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[Samantha:] Tu me l'aurais refusé. M. Barnabé : Ah oui ! J'ai préféré agir sans ton accord que contre ton refus. Est-ce qu'on va se disputer ? C'est trop tard. Alors ? [Marc:] Papa adore se disputer. M. Barnabé : Je ne peux quand même pas me laisser... Marc, lui coupant tranquillement la parole : Seulement, avant, il doit nous fournir certaines explications. Sur l'assignation. M. Barnabé : Soit... Et Monsieur de Beauségur, ton arrière etc., non mais ! [Samantha:] L'arri- etc de mon mari, du côté maternel, trois générations avant vous, s'appelait Beauségur. J'ai juste ajouté le "de". [Marc:] Inutile d'essayer de la prendre en défaut, je l'ai vue faire les recherches, elle est incollable sur la famille et la maison. M. Barnabé : Comment ? Elle a enquêté avant de venir s'installer ? [Samantha:] Le savoir est toujours préférable à l'ignorance... non ? [Marc:] Maintenant que te voilà informé sur le passé de notre famille, informe-nous pour cette assignation présente sur la table. Je croyais qu'il avait été transféré ? Pour cause de construction du tramway ? Tu y vas fort. Une idéologie est une foi, elle est donc respectable. Mais enfin, il était prévu de transférer ! Une destruction aurait entraîné une levée de boucliers ! Alors il ne reste rien ? M. Barnabé : Les statues, une fois détruit le monument de l'architecte Maurice Boutterin, grand prix de Rome, avec l'escalier, la terrasse, la stèle gigantesque, dominant la ville pour laquelle les soldats se sont sacrifiés... de toute la construction où je te menais apprendre notre histoire quand tu étais enfant, rien... les statues ont été placées dans un coin d'une esplanade au centre de laquelle domine une piètre sculpture d'une asiatique... Samantha, étonnée : D'une asiatique ? [Samantha:] Voyons ça. [Marc:] Voyons ça.
[Le second voisin:] M. Barnabé, je suis venu vous dire... M. Barnabé : Mais c'est devenu un moulin à tout vent chez moi ! Je suis venu... M. Barnabé : Oui, voilà le problème. Fallait pas. [Marc:] Bonjour. [Samantha:] Bonjour. [Le voisin:] Marc ! Bonjour. Madame... M. Barnabé : Le moulin vous souhaite bon vent. [Marc:] Vous allez bien, Monsieur Glyphosate, votre épouse aussi, les enfants... ? M. Barnabé : J'ai entendu une ambulance, là, non ? Pas vous ? On ne sait jamais, allez vite voir. Oh... M. Glyphosate : Je suis venu... M. Barnabé : J'avais remarqué. Je vous l'ai même fait remarquer à vous. Pour le cas où vous vous seriez trompé de maison. M. Glyphosate : Comment ? M. Barnabé : Je m'y oppose ! M. Glyphosate : Ah bon ? M. Glyphosate, alarmé : Mais à quoi... ? M. Barnabé, farceur : Depuis le temps que vous menacez de nous le dire... M. Glyphosate : Moi ? M. Barnabé : Je ne vois pas d'autre intrus. M. Glyphosate, outré : Monsieur Barnabé ! Je venais... M. Barnabé, découragé : On sait. M. Barnabé : Ah, je suis brouillé avec le bon Potasse ? M. Glyphosate : Eh... M. Barnabé : Et maintenant avec vous ? M. Glyphosate : Moi ? M. Glyphosate : Vous n'êtes pas raisonnable. Je suis un messager de paix. Vous savez, tout le monde peut avoir besoin de ses voisins un jour. Ne vous formalisez pas trop, Monsieur Glyphosate, mon père a de gros problèmes en ce moment. Venez, je vous raccompagne. M. Barnabé, criant : Aucun problème ! Je passerai saluer votre petite famille, si vous le permettez. M. Glyphosate : Avec plaisir. Madame viendra aussi ? Bien sûr. M. Barnabé, furieux, maître du terrain : Non mais ! [Samantha:] Toujours gentil, mon Marc, il arrange tout, tout... toutou.
[Marc:] Il va te falloir un avocat, pour ça. Papa ! Tu vas engueuler le juge... M. Barnabé : S'il le mérite. Mais s'il comprend ce que je lui expliquerai clairement... Marc : Nonnonnon. Je connais la chanson. Au moment de reprendre le notariat du coin je ne veux pas avoir un père qui traite un juge de tous les noms. M. Barnabé : Mais la Justice... Marc : La Justice est une vraie pute et les juges de vrais macs très dangereux pour les mauvais clients. Je vais téléphoner à une amie et elle te représentera. D'accord ? M. Barnabé : Mais... Marc : Papa !... M. Barnabé, de guerre lasse : D'accord. Bon. Je vais dans mon bureau pour téléphoner tranquille. Sam, tu veilles à ce qu'il ne se brouille avec personne d'autre ? [Samantha:] Oh, dis... Marc, qui passait à côté, l'embrassant, bas : Claire, aide-moi.
[Samantha:] Oh, qu'est-ce qu'il a fait, le papy ? Pas sortir, pas s'approcher des fenêtres, pas jouer avec le feu. Eh bien moi, quand je te regarde, je ne les oublie pas. M. Barnabé, riant : De petit enfant me voici vieux cochon. Scandalisée ? Pas du tout. Cochon est roi, mais les vieux cochons avec les vieilles cochonnes et les jeunes cochonnes avec les jeunes cochons. Le système cochon-humain, c'est comme ça qu'il fonctionne le moins mal. M. Barnabé, railleur : On sent que tu t'es longuement penchée sur la condition humaine. Je me fais juste l'interprète de la volonté divine. M. Barnabé : Dieu t'a parlé ? Seulement son cochon. M. Barnabé, amusé : On va éviter le cinquième évangile... Et mon fistounet, Marc, est un bon cochon ? Il se défend.
[Elisabeth:] Ma chérie, un gros paquet est arrivé pour toi chez moi, je te l'ai apporté tout de suite. [Ce sont sûrement les montres… M. Barnabé:] Ah... Samantha : Trop tôt pour les montres. Plutôt les bracelets. M. Barnabé, étonné : Des montres, des bracelets ? Un seul de chaque ne te suffit pas ? [Samantha:] J'en vends. [Elisabeth:] Sa signature est sur tous les objets que nous vendons. Et c'est de la qualité, figurez-vous. M. Barnabé, qui veut ironiser : Et des assiettes, des colliers pour chien, des chatons en peluche de voiture ? [Samantha:] J'en vends. [Elisabeth:] Signés. [Samantha:] Où trouve-t-on les ciseaux ? M. Barnabé : Tiroir de gauche du buffet... Et des coussins, des sets de table ? J'en vends. [Elisabeth:] Mais signés. Et même plus, dix-sept, dix-huit... M. Barnabé, prenant un ton inquiet : Mais ils sont bien signés, n'est-ce pas ? [Samantha:] Je vends tout ce que les jeunes filles ont envie d'acheter. Et elles ont des tas d'envies. Et elles adorent acheter. M. Barnabé : Même quand elles ne peuvent pas payer. Tu crées des désirs et l'inassouvissement, en somme ? Je suis très adaptée à faire de l'argent. De tout. Quelle sale époque ? Peut-être bien. J'y suis alors j'en suis. Mais on est ce qu'elle est, pas l'inverse. On ne fait pas son époque ; on marche ou on crève, c'est tout. M. Barnabé : Toi, tu ne courrais pas un peu ? Pour le responsable adressez-vous au Ciel ! M. Barnabé, ironique : Tu vends Dieu aussi ? Mais je ne signe pas.
[Marc:] Papa... Tu as vu pour quand est ton assignation ? Aujourd'hui, onze heures. M. Barnabé : Auj... ! Onze heures ? Oui. [Samantha:] Tu as raison, beau-papa, mais pour Marc... M. Barnabé : Ah... Marc, doucement : On va juste voir l'avocate. M. Barnabé :... Bon... Mais, tu sais, je me méfie, parce que de glissement en glissement, de petite concession en petite concession, on se casserait vite la gueule. Il ya des précipices tout autour de nous. Et je n'y tomberai pas. [Marc:] Non, on va s'encorder. On tombe tous ou personne ne tombera. M. Barnabé, qui a faibli : Plutôt on pourrait... Elisabeth : Allez, allez donc ! Mais quoi ?
[Elisabeth:] Mais quelle est la question ? C'est une affaire grave ? [Samantha:] Grave, non... Mais importante... en un sens. [Elisabeth:] Ton beau-père risque gros ? [Samantha:] Non. Mais nous risquons qu'il soit réduit au silence... Ah, pour le tatouage, j'ai choisi : la rose et le réséda, mêlés. [Elisabeth:] Effaçables ? [Samantha:] Bien sûr. Si ça ne plaît pas à mon public, il faut que je puisse changer. [Elisabeth:] Je croyais Marc opposé... Samantha : Marc, avant de me rencontrer, n'avait aucune idée en choix de rouge à lèvres, ignorait absolument les marques de vernis à ongle, croyait vulgaire une robe très courte... Un âne de la mode. A ne pas oser sortir avec lui. Mais je me suis montrée courageuse... Elisabeth, l'embrassant : Oui, ma chérie, tu as toujours été une fille courageuse... et entreprenante. [Samantha:] Et heureusement, il apprend vite. [Elisabeth:] Parfois il se laisser aller à dire non. [Samantha:] Aussi, pour son tatouage à lui, je ne vais pas lui en parler tout de suite. Glissement par glissement, on en arrivera là, et alors se faire tatouer mon portrait sur le biceps lui semblera tout naturel ! [Elisabeth:] Tu vas signer ton mari ? [Samantha:] Et sur lui, pas effaçable. Indélébile ! [Elisabeth:] Enfin un bonheur de couple qui va durer. [Samantha:] Philémon et Baucis éternellement jeunes. [Elisabeth:] Pas comme ton père, quoi. J'ai juste le temps pour arriver chez ma coiffeuse. Allez, à demain, ma chérie. [Samantha:] A demain, maman.
[Samantha:] Quelque chose me dit que tout ne s'est pas bien passé... M. Barnabé : Comme à la plus grande victoire de l'héroïsme français. La pl... ? Votre avocat voulait vous obliger à arranger l'affaire ? M. Barnabé : Pas vue, l'avocate. Pas allé jusque là ! Ah, les salopards ! Mais attendez, attendez, je ne suis pas fini, vous allez voir ! [Elisabeth:] Oooh ! Dire des choses... des choses... comme... A sa fille, criant. Entendre ça ! [Samantha:] On dirait qu'il y a un coup de froid sur le notariat de mon Marcouille. M. Barnabé, furieux : Mais de quoi elle se mêle la mère de ma bru ? J'en ai rien à foutre de ton avis, mémère ! Je suis chez moi ! Chez moi ! Et je dis ce que je veux ! Comme je veux ! A qui je veux ! [Elisabeth:] Il a dit... aah... choses... à l'autorité ! Elle était furieuse ! [Samantha:] L'avocate ? [Elisabeth:] Ça m'a honté ! Ça m'a honté ! M. Barnabé : La sottise municipale cerne ma maison et avec cette femme elle y est entrée ! J'allais chez ma coiffeuse. Je tombe sur lui engueulant l'autorité. En pleine rue. Il hurlait. M. Barnabé : Des demeurés ! Il faut hurler pour qu'ils entendent, sinon ils font comme si l'on n'existait pas. L'autorité, elle m'a regardée. Comme si j'étais complice ! Moi ! Ça m'a honté ! Ça m'a honté ! Le peuple va me croire complice. Et la police va venir m'embarquer... M. Barnabé, qui commence de se calmer : Eh ben, pour une fois, elle se montrera utile. Je suis hontée... Samantha : Et mon Marc dans tout ça ? Il n'a rien dit ? Rien fait ? Mais moi je lui ai dit ce que lui il a dit ! Ah, ma chérie, j'en pouvais plus. Je sais pas ce qu'il a compris. M. Barnabé, carrément amusé, à Samantha : C'était comment les scènes de ménage chez vous ? [Samantha:] Vous êtes donc complètement asocial ?
[Samantha:] C'est la cata ? [Marc:] L'eau était tiède, il n'aura même pas pris froid. M. Barnabé : mécontent : Tu as arrangé ça ? ! Voyons, papa, c'était Henri ! Tu ne te souviens pas de Henri qui venait si souvent à la maison durant mes années de lycée ? Il a beaucoup changé, évidemment. M. Barnabé : Ah... oui... ce Henri-là... Il promettait de devenir quelqu'un de bien, ce garçon... et voilà qu'il est adjoint du Merlet... Marc : Il ne t'en veut pas. Mais tu lui as fait de la peine. [Elisabeth:] Monsieur le beau-papa, il ne reconnaît même plus les gens. [Samantha:] Tout de même si le scandale a été public et si... Marc, à Samantha : Je l'ai invité à dîner, ici, pour samedi, avec sa femme dont tu pourras aussi faire la connaissance. Il a aussi besoin d'une Influenceuse, il veut pouvoir prétendre qu'il représente la jeunesse ? [Marc:] Et de papa, pour attaquer Merlet. M. Barnabé : Ah ? Quel brave gosse. [Samantha:] Tout est réglé, maman, tu peux aller chez ta coiffeuse. [Elisabeth:] Mais l'heure est passée, c'est trop tard. [Marc:] Elle trouvera bien un peu de temps pour s'occuper de toi, non ? [Samantha:] Une si bonne cliente, voyons. Et tu lui raconteras tout... Marc : Triez un peu quand même. Sous le secret, évidemment. Allez, va vite. [Marc:] A demain. M. Barnabé : Je vous raccompagne, mère de ma bru. [Elisabeth:] Bon... A demain.
[Samantha:] D'où l'importance des femmes ? [Marc:] Sa femme n'ose pas être coquette, par peur que les méchants jasent... III, 23. M. Barnabé, rentrant : Ouf, libéré de la belle-mère... J'ai vraiment besoin de repos. Vous n'avez pas quelque chose à faire ailleurs que dans mon salon ? [Samantha:] Vous ne vous ennuyez jamais tout seul ? Moi, je dois dire... j'aime la solitude mais pas longtemps. [Marc:] Papa... Tu tournes en rond. Essaie de... M. Barnabé : Et alors ? La terre tourne, les astres tournent, la galaxie tourne, les autres galaxies ne s'en privent pas, tout tourne en rond. Pourquoi pas moi ? Je suis un vieil idiot ? Alors la création entière est idiote et je suis en harmonie avec l'univers. Une note juste dans le chant des sphères. Et quel est ton prochain pas de danse de toréador ? M. Barnabé, mystérieusement : J'ai une grande pétition en cours ; j'espère que tu la signeras ? Non. Tu as déjà combien de signatures ? M. Barnabé : Une. Devine laquelle ? Surtout ne laisse pas signer des gens douteux. Ils saliraient ta pétition, elle perdrait de sa force. M. Barnabé : Pas de danger que je la propose à Monsieur Potasse et à Monsieur Glyphosate... Et maintenant si vous alliez vous occuper à l'étage ? Faire un enfant par exemple. Mais sans bruit. Sam est trop jeune. M. Barnabé : Et Claire ? Aussi. [Samantha:] C'est quand même bien d'avoir des enfants... en un sens.
[Marc:] Ah... M. Barnabé, fronçant les sourcils : Qu'est-ce qu'il a encore inventé ? Tu connais bien Mademoiselle, m'a-t-elle dit ? [La jeune femme:] Ma chérie, quel bonheur de te revoir ! [Samantha:] On n'était pas vraiment "chéries" à cette époque. [La jeune femme:] Et pourtant dans mes souvenirs tu occupes une si grande place. [Samantha:] Ah bon ? [La jeune femme:] Nos fous rires au lycée quand tu essayais de dire la leçon que tu n'avais pas apprise... Samantha, serrant les lèvres : Une fois peut-être. Oh non. Plusieurs. Nos planques pour fumer du cannabis... Samantha : Jamais. Tu as même été exclue de l'établissement trois jours pour ça. [Samantha:] A la suite d'une dénonciation. [La jeune femme:] Quand tu faisais des sourires au prof pour qu'une autre puisse voir les sujets du prochain contrôle... Samantha : Non, toi tu lui faisais des sourires... La jeune femme : Non, toi. [Samantha:] Je me souviens surtout qu'on s'est battues près du réfectoire. [La jeune femme:] Elle a parfois des crises de violence, malheureusement. Vous vous en êtes sûrement déjà aperçu ? Présente-moi ! Je suis Marthe. [Marc:] Enchanté. Samantha ne m'a jamais parlé de vous. [Marthe:] Ah, c'est vrai, elle s'appelle Samantha maintenant ! Aah. Vous êtes le mari, je vous reconnais. [Marc:] On s'est déjà vus ? [Marthe:] Je jette, de temps en temps, un coup d'œil sur les vidéos de notre très chère. [Samantha:] Et toi, qu'est-ce que tu fais dans la vie aujourd'hui ? Tu finis tes lentes études ? [Marthe:] Oooh, tu blagues. Mon intellect survolait les déserts déprimants des programmes scolaires dès la maternelle. Nous avons été, je crois, les meilleures dernières de classe que l'enseignement a pu former. Je m'occupe un peu de mode sur internet. [Samantha:] J'y songe aussi, mais pour les jeunes. [Marthe:] Mais... Comme moi. Il ne doit pas s'agir de la même jeunesse. Dis donc, c'est sacrément huppé, ici. On peut dire que tu as réussi au moins ton mariage. Oui oui, la vidéo est exacte. Je vais te dénoncer comme l'Influenceuse de la jeunesse dorée. [Samantha:] La maison n'est pas à nous, elle est à mon beau-père. [Marthe:] Ouioui. L'ours aux pattes d'or... M. Barnabé, choqué : Hein ? Un mari notaire, ça en jette... un coup de froid, pour les jeunettes. [Samantha:] Et toi, d'aventure en aventure ? [Marthe:] Oh, je ne t'ai jamais égalée. Enfin, tu es rangée des voitures, comme on dit bizarrement. Casée à l'ancienne, quoi. J'en suis bien heureuse pour toi. Tu vas arrêter sur internet, bien sûr ? [Samantha:] Je vais multiplier mes activités, créer une chaîne de magasins de vêtements, ouvrir une salle de sport... Marthe, lui coupant la parole : Et tes Mémoires ? Quelle place j'y occupe ? Je crois que je vais réécrire ces passages-là. [Marthe:] En quel sens ? [Samantha:] Tu verras bien. [Marthe:] Tu sais, je rétablirai la vérité... J'ai des Contre-Mémoires tout prêts. [Samantha:] Tu aurais appris à écrire ? J'y crois pas. [Marthe:] Et moi, j'étais au moins bonne en orthographe, pas comme toi. [Samantha:] Sottises. Je crée, moi ! Et quoi que je crée, je sais utiliser ce qui me sera utile. [Marthe:] Y compris les gens, comme autrefois ? Eh bien, je suis ravie de t'avoir revue. Et d'avoir fait la connaissance de ta nouvelle famille. [Marc:] Elle ne va pas te lâcher sur ses pages internet. [Samantha:] Saleté de poufiasse... Il faut que je prenne les devants. Que j'attaque la première. Sinon... M. Barnabé, amusé : Elle gagnerait en crédibilité. Oui... Excusez-moi, il faut que je travaille. M. Barnabé, amusé : En tout cas, tu ne risques plus de t'ennuyer, tu as l'ennemie qu'il te faut pour t'en protéger.
[Marc:] Ah ! Cette fois... Il sort et revient accompagné d'une femme de son âge en tenue sobre. Ma femmes. [L’avocate:] Votre cause est la mienne. Je partage totalement votre point de vue. Je vous défendrai comme s'il s'agissait de moi. M. Barnabé, qui ne s'est toujours pas levé : Je voulais me défendre moi-même. Etre hors système ? Et vous croyez que le système vous donnerait raison ? [Marc:] Papa, on a déjà réglé cet aspect de la question. M. Barnabé, maugréant : Quand j'ai vendu ma petite entreprise, pas si petite,... mais ma fatigue devenait préoccupante... et puis pour en faire du fric le moment était idéal... enfin, je comptais... et après, tu n'es plus rien....tu comprends qu'en réalité tu as toujours été rien, mais tu ne t'en rendais pas compte. Papa, les regrets sont... M. Barnabé, sèchement : Pas de regrets. J'explique seulement que je vois clair au pays des aveugles. [L’avocate:] Pour nos adversaires vous êtes juste un vieux fou qui s'imagine être sage. [Marc:] Quelle stratégie conseilles-tu ? [L’avocate:] A soixante-dix ans, parfois... on pourrait plaider... M. Barnabé, furieux : Hein ? Vous savez, il ne s'agit que de justice... M. Barnabé, furieux : Jamais ! Et si le juge est franc-maçon aussi, comme le merlet, je le dénonce publiquement ! En pleine séance ! [Marc:] Encore cette histoire de francs-maçons... Tu ne sais même pas pour le maire, s'il en est... M. Barnabé : Je ne le sais pas ? Ah ! C'est moi qui l'ai parrainé ! Toi ? Tu es franc-maçon ? mais il y a plus de trente ans, il y a prescription. Je ne pouvais pas deviner qu'il allait mal tourner. [L’avocate:] Tu te souviens quand mon père, devant toi, a traité le tien de "parrain local" ? Cela a failli nous brouiller. [Marc:] Ah, bon sang ! attends, tu vas voir... L'avocate, à Marc : Il faudrait qu'l'on change de stratégie... Marc : Sans aucun doute. On monte dans mon bureau ? Oui. Tu as un client particulièrement délicat. [L’avocate:] Un parrain à la retraite, il faut éviter le bain de sang.
[Samantha:] Oh, ils ont entendu, sois tranquille. Ils s'en fichent. M. Barnabé : Marc, s'en ficher ? Je l'y conduisais alors qu'il était enfant !... Mon grand-père m'y conduisait aussi, quand maman avait le dos tourné. Je m'en souviens un peu. M. Barnabé : Et ton père ? Il n'a pas supporté maman très longtemps. M. Barnabé, s'asseyant en face d'elle, curieux : Tu sembles très différente d'elle quand elle n'est pas là. La chatte danse quand le diable s'absente. M. Barnabé, étonné : Tu écris des trucs comme ça sur tes pages internet ? Des tas de filles ont des problèmes avec leurs tendres mââmanans. M. Barnabé : Et de garçons ? Je ne m'occupe que du côté fille du monde. M. Barnabé, se levant : Mariée, tu peux plus facilement étendre tes conseils... et le chalandage qui va avec, si j'ai bien compris. C'était un beau monument ! M. Barnabé : Tu le penses vraiment ? L'architecte Maurice Boutterin avait réussi mieux qu'un travail remarquable. M. Barnabé : Je me sens vraiment vieux, fatigué. J'ai parfois envie de tout laisser tomber. Et que tout périclite, tant pis. Assister aux naufrages sous le haut pilotage de Merlet le débile sans même avertir des écueils. Un ennemi ne s'abandonne pas. Tu me l'as dit. Tu n'irais pas sombrer dans l'ennui ? Non, la mort, je pense. Quand Dieu nous l'envoie... M. Barnabé : Dieu ? Tu aurais une âme, toi ? Evidemment. Est-ce que tout le monde n'en a pas ? Eh bien, Claire a une âme dont Samantha s'efforce qu'elle soit la mieux logée possible. Regarde un peu les ongles dont elle bénéficie... L'animal Merlet fera bien de ne pas passer à proximité de cette âme-là.
[Elisabeth:] Pourquoi t'as attaqué la Marthe ? En ville elle se répand en sales propos sur toi ! Mais enfin ! Enfin ! [Samantha:] Avec ses vêtements bizarres elle ne risque pas d'être écoutée attentivement par grand monde. [Elisabeth:] Chez ma coiffeuse, si. Elle est cliente et pas toi. [Samantha:] Mais tu y as mené le combat ? [Elisabeth:] Seulement je suis affaiblie, elles savent toutes que j'ai été hontée dans la rue à cause de... lui. M. Barnabé, fort : Et vous auriez eu un grand-père ou arrière-grand-père ou... qui se serait battu lors de la grande guerre ? Et alors ? A Verdun. Son nom est même sur un truc érigé pour les touristes, là-bas. Quoi ?
[Marc:] Voilà, changement de stratégie. Tu parles librement et à la demande même de ton avocate. [L’avocate:] Il ne sera pas là de toute façon. M. Barnabé, déçu : Ah... on ne peut pas forcer le plaignant à comparaître pour l'accuser ? [Elisabeth:] C'est vous qui allez sauver ma fille ? Dites bien au juge de la magistrature que j'ai été hontée, et que je condamne le vieux. Ma fille aussi, bien sûr. Dites que le vieux il n'a plus toute sa tête. Qu'il demande pardon. C'est de la "névrotique sénilisatrice patriarcalisante" a expliqué la Marthe au salon de coiffure. [Samantha:] Elle était là en même temps que toi ? ! [L’avocate:] Tout cela s'arrangera très bien, madame. Ne vous en faites pas. [Elisabeth:] Vous ne dites pas cela pour me rassurer ? [Samantha:] Maman, retourne au salon de coiffure. Tu n'as pas été coiffée, ça se voit. [Elisabeth:] Ben si. [Samantha:] Alors ça ne se voit pas. Tu n'es pas contente. Tu y retournes et tu le dis. D'accord ? [Elisabeth:] Ah... Oui... Samantha : Reprends ce que j'ai écrit. J'y cours. Ah, je ne suis pas contente, pas contente du tout. Elle a bâclé le boulot, cette coiffeuse. [L’avocate:] A tout à l'heure. [Marc:] Moi j'ai encore quelques problèmes à régler, dans mon bureau. Je vous laisse. Pas de disputes, j'espère ? [Samantha:] Mais non.
[Samantha:] Tu es un sauvage, beau-papa. L'ours aux pattes d'or... M. Barnabé : Comment une fille comme toi... je veux dire : sophistiquée, très jeune, très jolie... tcetra tcetra... a-t-elle pu rencontrer mon Marc ? Il m'a trouvée sur internet. M. Barnabé : Je croyais que tes œuvres s'adressaient uniquement aux jeunes filles ? J'ai une section "Dialogue avec les aînés". Ma photo lui a donné envie de participer. M. Barnabé : Je comprends fistounet. Je lui aurais donné le bon conseil de s'occuper autrement. La sagesse de soixante-dix ans n'est pas la sagesse de trente-cinq. Ni celle de vingt ans. La jeunesse n'empêche pas de penser droit. M. Barnabé, ironique : Notre Samantha serait un Socrate ? Je lui emprunte quelques idées par-ci par-là. Je suis beaucoup plus lue que son Platon, ça le fait connaître... Mais vous, à votre âge, vous devriez survoler avec bienveillance les délires de ce pauvre monde ? Normalement c'est ça la sagesse de la vieillesse. Tu rêves de détruire la terre ? Boum ! Je dis carrément ce que je pense. Je me délecte de vérité. Moi, à vingt et un ans je m'apprête à lancer une ligne de vêtements. J'espère qu'elle sera cliente. Se balader à poil dans les rues aujourd'hui, c'est risqué.
[L’homme:] Ah, le voilà, notre héros ! [Samantha:] Quel moulin chez toi ; pourquoi tu ne fermes pas à clef ? [La femme:] Enfin quelqu'un qui ose s'opposer à ce maire ! M. Barnabé, à tous : Il y a une sonnette quand même ! [L’homme:] Quand on sonne tu ne viens jamais voir. [La femme:] On aurait dû, bien sûr. Excuse-nous. Madame est ta belle-fille ?... dont on parle tant pour la liste du second adjoint ? [Samantha:] Ah bon ? [La femme:] Vous êtes un atout, évidemment. M. Barnabé, à l'homme : Je ne paie plus ma cotisation. [L’homme:] Entre nous, c'est un détail. Nous sommes venus te soutenir dans ton combat. [La femme:] La salle du tribunal sera pleine des nôtres. Naturellement. [L’homme:] Nous l'entendons bien ainsi. [La femme:] Nous ne voulons plus de toutes ces disputailleries entre partis. [L’homme:] De tous ces hypocrites qui en réalité veulent se partager le fromage. [La femme:] Du clientélisme. [L’homme:] De la dilapidation des deniers publics pour détériorer un monument de notre patrimoine. [Samantha:] Mais qui sont-ils ? [L’homme:] Madame Raissen, et moi, Figuole, pour vous servir. [Madame Raissen:] Votre beau-père se trouve trop vieux pour se présenter aux élections, quel dommage. M. Figuole : Il n'en est pas plus loin de notre cœur. Je serai tête de liste à sa place. Nous n'avons pas pu avoir le concours des anciens combattants ; le maire, qui ne s'est jamais battu et a horreur de l'armée, finance généreusement leur club de boulistes. M. Figuole : L'orchestre, qu'il laissait sans argent et qui risquait d'être dissous, a reçu la moitié de sa subvention... Madame Raissen : Le maire a fait voter hier la création de deux nouvelles crèches... M. Barnabé, sèchement, coupant court : De combien a augmenté la dette municipale ? A Il s'est fâché quand on l'a demandé. Que la ville avait les moyens de s'endetter. [Samantha:] Les moyens de... ? [Madame Raissen:] La possibilité d'augmenter les impôts. [Samantha:] Mais personne ne veut que les impôts augmentent !
[Ah… M. Figuole:] Voilà notre concurrent ? Dommage que le fils ne suive pas la voie du papa. [Marc:] Oh, je ne suis le concurrent politique de personne. Un notaire n'a pas d'adversaires. [Madame Raissen:] Mais il n'a pas que des amis. [Marc:] Je crois m'entendre bien avec tout le monde. M. Figuole : Le second adjoint... Marc, arrivant en bas de l'escalier : Je ne m'occupe pas des affaires municipales, c'est ma femme... [Madame Raissen:] Oui, elle est libre de ses opinions... Et des vôtres aussi ? [Marc:] Je suis enchanté de vous revoir. Je suis enchanté de faire votre connaissance. [Madame Raissen:] Peut-être nous découvrirons-nous des vues communes ? M. Barnabé, qui a suivi la scène d'un air amusé, avec un ton sarcastique : Paix et amour. Comme j'aime ce magnifique spectacle de la concorde démocratique ! [Marc:] La meilleure du pire qui se développe ailleurs. M. Barnabé, à Samantha, faussement sévère : Et toi, sirène, ne vas-tu pas te joindre à l'amour universel local ? [Samantha:] Si vous aviez lu le nombre de mes amis sur les réseaux sociaux, vous sauriez que je suis une spécialiste de la sympathie. [Madame Raissen:] La sympathie commerçante, je crois ? [Samantha:] Les gens aiment dépenser de préférence avec ceux qui savent leur plaire. M. Figuole : Le temps tourne, nous allons vous laisser ; on se retrouve au tribunal ? [Madame Raissen:] Tenez bon, Monsieur Barnabé, tous les vrais patriotes comptent sur vous.
[Samantha:] Je n'aurais jamais pensé à me désolidariser de ma mère. Oh !... Marc, souriant et haussant les épaules : On peut aimer le moulin à vent et ne pas apprécier sa farine. M. Barnabé, à Samantha : Si tu n'en as pas encore pris conscience, tu constateras vite à quel point les humains sont moches et à quel point le monde est beau. Franchement, à part pour l'abîmer, qu'est-ce qu'on fait là ? Je demanderai à Socrate. [Marc:] Dieu, me disais-tu quand j'étais enfant, nous a créés comme de simples passants... La mort sauve le monde. M. Barnabé, amusé : Tu supposes que Dieu déciderait des charrettes du jour vers la guillotine ? Dieu à l'origine de notre génocide ? [Samantha:] Mais vous allez souvent à l'église ? Il s'y connaît peut-être mieux que vous ; c'est un saint homme, pas un sans-âme. [Marc:] J'irai avec toi. [Samantha:] Et après on ira courir, il faut que tu me filmes avec mon nouveau survêtement gris et rose fluo. M. Barnabé, agacé : Tu mêles un peu les incompatibles. Les mélanges sont novateurs, j'irai courir autour du cimetière. Message sur mon site : courir est bon pour le cœur et repousse la mort. M. Barnabé : Et le respect, la morale ? J'y penserai quand je serai riche. [Marc:] Papa... tu la provoques... tu récoltes ce que tu sèmes... Samantha, railleuse : Il aime peut-être la récolte ? Tu voudrais un front républicain contre le terroriste de nos monuments aux morts ? J'ai laissé mon téléphone en haut. Je vais demander à Henri s'il juge bon de laisser la défense de notre patrimoine à un parti adverse.
[Samantha:] Et pourquoi pas, le vieux au fiston ? M. Barnabé : Tu vas courir autour de ma femme, au cimetière ? Mais non. La démocratie dans la mort. Ça, je n'ai pas envie de retrouver au cimetière ceux que j'ai dû éviter dans la vie. M. Barnabé : Je te croyais une spécialiste de la sympathie ? J'ai d'abord été hôtesse d'accueil : une jolie fille intelligente doit sourire à des cons moches qui la prennent pour une conne parce qu'elle leur sourit. Pour trois balles. J'ai eu des mots à un qui me causait gras, et sans attendre je me suis virée d'là. M. Barnabé : La sympathie à distance c'est moins risqué et ça rapporte plus, n'est-ce pas ? Et puis, comme on dit, j'ai mis de l'eau dans mon vin. Mais... le faut-il vraiment ? M. Barnabé : Très vite tu ne seras plus que de la flotte au vin. Alors personne ne se souciera encore de toi car personne ne te craindra. Tu as moralement tort raison. M. Barnabé : Tu es moralement blâmable louable. Ah... Quand j'explique mes vues à Marc, il estime que c'est un peu difficile à comprendre, et quand il explique les siennes, il est persuadé que c'est facile, mais... M. Barnabé, railleur : Oui, il voit le monde à l'envers, c'est ça ? Je voulais en arriver à la remarque suivante : tu es plus simple à comprendre que lui. M. Barnabé : Pas sûr que ce soit un compliment, hein ? Non, pas sûr... Parfois je sens revenir en moi la petite fille : tout était simple. Je demandais à Dieu ce que je souhaitais et il me le donnait. tu adores ce que tu veux, je ne porte pas de jugement. Tu t'agenouilles devant les distributeurs automatiques si ça te chante. Seulement, là, ce ne sont pas des prières qu'il faut, ce sont des pièces ! Et quelle est la définition de Dieu, Môssieur le savon ? Me voilà bien savonnée. reconstruction à l'i-den-ti-que. [Marc:] En attendant, plus on a de forces sur le terrain, plus la justice sera juste. M. Barnabé : Un acquittement ne me sert à rien. Je préfère être condamné pour crier que je suis victime. Mais moi j'ai besoin que mon père apparaisse à tous comme un innocent poursuivi à tort. [Samantha:] C'est bien aussi. Et au lieu de ne servir que ta cause, tu arranges aussi les affaires de mon petit mari. M. Barnabé, maugréant : Bon bon... Soit... Mais j'aurai ma tribune ? [Marc:] Oui. En grand costume ce serait mieux... Pour la presse... Précisant parce que M. [Barnabé semble ne pas comprendre.) Les photos… La télé… M. Barnabé:] Ah... La tenue seigneuriale ?... Samantha, s'amusant, à M. Barnabé : Ils veulent revoir le parrain. [Marc:] Mais non, papa. On veut tous t'aider. M. Barnabé : Toi, tu veux m'aider. Les autres espèrent m'utiliser. [Samantha:] Ils voient le monde à l'envers, hein ?
[Marc:] Quoi qu'il fasse, je l'ai prévu et ce sera positif. [Samantha:] Le jeu est truqué ? [Marc:] Il peut gagner peu ou beaucoup : il a bien son enjeu... sans risque pour le nôtre. [Samantha:] Tu es un malin, Monsieur mon mari. [Marc:] J'ai appris de mon père. [Samantha:] Ma maman ignorait ce côté de la vie. J'ai beaucoup à apprendre de lui, moi aussi. La mode ne suffit pas. [Marc:] Et le commerce ? [Samantha:] Il ne suffit pas. [Marc:] Tes créations ! elles comptent plus. Et l'argent gagné ? Il n'est pas sans importance, n'est-ce pas, Samantha ? [Samantha:] Mais avec tout ça... je ne suis qu'une partie de moi-même... je ne décide rien... je suis portée par la mode, une sorte de vent qui me pousse par ici ou par là, et qui peut cesser de souffler pour moi d'un coup, et je ne me relèverai pas... Il me faut... du pouvoir... Marc, ironique : Sur le vent ? Alors une illusion de pouvoir qui me donne l'illusion de ne pas dépendre du vent. [Marc:] Je t'aime comme tu es. [Samantha:] Samantha n'est que l'ombre de Claire, chéri, et nous savons tous les deux que c'est Claire que tu aimes.
[L’homme:] J'peux dormir là ?... J'vais m'mettre su'l'can'pé. [Samantha:] Qu'est-ce que c'est que ce type ? [Marc:] Monsieur ? [L’homme:] L'est pas là M'sieur Barbabé ? [Marc:] Qu'est- ce que vous lui voulez ? [L’homme:] Fatigué. Je vais m'mett'su'l'can'pé. [Marc:] Non. [L’homme:] Elle est mignonne, la p'tite. Eh eh. Je crois que j'vais t'plaire à toi. [Samantha:] Fous-le dehors ! [Marc:] Monsieur ? Vous connaissez mon père ? [L’homme:] Ah... c'est l'papa !... Lui, i m'donne des tas de conseils... pour devenir sobre... puis i dit : "J'appelle la police ou tu prends les cinq euros ? " Alors j'prends les cinq euros. [Marc:] Au moins c'est clair. [Samantha:] Casse-lui la gueule, sinon, à la première occasion... Le mendiant, menaçant : J'suis plus fort. [Marc:] Non. Mais je n'ai qu'un billet de dix euros, je ne vous demande pas la monnaie ? [Le mendiant:] Pas la peine entr'nous. Si vous pavez m'aider plus : j'suis sans dom'cile. [Marc:] Non, ici c'est déjà trop petit. [Le mendiant:] Oh.. [Marc:] Le billet, à la sortie. [Le mendiant:] Bonon... Ils sortent. [Marc:] Et voilà. Il joue au méchant, pas plus. [Samantha:] Si tu achètes son départ, il reviendra te le vendre. [Marc:] Je veillerai à avoir toujours un billet de cinq euros. [Samantha:] On n'aura jamais la paix, et en payant. [Marc:] La violence ne résout rien. [Samantha:] Mais elle débarrasse, c'est toujours ça. [Marc:] Ma charmante femme serait-elle un monstre froid et sanguinaire ? [Samantha:] Non, bien sûr, chéri. Mais une fois, quand je rangeais mes courses dans le coffre de ma voiture, un type comme celui-ci est venu m'agresser par-derrière, je lui ai flanqué un bon coup de cric sur la cafetière et j'me suis sauvée dans le supermarché. [Marc:] Oui... il ne voulait pas un euro, ni cinq... Samantha : Le cric, ma mère l'a encadré et posé sur son buffet comme œuvre d'art. Ah, c'est ça... Vous n'aviez pas voulu m'expliquer ce qu'il faisait là. [Samantha:] Tu pourrais mettre des serrures qui fonctionnent et des verrous aux portes de ton père ? Qu'il soit tranquille. [Marc:] Chérie, mon père ne sort plus beaucoup... Il ne va plus au monde pour s'en plaindre, il faut bien que le monde vienne à lui. A quoi passerait-il ses journées sans cela ? Un misanthrope doit être quotidiennement importuné pour jouir d'avoir raison. [Samantha:] Mais à son âge... Marc : Il sait appeler un serrurier s'il le juge bon.
[Elisabeth:] Ah, ma chérie, quelle affaire ! La place devant le palais de justice est archipleine, les bars proches sont pleins : je n'ai même pas pu y boire un café... Il en fait de belles, votre père ! [Marc:] Henri a tenu parole. [Samantha:] Tout va bien, maman. Tout se déroule comme prévu. [Elisabeth:] Ah bon ?
[Elisabeth:] Eh ben... Samantha, étonnée : Ouaa... Marc, fier et amusé, très ambigu : Ah, je retrouve mon papa. [Arrivé en bas:] M. Barnabé, doucement à Samantha : Reste... Je reviendrai bientôt dans ton époque. [Samantha:] ... La reconstruction du Monument aux Morts, à l'identique.
[Marina:] Alors tu vas crever au bas de ce mur, comme un chien rejeté, seul ! [Jean:] Laisse-moi. Va-t'en ! [Marina:] Toi, une ancienne vedette de la chanson. Quarante ans de carrière... Mais pourquoi ?... On a encore de l'argent, tu sais. [Jean:] Pars ! [Marina:] Ce que nous avons construit ne s'est pas évaporé. Tes disques ne se sont pas changés en sable, des gens les écoutent toujours. Des oreilles t'écoutent, grandes ouvertes, Jean, et en ce moment, j'en suis sûre, sans micros et sans amplis, elles t'entendent gémir sur ce quai. [Jean:] Personne ne me voit plus, personne ne peut plus m'entendre. [Marina:] Les gens sont partout, les oreilles sont partout. [Jean:] Le monde est déjà sourd et aveugle. [Marina:] Ne peux-tu, ne sais-tu plus rêver, Jean ? Nous avons construit un art, et il était, il est, il sera unique. Nous avons donc construit un ordre, c'est-à-dire une liberté qui a ses propres lois inconnues, nous avons construit par ton art une fraternité, des millions de gens se sont réunis, unis, par tes chansons, nous avons construit une compréhension entre eux, donc des devoirs les uns envers les autres, des droits à l'entraide, nous avons affaibli des violences par l'enchantement de tes mélodies, nous avons suscité l'enthousiasme de la solidarité par l'énergie de ta musique et l'humanité de nos paroles... [Jean:] Il ne reste rien, Marina. [Marina:] N'importe quoi ! [Jean:] Lequel ? Le tien ou le mien ? [Marina:] Quel tien ou mien ? Qu'est-ce que tu veux dire ? [Jean:] Qui voit juste de nous deux ? [Marina:] Quelle importance de voir juste ou non ? [Jean:] Ah, la vieille scie : les aveugles y voient plus clair. [Marina:] Je ne suis pas aveugle, toi non plus. [Jean:] Ça vient, Marina, ça vient, tout doucement. Ça s'insinue en moi. [Marina:] Pas en moi. [Jean:] Je ne veux plus être là quand je cesserai de voir clair. [Marina:] Jean, ton art est le mien, je n'en ai pas d'autre...
[Elle fait quelques pas d’un côté:] N'importe quoi !
[Premier noyé:] Présent ! Présents et debout ! [Marina:] Mais personne ne viendra... Nous allons donner son dernier spectacle... Un silence. [Les noyés:] "Sous le pont de l'Alma coule la Seine. [Marina:] Qui es-tu ? Tu ne m'obéis pas ? [La jeune fille:] Je me suis noyée pour ne pas obéir. [Marina:] A qui ? A quoi ? [La jeune fille:] ... Je ne sais plus. [Marina:] Après tout, je suis mal placée pour l'exiger : qui n'obéit à rien ni à personne ne demande pas aux autres d'obéir... Reste si tu veux. [La jeune fille:] Je n'aime pas être seule. [Marina:] Le meilleur moyen de ne pas être seule reste l'obéissance, peu importe à quoi ou à qui.
[Jean:] Qui es-tu ? [La jeune fille:] Je ne sais plus. De ça je m'en suis débarrassée. [Jean:] Tu n'as plus de nom ? [La jeune fille:] On m'appelait Blanche. Blanche de Crèmenville. Ce n'est plus d'actualité. [Jean:] Blanche, vraiment ? [La jeune fille:] Peut-être pas. [Marina:] Donc, Blanche. Noyée de première classe, qui n'obéit pas. Et qui pourtant ne veut pas être seule. [Jean:] Toi à son âge. [Marina:] Comme nous à son âge. [Blanche:] Vous voulez un curriculum vitae et post-vitae complet ? [Jean:] Bien sûr. Si tu dois passer du temps avec nous, nous préférons savoir qui est entré dans notre vie. Marina enquête toujours de façon approfondie. [Marina:] Qu'importe, maintenant ? [Blanche:] Je sais ne rien faire, c'est-ce qui m'a permis de tenir au fond toutes ces années. Je dors très bien... J'ai horreur des poissons... Je ne me souviens de rien d'autre. [Jean:] C'est déjà très bien. [Marina:] Le post-vitae est le mieux étoffé. [Jean:] Qu'importe ? Nous ne sommes pas des voyeurs de vie, laissons cela à la télé. Jeune fille, tu es des nôtres. [Blanche:] Est-ce que j'aurai un passeport ?
[La grosse dame joviale:] Je vous manquais. Vous ne me connaissez pas et je vous manquais. [Blanche:] Curriculum vitae ! [La grosse dame joviale:] J'ai recyclé les noyés en médecins. On n'a pas assez de médecins et on a trop de noyés. [Blanche:] Je les reconnais ! Vous êtes formatrice ? [La grosse dame joviale:] Déformatrice. [Marina:] Pourquoi l'as-tu laissée venir celle-là ? Elle n'est pas de moi. [La grosse dame joviale:] Je passais dans le coin. Mes relations commencent toujours comme ça. [Jean:] Tu l'as appelée sans le savoir : c'est ma maladie. [Marina:] Allez-vous-en ! [Maladie:] Moi qui aime tant les gens ! tous me disent : "Allez-vous-en". Mais je ne me formalise pas : j'ai mes médecins avec moi. [Premier médecin:] Vive Maladie ! [Blanche:] Je hais les poissons. Les noyés sont des poissons.
[Marina:] Ah ! [L’homme:] Je l'ai ! Je l'ai trouvé ! [Marina:] Mon bébé ! [L’homme:] Et complet. J'ai bien lu sa fiche. Mère inconnue, père inconnu : tout y est. [Marina:] Un asiatique. [Maladie:] Vous l'avez trouvé où ? [L’homme:] Dans une maternité évidemment. [Blanche:] Curriculum vitae ! [Marina:] Laquelle, monsieur Benlala ? ! [Benlala:] Une belle. Avec de jolis dessins dans l'entrée. [Maladie:] Un asile psychiatrique ? [Premier médecin:] Démence précoce. [Marina:] Mon bébé... Mon bébé... Benlala, embêté : C'est pas l'bon ? Idiot... Blanche, sévère, à Benlala : Curriculum vitae ! [Benlala:] Ah... Je suis désolé, désolé... Qu'est-ce que j'en fais ? Je le confie comme Moïse... Blanche, nettement : Ça grouille de poissons, enfin, voyons ! [Marina:] Maternité Saint-Père ! Ce n'est pas difficile à trouver ! [Benlala:] Il faut que je le rapporte, quoi... Mais où ? [Marina:] Mais où tu l'as volé ! [Benlala:] J'étais si content. Je n'ai pas fait très attention à l'adresse... Alors, celui-là... Non ?... Marina, furieuse : Remporte-le ! Et va chercher le mien ! Bon... I, 8. Jean, qui ne s'est pas intéressé à l'événement et regarde la Seine, comme à lui-même : L'eau monte toujours. [Marina:] Çà, ta tente va devenir très humide, chéri. [Maladie:] Le pourri monte avec l'eau, il contamine sans discrimination. [Blanche:] Y a un poisson qui me traitait comme sa noyée apprivoisée, est-ce qu'il va pouvoir nager sur le quai ? [Jean:] L'eau monte toujours... Elle est sans reflets ; trop sombre pour cela, trop visqueuse. [Marina:] Et y coucheront. [Blanche:] J'aime pas les noyés, j'aime pas les poissons, j'aime pas l'eau. [Jean:] Aimer ? C'est toujours aimer la mort qui suinte des êtres dits vivants, des supports bipèdes qui s'engraissent eux-mêmes, librement, pour nourrir la mort qui rit d'eux. [Maladie:] Mais avant, Maladie joue avec les gentils mortels, ils sont sûrement contents. [Jean:] Et toutes ces souffrances, qui ajoutent de l'inutile à l'inutilité de la vie. Ces éternités de tortures que l'on voudrait fuir et qui vous retiennent dans leurs toiles tandis que, lentement, vers vous, elles s'avancent. [Maladie:] Ben quoi ? [Premier médecin:] On fait de not'mieux, m'sieur, on fait durer, on a des médocs pour ça. [Jean:] Ai-je été chanteur ? Est-ce que je l'ai rêvé ? Qu'importe ? Un passé révolu n'est qu'un passé, il n'est pas de l'existence. Ce qui a été n'est plus, donc n'a pas été. La mort est le chat du temps. Elle s'amuse de notre peur. [Maladie:] Ça vous fait un dernier public. [Jean rêveur:] Et sur l'eau morte glissent des bateaux à lumières, à lucioles, pleins de touristes encore vivants. [Blanche:] J'aime pas les touristes : ils ne pensent qu'à mater les noyés. Je me cachais, ils me pourchassaient d'en-haut avec leurs torches. [Marina:] Tu jouais avec eux ? [Jean:] Il y a des jours où j'ai envie d'en finir tout de suite, de me suicider, pour être enfin en paix. [Blanche:] Alors évitez la Seine : c'est bourré de touristes voyeurs à l'étage au-d'ssus et de sales poissons en-dessous... Et en plus, c'est plein d'eau... J'aime pas l'eau. [Marina:] Et tu n'aimes pas les touristes, et tu n'aimes pas les noyés, et tu n'aimes pas les poissons.
[Marina:] Tu t'emprisonnes dans ta tente, Achille, et qu'est-ce que ça change même pour toi ? L'eau monte toujours. [Maladie:] Ce n'est pas pour tout de suite, allez faire durer des morts en ville. [Jean:] Pourquoi ou de quoi es-tu morte, toi ? [Blanche:] De moi-même. [Jean:] De souffrance ? de peine ? de désespoir ? quoi ? [Blanche:] ... Quoi ? [Marina:] Tiens, la nouvelle Echo. [Blanche:] Echo ? [Marina:] Tu étais amoureuse ? [Blanche:] Amoureuse ? [Marina:] N'est-ce pas ? Et tu as plongé pour rejoindre Narcisse ? [Blanche:] Narcisse ? [Jean:] Eternelle nouvelle histoire. [Blanche:] ... Mais non... J'savais pas que j'aimais pas les poissons... et l'eau... et les noyés... Marina, agacée : Et les touristes. Et les touristes. [Maladie:] Sans même penser à la maladie. [Blanche:] A la maladie ? [Marina:] Ah !
[Blanche:] Echo ? Quoi Echo ? Amoureuse ? [Marina:] Ça ne va pas ? Tu as de nouveau mal ? [Jean:] Ma jambe gauche... Elle se paralyse. En même temps elle est traversée par un éclair, puis un autre, un autre... Marina : Ne reste pas dans cette position. Sors. Viens. Appuie-toi sur moi. La douleur me décourage. Le courage est lié à une espérance, les miennes pourrissent dans leur cimetière et je ne suis pas capable de les rejoindre. [Marina:] Tu veux donc me laisser ? [Jean:] Je t'avais laissée pour que tu vives mieux... en attendant ton tour. [Maladie:] Je n'aurais pas dû renvoyer les médecins. Il y a des tas d'examens à faire, de piqûres à imposer, de pilules à ordonner. Tu es une noyée ? Donc tu es médecin. [Blanche:] Médecin ? [Marina:] Que ferai-je sans toi ? " Je me sens si seule dès que tu t'éloignes de moi. [Blanche:] Evitez les poissons... l'eau... et les touristes. [Jean:] Ah... la crise passe. [Blanche:] Tiens. [Marina:] Vrai ? C'est vrai ? Tu te sens mieux ? [Jean:] Je suis de retour dans l'illusion d'être bien portant.
[Marina:] Franchement, du renfort ne serait pas inutile, tu ne crois pas ? [Jean:] L'eau monte toujours. ... Maman ?... Oui... Je n'y arriverai jamais toute seule... Bien sûr que je l'ai retrouvé ! Il va mal... Quai rive droite de la Seine avant le pont de l'Alma... Oui... [Maladie:] Où marchant les pes de ce bruit ? [Jean:] Si c'est un esprit, il est vraiment lourd. [Marina:] Le SAMU, déjà ? [Le Zouave:] Avez-vous vu passer des noyés ? [Jean:] Aucun. [Maladie:] Ils sont grands, ils sont médecins maintenant, ils se rendent utiles à la collectivité. [Marina:] Vous êtes qui ? [Le Zouave:] Je suis le gardien des noyés. Depuis ma faction au pont de l'Alma, je les ai vus s'enfuir. Où sont-ils ? [Jean:] Vous n'êtes pas au bon endroit au bon moment. [Maladie:] Votre pierre m'a l'air bien malade. [Marina:] Si on les voit on leur dira que vous êtes passé, monsieur le Zouave. [Le Zouave:] Elle est là. [Blanche:] Non, je ne reviendrai pas, jamais. J'ai des amis désormais. [Marina:] On t'aidera. N'est-ce pas, Jean ? [Le Zouave:] Rentre à la maison. [Blanche:] Je ne veux pas. C'est ici ma maison. C'est ma nouvelle famille. [Le Zouave:] Viens. [Blanche:] Je suis médecin, voyez-vous, monsieur le Zouave, j'ai des responsabilités importantes, [Maladie:] Ça, c'est vrai. [Marina:] Hélas, oui. [Jean:] Je te nomme ma garde-malade officielle.
[Marina:] Maman, déjà ? [Le Zouave:] Je ne partirai pas sans Mademoiselle Blanche. [Jean:] Bien, alors vous ne partirez pas du tout. Il y a assez de place ici. Pour tout le monde et n'importe qui. [Le Zouave:] Où sont les autres ? [Maladie:] Vos pieds sont particulièrement malades. Le pronostic est excellent. [Marina:] Voilà maman. [La maman:] Me voilà, me voilà ! Dès que tu m'as dit que tu étais perdue sans moi, j'ai tourné en pleine route et j'ai foncé. [Jean:] Bonjour Elisabeth. Nous avons déjà un zouave et une noyée. Et Maladie, bien sûr. Ma belle-mère manquait cruellement. [Marina:] Tout de même, comment as-tu fait pour arriver aussi vite ? [Elisabeth:] J'ai pris par les Champs Elysées. Au plus court. La rue était noire de monde, une manifestation contre je ne sais quoi. J'ai dû passer sur le trottoir. [Marina:] Sur le trottoir ? [Elisabeth:] Il n'y a que là qu'il y avait de la place. Presque personne. A fond la caisse. J'ai certes ouï quelques boum boum contre la carrosserie, mais dans le bruit ambiant... Le Zouave, sévère : On ne vous a pas arrêtée ! Quelques secondes. Mais quand le policier a appris que j'ai la cataracte il a été compréhensif. Il a dit que je n'ai pas dépassé mon quota de piétons. [Maladie:] Faut dire que d'habitude vous roulez sur la route : dans ces conditions, difficile d'atteindre son quota Blanche : Mais vous avez fait ce que vous avez pu, c'est bien. [Elisabeth:] Je fais toujours du mieux que je peux. [Marina:] Maman est très consciencieuse. [Jean:] Vaudrait peut-être mieux pas. [Le Zouave:] Vous n'avez pas écrasé de noyés au moins ? [Elisabeth:] Je n'ai pas roulé dans la Seine ! [Blanche:] Et vous avez eu raison : c'est plein d'poissons.
[Marina:] Une. J'ai fait installer la grande. [Jean:] J'attends. [Elisabeth:] Vous vous êtes reconverti dans la cloche ? C'est raisonnable à votre âge ? [Marina:] Il n'attend rien du tout. [Blanche:] Peut-être qu'il m'attendait, moi ? [Jean:] Je voulais que Marina vive sa vie, qu'elle soit délivrée de mon déclin. [Elisabeth:] Bien, ça. [Marina:] Non ! [Le Zouave:] D'habitude on ne se loge pas sur le bord de la Seine, on loge dedans. [Blanche:] C'est plein d'eau... Jean : J'attends que le Pézident vienne à son bateau, amarré là. Tous les ans, selon la Constitution, au solstice de juin il descend la Seine jusqu'à la mer sur le Soleil-Louis. [Marina:] Qu'est-ce que c'est que cette lubie ! [Elisabeth:] Je trouve cette idée très jolie. [Marina:] Tu viens de l'inventer pour maman, j'en suis sûre ! [Maladie:] Et on se demande pourquoi j'adore les malades. [Marina:] Tu ne feras pas ça ! [Jean:] Tu m'aideras à rédiger mon placet ? [Marina:] Jamais ! Un chanteur comme toi... Je te tuerais plutôt de mes propres mains ! [Maladie:] Oh ! [Blanche:] C'est toujours mieux que la flotte. [Le Zouave:] En tant que zouave je ne peux que condamner l'assassinat, même sur une personne aussi sympathique que vous. [Maladie:] Dans quel monde on vit... Jean, s'avançant face au public, s'éclaircit la voix et se met à chanter : [Quand tu descendras du Ciel:] C'est joli. [Marina:] Tais-toi ! [Jean:] Au secours ! Au secours ! Au secours !
[Maladie:] Mais je le reconnais, c'est un de mes médecins ! [Le Zouave:] Un de mes noyés. Il n'a pas bonne mine, est-ce qu'il serait malade ? [Blanche:] Est-ce que les noyés sont mortels ? [Le noyé-médecin:] Ah, vous avez bien raison de vous tenir à l'écart. Là-bas, c'est infernal. Le chaos ! Des morts sans autorisation préalable de Maladie. Des violences même contre les médecins, ta troupe respectueuse. Le bordel, la mélasse, l'anarchie. [Maladie:] Tant qu'il y a de la mort, il y a de l'espoir. [Jean:] Comme médecin j'ai déjà ce qu'il me faut. [Le noyé-médecin:] Je n'exerce plus. Je viens me r'noyer. [Marina:] Allons, allons, pensez à des choses gaies. [Elisabeth:] J'ai vu le désastre avec ma cataracte, alors ce n'est pas mieux sans ? [Le noyé-médecin:] Les rues sont noires de monde en folie. On casse, on pille, on se bat, on chante la Marseillaise dans tous les camps. Ça saigne sur les Grands Boulevards. [Maladie:] Une terrible catastrophe engendre une bonne période de réconciliations ; sois philosophe, mon garçon : l'ordre répétitif universel triomphe par le désordre politique. [Jean:] Tout va bien. [Marina:] La catastrophe est inévitable, donc il n'y a pas de quoi déprimer. [Blanche:] Ne fais pas ça ! C'est plein de poissons. [Le Zouave:] Et d'un. Blanche, rentre à la maison... Blanche, secouant furieusement la tête de droite à gauche : Jamais !
[Marina:] Ça ne va pas ? Où est-ce que tu as mal ? [Jean:] Ah... la douleur vient de partout. On dirait qu'elle s'est logée dans toutes les parcelles de mon corps, qu'elle y a placé des micro-bombes, qu'elle les fait exploser ici là... Maladie, sévèrement à Blanche : Médecin, fais ton devoir ! [Blanche:] ... Ne vous affolez pas... Je vous déconseille les calmants car vous pourriez vous y habituer : ce serait très mauvais pour votre santé. [Maladie:] Bravo. [Elisabeth:] S'il la retrouve. Où est-ce qu'elle est passée, celle-là ? [Marina:] Ça passe ? [Jean:] Non. [Blanche:] ... C'est comme un long tunnel ; si on arrive au bout, elle est là. [Elisabeth:] Tout est simple, en somme. [Blanche:] Oui. A condition d'éviter l'eau, donc les poissons. Et aussi les touristes... Et bien sûr, les noyés. Mais moi je ne me noierai plus, c'est promis. [Le Zouave:] Tu es vraiment brillante. Quelle perte pour la Seine ! [Marina:] Mais un peu de compassion, au moins ! [Tous les autres:] Ouinininin. [Marina:] C'était bien la peine d'éviter l'hôpital, il vous retrouve plus vite que la santé, et même sur les quais sacrés de la Seine. [Jean:] Ah, je me sens mieux... Ça passe. [Blanche:] Tenez, monsieur notre malade. Prenez cette canne qui vous aidera à attendre la prochaine crise. [Jean:] Faut-il dire merci ? [Maladie:] Evidemment. [Blanche:] Pensez à tous ceux qui ne marchent plus !... qui... qui flottent, qui... Jean, debout : Au contraire. Je te promets de ne pas y penser du tout.
[Marina:] Mon bébé ! [Elisabeth:] Un bébé... Jean, redevenant petit à petit serein : Ah oui... Marina, à Benlala : Montre. Je veux le voir ! Tout de suite !... Mais il est noir ! [Benlala:] Comme ça, il échappera mieux aux agressions : en plein jour on le prendra pour une ombre et la nuit on ne le verra pas. [Marina:] Triple idiot ! [Benlala:] Ben quoi ? [Marina:] Ce n'est pas le mien ! Mais tu as demandé aux infirmières de la maternité ? [Benlala:] Même pas eu b'soin. En passant dans une rue, je l'ai vu dans son berceau, j'ai mis l'autre à la place et hop ! Ni vu ni connu. [Marina:] Mon Dieu... Elisabeth : Était-ce une bonne idée de l'engager en tant qu'assistant maternel ? J'ai un doute. [Blanche:] Quoi ? Il est sérieux dans son travail. [Le Zouave:] Il est consciencieux, travailleur... Maladie : Pas encore malade. [Marina:] Tu le ramènes où tu l'as trouvé, compris ? Compris ? ! Et tu reviens avec le mien ou tu ne reviens pas. [Benlala:] Déjà que je ne suis pas payé, si en plus je retombe dans le chômage, que vont dire mes parents ? [Marina:] File ! [Benlala:] La femme va sûrement être surprise de se voir des jumeaux...un noir et un asiatique... Espérons qu'elle au moins sera heureuse.
[Marina:] Voyons, chéri... Tant qu'il y a de la vie, il y a du désespoir, donc des sujets de chansons... Blanche : Il faut surtout éviter l'eau, et voilà. [Jean:] Un jour, je cantiquais dans mon parc sous les chênes gigantesques, Marina avait refusé de m'accompagner... Marina, pour expliquer : Je ne cantique pas. ...et tout à coup je fus bouleversé par une illumination :... Elisabeth, perfide : Mais tu as toujours été un illuminé. Saint Pierre regardait mon temps s'écouler et il dit : "Ça traîne". Saint Jean ne regardait rien de précis, il s'ennuyait et il dit : "Ça traîne". [Maladie:] Ils n'ont pas parlé de moi ? [Jean:] Le ciel était d'un bleu incandescent, d'une pureté éclatante. Les deux saints étaient gigantesques. Jean dit : "Il ne trouve pas le chemin." Et Pierre a répondu : "Il faut lui envoyer quelqu'un. Pour le conduire jusqu'à nous. [Le Zouave:] Est-ce que ce serait moi ? [Blanche:] Ou moi ? [Marina:] Mais enfin !... Le pays est en pleine décomposition, les rues sont en sang, on m'apporte des bébés inconnus et toi tu penses à me quitter ! [Jean:] Des rivières de sang coulent vers la Seine et le malade mourant les regarde passer. [Blanche:] Des rivières de sang ? [Le Zouave:] C'est plein de poissons. [Blanche:] Oh.
[Maladie:] En voilà un accoutrement. [Le noyé-médecin-gendarme:] Eh oui, j'ai voulu faire pour le mieux et soigner aussi cette société. [Marina:] Qu'est-ce que vous êtes revenu faire avec nous ? Ici tout va bien. [Le noyé-médecin-gendarme:] C'est justement la raison. Je me suis demandé : Où pourrai-je exercer ma triple fonction en toute tranquillité ? Et je m'suis répondu : Là où aucun de ces agités ne viendra. [Blanche:] Tu veux te renoyer ? [Le noyé-médecin-gendarme:] Non. Ce quai, avec vous tous, pour fonder une terre de paix et de rien-foutre, convient à mon nouvel idéal. [Blanche:] Je suis le seul médecin du quai. Of-fi-ciel. Ici pas de visiteurs : ils perturberaient mon malade ; pas de poissons et pas de touristes. [Le noyé-médecin-gendarme:] Les touristes, en tant que gendarme, j'en ai flanqué plusieurs dans la Seine : ils n'avaient pas l'air contents. [Jean:] L'eau monte toujours. [Elisabeth:] Enfin, monsieur le tiers de gendarme, excusez-moi, mais là-haut j'ai mal vu à cause de ma cataracte -, enfin, qu'est-ce qui s'y passe ? [Le noyé-médecin-gendarme:] Les Sans-culotte à gilets jaunes se sont emparés de la ville. Le Pézident est leur prisonnier. Le Premier d'entre les micuistres est à la rue, privé de voiture, de gardes et même de cuisinier. Partout la foule guillotine dans la joie. Des blessés à tous les coins de rue contraignent par leur présence à éviter les coins de rue. Le chaos suinte des pavés. Le soleil hurle. Les prisons, d'abord entièrement vidées au nom de la révolution, ont de nouveau été gavées, au nom de la révolution. Puisqu'il n'y avait plus de place dedans, on s'est mis à exécuter sans jugement. Bref, je porte un avis défavorable sur la situation. [Le Zouave:] Je n'aurais pas dû abandonner ma faction. [Le noyé-médecin-gendarme:] Quelqu'un va la prendre. On pique tout, alors une bonne place... Blanche, gentiment, au Zouave : Mais tu es bien avec nous, non ? [Le Zouave:] Avec toi, je changerais même de pont.
[Jean:] Moi ? [Marina:] Un homme digne de ce nom ne peut pas garder les bras croisés quand son pays s'effondre. [Jean:] Que suis-je censé faire, ô ma dame ? D'une main, celle sans béquille, le retenir ? [Elisabeth:] Faut-il que je retourne écraser sur les trottoirs au volant de ma vaillante Rossinante ? [Maladie:] Quelle arme dois-je vous prêter pour rétablir l'ordre ? Choléra ? Peste ? Grippe espagnole ? [Le Zouave:] Moi je m'engage à protéger Blanche. [Blanche:] Ah, c'est gentil. [Le Zouave:] Pour être de pierre, je n'en suis pas moins homme. [Marina:] Tu es chanteur, des foules se sont assemblées pour tes concerts. Elles attendent sans le savoir un signe, un guide, quelqu'un capable de rassembler et de montrer la voie afin que le chaos cesse. [Le noyé-médecin-gendarme:] Ça peut réussir. [Jean:] Autrefois, quand j'avais la force, j'enchaînais les concerts, je roulais à toute vitesse de l'un à l'autre, sans écraser personne, car c'est très mal vu, je créais de nouvelles chansons sans cesse, elles coulaient de moi come une eau de source... Blanche, inquiète : Avec des poissons ? [Le Zouave:] Mais non. [Blanche:] Ah... Jean, continuant :...les foules reprenaient mes refrains, ma musique inondait les villes, les campagnes... Blanche, apeurée : Oh, non... Le Zouave, affectueusement, bas à Blanche : Ne crains rien, je suis là, près de toi. [Jean:] ... De région en région, de ville en château, de Lovit à Versailles, elle baignait les masses populaires enthousiasmées... Blanche, horrifiée, se serrant contre le Zouave : Oh, sainte Vierge ! ... Mes affiches étaient si grandes qu'elles concurrençaient les immeubles. Mon visage était le plus connu du pays... Marina : Alors, chante à nouveau, Jean, chante ! ... Mais la douleur est entrée en moi, elle m'a laissé des répits de plus en plus courts... Maladie, joyeusement : C'est la vie. ...et la musique s'est éteinte en moi, peu à peu. Je suis resté abandonné, sans elle. Et je me suis rendu compte que j'étais une coquille vide. [Flash:] noir pour la scène et l'image de Jean seul dans une chambre d'hôpital. [Marina:] Reprends tes succès. Aie la force de te retrouver, au moins pour que les foules retrouvent un passé commun, des goûts communs, des aspirations communes. O Jean, sois le nouvel Orphée. Chante ! et petit à petit des gens reprendront ton chant, ils te suivront. D'autres se joindront à eux. Puis d'autres encore. Et le pays tout entier marchera derrière Orphée, en quête de lui-même mais ressoudé. Alors seulement tu leur diras adieu. Puis tu iras vers la mort, mais en vainqueur. [Jean:] Il est trop tard.
[Jean:] Ah.. [Marina:] Jean ! [Jean:] Ah... Marina : Ce ne sera rien, ça va passer. [Maladie:] Tout passe ! [Le noyé-médecin-gendarme:] Mais il va passer avec. [Blanche:] Tenez. Avec une deuxième béquille vous pourrez rester debout. Ça ira très bien. [Le noyé-médecin-gendarme:] Et que projette mon admirable confrère pour la suite ? [Blanche:] ... Eh bien... on vous mettra une canne dans le dos pour que vous ne tombiez pas en arrière... et une canne devant, pour que vous ne tombiez pas en avant. [Le noyé-médecin-gendarme:] Elle est très forte. [Le Zouave:] Elle a plus que les facultés, elle a l'humanité nécessaire. [Marina:] Ne rentre pas dans ta tente. Ne meurs pas comme un rat. [Jean:] Mais ton projet, chérie, relève de l'impossible. [Marina:] Et alors ? Mieux vaut vivre dans le n'importe quoi que dans le réel, on ne peut pas inventer pire. Enchanter le monde est supérieur à refaire le monde. [Jean:] Est-ce que l'envoyé du Ciel est arrivé ? [Blanche:] Rien vu. [Le Zouave:] Est-ce qu'il sera en pierre, comme moi ? [Marina:] Il va venir. Il viendra. J'en suis sûre.
[Le Zouave:] Il y aurait trop de noyés, ce ne serait pas gérable. [Le noyé-médecin-gendarme:] Les secours au lieu d'arriver trop tard n'arriveraient pas du tout. Ce serait mauvais pour leur image. [Jean:] Si l'ordre est supérieur au chaos, ce qui n'est pas prouvé... Marina, à voix presque basse : Voyons, chéri, la santé est supérieure à la maladie. [Maladie:] La maladie est l'ordre : elle rend les gens dociles, humbles, malléables. [Elisabeth:] On peut s'évader. [Marina:] Il s'agit de concilier les inconciliables par tes chansons. L'ordre deviendra le nouveau chaos qui deviendra le nouvel ordre ; Santé deviendra Maladie qui sera Santé. [Elisabeth:] Les trottoirs devraient être interdits aux piétons, cela éviterait les accidents. [Jean:] Pour imposer cette évolution révolutionnaire, il ne suffit pas, malheureusement, d'être écouté, ni même d'être suivi. Il faut avoir l'autorité. [Elisabeth:] Le gendarme vous prêtera son sifflet. [Maladie:] Moi, le choléra. [Jean:] Ça ne suffira pas. [Le Zouave:] Je me tiendrai à votre gauche et Blanche à votre droite, l'image officielle en imposera. [Jean:] L'image est importante, mais ça ne suffira pas. [Marina:] Prends officiellement la place du pézident puisqu'il est en prison, donc incapable d'assumer ses devoirs envers la nation. [Jean:] Pour être pézident il faut être élu. Comment exercer le pouvoir sans être élu ? et sans être dictateur ? [Marina:] Sois roi. [Jean:] Roi ? [Marina:] Pose la couronne sur ta noble tête, Orphée la mérite, et tu deviendras le centre autour duquel tout se réorganise. [Jean:] Soit. J'accepte la couronne dans l'intérêt de la démocratie. [Marina:] Ah. J'avais gardé dans ma valise la couronne du tirage des Rois. [Jean:] Je n'avais pas eu la chance de la fève. [Marina:] C'est ta revanche. Sire, prêtez serment ! [Le roi Jean:] Je jure de ne pas anéantir complètement la gent sujette citoyenne pour des prétextes frivoles, d'être très sévère le jour et très laxiste la nuit ; je jure d'interdire les drogues étrangères pour favoriser l'agriculture locale, de chasser l'intolérance aux antibiotiques, de nuire aux idéologues en crise, aux rats des égouts, aux as de la finance pleins de soupe, aux chanteurs braillards, bref on fera la peau aux nuisibles pour créer la paix et l'harmonie. J'ai horreur des fausses notes. [Tous:] Bravo.
[Marina:] Tu seras un grand roi. [Le roi Jean:] Ah, la belle vie que j'ai eue comme elle me paraît minable malgré son luxe. Les vouâtures-vite, l'alcooool avec modération ou pas, les filles détimbrées, les drogues astrologues, les nuits viciées, les rires sans gaieté, le sexe sans enfants... Et la musique pour cacher le tout ; pour racheter tout. Je disais : J'abandonne la chanson pour me consacrer entièrement aux activités essentielles : sexe, drogue et farniente. Marina me répondait : [Marina:] Rêve de fainéant. Il faut travailler. [Le roi Jean:] Je lui répondais à mon tour : Les principes sont suspects de collaboration avec le travail totalitaire. J'expliquais : La pensée crée l'humain, la pensée est la maladie humaine par excellence, le cancer de la Terre. Le malheur des uns fait le malheur des autres, mais ils ne le savent pas. Le malheur est à la fois onde, virus, tremblement de terre et bénédiction. Peut-être est-il l'alpha et l'oméga ? Chère Marina, notre amour est à Mort avec ou sans vita aeterna. [Marina:] Et cum spiritu tuo. [Le roi Jean:] Le temps est rouge de sang. Il reste le seul dieu, les autres ont fui notre terre, et je suis là, l'imbécile, l'ignorant, à contempler la fin du monde. [Blanche:] L'eau a cessé de monter ! [Le roi Jean:] Le mieux est l'allié du pire. Il nous roule dans la farine, il n'est que tromperie. Est-ce que la Vierge Marie apparaît sous la pluie battante ? Peut-être après tout ; qui de nous y serait ? Dieu pourrait alors faire incognito un tour de terre sous un parapluie. [Marina:] Pense à tes sujets. Que leur proposes-tu ? Sois constructif. [Le roi Jean:] Déterre-toi, ô passé glorieux !... Terre, rote-le par un de tes volcans ! Fais ça pour ton roi, chérie, et je te promets d'engraisser de mon fumier la plus verte de tes vallées ! [Maladie:] .Ça, c'est constructif. [Le roi Jean:] De l'ego à l'égout, le pas au ralenti m'a pris soixante ans. Et maintenant je vais travailler la mémoire du pays. Présent de l'indicatif : Je bous, tu bous, il bout, nous bouillons, vous bouillez, ils bouillent. Je bous, tu bous, il... IV, 23. Benlala, descendant l'escalier à toute vitesse : Ça y est ! Ça y est ! Je l'ai ! [Marina:] Mon bébé ! [Benlala:] J'ai été plus que consciencieux, appliqué, efficace, je me suis servi de ma tête. [Marina:] Montre ! Montre-le-moi ! Un cigogneau ! [Benlala:] Je me suis dit : Si je l'apporte avant qu'il ait pris sa forme humaine, il sera conditionné par son environnement et, ipesso faque et to, conforme à l'attente. [Marina:] Quadruple idiot, il fallait retourner à la maternité ! Les bébés, on les trouve dans les ma-ter-ni-tés ! [Benlala:] Les bébés errent dans les rues en gilets jaunes, ils crient et revendiquent sans arrêt on ne sait pas quoi. Les maternités sont vides, les mères préfèrent accoucher sous l'Arc de triomphe ou au milieu des Champs Elysées. Et pourtant j'en ai trouvé une, oui. [Marina:] Laquelle ? [Benlala:] Celle du zoo. [Blanche:] Oui, tu es très joli, très mignon. [Marina:] Mon bébé est perdu. [Blanche:] Je vais bien te soigner.
[Le roi Jean:] Le bébé, chérie, tu l'auras plus tard, quand je serai parti. Et je vais partir. Tu vois, c'est mieux que vrai, c'est cohérent. [Marina:] Partir ? [Le roi Jean:] On ne s'habitue pas à la douleur, même calmée ; je veux dire : elle a été là donc elle est toujours là. Elle est tapie en moi, elle attend... puis elle va s'amuser. Le roi est un jouet. [Marina:] Laisse-moi venir avec toi. [Le roi Jean:] Je ne me suis pas senti aussi vieux depuis au moins vingt minutes. [Marina:] Vingt minutes, c'est toujours ça de pris, vingt minutes encore, Jean ! [Le roi Jean:] La mort je veux y entrer en roi, je ne veux pas subir. Je ne suis ni un résigné ni un vaincu. Je vais de l'avant dans l'illusion. Une illusion de chanteur et une illusion de roi entrent en vainqueur dans notre illusion de la mort. [Marina:] Tu me laisses seule ? [Elisabeth:] Et moi ! Je suis là, quand même ! [Maladie:] Et moi ! On peut toujours compter sur moi. [Le noyé-médecin-gendarme:] Je veillerai sur elle, soyez tranquille. [Le roi Jean:] Tu vois, tu as des soutiens... bien intentionnés de leur point de vue... Je vais prendre ce bateau, là. Je veux, en mon dernier voyage, remonter la Seine sur le Soleil-Louis, jusqu'à la mer. Notre cour peut nous accompagner... puis vous ramènerez Marina chez nous, devenu chez elle. [Blanche:] Sur l'eau ! Mais c'est plein d'poissons ! Mon bébé aurait trop peur. [Le Zouave:] Je dois les protéger : je reste. [Le roi Jean:] L'envoyé du Ciel est-il arrivé ?
[Le jeune homme:] Qui veut danser ? Danser c'est la vie ! Qui veut danser avec moi ? [Marina:] Es-tu la mort ? [Le jeune homme:] La mort ? Mais non ! Juste saint Guy ! [Le roi Jean:] J'abdique en faveur du Zouave. Sois un bon roi de Paris, n'assassine pas tes sujets. Et épouse Blanche. [Saint Guy:] Je reviendrai pour le mariage. [Blanche:] Tu auras de bons parents royaux. [Saint Guy:] En piste ! [Le roi Jean:] Dansons ! [Saint Guy:] Au bateau ! [Le roi Jean:] Que je bouille, que tu bouilles, qu'il bouille...
[Voix d’homme:] Arrêtez ! Ça ne sert à rien : ils ne vivent pas dans notre histoire : on ne peut pas les tuer. [Voix de femme:] Des immortels devant nous ! A quoi ressemblent-ils ? [La Capitaine:] Ils ont pourtant l'air ordinaire. [Le Lieutenant:] Mais ils ne craignent pas nos balles. Voyez. [Flicouille - le seul qui ne tirait pas -:] Est-ce que les p'tites mignonnes descendent parfois dans nos cellules ? [Flicaille:] En tout cas, ils échappent à notre compétence ; ça fait toujours du boulot en moins. [Le Lieutenant:] Vous avez choisi un curieux endroit pour notre entraînement au tir, Capitaine. [La Capitaine:] Lieutenant, avant notre expédition il fallait prendre conscience de nos limites. [Flicaille:] Vous voulez dire, mon Capitaine, qu'une bavure en cachera une autre ? [Le Lieutenant:] Nous sommes les représentants de la loi, la loi a condamné le roi Jean, la loi survit à la mort de ses condamnés. [La Capitaine:] La police permet à la loi de survivre. Nous lui donnons son éternité : elle est comme eux, immortelle. Nous sommes la chair de la loi. Nous ne sommes jamais hors-la-loi. [Flicaille:] Soit. Elle est immortelle. Pas nous... Pour votre expédition, je suis désolé, j'ai la migraine ; mon pronostic vital me conseille le repos. [Flicouille:] Ce serait quoi un policier hors-la-loi ? [Le Lieutenant:] Un policier en fonction qui rêve de baiser ces p'tites mignonnes immortelles. [Flicaille:] En tant que représentant syndical, je suis obligé de vous avertir aussi que Bertrand doit aller rendre visite d'urgence à son arrière-grand-mère, la pauvre, ; Alice doit enfanter dans dix mois, elle doit prendre soin d'elle ; Léonard a trop mangé, il gardera la chambre ; et Berthe, Lionel et Gontrand ont à prendre d'urgence des jours de vacances en retard. [La Capitaine:] Soit. [Flicouille:] Il reste qui ? [Le Lieutenant:] Nous trois. [Flicouille:] Je peux m'en aller ? [La Capitaine:] Nos troupes ne sont pas napoléoniennes. [Le Lieutenant:] Hélas. [La Capitaine:] La Bérézina peut venir couler dans la Seine. [Le Lieutenant:] De toute façon personne ne s'y baigne. [Flicouille:] Qui était le roi Jean ? [La Capitaine:] Tu nous arrives aujourd'hui, quels sont tes états de service ? [Flicouille:] J'étais dans l'enseignement : Papa m'avait mis là pour que j'aie un bel avenir. [Le Lieutenant:] Et alors ? Tu avais du mal avec le programme ? [Flicouille:] Oh non, j'avais le livre du maître, y a les réponses à toutes les questions. [Le Lieutenant:] Et tu aimais bien les lycéens ? [Flicouille:] Surtout les lycéennes... Alors papa m'a dit : "Tout compte fait je vais plutôt te mettre dans la police. Tu y seras l'agent infiltré prêt à dénoncer toute trace de népo... népo... [Le Lieutenant:] Quoi ? [Flicouille:] Oui, népoquoi... Je peux m'en aller ? [La Capitaine:] Sûrement pas : un simple flic dont le papa est si puissant peut toujours s'avérer utile. [Le Lieutenant:] L'animal est précieux pour une expédition aussi risquée. [Flicouille:] Mais... enfin... à quoi on sert ? Ce métier ? Et j'vais toucher combien ? [La Capitaine:] Défendre la veuve et l'orphelin... la veuve de l'orphelin. L'orphelin de la veuve... En fait tout le monde de tout le monde. [Flicouille:] Eh ben. [Le Lieutenant:] Puis, prendre les ordures et les vider en prison. On fait le ménage de la société. [La Capitaine:] Les recycler si l'on peut. [Flicouille:] Je suis heureux d'être affecté ici, à la recherche du népoquoi... Qui était le roi Jean ? Le pire, c'est ça ? [Flicaille:] On appelle de l'agence bancaire à côté. La salle des coffres a été visitée cette nuit. Les coffres ouverts, cassés. [Le Lieutenant:] On ne risquait pas d'y voler quelque chose, personne ne lui fait plus confiance, elle était vidée par les criminels toutes les fins de mois. [Flicaille:] Ah mais, ce ne sont pas des voyous, là. [La Capitaine:] Qui d'autre, agent Pierre ? [Flicaille:] Un couple qui voulait y mettre ses octuplés sous prétexte que rien n'est plus précieux que la sécurité des enfants. [La Capitaine:] Tiens. [Le Lieutenant:] Logique. [Flicaille:] Selon la direction, cette logique était sous stupéfiants. [Le Lieutenant:] L'intention était bonne. [La Capitaine:] Ce qui compte pour les enfants, c'est l'amour. [Flicaille:] L'agent de sécurité de la banque nous amène les dix délinquants. Il va falloir faire de la place. Vider les cellules des prisonniers de la nuit. [La Capitaine:] Soit. Je vais leur passer un bon savon et on s'en débarrasse. [Flicouille:] Et s'ils en profitent pour récidiver ? [La Capitaine:] La nature du criminel est d'être criminel. [Le Lieutenant:] Un non-récidiviste est un mauvais criminel, il n'en est pas pour autant un bon citoyen. [Flicouille:] Ah ? [Flicaille:] Ils sont prévenus. Les haut-parleurs sont opérationnels. [La Capitaine:] Pas de pigeons, je crois ? [Flicaille:] Ils ne salissent plus, ils ont compris qu'ils doivent respecter l'autorité. [La Capitaine:] Bien... Mettez l'image des délinquants sur les écrans. Je veux les voir. Et qu'ils me voient. [Un temps:] elle les contemple d'un œil sévère. [La Capitaine:] Voyous !... Salopards !... Clébards !... Chiens indignes de vos maîtres, sous-races bâtardes incapables de vous élever un peu. Vous ne méritez pas votre pâtée. Vous serez au pain et à l'eau javellisée du robinet pendant quarante jours... Ainsi, la nuit tombée, vous vous évadez des demeures bourgeoises pour satisfaire vos vils instincts. Aucun respect, aucune décence. Vous êtes répugnants. Les caméras de surveillance nous donnent d'innombrables témoignages de vos insanités, crapuleries, dégueulasseries, honteuseries, merdeuseries... Quelle honte pour vos maîtres quand ils les visionneront ! Ils pleureront des larmes amères et regretteront leurs bienfaits. Dire qu'ils vous considéraient comme leurs enfants... Vous les avez trompés, trahis. Vous avez abusé de leurs sentiments. C'est inexcusable... Mais le manque de place en prison vous offre une deuxième chance. Pour certains d'ailleurs c'est la troisième ou la trentième ; passons. Je le regrette. Des tarés restent des tarés, vous continuerez vos sales pratiques criminelles que je ne veux même pas détailler tant elles me dégoûtent... Chiennerie sans contumace. [Abjections canines:] Quelle autorité !... Vous êtes l'incarnation même de la sévérité généreuse et humaine ! [Le Lieutenant:] Du bon boulot, Capitaine. [La Capitaine:] Qui ne sert à rien, malheureusement. [Le Lieutenant:] Eh non. [Flicouille:] J'ai du mal à le croire. Un si beau discours. [La Capitaine:] L'art de la répression n'est pas un art reconnu. Nous faisons, admirablement je l'avoue, le travail ordonné par les puissants. Mais leur seul but est de cacher qu'ils refusent les mesures nécessaires. La police est un outil d'illusionnistes. [Le Lieutenant:] Nous servons à cacher le réel. [La Capitaine:] Enfin, mieux vaut avoir tort avec les puissants et être détestés des foules, que le contraire. Au moins on est payés tous les mois... Pensons plutôt à notre expédition. Avec quel effectif, Lieutenant ? [Le Lieutenant:] Un homme avec nous, mon Capitaine. [La Capitaine:] O temps ! Où a fui le sens du devoir pour exterminer les sournois et vicieux ennemis de la police ! Nos hommes sont pourris par les vacances, les matelas trop mous, la nourriture trop abondante, les mœurs débridées que la télévision leur injecte quotidiennement à dose non-homéopathique. [Le Lieutenant:] Les délices de Capoue ont envahi la France jusqu'au cœur de Paris. [La Capitaine:] A sa mort, elle n'a pas crié, elle n'a pas pleuré, elle n'a pas menacé... Le Lieutenant : Il faut un certain délai avant que l'inacceptable pour quelqu'un lui apparaisse vrai. Mais notre marge de manœuvre est très réduite. La mort du roi Jean n'est pas ébruitée, la presse est en grève. [Le Lieutenant:] Un criminel endurci quoiqu'il n'ait pas eu de crimes sur la conscience. [La Capitaine:] Aussi sa mort est-elle sur la nôtre, de conscience... Un abuseur des foules, un hâbleur de vérités-papillons, un créateur de métaphores qu'il insufflait dans notre société qui devenait sous son souffle et entre ses doigts comme une bulle de savon. Il était la dégénérescence revendiquée de tout ce que j'ai cru, de tout ce que je crois. [Le Lieutenant:] De tout ce que nous croyons, pensons, désirons, voulons. [Flicouille:] Et sa mort a été une bavure policière ? [Le Lieutenant:] L'ordre n'est pas une bavure. [La Capitaine:] Il n'y aura eu bavure que si l'éradication du mal n'est pas complète. [Car dans ce cas:] elle doit être avec lui, le rejoindre, ou... Le Lieutenant : Malheur à nous.
[Flicouille:] On a dû l'entendre jusqu'à l'autre bout de Paris. [Le Lieutenant:] Il ne va pas suffire que la presse soit en grève. [La Capitaine:] Le temps nous est compté, il faut faire vite. Partons. [Flicouille:] Mais où ? [La Capitaine:] Elle est forcément toujours sur notre colline, elle n'avait pas de raison d'aller ailleurs. [Le Lieutenant:] Elle est forcément à Montmartre et il se trouve que nous sommes la police de Montmartre. [Flicouille:] L'ordre chez les peintres ? Ah, un petit square... Avec des bancs ? [Le Lieutenant:] Pas de faiblesse ! [La Capitaine:] La traque peut être longue, il vaut mieux ménager la troupe. Repos. [Flicouille:] Courir sans savoir où est le but, ça ne sert à rien, mon Capitaine. [La Capitaine:] Nous manquons d'entraînement. J'y remédierai dès demain. [Le Lieutenant:] Quelques renseignements ne seraient quand même pas inutiles. [La Capitaine:] Si vous y tenez... Pour moi, on la rencontrera fatalement : plus on va vite, plus tôt la fatalité sera atteinte. On lui règle son compte et les bons comptes font les bons ennemis, elle cessera d'être une menace. On est reposés ? [Flicouille:] Non. 8. [La Capitaine:] Qu'est-ce ? [Le groupe:] Dahu ! Dahu ! [La guide:] L'avez-vous vu ? [La Capitaine:] C'est moi qui interroge. Avez-vous vu Ma ? [La troupe:] Dahu ! Dahu ! [La Capitaine:] Est-ce que le Dahu est Ma ? Ou l'inverse ? [La guide:] Qu'est-ce que vous dites ? [La Capitaine:] Le devoir, le devoir social, humain et policier, me contraint à entreprendre l'ascension de ce mont à la poursuite de la moitié de l'ennemi numéro 1. Je vais vous poser des questions simples ; si vous y répondez bien, vous ne serez pas emprisonnés. [Voyons:] vous. A quoi ressemble votre Dahu ? [L’homme:] On ne sait pas encore. [La guide:] Ils ne l'ont pas encore vu puisqu'on ne l'a pas trouvé. [La Capitaine:] Vous ! Pourquoi le chassez-vous ? [La dame:] Eh ben, c'est dans le programme de la journée ! [La Capitaine:] Il n'y a pas de haine personnelle ? [La dame:] Non ! Juste le programme ! [Le Lieutenant:] Elle a l'air sincère. [La guide:] On peut s'en aller ? Vous allez nous le faire rater. Pierre n'attendra pas, l'heure passée il a autre chose à faire. [Le groupe:] Dahu ! Dahu ! [La Capitaine:] Ces gens sont fous, ma parole. [La guide:] Et ils ont payé pour l'être, alors si vous permettez ?... [Flicouille:] Nous on est payés, on ne paie pas. On a au moins une bonne raison. [Le Lieutenant:] Je crois plutôt que payer est supérieur à être payé, puisque pour payer il faut avoir de l'argent et qu'on n'en a pas. [La Capitaine:] Suivons-les. Ils nous mèneront bien quelque part. [Par un autre côté arrivent les touristes:] Dahu ! Dahu ! Ils passent vite, sans rien remarquer. [Le Lieutenant:] Je crois qu'on les a perdus. [Flicouille:] Tant mieux. [La Capitaine:] Où sommes-nous ? [Le Lieutenant:] Quel est-ce couvent ? [La Capitaine:] Si Ma est là, qu'elle se dénonce ! Elle évitera ainsi un bain de sang ! [La Grande Abbesse:] Qui êtes-vous ?... Qu'implorez-vous de Dieu ? [La Capitaine:] Je, hein, moi ! je questionne. Qui êtes-vous ? [Le Lieutenant:] Excellente question. [La Grande Abbesse:] Nous ne sommes plus personne. Voyez nos habits. [La Capitaine:] Levez les voiles. Je veux vérifier si Ma est parmi vous ou non. [La Grande Abbesse:] Nos voiles nous ont poussées hors du temps. Est-elle hors temps ? [Le Lieutenant:] S'est-elle réfugiée chez vous ?... la cachez-vous ? [La Grande Abbesse:] Le cri est parvenu jusqu'ici. Vous poursuivez un cri, n'est-ce pas ? Qu'êtes- vous au juste dans votre époque ? [Flicouille:] Tout cela, ce couvent, a disparu depuis longtemps, il me semble. Je me souviens d'images, vaguement. Nous sommes dans un songe. [La Capitaine:] Il y a des songes religieux en liberté ? [Le Lieutenant:] Peut-on les coffrer ? [La Grande Abbesse:] Suivre un cri à travers le temps ne vous sauvera pas de la peur. Vous êtes coupables, voua avez peur de vous-mêmes. Il n'y a pas de remède sans remords. [La Capitaine:] Je suis chargée de l'ordre sur ce mont. Par tous les moyens. Vos discours ne m'impressionnent pas. Qu'avez-vous fait, vous, d'important dans vos vies ? [Toutes:] Nous avons regardé le temps passer et nous avons prié pour lui. [La Capitaine:] Ces religieuses... toutes ces vies perdues... La Grande Abbesse : Qu'est-ce qu'une vie gagnée ? [Flicouille:] Il doit y avoir des p'tites mignonnes parmi elles. Il faut absolument leur enlever leur uniforme. [Le Lieutenant:] J'approuve la proposition de la recrue. [La Capitaine:] Soit. [Le Lieutenant:] La voilà ! [La Capitaine:] Feu ! Il n'y a plus personne. Elle n'est pas tombée. [Le Lieutenant:] Je ne peux pas l'avoir manquée ! Je l'ai littéralement fusillée ! [La Grande Abbesse:] Voyons, vous ne pouviez pas la tuer. [La Capitaine:] Et pourquoi, snob de messe ? [La Grande Abbesse:] Vous n'êtes même pas dans la bonne époque, pour vous la vôtre... Ce n'est pas la même histoire. [Le Lieutenant:] Allons-nous-en. Continuons la chasse sur des terres moins obstinées. [La Capitaine:] Encore des immortelles. [Flicouille:] Je parierais qu'il y en a des tas de mignonnes. [Le Lieutenant:] Venez... La Capitaine, rêveuse : Ce monde n'est pas le mien. Il m'est impossible. Elle ne peut fuir que plus haut. [La Capitaine:] Très juste. Où est ton arme, toi ? [Flicouille:] Je n'en ai pas. Je suis contre les armes à feu. [La Capitaine:] Qu'est-ce que c'est, ici ? [Flicouille:] Voyons, Capitaine, la place des peintres ! Quand j'avais onze ans mon grand-père m'y a fait peindre mon portrait... La Capitaine, pour couper court, sèchement : Quelle époque ? Mais, la nôtre ! [La Capitaine:] Pas d'immortels alors ? [Flicouille:] Non, sauf égaré. [Le Lieutenant:] Regardez. N'est-ce pas... ? [La Capitaine:] Ah çà ! Agent Pierre ? [Pierre:] Chut, Cap'taine. Pas sur cette place. Vous allez me faire du tort. [La Capitaine:] Qu'est-ce que vous foutez là, agent Pierre ? Et qui garde le commissariat ? [Pierre:] J'ai besoin d'argent. Voulez-vous votre portrait ? Pour 25 euros ? [La Capitaine:] Quel agent garde le commissariat ? ! [Pierre:] J'ai opté, vu le recul évident de la délinquance... enfin, une fermeture temporaire m'a semblé justifiée. Du reste les parents des octuplés y veillent à la sécurité. Ils sont armés. [Le Lieutenant:] Ila avaient des armes ? [Pierre:] Pensez-vous, il a fallu que je leur en prête. [Le touriste allemand:] Dahu ? [La touriste américaine:] Mais oui, je vous reconnais. [Pierre:] Qui veut être peinturluré par Dahu ? [Le touriste allemand:] Moi d'abord. Mais faudra signer "Dahu". [Pierre:] Soyez tranquille. [La Capitaine:] Demandez à l'agent Pierre s'il a vu Ma ! [Le Lieutenant:] Agent Pierre, avez-vous vu Ma ? [Pierre:] Ah oui, elle est passée par ici, puis elle est passée par là. [Flicouille:] Faut que j'apprenne à peindre. Je peindrai les p'tites mignonnes seulement. [Le Lieutenant:] L'agent Pierre a eu l'occasion de l'arrêter. [La Capitaine:] Donc, par là ? [Le Lieutenant:] Elle n'est pas coincée dans l'art, c'est une bonne nouvelle, non ? [La Capitaine:] Elle reste mortelle. [Flicouille:] On est déjà passés par cette rue, j'en suis certain. [Le Lieutenant:] Sur quoi repose cette certitude, désolante recrue ? [Flicouille:] Sur mon intime conviction. [Le Lieutenant:] Irrecevable. [La Capitaine:] Peu importe où elle se planque : l'art peinard, le sale temps ringard... Je l'aurai ! [Le Lieutenant:] Nous l'aurons. [La Capitaine:] Le temps est une trappe à rats. J'attraperai le temps, j'attraperai le rat. [Flicouille:] Quelqu'un vient par là. Eh l'ami ? [La Capitaine:] Qui es-tu, toi dont la tête coupée dénonce l'horreur de ton époque et le crime comme fondement de la condition humaine ? [L’homme:] Le poids de ma tête est le plus dur des martyrs. Je n'aurais pas dû tant la remplir. Que pèsent vos têtes ? [La Capitaine:] As-tu vu Ma ? [Flicouille:] C'est saint Denis ! [Saint Denis:] Bien sûr que j'ai vu Ma. J'étais près d'elle quand elle a crié. Mais on ne peut pas la consoler. [La Capitaine:] Donc tu es son complice. [Saint Denis:] L'éternel complice de tous les faibles et malheureux. [Flicouille:] Tirer sur un mort ne lui rendra pas la vie. [La Capitaine:] Parle ! Où est-elle ? [Saint Denis:] Elle est dans la tristesse. Pouvez-vous aller la chercher dans ce pays-là ? Les rues y sont comme ces rues et pourtant les formes y sont floues, le vrai n'est plus vrai, vos lois y sont l'eau des fontaines, votre ordre y est le désordre, les monstres s'y promènent libres... La Capitaine, durement : Le désordre n'est qu'un ordre différent. Il s'agit d'un monde parallèle avec des lois. Je suis au service des lois, quelles qu'elles soient. Où est Ma ? Dans ta tête qui doit peser plus lourd que la mienne. [Le Lieutenant:] Il ne tombe pas. Encore un immortel. [La Capitaine:] Pourquoi ils ne meurent pas, tous ces morts ! [Saint Denis:] Quels descendants... Des milliers d'années d'efforts historiques pour en arriver à ceux-là... La Capitaine, rengainant : Quels ascendants... Il était grand temps de descendre.
[Le Lieutenant:] Elle souffre... Elle est malheureuse. [La Capitaine:] Eh bien, on va mettre fin à ses souffrances. [Le Lieutenant:] On n'a plus beaucoup de temps avant qu'elle ne devienne dangereuse. Elle va vouloir le venger. [La Capitaine:] Qu'elle y vienne. J'ai là une réalité qui l'enverra rejoindre définitivement les autres fantômes. En avant. [Flicouille:] C'est bizarre : j'ai l'impression d'être suivi. [Le Lieutenant:] Vous êtes puéril. [La Capitaine:] Ma ne nous suit pas, c'est nous qui la suivons. [Flicouille:] Oui. Ah ! [Le Loup:] Je suis de votre côté, je suis du côté de ceux qui tirent, ne tirez pas. [Le Lieutenant:] Un loup ? [Le Loup:] L'humble ermite des vignes de ce mont. J'y médite sur le sens et le non-sens de nos vies et de la vie. [La Capitaine:] Qu'est-ce que tu fous dans un endroit pareil, animal ? [Le Loup:] Je médite, Capitaine, je médite. [La Capitaine:] En nous suivant ! [Le Loup:] Les loups ont trop longtemps été du mauvais côté concernant les armes. Dès que je vous ai entendus tirer, je suis venu me mettre du vôtre. [Le Lieutenant:] Il m'a l'air d'un bon loup. [Le Loup:] C'est ce que dit toujours Ma. [La Capitaine:] Tu connais Ma ? [Le Loup:] Elle vient souvent me voir et elle me gratte entre les oreilles, j'adore ça. Vous voulez bien me gratter entre les oreilles ? [La Capitaine:] Où est Ma ? [Le Lieutenant:] Oui, où ? [Le Loup:] Je la cherche, justement. J'aime être avec elle et je l'ai entendue pleurer. Vous savez pourquoi elle pleure ? [La Capitaine:] Avançons. [Le Lieutenant:] Tu ne sens pas sa trace ? [Le Loup:] Ma est partout sur Montmartre ; son odeur y est omniprésente. J'ai tellement envie de la voir pour la réconforter. Vous aussi ? [Le Lieutenant:] Bien sûr, bien sûr. [La Capitaine:] Avançons. [Flicouille:] J'ai une faim... Qu'est-ce que tu manges, toi ? [Le Loup:] De temps en temps, parmi les mieux tondus par les commerçants spécialisés, je m'autorise un touriste. Dodu, le touriste. [La Capitaine:] Mais c'est un crime ! [Le Lieutenant:] Manger n'est pas un crime. [La Capitaine:] Avançons. [Le Lieutenant:] Hé ! [Flicouille:] J'ai aussi soif. [Le Lieutenant:] Avez-vous vu Ma ? [L’homme:] Bien sûr. Je peins seulement des paysages. [Flicouille:] On dirait Utrillo. [La Capitaine:] Etes-vous immortel ? [Utrillo:] Et je ne bois plus. Mais je suis condamné à promener des bouteilles. [Flicouille:] Vides ! [Utrillo:] C'est moins lourd. [La Capitaine:] Sont-elles immortelles, elles aussi ? [Utrillo:] La bouteille ne peint pas. Alors je n'en sais rien. [La Capitaine:] Déprimant. [Le Loup:] L'impossible sera toujours supérieur au possible. [Le Lieutenant:] Ecoute Utri... llo. Je... je veux... caisser... non... côsser... [Le Loup:] Causer. [Le Lieutenant:] Cossette vé vous. Oh... La Capitaine, perplexe : Ne vous affolez pas, Lieutenant. Nous sommes épuisés voilà tout. Mais nous allons nous restaurer et nous serons de nouveau performants. [Flicouille:] Vous êtes un grand capitaine. [Utrillo:] Des tireurs de bouteilles immortelles performants ? [Flicouille:] Ils ont tué le roi Jean. [Utrillo:] Oh. [Le Loup:] Comme quoi, ne pas être performant peut être supérieur à la performance. Avez-vous passer une Bavaroise ? [Utrillo:] Pauvre Ma. [La Capitaine:] On ne nous surnomme pas "le commissariat cent balles" pour rien. [Le Loup:] Capitaine, ne regardez pas le réel, vous aurez le vertige, vous allez tomber. [La Capitaine:] Je... je... réelle... moi-même. Je... police... la... Oh ! Qui... vole... s'envole... non... qui vole... les... mots ? [Le Loup:] Cent balles de bavure : vous aviez la forme. Mais au mont des immortels elle vous laisse tomber. [Utrillo:] Avez-vous vu ma mère ? [Tous:] Non. [Utrillo:] Eh bien tant mieux ! [Flicouille:] La leçon de cet épisode, c'est qu'il faut bien boire et bien manger. [La Capitaine:] Va chercher miange. [Le Lieutenant:] Et bibine. Tout. [Flicouille:] Où ? [Le Loup:] Vous avez une supérette au coin de cette rue. [La Capitaine:] V'là l'quoi. Oublie pas : faut payer. [Le Lieutenant:] Sion on... si pas on... ennuis à nous. [Flicouille:] Bon. On y va. Par là ? [Le petit homme:] Ils sont dans un sale état. [Le Loup:] C'est venu tout d'un coup. [Le petit homme:] Ils cherchent Ma, c'est ça ? [Le Loup:] Ils la trouveront peut-être. [Le petit homme:] ... Je ne le leur souhaite pas. [Le Lieutenant:] Et pourquoi, toi ? Tiens ! [Le petit homme:] On ne tue plus Marat ! Depuis longtemps. [La Capitaine:] Déprimant. [Marat:] Ah, si Nature m'avait créé beau, si Charlotte m'avait vu beau dans mon bain, elle ne m'aurait pas assassiné, nos petits Marat auraient pullulé, la terre serait dirigée par nos descendants, de jolies petites guillotines feraient régner l'ordre partout. [Le Lieutenant:] Vivi le oi ! [La Capitaine:] Vive la Epublique ! [Marat:] Du point de vue comptable, suivez bien, si j'avais pu guillotiner 100 000 privilégiés, on évitait Naboléon et le retour des rois, donc les guerres naboléoniennes et les suivantes : le nombre de morts était divisé par dix au moins ! [Le Loup:] Quel dommage que vous n'ayez pas pu tuer plus de monde. [La Capitaine:] Est... c'que Ma est Charlotte ? [Le Lieutenant:] Elles sont complètes ?... non... complices ? [Marat:] Qui sait ? Bientôt elle va être envahie par la colère. Rentrez chez vous. [Le Loup:] Dire que le bonheur de la nation dépendait de lui... 16. Flicouille, revenant les bras chargés provisions, bouteilles : Foutus chanteurs, ils me suivent. [La Capitaine:] Ah, la miange. Sieds-toi, Flicouille. [Le Lieutenant:] File, bibine. Soif, soif. [Le Loup:] Comme le bonheur humain tient à peu de chose : une supérette. Je cherche fortune Autour du Chat noir, [Au clair de la lune:] Les revoilà. [La Capitaine:] Un concert ? Pou noû ? Aaah. [Le Lieutenant:] J'dore bibiner in mjusic. La lune était sereine Quand sur le boulevard Je vis poindre Sosthène Qui me dit : Eh Oscar ! [C’est aujourd’hui dimanche:] Agent Pierre ! [Le Lieutenant:] Pouquoi i chant'j'mais au com'ssariat ? [Le Loup:] C'est vrai, c'est pas mal du tout. [Flicouille:] J'en f'rais autant. [Le Loup:] Faites donc. [Flicouille:] Y a pas de p'tites mignonnes dans l'groupe. J'y vais pas. [Le Loup:] Pas de Bavaroise non plus. [Le touriste allemand:] Si, ma femme, là, mais elle a perdu quinze kilos depuis qu'on grimpe Montmartre. [Le Loup:] Eh bien je ne les ai pas trouvés. Comment vas-tu la belle ? Et vous ? Très bien merci. Que cherchez-vous ici ? [La Capitaine:] Cet 'gent Piê... 'raiment un 'gent d'élite. [Le Lieutenant:] Ouais. Eh foudré plus des com'i. [Flicouille:] La police de proximité, j'y crois pas. [Le Loup:] Alors, c'est bon tout ça ? On se régale ? Dieu a bien fait les choses pour nous : le touriste en libre-service pour moi et la supérette pur vous. 17. On entend crier : "Au voleur ! Attrapez-le ! Attrapez-le ! [Le voleur:] Mince ! [Le Loup:] Dieu ne peut pas être généreux à la fois pour le volé et pour le voleur. [Flicouille:] Il a choisi la police. [La Capitaine:] Rends... le truc là. [Le voleur:] C'est moi qui l'ai donc il est à moi. Vous ne pouvez pas m'arrêter pour le vol de ce qui est à moi. [Le Lieutenant:] Ah ?... Flicouille : On n'entend plus les poursuivants. [Le voleur:] Ils ont arrêté les poursuites. Vous n'avez plus de motif d'arrestation. [Le Loup:] O temps, suspends ton vol ! [La Capitaine:] En tant qu'police... poliçons-nous ou pas ? [Le Lieutenant:] Oïeoïe. [Le voleur:] Des polissons ? Une polissonne mûre et son gigolo en uniformes ? Et on pique-nique par terre ici alors que c'est illégal ! [La Capitaine:] Oh... Flicouille, s'amusant : Tordu le droit. [Le voleur:] Tellement qu'à la Cour Suprême on l'appelle "le serpent de mer". [La Capitaine:] Oh... Le Loup, pour les réconforter : Je le connais, c'est un bon garçon, gentil, serviable, toujours prêt à vous dire s'il y a une Bavaroise dans le coin. La prison le pourrirait. [Flicouille:] Et il me dirait aussi pour des p'tites mignonnes ? [Le Loup:] Sûrement. Je vous dis : très serviable. [La Capitaine:] Il feu r'partir. [Le Lieutenant:] Il est g'and tempus. [La Capitaine:] Déb'asse le r'pas. [Deux musiciens paraissent:] un homme à l'acordéon, une femme au violon. Ils s'installent dans un coin peu éclairé. [Flicouille:] Tiens, est-ce qu'on s'amuserait par là ? Depuis le temps qu'on n'a rencontré personne... La Capitaine, stupéfaite : Agent Pierre ! [Le Lieutenant:] La Grande Abbesse ! [Pierre:] Faut mettre des pièces, là. [La Capitaine:] Mais vous... avé lui... Et qué... non... pourqué ? [La Grande Abbesse:] L'entretien d'un couvent, même fantôme, coûte cher. Je traverse les siècles pour sensibiliser musicalement des donateurs, le plus possible. Vous avez aussi des cellules à la police, est-ce que vous êtes obligés de jouer de la musique dans la rue pour leur entretien ? [La Capitaine:] Nô... des pisonniers nous feu des dons. [Le Lieutenant:] Sû'tout c'qui savent qu'i vont p'voir revenir. [Pierre:] J'aide Madame l'Abbesse car l'idée qu'il pleuve sur nos fantômes religieuses faute de toit en bon état m'attriste. [La Grande Abbesse:] Pierre est un de nos fidèles soutiens. Sans lui je n'oserais pas donner des concerts publics pour récolter des fonds. [La Capitaine:] Est-c... est... qu'vous êtes 'core immortelle ? [La Grande Abbesse:] Je ne perds jamais mon immunité. [La Capitaine:] ... Déprimant. [La Grande Abbesse:] Voulez-vous choisir un morceau ? [Le Loup:] Au clair de la lune" vous connaissez ? [Pierre:] Bien sûr. [La Grande Abbesse:] Un, deux... Ils jouent. [La Capitaine fait un signe à Flicouille:] il pose dans la sébile la monnaie des achats à la supérette. [La Capitaine:] Pauv'G'and'Abbesse.
[Voix de Ma:] O Jean, tu étais sans défense et ils t'ont tué. Ils se sont acharnés à tirer sur toi. [La Capitaine:] Mais je l'entends pârrr là, [Le Lieutenant:] Elle s'est dé... dé... placée... lâ là, j'suis sûr. [Voix de Ma:] Ils t'ont assassiné ! [Le Lieutenant:] 'nutil'de t'cacher ! T'es finie ! [Le Loup:] Vous m'faites peur avec vos pétards. [La Capitaine:] 'spèce d'loup mouillé. [Le Loup:] Pas encore, mais avec l'orage... Je rentre dans mes vignes. Bonne fin de journée ! [La Capitaine:] El's'ra bôn', va, t'en fis pâ. [Voix de Ma:] Que le malheur frappe ces monstres humains ! [Flicouille:] Je crois que je vais vous laisser, moi aussi. [Le Lieutenant:] Non, tu t'mis... mets ent'nous, tu p'otèg'la bouteille. [La Capitaine:] On va a... vère quéqu'chose à fâter. [La guide:] Vite, vite, avant la pluie. Nous avons une spécialiste pour vous présenter le Sacré- Cœur ! [La Capitaine:] La voilà ! [Le Lieutenant; tirant:] Non, là ! [La Capitaine:] Ici ! El's'déplace à un'itesse ! [Le Lieutenant:] Elle est pâ'a'tout. [La Capitaine:] Alô'tirtirons pâ'tout ! Feu ! Feu ! [Flicouille:] Et si vous tuez quelqu'un d'autre ? [La Capitaine:] On est à... à Montmartr'; y a pas pû près du ciel, Dieu r'connaîtra les siens. [Le Lieutenant:] Ça f'ra qué un immortel de plusse. [La Capitaine:] Mince ! Plus d'balles ! Stop, Lieu'. [Le Lieutenant:] Quoué ? [La Capitaine:] Plus d'balles. [Voix de Ma:] Jean, sois béni dans l'éternité. [Le Lieutenant:] Est-ce qu'on l'a eue ? [Flicouille:] Bien sûr que non, vous ne l'avez pas entendue ? [La Capitaine:] I t'rest'combien d'balles, Lieu ? [Le Lieutenant:] Une, Capi. [La Capitaine:] Ça suff'ra. [Flicouille:] Ça ne va pas ? [Le touriste:] C'est à cause des trous, là. [La Capitaine:] Monsieur ! Monsieur ! Vous ne pouvez pas mourir là : ce serait mauvais pour le commerce ! [Le touriste:] Bon. Je vais aller un peu plus loin. [La Capitaine:] Mort au champ d'erreur. Allez. On a 'core un'chânz... chaz... chance, [Le Lieutenant:] O ma Capi, j'ai pû qu'une ball', mais j'ti'... ti... juste. [La Grande Abbesse:] Pour comprendre l'église, il faut comprendre la dévotion. [La touriste américaine:] Elle est bien blanche. Parfaite. [La Grande Abbesse:] Il faut remonter au pape Clément XIII en 1765, puis nous parlerons du pape Pie IX... Le touriste allemand, à sa femme : Puis un bon petit resto. [Pierre:] Chut ! [La Grande Abbesse:] Mais Abadie n'aurait jamais eu à édifier cette apothéose de l'amour sans les révélations de la religieuse Marguerite Marie. [La guide:] Nous écouterons mieux à l'intérieur. [Capi:] Y a foule. [Lieulieu:] El'pu s'cache d'dans. [Flicouille:] Vous n'allez pas tuer tous ces gens ? [Lieulieu:] Pu qu'une ball'. [Flicouille:] Parce que pour les p'tites mignonnes, j'suis pas d'accord. [Capi:] Grain'd'révolté. [Lieulieu:] J'crois qu'elle est potage... potagé... protagée pa'les morts. [Capi:] La mô la pritège d'nous ? [Flicouille:] Vous auriez mieux fait de l'étrangler. Je n'ai aucune confiance dans les armes à feu. [Capi:] O mon Lieulieu, 'garde ! r'garde ! [Lieulieu:] O ma Capi, ils tombent ! [Capi:] Ils tomb'du Ciel ! [Lieulieu:] Ils vont s'écaser... s'éca... Capi, avec une élocution normale, mais terrifiée : Les Anges tombent du Ciel et s'écrasent sur le sol. Les Anges meurent. [Capi:] Des milliers, des millions d'Anges immortels viennent s'écraser au pied du Sacré-Cœur. [Lieulieu:] Alors nous sommes tous désormais dans la même histoire... Capi, qui s'est tournée vers la ville en fait, la salle des spectateurs : Et regarde, là-bas, mon Lieulieu ! Oh... Lieulieu, regardant, terrifié : Oh... Capi : Notre-Dame est en flammes ! [Flicouille:] Alors là, je le vois aussi. [Lieulieu:] Y a que... que o... onne... un... soliti... on. Faut tuer Ma. [Capi:] Ien... iène... iain ne la potage... protage... pû. El'piu pas pâa êt'... êt'loin. [Flicouille:] Mais ça brûle vraiment là-bas, la cathédrale... Capi : Mo 'stinc... instinct... m'dit : c'te rue. Suivons... Lieulieu : Oui... cé so genr'd'rue... Un'ball'! Une ! [Capi:] Pé'dus. Nous sommes pé'dus. [Lieulieu:] J'la vois pâ... Oh... oh... Capi : J'en peux pû, j'suis épuisette... non... puisée... j'crois qu'cé l'manque d'oxigè... Lieulieu : Tin bon, ma Capi, on y aÏv'ra. [Capi:] Pass'bibine, Flicouille. [Flicouille:] Si vous permettez, mon Capitaine, il me semble que vous êtes déjà assez éméchée... Capi, à Lieulieu : Tin, mon Lieulieu, bibine aussi, tu tir'ras mieux. [Lieulieu:] Ah... j'étouff... ais. [Flicouille:] A force de tirer en l'air, vous avez peut-être tué l'air. [Capi:] Le monstr'anti-polic's'planq'trop ben. [Lieulieu:] La bavur'pou'a pâ câcher la bavur'. [Capi:] On va nous r'cycler. Dans des pôst'de 'ien di tout : la r'chèche de drôg'ou la désherb... ation, d'la cri... crimi... lité banlieus... ard'. [Lieulieu:] J'aim'mieux mou'ir. [Capi:] Oh, dis pas cia. [Lieulieu:] Au moins, une fois mô, on s'ra en paix. [Flicouille:] Je crois que vous confondez avec les vacances. [Capi:] Fô... ô juste...s'évâder d'la vie ! Pâ mou'ir... s'vader ! [Lieulieu:] T'o fati... fat'gué pou un''vasion. [Capi:] Ou 'lors, i vont nou met'animateurs télé... Lieulieu, pleurant à chaudes larmes : Oh nô ! Pâ 'nimateur télé ! J'ai un'... âm'! Si Ma n'est pas tuér, les Anges ne r'ssusci... r'ssusci... ront pâ. Nos âmes resteront à terr'... Nous rest'rons animateurs télé pou'l'é... l'éter... Flicouille, agacé :...nité. Vi. [Lieulieu:] Té'ibl'. [Capi:] R'garde, mon Lieulieu, 'garde ! [Lieulieu:] Oh... Capi : Les morts nous suiv'! [Flicouille:] Où ça ? [Lieulieu:] Y en a, j'les connais mêm'pâ... Capi : Par là, paar là, fô fir. Vi, i n'pouss'pâ là. [Flicouille:] Qui pousse ? Poussez pas ! [Capi:] Ent'ons dans c'te boutiq'. [Flicouille:] C'est le musée ! [Capi:] Cé Ma ! [Lieulieu:] Vi. Ma ! [Flicouille:] Avec le peintre sur l'affiche, là, Van Dongen ? [Capi:] I a pesqu'fi... ni ! Tir', mon Lieulieu, tir'! [Lieulieu:] Pû qu'un'ball'! Une ! [Capi:] T'op tard... [Ma:] Mais, voyons !... ce n'est plus la même histoire !
[Michel:] Allons bon. [Le Capitaine:] Enfin... le temps... même si on lui refuse son attention...même vu au ralenti... il passe, quoi. [Michel:] Aïe aïeaïe. [Le Capitaine:] Au bout de cinq mois... il est passé cinq mois... [Michel:] Je trouve cette remarque très juste. [Le Capitaine:] C'est long, cinq mois. [Michel:] J'ai tellement à faire... Le Capitaine : Il faut regarder la réalité en face... Michel, narquois : Ça sert à rien : que tu la regardes ou pas, elle est toujours là. [Le Capitaine:] ... Plus la disparition date, moins la disparue a de chances d'être retrouvée. [Michel:] Oh, disparue... Partie en voyage. [Le Capitaine:] Depuis cinq mois. Sans adresse. Sans lettre, courriel, message quel qu'il soit à qui que ce soit. On a lancé les recherches officielles il y a... Michel, le coupant : J'étais contre. On ne l'a pas retrouvée... Avec nos moyens modernes... J'avais d'abord cru à une dispute de couple, j'ai même envisagé un assassinat... de ta part. Mais enquête faite, non. La disparue a bien disparu.
[Luc:] Michel, résigne-toi ! [Le Capitaine:] La disparue est sûrement allée, oh bien malgré elle, dans un monde réputé meilleur. [Luc:] Michel ! [Marc ; Oh:] Résigne-toi ! [Le Capitaine:] Son cadavre manque à sa mort, mais le devoir de ses amis ne baissera pas les bras. [Luc:] On est là. [Irène:] Elle est simplement plus disparue que d'autres. [Marc:] Elle ne faisait rien comme tout le monde. Elle a tout de même fini comme tout le monde, il faut le réaliser. [Le Capitaine:] Michel ! [Irène:] Michel, oh ! [Le Capitaine:] Ré-si-gne-toi ! [Michel:] Oh... ohoh... Mais puisque selon la gendarmerie, la presse, la rumeur, il n'est rien arrivé... Luc : J'ai lu, j'ai lu ! qu'une femme que l'on n'a pas pu identifier, est tombée dans la fosse aux crocodiles dans l'ex-musée du colonialisme. [Tous:] Oh... Luc : Non identifiée parce qu'il n'en restait quasiment rien. Oh. [Irène:] Les rats pullulent à Paris à la nuit tombée, quand la faim les tenaille, ils attaquent les passants ; les passantes surtout. Les rats attaquent les femmes à Paris. [Matthieu:] Quelle horreur ! [Irène:] Lucette était toujours téméraire, elle voulait n'avoir peur de rien. [Matthieu:] Elle aurait défié les rats ? [Irène:] C'était bien son genre. Et voilà le résultat quand on se croit supérieure aux autres : bouffée vive à la fleur de l'âge. [Tous:] Oh. [Marc:] Mais peut-être, simplement, parce qu'il y a un danger numéro trois à Paris, les autos folles, les autos sans âme, à cent à l'heure les heures de pointe, peut-être elle gît au milieu d'un passage piétons... Luc, dans une plainte : Oh non... Irène : La pauvre... Matthieu : Mais il faut faire quelque chose ! Que quelqu'un la tire de là ! Les voitures ralentissent pour lui passer sur le corps. [Tous:] Oh ! [Irène:] Je crois plutôt aux rats. Aux sales rats. Qui bouffent de l'humain, la nuit, dans les rues désertées. [Le Capitaine:] Quoi qu'il en soit, elle a disparu, il faut se résigner. [Matthieu:] Elle était si jolie... Luc, presque chantant, les yeux au ciel :...qu'elle semblait un ange. Elle était si jolie... Marc :...qu'on ne sentait plus le poids de la vie en la regardant. [Marc:] Ses yeux étaient d'un bleu si doux... Irène, rêveuse : Si trompeur, oui. [Luc:] Si charmeur. [Irène:] Que je devenais diable pour elle. [Matthieu:] Son corps aux formes parfaites... Luc, presque chantant : Comme une statue grecque... Irène, comme ayant une vision, criant : Déchaînée ! [Marc:] Perfection inaltérable... Irène, comme ayant une vision : Bouffée vive par les rats sur un passage piétons de Paris. [Le Capitaine:] Ah, pour être une belle femme c'était une belle femme ; mais il faut te résigner, Michel ! [Michel:] Ah bon ?
[L’homme:] Oui ! Il le faut. [Michel:] Mon pauvre Jean... Ça ne vas pas ? Tu as perdu quelqu'un ? [Jean:] Oui, ta femme... Je l'aimais tellement, tu sais... Michel, hypocritement : A ce point-là ? [Irène:] Mais moins que moi ! [Jean:] Dis-moi donc, pourquoi tu l'as épousée au juste ? [Luc:] Oh, il y a si longtemps... Irène, féroce, à Jean : C'est moi qu'elle préférait ! [Michel:] Tiens. Je ne savais pas. [Luc:] Passons. [Michel:] L'amour de ma femme comme enjeu d'une compétition ? [Matthieu:] Elle était si jolie... Marc, sentencieux : Sa beauté était un mirage où se perdaient nos rêves. [Michel:] Pour un médecin, voilà un diagnostic bizarre. Qu'est-ce qu'il s'est mis à lire en ce moment, notre Marc ? [Jean:] Michel ! Je me suis résigné. Tu le dois aussi. Nous devons l'enterrer. [Michel:] Tu veux enterrer ma femme ? [Irène:] Hélas... Luc : Nous le voulons tous. [Matthieu:] Ce sera un bel enterrement, fais-nous confiance. [Marc:] La beauté meurt aussi, et elle est souvent la première à mourir. [Irène:] Hélas. [Michel:] Mais un enterrement !... Ça a un caractère définitif... Le Capitaine : Il le faut. [Tous les autres:] Il le faut. [Michel:] Ah non ! [Tous les autres:] Michel, Michel ! Ne sois pas égoïste ! Ne pense pas qu'à toi ! [Luc:] Ne nie plus l'évidence. [Marc:] Regarde la réalité en face. [Matthieu:] Pense à elle ! [Irène:] Ooh... tous ces rats en train de la bouffer vive... Michel : Ah oui, vaut mieux se l'imaginer avant. [Le Capitaine:] Elle a peut-être simplement reçu une balle perdue. Mais lui rendre les derniers devoirs, au moins... Enterrons son souvenir puisque nous ne pouvons l'enterrer Elle. [Jean:] Je paierai la cérémonie. [Michel:] Tu veux payer l'enterrement de ma femme ? [Jean:] Avec toi ou sans toi, elle va avoir son enterrement. [Le Capitaine:] En tant que Capitaine de la gendarmerie, je ne peux pas refuser mon consentement. [Marc:] En tant que médecin, je n'ai pas vu le corps, certes, mais l'évidence l'emporte. [Jean:] Sois tranquille, elle aura le plus bel enterrement que l'on ait jamais vu à Ornans. [Michel:] Mais je pourrai venir ?
[La femme-statue:] Personne... Ni en bas ni à l'étage. Où est-il passé ? Tout est ouvert et il ne rend jamais visite à des voisins... Ohé ohé ohé ! [Suis-je encore chez moi ? J’ai eu la sensation que la maison ne me reconnaissait pas… Il me semble être partie il y a une heure:] les sièges n'ont pas bougé, les bibelots sont à leur place ; tout s'est peut-être figé jusqu'à mon retour ? Mais les meubles, la décoration, les livres restent sans âme. Tout m'est familier mais je ne leur suis plus familière. Ils refusent de ma tenir compagnie.
[Michel:] Oh... La jeune femme, se retournant : Chéri ! A qui est-ce que je parle ? Lucette ou Brennah ? [La jeune femme:] Brennah. [Michel:] Bienvenue chez Lucette. [Brennah:] On n'est pas deux. [Michel:] Brennah a dévoré Lucette ? Elle est cannibale ? [Brennah:] Voyons, chéri, Brennah est le papillon de Lucette. [Michel:] ... Pourquoi es-tu revenue ? [Brennah:] Eh bien... j'ai un mari ici. [Michel:] Ah ? [Brennah:] J'ai une maison ici... J'ai un passé ici. J'ai moi ici. [Michel:] Je ne t'attendais plus. [Brennah:] Tu m'as attendue ? Qu'est-ce que c'est que cette histoire ! [Michel:] Quelle sortie, chérie ! Tu tournerais la tête des juges à ton avantage. [Brennah:] Pourquoi m'as-tu épousée ?... Et laissée me transforme, m'y pousser même, jusqu'à ce que je devienne celle-là dans le miroir. Pourquoi ? J'avais des rêves naïfs mais les rêves nourrissent la vie, on ne veut qu'à moitié les réaliser ; en général, on attend paisiblement qu'ils deviennent des regrets et ils continuent de jouer leur rôle. Mais toi, toi ! Tu t'es acharné sur eux, tu n'as eu de cesse qu'ils prennent les formes idéales, opération chirurgicale après opération, il en a fallu onze et tellement de souffrances... Chéri, dis-moi, pourquoi m'as-tu changée en rêve ? [Michel:] Nous le partagions. [Brennah:] Il fallait me le laisser. A moi seule. [Michel:] Aider la femme aimée n'est pas un crime. [Brennah:] Ouais. De Pygmalion et de Brennah, c'est tout de même Pygmalion le tordu, pas Brennah.
[Marc:] Oh. [Luc:] Ce n'est pas elle !... enfin... Matthieu : Je crois que si. [Marc:] On devrait le lui demander. [Luc:] Je n'ose pas. Elle me fait peur. [Brennah:] Qu'est-ce qu'ils ont ? [Matthieu:] Bonjour... Madame. [Brennah:] Madame ? [Luc:] Etes-vous de chair ? [Marc:] De quel infra-monde vous êtes-vous échappée ? [Brennah:] Eh ! le Marcouille, tu disjonctes du ciboulot ! [Matthieu:] La question était très sensée. [Luc:] Parfaitement judicieuse. [Brennah:] Trois dingues ? Il y a eu une épidémie ? [Matthieu:] Elle est de chair ! [Brennah:] Oh là ! Tu recommences ça, je te fous une baffe. [Marc:] En tout cas elle n'est pas devenue une sainte. [Luc:] Ou alors la fameuse sainte Nitouche. [Matthieu:] Je crois bien qu'elle est "elle".
[Le Capitaine:] Oh. [Irène:] ...dit vrai. [Le Capitaine:] Eh bien, ça, c'est la tuile. [Brennah:] Comment ? C'est moi la tuile ? Tu m'accueilles comme ça ? [Le Capitaine:] La crédibilité de la gendarmerie va en prendre un coup. [Irène:] Tu me reconnais ? [Brennah:] Il me semble t'avoir souvent vue dans ma vie précédente. [Le Capitaine:] Ah ? Une vie préc'dente ? [Matthieu:] Une simple image, hélas. [Le Capitaine:] Oh... Brennah, furieuse, à Michel : Mais enfin, qu'est-ce qui se passe ? Et pourquoi vous êtes tous en noir ?
[Jean:] C'est vrai ? Elle est ressuscitée ! [Matthieu:] C'est une théorie intéressante. [Irène:] J'crois pas à ces trucs-là. [Luc:] Comme Lazare. [Marc:] Ressusciter les gens c'est bien joli, mais il faudrait être sûr que la famille et les amis sont d'accord. Sinon... Jean, dans un souffle, extasié : Créature de Dieu ou créature du diable, tu es encore plus qu'avant une satanée bon dieu de femelle à hurler. [Brennah:] Surtout j'ai été élevée par la télé, une obsédée sexuelle. A force d'y entendre des allusions qui passent pour des traits d'esprit, on devient télé. Bref, dans la maison de fous je suis plutôt à ma place aussi... Pourquoi est-ce que vous êtes tous en noir ? [Matthieu:] Parce que l'on revient d'un enterrement. [Brennah:] Ah oui ? Lequel ? [Le Capitaine:] Le tien. [Brennah:] Quoi ! Tu m'as fait enterrer ? [Michel:] Mais c'est lui qui a tout payé ! [Brennah:] Ooh... Oh... Oh ! [Matthieu:] Toutes mes condoléances. [Brennah:] Et de quel droit tu paies mes obsèques, toi ? [Jean:] Pour les souvenirs... les... je t'aimais tellement. Oh, Lucette... Michel, soufflant : Brennah... Jean, s'arrêtant de pleurer : Quoi ? [Michel:] Elle s'appelle Brennah maintenant. [Brennah:] Et toi, le médecin, tu as participé à cette mascarade ! [Marc:] Jean pleurait tellement. [Irène:] Même moi... Brennah, sèchement : Toi t'es idiote, alors ça ne m'étonne pas. [Luc:] Je suis son mari, hélas, c'est tout dire. [Brennah:] Et même plus. [Le Capitaine:] Tu as changé de nom ? Mais dans ce cas... la gendarmerie n'est plus en cause. Tu es entièrement responsable de ton changement de nom, la gendarmerie ne pouvait pas le deviner. Ouf, l'honneur est sauf. [Matthieu:] L'enterrement était vraiment très réussi, tu sais ; j'ai aidé Jean à l'organiser et franchement, comme il n'était pas en état, j'ai... ton enterrement est quasiment de moi. Tu veux voir les photos ? [Brennah:] Les photos ? [Matthieu:] Regarde ! [Brennah:] ... Y avait tout le pays ! [Matthieu:] Les petits enfants avec une photo géante de toi petite ; les adolescents avec une photo géante de toi ado, puis nous avec ta dernière photo parmi nous... Enfoncé le Courbet et son "Enterrement". J'ai fait mieux. [Brennah:] Et ça ? [Matthieu:] Pour que tu n'attendes pas une pierre tombale, j'ai acheté, oh pour une bouchée de pain, le monument du général napoléonien Austar, on voulait le démolir. [Brennah:] Ah oui, son cénotaphe, il n'y était pas vraiment enterré. [Matthieu:] En fait si. Tout le monde a été très surpris. Mais ton nom était déjà sur sa pyramide... Brennah : Qu'est-ce que l'on a fait de ses os ? On les a laissés... puisqu'on n'avait pas les tiens... Brennah, regardant une des photos : Et vous avez laissé aussi le mot "général" ! "Général Lucette Ardeline" ! Quand on a trouvé les os, Ernest avait déjà effacé son nom et mis le tien mais il restait "général", il a refusé de l'effacer. [Michel:] Pour un mari, c'est vraiment limite tout ça. [Brennah:] Oh... il faut que je boive un coup. Où est le cognac ? Toujours à sa place ? [Jean:] Même quand elle boit elle est érotique. [Irène:] C'est dégueulasse d'être belle à ce point-là. [Le Capitaine:] Je suis hors service, j'aurais bien besoin d'un verre moi aussi. [Matthieu:] Un toast à la décédée, puis un toast à la ressuscitée ! Avec elle-même ! Je filme ! [Michel:] Non, vous partez. Allez, allez... Laissez- nous faire notre deuil.
[Brennah:] Et il philosophe sur la situation en plus ! [Michel:] Je n'ai pas cherché à changer, même de nom... On s'embrasse, chérie ? [Brennah:] Monsieur aimerait embrasser un cadavre ! [Michel:] Oh, si bien ressuscité. [Brennah:] Après m'avoir assassinée ! [Michel:] Enterrée, chérie, juste enterrée. [Brennah:] Avec un général... Michel : Il t'a raconté ses campagnes ? ses batailles ? Est-ce un joyeux luron ? Mais si, tu as changé ; tu es... aigri. [Michel:] Oh, mon épouse passe cinq mois et quelque à faire la fête aux quatre coins du globe, et je serais... Mais pas du tout. Je suis très content pour vous, Madame. [Brennah:] Mais pas content pour toi. Salopard, tu savais où j'étais, tu n'avais qu'à venir me chercher !... Je t'attendais. [Michel:] Non. Je t'ai suivie jour après jour sur les réseaux sociaux et dans les revues : on aurait dit que tu essayais tout ce qui sort du commun, tout ce qui est interdit... Brennah : Je t'at-ten-dais. Paroles de courant d'air ! j'ai toutes les preuves !... Je vais les chercher !
[Brennah:] Pas pour moi, merci. [Jean:] Pourtant, une aventure comme la nôtre... Brennah, l'examinant : Une simple erreur de casting. Tu m'as dit un jour, ô mignonne, tu m'as dit : "Toujours je me souviendrai de ce moment, il est à jamais gravé en moi. [Brennah:] C'était quel moment au juste ? Oh la la, oh la la. [Allô… oui:] Tu disais ?
[Brennah:] Bououh. [Irène:] Oh ma chérie, ma chérie... Brennah, reculant : Oh là ! Le passé est une plante vivace décidément ; difficile à désherber. D'où me vient cette belle comparaison ? [Brennah:] De mon papa qui était jardinier... du dimanche. [Irène:] Ah. Et qu'est-ce qu'il faisait les autres jours, le papa ? [Brennah:] Il se reposait du dimanche. [Irène:] Je suis Irène !... Brennah : Rentre chez toi, fais-toi un chocolat chaud et pense à des choses gaies. C'est toi ma gaieté. [Brennah:] Eh ben, t'es pas la mienne. On fait gaieté à part, d'ac ?... Ou pas d'ac, j'm'en fous. Au revoir. Adieu. Ouste. [Irène:] T'es pas gentille.
[Michel:] Jean a très peu pleuré en s'en allant, j'en ai été surpris ; et un peu déçu. [Brennah:] Tu es un homme à habitudes, tu aimes trop la répétition. [Michel:] Tu aimes peut-être trop les nouveautés ; question d'âge. Qu'est-ce que tu leur as raconté à ces deux-là ? [Brennah:] Je suis la maîtresse de maison : j'ai fait le ménage.
[Matthieu:] On ne voulait pas vous abandonner sans fêter la libération des enfers de notre chère belle Lucette. [Michel:] Brennah. [Luc:] On avait envie de participer à la joie des retrouvailles. [Marc:] Où sont les verres ? [Michel:] Je les ai tous cassés. [Brennah:] Il ne casse jamais rien, à part nous deux. [Irène:] Il les planque là depuis quelque temps. [Jean:] On a trinqué tous les trois selon ce qu'il appelait un rite païen, à l'âme immortelle de Lucette qui s'était envolée, libérée de son corps. [Le Capitaine:] Un aussi beau corps sans âme, ce serait bien dommage. [Irène:] Lui seul a survécu pourtant. [Matthieu:] Les voilà ! [Le Capitaine:] Ooh... Michel, fermant les yeux : Oh, zut. [Marc:] Qu'y a-t-il ? [Le Capitaine:] Un trésor. [Luc:] Un trésor ? [Le Capitaine:] Le trésor de Brennah. [Jean:] Elle est là-dedans, une revue érotique ? [Le Capitaine:] Elle y est mieux que dans ton mausolée. [Irène:] Et en plus belle compagnie que le général. [Luc:] Oh, bon sang, sur cette photo ! [Le Capitaine:] Je ne t'avais jamais vue toute nue... Maintenant je sais pourquoi on a inventé la photographie. [Brennah:] Il y a surtout des revues de mode, en principe. [Marc:] C'est vrai... Elle n'y est guère plus habillée. [Chœur des autres:] Ah bon ? [Jean:] Elle y est plus habillée, mais mieux déshabillée. [Irène:] Les sirènes gagnent à l'effeuillage. [Luc:] Gagnent gros ? [Matthieu:] Deuxième service ! [Luc:] Y a pas des vidéos aussi ? [Michel:] Sur internet. [Le Capitaine:] Ah oui ? On trouvera. [Marx:] Oh... zyeutez... Brennah aux Caraïbes... Matthieu : Brennah à Bali ! [Luc:] Brennah à Miami... Jean : Moi je suis tombé sur Brennah à la montagne... mais elle est en tenue de ski. [Irène:] Et la voici à La Vegas, elle pose sur une table de jeu. [Le chœur:] Oh... Banco ! [Michel:] Oh j'en ai assez, j'vous laisse... Il commence de monter les escaliers ou va dans une autre pièce sur la droite. Personne, à part Brennah, n'y prête attention.
[Michel entre:] Des amis, ces gens-là... Comment ai-je pu seulement leur adresser la parole... Décevant... tout est décevant dès qu'on voit clair... Il ne faudrait jamais passer la tête hors de ses illusions. On n'est bien que seul... Et encore... Seul, j'ai tendance à trouver qu'il y en a un de trop... Ah, Lucette... J'ai voulu réaliser mon rêve en t'aidant à réaliser le tien et... le tien a survécu... mais il est peut-être en train de mourir aussi... sous les coups de nos "amis". Un meurtre joyeux, au champagne. Le papillon a été fixé par une épingle sur un carton, avec d'autres, et exposé à la veulerie, la bassesse, la jalousie, la médiocrité, la laideur, le sadisme ordinaire... II, 18. [Le Capitaine:] Ah, tu es là... je voulais te dire que Lucette, enfin Brennah, est partie. Tout de suite après toi. Elle semblait furieuse, je ne sais pas pourquoi. Vous êtes-vous disputés ? [Michel:] Partie ?... Oui ; que faire d'autre ? [Le Capitaine:] Logiquement, si on revient, ce n'est pas pour repartir aussi vite. [Michel:] La logique n'est pas la vie. [Le Capitaine:] ... Notre ressuscitée est peut-être devenue suicidaire, non ? [Michel:] Quelle drôle d'idée... Le Capitaine : Avec la vie qu'elle avait ailleurs, revenir dans sa vie ici, c'est déjà un peu un suicide. La déchéance par la vie de famille honnête et routinière ? [Le Capitaine:] Ma logique de gendarme n'a jamais donné tort à la folie joyeuse. Moi aussi j'ai tenté une évasion... Michel, le considérant avec amusement : Toi ? Jeune, j'ai été le chanteur d'un groupe popusnob. [Michel:] Tiens. Il est vrai que tu chantes juste. [Le Capitaine:] J'aurais eu plus de chance de réussir en chantant faux. [Michel:] Et la logique t'attendait dans sa toile, elle est patiente. Cette araignée est la plus venimeuse de toutes. [Le Capitaine:] Où crois-tu qu'elle est allée ? [Michel:] Qui ? [Le Capitaine:] Brennah, voyons ! [Michel:] Retrouver le général, probablement. [Le Capitaine:] Oh... La rumeur, une simple rumeur, je n'ai pas vérifié, prétend qu'elle est venue avec un homme et une femme qui l'attendent à l'hôtel vers l'autoroute. [Michel:] Pourquoi ne les aurait-elle pas amenés à la maison ? [Le Capitaine:] Pour séparer le présent et le passé, sans doute. [Michel:] Vous vous êtes chargés tout à l'heure de les réunir. [Le Capitaine:] ... Je vais néanmoins aller aux renseignements, je voudrais qu'il n'arrive pas de drame. [Michel:] Un drame...
[Michel:] Non. [Irène:] Michel... Brennah est fantastique. Il faut bien te comporter avec elle. Pourquoi n'agis-tu pas correctement ? [Michel:] Regarde mon habit noir ! Il n'est pas correct ? [Irène:] Brennah est si belle, elle est un rêve, on ne doit pas enterrer les rêves. [Michel:] On l'a pourtant fait. [Irène:] Mais pas du tout. Nous étions tous de bonne foi. Ou presque tous ? [Michel:] Tu t'es assez mêlée de nos affaires comme ça. Occupe-toi de ton propre couple. [Irène:] Ne le prends pas mal... Michel : Tu voudrais qu'elle reste, hein ? Pour toi. Tu te fiches bien de moi. Va-t'en ! Mais... Michel....
[Michel:] Qui ? [Le curé entrant:] J'ai bien entendu "oui" ? [Irène:] Il est dans un sale état. [Le curé:] Je m'en doute, après un drame pareil, perdre sa femme, à la fleur de l'âge... de l'âge de sa femme, je veux dire... enfin, moi qui enterre beaucoup... un enterrement c'est toujours triste. [Michel:] Mon pauvre curé, si je ne vous connaissais pas depuis des années, je m'inquièterais ; mais vous parlez en somme comme d'habitude. [Le curé:] Ma sincérité... Michel :...est à répétition comme les souffrances humaines. Un petit nombre finalement qui se duplique au moyen de notre reproduction. Qu'est-ce qui est le plus important, la souffrance ou l'humain qui la porte ? Madame Lacourt a raison, vous êtes en pleine crise. [Michel:] A votre avis, à quoi est occupée Lucette en ce moment ? [Le curé:] Mais je suppose qu'elle est dans l'adoration de Dieu... Michel, railleur : Au ciel ? A quel étage ? Le septième a une réputation ambiguë. Voyons. Ne vous laissez pas entraîner par le désespoir... Bien sûr, je vous comprends. [Lucette était une femme exceptionnelle. Tenez:] Eh bé... vous ne voulez pas lui faire dire la messe aussi ?... Même en remplaçant juste l'enfant de chœur je vous garantis qu'elle vous attirera du monde. [Le curé:] Elle l'a fait une fois et il n'y avait personne. Vous ne devriez peut-être pas rester dans cet environnement. C'est curieux, mais cette femme a le même menton, celle-ci le même nez que... etc... On dirait une galerie de parentes. [Michel:] Eloignées, Monsieur le curé, très éloignées. Mais pour les ressemblances vous êtes dans le vrai. [Le curé:] Vous vouliez dire tout à l'heure qu'elle était trop belle pour être épouse d'ecclésiastique ? [Michel:] Non, plutôt qu'un prêtre qui a une moitié ce n'est plus qu'un moitié de prêtre. [Le curé:] Oh. Dans le sens : il n'a plus assez de temps pour s'occuper de ses ouailles ! [Michel:] Je me demande s'il ne faudrait pas plutôt employer le mot de "patient" comme pour les médecins. [Le curé:] Le deuil vous égare. Mais vos erreurs les plus graves elles-mêmes seront pardonnées. [Michel:] Pour ça, non. J'en ai assez d'être pardonné ! Je ne veux plus qu'on me pardonne ! [Le curé:] Dieu ne demande pas la permission. Le Pape disait... Michel, carrément énervé : Votre Pape à pardons, votre antipape de Rome, eh bien il n'a pas mon absolution. J'entends retourner à une église avec des châtiments divins.
[Le curé:] Une épreuve ne doit pas nous abattre mais renforcer les liens entre les hommes. [Le Capitaine:] Oui oui... Comme c'est vrai ce que vous dites. [Michel:] Tu voulais me parler ? [Le Capitaine:] Te montrer des photos... Le curé : De l'enterrement ? [Michel:] Montre. [Le Capitaine:] Il y a une vidéo aussi. [Le curé:] Vos amis ont vraiment pensé à tout. Je peux voir ? [Michel:] N... non. Vaut mieux pas. [Le Capitaine:] Oh, vaut mieux pas, sans aucun doute. [Le curé:] Je comprends : vous avez le désir que les souvenirs concernant Lucette ne soient qu'à vous ; la pauvre, morte si jeune... Le Capitaine, étourdiment : Oh morte... pas tellement. [Michel:] Si, Lucette, elle, la vraie, est bien morte. [Le curé:] Je vais vous laisser faire votre deuil, et peut-être passer par le cimetière pour... Le Capitaine : Non, pas par le cimetière, allez plutôt directement dans votre église. [Michel:] Ça vaudra mieux. [Le curé:] Ah ? [Le Capitaine:] Au revoir. Au prochain enterrement. [Le curé:] Comment ? [Michel:] Il veut dire : A bientôt. [Le curé:] Je prierai pour elle... et pour vous. Un couple si uni.
[Le Capitaine:] Tu te rends compte. Elle a appelé ses amis de l'hôtel, son photographe et sa maquilleuse, et elle est allée poser sur sa propre tombe. [Michel:] ... Toute nue... Le Capitaine, regardant, admiratif : L'Eve éternelle couchée sur la tombe de la femme civilisée. La vue de ma femme à poil rend la gendarmerie poète. [Le Capitaine:] Côté spectateurs elle a fait l'plein. [Michel:] Je crois que sa réputation, là... Le Capitaine : Et la tienne... Michel, avec une grimace : Ah oui. [Le Capitaine:] Remarque, quand ils réfléchiront, tous ces gens, dans quelques temps, ils seront de ton côté. [Michel:] Et il est comment, mon côté ? [Le Capitaine:] Sur internet, youtube, les réseaux sociaux, les photos et les vidéos pullulent déjà. [Michel:] Même le curé va finir par être au courant.
[Le Capitaine:] Oh... Michel, avec une grimace : Le général ne l'a pas gardée. [Brennah:] Il ne s'est pas même dressé, je suis très mécontente. [Le Capitaine:] Bon... eh bien, il faut que je passe à la gendarmerie... de temps en temps. [Brennah:] Bien le bonjour à ta femme. Passez une bonne soirée avec mes photos.
[Brennah:] Je suis passée à côté du curé, il ne m'a pas reconnue. Il m'a répondu : "Bonjour Mademoiselle". [Michel:] Ça t'a amusée de te donner en spectacle ! [Brennah:] Je suis revenue le plus vite possible mais je me doutais que ce serait trop tard pour la surprise. J'ai eu beau tricoter de mes grandes jambes, mes images courent plus vite que moi. [Michel:] Nous avions une si bonne réputation dans cette petite ville... Brennah : Pourquoi m'as-tu épousée ? Pourquoi es-tu revenue ? [Brennah:] Pour toi, pour moi... Pour nous, chéri... Michel : Tu veux divorcer ? Jamais. N'y compte pas. Tu n'y arriveras pas. [Michel:] Alors, je te le redemande, qu'est-ce que tu veux ? [Brennah:] Maintenant... t'enterrer. [Michel:] J'exige de faire tombe à part. [Brennah:] Le général sera très déçu... Pourquoi m'as-tu épousée ? [Michel:] Et toi, pourquoi m'as-tu épousé ? [Brennah:] Je flottais à la surface du monde, je n'avais pas de poids... Il me fallait un boulet au pied pour devenir terrestre. Tu étais mon boulet pour enfin vivre. [Michel:] Ton romantisme est touchant. Il ne me console pas du mien. De mon vrai but. [Brennah:] Quel était-il ? Tu veux m'émouvoir ? [Michel:] T'aider à exister. Tu flottais, tu n'existais pas. Je t'ai refaçonnée pour te permettre l'existence la plus belle. [Brennah:] Donc, je ne serais réellement née que sous tes doigts. Tu as réalisé le crime parfait. [Michel:] Un crime ? Quel crime ? [Brennah:] Tu m'as volé mon identité, mon aspect physique, ma façon de penser, et tu les as remplacés, petit à petit, jusqu'à ce que je devienne l'autre, que je suis. [Michel:] Oh, on peut toujours travestir les faits sous des mots. La réalité est celle-ci : Je t'ai écoutée, je t'ai aidée. [Brennah:] Parce que cela correspondait à ce dont tu avais envie. [Michel:] Chacun suit son rêve ! [Brennah:] Mais toi, tu as fait en sorte que je suive le tien.
[Luc:] Oh c'est beau ici ! [Marc:] Admire la galerie de filles. [Matthieu:] Je n'y étais jamais entré. [Irène:] Moi une fois avec Lucette, un jour que Michel n'y était pas. Sans le loup on s'est bien amusées. [Jean:] Oh, Lucette... Tous, regardant Brennah : Ma pauvre Lucette... Michel, criant, à Brennah : J'ai seulement aidé à ta liberté : plus on a de possibilités, plus on est libre. [Brennah:] Libre ? Libre de quoi ? [Michel:] Mais de tout. [Luc:] Nous avons à vous parler sérieusement. Vas-y Marc. [Brennah:] A mon avis je suis juste passée de la prison de la fille quelconque à la prison de la belle. La seule différence c'est que les barreaux sont dorés. [Marc:] ... Pourquoi moi ? Matthieu... Irène : Il vaut mieux que ce soit Jean. [Jean:] Mes chers amis, nous nous sommes concertés : [Michel:] Oh, c'est bien. [Brennah:] Quoi ? [Jean:] Lucette n'a pas ressuscité. La scène du cimetière nous a éclairés. Brennah est une divinité païenne qui s'est nourrie de sa mort. [Matthieu:] Un vampire probablement. [Irène:] Ou une succube. [Michel:] Brennah n'est pas un être "naturel" ? [Jean:] Le vice est tout simple, comme la nature ; le vice est naturel. [Brennah:] Qui ça, le vice ? Moi ? [Marc:] En personne. [Irène:] De la belle tête aux adorables petits pieds. [Luc:] Tu n'es pas que ton image, il nous a bien fallu en prendre conscience. [Matthieu:] La beauté de la diable. [Jean:] On avait d'abord pensé à convoquer le curé pour un exorcisme... Brennah, stupéfaite : Un quoi ? [Michel:] Très juste : les religions sont des systèmes de maintien de l'ordre. J'ai hâte de voir ça. [Jean:] Mais on a renoncé. [Michel:] Oh... Jean : Nous avons vidé quelques bouteilles pour nous donner du courage et les capacités intellectuelles nécessaires et on s'est radiné pour causer d'l'avenir. Comment donc ! Causons. [Brennah:] De l'avenir de qui, les pochards ? [Marc:] Pochards ! [Luc:] Comme elle nous parle ! [Matthieu:] Le vice a un langage vicieux. [Irène:] Nous sommes saouls de toi, Brennah, rien que de toi. [Jean:] Oh, Lucette... Luc, Marc, Matthieu, Irène : La pauvre. [Michel:] Ah, la vie est une sinistre farce. [Brennah:] Et la mort donc ! [Michel:] Plus sinistre que farce. [Brennah:] Eh, les soiffards, pochards, givrés ! J'ai un plan d'avenir à moi... avec des choix professionnels... et non professionnels... qu'aucune agence pour l'emploi n'encouragerait. Dieu, dans sa bonté et sa prévoyance, n'a pas semé des poires en son jardin pour que personne ne les mange. J'ai l'ambition de les manger, d'être ainsi utile à la collectivité. [Jean:] Ah, c'est bien, ça. [Luc:] C'est noble. [Marc:] On recycle le paganisme pour le progrès féminin ? [Irène:] Avec voyeurisme à la télé. [Matthieu:] Et des commentaire pointus d'animateurs qui m'inviteront sûrement à leurs émissions sur Brennah... Michel sort sans qu'on le remarque.
[Michel:] Ah... je n'en pouvais plus... Comme une action intelligente, en cet abominable monde, suscite aussitôt le déchaînement de la bêtise... N'est-elle pas plus que belle ? Ces photographes ont su compléter notre œuvre, à Lucette et à moi. Car Brennah est bien notre création commune, elle aura beau dire. Nous avons été un vrai couple, n'est-ce pas, ma Lucette ? [Nous regardions les portraits de notre galerie du salon:] le petit nez le plus droit, les oreilles les plus coquillages... Te donner la beauté au-delà du désir, une beauté hors animalité, voilà ce que je voulais. Et tu es plus réussie que la plus réussie des statues grecques. Et toi, tu es vivante ! Ah Lucette, je te le dis, par-delà la tombe, écoute-moi : Je l'ai vue, nous avons réussi ! Brennah est telle que nous l'avons rêvée, mon amour... Mais la bassesse humaine nous poursuit, essaie de l'atteindre, de la salir... J'ai bien un fusil, mais si je descends tous les saligauds... un fusil ne suffira pas... Soyons lucide : cette chiennerie d'humanité n'admire pas ce qui la dépasse, elle le jalouse, l'envie, elle le hait. [Sauver un rêve de cette humanité ?… Eh:] tuer ne sauve pas, même un rêve.
[Michel:] C'est privé ! [Le Capitaine:] J'ai dû ouvrir presque toutes les portes pour te trouver. Oh... Michel, rageur : Qu'est-ce qu'il y a de si important ? Magnifique. Elle est... Mais alors, tu savais ? [Michel:] Qu'est-ce qu'il y a de capital, hein ? [Le Capitaine:] Brennah est ressortie, elle est allée trouver le maire pour organiser une grande Musique-danse-partie de rue, elle veut faire danser trois jours de suite tout le pays sur une musique incessante, tu sais, une aux sons lancinants comme la douleur d'une rage de dents... Michel : Et alors, je ne suis pas dentiste. Elle promet de la drogue gratuite pour tout le monde. [Michel:] Qu'y faire ? Tu connais l'histoire d'Orphée ? Eh bien, moi, j'ai beau me retourner, elle refuse de rentrer dans les enfers. [Le Capitaine:] ... Est-elle devenue trop belle pour être honnête ? [Michel:] Elle est ce qu'elle était mais libérée de ce qui l'empêchait d'être elle-même. Eh oui, mon cher Capitaine, Brennah est la vérité de Lucette. [Le Capitaine:] Ça non, je ne le crois pas.
[Matthieu:] Ooh. [Marc:] Eh bien... voilà un bureau dans lequel il doit être difficile de travailler. [Michel:] Mais qu'est-ce que vous voulez encore ? [Marc:] On voulait rattraper le Capitaine... Matthieu : Brennah n'est pas partie, elle est sortie et rentrée tout de suite. Ella avait un regard... Pas comme sur ces photos. [Matthieu:] Un regard sombre... Marc : Et pourtant ses yeux bleus sont si doux. Un regard furieux, méchant... Marc : Un regard des amazones les Méduses, fascinant et qui nie l'âme ; et même, celui de leur cheffe, la Gorgone, quand elle lance ses troupes contre les hommes. L'âme lui sortait des yeux, s'enfuyait d'elle. [Michel:] Voyez-vous ça, comme la culture aide le délire de la boisson. [Matthieu:] Je ne délire pas, je l'ai vue ! [Marc:] Nous sommes les témoins. [Matthieu:] Son âme satanique veut nous anéantir ! [Michel:] Ah, je le voudrais bien aussi. [Le Capitaine:] Alors tu crois qu'elle a toujours été... celle-ci. [Michel:] Les femmes "ordinaires"... enfin ce terme ne signifie pas grand-chose... Disons : les femmes "convenables"... je ne leur reprochais rien... mais elles m'ont toujours ennuyé. Ce n'est pas ma faute. J'aurais voulu être un bon papa de famille, un homme de vrai devoir, un homme droit... La volonté a peu d'effet dans la durée... Les femmes de ma vie n'ont jamais été des sentimentales ni des maniaques d'enfants. Les femmes trop réelles sont sans rêve pour moi... La vie est triste, j'avais besoin d'un rêve pour survivre. Quand j'ai rencontré Lucette, j'ai senti aussitôt ses potentialités... immenses... pour elle... et pour moi... Alors, en mon âge avancé, j'ai commis une bonne action : je l'ai épousée pour l'aider à se trouver.
[Brennah:] elle a commencé de couper dans la robe ici et là, au hasard ajouter à la robe des bandes de papier de même couleur qui pourront être sacrifiées et remplacées. Regardez ! Regardez-moi, encore et encore ! Brennah règne à jamais sur cette âme perdue. Soutenu dans son antre par les sous- humains ! Avec leur ordre implacable de la vie et de la mort.... Il reste le rêveur pervers et la jeune mariée... Les illusions tombent. [Michel:] Sur la surface du cimetière des rêves. [Brennah:] Les tiens ! [Michel:] Les nôtres... Brennah, dans un souffle : Qu'est-ce que je suis donc pour toi ? Un chef-d'œuvre. [Brennah:] Tu prétends "ton" chef-d'œuvre ? [Michel:] Le nôtre ! [Brennah:] Tu vois, je nous filme, on est en direct sur les réseaux sociaux, et dans le monde entier. [Michel:] Je ne suis pas voleur d'âme, je n'ai pas à me cacher. [Brennah:] Tu m'as faite, ou plutôt défaite, et puis tu m'as enterrée. [Michel:] Tu ne trouveras que des tarés pour gober ça, il est vrai qu'on ne risque pas d'en manquer. [Brennah:] Tu es le grand-maître de cette espèce, sur la terre et au ciel, il n'a jamais existé de salopard pire que toi, toi, toi ! [Michel:] Tu es devenue vulgaire, tu ne l'étais pas quand je t'ai épousée ni quand tu es partie. [Brennah:] Je me suis beaucoup cultivée depuis... je n'ai pas hésité à donner de ma personne pour apprendre. [Michel:] On fait découvrir ce qu'on connaît de mieux en principe. Moi, c'étaient les meilleurs champagnes, les meilleures œuvres, les plus originales des créations... Brennah, coupant un nouveau morceau de sa robe de mariée en le fixant : J'ai remis ma robe de mariée. Je pleurais... Elle a été la robe du mariage de Lucette, elle est aujourd'hui la robe du mariage de Brennah. Un mariage ? [Brennah:] La jeune fille orpheline épousait le vieux célibataire, la naïveté épousait un type revenu de tout, aujourd'hui a lieu le mariage inverse... Michel : Comment, inverse ? Celui de l'illusion avec la désillusion. [Michel:] Alors c'est le même. [Brennah:] Elles ont changé de côté. [Michel:] Brennah... tu es entrée dans la vraie vie... par la porte à double battant grande ouverte... tu y es la lumière qui attire les photographes du monde entier, les regards du monde entier. [Brennah:] Brennah vole quelques centimètres au-dessus des enfers de la terre, des milliers de mains de ses tarés essaient de l'agripper... Combien de temps arrivera-t- elle à les survoler ? [Michel:] Eternellement, Brennah, éternellement. [Brennah:] On m'a plus souvent qu'à mon tour traitée de buse ou d'oie... Mais les oies savent qu'elles vont mourir alors que les insulteurs, eux, oublient leur propre mort... alors qu'ils sentent déjà le charnier... Tous ces gens, et toutes ces beautés, qui sont morts avant moi, ces milliards de cadavres qui précèdent le mien, me donnent le vertige... Michel : Regarde seulement les merveilles du monde. Tu es une merveille parmi les merveilles, Brennah... Tu te souviens de "notre" lever de soleil sur Venise ? Toujours, toujours. [Michel:] Ce qui est exceptionnel est au-delà des mots. Les souvenirs merveilleux ne peuvent pas se communiquer... Tu es le lever de soleil sur Venise, Brennah, pour moi, à jamais. [Brennah:] Le mer, les tempêtes, les vaguelettes, les aurores, les crépuscules, le grouillement des villes, l'absurdité des déserts, la végétation folle de la jungle, les milliards d'animaux... l'idiote a la tête pleine de merveilles. La tête pleine de trésors, que je ne sais pas dire, que l'on ne peut pas vraiment partager. Mais oui, derrière ces yeux dont on admire la couleur dans les magazines et que certains jugent vides, il y a des miracles de lumières. Des lumières sur des villes, sur des plages, sur des montagnes. Elles sont entrées en moi. Des merveilles d'images, qui sont plus que des souvenirs, qui deviennent moi. Ce monde est si beau qu'il n'y a pas de paroles pour le dire, pas de photos pour le montrer vraiment. Ce monde est un rêve. Et je vis dedans. Et la belle admire. Elle admire éperdument.
[Matthieu:] Faut lui dire. [Marc:] Faut qu'ils comprennent ! [Luc:] Eh ben... eh ben... Le Capitaine : Michel, résigne-toi ! [Jean:] Lucette, mon adorée, il faut t'en aller. [Irène:] C'est Brennah. Brennah ! [Luc:] Eh ben... eh ben... Marc : Une morte aussi scandaleuse donne une mauvaise opinion de notre petite ville. Ta résurrection divise l'opinion. [Jean:] Hélas, tu vogueras seule vers Cythère, je n'aurai plus que les regrets. A moins que... Le Capitaine : Rétablis l'ordre, Brennah, en nous quittant. Hélas... Tous les autres, sauf Michel et Brennah stupéfaits : Hélas, hélas... Matthieu : Un si bel enterrement... Tu as tout gâché. Sois cohérente avec toi-même, Brennah, laisse-nous à notre deuil. [Irène:] Tu es trop dure, j'aime encore mieux que tu sois morte. [Luc:] J'aurais bien voulu que tu puisses rester, mais c'est impossible. [Marc:] Le mieux est ailleurs, ne l'as-tu pas toujours pensé ? [Matthieu:] Que veux-tu, quand on est mort, c'est fait c'est fait. [Le Capitaine:] Le définitif a du bon. [Brennah:] Salut, salaud ! [Michel:] Adieu, mon amour !
[Julie:] Tu peux dire "belle" tout simplement. Maman est inutile. L'Egofils : C'est le privilège de papa. Je disais : quoi donc ? Hein ? L'Egofils : Mais quoi ? Je me repose un peu. J'ai compté trois fois un à suivre. L'Egofils : Il n'y a pas de deux ? Je n'en suis pas là dans la réappropriation de mon corps par le sport. L'Egofils, railleur : Bonne chance. Tu es un modèle pour moi. Si je ne comptais pas des "un" toute seule, ça m'encouragerait.
[Julie:] Il était une fois" aujourd'hui. [Robert:] Je suis admiratif. L'Egofils : Je vais m'asseoir là pour m'imprégner de l'expérience. Moi aussi. L'Egofille, entrant : Elle utilise enfin tout le bazar qu'elle a acheté ? [Julie:] Un. Un. Un. Repos. [Robert:] Ma femme a des initiatives admirables. [Julie:] Un. Un. Un. L'Egofille : Il n'y a pas de deux ? Repos. [Robert:] Pas tout le même jour. Il faut ménager ses efforts. [Julie:] Besoin de rien, envie de toi. [Robert:] Aah. [Le Fig:] Mercredi 15 avril 20-20 ! [Le Mond:] Mercredi 15 avril 2020. [Julie:] Besoin de rien, envie de toi ! L'Egofils, se levant : J'aimais mieux les "un" ! [Le Poui:] Jeudi 16 avril 2020. Mais deux hebdos de ce jeudi même. [Julie:] Besoin de rien, envie de toi ! [Robert:] Mais où est donc passé mon journal ? Ah ! Mais oui !
[Criant:] Je m'en-nuie ! Et vous allez déranger les gens de l'étage d'en-d'ssous ! Encore heureux qu'on habite au dernier. Un. Un. Un. [Robert:] On passe à deux ? [Julie:] Oui, chéri. [Robert:] Les grands enfants sont des enfants, tu sais. [Julie:] Oui, chéri. [Robert:] Quel est ton but avec cette scène ? [Julie:] Après tous ces morts du covid-19, repeupler la France. [Robert:] Quelle ambition pour une quadra et un quinqua ! Et puis les morts sont surtout des gens âgés... Julie : Au moins repeupler l'appart après le départ en faculté de tes deux grands enfants. Mais où est passé mon journal ? [Julie:] Une... deux. [Le Fig:] Page deux : "L'exécutif en ordre de bataille pour le 11 mai. 36, 7 millions de téléspectateurs. L'allocution présidentielle a enregistré un record absolu d'audience. [Le Mond’ se levant:] Page deux : "Les paris sanitaires du chef de l'état." Ah non, c'est page trois. [Tous les autres journaux:] Pfff... [Le Lib:] Page deux : "Déconfinement : l'école s'y colle." Page trois : "La seconde vague n'aura pas besoin des enfants pour exister. [Julie:] Sans enfant, j'ai l'impression d'avoir raté l'avion. [Le Paris:] Page deux : "Retour en classe en mai. Le grand pari. [Julie:] Un... deux... Bououh.. [Le Poui:] A la une : "Les nouveaux virus. [Le chœur:] Huuuum. [Julie:] Un... deux... Oune... deusse... I, 4. Le vieillard, entrant, voyant Julie à l'œuvre : Oh... La révolution rame en temps de confinement. Bonjour... dans le moulin. Vous ne frappez même plus. [Le vieillard:] Ah bon ? C'est vrai ? J'ai oublié ?... Mais il vaut mieux. Si, si. Mettons que la police ouvre la porte d'entrée de notre immeuble pour une vérification rapide de notre confinement, elle entend frapper... elle monte. Si, si. Elle me prend en flagrant délit de confinement partagé et c'est l'amende. Salée. 135 euros. [Le chœur:] Oooh... [Julie:] Enfin, tant que vous n'étendez pas cette licence à la salle de bains... Le vieillard, galamment : Mais, si j'étais sûr que ce soit vous dedans, croyez bien que je n'hésiterais pas. Oune... deusse...oune plousse oune... deusse... Le vieillard : Pourquoi vous comptez ? Pour moins m'emmerder. [Le chœur:] Oh ! [Julie:] Besoin de rien, envie de toi. [Le vieillard:] Comment ? [Julie:] Hein ? Non. Oh. C'est pour Robert. [Le vieillard:] Ouf. Je ne tiens pas tellement la forme ce matin, alors... Julie : Ça va. Je m'entraîne pour être ultra solide à la naissance de mon bébé. Ah ! Robert s'est décidé ! [Julie:] Non. C'est un entraînement pré-natal dans le sens pré-engendrement. [Le vieillard:] Oui. Prématuré. [Julie:] Parlez pas d'malheur... Je veux participer au Baby boom du déconfinement. Le monde a besoin de nous ! [Le Lib:] Monde monde monde. Ah. "Dette africaine. Alors que la dette du continent est en grande partie due à la Chine, la demande d'annulation du président français"... Julie, au vieillard : Notre société va mal, vous ne trouvez pas ? Je dois œuvrer à son renouveau. [Le Fig:] Page 20 : "Quelle renaissance pour Notre-Dame de Paris ? [Le Paris:] Page 25 : "Notre-Dame sonne ce soir à 20 heures.
[Le vieillard:] Non, comme d'habitude. Je vous félicite pour le futur engendrement. [Robert:] Mais où est passé mon journal ?... Vous ne l'avez pas vu ? [Julie:] Et vous avez une bonne occupation pour meubler vos insomnies ? Dans le genre convenable, je veux dire. [Le vieillard:] J'écoute les âmes mortes. [Julie:] Vous entendez des voix ? [Le vieillard:] Comme voix seulement la vôtre de l'autre côté du mur quand vous demandez : Est-ce que tu dors vraiment ? [Robert:] Ah, elle dit ça ? [Julie:] J'ai pas fini de ramer, moi. [Le vieillard:] Des âmes mortes, il y en a beaucoup dans cet immeuble ancien, il y en a dans votre appartement... Julie, inquiète : Ah bon ? Sans appareil photo, j'espère ? Et elles crient, elles crient vers vous, mais vous ne les entendez pas. [Robert:] Quel bonheur d'être sourd de cette façon-là. [Julie:] Et qu'est-ce qu'elles crient vos âmes mortes ? [Le vieillard:] Elles crient leur souffrance, elles crient la vie désespérante, la mort et sa nuit, leurs erreurs passées, leurs remords, et surtout, surtout, le fait qu'il n'y ait rien à espérer. [Robert:] Pas gaies, vos insomnies. Essayez les somnifères. [Julie:] Il vaut encore mieux entendre des voix que des cris. [Le vieillard:] Mais là, c'est l'affaire de Robert. [Le Mond’:] A la une : "La Corse, qui a frôlé la crise sanitaire, va perdre 30 % de son PIB. [Le reste du chœur:] Eh ben... I, 6. Voix d'un enfant, chantant "Les Cloches de Corneville", musique de Robert Planquette, livret de Charles Gabet : [Le vieillard:] Il s'est mis à écouter mes vieux disques vinyle... L'enfant : Et j'ai trouvé un air fait pour moi. Bonjour, madame Julie, vous ne m'embrassez pas, ce matin ? [Julie:] Je suis en pleine séance de gym... Enfin. Tu sens le café ? [L’enfant:] J'ai bu celui de grand-père : il s'était endormi dans son fauteuil après l'avoir fait, je ne pouvais pas le réveiller pour mon chocolat. [Robert:] Vous le surveillez bien. Belle éducation. [Le chœur:] Ooooh. [Julie:] Mon bébé n'aime que le lait. Le mien. [Robert:] Ah ? Parce que... ? [Julie:] Oui, monsieur, j'ai l'intention de l'allaiter de moi. Avec votre permission. [Robert:] Mais où est donc passé mon journal ? [L’enfant:] Je vais vous aider à le chercher. [Le vieillard:] Mais non, Robert aime chercher seul. [L’enfant:] Pourquoi ? [Julie:] Pour chercher plus longtemps. Assez ramé. Je vais passer à la machine pour soulever des poids. [Robert:] Bonne idée. [Le vieillard:] Quel courage, et quel joli spectacle. [Julie:] Ouh... Un bébé est lourd, je veux être sûre de ne pas le laisser tomber. [L’enfant:] P't-être que ce s'ront des jumeaux ? [Le chœur:] Rien. Rien. Rien. [Le vieillard:] Ou des triplés. [Robert:] Mais où est donc pas... Julie, soulevant des poids, moqueuse : Et qu'est-ce que tu feras quand tu l'auras trouvé ? Je chercherai mes lunettes. [Julie:] Mais tu ne portes pas de lunettes... Robert : Ça ne m'empêchera pas de les chercher. [L’enfant:] Vous voulez un concert pour vous aider à soulever, madame Julie ? [Robert:] Bravo. [Julie:] Y a pas une suite ? [L’enfant:] Pourquoi vous n'applaudissez pas, chaque soir, sur le balcon, avec nous tous, pour encourager le personnel soignant, monsieur Robert ? [Le chœur:] Ah, oui ? [Robert:] Va apprendre la suite de ton air, mon petit chéri, va vite. Dopé au café. [Le chœur:] Ooooh. [Le vieillard:] Bonne idée. Va apprendre. [L’enfant:] Oui. Bon. Et je reviens vous la chanter.
[Robert:] Elle a une culture... Le vieillard, à Julie : Et ça mène où, ces belles remarques ? Aïe. [Julie:] Il n'est même pas fichu de m'en présenter une. [Le vieillard:] Ah. [Le chœur:] Ben quoi... ben quoi... Le vieillard : Eh oui, les avions restent cloués au sol, faute de passagers. [Julie:] Et les cigognes aussi... quoiqu'il n'y ait pas de raison... J'ai quarante ans, je serai bientôt vieille comme vous et c'est le printemps dehors, mais il reste dehors. [Robert:] Que voulez-vous, sans mon travail je ne me sens plus de raison suffisante de vivre, alors donner la vie... Vous me comprenez ? [Le vieillard:] Pas vraiment ; j'ai toujours été un fainéant heureux. Aux yeux des autres je suis quelqu'un qui n'a rien réussi ; mais ils se plaignent tout le temps et moi je ne vois aucune raison de me plaindre. [Robert:] Enfin, cher ami, quel est le rôle de l'homme sur la terre ? [Le vieillard:] L'exploitation de la femme... Des millénaires d'histoire nous le prouvent. [Robert:] Triste histoire alors. [Julie:] Il y a tout de même une bonne page dans le manuel d'exploitation. Tu l'as bien lue avec ta première femme, tu pourrais réviser. [Le vieillard:] Madame Julie a des forces pour des octuplés. [Le chœur:] Ben quoi ?... Ben quoi ? [Robert:] Pfff... Julie, soulevant et parlant de plus en plus fort : Je hais mon mari : un... Je hais mes beaux-enfants : un... Je hais mes voisins petits et grands : un... Je hais cette ville confinée au sein du printemps : un... Je hais les villes, je hais les murs, les murs ! Un ! deux ! trois ! quatre ! Je hais le monde entier ! Je hais Dieu, le père, le fils et le Saint-Esprit, qui me laissent perdue dans leur création sans intérêt ! Et un ! Et deux ! Trois ! Quatre ! Cinq ! Je hais le Pape qui, lui, a au moins l'enfant Jésus... et je me hais, moi... d'être là. Voyons, Julie... Et puis tu as peut-être raison... je ne dis pas non... Je ne sais pas aller de l'avant dans ce monde confiné, où tous mes repères... Le vieillard s'éclipse discrètement. [Julie:] Tu vas à Rome, tu vas à Londres, tu vas à New York, tu vas à New Delhi, ta vie n'a pas de sens, tu vas dans tous les sens. Tu es un pilote girouette. [Robert:] Ici, c'est toi le pilote. [Julie:] On ne le dirait pas. [Robert:] Es-tu sûre de la direction que tu nous choisis ? [Julie:] Choisis-la avec moi ! [Robert:] Alors si tu es sûre, je le suis aussi. Le confinement va cesser, et le printemps est là. [Julie:] Un, deux, trois, quatre, cinq, six, sept, huit, neuf... diiix !
[Robert:] La paix entre le ciel et la terre Ouranos et Gaia, c'est comme ça qu'on raconte la création dans ton livre de mythologie ? -, eh bien la paix a été signée. L'Egofille : C'est un livre de philo ! Pour le bac. Je révise. Tu révises ce que tu n'as pas appris ? L'Egofille : Au fait, là. Qui c'est Antisthène, papa ? Un inconnu, ma fille. [Voix de l’Egofils:] Alors ? L'Egofille, criant : Tu peux r'v'nir ! La paix éternelle s'est imposée en la demeure. [Julie:] Eternelle ? On va s'embêter. L'Egofils, paraissant, casque sur la tête, livre d'une main, gros biscuit de l'autre : Il n'y a pas d'âme morte supplémentaire ? [Le Poui:] Grippe espagnole, H2N2, . Grippe asiatique, H1N1. Grippe de Hong- Kong, H3N2. Ebola. Dengue. Sida. Grippe aviaire, H5N1. Fièvre du Nil occidental. Sras. [Chikungunya. Grippe pandémique A:] Covid-19 ! [Tous les autres membres du chœur feuilletant avec dépit:] Rien... rien... rien. [Julie:] Mais il mange ! J'ai une faim ! [Robert:] La perspective de ne rien faire de la journée me déprime. L'Egofille : Alors aide-moi. Qui est Antisthène, papa ? Une rengaine antique, ma fille. L'Egofille, à l'Egofils : Et toi ? Tu as dû l'apprendre l'année dernière ? L'Egofils : Je n'ai pas eu la chance d'un confinement pour pouvoir réviser. Mon fils est ignare, ma fille en prend le chemin, ah le modèle paternel a plus d'importance qu'on ne veut le croire. Et ton Antisthène doit bien se foutre de nous. Mais qu'on me donne un avion à piloter ! L'Egofils : Ecoute de la musique, je te prête la mienne si tu veux. Non. Non ! Je m'ennuie trop pour faire quelque chose. Ah. Vous êtes contre, n'est-ce pas ? Eh oui. A défaut de connaître Antisthène je vais tout de même encore être utile à votre étude de la vie.
[Robert:] Plutôt général. [Julie:] Je crois que j'avais tort de renoncer au petit-déjeuner. Surtout quand les biscuits sont aussi bons. D'où viennent-ils ? L'Egofils : Tu ne te souviens pas que sœurette a occupé la cuisine tout l'après-midi hier ? Ah oui... J'avais cru qu'elle révisait. [Robert:] Pauvre chérie. L'Egofille, à Julie : Est-ce que tu connais... Julie : Je suis nulle en Antisthène et en cuisine. Pour la cuisine, quand je mange la tienne, je regrette profondément. L'Egofille : Mais tu as dû étudier la philo ? L'Egofils : Tu ne crois pas en la culture ? [Julie:] Si, mais je ne suis pas pratiquante. [Robert:] N'exagérons pas. Tu as, dirons-nous doctement, hum hum, une philosophie de l'action... Vous ne le savez pas mais j'ai rencontré votre belle-mère à une manifestation à la mémoire de Kim Wall. [Julie:] Pauvre Kim Wall. L'Egofille, à son père : Qu'est-ce que tu faisais là ? L'Egofils : Qui était-ce ? [Robert:] Kim Wall était une journaliste suédoise ; invitée par l'inventeur d'un sous-marin à venir y faire un reportage... eh bien il l'a tuée, puis coupée en morceaux, morceaux qu'il a jetés à la mer. L'Egofille : Oh ! L'Egofils : Mais il a été pris ? [Julie:] Et condamné. Elle est restée un symbole des femmes victimes des hommes, de leur violence, de leur mépris. Elle était le courage et lui la traîtrise, la vanité... Robert : Je revenais de Calcutta, je trouvais la cause juste, j'ai décidé de me joindre à la manifestation. Et là, j'ai vu Julie criant avec tout son bon cœur pour plus de justice et pour plus d'amour. Je me suis dit : Voilà une femme qui pourrait être pilote. Et, peut-être aussi, pilote de pilote ? qui sait ?
[Bravo. A la bonne heure:] L'Egofils, applaudissant : Un futur chanteur, peut-être ? [L’enfant:] Vous n'applaudissez pas, madame Julie ? [Julie:] Non. J'ai faim. Et puis mon bébé chantera bien mieux que ça. [L’enfant:] Un bébé, ça braille. Moi je chante ! [Robert:] S'il veut éveiller Julie à l'art musical, il a du travail. Tout ce qu'elle apprécie, c'est-ce qui fait danser. L'Egofille : Tu l'as vraiment rencontrée à cette manifestation ? Mais oui. Et deux jours après elle m'emmenait danser. L'Egofils : Ah, la fois où tu as dormi toute la journée ? On t'a cru malade, on voulait appeler un médecin. J'ai eu du mal à vous en dissuader. L'Egofille, pas contente : Et dire qu'on s'est apitoyés ! Quand je vous ai annoncé mon remariage, je craignais beaucoup une mauvaise réaction. Un gros gros problème. J'avais concocté tout un discours... j'y avais réfléchi des heures. Et... et pas de crise... Mon discours n'a pas servi... je me suis vraiment demandé... je me demande toujours d'ailleurs... comment se fait-il que vous ayez si bien accepté Julie ? Mon caractère... ? L'Egofille : Je t'ai même fait rencontrer une amie à moi, tu te rappelles ? Une amie à toi ? Ah oui... En Première avec toi !... Mais la différence d'âge... L'Egofille : C'est la seule fille majeure que je connaissais. L'Egofils : Je la trouvais trop jeune pour mon papa. Par contre, elle m'a beaucoup plu. Elle a réfléchi un bon moment avant d'applaudir.
[L’enfant:] Je reste modeste. [Julie:] Repentante. [L’enfant:] L'interprète a fait un triomphe. J'ai eu droit à un bisou... et un biscuit. [Julie:] J'ai juré d'écumer les festivals cette année. [Le Mond’:] Les festivals d'été ne pourront se tenir au moins jusqu'à mi-juillet. [Le Fig:] Les festivals annulent en rafale. [Le Lib:] La culture réduite au silence estival. Le calendrier d'un déconfinement progressif et contraignant, tel que dessiné par le président lundi soir, empêche la tenue des principaux grands festivals de l'été. [Le Paris:] Annuler ou pas ? L'Ob, se dressant : "Et si on cliquait sur "Musées" ? Arpenter les plus belles collections du monde, découvrir les grands sites archéologiques. On peut tout faire sur internet. [Le Poui:] Et les puces précipitèrent la chute de l'Empire romain. [Le reste du chœur:] Et alors ?... Et alors ? [Le Poui:] Ben quoi. [Tout le reste du chœur:] Eh ben... Eh ben... Le Poui, fièrement et agressif, très crapaud : Ben quoi ? [Robert:] Maligne, va. L'Egofils : Tu m'emmèneras ? [L’enfant:] Est-ce qu'ils aiment les enfants dans les festivals ? [Robert:] Pas trop. C'est un truc d'adultes pour se débarrasser d'eux quelques jours. [L’enfant:] Oh... Le chœur, très crapauds : Ben quoi ?... Ben quoi ?... Ben quoi ?
[Le chœur:] Bien... bien... bien... Julie : Avant notre mariage, nous avions un code votre père et moi au téléphone, je disais : "Allô Escalibur ? Ici pomme." Mon fruit préféré. Et il était pour lui. Eh ben... en ben... L'Egofils : Mais quel rapport ? [Julie:] Là, plus de confidences. [L’enfant:] J'aimerais bien un autre biscuit. [Julie:] Oui, va dans la cuisine. L'Egofille : Mais qu'est-ce que c'est "être bien" ? Antisthène... Julie :...est à la gare. L'Egofille : Hein ? L'Egofils : Et qu'est-ce qu'il y fait, à la gare ? Une cure d'anonymat. L'Egofille, vexée : C'est malin. Tu es du genre à trouver ça banal, toi, le jour où un humain posera le pied sur Mars. C'est pas encore fait ? Tas de faignants ! L'Egofils : Tu es sûre d'être ce qu'on appelle une femme moderne, belle-maman ? Mon passé parle pour moi. L'Egofils : Que peut ta vérité du passé contre une opinion sur toi coltinée par des ragots de gens malintentionnés ? Globalement et en détail, je m'en fous. Moi, ce qui m'importe, c'est d'être quelqu'un de bien. [Le chœur:] Bien... bien... bien... L'Egofille : Mais qu'est-ce que ça veut dire ? [Julie:] On le saura après ma mort, en étudiant ma vie à la place de celle d'Antisthène. [Robert:] C'est vrai, ça, il n'y en a que pour lui dans cet appart. Il a pris une place ! Et était-il quelqu'un de bien ? Etudie plutôt ta belle-mère et tu dameras le pion à Antisthène. [Le chœur:] Ouais ? L'Egofils : Si j'avais eu un prof de philo pareil... L'Egofille : Aïeaïeaïe. Ce que c'est d'avoir des parents peu cultivés... Je préfère retourner dans ma chambre.
[Julie:] Il est dans la cuisine. [Le vieillard:] Ah... Je m'étais un peu endormi dans mon fauteuil, je me réveille, il avait disparu. [Robert:] Il ne pouvait pas être loin. [Le vieillard:] Bien sûr, bien sûr... Le chœur : Alors ? ...mais l'insécurité est partout. Elle rôde autour de l'immeuble, elle peut réussir à y entrer à tout moment. Si elle s'empare de l'un de vous, si elle entre en vous, vous pouvez devenir dangereux pour les autres. [Julie:] Est-ce lié au coronavirus qui nous vaut ce confinement national ? Suffit-il de bien se laver les mains etc... ? [Robert:] Et rester confinés ? [Le vieillard:] Je ne crois pas. Il paraît même, selon le journal télévisé que j'ai regardé, qu'elle crée des désastres dans des familles qui n'ont pas mis le nez dehors. L'Egofils, jouant l'inquiet et regardant Robert et Julie : Ooh ! [Julie:] Je promets de surveiller mes potentialités criminelles. [Robert:] D'ailleurs on se prépare à la sortie de la journée. [Julie:] Qu'est-ce qu'elles disent de tout ça vos âmes des morts ? [Le vieillard:] Non, les âmes mortes. Ce sont des âmes qui ont voulu fuir le cycle impitoyable de la vie et de la mort, s'évader... Julie, étonnée : Il y aurait autre chose que la vie et la mort ? [Le chœur:] Eh ben... Eh ben... Le vieillard : Bien sûr... Mais notre prison est si habilement construite que généralement on ne s'en doute même pas. [Robert:] Vraiment pas. Ah oui, au lieu de la vie éternelle. [Le vieillard:] Oui. [Julie:] L'enfer, quoi ? [Le vieillard:] L'enfer appartient à la vie éternelle. Mais elle, elles restent dans la mort. Et elles crient. Elles nous disent que l'on peut s'évader et nous demandent de les y aider. [Julie:] J'aime bien ma prison. [Le chœur:] Ouf. [Robert:] Hors la vie et la mort, c'est peut-être pire, qui sait ? [Le vieillard:] Mais m'évader... II, 14. L'enfant revenant avec un gros biscuit : Tu as bien dormi grand-père ? Ah, te voilà, brigand. Tu ne vas pas avoir une indigestion par-dessus le marché ! [L’enfant:] Mais non. Je prends juste des forces pour la sortie. [Robert:] Il a éveillé Julie à la musique. [L’enfant:] Il faut que j'aille apprendre la suite de mon air. J'ai le temps avant qu'on sorte ? [Robert:] Mais oui. [L’enfant:] Vous ne partez pas sans moi ? [Julie:] On t'appelle. L'Egofille, rentrant, son livre à la main : Je reviens vous instruire, bande d'ignorants. Antisthène fut disciple de Socrate et maître de Diogène. [Robert:] Je n'en demande pas plus ; je me sens profondément enrichi de cet apport culturel. [Julie:] Notre vie en est d'jà transformée. L'Egofille, à Julie : Diogène et son tonneau, ça ne te dit rien, Julie ? [Robert:] Tu veux fourrer ma femme dans un tonneau, espèce de monstre ? [Julie:] Sois pas jaloux, chéri. [Robert:] Je suis fier de mon fils, il n'encombre pas la soute de son avion avec des bagages. [Julie:] Léger comme il est, il ira loin. [Le vieillard:] Moi je me souviens très bien. Enfin, j'ai relu tout ça il n'y a pas longtemps... entre deux sommes. L'Egofils, à Robert : On sort bientôt ? [Robert:] Dix minutes-un quart d'heure. Ah non ! Je hais les planeurs. [Julie:] Les carburants à planeurs sont bien pires. [Le vieillard:] Bof, de la musique... Robert : Ça dépend. Pas si fort, la musique. Ta sœur veut qu'elle reste non polluante et moi, que tu ne planes pas. [Le chœur:] Ben quoi... Ben quoi... Ben quoi... II, 15. Le vieillard, à Robert : Au fait, pour reprendre une question dont me tarabuste mon petit- fils, si vous permettez, je ne voudrais pas être indiscret, pourquoi vous n'applaudissez pas, le soir, avec tout l'monde, sur le balcon, le personnel médical ? [Robert:] Mais si... D'une main. [Julie:] Une des miennes. Je n'applaudis que d'une main moi aussi. [Robert:] On a bien essayé une main à moi et une des siennes pour applaudir mais ça ne marchait pas. J'ai délégué. [Julie:] Vous n'avez pas remarqué comme la main que je lui prête tape beaucoup plus fort que l'autre ? [Le vieillard:] Mais pourquoi d'une main ? [Robert:] Le courage et le dévouement des uns ne peut pas racheter le mépris masqué des autres pour les mourants et les morts. [Julie:] Mon mari avait une tante qui a donné son corps à la science, à Paris-Descartes. [Robert:] Des morceaux des corps çà et là dans un sous-sol immonde, jetés par terre, des têtes posées en trophées pour les seigneurs du lieu... Julie : La tête de sa tante était placée au milieu du couloir d'accès, par terre, pour bien indiquer qu'au-delà il n'y avait pas d'autre loi que celle des dépeceurs. Plus de dignité humaine. Ils s'en foutent bien, les charognards ! Et je revois ceux qui sont venus, le sourire aux lèvres, la bouche en cœur, persuader la pauvre femme qu'elle serait généreuse, oh si généreuse, de donner son corps à la soi-disant science... Pour l'humilier après sa mort ! [Julie:] On n'est que de la chair humaine utilisable ou pas pour certains. [Robert:] Je n'accepte pas ça ! [Julie:] Je n'applaudis pas ceux-là, même d'une main. [Le vieillard:] Ouh... Je crois que je vais choisir l'incinération. [Le choeur:] Eh ben... Eh ben... Robert : Excusez-moi si je m'énerve... Enfin, vous connaissez ce scandale, vous avez sûrement lu la presse... Le chœur, satisfait : Ah... Le vieillard : Bien sûr, j'en ai entendu parler. Et puis, dans le flux des scandales, il a été emporté... et je l'avais oublié. [Julie:] Pas nous. [Le vieillard:] Je crois que je vais dire à mon petit-fils que vous avez gardé votre secret. L'Egofille, levant enfin la tête de son livre : Je ne peux plus penser à ma tante autrement que dépecée par ces gens... II, 16. L'Egofils, rentrant, disant son texte sans trop regarder son livre "Les sept chefs au siège de Thèbes", d'Eschyle : "Sexe haï des sages, que jamais, soit dans le malheur, soit dans la prospérité, je n'habite avec toi ! Loin des dangers, ta présomption est insupportable ; dans la crainte, tu es le premier fléau d'une famille et d'un peuple. Voilà donc l'avantage d'habiter avec les femmes ! [Julie:] Ouais. Et qui est-ce qui a écrit ça ? L'Egofils, faisant l'innocent : Je répète mon rôle d'Etéocle dans "Les sept chefs au siège de Thèbes", d'Eschyle. L'Egofille : Celui à qui on a flanqué un bon coup de carapace de tortue sur la tête ? Bien fait. Et pourtant je ne l'enverrais pas servir la science à Paris-Descartes. [Robert:] La littérature te sera reconnaissante. L'Egofils : Ai-je bien dit mon texte ? [Le vieillard:] Mais parfaitement. J'espère qu'on pourra assister à votre spectacle sans être étudiant ? [Julie:] Faut des coupures. L'Egofils, ironique : Ah bon ? [Le chœur:] Tiens tiens... L'Egofille : On l'a bien vu lors des guerres mondiales. L'Egofils : Les temps ont changé, bien sûr. Et les femmes aussi ? [Julie:] La différence entre la femme soumise et la femme égale de l'homme pas simplement de fait mais en pratique, c'est le fusil... et savoir s'en servir. L'Egofille : Tu sais tirer ? Qui t'a appris à tirer ? [Robert:] Moi. [Le chœur:] Eh ben... Julie : Si des salauds m'attaquent, je leur apprendrai l'égalité, moi. Sacrebleu de sacrebleu ! L'Egofille, à Robert : Mais tu n'as pas voulu m'apprendre, à moi, comme à mon frère, papa. Pourquoi ? [Robert:] Parce que je préfère que tu sois une jeune fille sage avant de devenir une femme libre. L'Egofils, se marrant : Il veut que tu ne descendes pas tes rares prétendants. Histoire d'avoir des petits-enfants. L'Egofille, pas contente, à son frère : Sandra, tu ne lui plais pas du tout, elle te trouve prétentieux. Pour le tir, on verra. Passe ton bac d'abord.
[Le vieillard:] Ah oui ? Je le nettoierai, ce n'est pas grave, ce petit problème est assez fréquent avec les disques vinyle. L'Egofille : Et moi, Antisthène et Diogène menacent de me mettre dans un tonneau. Je suis très bien ici. Je veux pas aller vivre dans un tonneau. [Robert:] Toi, tu reposes ta voix pour mieux chanter plus tard. Toi, tu vas discuter avec Eschyle des modifications à apporter à sa pièce. Et toi, étudie ta belle- mère au lieu d'Antisthène, ce sera plus enrichissant. [Julie:] Et moi je vais remettre du vernis à mes ongles de pied. Un beau rouge foncé. La couleur que mon mari adore. [Robert:] Ah bon ? Oh oui, rouge foncé ! Bien rouge, bien foncé. [Le chœur:] Eh ben... Allons bon... Eh ben... Allons bon. [Le Paris:] Retour en classe dès mai", "Aux seniors, nous livrons beaucoup plus que des repas", "Contrôlé sans Attestation ? A chacun ses excuses". [L’enfant:] : Tu m'aides à remplir mon Attestation de sortie, grand-père ? [Le vieillard:] Bien sûr. Viens. On met quelle heure ? [Robert:] ...10 h 10. [Le Lib:] La seconde vague n'aura pas besoin des enfants pour exister", "De Rennes à Nice, interrogations et surprise avant la rentrée", "L'économie française de mal en PIB". [Julie:] Ta fille va pouvoir suivre le cours sans se placer devant un écran. [Le chœur:] Eh ben. [Robert:] Je t'en remercie pour elle, et pour nous trois aussi. [Le chœur:] Ben quoi ?... ben quoi ?... ben quoi ? [L’enfant:] Pourquoi elle met ça ? [Julie:] L'essentiel ne s'explique pas forcément ! [Le vieillard:] La couleur de vos ongles de pied, n'est-ce pas plutôt futile ? [Robert:] Oh. [Julie:] Non ! Ben sûr que non ! [Le vieillard:] Qu'est-ce qui est futile alors ? [Julie:] Le monde, l'univers, Dieu... et cetera... Le chœur, ahuri : Eh ben... L'Egofille, à Julie : Tu es l'origine du monde, et même de Dieu, belle-maman ? Quand mes ongles de pied ne sont pas parfaits, je me sens toute nue. [Robert:] Ça va en faire des femmes arrêtées pour atteinte aux bonnes mœurs sur la voie publique ! [Le Fig:] Le monde plonge dans la pire récession depuis 1929", "Un coup de pouce pour les PME du made in France", "La Poste s'est engagée à distribuer les journaux cinq jours par semaine", "Le Président bat le record historique d'audience à la télé"... L'Egofille : De toute façon, selon Anti et Dio, rien de ce qui est important n'est important. [Julie:] Je ne sais même pas quel jour on est... on naît, de "naître", ah ah... Moi, je suis née un vendredi, mais je ne suis pas poisson. [Le vieillard:] Scorpion peut-être ? [Julie:] Oh ! Je suis lionne ! [Le Mond’:] Le 11 mai prochain sera le début d'une nouvelle étape", "Tests et isolement des malades sont inévitables", "Les Roumains reprennent le chemin des champs allemands", "Au régime sec les vignerons veulent des mesures d'urgence", [Julie:] Eh ben, t'as qu'à l'refaire. Ça t'occupera. [Robert:] Avec ma bénédiction paternelle. Mais ne touche pas aux avions. [Julie:] Et soigne tes ongles de pied. [L’enfant:] C'est bizarre comme conversation. [Le vieillard:] Si un enfant doit naître ici, il est normal de s'interroger sur la planète qu'on va lui prêter. [Julie:] Il n'st pas encore conçu et il te ressemble déjà.
[Robert:] 10 h 10. [Julie:] Ah oui ? Je me dépêche. Regardez ces ongles de pied-là ! Hein, le peuple ? J'ai recréé l'harmonie nécessaire au bon tournoiement universel. Rouge foncé ! [Robert:] Oh ! Rouge foncé. [Julie:] Maintenant je vais m'habiller. [Le vieillard:] Mais vous êtes habillée... Robert, narquois, au vieillard : Voyons... quelle idée... Julie : Je suis en sport-maison, il faut que je sois en marche-familiale-grande-rue. [Robert:] Eh oui. [L’enfant:] Ben oui, comme les autres jours, quoi. [Julie:] Pour sortir avec mon Robert et les nôtres, je veux être bien. [Le chœur:] Bien... Bien... Bien... Julie : Allez, je vais enlever le haut. Ooh ! L'Egofille : Je vais ranger Antisthène, il est trop vieux pour sortir, et il est fatigué de m'instruire. [Robert:] Puisque vous gardez l'appart, vous n'oubliez pas ? Si on sonne pour la livraison, vous demandez de déposer le carton du meuble dans le couloir ? D'accord ? [Le vieillard:] Ne vous en faites pas. L'Egofils : J'en prévois des lavages de mains pour éviter toute contamination... Robert : Eh oui... Et tu vas m'aider à le monter... L'Egofils : Bien, bien. [Le chœur:] Bien... C'est bien... Bien... C'est bien. [L’enfant:] Moi aussi ? [Robert:] Tu ne seras pas de trop. [Le vieillard:] Ça te changera un peu des études de chant, n'est-ce pas ? [L’enfant:] Mais j'aime bien étudier aussi... Mais le disque il fait "Pof... Pof... Pof... [Le chœur:] Aah... L'Egofils : Moi aussi j'aime bien... Le chœur : Bien... C'est bien... Bien... Bien. Ooh... Robert : C'est un peu gênant, évidemment. Enfin, ne dramatise pas : des tas de gens, dont ton père, survivent sans Eschyle. [Le vieillard:] Sans Antisthène. [L’enfant:] Sans ongles de pied Rouge foncé. [Le chœur:] Tiens ? [Robert:] Aucun rapport. [L’enfant:] Grand-père dit qu'un savoir est un savoir... Le vieillard, narquois : Qu'importe ce qu'on sait ; l'important est de savoir.
[Le vieillard:] Quel suspense ! S'il ne donne pas la bonne réponse, ta promenade pourrait être considérablement retardée. [L’enfant:] Moi, je préférais le chemisier d'hier. Avec une biche géante comme image. [Robert:] Pas moi. Ah non. Celui-là... parfait... On le remarque de moins loin... Ma chérie, tu es adorable dans ce bouquet. Surtout, ne change rien. [L’enfant:] Madame Julie vous êtes aussi belle que les dames du feuilleton de grand-père à la télé. [Julie:] Voilà un compliment en boulet de canon. Tu veux m'anéantir, petit monstre ? [L’enfant:] Moi ? [Robert:] Il faut se méfier d'elle. [Julie:] Elle a de mauvaises mœurs. L'Egofils : Papa l'appelle une "obsédée sexuelle déviante", prenez note ! Elle prétend qu'elle sait tout sur tout l'monde, la garce. [Le vieillard:] La télé est une maladie, mon petit, elle nous rend malades, mais il est dur, voire impossible, de guérir de la télé. [L’enfant:] Eh ben... Le chœur, en écho : Eh ben... Robert : Et dans l'ombre les proxénètes de télé, bien décidés à rester inconnus de la foule des clients, se délectent de taux d'audience. Eh ben... Le chœur, en écho : Eh ben... Julie, à l'enfant : Alors, comment est le chemisier de Madame Julie ? Oh, mieux qu'à la télé ! Sans aucun rapport. Vous êtes magnifique, madame Julie ! [Le vieillard:] Il apprend vite. [Julie:] Allons, puisque le haut est parfait, je vais enlever le bas. [L’enfant:] Pourquoi vous n'allez pas l'aider, monsieur Robert ? [Robert:] Parce que, quand je l'aide, c'est beaucoup plus long.
[Le chœur:] Aah ! [L’enfant:] Madame Julie lambine aujourd'hui, je trouve. Hier, on est sorti à 10 h pile. [Le vieillard:] Chut. [Le chœur:] Ah oui ? [Robert:] Vide, ma vie ? De loin, c'est vrai, il n'y a rien qu'on y remarque. Regarde mieux et de plus près : de minuscules éclats brillants, des brillants, y apparaissent. Regarde mieux encore, de tout près : les éclats s'animent, ils ont des couleurs différentes, des formes différentes, ils ont toutes les couleurs, toutes les formes, tous les mouvements. Ma vie est pleine de vie, mes enfants. [L’enfant:] Eh ben... Le chœur, en écho : Eh ben... L'Egofils : Ah, bon... Le chœur, en écho : Ah, bon... L'Egofille : Tiens donc. [Le choeur:] Tiens donc... L'Ob, se dressant, fort : "Retrouvez ici les programmes de la semaine, notre sélection des séries à ne pas manquer et une enquête sur les nouvelles dictatures numériques. [Le vieillard:] Vous êtes un homme riche, Robert. [Robert:] Le vide est peut-être le bonheur... Avec Julie, je n'ai jamais besoin d'essayer de m'expliquer. On se comprend. C'est-à-dire qu'on n'a pas besoin de discours, ni de grandes discussions L'Ob, têtu : "Bienvenue dans l'ère du tout-sécuritaire. L'Egofils, à Robert : Franchement, tu ne t'englues pas un peu dans notre banal ? Quoi, banal ? L'habitude rend n'importe quoi banal, mon avion vole très bien dans le banal, le pire peut devenir banal, mais, en fait, pour qui sait voir, rien n'est banal. Le banal est une erreur de jugement. [Le chœur:] Ah bon ?... Eh ben... Eh ben... Le vieillard, amusé, à Robert : Vous êtes notre Ali Baba. Ben quoi ?... Ben quoi ?... Ben quoi ?... III, 21. Julie, réapparaissant, en pantalon rouge fluo, avec de grosses chaussures de marche blanches : Est-ce que ça va bien ensemble ?... J'ai un doute. [L’enfant:] Vous êtes magnifique, madame Julie. [Julie:] Flatteur. [L’enfant:] Alors j'ai encore droit à un biscuit ? [Robert:] Mais non, il n'y a pas de flatterie. Je suis d'accord avec lui. [Le chœur:] Ben quoi... Julie : Et déjà maquillée ! L'Egofils : Donc tout va bien... L'Egofille : Dis pas ça, tu vas nous porter la p... Julie, l'interrompant : Ah, pas de paroles de malheur chez moi, hein ? Nous sommes quatre, six même, pensez au septième ! Oooh. [Le vieillard:] On ne peut pas éviter le malheur. Il est fondamental. L'Egofille : Fondamental ? L'Egofils, ennuyé et pressé : Passons... Robert : Pas de blanc sans noir, de lumière sans nuit, c'est ça ? [Le chœur:] Ben quoi ?... Ben quoi ? [Le vieillard:] Ainsi les âmes mortes me... Julie : Ah non. [Robert:] Une idée fixe est souvent essentielle dans la vie de la personne dont elle est l'enfant. [Julie:] Ah oui ? [Robert:] Si on la lui enlève, qu'est-ce qui lui reste ? [Julie:] Alors gardez-la bien. [Le chœur:] Bien... Bien... C'est bien, bien, bien. [Le Poui:] Evasion : repartir en France. Montres grand genre. Gastronomie : ces fruits et légumes qui donnent du jus. Vins : la colline heureuse. Quand la voiture électrique deviendra abordable. [Robert:] Tout le monde a son "Attestation de déplacement dérogatoire" ? Bien. [Le chœur:] Bien. [Robert:] Alors, à vos masques ! Prêts ? [Julie:] Ben quoi. Elle met le masque.
[La belle blonde:] Oh, voilà, elle commence de s'éveiller. [La dame:] C'est trop tôt. [La belle blonde:] Tôt ou tard, la tuile doit tomber, elle s'ra p't-être une toute petite tuile, alors... La dame : S'il m'avait laissé du temps... La belle brune, dans un souffle douloureux : Oh... La belle blonde : Il a dit qu'il ne voulait plus la voir en zombie, comme hier soir et cette nuit. [La dame:] Elle a pourtant bien donné toute satisfaction ? [La belle brune:] Oh... que ma tête... est lourde... La belle blonde : Moi, je suis Maryline, ton amie, enfin Nicole comme toi, bien sûr. Mes bras... tout mon corps... est lourd... lourd... La dame : Et moi, Madame. Vous m'appellerez Madame, simplement. Madame ?... Et moi, je suis... oh. [Maryline:] Nicole, comme les autres. [La belle brune:] Oui, Nicole. [Maryline:] Elle n'aurait pas un autre prénom, comme moi, un d'avant ? [Madame:] Oui, Nicole, justement. [Maryline:] Quel hasard ! [Madame:] Je crains que non. Enfin, on verra. [Nicole:] Où je suis ? [Madame:] Doucement. Rien ne presse. [Maryline:] Tu vas découvrir un très beau village. Et on est traitées comme des reines ! [Nicole:] Est-ce cela la mort ? [Madame:] Pour toi, oui. [Maryline:] Comment, pour elle ? Elle n'est pas morte du tout. Crois-moi, je t'ai vue et coaimée cette nuit, droguée d'accord, mais pas morte, oh que non... Madame, sèchement : Tais-toi donc ! Ah bon ? J'voulais juste l'aider. [Madame:] Vous avez besoin de vous reposer, Nicole ; de beaucoup de repos. Les explications viendront après. [Nicole:] Je veux savoir ! [Maryline:] Ben oui... Madame, sèchement : Non. [Nicole:] ... Pas une clinique... pas chez moi... je ne sais pas... Et puis dans ma tête, ces rires, ces... ordres ?... mon Dieu, mais qu'est-ce qu'on m'a fait faire ? ! [Madame:] Du calme. Il s'agit d'une simple hallucination. On a dû vous donner quelques médicaments.... [Maryline:] Carabinés. [Nicole:] Je suis malade ? [Madame:] Eh bien... plus ou moins. [Maryline:] Enfin, cette nuit tu t'es éclatée... Et puis tu as éclaté tout l'monde. [Madame:] Il fait très beau aujourd'hui. Le temps est superbe. Tu entends les cigales, Nicole ? [Nicole:] Mon bureau a appelé ? Ils ont dû s'inquiéter... Madame : Tout est arrangé, réglé. [Maryline:] Ton bureau c'est ici, maintenant. D'ailleurs y en a un vrai par là. [Nicole:] Je vais pouvoir y retravailler... Maryline, gaillarde : Si ton maître te couche dessus. Quoi ? [Madame:] Excuse-la. Ses propos sont souvent... tu t'habitueras vite. [Maryline:] Tout va bien ! [Madame:] Ou pas loin. Et ça dépend pour qui. [Maryline:] Mais j'essaie de la réconforter ! A ma façon. [Madame:] Oui oui. Continue... J'étais sûre que ce réveil était trop tôt ; sans les médicaments d'aide psychologique. Mais il a déclaré, je ne sais pourquoi : "Non, c'est maintenant ou jamais. [Maryline:] Ououh, c'qu'elle m'agace. Mais fais gaffe avec elle, elle dirige tout au village. [Nicole:] C'est la maire ? [Maryline:] Hein ? Oh. T'as rien compris, toi. Pourtant j't'ai aiguillée au maximum. Tu sais, y vaut mieux comprendre rapido. Même à moi elle m'a déjà fait donner le fouet. [Nicole:] Le fouet ? Et personne ne t'a défendue ? [Maryline:] I z'iont plutôt pris un sacré plaisir. Moi, mainnant, j'me tiens à carreaux. J'dis pus rin de c'que j'pense. Et vaut mieux se tenir les coudes entre Nicole, tu comprends ? [Nicole:] Entre Nicole ? [Maryline:] Ici, on est toutes appelées Nicole. Et ton maître tu l'appelles "Chéri". [Nicole:] Je veux sortir ! [Maryline:] Dans le village c'est sans problème, il ya des c'méras partout. Mais en- dehors, renonces-y. Ou tu s'ras battue. [Nicole:] J'irai où je veux ! [Maryline:] Ce sont eux qui veulent. Toi, tu t'couches. Remarque, ici on est vraiment bien. Ils sont pas là très souvent, tu sais ; restent Madame, Paul, les femmes de service et les gardes ; on est entre nous, peinardes. Et dans un luxe ! J'ai jamais connu ça avant. Et pourtant, comme on dit, j'ai voyagé.... Même j'ai été une Brigitte un temps, mais j'aimais pas, c'est pas mon genre, moi j'suis plutôt traditionnelle... Nicole : Une Brigitte ? Comme dans ce village... mais pour des femmes. Des très riches. Mais c'était pas un village, c'était dans un groupe de villas au bord de la grande bleue. [Nicole:] Des" Brigitte ? [Maryline:] Une fois, pour rire, ma maîtresse d'l'époque m'a emmenée à une vingtaine de kilomètres chez les Hubert. Mais là j'ai été juste spectatrice, tu comprends ? [Nicole:] Non. [Maryline:] Les Hubert, c'est comme les Brigitte, quoi ! Et pas pour femmes ! Oh... Pendant la nuit d'hier j'aurais j'mais cru que t'étais bouchée, tu compr'nais tous les ordres, t'obéissais au quart de tour... une vraie professionnelle, ah oui, une vraie, tout comme moi. [Nicole:] Une professionnelle de quoi ? [Maryline:] Ma parole, tu es complètement idiote ! [Nicole:] Ah, une infirmière !... une vraie ? [L’infirmière:] Oui... oui oui. [Maryline:] Ma chère Nicole, Nicole sans tes drogues est carrément anormale. [L’infirmière:] Ma chère Nicole, beaucoup de femmes ont besoin d'aides psychotropiques pour être normales. [Nicole:] Quoi ?... Qu'est-ce que vous dites ? [L’infirmière:] Comment se sent-on, Nicole, ce matin ? [Nicole:] La tête si lourde... Et... courbaturée... [Maryline:] La fiesta ! [L’infirmière:] Eh oui. Tu ne te souviens pas de moi, malgré tout ce qu'on a fait ensemble ? Pas du tout ? [Nicole:] On a fait quoi ? [Maryline:] Ce qui prouve, ma chère Nicole, si besoin fut, que vous êtes une excellente infirmière... Et pas seulement ! [Nicole:] Je ne suis pas malade, qu'est-ce que vous m'avez donné ? Et pourquoi ? [L’infirmière:] Cocktail maison pour nouvelles arrivantes, mais surdosé étant donné votre résistance, Nicole ; mêler de puissants excitants à des produits qui annihilent la volonté et d'autres qui rendent muette la mémoire, n'est pas aisé. [Maryline:] Il en faut d'la science. [Nicole:] Qui êtes-vous ? [L’infirmière:] Une Nicole comme toi, ma belle. [Maryline:] En fait elle s'appelle Annette, elle est une vrai infirmière d'hôpital, mais on a multiplié les conneries, n'est-ce pas, ma vieille ? [L’infirmière:] Hors service, je précise. [Maryline:] Au jeu, dis à Nicole, à quelle dette t'étais arrivée ? [L’infirmière:] 130 000 euros. [Maryline:] 130 000 ! C'est-y pas d'la dette, ça ! Bref, elle était foutue. Et ce n'est pas sur le trottoir qu'elle pouvait les trouver... arranger ça... et l'reste. [Nicole:] Le trottoir ? [Annette:] Oh, pas longtemps. [Maryline:] Elle a eu la chance de sa vie. Un riche banquier d'ici, très malade, a toujours besoin d'une infirmière, et d'une Nicole bien sûr ; Madame, qui est toujours au courant des bonnes occasions, est venue l'étudier et les a mis en relation. [Annette:] ... Il a tout payé... tout arrangé. En échange je lui appartiens, mais à sa mort, qui est proche, j'aurai une nouvelle chance dans la vie. [Nicole:] Quelle avalanche de chances !... Un peu de prison n'aurait pas été préférable ? [Annette:] Tu n'es jamais allée en prison, toi. [Maryline:] Quelle horreur. C'est plein d'Brigitte. [Nicole:] Quoi, les juges auraient été compréhensifs pour une fille qui a perdu les pédales. [Maryline:] Le problème ce sont ceux qui les ont trouvées. Et qui ont pédalé. [Annette:] Les juges sont des clients comme les autres. [Nicole:] A la mort de ton "chéri" d'ici, tu referas les mêmes conneries. [Annette:] Si on essaie de me remettre en taule, je m'ouvre les veines. [Maryline:] On va lui faire visiter sa maison, ça la distraira. [L’infirmière:] Oui, viens Nicole, appuie-toi sur moi si tu en as besoin. [Maryline:] Sur nous. On va t'changer les idées. [L’infirmière:] Faudrait surtout que ça l'empêche d'en avoir. [Nicole:] Comment ?... Quoi ? [Madame:] Bien sûr il ne peut guère y avoir d'activité de ce côté, ce matin, mais je préfère que tu sois dans ta loge. [L’homme:] il a fallu veiller si tard, hier, ou plutôt si tôt aujourd'hui... Madame, qui, en passant devant la maison de Nicole, jette un coup d'œil vers l'entrée et tend l'oreille : Ne commence pas à te plaindre, Paul. [Paul:] Oh ! Comme si j'avais l'habitude de rechigner au travail ! Mais là, si je m'assieds dans le fauteuil, je me rendors. [Madame:] Oui, eh bien tâche de te réveiller si on a besoin de toi. Bon, la femme de service a laissé tes bouteilles vides, j'en étais sûre. Je les emporte. [Paul:] Je me demande comment tu fais, toi, pour être toujours sans fatigue, trottant ici, là, t'occupant de tout... Madame : Il n'y a pas de secret : il faut apprendre à aimer son travail. Et puis je pense à mes filles, ça me soutient. Alors, bonne journée. Qu'est-ce que tu as au programme, maintenant ? [Madame:] Maintenant ? Porter des draps neufs au 15, le nouvel aspirateur au 11 tu sais que l'ambassadeur adore le passer lui-même -, et puis récupérer les bouteilles en verre oubliées, pour le conteneur, et puis... Ah, jette de temps en temps un œil sur la maison de la nouvelle. [Paul:] Mais oui, sois tranquille. [Maryline:] Pute, pute, c'est vite dit. [L’infirmière:] Au prix qu'il m'a achetée, mon chéri m'a plutôt sortie du nombre. [Maryline:] Moi, je dis : "poules de luxe", voilà, c'est beaucoup mieux. [L’infirmière:] Et tellement différent. [Maryline:] Non mais, tu as vu ces meubles, ces tableaux, et attends les bijoux... Le magnat du 18 il fait parfois travailler sa Nicole uniquement habillée de ses diams, de ses rubis, de... L'infirmière, qui se marre : Plutôt déshabillée en bijoux. [Nicole:] Mais qu'est-ce que vous êtes dans vos têtes ? Je ne vous comprends pas. [L’infirmière:] Excellente infirmière diplômée. [Maryline:] Tu vois. [L’infirmière:] Mon premier poker, comme je n'avais plus le sou, a dégénéré en strip-poker... Maryline : Oh ben, c'est rien, ça. ... Les suivants en pute-poker... Ce qui ne m'a pas rendu la raison. [Maryline:] Et tu vois, elle a finalement de la veine de se retrouver ici. [L’infirmière:] Si le diable a voulu créer un paradis des putes, nul doute : on y est. [Maryline:] Et moi, j'suis partie de rien et au lieu de ne pas arriver à grand chose, je suis une des reines du paradis du Mont-Tropez. Mais vous, chère Nicole, qu'est-ce que tu as donc fait pour mériter d'être parmi nous ? [L’infirmière:] Aah, pute au mérite ; l'ascension ! [Nicole:] Moi je suis DRH, directrice des ressources humaines à NIDAC, l'une des plus grandes entreprises, je m'occupe de milliers d'individus, vous comprenez, des milliers ; j'ai des diplômes de deux des plus hautes écoles de commerce ; à trente ans j'ai devant moi une carrière qui me mènera au sommet ! [Maryline:] Eh ben, y a une erreur de sommet. [L’infirmière:] Tu t'es gourée d'aiguillage à un moment quelconque ; quand ? [Nicole:] Mais jamais ! [Maryline:] Ton mari ou ton compagnon t'a p't-être vendue ? Moi ça m'est arrivé. [Nicole:] Tout t'est arrivé à toi, décidément ! [Maryline:] ...j'suis un peu plus jeune que toi, noble dame, mais j'ai un peu plus vécu. [L’infirmière:] Si on peut appeler ça vivre. [Madame:] C'est trop tôt, je vous assure. [L’homme:] Tant pis. Pour moi il faut que ce soit maintenant ; je suis obligé de repartir pour Zurich après-demain. [Madame:] Nicole, voici le propriétaire de la maison. Et un peu le seigneur du village. Tâche d'être raisonnable. Monsieur va t'expliquer... écoute bien... et, dans ton intérêt, sois réceptive. Ne te bloque pas. [L’homme:] Bonjour, Nicole. [Nicole:] Qui êtes-vous ? [L’homme:] Je suis "Chéri". [Nicole:] Vous croyez pouvoir me tenir prisonnière longtemps ? [L’homme:] Oui. Définitivement. [Nicole:] On me recherche, soyez-en sûr, j'ai des amis... L'homme : En ce moment, ils accompagnent ton cercueil. Au cimetière. Au cimetière ? [L’homme:] Ils ne sauront jamais que ta dernière demeure est ici... Tu es morte, Nicole. [Nicole:] Vous me racontez des... des bobards ! Vous croyez que je vais tomber dans ce panneau ! [L’homme:] Tu ne conduis pas, tu as le permis de conduire mais il ne te servait à rien. Quelle idée t'a prise brusquement d'acheter une voiture et de foncer à toute vitesse, à tombeau ouvert sur une route qui ne s'y prêtait pas ? [Nicole:] Je n'ai pas acheté de voiture. [L’homme:] La police a trouvé les papiers, ton virement, toutes les preuves... L'accident était inévitable. Surtout que tu avais trop bu de champagne : on a retrouvé les débris de la bouteille. [Nicole:] Je ne bois pas d'alcool. Tous mes amis le savent. [L’homme:] Ils ont été étonnés. Mais, bast, chacun ses petits délires, hein ? Tu vois, de ma poche dépasse un journal. Le journal local. Tu veux voir la une, Nicole ?... Regarde ! [Nicole:] Accident mortel sur la N 8. Nicole Montalembert décédée"... Oh... L'homme, froid : Maintenant, tu m'appartiens. Jamais. [L’homme:] Alors je te tuerai pour de bon. [Paul:] Oui, je crois que c'est le bon moment. [Nicole:] Quoi ? Qu'est-ce que c'est ?... L'homme, très légèrement agacé, criant : Paul ! Non ! Stop ! [Paul:] Je crois qu'il a dit "stop" Je vais changer de musique. [L’homme:] Stop pour tout ! Pas de musique. [Paul:] Ah bon... J'ai bien peur d'avoir gaffé... Ah, zut. [L’homme:] Et maintenant, tu entends les cigales ? [Paul:] Mais je me sens si fatigué... L'homme : Elles chantent l'union harmonieuse et champêtre de "Chéri" et de sa nouvelle Nicole. [Nicole:] Salopard, tu en as tué combien avant moi ? [L’homme:] J'ai toujours acheté des femmes compréhensives. Et Madame Thénardier sait les rendre douces et dociles. [Nicole:] Ordure. [L’homme:] Elle te dressera, comme les autres. [Nicole:] Vous êtes un fou. Vous délirez. [L’homme:] Avec les gardes du village qu'elle a fait sortir de l'asile entre parenthèses ça m'a coûté une vraie fortune pour libérer des sadiques pareil -, tu ne tiendras pas, tu plieras, comme les autres. [Nicole:] Jamais, jamais. Espèce de monstre. [L’homme:] Salopard, ordure, fou, monstre, bon. Soit. Et alors ? [Nicole:] Quoi "et alors" ? [L’homme:] Tu es là. Je vais me faire un café. Veux-tu un café, Nicole ? Il la regarde, sourit. Non... pas encore... Et, tu vois, j'y mets les formes, je ne t'ai pas ordonné de me le préparer. Le problème est celui-ci : vas-tu être normale. Normale d'ici, cela s'entend. Une Nicole comme les autres, quoi. Une brave Nicole qui sert son maître et fait son service de pute sans rechigner. Et même avec enthousiasme.
[Le bourgeois campagnard:] Alors, Ned ? On n'a pas entendu de cris. Pas de vaisselle cassée ? [Ned:] Elle s'y f'ra. [Le malade:] Elle a dit quoi, en fait ? [Ned:] Ordure, salopard, fou, monstre. Rien que des vérités. [Le bourgeois campagnard:] Comme quoi elle a pris conscience de la situation. [Le malade:] Moi j'ai bien conscience d'être malade, je n'en accepte pas la maladie pour autant. [Ned:] Oui, n'est-ce pas ? Toi, l'industriel, tu dois connaître les Directrices des ressources humaines ; quel mauvais coup elle peut fomenter ? [L’industriel:] Te licencier. [Le jeune homme:] Alors ? Nina me presse pour savoir... Ned : Tiens, notre jeune informaticien ! L'informatique peut-elle nous aider à contrôler l'alpha et l'oméga de nos femelles ? [Le jeune informaticien:] Vous avez un langage très cru, Ned. [Ned:] Direct, tout au plus. Droit au but, héhé. L'habitude des affaires. Les femmes sont une grande affaire. [L’industriel:] ...qui, à nous en tout cas, ne rapporte rien. [Le malade:] Je ne me plains pas de mon dernier placement. [L’industriel:] Moi non plus, Maryline est exemplaire. [Ned:] Et vous, le nouveau de la confrérie ? [Le jeune informaticien:] Nina... Nicole, je veux dire, voyez-vous, elle a tellement besoin de moi... Le malade : Qu'est-ce qu'elle a ? Elle est perdue sans moi. [L’industriel:] Madame Thénardier dit qu'elle correspond à votre demande. [Le jeune informaticien:] Alors elle en a su plus que moi sur moi. [Ned:] Bref, t'es content. [Le jeune informaticien:] Pouvoir, outre... l'amour, aider Nina, être utile à quelqu'un, que souhaiter de plus ? Mais le problème pour le moment c'est plutôt ta Nicole, non ? Qu'est-ce qu'elle dit ? Qu'est-ce qu'elle fait ? [Ned:] Elle fomente. [Le jeune informaticien:] Elle fomente quoi ? [Ned:] Eh... Le jeune informaticien : Serpent, tigresse, tempête ? Laisser réfléchir peut s'avérer dangereux. Je n'aime pas les limaces. [Madame:] Je viens aux nouvelles... Je ramasse les bouteilles oubliées par ces insupportables femmes de ménage mais je n'ai pas pu m'empêcher de repasser. [Ned:] Elle rumine. [Madame:] Ah... Une calculatrice... L'industriel, s'amusant : Qu'est-ce qu'on peut calculer contre un mur trop haut, trop large, et indestructible ? Elle est intelligente. Je me méfie de l'intelligence... Ned, riant : Elle est la poudre, manquent la mèche et de quoi l'allumer... Madame, durement : Tant qu'elle n'est pas brisée, il y a danger. [Ned:] Non. Vous la laissez. [Madame:] Bon. Eh bien je retourne m'occuper de mes affaires en verre. [Ned:] Il paraît que tu as une nouvelle voiture fantastique ? [Le malade:] Je l'ai aperçue, elle a une drôle de forme. [Le jeune informaticien:] Entièrement façonnée par imprimante 3 D, d'après un de mes programmes évidemment. [L’industriel:] Tu veux me mettre sur la paille avec ta concurrence de dingue. [Le jeune informaticien:] Moi, elle m'en a sorti. [Le malade:] Eh oui, milliardaire à ton âge... Moi, il m'a fallu presque trente ans et j'y ai laissé ma santé. [Ned:] Qu'est-ce qu'elle peut bien avoir de plus que la mienne, cette voiture ? [Madame:] Et si je demandais à Maryline de retourner la voir ? [Ned:] Mais oui, pourquoi pas ? Bonne idée. N'est-ce pas ? [L’industriel:] Si vous voulez. [Ned:] Ma voiture, elle vient m'attendre à l'aéroport, elle me souhaite la bienvenue, et pas besoin de chauffeur, je lui dis : "On va à Z", même pas à Mont-Tropez, comme un code entre nous, et je me repose, je m'endors ; je me réveille : je suis ici. [Le malade:] La mienne fait ça aussi. Pour un malade, c'est génial. Elle m'a rendu ma mobilité. Je vais où je veux sans rien demander à personne. [L’industriel:] Alors, qu'est-ce qu'elle a de plus ? [Le jeune informaticien:] Elle ne se contente pas de rouler, elle réalise d'autres rêves : elle est aussi poisson et elle est aussi oiseau. [Ned:] On peut voir ? [Le jeune informaticien:] Bien sûr. [Le malade:] Ben, allons-y. Avant d'crever j'aimerais assez être oiseau. [L’industriel:] Pas poisson ? [Ned:] Notre banquier a déjà beaucoup nagé en eau trouble. [Le malade:] De l'air ! De l'air ! [Maryline:] Moi j'veux bien lui arracher les vers du nez en douceur... Madame : Cause avec elle, sans plus. Mais elle est bizarre, cette fille. Elle a des réactions pas normales. [Madame:] Oui, voilà, normalise-la par ton exemple. [Maryline:] Bon... Une mission de confiance est une mission de confiance. Plonge, Maryline. les yeux fixes. Alors, ça va ? Ça s'est bien passé ? Pas de réponse, même pas un regard. [Haussant la voix:] Je vois, on veut conserver ses secrets de couple, mais je ne me formalise pas si facilement, je comprends, oui. Moi, quand j'ai débuté comme propriété, je me créais dans ma tête des tas de doutes sur mon être propre : est-ce que je pourrais mettre de l'argent de côté, quelle était la retraite, s'il y avait des autorisations de sortie, est-ce que les drogues et l'alcool étaient obligatoires... De gros soucis bien inutiles. Finalement, crois-en mon expérience, ça sert à rien de cogiter : les choses sont ce qu'elles sont ; et toi t'es rien. Tu accomplis ta fonction naturelle : tu baises, et tu ramasses la mise. Alléluia, Dieu se débrouillera ; il est le seul responsable. S'il s'était pas shooté à mort avant de créer l'monde, on n'en s'rait pas là. Mais je parle, je parle, et toi, qu'est-ce que t'as à dire ? Ah, t'es pas une fille hyper agréable. Enfin... on ne choisit pas ses amies. Pour te prouver que j'te veux du bien, je vais te confier mes dix commandements : comment se comporter dans ce bas monde de brutes de Dieu. Un : Ne prends jamais d'initiative. t'es gaulée pour ça. Trois : Sois toujours de l'avis des autres. Si tu dois en changer quand tu changes d'autre, qu'é ça fait ? Tous les avis s'valent. Puisqu'un autre vaut un autre, chacun est l'égal de chacun. Quatre : Suis les conseils de beauté à la mode, ne te néglige surtout pas : les maîtres ne te le pardonnent pas. Voilà mes dix commandements. Avec eux tu te tires de toutes les situations, même bizarroïdes. On finit toujours par se débrouiller. Est-ce que tu crois en Dieu ? Je suis assez religieuse, moi. Et puis, quand on est toute seule, comme ça on a quelqu'un à qui parler. Bon, il est un peu comme toi, il répond pas énormément. Ouais, eh bien, j'vais chercher l'infirmière. P't-être qu'elle te donnera quéquchose qui te décoince. [Madame:] Tu as entendu quel... Ah, tu dors ! [Paul:] Mais pas du tout. Je somnole tout au plus. [Madame:] Rien de nouveau chez Monsieur Ned ? [Paul:] Rien, je t'assure. [Madame:] Tu as écouté ? [Paul:] Un peu. [Madame:] Qui est entré chez elle ? [Paul:] Mais... personne. [Madame:] Ouais... Je ne suis pas sûre que ça s'arrangera.... Lui, d'habitude, je le comprends parfaitement, mais cette fois... Pas moyen de faire entendre raison à Monsieur Ned, pas moyen. Si, au moins, je savais pourquoi... Paul : Tu te fais trop de soucis, je te l'ai déjà dit. Qu'est-ce qu'on risque avec des hommes aussi riches ? Je sens les choses... Et si ça tournait mal ? T'as envie de retrouver notre vie d'avant, toi ? [Paul:] Ah non, ça... Quelle galère... Madame : On est bien ici, non ? C'est la meilleure période de toute mon existence. [Madame:] Alors il faut faire ce qu'il faut pour garder ce qu'on a. [Paul:] Je vais faire des efforts. [Madame:] Tu promets toujours, et après... Paul : Mais cette fois... je comprends qu'il y a une difficulté... je vais être vigilant. ... J'ai eu des nouvelles de mes filles... elles ont bien réussi leurs partiels... Paul : Et ça ne doit pas être facile. Harvard n'est pas à la portée de toutes les têtes. Ni de toutes les bourses. Sans Monsieur Ned elles crèveraient à petit feu dans une banlieue quelconque. [Paul:] Ce serait du gâchis. [Madame:] Leur père s'il vivait encore serait fier d'elles. [Paul:] Il n'était... pas un tendre, le père Thénardier. [Madame:] Et alors ? [Paul:] Tu as tendance à l'idéaliser. [Madame:] Ah, arrête... Et puis, ce qui importe, c'est qu'elles soient heureuses, qu'elles aient une belle vie, qu'elles aient tout ce qu'on n'a pas eu... Paul : Oui, là, d'accord. J'y pense tout le temps. Ça me soutient. Ça me réconforte de tout. [Paul:] Mais tu as dû renoncer à les voir depuis tellement d'années, elles ne te reconnaîtraient pas, elles ne portent même pas ton nom... Madame : Les gens comme nous doivent faire plus de sacrifices que les autres pour que leurs enfants soient heureux. Elles sont ma vraie vie. Ici je ne suis qu'une ombre... Allez, assez fainéanté, au boulot. Sois attentif, s'il te plaît, hein ? Oui, oui. Sois tranquille. [Maryline:] Je suis allée chercher des renforts parce que je n'arrive à rien ave elle. Une vraie bûche. [Madame:] A ce point-là ? [Maryline:] On la croirait sourde, aveugle et muette. Et comme Annette m'a dit qu'elle n'avait pas le droit d'lui donner des trucs qui réveillent, qui s'couent, j'ai pensé en plus à Nina, une toute nouvelle recrue bien intégrée, pour l'exemple, hein ? [Madame:] Ouais... Enfin, on ne sait jamais... Allez-y. [Maryline:] Ohé ohé ohé... J'ai amené des copines. Regarde ! [L’infirmière:] A condition que tu sois à la hauteur de cette nuit. [Maryline:] Parle-lui, toi. Moi j'ai envie de lui foutre des baffes. [Paul:] Eh ben. Mais ça ne s'arrange pas... Nina, voix de cristal toujours prête à se briser : Vous... tu veux bien qu'on te parle ?... Mais qu'est-ce que je lui dis ?... On dirait qu'elle n'est pas là... Comme moi quand j'ai une crise... Tu as des problèmes dans ta tête, toi aussi ?... Moi, quand on m'a mise aux enchères la dernière fois, un type a crié : Trop cher pour la dingue, et au lieu de monter, le prix a commencé de baisser... Tu vaux combien, toi ?... Heureusement Madame a eu pitié, elle m'a achetée. Sinon, ils m'auraient peut-être abattue. [Maryline:] Mais non, mise au trottoir, tout en bas, c'est tout. [Nina:] Madame a dit "abattue". Comme un animal qui ne sert plus. [Maryline:] Elle divague. Passe à l'étape suivante. [Nina:] A Mont-Tropez, je suis très heureuse. Didier, mon propriétaire, est bon pour moi. Il a promis de ne pas m'abandonner. [Maryline:] Ah, tu vois ! [L’infirmière:] Quelle belle histoire d'amour. [Paul:] Ah non, ça n'a pas l'air de s'arranger du tout. [Maryline:] Une bûche, cette Nicole-là. Qu'est-ce qu'on fait ? On lui flanque des baffes ? Une bonne raclée ça lui apprendra à vivre. [L’infirmière:] Oh non, c'est le privilège de Ned. S'il veut l'assouplir, il n'a pas besoin d'aide... Et même, ça le fâcherait sûrement. [Paul:] Ah oui, faites pas ça... Si je leur mettais une musique ? Oh, mais pas ça ! Stop. [Nina:] Vaèra ! Vaèra ! Qu'est-ce qui rampe dans la nuit ? [Maryline:] Oh non... Nina : Plus ça ! Je vous en prie ! Pas l'ombre ! Pas les ombres ! Sa crise, en plus. [L’infirmière:] Le temps passe, la crise trépasse. [Paul:] C'est malin. Fais plutôt quelque chose. [Nina:] J'étouffe, j'étouffe... Pas les ombres... pardon. [Maryline:] Tu ne pourrais pas faire quéqu'chose ? [L’infirmière:] Il n'y en plus pour longtemps, ça ne lui serait guère utile. [Maryline:] Mais à moi, si. Elle me déprime, cette cinglée. [Nina:] Tuez-moi ! Je vous en prie, tuez-moi plutôt. Pas les ombres ! Pas encore les ombres ! [L’infirmière:] Bon, je vais chercher ce qu'il faut. [Paul:] Ah, tout de même. Au fait... Ce n'est vraiment pas une musique d'ambiance. [Nina:] Les trois barques s'avancent, la vague, la vague se gonfle, deux barques s'avancent, un capitaine chante : Ohé ohé ohé... Un capitaine chante : J'ai amené... Le roc de sable... Le sable est mouvant. Il se tord sur la terre. Les ombres sortent du sable... Maryline, criant : Oh, j'en ai marre ! J'vais t'cogner ! [Nicole:] Non ! Les ombres deviennent plus faibles, plus faibles... Nina, secouée : Non, elles arrivent sur moi... Nicole : Les ombres deviennent faibles, elles deviennent transparentes, transparentes. N'est-ce pas ? [Nina:] Un peu. [Nicole:] Transparentes. Malgré elles. Mais elles n'y peuvent rien. Elles sont immobiles, elles ne peuvent plus avancer. N'est-ce pas ? [Nina:] Elles ne peuvent plus. [Nicole:] Elles disparaissent ! [Nina:] Ah ! Elles sont parties. [Maryline:] Eh bien, bravo. Quand tu t'y mets... [L’infirmière:] Ah... Je vois que tout est arrangé... Il était bien inutile que je me dépêche. [Nicole:] Je veux lui parler, allez-vous-en. [Maryline:] Non mais, en voilà des manières ! [L’infirmière:] Les dévouements sont remerciés pour ce qu'ils valent. [Maryline:] Si c'est un thé entre folles, je n'ai rien à y faire, c'est sûr. [Nicole:] Nina, tu ne peux pas rester ici, tu le comprends : ils sont en train de te détruire. [Nina:] Mais je suis bien ici. Jamais je n'ai été aussi... Nicole, la coupant : Ne dis pas de sottises. Personne n'est bien en enfer. A l'extérieur, on te soignera... Nina, reculant : L'asile, c'est ça ? Tu n'y es jamais allée, toi, hein ? Non, évidemment. Le coin où le reste du monde se débarrasse des gens comme moi... Nicole : Mais ce coin-là, où l'on est prisonnières, il est pire ! Pas pour moi. [Paul:] Eh oui. L'enfer, paradis pour les détraqués. Ah j'en vois de drôles, enfin j'en entends surtout. [Nina:] Didier m'aime. [Nicole:] Oui. Oui oui. Le dénommé Ned m'aime aussi. Sûr. [Nina:] Dans mes crises, je n'ai jamais de piqûres quand il est là. Il m'aide. [Nicole:] Quand il est là. [Nina:] Il a promis : il ne m'abandonnera jamais. [Nicole:] Soit. Peut-être après tout. C'est à toi de voir. [Nina:] Oui, ce n'est pas du tout pareil, bien sûr. [Nicole:] Il faut que je m'enfuie. [Nina:] On ne peut pas. [Nicole:] Tu peux me donner des renseignements au moins ? [Nina:] ... Oui. [Nicole:] Il y a combien de maisons occupées comme les nôtres dans ce village ? [Nina:] Les trente-deux maisons sont toutes occupées, quatre des filles y habitent depuis sa création, il y a quinze ans, sept depuis onze-douze, huit sont arrivées en... Nicole : Ça m'est égal. Dis-moi... Nina : Quand Didier doit partir travailler, j'adore me promener dans ce vieux village. Même la petite église, pour l'extérieur du moins car elle est toujours fermée, est parfaitement restaurée, une pure merveille. Et je connais toutes les filles. On boit le thé. On joue aux cartes ou aux dominos... Nicole : Oui, c'est idyllique. Il y a donc de longs moments entre filles. Forcément. Comme le souligne mon Didier, l'entretien de notre retraite cachée coûte très cher. [Nicole:] Et sa garde encore plus. [Nina:] Oh, c'est possible. Les caméras partout, les grillages électrifiés, les deux gardes à l'extérieur avec leurs fusils et leurs chiens... Nicole, atterrée : Oui, on est aussi bien protégées que des prisonniers criminels placés en haute sécurité... Où est le centre des caméras ? Là, en face. J'ai réussi à y entrer une fois. [Paul:] Ah bon ? [Nina:] Oh, et on entend tout c'qui s'passe dans les maisons. [Paul:] Oïe. [Nicole:] On y entend ce que nous disons en ce moment ? [Nina:] Sûrement. Si Paul ne dort pas. Madame se plaint qu'il s'endort souvent. [Nicole:] Qui est Paul ? [Nina:] C'est le compagnon de Madame. Il est déjà un peu vieux, le pauvre. Ça doit être si ennuyeux d'écouter à longueur de journée... Maintenant il faut que je rentre, Didier ne sait pas que suis chez toi, il va me chercher. A plus tard. [Paul:] Qu'est-ce qui... Ah... Monsieur Altkirch ! Bonjour. Qu'y a-t-il pour votre service ? [Monsieur Altkirch:] Vous entendez ? [Paul:] Ah oui. Le piano... Ah, ce qu'elle joue bien. [Monsieur Altkirch:] N'est-ce pas ? [Paul:] Quand les maîtres sont absents, elle joue beaucoup, presque à longueur de journée, et comme elle ne supporte pas les fenêtres fermées... Monsieur Altkirch : Elle dit qu'elle a la sensation d'étouffer. ... Il y a des Nicole qui s'énervent. Ça les horripile. Certaines même menacent carrément de lui faire la peau. [Monsieur Altkirch:] Oh. Ce manque d'altruisme entre elles ! [Paul:] Quand six ou sept sont venues frapper à ma fenêtre pour exiger que je la fasse stopper "ça", comme elles disent, j'y vais, naturellement, je ferme les fenêtres, je la gronde un peu, et elle m'invite à m'asseoir pour l'écouter jouer. Un enchantement. Ah, là je ne m'endors pas, je vous assure. [Monsieur Altkirch:] Mais vous êtes un homme rare, Paul. Les gens capables de l'apprécier... Paul : Il y a aussi, et même d'abord, Monsieur Altkirch. Un armateur que l'on pourrait croire si loin de ces délicatesses... Monsieur Altkirch, railleur envers lui-même : Un armateur amateur d'art et de jeunes filles, je flotte loin de mon idéal professionnel. [Paul:] Fluctuat nec mergitur. [Monsieur Altkirch:] Eh si, je crois que je commence à couler. J'ai consenti à la laisser ouvrir une fenêtre. Alors que le village est quasiment complet. On croirait qu'elle donne un concert. [Paul:] A demi autorisé. [Monsieur Altkirch:] Je me demande si Ned... Paul : Quelle durée, le concert ? Un quart d'heure. [Paul:] Ça va aller. Mais pas plus. [Voix de Nicole:] Mais quoi ! Qu'est-ce qu'il y a ? [Voix de L’infirmière:] On a toutes intérêt à s'entendre, non ? [L’infirmière:] La voilà. Vous allez pouvoir vous expliquer. [Nicole:] Qu'est-ce qu'elle a ? [Nina:] Tu l'as blessée. [Nicole:] Ah oui ? [L’infirmière:] Elle ne cherche qu'à t'aider et tu ne la traites pas bien. [Nina:] Sois gentille, Nicole, présente-lui des excuses. [Nicole:] Que je lui... ? Mais quelle bande d'idiotes ! [L’infirmière:] Pour nous, peu importe... Nina : Tu es comme ça, c'est tout. ...mais Maryline est très sensible, très. [Nicole:] Ah !... Elle s'habituera. J'en ai habitué d'autres ! [Maryline:] J'ai déjà entendu ça. Exactement. Quand j'étais une Brigitte. Maîtresse Jeysa adorait répéter cette phrase... Nicole, soudain perplexe : Jeysa, un diminutif pas courant... Maryline, lentement : Jeysa Ludast. [Nicole:] Vraiment ?... Je ne te crois... Maryline, lui coupant la parole : Ça ne s'invente pas. Qui l'eût cru ? Un modèle pour moi, un modèle de réussite... Allons, je n'ai pas voulu te blesser. Si c'est le cas, je te présente mes excuses, Maryline. [L’infirmière:] Eh bien voilà ! Tout s'arrange ! [Nina:] Je suis bien contente. [Maryline:] Plus de nuages entre nous. Et je vous invite toutes les trois à un thé après- demain, car nos maîtres vont repartir ensemble à ce que j'ai appris. [L’infirmière:] Mon malade aussi ? Dans son état, ça m'étonne. [Nina:] Et Didier ? [Maryline:] Ils se sont trouvé une affaire ensemble, paraît-il. Avec Ned ça ne se refuse pas. [Nicole:] Il n'y aura plus que Paul et les gardes pour nous surveiller ? [L’infirmière:] Oh, Paul, il ne gêne pas. [Nicole:] Où sont rangées les armes des gardes ? Ils ne les ont pas toutes sur eux en permanence... Maryline : Oh, la maligne ! Eh non, pas dans le village. Il faudrait déjà franchir les barrières électrifiées... Nicole, déçue, avec un regard vers L'infirmière : Il y a aussi les drogues... L'infirmière, nette : N'y pense plus, je tiens à ma peau. [Maryline:] Pourtant si, il existe un fusil avec des balles dans le village. [Nicole:] Vraiment ? Comment cela se fait-il ? [Maryline:] Il servait à un jeu particulièrement pervers d'un ami de Ned. Sa Nicole croit qu'elle a trouvé le moyen de sa liberté. Mais une seule balle, la première, est vraie. Les autres sont des balles à blanc. Un essai, une hésitation, un mauvais tir, un ! Et ses autres tirs font rire. Et il la punissait. Au nom du droit : pour tentative de meurtre. [Nicole:] ... Où est l'arme ? [L’infirmière:] Ah oui, oui, je me rappelle bien. Cet ami, Bertrand, s'est tué dans un simple excès de vitesse. [Maryline:] L'arme est toujours chez Cléo, sa dernière Nicole que Madame a réussi à recaser. [Nicole:] Et... elle la prêterait ? [Nina:] Tu veux jouer à ça ? [L’infirmière:] A la roulette russe pour toi. [Maryline:] Tu te crois forte, hein ?... Ma foi... on verra... Je peux toujours demander à Cléo. [Nina:] Il faudrait rentrer. Didier ne peut pas tarder à revenir. [L’infirmière:] Mais oui, allons-y. [Maryline:] A plus tard. [Nicole:] A bientôt. [Monsieur Altkirch:] ...d'ailleurs elle va avoir terminé. J'ai dit "un quart d'heure", elle fermera la fenêtre au bout d'un quart d'heure. [Ned:] Oui oui. Tu deviens de plus en plus faible en vieillissant. [Monsieur Altkirch:] Que veux-tu, elle est si gentille, il faut bien que je sois un peu gentil aussi. [Le jeune informaticien:] Oh, je comprends ça, moi. [Ned:] Tous les deux vous finirez par faire des soirées télé avec vos Nicole. [Le jeune informaticien:] Si c'est du foot, pourquoi pas ? [Monsieur Altkirch:] Ah. [Ned:] Fin du concert. [Le malade:] Voilà l'heure de ma seconde piqûre. Il faut que je vous quitte. [Ned:] Offre-lui donc un piano électronique à ta Nicole, avec un casque... pour qu'elle seule s'entende. [Monsieur Altkirch:] J'ai peur que pour elle, ce ne... Enfin elle a un très haut niveau, tu sais... Ned, narquois : Oui oui... Tu fais toujours la cuisine ici chez toi ? J'aime bien. Ça me distrait. Et ce n'est pas au "château" où règne ma femme que je peux, n'est-ce pas ? [Ned:] Sois heureux, tu auras en plus du pain frais. [Madame:] On cultive les bons rapports de voisinage ? Par là ça va aussi ? [Ned:] J'ai donné un bon conseil à notre ami, pour le piano de sa Nicole. [Madame:] Oh, je me suis expliquée clairement avec elle, l'autre jour, il n'y aura plus de problème. [Ned:] En ce cas, évidemment. Je vous crois sur parole. [Madame:] Vous rentrez ? [Monsieur Altkirch:] Mais... oui... maintenant que j'ai rencontré tous les amis... Madame : Je vais par là aussi, je vous accompagne. [Le jeune informaticien:] Je crains que Nina ne s'impatiente. Tu permets ? [Maryline:] Ah. [Ned:] Ooh. Quel beau carton ! S'agit-il d'un cadeau pour ton chéri, que tu prends tant de précautions ? [Maryline:] Oui... voilà... c'est ça... Ned : Comme il va être content. Sûrement... Oh oui, bien sûr. [Ned:] Ah, je veux le voir l'ouvrir. Je viens. [Maryline:] Vous... Mais c'est très personnel... Ned : D'accord. Je comprends. Une petit fête pour deux ; intime. Oui. [Ned:] Qu'est-ce que c'est ? [Maryline:] Quoi ? [Ned:] Le cadeau... Maryline : Ah... il doit être quelque chose... ben oui. Forcément. Alors ? [Maryline:] Un... tablier de jardin... Ned : Le carton est trop grand. ... Un... râteau... Un râteau... à manche court. [Ned:] Le carton ne convient pas du tout. [Maryline:] Si, si... je vous assure. Cette fois je me suis bien souvenue. [Ned:] Voyons ça. [Maryline:] Non... Bon... Oh, et puis tant pis... je voulais juste rendre service, tu vois ?... c'est pas ma faute, je peux pas m'empêcher d'aider tout le monde. C'est pour ta Nicole. [Ned:] Pour Nicole ? Et qu'est-ce que c'est ? [Maryline:] ... Le fusil de Bertrand. [Ned:] Le fusil de... ?... Ah... Ah, je me souviens, oui. [Maryline:] Je suis désolée. Je voulais juste... Ned : Avec les balles ? Oh, évidemment. A quoi il servirait sans les balles ? [Ned:] Eh oui. Quand tu rends service... Maryline, petite voix :...je fais du mieux possible. Bravo. Quelle amie ! Tu es un modèle de Nicole. [Maryline:] Je le rapporte le carton, je suppose ? [Ned:] Attends... Non... Tu le lui portes. [Maryline:] A ta Nicole ? [Ned:] A Nicole, oui. Et surtout pas un mot à mon sujet. Je ne suis au courant de rien ; je n'ai rien vu, tu ne m'as pas rencontré, compris ? [Maryline:] Compris. Et à mon "chéri" tu vas lui dire ? [Ned:] Tu me gardes le secret, je te garde le secret. Allez, va. [Maryline:] Oui. Toc toc ! [Nicole:] Quoi ? Ah, Maryline. [Maryline:] Tiens, voici la chose. [Nicole:] Déjà ? Oh, merci. Personne ne t'a vue ? [Maryline:] ... Non. [Nicole:] Alors, j'ai une chance. [Maryline:] Ta chance de quoi ? Les barrières électrifiées restent des barrières électrifiées, les gardes des gardes... [Nicole:] Un fusil vaut un fusil. [Maryline:] Il n'y a qu'un balle de valable... si elle y est vraiment. Mais Cléo n'avait que ce paquet-là. [Nicole:] On va vérifier... Maryline : Il faut que je file. Chéri va remarquer mon absence ; il a beau être à jardiner, je me méfie. Tiens... Et quelqu'un qui frappe, c'est nouveau. [Maryline:] Alors ce n'est pas Ned... Cache ça... Allez, à plus tard. [Le jeune informaticien:] Ah, donc elle est bien chez elle... Maryline : Mais oui... elle sera ravie de recevoir ta visite. [Nicole:] Entrez. [Le jeune informaticien:] Bonjour, Nicole. Je voulais te remercier pour ton aide à Nina. Elle est si fragile... Nicole, étonnée : Mais... vous êtes trop aimable. Quand je ne suis pas là, elles lui font des piqûres et encore des piqûres... J'y pense même au boulot. Ça me réconforte de savoir que tu les lui éviteras. Car tu vas les lui éviter, n'est-ce pas ? [Nicole:] Est-ce qu'on serait rentré dans le monde normal ? [Le jeune informaticien:] Normal ? Pour Nina il est plutôt à éviter, celui- là. Vu ce qu'il avait fait d'elle. [Nicole:] Mais toi, tu es normal ? [Le jeune informaticien:] Normal, tu veux dire ordinaire, passe- partout ?... Qui est normal dans ce village ? On ne se retrouve pas là quand on est normal, si ? [Nicole:] ... Qu'est-ce que tu es ? [Le jeune informaticien:] Un encore jeune informaticien qui a travaillé, travaillé pour réussir, pour sortir de la misère, de la poisse de sa famille, de son passé, travaillé... tout l'temps. Rien d'autre. [Nicole:] Je n'ai pas dû travailler autant que je le croyais, car moi... Le jeune informaticien : Comme dit Ned : Il faut que la jeunesse se dépasse, et pendant ce temps Jeunesse passe. Tu t'étais bien amusé un peu, avec les copains, les copines... Le jeune informaticien : Des femmes je ne connaissais que les putes à bas prix, une désolation que me cachait le travail. Le travail cache la réalité. Quand je me suis éveillé, que j'ai vu le monde, la vie de ce Didier, qui était moi, j'ai failli m'effondrer. Couler à pic. Pire que ceux qui n'ont pas réussi... Ned m'a sauvé : il m'a donné Nina. Ce Ned a d'étranges bontés. [Le jeune informaticien:] Je lui suis très reconnaissant. Mais toi, qui es allée jusqu'à simuler ta mort dans un accident de la route pour être ici avec lui, tu... Nicole, stupéfaite : Quoi ? Ou tu es un sosie ? Quand je t'ai rencontrée pour la première fois, hier soir... bon sang, je me dis, mais j'ai vu la même à la une du journal local ! Alors j'ai cru, mais... Nicole : Je suis Nicole Montalembert. La vraie ? Tu ne dois pas le dire pour lui faire plaisir ? [Nicole:] Je sais qui je suis. [Le jeune informaticien:] Tu ne semblais pas le savoir cette nuit. Il est vrai que tu avais pris de la drogue... Nicole, stupéfaite : Pris de... ?... Aide-moi à m'échapper. Tu voudrais partir ? [Nicole:] Il m'a tuée, tu te rends complice d'un meurtre si tu ne m'aides pas. [Le jeune informaticien:] Complice... ? [Nicole:] D'un meurtre. Même si c'est de mort lente ici, c'est toujours un meurtre. Et tout finit par se découvrir, tu ne crois pas ? [Le jeune informaticien:] Oh, ça... Nicole : Finis de t'éveiller, Didier. Regarde où nous sommes. Tu étais heureux sans le savoir dans la vraie vie quand tu travaillais trop ; tu es heureux maintenant dans un autre cauchemar, et à chaque fois parce que tu y vis en aveugle. Réveille-toi encore, regarde cette nouvelle réalité. Je suis Nicole Montalembert et je suis morte. Rends-moi la vie ou tu ne trouveras jamais le vrai bonheur... dans la vraie vie, avec Nina. Avec Nina ? Ce serait possible ? [Nicole:] Préviens seulement la police que je suis séquestrée ici. Il n'y a aucun téléphone, pas d'internet, rien, j'ai cherché, cherché. Mais toi, tu peux, n'est-ce pas ? Tout est surveillé, paraît-il, mais un informaticien comme toi... Le jeune informaticien :... Oui, je peux... Dans ma voiture j'ai un téléphone satellitaire que personne au monde ne peut ni utiliser ni espionner. Indétectable. Fais-le. [Le jeune informaticien:] J'ai beaucoup à perdre, qu'est-ce que j'aurais à y gagner ? [Nicole:] Pour Nina et toi, une conscience. C'est la boussole des déboussolés. Sinon, tu passeras vos vies à te soigner du cauchemar du dehors dans le cauchemar de Ned. Est-ce vraiment ton souhait ? [Le jeune informaticien:] Pourquoi pas ?... Il faut que j'y réfléchisse. Je ne sais vraiment pas ce que... [Ned:] Ooh, tu me sembles avoir des soucis, toi. Est-ce que Nina chercherait aussi à te tuer ? [Le jeune informaticien:] Quoi ? [Ned:] Eh oui, Nicole veut me tuer. [Le jeune informaticien:] Mais qu'est-ce que tu lui as fait pour en arriver là ? [Monsieur Altkirch:] La bonté et la gentillesse ne sont pas universelles. [Ned:] Heureusement. [L’industriel:] Que se passe-t-il ? J'ai entendu Ned rire. [Ned:] Nicole a le fusil de Bertrand. [L’industriel:] Il était chez toi ? [Monsieur Altkirch:] Il veut affronter l'épreuve de Bertrand. Il ne veut pas que les gardes viennent la désarmer. [Le malade:] Bertrand connaissait à merveille ses Nicole, maladroites, peureuses, sans ressort. Il n'avait pas eu besoin d'une simulation d'un accident mortel pour les avoir. Il les avait simplement achetées. En fin de compte elles gagnaient à perdre. Mais la tienne, Ned ? La tienne ? [Ned:] Ah, elle n'est pas pareille, c'est sûr. [L’industriel:] Si elle avait tiré la première balle pour essayer l'arme, je l'aurais entendue. [Ned:] L'arme ne devait pas être chargée. [Le malade:] Alors c'est vraiment la roulette russe. [Monsieur Altkirch:] Le risque est trop grand, Ned. Si inexpérimentée que... Ned, le coupant : Nicole sait très bien tirer... Elle connaît les armes. [Le malade:] Tu es fou de ta Nicole à ce point-là ? [L’industriel:] On dirait que tu es content qu'elle agisse comme ça... Monsieur Altkirch : Et avant, tu disais, toi, que Bertrand était un cinglé... Ned : Et Bertrand s'est tué dans un accident de voiture provoqué par un chien qui traversait la route. Un petit chien. [Le malade:] Après tout... parfois j'ai si mal... pour en finir avec ces ânes prétentieux de merdecins... Si ta Nicole te tue, je me présenterai peut-être pour jouer à perdre moi aussi. [Ned:] Adieu, les amis. Dans un moment le sort de Ned Lataf sera déterminé. Ma Nicole et moi c'est maintenant ou jamais. Peut- être ne nous reverrons-nous plus. Jouissez bien ou mourez en paix. [Le malade:] Quel fou ! [L’industriel:] Viens chez moi, on attendra l'issue de la rencontre avec un verre. [L’homme d’affaires:] ... Je ne suis pas repentant. N'y compte pas. En ce moment encore tu ne t'ennuies pas. [Tu ne connais pas l’ennui de celui qui a tout fait en croyant conquérir le monde. Il finit par se poser la question:] qu'est-ce que je pourrais encore faire, par défi ou pour... ? Mais il n'y a rien à faire ou à ne pas faire. La vie est un paradis artificiel ; si on se rend compte de ses artifices, la désintoxication est terrible. [Nicole:] Bonjour, Ned. [Ned:] Rien qu'au ton je comprends que l'on va voyager dans le passé. [Nicole:] Est-ce vraiment cela que tu voulais pour la petite fille qui t'admirait tellement ? [Ned:] Je sentais bien que je n'échapperais pas à des propos de ce genre. [Nicole:] De l'adolescente dont tu étais le premier modèle pour réussir dans la vie... Ned, ricanant : Ah, quel modèle ! Après ma famille, tu es la personne qui a compté le plus pour moi. [Ned:] Mais il ne tient qu'à toi que cela continue. Tu es à Mont-Tropez, un petit paradis artificiel dans le grand paradis artificiel à désastres. Tu te trouves sans doute définitivement dans le monde parallèle où le commerce est solidement basé sur l'interdit... mais après tout il est de sable comme l'autre. [Nicole:] Et que ce soit toi qui m'aies fait ça ! [Ned:] C'est la touche finale en effet, je ne pourrais pas aller plus loin. Il n'y a rien au-delà. [Nicole:] Rien pour moi ! [Ned:] ... Je te revois quand j'allais tirer au ball-trap, tu avais des yeux immenses, ils étaient pleins d'espoir que je gagne. [Nicole:] Alors, tu te souviens aussi ? [Ned:] ... Très très bien. Trop bien. On ne s'est jamais quittés, Nicole. On ne pouvait s'oublier à aucun moment ni l'un ni l'autre. Je t'ai vue devenir une des meilleures au ball-trap à ton tour. Et à la chasse également, une des meilleures. [Nicole:] Oui. Sans aucun doute. [Ned:] Enfin dans le sujet. A la croisée des chemins. Tu t'y trouves à ton tour. Malheur contre malheur, comme deux silex qu'on frotte. [Nicole:] Le choix ? La balle pour toi ou pour moi ? [Ned:] Tu étais une femme libérée ; tu n'es plus libre, mais toujours libérée. Sois bien libérée avec ton maître, ma chérie, et on s'amusera. [Nicole:] Tu n'es plus le Ned que j'ai admiré, tu n'en es même pas la caricature. [Ned:] C'est l'étape ultime pour nous deux. Ici l'espoir est un défunt vénéré. Son tombeau est là- bas, au fond du village, dans le cimetière des fœtus. [Nicole:] Qu'est-ce que tu proposes à la place de l'espoir ? [Ned:] Le malheur des uns fait le bonheur des autres. Il suffit que chacun y mette du sien... Je vais boire un verre. Peut-être le dernier... Tu en veux un ?... En somme il te suffit de considérer ta présence ici comme un emploi ; de rester positive. [Nicole:] Es-tu encore un peu Ned sans ce Ned-là ? [Ned:] Ah, du ciel dans ce monde de brutes. Bois ! Ça te donnera du ressort ! Tu as une grande décision à prendre. Ça stimule les méninges ! Autrefois je me sentais bien dans ce village, dans cette réalité-là. Mais ce n'est plus le cas. [Ce monde est affreux:] j'ai vécu. Et je me suis vautré plus que les autres... Nicole :... Libère-moi et restons-en là... Ned : Pas question. Tu es morte. Je n'ai rien d'Orphée. Si tu veux la liberté, il faut la prendre... Il faut faire ce qu'il faut. Et l'assumer. [Nicole:] Je ne lâcherai plus le fusil. [Ned:] Je l'espère bien. Je n'en doute pas... Tiens, je vais te raconter un souvenir personnel, hors toi... Au lycée il y avait des filles coquettes, assez fofolles, qui haussaient les épaules avec mépris quand elles croisaient le garçon renfermé et bûcheur que j'étais. La réussite venue, l'une d'elles est venue à moi, tout simplement, et a brisé les barrières qui m'emprisonnaient de toutes parts. Les garces sont les seules à avoir assez d'audace pour rejoindre les gagnants. [Nicole:] Qu'est-ce qu'elle est devenue ? Tu l'as tuée elle aussi ? [Ned:] Non, je l'ai même épousée. Tant mieux pour elle, tant pis pour moi. [Nicole:] Tu es cynique, cinglé et une vraie ordure. [Ned:] Entre autres. Mais maintenant, il est temps. On est dans la chambre, la pièce où l'on naît et où l'on meurt, que ce soit le tienne ou que l'on ait réussi à te coincer dans un hôpital, la pièce ultime. C'est à toi de choisir qui tu vas être. Si tu existes, seulement. Après tout, je n'en sais trop rien, je ne suis pas sûr. Tu n'es pas femme à te tuer, sinon tu l'aurais déjà fait. Ou tu me tues ou tu seras ma pute à jamais. Une pute paillasson. Rien ! Moins que rien ! Que l'on se passe et repasse comme la nuit dernière ! Tu as de vagues souvenirs de la nuit dernière ? Dommage qu'on n'ait pas filmé, je t'aurais passé les images ! Qu'est-ce que tu es ? La petite fille qui adorait Ned et préfèrerait le délivrer de cette vie ou une pétasse parmi d'autres ? Tu crois peut-être que je crains la mort ? Mais le mort gagne. De plus en plus agité, l'affrontant violemment, bien en face, à distance idéale pour un tir qui ne peut être raté. Sois quelqu'un. Je te lègue mon désastre de vie. Car, forcément, si tu me libères, toi tu vas en porter la charge. Je ne quitterai jamais ton esprit, mais moi je me serai quitté, et bon voyage, Ned. Tiens, heureusement que j'y pense. Je te pose, là, sur ce meuble, la liste de mes Nicole. Vois-tu, je ne les ai pas tuées et fait empailler comme d'autres le disent en plaisantant ; l'une est pilote, une autre possède un magasin de mode, etc. Toutes encore avec des problèmes qui les avaient rejetées sur cet îlot, alors sans moi elles sont vite perdues. Mais je sais que je peux te faire confiance, tu t'occuperas d'elles... Mais si, c'est vrai. Mais pour toi il n'y a pas de deuxième vie possible moi vivant. Qu'est-ce que tu es ? Mon héritière ou une pute à jamais ! Vas-y ! Le mort gagne ! Je ne crains rien ! Il commence de se redresser, lentement, déçu. Brusquement Nicole tire. Ned tombe, grimaçant mais avec une sorte de sourire. Dans un dernier souffle : Tant mieux. [Paul:] Oui, chez Ned, sûrement. Alors, la musique. [Ils ne parlent plus du tout. Oh:] Petites culottes..." Se redressant, content de lui : Ah. [Monsieur Altkirch:] Un seul coup... L'industriel :... Pas de cris, rien. [Le malade:] Eh bien... ? [Madame:] Qu'est-ce qui se passe ? [Paul:] Je ne sais pas. Je n'y entends aucun son, à part ma musique. [Madame:] Mort. [Maryline:] Mais... vraiment mort ? [Madame:] Quoi, vraiment ? On est mort ou on l'est pas ! [Maryline:] Ben j'sais pas, moi : j'suis encore jamais morte ! [Madame:] Paul, arrête la musique ! [Paul:] Ah bon, pourquoi ? [L’industriel:] Oh. [Monsieur Altkirch:] Alors, ce pauvre Ned... vraiment ? [Le malade:] ... Il n'aura pas souffert des mois lui au moins. Il aura même échappé à ces saletés de merdecins et de chierurchiens.. Il aura été un veinard jusqu'au bout. [Paul:] Ah... Allons bon... Mais c'est très embêtant, un meurtre. [Maryline:] Ça sert à rien de le lui dire, depuis le début elle n'en fait qu'à sa tête. [Madame:] Où est-ce que tu as trouvé ce fusil ? Où est-ce qu'elle a pu le trouver ? [Maryline:] On ne sait pas. [L’industriel:] C'est le fusil de Bertrand. [Madame:] Ned l'avait gardé chez lui ? [Maryline:] Quelle drôle d'idée, n'est-ce pas ? Moi, je l'aurais j'té. [Le malade:] Il a choisi l'express, moi j'ai droit à l'omnibus. [Madame:] Mais il n'y avait qu'une balle. [Monsieur Altkirch:] D'après ce qu'il nous a dit en nous quittant, il savait qu'il y avait une vraie balle. [L’industriel:] Oui. [Paul:] Alors, il avait encore tout prévu ? Quel homme ! [Le malade:] Quel mort. [Maryline:] Qu'est-ce que vous allez faire d'eux ? [Madame:] Paul ? Tu prépares un accident de voiture... pour les deux. [Paul:] Pour les... ? Ah non. Non. [Madame:] Ecoute... Paul : Non. Pour les morts je veux bien. Mais je ne tue personne... C'est dans nos accords ; tu le sais parfaitement. [L’infirmière:] Moi non plus. [Madame:] Soit. Les gardes s'en chargeront. [Paul:] Oh, mais voyons, tu lui trouveras quelqu'un d'autre. [Maryline:] Belle comme elle est, ce s'rait vraiment du gâchis. [Paul:] Sans fusil, elle se conduira très bien. [Maryline:] Puisqu'elle en avait un, d'fusil, qu'est-ce que vous voulez qu'elle en fasse à part tirer avec ? [Paul:] Ces messieurs pourraient se la partager jusqu'à ce qu'elle soit réattribuée. [Maryline:] Ce serait quand même plus moral. [Monsieur Altkirch:] Enfin... payer, je veux bien, moi... Le malade, à L'infirmière, gaillard : On l'invitera à la maison. Pour qu'elle ne se sente pas toute seule. [L’industriel:] Après tout... mais au nouveau propriétaire, il faudra cacher ces... détails, sinon... Madame : Bon... Tentons ça. Et lui, en attendant son accident ? [Paul:] On pourrait le porter dans l'église, elle ne sert à rien. [L’industriel:] Je peux prêter ma brouette pour le transporter. [Madame:] L'église, il faudrait déjà retrouver les clefs... Maryline : Mais sur son lit, là ! Quoi, il est chez lui ! [L’infirmière:] Oui. Et on referme les rideaux du baldaquin. [Madame:] Pourquoi pas... Paul : Allons-y. Je prends les pieds... Bon, le haut. [L’industriel:] Pauvre Ned, ce qu'il est lourd. [Monsieur Altkirch:] Je vais le soutenir par sa ceinture. [L’infirmière:] Voilà. C'est parfait. Tout est digne. [Le malade:] Elle s'entraîne pour moi. [Monsieur Altkirch:] Allez, il faut que je rentre... sinon mon gigot va brûler. [L’industriel:] Triste journée, quand même. [Paul:] Eh bien, ça ne s'est pas si mal passé, finalement. [Madame:] Tâche que l'accident soit crédible. Pour celui de Nicole c'était limite. [Paul:] Oui oui. Je vais me surpasser. On avait pris un corps de remplacement à l'université, quelqu'un qui en avait fait don à la science, mais il était déjà si abîmé... Enfin, je l'ai rendu tel quel. J'y tenais. [Maryline:] Vilaine fille ! Je crois que cette Nicole, d'être morte ça lui cause des problèmes psychologiques. [Paul:] La situation n'est pas en harmonie avec son projet de vie, voilà la difficulté. [Maryline:] Franchement, Paul, tuer son chéri, et même pas par accident... Paul : J'en suis tout retourné. Surtout Ned, un homme d'exception. Peut-être pas une bonne exception, mais un sacré bonhomme. Oh, il assurait, c'est sûr. [Paul:] Bertrand, lui, était un saligaud, il jouait à se donner des raisons de torturer ses femmes. [Maryline:] J'avais demandé à Madame d'arrêter ça, mais elle m'a fait fouetter. [Paul:] Ned, lui, est intervenu, et plusieurs fois. La veille de la mort de Bertrand j'ai entendu une altercation très violente entre eux à ce sujet. [Maryline:] C'était quand même un salaud, qui nous protégeait. [Paul:] Il avait le sens de l'investissement. [Maryline:] Des salauds comme lui il en faudrait plus, et moins des comme Bertrand. [Paul:] Enfin ce n'est pas parce qu'il est décédé qu'il faut trop le louer. Lui-même disait de lui en riant qu'il détestait se fréquenter. [Maryline:] C'est vrai. Un jour j'ai même dû essayer de lui remonter le moral. Mais ça l'a fait rire. [Paul:] A mon sens, l'homme idéal ici, c'est Monsieur Altkirch. [Maryline:] Oh... à cause de lui il faut tout de même supporter le piano. [Paul:] Vous êtes encore jeune, qui sait ? Le sort vous réserve peut-être une bonne surprise. [Maryline:] Jusqu'ici il m'en a surtout réservé de mauvaises. [Paul:] Les personnes gentilles et méritantes comme vous finissent par amadouer même le destin. [Maryline:] Bah ; si seulement il pouvait débander pour moi et me laisser tranquille. Croyez-moi, j'ai bien gagné de finir nonne. [Paul:] Ah, la vie n'est pas souvent facile. Allons, j'ai un accident à préparer. [Maryline:] A plus tard. [Le jeune informaticien sort de sa maison:] La place est vide, vous pouvez venir. [Une policière:] Vous êtes sûr qu'ils ne reviennent pas tout de suite ? Je voudrais éviter des problèmes pour rien. [Le jeune informaticien:] Vous êtes seule ? [La policière:] Mon collègue a distrait les gardes pour que je passe sans qu'ils le sachent. Alors, vite. Où elle est, votre morte ? [Le jeune informaticien:] Par là. Venez. La voilà. [La policière:] Ah, il ya une ressemblance, on ne peut pas dire le contraire. [Nicole:] C'est une vraie policière ? [Le jeune informaticien:] Mais oui. Oui. Je vous laisse, je vais monter la garde pour que personne ne vienne vous déranger. [La policière:] Comment vous appelez-vous ? [Nicole:] Nicole Montalembert. [La policière:] Vous avez des papiers ? Carte d'identité... ? [Nicole:] Je n'ai plus rien. [La policière:] Une ressemblance n'est pas une preuve. [Nicole:] Emmenez-moi. [La policière:] C'est plutôt bien ici pour une prison. Je ne vois pas du tout pourquoi on se serait donné la peine de simuler une mort pour t'offrir tout ça... Tu as le physique mais pas la logique. Tiens, un auditeur muet. Monsieur ? Oh. Mais il est mort ! Je vais aller avertir mon collègue... [Nicole:] Dis-lui au téléphone... tout de suite ! [La policière:] Mais il distrait les gardes... Nicole : Il ferait mieux de les arrêter. Téléphone. ... Je sais qu'on avait dit... mais il y a eu du grabuge ici, un tué, par balle à l'évidence. Et je suis menacée par une folle... Ben oui, menacée de mort... C'est elle qui a mon arme... Oui, mais dépêche-toi... Il court à la voiture pour appeler le capitaine ou le commandant. [Nicole:] Asseyez-vous dans ce fauteuil. je crois, une idée de génie, celle de vous inviter tous à déjeuner. Vous venez, n'est-ce pas ? [Le jeune informaticien:] Eh bien... Monsieur Altkirch : Oh, s'il vous plaît. Elle sera tellement déçue sans ça. Et elle nous jouera un petit morceau de piano, mais très court, je l'ai exigé. Avec ta Nicole, d'accord ? D'accord. [Monsieur Altkirch:] Je vais inviter les autres. [Paul:] Quoi ? Oh... C'est que je travaille, moi. Qu'est-ce que vous voulez ? [Le jeune informaticien:] J'ai averti la police pour la Nicole qui dit être Nicole Montalembert. Je ne pouvais pas couvrir un enlèvement, vous comprenez ? [Paul:] Oh, la tuile. [Le jeune informaticien:] Ned va être furieux. Je préfère partir tout de suie, avec Nina, vous comprenez ? [Paul:] Mais Ned est mort... Nicole l'a tué, avec le fusil de Bertrand. [Le jeune informaticien:] Oh... mais c'est grave ça... Je vais chercher Nina, vous comprenez ? On file. [Paul:] Combien de temps encore avant l'arrivée de la police ? [Le jeune informaticien:] Mais elle est déjà là. Chez Ned. [Paul:] Oh. Madame Thénardier ne va pas être contente... Pas contente du tout... Si je l'avertis moi, c'est moi qui vais prendre... Alors que j'y suis pour rien... Ah, les jeunes... ça agit sans penser aux conséquences... En tout cas, plus besoin que je m'occupe de l'accident de Ned. Quelle histoire, pououh... Quelle journée... Monsieur Altkirch ressort accompagné de L'industriel et de Maryline. Il a un superbe couteau à viande dans une main, L'industriel quelques couteaux et fourchettes. [Le malade:] Une bonne piquouze calmera cette Nicole, mais il va falloir que j'œuvre moi-même, la mienne ne veut pas. [L’infirmière:] Il veut la changer en zombie. [Le malade:] Avant de lui confier un de vos couteaux, c'est plus sûr, non ? [Monsieur Altkirch:] Je manque un peu de matériel pour recevoir. [L’industriel:] En bon voisin, je prête couteaux et fourchettes. [Maryline:] Tu vois, ils sont pas rancuniers, ils t'invitent à déjeuner avec nous. [Monsieur Altkirch:] Ned aurait voulu que nous nous occupions bien de vous, il avait une tournure d'esprit spéciale. [L’industriel:] Un pied de nez à tout et n'importe quoi, oui. Même à sa propre mort, il ne l'aurait pas raté. [Le malade:] Mais pour que tu sois gentille, obéissante et tout, le bon médecin va te faire une p'tite piquouze. [L’industriel:] Bon sang, d'où... Elle tire d'abord sue Le malade, le plus proche, puis sur L'industriel, puis sur Monsieur Altkirch. Tout va si vite que L'industriel, stupéfait du premier coup de feu, laisse sa phrase en suspens. [Maryline:] Tiens, prends ça, toi ! [La policière:] Eh ben... Madame, accourant par la rue : Qu'est- c'qui s'passe encore ? [Oh…:] Paul ! Paul ! [Paul:] Oui ? [Madame:] L'alarme ! Appuie sur l'alarme ! Vite ! Tu n'as pas une balle pour moi aussi ? Qui est-ce celle-là ? [La policière:] La police, Madame. [Madame:] Qui vous a autorisée à venir ici ? dont, probablement, le collègue de la policière. [Le commandant:] Où est-ce qu'on a tiré ? [Paul:] Là, je crois. [Le commandant:] Tu surveilles la place. Tous morts ? [Madame:] Hélas. [La policière:] Et il y a celui du lit... [Le commandant:] Ned Lataf. Ah, on est dans les célébrités. A [Madame.) Les autres… Madame:] Quatre veuves vont devenir très riches. [Nicole:] C'est moi qui l'ai tué. Avec ce fusil. Je suis Nicole Montalembert. [Le commandant:] Oui, oui, je n'en doute pas. [Maryline:] Les trois autres c'est elle aussi mais elle n'avait pas d'raison, ils étaient très gentils... Le commandant : Tiens, Ginette. Ah, vous vous souvenez de moi ? [Le commandant:] Vous êtes inoubliable. [Maryline:] Ici je m'appelais Maryline. Mais me voilà de nouveau au chômage. [Le commandant:] Ça ne durera pas, je te fais confiance sur ce point. Les balles pour les trois autres, elles sont à vous ? [La policière:] De ce revolver, mais... Le commandant, sèchement, la coupant : Vous n'avez fait que votre devoir, vous avez protégé des victimes. Mais... Nicole : Non, c'est moi qui... Le commandant : Un tué, vous êtes une héroïne féministe ; quatre, vous êtes une meurtrière, qui sera acquittée certes, mais vous êtes finie professionnellement, socialement, financièrement... et cetera... Réfléchissez à la vérité... Qu'elle ne vous enfonce pas définitivement dans le malheur. [Nicole:] ... Oui. [Le commandant:] Parfait. Y a-t-il une voix discordante ? [Maryline:] Moi je n'ai tiré sur personne. [Le commandant:] Vous êtes l'honneur ou le déshonneur de la police ? [La policière:] ... Je préfère l'honneur. [Madame:] Laissez Paul tranquille dans sa loge et je dirai ce que vous voudrez, comme vous voudrez. [Le commandant:] Mais je n'en doutais pas, Madame Thénardier. Allez, sortons. Tu emmènes Madame au poste. Les victimes, je m'en occupe. [Paul:] Et moi ? [Madame:] Tu restes. Range tout. Et pense à mes filles. Qu'elles ne manquent pas d'argent. [Un policier:] Dans tout le village on n'a trouvé qu'elle. [La jeune fille:] Je suis la pianiste... Le commandant : Venez ; une victime touchante ça nous manquait. Est-ce que je pourrai encore jouer du piano ?
[On entend des voix qui se superposent aux sons de la manifestation:] Demandez un huissier, demandez ! Filou. Tous services ! [La femme a levé la tête; mi-amusée mi-scandalisée:] Enfin, tu as dit une manif, pas les cris de Paris. [L’homme:] Ah oui. Je biffe. Je recommence. Le Pâ-rî-sien libéré ! Le Câ-â-nard enchaîné ! L'Autruche enfarinée ! [La femme:] Oh... Barnabé, tu exagères. [Barnabé:] Ouh, je cesse de m'appeler Chéri ; vite, je corrige. [La femme:] Et alors ? [Barnabé:] Attends, attends, Marina. Plutôt que de délayer sur la manif... l'entrée du héros. [Marina:] Qu'il est beau... Barnabé, railleur : Correspond-il à tes désirs ? Fais-le un peu se tourner pour voir. [Barnabé:] Voilà, à vot'servic', ma bonne chérie. [Marina:] Et arrête le brouhaha de cette manif, elle me gêne. [Barnabé s’exécute:] Stop les gêneurs sociaux... Propos honteux ! Oh... On exauce leurs vœux de manif pour être pardonnés ? [Marina:] Bien sûr. [Barnabé:] Ça va coûter bonbon. Mais enfin, Marina commande. [Marina:] Quels pectoraux, quels biceps, quels... Barnabé : Ah, je l'ai créé sur mesure selon tes vrais goûts. Pas du tout comme moi. Fais-le tourner encore une fois. [Barnabé:] Mais bien sûr. Et avec pas de danse. [Marina:] Comment t'appelles-tu, ma beauté ? Pas de réponse, évidemment. A Barnabé. Comment s'appelle-t-il ? [Barnabé:] Je ne sais pas encore... Que dirais-tu de... Paul ? [Marina:] Comme toi ? Ah non. [Barnabé:] Alfred, Albert, Gérard, Michel, André, Pierre, Lucien... ? [Marina:] Lucien... c'est trop long... Luc plutôt. [Barnabé:] Bon. Va pour Luc. [L’homme:] Je m'appelle Luc. J'ai vingt-cinq ans. Sportif. Intellectuel le vendredi de onze à douze. Je passe l'aspirateur. Je pense toujours à apporter le pain. [Marina:] Est-il le héros d'un roman ? [Barnabé:] Il le sera, enfin je crois. [Marina:] D'un roman d'amour, alors ? [Barnabé:] C'est inévitable. Il n'existe que pour ça. [Marina:] Pour une course, c'est une belle course. Un marathon éclair, à la vitesse du cent mètres, si j'en juge par le lieu où il est arrivé. Et pourquoi ? Ce monsieur est un meneur qui fuit l'attaque des policiers ? [Barnabé:] Non, un pickpocket découvert par le service d'ordre de la manif. [Marina:] Lui ! Beau comme il est ! Mais non. Tu dérailles, Barnabé. [Barnabé:] Trop beau pour être honnête. [Marina:] Mauvais juge ; je te chasse du parquet. Rends-lui son innocence. [Luc a froid:] il souffle sur ses mains, se frotte le corps, semble souffrir. [Marina:] Oh le pauvre, il va mourir de froid. Chéri, fais-le entrer. [Barnabé:] Une bonne leçon rend un personnage plus obéissant. [Marina:] Fais-le entrer ! Arrête cette torture ! [Barnabé:] Et maintenant, qu'est-ce qu'il fabrique ? [Marina:] Eh ben, il entre. Evidemment. [La maison est abandonnée:] murs sales, gris, quelques meubles encore... Brusquement de grosses araignées apparaissent partout et l'attaquent. Il se défend. [Marina:] Attention ! Et là à ta droite, Luc, à ta droite ! Tue-la ! Tue ce monstre ! Ah, mon Dieu ! Des rats ! Des rats énormes ! Ils le mordent ! Luc ! Luc ! Je t'en prie, Barnabé, sauve-nous ! [Barnabé:] Ah, c'qu'on s'amuse... [Marina:] Ça m'épuise, toutes ces aventures. [Barnabé:] Et on n'est qu'au début. [Marina:] Il pourrait arrêter de gémir ? C'est pénible. [Barnabé écrit:] Pause. [Barnabé:] Qu'est-ce que je vais faire de toi ? [Marina:] J'aime pas sa coupe de cheveux. A la romaine, ce serait mieux. [Barnabé:] Allons bon. Je sens qu'il va devoir changer de coiffeur. [Marina:] Et ses oreilles... je n'en suis pas trop contente non plus. [Barnabé:] Ça sent la chirurgie esthétique. [Marina:] Tu pourrais lui faire enlever le haut ? Je voudrais le voir torse nu. [Barnabé:] Et encore quoi ?... On s'arrête où ? Les cheveux et les oreilles, ça suffira. Et je suis bien bon. [Marina:] Tu crains la concurrence ? [Barnabé:] Mes inventions m'ont toujours été supérieures. Sinon, à quoi bon inventer ? [Marina:] Donc si j'étais moins satisfaite de moi, je pourrais inventer... ? [Barnabé:] Alors, pour la très belle fille que tu vas me créer, je... Marina : Dans tes rêves. Et ceux-là tu les gardes pour toi. Allez, Luc, à la niche coiffeur. [Marina:] Et qu'il coupe un bout des oreilles. Et qu'il ne les laisse pas s'égarer si loin de sa tête. Ah ! Il est encore plus beau !... Tu pourrais lui faire enlever le haut ? [Barnabé:] Reprenons l'histoire : [Marina:] Mais c'est le mien ! [Luc:] Ah... te voilà... Barnabé, écrivant ce qu'il dit : Il s'agit d'une toile volée. Un tableau de grande valeur. [Marina:] Eh ben, j'te crois, j'suis d'ssus ! [Luc:] J'espère que tu ne vas pas me décevoir... Marina, pour se venger de Barnabé, à qui elle jette un coup d'œil : Sois-en sûr, chéri. [Barnabé:] Ah, il est "chéri" maintenant ? [Marina:] Eh, puisqu'il me tient entre ses mains. [Luc:] ...et que tu vas me rapporter gros. [Barnabé:] Tu m'aimes ? [Marina:] Hein ? [Barnabé:] Au moins, c'est clair. [Marina:] A quoi sert le tableau dans ton histoire ? [Barnabé:] S'il réussit à le vendre, il aura de l'argent pour de nouvelles aventures. [Marina:] Mais je ne veux pas qu'il me vende ! [Barnabé:] Ma chérie, mon adorée, il faut bien avoir de quoi vivre, tout le monde. Tu ne voudrais pas que ton beau mâle soit un raté de la cambriole ? [Marina:] Non, mais de là à me vendre... Barnabé, d'une galanterie ambiguë : L'acheteur ne pourrait trouver mieux. Maquereau ! [Barnabé:] Depuis le temps que je te vends par les histoires que tu m'inspires, je me demande pourquoi je ne suis pas en taule. [Marina:] Tu avais dit que ce serait une histoire d'amour. [Barnabé:] Comme toutes mes œuvres à partir de toi, mon adorée. [Marina:] Ouais, t'as toujours été bizarre dans ta tête. [Barnabé:] D'ailleurs, quelle plus belle preuve d'amour que le don total de soi ? [Marina:] Eh, mais j'suis pas ta pute, dis donc ! [Barnabé:] Juste un tableau, chérie, juste un tableau ! Pour Luc. [Marina:] Alors, en fait c'est une histoire policière ? [Barnabé:] Et d'amour, je te jure. [Marina:] Un roman d'amour policier ? [Barnabé:] Et de science-fiction. [Marina:] Aussi ? [Barnabé:] A cause des oreilles... Ça m'a donné des idées pour la suite. [Marina:] Tu ne vas pas... le torturer, avec tes inventions ! [Barnabé:] Si, quand même. Bon. Revoyons ce début, avec modifications. [Barnabé appuie sur le bouton ad hoc:] le rideau s'ouvre, l'écran s'allume ; la manif paraît, elle chante : Ah, ça ira, ça ira, ça ira ! [Barnabé:] Inusable. s'aperçoit que quelqu'un l'a vu, jette le portefeuille et se met à courir. Images de rues. Il arrive devant une maison, transi, n'arrive pas à entrer, se souvient qu'il a la clef, entre, erre, trouve la toile d'un tableau, la déroule, la contemple : il s'agit d'un portrait de Marina. Et voilà. Stop. [Marina:] C'est bien, tu lui as gardé ses nouvelles oreilles... et sa nouvelle coupe de cheveux. [Barnabé:] Comme critique littéraire... Marina : Qu'est-ce qui va se passer, maintenant ? ... Sais pas. [Marina:] Comment ça ? Tu as bien un plan général ? [Barnabé:] J'avais. Mais il ne convient plus. [Marina:] Pourquoi ? [Barnabé:] A cause de ses nouvelles oreilles... Ah mais, elles sont bien, je ne dis pas le contraire, mais... c'est comme le nez de Cléopâtre... quoique ça l'embellisse au lieu de l'enlaidir... tu comprends ? [Marina:] Les oreilles de Luc sont ton nez de Cléopâtre. [Barnabé:] Il avait tout pour être un parfait petit taré, ce garçon, mais la chirurgie esthétique lui a donné une autre perfection qui ruine son destin... Tout change... Ah, tu me mets dans de beaux draps avec tes goûts pervers de beauté. [Marina:] Perverse ! Moi ! Quand tu me mets dans tes draps, j'ai plutôt l'impression de l'inverse. [Barnabé:] Idiote. [Marina:] Idiote ! Moi ! Dis donc, j'ai un doctorat de chimie, t'en as pas autant, qu'est- ce que t'as, toi ? [Barnabé:] Alors triple idiote de scientifique, oui, triple, car ce qui serait excusable pour une femme qui n'aurait pas tes capacités intellectuelles ne l'est pas dans ton cas. [Marina:] Mais qu'est-ce que j'ai dit, ou fait ? [Barnabé:] Tu lui as coupé les oreilles... comme on le faisait autrefois pour certains chiens. [Marina:] Eh bien, excuse-moi, je ne connaissais pas le chien Cléopâtre ! T'as qu'à lui rallonger les oreilles. [Barnabé:] On ne peut pas. L'opération est irréversible. Essayons ça. Alors ! [La serveuse:] Quel rêve veux-tu ? [Luc:] D'amour, évidemment. [La serveuse-entraîneuse:] Avec moi ? [Luc:] Bien sûr. [La serveuse-entraîneuse:] Et du champagne ? [Luc:] Champagne ! Fête ce soir, avant de partir loin demain. Je m'appelle Luc. Je viens de vendre un tableau. [La serveuse-entraîneuse:] N'en dis pas trop. [Marina:] Ah çà ! Mais il l'a conduit dans un bar à putes !... Enfin ! Ce pauvre garçon... Luc souriant de toutes ses dents à l'entraîneuse fait le geste de prendre un verre devant lui qu'elle vient de remplir, tandis qu'elle remplit le sien. Qu'est-ce que c'est qu'ça ! [Barnabé:] Une aviatrice, ça se voit. [La serveuse-entraîneuse:] Quel rêve veux-tu ? [L’aviatrice:] Est-ce que Luc est là ? [Luc:] Oh... c'est de moi qu'elle parle ? Elle me connaît ? [La serveuse-entraîneuse:] Bien sûr, elle te connaît. Qui ne connaît Luc ? [Luc:] Quel rêve veux-tu ? [L’aviatrice:] D'amour, évidemment. [Barnabé:] Hein ? [Marina:] Mais c'est complètement idiot ! Ça ne tient pas d'bout ! Enfin, qu'est-ce qu'une aviatrice fait là ? [Barnabé:] Qui dit que c'est une vraie aviatrice ? [Marina:] Comment ça ? [Barnabé:] Luc a dit qu'il partait loin le lendemain, le gérant du bar à l'écoute a supposé qu'il partirait en avion. Il a fait descendre un de ses filles dans une tenue d'aviatrice, souvent demandée par certains amateurs... Marina : Mais... Barnabé : Et Luc a montré, imprudemment, un gros tas de billets. [Marina:] C'est sordide. [Barnabé:] C'est du sordide de luxe. [Marina:] Alors elle va le voler ? [Barnabé:] Le voleur volé : moral et traditionnel. Et je te rappelle qu'il t'a vendue. [Marina:] L'argent qu'il exhibe, en somme, est moi-même, j'ai pris la forme, l'aspect de billets, et je vais devenir la propriété d'une pute ! Elle est belle, ton histoire d'amour ! [Barnabé:] Vu comme ça... 7. Marina, furieuse : Mais tu te fous de moi ! Le temps se gâte. [Marina:] Dix ans de collage avec cet écrivaillon pour qu'il me salope une histoire d'amour avec du fric et des putes ! [Barnabé:] On s'décolle, on s'décolle. [Marina:] Des années de travail, un doctorat de chimie, des recherches du plus haut niveau, pour me retrouver au plumard avec ce quinqua vicelard aux créations séniles ! [Barnabé:] Ouf. Et ça va carrément décoller ! [Marina:] Toute ma jeunesse foutue avec ce con ! Sadique ! Violeur ! Impuissant ! Obsédé sexuel ! [Barnabé:] Oïe. N'en jetez plus. [Marina:] Attends ! Attends ! [Barnabé:] Qu'est-ce qu'elle va faire ? [Voix de Marina hurlant:] Tiens !... Tiens !... Et encore. Tiens ! [Barnabé:] Qu'est-ce que tu casses ? [Voix de Marina:] La vaisselle que je t'ai offerte ! [Barnabé:] Ah, bon. [Marina:] J'me tire, taré ! [Barnabé:] Un avant-goût de la paix éternelle... Marina, réapparaissant : En quoi c'est un avant-goût de la paix éternelle ? Eh bien... on ne baise plus. [Marina:] Taré !
[Marina:] Huuuu, il a été malheureux, mon mimi ? [Barnabé:] Ben quand même. Tu sais comme je suis sensible... Marina, le cajolant : Et il s'est senti perdu quand je suis partie, qu'il s'est retrouvé tout seul. Ah çà, quand j'ai vu les bouts de vaisselle partout dans la cuisine, et des tout p'tits... Marina, satisfaite : Oui, j'avais bien cassé. Quand je m'y mets... Barnabé, l'embrassant : La prochaine fois, tu ne pourrais pas mettre les débris dans la poubelle avant de partir ? [Marina:] J'te manquais, hein ? Avoue, je veux te l'entendre dire. Quand tu m'as rappelée, tu n'as tenu que des propos vaseux. Dis, maintenant, allez, dis. [Barnabé:] Mais apparemment : mon histoire est complètement bloquée depuis ton départ ! Plus une ligne. Alors faut croire que tu me manquais. [Marina:] Je vais faire semblant d'avoir entendu un grand aveu d'amour. Je pense que tu étais là au maximum de tes possibilités... Où en est donc Luc ? [Barnabé:] Mais nulle part. Je vais te montrer. [Luc:] une place, une forêt, l'intérieur d'une église, des halles, une autoroute, une plage etc... [Marina:] Le pauvre, changer d'endroit à cette vitesse, il doit souffrir horriblement ! [Barnabé:] Oh, c'est sûr. [Marina:] Alors pourquoi tu n'arrêtes pas ce défilé de lieux divers ? [Barnabé:] Je n'y arrive pas. Toi partie, j'ai eu beau essayer... pas pu. [Marina:] Alors qu'est-ce que tu as fait ? [Barnabé:] J'suis allé ramasser les débris dans la cuisine. [Marina:] Pour le sauver, je veux dire. [Barnabé:] Eh ben, finalement, je t'ai rappelée... mon amour. Ah ! [Marina:] Tu lui as laissé ses belles oreilles, et sa coiffure, c'est bien. [Barnabé:] Tu veux qu'il te parle ? [Marina:] ... Là ? Tout de suite ? Il pourrait ? [Barnabé:] Sûrement, sûrement. On essaie ? [Luc:] Bonjour, moi je m'appelle Luc. Parce que c'est plus court que Lucien. [Marina:] Je m'appelle Marina. [Luc:] Quel joli prénom. Tu me plais énormément. [Marina:] Ah oui ? [Luc:] Comme je... [Barnabé:] Quelque chose ne va pas ? [Marina:] Tu pourrais lui faire enlever le haut ? [Barnabé:] Au point où j'en suis. Bien sûr, mon aimée. Retourne sur la scène de Luc. [Marina:] Ah bon ? Je... ? [Barnabé:] Mais oui. Va. Va. [Marina:] Oh, qu'il est beau ! [Barnabé:] Il te plaît ? Mais pas autant que moi ? [Marina:] Hein ? [Luc:] J'espère que je ne vous déplais pas ? [Marina:] Je peux toucher ? [Barnabé:] Mais comment donc ! [Luc:] Mais comment donc ! [Barnabé:] J'ai envie de te prendre dans mes bras. [Luc:] J'ai envie de te prendre dans mes bras. [Barnabé:] De te serrer contre moi. [Luc:] De te serrer contre moi. [Barnabé:] Ô Marina ! [Luc:] Ô Marina ! [Marina:] Oh la la, ouououh. Il fait trop chaud par là. A [Barnabé:] C'est pourtant pas difficile à d'viner. Et pas difficile à écrire. [Marina:] Et alors ? Il te vient une invention valable pour la suite ? [Barnabé:] ... Il va se rhabiller d'abord. [Marina:] ... Oui... c'est plus... c'est moins... Barnabé, farceur : Un plus moins vaut sûrement mieux que l'inverse. Luc pour avoir de l'argent, car il en faut des sous pour mal vivre dans les plaisirs, pour vivre dans le mal en se faisant du bien, plus que les assis de la vie ; Luc donc entre dans le château. Non, Luc, pas par la porte, par une fenêtre que tu casses. S'il n'avait pas remis son tee-shirt, ç'aurait été au moins intéressant pour le public féminin. Plus ton histoire est banale, plus tu devrais le déshabiller. Comme tu fais pour les femmes d'habitude. [Barnabé:] Attends, attends. Luc est perdu, abattu. Il regrette son geste. [Marina:] Peuh... Barnabé : La jeune personne qui l'avait informé surgit, elle vient d'arriver au château dans son avion et a encore son costume d'aviatrice. Oh ! [Barnabé:] Elle voit son chéri, pour lequel elle a trahi son oncle, totalement égaré, effondré ; sans se soucier du vieux mort, et d'ailleurs s'il est bien vieux, est-il mort ? elle se précipite sur Luc pour le réconforter et le couvre de petits baisers quoiqu'il ait remis son tee-shirt. [Marina:] Mais c'est complètement indécent ! [Barnabé:] Oh, ils sont jeunes... Marina, furieuse : Barnabé, tu arrêtes ça ! Stop ! Stop. [Marina:] Et tu fais machine arrière. [Barnabé:] Machine arrière. [Marina:] Mais elle l'embrasse encore ! [Barnabé:] Oui, hein, même en machine arrière. [Marina:] Ah, quand même... Quelle salope, celle-là. Profiter comme ça de ce que ce pauvre garçon a tué son oncle... Barnabé, hypocrite : La morale et les jeunes d'aujourd'hui... Marine : Supprime ton riche collectionneur. [Barnabé:] Ah ? Soit. [Marina:] Luc n'est pas un assassin. Il ne va tuer personne. La nièce est la femme peinte sur le tableau du début ; quand il a voulu le revendre, elle l'a appris grâce à son détective. [Barnabé:] Pourquoi casser une fenêtre alors ? Je le fais entrer par la porte. [Marina:] Mais non. Pour l'apparence de vol. Oh. J'y vais. [Barnabé:] Où ça ? [Marina:] Et alors ! Il faut un baiser ! [Barnabé:] Pas de baiser. [Marina:] Un seul. Un long, tendre, passionné, orgasmique baiser. [Barnabé:] Pas de baiser. [Marina:] Barnabé ! [Barnabé:] Tant pis pour la vaisselle. [Marina:] Paul ?... Popaul ?... Chéri ?... Mon mimi... Un seul baiser. Un tout p'tit. Je te le rendrai au centuple... Barnabé, entêté : Pas de baiser. Ooooh ! Vite, chéri, on n'a pas le temps de s'embrasser. Prenons chacun deux tableaux. [Luc:] Je crois que j'entends le gardien. [Marina:] Ce n'est pas son heure !... Je l'entends aussi. Vite, fuyons. Qu'est-ce que tu as prévu pour partir ? [Luc:] Je connais une aviatrice... Stupeur de Marina, qui sort de la "scène" tandis que Luc et l'écran se figent. Elle menace Barnabé du doigt. 10. Marina : Enfin, Barnabé ! [Barnabé:] Qu'est-ce que j'ai fait ? [Marina:] Tu essaies de réintroduire cette sale pute d'aviatrice dans mon histoire ! [Barnabé:] Elle n'est plus entraîneuse de bar ; dans la réécriture elle est une amie de l'oncle. [Marina:] En voilà un qui mérite bien d'être volé. Enlève-la. [Barnabé:] Je ne peux pas. Elle est dans ma tête. Je ne peux pas l'enlever. [Marina:] Une amie de l'oncle ? Alors pourquoi elle aiderait Luc ? [Barnabé:] A mon avis... à mon avis... ce n'est qu'un avis... parce qu'elle a couché avec lui. [Marina:] Quoi ?... Barnabé, éclatant : Mais, bon sang, t'es trop gnan gnan aussi ! Faut vendre ! Donc faut d'la pute, faut d'la couche, faut d'la mort : faut du sang et d'la baise ! Et une belle histoire d'amour. [Barnabé:] Evidemment. Du gnan gnan sur fond d'horreur. Du gnan gnan, mais pas trop. [Marina:] ... C'est pas gnan gnan. [Barnabé:] Mais non... je disais ça... Marina : Et Luc m'aime. Qui ne t'aimerait pas, ma chérie ? [Marina:] Et il n'aime pas l'aviatrice. [Barnabé:] Bien sûr que non, il couche avec, c'est tout. [Marina:] ... Mais rarement... exceptionnellement... quand il ne peut pas faire autrement, le pauvre. [Barnabé:] Et seulement en ta présence, si tu veux. [Marina:] Hein ! [Barnabé:] Hum, je retire. Donc ils fuient tous les trois : l'anti-héros, sa maîtresse en titre, toi en quelque sorte, et l'occasionnelle... uniquement avec ta permission. [Marina:] Hein !... Barnabé ! [Barnabé:] Je retire... Est-ce que l'avion s'écrase ? Est-ce que quelqu'un est mort ? [Marina:] Elle, bien sûr. Ouf. [Barnabé:] Ah, non, je l'imagine : elle plie une main, elle la tend pour qu'on l'aide à sortir des débris, Luc court l'aider ! [Marina:] Oh, fais pas ça, Luc ! Chéri ! [Barnabé:] Il la sort de cette tombe, elle est dans ses bras ! Elle n'a rien ! [Marina:] Je vais m'occuper de ce qui te reste de vaisselle. [Barnabé:] Mais non, chérie... L'aviatrice va attendre seule les secours et la police, pour faire croire qu'elle n'avait pas de passagers. [Marina:] Ah bon... On laisse la salope et on passe à la grande histoire d'amour. [Barnabé:] Je vais tenter une suite. [Marina:] Hum... Bon... Je te fais confiance ?... Bon... Je vais me faire un café, t'en veux un ?... Bon. [Barnabé:] Ça tient pas mal... Pour toucher les cœurs sensibles... féminins... j'utilise un ingrédient qui a fait ses preuves. [Marina:] Qu'est-ce que tu as inventé ? [Barnabé:] L'oignon. [Marina:] Quoi ? [Barnabé:] Oh, un café. Tu aurais pu m'en faire un. Je peux finir la tasse ? [Marina:] Qu'est-ce que c'est que cette histoire d'oignon ? [Barnabé:] Et du café à l'oignon, c'est délicieux. [Marina:] Allez, accouche. [Barnabé:] Eh oui, on est un drôle de couple. [Marina:] Barnabé... Barnabé : Tiens, tu vas voir... Vas-y aussi, je t'ai écrit le texte. [Luc:] Ces paysans posent trop de questions. Ils sont fichus d'avoir appelé la police. [Marina:] Tu es d'une méfiance ! Tu exagères. [Luc:] Non, non. Je connais les gens de cette sorte : ils sont sournois. [Marina:] Où allons-nous ? [Luc:] En France il y a toujours une ville pas loin. Peu importe laquelle... Oh, il faut s'arrêter... Marina : Déjà ? Je ne sais pas ce que j'ai... comme un étourdissement... je ne me sens pas bien du tout. [Marina:] Chéri... on s'arrête. Assieds-toi un moment... Ça va mieux ? [Luc:] Non... J'ai chaud, j'étouffe... Marina : Enlève le haut. Ooooh, la douleur me dévore... Marina, affolée, sortant de la "scène" : Barnabé, Luc est malade, fais quelque chose ! [Barnabé:] Gnan gnan. [Marina:] Il souffre, le pauvre chéri, c'est affreux ! [Barnabé:] Dieu a créé la souffrance, son humble serviteur écrivain est obligé de l'imiter. [Marina:] Mais l'homme a créé le médecin. Fais-le venir ! Vite. [Barnabé:] Voilà, voilà. Je suis le bon médecin ! [Luc:] Evidemment, connard, tu crois que je me tords par terre pour m'amuser ? [Barnabé:] Je ne me souviens pas d'avoir écrit ça. [Marina:] Alors, docteur, que prescrivez-vous ? [Barnabé:] Un traitement de choc par aviatrice. [Marina:] Salaud, tu vas voir ça ! [Barnabé:] Je réécris, je réécris. [Marina:] Vite et bien, hein ? [Luc:] Ah, je me sens mieux. [Marina:] C'est vrai ? [Luc:] Tout à fait bien même... Ouf... Marina : Tu m'aimes ? ... Marina, menaçante : Barnabé ! Je t'adore. [Marina:] Eh bien, voilà. Tout est parfait... Grâce à moi. [Luc:] Bon, c'est pas qu'on sèche sur pied, mais on y va ? [Marina:] Pourquoi se précipiter, mon chéri, le jour vient à peine de se lever... Et la forêt est si belle... rien que pour nous... nous deux... seuls au monde. Barnabé rageur écrit vite, on entend des vaches : Meuh ! Meuh ! Marina, imperturbable : Tu entends le chant des oiseaux ? Il nous invite à l'amour. Barnabé, indigné, écrit à nouveau et on entend les vaches : Meuh ! Meuh ! Marina, imperturbable : Viens sur ce lit de gazon que la nature bienveillante a créé là pour nous. Je sais que tu en as aussi envie que moi, viens. Qu'est-ce que tu as ? Chéri ? Chéri ! Pourquoi tu ne veux pas ? Je t'aime, je t'aime, je t'aime... Wooooh ! Barnabé ! [Barnabé:] Ma douce ? [Marina:] Pourquoi tu l'as figé ? [Barnabé:] Je ne l'ai pas figé. [Marina:] Pourquoi i'bouge plus alors ? [Barnabé:] Parce que je n'ai pas écrit la suite. [Marina:] Il a pas besoin de toi quand je suis là, je lui suffis. [Barnabé:] Si je l'ai écrit. [Marina:] Il m'aime. [Barnabé:] Ma chérie, il est en encre et papier ou, aussi, en pixels. L'encre, le papier, les pixels, ça n'aime pas. [Marina:] Tu veux l'rabaisser, hein ? Le réduire à rien. Mais ça ne prend pas. Luc, maintenant, est indépendant de toi. Il a sa vie propre. Et sa vie, c'est moi. En ce moment, alors même que tu l'as figé, il pense à moi. [Barnabé:] Ma chérie, il est en encre et papier ou, aussi, en pixels : il ne pense pas. [Marina:] Arrête ta rengaine... Jaloux... Tu es jaloux de Luc. [Barnabé:] Jaloux de qui n'existe pas ? Allons donc, on n'est pas jaloux du vide. [Marina:] Mais il n'est pas vide, il est tout ce que tu as mis en lui, tout ce que tu n'es pas : beau... tendre... félin... charmant... Tu es jaloux de celui que tu aurais voulu être, Barnabé, tellement mieux, tellement supérieur ! Donc, si j'ai pu t'aimer sous ta forme inférieure, comment ne t'aimerais-je pas sous ta forme supérieure ? Ton rêve est devenu le mien, Barnabé. Rêvons ensemble. Ne mets pas de limite à notre rêve... [Barnabé:] De l'encre et du papier, et des pixels, rien d'autre. [Marina:] Bonjour... chéri... [Barnabé:] Tu as dit, je cite : "J'en ai assez de toi ! " Et tu as fichu le camp... Il y a quatre jours. [Marina:] ... On dit... on dit des tas de choses... Barnabé : Tu as prétendu que je te torturais psychologiquement. Tu voulais que tout le monde le sache pour ruiner ma carrière, que personne n'achète plus mes livres.. Me ruiner quoi. ... Ce que tu es susceptible. [Barnabé:] Oh ! [Marina:] On fait la paix ? Bon sang, sois pas déjà sénile, tu dépasses à peine les cinquante ans. [Barnabé:] Ça commence bien. Une paix armée ? [Marina:] Ben oui, une vraie paix... Avec mitraillettes, chars, obus... Barnabé : Le rêve. Le foyer du bonheur. Ce que tu es compliqué. Qu'est-ce qu'il fait sur cette flotte noire ? [Barnabé:] Il lutte pour survivre. [Marina:] Pourquoi elle est noire, cette flotte ? [Barnabé:] Ma sueur, mon sang et mes larmes. A cause de toi. [Marina:] Oh ben, puisque je suis revenue, mon mimi, tu peux lui mettre une eau bleue. Hein ? La Méditerranée. Ce sera joli. Tu ne vas pas le laisser se noyer ? [Barnabé:] Je ne sais pas encore. [Marina:] Ce serait dommage... il est si beau... Barnabé : Tu as manqué de bons passages : il s'est même promené tout nu sur son bateau. Oh, le voyou... Mais comment s'est-il retrouvé sur ce bateau ? [Barnabé:] Hum hum. [Marina:] Qu'est-ce qu'elle fait là, celle-là ! [Barnabé:] En ton absence il a bien fallu que j'arrange quelque chose. Ah, elle m'a bien aidé. [L’aviatrice:] Tu tiens la barre en vrai capitaine, bravo chéri ! [Marina:] Chéri" ! [Barnabé:] Ce pôôôvre Luc avait le cafard après ton départ, alors elle a eu l'idée de cette croisière à deux... Luc, à l'aviatrice : Je crois que le vent se calme. Le temps s'améliore, mon amour. [Marina:] Mon amour" ! [Barnabé:] Malheureusement le mauvais temps a vite gâché la fête... L'aviatrice : Huuuu, chéri capitaine, tu es mon héros. [Luc:] Je t'aime... Marina, furieuse : Quoi ! C'est moi que tu aimes ! Je t'aime. [Marina:] Eh bien, voilà, tout rentre dans l'ordre. Je t'aime aussi, oh tellement, tellement ! [Barnabé:] Comme c'est agréable. [Marina:] Pourquoi elle se noie pas, la salope ? [Barnabé:] J'aime pas noyer. [Marina:] Tu vois, heureusement que je suis venue, ça sortait du gnan gnan et ça retombait dans la putasserie. Noie-la. [Barnabé:] On s'embrasse pour ton retour ? [Marina:] Ben... pourquoi pas ? [Barnabé:] Eh bien, on se content'ra de c'baiser-là. Ah, si j'avais écrit : "Baiser avec Luc"... Marina : T'es bête. Puisque Luc c'est toi. En tout cas, pour l'inverse, non, à l'évidence ; les baisers passionnés il les garde pour lui tout seul. [Marina:] Tu sais ce qu'il pourrait offrir à Luc, mon mimi ? [Barnabé:] Il faut en plus que je lui offre quelque chose à ce piqueur de femme ? [Marina:] Tu vois comme je suis gentille. J'ai envie de l'être encore plus avec toi. Chéri. Mimi... Barnabé : Eh ben. Qu'est-ce que je suis censé lui offrir à ton mac ? Oh, vilain. Des idées pareilles. Oh, le vilain vilain... Si Luc était plus intelligent, il aurait de nobles pensées, il agirait pour le bien de l'humanité entière, il guiderait les peuples par sa sagesse... Barnabé, réfléchissant : C'est peut-être aller un peu loin ; d'un autre côté exploiter le filon de l'intelligence... ça changera de la littérature commerciale habituelle. Oui. Voilà. Qu'il ne séduise pas seulement par son adorable physique, mais aussi qu'il irradie par sa pensée sur les foules admiratives... Barnabé : Mais comment faire à ce stade de l'histoire ? Comme pour ses oreilles, un peu de science-fiction : il choisit de lui-même, conscient de ses limites, de se faire implanter dans le cerveau une puce d'intelligence, un vrai miracle selon son inventeur. [Barnabé:] Et il est fiable, cet inventeur ? [Marina:] Ben, c'est toi. [Barnabé:] Ah oui... alors... Marina, se levant : Allez, pas de flemme, au boulot. Tout de suite ? [Marina:] L'humanité attend son nouveau génie.
[L’aviatrice:] Tu as vraiment une superbe salle de bains. Et une chambre pleine d'inventions... C'est "elle" qui a eu toutes ces idées-là... chéri ? [Barnabé:] Il faut que je revoie mon écrit d'hier soir, j'ai des doutes sur... L'aviatrice : Pas sur nous, j'espère... Barnabé : Oh, Myrina ! Bien sûr que non, mon amour. Sur l'histoire, là. [Myrina:] Oh ben, cette histoire, franchement... Elle est trop gnan gnan pour moi. [Barnabé:] Je sais, mon amour. Mais... Vite, vite, chérie, dans la petite pièce, qu'elle ne te voie pas. [Myrina:] Oh, j'en ai marre de la petite pièce. Surtout quand je dois vous entendre dans la pièce à côté... Barnabé : Mais non. J'te promets. Vite. [Marina:] Bisou, chéri ; ça va ? Huuu, j'ai une vraie faim de toi, tu sais. Comment va Luc ? [Barnabé:] Je m'apprêtais à quelques vérifications... J'aurais préféré avant que tu n'arrives... pour des corrections éventuelles. [Marina:] Seulement tu as encore dormi trop longtemps... Et puisque je suis là, alors... Barnabé, pas enthousiaste : Eh... Oui... Bien sûr. Luc ! Mon chéri ! Comment te sens-tu ? Es-tu plus intelligent ?... Montre-moi tes pensées ! Viens poupoule, viens poupoule, viens ! Non ! Mais quoi ! Enfin ! Barnabé ! [Barnabé:] La gaffe. J'avais un vague souvenir... Marina, sortant de la "scène", furieuse : Barnabé ! Qu'est-ce que tu as fait ? C'est le choc postopératoire. [Luc:] Viens poupoule, viens poupoule, viens ! [Barnabé écrit vite en le disant:] Stop. [Luc:] Stop. [Barnabé:] Voilà. [Luc:] Les sphères internationales ignorent par trop l'importance de l'insignifiant. [Marina:] Ah... bien. Encore. [Luc:] L'avenir n'est qu'un mirage qui devient une mer de sang quand on s'approche si on a ignoré que ses briques sont de l'insignifiance. [Marina:] Encore ! Encore ! [Barnabé:] Ouh, qu'il se repose le pauvre garçon. Après un effort pareil. [Marina:] Oh, ne tire pas son rideau tout de suite. Non... Chéri... Mon mimi, tu ne crois pas que pour bien se remettre de son opération... il faudrait qu'il s'amuse un peu ? [Barnabé:] S'amuser ? Comment ça ? [Marina:] Ben, je pourrais l'emmener danser... Barnabé, soulagé : Ah, danser... Oui, pourquoi pas ? Sur "Viens poupoule" ? T'es bête. [Barnabé:] Sur l'insignifiance alors ?... Il écrit. [Changement d’ambiance:] musique doucereuse, les couples s'enlacent, Luc et Marina s'enlacent. [Barnabé:] Ah, non alors ! [Marina:] Mon chéri, qu'est-ce que tu as ? Tu ne veux pas m'embrasser ? [Barnabé:] Non, i'veut pas ! [Marina:] Aime-moi ! Aime-moi ! Oh, je t'aime tellement !... Viens, viens ! On danse ! On danse ! [Barnabé:] Ô temps ! Ô moeurs ! [Marina:] Ah, c'est comme ça ! Attends, mon chéri, je vais te sortir de cette "scène" de Satan ! [Barnabé:] Oh... "Satan"... Marina, tirant désespérément Luc vers le bord de sa "scène" : Tu vas être libre ! Libre de m'aimer. Je te ferai visiter le monde ! Tu verras comme il est magnifique quand on s'aime. tire, en vain, revient sur la "scène", le pousse, ressort de la "scène", tire, tire... en vain. Tu perds ton temps, il ne peut exister que dans l'histoire. [Marina:] Il est trop cruel, ton inexistant. [Barnabé:] Mains non, mais non. Seulement tu dois choisir ton côté. Vivre ici ou vivre là-bas. [Marina:] Ben oui... je sais... Je suis docteur en chimie, quand même, je ne suis pas idiote, triple idiote. Je crois que j'ai dérapé... hein.... Il m'en veut mon mimi ? [Barnabé:] Mais non. C'est plus fort que ton doctorat, voilà tout. [Marina:] Ce type dans ton histoire... Barnabé : Notre histoire. Tu m'as plus qu'aidé. ...il m'a déglingué la tête. [Barnabé:] Il n'a rien fait, il n'existe que par ta tête... et un peu la mienne. [Marina:] Oui, le bon lui vient de moi, le... Barnabé : Ne dérapons pas une nouvelle fois. Tu n'es pas sa mère, je ne suis pas son père. Encore heureux d'ailleurs, vu ton attitude... et le spécimen. Qu'est-ce que tu lui reproches ? [Barnabé:] Que tu ne résistes jamais longtemps à son "Viens poupoule". [Marina:] Oh !... Il va me falloir un traitement de choc pour me remettre, hein ?... Oui... Oh, je le vois bien à ton air... Si on allait à Venise ? Tous les deux ? Sans lui !... Il serait bien attrapé ! [Barnabé:] Il ne peut pas être jaloux. [Marina:] Ah... oui... non plus... Un traitement de choc... Fais venir l'aviatrice. [Barnabé:] L'aviatrice ! [Marina:] Hein, crois-tu ? Voilà où j'en suis. [Barnabé:] Ma pauvre chérie... Marina : Qu'elle en profite, la salope. Si on faisait mourir Luc plutôt ? [Marina:] Jamais !... Je préfère me sacrifier. [Barnabé:] Tu es une héroïne de l'amour. [Marina:] Tu pourrais m'attacher sur le fauteuil, que je n'aille pas malgré moi... Barnabé : Comme à l'asile ? une sorte de camisole de force ? Oh non, on n'en est pas là. ... Espérons-le. [Barnabé:] Alors ? [Marina:] Vas-y. [L’aviatrice paraît. Luc la voit. Elle se précipite vers lui:] long baiser passionné. [Marina:] Oh la salope ! Ordure ! Roulure ! [Barnabé est triste:] Le baiser est fini. [L’aviatrice:] Je t'aime, je t'aime ! [Luc:] Moi aussi, poupoule, viens. [L’aviatrice:] Où ça ? [Luc:] Sur ce lit de gazon que la nature fait apparaître à l'écran opportunément. [Barnabé:] Zut. Je corrige. [Luc:] Sur ce lit de gazon que la nature a créé pour nos amours. [Barnabé:] Et entre parenthèses, j'ajoute : "Il apparaît." Je crois que je vais changer mon roman en pièce de théâtre. [Marina:] Mais ceux en place disent que tu ne vas pas dans le sens de la grande Histoire du théâtre, l'historique. [Barnabé:] Il servent leurs intérêts. L'Histoire, ils lui creusent sa tombe, et moi je saute par-dessus. [Marina:] Arrête !... Stop ! Stop ! [Barnabé:] Bon. [Marina:] Je n'en peux plus... Pas de sexe entre mon Luc et cette ordure... Tu entends ? [Pas jusque là… Le pauvre. Déjà qu’il est privé de moi… Barnabé:] Oui oui. De toute façon je ne suis pas partisan des scènes de sexe, tu le sais... sauf avec toi, ma chérie... Les écrivains et les cinéastes y ont recours quand ils sont à court d'idées. [Marina:] Ferme le rideau, que je ne les voie plus. S'il faut absolument une grande scène de sexe, il vaut mieux que je me sacrifie. [Barnabé:] Il n'en faut pas, en réalité. [Marina:] Il m'aime tellement que ça ôtera le côté sordide qu'il y avait avec la pute. [Barnabé:] Oh... Marina, respirant difficilement : Si c'est trop dur pour toi... et je comprends... tu pourras toujours aller dans une autre pièce. Ah ?... Bien bonne. [Marina:] Allez, j'y vais. [Barnabé:] Non. Non. Mais il n'en est pas question ! Enfin... tu divagues complètement ! [Marina:] Alors qu'est-ce qu'il va faire, le pauvre chéri ? [Barnabé:] Ah iaïaïe. Détends-toi. Respire à fond. Expire. Respire. Expire. [Marina:] Mais ça va maintenant. La crise est passée... Ah, quand j'ai vu la... que je ne qualifierai pas... essayer de... il ne voulait pas... il tentait de résister... je m'en suis bien aperçue. Où as-tu pu trouver une salope pareille ? [Barnabé:] ... Dans nos têtes, ma chérie, dans nos têtes... Marina : Oh... Il doit y avoir autre chose... Enfin, quel plaisir ce pauvre Luc pourrait-il ressentir d'être embrassé par cette... je ne la qualifierai pas. Oh ioïoïe... Luc pourrait se lancer dans une chasse au trésor, [Luc pourrait chercher des preuves pour obtenir la condamnation d’un richard pollueur:] Tout seul ? Même avec sa grande intelligence il n'y arrivera pas ; il lui faut une femme... Pas moi, d'accord. Mais pas la lubrique, là, assoiffée de sexe. Une gentille petite femme qui aime quelqu'un d'autre, à qui elle est fidèle, qui pense... convenablement. [Barnabé:] ... Pourquoi pas ? [Myrina:] Il est content, mon mimi ? Il a passé une bonne petite nuit avec sa Myrina chérie, hein ? [Barnabé:] Tu es l'une des deux plus exquises femmes de la terre. [Myrina:] Ne me dis pas que tu penses encore à ta nymphomane ? Elle est amère du citron et il y bout dedans comme dans un chaudron de sorcière. [Barnabé:] Je lui suis très attaché. [Myrina:] Passe-moi ta laisse, je serai une bonne maîtresse. Je me demande quel plaisir tu peux trouver à l'embrasser ! Bouh ! [Barnabé:] Tiens. Elle aussi. La voilà. [Myrina:] J'bouge pas. [Barnabé:] Mais c'est son heure habituelle ! Chérie, je t'en prie. [Myrina:] Bon... Oh, je crois qu'il va être trop tard... Barnabé : Alors sur la scène, là, vite. [Marina:] Hello ? Comment va mon mimi, ce matin ? [Barnabé:] Magnifiquement. Et toi, mon adorée ? [Marina:] Je m'traîne en convalescente de magasin en magasin. Je crée de nouveaux riches... Et Luc, sa santé ? [Barnabé:] Bonne. Il mange bien, il dort bien, il fait un peu d'exercice... Marina : Beaucoup d'exercice, hein ? Il s'occupe essentiellement à se garder en forme. [Marina:] Pas efféminé du tout. Un gaillard. [Barnabé:] Si on laissait tomber cette histoire, ce Luc... Marina, respirant avec difficulté : Je veux le voir. Voyons, chérie. Tu es presque guérie. Et puis il n'est sûrement pas là, en voyage... Marina, respirant difficilement : Je veux le voir ! Je veux le voir ! Soit. [Marina:] Oh. Salope ! tu vas voir ça ! [Barnabé:] Oh ioïoïe. [Marina:] Je vais te foutre des baffes, moi ! [Myrina:] J't'en retourne une si tu essaies ! [Barnabé:] On s'éloigne nettement de la paix universelle. Oh, une idée... puisque chacune veut savoir quel plaisir j'ai à embrasser l'autre... Il écrit. [Marina:] Qu'est-ce qui s'passe ? [Myrina:] Qu'est-ce qui m'arrive ? [Marina:] Mais non, j'veux pas ! [Myrina:] Stop, toi. Oh stop ! [Marina:] Stop toi-même, la salope ! comiquement. [Myrina:] Jamais ! [Marina:] Sale garce ! [Barnabé:] Eheh... [Marina:] Barnabé ! [Barnabé:] Ma douce ? [Marina:] Barnabé ! [Barnabé:] C'était bien ? J'ai pas pu voir à cause des mains. Vous vous êtes vraiment embrassées ? [Oh… Marina:] Vicelard ! Qu'est-ce que tu cherchais ? [Barnabé:] Je m'entraîne à être un génie. [Marina:] Un génie ? toi ? en nous forçant à... ça ? [Barnabé:] Un génie comme celui de la lampe d'Aladin. J'exauce des vœux. Vous voul... tu voulais savoir ce que... Luc éprouvait en l'embrassant... Marina, indignée : Mais c'était pas un vrai vœu ! Ah ? Désolé. Le génie ne fait pas la différence. Un vœu est un vœu. [Marina:] Ouououh. [Barnabé:] Ah, c'est du passé ?... Marina : En fait j'ai cru t'aimer... Avant Luc je ne savais pas ce qu'est le grand amour. Eh, on gagne à être imaginaire, c'est évident. [Marina:] ...le véritable amour. [Barnabé:] Ah ! Tu veux le voir dans sa vie sans toi, ton Luc ? Regarde ! Luc est ivre ! Luc vomit ! Luc se drogue ! Luc court les filles ! [Marina:] Arrête de le torturer, je t'en prie, je t'en prie ! [Barnabé:] Quel vicelard, ce Luc ! [Marina:] Non. Pas lui. Arrête ! Je ferai ce que tu voudras, mais arr... oh ! [Barnabé:] Ils veulent s'amuser tous les deux, ils sont à moitié ivres, ils s'aperçoivent ! [Luc:] Oh oh oh oh... [Barnabé:] Comme ils s'amusent ! Ils découvrent le bonheur à deux ! [Luc:] Oh oh oh oh ooooh... L'aviatrice-Myrina, se débattant contre la volonté de Barnabé mais cédant : Hi hi hi hi hiiiii... Marina : S'il te plaît, non, stoppe-les. Les deux, oui. Je capitule. [Barnabé écrit vite:] Stop. [Marina:] Ouououh... Ouf... Tu crées des cauchemars comiques, génie, il faudrait te renvoyer dans ta lampe. [Barnabé:] C'est vraiment ton souhait, Marina ? [Marina:] Je ne sais pas. Je n'en sais rien. Je me suis perdue quelque part dans tes rêves, tes désirs, tes vices, tes railleries... Fais en sorte que je me retrouve, Barnabé. S'il te plaît. Sors-moi du labyrinthe. Fais comme tu veux, mais... règle mon problème. [Barnabé:] ... Aïe. [Myrina:] Elle a raison. Ne me rappelle pas avant d'avoir réglé notre problème ! C'est compris ! [Barnabé:] Reaïe... Me voilà bien... Il va vraiment falloir que je trouve une solution. [Myrina:] C'est sûr ?... Oh, je me méfie avec toi. [Barnabé:] Si, mon amour, une solution merveilleuse... pour tout le monde... et définitive. [Myrina:] Je demande à voir. [Barnabé:] Tu as bien raison. Alors... regarde ! [Luc:] C'est moi qui l'ai tuée... Barnabé : Où est-elle ? La voilà ! entourée savamment de fleurs coupées rouges. L'image progresse vers un gros plan de sa tête, élégamment inclinée, pâle, les yeux clos. [Barnabé:] Elle est... oui, vraiment... elle est... heureuse.
[Une voix d’homme:] Ainsi la coopération internationale européenne contre le crime, grâce à vous, prend un envol qui fait trembler jusqu'à la mafia, la mafiahosen, la mafiayaya et les petits méchants d'chez nous. Vive Frantix ! [La voix désormais incarnée:] Avouez, Monsieur le maire, que Madame la commissaire a eu une idée en or d'utiliser ce château qui se détériorait pour à la fois la police, "son" commissariat, votre mairie et les services culturels de la ville. Qui n'est qu'à deux pas. [Le maire:] Et en obtenant des fonds de quatre ministères, ministère de la culture, ministère de l'intérieur, ministère des affaires européennes, et même du ministère de la justice. [Le dignitaire:] Encore une pièce superbe. Ah, et un de vos hommes au travail quoique ce soit une matinée de fête. Bien. Très bien. [La Commissaire:] Oui... Le dignitaire : On comprend pourquoi, depuis que vous êtes à la tête de Frantix, ce premier commissariat européen obtient de si bons résultats. Oui... Le dignitaire, voulant s'en aller. : La sortie ? Par là. [Le maire:] Ici, dans ce cadre, il fera encore mieux. [Le dignitaire:] Probablement. Il faut que je vous quitte. J'ai été enchanté de cette visite. Inutile de me raccompagner tous, Monsieur le maire et Madame la commissaire suffiront bien, vous avez sans doute beaucoup de travail. Au revoir. lequel se lève, et sort par une porte au milieu du mur gauche. [La Commissaire rentrant:] Qui c'est ce type à mon bureau ? [Un homme au fort accent italien:] En tout cas il est sorti par là. [La Commissaire:] Par là ? Mais c'est l'escalier du sous-sol ! [Une femme au fort accent suédois; très grande:] Dites, le député de tout à l'heure, il croit vraiment ce qu'il raconte ? [La Commissaire:] Quoi ! Ça l'arrange, ça nous arrange, sa vérité est celle du maire et la mienne, alors ? [La femme:] Ben oui, tout est bien. Bien. Bien. [Tous les autres:] Bien.
[Un homme à l’accent allemand à une jeune femme:] Où il est ? [La femme:] Il était trop lourd pour moi, je l'ai laissé tomber derrière la porte, là. [La Commissaire:] Eh bien, il aurait suffi que le 'puté demande à visiter de ce côté... On l'a échappé belle. [La femme:] Le temps que l'on retrouve la clef, il aurait dû partir. [Un homme au fort accent suédois:] On aurait eu l'excuse de notre installation toute récente dans ce lieu. [La Commissaire:] Ouais... L'homme du sous-sol rentrant : Excusez-moi, j'ai oublié mon stylo, j'y tiens beaucoup, il m'a été offert par mon père à ma majorité. Qui êtes-vous, vous ? [L’homme:] Latude, votre prisonnier. [La Commissaire:] On a un prisonnier ? L'Italien : Ah bon ? [Le Suédois:] Je ne savais pas. [La Suédoise:] Latude ? Ce n'est pas l'évadé... Une Belge : On a reçu un avis de recherche ! [Latude:] On ne me cherche plus : vous m'avez trouvé. [La Commissaire:] Il faut qu'on le signale. [Latude:] C'est fait. Tout est en règle. Je me suis transféré en ce palais. Officiellement. [La Commissaire:] Ici ! L'Allemand, rentrant avec l'Allemande qu'il aide à porter un bras immense, énorme : Ah, il pèse son poids ! Il commence à sentir. [Latude:] Il faut le congeler. [Le Suédois:] Qui a bien pu avoir un bras comme ça ! [La Commissaire:] Hercule, évidemment. On l'a trouvé où, déjà ? [Le Suédois:] Dans notre poubelle. On l'a déposé là pendant la nuit. [La Commissaire:] Une poubelle toute neuve, belle inauguration. [Latude:] Excusez-moi, il faut que je retourne à mon installation, il y a tant à faire en bas. [La Commissaire:] Mais pourquoi vous êtes venu ici ! [Latude:] Le coup de cœur. Quand j'ai découvert le site dans les informations confidentielles du Ministère de la Justice, j'ai craqué. Et puis, les autre prisons sont tellement mal famées ! On n'y trouve que des gens infréquentables. Bon, je vous laisse travailler de votre côté. [La Commissaire:] Comptez sur moi. Quels sont ses crimes ? [La Suédoise:] Piratage de sites informatiques. Un as dans sa partie. [La Commissaire:] ... Ça peut toujours servir... Allez, lui, là, au congélo. L'Allemande : Le vôtre ? Dans votre appartement ? Mais non ! Avec mes gosses ! Ils ont toujours faim... Le congélo de la cantine des Affaires culturelles, ils ne l'utilisent pas encore. Et vous, au boulot. Trouvez-moi le propriétaire de ce bras.
[La Commissaire:] A ton avis, un bras pareil, qu'est-ce qu'il faisait quand il avait un corps au bout ? [La Suédoise:] Ah... Boxe. [La Belge:] Catch. L'Italien : Cinéma ! [Le Français:] Rugby. [La Commissaire:] Explorez ces quelques pistes. Si ça ne donne rien, trouvez-en d'autres... Le Suédois, piteusement : J'ai pas d'idée... La Commissaire : Moi, je monte un instant à mon appartement, je ne sais pas où est passé mon mari, ça m'inquiète. [La Suédoise:] Toujours le mari... L'Italien : C'est pour ça qu'elle a installé le commissariat ici, je pense, pour avoir un appart au- dessus et le surveiller. [Le Suédois:] C'est choquant. [La Belge:] T'es vite choqué, toi. [Le Français:] Surtout, avec ce mari-là, ça sert à rien. L'Allemande, rentrant : On parle de quoi ? [La Suédoise:] Moi, je ne l'ai jamais vu. [Le Suédois:] Moi non plus ; elle le cache ? [La Belge:] Elle voudrait l'enfermer. L'Allemande, riant : Mais il s'échappe ! [Le Suédois:] Ah bon, donc toi tu l'as vu ? [La Suédoise:] Où ? L'Allemand, qui rentrait à ce moment : Qui dans le lit ? On parlait de tourisme sexuel. [Le Suédois:] Comme je suis l'un des derniers arrivés, je n'ai pas encore eu l'occasion de me présenter : Elmer, Suédois. [La Suédoise:] Théa, Suédoise. [Le Français:] Bertrand, l'unique. [La Belge:] Gertrude, d'Anvers, réfugiée dans ce lieu tranquille. [La Commissaire rentrant l’air préoccupé:] Alors, ces recherches, ça avance ? L'Italien : On y travaille !
[La Commissaire:] C'est un peu contrariant, bien sûr. [Giuseppe:] Pas plus ? Comment voyez-vous donc notre tâche dans cette société, Commissaire ? [La Commissaire:] C'est simple : on lutte contre la loi du plus fort sans être les plus forts et pour la justice sans être spécialement justes. A la place de la force on a des règlements et le nombre, à la place de la justice on a les lois. Nous n'avons qu'à appliquer. Au lieu de penser, on nous demande de savoir, de savoir les règlements et les lois. [Giuseppe:] On frappe avant d'entrer. [Théa:] Si vous voulez rester prisonnier ici, faudra apprendre les convenances. [La Commissaire:] On vous a pas vu ressortir... Latude : J'ai trouvé plusieurs accès, comme ça je ne vous dérange pas. Mais j'ai voulu vous faire goûter ce cognac. Vous êtes allé jusqu'au supermarché ? [Latude:] Non. D'autant que cette marque-là elle ne s'y trouverait pas. On est dans les six cents euros cet imposant flacon. [La Commissaire:] Alors il vient d'où ? [Latude:] De la réserve spéciale du maire. D'un coffre qu'il a fait installer dans son bureau. [La Commissaire:] Ouais, un vol à la mairie ! [Latude:] Pas du tout. J'ai vérifié sur son téléphone et son ordi : il l'a payé avec l'argent public. [La Commissaire:] Bref, il a volé du cognac à l'innocent électeur, ce pauvre mouton. [Latude:] Pas de risque qu'il porte plainte. Goûtez-moi ça. [La Commissaire:] Ouououh, fameux. [Latude:] Extra. J'en avais jamais bu d'aussi bon. [La Commissaire:] Moi non plus. Et ce salopard ne m'en offrait pas. Dites donc, Latude, je me souviens que l'autorisation pour que j'occupe tout le dernier étage avec ma famille bloquait... Latude : Oh... Qui... ? Un jaloux haut placé. Difficile à contourner... Vraiment difficile. [Latude:] Pas d'inquiétude, Commissaire, j'arrangerai ça ce soir quand les bureaux seront vides. [La Commissaire:] Je vous fais confiance. [Latude:] Comptez sur moi. [La Commissaire:] Et merci pour le verre ! Toujours rien ? [Giuseppe:] Ah, vous êtes là, Commissaire ? Non, rien. [Théa:] Non, rien. [La Commissaire:] Allez aux renseignements dans les autres bureaux, et assurez-vous que personne ne fainéante. [Giuseppe:] Bien, Commissaire.