets le point que voici. N'offrent-ils pas d'autre avantage que de nous faire connaître les différents caractères qui nous distinguent, ou peut-on retirer encore de l'usage bien réglé des banquets quelque profit notable qui vaille la peine d'être recherché ? Qu'en dirons-nous ? On l'y trouve, en effet, comme semblent bien l'indiquer les discours que nous en avons tenus ; mais par quelle raison et comment ? écoutons-le et appliquons-nous, de peur de nous laisser induire en erreur. CLINIAS Parle donc. L'ATHÉNIEN Je veux d'abord vous rappeler comment nous avons défini la bonne éducation ; car, autant que j'en puis juger dès à présent, l'institution des banquets bien dirigés peut seule la préserver. CLINIAS Tu t'avances beaucoup. L'ATHÈNIEN Je dis donc que les premiers sentiments des enfants sont ceux du plaisir et de la douleur et que c'est par ces sentiments que la vertu et le vice se présentent d'abord à leur esprit. Pour ce qui est de la sagesse et des opinions vraies et fermes, heureux celui qui y parvient même dans son âge avancé ! Pour être parfait, il faut posséder ces biens et tous ceux qu'ils renferment. J'appelle éducation la vertu qui se montre d'abord chez les enfants, soit que le plaisir, l'amitié, h: chagrin et la haine s'élèvent dans leur âme conformément à l'ordre, avant qu'ils puissent déjà s'en rendre compte, soit que, la raison venue, ils s'accordent avec elle sur les bonnes habitudes auxquelles on les a formés. C'est dans cet accord complet que consiste la vertu. Quant à cette partie de la vertu qui consiste à bien dresser les enfants en ce qui concerne le plaisir et la douleur et leur apprend à haïr du commencement de la vie jusqu'à la fin de qu'il faut haïr et aimer ce qu'il faut aimer, je la sépare du reste par la pensée, et je ne crois pas qu'on se trompe en lui donnant le nom d'éducation. CLINIAS Pour notre compte, étranger, nous approuvons et ce que tu as dit auparavant et ce que tu dis à présent touchant l'éducation. L'ATHÈNIEN C'est bien. Cette direction des sentiments de plaisir et de douleur qui constitue l'éducation se relâche et se corrompt en bien dos points dans le cours de la vie. Heureusement les dieux, prenant en pitié le genre humain condamné au travail, nous ont ménagé des repos dans la succession des fêtes instituées en leur honneur, et ils nous ont donné les Muses, Apollon leur chef et Dionysos pour s'associer à nos fêtes, afin qu'avec l'aide des dieux nous réparions pendant ces fêtes les manques de notre éducation. Voyons donc si ce que je proclame à présent est vrai et conforme à la nature, ou s'il en est autrement. Je dis qu'il n'est guère d'animal qui, lorsqu'il est jeune, puisse tenir son corps ou sa langue en repos et ne cherche toujours à remuer et a crier ; les uns sautent et bondissent, comme s'ils dansaient de plaisir et folâtraient, les autres poussent toutes sortes de cris. Mais les animaux n'ont pas le sens de l'ordre ni du désordre dans les mouvements, que nous appelons rythme et harmonie, tandis que les dieux qui, comme nous t'avons dit, nous ont été donnés pour associés à nos fêtes nous ont donné aussi le sentiment du rythme et de l'harmonie avec celui du plaisir. C'est par ce sentiment qu'ils nous font mouvoir et dirigent nos chœurs et nous font former la chaîne en chantant et en dansant, ce qu'ils ont appelé chœur, mot dérivé naturellement du mot joie (16). II D'abord approuvons-nous cela ? Admettons-nous que la première éducation nous vient par les Muses et par Apollon ? ou de quelle manière nous vient-elle ? CLINIAS Elle nous vient comme tu l'as dit. L'ATHÈNIEN Il nous faut donc admettre que l'on est mal éduqué, si l'on n'a pas été initié à l'art de la danse, et qu'on l'est bien, si on l'a suffisamment pratiqué. CLINIAS Sans doute. L'ATHÉNIEN Mais l'art des chœurs embrasse à la fois la danse et le chant. CLINIAS Nécessairement. L'ATHÉNIEN L'homme bien élevé sera donc capable de bien chanter et danser ? CLINIAS Il semble. L'ATHÉNIEN Voyons donc ce que signifient ces derniers mots. CLINIAS Quels mots ? L'ATHÉNIEN L'homme qui a été bien élevé chante bien, disons-nous, et il danse bien. Faut-il ou non ajouter : s'il chante de belles choses, s'il exécute de belles danses ? CLINIAS Ajoutons-le. L'ATHÉNIEN Mais celui qui, sachant reconnaître la beauté des belles choses et la laideur des laides, en use en conséquence ne nous paraîtra-t-il pas mieux élevé dans l'art de la danse et dans la musique que celui qui est capable de rendre exactement par la danse ou le chant tout ce qu'il conçoit comme beau, mais qui ne se complaît pas aux belles choses et n'a pas d'aversion pour les laides, ou encore que celui qui, hors d'état d'exécuter et de d concevoir les mouvements, soit de corps, soit de la voix, n'en ressent pas moins de la joie ou de la peine, parce qu'il embrasse tout ce qui est beau et déteste ce qui est laid ? CLINIAS Ils sont, étranger, très différents au point de vue de l'instruction. L'ATHÉNIEN Et maintenant, si nous nous connaissons tous trois à la beauté du chant et de la danse, nous savons aussi distinguer correctement l'homme éduqué de celui qui ne l'est pas. Si, au contraire, nous n'y entendons rien, nous ne saurons pas non plus si l'on observe les prescriptions de l'éducation et en quoi. N'est-ce pas vrai ? CLINIAS Certainement si. L'ATHÉNIEN Il nous faut donc ensuite chercher, comme des chiens sur la piste, quels sont les figures, les mélodies, le chant et la danse où l'on trouve de la beauté. Si cela nous échappe, ce que nous pourrons dire ensuite sur la bonne éducation, soit grecque, soit barbare, n'aboutira à rien. CLINIAS C'est vrai. L'ATHÉNIEN Voilà un point résolu. Et maintenant, en quoi dirons-nous que consiste la beauté d'une figure ou d'une mélodie ? Dis-moi : l'attitude et les paroles d'un homme de cœur qui affronte les travaux ressemblent-elles à celles d'un homme lâche en butte aux mêmes peines et d des périls égaux ? CLINIAS Comment se ressembleraient-elles, alors qu'elles n'ont même pas les mêmes couleurs ? L'ATHÉNIEN Belle réponse, camarade. Mais dans la musique il y a place pour les figures et les mélodies, parce qu'elle roule sur le rythme et l'harmonie ; aussi peut-on assimiler la beauté d'une mélodie ou d'une figure à celle du rythme et de l'harmonie, mais on ne peut pas assimiler la mélodie ni le geste à une belle couleur (17), comme le font les maîtres de chœur. Pour les gestes et les chants du lâche et de l'homme de cœur, on peut avec raison qualifier de beaux ceux de ce dernier et de laids ceux du premier. Pour ne pas trop nous étendre sur toutes ces matières, disons simplement que tous les gestes et les chants qui tiennent à la vertu de l'âme, soit elle-même, soit ses images, sont beaux, et que ceux qui tiennent à la lâcheté sont tout le contraire. CLINIAS Tu fais bien de nous engager à le dire : aussi répondonsnous qu'il en est comme tu dis. L'ATHÉNIEN Dis-moi encore : prenons-nous tous un égal plaisir, à tous les chœurs, ou s'en faut-il de beaucoup ? CLINIAS Il s'en faut du tout au tout. L'ATHÉNIEN A quoi donc attribuerons-nous nos erreurs à cet égard ? Les mêmes choses ne sont-elles pas belles pour tout le monde, ou, bien qu'elles soient les mêmes, ne paraissentelles pas l'être ? De fait, personne n'osera dire que les rondes du vice sont plus belles que celles de la vertu, ni que lui-même se complaît aux figures qui expriment la méchanceté, et les autres à la Muse contraire. Il est vrai que la plupart des gens disent que l'essence véritable de la musique, c'est le pouvoir qu'elle a de réjouir nos âmes ; mais ce langage n'est pas supportable, et c'est une impiété de le tenir. Il est plus vraisemblable que la source de nos erreurs est la suivante. III CLINIAS Laquelle ? L'ATHÉNIEN Comme la danse et le chant sont une imitation des mœurs, une peinture d'actions de toute sorte, de fortunes et d'habitudes diverses, c'est une nécessité que ceux qui entendent des paroles et des chants on assistent à des danses analogues aux caractères qu'ils tiennent de la nature ou de l'habitude ou des deux y prennent plaisir, les approuvent et disent qu'elles sont belles, qu'au contraire ceux dont elles choquent le caractère, les mœurs ou telle ou telle habitude ne puissent y prendre plaisir ni les approuver, et qu'ils les appellent laides. Mais ceux dont le caractère est naturellement droit, mais les habitudes mauvaises, ou dont les habitudes sont bonnes, mais le caractère mauvais, ceux-là font l'éloge de ce qui est contraire aux plaisirs ; car ils disent que chacune de ces imitations est agréable, mais mauvaise, et, lorsqu'ils sont en présence de personnes qu'ils croient sages, ils ont honte d'exécuter ces sortes de danses et de chanter ces sortes d'air, comme si sérieusement ils les déclaraient belles; mais ils y prennent intérieurement du plaisir. CLINIAS C'est tout à fait vrai. L'ATHÉNIEN Mais le plaisir qu'on prend à des figures ou à des chants vicieux n'apporte-t-il pas quelque préjudice, et n'y a-t-il pas d'avantage à se plaire A ceux qui leur sont opposés ? CLINIAS C'est vraisemblable. L'ATHÉNIEN Est-ce seulement vraisemblable ? N'est-ce pas aussi une nécessité qu'il arrive ici la même chose qu'à celui qui, fréquentant des méchants aux mœurs dépravées, se plaît en leur compagnie, au lieu de la détester, mais blâme leur méchanceté en manière de badinage et comme en songe ? Ne deviendra-t-il pas forcément semblable à ceux dont il aime la compagnie, même s'il a honte de les louer, et pouvons-nous citer un bien ou un mal nécessaire plus grand que celui-là ? CLINIAS Je ne le crois pas. L'ATHÉNIEN Devons-nous penser que, dans un État où les lois sont ou seront bien faites, on s'en remettra aux poètes (18) de l'éducation musicale et des divertissements, et qu'ils pourront mettre dans leurs compositions les rythmes, les mélodies et les paroles qui leur plairont pour les enseigner ensuite aux fils de citoyens qui se gouvernent par de bonnes lois, et pour diriger la jeunesse dans les chœurs, sans se mettre en peine de ce qui peut en résulter pour la vertu ou pour le vice ? CLINIAS Ce ne serait pas raisonnable, c'est trop évident. L'ATHÉNIEN C'est pourtant ce qu'on leur permet de faire dans presque tous les pays, excepté en Égypte. CLINIAS Quelle est donc sur ce point la loi que suivent les Égyptiens ? L'ATHÉNIEN C'est une loi étonnante, à l'entendre. On a depuis longtemps, ce me semble, reconnu chez eux ce que nous disions tout à l'heure, qu'il faut dans chaque État habituer les jeunes gens à former de belles figures et à chanter de beaux airs. Aussi, après en avoir défini la nature et les espèces, ils en ont exposé les modèles dans les temples, et ils ont défendu aux peintres et à tous ceux qui font des figures ou d'autres ouvrages semblables de rien innover en dehors de ces modèles et d'imaginer quoi que ce soit de contraire aux usages de leurs pères ; cela n'est permis ni pour les figures ni pour tout ce qui regarde la musique. En visitant ces temples, tu y trouveras des peintures et des sculptures qui datent de dix mille ans (et ce n'est point là un chiffre approximatif, mais très exact), qui ne sont ni plus belles ni plus laides que celles que les artistes font aujourd'hui, mais qui procèdent du même art. CLINIAS Voilà qui est surprenant. L'ATHÉNIEN Oui, c'est un chef-d'œuvre de législation et de politique. On peut, il est vrai, trouver en ce pays d'autres lois qui ont peu de valeur ; mais pour la loi relative à la musique, il est vrai et digne de remarque qu'on a pu en cette matière légiférer hardiment et fermement et prescrire les mélodies qui sont bonnes de leur nature. Mais ceci n'appartient qu'à un dieu ou d'un être divin ; aussi l'on dit là-bas que les mélodies conservées depuis si longtemps sont des œuvres d'Iris. Si donc, comme je le disais, on pouvait d'une manière ou d'une autre en saisir la justesse, il faudrait hardiment les faire passer dans la loi et en ordonner l'exécution, persuadé que la recherche du plaisir et de la peine, qui porte à innover sans cesse en musique, n'a pas assez de force pour gâter les chœurs consacrés, sous prétexte qu'ils sont surannés. Du moins voyons-nous que là-bas elle n'a jamais pu les gâter ; c'est le contraire qui est arrivé. CLINIAS Il paraît bien, d'après ce que tu viens de dire, qu'il en est ainsi. IV L'ATHÉNIEN Dès lors, ne pouvons-nous pas dire hardiment que, pour bien user de la musique et du divertissement de la danse, il faudra le faire comme je vais dire ? Ne ressentons-nous pas de la joie quand nous croyons être heureux, et, réciproquement, ne sommes-nous pas heureux quand nous ressentons de la joie ? CLINIAS Si fait. L'ATHÉNIEN Et quand nous nous réjouissons ainsi, nous ne pouvons pas rester tranquilles. CLINIAS C'est vrai. L'ATHÉNIEN Est-ce que, dans ces moments-là, ceux d'entre nous qui sont jeunes ne sont pas prêts à danser en chœur, tandis que nous autres vieillards, nous jugeons qu'il convient à notre âge de passer notre temps à les regarder et à nous réjouir de les voir jouer et célébrer la fête qui nous rassemble, parce que notre agilité nous a quittés et que, dans le regret et la douceur que nous en gardons, nous instituons ainsi des concours pour ceux qui sont capables de réveiller en nous autant que possible le souvenir de notre jeunesse ? CLINIAS C'est très vrai. L'ATHÉNIEN Devons-nous croire que le vulgaire soit tout à fait mal fondé à dire, comme il le fait à présent, que le cham pion qu'il faut tenir pour le plus habile et juger digne de la couronne est celui qui divertit et réjouit le plus ? Il faut eu effet, puisque le plaisir est de mise en ces occa sions, que celui qui amuse le mieux et le plus de gens, soit le mieux récompensé, et, comme je le disais à l'ins tant, qu'il remporte la victoire. Ce discours n'est-il pas raisonnable et ne ferait-on pas bien de procéder ainsi ? CLINIAS Peut-être. L'ATHÉNIEN Ne prononçons pas si vite sur cette matière, bienheureux Clinias. Divisons-la en ses parties et considérons-la de cette manière. Supposons qu'on propose simplement un concours quelconque, sans spécifier si c'est un concours gymnique, musical ou équestre, et que, rassemblant tous les citoyens, on proclame, en exposant les prix, qu'il s'agit uniquement de réjouir les spectateurs et que tous ceux qui le voudront peuvent se présenter à la lutte ; que celui qui aura causé le plus de plaisir aux spectateurs de n'importe quelle manière, car on n'en impose aucune, sera, par cela même qu'il aura le mieux réussi, proclamé vainqueur et jugé le plus amusant des concurrents. Que devons-nous penser qui résultera de cette proclamation ? CLINIAS Par rapport à quoi ? L'ATHÉNIEN Selon toute vraisemblance, l'un viendra, comme Homère, débiter une rhapsodie ; un autre chantera en s'accompagnant de la cithare ; celui-ci jouera une tragédie ; celui-là une comédie, et je ne serais pas surpris qu'il vînt un escamoteur confiant dans ses tours d'adresse pour emporter la victoire sur tous les autres. De tous ces concurrents et de cent autres semblables, pouvons-nous dire lequel emporterait justement la victoire ? CLINIAS Étrange question ! Qui pourrait te répondre en connaissance de cause avant d'avoir entendu de ses propres oreilles chacun des concurrents ? L'ATHÉNIEN. Eh bien ! voulez-vous que je vous donne, moi, la réponse à cette étrange question ? CLINIAS Certainement. L'ATHÉNIEN Si l'on prend pour juges les tout petits enfants, ils se prononceront pour l'escamoteur, n'est-ce pas ? CLINIAS Il n'y a pas de doute. L'ATHÉNIEN Et si ce sont des enfants plus grands, pour le poète comique, et les femmes cultivées et les jeunes gens et sans doute la majorité des spectateurs pour le poète tragique. CLINIAS Il n'y a guère à en douter. L'ATHÉNIEN Mais c'est le rhapsode qui récitera comme il faut l'Iliade et l'Odyssée ou quelque morceau d'Hésiode que nous autres vieillards, nous écouterons le plus volontiers et que nous proclamerons hautement vainqueur. Auquel serait-il juste de donner la victoire ? C'est ce qu'il faut se demander après cela, n'est-ce pas ? CLINIAS Oui. L'ATHÉNIEN Évidemment, vous et moi, nous dirons que la victoire revient de droit à ceux qui en auront été jugés dignes par les gens de notre âge ; car de tous ceux que j'ai nommés, c'est nous dont les habitudes passent pour être les meilleures, et de beaucoup, dans tous les États et dans tous les pays. CLINIAS Sans doute. V L'ATHÉNIEN Je suis donc d'accord, moi aussi, avec le vulgaire sur ce point du moins, qu'il faut juger de la musique par le plaisir qu'elfe cause, non toutefois aux premiers venus, mais que la plus belle muse est sans doute celle qui charme les hommes les plus vertueux et suffisamment instruits, et plus encore celle qui plaît à un seul, distingué entre tous par sa vertu et son éducation. Et la raison pour laquelle je prétends que la vertu est nécessaire à ceux qui jugent en ces matières, c'est qu'outre la sagesse qui doit être leur partage, ils ont encore besoin de courage. Car le véritable juge ne doit pas juger d'après les leçons du théâtre, ni se laisser troubler par les applaudissements de la multitude et par sa propre ignorance; il ne doit pas non plus, s'il est connaisseur, céder à la lâcheté et à la faiblesse et, de la même bouche dont il a attesté les dieux avant de juger, se parjurer et prononcer son arrêt sans souci de la justice. Car le juge ne siège pas comme disciple, mais plutôt, ainsi le veut la justice, comme maître des spectateurs, et il doit s'opposer à ceux qui leur fournissent un plaisir inconvenant et pervers. L'antique loi de la Grèce, pareille à celle qui prévaut encore aujourd'hui en Sicile et en Italie, s'en remettait du jugement à la foule des spectateurs qui proclamait le vainqueur à mains levées. C'est un abus qui a gâté les poètes eux-mêmes, qui se règlent sur le mauvais goût de leurs juges, en sorte que ce sont les spectateurs qui se font eux-mêmes leur éducation, et qui a gâté aussi les plaisirs du théâtre lui-même. On ne devrait leur présenter que des modèles meilleurs que leurs mœurs et rendre ainsi leur plaisir meilleur, au lieu que c'est le contraire qui arrive. Où tend donc ce que je viens d'exposer a nouveau ? Voyez si ce n'est, pas à ceci ? CLINIAS A quoi ? L'ATHÉNIEN Il me semble que mon discours nous ramène pour la troisième ou quatrième fois au même terme, que l'éducation consiste à tirer et à diriger les enfants vers ce que la loi appelle la droite raison et qui a été reconnu tel d'un commun accord par les vieillards les plus vertueux, instruits par l'expérience. Afin donc que l'âme de l'enfant ne s'accoutume pas à des sentiments de plaisir et de douleur contraires à la loi et à ce que la loi a recommandé, mais qu'elle suive plutôt les vieillards et se réjouisse et s'afflige des mêmes objets qu'eux, on a dans cette vue inventé ce qu'on appelle les chants, qui sont en réalité des charmes destinés à produire cet accord dont nous parlons. Mais comme les âmes des enfants ne peuvent souffrir ce qui est sérieux, on a déguisé ces charmes sous le nom de jeux et de chants, et c'est sous ce nom qu'on les emploie. De même que, pour soigner les malades et les gens affaiblis, on tâche de mêler les drogues les plus salubres à certains aliments et à certaines boissons (19) et des drogues mauvaises aux aliments désagréables, afin qu'ils goûtent volontiers les uns et qu'ils s'accoutument à détester les autres, de même le bon législateur engagera le poète, et, s'il n'obéit pas, le contraindra à bien rendre dans des paroles belles et louables, dans ses rythmes et ses harmonies les gestes et les chants des hommes tempérants, courageux et parfaitement vertueux ? CLINIAS Au nom de Zeus, crois-tu, étranger, que ce règlement soit en usage dans les autres États ? Pour moi, il n'y a pas, que je sache, d'autre pays que le nôtre et celui des Lacédémoniens où l'on pratique ce que tu viens de recommander. Partout ailleurs on fait de nouveaux changements dans la danse et dans toutes les parties de la musique. Et ce ne sont pas les lois qui commandent ces innovations, mais le goût déréglé de certains plaisirs, qui, loin d'être pareils et invariables, comme ils le sont en Égypte selon ton interprétation, ne sont au contraire jamais les mêmes. L'ATHÉNIEN Très bien, Clinias ; mais si tu crois que j'ai voulu dire par là que cela se pratique aujourd'hui, je ne serais pas surpris qu'il faille attribuer cette méprise à un manque de clarté dans l'exposition de mes idées. En exprimant mes désirs relativement à la musique, je l'ai sans doute fait de telle sorte que tu as pu croire que je parlais d'une chose existante. Lorsque les maux sont inguérissables et l'erreur poussée trop loin, il n'est jamais agréable, mais il est quelquefois nécessaire d'en faire la censure. Mais puisque tu es de mon avis sur ce point, dis-moi : tu affirmes que mes prescriptions sont mieux observées chez vous et chez les Lacédémoniens que chez les autres Grecs ? CLINIAS Sans doute. L'ATHÉNIEN Mais supposons qu'elles le soient comme chez vous. Pourrons-nous dire alors que les choses iraient mieux qu'elles ne vont à présent ? CLINIAS Sans comparaison, si elles se passaient comme chez les Lacédémoniens et chez nous et comme tu viens de dire toi-même qu'elles devraient se passer. VI L'ATHÉNIEN Allons, mettons-nous d'accord à présent. Ce qu'on dit chez vous à propos de l'éducation et de la musique envisagées dans leur ensemble ne se ramène-t-il pas à ceci ? Obligez-vous les poètes à dire que l'homme de bien, du fait qu'il est tempérant et juste, est heureux et fortuné, peu importe qu'il soit grand et fort, ou petit et faible, riche ou pauvre ; mais que, fût-on même plus riche que Kinyras (20) et Midas (21), si l'on est injuste, on est malheureux et l'on mène une triste existence. J'ajoute à cela ce que dit votre poète (22), s'il veut bien dire : je ne parle pas et je ne fais aucun cas d'un homme qui posséderait tout ce qu'on appelle des biens, s'il n'y joint pas la possession et la pratique de la justice. S'il est juste, qu'il aspire à combattre l'ennemi de pied ferme et de près ; mais s'il est injuste, aux dieux ne plaise qu'il ose regarder le carnage sanglant, ni qu'il devance à la course Borée de Thrace, ni qu'il jouisse d'aucun des avantages qu'on appelle biens ; car ceux que le vulgaire appelle des biens sont mal nommés. On dit en effet que le premier des biens est la santé, le deuxième la beauté, le troisième la richesse, et l'on en compte encore des centaines d'autres, comme l'acuité de la vue et de l'ouïe et le bon état des sens ; ajoutez-y la liberté de faire ce qu'on veut en qualité de tyran ; et enfin le comble du bonheur, c'est de devenir immortel aussitôt qu'on a acquis tous ces biens. Mais vous et moi, nous disons, je pense, que la possession de tous ces biens est excellente pour les hommes justes et sains, mais très mauvaise pour les hommes injustes, à commencer par la santé ; que la vue, l'ouie, la sensibilité, en un mot, la vie est le plus grand des maux, si l'on est immortel et si l'on possède tout ce qu'on appelle bien, sans être juste et entièrement vertueux, mais que le mal est d'autant moins grand qu'on vit moins de temps dans ces conditions. Voilà les principes que je professe. Vous engagerez, je pense, vous forcerez les poètes de chez vous à les proclamer, à mettre leurs rythmes et leurs harmonies en conformité avec eux et par ce moyen à élever ainsi vos jeunes gens. N'ai-je pas raison ? Voyez. Je déclare nettement, moi, que ce qu'on appelle des maux sont des biens pour les hommes injustes, et des maux pour les justes ; qu'au contraire les biens sont réellement des biens pour les bons, mais des maux pour les méchants. Comme je vous l'ai demandé, sommes-nous, vous et moi, d'accord là-dessus ? Qu'en dites-vous ? VII CLINIAS Je crois que nous sommes d'accord sur certains points, mais sur d'autres, pas du tout. L'ATHÉNIEN Peut-être ne puis-je réussir à vous persuader qu'un homme qui posséderait la santé, la richesse, la tyrannie jusqu'à la fin, et j'ajoute pour vous une force extraordinaire et du courage avec l'immortalité, sans rien avoir de ce qu'on appelle des maux, pour peu qu'il logeât en lui l'injustice et la violence, loin de mener une vie heureuse serait manifestement malheureux. CLINIAS Tu as deviné juste. L'ATHÉNIEN Soit. Comment pourrai-je, après cet aveu, vous amener à mon avis ? Ne croyez-vous pas que cet homme courageux, fort, beau, riche et maître de faire pendant toute sa vie ce qu'il désire, s'il est injuste et violent, mène nécessairement une vie honteuse ? Peut-être m'accorderez-vous au moins ce point. CLINIAS Assurément. L'ATHÉNIEN Et ceci encore, qu'il mène une mauvaise vie. CLINIAS Pour cela, je ne serai pas aussi affirmatif. L'ATHÉNIEN M'accorderas-tu qu'il mène une vie désagréable et fâcheuse pour lui-même ? CLINIAS Pour cela, comment veux-tu que nous en convenions encore ? L'ATHÉNIEN Comment ? Si un dieu veut bien, comme je le crois, mes amis, nous mettre d'accord ; car pour le moment nous ne le sommes guère. Pour moi, mon cher Clminias, la chose me paraît si nécessaire qtue je croirais plus facilement que la Crète n'est pas une île; et, si, j'étais législateur, j'essayerais de forcer les poètes et tous mes concitoyens à parler en ce sens, et j'imposerais, peu s'en faut, la plus grande peine à quiconque dirait dans le pays qu'il y a des gens qui, bien que méchants, vivent heureux, qu'il y a des choses utiles et profitables, mais qu'il y en a d'autres plus justes, et, sur maints autres objets, j'engagerais mes concitoyens à tenir un langage différent de celui que tiennent, semble-t-il, les Crétois et les Lacédémoniens, et sans doute aussi les autres hommes. Allons, au nom de Zeus et d'Apollon, dites-moi, vous les meilleurs des hommes, si nous demandions à ces dieux qui vous ont donné des lois si ce n'est pas le plus juste qui mène la vie la plus heureuse ou bien s'il y a deux sortes de vies, dont l'une est la plus agréable, et l'autre la plus juste, et qu'ils nous répondissent qu'il y en a deux, nous pourrions peut-être leur poser cette autre question, qui serait bien à sa place : Lesquels faut-il proclamer les plus heureux, ceux qui mènent la vie la plus juste ou ceux qui mènent la vie la plus agréable ? S'ils nous répondaient que ce sont ceux qui mènent la vie la plus agréable, leur réponse serait absurde. Mais, au lieu de faire tenir aux dieux un pareil langage, mettons-le plutôt au compte de nos pères et de nos législateurs, et ces questions que nous avons faites, supposons qu'elles se soient adressées à un père ou à un législateur, et qu'il nous ait répondu que celui qui mène la vie la plus agréable est le plus heureux. "Mon père, lui dirais-je alors, ce n'est donc pas la vie la plus heureuse que tu as voulu que je mène, puisque tu n'as jamais cessé de me recommander de mener la vie la plus juste." Une telle assertion dans la bouche d'un législateur ou d'un père serait, à mon avis, absurde, et il serait bien embarrassé pour se mettre d'accord avec lui-même. Si, au rebours, il déclarait que la vie la plus juste est la plus heureuse, tous ceux qui l'entendraient pourraient lui demander quel est donc ce bien et cette beauté préférable au plaisir que la loi trouve et approuve dans la vie la plus juste; car quel bien y a-t-il pour le juste, si l'on en retire le plaisir ? Quoi donc ? la gloire et l'approbation des hommes et des dieux seraient-elles une chose belle et bonne, mais incapable de causer du plaisir, et l'infamie, le contraire ? Divin législateur, cela ne peut pas être, dirions-nous. Peut-il être beau et bon et en même temps fâcheux de ne commettre aucune injustice et de n'en subir de personne, et y a-t-il au contraire de l'agrément dans la condition opposée, quoique mauvaise et honteuse ? CLINIAS Comment cela se pourrait-il ? VIII L'ATHÉNIEN Ainsi le discours qui ne sépare point l'agréable du juste, du bon et du beau peut au moins, à défaut d'autre effet, déterminer les gens à mener la vie sainte et juste, et le législateur tiendrait le langage le plus honteux et le plus contradictoire, s'il disait qu'il n'en est pas ainsi ; car personne ne consentira de plein gré à faire une chose qui lui procurera moins de plaisir que de peine. Or ce qu'on voit de loin donne des vertiges à presque tout le monde et en particulier aux enfants. Mais le législateur, ôtant le vertige qui nous aveugle, nous fera voir les choses sous un jour opposé et nous persuadera d'une manière ou d'une autre, par les pratiques, les louanges et les discours, que la justice et l'injustice sont dessinées en perspective et représentées l'une en face de l'autre, que l'injuste et le méchant, portant la vue sur ces deux tableaux, trouvera charmant celui de l'injustice et très déplaisant celui de la justice, mais que le juste, les regardant à son tour, en portera un jugement tout opposé. CLINIAS C'est évident. L'ATHÉNIEN Mais de ces deux jugements lequel tiendrons-nous pour le plus vrai et le plus autorisé, celui de l'âme dépravée ou celui de l'âme saine ? CLINIAS Forcément celui de l'âme saine. L'ATHÉNIEN Il est donc forcé que la vie injuste soit, non seulement plus honteuse et plus mauvaise, mais encore plus vraiment désagréable que la vie juste et sainte. CLINIAS Mes amis, elle risque fort de l'être, d'après ce que tu dis. L'ATHÉNIEN Lors même que cela ne serait pas aussi certain que la raison vient de le démontrer, si un législateur de quelque valeur a jamais osé mentir à la jeunesse pour son bien, a-t-il jamais pu faire un mensonge plus utile que celui-ci et plus efficace pour faire pratiquer la justice, non par force, mais volontairement ? CLINIAS La vérité est belle et noble, étranger, mais elle ne paraît pas facile à enseigner. L'ATHÉNIEN Soit. On n'a pourtant pas eu de peine à rendre croyable la fable phénicienne (23), si incroyable qu'elle fût, et mille autres pareilles. CLINIAS Quelle est cette fable ? L'ATHÉNIEN Celle des dents semées, d'où naquirent des hoplites. C'est pour un législateur un exemple frappant de ce qu'on peut faire, si on veut entreprendre de persuader les âmes des jeunes gens. Il n'a donc qu'à chercher et découvrir ce qui sera le plus avantageux à l'État et à trouver par quels moyens variés et de quelle façon toute la communauté tiendra toujours le plus possible sur ce point un seul et même langage dans ses chants, ses fables et ses discours. Si vous êtes d'un autre avis que moi, vous êtes libres de combattre mes raisons. CLINIAS Il ne me semble pas qu'aucun de nous deux puisse te contester ce que tu viens de dire. L'ATHÉNIEN C'est donc à moi à continuer, et je dis qu'il faut former trois chœurs qui tous doivent agir par incantation sur les âmes encore jeunes et tendres des enfants, en leur répétant toutes les belles maximes que nous venons d'exposer et que nous pourrions encore exposer, et dont l'essentiel est que la vie la plus agréable est, au jugement des dieux, la plus juste. Nous ne dirons en cela que l'exacte vérité, et nous persuaderons mieux ceux qu'il nous faut persuader qu'en leur tenant n'importe quel autre discours. CLINIAS On ne peut disconvenir de ce que tu dis. L'ATHÉNIEN Tout d'abord nous ne saurions mieux faire que d'introduire en premier lieu le chœur des Muses, composé d'enfants qui chanteront ces maximes en public et à tous les citoyens avec tout le zèle possible. Ce sera ensuite le tour du second, formé des jeunes gens qui n'auront pas dépassé la trentaine. Ils prendront Paean à témoin de la vérité de ces maximes et le prieront de la faire entrer doucement dans leur âme et de leur accorder sa protection. Un troisième chœur, composé d'hommes faits, depuis trente ans jusqu'à soixante, doit aussi chanter à son tour. Pour ceux qui auront passé cet âge, comme ils ne sont plus capables de chanter, on les réservera pour conter des fables sur les mœurs en s'appuyant d'oracles divins. CLINIAS Quels sont, étranger, ces troisièmes chœurs dont tu parles ? Nous ne saisissons pas clairement ce que tu veux en dire. L'ATHÉNIEN Ce sont ceux en vue desquels j'ai tenu jusqu'ici la plupart de mes discours. CLINIAS Nous n'avons pas encore compris ; essaye de t'expliquer plus clairement. IX L'ATHÉNIEN Nous avons dit, si nous avons bonne mémoire, au début de cet entretien, que la jeunesse, naturellement ardente, ne pouvait tenir en repos ni son corps ni sa langue, qu'elle criait au hasard et sautait continuellement, que l'idée de l'ordre à l'égard du mouvement et de la voix était étrangère aux animaux et que la nature ne l'avait donnée qu'à l'homme, que l'ordre dans le mouvement portait le nom de rythme et que celui de la voix, mélange de tons aigus et de tons graves, s'appelait harmonie, et les deux réunis chorée. Nous avons dit que les dieux, touchés de compassion pour nous, nous avaient donné comme associés à nos chœurs et comme chorèges Apollon et les Muses, et en troisième lieu, vous en souvient-il ? Dionysos. CLINIAS Comment ne nous en souviendrions-nous pas ? L'ATHÉNIEN Nous avons déjà parlé des chœurs des muses et d'Apollon. Il nous faut maintenant parler du troisième et dernier, celui de Dionysos. CLINIAS Comment cela ? explique-toi. Il y a de quoi être surpris, quand on entend soudain parler d'un chœur de vieillards consacré à Dionysos, composé d'hommes au-dessus de trente et de cinquante ans jusqu'à soixante. L'ATHÉNIEN Tu as parfaitement raison. Aussi faut-il expliquer comment la pratique de ces chœurs peut être fondée en raison. CLINIAS Certainement. L'ATHÉNIEN Etes-vous d'accord avec moi sur ce qui a été dit précédemment ? CLINIAS Au sujet de quoi ? L'ATHÉNIEN Qu'il faut que chaque citoyen, homme fait ou enfant, libre ou esclave, mâle ou femelle, en un mot que tout l'Etat en corps se répète toujours à lui-même les maximes dont nous avons parlé, en y glissant quelques modifications et en y jetant une variété telle qu'on ne se lasse pas de les chanter et qu'on y trouve toujours du plaisir. CLINIAS Comment ne pas convenir qu'il faut faire ce que tu dis ? L'ATHÉNIEN Mais en quelle occasion cette partie des citoyens, qui est la meilleure et qui par l'âge et la sagesse est plus propre que toute autre à persuader, pourra-t-elle, en chantant les plus belles maximes, contribuer particulièrement au bien de l'État ? Nous ne serons pas, je pense, assez malavisés pour laisser de côté ce qui peut donner le plus d'autorité aux chants les plus beaux et les plus utiles. CLINIAS D'après ce que tu dis, il n'est pas possible de le laisser de côté. L'ATHÉNIEN Comment donc conviendrait-il de s'y prendre ? Voyez si ce ne serait pas ainsi. CLINIAS Comment ? L'ATHÉNIEN Quand on devient vieux, on hésite beaucoup à chanter, on a moins de plaisir à le faire, et, si l'on y est forcé, on en rougit d'autant plus qu'on est plus vieux et plus sage, n'est-ce pas ? CLINIAS Oui, assurément. L'ATHÉNIEN Ne rougirait-on pas encore davantage, s'il fallait chanter debout sur un théâtre devant toutes sortes de gens, et, si l'on était forcé, en vue d'exercer sa voix, de rester maigres et abstinents, comme les choristes qui disputent le prix, n'éprouverait-on pas à le faire un extrême déplaisir, une grande honte et une forte répugnance ? CLINIAS Nécessairement. L'ATHÉNIEN Comment ferons-nous donc pour les encourager à chanter de bonne grâce ? Ne faut-il pas commencer par faire une loi qui interdise absolument aux enfants jusqu'à l'âge de dix-huit ans l'usage du vin, leur remontrant qu'il ne faut pas jeter de feu sur le feu qui dévore leur corps et leur âme, avant qu'ils se livrent aux travaux qui les attendent, et qu'ils doivent se garder avec soin des folies propres à la jeunesse ? Ensuite nous leur permettrons d'y goûter modérément jusqu'à trente ans, mais en s'abstenant absolument pendant leur jeunesse d'en boire à l'excès et jusqu'à l'ivresse. Quand ils atteindront la quarantaine, ils prendront part aux banquets en commun et appelleront les dieux et inviteront en particulier Dionysos à leur fête et à leurs divertissements ; car ce dieu, en donnant le vin aux hommes, leur a procuré un remède pour adoucir l'austérité de la vieillesse, remède qui nous rajeunit, nous fait oublier nos chagrins, amollit la dureté de notre caractère, en sorte que, comme le fer placé dans le feu, il devient ainsi plus malléable. Dans les dispositions où le vin les aura mis, est-ce que nos vieillards ne se porteront pas plus volontiers et avec moins de honte à chanter, non pas devant les foules, mais devant un nombre restreint de spectateurs, et non des spectateurs étrangers, mais des amis, et à pratiquer, comme nous l'avons dit souvent, leurs incantations ? CLINIAS Ils s'y porteront beaucoup plus volontiers. L'ATHÉNIEN Il y aurait donc là, pour les amener à prendre part aux chants, un moyen qui conviendrait assez. CLINIAS Assurément. X L'ATHÉNIEN Quelle sorte de chant leur mettrons-nous dans la bouche ? Quelle sera leur muse ? N'est-il pas évident qu'ils doivent en avoir une qui convienne à leur âge. CLINIAS Sans contredit. L'ATHÉNIEN Quel chant pourrait convenir à des hommes divins ? Serait-ce celui des chœurs ? CLINIAS Pour nous, étranger, et pour les Lacédémoniens, nous ne saurions chanter d'autres chants que ceux que nous avons appris dans les chœurs, et auxquels nous sommes accoutumés. L'ATHÉNIEN Je le crois, parce que réellement vous n'avez jamais été à même d'employer le plus beau chant. Votre État n'est qu'un camp ; au lieu d'habiter dans des villes, vos jeunes gens sont comme des poulains qui paissent assemblés en troupeaux. Aucun de vous ne sépare le sien de la bande et ne le prend avec lui, si sauvage et si hargneux qu'il soit, pour le mettre entre les mains d'un écuyer particulier et le dresser en l'étrillant, en l'apprivoisant et en usant de tous les moyens convenables à l'éducation des enfants. On en ferait ainsi non seulement un bon soldat, mais un homme capable de bien administrer, soit l'État, soit des villes, et, comme nous l'avons dit au début, un meilleur guerrier que les guerriers de Tyrtée et qui estimerait le courage, non comme la première, mais comme la quatrième partie de la vertu, en toutes circonstances et en tous lieux, chez les particuliers et dans tout l'État. CLINIAS Je ne sais pas pourquoi, étranger, tu rabaisses de nouveau nos législateurs. L'ATHÉNIEN Si je le fais vraiment, mon bon, c'est sans intentions Mais suivons la raison, si vous le voulez bien, partout où elle nous conduira. Si effectivement nous découvrons une muse plus belle que celle des chœurs et des théâtres publics, essayons de la faire adopter à ces vieillard. qui, disions-nous, rougissent de l'autre et désirent s'adonner à la plus belle. CLINIAS C'est cela même qu'il faut faire. L'ATHÉNIEN Ne faut-il pas, dans tout ce qui est accompagné de quelque agrément, ou que cet agrément seul soit ce qu'il faut le plus rechercher, ou qu'on y trouve une qualité intrinsèque ou de l'utilité ? On peut dire, par exemple, que le manger, le boire et, en général, tout aliment comporte une certaine douceur que nous nommons plaisir, mais que la qualité intrinsèque et l'utilité des aliments qu'on absorbe, c'est d'entretenir la santé, et que c'est en cela même que réside leur dualité essentielle. CLINIAS C'est parfaitement exact. L'ATHÉNIEN La science aussi ne va pas sans agrément et sans plaisir ; mais pour sa bonté, son utilité, sa noblesse et sa beauté, c'est à la vérité qu'elle les doit. CLINIAS C'est exact. L'ATHÉNIEN Mais quoi ? dans tous les arts plastiques, qui reproduisent la réalité, n'y a-t-il pas un plaisir qui s'y attache, et n'est-il pas très juste de dire que c'en est l'agrément ? CLINIAS Si. L'ATHÉNIEN Mais la bonté intrinsèque de ces sortes d'ouvrages, consiste, pour le dire en un mot, dans leur ressemblance exacte, tant pour la quantité que pour la qualité, avec l'objet imité, et non dans le plaisir. CLINIAS Fort bien. L'ATHÉNIEN On n e peut donc bien juger d'après le plaisir que les choses qui ne comportent ni utilité, ni vérité, ni ressemblance, et qui, d'un autre côté, ne causent aucun dommage, mais qu'on recherche uniquement pour l'agrément qui accompagne ces qualités, et qu'on peut très bien appeler plaisir, quand rien de tout cela n'y est joint. CLINIAS Tu veux dire le plaisir qui n'a rien de nuisible. L'ATHÉNIEN Oui, et ce même plaisir est, selon moi, un divertissement, lorsqu'il ne fait ni mal ni bien qui vaille la peine qu'on y prête attention ou qu'on en parle. CLINIAS Tu as tout à fait raison. L'ATHÉNIEN Dès lors ne pouvons-nous pas conclure, d'après ce que nous venons de dire, qu'aucune imitation, aucun rapport d'égalité ne doit être jugé sur le plaisir et l'opinion mal fondée, car ce n'est pas par l'opinion qu'on peut s'en faire ou par le peu de plaisir qu'on y prend que l'égalité est l'égalité et la proportion, la proportion, mais avant tout par la vérité, et non par quelque autre chose que ce soit. CLINIAS Assurément. L'ATHÉNIEN Or ne disons-nous pas que la musique est toujours un art de représentation et d'imitation ? CLINIAS Sans doute. L'ATHÉNIEN Il ne faut donc pas écouter ceux qui disent qu'on juge la musique sur le plaisir, ni rechercher comme digne de notre empressement la première musique venue, mais celle qui se conforme à l'imitation du beau. CLINIAS Cela est très vrai. L'ATHÉNIEN Et nos vieillards qui recherchent le plus beau chant et la plus belle muse devront naturellement chercher, non celle qui est agréable, mais celle qui est juste, et l'imitation, disons-nous, est juste si l'objet imité est de la même grandeur et de la même qualité que celui qu'il reproduit. CLINIAS Sans contredit. L'ATHÉNIEN Et tout le monde conviendra que toutes les créations de la musique ne sont qu'imitation et représentation. N'est-ce pas un point sur lequel tout le monde est d'accord, poètes, auditeurs et acteurs ? CLINIAS Oui, assurément. L'ATHÉNIEN Il faut donc, semble-t-il, pour chacune de ses créations, savoir ce qu'elle exprime, si l'on ne veut pas se tromper en la jugeant, car si on ne commit pas la chose même qu'elle veut rendre et de quoi elle est réellement l'image, on jugera difficilement de la rectitude de ses intentions ou de ses défauts. CLINIAS Difficilement en effet. Comment pourrait-il en être autrement ? L'ATHÉNIEN Mais si l'on n'a pas idée de la rectitude d'une chose, sera-t-on jamais capable de discerner ce qui est bien ou mal ? Je ne m'explique pas très clairement ; peut-être serai-je plus clair de cette manière. CLINIAS De quelle manière ? XI L'ATHÉNIEN Il y a sans doute des milliers d'imitations qui s'adressent à la vue. CLINIAS Oui. L'ATHÉNIEN Si donc ici encore on ignore ce que sont les objets imités, pourra-t-on jamais reconnaître si l'exécution est fidèle, je veux dire, par exemple, si les propositions des objets sont bien observées et chacune des parties bien à sa place, quel en est le nombre, et si elles sont ajustées les unes à côté des autres dans l'ordre qui convient, et si les couleurs et les figures aussi sont bien imitées, ou si tout cela a été confondu ? Vous semble-t-il qu'on puisse jamais discerner tout cela, si l'on n'a aucune idée de ce qu'est l'animal imité ? CLINIAS Comment le pourrait-on ? L'ATHÉNIEN Mais si nous savons que l'objet peint ou modelé est un homme, et que l'artiste en a représenté toutes les parties avec leurs couleurs ou leurs formes, ne s'ensuit-il pas nécessairement que nous pouvons juger tout de suite si l'ouvrage est beau, ou ce qui lui manque pour l'être ? CLINIAS On peut dire, étranger, que nous reconnaîtrions presque tous les beautés des animaux représentés. L'ATHÉNIEN Parfaitement. Dès lors, ne faut-il pas, si l'on veut porter un jugement sain sur chaque image, soir en peinture, soit en musique ou en tout autre genre, connaître ces trois choses, d'abord ce qu'est l'objet imité, ensuite s'il est exactement reproduit, et, en troisième lieu, si l'imitation est belle, soit pour les paroles, soit pour les mélodies, soit pour les rythmes ? CLINIAS Il semble en effet. L'ATHÉNIEN Voyons donc, sans nous rebuter, ce qui fait la difficulté de bien juger la musique. Comme c'est de toutes les imitations la plus vantée, c'est celle aussi qui exige le plus de circonspection, car ici l'erreur peut causer les plus grands dommages en nous faisant embrasser de mauvaises mœurs, et en même temps elle est très difficile à saisir, parce que les poètes sont loin d'égaler les Muses dans leurs créations. Ce n'est pas elles qui commettraient la faute d'adapter à des paroles qu'elles auraient faites pour les hommes des figures et une mélodie qui ne conviennent qu'aux femmes, ou d'ajuster à une mélodie et à des figures qu'elles auraient composées pour des hommes libres des rythmes propres aux esclaves ou à des rustres, ou enfin, quand elles ont pris pour base des rythmes et une figure propres à un homme libre, de mettre sur ces rythmes une mélodie ou des paroles qui les contrarient. Jamais elles ne mêleraient des voix d'animaux, d'hommes, d'instruments et des bruits de toute sorte pour exprimer une seule chose, au lieu que nos poètes humains, entrelaçant étroitement et brouillant tout cela d'une manière absurde, prêtent à rire à tous ceux qui, comme dit Orphée, ont reçu du ciel le sentiment de l'harmonie. Car non seulement ils mêlent tous ces éléments, mais encore ils les séparent violemment et nous présentent un rythme et des figures sans mélodie et des paroles sans accompagnement assujetties au mètre, ou, par contre, une mélodie et un rythme sans paroles, joués sur la simple cithare ou la flûte. Dans de telles conditions, il est très difficile de deviner ce que veulent dire ce rythme et cette harmonie dénués de paroles et à quel genre d'imitation de quelque valeur cela ressemble. Il faut reconnaître qu'il y a beaucoup de rusticité dans ce goût qu'ils affectent pour la vitesse, la volubilité et les cris d'animaux, au point qu'ils jouent de la flûte et de la cithare en dehors de la danse et du chant ; user de ces deux instruments autrement que pour accompagner dénote un manque total de goût et un vrai charlatanisme. Voilà ce que j'avais à dire sur ce sujet. Au reste, nous n'examinons pas ici de quel genre de musique les hommes qui ont atteint la trentaine et ceux qui ont dépassé la cinquantaine doivent s'abstenir, mais quel genre ils doivent pratiquer. Ce qui me paraît résulter de ce discours, c'est que les hommes de cinquante ans qui sont dans le cas de chanter doivent être mieux instruits que personne de ce qui concerne la musique des chœurs. Il faut qu'ils aient un sens aigu et une connaissance exacte des rythmes et des harmonies; autrement, comment pourraient-ils reconnaître la justesse des mélodies, les cas où il convient d'user du mode dorien, et si le poète a bien ou mal ajusté le rythme à la mélodie ? CLINIAS Il est évident qu'ils ne le pourraient pas. L'ATHÉNIEN La plupart des spectateurs sont ridicules de croire qu'ils sont assez habiles pour reconnaître si l'harmonie et le rythme conviennent ou ne conviennent pas, parce qu'ils ont été forcés de chanter et de marcher en mesure. Ils ne réfléchissent pas qu'ils le font sans connaître chacune de ces choses et que toute mélodie est juste, quand elle a les qualités qui lui conviennent, et manquée dans le cas contraire. CLINIAS C'est absolument exact. L'ATHÉNIEN Mais quoi ? si l'on ne connaît même pas la nature d'une chose, pourra-t-on jamais reconnaître, comme nous l'avons dit, si elle est juste, quelle que soit d'ailleurs cette chose ? CLINIAS Le moyen ? XII L'ATHÉNIEN Nous découvrons donc encore à présent, ce semble, que nos chanteurs, que nous appelons et forçons en quelque sorte à chanter de bonne grâce, doivent nécessairement être assez instruits pour être à même de suivre la marche des rythmes et les tons des mélodies, afin que, connaissant les harmonies et les rythmes, ils soient en état de choisir ceux qui conviennent à des gens de leur âge et de leur caractère, qu'ils les chantent ensuite et qu'en les chantant, ils goûtent dès ce moment un plaisir innocent, et apprennent à la jeunesse à embrasser comme il convient les bonnes mœurs. Ainsi instruits, ils disposeraient de connaissances plus complètes que celles de la foule et des poètes eux-mêmes. Car il n'y a aucune nécessité que le poète connaisse si son imitation est belle ou non, ce qui est le troisième point ; mais il est à peu près indispensable qu'il connaisse ce qui concerne l'harmonie et le rythme, tandis que nos vieillards doivent connaître les trois points, pour choisir ce qu'il y a de plus beau ou ce qui en approche le plus ; autrement ils ne seront jamais des enchanteurs capables d'inspirer la vertu à la jeunesse. Nous avons expliqué du mieux que nous avons pu ce que nous voulions en entamant cette discussion, c'est à savoir d'aider à l'action du chœur de Dionysos. Voyons si nous y avons réussi. C'est une nécessité qu'une telle assemblée soit tumultueuse, et qu'elle le devienne toujours davantage à mesure qu'on continue à boire ; c'est une chose que nous avons posée comme nécessaire au début, en parlant des assemblées telles qu'elles se pratiquent maintenant. CLINIAS Nécessaire en effet. L'ATHÉNIEN On s'exalte, on se trouve plus léger qu'à l'ordinaire, on s'abandonne à la joie, on est plein de franchise et dans cet état, on n'écoute pas ses voisins, et l'on prétend qu'on est capable de se gouverner soi-même et les autres, CLINIAS Sans aucun doute. L'ATHÉNIEN Nous avons dit, n'est-ce pas ? que, dans ces dispositions, les âmes des buveurs, échauffées comme le fer, deviennent plus molles et plus jeunes, de sorte qu'elles seraient faciles à conduire à celui qui pourrait et saurait les dresser et les former, comme quand elles étaient jeunes. Or ce modeleur est le même dont nous parlions alors, c'est le bon législateur, qui doit imposer aux banquets des lois capables de faire passer à des dispositions opposées cet homme gonflé d'espérances et d'audace, qui pousse l'impudence au-delà des bornes, incapable de s'assujettir à l'ordre, de parler, de se taire, de boire et de chanter à son rang ; il faut, pour que cet homme repousse l'impudence qui l'envahit, qu'elles lui inspirent, avec la justice, la plus belle des craintes, cette crainte divine que nous avons appelée honte et pudeur. CLINIAS Cela est vrai. L'ATHÉNIEN II faut encore que ces lois soient gardées et secondées par des hommes rassis et sobres qui commandent les buveurs, parce qu'à défaut de tels chefs, il est plus malaisé de combattre l'ivresse que l'ennemi avec des généraux qui manquent de sang-froid. Il faut enfin que ceux qui ne peuvent se résoudre à obéir à ces chefs et à ceux qui dirigent les chœurs de Dionysos, c'est-à-dire aux vieillards au-dessus de cinquante ans, encourent le même déshonneur, un déshonneur plus grand même que ceux qui désobéissent aux commandants d'Arès. CLINIAS C'est juste. L'ATHÉNIEN Si l'ivresse était ainsi réprimée et le divertissement surveillé, n'est-il pas vrai que les buveurs en retireraient de grands avantages et se quitteraient meilleurs amis qu'auparavant, et non en ennemis, comme ils le font à présent ? Mais il faudrait pour cela que les réunions se fissent en conformité avec les lois et que ceux qui ne sont pas sobres obéissent à ceux qui le sont. CLINIAS Tu as raison, si les réunions se passaient comme tu viens de le dire. XIII L'ATHÉNIEN Ne condamnons donc plus sans appel ce présent de Dionysos ; ne disons plus qu'il est mauvais et qu'il ne mérite pas d'être reçu dans un État. Il y aurait encore beaucoup â dire en sa faveur, notamment qu'il nous procure le plus grand bien ; mais on hésite à en parler à la foule, parce qu'elle comprend et juge mal ce qu'on en dit. CLINIAS Quel est donc ce grand bien ? L'ATHÉNIEN Il court dans le public une tradition qui dit que Hèra, la marâtre de Dionysos, lui brouilla la raison, et que pour se venger, il introduisit les orgies et les danses extravagantes, et que c'est dans ce dessein qu'il nous fit présent du vin. Pour moi, je laisse ce langage à ceux qui croient qu'on peut faire en sûreté de tels contes au sujet des dieux. Ce que je sais, c'est qu'aucun animal ne naît avec toute l'intelligence qu'il doit avoir, lorsqu'il aura atteint sou plein développement, et que, dans le temps où il n'a pas encore acquis la sagesse qui lui est propre, il est en état de folie, il crie sans aucune règle, et, dès qu'il est capable de se mouvoir, il fait des sauts désordonnés. Rappelons-nous ce due nous avons dit, que c'est de là qu'ont pris naissance la musique et la gymnastique. CLINIAS Nous nous en souvenons ; comment l'aurions-cous oublié ? L'ATHÉNIEN Et que c'est de là aussi que les hommes ont pris l'idée du rythme et de l'harmonie, et que, parmi les dieux, c'est à Apollon, aux Muses et à Dionysos que nous en sommes redevables. CLINIAS Sans aucun doute. L'ATHÉNIEN Les autres disent, ce semble, que Dionysos a donné le vin aux hommes pour se venger d'eux, en les mettant en folie ; mais le discours que nous tenons à présent fait voir qu'il nous a été donné comme remède en vue du contraire, pour mettre dans nos âmes la pudeur et dans nos corps la santé et la force. CLINIAS Tu nous rappelles, étranger, de la manière la plus heureuse ce qui a été dit précédemment. L'ATHÉNIEN Nous avons entièrement traité d'une moitié de la chorée ; pour l'autre moitié, il en sera ce qu'il vous plaira, nous l'achèverons ou la laisserons de côté. CLINIAS De quelle moitié parles-tu et comment conçois-tu cette division ? L'ATHÉNIEN La chorée prise en son entier, c'était pour nous l'éducation prise en son entier ; mais une de ses parties comprend les rythmes et les harmonies qui se rapportent à la voix. CLINIAS Oui L'ATHÉNIEN L'autre partie, qui se rapporte au mouvement du corps comprend, nous l'avons dit, le rythme qui est commun au mouvement de la voix, et elle a en propre la figure, tandis que le mouvement de la voix a en propre la mélodie. CLINIAS C'est exactement vrai. L'ATHÉNIEN A l'art qui, réglant la voix, passe jusque dans l'âme et la dresse à la vertu, nous avons donné, je ne sais pourquoi, le nom de musique. CLINIAS Et on l'a bien nommé. L'ATHÉNIEN Quant aux mouvements du corps, qui constituent, avons-nous dit, le divertissement de la danse, s'ils vont jusqu'au perfectionnement du corps, nous avons nommé gymnastique l'art qui conduit à ce but. CLINIAS Fort bien. L'ATHÉNIEN Nous avons dit que nous avions traité à peu près la moitié de la chorée qu'on appelle musique. N'en parlons plus. Parlerons-nous de l'autre moitié, ou que devonsnous faire ? CLINIAS Que crois-tu, mon excellent ami, quand tu parles à des Crétois et à des Lacédémoniens, qu'ils doivent répondre à une pareille question, lorsqu'après avoir traité tout au long de la musique, on n'a pas touché à la gymnastique ? L'ATHÉNIEN Je dis, moi, qu'en me posant cette question, tu as déjà clairement répondu, et je vois que cette interrogation est non seulement une réponse, comme je viens de le dire, mais encore une sommation de traiter tout au long de la gymnastique. CLINIAS Tu m'as parfaitement compris. Fais donc ce que je te demande. L'ATHÉNIEN Je vais le faire. Aussi bien, il n'est pas très difficile d'exposer des choses que vous connaissez tous les deux, puisque vous avez bien plus d'expérience de cet art que de l'autre. CLINIAS Tu dis vrai. XIV L'ATHÉNIEN L'origine de ce divertissement est dans l'habitude qu'ont tous les animaux de sauter naturellement ; mais d l'homme, nous l'avons dit, ayant reçu le sentiment du rythme, a inventé et formé la danse ; ensuite la mélodie rappelant et éveillant le rythme, les deux réunis ensemble ont enfanté la chorée et le jeu. CLINIAS C'est très vrai. L'ATHÉNIEN Nous avons déjà, dis-je, expliqué une de ces deux choses ; nous essayerons dans la suite d'expliquer l'autre. CLINIAS Très bien. L'ATHÉNIEN Mais nous mettrons d'abord son couronnement à notre discussion sur l'utilité de l'ivresse, si vous êtes tous les deux de mon avis. CLINIAS Qu'entends-tu par là ? L'ATHÉNIEN Si un État, attachant de l'importance à cette institution dont nous avons parlé, en use suivant les lois et les règles, s'y exerce en vue de la tempérance et goûte de même les autres plaisirs en s'appliquant à en être le maître, il ne saurait, dans ces conditions, trop pratiquer tous ces divertissements. Mais si l'on n'en use que pour s'amuser, et s'il est permis à qui le veut de boire quand il veut et avec qui il veut et de quelque autre façon qu'on le veuille, je n'admettrai jamais ni qu'un État, ni qu'un particulier s'abandonne à l'ivresse. Je préférerais même à l'usage des Crétois et des Lacédémoniens celui des Carthaginois, où la loi veut qu'aucun soldat ne goûte à cette boisson, lorsqu'il est sous les armes, et qu'il ne boive que de l'eau tant qu'il est en campagne, qu'aucun esclave, mâle ou femelle, n'y touche dans l'enceinte des remparts, ni les magistrats pendant l'année où ils sont en charge, où elle en défend absolument l'usage aux pilotes, et aux juges dans l'exercice de leurs fonctions, et à tous ceux qui s'assemblent pour délibérer sur quelque résolution importante, et à tout le monde pendant le jour, sauf pour se donner des forces en soignant une maladie, et même pendant la nuit, quand un couple a dessein de procréer des enfants. Et l'on pourrait énumérer un nombre infini de cas où le bon sens et la loi doivent interdire l'usage du vin. A ce compte, aucune cité n'aurait besoin de beaucoup de vignes, et le reste serait assigné à la culture du sol et à tous les besoins de la vie, et la vigne serait bornée à la portion la plus modique et la plus restreinte. Tel est, étranger, si vous partagez mon avis, le couronnement que nous mettrons à notre discussion sur le vin. CLINIAS Il est beau et nous l'approuvons. Notes (16) Platon fait dériver xorñw, chœur, de xar\u2039, joie. (17) Une des parties fondamentales de la musique ancienne s'appelait chromatique, du mot xrÅma, couleur. Le mot chromatique désigne aujourd'hui une gamme composée de demi-tons. (18) Chez les Grecs, le poète était musicien et composait à la fois les paroles, l'air et les danses. D'ailleurs, le moi poète (créateur) se disait en général de tout compositeur, soit de vers, soit de chants, soit de danses. (19) Lucrèce, IV, 11-23, a pris à Platon cette comparaison : " Quand les médecins veulent faire prendre aux enfants l'absinthe ambre, ils commencent par dorer d'un miel blond et sucré les bords de la coupe. Ainsi le jeune âge imprévoyant, ses lèvres trompées par la douceur, avale en même temps l'amer breuvage et, dupé pour son bien, recouvre force et santé. Ainsi moi-même aujourd'hui, sachant que notre doctrine est trop amère à qui ne l'a point pratiquée et que le vulgaire recule d'horreur devant elle, j'ai voulu te l'exposer dans le doux langage des Muses et, pour ainsi dire, l'imprégner de leur miel." (20) Kinyras, mentionné par Homère, Iliade (XI, 20) et par Pindare (Pythiques II, 27) fut d'après la légende le premier roi de Cypre et le premier prêtre d'Aphrodite, et l'ancêtre de la famille sacerdotale des Kinyrades. (21) Sur Midas qui avait reçu de Bacchus le pouvoir de changer en or tout ce qu'il touchait, voyez Ovide, Métamorphoses XI, 85 et 99. (22) Ce poète est Tyrtée. Les mois en italique sont pris du chant de guerre auquel il a été tait allusion plus haut. (23) Chassé de Sidon par son père, Cadmos se réfugia dn Béotie. Un dragon, ayant dévoré ses compagnons, il le tua et, sur le conseil d'Athèna, il en sema les dents dans la terre. Il en naquit des guerriers qui s'entretuèrent,à l'exception de cinq, qui se joignirent à Cadmos, et l'aidèrent à fonder la ville de Thèbes. Voyez Ovide, Métamorphoses, commencement du livre III. en:Laws
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Bible Segond 1910/Ancien Testament
<div style="margin-left:38%; margin-right:0%;"> Le Pentateuque (Torah) Genèse Exode Lévitique Nombres Deutéronome Les Livres historiques Livre de Josué Livre des Juges Livre de Ruth Premier livre de Samuel Deuxième livre de Samuel Premier livre des Rois Deuxième livre des Rois Premier livre des Chroniques Deuxième livre des Chroniques Livre d’Esdras Livre de Néhémie Livre d’Esther Les Livres poétiques Job Livre des Psaumes Proverbes Ecclésiaste Cantique des cantiques Les Prophètes Livre d’Ésaïe Livre de Jérémie Livre des Lamentations Livre d’Ézéchiel Livre de Daniel Osée Joël Amos Abdias Jonas Michée Nahum Habakuk Sophonie Aggée Zacharie Malachie Ancien Testament Antiquité hr:Stari zavjet la:Biblia Sacra Vulgata (Stuttgartensia) pl:Biblia Gdańska/Stary Testament ru:Ветхий завет
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La Méthode expérimentale chez les Anciens
Methode expérimentale chez les anciens Histoire de la philosophie Méthode expérimentale chez les Anciens Méthode expérimentale chez les Anciens Articles de Victor Brochard Revue philosophique de la France et de l'étranger Articles de 1887
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Bible Segond 1910/Genèse
Pentateuque Si vous souhaitez lire l'ensemble des textes de la Genèse en un seul bloc, cliquez ici La création Genèse 1 La création. Genèse 2 Le paradis. Genèse 3 La chute. Genèse 4 Caïn et Abel. Seth et ses descendants. Genèse 5 Descendance d'Adam. Le déluge Genèse 6 La corruption de l'humanité. Genèse 7 L'inondation. Genèse 8 La décrue et la sortie de l'arche. Genèse 9 L'alliance entre Dieu et les hommes. Du déluge à Abraham Genèse 10 Descendance de Noé. Genèse 11 La tour de Babel. Abraham Genèse 12 Abraham en Égypte. Genèse 13 Séparation d'Abraham et de Lot. Genèse 14 La campagne des quatre grands rois. Genèse 15 Les promesses et l'alliance divines. Genèse 16 Naissance d'Ismaël. Genèse 17 L'alliance et la circoncision. Genèse 18 L'intercession d'Abraham pour Sodome. Genèse 19 La destruction de Sodome. Genèse 20 Abraham et Abimélek, roi de Gérar. Genèse 21 Naissance d'Isaac. Genèse 22 Le sacrifice d'Abraham. Genèse 23 La tombe de Sara. Genèse 24 Le mariage d'Isaac avec Rebecca. Isaac et Jacob Genèse 25 Naissance d'Esaü et de Jacob, et cession du droit d'aînesse. Genèse 26 Alliance d'Isaac avec Abimélek. Genèse 27 Par ruse de Jacob, Isaac le bénit à la place de son frère. Genèse 28 Le songe de Jacob. Genèse 29 Jacob arrive chez son oncle Laban et se marie avec Léa et Rachel. Genèse 30 L'enrichissement de Jacob par la grâce de Dieu. Genèse 31 Fuite de Jacob. Traité entre Jacob et Laban. Genèse 32 Jacob lutte avec Dieu qui le nomme Israël. Genèse 33 La rencontre, puis la séparation d'avec Esaü. Genèse 34 Le viol de Dina. Genèse 35 L'autel à Béthel. Genèse 36 La famille d'Esaü. Joseph Genèse 37 Les songes de Joseph et la jalousie de ses frères. Genèse 38 Juda et Tamar. Genèse 39 La séductrice. Genèse 40 La prison. Genèse 41 Vaches grasses et vaches maigres. Genèse 42 Joseph rencontre ses dix frères. Genèse 43 Benjamin et ses frères partent en Egypte, et mangent chez Joseph. Genèse 44 Juda plaide la cause de Benjamin. Genèse 45 Joseph se fait connaître à ses frères. Genèse 46 Les retrouvailles avec son père. La descendance de Jacob. Genèse 47 L'échange de la liberté pour du pain. Genèse 48 Jacob bénit les fils de Joseph. Genèse 49 Les douze tribus d'Israël. Genèse 50 L'enterrement de Jacob et la mort de Joseph.
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Bible Segond 1910/Lévitique
Pentateuque Si vous souhaitez lire l'ensemble des textes du Lévitique en un seul bloc, cliquez ici Les offrandes et les sacrifices Lévitique 1 Offrande en holocauste. Lévitique 2 Offrande en oblation. Lévitique 3 Offrande du sacrifice de communion. Lévitique 4 Offrande du prêtre, de la communauté d'Israël, d'un chef et d'un homme du peuple. Lévitique 5 Autres cas de sacrifices pour le pêché. Lévitique 6 Le rituel des offrandes. Lévitique 7 Le rituel des sacrifices de réparation et de communion. Les rituels de la prêtrise Lévitique 8 La consécration. Lévitique 9 La cérémonie religieuse. Lévitique 10 Autres rituels. Pureté et impureté Lévitique 11 Animaux purs et impurs. Lévitique 12 Purification de la femme en couche. Lévitique 13 Impureté des lépreux et autres maladies de peau. Lévitique 14 Purification du lépreux. Lévitique 15 L'impureté de l'écoulement séminal et des règles. Lévitique 16 Le rite d'expiation annuel. Les lois et interdits Lévitique 17 Condamnation des rites non religieux. Lévitique 18 Primauté de la loi de Dieu. Interdits sexuels. Lévitique 19 Prescriptions comportementales. Lévitique 20 Peines et châtiments. Lévitique 21 Règles de comportement des prêtres. Lévitique 22 Les mets sacrés. Lévitique 23 Calendrier des fêtes solennelles. Lévitique 24 Lois diverses, dont la loi du talion. Lévitique 25 L'année sabbatique et l'année sainte. Lévitique 26 Bénédictions et malédictions divines. Lévitique 27 Les rachats.
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https://fr.wikisource.org/wiki/Germinal
Germinal
Romans parus en 1885 Romans d’Émile Zola Bassin minier du Nord-Pas-de-Calais Bon pour export Exploitation minière Romans français
1638
https://fr.wikisource.org/wiki/Splendeurs%20et%20mis%C3%A8res%20des%20courtisanes
Splendeurs et misères des courtisanes
. Esther heureuse . À combien l’amour revient aux vieillards . Où mènent les mauvais chemins . La dernière incarnation de Vautrin Œuvres d’Honoré de Balzac XIXe siècle Romans parus en 1847 Amour Bon pour export
1641
https://fr.wikisource.org/wiki/Nana
Nana
Romans Romans d’Émile Zola XIXe siècle Romans parus en 1880 Bon pour export Prostitution Publiés à Paris
1644
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Madame Bovary
Romans XIXe siècle Romans parus en 1857 Bon pour export Adultère Femmes da:Fru Bovary en:Madame Bovary sv:Madame Bovary
1646
https://fr.wikisource.org/wiki/Le%20Capitaine%20Fracasse
Le Capitaine Fracasse
Bon pour export Romans de cape et d’épée Romans d’amour Romans français Romans parus en 1889 Publiés à Paris
1647
https://fr.wikisource.org/wiki/Tao%20Te%20King%20%28Stanislas%20Julien%2C%20sans%20notes%29
Tao Te King (Stanislas Julien, sans notes)
Livre 1, chapitre   —   1   —   2   —   3   —   4   —   5   —   6   —   7   —   8   —   9   —   10   —   11   —   12   —   13   —   14   —   15   —   16   —   17   —   18   —   19   —   20   —   21   —   22   —   23   —   24   —   25   —   26   —   27   —   28   —   29   —   30   —   31   —   32   —   33   —   34   —   35   —   36   —   37   —   Livre 2, chapitre   —   38   —   39   —   40   —   41   —   42   —   43   —   44   —   45   —   46   —   47   —   48   —   49   —   50   —   51   —   52   —   53   —   54   —   55   —   56   —   57   —   58   —   59   —   60   —   61   —   62   —   63   —   64   —   65   —   66   —   67   —   68   —   69   —   70   —   71   —   72   —   73   —   74   —   75   —   76   —   77   —   78   —   79   —   80   —   81   —   Cette édition présente uniquement le texte de la traduction, sans le texte chinois et sans le commentaire. Pour afficher l'image du texte chinois, cliquer sur le numéro de page à gauche du titre du chapitre. Le texte complet est également en ligne : Le livre de la loi et de la vertu. Philosophie chinoise Littérature chinoise Taoïsme cs:O Tau a ctnosti en:Tao Te Ching (Wikisource translation) es:Tao Te King fi:Tao-te-king it:Tao Te Ching ja:老子道徳経 ko:도덕경 pt:Tao Te Ching vi:Đạo Đức kinh zh:老子 (匯校版)
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https://fr.wikisource.org/wiki/Le%20Misanthrope/%C3%89dition%20Louandre%2C%201910
Le Misanthrope/Édition Louandre, 1910
Acte I Acte II Acte III Acte IV Acte V en:The Misanthrope (Molière) Misanthrope Bon pour export
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https://fr.wikisource.org/wiki/Fragments%20d%E2%80%99H%C3%A9raclite
Fragments d’Héraclite
<div class="text"> Sextus Empiricus, Contre les mathématiciens, VII 132 1. Ce verbe, qui est vrai, est toujours incompris des hommes, soit avant qu’ils ne l’entendent, soit alors qu’ils l’entendent pour la première fois. Quoique toutes choses se fassent suivant ce verbe, ils ne semblent avoir aucune expérience de paroles et de faits tels que je les expose, distinguant leur nature et disant comme ils sont. Mais les autres hommes ne s’aperçoivent pas plus de ce qu’ils font étant éveillés, qu’ils ne se souviennent de ce qu’ils ont fait en dormant. Sextus Empiricus, Contre les mathématiciens, VII 133 2. Aussi faut-il suivre le (logos) commun ; mais quoiqu’il soit commun à tous, la plupart vivent comme s’ils avaient une intelligence à eux. Aétius, Opinions, II, 21, 4 3. (le soleil) sa largeur est d’un pied. Albert le Grand, De uegetabilibus, VI, 401 4. Si felicitas esset in delectationibus corporis, boues felices diceremus, cum inveniant orobum ad comedendum. Anatolius [cod. Mon.gr.384, f, 58] 4a. Célébrer des sacrifices sanglants ne sert pas plus a nous purifier que la boue ne laverait la tache qu’elle a faite. (Léon Robin) Fragmente Griechischer Theosophien, 68 5. Ils prient de telles images; c’est comme si quelqu’un parlait avec les maisons, ne sachant pas ce que sont les dieux ni les héros. (Léon Robin) Aristote, Météorologiques, B 2, 355a 13 6. (le soleil) chaque jour nouveau. Aristote, De sensu, 5, 443a 23 7.Si toutes choses devenaient fumée, on connaîtrait par les narines. Aristote, Ethique à Nicomaque, Θ, 2, 1155b4 8. Ce qui est contraire est utile; ce qui lutte forme la plus belle harmonie; tout se fait par discorde. (Léon Robin) Aristote, Ethique à Nicomaque, K5, 1176a7 9. L’âne choisirait la paille plutôt que l’or. Ps. Aristote, Traité du Monde, 5. 396b7 10. Joignez ce qui est complet et ce qui ne l’est pas, ce qui concorde et ce qui discorde, ce qui est en harmonie et en désaccord ; de toutes choses une et d’une, toutes choses. Ps.- Aristote, Traité du monde, 6, 401, a 8s. 11. Tout reptile se nourrit de terre. Arius Didyme dans Eusèbe, Préparation évangélique, XV, 20, 2. 12. A ceux qui descendent dans les mêmes fleuves surviennent toujours d’autres et d’autres eaux. Clément, Protreptique, 34, 5 . 15. Car, si ce n’était pas de Dionysos qu’on mène la pompe, en chantant le cantique aux parties honteuses, ce serait l’acte le plus éhonté, dit Héraclite ; mais c’est le même, Hadès ou Dionysos, pour qui l’on est en folie ou en délire. Clément; Pédagogue, 99, 5. 16. Qui se cachera du feu qui ne se couche pas? Clément, Stromates, II, 8, 1. 17. Ce n’est pas ce que pensent la plupart de ceux que l’on rencontre; ils apprennent, mais ne savent pas, quoiqu’ils se le figurent à part eux. Clément, Stromates, II, 24, 5. 18. Sans l’espérance, vous ne trouverez pas l’inespéré qui est introuvable et inaccessible. Clément, Stromates, II, 24, 5. 19. Ils ne savent ni écouter ni parler. Clément, Stomates, III, 14, 1. 20. Quand ils sont nés, ils veulent vivre et subir la mort et laisser des enfants pour la mort. Clément, Stromates, IV, 2, 4, 2. 22. Ceux qui cherchent l’or fouillent beaucoup de terre pour trouver de petites parcelles. Clément, Stromates, IV, 10, 1. 23. On ne connaîtrait pas le mot de justice, s’il n’y avait pas de perversité. Clément, Stromates, IV, 4, 16, 1. 24. Les dieux et les hommes honorent ceux qui succombent à la guerre. Clément, Stromates, IV, 7, 49, 3. 25. Les plus grands morts obtiennent les plus grands sorts. Clément, Stomates, IV, 141, 2. 26. L’homme dans la nuit, allume une lumière pour lui-même ; mort, il est éteint. Mais vivant, dans son sommeil et les yeux éteints, il brûle plus que le mort ; éveillé, plus que s’il dort. Clément, Stromates, IV, 22, 144, 3. 27. Les hommes n’espèrent ni ne croient ce qui les attend après la mort. Clément, Stromates, V, 1, 9, 3. 28. L’homme éprouvé sait conserver ses opinions ; le châtiment atteindra les artisans de mensonge et les faux témoins. Clément, Stromates, V, 104, 1. 30. Ce monde été fait, par aucun des dieux ni par aucun des hommes ; il a toujours été et sera toujours feu éternellement vivant, s’allumant par mesure et s’éteignant par mesure. Clément, Stromates, V, 104, 2 & 3. 31. Les changements du feu sont d’abord la mer, et, de la mer, pour moitié terre, moitié prestère. La mer se répand et se mesure au même compte qu’avant que la terre ne fût. Clément, Stromates, V, 115, 1. 32. L’un, qui seul est sage, veut et ne veut pas être appelé du nom de Zeus. Clément, Stromates, V, 115, 2. 33. La loi et la sentence est d’obéir à l’un. Clément, Stromates, V, 115, 3. & Préparation évangélique, XIII, 13, 42. 34. Les inintelligents qui écoutent ressemblent à des sourds ; le proverbe témoigne que, tout présents qu’ils soient, ils sont absents. Clément, Stromates, VI, 17, 2. 36. Pour les âmes, la mort est de devenir eau ; pour l’eau, la mort est de devenir terre ; mais de la terre vient l’eau, de l’eau vient l’âme. Diogène Laërce, Vies des philosophes, I, 88. 39. Dans Priène, vivait Bias, fils de Teutame, dont on parle plus que des autres. Diogène Laërce, Vies des philosophes, IX, 1. 40. La polymathie n’enseigne pas l’intelligence; elle eût enseigné Pythagore, Xénophane et Hécatée. Diogène Laërce, Vies des philosophes, IX, 1. 41. II n’y a qu’une chose sage, c’est de connaître la pensée qui peut tout gouverner partout. Diogène Laërce, Vies des philosophes, IX, 2. 43. Mieux vaut étouffer la démesure qu’un incendie. Diogène Laërce, Vies des philosophes, IX, 2. 44. Le peuple doit combattre pour la loi comme pour ses murailles. Diogène Laërce, Vies des philosophes, IX, 7. 46. La présomption est une maladie sacrée. Etymologicum magnum, 48. L’arc (τῷ τόξῳ=βιός) est appelé (ὄνομα) vie (βίος), mais son œuvre (ἔργον) est mort (θάνατος). (Burnet, traduit par Reymond) Hippolyte, Réfutation de toutes les hérésies, IX, 9, 1. 50. Ce n’est pas à moi, mais au logos qu’il est sage d’accorder que l’un devient toutes choses. Hippolyte, Réfutation de toutes les hérésies, IX, 9, 2. 51. Ils ne comprennent pas comment ce qui lutte avec soi-même peut s’accorder. L’harmonie du monde est par tensions opposées, comme pour la lyre et pour l’arc. Hippolyte, Réfutation de toutes les hérésies, IX, 9, 4. 52. L’Éternel est un enfant qui joue à la pettie ; la royauté est a un enfant. Hippolyte, Réfutation de toutes les hérésies, IX, 9, 4. 53. La guerre est père de tout, roi de tout, a désigné ceux-ci comme dieux, ceux-là comme hommes, ceux-ci comme esclaves, ceux-là comme libres. Hippolyte, Réfutation de toutes les hérésies, IX, 9, 5. 54. Il y a une harmonie dérobée, meilleure que l’apparente et où le dieu a mêlé et profondément caché les différences et les diversités. Hippolyte, Réfutation de toutes les hérésies, IX, 9, 15. 55. Ce qu’on voit, ce qu’on entend, ce qu’on apprend, voilà ce que j’estime davantage. Hippolyte, Réfutation de toutes les hérésies, IX, 9, 6. 56. Les hommes se trompent pour la connaissance des choses évidentes, comme Homère qui fut le plus sage des Grecs. Des enfants, qui faisaient la chasse à leur vermine, l’ont trompé en disant: « Ce que nous voyons et prenons, nous le laissons; ce que nous ne voyons ni prenons, nous l’emportons ». Hippolyte, Réfutation de toutes les hérésies, IX, 10, 2. 57. La foule a pour maître Hésiode ; elle prend pour le plus grand savant celui qui ne sait pas ce qu’est le jour ou la nuit ; car c’est une même chose. Hippolyte, Réfutation de toutes les hérésies, IX, 10, 3. 58. Les médecins taillent, brûlent, torturent de toute façon les malades et, leur faisant un bien qui est la même chose qu’une maladie, réclament une récompense qu’ils ne méritent guère. Hippolyte, Réfutation de toutes les hérésies, IX, 10, 4. 60. Un même chemin en haut, en bas. Hippolyte, Réfutation de toutes les hérésies, IX, 10, 5. 61. La mer est l’eau la plus pure et la plus souillée ; potable et salutaire aux poissons, elle est non potable et funeste pour les hommes. Hippolyte, Réfutation de toutes les hérésies, IX, 10, 6. 62. Les immortels sont mortels et les mortels, immortels ; la vie des uns est la mort des autres, la mort des uns, la vie des autres. Hippolyte, Réfutation de toutes les hérésies, IX, 10, 6. 63. De là ils s’élèvent et deviennent gardiens vigilants des vivants et des morts. Hippolyte, Réfutation de toutes les hérésies, IX, 10, 7. 64. La foudre est au gouvernail de l’univers. Hippolyte, Réfutation de toutes les hérésies, IX, 10, 7. 65. Le feu est indigence et satiété. (Léon Robin) Hippolyte, Réfutation de toutes les hérésies, IX, 10, 7. 66. Le feu survenant jugera et dévorera toutes choses. Hippolyte, Réfutation de toutes les hérésies, IX, 10, 7. 67. Le dieu est jour-nuit, hiver-été, guerre-paix, satiété-faim. Il se change comme quand on y mêle des parfums ; alors on le nomme suivant leur odeur. Marc Aurèle, Pensées, IV, 46 ; Maxime de Tyr. XII ; Plutarque de E. 18. 392c. 76. Mort du feu, naissance pour l’air ; mort de l’air, naissance pour l’eau. Celse, dans Origène, Contre Celse, VI, 12. 78. Le naturel humain n’a pas de raison, le divin en a. Celse, dans Origène, Contre Celse, VI, 42. 80. Il faut savoir que la guerre est commune, la justice discorde, que tout se fait et se détruit par discorde. Platon, Hippias majeur, 289 a. 82. Le plus beau singe est laid en regard du genre humain. Platon, Hippias majeur, 289 b. 83. L’homme le plus sage parait un singe devant Dieu. Aristote, Ethique à Eudème, B 7, 1223 b 23 s. 85. Il est difficile de résister à la colère ; elle fait bon marché de l’âme. Clément, Stromates, V, 13, 88, 4. 86. Cacher les profondeurs de la science est une bonne défiance ; elle ne se laisse pas méconnaître. Plutarque, De audientis poetis, 28 D. 87. L’homme niais est mis hors de lui par tout discours. Plutarque, Consolation d’Apollonius, 106 E. 88. Même chose ce qui vit et ce qui est mort, ce qui est éveillé et ce qui dort, ce qui est jeune et ce qui est vieux ; car le changement de l’un donne l’autre, et réciproquement. Plutarque, Sur l’E de Delphes, 388 DE. 90. Contre le feu se changent toutes choses et contre toutes choses le feu, comme les biens contre l’or et l’or contre les biens. Plutarque, Sur l’E de Delphes, 392 B. 91. On ne peut pas descendre deux fois dans le même fleuve. Plutarque, Sur les oracles de la Pythie 397 A. 92. La sibylle, de sa bouche en fureur, jette des paroles qui ne font pas rire, qui ne sont pas ornées et fardées, mais le dieu prolonge sa voix pendant mille ans. 93. Le dieu dont l’oracle est à Delphes ne révèle pas, ne cache pas, mais il indique. 94. Le Soleil ne dépassera pas les mesures ; sinon, les Erynnies, suivantes de Zeus, sauront bien le trouver. 95. II vaut mieux cacher son ignorance; mais cela est difficile quand on se laisse aller à l’inattention ou à l’ivresse. 96. Les morts sont à rejeter encore plus que le fumier. 97. Les chiens aboient après ceux qu’ils ne connaissent pas. 98. Les âmes flairent dans l’Hadès. 99. Sans le Soleil, on aurait la nuit. 101. Je me suis cherché moi-même. 104. Quel est leur esprit ou leur intelligence? 107. Ce sont de mauvais témoins pour les hommes que les yeux et les oreilles quand les âmes sont barbares. 108. De tous ceux dont j’ai entendu les discours, aucun n’est arrivé à savoir que ce qui est sage est séparé de toutes choses. 110. II n’est pas préférable pour les hommes de devenir ce qu’ils veulent. 111. C’est la maladie qui rend la santé douce et bonne ; c’est la faim qui fait de même désirer la satiété, et la fatigue, le repos. 114. Ceux qui parlent avec intelligence doivent s’appuyer sur l’intelligence commune à tous, comme une cité sur la loi, et même beaucoup plus fort. Car toutes les lois humaines sont nourries par une seule divine, qui domine autant qu’elle le veut, qui suffit à tout et vient à bout de tout. 117. L’homme ivre est guidé par un jeune enfant ; il chancelle, ne sait où il va ; c’est que son âme est humide. 118. Où la terre est sèche, est l’âme la plus sage et la meilleure. L’âme sèche est la plus sage et la meilleure. L’âme la plus sage est une lueur sèche. C’est l’âme sèche, la meilleure, celle qui traverse le corps comme un éclair la nuée. 119. Le caractère pour l’homme est son destin. 120. De l’aurore et du soir les limites sont l’Ourse, et, en face de l’Ourse, le Gardien de Zeus sublime (l’Arcture). 121. Les Ephésiens méritent que tous ceux qui ont âge d’homme meurent, que les enfants perdent leur patrie, eux qui ont chassé Hermodore, le meilleur d’entre eux, en disant: « Que parmi nous il n’y en ait pas de meilleur; s’il y en a un, qu’il aille vivre ailleurs ». 129. Pythagore, fils de Mnésarque, plus que tout homme s’est appliqué a l’étude, et recueillant ces écrits il s’est fait sa sagesse, polymathie, méchant art. AntiquitéPhilosophie de:Fragmente (Heraklit) el:Αποσπάσματα (Ηράκλειτος) en:Fragments of Heraclitus la:Fragmenta (Heraclitus) ty:Te_mau_pāpa’i_tuha’a_(Herakleitos)
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Fondements de la métaphysique des mœurs (trad. Delbos)
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La Consolation de la philosophie
Antiquité Philosophie Littérature de langue latine it:Della consolazione della filosofia la:De philosophiae consolatione
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La Guerre des Gaules
{| | | Livre I (58 av. J.-C) Livre II (57 av. J.-C) Livre III (56 av. J.-C) Livre IV (55 av. J.-C) Livre V (54 av. J.-C) Livre VI (53 av. J.-C) Livre VII (52 av. J.-C) Livre VIII (51 à 49 av. J.-C ; rédigé par Aulus Hirtius) Notes Antiquité Histoire romaine Littérature de langue latine Récit de guerre Éditions bilingues français latin en:Commentaries on the Gallic War es:Comentarios a la Guerra de las Galias la:Commentarii de bello Gallico nl:Commentarii de bello Gallico pt:Comentários sobre a Guerra Gálica
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Satires (Perse)
Prologue Satire I Satire II Satire III Satire IV Satire V Satire VI Texte entier Antiquité Littérature de langue latine Poésie Satires Éditions bilingues français latin it:Satire (Persio) la:Saturae (Persius)
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Guerre de Jugurtha
I. — L’homme a tort de se plaindre de sa nature, sous prétexte que, faible et très limitée dans sa durée, elle est régie par le hasard plutôt que par la vertu. Au contraire, en réfléchissant bien, on ne saurait trouver rien de plus grand, de plus éminent, et on reconnaîtrait que ce qui manque à la nature humaine, c’est bien plutôt l’activité que la force ou le temps. La vie de l’homme est guidée et dominée par l’âme. Que l’on marche à la gloire par le chemin de la vertu, et l’on aura assez de force, de pouvoir, de réputation ; on n’aura pas besoin de la fortune, qui ne peut ni donner ni enlever à personne la probité, l’activité et les autres vertus. Si, au contraire, séduit par les mauvais désirs, on se laisse aller à l’inertie et aux passions charnelles, on s’abandonne quelques instants à ces pernicieuses pratiques, puis on laisse se dissiper dans l’apathie ses forces, son temps, son esprit ; alors on s’en prend à la faiblesse de sa nature, et on attribue aux circonstances les fautes dont on est soi-même coupable. Si l’on avait autant de souci du bien que de zèle pour atteindre ce qui nous est étranger, inutile, souvent même nuisible, on ne se laisserait pas conduire par le hasard ; on le conduirait et on atteindrait une grandeur telle que, loin de mourir, on obtiendrait une gloire immortelle. II. — L’homme étant composé d’un corps et d’une âme, tout ce qui est, tous nos sentiments participent de la nature ou du corps ou de l’esprit. Un beau visage, une grosse fortune, la vigueur physique et autres avantages de ce genre se dissipent vite, tandis que les beaux travaux de l’esprit ressemblent à l’âme : ils sont immortels. Tous les biens du corps et de la fortune ont un commencement et une fin : tout ce qui commence finit ; tout ce qui grandit dépérit ; l’esprit dure, sans se corrompre, éternellement ; il gouverne le genre humain, il agit, il est maître de tout, sans être soumis à personne. Aussi, peut-on être surpris de la dépravation des hommes qui, asservis aux plaisirs du corps, passent leur vie dans le luxe et la paresse, et laissent leur esprit, la meilleure et la plus noble partie de l’homme, s’engourdir faute de culture et d’activité, alors surtout que sont innombrables et divers les moyens d’acquérir la plus grande célébrité. III. — Mais, parmi tous ces moyens, les magistratures, les commandements militaires, une activité politique quelconque ne me paraissent pas du tout à envier dans le temps présent ; car ce n’est pas le mérite qui est à l’honneur, et ceux mêmes qui doivent leurs fonctions à de fâcheuses pratiques, ne trouvent ni plus de sécurité, ni plus de considération. En effet recourir à la violence pour gouverner son pays et les peuples soumis, même si on le peut et qu’on ait dessein de réprimer les abus, est chose désagréable, alors surtout que toute révolution amène des massacres, des bannissements, des mesures de guerre. Faire d’inutiles efforts et ne recueillir que la haine pour prix de sa peine, c’est pure folie, à moins qu’on ne soit tenu par la basse et funeste passion de sacrifier à l’ambition de quelques hommes son honneur et son indépendance. IV. — Aussi bien, parmi les autres travaux de l’esprit, n’en est-il pas de plus utile que le récit des événements passés. Souvent on en a vanté le mérite ; je ne juge donc pas à propos de m’y attarder, ne voulant pas d’autre part qu’on attribue à la vanité le bien que je dirais de mes occupations. Et, parce que je me suis résolu à vivre loin des affaires publiques, plus d’un, je crois, qualifierait mon travail, si important et si utile, de frivolité, surtout parmi ceux dont toute l’activité s’emploie à faire des courbettes devant la plèbe et à acheter le crédit par des festins. Si ces gens-là veulent bien songer au temps où je suis arrivé aux magistratures, aux hommes qui n’ont pu y parvenir, à ceux qui sont ensuite entrés au sénat, ils ne manqueront pas de penser que j’ai obéi plus à la raison qu’à la paresse en changeant de manière de vivre, et que mes loisirs apporteront à la république plus d’avantages que l’action politique des autres. J’ai souvent entendu dire de Q. Maximus, de P. Scipion et d’autres grands citoyens romains que, en regardant les images de leurs ancêtres, ils se sentaient pris d’un ardent amour pour la vertu. A coup sûr, ce n’était pas de la cire ou un portrait qui avait sur eux un tel pouvoir ; mais le souvenir de glorieuses actions entretenait la flamme dans le cœur de ces grands hommes et ne lui permettait pas de s’affaiblir, tant que, par leur vertu, ils n’avaient pas égalé la réputation et la gloire de leurs pères. Avec nos mœurs actuelles, c’est de richesse et de somptuosité, non de probité et d’activité, que nous luttons avec nos ancêtres. Même des hommes nouveaux, qui jadis avaient l’habitude de surpasser la noblesse en vertu, recourent au vol et au brigandage plutôt qu’aux pratiques honnêtes, pour s’élever aux commandements et aux honneurs : comme si la préture, le consulat et les autres dignités avaient un éclat et une grandeur propres, et ne tiraient pas le cas qu’on en fait de la vertu de leurs titulaires. Mais je me laisse aller à des propos trop libres et trop vifs, par l’ennui et le dégoût que me causent les mœurs publiques ; je reviens à mon sujet. V. — Je vais raconter la guerre que soutint le peuple romain contre Jugurtha, roi des Numides, d’abord parce que la lutte fut sévère et dure, que la victoire fut longtemps incertaine, et puis parce qu’alors, pour la première fois, se marqua une résistance à la tyrannie de la noblesse. Ces hostilités déterminèrent un bouleversement général de toutes les choses divines et humaines et en vinrent à un point de violence tel, que les discordes entre citoyens se terminèrent par une guerre civile et la dévastation de l’Italie. Mais, avant de commencer, je reprendrai les faits d’un peu plus haut, afin de mieux faire comprendre les événements et de mieux les mettre en lumière. Pendant la seconde guerre punique, où le général carthaginois Hannibal avait accablé l’Italie des coups les plus rudes que Rome eût eu à supporter depuis qu’elle était devenue puissante, Masinissa, roi des Numides, admis comme allié par ce Scipion que son mérite fit surnommer plus tard l’Africain, s’était signalé par plusieurs beaux faits de guerre. En récompense, après la défaite de Carthage et la capture de Syphax, dont l’autorité en Afrique était grande et s’étendait au loin, Rome fit don à ce roi de toutes les villes et de tous les territoires qu’elle avait pris. Notre alliance avec Masinissa se maintint bonne et honorable. Mais avec sa vie finit son autorité, et après lui, son fils Micipsa fut seul roi, ses deux frères Mastanabal et Gulussa étant morts de maladie. Micipsa eut deux fils, Adherbal et Hiempsal ; quant à Jugurtha, fils de Mastanabal, que Masinissa avait exclu du rang royal, parce qu’il, était né d’une concubine, il lui donna, dans sa maison, la même éducation qu’à ses enfants. VI. — Dès sa jeunesse, Jugurtha, fort, beau, surtout doué d’une vigoureuse intelligence, ne se laissa pas corrompre par le luxe et la mollesse, mais, suivant l’habitude numide, il montait à cheval, lançait le trait, luttait à la course avec les jeunes gens de son âge, et, l’emportant sur tous, leur resta pourtant cher à tous ; il passait presque tout son temps à la chasse, le premier, ou dans les premiers, à abattre le lion et les autres bêtes féroces, agissant plus que les autres, parlant peu de lui. Tous ces mérites firent d’abord la joie de Micipsa, qui comptait profiter, pour la gloire de son règne, du courage de Jugurtha. Mais il comprit vite qu’il était lui-même un vieillard, que ses enfants étaient petits et que cet adolescent prenait chaque jour plus de force tout troublé par ces faits, il roulait mille pensées dans son esprit. Il songeait avec effroi que la nature humaine est avide d’autorité et toute portée à réaliser ses désirs ; que son âge et celui de ses fils offrait une belle occasion, que l’espoir du succès aurait fait saisir, même à un homme ordinaire ; il méditait sur la vive sympathie des Numides pour Jugurtha et se disait, que, à faire massacrer par traîtrise un homme pareil, il risquait un soulèvement ou une guerre. VII. — Tourmenté par ces difficultés, il se rend bientôt compte que ni la violence, ni la ruse ne pourront le débarrasser d’un homme aussi populaire ; mais, comme Jugurtha était prompt à l’action et avide de gloire militaire, il décide de l’exposer aux dangers et, par ce moyen, de courir sa chance. Pendant la guerre de Numance, il envoya aux Romains des renforts de cavalerie et d’infanterie ; et, dans l’espoir que Jugurtha succomberait aisément, victime de son courage ou de la cruauté ennemie, il le mit à la tête des Numides qu’il expédiait en Espagne. Mais l’issue fut tout autre qu’il n’avait pensé. Jugurtha était naturellement actif et vif. Sitôt qu’il eut compris la nature et le caractère de Scipion, général en chef de l’armée romaine, et la tactique ennemie, par ses efforts, son application, son obéissance, sa modestie, son initiative devant le danger, il arriva bien vite à une telle réputation, qu’il conquit l’affection des Romains et terrifia les Numantins. Et vraiment, il avait résolu le problème d’être à la fois intrépide au combat et sage dans le conseil, problème difficile, l’un de ces mérites faisant dégénérer la prudence en timidité, comme l’autre, le courage en témérité. Aussi, le général en chef confiait-il à Jugurtha toutes les affaires un peu rudes, le tenait-il pour un ami, montrait-il, de jour en jour, plus d’affection à un homme qui jamais n’échouait dans ses projets ni dans ses entreprises. A ces qualités s’ajoutaient une générosité et une finesse qui avaient créé, entre beaucoup de Romains et lui, des liens très étroits d’amitié. VIII. — A cette époque, il y avait dans notre armée beaucoup d’hommes nouveaux et aussi de nobles, qui prisaient l’argent plus que le bien et l’honnête, intrigants à Rome, puissants chez les alliés, plus connus qu’estimables : par leurs promesses, ils excitaient l’ambition de Jugurtha, qui n’était pas petite, lui répétant que, si Micipsa venait à mourir, il serait seul roi de Numidie : son mérite emporterait tout, et d’ailleurs, à Rome, tout était à vendre. Après la prise de Numance, Scipion décida de congédier les troupes auxiliaires et de rentrer lui-même à Rome. Devant les troupes, il récompensa magnifiquement Jugurtha et le couvrit d’éloges ; puis il l’emmena dans sa tente et là, seul à seul, il lui conseilla de cultiver l’amitié du peuple romain tout entier, plutôt que de se lier avec des particuliers, et aussi de ne pas prendre l’habitude de faire des distributions d’argent : c’était un gros risque d’acheter à quelques-uns ce qui appartenait à tous. Si sa conduite restait ce qu’elle avait été, la gloire, puis le trône lui viendraient tout naturellement ; si au contraire il voulait marcher trop vite, ses largesses mêmes précipiteraient sa chute. IX. — Ayant ainsi parlé, il le renvoya, en le chargeant de remettre à Micipsa la lettre que voici : "Ton Jugurtha, dans la guerre de Numance, a montré les plus belles vertus : je suis assuré que tu en auras de la joie. Ses mérites me l’ont rendu cher ; je ferai tout pour que le Sénat et le peuple romain sentent comme moi. En raison de notre amitié, je t’adresse mes félicitations ; tu as là un homme digne de toi et de son aïeul Masinissa." Cette lettre lui ayant confirmé ce que le bruit public lui avait appris, Micipsa fut tout troublé à l’idée du mérite et du crédit de son neveu, et il modifia sa manière de voir ; il s’attacha à dominer Jugurtha par ses bien faits, l’adopta sans tarder, et, par testament, fit de lui son héritier, concurremment avec ses fils. Quelques années plus tard, accablé par la maladie et les années, et sentant sa mort prochaine, il adressa, dit-on, en présence de ses amis, de ses parents et de ses fils Adherbal et Hiempsal, les paroles suivantes à Jugurtha : X. — "Tu étais tout petit, Jugurtha, quand tu perdis ton père, qui te laissait sans espoir et sans ressources : je te recueillis auprès de moi, dans la pensée que tu m’aimerais pour mes bienfaits, autant que m’aimeraient mes fils, si je venais à en avoir. Je ne me suis pas trompé. Sans parler d’autres glorieux exploits, tu es récemment revenu de Numance, ayant comblé de gloire mon royaume et moi-même ; ton mérite a rendu plus étroite l’amitié qu’avaient pour nous les Romains. En Espagne, nous avons vu refleurir notre nom. Enfin, grosse difficulté pour un homme, tu as par ta gloire vaincu l’envie. Aujourd’hui, je touche au terme naturel de mon existence : eh bien ! par cette main que je serre, au nom de la fidélité que tu dois à ton roi, je t’en prie et je t’en supplie, aime ces jeunes gens, qui sont de ta race et que ma bonté a faits tes frères. Songe moins à attirer des étrangers qu’à garder auprès de toi ceux qui te sont unis par les liens du sang. Ce ne sont ni les soldats ni les trésors qui défendent un trône, ce sont les amis, qu’on ne saurait contraindre par les armes, ni gagner par l’or, mais qu’on se donne par les bons offices et par la loyauté. Quoi de plus cher qu’un frère pour un frère ? et à quel étranger se fier, si l’on est l’ennemi des siens ? Le royaume que je vous laisse sera solide si vous êtes vertueux, faible, si vous êtes méchants. La concorde donne de la force à ce qui en manque ; la discorde détruit la puissance la plus grande. A toi, Jugurtha, qui dépasses les deux autres en âge et en sagesse, de veiller à ce que tout aille bien. Car dans tout combat, le plus puissant, même s’il est l’offensé, semble, parce qu’il peut davantage, être l’agresseur. Quant à vous, Adherbal et Hiempsal, respectez et aimez un homme comme lui ; prenez modèle sur son mérite, et faites ce qu’il faut pour qu’on ne puisse pas dire des fils nés de moi, qu’ils valent moins que mon enfant d’adoption. XI. — Jugurtha comprenait bien que les paroles du roi ne répondaient pas à sa pensée ; il avait lui-même de tout autres desseins ; pourtant, étant donné les circonstances, il fit une réponse aimable. Micipsa mourut quelques jours après. Les jeunes princes lui firent les funérailles magnifiques qu’on fait à un roi ; puis ils se réunirent pour discuter entre eux de toutes les affaires. Hiempsal, le plus jeune des trois, était d’un naturel farouche et, depuis longtemps, méprisait Jugurtha parce qu’il le jugeait inférieur à lui en raison de la condition de sa mère ; il s’assit à la droite d’Adherbal, afin que Jugurtha ne pût prendre la place du milieu, qui est chez les Numides la place d’honneur. Son frère le pressa de s’incliner devant l’âge ; il consentit, non sans peine, à s’asseoir de l’autre côté. Ils discutèrent longuement sur l’administration du royaume. Jugurtha laissa tomber cette idée, entre autres, qu’il conviendrait de supprimer toutes les mesures et décisions prises depuis cinq ans, Micipsa, accablé d’années, ayant dans ce laps de temps montré une grande faiblesse d’esprit. "Très volontiers, répondit Hiempsal, car il y a trois ans que Micipsa t’a adopté pour te permettre d’arriver au trône." Ce mot pénétra dans le cœur de Jugurtha plus profondément qu’on ne peut croire. A partir de ce moment, partagé entre le ressentiment et la crainte, il médita, combina, imagina les moyens de prendre Hiempsal par ruse. Mais les choses allaient trop lentement à son gré, et son humeur farouche ne s’adoucit pas ; il décida donc d’en finir par n’importe quel moyen. XII. — Lors de leur première réunion, que j’ai rappelée tout à l’heure, les jeunes rois ne s’étant pas mis d’accord, avaient décidé de se partager les trésors et de fixer les limites des territoires où chacun serait maître. On arrête le moment de chacune des opérations, en commençant par l’argent. Les jeunes rois se retirent chacun dans une ville voisine de l’endroit où était le trésor. Hiempsal était allé dans la place de Thirmida, et le hasard lui avait fait choisir la maison du chef licteur de Jugurtha, pour lequel ce prince avait toujours eu une vive affection. Jugurtha veut profiter de ce hasard heureux ; il accable le licteur de promesses, lui conseille de retourner dans sa demeure, sous prétexte de la visiter, et de faire fabriquer de fausses clés, les bonnes étant remises à Hiempsal ; lui-même, au moment voulu, arriverait sérieusement accompagné. Le Numide exécute promptement les ordres reçus, et, suivant ses instructions, introduit dans la maison pendant la nuit les soldats de Jugurtha. Ceux-ci font irruption dans l’immeuble, cherchent le roi de tous côtés, massacrent les gardes, les uns dans leur sommeil, les autres dans leur course, fouillent les cachettes, brisent les portes, répandent partout bruit et désordre, et découvrent enfin Hïempsal caché dans la loge d’une esclave, où il s’était réfugié dès le début, tout tremblant dans son ignorance des lieux. Les Numides lui coupent la tête, comme ils en avaient reçu l’ordre, et la portent à Jugurtha. XIII. — Le bruit d’un si grand forfait se répand rapidement dans toute l’Afrique. Adherbal et tous les anciens sujets de Micipsa sont frappés d’épouvante. Les Numides se partagent en deux camps : la majorité reste fidèle à Adherbal ; les meilleurs soldats vont de l’autre côté. Jugurtha arme tout ce qu’il peut de troupes, occupe les villes, les unes par la force, les autres avec leur agrément, et se met en mesure de soumettre toute la Numidie. Adherbal envoie des députés à Rome pour faire connaître au Sénat le meurtre de son frère et son infortune, et cependant, confiant dans ses effectifs, se prépare à livrer bataille. Mais quand le combat s’engagea, il fut vaincu, et s’enfuit dans la province romaine, puis de là à Rome. Jugurtha, une fois ses projets réalisés et toute la Numidie conquise, réfléchit à loisir à son attentat et pensa avec crainte au peuple romain, contre le ressentiment duquel il n’avait d’espoir que dans la cupidité de la noblesse et l’argent dont il disposait. Quelques jours après, il envoie donc à Rome des députés chargés d’or et d’argent ; il leur donne ses instructions : d’abord combler de présents ses amis anciens, puis s’en faire de nouveaux, enfin ne pas hésiter à semer l’argent partout où ce sera possible. Arrivés à Rome, les députés, suivant les ordres reçus, offrent des présents aux hôtes du roi et à tous les sénateurs qui avaient à ce moment-là de l’influence ; alors, changement complet : Jugurtha cesse d’être odieux et obtient faveur et crédit. Gagnés, les uns par l’espoir, les autres par les cadeaux, les nobles circonviennent individuellement les sénateurs, pour qu’une décision sévère ne soit pas prise contre le Numide. Puis, quand les députés jugent que l’affaire est en bonne voie, on fixe un jour pour entendre les deux parties. Ce jour-là, dit-on, Adherbal s’exprima ainsi : XIV. — "Pères conscrits, mon père Micipsa, en mourant, me prescrivit de me regarder simplement comme votre représentant dans le royaume de Numidie, où vous aviez tout droit et toute autorité ; de faire tous mes efforts pour être, en paix et en guerre, le plus possible utile au peuple romain ; de vous considérer comme mes parents et mes alliés : à agir ainsi, je trouverais dans votre amitié force armée, richesse, appui pour mon trône. Je me conformais à ces recommandations paternelles, quand Jugurtha, le pire scélérat que la terre ait porté, me chassa, au mépris de votre autorité, de mon royaume et de mes biens, moi, le petit-fils de Masinissa, l’allié de toujours et l’ami du peuple romain. Et puisque j’en suis venu à cette situation misérable, j’aurais voulu, Pères conscrits, vous demander votre aide en invoquant mes services plutôt que ceux de mes pères ; j’aurais surtout aimé me dire que le peuple romain était mon obligé, sans avoir besoin de lui rien demander ; du moins, si j’y étais contraint, j’aurais aimé invoquer son aide comme une dette. Mais l’honnêteté toute seule ne donne guère la sécurité, et il ne dépend pas de moi que Jugurtha soit ce qu’il est. Je me suis donc réfugié auprès de vous, Pères conscrits, à qui je suis forcé, pour comble d’infortune, d’être à charge, avant de pouvoir vous servir. Des rois, vaincus par vous à la guerre, ont ensuite bénéficié de votre amitié ; d’autres, dans une situation incertaine, ont sollicité votre alliance ; notre famille, à nous, est devenue l’amie du peuple romain pendant la guerre contre Carthage, à un moment où votre fortune était moins désirable que votre amitié. Pères conscrits, vous ne voudrez pas qu’un descendant de ces hommes, qu’un petit-fils de Masinissa vous demande vainement votre aide. Si je n’avais d’autre raison de l’obtenir que ma pitoyable destinée, moi qui, hier encore, étais un roi puissant par la race, la réputation et la richesse, et ne suis aujourd’hui qu’un malheureux sans ressources, réduit à compter sur celles d’autrui, je dis que la majesté du peuple romain serait engagée à empêcher l’injustice et à ne pas permettre qu’un royaume puisse prospérer par le crime. En réalité, j’ai été chassé d’un pays qui fut donné à mes ancêtres par le peuple romain, d’où mon père et mon grand-père, unis à vous, ont expulsé Syphax et les Carthaginois. Ce sont vos présents qu’on m’a arrachés, Pères conscrits ; c’est vous qu’on méprise dans l’injustice dont je suis victime. Malheureux que je suis ! O Micipsa, mon père, le résultat de tes bienfaits, le voici : celui que tu as appelé à partager ton trône, à parts égales, avec tes enfants, doit donc être le destructeur de ta race ? notre maison ne connaîtra-t-elle donc jamais le repos ? vivra-t-elle donc toujours dans le sang, la bataille et l’exil ? Tant qu’exista Carthage, nous avions - c’était normal - à supporter tous les sévices. L’ennemi était près de nous, et vous, nos amis, étiez loin ; tout notre espoir était dans nos armes. Cette peste une fois chassée d’Afrique, nous vivions allègrement en paix ; nous n’avions d’autres ennemis que ceux que vous nous ordonniez de regarder comme tels. Et voici qu’à l’improviste, Jugurtha, laissant éclater avec une audace intolérable sa scélératesse et sa tyrannie, assassine mon frère, son propre parent, s’approprie d’abord son royaume comme prix du crime qu’il a commis, puis, ne pouvant me prendre dans ses filets, moi qui, sous votre autorité, ne m’attendais pas du tout à la violence et à la guerre, me chasse, vous le voyez, de ma patrie, de ma maison, indigent et misérable, si bien que, n’importe où, je me trouve plus en sécurité que dans mes propres États. Je croyais, Pères conscrits, à ce que j’avais entendu répéter à mon père, que, à cultiver avec soin votre amitié, on s’imposait une lourde tâche, mais du moins on n’avait absolument rien à craindre de personne. Notre famille, autant qu’elle l’a pu, a, dans toutes vos guerres, été à vos côtés : notre sécurité dans la paix est donc affaire à vous, Pères conscrits. Mon père a laissé deux fils, mon frère et moi ; il en a adopté un troisième, Jugurtha, dans la pensée que ses bienfaits l’attacheraient à nous. L’un de nous a été massacré ; et moi, j’ai eu du mal à échapper à ses mains impies. Que faire ? où aller dans mon infortune ? Tous les appuis que je pouvais trouver dans les miens se sont écroulés : mon père a subi la loi fatale, il a succombé à une mort naturelle ; mon frère, qui, plus qu’un autre, devait être épargné, s’est vu ravir la vie par le crime d’un parent ; mes alliés, mes amis, tous mes proches ont été victimes de diverses calamités : les uns, pris par Jugurtha, ont été mis en croix, d’autres jetés aux bêtes ; quelques-uns, qu’on a laissés vivre, sont enfermés dans de sombres cachots et traînent dans les pleurs et le deuil une existence plus pénible que la mort. Si j’avais conservé tout ce que j’ai perdu, toutes les amitiés qui me sont devenues contraires, c’est encore vous, Pères conscrits, que j’implorerais, au cas où des malheurs inattendus auraient fondu sur moi ; votre puissance vous fait un devoir de faire respecter le droit et de punir l’injustice. Mais, en fait, je suis exilé de ma patrie, de ma maison, je suis seul, privé de tous les honneurs : où puis-je aller ? qui puis-je appeler ? les peuples et les rois dont notre amitié pour vous a fait les ennemis de ma maison ? puis-je me réfugier quelque part sans y trouver accumulées les traces de la guerre faite par mes aïeux ? Puis-je compter sur la pitié de ceux qui ont été un jour vos ennemis ? Enfin Masinissa nous a appris, Pères conscrits, à ne nous lier qu’avec le peuple romain, à ne conclure aucune nouvelle alliance, aucun traité nouveau, à chercher notre unique appui dans votre amitié ; si les destins de votre empire devaient changer, à succomber avec vous. Votre courage et la volonté divine vous ont faits grands et riches ; tout vous réussit, tout vous est soumis : il vous est d’autant plus aisé de punir les injustices dont souffrent vos alliés. Ma seule crainte, c’est que les relations particulières que certains d’entre vous ont, sans examen sérieux, contractées avec Jugurtha, ne les induisent en erreur. J’entends dire qu’on multiplie efforts, démarches, pressions auprès de chacun de vous, pour vous empêcher de statuer sur Jugurtha en son absence et sans l’entendre ; on ajoute que je vous paie de mots, que ma fuite est simulée, que je pouvais rester dans mon royaume. Ah ! puissé-je voir l’homme dont l’exécrable forfait m’a plongé dans cette misère, mentir comme je mens moi-même 1 puissiez-vous enfin, vous ou les dieux immortels, prendre souci des affaires humaines ! Cet homme, aujourd’hui si fier de son crime et si puissant, souffrant mille maux pour son ingratitude envers notre père, pour la mort de mon frère, pour les malheurs dont il m’accable, recevrait alors son châtiment. O mon frère, toi que j’ai tant aimé ; la vie t’a été enlevée avant l’heure par celui à qui tout interdisait de te toucher ; et pourtant ton sort me paraît plus heureux que lamentable. Ce n’est pas un trône que tu as perdu avec la vie, mais la fuite, l’exil, l’indigence et toutes les misères qui m’accablent. Moi au contraire, infortuné, précipité du trône paternel dans un abîme de maux, je suis un exemple des vicissitudes humaines ; je me demande que faire : venger le tort qu’on t’a fait, manquant moi-même de tout secours, ou songer à mon pouvoir royal, alors que ma vie et ma mort dépendent de l’étranger ? Plût aux dieux que la mort fût une issue honorable à mes infortunes et que je ne fusse pas à bon droit exposé au mépris, pour céder devant l’injustice par lassitude des maux soufferts 1 Aujourd’hui je n’ai aucune joie à vivre, et il ne m’est pas sans déshonneur permis de mourir. Pères conscrits, par vous, par vos enfants, par vos pères, par la majesté du peuple romain, secourez-moi dans ma misère, luttez contre l’injustice ; ne laissez pas le royaume de Numidie, qui est à vous, se dissoudre par le crime dans le sang de notre maison." XV. — Quand le roi eut fini de parler, les envoyés de Jugurtha, comptant plus sur leurs distributions d’argent que sur leur bon droit, répondirent en quelques mots : Hiempsal avait été massacré par les Numides en raison de sa cruauté ; Adherbal avait, sans provocation, commencé les hostilités ; après sa défaite, il se plaignait de n’avoir pu lui-même faire de mal aux autres ; Jugurtha demandait au Sénat de le juger tel qu’il s’était fait connaître à Numance, et de s’en rapporter moins aux articulations d’un ennemi, qu’à ses propres actes. Les adversaires quittent la curie. Sans retard, le Sénat met l’affaire en délibéré. Les partisans des députés et, avec eux, la majorité des sénateurs, corrompus par l’intrigue, parlent avec dédain du discours d’Adherbal, exaltent le mérite de Jugurtha ; crédit, paroles, tous les procédés leur sont bons pour vanter le crime et la honte d’autrui, comme s’il s’agissait de leur propre gloire. La minorité, qui préférait à l’argent le bien et l’équité, demanda par son vote qu’on vint en aide à Adherbal et qu’on punît sévèrement la mort d’Hiempsal ; au premier rang de ces derniers, Émilius Scaurus, un noble actif, chef de parti, avide d’autorité, d’honneurs, d’argent, au demeurant habile à dissimuler ses vices. Voyant prodiguer les largesses royales avec une scandaleuse impudence, il appréhenda ce qui se produit d’ordinaire dans ce cas, je veux dire la colère publique soulevée par un dévergondage si éhonté, et il mit le holà à son habituelle cupidité. XVI. — Dans le Sénat pourtant, la victoire resta au parti qui faisait moins de cas de la justice que de l’argent et du crédit. On décréta l’envoi de dix délégués chargés de partager entre Jugurtha et Adherbal le royaume de Micipsa. Comme chef de la délégation, on choisit L. Opimius, citoyen illustre et alors incluent au Sénat, parce que, consul après la mort de C. Gracchus et de M. Fulvius Flaccus, il avait tiré avec une grande vigueur toutes les conséquences de la victoire de la noblesse sur la plèbe. Il était à Rome parmi les ennemis de Jugurtha ; celui-ci pourtant le reçut avec un soin infini, et l’amena par des dons et des promesses à sacrifier sa réputation, sa loyauté, sa personne enfin, aux intérêts du roi. On entreprit les autres délégués par les mêmes moyens ; la plupart se laissèrent séduire ; quelques-uns seulement préférèrent l’honneur à l’argent. Dans le partage, la partie de la Numidie, voisine de la Mauritanie, plus riche et plus peuplée, fut attribuée à Jugurtha ; le reste, qui avait plus d’aspect que de valeur propre, avec des ports plus nombreux et de beaux édifices, fut le lot d’Adherbal. XVII. — Mon sujet parait comporter un court exposé sur la position de l’Afrique et quelques mots sur les nations que nous y avons eues pour ennemies ou pour alliées. Quant aux régions et aux peuplades qui, en raison de la chaleur, des difficultés de toute sorte et de leur état désertique, ont été moins visitées par les voyageurs, je ne saurais rien en dire de certain. Sur les autres, je m’expliquerai brièvement. Dans la division du globe, la plupart des auteurs ont fait de l’Afrique une troisième partie du monde ; quelques-uns ne comptent que l’Asie et l’Europe et placent l’Afrique en Europe. L’Afrique a pour limites, à l’ouest, le détroit qui réunit la méditerranée à l’Océan, à l’est un plateau incliné, appelé par les habitants Catabathmon. La mer y est orageuse, la côte sans ports, la terre fertile, propre à l’élevage, sans arbres, sans eaux de pluie, sans sources. Les hommes sont vigoureux, agiles, rudes à l’ouvrage ; ils meurent généralement de vieillesse, sauf le cas de mort violente par le fer ou les bêtes féroces ; rarement ils succombent à la maladie. Les animaux malfaisants sont nombreux. Quels ont été les premiers habitants de l’Afrique ? Quels sont ceux, qui y sont venus ensuite ? Comment s’est effectué le mélange ? je pense sur ces points autrement que la majorité des auteurs. Les livres carthaginois attribués au roi Hiempsal m’ont été expliqués : ils s’accordent avec les idées des gens de là-bas ; je vais les résumer, laissant d’ailleurs à mes répondants la responsabilité de leurs dires. XVIII. — L’Afrique, au début, était habitée par les Gétules et les Libyens, rudes, grossiers, nourris de la chair des fauves, mangeant de l’herbe comme des bêtes. Ils n’obéissaient ni à des coutumes, ni à des lois, ni à des chefs ; errants, dispersés, ils s’arrêtaient à l’endroit que la nuit les empêchait de dépasser. Mais, après la mort d’Hercule en Espagne - croyance africaine, — son armée composée de peuples divers, ayant perdu son chef et voyant plusieurs rivaux se disputer le commandement, se débanda bien vite. Les Mèdes, les Perses, les Arméniens passèrent en Afrique sur des bateaux et occupèrent les territoires les plus rapprochés de la Méditerranée. Les Perses s’établirent plus prés de l’Océan, renversèrent les coques de leurs navires pour en faire des cabanes, parce qu’ils ne trouvaient point de matériaux dans le pays et n’avaient aucun moyen de faire des achats ou des échanges en Espagne : l’étendue de la mer et leur ignorance de la langue leur interdisaient tout commerce. Insensiblement, ils s’unirent aux Gétules par des mariages ; et, comme ils avaient fait l’ai de plusieurs régions, allant sans cesse d’un lieu dans un autre, ils se donnèrent le nom de Nomades. Aujourd’hui encore, les maisons des paysans numides, qu’ils appellent mapalia, sont allongées, aux flancs cintrés, et font l’effet de carènes de bateaux. Aux Mèdes et aux Arméniens s’unirent les Libyens qui vivaient plus près de la mer d’Afrique, les Gétules étant plus sous le soleil, non loin des pays caniculaires -, et bien vite ils bâtirent des places fortes ; séparés de l’Espagne par le détroit, ils pratiquaient des échanges avec ce pays. Petit à petit, les Libyens altérèrent le nom des nouveau-venus et, dans leur langue barbare, les appelèrent Maures au lieu de Mèdes. La puissance des Perses ne tarda pas à s’accroître ; et, dans la suite, sous le nom de Numides, les jeunes, en raison de la superpopulation, se séparèrent de leurs pères et s’installèrent dans la région voisine de Carthage appelée Numidie ; puis, s’appuyant sur les anciens habitants, ils se rendirent, par les armes ou la terreur, maîtres des régions voisines, et se firent un nom glorieux, ceux surtout qui s’étaient avancés plus près de la Méditerranée, parce que les Libyens sont moins belliqueux que les Gétules. Enfin, presque tout le nord de l’Afrique appartint aux Numides ; les vaincus se fondirent avec les vainqueurs, qui leur donnèrent leur nom. XIX. — Dans la suite, les Phéniciens, poussés, les uns par le désir de diminuer chez eux la population, les autres par l’ambition d’étendre leur empire, engagèrent à partir la plèbe et des gens avides de nouveautés, qui fondèrent Hippone, Hadrumète, Leptis, et d’autres villes sur les côtes méditerranéennes ; très vite ces cités prospérèrent et furent, les unes l’appui, les autres la gloire de leur patrie. Quant à Carthage, j’aime mieux n’en rien dire que d’en parler brièvement ; aussi bien ai-je hâte d’aller où mon sujet m’appelle. Ainsi donc, à partir de la région de Catabathmon, qui sépare l’Égypte de l’Afrique, on rencontre d’abord, en suivant la mer, Cyrène, colonie de Théra, puis les deux Syrtes, et entre elles, Leptis, puis les autels des Philènes, limite, du côté de l’Égypte, de l’empire carthaginois, et, en continuant, d’autres villes puniques. Les territoires à la suite, jusqu’à la Mauritanie, appartiennent aux Numides ; les peuples les plus rapprochés de l’Espagne sont les Maures. En arrière de la Numidie sont, dit-on, les Gétules, les uns vivant dans des cabanes, les autres, plus barbares encore, allant à l’aventure. Derrière sont les Éthiopiens, et plus loin enfin, les pays brûlés par le soleil. Au moment de la guerre de Jugurtha, la plupart des places puniques et les territoires Carthaginois que nous possédions depuis peu, étaient administrés par des magistrats romains. Presque tous les Gétules et les Numides jusqu’au fleuve Mulucha étaient sujets de Jugurtha. Tous les Maures avaient pour roi Bocchus, qui ne connaissait que de nom le peuple romain, et que nous ignorions nous-mêmes comme ennemi ou comme ami. De l’Afrique et de ses habitants, j’ai dit tout ce qui était nécessaire à mon sujet. XX. — Après le partage du royaume, les délégués du Sénat avaient quitté l’Afrique. Jugurtha, contrairement à ce qu’il redoutait, se voit maître du prix de son crime ; il tient pour assuré ce que ses amis lui avaient affirmé à Numance, que tout, à Rome, était à vendre ; d’autre part, excité par les promesses de ceux que, peu auparavant, il avait comblés de présents, il tourne toutes ses pensées vers le royaume d’Adherbal. Il était ardent, belliqueux ; celui qu’il songeait à attaquer était calme, peu fait pour la guerre, d’esprit tranquille ; c’était une victime toute désignée, plus craintif qu’à craindre. Brusquement, avec une forte troupe, Jugurtha envahit son territoire, fait de nombreux prisonniers, met la main sur les troupeaux et sur d’autre butin, brûle les maisons, et, avec sa cavalerie, pénètre partout en ennemi ; puis, à la tête de toute sa troupe, il rentre dans son royaume. Il se doute bien qu’Adherbal, plein de ressentiment, voudra se venger du tort qu’il lui a fait et qu’ainsi on aura une raison de se battre. Mais ce dernier ne se jugeait pas égal en force à son adversaire, et il avait plus confiance dans l’amitié des Romains, que dans ses Numides. Il envoie donc des députés à Jugurtha pour se plaindre des violences qui lui ont été faites. Malgré la réponse insolente qu’on leur oppose, il aime mieux se résigner à tout que de recommencer la guerre, la précédente lui ayant si mal réussi. L’ambition de Jugurtha n’en est pas diminuée : déjà, par la pensée, il avait conquis tout le royaume d’Adherbal. Aussi n’est-ce pas avec des fourrageurs comme la première fois, mais avec une grande armée qu’il commence la guerre pour conquérir ouvertement toute la Numidie. Partout où il passait, il dévastait villes et champs, raflait du butin, encourageait les siens, terrifiait l’ennemi. XXI. — Adherbal comprend que, au point où en sont les choses, il doit, ou renoncer au trône ou le défendre par les armes ; la nécessité l’oblige à lever des troupes et à marcher contre Jugurtha. Non loin de la mer, près de la place de Cirta, les deux armées prennent position ; le jour baissant, on n’en vint pas aux mains. Mais, vers la fin de la nuit, au petit jour, les soldats de Jugurtha, à un signal donné, se jettent sur le camp ennemi et, tombant sur l’adversaire à moitié endormi ou cherchant ses armes, ils le mettent en fuite et le massacrent. Adherbal avec quelques cavaliers s’enfuit à Cirta, et, sans une foule d’Italiens qui arrêtèrent devant les murs la poursuite des Numides, la même journée eût vu le début et la fin des hostilités entre les deux rois. Jugurtha investit la ville, en entreprend le siège avec des mantelets, des tours, des machines de toute sorte, se hâtant surtout, afin de neutraliser l’action des députés qu’il savait avoir été, avant le combat, envoyés à Rome par Adherbal. Le Sénat, informé de la lutte, expédie en Afrique trois jeunes gens, chargés d’aller trouver les deux rois et de leur notifier les décisions et volontés du Sénat et du peuple : ordre de mettre bas les armes et de régler leurs différends par l’arbitrage, non par la guerre ; c’était le seul procédé digne d’eux et de Rome. XXII. — Les députés firent d’autant plus diligence pour débarquer en Afrique, qu’à Rome, au moment de leur départ, on parlait déjà du combat et du siège de Cirta ; mais ce n’était qu’un bruit imprécis. Jugurtha les écouta et leur répondit que rien n’avait plus d’importance et de prix à ses yeux que l’autorité du Sénat. Depuis son adolescence, il avait fait effort pour mériter l’éloge des honnêtes gens ; c’est par son mérite, non par ses vices qu’il s’était fait bien voir de Scipion, ce grand homme ; ces mêmes qualités avaient décidé Micipsa, qui pourtant avait des fils, à l’adopter pour l’associer au trône. Au demeurant, plus il avait, par ses actes, montré d’honneur et de courage, moins il tolérerait qu’on lui fît tort. Adherbal avait sournoisement attenté à sa vie ; quand il s’en était rendu compte, il avait devancé le criminel. Rome manquerait au bien et à la justice en lui interdisant de recourir au droit des gens. Aussi bien, allait-il sous peu envoyer à Rome des délégués pour tout dire. Sur ce, on se sépara. Les Romains ne réussirent pas à se rencontrer avec Adherbal. XXIII. — Dés qu’il les suppose partis, Jugurtha comprenant bien que la position naturelle de Cirta ne permettra pas de prendre cette ville d’assaut, l’entoure de tranchées et de fossés, élève des tours qu’il garnit de postes ; jour et nuit, par force ou par ruse, il renouvelle ses démonstrations, fait aux défenseurs soit des offres, soit des menaces, ranime par ses encouragements la bravoure des siens, a l’œil à tout, ne néglige rien. Adherbal comprend qu’il en est réduit aux dernières extrémités, qu’il a affaire à un ennemi implacable, sans pouvoir compter sur l’aide de personne, et que, manquant des objets de première nécessité, il ne peut continuer la guerre ; il choisit deux hommes particulièrement actifs parmi ceux qui avec lui s’étaient enfuis à Cirta. Il leur prodigue les promesses, excite leur pitié sur sa situation, et les amène à traverser, la nuit, les défenses ennemies, pour gagner la mer, toute proche, et, de là, Rome. XXIV. — En quelques jours, les Numides s’acquittent de leur mission. Lecture est faite au Sénat de la lettre d’Adherbal, dont voici le contenu : "Ce n’est pas ma faute, Pères conscrits, si j’envoie si souvent vers vous pour vous supplier : j’y suis contraint par les violences de Jugurtha, qui a été pris d’un tel besoin de me faire disparaître, qu’il n’a plus, ni pour vous, ni pour les dieux la moindre considération ; avant tout, il veut mon sang. Et voilà comment, depuis cinq mois, un allié, un ami, comme moi, du peuple romain, est assiégé par lui, sans que ni les bienfaits de Micipsa, ni vos décisions me soient de quelque secours. Est-ce le fer, est-ce la faim qui me presse davantage ? je ne sais pas. Mon triste sort ne m’engage pas à en écrire plus long sur Jugurtha ; déjà j’ai constaté par expérience qu’on croit peu les malheureux. Mais je comprends bien qu’il s’attaque à plus fort que moi, et qu’il ne peut guère espérer à la fois obtenir mon royaume et garder votre amitié. Laquelle des deux alternatives a le plus de prix à ses yeux ? nul ne l’ignore. Il a d’abord assassiné mon frère Hiempsal, puis il m’a chassé du royaume paternel. Certes, peu vous chaut du tort qui m’a été fait ; mais tout de même, aujourd’hui, c’est votre royaume qu’il a conquis ; c’est moi, moi dont vous avez fait le chef suprême des Numides, qu’il tient assiégé ; le cas qu’il fait des ordres de vos délégués apparaît clairement par ma situation périlleuse. Vos armes seules peuvent avoir effet sur lui. Ah ! comme je voudrais que fussent mensongers et mes propos d’aujourd’hui et mes plaintes antérieures au Sénat ! Malheureusement ma misère présente donne crédit à mes paroles. Puisque je suis né pour procurer à Jugurtha une occasion de manifester sa scélératesse, je demande à échapper, non à la mort et au malheur, mais seulement à l’autorité de mon ennemi et aux tortures qu’il me réserve. Le royaume de Numidie est à vous ; faites en ce que vous voudrez. Mais moi, arrachez-moi à des mains impies, je vous le demande par la majesté de votre empire et par le caractère sacré de l’amitié, si vous gardez encore le moindre souvenir de mon aïeul, Masinissa." XXV. — Après la lecture de cette lettre, quelques sénateurs demandèrent l’envoi immédiat d’une armée en Afrique au secours d’Adherbal ; il convenait de statuer sans retard sur Jugurtha, qui n’avait pas obéi aux envoyés romains. Mais ces mêmes partisans du roi < dont j’ai déjà parlé > firent tous leurs efforts pour s’opposer à un tel décret ; et l’intérêt public, comme presque toujours, fut sacrifié à l’intérêt privé. Pourtant on expédia en Afrique quelques nobles d’un certain âge, et qui avaient rempli de hautes charges ; parmi eux, M. Scaurus, dont j’ai parlé plus haut, consulaire et, à ce moment-là, prince du Sénat. Comme l’affaire soulevait l’indignation générale et que les Numides insistaient, la délégation s’embarqua au bout de trois jours ; ils arrivèrent vite à Utique et prescrivirent par lettre à Jugurtha de se rendre immédiatement dans la province romaine, où il trouverait les envoyés du Sénat. Quand il apprit que des citoyens illustres, dont il avait entendu vanter l’influence à Rome, venaient d’arriver pour s’opposer à ses menées, il éprouva un certain trouble et se sentit ballotté entre la crainte et l’ambition. Il redoutait le Sénat, en cas de désobéissance ; mais aveuglé par la passion, il inclinait vers ses projets scélérats. Et c’est le mauvais parti qui finit, dans son âme avide, par triompher. Il dispose son armée autour de Cirta et fait tout ce qu’il peut pour emporter la place de vive force, espérant surtout que l’ennemi, en se divisant, lui fournirait l’occasion de vaincre ou par force ou par ruse. Mais les choses n’allèrent pas à son gré, et il ne réussit pas, comme il l’avait cru, à faire Adherbal, prisonnier avant de joindre les envoyés romains. Alors, pour ne pas exaspérer par un plus long retard Scaurus, qu’il redoutait plus que tout autre, il alla dans la province accompagné de quelques cavaliers. Mais malgré les ter ribles menaces du Sénat, au cas où il ne renoncerait pas au siège, on perdit le temps en discours, et les envoyés partirent sans que le Numide eût rien concédé. XXVI. — Au moment où ces nouvelles parviennent à Cirta, les Italiens qui, par leur courage, assuraient la défense de la place, comptent, si la ville se rend, sur la grandeur de Rome pour empêcher qu’aucune violence leur soit faite à eux-mêmes ; ils conseillent donc à Adherbal de se rendre à Jugurtha, lui et la place, en demandant pour lui ta vie sauve, et s’en remettant, pour le reste, au Sénat. Pour Adherbal, tout valait mieux que compter sur la bonne foi de son ennemi ; pourtant, comme les Italiens, s’il résistait, avaient les moyens de le contraindre, il fit ce qu’on lui conseillait et se rendit. Jugurtha le fait d’abord périr dans les supplices, puis il fait massacrer tous les Numides adultes, tous les gens d’affaires indistinctement, à mesure que ses soldats les rencontrent. XXVII. — Quand l’affaire fut connue à Rome et portée devant le Sénat, les mêmes agents du roi intervinrent ; soit par leur crédit, soit par des chicanes, ils cherchèrent à gagner du temps et à adoucir la noirceur de ce forfait. Si C. Memmius, tribun de la plèbe désigné, citoyen énergique et ennemi de la noblesse, n’avait donné au peuple la preuve que quelques intrigants cherchaient à faire oublier le crime de Jugurtha, la colère publique se serait évaporée dans des délibérations sans fin : tant avaient d’influence le crédit et l’or du roi numide. Conscient des fautes commises, le Sénat eut peur du peuple ; en vertu de la loi Sempronia, il attribua aux futurs consuls les provinces de Numidie et d’Italie. Furent élus P. Scipion Nasica et L. Calpurnius Bestia ; la Numidie revint à ce dernier, et l’Italie au premier. On leva alors l’armée destinée à l’Afrique ; on fixa la solde et les autres dépenses de guerre. XXVIII. — Jugurtha est dérouté par ces nouvelles l’idée que tout se vendait à Rome s’était implantée dans son esprit ; il envoie comme délégués au Sénat son fils et deux de ses amis, qu’il charge, comme il avait fait pour ceux qu’il avait députés à la mort d’Hiempsal, de corrompre tout le monde par des distributions d’argent. Avant leur arrivée à Rome, Bestia demande au Sénat s’il lui plaît de les laisser pénétrer dans la ville. Le Sénat décrète que, s’ils ne viennent pas remettre à discrétion Jugurtha et son royaume, ils sont tenus de quitter l’Italie avant dix jours. Le consul leur communique le décret du Sénat : ils regagnent leur pays sans avoir rempli leur mission. Cependant Calpurnius, ayant organisé son armée, s’adjoint quelques intrigants de la noblesse, dont il espère que l’autorité couvrira ses méfaits et, parmi eux, Scaurus, dont j’ai rappelé plus haut le caractère et la nature. Le consul avait bon nombre de qualités d’esprit et de corps, gâtées par sa cupidité ; gros travailleur, caractère énergique, assez prévoyant, homme de guerre, très ferme contre les dangers et les embuscades. Les légions sont conduites à travers l’Italie, jusqu’à Régium, transportées de là en Sicile, puis de Sicile en Afrique. Calpurnius, qui avait préparé ses approvisionnements, pénètre vivement en Numidie ; en quelques combats, il fait une foule de prisonniers et s’empare de quelques villes. XXIX. — Mais sitôt que, par ses émissaires, Jugurtha eut essayé de l’acheter et lui eut clairement fait voir combien serait rude la guerre qu’on l’avait chargé de conduire, son âme, d’une cupidité maladive, n’eut pas de peine à changer. Au demeurant, il avait pris comme associé et comme instrument Scaurus qui, au début, dans la corruption générale des gens de son clan, avait lutté contre le roi numide avec la dernière vigueur, mais que le chiffre de la somme promise détourna de la vertu et de l’honneur, pour faire de lui un malhonnête homme. Tout d’abord Jugurtha se bornait à payer pour retarder les opérations militaires, comptant obtenir mieux à Rome, en y mettant le prix et grâce à son crédit. Mais, quand il apprit que Scaurus était mêlé à l’affaire, il ne douta plus guère de voir rétablir la paix et décida d’aller lui-même discuter toutes les conditions avec Bestia et Scaurus. En attendant, le consul, pour prouver sa bonne foi, expédie son questeur Sextius à Vaga, place forte de Jugurtha, et donne comme prétexte de ce déplacement la livraison du blé qu’il avait ouvertement exigé des envoyés de Jugurtha pour leur accorder une trêve, en attendant la soumission du roi. Jugurtha, comme il l’avait décidé, va au camp romain ; devant le conseil, il dit quelques mots pour flétrir l’indignité de sa conduite et offrir de se soumettre ; puis il règle le reste en secret avec Bestia et Scaurus. Le lendemain, on vote en bloc sur le traité et on accepte la soumission du roi. Suivant les décisions impératives prises en conseil, Jugurtha livre au questeur trente éléphants, du bétail et des chevaux en grand nombre, et une petite somme d’argent. Calpurnius part pour Rome procéder à l’élection des magistrats. En Numidie et dans notre armée, c’est le régime de la paix. XXX. — Quand on sut le tour qu’avaient pris les événements d’Afrique, il ne fut bruit à Rome dans toutes les assemblées et réunions que des faits et gestes du consul. Dans la plèbe, grande indignation ; chez les patriciens, vive inquiétude. Approuverait-on un pareil forfait ? casserait-on la décision du consul ? on ne savait trop. Surtout, l’autorité de Scaurus, qu’on donnait comme conseiller et complice de Bestia, écartait les patriciens de la vraie voie de justice. En revanche, Memmius - j’ai parlé plus haut de sa nature indépendante et de sa haine de l’autorité patricienne -, tandis que le Sénat hésitait et attendait, mettait à profit les assemblées pour exciter le peuple à la vengeance, le poussait à ne pas renoncer à sa liberté, étalait au grand jour l’orgueil et la cruauté de la noblesse, bref, ne laissait passer aucun moyen d’échauffer la plèbe. Comme, à cette époque, Memmius était connu et tout puissant à Rome par son éloquence, j’ai jugé bon, parmi ses nombreux discours, d’en transcrire un en entier. Je choisirai de préférence celui qu’il prononça dans l’assemblée du peuple, à peu près en ces termes, après le retour de Bestia : XXXI. — "Bien des motifs me détourneraient de vous adresser la parole, citoyens. Mais ma passion du bien de l’État est plus forte que tous les obstacles : puissance de la faction patricienne, résignation populaire, carence du droit, surtout cette considération que, à être honnête, on recueille plus de dangers que d’honneur. J’ai honte de vous le dire : pendant ces quinze dernières années, vous avez été le jouet d’une minorité orgueilleuse, vous avez, misérablement et sans les venger, laissé périr vos défenseurs et affaiblir votre vigueur par mollesse et lâcheté ; même aujourd’hui, quand vos ennemis sont entre vos mains, vous ne savez pas vous relever, et vous avez encore peur de ceux que vous devriez faire trembler. Eh bien ! malgré tout, je ne puis pas ne pas faire front contre les abus de la faction. Oui, je suis décidé à user de la liberté que m’a léguée mon père. Ma peine sera-t-elle sans effet, ou vous profitera-t-elle ? C’est affaire à vous d’en décider, citoyens. Et je ne vais pas vous engager à user du moyen qu’ont souvent employé vos ancêtres : prendre les armes contre l’injustice. Non, ni la violence ni la sécession ne sont nécessaires ; vos adversaires tomberont fatalement victimes de leurs propres procédés. Après le meurtre de Tibérius Gracchus, qu’ils accusaient d’aspirer à la royauté, ils imaginèrent contre la plèbe romaine des enquêtes. Après celui de C. Gracchus et de M. Fulvius, nombreux furent ceux de votre classe qui furent jetés en prison et massacrés. Dans les deux cas, les violences prirent fin, non par la loi, mais parce qu’ils le voulurent bien. Admettons pourtant que ce soit aspirer à la royauté de rendre ses droits à la plèbe et que soit légitime tout ce qu’on ne peut punir sans verser le sang des citoyens. Les années précédentes, vous vous indigniez, sans rien dire, de voir piller le trésor public, les rois et les peuples libres payer un tribut à quelques nobles, qui gardaient pour eux gloire et argent. Et pourtant, de tels méfaits, impunément répétés, leur parurent des misères, et ils finirent par livrer aux ennemis du pays vos lois, votre majesté, toutes les choses humaines et divines. Et ils n’ont de leurs actes ni honte, ni regret, mais ils se pavanent orgueilleusement devant vous, étalant leurs sacerdoces, leurs consulats, quelques-uns leurs triomphes, comme si c’étaient là des titres d’honneur et non le fruit de leurs brigandages. Des esclaves, achetés avec de l’argent, n’acceptent pas d’ordres injustes de leurs maîtres ; et vous, citoyens, qui tenez de votre naissance le droit de commander, vous vous résignez d’un cœur léger à la servitude ! Eh ! que sont-ils donc, ces hommes qui se sont rendus maîtres de l’État ? Des scélérats, aux mains rouges de sang, d’une insatiable cupidité, des monstres à la fois de perversité et d’orgueil, pour qui la loyauté, l’honneur, la piété, le bien et le mal, tout est marchandise. Pour les uns, l’assassinat des tribuns de la plèbe, pour d’autres des enquêtes contraires au droit, pour presque tous le massacre des vôtres ont été des moyens de se mettre à l’abri. Aussi, plus ils sont criminels, plus ils sont en sûreté. La crainte que leurs crimes devaient leur donner, c’est à votre pusillanimité qu’ils la font éprouver : l’identité de désirs, de haines, de craintes a fait d’eux un bloc. Ce qui, entre gens de bien est amitié, est complicité entre des coquins. Si vous aviez, vous, autant de souci de votre liberté, qu’ils ont de feu pour être les maîtres, l’État certes ne serait pas pillé comme aujourd’hui, et vos faveurs iraient aux bons, et non aux audacieux. Vos ancêtres, pour obtenir justice et fonder leur grandeur, se sont, deux fois, retirés en armes sur l’Aventin ; et vous, pour garder la liberté que vous avez reçue d’eux, ne ferez-vous pas un suprême effort ? oui, un effort d’autant plus vigoureux qu’il y a plus de déshonneur à perdre ce qu’on a qu’à ne l’avoir jamais possédé. On me dira : Que demandes-tu donc ? Ce que je demande ? La punition de ceux qui ont livré l’État à l’ennemi, non pas en usant contre eux de la force et de la violence - procédé indigne de vous, sinon d’eux mais en vous appuyant sur des enquêtes, et sur le témoignage même de Jugurtha. S’il s’est livré de bonne foi, il ne manquera pas de se soumettre à vos ordres ; s’il fait fi de votre volonté, alors vous aurez une idée de ce que valent cette paix et cette soumission, qui procurent à Jugurtha l’impunité de ses crimes, à quelques hommes puissants une grosse fortune, à l’État le dommage et la honte. A moins que vous n’en ayez pas encore assez de les avoir pour maîtres, et que vous préfériez à notre temps celui où royauté, gouvernement, lois, droits, tribunaux, guerre et paix, ciel et terre, tout était aux mains de quelques-uns ; alors que vous, peuple romain, jamais vaincu par l’ennemi, maîtres du monde, vous deviez vous contenter de sauvegarder votre vie ? Y en avait-il un parmi vous qui fût assez énergique pour s’insurger contre la servitude ? Pour moi, si j’estime que le pire déshonneur pour un homme de cœur, est de supporter l’injustice sans en tirer vengeance, j’accepterais pourtant de vous voir pardonner à ces scélérats, puisqu’ils sont vos concitoyens, si votre pitié ne devait causer votre perte. Ils ont si peu le sens de ce qui convient, que l’impunité de leurs crimes passés leur paraît peu de chose, si on ne leur enlève pour l’avenir la liberté de mal faire ; et il vous restera une éternelle inquiétude, quand vous comprendrez qu’il vous faudra ou être esclaves, ou user de force pour garder votre liberté. Car quel espoir pouvez vous avoir dans leur bonne foi ou dans un accord avec eux ? Ils veulent être les maîtres, et vous voulez, vous, être libres ; ils veulent pratiquer l’injustice, et vous, l’empêcher ; ils traitent nos alliés en ennemis, nos ennemis, en alliés. Avec des sentiments si contraires, peut-il y avoir paix et amitié ? Voilà pourquoi je vous engage, je vous invite à ne pas laisser un si grand crime impuni. Il n’est pas question ici de pillage du trésor public, d’argent arraché par force aux alliés : ce sont là de grands crimes, mais si fréquents qu’on n’y fait plus attention. Il s’agit de l’autorité sénatoriale et de votre empire, livrés à votre plus redoutable ennemi ; on a fait, en paix et en guerre, marché de la république. Si l’on ne fait pas une enquête, si l’on ne punit pas les coupables, il ne nous restera qu’à vivre asservis aux auteurs de ces crimes. Car faire impunément ce qui plaît, c’est être roi. Je vous demande, citoyens, non de préférer chez des compatriotes le mal au bien, mais de ne pas causer, en pardonnant aux méchants, la perte des bons. Dans les affaires politiques, il vaut infiniment mieux oublier le bien que le mal. L’homme de bien, si l’on ne fait pas attention à lui, perd seulement un peu de son ardeur ; le méchant, en revanche, devient plus méchant. De plus, si l’on ne tolère pas l’injustice, on n’a généralement pas besoin dans l’avenir d’y porter remède." XXXII. — A prodiguer ces propos et d’autres semblables, Memmius finit par persuader au peuple de choisir Cassius, alors préteur, pour l’envoyer à Jugurtha et amener ce prince à Rome sous la sauvegarde de la foi publique : son témoignage ferait plus aisément ressortir les méfaits de Scaurus et de ceux que Memmius accusait de s’être vendus. Tandis que ces faits s’accomplissent à Rome, les hommes que Bestia a laissés en Numidie comme chefs de l’armée, suivant l’exemple de leur général, se signalent par de honteux forfaits. Les uns se laissent corrompre à prix d’or pour restituer à Jugurtha ses éléphants, d’autres vendent des déserteurs, d’autres encore pillent des régions pacifiées : tant était violente la cupidité qui avait empoisonné tous les cœurs. La proposition de Memmius fut adoptée, à la colère de toute la noblesse, et le préteur Cassius partit pour joindre Jugurtha. Il mit à profit l’anxiété du Numide et les troubles de conscience qui l’amenaient à douter de sa réussite, pour le convaincre que, s’étant livré au peuple romain, il valait mieux, pour lui, faire l’expérience de sa mansuétude que de sa force. Aussi bien, Cassius lui engageait-il sa propre foi, dont Jugurtha ne faisait pas moins de cas que de celle de l’État romain si grande était alors la réputation de Cassius. XXXIII. — Jugurtha, laissant de côté tout faste royal, prend le costume le plus propre à exciter la pitié, et va à Rome avec Cassius. Certes, il y avait en lui une énergie accrue encore par l’action de ceux dont le crédit ou l’influence criminelle lui avaient, comme je l’ai dit, permis d’agir ; pourtant, il achète un bon prix le tribun de la plèbe C. Bébius dont il suppose que l’impudence lui servira d’appui contre le droit et la violence. Memmius convoque l’assemblée : sans doute, la plèbe était hostile au roi : les uns voulaient qu’il fût jeté en prison ; les autres estimaient que, s’il ne dénonçait pas ses complices, il convenait de le soumettre au supplice y de règle chez les anciens. Mais Memmius, plus soucieux de la dignité romaine que de son irritation, s’attache à calmer l’émotion générale, à adoucir les sentiments, répétant avec force que lui-même ne violerait jamais la foi publique. Puis, dans le silence enfin rétabli, il fait comparaître Jugurtha, et, prenant la parole, rappelle ses forfaits à Rome et en Numidie, son action criminelle à l’encontre de son père et de ses frères. Quels ont été ses aides et ses complices dans cette œuvre, le peuple romain le sait bien ; mais il veut, lui, Memmius, que l’évidence éclate, par les aveux mêmes du coupable. S’il dit la vérité, il peut compter entièrement sur la loyauté et la clémence du peuple romain ; s’il a des réticences, il ne sauvera pas ses complices, et il se perdra lui-même en compromettant absolument sa situation. XXXIV. — Quand Memmius eut terminé, on enjoignit ix Jugurtha de répondre ; alors le tribun C. Bébius qui - nous l’avons dit - avait été acheté, ordonna au roi de garder le silence. La foule qui composait l’assemblée, prise d’une violente colère, essaya d’effrayer Bébius par ses cris, son attitude, ses violences et toutes les marques habituelles d’irritation ; et pourtant l’impudence du tribun fut la plus forte. Et ainsi, le peuple joué quitta l’assemblée, pendant que Jugurtha, Bestia et tous ceux que troublait l’enquête, sentaient se ranimer leur audace. XXXV. — Il y avait à ce moment à Rome un Numide appelé Massiva, fils de Gulussa, petit-fils de Masinissa, qui, dans le différend entre les rois, avait pris parti contre Jugurtha et, après la capitulation de Cirta et la mort d’Adherbal, avait fui sa patrie. Sp. Albinus qui, l’année précédente, après Bestia, avait, avec Q. Minucius Rufus, exercé le consulat, persuade à ce Massiva de mettre en avant et sa parenté avec Masinissa et les sentiments d’indignation et de crainte provoqués par les crimes de Jugurtha, pour réclamer au Sénat le trône de Numidie. Le consul brûlait de diriger une guerre et aimait mieux s’agiter que de laisser vieillir les événements. Il avait eu en partage la province de Numidie, tandis que la Macédoine était échue à Minucius. Quand Massiva eut commencé à se remuer, Jugurtha comprit qu’il ne pouvait guère s’appuyer sur ses amis, empêchés les uns par leurs remords, les autres par leur mauvaise réputation et leurs craintes ; il donna l’ordre à Bomilcar, un de ses proches en qui il avait une entière confiance, de soudoyer à prix d’or, suivant son habitude, des sicaires contre Massiva et d’assassiner le Numide, de préférence en cachette et, en cas d’impossibilité, par n’importe quel moyen. Sans retard, Bomilcar se conforme aux ordres du roi et, par des agents habiles en cet art, il surveille les marches et contre-marches de Massiva, les lieux où il se rend, les moments favorables ; puis, quand les circonstances sont propices, il dresse ses filets. Un de ceux qui avaient été choisis pour le crime attaque Massiva, mais sans prendre assez de précautions ; il lui coupe la tête, mais est lui-même arrêté ; le consul Albinus, entre beaucoup d’autres, le presse de parler : il fait des aveux. Bomilcar, ayant naguère accompagné à Rome le roi sous la garantie de l’État, fut poursuivi en vertu des principes généraux du droit, plutôt que d’après les règles du droit des gens. Quant à Jugurtha, malgré l’évidence de son crime, il ne manqua pas de s’inscrire d’abord en faux contre la vérité, puis il comprit que son crédit et son argent ne pouvaient rien contre un acte si odieux. Aussi, malgré les cinquante témoins à décharge que, dans la première enquête, il avait produits, se fiant plus à son pouvoir qu’à l’autorité de ses cautions, il fit partir secrètement Bomilcar pour la Numidie, dans la crainte de voir ses sujets appréhender désormais de lui obéir, si son agent était livré au supplice. Lui-même partit quelques jours plus tard, invité par le Sénat à quitter l’Italie. A sa sortie de Rome, il garda, dit-on, un long silence en regardant la ville, puis finit par dire à plusieurs reprises : "O ville à vendre ! elle disparaîtra bientôt, si elle trouve un acheteur ! " XXXVI. — Cependant les opérations militaires reprennent, et Albinus fait hâtivement passer en Afrique approvisionnements, solde, tout ce qu’il faut à une armée ; puis, sans retard, il part lui-même, voulant, avant les comices, dont la date n’était plus éloignée, terminer la guerre par les armes, la capitulation de Jugurtha, ou tout autre moyen. Jugurtha, au contraire, tirait les choses en longueur, faisait naître une cause de retard, puis une autre, promettait de se rendre, puis feignait d’avoir peur, cédait du terrain devant les attaques, et, peu après, pour ne pas exciter la défiance des siens, attaquait à son tour ; et ainsi, différant tantôt les hostilités, tantôt les négociations, il se jouait du consul. Certains étaient convaincus qu’Albinus n’ignorait rien des desseins de Jugurtha et pensaient que, s’il laissait volontiers, après des débuts si rapides, tout traîner en longueur. C’était ruse et non lâcheté. Mais le temps passait et le jour des comices approchait : Albinus confia à son frère Aulus le commandement des troupes et gagna Rome. XXXVII, — A Rome, à ce moment, l’ordre public était sévèrement troublé par les violences tribunitiennes. Les tribuns de la plèbe P. Lucullus et L. Annius travaillaient, malgré leurs collègues, à se maintenir dans leur magistrature, et ces luttes empêchaient pendant toute l’année la tenue régulière des comices. A la faveur de ces retards, Aulus, à qui, nous l’avons dit, avait été confié en Numidie le commandement des troupes, eut l’espoir ou de terminer la guerre, ou d’arracher de l’argent au roi en l’effrayant par la reprise des hostilités. En plein mois de janvier, il retire les soldats de leurs quartiers d’hiver pour les faire entrer en campagne, et, par de longues marches, et malgré la rigueur de la saison, il gagne la place de Suthul, ont était le trésor royal. Le mauvais temps et l’heureuse position de la ville ne permettaient ni de la prendre, ni même d’en faire le siège ; car autour du mur, dressé à l’extrémité d’une roche à pic, s’étendait une plaine boueuse, dont les pluies d’hiver avaient fait un marécage ; et cependant, soit par feinte, pour épouvanter le roi, soit par désir aveugle de prendre la ville pour mettre la main sur le trésor, Aulus fit avancer les mantelets, élever des terrasses et procéder en hâte à toutes les opérations de nature à favoriser son entreprise. XXXVIII. — Jugurtha, se rendant compte de l’insuffisance et de l’impéritie du commandant, travaille par des moyens détournés à accroître encore sa sottise, lui expédiant coup sur coup des envoyés pour le supplier, évitant de rencontrer ses troupes en faisant passer les siennes par des bois et de petits chemins. Enfin, il laisse espérer à Aulus une entente, et il l’amène à abandonner Suthul et à le suivre dans des régions écartées, où il feint de battre en retraite. Aulus pensait que, dans ces conditions il lui serait plus facile de dissimuler son crime. En attendant, des Numides avisés agissaient jour et nuit sur l’armée romaine, cherchant à déterminer les centurions et les chefs d’escadron, soit à passer à Jugurtha, soit à déserter à un signal donné. Quand tout fut arrangé au gré de Jugurtha, en pleine nuit, à l’improviste, une nuée de Numides encercla le camp d’Aulus. Les soldats romains, surpris par cette arrivée en masse à laquelle ils ne s’attendaient pas, se jettent sur leurs armes, ou se cachent ; quelques-uns travaillent à redonner courage aux trembleurs, au milieu de l’épouvante générale. L’ennemi les presse, la nuit et les nuages obscurcissent le ciel, le danger est de tous côtés ; on se demande s’il y a plus de sécurité à fuir qu’à rester en place. Parmi ceux dont j’ai dit plus haut qu’ils s’étaient laissé acheter, une cohorte ligure, deux escadrons thraces et quelques simples soldats passèrent au roi, le centurion primipilaire de la troisième légion donna passage à l’ennemi sur le point du retranchement dont on lui avait confié la défense, et par là tous les Numides se précipitèrent. Les Romains lâchement s’enfuirent, la plupart en jetant leurs armes, et occupèrent une colline toute proche. La nuit et le pillage de notre camp retardèrent les effets de la victoire. Le lendemain, Jugurtha entre en pourparlers avec Aulus : il le tenait étroitement serré, avec son armée, par le fer et la faim ; pourtant, n’oubliant pas les vicissitudes humaines, il consentira, si le Romain veut traiter avec lui, à les épargner, lui et les siens, après les avoir fait passer sous le joug, à la condition que, avant dix jours, il ait quitté la Numidie. Ces conditions étaient pénibles et honteuses ; mais l’imminence de la mort en changeait pour les nôtres le caractère, et la paix fut conclue au gré du roi. XXXIX. — Quand ces événements furent connus à Rome, l’épouvante et l’affliction se répandirent dans la cité. Les uns pleuraient sur la gloire de l’empire, les autres, qui ne connaissaient rien à la guerre, tremblaient pour la liberté ; tous s’emportaient contre Aulus, surtout ceux qui s’étaient maintes fois illustrés dans les combats et n’admettaient pas que, tant qu’on avait des armes, on pût chercher le salut dans la honte et non dans la lutte. Aussi, le consul Albinus, devant l’indignation soulevée par le crime de son frère, en redoutait-il pour lui les conséquences fâcheuses ; il consultait le Sénat sur le traité, et, cependant, travaillait à de nouvelles levées, s’adressait aux alliés et aux Latins pour obtenir des troupes auxiliaires, usait en hâte de tous les procédés. Le Sénat, comme il était naturel, décida que, sans son approbation et celle du peuple, aucun traité n’avait de valeur. Les tribuns du peuple ne permirent pas au consul d’emmener avec lui les troupes qu’il avait levées, et, quelques jours après, il partit seul pour l’Afrique : toute l’armée, comme il avait été convenu, avait quitté la Numidie et avait pris ses quartiers d’hiver dans la province romaine. A son arrivée, Albinus désirait vivement se mettre à la poursuite de Jugurtha, pour calmer l’indignation causée par la conduite de son frère ; mais il comprit que le moral du soldat était gâté par la débandade, le relâchement de la discipline, la licence, la mollesse ; et pour toutes ces raisons, il décida de ne rien faire. XL. — Cependant, à Rome, le tribun de la plèbe G. Mamilius Limetanus développe devant le peuple une proposition tendant à ouvrir une enquête contre ceux qui, sur les suggestions de Jugurtha, avaient violé les décisions sénatoriales ; qui, dans leurs ambassades et leurs commandements, s’étaient fait donner de l’argent ; qui avaient revendu les éléphants et les déserteurs ; et encore contre ceux qui avaient traité avec l’ennemi de la paix et de la guerre. A cette proposition ni les complices de ces crimes, ni ceux que faisait trembler la violente irritation des partis, ne pouvaient s’opposer ouvertement : c’eût été avouer que ces procédés et d’autres semblables leur semblaient naturels ; mais en secret, par leurs amis et surtout par les Latins et les alliés italiens, ils machinaient mille difficultés. Malgré tout, la plèbe, avec une opiniâtreté et une vigueur inimaginables, fit voter la proposition, plus par haine de la noblesse, à laquelle elle préparait ainsi des déboires, que par souci du bien public : tant les partis étaient passionnés ! Aussi, alors que la terreur était générale, M. Scaurus, lieutenant, comme je l’ai dit, de Bestia, réussit au milieu de l’allégresse populaire, de la débâcle des siens, de l’agitation de toute la ville, à se faire choisir comme un des trois enquêteurs prévus par la loi Mamilia. L’enquête se fit dans l’âpreté et la violence, et ne tint compte que des bruits publics et des passions de la plèbe. Comme jadis la noblesse, la plèbe aujourd’hui prenait dans le succès le goût de la démesure. XLI. — Le conflit, devenu habituel, des partis et des factions et le fâcheux état qui en découla, naquit à Rome quelques années plus tôt, en pleine paix, de l’abondance des biens que les hommes mettent au premier rang. Avant la destruction de Carthage, le peuple et le Sénat romain administraient d’accord la république dans la tranquillité et la modération, et les citoyens ne luttaient pas entre eux à qui aurait plus de gloire ou de pouvoir : la crainte de l’ennemi maintenait une bonne politique. Mais, quand les esprits furent délivrés de cette crainte, les vices, compagnons habituels de la prospérité, mollesse et orgueil, envahirent tout. Aussi, le repos, que dans l’adversité on avait souhaité, devint, une fois obtenu, plus pénible et plus dur que la guerre. Pour la noblesse le besoin d’autorité, pour le peuple l’amour de la liberté se tournèrent en passions, et chacun se mit à tout attirer, tout prendre, tout ravir à soi. Les deux partis tirèrent chacun de son côté ; et la république, entre eux, fut victime de leurs déchirements. Comme parti, la noblesse pouvait davantage, la plèbe moins, parce qu’elle était divisée et subdivisée à l’infini. Une petite minorité tranchait les questions de paix et de guerre et disposait du trésor, des gouvernements, des magistratures, de la gloire, des triomphes ; la plèbe, plongée dans la misère, était accablée par le service militaire ; quant au butin conquis sur l’ennemi, les généraux le dilapidaient avec quelques complices. Et, pendant ce temps, les parents et les petits enfants des soldats, s’ils habitaient à côté d’un grand personnage, étaient chassés de chez eux. Avec un pouvoir abusif, l’avidité se répandait sans mesure, sans modération, gâtait tout, faisait le vide partout, ne regardait, ne respectait rien, jusqu’au jour où, victime de ses fautes, elle s’écroula. Car, du moment où apparurent dans la noblesse des gens qui surent préférer la vraie gloire à l’injustice et aux abus, l’État fut troublé et les discordes entre citoyens se manifestèrent, semblables à un tremblement de terre. XLII. — Quand Tibérius et Caius Gracchus, dont les ancêtres pendant les guerres puniques et d’autres guerres, avaient puissamment accru la grandeur de l’empire, revendiquèrent la liberté pour le peuple et mirent en lumière les crimes d’une minorité, la noblesse, coupable et troublée par l’idée de sa culpabilité, s’entendit soit avec les alliés et les Latins, soit avec les chevaliers romains qu’elle avait détachés de la plèbe en leur promettant son alliance ; elle se dressa contre les propositions des Gracques. Elle avait d’abord massacré Tibérius, puis, quelques années après, Caius, au moment où il suivait la même voie, — le premier était tribun de la plèbe, le second triumvir pour l’établissement des colonies, — et avec eux M. Fulvius Flaccus. Je conviens que les Gracques, dans l’espérance de la victoire, ne firent pas preuve d’une modération suffisante. Mieux vaut, pour l’homme de bien, la défaite qu’une victoire sur l’injustice, obtenue par de mauvais moyens. Dans sa victoire, la noblesse, emportée par sa passion, tua ou exila un grand nombre de ses adversaires, et par là, ajouta moins à sa puissance qu’aux dangers à venir. Ainsi, souvent, de puissants États se sont affaiblis, quand un parti a voulu triompher d’un autre par n’importe quel moyen, et qu’on a tiré avec trop de rigueur vengeance des vaincus. Mais, si je voulais discuter sur les luttes des partis et étudier en détail et suivant leur importance les mœurs politiques de Rome, le temps, sinon le sujet, me manquerait. Je reviens donc à mon propos. XLIII. — Après la conclusion par Aulus du traité de paix et la honteuse débâcle de nos troupes, Métellus et Silanus, consuls désignés, se partagèrent les provinces. La Numidie échut à Métellus, homme énergique, et, bien qu’adversaire du parti populaire, réputé cependant pour son équité et sa loyauté. Dès qu’il eut pris possession de sa magistrature, pensant qu’il pouvait laisser à son collègue toutes les autres affaires, il concentra toute sa force d’esprit sur la guerre qu’il allait faire. Sans confiance dans l’ancienne armée, il lève des troupes, fait venir de tous côtés des auxiliaires, ramasse armes d’attaque, de défense, chevaux, machines, approvisionnements en abondance, bref tout ce qu’il faut généralement dans une expédition à marche incertaine et où les besoins sont grands. Pour obtenir ce qu’il veut, il s’appuie sur l’autorité du Sénat ; les alliés, les Latins, les rois amis lui envoient spontanément des troupes auxiliaires ; enfin la cité tout entière s’active pour le soutenir. Tout étant préparé comme il l’avait voulu, il part pour la Numidie, porté par les espérances de ses concitoyens, tant en raison de sa vertu que, surtout, de son âme inaccessible à l’argent, la cupidité des magistrats romains ayant, avant lui, gâté nos affaires en Numidie et raffermi celles de nos ennemis. XLIV. — A son arrivée en Afrique, il reçoit du proconsul Albinus une armée avachie, incapable de se battre, de s’exposer aux dangers et aux fatigues, plus prompte à parler qu’à agir, pillant les alliés, pillée elle-même par l’ennemi, ne connaissant ni discipline, ni mesure. Aussi le nouveau général avait-il plus de raisons d’être inquiet de ce triste état qu’il n’en avait de compter sur l’importance numérique de ses troupes. Alors, bien que le retard des comices eût réduit la durée de la campagne d’été, et qu’il sût Rome entièrement désireuse d’une issue favorable, Métellus décida de ne pas commencer les opérations avant d’avoir, en forçant les soldats au travail, rétabli la vieille discipline. Albinus, bouleversé par le désastre de son frère Aulus et de l’armée, avait décidé de ne pas quitter la province pendant la saison d’été où il avait gardé le commandement, et il avait maintenu les troupes dans le camp permanent, tant que les mauvaises odeurs et la pénurie de fourrage ne l’avaient pas obligé à les changer de place. Mais ce camp était dépourvu de moyens de défense, et on n’y plaçait pas, comme d’ordinaire dans les camps, de sentinelles : chacun, à sa fantaisie, s’éloignait des drapeaux ; les valets d’écurie mêlés aux soldats, circulaient partout jour et nuit ; dans leurs vagabondages, ils pillaient les campagnes, cambriolaient les maisons, s’emparaient à qui mieux mieux des troupeaux et des esclaves, et les échangeaient avec des marchands contre des vins étrangers et d’autres articles, vendaient le blé distribué par l’État, et se procuraient leur pain au jour le jour ; bref, tout ce qu’on peut dire et imaginer en fait de laisser aller et d’abandon se rencontrait dans cette armée, et bien d’autres choses encore. XLV. — Dans cette situation difficile, non moins que dans ses rencontres avec l’ennemi, Métellus fit preuve, à mon avis, de grandeur et de sagesse : tant il sut heureusement allier le désir de plaire à une vigoureuse fermeté. Tout d’abord, par édit, il enleva au soldat tout ce qui pouvait favoriser sa mollesse, il défendit la vente dans le camp du pain et des aliments cuits ; il interdit aux valets de suivre les troupes, aux simples soldats de se faire aider, dans le camp ou les marches, par des esclaves ou des bêtes de somme ; pour le reste, il le régla avec mesure. De plus, chaque jour, par des chemins de traverse, il transportait le camp sur un point différent et, comme si l’ennemi eût été tout près, faisait élever des retranchements ou creuser des fossés, plaçait de nombreux postes, et allait lui-même les inspecter avec ses lieutenants ; pendant les marches, il prenait tantôt la tête, tantôt la queue, tantôt le milieu de la colonne, veillant à ce que nul ne sortît du rang, à ce que tous fussent groupés autour des drapeaux et que chaque soldat portât lui-même ses vivres et ses armes. Ainsi, en prévenant les fautes plutôt qu’en les punissant, il redonna rapidement force à son armée. XLVI. — Cependant Jugurtha, informé par ses émissaires de l’action de Métellus et, d’autre part, recevant de Rome des renseignements précis sur son intégrité, n’a plus autant de confiance dans sa réussite et songe enfin vraiment à se soumettre. Il expédie au consul des envoyés qui se présentent à lui en suppliants, et se bornent d demander la vie pour lui et ses enfants, s’en remettant pour tout le reste au peuple romain. Mais Métellus connaissait déjà depuis longtemps, par expérience, la perfidie des Numides, leur esprit instable, leur goût du changement. Il reçoit donc les envoyés séparément, l’un après l’autre, les sonde sans hâte et, les trouvant bien disposés, les décide par des promesses à lui livrer Jugurtha, de préférence vivant, et, si c’est impossible, mort. Puis il les reçoit publiquement pour leur annoncer que tout se fera conformément au désir du roi. Quelques jours après, il pénètre en Numidie avec une armée bien dressée et prête à la lutte. Rien dans ce pays ne donne une idée de la guerre : les cabanes sont toutes habitées, les troupeaux et les cultivateurs sont dans les champs. Des places fortes, des bourgs sortent les fonctionnaires royaux qui viennent lui offrir du blé, se charger de faire transporter ses approvisionnements, se soumettre à tous ses ordres. Malgré tout, Métellus, exactement comme si l’ennemi était tout proche, se tient, dans ses marches, sur la défensive, envoie au loin des reconnaissances, estime que ces marques de soumission sont là seulement pour la montre, et qu’on cherche une occasion de le faire tomber dans un piège. Lui-même, avec les troupes légères, les frondeurs et les archers d’élite, est au premier rang, pendant qu’il laisse le soin de surveiller l’arrière à son lieutenant C. Marius, avec la cavalerie, et que, sur les flancs il dispose les cavaliers auxiliaires avec les tribuns des légions et les préfets des cohortes, parmi lesquels il répartit les vélites, qui pourront repousser la cavalerie ennemie, de quelque côté qu’elle se présente. Car Jugurtha était si rusé, il connaissait si bien les lieux et l’art de la guerre, qu’on ne saurait dire s’il était plus d craindre présent qu’absent et plus redoutable en guerre qu’en paix. XLVII. — Non loin de la route que suivait Métellus, était une place forte numide appelée Vaga, le marché le plus fréquenté de tout le royaume, où habitaient et commerçaient ordinairement beaucoup d’Italiens. Le consul, en vue de connaître les sentiments de l’habitant et de s’assurer une position si les circonstances le permettaient, y mit une garnison. Il y fit porter du blé et tout ce qui peut servir à la guerre, dans la pensée, justifiée par les faits, que les nombreux hommes d’affaires de Vaga l’aideraient à s’approvisionner et à protéger les approvisionnements déjà faits. Et à cette activité Jugurtha répondit en envoyant suppliants sur suppliants, pour demander la paix et s’en remettre absolument à Métellus, pourvu qu’à ses enfants et à lui fût accordée la vie sauve. Comme les premiers, le consul poussa ces gens à la trahison, puis les renvoya chez eux. Il ne refusa ni ne promit la paix au roi, et, pendant de nouveaux délais, attendit l’effet des promesses qu’on lui avait faites. XLVIII. — Jugurtha compara les paroles de Métellus à ses actes et se rendit compte que le consul recourait pour le combattre à ses propres procédés : il disait des paroles de paix et en attendant, lui faisait la guerre la plus âpre, lui prenait une grande ville, apprenait à connaître le territoire numide, détachait de lui les populations ; sous l’empire de la nécessité, il décida de s’en remettre aux armes. Étudiant la route suivie par l’ennemi, il compte, pour vaincre, sur l’avantage que lui donne la connaissance des lieux, réunit le plus grand nombre possible de soldats de toutes armes, et, par des sentiers cachés, prévient l’armée de Métellus. Il y a, dans la partie de la Numidie qui, au partage, était revenue à Adherbal, un fleuve appelé Muthul, ayant sa source au midi, séparé par vingt mille pas environ d’une chaîne parallèle de hauteurs, naturellement désolées et sans culture. Mais au milieu se dresse une sorte de colline, dont la pente se prolonge au loin, couverte d’oliviers, de myrtes et de ces autres arbres qui poussent dans un terrain aride et sablonneux. La plaine qui s’étend au pied est déserte, faute d’eau, hormis les terres qui longent le fleuve : là sont des arbres, et l’endroit est fréquenté par les cultivateurs et les troupeaux. XLIX. — Donc, sur cette colline allongée perpendiculairement à la route, Jugurtha s’établit en amincissant son front de bataille. Il met Bomilcar à la tête des éléphants et d’une partie de l’infanterie, et lui donne ses instructions. Il se rapproche lui-même des hauteurs et s’y installe avec toute sa cavalerie et des fantassins d’élite. Puis il va dans chaque escadron et chaque manipule ; il demande à ses soldats, il les adjure de se rappeler leur courage, leurs victoires d’autrefois et de défendre eux-mêmes et les États de leur roi contre la cupidité romaine ; ceux contre qui ils vont avoir à lutter, il les ont vaincus et fait passer sous le joug ; les Romains ont pu changer de chef, non de sentiments ; pour lui, tout ce qu’un général doit à ses troupes, il a veillé à le leur donner : position plus élevée, connaissance du terrain, que l’ennemi ignore, pas d’infériorité numérique, autant d’habileté militaire que leurs adversaires ; qu’ils soient donc prêts et attentifs à se jeter, à un signal donné, sur leurs adversaires ; ce jour les paiera de leurs peines et renforcera leurs victoires, ou marquera pour eux le début des pires misères. Puis, s’adressant d chacun en particulier, il rappelle à ceux qu’il a, pour un exploit guerrier, récompensés par de l’argent ou une distinction, comment il les a traités, il vante aux autres leur conduite, et, suivant la nature de chacun, les excite par des promesses, des menaces, des adjurations, cent autres procédés. Cependant Métellus, ignorant la présence de l’ennemi, descend des hauteurs avec ses troupes ; il observe. Tout d’abord, il ne sait que penser du spectacle insolite qu’il a sous les yeux. Les cavaliers numides s’étaient immobilisés dans les broussailles ; les arbres étaient trop courts pour les cacher complètement, et l’on ne savait au juste à quoi s’en tenir, la nature du terrain et leur esprit rusé permettant aux Numides de se dissimuler, eux et leurs enseignes. Puis, assez vite, il se rend compte de l’embuscade et suspend un moment la marche en avant. Modifiant son ordre de bataille, il porte son front sur le flanc droit le plus rapproché de l’ennemi, et le renforce d’un triple rang de soldats ; entre les manipules il place des frondeurs et des archers, dispose toute la cavalerie sur les ailes et, après quelques mots adressés à ses hommes pour leur donner courage, fait descendre dans la plaine son armée dont la tête, comme il l’avait voulu, était devenue le flanc. LI. — Au demeurant, l’affaire de tous côtés offrait un aspect de variété, d’incertitude, d’abomination et de pitié : séparés de leurs camarades, les uns cédaient du terrain, les autres allaient de l’avant ; on ne se ralliait pas aux drapeaux, on rompait les rangs ; chacun se défendait et attaquait où le danger l’avait surpris ; armes de défense et d’attaque, chevaux, soldats, ennemis, citoyens, tout était confondu ; plus de décisions réfléchies, plus d’obéissance aux ordres, le hasard régnait en maître. Aussi, le jour était-il déjà bien avancé, que l’issue était encore incertaine. Enfin, la fatigue et la chaleur ayant épuisé tous les combattants, Métellus, devant le ralentissement des attaques ennemies, regroupe petit à petit ses troupes, les remet en rang et oppose quatre cohortes légionnaires à l’infanterie ennemie qui, brisée de fatigue, s’était presque toute retirée sur la hauteur. Il demande à ses soldats, il les supplie de ne pas défaillir et de ne pas laisser la victoire à un ennemi en fuite ; les Romains n’ont point de camp, point de retranchement où battre en retraite, les armes sont leur unique recours. Pendant ce temps, Jugurtha ne demeurait pas tranquille : il allait partout, prodiguant ses exhortations, recommençant la lutte, attaquant de tous côtés avec des soldats d’élite, venant en aide aux siens, pressant l’ennemi ébranlé, combattant de loin, et ainsi retenant sur place ceux dont il avait reconnu la solidité. LII. — Ainsi luttaient entre eux ces deux illustres généraux aussi grands l’un que l’antre, disposant d’ailleurs de ressources inégales. Métellus avait pour lui le courage de ses soldats, contre lui la nature du terrain ; Jugurtha avait tous les avantages, hormis son armée. Enfin les Romains comprennent qu’ils n’ont point d’endroit où se réfugier et que, le soir tombant, ils n’ont aucun moyen de forcer l’ennemi à la bataille ; suivant les ordres donnés, ils franchissent donc la colline qui est devant eux. Les Numides, délogés de la position, se débandent et prennent la fuite ; quelques-uns périrent, la plupart furent sauvés par leur vitesse et aussi parce que nous ne connaissions pas le pays. Cependant Bomilcar, mis, nous l’avons dit, par Jugurtha à la tête des éléphants et d’une partie de l’infanterie, sitôt que Rutilius l’a dépassé, fait lentement descendre ses troupes dans la plaine. Pendant que Rutilius, à marches forcées, avance vers le fleuve où on l’avait envoyé, lui-même, bien tranquille, range son armée dans l’ordre exigé par les circonstances, sans omettre de surveiller tous les mouvements de l’ennemi. Il voit Rutilius installer son camp sans se douter de rien, et, en même temps, entend des clameurs plus fortes du côté où se battait Jugurtha. Il craint que le lieutenant de Métellus, ne se porte, en entendant ce bruit, au secours de ses concitoyens en danger. Peu rassuré sur la valeur de ses soldats, il avait d’abord resserré ses lignes ; pour empêcher la marche de l’ennemi, il les étend, puis, dans cet ordre, il marche sur le camp de Rutilius. LIII. -- Les Romains aperçoivent, à leur grande surprise, un gros nuage de poussière : car les arbustes dont le terrain était couvert empêchaient la vue de porter loin. Ils croient d’abord cette poussière soulevée par le vent, puis ils observent qu’elle se maintient au même niveau et que, avec l’armée en marche, elle se rapproche de plus en plus. Ils comprennent tout, prennent rapidement leurs armes et devant le camp, suivant l’ordre donné, se placent en ligne. Les deux armées, une fois en présence, s’élancent l’une sur l’autre avec de grands cris. Les Numides ne tiennent ferme qu’autant qu’ils croient pouvoir compter sur leurs éléphants. Mais lorsqu’ils voient ces animaux empêtrés dais les branches d’arbres, dispersés et entourés par les Romains, ils s’enfuient ; presque tous jettent leurs armes et échappent sans mal par la colline à la faveur de la nuit tombante. On prit quatre éléphants, et on tua tous les autres au nombre de quarante. Les Romains étaient brisés de fatigue par la marche, l’établissement du camp, la bataille, dont l’issue les rendait heureux ; cependant, comme Métellus tardait plus qu’on ne l’avait pensé, ils vont au-devant de lui, en rangs et l’œil ouvert. Car le caractère rusé des Numides ne permettait ni torpeur ni relâche. Tout d’abord, dans l’obscurité de la nuit, quand ils sont près les uns des autres, le bruit leur fait supposer que l’ennemi approche. Des deux côtés l’épouvante naît et le désordre éclate ; la méprise pouvait produire une catastrophe, si, des deux parts, on n’avait envoyé une reconnaissance de cavalerie. Alors, brusquement, la crainte devient joie, les soldats, dans leur allégresse, s’interpellent, racontent, écoutent ce qui s’est passé, exaltent chacun leurs exploits. Ainsi vont les choses humaines : dans la victoire, le lâche lui-même peut se vanter ; la défaite rabaisse même les braves. LIV. — Métellus s’attarde dans ce camp pendant quatre jours ; il fait soigner et remettre sur pied les blessés, distribue à ceux qui les ont méritées dans la bataille des décorations militaires, réunit ses soldats pour les féliciter et les remercier, les engage à montrer la même vigueur dans la suite, quand la tâche sera plus facile : jusqu’alors on s’est battu pour la victoire, désormais on se battra pour le butin. Malgré tout, en attendant il envoie en reconnaissance des transfuges et des émissaires habiles pour savoir où est Jugurtha, ce qu’il complote, s’il a avec lui quelques hommes ou toute une armée, comment il s’accommode de sa défaite. Le roi s’était retiré dans des forêts, à l’abri de défenses naturelles, et là, il regroupait une armée plus nombreuse que la première, mais faible et sans force, étant composée de cultivateurs et de bergers plus que d’hommes de guerre. Ceci s’explique par ce fait que, chez les Numides, en dehors des cavaliers de la garde royale, nul ne suit le roi dans sa fuite ; ils se dispersent pour aller où il leur plaît, et cette conduite n’est pas regardée comme déshonorante pour un soldat. Telles sont leurs mœurs. Métellus comprend que le caractère du roi demeure toujours aussi farouche et qu’il faut recommencer une guerre, où il sera encore manœuvré par l’adversaire, que la lutte sera inégale, et que l’ennemi perdra moins à la défaite que les Romains à la victoire ; il décide donc de conduire la campagne, non à coup de combats et de batailles rangées, mais sur un autre mode. Il pénètre dans les coins les plus riches de la Numidie, dévaste les cultures, prend et incendie maints ports et maintes places mal fortifiées ou sans garnison, fait tuer toute la population en état de porter les armes, abandonnant le reste à la fureur des soldats. La terreur qu’il inspire vaut aux Romains de nombreux otages, du blé en quantité et tout ce qui peut leur servir ; des garnisons sont mises partout où le besoin s’en fait sentir. Ces procédés, beaucoup plus que la bataille perdue par les siens, épouvantent le roi : il avait mis tout son espoir dans la fuite, et était maintenant contraint de suivre l’ennemi ; lui, qui n’avait pas su défendre ses positions, devait faire la guerre sur celles d’autrui. Pourtant, il consulte ses moyens et prend le parti qui lui semble le meilleur : il laisse à couvert au même endroit la plus grande partie de ses troupes, et lui-même, avec des cavaliers d’élite, suit Métellus, et dans des marches de nuit, par des chemins non tracés, sans se faire voir, il tombe brusquement sur les Romains vaguant à l’aventure, et dont la plupart, sans armes, tombent sous ses coups ; beaucoup sont faits prisonniers, pas un ne peut s’enfuir indemne ; et les Numides, avant qu’un secours ait pu venir du camp, se perdent dans les collines voisines, suivant l’ordre donné. LV. — A Rome éclatèrent des transports d’allégresse quand on connut les exploits de Métellus : lui et son armée s’étaient comportés comme l’eussent fait les ancêtres ; dans une position défavorable il avait dû la victoire à sa valeur ; il était maître du territoire ennemi, et avait obligé Jugurtha, grandi par la lâcheté d’Albinus, à ne compter pour son salut que sur le désert ou la fuite. Aussi le Sénat, pour fêter ces heureux événements, prescrivit-il des actions de grâces aux dieux immortels, et Rome, précédemment troublée et inquiète de l’issue de la guerre, vécut dans la joie ; Métellus connut la gloire. Il s’applique alors d’autant plus à s’assurer la victoire, emploie tous les moyens de la rendre plus rapide, veille pourtant à ne jamais donner à l’ennemi l’occasion d’un ’avantage, et n’oublie pas que la gloire ne va pas sans l’envie. Plus on parlait de lui, plus il était anxieux. Depuis que Jugurtha avait multiplié ses embuscades, il ne permettait pas aux troupes de piller à la débandade ; quand il fallait faire provision de blé ou fourrager, les cohortes et toute la cavalerie escortaient les travailleurs. Il avait divisé l’armée en deux corps, commandés, l’un par lui-même, l’autre par Marius. Mais c’est par le feu plus que par le pillage qu’il faisait le désert. Les deux corps établissaient leur camp dans deux endroits différents, non loin l’un de l’autre : quand il le fallait, ils se réunissaient ; mais pour disperser plus sûrement les populations et semer plus loin la terreur, ils agissaient chacun de son côté. Pendant ce temps Jugurtha le suivait le long des collines, cherchait l’heure et le terrain favorables aux engagements ; là où il apprenait que devait passer l’ennemi, il empoisonnait fourrages et sources, ces dernières très rares, se montrait tantôt à Métellus, tantôt à Marius, attaquait l’arrière-garde, puis remontait tout de suite dans les collines, recommençait à inquiéter l’un, lavis l’autre, sans jamais engager de lutte ouverte, sans se lasser, se bornant à empêcher l’ennemi de faire ce qu’il voulait. LVI. — Le général romain, las des ruses d’un ennemi qui ne lui donne jamais l’occasion d’une vraie bataille, décide d’investir Zama, une grande ville qui était la principale place forte de la partie du royaume où elle était située dans sa pensée, l’affaire obligerait Jugurtha à venir au secours des siens en danger, et un combat pourrait s’engager. Mais Jugurtha, informé par des déserteurs de ce qui se préparait, prévient Métellus par des marches forcées. Il invite les habitants à défendre leurs murs, et leur donne les déserteurs pour les aider : c’était ce qu’il y avait de plus solide dans les troupes royales, parce qu’ils ne pouvaient trahir impunément. Il leur promet en outre que le moment venu, il sera présent avec une armée. L’affaire ainsi réglée, il s’éloigne et s’enfonce dans des terrains où l’on peut aisément se cacher. Peu après, il apprend que Marius, changeant de route, a été envoyé avec quelques cohortes pour s’approvisionner de blé à Sicca, la première ville qui, après la défaite, avait abandonné la cause royale. Il gagne cette ville, de nuit, avec des cavaliers d’élite, et, au moment où les Romains en sortaient, sur la porte même, il engage le combat : d’une voix forte, il demande aux habitants d’envelopper les cohortes en passant derrière : la fortune, leur donne l’occasion d’un exploit ; s’ils l’accomplissent, ils vivront désormais sans crainte, lui dans son royaume, eux dans leur indépendance. Si Marius n’avait hâté sa marche et n’était promptement sorti de la ville, tous les habitants de Sicca, ou du moins une bonne partie auraient certainement abandonné sa cause ; tant sont changeants les sentiments des Numides ! Les soldats de Jugurtha, soutenus un moment par la vue de leur roi, s’enfuient en tous sens, quand l’ennemi les presse avec un peu de vigueur, et ils ne subissent que des pertes légères. LVII. — Marius arrive à Zama. Cette place, située au milieu d’une plaine, devait ses moyens de défense moins à la nature qu’au travail des hommes : rien n’y manquait de ce qu’il faut pour la guerre, elle regorgeait d’armes et de soldats. Métellus, tenant compte des circonstances et du terrain, procède avec son armée à un investissement complet, et il fixe à chacun de ses lieutenants son poste et son rôle. Puis, à un signal donné, d’immenses cris s’élèvent de part et d’autre, sans que les Numides en soient effrayés ; ils restent menaçants, l’œil ouvert, sans se débander ; le combat commence. Chaque Romain agit suivant son caractère : les uns luttent de loin avec des balles ou des pierres, les autres se glissent sous les murs pour les saper ou les franchir avec des échelles, ils brûlent d’en venir aux mains. En face, les défenseurs font rouler des roches sur les plus rapprochés, lancent sur eux des pieux et des javelots enflammés, de la poix mélangée de soufre et de résine. Ceux là mêmes qui étaient demeurés loin ne trouvent pas un abri dans leur lâcheté : presque tous sont blessés par les traits que lancent les machines ou la main des ennemis ; le danger, sinon la gloire, était le même pour le brave et pour le lâche. LVIII. — Pendant qu’on se bat ainsi sous les murs de Zama, Jugurtha, à l’improviste, se jette sur le camp ennemi avec de grandes forces ; il profite de la négligence de ceux qui en avaient la garde et s’attendaient à tout, plutôt qu’à une attaque ; il force une porte. Les nôtres, frappés d’une épouvante subite, cherchent à se sauver, chacun suivant sa nature : tel fuit, tel autre prend ses armes, la plupart sont blessés ou massacrés. Dans toute cette foule, il n’y eut guère que quarante hommes pour se souvenir qu’ils étaient Romains : ils se groupèrent, occupèrent un petit monticule, d’où toutes les forces de l’ennemi ne purent les chasser ; les traits qu’on leur lançait de loin, ils les renvoyaient le plus souvent avec succès, étant donné l’épaisseur de la masse ennemie. Si les Numides s’approchaient un peu, les quarante montraient toute leur valeur et, avec la plus grande vigueur, taillaient, dispersaient, mettaient en fuite leurs assaillants. Cependant au moment le plus dur, Métellus entend derrière lui les clameurs ennemies ; il tourne bride et voit des fuyards venir de son côté, preuve que c’étaient des compatriotes ; il envoie donc en hâte et sans délai vers le camp toute sa cavalerie, et, avec les cohortes alliées, Marius, qu’il supplie en pleurant, au nom de leur amitié et de la république, de ne pas laisser une armée victorieuse subir un pareil outrage et l’ennemi échapper à une punition méritée. Marius se conforme sans retard à ces instructions. Jugurtha, empêtré dans les retranchements du camp, voyant les siens ou franchir les fossés ou s’embarrasser dans leur hâte à sortir par des passages trop étroits, se retire, après des pertes sévères, sur de bonnes positions. Métellus, sans avoir réussi, rentre, à l’approche de la nuit dans son camp avec son armée. LIX. — Le lendemain, avant de sortir du camp pour reprendre l’assaut, Métellus envoie toute sa cavalerie prendre position devant le camp, à l’endroit où Jugurtha avait paru ; il partage entre les tribuns la garde des portes et des lieux voisins, revient ensuite vers la ville et, comme la veille, tente l’assaut du mur. Jugurtha bondit hors de sa cachette et se jette sur les nôtres. Les plus rapprochés, un moment épouvantés, se débandent, les autres viennent bien vite les soutenir. Les Numides n’auraient pas résisté longtemps, si leurs fantassins mêlés aux cavaliers, ne nous eussent, dans le choc, fait subir de grosses pertes. Appuyée sur l’infanterie, leur cavalerie ne fit pas comme d’ordinaire des charges, puis des bonds en arrière ; elle s’élança en niasse, brisant les rangs, semant le désordre ; et ainsi elle livra à l’infanterie légère un ennemi déjà presque défait. LX. — Au même moment, devant Zama, la lutte battait son plein. Là où avaient été placés des lieutenants ou des tribuns, l’effort était particulièrement âpre ; chacun ne comptait que sur soi ; les assiégés n’étaient pas moins actifs ; sur tous les points, c’était l’attaque ou la défense ; on était plus ardent à blesser l’ennemi, qu’à se garantir de ses traits ; partout, des cris mêlés d’exhortations, de clameurs d’allégresse, de gémissements ; le bruit des armes montait jusqu’au ciel, les flèches volaient de part et d’autre. Les défenseurs de la ville, quand les Romains ralentissaient un peu l’attaque, ne quittaient pas des yeux le combat de cavalerie. Suivant les succès ou les revers de Jugurtha, on pouvait observer leur joie ou leurs craintes ; comme si les leurs pouvaient les voir ou les entendre, ils leur envoyaient avertissements ou encouragements, leur faisaient des signes de la main, donnaient à leur corps toutes sortes d’attitudes, celles de gens qui cherchent à éviter des traits ou en lancent. Marius s’en aperçoit - c’est lui qui commandait de ce côté - ; il ralentit son action, en homme qui n’a pas confiance, et laisse, sans les troubler, les Numides contempler la bataille de leur roi. Puis quand ils sont occupés par le spectacle, brusquement il lance un furieux assaut. Déjà ses soldats, sur des échelles, avaient presque atteint le sommet : les assiégés accourent et lancent pierres, feux, traits de toute espèce. Les nôtres résistent d’abord ; mais une, puis deux échelles se brisent, ceux qu’elles portaient sont précipités, et tous les autres filent comme ils peuvent, quelques-uns sans mal, la plupart grièvement blessés. Enfin, des deux parts, la nuit met fin à la lutte. LXI - Métellus constate la vanité de son entreprise impossible de prendre la ville ; Jugurtha ne consent à se battre que par surprise ou sur un terrain favorable ; de plus l’été va finir. Métellus s’éloigne de Zama et met garnison dans les villes qui s’étaient livrées à lui et étaient défendues ou parleur position ou par de bonnes murailles. Le reste de l’armée, il l’envoie prendre ses quartiers d’hiver dans la partie de la province romaine la plus proche de la Numidie. Mais il ne fait pas comme d’autres généraux, qui laissent le temps se perdre dans l’oisiveté et les plaisirs ; et, puisque la guerre n’avance pas par les armes, il songe à user des amis du roi pet le prendre au piège et à demander des armes à la trahison. On se rappelle ce Bomilcar, qui avait été à Rome avec Jugurtha et, après avoir donné des cautions, s’en était secrètement enfui, quand il avait été poursuivi pour le meurtre de Massiva. Uni au roi par des liens étroits, il avait cent moyens de le trahir : c’est lui que Métellus entreprend par maintes promesses ; il réussit d’abord à l’appeler secrètement à lui pour l’entretenir ; il lui engage sa parole que si Jugurtha est livré mort ou vif, le Sénat lui accordera et l’impunité et la libre possession de tous ses biens ; il n’a pas de peine à le convaincre : c’était un homme de mauvaise foi, et qui craignait que, le jour où on ferait la paix avec Rome, sa mort ne figurât parmi les conditions du traité. LXII - Bomilcar, à la première occasion favorable, aborde Jugurtha, qu’il trouve anxieux et inquiet sur son sort. Il lui demande, il le conjure en pleurant’ de penser enfin à lui, à ses enfants et au peuple numide, qui s’est toujours si bien comporté ; toutes les rencontres avec les Romains ont été des défaites, le pays a été dévasté ; les prisonniers, les morts ne se comptent pas ; le royaume s’est appauvri ; trop souvent on a mis à l’épreuve le courage des soldats et la fortune ; que Jugurtha prenne garde, pour peu qu’il tarde, les Numides eux-mêmes veilleront à leur salut. Par ces propos et d’autres semblables, il amène Jugurtha à se rendre. On envoie des députés chargés d’affirmer au général romain que le roi se soumettra aux ordres donnés et livrera sans réserve à la loyauté de son ennemi sa personne et son royaume. En toute hâte Métellus convoque tous les personnages de l’ordre sénatorial qui se trouvaient dans les quartiers d’hiver, d’autres citoyens qualifiés, et forme ainsi un conseil de guerre. En conformité d’un décret rendu par ce conseil, suivant la forme ancienne, Métellus ordonne à Jugurtha, représenté par ses députés, de livrer deux cent mille livres pesant d’argent, tous ses éléphants, des chevaux et des armes. La livraison se fait sans retard. Le général demande que tous les déserteurs lui soient remis enchaînés. L’ordre est presque entièrement exécuté : quelques déserteurs seulement, au moment où avaient commencé les pourparlers, avaient fui en Mauritanie, chez le roi Bocchus. Dépouillé de ses armes, de ses hommes et de son argent, Jugurtha est lui-même appelé aux ordres à Tisidium ; le voici, une fois encore, qui sent fléchir ses résolutions ; la conscience de ses crimes lui en fait redouter le châtiment. Il passe plusieurs jours à ne savoir que faire : tantôt, par dégoût de sa situation précaire, il préfère à la guerre n’importe quelle solution ; tantôt il se dit que la chute sera bien lourde du trône dans l’esclavage, et qu’il a vainement sacrifié tant de riches ressources ; bref, il décide de reprendre les hostilités. Et pendant ce temps, à Rome, le Sénat, procédant au partage des provinces, maintenait Métellus en Numidie. LXIII. — A peu près à cette époque, il se trouva que Marius, faisant à Utique un sacrifice aux dieux, entendit un haruspice lui prédire un grand et merveilleux destin : tout ce à quoi il pensait lui réussirait, avec l’aide des dieux ; il pouvait, aussi souvent qu’il le voudrait, faire l’épreuve de la fortune, toujours l’événement répondrait à son attente. Or, depuis longtemps déjà, le consulat était l’objet de ses plus violents désirs ; il y avait tous les titres, hormis l’ancienneté de sa famille : activité, honnêteté, grand talent militaire, une belle âme guerrière, de la modération dans la paix, le mépris des jouissances et de l’argent, la seule passion de la gloire. Il était né à Arpinum, où s’était écoulée toute son enfance ; dès qu’il eut l’âge d’être soldat, il s’engagea, plutôt que de cultiver l’éloquence grecque et les élégances mondaines ; et ainsi une noble activité l’empêcha de se gâter et bien vite le rendit fort. Aussi, lorsqu’il posa sa candidature au tribunat militaire, les électeurs, sans l’avoir jamais vu, le connaissaient-ils de réputation, et il fut élu par toutes les tribus. Puis il obtint, l’une après l’autre, toutes les magistratures, et, dans chacune, il se comporta de façon à paraître mériter mieux que ce qu’il avait. Pourtant cet homme, jusqu’alors grand dans la suite son ambition causa sa chute - n’osait pas briguer le consulat. A ce moment encore, les plébéiens arrivaient bien aux autres magistratures, mais les nobles se transmettaient de main en main le consulat. Un homme nouveau, même illustre, même hors de pair par ses exploits, semblait indigne de cet honneur ; sa naissance était une tache. LXIV. — Marius, voyant les paroles de l’haruspice concorder avec ses désirs, demande à Métellus un congé pour aller poser sa candidature. Sans doute ce dernier excellait en vertu, en gloire, dans tous les mérites qui sont le lot de l’homme de bien ; mais il avait aussi un orgueil fait de mépris, vice commun à toute la noblesse. Aussi, choqué d’une démarche si insolite, s’étonne-t-il d’un pareil projet ; sur un ton amical, il invite son lieutenant à ne pas se lancer dans une si piètre entreprise et à ne pas viser plus haut que sa condition ; tous les hommes ne doivent pas avoir mêmes désirs, et ce qu’il a doit lui suffire ; il vaut donc mieux ne pas demander au peuple ce qu’on aurait raison de lui refuser. Il continua encore sur ce ton sans fléchir la résolution de Marius, et finit par déclarer que, lorsque les affaires publiques le permettraient, il lui accorderait le congé demandé. Marius dans la suite renouvela fréquemment sa demande ; Métellus, dit-on, l’invita à ne pas se montrer si pressé de partir : "Il sera temps pour toi, lui dit-il, de demander le consulat, quand mon fils pourra s’y présenter." Or, à cette époque, ce jeune homme faisait son service sous les ordres de son père, et avait à peu prés vingt ans. Ces propos rendaient plus vif le goût de Marius pour la magistrature qu’il convoitait et allumaient en lui un violent ressentiment contre Métellus. Il se laisse aller à la passion et à la colère, ces détestables conseillères, et saisit toutes les occasions d’accroître, en actes ou en paroles, sa popularité ; aux soldats qu’il commande dans leurs quartiers d’hiver il accorde une discipline plus douce ; aux gens d’affaires, nombreux à Utique, il tient sur la guerre des propos où la critique se mêle à la vantardise : qu’on mît à sa disposition la moitié seulement des troupes, et quelques jours lui suffiraient pour enchaîner Jugurtha ; c’est à dessein que le général faisait durer la guerre ; il avait la vanité et l’orgueil d’un roi et était trop heureux d’exercer le pouvoir. Ces paroles semblaient avoir d’autant plus de poids, que la longueur des hostilités faisait du tort aux intérêts particuliers et que, au jugement des impatients, on ne va jamais assez vite. LXV. — Il y avait alors dans notre armée un Numide nommé Gauda, fils de Manastabal, petit-fils de Masinissa, que Micipsa avait, dans son testament, inscrit comme héritier en second ; accablé de maladies, il en avait l’esprit un peu affaibli. Il avait demandé à Métellus d’avoir son siège à côté du sien, comme on fait aux rois, et, pour sa garde, un escadron de cavaliers romains ; Métellus avait répondu par un double refus : l’honneur d’un siège à côté du consul était accordé seulement à ceux que le peuple romain appelait rois, et il serait humiliant pour des cavaliers romains de servir de satellites à un Numide. Marius profite de sa fureur pour l’entreprendre ; il l’incite à s’appuyer sur lui pour tirer vengeance de l’outrage du général ; il exalte par des paroles flatteuses cette tête affaiblie par le mal : après tout, il est roi, il est un grand homme, il est le petit-fils de Masinissa ; si l’on réussit à prendre ou à tuer Jugurtha, c’est à lui que, tout de suite, reviendra le trône de Numidie ; et c’est ce qui arriverait bien vite, si Marius lui-même était consul et chargé de la guerre. Ainsi Gauda et les chevaliers romains, soldats ou hommes d’affaires, poussés, les uns par Marius, presque tous par l’espoir d’une paix prochaine, écrivent à leurs amis de Rome, pour dénigrer les opérations militaires de Métellus et réclamer Marius comme général. Ainsi, se formait, entre beaucoup d’électeurs, une coalition, d’ailleurs honorable, pour pousser Marius au consulat. A ce moment-là précisément la plèbe, en face d’une noblesse affaiblie par la loi Mamilia, prônait les hommes nouveaux. Tout favorisait Marius. LXVI -- Jugurtha, ayant renoncé à se soumettre, recommence les hostilités ; sans perdre de temps il se prépare avec le plus grand soin, rassemble une armée, rallie à sa cause, par la terreur ou l’appât des récompenses, les cités qui l’avaient abandonné, fortifie ses positions, refait ou achète les armes d’attaque, de défense et tout ce dont l’espérance de la paix l’avait privé, séduit les esclaves romains, cherche à gagner à prix d’or nos garnisons, bref, ne laisse rien en dehors de son action, sème partout le désordre et l’agitation. A Vaga, où Métellus avait mis garnison, lors de ses premiers pourparlers avec Jugurtha, les principaux habitants, lassés des supplications du roi, à qui d’ailleurs ils n’avaient jamais été vraiment hostiles, finirent par comploter en sa faveur ; le peuple inconstant, comme toujours, et surtout chez les Numides, aspirait au désordre et à la discorde par amour de la révolution et aversion pour les situations calmes et tranquilles. Toutes dispositions prises, on s’entendit pour agir trois jours plus tard : le jour choisi était une fête, célébrée dans toute l’Afrique, et qui promettait des jeux et des réjouissances, plutôt que des violences. Ce jour-là les centurions, les tribuns militaires, le commandant même de la place, T. Turpilius Silanus sont invités de différents côtés. Tous, sauf Turpilius, sont égorgés pendant le repas. Les soldats se promenaient dans la ville, sans armes, ce qui se comprend un pareil jour, où n’avait été donnée aucune consigne ; ils sont attaqués eux aussi. Les plébéiens prennent part au coup de main, les uns mis au courant par les nobles, les autres excités par leur goût naturel du désordre ; sans savoir ce qui se passait ou ce qu’on projetait, il leur suffisait que la situation fût troublée et révolutionnaire. LXVII. — Les soldats romains, ne comprenant rien à ce coup imprévu et ne sachant que faire, s’élancent en désordre vers la citadelle, où étaient leurs enseignes et leurs boucliers ; ils y rencontrent une troupe ennemie ; les portes fermées les empêchent de fuir. Et puis, les femmes et les enfants, perchés sur le toit des maisons, leur jettent à qui mieux mieux des pierres et tout ce qui leur tombe sous la main. Ils ne savent comment se garantir de ce double danger ; les plus courageux ne peuvent résister aux attaques du sexe faible ; bons et mauvais, braves et lâches sont massacrés sans défense possible. Dans cette situation désespérée, avec les Numides qui s’acharnent et dans cette ville close de toutes parts, seul de tous les Italiens, Turpilius le commandant put s’échapper sans blessure. Son hôte eut-il pitié de lui ? S’était-il entendu avec lui ? fut-ce le hasard ? Je n’en sais rien. Mais lorsque, dans une telle calamité, un homme préfère une vie honteuse à un nom sans tache, je l’estime malhonnête et méprisable. LXVIII. — Métellus, informé des événements de Vaga, est désespéré et ne se laisse pas voir de quelques jours. Puis, la colère se mêlant au chagrin, il prépare tout pour aller sans retard venger son injure. Il prend la légion avec laquelle il hivernait et le plus possible de cavaliers numides ; il les emmène sans bagages au coucher du soleil. Le lendemain, vers neuf heures, il arrive dans une plaine, bordée de petites collines. Ses soldats étaient harassés par la longueur de la route et déjà allaient refuser d’avancer ; il leur dit que Vaga n’est plus qu’à mille pas et qu’ils doivent volontiers s’imposer encore une légère fatigue pour venger leurs concitoyens, aussi malheureux que braves ; il ne manque pas de faire luire à leurs yeux l’espoir du butin. Il leur redonne ainsi de l’énergie, place en tête sa cavalerie sur un large front, derrière, l’infanterie en rangs bien serrés, avec ordre de dissimuler les drapeaux. LXIX. — Les habitants de Vaga, apercevant une armée en marche vers leur ville, crurent d’abord avoir affaire à Métellus, ce qui était vrai, et ils fermèrent leurs portes. Puis ils observent qu’on ne dévaste pas la campagne ^t que des cavaliers numides sont en tête de la troupe. Ils croient alors à l’arrivée de Jugurtha et, avec de grands transports de joie, marchent à sa rencontre. Tout à coup, à un signal donné, cavaliers et fantassins massacrent la foule répandue au dehors, se précipitent aux portes, s’emparent des tours ; fureur, espérance du butin sont plus fortes que la lassitude. Deux jours seulement, les habitants de Vaga avaient pu jouir de leur perfidie. Tout, dans cette grande et riche cité, fut livré au massacre et au pillage. Turpilius, le commandant de la place, qui, nous l’avons dit, avait seul pu s’enfuir, fut invité par Métellus à se justifier ; il y réussit assez mal. Condamné et battu de verges, il eut la tête tranchée ; c’était un citoyen latin. LXX. — A peu prés au même moment, Bomilcar, qui avait poussé Jugurtha à une soumission dont la crainte lui avait fait ensuite abandonner l’idée, s’était rendu suspect au roi, qu’il suspectait lui-même ; il voulait du nouveau et cherchait un moyen détourné de perdre le prince ; jour et nuit, son esprit était en quête. Enfin, après plusieurs tentatives, il s’assura la complicité de Nabdalsa, un noble très riche, connu et aimé de ses concitoyens ; d’ordinaire ce Nabdalsa commandait une division séparée de l’armée royale et remplaçait Jugurtha dans toutes les affaires que lui abandonnait le roi, lorsqu’il était fatigué ou occupé de questions plus graves : cette situation lui avait valu gloire et richesse. Tous deux s’entendent : on fixe le jour du complot ; pour le reste, les circonstances dicteront, au moment même, la conduite à suivre. Nabdalsa part pour l’armée, qu’il avait reçu l’ordre de poster près des quartiers d’hiver des Romains, pour intervenir si ceux-ci dévastaient les terres cultivées. Mais, bouleversé par l’énormité de son crime, il n’arriva pas à l’heure dite, et ses craintes empêchèrent l’affaire d’aboutir. Bomilcar au contraire avait hâte d’en finir ; les hésitations de son complice l’inquiètent, il suppose qu’à la première combinaison Nabdalsa en a substitué une autre ; alors, par des hommes sûrs, il lui écrit pour lui reprocher sa mollesse et sa lâcheté ; il lui rappelle son serment fait au nom des dieux ; il ne faudrait pas que les récompenses promises par Métellus tournent à leur perte. Jugurtha est à bout : la seule question est de savoir s’il périra par leur main ou par celle de Métellus. Bref le problème se ramène à choisir entre la récompense et le supplice : à lui d’aviser. LXXI. — Au moment où on lui avait apporté la lettre, Nabdalsa venait de faire de la gymnastique, et, fatigué, se reposait sur son lit. Les propos de Bomilcar l’inquiétèrent d’abord, puis, comme il arrive dans les moments d’abattement, il s’endormit. Il avait, pour s’occuper de ses affaires, un Numide fidèle, dévoué, au courant de tous ses projets, le dernier excepté. Cet homme apprit qu’une lettre était venue : comme d’ordinaire, il pensa qu’on pouvait avoir besoin de son aide ou de ses avis, et il entra dans la tente. La lettre était au-dessus de la tête du dormeur, sur un coussin, posée au hasard ; il la prend, la lit jusqu’au bout, et apprenant le complot, court en toute hâte chez le roi. Peu après, Nabdalsa se réveille, ne retrouve plus sa lettre et comprend tout ce qui s’est passé. Il cherche d’abord à poursuivre son dénonciateur, puis, n’y réussissant pas, il se rend chez Jugurtha afin de le calmer : il lui dit que la perfidie de son serviteur l’a prévenu dans la démarche qu’il comptait faire lui-même, et, en versant des larmes, il supplie le roi, en attestant son amitié et sa loyauté antérieure, de ne pas le supposer capable d’un tel crime. LXXII. — A ces protestations le roi répondit avec calme, sans laisser voir ses véritables sentiments. Il avait fait exécuter Bomilcar avec plusieurs de ses complices, et il avait étouffé sa colère, dans la crainte de voir ses partisans l’abandonner. Dès lors, Jugurtha ne connut de tranquillité ni jour ni nuit ; de tout, lieux, gens, heures du jour, il se défiait ; il redoutait ses compatriotes autant que ses ennemis, tournait sur toutes choses un œil inquiet, tremblait au moindre bruit, dormait la nuit dans des endroits différents, souvent sans même tenir compte de son rang ; parfois s’éveillant brusquement, il se jetait sur ses armes, faisait lever tout le monde, et était agité de terreurs qui ressemblaient à de la folie. LXXIII. — Métellus apprend, par des transfuges, la mort de Bomilcar et la découverte de la conjuration ; alors, comme pour une guerre entièrement nouvelle, il fait en hâte ses préparatifs. Marius le harcelait pour partir ; estimant qu’un homme gardé malgré lui et qui ne l’aimait pas lui serait d’un mince secours, il lui donne l’autorisation. A Rome, la plèbe avait lu les lettres envoyées sur Métellus et Marius, et avait volontiers accepté ce qu’on y disait de l’un et de l’autre. La noblesse du général, qui était jusqu’alors un de ses titres à la considération, excitait maintenant l’irritation populaire ; l’humble origine de Marius lui valait la faveur publique. D’ailleurs, les jugements portés sur l’un et l’autre s’inspiraient plus de l’esprit de parti que des mérites ou des défauts de chacun. De plus, des magistrats factieux excitaient la foule, accusaient, dans toutes les assemblées, Métellus de crimes capitaux, célébraient sans mesure les qualités de Marius. La plèbe était si échauffée, que les ouvriers et les paysans, dont le travail manuel est la seule richesse et l’unique ressource, cessaient de travailler pour suivre Marius et sacrifiaient leur propre intérêt pour assurer son succès. C’est ainsi qu’au profond mécontentement de la noblesse, et après pas mal de troubles, le consulat fut conféré à un homme nouveau. Le tribun de la plèbe. T Manlius Mancinus demanda ensuite à qui le peuple entendait confier la guerre contre Jugurtha : la majorité se prononça pour Marius. Un peu plus tôt, le Sénat avait choisi Métellus : sa décision fut nulle et non avenue. LXXIV. — Jugurtha avait alors perdu ses amis ; il les avait lui-même massacrés en grande partie ; la crainte avait fait fuir les autres, soit chez les Romains, soit chez le roi Bocchus. Or, il lui était bien difficile de faire la guerre sans lieutenants, et il jugeait qu’il était chanceux d’expérimenter la loyauté de nouveaux amis, quand les anciens l’avaient si indignement trompé : de là, son inquiétude et sa perplexité. Des faits, des projets, des hommes il était mécontent. Chaque jour, il changeait de route et de lieutenants, tantôt marchant contre l’ennemi, tantôt s’enfonçant dans les déserts, mettant son espoir d’abord dans la fuite, un instant après dans les armes, se demandant s’il devait plus se défier du courage que de la loyauté de ses peuples ; partout où se portait son attention, le destin lui était contraire. Au milieu de ces hésitations, il rencontre tout à coup Métellus avec son armée. Tenant compte des circonstances, il prépare et dispose ses Numides ; puis le combat commence. La bataille se prolongea un peu, là où il se trouvait lui-même ; partout ailleurs, ses soldats furent, au premier choc, repoussés et mis en fuite. Les Romains prirent un bon nombre de drapeaux et d’armes ; ils firent peu de prisonniers ; presque toujours dans les combats, les Numides doivent leur salut à leur vitesse plus qu’à leurs armes. LXXV. — Cette débâcle plongea Jugurtha dans un découragement profond ; avec les déserteurs et une partie de sa cavalerie il entra dans le désert, puis arriva à Thala, grande et riche cité, où se trouvaient presque tous ses trésors et aussi ses fils, avec tout leur train de maison. Métellus l’apprend : il n’ignorait pas qu’entre Thala et la rivière la plus proche, s’étendait un désert inculte de cinquante milles ; cependant, dans l’espoir d’en finir au cas où il prendrait la ville, il veut triompher de toutes les difficultés et vaincre la nature elle-même. Il fait donc enlever aux bêtes de somme leurs fardeaux, ne leur laisse que des sacs de blé pour dix jours, des outres et d’autres vases. Il ramasse dans les champs tout ce qu’il peut en fait d’animaux domestiques, les fait charger de récipients de toute espèce, surtout en bois, pris dans les cabanes numides. Aux peuples voisins qui s’étaient soumis après la fuite de Jugurtha, il ordonne de lui apporter toute l’eau possible et leur fait connaître le jour et l’endroit où ils auront à se tenir à sa disposition. Il charge les bêtes de somme de l’eau de la rivière dont nous avons dit qu’elle était la plus proche de la ville ; et, dans cet équipage, il part pour Thala. Dès qu’il fut arrivé au rendez-vous fixé, et qu’il eut installé et fortifié son camp, la pluie tomba brusquement si abondante, qu’elle eût largement suffi aux besoins de l’armée. D’autre part, les Numides avaient apporté plus d’eau qu’on n’en attendait, comme il arrive aux peuples nouvellement soumis, qui font du zèle et dépassent le but. Les soldats, obéissant à un sentiment religieux, préférèrent user d’eau de pluie et sentirent redoubler leur courage : ils se croyaient l’objet d’une attention des immortels. Et le lendemain, contrairement à ce qu’avait pu croire Jugurtha, ils arrivaient à Thala. Les habitants, se croyant bien en sûreté dans un pays si difficile à traverser, furent abasourdis de cette réussite si complète et si imprévue ; mais ils se préparèrent avec ardeur pendant que les nôtres faisaient comme eux. LXXVI. — Jugurtha jugea que rien n’était impossible à Métellus, du moment où armes, traits, lieux, moments, la nature même, maîtresse de toute chose, tout enfin cédait devant lui. Avec ses enfants et presque toutes ses richesses, il sortit de la ville pendant la nuit. Désormais, il ne resta jamais dans le même endroit plus d’un jour ou d’une nuit ; il prétendait que ses affaires l’obligeaient à se hâter ; en fait, il craignait la trahison, qu’il pensait éviter en allant vite, car, pour trahir, il faut avoir du temps et savoir choisir le moment. Métellus, voyant les habitants décidés à la lutte et leur ville aussi bien défendue par les travaux d’art que par la nature, l’entoure d’un retranchement et d’un fossé ; puis, dans deux endroits qui répondent bien à son objet, il pousse des mantelets, dresse des terrassements destinés à soutenir des tours, faites pour protéger à la fois les travaux d’approche et les hommes. Les habitants répondent par une égale activité, sans perdre de temps, si bien que, d’un côté comme de l’autre, on ne laisse rien à faire. Enfin les Romains, épuisés de peines et de luttes, prirent la ville quarante jours après leur arrivée, mais tout ce qu’il y avait à prendre avait été détruit par les déserteurs. Ces derniers, quand ils avaient vu les béliers battre les murs, avaient compris que, pour eux, l’affaire était mauvaise ; ils avaient porté au palais royal l’or, l’argent, toutes les richesses ; puis ayant bien bu et bien mangé, ils avaient mis le feu au butin, à la maison et à eux-mêmes ; ils se condamnèrent ainsi volontairement au supplice auquel leur défaite les aurait exposés de la part de leurs vainqueurs. LXXVII ---- Au moment même de la prise de Thala, la ville de Leptis envoya demander à Métellus de lui donner une garnison et un gouverneur : un certain Hamilcar, noble factieux, y manifestait une action révolutionnaire, et contre lui l’autorité des magistrats et les lois étaient impuissantes : si on ne prenait de rapides mesures, Leptis et les alliés de Rome seraient sérieusement en danger. Dés le début de la guerre contre Jugurtha, Leptis avait envoyé au consul Bestia, puis à Rome, des députés solliciter un traité d’amitié et d’alliance. Ils l’avaient obtenu et étaient toujours demeurés loyaux et fidèles : ils avaient toujours obéi avec empressement aux ordres de Bestia, d’Albinus et de Métellus. Aussi leur demande fut-elle aisément accueillie par ce dernier, qui leur expédia quatre cohortes de Ligures et C. Annius comme gouverneur. LXXVIII. — Cette ville avait été fondée par des Tyriens qui, à la suite de troubles civils, s’étaient, dit-on, enfuis sur des navires pour venir aborder en ce lieu ; elle est située entre les deux Syrtes, dont le nom vient de cette situation. Ce sont, en effet, deux golfes, presque à l’extrémité de l’Afrique, inégaux en étendue, mais de nature semblable. Tout près de la terre, les eaux sont très profondes ; plus loin, par l’effet du hasard et des tempêtes, ou elles sont profondes ou ce ne sont que des bas-fonds. Quand la mer est grosse et que le vent souffle, le flot entraîne de la boue, du sable, de grosses roches ; et ainsi l’aspect des lieux change avec le vent. Le mot de Syrtes exprime l’idée de traîner. La langue parlée à Leptis s’est récemment modifiée par des emprunts faits au numide ; mais les lois et la manière de vivre sont, dans l’ensemble demeurées tyriennes, d’autant mieux qu’on y est très éloigné de Jugurtha : entre Leptis et la partie peuplée de la Numidie sont de grandes étendues désertiques. LXXIX. — Puisque les affaires de Leptis m’ont conduit à parler de ce pays, il me paraît tout naturel de rappeler l’acte héroïque et admirable de deux Carthaginois : c’est le lieu qui m’en fait souvenir. A cette époque, Carthage était maîtresse de la plus grande partie de l’Afrique, mais Cyrène aussi était puissante et riche. Les territoires qui les séparaient étaient sablonneux, d’aspect uniforme ; il n’y avait ni fleuve, ni montagne pour fixer la frontière ; de là, entre les deux pays, des guerres longues, interminables. Des deux parts, il y eut maintes fois et des légions et des flottes mises en déroute, et les deux peuples finirent par s’user sensiblement l’un l’autre ; alors la peur les prit d’un agresseur qui profiterait de l’accablement des vainqueurs comme des vaincus, et pendant une trêve, ils firent une convention : à un jour fixé, des envoyés partiraient des deux pays ; l’endroit où ils se rencontreraient serait tenu pour la frontière commune des deux nations. En conséquence, deux frères, du nom de Philènes, partirent de Carthage, et, en hâte, poussèrent le plus loin possible ; les Cyrénéens marchèrent plus lentement. Fut-ce apathie ou accident ? je ne le sais pas bien. D’ailleurs, dans ces régions, la tempête, exactement comme en -mer, empêche souvent d’avancer. Quand le vent se lève dans ces plaines dépourvues de toute végétation, il soulève le sable qui, violemment chassé, fouette le visage et remplit les yeux ; on ne voit rien devant soi, et la marche en est ralentie. Les Cyrénéens, se voyant fort en retard et redoutant le châtiment que leur vaudrait, dans leur pays, l’échec de leur mission, accusèrent les Carthaginois d’être partis de chez eux avant l’heure, et ils brouillèrent toute l’affaire ; bref, ils aimèrent mieux n’importe quoi que de repartir ayant eu le dessous. Les Carthaginois leur demandèrent de fixer d’autres conditions, pourvu qu’elles fussent équitables. Alors les Grecs leur proposèrent l’alternative suivante : ou bien les deux frères seraient enterrés vivants sur les frontières qu’ils avaient obtenues pour Carthage ; ou bien ils le seraient eux-mêmes à l’endroit qu’ils choisiraient en continuant leur marche en avant. Les Philènes acceptèrent : ils se sacrifièrent et donnèrent leur vie à leur patrie : ils furent enterrés vivants. Les Carthaginois élevèrent à cette place un autel aux frères Philènes, et d’autres honneurs leur furent rendus à Carthage. Et maintenant, je reviens à mon propos. LXXX. — Après la prise de Thala, Jugurtha comprend qu’il n’y a pas de force capable de résister à Métellus. A travers de grands déserts il part avec quelques hommes et arrive chez les Gétules, peuplade sauvage et barbare, ignorant même à cette époque le nom de Rome. De cette foule éparse il fait un bloc ; il l’habitue petit à petit à marcher en rangs, à suivre les drapeaux, à obéir aux commandements, bref à se façonner aux exercices de guerre. De plus, par de beaux présents et de plus belles promesses, il amène à son parti ceux qui touchaient de près au roi Bocchus et, avec leur aide, entreprend ce roi pour le déterminer à entrer en guerre contre Rome ; résultat obtenu d’autant plus aisément et plus vite, qu’au début des hostilités, Bocchus avait envoyé une députation à Rome demander un traité d’alliance et d’amitié, et que cette offre, alors si avantageuse, avait été repoussée à la suite de l’intervention de quelques hommes aveuglés par la cupidité et habitués à faire marché du bien comme du mal. D’autre part, Jugurtha avait précédemment épousé une fille de Bocchus. Mais le mariage n’est pas chez les Numides et les Maures une chaîne bien lourde, le même individu pouvant, suivant ses ressources, prendre plusieurs femmes, dix et même davantage, et les rois encore plus. Entre cette foule de femmes se partagent les sentiments du mari ; aucune n’est vraiment pour lui une compagne, et il fait aussi peu de cas des unes que des autres. LXXXI. — Les deux armées se réunissent à l’endroit fixé d’avance. Les deux rois engagent leur parole, et Jugurtha, par ses propos, enflamme le cœur de Bocchus : les Romains sont iniques, d’une insondable cupidité, ils sont l’ennemi commun du genre humain ; ils ont, pour faire la guerre à Bocchus, la même raison que pour la faire à lui, Jugurtha, et aux autres peuples : à savoir leur soif d’être les maîtres, qui dresse contre eux tous les empires ; aujourd’hui c’est Jugurtha, hier c’était Carthage, le roi Persée ; si un peuple est fort, il devient un ennemi pour les Romains. A ces griefs, il en ajoute d’autres du même genre ; puis tous deux marchent vers la place de Cirta où Métellus avait accumulé butin, prisonniers et bagages. Jugurtha pensait que la prise de la ville serait pour lui une bonne opération, ou, si Métellus venait la secourir, que les forces adverses se rencontreraient dans un combat. Ce que voulait surtout le rusé personnage, c’était mettre fin à l’état de paix entre Rome et Bocchus, pour que de nouveaux délais ne permissent pas à celui-ci d’autre issue que la guerre. LXXXII. -- Quand le général romain connut l’alliance des deux rois, il ne voulut pas engager la bataille au hasard, ni, comme il avait pris l’habitude de le faire après les nombreuses défaites de Jugurtha, dans un endroit quelconque. II fortifia son camp non loin de Cirta, et y attendit ses adversaires, dans la pensée qu’il valait mieux bien connaître les Maures, ces nouveaux ennemis, pour engager la bataille dans les meilleures conditions. Une lettre de Rome lui apprit que Marius avait obtenu la province de Numidie ; il savait déjà sa nomination au consulat. Dans sa consternation, il ne garda ni raison, ni dignité ; il ne put ni retenir ses larmes, ni surveiller sa langue ; cet homme, si grand par ailleurs, était faible à l’excès devant le chagrin. Certains attribuaient cet état à son orgueil, d’autres à la colère que cause un affront à une âme bien née, beaucoup au dépit de se voir ravir une victoire déjà acquise. Pour moi, je suis assuré qu’il fut tourmenté, moins de l’honneur conféré à Marius, que de l’injustice qui lui était faite ; et il aurait eu, je crois, moins de peine, si la province dont on le privait avait été donnée à un autre qu’à Marius. LXXXIII. — Entravé dans son action par son chagrin, et trouvant stupide de s’exposer pour une affaire qui ne le regardait plus, il envoie une députation à Bocchus pour lui demander de ne pas se poser, sans motifs, en ennemi de Rome, avec laquelle il a au contraire une belle occasion de conclure alliance et amitié ; un traité vaudra mieux que la guerre ; quelque confiance qu’il ait dans sa force, il ferait bien de ne pas changer le certain pour l’incertain ; rien de plus facile que de commencer une guerre, rien de plus pénible que d’y mettre fin ; le début et l’issue ne sont pas au pouvoir du même homme ; n’importe qui, un lâche même, peut commencer ; mais la fin dépend du bon vouloir du vainqueur ; bref, Bocchus devrait songer à lui et à son trône, et ne pas associer sa prospérité actuelle à la situation désespérée de Jugurtha. Le roi répondit sur un ton assez modéré : pour lui, il désirait la paix ; mais les misères de Jugurtha l’avaient ému ; si à celui-ci étaient accordées les mêmes facilités qu’à lui-même, tout s’arrangerait. A ces demandes le général répondit par de nouvelles propositions portées par des délégués ; Bocchus, accepta les unes, écarta les autres. Et ainsi le temps passa en propositions et contrepropositions, et, par la volonté de Métellus, les opérations furent suspendues. LXXXIV. — Marius porté, nous l’avons dit, au consulat par l’ardente volonté de la plèbe et chargé par le peuple de la province de Numidie, redoubla de violence dans ses attaques contre la noblesse, dont il était depuis longtemps l’ennemi ; il s’en prenait aux nobles, tantôt individuellement, tantôt en bloc, répétant que sa victoire au consulat était comme une proie arrachée au vaincu ; il parlait de lui-même avec grandiloquence, et d’eux avec mépris. En attendant, la guerre était sa première préoccupation, il réclamait pour les légions un supplément d’effectifs, demandait des troupes auxiliaires aux peuples et aux rois alliés, tirait du Latium d’excellents soldats, qu’il connaissait, la plupart pour les avoir vus lui-même, quelques-uns de réputation, et, par ses instances, déterminait des soldats libérés à reprendre du service pour partir avec lui. Et le Sénat, quelque hostile qu’il lui fût, n’osait rien lui refuser. Il avait même eu plaisir à voter les suppléments d’effectifs demandés, dans la pensée que la plèbe rechignerait au service militaire, et que Marius ou n’aurait pas les moyens de faire la guerre, ou s’aliénerait la faveur populaire. Vaine espérance f c’était, chez presque tous, une vraie fureur de partir avec lui. Chacun se flattait de revenir, riche du butin conquis, de rentrer chez lui en vainqueur, et roulait dans son esprit mille pensées de ce goût ; et un discours de Marius n’avait pas peu fait pour entretenir cette fièvre. En effet, quand le vote des décrets qu’il avait sollicités lui permit de procéder à l’enrôlement des soldats, il convoqua le peuple en assemblée, pour l’exhorter, et aussi pour attaquer la noblesse, suivant son habitude. Il s’exprima ainsi : LXXXV. — "Je sais, citoyens, qu’en général on n’emploie pas les mêmes procédés pour vous demander le pouvoir et, après l’avoir obtenu, pour l’exercer ; on est d’abord actif, modeste, on a l’échine souple ; et puis on ne fait rien, tout en se montrant plein de morgue. Ce n’est pas là ma manière. Si la république entière est tout autre chose qu’un consulat ou une préture, il faut plus d’application pour l’administrer que pour solliciter ces magistratures. Je n’ignore pas tout ce que m’impose de travail votre très grande bienveillance. Préparer la guerre et en même temps économiser ; forcer au service des gens à qui on ne voudrait pas être désagréable ; veiller sur tout à Rome et au dehors, et cela, au milieu des jaloux, des opposants, des partis contraires, c’est une tâche, citoyens, plus rude qu’on ne peut croire. Les autres, s’ils se trompent, sont défendus par l’ancienneté de leur noblesse, les exploits de leurs ancêtres, la situation de leurs parents et de leurs proches, leur grosse clientèle ; moi, c’est en moi seul que je mets toutes mes espérances ; et mes seuls appuis sont mon mérite et ma probité ; tout le, reste est sans force. Je le comprends, citoyens, toits les yeux sont fixés sur moi : les citoyens justes et honnêtes me soutiennent - ils savent que la république est intéressée à mon succès - ; la noblesse ne cherche qu’une occasion de m’attaquer. Il me faut donc redoubler d’efforts pour vous empêcher d’être victimes et pour frustrer les nobles de leurs espérances. Depuis mon enfance jusqu’à ce jour, j’ai eu l’habitude des fatigues et des dangers. Ce que je faisais pour rien avant d’avoir éprouvé votre bienveillance, je n’ai pas le dessein d’y renoncer, maintenant, citoyens, que vous m’en avez récompensé. Il est difficile d’user du pouvoir avec modération quand c’est par ambition qu’on a feint d’être honnête. Mais chez moi, qui toute ma vie ai pratiqué la vertu, l’habitude du bien est devenue naturelle. Vous m’avez confié la direction de la guerre contre Jugurtha, décision dont la noblesse est furieuse. Réfléchissez, je vous prie : ne vaudrait-il pas mieux vous déjuger et prendre, dans ce bloc de la noblesse, pour lui donner cette charge ou telle autre semblable, un homme de souche ancienne, qui ait de nombreuses statues d’ancêtres, sans jamais avoir été soldat ? Dans une tâche de cette importance, il ignorerait tout, tremblerait, se démènerait, et irait enfin chercher dans le peuple quelqu’un pour lui apprendre son métier. Généralement, celui que vous avez choisi pour exercer le commandement suprême, essaie d’en trouver un autre qui lui commande à lui-même. J’en connais, citoyens, qui ont attendu d’être nommés consuls pour lire l’histoire de nos pères et les leçons militaires des Grecs, faisant ainsi tout à rebours ; sans doute on exerce une magistrature, après y avoir été appelé ; mais en fait, il faut, d’abord, par une action continue, s’y être préparé. Maintenant, citoyens, à ces hommes pleins de superbe comparez l’homme nouveau que je suis. Ce qu’ils ont appris par ouï-dire ou par les lectures, je l’ai vu, moi, ou bien je l’ai fait ; ce qu’ils savent par des livres, je le sais, moi, par mes campagnes. A vous de dire ce qui vaut mieux, les actes ou les paroles. Ils méprisent ma basse origine, je méprise leur lâcheté ; on m’objecte, à moi, un accident du hasard, d eux leur malhonnêteté. Sans doute, la nature est une, elle est la même pour tous ; mais le plus brave est le mieux né. Et si l’on pouvait demander aux ancêtres d’Albinus ou de Bestia qui, d’eux ou de moi, ils préféreraient avoir pour descendants, quelle serait, à votre avis, leur réponse ? ils voudraient avoir pour fils le plus honnête, S’ils ont raison de me dédaigner, qu’ils dédaignent aussi leurs ancêtres, devenus, comme moi, nobles par leur courage ! Ils m’envient l’honneur que vous m’avez fait ; qu’ils envient donc ma peine, ma probité, les dangers que j’ai courus, puisque c’est par ces moyens que j’ai obtenu cet honneur. Mais, pourris d’orgueil, ils vivent comme s’ils méprisaient les dignités que vous conférez, et, en même temps, ils les briguent, comme si leur conduite était honorable. Certes, leur erreur est grande à vouloir obtenir deux résultats incompatibles, les plaisirs de la paresse et les récompenses de la vertu. Leurs discours, devant nous ou devant le Sénat, sont pleins des éloges de leurs ancêtres ; ils pensent que le rappel de ces grandes actions ajoutera à leur propre illustration. Grave erreur : plus la vie de ceux-là a eu d’éclat, plus la lâcheté de ceux-ci est honteuse. Oui, oui, il en est ainsi : la gloire des ancêtres jette sur leurs descendants une vive lumière ; elle ne laisse dans l’ombre ni les vertus, ni les crimes. Je n’ai point d’ancêtres, je le confesse, citoyens, mais ce qui vaut mieux, je peux parler de ce que j’ai fait. Et vous voyez là toute leur injustice : ils se targuent de mérites qui ne sont pas les leurs, et me refusent celui que je dois à moi seul, probablement parce que je n’ai pas de statues d’ancêtres et que nul des miens n’a été noble avant moi. Mais ne vaut-il pas mieux créer soi-même sa noblesse que d’avilir celle qu’on a reçue ? Je n’ignore certes pas que, s’ils veulent me répondre, il leur sera facile de parler avec abondance et avec art. Mais comme, à propos du témoignage d’extrême bienveillance que vous m’avez donné, ils vont partout nous déchirer, vous et moi, de leurs calomnies, je n’ai pas voulu me taire, afin de ne pas laisser prendre ma modération pour un aveu. J’ai ma conscience pour moi, et aucun propos ne peut me blesser : vrai, il me fait forcément valoir ; faux, il est démenti par ma vie et mon caractère. Mais ce que l’on attaque, c’est la décision par laquelle vous m’avez imposé et l’honneur suprême et une lourde charge ; dès lors, réfléchissez bien, et voyez si vous n’aurez rien à regretter. Je ne peux pas, pour vous donner confiance, étaler sous vos yeux, les images de mes ancêtres, leurs triomphes et leurs consulats ; je puis du moins, s’il le faut, vous montrer mes lances, mon étendard, mes colliers, mes récompenses militaires, surtout mes blessures reçues par devant. Voilà mes images à moi, voilà ma noblesse, non transmise pat héritage, comme la leur, mais acquise par tous mes travaux et tous les dangers que j’ai courus. Mon langage est sans art : c’est peu de chose. Le mérite se suffit à lui-même. Ils ont, eux, besoin d’être habiles, pour voiler leurs turpitudes sous de grands mots. Je n’ai pas appris les lettres grecques ; il ne me plaisait guère de m’en instruire, du moment où je ne voyais pas ceux qui les enseignaient se perfectionner en vertu. ; Mais ce qui a pour l’État plus d’intérêt, cela, je le sais : frapper l’ennemi, tenir un poste militaire, craindre uniquement la mauvaise réputation, accepter également l’hiver et l’été, dormir sur la terre, supporter en même temps le dénuement et la peine. Telles sont les règles que je donnerai à mes soldats ; je ne les tiendrai pas serrés, étant moi-même bien à mon aise ; je n’édifierai pas ma gloire sur leurs fatigues. C’est ainsi qu’on commande dans l’intérêt de tous, ainsi qu’on commande à des citoyens. En effet, vivre dans la mollesse et soumettre son armée à une dure discipline, c’est être un maître, non un général. Par les moyens que je viens de dire et d’autres semblables, vos ancêtres ont couvert de gloire eux et le pays. C’est sur la mémoire de ces grands hommes que s’appuient les nobles d’aujourd’hui, si différents d’eux comme caractère, si pleins de dédain pour nous qui cherchons à les imiter ; ils réclament toutes les dignités, non qu’ils les méritent, mais comme un bien qui leur est dû. Grave erreur de leur orgueil extrême. Leurs ancêtres leur ont laissé tout ce qu’ils pouvaient leur transmettre : argent, statues, glorieux souvenirs ; ils ne leur ont pas laissé leur vertu : c’était impossible, la vertu étant la seule chose qui ne se donne ni ne se reçoive. Ils me traitent d’homme avare et grossier, parce que je suis malhabile à ordonner un repas, que je n’ai pas d’histrion, pas de cuisinier, plus coûteux qu’un métayer. Je l’avoue volontiers. Mon père et aussi d’autres gens de bien m’ont appris qu’aux femmes conviennent les élégances, et la peine aux hommes, que l’honnête homme aime la gloire plus que l’argent, et cherche la beauté dans les armes, et non dans les meubles. Cette existence qui leur plaît et leur est douce, qu’ils la mènent jusqu’au bout ; qu’ils fassent l’amour et boivent ! qu’ils passent leur vieillesse où s’est passée leur adolescence, dans les orgies, esclaves de leur ventre et des parties les plus basses de leur corps ! Qu’ils nous laissent la sueur, la poussière et tout le reste, à nous qui y trouvons plus de plaisirs qu’à tous les festins. Mais non : quand ces êtres infâmes se sont déshonorés par ces honteuses pratiques, ils veulent arracher leur récompense aux gens de bien. Et ainsi - ce qui est un comble d’injustice - ces vices affreux de débauche et de lâcheté, ne portent aucun tort à ceux qui s’y livrent, mais ruinent l’État, qui n’en peut mais. Et maintenant qu’à ces gens-la j’ai fait la réponse que réclamait mon caractère, sinon leur triste conduite, je veux dire quelques mots des affaires. Tout d’abord, au sujet de la Numidie, ayez confiance, citoyens. Tout ce qui, jusqu’à ce jour, a servi Jugurtha, vous l’avez écarté, je veux dire la cupidité, l’impéritie et l’orgueil. De plus, l’armée connaît maintenant le pays ; mais vraiment elle a plus de bravoure que de bonheur, et elle a été, en grande partie, victime de la cupidité ou de la témérité de ses chefs. C’est pourquoi vous, qui avez l’âge d’être soldats, vous devez m’aider à sauver la république, et ne point vous laisser intimider par l’infortune des soldats et la superbe des généraux. Pour moi, dans la marche comme dans la lutte, je serai votre conseiller, l’associé de vos dangers, et, en toutes choses, je vous traiterai exactement comme je me traiterai moi-même. Oui, avec l’aide des dieux, tout est à point : victoire, butin, gloire. Et même si ces biens étaient encore douteux ou lointains, ce serait pour tous les bons citoyens, un devoir de venir en aide à l’État. A personne la lâcheté n’a jamais donné l’immortalité ; les pères ont toujours souhaité à leurs enfants, non une vie éternelle, mais une existence vertueuse et honnête. J’en dirais plus, citoyens, si les mots pouvaient donner du courage aux lâches ; pour les braves, j’estime en avoir assez dit." LXXXVI. — Ayant ainsi parlé et voyant la plèbe raffermie dans ses résolutions, il se hâte d’entasser sur des bateaux vivres, argent pour la solde, armes, bref tout le nécessaire, et, avec ce convoi, fait partir son lieutenant A. Manlius. Pendant ce temps, lui-même lève des troupes, non par classes, comme autrefois, mais au hasard des inscriptions, qui amenaient surtout des prolétaires : résultat dû, selon les uns, au nombre insuffisant d’inscrits appartenant aux hautes classes, selon les autres, à l’ambition du consul, dont la gloire et les succès étaient l’œuvre de ces gens-là. Pour un homme qui veut conquérir le pouvoir, les classes pauvres sont un appui tout indiqué ; rien n’a de prix pour elles, puisqu’elles ne possèdent rien, et tout leur semble honorable, qui leur rapporte quelque chose. Marius part donc pour l’Afrique avec un peu plus de soldats que ne lui en avait accordé le Sénat, et, en quelques jours, aborde à Utique. L’armée lui est remise par le lieutenant P. Rutilius ; car Métellus avait évité de rencontrer Marius, ne voulant pas voir ce dont l’annonce lui avait été intolérable. LXXXVII. — Le consul complète l’effectif des légions et des cohortes auxiliaires, et gagne un pays fertile, riche en butin : toutes les prises, il les abandonne aux soldats ; il s’attaque aux forts et aux places médiocrement défendues par la nature, tenues par une faible garnison ; souvent il livre des combats, d’ailleurs sans importance, ici et là. Les recrues prennent, sans avoir peur, part à la bataille ; elles voient les fuyards pris ou tués, tandis que les braves ne risquent rien, que les armes servent à défendre la liberté, la patrie, la famille, tout enfin, et à obtenir la gloire et la fortune. Ainsi, bien vite, recrues et vétérans se fondent ensemble et sont égaux en courage. Les rois, aussitôt informés de l’arrivée de Marius, partent, chacun de leur côté, pour des endroits d’accès difficile. Ainsi l’avait voulu Jugurtha, dans l’espoir de pouvoir bientôt se jeter sur l’ennemi dispersé, du moment où les Romains, comme il arrive d’ordinaire quand on n’a plus peur, se tiendraient à coup sûr moins sévèrement sur leurs gardes. LXXXVIII - Cependant Métellus, arrivé à Rome, y est, contrairement à son attente, accueilli avec des transports d’allégresse ; l’envie se tait, et il est également cher à la plèbe et aux patriciens. Marius porte à ses affaires comme à celles de l’ennemi une attention active et prudente ; il observe les avantages et les faiblesses des deux camps, cherche à connaître les marches des rois, prévient leurs desseins et leurs traquenards, n’admet chez les siens aucun relâchement, ne leur laisse, à eux, aucune tranquillité. Il avait souvent attaqué les Gétules et Jugurtha revenant chargés de butin pris à nos alliés, et il les avait mis en pièces ; le roi lui-même, non loin de Cirta, avait été dépouillé de ses armes. Constatant que ces rencontres, si elles étaient glorieuses, ne terminaient pas la guerre, il décida d’investir l’une après l’autre les villes dont la garnison ou la position naturelle étaient pour les Numides une force et pour lui un danger ; dès lors Jugurtha serait privé de ses soldats, s’il ne réagissait pas ; dans le cas contraire, il serait obligé de combattre. Quant à Bocchus, il avait souvent envoyé à Marius des députations, pour lui dire que, désireux de vivre en amitié avec Rome, il n’entreprendrait contre lui aucune hostilité. Était-ce une feinte pour nous surprendre et nous accabler ensuite plus lourdement ? Était-ce l’effet d’une inconstance naturelle, le poussant alternativement à la guerre et à la paix ? La chose pour moi n’est pas claire. LXXXIX. — Le consul exécute son projet, il s’attaque aux places et aux forts, prend de force les uns, enlève les autres à l’ennemi par les menaces ou la promesse de récompenses. Tout d’abord, il s’en prenait aux postes de peu d’importance, dans la pensée que Jugurtha se battrait pour les défendre. Mais il apprit qu’il était loin de là, occupé à d’autres affaires, et le moment lui parut venu de songer à des entreprises plus sérieuses et plus rudes. Au milieu de vastes déserts s’élevait une grande et forte ville, appelée Capsa, dont l’Hercule libyen était, dit-on, le fondateur. Les habitants ne payaient aucun impôt à Jugurtha, dont l’autorité sur eux se faisait peu sentir, et, pour cette raison, ils lui étaient demeurés très fidèles ; ils étaient défendus contre l’ennemi, non seulement par des murs, des armes et des hommes, mais surtout par la sauvagerie du pays. En effet, sauf la zone qui touche à la ville, tout le reste de la contrée est désertique, sans culture, sans eau, infesté de serpents, dont la cruauté, comme il arrive pour tous les animaux sauvages, s’accroît quand ils n’ont rien à manger ; sans compter que, par nature, le serpent est surtout dangereux lorsqu’il a soif. Marius désirait vivement prendre cette ville, et pour les avantages qu’elle pouvait lui donner dans la guerre, et parce que c’était une rude affaire, et que Métellus avait retiré une grande gloire de la prise de Thala. Les deux villes n’étaient pas très différentes comme position et comme défense : A Thala, non loin des murailles, il y avait quelques sources ; à Capsa, il n’y en avait qu’une ; et encore à l’intérieur des murs ; pour le supplément, on avait l’eau de pluie. Là et dans toute la partie de l’Afrique où l’éloignement de la mer détermine une vie plus sauvage, on accepte plus aisément cette privation, parce que, en général, le Numide se nourrit de lait et de la chair des bêtes sauvages ; il ne recherche ni le sel ni les autres excitants de la gourmandise ; il mange et boit parce qu’il a faim et soif, non par plaisir et par sensualité. XC. — Le consul avait tout pesé ; mais il avait, je crois bien, les dieux pour lui, car, en face de tant de difficultés, sagesse et prévoyance ne comptaient guère ; il avait, en effet, à redouter le manque de céréales, parce que les Numides font plutôt du pâturage que du labourage, et que toutes les récoltes avaient été, sur l’ordre du roi, transportées dans les places fortes ; la terre à ce moment ne produisait rien - on était vers la fin de l’été-. Pourtant, dans la mesure où les circonstances le permettaient, le consul veillait à tout. Le bétail qu’il avait capturé les jours précédents, il le donne à conduire à la cavalerie auxiliaire. II envoie son lieutenant A. Manlius avec des cohortes légères à la ville de Laris, ou il avait expédié l’argent et les vivres ; il lui dit qu’il va lui-même faire des razzias, puis qu’il le rejoindra. Dissimulant ainsi son projet, il marche sur le fleuve Tana. XCI. — Pendant la marche, il fait chaque jour aux troupes des distributions égales de bétail, par centuries et par escadrons, et fait fabriquer des outres avec la peau des bêtes. II obvie ainsi au manque de céréales, et en même temps, sans rien laisser deviner à personne, confectionne les objets qui doivent bientôt lui servir. Le sixième jour, quand on arriva au fleuve, la plus grande partie des outres était confectionnée. Il établit alors son camp avec des défenses légères, fait manger ses soldats et leur donne l’ordre d’être prêts à partir au coucher du soleil ; ils laisseront tous les bagages et ne se chargeront, eux et les bêtes de somme, que d’eau. Quand il juge le moment venu, il sort du camp et ne s’arrête qu’après avoir marché toute la nuit ; il fait de même la nuit suivante ; la troisième, bien avant l’aube, il arrive dans un pays mamelonné, situé à moins de deux milles de Capsa, et là, avec toutes ses troupes, il se terre le plus qu’il peut. Au jour naissant, les Numides, ne se doutant pas de la présence de l’ennemi, sortent en foule de la ville ; Marius donne l’ordre à toute la cavalerie et aux fantassins les plus rapides de courir sur Capsa et d’occuper les portes. Lui-même suit en toute hâte, et ne permet pas le pillage. Quand les habitants se rendirent compte de la situation, le trouble, l’effroi, la soudaineté de la catastrophe, la capture par l’ennemi, hors des murailles, d’une partie des citoyens, tout les obligea à se rendre. Et pourtant la ville fut livrée aux flammes, les Numides adultes massacrés, tous les autres vendus, le butin partagé entre les soldats. Marius avait violé les droits de la guerre ; mais ce n’était ni par cupidité, ni avec l’intention de commettre un crime : la ville était, pour Jugurtha, une position avantageuse ; pour nous, elle était d’accès difficile, et les Numides, inconstants, sans loyauté, ne se laissaient contraindre ni par les bienfaits, ni par la crainte. XCII. — Cet exploit accompli sans perdre un seul homme, Marius, déjà grand et célèbre, parut plus grand et fut plus célèbre encore. Même des projets médiocrement préparés passaient pour des conceptions géniales, et les soldats, traités avec douceur et enrichis, le portaient aux nues. Les Numides le redoutaient comme un être hors de l’humanité, tous, alliés et ennemis, lui attribuaient un esprit divin ou une inspiration divine. Après ce succès, il marcha sur d’autres villes : il en prit quelques-unes malgré la résistance des Numides ; la plupart, abandonnées à la suite du désastre de Capsa, furent par lui livrées aux flammes ; il sema partout le deuil et la mort. Maître de nombreuses places, et le plus souvent sans pertes, il projette une autre affaire, moins rude que celle de Capsa, mais non moins difficile. Non loin de la rivière Mulucha, qui séparait les états de Jugurtha de ceux de Bocchus, était, au milieu d’un pays tout plaine, un rocher très haut, avec une plate-forme suffisante pour un petit fort, et un seul sentier très étroit pour arriver au faîte, taillé à pic par la nature ; il semblait avoir été travaillé de main d’homme, suivant un plan. Tel était le poste que Marius voulut prendre de vive force, parce qu’il renfermait le trésor de Jugurtha. La chose s’accomplit, grâce plus au hasard qu’à sa prévoyance. Il y avait dans le fort pas mal de soldats, une assez grande quantité d’armes et de blé, et une source. Les terrasses, les tours et autres machines de guerre ne pouvaient, dans l’affaire, servir à rien, le sentier menant au fort étant très étroit, avec des bords escarpés. C’est avec de gros risques et sans aucun profit qu’on poussait en avant les mantelets, car, pour peu qu’on les avançât, ils étaient détruits par le feu et les pierres. L’inégalité du terrain ne permettait pas aux soldats de rester devant leurs ouvrages, ni de servir sans danger sous les mantelets ; les plus braves étaient tués ou blessés, et l’effroi des autres en était accru. XCIII. -- Marius perdit là bien des journées et se donna en vain beaucoup de mal. Il se demandait avec anxiété s’il renoncerait à une entreprise qui s’avérait inutile, ou s’il devait compter sur la fortune, qui souvent l’avait favorisé. Il avait passé bien des jours et des nuits dans cette cruelle incertitude, quand par hasard, un Ligure, simple soldat des cohortes auxiliaires, sortit du camp pour aller chercher de l’eau sur le côté du fort opposé à celui où l’on se battait. Tout d’un coup, entre les rochers, il voit des escargots, un d’abord, puis un second, puis d’autres encore ; il les ramasse, et dans son ardeur, arrive petit à petit près du sommet. Il observe qu’il n’y a personne, et, obéissant à une habitude de l’esprit humain, il veut réaliser un tour de force. Un chêne très élevé avait poussé entre les rochers ; d’abord légèrement incliné, il s’était redressé et avait grandi en hauteur, comme font naturellement toutes les plantes. Le Ligure s’appuie tantôt sur les branches, tantôt sur les parties saillantes du rocher ; il arrive sur la plate-forme et voit tous les Numides attentifs au combat. Il examine tout, soigneusement, dans l’espoir d’en profiter bientôt, et reprend la même route, non au hasard, nomme d la montée, mais en sondant et en observant tout autour de lui. Puis sans retard, il va trouver Marius, lui raconte ce qu’il a fait, le presse de tenter l’ascension du fort du même côté que lui, s’offre à conduire la marche et à s’exposer le premier au danger. Marius envoya avec le Ligure quelques-uns de ceux qui assistaient à l’entretien, afin de vérifier ses dires ; ils présentèrent l’affaire, suivant leur caractère, comme aisée ou difficile. Pourtant, le consul reprit confiance. Parmi les trompettes et joueurs de cor, il en choisit cinq des plus agiles, avec quatre centurions pour les défendre, enjoignit à tous de se mettre aux ordres du Ligure et décida que l’affaire serait exécutée le lendemain. XCIV. — Au moment fixé, tout étant prêt et heureusement disposé, on gagne l’endroit choisi. Les ascensionnistes, endoctrinés par leur guide, avaient changé leur armement et leur costume. Tête et pieds nus, pour mieux voir de loin et grimper plus aisément dans les rochers, ils avaient mis sur leur dos leur épée et leur bouclier, fait de cuir comme celui des Numides, pour moins en sentir le poids et en rendre les chocs moins bruyants. Le Ligure allait devant et, quand il rencontrait un rocher saillant ou une vieille racine, il y fixait une corde pour faciliter l’ascension des soldats ; de temps en temps, quand les difficultés du sentier leur faisaient peur, il leur tendait la main, et, si la montée était un peu plus difficile, il les faisait passer un à un devant lui en les débarrassant de leurs armes, qu’il portait lui-même par derrière ; dans les endroits dangereux, il allait le premier, tâtait la route, montait et redescendait plusieurs fois, s’écartait brusquement, et donnait ainsi courage à tous. Après de longues et dures fatigues, ils arrivent enfin au fort, désert de ce côté, parce que, comme les autres jours, tout le monde était en face de l’ennemi. Marius, informé par des estafettes de ce qu’avait fait le Ligure, et qui, tout le jour, avait tenu les Numides acharnés au combat, adresse à ses soldats quelques mots d’encouragement ; puis, sortant lui-même des mantelets, il fait former et avancer la tortue, et, en même temps, cherche à jeter de loin l’épouvante chez l’adversaire avec ses machines, ses archers et ses frondeurs. Mais souvent déjà les Numides avaient renversé ou brûlé les mantelets romains, et ils ne se mettaient plus à couvert derrière les remparts du fort ; c’est devant le mur qu’ils passaient les jours et les nuits, injuriant les Romains, reprochant à Marius sa folie, menaçant nos soldats des prisons de Jugurtha : le succès les rendait plus violents. Cependant, tandis que Romains et ennemis étaient occupés à se battre, avec acharnement des deux paris, les uns pour la gloire et la domination, les autres pour leur vie, tout à coup le son de la trompette éclate par derrière ; d’abord, les femmes et les enfants, qui s’étaient avancés pour voir, prennent la fuite, suivis par les combattants les plus rapprochés du mur, enfin par toute la foule, année ou sans armes. A ce moment les Romains redoublent de vigueur, mettent l’ennemi en déroute, le blessent sans l’achever, progressent en marchant sur le corps des morts et, avides de gloire, luttent à qui atteindra d’abord le mur, sans qu’aucun s’arrête au pillage. Ainsi la chance corrigea la témérité de Marius, qui trouva une occasion de gloire dans la faute qu’il avait commise. XCV. — Au même moment, le questeur L. Sylla arriva au camp, avec un corps important de cavalerie ; pour lui permettre de faire cette levée, on l’avait laissé à Rome dans le Latium. Puisque mon sujet m’amène à parler de ce grand homme, je crois utile de dire quelques mots de son caractère et de sa conduite. Je n’aurai pas à m’occuper ailleurs de sa vie, et L. Sisenna, le meilleur et le plus soigneux de ses biographes, me semble avoir parlé de lui avec une impartialité discutable. Sylla était noble ; il appartenait à une famille patricienne, qui avait perdu presque tout son renom par la nullité de ses ancêtres immédiats. Très instruit dans les lettres latines et grecques, et autant dans les unes que dans les autres, d’esprit élevé, avide de plaisir, plus avide de gloire, il se donnait à la débauche pendant ses loisirs, sans que jamais le plaisir lui eût fait négliger les affaires ; il aurait pu, avec sa femme, se comporter plus honnêtement ; parlant bien, rusé, facile en amitié, d’une profondeur de dissimulation incroyable, prodigue de toutes choses, et surtout d’argent, le plus heureux des hommes avant sa victoire dans les guerres civiles, mais n’ayant jamais trouvé la fortune supérieure à son activité ; plus d’un s’est demandé s’il avait eu plus de courage que de bonheur. Quant à ce qu’il lit dans la suite, je n’en dis rien, peut-être par honte, peut-être par regret. XCVI. — Ainsi donc, comme je l’ai dit, Sylla, quand il arriva en Afrique, au camp de Marius, avec sa cavalerie, n’avait ni connaissance ni expérience de la guerre : en peu de temps il y devint plus habile que personne. Il parlait au soldat avec douceur, répondait à ses demandes, souvent lui accordait spontanément une faveur, faisait des difficultés pour accepter un service, se hâtait d’y répondre par un autre, plus qu’il n’eût fait de la restitution d’un emprunt, ne demandait jamais rien à personne, s’attachait plutôt à avoir une foule d’obligés, prodiguait, même aux plus humbles, plaisanteries ou propos sérieux, était partout dans les travaux, les marches, les veilles, et jamais n’imitait les ambitieux médiocres, en disant du mal du consul on des gens de bien ; il se bornait simplement à ne se laisser devancer par personne dans le conseil nu l’action, et prenait ainsi le pas sur tous. Ces procédés et ces pratiques le rendirent bien vite très cher à Marius et aux soldats. XCVII. — Jugurtha, après avoir perdu la ville de Capsa, d’autres places fortes, dont la possession lui était bien avantageuse et une grosse somme d’argent, envoie une députation à Bocchus, pour l’inviter à expédier d’urgence une armée en Numidie, car c’est le moment d’engager la bataille. On lui apprend que Bocchus hésite et ne sait que choisir, de la guerre ou de la paix ; il refait alors ce qu’il a fait naguère : il achète par des cadeaux ceux qui approchent le Maure, et lui fait promettre le tiers de la Numidie, si les Romains sont chassés d’Afrique ; ou si la guerre se termine par un traité qui laisse intactes ses frontières. Alléché par cette perspective, Bocchus, avec de nombreuses troupes, rejoint Jugurtha. Tous deux font leur jonction et attaquent Marius au moment où il part pour ses quartiers d’hiver : il s’en fallait à peine d’un dixième que le jour fût fini : la nuit, toute proche, leur donnerait, pensaient-ils, un moyen d’échapper s’ils avaient le dessous, et, s’ils étaient vainqueurs, elle ne leur causerait aucun dommage, puisqu’ils connaissaient bien le terrain, tandis que, dans les deux cas, l’obscurité créerait des difficultés aux Romains. Le consul apprend de plusieurs côtés l’approche de l’ennemi, et au même moment, il le voit là, près de lui ; les soldats n’ont pas le temps de se mettre en rangs, de rassembler les bagages, d’entendre un signal, de recevoir un ordre : les cavaliers maures et gétules ne sont pas en ligne et n’ont adopté aucune des dispositions habituelles ; en groupes formés au hasard, ils se jettent sur les nôtres. Les Romains d’abord bouleversés par cette attaque imprévue, rappellent leur ancienne valeur ; ils prennent leurs armes ou protègent contre l’ennemi ceux qui les prennent ; certains montent à cheval et vont au-devant de l’adversaire : la mêlée ressemble plus à un coup de main de voleurs qu’à un combat ; sans étendards, les rangs rompus, cavaliers et fantassins mêlés, les uns battent en retraite, les autres sont massacrés ; plus d’un, combattant avec vigueur l’ennemi, face à face, est attaqué par derrière, sans trouver de salut dans son courage ou dans ses armes, parce que les ennemis sont plus nombreux et de tous côtés se répandent autour de nous. Enfin les Romains, vétérans et recrues connaissant déjà la guerre, quand le terrain ou le hasard les rapprochait, formaient le cercle et ainsi, protégés sur toutes les faces et rangés en ordre, ils pouvaient soutenir le choc de l’adversaire. XCVIII. -- Dans cette rude affaire, Marius ne se laisse ni épouvanter, ni abattre ; avec sa garde, qu’il avait composée des soldats les plus énergiques, et non de ses meilleurs amis, il allait de côté et d’autre, tantôt aidant les siens en mauvaise posture, tantôt s’élançant sur l’ennemi, là où celui-ci se dressait en rangs plus serrés ; il veut que son bras aide ses soldats, puisque, dans la confusion générale, il ne peut leur donner d’ordres. Et déjà le jour était fini, sans que diminuât l’acharnement des barbares ; comme le leur avaient dit leurs rois, ils comptaient sur la nuit et redoublaient d’ardeur. Alors Marius prend conseil des faits, et, afin que les siens aient un moyen de battre en retraite, il occupe deux collines voisines l’une de l’autre ; dans l’une, d’une trop faible superficie pour un camp, il y avait une source abondante ; l’autre pouvait rendre service, parce qu’elle était presque tout entière élevée et escarpée et ne demandait que de minces travaux de fortification. Il envoie près de la source Sylla et la cavalerie pour y passer la nuit ; quant à lui, il regroupe tout doucement les soldats épars, au milieu des ennemis, dont le désordre n’est pas moindre, et, à grands pas, il les conduit sur la seconde colline. La position est si forte, que les deux rois sont forcés d’interrompre le combat ; mais ils ne laissent pas trop s’éloigner les soldats, dont ils répandent et installent la foule autour des deux collines. Les Barbares allument de tous côtés des feux et, pendant la plus grande partie de la nuit, suivant leur habitude, manifestent leur joie par des sauts, des cris, pendant que leurs chefs, pleins d’orgueil, se croient vainqueurs, parce qu’ils n’ont pas fui. Tout cela, les Romains le voyaient aisément du fond des ténèbres et du poste élevé qu’ils occupaient, et cette vue leur rendait courage. XCIX. — Complètement rasséréné par la sottise de l’ennemi, Marius prescrit un silence absolu, et ne fait même pas sonner les trompettes, comme d’ordinaire aux changements de veille. Puis, au point du jour, quand l’ennemi éreinté vient de tomber de sommeil, tout à coup, les trompettes de garde, celles des cohortes, des escadrons, des légions, donnent en même temps le signal ; les soldats poussent des cris et s’élancent hors des portes. Les Maures et les Gétules, réveillés en sursaut par ce bruit inconnu qui les épouvante, ne peuvent ni fuir, ni prendre les armes, ni faire, ni prévoir quoi que ce soit ; le bruit, les cris, l’absence de tout secours, les attaques répétées des nôtres les remplissent d’effroi, leur enlèvent toute pensée. Battus, mis en fuite, ils se laissent prendre presque toutes leurs armes et leurs drapeaux. Les pertes turent ce jour-là plus grandes que dans tous les combats antérieurs ; le sommeil, une terreur extraordinaire avaient gêné la fuite. C. — Marius reprit sa marche vers ses quartiers d’hiver, qu’il avait, à cause des approvisionnements, décidé de prendre dans les villes du littoral. La victoire ne lui avait donné ni apathie ni arrogance, et il s’avançait en formant le carré, exactement comme si l’ennemi était en vue. Sylla était à droite avec la cavalerie, Manlius à gauche avec les frondeurs et les archers, et, de plus, la cohorte ligurienne. En avant et en arrière, Marius avait placé les tribuns, avec des manipules de troupes légères. Les transfuges, qu’il n’aimait guère, mais qui connaissaient admirablement le pays, faisaient connaître la route suivie par l’ennemi. Le consul, comme s’il n’avait personne à côté de lui, veillait à tout, distribuait suivant le cas éloges ou réprimandes. Toujours en armes et sur ses gardes, il contraignait le soldat à l’imiter. Aussi attentivement qu’il surveillait la marche, il fortifiait le camp, faisait monter la garde aux portes par des cohortes tirées des légions, envoyait devant, le camp de la cavalerie auxiliaire, plaçait des soldats au-dessus de l’enceinte, dans les tranchées, visitait lui-même les corps de garde, moins parce qu’il se méfiait de la façon dont ses ordres étaient exécutés, que pour ne point établir de différence entre la fatigue du général et l’effort des soldats, et obtenir ainsi & ces derniers plus de bonne volonté. Et à cette époque comme aux autres moments de la guerre de Jugurtha, Marius tenait son armée par la crainte, non du mal, mais du déshonneur. Pour beaucoup, c’étaient là procédés d’ambitieux : dès son enfance, il avait eu l’habitude d’une vie dure, et nommait plaisir ce que les autres appelaient peine ; peut-être, mais l’État se trouvait bien de ces pratiques et en retirait autant de gloire qu’il eût pu le faire d’une autorité exercée avec la dernière rigueur. CI. — Quatre jours plus tard, non loin de la place de Cirta, les éclaireurs se rabattent rapidement, tous en même temps : preuve que l’ennemi est là. Comme ils arrivaient de tous les côtés et signalaient tous la même chose, le consul ne savait guère quelle disposition tactique prendre ; enfin il ne change rien à l’ordre général, et, se garant de toutes parts, il attend. Jugurtha est donc trompé dans son espérance : il avait distribué ses troupes en quatre corps, estimant que, sur les quatre, un au moins atteindrait l’ennemi par derrière. Cependant Sylla, attaqué le premier par l’adversaire, adresse quelques mots à ses cavaliers, qu’il forme en escadrons serrés, avec lesquels il se jette sur les Maures, pendant que les autres soldats, restant sur place, se gardent coutre les traits lancés de loin et massacrent ceux des ennemis qui tombent entre leurs mains. Pendant ce combat de cavalerie, Bocchus, avec les fantassins que lui avait amenés son fils Volux et qui, retardés dans leur marche, n’avaient pu être engagés dans le combat précédent, tombe sur l’arrière-garde romaine. Marius était alors à l’avant-garde, parce que c’était là que se trouvait Jugurtha avec le gros de ses forces. Le Numide, à la nouvelle de l’approche de Bocchus, marche secrètement avec quelques hommes, vers les fantassins. Et là, s’exprimant en latin, langue qu’il avait apprise à Numance, il crie aux Romains qu’ils luttent en vain et qu’il vient de tuer Marius de sa main. Et en même temps il brandit son épée, toute couverte du sang d’un de nos fantassins qu’il avait massacré dans une lutte assez sévère. A cette nouvelle, nos soldats sont frappés d’épouvante, moins parce qu’ils la croient vraie, que parce que l’idée seule en est effrayante ; et les barbares sentent redoubler leur courage, et pressent avec plus de vigueur les Romains paralysés. Et déjà les nôtres allaient fuir, quand Sylla, ayant taillé en pièces ceux qu’il avait devant lui, revient en arrière et prend les Maures de flanc. Aussitôt Bocchus se détourne. Jugurtha veut soutenir ses hommes et ne pas laisser échapper une victoire déjà acquise ; mais entouré par des cavaliers et voyant, à gauche et à droite, massacrer tous les siens, il s’échappe seul au milieu des traits qu’il évite. Et pendant ce temps, Marius met en fuite la cavalerie ennemie et se précipite au secours de ses troupes, dont il venait d’apprendre la débâcle. Enfin les ennemis sont mis en pièces. Horrible spectacle dans toute l’étendue des campagnes : des fuyards poursuivis, des morts, des prisonniers ; hommes et chevaux abattus ; beaucoup de blessés qui ne peuvent ni fuir, ni demeurer tranquilles, qui se redressent, puis retombent ; et, aussi loin que la vue peut porter, un amoncellement de traits, d’armes, de cadavres, entre lesquels la terre se montre noire de sang. CII. — Le consul, vainqueur sans discussion possible dans cette affaire, arriva dans la ville de Cirta qui, dès le début, était son objectif. Cinq jours après la défaite des barbares, il y reçut une ambassade de Bocchus ; on lui demandait, au nom du roi, d’envoyer à celui-ci deux hommes de confiance, pour conférer avec lui sur ses intérêts et ceux du peuple romain. Marius lui adresse tout de suite L. Sylla et A. Manlius qui, bien qu’appelés par le roi, décident de prendre les premiers la parole : ainsi pourraient-ils modifier les intentions de Bocchus, s’il demeurait hostile, ou accroître son ardeur, s’il désirait vraiment la paix. Manlius, plus âgé, céda pourtant la parole à Sylla, plus habile, orateur, qui prononça ces quelques mots : "Roi Bocchus, c’est une grande joie pour nous de voir qu’un homme de ta valeur a eu, grâce aux dieux, l’heureuse inspiration de préférer enfin la paix à la guerre, de ne pas salir ta haute probité au contact d’un criminel comme Jugurtha, et de ne pas nous réduire à la dure nécessité de punir aussi rigoureusement ta faute que sa scélératesse. Depuis les temps de son humble origine, Rome a mieux aimé se donner des amis que des esclaves, et il lui a paru plus sûr de faire accepter que d’imposer son autorité. A toi rien ne peut mieux convenir que notre amitié, d’abord, parce que nous sommes loin de toi, et qu’ainsi les frictions seront réduites au minimum, tandis que les occasions de te faire du bien seront aussi nombreuses que si nous étions voisins ; et puis parce que, si nous avons assez de sujets, personne, pas même nous, n’a jamais eu assez d’amis. Plût aux dieux que tels eussent été, dès le début, tes sentiments ! tu aurais, jusqu’à ce jour, reçu du peuple romain plus de bienfaits qu’il ne t’a fait de mal. Mais les choses humaines sont, d’ordinaire, régies par le hasard, qui a jugé bon de te faire éprouver et notre force et notre générosité ; aujourd’hui, puisque tu peux expérimenter notre bienveillance, hâte-toi et poursuis comme tu as commencé. Tu as plusieurs moyens, bien à ta portée, de nous rendre des services qui effaceront tes fautes. Au demeurant, mets-toi bien dans l’esprit que jamais Rome ne s’est laissé vaincre eu bienfaits ; quant à la force de ses armes, tu la connais par expérience." A ces propos Bocchus répond avec douceur et affabilité ; il dit quelques mots tour expliquer sa faute : ce n’est pas par hostilité, mais pour défendre son royaume qu’il a pris les armes. La partie de la Numidie d’où il a jadis expulsé Jugurtha, est, de par les droits de la guerre, devenue sienne ; il ne pouvait permettre à Marius de la ravager. De plus, Rome avait repoussé autrefois les propositions d’amitié qu’il lui avait faites. Mais il était disposé à oublier le passé ; et il était prêt aujourd’hui, si Marius le jugeait bon, à envoyer une délégation au Sénat. Puis, cette proposition acceptée, le barbare changea d’avis sous l’influence de certains de ses amis, achetés par Jugurtha, qui avait appris la mission de Sylla et de Manlius et en craignait les effets. CIII. — Cependant Marius installe son armée dans ses quartiers d’hiver, puis avec des cohortes légères et une partie (le sa cavalerie, il fait route vers une région désertique, pour mettre le siège devant une tour royale, où Jugurtha avait installé un poste composé uniquement de déserteurs. Alors Bocchus change encore d’avis, soit qu’il ait réfléchi à ce que lui ont valu les deux batailles précédentes, soit qu’il ait écouté ceux de ses amis qui ne s’étaient pas laissé acheter par Jugurtha ; dans la foule de ses familiers, il en choisit cinq, dont il connaît la loyauté et le caractère énergique. Il leur donne la consigne d’aller vers Marius, puis, si ce dernier le juge bon, à Rome, leur laissant toute liberté de traiter et d’arrêter par n’importe quel moyen les hostilités. Sans délai, ces hommes partent pour les quartiers d’hiver des Romains, mais en route ils sont attaqués et dépouillés par des brigands gétules ; tout tremblants, dans un triste appareil, ils se réfugient près de Sylla, à qui le consul, partant pour son expédition, avait laissé le commandement. II les accueillit, non en ennemis menteurs comme ils l’eussent mérité, mais avec des marques d’estime et de générosité. Les barbares en conclurent que le renom de cupidité des Romains ne reposait sur rien et que Sylla, dans sa munificence, était pour eux un ami. Car à cette époque, beaucoup de gens ignoraient l’art d’acheter les consciences : tout acte de générosité était censé inspiré par des sentiments amicaux ; tout présent passait pour une marque de bienveillance. Les députés révèlent donc au questeur la mission dont les a chargés Bocchus ; ils lui demandent sa protection et ses conseils ; ils exaltent dans leurs propos les richesses, la loyauté, la grandeur de leur maître et tout ce qu’ils jugent de nature à lui attirer profit et bienveillance. Sylla leur promet tout ce qu’ils demandent, leur fait connaître le langage à tenir à Marius et au Sénat ; ils restent près de lui environ quarante jours. CIV. — Marius ayant réalisé ce pourquoi il était parti, revient à Cirta. Informé de la venue des ambassadeurs, il les fait venir d’Utique, ainsi que Sylla et le préteur L. Bellienus, et aussi, de tous les endroits où ils se trouvent, tous les personnages de l’ordre sénatorial ; avec tous, il prend connaissance des demandes de Bocchus. L’autorisation est donnée aux ambassadeurs d’aller à Rome et le consul demande qu’on accorde pendant ce temps un armistice. Sylla et la majorité donnent un avis favorable. Quelques-uns votent contre, sans se dire que les affaires humaines sont mobiles et qu’on passe vite du bonheur à l’adversité. Au demeurant, les Maures obtinrent tout ce qu’ils voulaient ; trois d’entre eux partirent pour Rome avec Cn. Octavius Ruson qui avait, comme questeur, apporté en Afrique la solde des troupes ; les deux autres retournèrent vers le roi. Bocchus apprit avec plaisir et l’accueil qui leur avait été fait, et surtout la bienveillance et les attentions de Sylla. A Rome, les envoyés déclarèrent que le roi avait commis une faute, mais s’y était laissé entraîner par les menées criminelles de Jugurtha, et ils demandèrent l’amitié et l’alliance des Romains. On leur répondit : "Le Sénat et le peuple romain n’oublient ni les bienfaits, ni les injures. A Bocchus on pardonne sa faute, puisqu’il la regrette ; un traité d’amitié et d’alliance lui sera accordé quand il l’aura mérité." CV. — Quand il connut cette réponse, Bocchus demanda par lettre à Marius de lui envoyer Sylla comme plénipotentiaire, pour traiter de leurs intérêts communs. Sylla partit avec une garde de cavaliers et de frondeurs baléares. A cette escorte se joignirent des archers et une cohorte de Péligniens, armés comme des vélites, pour permettre une marche plus rapide et en même temps une défense suffisante contre les traits légers des Numides. Le cinquième jour, sur la route, ils se trouvent soudain au milieu de la plaine en face de Volux, fils de Bocchus, il la tête d’un millier de cavaliers tout au plus. Mais ces cavaliers allaient au hasard et sacs ordre ; ils donnaient à Sylla et aux autres l’impression d’être plus nombreux, et, à les voir, on craignait l’approche de l’ennemi. Chacun se prépare, apprête armes de défense et de trait, redouble d’attention ; la crainte est grande, mais l’espoir est plus grand encore : vainqueurs, on a devant soi ceux qu’on a si souvent vaincus. Puis les cavaliers envoyés comme éclaireurs remettent tout au point et ramènent la tranquillité. CVI. — Volux arrive, aborde le questeur, lui dit que son père Bocchus l’a envoyé au-devant de lui pour lui constituer une garde. Ce jour-là et le suivant, ils font route ensemble et marchent sans crainte. Puis, au moment où l’on vient d’établir le camp et où le soir tombe, tout à coup le Maure se précipite vers Sylla, le visage angoissé et tout tremblant ; il dit avoir appris par des éclaireurs que Jugurtha est tout près ; il demande à Sylla, il le presse de fuir secrètement avec lui pendant la nuit. Sylla refuse fièrement : il ne craint pas le Numide, qu’il a tant de fois battu ; il a confiance dans le courage de ses soldats ; même si la défaite était certaine, il resterait, plutôt que de trahir ceux dont il est le chef et de chercher par une fuite honteuse à sauver une vie dont peut-être chus quelques jours la maladie aura raison. Aussi bien, puisque Volux conseille de partir la nuit, se range-t-il à cet avis. Dès que, dans le camp, les soldats auront mangé, on allumera le plus de feux possible, et, à la première veille, on sortira sans faire de bruit. Après une marche de nuit fatigante, et, au montent ou Sylla, au lever du soleil, faisait tracer le camp, des cavaliers maures font savoir que Jugurtha campe à environ deux milles en avant. Ces propos jettent l’épouvante chez les nôtres, qui se croient trahis par Volux et entourés d’embûches. Certains mêmes crient vengeance et demandent qu’un tel forfait, ne soit pas laissé impuni. CVII. — C’était le sentiment de Sylla : pourtant il défend le Maure contre toute violence. Aux siens il demande de se montrer courageux : souvent dans le passé quelques braves ont triomphé d’une foule d’adversaires ; moins ils se ménageront dans le combat, plus ils seront en sûreté ; n’est-ce pas une honte, quand on a des armes en mains, de chercher son salut dans les jambes, qui, elles, ne sont pas armées, et, parce qu’on a peur, de tourner vers l’ennemi un corps nu et aveugle. Et, puisque Volux agit comme un ennemi, il prend Jupiter tout-puissant à témoin du crime et de la perfidie de Bocchus, et ordonne à son fils de quitter le camp. Volux, tout en larmes, le supplie de n’en rien croire : il n’y a pas d’embûches ; tout vient de l’esprit rusé de Jugurtha, qui a sans doute connu par ses éclaireurs le chemin suivi par Volux ; mais comme il n’a que des troupes peu nombreuses et que toutes ses espérances et ses ressources dépendent de Bocchus, Volux croit bien que Jugurtha n’osera rien faire ouvertement, quand il verra son fils devant lui ! Aussi lui semble-t-il que le parti le meilleur est de traverser carrément le camp du Numide. Lui-même enverra ses Maures en avant ou les laissera en arrière, et il marchera seul à côté de Sylla. Dans ces délicates conjonctures, cette proposition est adoptée. Immédiatement, ils partent, leur arrivée inattendue surprend et fait hésiter Jugurtha ; ils passent sans dommage. Peu de jours après, ils arrivent où ils se proposaient d’aller. CVIII. — Chez Bocchus, il y avait un Numide, du nom d’Aspar, qui, toujours près de lui, vivait dans son intimité ; Jugurtha l’avait envoyé, quand il avait appris que le Maure avait mandé Sylla ; il voulait qu’il y eût là quelqu’un pour parler en son nom et pour étudier adroitement les projets de Bocchus. Chez Bocchus se trouvait aussi Dabar, fils de Massugrada ; il était de la famille de Masinissa, mais de basse origine du côté maternel, son père étant né d’une concubine ; ses qualités d’esprit le rendaient cher au roi maure, qui le recevait avec plaisir, Bocchus avait déjà dans maintes circonstances éprouvé son dévouement à Rome ; il l’envoya dire à Sylla qu’il était prêt à faire ce que voudrait le peuple romain, lui demanda de fixer lui-même un jour, un lieu, une heure pour un entretien, l’invita à ne rien craindre de l’émissaire de Jugurtha ; à dessein, lui, Bocchus, affectait de ne rien lui cacher, pour traiter plus librement de tout ce qui leur était commun ; pas de meilleur moyen de se garer contre les traquenards de Jugurtha. Mon avis, à moi, c’est que Bocchus était de mauvaise foi - la foi punique ! — et mentait en donnant les raisons dont il avait la bouche pleine ; il jouait de la paix aussi bien avec le Romain qu’avec le Numide, et se demandait sans cesse s’il livrerait Jugurtha aux Romains ou Sylla à Jugurtha. La passion parlait contre nous, mais la crainte plaida en notre faveur. CIX. — Sylla répondit que, devant Aspar, il parlerait peu, mais compléterait sa pensée dans une réunion secrète, avec Bocchus seul ou peu accompagné. Il indiqua en même temps à celui-ci la réponse qu’il devrait lui faire. La réunion se tint comme il l’avait voulu. Sylla dit que le consul l’avait envoyé pour savoir si l’on voulait la paix ou la guerre. Le roi, conformément à la leçon qui lui avait été faite, le pria de revenir dix jours plus tard, rien n’étant encore décidé pour le moment ; ce jour-là, il répondrait. Tous deux retournent chacun dans leur camp. Mais dans la seconde partie de la nuit, Bocchus mande secrètement Sylla ; ils n’ont auprès d’eux que des interprètes sûrs, et ils prennent comme intermédiaire Dabar, que sa probité rend vénérable et qu’ils agréent tous deux. Et tout de suite, le roi commence en ces termes : CX. — "Je n’avais jamais pensé que le plus grand roi de ces régions, le premier de tous ceux que je connais, pût avoir un jour à rendre grâces à un simple particulier. Oui, Sylla, avant de te connaître, j’ai souvent accordé mon appui, soit sur demande, soit spontanément, mais je n’ai jamais eu besoin de l’aide de personne. Ce changement à mon détriment, qui en affligerait d’autres, est une joie pour moi. Ce qui a pu manquer, je l’ai obtenu de ton amitié, qui m’est plus chère que tout. Tu peux en faire l’expérience. Armes, soldats, argent, bref tout ce que tu peux concevoir, prends-le, uses-en ; si longtemps que tu doives vivre, tu n’épuiseras jamais ma gratitude, qui demeurera toujours entière ; dans la mesure où cela dépendra de moi, tu ne désireras rien en vain. J’estime qu’un roi perd moins à être vaincu à la guerre qu’en générosité. Quant à la question politique, que l’on t’a envoyé traiter ici, voici ma réponse, très brève. Je n’ai ni fait, ni jamais voulu faire la guerre à Rome, j’ai simplement défendu par les armes mes frontières contre des gens qui les attaquaient les armes à la main. Mais je passe, puisque vous le voulez, vous autres Romains. Faites à votre gré la guerre à Jugurtha. Moi, je ne franchirai pas la Mulucha, qui séparait du mien le royaume de Micipsa, et je ne permettrai pas à Jugurtha de la traverser. Si maintenant tu as à me faire une demande digne de moi et de Rome, je ne te laisserai pas partir sans une réponse favorable." CXI. — Sylla répondit brièvement et avec réserve à ce qui, dans ces paroles, lui était personnel ; sur la paix et sur les questions générales, il fut plus long. En bref, il indiqua clairement au roi que le Sénat et le peuple romain, étant vainqueurs, lui sauraient peu de gré de ses belles promesses ; il faudrait qu’il fît quelque chose où l’intérêt de Rome trouvât mieux son compte que le sien propre ; et c’était chose aisée, puisqu’il avait Jugurtha à sa disposition : qu’il le livrât aux Romains, et ceux-ci seraient alors vraiment ses débiteurs : il obtiendrait tout de suite un traité d’amitié et la partie de la Numidie qu’il revendiquait. Tout d’abord, le roi refuse et insiste sur son refus il allègue la parenté, l’alliance des deux familles, les traités signés, et puis il peut craindre qu’un manquement à la parole donnée ne lui aliène ses sujets qui sympathisent avec Jugurtha et détestent les Romains. Enfin sa résistance, battue et rebattue en brèche, s’amollit, et il finit par promettre à Sylla de tout faire à son gré. Tous deux font ce qu’il faut pour faire croire à une paix, que désire avidement le Numide, épuisé par la lutte. Puis, leur complot une fois bien organisé, ils se séparent. CXII. — Le lendemain, Bocchus convoque Aspar, l’envoyé de Jugurtha ; il lui dit connaître par Dabar les conditions mises par Sylla à la cessation des hostilités ; qu’il aille donc demander à son maître ce qu’il en pense. Tout joyeux, le Numide part pour le camp de Jugurtha. Puis, muni d’instructions complètes, il se hâte de repartir et, huit jours plus tard, il est de retour chez Bocchus ; il lui dit que Jugurtha désire vivement se conformer à tous les ordres donnés, mais se défie de Marius ; souvent déjà lionne s’est refusée à ratifier les traités conclus avec ses généraux. Si Bocchus, veut leur être utile à tous deux et travailler vraiment à la paix, qu’il organise une conférence générale, convoquée soi-disant pour négocier, et que là, il lui livre Sylla. Quand un personnage de ce rang sera entre ses mains, forcément le peuple et le sénat consentiront à traiter et n’abandonneront pas un patricien tombé au pouvoir de l’ennemi moins par lâcheté que par dévouement à son pays. CXIII. -- Longtemps le Maure s’abandonne à ses réflexions. Enfin il promet, sans que je puisse affirmer si ses hésitations furent feintes ou sincères. D’ordinaire, les volontés des rois sont aussi mobiles que violentes, et souvent elles sont contradictoires. A des heures et dans des lieux déterminés, Bocchus convoque, pour traiter de la paix, tantôt Sylla, tantôt l’envoyé de Jugurtha, les reçoit avec bienveillance, fait à tous deux les mêmes promesses. Et eux sont également heureux, également pleins d’espoir. La nuit qui précéda le jour fixé pour la conférence générale, le Maure fit venir ses amis ; puis, changeant encore subitement d’avis, il renvoya tout le monde, restant seul pour tout peser, changeant de visage et de regard, comme de sentiments, et, dans son silence laissant paraître au dehors les secrets de son cœur. Il finit par faire venir Sylla et s’entend avec lui pour prendre au piège le Numide. Au point du jour, on lui signale l’approche de Jugurtha ; avec quelques amis et notre questeur, il s’avance au-devant de lui, comme pour lui faire honneur, et monte sur un tertre, afin de permettre aux agents du complot de mieux voir. Le Numide s’y rend avec la plupart de ses familiers, sans armes, comme il avait été convenu. Un signal est donné de tous côtés sortent des embuscades des hommes armés qui se jettent sur lui ; tous ses amis sont massacrés, lui-même, chargé de chaînes, est livré à Sylla, qui le conduit à Marius. CXIV. — A peu près à la même époque, nos généraux Q. Cépion et Cn. Manlius ne furent pas heureux dans une rencontre avec les Gaulois. L’épouvante fit trembler à l’Italie entière. A ce moment, et toujours depuis lors, les Romains ont été convaincus que, si avec les autres peuples rien n’est impossible à leur courage, avec les Gaulois, c’est pour eux une question, non de gloire, mais de vie et de mort. Mais lorsqu’on apprit la fin de la guerre de Numidie et l’arrivée à Rome de Jugurtha enchaîné, on réélut consul Marius, bien qu’absent, et on lui attribua la province de Gaule. Aux calendes de janvier, il triompha, étant consul, avec une grande pompe. Et c’est sur lui, à ce moment, que reposaient les espérances et toute la force de la république. Antiquité Histoire romaine Œuvres de Salluste Récit de guerre fi:Jugurtha
1705
https://fr.wikisource.org/wiki/Fragments%20%28S%C3%A9monide%20d%27Amorgos%29
Fragments (Sémonide d'Amorgos)
Antiquité Poèmes Nous avons beaucoup de temps à passer dans la mort, nous vivons des années au nombre très restreint, et nous les vivons mal. Personne n'est sans reproche, personne n'est sans ennuis. De celui qui est mort, nous ne nous mettrions en peine si nous étions raisonnables, pas plus d'un seul jour. ... comment j'ai flambé le cochon et comment j'ai débité la viande selon les règles rituelles, il est vrai que je ne m'y connais pas qu'un peu. Dans sa part de butin, un homme rien de meilleur qu'une femme si elle est honnête, rien de plus fâcheux si elle est mauvaise.
1714
https://fr.wikisource.org/wiki/Eug%C3%A9nie%20Grandet
Eugénie Grandet
Bon pour export Femmes Avarice Catégorie : XIXe siècle Romans d’amour Œuvres d’Honoré de Balzac Romans parus en 1833 Saumur en:Eugénie Grandet es:Eugenia Grandet ro:Eugénie Grandet
1718
https://fr.wikisource.org/wiki/Vie%20de%20saint%20L%C3%A9ger
Vie de saint Léger
<div class=text> I Domine Deu devemps lauder, Et a sos sancz honor porter. In su' amor cantomps dels sanz, Quœ por lui augrent granz aanz; Et or es temps et si est biens Quœ nos cantumps de sant Lethgier. II Primes didrai vos dels honors Quœ il awret ab duos seniors; Aprés ditrai vos dels aanz Que li suos corps susting si granz, Et Ewruïns, cil Deu mentiz, Que lui a grant torment occist. III Quant infans fud, donc a ciels temps, Al rei lo duistrent soi parent, Qui donc regnevet a ciel di, Cio fud Lothiers, fils Baldequi. Il l'enamat, Deu lo covit, Rovat que letres apresist. IV Didun, l'ebisque de Peitieus, Lui·l comandat ciel reis Lothiers. Il lo reciut, tam ben en fist Ab u magistre sempre·l mist, Qui llo doist bien de ciel savier Don Deu serviet por bona fied. V Et cum il l'aut doit de ciel art, Rende·l qui lui lo comandat. Il lo reciu, bien lo nodrit; Cio fud lonx tiemps ob se lo·s ting. Deus l'exaltat cui el servid, De sanct Maxenz abbas divint. VI Ne fud nuls om del son juvent Qui mieldre fust donc a ciels tiemps; Perfectus fud in caritet, Fid aut il grand et veritiet, Et in raizons bels oth sermons; Humilitiet oth per trestoz. VII Cio sempre fud et ja si er Qui fai lo bien, laudaz en er; Et sanz Letgiers sempre fud bons, Sempre fist bien o que el pod. Davant lo rei en fud laudiez; Cum il l'audit, fu li'n amet. VIII A se·l mandat et cio li dist, A curt fust, sempre lui servist. Il l'exaltat e l'onarat, Sa gratia li perdonat, Et hunc tam bien que il en fist, De Hostedun evesque en fist. IX Quandius visquet ciel reis Lothiers, Bien honorez fud sancz Lethgiers. Il se fud morz, damz i fud granz. Cio controverent baron franc, Por cio que fud de bona fiet, De Chielperig fesissent rei. X Un compte i oth, pres en l'estrit; Ciel eps num auret Evruï. Ne vol reciwre Chielperin, Mais lo seu fredre Theoiri. Ne·l condignet nuls de sos piers, Rei volunt fair' estre so gred. XI Il lo presdrent tuit a conseil, Estre so gret en fisdren rei; Et Ewruïns ott en gran dol, Porro que ventre no·ls en poth. Por ciel tiel duol rova·s clergier, Si s'en intrat in un monstier. XII Reis Chielperics tam bien en fist De sanct Lethgier consilier fist. Quandius al suo consiel edrat, Incontra Deu ben s'i garda, Lei consentit et observat Et son regnét ben dominat. XIII Ja fud tels om, Deu inimix, Qui l'encusat ab Chielpering. L'ira fud granz cum de senior, Et sancz Lethgiers oc s'ent pauor; Ja lo sot bien, il lo celat, A nuil omne no·l demonstrat. XIV Quant ciel' irœ tels esdevent, Paschas furent in eps cel di; Et sancz Lethgiers fist son mistier, Missœ cantat, fist lo mul ben. Pobl' et lo rei communïet Et sens cumgiet si s'en ralet. XV Reis Chielperics, cum il l'audit, Presdra sos meis, a lui·s tramist; Cio li mandat que revenist, Sa gratia por tot ouist. Et sancz Lethgiers ne·s soth mesfait; Cum vit les meis, a lui ralat. XVI Il cio li dist et adunat: «Tos consiliers ja non estrai. Meu' evesquet ne·m lez tener Por te qui sempre·m vols aver. En u monstier me laisse intrer, Pos ci non posc, lai vol ester.» XVII Enviz lo fist, non voluntiers, Laisse l'intrar in u monstier. Cio fud Lusos ut il intrat; Clerj' Ewruï illo trovat. Cil Ewruïns molt li vol miel, Toth per enveia, non per el. XVIII Et sancz Lethgiers fist so mistier, Ewruï prist a castier: Ciel' ira grand et ciel corropt, Cio li preia laissas lo toth. Fus li por Deu, ne·l fus por lui, Cio li preia paias s'ab lui. XIX Et Ewruïns fist fincta pais; Cio·l demonstrat que s'i paias. Quandius in ciel monstier instud, Cio·l demonstrat amix li fust. Mais en avant vos cio aurez Cum ill edrat por mala fid. XX Rex Chielperings il se fud morz; Per lo regnét lo sowrent tost. Vindrent parent e lor amic, Li sanct Lethgier, li Ewruï; Cio confortent ad ambes duos Que s'ent ralgent in lor honors. XXI Et sancz Lethgiers den fistdra bien, Quœ s'en ralat en s'evesquet. Et Ewruïns den fisdra miel, Quœ donc deveng anatemaz. Son quev que il a coronat Toth lo laisera recimer. XXII Domine Deu in cio laissat Et a dïable·s comandat. Qui donc fud miels et a lui vint, Il voluntiers semper reciut. Cum fulc en aut grand adunat, Lo regne prest a devastar. XXIII A foc, a flamma vai ardant Et a gladies percutan. Por quant il pot, tan fai de miel; Por Deu ne·l volt il observer. Ciel ne fud nez de medre vius Qui tal exercite vidist. XXIV Ad Ostedun, a cilla ciu, Dom sanct Lethgier vai asalir. Ne pot intrer en la ciutat; Defors l'asist, fist i gran miel, Et sancz Lethgiers mul en fud trists, Por ciel tiel miel quœ defors vid. XXV Sos clerjes pres il revestiz, Et ob ses croix fors s'en exit. Porro'n exit vol li preier Quœ tot ciel miel laisses por Deu. Ciel Ewruïns, qual hora·l vid, Penre·l rovat, lïer lo fist. XXVI Hor en aurez las poenas granz Quœ il en fisdra li tiranz. Li perfides tam fud cruels Lis ols del cap li fai crever. Cum si l'aut fait, mis l'en reclus; Ne soth nuls om qu'es devenguz. XXVII Am las lawras li fai talier Hanc la lingua quœ aut in quev. Cum si l'aut toth vituperét, Dist Evvruïns, qui tan fud miels: «Hor a perdud don Deu parlier; Ja non podra mais Deu laudier.» XXVIII A terra joth, mult fo afflicz; Non oct ob se cui en calsist. Super lis piez ne pod ester, Que toz los at li condemnets. Or a perdud don Deu parlier; Ja non podra mais Deu laudier. XXIX Sed il non ad lingu'a parlier, Deus exaudis lis sos pensaez; Et si el non ad ols carnels, Encor los ad espiritiels; Et si en corps a grand torment, L'anima'n awra consolament. XXX Guenes oth num cui·l comandat; La jus en cartres l'en menat; Et en Fescant, in ciel monstier, Illo reclusdrent sanct Lethgier. Domine Deus in ciel flaiel I visitét Lethgier son serw. XXXI La labia li ad restaurat, Si cum desanz Deu pres laudier; Et hanc en aut merci si grand Parlier lo fist si cum desanz. Donc pres Lethgiers a preïer, Poble ben fist credre in Deu. XXXII Et Ewruïs, cum il l'audit, Credre ne·l pot antro que·l vid. Cum il lo vid, fud corroptios; Donc oct ab lui dures raizons. El cors exastra al tirant, Peis li promest ad en avant. XXXIII A grand furor, a gran flaiel, Si·l recomanda Laudebert. Cio li rova et noit et di Miel li fesist dontre qu'el viu. Ciel Laudeberz fura buons om, Et sancz Lethgiers duis a son dom. XXXIV Il li vol faire mult amet; Bewre li rova aporter. Garda, si vid grand claritet; De cel vindre, fud de par Deu. Si cum roors in cel es granz Et si cum flammes clar ardanz. XXXV Cil Laudeberz, qual hora·l vid, Torne s'als altres, si llor dist: «Ciest omne tiel mult aima Deus, Por cui tels causa vin de ciel.» Por ciels signes que vidrent tels, Deu presdrent mult a conlauder. XXXVI Tuit li omne de ciel païs Trestuit apresdrent a venir; Et sancz Lethgiers lis predïat, Domine Deu il les lucrat. Rendet ciel fruit espiritiel Quœ Deus li auret perdonat. XXXVII Et Ewruïns, cum il l'audit, Credre ne·l pot antro que·l vid. Cil biens qu'el fist, cil li pesat; Occidere lo commandat. Quatr' omnes i tramist armez Que lui alessunt decoller. XXXVIII Li tres vindrent a sanct Lethgier, Jus se giterent a sos pez. De lor pechietz que aurent faiz Il los absols et perdonét. Lo quarz, uns fel, nom a Vadart, Ab un inspieth lo decollat. XXXIX Et cum il l'aud tollut lo quev, Lo corps estera sobre·ls piez. Cio fud lonx dis que non cadit; Lai s'aprosmat que lui firid. Entro·l talia los pez dejus, Lo corps estera sempre sus. XL Del corps asaz l'avez audit Et dels flaiels que granz sustint. L'anima reciut Domine Deus; Als altres sanz en vai en cel. Il nos aiud ob ciel Senior Por cui sustinc tels passïons! Textes anonymes Poésie Leger Hagiographies Moyen Âge
1729
https://fr.wikisource.org/wiki/D%C3%A9claration%20des%20Droits%20de%20l%E2%80%99Enfant%20%281959%29
Déclaration des Droits de l’Enfant (1959)
A ONU 1959 Résolutions de l'Assemblée générale de l'ONU ca:Declaració dels Drets de l'Infant de 1959 el:Διακήρυξη των Δικαιωμάτων του Παιδιού en:Declaration of the Rights of the Child es:Declaración de los Derechos del Niño tr:Çocuk Hakları Bildirgesi
1784
https://fr.wikisource.org/wiki/Bible%20Segond%201910/Exode
Bible Segond 1910/Exode
Pentateuque Si vous souhaitez lire l'ensemble des textes de l'Exode en un seul bloc, cliquez ici Les Hébreux en Egypte Exode 1 L'oppression Moïse Exode 2 Naissance. Exode 3 Le buisson ardent. Exode 4 Les pouvoirs accordés à Moïse. Exode 5 Le refus de Pharaon. Exode 6 Les ordres de Dieu à Moïse. Les plaies d'Egypte Exode 7 1 - L'eau changée en sang. 2 - Les grenouilles. Exode 8 3 - Les moustiques. 4 - Les taons. Exode 9 5 - La mort du bétail. 6 - Les ulcères. 7 - La grèle. Exode 10 8 - Les sauterelles. 9 - Les ténèbres. Exode 11 L'annonce de la dixième plaie. Exode 12 10 - La mort des premiers-nés. Exode 13 Le rachat des premiers-nés. La sortie d'Egypte Exode 14 La traversée de la mer. Exode 15 Chant de la victoire. Le désert Exode 16 La faim. Exode 17 La soif. Exode 18 Jéthro et Moïse. Le décalogue Exode 19 La promesse de l'Alliance. Exode 20 Le décalogue. L'Alliance Exode 21 Les esclaves - Homicide, blessures - Vol d'animaux. Exode 22 Dédommagements - Le viol - Les lois morales et religieuses. Exode 23 La justice - Les fêtes religieuses. Exode 24 Moïse sur la montagne. Exode 25 L'Arche d'Alliance. Exode 26 La Demeure. Exode 27 L'autel et le parvis. Exode 28 Le vêtement des prêtres. Exode 29 Consécration d'Aaron. Exode 30 Les cultes. Exode 31 Le repos du sabbat. Le veau d'or Exode 32 Le veau d'or. Les tables brisées. Exode 33 Nouveaux dialogues entre Dieu et Moïse. Renouvellement de l'Alliance Exode 34 Les nouvelles tables de la Loi. L'Alliance. Le sanctuaire Exode 35 Collecte des matériaux. Exode 36 La construction. Exode 37 L'arche. Exode 38 L'autel des holocaustes. Exode 39 Le vêtement des prêtres. Exode 40 La consécration du sanctuaire.
1809
https://fr.wikisource.org/wiki/Bible%20Segond%201910/Nouveau%20Testament
Bible Segond 1910/Nouveau Testament
<div style="margin-left:38%; margin-right:0%;"> Les Évangiles Évangile selon Matthieu Évangile selon Marc Évangile selon Luc Évangile selon Jean Les Actes des Apôtres Actes des Apôtres Les Épîtres de Paul Épître aux Romains Première épître aux Corinthiens Deuxième épître aux Corinthiens Épître aux Galates Épître aux Éphésiens Épître aux Philippiens Épître aux Colossiens Première épître aux Thessaloniciens Deuxième épître aux Thessaloniciens Première épître à Timothée Deuxième épître à Timothée Épître à Tite Épître à Philémon Épître aux Hébreux Les Épîtres catholiques Épître de Jacques Première épître de Pierre Deuxième épître de Pierre Première épître de Jean Deuxième épître de Jean Troisième épître de Jean Épître de Jude Écrit apocalyptique Apocalypse Nouveau Testament Antiquité la:Biblia Sacra Vulgata (Stuttgartensia)#Novum Testamentum
1815
https://fr.wikisource.org/wiki/Les%20bassins%20%C3%A0%20cupule
Les bassins à cupule
Les bassins à cupule dans le Centre-Ouest de la Gaule romaine, du Ier siècle avant J.-C. au Ve siècle après J.-C. est un mémoire d'histoire antique soutenu le 1er juillet 1998 à la Faculté d'histoire de Poitiers. Le directeur de mémoire est Jean Hiernard. La note attribuée a été 16/20. Il consiste en un recensement et une typologie de ces bassins, suivis d'hypothèses quant à leur usage. J'ai procédé à quelques retouches minimes : ajout d'un mot dans le 1.3 pour qu'il soit plus intelligible, correction de quelques fautes d'orthographes. Je place mon mémoire sous licence GNU FDL. De ce fait, certains plans et dessins ne sont pas disponibles dans cette version électronique, et disponibles auprès de leurs auteurs (directeurs de fouille) ou de la DRAC du Poitou-Charentes. Le mémoire est également disponible au GERHICO et à la DRAC du Poitou-Charentes en exemplaire papier. B B Thèses et Mémoires universitaires
1816
https://fr.wikisource.org/wiki/Les%20bassins%20%C3%A0%20cupule/Introduction%20et%20pr%C3%A9sentation
Les bassins à cupule/Introduction et présentation
Les bassins à cupules Introduction L’archéologie rurale connait depuis une quinzaine d’années un dévelopement considérable. Elle s’attache à de nouveaux domaines, comme l’étude du paysage antique, utilisant de nouvelles techniques de fouille, se servant de machines de haute-technologie, comme le scanner, pour détecter des fondations. Ces travaux fournissent aux historiens de nouveaux champs de recherche, qui concernent enfin la majeure partie des populations antiques, qui étaient essentiellement campagnardes. L’histoire de ces populations rurales, de leur économie, de leurs modes de vie est en effet restée longtemps marginale, et suscite aujourd’hui plus d’intérêt, maintenant que les sources sont plus abondantes. C’est en partie par intérêt personnel pour l’histoire des campagnes, en partie pour ces raisons que je désirais que mon sujet s’insère dans ce cadre, c’est-à-dire une étude d’histoire rurale par le biais de l’archéologie. Celle-ci devait bien entendu se cantonner dans des limites régionales. M. Hiernard m’a donc proposé une recherche portant sur un sujet encore presque vierge, les bassins à cupule. Bien que posant de nombreuses interrogations, ces structures n’ont pour l’instant fait l’objet que de quelques rares articles, la plupart étant en fait des publications de fouilles. Les découvertes se sont en effet produites principalement à deux époques différentes : les années 1880-1910, où l’on découvrit une dizaine de sites en Charente et en Charente Maritime ; et depuis la fin des années 1970, avec quelques découvertes isolées entre les deux. Les bassins à cupule, très tôt identifiés comme des vestiges romains, se signalent par une cuvette pratiquée dans leur fond. Outre ce détail, la qualité générale de leur construction est remarquable. À la Belle Époque, ces bassins ont donc provoqué de la curiosité dans la communauté des archéologues régionaux, dont Louis Maurin et Alexis Favraud. Celui-ci proposa d’ailleurs une interprétation vinicole des bassins qu’il avait découvert à Puyréaux, interprétation aussitôt réfutée par un historien de plan national, Etienne Boeswillwald. Le débat est d’ailleurs bien vite retombé, les découvertes de nouveaux bassins n’étant plus là pour l’alimenter. Les nouvelles inventions de sites survenues depuis une vingtaine d’années ont réveillé les questions que l’on se posait à propos de leur utilisation. Louis Maurin, homonyme du précédent, a réouvert la voie en proposant un premier recensement d’une douzaine de sites dans sa thèse Saintes antique en 1976. Camille Gabet, spécialiste de la protohistoire, a lui proposé un recensement de 24 sites en 1988, sans donner de références bibliographiques. Enfin, une autre liste est donné en 1990 par Christian Vernou dans une plaquette d’exposition archéologique, qui comporte 35 sites, également sans références bibliographiques. Aucun d’entre eux ne donne d’interprétation présentée comme sure pour l’ensemble des sites. Le sujet se trouvait ainsi rapidement cerné : faire un recensement le plus complet possible des sites présentant des bassins à cupule, en effectuer une description typologique, et proposer une solution au problème de leur utilisation. La première partie du travail de recherche aboutit en peu de temps à la définition du cadre géographique : les bassins à cupule se découvrent essentiellement dans cinq départements du Centre-Ouest, la Charente, la Charente Maritime, les Deux-Sèvres, la Vendée et la Vienne, correspondant approximativement aux trois cités du Bas-Empire de Saintes, de Poitiers et d’Angoulême. Ces bassins étant construit selon des techniques romaines, les bornes chronologiques sont celles de la Gaule romaine, entre la deuxième moitié du I siècle avant notre ère et la fin du V siècle. Le recensement suit le modèle de ses prédécesseurs, il se divise donc en deux parties. La première regroupe tous les sites où au moins un bassin ayant une cupule a été découvert. Ces bassins possédant des caractéristiques communes autres que la cupule telles que couvre-joints, pentes du fond et enduit hydraulique d’une part ; certains sites ayant à la fois des bassins avec et des bassins sans cupule d’autre part, une deuxième liste regroupe les sites à bassin sans cupule. Ces bassins de sites incertains doivent présenter une des caractéristiques au moins de celles qui ont été citées, et entrer dans la moyenne des dimensions des bassins à cupule reconnus. Cette recherche a commencé par un dépouillement complet des Informations archéologiques de Gallia, puis par celui des Cartes Archéologiques des départements pour lesquels elles existent, Charente, Deux-Sèvres et Vendée. Les recherches ont ensuite été complétées par des consultation de revues locales, d’ouvrages d’historiens régionaux et de rapports de fouilles, pour certains des sites fouillés récemment. Ces deux listes dressées, la description typologique des bassins a pu être faite. Elle occupe la première partie du mémoire. Les sites étant désormais fouillés de la même manière que les bassins, il a aussi été possible de faire une description générale des sites. Les caractéristiques hydrauliques et artisanales des bassins se retrouvent confirmées par les aménagements et l’instrumentum spécifique découvert autour des bassins. Enfin, la résolution du problème de l’utilisation pratique de ces bassins passait par un examen des différentes hypothèses proposées jusqu’à aujourd’hui. Les deux principales que sont celles de bassins vinicoles ou à garum ne doivent pas faire oublier les autres, plus modestes. Elles sont présentées dans la troisième partie. Les fichiers En fin de mémoire, vous pouvez consulter les fiches où sont rassemblés des renseignements concernant chaque site présentant des bassins à cupule ou des bassins ayant des caractéristiques proches. En haut de chaque fiche, le site est identifié en deux colonnes : à gauche figurent le nom du site (le lieu-dit), celui de la commune (suivi éventuellement du numéro de site dans la commune) et sa datation ; à droite, le numéro de plan s’il y en a, le numéro du site, son département et sa civitas. Les sites sont numérotés en deux séries : de A1 à A36 pour les sites ayant au moins un bassin à cupule, par ordre alphabétique de département, de commune et de site dans la commune ; et de B1 à B18 pour les sites ayant des caractéristiques proches de celles des sites de la série A, mais n’ayant pas de cupule signalée dans leur bassin. Le premier tableau donne, à chaque fois que cela est possible, les trois dimensions de chaque bassin. Quand le bassin n’était que partiellement conservé, la dimension concernée est suivie d’un c. (conservé). Les surfaces et les volumes obtenus à partir de ces données incomplètes sont suivis d’un min. (dimensions minimales). Quand une donnée quelconque est inconnue, un point d’interrogation la remplace. Un zéro signifie plutôt l’absence de tel ou tel élément. Dans le deuxième tableau, des données plus techniques sont présentées. La colonne C.J. donne le type de couvre-joints, en différenciant éventuellement les couvre-joints horizontaux des verticaux. Chaque forme a un numéro différent : le un pour les couvre-joints en pans coupés, le deux pour les convexes, le trois pour les couvre-joints de section carrée ou rectangulaire, le quatre pour les concaves et le cinq pour les simples points d’étanchéité. La colonne suivante précise le nombre d’emmarchements présents dans chaque bassin. La troisième colonne indique l’existence ou non de pente dans le fond du bassin, éventuellement une appréciation sur son importance ou son pendage exact. Les deux dernières colonnes sont consacrées à la cupule, quand le bassin en est doté. Dans la première figurent, toujours dans cet ordre, sa position : au centre, décentrée, dans l’angle, contre une paroi grande ou petite d’un bassin ; sa forme à la surface : circulaire ou ellipsoïdale ; son matériau. Dans la seconde, figurent les dimensions de cette cupule : diamètre (D), profondeur (P), ou, si elle est ellipsoïdale, le grand et le petit diamètre (D et d). De même, si la cupule est en tronc de cône, ses diamètres supérieur et inférieur sont indiqués par Ds et Di. Des renseignements divers composent la rubrique Notes : l’environnement des bassins, leur construction, quelques détails particuliers au site qui n’apparaissent pas dans les tableaux. Certains sites ont une deuxième page présentant des renseignements complémentaires. Elle débute par un rappel de la commune du site et la superficie estimée des bâtiments. La description donne l’histoire de la partie artisanale du site, résumée dans un tableau récapitulatif des différents volumes totaux des bassins utilisés. Le fichier comprend deux listes, A et B. La première regroupe des sites dont un bassin au moins est doté d’une cupule. Parmi ces sites, neuf au moins possèdent un bassin sans cupule. D’où la constitution de la liste B, dont les bassins n’ont pas de cupule, mais qui possèdent d’autres caractéristiques fréquentes dans la liste A : enduit hydraulique, fond en pente, couvre-joints. Ces sites n’ont généralement pas bénéficié d’une fouille complète, et ne sont décrits qu’en une demi page, selon les mêmes règles que ceux de la liste A. Des renseignements qui concernent chaque bassin spécifiquement sont précisés dans deux tableaux. En général, chaque bassin est appelé d’un B suivi d’un numéro suivant son ordre d’apparition dans la découverte ou dans la bibliographie. Pour plus de facilité dans la lecture des plans, la lettre B est quelques fois remplacée par un C, les découvreurs ayant d’abord cru à des citernes. Les archéologues ayant quelques fois utilisé des lettres simples pour nommer les bassins, cet usage a été adopté pour ces sites. Il y a encore deux exceptions : le seul bassin en forme de L, du fief de Châlons au Gua, est appelé L ; et au Renfermis, site A31, les bassins ayant été utilisés en trois étapes distinctes, les deux premiers sont nommés A2 et A3, les suivants B2 et B3, le dernier C2 correspondant à chaque époque d’utilisation. En règle générale, et quand cela est possible, les bassins sont présentés par ordre d’ancienneté. Note supplémentaire Cette note ne figure pas dans le mémoire. Deux sites comportant des bassins à cupule ne figurent pas dans le mémoire, par oubli de ma part : celui de Saintes (le 3 de la commune) situé derrière les abattoirs, et celui de Matha (île d’Oléron).
1817
https://fr.wikisource.org/wiki/Les%20bassins%20%C3%A0%20cupule/La%20construction%20des%20bassins%20%C3%A0%20cupule
Les bassins à cupule/La construction des bassins à cupule
Les bassins à cupules La construction des bassins à cupule L’établissement des bassins La construction des parois Les sources antiques sont assez maigres au sujet des bassins, quelle que soit leur utilisation. Aucun auteur ancien, ne décrit la construction d’un bassin comportant une cupule, ce qui renforce l’hypothèse d’un détail technique parmi d’autres. Seule l’étude croisée de leur ensemble peut être fructueuse. Aucun ne décrit non plus la construction d’un bassin à usage artisanal. Les bassins à cupule étaient cependant très étanches, et comme il paraît acquis qu’ils étaient destinés à recueillir des liquides, nous devrons nous contenter des conseils relatifs à la construction d’une citerne à eau. Vitruve, dans son De Architectura, y consacre quelques lignes. Son œuvre est d’importance, car elle est rédigée dans les années qui précèdent la construction des deux premiers bassins à cupule de la région, à Écurat 2 et à Antigny, tous deux remontant au règne d’Auguste. Nous laisserons d’abord de côté les bassins de Rochefort, car nous ne connaissons pas leur date de construction, mais seulement celle de l’occupation du site. Vitruve conseille de creuser une tranchée rectangulaire, qui suit le tracé des murs de la future citerne, mais sans en évider le volume intérieur. Les murs sont ensuite coulés en béton, les parois de la tranchée formant coffrage. Puis le milieu de la citerne est creusé, et le fond est coulé en béton, sans qu’il soit apporté de précisions sur un éventuel hérisson. Cette technique à l’avantage d’une grande simplicité d’exécution, et d’une économie de matériaux : deux uniquement sont requis : sable et chaux, le premier pouvant être remplacé par des tuiles finement pilées, moins onéreuses. Cette technique ne correspond de façon certaine qu’à un seul bassin dans tout le Centre-Ouest, à Suaux-Brassac. À chaque fois que la précision est apportée, les bassins sont construits en maçonnerie. La plupart des auteurs suivent Vitruve, mais apportent moins de précisions, sauf Palladius. La plupart aussi, dont Vitruve, préconisent de construire des citernes par paires, qu’elles soient accouplées pour la décantation de l’eau, ou qu’elles soient destinées à des usages différents. Cette disposition aussi est exceptionnelle : des bassins ont bien été retrouvés par paires, mais soit ils n’étaient pas reliés, et ne pouvaient servir à la décantation de l’eau ; soit ils étaient reliés par des dispositifs variables, mais étaient disposés par trois, quatre ou plus, et n’étaient pas reliés à une descente de toit. Les descriptions antiques de citernes semblent donc peu correspondre aux bassins régionaux, qui ne sont vraisemblablement pas des citernes construites selon les conseils de ces auteurs. L’ordre des opérations de la construction d’un bassin en maçonnerie est différent, puisque les murs sont posés sur le fond. Le bassin, ou du moins son volume, est entièrement évidé avant que la construction commence. La maçonnerie n’est pas plus solide que l’opus caementicum. Elle utilise aussi le béton, mais en moins grandes quantités. Un seul des longs murs d’Antigny aurait consommé presque 5 m³ de béton. Elle permet d’en économiser et de n’en utiliser que pour lier les moellons. De plus, ces derniers sont certainement fournis par le terrain où l’on construit. Mais cet exemple même du bassin d’Antigny incite à la prudence quand une maçonnerie est signalée : on voit bien sur le plan 20 b qu’en fait, à Antigny, le mur n’est pas en maçonnerie, mais en béton. Le blocage est retenu, d’un côté par un petit appareil, de l’autre par la terre. Le côté intérieur est beaucoup plus régulier. On a ainsi voulu augmenter la solidité de la construction. Quand on décrit une maçonnerie, dans la bibliographie du siècle dernier, peut-être avons-nous affaire à un parement. Celui-ci est moins économique que les moellons : il faut tailler les pierres régulièrement, ce qui requiert un esclave spécialisé. D’autres sites utilisent le parement en petit appareil : Cognac, Port-des-Barques, La Rochelle. Le site de Port-des-Barques est particulièrement édifiant, puisqu’en huit campagnes de construction étalées sur trois siècles, une seule technique, le bassin encavé à parement en petit appareil, a été utilisée. Les autres sites ne connaissent pas une telle unité dans les matériaux et les techniques utilisées. Tout d’abord, certains bassins sont réellement construit en maçonnerie : c’est le cas à Saint-Fraigne, où de gros moellons ont été utilisés. Les moellons sont des pierres trouvées dans la terre et à peine dégrossies ; ici, elles sont régulières et mesurent 35 centimètres sur 25, ce qui démontre qu’un soin certain a été apporté à la construction. La taille assez grande permet de faire porter les efforts sur une plus grande longueur et de mieux solidariser les moellons entre eux. L’économie et la qualité ont été associées. Ces moellons étaient posés à plat. À l’Houmeau, l’opus spicatum est utilisé pour les bassins 1 et 2. Les pierres sont posées de biais, dans un sens puis dans l’autre, comme les écailles d’un poisson, ou les grains d’un épi de blé. Outre les pierres, les céramiques ont été utilisées pour construire les parois : briques et tuiles. Les tegulæ (tuiles plates à rebord) servent beaucoup en association avec d’autres matériaux. Elles sont posées pour former des assises stables à Civaux, elles servent aussi à constituer des chaînages. À Nieul-sur-Mer, un rang de tegulæ est systématiquement posé entre chaque rang de moellons. Les bassins C3 et C4 de l’Houmeau ont plusieurs rangs de moellons les uns sur les autres, mais des chaînages doubles ou triples les séparent. Les tegulæ sont aussi utilisées comme matériau unique de construction, à Saint-Martial-de-Mirambeau et à Ingrandes-sur-Vienne. Ou associées, avec d’autres matériaux céramiques, les briques, comme c’est le cas à Brives-sur-Charente et Civaux. Le mur commun des bassins 6 et 7 à La Rochelle, et le mur nord de B6, utilisent des tuileaux plats, sans rebords. Ceux-ci compensent les vides causés par les rebords des tegulæ, qui sont systématiquement tournés vers l’intérieur. Cette disposition, qui limite le nombre de joints apparents avant la pose de l’enduit, n’est pas innocente, puisqu’elle entraîne une diminution des risques de fuite. Nous parlons évidemment de micro-fuites, d’infiltrations. Le produit contenu était ou très précieux, et la moindre perte aurait été dommageable ; ou corrosif, et des infiltrations auraient rapidement menacé la solidité des bassins ; ou les deux. Les trois autres murs de B7 sont construits en petit appareil régulier, ce qui laisse à penser que les tuiles sont ici un matériau d’occasion, utilisé pour un remaniement. Les bassins 6, 7 et 11 de La Rochelle sont en effet établis sur un plus ancien, B67. L’exemple le plus marqué de la diversité des matériaux utilisés est celui de Saint-Georges-d’Oléron. Son bassin 1 utilise la brique et le moellon, le 2 et le 3 uniquement la pierre, alors que le quatrième a deux murs de moellons, un de tegulæ et moellons, et un de tegulæ et briques. Toutes les combinaisons y sont représentées. Bref, sans vouloir ni vouloir passer en revue toutes les parois de tous les bassins, il apparaît que les bassins excavés ont des parois de 25 à 50 centimètres environ. Elles sont construites soit en opus caementicum, soit directement en maçonnerie, mais avec des matériaux très divers, plusieurs combinaisons existant et cohabitant sur de nombreux sites. Quelquefois l’économie commande ce choix, quelquefois le sens pratique le plus évident : ainsi pour les galets utilisés en blocage des escaliers des bassins 6 et 7 de La Rochelle. L’essentiel étant toujours une construction solide pouvant supporter les pressions des liquides contenus, puisque le sol entourant les bassins était un soutien puissant et recherché. Là encore, un souci d’économie mêlé de pragmatisme apparaît : les bassins hors du sol existent, mais ils sont plus rares. Leur construction est plus difficile. Le seul bassin de Cognac construit en élévation, B6, est appuyé de deux côtés sur des murs porteurs du bâtiment, et les deux autres sont les plus épais de tout le site. Il gêne d’ailleurs la circulation, puisqu’il occupe toute la largeur de la pièce. Il est impossible de savoir si ce sont ces inconvénients qui en sont responsables, mais tout les bassins construits postérieurement sur le site sont encavés. À Civaux et à Talmont, les bassins sont appuyés eux aussi à des murs. Un blocage « très épais », plus épais que les autres murs du site, sert d’appui spécial aux bassins de Talmont. Les quatre autres bassins des neuf construits en élévation le sont aussi contre des murs, à La Rochelle et à Taizé. Sauf à Civaux, ils ont tous été construits avant le premier quart du II siècle. On ne peut pas dire qu’ils aient servi d’exemple. Le surcoût lié aux murs d’appui et aux parois y est pour quelque chose. De plus, il est impossible de circuler au dessus en disposant des planches en travers du bassin, à moins de construire encore en plus des escaliers. Les bassins sont construits le plus souvent en un exemplaire unique. Le nombre de bassins identiques deux à deux est limité à une douzaine de paires, plus trois groupes de trois bassins. Deux au moins de ces paires sont des bassins primitivement uniques divisés en deux, et le groupe de trois bassins de La Rochelle est probablement une division de B67. Le nombre de bassins construits deux à deux est donc de seulement 24, soit à peine un cinquième du total. Si l’on considère que des bassins de certaines paires ne sont pas de mêmes dimensions, le nombre de batteries de bassin est encore plus limité. Les fonds de bassin Les fonds sont eux beaucoup plus homogènes. Deux types seulement sont présents : les fonds dalles et les fonds bétonnés. Les premiers ne sont représentés que par quatre cas sur quatre-vingt deux fonds identifiés, et même quatre-vingt quatre si l’on considère que la « dalle de réception » d’Ingrandes-sur-Vienne est un fond en béton. Cette rareté, moins de cinq pour cent, s’explique aisément par plusieurs facteurs : d’abord, il faut poser les dalles sur un fond de béton qui est coulé pour assurer la stabilité des dalles. Le dallage n’apporte donc pas une étanchéité supplémentaire. De plus, sa pose exige une taille très soignée, puisque toutes les dalles n’ont pas les mêmes dimensions. La pose elle-même requiert un soin important, et un ajustage des dalles qui réduit les interstices au minimum. Malgré ces coûts supplémentaires, quatre bassins ont été construits dallés. Nous savons peu de choses sur celui de Puyréaux. Les observations faites sur les deux autres sites tendent à montrer qu’ils n’apportaient pas toute satisfaction. Le premier dallage de Saint-Martial-de-Mirambeau était recouvert d’une couche de béton et d’un dallage qui avait les mêmes pendages que le premier. Dans la couche de béton, se trouvait une cupule provenant d’un autre bassin dallé, qui a donc été abandonné. Le dallage ancien était très usé, et entièrement imprégné d’une substance sombre : cette perméabilité jouait-elle dans les deux sens ? Le dallage donnait-il un goût à la production du bassin ? Au Château-d’Oléron, le bassin 4 a lui aussi été redallé, donc son utilisation a duré. Mais, finalement, l’exemple des bassins voisins a dû porter, puisqu’il a été bétonné. Peut-être un troisième dallage était-il trop onéreux. Les fonds en béton apparaissent comme beaucoup plus facile à mettre en œuvre. Souvent creusés dans la roche, les bassins ont ainsi une pente dès l’origine, qui suit la pente naturelle. La roche est aussi creusée à l’emplacement de la cupule, ce qui facilite sa construction. Ce fond et cette cupule pré-taillée étaient ensuite simplement recouverts d’une couche de béton, qui, s’il était coulé assez épais, prenait la forme qu’on voulait lui donner. Certains fonds bétonnés présentent une particularité, celle d’être constitués de tegulæ posées à plat et noyées dans du mortier. Elles jouent, au moins dans les deux premiers cas, le rôle de la roche-mère, qui n’est pas atteinte. Pour assurer une certaine stabilité, une couche de sable a même été disposée avant la construction du fond, à Château-d’Oléron. Comme le bassin 2 de Taizé est construit en élévation, son fond ne repose pas sur la roche. La conclusion est probablement valable pour lui aussi. Les Gallo-Romains ont imaginé une foule de détails pour rendre ces bassins parfaitement étanches. Ainsi, les bassins de Nieul-sur-Mer ont, entre la maçonnerie et la terre, une couche d’argile de 25 centimètres, qui empêcherait le liquide échappé par une fissure de se répandre dans le sol. Peut-être même une partie aurait-elle été récupérable. Une fois le volume du bassin défini et emmuré, les parois sont enduites d’une couche de deux à trois centimètres de ciment hydraulique qui assure une parfaite étanchéité. L’enduit n’est pas toujours le même. Il s’agit souvent d’un mortier de chaux, où le sable est quelques fois remplacé par du tuileau concassé : c’est le béton romain, celui qui est aussi utilisé pour la maçonnerie. La différence vient de la finesse du grain, donc des qualités d’étanchéité de ce ciment. Sur certaines parois, comme une du bassin D du Gua 2, sont enduites d’un crépi. Il est étonnant que différentes qualités d’enduit aient été utilisées dans un même bassin. Peut être s’agit-il tout simplement d’une reprise, faite avec une qualité différente à une époque postérieure. Un seul bassin est du point de vue des précautions prises pour garantir son étanchéité, particulier : celui des Trains d’Écurat. Son fond est constitué de carreaux de terre cuite, et il n’est pas enduit. Il est bien doté de couvre-joints, mais ils servent autant à éviter le travail des murs que les fuites dans les angles. Cette étanchéité mal assurée, et son environnement probablement cultuel le situent tout à fait à part. Ce bassin se distingue en outre par sa forme carrée. Dix autres bassins (8,7 % au total) ont cette même forme : le plus petit, B9, à La Rochelle, mesure 0,8 mètre de côté ; le plus grand, à Salles-Lavalette, plus de deux mètres. Aucun bassin à fond carré n’est cubique. Sept mesurent entre 1,3 et 1,7 mètre de côté. La forme la plus répandue des bassins est la rectangulaire, ou approchante (le bassin C3 de l’Houmeau est légèrement trapézoïdal). Elle concerne 101 bassins sur 115, ou 116 si l’on compte le bassin présumé de Saint-Martial-de-Mirambeau, soit presque 88 %. Trois autres formes comptent un seul représentant : le L, au Gua 2 ; l’ovale, au Gua 3 ; et le rectangle avec extrémité en hémicycle, à Puyréaux. Les plus grandes dimensions horizontales atteignent ou dépassent les quatre mètres de longueur dans huit sites, et onze bassins. Seuls deux atteignent six mètres : Gua 3 (ovale) et B1 de La Rochelle, (celui-ci n’est peut-être pas artisanal). Les largeurs les plus importantes sont de plus de 2,5 mètres : six sites et huit bassins seulement sont concernés. La norme est plutôt de bassins d’une surface de 2 à 8 m² : quatre-vingt deux bassins au moins et vingt-huit sites sont dans cette norme (71,3 % et 73,6 %). Les profondeurs dépassent exceptionnellement le mètre soixante-quinze : seulement dix bassins et quatre sites. Le maximum se situe à 2,45 mètres, à Saintes 1. La norme des profondeurs conservées se situe entre 1 mètre et 1,5 mètre : au moins vingt-neuf bassins. Outre leurs qualités de construction, les bassins étaient dotés de perfectionnement nombreux, destinés à faciliter leur utilisation. Les aménagements hydrauliques et de récupération Les couvre-joints Le premier des éléments renforçant l’étanchéité sont les couvre-joints. Il faut entendre par couvre-joints le renforcement d’un angle entre deux parois, ou entre le fond et les parois, dans le but d’assurer une plus grande étanchéité, au moyen d’un béton jeté et façonné. Ils évitent aussi toute fissure en consolidant les bassins, le travail des murs sous l’effet des mouvements du sol ayant plus tendance à se faire sentir à cet endroit. Pour douze des trente-huit sites de la série A, nous ne sommes pas en possession de renseignements sur ces détails. Sur les vingt-six restants, tous les bassins de onze sites et au moins un de neuf autres ont des couvre-joints, soit 77 %. Quand on regarde les bassins un par un, soixante des soixante-dix-sept pour lesquels nous savons de façon certaine s’ils ont ou non des couvre-joints, en sont munis, soit 78 %. La proportion réelle est probablement moindre, le silence d’un auteur ne signifiant pas obligatoirement qu’il n’a pas remarqué des couvre-joints, mais plutôt qu’il n’y en avait pas. Les proportions restent tout de même importantes. Toute aire ou bassin doté de couvre-joints doit en conséquence être inclus dans la liste B, comme ayant de grandes chances d’avoir été construit dans le même but que les bassins de la liste A. Il existe cinq types différents de couvre-joints, dont les numéros ont déjà été donnés dans l’explication des fichiers. La forme la plus courante est la deuxième, la convexe, bien qu’il soit parfois possible de la confondre avec la première quand un simple renfort est évoqué. Elle peut aussi être confondue avec la quatrième, quand on parle d’un arrondi dans l’angle. Une autre confusion est possible simplement à cause de la forme pas toujours extrêmement pure géométriquement : certains couvre-joints convexes sont simplement arrondis, et leur section n’est pas parfaitement en quart de disque. L’usure du temps s’ajoutant à cette forme intermédiaire, un coup d’œil rapide peut ne plus distinguer la forme primitive. Le terme convexe ne prêtant pas à confusion, il a été choisi de préférence aux autres. Quarante-et-un des soixante bassins ayant des couvre-joints ont ce type là, soit plus de 68 %. Un seul site se singularise, celui de Nieul-sur-Mer. Les couvre-joints sont constitués, pour le bassin 3, d'imbrices dressées et enduites du mortier recouvrant les murs du bassin. La solidité de ce dispositif n’est pas à remettre en cause : outre l’épaisseur des imbrices, sa forme arrondie fait voûte, et la pression est rejetée sur les parois du bassin. Cet exemple d’économie est unique, mais le seul moyen de la constater est de démonter les couvre-joints. Certains cas ont pu échapper aux archéologues, souvent pressés par les travaux qui détruisent les sites. Le premier type, celui de section triangulaire, est le deuxième plus courant : neuf bassins n’utilisent que ce type de couvre-joints. Comme pour le premier type, plusieurs termes ont été utilisés : celui de solin est préférable à pan coupé, qui connote plutôt un enlèvement qu’un rajout, et celle d’ornement plus que d’aménagement utilitaire. Les autres formes sont la carrée (six bassins, si l’on compte celui de Suaux-Brassac, aux couvre-joints douteux et de toute façon rectangulaires), la concave (trois bassins) et les simples renforts d’étanchéité aux angles, signalés à Segonzac, et qui correspondent à un renfort uniquement dans les sommets du volume. Il est intéressant d’observer l’évolution d’une forme à l’autre. Plusieurs des principaux sites ont vu, soit cohabiter, soit se succéder plusieurs de ces formes. Quelquefois, l’évolution est nette : à Cognac, les premiers bassins, construits vers 100 après J.-C., sont dotés de solins ; ceux qui leur succèdent, deux ou trois générations plus tard, ont des couvre-joints convexes ; et le dernier bassin, construit vers 200/220 après J.-C., des couvre-joints carrés. À chaque étape, la qualité des enduits baisse, et leur grain grossit. Il est tentant de lier celle-ci à la forme de ceux-là ailleurs qu’à Cognac, mais àl’Houmeau, l’évolution est opposée : les deux bassins les plus anciens, datant environ de 150 après J.-C., n’ont pas de couvre-joints, et des enduits renouvelés d’une qualité décroissante. Le bassin 4, qui n’est presque pas utilisé, a les meilleurs enduits du site et des couvre-joints carrés. Le dernier bassin, construit vers 200 après J.-C., a lui aussi de très bons enduits et des couvre-joints convexes. Le bassin dont la construction est la plus soignée a les mêmes couvre-joints que celui qui correspond à la dernière phase du déclin du dite de Cognac, avant l’abandon de l’activité des bassins. Il n’y a donc pas d’évolution régionale dans la construction des bassins. Seuls deux autres sites connaissent une alternance dans leurs couvre-joints, Port-des-Barques et Nieul-sur-Mer. Tous deux sont éclairants. Sur le site de Port-des-Barques, les cinq premiers bassins sont dotés de couvre-joints convexes, sauf le troisième, où ils sont carrés. Le site n’a pas été construit pour les bassins, il s’est donc probablement (à la fin du premier siècle) inspiré de l’exemple de prédécesseurs, qui lui auraient conseillé la forme numéro deux. Les carrés n’auraient été qu’un essai peu concluant, puisque non repris pour les deux bassins suivants, ni même pour le premier bassin neuf de la phase descendante, le B. Celui-ci utilise les couvre-joints concaves, dont la réalisation est évidemment plus facile et moins consommatrice de béton que celle des convexes. La difficulté comparative des couvre-joints carrés est plus difficile à estimer, mais il doit y avoir une raison pour laquelle cette forme n’a été réutilisée à Port-des-Barques qu’après un essai intermédiaire. et plus jamais ensuite. À Nieul-sur-Mer, les deux types représentés sont les solins et les convexes. Leur disposition dans le premier bassin est unique, puisque les couvre-joints verticaux sont des solins, et les horizontaux sont convexes. Dans l’hypothèse de la production d’un produit visqueux ou d’un produit laissant un dépôt, il aurait fallu nettoyer les angles entre deux utilisations, surtout si ces utilisations étaient espacées. À l’Houmeau, ces dépôts étaient plus importants du côté de l’aire supposée de production. La forme carrée, même si elle n’est jamais parfaitement régulière, ne facilite en rien ce travail, puisqu’elle multiplie par deux les angles droits, moins faciles à nettoyer. Le solin est lui très facile à débarrasser de ce dépôt à partir du rebord du bassin et à l’aide d’un simple équivalent de notre balai à ponts, si son équivalent existait dans l’Antiquité. Des curettes ont été retrouvées à Cognac. Ce sont des petits outils de fer emmanchés, avec une lame triangulaire. Elles ont pu servir à cet usage, même si on les attribue plutôt, sans certitude, à une activité de cordonnerie. De plus, le solin offre une surface d’accrochage moins importante que les autres types de couvre-joints. Les couvre-joints concaves sont eux aussi faciles à nettoyer, mais assurent probablement une moins bonne étanchéité. Voilà les raisons qui ont pu faire hésiter à refaire des couvre-joints carrés sur le site de Port-des-Barques. Quant au bassin C4 à l’Houmeau, il est douteux que ce soit la raison de son l’abandon prématuré, mais cela n’a pas du contribuer à son maintien, alors que son successeur est doté de couvre-joints convexes. Un détail unique a été remarqué sur ce site : les bassins C1 et C2, qui ne possédaient pas de couvre-joints, avaient leurs parois creusées de lignes obliques et parallèles, alternativement montantes et descendantes. Les archéologues les ont expliqués comme étant des ornements. Les bassins étant une construction utilitaire, il faut d’abord tenter d’expliquer chaque élément par l’utilisation qu’on pouvait en faire. Étant donné que la production laissait un dépôt le long des murailles, il fallait l’en débarrasser. Est-ce que ces rainures pouvaient aider à l’accomplissement de cette tâche ? Puisque les reprises d’enduits ont conservé ces dessins, tel devait être le cas. Elles devaient probablement guider le résidu vers le fond. Leur orientation oblique permettait également d’aider ce mouvement plus facilement que si elles avaient été verticales, en poussant du bord du bassin avec le même genre d’outils que celui qui servait ailleurs à récurer les couvre-joints. Les marches d’angle Cet élément architectural pose problème quant à son interprétation. Il s’agit des emmarchements que l’on rencontre dans un ou plusieurs bassins de cinq des trente-six sites. Au total, dix bassins en comportent (soit seulement 9 % du total). Ils ont d’abord été décrits comme des escaliers destinés à descendre dans les bassins, pour les vider ou les nettoyer. Mais le terme d’emmarchements est mieux adapté car, sauf à Antigny où le doute est permis, il ne peut pas s’agir d’escaliers destinés à descendre et à sortir des bassins. Voilà les relevés qui ont été effectués : L’emmarchement du bassin d’Antigny était long de 1,75 m et large de 55 cm. Les traces de sept marches permettent de calculer une hauteur moyenne de 25 cm et une profondeur moyenne de 24 cm, soit des dimensions très proches des normes actuelles, qui sont de quinze à vingt centimètres de hauteur pour une profondeur de vingt à vingt-cinq centimètres ; au-delà, la fatigue est trop importante, et l’escalier ne remplit plus son rôle de diviseur d’effort. À Port-des-Barques, le bassin H, dans sa plus grande extension, possède deux emmarchements d’angle identiques, dont un subsiste lorsque le bassin est réduit de moitié. Chacun possède trois degrés, donc en moyenne hauts de 30 cm. Les deux dernières marches font un angle à 90 ° (en montant) avec la première. Le fouilleur attribue cette disposition à une volonté de faciliter la remontée de personnes chargées. Une amphore Dressel 2-4 pleine pèse en effet près de cinquante kg. Mais, après consultation de personnes ayant déchargé des sacs de blé (environ quatre-vingt kg) au moment des récoltes, je constate qu’un tel escalier n’aurait pas aidé une ascension. De plus, dans un bassin, le porteur aurait du se relever avec sa charge. La façon la plus efficace de faciliter la montée est encore de diminuer la hauteur des marches, quitte à adopter une pente raide pour diminuer l’encombrement, comme pour les escaliers de meuniers. Les emmarchements du Péré Maillard, à Soubise, écartent toute ambiguïté. Le bassin 1 a trois marches : la première (dans le bas de l’escalier) est haute de 25 cm, et profonde de 18 ; la seconde est haute de 70 cm et profonde de 22 ; la dernière est haute de 35 cm et profonde de 25. La différence entre le sol et la dernière marche est de 18 cm. Le bassin 2 n’a que deux marches, celle du fond est haute de 60 cm, la suivante de 45 cm. Elles sont toutes deux profondes d’une quinzaine de centimètres. Il est inconcevable que ces emmarchements aient été construits pour vider les bassins. En vérité, nous sommes obligés d’envisager d’autres hypothèses. Si toutes ces marches ne constituent pas un escalier, à quoi pouvaient-elles servir ? Les deux emmarchements des bassins 3 et 4 du même site me semblent donner une indication. Celui du bassin 3 est d’ailleurs très intéressant, car il est construit avec le 5, et succède aux bassins 1, 2 et 4. Je donne ces mesures sous réserve, les ayant relevées sur le plan. Celle du bassin 4 est en quart de cylindre d’un rayon de 50 cm, et haute d’un mètre. La marche unique du bassin 3 est carrée et mesure 50 cm de côté ; elle est haute de 25 cm, soit exactement la moitié de la profondeur du bassin. Il est aussi aisé de vider un bassin si peu profond en se tenant accroupi au bord. Les constructeurs ont semble-t-il utilisé leur expérience, puisqu’ils ont renoncé à construire un emmarchement pour le bassin profond, le 5, et qu’ils ont conservé l’idée d’un emmarchement large pour le peu profond, le 3. La largeur de la marche semble donc importante, et la marche est moins utile pour un bassin profond que pour un peu profond. Elle permet à une personne de se tenir sur la marche et d’opérer au plus près de la préparation contenue dans le bassin, sans en agiter le fond, et surtout si les bassins n’étaient pas remplis à chaque fois. Evidemment, en faisant le tour du bassin, on peut se trouver tout aussi près. Mais deux arguments viennent appuyer cette hypothèse : d’abord, nous ne savons rien des installations qui pouvaient gêner la circulation autour des bassins ; ensuite, si ces aménagements sont peu utiles, ils sont aussi peu répandus. Pour information, voici les estimations que j’ai pu faire, d’après photos, des dimensions des emmarchements des sites d’Ingrandes-sur-Vienne et de La Rochelle : À Ingrandes, un des deux bassins a une marche d’une trentaine de cm de haut et de vingt-cinq cm de profondeur environ ; elle est à environ dix cm du sol ; celle qui continue vers le bas doit avoir, vu la profondeur du bassin, soixante-quinze cm, une trentaine de cm de hauteur. Bien que l’hypothèse d’un escalier de descente ne puisse être totalement écartée, ces données ne contredisent pas mes suppositions ; La première marche du bassin 6 de La Rochelle mesure elle aussi une trentaine de cm ; la profondeur restante est donc de quatre-vingt dix cm pour deux marches, donc trois degrés ; admettons une moyenne de trente cm pour chacun, nous restons à la limite de la marche utile. L’emmarchement de B1 à Château-d’Oléron n’a pas été mesuré. Les aménagements du fond : pentes et cupules Après ces aménagements techniques verticaux quelque peu sujets à interprétation, voyons les pentes des fonds de bassin, d’un usage plus évident. Au moins 18 bassins de 8 sites en sont pourvus. Bien que variables, les pentes sont évidemment destinées à assurer un écoulement. Les pendages vont de quelques mm/m (C4 de l’Houmeau) à 7,4 cm/m (C3 du même site). À Antigny, ils convergent et sont de 1 cm/m, à Nieul-sur-Mer, de 3 cm/m pour B1 et de 9 mm/m pour B2 rehaussé. La norme D.D.E. pour les pentes de caniveaux est d’un centimètre par mètre, afin d’assurer l’écoulement par gravité de l’eau. Donc, pour la plupart de ces bassins, un liquide de viscosité égale à celle de l’eau s’écoulerait seul, au fur et à mesure de la vidange, vers le bas de ces pentes. C4, de l’Houmeau, qui a une pente faible, voit peut-être une des raisons de sa réforme dans ce détail. C3, qui lui succède, a une pente beaucoup plus forte. L’intérêt d’une pente réside principalement dans le maintien, au cours de la vidange, d’une hauteur de liquide suffisante à son épuisement progressif. Lorsqu’il ne reste qu’une dizaine de centimètres de liquide dans le fond d’un bassin, il devient difficile et lent de remplir un récipient. Il est même impossible de remplir directement une amphore, le col étant trop haut par rapport au ventre de l’amphore couchée. Si en plus il y a un dépôt qui risque de s’agiter et de se mélanger à ce que l’on puise, la tâche devient ardue. Une pente concentre ce résidu de produit intéressant sur une moins grande surface. Ce volume résiduel d’une dizaine de centimètres d’épaisseur, pour un bassin moyen de 5 m2, est de 500 litres (une vingtaine d’amphores). Si le liquide ne laissait pas de dépôt, l’avantage reste le même, puisque la vidange est accélérée. Et si la production était un solide visqueux ou épais, la pente facilitait son rassemblement, toujours en fin de vidange, dans une partie plus restreinte du bassin, là où se trouve la cupule. Tous les bassins pourvus d’une ou de pentes le sont aussi d’une cupule, située au point de convergence des pentes, s’il y en a deux, et en bas de la pente, s’il n’y en a qu’une. Une incertitude subsiste à ce sujet pour Cognac : tous les bassins sont pourvus de pentes, mais leur nombre n’est pas précisé pour ceux dont la cupule est au centre ou décentrée. La logique et le principe de généralisation imposent de considérer qu’elles aussi descendent vers la cupule. On peut même penser que des pentes de moins d’un centimètre par mètre n’ont pas été remarquées par les inventeurs de certains sites, qui ont cru que des fonds de bassins étaient des sols de pièces, mais ont remarqué la cupule. Le plus souvent, la cupule est décrite comme un creux dans le fond de béton, qui n’interrompt pas l’étanchéité. Sur trois sites au moins, il s’agit d’un trou qui traverse le béton, ce qui amène à penser à une vidange. Mais, et nous verrons plus loin, le doute peut subsister. La position de la cupule dans le bassin est connue dans soixante-quatre cas. Une forte proportion : 44 %, sont situées au centre. La réalisation de pentes convergentes est plus aisée : la différence entre les sommets et le point le plus bas du fond est moindre. À l’opposé, une cupule creusée contre un côté du bassin impose une seule pente, plus importante donc plus difficile à réaliser avec du béton, liquide au moment du coulage et qui a donc tendance à s’auto-niveler. La vidange est aussi plus difficile si l’on descend dans le bassin, puisqu’on est gêné par la paroi du bassin en vidant la cupule. La cupule centrale permet de faire travailler deux personnes en même temps au fond du bassin, chacune poussant de son côté vers la cupule. Les cupules de petit côté ne sont présentes que dans six bassins, soit 9,5 % des cas reconnus. De plus, si une pente conduit un liquide vers une cupule de ce type, elle le conduit aussi vers l’angle du fond avec la paroi. Ce genre de creux est difficile à vidanger. Il n’y a également qu’une seule cupule contre un grand côté. Dans ces conditions, la position d’angle, présente dans 20,5 % des cas reconnus, paraît moyennement avantageuse : si plusieurs personnes peuvent travailler dans le fond, et rien ne dit que cela se produisait, les pentes étaient difficiles à établir. Il faudrait même, idéalement, établir une rigole dans la diagonale du fond, à la jonction des deux pentes, et qui aboutirait à la cupule. De telles pentes sont complexes à établir et se remarquent assez aisément. Si l’inventeur d’un site à cupule d’angle n’a pas signalé de pentes, il est probable qu’il n’y en avait pas. La cupule d’angle n’est présente que dans treize cas. Le dernier type rencontré est la cupule décentrée, c’est à dire située ni au centre, ni tout contre les parois du bassin, mais dans une position intermédiaire. Cet emplacement dans le fond de la cupule est identifiable au moins dix-sept fois, soit 27 % des positions connues. Cette proportion est étonnante, car, sans avoir vraiment les désavantages des cupules d’angle ou de côté, il semble bizarre de construire une cupule comme au hasard dans le fond d’un bassin. La raison doit en être que la cupule ne faisait probablement pas partie des éléments essentiels dans la construction des bassins, de ceux dont on se souciait dès leur conception. En fait, on ne devait songer à leur emplacement qu’au moment du creusement du fond, puisque assez fréquemment, la roche est creusée en arrondi en dessous de la cupule, et semble exploiter un creux naturel de la roche. La cupule épouse cette forme à travers le béton. On se contentait probablement d’accentuer une faiblesse naturelle de la roche-mère, comme c’est le cas à l’Houmeau. Pour ce site, la cupule aurait pu être en position décentrée. De ce creusement à l’avance de la forme de la cupule, le matériau de la cupule est induit dans la plupart des cas. Cinquante-deux fois sur soixante-deux (84 %), elle est en béton. Sept cupules (11 %) sont toutefois taillées dans une dalle de pierre, qui est posée parmi d’autres dans quatre bassins, et encastrée dans un fond en béton dans trois autres. Enfin, dans deux sites une dalle de béton a été coulée à part et une cupule façonnée dans cette dalle avant qu’elle soit encastrée dans le fond du bassin concerné, à Château-d’Oléron et à Port-des-Barques. Comme deux bassins du premier site n’ont pas de cupule, nous pouvons imaginer qu’elle a été rajoutée a posteriori. C’est peut-être aussi le cas pour les dalles en pierre posées dans un fond en béton. Il est difficile d’envisager pourquoi les constructeurs de ces bassins se seraient ainsi compliqué la tâche, sauf si la cupule représentait un avantage réel. On voit aussi que les solutions techniques sont nombreuses. La forme de la base supérieure des cupules est très uniforme : soixante-quatre fois au moins circulaire, mais probablement plus. C’est la forme la plus répandue dès les premières découvertes, la chose semblait alors évidente aux inventeurs, qui ne la signalaient plus. Les cupules ne sont que trois fois ellipsoïdales ; encore l’une de ces cupules est-elle presque circulaire. À Civaux, il n’y a que de légères dépressions. La forme de leur volume est très rarement décrite. Quelques unes sont hémisphériques, celles de Talmont-Saint-Hilaire en troncs de cônes, celles de Baignes-Sainte-Radegonde probablement en cônes, et celles de Nieul-sur-Mer en cylindres presque plats ou en troncs de cônes. En-dehors du diamètre de la base supérieure, les autres dimensions ne sont presque jamais relevées. Les volumes deviennent impossibles à calculer. Peut-être, parce que, comme cela semble être le cas, les cupules étaient en forme de segment de sphère, et donc le simple relevé de la profondeur ne suffit pas à connaître le volume de la cupule. Il faudrait alors un moulage pour connaître son volume exact. Cependant, quand P = 1/2D (10 %), on peut considérer que la cupule est demi-sphérique. Le volume réel des autres cupules doit se situer entre le volume calculé avec R = 1/2D et celui calculé avec R = P. Quand la profondeur est largement inférieure au demi-diamètre de surface de la cupule, celle-ci peut être de forme tronc-conique ou cylindrique. En calculant les volumes de ces cupules selon les deux possibilités, on peut avoir une fourchette la plus ouverte possible. Pour le calcul du volume du tronc de cône, et afin d’ouvrir au maximum la fourchette, on considèrera que le rayon de la petite base est de 1 cm. Les fourchettes obtenues varient du simple au triple. Des volumes approchants sont ainsi obtenus pour une quinzaine de cupules. Ils sont extrêmement variables : de 8,6/12,2 litres pour le bassin de Suaux-Brassac, à 262/348 litres pour les cupules des bassins 4 à 6 de Germignac. La différence de volume des cupules est de un à trente, alors que celle des bassins (entièrement conservés) est de un à cinq seulement. Les unes permettent donc de récupérer, ou de vidanger, un volume proportionnellement six fois plus important. La façon de vider les cupules et leur utilisation variait certainement d’un site à l’autre. Entre les deux extrêmes vus plus haut, nous avons encore le bassin 2 de Nieul-sur-Mer, dont le rapport volume de la cupule/volume du bassin est de 4,5 litres par m³, alors qu’il n’est situé qu’entre 1,3 et 3,8 litres pour le bassin 2 de Soubise 1. Des vases céramiques ayant été retrouvés dans les cupules de Baignes-Sainte-Radegonde, il est possible que l’on ait aussi disposé des récipients dans les cupules des bassins des autres sites. Une fois le liquide épuisé, le résidu solide était rassemblé dans la cupule. Il suffisait alors de retirer le vase pour achever de vidanger le bassin. Leur taille devait varier en fonction de celle de la cupule, et ils devaient être très solides, et assez lourds pour les cupules de plus de 50 litres. Si un récipient était effectivement disposé dans ces cupules de très grands volumes, un système de levage particulier devait exister pour le retirer plein du bassin. Ceux de Germignac ont une profondeur de 1,8 mètre. Pour les cupules peu importantes par rapport à leur bassin, nous pouvons envisager plusieurs hypothèses : ou le produit vidangé laissait un faible dépôt, et la production était de nature différente pour ces bassins, ou bien la cupule était remplie et vidée plusieurs fois à chaque vidange. La présence de ces vases, qui n’est attestée qu’à Baignes-Sainte-Radegonde, est très intéressante pour les bassins dont la cupule est un trou dans le fond du bassin, comme à Suaux-Brassac, et comme cela semble être le cas à Salles-Lavalette et à Tonnay-Charente. Le vase aurait pu empêcher l’écoulement hors du bassin, pour peu que l’on prenne la précaution d’assurer la continuité de l’étanchéité entre le fond du bassin et le vase. L’hypothèse d’une vidange de citerne à eau paraît d’ailleurs peu probable, au moins pour le site de Suaux-Brassac. D’abord, ce site est déjà doté d’une citerne et d’un puits. Ensuite, il est plus simple de vider une citerne par le haut, surtout lorsque elle est si petite, et plus logique, puisque l’eau d’une citerne est normalement destinée à la consommation, et pas à la dilapidation, surtout pour celle-ci qui est de très petites dimensions. Si les constructeurs avaient voulu vider ce bassin de cette manière, ils auraient pris la précaution de la construire en-dehors d’un terrain argileux, dont les qualités drainantes ne sont pas vraiment reconnues. Ou, si tout le terrain est argileux, ils auraient pu installer eux-mêmes un tuyau de vidange. Enfin, le bassin n’est recouvert d’aucun dispositif empêchant des éléments végétaux tels que feuilles d’automne de tomber dans le bassin, tel que c’est le cas pour la plupart des citernes de cour. Les rainures qui ont creusé les parois du bassin sont peut-être effectivement dues aux eaux pluviales, ainsi que les possibles marques d’arrachement de la « plinthe » (le couvre-joint) mais rien ne prouve que le bassin était primitivement destiné à les recueillir. Il est tout aussi possible qu’il ait été abandonné sans être comblé, comme par exemple le bassin B5 de Cognac. Bien peu d’arguments sont en faveur de la citerne. Nous ne pouvons interpréter avec certitude les bassins à cupule, mais il semble plus probable que ce bassin se rattachait, comme les autres, à un artisanat. L’examen du rapport surface supérieure de la cupule/surface du bassin apporte, quand on ne peut calculer le volume de la cupule, un complément à ces informations et à l’histoire des sites. Le rapport varie entre 1,3 % et 13,7 % (pour vingt cupules). Dans les deux tiers des cas, la cupule occupe moins de 7 % du fond du bassin. En regard de ces chiffres, la cupule du bassin D, dans son premier état, de Port-des-Barques, apparaît comme totalement disproportionnée, puisque sa surface est égale à 22,6 % du fond du bassin. Le doublement de celui-ci entraîne la division par deux de son importance. Ses dimensions relatives deviennent alors normales. Cette cupule a été creusée en prévision de l’agrandissement du bassin, qui a du se faire peu de temps après la construction de la première moitié du bassin, ou était du moins prévue dès sa construction. Sur le même site, le bassin H présente une particularité unique : il possède deux cupules. La cupule de la moitié abandonnée fait 2,9 % du grand fond, l’autre fait 4,8 %. À elles deux, elles occupent 7,7 % de la surface du fond, ce qui correspond à la norme des cupules uniques. Il est tout à fait envisageable que l’on ait construit deux cupules pour ce bassin exceptionnellement grand (14,84 m2, soit le deuxième de la région derrière B6 de Cognac). La cupule de la moitié de bassin encore utilisée est plus grande (9,6 %) que celle de l’autre moitié ; dans l’hypothèse de cupules uniques, il parait étrange de creuser une cupule plus grande pour un bassin que l’on diminue. Le seul argument contre l’hypothèse de la double cupule est celui de l’exception : nulle part un bassin avec deux cupules n’a été rencontré. Mais le bassin H est aussi le seul du Centre-Ouest à posséder deux emmarchements, disposés symétriquement de chaque côté de la voûte. Il est possible qu’il ait été construit selon une structure géminée. En-dehors de ces cas particuliers, les rapports de surface cupule/fond du bassin sont comme les rapports de volume, très variables. Sur un seul site, à Port-des-Barques, ils varient de 1,7 % à 11,3 %. Là, l’explication de ces différences par des productions différentes ne tient plus, puisque tous les bassins se sont succédé et ont fonctionné de la même manière. Ils n’aident pas non plus à savoir si les cupules servaient à vidanger un produit indésirable, ou à le récupérer. Les proportions varient en montagnes russes : moyenne pour le premier bassin (5,1 %), puis faible et moyenne pour les deux suivants (1,7 et 5,3 %), elle double pour le bassin D, redescend pour le H, encore plus pour le B (3,7 %). Les deux derniers bassins ont des cupules plus grandes (6 et 9,6% du fond). Comme les profondeurs des bassins varient peu, elles n’expliquent pas ces variations, sauf pour le B. Elles peuvent être attribuables à la façon de les vidanger, en plusieurs fois, comme aux variations de forme, donc de volume de la cupule. Il est difficile de raisonner en ignorant cette donnée. Il est quand même possible, au vu de cette variabilité des dimensions, de conclure, encore une fois, que la cupule n’était pas un élément essentiel de la construction des bassins, mais simplement une facilité dans la vidange que l’on pouvait s’accorder, ou non. N’oublions pas que neuf sites ont des bassins sans cupule voisinant avec d’autres avec cupule.
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https://fr.wikisource.org/wiki/Les%20bassins%20%C3%A0%20cupule/L%27environnement%20des%20bassins
Les bassins à cupule/L'environnement des bassins
Les bassins à cupules L’environnement des bassins L’emplacement des sites à bassins Comme cela a été précisé dans l’introduction, les bassins à cupule ne se rencontraient, avant 1979, qu’en Charente ou en Charente Maritime. Ce n’est que depuis une vingtaine d’années que des découvertes certaines (bassins avec cupule) ont été faites dans les trois départements de la Vendée, des Deux-Sèvres et de la Vienne. Encore, leur nombre reste-t-il restreint. La répartition générale des sites fouillés reste très disparate selon les départements, comme selon les civitates. Dix sites se trouvent en Charente, vingt-trois en Charente Maritime, soit 87 % du total régional (et 91 % des bassins). Les trois autres départements ne regroupent que cinq sites. Plusieurs raisons peuvent expliquer ces disparités. La plus évidente est qu’il y a moins de sites à découvrir, donc moins de découvertes. Les départements des Deux-Sèvres et de la Vendée sont presque entièrement dans le massif Armoricain. Les roches granitiques dont il est composé ont donné des terres froides, moins favorables à l’agriculture et donc aux implantations humaines que celles de la vallée de la Charente, qui sont alluviales, donc plus fertiles. Les instruments aratoires antiques travaillaient beaucoup plus facilement ces terres, plus légères que celles de la Vienne. Le sud-est de ce département est d’ailleurs lui aussi sur des roches granitiques, celles du Massif Central. La deuxième raison est la différence dans la recherche archéologique. Elle est beaucoup plus importante et ancienne dans la Charente et la Charente Maritime que dans les autres départements. Surtout, le nombre des sociétés savantes s’occupant d’archéologie publiant régulièrement une revue est plus grand dans ces départements que dans les trois autres. Ainsi, treize sites des deux départements charentais ont été signalés avant le milieu de notre siècle, soit près des deux cinquièmes. Si ce recensement avait eut lieu il y a vingt ans, il se serait intitulé « Les bassins à cupule dans les Charentes ». Les bassins sont également beaucoup plus nombreux dans la civitas Santonum que dans les cités voisines. En considérant les limites des anciens diocèses, tels qu’ils étaient lorsqu’ils se sont fondus dans le cadre des cités du Bas-Empire, 28 sites sont santons, et 95 bassins (74 % et 83 % des totaux). Les autres cités rassemblent un nombre mineur de sites : sept dans celle des Pictons (soit 18,5 % du total), mais seulement 14 bassins (12 %). La cité des Pétrucores (la Dordogne actuelle et le sud-est de la Charente) a au moins un site. Enfin, deux sites se trouvent sur le territoire de l’évêché d’Angoulême, qui correspond à la cité d’Icolisma. Elle a été détachée au Bas-Empire d’une des cités voisines ; nous ignorons laquelle. Le choix peut se faire entre chacune des trois déjà citées et celle des Lémovices. Il serait d’autant plus intéressant de le savoir que celui des deux sites qui est daté est abandonné au Bas-Empire, donc ne se rattache pas à la période d’existence de cette civitas. De toute façon, l’essentiel des sites se trouve dans la cité des Santons, et un nombre restreint dans deux ou trois cités voisines. Voyons maintenant quels sont les points communs dans l’implantation topographique des sites. Les sites de bord de mer À la concentration des sites dans une même cité, correspond une répartition des sites selon deux critères principaux non pas administratifs, mais géographiques : la proximité de la mer, et celle d’une rivière. La mer comme les rivières offrent à la fois des ressources et une possibilité de commerce à longue distance. La rivière permet de transporter des marchandises, éventuellement jusqu’à la mer et au-delà. Le premier groupe de sites rassemble donc tous ceux actuellement proches de la mer, d’un marais, qui a pu se former depuis l’Antiquité, ou de l’embouchure d’une rivière. Un troisième groupe, mineur, est formé de sites à la fois éloignés de la mer et d’une rivière importante. Le premier sous-groupe des sites proches de la mer comprend les sites de Château-d’Oléron, de La Rochelle, et de Talmont-Saint-Hilaire. Les deux derniers sont à moins de 5 hectomètres d’une côte rocheuse, qui n’a pas dû beaucoup varier depuis leur implantation, il y a un peu plus de deux mille ans. Les bassins de Puits Jouan, à Château-d’Oléron, sont à 200 mètres à peine de la citadelle. La côte est sableuse, voire marécageuse, et a pu varier, comme pour les sites du deuxième sous-groupe. La forteresse et la ville sont cependant sur un éperon rocheux, qui a du constituer un point d’accrochage pour les sables emmenés par les courants littoraux. Il est fort probable que la côte d’Oléron a avancé à cet endroit, plus que reculé. Les choses sont moins clairement établies pour les sites proches de marais. Il y en a six : le site de l’Houmeau, ceux du Gua, et ceux de Saint-Georges-d’Oléron et de Saint-Martial-de-Mirambeau. Rien ne prouve, a priori, que les marécages, qui ont probablement avancé ces derniers siècles, étaient assez reculés pour que ces sites aient eu un accès à la mer aisé. Le site de Saint-Martial est le plus douteux : nous ne savons rien sur la formation des Palus de la Gironde, dont il est éloigné de 8 kilomètres à vol d’oiseau. Même si le recul hypothétique de la rive de la Gironde est la cause de la formation de ces marais, la distance est déjà importante pour que le site se soit installé ici pour bénéficier des ressources de l’estuaire de la Gironde, et partant, de celles de la mer. Par contre, pour commercialiser outre-mer la production des bassins, la distance ne parait pas excessive, surtout si l’on considère que la ferme se trouve en général au milieu des terres qu’elle exploite. Le site de Saint-Georges-d’Oléron est par contre très proche des marais salants du Douhet, au Nord de Saint-Georges-d’Oléron, qui n’existaient pas au Moyen-Àge. Il est donc très probable que ce site était en bord de mer dans l’Antiquité. Le marais du Plomb, à l’Houmeau, a été comblé seulement au XVIe siècle. Les sites du Gua étaient eux aussi probablement en bord de mer, puisque les marais de la Seudre sont de formation récente. Certaines cartes les représentaient il y a peu comme des espaces marins. La bande de terre entre la Seudre et la Gironde s’appelle encore la presqu’île d’Arvert. Ces cinq sites se sont donc presque certainement installés en bord de mer, pour des raisons qui n’étaient probablement pas improvisées. Les sites du troisième sous-groupe ont un emplacement favorable sous deux aspects : établis sur les bords de la Charente, ils ont des relations faciles avec leur arrière-pays (dont Saintes, qui, en tant que capitale de la province d’Aquitaine, constituait certainement un marché d’importance) ; installés sur son estuaire, ils peuvent tirer leurs ressources de la mer, et commercialiser facilement leur production vers des marchés plus éloignés. En remontant la Charente, rive gauche, on trouve les sites de Port-des-Barques, Saint-Nazaire-sur-Charente]], Soubise 1 et 2 ; rive droite, il n’y a que Rochefort. Ceux d’Échillais et de Tonnay-Charente sont l’un, trop loin du fleuve, et l’autre, trop loin de son embouchure pour être inclus dans cette liste. Le second paraît cependant assez proche de la Charente pour avoir utilisé cette voie de communication naturelle. Il se range alors dans le deuxième groupe, ceux établis dans la vallée d’une rivière importante. Les sites proches de rivières La Charente est celle qui a le plus attiré l’implantation des bassins à cupule. Leurs constructeurs devaient y voir ce qui a déjà été dit à la page précédente, une voie fluviale facilement utilisable pour le commerce. Non seulement se trouvent non loin de ses berges (moins de 2 kilomètres) les sites de Tonnay-Charente, d’Écurat 1 et 2, de Saintes 1 et 2 et de Brives-sur-Charente, mais certains se sont installés sur les bords de ses affluents : Germignac (sur le Né) et Cognac (sur l’Antenne). Le site de Juillac-le-Coq est à inclure dans ce groupe, il est au fond d’une courte vallée sèche perpendiculaire au cours du Né. Le transport par eau est plus économique, permet d’emporter de plus grosses charges, limite les risques de bris pendant le voyage. Strabon décrit d’ailleurs l’importance que les fleuves avaient sous l’Empire. À propos des transports en Gaule, il dit : « les marchandises ayant peine à être voiturées par terre (...) Le plus souvent, on les transporte par les voies d’eau. » Il y a ensuite un vide, où il n’y a aucun site certain, entre les sites que nous venons de citer, situés sur le cours inférieur et moyen de la Charente, et ceux qui sont plus en amont. Ceux que l’on rencontre ensuite sont moins proches de la Charente. Elle reste pourtant navigable jusqu’au confluent avec la Tardoire. Mais évidemment, elle ne peut pas déjà porter de gros bateaux, et donc il est plus difficile d’évacuer de grosses quantités de marchandises rapidement. Les sites d’amont sont justement de faible importance. Leur production ne devait pas être très importante. Les sites de Ligné et de Puyréaux sont très proches de confluents avec la Charente, ceux du Bief (dont l’écoulement n’est pas pérenne actuellement) et de la Tardoire et, mieux que les sites qui suivent, devaient profiter de la Charente comme voie fluviale. Ces sites sont cependant toujours situés dans la vallée du fleuve et dans celles de ses affluents. Si des sites se sont implantés près de ces cours d’eau peu importants, il faut plutôt y voir un effet de la recommandation de Varron, qui conseille de s’établir « à proximité d’une eau qui coule sans tarir ». La précaution s’impose presque d’elle-même, et Varron reprend certainement une pratique établie. La vallée facilite aussi les communications avec le cours de la Charente. Les sites concernés sont ceux de Saint-Fraigne (vallée de l’Aune) et de Suaux-Brassac (sur un coteau dominant la Bonnieure). Les sites du Haut-Poitou sont eux, tous à proximité d’une voie navigable : le Thouet pour Taizé, la Gartempe pour Antigny, la Vienne pour Civaux et Ingrandes. Le site d’Antigny est de plus sur la voie entre Limonum et Lugdunum (Poitiers et Lyon). Ces sites étaient sur la même voie commerciale fréquentée que ceux de la vallée de la Charente, qui remontait le Clain et traversait le seuil du Poitou pour reprendre une voie fluviale. Une ligne d’eau de la Table de Peutinger relie ainsi Limonum à Mediolanum Santonum. Cela ne signifie évidemment pas qu’une voie d’eau continue existait ente les deux villes. Mais la Table de Peutinger indique les itinéraires les plus pratiques. Le voyage par eau étant plus économique et plus confortable, elle précise lorsqu’il est possible d’aller d’une ville à l’autre presque uniquement en bateau. Le court transport par terre n’est pas indiqué. La tentative de rapprochement d’une rivière navigable est aussi constatable pour le site de Salles-Lavalette, dans la vallée de la Lizonne ou Nizonne. En revanche, quelques sites sont toalement à l’écart de toute rivière navigable : outre celui d’Échillais, il a ceux de Baignes-Sainte-Radegonde et de Saint-Denis-du-Pin, qui sont aussi à l’écart des autres sites. L’implantation des sites incertains Les sites à bassins aux caractéristiques proches des bassins à cupule se répartissent de manière analogue. Seize sites sont en Charente Maritime ou en Charente, si l’on compte trois sites à Fouras. Étant décrits succinctement comme semblables par un seul auteur, il n’a pas été utile d’établir plusieurs fiches. Quatre seulement sont établis dans les trois départements du Nord. La civitas Pictonum regroupe à peu près la même proportion (20 % contre 18,5 %) de sites incertains que de sites surs. La civitas Santonum est, pour ces sites aussi, largement prédominante, avec 60 % des sites. Les sites de la cité d’Icolisma sont mieux représentés, avec 20 % des sites. Les bassins sont en très grande majorité dans ce même territoire, à cause du très grand nombre possible de bassins de Fouqueure. Ces sites incertains sont également nombreux dans les vallées de la Charente et de ses affluents. En amont, les sites de Mons et des Gours sont proches de l’Aume et de la Couture, près du groupe de sites surs de Ligné et de Saint-Fraigne. Les sites de Fouqueure, Vars, Balzac et Nersac se trouvent eux dans la vallée de la Charente. Ils comblent en quelque sorte l’intervalle entre le groupe de sites amont (dont le plus aval est celui de Ligné) et ceux de la Basse-Charente. Plus en aval, les sites incertains de Cierzac, près de Germignac, et de Coulonges, près du confluent du Bramert avec la Charente, sont eux aussi très proches de la Charente. Enfin, les trois sites de Fouras sont établis sur la rive droite de l’estuaire du fleuve. Trois des sites Pictons sont également à proximité d’une rivière navigable, Granzay, sur la Courance, Niort, sur la Sèvre du même nom, et Scorbé-Clairvaux, près de la Lenvigne. L’avantage de la rivière comme voie de communication y est cependant moins sur. Le dernier site est éloigné d’environ 4 kilomètres de cette petite rivière. Quant aux deux autres rivières qui se dirigent vers le Marais Poitevin, elles sont aujourd’hui assez hautes, parce que leur cours s’est élevé depuis l’assèchement des marécages. Mais jusqu’à quel point était-elle moins navigable qu’aujourd’hui ? En effet, une simple barque peu chargée (quelques amphores) n’a pas un tirant d’eau très important. Les sites proches d’une petite rivière sont parmi les moins importants ; ils ont tous un ou deux bassins seulement. Ils ont pu, de manière marginale, les utiliser pour le transport de leur production, de toute façon limitée. Mais, comme pour les sites surs, il est plus probable que la rivière était utilisée surtout pour la consommation d’eau des humains et des animaux. Les sites incertains éloignés d’une rivière sont aussi rares que les sites surs. Il y a Aumagne, située entre Matha et Saint-Jean-d’Angély, dans la vallée d’une autre Courance, à l’écoulement qui n’est pas pérenne. Ce site a pu profiter de la proximité de la voie entre Mediolanum Santonum et Limonum (Saintes-Poitiers). Il y a aussi les sites de Bernay, à l’est de Surgères, Fontaine-d’Ozillac, entre Baignes-Sainte-Radegonde et Saint-Martial-de-Mirambeau, et Saint-Félix, près de Bernay. Cette répartition des sites incertains, près du réseau fluvial, notamment la Charente et ses affluents, à proximité de la mer, et en grande partie dans la civitas Santonum, confirme à la fois les précédentes observations et la validité de la sélection de ces sites incertains. La plupart des sites se sont donc implantés en recherchant la proximité de voies de communication, fluviale et maritime, terrestre à défaut. En envisageant l’évolution des sites dans le temps, collectivement puis individuellement, nous pouvons préciser cette idée. L’évolution des sites L’évolution générale des sites actifs Bien que 38 sites soient recensés, seulement 24 sont datés, dont deux avec une assez grande incertitude. Comme on peut le voir sur le graphique de la page suivante, le nombre de sites actifs de façon certaine à un moment donné ne dépasse pas la quinzaine. Les observations que nous pouvons faire à chaque fois ne reposent donc que sur un échantillon restreint des sites connus. Le graphique n’est pas un reflet exact de la réalité pour d’autres raisons encore : les sites datés de façon incertaine sont mélangés avec ceux datés certainement ; les sites dont l’occupation commencent au I siècle sans précision y figurent tous à partir de 20 après J.-C. sans distinction ; de même pour les arrêts d’occupation ; nous ne savons pas si tous les bassins avaient le même usage, et des sites qui utilisaient leurs bassins peut-être de façons totalement différentes sont rassemblés sous la même étiquette de bassins à cupule. Les bassins de Trains d’Écurat n’ont toutefois pas été pris en compte, car inscrits dans un contexte religieux. Certains bassins sont inclus dans ce graphique, bien que nous ne connaissions que très mal leur volume. C’est le cas pour les bassins de Talmont, qui n’ont été conservés que sur une hauteur de 24 cm. Malgré toutes ces réserves, quelques tendances générales se dégagent, exposées dans cette partie. La première chose que le graphique met en évidence est la très longue période d’activité des sites dans la région : cinq siècles, soit des débuts de la Gaule romaine jusqu’à la fin du royaume de Syagrius et à l’invasion wisigothique. L’installation la plus ancienne datable avec précision est celle d’Antigny, vers 15 avant J.-C. Le site d’Écurat 2 s’est installé sous Auguste avec certitude. Celui de Rochefort était occupé avant la Conquête, et ses bassins ont été comblés à la fin du I siècle après J.-C., ce qui place leur construction probablement à la même époque que les deux précédents. Il est une des traces de la romanisation précoce du littoral des Santons. Ceux-ci ont en effet très tôt collaboré avec les Romains, notamment dans leur lutte contre les Vénètes. Les deux premiers sites ont ceci de commun qu’ils sont placés dans des lieux où les contacts avec les Romains devaient être plus nombreux et qui étaient plus susceptibles d’une romanisation précoce. Le site d’Écurat est proche de Saintes, qui fut choisie comme capitale provinciale par Auguste à l’époque de son installation (le voyage d’Auguste en Gaule date de 27 avant J.-C.). Celui d’Antigny est sur la voie romaine Poitiers-Lyon, sur le point de passage de la vallée de la Gartempe, le Gué-de-Sciaux. Les nombreuses constructions artisanales et cultuelles témoignent de sa fréquentation. Même le site de Rochefort n’échappe pas à cette logique, car s’il est en bord de mer, il est aussi à l’embouchure de la Charente. Les relations avec Saintes s’en trouvaient facilitées. Ces trois sites plus anciens sont ainsi des marqueurs des premiers progrès de la romanisation de la région. Les installations de sites dans la première moitié du I siècle sont au nombre de cinq, et de huit si on y ajoute ceux d’Échillais, mal daté de cette période, de Ligné, qui a pu avoir une activité dès le deuxième quart du I siècle, et des Trains d’Écurat, douteux quant à son activité artisanale. Un seul site est abandonné, celui d’Antigny. En 50 après J.-C., on peut considérer que huit sites au moins étaient actifs, ce qui représente un bond considérable. Cette progression se poursuit dans la seconde moitié du siècle, avec neuf installations, dont une seule datée de façon incertaine (Germignac). Trois sites étant abandonnés, ou datés de façon insuffisante, le nombre de sites sûrement en activité autour de 100 s’établit à quinze. Ce nombre est stable pendant une période longue d’un demi-siècle, qui correspond à l’apogée de l’Empire Romain. Quelques rares sites disparaissent au II siècle, mais d’autres les remplacent. Dit d’une autre façon, la grande époque des installations est finie : seulement deux sites sont occupés à partir du début de ce siècle, Ligné et Taizé (le premier des deux a peut-être été occupé dès le siècle précédent) et un seul après 150, l’Houmeau. À cette période, le nombre de sites actifs connaît une deuxième chute, puis redevient stable dans les grandes lignes pendant plus d’un siècle. La crise du III siècle ne semble pas avoir fait disparaître un nombre important de sites. Ce n’est que lorsque le plus fort de cette crise est passé que le nombre de sites actifs recommence à diminuer, justement quand l’instabilité politique s’apaise, entre 280 et 300. Malgré cette baisse, un site au moins, voire deux installent de nouveaux bassins : Soubise 2 et Civaux. Il n’y a donc pas de relation immédiate entre le nombre de sites actifs et l’évolution politique de l’Empire, jusqu’aux alentours de 350. Ce n’est que lorsque l’Empire se désagrège au IV siècle que les sites recommencent à disparaître plus rapidement. Ces deux événements sont concomitants, mais au vu de la période précédente, ils ne sont pas forcément liés. Il est plus sur d’évoquer le changement de la société que celui des empereurs. Une véritable chute du nombre des sites actifs se produit donc à la fin du IV siècle, et il n’y en a plus que deux au V siècle (Port-des-Barques et Soubise 2). L’arrêt de l’activité est difficile à préciser, car les sites ont continué à être occupé à l’époque mérovingienne. Il est toutefois certain que les bassins continuent d’être utilisés au cours de ce siècle, et qu’ils sont abandonnés au suivant. L’évolution générale de la capacité totale des bassins Les incertitudes qui pèsent sur le graphique des sites actifs pèsent aussi sur la courbe de la capacité totale des bassins, plus une : nous ne pouvons pas savoir si les bassins étaient utilisés à plein ou pas à telle ou telle époque. Les commentaires qu’elle peut susciter ne doivent donc concerner que la longue durée. Croisé avec celui de l’histogramme, son examen est très intéressant sur l’histoire des bassins à cupule. L’évolution de la capacité totale des bassins entre 20 avant J.-C. et 100 après J.-C. suit celle du nombre de bassins actifs, et augmente très rapidement. La petite pause que l’on observe au milieu du premier siècle est due au rapprochement des dates de référence (de vingt ans en vingt ans), les installations de nouveaux bassins n’étant pas toujours datables avec une telle précision. C’est à cette époque que l’on doit être le plus prudent dans la lecture du graphique, puisque une grande part de cet accroissement est due à un site à datation incertaine, Germignac. Il ne remet cependant pas en cause la tendance générale, puisqu’il ne figure dans le graphique qu’à deux dates de référence, 60 et 80. Il faut aussi tenir compte des sites dont nous ne connaissons pas le volume des bassins ; leur nombre passe de un à deux à cette époque. Le nouveau site est celui de Saint-Martial, dont le bassin, qui n’est peut-être pas unique, est l’un des plus grands : 12 m². Il est donc sur, malgré ces quelques incertitudes quant aux proportions exactes, que les capacités totales des bassins ont très fortement augmenté entre 50 et 100, et de façon moins sensible entre 100 et 140. Ce petit accroissement correspond à la montée en puissance du site de Port-des-Barques, et se fait malgré la diminution du nombre de sites actifs pris en compte. La première moitié du II siècle est donc réellement l’apogée de l’activité des bassins à cupule. La période qui suit est très particulière. Alors que le nombre de sites actifs reste très stable, après une première baisse limitée, la capacité des bassins chute en continu jusqu’au début du III siècle, en diminuant de 40 % dans un premier temps ente 140 et 200, puis de 50 % entre 200 et 260. Pour que leur activité perdure, les sites actifs ont du réduire drastiquement la capacité des bassins. Les propriétaires se sont ainsi adaptés à un changement durable de la conjoncture, sur lequel nous ne pouvons que lancer des conjectures. Une région constituant un débouché particulier s’est-elle fermé progressivement ? Les consommateurs habituels de ce produit s’en sont-ils détournés, ce qui retire également un débouché ? Si les bassins avaient un usage domestique, leur utilité a-t-elle diminué ? Tant que nous ne pourrons pas déterminer avec plus de certitude quel usage les Gallo-Romains faisaient de ces bassins, nous ne pourrons trancher entre ces différentes hypothèses. Toujours est-il que cette adaptation a du réussir, puisque, malgré la disparition de deux sites à volume connu, le nombre de sites actifs redevient stable après 260 et la capacité totale ne baisse que légèrement dans la deuxième moitié du III siècle. Son évolution est ensuite parallèle à celle du nombre de sites actifs, avec deux diminutions importantes vers 300 et vers 400, et dont l’apparente brutalité est due à la difficulté déjà évoquée de la datation des cessations d’activité des sites. Nous approchons du moment où nous essaierons de déterminer pour quel usage précis ces bassins étaient construits. Mais avant d’envisager cela, voyons d’abord quels sont les aménagements construits pour l’alimentation de ces bassins. L’organisation de la production L’implantation des bassins dans les sites La connaissance que nous pouvons avoir de celle-ci commence par un vide, puisqu’aucune installation particulière n’a été relevée autour des bassins les plus anciens, puisqu’elles avaient disparu à Écurat 2, les sols ayant disparu ; à Rochefort, les conditions de fouilles n’ont pas permis d’en retrouver ; enfin, à Antigny, il semble qu’aucun aménagement n’ait subsisté jusqu’à nos jours. Simplement, à Antigny, le bassin est en plein air, alors que le bassin d’Écurat 2 était plus vraisemblablement à l’intérieur de la ferme gauloise. Cette dernière information contient deux points intéressants : le bâtiment de la Cigogne à Écurat est une reconstruction d’une ferme gauloise, et c’est un bâtiment rural. Certains des bassins à cupule, bien que faisant appel à des techniques de construction romaines, ont été bâtis par des Gaulois, ou sur commande de Gaulois, les sites les plus anciens étant aussi, nous l’avons vu, les plus susceptibles d’une romanisation précoce. L’occupation du site de Rochefort remonte elle à la Tène finale. Ses bassins ne peuvent être datés si anciennement, le béton les situant à l‘époque romaine de façon certaine. La première conclusion à tirer de ces quelques éléments est que la production des bassins à cupule est soit d’origine romaine, et produite selon des techniques importées en même temps, mais peut aussi être d’origine gauloise. Ses conditions de fabrication se seraient modifiées avec la romanisation. D’autre part, le site d’Écurat 2, comme celui de Rochefort, présentent une caractéristique commune à la plupart des sites, leur situation à la campagne. Les bassins situés dans une ville ou un vicus sont rares : outre celui d’Antigny, il n’y a guère que ceux de Taizé, Civaux, et celui de la rue Daniel Massiou à Saintes, très proche de la ville antique. Les sites incertains présentent la même particularité : seul celui de Niort est installé dans un milieu urbain. Les deux bassins d’Écurat et d’Antigny sont aussi disposés selon les deux variantes qui seront utilisées tout au long de la période, à l’intérieur d’un bâtiment ou à découvert. Le bassin de Suaux-Brassac est ainsi construit dans une cour. Le fait est aussi possible pour une partie des bassins de Soubise 1 (soit ceux de l’espace central, soit ceux des espaces latéraux), et celui du Gua 3. Pour ce bassin, le directeur des fouilles ne penche ni dans le sens de la cour, ni dans celui de la grande salle. Les constructions de tout ces sites sont datés du I siècle. Les sites à bassins couverts sont les plus nombreux à être avérés : Cognac, Puyréaux, Saint-Fraigne, Écurat 2, l’Houmeau (très probablement), La Rochelle, Port-des-Barques, Soubise 2 et Civaux. Enfin, quelques sites ont à la fois construit des bassins couverts de façon certaine, et d’autres en extérieur. Il s’agit des sites de Segonzac, des Trains d’Écurat à Saintes et de Talmont-Saint-Hilaire. Ceux du second site sont toutefois très probablement des bassins cultuels et B2 de Talmont a pu être couvert d’un appentis. Certains sites n’ont qu’une couverture incertaine pour quelques uns de leurs bassins : ainsi pour L et D du Gua 2 sont entre des murs assez solides pour soutenir une couverture, mais A et B, bien qu’entourés des mêmes sols bétonnés, n’ont qu’un mur au sud, ce qui ne permet pas de se prononcer. Les sites à bassins couverts au moins en partie sont majoritaires. La préparation au moins était préférable sous abri, et il paraissait le plus souvent préférable pour la production d’avoir des bassins à l’abri des intempéries. Parmi tout ces sites, bien peu ont été fouillés entièrement, et nous ne connaissons la pars urbana et la pars rustica que sur deux d’entre eux, les Minimes à La Rochelle, et les deux sites de Soubise. Les deux derniers font l’objet de deux fiches séparées car, bien qu’ils ne constituent qu’une seule villa, la localisation de la production a évoluée, et pris seulement du point de vue des bassins à cupule, ils constituent deux sites différents. Du I au III siècle, elle reste dans un bâtiment construit à cet usage, Soubise 1 (500 m² environ), avant de passer dans une aile réservée de la pars urbana à Soubise 2 (l’aile concernée ayant une surface de 280 m²). Cette aile devient alors la pars rustica de la villa. L’ancien bâtiment artisanal est alors abandonné, le matériel postérieur au III siècle est très rare sur cet partie du site. Les auteurs utilisant deux noms différents pour ces deux bâtiments, il est préférable de les suivre. Sur d’autres sites, seul un bâtiment artisanal plus ou moins vaste a été retrouvé. C’est le même schéma pars urbana dans des bâtiments distincts de la pars rustica que l’on retrouve : Cognac (1660 m²), Port-des-Barques (seulement 250 m² fouillés). Les bâtiments artisanaux de La Rochelle ont une superficie de 450 m² environ. Ce sont d’ailleurs ces cinq sites qui sont les plus importants et qui nous apportent le plus de renseignements sur les modes de production des sites à bassins à cupule, en considérant bien sur que tous les bassins avaient la même destination (exceptés ceux de Trains d’Écurat). L’environnement direct des bassins Tous les espaces reconnus proches des bassins sont clairement aménagés en vue de la manipulation d’une production liquide, et de son acheminement vers les bassins. Malheureusement, ils n’ont que rarement fait l’objet de fouilles et de descriptions, et nous ne disposons que d’un nombre restreint de sites pour établir des comparaisons. L’un des systèmes qui nous est parvenu est celui de l’aire bétonnée et drainée, du type du secteur 15 de Cognac. Elle a une superficie de 70 à 75 m² environ, et alimente B5 (volume maximal : 15,7 m³). Après avoir fonctionné un certain temps, elle a été abandonné au profit de l’aire 7. Les raisons de cet abandon nous échappent en partie, d’autant que ce système fut encore utilisé plusieurs décennies après, sur un autre site, en un ou deux exemplaires, à La Rochelle, qui remplacent un autre dispositif. Les dimensions en sont approximativement identiques, mais l’aire est destinée à alimenter un bassin de seulement 384 litres (il a été déposé au dépôt de fouilles de la Porte Royale à La Rochelle). Il est incontestable que ces aires étaient destinées à alimenter les bassins, puisque les drains de l’aire S13 aux Minimes formaient un réseau en relation directe avec le bassin. Si ceux de Cognac n’allaient pas jusqu’au bassin (B5), ils allaient dans sa direction, et étaient effacés plus qu’absents dans leur dernière section. Cependant, on peut se poser la même question pour le bassin B9 de La Rochelle que pour les cupules en général : n’était-il pas destiné à recueillir un simple résidu indésirable, ou au contraire était-il le réceptacle de la production de la salle ? Il est probable que ce soit la deuxième option qui soit la bonne. L’argument principal est qu’on a mis en valeur l’entrée de la salle, en l’encadrant de deux colonnes. Si ce bassin avait été destiné à recueillir quelque chose voué à être jeté, on n’aurait pas placé si près de ce qui ressemble à une entrée d’honneur un simple collecteur de résidus indésirables. Le deuxième mode d’alimentation, qui n’est en fait qu’une variante plus simple du système précédent, est l’aire bétonnée étanche et lisse en contact direct ou presque direct avec le bassin. On pourrait douter dans certains cas de son utilisation dans le but de produire une substance plus ou moins liquide si, à Soubise 2, la plus ancienne de ces aires n’était pas dotée de caractères spéciaux. L’enduit étanche qui recouvrait le sol remontait en effet le long des murs sur une hauteur de 10 cm, et d’une telle qualité que les aires A1, B1 et C1 ont d’abord été prises pour des bassins en élévation. De plus, des conduits étaient aménagés de l’une de ces aires (A1) vers les bassins contemporains A2 et A3, traversant le mur de séparation établi entre elle et le bassin. Ils étaient constitués d’imbrices face concave vers le haut et enduites de la même façon que le sol de ces aires. Les imbrices n’ont pas été retrouvées entre les autres aires du site et les autres bassins, mais leurs emplacements étaient toujours présents dans les murs. Des aires étanches ont de façon probable été retrouvées à Baignes-Sainte-Radegonde ; et de façon certaine au Gua 2, où l’enduit remontait aussi sur le bas des murs, et à Port-des-Barques, où tous les bassins, sauf G, furent dotés de ce genre d’alimentation, sans conduit en imbrex. À Cognac, l’aire 7, qui cohabita avec le secteur 15 avant de le remplacer, a connu la même disposition qu’à Soubise 2. Mais le mur était traversé par deux tuyaux de plomb (fistulæ) conduisant aux bassins B10 et B11, et remplaçant les imbrices. La dernière variante dans l’alimentation des bassins par ces aires est la construction d’un canal émissaire ou répartiteur. Dans le premier cas, on pouvait installer l’aire à distance du bassin, mais aussi, comme cela est le cas à Cognac, n’en utiliser qu’une pour tous les bassins du site. Le système, coûteux à l’installation, permettait néanmoins d’économiser l’entretien de deux aires. L’aire 7 de Cognac porte la trace d’au moins une reprise du béton, alors que le secteur 15 n’en porte aucune. Ce canal de Cognac avait une profondeur de 40 cm, et s’achevait par une fistulæ de 5,5 cm de diamètre intérieur qui traversait un mur.Ce canal a été dédoublé à hauteur du bassin B1, qu’il a pu alimenter, sans qu’on en retrouve le débouché. Son utilité paraît limitée par le double emploi qu’il ferait alors avec les fistulæ du mur m1. L’Houmeau présentait lui aussi un canal, mais plus simplement disposé, puisque le canal allait directement de l’aire au bassin, sans traverser de murs, sans virages ni fistula. La couche supérieure de ce qui est interprété comme une aire étanche n’est qu’un cailloutis mêlé de mortier, mais il est posé sur un hérisson stabilisateur aussi puissant que ceux des salles S3 et S13 de La Rochelle. Il est probable que la couche d’usure qui a été renouvelée ailleurs n’a pas subsisté jusqu’à nos jours ici. Même si, là aussi, aucun débouché du canal n’a été retrouvé, ni dans les bassins C3, ni dans C4, il est probable qu’il avait la même destination que ceux de Cognac et de Port-des-Barques, entièrement retrouvé entre l’aire XVII et le bassin G. Le canal peut être émissaire d’une aire vers un bassin, mais aussi répartiteur entre deux bassins. Il est situé alors horizontalement entre deux bassins, et en contrebas de l’aire étanche, inclinée vers le canal. Il permet le remplissage des deux bassins à la fois. Cet agencement n’est expressément décrit qu’à Puyréaux, mais il était probablement présent à Germignac. À Puyréaux, le canal, de section carrée, mesure 5,3 m de long ; à Germignac, il mesure 4,85 m de long et est de section triangulaire. Bien qu’aucune aire étanche n’y soit décrite, elle devait s’y trouver, puisque l’écoulement ne pouvait avoir lieu entre le haut des deux bassins B1 et B3. La fistula au fond de B1 et de B2 autorisait le remplissage de trois bassins en même temps, mais aussi de choisir, selon les cas, entre l’utilisation d’un, deux ou trois bassins (B3, ou B1 et B2, ou B1-B2 et B3) par la simple obturation du canal de surface. Systèmes particuliers Quelques sites présentent des caractéristiques très rares. Deux bassins de deux sites différents pouvaient être vidangés par un conduit placé dans le bas du bassin. Dans un cas au moins, il ne s’agissait pas d’un simple déversoir, puisque, à Cierzac, le conduit se prolonge sur une certaine distance en direction de la rivière Né. L’existence de ces véritables vidanges de bassin peut remettre en cause l’interprétation qui a été faite des cupules de Suaux-Brassac et de Salles-Lavalette. Elles ne seraient pas destinées à accueillir des vases, mais simplement à vidanger un bassin. De toute façon, il aurait fallu placer un système de bouchage dans la cupule, office qui peut être rempli par un vase. Le sous-sol de Suaux-Brassac reste argileux, et donc peu drainant. Nous restons dans l’ignorance pour les cupules de Salles-Lavalette. Il ne faut pas tenter de généraliser et chercher des systèmes de vidange complète par le bas. Les deux conduits de Brives-sur-Charente et de Cierzac restent, jusqu’à de nouvelles découvertes, isolés. Une autre découverte est aussi rare, celle des pierres évidées et percées de trous. Elles n’ont été découvertes que sur deux sites, dont un qui n’avait pas de cupule dans son bassin. À Port-des-Barques, les trois pierres étaient chacune dans un bassin différent, sans autre mobilier proche donnant une indication sur leur usage. Il était probable pour le fouilleur que les petites ouvertures étaient destinées à accueillir des tuyaux, de bois, ce qui expliquerait leur disparition, ou de plomb, qui aurait été remployés. Les pierres de Saint-Félix, décrites moins précisément, étaient reliées par des tuyaux de plomb. Il s’agit probablement du même système. Leur utilisation reste inconnue. Les deux séries de trous sont dans le même axe, donc les pierres ne pouvaient pas servir de coude pour une conduite. Aucun système analogue n’est connu. Des tuyauteries de moins de un cm de diamètre intérieur ne sont pas d’un usage très répandu, surtout pour une installation artisanale. Ceux de Cognac ont un diamètre intérieur de 5,5 cm. Les Romains fabriquaient leurs tuyaux de plomb en tordant une feuille de plomb autour d’un objet cylindrique, puis en aplatissant l’une sur l’autre les deux extrémités. Les petits tuyaux exigeaient un travail plus précis, donc plus difficile. Le coût de ces pierres à tuyaux devait être élevé, comme celui de la construction des bassins en général. Enfin, le site de Civaux présente une salle de travail dont la disposition n’est présente qu’une fois. Voici une brève description : la salle est organisée symétriquement ; deux excavations sont comprises toute deux entre deux aires étanches d’une superficie restreinte. Les deux excavations n’ont reçu un fond étanche que dans le deuxième état. Elles comportaient deux cuvettes, plus vastes que celles des trois bassins voisins. Des encoches aménagées dans les murs permettaient le montage d’une superstructure en bois. Celle-ci aurait supporté une installation à mouvement circulaire, qui serait responsable du creusement des deux cuvettes. Ce système n’était pas étanche, il est donc probable que le liquide était manipulé au dessus de ces fosses. En effet, outre les deux aires, deux creux parallélépipédiques parfaitement enduits et munis de couvre-joints se trouvaient de chaque côté des excavations. Il devait ensuite être porté dans les bassins. La légère transformation intervenue à une époque indéterminée ne remet pas en cause ce fonctionnement. L’histoire des sites Nous avons vu que de nombreux sites ont connu des évolutions dans leur fonctionnement. Ces modifications sont décrites site par site dans le fichier, mais elles méritent d’être reprises ensemble dans une sous-partie spéciale car leur succession n’est pas toujours logique au premier abord. Le cas le plus étonnant est celui de l’Houmeau. Le bassin C4, neuf ou presque, a subi d’importantes modifications. Le fait qu’on se rende compte que ce bassin, qui a remplacé les bassins C1 et C2, ne convenait plus à peine construit, pose à lui seul un problème. Les enduits des bassins les plus anciens avaient déjà été repris de nombreuses fois, et bien que leur étanchéité ne semble pas avoir été remise en cause, ils ont été remplacés. Vue la charge d’entretien, les propriétaires devaient y penser depuis longtemps. La construction d’un bassin, qui ne devait pas se décider au hasard, aurait du être dans ce cas-là, sinon encore plus mûrement, du moins plus longuement réfléchie. Ce délai n’a apparemment pas suffi, puisque le bassin C4 a été modifié aussitôt. En résumé, le plus probable est qu’il a été allongé vers le Nord de 2,5 mètres et son mur Nord a été abattu pour permettre cet agrandissement. Puis le nouveau bassin a été réduit par la construction d’un mur au milieu de l’ancien C4, réduisant l’allongement à 1,65 mètre. Le fond de la nouvelle partie étant plus haut, on a aussi surélevé le plus ancien. L’autre moitié de C4 a été abandonnée et comblée. Une autre interprétation des vestiges est que le bassin C4 a d’abord été réduit de moitié, avant d’être agrandi. Le bassin intermédiaire, avec des dimensions L = 1,70 mètre, l = 0,85 mètre et P = 1,35 mètre aurait été difficilement utilisable, en raison de son étroitesse et de sa profondeur. La première version est plus vraisemblable, bien que difficilement compréhensible. Les constructeurs ont du chercher à s’adapter au mieux à leurs approvisionnements en matières premières ou à leurs possibilités d’écoulement de la marchandise. Si l’une de ces deux données a subitement variée, ou si elle a été mal appréciée dans un premier temps, elle peut expliquer ces travaux. Dans le deuxième cas, une incurie expliquerait l’autre, mais l’explication semble un peu trop facile, et surtout trop peu étayée. Car le cas n’est pas unique, bien qu’exceptionnel. Ainsi, on peut s’interroger sur quelques unes des huit campagnes de construction de Port-des-Barques. Ainsi, pourquoi abandonne-t-on le bassin E lorsque les bassins C et G sont construits ? Selon ce qui a été fait sur le site précédent, un agrandissement aurait économisé la construction d’un des deux nouveaux bassins. Admettons que l’on ne pouvait se passer du bassin E pendant la construction des deux nouveaux bassins, cela semble étonnant d’un si petit volume comparé aux deux autres. Peut-être le fait que la villa ne s’est que progressivement tournée vers cette activité intervient-il dans cette explication, mais comment ? De même, pourquoi construit-on le bassin D, d’un volume de 12,5 m³ dans son deuxième état, soit à peine moins que les deux anciens réunis ? Même si sa construction en deux étapes s’explique par une volonté d’étaler les coûts dans le temps, sa construction ne se justifie que si les bassins C et G étaient hors d’usage, ce que n’a pas remarqué le fouilleur. D’ailleurs, ils ont été construits en même temps, donc devaient être dans un état d’usure sensiblement voisin, et le remplacement de l’un prioritairement à l’autre ne s’explique pas dans ces conditions. Lorsque le bassin H, deux cent ans plus tard, est devenu trop grand malgré une première réduction de moitié, il semble illogique, et coûteux, si le marché devient plus étroit (on utilise de plus petits volumes) de construire un nouveau bassin, B, dans une nouvelle aile. Il est vrai que la partie utilisée de H aurait été ridicule, par rapport à sa taille ancienne, et qu’en utilisant la même surface sur une profondeur moindre, le dépôt supposé par la construction de cupules aurait pu se mélanger plus facilement au liquide produit lors de la vidange s’il avait été réparti sur une plus grande surface. La notion de ridicule peut sembler déplacée lorsqu’on parle d’une activité économique, mais le bassin H avait certainement une grande importance sentimentale pour les habitants de la villa, puisqu’il était le plus grand, donc correspondait à un âge d’or, et ses caractéristiques, escaliers, double cupule, voûte, des restes d’une période faste qu’on n’a peut-être pas voulu mutiler. Il suffit de se rappeler l’histoire du paquebot Norway : financièrement, l’Etat a fait une bonne affaire en réussissant à vendre une carcasse rouillée. Sentimentalement, ce fut un échec, et beaucoup de Français ne peuvent y penser sans un serrement au cœur. Il entre peut-être une part de nostalgie des Trente Glorieuses dans ce sentiment, et peut-être est ce le même sentiment qui a, en partie, conduit les utilisateurs de H à construire un nouveau bassin. Que l’on se rappelle aussi l’essai d’un nouveau type de couvre-joints, la période de construction du bassin B (autour de 400 après J.-C.), et ce sentiment sera compréhensible. Car, des nombreuses reconstructions précédentes, on peut aussi déduire que les bassins ne servaient guère qu’entre un demi-siècle et un siècle, et que le bassin H comme le D avaient atteint la limite d’âge. Pour les autres sites, les abandons et les nouvelles constructions peuvent mieux s’expliquer par l’ascension et le déclin des sites, ou par des réorganisations de la production. Les bassins uniques des sites de Saint-Nazaire et d’Ingrandes ont ainsi subi des travaux beaucoup moins importants, puisqu’un simple mur a été ajouté au milieu du bassin. À Ingrandes, en plus de trois siècles d’occupation, c’est la seule modification. Les deux moitiés du bassin continuent d’ailleurs d’être utilisées, comme une batterie de bassins, et sont dotées des mêmes aménagements. L’utilisation conjointe des deux moitiés du bassin du premier site est moins sure, surtout en considérant l’épaisseur du mur de séparation. Celui-ci était capable de résister à la poussée d’un demi bassin plein. Une moitié a du servir seule, l’autre étant en réserve, puisqu’elle n’a pas été comblée. Enfin, des travaux moins importants sont relevés assez souvent. Outre le renouvellement des enduits (signalé à l’Houmeau et à La Rochelle), certains fonds sont rehaussés. La diminution de profondeur du bassin varie entre 12 (Saint-Martial) et 35 ou 37 cm (La Rochelle, B67 ; Nieul-sur-Mer, B2). D’autres fonds de bassin rehaussés n’ont pas été mesurés : B5 à La Rochelle, le deuxième dallage de B1 à Château-d’Oléron. Ces petites modifications peuvent parfois être interprétées comme de simples opérations d’entretien. Quant le rehaussement dépasse les 30 cm, il s’agit probablement d’une réduction du bassin, peut-être plus économique que la construction d’un nouveau bassin ou la division de l’ancien. Ils correspondent en effet à une diminution d’un tiers ou moins du volume, et la construction d’un mur de séparation aurait été superflue.
1819
https://fr.wikisource.org/wiki/Les%20bassins%20%C3%A0%20cupule/Les%20interpr%C3%A9tations%20des%20bassins%20%C3%A0%20cupule
Les bassins à cupule/Les interprétations des bassins à cupule
Les bassins à cupules Les interprétations des bassins à cupule Premières hypothèses Citernes Les historiens régionaux du siècle dernier, premiers inventeurs de bassins à cupule, émirent bien sur leurs idées concernant leurs fonctions : pièces d’une maison, balnéaires privé, citernes, chacun avait la sienne propre. Pour les bassins de Tonnay-Charente mis au jour vers 1900, et où l’on a découvert des ossements, la première hypothèse fut celle d’un tombeau. Mais, se rendant probablement compte que ces ossements n’étaient pas humains, l’abbé Brodut ajoute aussitôt qu’il s’agit peut-être aussi d’un silo. À la même époque, Alexis Favraud pensa, pour le site qu’il avait fouillé à Puyréaux, à une exploitation viticole. Plusieurs éléments était présents : aire étanche pour le foulage, canal de distribution, bassins à des niveaux différents permettant d’éventuels soutirages. Mais la proposition ayant aussitôt réfutée par un historien de plan national, Étienne Boeswillwald, elle fut abandonnée. Louis Maurin, toujours à la même époque, s’intéressa aussi au sujet, mais la raréfaction des découvertes entre 1910 et 1960 empêcha la recherche historique de se poursuivre. Si bien que, lorsque M. Lotte, en 1960, découvre de nouveaux bassins à cupule à Touzac, il les décrit comme des des citernes. Cette interprétation n’est pas aujourd’hui complètement abandonnée pour certains sites, lorsque aucun matériel ni aucun dispositif particulier n’est retrouvé. C’est le cas pour les bassins de Suaux-Brassac et d’Antigny, et peut-être aussi pour ceux de Segonzac. Un court commentaire a déjà été fait sur le premier (cf supra, pages 21-22). Le site de Touzac a été décrit très succinctement par son inventeur. Nous savons seulement qu’il était recouvert d’une dalle de béton, mais nous ne connaissons pas la nature de cette dalle. Nous pouvons l’interpréter de deux manières différentes : soit il s’agit d’une dalle constituant un impluvium, et alors nous sommes bien en présence d’une citerne. Ou bien cette dalle de béton est un sol qui a été coulé au-dessus des bassins, après leur abandon (les deux bassins étant comblés lors de leur découverte). Dans ce cas, nous pouvons les rattacher aux autres bassins artisanaux, sans que ce site ne nous apprenne rien de particulier. Nous manquons trop de détails pour aller plus avant dans la discussion à propos de ce site. Notons simplement que, pour ce site, les deux versions du bassin artisanal et de la citerne sont également plausibles. De notre point de vue contemporain, le site d’Antigny a été parfaitement fouillé. Pour autant, nous n’en savons pas beaucoup plus sur son utilisation comme citerne, puisque tout son environnement et le bassin lui-même ont été détruits dans l’Antiquité. Plusieurs objections peuvent être élevées contre cette interprétation : on pouvait trouver de l’eau facilement, et de plusieurs manières, sans avoir besoin de creuser une citerne, puisqu’il y avait un puits de l’autre côté de la voie romaine, et que la Gartempe était à moins de 50 mètres. Mais le contexte du bassin, le vicus, est particulier : c’est une petite ville. Le propriétaire du puits pouvait s’en réserver l’usage exclusif. La Gartempe devait elle être très troublée par le passage des voyageurs et des charrois empruntant le gué de la voie romaine. Ce sont deux raisons suffisantes pour se construire une grande citerne, afin d’avoir toujours de l’eau claire pour soi. Ne restent que deux objections : si justement ce bassin était destinée à conserver de l’eau claire, comment empêchait-on les impuretés de tomber dedans ? Nous ne pourrons certainement jamais répondre à cette question, puisque le bassin a été démonté à l’époque antique. Et à quoi servait l’escalier dans une citerne ? S’il fallait enlever des impuretés qui n’auraient pas du s’y trouver à intervalles réguliers, une simple échelle aurait suffi. Cet argument peut paraître décisif. La fouille du quartier artisanal de la rive droite du vicus apportera peut-être des renseignements complémentaires. Les bassins de Segonzac peuvent aussi être proposés comme citernes. L’un d’eux se trouve à l’intérieur, l’autre dans la cour, et évoquent la disposition préconisée par Varron, dans le seul livre du De re rusticae qui nous soit parvenu. Le premier est destiné à la consommation humaine, le second à abreuver les animaux. Le bassin situé dans la cour n’est pas en surface, il ne devait donc pas être possible pour le cheptel de la ferme d’y boire directement. Il faut imaginer que l’eau y était puisée au fur et à mesure des besoins. Il est plus adapté en tout cas que le bassin de l’intérieur, qui lui devait être en partie en surface, donc prendre de l’espace. Les niveaux de sol ayant disparu, et le terrain étant en pente, nous ne pouvons en préjuger. Les éventuelles arrivées d’eau et les trop-pleins auraient aussi disparu, s’ils avaient existé. Le bassin intérieur est en tout cas à l’opposé de la partie agricole du site, puisque les fondations mieux conservées des murs m9 et m10, et le mur plus large m6 peuvent faire penser à un grenier d’étage, pour protéger les récoltes des rongeurs. Le bassin éventuellement destiné aux animaux est lui aussi de ce côté. Il est pour tous ces bassins très difficile de prouver qu’ils étaient ou non des citernes, puisqu’il n’y a pas énormément de matériel particulier lié à ce genre d’installations. Lorsqu’une proposition dans ce sens est possible, elle repose sur bien peu d’éléments, en tenant compte du grand nombre de bassins dont la destination artisanale est certaine ou presque certaine. Dans cette optique, un plus grand nombre d’arguments comme d’applications précises peuvent être proposées. Un cas exceptionnel : les bassins des Trains d’Écurat Les bassins du site de Saintes 2, au lieu-dit les Trains d’Écurat, sont en effet installés dans ce qui est interprété comme un temple. Le plan des fondations, difficile à retrouver pour un site très endommagé par les labours, est celui d’un temple de tradition celtique (fanum). On y retrouve une cella centrée avec galerie et pronaos. Un foyer, qui a pu servir aux sacrifices, est dans la cour. Aucun mobilier cultuel n’a été retrouvé pour confirmer cette hypothèse. Le bâtiment a son seuil orienté au Nord, ce qui est tout à fait exceptionnel pour un temple, même si quelques cas se sont présentés. Une habitation construite sur un coteau orienté au Nord est aussi inhabituelle. Il est aussi inhabituel de rencontrer un foyer en plein air. Les bassins aussi sont singuliers. Il est rare qu’un temple ait un bassin, encore plus rare qu’il en ait deux. Le cas d’une cupule dans un bassin cultuel est unique. Enfin, le fond de ce bassin est le seul de ce type dans la région, sur 115 bassins, puisqu’il est fait de carreaux de terre cuite. Il est difficile de se prononcer devant tant d’exceptions. Mais le plan caractéristique, et le foyer en plein air indiquent plus sûrement un temple. Les interprétations viticoles C’est le type d’interprétation la plus répandue et une des plus anciennes. Elle se base d’abord sur la présence dans cette région d’un des vignobles contemporains les plus réputés au monde. La vigne était presque présente directement sur certains sites au moment de la fouille, car à Château-d’Oléron comme à Cognac, les bassins ont été découverts à l’emplacement de vignes qui venaient d’être arrachées. Si cette interprétation est fondée, nous devrions voir correspondre les différents éléments relevés autour et dans les bassins aux différentes étapes de la vinification. La partie qui nous intéresse est essentiellement l’extraction du moût et sa transformation en vin. Les étapes antérieures à la vinification, comme le choix des cépages ou la culture de la vigne, nous intéressent dans les cas où elles fournissent un matériel suffisamment caractéristique pour qu’il ne puisse plus y avoir de doutes sur l’activité d’un site. Les étapes postérieures à l’élaboration du vin, et notamment les consommateurs, sont par contre très importantes, dans la mesure où la vigne est surtout une culture commerciale, qui n’existe pas sans débouchés. Voyons donc comment procédaient les viticulteurs de l’Antiquité pour fabriquer du vin. Le foulage Une fois le raisin cueilli, il faut, avant d’en extraire le jus, faire éclater la peau du raisin, ce qui facilite son écrasement pendant le foulage. Cette opération est l’une des mieux connues de la vinification, tant par l’iconographie que par les textes. Le raisin est placé soit sur une aire, soit sans une cuve, puis des hommes l’écrasent en marchant dessus. C’est la technique la plus simple et la plus anciennement utilisée. Des fouloirs formés d’une simple aire ont été retrouvés en Égypte. L’un d’eux a été découvert au Tell el-Dab’a. Il s’agit d’une cuve à foulage d’une taille restreinte : moins d’un m², qui remonte à la XVIII dynastie (deuxième tiers du II millénaire). Dotée d’une forte pente, elle était peu profonde : 2 à 7 cm seulement et rectangulaire. Un canal de pierre destiné à acheminer le moût vers des réservoirs aujourd’hui disparus se trouvait sur l’un de ses petits côtés, en bas de la pente. Le fouloir était taillé dans une dalle monolithe, ce qui lui assurait une étanchéité parfaite, du moins pour la partie basse. Les pentes dallées latérales au fouloir, mal conservées, posent des problèmes d’interprétation. Servaient-elles aussi à fouler le raisin ? Quoiqu’il en soit, cette aire demeure de dimensions restreintes, probablement destinée à une faible production. L’exemple de Tell el-Dab’a peut être confronté à certaines structures retrouvées près des bassins à cupule. La forme des fouloirs évolue ensuite vers de véritables cuves en élévation, avec déversoir donnant dans un bassin ou le moût était prélevé au fur et à mesure. Les aires de Soubise 2 surtout sont comparables, dix-huit siècle plus tard. La technique de construction n’est pas la même. La dalle est remplacée par un enduit recouvrant le sol et le bas des murs qui, une fois pris, forme un monolithe aussi étanche que la dalle, et plus que les espaces dallés autour d’elle. La taille surtout est plus importante. Les aires A1, B1 et C1 ont des superficies approximatives respectives de 30-32 m², 22-23 m² et 19-20 m². En revanche, elles sont bien reliées à des bassins pouvant faire office de réservoirs. Ces aires ne sont pas en pente, comme celle de Tell el-Dab’a. Cette absence de pente, comme sur de nombreuses fouloirs en cuves, est compensée par la plus grande hauteur des rebords étanches et la plus grande superficie de l’aire. Ces dispositions permettent à un plus grand volume de moût de stationner sur l’aire, puisqu’il ne peut pas être évacué rapidement. Cette absence de pente se révèle utile en facilitant le travail des fouleurs. La plupart des aires étanches, lorsqu’elles ne dépassent pas les 35 m², peuvent être assimilées à des aires de foulage de grande taille. Le problème qui se pose est celui du rapport entre la taille des aires de foulage et le volume des bassins récepteurs. Chaque fouloir de la ferme viticole du Mollard à Donzère fait un peu moins de 20 m². Les deux cuves de réception font environ 8 m³ . Le site a entièrement été conçu à l’avance en fonction de la production viticole. Le volume total des bassins A2 et A3 est d’environ 6,28 m³. Si l’on considère que la hauteur de l’aire A1 de Soubise 2 était très inférieure à celle du fouloir de la ferme de Donzères, le volume du bassin parait un peu trop grand. Mais, s’il s’agit d’un simple bassin de réception que l’on vide au fur et à mesure qu’il se remplit, la taille importe peu, puisque un personnel nombreux peut compenser l’insuffisance d’une cuve, ou inversement, celle-ci, par son grand volume, peut donner plus de temps pour la vider. En la limitant à ce seul site, la comparaison peut sembler satisfaisante. Mais le volume des cuves de fouloir ne dépasse généralement pas les 5 m³. Quelques unes ont même des volumes de 900 litres et moins. La plupart des fouloirs ont des dimensions beaucoup plus restreintes ceux de la ferme de Donzères, qui est exceptionnelle, à la fois par son programme de construction et par ses capacités. Les aires d’alimentation des bassins à cupule dépassent fréquemment les 10 m², et ne sont pas proportionnelles à la taille des bassins. Il importe aussi, pour cette production rassemblée en un moment unique de l’année, de disposer d’espaces de stockage importants. Au Mollard, ils occupent l’essentiel de la superficie couverte. À Soubise 2, ils ne semblent pas exister, ou sont de petite taille. Il ne faut cependant pas oublier que ce site est en étroite liaison avec Soubise 1, et que si la production a été abandonnée dans ce site, le rare mobilier qu’on y a trouvé postérieur au début du III siècle indique qu’il était fréquenté. Il a pu continuer à servir de hangar. Le site de Puyréaux est le premier à avoir été identifié comme une installation vinicole. Plusieurs obstacles s’opposent à cette identification : aucun mobilier ni aucun élément pouvant faire songer à une base de pressoir n’a été retrouvé ; l’aire d’alimentation était en trop forte pente pour que des fouleurs puissent y travailler ; les impuretés (peau et chair de raisin) auraient été facilement entraînées dans les bassins, faute de rebord de canal assez haut. La première partie du raisonnement ne peut être contestée. Mais, pour ce qui est de la pente, des peintures égyptiennes montrent que des fouleurs s’accrochaient à des cordes suspendues à une barre transversale fixée sur deux piquets. Cela leur permettait de ne pas glisser, car même sur une pente faible ou nulle, il est difficile de marcher sur des raisins écrasés. Quant aux mélange des impuretés, non seulement les Romains connaissaient le soutirage, mais il n’est pas sur que les rebords qui devaient les empêcher d’aller dans les cuves n’aient pas existé. À Cognac, les bassins avaient presque tous (sauf B6 et peut-être B8) des rebords de 20 cm de hauteur au-dessus du sol, construits comme de petits murets de faible largeur. Ils étaient tous cassés au moment de la fouille, car ils dépassaient du sol, donc étaient plus exposés. La fouille de Puyréaux, qui a plus d’un siècle, n’a pas du être si minutieuse, et de petits blocs de béton cassés n’ont certainement pas intéressé Alexis Favraud. La plupart des éléments techniques peuvent convenir à une interprétation vinicole de ces bassins. Le site de La Rochelle a une paire de bassins en élévation construits juste au dessus de deux groupes de bassins. La fouille, menée dans l’urgence et après le passage des pelleteuses, n’a pu découvrir de conduits entre ces bassins en élévation et les bassins encavés. Il est possible que les premiers aient servi de fouloir, et les seconds de cuves de décantation. Les cupules, dans toutes ces hypothèses, auraient alors servi à débarrasser le bassin de la lie. Les possibilités de vinification L’un des obstacles à l’interprétation comme bassins viticoles est l’enduit de chaux qui recouvrait les parois des bassins. Il était aussi présent sur les aires d’alimentation, et les conduits reliant celles-ci aux bassins. Les petites aires étant plates, le moût ne s’écoulait pas rapidement. Il restait donc en contact prolongé avec cet enduit. Si les bassins n’étaient pas de simples cuves de fouloir, mais avaient servi à laisser fermenter le vin, celui-ci aurait été complètement imprégné d’un goût acre de chaux. La taille et l’inclinaison des aires n’est pas accidentelle. Dans le cas d’exploitations viticoles, il faut trouver une explication à ce qui peut nous sembler une énormité. En fait, le vin à goût de chaux produit dans ces cuves ne se serait pas signalé dans les modes de consommation antiques du vin. Outre l’habitude que Grecs et Romains avaient de couper leur vin d’eau, il en est de plus surprenantes. Ainsi, Caton donne, pour varier ce plaisir, une recette de vin à l’eau de mer. L’île de Cos s’était spécialisée dans cette production. D’autres vins spéciaux étaient fabriqués en Grèce, et étaient appelés passum par les Romains. Enfin, on peut mentionner les vins résinés, encore fabriqués de nos jours en Grèce (retsina). Ce goût caractéristique leur était donné volontairement en enduisant l’intérieur des amphores d’un mastic noir à base de résine. Une épave en avait un chargement entier près de Marseille, et d’autres ont été découvertes dans des tabernae d’Utrecht. Bref, rien ne s’oppose à ce que du vin ait été produit dans des cuves enduites à la chaux. Les bassins excavés ont cet avantage qu’ils sont isothermes, ce qui permet de mieux contrôler la température de fermentation du vin, et d’obtenir au final un meilleur produit. Une autre manière d’obtenir un meilleur vin pratiquée dans l’Antiquité peut justifier la construction des très grandes aires des sites de Cognac et La Rochelle, si l’on tient à rester dans le cadre d’installations vinicoles. Les Grecs de Chio avaient l’habitude d’étendre le raisin sur des nattes au soleil après les vendanges, afin de concentrer le sucre dans le fruit. Il est plausible que ces vastes aires aient été destinées à cet usage. Les automnes de Charente étant plus pluvieux qu’en Grèce, il était préférable de couvrir ces aires pour éviter au raisin de pourrir. Une toiture basse peut, avec l’ensoleillement exceptionnel des Charentes, entretenir une chaleur suffisante. Les raisins trop murs ayant tendance à éclater, les drains seraient là pour acheminer leur jus vers les bassins. Toujours pour édulcorer le vin, une autre technique est possible, celle qui consiste à lui ajouter un oxyde de plomb. Cette pratique, autrefois répandue dans le Poitou, masque l’acidité du vin les années trop pluvieuses. Les pierres reliées par des tuyaux de plomb de Port-des-Barques ont pu servir à faire passer le vin pour lui faire prendre ce goût, la petite taille des tuyaux et leur nombre accélérant le processus en augmentant la surface de contact. De plus, les installations viticoles ne produisaient pas toutes du vin : certaines étaient spécialisées dans la fabrication du vinaigre. Si les bassins n’étaient pas clos, la transformation en vinaigre pouvait se faire facilement, et les parois à la chaux lui donner un goût supplémentaire. En plus de la lie, les cupules auraient aidé à enlever le tartre des bassins. Le vinaigre (acetum) était très apprécié dans l’Antiquité. Outre les usages médicaux et culinaires, il était aussi utilisé coupé d’eau comme boisson rafraîchissante. C’est la posca, que les soldats Romains ont donné à Jésus Christ sur la Croix. Le vinaigre donnait un goût acidulé au mélange, analogue à nos limonades. L’avantage par rapport au vin est qu’il n’enivre pas. Les possibilités de commercialisation Les sites sont placés de façon à pouvoir exporter facilement leur production (cf supra, partie 2,1). Si les sites avaient des activités viticoles, il peut paraître étonnant que l’on n’ait jamais retrouvé d’amphores contemporaines de l’activité des bassins. De la même façon, seul un site se trouve à proximité de traces d’activité de poterie. C’est celui de Saintes 1, et cette proximité peut aussi bien due au hasard dans une métropole de la taille de Saintes. Il y a bien sur les tonneaux, qui remplacent les amphores avantageusement. Ceux-ci existaient antérieurement au I siècle avant notre ère. Un tonneau a été retrouvé dans un cuvelage de puits à Lattes (Hérault), qui a été fabriqué à cette époque. Leur usage devait être encore plus fréquent dans la Gaule Chevelue, où les forêts étaient encore plus abondantes qu’en Narbonnaise. La grande aile vide de toute installation de Cognac aurait ainsi pu servir à stocker les tonneaux. Le débouché régional ne devait pas être important. Le marché de Rome, le premier de l’Empire, était éloigné. Le transport par terre comme par mer aurait pu rendre trop cher un vin de deuxième qualité. Il est plus facile pour la région d’exporter vers le Nord-Ouest de l’Europe que vers le Sud. Les légions pouvaient être de bons clients pour le vin ou la posca. Ainsi, lorsque Pescennius Niger, général romain de la deuxième moitié du II siècle, interdit à ses troupes de consommer du vin pendant une campagne, la chose est mentionnée. Il est fort probable qu’en-dehors de ces périodes de campagne où les légionnaires avaient un intérêt personnel à boire peu de vin, leur consommation devait être importante. Son augmentation suivit l’organisation du limes. À l’époque d’Auguste, la sobriété était une véritable idéologie. Suétone s’en fait l’écho. Mais cette idéologie sévère n’était peut-être pas appliquée à l’intérieur des camps légionnaires, le pouvoir des empereurs s’appuyant d’abord sur l’armée. L’arrivée au pouvoir d’empereurs plus proches certainement des soldats, comme les Flaviens et Trajan, a du contribuer à affaiblir cette idéologie. Au début du II siècle après J.-C., les légions utilisaient, d’après la colonne Trajane, autant les tonneaux que les amphores. On peut discuter sur la portée de cette représentation, les tonneaux pouvant se trouver là surreprésentés. Mais on peut aussi penser que c’est la tradition qui a maintenu la figuration d’amphores. Les armées de tous les temps ont cherché à réduire le volume des impedimenta, et le tonneau, avec son rapport poids du contenant-poids du contenu imbattable à l’époque, n’a pas du être très long à s’imposer dans l’armée. Les Gaulois, nombreux dans les légions, ont aussi pu contribuer à ce développement. Les consommations individuelles sont difficiles à estimer. André Tchernia donne le chiffre moyen, pour Rome, de 1,2 litres par jour et par habitant mâle adulte. Des contrats de domestiques du siècle dernier stipulent, parmi les avantages en nature, que 6 ou 7 litres de vin seront fourni quotidiennement par l’employeur. Il s’agit évidemment d’un vin ne titrant pas plus de 8 ou 9°, mais cela permet de donner une fourchette de 1,2 à disons 5 litres de vin par légionnaire et par jour, selon les qualités de vin et en tenant compte qu’une partie de ce vin était bu coupé d’eau. Parmi les légions, celles du Rhin devaient plutôt consommer le vin de la région, ou celui importé par le sillon rhodanien. Les légions de Bretagne, au nombre de trois, étaient un marché aussi accessible depuis la Rhénanie que depuis la Saintonge. Les soldats Romains donnant un modèle de consommation aux Bretons comme les Américains aux Européens du XX siècle, les débouchés ont pu se développer. C’est en tout cas ce marché qui était le plus accessible aux éventuelles productions des bassins à cupule. Le ralentissement tardif de leur activité serait ainsi du à l’augmentation des effectifs militaires durant le III siècle, et à la création de l’Empire des Gaules, qui aboutit à la formation d’un marché plus fragmenté (avec notamment différentes monnaies). Des bassins à salsamenta ? Les salsamentas et les sauces de poisson Les salsamenta sont des salaisons de poisson. Il en existait de différentes qualités. En plus des salaisons étaient également produites des sauces de poisson. La plus connue dans l’Antiquité était le garum sociorum, qui était un véritable produit de luxe. Le liquamen, variété plus commune de garum, est cité dans l’Édit du Maximum de Dioclétien. Il valait 12 ou 16 deniers le setier, selon sa qualité. Le miel de deuxième qualité valait 20 deniers. Il faisait l’objet d’une consommation quotidienne. Il était utilisé par tous et partout, pour saler et relever les plats, mais aussi mêlé au vin, au vinaigre et à l’eau comme désaltérant. Si ce dernier usage est douteux, son utilisation en cuisine est certaine. On trouve plusieurs recettes de liquamen dans les Géoponiques (20, 46). Cet ouvrage, signé par Constantin Porphyrogénète, est attribué à Cassanius Bassus. Il date du IX siècle. C’est une source importante, car l’auteur, byzantin, a pu avoir accès à des documents aujourd’hui disparus. Il est même possible que la fabrication de liquamen ait perduré jusqu’à cette époque. Les Turcs du XVI siècle connaissaient ainsi le gharos. Selon la première de ces recettes, il faut mélanger du poisson avec du sel dans des proportions de huit setiers de poisson pour un de sel. L’espèce de poisson importe peu. Après une nuit de repos, le mélange est mis en pots ou dans des bassins exposés deux ou trois mois au soleil. Une variante suit le même procédé mais ajoute deux setiers de vin vieux par setier de poisson. La deuxième recette est plus rapide. Il s’agit de faire chauffer une saumure suffisamment chargée en sel (au point qu’un œuf y surnage). De l’origan est ensuite ajouté, en même temps que le poisson. Le mélange est maintenu à ébullition jusqu’à ce que le poisson se défasse ou un peu plus, puis on laisse reposer. Une fois refroidi, il est filtré plusieurs fois afin d’obtenir un liquide clair. Comme l’expliquent les auteurs de l’article, le garum n’est pas une pourriture, d’abord grâce à la présence du sel, puissant inhibiteur des micro-organismes, et ensuite par un phénomène particulier d’histolyse des tissus musculaires par les diastases du tube digestif (auto-digestion en quelque sorte). Garum et salaisons au Maroc... La fabrication du garum sociorum, le meilleur des garum, suivait les mêmes procédés. Fabriqué de part et d’autre du détroit de Gibraltar, il se fabriquait à partir de poissons sélectionnés pour leur taille, le thon et le maquereau, quelquefois l’esturgeon. Après avoir vidé ces poissons, ils étaient salés dans de grands bassins. Seule une partie du poisson servait à la confection du garum : le sang, le sérum, les branchies et les viscères, d’où un autre de ses noms, le garum noir ou garum au sang. Le sel entrait pour moitié dans sa composition. Le phénomène d’histolyse devait être plus important pour ce garum, puisque les sucs digestifs se trouvaient concentrés dans un faible volume. Peut-être une partie de sa célébrité venait de cette particularité. Il se commercialisait sous deux formes différentes, liquide et en pâte. Au Viêt-Nam Le même genre de sauce se fabrique aujourd’hui au Viêt-Nam, sous le nom de nuoc-mam. Il se confectionne avec du poisson frais entier. Le poisson est mis dans un bassin sous un cinquième à un tiers de son volume en sel. Les Viêt-Namiens activent le tassement du poisson. Du liquide s’en écoule pendant plusieurs jours. Ce premier jus est en général reversé dans le bassin. La macération dure de trois mois à un an. Une fermentation microbienne relativement analogue à celle du fromage s’ajoute à l’histolyse à cause de cette durée de préparation. Le second jus est de couleur ambrée, limpide et possède une très agréable odeur. C’est le nuoc-nhut, jus de première qualité, qui n’est jamais utilisé seul. Il a une teneur en azote de 25 g par litre, ce qui explique que les garum facilitent la digestion. Le contenu du bassin est ensuite lessivé plusieurs fois, donnant des qualités différentes de nuoc-mam, dont la teneur en azote décroît avec le prix, de 15 à 5 g par litre. Outre ses qualités digestives, on reconnaissait des qualités rafraîchissantes au garum, et on en mêlait l’eau et le vin. La chose est étonnante pour un produit salé, qu’on imaginerait plutôt assoiffant que désaltérant. C’est peut-être l’effet d’un certain snobisme ne concernant que les variétés les plus chères de garum. En tout cas, le garum était certainement très apprécié de toutes les couches de la population, surtout pour ses qualités digestives et gustatives. On peut même estimer qu’il était indispensable avec un régime composé essentiellement de féculents peu savoureux par eux-mêmes. Ailleurs dans l’Empire romain Plusieurs autres régions fabriquaient différents garum dans l’Empire romain. Parmi ceux attestés par des textes, celui du détroit de Gibraltar était le plus réputé : le garum sociorum, fabriqué en Andalousie et au Maroc. D’autres garum sont connus par des textes : ceux de Grèce (probablement le plus ancien) sont cités par Pline (HN, XXXI, 94), celui d’Antibes l’est par Martial (XIII, 103), sous le nom de muria. Les principales zones concernées par des découvertes archéologiques sans des confirmations par des textes sont la Tunisie et le Finistère français. Les installations fabriquant le garum sociorum offrent une disposition assez uniforme. Ils sont systématiquement creusés dans le sol et construits en batterie de bassins de tailles proches. À Tadahart (Maroc), les dix bassins ont des volumes, pour deux d’entre eux, de 9,8 m³ ; deux autres ont un volume de 8,4/8,7 m³, trois de 7,3 m³ et deux de 6,15/6,3 m³. Sur ce site, tous les bassins sont construits autour d’une salle bétonnée servant à préparer les poissons. Tous sont également munis d’une cuvette de petites dimensions, systématiquement centrale. Les enduits se superposent sur plusieurs couches épaisses, quelques bassins avaient en plus une couche de peinture à l’intérieur. Tous les bassins étaient aussi renforcés de couvre-joints concaves. De grandes salles de stockage se trouvent à proximité, ainsi qu’une chaufferie avec præfurnium, une salle chaude sur hypocauste et une salle tiède. Les autres sites fouillés par Michel Ponsich et Miguel Tarradell présentent la même disposition, avec une variante. Les bassins sont organisés en batterie de douze grands bassins, pour saler le thon, et en une batterie de quatre petits bassins, pour confectionner le garum proprement dit. Les sites sont tous disposés au plus près des plages, afin de faciliter le déchargement des poissons. Tous les sites andalous et marocains sont sur les routes de migration du thon, et sur des sites où la pêche à la madrague est possible. Les grandes quantités de sel utilisées pour les salaisons du poisson et du garum étaient fournies par des salines situées à proximité immédiate des ateliers. L’activité des douze sites découverts commence au I siècle av. J.-C., cinq sont encore actifs au IV siècle ap. J.-C., un seul au V siècle ap. J.-C. L’instrumentum spécifique de ces sites est composé de pesons de terre ou de plomb pour les filets, d’hameçons, de navettes pour réparer les filets, de pots à garum en terre cuite ou en verre. Les bassins identifiés dans le Finistère sont eux aussi de grande taille, profonds (jusqu’à 3,5 m), et de grand volume (jusqu’à 45 m³ par bassin pour une batterie de six, soit 270 m³ pour le seul site de Douarnenez), organisés en batteries de rangées parallèles, toujours par rangées de deux ou trois. Les parois sont enduites de plusieurs couches de mortier sur une quinzaine de cm d’épaisseur. Des traces de peinture ont aussi été retrouvées. Comme au Maroc, des fours se trouvaient à proximité pour accélérer la maturation des salaisons. L’instrumentum est le même, la disposition des sites est la même, près du rivage et des routes de migration d’un grand poisson, le maquereau, avec un détail supplémentaire, la présence de rivières à proximité. L’eau douce en abondance était nécessaire pour laver la couche superficielle de sable des plages, chargée de sel efflorescent. Les fosses qui servaient à cela ont été retrouvées. Elles sont parementées intérieurement de tuiles et de béton. Ces sites n’ont que des grands bassins, les cetaria, destinées aux salaisons de poisson. Aucun bassin plus petit réservé au garum n’a été retrouvé. On doit donc en conclure que ces sites ne produisaient que des salaisons, ou bien qu’ils récupéraient le jus des poissons comme le font les Vietnamiens, sans le faire passer dans des bassins spéciaux. Les bassins tunisiens présentent eux aussi les mêmes caractéristiques générales : sites ayant de nombreuses cuves, enduites soigneusement, en séries parallèles ou perpendiculaires, angles des bassins arrondis. Ces sites sont établis aussi bien en ville qu’en vicus ou en villas maritimes. Leur particularité est d’être souvent bâtis en élévation et appuyés sur des murs épais en grand appareil. Ces sites sont proches de la mer, et des courants migratoires du thon. Quelques bassins, peu profonds, étaient destinés à obtenir un échauffement naturel au soleil. Ces sites sont actifs du milieu du III siècle ap. J.-C. à la fin du VII siècle. Et dans le Centre-Ouest ? Au premier abord, ces caractéristiques ne concernent qu’un petit nombre de sites. Un maximum de douze peut être considéré comme littoraux. De ces douze sites, ceux de Nieul-sur-Mer (éloigné des plages), de l’Houmeau (sur une falaise avec un dénivelé de 19 m en 150 m), les trois sites du Gua (proches de marais) ne sont pas idéalement placés. De tous les autres, seuls ceux d’Oléron, de Talmont et de La Rochelle ont des bassins installés en batterie, bien que ceux des deux sites d’Oléron soient de taille irrégulière. Cependant, quelques détails méritent d’être relevés. L’un des sites du Gua, celui de Fief de Châlons possède, comme ceux de Tunisie, deux bassins peu profonds, dont un pouvait ne pas être couvert. L’ensoleillement des Charentes est très éloigné de celui de Tunisie, cependant il est exceptionnel pour la latitude. Cet ensoleillement concerne d’ailleurs l’ensemble du Centre-Ouest. Pour revenir au site du Gua, les deux foyers situés au nord du site ont aussi pu servir à accélérer cette maturation, mais de manière artificielle. Les aires bétonnées auraient ainsi pu servir à préparer les poissons et à en recueillir les liquides physiologiques. Tous les sites de Charente-Maritime avaient un approvisionnement en sel facile et proche. La technique du briquetage du sel a été utilisée avant la Conquête sur 19 sites en Charente-Maritime pendant la protohistoire, dont quatre en Aunis ont continué d’être exploité à l’époque romaine. Même s’ils n’étaient pas à proximité immédiate des sites, le prix du sel fait que son transport ne fait pas augmenter son prix de manière prohibitive. De plus, tous les sites charentais n’ont que de faibles volumes par rapport à ceux des zones auxquels nous les comparons. Le seul site de Douarnenez avait un volume supérieur à celui de tous les bassins actifs vers 120. Leur consommation de sel était forcément beaucoup plus réduite, peut-être aussi parce que les gros poissons que sont le thon et le maquereau passent au large des côtes. L’éloignement du bord de mer est cependant un obstacle, car il aurait rendu plus difficile le déchargement des bateaux et le transport du poisson vers les bassins. De plus, comme les sites n’avaient qu’une activité réduite par rapport aux autres grandes régions productrices, une réputation moindre et une marché plus petit, les coûts inutiles devaient être pourchassés. Les sites de Talmont, d’Oléron, du Gua sont ceux qui ont eu une activité de salaison de poisson la plus probable, mais comme pour la viticulture, cette interprétation ne repose que sur des installations en dur, et pas sur un instrumentum particulier. Une hypothèse séduisante mérite d’être mentionnée. Elle se base sur le fait qu’une inscription de Germanie inférieure mentionne le liquanem de Rhénanie. Sachant que ces salaisons pouvaient être produites à l’intérieur des terres, et que par exemple le site de Cognac avait un hameçon dans son mobilier, avec des écailles et des arêtes (aussi rares que les pépins de raisin), pourquoi ne pas envisager des activités de salaison pour les sites de l’intérieur des terres, avec des poissons d’eau douce.
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https://fr.wikisource.org/wiki/Les%20bassins%20%C3%A0%20cupule/Recensement%20A
Les bassins à cupule/Recensement A
Les bassins à cupules Cette page recense tous les sites archéologiques ayant livré au moins un bassin à cupule. Site du gué de Sceaux/Sciaux à Antigny (Vienne) ; Site du petit moulin de Gadehors à Baignes-Sainte-Radegonde (Charente) ; Site du fief des Sablons à Brives-sur-Charente (Charente-Maritime) ; Site de la Croche à Civaux (Vienne) ; Site de Puits Jouan au Château-d'Oléron (Charente-Maritime) ; Site de la Haute-Sarrazine à Cognac (Charente) ; Site des Éronnelles à Échillais (Charente-Maritime) ; Site des Barres à Écurat 1 (Charente-Maritime) ; Site de la Cigogne à Écurat 2 (Charente-Maritime) ; Site de Beaulieu à Germignac (Charente-Maritime) ; Site de Bel-Air au Gua 1 (Charente-Maritime) ; Site de Fief de Châlons au Gua 2 (Charente-Maritime) ; Site de Montsanson au Gua 3 (Charente-Maritime) ; Site du Haut de Pampin, rue Jean Bart à L'Houmeau (Charente-Maritime) ; Site des Grandes Pièces à Ingrandes-sur-Vienne (Vienne) ; Site du Petit Rechérat à Juillac-le-Coq (Charente) ; Site de la Touche à Ligné (Charente) ; Site des Groies à Nieul-sur-Mer (Charente-Maritime) ; Site de Grand-Fief Chagnaud à Port-des-Barques (Charente-Maritime) ; Site de la Moussigère à Puyréaux (Charente) ; Site des Moûtiers à Rochefort (Charente-Maritime) ; Site des Minimes à La Rochelle (Charente-Maritime) ; Site du Pouzat à Saint-Denis-du-Pin (Charente-Maritime) ; Site de Grands-Champs à Saint-Fraigne (Charente) ; Site de la Croix-Matelot à Saint-Georges-d'Oléron (Charente-Maritime) ; Site du Chêne à Saint-Martial de Mirambeau (Charente-Maritime) ; Site de Mourière à Saint-Nazaire-sur-Charente (Charente-Maritime) ; Site de la rue Daniel Massiou à Saintes 1 (Charente-Maritime) ; Site des Trains d'Écurat à Saintes 2 (Charente-Maritime) ; Site de Nougerède à Salles-Lavalette (Charente) ; Site des Terres de Font-Belle à Segonzac (Charente) ; Site du Péré Maillard à Soubise 1 (Charente-Maritime) ; Site du Renfermis à Soubise 2 (Charente-Maritime) ; Site de Chez-Michaud à Suaux-Brassac (Charente) ; Site du fief de Boué à Taizé (Deux-Sèvres) ; Site du Veillon à Talmont-Saint-Hilaire (Vendée) ; Site entre le Clou et Montalet à Tonnay-Charente (Charente-Maritime) ; Site du Champ-Jacquet à Touzac (Charente).
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https://fr.wikisource.org/wiki/Les%20bassins%20%C3%A0%20cupule/Site%20du%20gu%C3%A9%20de%20Sciaux
Les bassins à cupule/Site du gué de Sciaux
Commune : Antigny Département : Vienne Les bassins à cupules Datation : 15 av. J.-C.-40 ap. J.-C. Civitas : Pictonum Le bassin {|border="1" cellpadding="5" cellspacing="0" align="center" |- | colspan=6 bgcolor=#ccccff | <center>Dimensions du bassin</center> |- | Bassin|Longueur| Largeur| Profondeur| Surface| Volume'|- |B1 |4,14 m |2,41 m |1,80 m |9,97 m² |17,959 m³ |} Notes Le bassin se trouve au milieu d’un vicus établi sur la voie Poitiers-Lyon. Un hangar de bois qui ne le recouvrait pas était bâti à coté de lui. Non loin, et probablement lié au bassin, se trouve un four. Les scories métalliques abondantes laissent penser à une forge. Les parois du bassin et l’escalier ont été soigneusement démontées en vue d’une récupération des matériaux, puis le bassin a été comblé avec le hangar qui a été abattu au même moment, le tout en très peu de temps (la terre retenue par les murs du bassin ne s’est pas effondrée à l’époque antique, alors que c’est ce qu’il est arrivé lors de la première pluie après sa mise au jour par les fouilleurs). Cet abandon est probablement du à une extension du templum voisin (aire sacrée), à peu près contemporaine, et de la clôture par un mur de ce même templum. La forge cesse son activité elle-aussi à cette époque, et est englobée dans le périmètre voué au culte. De l’autre coté de la voie romaine et presqu’en vis-à-vis de la forge, un puits avec margelle de céramique presqu’intacte (découverte exceptionnellement rare) a été découvert. La Gartempe est a environ une cinquantaine de mètres du bassin. Si l’on considère que la cupule est formé de deux onglets de cylindre, on obtient, malgré l’imprécision du calcul, un volume de toute façon inférieur à 0,6 litres. Mobilier Aucun mobilier lié à l’activité artisanale, soit du bassin, soit du hangar, soit de la forge, n’a été retrouvé dans le comblement du bassin. Bibliographie RICHARD, Christian. Gué-de-Sciaux (sic), Antigny-sur-Vienne- Une ville gallo-romaine, fouille d'un sanctuaire. Mémoire de la Société de recherches archéologiques de Chauvigny, 1989, tome IV, p. 63-71. RICHARD, Christian. Gué-de-Sciaux 2 (sic)- Fosses et céramiques tibéro-claudiennes. Mémoire de la Société de recherches archéologiques de Chauvigny'', 1991, tome VI, p. 21.
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https://fr.wikisource.org/wiki/Les%20bassins%20%C3%A0%20cupule/Site%20du%20petit%20moulin%20de%20Gadehors
Les bassins à cupule/Site du petit moulin de Gadehors
Commune : Baignes-Sainte-Radegonde Département : Charente Les bassins à cupules Datation : pas de datation établie Civitas : Santonum Les bassins {|border="1" cellpadding="6" cellspacing="0" align="center" |- | colspan=6 bgcolor=#ccccff | <center>Dimensions des bassins</center> |- | Bassin|Longueur| Largeur| Profondeur| Surface| Volume''' |- |B1 |1,5 m |1,5 m | ? |2,25 m² | ? |- |B2 |1,5 m |1,5 m | ? |2,25 m² | ? |- |B3 |1,5 m (probable) |1,5 m (probable) | ? |2,25 m² | ? |} Notes Les bassins sont entourés de salles “ pavées “, dont le pavé, selon la terminologie du XIXe siècle, peut en fait être une dalle de béton. À 50 mètres à l’Est, une piscine octogonale a été vue par le découvreur. Les bassins étaient enduits du même béton de tuileau constituant le fond. Mobilier Les cupules sont des trous renfermant chacun un vase conique. Bibliographie VERNOU, Christian. Carte archéologique de la Gaule : Département de la Charente. Paris : Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, 1993. VOYÉ, Antonin-GELEZEAU, Clément. Saint-Maigrin, paroisse, commune, seigneurie et maison seigneuriale''. Paris : Hachette, 1908.
1823
https://fr.wikisource.org/wiki/Les%20bassins%20%C3%A0%20cupule/Site%20du%20fief%20des%20Sablons
Les bassins à cupule/Site du fief des Sablons
Commune : Brives-sur-Charente Département : Charente-Maritime Les bassins à cupules Datation : pas de datation établie Civitas : Santonum Les bassins {|border="1" cellpadding="6" cellspacing="0" align="center" |- | colspan=6 bgcolor=#ccccff | <center>Dimensions des bassins</center> |- | Bassin|Longueur| Largeur| Profondeur| Surface| Volume''' |- |B1 |2,1 m |1,35 m |0,65 m (conservée) |2,835 m² |1,84 m³ |- |B2 |2,1 m |1,35 m |0,65 m (conservée) |2,835 m² |1,84 m³ |- |B3 |2,1 m |1,35 m |0,65 m (conservée) |2,835 m² |1,84 m³ |} Notes À hauteur du fond du premier bassin, il y avait un conduit triangulaire formé de tegulæ, deux posées de biais constituant le fond, et une posée à plat sur les deux autres pour les couvrir. Elles mesuraient 48 cm de long et 35 de large. Les deux premiers bassins étaient construits en un seul bloc de maçonnerie, et le troisième touchait le premier par un coin. Les parois étaient larges de 26 cm sur les longs côtés, et de 36 sur les petits côtés. Mobilier Bibliographie Anonyme. Bulletin de la société d'archéologie et d'histoire de Saintonge et d'Aunis, 1888, n° 8, p 412-413. Anonyme. Recueil de la commission des arts et monuments historiques de la Charente Inférieure'', 1888, n°10, p 10.
1824
https://fr.wikisource.org/wiki/Les%20bassins%20%C3%A0%20cupule/Site%20de%20la%20Croche
Les bassins à cupule/Site de la Croche
Commune : Civaux Département : Vienne Les bassins à cupules Datation : début IIIe-mi-IVe siècle Civitas : Pictonum Les bassins {|border="1" cellpadding="6" cellspacing="0" align="center" |- | colspan=6 bgcolor=#ccccff | <center>Dimensions des bassins</center> |- | Bassin|Longueur| Largeur| Profondeur| Surface| Volume''' |- |B1 |1,35 m |1,35 m |0,75m |1,82 m² |1,366 m³ |- |B1 |1,35 m |1,35 m |0,80 m |1,82 m² |1,458 m³ |- |B1 |1,35 m |1,35 m |0,75m |1,82 m² |1,366 m³ |} Notes Les bassins forment une structure unique construite en briques liées au mortier. Elle s’appuie à l’Ouest sur le mur, et à l’Est sur un épais blocage de pierres. Enfin, au sud, un parement de briques et de petit appareil joue le même rôle. À l‘Ouest, se trouve un espace de production P1 avec deux structures de production parallèles S1 et S2. Le mur Nord de S1 est enduit au béton de tuileau, les autres murs probablement aussi. S1 est divisée en A (1,6 m x 2 m), B (2 m x 1,9 m) et C (2,5 m x 2 m), B étant 1 m en contrebas de A et C, et pourvu d’un muret, ébrasé en déversoir, seulement du côté de C. Le fond de B était alors en sable. Les murs Sud et Nord ont une ouverture de 0,86 m (l) sur 1,10 m (H) et 58 cm (P). Leurs parois sont enduites, et les angles du fond et du sol renforcés de solins de 7 cm de haut et de 13 cm de profondeur. A la base des murs se trouvent des encoches de 35 x 13 x 40 (l x h x p) et ayant reçus des pièces de bois. Enfin, deux cuvettes de 0,9 m sur 0,32m, et de quinze cm de profondeur sont aménagées dans le fond de B. Puis deux murs sont établis entre A (qui est réduit à 1,15 m) et B, et entre B et C (réduit lui à 1,6 m). Un mur est plaqué contre le mur Nord de B, qui mesure 2,6 m sur 1,7 m. A et B sont dotés d’une amorce de sol. En S2, A’, B’ et C’ sont identiques à A, B et C, mais B’ n’a que 80 cm de profondeur, et C’ possède une cuvette. Le bâtiment est doté d’une cave au Nord, au sol bétonné, et au soupirail en glacis. Mobilier Du bois charbonné a été retrouvé dans les encoches latérales à B et B’. Les quatorzes monnaies sont datées de 244 à 270, dont deux permettent de situer le comblemet de la cave vers 270 d.n.è., la destruction du site après 335-360 et l’établissement d’un humus après 337-344. Deux serpettes (de vigneron ?) ont été retrouvées sur le site. Bibliographie LEPAGE, Marc. Bulletin de liaison de la Direction régionale des antiquités historiques du Poitou-Charentes, 1982, n°11, p 61-63. NICOLINI, Gérard. Notice. Gallia'', 1983, tome 41,2, p. 345. SIMON-HIERNARD, Dominique. Rapport de fouilles du site de la Croche, à Civaux, 1981.
1825
https://fr.wikisource.org/wiki/Les%20bassins%20%C3%A0%20cupule/Site%20de%20Puits%20Jouan
Les bassins à cupule/Site de Puits Jouan
Commune : Château-d'Oléron Département : Charente-Maritime Les bassins à cupules Datation : pas de datation établie Civitas : Santonum Les bassins {|border="1" cellpadding="6" cellspacing="0" align="center" |- | colspan=6 bgcolor=#ccccff | <center>Dimensions des bassins</center> |- | Bassin|Longueur| Largeur| Profondeur| Surface| Volume''' |- |B1 |2 m |3 m |> 0,4 m |6 m² |2,4 m³ |- |B2 |? |? |? |5 m² environ |? |- |B3 |? |? |? |4 m² environ |? |- |B4 |2,35 m |1,65 m |0,7 m (conservée) |3,88 m² |2,7 m³ |} Notes Tous les murs de séparation de ce qui est décrit comme une suite de “ pièces “ sont larges de quarante cm. Le fond du bassin 1 est posé sur un hérisson fait de moellons posés de chant, liés et recouverts par une mince couche de mortier. Il était doté d’une seule marche. Ceux des bassins 2 et 3 sont faits de tegulæ posées sur un lit de sable de quarante cm et recouvertes de 5 cm de béton. Celui du bassin 1 est fait d’une couche de 20 cm de béton posée sur un double dallage : y-a-t’il eu des rehaussements du fond ? Une des cupules avait été façonnée à l’avance dans du béton puis encastrée dans le fond du bassin. Celle de B4 a un volume compris entre 16,4 litres (tronc de cône) et 47,56 litres (demi-sphère). Une simple marche de 40 cm se trouvait dans B4. Enfin, le puits qui donne son nom au lieu-dit est réputé intarissable. Mobilier Le fouilleur a conservé une molette de porphyre “ grosse comme le poing “. Il a aussi dégagé du comblement de nombreux os de boucherie, jamais sciés, d’autres os d’oiseaux et de nombreux coquillages. Bibliographie PINEAU, Emmanuel. Revue de la Saintonge et de l'Aunis'', 1893, n°13, p 81-85.
1826
https://fr.wikisource.org/wiki/Les%20bassins%20%C3%A0%20cupule/Site%20de%20la%20Haute-Sarrazine
Les bassins à cupule/Site de la Haute-Sarrazine
Commune : Cognac Département : Charente Les bassins à cupules Datation : fin Ier-2e tiers du IIIe Civitas : Santonum Les bassins Les bassins sont présentés dans l'ordre restitué de leur exploitation, du plus ancien au plus récent. Les numéros correspondent à leur ordre de découverte. {|border="1" cellpadding="6" cellspacing="0" align="center" |- | colspan=6 bgcolor=#ccccff | <center>Dimensions des bassins</center> |- | Bassin|Longueur| Largeur| Profondeur| Surface| Volume'|- |B10 |2,5 m/5,5 m |1,7 m |2,05 m conservée |4,25/9,35 m² |8,71/19,16 m³ |- |B11 |2,5 m/5,5 m |1,7 m |2,05 m conservée |4,25/9,35 m² |8,71/19,16 m³ |- |B3/14 |3,9 m |1,8 m |1,4 m conservée |7,02 m² |9,83 m³ |- |B4 |2,1 m |1,4 m |1,4 m conservée |2,94 m² |4,11 m³ |- |B5 |4,4 m |2,1 m |1,5 m conservée |9,24 m² |13,86 m³ |- |B6 |5,7 m |4,1 m |0,3 m conservée |23,37 m² |7,011 m³ |- |B1 |3,9 m |3 m |1,35 m conservée |11,7 m² |15,79 m³ |- |B8 |3,45 m |1,8 m |1,25 m conservée |5,58 m² |6,97 m³ |- |B2 |2,2 m |1,2 m |0,75 m conservée |2,64 m² |1,98 m³ |} Notes Tous les bassins étaient en réalité plus profonds d’une vingtaine de cm, étant dotés d’un rebord supérieur arrondi. Quelques morceaux de ces rebords ont été retrouvés. Le volume réel des bassins peut donc être estimé à environ : B1 : 18,135 m³ ; B2 : 2,508 m³ ; B3/14 : 11,232 m³ ; B4 : 4,704 m³ ; B5 : 15,708 m³ ; B10 : 9,56/21,037 m³ (B11 idem). Pour le bassin 8, plus fortement arasé que les autres, et pour le 6, bassin dont les parois étaient en élévation, ces calculs correctifs ne sont pas possibles. Mobilier Le site a livré 101 monnaies, dont 21 sesterces (de Trajan (98-117) à Commode (176- 192)), et 78 antoniniens réguliers et irréguliers, allant de Gallien (253-268) à Tétricus II (275). La céramique comprend de la sigillée de luxe ou de semi-luxe de la fin du IIIe siècle, ainsi que des imitations régionales. Parmi les outils en fer, on trouve deux petites serpes et deux serpettes ou guignettes dans le comblement de B5 (après 250, et l’abandon de l’activité). Parmi les traces d’origine végétale, il y a des pépins de raisin en petite quantité, des graines de céréales non identifiées, de nombreux pollens de céréales et d’herbacées, un pollen de vigne. Historique du site Le bâtiment forme un L, dont les deux ailes ont été bâties à un court intervalle de temps. La plus grande aile, A (80 x 16 m) est orientée NE-SO, et possède un mur de refend qui la divise en deux parties inégales de 9 et 5 m de large. Au NO, une aile secondaire, B (35 x 11 m), a été construite très peu de temps après la première, perpendiculairement à celle-ci. Le secteur 16 est encore postérieur, son sol est en cailloutis calcaire. Le mur m9 sert à soutenir la couverture. Une grande cour C, d'environ 400 m², est cernée d'un mur au SE de A. Plusieurs phases d'activité se sont succédées, chacune durant deux ou trois génération. Deux paires de bassins (B3/14-B4 et B10-B11) ont d'abord fonctionné ensemble, les deux bassins de chaque paire communiquant entre eux par des tuyaux de plomb (fistulæ) placés au fond des bassins. Le principe des vases communicants permettait d'éviter des poussées néfastes et la construction d'une muraille plus épaisse. Les deux paires de bassins n'étaient reliées par aucun dispositif. La paire B10-B11 était alimentée par l'intermédiaire de tuyaux de plomb traversant m1 et provenant de l'aire 7, située dans l'aile B. B5 semble dater de la même époque, et était alimenté par l'aire bétonnée et drainée 15, d'environ 76 m². B6 est contemporain. Sa cupule comportait des traces de résine. Lors de la deuxième phase, le mur séparant B10 et B 11 est démonté sur la moitié de sa longueur, et deux murs séparent le nouveau bassin, B1, des moitiés SE de B10 et B11. Le fond de B1 est surhaussé. L'alimentation de B5 est modifié : le canal 9 provenant de l'aire 7 passe à travers m1, au-dessus de B3/14 (qui est comblé avec B4), longe m4 et aboutit à une fistula de 78 cm de long et 55 mm de diamètre intérieur. Une déviation de ce canal alimente peut-être B1 en concurrence avec les deux tuyaux de plomb, ou les remplace. B8 date de la fin de cette période, ses mortiers étant d'une qualité proche de celle de B2. Celui-ci est le dernier à être construit ; il obture le canal alimentant B5, qui est abandonné sans être comblé. B1 a pu fonctionner avec B2 ; cela est plus probable avec B8. L'alimentation de ces deux derniers bassins nous est inconnue. Après 250, les bassins sont tous comblés, sauf B5. Celui-ci sert alors de dépotoir aux habitants qui n'occupent plus de façon certaine que le secteur 15. Bibliographie PAPINOT, Jean-Claude. Notice. Gallia Informations, 1989, p. 245-246. VERNOU, Christian. Rapport de fouilles du site de la Haute-Sarrazine, à Cognac, 1989. VERNOU, Christian. La ferme gallo-romaine de la Haute-Sarrazine - Cognac-Crouin. Catalogue d'exposition du Musée de Cognac, du 12 septembre au 12 novembre 1990. Cognac : Musée de Cognac, 1990 VERNOU, Christian. Carte archéologique de la Gaule : Département de la Charente''. Paris : Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, 1993.
1827
https://fr.wikisource.org/wiki/Les%20bassins%20%C3%A0%20cupule/Site%20des%20%C3%89ronnelles
Les bassins à cupule/Site des Éronnelles
Commune : Échillais Département : Charente-Maritime Les bassins à cupules Datation : 1re moitié du Ier siècle après J.-C. Civitas : Santonum Données sur les bassins {|border="1" cellpadding="6" cellspacing="0" align="center" |- | colspan=6 bgcolor=#ccccff | <center>Dimensions des bassins</center> |- | Bassin|Longueur| Largeur| Profondeur| Surface| Volume'|- |B1 |2 m |1,6 m |1 m (conservée) |3,2 m² |3,2 m³ |- |B2 |2 m |1,6 m |1 m (conservée) |3,2 m² |3,2 m³ |} Notes L'abbé Barbotin auteur de la découverte signale aux environs deux hypocaustes. Mobilier Le chanoine Barbotin a retrouvé une monnaie de Germanicus dans la grotte marquée 13 sur son croquis, avec “ des tessons de poterie, une pierre ponce avec une marque d’usage, un dé à coudre aux fossettes triangulaires et très prononcées, et des pots à parfums “. Le site étant à l’époque en bordure de carrière, l’ensemble de ce mobilier a pu tomber du fait de l’exploitation de celle-ci. Sur le site même, il a remarqué de très nombreux pépins de raisins fossilisés. Bibliographie Abbé BARBOTIN. Échillais et ses seigneurs. Saintes : Librairie Laborde, 1933. Abbé BARBOTIN. Échillais à travers les âges''. La Rochelle : Éditions Rupella, 1957.
1828
https://fr.wikisource.org/wiki/Les%20bassins%20%C3%A0%20cupule/Site%20des%20Barres
Les bassins à cupule/Site des Barres
Commune : Écurat 1 Département : Charente-Maritime Les bassins à cupules Datation : 40 à 120 après J.-C. environ Civitas : Santonum Données sur les bassins {|border="1" cellpadding="6" cellspacing="0" align="center" |- | colspan=6 bgcolor=#ccccff | <center>Dimensions des bassins</center> |- | Bassin|Longueur| Largeur| Profondeur| Surface| Volume'|- |B1 |2,35 m |0,9 m |0,45 m (conservée) |2,115 m² |1 m³ |- |B2 |2,7 m |0,9 m |0,45 m (conservée) |2,43 m² |1,1 m³ |} Notes Mobilier Un élément éventuel d’instrumentum a été découvert : une marguerite en tôle de bronze perforée de trous de quelques mm de diamètre suivant les lignes séparant les pétales. Bibliographie Anonyme. Bulletin de liaison de la Direction régionale des antiquités historiques du Poitou-Charentes, 1982, n° 12, p. 36. BAURAUD, Daniel. Rapport de fouilles du site des Barres à Écurat, 1982. PAPINOT, Jean-Claude. Notice. Gallia Informations'', 1989, p. 265.
1829
https://fr.wikisource.org/wiki/Les%20bassins%20%C3%A0%20cupule/Site%20de%20la%20Cigogne
Les bassins à cupule/Site de la Cigogne
Commune : Écurat 2 Département : Charente-Maritime Les bassins à cupules Datation : Fin du Ier siècle av. J.-C.- IVe siècle après J.-C. Civitas : Santonum Données sur les bassins {|border="1" cellpadding="6" cellspacing="0" align="center" |- | colspan=6 bgcolor=#ccccff | <center>Dimensions des bassins</center> |- | Bassin|Longueur| Largeur| Profondeur| Surface| Volume'|- |B1 |1,7 m |0,9 m |? |1,53 m² |? |} Notes Le bâtiment est constitué de trois murs parallèles A, B, C, orientés Nord-Sud, A étant le plus oriental, et attenants tous les trois à un mur Est- Ouest B1. A et B sont maçonnés, ainsi que B2 et B3, alors que C est en pierres sèches. A mesure 33 m de long, B 27,5 m. B2 est à 14,5 m au sud de B1, et B3 à 1,5 m au sud de B2. Le bassin est dans le prolongement sud du mur B. L’espace à l’Ouest du bâtiment principal était probablement une cour. Les trous de poteaux au Nord-Ouest sont dûs à un hangar ou une grange. Par sa forme le bâtiment rappelle les fermes gauloises. Il a été détruit ou modifié, puis réoccupé au Bas-Empire. Mobilier La céramique retrouvée est augustéenne principalement, mais aussi du Ier siècle et du début du suivant. Un éclat de phialle cotelée bleue Isings 33 et un fond de balsamaire Isings 28 ont aussi été découverts. Les quatre monnaies retrouvées sont un Constantin de 335, une monnaie du type Urbs Roma de 337-341, une monnaie de Magnence de 351-353 environ, et une monnaie de Constantin II (353-360). Les petits objets de métal sont représentés par de nombreux clous de fer, des fragments d’épingles d’or et un pendentif en or. Bibliographie DALANÇON, Alain. Rapport de fouilles du site de la Cigogne à Écurat, 1987. PAPINOT, Jean-Claude. Notice. Gallia Informations'', 1989, p. 265.
1830
https://fr.wikisource.org/wiki/Les%20bassins%20%C3%A0%20cupule/Site%20de%20Beaulieu
Les bassins à cupule/Site de Beaulieu
Commune : Germignac Département : Charente-Maritime Les bassins à cupules Datation : fin du Ier siècle Civitas : Santonum Données sur les bassins {|border="1" cellpadding="6" cellspacing="0" align="center" |- | colspan=6 bgcolor=#ccccff | <center>Dimensions des bassins</center> |- | Bassin|Longueur| Largeur| Profondeur| Surface| Volume'|- |B1 |1,7 m |1,6 m |1,8 m (conservée) |2,72 m² |4,9 m³ |- |B2 |1,7 m |2,6 m |1,8 m (conservée) |4,42 m² |7,95 m³ |- |B3 |3 m |1,7 m |1,8 m (conservée) |5,1 m² |9,18 m³ |- |B4 |2,45 m |1,75 m |1,8 m (conservée) |4,29 m² |7,72 m³ |- |B5 |2,45 m |1,75 m |1,8 m (conservée) |4,29 m² |7,72 m³ |- |B6 |2,45 m |1,75 m |1,8 m (conservée) |4,29 m² |7,72 m³ |} Notes Les deux premiers bassins étaient reliés par une fistula placée en bas du mur de séparation large de trente cm. Le premier était relié au troisième par un conduit de tegulæ de 4,85 m de long et de 0,71 m de large. Le quatrième bassin était à 2,45 m du troisième, dans l’axe du conduit. Les deux derniers étaient plus loin. Les volumes des cupules étaient compris entre 261,8 et 348,5 litres (selon leur forme, non précisée). Mobilier Un vase marqué M(anu) CRESSI permet de dater le site de la fin du premier siècle. CHRESIMUS est un potier de Montans qui travailla sous Domitien. Un peson de céramique quadrangulaire, de 10 cm de haut, avec une tige de fer passée dans un trou fait dans l’extrémité du peson, a aussi été retrouvé. Bibliographie Anonyme. Bulletin de la société d'archéologie et d'histoire de Saintonge et d'Aunis, 1892, n° 12, p. 179. OSWALD, Félix. Index des estampilles sur sigillées'', tome I. Avignon : SITES, 1983.
1831
https://fr.wikisource.org/wiki/Les%20bassins%20%C3%A0%20cupule/Site%20de%20Bel-Air
Les bassins à cupule/Site de Bel-Air
Commune : Le Gua 1 Département : Charente-Maritime Datation : pas de datation établie Civitas : Santonum Les bassins à cupules Données sur les bassins {|border="1" cellpadding="6" cellspacing="0" align="center" |- | colspan=6 bgcolor=#ccccff | <center>Dimensions des bassins</center> |- | Bassin|Longueur| Largeur| Profondeur| Surface| Volume'|- |B1 |1,8 m |1,2 m |0,8 m |2,16 m² |1,73 m³ |- |B2 |1,8 m |1,2 m |0,8 m |2,16 m² |1,73 m³ |- |B3 |1,8 m |1,2 m |0,8 m |2,16 m² |1,73 m³ |- |B4 |1,8 m |1,2 m |0,8 m |2,16 m² |1,73 m³ |} Notes Mobilier Une monnaie de Titus et une autre à légende Diva Tita Augusta Divi titi filia ont été retrouvées à proximité, ce qui laisserait penser à un site de la deuxième moitié du Ier siècle. Comme aucune autre précision n'est apportée par le découvreur, j'ai préféré m'abstenir de le dater. Bibliographie DANGIBEAUD, Charles. Bulletin de la société d'archéologie et d'histoire de Saintonge et d'Aunis'', 1912, n°32, p. 143-144.
1832
https://fr.wikisource.org/wiki/Les%20bassins%20%C3%A0%20cupule/Site%20de%20Fief%20de%20Ch%C3%A2lons
Les bassins à cupule/Site de Fief de Châlons
Commune : Le Gua 2 Département : Charente-Maritime Datation : Ier-IVe siècle Civitas : Santonum Les bassins à cupules Données sur les bassins {|border="1" cellpadding="6" cellspacing="0" align="center" |- | colspan=6 bgcolor=#ccccff | <center>Dimensions des bassins</center> |- | Bassin|Longueur| Largeur| Profondeur| Surface| Volume'|- |A |2,8 m |2,05 m |0,65 m |5,74 m² |3,27 m³ |- |B |4 m |0,9 m |0,35 m |3,6 m² |1,26 m³ |- |L |4,2 m |2,05 m et 1,35 m |0,7 m |7 m² |4,9 m³ |- |D |2 m |1,75 m |0,45 m |3,5 m² |1,575 m³ |} Notes Il y a eu deux phases de construction : la partie Ouest est la plus ancienne, et était cernée de murs assez puissants pour soutenir une charpente. La pièce où se trouvent les bassins L et D avait le sol recouvert d’un enduit de béton blanc et fin, qui remontait sur les murs jusqu’à dix cm de hauteur. La salle a pu toute entière servir d’aire d’alimentation des bassins. Une couche d’argile de 25 cm placée autour et en-dessous de ces bassins renforce les dispositifs habituels d’étanchéité. À une époque indéterminée, les bassins A et B sont venus s’ajouter aux deux précédents. Comme pour L et D, une aire de béton blanc fin jouxte les bassins et a pu constituer une aire d’alimentation. Le sol du reste de la pièce est constitué d’un béton plus grossier, ce qui renforce l’hypothèse d’un usage particulier des aires de béton blanc. Dans l’autre pièce située au Nord, se trouvent deux foyers formés de tegulæ posées de chant dans le sol. Leur disposition l’un par-rapport à l’autre et la proximité des bassins fait penser à un usage artisanal. La cupule du bassin A a un volume compris entre 19,8 et 58 litres. Celui de la cupule du bassin L est compris entre 17,1 et 49,8 litres. Mobilier La céramique retrouvée sur le site est assez variée, elle comprend de la cérami- que commune grise, de la grise à engobe noire, de la grise décorée à la molette, de la sigillée lisse non signée, de la sigillée Drag 37 de Lezoux (IIe siècle), et de la paléochrétienne noire décorée à l’estampille. On a aussi retrouvé du verre. Bibliographie FERCHAUD, Alain. Rapport de fouilles du site de Fief de Châlons, au Gua, 1976. NICOLINI, Gérard. Notice. Gallia, 1977, tome 35,2, p. 376. NICOLINI, Gérard. Notice. Gallia'', 1979, tome 37,2, p. 391-392.
1833
https://fr.wikisource.org/wiki/Les%20bassins%20%C3%A0%20cupule/Site%20de%20Montsanson
Les bassins à cupule/Site de Montsanson
Commune : Le Gua 3 Département : Charente-Maritime Datation : fin Ier siècle-Début du IIe siècle Civitas : Santonum Les bassins à cupules Données sur les bassins {|border="1" cellpadding="6" cellspacing="0" align="center" |- | colspan=6 bgcolor=#ccccff | <center>Dimensions des bassins</center> |- | Bassin|Longueur| Largeur| Profondeur| Surface| Volume'|- |B1 |6 m |2 m |0,8 m |11,14 m² |8,912 m³ |} Notes Le bassin était ovale, ce qui est un exemple unique dans la région. Ses parois étaient formées alternativement de rangs de moellons et d’arases de tegulæ. La fosse B, murée sur ses deux mètres de profondeur, jusqu’au niveau de l’eau et une veine de sable, a pu servir de puits à eau. Le bâtiment a du être couvert de tuiles, des fragments ayant été découverts dans le comblement. Mobilier Il y avait quelques gros tessons de céramique à pâte blanche. Bibliographie FERCHAUD, Alain. Rapport de fouilles du site de Montsanson, au Gua, 1979. NICOLINI, Gérard. Notice. Gallia, 1979, tome 37,2, p. 391. MAURIN, Louis. Archéologie romaine et du Haut-Moyen-Âge, Revue de la Saintonge et de l'Aunis'', 1983, n°9.
1834
https://fr.wikisource.org/wiki/Les%20bassins%20%C3%A0%20cupule/Site%20du%20Haut%20de%20Pampin
Les bassins à cupule/Site du Haut de Pampin
Commune : L'Houmeau Département : Charente-Maritime Les bassins à cupules Datation : milieu du IIe siècle-fin du IIIe siècle Civitas : Santonum Les bassins {|border="1" cellpadding="6" cellspacing="0" align="center" |- | colspan=6 bgcolor=#ccccff | <center>Dimensions des bassins</center> |- | Bassin|Longueur| Largeur| Profondeur| Surface| Volume'|- |C1 |3,6/4 m |1,08 m |1,3 m |3,9/4,3 m² |5,14/5,88 m³ |- |C2 |3,5/4 m |1,05m |1,4 m |3,6/4,2 m² |5,05/5,62 m³ |- |C3 |3,35 m |1,6/1,7 m |1,2 m |5,57 m² |6,63 m³ |- |C4 |1,7 m |1,7 m |1,35 m |2,89 m² |3,90 m³ |} Notes Ce site a été mis au jour lors d'une fouille de sauvetage lors de la construction d'un lotissement. Il se trouve dans l'actuelle rue Jean Bart, et domine le marais du Plomb. Mobilier Le mobilier comprend de la céramique commune, de la sigillée de Lezoux (fin IIe siècle), un fond de flacon de verre du Ier siècle, et une fiole du IIIe ou du IVe siècle. Les objets suivants sont plus liés à la vie artisanale du site : une serpe de fer, l’ébauche d’une aiguille en os, et une lamelle de bronze (dont la destination n'est pas identifiée). Comme sur la plupart des sites d’habitat, des os et des coquillages ont été jetés en abondance. Enfin, les restes importants d’un collier en or de la première moitié du IIIe siècle ont été retrouvés non loin du site. Historique du site Le site est à 19 m d'altitude et à 150 du marais du Plomb, colmaté au XVIe siècle. Les bâtiments faisaient au moins 117 m2. Peu de substructions subsistaient : outre deux murs parallèles orientés Est-Ouest et le mur Nord-Sud qui leur est perpendiculaire, un mur Nord-Sud était situé au nord de la parcelle. Au total, les bassins ne sont pas inscrits dans un espace fermé, et les tuiles, tant imbrices que tegulæ, retrouvées dans le comblement des bassins ne peuvent être attribuées avec certitude à la couverture des bassins. La découverte de clous de charpentier dans le comblement des bassins incite cependant à penser qu'ils étaient couverts. La construction des deux premiers bassins est de qualité médiocre : les murs ne sont pas d'aplomb, les moellons des parois débordent ou sont en retrait les uns par rapport aux autres. Les mortiers de C2, ainsi que ceux de C1 dans une moindre mesure, se colorent en orange vers le sommet des parois. Cette coloration, due à de nombreuses reprises, indique une longue utilisation. C4, presque carré, fut construit à leur suite. C'est le bassin le mieux construit, son enduit était très fin. Après une utilisation d'au plus quelques années, il subit une radicale transformation en C3 : son mur Nord est abattu pour l'allonger dans cette direction, mais un mur est construit dans le même temps en travers de C4, réduisant la longueur de C3. Le fond de celui-ci étant plus élevé, on suréleva l'ancien fond, compris entre le mur abattu et le mur Sud de C3. Le fond comprend quatre couches de béton : une de mortier blanc, coulée sur le hérisson de pierres ; une seconde, épaisse d'un cm et du même mortier de tuileaux qui a été utilisé pour la cupule, ne recouvre pas les couvre-joints d'origine et est parfaitement horizontale ; la troisième, parfaitement horizontale elle-aussi, est de couleur blanc-gris avec des inclusions de particules jaunes, et recouvre les couvre-joints primitifs et est épaisse de quatre à cinq cm ; enfin, il existe des traces d'une couche superficielle de mortier rouge. Les enduits verticaux sont roses, grossiers, usés et même très dégradés dans la moitié sud. C4 et C3 étaient probablement alimentés par un caniveau provenant de l'aire et longeant C3 sur sa paroi ouest. Cette aire était faite de mortier mêlé de cailloutis et posé sur un hérisson puissant. Le fond du caniveau contenait une terre noirâtre. Le fond de B3, les joints et les angles NE et NO étaient recouverts d'un fin dépôt noir. L'analyse n'a pas permis de découvrir une trace d'acide acétique. Bibliographie TEXIER, Bruno-LAPORTE, Luc. Rapport de fouilles du site du Haut de Pampin, à L'Houmeau, 1979. TEXIER, Bruno-LAPORTE, Luc. Les fouilles du Haut-Empire à L'Houmeau. Revue de la Saintonge et de l'Aunis, 1980, tome VI, p. 13-118. NICOLINI, Gérard. Notice. Gallia'', 1983, tome 41,2, p. 372.
1835
https://fr.wikisource.org/wiki/Les%20bassins%20%C3%A0%20cupule/Site%20des%20Grandes%20Pi%C3%A8ces
Les bassins à cupule/Site des Grandes Pièces
Commune : Ingrandes-sur-Vienne Département : Vienne Les bassins à cupules Datation : Ier siècle-IVe siècle Civitas : Pictonum Données sur les bassins {|border="1" cellpadding="6" cellspacing="0" align="center" |- | colspan=6 bgcolor=#ccccff | <center>Dimensions des bassins</center> |- | Bassin|Longueur| Largeur| Profondeur| Surface| Volume'|- |B1 |1,6 m |2,6 m |0,75 m |4,16 m² |3,12 m³ |- |B2 |1,6 m |2,6 m |0,75 m |4,16 m² |3,12 m³ |} Notes Le site a été fouillé très rapidement. Le directeur des fouilles pense à un balnéaire privé avec dalle de réception, au vu du præfurnium qui se trouve au sud des bassins, à une distance non précisée et sans qu’une hypocauste soit signalée. Il est possible que le præfurnium ait été destiné à chauffer les bassins. Les deux bassins n’en formaient qu’un lors de la construction, qui a été coupé ensuite par un mur transversal. La largeur indiquée est celle du bassin unique, les longueur sont les longueurs internes des deux bassins. Mobilier De la céramique s’étendant sur une très vaste période a été retrouvée sur le site. Bibliographie NICOLINI, Gérard. Notice. Gallia'', 1979, tome 37,2, p. 400.
1836
https://fr.wikisource.org/wiki/Les%20bassins%20%C3%A0%20cupule/Site%20du%20Petit%20Rech%C3%A9rat
Les bassins à cupule/Site du Petit Rechérat
Commune : Juillac-le-Coq Département : Charente Les bassins à cupules Datation : pas de datation établie Civitas : Santonum Données sur le bassin {|border="1" cellpadding="6" cellspacing="0" align="center" |- | colspan=6 bgcolor=#ccccff | <center>Dimensions du bassin</center> |- | Bassin|Longueur| Largeur| Profondeur| Surface| Volume'|- |B1 |1,8 m |1,1 m |0,8 m |1,975 m² |1,58 m³ |} Notes Mobilier Bibliographie VERNOU, Christian. Carte archéologique de la Gaule : Département de la Charente''. Paris : Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, 1993.
1837
https://fr.wikisource.org/wiki/Les%20bassins%20%C3%A0%20cupule/Site%20de%20la%20Touche
Les bassins à cupule/Site de la Touche
Commune : Ligné Département : Charente Les bassins à cupules Datation : IIe siècle Civitas : Pictonum Données sur les bassins Notes La fouille fut opérée illégalement par le propriétaire du terrain, vers 1980. Les renseignements me sont parvenus par l’intermédiaire de M. Christian Vernou. Aucune publication n’est parue sur ce sujet, en-dehors d’un article de La Charente Libre du 15 novembre 1985. M. Gagnère a fait le dessin à main levée qui figure avec les plans. On y voit notamment un foyer de briques (semblable à ceux du Gua 2 ?). Les substructions sont en petit appareil alternativement en hérisson et horizontal. Mobilier Le seul élément certain de datation est un Jupiter au foudre du IIe siècle, retrouvé dans le comblement. On a aussi retrouvé de la céramique à l’éponge remarquable, de la sigillée, de la céramique fine peinte, de la céramique commune, une monnaie (d’Auguste ?), une pendeloque et une fibule de bronze, et une perles de verre à facettes. Bibliographie Courrier de M. Christian Vernou
1838
https://fr.wikisource.org/wiki/Les%20bassins%20%C3%A0%20cupule/Site%20des%20Groies
Les bassins à cupule/Site des Groies
Commune : Nieul-sur-Mer Département : Charente-Maritime Les bassins à cupules Datation : Ier siècle-IVe siècle Civitas : Santonum Données sur les bassins {|border="1" cellpadding="6" cellspacing="0" align="center" |- | colspan=6 bgcolor=#ccccff | <center>Dimensions des bassins</center> |- | Bassin|Longueur| Largeur| Profondeur| Surface| Volume'|- |B1 |2,6 m |1,54 m |1,12 m |4 m² |4,484 m³ |- |B2 |3,3 m |1,54 m |1,12 m |5,08 m² |5,691 m³ |- |B3 |4,08 m |3,5 m |0,65 m |14,28 m² |9,282 m³ |} Notes La fouille a mis au jour les reste d’un vaste bâtiment (environ 34 x 26 m, soit 890 m²). Deux bassins étaient construits au Nord-Ouest, près d’une structure identifiée comme un préau de travail. Quatre fours étaient plus au sud. Enfin, un troisième bassin, postérieur, était construit au Sud-Est, loin des autres. Le site se distingue par une construction très soignée : chaque rang de moellons des parois des bassins étaient compris entre deux arases de tegulæ ; les enduits, de tuileaux pour B1 et B2, blanc pour B3, étaient très fins. D’autres particularités distinguent ce site : les couvre-joints de B3 sont faits d’imbrices dressées et enduites, le fond de B1 et de B2 étaient constitués de tegulæ posées sur le hérisson et noyées dans le béton. Cette construction, très soignée, ne fut reprise qu’une seule fois : une dalle de béton, de 37 cm d’épaisseur, fut coulée et séchée, puis descendue au fond de B2. À noter, le mur entre B1 et B2, large de 83 cm, pouvait faire face à des poussées importantes. Les deux bassins ne s’emplissaient donc pas en même temps. Les différentes cupules ont leurs volumes respectifs compris entre 14,6 et 42,4 litres (B1) ; 25,8 et 75,4 litres (B2) ; 23,8 et 70 litres (B3). Pour cette dernière, si l’on considère qu’elle est formé de deux onglets de cylindre, son volume est inférieur à 47,8 litres. Mobilier Le site a livré de la céramique allant du Ier siècle au IVe siècle, et huit espèces de coquillages différents. Bibliographie DURAND, Georges. Rapport de fouilles du site des Groies à Nieul-sur-Mer, 1976. NICOLINI, Gérard. Notice. Gallia, 1977, tome 35,2, p. 376-377. NICOLINI, Gérard. Notice. Gallia, 1979, tome 37,2, p. 392-393. NICOLINI, Gérard. Notice. Gallia'', 1981, tome 39,2, p. 371-372.
1839
https://fr.wikisource.org/wiki/Les%20bassins%20%C3%A0%20cupule/Site%20de%20Grand-Fief%20Chagnaud
Les bassins à cupule/Site de Grand-Fief Chagnaud
Commune : Port-des-Barques Département : Charente-Maritime Les bassins à cupules Datation : Ier siècle-Ve siècle ap. J.-C. Civitas : Santonum Données sur les bassins {|border="1" cellpadding="6" cellspacing="0" align="center" |- | colspan=6 bgcolor=#ccccff | <center>Dimensions des bassins</center> |- | Bassin|Longueur| Largeur| Profondeur| Surface| Volume''' |- |E |2,3 m |1,07 m |1,15 m |2,46 m² |2,83 m³ |- |C |2,70 m |2,10 m |1,30 m |5,67 m² |7,37 m³ |- |G |2,58 m |2,06 m |1,20 m |5,31 m² |6,37 m³ |- |D |1,86 m |2,38 m |1,40 m |4,42 m² |6,25 m³ |- |H |5,60 m |2,65 m |1,20 m |14,84 m² |17,55 m³ |- |B |2,13 m |1,58 m |0,70 m |3,36 m² |2,35 m³ |- |F |2,10 m |1,54 m |0,96 m |3,23 m² |3,10 m³ |- |A |1,46 m |1,40 m |0,90 m |2,04 m² |1,84 m³ |} Notes Le bâtiment a été construit au début du Ier siècle probablement, mais la construction et l’exploitation des bassins n’ont commencé qu’autour de 100 ap. J.-C., dans l’ordre du tableau. La pars urbana de la villa n’a pas été fouillée. La cupule du bassin C est une dalle de béton, coulée hors du bassin, façonnée en creux et encastrée dans le fond. Mobilier Dans chacun des trois premiers bassins, les fouilleurs ont retrouvé une pierre creusée, posée le long du mur sud de chaque bassin. Longues d’un mètre, creusées, les pierres étaient percées à chaque extrémité de cinq trous alignés dans la hauteur, espacés de 5 cm et de 1 cm de diamètre. Des coquillages variés ont été retrouvés dans le puisard (sud-ouest du site). La poterie est très variée, et s’étend de la période augustéenne au Haut Moyen-Age. Les monnaies, nombreuses, vont de Paccoleius Lariscolus (37 ap. J.-C.) à Constantin II (324-325 ap. J.-C.). Historique du site Plusieurs aires étanches correspondant aux différents bassins. L'espace VII était dévolu à l'alimentation du bassin E. L'aire XVII alimentait C et G, qui succédèrent à E, probablement au milieu du IIe siècle. Un conduit menait de l'aire jusqu'au bassin G. Ces deux bassins furent comblés à partir de 200 ap. J.-C. environ. D qui fonctionnait peut-être déjà, fut doublé à cette époque, ce qui entraîne avec le doublement consécutif de l'aire XVII, l'abandon définitif de G. Puis H est construit avec l'aire V et remplace D. Le bassin H, très grand, possédait des contreforts (volume : 216 litres) placés au milieu de ses parois longues, qui soutenaient une voûte (retrouvée mais pas en place) qui couvrait le bassin. Il était également doté de deux emmarchement dans les angles Sud et Ouest. Puis il fut réduit de moitié par un mur établi entre les deux contreforts, et la moitié Ouest fut abandonnée. Une cupule existant dans chaque moitié du bassin, la cupule se trouvant dans la moitié encore utilisée a peut-être été façonnée à ce moment-là. Au IVe siècle, une suite de pièces furent construites à l'Est, abritant de nouveaux bassins. D'abord B, en couple avec l'aire IV, puis F et A. Les parois de ces deux derniers bassins sont irrégulières. Ils furent comblés dans la deuxième moitié du Ve siècle. LE site fut encore occupé plusieurs siècles au Haut-Moyen Âge. Bibliographie LANDRAUD, Claude. Rapport de fouilles du site de Grand-Fief-Chagnaud, à Port-des-Barques, 1988. PAPINOT, Jean-Claude. Notice. Gallia Informations, 1989, p. 267-268. PAPINOT, Jean-Claude. Notice. Gallia Informations'', 1993, tome 1 et 2, p. 202-203.
1840
https://fr.wikisource.org/wiki/Les%20bassins%20%C3%A0%20cupule/Site%20de%20la%20Moussig%C3%A8re
Les bassins à cupule/Site de la Moussigère
Commune : Puyréaux Département : Charente Les bassins à cupules Datation : pas de datation établie Civitas : Icolisma (Angoulême, valable seulement après le IIIe siècle) Données sur les bassins {|border="1" cellpadding="6" cellspacing="0" align="center" |- | colspan=6 bgcolor=#ccccff | <center>Dimensions des bassins</center> |- | Bassin|Longueur| Largeur| Profondeur| Surface| Volume'|- |B1 |2,1 m |1,8 m |0,6 m |3,78 m² |2,82 m³ |- |B2 |1,6 m |1,2 m |0,7 m |1,92 m² |0,76 m³ |} Notes Le bâtiment, de 14,5 mètres sur 8, est divisé dans la largeur en deux salles de 63 et 28 m². Dans la plus grande, adossé au mur de séparation, se trouve le premier bassin, dont une extrémité est en forme d’hémicycle. Il est relié au second par un canal à section carrée de dix cm de coté et de 5,3 mètes de long. Le fond du deuxième bassin est en dalles. Le sol de la salle où se trouvent ces bassins est incliné de chaque coté du canal, des murs gouttereaux en direction de celui-ci, selon une forte pente (non-précisée). Mais Étienne Boeswillwald note qu’elle est trop forte pour que des fouleurs aient pu y travailler. Mobilier L’inventeur n’a signalé aucun mobilier. Bibliographie BŒSWILLWALD Étienne. in Bulletin Archéologique des Travaux historiques et scientifiques, n°1, p 3-5. FAVRAUD, Alexis. Notes sur les communes de l'ancien arrondissement de de Ruffec. Paris : Librairie Bruno Sépulchre, 1987 (rééd.). VERNOU, Christian. Carte archéologique de la Gaule : Département de la Charente''. Paris : Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, 1993.
1841
https://fr.wikisource.org/wiki/Les%20bassins%20%C3%A0%20cupule/Site%20des%20Mo%C3%BBtiers
Les bassins à cupule/Site des Moûtiers
Commune : Rochefort Département : Charente-Maritime Les bassins à cupules Datation : de la 1re moitié du Ier siècle av. J.-C.-100 ap. J.-C. Civitas : Santonum Données sur les bassins {|border="1" cellpadding="6" cellspacing="0" align="center" |- | colspan=6 bgcolor=#ccccff | <center>Dimensions des bassins</center> |- | Bassin|Longueur| Largeur| Profondeur| Surface| Volume'|- |B1 |> 1,40 m |> 1 m |0,67 m conservée |1,4 m² min. |0,938 m³ |- |B2 |1,56 m |1,49 m |0,77 m |2,32 m² |1,78 m³ |} Notes Les deux bassins, construits bout à bout, ont été en partie détruits par les travaux d’une bretelle d’autoroute. B1, au Nord, était aux trois quart détruit. Ne subsistait que l’angle Sud-Ouest. La présence de deux pentes convergentes vers l’angle Nord-Ouest laisse supposer l’existence d’une cupule. Ses parois, construites en couches alternées de tegulæ'' et de mortier, étaient épaisses de 23 à 27 cm, et recouvertes d’un enduit très usé. Les couvre-joints étaient eux aussi en très mauvais état. Son fond était épais de trente cm. Le mur de séparation des deux bassins n’était large que de trente-six cm. Les trois autres murs de B2 étaient en pierres plates liées au mortier, et de facture moins soignée. Le mur sud était appuyé contre un mur en blocage, probablement le mur extérieur d’un bâtiment. Il était impossible d’apprécier si les bassins étaient à l’intérieur ou non. La cupule était dans l’angle Nord-Ouest. D’autres traces de murs ont été retrouvés aux alentours immédiats. Une forge devait se trouver dans ces bâtiments, au vu des scories de fer trouvées dans les bassins. Mobilier Le comblement des bassins a livré un matériel céramique de la fin du Ier siècle. Y figurent des tessons de Drag 46, de la CCG et de la CCN (formes S351 et S367, Tène finale ; un grand vase proche de S264 et de plus petits S308 et S271). Le mobilier de verre comprend un rebord de coupe, du verre à vitre bleu et un fond de bouteille non datés. Des os de porcidé, une défense de la même espèce et des coquillages étaient au fond du bassin. Des objets de fer assez nombreux : piochon pour la pêche à huîtres, coins à bois et des clous ont aussi été retrouvés dans les abords immédiats, avec une feuille de bronze de 63 cm sur 24. La céramique du site comprend de la modelée gauloise de la fin de l’Indépendance, de la savonnée des débuts de l’implantation romaine, un tesson d’am- phore républicaine, et de la sigillée domestique, de formes S31b et S43 (assiettes), S250, du début du Ier siècle. Bibliographie FAVRE, Michel. Roccafortis, 1996, n°17, p. 4-7.
1842
https://fr.wikisource.org/wiki/Les%20bassins%20%C3%A0%20cupule/Site%20des%20Minimes
Les bassins à cupule/Site des Minimes
Commune : La_Rochelle Département : Charente-Maritime Les bassins à cupules Datation : 70-360 ap. J.-C. Civitas : Santonum Données sur les bassins {|border="1" cellpadding="6" cellspacing="0" align="center" |- | colspan=6 bgcolor=#ccccff | <center>Dimensions des bassins</center> |- | Bassin|Longueur| Largeur| Profondeur| Surface| Volume'|- |B1 |6 m |2,40 m | |14,40 m² | |- |B3 |2,60 m |1,50 m |1,20 m |3,90 m² |4,08 m³ |- |B4 |2,60 m |1,50 m |0,95 m |3,90 m² |3,25 m³ |- |B5 |1,52 m |2,40 m | |3,65 m² | |- |B6 |2 m |1,35 m |0,95 m |2,70 m² |2,56 m³ |- |B7 |2,10 m |1,35 m |0,95 m |2,83 m² |2,69 m³ |- |B8 |1,70 m |1,70 m | |2,89 m² | |- |B9 |0,80 m |0,80 m |0,60 m |0,64 m² |0,384 m³ |- |B10 |3,40 m |2,20 m |1 m |7,48 m² |7,48 m³ |- |B11 |1,90 m |1,45 m |0,15 m conservée |2,735 m² |0,41 m³ |- |B67 |4,10/5 m |> 1,35 m |2,25 m |5,5/6,75 m² |15,2 m³ |} Notes Il s’agit d’une vaste villa en U, construite sous les Flaviens, et abandonnée après 360 ap. J.-C. Les bâtiments occidentaux forment la pars urbana de la villa. L’ensemble Sud-Ouest, pourvue de deux hypocaustes et d’un balnéaire, est abandonnée au début du IIIe siècle. Les bâtiments à hypocauste du Nord-Ouest sont transformés en balnéaire au même moment, puis en forge au IVe siècle. L’hypocauste H2 n’a aucune trace d’usage. À l’Est, se trouve la pars rustica (voir page suivante). Les deux murs de pierres non liées, orientés Nord-Sud et parallèles, situés entre les deux ensembles, remontent à une occupation antérieure. Mobilier Le mobilier céramique comporte des tessons de toutes origines, régionale (à l’éponge), d’Argonne, de la sigillée de Lezoux, la Graufesenque et Montans (dont une pièce de la première moitié du Ier siècle), datées de la 2e moitié du Ier siècle au IVe siècle. Les monnaies vont de Domitien à environ 350. Des outils de fer ont aussi été retrouvés, dont ceux produits sur place après 300, avec du verre à vitre, un gobelet de Germanie du Iersiècle, et des objets de verre eux aussi produits sur place. Deux fibules d’avant 50 ap. J.-C. ont été retrouvées hors contexte. Des ossements de capridés, équidés, bovins, chiens, porcs, et des coquillages étaient présents un peu partout . Historique du site Données générales Le site est à la base de la pointe des Minimes, et à moins de 500 mer d'un rivage rocheux qui a du peu varier depuis l'Antiquité. La superficie des bâtiments est d'environ 440 m2. Première époque La villa comprend deux bâtiments S1 et S2 au sol de terre battue. Au Nord-Est, les salles S5, S6 et S14 devaient préparer l'activité des bassins à cupule, au Sud de S4. Le sol de grandes dalles de S4 était soutenu par un puissant appareil de 30 cm d'épaisseur, constitué de petites pierres tassées liées au mortier, et surmonté d'une couche de petites pierres et tuileau. B3 et B4, pourvus d'emmarchements, étaient dominés par B5, construit entièrement en élévation. Le fond de B5 a connu un rehaussement, très étroitement lié au fond plus ancien. Plus au Sud, B6 et B7 ont remplacé un bassin en L, beaucoup plus grand, désigné par B67. Son fond le plus ancien se trouvait à deux mètres vingt-cinq en-dessous du dernier sol antique. Il dépassait au sud de B6 et B7, s'étendait encore plus à l'est et au sud par un retour. Un trou carré pratiqué directement dans la banche a pu lui servir de cupule. À une époque indéterminée, son fond a été rehaussé de trente cm. Les parois de ce bassin étaient creusées de trous en forme d'ogives grossières. Ses couvre-joints carrés ont été conservés quand B6 a été séparé de B7, mais les nouveaux couvre-joints étaient convexes. B11, qui ne figure pas sur le plan, était immédiatement à l'Est de B7. Il était le parallèle de B5 pour la paire B6-B7. Il était séparé de B5 par un muret de trente cm, et son fond le plus récent était quinze cm en dessous de celui de B5. Deuxième époque Tout ce secteur fut nivelé entre 200 et 250 ap. J.-C. L'ancien système de production fut remplacé par deux salles, S3 et S13, bétonnées et drainées par de petites rigoles. Le solde S3 était constitué d'un mortier épais de huit à quinze cm, coulé sur une couche de tuileau et de pierrailles mélangées, elle-même posée sur un hérisson de grosses pierres enchâssées dans le sol. S13, qui bénéficiait elle-aussi d'un soubassement puissant, était divisée en trois par quatre drains parallèles et équidistants, dont deux collés aux murs extérieurs. Ces drains aboutissaient à un cinquième, perpendiculaire, qui se déversait lui-même dans B9 (384 litres). Aucun bassin n'a été retrouvé dans S3, drainée elle par trois rigoles. La salle à l'Est de S3 était un atelier de verrier ; B8 y fut construit à cette époque. L'activité des bassins fut abandonnée au IVe siècle, pour être remplacée par une activité métallurgique. Cette période constitué une troisième époque qui n'est pas traitée ici. Bibliographie DURAND, Georges. Bulletin de liaison de la Direction régionale des antiquités historiques du Poitou-Charentes, 1981, n°15, p. 25. FLOURET, Jean-DURAND, Georges. Le site gallo-romain des Minimes, bilan de la fouille de sauvetage. Revue de la Saintonge et de l'Aunis, 1984, n°X, p.7 et suivantes. FLOURET, Jean. Rapport de fouilles du site des Minimes, à La Rochelle, 1979. NICOLINI, Gérard. Notice. Gallia, 1981, tome 39,2, p. 371-372. NICOLINI, Gérard. Notice. Gallia'', 1983, tome 41,2, p. 332-341.