{"filename": "Collodi-Les_aventures_de_Pinocchio.pdf", "content": "Carlo Collodi\nLES AVENTURES DE\nPINOCCHIO\nHistoire d\u2019une marionnette\nTraduction de Claude Sartirano\n1883Chapitre 1\nComment Ma\u00eetre Cerise, le menuisier,\ntrouva un morceau de bois qui pleurait et\nriait comme un enfant.\nIl \u00e9tait une fois\u2026\n\u2013 Un roi ! \u2013 vont dire mes petits lecteurs.\nEh bien non, les enfants, vous vous trompez. Il \u00e9tait\nune fois\u2026 un morceau de bois.\nCe n\u2019\u00e9tait pas du bois pr\u00e9cieux, mais une simple b\u00fbche,\nde celles qu\u2019en hiver on jette dans les po\u00eales et dans les\nchemin\u00e9es.\nJe ne pourrais pas expliquer comment, mais le fait est\nqu\u2019un beau jour ce bout de bois se retrouva dans l\u2019atelier\nd\u2019un vieux menuisier, lequel avait pour nom Antonio bien\nque tout le monde l\u2019appel\u00e2t Ma\u00eetre Cerise \u00e0 cause de la\npointe de son nez qui \u00e9tait toujours brillante et rouge\nfonc\u00e9, comme une cerise m\u00fbre.\nApercevant ce morceau de bois, Ma\u00eetre Cerise devint\ntout joyeux et, se frottant les mains, marmonna :\u2013 Ce rondin est arriv\u00e9 \u00e0 point : je vais m\u2019en servir pour\nfabriquer un pied de table.\nSit\u00f4t dit, sit\u00f4t fait : pour enlever l\u2019\u00e9corce et le\nd\u00e9grossir, il empoigna sa hache bien aiguis\u00e9e. Mais comme\nil allait donner le premier coup, son bras resta suspendu\nen l\u2019air car il venait d\u2019entendre une toute petite voix qui le\nsuppliait :\n\u2013 Ne frappe pas si fort !\nImaginez la t\u00eate de ce brave Ma\u00eetre Cerise !\nSes yeux \u00e9gar\u00e9s firent le tour de la pi\u00e8ce pour\ncomprendre d\u2019o\u00f9 pouvait bien venir cette voix fluette,\nmais il ne vit personne. Il regarda sous l\u2019\u00e9tabli :\npersonne ! Il ouvrit une armoire habituellement ferm\u00e9e\nmais, l\u00e0 non plus, il n\u2019y avait personne. Il inspecta la\ncorbeille remplie de copeaux et de sciure : rien ! Il poussa\nm\u00eame la porte de son atelier et jeta un coup d\u2019\u0153il sur la\nroute. Pas \u00e2me qui vive ! Mais alors ?\n\u2013 J\u2019ai compris \u2013 dit-il en riant et en grattant sa\nperruque \u2013 cette voix, je l\u2019ai imagin\u00e9e. Remettons-nous\nau travail.\nEmpoignant de nouveau sa hache, il en ass\u00e9na un\nformidable coup au morceau de bois.\n\u2013 A\u00efe ! Tu m\u2019as fait mal ! \u2013 se lamenta la m\u00eame petite\nvoix. Cette fois, Ma\u00eetre Cerise en fut baba. Il resta bouche\nb\u00e9e, la langue pendante, les yeux exorbit\u00e9s, comme la\nfigurine de pierre d\u2019une fontaine.\nMais d\u2019o\u00f9 peut bien sortir cette voix qui fait \u00ab a\u00efe \u00bb ?\nPourtant il n\u2019y a personne ici. Ou alors ce morceau de boisaurait appris \u00e0 pleurer et \u00e0 se lamenter comme un\nenfant ? C\u2019est impossible. Le bout de bois que voici, c\u2019est\ndu bois \u00e0 br\u00fbler, une b\u00fbche comme une autre, juste bonne\n\u00e0 mettre dans le feu pour faire cuire une casserole de\nharicots. A moins que quelqu\u2019un ne soit cach\u00e9 l\u00e0-dedans ?\nS\u2019il y a quelqu\u2019un, on va bien voir ! Tant pis pour lui.\nIl saisit \u00e0 deux mains le pauvre morceau de bois et se\nmit \u00e0 le cogner sans piti\u00e9 contre les murs de la pi\u00e8ce.\nPuis il tendit l\u2019oreille pour entendre les lamentations\nde la petite voix. Il attendit deux minutes, mais rien ne se\nmanifesta. Il attendit cinq minutes, dix minutes : toujours\nrien !\n\u2013 J\u2019ai compris \u2013 dit-il en s\u2019effor\u00e7ant de rire et en se\ngrattant la perruque \u2013 voil\u00e0 la preuve que cette voix qui\nfait \u00ab a\u00efe \u00bb sort tout droit de mon imagination !\nRemettons-nous au travail.\nEt parce qu\u2019il avait eu tr\u00e8s peur, il s\u2019essaya \u00e0\nchantonner pour se donner un peu de courage.\nPosant sa hache, il prit le rabot pour rendre bien lisse\net propre le bois mais, alors qu\u2019il rabotait, il entendit un\npetit rire :\n\u2013 Arr\u00eate ! Tu me fais des chatouilles sur tout le corps !\nCette fois, le malheureux Ma\u00eetre Cerise s\u2019effondra,\ncomme foudroy\u00e9. Quand il rouvrit les yeux, il \u00e9tait assis \u00e0\nm\u00eame le sol.\nSon visage \u00e9tait d\u00e9compos\u00e9. Une terrible peur avait\nchang\u00e9 jusqu\u2019\u00e0 la couleur de son nez qui, de rouge, avait\nvir\u00e9 au bleu fonc\u00e9.vir\u00e9 au bleu fonc\u00e9.Chapitre 2\nMa\u00eetre Cerise offre le morceau de bois \u00e0\nson ami Geppetto qui le prend pour se\nfabriquer une marionnette extraordinaire\ncapable de danser, de tirer l\u2019\u00e9p\u00e9e et de faire\ndes sauts p\u00e9rilleux.\nC\u2019est alors qu\u2019on frappa \u00e0 la porte.\n\u2013 Entrez \u2013 dit le menuisier, sans avoir la force de se\nrelever.\nUn petit vieux tout guilleret entra dans l\u2019atelier. Il\navait pour nom Geppetto mais les enfants du voisinage,\nquand ils voulaient le mettre hors de lui, l\u2019appelaient\nPolenta au motif que sa perruque jaune ressemblait fort \u00e0\nune galette de farine de ma\u00efs.\nGeppetto \u00e9tait tr\u00e8s susceptible. Gare \u00e0 qui lui donnait\nde la Polenta ! Il devenait une vraie b\u00eate et il n\u2019y avait\nplus moyen de le tenir.\n\u2013 Bonjour, Ma\u00eetre Antonio \u2013 dit Geppetto \u2013 Qu\u2019est-ce\nque vous faites assis par terre ?que vous faites assis par terre ?\n\u2013 J\u2019apprends le calcul aux fourmis.\n\u2013 Grand bien vous fasse !\n\u2013 Qu\u2019est-ce qui vous am\u00e8ne chez moi, comp\u00e8re\nGeppetto ?\n\u2013 Mes jambes ! Ma\u00eetre Antonio, je suis venu vous\ndemander une faveur.\n\u2013 Me voici, pr\u00eat \u00e0 vous rendre service \u2013 r\u00e9pondit le\nmenuisier en se relevant.\n\u2013 Ce matin, il m\u2019est venu une id\u00e9e.\n\u2013 Voyons cela.\n\u2013 J\u2019ai pens\u00e9 que je pourrais faire une belle marionnette\nen bois, mais une marionnette extraordinaire capable de\ndanser, de tirer l\u2019\u00e9p\u00e9e et de faire des sauts p\u00e9rilleux. Avec\nelle, je pourrai parcourir le monde en d\u00e9nichant ici ou l\u00e0\nun quignon de pain et un verre de vin. Qu\u2019en dites-vous ?\n\u2013 Bravo Polenta ! cria la petite voix, celle qui sortait on\nne sait d\u2019o\u00f9.\nA s\u2019entendre appel\u00e9 ainsi, Geppetto devint rouge\ncomme une pivoine et, fou de rage, se tourna vers le\nmenuisier :\n\u2013 Pourquoi m\u2019offensez-vous ?\n\u2013 Qui donc vous a offens\u00e9 ?\n\u2013 Vous m\u2019avez appel\u00e9 Polenta !\u2026\n\u2013 Mais ce n\u2019est pas moi.\n\u2013 Ben voyons ! Ce serait moi, par hasard ! Moi, je disque c\u2019est vous.\n\u2013 Non !\n\u2013 Si !\n\u2013 Non !\n\u2013 Si !\nS\u2019\u00e9chauffant de plus en plus, ils pass\u00e8rent des paroles\naux actes. Ils s\u2019agripp\u00e8rent, se chiffonn\u00e8rent, se griff\u00e8rent\net se mordirent.\nLe combat fini, Ma\u00eetre Antonio avait dans les mains la\nmoumoute de Geppetto et Geppetto se rendit compte\nqu\u2019il avait entre ses dents la perruque grise du menuisier.\n\u2013 Donne-moi ma perruque ! \u2013 cria Ma\u00eetre Antonio\n\u2013 Et toi, rends-moi la mienne et faisons la paix.\nChacun ayant repris sa perruque, les deux petits vieux\nse serr\u00e8rent la main et jur\u00e8rent de rester bons amis pour\nla vie enti\u00e8re.\n\u2013 Donc, comp\u00e8re Geppetto \u2013 dit le menuisier pour\nsceller la paix retrouv\u00e9e \u2013 que puis-je faire pour vous \u00eatre\nagr\u00e9able ?\n\u2013 Il me faudrait du bois pour fabriquer ma\nmarionnette.\nTout content, le menuisier fila prendre sur l\u2019\u00e9tabli le\nbout de bois qui lui avait fait si peur. Mais comme il\ns\u2019appr\u00eatait \u00e0 le remettre \u00e0 son ami, le bout de bois se\nd\u00e9gagea d\u2019une violente secousse, lui \u00e9chappa des mains et\nalla frapper durement les tibias du pauvre Geppetto.\u2013 Eh bien, Ma\u00eetre Antonio, voil\u00e0 une jolie mani\u00e8re de\nfaire des cadeaux ! Vous m\u2019avez quasiment estropi\u00e9 !\n\u2013 Mais je vous jure que ce n\u2019est pas moi !\n\u2013 Alors, c\u2019est moi !\n\u2013 C\u2019est la faute de ce bout de bois\n\u2013 Je vois bien que c\u2019est du bois, mais c\u2019est vous qui me\nl\u2019avez envoy\u00e9 dans les jambes !\n\u2013 Moi, je n\u2019ai rien envoy\u00e9 !\n\u2013 Menteur !\n\u2013 Geppetto, ne m\u2019offensez pas, sinon je vous appelle\nPolenta !\n\u2013 Esp\u00e8ce d\u2019\u00e2ne !\n\u2013 Polenta !\n\u2013 Imb\u00e9cile !\n\u2013 Polenta !\n\u2013 Macaque !\n\u2013 Polenta !\nTrois fois Polenta, c\u2019\u00e9tait une de trop. Geppetto se jeta\nsur le menuisier et ils s\u2019\u00e9trip\u00e8rent de nouveau.\nLa bataille termin\u00e9e, Ma\u00eetre Antonio se retrouva avec\ndeux griffures de plus sur le nez, l\u2019autre avec deux\nboutons de moins \u00e0 sa vareuse. Leurs comptes r\u00e9gl\u00e9s, ils\nse serr\u00e8rent la main et jur\u00e8rent de rester bons amis la vie\nenti\u00e8re.\nSur ce, Geppetto prit le fameux morceau de bois et,apr\u00e8s avoir remerci\u00e9 le menuisier, rentra chez lui en\nboitillant.Chapitre 3\nDe retour chez lui, Geppetto se met tout de\nsuite \u00e0 fabriquer sa marionnette et lui\ndonne le nom de Pinocchio. Premi\u00e8res\nespi\u00e8gleries de la marionnette.\nLa maison de Geppetto se r\u00e9duisait \u00e0 une petite pi\u00e8ce\nen rez-de-chauss\u00e9e qu\u2019\u00e9clairait une soupente. Le mobilier\n\u00e9tait des plus rudimentaires : un si\u00e8ge bancal, un mauvais\nlit et une table compl\u00e8tement d\u00e9labr\u00e9e. Au fond de la\npi\u00e8ce br\u00fblait un feu dans une petite chemin\u00e9e. Mais ce feu\n\u00e9tait peint sur le mur, en trompe-l\u2019\u0153il. Une casserole,\npeinte elle aussi, bouillait joyeusement pr\u00e8s du feu\nenvoyant un nuage de vapeur qui semblait \u00eatre de la\nvraie vapeur.\nArriv\u00e9 chez lui, Geppetto prit sans attendre ses outils\net se mit \u00e0 tailler le morceau de bois afin de confectionner\nsa marionnette.\n\u2013 Quel nom lui donner ? \u2013 se demanda-t-il \u2013 Je\nl\u2019appellerai bien Pinocchio. Ce nom lui portera bonheur.\nJ\u2019ai connu une famille enti\u00e8re de Pinocchio. Le p\u00e8re, lam\u00e8re, les enfants, tous se la coulaient douce. Et le plus\nais\u00e9 d\u2019entre eux se contentait de mendier.\nAyant trouv\u00e9 le nom de sa marionnette, il se mit \u00e0\ntravailler s\u00e9rieusement. Il commen\u00e7a par sculpter la\nchevelure, puis le front et les yeux.\nLes yeux termin\u00e9s, imaginez son \u00e9tonnement quand il\ns\u2019aper\u00e7ut qu\u2019ils bougeaient et le regardaient avec\nimpudence.\nCes deux yeux qui le fixaient \u00e9nerv\u00e8rent Geppetto. Il\ndit d\u2019un ton irrit\u00e9 :\n\u2013 Gros yeux du bois, pourquoi me regardez-vous\nainsi ?\nPas de r\u00e9ponse.\nAlors il fit le nez, mais le nez \u00e0 peine fini commen\u00e7a \u00e0\ngrandir. Il grandit, grandit, grandit tellement qu\u2019il devint,\nen quelques minutes, un nez d\u2019une longueur incroyable.\nLe pauvre Geppetto avait beau s\u2019\u00e9reinter \u00e0 le retailler,\nplus il le retaillait pour le raccourcir, plus ce nez\nimpertinent s\u2019allongeait\nApr\u00e8s le nez, il sculpta la bouche.\nMais la bouche n\u2019\u00e9tait m\u00eame pas termin\u00e9e qu\u2019elle\ncommen\u00e7a \u00e0 rire et \u00e0 se moquer de lui.\n\u2013 Arr\u00eate de rire ! \u2013 dit Geppetto, vex\u00e9. Mais ce fut\ncomme s\u2019il parlait \u00e0 un mur.\n\u2013 Arr\u00eate, je te r\u00e9p\u00e8te ! \u2013 hurla-t-il d\u2019une voix\nmena\u00e7ante.Alors la bouche cessa de rire mais lui tira la langue.\nGeppetto, pour ne pas rater son ouvrage, fit semblant\nde ne rien voir et continua \u00e0 travailler.\nApr\u00e8s la bouche, ce fut au tour du menton puis du cou,\ndu ventre, des bras et des mains.\nLes mains achev\u00e9es, Geppetto sentit qu\u2019on lui enlevait\nsa perruque. Il leva la t\u00eate et que vit-il ? Sa perruque\njaune dans les mains de la marionnette !\n\u2013 Pinocchio !\u2026 Rends-moi tout de suite ma perruque !\nMais au lieu de la lui rendre, Pinocchio la mit sur sa\nt\u00eate. La perruque lui mangeait la moiti\u00e9 du visage.\nCes mani\u00e8res insolentes avaient rendu triste Geppetto,\ncomme jamais il ne l\u2019avait \u00e9t\u00e9 de toute sa vie. Il se tourna\nvers Pinocchio et lui dit :\n\u2013 Bougre de gamin ! Tu n\u2019es m\u00eame pas fini que tu\nmanques d\u00e9j\u00e0 de respect \u00e0 ton p\u00e8re ! C\u2019est mal, mon\ngar\u00e7on, c\u2019est mal !\nEt il s\u00e9cha une larme\u2026\nRestaient cependant \u00e0 fabriquer les jambes et les\npieds.\nQuand Geppetto eut fini, il re\u00e7ut un coup de pied en\nplein sur le nez.\n\u2013 C\u2019est de ma faute \u2013 se dit-il alors. J\u2019aurais d\u00fb y\npenser avant. Maintenant c\u2019est trop tard.\nApr\u00e8s quoi, il empoigna la marionnette sous les bras et\nla posa sur le sol de la pi\u00e8ce pour la faire marcher.Mais Pinocchio avait les jambes raides et ne savait pas\nencore s\u2019en servir. Geppetto le prit alors par la main et lui\napprit \u00e0 mettre un pied devant l\u2019autre.\nUne fois ses jambes d\u00e9gourdies, Pinocchio commen\u00e7a \u00e0\nmarcher tout seul puis il se mit \u00e0 courir \u00e0 travers la pi\u00e8ce.\nFinalement, il passa la porte de la maison, sauta dans la\nrue et s\u2019enfuit.\nEt le pauvre Geppetto de courir derri\u00e8re lui sans\npouvoir le rattraper parce que ce polisson de Pinocchio\nfilait en bondissant comme un li\u00e8vre. Ses pieds de bois\nfrappaient le pav\u00e9 de la rue en faisant autant de tapage\nque vingt paires de sabots.\nArr\u00eatez-le ! Arr\u00eatez-le ! criait Geppetto, mais les gens,\ndans la rue, voyant cette marionnette en bois cavalant\ncomme un cheval arabe, \u00e9taient enchant\u00e9s de la regarder\net ils riaient, riaient, vous ne pouvez pas savoir comme ils\nriaient.\nSurvint heureusement un carabinier qui, entendant\ntout ce vacarme et croyant qu\u2019il s\u2019agissait d\u2019un poulain qui\navait \u00e9chapp\u00e9 \u00e0 son ma\u00eetre, se campa courageusement au\nmilieu de la rue, jambes \u00e9cart\u00e9es, avec la ferme r\u00e9solution\nde l\u2019arr\u00eater et d\u2019emp\u00eacher ainsi de plus graves d\u00e9sordres.\nQuand Pinocchio se rendit compte que le carabinier\nbarrait la rue, il tenta de le tromper en lui passant entre\nles jambes mais sa tentative \u00e9choua.\nSans bouger d\u2019un pouce, le policier l\u2019attrapa carr\u00e9ment\npar le nez (c\u2019\u00e9tait un nez tellement d\u00e9mesur\u00e9 qu\u2019il\nparaissait n\u2019exister que pour \u00eatre attrap\u00e9 par lescarabiniers) et le rendit \u00e0 Geppetto qui, en punition,\nd\u00e9cida de lui tirer les oreilles. Mais imaginez sa t\u00eate\nquand, cherchant les oreilles, il ne les trouva pas. Et\nsavez-vous pourquoi ? Parce que, dans sa pr\u00e9cipitation, il\navait tout simplement oubli\u00e9 de les faire.\nIl le saisit donc par la nuque et, tout en le ramenant \u00e0\nla maison, lui secouait la t\u00eate et le mena\u00e7ait :\n\u2013 On rentre. Et quand on sera rentr\u00e9s, on r\u00e8glera nos\ncomptes !\nA ces mots, Pinocchio se jeta par terre et ne voulut\nplus marcher.\nImm\u00e9diatement, curieux et badauds se rapproch\u00e8rent\net commenc\u00e8rent \u00e0 former un cercle autour d\u2019eux.\nChacun donnait son avis. Certains disaient :\n\u2013 Pauvre marionnette, elle a raison de ne pas vouloir\nrentrer. Qui sait si elle ne serait pas battue par ce diable\nde Geppetto !\nEt les autres, malicieusement, en rajoutaient :\n\u2013 Ce Geppetto semble un brave homme ! Mais, en\nv\u00e9rit\u00e9, c\u2019est un vrai tyran avec les enfants ! Si on lui laisse\ncette marionnette, il est capable de la mettre en pi\u00e8ces !\nIls firent et dirent tant et si bien que le carabinier\nlib\u00e9ra Pinocchio et conduisit en prison le pauvre Geppetto.\nIncapable de trouver les mots pour se d\u00e9fendre, il pleurait\ncomme un veau et, tout au long du chemin, murmurait en\nsanglotant :\n\u2013 Sale gamin ! Et dire que je me suis donn\u00e9 toute cettepeine pour fabriquer une marionnette bien comme il faut !\nTout reste \u00e0 faire ! J\u2019aurais d\u00fb y penser plus t\u00f4t !\nCe qui arriva ensuite est une incroyable histoire. C\u2019est\ncette histoire que je vais vous raconter maintenant.Chapitre 4\nL\u2019histoire de Pinocchio et du Grillon-qui-\nparle. O\u00f9 l\u2019on voit que les m\u00e9chants\ngar\u00e7ons ne supportent pas d\u2019\u00eatre contrari\u00e9s\npar qui en sait plus qu\u2019eux.\nVoil\u00e0 donc la suite, les enfants. Alors que le pauvre\nGeppetto \u00e9tait conduit sans raison en prison, ce polisson\nde Pinocchio, sorti des griffes du carabinier, descendit \u00e0\ntoutes jambes \u00e0 travers champs pour rentrer plus vite \u00e0\nla maison. Dans sa course folle, il gravissait les plus hauts\ntalus, sautait par dessus des haies de ronces et\nfranchissait des foss\u00e9s pleins d\u2019eau, exactement comme\nun chevreau ou un jeune li\u00e8vre poursuivi par des\nchasseurs. Arriv\u00e9 devant la maison, il trouva la porte\nferm\u00e9e. Il lui donna une bourrade, entra, tira tous les\nverrous et s\u2019affala par terre en poussant un grand soupir\nde satisfaction.\nMais la satisfaction dura peu car il entendit, quelque\npart dans la pi\u00e8ce, quelqu\u2019un qui faisait :\n\u2013 Cri-cri-cri !\u2013 Qui donc m\u2019appelle ? \u2013 demanda Pinocchio, apeur\u00e9.\n\u2013 C\u2019est moi !\nIl se retourna et vit un \u00e9norme Grillon qui grimpait\nlentement sur le mur.\n\u2013 Dis-moi, Grillon, qui es-tu ?\n\u2013 Je suis le Grillon-qui-parle, et je vis dans cette pi\u00e8ce\ndepuis plus de cent ans.\n\u2013 Ouais, mais maintenant c\u2019est ma maison \u00e0 moi \u2013 dit\nla marionnette \u2013 et si tu veux vraiment me faire plaisir,\nva-t-en tout de suite et ne reviens pas.\n\u2013 Je ne partirai d\u2019ici \u2013 r\u00e9pondit le Grillon \u2013 qu\u2019apr\u00e8s\nt\u2019avoir dit une v\u00e9rit\u00e9 essentielle.\n\u2013 Bon, alors grouille-toi de me la dire.\n\u2013 Malheur aux enfants qui se r\u00e9voltent contre leurs\nparents et abandonnent par caprice la maison paternelle !\nJamais ils ne trouveront le bien en ce monde et, t\u00f4t ou\ntard, ils s\u2019en repentiront am\u00e8rement.\n\u2013 Cause toujours, mon Grillon, tant qu\u2019il te plaira : moi\nje sais que demain, \u00e0 l\u2019aube, je partirai d\u2019ici car si je reste,\nil m\u2019arrivera ce qui arrive \u00e0 tous les enfants. C\u2019est \u00e0 dire\nqu\u2019ils m\u2019enverront \u00e0 l\u2019\u00e9cole et, que cela me plaise ou non,\non m\u2019obligera \u00e0 \u00e9tudier. Or moi, je te le dis en confidence,\n\u00e9tudier ne me va pas du tout. Cela m\u2019amuse beaucoup\nplus de courir derri\u00e8re les papillons et de grimper dans les\narbres pour d\u00e9nicher les oiseaux.\n\u2013 Pauvre petit sot ! Tu ne sais donc pas qu\u2019en agissant\nainsi tu deviendras le plus beau des \u00e2nes et que tout leainsi tu deviendras le plus beau des \u00e2nes et que tout le\nmonde se paiera ta t\u00eate ?\n\u2013 Oh ! La barbe Grillon de malheur ! \u2013 cria Pinocchio.\nMais le Grillon, qui \u00e9tait patient et philosophe, au lieu\nde prendre mal cette impertinence, continua sur le m\u00eame\nton :\n\u2013 S\u2019il ne te plait pas d\u2019aller \u00e0 l\u2019\u00e9cole, tu pourrais au\nmoins apprendre un m\u00e9tier, de fa\u00e7on \u00e0 pouvoir gagner ta\nvie honn\u00eatement.\n\u2013 Tu veux que je te dise ? \u2013 r\u00e9pliqua Pinocchio, qui\ncommen\u00e7ait \u00e0 s\u2019\u00e9nerver \u2013 Parmi tous les m\u00e9tiers du\nmonde, un seul me conviendrait parfaitement.\n\u2013 Et ce m\u00e9tier serait ?\u2026\n\u2013 Celui qui consiste \u00e0 manger, boire, dormir, m\u2019amuser\net me balader du matin au soir.\n\u2013 Pour ta gouverne \u2013 lui r\u00e9pondit le Grillon-qui-parle\navec son calme habituel \u2013 je te signale que ceux qui\npratiqu\u00e8rent un tel m\u00e9tier ont tous fini leurs jours \u00e0\nl\u2019hospice ou en prison.\n\u2013 Cela suffit, Grillon de malheur !\u2026 Si la col\u00e8re me\nprend, gare \u00e0 toi !\n\u2013 Pauvre Pinocchio ! Tu me fais piti\u00e9 !\u2026\n\u2013 Et pourquoi, Grillon ?\n\u2013 Parce que tu es une marionnette et, ce qui est\nterrible, que tu as donc la t\u00eate dure comme du bois.\nRendu absolument furieux par ces derni\u00e8res paroles,\nPinocchio se leva d\u2019un bond, s\u2019empara d\u2019un marteau surl\u2019\u00e9tabli et le lan\u00e7a \u00e0 toute vol\u00e9e vers le Grillon-qui-parle.\nPeut-\u00eatre crut-il qu\u2019il ne le toucherait m\u00eame pas.\nMalheureusement, il le frappa en plein sur la t\u00eate, si\nbien que le pauvre Grillon, apr\u00e8s avoir fait une derni\u00e8re\nfois cri-cri-cri, resta coll\u00e9 au mur, raide mort.Chapitre 5\nPinocchio a faim et cherche un \u0153uf pour\nfaire une omelette. Mais au moment de la\nmanger, l\u2019omelette s\u2019envole par la fen\u00eatre.\nLa nuit commen\u00e7ait \u00e0 tomber. Pinocchio ressentit un\npetit creux \u00e0 l\u2019estomac et se rappela qu\u2019il n\u2019avait rien\nmang\u00e9.\nCe petit creux, chez les enfants, grandit rapidement.\nEn peu de minutes, il se transforme en v\u00e9ritable faim et\ncette faim, subrepticement, devient faim de loup, une\nfaim colossale.\nLe pauvre Pinocchio commen\u00e7a par se ruer vers la\nchemin\u00e9e o\u00f9 fumait une casserole et voulut enlever le\ncouvercle pour voir ce qui cuisait. Mais cette casserole\nn\u2019\u00e9tant qu\u2019une peinture murale, imaginez sa stupeur ! Son\nnez, d\u00e9j\u00e0 long, s\u2019allongea encore plus, d\u2019au moins quatre\ndoigts.\nAlors il se mit \u00e0 courir comme un fou dans toute la\npi\u00e8ce, fouillant dans toutes les boites, inspectant les\nplacards \u00e0 la recherche d\u2019un peu de pain sec, d\u2019un cro\u00fbtonquelconque, d\u2019un os pour chien, d\u2019un restant de polenta\nmoisie, d\u2019une ar\u00eate de poisson ou d\u2019un noyau de cerise,\nbref de n\u2019importe quoi \u00e0 se mettre sous la dent, mais il ne\ntrouva rien, absolument rien, rien de rien.\nOr la faim grandissait et grandissait toujours. Cette\nfaim provoquait en lui l\u2019envie de bailler et ces b\u00e2illements\n\u00e9taient si cons\u00e9quents que sa bouche s\u2019\u00e9tirait jusqu\u2019aux\noreilles. Il baillait, crachotait et sentait que son estomac\nlui descendait sur les talons.\nD\u00e9sesp\u00e9r\u00e9, il se mit \u00e0 pleurer :\n\u2013 Le Grillon-qui-parle avait raison. Je n\u2019aurais pas d\u00fb\nme r\u00e9volter contre mon papa ni me sauver de la maison.\nSi papa \u00e9tait l\u00e0, je n\u2019en serais pas r\u00e9duit \u00e0 bailler \u00e0 en\nmourir ! Oh ! Quelle sale maladie que d\u2019avoir faim !\nMais voil\u00e0 qu\u2019il lui sembla voir, dans un tas de\npoussi\u00e8re, quelque chose de rond et blanc, comme un \u0153uf\nde poule. Il se jeta dessus d\u2019un seul bond. C\u2019\u00e9tait bien un\n\u0153uf.\nLa joie de la marionnette fut indescriptible. Croyant\nr\u00eaver, il tournait et retournait cet \u0153uf dans ses mains, le\ncaressait et l\u2019embrassait tout en disant :\n\u2013 Et maintenant, comment vais-je le cuire ? En\nomelette ? A la coque ? Sur le plat, ce ne serait pas plus\nsavoureux ? Oui, et c\u2019est encore le moyen le plus rapide,\nj\u2019ai trop envie de le manger.\nSit\u00f4t dit, sit\u00f4t fait : il mit un po\u00ealon sur un brasero aux\ncendres chaudes et versa, faute d\u2019huile ou de beurre, un\npeu d\u2019eau. Quand l\u2019eau commen\u00e7a \u00e0 bouillir, tac !\u2026 elle fit\u00e9clater la coquille qui laissa s\u2019\u00e9chapper ce qu\u2019il y avait \u00e0\nl\u2019int\u00e9rieur.\nOr, au lieu du blanc et du jaune de l\u2019\u0153uf, sortit un petit\npoussin tout content et tr\u00e8s poli qui, apr\u00e8s une belle\nr\u00e9v\u00e9rence, dit :\n\u2013 Merci mille fois, Monsieur Pinocchio, de m\u2019avoir\n\u00e9pargn\u00e9 la fatigue de rompre moi-m\u00eame ma coquille.\nPortez-vous bien et bonjour chez vous !\nPuis il \u00e9tendit ses ailes et, passant par la fen\u00eatre rest\u00e9e\nouverte, s\u2019envola dans le ciel et disparut \u00e0 l\u2019horizon.\nLa pauvre marionnette en resta paralys\u00e9e, les yeux\nfixes, la bouche ouverte, la coquille cass\u00e9e dans la main.\nLe choc pass\u00e9, il se mit \u00e0 pleurer, \u00e0 crier, \u00e0 taper des pieds\npar terre de d\u00e9sespoir et, tout en pleurant, s\u2019exclama :\n\u2013 Le Grillon-qui-parle avait donc raison ! Si je ne\nm\u2019\u00e9tais pas sauv\u00e9 de la maison et si mon papa \u00e9tait encore\nici, je n\u2019en serais pas r\u00e9duit \u00e0 mourir de faim ! Oh ! Quelle\nsale maladie que la faim !\nEt, parce que son corps rousp\u00e9tait plus que jamais et\nqu\u2019il ne savait quoi faire pour le contenter, il songea \u00e0\nsortir pour une vir\u00e9e dans le voisinage, histoire de trouver\nquelque personne charitable qui lui ferait l\u2019aum\u00f4ne d\u2019un\npeu de pain.Chapitre 6\nPinocchio s\u2019endort les pieds pos\u00e9s sur le\nbrasero et le lendemain matin ils sont\nenti\u00e8rement calcin\u00e9s.\nDehors, c\u2019\u00e9tait proprement infernal. Un terrible orage\ntonnait avec fracas et la nuit s\u2019\u00e9clairait comme si le ciel\navait pris feu, un vent glacial tournoyait, sifflant\nm\u00e9chamment, soulevant un immense nuage de poussi\u00e8re\net faisant g\u00e9mir tous les arbres de la campagne. Pinocchio\navait tr\u00e8s peur du tonnerre et des \u00e9clairs, mais la faim\n\u00e9tait encore plus forte que la peur. Alors il poussa la porte\net, filant \u00e0 toute allure, arriva dans le village une petite\ncentaine de bonds plus loin, la langue pendante et le\nsouffle court, comme un chien de chasse.\nTout \u00e9tait dans l\u2019obscurit\u00e9. Les boutiques \u00e9taient\nferm\u00e9es, closes les portes et les fen\u00eatres des maisons.\nDans la rue, pas un chat. On aurait dit un village de morts.\nAccabl\u00e9 par le d\u00e9sespoir et la faim, Pinocchio se pendit\n\u00e0 la sonnette d\u2019une maison et carillonna, carillonna tout en\nse disant :\u2013 Quelqu\u2019un finira bien par se mettre \u00e0 la fen\u00eatre.\nEffectivement, un petit vieux apparut, son bonnet de\nnuit sur la t\u00eate et tr\u00e8s \u00e9nerv\u00e9 :\n\u2013 Qu\u2019est-ce que vous voulez \u00e0 cette heure-ci ?\n\u2013 Peut-\u00eatre serez-vous assez aimable de me donner\nun morceau de pain ?\n\u2013 D\u2019accord, ne bouge pas, je reviens tout de suite \u2013\nr\u00e9pondit le vieil homme qui croyait avoir \u00e0 faire \u00e0 l\u2019un de\nces vauriens capables de tout et qui, la nuit, s\u2019amusent \u00e0\ntirer les sonnettes pour le seul plaisir de d\u00e9ranger les gens\ndormant tranquillement.\nTrente secondes plus tard, la fen\u00eatre s\u2019ouvrit de\nnouveau et le petit vieux cria \u00e0 Pinocchio :\n\u2013 Mets-toi bien dessous et tends ton chapeau.\nPinocchio enleva imm\u00e9diatement son couvre-chef,\nmais au moment o\u00f9 il le tendait, il re\u00e7ut une bassine\nenti\u00e8re d\u2019eau qui l\u2019arrosa de la t\u00eate au pied comme s\u2019il\n\u00e9tait un g\u00e9ranium dess\u00e9ch\u00e9.\nRevenu \u00e0 la maison tremp\u00e9 jusqu\u2019aux os, au comble de\nla fatigue et de la faim, n\u2019ayant m\u00eame plus force de rester\ndebout, il s\u2019affala sur une chaise et posa ses pieds humides\nsur le brasero aux braises rouges.\nIl s\u2019endormit ainsi et, pendant qu\u2019il dormait, ses pieds,\nqui \u00e9taient en bois, br\u00fbl\u00e8rent petit \u00e0 petit jusqu\u2019\u00e0 \u00eatre\nr\u00e9duits en cendre.\nMalgr\u00e9 tout, Pinocchio continuait \u00e0 dormir et \u00e0 ronfler\ncomme si ses pieds \u00e9taient ceux d\u2019un autre. Il ne ser\u00e9veilla qu\u2019\u00e0 l\u2019aube parce que quelqu\u2019un avait frapp\u00e9 \u00e0 la\nporte.\n\u2013 Qui est-ce ? \u2013 questionna-t-il en baillant et en se\nfrottant les yeux.\n\u2013 C\u2019est moi \u2013 r\u00e9pondit une voix.\nCette voix \u00e9tait celle de Geppetto.Chapitre 7\nRevenu chez lui, Geppetto va refaire les\npieds de la marionnette et lui donner son\npropre repas.\nLe pauvre Pinocchio, qui \u00e9tait encore ensommeill\u00e9, ne\ns\u2019\u00e9tait pas rendu compte que ses pieds \u00e9taient br\u00fbl\u00e9s.\nQuand il entendit la voix de son p\u00e8re, il sauta de son\ntabouret pour lui ouvrir mais, apr\u00e8s avoir titub\u00e9 deux ou\ntrois fois, il tomba de tout son long sur le sol.\nEt, en tombant, il fit autant de vacarme qu\u2019une\nbatterie de cuisine d\u00e9gringolant du cinqui\u00e8me \u00e9tage.\n\u2013 Ouvre-moi ! \u2013 lui criait Geppetto de la rue.\n\u2013 Mais, mon papa, je ne peux pas \u2013 lui r\u00e9pondait la\nmarionnette en pleurant et en se roulant par terre.\n\u2013 Pourquoi ne peux-tu pas ?\n\u2013 On m\u2019a mang\u00e9 les pieds.\n\u2013 Et qui donc te les a mang\u00e9s ?\nPinocchio regardait le chat qui s\u2019amusait \u00e0 pousser descopeaux avec ses pattes :\n\u2013 C\u2019est le chat \u2013 inventa-t-il\n\u2013 Ouvre-moi, je te dis ! Sinon, je vais t\u2019en donner du\nchat, mais ce sera du chat \u00e0 neuf queues !\n\u2013 Je vous supplie de me croire : je ne peux pas me\ntenir debout. Oh ! Pauvre de moi ! Je devrai, toute ma\nvie, me tra\u00eener sur les genoux !\u2026\nGeppetto \u00e9tait persuad\u00e9 que toutes ces pleurnicheries\n\u00e9taient encore une espi\u00e8glerie de la marionnette. Pour en\nfinir, il s\u2019accrocha au mur et rentra dans la maison par la\nfen\u00eatre.\nAu d\u00e9but, il voulut mettre les choses au point mais\nquand il vit son Pinocchio par terre et qu\u2019il n\u2019avait plus de\npieds, il fut imm\u00e9diatement attendri. Le prenant par le\ncou, il l\u2019embrassa et lui fit mille caresses. Des larmes lui\ncoulaient sur les joues. Tout en sanglotant, il lui dit :\n\u2013 Mon Pinocchio \u00e0 moi ! Comment as-tu fait pour te\nbr\u00fbler les pieds ?\n\u2013 J\u2019en sais rien, papa, mais c\u2019\u00e9tait une nuit d\u2019enfer\ndont je me souviendrai toujours. Il tonnait, il y avait des\n\u00e9clairs partout et moi j\u2019avais tr\u00e8s faim, alors le Grillon-\nqui-parle m\u2019a dit ; \u00ab Tu as \u00e9t\u00e9 m\u00e9chant et c\u2019est tout ce\nque tu m\u00e9rites \u00bb et moi je lui ai r\u00e9pondu : \u00ab Ca suffit,\nGrillon !\u2026 \u00bb. Mais il a ajout\u00e9 : \u00ab Tu n\u2019es qu\u2019une\nmarionnette qui a la t\u00eate aussi dure que du bois \u00bb. Alors,\nmoi, je lui ai envoy\u00e9 un marteau \u00e0 la figure. Il est mort\nmais c\u2019est de sa faute, moi je ne voulais pas le tuer. Apr\u00e8s,\nj\u2019ai mis une po\u00eale sur le brasero allum\u00e9, le poussin estsorti et m\u2019a dit : \u00ab Adieu\u2026 et bonjour chez vous \u00bb. Comme\nj\u2019avais de plus en plus faim, le petit vieux en bonnet de\nnuit m\u2019a ordonn\u00e9 de me mettre sous sa fen\u00eatre et de\ntendre mon chapeau. C\u2019est comme cela que j\u2019ai re\u00e7u une\nbassine d\u2019eau parce que je demandais un peu de pain. Est-\nce honteux de demander du pain ? Bon, apr\u00e8s je suis\nrevenu \u00e0 la maison, toujours affam\u00e9, j\u2019ai pos\u00e9 mes pieds\nsur le brasero pour les s\u00e9cher, puis vous \u00eates arriv\u00e9 et je\nme suis aper\u00e7u que mes pieds \u00e9taient br\u00fbl\u00e9s. Maintenant,\nla faim, je l\u2019ai toujours mais les pieds, je n\u2019en ai plus ! Hi !\u2026\nHi !\u2026 Hi !\u2026\nEt Pinocchio de recommencer \u00e0 pleurer et \u00e0 brailler si\nfort qu\u2019on pouvait l\u2019entendre \u00e0 cinq kilom\u00e8tres \u00e0 la ronde.\nGeppetto, du long discours embrouill\u00e9 de sa\nmarionnette n\u2019avait retenu que le fait qu\u2019elle mourait de\nfaim et il tira de sa poche trois poires qu\u2019il lui tendit :\n\u2013 Ces poires devaient \u00eatre mon d\u00e9jeuner mais je te les\ndonne volontiers. Mange-les et fais-en le meilleur profit.\n\u2013 Si vous voulez que je les mange, faites-moi donc le\nplaisir de les \u00e9plucher.\n\u2013 Les \u00e9plucher ? \u2013 s\u2019\u00e9tonna Geppetto \u2013 Je ne savais\npas, mon gar\u00e7on, que tu \u00e9tais si d\u00e9licat. Tu fais la fine\nbouche. C\u2019est mal ! D\u00e9s le plus jeune \u00e2ge, en ce bas\nmonde, il faut s\u2019habituer \u00e0 manger de tout. On ne sait\njamais ce qui peut arriver, car tout est possible.\n\u2013 Vous parlez d\u2019or \u2013 r\u00e9pliqua Pinocchio, \u2013 mais moi je\nne mangerai jamais un fruit qui n\u2019est pas \u00e9pluch\u00e9. Je ne\npeux pas souffrir les peaux.Alors le brave Geppetto, sortant un petit couteau et\ns\u2019armant de patience, pela les trois poires en prenant soin\nde laisser les \u00e9pluchures sur un coin de la table.\nQuand Pinocchio, en deux bouch\u00e9es, eut mang\u00e9 la\npremi\u00e8re poire, il fit le geste de jeter le trognon.\nGeppetto lui arr\u00eata le bras :\n\u2013 Ne le jette pas : tout peut \u00eatre utile en ce bas monde.\n\u2013 Bah ! Le trognon, c\u2019est s\u00fbr que je ne le mangerai\npas ! \u2013 hurla la marionnette, mena\u00e7ante comme une\nvip\u00e8re.\n\u2013 Qui sait ? Tout est possible !\u2026 r\u00e9p\u00e9ta Geppetto\ncalmement.\nLes trois trognons, au lieu de passer par la fen\u00eatre,\nrejoignirent donc les \u00e9pluchures sur la table.\nAyant mang\u00e9 ou plut\u00f4t d\u00e9vor\u00e9 les trois poires,\nPinocchio se remit \u00e0 bailler et dit en pleurnichant :\n\u2013 J\u2019ai encore faim !\n\u2013 Mais, mon gar\u00e7on, je n\u2019ai plus rien \u00e0 te donner.\n\u2013 C\u2019est vrai ? Il n\u2019y a plus rien ?\n\u2013 Plus rien que ces \u00e9pluchures et ces trognons de\npoire.\n\u2013 Tant pis ! \u2013 dit Pinocchio, \u2013 s\u2019il n\u2019y a rien d\u2019autre, je\nmangerais bien une \u00e9pluchure.\nEt il commen\u00e7a \u00e0 mastiquer. Au d\u00e9but, il prit une mine\nd\u00e9go\u00fbt\u00e9e, mais il engloutit toutes les \u00e9pluchures l\u2019une\napr\u00e8s l\u2019autre, puis les trognons. Quand il eut fini, il battitdes mains de contentement. Il jubilait :\n\u2013 Maintenant, je me sens bien !\n\u2013 Tu vois donc \u2013 lui fit remarquer Geppetto, \u2013 que\nj\u2019avais raison quand je te disais qu\u2019il ne fallait pas \u00eatre si\nd\u00e9licat. Mon cher, on ne sait jamais ce qui peut arriver en\nce bas monde. Tout est possible !Chapitre 8\nGeppeto taille de nouveaux pieds \u00e0\nPinocchio et vend son manteau pour lui\nacheter un ab\u00e9c\u00e9daire.\nLa marionnette, une fois rassasi\u00e9e, commen\u00e7a \u00e0\nbougonner et \u00e0 pleurnicher parce qu\u2019elle voulait des pieds\nneufs.\nMais Geppetto, pour le punir de sa fugue, laissa\nPinocchio se d\u00e9sesp\u00e9rer durant une bonne partie de la\njourn\u00e9e, puis il lui demanda :\n\u2013 Et pourquoi devrais-je te refaire des pieds si c\u2019est\npour te sauver une nouvelle fois ?\n\u2013 Je vous promets \u2013 lui r\u00e9pondit entre deux sanglots\nla marionnette \u2013 que d\u00e9sormais je me conduirai bien.\n\u2013 C\u2019est ce que disent tous les enfants quand ils veulent\nquelque chose.\n\u2013 Je vous promets que j\u2019irai \u00e0 l\u2019\u00e9cole, que j\u2019\u00e9tudierai et\nque je ferai des \u00e9tincelles\u2026\n\u2013 Quand les enfants veulent quelque chose, c\u2019esttoujours le m\u00eame refrain.\n\u2013 Mais je ne suis pas comme les autres enfants ! Je\nsuis le plus gentil et je dis toujours la v\u00e9rit\u00e9. Je vous jure,\npapa, que j\u2019apprendrai un m\u00e9tier et je serai votre b\u00e2ton\nde vieillesse.\nGeppetto, tout en affichant un air terriblement s\u00e9v\u00e8re,\navait les yeux pleins de larmes et le c\u0153ur gros en voyant\ndans quel \u00e9tat pitoyable \u00e9tait son Pinocchio.\nIl se tut, prit ses outils, deux bouts de bois sec et se\nmit farouchement au travail.\nEn moins d\u2019une heure, les pieds \u00e9taient faits, et bien\nfaits : deux petits pieds rapides et nerveux comme les\naurait sculpt\u00e9s un artiste de g\u00e9nie.\nPuis il dit \u00e0 la marionnette :\n\u2013 Ferme les yeux et dors !\nPinocchio ferma les yeux et fit semblant de dormir. Et\npendant qu\u2019il faisait semblant de dormir, Geppetto\nramollit de la colle dans une coquille d\u2019\u0153uf et ajusta\ntellement bien les deux pieds aux jambes de la\nmarionnette que l\u2019on ne remarquait rien \u00e0 l\u2019endroit o\u00f9 il\nles avait coll\u00e9s.\nD\u00e9s que Pinocchio se rendit compte qu\u2019il avait des\npieds, il sauta de la table o\u00f9 il \u00e9tait \u00e9tendu et, fou de joie,\ncommen\u00e7a \u00e0 faire mille entrechats et cabrioles.\n\u2013 Pour vous remercier de ce que vous avez fait pour\nmoi \u2013 dit-il alors \u00e0 son p\u00e8re \u2013 j\u2019irai tout de suite \u00e0 l\u2019\u00e9cole.\n\u2013 Bravo, mon gar\u00e7on !\n\u2013 Oui, mais pour y aller, j\u2019ai besoin de v\u00eatements.\nGeppetto \u00e9tait pauvre et n\u2019avait pas un centime en\npoche. Il lui confectionna donc un ensemble en papier \u00e0\nfleurs, des souliers en \u00e9corce d\u2019arbre et un bonnet de mie\nde pain.\nPinocchio courut se mirer dans une bassine pleine\nd\u2019eau et, tr\u00e8s content de lui, revint en se pavanant :\n\u2013 J\u2019ai l\u2019air d\u2019un vrai monsieur !\n\u2013 En effet \u2013 r\u00e9pliqua Geppetto. Pour \u00eatre un monsieur,\nmieux vaut un v\u00eatement propre qu\u2019un v\u00eatement luxueux.\nTiens-le-toi pour dit.\n\u2013 A propos \u2013 fit remarquer la marionnette \u2013 il me\nmanque tout de m\u00eame quelque chose d\u2019essentiel pouraller \u00e0 l\u2019\u00e9cole.\n\u2013 Quoi donc ?\n\u2013 Je n\u2019ai pas d\u2019ab\u00e9c\u00e9daire.\n\u2013 Tu as raison, mon gar\u00e7on. Mais comment fait-on\npour s\u2019en procurer ?\n\u2013 Ben, c\u2019est tr\u00e8s facile. On va dans une librairie et on\nl\u2019ach\u00e8te.\n\u2013 Et les sous ?\n\u2013 Moi, je n\u2019en ai pas.\n\u2013 Et moi non plus.\nLe visage du brave Geppetto s\u2019assombrit. Et, bien que\nPinocchio fut d\u2019une nature insouciante et joyeuse, lui aussi\ndevint triste. La mis\u00e8re, quand c\u2019est de la vraie mis\u00e8re,\ntout le monde la voit, m\u00eame les enfants.\n\u2013 Attends un peu ! \u2013 cria tout \u00e0 coup Geppetto.\nIl se leva, enfila son vieux manteau de futaine tout\nrapi\u00e9c\u00e9 et sortit de la maison en courant.\nIl revint vite. Il tenait \u00e0 la main un ab\u00e9c\u00e9daire pour\nson fiston. En revanche, il n\u2019avait plus de manteau. Le\npauvre homme \u00e9tait en bras de chemise et, dehors, il\nneigeait.\n\u2013 Et ton manteau, papa ?\n\u2013 Je l\u2019ai vendu.\n\u2013 Mais pourquoi ?\n\u2013 Il me tenait trop chaud.Pinocchio avait bon c\u0153ur. Comprenant \u00e0 demi-mot, il\nsauta au cou de Geppetto et lui couvrit le visage de\nbaisers.Chapitre 9\nPinocchio vend son ab\u00e9c\u00e9daire pour aller\nau th\u00e9\u00e2tre de marionnettes.\nLa neige ayant cess\u00e9 de tomber, Pinocchio prit le\nchemin qui menait \u00e0 l\u2019\u00e9cole emportant sous son bras,\nl\u2019ab\u00e9c\u00e9daire flambant neuf. Tout en marchant il r\u00eavassait\net construisait mille ch\u00e2teaux en Espagne, tous plus beaux\nles uns que les autres.\nIl se disait :\n\u2013 Aujourd\u2019hui, \u00e0 l\u2019\u00e9cole, j\u2019apprendrai \u00e0 lire ; demain,\nj\u2019apprendrai \u00e0 \u00e9crire ; apr\u00e8s-demain, je saurai compter.\nAvec tout mon savoir, je gagnerai beaucoup d\u2019argent et,\nd\u00e9s les premiers sous en poche, j\u2019ach\u00e8terai \u00e0 mon papa un\nbeau manteau de drap.\nQue dis-je de drap ? Il sera tiss\u00e9 d\u2019or et d\u2019argent avec\ndes brillants en guise de boutons. Le pauvre homme le\nm\u00e9rite bien car, en somme, pour m\u2019acheter des livres et\nme donner de l\u2019instruction, il se retrouve en bras de\nchemise\u2026 avec le froid qu\u2019il fait ! Seuls les papas sont\ncapables de faire de tels sacrifices !\u2026Alors que, tout \u00e9mu, Pinocchio se racontait ce genre de\nchoses, il entendit, au loin, le son aigu de fifres et les coups\nsourds d\u2019une grosse caisse : pfuit-pfuit-pfuit, boum-\nboum-boum.\nIl s\u2019arr\u00eata pour mieux \u00e9couter. Il y avait une tr\u00e8s\nlongue route qui croisait la sienne et qui conduisait \u00e0 un\npetit village construit au bord de la mer. La musique\nvenait de l\u00e0-bas.\n\u2013 Qu\u2019est-ce donc que cette musique ? \u2013 se demanda\nPinocchio \u2013 Dommage que je sois oblig\u00e9 d\u2019aller \u00e0 l\u2019\u00e9cole,\nsinon\u2026\nIl restait l\u00e0, perplexe. Il lui fallait choisir entre l\u2019\u00e9cole\net les fifres.\n\u2013 Disons qu\u2019aujourd\u2019hui, je pourrais aller \u00e9couter les\nfifres. Dans ce cas, j\u2019irai \u00e0 l\u2019\u00e9cole demain. Pour aller \u00e0\nl\u2019\u00e9cole, il sera toujours temps \u2013 finit-il par conclure en\nhaussant les \u00e9paules.\nSit\u00f4t dit, sit\u00f4t fait. Il s\u2019engagea sur la route\ntransversale et se mit \u00e0 courir \u00e0 toutes jambes. Et plus il\ncourait, mieux il entendait les fifres et la grosse caisse :\npfuit-pfuit-pfuit, boum-boum-boum.\nIl arriva sur une place pleine de gens qui\ns\u2019agglutinaient autour d\u2019une grande baraque en bois\nrecouverte d\u2019une toile bariol\u00e9e aux mille couleurs.\n\u2013 C\u2019est quoi, cette baraque ? \u2013 demanda-t-il \u00e0 un\ngamin du village.\n\u2013 Tu n\u2019as qu\u2019\u00e0 lire la pancarte. C\u2019est \u00e9crit dessus.\u2013 Je la lirais bien volontiers mais il se trouve\nqu\u2019aujourd\u2019hui je ne sais pas lire.\n\u2013 Pauvre ignorant ! Moi, je vais te la lire. Sache donc\nque, sur cette pancarte, il est \u00e9crit en lettres rouges\ncomme du feu : \u00ab GRAND THEATRE DE\nMARIONNETTES \u00bb\n\u2013 Et il y a longtemps que le spectacle a commenc\u00e9 ?\n\u2013 Il commence.\n\u2013 Pour entrer, combien \u00e7a co\u00fbte ?\n\u2013 Quatre sous.\nPinocchio, d\u00e9vor\u00e9 par la curiosit\u00e9, perdit toute retenue.\nToute honte bue, il demanda au jeune gar\u00e7on :\n\u2013 Tu pourrais me pr\u00eater quatre sous jusqu\u2019\u00e0 demain ?\n\u2013 Je te les donnerais bien volontiers \u2013 ricana l\u2019autre \u2013\nmais il se trouve qu\u2019aujourd\u2019hui je ne peux pas les donner.\n\u2013 Je te vends mon manteau pour quatre sous \u2013\nr\u00e9pliqua Pinocchio.\n\u2013 Que veux-tu que je fasse d\u2019un manteau en papier\npeint ? S\u2019il se met \u00e0 pleuvoir, il va se coller \u00e0 moi et je ne\npourrais m\u00eame plus m\u2019en d\u00e9barrasser.\n\u2013 Alors, prends mes chaussures.\n\u2013 Elles sont tout juste bonnes \u00e0 allumer le feu.\n\u2013 Et le bonnet. Tu m\u2019en donnerais combien ?\n\u2013 Belle acquisition, en v\u00e9rit\u00e9 ! Un bonnet en mie de\npain ! Les souris finiraient par venir me le manger sur la\nt\u00eate !Pinocchio \u00e9tait sur des charbons ardents. Il avait bien\nencore une derni\u00e8re proposition \u00e0 lui faire, mais il n\u2019osait\npas la formuler. Il h\u00e9sitait, balan\u00e7ait, \u00e9tait \u00e0 la torture.\nPuis il se d\u00e9cida :\n\u2013 Ne pourrais-tu pas me donner quatre sous pour cet\nab\u00e9c\u00e9daire tout neuf ?\n\u2013 \u00c9coute. Je suis un enfant et je ne fais pas de\ncommerce avec les autres enfants \u2013 lui r\u00e9pondit son jeune\ninterlocuteur qui avait beaucoup plus de jugeote que lui.\n\u2013 Pour quatre sous, moi je le prends \u2013 intervint un\nchiffonnier qui avait entendu leur conversation.\nLe livre fut vendu sur-le-champ. Et dire que, pour\navoir achet\u00e9 ce m\u00eame ab\u00e9c\u00e9daire \u00e0 son fils ch\u00e9ri, le brave\nGeppetto, en bras de chemise, grelottait de froid chez lui !Chapitre 10\nLes marionnettes reconnaissent en\nPinocchio l\u2019une des leurs et lui font f\u00eate. Au\nmoment o\u00f9 l\u2019all\u00e9gresse est \u00e0 son comble\nsurvient Mangiafoco, le marionnettiste.\nPinocchio est promis \u00e0 une triste fin.\nL\u2019entr\u00e9e de Pinocchio dans le petit th\u00e9\u00e2tre de\nmarionnettes suscita un incident qui provoqua une sorte\nde r\u00e9volution.\nIl faut savoir que le rideau \u00e9tait lev\u00e9 et que le spectacle\navait commenc\u00e9.\nSur la sc\u00e8ne, Arlequin et Polichinelle se querellaient et\ns\u2019appr\u00eataient, comme d\u2019habitude, \u00e0 en venir aux gifles et\naux coups de b\u00e2ton.\nLeur prise de bec faisait se plier de rire un public\ncaptiv\u00e9. Les deux marionnettes gesticulaient et\ns\u2019envoyaient des injures avec tant de naturel qu\u2019elles\nparaissaient aussi vivantes que vous et moi.\nMais, vivant ou pas, Arlequin s\u2019arr\u00eata soudain deMais, vivant ou pas, Arlequin s\u2019arr\u00eata soudain de\njouer. Faisant face au public, il montra de la main\nquelqu\u2019un au fond de la salle et se mit \u00e0 d\u00e9clamer avec\nemphase :\n\u2013 Dieux du ciel ! Est-ce que je r\u00eave ? Pourtant, c\u2019est\nbien Pinocchio que je vois l\u00e0-bas !\n\u2013 C\u2019est vraiment Pinocchio ! \u2013 cria Polichinelle \u00e0 son\ntour.\n\u2013 C\u2019est tout \u00e0 fait lui ! \u2013 rench\u00e9rit madame Rosaura\ndont la t\u00eate passa \u00e0 travers le d\u00e9cor.\n\u2013 C\u2019est Pinocchio ! C\u2019est Pinocchio ! \u2013 reprirent en\nch\u0153ur toutes les marionnettes surgissant des coulisses.\nC\u2019est Pinocchio ! C\u2019est notre fr\u00e8re \u00e0 tous ! Vive\nPinocchio !\n\u2013 Pinocchio, viens-l\u00e0 ! \u2013 cria Arlequin \u2013 Viens te jeter\ndans les bras de tes fr\u00e8res en bois !\nCette affectueuse invite fit bondir Pinocchio hors de\nson si\u00e8ge. D\u2019un saut, il fut dans les premiers rangs. Un\nautre saut le propulsa sur la t\u00eate du chef d\u2019orchestre et,\nde l\u00e0, il arriva directement sur la sc\u00e8ne.\nDifficile d\u2019imaginer la d\u00e9bauche de marques d\u2019amiti\u00e9\nque lui t\u00e9moigna, dans le plus grand d\u00e9sordre, toute la\ntroupe de ce th\u00e9\u00e2tre v\u00e9g\u00e9tal : ce furent des embrassades,\ndes \u00e9treintes, des joyeux petits pin\u00e7ons de complicit\u00e9, de\ntendres frottements de museaux que seule une fraternit\u00e9\nsinc\u00e8re et r\u00e9elle peut inspirer.\nIl n\u2019y a pas \u00e0 dire : le spectacle \u00e9tait \u00e9mouvant.\nPourtant le public, voyant que la com\u00e9die n\u2019avan\u00e7ait plus,s\u2019impatienta et se mit \u00e0 crier :\n\u2013 La suite ! La suite !\nCe fut peine perdue car les marionnettes, au lieu de se\nremettre \u00e0 jouer, firent encore plus de tapage et, hissant\nPinocchio sur leurs \u00e9paules, le port\u00e8rent en triomphe sur\nle devant de la sc\u00e8ne.\nC\u2019est alors qu\u2019intervint le marionnettiste, un homme \u00e0\nla stature colossale et si laid que l\u2019on mourait de peur rien\nqu\u2019\u00e0 le regarder. Il avait une barbe noire comme de\nl\u2019encre, si longue qu\u2019elle tra\u00eenait par terre et qu\u2019il\ns\u2019emm\u00ealait les pieds dedans quand il marchait. Sa bouche\n\u00e9tait vaste comme un four, ses yeux ressemblaient \u00e0 des\nlanternes rouges et il faisait claquer un fouet tress\u00e9 de\npeaux de serpents et de queues de renards.\nLe tapage cessa brusquement \u00e0 son apparition. Chacun\nretenait sa respiration et l\u2019on aurait pu entendre une\nmouche voler. Toutes les pauvres marionnettes, les\nhommes comme les femmes, furent prises de\ntremblements.\n\u2013 Pourquoi es-tu venu mettre la pagaille dans mon\nth\u00e9\u00e2tre ? \u2013 demanda le marionnettiste \u00e0 Pinocchio d\u2019une\ngrosse voix d\u2019ogre ayant un bon rhume de cerveau.\n\u2013 Ce n\u2019est pas de ma faute, Monsieur, je vous supplie\nde me croire.\n\u2013 Suffit ! On r\u00e8glera nos comptes ce soir.Ce n\u2019\u00e9taient pas des paroles en l\u2019air. Car, le spectacle\ntermin\u00e9, le marionnettiste se rendit \u00e0 la cuisine o\u00f9 il\ns\u2019\u00e9tait pr\u00e9par\u00e9 pour le d\u00eener un mouton entier qui cuisait\nlentement \u00e0 la broche. Or, comme il lui manquait du bois\npour parachever la cuisson afin qu\u2019il soit bien dor\u00e9, il\nappela Arlequin et Polichinelle et leur dit :\n\u2013 Apportez-moi donc cette marionnette qui est\naccroch\u00e9e au clou. Elle m\u2019a paru d\u2019un bois tr\u00e8s sec et fera\nune belle flamb\u00e9e pour mon r\u00f4ti.\nD\u2019abord ils h\u00e9sit\u00e8rent. Mais un m\u00e9chant coup d\u2019\u0153il de\nleur patron terrorisa tellement Arlequin et Polichinelle\nqu\u2019ils ob\u00e9irent.\nPeu apr\u00e8s, ils revenaient portant le pauvre Pinocchio\nqui se d\u00e9battait comme une anguille hors de l\u2019eau et qui\ncriait d\u00e9sesp\u00e9r\u00e9ment :\n\u2013 Papa, papa, sauve-moi ! Je ne veux pas mourir ! Je\nne veux pas mourir !Chapitre 11\nMangiafoco \u00e9ternue et pardonne \u00e0\nPinocchio, lequel sauve de la mort son ami\nArlequin.\nCertes, le montreur de marionnettes Mangiafoco (qui\nveut dire Mange-feu : c\u2019\u00e9tait vraiment son nom) avait\ntoutes les apparences d\u2019un homme terrifiant,\nparticuli\u00e8rement avec sa barbe noire qui, comme un\ntablier, lui recouvrait enti\u00e8rement poitrine et jambes.\nMais au fond, ce n\u2019\u00e9tait pas un m\u00e9chant homme.\nLa preuve : quand on lui amena Pinocchio, se\nd\u00e9battant et hurlant \u00ab Je ne veux pas mourir, je ne veux\npas mourir ! \u00bb, il fut tout de suite troubl\u00e9 et ressentit de la\npiti\u00e9 pour la pauvre marionnette. Il r\u00e9sista bien un bon\nmoment mais, ne se contr\u00f4lant plus, il finit par \u00e9mettre un\ntr\u00e8s sonore \u00e9ternuement.Arlequin, qui semblait avoir \u00e9t\u00e9 transform\u00e9 en saule\npleureur tellement il \u00e9tait afflig\u00e9, retrouva subitement un\nvisage joyeux \u00e0 la suite de cet \u00e9ternuement et, se\npenchant vers Pinocchio, lui souffla :\n\u2013 Bonne nouvelle, mon fr\u00e8re : le ma\u00eetre vient\nd\u2019\u00e9ternuer, ce qui veut dire qu\u2019il s\u2019est pris de compassion\npour toi et que tu es sauv\u00e9.\nEn effet, alors que tous les humains pleurent ou, du\nmoins, font semblant de s\u00e9cher des larmes quand\nquelqu\u2019un leur fait piti\u00e9, Mangiafoco, lui, \u00e9ternuait.\nC\u2019\u00e9tait sa mani\u00e8re \u00e0 lui de faire savoir qu\u2019il avait du\nc\u0153ur.Apr\u00e8s avoir \u00e9ternu\u00e9, le montreur de marionnettes\nchoisit de refaire le bourru et grommela \u00e0 l\u2019adresse de\nPinocchio :\n\u2013 Arr\u00eate de pleurer ! Toutes ces lamentations m\u2019ont\nouvert l\u2019app\u00e9tit. Je sens un tiraillement qui\u2026 atchoum,\natchoum !\n\u2013 A vos souhaits ! \u2013 dit Pinocchio\n\u2013 Merci ! Dis-moi : ton papa et ta maman sont toujours\nvivants ?\n\u2013 Papa, oui. Je n\u2019ai jamais connu ma maman.\n\u2013 \u00c9videmment, \u00e9videmment\u2026 Quelle tristesse ce\nserait pour ton vieux papa si je te faisais griller sur ces\nbraises rouges ! Pauvre homme ! Vraiment je compatis !\u2026\nAtchoum, atchoum, atchoum !\n\u2013 A vos souhaits \u2013 r\u00e9p\u00e9ta Pinocchio\n\u2013 Merci ! Mais il faut aussi \u00e9prouver de la compassion\npour moi car, comme tu le vois, je n\u2019ai plus de bois pour\nfinir de cuire ce mouton. En v\u00e9rit\u00e9, te jeter dans le feu\nm\u2019aurait bien arrang\u00e9. Mais, que veux-tu, j\u2019ai eu piti\u00e9.\nMaintenant c\u2019est trop tard. Je vais donc te remplacer par\nl\u2019une de mes marionnettes. Hol\u00e0, les gendarmes !\nTr\u00e8s longs, tr\u00e8s maigres, bicornes sur la t\u00eate et sabres\nau clair, deux gendarmes surgirent imm\u00e9diatement.\nLe marionnettiste, d\u2019une voix rauque, leur ordonna :\n\u2013 Attrapez-moi cet Arlequin, ligotez-le bien et jetez-le\ndans le feu. Je veux que mon r\u00f4ti soit r\u00e9ussi !\nImaginez la t\u00eate du pauvre Arlequin ! Il fut si\u00e9pouvant\u00e9 que ses jambes pli\u00e8rent sous lui et qu\u2019il se\nretrouva \u00e0 plat ventre par terre.\nBoulevers\u00e9 par ce spectacle, Pinocchio, en sanglots, se\njeta aux pieds du marionnettiste et inonda sa barbe de ses\npleurs. Il supplia :\n\u2013 Piti\u00e9, Monsieur Mangiafoco !\n\u2013 Ici, il n\u2019y aucun monsieur ! \u2013 r\u00e9pliqua s\u00e8chement le\nmarionnettiste.\n\u2013 Piti\u00e9, Monsieur le Chevalier !\n\u2013 Il n\u2019y a pas de chevalier non plus !\n\u2013 Piti\u00e9, Monsieur le Commandeur !\n\u2013 O\u00f9 vois-tu des commandeurs ici ?\n\u2013 Piti\u00e9, Excellence !\nCette fois, tr\u00e8s flatt\u00e9 de s\u2019entendre appel\u00e9 Excellence,\nle montreur de marionnette s\u2019humanisa et demanda \u00e0\nPinocchio d\u2019un ton plus affable :\n\u2013 Et bien, que veux-tu ?\n\u2013 Vous demander la gr\u00e2ce de ce pauvre Arlequin.\n\u2013 Il n\u2019y a pas de gr\u00e2ce qui tienne ! Puisque je t\u2019ai\n\u00e9pargn\u00e9, toi, il faut bien que je le mette dans le feu, lui.\nSinon, mon mouton ne sera pas bien dor\u00e9.\n\u2013 Dans ce cas \u2013 r\u00e9pliqua fi\u00e8rement Pinocchio en se\nlevant et en jetant son bonnet de mie de pain \u2013 dans ce\ncas, je sais o\u00f9 est mon devoir. Avancez, messieurs les\ngendarmes ! Attachez-moi et jetez-moi dans les flammes !\nIl n\u2019est pas juste qu\u2019Arlequin, un v\u00e9ritable ami, dussemourir \u00e0 ma place !\nCette d\u00e9claration h\u00e9ro\u00efque, prononc\u00e9e haut et fort, fit\ncouler les larmes de toutes les marionnettes pr\u00e9sentes.\nJusqu\u2019aux gendarmes qui, bien que de bois, pleuraient\ncomme des veaux.\nAu d\u00e9but, Mangiafoco resta intraitable, un vrai bloc de\nglace. Mais, peu \u00e0 peu, il s\u2019attendrit, puis il \u00e9ternua. Apr\u00e8s\nquatre ou cinq \u00e9ternuements, il ouvrit ses bras :\n\u2013 Tu es un gar\u00e7on tr\u00e8s courageux. Viens m\u2019embrasser.\nPinocchio se jeta dans les bras du marionnettiste.\nGrimpant dans sa barbe comme un \u00e9cureuil, il alla poser\nun gros baiser sur son nez.\n\u2013 Je suis graci\u00e9 ? \u2013 demanda, \u00e0 peine audible, le\npauvre Arlequin qui n\u2019avait plus qu\u2019un filet de voix.\n\u2013 Graci\u00e9 ! \u2013 r\u00e9pondit Mangiafoco.\nTout en soupirant et en hochant la t\u00eate, il ajouta :\n\u2013 Tant pis ! Aujourd\u2019hui, je me contenterai d\u2019un\nmouton \u00e0 moiti\u00e9 cru mais, la prochaine fois, gare \u00e0 celui\nsur qui \u00e7a tombera !\nApprenant que la gr\u00e2ce avait \u00e9t\u00e9 obtenue, toutes les\nmarionnettes se pr\u00e9cipit\u00e8rent sur la sc\u00e8ne et, apr\u00e8s avoir\nallum\u00e9 toutes les lumi\u00e8res comme pour une soir\u00e9e de gala,\nse mirent \u00e0 danser et \u00e0 sauter dans tous les sens. A l\u2019aube,\nelles dansaient encore.Chapitre 12\nMangiafoco, le marionnettiste, donne cinq\npi\u00e8ces d\u2019or \u00e0 Pinocchio pour qu\u2019il les porte\n\u00e0 son papa Geppetto. Mais Pinocchio se\nlaisse embobiner par le Renard et le Chat :\nil part avec eux.\nLe jour suivant, Mangiafoco prit Pinocchio \u00e0 part et lui\ndemanda :\n\u2013 Comment s\u2019appelle ton papa ?\n\u2013 Geppetto\n\u2013 Et quel est son m\u00e9tier ?\n\u2013 Le m\u00e9tier de pauvre.\n\u2013 Cela lui rapporte beaucoup ?\n\u2013 Suffisamment pour n\u2019avoir jamais un sou en poche. Il\na d\u00fb vendre son manteau tout rapi\u00e9c\u00e9 et repris\u00e9, une\nvraie mis\u00e8re, pour m\u2019acheter l\u2019ab\u00e9c\u00e9daire de l\u2019\u00e9cole. Vous\nvous rendez compte !\n\u2013 Pauvre diable ! Cela me fait de la peine. Tiens, voil\u00e0\u2013 Pauvre diable ! Cela me fait de la peine. Tiens, voil\u00e0\ncinq pi\u00e8ces d\u2019or. Pars tout de suite les lui porter et salue-\nle de ma part.\nPinocchio, comme on l\u2019imagine, se confondit en\nremerciements, embrassa toutes les marionnettes de la\nCompagnie, m\u00eame les gendarmes, puis, fou de joie, se mit\nen route pour rentrer chez lui.\nMais il n\u2019avait pas fait cinq cents m\u00e8tres qu\u2019il\nrencontra un Renard clopinant sur trois pieds et un Chat\naveugle. Ils allaient, s\u2019aidant l\u2019un l\u2019autre, comme deux\nbons compagnons d\u2019infortune. Le Renard boiteux\ns\u2019appuyait sur le Chat aveugle qui se laissait guider par\nson camarade.\n\u2013 Bonjour Pinocchio \u2013 dit le Renard en le saluant\ngracieusement.\n\u2013 Comment sais-tu mon nom ? \u2013 s\u2019\u00e9tonna la\nmarionnette.\n\u2013 Je connais bien ton papa.\n\u2013 Tu l\u2019as vu ?\n\u2013 Je l\u2019ai vu hier. Il \u00e9tait sur le pas de sa porte.\n\u2013 Et que faisait-il ?\n\u2013 Il \u00e9tait en bras de chemise et tremblait de froid.\n\u2013 Pauvre papa ! Mais, si Dieu le veut, \u00e0 partir\nd\u2019aujourd\u2019hui il ne tremblera plus !\n\u2013 Pourquoi donc ? \u2013 interrogea le Renard.\n\u2013 Parce que je suis devenu un Monsieur.\n\u2013 Un Monsieur, toi ?Le Renard ne put s\u2019emp\u00eacher de rire. Un rire\nmoqueur, peu flatteur. Le Chat riait aussi mais, pour\nqu\u2019on ne s\u2019en aper\u00e7oive pas, il se lissait en m\u00eame temps\nles moustaches avec ses pattes de devant.\n\u2013 Il n\u2019y a pas de quoi rire \u2013 grogna Pinocchio, piqu\u00e9 au\nvif \u2013 D\u00e9sol\u00e9 de vous faire venir l\u2019eau \u00e0 la bouche mais, si\nvous vous y connaissez, dites-moi donc ce que vous\npensez de ces cinq magnifiques pi\u00e8ces !\nEt il montra aux deux comp\u00e8res le cadeau de\nMangiafoco.\nL\u2019agr\u00e9able tintement des pi\u00e8ces d\u2019or fit que le Renard\ntendit sans le vouloir sa patte malade alors que le Chat\nouvrait tout grand ses yeux verts qui brillaient comme\ndes lanternes. Mais il les referma aussit\u00f4t, de sorte que\nPinocchio ne s\u2019aper\u00e7ut de rien.\n\u2013 Et que vas-tu faire avec cet argent ? \u2013 demanda le\nRenard.\n\u2013 D\u2019abord \u2013 r\u00e9pondit la marionnette \u2013 je vais acheter \u00e0\nmon papa un beau manteau neuf, tiss\u00e9 de fils d\u2019or et\nd\u2019argent avec des pierres pr\u00e9cieuses en guise de boutons.\nApr\u00e8s, je m\u2019ach\u00e8terai un ab\u00e9c\u00e9daire.\n\u2013 Un ab\u00e9c\u00e9daire ? Pour toi ?\n\u2013 Pour moi. Je veux aller \u00e0 l\u2019\u00e9cole et me mettre \u00e0\n\u00e9tudier pour de bon.\n\u2013 Moi, j\u2019ai perdu une patte pour avoir eu la sotte\npassion des \u00e9tudes.\n\u2013 Et moi je suis devenu aveugle pour la m\u00eame raison \u2013ajouta le Chat.\nPendant ce temps, un merle blanc s\u2019\u00e9tait pos\u00e9 sur une\nhaie au bord de la route.\nIl siffla, \u00e0 l\u2019intention de Pinocchio :\n\u2013 N\u2019\u00e9coute pas ces deux lascars : sinon, tu t\u2019en\nrepentiras.\nPauvre merle ! Il aurait mieux fait de se taire ! Le\nChat, d\u2019un seul bond, lui sauta dessus et, sans que l\u2019autre\nait pu dire ouf, l\u2019avala d\u2019une seule bouch\u00e9e, plumes\ncomprises.\nUne fois l\u2019oiseau mang\u00e9 et son museau nettoy\u00e9, le Chat\nferma les yeux et refit l\u2019aveugle, comme avant.\n\u2013 Pauvre merle ! \u2013 g\u00e9mit Pinocchio, \u2013 pourquoi as-tu\n\u00e9t\u00e9 si cruel avec lui ?\n\u2013 Pour lui donner une le\u00e7on \u2013 r\u00e9pondit le Chat \u2013 Cela\nlui apprendra \u00e0 s\u2019occuper de ses oignons.\nIls \u00e9taient \u00e0 mi-parcours quand le Renard, sans crier\ngare, s\u2019arr\u00eata et demanda \u00e0 la marionnette :\n\u2013 Veux-tu multiplier tes pi\u00e8ces d\u2019or ?\n\u2013 C\u2019est \u00e0 dire ?\n\u2013 Eh bien, \u00e0 la place de ces cinq mis\u00e9rables sequins, ne\nvoudrais-tu pas en avoir cent, mille, deux mille ?\n\u2013 Bien s\u00fbr ! Mais comment ?\n\u2013 C\u2019est tr\u00e8s facile. Au lieu de rentrer chez toi, tu n\u2019as\nqu\u2019\u00e0 venir avec nous.\n\u2013 Pour aller o\u00f9 ?\u2013 Au Pays des Nigauds.\nPinocchio r\u00e9fl\u00e9chit un moment puis d\u00e9clara\nr\u00e9solument :\n\u2013 Non, je ne peux pas venir. Je suis pr\u00e8s de ma maison\net je veux retrouver mon papa qui m\u2019attend. Quels\nsoupirs il a d\u00fb pousser, le pauvre homme, quand il ne m\u2019a\npas vu revenir ! Je suis vraiment un mauvais fils et le\nGrillon-qui-parle avait bien raison quand il disait que les\nenfants d\u00e9sob\u00e9issants n\u2019avaient aucune chance de r\u00e9ussir\ndans la vie. Je l\u2019ai appris \u00e0 mes d\u00e9pens. Il m\u2019est arriv\u00e9\nbeaucoup de malheurs. Hier encore, dans la maison de\nMangiafoco, j\u2019ai couru un terrible danger. Brrr, rien que\nd\u2019y penser me donne le bourdon.\n\u2013 Si tu tiens vraiment \u00e0 rentrer, alors vas-y et tant pis\npour toi ! \u2013 soupira le Renard.\n\u2013 Tant pis pour toi ! \u2013 r\u00e9p\u00e9ta le Chat.\n\u2013 Mais en te conduisant ainsi, Pinocchio, tu tournes le\ndos \u00e0 la chance \u2013 ajouta le Renard.\n\u2013 A la chance ! \u2013 r\u00e9p\u00e9ta le Chat.\n\u2013 D\u2019ici \u00e0 demain, tu aurais pu transformer tes cinq\nsequins en deux mille \u2013 insista le Renard.\n\u2013 En deux mille ! \u2013 r\u00e9p\u00e9ta le Chat.\n\u2013 Tant que cela ? Comment est-ce possible ? \u2013\ns\u2019\u00e9tonna Pinocchio, \u00e9berlu\u00e9.\n\u2013 Je vais te l\u2019expliquer \u2013 dit le Renard. Sache donc\nqu\u2019au Pays-des-Nigauds il y a un champ sacr\u00e9 que tout le\nmonde appelle le Champ des miracles. Dans ce champ, tumonde appelle le Champ des miracles. Dans ce champ, tu\ncreuses un petit trou et tu y mets, par exemple, un sequin\nd\u2019or. Tu combles le trou avec de la terre, tu l\u2019arroses avec\ndeux seaux d\u2019eau, tu jettes une pinc\u00e9e de sel et tu rentres\ntranquillement te mettre au lit. Pendant la nuit, le sequin\ngerme et fleurit. Le lendemain matin, tu retournes dans le\nchamp et qu\u2019y trouves-tu ? Tu trouves un magnifique\narbre charg\u00e9 d\u2019autant de sequins qu\u2019un bel \u00e9pi a de grains\nde bl\u00e9 en plein mois de juin.\n\u2013 Alors, moi, si j\u2019enterrais mes cinq pi\u00e8ces dans ce\nchamp, combien de sequins trouverais-je le lendemain\nmatin ? \u2013 demanda Pinocchio, de plus en plus \u00e9tonn\u00e9.\n\u2013 C\u2019est tr\u00e8s simple, \u2013 r\u00e9pondit le Renard \u2013 toi-m\u00eame\npourrais en faire le compte avec les doigts de la main.\nAttendu que chaque pi\u00e8ce donne une grappe de cinq cents\nsequins et que tu as cinq pi\u00e8ces, tu te retrouveras, le\nlendemain matin, avec en poche deux mille cinq cents\nsequins sonnants et tr\u00e9buchants.\n\u2013 Mais c\u2019est formidable ! \u2013 hurla Pinocchio, dansant de\njoie \u2013 Formidable ! D\u00e9s que j\u2019aurai r\u00e9colt\u00e9 tous ces\nsequins, j\u2019en prendrai deux mille pour moi et les cinq\ncents autres seront pour vous deux.\n\u2013 Un cadeau ? Pour nous ? Dieu t\u2019en pr\u00e9serve ! \u2013\ns\u2019indigna le Renard en prenant une mine offens\u00e9e.\n\u2013 Dieu t\u2019en pr\u00e9serve ! \u2013 r\u00e9p\u00e9ta le Chat.\n\u2013 Nous n\u2019agissons pas par int\u00e9r\u00eat, \u2013 expliqua le\nRenard \u2013 nous agissons uniquement pour enrichir les\nautres.\n\u2013 Les autres ! \u2013 r\u00e9p\u00e9ta le Chat.Quels braves gens ! \u2013 se dit Pinocchio. Alors, oubliant\ninstantan\u00e9ment son papa, le manteau neuf, l\u2019ab\u00e9c\u00e9daire et\ntoutes ses bonnes r\u00e9solutions, il d\u00e9clara :\n\u2013 D\u2019accord, je viens avec vous.Chapitre 13\nA l\u2019auberge de l\u2019\u00c9crevisse Rouge\nIls march\u00e8rent longtemps. A la tomb\u00e9e de la nuit, ils\narriv\u00e8rent, morts de fatigue, \u00e0 l\u2019auberge de l\u2019\u00c9crevisse\nRouge.\n\u2013 On va s\u2019arr\u00eater ici \u2013 d\u00e9clara le Renard \u2013 pour avaler\nune bouch\u00e9e et se reposer quelques heures. Nous\nrepartirons \u00e0 minuit pour \u00eatre demain, \u00e0 l\u2019aube, au\nChamp des miracles.\nEntr\u00e9s dans l\u2019auberge, ils prirent place tous les trois \u00e0\nune table mais aucun d\u2019eux n\u2019avait tr\u00e8s faim.\nLe pauvre Chat, ayant l\u2019estomac brouill\u00e9, ne put\nmanger que trente-cinq rougets \u00e0 la sauce tomate et\nquatre portions seulement de tripes \u00e0 la mode de Parme\ntout en r\u00e9clamant trois fois de suite, ne les trouvant pas\nassez onctueuses, du beurre et du fromage r\u00e2p\u00e9.\nLe Renard aurait bien aim\u00e9, lui aussi, faire bombance\nmais, comme le m\u00e9decin l\u2019avait mis \u00e0 la di\u00e8te la plus\ns\u00e9v\u00e8re, il dut se contenter d\u2019un simple li\u00e8vre accompagn\u00e9\nd\u2019une terrine de poulardes et de coquelets. Pour fairepasser le li\u00e8vre, il commanda ensuite une fricass\u00e9e de\nperdrix, de lapin, de grenouille et de l\u00e9zard aux raisins. Et\npuis il s\u2019arr\u00eata l\u00e0, disant qu\u2019il ne pourrait plus rien avaler,\nque tout ce qui \u00e9tait nourriture le d\u00e9go\u00fbtait.\nMais celui qui mangea le moins, ce fut Pinocchio. Il\ndemanda une poign\u00e9e de noix avec un morceau de pain et\nlaissa tout dans son assiette. Le pauvre gar\u00e7on \u00e9tait\ntellement obs\u00e9d\u00e9 par le Champ des miracles qu\u2019il souffrait\nd\u2019une indigestion anticip\u00e9e de pi\u00e8ces d\u2019or.\nQuand ils eurent fini, le Renard s\u2019adressa \u00e0\nl\u2019aubergiste :\n\u2013 Donnez-nous deux bonnes chambres : une pour\nmonsieur Pinocchio, une autre pour mon compagnon et\nmoi. Nous ferons un petit somme avant de repartir.\nN\u2019oubliez pas de nous r\u00e9veiller \u00e0 minuit.\nA vos ordres, messieurs \u2013 r\u00e9pondit l\u2019aubergiste tout en\nfaisant un clin d\u2019\u0153il au Renard et au Chat comme s\u2019il\nvoulait dire : \u00ab Je vois clair dans votre jeu, comptez sur\nmoi. \u00bb\nD\u00e9s que Pinocchio fut au lit, il s\u2019endormit et r\u00eava\nimm\u00e9diatement. Il r\u00eava qu\u2019il \u00e9tait dans un champ\nrecouvert de jeunes arbres charg\u00e9s de grappes de sequins\nd\u2019or qui tintinnabulaient au gr\u00e9 d\u2019une l\u00e9g\u00e8re brise. Et\ncette musique semblait dire : \u00ab Viens donc nous cueillir \u00bb.\nMais juste au moment o\u00f9 Pinocchio s\u2019appr\u00eatait \u00e0 les\nr\u00e9colter par poign\u00e9es enti\u00e8res et \u00e0 s\u2019en mettre plein les\npoches, on frappa bruyamment \u00e0 la porte de la chambre.\nC\u2019\u00e9tait l\u2019aubergiste qui venait le pr\u00e9venir qu\u2019il \u00e9taitminuit.\n\u2013 Et mes amis ? Sont-ils pr\u00eats ? \u2013 lui demanda la\nmarionnette.\n\u2013 Mieux que pr\u00eats. Ils sont partis, il y a d\u00e9j\u00e0 deux\nbonnes heures.\n\u2013 Si vite ? Mais pourquoi ?\n\u2013 Le Chat a re\u00e7u un message lui apprenant que son fils\na\u00een\u00e9 avait des engelures aux pieds et qu\u2019il \u00e9tait entre la\nvie et la mort.\n\u2013 Et le repas, ils l\u2019ont pay\u00e9 ?\n\u2013 Bien s\u00fbr que non ! Ce sont des personnes trop bien\n\u00e9duqu\u00e9es pour faire cet affront \u00e0 votre seigneurie.\n\u2013 Ah ? Dommage ! Cet affront ne m\u2019aurait pas d\u00e9plu !\n\u2013 fit remarquer Pinocchio en se grattant la t\u00eate. Et o\u00f9\nont-ils dit qu\u2019ils m\u2019attendraient, ces chers amis ?\n\u2013 Au Champ des miracles, au lever du jour.\nPinocchio r\u00e9gla donc son repas et celui de ses\ncompagnons : il lui en co\u00fbta une pi\u00e8ce d\u2019or. Puis il partit.\nOn peut m\u00eame dire qu\u2019il partit \u00e0 l\u2019aveuglette car,\ndehors, il faisait si noir qu\u2019on ne voyait goutte autour de\nsoi. Pas une feuille ne bougeait dans la campagne alentour.\nSeuls quelques gros oiseaux de nuit, volant d\u2019un buisson \u00e0\nl\u2019autre, venaient battre des ailes sous le nez de Pinocchio.\nCelui-ci, apeur\u00e9, criait \u00ab Qui va l\u00e0 ? \u00bb et seul l\u2019\u00e9cho lointain\ndes collines environnantes r\u00e9pondait : \u00ab Qui va l\u00e0 ? Qui va\nl\u00e0 ? Qui va l\u00e0 ? \u00bb.\nAlors qu\u2019il marchait, il vit soudain, sur le tronc d\u2019unarbre, une petite bestiole qui \u00e9mettait un p\u00e2le halo de\nlumi\u00e8re, comme la petite flamme d\u2019une veilleuse de nuit.\n\u2013 Qui es-tu ? \u2013 s\u2019enquit Pinocchio.\n\u2013 Je suis l\u2019ombre du Grillon-qui-parle \u2013 r\u00e9pondit la\nbestiole d\u2019une voix infiniment faible et qui semblait venir\nde l\u2019au-del\u00e0.\n\u2013 Qu\u2019est-ce que tu me veux ?\n\u2013 Je veux te donner un conseil. Fais demi-tour et\nporte les quatre pi\u00e8ces qui te restent \u00e0 ton pauvre papa\nqui pleure et se d\u00e9sesp\u00e8re en ne te voyant pas revenir.\n\u2013 Demain, mon papa sera un grand monsieur car ces\nquatre sequins vont en faire deux mille.\n\u2013 Ne te fie jamais, mon gar\u00e7on, \u00e0 ceux qui te\npromettent de te rendre riche du jour au lendemain. Ce\nsont toujours, soit des fous, soit des filous. Crois-moi,\nrentre chez toi.\n\u2013 Et moi, au contraire, je veux continuer.\n\u2013 Il est tard\u2026\n\u2013 Je veux continuer.\n\u2013 Il fait noir\u2026\n\u2013 Je veux continuer.\n\u2013 Le chemin est dangereux\u2026\n\u2013 Je continuerai quand m\u00eame.\n\u2013 Rappelle-toi que les enfants capricieux t\u00f4t ou tard\ns\u2019en repentent toujours.\u2013 Oh ! Toujours les m\u00eames histoires ! Bonne nuit,\ngrillon.\n\u2013 Bonne nuit, Pinocchio. Que le ciel te prot\u00e8ge de la\nros\u00e9e et des assassins !\nCes derni\u00e8res paroles prononc\u00e9es, plus rien n\u2019\u00e9claira\nl\u2019endroit o\u00f9 se tenait le Grillon-qui-parle. Il s\u2019\u00e9tait \u00e9teint\ncomme s\u2019\u00e9teint une chandelle dont on vient de souffler la\nflamme. Et l\u2019obscurit\u00e9 sur la route en fut plus profonde\nencore.Chapitre 14\nPinocchio, qui n\u2019a pas suivi les excellents\nconseils du Grillon-qui-parle, se retrouve\nnez \u00e0 nez avec des bandits.\nLa marionnette reprit sa route en bougonnant :\n\u2013 Nous autres, les enfants, n\u2019avons vraiment pas de\nchance. Tout le monde nous donne des le\u00e7ons ou nous\nr\u00e9primande. A les entendre, ils se prennent tous pour nos\npapas ou nos ma\u00eetres d\u2019\u00e9cole. Tous, m\u00eame un simple\ngrillon ! Parce que je n\u2019ai pas voulu suivre les conseils de\ncet ennuyeux Grillon-qui-parle, le voil\u00e0 qui me pr\u00e9dit\nplein d\u2019ennuis. D\u2019apr\u00e8s lui, je risquerais de rencontrer des\nbandits ! Encore heureux que je n\u2019y croie pas. D\u2019ailleurs,\nje n\u2019y ai jamais cru. Pour moi, les bandits ont \u00e9t\u00e9 invent\u00e9s\nexpr\u00e8s par les papas pour faire peur aux enfants qui\nveulent sortir la nuit. Et m\u00eame si j\u2019en croisais sur cette\nroute, est-ce que je me laisserais intimid\u00e9 ? Jamais de la\nvie ! Je leur dirais, bien en face : \u00ab C\u2019est \u00e0 quel sujet,\nmessieurs les bandits ? \u00bb. Ah mais ! Ils s\u2019apercevraient\nqu\u2019on ne plaisante pas avec moi. Ils continueraient leurchemin, et basta ! Des paroles bien senties et ces bandits,\nmoi, je les vois d\u00e9talant comme le vent. D\u2019ailleurs, s\u2019ils\nn\u2019\u00e9taient pas suffisamment \u00e9duqu\u00e9s pour s\u2019en aller, c\u2019est\nmoi qui partirais pour avoir la paix\u2026\nPinocchio n\u2019eut pas le temps d\u2019achever son\nraisonnement car il venait d\u2019entendre le bruissement\nd\u2019une feuille derri\u00e8re lui.\nIl se retourna. Dans la p\u00e9nombre, il distingua deux\nsinistres individus dissimul\u00e9s dans des sacs de charbon\nqui le suivaient sur la pointe des pieds. On aurait dit deux\nfant\u00f4mes.\n\u2013 Ce sont les bandits ! \u2013 se dit-il.\nEt, comme il ne savait pas o\u00f9 cacher ses pi\u00e8ces d\u2019or, il\nles fourra dans sa bouche et les glissa sous sa langue. Puis\nil essaya de se sauver. Mais \u00e0 peine avait-il boug\u00e9 qu\u2019il\nsentit qu\u2019on l\u2019attrapait par le bras. Deux voix caverneuses\nvocif\u00e9r\u00e8rent :\n\u2013 La bourse ou la vie !\nPinocchio ne pouvait pas r\u00e9pondre \u00e0 cause des sequins\nqu\u2019il avait dans la bouche. Il multiplia contorsions et\nmimiques pour expliquer \u00e0 ces deux encagoul\u00e9s, dont on\nne voyait que les yeux \u00e0 travers des trous faits dans les\nsacs, qu\u2019il n\u2019\u00e9tait qu\u2019une pauvre marionnette n\u2019ayant pas\nla moindre pi\u00e9cette, m\u00eame fausse, sur lui.\n\u2013 Ca suffit ! Arr\u00eate ton baratin et montre ton argent !\n\u2013 cri\u00e8rent en ch\u0153ur les deux brigands.\nPinocchio, d\u2019un signe de t\u00eate accompagn\u00e9 d\u2019un\nmouvement des mains, leur signifia qu\u2019il n\u2019en avait pas.\u2013 Sors-le ! Sinon, tu es mort. \u2013 mena\u00e7a le plus grand.\n\u2013 Mort ! \u2013 r\u00e9p\u00e9ta l\u2019autre\n\u2013 Et apr\u00e8s, on tuera aussi ton p\u00e8re !\n\u2013 Aussi ton p\u00e8re !\n\u2013 Non, non, pas mon pauvre papa ! \u2013 hurla Pinocchio,\nd\u00e9sesp\u00e9r\u00e9.\nMais, en disant, cela, les pi\u00e8ces s\u2019entrechoqu\u00e8rent dans\nsa bouche.\n\u2013 Ah ! Chenapan ! Ton argent, tu l\u2019as donc cach\u00e9 sous\nta langue ? Crache ces pi\u00e8ces tout de suite !\nPinocchio resta de marbre.\n\u2013 Tu fais le sourd maintenant ? Attends un peu qu\u2019on\nte les fasse cracher, nous !\nLe premier le saisit par le nez et le second lui prit le\nmenton puis ils se mirent \u00e0 tirer de toutes leurs forces\npour l\u2019obliger \u00e0 ouvrir la bouche. Ils n\u2019y parvinrent pas : la\nbouche de la marionnette paraissait clou\u00e9e.\nLe plus petit des brigands sortit alors un grand\ncouteau qu\u2019il essaya d\u2019utiliser \u00e0 la fois comme burin et\nlevier en l\u2019enfon\u00e7ant entre les l\u00e8vres de Pinocchio.\nMais celui-ci, vif comme l\u2019\u00e9clair, referma sa m\u00e2choire\net, d\u2019un coup sec, lui coupa la main. Quand il la recracha, il\nfut tr\u00e8s \u00e9tonn\u00e9 de constater que c\u2019\u00e9tait une patte de chat.\nEncourag\u00e9 par cette premi\u00e8re victoire, il parvint \u00e0 se\nsortir des griffes de ses agresseurs et, sautant par-dessus\nla haie bordant la route, s\u2019\u00e9chappa \u00e0 travers les champs.Les deux bandits le suivirent, comme deux chiens\npoursuivant un li\u00e8vre. M\u00eame celui qui avait perdu une\npatte. A se demander comment il pouvait faire\u2026\nApr\u00e8s quinze kilom\u00e8tres de cette course-poursuite,\nPinocchio n\u2019en pouvait plus. Se voyant perdu, il s\u2019agrippa\nau tronc d\u2019un immense pin et grimpa jusqu\u2019au sommet de\nl\u2019arbre. Les autres essay\u00e8rent \u00e0 leur tour mais, \u00e0 mi-\nchemin, ils gliss\u00e8rent et retomb\u00e8rent en s\u2019\u00e9corchant les\nmains et les pieds.\nIls ne s\u2019avou\u00e8rent pas vaincus pour autant. Ayant\nramass\u00e9 du bois bien sec, ils le d\u00e9pos\u00e8rent au pied de\nl\u2019arbre et y mirent le feu. Imm\u00e9diatement, le pin\ns\u2019embrasa comme une torche dont la flamme est attis\u00e9e\npar le vent. Constatant que les flammes montaient de plus\nen plus haut et ne voulant pas finir en pigeon r\u00f4ti,\nPinocchio sauta majestueusement de l\u2019arbre et\nrecommen\u00e7a \u00e0 courir \u00e0 travers champs et vignes. Avec,\ntoujours derri\u00e8re lui, les deux bandits, manifestement\ninfatigables.\nL\u2019aube commen\u00e7ait \u00e0 luire et ils couraient encore.\nSoudain, un foss\u00e9 large et tr\u00e8s profond barra la route de\nPinocchio, un foss\u00e9 au fond duquel coulait une eau sale,\ncouleur caf\u00e9 au lait. Que faire ? \u00ab Un, deux, trois \u00bb :\nprenant son \u00e9lan, la marionnette effectua un bond\ngigantesque et se retrouva sur l\u2019autre rive. Les brigands\nvoulurent sauter \u00e0 leur tour mais ils avaient mal calcul\u00e9\nleur coup et, patatras !, ils se retrouv\u00e8rent dans le foss\u00e9.\nPinocchio, entendant le plouf de leur chute dans l\u2019eau,\n\u00e9clata de rire tout en continuant \u00e0 courir :\u2013 Bon bain, messieurs les assassins !\nIl les crut bel et bien noy\u00e9s. Mais quand il regarda de\nnouveau derri\u00e8re lui, il les vit tous les deux. Ils avaient\nrepris la poursuite dans leurs sacs \u00e0 charbon qui\nd\u00e9goulinaient.Chapitre 15\nLes bandits continuent de poursuivre\nPinocchio. Apr\u00e8s l\u2019avoir rattrap\u00e9, ils le\npendent \u00e0 une branche du Grand Ch\u00eane.\nD\u00e9courag\u00e9e, la marionnette \u00e9tait sur le point de se\ncoucher par terre en se d\u00e9clarant vaincue quand elle\naper\u00e7ut dans le lointain, contrastant avec le vert sombre\nde la frondaison des arbres, une maisonnette blanche\ncomme la neige.\n\u2013 Si j\u2019ai encore assez de souffle pour arriver jusqu\u2019\u00e0\ncette maison, peut-\u00eatre serai-je sauv\u00e9 \u2013 pensa Pinocchio.\nSans h\u00e9siter un seul instant, il reprit donc sa course\nfolle \u00e0 travers bois, les bandits toujours \u00e0 ses trousses.\nDeux heures plus tard, il arrivait tout essouffl\u00e9 \u00e0 la\nporte de la maisonnette et frappait \u00e0 la porte.\nPas de r\u00e9ponse.\nEntendant cro\u00eetre le bruit des pas et de la respiration\nhaletante de ses pers\u00e9cuteurs, il frappa plus fort.\nLa maison resta silencieuse.Puisque frapper ne servait \u00e0 rien, il s\u2019en prit\nfr\u00e9n\u00e9tiquement \u00e0 la porte en lui donnant des coups de\npieds et en la martelant avec sa t\u00eate. Finalement, apparut\n\u00e0 la fen\u00eatre une jolie fillette aux cheveux bleu-nuit et au\nvisage p\u00e2le comme une statue de cire. Son regard \u00e9tait\n\u00e9teint et elle tenait ses bras crois\u00e9s sur sa poitrine. Elle\nmurmura d\u2019une voix faible qui paraissait venir de l\u2019au-\ndel\u00e0 :\n\u2013 Il n\u2019y a personne dans cette maison. Ils sont tous\nmorts.\n\u2013 Mais toi, tu peux m\u2019ouvrir ! \u2013 cria Pinocchio,\npleurant et suppliant.\n\u2013 Moi aussi, je suis morte.\n\u2013 Morte ? Mais alors, qu\u2019est-ce que tu fais l\u00e0, \u00e0 la\nfen\u00eatre ?\n\u2013 J\u2019attends le cercueil qui m\u2019emportera.\nSur ces derni\u00e8res paroles, la fillette disparut et la\nfen\u00eatre se referma sans bruit.\n\u2013 O jolie fillette aux cheveux bleu-nuit, ouvre-moi, par\npiti\u00e9 ! Aide un pauvre gar\u00e7on poursuivi par des ban\u2026\nPinocchio ne put finir sa phrase. On l\u2019avait saisi par le\ncou et deux sinistres voix \u2013 toujours les m\u00eames \u2013\ngrond\u00e8rent, mena\u00e7antes :\n\u2013 A pr\u00e9sent, tu ne nous \u00e9chapperas plus !\nVoyant se profiler le spectre de la mort, la marionnette\nfut prise d\u2019un tremblement si intense que l\u2019on pouvait\nentendre craquer les jointures de ses jambes et tinter lesquatre pi\u00e8ces d\u2019or cach\u00e9es sous sa langue.\n\u2013 Et maintenant ? \u2013 fulmin\u00e8rent les brigands \u2013 Cette\nbouche, tu vas l\u2019ouvrir, oui ou non ? Tu ne r\u00e9ponds\ntoujours pas ? Aucune importance : nous, on va bien\nt\u2019obliger \u00e0 l\u2019ouvrir !\nAlors, sortant deux longs couteaux tranchants comme\ndes rasoirs, chlak\u2026 ils lui port\u00e8rent deux coups dans les\nreins.\nPar chance, le bois dont \u00e9tait fait la marionnette \u00e9tait si\ndur que les lames des couteaux se bris\u00e8rent en mille\nmorceaux. Il n\u2019en restait plus que les manches. Les deux\nbandits se regard\u00e8rent :\n\u2013 J\u2019ai compris \u2013 dit l\u2019un. \u2013 Il faut le pendre. Pendons-\nle !\n\u2013 Pendons-le ! \u2013 r\u00e9p\u00e9ta l\u2019autre.\nSans attendre, ils lui li\u00e8rent les mains dans le dos et, lui\nayant pass\u00e9 un n\u0153ud coulant autour du cou,\nl\u2019accroch\u00e8rent \u00e0 une branche d\u2019un gros arbre appel\u00e9 le\nGrand Ch\u00eane.\nPuis, assis dans l\u2019herbe, ils attendirent que la\nmarionnette eut une derni\u00e8re convulsion. Mais celle-ci,\ntrois heures apr\u00e8s, avait toujours les yeux ouverts et\ngigotait comme jamais.\nFinalement, fatigu\u00e9s d\u2019attendre, ils s\u2019adress\u00e8rent \u00e0\nPinocchio en ricanant :\n\u2013 On te laisse ! Mais reviendrons demain. D\u2019ici l\u00e0,\nesp\u00e9rons que tu auras la courtoisie de mourir tout \u00e0 fait etd\u2019ouvrir ta bouche toute grande.\nPuis ils partirent.\nAu m\u00eame moment se leva la Tramontane, un vent\nviolent mugissant rageusement qui s\u2019abattit sur le pauvre\npendu et le ballotta comme le battant d\u2019une cloche\nsonnant \u00e0 toutes vol\u00e9es. Ce terrible balancement lui\ncausait d\u2019horribles douleurs et le n\u0153ud coulant, enserrant\nde plus en plus sa gorge, l\u2019emp\u00eachait de respirer.\nPeu \u00e0 peu, sa vue se brouilla. Tout en sentant la mort\narriver, il imaginait encore qu\u2019une \u00e2me compatissante\nviendrait le sauver. Et quand, apr\u00e8s avoir longuement\nattendu et esp\u00e9r\u00e9, il comprit que personne, vraiment\npersonne ne lui porterait secours, sa pens\u00e9e se tourna\nalors vers son pauvre papa et il balbutia tout en\nagonisant :\n\u2013 Oh, mon papa \u00e0 moi ! Si tu pouvais \u00eatre l\u00e0 !\u2026\nIl n\u2019eut pas la force d\u2019en dire plus. Il ferma les yeux,\nouvrit la bouche, laissa pendre ses jambes puis, apr\u00e8s un\ndernier spasme, se figea au bout de sa corde.Chapitre 16\nLa jolie fillette aux cheveux bleu-nuit\nenvoie chercher la marionnette, la met au\nlit et appelle trois m\u00e9decins pour savoir si\nelle est morte ou vivante.\nAlors que le pauvre Pinocchio, pendu \u00e0 une branche du\nGrand Ch\u00eane par les brigands, semblait plus mort que vif,\nla jolie fillette aux cheveux bleu-nuit se mit de nouveau \u00e0\nsa fen\u00eatre. En voyant ce malheureux suspendu par le cou\nque le vent du nord faisait danser au bout de sa corde, elle\nfut prise de piti\u00e9 et frappa dans ses mains trois fois.\nOn entendit alors un grand bruissement d\u2019ailes battant\nl\u2019air avec fougue et un Faucon de belle taille vint se poser\nsur le rebord de la fen\u00eatre.\n\u2013 Quels sont les ordres de ma gracieuse F\u00e9e ? \u2013\ndemanda le Faucon en inclinant respectueusement son\nbec.\nIl faut savoir que la fillette aux cheveux bleus \u00e9tait, en\nfait, une bonne F\u00e9e vivant dans ce bois depuis plus demille ans.\n\u2013 Tu vois cette marionnette pendue \u00e0 une branche du\nGrand Ch\u00eane ? \u2013 dit la F\u00e9e.\n\u2013 Je la vois.\n\u2013 Alors, vole imm\u00e9diatement jusqu\u2019\u00e0 elle, sers-toi de\nton solide bec pour d\u00e9faire le n\u0153ud qui la retient en l\u2019air\net couche-la d\u00e9licatement sur l\u2019herbe, au pied du ch\u00eane.\nLe Faucon s\u2019envola. Deux minutes plus tard, il \u00e9tait de\nretour :\n\u2013 Vos ordres ont \u00e9t\u00e9 ex\u00e9cut\u00e9s.\n\u2013 Et comment l\u2019as-tu trouv\u00e9e ? Est-elle morte ou\nvivante ?\n\u2013 A premi\u00e8re vue, la marionnette paraissait sans vie,\nmais elle ne devait pas \u00eatre tout \u00e0 fait morte car, alors que\nje brisais le n\u0153ud coulant lui enserrant le cou, je l\u2019ai\nentendue pousser un soupir et murmurer : \u00ab Maintenant,\nje me sens mieux \u00bb.\nLa F\u00e9e frappa dans ses mains deux fois et, cette fois,\napparut un magnifique Caniche qui marchait droit sur ses\ndeux pattes de derri\u00e8re, comme s\u2019il \u00e9tait un humain.\nLe Caniche \u00e9tait habill\u00e9 comme un cocher ayant rev\u00eatu\nsa livr\u00e9e de gala. Il portait une coiffe \u00e0 trois pointes\nbord\u00e9e d\u2019or, une perruque blanche dont les boucles lui\ntombaient sur les \u00e9paules, une veste couleur chocolat avec\ndes boutons qui brillaient et deux grandes poches pour y\nmettre les os que lui donnait sa patronne, un pantalon\ncourt en velours rouge vif, des bas de soie, des souliersd\u00e9coup\u00e9s et, dans le dos, une sorte de fourreau en satin\nbleu pour y abriter sa queue quand le temps tournait \u00e0 la\npluie.\n\u2013 Allez, M\u00e9dor, du courage ! \u2013 lui dit la F\u00e9e. Fais\natteler tout de suite le plus beau carrosse de mon \u00e9curie\net dirige-toi vers le bois. Arriv\u00e9 sous le Grand Ch\u00eane, tu\ntrouveras une marionnette \u00e0 moiti\u00e9 morte \u00e9tendue sur\nl\u2019herbe. Prends-la d\u00e9licatement, pose-la en faisant tr\u00e8s\nattention sur les coussins du carrosse et am\u00e8ne-la-moi.\nTu as compris ?\nLe Caniche, pour montrer qu\u2019il avait bien compris,\nremua le fourreau de satin bleu qu\u2019il avait dans le dos et\nd\u00e9tala comme un cheval barbe.\nPeu de temps apr\u00e8s, on vit sortir de l\u2019\u00e9curie un joli\npetit carrosse bleu-ciel, enti\u00e8rement capitonn\u00e9 de plumes\nde canaris et, \u00e0 l\u2019int\u00e9rieur, matelass\u00e9 avec de la cr\u00e8me\nfouett\u00e9e et des biscuits \u00e0 la cuiller. Le carrosse \u00e9tait tir\u00e9\npar un attelage de deux cents petites souris blanches.\nAssis sur le si\u00e8ge du cocher, le Caniche faisait claquer son\nfouet, tel un postillon ayant peur d\u2019\u00eatre en retard.\nIl ne s\u2019\u00e9tait pas \u00e9coul\u00e9 un quart d\u2019heure que le\ncarrosse revenait. La F\u00e9e, qui attendait \u00e0 la porte de la\nmaison, prit par le cou la pauvre marionnette, la porta\njusque dans une petite chambre aux murs de nacre puis\nfit appeler les plus fameux m\u00e9decins du voisinage.\nLes m\u00e9decins arriv\u00e8rent l\u2019un apr\u00e8s l\u2019autre. Il y avait\nun Corbeau, une Chouette et un Grillon-qui-parle. Les\nayant r\u00e9unis autour du lit o\u00f9 gisait Pinocchio, la F\u00e9e leur\ndemanda :\u2013 Je souhaiterais que vous me disiez, messieurs, si\ncette malheureuse marionnette est morte ou vivante.\nLe Corbeau fut le premier \u00e0 s\u2019avancer. Il prit le pouls\nde Pinocchio, lui t\u00e2ta le nez, le petit orteil et, apr\u00e8s avoir\nsoigneusement accompli son examen, d\u00e9clara\nsolennellement :\n\u2013 A mon avis, cette marionnette est bel et bien morte.\nPourtant, si par hasard elle n\u2019\u00e9tait pas morte, alors on\npourrait dire sans h\u00e9sitation possible qu\u2019elle est toujours\nvivante !\n\u2013 Je regrette \u2013 r\u00e9pliqua la Chouette \u2013 de devoir\ncontredire mon illustre ami et coll\u00e8gue le Corbeau mais,\nselon moi, bien au contraire, la marionnette est vivante.\n\u00c9videmment, si par m\u00e9saventure elle n\u2019\u00e9tait pas vivante,\nce serait alors le signe indiscutable qu\u2019elle est morte !\n\u2013 Et vous ? Vous ne dites rien ? \u2013 demanda la F\u00e9e au\nGrillon-qui-parle.\n\u2013 Moi je dis que la meilleure chose que puisse faire un\nm\u00e9decin qui ne sait pas de quoi il parle serait qu\u2019il se taise.\nDu reste, cette marionnette ne m\u2019est pas inconnue. Je la\nconnais m\u00eame depuis longtemps !\u2026\nPinocchio qui, jusque l\u00e0, \u00e9tait rest\u00e9 aussi inerte qu\u2019un\nbout de bois, eut une sorte de fr\u00e9missement convulsif qui\n\u00e9branla le lit.\n\u2013 Cette marionnette \u2013 continua le Grillon-qui-parle \u2013\nest un fieff\u00e9 coquin.\nPinocchio ouvrit les yeux mais les referma aussit\u00f4t.\u2013 C\u2019est un polisson, un paresseux et un vagabond.\nPinocchio enfouit sa t\u00eate sous les draps.\n\u2013 De plus, c\u2019est un enfant d\u00e9sob\u00e9issant qui fera mourir\nde chagrin son pauvre p\u00e8re.\nOn entendit alors quelqu\u2019un sangloter. Imaginez la\nsurprise de l\u2019assistance quand, soulevant les draps, on\ncomprit que c\u2019\u00e9tait Pinocchio qui pleurait.\n\u2013 Quand un mort pleure, cela signifie qu\u2019il va gu\u00e9rir \u2013\nd\u00e9clara alors le Corbeau avec solennit\u00e9.\n\u2013 Je d\u00e9plore de devoir contredire encore mon illustre\nami et coll\u00e8gue \u2013 intervint la Chouette \u2013 mais, pour moi,\nquand un mort pleure, cela veut dire qu\u2019il lui d\u00e9plait\nd\u2019\u00eatre mort.Chapitre 17\nPinocchio accepte le sucre mais refuse le\npurgatif. Mais quand les croque-morts\nviennent le chercher, il prend le\nm\u00e9dicament. Puis il ment et son nez\ns\u2019allonge.\nLes m\u00e9decins partis, la F\u00e9e se pencha sur Pinocchio.\nLui touchant le front, elle se rendit compte qu\u2019il avait une\n\u00e9norme fi\u00e8vre.\nElle fit alors dissoudre une poudre blanche dans la\nmoiti\u00e9 d\u2019un verre d\u2019eau et le tendit \u00e0 la marionnette en lui\ndisant avec tendresse :\n\u2013 Bois cela et tu seras gu\u00e9ri en peu de temps.\nPinocchio regarda le verre, fit la moue et demanda\nd\u2019une voix pleurnicharde :\n\u2013 C\u2019est sucr\u00e9 ou amer ?\n\u2013 Amer, mais cela te fera du bien.\n\u2013 Si c\u2019est amer, je n\u2019en veux pas.\u2013 Fais-moi confiance et bois !\n\u2013 Je n\u2019aime pas ce qui est amer.\n\u2013 Bois, et quand tu auras bu, je te donnerai un\nmorceau de sucre pour te refaire la bouche.\n\u2013 Et o\u00f9 est-il ce morceau de sucre ?\n\u2013 Le voici \u2013 lui r\u00e9pondit la F\u00e9e en plongeant sa main\ndans un sucrier en or.\n\u2013 Je veux d\u2019abord le sucre, apr\u00e8s je boirai cette chose\nam\u00e8re.\n\u2013 Tu me le promets ?\n\u2013 Oui\u2026\nLa F\u00e9e lui donna le morceau de sucre. Pinocchio le\ncroqua et l\u2019avala en un clin d\u2019\u0153il puis d\u00e9clara en se l\u00e9chant\nles l\u00e8vres :\n\u2013 Ah si le sucre pouvait \u00eatre un m\u00e9dicament, je me\nsoignerais tous les jours !\n\u2013 Maintenant, tiens ta promesse et bois un peu de\ncette eau qui va te remettre d\u2019aplomb.\nPinocchio s\u2019empara du verre \u00e0 contrec\u0153ur, y fourra\nson nez, l\u2019approcha de sa bouche, le renifla de nouveau et,\nfinalement, annon\u00e7a :\n\u2013 C\u2019est trop amer ! Trop amer ! Je ne pourrai pas\nboire \u00e7a.\n\u2013 Comment peux-tu le savoir puisque tu n\u2019y a m\u00eame\npas go\u00fbt\u00e9 ?\u2013 Je l\u2019imagine ! Je l\u2019ai senti \u00e0 l\u2019odeur. Je veux encore\ndu sucre. Apr\u00e8s, je boirai !\nAvec la patience infinie d\u2019une vraie maman, la F\u00e9e lui\nmit dans la bouche un autre morceau de sucre puis lui\npr\u00e9senta une nouvelle fois le verre.\n\u2013 Je ne peux pas boire dans ces conditions ! \u2013 fit la\nmarionnette en grima\u00e7ant de plus belle.\n\u2013 Et pourquoi ?\n\u2013 Parce que cet oreiller, l\u00e0, sur mes pieds, me g\u00e8ne.\nLa F\u00e9e \u00f4ta l\u2019oreiller.\n\u2013 C\u2019\u00e9tait pas la peine ! M\u00eame comme cela, je ne peux\npas boire.\n\u2013 Il y autre chose qui te g\u00e8ne ?\n\u2013 Oui, la porte qui est entr\u2019ouverte.\nLa F\u00e9e alla fermer la porte.\n\u2013 Finalement \u2013 cria Pinocchio qui \u00e9clata en sanglots \u2013\nce truc amer, je n\u2019en veux pas, non, non et non !\n\u2013 Tu le regretteras mon gar\u00e7on.\n\u2013 Ca m\u2019est \u00e9gal.\n\u2013 C\u2019est que tu es s\u00e9rieusement malade.\n\u2013 Ca m\u2019est \u00e9gal.\n\u2013 En peu de temps, la fi\u00e8vre peut te faire passer de vie\n\u00e0 tr\u00e9pas.\n\u2013 Ca m\u2019est \u00e9gal.\n\u2013 Tu n\u2019as pas peur de la mort ?\u2013 Pas du tout ! Et puis, plut\u00f4t mourir que boire cette\nsale mixture.\nA ce moment-l\u00e0, la porte de la chambre s\u2019ouvrit toute\ngrande. Quatre lapins entr\u00e8rent. Ils \u00e9taient noirs comme\nde l\u2019encre et portaient sur leurs \u00e9paules un petit cercueil.\n\u2013 Qu\u2019est-ce que vous me voulez ? \u2013 hurla Pinocchio,\neffray\u00e9, en se redressant sur son lit.\n\u2013 On est venu te chercher \u2013 r\u00e9pondit le plus grand des\nlapins.\n\u2013 Me chercher ? Mais je ne suis pas encore mort !\n\u2013 Pas encore, mais il ne te reste plus que quelques\nminutes \u00e0 vivre puisque tu refuses de prendre le\nm\u00e9dicament pour combattre la fi\u00e8vre !\n\u2013 O F\u00e9e, ma bonne F\u00e9e \u2013 supplia alors la marionnette\n\u2013 apportez-moi tout de suite ce verre ! D\u00e9p\u00eachez-vous,\npar piti\u00e9, je ne veux pas mourir, je ne veux pas mourir\u2026\nPinocchio prit le verre \u00e0 deux mains et le vida d\u2019un\ntrait.\n\u2013 Dommage ! \u2013 dirent les lapins \u2013 On a fait le voyage\npour rien.\nRemettant le cercueil sur leurs \u00e9paules, ils sortirent en\ngrommelant De fait, quelques minutes plus tard,\nPinocchio sautait de son lit, bel et bien gu\u00e9ri. Il faut savoir\nque les marionnettes en bois ont la chance de tomber\nrarement malade et qu\u2019elles se r\u00e9tablissent tr\u00e8s vite.\nLe voyant courir et s\u2019\u00e9battre \u00e0 travers la pi\u00e8ce, vif et\njoyeux comme un jeune chiot, la F\u00e9e lui fit remarquer :joyeux comme un jeune chiot, la F\u00e9e lui fit remarquer :\n\u2013 Donc le m\u00e9dicament t\u2019a vraiment fait du bien.\n\u2013 Plus que du bien ! Il m\u2019a fait revivre !\n\u2013 Alors pourquoi t\u2019es-tu fait tant prier pour le boire ?\n\u2013 Nous, les enfants, sommes tous pareils ! On craint\nplus les m\u00e9dicaments que la maladie.\n\u2013 Mais c\u2019est tr\u00e8s mal ! Les enfants devraient savoir\nqu\u2019un bon m\u00e9dicament pris \u00e0 temps peut les gu\u00e9rir, peut-\n\u00eatre m\u00eame les emp\u00eacher de mourir.\n\u2013 Oh ! Une autre fois, je ne me ferai pas prier ! Je me\nsouviendrai de ces lapins noirs portant un cercueil sur\nleurs \u00e9paules. J\u2019attraperai tout de suite le verre, et hop !\n\u2013 Bon, maintenant viens pr\u00e8s de moi et raconte-moi\ncomment tu t\u2019es retrouv\u00e9 entre les mains des brigands.\n\u2013 Voil\u00e0 : le montreur de marionnettes Mangiafoco\nm\u2019avait donn\u00e9 quelques pi\u00e8ces d\u2019or en me disant :\n\u00ab Tiens, porte-les \u00e0 ton papa ! \u00bb. Mais moi, j\u2019ai rencontr\u00e9\nen chemin deux personnes tr\u00e8s bien, un Renard et un\nChat, qui m\u2019ont propos\u00e9 de transformer ces pi\u00e8ces en\nmille, m\u00eame deux mille autres. Ils m\u2019ont dit : \u00ab Viens avec\nnous, on t\u2019emm\u00e8nera au Champ des Miracles \u00bb et j\u2019ai\nr\u00e9pondu \u00ab D\u2019accord \u00bb. Apr\u00e8s, ils ont dit : \u00ab Arr\u00eatons-nous\n\u00e0 l\u2019auberge de l\u2019\u00c9crevisse d\u2019Or, nous en repartirons apr\u00e8s\nminuit \u00bb. Mais quand je me suis r\u00e9veill\u00e9, ils \u00e9taient d\u00e9j\u00e0\npartis. Alors, je me mis \u00e0 marcher dans la nuit, une nuit\ncompl\u00e8tement noire, et l\u00e0 je suis tomb\u00e9 sur deux bandits\ncach\u00e9s dans des sacs \u00e0 charbon. \u00ab Montre ton argent ! \u00bb\nqu\u2019ils m\u2019ont dit. Moi, j\u2019ai r\u00e9pondu : \u00ab Je n\u2019en ai pas \u00bb.J\u2019avais cach\u00e9 mes pi\u00e8ces d\u2019or dans ma bouche. L\u2019un des\nbrigands a voulu les prendre. Je l\u2019ai mordu tr\u00e8s fort et lui\nai coup\u00e9 la main mais, quand je l\u2019ai recrach\u00e9e, je me suis\naper\u00e7u que c\u2019\u00e9tait la patte d\u2019un chat. Puis les bandits se\nsont mis \u00e0 me courir apr\u00e8s, et plus je courais, plus ils\ncouraient.\nIls ont fini par me rattraper et ils m\u2019ont pendu par le\ncou \u00e0 un arbre de ce bois en disant : \u00ab Nous reviendrons\ndemain quand tu seras mort. Tu auras la bouche ouverte\net nous n\u2019aurons plus qu\u2019\u00e0 prendre les pi\u00e8ces que tu\ncaches sous ta langue \u00bb.\n\u2013 Ces pi\u00e8ces \u2013 questionna la F\u00e9e \u2013 o\u00f9 sont-elles\nmaintenant ?\n\u2013 Je les ai perdues !\nC\u2019\u00e9tait un mensonge. Les pi\u00e8ces, Pinocchio les avaient\ndans sa poche. Et il n\u2019eut pas plus t\u00f4t menti que son nez,\nd\u00e9j\u00e0 cons\u00e9quent, s\u2019allongea imm\u00e9diatement.\n\u2013 Et o\u00f9 les as-tu perdues ?\n\u2013 Dans le bois.\nC\u2019\u00e9tait un deuxi\u00e8me mensonge. Le nez de Pinocchio\ns\u2019allongea encore plus.\n\u2013 Si tu les as perdues dans le bois, on va les chercher\net on les retrouvera. Tout ce qui se perd dans ce bois se\nretrouve toujours.\n\u2013 Ah oui ! Maintenant, je me rappelle. \u2013 r\u00e9pliqua la\nmarionnette qui s\u2019embrouillait \u2013 Les quatre pi\u00e8ces d\u2019or, je\nne les ai pas perdues. Je n\u2019ai pas fait attention et je les aiaval\u00e9es avec votre m\u00e9dicament.\nA ce troisi\u00e8me mensonge, son nez grandit tellement\nque Pinocchio ne pouvait plus tourner la t\u00eate. S\u2019il la\ntournait d\u2019un c\u00f4t\u00e9, le nez rencontrait le lit ou les vitres de\nla fen\u00eatre. S\u2019il la tournait de l\u2019autre, il se heurtait aux\nmurs ou \u00e0 la porte de la chambre. Et s\u2019il relevait tant soit\npeu la t\u00eate, il risquait de crever un \u0153il \u00e0 la F\u00e9e.\nCelle-ci le regardait en riant.\n\u2013 Pourquoi riez-vous \u2013 s\u2019enquit la marionnette,\nsoucieuse et confuse \u00e0 cause de ce nez qui n\u2019arr\u00eatait pas\nde cro\u00eetre.\n\u2013 Je ris de tes mensonges.\n\u2013 Et comment savez-vous que j\u2019ai menti ?\n\u2013 Mon gar\u00e7on, les mensonges se rep\u00e8rent tout de\nsuite. Il y a ceux qui ont les jambes courtes et ceux qui\nont le nez long. A l\u2019\u00e9vidence, tes mensonges \u00e0 toi font\npartie de la deuxi\u00e8me cat\u00e9gorie.\nHonteux, ne sachant plus o\u00f9 se cacher, Pinocchio\nessaya de s\u2019enfuir de la pi\u00e8ce mais il n\u2019y parvint pas. Son\nnez \u00e9tait d\u00e9sormais si grand qu\u2019il ne pouvait plus passer\npar la porte.Chapitre 18\nPinocchio retrouve le Renard et le Chat. Il\npart avec eux semer ses quatre pi\u00e8ces d\u2019or\ndans le Champ des Miracles.\nComme on peut le deviner, la F\u00e9e laissa pleurer et\nhurler Pinocchio, furieux de ne pas pouvoir sortir \u00e0 cause\nde son nez. Elle voulait lui donner une le\u00e7on afin qu\u2019il\nperde l\u2019habitude de dire des mensonges, le plus gros\nd\u00e9faut qu\u2019un enfant puisse avoir. Mais quand elle le vit\ntransfigur\u00e9 par le d\u00e9sespoir, les yeux lui sortant de la t\u00eate,\nelle eut piti\u00e9 de lui et frappa dans ses mains. Tout un\nessaim d\u2019oiseaux appel\u00e9s piverts entra par la fen\u00eatre. Se\nposant sur le nez disproportionn\u00e9 de la marionnette, ils\nentreprirent de le becqueter tant et si bien qu\u2019en\nquelques minutes, le nez retrouva sa taille normale.\n\u2013 Vous \u00eates ma bonne F\u00e9e et je vous aime beaucoup !\n\u2013 s\u2019exclama Pinocchio en s\u00e9chant ses larmes.\n\u2013 Moi aussi, je t\u2019aime \u2013 r\u00e9pondit la F\u00e9e \u2013 et si tu\nsouhaites rester ici avec moi, tu seras mon petit fr\u00e8re et\nmoi je serai ta gentille petite s\u0153ur.\u2013 Je resterais bien volontiers mais\u2026 mon pauvre\npapa ?\n\u2013 J\u2019ai pens\u00e9 \u00e0 tout. Ton papa a \u00e9t\u00e9 averti. Il sera l\u00e0\navant la nuit.\n\u2013 Vraiment ? \u2013 hurla Pinocchio en sautant de joie \u2013\nAlors, si vous le permettez, ma bonne F\u00e9e, je voudrais\naller \u00e0 sa rencontre. Il me tarde de pouvoir l\u2019embrasser,\nlui qui a tant souffert \u00e0 cause de moi !\n\u2013 Va donc, mais fais attention de ne pas te perdre.\nPrends la route qui traverse le bois. En passant par-l\u00e0, je\nsuis s\u00fbre que tu le trouveras.\nPinocchio partit et, d\u00e9s qu\u2019il fut dans la for\u00eat, il se mit \u00e0\ncourir comme un chevreuil. Pourtant, arriv\u00e9 pr\u00e8s du\nGrand Ch\u00eane, il s\u2019arr\u00eata : il lui avait sembl\u00e9 entendre\nmarcher dans le sous-bois. Il ne s\u2019\u00e9tait pas tromp\u00e9. Or\nsavez-vous qui apparut sur le chemin ? Le Renard et le\nChat, ses deux compagnons de voyage avec lesquels il\navait d\u00een\u00e9 \u00e0 l\u2019auberge de l\u2019\u00c9crevisse Rouge !\n\u2013 Mais c\u2019est notre cher Pinocchio ! \u2013 s\u2019exclama le\nRenard en le prenant dans ses bras et en l\u2019embrassant.\nQue fais-tu donc ici ?\n\u2013 Que fais-tu donc ici ? \u2013 r\u00e9p\u00e9ta le Chat.\n\u2013 C\u2019est une longue histoire \u2013 leur r\u00e9pondit la\nmarionnette \u2013 que je vous raconterai quand j\u2019aurai le\ntemps. Sachez pourtant que l\u2019autre nuit, quand vous\nm\u2019avez laiss\u00e9 tout seul \u00e0 l\u2019auberge, je suis tomb\u00e9 sur des\nbrigands.\n\u2013 Des brigands ? Pauvre ami ! Et que voulaient-ils, cesbrigands ?\n\u2013 Me voler mes pi\u00e8ces d\u2019or.\n\u2013 Les inf\u00e2mes ! \u2013 glapit le Renard.\n\u2013 Les inf\u00e2mes ! \u2013 r\u00e9p\u00e9ta le Chat.\n\u2013 Je me suis sauv\u00e9 mais ils m\u2019ont suivi et, apr\u00e8s\nm\u2019avoir rattrap\u00e9, ils m\u2019ont pendu \u00e0 une branche de ce\nch\u00eane.\nPinocchio montra le Grand Ch\u00eane.\n\u2013 C\u2019est vraiment terrible ! \u2013 g\u00e9mit le Renard. Dans\nquel monde sommes-nous donc condamn\u00e9s \u00e0 vivre ! Et\nquel refuge pouvons-nous trouver, nous, les honn\u00eates\ngens ?\nAlors qu\u2019ils devisaient ainsi, Pinocchio remarqua que le\nChat boitait de sa jambe ant\u00e9rieure droite, car il n\u2019avait\nplus ni ongles ni coussinets. Il lui demanda :\n\u2013 Qu\u2019est-il arriv\u00e9 \u00e0 ta patte ?\nLe Chat voulut r\u00e9pondre mais il ne savait que dire.\nAlors, le Renard intervint :\n\u2013 Mon ami est trop modeste, c\u2019est pourquoi il ne\nr\u00e9pond pas. Je parlerai pour lui. Apprends donc que nous\navons crois\u00e9 sur le chemin, il y a une heure, un vieux loup\n\u00e0 demi-mort de faim qui nous demanda l\u2019aum\u00f4ne. Comme\nnous n\u2019avions m\u00eame pas une ar\u00eate de poisson \u00e0 lui\ndonner, qu\u2019a fait notre ami qui a vraiment un c\u0153ur d\u2019or ?\nIl s\u2019est sectionn\u00e9 une patte de devant et l\u2019a jet\u00e9e \u00e0 cette\npauvre b\u00eate afin qu\u2019elle cesse de je\u00fbner.\nLe Renard essuya une larme.Le Renard essuya une larme.\nPinocchio, troubl\u00e9 lui aussi, s\u2019approcha du Chat et lui\ndit \u00e0 l\u2019oreille :\n\u2013 Si tous les chats \u00e9taient comme toi, les souris\nauraient de la chance !\n\u2013 Et \u00e0 pr\u00e9sent, qu\u2019est-ce qui t\u2019am\u00e8ne par ici ? \u2013\nquestionna le Renard.\n\u2013 J\u2019attends mon papa qui doit arriver d\u2019un moment \u00e0\nl\u2019autre.\n\u2013 Et tes sequins ?\n\u2013 Je les ai toujours. Ils sont dans ma poche, sauf un qui\nm\u2019a servi \u00e0 payer l\u2019aubergiste.\n\u2013 Quand on pense qu\u2019au lieu de quatre pi\u00e8ces, tu\npourrais en avoir mille ou m\u00eame deux mille d\u00e9s demain !\nPourquoi ne suis-tu pas mon conseil ? Pourquoi ne vas-tu\npas les semer dans le Champ des Miracles ?\n\u2013 Aujourd\u2019hui, c\u2019est impossible. J\u2019irai un autre jour.\n\u2013 Un autre jour ? Ce sera trop tard.\n\u2013 Pourquoi ?\n\u2013 Parce que le champ a \u00e9t\u00e9 achet\u00e9 par un grand\nseigneur et que, \u00e0 partir de demain, il sera interdit \u00e0 tout\nle monde d\u2019y semer de l\u2019argent.\n\u2013 On est loin du Champ des Miracles ? \u2013 s\u2019enquit alors\nPinocchio.\n\u2013 A peine deux kilom\u00e8tres. Veux-tu venir avec nous ?\nTu y seras dans une demi-heure. En arrivant, tu s\u00e8mes\ntes quatre pi\u00e8ces et, en quelques minutes, tu en r\u00e9colterasdeux mille. Tu seras de retour ce soir m\u00eame les poches\npleines. Alors, tu viens ?\nPinocchio h\u00e9sitait parce qu\u2019il pensait \u00e0 la bonne F\u00e9e, \u00e0\nGeppetto et aux mises en garde du grillon-qui-parle. Mais\nil fit ce que font tous les enfants qui n\u2019ont pas un brin de\njugeote, c\u2019est \u00e0 dire qu\u2019il finit par dire au Renard et au\nchat, avec un petit hochement de t\u00eate :\n\u2013 D\u2019accord, je viens avec vous.\nEt ils partirent tous les trois.\nApr\u00e8s une bonne demi-journ\u00e9e de marche, ils\narriv\u00e8rent dans une ville appel\u00e9e \u00ab Attrape-nigauds \u00bb. En\nentrant dans la ville, Pinocchio d\u00e9couvrit que les rues\n\u00e9taient pleines de chiens pel\u00e9s que la faim faisait bailler,\nde moutons tondus qui tremblaient de froid, de coqs sans\ncr\u00eates qui faisaient l\u2019aum\u00f4ne d\u2019un grain de ma\u00efs, de\ngrands papillons clou\u00e9s au sol parce qu\u2019ils avaient vendu\nleurs belles ailes color\u00e9es, de paons sans queue n\u2019osant\nplus se montrer, des faisans trottinant comme des petits\nvieux, pleurant leurs habits d\u2019or et d\u2019argent perdus pour\ntoujours.\nParfois un magnifique carrosse transportant un\nRenard, une pie voleuse ou un gros oiseau de proie passait\nau milieu de cette foule de mendiants et de pauvres.\n\u2013 Et le Champ des Miracles, o\u00f9 est-il donc ? \u2013\nquestionna Pinocchio.\n\u2013 C\u2019est tout pr\u00e8s d\u2019ici.\nIls travers\u00e8rent la ville, franchirent les remparts puis\nils s\u2019arr\u00eat\u00e8rent dans un champ qui se trouvait \u00e0 l\u2019\u00e9cart etressemblait \u00e0 n\u2019importe quel autre champ.\n\u2013 Nous voici arriv\u00e9s \u2013 dit le Renard \u00e0 la marionnette \u2013\nPenche-toi et, avec les mains, creuse un petit trou dans\nlequel tu mettras tes pi\u00e8ces d\u2019or.\nPinocchio ob\u00e9it. Il fit le trou, y d\u00e9posa les quatre\nsequins qui lui restaient et les recouvrit avec un peu de\nterre.\n\u2013 Maintenant \u2013 continua le Renard \u2013 va \u00e0 l\u2019\u00e9tang qui\nest pr\u00e8s d\u2019ici, remplis un seau d\u2019eau et arrose l\u2019endroit o\u00f9\ntu as sem\u00e9.\nPinocchio se rendit \u00e0 l\u2019\u00e9tang. Comme il n\u2019avait pas de\nseau, il enleva une de ses chaussures qu\u2019il remplit d\u2019eau et\nen arrosa la terre. Puis il demanda :\n\u2013 Il y a autre chose \u00e0 faire ?\n\u2013 Rien d\u2019autre \u2013 assura le Renard \u2013 On peut partir.\nMais toi, en revenant dans une vingtaine de minutes, tu\ntrouveras un jeune arbre qui aura d\u00e9j\u00e0 pouss\u00e9 et dont les\nbranches seront charg\u00e9es de pi\u00e8ces d\u2019or.\nLa pauvre marionnette, folle de joie, remercia mille fois\nle Renard et le Chat et promit de leur faire un superbe\ncadeau.\n\u2013 Ah non ! Pas de cadeau ! \u2013 r\u00e9pliqu\u00e8rent les deux\nmalandrins \u2013 De t\u2019avoir enseign\u00e9 la mani\u00e8re de t\u2019enrichir\nsans te fatiguer nous suffit. Nous sommes heureux\ncomme des rois.\nIls salu\u00e8rent Pinocchio, lui souhait\u00e8rent une bonne\nr\u00e9colte et s\u2019en all\u00e8rent de leur c\u00f4t\u00e9.Chapitre 19\nNon seulement Pinocchio se fait voler ses\npi\u00e8ces d\u2019or mais il \u00e9cope en plus de quatre\nmois de prison.\nLa marionnette, revenue en ville, compta les minutes\nune \u00e0 une. Quand il lui parut que c\u2019\u00e9tait l\u2019heure, il reprit\nsans tarder le chemin du Champ des Miracles.\nIl pressait le pas et son c\u0153ur battait \u00e0 tout rompre. On\naurait dit une grosse horloge de salon faisant tac-tac, tac-\ntac, tac-tac\u2026 Tout en marchant, il pensait :\n\u2013 Si, sur l\u2019arbre, au lieu de mille pi\u00e8ces, j\u2019en trouvais\ndeux mille ? Ou m\u00eame cinq mille ? Et si j\u2019en trouvais cent\nmille ? Quel grand monsieur je deviendrai ! Je pourrais\navoir un grand palais, plein de petits chevaux de bois avec\nleurs \u00e9curies pour m\u2019amuser, une cave remplie de\nliqueurs, un magasin entier de fruits confits, de tartes, de\nbrioches, de g\u00e2teaux aux amandes et de cornets \u00e0 la\ncr\u00e8me.\nIl r\u00eava ainsi jusqu\u2019au moment o\u00f9 le champ fut en vue.\nL\u00e0, il s\u2019arr\u00eata et regarda. Peut-\u00eatre pouvait-il d\u00e9j\u00e0apercevoir son arbre charg\u00e9 de pi\u00e8ces d\u2019or ? Mais il ne vit\nrien. Il s\u2019approcha d\u2019une centaine de pas : toujours rien !\nEntrant dans le Champ des Miracles, il se dirigea vers\nle trou o\u00f9 il avait enterr\u00e9 ses sequins. Rien ! Il n\u2019y avait\nrien ! Pensif, il sortit une main de sa poche et se gratta\nlonguement la t\u00eate, oublieux des bonnes mani\u00e8res.\nC\u2019est alors qu\u2019un grand rire se fit entendre. Levant la\nt\u00eate, il vit un perroquet qui se lissait les quelques plumes\nqui lui restaient.\n\u2013 Pourquoi ris-tu ? \u2013 lui demanda Pinocchio sans plus\nde c\u00e9r\u00e9monie.\n\u2013 Je ris parce que, en me lissant les plumes, je me suis\nfait des chatouilles sous les ailes.\nPinocchio en resta l\u00e0. Il se dirigea vers l\u2019\u00e9tang, remplit\nd\u2019eau l\u2019une de ses chaussures et revint arroser l\u2019endroit\no\u00f9 il avait sem\u00e9 ses pi\u00e8ces d\u2019or.\nMais un autre rire, encore plus impertinent que le\npremier, r\u00e9sonna dans l\u2019espace silencieux du champ isol\u00e9.\n\u2013 Bon, on peut savoir exactement ce qui te fait rire,\nperroquet mal \u00e9duqu\u00e9 ? \u2013 questionna la marionnette qui\ncommen\u00e7ait \u00e0 s\u2019\u00e9nerver.\n\u2013 Je ris de tous ces nigauds pr\u00eats \u00e0 faire n\u2019importe\nquelle b\u00eatise et qui se font avoir par plus malins qu\u2019eux.\n\u2013 De qui tu parles ? De moi ?\n\u2013 Mais oui, je parle de toi, mon pauvre Pinocchio, qui\nest assez simplet pour croire que l\u2019on s\u00e8me et que l\u2019on\nr\u00e9colte l\u2019argent dans les champs, comme on fait pousserdes haricots ou des citrouilles. Moi aussi, il m\u2019est arriv\u00e9\nd\u2019y croire et, aujourd\u2019hui, crois-moi, je le regrette.\nAujourd\u2019hui \u2013 mais c\u2019est un peu tard \u2013 je sais que pour\namasser honn\u00eatement un peu d\u2019argent, il faut d\u2019abord\nsavoir le gagner, soit en travaillant de ses mains, soit en\nfaisant fonctionner son cerveau.\n\u2013 Je ne te comprends pas \u2013 r\u00e9pliqua la marionnette\nqui commen\u00e7ait cependant \u00e0 avoir peur.\n\u2013 Attends ! Je vais \u00eatre plus clair \u2013 rench\u00e9rit le\nperroquet \u2013 Sache donc que, pendant que tu \u00e9tais en ville,\nle renard et le chat sont revenus, qu\u2019ils ont d\u00e9terr\u00e9 tes\npi\u00e8ces d\u2019or et qu\u2019ils se sont sauv\u00e9s avec, filant comme le\nvent. Celui qui r\u00e9ussira \u00e0 les retrouver sera un champion !\nMuet, ne voulant pas croire ce que lui disait le\nperroquet, Pinocchio s\u2019acharna \u00e0 creuser avec ses ongles\nl\u00e0 o\u00f9 il venait d\u2019arroser la terre. Il creusa, creusa, creusa\ntellement qu\u2019il r\u00e9ussit \u00e0 faire un trou si profond qu\u2019on\naurait pu y faire entrer une meule de paille. Mais de\npi\u00e8ces, point. Elles n\u2019y \u00e9taient plus.\nD\u00e9sesp\u00e9r\u00e9, il courut jusqu\u2019\u00e0 la ville et fila tout droit au\ntribunal d\u00e9noncer au juge les chenapans qui l\u2019avaient vol\u00e9.\nLe juge \u00e9tait un gorille, un vieux singe que son grand\n\u00e2ge rendait respectable, de m\u00eame que sa barbe blanche\net, plus particuli\u00e8rement encore, des lunettes en or, sans\nverres, qu\u2019il \u00e9tait oblig\u00e9 de porter \u00e0 cause d\u2019une maladie\ndes yeux qui le tourmentait depuis des ann\u00e9es.\nPinocchio lui raconta par le menu l\u2019inique entourloupe\ndont il avait \u00e9t\u00e9 la victime. Il lui fournit les noms, pr\u00e9nomset signalements des deux malandrins et conclut en\ndemandant qu\u2019on lui fasse justice.\nLe juge l\u2019\u00e9couta avec beaucoup de bienveillance. Il prit\nbeaucoup d\u2019int\u00e9r\u00eat au r\u00e9cit de la marionnette et m\u00eame\nexprima \u00e9motion et attendrissement. Puis, quand\nPinocchio n\u2019eut plus rien \u00e0 dire, il allongea le bras et\nappuya sur le bouton d\u2019une sonnette.\nImm\u00e9diatement, deux dogues habill\u00e9s en gendarmes\nfirent irruption dans la pi\u00e8ce.\nLe juge, montrant Pinocchio aux gendarmes, leur dit :\n\u2013 On a vol\u00e9 quatre pi\u00e8ces d\u2019or \u00e0 ce pauvre diable :\nsaisissez-le donc et conduisez-le tout de suite en prison.\nCette sentence inattendue p\u00e9trifia la marionnette qui\nvoulut protester. Mais les gendarmes, afin d\u2019\u00e9viter toute\nperte de temps inutile, l\u2019emp\u00each\u00e8rent de parler et le\njet\u00e8rent en prison.Il y resta quatre longs mois et il y serait encore s\u2019il ne\ns\u2019\u00e9tait pas produit un \u00e9v\u00e8nement exceptionnel. Le jeune\nempereur qui r\u00e9gnait sur la ville d\u2019\u00ab Attrape-nigauds \u00bb\nayant, en effet, remport\u00e9 une grande victoire sur ses\nennemis, ordonna que soient organis\u00e9es de grandes f\u00eates\npopulaires avec illuminations, feux d\u2019artifice, courses de\nchevaux et de v\u00e9locip\u00e8des. Et, pour que la joie soit \u00e0 son\ncomble, il fit ouvrir les portes des prisons et d\u00e9livrer tous\nles voyous\n\u2013 Puisqu\u2019on lib\u00e8re tout le monde, je veux m\u2019en aller\nmoi aussi \u2013 dit Pinocchio \u00e0 son ge\u00f4lier.\n\u2013 Non, pas vous \u2013 r\u00e9pliqua ce dernier \u2013 Vous ne faites\npas partie de ceux qui b\u00e9n\u00e9ficient de cette mesure.\n\u2013 Je vous demande bien pardon \u2013 insista Pinocchio \u2013\nMoi aussi je suis un voyou.\n\u2013 Dans ce cas, pas de probl\u00e8me \u2013 admit le ge\u00f4lier.\nEt, saluant respectueusement Pinocchio en soulevant\nsa casquette, il ouvrit la porte de la prison et le laissa\npartir.Chapitre 20\nA sa sortie de prison, Pinocchio se remet en\nroute pour aller chez la f\u00e9e. Mais un\nhorrible serpent lui barre le chemin et il\ntombe dans un pi\u00e8ge.\nLa joie de Pinocchio quand il se retrouva libre est\nindicible. Sans demander son reste, il quitta la ville et\nreprit la route conduisant chez la f\u00e9e.\nLe temps \u00e9tant \u00e0 la pluie, le chemin \u00e9tait devenu un\nvrai bourbier dans lequel on s\u2019enfon\u00e7ait jusqu\u2019\u00e0 mi-jambe.\nMais il ne s\u2019en rendait m\u00eame pas compte.\nNe pensant qu\u2019au plaisir de revoir son papa et sa petite\ns\u0153ur \u00e0 la chevelure bleue, il courait comme un l\u00e9vrier en\nfaisant gicler la boue jusqu\u2019\u00e0 son bonnet.\nTout en courant, il se disait :\n\u2013 Dans quels p\u00e9trins je me suis fourr\u00e9\u2026 Mais je ne l\u2019ai\npas vol\u00e9 ! Je ne suis qu\u2019un pantin t\u00eatu et susceptible qui\nveut tout faire comme il l\u2019entend, sans suivre les conseils\nde ceux qui m\u2019aiment et qui ont mille fois plusd\u2019exp\u00e9rience que moi ! Mais, d\u00e9s \u00e0 pr\u00e9sent, je prends la\nr\u00e9solution de changer de vie et de devenir un gar\u00e7on\ncomme il faut et un enfant ob\u00e9issant. Maintenant je sais\nque les enfants d\u00e9sob\u00e9issants font tout de travers et qu\u2019il\nleur arrive toujours les pires d\u00e9sagr\u00e9ments. Est-ce qu\u2019il\nm\u2019aura attendu, mon papa ? Vais-je le retrouver chez la\nf\u00e9e ? Il y a si longtemps que je ne l\u2019ai pas vu qu\u2019il me tarde\nde lui faire mille caresses et de le couvrir de baisers ! Et la\nf\u00e9e ? Va-t-elle me pardonner ma mauvaise action ?\nQuand je pense qu\u2019elle s\u2019est si bien occup\u00e9e de moi en me\nprodiguant ses soins et en me donnant toute son\naffection ! Si je suis encore vivant aujourd\u2019hui, c\u2019est bien\ngr\u00e2ce \u00e0 elle ! Est-il possible d\u2019\u00eatre plus ingrat que moi ?\nA ce point de son monologue int\u00e9rieur, Pinocchio\ns\u2019arr\u00eata brusquement, effray\u00e9, et recula de quatre pas.\nQu\u2019avait-il vu ?\nIl avait vu un grand serpent \u00e9tendu sur toute la\nlargeur du chemin. Sa peau \u00e9tait verte, ses yeux rouges\ncomme le feu et sa queue, dress\u00e9e, fumait comme une\nchemin\u00e9e.\nInnommable est la peur qui avait saisi la marionnette.\nS\u2019enfuyant le plus loin possible, Pinocchio s\u2019assit sur un\ntas de cailloux en attendant que le serpent veuille bien\nretourner \u00e0 ses affaires et lib\u00e9rer le passage.\nIl attendit une heure, deux heures, trois heures\u2026 Le\nserpent \u00e9tait toujours l\u00e0-bas. M\u00eame de loin, on voyait ses\nyeux de feu et la fum\u00e9e qui sortait de sa queue.\nAlors, s\u2019armant de courage, il s\u2019approcha et, d\u2019unepetite voix, susurra :\n\u2013 Excusez-moi, Monsieur le Serpent, pourriez-vous\nme faire la gr\u00e2ce de vous pousser un petit peu afin que je\npuisse passer ?\nAutant parler \u00e0 un mur : le serpent ne fit pas un\nmouvement.\nPinocchio insista :\n\u2013 Il faut que vous sachiez, Monsieur le Serpent, que je\nrentre retrouver mon papa qui m\u2019attend et que je n\u2019ai pas\nvu depuis longtemps. Consentez-donc, s\u2019il vous plait, \u00e0 me\nlaisser poursuivre mon chemin.\nIl attendit vainement une r\u00e9ponse. Le serpent qui,\njusqu\u2019\u00e0 pr\u00e9sent, semblait alerte et plein de vie, ne\nbougeait plus du tout. Il avait m\u00eame une raideur toute\ncadav\u00e9rique. Ses yeux \u00e9taient ferm\u00e9s et sa queue ne\nfumait plus.\n\u2013 Serait-il vraiment mort ? se demanda Pinocchio qui\nbattit des mains de contentement.\nSans tarder, il entreprit de l\u2019enjamber mais il avait \u00e0\npeine lev\u00e9 le pied que le serpent se dressa subitement,\ncomme un ressort qui se d\u00e9tend. Affol\u00e9, Pinocchio fit un\nbond en arri\u00e8re, tr\u00e9bucha et tomba.\nEn fait, il tomba si mal qu\u2019il se retrouva la t\u00eate\nenfonc\u00e9e dans la boue et les jambes battant l\u2019air.\nEn voyant cette marionnette \u00e0 l\u2019envers qui gigotait\navec une fr\u00e9n\u00e9sie incroyable, le serpent fut prit d\u2019un fou-\nrire irr\u00e9pressible qui finit par lui faire \u00e9clater une veine dela poitrine. Cette fois, il mourut vraiment.\nPinocchio reprit sa course afin d\u2019arriver chez la f\u00e9e\navant la nuit. Mais en cours de route, comme il ne pouvait\nplus r\u00e9sister aux morsures de la faim, il p\u00e9n\u00e9tra dans une\nvigne avec l\u2019intention de cueillir quelques grappes de\nraisin muscat. C\u2019\u00e9tait la premi\u00e8re fois qu\u2019il faisait une\nchose pareille !\nOr, il \u00e9tait \u00e0 peine \u00e0 pied d\u2019\u0153uvre que, soudain, crac, il\nsentit que deux lames tranchantes mordaient ses jambes.\nIl en fut tout estourbi.\nLa pauvre marionnette \u00e9tait tomb\u00e9e dans un pi\u00e8ge\npos\u00e9 l\u00e0 par des paysans d\u00e9sireux d\u2019attraper quelque\ngrosse fouine, fl\u00e9au de tous les poulaillers du voisinage.Chapitre 21\nPinocchio est d\u00e9livr\u00e9 par un paysan qui\nl\u2019oblige \u00e0 faire le chien de garde pr\u00e8s d\u2019un\npoulailler.\n\u00c9videmment, Pinocchio se mit \u00e0 pleurer et \u00e0 crier,\nmais ces pleurs et ces cris \u00e9taient inutiles car aucune\nmaison n\u2019\u00e9tait en vue et personne ne passait sur la route.\nLa nuit tomba.\nIl \u00e9tait au bord de l\u2019\u00e9vanouissement : \u00e0 cause de la\ndouleur due au pi\u00e8ge qui lui sciait les tibias, mais aussi \u00e0\ncause de la peur de se retrouver ainsi, seul et dans\nl\u2019obscurit\u00e9 au milieu des champs. C\u2019est alors qu\u2019il vit\npasser un ver luisant juste au-dessus de sa t\u00eate. Il\nl\u2019interpella :\n\u2013 O joli ver luisant, aurais-tu la bont\u00e9 de mettre fin \u00e0\nmon supplice ?\n\u2013 Pauvre enfant ! \u2013 r\u00e9pondit le ver luisant qui s\u2019\u00e9tait\narr\u00eat\u00e9 et le regardait avec compassion \u2013 Comment as-tu\nfait ton compte pour te retrouver prisonnier de ceslames ?\n\u2013 Je suis entr\u00e9 dans le champ pour cueillir deux\ngrappes de raisin et\u2026\n\u2013 Ce raisin est \u00e0 toi ?\n\u2013 Non\u2026\n\u2013 Et alors ? Qui t\u2019a appris \u00e0 d\u00e9rober le bien d\u2019autrui ?\n\u2013 J\u2019avais faim\n\u2013 Ce n\u2019est pas une raison suffisante, mon gar\u00e7on, pour\nchercher \u00e0 t\u2019approprier ce qui ne t\u2019appartient pas.\n\u2013 C\u2019est vrai ! C\u2019est vrai ! \u2013 reconnut Pinocchio qui\npleurait toujours \u2013 Je ne recommencerai plus.\nLeur dialogue fut interrompu par un l\u00e9ger bruit de pas\nqui se rapprochaient.\nC\u2019\u00e9tait le propri\u00e9taire du champ. A pas de loup, il\nvenait voir s\u2019il avait pris au pi\u00e8ge l\u2019une de ces fouines qui\nvenaient la nuit manger ses poulets.\nQuel ne fut pas son \u00e9tonnement quand, ayant sorti une\nlanterne qu\u2019il dissimulait sous son pardessus, il s\u2019aper\u00e7ut\nqu\u2019au lieu d\u2019une fouine, il avait pris un jeune gar\u00e7on.\n\u2013 Ah, sale petit bandit ! \u2013 hurla le paysan en col\u00e8re \u2013\nc\u2019est donc toi qui me voles mes poules ?\n\u2013 Non, non, ce n\u2019est pas moi ! \u2013 cria Pinocchio en\nsanglotant \u2013 Moi, je suis entr\u00e9 dans le champ seulement\npour prendre un peu de raisin !\n\u2013 Qui vole du raisin peut tr\u00e8s bien aussi voler des\npoulets. Je vais te donner une bonne le\u00e7on dont tu tesouviendras longtemps.\nOuvrant le pi\u00e8ge, il souleva la marionnette par la\nnuque et la porta \u00e0 bout de bras jusqu\u2019\u00e0 sa maison,\ncomme si c\u2019\u00e9tait un agneau de lait.\nArriv\u00e9 dans la cour de la maison, le paysan laissa choir\nPinocchio sur le sol, l\u2019immobilisa avec son pied et lui dit :\n\u2013 Maintenant il est tard et je vais me coucher. On\nr\u00e8glera nos comptes demain. En attendant, comme mon\nchien est mort aujourd\u2019hui, tu vas prendre sa place. Tu\nvas faire le chien de garde.\nPuis, sans attendre, il lui passa au cou un \u00e9pais collier\nclout\u00e9 et l\u2019ajusta de mani\u00e8re qu\u2019il ne puisse pas y passer la\nt\u00eate. Une longue cha\u00eene \u00e9tait accroch\u00e9e au collier et l\u2019autre\nbout de la cha\u00eene \u00e9tait fix\u00e9 au mur.\n\u2013 S\u2019il se met \u00e0 pleuvoir cette nuit, tu peux aller te\ncoucher dans la niche. Tu y trouveras de la paille qui\nservait de lit \u00e0 mon pauvre chien depuis quatre ans. Et si\npar malheur des voleurs se pr\u00e9sentaient, n\u2019oublie pas de\ndresser tes oreilles et d\u2019aboyer.\nCe dernier avis donn\u00e9, le paysan entra dans la maison\net ferma \u00e0 double tour la porte derri\u00e8re lui. Le pauvre\nPinocchio resta prostr\u00e9 dans la cour, plus mort que vif \u00e0\ncause du froid, de la faim et de la peur. Il passait de temps\nen temps une main rageuse dans le collier qui lui serrait le\ncou et se lamentait :\n\u2013 C\u2019est bien fait pour moi ! Vraiment bien fait ! Je me\nsuis conduit comme un paresseux et un vagabond, j\u2019ai\nsuivi les conseils de faux amis, tout cela me plonge unefois encore dans le malheur. Si j\u2019avais \u00e9t\u00e9 un bon gar\u00e7on,\ncomme il y en a tant, si j\u2019avais eu le go\u00fbt d\u2019\u00e9tudier et de\ntravailler, si j\u2019\u00e9tais rest\u00e9 avec mon papa \u00e0 la maison, je ne\nme retrouverais pas au milieu des champs \u00e0 faire le chien\nde garde pour un paysan. Ah, si l\u2019on pouvait recommencer\n\u00e0 z\u00e9ro ! Mais c\u2019est impossible. Il me faut d\u00e9sormais tout\nendurer.\nAyant d\u00e9vers\u00e9 tout ce qu\u2019il avait sur le c\u0153ur, Pinocchio\nentra dans la niche et s\u2019endormit.Chapitre 22\nPinocchio d\u00e9masque les voleurs de poules.\nPour sa r\u00e9compense, il recouvre la libert\u00e9.\nIl y avait plus de deux heures qu\u2019il dormait \u00e0 poings\nferm\u00e9s dans la niche quand, vers minuit, Pinocchio fut\nr\u00e9veill\u00e9 par des murmures et des chuchotis paraissant\nvenir de la cour. Ces voix avaient d\u2019\u00e9tranges intonations.\nIl pointa son nez dehors et vit un attroupement de quatre\nanimaux au pelage sombre. On aurait dit des chats. Mais\nces chats, en r\u00e9alit\u00e9, \u00e9taient des fouines, b\u00eates carnivores\nparticuli\u00e8rement friandes d\u2019\u0153ufs et de jeunes poulets.\nL\u2019une des fouines, quittant ses compagnes, s\u2019approcha de\nla niche et dit \u00e0 mi-voix :\n\u2013 Bonsoir, M\u00e9lampo.\n\u2013 Je ne suis pas M\u00e9lampo \u2013 r\u00e9pondit la marionnette.\n\u2013 Qui donc es-tu ?\n\u2013 Je m\u2019appelle Pinocchio.\n\u2013 Et que fais-tu l\u00e0 ?\n\u2013 Je fais le chien de garde.\u2013 Et M\u00e9lampo, o\u00f9 est-il ? O\u00f9 est le vieux chien qui\nhabitait dans cette niche ?\n\u2013 Il est mort ce matin.\n\u2013 Mort ? Pauvre b\u00eate ! Il \u00e9tait si bon ! Mais, \u00e0 bien te\nregarder, toi aussi tu me semble \u00eatre un chien tout \u00e0 fait\naimable.\n\u2013 Navr\u00e9, mais moi je ne suis pas un chien !\n\u2013 Qu\u2019es-tu alors ?\n\u2013 Une marionnette.\n\u2013 Et tu fais le chien de garde ?\n\u2013 Malheureusement oui. C\u2019est ma punition.\n\u2013 Bon, dans ce cas, je te propose que nous\nreconduisions les accords que j\u2019avais avec M\u00e9lampo. Cela\nme conviendrait parfaitement.\n\u2013 De quels accords s\u2019agit-il ?\n\u2013 Voil\u00e0 : nous viendrons une fois par semaine, comme\npar le pass\u00e9, visiter le poulailler dont nous pr\u00e9l\u00e8verons\nhuit volailles. Sept seront pour nous et nous te donnerons\nla huiti\u00e8me. Mais, entendons-nous bien, \u00e0 condition que tu\nt\u2019engages \u00e0 faire semblant de dormir et que ne te vienne\npas la fantaisie d\u2019aboyer et de r\u00e9veiller le fermier.\n\u2013 C\u2019est ce que faisait M\u00e9lampo ? \u2013 s\u2019\u00e9tonna Pinocchio.\n\u2013 Exactement et, avec M\u00e9lampo, il n\u2019y a jamais eu le\nmoindre probl\u00e8me. Donc, tu dors tranquillement et tu\npeux \u00eatre s\u00fbr qu\u2019avant de partir nous te laisserons un\nbeau poulet tout plum\u00e9 pour ton repas du lendemain.Nous nous comprenons, n\u2019est-ce pas ?\n\u2013 Que trop bien !\nLa r\u00e9ponse de Pinocchio \u00e9tait accompagn\u00e9e d\u2019un\nhochement de t\u00eate un brin mena\u00e7ant, comme s\u2019il avait\nvoulu dire : \u00ab On reparlera de tout cela bient\u00f4t ! \u00bb\nLes quatre fouines, d\u00e9sormais rassur\u00e9es, se dirig\u00e8rent\nalors vers le poulailler qui \u00e9tait tout pr\u00e8s de la niche du\nchien et, attaquant la porte \u00e0 coups de griffes et de dents,\nse faufil\u00e8rent l\u2019une apr\u00e8s l\u2019autre \u00e0 l\u2019int\u00e9rieur. Mais \u00e0 peine\n\u00e9taient-elles entr\u00e9es qu\u2019elles entendirent se refermer\nviolemment la porte.\nC\u2019\u00e9tait Pinocchio qui venait de les enfermer. Et, non\ncontent d\u2019avoir repousser la porte du poulailler, il la\nbloqua avec une grosse pierre.\nPuis il se mit \u00e0 aboyer, exactement comme l\u2019aurait fait\nun vrai chien de garde.\nLes aboiements r\u00e9veill\u00e8rent le paysan qui sauta du lit,\nprit son fusil et se pencha \u00e0 la fen\u00eatre :\n\u2013 Qu\u2019est-ce qui se passe ? \u2013 cria-t-il.\n\u2013 Les voleurs de poules sont l\u00e0 \u2013 r\u00e9pondit Pinocchio.\n\u2013 L\u00e0 ? O\u00f9 ?\n\u2013 Dans le poulailler.\n\u2013 J\u2019arrive tout de suite.\nEffectivement, le fermier fut dans la cour en un rien de\ntemps. Il entra dans le poulailler, attrapa les fouines qu\u2019il\nfourra dans un sac et leur dit :\u2013 Enfin, je vous ai attrap\u00e9es ! Je pourrais vous punir\nmoi-m\u00eame, mais je ne suis pas aussi mauvais. Je me\ncontenterai de vous donner demain \u00e0 l\u2019aubergiste du\nvillage voisin. Apr\u00e8s vous avoir d\u00e9pecer, il vous cuisinera\ncomme du gibier. C\u2019est un honneur que vous ne m\u00e9ritez\npas mais les hommes g\u00e9n\u00e9reux comme moi ne s\u2019arr\u00eatent\npas \u00e0 ce genre de d\u00e9tail.\nPuis, s\u2019approchant de Pinocchio, le paysan lui prodigua\nmoult signes de tendresse et lui demanda :\n\u2013 Comment as-tu fait pour d\u00e9jouer les manigances de\nces quatre laronnes ? Quand je pense que mon fid\u00e8le\nM\u00e9lampo, lui, ne s\u2019est jamais aper\u00e7u de rien !\nPinocchio aurait pu alors raconter ce qu\u2019il savait sur le\nhonteux pacte qui liait son chien aux fouines. Il n\u2019en fit\nrien. Se rappelant que M\u00e9lampo \u00e9tait mort, il se dit :\n\u00ab Pourquoi accuser les morts ? Les morts sont morts et la\nmeilleure chose \u00e0 faire est de les laisser reposer en paix !\n\u2013 Quand les fouines sont arriv\u00e9es, tu \u00e9tais r\u00e9veill\u00e9 ou\ntu dormais ? \u2013 lui demanda encore le fermier.\n\u2013 Je dormais mais les fouines m\u2019ont r\u00e9veill\u00e9 avec leurs\nbavardages. L\u2019une d\u2019elles est m\u00eame venue me dire que si\nje promettais de ne pas aboyer pour ne pas vous r\u00e9veiller,\nj\u2019aurais droit \u00e0 un beau poulet tout pr\u00e9par\u00e9. Vous vous\nrendez compte ? Avoir le culot de me faire, \u00e0 moi, une\ntelle proposition ! Je suis une marionnette certes pleine de\nd\u00e9fauts, mais jamais je n\u2019accepterais d\u2019\u00eatre la complice de\nmalhonn\u00eates gens !\n\u2013 Bravo, mon gars ! \u2013 s\u2019exclama le paysan en donnant\u00e0 Pinocchio une tape amicale sur l\u2019\u00e9paule. -De tels\nsentiments te font honneur. Pour te prouver ma\nsatisfaction, je te rends ta libert\u00e9. Tu peux rentrer chez\ntoi.\nEt il lui \u00f4ta le collier pour chien.Chapitre 23\nPinocchio pleure la mort de la jolie fillette\naux cheveux bleu-nuit puis il rencontre un\npigeon qui l\u2019emm\u00e8ne au bord de la mer. L\u00e0,\nil se jette \u00e0 l\u2019eau pour sauver son papa\nGeppetto.\nD\u00e9s qu\u2019il fut d\u00e9barrass\u00e9 de l\u2019humiliant et inconfortable\ncollier qui lui serrait le cou, Pinocchio reprit sa course \u00e0\ntravers les champs jusqu\u2019\u00e0 ce qu\u2019il eut rejoint la route qui\nconduisait chez la F\u00e9e.\nArriv\u00e9 sur la route, il se retourna pour regarder la\nplaine qui s\u2019\u00e9tendait au-dessous de lui. Il distingua fort\nbien le bois o\u00f9 il avait eu le malheur de croiser le renard\net le chat et m\u00eame, dominant les autres arbres, la cime du\nGrand Ch\u00eane o\u00f9 il fut pendu. Mais il eut beau scruter le\npaysage dans tous les sens, il ne parvenait pas \u00e0 trouver\nla maisonnette de la fillette aux cheveux bleu-nuit.\nIl eut alors un horrible pressentiment et fit appel \u00e0\ntoutes les forces qui lui restaient pour atteindre enquelques minutes la clairi\u00e8re o\u00f9 aurait d\u00fb se trouver la\npetite maison blanche. Mais il n\u2019y avait plus de maison. Il\nn\u2019y avait qu\u2019un modeste bloc de marbre sur lequel \u00e9taient\ngrav\u00e9s en caract\u00e8res d\u2019imprimerie ces tristes mots :\nCI-G\u00ceT\nLA FILLETTE AUX CHEVEUX BLEUS\nMORTE DE CHAGRIN\nAPRES AVOIR ETE ABANDONNEE\nPAR SON PETIT FRERE PINOCCHIO\n \nCe que ressentit Pinocchio quand il eut d\u00e9chiffr\u00e9 tant\nbien que mal cette inscription, je vous laisse l\u2019imaginer. Il\nse jeta \u00e0 terre et couvrit de baisers la pierre tombale tout\nen \u00e9clatant en sanglots. Il pleura la nuit enti\u00e8re. Au lever\ndu jour, il pleurait encore. Il pleura tant et tant que ses\nyeux n\u2019avaient plus de larmes. Alentour, les collines\navoisinantes renvoyaient l\u2019\u00e9cho de ses cris stridents et de\nses lamentations d\u00e9chirantes :\n\u2013 O ma petite F\u00e9e, pourquoi es-tu morte ? Pourquoi\ntoi et pas moi, moi qui suis si m\u00e9chant alors que toi, tu\n\u00e9tais si bonne ? Et mon papa, qu\u2019est-il devenu ? O ma\npetite F\u00e9e, dis-moi o\u00f9 je pourrais le trouver car je veux\nrester avec lui pour toujours, ne plus jamais le quitter,\njamais, jamais ! O petite F\u00e9e, dis-moi que ce n\u2019est pas\nvrai, que tu n\u2019es pas morte ! Si vraiment tu m\u2019aimes, si tu\naimes ton petit fr\u00e8re, alors renais, sois vivante, comme\navant ! Cela ne te fait rien de me voir abandonn\u00e9 de tous ?\nSi les bandits revenaient et me pendaient encore \u00e0 la\nbranche d\u2019un arbre, cette fois je mourrais pour de bon.Que veux-tu que je fasse tout seul dans ce vaste monde ?\nMaintenant que j\u2019ai perdu mon papa, qui va me donner \u00e0\nmanger ? Et la nuit, o\u00f9 pourrai-je dormir ? Qui va me\ntailler de nouveaux v\u00eatements ? Oh ce serait mieux, cent\nfois mieux que je meure moi aussi ! Oh oui, je veux\nmourir ! Hi ! Hi ! Hi !\nAu comble du d\u00e9sespoir, il fit le geste de s\u2019arracher les\ncheveux. Mais ses cheveux \u00e9tant en bois, il ne pouvait\nm\u00eame pas y passer la main.\nA ce moment-l\u00e0 passa tr\u00e8s haut dans le ciel un gros\npigeon qui, s\u2019arr\u00eatant un instant de battre des ailes, lui\ncria :\n\u2013 Dis-moi, gamin, qu\u2019est-ce que tu fais couch\u00e9 par\nterre ?\n\u2013 Tu ne le vois donc pas ? Je pleure ! \u2013 lui r\u00e9pondit\nPinocchio en levant la t\u00eate et en se frottant les yeux avec\nla manche de sa veste.\n\u2013 Dis-moi, \u2013 lui demanda encore le Pigeon \u2013 tu ne\nconna\u00eetrais pas, par hasard, parmi tes amis, une\nmarionnette ayant pour nom Pinocchio ?\nLa marionnette bondit sur ses pieds :\n\u2013 Pinocchio ? Tu as dit Pinocchio ? Mais Pinocchio,\nc\u2019est moi !\nLe Pigeon descendit alors rapidement et vint se poser\npr\u00e8s lui. Il \u00e9tait plus gros qu\u2019un dindon.\n\u2013 Ainsi tu conna\u00eetrais Geppetto ? \u2013 questionna le\nPigeon.\u2013 Si je le connais ? Mais c\u2019est mon papa ! Il t\u2019a parl\u00e9 de\nmoi ? Tu me conduis vers lui ? Il est toujours vivant ? Par\npiti\u00e9, r\u00e9ponds-moi ! Est-ce qu\u2019il est toujours vivant ?\n\u2013 Il y a trois jours, il \u00e9tait sur une plage, au bord de la\nmer.\n\u2013 Qu\u2019est-ce qu\u2019il faisait ?\n\u2013 Il se fabriquait une chaloupe pour traverser l\u2019oc\u00e9an.\nDepuis plus de quatre mois, le pauvre homme te cherche\npartout. Et comme il n\u2019a pas r\u00e9ussi \u00e0 te retrouver, il s\u2019est\nmis dans la t\u00eate d\u2019aller voir dans les lointaines contr\u00e9es du\nNouveau Monde.\n\u2013 Elle est loin cette plage ? \u2013 s\u2019enquit Pinocchio d\u2019une\nvoix que l\u2019anxi\u00e9t\u00e9 rendait haletante.\n\u2013 Plus de mille kilom\u00e8tres.\n\u2013 Mille kilom\u00e8tres ? O Pigeon, si je pouvais avoir des\nailes comme toi !\n\u2013 Si tu veux, je t\u2019emm\u00e8ne.\n\u2013 Mais comment ?\n\u2013 A califourchon sur mon dos. Tu es lourd ?\n\u2013 Lourd ? Pas du tout ! Je suis aussi l\u00e9ger qu\u2019une\nfeuille.\nSans attendre une minute de plus, Pinocchio sauta sur\nle dos du gros Pigeon, mit une jambe de chaque c\u00f4t\u00e9,\ncomme un \u00e9cuyer, et lan\u00e7a joyeusement : \u00ab Galope,\ngalope, petit cheval, car je suis press\u00e9 d\u2019arriver ! \u00bb\nLe Pigeon s\u2019envola. Quelques instants plus tard, ilvolait tellement haut qu\u2019il touchait presque les nuages. La\nmarionnette eut alors la curiosit\u00e9 de regarder en bas mais\nelle eut tr\u00e8s peur et la t\u00eate lui tourna. Par crainte de\ntomber, elle entoura le plus \u00e9troitement possible de ses\nbras le cou de sa monture \u00e0 plumes.\nIls vol\u00e8rent ainsi toute la journ\u00e9e. Vers le soir, le\nPigeon d\u00e9clara :\n\u2013 J\u2019ai tr\u00e8s soif !\n\u2013 Et moi, tr\u00e8s faim \u2013 ajouta Pinocchio.\n\u2013 Arr\u00eatons-nous quelques instants dans ce colombier.\nApr\u00e8s, on reprendra notre voyage et on arrivera \u00e0 l\u2019aube\nsur la plage.\nLe colombier \u00e9tait d\u00e9sert. Mais ils y trouv\u00e8rent une\nbassine pleine d\u2019eau ainsi qu\u2019un panier rempli de vesces.\nPinocchio, normalement, ne pouvait pas souffrir ces\nherbes. A l\u2019entendre, elles lui donnaient la naus\u00e9e et lui\nretournaient l\u2019estomac. Mais ce jour-l\u00e0, il s\u2019en empiffra.\nQuand il eut quasiment tout mang\u00e9, il se tourna vers le\nPigeon et lui dit :\n\u2013 Je n\u2019aurais jamais cru que les vesces fussent si\nbonnes !\n\u2013 Mon gar\u00e7on, lorsque la faim vous tenaille et qu\u2019il n\u2019y\na rien d\u2019autre \u00e0 manger, m\u00eame les vesces deviennent une\nnourriture exquise ! La faim se moque bien des caprices\nde la gourmandise !\nLeur repas h\u00e2tivement consomm\u00e9, ils repartirent. Au\npetit matin, ils \u00e9taient sur la plage. Le Pigeon d\u00e9posaPinocchio, s\u2019envola imm\u00e9diatement et disparut dans les\nairs, apparemment peu soucieux de s\u2019entendre remercier\npour sa bonne action.\nLa plage \u00e9tait recouverte de gens qui criaient et\ngesticulaient en regardant la mer.\n\u2013 Qu\u2019est-ce qui se passe ? \u2013 demanda Pinocchio \u00e0 une\nvieille femme.\n\u2013 Il se passe qu\u2019un pauvre p\u00e8re \u00e0 la recherche de son\nfils s\u2019est embarqu\u00e9 pour tenter de le retrouver de l\u2019autre\nc\u00f4t\u00e9 de l\u2019oc\u00e9an. Mais la mer est mauvaise aujourd\u2019hui et\nsa chaloupe risque de sombrer.\n\u2013 O\u00f9 est-elle cette chaloupe ?\n\u2013 L\u00e0-bas, juste au bout de mon doigt \u2013 r\u00e9pondit la\nvieille femme en montrant une petite embarcation qui,\nvue de la plage, semblait une coque de noix contenant un\nhomme minuscule.\nPinocchio scruta la surface de l\u2019oc\u00e9an et, apr\u00e8s avoir\nregard\u00e9 tr\u00e8s attentivement, hurla :\n\u2013 C\u2019est mon papa ! C\u2019est mon papa !\nBallott\u00e9e par les ondes en furie, la petite embarcation\ndisparaissait comme aval\u00e9e par les \u00e9normes vagues puis\nr\u00e9apparaissait. Pinocchio, debout sur un rocher \u00e9lev\u00e9,\nn\u2019en finissait pas d\u2019appeler son papa et de lui envoyer des\nsignaux en agitant les bras, son mouchoir et m\u00eame son\nbonnet.\nGeppetto, pourtant loin de la c\u00f4te, semblait avoir\nreconnu son enfant. Lui aussi faisait des signes avec sonb\u00e9ret et, par gestes, tentait d\u2019expliquer qu\u2019il aurait bien\nvolontiers fait marche arri\u00e8re mais que la mer d\u00e9cha\u00een\u00e9e\nl\u2019emp\u00eachait de se servir de ses rames et de se rapprocher\nde la terre.\nSoudain, un vague \u00e9norme le submergea et la chaloupe\ndisparut.\nOn attendit vainement que l\u2019embarcation refasse\nsurface.\n\u2013 Pauvre homme ! \u2013 dirent les p\u00eacheurs rassembl\u00e9s\nsur la plage.\nEt, marmonnant \u00e0 voix basse une pri\u00e8re, ils se\nd\u00e9cid\u00e8rent \u00e0 rentrer chez eux.\nC\u2019est alors qu\u2019ils entendirent un hurlement d\u00e9sesp\u00e9r\u00e9.\nSe retournant, ils virent un jeune gar\u00e7on qui, du haut d\u2019un\nrocher, se jetait dans la mer tout en criant :\n\u2013 Je vais sauver mon papa !\nPuisqu\u2019il \u00e9tait en bois, Pinocchio flottait facilement. De\nplus, il nageait comme un poisson. Longtemps, on put voir\nune jambe ou un bras de la marionnette appara\u00eetre et\ndispara\u00eetre dans les flots, de plus en plus loin de la c\u00f4te. A\nla fin, on ne vit plus rien du tout.\n\u2013 Pauvre gar\u00e7on ! \u2013 soupir\u00e8rent les p\u00eacheurs.\nEt ils rentr\u00e8rent chez eux en marmonnant une pri\u00e8re.Chapitre 24\nPinocchio arrive dans une \u00eele appel\u00e9e \u00ab \u00cele\ndes Abeilles Industrieuses \u00bb et retrouve la\nF\u00e9e.\nLa marionnette, dans l\u2019espoir d\u2019arriver \u00e0 temps pour\nsauver son pauvre p\u00e8re, nagea toute la nuit.\nEt quelle horrible nuit il passa ! Le tonnerre grondait\navec fracas, il tombait des trombes d\u2019eau et m\u00eame de la\ngr\u00eale, des \u00e9clairs \u00e9clairaient le ciel comme s\u2019il faisait jour.\nAu petit matin, Pinocchio entrevit non loin de lui une\nlongue bande de terre qui \u00e9mergeait de la mer.\nD\u00e9s lors, il mobilisa toutes ses forces pour arriver\njusque l\u00e0, mais en vain. Il faisait du sur place, ballott\u00e9\ncomme une vulgaire brindille par le flux et le reflux des\nflots d\u00e9cha\u00een\u00e9s. Surgit, heureusement pour lui, une vague\nencore plus imp\u00e9tueuse que les autres qui le catapulta\nsans m\u00e9nagement sur le sable du rivage.\nSa chute fut si violente que toutes ses c\u00f4tes et toutes\nses jointures craqu\u00e8rent. Il se consola imm\u00e9diatement enremarquant :\n\u2013 Ouf ! Cette fois encore, je l\u2019ai \u00e9chapp\u00e9 belle !\nPuis, peu \u00e0 peu, le ciel redevint serein, le soleil brilla de\nnouveau et la mer retrouva son calme.\nPinocchio enleva alors ses v\u00eatements pour les faire\ns\u00e9cher et inspecta l\u2019immense \u00e9tendue maritime pour\ntenter d\u2019apercevoir une minuscule embarcation avec un\npetit homme dedans. Mais il eut beau chercher, il ne\nvoyait rien d\u2019autre que le ciel, l\u2019oc\u00e9an et quelques voiles\nde bateaux si \u00e9loign\u00e9s qu\u2019ils n\u2019\u00e9taient pas plus gros qu\u2019une\nmouche.\n\u2013 Si au moins je savais comment se nomme cette \u00eele ! \u2013\nse disait-il \u2013 Si au moins j\u2019\u00e9tais s\u00fbr qu\u2019elle \u00e9tait habit\u00e9e\npar des gens civilis\u00e9s, je veux dire par des gens qui n\u2019ont\npas la mauvaise habitude de pendre les enfants aux\nbranches des arbres ! Mais \u00e0 qui le demander ? A qui, s\u2019il\nn\u2019y a personne ?\nA la pens\u00e9e de se retrouver compl\u00e8tement seul dans\nun pays d\u00e9sert\u00e9, toute la tristesse du monde lui tomba\ndessus et il \u00e9tait sur le point de pleurer quand, soudain, il\nvit passer, \u00e0 quelques encablures du rivage, un gros\npoisson qui vaquait tranquillement \u00e0 ses affaires. Ne\nconnaissant pas son nom, la marionnette s\u2019adressa \u00e0 lui en\nces termes :\n\u2013 Eh !, monsieur le poisson, pourrais-je vous dire un\nmot ?\n\u2013 M\u00eame deux \u2013 r\u00e9pondit le poisson qui, en fait, \u00e9tait\nun Dauphin, un Dauphin tr\u00e8s aimable comme on entrouve peu dans n\u2019importe quelle mer du globe.\n\u2013 Pourriez-vous me dire si, dans cette \u00eele, il y a des\nvillages o\u00f9 l\u2019on puisse manger sans prendre le risque\nd\u2019\u00eatre mang\u00e9 ?\n\u2013 Certainement \u2013 r\u00e9pondit le Dauphin \u2013 Tu en\ntrouveras m\u00eame un non loin d\u2019ici.\n\u2013 Comment on y va ?\n\u2013 Tu prends ce sentier, l\u00e0, sur ta gauche, et tu marches\ntout droit. Tu ne peux pas te tromper.\n\u2013 Autre chose. Vous qui passez vos jours et vos nuits \u00e0\nsillonner l\u2019oc\u00e9an, n\u2019auriez-vous pas crois\u00e9 par hasard une\nchaloupe avec mon papa dedans ?\n\u2013 Qui donc est ton papa ?\n\u2013 Oh, c\u2019est le meilleur papa du monde comme moi je\nsuis le plus sale gosse qui puisse exister.\n\u2013 Avec la temp\u00eate de cette nuit, la chaloupe a d\u00fb\nsombrer.\n\u2013 Et mon papa ?\n\u2013 Ton papa, \u00e0 cette heure, aura sans doute \u00e9t\u00e9 aval\u00e9\npar un redoutable requin qui s\u00e8me terreur et d\u00e9solation\ndans les eaux de cette \u00eele.\n\u2013 Ce requin, il est vraiment grand ? \u2013 s\u2019enquit\nPinocchio qui commen\u00e7ait \u00e0 trembler.\n\u2013 S\u2019il est grand ? \u2013 r\u00e9pliqua le Dauphin \u2013 Pour t\u2019en\nfaire une id\u00e9e, je te dirai qu\u2019il est plus grand qu\u2019un\nimmeuble de cinq \u00e9tages et que dans sa gueule pourraitpasser un train entier avec sa locomotive.\n\u2013 Mamma mia ! \u2013 geignit la marionnette effray\u00e9e.\nPinocchio se rhabilla \u00e0 toute vitesse et remercia le\nDauphin :\n\u2013 Adieu, monsieur le poisson, excusez le d\u00e9rangement\net merci mille fois pour votre courtoisie.\nPuis, sans attendre, il s\u2019engagea sur le sentier \u00e0 pas\nvifs, si vifs qu\u2019il courait presque. Mais \u00e0 chaque bruit, il se\nretournait afin de v\u00e9rifier qu\u2019il n\u2019\u00e9tait pas suivi par le\nterrible requin grand comme une maison de cinq \u00e9tages et\navec un train entier dans la gueule.\nApr\u00e8s une demi-heure de marche, il arriva dans un\npetit village nomm\u00e9 \u00ab Le Village des Abeilles\nIndustrieuses \u00bb. Les rues \u00e9taient sillonn\u00e9es de gens qui\ncouraient dans tous les sens et qui avaient tous quelque\nchose \u00e0 faire. On avait beau chercher, on ne voyait ni oisif,\nni vagabond.\n\u2013 J\u2019ai compris \u2013 conclut imm\u00e9diatement ce paresseux\nde Pinocchio \u2013 ce pays n\u2019est pas pour moi ! Moi, je ne suis\npas n\u00e9 pour travailler !\nMais, en m\u00eame temps, la faim le tourmentait car il\nn\u2019avait rien mang\u00e9 depuis vingt-quatre heures, pas m\u00eame\nun plat de vesces.\nQue faire ?\nPour cesser de je\u00fbner, il avait le choix entre chercher\nun peu de travail ou alors mendier quelques sous ou un\nmorceau de pain.Mendier lui faisait honte car son papa lui avait\nenseign\u00e9 que seuls les vieillards et les infirmes avaient le\ndroit de demander l\u2019aum\u00f4ne. Les vrais pauvres m\u00e9ritant\nassistance et compassion \u00e9taient uniquement ceux qui,\ntrop \u00e2g\u00e9s ou malades, ne pouvaient plus subvenir \u00e0 leurs\nbesoins en travaillant de leurs propres mains. Tous les\nautres devaient travailler et s\u2019ils souffraient de la faim\nparce qu\u2019ils ne faisaient rien, tant pis pour eux.\nA ce moment-l\u00e0 passa dans la rue un homme\ntranspirant et haletant qui tirait \u00e0 grand peine deux\ncharrettes de charbon.\nPinocchio, jugeant sa physionomie avenante, l\u2019accosta\net lui demanda d\u2019une petite voix tout en baissant les\nyeux :\n\u2013 Me feriez-vous la charit\u00e9 d\u2019un petit sou, car je meurs\nde faim ?\n\u2013 Ce n\u2019est pas un mais quatre sous que je te donnerai\n\u2013 r\u00e9pondit le charbonnier \u2013 si tu m\u2019aides \u00e0 tirer ces\ncharrettes jusque chez moi.\n\u2013 Quelle id\u00e9e ! \u2013 r\u00e9pliqua la marionnette offens\u00e9e \u2013\nSachez, pour votre gouverne, que je ne suis pas une b\u00eate\nde somme et que je n\u2019ai jamais \u00e9t\u00e9 attel\u00e9 \u00e0 une charrette !\n\u2013 Tant mieux pour toi. Dans ce cas, mon gar\u00e7on, si tu\nmeurs vraiment de faim, mange donc deux belles\ntranches de ton superbe orgueil et prends bien garde de\nne pas attraper une indigestion.\nDeux minutes plus tard, c\u2019est un ma\u00e7on qui passait en\nportant sur l\u2019\u00e9paule un sac de chaux.\u2013 Mon bon monsieur, feriez-vous l\u2019aum\u00f4ne d\u2019un sou \u00e0\nun pauvre gar\u00e7on qui baille tellement il a faim ? \u2013 supplia\nPinocchio.\n\u2013 Bien volontiers \u2013 lui r\u00e9pondit le ma\u00e7on \u2013 Je te\ndonnerai m\u00eame cinq sous si tu m\u2019aides \u00e0 porter ce sac.\n\u2013 Mais la chaux, c\u2019est tr\u00e8s lourd \u2013 fit remarquer\nPinocchio \u2013 et je ne veux pas me fatiguer.\n\u2013 Si tu ne veux pas te fatiguer, mon gar\u00e7on, alors\namuse-toi \u00e0 bailler et grand bien te fasse.\nAinsi pass\u00e8rent, en moins d\u2019une demi-heure, une\nvingtaine de personnes \u00e0 qui la marionnette demanda\nl\u2019aum\u00f4ne. Toutes lui r\u00e9pondirent :\n\u2013 Tu n\u2019as pas honte ? Au lieu de tra\u00eener dans la rue,\ncherche plut\u00f4t du travail et apprends \u00e0 gagner ta vie !\nFinalement apparut une sympathique jeune femme\nqui portait deux jarres pleines d\u2019eau.\n\u2013 Bonne dame, accepteriez-vous que je boive une\ngorg\u00e9e d\u2019eau \u00e0 l\u2019une de vos cruches \u2013 qu\u00e9manda Pinocchio\ndont la gorge br\u00fblait, ass\u00e9ch\u00e9e par la soif.\n\u2013 Bois, mon gar\u00e7on ! \u2013 lui dit la jeune femme en posant\nson fardeau \u00e0 terre.\nPinocchio but comme une \u00e9ponge puis murmura, tout\nen s\u2019essuyant la bouche :\n\u2013 Maintenant, je n\u2019ai plus soif. Mais comment faire\npour ne plus avoir faim ?\nLa gentille dame, entendant ces paroles, s\u2019empressa de\ndire :dire :\n\u2013 Si tu m\u2019aides \u00e0 porter l\u2019une de ces jarres, je te\ndonnerai un beau morceau de pain quand nous serons\narriv\u00e9s \u00e0 la maison.\nPinocchio regarda sans r\u00e9pondre la grande cruche.\n\u2013 Et avec le pain, je te servirai un plat de choux-fleurs\n\u00e0 la vinaigrette \u2013 ajouta la jeune femme.\nPinocchio jeta un autre coup d\u2019\u0153il sur la cruche mais\nsans se d\u00e9cider.\n\u2013 Et apr\u00e8s le chou-fleur, tu auras droit \u00e0 une drag\u00e9e\nfourr\u00e9e au rossolis.\nLa perspective d\u2019une telle friandise eut raison de la\nr\u00e9sistance de la marionnette qui, s\u2019armant de courage, se\nd\u00e9cida :\n\u2013 D\u2019accord ! Je porterai l\u2019un de ces cruches jusque chez\nvous.\nElle \u00e9tait fort lourde et Pinocchio n\u2019eut pas la force de\nla porter \u00e0 bout de bras. Il se r\u00e9signa \u00e0 la poser sur sa\nt\u00eate.\nUne fois arriv\u00e9s, la gentille jeune femme fit asseoir\nPinocchio \u00e0 une petite table qui \u00e9tait d\u00e9j\u00e0 mise et disposa\ndevant lui le pain, le chou-fleur et la drag\u00e9e au rossolis.\nPinocchio ne mangea pas : il d\u00e9vora. Son estomac \u00e9tait\naussi vide qu\u2019un quartier d\u00e9sert\u00e9 par ses habitants depuis\ndes lustres.\nLes morsures de la faim se calmant, il releva alors la\nt\u00eate pour remercier sa bienfaitrice mais il l\u2019avait \u00e0 peined\u00e9visag\u00e9e qu\u2019il poussa un long \u00ab Oooh ! \u00bb de stup\u00e9faction\net en resta m\u00e9dus\u00e9, les yeux \u00e9carquill\u00e9s, la fourchette en\nl\u2019air et la bouche pleine de choux-fleurs.\n\u2013 Qu\u2019est-ce qui me vaut tant d\u2019\u00e9tonnement ? \u2013\ninterrogea la jeune femme en riant.\n\u2013 Vous \u00eates\u2026 \u2013 balbutia Pinocchio \u2013 Vous \u00eates\u2026 Mais\nvous \u00eates\u2026 Comme vous lui ressemblez\u2026 Je me rappelle\nbien\u2026 Oui, oui : les m\u00eames yeux, les m\u00eames cheveux, oui,\noui, des cheveux bleu-nuit comme les siens ! O ma ch\u00e8re\npetite F\u00e9e ! Ma F\u00e9e \u00e0 moi ! Dites-moi que c\u2019est vous, que\nc\u2019est vraiment vous ! Ne me faites plus pleurer ! Si vous\nsaviez comme j\u2019ai pleur\u00e9 ! J\u2019ai tant pleur\u00e9 !\u2026\nEn disant cela et tout en pleurant \u00e0 chaudes larmes,\nPinocchio se jeta \u00e0 terre et enserra de ses bras les genoux\nde la myst\u00e9rieuse jeune femme.Chapitre 25\nLass\u00e9 d\u2019\u00eatre une marionnette et voulant\ndevenir un bon gar\u00e7on, Pinocchio promet \u00e0\nla F\u00e9e de s\u2019am\u00e9liorer et d\u2019\u00e9tudier.\nAu d\u00e9but, la gentille jeune femme avait bien\ncommenc\u00e9 par pr\u00e9tendre qu\u2019elle n\u2019\u00e9tait pas la petite F\u00e9e\naux cheveux bleu-nuit mais, se sachant d\u00e9couverte et ne\nvoulant pas rendre cette com\u00e9die interminable, elle finit\npar l\u2019admettre :\n\u2013 Sacr\u00e9e marionnette ! Et comment as-tu fait pour me\nreconna\u00eetre ?\n\u2013 Tout simplement parce que je vous aime\n\u00e9norm\u00e9ment.\n\u2013 Tu te rends compte ? Tu m\u2019as quitt\u00e9e alors que je\nn\u2019\u00e9tais encore qu\u2019une fillette et maintenant je suis une\nfemme qui pourrait \u00eatre ta m\u00e8re.\n\u2013 Cela me plait bien. Car, au lieu de \u00ab petite s\u0153ur \u00bb, je\nvous appellerai \u00ab maman \u00bb. Il y a si longtemps que je\nmeurs d\u2019envie d\u2019avoir une maman comme les autresenfants ! Comment avez-vous fait pour grandir si vite ?\n\u2013 C\u2019est un secret.\n\u2013 Confiez-le-moi ! Moi aussi, je voudrais grandir un\npeu. Je suis rest\u00e9 haut comme trois pommes.\n\u2013 Toi, tu ne peux pas grandir.\n\u2013 Et pourquoi donc ?\n\u2013 Parce que les marionnettes ne grandissent jamais.\nMarionnettes elles naissent, marionnettes elles vivent et\nmarionnettes elles meurent.\n\u2013 Oui, mais moi j\u2019en ai assez d\u2019\u00eatre une marionnette \u2013\ns\u2019exclama Pinocchio en se frappant la t\u00eate \u2013 Il serait\ntemps que je devienne un humain.\n\u2013 Tu le deviendras\u2026 Mais il faut le m\u00e9riter.\n\u2013 Vraiment ? Alors, qu\u2019est-ce que je dois faire pour le\ndevenir ?\n\u2013 C\u2019est tr\u00e8s facile : il suffit que tu consentes \u00e0 \u00eatre un\nbon petit gar\u00e7on.\n\u2013 Ce que, peut-\u00eatre, je ne suis pas\u2026\n\u2013 Effectivement ! Un gentil gar\u00e7on est ob\u00e9issant et toi,\nau contraire\u2026\n\u2013 Et moi, je n\u2019ob\u00e9is jamais.\n\u2013 Un gentil gar\u00e7on aime \u00e9tudier et travailler. Toi, au\ncontraire\u2026\n\u2013 Et moi, au contraire, je fl\u00e2ne et vagabonde \u00e0\nlongueur de temps.\u2013 Un gentil gar\u00e7on dit toujours la v\u00e9rit\u00e9\u2026\n\u2013 Et moi toujours des mensonges.\n\u2013 Un gentil gar\u00e7on ne rechigne pas \u00e0 aller \u00e0 l\u2019\u00e9cole\u2026\n\u2013 Moi l\u2019\u00e9cole me rend malade. Mais maintenant, je\nveux changer.\n\u2013 Tu me le promets ?\n\u2013 Je le jure. Je veux devenir un enfant bien \u00e9lev\u00e9 et\n\u00eatre la fiert\u00e9 de mon papa\u2026 Au fait, o\u00f9 est-il mon pauvre\npapa \u00e0 pr\u00e9sent ?\n\u2013 Je ne sais pas.\n\u2013 Aurai-je le bonheur de le revoir et de lui faire des\ngros baisers ?\n\u2013 Je crois que oui. J\u2019en suis m\u00eame s\u00fbre.\nLa r\u00e9ponse de la F\u00e9e rendit Pinocchio si content que,\ntransport\u00e9, il lui prit les mains et les embrassa avec\nfougue. Puis, levant vers elle des yeux pleins d\u2019amour, il\nlui demanda :\n\u2013 Ainsi, ma petite maman, tu n\u2019es pas morte ?\n\u2013 Apparemment non \u2013 r\u00e9pondit la F\u00e9e en souriant.\n\u2013 Si tu savais combien j\u2019ai eu la gorge serr\u00e9e et quelle\ndouleur j\u2019ai ressentie quand j\u2019ai lu cet affreux \u00ab ci-g\u00eet \u00bb\n\u2013 Je sais. C\u2019est m\u00eame pour cela que je t\u2019ai pardonn\u00e9.\nCela m\u2019a fait comprendre que tu avais bon c\u0153ur et quand\nles enfants ont du c\u0153ur, on peut toujours esp\u00e9rer d\u2019eux\nqu\u2019ils retrouveront le droit chemin, m\u00eame s\u2019ils sont des\npolissons et qu\u2019ils ont pris de mauvaises habitudes. Voil\u00e0pourquoi je suis venue jusqu\u2019ici te chercher. Je serai ta\nmaman\u2026\n\u2013 Formidable ! \u2013 hurla Pinocchio en sautant de joie.\n\u2013 Mais tu devras m\u2019ob\u00e9ir et faire tout ce que je te dis.\n\u2013 Bien s\u00fbr, bien s\u00fbr, bien s\u00fbr !\n\u2013 Bon. Alors, d\u00e9s demain, tu vas \u00e0 l\u2019\u00e9cole.\nBrusquement, Pinocchio se sentit un peu moins joyeux.\n\u2013 Puis tu choisiras le m\u00e9tier que tu as envie de faire.\nLe visage de Pinocchio se ferma un peu plus.\n\u2013 Qu\u2019est-ce que tu ronchonnes entre tes dents ? \u2013\ndemanda la F\u00e9e qui commen\u00e7ait \u00e0 s\u2019impatienter.\n\u2013 Eh bien\u2026 \u2013 r\u00e9pondit la marionnette d\u2019une voix\ngeignarde \u2013 Pour l\u2019\u00e9cole, ce n\u2019est pas un peu tard ?\n\u2013 Non monsieur ! Pour s\u2019instruire, il n\u2019est jamais trop\ntard.\n\u2013 Mais moi, un m\u00e9tier, cela ne m\u2019int\u00e9resse pas\u2026\n\u2013 Pourquoi donc ?\n\u2013 Travailler me fatigue.\n\u2013 \u00c9coute-moi, mon gar\u00e7on. Tous ceux qui parlent de\ncette fa\u00e7on finissent presque toujours en prison ou \u00e0\nl\u2019hospice. Sache que l\u2019homme, sur cette terre, qu\u2019il soit\nriche ou pauvre, doit toujours s\u2019occuper \u00e0 faire quelque\nchose, qu\u2019il doit travailler. Prends garde \u00e0 ne pas tomber\ndans l\u2019oisivet\u00e9 ! L\u2019oisivet\u00e9 est une maladie terrible qu\u2019il\nfaut gu\u00e9rir tr\u00e8s vite, d\u00e9s que l\u2019on est enfant. Sinon, apr\u00e8s,\nc\u2019est trop tard : elle devient une maladie incurable.Touch\u00e9 par ces paroles, Pinocchio releva vivement la\nt\u00eate et d\u00e9clara :\n\u2013 J\u2019\u00e9tudierai, je travaillerai, je ferai tout ce que tu\nvoudras car la vie de marionnette ne me convient plus. Je\nveux devenir co\u00fbte que co\u00fbte un enfant comme les\nautres. Tu me l\u2019as promis, n\u2019est-ce pas ?\n\u2013 Je te l\u2019ai promis. Dor\u00e9navant, cela d\u00e9pend de toi.Chapitre 26\nPinocchio va au bord de la mer avec ses\ncamarades de classe pour voir le terrible\nRequin.\nLe lendemain, Pinocchio partit pour l\u2019\u00e9cole.\nJe vous laisse imaginer la t\u00eate de tous ces polissons\nd\u2019\u00e9coliers quand ils virent une marionnette entrer dans\nleur classe. Ce fut un \u00e9clat de rire g\u00e9n\u00e9ral. Les uns\ns\u2019amus\u00e8rent \u00e0 lui piquer son bonnet, d\u2019autres \u00e0 lui tirer sa\nveste par derri\u00e8re ou \u00e0 lui dessiner \u00e0 l\u2019encre deux grosses\nmoustaches sous le nez. Certains all\u00e8rent m\u00eame jusqu\u2019\u00e0\nlui attacher une ficelle aux jambes et aux bras pour le\nfaire danser.\nAu d\u00e9but, Pinocchio joua les indiff\u00e9rents et resta\nimpassible. Mais sa patience ayant des limites, il finit par\ns\u2019en prendre fermement \u00e0 ceux qui l\u2019asticotaient le plus :\n\u2013 Les gars, \u00e7a suffit ! Je ne suis pas venu pour \u00eatre\nvotre souffre-douleur. Je respecte les autres ; les autres\ndoivent me respecter.\u2013 Bravo ! Tu parles comme un livre ! \u2013 hurl\u00e8rent ces\nsales gosses dont les rires redoubl\u00e8rent.\nL\u2019un d\u2019eux, encore plus effront\u00e9 que les autres,\nchercha alors \u00e0 attraper le nez de la marionnette. Sans\nsucc\u00e8s car, sous la table, Pinocchio lui d\u00e9cocha un bon\ncoup de pied dans les tibias.\n\u2013 A\u00efe ! A\u00efe ! Il a les pieds dr\u00f4lement durs ! \u2013 se plaignit\nle gamin en se frottant la jambe.\n\u2013 Et ses coudes donc ! Ils sont encore plus durs que ses\npieds ! \u2013 ajouta un autre qui venait de recevoir une\nbourrade dans l\u2019estomac en r\u00e9ponse \u00e0 ses plaisanteries\ngrossi\u00e8res.\nCoup de pied et coup de coude firent leur effet :\nPinocchio y gagna imm\u00e9diatement l\u2019estime et la\nsympathie de tous les \u00e9coliers qui se mirent \u00e0 l\u2019aimer\nsinc\u00e8rement et \u00e0 lui prodiguer mille signes d\u2019amiti\u00e9.\nM\u00eame le ma\u00eetre faisait son \u00e9loge tellement il \u00e9tait\nattentif, studieux, intelligent, toujours le premier \u00e0 arriver\n\u00e0 l\u2019\u00e9cole et le dernier \u00e0 se lever de son banc, la le\u00e7on finie.\nSon seul d\u00e9faut \u00e9tait d\u2019avoir des amis dont beaucoup\nd\u2019entre eux n\u2019\u00e9taient que des petits chenapans bien\nconnus pour ne pas aimer travailler et qui ne brillaient\ngu\u00e8re \u00e0 l\u2019\u00e9cole.\nChaque jour le ma\u00eetre le mettait en garde. M\u00eame la\nbonne F\u00e9e ne manquait pas de lui dire et redire :\n\u2013 M\u00e9fie-toi, Pinocchio ! Ces mauvais camarades\nfiniront t\u00f4t ou tard par te d\u00e9tourner de l\u2019\u00e9tude et, peut-\n\u00eatre m\u00eame, par t\u2019attirer de gros ennuis.\u2013 Il n\u2019y a pas de danger ! \u2013 r\u00e9pliquait-il en haussant les\n\u00e9paules et en pointant son index vers son front comme\npour dire : \u00ab J\u2019ai de la jugeote ! \u00bb\nOr il advint qu\u2019un beau jour, alors qu\u2019il se dirigeait vers\nl\u2019\u00e9cole, Pinocchio vit venir vers lui toute la bande de ses\ncopains habituels :\n\u2013 Tu sais la grande nouvelle ?\n\u2013 Non.\n\u2013 Dans la mer, pas loin d\u2019ici, il y a un Requin grand\ncomme une montagne.\n\u2013 Vraiment ? C\u2019est peut \u00eatre le m\u00eame qui rodait d\u00e9j\u00e0\nquand mon papa a disparu.\n\u2013 On va \u00e0 la plage pour le voir. Tu viens avec nous ?\n\u2013 Non, non. Moi, je vais \u00e0 l\u2019\u00e9cole.\n\u2013 L\u2019\u00e9cole ? Aucune importance ! On ira demain\u2026 Une\nle\u00e7on de plus ou de moins n\u2019y changera rien : on restera\ntoujours des \u00e2nes.\n\u2013 Et le ma\u00eetre ? Qu\u2019est-ce qu\u2019il va dire ? \u2013 fit\nremarquer Pinocchio.\n\u2013 Le ma\u00eetre dira ce qu\u2019il veut. De toutes fa\u00e7ons, il est\npay\u00e9 pour rousp\u00e9ter toute la journ\u00e9e.\n\u2013 Et ma maman ?\n\u2013 Les mamans ne sont jamais au courant de rien \u2013\nassur\u00e8rent ces petites pestes.\n\u2013 Bon, voil\u00e0 ce que je vais faire \u2013 d\u00e9cida Pinocchio \u2013 Ce\nRequin, moi aussi je veux aller le voir et j\u2019ai mes raisonsRequin, moi aussi je veux aller le voir et j\u2019ai mes raisons\npour cela. Mais j\u2019irai apr\u00e8s l\u2019\u00e9cole.\n\u2013 Pauvre cloche ! \u2013 fit l\u2019un des gar\u00e7ons \u2013 Tu crois\nvraiment qu\u2019un poisson d\u2019une telle taille va rester o\u00f9 il est\npour te faire plaisir ? D\u00e9s qu\u2019il s\u2019ennuiera, il filera ailleurs\net alors\u2026 bonjour !\n\u2013 Il faut combien de temps pour aller \u00e0 la plage ? \u2013\ns\u2019enquit la marionnette.\n\u2013 Dans une heure, on sera revenus.\n\u2013 Alors, on court ! Le premier qui arrive, a gagn\u00e9 ! \u2013\ncria Pinocchio.\nLe signal du d\u00e9part donn\u00e9, toute la bande de vauriens\ns\u2019\u00e9branla, s\u2019\u00e9gayant dans les champs avec leurs livres et\nleurs cahiers. Pinocchio, qui semblait avoir des ailes aux\npieds, filait en avant.\nDe temps en temps, il se retournait et se moquait de\nses camarades qui, loin derri\u00e8re, haletaient, couverts de\npoussi\u00e8re et la langue pendante. Il riait de bon c\u0153ur. Le\nmalheureux ne savait pas encore dans quel \u00e9pouvantable\np\u00e9trin il allait se fourrer.Chapitre 27\nGrosse bagarre entre la marionnette et ses\ncamarades d\u2019\u00e9cole. L\u2019un d\u2019eux ayant \u00e9t\u00e9\nbless\u00e9, Pinocchio est arr\u00eat\u00e9 par les\ngendarmes.\nD\u00e9s qu\u2019il fut sur la plage, Pinocchio inspecta l\u2019oc\u00e9an\nmais ne vit aucun requin.\nC\u2019\u00e9tait une mer d\u2019huile dont la surface brillait comme\nun miroir.\n\u2013 Le Requin, o\u00f9 est-il ? \u2013 demanda la marionnette en\nse tournant vers ses petits camarades.\n\u2013 Il sera parti d\u00e9jeuner \u2013 r\u00e9pondit l\u2019un d\u2019eux en riant.\n\u2013 Ou alors il fait la sieste \u2013 ajouta un autre en\ns\u2019esclaffant encore plus fort.\nCes r\u00e9ponses bizarres, ces rires niais conduisirent\nPinocchio \u00e0 penser que ses copains lui avaient fait une\nfarce en lui racontant des sornettes. D\u2019une voix f\u00e2ch\u00e9e, il\nleur dit :\u2013 Et maintenant, dites-moi pour quelle raison vous\nm\u2019avez racont\u00e9 cette histoire idiote de requin ?\n\u2013 Pour une bonne raison \u2013 r\u00e9pondirent en ch\u0153ur tous\nces petits polissons.\n\u2013 Laquelle ?\n\u2013 Te faire manquer l\u2019\u00e9cole en t\u2019attirant ici. Tu devrais\navoir honte d\u2019\u00eatre toujours \u00e0 l\u2019heure en classe et de\ntravailler autant.\n\u2013 Et si je veux \u00e9tudier, moi, qu\u2019est-ce que cela peut\nvous faire ?\n\u2013 Cela nous fait beaucoup parce que, \u00e0 cause de toi, on\nest mal vu par le ma\u00eetre.\n\u2013 A cause de moi ? Pourquoi donc ?\n\u2013 Parce que les \u00e9coliers assidus comme toi font\ntoujours de l\u2019ombre \u00e0 ceux qui, comme nous, n\u2019ont pas\nenvie de travailler. Et nous, nous ne voulons pas \u00eatre\nconsid\u00e9r\u00e9s comme des moins que rien. Nous avons, nous\naussi, notre amour-propre.\n\u2013 Qu\u2019est-ce que je dois faire pour que vous soyez\ncontents ?\n\u2013 Tu dois te d\u00e9sint\u00e9resser de l\u2019\u00e9cole, des le\u00e7ons et du\nma\u00eetre, nos trois grands ennemis.\n\u2013 Et si je veux continuer \u00e0 \u00e9tudier ?\n\u2013 On ne te parlera plus et, \u00e0 la premi\u00e8re occasion, tu\nnous le paieras.\n\u2013 Vous me faites bien rire ! \u2013 r\u00e9torqua la marionnetteen les d\u00e9fiant d\u2019un mouvement de t\u00eate.\n\u2013 Ca suffit, Pinocchio ! \u2013 mena\u00e7a alors le plus grand\ndes garnements \u2013 Arr\u00eate de faire le fanfaron et de jouer\nles petits coqs ! Si tu n\u2019as pas peur de nous, nous n\u2019avons\npas peur de toi. N\u2019oublie pas que tu es tout seul et que\nnous sommes sept.\n\u2013 Ouais, comme les sept p\u00e9ch\u00e9s capitaux \u2013 lan\u00e7a\nPinocchio en \u00e9clatant de rire.\n\u2013 Vous avez entendu ? Il nous a insult\u00e9s ! Il nous a\ntrait\u00e9s de p\u00e9ch\u00e9s capitaux !\n\u2013 Pinocchio, demande pardon ! Sinon, gare \u00e0 toi !\n\u2013 Coucou, je suis l\u00e0 ! \u2013 fit la marionnette en se tapotant\nle nez avec le doigt pour se moquer d\u2019eux.\n\u2013 Pinocchio, \u00e7a va mal finir !\n\u2013 Coucou !\n\u2013 On te battra comme pl\u00e2tre !\n\u2013 Coucou ! Coucou !\n\u2013 Tu vas rentrer chez toi le nez en compote !\n\u2013 Coucou !\n\u2013 Je vais t\u2019en donner du coucou, moi \u2013 hurla le plus\nhardi des gamins \u2013 En attendant, prends toujours cet\nacompte et garde-le au chaud pour ton d\u00eener de ce soir.\nEt il lui d\u00e9cocha un coup de poing en pleine figure.\nComme il fallait s\u2019y attendre, la marionnette r\u00e9pondit\ndu tac au tac en frappant \u00e0 son tour son agresseur et la\nbagarre devint g\u00e9n\u00e9raleBien qu\u2019il fut seul contre tous, Pinocchio se montrait\nh\u00e9ro\u00efque. Pour tenir \u00e0 distance ses ennemis, il se servait\navec dext\u00e9rit\u00e9 de ses pieds en bois qui \u00e9taient tr\u00e8s durs.\nEt quand il faisait mouche, il laissait toujours un bleu en\nsouvenir.\nLes gar\u00e7ons, d\u00e9pit\u00e9s de ne pas pouvoir se mesurer au\ncorps \u00e0 corps avec la marionnette, imagin\u00e8rent alors de lui\nenvoyer des projectiles. D\u00e9faisant leurs ballots de livres,\nils se mirent \u00e0 lui lancer \u00e0 la figure ab\u00e9c\u00e9daires et\ngrammaires, les \u00ab Contes \u00bb de Thouar et le \u00ab Poussin \u00bb de\nMadame Baccini, toutes sortes de manuels scolaires que\nPinocchio, qui \u00e9tait vif et d\u00e9gourdi, \u00e9vitait en baissant la\nt\u00eate si bien que, passant au-dessus de lui, les livres\nfinissaient tous dans la mer.\nQuant aux poissons, croyant que ces bouquins \u00e9taient\nde la nourriture, ils accouraient \u00e0 la surface de l\u2019eau par\nbancs entiers. Mais apr\u00e8s avoir attrap\u00e9 une page ou une\ncouverture, ils la recrachaient aussit\u00f4t avec une mine de\nd\u00e9go\u00fbt comme pour dire : \u00ab Ces trucs-l\u00e0 ne sont pas pour\nnous. Ce que l\u2019on mange d\u2019habitude est bien meilleur ! \u00bb\nAlors que le combat s\u2019intensifiait, un grand crabe, sorti\ndes fonds marins et qui s\u2019\u00e9tait hiss\u00e9 pesamment sur le\nrivage, cria aux \u00e9coliers d\u2019une voix \u00e9raill\u00e9e de trombone\nenrhum\u00e9 :\n\u2013 Arr\u00eatez, petits dr\u00f4les ! Ces pugilats finissent toujours\nmal. A chaque fois un malheur arrive !\nPauvre crabe ! C\u2019est comme s\u2019il avait pr\u00each\u00e9 dans le\nd\u00e9sert. M\u00eame ce ben\u00eat de Pinocchio le regarda de traverset lui lan\u00e7a fort peu aimablement :\n\u2013 La ferme, esp\u00e8ce de raseur ! Tu ferais mieux de\nsucer deux pastilles de lichen pour gu\u00e9rir ton rhume. Va\ndonc te mettre au lit et attraper une bonne su\u00e9e !\nAu m\u00eame moment les \u00e9coliers, qui avaient \u00e9puis\u00e9 leurs\npropres stocks de livres, rep\u00e9r\u00e8rent ceux de la\nmarionnette qui tra\u00eenaient non loin d\u2019eux et s\u2019en\nempar\u00e8rent en un clin d\u2019\u0153il.\nParmi ces livres, il y avait un volume reli\u00e9 avec du\ncarton \u00e9pais et du parchemin au dos et aux angles. C\u2019\u00e9tait\nun trait\u00e9 d\u2019arithm\u00e9tique qui pesait des tonnes.\nL\u2019un des gamins attrapa le livre, visa la t\u00eate de\nPinocchio et le lan\u00e7a de toutes ses forces. Mais au lieu de\ntoucher la marionnette, le trait\u00e9 d\u2019arithm\u00e9tique rencontra\nla tempe d\u2019un autre gosse et le gar\u00e7on, blanc comme un\nlinge, s\u2019effondra sur le sable en hurlant :\n\u2013 Maman, au secours ! Je meurs\u2026\nA la vue du gisant, les enfants, effray\u00e9s, d\u00e9tal\u00e8rent \u00e0\ntoutes jambes et disparurent\nAttrist\u00e9 et paralys\u00e9 par la peur, Pinocchio fut le seul \u00e0\nrester. Il parvint n\u00e9anmoins \u00e0 aller tremper son mouchoir\ndans l\u2019eau pour rafra\u00eechir le front de son camarade\nd\u2019\u00e9cole. Pleurant \u00e0 chaudes larmes, il l\u2019appelait par son\nnom et le suppliait :\n\u2013 Eug\u00e8ne, mon pauvre Eug\u00e8ne ! Ouvre les yeux,\nregarde-moi ! Pourquoi tu ne r\u00e9ponds pas ? Ce n\u2019est pas\nmoi, tu sais, qui t\u2019ai fait mal ! Crois-moi, ce n\u2019est pas de\nma faute ! Ouvre les yeux, Eug\u00e8ne ! Ouvre-les, sinon jevais mourir moi aussi\u2026 Oh, mon Dieu ! Comment je vais\nfaire pour rentrer \u00e0 la maison ? Comment trouver le\ncourage de me montrer \u00e0 ma ch\u00e8re maman ? Que vais-je\ndevenir ? O\u00f9 m\u2019enfuir ? O\u00f9 me cacher ? Oh ! J\u2019aurais bien\nmieux fait d\u2019aller \u00e0 l\u2019\u00e9cole ! Pourquoi donc ai-je \u00e9cout\u00e9\nmes camarades ? A cause d\u2019eux, je suis damn\u00e9. Pourtant,\nle ma\u00eetre me l\u2019avait bien dit, et aussi ma maman :\n\u00ab M\u00e9fie-toi des mauvais camarades ! \u00bb. Mais j\u2019ai la t\u00eate\ndure comme du bois, je suis obstin\u00e9 comme une mule\u2026 Je\nn\u2019\u00e9coute rien et n\u2019en fais qu\u2019\u00e0 ma guise ! Et apr\u00e8s, je paie\nles pots cass\u00e9s. C\u2019est comme cela depuis que je suis n\u00e9.\nJamais je n\u2019ai eu une minute de r\u00e9pit. Oh ! Mon Dieu !\nQue vais-je devenir ? Que vais-je devenir ?\nEt il pleurait. Et il braillait. Et il se frappait le front en\nappelant le pauvre Eug\u00e8ne. Et puis il entendit des pas.\nC\u2019\u00e9taient deux gendarmes.\n\u2013 Qu\u2019est-ce que tu fais par terre ? \u2013 demand\u00e8rent-ils\n\u2013 Je soigne mon copain.\n\u2013 Il s\u2019est fait mal ?\n\u2013 Ben oui !\n\u2013 C\u2019est m\u00eame s\u00e9rieux ! \u2013 observa l\u2019un des gendarmes\nqui s\u2019\u00e9tait pench\u00e9 sur Eug\u00e8ne \u2013 Ce gar\u00e7on est bless\u00e9 \u00e0 la\ntempe. Qui lui a fait \u00e7a ?\n\u2013 Ce n\u2019est pas moi \u2013 balbutia la marionnette qui ne\nrespirait plus.\n\u2013 Si ce n\u2019est pas toi, c\u2019est qui ?\n\u2013 C\u2019est\u2026 Ce n\u2019est pas moi\u2026\u2013 Et avec quoi a-t-il \u00e9t\u00e9 bless\u00e9 ?\n\u2013 Avec ce livre.\nPinocchio ramassa le trait\u00e9 d\u2019arithm\u00e9tique et le\nmontra aux gendarmes.\n\u2013 Ce livre, il est \u00e0 qui ? \u2013 questionna l\u2019un des\ngendarmes.\n\u2013 A moi\u2026\n\u2013 Bon, on a compris. L\u00e8ve-toi et suis-nous.\n\u2013 Mais je\u2026\n\u2013 Suis-nous, je te dis !\n\u2013 Mais je suis innocent\u2026\n\u2013 Allez ! En route !\nComme des p\u00eacheurs venaient \u00e0 passer, fr\u00f4lant le\nrivage avec leur bateau, les gendarmes les interpell\u00e8rent :\n\u2013 On vous confie ce gar\u00e7on bless\u00e9. Emmenez-le chez\nvous et soignez-le. On passera demain le voir.\nPuis ils plac\u00e8rent Pinocchio entre eux et lui\nordonn\u00e8rent brutalement :\n\u2013 Maintenant, en avant ! Et pas de tra\u00eenasserie ! Sinon,\ngare \u00e0 toi !\nLa marionnette ne se le fit pas r\u00e9p\u00e9ter deux fois et ils\ns\u2019engag\u00e8rent sur le sentier qui conduisait au village. Mais\nle pauvre diable de Pinocchio ne savait plus o\u00f9 il en \u00e9tait.\nIl lui semblait \u00eatre en plein r\u00eave, vivre un cauchemar. Il\nn\u2019\u00e9tait plus lui-m\u00eame. Il voyait double, ses jambestremblaient, sa langue, coll\u00e9e au palais, l\u2019emp\u00eachait de\nparler. Pourtant, malgr\u00e9 son h\u00e9b\u00e9tude, une pens\u00e9e lui\nd\u00e9chirait le c\u0153ur : celle de devoir passer sous les fen\u00eatres\nde la bonne F\u00e9e escort\u00e9 de deux gendarmes. Il aurait\npr\u00e9f\u00e9r\u00e9 mourir.\nIls \u00e9taient sur le point d\u2019entrer dans le village quand\nune bourrasque de vent arracha le bonnet de Pinocchio\nqui alla valser une dizaine de pas plus loin. Alors,\ns\u2019adressant aux gendarmes :\n\u2013 Puis-je aller chercher mon bonnet ?\n\u2013 D\u2019accord. Mais faisons vite.\nPinocchio alla donc ramasser le bonnet mais, au lieu de\nle remettre sur sa t\u00eate, il le fourra entre ses dents et se\nmit \u00e0 courir \u00e0 toute allure vers la plage. Il filait comme\nune balle de fusil.\nLes gendarmes, comprenant qu\u2019il leur serait difficile de\nle rattraper, l\u00e2ch\u00e8rent un \u00e9norme dogue qui gagnait\nhabituellement toutes les courses de chiens. Pinocchio\ncourait tr\u00e8s vite, le chien aussi. Les villageois se\npress\u00e8rent \u00e0 leurs fen\u00eatres et dans la rue, curieux de\nconna\u00eetre l\u2019\u00e9pilogue de cette f\u00e9roce comp\u00e9tition.\nIls durent rester sur leur faim : Pinocchio et le dogue\nsoulevaient une telle poussi\u00e8re qu\u2019en peu de temps il ne\nfut plus possible de rien voir.Chapitre 28\nPinocchio court le grand danger d\u2019\u00eatre frit\n\u00e0 la po\u00eale, comme un poisson.\nLors de cette course d\u00e9sesp\u00e9r\u00e9e arriva un moment\nterrible o\u00f9 la marionnette se crut perdue. En effet, Alidor\n\u2013 c\u2019\u00e9tait le nom du chien \u2013 courait si vite qu\u2019il avait\npresque rattrap\u00e9 Pinocchio. A tel point que celui-ci\npouvait entendre, juste derri\u00e8re lui, la respiration\nhaletante de la sale b\u00eate et sentir la chaleur de son\nhaleine.\nHeureusement, la plage \u00e9tait toute proche car on\npouvait d\u00e9j\u00e0 voir la mer.\nArriv\u00e9 sur le sable du rivage, Pinocchio sauta comme\nune grenouille et plongea dans les flots. Son poursuivant,\nau contraire, voulut s\u2019arr\u00eater mais, emport\u00e9 par sa course\ninfernale, il se retrouva \u00e0 l\u2019eau lui aussi. Ne sachant pas\nnager, le dogue se mit \u00e0 agiter convulsivement ses pattes\npour se maintenir \u00e0 la surface. Or, plus il remuait ses\npattes, plus il coulait.\nHagard, ses yeux exprimant la terreur, le pauvre chienaboyait et suppliait :\n\u2013 Au secours ! Je me noie ! Je me noie !\n\u2013 Va te faire\u2026 \u2013 r\u00e9pliquait la marionnette qui se tenait\n\u00e0 distance, loin de tout danger.\n\u2013 Aide-moi, Pinocchio, mon ami ! Sauve-moi de la\nmort !\nPinocchio, qui avait le c\u0153ur sur la main, finit par \u00eatre\n\u00e9mu par ces cris d\u00e9chirants. Alors, s\u2019adressant au dogue :\n\u2013 Si je t\u2019aide \u00e0 te tirer de ce mauvais pas, tu me\npromets de me laisser tranquille ?\n\u2013 Je te le jure ! Je te le jure ! D\u00e9p\u00eache-toi, par piti\u00e9 ! Si\ntu h\u00e9sites une minute de plus, je suis mort.\nC\u2019est vrai qu\u2019il h\u00e9sitait, Pinocchio. Mais il se rappela ce\nque son papa lui avait dit tant de fois, \u00e0 savoir qu\u2019un\nbienfait n\u2019est jamais perdu. Il nagea donc jusqu\u2019\u00e0 Alidor, le\nsaisit par la queue et le tira jusque sur le sable sec du\nrivage.\nLe chien ne tenait plus sur ses pattes. Il avait bu\ntellement d\u2019eau sal\u00e9e qu\u2019il \u00e9tait gonfl\u00e9 comme un ballon.\nPour autant Pinocchio ne s\u2019y fiait pas trop et il estima plus\nprudent de retourner dans la mer. En s\u2019\u00e9loignant du bord,\nil lan\u00e7a \u00e0 son poursuivant devenu son oblig\u00e9 :\n\u2013 Adieu Alidor, bon voyage et bonjour chez toi\n\u2013 Adieu, Pinocchio. \u2013 r\u00e9pondit le dogue \u2013 Merci mille\nfois de m\u2019avoir sauv\u00e9 la vie. Tu m\u2019as rendu un fier service\net, en ce monde, un bienfait n\u2019est jamais perdu. Si\nl\u2019occasion se pr\u00e9sente, on en reparlera.Pinocchio continua \u00e0 nager en restant pr\u00e8s du bord et il\narriva dans une zone o\u00f9 il lui sembla \u00eatre en s\u00e9curit\u00e9. L\u00e0 il\nvit, creus\u00e9e dans les rochers qui surplombaient la c\u00f4te,\nune esp\u00e8ce de grotte d\u2019o\u00f9 sortait un long panache de\nfum\u00e9e.\n\u2013 Dans cette grotte \u2013 se dit-il \u2013 il doit y avoir du feu.\nTant mieux ! Ainsi je pourrai me s\u00e9cher et me r\u00e9chauffer.\nEt apr\u00e8s ? Apr\u00e8s, on verra bien\u2026\nSa r\u00e9solution prise, il se rapprocha des rochers, mais\nau moment o\u00f9 il \u00e9tait sur le point de se hisser hors de\nl\u2019eau, il sentit quelque chose qui le soulevait et le tirait \u00e0\nl\u2019air libre. Il tenta de fuir. Trop tard : \u00e0 sa grande\nsurprise, il r\u00e9alisa qu\u2019il \u00e9tait pris dans un grand filet au\nmilieu d\u2019une multitude de poissons de toutes formes et de\ntoutes tailles, qui se d\u00e9battaient et remuaient leurs\nnageoires caudales avec la rage du d\u00e9sespoir.En m\u00eame temps, il vit sortir de la grotte un p\u00eacheur\ntr\u00e8s laid, si laid qu\u2019il ressemblait \u00e0 un monstre marin. Au\nlieu de cheveux, il avait sur la t\u00eate un buisson touffu\nd\u2019algues vertes, verte \u00e9galement \u00e9tait la couleur de sa\npeau, verts \u00e9taient ses yeux et m\u00eame sa longue barbe, qui\ndescendait jusqu\u2019\u00e0 ses pieds, \u00e9tait verte. On aurait dit un\n\u00e9norme l\u00e9zard vert debout sur ses pattes de derri\u00e8re.\nQuand le p\u00eacheur eut achev\u00e9 d\u2019amener le filet, il\ns\u2019exclama tout content :\n\u2013 B\u00e9nie soit la Providence ! Je vais faire bombance de\npoissons encore aujourd\u2019hui.\u2013 Heureusement que je ne suis pas un poisson ! \u2013 se\ndit Pinocchio qui reprenait courage.\nL\u2019homme tra\u00eena le filet plein de poissons jusque dans la\ngrotte, une grotte sombre et enfum\u00e9e au centre de\nlaquelle tr\u00f4nait une grande po\u00eale dans laquelle fr\u00e9missait\nde l\u2019huile qui d\u00e9gageait une odeur insoutenable de bougie\nfondue.\n\u2013 Maintenant, voyons ce que nous avons pris \u2013 dit le\np\u00eacheur vert de la t\u00eate aux pieds.\nPlongeant dans le filet une main grande comme une\npelle de boulanger, il en sortit une poign\u00e9e de rougets.\n\u2013 Bien, tr\u00e8s bien ces rougets ! \u2013 estima-t-il en les\nregardant et en les flairant, la mine satisfaite.\nLes ayant bien flair\u00e9s, il les jeta dans une cuvette vide.\nIl r\u00e9p\u00e9ta plusieurs fois la m\u00eame op\u00e9ration. Au fur et \u00e0\nmesure qu\u2019il sortait les poissons, son app\u00e9tit grandissait et\nil jubilait :\n\u2013 Parfaits ces merlans !\u2026\n\u2013 Exquis ces mulets !\u2026\n\u2013 D\u00e9licieuses ces soles !\u2026\n\u2013 Impeccables ces vives !\u2026\n\u2013 Et ces anchois frais ! Magnifiques !\n\u00c9videmment, merlans, mulets, soles, vives et anchois\nall\u00e8rent tous rejoindre p\u00eale-m\u00eale les rougets dans la\ncuvette.\nIl ne restait plus que Pinocchio.D\u00e9s que le p\u00eacheur l\u2019eut sorti du filet, il \u00e9carquilla ses\ngrands yeux verts et grommela, inquiet :\n\u2013 Quel sorte de poisson est-ce donc ? Des poissons\ncomme celui-l\u00e0, je n\u2019en ai jamais mang\u00e9 !\nIl le regarda longuement sous tous les angles et\nconclut :\n\u2013 J\u2019ai compris : ce doit \u00eatre une sorte de crabe.Mortifi\u00e9 qu\u2019on puisse le prendre pour un crabe,\nPinocchio intervint, irrit\u00e9 :\n\u2013 Qu\u2019est-ce que c\u2019est que cette histoire de crabe ?\nC\u2019est une dr\u00f4le de fa\u00e7on de me traiter ! Vous ne voyez pas\nque je suis une marionnette ?\n\u2013 Une marionnette ? \u2013 r\u00e9pondit le p\u00eacheur \u2013 A vrai\ndire, c\u2019est la premi\u00e8re fois que je vois un poisson-\nmarionnette ! Mais c\u2019est tr\u00e8s bien ainsi. Je ne t\u2019en\nd\u00e9gusterai que plus volontiers ?\n\u2013 Me d\u00e9guster ? Mais je me tue \u00e0 vous dire que je ne\nsuis pas un poisson ! Vous n\u2019entendez pas que je parle et\nque je raisonne comme vous ?\n\u2013 Ma foi, c\u2019est vrai \u2013 admit le p\u00eacheur \u2013 Et comme je\nvois que tu es un poisson qui parle et raisonne comme\nmoi, tu auras droit \u00e0 tous les \u00e9gards dus \u00e0 ton esp\u00e8ce.\n\u2013 C\u2019est \u00e0 dire ?\n\u2013 Eh bien, parce que tu as toute mon amiti\u00e9 et toute\nmon estime, je te laisse choisir la mani\u00e8re dont tu\nsouhaites \u00eatre cuisin\u00e9. Veux-tu \u00eatre frit \u00e0 la po\u00eale ou cuit\nau court-bouillon et accompagn\u00e9 de sauce tomate ?\n\u2013 Pour tout dire \u2013 fit remarquer Pinocchio \u2013 si\nvraiment j\u2019avais le choix, je pr\u00e9f\u00e9rerais \u00eatre libre de\nrentrer chez moi.\n\u2013 Tu plaisantes ? Tu crois que je vais laisser passer\nl\u2019occasion de manger un poisson aussi rare que toi ? C\u2019est\npas tous les jours que l\u2019on trouve un poisson-marionnette\ndans la mer. Bon, laisse-moi faire : je te ferai frire avec lesautres et tu en seras content. Etre frit avec de la\ncompagnie est toujours une consolation.\nL\u2019adage ne consola point le malheureux Pinocchio qui\nse mit \u00e0 pleurer, disant entre deux sanglots :\n\u2013 Ah ! Que ne suis-je all\u00e9 \u00e0 l\u2019\u00e9cole au lieu d\u2019\u00e9couter\nmes camarades ! Hi ! Hi ! Hi !\nComme il se tordait comme une anguille pour tenter\nd\u2019\u00e9chapper aux griffes du p\u00eacheur, ce dernier lui lia les\nchevilles et les poignets avec du jonc et le jeta avec les\nautres poissons.\nPuis, \u00e9talant de la farine sur une planche en bois, il en\nsaupoudra tous les poissons avant de les mettre \u00e0 frire\ndans la po\u00eale.\nLes premiers \u00e0 danser dans l\u2019huile bouillante furent les\npauvres rougets. Ensuite arriv\u00e8rent les merlans, les vives,\nles mulets, les soles, les anchois, puis vint le tour de\nPinocchio qui, se sentant si proche de la mort (et de quelle\naffreuse mort !), \u00e9tait pris de tels tremblements qu\u2019il\nn\u2019avait plus de force ni de voix pour se plaindre.\nLe pauvre enfant n\u2019avait plus que ses yeux pour\nsupplier le p\u00eacheur.\nMais le p\u00eacheur, insensible, le roula cinq-six fois dans\nla farine, si bien que Pinocchio finit par ressembler \u00e0 une\nmarionnette en pl\u00e2tre.\nPuis il l\u2019attrapa par la t\u00eate et\u2026Chapitre 29\nPinocchio retourne chez la F\u00e9e qui lui\npromet qu\u2019il va devenir un vrai petit\ngar\u00e7on. Pour f\u00eater cet \u00e9v\u00e8nement majeur,\nun grand go\u00fbter est organis\u00e9.\nAlors que le p\u00eacheur \u00e9tait sur le point de jeter\nPinocchio dans la po\u00eale entra un gros chien attir\u00e9 par la\nforte et app\u00e9tissante odeur de friture.\n\u2013 Va-t-en ! \u2013 lui cria le p\u00eacheur qui tenait toujours la\nmarionnette enfarin\u00e9e \u00e0 la main.\nLe pauvre chien avait une faim de loup. Il g\u00e9missait\ndoucement en remuant la queue, semblant dire :\n\u00ab Donne-moi un peu de cette friture et je te laisse\ntranquille. \u00bb\n\u2013 Va-t-en, je te dis ! \u2013 r\u00e9p\u00e9ta le p\u00eacheur qui lui\nd\u00e9cocha un coup de pied.\nMais ce chien n\u2019avait pas l\u2019habitude de se laisser\nbrutaliser, surtout quand il avait faim. Mena\u00e7ant, il\ngronda et montra ses terribles crocs.A ce moment-l\u00e0, une petite voix mourante se fit\nentendre :\n\u2013 Sauve-moi, Alidor !\u2026 Sinon, je suis cuit !\nLe chien reconnut tout de suite la voix de Pinocchio et\ncomprit, \u00e0 sa grande surprise, qu\u2019elle venait de cette\nesp\u00e8ce de paquet ficel\u00e9 et enfarin\u00e9 que tenait le p\u00eacheur.\nQue fit le chien ? Il bondit, attrapa l\u2019objet plein de\nfarine et, le tenant avec pr\u00e9caution entre ses dents, sortit\nde la grotte en un \u00e9clair.\nLe p\u00eacheur, furieux de se voir subtiliser un poisson\nqu\u2019il avait tant envie de manger, tenta de rattraper le\nchien, mais il fut pris tr\u00e8s vite d\u2019une quinte de toux et il\nrevint sur ses pas.\nAlidor courut jusqu\u2019au sentier qui menait au village,\ns\u2019arr\u00eata et d\u00e9posa d\u00e9licatement l\u2019ami Pinocchio sur le sol.\n\u2013 Comment te remercier ? \u2013 demanda la marionnette.\n\u2013 Ne cherche pas. \u2013 r\u00e9pondit le dogue \u2013 Tu m\u2019as sauv\u00e9\nla vie. Or un bienfait n\u2019est jamais perdu. Il faut bien\ns\u2019entraider en ce bas monde.\n\u2013 Mais comment as-tu fait pour me trouver ?\n\u2013 J\u2019\u00e9tais couch\u00e9 sur la plage, plus mort que vif, quand\nle vent a apport\u00e9 une odeur de friture qui m\u2019a ouvert\nl\u2019app\u00e9tit. Alors, j\u2019ai suivi ces effluves qui m\u2019ont men\u00e9 \u00e0 la\ngrotte. Si jamais j\u2019\u00e9tais arriv\u00e9 une minute plus tard !\u2026\n\u2013 Ne dis pas \u00e7a ! \u2013 hurla Pinocchio qui tremblait encore\nde tout son \u00eatre \u2013 Une minute plus tard, j\u2019\u00e9tais bel et bien\nfrit, mang\u00e9 et dig\u00e9r\u00e9. Brrr ! J\u2019en ai la chair de poule rienque d\u2019y penser !\nEn riant, Alidor tendit sa patte droite \u00e0 la marionnette\nqui la serra avec effusion, puis ils se quitt\u00e8rent.\nLe chien reprit sa route pour rentrer et Pinocchio,\nrest\u00e9 seul, se dirigea vers une chaumi\u00e8re qui se trouvait\nnon loin de l\u00e0. Sur le seuil, un vieil homme se r\u00e9chauffait\nau soleil. Il s\u2019adressa \u00e0 lui :\n\u2013 Dites-moi, Monsieur, auriez-vous entendu parler\nd\u2019un pauvre gar\u00e7on bless\u00e9 \u00e0 la t\u00eate qui s\u2019appelle Eug\u00e8ne ?\n\u2013 Mais oui. Ce gar\u00e7on a \u00e9t\u00e9 amen\u00e9 ici par des p\u00eacheurs.\nMais \u00e0 pr\u00e9sent\u2026\n\u2013 Il est mort ! \u2013 l\u2019interrompit Pinocchio qui ressentit\nune vive douleur.\n\u2013 Pas du tout ! Il est vivant et il est rentr\u00e9 chez lui.\n\u2013 Vraiment ? Vraiment ? \u2013 s\u2019exclama la marionnette\nqui sauta de joie \u2013 Alors, sa blessure n\u2019\u00e9tait pas grave ?\n\u2013 Cela aurait pu \u00eatre tr\u00e8s grave, et m\u00eame mortel \u2013\nr\u00e9pondit le vieux monsieur \u2013 car il a re\u00e7u sur la t\u00eate un\ngros livre reli\u00e9 en carton.\n\u2013 Qui donc a fait cela ?\n\u2013 L\u2019un de ses camarades d\u2019\u00e9cole, un certain Pinocchio.\n\u2013 Pinocchio ? Qui est-ce ? \u2013 questionna l\u2019int\u00e9ress\u00e9 qui\nfaisait l\u2019ignorant.\n\u2013 On dit que c\u2019est un sale gosse, un vagabond, un vrai\ncasse-cou\u2026\n\u2013 Calomnies ! Ce sont des calomnies !\u2013 Ah bon ? Tu le connais, toi, ce Pinocchio ?\n\u2013 De vue\u2026\n\u2013 Puisque tu le connais, qu\u2019en penses-tu ?\n\u2013 Pour moi, c\u2019est un enfant mod\u00e8le, plein de bonne\nvolont\u00e9 pour travailler, ob\u00e9issant, affectueux avec son\npapa et tous les siens\u2026\nPendant que Pinocchio d\u00e9bitait tous ces mensonges\nd\u2019un air innocent, il se toucha le nez et s\u2019aper\u00e7ut que celui-\nci s\u2019\u00e9tait allong\u00e9 d\u2019au moins une main. Effray\u00e9, il se\nravisa :\n\u2013 Non, non, ne m\u2019\u00e9coutez pas, monsieur ! Je connais\nfort bien Pinocchio et je peux vous assurer que c\u2019est\nvraiment un sale gamin d\u00e9sob\u00e9issant et paresseux, qu\u2019au\nlieu d\u2019aller \u00e0 l\u2019\u00e9cole, il va faire les quatre cents coups avec\nses copains.\nLe nez retrouva sa taille normale\n\u2013 Pourquoi es-tu tout blanc ? \u2013 demanda le vieil\nhomme.\n\u2013 C\u2019est \u00e0 dire que\u2026 voil\u00e0 : sans m\u2019en apercevoir, je me\nsuis frott\u00e9 \u00e0 un mur qui venait d\u2019\u00eatre peint \u2013 expliqua la\nmarionnette qui avait honte d\u2019avouer qu\u2019il avait \u00e9t\u00e9\nenduit de farine comme un poisson pour \u00eatre frit \u00e0 la\npo\u00eale.\n\u2013 Et qu\u2019as-tu fait de ta veste, de ton pantalon et de ton\nbonnet ?\n\u2013 J\u2019ai rencontr\u00e9 des voleurs qui m\u2019ont tout pris. Au\nfait, vous n\u2019auriez pas, par hasard, des v\u00eatements pourque je puisse rentrer chez moi ?\n\u2013 Mon gar\u00e7on, pour tout v\u00eatement je n\u2019aurais que ce\npetit sac dans lequel je mets du lupin. Si tu veux, prends-\nle.\nPinocchio ne se le fit pas dire deux fois. Il s\u2019empara du\nsac \u00e0 lupin qui \u00e9tait vide, d\u00e9coupa, avec une paire de\nciseaux, un trou dans le fond et deux sur les c\u00f4t\u00e9s, puis il\nenfila le sac comme si c\u2019\u00e9tait une chemise. Ainsi\nsommairement v\u00eatu, il se dirigea vers le village.\nUne fois sur le chemin, il ne se sentit pas tranquille. Il\ns\u2019arr\u00eatait, repartait, marmonnait pour lui seul :\n\u2013 Comment vais-je m\u2019y prendre quand je retrouverai\nma bonne petite F\u00e9e ? Et elle ? Que va-t-elle dire ? Est-ce\nqu\u2019elle me pardonnera cette deuxi\u00e8me b\u00eatise ? Je parie\nqu\u2019elle me pardonnera ! Enfin, ce n\u2019est pas s\u00fbr\u2026\nD\u2019ailleurs, ce serait normal : je suis un farceur qui promet\ntoujours de s\u2019amender et qui, jamais, ne tient parole !\nIl faisait d\u00e9j\u00e0 nuit quand il arriva au village. De plus, le\ntemps \u00e9tait \u00e9pouvantable. Il tombait des cordes. Il alla\ntout droit \u00e0 la maison de la F\u00e9e, r\u00e9solu \u00e0 frapper \u00e0 la porte\net \u00e0 se faire ouvrir.\nMais arriv\u00e9 \u00e0 pied d\u2019\u0153uvre, le courage lui manqua. Au\nlieu de frapper, il fit demi-tour en courant. Puis il revint,\nmais n\u2019osa rien faire. La troisi\u00e8me fois, pareil. La\nquatri\u00e8me fut la bonne : tout en tremblant, il se saisit du\nheurtoir et frappa un tout petit coup.\nIl attendit, attendit\u2026 Une bonne demi-heure passa\navant que ne s\u2019ouvrit une fen\u00eatre au dernier \u00e9tage de lamaison, qui en comptait quatre. Une grosse Limace, qui\ntenait un lumignon, se pencha :\n\u2013 Qui donc frappe \u00e0 cette heure-ci ?\n\u2013 La F\u00e9e est l\u00e0 ? \u2013 demanda Pinocchio.\n\u2013 La F\u00e9e dort et ne veut pas qu\u2019on la r\u00e9veille. Mais toi,\nqui es-tu ?\n\u2013 Ben, c\u2019est moi !\n\u2013 Qui moi ?\n\u2013 Pinocchio.\n\u2013 Pinocchio ? C\u2019est qui ?\n\u2013 Pinocchio la marionnette ! Je vis ici, avec la F\u00e9e.\n\u2013 D\u2019accord, j\u2019y suis maintenant. Attends-moi ! J\u2019arrive\ntout de suite\u2026\n\u2013 D\u00e9p\u00eache-toi, par piti\u00e9, je meurs de froid \u2013 supplia\nPinocchio.\n\u2013 Mon gar\u00e7on, je fais ce que je peux. Je suis une\nLimace et les Limaces ne vont pas vite.\nUne heure s\u2019\u00e9coula, puis deux, et la porte ne s\u2019ouvrait\ntoujours par. Inquiet, transi de froid avec la pluie qui\ns\u2019abattait sur lui, Pinocchio prit son courage \u00e0 deux mains\net frappa \u00e0 la porte, un peu plus fort que la premi\u00e8re fois.\nLa Limace apparut \u00e0 la fen\u00eatre du troisi\u00e8me \u00e9tage.\n\u2013 Ch\u00e8re Limace, \u2013 implora Pinocchio \u2013 cela fait deux\nheures que j\u2019attends. Et deux heures, avec ce temps de\nchien, c\u2019est plus long que deux ann\u00e9es. Viens m\u2019ouvrir, s\u2019il\nte plait.\u2013 Mon gar\u00e7on \u2013 lui r\u00e9torqua de sa fen\u00eatre cet animal\nflegmatique et serein \u2013 mon gar\u00e7on, je suis une Limace et\nles Limaces ne vont pas vite.\nPuis la fen\u00eatre se referma.\nBient\u00f4t minuit sonna. Une heure passa encore, puis\ndeux. Pinocchio attendait toujours \u00e0 la porte.\nPerdant patience, celui-ci se saisit rageusement du\nheurtoir pour frapper fort afin de se faire entendre dans\ntoute la maison. Mais le marteau en fer se transforma en\nanguille qui lui glissa des mains et disparut dans la rigole\nde la rue.\n\u2013 Ah ! C\u2019est ainsi ? \u2013 hurla Pinocchio de plus en plus en\ncol\u00e8re \u2013 Dans ce cas, je vais me servir de mes pieds.\nPrenant son \u00e9lan, il donna un grand coup dans la porte.\nSi fort que son pied p\u00e9n\u00e9tra dans le bois et quand il voulut\nl\u2019enlever, il n\u2019y parvint pas : celui-ci \u00e9tait coinc\u00e9 et tenait\naussi fermement qu\u2019un rivet.\nVous vous rendez compte de la situation de la pauvre\nmarionnette qui dut passer le reste de la nuit un pied en\nl\u2019air ?\nFinalement, au petit matin, la porte s\u2019ouvrit.\nC\u2019\u00e9tait cette brave b\u00eate de Limace. Elle avait mis\nseulement neuf heures pour descendre du quatri\u00e8me\n\u00e9tage. Autant dire qu\u2019elle avait attrap\u00e9 une belle su\u00e9e !\n\u2013 Qu\u2019est-ce que tu fais avec ce pied dans la porte ? \u2013\ndemanda-t-elle \u00e0 Pinocchio.\n\u2013 C\u2019est un accident. Regardez donc, jolie Limace, sivous ne pourriez pas mettre fin \u00e0 mon supplice.\n\u2013 Mon gar\u00e7on, c\u2019est un b\u00fbcheron qu\u2019il faudrait. Et moi,\nje ne suis pas un b\u00fbcheron.\n\u2013 Peut-\u00eatre pourriez-vous appeler la F\u00e9e ?\n\u2013 Elle dort et ne veut pas \u00eatre r\u00e9veill\u00e9e.\n\u2013 Mais enfin ! Qu\u2019est-ce que vous voulez que je fasse\nde toute la journ\u00e9e clou\u00e9 \u00e0 cette porte ?\n\u2013 Amuse-toi \u00e0 compter les fourmis qui passent dans la\nrue.\n\u2013 Apportez-moi au moins quelque chose \u00e0 manger. Je\nme sens \u00e0 bout de force.\n\u2013 Tout de suite \u2013 r\u00e9pondit la Limace.\nTrois heures plus tard, Pinocchio la vit revenir avec un\nplateau d\u2019argent sur la t\u00eate. Sur le plateau, il y avait du\npain, un poulet r\u00f4ti et quatre abricots bien m\u00fbrs.\n\u2013 Voici le repas que vous envoie la F\u00e9e.\nLa vue de ce festin consola la marionnette de tous ses\nmalheurs.\nMais son d\u00e9sappointement n\u2019en fut que plus grand\nquand il commen\u00e7a \u00e0 manger car le pain \u00e9tait en pl\u00e2tre, le\npoulet en carton et les abricots de l\u2019alb\u00e2tre peint.\nIl \u00e9tait sur le point de s\u2019effondrer en larmes, de\ns\u2019abandonner au d\u00e9sespoir, d\u2019envoyer valser plateau et\nnourriture factice mais \u2013 fut-ce parce que sa peine \u00e9tait\nprofonde ou parce que son estomac \u00e9tait vide ? \u2013 il ne fit\nque s\u2019\u00e9vanouir.Quand il reprit connaissance, il \u00e9tait \u00e9tendu sur un\ndivan, la F\u00e9e \u00e0 ses c\u00f4t\u00e9s.\n\u2013 Cette fois encore, je te pardonne \u2013 lui dit-elle \u2013 mais\ngare \u00e0 toi si tu fais encore des tiennes !\nPinocchio promit, jura qu\u2019il \u00e9tudierait et que,\nd\u00e9sormais, il se conduirait bien. Toute l\u2019ann\u00e9e, il tint\nparole. Aux prix, il fut le plus r\u00e9compens\u00e9 de l\u2019\u00e9cole. Son\ncomportement provoqua tellement de louanges que la\nF\u00e9e, tr\u00e8s contente, lui annon\u00e7a :\n\u2013 Demain, Pinocchio, ton d\u00e9sir sera enfin satisfait !\n\u2013 C\u2019est \u00e0 dire ?\n\u2013 Tu ne seras plus une marionnette en bois. Demain,\ntu deviendras un enfant comme les autres.\nQui n\u2019a pas assist\u00e9 \u00e0 la joie de Pinocchio apprenant\ncette grande nouvelle ne peut pas l\u2019imaginer ! Tous ses\ncopains, tous ses camarades d\u2019\u00e9cole \u00e9taient invit\u00e9s le jour\nsuivant \u00e0 un grand go\u00fbter afin de f\u00eater l\u2019\u00e9v\u00e8nement. La\nF\u00e9e avait fait pr\u00e9parer deux cents bols de caf\u00e9 au lait et\nquatre cents tartines beurr\u00e9es. Une journ\u00e9e qui\npromettait d\u2019\u00eatre merveilleuse et joyeuse. Mais\u2026\nMalheureusement, dans la vie des marionnettes il y a\ntoujours un \u00ab mais \u00bb qui g\u00e2che tout.Chapitre 30\nAu lieu de se transformer en petit gar\u00e7on,\nla marionnette part en cachette au Pays\ndes Jouets avec son ami La M\u00e8che.\nNaturellement, Pinocchio demanda tout de suite \u00e0 la\nF\u00e9e la permission de sortir pour faire les invitations au\ngo\u00fbter du lendemain. Celle-ci lui r\u00e9pondit :\n\u2013 Va, mais rappelle-toi que tu dois \u00eatre rentr\u00e9 avant la\nnuit. Tu as bien compris ?\n\u2013 Dans une heure, je serai de retour \u2013 affirma la\nmarionnette.\n\u2013 Attention, Pinocchio ! Les enfants promettent\nfacilement mais, le plus souvent, ils ne tiennent pas\nparole.\n\u2013 Moi, je ne suis pas comme les autres enfants. Quand\nje dis une chose, je la fais.\n\u2013 On verra. Mais si tu d\u00e9sob\u00e9is, tu le regretteras.\n\u2013 Pourquoi ?\u2013 Parce qu\u2019il arrive toujours malheur aux enfants qui\nn\u2019\u00e9coutent pas ceux qui en savent plus long qu\u2019eux.\n\u2013 Je m\u2019en suis d\u00e9j\u00e0 aper\u00e7u ! \u2013 reconnut Pinocchio \u2013\nMais maintenant, on ne m\u2019y reprendra plus !\n\u2013 On verra bien si tu dis vrai.\nPinocchio ne r\u00e9pondit rien, dit au revoir \u00e0 sa bonne F\u00e9e\nqui \u00e9tait pour lui comme une maman et il partit en\nchantant et en esquissant des pas de danse.\nUne heure plus tard, il avait fait le tour de tous ses\namis pour les inviter.\nCertains accept\u00e8rent tout de suite avec joie, d\u2019autres\nse firent un peu prier, mais quand ils surent que les\ntartines \u00e0 tremper dans le caf\u00e9 au lait seraient beurr\u00e9es\ndes deux c\u00f4t\u00e9s, ils finirent par dire : \u00ab D\u2019accord, on\nviendra pour te faire plaisir \u00bb.\nIci, il faut savoir que, parmi tous ses copains et\ncamarades d\u2019\u00e9cole, Pinocchio en pr\u00e9f\u00e9rait un qui lui \u00e9tait\nparticuli\u00e8rement cher. Celui-ci se pr\u00e9nommait Rom\u00e9o\nmais tout le monde l\u2019appelait La M\u00e8che \u00e0 cause de son\nphysique allong\u00e9 et raide, comme une m\u00e8che neuve pour\nlampe \u00e0 huile.\nLa M\u00e8che \u00e9tait le gar\u00e7on le plus paresseux et le plus\nindisciplin\u00e9 de toute l\u2019\u00e9cole, mais Pinocchio l\u2019aimait\nbeaucoup. Il \u00e9tait all\u00e9 chez lui en premier pour l\u2019inviter au\ngo\u00fbter et ne l\u2019avait pas trouv\u00e9. Il y retourna deux fois,\nsans plus de succ\u00e8s.\nO\u00f9 pouvait-il le d\u00e9nicher ? Il le chercha un peu\npartout. Finalement, il le retrouva cach\u00e9 sous le porched\u2019une ferme.\n\u2013 Qu\u2019est-ce que tu fais l\u00e0 ? \u2013 demanda Pinocchio en\ns\u2019approchant de lui.\n\u2013 J\u2019attends minuit pour partir.\n\u2013 O\u00f9 vas-tu donc ?\n\u2013 Loin, tr\u00e8s loin !\n\u2013 Je suis all\u00e9 trois fois chez toi.\n\u2013 Que me voulais-tu ?\n\u2013 Tu ne connais donc pas la grande nouvelle ? Tu ne\nsais donc pas la chance que j\u2019ai ?\n\u2013 Quelle chance ?\n\u2013 Demain s\u2019ach\u00e8ve ma vie de marionnette. Je vais \u00eatre\nun gar\u00e7on comme un autre.\n\u2013 Grand bien te fasse !\n\u2013 C\u2019est pourquoi je t\u2019invite \u00e0 un go\u00fbter chez moi\ndemain.\n\u2013 Mais je te dis que je pars ce soir.\n\u2013 A quelle heure ?\n\u2013 Bient\u00f4t.\n\u2013 Tu vas o\u00f9 exactement ?\n\u2013 Je vais vivre dans le plus beau pays du monde, un\nvrai pays de cocagne !\n\u2013 Comment s\u2019appelle ce pays ?\n\u2013 C\u2019est le Pays des Jouets. Tu ne veux pas venir avecmoi ?\n\u2013 Moi ? Certainement pas !\n\u2013 Tu as tort, Pinocchio ! Si tu ne viens pas, tu t\u2019en\nrepentiras, crois-moi. Car o\u00f9 trouver ailleurs un pays\naussi idyllique pour nous autres les enfants ? Il n\u2019y a ni\n\u00e9cole, ni ma\u00eetres, ni livres. Dans ce pays b\u00e9ni, il n\u2019y a rien\n\u00e0 apprendre. Ici, le jeudi est un jour de cong\u00e9. Eh bien,\ndans ce pays, la semaine se compose de six jeudis, plus le\ndimanche. Les grandes vacances commencent le Premier\nde l\u2019An et finissent \u00e0 la Saint-Sylvestre. Voil\u00e0 un pays qui\nme convient parfaitement ! Tous les pays civilis\u00e9s\ndevraient lui ressembler.\n\u2013 Que fait-on de ses journ\u00e9es au Pays des Jouets ? \u2013\ninterrogea la marionnette.\n\u2013 On joue, on s\u2019amuse du matin au soir. Le soir, on va\nau lit, et le lendemain matin, on recommence. Qu\u2019en dis-\ntu ?\n\u2013 Hum ! \u2013 fit Pinocchio avec un mouvement de t\u00eate\napprobateur qui semblait dire : \u00ab C\u2019est une vie que je\nm\u00e8nerais volontiers, moi aussi \u00bb.\n\u2013 Alors, tu viens ou pas ? D\u00e9cide-toi !\n\u2013 Non, non, non et non ! J\u2019ai promis \u00e0 la F\u00e9e d\u2019\u00eatre un\nbon gar\u00e7on et de tenir mes promesses. D\u2019ailleurs, je vois\nque le soleil se couche. Je te laisse et je file. Adieu et bon\nvoyage !\n\u2013 Mais o\u00f9 es-tu si press\u00e9 d\u2019aller ?\n\u2013 Chez moi. Ma bonne F\u00e9e veut que je revienne avantla nuit.\n\u2013 Attends au moins deux minutes.\n\u2013 C\u2019est que je suis d\u00e9j\u00e0 en retard.\n\u2013 Deux minutes seulement\u2026\n\u2013 Et si la F\u00e9e me gronde ?\n\u2013 Laisse-l\u00e0 dire. Apr\u00e8s, elle s\u2019arr\u00eatera \u2013 affirma ce\npolisson de La M\u00e8che.\n\u2013 Tu pars seul ou avec d\u2019autres ? \u2013 questionna encore\nPinocchio.\n\u2013 Seul ? Mais nous serons plus de cent !\n\u2013 Et le voyage, vous le faites \u00e0 pied ?\n\u2013 A minuit passera une charrette qui doit nous\nemmener dans ce pays extraordinaire.\n\u2013 Qu\u2019est-ce que je donnerai pour \u00eatre ici \u00e0 minuit ! \u2013\nsoupira Pinocchio.\n\u2013 Pourquoi ?\n\u2013 Pour vous voir tous partir ensemble.\n\u2013 Tu n\u2019as qu\u2019\u00e0 rester et tu nous verras.\n\u2013 Non, non. Il faut que je rentre chez moi.\n\u2013 Allez ! Deux minutes seulement\u2026\n\u2013 J\u2019ai d\u00e9j\u00e0 trop tard\u00e9 ! La F\u00e9e va \u00eatre inqui\u00e8te.\n\u2013 Oh, la pauvre F\u00e9e !\u2026 De quoi a-t-elle peur ? Que les\nchauve-souris te d\u00e9vorent ?\n\u2013 Ainsi \u2013 continua Pinocchio \u2013 tu es vraiment s\u00fbr que,dans ce pays, il n\u2019y a pas du tout d\u2019\u00e9cole ?\n\u2013 Pas l\u2019ombre d\u2019une.\n\u2013 Ni de ma\u00eetres ?\n\u2013 Pas un seul.\n\u2013 Que l\u2019on n\u2019est pas oblig\u00e9 de travailler ?\n\u2013 Absolument !\n\u2013 Quel beau pays ! \u2013 s\u2019exclama Pinocchio qui se sentait\nvenir l\u2019eau \u00e0 la bouche \u2013 Quel beau pays ! Je n\u2019y suis\njamais all\u00e9 mais je l\u2019imagine fort bien !\n\u2013 Alors ? Pourquoi ne pas y aller, toi aussi ? \u2013 s\u2019\u00e9tonna\nLa M\u00e8che.\n\u2013 Ne me tente pas, c\u2019est inutile ! J\u2019ai promis \u00e0 la F\u00e9e de\nne pas renier ma parole.\n\u2013 Puisque c\u2019est ainsi, au revoir Pinocchio ! Salue de ma\npart les petits et les grands de l\u2019\u00e9cole si tu les croises sur\nton chemin !\n\u2013 Adieu, La M\u00e8che ! Bon voyage ! Amuse-toi bien et\npense de temps en temps aux amis !\nLa marionnette s\u2019\u00e9loigna de deux pas, s\u2019arr\u00eata, se\nretourna :\n\u2013 Tu es s\u00fbr et certain que, dans ce pays, il y a six\njeudis et un dimanche dans la semaine ?\n\u2013 Tout \u00e0 fait s\u00fbr.\n\u2013 Que les vacances commencent le premier janvier et\nse terminent le trente et un d\u00e9cembre ?\u2013 Je te l\u2019ai dit !\n\u2013 Quel beau pays ! \u2013 r\u00e9p\u00e9ta Pinocchio, r\u00eaveur.\nPuis, d\u2019un ton r\u00e9solu, il lan\u00e7a pr\u00e9cipitamment :\n\u2013 Cette fois, adieu pour de bon !\n\u2013 Adieu ! \u2013 r\u00e9pondit La M\u00e8che.\n\u2013 Au fait, vous partez dans combien de temps ?\n\u2013 Dans deux heures.\n\u2013 Dommage ! Si cela avait \u00e9t\u00e9 dans une heure, j\u2019aurais\npu attendre.\n\u2013 Mais la F\u00e9e ? \u2013 fit remarquer son camarade.\n\u2013 Maintenant je suis vraiment en retard. Alors, une\nheure de plus ou de moins\u2026\n\u2013 Sacr\u00e9 Pinocchio ! Et si la F\u00e9e te gronde ?\n\u2013 Bah ! Je la laisserai dire. Apr\u00e8s, elle s\u2019arr\u00eatera bien\u2026\nIl faisait nuit, et m\u00eame nuit noire quand ils aper\u00e7urent\ndans le lointain une lanterne allum\u00e9e qui se balan\u00e7ait.\nBient\u00f4t, ils entendirent un l\u00e9ger bruit de grelots et un\ncoup de trompe aussi t\u00e9nu que le zinzin d\u2019un moustique.\n\u2013 La voil\u00e0 ! \u2013 cria La M\u00e8che en sautant sur ses pieds.\n\u2013 Qu\u2019est-ce que c\u2019est ? \u2013 demanda Pinocchio \u00e0 voix\nbasse.\n\u2013 C\u2019est la charrette qui vient me chercher. Alors, tu\nviens ou pas ?\n\u2013 C\u2019est vraiment vrai que, dans ce pays, les enfants ne\nsont pas oblig\u00e9s d\u2019aller \u00e0 l\u2019\u00e9cole ?\u2013 C\u2019est tout \u00e0 fait vrai !\n\u2013 Quel beau pays !\u2026 Quel beau pays !\u2026 Quel beau\npays tout de m\u00eame !\u2026Chapitre 31\nApr\u00e8s cinq mois pass\u00e9s au pays de\ncocagne, Pinocchio, \u00e0 sa grande surprise,\nse voit pousser des oreilles d\u2019\u00e2ne. Il devient\nun vrai bourricot, avec la queue et tout le\nreste.\nEnfin la charrette arriva. Elle ne faisait aucun bruit car\nses roues \u00e9taient enrob\u00e9es d\u2019\u00e9toupe et de chiffons.\nDouze paires d\u2019\u00e2nons composaient l\u2019attelage. Ils\navaient tous la m\u00eame taille mais leurs pelages \u00e9taient de\ncouleurs diff\u00e9rentes.\nQuelques-uns uns de ces petits \u00e2nes \u00e9taient tout gris,\nd\u2019autres blancs, d\u2019autres encore avaient vir\u00e9 au poivre et\nsel. Certains avaient des grandes rayures jaunes et\nbleues. Mais le plus singulier \u00e9tait qu\u2019au lieu d\u2019\u00eatre ferr\u00e9s\ncomme le sont habituellement les b\u00eates de trait ou de\nsomme, ils \u00e9taient tous chauss\u00e9s de bottes de cuir blanc.\nEt le cocher ?\nImaginez un petit bonhomme plus large que haut, mouImaginez un petit bonhomme plus large que haut, mou\net onctueux comme une motte de beurre, au visage\ncomme une pomme de rose, avec une petite bouche\ntoujours rieuse et une voix douce et caressante comme\ncelle d\u2019un chat cherchant \u00e0 s\u2019attirer les bonnes gr\u00e2ces de\nla ma\u00eetresse de maison.\nD\u00e9s qu\u2019ils le voyaient, tous les enfants \u00e9taient s\u00e9duits\net se mettaient \u00e0 courir pour monter dans sa charrette\nqui devait les emmener dans ce pays de cocagne que les\ncartes de g\u00e9ographie d\u00e9signent sous le nom de \u00ab Pays des\nJouets \u00bb.\nLa charrette \u00e9tait d\u00e9j\u00e0 occup\u00e9e par de jeunes enfants\nentre huit et douze ans, entass\u00e9s les uns contre les autres\ncomme des anchois dans la saumure. Serr\u00e9s comme ils\n\u00e9taient, ils pouvaient \u00e0 peine respirer mais aucun d\u2019eux ne\nse plaignait. Ils se consolaient en pensant que, bient\u00f4t, ils\narriveraient dans un endroit sans livres, ni \u00e9coles, ni\nma\u00eetres. Cela les rendait si contents et si patients qu\u2019ils en\noubliaient les d\u00e9sagr\u00e9ments et la fatigue du voyage ainsi\nque la faim, la soif et l\u2019envie de dormir.\nLa charrette arr\u00eat\u00e9e, le petit homme se tourna vers La\nM\u00e8che et, apr\u00e8s mille minauderies, lui demanda, tout\nsourire :\n\u2013 Dis-moi, bel enfant, tu veux aller, toi aussi, au pays\ndu bonheur ?\n\u2013 S\u00fbr que je veux y aller \u2013 r\u00e9pondit le gar\u00e7on.\n\u2013 Le probl\u00e8me, mon ch\u00e9ri, c\u2019est qu\u2019il n\u2019y a plus de\nplace. Comme tu vois, la charrette est pleine.\n\u2013 Aucune importance ! Puisqu\u2019il n\u2019y a plus de placededans, je vais m\u2019installer sur les brancards.\nLa M\u00e8che prit son \u00e9lan et s\u2019assit \u00e0 califourchon sur la\npi\u00e8ce de bois\n\u2013 Et toi, mon joli ? \u2013 demanda le cocher en se\npenchant, c\u00e9r\u00e9monieux, vers Pinocchio \u2013 Que souhaites-\ntu faire ? Venir avec nous ou rester ici ?\n\u2013 Moi, je reste. \u2013 d\u00e9cida la marionnette \u2013 Je veux\nrentrer chez moi pour \u00e9tudier et r\u00e9ussir \u00e0 l\u2019\u00e9cole comme\nfont tous les enfants sages.\n\u2013 Alors, bonne chance !\n\u2013 Pinocchio, \u00e9coute ! \u2013 intervint La M\u00e8che \u2013 Viens\navec nous, cela nous fera plaisir !\n\u2013 Non, non, non !\n\u2013 Viens ! Cela nous fera plaisir. \u2013 lui cri\u00e8rent d\u2019autres\nenfants.\n\u2013 Viens avec nous ! \u2013 hurl\u00e8rent tous ensemble les\noccupants de la charrette.\n\u2013 Mais si je viens avec vous, qu\u2019est-ce que je vais dire\n\u00e0 ma bonne f\u00e9e ? \u2013 interrogea la marionnette qui\ncommen\u00e7ait \u00e0 faiblir et \u00e0 tergiverser.\n\u2013 Ne te tracasse donc pas comme cela. Pense plut\u00f4t\nque nous allons dans un pays o\u00f9 l\u2019on peut faire tout ce que\nl\u2019on veut du matin au soir.\nNulle r\u00e9ponse de la part de Pinocchio mais un premier\nsoupir, puis un autre, et encore un autre. Et, au bout du\ncompte :\u2013 D\u2019accord ! Faites-moi un peu de place. Je pars avec\nvous.\n\u2013 C\u2019est complet \u2013 fit remarquer le cocher \u2013 mais\ncomme tu es le bienvenu, je te c\u00e8de volontiers mon si\u00e8ge.\n\u2013 Mais vous ?\n\u2013 Moi, j\u2019irai \u00e0 pied.\n\u2013 Non, non. Ne vous d\u00e9rangez pas. Je vais grimper sur\nle dos de l\u2019un de ces \u00e2nes.\nSit\u00f4t dit, sit\u00f4t fait. Choisissant l\u2019une des deux b\u00eates de\nt\u00eate, Pinocchio s\u2019appr\u00eatait \u00e0 la monter quand l\u2019animal,\nsans pr\u00e9venir, lui donna un grand coup de museau dans\nl\u2019estomac, l\u2019envoyant valdinguer les quatre fers en l\u2019air.\nVous imaginez l\u2019\u00e9norme \u00e9clat de rire et les quolibets\ndes enfants entass\u00e9s dans la charrette qui avaient tout\nvu !\nSeul le petit homme ne rit pas. Affectant la plus grande\ntendresse, il s\u2019approcha de l\u2019\u00e2ne rebelle et fit semblant de\nl\u2019embrasser. En r\u00e9alit\u00e9, il lui mordit l\u2019oreille droite et lui\nen arracha la moiti\u00e9.\nAu m\u00eame moment, Pinocchio se relevait, furieux, et\nsautait d\u2019un bond sur le dos du pauvre animal. Le saut\navait \u00e9t\u00e9 si beau que les enfants cess\u00e8rent de rire, se\nmirent \u00e0 crier \u00ab Vive Pinocchio ! \u00bb et \u00e0 applaudir \u00e0 tout\nrompre.\nMais, sans crier gare, l\u2019\u00e2ne rua de ses deux pattes\narri\u00e8re et \u00e9jecta la marionnette qui se retrouva sur un tas\nde graviers au milieu de la route.De nouveau les rires fus\u00e8rent. Seul le cocher resta\nimperturbable tout en manifestant la m\u00eame tendresse\npour l\u2019indisciplin\u00e9 en allant lui couper net la moiti\u00e9 de\nl\u2019autre oreille. Ceci fait, il se tourna vers Pinocchio :\n\u2013 N\u2019aie pas peur et remonte ! Cette b\u00eate avait en t\u00eate\ndes id\u00e9es malsaines mais je lui ai gliss\u00e9 deux mots \u00e0\nl\u2019oreille. Maintenant elle restera tranquille et sera\nraisonnable.\nLa marionnette regrimpa donc sur le dos du petit \u00e2ne\net la charrette d\u00e9marra.\nOr, pendant que l\u2019attelage galopait sur la grande route\npierreuse, Pinocchio crut entendre une voix \u00e9touff\u00e9e, \u00e0\npeine intelligible, qui lui disait :\n\u2013 Pauvre idiot ! Tu as voulu n\u2019en faire qu\u2019\u00e0 ta t\u00eate,\nmais tu le regretteras !\nApeur\u00e9e, la marionnette regarda autour d\u2019elle pour\nsavoir qui avait bien pu parler ainsi. Elle ne vit personne :\nles \u00e2nons trottaient, la charrette roulait et les enfants\ndormaient. La M\u00e8che ronflait comme un loir et le cocher\nchantonnait sur son si\u00e8ge :\n\u00ab La nuit, tout le monde dort ! Moi, je ne dors\njamais\u2026 \u00bb\nCinq cents m\u00e8tres plus loin, Pinocchio entendit encore\nla m\u00eame voix sourde :\n\u2013 Tiens-toi-le pour dit, petit imb\u00e9cile ! Les enfants qui\narr\u00eatent de travailler, qui se moquent des livres, de l\u2019\u00e9cole\net des ma\u00eetres, qui ne pensent qu\u2019\u00e0 jouer et \u00e0 s\u2019amuser\nfinissent toujours dans le malheur ! Je le sais parexp\u00e9rience. Je peux donc te l\u2019affirmer. Viendra le jour o\u00f9\ntu pleureras, toi aussi, comme je pleure, moi,\naujourd\u2019hui\u2026 Mais ce sera trop tard !\nPlus effray\u00e9 que jamais par ces murmures, Pinocchio\nquitta la croupe de sa monture pour aller s\u2019agripper \u00e0 son\ncou.\nEt l\u00e0, quel ne fut pas son \u00e9tonnement quand il se rendit\ncompte que le petit \u00e2ne pleurait\u2026 Et qu\u2019il pleurait comme\nun enfant !\n\u2013 H\u00e9 ! Ho ! Monsieur le petit bonhomme ! \u2013 cria alors\nPinocchio au charretier \u2013 Vous savez quoi ? Eh bien, cet\n\u00e2ne pleure.\n\u2013 Laisse-le pleurer. Il rira le jour de ses noces.\n\u2013 Peut-\u00eatre lui avez-vous aussi appris \u00e0 parler ?\n\u2013 Non. Il a appris tout seul \u00e0 balbutier quelques mots\ncar il a v\u00e9cu trois ans avec des chiens savants.\n\u2013 Pauvre b\u00eate !\n\u2013 Allez, allez\u2026 On ne va pas perdre notre temps \u00e0\nregarder pleurer un \u00e2ne. Remets-toi d\u2019aplomb que l\u2019on\npuisse repartir. La nuit est fra\u00eeche et la route est longue.\nLa marionnette ob\u00e9it sans ajouter un mot et la\ncharrette reprit sa course. Le lendemain, au lever du jour,\nils arriv\u00e8rent sans encombre au Pays des Jouets.\nCe pays ne ressemblait \u00e0 aucun autre. Il n\u2019y avait que\ndes enfants. Les plus vieux avaient quatorze ans, les plus\njeunes \u00e0 peine huit. Dans les rues ce n\u2019\u00e9taient que bonne\nhumeur, tapages et cris \u00e0 vous crever le tympan ! Desbandes de gamins partout jouant aux osselets, \u00e0 la\nmarelle, au ballon, faisant du v\u00e9lo ou du cheval de bois,\nayant organis\u00e9 une partie de colin-maillard ou se courant\napr\u00e8s. Certains chantaient, d\u2019autres faisaient des sauts\np\u00e9rilleux ou s\u2019amusaient \u00e0 marcher sur les mains. Un\ng\u00e9n\u00e9ral au casque fabriqu\u00e9 avec du feuillage passait en\nrevue un escadron en papier m\u00e2ch\u00e9. On riait, on hurlait,\non s\u2019appelait, on battait des mains, on sifflait, on imitait le\nchant de la poule venant de pondre un \u0153uf\u2026 Le boucan\n\u00e9tait tel qu\u2019il aurait fallu se mettre du coton dans les\noreilles pour ne pas devenir sourd. Sur chaque place, il y\navait un spectacle sous tente qui attirait tout au long de la\njourn\u00e9e une foule d\u2019enfants et sur les murs des maisons\non pouvait lire, trac\u00e9es au charbon, de jolies choses\ncomme : \u00ab Vive les jou\u00e9s \u00bb (au lieu de \u00ab jouets \u00bb), \u00ab On ne\nveu plus des colles \u00bb (au lieu de \u00ab On ne veut plus\nd\u2019\u00e9cole \u00bb), \u00ab A bas Lari Tem\u00e9tique \u00bb (au lieu de \u00ab A bas\nl\u2019arithm\u00e9tique \u00bb) et autres perles de ce genre.\nPinocchio, La M\u00e8che et tous les enfants qui \u00e9taient\ndans la charrette du petit homme se fondirent dans cette\ncohue d\u00e9s qu\u2019ils furent dans la ville et ils n\u2019eurent aucun\nmal, comme on peut le deviner, \u00e0 devenir les amis de tout\nle monde. Impossible d\u2019\u00eatre plus heureux qu\u2019eux !\nJeux et divertissements ne cessant jamais, les heures,\nles jours et les semaines filaient \u00e0 toute vitesse.\n\u2013 Quelle belle vie ! \u2013 s\u2019exclamait Pinocchio \u00e0 chaque\nfois qu\u2019il croisait La M\u00e8che.\n\u2013 Tu vois que j\u2019avais raison \u2013 r\u00e9pliquait l\u2019autre \u2013 Et\ndire que tu ne voulais pas venir ! Que tu t\u2019\u00e9tais mis dansla t\u00eate de retourner chez la f\u00e9e et de perdre ton temps \u00e0\n\u00e9tudier ! Si aujourd\u2019hui tu ne t\u2019ennuies plus avec les livres\net l\u2019\u00e9cole, c\u2019est bien gr\u00e2ce \u00e0 moi et \u00e0 mes conseils,\nd\u2019accord ? Seuls les vrais amis savent rendre de tels\nservices.\n\u2013 C\u2019est vrai ! Si je suis enfin content, c\u2019est \u00e0 toi que je le\ndois.\nQuand je pense \u00e0 ce que me disait le ma\u00eetre en parlant\nde toi\u2026 Tu sais ce qu\u2019il me disait ? Il me disait toujours :\n\u00ab Ne fr\u00e9quente pas ce fripon de La M\u00e8che ! C\u2019est un\nmauvais compagnon qui ne peut que t\u2019attirer sur la\nmauvaise pente. \u00bb\n\u2013 Pauvre ma\u00eetre ! \u2013 soupira La M\u00e8che \u2013 Je sais qu\u2019il\nne m\u2019avait pas \u00e0 la bonne et qu\u2019il n\u2019arr\u00eatait pas de me\ncalomnier. Mais je suis g\u00e9n\u00e9reux et je lui pardonne !\n\u2013 Quel bon c\u0153ur tu as ! \u2013 conclut Pinocchio en\n\u00e9treignant affectueusement son ami et en l\u2019embrassant\nsur le front.\nCinq mois pass\u00e8rent ainsi, \u00e0 s\u2019amuser jour apr\u00e8s jour\nsans jamais voir ni livre, ni \u00e9cole. Puis, un matin, en se\nr\u00e9veillant, Pinocchio eut une fort d\u00e9sagr\u00e9able surprise qui\nle mit hors de lui.Chapitre 32\nSes oreilles ayant pouss\u00e9, Pinocchio se met\n\u00e0 braire comme un vrai petit \u00e2ne.\nQuelle fut cette mauvaise surprise ?\nJe vais vous le dire, mes chers petits lecteurs. En se\nr\u00e9veillant, Pinocchio se gratta la t\u00eate et c\u2019est l\u00e0 qu\u2019il\nd\u00e9couvrit que\u2026\nVous avez devin\u00e9, n\u2019est-ce pas ?\nIl d\u00e9couvrit, \u00e0 son grand \u00e9tonnement, que ses oreilles\navaient pouss\u00e9 au moins de la longueur d\u2019une main.\nVous vous rappelez que la marionnette avait toujours\neu des oreilles si petites qu\u2019on ne pouvait m\u00eame pas les\nvoir \u00e0 l\u2019\u0153il nu. Imaginez donc la surprise de Pinocchio\nquand il se rendit compte que celles-ci s\u2019\u00e9taient tellement\nallong\u00e9es pendant la nuit qu\u2019elles ressemblaient\nmaintenant \u00e0 deux \u00e9couvillons.\nIl chercha imm\u00e9diatement un miroir pour se regarder.\nN\u2019en trouvant pas, il remplit d\u2019eau une cuvette pour la\ntoilette et, se mirant dedans, vit ce qu\u2019il n\u2019aurait jamaisvoulu voir. C\u2019est \u00e0 dire sa propre image agr\u00e9ment\u00e9e d\u2019une\nmagnifique paire d\u2019oreilles d\u2019\u00e2ne.\nJe vous laisse imaginer la souffrance, la honte et le\nd\u00e9sespoir du pauvre Pinocchio !\nIl commen\u00e7a par pleurer, g\u00e9mir et se cogner la t\u00eate\ncontre le mur. Mais plus son d\u00e9sespoir grandissait, plus\nses oreilles s\u2019allongeaient et se recouvraient de poils.\nAlert\u00e9e par ces cris aigus, une jolie petite marmotte qui\nhabitait l\u2019\u00e9tage au-dessus entra dans la pi\u00e8ce. Voyant la\ngrande agitation de la marionnette, elle lui demanda avec\nempressement :\n\u2013 Que se passe-t-il, cher voisin ?\n\u2013 Je suis malade, petite marmotte, tr\u00e8s malade. Et\nmalade d\u2019une maladie qui me fait peur ! Tu sais prendre\nle pouls ?\n\u2013 Un peu.\n\u2013 Alors, dis-moi si j\u2019ai de la fi\u00e8vre.\nLa marmotte prit le pouls de la marionnette avec l\u2019une\nde ses pattes de devant et lui dit en soupirant :\n\u2013 H\u00e9las, mon pauvre ami, j\u2019ai une mauvaise nouvelle \u00e0\nte donner.\n\u2013 C\u2019est \u00e0 dire ?\n\u2013 Tu as une m\u00e9chante et forte fi\u00e8vre\n\u2013 Mais de quelle sorte de fi\u00e8vre s\u2019agit-il ?\n\u2013 Tu as une fi\u00e8vre de cheval, ou plut\u00f4t d\u2019\u00e2ne.\n\u2013 Je ne comprends rien \u00e0 ce que tu dis \u2013 r\u00e9pliqua lamarionnette qui avait trop bien compris.\n\u2013 Je vais donc t\u2019expliquer. Dans deux ou trois heures\ntu ne seras pas plus une marionnette qu\u2019un petit gar\u00e7on.\n\u2013 Et que serai-je ?\n\u2013 D\u2019ici deux heures ou trois tu deviendras un\nbourricot, un vrai, comme ceux qui tirent les carrioles ou\nportent choux et salades au march\u00e9.\n\u2013 Oh ! Pauvre de moi ! Pauvre de moi ! \u2013 hurla\nPinocchio en saisissant ses oreilles \u00e0 pleine main, tirant\ndessus et essayant de les arracher rageusement comme si\nce n\u2019\u00e9taient pas les siennes.\n\u2013 Mon ami \u2013 intervint la marmotte pour le calmer \u2013\nque cherches-tu donc \u00e0 faire ? Tu n\u2019y peux rien ! C\u2019est le\ndestin ! Il est prouv\u00e9 scientifiquement que tous les\nenfants paresseux qui rejettent les livres, l\u2019\u00e9cole et les\nma\u00eetres, qui passent leurs journ\u00e9es \u00e0 jouer et \u00e0 se divertir,\ndeviennent t\u00f4t ou tard des petits \u00e2nes.\n\u2013 C\u2019est prouv\u00e9 ? \u2013 questionna la marionnette en\nsanglotant.\n\u2013 H\u00e9las, oui ! Et d\u00e9sormais les pleurs sont inutiles. Il\nfallait y penser plus t\u00f4t.\n\u2013 Mais ce n\u2019est pas de ma faute, crois-moi, petite\nmarmotte, c\u2019est \u00e0 cause de La M\u00e8che !\n\u2013 La M\u00e8che ? Qui est-ce ?\n\u2013 Un copain d\u2019\u00e9cole. Moi, je voulais rentrer \u00e0 la maison,\nje voulais \u00eatre ob\u00e9issant, je voulais \u00e9tudier et me\ndistinguer\u2026 Mais La M\u00e8che m\u2019a dit : \u00ab Pourquoit\u2019emb\u00eater \u00e0 travailler ? Pourquoi aller en classe ? Viens\nplut\u00f4t avec nous au Pays des Jouets. L\u00e0-bas, on n\u2019\u00e9tudie\npas, on s\u2019amuse du matin au soir et on est toujours\njoyeux.\n\u2013 Pourquoi avoir suivi les conseils de ce faux ami, de ce\nmauvais compagnon ?\n\u2013 Pourquoi ? Parce que, petite marmotte, je suis une\nmarionnette sans cervelle\u2026 et sans c\u0153ur. Si au moins\nj\u2019avais eu un peu de c\u0153ur, je n\u2019aurais pas abandonn\u00e9 ma\nbonne f\u00e9e qui m\u2019aimait comme son propre enfant et qui a\ntant fait pour moi ! A cette heure, je ne serais plus une\nmarionnette mais un vrai petit gar\u00e7on, comme tous les\nautres. Oh ! Si jamais je rencontre La M\u00e8che, gare \u00e0 lui !\nJe lui dirai ses quatre v\u00e9rit\u00e9s.\nIl fut sur le point de sortir mais, arriv\u00e9 sur le pas de la\nporte, il se rappela qu\u2019il avait des oreilles d\u2019\u00e2ne. Il avait\nhonte de se montrer ainsi en public, mais que faire ? Il\nfinit par prendre un bonnet de coton qu\u2019il mit sur sa t\u00eate\net enfon\u00e7a jusqu\u2019au nez.\nEnsuite, il partit \u00e0 la recherche de La M\u00e8che, d\u00e9cid\u00e9 \u00e0\nle retrouver n\u2019importe o\u00f9. Il le chercha dans les rues, sur\nles places, dans les petits th\u00e9\u00e2tres, mais il ne le trouva\nnulle part. Il eut beau demander \u00e0 tous ceux qu\u2019il croisait,\npersonne ne l\u2019avait vu.\nAlors il se rendit chez lui et frappa \u00e0 sa porte.\n\u2013 Qui est-ce ? \u2013 demanda La M\u00e8che qui \u00e9tait l\u00e0.\n\u2013 C\u2019est moi \u2013 r\u00e9pondit la marionnette.\n\u2013 Attends une minute ! Je vais t\u2019ouvrir.Une demi-heure plus tard, la porte s\u2019ouvrit. Et\nPinocchio n\u2019en revint pas : son ami La M\u00e8che avait, lui\naussi, un grand bonnet de coton qui lui descendait\njusqu\u2019au nez !\nA la vue de cet accoutrement, la marionnette se sentit\npresque consol\u00e9e et se dit :\n\u00ab N\u2019aurait-il pas attrap\u00e9 la m\u00eame maladie que moi ?\nN\u2019aurait-il pas, lui aussi, la fi\u00e8vre des \u00e2nes ? \u00bb\nFaisant semblant de n\u2019avoir rien remarqu\u00e9, il lui\ndemanda en souriant\n\u2013 Comment vas-tu, mon cher La M\u00e8che ?\n\u2013 Aussi bien qu\u2019une souris dans une meule de gruy\u00e8re.\n\u2013 Tu es s\u00fbr ?\n\u2013 Pourquoi donc te mentirai-je ?\n\u2013 Excuse-moi mais, dans ce cas, pourquoi portes-tu ce\nbonnet qui te couvre les oreilles ?\n\u2013 Ordonnance du m\u00e9decin parce que je me suis fait\nmal au genou. Et toi, ma vieille, pourquoi as-tu aussi un\nbonnet de coton qui te descend jusqu\u2019au nez ?\n\u2013 Ordonnance du m\u00e9decin parce que j\u2019ai une \u00e9corchure\nau pied.\n\u2013 Pauvre Pinocchio !\n\u2013 Pauvre La M\u00e8che !\nUn long silence s\u2019ensuivit durant lequel les deux amis\nne firent rien d\u2019autre que de s\u2019observer avec un sourire\nmoqueur.moqueur.\nPinocchio fut le premier \u00e0 reprendre le dialogue :\n\u2013 Pardonne ma curiosit\u00e9, mon cher La M\u00e8che, mais as-\ntu jamais souffert des oreilles ?\n\u2013 Jamais ! Et toi ?\n\u2013 Jamais ! Pourtant, depuis ce matin, j\u2019ai une oreille\nqui me fait mal.\n\u2013 Moi, c\u2019est pareil.\n\u2013 Ah ! Toi aussi ? Et quelle oreille te fait mal, La\nM\u00e8che ?\n\u2013 Les deux, Pinocchio. Et toi ?\n\u2013 Les deux. Ne s\u2019agirait-il pas de la m\u00eame maladie ?\n\u2013 J\u2019ai bien peur que oui.\n\u2013 Veux-tu me faire plaisir, La M\u00e8che ?\n\u2013 Volontiers, Pinocchio.\n\u2013 Alors, fais-moi voir tes oreilles.\n\u2013 Pas de probl\u00e8me. Mais j\u2019aimerais d\u2019abord voir les\ntiennes, mon cher Pinocchio.\n\u2013 Non, non. Toi en premier.\n\u2013 Mais non, cher ami ! Apr\u00e8s toi !\n\u2013 Bon, dans ce cas, je propose un arrangement \u2013 dit la\nmarionnette.\n\u2013 Voyons l\u2019arrangement.\n\u2013 Enlevons nos bonnets en m\u00eame temps. D\u2019accord ?\n\u2013 D\u2019accord.\u2013 Attention ! Je compte jusqu\u2019\u00e0 trois. Un ! Deux !\nTrois !\nA trois, les deux gar\u00e7ons arrach\u00e8rent leurs coiffes et\nles jet\u00e8rent en l\u2019air.\nLa sc\u00e8ne qui suivit parait incroyable. Pourtant, elle est\nvraie. D\u00e9couvrant qu\u2019ils \u00e9taient l\u2019un et l\u2019autre atteints de\nla m\u00eame maladie, Pinocchio et La M\u00e8che, au lieu d\u2019\u00eatre\nmortifi\u00e9s et de prendre un air d\u00e9sol\u00e9, se mirent \u00e0 d\u00e9biter\nmille grosses plaisanteries \u00e0 propos de leurs longues\noreilles et \u00e9clat\u00e8rent de rire.\nLongtemps ils se tordirent de rire mais La M\u00e8che se\ntut tout \u00e0 coup, changea de couleur, chancela et implora :\n\u2013 Au secours, Pinocchio ! Aide-moi !\n\u2013 Qu\u2019est-ce qui t\u2019arrive ?\n\u2013 Je ne peux plus tenir sur mes jambes.\n\u2013 Mais moi non plus ! \u2013 cria Pinocchio titubant \u00e0 son\ntour et fondant en larmes.\nLeurs jambes pli\u00e8rent et ils se retrouv\u00e8rent par terre \u00e0\nmarcher sur les mains et sur les genoux. Et alors qu\u2019ils\nfaisaient ainsi le tour de la pi\u00e8ce, leurs bras se\ntransform\u00e8rent en pattes, leurs visages s\u2019allong\u00e8rent pour\ndevenir museaux et leurs dos se couvrirent d\u2019un pelage\ngris clair tachet\u00e9 de noir.\nPourtant, savez-vous quel moment fut le plus dur pour\nces deux malheureux ? Le moment le plus dur, le plus\nhumiliant pour eux, ce fut quand ils sentirent leur pousser\nune queue. Vaincus par la honte et la douleur, ilstent\u00e8rent alors, face \u00e0 la cruaut\u00e9 de leur destin, de se\nplaindre et de g\u00e9mir.\nIls n\u2019y parvinrent pas. Plaintes et g\u00e9missements ne\nfurent que des braiments d\u2019\u00e2ne. Tous deux ne purent\n\u00e9mettre que de bruyants \u00ab Hi-han ! Hi-han ! Hi-han ! \u00bb.\nEt c\u2019est juste \u00e0 ce moment-l\u00e0 que l\u2019on frappa \u00e0 la porte\net qu\u2019une voix ordonna :\n\u2013 Ouvrez ! Je suis le petit homme, le charretier qui\nvous a amen\u00e9s ici. Ouvrez imm\u00e9diatement, sinon gare \u00e0\nvous !Chapitre 33\nDevenu un vrai \u00e2ne, Pinocchio est vendu au\ndirecteur d\u2019un cirque qui lui apprend \u00e0\ndanser et \u00e0 sauter dans des cercles. Un soir\nde repr\u00e9sentation, il s\u2019estropie, et il est\nrevendu pour sa peau.\nVoyant que la porte restait ferm\u00e9e, le petit bonhomme\nl\u2019ouvrit d\u2019un grand coup de pied. Il entra dans la pi\u00e8ce et\ns\u2019adressa \u00e0 Pinocchio et La M\u00e8che en arborant son\nhabituel petit sourire :\n\u2013 Bravo, les enfants ! Vos braiments \u00e9taient parfaits et\nje vous ai tout de suite reconnus. C\u2019est m\u00eame pour cela\nque je suis ici.\nLes deux \u00e2nons prirent un air penaud, la t\u00eate et les\noreilles baiss\u00e9es, la queue entre les jambes.\nLe charretier commen\u00e7a par les flatter et les palper\npuis il se mit \u00e0 les \u00e9triller vigoureusement.\nUne fois \u00e9trill\u00e9s, les bourricots brillaient comme des\nmiroirs. Il leur passa alors un licou et les conduisit sur lamiroirs. Il leur passa alors un licou et les conduisit sur la\nplace du march\u00e9 avec l\u2019espoir de les vendre et d\u2019en tirer\nun bon prix.\nLes acheteurs, de fait, ne se firent pas attendre.\nLa M\u00e8che fut acquis par un paysan qui avait perdu son\n\u00e2ne la veille et Pinocchio achet\u00e9 par le directeur d\u2019un\ncirque pour le dresser \u00e0 sauter et \u00e0 danser avec les autres\nanimaux de sa compagnie.\nEt maintenant vous avez compris, mes chers petits\nlecteurs, quel beau m\u00e9tier faisait l\u2019homme \u00e0 la charrette ?\nCet avorton, ce monstre \u00e0 la mine si avenante sillonnait de\ntemps en temps le pays et, chemin faisant, embobinait\navec ses minauderies et ses promesses tous les enfants\nparesseux qui n\u2019aimaient ni les livres ni l\u2019\u00e9cole. Il les\nfaisait monter dans sa carriole et les conduisait au Pays\ndes Jouets. L\u00e0, ils passaient leurs journ\u00e9es \u00e0 s\u2019amuser.\nMais bient\u00f4t ces pauvres enfants na\u00effs, \u00e0 force de jouer\ntout le temps et de n\u2019\u00e9tudier jamais, devenaient des \u00e2nes\nque, tout content, le petit homme allait vendre au march\u00e9\nou sur les foires. C\u2019est ainsi qu\u2019en peu d\u2019ann\u00e9es, il\naccumula tant d\u2019argent qu\u2019il \u00e9tait devenu millionnaire.\nCe qu\u2019il advint de La M\u00e8che, je n\u2019en sais rien. En\nrevanche, je sais que Pinocchio dut endurer, d\u00e9s les\npremiers jours, une vie tr\u00e8s dure et particuli\u00e8rement\next\u00e9nuante.\nApr\u00e8s l\u2019avoir conduit \u00e0 l\u2019\u00e9curie, son nouveau ma\u00eetre\nremplit son r\u00e2telier de paille. Pinocchio y go\u00fbta puis la\nrecracha.\nTout en maugr\u00e9ant, le directeur du cirque y mit dufoin, mais le foin ne plut pas non plus \u00e0 Pinocchio.\n\u2013 Ah bon ! Le foin non plus ne te plait pas ? \u2013 cria\nl\u2019homme \u00e9nerv\u00e9 \u2013 Alors, \u00e9coute ! A chaque fois qu\u2019il te\nviendra la fantaisie de faire des caprices, attends-toi, mon\nbeau, \u00e0 ce que je te les \u00f4te de la cervelle !\nEt pour le punir, il lui cingla les pattes avec son fouet.\nCe qui fit pleurer et braire Pinocchio qui hoqueta :\n\u2013 Hi-han ! Hi-han ! La paille, je ne peux pas la dig\u00e9rer !\n\u2026\n\u2013 Alors, mange le foin ! \u2013 r\u00e9pliqua son ma\u00eetre qui\ncomprenait tr\u00e8s bien la langue des \u00e2nes.\n\u2013 Hi-han ! Hi-han ! Le foin me donne des maux\nd\u2019estomac !\u2026\n\u2013 Tu pr\u00e9tends donc qu\u2019\u00e0 un baudet comme toi je\ndevrais donner du blanc de poulet et du chapon en gel\u00e9e ?\n\u2013 ajouta l\u2019homme de plus en plus en col\u00e8re et le fouettant\nde nouveau.\nCette fois Pinocchio, devenu prudent, pr\u00e9f\u00e9ra se taire.\nLa porte de l\u2019\u00e9curie referm\u00e9e, Pinocchio resta seul et,\ncomme il n\u2019avait pas mang\u00e9 depuis longtemps, il se mit \u00e0\nbailler. En baillant, il ouvrait une bouche grande comme\nun four.\nFinalement, ne trouvant rien d\u2019autre dans sa\nmangeoire, il se r\u00e9signa \u00e0 mastiquer un peu de foin. Puis,\napr\u00e8s l\u2019avoir bien malax\u00e9, il ferma les yeux et l\u2019avala.\n\u2013 Ce foin n\u2019est pas vraiment mauvais \u2013 se dit-il \u2013 mais\nj\u2019aurais quand m\u00eame mieux fait de continuer \u00e0 \u00e9tudier. Acette heure-ci, au lieu de foin, j\u2019aurais pu manger un\nmorceau de pain frais avec une bonne tranche de salami !\nDommage !\nLe lendemain matin, \u00e0 son r\u00e9veil, il chercha tout de\nsuite le foin dans le r\u00e2telier. Mais il n\u2019y en avait plus car il\navait tout mang\u00e9 dans la nuit.\nIl se consola en prenant une bouch\u00e9e de paille broy\u00e9e.\nMais tout en la mastiquant, il fut bien oblig\u00e9 de\nreconna\u00eetre que cette paille n\u2019avait la saveur ni d\u2019un\nrisotto \u00e0 la milanaise, ni de macaronis \u00e0 la napolitaine.\n\u2013 Dommage ! \u2013 r\u00e9p\u00e9ta-t-il tout en mastiquant \u2013 Qu\u2019au\nmoins mes malheurs servent de le\u00e7on \u00e0 tous les enfants\nd\u00e9sob\u00e9issants qui ne veulent pas aller \u00e0 l\u2019\u00e9cole ! Mais c\u2019est\ndommage ! Bien dommage !\n\u2013 Tu te plains ? Attends un peu ! \u2013 hurla le directeur\nqui venait d\u2019entrer dans l\u2019\u00e9curie \u2013 Car tu crois peut-\u00eatre\nque je t\u2019ai achet\u00e9 uniquement pour te donner \u00e0 boire et \u00e0\nmanger ? Je t\u2019ai achet\u00e9, moi, pour que tu travailles et que\ntu me fasses gagner beaucoup de sous. Allez, debout ! Tu\nvas venir avec moi sur la piste et je vais t\u2019apprendre \u00e0\nsauter dans des cerceaux, \u00e0 danser la valse et la polka\ndebout sur tes pattes arri\u00e8res.\nEffectivement, le pauvre Pinocchio dut apprendre de\ngr\u00e9 ou de force toutes ces belles choses mais il lui fallut\ntrois mois et beaucoup de coups de fouet qui lui\narrachaient la peau pour y arriver.\nUn jour, son ma\u00eetre put enfin annoncer un spectacle\ntout \u00e0 fait extraordinaire.Sur les affiches placard\u00e9es \u00e0 tous les coins de rues, on\npouvait lire :\nCe soir\nGRAND SPECTACLE DE GALA\nDes sauts et des exercices surprenants\nAvec tous les artistes et les chevaux\nDe la Compagnie\nEt, pour la premi\u00e8re fois, le fameux\nPETIT ANE PINOCCHIO\ndit\nL\u2019\u00c9toile de la Danse\nLe th\u00e9\u00e2tre sera illumin\u00e9\n \nComme de bien entendu, ce fameux soir, le th\u00e9\u00e2tre\n\u00e9tait bond\u00e9 bien avant que le spectacle ne commence.\nPlus aucune place n\u2019\u00e9tait \u00e0 vendre, m\u00eame \u00e0 prix d\u2019or.\nSur les gradins s\u2019entassaient des nu\u00e9es d\u2019enfants de\ntous \u00e2ges tr\u00e8s excit\u00e9s \u00e0 l\u2019id\u00e9e de voir danser le fameux\n\u00e2ne Pinocchio.\nA la fin de la premi\u00e8re partie, le directeur de la\ncompagnie, veste noire, pantalons blancs et bottes de cuir\njusqu\u2019aux genoux, se pr\u00e9senta, s\u2019inclina profond\u00e9ment\ndevant la foule des spectateurs et entama avec solennit\u00e9\nce discours-fleuve :\n\u00ab Honorable public, gentilshommes et belles dames !\n\u00ab Votre humble serviteur, de passage dans cette\nillustre cit\u00e9, a le plaisir mais aussi la fiert\u00e9 de pr\u00e9senter \u00e0\nson \u00e9minent public un c\u00e9l\u00e8bre petit \u00e2ne qui a d\u00e9j\u00e0 eul\u2019honneur de danser devant Sa Majest\u00e9 l\u2019Empereur de\ntoutes les principales Cours d\u2019Europe\n\u00ab Je vous remercie de votre participation et de votre\nindulgence ! \u00bb\nRires et applaudissements suivirent cette introduction\nmais les applaudissements redoubl\u00e8rent et d\u00e9ferl\u00e8rent\ncomme un coup de tonnerre quand Pinocchio entra sur la\npiste. Il \u00e9tait par\u00e9 comme s\u2019il allait \u00e0 une f\u00eate. Il arborait\nune bride neuve en cuir qui reluisait et qui \u00e9tait charg\u00e9e\nde boucles et de clous en cuivre, deux cam\u00e9lias blancs\nornaient ses oreilles, sa crini\u00e8re tress\u00e9e \u00e9tait parsem\u00e9e de\npetits n\u0153uds argent\u00e9s et des rubans de velours amarante\net bleu-ciel enveloppaient sa queue. C\u2019\u00e9tait, en somme, un\namour de petit \u00e2ne !\nLe directeur continua son discours :\n\u00ab V\u00e9n\u00e9rable public ! Je ne vous cacherai pas les\ngrandes difficult\u00e9s que j\u2019ai \u00e9prouv\u00e9es pour comprendre et\nma\u00eetriser ce mammif\u00e8re alors qu\u2019il paissait librement de\nmontagne en montagne dans les plaines torrides du sud.\nObservez, je vous prie, la sauvagerie de son regard et\nvous comprendrez que, tous les moyens habituels pour en\nfaire un quadrup\u00e8de domestique ayant \u00e9chou\u00e9, j\u2019ai d\u00fb\nsouvent recourir \u00e0 l\u2019aimable dialogue du fouet. Mettant en\npratique la m\u00e9thode de Galles, j\u2019ai d\u00e9couvert qu\u2019il avait\ndans son cr\u00e2ne le cartilage de Carthage que la Facult\u00e9 de\nM\u00e9decine de Paris elle-m\u00eame d\u00e9signe comme le bulbe\nr\u00e9g\u00e9n\u00e9rateur des cheveux et celui de la danse pyrrhique,\nla danse guerri\u00e8re des anciens Grecs. C\u2019est pourquoi je l\u2019ai\nnon seulement dress\u00e9 \u00e0 sauter dans des cerceaux, maisaussi \u00e0 danser. Admirez et appr\u00e9ciez ! Mais avant de\nprendre cong\u00e9 de vous, je vous invite, Messieurs et\nMesdames, \u00e0 venir au spectacle diurne de demain soir.\nDans l\u2019hypoth\u00e8se o\u00f9 la pluie menacerait, la repr\u00e9sentation\nde demain soir serait alors report\u00e9e \u00e0 demain matin, \u00e0\nonze heures de l\u2019apr\u00e8s-midi \u00bb.\nApr\u00e8s une nouvelle profonde r\u00e9v\u00e9rence, le directeur se\ntourna vers Pinocchio :\n\u2013 Courage, Pinocchio ! Mais avant les exercices, il vous\nfaut saluer ce respectable public.\nPinocchio, ob\u00e9issant, se mit \u00e0 genoux sur ses pattes\navant et resta ainsi jusqu\u2019au moment o\u00f9, faisant claquer\nson fouet, le directeur ordonna :\n\u2013 Au pas !\nL\u2019\u00e2non se releva et commen\u00e7a \u00e0 tourner, au pas,\nautour de la piste.\nPuis le directeur commanda :\n\u2013 Au trot !\nEt Pinocchio passa au trot.\n\u2013 Au galop !\nPinocchio galopa.\n\u2013 A toute allure !\nEt alors que l\u2019\u00e2non filait comme un cheval arabe, le\ndompteur leva un bras en l\u2019air et tira un coup de pistolet.\nL\u2019\u00e2ne, faisant semblant d\u2019\u00eatre bless\u00e9, s\u2019effondra au\nmilieu de la piste et fit le mort.Une fois relev\u00e9, des hurlements et des\napplaudissements assourdissants emplirent le cirque.\nPinocchio leva la t\u00eate vers le public et\u2026 il vit dans une\nloge une belle jeune femme qui portait \u00e0 son cou un collier\nen or au bout duquel pendait un m\u00e9daillon.\nOn distinguait, dans ce m\u00e9daillon, le portrait de la\nmarionnette.\n\u2013 Mais c\u2019est mon portrait ! Cette dame est la F\u00e9e ! \u2013\ns\u2019\u00e9tonna Pinocchio en reconnaissant la jeune femme.\nAlors, sa joie lui faisant oublier toute prudence, il voulut\ncrier :\n\u2013 Ma F\u00e9e ! Ma bonne petite F\u00e9e !\nMais rien ne sortit de sa gorge que des braiments\nsonores et prolong\u00e9s qui firent \u00e9clater de rire tous les\nspectateurs, et surtout les enfants.\nLe directeur, pour lui faire comprendre qu\u2019il n\u2019est pas\nbien \u00e9lev\u00e9 de braire au nez du public, lui appliqua un bon\ncoup sur le museau avec le manche de son fouet.\nLe pauvre petit \u00e2ne, tirant une langue longue comme\nle bras, se l\u00e9cha le museau pendant plusieurs minutes afin\nde calmer la douleur.\nMais son plus profond d\u00e9sespoir fut quand, regardant\nde nouveau le public, il ne vit plus personne dans la loge.\nLa F\u00e9e avait disparu !\nIl crut qu\u2019il allait mourir. Ses yeux se remplirent de\nlarmes et il se mit \u00e0 sangloter. Personne ne s\u2019en rendit\ncompte et encore moins le directeur du cirque qui fit\nclaquer son fouet et cria :claquer son fouet et cria :\n\u2013 Allez Pinocchio ! Maintenant fais voir \u00e0 ces\nmessieurs-dames avec quelle \u00e9l\u00e9gance tu sais sauter dans\nles cercles.\nPinocchio fit plusieurs tentatives mais \u00e0 chaque fois\nqu\u2019il se pr\u00e9sentait devant le cerceau, au lieu de le\ntraverser, il passait dessous. Prenant une nouvelle fois\nson \u00e9lan, il faillit r\u00e9ussir mais ses pattes arri\u00e8res rest\u00e8rent\naccroch\u00e9s au cerceau et il s\u2019affala de tout son long sur la\npiste.\nQuand il se releva, il boitait et il eut le plus grand mal \u00e0\nrejoindre l\u2019\u00e9curie.\n\u2013 Pinocchio, reviens ! On veut le petit \u00e2ne ! Pinocchio !\nPinocchio ! \u2013 hurlaient les enfants apitoy\u00e9s par ce qu\u2019ils\nvenaient de voir.\nMais le petit \u00e2ne ne revint pas.\nLe lendemain matin, le v\u00e9t\u00e9rinaire, c\u2019est \u00e0 dire le\nm\u00e9decin des animaux, d\u00e9clara qu\u2019il resterait estropi\u00e9\ntoute sa vie.\nAlors le directeur du cirque appela son gar\u00e7on\nd\u2019\u00e9curie :\n\u2013 Que veux-tu que je fasse d\u2019un baudet boiteux ? Ce\nserait le nourrir \u00e0 perte. Emm\u00e8ne-le donc au march\u00e9 et\nrevends-le.\nArriv\u00e9s sur la place du march\u00e9, ils trouv\u00e8rent tout de\nsuite un acheteur :\n\u2013 Combien cet \u00e2ne boiteux ?\u2013 Vingt lires.\n\u2013 Je t\u2019en donne vingt centimes. Ne crois pas que je vais\nm\u2019en servir. Je l\u2019ach\u00e8te uniquement pour sa peau. Je vois\nqu\u2019il a la peau particuli\u00e8rement dure et j\u2019en ai besoin pour\nfabriquer un tambour pour l\u2019orchestre de mon village.\nJe vous laisse imaginer, mes enfants, les sentiments du\npauvre Pinocchio quand il entendit qu\u2019il allait devenir un\ntambour !\nApr\u00e8s avoir vers\u00e9 les vingt centimes, l\u2019acheteur\nconduisit l\u2019\u00e2non jusqu\u2019\u00e0 un rocher qui surplombait la mer,\nlui suspendit une grosse pierre au cou, attacha une corde\n\u00e0 l\u2019une de ses pattes tout en gardant l\u2019autre bout \u00e0 la main\net lui donna une forte bourrade qui le projeta dans l\u2019eau.\nAvec ce poids autour du cou, Pinocchio coula tout au\nfond de la mer tandis que l\u2019acheteur, tenant toujours\nl\u2019autre extr\u00e9mit\u00e9 de la corde, alla s\u2019asseoir sur le rocher\nen attendant que l\u2019\u00e2ne ait tout le temps de se noyer pour\nqu\u2019il puisse, ensuite, r\u00e9cup\u00e9rer sa peau\u2026Chapitre 34\nLe petit \u00e2ne Pinocchio est mang\u00e9 par les\npoissons et redevient une marionnette.\nAlors qu\u2019il nage pour sauver sa vie, il est\naval\u00e9 par le terrible Requin.\nIl y avait presque une heure que l\u2019\u00e2ne \u00e9tait dans l\u2019eau\net son acqu\u00e9reur se dit :\n\u2013 Maintenant, il doit \u00eatre tout \u00e0 fait noy\u00e9. Remontons-\nle pour faire le tambour avec sa peau.\nIl tira sur la corde qu\u2019il avait attach\u00e9e \u00e0 l\u2019une des\npattes de l\u2019\u00e2ne, tira, tira, et vit affleurer \u00e0 la surface de\nl\u2019eau\u2026 vous savez quoi ? Au lieu d\u2019un petit \u00e2ne mort,\napparut une marionnette bien vivante qui se tortillait\ncomme une anguille.\nLe pauvre homme crut r\u00eaver. Il resta l\u00e0, abasourdi, la\nbouche grande ouverte et les yeux exorbit\u00e9s.\nRevenu de sa stupeur, il balbutia :\n\u2013 Et l\u2019\u00e2ne que j\u2019ai jet\u00e9 \u00e0 la mer, o\u00f9 donc est-il ?\u2013 L\u2019\u00e2ne, c\u2019est moi ! \u2013 r\u00e9pondit la marionnette en riant.\n\u2013 Toi ?\n\u2013 Moi !\n\u2013 Dis, petit rigolo ! Tu te moques de moi peut-\u00eatre ?\n\u2013 Me moquer de vous ? Pas du tout, mon ma\u00eetre ! Je\nvous parle s\u00e9rieusement.\n\u2013 Mais enfin, comment as-tu fait pour devenir une\nmarionnette en bois alors que tu \u00e9tais, tout \u00e0 l\u2019heure, un\nbourricot ?\n\u2013 C\u2019est sans doute un effet de l\u2019eau de mer. Parfois, la\nmer nous joue de ces tours\u2026\n\u2013 Ca suffit, la marionnette, \u00e7a suffit ! N\u2019esp\u00e8re pas rire\n\u00e0 mes d\u00e9pens et gare \u00e0 toi si tu me fais perdre patience !\n\u2013 D\u2019accord, mon ma\u00eetre. Vous voulez savoir\nexactement ce qui s\u2019est pass\u00e9 ? Dans ce cas, d\u00e9tachez-moi\net je vous raconterai tout.\nD\u00e9sireux de comprendre quelque chose \u00e0 cette\nhistoire, l\u2019acheteur d\u00e9fit le n\u0153ud de la corde et Pinocchio\nse retrouva libre comme l\u2019air :\n\u2013 Apprenez donc, mon ma\u00eetre, qu\u2019avant de devenir un\n\u00e2ne, j\u2019\u00e9tais une marionnette sur le point de devenir un\npetit gar\u00e7on comme les autres. Mais mon peu de go\u00fbt\npour le travail et les mauvais conseils de petits camarades\nme firent quitter la maison. C\u2019est ainsi que, un matin, en\nme r\u00e9veillant, je me suis retrouv\u00e9 chang\u00e9 en baudet, avec\nles oreilles, la queue et tout. Quelle honte fut la mienne !\nQue Saint-Antoine ne vous fasse jamais \u00e9prouver cetaffront ! Emmen\u00e9 pour \u00eatre vendu au march\u00e9 des \u00e2nes, je\nfus achet\u00e9 par le directeur d\u2019une compagnie \u00e9questre qui\nse mit dans la t\u00eate de faire de moi un grand danseur et un\nsauteur de cercles hors-pair. Or, au beau milieu du\nspectacle, je fis une chute et me retrouvai estropi\u00e9.\nComme le directeur du cirque ne voulait pas s\u2019encombrer\nd\u2019un \u00e2ne boiteux, il me revendit et c\u2019est vous qui m\u2019avez\nachet\u00e9.\n\u2013 Eh oui ! Malheureusement ! Je t\u2019ai m\u00eame pay\u00e9 vingt\ncentimes. Qui va me rendre mes vingt centimes\nmaintenant ?\n\u2013 Vous m\u2019avez m\u00eame achet\u00e9 pour fabriquer un\ntambour avec ma peau, n\u2019est-ce pas ? Un tambour ! !\n\u2013 Eh oui ! Malheureusement ! O\u00f9 vais-je trouver une\nautre peau maintenant ?\n\u2013 Ne vous laissez pas aller au d\u00e9sespoir, mon ma\u00eetre.\nDes \u00e2nes, il y en a tant en ce monde\u2026\n\u2013 Dis-moi, petit impertinent, ton histoire s\u2019arr\u00eate l\u00e0 ?\n\u2013 Pas tout \u00e0 fait. Deux mots encore. Donc, apr\u00e8s\nm\u2019avoir achet\u00e9, vous m\u2019avez conduit ici pour me tuer.\nC\u00e9dant \u00e0 un sentiment de la plus grande humanit\u00e9, vous\navez pr\u00e9f\u00e9r\u00e9 me mettre une pierre au cou et me jeter\ndans la mer. Cette d\u00e9licatesse vous honore infiniment et je\nvous en serai \u00e9ternellement reconnaissant. Mais c\u2019\u00e9tait\ncompter sans la F\u00e9e\u2026\n\u2013 C\u2019est quoi cette F\u00e9e ?\n\u2013 Cette F\u00e9e, c\u2019est ma maman. Elle est comme toutes\nles mamans qui aiment beaucoup leurs enfants, veillentsur eux et les secourent tendrement en cas de danger,\nm\u00eame si ces enfants, par leur \u00e9tourderie et leur\ncomportement ind\u00e9licat, m\u00e9riteraient d\u2019\u00eatre abandonn\u00e9s\net livr\u00e9s \u00e0 eux-m\u00eames. Je disais donc que la F\u00e9e, voyant\nque j\u2019allais me noyer, m\u2019envoya un banc d\u2019innombrables\npoissons qui se mirent \u00e0 d\u00e9vorer cet \u00e2non qu\u2019ils croyaient\nbel et bien mort. Quelles bouch\u00e9es ils faisaient de moi ! Je\nn\u2019aurais jamais cru que les poissons fussent aussi gloutons\nque les enfants ! C\u2019\u00e9tait \u00e0 qui mangerait les oreilles, le\nmuseau, l\u2019encolure et sa crini\u00e8re, la peau des pattes et le\npelage du dos ! Il y a m\u00eame un tout petit qui eut la\ncourtoisie d\u2019accepter de me d\u00e9vorer la queue.\n\u2013 Jamais plus je ne mangerai de poisson ! \u2013 s\u2019exclama,\nhorrifi\u00e9, le fabricant de tambour \u2013 J\u2019aurais trop peur de\ntrouver une queue d\u2019\u00e2ne dans le ventre d\u2019une truite ou\nd\u2019un merlan.\n\u2013 Je suis bien d\u2019accord avec vous \u2013 r\u00e9pondit la\nmarionnette qui se tordait de rire \u2013 Enfin, quand ils\neurent fini de manger toute cette chair de baudet qui\nm\u2019enrobait de la t\u00eate aux pieds, les poissons arriv\u00e8rent\nnaturellement au squelette. Mais d\u00e9s les premi\u00e8res\nmorsures, ces gloutons s\u2019aper\u00e7urent que le bois tr\u00e8s dur\ndont je suis fait n\u2019\u00e9tait pas pain b\u00e9ni pour leurs dentitions\net ils se dispers\u00e8rent sans m\u00eame me remercier. Et voici\ncomment, tirant sur votre corde, vous avez trouv\u00e9 une\nmarionnette \u00e0 la place de votre \u00e2ne !\n\u2013 Je me moque de tout cela ! \u2013 hurla l\u2019acheteur fou de\nrage \u2013 Tout ce qui m\u2019int\u00e9resse c\u2019est que j\u2019ai d\u00e9pens\u00e9 vingt\ncentimes pour t\u2019avoir et que je veux les r\u00e9cup\u00e9rer. Sais-tuce que je vais faire ? Je vais retourner au march\u00e9 et te\nrevendre comme du bois sec pour allumer le feu de la\nchemin\u00e9e.\n\u2013 D\u2019accord, revendez-moi ! J\u2019en serai ravi. \u2013 r\u00e9pliqua\nPinocchio.\nMais en m\u00eame temps, il bondit et sauta loin dans l\u2019eau.\nTout en nageant all\u00e8grement pour s\u2019\u00e9loigner de la rive, il\ncria au pauvre acheteur :\n\u2013 Adieu, mon ma\u00eetre. Si vous avez besoin d\u2019une peau\npour faire un tambour, pensez \u00e0 moi !\nUn peu plus loin, toujours nageant et riant, il lan\u00e7a\nencore :\n\u2013 Adieu, mon bon ma\u00eetre. Si vous avez besoin d\u2019un peu\nde bois pour allumer votre chemin\u00e9e, pensez \u00e0 moi !\nPinocchio s\u2019\u00e9loignait \u00e0 toute vitesse. C\u2019\u00e9tait devenu un\npetit point noir \u00e0 la surface de l\u2019eau. Parfois une paire de\njambes \u00e9mergeait de la mer ou alors il faisait des cabrioles\ndans l\u2019eau, tel un dauphin de tr\u00e8s bonne humeur.\nNageant au hasard, Pinocchio aper\u00e7ut un rocher blanc\ncomme du marbre sur lequel b\u00e9guetait gentiment une\njolie petite ch\u00e8vre qui lui faisait signe d\u2019approcher.\nLa chose \u00e9tonnante \u00e9tait que cette ch\u00e8vre n\u2019\u00e9tait ni\nblanche, ni noire, comme le sont d\u2019habitude la plupart des\nch\u00e8vres, mais sa laine \u00e9tait d\u2019un bleu-nuit \u00e9clatant qui\nrappelait beaucoup la couleur des cheveux de la jolie\npetite F\u00e9e.\n\u00c9videmment, le c\u0153ur de Pinocchio se mit \u00e0 battre tr\u00e8sfort. Redoublant d\u2019effort, il se dirigea vers le rocher blanc.\nC\u2019est alors que surgit une t\u00eate horrible, celle d\u2019un monstre\nmarin qui venait \u00e0 sa rencontre. Sa bouche grande\nouverte \u00e9tait un gouffre et d\u00e9couvrait trois rang\u00e9es de\ndents \u00e0 faire peur m\u00eame en dessin.\nEt vous savez qui \u00e9tait ce monstre marin ?\nC\u2019\u00e9tait, ni plus ni moins, ce gigantesque Requin d\u00e9j\u00e0\nrencontr\u00e9 dans cette histoire et que l\u2019on surnommait, \u00e0\ncause de ses nombreux massacres et de son insatiable\nvoracit\u00e9, \u00ab l\u2019Attila des poissons et des p\u00e9cheurs \u00bb.\nVous imaginez l\u2019\u00e9pouvante qui saisit le pauvre\nPinocchio \u00e0 la vue de ce monstre ! Il essaya de l\u2019\u00e9viter, de\nchanger de route, de le fuir mais l\u2019\u00e9norme bouche\ns\u2019approchait \u00e0 la vitesse d\u2019une fl\u00e8che.\n\u2013 D\u00e9p\u00eache-toi, Pinocchio ! Je t\u2019en supplie ! \u2013 b\u00ealait la\njolie petite ch\u00e8vre.\nCelui-ci nageait d\u00e9sesp\u00e9r\u00e9ment. Il se servait de tout :\nses bras, sa poitrine, ses jambes, ses pieds\u2026\n\u2013 Cours ! Cours, Pinocchio ! Le monstre se rapproche !\nRassemblant toutes ses forces, la marionnette\nredoubla d\u2019ardeur.\n\u2013 Attention, Pinocchio ! Le monstre te rejoint ! Il\narrive ! Il arrive ! D\u00e9p\u00eache-toi, je t\u2019en supplie ou tu es\nperdu !\nIl ne pouvait pas aller plus vite. Il filait comme une\nballe de fusil. Alors qu\u2019il \u00e9tait sur le point de toucher le\nrocher, la petite ch\u00e8vre se pencha et lui tendait d\u00e9j\u00e0 sespattes de devant pour l\u2019aider \u00e0 sortir de l\u2019eau.\nMais c\u2019\u00e9tait trop tard ! Le monstre l\u2019avait rejoint et\naspira la pauvre marionnette comme on gobe un \u0153uf. Ce\nfut si violent que Pinocchio, d\u00e9gringolant dans le corps du\nRequin, s\u2019assomma et resta \u00e9vanoui pendant un bon\nquart d\u2019heure.\nQuand il revint \u00e0 lui, il ne savait plus ni qui il \u00e9tait, ni\no\u00f9 il \u00e9tait. Tout, autour de lui, \u00e9tait plong\u00e9 dans le noir le\nplus profond comme s\u2019il \u00e9tait entr\u00e9 dans un encrier plein\nd\u2019encre. On n\u2019entendait rien que, de temps en temps, de\ngrandes bouff\u00e9es de vent qui lui cinglaient le visage. Au\nd\u00e9but, il ne comprit pas, puis il pensa que ces rafales\ndevaient sortir des poumons du monstre. De fait, le\nRequin souffrait d\u2019asthme et, quand il respirait, on aurait\ndit que soufflait la Tramontane.\nPinocchio chercha d\u2019abord \u00e0 se donner du courage mais\nquand il eut cent fois la preuve qu\u2019il \u00e9tait bien dans le\ncorps du monstre, il s\u2019effondra en larmes et se mit \u00e0\ng\u00e9mir :\n\u2013 Au secours ! A l\u2019aide ! Oh, pauvre de moi ! N\u2019y a-t-il\npersonne pour me sauver ?\n\u2013 Qui donc pourrait te sauver, malheureux ! \u2013 grin\u00e7a\nune voix dans le noir, f\u00eal\u00e9e comme une guitare\nd\u00e9saccord\u00e9e.\n\u2013 Qui parle ? \u2013 demanda Pinocchio qui tremblait de\npeur.\n\u2013 C\u2019est moi ! Je suis un pauvre Thon que le Requin a\naval\u00e9 en m\u00eame temps que toi. Et toi, quel poisson es-tu ?\u2013 Moi, je n\u2019ai rien \u00e0 voir avec les poissons. Je suis une\nmarionnette.\n\u2013 Et alors ? Si tu n\u2019es pas un poisson, pourquoi t\u2019es-tu\nfait avaler par le monstre ?\n\u2013 Je n\u2019en sais rien. D\u2019ailleurs je ne me suis pas \u00ab fait\navaler \u00bb. C\u2019est lui qui m\u2019a aval\u00e9. Nuance ! Bon, et\nmaintenant, qu\u2019est-ce que l\u2019on peut faire ?\n\u2013 Se r\u00e9signer et attendre que le Requin nous dig\u00e8re.\n\u2013 Mais je ne veux pas \u00eatre dig\u00e9r\u00e9 ! \u2013 cria Pinocchio qui\nse remit \u00e0 pleurer.\n\u2013 Ben, moi non plus \u2013 fit remarquer le Thon \u2013 mais je\nsuis philosophe et je me console en pensant que, pour un\nThon, il est plus digne de mourir dans l\u2019eau que dans la\nfriture.\n\u2013 Balivernes ! \u2013 hurla Pinocchio.\n\u2013 C\u2019est mon opinion \u2013 se d\u00e9fendit le Thon \u2013 et toutes\nles opinions, comme l\u2019assurent les Thons politiques, sont\nrespectables !\n\u2013 Moi, je veux m\u2019en aller d\u2019ici. Je veux m\u2019en aller\u2026\n\u2013 Va-t-en, si tu y arrives.\n\u2013 Il est vraiment gros ce Requin ? \u2013 questionna la\nmarionnette.\n\u2013 S\u2019il est gros ? Son corps mesure plus d\u2019un kilom\u00e8tre\nde long, sans compter la queue.\nTandis qu\u2019ils conversaient ainsi, Pinocchio crut\ndiscerner dans le lointain une vague lueur.\u2013 Cette lueur, tout l\u00e0-bas, qu\u2019est-ce que c\u2019est ?\ndemanda Pinocchio.\n\u2013 Sans doute un autre malheureux qui attend d\u2019\u00eatre\ndig\u00e9r\u00e9.\n\u2013 Je vais aller voir. Il s\u2019agit peut-\u00eatre d\u2019un vieux\npoisson qui sait, lui, comment sortir d\u2019ici.\n\u2013 Je te le souhaite, ch\u00e8re marionnette.\n\u2013 Alors, adieu le Thon.\n\u2013 Adieu, la marionnette. Et bonne chance !\n\u2013 On se reverra ?\n\u2013 Qui sait ? Le mieux est de ne pas y penser !Chapitre 35\nPinocchio, dans le corps du Requin,\nretrouve\u2026 Mais qui donc retrouve-t-il ?\nVous le saurez en lisant ce chapitre.\nApr\u00e8s avoir dit adieu \u00e0 son ami le thon, Pinocchio\ns\u2019engouffra dans l\u2019obscurit\u00e9 r\u00e9gnant dans le corps du\nRequin et marcha \u00e0 t\u00e2tons dans le noir, progressant pas \u00e0\npas vers cette p\u00e2le lueur qui brillait vaguement dans le\nlointain.\nIl entendait ses pieds clapoter dans une eau grasse et\nglissante qui d\u00e9gageait une forte odeur de poisson frit,\ncomme si c\u2019\u00e9tait la Mi-Car\u00eame.\nPlus il avan\u00e7ait, plus cette lueur lointaine et impr\u00e9cise\ngagnait en brillance et en nettet\u00e9. Il marcha longtemps\navant d\u2019atteindre son but. Et l\u00e0, que trouva Pinocchio ? Je\nvous le donne en mille ! Il trouva une petite table sur\nlaquelle \u00e9tait allum\u00e9e une bougie enfil\u00e9e dans une\nbouteille en cristal vert et, assis \u00e0 cette table, un petit\nvieux aux cheveux blancs comme de la neige ou de la\ncr\u00e8me fouett\u00e9e. Il m\u00e2chouillait des petits poissonsvivants, si vivants d\u2019ailleurs que, la plupart du temps, ils\nparvenaient \u00e0 s\u2019\u00e9chapper de sa bouche.\nLa vue de ce vieil homme provoqua chez Pinocchio une\ntelle surprise et une telle all\u00e9gresse qu\u2019il faillit en devenir\nfou. Il \u00e9tait partag\u00e9 entre le rire, les pleurs et l\u2019envie de\nraconter une foule de choses. Il n\u2019arrivait qu\u2019\u00e0 balbutier\nconfus\u00e9ment, \u00e0 crachoter des bouts de mots ne voulant\nrien dire. Finalement, il parvint \u00e0 sortir de sa gorge un cri\nde joie, ouvrit grand ses bras et se jeta au cou de\nl\u2019homme :\n\u2013 Oh ! Mon papounet ! Enfin, je te retrouve ! Plus\njamais je ne te quitterai ! Jamais ! Jamais !\n\u2013 Donc mes yeux ne m\u2019ont pas tromp\u00e9 ? \u2013 r\u00e9pondit le\nvieil homme en se les frottant \u2013 Donc tu es bien mon cher\nPinocchio ?\n\u2013 Oui, oui, c\u2019est moi ! C\u2019est vraiment moi ! Et vous,\nvous m\u2019avez d\u00e9j\u00e0 pardonn\u00e9, n\u2019est-ce pas ? Oh ! Mon petit\npapa \u00e0 moi, comme vous \u00eates bon ! Alors que moi, au\ncontraire\u2026 Mais j\u2019en ai eu des mis\u00e8res ! Tout est all\u00e9 de\ntravers ! Figurez-vous, mon pauvre petit papa, que le jour\no\u00f9 vous avez vendu votre veste pour m\u2019acheter un\nab\u00e9c\u00e9daire, je suis all\u00e9 au spectacle de marionnettes et l\u00e0\nle marionnettiste voulait me jeter au feu pour faire cuire\nson mouton puis il m\u2019a donn\u00e9 cinq pi\u00e8ces d\u2019or pour vous\nmais j\u2019ai rencontr\u00e9 le renard et le chat qui m\u2019ont emmen\u00e9\n\u00e0 l\u2019auberge de l\u2019\u00c9crevisse Rouge o\u00f9 ils ont mang\u00e9 comme\ndes loups affam\u00e9s, apr\u00e8s je suis parti tout seul dans la nuit\net des assassins m\u2019ont poursuivi longtemps et m\u2019ont\npendu au grand ch\u00eane puis la jolie fillette aux cheveuxbleu-nuit a envoy\u00e9 un carrosse me chercher et les\nm\u00e9decins ont dit : \u00ab S\u2019il n\u2019est pas mort, cela signifie qu\u2019il\nest toujours vivant \u00bb et comme j\u2019avais dit un mensonge,\nmon nez s\u2019est allong\u00e9 au point de ne plus pouvoir sortir\npour aller avec le renard et le chat enterrer mes quatre\npi\u00e8ces d\u2019or \u2013 car avec la cinqui\u00e8me, j\u2019avais pay\u00e9\nl\u2019aubergiste \u2013 ce qui fit rire le perroquet et, au lieu des\ndeux mille sequins que je devais r\u00e9colter, je n\u2019ai rien\nretrouv\u00e9, c\u2019est pourquoi le juge, sachant que j\u2019avais \u00e9t\u00e9\nvol\u00e9, m\u2019envoya en prison d\u2019o\u00f9 je sortis gr\u00e2ce \u00e0 une\nmesure de cl\u00e9mence jusqu\u2019\u00e0 ce que, voyant une belle\ngrappe de raisin, je tombai dans un pi\u00e8ge et le paysan,\npour me donner une le\u00e7on, m\u2019a fait garder le poulailler et\nquand il m\u2019a rendu ma libert\u00e9 le serpent dont la queue\nfumait se mit lui aussi \u00e0 rire si fort qu\u2019il fit \u00e9clater une\nveine de sa poitrine et c\u2019est comme cela que je suis\nretourn\u00e9 chez la jolie fillette aux cheveux bleu-nuit qui\n\u00e9tait morte, alors le pigeon, voyant que je pleurais, me dit\n\u00ab J\u2019ai vu ton papa qui fabriquait une chaloupe pour te\nchercher \u00bb et moi, je lui ai r\u00e9pondu \u00ab Ah ! Comme\nj\u2019aimerais avoir des ailes, moi aussi ! \u00bb et il m\u2019a dit \u00ab Tu\nveux voir ton papa ? \u00bb et moi j\u2019ai dit \u00ab Oh oui alors ! Mais\nqui va m\u2019emmener ? \u00bb et lui \u00ab Moi, je te porterai \u00bb et moi\n\u00ab Comment ? \u00bb et lui \u00ab Tu n\u2019as qu\u2019\u00e0 monter sur mon\ndos \u00bb, c\u2019est ainsi que nous avons vol\u00e9 toute la nuit et le\nlendemain matin des p\u00eacheurs qui regardaient la mer me\ndirent \u00ab Il y a un pauvre homme sur une barque qui est\nen train de se noyer \u00bb et moi, de loin, je t\u2019ai tout de suite\nreconnu parce que mon c\u0153ur me disait que c\u2019\u00e9tait vous et\nalors je t\u2019ai fait signe de revenir\u2026\u2013 Moi aussi, je t\u2019ai reconnu \u2013 l\u2019interrompit Geppetto \u2013\net j\u2019aurais volontiers fait demi-tour, mais comment ? La\nmer \u00e9tait grosse et une \u00e9norme vague a fait chavirer ma\nchaloupe. C\u2019est \u00e0 ce moment-l\u00e0 qu\u2019un horrible requin qui\nr\u00f4dait dans les parages m\u2019a rep\u00e9r\u00e9, s\u2019est dirig\u00e9 vers moi\net, tirant la langue, m\u2019a aval\u00e9 comme une tartelette\nbolonaise.\n\u2013 Cela fait combien de temps que vous \u00eates enferm\u00e9\nici ? \u2013 interrogea Pinocchio.\n\u2013 Depuis ce jour, il a d\u00fb s\u2019\u00e9couler deux ann\u00e9es. Deux\nann\u00e9es, mon pauvre Pinocchio, qui m\u2019ont paru deux\nsi\u00e8cles !\n\u2013 Et comment avez-vous fait pour vivre ? Et o\u00f9 avez-\nvous trouv\u00e9 cette bougie ? Et les allumettes pour\nl\u2019allumer, qui vous les a donn\u00e9es ?\n\u2013 Je vais tout te raconter. En fait, la m\u00eame tornade qui\nme fit chavirer coula aussi un navire marchand. Son\n\u00e9quipage parvint \u00e0 se sauver mais le Requin, qui avait ce\njour-l\u00e0 bon app\u00e9tit, avala aussi le b\u00e2timent.\n\u2013 Comment ? D\u2019un seul coup ? \u2013 s\u2019\u00e9tonna Pinocchio qui\nn\u2019en revenait pas.\n\u2013 Il n\u2019en fit qu\u2019une bouch\u00e9e, effectivement. Il ne rejeta\nque le m\u00e2t principal qui s\u2019\u00e9tait coinc\u00e9 dans ses dents\ncomme une vulgaire ar\u00eate de poisson. Ma grande chance\nfut que ce navire \u00e9tait charg\u00e9 de viande conserv\u00e9e dans\ndes caisses \u00e9tanches, de pain grill\u00e9, de bouteilles de vin, de\nraisin sec, de fromage, de caf\u00e9, de sucre, de bougies et de\nboites d\u2019allumettes en cire. Gr\u00e2ce \u00e0 ce v\u00e9ritable don deDieu, j\u2019ai pu survivre durant deux ans mais aujourd\u2019hui,\ncela touche \u00e0 sa fin. Il n\u2019y plus rien dans le garde-manger\net cette bougie allum\u00e9e est la derni\u00e8re qui restait.\n\u2013 Et apr\u00e8s ?\n\u2013 Apr\u00e8s, mon cher enfant, nous resterons dans le noir.\n\u2013 Alors \u2013 d\u00e9cida Pinocchio \u2013 il n\u2019y a pas de temps \u00e0\nperdre. Il faut trouver un moyen pour fuir.\n\u2013 Fuir ? Mais comment fuir ?\n\u2013 En sortant par la gueule du monstre et en se jetant \u00e0\nl\u2019eau.\n\u2013 C\u2019est vite dit, Pinocchio. Moi, je ne sais pas nager.\n\u2013 Aucune importance, mon papounet ! Vous monterez\nsur mon dos et moi, qui suis un bon nageur, je vous\nporterai jusqu\u2019\u00e0 la c\u00f4te.\n\u2013 Tu r\u00eaves, mon gar\u00e7on ! \u2013 soupira Geppetto en\nsecouant la t\u00eate et en souriant tristement \u2013 Comment une\nmarionnette comme toi, qui mesure \u00e0 peine un m\u00e8tre,\npourrait-elle avoir la force de nager avec moi sur son\ndos ?\n\u2013 Bah ! Essayons ! On verra bien ! De toutes fa\u00e7ons, s\u2019il\nest \u00e9crit que nous devions mourir tous les deux, nous\naurons au moins la consolation d\u2019\u00eatre dans les bras l\u2019un de\nl\u2019autre.\nSans ajouter un mot de plus, Pinocchio se saisit de la\nbougie et commen\u00e7a \u00e0 avancer en \u00e9clairant le chemin :\n\u2013 Suivez-moi, mon petit papa et n\u2019ayez pas peur !Longtemps, ils chemin\u00e8rent ainsi dans le corps du\nRequin, travers\u00e8rent l\u2019estomac du monstre et arriv\u00e8rent\ndans son \u00e9norme bouche. L\u00e0, ils s\u2019arr\u00eat\u00e8rent pour faire le\npoint et choisir le moment opportun pour s\u2019\u00e9chapper.\nLe Requin, qui \u00e9tait tr\u00e8s vieux, souffrait d\u2019asthme et\navait des palpitations cardiaques, si bien qu\u2019il \u00e9tait oblig\u00e9\nde dormir la bouche ouverte. Pinocchio en profita pour\nregarder au dehors. Le ciel \u00e9tait parsem\u00e9 d\u2019\u00e9toiles et un\nbeau clair de lune \u00e9clairait la mer.\n\u2013 C\u2019est le moment. \u2013 murmura-t-il \u00e0 son p\u00e8re \u2013 Le\nRequin dort comme un loir, la mer est tranquille et on y\nvoit comme en plein jour. Suis-moi, papa, et dans peu de\ntemps nous serons sauv\u00e9s\u2026\nIls s\u2019engag\u00e8rent sur la langue du monstre, une langue\naussi large qu\u2019une all\u00e9e de jardin, et ils progress\u00e8rent sur\nla pointe des pieds. Mais au moment o\u00f9 ils s\u2019appr\u00eataient \u00e0\nfaire le grand plongeon dans la mer, le Requin \u00e9ternua, ce\nqui provoqua une telle secousse que Pinocchio et\nGeppetto d\u00e9gringol\u00e8rent de nouveau dans l\u2019estomac du\nmonstre.\nDans leur chute, la bougie s\u2019\u00e9teignit et ils se\nretrouv\u00e8rent dans le noir.\n\u2013 Et maintenant, comment on va faire ? \u2013 dit Pinocchio\nd\u2019un air pr\u00e9occup\u00e9.\n\u2013 Maintenant, mon fils, nous sommes tout \u00e0 fait fichus.\n\u2013 Pourquoi fichus ? Donnez-moi la main, mon papa, et\nattention de ne pas glisser !\n\u2013 O\u00f9 veux-tu me conduire ?\u2013 Nous devons essayer encore. Venez et n\u2019ayez pas\npeur.\nPinocchio prit donc son papa par la main et, marchant\ntoujours sur la pointe des pieds, ils remont\u00e8rent dans la\ngueule du monstre, pass\u00e8rent sur sa langue et franchirent\nles trois rang\u00e9es de dents. Juste avant de plonger, la\nmarionnette se retourna vers son p\u00e8re :\n\u2013 Grimpez sur mon dos et serrez-moi fort ! Je\nm\u2019occupe du reste.\nD\u00e9s que celui-ci fut bien install\u00e9, Pinocchio, s\u00fbr de lui,\nse jeta \u00e0 l\u2019eau et commen\u00e7a \u00e0 nager. La mer \u00e9tait d\u2019huile,\nla lune brillait et le Requin continuait de dormir si\nprofond\u00e9ment qu\u2019un coup de canon ne l\u2019aurait pas\nr\u00e9veill\u00e9.Chapitre 36\nLa marionnette Pinocchio devient enfin un\nvrai petit gar\u00e7on.\nAlors que Pinocchio nageait le plus vite possible pour\nrejoindre la c\u00f4te, il s\u2019aper\u00e7ut que son papa, \u00e0 cheval sur\nson dos, avait les jambes \u00e0 moiti\u00e9 dans l\u2019eau et qu\u2019il\ntremblait fortement comme s\u2019il avait une crise de\npaludisme.\nTremblait-il de froid ou de peur ? Peut-\u00eatre des deux\nmais, optant plut\u00f4t pour la peur, Pinocchio lui dit pour le\nr\u00e9conforter :\n\u2013 Courage, papa ! Dans quelques minutes nous\narriverons sur la terre ferme et nous serons sauv\u00e9s.\n\u2013 Mais o\u00f9 est-il ce fameux rivage ? \u2013 demanda le vieil\nhomme, de plus en plus inquiet, en plissant les yeux\ncomme le font les tailleurs pour enfiler une aiguille.\n\u2013 Moi, je le vois. \u2013 assura la marionnette \u2013 Vous savez,\nje suis comme les chats qui ont une meilleure vue la nuit\nque le jour.Pinocchio faisait semblant d\u2019\u00eatre de bonne humeur. En\nr\u00e9alit\u00e9, les forces commen\u00e7aient \u00e0 lui manquer, sa\nrespiration \u00e9tait de plus en plus courte et il \u00e9tait au bord\ndu d\u00e9couragement car la c\u00f4te \u00e9tait encore tr\u00e8s loin.\nIl continua n\u00e9anmoins de nager jusqu\u2019\u00e0 ce qu\u2019il n\u2019ait\nplus du tout de souffle.\nAlors, il tourna la t\u00eate vers Geppetto et, haletant, lui\ndit :\n\u2013 Mon papa, aidez-moi\u2026 je n\u2019en peux plus ! Je crois\nque je vais mourir\u2026\nIls \u00e9taient effectivement sur le point de se noyer\nquand ils entendirent une voix de guitare d\u00e9saccord\u00e9e qui\ndemandait :\n\u2013 Qui parle de mourir ?\n\u2013 C\u2019est moi et mon pauvre papa.\n\u2013 Mais je reconnais cette fa\u00e7on de parler ! \u2013 continua la\nvoix \u00e9raill\u00e9e\n\u2013 Tu ne serais pas Pinocchio ?\n\u2013 Si, si, c\u2019est moi ! Et toi, qui es-tu ?\n\u2013 Je suis le Thon. J\u2019\u00e9tais avec toi dans le corps du\nRequin.\n\u2013 Comment as-tu fait pour t\u2019\u00e9chapper ?\n\u2013 J\u2019ai suivi ton exemple. C\u2019est toi qui m\u2019as montr\u00e9 le\nchemin et je me suis sauv\u00e9 moi aussi.\n\u2013 Ah, joli Thon, tu tombes \u00e0 pic ! Au nom de l\u2019amour\nque je te porte et que je porte \u00e0 toute ta prog\u00e9niture, jet\u2019en supplie, aide-nous, sinon nous sommes perdus.\n\u2013 De tout c\u0153ur. Accrochez-vous \u00e0 ma queue et laissez-\nvous tirer. Dans quelques minutes, nous aurons atteint le\nrivage.\nGeppetto et Pinocchio ne se le firent pas dire deux fois\nmais ils pr\u00e9f\u00e9r\u00e8rent se mettre \u00e0 califourchon sur le dos du\nThon :\n\u2013 On n\u2019est pas trop lourds ? \u2013 s\u2019inqui\u00e9ta Pinocchio.\n\u2013 Lourds ? Pas le moins le monde ! J\u2019ai l\u2019impression\nd\u2019avoir deux coquilles vides sur mon dos \u2013 affirma le\nThon qui avait la puissante stature d\u2019un veau de deux\nans.\nArriv\u00e9 sur le rivage, Pinocchio sauta \u00e0 terre, aida son\np\u00e8re \u00e0 en faire autant puis, se tournant vers le Thon, lui\ndit d\u2019une voix tr\u00e8s \u00e9mue :\n\u2013 Ami, tu as sauv\u00e9 mon papa ! Je n\u2019ai pas assez de\nmots pour te remercier. Permets-moi au moins de\nt\u2019embrasser en signe de reconnaissance \u00e9ternelle.\nLe Thon sortit son museau de l\u2019eau. Pinocchio\ns\u2019agenouilla et posa sur sa bouche un baiser tr\u00e8s\naffectueux. Ce geste si spontan\u00e9 et qui exprimait tant\nd\u2019amiti\u00e9 troubla profond\u00e9ment le Thon peu habitu\u00e9 \u00e0 ce\ngenre d\u2019effusion. Du coup, honteux qu\u2019on puisse le voir\npleurer comme un b\u00e9b\u00e9, il rentra sa t\u00eate dans l\u2019eau et\ndisparut.\nEntre-temps, le jour s\u2019\u00e9tait lev\u00e9.\nPinocchio offrit son bras \u00e0 Geppetto qui pouvait \u00e0peine tenir debout et lui dit :\n\u2013 Appuyez-vous sur moi, mon petit papa ! On va\nmarcher lentement, comme des tortues, et quand nous\nserons fatigu\u00e9s, on s\u2019arr\u00eatera.\n\u2013 Mais o\u00f9 nous emm\u00e8nes-tu ?\n\u2013 On va chercher une maison ou une cabane, en\nesp\u00e9rant que l\u2019on nous donnera un morceau de pain pour\nmanger et un peu de paille pour dormir.\nIls n\u2019avaient pas fait cent pas qu\u2019ils virent, assis sur le\nbord de la route, deux individus \u00e0 l\u2019air louche et minable\nqui demandaient l\u2019aum\u00f4ne.\nC\u2019\u00e9taient le Chat et le Renard. Ils \u00e9taient beaucoup\nmoins fringants qu\u2019autrefois. Le Chat, \u00e0 force de jouer \u00e0\nl\u2019aveugle, avait fini par perdre la vue pour de bon. Quant\nau Renard, la vieillesse l\u2019avait rendu \u00e0 moiti\u00e9 paralys\u00e9 et il\nn\u2019avait m\u00eame plus de queue. Ce triste gibier de potence\n\u00e9tait tomb\u00e9 dans une mis\u00e8re si grande qu\u2019il dut un beau\njour vendre ce superbe appendice \u00e0 un marchand\nambulant qui l\u2019acheta pour en faire un chasse-mouches.\n\u2013 Eh ! Pinocchio ! \u2013 cria le Renard d\u2019une voix\npleurnicharde \u2013 Aie piti\u00e9 de deux pauvres infirmes !\n\u2013 Infirmes ! \u2013 r\u00e9p\u00e9ta le Chat.\n\u2013 Adieu, beaux masques ! \u2013 r\u00e9pondit la marionnette \u2013\nVous m\u2019avez embobin\u00e9 une fois, mais vous ne m\u2019y\nreprendrez plus.\n\u2013 Tu vois bien, Pinocchio, qu\u2019aujourd\u2019hui nous sommes\nvraiment pauvres et malheureux !\u2013 Malheureux ! \u2013 r\u00e9p\u00e9ta le Chat.\n\u2013 Si vous \u00eates pauvres, c\u2019est bien de votre faute.\nRappelez-vous le proverbe : \u00ab Bien mal acquis ne profite\njamais \u00bb. Adieu, mes jolis !\n\u2013 Aie piti\u00e9 de nous !\n\u2013 De nous !\n\u2013 Adieu, beaux masques ! Rappelez-vous le proverbe :\n\u00ab La farine du diable en son toujours se transforme \u00bb\n\u2013 Ne nous abandonne pas !\n\u2013 Pas ! \u2013 r\u00e9p\u00e9ta le Chat.\n\u2013 Adieu, beaux masques ! Rappelez-vous le proverbe :\n\u00ab Qui vole \u00e0 autrui son manteau n\u2019aura m\u00eame pas de\nchemise pour mourir \u00bb.\nPinocchio et Geppetto continu\u00e8rent tranquillement\nleur chemin. Peu apr\u00e8s, ils d\u00e9couvrirent un sentier qui\nmenait \u00e0 une jolie chaumi\u00e8re au milieu des champs.\nElle \u00e9tait en paille mais recouverte d\u2019un toit de tuiles.\n\u2013 Cette maison est certainement habit\u00e9e \u2013 fit\nremarquer Pinocchio \u2013 Allons-y !\nIls s\u2019engag\u00e8rent dans le sentier et all\u00e8rent frapper \u00e0 la\nporte de la chaumi\u00e8re.\nUne voix t\u00e9nue se fit entendre :\n\u2013 Qu\u2019est-ce que c\u2019est ?\n\u2013 C\u2019est un pauvre papa et son pauvre enfant qui n\u2019ont\nrien pour manger ni pour dormir.\u2013 Tournez la cl\u00e9 et entrez !\nPinocchio man\u0153uvra la cl\u00e9, la porte s\u2019ouvrit et ils\npurent entrer. Mais ils eurent beau regarder partout, ils\nne virent personne.\n\u2013 O\u00f9 donc est le ma\u00eetre de ces lieux ? \u2013 s\u2019\u00e9tonna\nPinocchio.\n\u2013 Je suis l\u00e0-haut !\nLe fils et le p\u00e8re lev\u00e8rent la t\u00eate en m\u00eame temps : ils\naper\u00e7urent alors, sur une poutre du plafond, le Grillon-\nqui-parle.\n\u2013 Oh ! Mais c\u2019est mon cher grillon ! \u2013 s\u2019exclama\nPinocchio en le saluant poliment.\n\u2013 Ah bon ! Maintenant, je suis ton \u00ab cher grillon \u00bb,\nn\u2019est-ce pas ?\nRappelle-toi pourtant que tu m\u2019as envoy\u00e9 un marteau\n\u00e0 la figure pour me chasser de chez toi !\n\u2013 C\u2019est vrai, grillon ! Alors chasse-moi toi aussi et, si tu\nveux, assomme-moi avec un marteau mais aie piti\u00e9 de\nmon pauvre papa !\n\u2013 J\u2019aurai piti\u00e9 de vous deux. Mais je tenais \u00e0 te\nrappeler ta grossi\u00e8ret\u00e9 pour que tu saches qu\u2019en ce\nmonde il vaut mieux se montrer courtois envers autrui si\nl\u2019on veut, dans les moments difficiles, b\u00e9n\u00e9ficier de la\ncourtoisie des autres.\n\u2013 Tu as raison, grillon, mille fois raison et je retiendrai\nla le\u00e7on. Mais, dis-moi, comment as-tu fait pour acqu\u00e9rir\nune si belle chaumi\u00e8re ?\u2013 Elle m\u2019a \u00e9t\u00e9 donn\u00e9e hier par une gracieuse ch\u00e8vre \u00e0\nla toison bleu-nuit.\n\u2013 Et cette ch\u00e8vre, o\u00f9 est-elle all\u00e9e ?\n\u2013 Je n\u2019en sais rien.\n\u2013 Mais quand reviendra-t-elle ? \u2013 insista Pinocchio.\n\u2013 Elle ne reviendra pas. En partant, hier, elle semblait\ntr\u00e8s affect\u00e9e.\nElle avait des b\u00ealements qui semblaient dire : \u00ab Pauvre\nPinocchio\u2026 jamais je ne le reverrai\u2026 le Requin l\u2019aura bel\net bien d\u00e9vor\u00e9\u2026 \u00bb\n\u2013 C\u2019est ce qu\u2019elle a dit ? Vraiment ? Donc c\u2019\u00e9tait bien\nelle, c\u2019\u00e9tait bien ma bonne petite F\u00e9e ! \u2013 se mit \u00e0 hurler\nPinocchio en \u00e9clatant en sanglots.\nIl pleura beaucoup puis essuya ses larmes et pr\u00e9para\nun bon lit de paille sur lequel s\u2019\u00e9tendit le vieux Geppetto.\nAlors, se tournant vers le grillon :\n\u2013 Dis-moi, mon petit grillon, sais-tu o\u00f9 je pourrais\ntrouver un verre de lait pour papa ?\n\u2013 Tu trouveras du lait chez Giangio le mara\u00eecher. Il\nposs\u00e8de des vaches.\nC\u2019est le troisi\u00e8me champ \u00e0 partir d\u2019ici.\nPinocchio courut donc chez le mara\u00eecher qui lui\ndemanda :\n\u2013 Quelle quantit\u00e9 de lait veux-tu ?\n\u2013 Un verre plein.\n\u2013 Un verre de lait co\u00fbte un sou. Commence donc par\u2013 Un verre de lait co\u00fbte un sou. Commence donc par\nme donner un sou.\n\u2013 Mais je n\u2019ai m\u00eame pas un centime \u2013 r\u00e9pondit\nPinocchio, \u00e0 la fois vex\u00e9 et d\u00e9sol\u00e9.\n\u2013 Alors, jeune marionnette, rien \u00e0 faire ! Si tu n\u2019as\nm\u00eame pas un centime \u00e0 me donner, moi je n\u2019ai m\u00eame pas\nun doigt de lait \u00e0 te vendre.\n\u2013 Tant pis ! \u2013 dit Pinocchio qui n\u2019avait plus qu\u2019\u00e0 s\u2019en\naller.\n\u2013 Attends un peu ! \u2013 ajouta Giangio le mara\u00eecher \u2013 On\npeut toujours s\u2019arranger. Cela t\u2019irait de tourner la noria ?\n\u2013 La noria ? C\u2019est quoi ?\n\u2013 C\u2019est cette machine en bois qui sert \u00e0 remonter l\u2019eau\ndu puits pour arroser mes l\u00e9gumes.\n\u2013 Je vais essayer.\n\u2013 Dans ce cas, tu me tires une centaine de seaux et, en\n\u00e9change, je te donne un verre de lait.\n\u2013 D\u2019accord.\nGiangio conduisit la marionnette dans le potager et lui\nmontra comment faire fonctionner la noria. Pinocchio se\nmit imm\u00e9diatement au travail mais il n\u2019avait pas encore\ntir\u00e9 ses cent seaux d\u2019eau qu\u2019il \u00e9tait d\u00e9j\u00e0 ruisselant de\nsueur de la t\u00eate aux pieds. Jamais il n\u2019avait \u00e9prouv\u00e9 une\ntelle fatigue.\n\u2013 Jusqu\u2019\u00e0 pr\u00e9sent, c\u2019est mon \u00e2ne qui faisait ce travail\np\u00e9nible mais la pauvre b\u00eate est moribonde. \u2013 expliqua le\nmara\u00eecher.\u2013 Je pourrais le voir ? \u2013 demanda Pinocchio.\n\u2013 Bien s\u00fbr.\nEn entrant dans l\u2019\u00e9curie, Pinocchio vit un joli petit \u00e2ne\ncouch\u00e9 sur la paille, us\u00e9 par trop de travail et pas assez de\nnourriture.\nIl le regarda longuement et se dit, troubl\u00e9 :\n\u2013 Mais cet \u00e2non, je le connais ! J\u2019ai d\u00e9j\u00e0 vu sa t\u00eate\nquelque part !\nAlors, se penchant vers lui et utilisant le langage des\n\u00e2nes, il lui demanda :\n\u2013 Qui es-tu ?\nLe petit \u00e2ne parvint \u00e0 ouvrir les yeux et balbutia, dans\nle m\u00eame dialecte :\n\u2013 Je\u2026 m\u2019appelle\u2026 La\u2026 M\u00e8\u2026 che\u2026\nPuis, refermant les yeux, il expira.\n\u2013 Pauvre Lucignolo ! \u2013 soupira Pinocchio en essuyant\navec de la paille une larme qui coulait le long de sa joue.\n\u2013 Tu es \u00e9mu par un \u00e2ne qui ne t\u2019a rien co\u00fbt\u00e9 ? \u2013\ns\u2019\u00e9tonna le mara\u00eecher \u2013 Qu\u2019est-ce que je devrais dire, moi\nqui l\u2019ai pay\u00e9 quatre pi\u00e8ces d\u2019or comptant !\n\u2013 C\u2019est \u00e0 dire\u2026 c\u2019\u00e9tait mon ami !\n\u2013 Un ami ?\n\u2013 Oui, un copain de l\u2019\u00e9cole.\n\u2013 Comment ! \u2013 s\u2019esclaffa Giangio qui riait \u00e0 gorge\nd\u00e9ploy\u00e9e \u2013 Comment !Tu avais des bourricots comme camarades de classe ?\nEh bien ! Tu as d\u00fb faire de fameuses \u00e9tudes !\nLa marionnette, froiss\u00e9e par cette remarque, ne\nr\u00e9pondit rien, prit son verre de lait encore chaud et s\u2019en\nretourna \u00e0 la maison du grillon.\nIl continua, cinq mois durant, \u00e0 se lever chaque jour\navant l\u2019aube pour aller man\u0153uvrer la noria afin de gagner\nles verres de lait qui faisait tant de bien \u00e0 son papa dont la\nsant\u00e9 \u00e9tait d\u00e9licate. Non content d\u2019exercer cette t\u00e2che, il\nprofita de son temps libre pour apprendre \u00e0 fabriquer\navec du jonc corbeilles et paniers. Gr\u00e2ce \u00e0 l\u2019argent qu\u2019il\ngagnait ainsi, il r\u00e9ussit \u00e0 faire face aux d\u00e9penses\ndomestiques qu\u2019il g\u00e9rait avec beaucoup de sagesse. Parmi\nmille autres choses, il fabriqua \u00e9galement une \u00e9l\u00e9gante\ncarriole pour promener son p\u00e8re afin qu\u2019il prenne un peu\nl\u2019air quand il faisait beau.\nLors des veill\u00e9es, il s\u2019entra\u00eenait \u00e0 lire et \u00e0 \u00e9crire. Pour\nla lecture, il avait achet\u00e9 au village, pour quelques\ncentimes, un gros livre auquel il manquait les premi\u00e8res\net les derni\u00e8res pages. Pour l\u2019\u00e9criture, il utilisait une\nbrindille en guise de plume, et comme il n\u2019avait ni encre ni\nencrier, il la trempait dans un petit r\u00e9cipient rempli de jus\nde m\u00fbres et de cerises.\nIl en r\u00e9sulta que, gr\u00e2ce \u00e0 sa volont\u00e9 d\u2019apprendre, de\ntravailler et d\u2019aller de l\u2019avant, non seulement il parvint \u00e0\nsoigner son p\u00e8re toujours maladif, mais il put aussi mettre\nde c\u00f4t\u00e9 assez d\u2019argent pour s\u2019acheter un habit neuf.\nUn matin, il dit \u00e0 Geppetto :\u2013 Papa, je vais au march\u00e9 m\u2019acheter une veste, un\nchapeau et des chaussures. Et quand je rentrerai, je serai\ntellement chic que vous me prendrez pour un grand\nmonsieur.\nUne fois dehors, il se mit \u00e0 courir, tout content et\njoyeux quand, soudain, il entendit qu\u2019on l\u2019appelait par son\nnom. C\u2019\u00e9tait une belle Limace qui sortait d\u2019une haie :\n\u2013 Tu ne me reconnais pas ? \u2013 demanda la Limace.\n\u2013 C\u2019est \u00e0 dire\u2026\n\u2013 Tu ne te rappelles pas la Limace qui servait de\nfemme de chambre \u00e0 la F\u00e9e aux cheveux bleu-nuit ? De\ncette nuit o\u00f9 je suis descendue pour te donner de la\nlumi\u00e8re alors que tu avais un pied coinc\u00e9 dans la porte de\nsa maison ?\n\u2013 Oui, oui, je me rappelle tout \u2013 s\u2019exclama Pinocchio \u2013\nR\u00e9ponds-moi vite, jolie Limace ! O\u00f9 as-tu laiss\u00e9e ma\nbonne F\u00e9e ? Que fait-elle maintenant ? M\u2019a-t-elle\npardonn\u00e9 ? Ne m\u2019a-t-elle pas oubli\u00e9 ? Est-ce qu\u2019elle\nm\u2019aime toujours ? Elle est loin d\u2019ici ? Je pourrais la\nretrouver ?\nA toutes ces questions formul\u00e9es par la marionnette\ndans la plus grande pr\u00e9cipitation et sans m\u00eame reprendre\nsouffle, la Limace r\u00e9pondit avec son flegme coutumier :\n\u2013 Ah, mon pauvre Pinocchio ! Ta bonne F\u00e9e g\u00eet sur un\nlit d\u2019h\u00f4pital !\n\u2013 Elle est \u00e0 l\u2019h\u00f4pital ?\n\u2013 Malheureusement ! Elle a eu bien des malheurs !Maintenant, elle est gravement malade et n\u2019a m\u00eame plus\nde quoi s\u2019acheter un morceau de pain.\n\u2013 Oh, quelle peine tu me fais ! Pauvre, pauvre F\u00e9e ! Si\nj\u2019avais un million, je volerais jusqu\u2019\u00e0 elle pour le lui\ndonner. Mais je n\u2019ai que ces quarante sous, juste de quoi\nm\u2019acheter des v\u00eatements. Prends-les, Limace, et porte-\nles imm\u00e9diatement \u00e0 ma bonne F\u00e9e.\n\u2013 Mais tes v\u00eatements ?\n\u2013 Que m\u2019importe de nouveaux habits ! Je vendrais les\nhaillons que je porte si cela pouvait l\u2019aider. Va, Limace !\nD\u00e9p\u00eache-toi ! Et d\u2019ici deux jours, reviens \u00e0 cet endroit !\nPeut-\u00eatre pourrais-je te donner encore un peu d\u2019argent.\nJusqu\u2019\u00e0 pr\u00e9sent, j\u2019ai travaill\u00e9 pour aider mon papa.\nD\u00e9sormais, je travaillerai cinq heures de plus pour ma\nmaman. Au revoir, Limace ! A apr\u00e8s-demain !\nLa Limace, contrairement \u00e0 son habitude, fila comme\nun l\u00e9zard sortant de son trou au plus fort de la canicule du\nmois d\u2019ao\u00fbt.\nQuand Pinocchio fut revenu chez lui, Geppetto lui\ndemanda :\n\u2013 Et cette veste neuve ?\n\u2013 Impossible d\u2019en trouver une qui m\u2019aille ! Ce n\u2019est pas\ngrave : je l\u2019ach\u00e8terai une autre fois.\nEt ce soir-l\u00e0, au lieu de veiller jusqu\u2019\u00e0 dix heures,\nPinocchio travailla jusqu\u2019\u00e0 minuit tapant. Au lieu de huit\npaniers, il en fit seize.\nA peine couch\u00e9, il s\u2019endormit. Mais dans son sommeil,il vit en songe la F\u00e9e, souriante et \u00e9blouissante de beaut\u00e9,\nqui lui dit ceci apr\u00e8s lui avoir donn\u00e9 un baiser :\n\u2013 Bravo Pinocchio ! Parce que tu as si bon c\u0153ur, je te\npardonne pour toutes les b\u00eatises que tu as faites jusqu\u2019\u00e0\naujourd\u2019hui. Les enfants qui s\u2019occupent tendrement de\nleurs parents quand ils sont dans la g\u00e8ne ou qu\u2019ils sont\nmalades m\u00e9ritent toujours louanges et affection. M\u00eame\ns\u2019ils ne sont pas toujours des mod\u00e8les d\u2019ob\u00e9issance et de\nbonne conduite. Si, \u00e0 l\u2019avenir, tu deviens raisonnable, tu\ntrouveras le bonheur.\nLe r\u00eave s\u2019achevait ainsi. Mais, \u00e0 son r\u00e9veil, Pinocchio\nouvrit de grands yeux.Car, figurez-vous qu\u2019en se r\u00e9veillant Pinocchio\nd\u00e9couvrit, \u00e9merveill\u00e9, qu\u2019il n\u2019\u00e9tait plus une marionnette\nen bois, qu\u2019il ressemblait enfin \u00e0 un enfant comme un\nautre ! La pi\u00e8ce aux murs nus de la cabane en paille \u00e9tait\ndevenue une jolie chambre meubl\u00e9e et d\u00e9cor\u00e9e avec une\n\u00e9l\u00e9gante simplicit\u00e9. Sautant du lit, il d\u00e9couvrit aussi un\ncostume neuf, un nouveau chapeau et une paire de\nbottines en cuir qui lui all\u00e8rent parfaitement.\nEn mettant machinalement les mains dans les poches\nde ses nouveaux habits, il trouva un petit porte-monnaie\nd\u2019ivoire sur lequel \u00e9tait grav\u00e9 : \u00ab La F\u00e9e aux cheveux\nbleu-nuit rembourse ses quarante sous \u00e0 son cher petitPinocchio et le remercie pour sa g\u00e9n\u00e9rosit\u00e9 \u00bb. Mais les\nquarante sous n\u2019\u00e9taient plus de vulgaires pi\u00e8ces en cuivre.\nLe porte-monnaie contenait quarante sequins en or,\nflambant neuf et brillant de tous leurs feux.\nIl alla se contempler dans le miroir et ne se reconnut\npas. L\u2019image famili\u00e8re d\u2019une marionnette en bois avait\ndisparu. A sa place souriait joyeusement un beau petit\ngar\u00e7on \u00e0 l\u2019air vif et intelligent, aux cheveux ch\u00e2tains et\naux yeux bleus.\nTous ces \u00e9v\u00e8nements merveilleux se succ\u00e9daient si\nvite que Pinocchio ne savait plus s\u2019il \u00e9tait vraiment \u00e9veill\u00e9\nou s\u2019il continuait de r\u00eaver les yeux ouverts.\n\u2013 Et mon papa dans tout cela ? \u2013 cria-t-il soudain.\nIl entra dans la pi\u00e8ce voisine et y trouva le vieux\nGeppetto en pleine forme, guilleret et de tr\u00e8s bonne\nhumeur, comme autrefois. Retrouvant son m\u00e9tier de\nsculpteur sur bois, il \u00e9tait en train de fabriquer un\nmagnifique cadre orn\u00e9 de feuillages, de fleurs et de t\u00eates\nd\u2019animaux. Pinocchio lui sauta au cou et le couvrit de\nbaisers :\n\u2013 Comment expliquer tout ce changement, mon petit\npapa ?\n\u2013 Tout cela, c\u2019est gr\u00e2ce \u00e0 toi \u2013 r\u00e9pondit Geppetto\n\u2013 Gr\u00e2ce \u00e0 moi ?\n\u2013 Mais oui. Quand les sales gosses deviennent de bons\npetits, ils ont aussi le pouvoir de transformer toute leur\nfamille.\u2013 Et le vieux Pinocchio en bois, qu\u2019est-il devenu ?\n\u2013 Il est l\u00e0.\nLa grande marionnette \u00e9tait contre une chaise, la t\u00eate\npenchant sur le c\u00f4t\u00e9, les bras ballants, les jambes\nemm\u00eal\u00e9es et \u00e0 demi repli\u00e9es. A se demander comment\nelle pouvait tenir debout.\nPinocchio la regarda un moment avec attention puis\npoussa un grand soupir de satisfaction :\n\u2013 Quel dr\u00f4le d\u2019air j\u2019avais quand j\u2019\u00e9tais une\nmarionnette ! Et comme je suis content d\u2019\u00eatre devenu un\nvrai et bon petit gar\u00e7on !\nFINNote du traducteur\nCette traduction veut avant tout rester fid\u00e8le \u00e0 l\u2019esprit\ndu texte de Carlo Collodi en cherchant \u00e0 \u00e9viter toute\ntentation interpr\u00e9tative comme toute mise en forme un\npeu recherch\u00e9e qui auraient eu pour effet de trahir un\nstyle volontairement simple, net, tr\u00e8s pr\u00e9cis. C\u2019est\nd\u2019ailleurs justement ce style n\u2019aimant ni les fioritures ni\nles effets de plume qui a permis \u00e0 la langue \u00e9crite de Carlo\nCollodi de ne pas vieillir, bien que plus d\u2019un si\u00e8cle nous\ns\u00e9pare d\u2019elle. Si le passage d\u2019une langue \u00e0 l\u2019autre n\u00e9cessite\nforc\u00e9ment quelques am\u00e9nagements, l\u2019essentiel de ce\nconte du 19e si\u00e8cle italien a encore l\u2019\u00e9trange pouvoir de se\nglisser avec aisance dans le gant de la langue fran\u00e7aise du\n21e si\u00e8cle. Ce n\u2019est pas la moindre des qualit\u00e9s de cet\ninusable Pinocchio.\nCes qualit\u00e9s sont multiples. Notamment : plong\u00e9e\nsaisissante de justesse dans le monde de l\u2019enfance,\nplaidoyer toujours \u00e9mouvant en faveur de l\u2019instruction\nseule capable d\u2019\u00e9viter la mis\u00e8re et les naufrages humains,\npuissante parabole sur la paternit\u00e9 (Geppetto) comme sur\nla maternit\u00e9 (La F\u00e9e), pamphlet \u00e9gratignant avec humour\nquelques institutions (m\u00e9decine, justice, monde politique),\nhommage \u00e0 la Nature dont les habitants \u2013 les animaux \u2013\nne cessent d\u2019intervenir dans l\u2019itin\u00e9raire brouillon de lamarionnette comme autant de balises lui servant de\nguides ou de repoussoirs\u2026 le tout en un savant\nenchev\u00eatrement m\u00ealant intimement merveilleux et\nr\u00e9alit\u00e9. On n\u2019en finit pas de d\u00e9couvrir de nouvelles raisons\nd\u2019aimer ce grand roman de l\u2019enfance sage et fou \u00e0 la fois et\n\u00e0 la g\u00e9n\u00e9rosit\u00e9 d\u00e9bordante.\nIl semble convenu, aujourd\u2019hui, de traduire\n\u00ab burattino \u00bb par \u00ab pantin \u00bb. Mais ce terme a une\nconnotation p\u00e9jorative et il lui a donc \u00e9t\u00e9 pr\u00e9f\u00e9r\u00e9\n\u00ab marionnette \u00bb, plus ludique donc plus en accord avec la\npersonnalit\u00e9 fantaisiste du jeune h\u00e9ros de cette histoire.\nClaude Sartirano\nhttp://perso.wanadoo.fr/claude.sartirano/Biographie\nCarlo Lorenzini, dit Collodi, est n\u00e9 \u00e0 Florence en 1826\ndans une famille modeste. Collodi, son pseudonyme\nd\u2019\u00e9crivain et de journaliste, est le nom du village natal de\nsa m\u00e8re o\u00f9 lui-m\u00eame s\u00e9journa enfant. Apr\u00e8s des \u00e9tudes\ndans une \u00e9cole religieuse, il r\u00e9dige des notes pour une\nbiblioth\u00e8que de la capitale toscane et entreprend\nparall\u00e8lement une carri\u00e8re de journaliste qui l\u2019am\u00e8ne \u00e0\nfonder en 1848 son propre journal, Il Lampione (Le\nR\u00e9verb\u00e8re), o\u00f9 il exerce sa verve satirique. Interdit\nl\u2019ann\u00e9e suivante, il lance alors La Scaramuccia\n(L\u2019Escarmouche), \u00e0 l\u2019existence \u00e9galement \u00e9ph\u00e9m\u00e8re.\nPatriote, il s\u2019engagera pour lutter contre l\u2019oppression\nautrichienne en 1848 ainsi qu\u2019en 1859, cette fois aux c\u00f4t\u00e9s\nde Garibaldi.\nSon \u0153uvre proprement litt\u00e9raire \u2013 romans et pi\u00e8ces\nde th\u00e9\u00e2tre \u2013 reste confidentielle jusqu\u2019\u00e0 1875, ann\u00e9e o\u00f9 il\ntraduit pour un \u00e9diteur florentin \u00ab Les Contes de\nPerrault \u00bb. Ce travail lui ouvre des horizons nouveaux et il\nva d\u00e9sormais se consacrer avec succ\u00e8s aux livres pour\nenfants, notamment la s\u00e9rie des Giannettino (Jeannot), o\u00f9\nil tente de d\u00e9poussi\u00e9rer un genre en vogue \u00e0 l\u2019\u00e9poque : la\nnarration \u00e0 but \u00e9ducatif. C\u2019est dans la foul\u00e9e de cette\nactivit\u00e9 litt\u00e9raire plus ou moins personnelle qu\u2019il vaconfier en 1881 au \nGiornale per i Bambini\n (Journal des\nEnfants) un feuilleton de \u00ab pur divertissement \u00bb intitul\u00e9\n\u00ab Histoire d\u2019une marionnette \u00bb. On sait que cette\npremi\u00e8re mouture des \u00ab Aventures de Pinocchio \u00bb\ns\u2019arr\u00eatait \u00e0 la fin du chapitre 15 de la pr\u00e9sente version,\nc\u2019est \u00e0 dire \u00e0 la mort annonc\u00e9e de son h\u00e9ros, pendu \u00e0 un\narbre par des brigands. Il fallut toute la t\u00e9nacit\u00e9 de ses\njeunes lecteurs qui exigeaient une suite pour que Collodi,\nqui avait la r\u00e9putation d\u2019\u00eatre plut\u00f4t paresseux, se remette\n\u00e0 l\u2019ouvrage et termine, bien des p\u00e9rip\u00e9ties plus tard, son\nchef d\u2019\u0153uvre qui sera publi\u00e9 en volume d\u00e9s 1883.\nD\u2019autres contes suivront qui n\u2019auront \u00e9videmment pas\nle retentissement de ce texte g\u00e9nial diffus\u00e9 et traduit dans\nle monde entier. Collodi meurt en 1890 dans sa ville\nnatale. Ses manuscrits sont conserv\u00e9s par la Biblioth\u00e8que\nCentrale de Florence\nClaude Sartirano\nhttp://perso.wanadoo.fr/claude.sartirano/\u00c0 propos de cette \u00e9dition\n\u00e9lectronique\nTexte libre de droits.\nCorrections, \u00e9dition, conversion informatique et publication\npar le groupe :\n \nEbooks libres et gratuits\nhttp://fr.groups.yahoo.com/group/ebooksgratuits\n \nAdresse du site web du groupe :\nhttp://www.ebooksgratuits.com/\n\u2013\nJanvier 2004\n\u2013\n\u2013 \nSource texte :\nIl s\u2019agit du site du traducteur, auquel nous tenons \u00e0\nrendre un hommage pour la qualit\u00e9 de son travail, et\npour le don qu\u2019il a fait de sa traduction \u00e0 la\ncommunaut\u00e9.\nhttp://perso.wanadoo.fr/claude.sartirano/ \n\u2013 \nDispositions :\nLes livres que nous mettons \u00e0 votre disposition, sont\ndes textes libres de droits, que vous pouvez utiliser\nlibrement, \n\u00e0 une fin non commerciale et non\nprofessionnelle\n. 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