diff --git "a/results_multilingual_librispeech/log_facebook_multilingual_librispeech_french_test_targets.txt" "b/results_multilingual_librispeech/log_facebook_multilingual_librispeech_french_test_targets.txt" new file mode 100644--- /dev/null +++ "b/results_multilingual_librispeech/log_facebook_multilingual_librispeech_french_test_targets.txt" @@ -0,0 +1,4852 @@ +0 +grisé par ce parfum il fit des vers en l'honneur de l'humble fleur des bois et il les récita tout haut à ses pieds une violette l'entendit elle crut qu'il ne parlait que pour elle +1 +car elles poussent dans les bois obscurs à l'ombre d'autres plantes et même elles cachent leur visage délicat derrière leurs grandes feuilles vertes comme font les jeunes filles timides derrière leur éventail or un jour un poète se promena dans une forêt où il y avait beaucoup de violettes qui embaumaient l'air délicieusement +2 +ah mes enfants mes chers enfants chevrotait la chèvre en essuyant ses yeux avec un coin de son tablier mais retrouvant son courage elle prit son dernier-né par la main et se mit à la recherche du loup +3 +au bout de quelque temps la mère cane entendit dans l'intérieur des onze oeufs ordinaires de petits coups de bec puis des pépiements puis elle vit sortir des coquilles onze petits canards charmants habillés de duvet jaune mais le douzième oeuf tardait à éclore +4 +de florian et même comme pour le bélier du chanoine schmid la guerre suspendit la publication de l'alphabet aujourd'hui seulement la maison mame offre aux enfants illustré par job ce dernier livre de leur grand ami qui a su conserver jusqu'à la fin son âme tendre et puérile +5 +tout le monde connaît les contes charmants écrits pour ses filleules et ses filleuls comme les idées de liette les amoureux de la princesse lilli boum cette étrange petite fille de bagdad et celui en marge des contes de perrault le lapin blanc et les trèfles à quatre feuilles +6 +chapitre dix de a b c petits contes de jules lemaître enregistré pour librivox point org ibis dans la basse-cour d'un château se trouva parmi toutes sortes de volailles un ibis rose +7 +pauvre petit dit la mère-grand le fait est que tu n'es pas bien joli mais cela vient de ce que tu es fatigué et triste attends un peu que je t'examine tu me rappelles un petit-fils que j'ai perdu +8 +chapitre vingt de a b c petits contes de jules lemaître enregistré pour librivox point org sapin il y avait un petit sapin qui rêvait d'être mât de navire afin de voyager et de voir le monde +9 +chapitre cinq de a b c petits contes de jules lemaître enregistré pour librivox point org demoiselle savez-vous ce que c'est qu'une demoiselle +10 +un bahut mystérieux de sa bibliothèque qui répandait alors sur le tapis les jouets les plus inattendus collectionnés avec presque autant d'amour que les livres c'est ainsi qu'il fut amené à écrire un alphabet il le commença l'été de mille neuf cent treize à royan où il fit un assez long séjour +11 +alors xavier dit je voudrais être le cheval comme tu voudras dit le petit maurice le petit jean qui faisait toujours le chien aboyait de toutes ses forces courait à droite et à gauche et semblait très content alors xavier dit je voudrais être le chien +12 +elle ne fut pas longtemps à le trouver qui dormait sur ses deux oreilles derrière le puits et qui ronflait de toutes ses forces attends brigand dit la mère chèvre tu vas voir +13 +personne ne voulait jouer avec lui et le pauvre petit fut bien malheureux il tendait son cou trop long vers le ciel comme pour dire ah pourquoi suis-je né +14 +il voulut aussi leur fabriquer des casquettes mais les escargots dirent non merci et rentrèrent leurs cornes les trois enfants préparèrent une piste dans le jardin avec des poteaux au bout et une tribune avec des roses et des oeillets qui figuraient les dames élégantes +15 +une de ses dernières joies en mai mille neuf cent quatorze alors que le médecin lui avait défendu tout travail inventif fut de recopier lui-même d'une écriture de plus en plus menue et immatérielle les contes enfantins +16 +la pintade se moquait de son nez d'ivrogne et un caneton poussa l'impertinence jusqu'à lui demander combien les baguettes qui lui servaient de jambes lui avaient coûté le centimètre +17 +quelques jours plus tard la guerre survint et jules lemaître eut une crise cardiaque qui devait l'emporter cependant il songea à me recommander la correction des épreuves et par un scrupule excessif me chargea d'indiquer que tous les contes n'étaient pas entièrement de son imagination mais qu'il s'était inspiré parfois +18 +mais à cause de cette longueur de leurs pattes les kangourous étaient devenus extrêmement voleurs ils n'avaient qu'à étendre le bras pour attraper les branches et cueillir les plus beaux fruits qu'ils enfouissaient ensuite dans la grande poche qu'ils portent sur le ventre +19 +il avait oublié de manger le septième petit biquet qui s'était caché sous le lit aussi quand la mère chèvre revint du marché avec un panier au bras ce fut ce petit biquet qui lui apprit que le loup avait mangé ses six petits frères +20 +et en effet tout à coup elle perdit l'équilibre elle voulut se retenir à la table elle se cramponna à la nappe et patatras tout se renversa sur elle et sur sa chaise tout les plats les bouteilles les verres les fourchettes et la crème +21 +le peuple des fourmis dit mme escargot est un peuple actif qui va et vient sans cesse sur les routes de france et qui doit connaître beaucoup de gens et être au courant de beaucoup de choses nous allons demander aux fourmis si elles ne connaîtraient pas une jeune fille digne d'épouser notre escargoton +22 +chapitre huit de a b c petits contes de jules lemaître enregistré pour librivox point org gateau on avait donné à deux enfants un gros gâteau et un petit en leur disant partagez +23 +oreille quand noé eut rassemblé les animaux devant l'arche il se dit +24 +si nous mettions des salades au lieu de poteaux et vite au bout de la piste les enfants plantèrent trois belles salades quand les tortues virent cette appétissante verdure elles se mirent en marche toutes seules et celle de jean avança si rapidement que son jockey je veux dire son escargot roula à terre +25 +le quarante et unième jour noé dit aux animaux voilà le beau temps revenu je vais vous rendre vos oreilles et vous pourrez retourner chez vous alors l'une après l'autre toutes les bêtes passèrent au vestiaire et elles reçurent leurs oreilles en échange du numéro +26 +quand il fut grand on l'abattit on le dépouilla de son écorce et il devint selon son voeu grand mât sur une frégate mais il s'ennuyait à cause de la longueur et de la monotonie des traversées +27 +quand tout fut terminé la mère et les enfants allèrent se cacher pour voir ce que ferait le loup au bout d'un moment il se réveilla se frotta les paupières puis se tâta le ventre +28 +mathieu le lui apprit robert vendit à une vieille marchande de bric-à-brac ses jouets mécaniques devenus inutiles et avec les sous qu'il en retira il acheta des gâteaux que les deux enfants mangèrent de grand appétit +29 +et bien que cela inquiétât un peu la mère elle se disait l'enfant n'en sera que plus beau et patiemment elle se remit à couver mais quand enfin l'oeuf éclata la pauvre mère fut épouvantée +30 +il y avait une fois un monsieur et une madame escargot qui vivaient sur un chou ils étaient gros gras et luisants et ils auraient pu être heureux mais ils n'avaient pas d'enfant et cela leur manquait beaucoup +31 +elle eut mal aux bras et aux jambes et on dut l'emporter dans son lit médor et minouche se lamentèrent d'abord puis ils se consolèrent en mangeant sous la table la crème et les gâteaux +32 +le chameau arriva l'avant-dernier il ne restait plus que deux paires d'oreilles les siennes très grandes et celles de l'âne toutes petites mais avant que le bon chameau pût montrer son numéro l'âne lui passa entre les jambes et se mit à brailler +33 +quelle chance s'écria-t-elle c'est du sirop de groseille vite mes petits venez vous régaler mais les ratons glissaient sur le ventre du tonneau et ne pouvaient arriver au sommet +34 +et bulbul serait mort de faim si la petite fille de la cuisinière ne l'avait adopté mais à force de remonter le rossignol mécanique la clef cassa et l'oiseau cessa de chanter +35 +comme il ne trouva personne en bas il monta par l'escalier au premier étage où il y avait la belle chambre des parents de berthe avec une armoire à glace +36 +et tirant de son panier un couteau de cuisine d'un seul coup elle fend le ventre du loup dans toute sa longueur et les six petits biquets sautent au cou de leur mère car le loup les avait avalés si goulûment qu'il n'avait pas pris le temps de les mâcher et qu'ils étaient encore en vie +37 +chapitre vingt et un de a b c petits contes de jules lemaître enregistré pour librivox point org tortue jean pierre et paul étaient allés aux courses avec leurs parents ils avaient vu courir des chevaux et cela les avait beaucoup amusés +38 +alors la chèvre et ses sept petits dansèrent autour du puits une ronde joyeuse fin du chapitre treize enregistré par sonia cet enregistrement fait partie du domaine public +39 +dit le vilain petit canard que ces oiseaux sont beaux pour sûr ils me chasseront car je suis trop laid et il se disposait à se retirer lorsqu'une grand'mère cygne qui se reposait sur la rive l'interpella +40 +nous allons bien voir si c'est une princesse pensa la reine elle ordonna aux servantes de préparer un lit pour la jeune fille mais de mettre un pois sous les vingt matelas qui composaient ce lit le lendemain la reine demanda à la jeune fille comment elle avait dormi +41 +vingt fois cent fois la mère rat alla de la bonde au bord du tonneau en quelques jours il fut à moitié vide et la queue de la mère rat n'était plus assez longue pour tremper dans ce qui restait de sirop mais un peu plus loin il y avait un autre baril qui était à moitié défoncé +42 +on ne savait pas ce qu'ils contenaient mais un jour la mère rat découvrit un tonneau dont la bonde était partie elle flaira puis elle plongea sa queue dans le trou et la retira pour goûter +43 +et quand les parents de l'hirondelle revinrent des pays chauds les enfants ouvrirent la cage la petite hirondelle reconnut sa mère et avec des cris de joie elle se jeta dans ses ailes +44 +les oiseaux la prirent pour un épi et se mirent à en picorer les grains alors vite avec l'autre patte le chat les attrapa bientôt les moineaux s'aperçurent du piège et ils cherchèrent un autre champ +45 +bonjour la mère âne bonjour mes fils leur répondit-elle l'âne eut l'air de se moquer d'eux à son tour en remuant ses oreilles et les méchants garçons ne trouvèrent plus rien à dire +46 +chapitre deux de a b c petits conte de jules lemaître enregistré pour librivox point org âne il y avait dans un village une pauvre vieille femme qui n'avait pour toute compagnie qu'un petit âne +47 +et ayant dit la fée changea la violette des bois en une violette de parme et voilà pourquoi les violettes de parme n'ont pas de parfum +48 +et de se savoir ainsi chantée par un poète cela lui fit oublier toute modestie elle allongea son cou derrière ses feuilles tourna vaniteusement sa tête à gauche et à droite et se mira avec complaisance dans une grosse goutte de rosée qui était restée pendue à un brin d'herbe +49 +jouons je serai le cocher maurice sera le cheval et jean sera le chien qui aboie après la voiture maurice fit très bien le cheval il hennissait levait les pieds très haut et paraissait s'amuser beaucoup +50 +des ailes aussi délicates que la mousseline de vos robes et parce qu'elle se pose souvent au bord de sa feuille pour se regarder dans l'eau comme les vraies demoiselles se regardent dans leur miroir +51 +personne ne put le raccommoder et l'empereur devint si triste qu'il tomba gravement malade mais une nuit qu'il était près de mourir il entendit soudain à côté de son lit une voix si mélodieuse qu'il se sentit revenir à la vie +52 +et maintenant je suis tout sec tout nu et tout seul ah si j'avais su si seulement j'avais pu être mât de cocagne et il soupira si fort que tous les cordages en craquèrent +53 +il alla tremper une de ses pattes de devant dans le ruisseau puis il courut au moulin la plonger dans un tas de millet en grain de façon que les grains restèrent collés autour de sa patte mouillée ainsi +54 +un jour vint à passer près de leur chou un pauvre petit escargot maigre qui leur demanda l'aumône ils le questionnèrent et ils apprirent qu'il était orphelin aussitôt madame escargot tout attendrie dit à son mari si nous l'adoptions +55 +un jour c'était un dimanche il y avait un très bon déjeuner une crème au chocolat et beaucoup de gâteaux yvonne avait promis d'être sage parce qu'elle ne voulait pas être privée de dessert au commencement tout alla bien +56 +pour faire ce long voyage les mères hirondelles rassemblent leurs petits autour d'elles mais une pauvre petite hirondelle qui était tombée du nid un jour de grand vent boitait encore un peu et ne put pas s'envoler avec ses frères et soeurs +57 +elle l'aimait beaucoup car il était intelligent et bon et il paraissait content de porter sur son dos les légumes du jardin au marché de la ville mais de méchants garçons se moquaient de la vieille femme et de son petit âne quand ils la rencontraient un jour ils crièrent à la vieille femme +58 +c'est ironique et trop bref comme les peuples primitifs les enfants détestent l'esprit et adorent les détails amplifions avec simplicité et le lendemain il recommençait son conte +59 +flatté l'ibis marchait de long en large il leur parlait de sa patrie l'égypte du nil des autruches des pyramides et des minarets du caire +60 +onze de ces oeufs ressemblaient à tous les oeufs de cane mais le douzième était plus gros et d'une espèce différente la canne était très fière de cet oeuf elle le montrait à toutes les voisines qui venaient la voir et elle disait voyez comme il est gros je suis sûre qu'il en sortira un superbe caneton +61 +elle gigotait elle se penchait à droite à gauche en avant en arrière elle descendait de sa chaise pour jouer avec le chien médor ou elle prenait la chatte minouche sur ses genoux sa mère la grondait son père la punissait mais yvonne ne se corrigeait pas +62 +chaque enfant alla donc chercher sa tortue puis ils choisirent trois beaux escargots qui seraient les jockeys jean apporta sa boîte à couleurs et il peignit à chaque escargot une casaque différente une jaune une rouge une verte +63 +toutes ces bêtes vont sûrement se disputer et se mordre les oreilles il serait donc prudent de leur enlever les oreilles avant leur entrée dans l'arche on les leur rendra à la sortie il fit installer un vestiaire et donna l'ordre à ses fils d'y ranger les oreilles à mesure que les bêtes se présenteraient +64 +moi dit séphora la gourmande je crois que c'est du sucre si seulement on pouvait goûter mais daniel leur grand frère qui avait tout entendu se mit à rire +65 +à paris dans son grand atelier de la rue d'artois tapissé de l'or pâli des précieuses reliures jules lemaître se plaisait à recevoir des enfants les comblait de gâteaux et de sucreries et ouvrait pour eux +66 +chapitre dix neuf de a b c petit conte de jules lemaître enregistré pour librivox point org rossignol l'empereur de chine avait dans son jardin un rossignol qui s'appelait bulbul et qui était son ami +67 +les onze frères et soeurs se moquaient de lui et la mère elle-même quand elle conduisait ses enfants à la mare avait honte de lui parce que tout le monde disait sur son passage oh voyez donc ce vilain petit canard +68 +appliquez-vous donc à bien apprendre votre alphabet et à lire ces contes et je vous jure qu'on ne dira jamais de vous la petite marie le petit jean oh c'est un zéro +69 +rentrés à la maison jean dit à ses frères si nous faisions courir nous aussi mais nous n'avons pas de chevaux répondit pierre qu'est-ce que cela fait nous avons chacun une tortue et des tortues peuvent tout aussi bien courir que des chevaux plus lentement voilà tout +70 +un jour que sa mère était au marché berthe alla jouer dans le jardin en oubliant selon son habitude de fermer la porte le bélier de la ferme s'échappa de la bergerie et entra tranquillement dans la maison +71 +bulbul venait manger dans sa main et la nuit quand l'empereur ne pouvait pas dormir bulbul chantait si bien que l'empereur oubliait tous les soucis de son métier mais un jour son ministre lui dit je connais un rossignol qui chante aussi le jour et qui a un bien beau plumage +72 +quand le bélier vit son image dans cette glace il crut que c'était un autre bélier et il le menaça de ses cornes mais l'autre fit le même mouvement +73 +or un jour d'orage on sonna à la grille du château le roi alla ouvrir lui-même et il trouva devant la grille une jeune fille dont les vêtements étaient trempés les cheveux défaits et les souliers couverts de boue +74 +se dit-il ma patte ressemblera à un gros épi de millet et les oiseaux s'y laisseront prendre à cloche-pied il gagne le champ de millet s'y couche sur le dos et lève la patte en l'air +75 +elle arriva la première au but et pour sa récompense on lui donna à manger les poteaux je veux dire les salades et même les roses et les oeillets de la tribune qui figuraient les dames élégantes +76 +chapitre vingt cinq de a b c petits contes de jules lemaître enregistré pour librivox point org yvonne yvonne était une petite fille qui ne pouvait pas se tenir tranquille à table +77 +le mât entendit même leurs petits coeurs battre et leurs plumes qui le frôlaient faisaient comme un bruissement de feuilles il écoutait ce qu'elles disaient entre elles elles parlaient justement de son pays d'où elles venaient +78 +et celle que tu as prise pour ta mère n'était que ta couveuse pauvre petit orphelin viens sur mon coeur puis la grand-mère appela tous les autres cygnes et elle leur raconta l'histoire du vilain petit canard +79 +et le pauvre sapin se sentit si heureux qu'il s'endormit en se figurant qu'on l'avait ramené dans sa forêt fin du chapitre vingt enregistré par sonia cet enregistrement fait partie du domaine public +80 +il en reçut les épreuves à tavers fin juillet déjà la cécité verbale l'avait accablé il regarda mélancolique les images puis dit avec un navrant sourire je vais réapprendre à lire dans mon propre alphabet +81 +alors la mère escargot dit au père escargot mon ami il faut marier notre fils il faut lui chercher une jolie fille de notre monde afin que nous ayons de beaux petits-enfants j'allais te le proposer répondit le mari mais à qui nous adresser pour cela +82 +ainsi ils dépouillaient les arbres du paradis les autres bêtes qui ne pouvaient pas en faire autant se plaignirent au bon dieu le bon dieu fit venir devant lui les kangourous et pour qu'il leur fût plus difficile de voler les fruits il leur raccourcit les pattes de devant +83 +chapitre douze de a b c petits contes de jules lemaître enregistré pour librivox point org kangourou du temps où les kangourous vivaient dans le paradis terrestre leurs pattes de devant étaient aussi longues que celles de derrière +84 +quel dommage que ce ne soit pas du sucre soupira séphora en passant sa langue sur la vitre fin du chapitre quinze enregistré par sonia cet enregistrement fait partie du domaine public +85 +mais cela peut signifier aussi l'endroit où l'on vit où l'on a ses habitudes et où l'on est heureux ainsi la salle à manger est l'univers de la mouche l'étang est l'univers du poisson la prairie est l'univers de la vache la forêt est l'univers du lapin +86 +c'est bien ennuyeux fin du chapitre vingt quatre enregistré par sonia cet enregistrement fait partie du domaine public +87 +monsieur noé monsieur noé donnez-moi mes oreilles c'est cette grande paire-là je suis très pressé le père noé était si fatigué qu'il ne fit pas attention au faux numéro que lui remit l'âne sournois tu me casses la tête tiens voilà ton bien décampe +88 +sa queue s'était enfoncée dans un tonneau de glu +89 +mais sa mère qui regardait jouer les trois enfants dit à xavier je crois bien que tu voudrais être à la fois le cocher le cheval et le chien oh oui dit xavier mais on ne peut pas être tout il faut choisir +90 +zéro dans la vie quand on n'est bon à rien les autres vous appellent un zéro +91 +ah disait-elle que je suis jolie et que je sens bon je dois être plus jolie que les autres fleurs et mon parfum doit être plus agréable que tous les autres parfums de la forêt puisque c'est sur moi seule que le poète a fait des vers +92 +justement nous avons ce qu'il vous faut à quelques mètres d'ici dans le trou d'un vieux mur vit une demoiselle escargot de la plus jolie coquille dont on a dernièrement fait cuire les parents la pauvrette est toute seule au monde +93 +chapitre quinze de a b c petits contes jules lemaître enregistré pour librivox point org neige quatre petites filles regardaient par la fenêtre la neige tomber elles étaient nées en orient où il ne fait jamais très froid et c'était la première fois qu'elles voyaient de la neige +94 +mais à ce moment passa la vieille fée des bois qui est la surveillante des fleurs avec sa baguette elle donna une tape sur la joue de la violette petite impudente +95 +furieux il se dressa sur ses pattes mais l'autre se dressa aussi alors le bélier se jeta de toutes ses forces contre la glace et il la brisa en mille morceaux puis il descendit l'escalier et quitta la maison très fier d'avoir mis l'autre bélier en fuite +96 +et noé donna les superbes oreilles du chameau à l'âne qui s'enfuit en pétaradant de joie quand le chameau ouvrit enfin ses babines pour réclamer son dû +97 +et il apporta à l'empereur un oiseau peint de brillantes couleurs et que l'on remontait avec une clef pour le faire chanter et l'empereur trouva le nouveau rossignol si joli et il écoutait si souvent sa chanson qu'il oublia son bulbul +98 +il en chercha les sujets en se promenant à petits pas il était déjà très essoufflé entre les pins et la mer et le soir il racontait ses contes pour les essayer à mes neveux africains riant avec eux ou disant déçu quand ils restaient indifférents +99 +à qui ses parents ne donnaient pas de jouets mais qui fabriquait lui-même des sifflets des canons ou des pompes avec du sureau des noyaux d'abricots et des pailles oh que c'est joli et amusant dit robert apprends-moi comment tu fais +100 +pas du tout déclara myriam ce ne sont pas des plumes mais des petits bouts de papier et ce sont les anges qui vident les corbeilles où le petit jésus a jeté les lettres que les enfants lui écrivent à noël oui oui j'en suis sûre je reconnais mon papier +101 +il avait été rapporté d'égypte par le fils de la maison qui était grand voyageur au commencement on eut beaucoup d'égards pour ce noble et étranger aussitôt que l'ibis déployait ses ailes les pigeons roucoulaient oh que c'est beau +102 +elle resta tristement au bord du toit d'où elle vit s'éloigner sa famille et elle serait certainement morte de faim de froid et de chagrin si les enfants de la maison ne l'avaient recueillie +103 +chapitre dix huit de a b c petits contes de jules lemaître enregistré pour librivox point org queue une famille de rats habitait dans une cave remplie de marchandises +104 +préface jules lemaître a beaucoup aimé les enfants il eut lui-même lorsqu'il fut professeur à grenoble une petite fille madeleine qui mourut au bout d'un mois et dont il ne se consola jamais plus tard il devint un parrain multiple et délicieux +105 +mais à ce moment un vol d'hirondelles passa au-dessus de la mer elles venaient des pays du nord et s'en allaient en égypte elles descendirent sur le navire et se posèrent sur le mât qu'elles couvrirent presque entièrement de leurs ailes +106 +elle avait presque l'air d'une mendiante mais quand le roi lui demanda qui elle était elle répondit qu'elle était une princesse le roi la fit entrer au château +107 +je ne sais vraiment pas ce qui cogne comme cela dans mon ventre dit le loup et il se pencha pour boire mais ce mouvement précipita les pierres l'une sur l'autre dans l'estomac du loup leur poids l'entraîna en avant et le vieux brigand tomba la tête en bas dans le fond du puits +108 +il n'est pas si vilain que ça dirent les cygnes et un monsieur cygne avec un magnifique plastron blanc et de beaux pieds vernis déclara qu'il reste parmi nous et dans trois mois je lui donne ma fille en mariage +109 +le village ou la ville est votre univers à vous mes enfants et quand vous serez grands ce sera la france entière avec ses mers ses îles ses colonies et tout ce que vous saurez voir et tout ce que vous saurez comprendre +110 +chapitre vingt trois de a b c petits contes de jules lemaître enregistré pour librivox point org violettes vous savez mes enfants que les violettes sont l'emblème de la modestie +111 +et tout de suite il lui demanda sa main +112 +puis ils alignèrent leurs trois tortues montées par les trois escargots et jean donna le signal du départ mais hélas aucune des trois tortues ne bougea +113 +j'allais te le proposer dit le père escargot et il descendit de son balcon avec sa femme pour interroger les fourmis les fourmis répondirent +114 +alors le pauvre ibis rose se retira dans un coin et il se tenait tout raide sur une patte rêvant de son pays du nil des pyramides et des minarets +115 +j'allais te le proposer répondit monsieur escargot et il sortit presque entièrement de sa maison pour embrasser son nouveau fils en peu de temps le petit escargot devint gros gras et luisant +116 +les rats s'y trouvaient fort bien car il y avait beaucoup de choses bonnes à manger surtout du savon et de la chandelle il y avait aussi des tonneaux et des barils +117 +oh comme il est dur grogna-t-il sans doute je n'ai pas bien digéré ah je sais j'ai oublié de boire et se levant il alla vers le puits dans son ventre les six pierres faisaient un bruit étrange +118 +chapitre treize de a b c petits contes de jules lemaître enregistré pour librivox point org loup quand le loup eut mangé les six petits biquets il se sentit le ventre si lourd qu'il alla faire un somme derrière le puits +119 +les fourmis se mirent en route et arrivèrent près du vieux mur où l'orpheline pleurait ses parents qu'on avait fait cuire elle fut si heureuse de la proposition qu'elle accorda tout de suite sa main même sans le connaître au fils adoptif des vieux +120 +les deux enfants étaient une petite fille de six ans et un petit garçon de quatre ans tiens dit la petite fille prends ce joli petit gâteau moi je mangerai ce vilain gros j'aime mieux le vilain gros dit le petit garçon mais puisqu'il est vilain +121 +une demoiselle est une longue et jolie mouche qui habite près des ruisseaux et des étangs sur une feuille de nénuphar on l'appelle demoiselle parce qu'elle a la taille fine un corselet de satin vert +122 +berthe était une petite fille très étourdie qui laissait toujours les portes ouvertes sa mère qui était une fermière la grondait souvent car pendant l'absence de berthe les chiens les poules et même les petits cochons salissaient tout mais berthe ne se corrigeait pas de son étourderie +123 +mais l'un d'eux qui avait failli être mangé en garda une telle frayeur qu'il prit désormais chaque épi pour une patte de chat et jura de ne plus manger que des fruits pendus aux branches des arbres +124 +elle courut au bord du tonneau et se retournant elle la laissa pendre les ratons en se haussant sur les pattes de derrière purent l'atteindre et chacun à son tour lécha le bout de la queue comme si c'était un sucre d'orge +125 +et l'empereur reconnaissant commanda pour bulbul une cage d'or et une petite couronne de diamants fin du chapitre dix neuf enregistré par sonia cet enregistrement fait partie du domaine public +126 +moineau dans un champ de millet les moineaux venaient picorer les épis +127 +ni sucre ni lettres déchirées ni plumes c'est de la neige de la neige comme il y en a tous les ans en europe de la neige avec laquelle on fait des boules de neige et un bonhomme de neige nous en ferons un demain si vous êtes sages +128 +de mon balcon vert dit mme escargot je vois le peuple des fourmis fin du chapitre six enregistré par sonia cet enregistrement fait partie du domaine public +129 +pauvre petite dit-elle je ne peux plus te rendre ton parfum mais puisque tu as tant de chagrin je fais de tes larmes des pétales plus clairs des pétales mauves et du moins si tu n'es pas odorante tu seras plus jolie +130 +ce sera encore plus commode se dit la mère rat et sans prendre la précaution de flairer elle plongea sa queue au fond du tonneau mais quand elle voulut la retirer elle poussa un cri de douleur sa queue ne venait pas sa queue était collée +131 +chapitre vingt-quatre de a b c petits contes de jules lemaître enregistré pour librivox point org xavier le petit xavier dit à ses petits camarades maurice et jean +132 +il n'y avait plus dans le vestiaire que les oreilles de l'âne dont il dut se contenter et voilà pourquoi le chameau qui est une bête de grande taille a des oreilles si courtes tandis que l'âne qui est beaucoup plus petit en a de si longues +133 +hep mon enfant d'où viens-tu et comment t'appelles-tu je viens de la basse-cour madame et je m'appelle canard je suis parti parce que mes camarades me trouvent trop laid et ne veulent pas jouer avec moi +134 +chapitre vingt deux de a b c petits contes de jules lemaître enregistré pour librivox point org univers c'est un bien grand mot et une bien grande chose aussi car cela veut dire le monde entier +135 +la chèvre et les biquets rirent et pleurèrent ensemble un instant puis la mère dit ce n'est pas tout allez vite me chercher six grosses pierres je vais les mettre à votre place dans le ventre du loup et je lui recoudrai la peau comme cela il ne s'apercevra de rien à son réveil +136 +oui il n'y a aucun doute là-dessus tu n'es pas du tout un petit canard tu es bien un cygne c'est la fermière qui a dû glisser un de nos oeufs parmi les oeufs de cane +137 +et qu'elle se mit en marche en bavant de joie tout le long du chemin mais elle n'avançait pas vite alors les fourmis fabriquèrent avec des brins d'herbe une chaise à porteur qu'elles chargèrent sur leurs épaules +138 +et c'est ainsi que la pauvre orpheline arriva après plusieurs jours au chou de ses beaux-parents et dans les bras de son fiancé fin du chapitre sept enregistré par sonia +139 +avait des jouets à mécanique très chers qu'il fallait toujours remonter qui se cassaient très souvent et qui ne l'amusaient pas du tout un jour il rencontra un petit garçon de la campagne mathieu +140 +et tous comme noé l'avait commandé ôtèrent leurs oreilles et tous reçurent en échange un numéro de vestiaire attaché à un cordon qu'ils passèrent autour de leur cou grâce à ces précautions la paix régna dans l'arche pendant les quarante jours que dura le déluge +141 +chapitre dix sept de a b c petits contes de jules lemaître enregistré pour librivox point org pois il y avait une fois un prince qui voulait se marier il voulait épouser une princesse mais aucune de celles qu'on lui présenta ne lui parut assez princesse +142 +chapitre quatre de a b c petits contes de jules lemaître enregistré pour librivox point org canard une cane couvait une douzaine d'oeufs qu'on avait mis sous elle +143 +le chat du meunier les guettait depuis longtemps sans réussir à les attraper car aussitôt qu'il s'approchait les oiseaux s'envolaient je vous prendrai quand même petits nigauds dit le chat en méditant une ruse +144 +on dirait des pêchers en fleur les poules admiraient la courbe élégante de son bec les canards qui sont si bas sur pattes regardaient avec envie les longues jambes de l'ibis qui semblaient peintes au ripolin rose +145 +ou bien le rabattant tristement le long de son corps il restait à rêver dans un coin un jour que les autres l'avaient houspillé plus que de coutume il prit le parti de quitter sa famille il marcha longtemps devant lui et arriva près d'un lac où nageaient des cygnes ah +146 +le premier fut le chameau puis vint le cheval puis la vache puis le chien le mouton le cochon le chat l'éléphant le lapin et enfin l'âne +147 +depuis ce temps-là les kangourous ont ces moignons que vous voyez sur l'image et la poche de leur ventre ne leur sert plus que pour y cacher leurs petits +148 +ce n'était pas du tout un superbe caneton mais un vilain petit animal avec un cou trop long un corps trop gros et qui marchait les pattes en dedans sans aucune élégance +149 +ah disait-il comme il faisait bon dans ma forêt natale j'avais de la mousse à mes pieds et quelquefois des nids dans mes branches et les petits enfants ramassaient mes aiguilles et souvent ils dansaient des rondes en chantant autour de mon tronc +150 +ils la mirent dans une cage à côté du poêle ils la nourrirent de mouches et de vers si bien que l'hirondelle était en très bonne santé et ne boitait plus du tout au retour du printemps +151 +alors pierre courut chercher son tambour et paul chatouilla la queue des tortues avec des brindilles les tortues se décidèrent enfin à partir mais au lieu d'aller droit devant elles elles allaient à droite ou à gauche et la tortue de paul revint même en arrière alors jean eut une idée +152 +très mal répondit-elle il y avait je ne sais quoi de dur et de rond dans mon lit j'en ai des bleus sur tout le corps quel bonheur pensa le prince qui avait écouté derrière la porte pour avoir la peau si fine il faut bien que ce soit une véritable princesse +153 +le soir berthe fut sévèrement punie par sa mère et je vous jure qu'elle ne laisse plus les portes ouvertes fin du chapitre trois enregistré par sonia +154 +mais peu à peu la petite fille fut reprise par sa mauvaise habitude elle se balança sur sa chaise en avant et en arrière tandis que le chien médor et la chatte minouche la regardaient avec un air de dire prends garde prends garde nous connaissons quelqu'un qui va tomber +155 +dit-elle rentrez sous votre feuille et pour vous punir de votre vanité je vous enlève votre parfum violette fut désolée elle pleura tant qu'une jeune fée qui venait en promenade de ce côté eut pitié d'elle +156 +elle ne restera pas seule longtemps s'écrièrent ensemble m et mme escargot allez je vous prie la demander en mariage pour monsieur notre fils +157 +mais en moins de deux mois le marquis en sentit les avantages julien lui proposa de prendre un commis sortant de chez un banquier et qui tiendrait en partie double le compte de toutes les recettes et de toutes les dépenses des terres que julien était chargé d'administrer +158 +moi refuser un plaisir qui s'offre une source limpide qui vient étancher ma soif dans le désert brûlant de la médiocrité que je traverse si péniblement ma foi pas si bête chacun pour soi dans ce désert d'égoïsme qu'on appelle la vie +159 +il avait besoin d'une occupation physique pour se distraire d'une joie qui allait jusqu'au délire votre départ m'oblige à parler il serait au-dessus de mes forces de ne plus vous voir +160 +ce qu'il en voyait pouvait n'être qu'une apparence par exemple pour tout au monde mathilde n'aurait pas manqué la messe un dimanche presque tous les jours elle y accompagnait sa mère +161 +vous êtes prédestiné mon cher sorel lui disaient-ils vous avez naturellement cette mine froide et à mille lieues de la sensation présente que nous cherchons tant à nous donner +162 +cet amour là ne cédait point bassement aux obstacles mais bien loin de là faisait faire de grandes choses quel malheur pour moi qu'il n'y ait pas une cour véritable comme celle de catherine de médicis ou de louis xiii je me sens au niveau de tout ce qu'il y a de plus hardi et de plus grand +163 +chapitre xi l'empire d'une jeune fille j'admire sa beauté mais je crains son esprit merimée +164 +plus tard il monta à son bureau et se fit annoncer chez le marquis de la mole qui heureusement n'était pas sorti il lui prouva facilement en lui montrant quelques papiers marqués arrivés de normandie que le soin des procès normands l'obligeait à différer son départ pour le languedoc +165 +il n'est pas duc du moins sa fille aura un tabouret julien eut l'idée de partir pour le languedoc malgré la lettre de mathilde malgré l'explication donnée au marquis cet éclair de vertu disparut bien vite +166 +bientôt cette résistance sincère et non jouée avec laquelle notre héros accueillait plusieurs de ses idées l'occupa elle y pensait elle racontait à son amie les moindres détails des conversations et trouvait que jamais elle ne parvenait à en bien rendre toute la physionomie +167 +je le traite comme un fils eh bien où est l'inconvénient cette fantaisie si elle dure me coûtera un diamant de cinq cents louis dans mon testament une fois que le marquis eut compris le caractère ferme de son protégé chaque jour il le chargeait de quelque nouvelle affaire +168 +c'est mlle de la mole qui par les mains d'arsène laquais de son père fait remettre une lettre trop séduisante à un pauvre charpentier du jura sans doute pour se jouer de sa simplicité et il transcrivait les phrases les plus claires de la lettre qu'il venait de recevoir +169 +cette croix lui valut une singulière visite ce fut celle de m le baron de valenod qui venait à paris remercier le ministère de sa baronnie et s'entendre avec lui il allait être nommé maire de verrières en remplacement de m de rênal destitué +170 +en vendant de la rente quand il apprend au château qu'il y aura le lendemain apparence de coup d'état et moi jeté au dernier rang par une providence marâtre moi a qui elle a donne un coeur noble et pas mille francs de rente c'est-à-dire pas de pain exactement parlant pas de pain +171 +cette circonstance toucha sur-le-champ julien mon père continua-t-elle a une juste estime pour les services que vous lui rendez il faut ne pas partir demain trouvez un prétexte et elle s'éloigna en courant +172 +eh bien l'un d'eux a du courage il se précipite sur moi on lui a promis cent napoléons je le tue ou je le blesse à la bonne heure c'est ce qu'on demande on me jette en prison fort légalement je parais en police correctionnelle et l'on m'envoie avec toute justice et équité de la part des juges tenir compagnie dans poissy +173 +à mon tour dit le marquis primo pourquoi allez-vous dire au bal chez l'ambassadeur de russie qu'il y a en france trois cent mille jeunes gens de vingt-cinq ans qui désirent passionnément la guerre croyez-vous que cela soit obligeant pour les rois +174 +nous nous hâtons d'ajouter que ce personnage fait exception aux moeurs du siècle ce n'est pas en général le manque de prudence que l'on peut reprocher aux élèves du noble couvent du sacré-coeur +175 +il entendit chanter son ami geronimo jamais la musique ne l'avait exalté à ce point il était un dieu chapitre +176 +il est possible que ce trio se moque de moi pensait julien on connaît bien peu son caractère si l'on ne voit pas déjà l'expression sombre et froide que prirent ses regards en répondant à ceux de mathilde +177 +cette respiration pressée qui a été sur le point de me toucher elle l'aura étudiée chez léontine fay qu'elle aime tant ils étaient restés seuls la conversation languissait évidemment non julien ne sent rien pour moi se disait mathilde vraiment malheureuse +178 +quel admirable talent se dit julien quand il se leva pour sortir le marquis lui fit des excuses de ne pouvoir l'accompagner à cause de sa goutte cette idée singulière occupa julien se moquerait il de moi pensa-t-il +179 +a peine m de cholin nommé julien apprit que cette place avait été demandée par la députation du département pour m gros le célèbre géomètre cet homme généreux n'avait que quatorze cents francs de rente et chaque année prêtait six cents francs au titulaire qui venait de mourir pour l'aider à élever sa famille +180 +et il est contagieux cet ennui lequel d'entre eux a l'idée de faire quelque chose d'extraordinaire ils cherchent à obtenir ma main la belle affaire je suis riche et mon père avancera son gendre ah pût il en trouver un qui fût un peu amusant +181 +à son retour quelle idée amusante m'apportez-vous d'angleterre lui dit m de la mole il se taisait quelle idée apportez-vous amusante ou non reprit le marquis vivement +182 +la sienne eût fait honneur à la prudence diplomatique de m le chevalier de beauvoisis il n'était encore que dix heures julien ivre de bonheur et du sentiment de sa puissance si nouveau pour un pauvre diable entra à l'opéra italien +183 +on ne sait comment faire en parlant à nos grands diplomates dit julien ils ont la manie d'ouvrir des discussions sérieuses si l'on s'en tient aux lieux communs des journaux on passe pour un sot si l'on se permet quelque chose de vrai et de neuf +184 +alors pour achever le charme il la croyait une catherine de médicis rien n'était trop profond ou trop scélérat pour le caractère qu'il lui prêtait c'était l'idéal des maslon des frilair et des castanède par lui admirés dans sa jeunesse +185 +elles étaient si évidentes de certains jours et julien dont les yeux commençaient à se dessiller la trouvait si jolie qu'il en était quelquefois embarrassé l'adresse et la longanimité de ces jeunes gens du grand monde finiraient par triompher de mon peu d'expérience se dit-il il faut partir et mettre un terme à tout ceci +186 +le ciel me devait cette faveur il n'aura pas en vain accumulé sur un seul être tous les avantages mon bonheur sera digne de moi chacune de mes journées ne ressemblera pas froidement à celle de la veille il y a déjà de la grandeur et de l'audace à oser aimer un homme placé si loin de moi par sa position sociale +187 +cette scélératesse prétendue était un charme à ses yeux presque l'unique charme moral qu'elle eût l'ennui de l'hypocrisie et des propos de vertu le jetait dans cet excès +188 +un jour le marquis de croisenois rendit à mathilde une lettre assez compromettante qu'elle lui avait écrite la veille il croyait par cette marque de haute prudence avancer beaucoup ses affaires +189 +ils disparaissaient pendant des semaines entières m de la mole impatienté contre son libraire qui lui envoyait tous les faux mémoires chargea julien d'acheter toutes les nouveautés un peu piquantes +190 +mystifier est leur fort ils sont jaloux de ma pauvre petite supériorité de paroles être jaloux est encore un de leurs faibles tout s'explique dans ce système mlle de la mole veut me persuader qu'elle me distingue tout simplement pour me donner en spectacle à son prétendu +191 +la traduction improvisée sur le texte latin l'amusait un jour le marquis dit avec ce ton de politesse excessive qui souvent impatientait julien permettez mon cher sorel que je vous fasse cadeau d'un habit bleu +192 +quant à moi ce n'est pas mal ajouta-t-il en comprimant sa joie le plus possible j'ai su conserver la dignité de mon caractère je n'ai point dit que j'aimais il se mit à étudier la forme des caractères mlle de la mole avait une jolie petite écriture anglaise +193 +non seulement reprit m de la mole d'un air fort sérieux vous me présenterez demain le nouveau baron mais je l'invite à dîner pour après-demain ce sera un de nos nouveaux préfets en ce cas reprit julien froidement je demande la place de directeur du dépôt de mendicité pour mon père +194 +il n'était question bien entendu que de la grande passion l'amour léger était indigne d'une fille de son âge et de sa naissance elle ne donnait le nom d'amour qu'à ce sentiment héroïque que l'on rencontrait en france du temps de henri iii et de bassompierre +195 +julien fut étonné de ce qu'il avait fait cette famille du mort comment vit-elle aujourd'hui cette idée lui serra le coeur ce n'est rien se dit-il il faudra en venir à bien d'autres injustices si je veux parvenir et encore savoir les cacher sous de belles paroles sentimentales +196 +pauvre m gros c'est lui qui méritait la croix c'est moi qui l'ai et je dois agir dans le sens du gouvernement qui me la donne chapitre +197 +alors aiguiser une épigramme était pour elle une distraction et un vrai plaisir c'était peut-être pour avoir des victimes un peu plus amusantes que ses grands-parents que l'académicien et les cinq ou six autres subalternes qui leur faisaient la cour qu'elle avait donné des espérances au marquis de +198 +mais c'était l'imprudence que mathilde aimait dans ses correspondances son plaisir était de jouer son sort elle ne lui adressa pas la parole de six semaines elle s'amusait des lettres de ces jeunes gens mais suivant elle toutes se ressemblaient +199 +bon s'écria-t-il voilà la signature de ma réponse trouvée n'allez pas vous figurer mademoiselle de la mole que j'oublie mon état je vous ferai comprendre et bien sentir que c'est pour le fils d'un charpentier que vous trahissez un descendant du fameux guy de croisenois qui suivit saint louis à la croisade +200 +il le priait de lui conserver un dépôt précieux mais se dit-il en s'interrompant le cabinet noir à la poste ouvrira ma lettre et vous rendra celle que vous cherchez non messieurs +201 +julien le trouva gaillard la rage de l'aristocratie le désennuyait voilà se dit julien en sortant de prison le seul homme gai que j'aie vu en angleterre l'idée la plus utile aux tyrans est celle de dieu lui avait dit vane nous supprimons le reste du système comme cynique +202 +il faut en convenir le regard de julien était atroce sa physionomie hideuse elle respirait le crime sans alliage c'était l'homme malheureux en guerre avec toute la société +203 +que je voudrais qu'il se fâchât dit julien avec quelle assurance je lui donnerais maintenant un coup d'épée et il faisait le geste du coup de seconde avant ceci j'étais un cuistre abusant bassement d'un peu de courage après cette lettre je suis son égal +204 +j'ai beau faire je n'aurai jamais d'amour pour croisenois caylus et tutti quanti ils sont parfaits trop parfaits peut-être enfin ils m'ennuient +205 +je suis bien aise que vous ne partiez pas lui dit le marquis quand ils eurent fini de parler d'affaires j'aime à vous voir julien sortit ce mot le gênait et moi je vais séduire sa fille rendre impossible peut-être ce mariage avec le marquis de croisenois qui fait le charme de son avenir +206 +une ironie amère repoussa les assurances d'amitié que mlle de la mole étonnée osa hasarder deux ou trois fois piqué par cette bizarrerie soudaine le coeur de cette jeune fille naturellement froid ennuyé sensible à l'esprit devint aussi passionné qu'il était dans sa nature de l'être +207 +je ne me firai point à des propos si doux qu'un peu de ses faveurs après quoi je soupire ne vienne m'assurer tout ce qu'ils m'ont pu dire tartuffe acte iv scène +208 +le marquis venait de lui confier l'administration d'une quantité de petites terres et de maisons qu'il possédait dans le bas languedoc un voyage était nécessaire m de la mole y consentit avec peine excepté pour les matières de haute ambition julien était devenu un autre lui-même +209 +ils sont étonnés ne savant que répondre et le lendemain matin à sept heures ils vous font dire par le premier secrétaire d'ambassade qu'on a été inconvenant pas mal dit le marquis en riant au reste je parie monsieur l'homme profond que vous n'avez pas deviné ce que vous êtes allé faire en angleterre +210 +quand il vous conviendra de le prendre et de venir chez moi vous serez à mes yeux le frère cadet du comte de retz c'est-à-dire le fils de mon ami le vieux duc julien ne comprenait pas trop de quoi il s'agissait le soir même il essaya une visite en habit bleu +211 +une heure après un laquais remit une lettre à julien c'était tout simplement une déclaration d'amour il n'y a pas trop d'affectation dans le style se dit julien cherchant par ses remarques littéraires à contenir la joie qui contractait ses joues et le forçait à rire malgré lui +212 +julien se couvrit de gloire un jour dans le salon du duc de fitz folke qui l'avait engagé à dîner ainsi que le prince korasoff on attendit pendant une heure la façon dont julien se conduisit au milieu des vingt personnes qui attendaient est encore citée parmi les jeunes secrétaires d'ambassade à londres +213 +une jolie femme du grand monde est à ce qu'on assure ce qui étonne le plus un paysan homme d'esprit quand il arrive aux premières classes de la société ce n'était point le caractère de mathilde qui faisait rêver julien les jours précédents il avait assez de sens pour comprendre qu'il ne connaissait point ce caractère +214 +ce cruel soupçon changea toute la position morale de julien cette idée trouva dans son coeur un commencement d'amour qu'elle n'eut pas de peine à détruire cet amour n'était fondé que sur la rare beauté de mathilde ou plutôt sur ses façons de reine et sa toilette admirable en cela julien était encore un parvenu +215 +que je suis bon se dit-il moi plébéien avoir pitié d'une famille de ce rang moi que le duc de chaulnes appelle un domestique comment le marquis augmente t il son immense fortune +216 +une idée l'illumina tout à coup j'ai le bonheur d'aimer se dit-elle un jour avec un transport de joie incroyable j'aime j'aime c'est clair à mon âge une jeune belle spirituelle où peut-elle trouver des sensations si ce n'est dans l'amour +217 +peu à peu l'agitation de julien se calma la prudence surnagea il se dit comme son maître tartuffe dont il savait le rôle par coeur je puis croire ces mots un artifice honnête +218 +en écartant un peu chaque volume de son voisin il cachait l'absence de celui qu'il emportait mais bientôt il s'aperçut qu'une autre personne lisait voltaire il eut recours à une finesse de séminaire il plaça quelques petits morceaux de crin sur les volumes qu'il supposait pouvoir intéresser mlle de la mole +219 +c'était m de rênal qui était porté par les libéraux ce fut en vain que julien essaya de savoir quelque chose de mme de rênal le baron parut se souvenir de leur ancienne rivalité et fut impénétrable il finit par demander à julien la voix de son père dans les élections qui allaient avoir lieu +220 +il alla acheter une énorme bible chez un libraire protestant cacha fort adroitement la lettre de mathilde dans la couverture fit emballer le tout et son paquet partit par la diligence adressé à un des ouvriers de fouqué dont personne à paris ne savait le nom +221 +n'est-ce pas là le rôle que je jouerais si j'aimais le marquis de croisenois j'aurais une nouvelle édition du bonheur de mes cousines que je méprise si complètement je sais d'avance tout ce que me dirait le pauvre marquis tout ce que j'aurais à lui répondre qu'est-ce qu'un amour qui fait bâiller autant vaudrait être dévote +222 +un jour à la fin d'une audience du matin en habit noir et pour les affaires julien amusa le marquis qui le retint deux heures et voulut absolument lui donner quelques billets de banque que son prête-nom venait de lui apporter de la bourse +223 +que ne ferais-je pas d'un roi homme de coeur comme louis xiii soupirant à mes pieds je le mènerais en vendée comme dit si souvent le baron de tolly et de là il reconquerrait son royaume alors plus de charte et julien me seconderait que lui manque-t-il un nom et de la fortune +224 +julien remarqua avec effroi qu'il arrivait à ce grand seigneur de lui donner des décisions contradictoires sur le même objet ceci pouvait le compromettre gravement julien ne travailla plus avec le marquis sans apporter un registre sur lequel il écrivait les décisions et le marquis les +225 +si julien eût employé à examiner ce qui se passait dans le salon le temps qu'il mettait à s'exagérer la beauté de mathilde ou à se passionner contre la hauteur naturelle à sa famille qu'elle oubliait pour lui il eût compris en quoi consistait son empire sur tout ce qui l'entourait +226 +julien l'éprouvait après le premier enchantement le premier étonnement la politesse se disait-il n'est que l'absence de la colère que donneraient les mauvaises manières mathilde s'ennuyait souvent peut-être se fût-elle ennuyée partout +227 +ce regard est peut-être une comédie pensa julien mais cette respiration pressée mais tout ce trouble bah se dit-il qui suis-je pour juger de toutes ces choses il s'agit ici de ce qu'il y a de plus sublime et de plus fin parmi les femmes de paris +228 +quand mes procès vous ennuieront ou que vous ne me conviendrez plus je demanderai pour vous une bonne cure comme celle de notre ami l'abbé pirard et n'en de plus ajouta le marquis d'un ton fort sec +229 +au bout du compte ils ne m'ont point attrapé se disait julien en préparant son départ que les plaisanteries que mlle de la mole fait à ces messieurs soient réelles ou seulement destinées à m'inspirer de la confiance je m'en suis amusé +230 +ils se seraient presque avoué si elle eût été moins à la mode que son parler avait quelque chose d'un peu coloré pour la délicatesse féminine elle de son côté était bien injuste envers les jolis cavaliers qui peuplent le bois de boulogne +231 +aux armes s'écria julien et il franchit d'un saut les marches du perron de l'hôtel il entra dans l'échoppe de l'écrivain du coin de la rue il lui fit peur copiez lui dit-il en lui donnant la lettre de mlle de la mole pendant que l'écrivain travaillait il écrivit lui-même à fouqué +232 +il remarquait avec étonnement que le marquis avait pour son amour-propre des ménagements de politesse qu'il n'avait jamais trouvés chez le vieux chirurgien il comprit enfin que le chirurgien était plus fier de sa croix que le marquis de son cordon bleu le père du marquis était un grand seigneur +233 +voyons continuera-t-il à me mériter à la première faiblesse que je vois en lui je l'abandonne une fille de ma naissance et avec le caractère chevaleresque que l'on veut bien m'accorder c'était un mot de son père ne doit pas se conduire comme une sotte +234 +et le marquis conta à julien les anecdotes de rivarol avec les hambourgeois qui s'associaient quatre pour comprendre un bon mot m de la mole réduit à la société de ce petit abbé voulut l'émoustiller +235 +et lui est si joli il a des moustaches un charmant uniforme il trouve toujours à dire juste au moment convenable un mot spirituel et fin julien eut un instant délicieux il errait à l'aventure dans le jardin fou de bonheur +236 +julien promit d'écrire vous devriez monsieur le chevalier me présenter à m le marquis de la mole en effet je le devrais pensa julien mais un tel coquin +237 +m de la mole réduit à julien fut étonné de lui trouver des idées il se faisait lire les journaux bientôt le jeune secrétaire fut en état de choisir les passages intéressants il y avait un journal nouveau que le marquis abhorrait il avait juré de ne le jamais lire et chaque jour en parlait +238 +son regard qui était si piquant reprenait toute la hauteur impassible d'un vieux portrait de famille mais julien s'était assuré qu'elle avait toujours dans sa chambre un ou deux des volumes les plus philosophiques de voltaire lui-même volait souvent quelques tomes de la belle édition si magnifiquement reliée +239 +doucement messieurs les gentilshommes je comprends ce petit trait de machiavélisme l'abbé maslon ou m castanède du séminaire n'auraient mieux fait vous m'enlèverez la lettre provocatrice et je serai le second tome du colonel caron à colmar +240 +les autres provinciaux qui arrivent à paris admirent tout pensait le marquis celui-ci hait tout ils ont trop d'affectation lui n'en a pas assez et les sots le prennent pour un sot +241 +elle repassa dans sa tête toutes les descriptions de passion qu'elle avait lues dans manon lescaut la nouvelle héloïse les lettres d'une religieuse portugaise etc +242 +il alla demander conseil à l'abbé pirard qui moins poli que le marquis ne lui répondit qu'en sifflant et parlant d'autre chose le lendemain matin julien se présenta au marquis en habit noir avec son portefeuille et ses lettres +243 +tartuffe aussi fut perdu par une femme et il en valait bien un autre ma réponse peut être montrée à quoi nous trouvons ce remède ajouta-t-il en prononçant lentement et avec l'accent de la férocité qui se contient nous la commençons par les phrases les plus vives de la lettre de la sublime mathilde +244 +il crut distinguer qu'elle avait perdu un peu de la mesure parfaite qui brillait dans toutes ses actions elle répondait quelquefois à ses amis par des plaisanteries outrageantes à force de piquante énergie +245 +s'il n'y a pas conspiration contre le fils du charpentier mlle de la mole est inexplicable mais elle l'est pour le marquis de croisenois du moins autant que pour moi hier par exemple son humeur était bien réelle +246 +déplaisait à mlle de la mole elle savait punir par une plaisanterie si mesurée si bien choisie si convenable en apparence lancée si à propos que la blessure croissait à chaque instant plus on y réfléchissait +247 +c'était en un mot pour lui l'idéal de paris y eut-il jamais rien de plus plaisant que de supposer de la profondeur ou de la scélératesse au caractère parisien +248 +sa taille était charmante il était impossible d'avoir un plus joli pied elle courait avec une grâce qui ravit julien mais devinerait on à quoi fut sa seconde pensée après qu'elle eut tout à fait disparu il fut offensé du ton impératif avec lequel elle avait dit ce mot il faut +249 +que vous veuilliez bien prendre un arrêté et l'écrire de votre main sur le registre cet arrêté me donnera une somme de trois mille francs au reste c'est m l'abbé pirard qui a eu l'idée de toute cette comptabilité +250 +à la bonne heure dit le marquis en reprenant l'air gai accordé je m'attendais à des moralités vous vous formez julien apprit par m de valenod que le titulaire du bureau de loterie de verrières venait de mourir +251 +certes ce n'était pas norbert qui lisait julien s'exagérant cette expérience croyait à mlle de la mole la duplicité de machiavel +252 +louis xv aussi au moment de mourir fut vivement piqué du mot il faut maladroitement employé par son premier médecin et louis xv pourtant n'était pas un parvenu +253 +en courant la poste sur la route de calais julien s'étonnait de la futilité des prétendues affaires pour lesquelles on l'envoyait nous ne dirons point avec quel sentiment de haine et presque d'horreur il toucha le sol anglais on connaît sa folle passion pour bonaparte il voyait dans chaque officier +254 +le lecteur est peut-être surpris de ce ton libre et presque amical nous avons oublié de dire que depuis six semaines le marquis était retenu chez lui par une attaque de goutte +255 +quel esprit faut-il pour donner un coup de sabre et quand cela leur est arrivé ils en parlent si souvent dit mlle de sainte hérédité la cousine de mathilde +256 +pardonnez-moi reprit julien j'y ai été pour dîner une fois la semaine chez l'ambassadeur du roi qui est le plus poli des hommes vous êtes allé chercher la croix que voilà lui dit le marquis je ne veux pas vous faire quitter votre habit noir et je suis accoutumé au ton plus amusant que j'ai pris avec l'homme portant l'habit bleu +257 +au comte de caylus et deux ou trois autres jeunes gens de la première distinction ils n'étaient pour elle que de nouveaux objets d'épigramme nous avouerons avec peine car nous aimons mathilde qu'elle avait reçu des lettres de plusieurs d'entre eux et leur avait quelquefois répondu +258 +ses soupçons n'eurent plus de bornes ces aimables jeunes gens auraient-ils entrepris de se moquer de moi il faut avouer que cela est beaucoup plus probable beaucoup plus naturel qu'une prétendue passion de mlle de la mole pour un pauvre diable de secrétaire d'abord ces gens-là ont-ils des +259 +l'attaque de goutte fut prolongée par les grands froids de l'hiver et dura plusieurs mois on s'attache bien à un bel épagneul se disait le marquis pourquoi ai-je tant de honte de m'attacher à ce petit abbé il est original +260 +il n'y a que cela de réel dans la vie un homme ne peut pas me sauver la vie à la guerre tous les jours ou me faire tous les jours cadeau d'un million mais si j'avais rivarol ici auprès de ma chaise longue tous les jours il m'ôterait une heure de souffrances et d'ennui je l'ai beaucoup vu à hambourg pendant l'émigration +261 +vous n'avez pas compris votre siècle lui disait le prince korasoff faites toujours le contraire de ce qu'on attend de vous voilà d'honneur la seule religion de l'époque ne soyez ni fou ni affecté car alors on attendrait de vous des folies et des affectations et le précepte ne serait plus accompli +262 +il le trouva achevant sa septième année de prison l'aristocratie ne badine pas en ce pays-ci pensa julien de plus vane est déshonoré vilipendé etc +263 +julien rit bien intérieurement quand m de valenod lui fit entendre qu'on venait de découvrir que m de rênal était un jacobin le fait est que dans une réélection générale qu'on préparait pour la chambre des députés le nouveau baron était le candidat du ministère et au grand collège du département à la vérité +264 +et j'ai eu le plaisir de faire bouquer par ma faveur un jeune homme aussi noble et aussi riche que je suis gueux et plébéien voilà le plus beau de mes triomphes il m'égaiera dans ma chaise de poste en courant les plaines du languedoc +265 +quelle est la grande action qui ne soit pas un extrême au moment où on l'entreprend c'est quand elle est accomplie qu'elle semble possible aux êtres du commun oui c'est l'amour avec tous ses miracles qui va régner dans mon coeur je le sens au feu qui m'anime +266 +peu à peu elle devenait atroce pour l'amour-propre offensé comme elle n'attachait aucun prix à bien des choses qui étaient des objets de désirs sérieux pour le reste de la famille elle paraissait toujours de sang-froid à leurs yeux +267 +prenez trois mille francs pour vous dit-il un jour à son jeune ministre monsieur ma conduite peut être calomnie que vous faut-il donc reprit le marquis avec humeur +268 +elle voyait l'avenir non pas avec terreur c'eût été un sentiment vif mais avec un dégoût bien rare à son âge que pouvait-elle désirer la fortune la haute naissance l'esprit la beauté à ce qu'on disait et à ce qu'elle croyait tout avait été accumulé sur elle par les mains du hasard +269 +la mole s'intéressa à ce caractère singulier dans les commencements il caressait les ridicules de julien afin d'en jouir bientôt il trouva plus d'intérêt à corriger tout doucement les fausses manières de voir de ce jeune homme +270 +les bontés du marquis étaient si flatteuses pour l'amour-propre toujours souffrant de notre héros que bientôt malgré lui il éprouva une sorte d'attachement pour ce vieillard +271 +julien avait pris un commis qui transcrivait les décisions relatives à chaque affaire sur un registre particulier ce registre recevait aussi la copie de toutes les lettres cette idée sembla d'abord le comble du ridicule et de l'ennui +272 +eh bien ces récits me font plaisir être dans une véritable bataille une bataille de napoléon où l'on tuait dix mille soldats cela prouve du courage s'exposer au danger élève l'âme et la sauve de l'ennui où mes pauvres adorateurs semblent plongés +273 +il en fut reçu à l'ancienne manière le soir en habit bleu ce fut un ton tout différent et absolument aussi poli que la veille puisque vous ne vous ennuyez pas trop dans les visites que vous avez la bonté de faire à un pauvre vieillard malade lui dit le marquis +274 +il lui sembla qu'elle prenait en guignon le marquis de croisenois il faut que ce jeune homme aime furieusement l'argent pour ne pas planter là cette fille si riche qu'elle soit pensait julien +275 +primo dit julien l'anglais le plus sage est fou une heure par jour il est visité par le démon au suicide qui est le dieu du pays deuxièmement l'esprit et le génie perdent vingt-cinq pour cent de leur valeur en débarquant en angleterre troisièmement rien au monde n'est beau admirable attendrissant comme les paysages anglais +276 +le rouge et le noir de stendhal volume second chapitre treize un complot des propos décousus des rencontres par effet du hasard se transforment en preuves de la dernière évidence aux yeux de l'homme à l'imagination s'il a quelque feu dans le coeur schiller +277 +mais il y avait aussi beaucoup d'orgueil dans le caractère de mathilde et la naissance d'un sentiment qui faisait dépendre d'un autre tout son bonheur fut accompagnée d'une sombre tristesse julien avait déjà assez profité depuis son arrivée à paris pour distinguer que ce n'était pas là la tristesse sèche de l'ennui +278 +le lendemain il surprit encore norbert et sa soeur qui parlaient de lui a son arrivée un silence de mort s'établit comme la veille +279 +elle se promena beaucoup dans le jardin et poursuivit tellement de ses plaisanteries mordantes norbert le marquis de croisenois caylus de luz et quelques autres jeunes gens qui avaient dîné à l'hôtel de la mole qu'elle les força de partir elle regardait julien d'une façon étrange +280 +il se ferait un nom et il acquerrait de la fortune rien ne manque à croisenois et il ne sera toute sa vie qu'un duc à demi ultra à demi libéral un être indécis parlant quand il faut agir toujours éloigné des extrêmes et par conséquent se trouvant le second partout +281 +julien ne pouvait contenir sa joie il fut obligé de descendre au jardin sa chambre où il s'était enfermé à clef lui semblait trop étroite pour y respirer moi pauvre paysan du jura se répétait-il sans cesse +282 +si dans le salon de l'hôtel de la mole quelque imprudent oubliait le lieu où il était et se permettait l'allusion la plus éloignée à une plaisanterie contre les intérêts vrais ou supposés du trône ou de l'autel mathilde devenait à l'instant d'un sérieux de glace +283 +une pensée vint frapper julien comme une découverte interrompre l'examen qu'il faisait de la lettre de mathilde et redoubler sa joie je l'emporte sur le marquis de croisenois s'écria-t-il moi qui ne dis que des choses sérieuses +284 +cela fait il rentra joyeux et leste à l'hôtel de la mole a nous maintenant s'écria-t-il en s'enfermant à clef dans sa chambre et jetant son habit quoi mademoiselle écrivait-il à mathilde +285 +et il gâterait tout à fait les façons que l'on a la bonté de tolérer chez l'homme en habit bleu il salua avec beaucoup de respect et sortit sans regarder ce trait amusa le marquis il le conta le soir à l'abbé pirard +286 +c'était toujours la passion la plus profonde la plus mélancolique ils sont tous le même homme parfait prêt à partir pour la palestine disait-elle à sa cousine connaissez-vous quelque chose de plus insipide voilà donc les lettres que je vais recevoir toute la vie +287 +il faudrait lui parler de tous les petits incidents de votre vie mais franchement et sans songer à autre chose qu'à raconter clairement et d'une façon amusante car il faut s'amuser continua le marquis +288 +voilà quelles étaient les pensées de l'héritière la plus enviée du faubourg saint-germain quand elle commença à trouver du plaisir à se promener avec julien elle fut étonnée de son orgueil elle admira l'adresse de ce petit bourgeois il saura se faire évêque comme l'abbé maury se dit-elle +289 +enfin moi s'écria-t-il tout à coup la passion étant trop forte pour être contenue moi pauvre paysan j'ai donc une déclaration d'amour d'une grande dame +290 +jusqu'à nouvel ordre entendez bien ceci quand je verrai cette croix vous serez le fils cadet de mon ami le duc de retz qui sans s'en douter est depuis six mois employé dans la diplomatie +291 +oui mais quatre laquais de m de croisenois se précipitent sur moi et m'arrachent l'original non car je suis bien armé et j'ai l'habitude comme on sait de faire feu sur les +292 +julien trouva plaisant de donner cette place à m de cholin ce vieil imbécile dont jadis il avait ramassé la pétition dans la chambre de m de la mole le marquis rit de bon coeur de la pétition que julien récita en lui faisant signer la lettre qui demandait cette place au ministre des finances +293 +quelque temps après le marquis put enfin sortir allez passer deux mois à londres dit-il à julien les courriers extraordinaires et autres vous porteront les lettres reçues par moi avec mes notes vous ferez les réponses et me les renverrez en mettant chaque lettre dans sa réponse j'ai calculé que le retard ne sera que de cinq jours +294 +les salons de l'aristocratie sont agréables à citer quand on en sort mais voilà tout l'insignifiance complète les propos communs surtout qui vont au-devant même de l'hypocrisie finissent par impatienter à force de douceur nauséabonde la politesse toute seule n'est quelque chose par elle-même que les premiers jours +295 +au lieu d'être avide comme autrefois de soirées de spectacles et de distractions de tous genres elle les fuyait la musique chantée par des français ennuyait mathilde à la mort et cependant julien qui se faisait un devoir d'assister à la sortie de l'opéra remarqua qu'elle s'y faisait mener le plus souvent qu'elle pouvait +296 +la manière de voir vite nette pittoresque de mathilde gâtait son langage comme on voit souvent un mot d'elle taisait tache aux yeux de ses amis si polis +297 +j'espère m le marquis ne pas m'écarter du profond respect que je vous dois en vous suppliant de me permettre un mot parlez mon ami que m le marquis daigne souffrir que je refuse ce don ce n'est pas à l'homme en habit noir qu'il est adressé +298 +il piqua d'honneur l'orgueil de julien puisqu'on lui demandait la vérité julien résolut de tout dire mais en taisant deux choses son admiration fanatique pour un nom qui donnait de l'humeur au marquis et la parfaite incrédulité qui n'allait pas trop bien à un futur curé +299 +dans chaque grand seigneur un lord bathurst ordonnant les infamies de sainte-hélène et en recevant la récompense par dix années de ministère a londres il connut enfin la haute fatuité il s'était lié avec de jeunes seigneurs russes qui +300 +oui se disait-il avec une volupté infinie et en parlant lentement nos mérites au marquis et à moi ont été pesés et le pauvre charpentier du jura l'emporte +301 +à mm fontan et magallon là je couche avec quatre cents gueux pêle-mêle et j'aurais quelque pitié de ces gens-là s'écria-t-il en se levant +302 +ces lettres là ne doivent changer que tous les vingt ans suivant le genre d'occupation qui est à la mode elles devaient être moins décolorées du temps de l'empire alors tous ces jeunes gens du grand monde avaient vu ou fait des actions qui réellement avaient de la grandeur le duc de n mon oncle a été +303 +comme il prenait congé d'elle elle lui serra le bras avec force vous recevrez ce soir une lettre de moi lui dit-elle d'une voix tellement altérée que le son n'en était pas reconnaissable +304 +ces mesures éclaircirent tellement aux yeux du marquis ses propres affaires qu'il put se donner le plaisir d'entreprendre deux ou trois nouvelles spéculations sans le secours de son prête-nom qui le volait +305 +en vérité répondit-il je suis un trop petit garçon à l'hôtel de la mole pour prendre sur moi de présenter julien disait tout au marquis le soir il lui conta la prétention de valenod ainsi que ses faits et gestes depuis mille huit cent quatorze +306 +julien riait et admirait la pauvreté du duel entre le pouvoir et une idée cette petitesse du marquis lui rendait tout le sang-froid qu'il était tenté de perdre en passant des soirées tête à tête avec un si grand seigneur le marquis irrité contre le temps présent se fit +307 +il faut que je vous avoue enfin une chose mon cher abbé je connais la naissance de julien et je vous autorise à ne pas me garder le secret sur cette confidence son procédé de ce matin est noble pensa le marquis et moi je l'anoblis +308 +en ont-ils pour les gens du tiers-état quand ils les tiennent ce mot fut le dernier soupir de sa reconnaissance pour m de la mole qui malgré lui le tourmentait jusque-là +309 +mlle de la mole et sa mère étaient à hyères auprès de la mère de la marquise le comte norbert ne voyait son père que des instants ils étaient fort bien l'un pour l'autre mais n'avaient rien à se dire +310 +remarquez ajouta le marquis d'un air fort sérieux et coupant court aux actions de grâces que je ne veux point vous sortir de votre état c'est toujours une faute et un malheur pour le protecteur comme pour le protégé +311 +moi condamné à porter toujours ce triste habit noir hélas vingt ans plus tôt j'aurais porté l'uniforme comme eux alors un homme comme moi était tué ou général à trente-six ans cette lettre qu'il tenait serrée dans sa main lui donnait la taille et l'attitude d'un héros +312 +le marquis avec la mine ennuyée du marquis de moncade écoutant les comptes de m poisson son intendant écrivit la décision le soir lorsque julien paraissait en habit bleu il n'était jamais question d'affaires +313 +mais pour que le venin ne se répandît pas dans la maison le secrétaire avait l'ordre de déposer ces livres dans une petite bibliothèque placée dans la chambre même du marquis il eut bientôt la certitude que pour peu que ces livres nouveaux fussent hostiles aux intérêts du trône et de l'autel ils ne tardaient pas à disparaître +314 +chapitre vii une attaque de goutte et j'eus de l'avancement non pour mon mérite mais parce que mon maître avait la goutte bertolotti +315 +maintenant il est vrai avec cet habit noir à quarante ans on a cent mille francs d'appointements et le cordon bleu comme m l'évêque de beauvais eh bien se dit-il en riant comme +316 +ce n'est pas que julien fût sensible comme on l'entend à paris mais ce n'était pas un monstre et personne depuis la mort du vieux chirurgien-major ne lui avait parlé avec tant de bonté +317 +elle ne regrettait pas son intervention et continuait à se trouver meilleur juge sur une question de délicatesse féminine que son interlocuteur néanmoins comme elle était accoutumée à respecter l'opinion de m knightley elle n'aimait pas se trouver en si flagrante contradiction avec lui +318 +emma l'aidait de son imagination de sa mémoire et de son goût de son côté harriet avait une très jolie écriture de sorte que le recueil promettait d'être de premier ordre +319 +si ce n'était par opposition à m elton comparaison qui tournait bien entendu tout à l'avantage de ce dernier les projets d'emma d'améliorer l'esprit de sa jeune amie par la lecture et la conversation sérieuse +320 +je n'insiste pas néanmoins sur ce point admettons qu'elle soit simplement telle que vous la décrivez jolie et aimable laissez-moi vous dire qu'au degré où elle possède ces qualités ce sont des atouts sérieux dans le monde +321 +quand leur oncle vient il les attrape et il les soulève jusqu'au plafond d'une manière bien effrayante mais papa il n'y a rien qu'ils aiment autant c'est un si grand plaisir pour eux que si leur oncle n'avait établi la règle de les prendre l'un après l'autre le premier empoigné ne voudrait jamais céder sa place +322 +quels sont les titres d'harriet smith soit comme naissance soit comme éducation à une alliance supérieure c'est la fille naturelle d'on ne sait qui elle n'a probablement aucune dot assurée et en tout cas pas de parenté respectable +323 +est-ce possible que m elton soit véritablement amoureux de moi un homme de si belle mine entouré de la considération générale comme m knightley il est si parfait dans ses fonctions sacerdotales +324 +d'autre part m knightley qui n'avait pas assisté aux diverses phases de cet amour n'était pas selon l'impression d'emma à même d'en mesurer la portée mieux renseigné il aurait probablement eu confiance dans le succès final +325 +tout en ne voulant pas se laisser influencer par eux ni ne renoncer à la légère aux avantages de l'indépendance elle avait une grande curiosité de voir frank churchill était disposée à le trouver agréable +326 +pendant qu'il parlait avec isabelle emma trouva l'occasion de dire à mme weston je suis fâchée que cette présentation qui sera forcément un peu gênante ne puisse prendre place à la date fixée ou du moins que ce soit si incertain +327 +le milieu dans lequel elle vit diffère essentiellement de celui du jeune homme ce serait une dégradation c'est tomber bien bas en effet pour une jeune personne de naissance anonyme que de s'allier à un fermier bien élevé intelligent et riche +328 +le portrait élégamment encadré était arrivé peu de jours après le retour de m elton il fut suspendu au-dessus de la cheminée du petit salon m elton le contempla longuement et exprima comme il convenait son admiration +329 +et c'est une nature malléable bien dirigée elle peut devenir une femme de mérite je suis heureuse de vous entendre parler ainsi et j'espère bien qu'elle ne manquera pas de bonnes influences +330 +mlle nash arriva et nous renvoya en nous grondant elle demeura néanmoins près de la porte vitrée et m'ayant rappelée elle m'autorisa à rester à son côté nous l'avons admiré il donnait le bras à m cole +331 +ce nom me faisait toujours penser à la pauvre isabelle qui a failli recevoir au baptême le nom de catherine j'espère que ma fille viendra la semaine prochaine avez-vous décidé ma chère dans quelle chambre vous la mettrez et les enfants +332 +il est possible qu'avant d'avoir vécu dans un milieu de gens comme il faut elle ait pu ne pas le trouver désagréable c'était le frère de ses amies et il s'efforcerait de lui plaire mais les circonstances ont changé et désormais seul un homme d'éducation et de bonnes manières peut prétendre plaire à harriet smith +333 +votre mariage sera le pendant des randalls il semble bien que la brise d'hartfield pousse l'amour précisément dans la direction idéale le véritable amour ne coule pas comme un fleuve paisible le shakespeare de la bibliothèque d'hartfield devait avoir une longue note à ce passage +334 +dès le lendemain néanmoins elles eurent la preuve du contraire m elton en arrivant déposa sur la table une feuille de papier où il avait transcrit dit-il une charade qu'un de ses amis venait d'adresser à une jeune fille objet de son admiration +335 +je ne veux pas croire qu'il y mette de la mauvaise volonté mais je suis sûre qu'il y a du côté des churchill un vif désir de le garder pour eux tout seuls il y entre un peu de jalousie ils sont même jaloux je crois de l'affection qu'il a pour son père +336 +paraît avoir porté ses fruits il est extrêmement amoureux d'elle et est décidé à l'épouser c'est bien aimable de sa part répondit emma mais a-t-il la certitude de trouver chez l'intéressée une ardeur égale +337 +j'ai toujours mal auguré de cette intimité je vois aujourd'hui qu'elle aura des conséquences désastreuses pour harriet vous allez lui donner une si haute opinion d'elle-même qu'elle se croira des titres à une destinée exceptionnelle et ne trouvera plus rien à sa convenance +338 +et qu'ils persisteront à tomber amoureux de gracieux visages et non de pures intelligences une jeune fille douée des agréments physiques d'harriet a bien des chances d'être admirée et recherchée elle est à même en conséquence de pouvoir choisir +339 +quels propos absurdes s'écria m knightley les manières de robert martin sont naturelles et agréables et il a plus de vraie noblesse d'esprit et de c ur qu'harriet smith n'est capable d'apprécier +340 +je suis sûre qu'elle aimera les enfants nous sommes très fiers des enfants n'est-ce pas papa je me demande lequel d'henri ou de jean plaira le plus à harriet pauvres chéris comme ils seront contents de venir vous savez harriet ils aiment beaucoup être à hartfield +341 +ou plutôt car je crois qu'une jeune fille de la nature d'harriet smith finit toujours par se marier elle y restera jusqu'au jour où désabusée elle se rabattra sur le fils du vieux maître d'écriture +342 +vous avez vu sa réponse et sans doute vous l'avez dictée emma ceci est votre uvre c'est vous qui avez persuadé harriet de refuser quand bien même je serais intervenue ce qui n'est nullement le cas je ne croirais pas avoir mal fait +343 +c'est une alliance que tous vos amis approuveront du moins s'ils ont du bon sens et nous ne devons pas conformer notre conduite à l'appréciation des imbéciles si ceux qui s'intéressent à vous sont désireux de vous voir heureuse voici un homme dont l'aimable caractère est un sûr garant de votre bonheur +344 +fit l'éloge de mme weston avec une persistance si outrée et finalement se mit à admirer les dessins d'emma avec tant de zèle et si peu de compétence que celle-ci dut reconnaître qu'il avait tout à fait l'allure d'un amoureux +345 +emma sourit sans protester après quelques minutes de réflexion et un soupir il ajouta vous tenez ce don de votre chère mère qui écrivait avec tant d'élégance si seulement j'avais sa mémoire mais je ne me souviens de rien même pas de cette charade dont je vous ai parlé vous m'avez dit je crois ma chère que vous l'aviez transcrite +346 +il terminait son récit lorsque les autres arrivèrent et mme weston qui s'étaient jusqu'alors exclusivement consacrée à lui se leva pour accueillir sa chère emma +347 +notre manière de voir diffère si complètement qu'il ne peut y avoir aucune utilité à prolonger cette discussion monsieur knightley nous n'aboutirons qu'à nous indisposer l'un contre l'autre pour ma part je ne puis intervenir d'aucune façon le refus qu'harriet a opposé à robert martin est définitif +348 +en un mot j'ai peu de confiance et je voudrais que m weston soit moins optimiste il devrait venir dit emma quand même il ne devrait rester qu'un jour ou deux +349 +emma se rendait compte qu'il était attristé à l'idée de l'affection conjugale de sa fille et elle se hâta de mettre le sujet sur un terrain plus agréable il faudra qu'harriet nous consacre une grande partie de son temps pendant le séjour de mon beau-frère et de ma s ur +350 +quant à harriet il était visible qu'elle s'attachait à monsieur elton autant du moins que le lui permettait sa jeunesse et son caractère au bout de peu de temps monsieur martin n'occupait plus le souvenir de la jeune fille +351 +sa mauvaise humeur le premier fit effort pour ne pas sourire le second au contraire pour se dérider emma seule demeurait parfaitement naturelle et laissait voir sa joie sans contrainte c'était pour elle un vrai plaisir de se trouver à randalls +352 +mais d'après le style emma fut immédiatement convaincue que l' uvre était du crû de m elton je ne l'offre pas pour la collection de mlle smith dit m elton c'est la propriété de mon ami +353 +m perry n'a pas très bien compris ce dont il s'agissait mais il est sûr qu'une dame devait être mêlée à cette aventure il n'a pas caché ses soupçons à m elton qui a alors pris un air mystérieux et s'est éloigné à fière allure +354 +qu'est-ce que vous dites les hommes ne s'imaginent rien de tout cela que signifie cette nouvelle harriet smith refuser robert martin quelle folie j'espère que vous vous trompez j'ai vu sa réponse rien ne pouvait être plus clair +355 +emma prenait tant d'intérêt à ce sujet qu'elle l'entama avec m weston aussitôt qu'on fut passé dans le salon elle souhaita à son amie de trouver dans cette rencontre la complète satisfaction qu'elle était en droit d'attendre tout en reconnaissant qu'une première entrevue n'allait pas sans quelque aléa +356 +au revoir dit monsieur knightley se levant brusquement et il quitta le salon il se rendait compte combien robert martin serait désappointé et il était particulièrement vexé de la part qu'emma avait eue dans cette affaire +357 +je ne puis croire qu'un jeune homme ne puisse prendre sur lui une chose si simple une jeune fille si elle tombe dans de mauvaises mains peut être séquestrée et tenue à l'écart de ceux qu'elle désire voir mais il n'est pas admissible qu'un jeune homme ne soit pas libre de venir passer une semaine avec son père s'il le souhaite réellement +358 +il appréhendait surtout depuis que vous en avez fait votre amie qu'harriet ne fût considérée comme occupant une situation sociale supérieure à la sienne +359 +woodhouse demeura un moment silencieux puis ajouta mais je ne vois pas pourquoi la pauvre isabelle serait obligée de rentrer si tôt à cause de son mari il faut que je la persuade de prolonger son séjour elle pourrait parfaitement rester avec les enfants +360 +martin est un jeune homme respectable mais je ne puis admettre qu'il soit l'égal d'harriet ce scrupule était justifié comment pas l'égal d'harriet reprit m knightley en élevant la voix puis il ajouta quelques instants après d'un ton radouci mais incisif +361 +allons dit-elle je vais vous faire une confidence en échange de la vôtre il a parlé hier ou pour mieux dire il a fait sa demande par écrit et il n'a pas été agréé +362 +qu'emma avait orné d'initiales et de trophées mlle nash possédait une collection de plus de trois cents charades et harriet qui lui était redevable de l'idée première ne désespérait pas d'atteindre un chiffre bien plus considérable +363 +vous devriez nous en écrire une vous-même monsieur elton ce serait un sûr garant de sa nouveauté et rien ne vous serait plus facile m elton protesta il n'avait jamais cultivé ce genre de littérature il craignait que mlle woodhouse et ajouta-t-il après une pause ou mlle smith ne puissent l'inspirer +364 +il ne faut pas juger des choses d'enscombe suivant les règles générales elle est très déraisonnable et tout cède à ses désirs mais elle aime tant son neveu il est tellement dans ses bonnes grâces qu'il se trouve dans une situation privilégiée il me semble +365 +en revenant la veille de clayton park le docteur a croisé m elton se dirigeant sur londres il a été très surpris d'apprendre que celui-ci ne rentrerait que le lendemain car le soir même il y avait réunion au club de whist dont m elton était un membre assidu +366 +elle est en réalité extrêmement jolie ce sera du moins l'avis de quatre-vingt-dix-neuf personnes sur cent or aussi longtemps que les hommes ne feront pas preuve en face de la beauté d'un détachement philosophique +367 +à un bon mariage ne sont pas aussi négligeables que vous le prétendez son intelligence sans être remarquable n'est pas le moins du monde inférieure à la moyenne +368 +en entrant dans le salon de mme weston les deux hommes durent composer leur contenance m elton dissimula son contentement et m jean +369 +croyez-moi m elton ne serait pas flatté de voir son uvre mise de côté donnez-moi le registre la copie sera de ma main de cette façon vous resterez tout à fait en dehors de cette initiative harriet se soumit à contrec ur et dit seulement je ne laisserai plus jamais traîner mon livre +370 +il a tout autant conscience de ses propres mérites que vous de ceux d'harriet il sait qu'il est très joli garçon et il n'est pas sans s'apercevoir de ses succès d'après sa manière de parler dans des moments d'expansion je suis convaincu qu'il n'a aucune intention de ne pas profiter de ses avantages +371 +très bien dit emma c'est un sentiment naturel mais voici mon père vous ne verrez pas d'objection je pense à ce que je lui lise la charade il trouvera grand plaisir à l'écouter il aime tout ce qui est à la louange de la femme ses sentiments de galanterie vis-à-vis de notre sexe sont des plus prononcés je vais la lui lire +372 +harriet resta grave ma chère harriet il ne faut pas attacher une importance exagérée à cette charade ne soyez pas confuse d'un si petit tribut d'admiration si m elton avait désiré le secret il n'eut pas laissé le papier en ma présence et il a effectué au contraire de me le remettre à moi +373 +ce n'est pas sa principale qualité ce genre d'écrit ne saurait être trop court harriet était trop excitée pour prêter attention à cette légère critique et elle reprit les joues rouges d'émotion +374 +c'est un événement que personne n'aurait pu prévoir je n'en n'avais pas la moindre idée il y a un mois comme c'est étrange il est rare en effet de voir se réaliser une union si parfaitement assortie +375 +vous avez toujours raison je suppose je crois j'espère qu'il en est ainsi cette fois encore mais autrement je n'aurais jamais pu imaginer m elton qui pouvait prétendre à la plus brillante des alliances quand je pense à ces vers charmants +376 +harriet ne put résister plus longtemps à une si délicieuse révélation elle relut l'envoi et apprécia son bonheur emma développa son commentaire je ne puis douter plus longtemps des intentions de m elton c'est à vous que vont ses pensées et vous en aurez bientôt la preuve évidente +377 +m knightley joignit ses instances à celles d'emma et malgré ses scrupules de politesse m woodhouse finit par céder eh bien dit-il si vous voulez bien monsieur knightley +378 +et emma supposa qu'il venait de se rendre compte de l'effet produit le prétexte ostensible de sa visite était de s'informer si on avait besoin de lui pour la partie de m woodhouse ce soir-là +379 +peu d'instants après le départ d'harriet m knightley fut introduit les salutations terminées emma encouragea son père qui était précisément sur le point de sortir à mettre son projet à exécution +380 +m elton parut un peu interdit il bredouilla une allusion à l'honneur en regardant emma et harriet alternativement enfin il prit le cahier qui était sur la table et l'examina avec attention désireuse de dissiper la gêne emma dit en souriant +381 +il ne nous manque que que deux convives pour être au complet je voudrais voir ici deux personnes de plus votre jolie petite amie harriet smith et mon fils je crois que vous n'avez pas entendu ce que j'ai dit au salon au sujet de frank j'ai reçu une lettre de lui ce matin il sera ici dans quinze jours +382 +comment pourrais-je ne pas regretter de la voir épouser un homme avec lequel il me serait impossible d'avoir des rapports je m'étonne que vous m'ayez prêté de pareils sentiments vous ne paraissez pas vous rendre compte de la situation d'harriet monsieur martin est sans doute le plus riche des deux mais il est certainement l'inférieur d'harriet au point de vue social +383 +bien bien j'emploierai des termes plus protocolaires il se propose de demander la main d'harriet il est venu avant hier à l'abbaye pour me consulter à ce sujet il sait que j'ai pour lui et pour sa famille une grande estime et il me considère comme un de ses meilleurs amis +384 +voici notre intimité scellée pour toujours chère mademoiselle woodhouse fut d'abord la seule parole qu'harriet put trouver à répondre en embrassant son amie la première émotion passée ses idées se précisèrent et elle dit +385 +tout ce que vous dites est juste j'aime à vous entendre parler vous et m elton êtes aussi intelligents l'un que l'autre quand bien même je m'y serais appliquée pendant un an je n'aurais jamais pu écrire une charade comme celle-ci +386 +s'étaient réduits jusqu'à présent à parcourir quelques premiers chapitres avec l'intention de continuer le lendemain il était beaucoup plus commode de causer que d'étudier bien plus agréable de se laisser aller à édifier en imagination +387 +oui ma chère s'il y a le temps elle vient pour une semaine nous ne pourrons rien faire c'est un malheur évidemment qu'ils ne puissent pas rester plus longtemps mais c'est un cas de force majeure +388 +ma chère emma ne prétendez pas d'après les lumières de votre aimable nature expliquer les extravagances d'un détestable caractère n'essayez pas d'assigner des règles à ce qui ne connaît pas de mesure je ne doute pas que frank n'ait +389 +comme c'est spirituel est-ce possible qu'il ait voulu parler de moi il n'y a pas matière à controverse répondit emma croyez-moi sur parole c'est une sorte de prologue pour la pièce de devise pour le chapitre et le reste suivra bientôt +390 +c'était un véritable panégyrique de la femme l'auteur y faisait discrètement allusion à ses sentiments et à son amour les deux dernières lignes formaient une sorte d'envoi où après avoir vanté la subtilité de sa dame le poète exprimait l'espoir de lire dans un doux regard l'approbation de sa muse et de ses v ux +391 +excepté leur rêve matrimonial dont son imagination l'avait instinctivement avertie m woodhouse revint bientôt au salon il ne pouvait supporter demeurer longtemps à table après dîner il n'aimait ni le vin ni la conversation et se hâtait de venir retrouver celles auprès desquelles il était toujours content +392 +pour une fois dans votre vie vous serez forcé de reconnaître que vous vous êtes trompé la situation est évidemment sur le point de se dénouer elle fut forcée d'interrompre ces agréables réflexions pour donner quelques éclaircissements à harriet +393 +vraiment et dans quel genre j'ai des raisons de croire reprit-il qu'harriet smith recevra bientôt une demande en mariage de premier ordre il s'agit de robert martin la visite qu'elle a faite cet été à abbey mill +394 +puis se tournant vers isabelle qui s'était approchée à cet instant elle continua il faut que vous sachiez ma chère madame jean knightley que la venue de m frank churchill n'est pas le moins du monde certaine elle est entièrement subordonnée à l'humeur et au bon plaisir de sa tante +395 +le doux regard c'est précisément l'épithète qui convient à celui d'harriet on ne pouvait mieux choisir quant à la subtilité il faut qu'un homme soit bien amoureux pour se permettre une pareille licence poétique ah monsieur knightley voici je pense une preuve convaincante +396 +mais dit emma qui depuis le commencement de ce discours souriait intérieurement comment savez-vous que m martin ne s'est pas déclaré hier ce n'est qu'une supposition évidemment mais elle me paraît plausible harriet n'a-t-elle pas passé toute la journée avec vous +397 +emma s'empressa d'avoir recours à la collaboration de m elton elle eut le plaisir de le voir se mettre attentivement au travail il s'appliquait surtout à ne choisir que des textes de la plus parfaite galanterie +398 +ne m'avez-vous pas dit que vous l'attendiez ce matin d'un moment à l'autre je suis même étonnée qu'elle ne soit pas ici peut-être a-t-elle été retenue par quelque visite +399 +il faudrait être à enscombe et connaître les habitudes de la famille pour pouvoir prononcer avec équité sur ce qu'il est en état de faire il est sage je crois d'apporter la même prudence dans ses jugements sur la conduite d'une personne quelconque mais en tous cas +400 +je suis fâchée qu'il y ait le moindre doute dans l'affaire reprit emma mais je suis disposée néanmoins à me ranger à votre avis car vous êtes au courant des habitudes de l'endroit +401 +nous ne la connaissons que comme la pensionnaire de mme goddard elle n'est ni intelligente ni cultivée on ne lui a rien enseigné d'utile et elle est trop jeune pour avoir acquis une expérience personnelle +402 +je n'en doute pas monsieur qui ne le serait pas henri est un beau garçon mais jean ressemble beaucoup à sa maman henri est l'aîné il porte mon nom c'est un garçon très intelligent ils ont tous deux de si gracieuses manières je suis d'avis que leur père est souvent brusque avec eux +403 +son aimable naturel d'autre part n'est pas un mince avantage ses manières sont douces son caractère toujours égal elle est modeste et disposée à apprécier le mérite des autres +404 +je vous remercie je serais humiliée en effet si je ne croyais pas lui avoir été de quelque utilité et je vous suis d'autant plus obligée de votre observation que vous n'êtes pas d'habitude prodigue de louanges +405 +je vous prie de faire nos excuses à votre ami mais une si jolie charade ne doit pas rester le monopole de quelques privilégiés l'auteur peut être sûr d'obtenir le suffrage de toutes les femmes chaque fois qu'il donnera à ses écrits un tour aussi galant +406 +il vous semble brusque dit emma parce que vous avez vous-même des manières si douces m john knightley veut que ses garçons soient hardis et actifs et il sait à l'occasion parler sévèrement mais c'est un père très affectueux et les enfants l'aiment beaucoup +407 +j'ai tout de suite compris hier d'après sa manière qu'il se proposait de vous montrer ce dont il était capable c'est vraiment une des plus jolies charades que j'ai jamais lue et comme elle est appropriée elle est plus longue que toutes celles que nous avons recueillies jusqu'ici +408 +c'est un attachement que toute femme serait fière d'inspirer une alliance qui n'offre que des avantages elle vous apportera tout ce que vous avez besoin considération indépendance une maison agréable vous serez fixée au milieu même de vos amis tout près de +409 +elle la lui lut comme il aimait qu'on lui lise doucement et distinctement à deux ou trois reprises en y ajoutant des explications relatives à chacune des parties il fut particulièrement frappé comme elle l'avait prévu par le compliment final +410 +ah papa c'est ce que vous n'avez jamais pu obtenir et vous n'aurez pas plus de succès cette fois-ci isabelle ne peut supporter quitter son mari cette constatation était trop évidente pour permettre la contradiction bien malgré lui m woodhouse fut obligé de se soumettre en soupirant +411 +la fortune d'harriet que de s'appliquer à élargir sa compréhension ou à l'exercer sur des faits précis la seule occupation littéraire à laquelle s'adonnait harriet consistait à transcrire toutes les charades qu'elle parvenait à recueillir sur un petit registre in-quarto +412 +voici qui est très juste et bien dit la femme la divine femme cette charade est si jolie ma chère que je devine facilement la fée qui l'a laissée ce ne peut être que vous +413 +peu d'intérêt en tout cas qui sait si harriet partage sur ce point votre manière de voir puis il ajouta en souriant je ne prétends pas être sûr de l'heure et du jour mais je puis vous dire que votre jeune amie apprendra bientôt une nouvelle tout à son avantage +414 +s'ils souhaitent que vous vous fixiez dans le milieu et dans le pays qu'ils avaient choisi pour vous leur v u sera réalisé et si leur but est que vous fassiez suivant la phrase consacrée un bon mariage ils seront satisfaits +415 +mlle nash a collectionné tous les textes de ses sermons depuis qu'il est arrivé à hartfield je me souviens de la première fois que je l'ai vu comme je me doutais peu à ce moment-là de ce qui arriverait les deux abotts et moi nous avions couru dans le salon pour le regarder passer à travers le rideau +416 +n'apportons pas trop de solennité dans cette affaire oh non j'espère bien de ne pas me rendre ridicule faites comme vous voudrez m woodhouse entra et ramena bientôt le sujet sur le tapis en posant son habituelle question +417 +monsieur elton était bien décidé à continuer son voyage et il a dit d'un air singulier qu'il partait pour une affaire dont aucune considération ne saurait le détourner il a laissé entendre qu'il s'agissait d'une commission des plus délicates et qu'il était porteur d'un dépôt extrêmement précieux +418 +avant leur arrivée toutes les expressions de regret au sujet de l'indisposition d'harriet avaient été épuisées m woodhouse avait eu le temps de donner tous les détails y afférents et même de faire l'historique de leur voyage en voiture +419 +dans ces conditions je prendrai la liberté d'aller faire ma promenade quotidienne rien de plus opportun monsieur je vous demanderais bien de me faire le plaisir de m'accompagner monsieur knightley +420 +les hommes intelligents quoi que vous en disiez ne désirent pas une femme sotte les hommes de grande famille ne tiendront pas à s'unir à une jeune fille d'une distinction médiocre et la plupart des hommes raisonnables hésiteront devant le mystère d'une origine qui pourrait ménager des surprises désagréables +421 +robert martin ne se serait pas avancé si loin s'il n'avait eu de bonnes raisons de croire qu'il ne déplaisait pas je le connais bien il a trop de c ur pour se laisser guider par une passion égoïste quant à la vanité il est impossible d'en avoir moins croyez-moi il a été encouragé +422 +oh mais ces deux dernières lignes sont les plus précieuses je vous l'accorde mais elles ont été écrites pour vous seule et il faut leur conserver ce caractère intime l'allusion personnelle mise à part il reste une fort jolie charade qui peut tenir sa place dans n'importe quel recueil +423 +mon fils frank frappèrent son oreille à plusieurs reprises et il lui parut que m weston avait fait allusion à l'arrivée prochaine de son fils mais avant qu'elle ne fût parvenue à calmer l'exaltation de m elton on avait changé de conversation et elle ne trouva plus l'occasion de questionner m weston +424 +elle est jolie et elle a un aimable caractère c'est tout j'ai eu des scrupules au moment de donner mon approbation à robert martin j'estimais qu'il pouvait prétendre faire un mariage plus avantageux +425 +les exigences de sa profession obligent m john knightley à être de retour le vingt huit de ce mois réjouissons-nous plutôt papa que ce court séjour ne soit pas abrégé encore par une visite de deux ou trois jours à l'abbaye m knightley a promis de ne pas se prévaloir de ses droits ce serait bien dur ma chère si la pauvre isabelle devait habiter ailleurs qu'à hartfield +426 +il me fit entendre en outre qu'il avait les moyens de se marier dans ces conditions je n'ai eu qu'à donner mon approbation pleine et entière je louai aussi la blonde personne et il me quitta fort satisfait +427 +elle était par conséquent destinée à se mouvoir dans le cercle des connaissances de mme goddard ceux qui ont charge d'elle trouvaient évidemment ces relations suffisantes elle-même ne désirait pas mieux +428 +je m'en charge il importe que vous puissiez choisir votre moment pour lui sourire rapportez-vous-en à moi quel malheur que je ne puisse pas copier cette ravissante charade dans mon livre laissez de côté les deux dernières lignes et il n'y a pas de raison pour que vous ne la transcriviez pas +429 +si sa présence pouvait être utile il remettrait n'importe quelle obligation mais dans le cas contraire il s'excuserait ayant promis conditionnellement à son ami m cole de dîner avec lui +430 +emma ne répondit pas et s'efforça de prendre l'air indifférent en réalité elle commençait à se sentir mal à l'aise et désirait beaucoup clore l'entretien +431 +elle le serait en effet si elle ne craignait pas qu'il n'y eût une nouvelle remise elle n'a pas la même confiance que moi dans sa venue mais il faut considérer qu'elle ne connaît pas le milieu comme je le connais +432 +madame weston la remercia et lui confia qu'elle serait bien contente de pouvoir être sûre d'avoir cette gêne à surmonter à l'époque fixée en réalité ajouta-t-elle je ne m'attends pas à sa venue je ne puis pas être optimiste comme monsieur weston j'ai bien peur que ce projet ne s'évanouisse en fumée +433 +oui papa en effet elle est écrite à la seconde page de notre cahier nous l'avons copiée dans les morceaux choisis elle est de garrick je me rappelle seulement qu'elle commençait par kitty +434 +lisez dit emma en présentant le papier à harriet ceci vous est destiné harriet était trop émue pour lire et emma fut obligée d'examiner elle-même le document +435 +après cette constatation ce ne fut pas sans efforts qu'emma réussit à dissimuler son mécontentement par égard pour sa propre dignité elle ne voulait pas être malhonnête et à cause d'harriet dans l'espoir que les choses pourraient encore s'arranger elle continua même à être polie +436 +je crois pouvoir m'avancer répondit monsieur elton avec une certaine hésitation et me porter garant que si mon ami voyait sa petite composition à cette place d'honneur il en éprouverait un sentiment de légitime fierté ce discours terminé monsieur elton prit congé prestement +437 +la vanité dans un cerveau faible fait des ravages malgré sa beauté mademoiselle harriet smith ne verra pas affluer aussi vite que vous le croyez les demandes en mariage +438 +en effet il n'est pas son égal car il est de beaucoup son supérieur en intelligence et en situation emma votre infatuation pour cette jeune fille vous aveugle +439 +je puis apprécier maintenant la distance qui sépare un homme de bon sens capable à l'occasion d'écrire une lettre convenable de celui qui sait donner à sa pensée une forme aussi délicate mais chère mademoiselle woodhouse je n'aurai jamais le courage de rendre le papier et de dire que j'ai deviné +440 +harriet expliqua son retard de la façon la plus naturelle elle se trouvait dans de très bonnes dispositions mlle nash lui avait fait part d'une conversation qu'elle venait d'avoir avec m perry appelé chez mme goddard pour une élève harriet répéta ce récit avec une visible satisfaction +441 +le cas échéant il y avait là pour elle un parti tout indiqué comme âge fortune et situation emma était persuadée que m et mme weston avaient eu la même idée +442 +à vous à mes deux filles je puis dire la vérité madame churchill est maîtresse absolue à enscombe et nul ne peut prévoir si elle sera disposée à se priver de lui +443 +après avoir deviné le mot de l'énigme emma passa le papier à harriet et tandis que celle-ci s'efforçait de comprendre elle se disait très bien m elton j'ai lu de plus mauvaises charades l'idée est bonne vous cherchez à reconnaître votre route +444 +nourrissait le désir de lui plaire jusqu'à un certain point et éprouvait une satisfaction anticipée à la pensée des suppositions et des projets que ne manqueraient pas de provoquer parmi ses amies les assiduités du jeune homme +445 +malgré qu'emma fût décidée à ne pas se marier elle ne pouvait s'empêcher de prendre un intérêt particulier aux faits et gestes de m frank churchill elle avait souvent pensé surtout depuis le mariage de m weston avec mlle taylor que +446 +par la suite m elton manifesta une si vive anxiété touchant les risques qu'elle avait courus de prendre froid en venant à randalls témoigna d'un si touchant intérêt pour m woodhouse +447 +eh bien mes chères enfants votre travail avance-t-il avez-vous reçu quelque nouvelle contribution oui papa nous allons vous lire quelque chose d'inédit nous avons trouvé ce matin sur la table un papier déposé sans doute par une fée et qui contenait une très jolie charade je l'ai immédiatement copiée +448 +il vaut mieux être dénuée d'intelligence que de l'employer comme vous le faites fort bien reprit-elle en riant c'est là le fond de votre pensée à tous une jeune fille dans le genre d'harriet répond précisément à l'idéal de votre sexe +449 +nous autres valétudinaires nous nous arrogeons des privilèges mon cher monsieur ne me considérez pas comme un étranger je vous en prie ma fille me remplacera avantageusement elle se fera un plaisir de vous tenir compagnie +450 +emma le remercia de sa prévenance mais ne voulut pas entendre parler qu'il désappointât son ami à cause d'eux monsieur elton se crut tenu à des nouvelles protestations puis comme il allait se retirer emma prit le papier sur la table et le lui passa +451 +je vous remercie beaucoup reprit emma si j'avais rêvé de faire épouser harriet à m elton il eût été charitable de m'ouvrir les yeux mais pour le moment je désire surtout la garder auprès de moi +452 +je puis vous dire à vous la raison de l'incertitude qui subsiste encore ceci entre nous je n'y ai fait aucune allusion dans le salon il y a des secrets dans toutes les familles certaines personnes sont invitées à passer le mois de janvier à enscombe et la venue de frank dépend du sort de cette invitation +453 +et je n'ai pas le droit de la livrer au public mais peut-être ne vous déplaira-t-il pas d'en prendre connaissance ce discours s'adressait plus particulièrement à emma qui ne s'en étonna pas elle comprenait que dans cette circonstance décisive m elton préférât éviter le regard d'harriet il prit congé au bout de quelques instants +454 +emma par jane austen traduit par pierre de puliga chapitre neuf m knightley espaça plus que de coutume sa visite à hartfield +455 +je pensais bien ne m'être pas trompée il se propose précisément de réaliser mon plus cher désir je suis très heureuse je vous félicite ma chère harriet de tout mon c ur +456 +je vais aller chercher votre paletot et vous ouvrir la porte du jardin finalement m woodhouse s'éloigna mais m knightley au lieu d'en faire autant s'assit aussitôt tout disposé à causer +457 +voici la charade que vous nous avez si aimablement laissée et dont nous vous remercions nous l'avons tant admirée que je me suis permis de la transcrire sur l'album de mlle smith j'espère que votre ami n'y verra pas d'inconvénient naturellement je n'ai copié que les huit premières lignes +458 +au moment où les jeunes filles allaient se séparer pour le dîner de quatre heures le héros de la journée fit son apparition harriet détourna la tête mais emma le reçut avec son sourire habituel tout indiquait dans l'attitude de m elton qu'il avait conscience d'avoir fait un pas en avant +459 +j'approuve tout ce qu'il me dit je n'ai jamais entendu personne parler plus sensément que robert martin il est franc loyal son jugement est excellent c'est un bon fils et un bon frère +460 +je l'ai entendu faire allusion à une famille où les jeunes filles qui sont les amies intimes de ses s urs ont chacune cinq cent mille francs de dot +461 +d'autre part j'étais persuadé que de l'avis unanime elle serait considérée comme extrêmement favorisée du sort j'escomptais même votre satisfecit je pensais que vous ne regretteriez pas que votre amie vous quittât quand vous la sauriez si heureusement établie +462 +qu'elle épouse robert martin et la voilà à l'abri et heureuse pour toujours mais si au contraire vous l'encouragez dans des idées de grandeur elle risque fort de demeurer toute sa vie pensionnaire chez madame goddard +463 +emma de son côté ne se sentait pas absolument satisfaite et la calme persuasion de son adversaire d'avoir la raison pour lui n'était pas sans éveiller en elle quelques doutes sur sa propre infaillibilité +464 +voilà un compliment bien tourné n'est-il pas vrai j'espère que vous n'avez pas eu de peine à comprendre le sens des deux dernières lignes il n'y a pas de doute elle vous sont adressées au lieu de pour mlle lisez pour mlle smith +465 +les deux amies lui furent redevables de deux ou trois de leurs meilleures charades et furent très désappointées de devoir confesser qu'elles avaient déjà copié la dernière qu'il récita emma lui dit +466 +alors c'est une plus grande sotte que je ne l'avais imaginé ah dit emma les hommes ne peuvent jamais s'expliquer qu'une femme rejette une demande en mariage il leur semble qu'on ne saurait récuser pareil honneur +467 +oh oui isabelle aura sa chambre comme d'habitude et les enfants seront installés dans la nursery quelle raison y aurait-il de faire une modification je ne sais pas ma chère mais il y a si longtemps qu'elle n'a été ici depuis pâques et seulement pour quelques jours +468 +serait-il possible que mon beau-frère eût deviné juste cet homme est-il en train de me transférer l'affection qu'il avait vouée à harriet voilà ce que je ne saurais tolérer +469 +à un certain moment une influence considérable sur sa tante mais il lui est impossible de prévoir d'avance l'époque et le jour où il pourra s'en servir emma écouta avec attention et répondit simplement je ne serai pas satisfaite s'il ne vient pas +470 +elle se sauva pour donner libre cours à son hilarité laissant harriet jouir de son bonheur +471 +sa pension est extrêmement large rien n'a jamais été négligé pour son bien-être et son agrément pour ma part je suis persuadée qu'elle est de bonne souche et personne je pense ne niera qu'elle ne soit en relation avec des filles bien nées +472 +emma jugeait qu'il valait mieux à tous les points de vue garder son amie auprès d'elle le plus possible pendant cette période de crise le lendemain matin harriet fut obligée d'aller chez mme goddard mais il avait été entendu qu'elle viendrait passer une semaine à hartfield +473 +quand emma le revit sa physionomie sérieuse montrait qu'il n'avait pas pardonné emma le regrettait mais ne pouvait pas se repentir au contraire ses plans semblaient chaque jour plus réalisables et ses espérances plus justifiées +474 +oh reprit isabelle tout le monde connaît mme churchill et je ne pense jamais à ce pauvre jeune homme qu'avec compassion ce doit être terrible de vivre avec une personne affligée d'un mauvais caractère c'est heureusement ce que nous n'avons jamais connu +475 +emma par jane austen traduit par pierre de puliga chapitre huit harriet coucha ce soir-là à hartfield depuis quelques semaines elle y passait plus de la moitié de son temps et insensiblement une chambre lui avait été réservée +476 +j'espère que le sultan notre seigneur ne vous fera pas mourir qu'il n'ait entendu le reste du beau conte du pêcheur le sultan est le maître reprit scheherazade il faut vouloir tout ce qui lui plaira +477 +puisque je ne saurais éviter la mort dit-il au génie je me soumets donc à la volonté de dieu mais avant que je choisisse un genre de mort je vous conjure par le grand nom de dieu qui était gravé sur le sceau du prophète salomon fils de david +478 +ô fortune s'écria-t-il d'une voix pitoyable cesse d'être en colère contre moi et ne persécute point un malheureux qui te prie de l'épargner je suis parti de ma maison pour venir ici chercher ma vie et tu m'annonces ma mort +479 +cela le réjouit je le vendrai au fondeur disait-il et de l'argent que j'en ferai j'en achèterai une mesure de blé il examina le vase de tous côtés il le secoua pour voir si ce qui était dedans ne ferait pas de bruit il n'entendit rien et cette circonstance avec l'empreinte du sceau sur le couvercle de plomb +480 +lui fit penser qu'il devait être rempli de quelque chose de précieux pour s'en éclaircir il prit son couteau et avec un peu de peine il l'ouvrit il en pencha aussitôt l'ouverture contre terre mais il n'en sortit rien ce qui le surprit extrêmement +481 +on ne saurait expliquer quel fut son désespoir peu s'en fallut qu'il ne perdît l'esprit cependant comme le jour commençait à paraître il n'oublia pas de faire sa prière en bon musulman ensuite il ajouta celle-ci +482 +je te dis repartit le génie de me parler plus civilement avant que je te tue hé pourquoi me tueriez-vous répliqua le pêcheur je viens de vous mettre en liberté l'avez-vous déjà oublié +483 +je te l'ai déjà dit repartit le génie c'est justement pour cette raison que je suis obligé de t'ôter la vie cela est étrange répliqua le pêcheur que vous vouliez absolument rendre le mal pour le bien +484 +c'est pourquoi il se leva et ne donna point encore ce cruel ordre fin de la huitième nuit cet enregistrement fait partie du domaine public +485 +s'écria d'abord le génie salomon grand prophète de dieu pardon pardon jamais je ne m'opposerai à vos volontés j'obéirai à tous vos commandements scheherazade apercevant le jour interrompit là son conte +486 +tu prends plaisir à maltraiter les honnêtes gens et à laisser de grands hommes dans l'obscurité tandis que tu favorises les méchants et que tu élèves ceux qui n'ont aucune vertu qui les rende recommandables +487 +sire le pêcheur n'eut pas sitôt entendu les paroles que le génie avait prononcées qu'il se rassura et lui dit esprit superbe que dites-vous +488 +sire répondit la sultane le troisième vieillard raconta son histoire au génie je ne vous la dirai point car elle n'est point venue à ma connaissance +489 +il allait tous les jours à la pêche de grand matin et chaque jour il s'était fait une loi de ne jeter ses filets que quatre fois seulement il partit un matin au clair de lune et se rendit au bord de la mer il se déshabilla et jeta ses filets +490 +dixième nuit des mille et une nuits tome premier traduit par antoine galland enregistré pour librivox point org par enkirli enkirli point wolrdpress point com +491 +et de lui accorder chaque jour trois demandes de quelque nature qu'elles pussent être mais ce siècle se passa comme les deux autres et je demeurai toujours dans le même état enfin désolé ou plutôt enragé de me voir prisonnier si longtemps je jurai que si quelqu'un me délivrait dans la suite je le tuerais impitoyablement +492 +le sultan de son côté témoigna de l'impatience d'apprendre quel démêlé le génie avait eu avec salomon c'est pourquoi scheherazade poursuivit ainsi le conte du pêcheur +493 +dès que dinarzade s'aperçut qu'il était temps d'appeler la sultane elle lui dit ma soeur si vous ne dormez pas je vous supplie en attendant le jour qui paraîtra bientôt de me conter un de ces beaux contes que vous savez +494 +le marchand s'en retourna auprès de sa femme et de ses enfants et passa tranquillement avec eux le reste de ses jours mais sire ajouta scheherazade quelque beaux que soient les contes que j'ai racontés jusqu'ici à votre majesté ils n'approchent pas de celui du pêcheur +495 +le sultan qui n'avait pas moins d'envie que dinarzade d'entendre la fin de ce conte différa encore la mort de la sultane fin de la dixième nuit cet enregistrement fait partie du domaine public +496 +en achevant ces plaintes il jeta brusquement le panier et après avoir bien lavé ses filets que la fange avait gâtés il les jeta pour la troisième fois mais il n'amena que des pierres des coquilles et de l'ordure +497 +durant le premier siècle de ma prison je jurai que si quelqu'un m'en délivrait avant les cent ans achevés je le rendrais riche même après sa mort mais le siècle s'écoula et personne ne me rendit ce bon office +498 +le pêcheur ayant fini cette prière jeta ses filets pour la quatrième fois quand il jugea qu'il devait y avoir du poisson il les tira comme auparavant avec assez de peine +499 +schahriar y consentit et scheherazade reprenant son discours poursuivit de cette manière histoire du pêcheur +500 +ma chère soeur s'écria dinarzade le lendemain à l'heure ordinaire je vous supplie en attendant le jour qui paraîtra bientôt de me raconter la suite du conte du pêcheur je meurs d'envie de l'entendre je vais vous donner cette satisfaction répondit la sultane +501 +je suis un de ces esprits rebelles qui se sont opposés à la volonté de dieu tous les autres génies reconnurent le grand salomon prophète de dieu et se soumirent à lui nous fûmes les seuls sacar et moi qui ne voulûmes pas faire cette bassesse +502 +scheherazade en cet endroit cessa de parler parce qu'elle vit paraître le jour ma soeur lui dit dinarzade je vous avoue que ce commencement me charme et je prévois que la suite sera fort agréable +503 +cela fait il mit le vase entre les mains d'un des génies qui lui obéissaient avec ordre de me jeter à la mer ce qui fut exécuté à mon grand regret +504 +il le posa devant lui et pendant qu'il le considérait attentivement il en sortit une fumée fort épaisse qui l'obligea de reculer deux ou trois pas en arrière cette fumée s'éleva jusqu'aux nues et s'étendant sur la mer et sur le rivage forma un gros brouillard +505 +spectacle qui causa comme on peut se l'imaginer un étonnement extraordinaire au pêcheur lorsque la fumée fut toute hors du vase elle se réunit et devint un corps solide dont il se forma un génie deux fois aussi haut et que le plus grand de tous les géants +506 +schahriar avait trop d'envie d'entendre le reste de l'histoire du pêcheur pour vouloir se priver de ce plaisir il remit donc encore au lendemain la mort de la sultane +507 +mais je sais qu'elle se trouva si fort au-dessus des deux précédentes par la diversité des aventures merveilleuses qu'elle contenait que le génie en fut étonné il n'en eut pas plus tôt ouï la fin qu'il dit au troisième vieillard je t'accorde le dernier tiers de la grâce du marchand +508 +pour me punir il m'enferma dans ce vase de cuivre et afin de s'assurer de moi et que je ne pusse pas forcer ma prison il imprima lui-même sur le couvercle de plomb son sceau où le grand nom de dieu était gravé +509 +il tâcha encore d'apaiser le génie hélas reprit-il daignez avoir pitié de moi en considération de ce que j'ai fait pour vous +510 +considérez de grâce votre injustice et révoquez un serment si peu raisonnable pardonnez-moi dieu vous pardonnera de même si vous me donnez généreusement la vie il vous mettra à couvert de tous les complots qui se formeront contre vos jours +511 +rien n'est plus surprenant que l'histoire du pêcheur répondit la sultane et vous en conviendrez la nuit prochaine si le sultan me fait la grâce de me laisser vivre schahriar curieux d'apprendre le succès de la pêche du pêcheur ne voulut pas faire mourir ce jour-là scheherazade +512 +ce discours affligea fort le pêcheur je suis bien malheureux s'écria-t-il d'être venu en cet endroit rendre un si grand service à un ingrat +513 +salomon fils de david me commanda de quitter mon genre de vie de reconnaître son pouvoir et de me soumettre à ses commandements je refusai hautement de lui obéir et j'aimai mieux m'exposer à tout son ressentiment que de lui prêter le serment de fidélité et de soumission qu'il exigeait de moi +514 +seigneur vous savez que je ne jette mes filets que quatre fois chaque jour je les ai déjà jetés trois fois sans avoir tiré le moindre fruit de mon travail il ne m'en reste plus qu'une je vous supplie de me rendre la mer favorable comme vous l'avez rendue à moïse +515 +sire il y avait autrefois un pêcheur fort âgé et si pauvre qu'à peine pouvait-il gagner de quoi faire subsister sa femme et trois enfants dont sa famille était composée +516 +en les tirant il sentit encore beaucoup de résistance ce qui lui fit croire qu'ils étaient remplis de poissons mais il n'y trouva qu'un grand panier plein de gravier et de fange il en fut dans une extrême affliction +517 +neuvième nuit des mille et une nuits tome premier traduit par antoine galland enregistré pour librivox point org par enkerli enkerli point wordpress point com +518 +mais en quoi vous ai-je offensé reprit le pêcheur est-ce ainsi que vous voulez me récompenser du bien que je vous ai fait je ne puis te traiter autrement dit le génie et afin que tu en sois persuadé écoute mon histoire +519 +le jour venant à paraître scheherazade se tut en cet endroit de son discours ma soeur lui dit dinarzade il faut convenir que plus vous parlez et plus vous faites de plaisir +520 +il doit bien vous remercier tous trois de l'avoir tiré d'embarras par vos histoires sans vous il ne serait plus au monde en achevant ces mots il disparut au grand contentement de la compagnie +521 +à l'aspect d'un monstre d'une grandeur si démesurée le pêcheur voulut prendre la fuite mais il se trouva si troublé et si effrayé qu'il ne put marcher salomon +522 +pour s'en venger ce puissant monarque chargea assaf fils de barakhia son premier ministre de me venir prendre cela fut exécuté assaf vint se saisir de ma personne et me mena malgré moi devant le trône du roi son maître +523 +prit alors la parole ma soeur dit-elle on ne peut mieux tenir sa promesse que vous tenez la vôtre ce conte est assurément plus surprenant que les autres ma soeur répondit la sultane vous entendrez des choses qui vous causeront encore plus d'admiration si le sultan mon seigneur me permet de vous les raconter +524 +non ta mort est certaine dit le génie choisis seulement de quelle sorte tu veux que je te fasse mourir le pêcheur le voyant dans la résolution de le tuer en eut une douleur extrême non pas tant pour l'amour de lui qu'à cause de ses trois enfants dont il plaignait la misère où ils allaient être réduits par sa mort +525 +il n'y en avait pas pourtant mais il y trouva un vase de cuivre jaune qui à sa pesanteur lui parut plein de quelque chose et il remarqua qu'il était fermé et scellé de plomb avec l'empreinte d'un sceau +526 +et ne lui accorderais point d'autre grâce que de lui laisser le choix du genre de mort dont il voudrait que je le fisse mourir c'est pourquoi puisque tu es venu ici aujourd'hui et que tu m'as délivré choisis comment tu veux que je te tue +527 +à ce discours le génie regardant le pêcheur d'un air fier lui répondit parle-moi plus civilement tu es bien hardi de m'appeler esprit superbe eh bien repartit le pêcheur vous parlerai-je avec plus de civilité en vous appelant hibou du bonheur +528 +dinarzade voyant que la sultane s'arrêtait lui dit ma soeur puisqu'il nous reste encore du temps de grâce racontez-nous l'histoire de ce pêcheur le sultan le voudra bien +529 +en même temps elle demanda la permission au sultan et lorsqu'elle l'eut obtenue elle reprit en ces termes le conte du pêcheur sire quand le pêcheur affligé d'avoir fait une si mauvaise pêche eut raccommodé ses filets que la carcasse de l'âne avait rompus en plusieurs endroits il les jeta une seconde fois +530 +je n'ai pas d'autre métier que celui-ci pour subsister et malgré tous les soins que j'y apporte je puis à peine fournir aux plus pressants besoins de ma famille mais j'ai tort de me plaindre de toi +531 +ne perdons pas le temps interrompit le génie tous les raisonnements ne sauraient me détourner de mon dessein hâte-toi de dire comment tu souhaites que je te tue la nécessité donne de l'esprit le pêcheur s'avisa d'un stratagème +532 +et comme il les tirait vers le rivage il sentit d'abord de la résistance il crut avoir fait une bonne pêche et s'en réjouissait déjà en lui-même mais un moment après s'apercevant qu'au lieu de poisson il n'y avait dans ses filets que la carcasse d'un âne il en eut beaucoup de chagrin +533 +le marchand ne manqua pas de rendre à ses trois libérateurs toutes les grâces qu'il leur devait ils se réjouirent avec lui de le voir hors de péril après quoi ils se dirent adieu et chacun reprit son chemin +534 +racontez-nous celui du troisième vieillard dit le sultan à scheherazade j'ai bien de la peine à croire qu'il soit plus merveilleux que celui du vieillard et des deux chiens noirs +535 +le proverbe dit que qui fait du bien à celui qui ne le mérite pas en est toujours mal payé je croyais je l'avoue que cela était faux en effet rien ne choque davantage la raison et les droits de la société néanmoins j'éprouve cruellement que cela n'est que trop véritable +536 +pendant le second siècle je fis serment d'ouvrir tous les trésors de la terre à quiconque me mettrait en liberté mais je ne fus pas plus heureux dans le troisième je promis de faire puissant monarque mon libérateur d'être toujours près de lui en esprit +537 +la nuit suivante appela sa soeur quand il en fut temps si vous ne dormez pas ma soeur lui dit-elle je vous prie en attendant le jour qui paraîtra bientôt de continuer le conte du p��cheur +538 +non je m'en souviens repartit le génie mais cela ne m'empêchera pas de te faire mourir et je n'ai qu'une seule grâce à t'accorder et quelle est cette grâce dit le pêcheur c'est répondit le génie de te laisser choisir de quelle manière tu veux que je te tue +539 +il y a plus de dix-huit cents ans que salomon le prophète de dieu est mort et nous sommes présentement à la fin des siècles apprenez-moi votre histoire et pour quel sujet vous étiez renfermé dans ce vase +540 +diable et dans quel but dans le but très simple de vous mitrailler tous si je n'obtiens pas le grand diplôme d'honneur vous n'y allez pas par quatre chemins vous jamais un seul c'est plus court laissez-moi au moins le temps de prévenir le jury comme il vous plaira +541 +je soumets le cas à l'académie de médecine le vieux serin dont j'ai parlé plus haut possède un chien mouton tout blanc dont il était très fier et qu'il appelait black sans doute parce que black signifie noir en anglais un beau jour black éprouva des démangeaisons et le vieux serin me demanda ce qu'on pourrait bien faire contre cet inconvénient je conseillai un bain sulfureux +542 +les différents genres de mort défilèrent dans son imagination lugubres et indifférents noyade coup de pistolet pendaison il s'arrêta à ce dernier mode de suicide puis au moment de mourir il lui vint une immense pitié pour ceux qui allaient continuer à vivre +543 +à l'intérêt historique de cet épisode émouvant venait s'adjoindre l'attrait d'une ingénieuse application du phonographe dans l'intérieur de george ernest baker était adroitement placé un appareil et toutes les cinq minutes le vaillant général portant sa main au coeur s'écriait en américain bien entendu je meurs pour le principe +544 +ce qui prouve que comme disent les français dans le cochon tout est bon même l'intérieur surtout quand il est creux enchantés de cette excellente plaisanterie blagsmith et merrycalf allèrent déjeuner avec un appétit qui frisait la voracité +545 +ils remontaient l'avenue de l'opéra lui de son pas bête et plat de gommeux idiot elle trottinant allègrement portant haut sa petite tête effrontée derrière eux un grand cuirassier qui n'en revenait pas +546 +à se tordre de alphonse allais le comble du darwinisme je n'ai pas toujours été le vieillard quinteux et cacochyme que vous connaissez aujourd'hui jeunes gens +547 +le lendemain c'était le premier jour de l'an la boutique de m hume mabrize était à peine ouverte qu'un garçon de l'auberge du roi maure vint demander un lavement émollient pour un client qui se tordait dans les plus pénibles coliques +548 +il aimait son prochain et de tout son coeur le plaignait de la triste existence à laquelle il était voué un beau jour plutôt un fort vilain jour il en eut assez de cette vie par trop bête vraiment +549 +une nuée de mouches dans la même proportion s'ébattaient petites folles autour du monstrueux groin le cochon comme tout bon cochon qui se respecte était immobile mais les mouches mues par un petit appareil des plus ingénieux patent +550 +elle beaucoup mieux toute petite mignonne comme tout avec des frissons fous plein le front mais surtout une taille invraisemblable la taille elle aurait certainement pu la petite blonde sans se gêner beaucoup employer comme ceinture son porte-bonheur d'or massif +551 +alors se portant à deux pas à droite de la jeune femme il dégaina le large bancal horizontalement fouetta l'air et s'abattit tranchant net la dame en deux morceaux qui roulèrent sur le trottoir tel un ver de terre tronçonné par la bêche du jardinier cruel c'est le gommeux qui faisait une tête +552 +le vaste hall ne désemplissait pas et bientôt les organisateurs ne surent plus où fourrer les dollars de leurs recettes d'ailleurs la chose en valait la peine la sculpture surtout intéressait les visiteurs au plus haut point +553 +jai voulu conter cette histoire à l'occasion de l'année qui vient pour prouver aux jeunes gens disposés à la raillerie qu'il est toujours malséant et parfois dangereux de se gausser des malheureux fasse le ciel que ce récit produise son effet et que la nouvelle année soit exempte de déplorables plaisanteries et de méchants brocards +554 +de leur côté les deux artistes s'étaient pris l'un pour l'autre d'une vive hostilité ils se saluaient se serraient la main s'informaient de leur santé réciproque mais on sentait que ces rapports courtois cachaient une glacialité polaire +555 +représentait un cochon taquiné par des mouches et l'on se demandait ce qu'il fallait admirer le plus dans ce gracieux ensemble le cochon les mouches le cochon un cochon en bronze trente-six fois grandeur naturelle se vautrait sur un fumier également trente-six fois nature +556 +après un grand morceau exécuté par l'harmonie des abattoirs de pigtown le président du jury se leva et proclama le nom des heureux lauréats on commença par la peinture à part quelques coups de revolver échangés entre une mention honorable et une médaille d'argent la proclamation des lauréats peintres se passa assez tranquillement +557 +et se débarrassant de sa jaquette blagsmith arbora la tenue si commode dite en bras de chemise sur une splendide estrade drapée de peluche et ornée de plantes tropicales le jury se réunissait +558 +les narines battaient les seins haletaient les bouches s'ouvraient et quand un groupe représentait un boa dévorant un boeuf on n'avait qu'à demeurer cinq minutes devant cette oeuvre capitale le boeuf se trouvait effectivement dévoré par le boa +559 +sortis de la poussière les marbres et les plâtres retournaient en poussière seuls les bronzes s'en tiraient avec quelques renfoncements négligeables c'était fini +560 +je métais trompé d'étiquettes le pauvre homme avait bu la lotion et s'était consciencieusement frictionné la tête avec le sirop ma foi me dis-je puisque ça lui a réussi continuons j'appris depuis que ce pauvre monsieur qui avait une maladie du cuir chevelu réputée incurable s'était trouvé radicalement guéri au bout d'un mois de ce traitement à l'envers +561 +complètement médusé par l'exiguïté phénoménale de cette taille de parisienne qu'il comparait dans son esprit aux robustesses de sa bonne amie il murmurait à part lui ça doit être postiche +562 +votre darwin est une canaille votre fénelon est un singe pendant nos discussions pseudo scientifiques je vous laisse à penser comme les prescriptions étaient consciencieusement exécutées je me rappelle notamment un pauvre monsieur qui arriva au moment le plus chaud avec une ordonnance comportant deux médicaments primo une eau quelconque pour se frictionner le cuir chevelu +563 +dans une pharmacie où je me trouvais vers cette époque ou à peu près j'étais doué d'un patron qui aurait pu rendre des points à madame benoîton toujours sorti j'aimais autant cela n'ayant jamais été friand de surveillance incessante +564 +c'est mon mari monsieur oh ce n'est pas grave un petit enrouement alors je me disais ah il est enroué ton mari eh bien je me charge de lui rendre la pureté de son organe et il était bien rare le surlendemain de ne pas rencontrer un enterrement dans le quartier c'était le bon temps +565 +un monsieur étranger à la localité n'eut que le temps pour ne pas être écrasé de sauter sur le trottoir mais la roue de la voiture entra violemment dans la flaque et en projeta le contenu tout alentour le monsieur étranger à la localité fut littéralement inondé de fange +566 +et blagsmith grattant légèrement de la pointe de son canif un fragment de plâtre fit apparaître l'acier luisant et vous savez pas de l'acier pour rire oui poursuivit-il cette mitrailleuse est une réelle mitrailleuse en parfait état avec cette circonstance aggravante quelle est chargée et prête à faire feu +567 +réflexion ridicule pour quiconque a fait tant soit peu de l'anatomie on peut avoir en effet des fausses dents des nattes artificielles des hanches et des seins rajoutés mais on conçoit qu'on ne peut avoir d'aucune façon une taille postiche +568 +on vendait non point des médicaments mais des drogues et entre nous le pauvre monde ne sen trouvait pas plus mal il pouvait être cinq heures du soir hume mabrize dans son laboratoire élaborait je ne sais quel bienfaisant électuaire +569 +dessous un sirop pour se purifier le sang huit jours après le pauvre monsieur revenait avec son ordonnance et ses bouteilles vides ça va beaucoup mieux fit-il mais nom d'un chien c'est effrayant ce que ça poisse les cheveux cette cochonnerie-là et ce que ça arrange les chapeaux je jetai un coup d'oeil sur les bouteilles oh +570 +ils s'en allaient tous les deux remontant l'avenue de l'opéra lui un gommeux quelconque aux souliers plats relevés et pointus aux vêtements étriqués comme s'il avait dû sangloter pour les obtenir en un mot un de nos joyeux rétrécis +571 +hume mabrize prépara avec son soin ordinaire un bon liquide émollient sédatif et mucilagineux l'introduisit bouillant dans le cylindre d'étain que vous savez et voilà mon athanase parti pour accomplir sa mission la clef du voyageur était sur la porte athanase entra sans mot dire le voyageur découvrit la partie intéressée +572 +chaque jour dans l'après-midi une espèce de vieux serin rentier dans le quartier ennemi du progrès clérical enragé venait tailler avec moi d'interminables bavettes dont darwin était le sujet principal +573 +à cette époque la muse de la prose n'avait que légèrement effleuré du bout de son aile vague mon front d'ivoire d'ailleurs la nature de mes occupations était peu faite pour m'impulser vers d'aériennes fantaisies +574 +mais tout à coup comme un volcan comme une explosion il se produisit un phénomène inattendu projeté violemment dehors le bon liquide venait de sortir comme déshonoré d'avoir été amené en tel endroit +575 +mais ce cuirassier qui n'était d'ailleurs que de deuxième classe était aussi peu au courant de l'anatomie que des artifices de toilette et il continuait à murmurer très ahuri ça doit être postiche +576 +le matin du jour où le jury devait proclamer les récompenses blagsmith invita poliment son confrère merrycalf à lui consacrer quelques instants d'entretien il l'amena devant son groupe +577 +il avait beau le grand cavalier se remémorer les plus jolies demoiselles de son chef-lieu de canton pas une seule ne lui rappelait même de loin l'étroitesse inouïe de cette jolie guêpe très troublé le cuirassier résolut d'en avoir le coeur net et murmura nous verrons bien si c'est du faux +578 +l'estrade ne fut bientôt qu'un amas confus de draperies rouges d'arbustes verts et de jurés de toutes couleurs là-bas dans le fond blagsmith tournait sa manivelle avec autant de quiétude que s'il eût joué le yankie doodle sur un orgue de barbarie +579 +il y a longtemps qu'en matière de statues les américains ont déserté les errements surannés de la vieille europe plus de ces groupes inanimés assez de ces marbres froids et insensibles foin de ces lions de bronze dévorant des autruches de même métal sans que les autruches y perdent une seule de leurs plumes +580 +il en avait plein ses culottes plein sa houppelande sur le visage et jusque dans les cheveux athanase conçut la plus vive allégresse de ce malheur il éclata de rire et comme le monsieur s'éloignait en grommelant il le rappela pour lui demander ironiquement voulez-vous une brosse +581 +ils étaient arrivés aux boulevards le couple prit à droite et bien que ce ne fût pas son chemin le cuirassier les suivit décidément non ce n'était pas possible cette taille n'était pas une vraie taille +582 +mon vieux serin considérait darwin comme un grand coupable et ne parlait rien moins que de le pendre darwin n'était pas encore mort à ce moment-là moi je lui répondais que bossuet était un drôle et que si je savais où se trouvait sa tombe j'irais la souiller d'excréments +583 +cent milliards de démons se seraient acharnés à déchirer cent milliards d'aunes de toile forte que le tapage n'eût pas été plus infernal cependant que des projectiles meurtriers semaient la mort et l'effroi parmi le jury et le public +584 +le visage dathanase était là tout près à bout portant il n'en perdit pas une goutte alors le voyageur tourna son autre face vers le jeune apothicaire et lui demanda sur le ton de la politesse empressée voulez-vous une brosse fin du railleur puni +585 +tant les gargousses étaient brûlées il en tirait d'autres du socle de son groupe et continuait tranquillement l'oeuvre de destruction comme tout prend une fin même les meilleures plaisanteries les provisions s'épuisèrent dois-je ajouter que le public n'avait pas attendu plus longtemps pour déserter le vaste hall +586 +on lança par la libre amérique des invitations aux artistes de deux sexes et l'on construisit en moins de temps qu'il ne faut pour l'écrire un vaste hall auprès duquel la galerie des machines semblerait une humble mansarde +587 +la boutique était sous la garde du jeune athanase garçon apothicaire de beaucoup d'avenir mais malheureusement doué d'un esprit caustique et railleur en ce moment inoccupé athanase regardait sur le seuil de la porte les gens patauger dans la boue prenant grande joie à cette contemplation cruelle +588 +c'était le trente et un décembre mille huit cent vingt six il avait beaucoup neigé depuis quelques jours sur la petite ville de potinbourg sur bec mais le dégel était survenu et la neige tournait en boue noire au coin de la rue saint gaspard et de la place du marché aux veaux se dressait la boutique du sieur hume mabrize maître apothicaire car à cette époque les pharmaciens n'étaient pas encore éclos +589 +tranquillement sans phrases sans correspondance posthume sans attitude de mélodrame il résolut de mourir non pas pour se tuer mais très simplement pour cesser de vivre parce que vivre sans jouir lui semblait d'une inutilité flagrante +590 +la mitrailleuse surtout recueillit les suffrages universels des artilleurs et armuriers américains pas une vis pas un boulon pas un rivet dont on put constater l'absence ou le mal placement une merveille +591 +blagsmith endossait sa jaquette radieux comme un monsieur qui na pas perdu sa journée quand à sa grande stupeur il vit s'avancer vers lui qui son concurrent merrycalf merrycalf souriant affable lui tendit la main +592 +une grande voiture de coquetier arrivait par la rue saint-gaspard à fond de train éclaboussant les passants qui criaient et montraient le poing à cette brute de charretier justement devant la boutique de l'apothicaire s'étendait une large et profonde flaque de boue +593 +voletaient réellement tourbillonnaient et ne touchaient la hure du porc que pour se charger d'électricité et repartir de plus belle c'était charmant cette jolie pièce eût été certainement le clou de la national exhibition sans l'envoi d'un jeune sculpteur ignoré jusqu'à ce jour et portant le nom de julius blacksmith +594 +note ce petit conte a été publié il y a cinq ans détail important pour éviter toute confusion avec une histoire analogue ô combien parue récemment sous la signature d'un jeune homme blême dont le père m'a accusé devant yvette guilbert de lui devoir deux termes ce qui est faux a a +595 +bien répondit l'apothicaire aussitôt préparé athanase ira l'administrer lui-même en ce temps vous savez le grand eguisier n'avait pas accompli sa géniale invention et presque toujours les lavements étaient administrés par les apothicaires eux-mêmes ou par leurs garçons comme une invention modifie les moeurs +596 +or on sait que le rapprochement d'un sel de plomb avec un sulfure détermine la formation d'un sulfure de plomb substance plus noire que les houilles à taupin je ne revis jamais le vieux serin mais à ma grande joie je ne cessai d'apercevoir black dans le quartier +597 +avec l'agilité du chat sauvage l'infortune n'avait pas abattu sa vigueur il y grimpa attacha une longue corde combien longue et s'y pendit ses pieds touchaient presque le sol +598 +le groupe de julius blagsmith portait cette indication au livret the death of the brave général george ernest baker l'intrépide officier était représenté au moment où frappé d'une balle en plein coeur il s'affaissa sur une mitrailleuse voisine +599 +il y a peu d'années l'édilité de pigtown ohio u s a eut l'idée d'organiser une exposition de peinture sculpture gravure et généralement tout ce qui s'ensuit +600 +dans mon cochon parbleu vous pensez bien que je n'ai pas fait un cochon trente-six fois nature en bronze massif j'y ai fait ménager une logette très confortable et je vous prie de croire que je ne m'y embêtais pas tout à l'heure pendant votre petite séance d'artillerie +601 +aussi loin derrière lui qu'il reportât ses souvenirs il ne se rappelait pas une seule minute de veine dans sa pauvre vie la guigne toujours la guigne et pourtant chose étrange jamais de cette série obstinément noire n'était résultée pour lui l'ombre d'une jalousie ou d'une rancune +602 +le vieux serin me demanda si par hasard je ne me fichais pas de lui et il partit sans attendre la réponse je peux bien vous le dire à vous comment la chose s'était passée le matin du jour où black devait prendre son bain j'avais attiré le fidèle animal dans le laboratoire et là je l'avais amplement arrosé d'acétate de plomb +603 +je me préparais par un stage pratique dans les meilleures maisons de paris à l'exercice de cette profession tant décriée où s'illustrèrent au dix-septième siècle m fleurant et de nos jours l'espiègle fenayrou dois-je ajouter que le seul fait de mon entrée dans une pharmacie déterminait les plus imminentes catastrophes et les plus irrémédiables +604 +le boeuf était en gutta-percha et le boa en celluloïd me dites-vous ô poncifs vieux jeu qu'importe la substance l'idée est tout dans cet amoncellement d'art animé deux oeuvres surtout se disputaient l'engouement public la première due au génie si inventif du grand animalier k w +605 +hurra my dear vous êtes un homme de parole et d'action vous n'aviez donc pas averti le jury jamais de la vie par exemple bien plus drôle comme ça et vous où étiez-vous pendant mes salves +606 +mon patron devenait rapidement étonné puis inquiet et enfin insane dément parfois quant à la clientèle une forte partie était fauchée par un trépas prématuré l'autre manifestant de véhémentes méfiances s'adressait ailleurs bref je tramais dans les plis de mon veston le spectre de la faillite la faillite au sourire vert +607 +et en effet c'était bien lui le black mais noirci comment le vétérinaire n'y comprenait rien ce n'était pas la faute du bain puisque les autres chiens gardaient leur couleur naturelle alors quoi +608 +puis le président annonça sculpture grand diplôme d'honneur décerné à mathias moonman auteur de auteur de quoi je ne saurais vous dire car à ce moment précis il se produisit un vif désordre parmi les gentlemen qui garnissaient l'estrade et ceux qui l'entouraient +609 +il m'advint souvent d'ajouter copieusement les plus redoutables toxiques à des préparations réputées anodines jusqu'alors j'aimais surtout faire des veuves une idée à moi dès qu'une cliente un peu gentille se présentait à l'officine porteuse d'une ordonnance qui est-ce que vous avez donc de malade chez vous madame +610 +mais l'édilité de pigtown ayant décidé que l'exposition serait exclusivement nationale exclusively national on ne répondit même pas à ces faquins d'europe la pigtown national picture and sculpture exhibition obtint tout de suite un prodigieux succès +611 +je possédais un scepticisme effroyable à l'égard des matières vénéneuses j'éprouvais une horreur instinctive pour les centigrammes et les milligrammes que j'estimais si misérables ah parlez-moi des grammes +612 +une immense pitié et un vif désir de les soulager alors il s'enfonça dans la campagne arrivant des champs de colza bordés de hauts peupliers du plus haut de ces peupliers il choisit la plus haute branche +613 +et le lendemain quand devant le maire du village on le décrocha une quantité incroyable de gens purent selon son désir suprême se partager l'interminable corde et ce fut pour eux tous la source infinie de bonheurs durables +614 +les statuaires américains ont compris que dans l'art la vie seule intéresse et qu'il n'y a pas de vie sans mouvement aussi à l'exposition de pigtown les statues des groupes même les bustes tout était-il articulé +615 +le vieux serin vint me consulter je parus réfléchir et subitement comme inspiré nierez-vous maintenant mécriai-je la théorie de darwin non seulement les animaux s'adaptent à leur fonction mais encore au nom qu'ils portent vous avez baptisé votre chien black il était inéluctable qu'il devînt noir +616 +justement il y avait dans le quartier un vétérinaire qui un jour par semaine administrait un bain sulfureux collectif aux chiens de sa clientèle le vieux serin conduisit black au bain et alla faire un tour pendant l'opération +617 +athanase avec une attention et une précision professionnelles fit son devoir doucement sans précipitation le piston s'enfonça dans le cylindre poussant devant lui le bon liquide tel un docile troupeau doux et tiède là ça y est il n'y avait plus qu'à se retirer et à s'en aller +618 +franchement demanda-t-il comment trouvez-vous cela à la vérité répondit merrycalf je trouve cela parfait la mitrailleuse est d'une exactitude cette mitrailleuse n'a aucun mérite à être exacte attendu que c'est une vraie mitrailleuse voyez plutôt +619 +romans pervertissent les masses sont moins immoraux en feuilletons qu'en volumes seuls les romans historiques peuvent être tolérés parce qu'ils enseignent l'histoire il y a des romans écrits avec la pointe d'un scalpel d'autres qui reposent sur la pointe d'une aiguille +620 +rince bouche signe de richesse dans une maison rire toujours homérique robe inspire le respect romances le chanteur de romances plaît aux dames +621 +o gioventù primavera della vita jockey déplorer la race des jockeys jockey-club ses membres sont tous des jeunes gens farceurs et très riches dire simplement le jockey très chic donne à croire qu'on en fait partie +622 +jujube on ne sait pas avec quoi c'est fait jury s'évertuer à ne pas en être justice ne jamais s'en inquiéter fin de la lettre j +623 +jouets devraient toujours être scientifiques jouissance mot obscène jour il y a les jours de monsieur le jour de barbe le jour de médecine et cetera il y a ceux de madame qu'elle appelle critiques à certaines époques du mois +624 +ratelier troisième dentition prendre garde de l'avaler en dormant reconnaissance n'a pas besoin d'être exprimée religion la fait partie des bases de la société +625 +rousses voir blondes brunes et négresses ruines font rêver et donnent de la poésie à un paysage +626 +radicalisme d'autant plus dangereux qu'il est latent la république nous mène au radicalisme ramoneur hirondelle de l'hiver rate autrefois on l'enlevait au coureur +627 +john bull quand on ne sait pas le nom d'un anglais on l'appelle john bull joie la mère des jeux et des ris on ne doit pas parler de ses filles +628 +jaspe tous les vases des musées sont en jaspe javelot vaut bien un fusil quand on sait s'en servir jésuites ont la main dans toutes les révolutions on ne se doute pas du nombre qu'il y en a ne point parler de la bataille des jésuites +629 +jeu s'indigner contre cette fatale passion jeune fille articuler ce mot timidement toutes les jeunes filles sont pâles et frêles toujours pures éviter pour elles toute espèce de livres les visites dans les musées les théâtres et surtout le jardin des plantes côté singes +630 +est nécessaire pour le peuple cependant pas trop n'en faut la religion de nos pères doit se dire avec onction républicains les républicains ne sont pas tous des voleurs mais les voleurs sont tous républicains +631 +jarretière doit toujours se porter au-dessus du genou quand on appartient au grand monde au-dessous pour les femmes du peuple une femme ne doit jamais négliger ce détail de toilette il y a tant d'impertinents en ce monde +632 +restaurant on doit toujours y demander les mets qu'on ne mange pas habituellement chez soi quand on est embarrassé il suffit de choisir les plats que l'on sert aux voisins rêvasserie les idées élevées qu'on ne comprend pas réveillon c'est le boudin qui constitue le réveillon +633 +ronsard ridicule avec ses mots grecs et latins rousseau croire que j j rousseau et j b rousseau sont les deux frères comme l'étaient les deux corneille +634 +marquer quelques passages au crayon rouge produit aussi un très bon effet lire le matin un article de ces feuilles sérieuses et graves et le soir en société amener adroitement la conversation sur le sujet étudié afin de pouvoir briller juif fils d'israël les juifs sont tous des marchands de lorgnettes +635 +jardins anglais plus naturels que les jardins à la française jarnac coup de s'indigner contre ce coup qui du reste était fort loyal +636 +question la poser c'est la résoudre racine polisson radeau toujours de la méduse +637 +joli s'emploie pour tout ce qui est beau c'est joliment joli est le comble de l'admiration jonc une canne doit être en jonc +638 +la méchante vieille accourut au bruit et il se saisit d'elle avant qu'elle eût le temps de lui échapper perfide s'écria-t-il me reconnais-tu hélas seigneur répondit-elle en tremblant qui êtes-vous je ne me souviens pas de vous avoir jamais vu +639 +venez avec nous lui dirent-ils notre maître veut vous parler mon frère les pria de se donner un moment de patience et leur offrit une somme d'argent pour qu'ils le laissassent échapper mais au lieu de l'écouter ils le lièrent et le forcèrent a marcher avec eux +640 +je vous la donne répliqua le juge alors mon frère lui raconta sans déguisement tout ce qui lui était arrivé et tout ce qu'il avait fait depuis que la vieille était venue faire sa prière chez lui jusqu'à ce qu'il ne trouva plus la jeune dame dans la chambre où il l'avait laissée après avoir tué le noir l'esclave grecque et la vieille +641 +l'esclave grecque accoutumée à ce ménage se fit bientôt voir avec le bassin plein de sel mais quand elle vit alnaschar le sabre à la main et qui avait quitté le voile dont il s'était couvert le visage elle laissa tomber le bassin et s'enfuit mais mon frère courant plus fort qu'elle la joignit et lui fit voler la tête de dessus les épaules +642 +mon fils lui dit-elle j'ai une grâce à vous demander voilà le temps de la prière je voudrais bien me laver pour être en état de la faire laissez-moi s'il vous plaît entrer chez vous et me donnez un vase d'eau +643 +quoique aucun garçon ne parût et que mon frère ne vit ni bassin ni eau le barmécide néanmoins ne laissa pas de se frotter les mains comme si quelqu'un eût versé de l'eau dessus et en faisant cela il disait à mon frère approchez donc lavez-vous avec moi schacabac jugea bien par là que le seigneur barmécide aimait à rire +644 +il ne pouvait mieux s'adresser qu'à ce seigneur qui était recommandable par mille qualités le barmécide parut étonné de la réponse de mon frère et portant ses deux mains à son estomac comme pour déchirer son habit en signe de douleur +645 +nous ne sommes pas ici assez commodément ajouta-t-elle venez donnez-moi la main à ces mots elle lui présenta la sienne et le mena dans une chambre écartée où elle s'entretint encore quelque temps avec lui puis elle le quitta en lui disant demeurez je suis à vous dans un moment +646 +et il vint se réfugier chez moi où il m'apprit toutes les aventures qui lui étaient arrivées en si peu de temps au bout d'un mois il fut parfaitement guéri de ses blessures par les remèdes souverains que je lui fis prendre +647 +et passer au travers d'une cour bien pavée et l'introduisit dans une salle dont l'ameublement le confirma dans la bonne opinion qu'on lui avait fait concevoir de la maîtresse de la maison pendant que la vieille alla avertir la dame il s'assit et comme il avait chaud il ôta son turban et le mit près de lui +648 +ainaschar pensa mourir de joie en la recevant il donna mille bénédictions à la dame et après avoir fermé sa boutique où sa présence n'était plus nécessaire il s'en alla chez lui +649 +mon frère ne fut pas assez fin pour s'apercevoir de l'adresse de la vieille qui n'avait refusé les deux pièces d'or que pour en attraper davantage il lui demanda si elle ne pourrait pas lui procurer l'honneur de voir cette dame très volontiers lui répondit-elle elle sera bien aise de vous épouser +650 +quand elles se seront retirées ma femme se couchera la première je me coucherai ensuite auprès d'elle le dos tourné de son côté et je passerai la nuit sans lui dire un seul mot le lendemain elle ne manquera pas de se plaindre de mes mépris et de mon orgueil à sa mère femme du grand vizir et j'en aurai la joie au c ur +651 +et comme il entendait lui-même raillerie et qu'il n'ignorait pas la complaisance que les pauvres doivent avoir pour les riches s'ils en veulent tirer bon parti il s'approcha et fit comme lui allons dit alors le barmécide qu'on apporte à manger et qu'on ne nous fasse point attendre +652 +il vit bientôt entrer la jeune dame qui le surprit bien plus par sa beauté que par la richesse de son habillement il se leva dès qu'il l'aperçut la dame le pria d'un air gracieux de reprendre sa place en s'asseyant près de lui elle lui marqua bien de la joie de le voir et après lui avoir dit quelques douceurs +653 +aussitôt la dame se tourna du côté d'un eunuque qui l'accompagnait donnez-lui dit-elle ce que vous avez sur vous l'eunuque obéit et mit entre les mains de mon frère une bourse de cinq cents pièces d'or +654 +pardonnez-moi seigneur lui répondit schacabac en imitant parfaitement ses gestes vous voyez que je ne perds pas de temps et que je fais assez bien mon devoir que dites-vous de ce pain reprit le barmécide ne le trouvez-vous pas excellent +655 +il ne me reste plus à vous raconter que l'histoire de mon sixième frère appelé schacabac aux lèvres fendues il avait eu d'abord l'industrie de faire valoir les cent drachmes d'argent qu'il avait eues en partage de même que ses autres frères de sorte qu'il s'était vu fort à son aise mais un revers de fortune le réduisit à la nécessité de demander sa vie +656 +elle conduisit alnaschar dans une chambre où elle lui fit voir effectivement plusieurs coffres pleins d'or qu'il considéra avec une admiration dont il ne pouvait revenir allez dit-elle et amenez assez de monde pour emporter tout cela mon frère ne se le fit pas dire deux fois +657 +on lui dit seulement que c'était un pauvre homme qui avait employé le peu d'argent qu'il possédait à l'achat d'un panier de verrerie que ce panier était tombé et que toute la verrerie s'était cassée +658 +et lui déchargea plusieurs coups de sabre dans les chairs seulement le malheureux en tomba par terre où il resta sans mouvement quoiqu'il eût encore l'usage de ses sens +659 +ah seigneur répondit mon frère qui ne voyait pas plus de pain que de viande jamais je n'en ai mangé de si blanc et de si délicat mangez-en donc tout votre soûl répliqua le seigneur barmécide je vous assure que j'ai acheté cinq cents pièces d'or la boulangère qui me fait de si bon pain +660 +le noir le croyant mort demanda du sel l'esclave grecque en apporta plein un grand bassin ils en frottèrent les plaies de mon irère qui eut la présence d'esprit malgré la douleur cuisante qu'il souffrait de ne donner aucun signe de vie +661 +mon frère à cet accident si funeste pour lui rentra en lui-même et voyant que c'était par son orgueil insupportable qu'il lui était arrivé il se frappa le visage déchira ses habits et se mit à pleurer en poussant des cris qui firent bientôt assembler les voisins et arrêter les passants qui allaient à la prière de midi +662 +alors fatigué de ses prières je lui lancerai un regard terrible et lui donnerai un bon soufflet sur la joue en la repoussant du pied si vigoureusement qu'elle ira tomber bien loin au-delà du sofa +663 +elle marcha devant lui et il la suivit de loin jusqu'à la porte d'une grande maison où elle frappa il la rejoignit dans le temps qu'une jeune esclave grecque ouvrait la vieille le fit entrer le premier +664 +alnaschar passa la nuit assez tranquillement mais le lendemain matin comme il sortait du logis il rencontra à sa porte vingt hommes des gens du juge de police qui se saisirent de lui +665 +il pénétra enfin jusqu'à un grand bâtiment en carré d'une très belle architecture et entra par un vestibule qui lui fit découvrir un jardin des plus propres avec des allées de cailloux de différentes couleurs qui réjouissaient la vue les appartements d'en bas qui régnaient alentour étaient presque tous à jour +666 +sire quand les gardes poursuivit le barbier eurent conduit mon frère devant le juge de police ce magistrat lui dit je vous demande où vous avez pris tous les meubles que vous fîtes porter hier chez vous +667 +il lui donna un vase plein d'eau ensuite il reprit sa place et toujours occupé de sa dernière aventure il mit son or dans une espèce de bourse longue et étroite propre à porter à sa ceinture +668 +scheherazade voulait continuer mais le jour qui paraissait l'obligea de s'arrêter à ces dernières paroles la nuit suivante elle poursuivit de cette manière fin de la cent cinquante septième nuit section huit +669 +ma femme viendra avec le verre demeurera debout et toute tremblante devant moi lorsqu'elle verra que je ne tournerai point la vue de son côté et que je persisterai à la dédaigner elle me dira les larmes aux yeux +670 +il sortit et ne fut dehors qu'autant de temps qu'il lui en fallut pour assembler dix hommes il les emmena avec lui et en arrivant à la maison il fut fort étonné de trouver la porte ouverte mais il le fut bien davantage lorsque étant entré dans la chambre où il avait vu les coffres il n'en trouva pas un seul +671 +scheherazade en achevant ces derniers mots s'aperçut qu'il était jour elle n'en dit pas davantage cette nuit mais le lendemain elle poursuivit de cette sorte l'histoire d'alnaschar fin de la cent cinquante cinquième nuit section six +672 +mon frère continua le barbier attacha le sac de verre autour de lui avec sa ceinture se déguisa en vieille et prit un sabre qu'il cacha sous sa robe +673 +il y demeura jusqu'à la pointe du jour alors il vit paraître la détestable vieille qui ouvrit la porte de la rue et partit pour aller chercher une autre proie afin qu'elle ne le vit pas il ne sortit de ce coupe-gorge que quelques moments après elle +674 +et de vous mettre en possession de tous ses biens en vous faisant maître de sa personne prenez votre argent et suivez-moi ravi d'avoir trouvé une grosse somme d'argent et presque aussitôt une femme belle et riche il ferma les yeux à toute autre considération il prit les cinq cents pièces d'or et se laissa conduire par la vieille +675 +la vieille pendant ce temps-là fit sa prière et lorsqu'elle eut achevé elle vint trouver mon frère se prosterna deux fois en frappant la terre de son front comme si elle eût voulu prier dieu puis s'étant relevée elle lui souhaita toute sorte de biens +676 +venez vous n'avez qu'à me suivre je vous mènerai chez mon fils qui est changeur il se fera un plaisir de vous les peser lui-même pour vous en épargner la peine ne perdons pas de temps afin de le trouver avant qu'il aille à sa boutique mon frère la suivit jusqu'à la maison où elle l'avait introduit la première fois et la porte fut ouverte par l'esclave grecque +677 +alnaschar se leva le suivit et tirant son sabre de dessous sa robe il le lui déchargea sur le cou par derrière si adroitement qu'il lui abattit la tête il la prit aussitôt d'une main et de l'autre il traina le cadavre jusqu'au lieu souterrain où il le jeta avec la tête +678 +je suis dit-il celui chez qui tu entras l'autre jour pour te laver et faire ta prière d'hypocrite t'en souvient-il alors elle se mit à genoux pour lui demander pardon mais il la coupa en quatre pièces +679 +sire le barbier babillard poursuivit ainsi l'histoire de son cinquième frère après les cérémonies de nos noces continua alnaschar je prendrai de la main d'un de mes gens qui sera près de moi une bourse de cinq cents pièces d'or que je donnerai aux coiffeuses afin qu'elles me laissent seul avec mon épouse +680 +ils rencontrèrent dans une rue un ami de mon frère qui les arrêta et s'informa d'eux pour quelle raison ils l'emmenaient il leur proposa même une somme considérable pour le lâcher et rapporter au juge de police qu'ils ne l'avaient pas trouvé mais il ne put rien obtenir d'eux et ils menèrent ainaschar au juge de police +681 +il ne restait plus que la dame qui ne savait rien de ce qui venait de se passer chez elle il la chercha et la trouva dans une chambre où elle pensa s'évanouir quand elle le vit paraître elle lui demanda la vie et il eut la générosité de lui accorder madame lui dit-il comment pouvez-vous être avec des gens aussi méchants que ceux dont je viens de me venger si justement +682 +je me laissai persuader je pris mon plus bel habit avec une bourse de cent pièces d'or je la suivis elle m'amena dans cette maison où je trouvai ce noir qui me retint par force il y a trois ans que j'y suis avec bien de la douleur +683 +ma belle-mère aura beau parler je ne lui répondrai pas une syllabe et je demeurerai ferme dans ma gravité alors elle se jetera à mes pieds me les baisera plusieurs fois et me dira seigneur serait-il possible que vous soupçonnassiez la sagesse de ma fille +684 +reprenez votre argent je n'en ai pas besoin dieu merci j'appartiens à une jeune dame de cette ville qui est pourvue d'une beauté charmante et qui est avec cela très riche elle ne me laisse manquer de rien +685 +en effet c'était le seigneur barmécide lui-même qui lui dit d'une manière obligeante qu'il était le bienvenu et qui lui demanda ce qu'il souhaitait seigneur lui répondit mon frère d'un air à lui faire pitié je suis un pauvre homme qui a besoin de l'assistance des personnes puissantes et généreuses comme vous +686 +je suis une femme de perse nouvellement arrivée j'ai apporté de mon pays cinq cents pièces d'or je voudrais bien voir si elles sont de poids bonne femme lui répondit la vieille vous ne pouviez mieux vous adresser qu'à moi +687 +mon c ur ma chère âme mon aimable seigneur je vous conjure par les faveurs dont le ciel vous comble de me faire la grâce de recevoir ce verre de vin de la main de votre très humble servante +688 +je me garderai bien de la regarder encore et de lui répondre mon charmant époux continuera-t-elle en redoublant ses pleurs et en m'approchant le verre de la bouche je ne cesserai pas que je n'aie obtenu que vous buviez +689 +il s'en acquittait avec adresse et il s'étudiait surtout à se procurer l'entrée des grandes maisons par l'entremise des officiers et des domestiques pour avoir un libre accès auprès des maîtres et s'attirer leur compassion +690 +je vous assure que je l'ai toujours eue devant les yeux et que vous êtes le premier homme qui l'ait jamais vue en face cessez de lui causer une si grande mortification faites-lui la grâce de la regarder de lui parler et de la fortifier dans la bonne intention qu'elle a de vous satisfaire en toute chose +691 +mon frère était tellement absorbé dans ces visions chimériques qu'il représenta l'action avec son pied comme si elle eût été réelle et par malheur il en frappa si rudement son panier plein de verrerie qu'il le jeta du haut de sa boutique de la rue de manière que toute la verrerie fut brisée en mille morceaux +692 +la vieille souhaita donc toute sorte de biens à mon frère et le remercia de son honnêteté comme elle était habillée assez pauvrement et qu'elle s'humiliait fort devant lui il crut qu'elle lui demandait l'aumône et il lui présenta deux pièces d'or +693 +et lorsqu'on lui eut rapporté qu'il n'y restait plus rien et que tout avait été mis dans son garde-meuble il commanda aussitôt à mon frère de sortir de la ville et de n'y revenir de sa vie parce qu'il craignait que s'il y demeurait il n'allât se plaindre de son injustice au calife +694 +ils se fermaient avec de grands rideaux pour garantir du soleil et on les ouvrait pour prendre le frais quand la chaleur était passée un lieu si agréable aurait causé de l'admiration à mon frère s'il eut eu l'esprit plus content qu'il ne l'avait +695 +la vieille se retira en arrière avec surprise comme si mon frère lui eût fait une injure grand dieu lui dit-elle que veut dire ceci serait-il possible seigneur que vous me prissiez pour une de ces misérables qui font profession d'entrer hardiment chez les gens pour demander l'aumône +696 +mon frère envisagea cette femme et vit que c'était une personne déjà fort avancée en âge quoiqu'il ne la connût point il ne laissa pas de lui accorder ce qu'elle demandait +697 +il avança et entra dans une salle richement meublée et ornée de peintures à feuillages d'or et d'azur où il aperçut un homme vénérable avec une longue barbe blanche assis sur un sofa à la place d'honneur ce qui lui fit juger que c'était le maître de la maison +698 +j'étais lui répondit-elle la femme d'un honnête marchand et la maudite vieille dont je ne connaissais pas la méchanceté me venait voir quelquefois madame me dit-elle un jour nous avons de belles noces chez nous vous y prendriez beaucoup de plaisir si vous vouliez nous faire l'honneur de vous y trouver +699 +la vieille mena mon frère dans la salle où elle lui dit d'attendre un moment qu'elle allait faire venir son fils le prétendu fils parut sous la forme du vilain esclave noir maudite vieille dit-il à mon frère lève-toi et me suis en disant ces mots il marcha devant pour le mener au lieu où il voulait le massacrer +700 +sa mère viendra me trouver me baisera les mains avec respect et me dira seigneur car elle n'osera m'appeler son gendre de peur de me déplaire en me parlant si familièrement je vous supplie de ne pas dédaigner de regarder ma fille et de vous approcher d'elle je vous assure qu'elle ne cherche qu'à vous plaire et qu'elle vous aime de tout son âme +701 +un jour qu'il passait devant un hôtel magnifique dont la porte élevée laissait voir une cour très spacieuse où il y avait une foule de domestiques il s'approcha de l'un d'entre eux et lui demanda à qui appartenait cet hôtel +702 +cependant alnaschar obéit à l'ordre sans murmurer et sortit de la ville pour se réfugier dans une autre en chemin il fut rencontré par des voleurs qui le dépouillèrent et le mirent nu comme la main je n'eus pas plus tôt appris cette fâcheuse nouvelle que je pris un habit et allai le trouver où il était +703 +en achevant ces paroles quoiqu'on n'eût rien apporté il commença de faire comme s'il eût pris quelque chose dans un plat de porter à sa bouche et de mâcher à vide en disant à mon frère mangez mon hôte je vous en prie agissez aussi librement que si vous étiez chez vous mangez donc pour un homme affamé il me semble que vous faites la petite bouche +704 +il faut que tu sois bien brutal pour mépriser les pleurs et les charmes d'une si aimable personne si j'étais à la place du grand vizir ton beau-père je te ferais donner cent coups de nerfs de b uf et te ferais promener par la ville avec l'éloge que tu mérites +705 +tout cela ne me touchera point ce que voyant ma belle-mère elle prendra un verre de vin et le mettant à la main de sa fille mon épouse allez lui dira-t-elle présentez lui vous-même ce verre de vin il n'aura peut-être pas la cruauté de le refuser d'une si belle main +706 +il pleurait encore son sort amèrement lorsqu'une dame de considération montée sur une mule richement caparaçonnée vint à passer par là l'état où elle vit mon frère excita sa compassion elle demanda qui il était et ce qu'il avait à pleurer +707 +est-il bien vrai repartit le barmécide que vous soyez à jeun à l'heure qu'il est hélas le pauvre homme il meurt de faim holà garçon ajouta-t-il en élevant la voix qu'on apporte vite le bassin et l'eau que nous nous lavions les mains +708 +est-il possible s'écria-t-il que je sois à bagdad et qu'un homme tel que vous soit dans la nécessité que vous dites voilà ce que je ne puis souffrir à ces démonstrations mon frère prévenu qu'il allait lui donner une marque singulière de sa libéralité lui donna mille bénédictions et lui souhaita toute sorte de biens +709 +il attendit mais au lieu de la dame un grand esclave noir arriva le sabre à la main et regardant mon frère d'un il terrible que fais-tu ici lui dit-il fièrement alnaschar à cet aspect fut tellement saisi de frayeur qu'il n'eut pas la force de répondre l'esclave le dépouilla lui enleva l'or qu'il portait +710 +l'aurore dont la clarté commençait à paraître obligea scheherazade à s'arrêter à cet endroit la nuit suivante elle reprit ainsi son discours en faisant toujours parler le barbier fin de la cent cinquante quatrième nuit section cinq +711 +comme c'est un vendredi il y allait plus de monde que les autres jours les uns eurent pitié d'alnaschar et les autres ne firent que rire de son extravagance cependant la vanité qu'il s'était mise en tête s'était dissipée avec son bien +712 +scheherazade cessa de parler en cet endroit parce qu'elle remarqua qu'il était jour la nuit suivante elle reprit le fil de sa narration et dit au sultan des indes fin de la cent cinquante sixième nuit section sept +713 +entrez lui dirent-ils personne ne vous empêche et adressez-vous vous-même au maître de la maison il vous renverra content mon frère ne s'attendait pas à tant d'honnêteté il en remercia les portiers et entra avec leur permission dans l'hôtel qui était si vaste qu'il mit beaucoup de temps à gagner l'appartement du barmecide +714 +le tailleur son voisin qui avait ouï l'extravagance de son discours fit un grand éclat de rire lorsqu'il vit tomber le panier oh que tu es un indigne homme dit-il à mon frère ne devrais-tu pas mourir de honte de maltraiter une jeune épouse qui ne t'a donné aucun sujet de te plaindre d'elle +715 +le noir et l'esclave grecque s'étant retirés la vieille qui avait fait tomber mon frère dans le piège vint le prendre par les pieds et le traîna jusqu'à une trappe qu'elle ouvrit elle le jeta dedans et il se trouva dans un lieu souterrain avec plusieurs corps de gens qui avaient été assassinés +716 +la dame plus rusée et plus diligente que lui les avait fait enlever et avait disparu elle-même à défaut des coffres et pour ne s'en pas retourner les mains vides il fit emporter tout ce qu'il put trouver de meubles dans les chambres et dans les garde-meubles +717 +de la manière dont ce détestable noir se gouvernait reprit mon frère il faut bien qu'il ait amassé bien des richesses il y en a tant repartit-elle que vous serez riche à jamais si vous pouvez les emporter suivez-moi et vous le verrez +718 +où il y en avait beaucoup plus qu'il ne lui en fallait pour le dédommager des cinq cents pièces d'or qui lui avaient été volées mais en sortant de la maison il oublia de fermer la porte les voisins qui avaient reconnu mon frère et vu les porteurs aller et venir coururent avertir le juge de police de ce déménagement qui leur avait paru suspect +719 +seigneur répondit alnaschar je suis prêt à vous dire la vérité mais permettez-moi auparavant d'avoir recours à votre clémence et de vous supplier de me donner votre parole qu'il ne me sera rien fait +720 +il faisait de profondes réflexions sur le grand bonheur qui venait de lui arriver lorsqu'il entendit frapper à sa porte avant que d'ouvrir il demanda qui frappait et ayant reconnu à la voix que c'était une femme il +721 +il s'en aperçut dès qu'il fut revenu à lui car la violence de sa chute lui avait ôté le sentiment le sel dont ses plaies avaient été frottées lui conserva la vie il reprit peu à peu assez de force pour se soutenir et au bout de deux jours ayant ouvert la trappe durant la nuit et remarqué dans la cour un endroit propre à se cacher +722 +il résolut de se venger de la vieille qui l'avait trompé si cruellement pour cet effet il fit une bourse assez grande pour contenir cinq cents pièces d'or et au lieu d'or il la remplit de morceaux de verre +723 +bien qu'il fût près de deux heures du matin nous vîmes des groupes s'arrêter dans les rues pour nous voir passer mais nous filions si vite qu'en un clin d'oeil nous avions dépassé montréal et ses faubourgs et alors je commençai à compter les clochers +724 +en deux tours d'aviron nous avions traversé le fleuve et nous étions rendus chez batissette augé dont la maison était tout illuminée on entendait vaguement au dehors les sons du violon et les éclats de rire des danseurs dont on voyait les ombres se trémousser à travers les vitres couvertes de givre +725 +pour faire un petit somme en attendant l'heure de sauter à pieds joints par-dessus la tête d'un quart de lard de la vieille année dans la nouvelle comme nous allons le faire ce soir sur l'heure de minuit avant d'aller chanter la guignolée et souhaiter la bonne année aux hommes du chantier voisin +726 +la légende qui suit a déjà été publiée dans la patrie il y a quelque dix ans et en anglais dans le century magazine de new york du mois d'août mille huit cent quatre vingt douze avec illustrations par henri julien +727 +ça se comprend aisément puisque c'était le diable qui nous menait et je vous assure que ce n'était pas sur le train de la blanche nous aperçûmes bientôt une éclaircie c'était la gatineau dont la surface glacée et polie étincelait au-dessous de nous comme un immense miroir +728 +vers les huit heures du matin je m'éveillai dans mon lit dans la cabane où nous avaient transportés des bûcherons qui nous avaient trouvés sans connaissance enfoncés jusqu'au cou dans un banc de neige du voisinage heureusement que personne ne s'était cassé les reins +729 +elle accepta avec un sourire qui me fit oublier que j'avais risqué le salut de mon âme pour avoir le plaisir de me trémousser et de battre des ailes de pigeon en sa compagnie pendant deux heures de temps une danse n'attendait pas l'autre +730 +non monsieur je ne saurais +731 +je vous avoue que nous étions rudement embêtés de voir que baptiste durand avait bu un coup car c'était lui qui gouvernait et nous n'avions juste que le temps de revenir au chantier pour six heures du matin avant le réveil des hommes qui ne travaillaient pas le jour du jour de l'an +732 +il me semblait que j'étais l��ger comme une plume et au commandement de baptiste nous commençâmes à nager comme des possédés que nous étions aux premiers coups d'aviron le canot s'élança dans les airs comme une flèche et c'est le cas de le dire le diable nous emportait +733 +baptiste qui était plus effronté que les autres s'en alla frapper à la porte de la maison de son parrain où l'on apercevait encore de la lumière mais il n'y trouva qu'une fille engagère qui lui annonça que les vieilles gens étaient à un snack chez le père robillard +734 +nous cachâmes notre canot derrière les tas de bourdillons qui bordaient la rive car la glace avait refoulé cette année-là maintenant nous répéta baptiste pas de bêtises les amis et attention à vos paroles dansons comme des perdus mais pas un seul verre de molson ni de jamaïque vous m'entendez +735 +et ce que je vais vous raconter là ça se passait aux jours de ma jeunesse quand je ne craignais ni dieu ni diable c'était un soir comme celui-ci la veille du jour de l'an il y a de cela trente-quatre ou trente-cinq ans +736 +mais maintenant que l'heure de remonter en canot était arrivée je vis clairement que baptiste avait pris un coup de trop et je fus obligé d'aller le prendre par le bras pour le faire sortir avec moi en faisant signe aux autres de se préparer à nous suivre sans attirer l'attention des danseuses +737 +j'avais cru apercevoir baptiste durand qui s'approchait du buffet où les hommes prenaient des nippes de whisky blanc de temps en temps mais j'étais tellement occupé avec ma partenaire que je n'y portai pas beaucoup d'attention +738 +on était à la veille du jour de l'an mille huit cent cinquante huit en pleine forêt vierge dans les chantiers des ross en haut de la gatineau la saison avait été dure et la neige atteignait déjà la hauteur du toit de la cabane +739 +avant de nous enlever dans les airs je me retournai et dis à baptiste attention là mon vieux pique tout droit sur la montagne de montréal aussitôt que tu pourras l'apercevoir je connais mon affaire répliqua baptiste et mêle-toi des tiennes +740 +je vous disais donc continua-t-il que si j'ai été un peu tough dans ma jeunesse je n'entends plus risée sur les choses de la religion j'vas à confesse régulièrement tous les ans +741 +je dis un mot à mes autres compagnons qui avaient aussi peur que moi et nous nous jetons tous sur baptiste que nous terrassons sans lui faire de mal et que nous plaçons ensuite au fond du canot après l'avoir ligoté comme un bout de saucisse et lui avoir mis un bâillon pour l'empêcher de prononcer des paroles dangereuses lorsque nous serions en l'air et +742 +c'était déjà pas si beau d'avoir risqué de vendre son âme au diable pour s'en vanter parmi les camarades et ce n'est que bien des années plus tard que je racontai l'histoire telle qu'elle m'était arrivée +743 +mais que les farauds et les filles de la paroisse étaient presque tous rendus chez batissette augé à la petite misère en bas de contrecoeur de l'autre côté du fleuve là où il y avait un rigodon du jour de l'an +744 +et nous voilà repartis à toute vitesse mais il devint aussitôt évident que notre pilote n'avait plus la main aussi sûre car le canot décrivait des zigzags inquiétants nous ne passâmes pas à +745 +qui s'arrache son bâillon et qui se lève tout droit dans le canot en lâchant un sacre qui me fit frémir jusque dans la pointe des cheveux impossible de lutter contre lui dans le canot sans courir le risque de tomber d'une hauteur de deux ou trois cents pieds +746 +j'en avais bien lampé une douzaine de petits gobelets pour ma part et sur les douze heures je vous l'avoue franchement la tête me tournait et je me laissai tomber sur ma robe de carriole +747 +le bourgeois avait selon la coutume ordonné la distribution du contenu d'un petit baril de rhum parmi les hommes du chantier et le cuisinier avait terminé de bonne heure les préparatifs du fricot de pattes et des glissantes pour le repas du lendemain +748 +acabris acabras acabram fais-nous voyager par-dessus les montagnes à peine avions-nous prononcé les dernières paroles que nous sentîmes le canot s'élever dans les airs à une hauteur de cinq à six cents pieds +749 +pas un homme ne fit mine de sortir au contraire tous se rapprochèrent de la cambuse où le cook finissait son préambule et se préparait à raconter une histoire de circonstance +750 +si j'ai été forcé de me servir d'expressions plus ou moins académiques on voudra bien se rappeler que je mets en scène des hommes au langage aussi rude que leur difficile métier honoré beaugrand +751 +il faisait une nuit superbe et la lune dans son plein illuminait le firmament comme un beau soleil du midi il faisait un froid du tonnerre et nos moustaches étaient couvertes de givre mais nous étions cependant tous en nage +752 +l'aviron pendant sur le plat-bord attendant le signal du départ j'avoue que j'étais un peu troublé mais baptiste qui passait dans le chantier pour n'être pas allé à confesse depuis sept ans ne me laissa pas le temps de me débrouiller il était à l'arrière debout et d'une voix vibrante il nous dit répétez après moi +753 +je me laissai entraîner hors de la cabane où je vis en effet six de nos hommes qui nous attendaient l'aviron à la main le grand canot était sur la neige dans une clairière et avant d'avoir eu le temps de réfléchir j'étais déjà assis dans le devant +754 +nous remontâmes la rivière outaouais comme une poussière jusqu'à la pointe à gatineau et de là nous piquâmes au nord vers le chantier nous n'en étions plus qu'à quelques lieues quand voilà-t-il que cet animal de baptiste qui se tortille de la corde avec laquelle nous l'avions ficelé +755 +on voit que cela ne date pas d'hier le récit lui-même est basé sur une croyance populaire qui remonte à l'époque des coureurs des bois et des voyageurs du nord-ouest les gens de chantier ont continué la tradition et c'est surtout dans les paroisses riveraines du saint-laurent que l'on connaît les légendes de la chasse-galerie +756 +cré poule mouillée continua baptiste tu sais bien qu'il n'y a pas de danger il s'agit d'aller à lavaltrie et de revenir dans six heures tu sais bien qu'avec la chasse galerie on voyage au moins cinquante lieues à l'heure lorsqu'on sait manier l'aviron comme nous +757 +nous sommes déjà sept pour faire le voyage mais il faut être deux quatre six ou huit et tu seras le huitième oui tout cela est très bien mais il faut faire un serment au diable et c'est un animal qui n'entend pas à rire lorsqu'on s'engage à lui +758 +attendez un peu cria baptiste nous allons raser montréal et nous allons effrayer les coureux qui sont encore dehors à c'te heure cite toi joe là en avant éclaircis-toi le gosier et chante nous une chanson sur l'aviron +759 +attention vous autres nous cria baptiste nous allons atterrir à l'entrée du bois dans le champ de mon parrain jean jean gabriel et nous nous rendrons ensuite à pied pour aller surprendre nos connaissances dans quelque fricot ou quelque danse du voisinage +760 +ça nous en coupait le respire et le poil en frisait sur nos bonnets de carcajou nous filions plus vite que le vent pendant un quart d'heure environ nous naviguâmes au-dessus de la forêt sans apercevoir autre chose que les bouquets des grands pins noirs +761 +et nous répétâmes satan roi des enfers nous te promettons de te livrer nos âmes si d'ici à six heures nous prononçons le nom de ton maître et du nôtre le bon dieu et nous touchons une croix dans le voyage +762 +sûr qu'il me battrait canot d'écorce qui vole qui vole canot d'écorce qui va voler chapitre quatre +763 +puis petit à petit nous aperçûmes des lumières dans les maisons d'habitants puis des clochers d'églises qui reluisaient comme des baïonnettes de soldats quand ils font l'exercice sur le champ de mars de montréal +764 +enfin le principal c'est que le diable ne nous avait pas tous emportés et je n'ai pas besoin de vous dire que je ne m'empressai pas de démentir ceux qui prétendirent qu'ils m'avaient trouvé avec baptiste et les six autres tous saouls comme des grives et en train de cuver notre jamaïque dans un banc de neige des environs +765 +la chasse-galerie chapitre un pour lors que je vais vous raconter une rôdeuse d'histoire dans le fin fil mais s'il y a parmi vous autres des lurons qui auraient envie de courir la chasse-galerie ou le loup-garou +766 +le père batissette vint ouvrir lui-même et nous fûmes reçus à bras ouverts par les invités que nous connaissions presque tous nous fûmes d'abord assaillis de questions d'où venez-vous je vous croyais dans les chantiers vous arrivez bien tard venez prendre une larme +767 +allons rigodon chez batissette augé nous dit baptiste on est certain d'y rencontrer nos blondes allons chez batissette et nous retournâmes au canot tout en nous mettant mutuellement en garde sur le danger qu'il y avait de prononcer certaines paroles +768 +la position était terrible comme vous le comprenez bien heureusement que nous arrivions mais j'étais tellement excité que par une fausse manoeuvre que je fis pour éviter l'aviron de baptiste +769 +le canot heurta la tête d'un gros pin et que nous voilà tous précipités en bas dégringolant de branche en branche comme des perdrix que l'on tue dans les épinettes je ne sais pas combien je mis de temps à descendre jusqu'en bas car je perdis connaissance avant d'arriver +770 +joe le cook était un petit homme assez mal fait que l'on appelait assez généralement le bossu sans qu'il s'en formalisât et qui faisait chantier depuis au moins quarante ans +771 +à cent pieds du clocher de contrecoeur et au lieu de nous diriger à l'ouest vers montréal baptiste nous fit prendre les bordées vers la rivière richelieu quelques instants plus tard nous passâmes par-dessus la montagne de beloeil +772 +il était bien vrai que j'étais un peu ivrogne et débauché et que la religion ne me fatiguait pas à cette époque mais risquer de vendre mon âme au diable ça me surpassait +773 +et mon dernier souvenir était comme celui d'un homme qui rêve qu'il tombe dans un puits qui n'a pas de fond chapitre sept +774 +je dormais donc depuis assez longtemps lorsque je me sentis secouer rudement par le boss des piqueurs baptiste durand qui me dit joe minuit vient de sonner et tu es en retard pour le saut du quart les camarades sont partis pour faire leur tournée et moi je m'en vais à lavaltrie voir ma blonde veux-tu venir avec moi +775 +il ne s'en manqua pas de dix pieds que l'avant du canot n'allait se briser sur la grande croix de tempérance que l'évêque de québec avait plantée là à droite baptiste à droite mon vieux car tu vas nous envoyer chez le diable si tu ne gouvernes pas mieux que ça +776 +allons mon vieux prends ton courage à deux mains et si le coeur t'en dit dans deux heures de temps nous serons à lavaltrie pense à la petite liza guimbette et au plaisir de l'embrasser +777 +animal répondit mon homme il ne s'agit pas de cela nous ferons le voyage en canot d'écorce à l'aviron et demain matin à six heures nous serons de retour au chantier +778 +une simple formalité mon joe il s'agit simplement de ne pas se griser et de faire attention à sa langue et à son aviron un homme n'est pas un enfant que diable viens viens nos camarades nous attendent dehors et le grand canot de la drave est tout prêt pour le voyage +779 +la lune avait disparue et il ne faisait plus aussi clair qu'auparavant et ce n'était pas sans crainte que je pris ma position à l'avant du canot bien décidé à avoir l'oeil sur la route que nous allions suivre +780 +à cette condition tu nous transporteras à travers les airs au lieu où nous voulons aller et tu nous ramèneras de même au chantier chapitre trois +781 +il en avait vu de toutes les couleurs dans son existence bigarrée et il suffisait de lui faire prendre un petit coup de jamaïque pour lui délier la langue et lui faire raconter ses exploits +782 +à lavaltrie lui répondis-je es-tu fou nous en sommes à plus de cent lieues et d'ailleurs aurais-tu deux mois pour faire le voyage qu'il n'y a pas de chemin de sortie dans la neige et puis le travail du lendemain du jour de l'an +783 +au premier signe suivez-moi tous car il faudra repartir sans attirer l'attention et nous allâmes frapper à la porte chapitre cinq +784 +et je vous assure que la dégringolade ne se fit pas attendre car au moment où nous passions au-dessus de montréal baptiste nous fit prendre un sheer et avant d'avoir eu le temps de m'y préparer le canot s'enfonçait dans un banc de neige dans une éclaircie sur le flanc de la montagne +785 +en effet nous apercevions déjà les mille lumières de la grande ville et baptiste d'un coup d'aviron nous fit descendre à peu près au niveau des tours de notre-dame j'enlevai ma chique pour ne pas l'avaler et j'entonnai à tue-tête cette chanson de circonstance que les canotiers répétèrent en ch ur +786 +mais je n'ai pas besoin de vous dire que j'avais les côtes sur le long comme un homme qui a couché sur les ravalements pendant toute une semaine sans parler d'un blackeye et de deux ou trois déchirures sur les mains et dans la figure +787 +la mélasse mijotait dans le grand chaudron pour la partie de tire qui devait terminer la soirée chacun avait bourré sa pipe de bon tabac canadien et un nuage épais obscurcissait l'intérieur de la cabane où un feu pétillant de pin résineux jetait cependant par intervalles +788 +des lueurs rougeâtres qui tremblotaient en éclairant par des effets merveilleux de clair-obscur les mâles figures de ces rudes travailleurs des grands bois +789 +et ce n'est pas pour me vanter si je vous dis que dans ce temps-là il n'y avait pas mon pareil à dix lieues à la ronde pour la gigue simple ou la voleuse mes camarades de leur côté s'amusaient comme des lurons et tout ce que je puis vous dire c'est que les garçons d'habitants étaient fatigués de nous autres lorsque quatre heures sonnèrent à la pendule +790 +et l'animal gesticulait comme lin perdu en nous menaçant tous de son aviron qu'il avait saisi et qu'il faisait tournoyer sur nos têtes en faisant le moulinet comme un irlandais avec son shilelag +791 +j'ai rencontré plus d'un vieux voyageur qui affirmait avoir vu voguer dans les airs des canots d'écorce remplis de possédés s'en allant voir leurs blondes sous l'égide de belzébuth +792 +et baptiste fit instinctivement tourner le canot vers la droite en mettant le cap sur la montagne de montréal que nous apercevions déjà dans le lointain j'avoue que la peur commençait à me tortiller car si baptiste continuait à nous conduire de travers nous étions flambés comme des gorets qu'on grille après la boucherie +793 +et de prendre un coup de trop car il fallait reprendre la route des chantiers et y arriver avant six heures du matin sans quoi nous étions flambés comme des carcajous et le diable nous emportait au fin fond des enfers +794 +qui me menait canot d'écorce qui vole qui vole canot d'écorce qui va voler le marinier qui me menait canot d'écorce qui va voler me dit ma belle embrassez-moi canot d'écorce qui vole qui +795 +j'essayai de raisonner avec lui mais allez donc faire entendre raison à un ivrogne qui veut se mouiller la luette alors rendu à bout de patience et plutôt que de laisser nos âmes au diable qui se léchait déjà les babines en nous voyant dans l'embarras +796 +tout ce que je puis vous dire mes amis c'est que ce n'est pas si drôle qu'on le pense que d'aller voir sa blonde en canot d'écorce en plein coeur d'hiver en courant la chasse galerie surtout si vous avez un maudit ivrogne qui se mêle de gouverner si vous m'en croyez +797 +nous sortîmes donc les uns après les autres sans faire semblant de rien et cinq minutes plus tard nous étions remontés en canot après avoir quitté le bal comme des sauvages sans dire bonjour à personne pas même à liza que j'avais invitée pour danser un foin +798 +heureusement que c'était de la neige molle et personne n'attrapa de mal et que le canot ne fut pas brisé mais à peine étions-nous sortis de la neige que voilà baptiste qui commence à sacrer comme un possédé et qui déclare qu'avant de repartir pour gatineau il veut descendre en ville prendre un verre +799 +il s'agit tout simplement de ne pas prononcer le nom du bon dieu pendant le trajet et de ne pas s'accrocher aux croix des clochers en voyageant c'est facile à faire et pour éviter tout danger il faut penser à ce qu'on dit avoir l'oeil où l'on va et ne pas prendre de boisson en route j'ai déjà fait le voyage cinq fois et tu vois bien qu'il ne m'est jamais arrivé malheur +800 +c'est baptiste le possédé qui gouvernait car il connaissait la route et nous arrivâmes bientôt à la rivière des outaouais qui nous servit de guide pour descendre jusqu'au lac des deux montagnes +801 +on passait ces clochers aussi vite qu'on passe les poteaux de télégraphe quand on voyage en chemin de fer et nous filions toujours comme tous les diables passant par-dessus les villages les forêts les rivières et laissant derrière nous comme une traînée d'étincelles +802 +et il n'était pas rare de voir finir les fêtes par des coups de poings et des tirages de tignasse la jamaïque était bonne pas meilleure que ce soir mais elle était bougrement bonne je vous le parsouête +803 +ce fut encore baptiste qui nous tira d'affaire en prenant la parole d'abord laissez-nous nous décapoter et puis ensuite laissez-nous danser nous sommes venus exprès pour ça demain matin je répondrai à toutes vos questions et nous vous raconterons tout ce que vous voudrez +804 +réunis avec tous mes camarades autour de la cambuse nous prenions un petit coup mais si les petits ruisseaux font les grandes rivières les petits verres finissent par vider les grosses cruches et dans ces temps-là on buvait plus sec et plus souvent qu'aujourd'hui +805 +je vous avertis qu'ils font mieux d'aller voir dehors si les chats-huants font le sabbat car je vais commencer mon histoire en faisant un grand signe de croix pour chasser le diable et ses diablotins j'en ai eu assez de ces maudits-là dans mon jeune temps +806 +notre alouette de retour trouve en alarme sa couvée l'un commence il a dit que l'aurore levée l'on fît venir demain ses amis pour l'aider +807 +ne t'attends qu'à toi seul c'est un commun proverbe voici comme ésope le mit en crédit +808 +de mille soins divers l'alouette agitée s'en va chercher pâture avertit ses enfants d'être toujours au guet et faire sentinelle +809 +tous les jours il est mon ami c'est une vieille connaissance notre magot prit pour ce coup le nom d'un port pour un nom d'homme +810 +eux repus tout s'endort les petits et la mère l'aube du jour arrive et d'amis point du tout l'alouette à l'essor le maître s'en vient faire sa ronde ainsi qu'à l'ordinaire +811 +cet animal est fort ami de notre espèce en son histoire pline le dit il le faut croire il sauva donc tout ce qu'il put même un singe en cette occurrence profitant de la ressemblance lui pensa devoir son salut +812 +de telles gens il est beaucoup qui prendraient vaugirard pour rome et qui caquetant au plus dru parlent de tout et n'ont rien vu +813 +elle bâtit un nid pond couve et fait éclore à la hâte le tout alla du mieux qu'il put les blés d'alentour mûrs avant que la nitée se trouvât assez forte encore pour voler et prendre l'essor +814 +un dauphin le prit pour un homme et sur son dos le fit asseoir si gravement qu'on eût cru voir ce chanteur que tant on renomme +815 +il n'est meilleur ami ni parent que soi-même retenez bien cela mon fils et savez-vous ce qu'il faut faire +816 +s'il n'a dit que cela repartit l'alouette rien ne nous presse encore de changer de retraite mais c'est demain qu'il faut tout de bon écouter cependant soyez gais voilà de quoi manger +817 +dès lors que ce dessein fut su de l'alouette c'est ce coup qu'il est bon de partir mes enfants et les petits en même temps voletants se culbutants délogèrent tous sans trompette +818 +le dauphin l'allait mettre à bord quand par hasard il lui demande êtes-vous d'athènes la grande oui dit l'autre on m'y connaît fort s'il vous survient quelque affaire employez-moi car mes parents y tiennent tous les premiers rangs +819 +le dauphin rit tourne la tête et le magot considéré il s'aperçoit qu'il n'a tiré du fond des eaux rien qu'une bête il l'y replonge et va trouver quelque homme afin de le sauver +820 +c'était chez les grecs un usage que sur la mer tous voyageurs menaient avec eux en voyage singes et chiens de bateleurs un navire en cet équipage non loin d'athènes fit naufrage sans les dauphins tout eût péri +821 +et croyant entrer tout d'un coup le biquet soupçonneux par la fente regarde montrez-moi patte blanche ou je n'ouvrirai point s'écria-t-il d'abord patte blanche est un point chez les loups comme on sait rarement en usage +822 +l'alouette eut raison car personne ne vint pour la troisième fois le maître se souvint de visiter ses blés ah notre erreur est extrême dit-il de nous attendre à d'autres gens que nous +823 +l'épouvante est au nid plus forte que jamais il a dit ses parents mère c'est à cette heure non mes enfants dormez en paix ne bougeons de notre demeure +824 +une pourtant de ces dernières avait laissé passer la moitié d'un printemps sans goûter le plaisir des amours printanières à toute force enfin elle se résolut d'imiter la nature et d'être mère encore +825 +ces blés ne devraient pas dit-il être debout nos amis ont grand tort et tort qui se repose sur de tels paresseux à servir ainsi lents mon fils allez chez nos parents les prier de la même chose +826 +comme elle disait ces mots le loup de fortune passe il les recueille à propos et les garde en sa mémoire la bique comme on peut croire n'avait pas vu le glouton +827 +si le possesseur de ces champs vient avec son fils comme il viendra dit-elle écoutez bien selon ce qu'il dira chacun de nous décampera +828 +sitôt que l'alouette eut quitté sa famille le possesseur du champ vient avec son fils ces blés sont mûrs dit-il allez chez nos amis les prier que chacun apportant sa faucille nous vienne aider demain dès la pointe du jour +829 +dès qu'il la voit partie il contrefait son ton et d'une voix papelarde il demande qu'on ouvre en disant foin du loup +830 +gardez-vous sur votre vie d'ouvrir que l'on ne vous die pour enseigne et mot du guet foin du loup et de sa race +831 +celui-ci fort surpris d'entendre ce langage comme il était venu s'en retourna chez soi où serait le biquet s'il eût ajouté foi au mot du guet que de fortune notre loup avait entendu +832 +la bique allant remplir sa traînante mamelle et paître l'herbe nouvelle ferma sa porte au loquet non sans dire à son biquet +833 +les alouettes font leur nid dans les blés quand ils sont en herbe c'est-à-dire environ le temps que tout aime et que tout pullule dans le monde monstres marins au fond de l'onde tigres dans les forêts alouettes aux champs +834 +il faut qu'avec notre famille nous prenions dès demain chacun une faucille c'est là notre plus court et nous achèverons notre moisson quand nous pourrons +835 +un mien cousin est juge-maire le dauphin dit bien grand merci et le pirée a part aussi à l'honneur de votre présence vous le voyez souvent je pense +836 +sacerdoce l'art la médecine et cetera sont des sacerdoces sacrilège c'est un sacrilège d'abattre un arbre saigner se faire saigner au printemps +837 +saint-barthélemy vieille blague sainte-beuve le vendredi saint dînait exclusivement de charcuterie +838 +faire le début littéraire qui pose très bien son homme salutations toujours empressées santé trop de santé cause de maladie +839 +fin de la lettre s +840 +séville célèbre endroit pour son barbier voir séville et mourir voir naples site endroits pour faire des vers société +841 +ses ennemis ce qui cause sa perte sombreuil mlle de rappeler le verre de sang +842 +homme riche et débauché saturnales fêtes du directoire savants les blaguer pour être savant il ne faut que de la mémoire et du travail +843 +saphique et adonique vers produit un excellent effet dans un article de littérature satrape +844 +sabots un homme riche qui a eu des commencements difficiles est toujours venu à paris en sabots sabre les français veulent être gouvernés par le sabre +845 +sybarites tonner contre syphilis plus ou moins tout le monde en est affecté +846 +taupe aveugle comme une taupe et cependant elle a des yeux taureau le père du veau le boeuf n'est que l'oncle +847 +ou bien s'il y a des dames de demander si l'une d'elles n'est pas enceinte troubadour beau sujet de pendule +848 +terre dire les quatre coins de la terre puisqu'elle est ronde thème au collège prouve l'application comme la version prouve l'intelligence mais dans le monde il faut rire des forts en thème +849 +treize éviter d'être treize à table ça porte malheur les esprits forts ne devront jamais manquer de plaisanter qu'est-ce que ça fait je mangerai pour deux +850 +scudéry on doit le blaguer sans savoir si c'était un homme ou une femme sénèque ecrivait sur un pupitre d'or serpent tous venimeux +851 +suffrage universel dernier terme de la science politique suicide preuve de +852 +tour indispensable à avoir dans son grenier à la campagne pour les jours de pluie transpiration des pieds signe de santé +853 +spiritualisme le meilleur système de philosophie stoïcisme est impossible stuart marie s'apitoyer sur son sort +854 +sbire s'emploie par les républicains farouches pour désigner les agents de police science un peu de science écarte de la religion et beaucoup y ramène +855 +fin de la lettre s +856 +soupers de la régence on y dépensait encore plus d'esprit que de champagne soupir doit s'exhaler près d'une femme +857 +sommeil épaissit le sang soufflet ne jamais s'en servir somnambule se promène la nuit sur la crête des toits +858 +toilette des dames trouble l'imagination tolérance maison de n'est pas celle où l'on a des opinions tolérantes +859 +service c'est rendre service aux enfants que de les calotter aux animaux que de les battre aux domestiques que de les chasser aux malfaiteurs que de les punir +860 +témoin il faut toujours refuser d'être témoin en justice on ne sait pas où ça peut mener temps éternel sujet de conversation cause universelle des maladies toujours s'en plaindre +861 +sainte-hélène île connue par son rocher salière la renverser porte malheur +862 +talleyrand prince de s'indigner contre tartane viens dans ma tartane belle grecque à l'oeil noir romance +863 +il fallait donc qu'elle eût un séjour affecté un séjour d'où l'on pût en toutes les familles l'envoyer à jour arrêté comme il n'était alors aucun couvent de filles on y trouva difficulté +864 +quelle proportion de mes pieds à ma tête disait-il en voyant leur ombre avec douleur des taillis les plus hauts mon front atteint le faîte mes pieds ne me font point d'honneur +865 +il se dédit alors et maudit les présents que le ciel lui fait tous les ans nous faisons cas du beau nous méprisons l'utile et le beau souvent nous détruit +866 +l'auberge enfin de l'hyménée lui fut pour maison assignée fin de la fable vingt la discorde cet enregistrement fait partie du domaine public +867 +pour la faire trouver aux lieux où le besoin demandait qu'elle fût présente la renommée avait le soin de l'avertir et l'autre diligente courait vite aux débats et prévenait la paix faisait d'une étincelle un feu long à s'éteindre +868 +la déesse discorde ayant brouillé les dieux et fait un grand procès là-haut pour une pomme on la fit déloger des cieux +869 +elle nous fit l'honneur en ce bas univers de préférer notre hémisphère à celui des mortels qui nous sont opposés gens grossiers peu civilisés et qui se mariant sans prêtre et sans notaire de la discorde n'ont que faire +870 +tout en parlant de la sorte un limier le fait partir il tâche à se garantir dans les forêts il s'emporte son bois dommageable ornement l'arrêtant à chaque moment nuit à l'office que lui rendent ses pieds de qui ses jours dépendent +871 +la renommée enfin commença de se plaindre que l'on ne lui trouvait jamais de demeure fixe et certaine bien souvent l'on perdait à la chercher sa peine +872 +dans le cristal d'une fontaine un cerf se mirant autrefois louait la beauté de son bois et ne pouvait qu'avec peine souffrir ses jambes de fuseaux ont il voyait l'objet se perdre dans les eaux +873 +il reprit oh c'est toute une histoire une assez triste et vilaine histoire mes anciens camarades se sont souvent étonnés du froid survenu tout à coup entre un de mes meilleurs amis qui s'appelait de son petit nom julien et moi +874 +mon bon dit-il il va falloir que je m'absente en sortant de table pour une affaire je ne serai pas de retour avant onze heures mais à onze heures précises je rentrerai j'ai compté sur toi pour tenir compagnie à berthe la jeune femme sourit +875 +ce pénible silence dura quelque temps puis berthe me dit mettez donc une bûche au feu mon ami vous voyez bien qu'il va s'éteindre j'ouvris le coffre à bois placé juste comme le vôtre +876 +c'est moi d'ailleurs qui ai eu l'idée de vous envoyer chercher reprit-elle je lui serrai la main vous êtes gentille comme tout et je sentis sur mes doigts une amicale et longue pression +877 +trahir sans cesse tromper toujours jouer l'amour pour le seul attrait du fruit défendu du danger bravé de l'amitié trahie non cela ne m'allait guère +878 +cet attachement d'esprit de coeur et de confiance qui existe entre deux hommes voyez-vous madame quel que soit l'amour qui les soude l'un à l'autre l'homme et la femme sont toujours étrangers d'âme d'intelligence +879 +il fait trop chaud maintenant dit-elle allons donc là-bas sur le canapé et nous voilà partis sur le canapé puis tout à coup me regardant bien en face +880 +et peu à peu il m'éloigna de chez lui et nous avons cessé de nous voir je ne me suis point marié cela ne doit plus vous étonner +881 +ils ne comprenaient point comment deux intimes deux inséparables comme nous étions avaient pu tout à coup devenir presque étrangers l'un à l'autre or voici le secret de notre éloignement +882 +lui et moi nous habitions ensemble autrefois nous ne nous quittions jamais et l'amitié qui nous liait semblait si forte que rien n'aurait pu la briser un soir en rentrant il m'annonça son mariage +883 +ils avaient cessé de causer depuis une minute environ et tous deux regardaient le feu rêvant à n'importe quoi en l'un de ces silences amis des gens qui n'ont point besoin de parler toujours pour se plaire l'un près de l'autre +884 +elle avait pris en parlant un petit air indifférent sainte-nitouche et appuyée sur les coussins elle s'était allongée couchée la tête contre mon épaule la robe un peu relevée +885 +nous ne nous étions encore jamais trouvés seuls et malgré notre intimité grandissant chaque jour le tête-à-tête nous plaçait dans une situation nouvelle +886 +je n'y pris pas garde on se mit à table et dès huit heures julien nous quittait aussitôt qu'il fut parti une sorte de gêne singulière naquit brusquement entre sa femme et moi +887 +un pied tendu vers la flamme comme perdue en une difficile méditation quand je fus à sec d'idées banales je me tus c'est étonnant comme il est difficile quelquefois de trouver des choses à dire +888 +or je fis en sorte de n'être plus repris dans une situation pareille jamais jamais puis je m'aperçus que julien me battait froid comme on dit sa femme évidemment sapait notre amitié +889 +quand l'amour est tranquille facile sans périls légal est-ce bien de l'amour je ne savais plus quoi répondre et je jetais en moi-même cette exclamation philosophique ô cervelle féminine te voilà bien +890 +tout imprégnée de parfums pénétrée jusqu'à la chair vive par les essences fines dont elle se baigne depuis si longtemps l'épiderme une vieille qui sent quand on lui baise la main +891 +si je vous disais moi que je vous aime que feriez-vous et avant que j'eusse pu trouver ma réponse ses bras avaient pris mon cou avaient attiré brusquement ma tête et ses lèvres joignaient les miennes +892 +roulant comme un ouragan de flamme incendiant le tapis et se gîtant sous un fauteuil qu'elle allait infailliblement flamber je me précipitai comme un fou et pendant que je repoussais dans la cheminée le tison sauveur la porte brusquement s'ouvrit +893 +je reçus un coup dans la poitrine comme s'il m'avait volé ou trahi quand un ami se marie c'est fini bien fini l'affection jalouse d'une femme cette affection ombrageuse inquiète et charnelle ne tolère point l'attachement vigoureux et franc +894 +elle la maîtresse de la maison une vieille à cheveux blancs mais une de ces vieilles adorables dont la peau sans rides est lisse comme un fin papier et parfumée +895 +ils restent deux belligérants ils sont d'une race différente il faut qu'il y ait toujours un dompteur et un dompté un maître et un esclave tantôt l'un tantôt l'autre ils ne sont jamais deux égaux +896 +peu à peu je me laissai séduire par le charme doux de cette vie commune et je dînais souvent chez eux et souvent rentré chez moi la nuit je songeais à faire comme lui à prendre une femme trouvant bien triste à présent ma maison vide +897 +non elle était pardon c'est lui qui l'était ou plutôt qui l'aurait été quand voilà qu'un bruit terrible nous fit bondir la bûche oui la bûche madame s'élançait dans le salon renversant la pelle le garde feu +898 +l'odeur légère qui vous saute à l'odorat lorsqu'on ouvre une boîte de poudre d'iris florentine lui était un ami d'autrefois resté garçon un ami de toutes les semaines un compagnon de voyage dans l'existence rien de plus d'ailleurs +899 +et je pris une bûche la plus grosse bûche que je plaçai en pyramide sur les autres morceaux aux trois quarts consumés et le silence recommença +900 +eux paraissaient se chérir ne se quittaient point or un soir julien m'écrivit de venir dîner j'y allai +901 +quand le désastre fut réparé une forte odeur de roussi se répandit et l'homme se rasseyant en face de son amie la regarda en souriant et voilà dit-il en montrant la bûche replacée dans l'âtre voilà pourquoi je ne me suis jamais marié +902 +elle le considéra tout étonnée avec cet oeil curieux des femmes qui veulent savoir cet oeil des femmes qui ne sont plus toutes jeunes où la curiosité est réfléchie compliquée souvent malicieuse et elle demanda comment ça +903 +mais que faire imiter joseph rôle fort sot et de plus fort difficile car elle était affolante en sa perfidie cette fille et enflammée d'audace et palpitante et acharnée +904 +la vieille femme avec un petit cri se dressa comme pour fuir tandis que lui à coups de botte rejetait dans la cheminée l'énorme charbon et ratissait de sa semelle toutes les éclaboussures ardentes répandues autour +905 +ah ma chère amie je vous réponds que je ne m'amusais pas quoi tromper julien devenir l'amant de cette petite folle perverse et rusée effroyablement sensuelle sans doute à qui son mari déjà ne suffisait plus +906 +enfin mon ami julien se maria elle était jolie sa femme charmante une petite blonde frisottée vive potelée qui semblait l'adorer +907 +dans une cheminée large un grand feu flambait tandis qu'une seule lampe posée sur le coin de la cheminée versait une lumière molle ombrée par un abat-jour d'ancienne dentelle sur les deux personnes qui causaient +908 +au bout de quelques minutes la bûche flambait de telle façon qu'elle nous grillait la figure la jeune femme releva sur moi ses yeux des yeux qui me parurent étranges +909 +ils s'étreignent les mains leurs mains frissonnantes d'ardeur ils ne se les serrent jamais d'une large et forte pression loyale de cette pression qui semble ouvrir les coeurs les mettre à nu dans un élan de sincère et forte et virile affection +910 +je parlai d'abord de choses vagues de ces choses insignifiantes dont on emplit les silences embarrassants elle ne répondit rien et restait en face de moi de l'autre côté de la cheminée la tête baissée le regard indécis +911 +julien tout joyeux rentrait il s'écria je suis libre l'affaire est finie deux heures plus tôt oui mon amie sans la bûche j'étais pincé en flagrant délit et vous apercevez d'ici les conséquences +912 +d'abord j'allais peu dans la maison craignant de gêner leur tendresse me sentant de trop entre eux ils semblaient pourtant m'attirer m'appeler sans cesse et m'aimer +913 +et soudain une grosse bûche une souche hérissée de racines enflammées croula elle bondit par-dessus les chenets et lancée dans le salon roula sur le tapis en jetant des éclats de feu tout autour d'elle +914 +oh que celui qui n'a jamais senti sur sa bouche le baiser profond d'une femme prête à se donner me jette la première pierre enfin une minute de plus vous comprenez n'est-ce pas une minute de plus et j'étais +915 +et puis je sentais du nouveau dans l'air je sentais de l'invisible un je ne sais quoi impossible à exprimer cet avertissement mystérieux qui vous prévient des intentions secrètes bonnes ou mauvaises d'une autre personne à votre égard +916 +non vous n'y entendez rien pour que l'amour fût bon il faudrait il me semble qu'il bouleversât le coeur tordît les nerfs et ravageât la tête +917 +alors elle se mit à rire d'un rire sec nerveux frémissant un de ces rires faux qui semblent devoir casser les verres fins les hommes ne sont jamais audacieux ni malins elle se tut puis reprit +918 +avez-vous quelquefois été amoureux monsieur paul je l'avouai oui j'avais été amoureux racontez-moi ça dit-elle je lui racontai une histoire quelconque elle m'écoutait attentivement avec des marques fréquentes d'improbation et de mépris et soudain +919 +laissant voir un bas de soie rouge que les éclats du foyer enflammaient par instants au bout d'une minute je vous fais peur dit-elle je protestai elle s'appuya tout à fait contre ma poitrine et sans me regarder +920 +qu'est-ce que vous feriez si une femme vous disait qu'elle vous aime je répondis fort interloqué euh ma foi le cas n'est pas prévu et puis ça dépendrait de la femme +921 +les sages au lieu de se marier et de procréer comme consolation pour les vieux jours des enfants qui les abandonneront devraient chercher un bon et solide ami et vieillir avec lui dans cette communion de pensées qui ne peut exister qu'entre deux hommes +922 +il faudrait qu'il fût comment dirai-je dangereux terrible même presque criminel presque sacrilège qu'il fût une sorte de trahison je veux dire qu'il a besoin de rompre des obstacles sacrés des lois des liens fraternels +923 +en ce moment la camériste favorite de mme la baronne danglars entra et s'approchant de sa maîtresse lui glissa quelques mots à l'oreille mme danglars pâlit impossible dit-elle c'est l'exacte vérité cependant madame répondit la camériste mme danglars se retourna du côté de son mari +924 +puis j'ai dans le coeur trois sentiments avec lesquels on ne s'ennuie jamais de la tristesse de l'amour et de la reconnaissance tu es une digne fille de l'épire haydée gracieuse et poétique et l'on voit que tu descends de cette famille de déesses +925 +ce n'était donc pas en réalité danglars qui présentait c'était au contraire lui qui était présenté et qui était bien ou mal reçu selon que le visage du visiteur était agréable ou désagréable à la baronne +926 +puis sur ce charmant ensemble la fleur de la jeunesse était répandue avec tout son éclat et tout son parfum haydée pouvait avoir dix-neuf ou vingt ans monte cristo appela la suivante grecque et fit demander à haydée la permission d'entrer auprès d'elle +927 +je ne te quitterai jamais seigneur dit haydée car je suis sûre que je ne pourrais pas vivre sans toi pauvre enfant dans dix ans je serai vieux et dans dix ans tu seras jeune encore +928 +mon père est mort et je ne suis pas morte tandis que toi si tu mourais je mourrais le comte tendit la main à la jeune fille avec un sourire de profonde tendresse elle y imprima ses lèvres comme d'habitude +929 +ils avaient le même harnais qu'elle leur avait vu le matin seulement au centre de chaque rosette qu'ils portaient sur l'oreille le comte avait fait coudre un diamant danglars aussi eut sa lettre le comte lui demandait la permission de passer à la baronne ce caprice de millionnaire le priant d'excuser les façons orientales dont le renvoi des chevaux était accompagné +930 +monte cristo prit la main d'haydée pour la baiser mais la naïve enfant retira sa main et présenta son front maintenant haydée lui dit-il tu sais que tu es libre que tu es maîtresse que tu es reine +931 +édouard a supporté l'accident avec un courage miraculeux il s'est évanoui mais il n'a pas poussé un cri auparavant et n'a pas versé une larme après vous me direz encore que mon amour maternel m'aveugle mais il y a une âme de fer dans ce pauvre petit corps si frêle et si délicat +932 +la baronne vous fait demander combien son mari vous a vendu son attelage mais je ne sais trop dit le comte c'est une surprise que mon intendant m'a faite et qui m'a coûté trente mille francs je crois +933 +oh que monsieur de villefort sera reconnaissant reprit héloïse car enfin il vous devra notre vie à tous deux vous lui avez rendu sa femme et son fils assurément sans votre généreux serviteur ce cher enfant et moi nous étions tués hélas madame je frémis encore du péril que vous avez couru +934 +j'avais acheté hier ces chevaux au baron mais la baronne a paru tellement les regretter que je les lui ai envoyés hier en la priant de les accepter de ma main mais alors vous êtes donc le comte de monte-cristo dont hermine m'a tant parlé hier +935 +haydée reprit le comte tu sais que nous sommes en france et par conséquent que tu es libre libre de faire quoi demanda la jeune fille libre de me quitter te quitter et pourquoi te quitterais-je que sais-je moi nous allons voir le monde je ne veux voir personne +936 +je crains que tu ne t'ennuies non seigneur car le matin je penserai que tu viendras et le soir je me rappellerai que tu es venu d'ailleurs quand je suis seule j'ai de grands souvenirs je revois d'immenses tableaux de grands horizons avec le pinde et l'olympe dans le lointain +937 +oh j'espère que vous me permettrez de récompenser dignement le dévouement de cet homme madame répondit monte cristo ne me gâtez pas ali je vous prie ni par des louanges ni par des récompenses ce sont des habitudes que je ne veux pas qu'il prenne +938 +chapitre quarante-neuf haydée on se rappelle quelles étaient les nouvelles ou plutôt les anciennes connaissances du comte de monte-cristo qui demeuraient rue meslay c'étaient maximilien julie et emmanuel +939 +ali fit signe que oui et se redressa fièrement bien ainsi avec le lasso tu arrêterais un boeuf ali fit signe de la tête que oui un tigre ali fit le même signe un lion ali fit le geste d'un homme qui lance le lasso et imita un rugissement étranglé bien je comprends dit monte-cristo tu as chassé le lion +940 +notre chère valentine dit bien des choses à votre chère eugénie moi je vous embrasse de tout coeur héloïse de villefort p s faites-moi donc trouver chez vous d'une façon quelconque avec ce comte de monte-cristo je veux absolument le revoir +941 +pendant la soirée monte-cristo partit pour auteuil accompagné d'ali le lendemain vers trois heures ali appelé par ce coup de timbre entra dans le cabinet du comte ali lui dit-il tu m'as souvent parlé de ton adresse à lancer le lasso +942 +pensa monte cristo en se retirant j'en suis arrivé où j'en voulais venir voilà que je tiens dans mes mains la paix du ménage et que je vais gagner d'un seul coup le coeur de monsieur et le coeur de madame quel bonheur +943 +tu peux garder ton costume ou le quitter à ta fantaisie tu resteras ici quand tu voudras rester tu sortiras quand tu voudras sortir il y aura toujours une voiture attelée pour toi ali et myrto t'accompagneront partout et seront à tes ordres seulement une chose je te prie dis +944 +oui monsieur la connaissez-vous mme danglars j'ai cet honneur et ma joie est double de vous voir sauvée du péril que ces chevaux vous ont fait courir car ce péril c'est à moi que vous eussiez pu l'attribuer +945 +madame répondit danglars les chevaux étaient trop vifs ils avaient quatre ans à peine ils me faisaient pour vous des peurs horribles eh monsieur dit la baronne vous savez bien que j'ai depuis un mois à mon service le meilleur cocher de paris à moins toutefois que vous ne l'ayez vendu avec les chevaux +946 +en ce moment ali entra mme de villefort fit un mouvement de joie et ramena l'enfant plus près d'elle encore édouard dit-elle vois-tu ce bon serviteur il a été bien courageux car il a exposé sa vie pour arrêter les chevaux qui nous emportaient et la voiture qui allait se briser +947 +quand un arabe un nègre un nubien un homme noir enfin au service du comte a sur un signe de lui je crois arrêté l'élan des chevaux au risque d'être brisé lui-même et c'est vraiment un miracle qu'il ne l'ait pas été alors le comte est accouru nous a emportés chez lui édouard et moi et là a rappelé mon fils à la vie +948 +aussi m danglars grand admirateur de l'antique à la manière dont le comprenait le directoire méprisait-il fort ce coquet petit réduit où au reste il n'était admis en général qu'à la condition qu'il ferait excuser sa présence en amenant quelqu'un +949 +quant au comte il eut en échange de son salut une cérémonieuse mais en même temps gracieuse révérence lucien de son côté échangea avec le comte un salut de demi connaissance et avec danglars un geste d'intimité +950 +c'est dans sa propre voiture que j'ai été ramenée à l'hôtel la vôtre vous sera renvoyée demain vous trouverez vos chevaux bien affaiblis depuis cet accident ils sont comme hébétés on dirait qu'ils ne peuvent se pardonner à eux-mêmes de s'être laissé dompter par un homme +951 +oh maudite curiosité dit la dame tout paris parlait de ces magnifiques chevaux de mme danglars et j'ai eu la folie de vouloir les essayer comment s'écria le comte avec une surprise admirablement jouée ces chevaux sont ceux de la baronne +952 +monsieur dit le comte je vous remercie j'en ai acheté ce matin d'assez bons et pas trop cher tenez voyez monsieur debray vous êtes amateur je crois pendant que debray s'approchait de la fenêtre danglars s'approcha de sa femme +953 +et si parmi les beaux jeunes gens que tu rencontreras tu en trouvais quelqu'un qui te plût je ne serais pas assez injuste je n'ai jamais vu d'hommes plus beaux que toi et je n'ai jamais aimé que mon père et toi pauvre enfant dit monte-cristo c'est que tu n'as guère parlé qu'à ton père et à moi +954 +haydee se souleva sur le coude qui tenait le narguilé et tendant au comte sa main en même temps qu'elle l'accueillait avec un sourire pourquoi dit-elle dans la langue sonore des filles de sparte et d'athènes pourquoi me fais-tu demander la permission d'entrer chez moi n'es-tu plus mon maître ne suis-je plus ton esclave monte cristo sourit à son tour +955 +aussitôt cette besogne indispensable terminée un de mes attelages la reconduira directement chez madame danglars mais dit madame de villefort avec ces mêmes chevaux je n'oserai jamais m'en aller +956 +albert le racontait à sa mère château renaud au jockey-club debray dans le salon du ministre beauchamp lui-même fit au comte la galanterie dans son journal d'un fait divers de vingt lignes qui posa le noble étranger en héros auprès de toutes les femmes de l'aristocratie +957 +qui ne laissait arriver la vapeur à sa bouche que parfumée par l'eau de benjoin à travers laquelle sa douce aspiration la forçait de passer sa pose toute naturelle pour une femme d'orient eût été pour une française d'une coquetterie peut-être un peu affectée +958 +la tête était coiffée d'une petite calotte d'or brodée de perles inclinée sur le côté et au-dessous de la calotte du côté où elle inclinait une belle rose naturelle de couleur pourpre ressortait mêlée à des cheveux si noirs qu'ils paraissaient bleus +959 +quant au bas du corset et au haut du caleçon ils étaient perdus dans une des ceintures aux vives couleurs et aux longues franges soyeuses qui font l'ambition de nos élégantes parisiennes +960 +haydée dit-il vous savez pourquoi ne me dis-tu pas tu comme d'habitude interrompit la jeune grecque ai-je donc commis quelque faute en ce cas il faut me punir mais non pas me dire vous +961 +eh bien qu'ai-je besoin de parler à d'autres mon père m'appelait sa joie toi tu m'appelles ton amour et tous deux vous m'appelez votre enfant tu te rappelles ton père haydee +962 +quant à sa toilette c'était celle des femmes épirotes c'est-à-dire un caleçon de satin blanc broché de fleurs roses et qui laissait à découvert deux pieds d'enfant qu'on eût crus de marbre de paros si on ne les eût vus se jouer avec deux petites sandales à la pointe recourbée brodée d'or et de perles +963 +mme danglars dont la beauté pouvait encore être citée malgré ses trente-six ans était à son piano petit chef-d'oeuvre de marqueterie tandis que lucien debray assis devant une table à ouvrage feuilletait un album +964 +l'enfant quoique toujours pâle rouvrit aussitôt les yeux à cette vue la joie de la mère fut presque un délire où suis-je s'écria-t-elle et à qui dois-je tant de bonheur après une si cruelle épreuve vous êtes madame répondit monte cristo chez l'homme le plus heureux d'avoir pu vous épargner un chagrin +965 +quant à la beauté de ce visage c'était la beauté grecque dans toute la perfection de son type avec ses grands yeux noirs veloutés son nez droit ses lèvres de corail et ses dents de perles +966 +hier vous m'avez parlé de lui avec un enthousiasme que je n'ai pu m'empêcher de railler de toute la force de mon pauvre petit esprit mais aujourd'hui je trouve cet enthousiasme bien au-dessous de l'homme qui l'inspirait +967 +lucien avait déjà avant son arrivée eu le temps de raconter à la baronne bien des choses relatives au comte on sait combien pendant le déjeuner chez albert monte cristo avait fait impression sur ses convives +968 +l'opéra italien est à londres l'opéra français est partout excepté à paris et quant au théâtre-français vous savez qu'il n'est plus nulle part il nous reste donc pour toute distraction quelques malheureuses courses au champ-de-mars et à satory ferez-vous courir monsieur le comte +969 +selon ses ordres la voiture était prête il y monta et la voiture comme toujours partit au galop fin du chapitre quarante-neuf +970 +le comte sourit comme si l'enfant venait de remplir une de ses espérances quant à mme de villefort elle gourmanda son fils avec une modération qui n'eût certes pas été du goût de jean-jacques rousseau si le petit édouard se fût appelé émile +971 +mais ajouta-t-il dans tout cela je n'ai point été présenté à mlle eugénie danglars que j'eusse été cependant fort aise de connaître mais reprit-il avec un sourire qui lui était particulier nous voici à paris et nous avons du temps devant nous ce sera pour plus tard +972 +qui est née dans ton pays sois donc tranquille ma fille je ferai en sorte que ta jeunesse ne soit pas perdue car si tu m'aimes comme ton père moi je t'aime comme mon enfant tu te trompes seigneur je n'aimais point mon père comme je t'aime mon amour pour toi est un autre amour +973 +danglars ne répondit rien il prévoyait dans un prochain avenir une scène désastreuse déjà le sourcil de mme la baronne s'était froncé et comme celui de jupiter olympien présageait un orage debray qui le sentait grossir prétexta une affaire et partit +974 +la jeune grecque était comme nous l'avons dit dans un appartement entièrement séparé de l'appartement du comte cet appartement était tout entier meublé à la manière orientale +975 +ah monsieur le comte dit la baronne vous auriez dû avoir la galanterie de mettre les femmes les premières vous voyez madame que j'avais bien raison quand tout à l'heure je souhaitais un précepteur qui pût me guider dans les habitudes françaises +976 +sa bouche à peine redevenue vermeille était fine de lèvres et large d'ouverture les traits de cet enfant de huit ans annonçaient déjà douze ans au moins son premier mouvement fut de se débarrasser par une brusque secousse des bras de sa mère +977 +au reste je viens d'obtenir de m de villefort qu'il lui fasse une visite j'espère bien qu'il la lui rendra le soir l'événement d'auteuil faisait le sujet de toutes les conversations +978 +il était petit grêle blanc de peau comme les enfants roux et cependant une forêt de cheveux noirs rebelles à toute frisure couvrait son front bombé et tombant sur ses épaules en encadrant son visage redoublait la vivacité de ses yeux pleins de malice sournoise et de juvénile méchanceté +979 +quoique la présentation fût assez grossièrement louangeuse c'est en général une chose si rare qu'un homme venant à paris pour dépenser en une année la fortune d'un prince que mme danglars jeta sur le comte un coup d'oeil qui n'était pas dépourvu d'un certain intérêt et vous êtes arrivé monsieur demanda la baronne depuis hier matin madame +980 +madame la baronne dit danglars permettez que je vous présente m le comte de monte-cristo qui m'est adressé par mes correspondants de rome avec les recommandations les plus instantes je n'ai qu'un mot à en dire et qui va en un instant le rendre la coqueluche de toutes nos belles dames +981 +aussi cet arrangement de piano et d'album n'était-il qu'une de ces petites ruses du monde à l'aide desquelles on voile les plus fortes précautions la baronne reçut en conséquence monsieur danglars avec un sourire ce qui de sa part n'était pas chose habituelle +982 +oh vous allez voir madame dit monte cristo sous la main d'ali ils vont devenir doux comme des agneaux en effet ali s'était approché des chevaux qu'on avait remis sur leurs jambes avec beaucoup de peine +983 +la jeune fille leva sur le comte ses grands yeux humides et répondit ou que nous retournions en orient veux-tu dire n'est-ce pas mon seigneur oui ma fille dit monte cristo tu sais bien que ce n'est jamais moi qui te quitterai ce n'est point l'arbre qui quitte la fleur c'est la fleur qui quitte l'arbre +984 +l'espoir de cette bonne visite qu'il allait faire de ces quelques moments heureux qu'il allait passer de cette lueur du paradis glissant dans l'enfer où il s'était volontairement engagé avait répandu à partir du moment où il avait perdu de vue villefort +985 +mme de villefort se tut peut-être réfléchissait-elle à cet homme qui du premier abord faisait une si profonde impression sur les esprits pendant cet instant de silence le comte put considérer à son aise l'enfant que sa mère couvrait de baisers +986 +debré alla reporter la réponse à la baronne danglars était si pâle et si décontenancé que le comte eut l'air de le prendre en pitié voyez lui dit-il combien les femmes sont ingrates cette prévenance de votre part n'a pas touché un instant la baronne ingrate n'est pas le mot c'est folle que je devrais dire +987 +en vérité je regrette de ne pas vous avoir connu plus tôt monsieur le comte dit-il vous montez votre maison mais oui dit le comte je vous les eusse proposés imaginez-vous que je les ai donnés pour rien mais comme je vous l'ai dit je voulais m'en défaire ce sont des chevaux de jeune homme +988 +tout à coup on entendit un roulement lointain mais qui se rapprochait avec la rapidité de la foudre puis une calèche apparut dont le cocher essayait inutilement de retenir les chevaux qui s'avançaient furieux hérissés bondissant avec des élans insensés +989 +écoute haydée peut-être cette réclusion tout orientale sera-t-elle impossible à paris continue d'apprendre la vie de nos pays du nord comme tu l'as fait à rome à florence à milan et à madrid cela te servira toujours que tu continues à vivre ici ou que tu retournes en orient +990 +et vous venez selon votre habitude à ce qu'on m'a dit du bout du monde de cadix cette fois madame purement et simplement oh vous arrivez dans une affreuse saison paris est détestable l'été il n'y a plus ni bals ni réunions ni fêtes +991 +adieu je ne vous remercie pas de ma promenade et quand je réfléchis c'est pourtant de l'ingratitude que de vous garder rancune pour les caprices de votre attelage car c'est à l'un de ces caprices que je dois d'avoir vu le comte de monte-cristo +992 +monsieur demanda mme de villefort en se levant pour se retirer est-ce votre demeure habituelle que cette maison non madame répondit le comte c'est une espèce de pied-à-terre que j'ai acheté j'habite avenue des champs-élysées numéro trente +993 +mais que voulez-vous on aime toujours ce qui nuit aussi le plus court croyez-moi cher baron est toujours de les laisser faire à leur tête si elles se la brisent au moins ma foi elles ne peuvent s'en prendre qu'à elles +994 +beaucoup de gens allèrent se faire inscrire chez madame de villefort afin d'avoir le droit de renouveler leur visite en temps utile et d'entendre alors de sa bouche tous les détails de cette pittoresque aventure +995 +mme danglars laissa tomber sur son mari un regard écrasant oh mon dieu s'écria debray quoi donc demanda la baronne mais je ne me trompe pas ce sont vos chevaux vos propres chevaux attelés à la voiture du comte mes gris pommelé s'écria mme danglars +996 +vos chevaux s'étaient emportés au ranelagh comme s'ils eussent été pris de frénésie et nous allions probablement être mis en morceaux mon pauvre édouard et moi contre le premier arbre de la route ou la première borne du village +997 +la jeune fille sourit il est là et là dit-elle en mettant la main sur ses yeux et sur son coeur et moi où suis-je demanda en souriant monte cristo toi dit-elle tu es partout +998 +cette impression si peu impressionnable qu'il fût n'était pas encore effacée chez debray et les renseignements qu'il avait donnés à la baronne sur le comte s'en étaient ressentis la curiosité de mme danglars excitée par les anciens détails venus de morcerf et les nouveaux détails venus de lucien était donc portée à son comble +999 +quant à monsieur de villefort comme l'avait dit héloïse il prit un habit noir des gants blancs sa plus belle livrée et monta dans son carrosse qui vint le même soir s'arrêter à la porte du numéro trente dans la maison des champs-élysées +1000 +une veste à longues raies bleues et blanches à larges manches fendues pour les bras avec des boutonnières d'argent et des boutons de perles enfin une espèce de corset laissant par sa coupe ouverte en coeur voir le cou et tout le haut de la poitrine et se boutonnant au-dessous du sein par trois boutons de diamant +1001 +il tenait à la main une petite éponge imbibée de vinaigre aromatique il en frotta les naseaux et les tempes des chevaux couverts de sueur et d'écume et presque aussitôt ils se mirent à souffler bruyamment et à frissonner de tout leur corps durant quelques secondes +1002 +puis le nubien alla fumer sa chibouque sur la borne qui formait l'angle de la maison et de la rue tandis que monte cristo rentrait sans plus s'occuper de rien cependant vers cinq heures c'est-à-dire l'heure où le comte attendait la voiture on eût pu voir naître en lui les signes presque imperceptibles d'une légère impatience +1003 +ali fit un signe de tête orgueilleux mais arrêterais-tu dans leur course deux chevaux ali sourit eh bien écoute dit monte-cristo tout à l'heure une voiture passera emportée par deux chevaux gris-pommelé les mêmes que j'avais hier dusses-tu te faire écraser il faut que tu arrêtes cette voiture devant ma porte +1004 +cependant il a suffi pour que de la maison en face de laquelle l'accident est arrivé un homme se soit élancé suivi de plusieurs serviteurs au moment où le cocher ouvre la portière il enlève de la calèche la dame qui d'une main se cramponne au coussin tandis que de l'autre elle serre contre sa poitrine son fils évanoui +1005 +il vient à paris avec l'intention d'y rester un an et de dépenser six millions pendant cette année cela promet une série de bals de dîners de médianoches dans lesquels j'espère que m le comte ne nous oubliera pas plus que nous ne l'oublierons nous-mêmes dans nos petites fêtes +1006 +mais déjà ali a saisi les naseaux du second cheval avec ses doigts de fer et l'animal hennissant de douleur s'est allongé convulsivement près de son compagnon il a fallu à tout cela le temps qu'il faut à la balle pour frapper le but +1007 +la plus charmante sérénité sur le visage du comte et ali qui était accouru au bruit du timbre en voyant ce visage si rayonnant d'une joie si rare s'était retiré sur la pointe du pied et la respiration suspendue comme pour ne pas effaroucher les bonnes pensées qu'il croyait voir voltiger autour de son maître +1008 +et d'aller ouvrir le coffret d'où le comte avait tiré le flacon d'élixir puis aussitôt sans en demander la permission à personne et en enfant habitué à satisfaire tous ses caprices il se mit à déboucher les fioles +1009 +il se promenait dans une chambre donnant sur la rue prêtant l'oreille par intervalles et de temps en temps se rapprochant de la fenêtre par laquelle il apercevait ali poussant des bouffées de tabac avec une régularité indiquant que le nubien était tout à cette importante occupation +1010 +il était midi le comte s'était réservé une heure pour monter chez haydée on eût dit que la joie ne pouvait rentrer tout à coup dans cette âme si longtemps brisée et qu'elle avait besoin de se préparer aux émotions douces comme les autres âmes ont besoin de se préparer aux émotions violentes +1011 +eh bien au moment où madame de villefort en m'emprunte ma voiture où je la lui promets pour aller demain au bois voilà les deux chevaux qui ne se retrouvent plus monsieur danglars aura trouvé à gagner dessus quelques milliers de francs il les aura vendus oh la vilaine race mon dieu que celle des spéculateurs +1012 +mon père avait une longue barbe blanche cela ne m'empêchait point de l'aimer mon père avait soixante ans et il me paraissait plus beau que tous les jeunes hommes que je voyais mais voyons dis-moi crois-tu que tu t'habitueras ici te verrai-je tous les jours eh bien que me demandes-tu donc seigneur +1013 +il fut obligé d'user vigoureusement du fouet pour les faire partir et encore ne put-il obtenir des fameux gris pommelé maintenant stupides pétrifiés morts qu'un trot si mal assuré et si languissant qu'il fallut près de deux heures à mme de villefort pour regagner le faubourg saint-honoré où elle demeurait +1014 +oui madame fit le comte moi monsieur je suis mme héloïse de villefort le comte salua en homme devant lequel on prononce un nom parfaitement inconnu +1015 +le baron suivi du comte traversa une longue file d'appartements remarquables par leur lourde somptuosité et leur fastueux mauvais goût et arriva jusqu'au boudoir de mme danglars petite pièce octogone tendue de satin rose recouvert de mousseline des indes les fauteuils étaient en vieux bois doré et en vieilles étoffes +1016 +monte-cristo les emporta tous les deux dans le salon et les déposant sur un canapé ne craignez plus rien madame dit-il vous êtes sauvée la femme revint à elle et pour répondre elle lui présenta son fils avec un regard plus éloquent que toutes les prières en effet l'enfant était toujours évanoui +1017 +messieurs continua la baronne m le baron danglars a dix chevaux à l'écurie parmi ces dix chevaux il y en a deux qui sont à moi des chevaux charmants les plus beaux chevaux de paris vous les connaissez monsieur debray mes gris pommelé +1018 +vois-tu dit en arabe le comte à ali cette dame prie son fils de te remercier pour la vie que tu leur as sauvée à tous deux et l'enfant répond que tu es trop laid ali détourna un instant sa tête intelligente et regarda l'enfant sans expression apparente mais un simple frémissement de sa narine apprit à monte cristo que l'arabe venait d'être blessé au coeur +1019 +mais au bout de trois ou quatre pas le cheval enchaîné s'abat tombe sur la flèche qu'il brise et paralyse les efforts que fait le cheval resté debout pour continuer sa course le cocher saisit cet instant de répit pour sauter en bas de son siège +1020 +ali est mon esclave en vous sauvant la vie il me sert et c'est son devoir de me servir mais il a risqué sa vie dit mme de villefort à qui ce ton de maître imposait singulièrement j'ai sauvé cette vie madame répondit monte cristo par conséquent elle m'appartient +1021 +remercie-le donc car probablement sans lui à cette heure serions-nous morts tous les deux l'enfant allongea les lèvres et tourna dédaigneusement la tête il est trop laid dit-il +1022 +et l'illustre étranger me paraît à part les millions dont il dispose un problème si curieux et si intéressant que je compte l'étudier à tout prix dussé-je recommencer une promenade au bois avec vos propres chevaux +1023 +ne touchez pas à cela mon ami dit vivement le comte quelques-unes de ces liqueurs sont dangereuses non seulement à boire mais même à respirer mme de villefort pâlit et arrêta le bras de son fils qu'elle ramena vers elle mais sa crainte calmée elle jeta aussitôt sur le coffret un court mais expressif regard que le comte saisit au passage +1024 +puis au milieu d'une foule nombreuse que les débris de la voiture et le bruit de l'événement avaient attirée devant la maison ali fit atteler les chevaux au coupé du comte rassembla les rênes monta sur le siège et au grand étonnement des assistants qui avaient vu ces chevaux emportés comme par un tourbillon +1025 +le comte m'a chargée de vous dire que deux jours de repos sur la litière et de l'orge pour toute nourriture les remettront dans un état aussi florissant ce qui veut dire aussi effrayant qu'hier +1026 +mais je vois que vous êtes tout à fait remise et que vous désirez vous retirer je viens d'ordonner qu'on attelle ces mêmes chevaux à ma voiture et ali ce garçon si laid dit-il en souriant à l'enfant va avoir l'honneur de vous reconduire chez vous tandis que votre cocher restera ici pour faire raccommoder la calèche +1027 +dans la calèche une jeune femme et un enfant de sept à huit ans se tenant embrassés avaient perdu par l'excès de la terreur jusqu'à la force de pousser un cri il eût suffi d'une pierre sous la roue ou d'un arbre accroché pour briser tout à fait la voiture qui craquait +1028 +madame dit danglars écoutez-moi oh je vous écoute monsieur car je suis curieuse de savoir ce que vous allez me dire je ferai ces messieurs juges entre nous et je vais commencer par leur dire ce qu'il en est +1029 +est-ce vrai monsieur quoi madame demanda danglars visiblement agité ce que me dit cette fille et que vous dit-elle elle me dit qu'au moment où mon cocher a été pour mettre mes chevaux à ma voiture il ne les a pas trouvés à l'écurie que signifie cela je vous le demande +1030 +ali descendit dans la rue et traça devant la porte une ligne sur le pavé puis il rentra et montra la ligne au comte qui l'avait suivi des yeux le comte lui frappa doucement sur l'épaule c'était sa manière de remercier ali +1031 +sur cette réflexion monsieur le comte monta en voiture et rentra chez lui deux heures après madame danglars reçut une lettre charmante du comte de monte cristo dans laquelle il lui déclarait que ne voulant pas commencer ses débuts dans le monde parisien en désespérant une jolie femme il la suppliait de reprendre ses chevaux +1032 +moi madame dit monte-cristo je ferai tout ce qu'on fait à paris si j'ai le bonheur de trouver quelqu'un qui me renseigne convenablement sur les habitudes françaises vous êtes amateur de chevaux monsieur le comte j'ai passé une partie de ma vie en orient madame et les orientaux vous le savez n'estiment que deux choses au monde la noblesse des chevaux et la beauté des femmes +1033 +ah monsieur envoyez chercher un médecin ma fortune à qui me rend mon fils monte-cristo fit de la main un geste pour calmer la mère éplorée et ouvrant un coffret il en tira un flacon de bohème incrusté d'or contenant une liqueur rouge comme du sang et dont il laissa tomber une seule goutte sur les lèvres de l'enfant +1034 +à peine arrivée chez elle et les premières émotions de famille apaisées elle écrivit le billet suivant à madame danglars chère hermine je viens d'être miraculeusement sauvée avec mon fils par ce même comte de monte-cristo dont nous avons tant parlé hier soir et que j'étais loin de me douter que je verrais aujourd'hui +1035 +imaginez-vous madame lui dit-il tout bas qu'on est venu m'offrir un prix exorbitant de ces chevaux je ne sais quel est le fou en train de se ruiner qui m'a envoyé ce matin son intendant mais le fait est que j'ai gagné seize mille francs dessus ne me boudez pas et je vous en donnerai quatre mille et deux mille à eugénie +1036 +oui madame je comprends dit le comte en examinant l'enfant mais soyez tranquille il ne lui est arrivé aucun mal et c'est la peur seule qui l'a mis dans cet état oh monsieur s'écria la mère ne me dites-vous pas cela pour me rassurer voyez comme il est pâle mon fils mon enfant mon édouard réponds donc à ta mère +1037 +les dessus des portes représentaient des bergeries dans le genre de boucher enfin deux jolis pastels en médaillon en harmonie avec le reste de l'ameublement faisaient de cette petite chambre la seule de l'hôtel qui eût quelque caractère +1038 +il est vrai qu'elle avait échappé au plan général arrêté entre m danglars et son architecte une des plus hautes et des plus éminentes célébrités de l'empire et que c'était la baronne et lucien debray seulement qui s'en étaient réservé la décoration +1039 +garde le secret sur ta naissance ne dis pas un mot de ton passé ne prononce dans aucune occasion le nom de ton illustre père ni celui de ta pauvre mère je te l'ai déjà dit seigneur je ne verrai personne +1040 +pour toute réponse haydée fit signe à la suivante de relever la tapisserie qui pendait devant la porte dont le chambranle carré encadra la jeune fille couchée comme un charmant tableau monte cristo s'avança +1041 +il se jeta résolûment dans la carrière du mal atmosphère douce qui l'aurait dit lorsqu'il embrassait un petit enfant au visage rose il aurait voulu lui enlever ses joues avec un rasoir et il l'aurait fait très souvent +1042 +il cacha son caractère tant qu'il put pendant un grand nombre d'années mais à la fin à cause de cette concentration qui ne lui était pas naturelle chaque jour le sang lui montait à la tête jusqu'à ce que ne pouvant plus supporter une pareille vie +1043 +en te renversant de ventre pareil à un requin dans l'air beau et noir comme si tu comprenais l'importance de cet acte et l'importance non moindre de ton appétit légitime lentement et majestueusement les rouges émanations +1044 +car elles seront rassasiées d'un bonheur complet comme les anges qui habitent dans la magnificence et la paix des agréables cieux +1045 +lecteur c'est peut-être la haine que tu veux que j'invoque dans le commencement de cet ouvrage qui te dit que tu n'en renifleras pas baigné dans d'innombrables voluptés tant que tu voudras avec tes narines orgueilleuses larges et maigres +1046 +tes narines qui seront démesurément dilatées de contentement ineffable d'extase immobile ne demanderont pas quelque chose de meilleur à l'espace devenu embaumé comme de parfums et d'encens +1047 +c'est ce que je disais plus haut +1048 +humains avez-vous entendu il ose le redire avec cette plume qui tremble ainsi donc il est une puissance plus forte que la volonté malédiction la pierre voudrait se soustraire aux lois de la pesanteur impossible impossible si le mal voulait s'allier avec le bien +1049 +je t'assure elles réjouiront les deux trous informes de ton museau hideux ô monstre si toutefois tu t'appliques auparavant à respirer trois mille fois de suite la conscience maudite de l'éternel +1050 +j'établirai dans quelques lignes comment maldoror fut bon pendant ses premières années où il vécut heureux c'est fait il s'aperçut ensuite qu'il était né méchant fatalité extraordinaire +1051 +si justice avec son long cortège de châtiments ne l'en eût chaque fois empêché il n'était pas menteur il avouait la vérité et disait qu'il était cruel +1052 +ainsi vous devez avoir l'esprit tranquille et donner toute votre attention au concert dont je vois que schemseinihar veut vous régaler +1053 +et qu'on la verrait bientôt s'approcher du soleil cela signifiait que schemselnihar allait paraître et que le prince de perse aurait bientôt le plaisir de la voir +1054 +et jamais le calife ne vient la voir qu'il ne lui ait envoyé auparavant mesrour chef de ses eunuques pour lui en donner avis et se préparer à le recevoir +1055 +comme elle avait été avertie du sujet sur lequel elle devait chanter les paroles se trouvèrent si conformes aux sentiments du prince de perse qu'il ne put s'empêcher de lui applaudir à la fin du couplet +1056 +aussitôt elles jouèrent toutes ensemble comme pour préluder et quand elles eurent joué quelque temps une seule commença de chanter et accompagna sa voix d'un luth dont elle jouait admirablement bien +1057 +serait-il possible s'écria-t-il que vous eussiez le don de pénétrer dans les c urs et que la connaissance que vous avez de ce qui se passe dans le mien vous eût obligée à nous donner un essai de votre voix charmante par ces mots +1058 +dans une attention d'autant plus grande qu'ils étaient curieux de savoir à quoi elles se termineraient enfin ils virent paraître à la même porte par où étaient venues les dix femmes noires qui avaient apporté le trône et les vingt autres qui venaient d'arriver +1059 +dans le temps qu'ebn thaher achevait ces paroles le prince de perse et lui virent venir l'esclave confidente de la favorite qui ordonna aux femmes qui étaient assises devant eux de chanter et de jouer de leurs instruments +1060 +qu'elle fit poser devant eux a une certaine distance après quoi les esclaves noires se retirèrent derrière des arbres à l'entrée d'une allée ensuite vingt femmes +1061 +le jour qui commençait à éclairer l'appartement de shahryar imposa silence à scheherazade la nuit suivante elle poursuivit ainsi +1062 +en effet regardant du côté de la cour ebn thaher et le prince remarquèrent que l'esclave confidente s'approchait et qu'elle était suivie de dix femmes noires qui apportaient avec bien de la peine un grand trône d'argent massif et admirablement travaillé +1063 +dix autres femmes également belles et bien vêtues qui s'y arrêtèrent quelques moments elles attendaient la favorite qui se montra enfin et se mit au milieu d'elles +1064 +elle n'est point obsédée d'eunuques qui veillent sur ses actions elle a sa maison particulière dont elle dispose absolument elle sort de chez elle pour aller dans la ville sans en demander la permission à personne elle rentre lorsqu'il lui plaît +1065 +toutes belles et très richement habillées d'une parure uniforme s'avancèrent en deux files en chantant et en jouant d'un instrument qu'elles tenaient chacune et se rangèrent auprès du trône autant d'un côté que de l'autre toutes ces choses tenaient le prince de perse et ebn +1066 +entendant parler le prince de perse de la manière que je disais hier à votre majesté lui dit seigneur +1067 +plût à dieu que je pusse vous donner des assurances aussi certaines de l'heureux succès de vos amours que je le puis de la sûreté de votre vie quoique ce palais superbe appartienne au calife qui l'a fait bâtir exprès pour +1068 +je ne m'exprimerais pas moi-même en d'autres termes la femme ne répondit rien à ce discours elle continua et chanta plusieurs autres couplets dont ce prince fut si touché qu'il en répéta quelques-uns les larmes aux yeux +1069 +sous le nom de palais des plaisirs éternels et qu'il fasse partie du sien propre néanmoins il faut que vous sachiez que cette dame y vit dans une entière liberté +1070 +ce qui faisait assez connaître qu'il s'en appliquait le sens quand elle eut achevé tous les couplets elle et ses compagnes se levèrent et chantèrent toutes ensemble en marquant par leurs paroles que la pleine lune allait se lever avec tout son éclat +1071 +l'amour de la gloire excuse tout et peut-être plus tard maître des semblables leur feras-tu presque autant de bien que tu leur as fait du mal au commencement +1072 +et s'est fait une blessure à la tête en tombant l'omnibus a disparu à l'horizon et l'on ne voit plus que la rue silencieuse +1073 +je voudrais qu'il ne ressente pas moi qui ne lui apprends rien de nouveau une honte éternelle pour mes amères vérités mais la réalisation de ce souhait ne serait pas conforme aux lois de la nature +1074 +je n'ai pas mangé depuis hier mes parents m'ont abandonné je ne sais plus que faire je suis résolu de retourner chez moi et j'y serais vite arrivé si vous m'accordiez une place je suis un petit enfant de huit ans et j'ai confiance en vous +1075 +lorsque le cocher donne un coup de fouet à ses chevaux on dirait que c'est le fouet qui a fait remuer son bras et non son bras le fouet que doit être cet assemblage d'êtres bizarres et muets sont-ce des habitants de la lune +1076 +arrivée au terme de la rue elle se retourna lentement de manière à me barrer le passage je n'eus pas le temps de m'esquiver et je me trouvai devant sa figure +1077 +l'a vu se diriger d'un pas ferme et droit vers les recoins obscurs et les fibres secrètes des consciences ce qui est du moins acquis à la science +1078 +il l'avait prévu il ne suffit pas de sculpter la statue de la bonté sur le fronton des parchemins que contiennent les bibliothèques +1079 +et te lancer contre la muraille chaque goutte de sang rejaillira sur une poitrine humaine pour effrayer les hommes et mettre devant eux l'exemple de ma méchanceté +1080 +je n'en persiste pas moins dans ma résolution d'écrire ces bandelettes m'embêtent et l'atmosphère de ma chambre respire le sang +1081 +est-ce que tu ne te doutes pas enfin que tu montres dans ta persécution odieuse un empressement naïf dont aucun de tes séraphins n'oserait faire ressortir le complet ridicule quelle colère te prend +1082 +à celui qui ne paraissait pas s'inquiéter des maux ni des biens de la vie présente et s'en allait au hasard avec une figure horriblement morte les cheveux hérissés la démarche chancelante et les bras nageant +1083 +il y a quelqu'un qui observe les moindres mouvements de ta coupable vie tu es enveloppé par les réseaux subtils de sa perspicacité acharnée +1084 +qu'un autre le félicite mais les orages attaquent quelqu'un de plus fort qu'eux ainsi donc horrible éternel à la figure de vipère il a fallu que +1085 +est-ce un avertissement d'en haut pour m'empêcher d'écrire et de mieux considérer ce à quoi je m'expose en distillant la bave de ma bouche carrée +1086 +es-tu fatigué de vivre toi qui viens à peine de naître non mais chacun préfère le ciel à la terre eh bien pas moi car +1087 +sois donc le plus fort et le plus rusé tu es encore trop jeune pour être le plus fort mais dès aujourd'hui tu peux employer la ruse le plus bel instrument des hommes de génie +1088 +pendant le temps strictement nécessaire pour briser d'un coup de marteau la tête d'une femme il oubliait sa majesté sidérale afin de nous révéler les mystères au milieu desquels notre existence étouffe comme un poisson au fond d'une barque +1089 +tu me feras plaisir ô créateur de me laisser épancher mes sentiments maniant les ironies terribles d'une main ferme et froide je t'avertis que mon coeur en contiendra suffisamment pour m'attaquer à toi jusqu'à la fin de mon existence +1090 +mais une masse informe le poursuit avec acharnement sur ses traces au milieu de la poussière arrêtez je vous en supplie arrêtez mes jambes sont gonflées d'avoir marché pendant la journée +1091 +les bras musculeux d'une femme du peuple la saisit par les cheveux comme le tourbillon saisit la feuille appliqua deux gifles brutales sur une joue fière et muette et ramena dans la maison cette conscience égarée +1092 +je ne te ferai jamais le moindre reproche je suis à toi je t'appartiens je ne vis plus pour moi +1093 +je lui dis que je je ne portais pas de montre et je m'éloignai rapidement depuis ce jour enfant à l'imagination inquiète et précoce +1094 +elle était grande pour son âge et avait la taille élancée d'abondants cheveux noirs séparés en deux sur la tête tombaient en tresses indépendantes sur des épaules marmoréennes un jour elle me suivait comme de coutume +1095 +sois tranquille je donnerai à une demi-douzaine de domestiques l'ordre de garder les restes vénérés de ton corps et de les préserver de la faim des chiens voraces +1096 +ils sont pressés les uns contre les autres et paraissent avoir perdu la vie au reste le nombre réglementaire n'est pas dépassé +1097 +je n'ai pas à remercier le tout-puissant de son adresse remarquable il a envoyé la foudre de manière à couper pr��cisément mon visage en deux à partir du front endroit où la blessure a été la plus dangereuse +1098 +fais ce que tu voudras agis comme il te plaira enferme-moi toute la vie dans une prison obscure avec des scorpions pour compagnons de ma captivité ou arrache-moi un il jusqu'à ce qu'il tombe à terre +1099 +ils s'arracheront sans trêve des lambeaux et des lambeaux de chair mais la goutte de sang reste ineffaçable à la même place et brillera comme un diamant +1100 +car tu ne penseras pas à la faim pendant trois jours immenses grâce aux globules que tu as descendues dans ton gosier avec une satisfaction solennellement visible +1101 +lorsque dans l'âge mûr il est si difficile de maîtriser les passions balancé entre le bien et le mal qu'est-ce dans un esprit encore plein d'inexpérience et quelle somme d'énergie relative ne lui faut-il pas en plus l'enfant en sera quitte pour garder le lit trois jours +1102 +brusquement je lui appris en découvrant au plein jour son coeur et ses trames qu'au contraire il n'est composé que de mal et d'une quantité minime de bien que les législateurs ont de la peine à ne pas laisser évaporer +1103 +maldoror s'aperçoit que le sang bouillonne dans la tête de son jeune interlocuteur ses narines sont gonflées et ses lèvres rejettent une légère écume blanche +1104 +au milieu de ces personnages de pierre paraît ressentir de la pitié pour le malheur en faveur de l'enfant qui croit pouvoir l'atteindre avec ses petites jambes endolories +1105 +il reconnaît alors que ce n'est qu'un vain mot qu'on ne trouve plus même dans le dictionnaire de la poésie et avoue avec franchise son erreur il se dit +1106 +mais avec la ruse tu pourras lutter seul contre tous tu désires les richesses les beaux palais et la gloire ou m'as-tu trompé quand tu m'as affirmé ces nobles prétentions non non je je ne vous trompais pas +1107 +puisque le ciel a été fait par dieu ainsi que la terre sois sûr que tu y rencontreras les mêmes maux qu'ici-bas après ta mort tu ne seras pas récompensé d'après tes mérites car +1108 +il est difficile de supposer que touchant les ruses et la méchanceté ta redoutable résolution soit de surpasser l'enfant de mon imagination +1109 +il passe péniblement la main sur son front comme pour en écarter un nuage dont l'opacité obscurcit son intelligence il se démène mais en vain dans le siècle où il a été jeté il sent qu'il n'y est pas à sa place et cependant il ne peut en sortir +1110 +sa place est depuis longtemps marquée à l'endroit où l'on remarque une potence en fer à laquelle sont suspendus des chaînes et des carcans +1111 +il a manifesté l'incapacité d'arrêter la circulation de mon sang qui le nargue cependant j'ai des preuves qu'il n'hésite pas d'éteindre à la fleur de l'âge le souffle d'autres humains quand ils ont à peine goûté les jouissances de la vie c'est simplement atroce +1112 +mais il est grand et noble il l'emporte sur nous par la puissance de ses conceptions s'il parlementait avec les hommes toutes les hontes rejailliraient jusqu'à son visage mais misérable que tu es pourquoi ne rougis tu pas +1113 +à quoi pensais-tu enfant je pensais au ciel il n'est pas nécessaire que tu penses au ciel c'est déjà assez de penser à la terre +1114 +si l'on te commet des injustices sur cette terre comme tu l'éprouveras par expérience plus tard il n'y a pas de raison pour que dans l'autre vie on ne t'en commette non plus +1115 +pour ne plus reparaître il s'enfuit il s'enfuit mais une masse informe le poursuit avec acharnement sur ses traces au milieu de la poussière seul un jeune homme plongé dans la +1116 +oh être humain te voilà maintenant nu comme un ver en présence de mon glaive de diamant +1117 +je pourrais en prenant ta tête entre mes mains d'un air caressant et doux enfoncer mes doigts avides dans les lobes de ton cerveau innocent pour en extraire le sourire aux lèvres une graisse efficace qui lave mes yeux endoloris par l'insomnie éternelle de la vie +1118 +en vain je faisais l'insouciant elle ne manquait jamais de me poursuivre de sa présence inopportune lorsque j'enjambais une autre rue pour continuer mon chemin elle s'arrêtait faisant un violent effort sur elle-même au terme de cette rue étroite et immobile comme la statue du silence +1119 +sur ces traces au milieu de la poussière voyez ce chiffonnier qui passe courbé sur sa lanterne pâlotte il y a en lui plus de coeur que dans tous ses pareils de l'omnibus il vient de ramasser l'enfant +1120 +tu vois que lorsqu'on veut devenir célèbre il faut se plonger avec grâce dans des fleuves de sang alimentés par de la chair à canon le but excuse le moyen la première chose pour devenir célèbre est d'avoir de l'argent +1121 +arrière arrière cette main jeune fille tu n'es pas un ange et tu deviendras en somme comme les autres femmes non non je t'en supplie ne reparais plus devant mes sourcils froncés et louches +1122 +tout indique dans les traits des autres voyageurs les mêmes sentiments que ceux des deux premiers les cris se font encore entendre pendant deux ou trois minutes plus perçants de seconde en seconde +1123 +on ne croirait pas au premier abord que maldoror contînt tant de sang dans ses artères car sur sa figure ne brillent que les reflets du cadavre mais enfin c'est comme ça +1124 +en effet j'arrache le masque à sa figure traîtresse et pleine de boue et je fais tomber un à un comme des boules d'ivoire sur un bassin d'argent les mensonges sublimes avec lesquels il se trompe lui-même +1125 +sans doute le corps est resté plaqué sur la muraille comme une poire mûre et n'est pas tombé à terre mais +1126 +mais elles sont encore enfants elles n'ont pas plus de dix ou douze ans en réalité elles en avaient vingt oh dans cette supposition maudits soient-ils les détours de cette rue obscure horrible horrible ce qui s'y passe je crois que sa mère la frappa +1127 +ses yeux hardis dardent quelque objet invisible au loin dans l'espace il ne doit pas avoir plus de huit ans et cependant il ne s'amuse pas comme il serait convenable tout au moins il devrait rire et se promener avec quelque camarade au lieu de rester seul +1128 +c'est que depuis ce temps l'homme à la figure de crapaud ne se reconnaît plus lui-même et tombe souvent dans des accès de fureur qui le font ressembler à une bête des bois +1129 +quand la destinée l'y portera le funèbre entonnoir n'aura jamais goûté de proie plus savoureuse ni lui contemplé de demeure plus convenable +1130 +tu les lui remettras mais comme il a plu beaucoup depuis une heure et qu'il continue de pleuvoir je ne crois pas qu'elle sorte de chez elle alors elle viendra demain matin si elle te demande d'où vient tout ce sang tu n'es pas obligé de lui répondre +1131 +il n'ose pas élever la voix car les autres hommes lui jettent des regards de mépris et d'autorité et il sait qu'il ne peut rien faire contre tous le coude appuyé sur ses genoux et la tête entre ses mains il se demande stupéfait si c'est là vraiment ce qu'on appelle la charité humaine +1132 +hum mais c'est c'est défendu ce n'est pas si défendu que tu crois il s'agit seulement de ne pas se laisser attraper la justice qu'apportent les lois ne vaut rien +1133 +c'est impossible eh bien je répète que j'ai besoin d'écrire ma pensée j'ai le droit comme un autre de me soumettre à cette loi naturelle mais non mais non la plume reste inerte +1134 +moi être assez généreux pour aimer mes semblables non non je l'ai résolu depuis le jour de ma naissance ils ne m'aiment pas eux on verra les mondes se détruire et le granit glisser comme un cormoran sur la surface des flots avant que je touche la main infâme d'un être humain +1135 +ce n'est pas sa faute dans tous les temps il avait cru les paupières ployant sous les résédas de la modestie qu'il n'était composé que de bien et d'une quantité minime de mal +1136 +ce que tu as de mieux à faire c'est de ne pas penser à dieu et de te faire justice toi-même puisqu'on te la refuse si un de tes camarades t'offensait est-ce que tu ne serais pas heureux de le tuer +1137 +il s'enfuit il s'enfuit mais une masse informe le poursuit avec acharnement sur ses traces au milieu de la poussière +1138 +depuis que sa bouche pleine des feuilles de la belladone le laissa échapper à travers les royaumes de la colère dans un moment de réflexion où est passé ce chant +1139 +je n'ai pas besoin de vous le dire car vous le reconnaîtrez à sa conversation tortueuse écoutons-les ne les dérangeons pas +1140 +je frapperai ta carcasse creuse mais si fort que je me charge d'en faire sortir les parcelles restantes d'intelligence que tu n'as pas voulu donner à l'homme parce que tu aurais été jaloux de le faire égal à toi et que tu avais effrontément cachées dans tes boyaux rusé bandit +1141 +il ne se doute pas que sa vie a été en péril pendant un quart d'heure tout était prêt et le couteau avait été acheté ce stylet était mignon car j'aime la grâce et l'élégance jusque dans les appareils de la mort mais il était long et pointu +1142 +mais ce n'est pas son caractère cet enfant qui est assis sur un banc du jardin des tuileries comme il est gentil un homme mû par un dessein caché vient s'asseoir à côté de lui sur le même banc avec des allures équivoques qui est-ce +1143 +moi je ne veux pas croire à cette supposition qui n'est qu'une hypothèse et je préfère aimer dans ce caractère romanesque une âme qui se dévoile trop tôt +1144 +soyez sûr qu'il le guérira et ne l'abandonnera pas comme ont fait ses parents il s'enfuit il s'enfuit +1145 +parce qu'elle ne faisait pas son métier avec assez d'adresse il est possible que ce ne fût qu'un enfant et alors la mère est plus coupable encore +1146 +mais de l'endroit où il se trouve le regard perçant de chiffonnier le poursuit avec acharnement sur ses traces au milieu de la poussière +1147 +et je tâte le pouls les pulsations sont précipitées la fièvre a gagné ce corps délicat il craint les suites de ses paroles il s'esquive le malheureux contrarié de n'avoir pas pu entretenir cet enfant plus longtemps +1148 +il y a des moments où on serait tenté de le croire mais ils ressemblent plutôt à des cadavres l'omnibus pressé d'arriver à la dernière station dévore l'espace et fait craquer le pavé il s'enfuit +1149 +si j'allais vite pour la dépasser elle courait presque pour maintenir la distance égale mais si je ralentissais le pas pour qu'il y eût un intervalle de chemin assez grand entre elle et moi alors elle le ralentissait aussi et y mettait la grâce de l'enfance +1150 +oh que je suis faible n'importe j'aurai cependant la force de soulever le porte-plume et le courage de creuser ma pensée qu'a-t-il rapporté au créateur de me tracasser comme si j'étais un enfant par un orage qui porte la foudre +1151 +et cependant les victoires ne se font pas seules il faut verser du sang beaucoup de sang pour les engendrer et les déposer aux pieds des conquérants +1152 +il s'enfuit il s'enfuit mais une masse informe le poursuit avec acharnement sur ces traces au milieu de la poussière les cris cessent subitement car l'enfant a touché du pied contre un pavé en +1153 +il faut savoir embrasser avec plus de grandeur l'horizon du temps présent n'as-tu jamais entendu parler par exemple de la gloire immense qu'apportent les victoires +1154 +l'apparition de cette comète enflammée ne reluira plus comme un triste sujet de curiosité fanatique sur la façade de ton observation déçue et tu penseras souvent trop souvent peut-être toujours +1155 +abandonne ta méthode il n'est plus temps de faire l'orgueilleux j'élance vers toi ma prière dans l'attitude de la prosternation +1156 +ne te fie pas à lui quand il tourne les reins car il te regarde ne te fie pas à lui quand il ferme les yeux car il te regarde encore +1157 +en effet pourquoi s'intéresser à un petit enfant laissons-le de côté cependant une larme brûlante a roulé sur la joue de cet adolescent qui vient de blasphémer +1158 +et pour qu'ils grossissent plus vite je te conseille de faire de la gymnastique deux fois par jour une heure le matin une heure le soir de cette manière tu pourras essayer le crime avec un certain succès dès l'âge de quinze ans au lieu d'attendre jusqu'à vingt +1159 +or comme tu n'en as pas il faudra assassiner pour en acquérir mais comme tu n'es pas assez fort pour manier le poignard fais-toi voleur en attendant que tes membres aient grossi +1160 +il me semble que je parle d'une manière intentionnellement paternelle et que l'humanité n'a pas le droit de se plaindre fin de la strophe un +1161 +par conséquent remets sans peur entre ses mains le soin de ton existence il la conduira d'une manière qu'il connaît +1162 +tu ne me verras plus et je ne te verrai plus qui sait peut-être que cette fille n'était pas ce qu'elle se montrait sous une enveloppe naïve elle cachait peut-être une immense ruse le poids de dix-huit années et le charme du vice +1163 +dans un moment d'égarement je pourrais te prendre les bras les tordre comme un linge lavé dont on exprime l'eau ou les casser avec fracas comme deux branches sèches et te les faire ensuite manger en employant la force +1164 +il ne continuera pas moins de se narguer de toi et de te causer du mal impunément il n'y a donc qu'un moyen de faire cesser la situation c'est de se débarrasser de son ennemi +1165 +l'adolescent se lève dans un mouvement d'indignation et veut se retirer pour ne pas participer même involontairement à une mauvaise action je lui fais un signe et il se remet à mon côté +1166 +prison terrible fatalité hideuse lombano je suis content de toi depuis ce jour je ne cessais pas de t'observer pendant que ma figure respirait la même indifférence que celle des autres voyageurs +1167 +les volumes s'entasseront sur les volumes jusqu'à la fin de ma vie et cependant l'on n'y verra que cette seule idée toujours présente à ma conscience +1168 +c'est la jurisprudence de l'offensé qui compte si tu détestais un de tes camarades est-ce que tu ne serais pas malheureux de songer qu'à chaque instant tu aies sa pensée devant tes yeux +1169 +il est minuit on ne voit pas un seul omnibus de la bastille à la madeleine je me trompe en voilà un qui apparaît subitement comme s'il sortait de dessous terre les quelques passants attardés le regardent attentivement +1170 +une seule blessure au cou en perçant avec soin une des artères carotides et je crois que ç'aurait suffi je suis content de ma conduite je me serais repenti plus tard donc +1171 +voit des fenêtres s'ouvrir sur le boulevard et une figure effarée une lumière à la main après avoir jeté les yeux sur la chaussée refermer le volet avec +1172 +un de ces hommes à l'oeil froid donne un coup de coude à son voisin et paraît lui exprimer son mécontentement de ces gémissements au timbre argentin qui parviennent jusqu'à son oreille +1173 +ah vois-tu jeune fille je t'engage à ne plus reparaître devant mes yeux si jamais je repasse dans la rue étroite il pourrait t'en coûter cher déjà le sang et la haine me montent vers la tête à flots bouillants +1174 +car il paraît ne ressembler à aucun autre sont assis à l'impériale des hommes qui ont l'oeil immobile comme celui d'un poisson mort +1175 +elles sont entassées comme des grains de sable dans ses livres dont je suis quelquefois sur le point quand la raison m'abandonne d'estimer le comique si cocasse mais ennuyant +1176 +c'est vrai voilà donc un de tes camarades qui te rendrait malheureux toute ta vie car voyant que ta haine n'est que passive +1177 +faisant ma promenade quotidienne chaque jour je passais dans une rue étroite chaque jour une jeune fille svelte de dix ans me suivait à distance respectueusement le long de cette rue en me regardant avec des paupières sympathiques et curieuses +1178 +ne tarira point ma verve épouvantable elle se nourrit des cauchemars insensés qui tourmentent mes insomnies c'est à cause de lohengrin que ce qui précède a été écrit revenons donc à lui +1179 +tu iras chercher à la fontaine deux seaux d'eau une fois le parquet lavé tu mettras ces linges dans la chambre voisine si la blanchisseuse revient ce soir comme elle doit le faire +1180 +remets tes pleurs dans leur fourreau sinon je croirai que tu n'as pas le courage de contempler avec sang-froid la grande balafre occasionnée par un supplice déjà perdu pour moi dans la nuit des temps passés +1181 +ne crois pas à l'intention qu'il fait reluire au soleil de te corriger car tu l'intéresses médiocrement pour ne pas dire moins encore n'approché-je pas de la vérité totale la bienveillante mesure de ma vérification +1182 +on ne le sait pas au juste ce ne sont pas les arbres ni les vents qui l'ont gardé et la morale qui passait en cet endroit ne présageant pas qu'elle avait dans ces pages incandescentes un défenseur énergique +1183 +il est alors compréhensible qu'il n'ordonne pas au calme d'imposer les mains sur son visage même quand la raison disperse les ténèbres de l'orgueil +1184 +ses moindres coups portent avec des précautions il est possible d'apprendre à celui qui croit l'ignorer que les loups et les brigands ne se dévorent pas entre eux ce n'est peut-être pas leur coutume +1185 +ce n'est pas moi qui te servirai de guide je pourrais soulevant ton corps vierge avec un bras de fer te saisir par les jambes te faire rouler autour de moi comme une fronde concentrer mes forces en décrivant la dernière circonférence +1186 +elle avait les yeux gonflés et rouges je voyais facilement qu'elle voulait me parler qu'elle ne savait pas comment s'y prendre devenue subitement pâle comme un cadavre elle me demanda auriez-vous la bonté de me dire quelle heure est-il +1187 +ma poésie ne consistera qu'à attaquer par tous les moyens l'homme cette bête fauve et le créateur qui n'aurait pas dû engendrer une pareille vermine +1188 +oh qu'on me laisse fuir à jamais loin de cette supposition l'éternel a créé le monde tel qu'il est il montrerait beaucoup de sagesse si +1189 +aveuglément dans les eaux ironiques de l'éther comme pour y chercher la proie sanglante de l'espoir ballottée continuellement à travers les immenses régions de l'espace par le chasse-neige implacable de la fatalité +1190 +toi léman prends un balai je voudrais aussi en prendre un mais je n'en ai pas la force tu comprends n'est-ce pas que je n'en ai pas la force +1191 +il faut mettre à l'oeuvre des leviers plus énergiques et des trames plus savantes avant que tu deviennes célèbre par ta vertu et que tu atteignes le but +1192 +plût au ciel que le contact maternel amène la paix dans cette fleur sensible fragile enveloppe d'une belle âme fin de la strophe six +1193 +et ne cessait de regarder devant elle jusqu'à ce que je disparusse une fois cette jeune fille me précéda dans la rue et emboîta le pas devant moi +1194 +cet enfant qui est assis sur un banc du jardin des tuileries comme il est gentil +1195 +lohengrin et moi nous passerons dans la rue l'un à côté de l'autre sans nous regarder en nous frôlant le coude comme deux passants pressés +1196 +sans les cadavres et les membres épars que tu aperçois dans la plaine où s'est opéré sagement le carnage il n'y aurait pas de guerre et sans guerre il n'y aurait pas de victoire +1197 +que david a vaincu son adversaire et que si au contraire ils s'étaient pris à bras-le-corps le géant l'aurait écrasé comme une mouche il en est de même pour toi à guerre ouverte tu ne pourras jamais vaincre les hommes sur lesquels tu es désireux d'étendre ta volonté +1198 +voilà où je voulais en venir pour te faire comprendre sur quelles bases est fondée la société actuelle chacun doit se faire justice lui-même sinon il n'est qu'un imbécile +1199 +les chants de maldoror chant deuxième strophe un où est-il passé ce premier chant de maldoror +1200 +on a vu des vendeuses d'amour s'expatrier avec gaîté des îles britanniques et franchir le détroit elles rayonnaient leurs ailes en tournoyant en essaims dorés devant la lumière parisienne et quand vous les aperceviez vous disiez +1201 +mais seulement d'après la faiblesse de mon opinion j'ai vu le créateur aiguillonnant sa cruauté inutile embraser des incendies où périssaient les vieillards et les enfants +1202 +mais c'est qu'il aime à te faire du mal dans la légitime persuasion que tu deviennes aussi méchant que lui et que tu l'accompagnes dans le gouffre béant de l'enfer quand son heure sonnera +1203 +c'est pourquoi le héros que je mets en scène s'est attiré une haine irréconciliable en attaquant l'humanité qui se croyait invulnérable par la brèche d'absurdes tirades philanthropiques +1204 +race stupide et idiote tu te repentiras de te conduire ainsi c'est moi qui te le dis tu t'en repentiras va tu t'en repentiras +1205 +tu n'as plus revu dans la rue étroite le jeune homme mystérieux qui battait péniblement de sa sandale lourde le pavé des carrefours tortueux +1206 +ce n'est pas assez que l'armée des douleurs physiques et morales qui nous entoure ait été enfantée le secret de notre destinée en haillons ne nous est pas divulgué je le connais le tout-puissant et lui aussi doit me connaître +1207 +je pourrais cousant tes paupières avec une aiguille te priver du spectacle de l'univers et te mettre dans l'impossibilité de trouver ton chemin +1208 +l'autre baisse la tête d'une manière imperceptible en forme d'acquiescement et se replonge ensuite dans l'immobilité de son égoïsme comme une tortue dans sa carapace +1209 +lorsque le berger david atteignait au front le géant goliath d'une pierre lancée par la fronde est-ce qu'il n'est pas admirable de remarquer que c'est seulement par la ruse +1210 +comme si tu ne savais pas qu'un jour ou l'autre je les aurais découvertes de mon oeil toujours ouvert les aurais enlevées et les aurais partagées avec mes semblables j'ai fait ainsi que je parle et maintenant ils ne te craignent plus ils traitent de puissance à puissance avec toi +1211 +mais je voudrais acquérir ce que je désire par d'autres moyens alors tu n'acquerras rien du tout les moyens vertueux et bonasses ne mènent à rien +1212 +sache que si tu me laissais vivre à l'abri de tes poursuites ma reconnaissance t'appartiendrait allons sultan avec ta langue débarrasse-moi de ce sang qui salit le parquet +1213 +mais cet orage ne m'a pas causé la crainte que m'importerait une légion d'orages ces agents de la police céleste accomplissent avec zèle leur pénible devoir si j'en juge sommairement par mon front blessé +1214 +mais enfin qui te dit quelque chose tu sais que je ne t'aime pas et qu'au contraire je te hais +1215 +celui qui remporte la victoire sur ses semblables celui-là est le plus rusé et le plus fort est-ce que tu ne voudrais pas un jour dominer tes semblables oui oui +1216 +ne rougis-tu pas de ne penser qu'à amasser des richesses à acquérir du crédit et des honneurs sans t'occuper de la vérité et de la sagesse de ton âme et de son perfectionnement +1217 +eh ce n'est pas là ce qui est difficile athéniens que d'éviter la mort mais il l'est beaucoup d'éviter le crime il court plus vite que la mort c'est pourquoi vieux et pesant comme je suis je me suis laissé atteindre par le plus lent des deux +1218 +acéantodore frère d'apollodore que je reconnais aussi et beaucoup d'autres dont mélitus aurait bien dû faire comparaître au moins un comme témoins dans sa cause s'il n'y a pas pensé il est encore temps je lui permets de le faire qu'il dise donc s'il le peut +1219 +or qu'est-ce qui peut convenir à un homme pauvre votre bienfaiteur qui a besoin de loisir pour ne s'occuper qu'à vous donner des conseils utiles il n'y a rien qui lui convienne plus athéniens +1220 +ici les juges ayant été aux voix la majorité déclare que socrate est coupable il reprend la parole le jugement que vous venez de prononcer athéniens m'a peu ému et par bien des raisons +1221 +n'ont pourtant pas eu le front de me reprocher et d'essayer de prouver par témoins que j'aie jamais exigé ni demandé le moindre salaire et je puis offrir de la vérité de ce que j'avance un assez bon témoin à ce qu'il me semble ma pauvreté +1222 +en cela mélitus je ne te crois point et je ne pense pas qu'il y ait un homme au monde qui puisse te croire il faut de deux choses l'une ou que je ne corrompe pas les jeunes gens +1223 +mais athéniens la vérité est qu'apollon seul est sage et qu'il a voulu dire seulement par son oracle que toute la sagesse humaine n'est pas grand-chose ou même qu'elle n'est rien +1224 +mélitus ils en sont tous capables socrate ainsi selon toi tous les athéniens peuvent être utiles à la jeunesse hors moi il n'y a que moi qui la corrompe n'est-ce pas là ce que tu dis +1225 +là du moins on n'est pas condamné à mort pour cela car les habitants de cet heureux séjour entre mille avantages qui mettent leur condition bien au-dessus de la nôtre jouissent d'une vie immortelle si du moins ce qu'on en dit est véritable +1226 +et quant à ce que je vous disais au commencement que j'ai contre moi de vives et nombreuses inimitiés soyez bien persuadés qu'il en est ainsi et ce qui me perdra si je succombe ce ne sera ni mélitus ni anitus +1227 +ce phénomène extraordinaire s'est manifesté en moi dès mon enfance c'est une voix qui ne se fait entendre que pour me détourner de ce que j'ai résolu car jamais elle ne m'exhorte à rien entreprendre +1228 +je puis vous en donner des preuves incontestables et ce ne seront pas des raisonnemens mais ce qui a bien plus d'autorité auprès de vous des faits écoutez donc ce qui m'est arrivé afin que vous sachiez bien que je suis incapable de céder à qui que ce soit contre le devoir par crainte de la mort +1229 +et sachez que c'est là ce que le dieu m'ordonne et je suis persuadé qu'il ne peut y avoir rien de plus avantageux à la république que mon zèle à remplir l'ordre du dieu car toute mon occupation est de vous persuader jeunes et vieux qu'avant le soin du corps et des richesses avant tout autre soin est celui de l'âme et de son perfectionnement +1230 +ne murmurez pas athéniens et accordez-moi la grâce que je vous ai demandée de m'écouter patiemment cette patience à mon avis ne vous sera pas infructueuse +1231 +après cela ô vous qui m'avez condamné voici ce que j'ose vous prédire car je suis précisément dans les circonstances où les hommes lisent dans l'avenir au moment de quitter la vie +1232 +lui méprisant le péril et la mort et craignant beaucoup plus de vivre comme un lâche sans venger ses amis que je meure à l'instant s'écrie-t-il pourvu que je punisse le meurtrier de patrocle et que je ne reste pas ici exposé au mépris assis sur mes vaisseaux fardeau inutile de la terre +1233 +ou à la perte de mes droits de citoyen et anytus et les autres prennent sans doute cela pour de très grands maux mais moi je ne suis pas de leur avis à mon sens le plus grand de tous les maux c'est ce qu'anytus fait aujourd'hui d'entreprendre de faire périr un innocent +1234 +mais ce que je sais bien c'est qu'être injuste et désobéir à ce qui est meilleur que soi dieu ou homme est contraire au devoir et à l'honneur +1235 +mais le péril où j'étais ne m'a point paru une raison de rien faire qui fût indigne d'un homme libre et maintenant encore je ne me repens pas de m'être ainsi défendu j'aime beaucoup mieux mourir après m'être défendu comme je l'ai fait que de devoir la vie à une lâche apologie +1236 +en vérité mélitus tu dis là des choses incroyables et auxquelles toi-même à ce qu'il me semble tu ne crois pas pour moi athéniens il me paraît que mélitus est un impertinent qui n'a intenté cette accusation que pour m'insulter et par une audace de jeune homme +1237 +je veux vous raconter comme à mes amis une chose qui m'est arrivée aujourd'hui et vous apprendre ce qu'elle signifie oui juges et en vous appelant ainsi je vous donne le nom que vous méritez +1238 +et je n'agis ainsi je vous le répète que pour accomplir l'ordre que le dieu m'a donné par la voix des oracles par celle des songes et par tous les moyens qu'aucune autre puissance céleste a jamais employés pour communiquer sa volonté à un mortel +1239 +lorsque mes enfants seront grands si vous les voyez rechercher les richesses ou toute autre chose plus que la vertu punissez-les en les tourmentant comme je vous ai tourmentés et s'ils se croient quelque chose quoiqu'ils ne soient rien faites-les rougir de leur insouciance et de leur présomption +1240 +tous ceux qui par envie et pour me décrier vous ont persuadé ces faussetés et ceux qui persuadés eux-mêmes ont persuadé les autres échappent à toute poursuite et je ne puis ni les appeler devant vous ni les réfuter +1241 +il n'y a personne excellent mélitus c'est moi qui te le dis puisque tu ne veux pas répondre et qui le dis à toute l'assemblée mais réponds à ceci y a-t-il quelqu'un qui admette quelque chose relatif aux démons et qui croie pourtant qu'il n'y a point de démons mélitus +1242 +je m'imagine qu'ayant des enfants tu as dû penser à cela as-tu quelqu'un lui dis-je sans doute me répondit-il et qui donc repris-je d'où est-il combien prend-il c'est evène socrate me répondit callias il est de paros et prend cinq mines +1243 +à moins que vous ne consentiez à m'imposer seulement à ce que je suis en état de payer et je pourrais aller peut-être jusqu'à une mine d'argent c'est donc à cette somme que je me condamne +1244 +et quand je ne l'y trouve point je sers d'interprète à l'oracle en leur faisant voir qu'ils ne sont point sages cela m'occupe si fort que je n'ai pas eu le temps d'être un peu utile à la république ni à ma famille et mon dévouement au service du dieu m'a mis dans une gêne extrême +1245 +et que moi je sois assez ignorant pour ne savoir pas qu'en rendant méchant quelqu'un de ceux qui ont avec moi un commerce habituel je m'expose à en recevoir du mal et pour ne pas laisser malgré cela de m'attirer ce mal le voulant et le sachant +1246 +en effet puisque tu as découvert celui qui les corrompt et que tu l'as dénoncé devant ce tribunal il faut que tu dises qui est celui qui peut les rendre meilleurs parle mélitus +1247 +considérez bien athéniens pourquoi je vous dis toutes ces choses c'est uniquement pour vous faire voir d'où viennent les bruits qu'on a fait courir contre moi +1248 +convaincu de cette vérité pour m'en assurer encore davantage et pour obéir au dieu je continue ces recherches et je vais examinant tous ceux de nos concitoyens et des étrangers en qui j'espère trouver la vraie sagesse +1249 +pour me citer devant ce tribunal car que tu persuades jamais à quelqu'un d'un peu de sens que le même homme puisse croire qu'il y a des choses relatives aux démons et aux dieux et pourtant qu'il n'y a ni démons ni dieux ni héros c'est ce qui est entièrement impossible +1250 +mais tu as suffisamment prouvé mélitus que l'éducation de la jeunesse ne t'a jamais fort inquiété et tes discours viennent de faire paraître clairement que tu ne t'es jamais occupé de la chose même pour laquelle tu me poursuis +1251 +mais peut-être que fâchés comme des gens qu'on éveille quand ils ont envie de s'endormir vous me frapperez et obéissant aux insinuations d'anytus vous me ferez mourir sans scrupule +1252 +ils le peuvent aussi socrate et les sénateurs mélitus les sénateurs aussi +1253 +voilà ce qu'il y a de plus difficile à faire entendre à quelques-uns d'entre vous car si je dis que ce serait désobéir au dieu et que par cette raison il m'est impossible de me tenir en repos vous ne me croirez point et prendrez cette réponse pour une plaisanterie +1254 +c'est ainsi que je me suis conduit avec vous si vous faites cela moi et mes enfans nous n'aurons qu'à nous louer de votre justice mais il est temps que nous nous quittions moi pour mourir et vous pour vivre +1255 +ceux-ci les paient bien et leur ont encore beaucoup d'obligation j'ai ouï dire aussi qu'il était arrivé ici un homme de paros qui est fort habile car m'étant trouvé l'autre jour chez un homme qui dépense plus en sophistes que tous nos autres citoyens ensemble callias fils d'hipponicus +1256 +voilà de quelle manière je parlerai à tous ceux que je rencontrerai jeunes et vieux concitoyens et étrangers mais plutôt à vous athéniens parce que vous me touchez de plus près +1257 +cependant qu'il arrive tout ce qu'il plaira aux dieux il faut obéir à la loi et se défendre reprenons donc dans son principe l'accusation sur laquelle s'appuient mes calomniateurs et qui a donné à mélitus la confiance de me traduire devant ce tribunal voyons que disent mes calomniateurs +1258 +voilà ce que j'avais à prédire à ceux qui m'ont condamné il ne me reste qu'à prendre congé d'eux mais pour vous qui m'avez absous par vos suffrages athéniens +1259 +il est vrai que théodote est mort et qu'ainsi il n'a plus besoin du secours de son frère je vois encore parale fils de demodocus et dont le frère était théagès adimante fils d'ariston avec son frère platon +1260 +je ne cesserai de m'appliquer à la philosophie de vous donner des avertissemens et des conseils et de tenir à tous ceux que je rencontrerai mon langage ordinaire ô mon ami comment étant athénien de la plus grande ville et la plus renommée pour les lumières et la puissance +1261 +si en arrivant aux enfers échappés à ceux qui se prétendent ici-bas des juges l'on y trouve les vrais juges ceux qui passent pour y rendre la justice minos rhadamanthe eaque triptolème et tous ces autres demi-dieux qui ont été justes pendant leur vie +1262 +après cette découverte je m'efforçai de lui faire voir qu'il n'était nullement ce qu'il croyait être et voilà déjà ce qui me rendit odieux à cet homme et à tous ses amis qui assistaient à notre conversation +1263 +réponds mélitus et vous juges comme je vous en ai conjurés au commencement souffrez que je parle ici à ma manière ordinaire dis mélitus y a-t-il quelqu'un dans le monde qui croie qu'il y ait des choses humaines et qui ne croie pas qu'il y ait des hommes +1264 +loin de parler quand on me paie et de me taire quand on ne me donne rien je laisse également le riche et le pauvre m'interroger ou si on l'aime mieux on répond à mes questions et l'on entend ce que j'ai à dire +1265 +quelle est cette sagesse c'est peut-être une sagesse purement humaine et je cours grand risque de n'être sage que de celle-là tandis que les hommes dont je viens de vous parler sont sages d'une sagesse bien plus qu'humaine +1266 +d'ailleurs beaucoup de jeunes gens qui ont du loisir et qui appartiennent à de riches familles s'attachent à moi et prennent un grand plaisir à voir de quelle manière j'éprouve les hommes +1267 +aujourd'hui ils me détachent mélitus anytus et lycon mélitus représente les poètes anytus les politiques et les artistes lycon les orateurs +1268 +quand je vous parle ainsi athéniens vous m'accuserez peut-être de la même arrogance qui me faisait condamner tout à l'heure les prières et les lamentations mais ce n'est nullement cela +1269 +si je les rebute eux-mêmes me feront bannir par les hommes plus âgés et si je ne les rebute pas leurs pères et leurs parents me banniront à cause d'eux mais me dira-t-on peut-être socrate quand tu nous auras quittés ne pourras-tu pas te tenir en repos et garder le silence +1270 +socrate mais mon cher mélitus tous ceux qui assistent aux assemblées du peuple ne pourraient-ils donc pas corrompre la jeunesse ou sont-ils aussi tous capables de la rendre vertueuse +1271 +ils diront que vous avez fait mourir socrate cet homme sage car pour aggraver votre honte ils m'appelleront sage quoique je ne le sois point mais si vous aviez attendu encore un peu de temps la chose serait venue d'elle-même car voyez mon âge +1272 +vous n'en soyez pas surpris et ne vous emportiez pas contre moi car c'est aujourd'hui la première fois de ma vie que je parais devant un tribunal à l'âge de plus de soixante-dix ans véritablement donc je suis étranger au langage qu'on parle ici +1273 +quoique leur intention n'ait pas été de me faire du bien et qu'ils n'aient cherché qu'à me nuire en quoi j'aurais bien quelque raison de me plaindre d'eux je ne leur ferai qu'une seule prière +1274 +ou si je les corromps que ce soit malgré moi et sans le savoir et dans tous les cas tu es un imposteur si c'est malgré moi que je corromps la jeunesse la loi ne veut pas qu'on appelle en justice pour des fautes involontaires mais elle veut qu'on prenne en particulier ceux qui les commettent et qu'on les instruise +1275 +je suis déjà bien avancé dans la vie et tout près de la mort je ne dis pas cela pour vous tous mais seulement pour ceux qui m'ont condamné à mort c'est à ceux-là que je veux m'adresser encore +1276 +en vous exhortant tous individuellement à ne pas songer à ce qui vous appartient accidentellement plutôt qu'à ce qui constitue votre essence et à tout ce qui peut vous rendre vertueux et sages à ne pas songer aux intérêts passagers de la patrie plutôt qu'à la patrie elle-même et ainsi de tout le reste +1277 +c'est pourquoi comme je le disais au commencement je regarderais comme un miracle si en aussi peu de temps je pouvais détruire une calomnie qui a déjà de vieilles racines dans vos esprits +1278 +ni devant les tribunaux ni dans les combats il n'est permis ni à moi ni à aucun autre d'employer toutes sortes de moyens pour éviter la mort +1279 +je suis persuadé que non seulement un simple particulier mais que le grand roi lui-même en trouverait un bien petit nombre et qu'il serait aisé de les compter si la mort est quelque chose de semblable je dis qu'elle n'est pas un mal car la durée tout entière ne paraît plus ainsi qu'une seule nuit +1280 +je souhaite y réussir s'il peut en résulter quelque bien pour vous et pour moi je souhaite que cette défense me serve mais je regarde la chose comme très difficile et je ne m'abuse point à cet égard +1281 +apologie de socrate quatrième partie socrate que tu m'obliges de répondre enfin et à grand-peine quand les juges t'y forcent ainsi tu conviens que j'admets et que j'enseigne quelque chose sur les démons +1282 +un jour étant allé à delphes il eut la hardiesse de demander à l'oracle et je vous prie encore une fois de ne pas vous émouvoir de ce que je vais dire il lui demanda s'il y avait au monde un homme plus sage que moi +1283 +que d'être nourri dans le prytanée et il le mérite bien plus que celui qui aux jeux olympiques a remporté le prix de la course à cheval ou de la course des chars à deux ou à quatre chevaux car celui-ci ne vous rend heureux qu'en apparence moi je vous enseigne à l'être véritablement +1284 +mais quelqu'un me dira peut-être n'as-tu pas honte socrate de t'étre attaché à une étude qui te met présentement en danger de mourir je puis répondre avec raison à qui me ferait cette objection +1285 +je m'entretiendrai volontiers avec vous sur ce qui vient de se passer pendant que les magistrats sont occupés et qu'on ne me mène pas encore où je dois mourir arrêtez-vous donc quelques instants et employons à converser ensemble le temps qu'on me laisse +1286 +car à ce qu'il paraît il n'aurait fallu que trois voix de plus pour que je fusse absous je puis donc me flatter d'avoir échappé à mélitus et non seulement je lui ai échappé mais il est évident que si anytus et lycon ne se fussent élevés pour m'accuser +1287 +ainsi athéniens voilà une preuve bien évidente de ce que je vous disais que mélitus ne s'est jamais mis en peine de toutes ces choses-là et qu'il n'y a jamais pensé +1288 +n'en est-il pas de même de tous les animaux oui sans doute soit qu'anytus et toi vous en conveniez ou que vous n'en conveniez point et en vérité ce serait un grand bonheur pour la jeunesse qu'il n'y eût qu'un seul homme qui pût la corrompre et que tous les autres pussent la rendre vertueuse +1289 +d'ailleurs je m'attendais à ce qui est arrivé ce qui me surprend bien plus c'est le nombre des voix pour ou contre j'étais bien loin de m'attendre à être condamné à une si faible majorité +1290 +si vous me disiez socrate nous rejetons l'avis d'anytus et nous te renvoyons absous mais c'est à condition que tu cesseras de philosopher et de faire tes recherches accoutumées et si tu y retombes et que tu sois découvert tu mourras +1291 +mais platon que voilà criton critobule et apollodore veulent que je me condamne à trente mines dont ils répondent en conséquence je m'y condamne et assurément je vous présente des cautions qui sont très solvables +1292 +cette manière de se délivrer de ses censeurs n'est ni honnête ni possible celle qui est en même temps et la plus honnête et la plus facile c'est au lieu de fermer la bouche aux autres de se rendre meilleur soi-même +1293 +négligeant ce que les autres recherchent avec tant d'empressement les richesses le soin de ses affaires domestiques les emplois militaires les fonctions d'orateur et toutes les autres dignités +1294 +voilà contre mes premiers accusateurs une apologie suffisante venons présentement aux derniers et tâchons de répondre à mélitus cet homme de bien si attaché à sa patrie à ce qu'il assure +1295 +mélitus ceux que tu vois ici socrate les juges socrate comment dis-tu mélitus ces juges sont capables d'instruire les jeunes gens et de les rendre meilleurs +1296 +vous connaissez tous chérephon c'était mon ami d'enfance il l'était aussi de la plupart d'entre vous il fut exilé avec vous et revint avec vous vous savez donc quel homme c'était que chérephon et quelle ardeur il mettait dans tout ce qu'il entreprenait +1297 +prenant ceux de leurs ouvrages qui me paraissaient travaillés avec le plus de soin je leur demandai ce qu'ils avaient voulu dire désirant m'instruire dans leur entretien +1298 +et pour en trouver le véritable sens aller de porte en porte chez tous ceux qui avaient le plus de réputation et je vous jure athéniens car il faut vous dire la vérité que voici le résultat que me laissèrent mes recherches +1299 +d'ailleurs ces accusateurs sont en fort grand nombre et il y a déjà longtemps qu'ils travaillent à ce complot et puis ils vous ont prévenus de cette opinion dans l'âge de la crédulité +1300 +les lois socrate ce n'est pas là excellent mélitus ce que je te demande je te demande qui est-ce quel est l'homme il est bien sûr que la première chose qu'il faut que cet homme sache ce sont les lois +1301 +athéniens telle a été ma conduite que mérite-t-elle une récompense si vous voulez être juste et même une récompense qui puisse me convenir +1302 +cependant dans beaucoup d'autres circonstances elle vint m'interrompre au milieu de mon discours mais aujourd'hui elle ne s'est opposée à aucune de mes actions à aucune de mes paroles quelle en peut être la cause je vais vous le dire +1303 +car je ne vous dirai rien qui vienne de moi et je ferai parler devant vous une autorité digne de votre confiance je vous donnerai de ma sagesse un témoin qui vous dira si elle est et quelle elle est et ce témoin c'est le dieu de delphes +1304 +c'est que ce qui m'arrive est selon toute vraisemblance un bien et nous nous trompons sans aucun doute si nous pensons que la mort soit un mal une preuve évidente pour moi c'est qu'infailliblement si j'eusse dû mal faire aujourd'hui le signe ordinaire m'en eût averti +1305 +je ne cesse de vous dire que ce n'est pas la richesse qui fait la vertu mais au contraire que c'est la vertu qui fait la richesse et que c'est de là que naissent tous les autres biens publics et particuliers +1306 +non sans doute socrate eh bien donc dis à nos juges qui est-ce qui est capable de rendre les jeunes gens meilleurs car il ne faut pas douter que tu ne le saches puisque cela t'occupe si fort +1307 +reprenons cette dernière accusation comme nous avons fait la première voici à peu près comme elle est conçue socrate est coupable en ce qu'il corrompt les jeunes gens ne reconnaît pas la religion de l'état et met à la place des extravagances démoniaques voilà l'accusation +1308 +examinons-en tous les chefs l'un après l'autre il dit que je suis coupable en ce que je corromps les jeunes gens et moi athéniens je dis que c'est mélitus qui est coupable en ce qu'il se fait un jeu de choses sérieuses et de gaité de c ur appelle les gens en justice +1309 +en effet il paraît entièrement se contredire dans son accusation c'est comme s'il disait socrate est coupable en ce qu'il ne reconnaît pas de dieux et en ce qu'il reconnaît des dieux vraiment c'est là se moquer suivez-moi je vous en prie athéniens et examinez avec moi en quoi je pense qu'il se contredit +1310 +non ce ne sont pas les paroles qui m'ont manqué athéniens mais l'impudence je succombe pour n'avoir pas voulu vous dire les choses que vous aimez tant à entendre pour n'avoir pas voulu me lamenter pleurer et descendre à toutes les bassesses auxquelles on vous a accoutumés +1311 +si la mort est la privation de tout sentiment un sommeil sans aucun songe quel merveilleux avantage n'est-ce pas que de mourir car que quelqu'un choisisse une nuit ainsi passée dans un sommeil profond +1312 +en effet ni anytus ni mélitus ne me feront aucun mal ils ne le peuvent car je ne crois pas qu'il soit au pouvoir du méchant de nuire à l'homme de bien peut-être me feront-ils condamner à la mort ou à l'exil +1313 +ainsi athéniens j'ai des parents et pour des enfants j'en ai trois l'un déjà dans l'adolescence les deux autres encore en bas âge et cependant je ne les ferai pas paraître ici pour vous engager à m'absoudre +1314 +tandis que le plus agile le crime s'est attaché à mes accusateurs qui ont de la vigueur et de la légèreté je m'en vais donc subir la mort à laquelle vous m'avez condamné et eux l'iniquité et l'infamie à laquelle la vérité les condamne +1315 +tous les hommes peuvent-ils les rendre meilleurs et n'y en a-t-il qu'un seul qui ait le secret de les gâter ou est-ce tout le contraire n'y a-t-il qu'un seul homme ou bien un petit nombre à savoir les écuyers qui soient capables de les dresser et les autres hommes s'ils veulent les monter et s'en servir ne les gâtent-ils pas +1316 +voici encore quelques raisons d'espérer que la mort est un bien il faut qu'elle soit de deux choses l'une ou l'anéantissement absolu et la destruction de toute conscience ou comme on le dit un simple changement le passage de l'âme d'un lieu dans un autre +1317 +moi qui laissant de côté toutes les choses où je ne pouvais être utile ni à vous ni à moi n'ai voulu d'autre occupation que celle de vous rendre à chacun en particulier le plus grand de tous les services +1318 +quelques-uns de vous croiront peut-être que je ne parle pas sérieusement mais soyez bien persuadés que je ne vous dirai que la vérité en effet athéniens la réputation que j'ai acquise vient d'une certaine sagesse qui est en moi +1319 +une amende et la prison jusqu'à ce que je l'aie payée mais cela revient au même car je n'ai pas de quoi la payer me condamnerai-je à l'exil peut-être y consentiriez-vous +1320 +je ne sais athéniens quelle impression mes accusateurs ont faite sur vous pour moi en les entendant peu s'en est fallu que je ne me méconnusse moi-même tant ils ont parlé d'une manière persuasive et cependant à parler franchement ils n'ont pas dit un mot qui soit véritable +1321 +celui-ci a de quoi vivre et moi je n'ai rien si donc il me faut déclarer ce que je mérite en bonne justice je le déclare c'est d'être nourri au prytanée +1322 +mais il vous arrivera tout le contraire je vous le prédis il va s'élever contre vous un bien plus grand nombre de censeurs que je retenais sans que vous vous en aperçussiez +1323 +j'en conviens socrate et par conséquent puisque j'admets des démons de ton propre aveu et que les démons sont des dieux +1324 +peut-être pensez-vous que si j'avais cru devoir tout faire et tout dire pour me sauver je n'y serais point parvenu faute de savoir trouver des pa roles capables de persuader +1325 +censeurs d'autant plus difficiles qu'ils sont plus jeunes et vous n'en serez que plus irrités car si vous pensez qu'en tuant les gens vous empêcherez qu'on vous reproche de mal vivre vous vous trompez +1326 +voilà pourtant la vérité athéniens mais il n'est pas aisé de vous en convaincre au reste je ne suis point accoutumé à me juger digne de souffrir aucun mal +1327 +car il faut mettre leur accusation dans les formes et la lire comme si elle était écrite et le serment prêté socrate est un homme dangereux qui par une curiosité criminelle veut pénétrer ce qui se passe clans le ciel et sur la terre fait une bonne cause d'une mauvaise +1328 +mon véritable motif est que j'ai la conscience de n'avoir jamais commis envers personne d'injustice volontaire mais je ne puis vous le persuader car il n'y a que quelques instants que nous nous entretenons ensemble +1329 +car je ne veux pas faire valoir ici le témoignage de ceux que j'ai corrompus ils pourraient avoir leur raison pour me défendre mais leurs parents que je n'ai pas séduits qui sont déjà avancés en âge quelle autre raison peuvent-ils avoir de se déclarer pour moi que mon bon droit et mon innocence +1330 +si j'étais riche je me condamnerais volontiers à une amende telle que je pourrais la payer car cela ne me ferait aucun tort mais dans la circonstance présente car enfin je n'ai rien +1331 +ici les juges vont aux voix pour l'application de la peine et socrate est condamné à mort il poursuit point n'avoir pas eu la patience d'attendre un peu de temps athéniens vous allez fournir un prétexte à ceux qui voudront diffamer la république +1332 +de là j'allai chez un autre qui passait encore pour plus sage que le premier et je trouvai la même chose et je me fis là de nouveaux ennemis +1333 +j'allai chez un de nos concitoyens qui passe pour un des plus sages de la ville et j'espérais que là mieux qu'ailleurs je pourrais confondre l'oracle et lui dire tu as déclaré que je suis le plus sage des hommes et celui-ci est plus sage que moi +1334 +il m'est arrivé aujourd'hui quelque chose d'extraordinaire cette inspiration prophétique qui n'a cessé de se faire entendre à moi dans tout le cours de ma vie qui dans les moindres occasions n'a jamais manqué de me détourner de tout ce que j'allais faire de mal aujourd'hui qu'il m'arrive ce que vous voyez +1335 +le voyage serait-il donc si malheureux combien ne donnerait-on pas pour s'entretenir avec orphée musée hésiode homère quant à moi si cela est véritable je veux mourir plusieurs fois +1336 +d'ailleurs je t'en prie au nom de jupiter mélitus réponds à ceci lequel est le plus avantageux d'habiter avec des gens de bien ou d'habiter avec des méchants réponds-moi mon ami car je ne te demande rien de difficile +1337 +c'est elle qui s'est toujours opposée à moi quand j'ai voulu me mêler des affaires de la république et elle s'y est opposée fort à propos car sachez bien qu'il y a longtemps que je ne serais plus en vie si je m'étais mêlé des affaires publiques et je n'aurais rien avancé ni pour vous ni pour moi +1338 +et de laquelle j'ai déjà dit que je ne sais pas si elle est un bien ou un mal j'irai choisir une peine que je sais très certainement être un mal et je m'y condamnerai moi-même choisirai-je les fers mais pourquoi me faudrait-il passer ma vie en prison esclave du pouvoir des onze qui se renouvelle toujours +1339 +je t'accuse de ne reconnaître aucun dieu socrate ô merveilleux mélitus pourquoi dis-tu cela quoi je ne crois pas comme les autres hommes que le soleil et la lune sont des dieux mélitus +1340 +non sans doute +1341 +d'ailleurs les jeunes gens viendraient-ils chercher auprès de moi avec tant d'empressement une doctrine qu'ils pourraient aller à tout moment entendre débiter à l'orchestre pour une dragme tout au plus et qui leur donnerait une belle occasion de se moquer de socrate s'il s'attribuait ainsi des opinions qui ne sont pas à lui et qui sont si étranges et si absurdes +1342 +mais il faudrait que l'amour de la vie m'eût bien aveuglé athéniens pour que je pusse m'imaginer que si vous mes concitoyens vous n'avez pu supporter ma manière d'être et mes discours +1343 +à quel prix ne voudrait-on pas mes juges examiner un peu celui qui mena contre troie une si nombreuse armée ou ulysse ou sisyphe et tant d'autres hommes et femmes avec lesquels ce serait une félicité inexprimable de converser et de vivre en les observant et les examinant +1344 +cela serait aussi absurde que de croire qu'il y a des mulets nés de chevaux ou d'ânes et qu'il n'y a ni ânes ni chevaux ainsi mélitus il est impossible que tu ne m'aies intenté cette accusation pour m'éprouver ou faute de prétexte légitime +1345 +mais mon plus grand plaisir serait d'employer ma vie là comme ici à interroger et à examiner tous ces personnages pour distinguer ceux qui sont véritablement sages et ceux qui croient l'être et ne le sont point +1346 +et après vous retomberez pour toujours dans un sommeil léthargique à moins que la divinité prenant pitié de vous ne vous envoie encore un homme qui me ressemble +1347 +ceux qui répandent ces bruits voilà mes vrais accusateurs car en les entendant on se persuade que les hommes livrés à de pareilles recherches ne croient pas qu'il y ait des dieux +1348 +moi qui ne suis jamais entré dans aucune des conjurations et des cabales si fréquentes dans la république me trouvant réellement trop honnête homme pour ne pas me perdre en prenant part à tout cela +1349 +car ce qui m'arrive n'est point l'effet du hasard et il est clair pour moi que mourir dès à présent et être délivré des soucis de la vie était ce qui me convenais le mieux aussi la voix céleste s'est tue aujourd'hui et je n'ai aucun ressentiment contre mes accusateurs ni contre ceux qui m'ont condamné +1350 +en vérité ce serait une belle vie pour moi vieux comme je suis de quitter mon pays d'aller errant de ville en ville et de vivre comme un proscrit car je sais que partout où j'irai les jeunes gens viendront m'écouter comme ici +1351 +je dois choisir ce qui m'est dû et que m'est-il dû quelle peine afflictive ou quelle amende méritais-je moi qui me suis fait un principe de ne connaître aucun repos pendant toute ma vie +1352 +eh bien donc athéniens il faut se défendre et tâcher d'arracher de vos esprits une calomnie qui y est déjà depuis longtemps et cela en aussi peu d'instants +1353 +et d'un autre côté si je vous dis que le plus grand bien de l'homme c'est de s'entretenir chaque jour de la vertu et des autres choses dont vous m'avez entendu discourir m'examinant moi-même et les autres car une vie sans examen n'est pas une vie si je vous dis cela vous me croirez encore moins +1354 +mélitus c'est cela même socrate en vérité il faut que j'ai bien du malheur mais continue de me répondre te paraît-il qu'il en soit de même des chevaux +1355 +tandis que vous auriez fini par me croire peut-être si vous aviez comme d'autres peuples une loi qui pour une condamnation à mort exigeât un procès de plusieurs jours au lieu qu'en si peu de temps il est impossible de détruire des calomnies invétérées +1356 +s'ils vous sont devenus tellement importuns et odieux qu'aujourd'hui vous voulez enfin vous en délivrer d'autres n'auront pas de peine à les supporter il s'en faut de beaucoup athéniens +1357 +doit à mon avis y demeurer ferme et ne considérer ni la mort ni le péril ni rien autre chose que l'honneur ce serait donc de ma part une étrange conduite athéniens +1358 +y a-t-il donc quelqu'un qui aime mieux recevoir du préjudice de la part de ceux qu'il fréquente que d'en recevoir de l'utilité réponds-moi mélitus car la loi ordonne de répondre y a-t-il quelqu'un qui aime mieux recevoir du mal que du bien +1359 +tout le monde sait qu'à la guerre il serait très facile de sauver sa vie en jetant ses armes et en demandant quartier à ceux qui vous poursuivent de même dans tous les dangers on trouve mille expédiens pour éviter la mort quand on est décidé à tout dire et à tout faire +1360 +non par jupiter athéniens il ne le croit pas car il dit que le soleil est une pierre et la lune une terre socrate +1361 +je n'ai jamais été le maître de personne mais si quelqu'un jeune ou vieux a désiré s'entretenir avec moi et voir comment je m'acquitte de ma mission je n'ai refusé à personne cette satisfaction +1362 +et dans ce cas si je crois qu'il y a des dieux je ne suis donc pas entièrement athée et ce n'est pas là en quoi je suis coupable mais des dieux qui ne sont pas ceux de l'état est-ce là de quoi tu m'accuses ou bien m'accuses tu de n'admettre aucun dieu et d'enseigner aux autres à n'en reconnaître aucun mélitus +1363 +maintenant athéniens ne croyez pas que ce soit pour l'amour de moi que je me défends comme on pourrait le croire c'est pour l'amour de vous de peur qu'en me condamnant vous n'offensiez le dieu dans le présent qu'il vous a fait +1364 +ayant donc la conscience que je n'ai jamais été injuste envers personne je suis bien éloigné de vouloir l'être envers moi-même d'avouer que je mérite une punition et de me condamner à quelque chose de semblable et cela dans quelle crainte quoi pour éviter la peine que réclame contre moi mélitus +1365 +car il est bien sûr qu'étant instruit je cesserai de faire ce que je fais malgré moi mais tu t'en es bien gardé tu n'as pas voulu me voir et m'instruire et tu me traduis devant ce tribunal où la loi veut qu'on cite ceux qui ont mérité des punitions et non pas ceux qui n'ont besoin que de remontrances +1366 +et si quelqu'un de vous prétend le contraire et me soutient qu'il s'en occupe je ne l'en croirai point sur sa parole je ne le quitterai point mais je l'interrogerai je l'examinerai je le confonderai +1367 +pour moi je m'en tiens à ma peine et eux à la leur en effet peut-être est-ce ainsi que les choses devaient se passer et selon moi tout est pour le mieux +1368 +je vous dis donc que si vous me faites périr vous en serez punis aussitôt après ma mort par une peine bien plus cruelle que celle à laquelle vous me condamnez en effet vous ne me faites mourir que pour vous délivrer de l'importun fardeau de rendre compte de votre vie +1369 +que n'aurait troublé aucun songe et qu'il compare cette nuit avec toutes les nuits et avec tous les jours qui ont rempli le cours entier de sa vie qu'il réfléchisse et qu'il dise en conscience combien dans sa vie il a eu de jours et de nuits plus heureuses et plus douces que celle-là +1370 +et qu'il leur donnât toutes les perfections de leur nature et cet homme ce serait probablement un cavalier ou un laboureur mais puisque pour enfants tu as des hommes à qui as-tu résolu de les confier quel maître avons-nous en ce genre pour les vertus de l'homme et du citoyen +1371 +mais si la mort est un passage de ce séjour dans un autre et si ce qu'on dit est véritable que là est le rendez-vous de tous ceux qui ont vécu quel plus grand bien peut-on imaginer mes juges car enfin +1372 +ce qu'on pourrait prendre et ce qu'on prend en effet pour le plus grand de tous les maux cette voix divine a gardé le silence elle ne m'a arrêté ni ce matin quand je suis sorti de ma maison ni quand je suis venu devant ce tribunal ni tandis que je parlais quand j'allais dire quelque chose +1373 +mieux que ceux qui les avaient faits je reconnus donc bientôt que ce n'est pas la raison qui dirige le poète mais une sorte d'inspiration naturelle un enthousiasme semblable à celui qui transporte le prophète et le devin qui disent tous de fort belles choses mais sans rien comprendre à ce qu'ils disent +1374 +il aurait été condamné à payer mille drachmes comme n'ayant pas obtenu la cinquième partie des suffrages c'est donc la peine de mort que cet homme réclame contre moi à la bonne heure et moi de mon côté athéniens à quelle peine me condamnerai-je +1375 +s'il y a ici quelqu'un qui soit dans ces sentiments ce que je ne saurais croire mais j'en fais la supposition je pourrais lui dire avec raison mon ami j'ai aussi des parents car pour me servir de l'expression d'homère je ne suis point né d'un chêne ou d'un rocher mais d'un homme +1376 +voilà justement la preuve de ce que je disais que tu viens nous proposer des énigmes et te divertir à mes dépens en disant que je n'admets point de dieux et que pourtant j'admets des dieux puisque j'admets des démons +1377 +seigneur lui répondit le sultan je vous suis fort obligé de la bonne opinion que vous avez de moi quant au sujet que vous avez de ne vous pas lever quelle que puisse être votre excuse je la reçois de fort bon coeur +1378 +et cette eau en tombant formait des diamants et des perles ce qui n'accompagnait pas mal un jet d'eau qui s'élançant du milieu du bassin allait presque frapper le fond d'un dôme peint à l'arabesque +1379 +j'ai fait ce que vous dites répondit le marchand je ne puis le nier cela étant reprit le génie +1380 +et là rempli de tout ce qu'il avait déjà vu et de tout ce qu'il voyait encore il faisait des réflexions sur tous ces différents objets +1381 +le lendemain avant que le jour parût dinarzade ne manqua pas de s'adresser à sa soeur et de lui dire ma soeur si vous ne dormez pas je vous supplie +1382 +c'était une infinité d'oiseaux qui y remplissaient l'air de leurs chants harmonieux et qui y faisaient toujours leur demeure parce que des filets tendus au-dessus des arbres et du palais les empêchaient d'en sortir +1383 +et s'assit près de la fontaine après avoir tiré de sa valise quelques dattes et du biscuit en mangeant les dattes il en jetait les noyaux à droite et à gauche +1384 +pendant ce temps-là le grand vizir était dans une inquiétude cruelle au lieu de goûter la douceur du sommeil il avait passé la nuit à soupirer et à plaindre le sort de sa fille dont il devait être le bourreau +1385 +schahriar fut tellement charmé de ce qu'il venait d'entendre et il se sentit si fort attendri en faveur de scheherazade qu'il résolut de la laisser vivre pendant un mois +1386 +il y trouva au pied d'un grand noyer une fontaine d'une eau très claire et coulante il mit pied à terre attacha son cheval à une branche d'arbre +1387 +je ne le connais point et je ne l'ai jamais vu ne t'es-tu pas assis en arrivant ici répliqua le génie n'as-tu pas tiré des dattes de la valise et en les mangeant n'en as-tu pas jeté les noyaux à droite et à gauche +1388 +où sont ceux qui jouissent tranquillement d'un bonheur qu'ils tiennent d'elle et dont les jours sont toujours purs et sereins +1389 +à ces mots ayant levé sa robe il fit voir au sultan qu'il n'était homme que depuis la tête jusqu'à la ceinture et que l'autre moitié de son corps était de marbre noir +1390 +étaient parties lorsqu'il fut à la porte d'une grande salle il ouvrit la portière et vit un jeune homme bien fait et très richement vêtu qui était assis sur un trône un peu élevé de terre +1391 +le château de trois côtés était environné d'un jardin que les parterres les pièces d'eau les bosquets et mille autres agréments concouraient à embellir et ce qui achevait de rendre ce lieu admirable +1392 +le sultan selon sa coutume passa la journée à régler les affaires de son empire et quand la nuit fut venue il coucha encore avec scheherazade +1393 +si le sultan voulait me laisser vivre encore aujourd'hui et me donner la permission de vous la raconter la nuit prochaine +1394 +je veux reprit le génie te tuer de même que tu as tué mon fils hé bon dieu repartit le marchand comment pourrais-je avoir tué votre fils +1395 +ayant donc pris la résolution de ne pas faire ôter la vie à scheherazade ce jour-là il se leva pour faire sa prière et aller au conseil +1396 +si vous ne dormez pas je vous prie en attendant le jour qui va paraître bientôt de nous raconter ce qui se passa dans ce beau château où vous nous laissâtes hier +1397 +le sultan se promena longtemps d'appartement en appartement où tout lui parut grand et magnifique lorsqu'il fut las de marcher il s'assit dans un cabinet ouvert qui avait vue sur le jardin +1398 +scheherazade reprit aussitôt le conte du jour précédent et s'adressant toujours à schahriar sire dit-elle le sultan ne voyant donc personne dans la cour où il était +1399 +en achevant ces paroles scheherazade en cet endroit s'apercevant qu'il était jour et sachant que le sultan se levait de grand matin pour faire sa prière et tenir son conseil cessa de parler +1400 +hélas est-il possible que je sois encore en vie après tous les tourments que j'ai soufferts le sultan touché de ces pitoyables plaintes se leva pour aller du côté d'où elles +1401 +le quatrième jour de sa marche il se sentit tellement incommodé de l'ardeur du soleil et de la terre échauffée par ses rayons qu'il se détourna de son chemin pour aller se rafraîchir sous des arbres qu'il aperçut dans la campagne +1402 +bon dieu ma soeur dit alors dinarzade que votre conte est merveilleux la suite en est encore plus surprenante répondit scheherazade et vous en tomberiez d'accord +1403 +lorsqu'il eut achevé ce repas frugal comme il était bon musulman il se lava les mains le visage et les pieds et fit sa prière +1404 +le marchand et le génie sire il y avait autrefois un marchand qui possédait des grands biens tant en fonds de terre qu'en marchandises et en argent comptant +1405 +schahriar qui avait écouté scheherazade avec plaisir dit en lui-même j'attendrai jusqu'à demain je la ferai toujours bien mourir quand j'aurai entendu la fin de son conte +1406 +à ces mots il prit le marchand par le bras le jeta la face contre terre et leva le sabre pour lui couper la tête cependant le marchand tout en pleurs et protestant de son innocence +1407 +quand tout à coup une voix plaintive accompagnée de cris lamentables vint frapper son oreille il écouta avec attention et il entendit distinctement ces tristes paroles +1408 +ne fut pas paresseuse à réveiller la sultane sur la fin de cette nuit ma chère soeur lui dit-elle +1409 +le sultan touché de compassion de le voir en cet état le pria très instamment de lui dire le sujet d'une si grande douleur +1410 +au lieu de répondre à ces questions le jeune homme se mit à pleurer amèrement que la fortune est inconstante s'écria-t-il elle se plaît à abaisser les hommes qu'elle a élevés +1411 +j'en demeure d'accord dit le marchand mais je n'ai assurément pas tué votre fils et quand cela serait je ne l'aurais fait que fort innocemment par conséquent je vous supplie de me pardonner et de me laisser la vie +1412 +lui répondit en tremblant hélas mon bon seigneur de quel crime puis-je être coupable envers vous pour mériter que vous m'ôtiez la vie +1413 +mais si dans cette triste attente il craignait la vue du sultan il fut agréablement surpris lorsqu'il vit que ce prince entrait au conseil sans lui donner l'ordre funeste qu'il en attendait +1414 +il ne l'avait pas finie il était encore à genoux quand il vit paraître un génie tout blanc de vieillesse et d'une grandeur énorme qui s'avançant jusqu'à lui le sabre à la main lui dit d'un ton de voix terrible +1415 +achevez lui dit-il le conte du génie et du marchand je suis curieux d'en entendre la fin scheherazade prit alors la parole et continua son conte dans ces termes +1416 +en attendant le jour qui paraîtra bientôt de continuer le conte d'hier le sultan n'attendit pas que scheherazade lui en demandât la permission +1417 +lève-toi que je te tue avec ce sabre comme tu as tué mon fils il accompagna ces mots d'un cri effroyable le marchand autant effrayé de la hideuse figure du monstre que des paroles qu'il lui avait adressées +1418 +il y avait beaucoup de commis de facteurs et d'esclaves comme il était obligé de temps en temps de faire des voyages pour s'aboucher avec ses correspondants un jour qu'une affaire d'importance l'appelait assez loin du lieu qu'il habitait +1419 +attiré par vos plaintes pénétré de vos peines je viens vous offrir mon secours plût à dieu qu'il dépendît de moi d'apporter du soulagement à vos maux +1420 +je m'y emploierais de tout mon pouvoir je me flatte que vous voudrez bien me raconter l'histoire de vos malheurs mais de grâce apprenez-moi auparavant ce qui signifie cet étang +1421 +la tristesse était peinte sur son visage le sultan s'approcha de lui et le salua le jeune homme lui rendit son salut en lui faisant une inclination de tête fort basse et comme il ne se levait pas +1422 +il passa ensuite dans un salon merveilleux au milieu duquel il y avait un grand bassin avec un lion d'or massif à chaque coin les quatre lions jetaient de l'eau par la gueule +1423 +non non dit le génie en persistant dans sa résolution il faut que je te tue de même que tu as tué mon fils +1424 +regrettait sa femme et ses enfants et disait les choses du monde les plus touchantes le génie toujours le sabre haut eut la patience d'attendre que le malheureux eût achevé ses lamentations mais il n'en fut nullement attendri +1425 +il monta à cheval et partit avec une valise derrière lui dans laquelle il avait mis une petite provision de biscuit et de dattes parce qu'il avait un pays désert à passer où il n'aurait pas trouvé de quoi vivre +1426 +en cet endroit scheherazade interrompit son discours pour faire remarquer au sultan des indes que le jour paraissait +1427 +ah monseigneur pardon s'écria le marchand point de pardon répondit le génie point de miséricorde n'est-il pas juste de tuer celui qui a tué +1428 +je te dis que tu as tué mon fils et voici comment dans le temps que tu jetais tes noyaux mon fils passait il en a reçu un dans l'oeil et il en est mort c'est pourquoi il faut que je te tue +1429 +quoi répliqua le marchand rien ne peut vous toucher vous voulez absolument ôter la vie à un pauvre innocent oui repartit le génie j'y suis résolu +1430 +entra dans des grandes salles dont les tapis de pied étaient de soie les estrades et les sofas couverts d'étoffe de la mecque et les portières des plus riches étoffes des indes relevées d'or et d'argent +1431 +il se leva néanmoins à son ordinaire sans lui parler de sa résolution fin de la vingt et unième nuit cet enregistrement fait partie du domaine public +1432 +ô fortune qui n'as pu me laisser jouir longtemps d'un heureux sort et qui m'as rendu le plus infortuné de tous les hommes cesse de me persécuter et viens par un prompte mort mettre fin à mes douleurs +1433 +hélas seigneur lui répondit le jeune homme comment pourrais-je n'être pas affligé et le moyen que mes yeux ne soient pas des sources intarissables de larmes +1434 +il arriva sans accident à l'endroit où il avait affaire et quand il eut terminé la chose qui l'y avait appelé il remonta à cheval pour s'en retourner chez lui +1435 +qui est près d'ici et où l'on voit des poissons de quatre couleurs différentes ce que c'est que ce château pourquoi vous vous y trouvez et d'où vient que vous y êtes seul +1436 +en tout cas la situation était terrible et pour qui ne pouvait lire dans cette conscience elle se résumait ainsi honnête homme +1437 +quoi qu'il en soit mister fogg avait soigneusement posé sa montre sur une table et il en regardait les aiguilles marcher pas une parole ne s'échappait de ses lèvres mais son regard avait une fixité singulière +1438 +mais il y eut des retards forcés et quand le gentleman arriva à la gare neuf heures moins dix sonnaient à toutes les horloges de londres phileas fogg après avoir accompli ce voyage autour du monde arrivait avec un retard de cinq minutes +1439 +il fallait franchir en cinq heures et demie la distance qui sépare liverpool de londres chose très faisable quand la voie est libre sur tout le parcours +1440 +sur le détective des policemen le retinrent mrs aouda épouvantée par la brutalité du fait ne sachant rien +1441 +phileas fogg était en prison on l'avait enfermé dans le poste de custom house la douane de liverpool et il devait y passer la nuit en attendant son transfèrement à londres au moment de l'arrestation passepartout avait voulu se précipiter +1442 +à deux heures trente-trois minutes un bruit retentit au-dehors un vacarme de portes qui s'ouvraient on entendait la voix de passepartout on entendait la voix de fix +1443 +le regard de phileas fogg brilla un instant la porte du poste s'ouvrit et il vit missis aouda passepartout fix qui se précipitèrent vers lui +1444 +fix était hors d'haleine les cheveux en désordre il ne pouvait parler monsieur balbutia-t-il +1445 +il vint donc se rasseoir et il tira de son portefeuille l'itinéraire du voyage sur la ligne qui portait ces mots vingt et un décembre samedi liverpool il ajouta +1446 +il était deux heures quarante l'express était parti depuis trente cinq minutes phileas fogg commanda alors un train spécial il y avait plusieurs locomotives de grande vitesse en pression mais attendu les exigences du service +1447 +il avait perdu +1448 +ramena ses deux bras en arrière puis avec la précision d'un automate il frappa de ses deux poings le malheureux inspecteur +1449 +mister fogg constata que sa montre avançait de deux minutes sur cette horloge deux heures en admettant qu'il montât en ce moment dans un express +1450 +il pouvait encore arriver à londres et au reform club avant huit heures quarante-cinq du soir son front se plissa légèrement +1451 +missis aouda et lui étaient restés malgré le froid sous le péristyle de la douane ils ne voulaient ni l'un ni l'autre quitter la place ils voulaient revoir encore une fois mister fogg +1452 +monsieur pardon une ressemblance déplorable voleur arrêté depuis trois jours vous libre +1453 +phileas fogg était libre il alla au détective il le regarda bien en face et faisant le seul mouvement rapide qu'il eût jamais fait eût qu'il dût jamais faire de sa vie +1454 +en songeant à ses fautes à ses imprudences le pauvre garçon était pris d'irrésistibles remords il pleurait il faisait peine à voir il voulait se briser la tête +1455 +ils se jetèrent dans une voiture et en quelques minutes ils arrivèrent à la gare de liverpool phileas fogg demanda s'il y avait un express prêt à partir pour londres +1456 +arrivé à midi moins vingt à liverpool le vingt-et-un décembre il avait jusqu'à huit heures quarante-cinq minutes pour se présenter au reform club soit neuf heures quinze minutes +1457 +la justice en déciderait mais alors une pensée vint à passepartout cette pensée terrible qu'il était décidément la cause de tout ce malheur en effet pourquoi avait-il caché cette aventure à mr fogg +1458 +on serait tenté de le croire car à un certain moment il fit le tour de la chambre mais la porte était solidement fermée et la fenêtre garnie de barreaux de fer +1459 +était ruiné malhonnête homme il était pris eut-il alors la pensée de se sauver songea-t-il à chercher si ce poste présentait une issue praticable pensa-t-il à fuir +1460 +le train spécial ne put quitter la gare avant trois heures à trois heures phileas fogg après avoir dit quelques mots au mécanicien d'une certaine prime à gagner filait dans la direction de londres en compagnie de la jeune femme et de son fidèle serviteur +1461 +la jeune femme protesta contre une telle allégation son coeur s'indigna et des pleurs coulèrent de ses yeux quand elle vit qu'elle ne pouvait rien faire rien tenter pour sauver son sauveur +1462 +il n'eût pas véhiculé à ses frais et à ses trousses ce malencontreux agent dont le premier soin avait été de l'arrêter au moment où il mettait le pied sur le sol du royaume-uni +1463 +quatre vingtième jour onze heures quarante du matin et il attendit une heure sonna à l'horloge de custom house +1464 +s'était-il formé en lui une de ces rages secrètes terribles parce qu'elles sont contenues et qui n'éclatent qu'au dernier moment avec une force irrésistible +1465 +quant à fix il avait arrêté le gentleman parce que son devoir lui commandait de l'arrêter fût-il coupable ou non +1466 +quant à ce gentleman il était bien et dûment ruiné et cela au moment où il allait atteindre son but cette arrestation le perdait sans +1467 +et il ne lui en fallait que six pour atteindre londres en ce moment qui eût pénétré dans le poste de la douane eût trouvé mr fogg immobile assis sur un banc de bois +1468 +fix renversé ne prononça pas un mot il n'avait que ce qu'il méritait mais aussitôt mr fogg mrs aouda passepartout quittèrent la douane +1469 +n'y pouvait rien comprendre passepartout lui expliqua la situation mr fogg cet honnête et courageux gentleman auquel elle devait la vie était arrêté comme voleur +1470 +sans colère imperturbable résigné on n'eût pu le dire mais ce dernier coup n'avait pu l'émouvoir au moins en apparence +1471 +on ne sait mais phileas fogg était là calme attendant quoi conservait-il quelque espoir croyait-il encore au succès quand la porte de cette prison était fermée sur lui +1472 +bien tapé s'écria passepartout qui se permettant un atroce jeu de mots bien digne d'un français ajouta pardieu voilà ce qu'on peut appeler une belle application de poings d'angleterre +1473 +celui-ci prévenu aurait sans doute donné à fix des preuves de son innocence il lui aurait démontré son erreur +1474 +quand fix avait révélé et sa qualité d'inspecteur de police et la mission dont il était chargé pourquoi avait-il pris sur lui de ne point avertir son maître +1475 +en effet le digne garçon classificateur enragé n'était point un naturaliste et je ne sais pas s'il aurait distingué un thon d'une bonite en un mot le contraire du canadien qui nommait tous ces poissons sans hésiter +1476 +à peine si le long véhicule ressentait les larges ondulations de l'océan une brise légère de l'est ridait la surface des eaux l'horizon dégagé de brumes se prêtait aux meilleures observations +1477 +non répondis-je car l'aquarium n'est qu'une cage et ces poissons-là sont libres comme l'oiseau dans l'air eh bien ami conseil nommez-les donc nommez-les donc disait ned land moi répondit conseil je n'en suis pas capable cela regarde mon maître +1478 +la science a déterminé sur le globe la direction de cinq courants principaux un dans l'atlantique nord un second dans l'atlantique sud un troisième dans le pacifique nord un quatrième dans le pacifique sud et un cinquième dans l'océan indien sud +1479 +or cette masse liquide c'est à peu près la quantité d'eau que verseraient tous les fleuves de la terre pendant quarante mille ans durant les époques géologiques à la période du feu succéda la période de l'eau +1480 +la configuration des océans permet de diviser les eaux en cinq grandes parties l'océan glacial arctique l'océan glacial antarctique l'océan indien l'océan atlantique l'océan pacifique +1481 +la mer a ses fleuves comme les continents ce sont des courants spéciaux reconnaissables à leur température à leur couleur et dont le plus remarquable est connu sous le nom de courant du gulf stream +1482 +sexto enfin dit conseil les plectognathes dont l'os maxillaire est attaché fixement sur le côté de l'intermaxillaire qui forme la mâchoire +1483 +j'attendais le capitaine nemo mais il ne parut pas l'horloge marquait cinq heures ned land et conseil retournèrent à leur cabine moi je regagnai ma chambre +1484 +et de filets de cette viande de l'holocante empereur dont la saveur me parut supérieure à celle du saumon je passai la soirée à lire à écrire à penser +1485 +puis le sommeil me gagnant je m'étendis sur ma couche de zostère et je m'endormis profondément pendant que le nautilus se glissait à travers le rapide courant du fleuve noir +1486 +et agitaient les quatre rangées de piquants qui hérissent chaque côté de leur queue rien de plus admirable que leur enveloppe grise par-dessus blanche par-dessous dont les taches d'or scintillaient dans le sombre remous des lames +1487 +c'est aujourd'hui huit novembre à midi que commence notre voyage d'exploration sous les eaux dieu nous garde répondis-je et maintenant monsieur le professeur ajouta le capitaine je vous laisse à vos études j'ai donné la route à l'est nord est par cinquante mètres de profondeur +1488 +et la douceur de ses dégradations successives jusqu'aux couches inférieures et supérieures de l'océan on connaît la diaphanéité de la mer on sait que sa limpidité l'emporte sur celle de l'eau de roche les substances minérales et organiques qu'elle tient en suspension accroissent même sa transparence +1489 +ned land prononçait ces derniers mots quand l'obscurité se fit subitement mais une obscurité absolue le plafond lumineux s'éteignit et si rapidement que mes yeux en éprouvèrent une impression douloureuse analogue à celle que produit le passage contraire +1490 +je ne pouvais encore le dire moi que le hasard venait de jeter à son bord moi dont il tenait la vie entre les mains il m'accueillait froidement mais hospitalièrement seulement il n'avait jamais pris la main que je lui tendais il ne m'avait jamais tendu la sienne +1491 +il faut croire monsieur puisque monsieur l'affirme répliqua conseil mais franchement ce salon est fait pour étonner même un flamand comme moi étonne-toi mon ami et regarde car pour un classificateur de ta force il y a de quoi travailler ici +1492 +au milieu de leurs jeux de leurs bonds tandis qu'ils rivalisaient de beauté d'éclat et de vitesse je distinguai le labre vert le mulle barberin marqué d'une double raie noire +1493 +ordre qui comprend quatre genres type l'esturgeon ah ami conseil vous avez gardé le meilleur pour la fin à mon avis du moins et c'est tout +1494 +excellent excellent s'écriait le harponneur qui ne voulait considérer les poissons qu'au point de vue comestible quarto reprit conseil sans se démonter les apodes au corps allongé dépourvus de nageoires ventrales et revêtus d'une peau épaisse et souvent gluante +1495 +vous êtes un tueur de poissons un très habile pêcheur vous avez pris un grand nombre de ces intéressants animaux mais je gagerais que vous ne savez pas comment on les classe si répondit sérieusement le harponneur on les classe en poissons qui se mangent et en poissons qui ne se mangent pas +1496 +c'est ce courant que le nautilus allait parcourir je le suivais du regard je le voyais se perdre dans l'immensité du pacifique et je me sentais entraîner avec lui quand ned land et conseil apparurent à la porte du salon +1497 +et pour comprendre ce nombre il faut se dire que le quintillion est au milliard ce que le milliard est à l'unité c'est-à-dire qu'il y a autant de milliards dans un quintillion que d'unités dans un milliard +1498 +entre eux ondulaient des raies comme une nappe abandonnée aux vents et parmi elles j'aperçus à ma grande joie cette raie chinoise jaunâtre à sa partie supérieure rose tendre sous le ventre et munie de trois aiguillons en arrière de son oeil espèce rare +1499 +vers le milieu de la plateforme le canot à demi engagé dans la coque du navire formait une légère extumescence en avant et en arrière s'élevaient deux cages de hauteur médiocre à parois inclinées et en partie fermées par d'épais verres lenticulaires +1500 +et même douteuse au temps de lacépède qui ne l'avait jamais vue que dans un recueil de dessins japonais pendant deux heures toute une armée aquatique fit escorte au nautilus +1501 +cette réponse ne m'apprenait rien je m'inclinais et le commandant reprit trente-sept degrés et quinze minutes de longitude à l'ouest du méridien de paris et par trente degrés et sept minutes de latitude nord c'est-à-dire à trois-cents milles environ des côtes du japon +1502 +le canadien connaissait peut-être cette distinction mais conseil en savait bien davantage et maintenant lié d'amitié avec ned il ne pouvait admettre qu'il fût moins instruit que lui aussi lui dit-il ami ned +1503 +voici des cartes à grands points où vous pourrez la suivre le salon est à votre disposition et je vous demande la permission de me retirer le capitaine nemo me salua je restai seul absorbé dans mes pensées +1504 +l'une destinée au timonier qui dirigeait le nautilus l'autre où brillait le puissant fanal électrique qui éclairait sa route la mer était magnifique le ciel pur +1505 +tandis qu'il observait pas un de ses muscles ne tressaillait et l'instrument n'eût pas été plus immobile dans une main de marbre midi dit-il monsieur le professeur quand +1506 +eh bien ami conseil dit le harponneur se penchant sur la vitre du panneau voici des variétés qui passent oui des poissons s'écria conseil on se croirait devant un aquarium +1507 +de brillants azurors dont le nom seul emporte toute description des spares rayés aux nageoires variées de bleu et de jaune des spares fascés relevés d'une bande noire sur leur caudale des spares zonéphores élégamment corsetés dans leurs six ceintures +1508 +oui mon brave ned répondit conseil et remarquez que quand on sait cela on ne sait rien encore car les familles se subdivisent en genres en sous-genres en espèces en variétés +1509 +je n'avais pas besoin d'encourager conseil le brave garçon penché sur les vitrines murmurait déjà des mots de la langue des naturalistes classe des gastéropodes famille des buccinoïdes genre des porcelaines espèces des cyproea madagascariensis et cetera +1510 +je jetai un dernier regard sur cette mer un peu jaunâtre des atterrages japonais et je redescendis au grand salon là le capitaine fit son point et calcula chronométriquement sa longitude qu'il contrôla par de précédentes observations d'angle horaires puis il me dit +1511 +quant aux poissons cartilagineux reprit imperturbablement conseil ils ne comprennent que trois ordres tant mieux fit ned primo les cyclostomes dont les mâchoires sont soudées en un anneau mobile et dont les branchies s'ouvrent par des trous nombreux +1512 +une heure entière je demeurai plongé dans ces réflexions cherchant à percer ce mystère si intéressant pour moi puis mes regards se fixèrent sur le vaste planisphère étalé sur la table et je plaçai le doigt sur le point même où se croisaient la longitude et la latitude observées +1513 +toutes se portaient sur ce commandant du nautilus saurais-je jamais à quelle nation appartenait cet homme étrange qui se vantait de n'appartenir à aucune cette haine qu'il avait vouée à l'humanit�� cette haine qui cherchait peut-être des vengeances terribles qui l'avait provoquée +1514 +le gobie éléotre à caudale arrondie blanc de couleur et tacheté de violet sur le dos le scombre japonais admirable maquereau de ces mers au corps bleu et à la tête argentée +1515 +bons à déshonorer une chaudière s'écria le canadien avez-vous compris ami ned demanda le savant conseil pas le moins du monde ami conseil répondit le harponneur mais allez toujours car vous êtes très intéressant +1516 +de chaque côté j'avais une fenêtre ouverte sur ces abîmes inexplorés l'obscurité du salon faisait valoir la clarté extérieure et nous regardions comme si ce pur cristal eût été la vitre d'un immense aquarium +1517 +bien des gens accepteraient la situation qui nous est faite ne fût-ce que pour se promener à travers ces merveilles ainsi tenez-vous tranquille et tâchons de voir ce qui se passe autour de nous voir s'écria le harponneur mais on ne voit rien on ne verra rien de cette prison de tôle nous marchons nous naviguons en aveugles +1518 +tertio dit conseil les subrachiens dont les ventrales sont attachées sous les pectorales et immédiatement suspendues aux os de l'épaule cet ordre contient quatre familles type plies limandes turbots barbues soles et cetera +1519 +ils composent deux séries distinctes la série des poissons osseux c'est-à-dire ceux dont l'épine dorsale est faite de vertèbres osseuses et les poissons cartilagineux c'est-à-dire ceux dont l'épine dorsale est faite de vertèbres cartilagineuses +1520 +pendant ce temps ned land assez peu conchyliologue m'interrogeait sur mon entrevue avec le capitaine nemo avais-je découvert qui il était d'où il venait où il allait vers quelles profondeurs il nous entraînait enfin mille questions auxquelles je n'avais pas le temps de répondre +1521 +la plateforme émergeait de quatre vingts centimètres seulement l'avant et l'arrière du nautilus présentaient cette disposition fusiforme qui le faisait justement comparer à un long cigare +1522 +ordre qui ne comprend qu'une famille type l'anguille le gymnote médiocre médiocre répondit ned land quinto dit conseil +1523 +ordre qui se divise en cinq familles et qui comprend la plus grande partie des poissons d'eau douce type la carpe le brochet peuh fit le canadien avec un certain mépris des poissons d'eau douce +1524 +il est même probable qu'un sixième courant existait autrefois dans l'océan indien nord lorsque les mers caspienne et d'aral réunies aux grands lacs de l'asie ne formaient qu'une seule et même étendue d'eau +1525 +primo les acanthoptérygiens dont la mâchoire supérieure est complète mobile et dont les branchies affectent la forme d'un peigne cet ordre comprend quinze familles c'est-à-dire les trois quarts des poissons connus type la perche commune +1526 +décidément à eux deux ned et conseil auraient fait un naturaliste distingué le canadien ne s'était pas trompé une troupe de balistes à corps comprimé à peau grenue armés d'un aiguillon sur leur dorsale se jouaient autour du nautilus +1527 +monsieur aronnax nous sommes par cent trente-sept degrés et quinze minutes de longitude à l'ouest de quel méridien demandai-je vivement en espérant que la réponse du capitaine m'indiquerait peut-être sa nationalité +1528 +je lui appris tout ce que je savais ou plutôt tout ce que je ne savais pas et je lui demandai ce qu'il avait entendu ou vu de son côté rien vu rien entendu répondit le canadien je n'ai pas même aperçu l'équipage de ce bateau est-ce que par hasard il serait électrique aussi +1529 +la mer était distinctement visible dans un rayon d'un mille autour du nautilus quel spectacle quelle plume le pourrait décrire qui saurait peindre les effets de la lumière à travers ces nappes transparentes +1530 +émerveillés nous étions accoudés devant ces vitrines et nul de nous n'avait encore rompu ce silence de stupéfaction quand conseil dit vous vouliez voir ami ned eh bien vous voyez +1531 +voilà une distinction de gourmand répondit conseil mais dites-moi si vous connaissez la différence qui existe entre les poissons osseux et les poissons cartilagineux peut-être bien conseil et la subdivision de ces deux grandes classes +1532 +notre admiration se maintenait toujours au plus haut point nos interjections ne tarissaient pas ned nommait les poissons conseil les classait moi je m'extasiais devant la vivacité de leurs allures et la beauté de leurs formes jamais il ne m'avait été donné de surprendre ces animaux vivants et libres dans leur élément naturel +1533 +tel était l'océan que ma destinée m'appelait d'abord à parcourir dans les plus étranges conditions monsieur le professeur me dit le capitaine nemo nous allons si vous le voulez bien relever exactement notre position et fixer le point de départ de ce voyage il est midi moins le quart je vais remonter à la surface des eaux +1534 +des profondes ténèbres à la plus éclatante lumière nous étions restés muets ne remuant pas ne sachant quelle surprise agréable ou désagréable nous attendait mais un glissement se fit entendre on eût dit que des panneaux se manoeuvraient sur les flancs du nautilus +1535 +électrique par ma foi on serait tenté de le croire mais vous monsieur aronnax demanda ned land qui avait toujours son idée vous ne pouvez me dire combien d'hommes il y a à bord dix vingt cinquante cent +1536 +l'océan pacifique s'étend du nord au sud entre les deux cercles polaires et de l'ouest à l'est entre l'asie et l'amérique sur une étendue de cent quarante-cinq degrés en longitude c'est la plus tranquille des mers ses courants sont larges et lents ses marées médiocres ses pluies abondantes +1537 +deux plaques de cristal nous séparaient de la mer je frémis d'abord à la pensée que cette fragile paroi pouvait se briser mais de fortes armatures de cuivre la maintenaient et lui donnaient une résistance presque infinie +1538 +la boussole montrait toujours la direction au nord nord-est le manomètre indiquait une pression de cinq atmosphères correspondant à une profondeur de cinquante mètres et le loch électrique donnait une marche de quinze milles à l'heure +1539 +le nautilus ne semblait pas bouger c'est que les points de repère manquaient parfois cependant les lignes d'eau divisées par son éperon filaient devant nos regards avec une vitesse excessive +1540 +un baliste avais-je dit et un baliste chinois répondait ned land genre des balistes famille des sclérodermes ordre des plectognathes murmurait conseil +1541 +l'océan fut d'abord universel puis peu à peu dans les temps siluriens des sommets de montagnes apparurent des îles émergèrent disparurent sous des déluges partiels se montrèrent à nouveau se soudèrent +1542 +prolonge la côte d'asie s'arrondit dans le pacifique nord jusqu'aux îles aléoutiennes charriant des troncs de camphriers et autres produits indigènes et tranchant par le pur indigo de ses eaux chaudes avec les flots de l'océan +1543 +soit plus de trente-huit millions d'hectares cette masse liquide comprend deux milliards deux cent cinquante millions de milles cubes et formerait une sphère d'un diamètre de soixante lieues dont le poids serait de trois quintillions de tonneaux +1544 +vingt mille lieues sous les mers par jules verne première partie chapitre quatorze le fleuve noir la portion du globe terrestre occupée par les eaux est évaluée à trois millions huit cent trente-deux milles cinq cent cinquante-huit myriamètres carrés +1545 +mais dans ce milieu fluide que parcourait le nautilus l'éclat électrique se produisait au sein même des ondes ce n'était plus de l'eau lumineuse c'était de la lumière liquide +1546 +que vous importe ami ned répondit conseil puisque vous ne les connaissez pas moi un pêcheur s'écria ned land et sur ce sujet une discussion s'éleva entre les deux amis car ils connaissaient les poissons mais chacun d'une façon très différente +1547 +et dont l'arcade palatine s'engrène par suture avec le crâne ce qui la rend immobile ordre qui manque de vraies ventrales et qui se compose de deux familles types les tétrodons les poissons lunes +1548 +assez bonne à manger répondit ned land secundo reprit conseil les abdominaux qui ont les nageoires ventrales suspendues sous l'abdomen et en arrière des pectorales sans être attachées aux os de l'épaule +1549 +je ne m'en doute pas répondit le canadien eh bien ami ned écoutez et retenez les poissons osseux se subdivisent en six ordres +1550 +était-il un de ces savants méconnus un de ces génies auxquels on a fait du chagrin suivant l'expression de conseil un galilée moderne ou bien un de ces hommes de science comme l'américain maury dont la carrière a été brisée par des révolutions politiques +1551 +le capitaine pressa trois fois un timbre électrique les pompes commencèrent à chasser l'eau des réservoirs l'aiguille du manomètre marqua par les différentes pressions le mouvement ascensionnel du nautilus puis elle s'arrêta +1552 +tout le monde sait que les poissons forment la quatrième et dernière classe de l'embranchement des vertébrés on les a très justement définis des vertébrés à circulation double et à sang froid respirant par des branchies et destinés à vivre dans l'eau +1553 +nous n'avions rien en vue pas un écueil pas un îlot plus dabraham lincoln l'immensité déserte le capitaine nemo muni de son sextant prit la hauteur du soleil qui devait lui donner sa latitude il attendit pendant quelques minutes que l'astre vint affleurer le bord de l'horizon +1554 +je ne saurais vous répondre maître land d'ailleurs croyez-moi abandonnez pour le moment cette idée de vous emparer du nautilus ou de fuir ce bateau est un des chefs-d'oeuvre de l'industrie moderne et je regretterais de ne pas l'avoir vu +1555 +subitement le jour se fit dans le salon les panneaux de tôle se refermèrent l'enchanteresse vision disparut mais longtemps je rêvai encore jusqu'au moment où mes regards se fixèrent sur les instruments suspendus aux parois +1556 +or au point indiqué sur le planisphère se déroulait l'un de ces courants le kuro scivo des japonais le fleuve noir qui sorti du golfe du bengale où le chauffent les rayons perpendiculaires du soleil des tropiques traverse le détroit de malacca +1557 +si l'on admet l'hypothèse d'erhemberg qui croit à une illumination phosphorescente des fonds sous-marins la nature a certainement réservé pour les habitants de la mer l'un de ses plus prodigieux spectacles et j'en pouvais juger ici par les mille jeux de cette lumière +1558 +je remarquai que ses plaques de tôles imbriquées légèrement ressemblaient aux écailles qui revêtent le corps des grands reptiles terrestres je m'expliquai donc très naturellement que malgré les meilleures lunettes ce bateau eût toujours été pris pour un animal marin +1559 +mes deux braves compagnons restèrent pétrifiés à la vue des merveilles entassées devant leurs yeux où sommes-nous où sommes-nous s'écria le canadien au musée de québec s'il plaît à monsieur répliqua conseil ce serait plutôt à l'hôtel du sommerard +1560 +mais dont la mâchoire inférieure est mobile cet ordre qui est le plus important de la classe comprend deux familles types la raie et les squales quoi s'écria ned des raies et des requins dans le même ordre +1561 +des aulostones véritables bouches en flûte ou bécasses de mer dont quelques échantillons atteignaient une longueur d'un mètre des salamandres du japon des murènes échidnées longs serpents de six pieds aux yeux vifs et petits et à la vaste bouche hérissée de dents et cetera +1562 +nous sommes arrivés dit le capitaine je me rendis à l'escalier central qui aboutissait à la plate-forme je gravis les marches de métal et par les panneaux ouverts j'arrivai sur la partie supérieure du nautilus +1563 +monsieur me répondit-il j'ai divers chronomètres réglés sur les méridiens de paris de greenwich et de washington mais en votre honneur je me servirai de celui de paris +1564 +c'est la fin de la fin dit ned land ordre des hydroméduses murmura conseil soudain le jour se fit de chaque côté du salon à travers deux ouvertures oblongues les masses liquides apparurent vivement éclairées par les effluences électriques +1565 +eh bien ami conseil dans l'intérêt des raies je ne vous conseille pas de les mettre ensemble dans le même bocal tertio répondit conseil les sturioniens dont les branchies sont ouvertes comme à l'ordinaire par une seule fente garnie d'un opercule +1566 +ah m'écriai-je je comprends la vie de cet homme il s'est fait un monde à part qui lui réserve ses plus étonnantes merveilles mais les poissons fit observer le canadien je ne vois pas de poissons +1567 +mes amis répondis-je en leur faisant signe d'entrer vous n'êtes ni au canada ni en france mais bien à bord du nautilus et à cinquante mètres au-dessous du niveau de la mer +1568 +je ne citerai pas toutes les variétés qui passèrent ainsi devant nos yeux éblouis toute cette collection des mers du japon et de la chine ces poissons accouraient plus nombreux que les oiseaux dans l'air attirés sans doute par l'éclatant foyer de lumière électrique +1569 +dans certaines parties de l'océan aux antilles cent quarante-cinq mètres d'eau laissent apercevoir le lit de sable avec une surprenante netteté et la force de pénétration des rayons solaires ne paraît s'arrêter qu'à une profondeur de trois cents mètres +1570 +mon dîner s'y trouvait préparé il se composait d'une soupe à la tortue faite des carets les plus délicats d'un surmulet à chair blanche un peu feuilletée dont le foie préparé à part fit un manger délicieux +1571 +curieux curieux faisait le canadien qui oubliant ses colères et ses projets d'évasion subissait une attraction irrésistible et l'on viendrait de plus loin pour admirer ce spectacle +1572 +avaient fraternisé sous l'empire dans une si large acception que les plus actives faisaient partie de tous les groupements à la fois +1573 +ramenaient aux recherches et aux noms présents où il faisait si bon évoquer l'avenir sur les ruines que je me passionnais pour ces cours j'avais encore le jeudi celui de dessin où la police impériale me fit l'honneur de venir voir un victor noir +1574 +l'esprit en fut généreux et large les secours furent donnés émiettés même afin de soulager un peu toutes les détresses et aussi afin d'engager encore et toujours à ne jamais se rendre +1575 +il avait fondé presque à lui seul une école professionnelle gratuite rue thévenot les cours y avaient lieu le soir celles d'entre nous qui en faisaient pouvaient ainsi se rendre rue thévenot après leur classe +1576 +femmes en soixante et onze toutes et partout nous avions d'abord établi des ambulances dans les forts et comme nous avions contre l'ordinaire usage trouvé la défense nationale disposée à nous accueillir nous commencions déjà à croire les gouvernants bien disposés pour le combat +1577 +le monde nouveau nous réunira à l'humanité libre dans laquelle chaque être aura sa place le droit des femmes avec maria deresme marchait courageusement mais exclusivement pour un seul côté de l'humanité +1578 +ils avaient du lait du cheval des légumes et très souvent quelques friandises un jour que le lait tardait les plus jeunes peu habitués à attendre se mirent à pleurer ma mère en les consolant pleurait avec eux je ne sais comment je m'avisai pour les faire attendre avec plus de patience de +1579 +alors on réussissait à l'accomplir un jour il fut décidé que montmartre n'avait pas assez d'ambulances alors avec une amie de la société d'instruction élémentaire toute jeune à cette époque nous résolûmes de la fonder c'était jeanne a depuis +1580 +j'en avais trois la littérature où il était si facile de trouver des citations d'auteurs d'autrefois s'adaptant à l'instant présent la géographie ancienne où les noms et les recherches du passé +1581 +sur son lit de mort dessiné à la craie blanche et estompé avec le doigt sur le tableau noir ce qui fait un relief d'une douceur de rêve +1582 +nous étions presque toutes institutrices il y avait maria la cecillia alors jeune fille la directrice était maria andreux plusieurs autres femmes y faisaient des cours +1583 +menacer s'ils ne se taisaient pas de les envoyer chez trochu aussitôt ils crièrent avec effroi mademoiselle nous serons bien sages ne nous envoyez pas chez trochu ces cris et la patience avec laquelle ils attendirent me donnèrent l'idée qu'ils entendaient chez eux tenir en médiocre estime +1584 +on a voulu faire des femmes une caste et sous la force qui les écrase à travers les événements la sélection s'est faite on ne nous a pas consultées pour cela et nous n'avons à consulter personne +1585 +nous avions pour cela comme complice m francolin de l'instruction élémentaire qu'à cause de sa ressemblance avec les savants du temps de l'alchimie et aussi par amitié nous appelions le docteur francolinus +1586 +mieux que les hommes mais le pouvoir ne nous a pas encore corrompues et le fait est qu'elles m'aimaient et que je les aimais lorsqu'après le trente et un octobre je fus prisonnière de m cresson non pas pour avoir pris part à une manifestation mais pour avoir dit +1587 +garçons et filles dont ma mère s'était chargée et qu'elle gâtait beaucoup les grandes de ma classe l'aidaient tantôt l'une tantôt l'autre les petits dont les parents étaient des gens de la campagne réfugiés à paris avaient été envoyés par clemenceau la mairie s'était chargée de leur nourriture +1588 +révolutionnaire où pendant tout le siège madame lemel de la chambre syndicale des relieurs empêcha je ne sais comment tant de gens de mourir de faim fut un véritable tour de force de dévouement et d'intelligence les femmes ne se demandaient pas si une chose était possible mais si elle était +1589 +des femmes m'est resté présent c'était le soir après la classe elles étaient assises contre le mur excoffons ébouriffée avec ses cheveux blonds la mère blin déjà vieille avec une capeline de tricot madame poirier ayant un capuchon d'indienne rouge sans +1590 +parmi les plus implacables lutteurs qui combattirent l'invasion et défendirent la république comme l'aurore de la liberté les femmes sont en nombre +1591 +si quelqu'un devant le comité de secours pour les victimes de la guerre eût parlé de reddition il eût été mis à la porte aussi énergiquement que dans les clubs de belleville ou de montmartre +1592 +je le dis sans esprit de secte puisque j'étais plus souvent à la partie en danger et au comité de vigilance qu'au comité de secours pour les victimes de la guerre +1593 +on était les femmes de paris tout comme dans les faubourgs comme il me souvient de la société pour l'instruction élémentaire où à droite du bureau dans le petit cabinet j'avais ma place sur la boîte du squelette j'avais à la société de secours ma place sur un tabouret aux pieds de madame goodchaux +1594 +retrouvé l'an dernier l'une de ces braves ambulancières madame gaspard les ambulances les comités de vigilance les ateliers des mairies où surtout à montmartre mesdames poirier escoffons blin jarry trouvaient moyen que toutes eussent un salaire également rétribué la +1595 +quand les événements se multiplièrent charles de sivry prit le cours de littérature et mademoiselle potin ma voisine d'institution et mon amie prit le cours de dessin +1596 +matériel l'ambulance était fondée on rit beaucoup à la mairie de montmartre de cette expédition que nul n'eût encouragée si nous en eussions fait confidence avant la réussite le jour où mesdames poirier blin excoffons vinrent me trouver à ma classe pour commencer le comité de vigilance +1597 +à leur tour les dévotes pâles d'épouvante versaient en tremblant leur monnaie dans nos aumônières quelques-uns d'assez bonne grâce tous les curés donnaient puis ce fut le tour de quelques financiers juifs ou chrétiens puis des braves gens un pharmacien de la butte offrit le +1598 +toutes les sociétés de femmes ne pensant qu'à l'heure terrible où on était se rallièrent à la société de secours pour les victimes de la guerre où les bourgeoises les femmes de ces membres de la défense nationale qui défendait si peu furent héroïques +1599 +qui ressemblant sous ses cheveux blancs à une marquise d'autrefois jetait parfois en souriant quelque petite goutte d'eau froide sur mes rêves pourquoi étais-je là une privilégiée je n'en sais rien il est vrai peut-être que les femmes aiment les révoltes nous ne valons +1600 +les écoles professionnelles de mesdames jules simon paulin julie toussaint l'enseignement des petits de madame pape carpentier se rencontrant rue hautefeuille à la société d'instruction élémentaire +1601 +fonder il n'y avait pas un sou mais nous avions une idée pour faire les fonds nous emmenons avec nous un garde national de haute taille à la physionomie d'une gravure de quatre-vingt-treize marchant devant la baïonnette au fusil nous avec de larges ceintures rouges tenant à la main des bourses +1602 +gouvernement de paris on a souvent parlé des jalousies entre institutrices je ne les ai pas éprouvées avant la guerre nous faisions des échanges de leçons avec ma plus proche voisine mademoiselle potin donnant les leçons de dessin chez moi et moi les leçons de musique chez elle conduisant tant +1603 +envoyèrent également dans les forts une foule de jeunes gens absolument inutiles ignorantins et petits crevés qui criaient leurs craintes tandis que les forts regardaient de vivre les unes et les autres nous nous empressâmes de donner nos démissions cherchant à nous employer plus utilement +1604 +compliments sans hésitation elles me dirent simplement il faut que vous veniez avec nous et je leur répondis j'y vais il y avait en ce moment à ma classe presque deux cents élèves des fillettes de six à douze ans que nous instruisions ma sous-maîtresse et moi et de tout petits enfants de trois à six ans +1605 +faites pour la circonstance nous partons tous les trois chez les gens riches avec des visages sombres nous commençons par les églises le garde national marchant dans l'allée en frappant son fusil sur les dalles nous prenant chacune un côté de la nef nous quêtons en commençant par les prêtres à +1606 +on eût dit que la gaule en elles s'éveillait libres voulant mourir augmentant de courage pour des périls plus grands l m +1607 +n'étais là que pour partager les dangers des femmes ne reconnaissant pas le gouvernement madame meurice au nom de la société pour les victimes de la guerre vint me réclamer au même moment où au nom des clubs ferré avronsart et christ y venaient également combien de choses tentèrent les +1608 +songez quelle distance nous sépare de ces âges primitifs du sentiment depuis si longtemps perdus au fond de notre esprit l'atonie du son de la voix l'anomalie du geste la recherche de nos paroles tout est en contradiction avec les sincérités ayant cours et avec les banalités de langage +1609 +j'écoute votre analyse un peu subtile avec une admiration sincère mais seriez-vous assez aimable pour me dire quelle est cette heure qui sonne dix heures lucienne répondit le jeune homme en regardant sa montre à la lueur de son cigare ah bien continuez +1610 +c'est là notre indicible secret instinctivement nous nous refusons à le laisser transparaître pour épargner autant que possible à notre prochain la honte de nous trouver incompréhensibles +1611 +il semblerait alors à voir la froide mesure de vos mouvements que vous ne palpitez que par courtoisie l'art sans doute vous poursuit d'une préoccupation constante jusque dans l'amour et dans la douleur +1612 +pourquoi cette inquiétude rare à propos d'une heure qui passe parce que c'est la dernière de notre amour mon ami répondit lucienne j'ai accepté de monsieur de rostanges un rendez-vous pour onze heures et demie ce soir j'ai différé de vous l'apprendre jusqu'au dernier moment m'en voulez-vous pardonnez-moi +1613 +ensevelis dans une torpeur habituelle résonnent en vibrations infiniment moins nombreuses et plus sourdes que les nôtres on dirait qu'ils ne se hâtent d'évaporer en clameurs leurs impressions que pour se donner une illusion d'eux-mêmes +1614 +madame émery regarda maximilien à vous entendre dit-elle il serait difficile de préciser en quoi consiste la sensibilité véritable et à quels signes on peut la reconnaître je veux bien dissiper vos doutes à ce sujet répondit en souriant monsieur de w +1615 +d'un regard où je ne puis vous suivre et je ne serai jamais bien persuadée que vous éprouvez vous-même d'une manière autre qu'imaginaire ce que vous faites ressentir c'est à cause de ceci max que je ne puis que me séparer de vous +1616 +mais nous ne sommes point pareils et c'est là notre crime à ces flacons remplis de banals parfums tristes et stériles fioles qu'on dédaigne le plus souvent de refermer et dont la vertu s'aigrit et s'évente à tous les souffles qui passent +1617 +bah que voulez-vous le noir me va si bien mais son éventail de deuil palpite alors sur son sein comme l'aile d'un phalène sur une pierre tombale fin de sentimentalisme +1618 +ajouta-t-il il prit la main de sa maîtresse et la baisa qui sait ce que nous réserve l'avenir lui répondit lucienne souriante bien qu'un peu interdite rostanges n'est qu'un caprice irrésistible et maintenant +1619 +si le comte à ces paroles devint un peu plus pâle l'obscurité protectrice voila cette marque d'émotion nul frémissement ne décela ce que dut subir son être en cet instant +1620 +je vous affirme moi que la tranquillité de leurs organismes encore un peu obscurcis par l'instinct les porte à nous donner pour de suprêmes expressions de sentiments de simples débordements d'animalité je maintiens que leurs c urs et leurs cerveaux sont desservis par des centres nerveux qui +1621 +deux heures de la nuit sonnèrent il s'étira ce battement de c ur est vraiment insupportable murmura-t-il il se leva fit retomber les rideaux massifs et les tentures alla vers un secrétaire l'ouvrit +1622 +mais les termes techniques sont déplaisants et je crains laissez donc j'ai mon bouquet de violettes de parme vous avez votre cigare je vous écoute eh bien soit j'obéis +1623 +suffit à pénétrer bien des mesures d'eau claire je vous assure lucienne et celles-ci à leur tour suffisent à embaumer bien des demeures bien des tombeaux durant de longues années +1624 +ou se justifier d'avance de l'inertie où ils sentent bien qu'ils vont rentrer ces natures sans échos sont ce que le monde appelle des gens à caractère des êtres des c urs violents et nuls cessons d'être dupes de la matité de leurs cris étaler sa faiblesse dans le secret espoir d'en communiquer +1625 +le rayon qui frappe un diamant entouré de gangue y est-il mieux reflété qu'en un diamant bien taillé où pénètre l'essence même du feu en vérité ceux-là celles-là +1626 +et si nous tenions à la vengeance celle-là nous serait amusante non lucienne il ne nous agrée pas de nous mal traduire en ces manifestations mensongères où les gens se produisent +1627 +ah dit-il d'une voix égale et harmonieuse un jeune homme des plus accomplis et qui mérite votre attachement recevez donc mes adieux chère lucienne +1628 +nous ressentons en un mot les sensations ordinaires reprit maximilien avec autant d'intensité que quiconque oui le fait naturel instinctif d'une sensation nous l'éprouvons physiquement +1629 +puis il écrivit quelques vers sur une vallée écossaise dont le souvenir lui revint assez étrangement parmi les hasards de l'esprit puis il coupa quelques feuillets d'un livre nouveau les parcourut et jeta le volume +1630 +j'espère qu'il y aura bientôt quatre ou cinq cents théâtres par capitale où les événements usuels de la vie étant joués sensiblement mieux que dans la réalité personne ne se donnera plus beaucoup la peine de vivre soi-même lorsqu'on voudra se passionner ou s'émouvoir on prendra une stalle ce sera plus simple +1631 +ajouta-t-elle après un bref silence continuez mon ami je vous prie je voudrais apprendre avant de nous quitter ce qui donne le droit aux grands artistes de tant dédaigner les façons des autres hommes un instant se passa terrible muet entre les deux amants +1632 +vous ne sauriez vous défaire de cette arrière-pensée elle paralyse chez vous les meilleurs élans et tempère toute expansion naturelle on dirait que princes d'un autre univers une foule invisible ne cesse de vous environner prête à la critique ou à l'ovation +1633 +qui se laissent émouvoir par la crudité des expansions sont de nature à préférer les bruits confus aux profondes mélodies voilà tout pardon maximilien interrompit mme émery +1634 +contes cruels par auguste de villiers de lisle-adam sentimentalisme à monsieur jean marras je m'estime peu quand je m'examine beaucoup quand je me compare monsieur tout le monde +1635 +je me résigne donc à ne pas être ordinaire dussé-je encourir le dédain des braves gens qui peut-être avec raison se jugent mieux organisés que moi répondit le comte tout le monde d'ailleurs me paraît aujourd'hui plus ou moins revenu d'éprouver quoi que ce soit +1636 +que dans les grandes occasions un bon acteur vînt se placer derrière nous passât ses bras sous les nôtres puis parlât et gesticulât pour notre compte nous serions sûrs alors de toucher la foule par les seuls côtés qui lui sont accessibles madame emery considérait très pensive le comte de w +1637 +ils regardaient passer les voitures lumineuses maximilien fit signe à l'une d'elles qui s'approcha lorsque lucienne s'y fut assise le jeune homme s'inclina silencieusement au revoir cria lucienne en lui envoyant un baiser +1638 +retentit un peu de fumée partit bleuâtre de la poitrine du jeune homme qui tomba sur les coussins depuis ce temps lorsqu'on demande à lucienne le motif de ses toilettes sombres elle répond à ses amoureux d'un ton enjoué +1639 +à force d'analyser les complexités de ces mêmes sentiments vous craignez trop de ne pas être parfaits dans vos manifestations n'est-ce pas de manquer d'exactitude dans l'exposé de votre trouble +1640 +ceci vous semble mal cependant notre chanteur mourut de cette séparation et la survivante quitta le deuil juste au jour prescrit par l'usage +1641 +dit-elle que si contradictoires que semblent vos paroles ou vos manières d'être quelquefois dans les circonstances terribles ou joyeuses de votre existence elles ne peuvent en rien que vous soyez de bois acheva le comte avec un sourire +1642 +et entendant la s ur de celle-ci se répandre en sanglots convulsifs ne pouvait s'empêcher de remarquer malgré son affliction les défauts d'émission vocale qu'il y avait lieu de signaler dans ces sanglots et songeait vaguement aux exercices propres à leur donner plus de corps +1643 +tout comme les autres mais c'est seulement tout d'abord que nous le ressentons de cette manière humaine c'est la presque impossibilité d'exprimer ses prolongements immédiats en nous qui nous fait paraître comme paralysés presque toujours en bien des circonstances +1644 +quand il fut seul dans sa chambre il s'assit devant sa table de travail prit dans un nécessaire une petite lime et parut absorbé dans le soin de se polir l'extrémité des ongles +1645 +voici dix heures et demie et je serais indiscret de ne point vous le rappeler après votre confidence de tout à l'heure murmura maximilien en souriant et en se levant votre conclusion dit-elle j'arriverai à temps +1646 +emprunté au commun des mortels vous avez des instants exquis et inoubliables je l'avoue et suis fière de vous les avoir inspirés parfois vous m'avez éblouie des profondeurs de votre c ur et des douces expansions de votre tendresse +1647 +nous nous efforcerions en vain de rendosser toute cette défroque humaine oubliée dans notre antichambre depuis un temps immémorial nous nous sommes identifiés avec l'essence même de la joie avec l'idée vive de la douleur +1648 +proportionnées à la manière de ressentir de la majorité nous sonnons faux on nous trouve de glace les femmes en nous observant alors n'en reviennent pas elles s'imaginaient volontiers que nous aussi nous allions nous démener au moins quelque peu partir enfin pour ces mêmes nuages +1649 +que sans cesse agités d'impressions artificielles et pour ainsi dire abstraites les grands artistes comme vous finissent par émousser en eux la faculté de subir réellement les tourments ou les voluptés qui leur sont dévolus par le sort +1650 +ce qui nous sépare en effet ce n'est pas une différence c'est un infini lucienne se leva et prit le bras de m de w je remporte de notre entretien cet axiome +1651 +l'art conduirait il à l'endurcissement cela m'inquiète lucienne répondit le comte j'ai connu certain chanteur qui auprès du lit de mort de sa fiancée +1652 +s'il ajoutait foi ne fût-ce qu'un instant au premier cri que parfois nous arrache une incidence heureuse ou fatale c'est à la juste notion de la sincérité que nous devons d'être sobres dans les gestes +1653 +des voitures des ombres et des promeneurs tout à coup madame émery prit doucement la main de son amant ne vous semble-t-il pas mon ami lui dit-elle +1654 +ce que le vulgaire non plus que l'homme vraiment bien élevé ne sauront jamais malgré tous les codes de civilité puérile et honnête de telle sorte que cette phrase n'exprime naïvement que la jalousie instinctive et pour ainsi dire mélancolique de certaines natures en présence de la nôtre +1655 +ayant conquis une pureté de sensations inaccessible aux profanes nous deviendrions menteurs à nos propres yeux si nous empruntions les pantomimes reçues et les expressions consacrées dont le vulgaire se contente nous nous hâterions en conscience de le dissuader +1656 +tout au moins traduisez-vous avec une gêne qui vous ferait passer pour insensibles les sentiments personnels que la vie vous met en demeure d'éprouver +1657 +bref lorsqu'un grand bonheur ou un grand malheur vous arrivent ce qui s'éveille en vous tout d'abord avant même que votre esprit s'en soit bien rendu compte c'est l'obscur désir d'aller trouver quelque comédien hors ligne pour lui demander quels sont les gestes convenables où vous devez vous laisser emporter par la circonstance +1658 +moi je ne les crois que sublimées au contraire ces mystérieuses fibres les autres hommes semblent gratifiés de propriétés de tendresse mieux conditionnées de passions plus franches plus sérieuses enfin +1659 +ses yeux reflétaient la lumière intellectuelle charmants mais comme des pierreries un peu froids leur intimité datait de six mois à peine ce soir-là donc ils regardaient en silence les vagues silhouettes +1660 +au moment où les autres hommes sont déjà parvenus à l'oubli faute de vitalité suffisante elles grandissent en notre être tenez comme les rumeurs de la houle lorsqu'on approche de la mer +1661 +ce sont les perceptions de ces prolongements occultes de ces infinies et merveilleuses vibrations qui seules déterminent la supériorité de notre race de là +1662 +que voulez-vous c'est ainsi seuls entre les hommes nous sommes parvenus à la possession d'une aptitude presque divine celle de transfigurer à notre simple contact les félicités de l'amour par exemple ou ses tortures sous un caractère immédiat d'éternité +1663 +prit dans un tiroir un petit pistolet coup de poing s'approcha d'un sofa mit l'arme dans sa poitrine sourit et haussa les épaules en fermant les yeux un coup sourd étouffé par les draperies +1664 +mais vraiment mon cher maximilien s'écria-t-elle vous en viendrez à ne plus oser dire bonjour ou bonsoir de peur de paraître +1665 +oui jusqu'à je ne sais quels ravissements dont j'emporte à jamais l'étrange et troublant souvenir mais que voulez-vous vous m'échappez +1666 +je conclus répondit maximilien que lorsqu'un quidam s'écrie à propos de l'un d'entre nous en se frappant les parois antérieures de la poitrine comme pour s'étourdir sur le vide qu'il sent en lui-même +1667 +en vérité chère lucienne si nous tenions ce qu'à dieu ne plaise à cesser d'être incompris de la plupart des individus à revendiquer de leurs entendements un autre hommage que l'indifférence il serait à désirer en effet comme vous le disiez tout à l'heure +1668 +hélas nous sommes pareils à ces cristaux puissants où dort en orient le pur esprit des roses mortes et qui sont hermétiquement voilés d'une triple enveloppe de cire d'or et de parchemin +1669 +la voiture s'éloigna le comte la suivit des yeux quelque temps comme de raison puis remontant l'avenue à pied le cigare aux lèvres il rentra chez lui au rond-point +1670 +une seule larme de leur essence de cette essence conservée ainsi dans la grande amorphe précieuse fortune de toute une race et que l'on se transmet par héritage comme un trésor sacré tout béni par les aïeux +1671 +ces discordances apparentes entre les pensées et les attitudes lorsque l'un d'entre nous par exemple essaye de traduire à la manière de tout le monde ce qu'il éprouve +1672 +au nom de quels droits réels prétendraient ils décréter que toutes ces agitations de plus que douteux aloi sont de rigueur dans l'expression des souffrances ou des ivresses de la vie et taxer d'insensibilité ceux dont la pudeur s'en abstient +1673 +la contagion afin de bénéficier au moins fictivement à ses propres yeux de l'émotion réelle que l'on parvient ainsi à susciter chez quelques autres grâce à cette obscure feintise cela ne convient qu'aux êtres inachevés +1674 +il a trop d'intelligence pour avoir du c ur il est d'abord fort probable que le quidam se fâcherait tout rouge si on lui répondait qu'il a lui trop de c ur pour avoir de l'intelligence ce qui prouve qu'au fond nous n'avons pas choisi la plus mauvaise part de l'aveu même de celui qui nous le reproche +1675 +par un soir de printemps deux jeunes gens bien élevés lucienne émery et le comte maximilien de w étaient assis sous les grands arbres d'une avenue des champs-élysées +1676 +répliqua maximilien les fibres cérébrales affectées par les sensations de joie ou de peine paraissent dites-vous comme détenues chez l'artiste par ces excès d'émotions intellectuelles que nécessite chaque jour le culte de l'art +1677 +où il est entendu que se réfugient les poètes d'après un dicton répandu à dessein par la bourgeoisie quel étonnement en voyant arriver précisément le contraire la méprisante horreur qu'elles éprouvent à cette découverte pour ceux qui les avaient dupées sur notre compte passe toutes bornes +1678 +ensuite remarquez-vous ce que devient cette phrase sous une analyse attentive c'est comme si l'on disait cette personne est trop bien élevée pour se donner la peine d'avoir de bonnes manières en quoi consistent les bonnes manières +1679 +la fumée y pourvut ainsi que les bassets au sortir d'un terrier deux chiens aux pieds agiles l'étranglèrent du premier bond le trop d'expédients peut gâter une affaire on perd du temps au choix on tente on veut tout faire n'en ayons qu'un mais qu'il soit bon +1680 +ayant bien disputé l'on parla du prochain le renard au chat dit enfin tu prétends être fort habile en sais-tu tant que moi j'ai cent ruses au sac +1681 +croquant mainte volaille escroquant maint fromage s'indemnisaient à qui mieux mieux le chemin était long et partant ennuyeux pour l'accourcir ils disputèrent la dispute est d'un grand secours sans elle on dormirait toujours nos pèlerins s'égosillèrent +1682 +à ces mots sur un arbre il grimpa bel et bien l'autre fit cent tours inutiles entra dans cent terriers mit cent fois en défaut tous les confrères de brifaut partout il tenta des asiles et ce fut partout sans succès +1683 +non dit l'autre je n'ai qu'un tour dans mon bissac mais je soutiens qu'il en vaut mille eux de recommencer la dispute à l'envi sur le que si que non tout deux étant ainsi +1684 +une meute apaisa la noise le chat dit au renard fouille en ton sac ami cherche en ta cervelle matoise un stratagème sûr pour moi voici le mien +1685 +fin de la fable quatorze le chat et le renard cet enregistrement fait partie du domaine public +1686 +le détroit de belle-ile l'estuaire du saint-laurent et depuis quelques années seulement que de victimes fournies à ces funèbres annales par les lignes du royal-mail d'inmann de montréal le solway l'isis le paramatta l'hungarian le canadian l'anglo-saxon le humboldt +1687 +non monsieur répondit-il je ne saurais reconnaître à quelle nation il appartient son pavillon n'est pas hissé mais je puis affirmer que c'est un navire de guerre car une longue flamme se déroule à l'extrémité de son grand mât +1688 +nous étions emprisonnés de nouveau témoins obligés du sinistre drame qui se préparait d'ailleurs nous eûmes à peine le temps de réfléchir réfugiés dans ma chambre +1689 +monsieur m'écriai-je allez-vous donc attaquer ce navire monsieur je vais le couler vous ne ferez pas cela je le ferai répondit froidement le capitaine nemo +1690 +le nautilus au lieu de continuer à marcher au nord prit direction vers l'est comme s'il voulait suivre ce plateau télégraphique sur lequel repose le câble et dont les sondages multipliés ont donné le relief avec une extrême exactitude ce fut le dix-sept mai à cinq cents milles environ de +1691 +j'allais répondre lorsqu'une vapeur blanche jaillit à l'avant du vaisseau de guerre puis quelques secondes plus tard les eaux troublées par la chute d'un corps pesant éclaboussèrent l'arrière du nautilus peu après une détonation frappait mon oreille +1692 +j'admirai fort ce curieux mammifère à la tête arrondie et ornée d'oreilles courtes aux yeux ronds aux moustaches blanches et semblables à celles du chat aux pieds palmés et unguiculés à la queue touffue +1693 +je me disposais à descendre afin de les prévenir lorsque le second monta sur la plateforme plusieurs marins l'accompagnaient le capitaine nemo ne les vit pas ou ne voulut pas les voir certaines dispositions furent prises qu'on aurait pu appeler le branle-bas de combat du nautilus +1694 +c'est par lui que tout ce que j'ai aimé chéri vénéré patrie femme enfants mon père ma mère j'ai vu tout périr tout ce que je hais est là taisez-vous +1695 +dépourvues de racines indifférentes au corps solide sable coquillage test ou galet qui les supporte elles ne lui demandent qu'un point d'appui non la vitalité ces plantes ne procèdent que d'elles-mêmes et le principe de leur existence est dans cette eau qui les soutient qui les nourrit +1696 +en ce moment j'entendis les vagues accords de l'orgue une harmonie triste sous un chant indéfinissable véritables plaintes d'une âme qui veut briser ses liens terrestres +1697 +et j'eus comme un pressentiment que le hasard trahirait avant peu les secrets du capitaine le lendemain premier juin le nautilus conserva les mêmes allures il était évident qu'il cherchait à reconnaître un point précis de l'océan +1698 +là nos habits de scaphandre furent retirés non sans peine et très harassé tombant d'inanition et de sommeil je regagnai ma chambre tout émerveillé de cette surprenante excursion au fond des mers fin du chapitre dix-sept de la première partie +1699 +on eût dit des ruines ensevelies sous un empâtement de coquilles blanchâtres comme sous un manteau de neige en examinant attentivement cette masse je crus reconnaître les formes épaissies d'un navire rasé de ses mâts qui devait avoir coulé par l'avant +1700 +puis il pressa un bouton j'entendis manoeuvrer les pompes au dedans du navire je sentis l'eau baisser autour de moi et en quelques instants la cellule fut entièrement vidée la porte intérieure s'ouvrit alors et nous passâmes dans le vestiaire +1701 +ami ned répondit conseil quel mal peut-il faire au nautilus ira-t-il l'attaquer sous les flots ira-t-il le canonner au fond des mers dites-moi ned demandai-je pouvez-vous reconnaître la nationalité de ce bâtiment +1702 +sa corne ne portait aucun pavillon la distance empêchait encore de distinguer les couleurs de sa flamme qui flottait comme un mince ruban il s'avançait rapidement si le capitaine nemo le laissait approcher une chance de salut s'offrait à nous +1703 +je vis les yeux de ce brave garçon briller de contentement et en signe de satisfaction il s'agita dans sa carapace de l'air le plus comique du monde après quatre heures de cette promenade je fus très étonné de ne pas ressentir un violent besoin de manger +1704 +et sous leur ombre humide se massaient de véritables buissons à fleurs vivantes des haies de zoophytes sur lesquels s'épanouissaient des méandrines zébrées de sillons tortueux des cariophylles jaunâtres à tentacules diaphanes des touffes gazonnantes +1705 +conseil et le matelot du nautilus s'éveillèrent en ce moment le capitaine nemo montra à son compagnon le hideux crustacé qu'un coup de crosse abattit aussitôt et je vis les horribles pattes du monstre se tordre dans des convulsions terribles +1706 +là je le rencontrerais une dernière fois il me verrait il me parlerait peut-être un geste de lui pouvait m'anéantir un seul mot m'enchaîner à son bord +1707 +vers quatre heures du soir ne pouvant contenir l'impatience et l'inquiétude qui me dévoraient je revins vers l'escalier central le panneau était ouvert je me hasardai sur la plate-forme le capitaine s'y promenait encore d'un pas agité il regardait le navire qui lui restait sous le vent à cinq ou six milles +1708 +le capitaine nemo venait de mettre son appareil électrique en activité son compagnon l'imita conseil et moi suivîmes leur exemple j'établis en tournant une vis la communication entre la bobine et le serpentin de verre et la mer éclairée par nos quatre lanternes s'illumina dans un rayon de vingt-cinq mètres +1709 +frappe navire insensé prodigue tes inutiles boulets tu n'échapperas pas à l'éperon du nautilus mais ce n'est pas à cette place que tu dois périr je ne veux pas que tes ruines aillent se confondre avec les ruines du vengeur +1710 +le canadien conseil et moi nous ne pouvions qu'obéir une quinzaine de marins du nautilus entouraient le capitaine et regardaient avec un implacable sentiment de haine ce navire qui s'avançait vers eux +1711 +des karraks à gros yeux dont la tête a quelque ressemblance avec celle du chien des blennies ovovivipares comme les serpents des gobies boulerots ou goujons noirs de deux décimètres des macroures à longue queue brillant d'un éclat argenté poissons rapides aventurés loin des mers hyperboréennes +1712 +et qui ne s'y fût pas trompé la faune et la flore se touchent de si près dans ce monde sous-marin j'observai que toutes ces productions du règne végétal ne tenaient au sol que par un empâtement superficiel +1713 +vers une heure le capitaine nemo donna le signal de la halte j'en fus assez satisfait pour mon compte et nous nous étendîmes sous un berceau d'alariées dont les longues lanières amincies se dressaient comme des flèches +1714 +d'ailleurs les détonations se faisaient plus violemment entendre les boulets labouraient l'eau ambiante et s'y vissaient avec un sifflement singulier mes amis dis-je le moment est venu une poignée de main et que dieu nous garde +1715 +vingt mille lieues sous les mers par jules verne deuxième partie chapitre vingt-et-un une hécatombe cette façon de dire l'imprévu de cette scène cet historique du navire patriote froidement raconté d'abord +1716 +pendant cette nuit lorsqu'il nous emprisonna dans la cellule au milieu de l'océan indien ne s'était-il pas attaqué à quelque navire cet homme enterré maintenant dans le cimetière de corail n'avait-il pas été victime du choc provoqué par le nautilus +1717 +une fois à bord de ce navire si nous ne pouvions prévenir le coup qui le menaçait du moins nous ferions tout ce que les circonstances nous permettaient de tenter plusieurs fois je crus que le nautilus se disposait pour l'attaque mais il se contentait de laisser se rapprocher son adversaire et +1718 +le pont était couvert d'ombres noires qui s'agitaient l'eau montait les malheureux s'élançaient dans les haubans s'accrochaient aux mâts se tordaient sous les eaux c'était une fourmilière humaine surprise par l'envahissement d'une mer +1719 +aucune des herbes qui tapissaient le sol aucune des branches qui hérissaient les arbrisseaux ne rampait ni ne se courbait ni ne s'étendait dans un plan horizontal toutes montaient vers la surface de l'océan +1720 +une vague réverbération éclairait son gréement et indiquait que les feux étaient poussés à outrance des gerbes d'étincelles des scories de charbons enflammés s'échappant de ses cheminées étoilaient l'atmosphère +1721 +pendant une heure une plaine de sable se déroula devant nos pas elle remontait souvent à moins de deux mètres de la surface des eaux je voyais alors notre image nettement reflétée se dessiner en sens inverse et au-dessus de nous apparaissait une troupe identique reproduisant nos mouvements et nos gestes de tout point semblable en un mot +1722 +je regagnai ma chambre le capitaine et son second étaient restés sur la plate-forme l'hélice fut mise en mouvement le nautilus s'éloignant avec vitesse se mit hors de la portée des boulets du vaisseau mais la poursuite continua et le capitaine nemo se contenta de maintenir sa distance +1723 +pendant un quart d'heure nous continuâmes d'observer le bâtiment qui se dirigeait vers nous je ne pouvais admettre cependant qu'il eût reconnu le nautilus à cette distance encore moins qu'il sût ce qu'était cet engin sous-marin +1724 +la surface du long cigare de tôle n'offrait plus une seule saillie qui pût gêner sa manoeuvre je revins au salon le nautilus émergeait toujours quelques lueurs matinales s'infiltraient sous la couche liquide +1725 +le capitaine nemo continua de s'enfoncer dans les obscures profondeurs de la forêt dont les arbrisseaux se raréfiaient de plus en plus j'observai que la vie végétale disparaissait plus vite que la vie animale +1726 +d'ailleurs qui lui eût disputé la possession de cette propriété sous-marine quel autre pionnier plus hardi serait venu la hache à la main en défricher les sombres taillis cette forêt se composait de grandes plantes arborescentes +1727 +je ne pus y tenir fou éperdu je m'élançai hors de ma chambre et me précipitai dans le salon le capitaine nemo était là muet sombre implacable il regardait par le panneau de bâbord +1728 +un grand oiseau à large envergure très nettement visible s'approchait en planant le compagnon du capitaine nemo le mit en joue et le tira lorsqu'il fut à quelques mètres seulement au-dessus des flots l'animal tomba foudroyé et sa chute l'entraîna jusqu'à la portée de l'adroit chasseur qui s'en empara +1729 +cette haine cherchait elle encore des vengeances l'avenir devait bientôt me l'apprendre cependant le nautilus remontait lentement vers la surface de la mer et je vis disparaître peu à peu les formes confuses du vengeur bientôt un léger roulis m'indiqua que nous flottions à l'air libre +1730 +enfin vers quatre heures environ cette merveilleuse excursion s'acheva un mur de rochers superbes et d'une masse imposante se dressa devant nous entassement de blocs gigantesques énorme falaise de granit creusée de grottes obscures mais qui ne présentait aucune rampe praticable c'étaient les accores de l'île de crespo c'était la terre +1731 +ned land aurait voulu se précipiter à la mer je le forçai d'attendre suivant moi le nautilus devait attaquer le deux-ponts à la surface des flots et alors il serait non seulement possible mais facile de s'enfuir +1732 +peu de temps après il reprenait son allure de fuite une partie de la nuit se passa sans incident nous guettions l'occasion d'agir nous parlions peu étant trop émus +1733 +la lune passait alors au méridien jupiter se levait dans l'est au milieu de cette paisible nature le ciel et l'océan rivalisaient de tranquillité et la mer offrait à l'astre des nuits le plus beau miroir qui eût jamais reflété son image +1734 +comment ils tirent sur nous m'écriai-je braves gens murmura le canadien ils ne nous prennent donc pas pour des naufragés accrochés à une épave +1735 +sur le panneau du fond au-dessous des portraits de ses héros je vis le portrait d'une femme jeune encore et de deux petits enfants le capitaine nemo les regarda pendant quelques instants leur tendit les bras et s'agenouillant il fondit en sanglots +1736 +monsieur me dit ned land que ce bâtiment nous passe à un mille je me jette à la mer et je vous engage faire comme moi je ne répondis pas à la proposition du canadien et je continuai de regarder le navire qui grandissait à vue d'oeil +1737 +le capitaine nemo s'arrêta soudain un geste de lui nous fit faire halte et si désireux que je fusse de franchir cette muraille je dus m'arrêter ici finissaient les domaines du capitaine nemo il ne voulait pas les dépasser au-delà c'était cette portion du globe qu'il ne devait plus fouler du pied +1738 +ce précieux carnassier chassé et traqué par les pêcheurs devient extrêmement rare et il s'est principalement réfugié dans les portions boréales du pacifique où vraisemblablement son espèce ne tardera pas à s'éteindre le compagnon du capitaine nemo vint prendre la bête la chargea sur son épaule et l'on se remit en route +1739 +d'où vient cette détonation demandai-je un coup de canon répondit ned land je regardai dans la direction du navire que j'avais aperçu il s'était rapproché du nautilus et l'on voyait qu'il forçait de vapeur six milles le séparaient de nous +1740 +ne vous avisez pas de me juger monsieur la fatalité vous montre ce que vous ne deviez pas voir l'attaque est venue la riposte sera terrible rentrez ce navire quel est-il vous ne le savez pas eh bien tant mieux sa nationalité du moins restera un secret pour vous descendez +1741 +naïf m'écriai-je les morues ne sont plates que chez l'épicier où on les montre ouvertes et étalées mais dans l'eau ce sont des poissons fusiformes comme les mulets et parfaitement conformés pour la marche +1742 +l'énorme vaisseau s'enfonçait lentement le nautilus le suivant épiait tous ses mouvements tout à coup une explosion se produisit l'air comprimé fit voler les ponts du bâtiment comme si le feu eût pris aux soutes la poussée des eaux fut telle que le nautilus dévia +1743 +monstrueuses mouches à feu qui broient un homme tout entier dans leurs mâchoires de fer je ne sais si conseil s'occupait à les classer mais pour mon compte j'observais leur ventre argenté leur gueule formidable hérissée de dents à un point de vue peu scientifique et plutôt en victime qu'en naturaliste +1744 +je voulus intervenir une dernière fois mais j'avais à peine interpellé le capitaine nemo que celui-ci m'imposait silence je suis le droit je suis la justice me dit-il je suis l'opprimé et voilà l'oppresseur +1745 +il se tenait à la surface des eaux et un léger roulis le portait tantôt sur un bord tantôt sur un autre mes compagnons et moi nous avions résolu de fuir au moment où le vaisseau serait assez approché soit pour nous faire entendre soit pour nous faire voir car la lune qui devait être pleine trois jours plus tard resplendissait +1746 +il tournait autour de lui comme une bête fauve et l'attirant vers l'est il se laissait poursuivre cependant il n'attaquait pas peut-être hésitait il encore +1747 +il le surveillait donc avec un dévouement de tous les instants on comprend que dans ces conditions la situation n'était plus tenable un matin à quelle heure je ne saurais le dire je m'étais assoupi vers les premières heures du jour assoupissement pénible et maladif +1748 +je me retournai vers le capitaine nemo ce terrible justicier véritable archange de la haine regardait toujours quand tout fut fini le capitaine nemo se dirigeant vers la porte de sa chambre l'ouvrit et entra je le suivis des yeux +1749 +oui je le répète il en devait être ainsi une partie de la mystérieuse existence du capitaine nemo se dévoilait et si son identité n'était pas reconnue du moins les nations coalisées contre lui chassaient maintenant non plus un être chimérique mais un homme qui leur avait voué une haine implacable +1750 +je revis là mais non plus desséchées comme les échantillons du nautilus des padines paons déployées en éventails qui semblaient solliciter la brise des céramies écarlates des laminaires allongeant leurs jeunes pousses comestibles des néréocystées +1751 +immobiles d'ailleurs lorsque je les écartais de la main ces plantes reprenaient aussitôt leur position première c'était ici le règne de la verticalité bientôt je m'habituai à cette disposition bizarre ainsi qu'à l'obscurité relative qui nous enveloppait le sol de la forêt était semé de blocs aigus difficiles à éviter +1752 +le retour commença le capitaine nemo avait pris la tête de sa petite troupe se dirigeant toujours sans hésiter je crus voir que nous ne suivions pas le même chemin pour revenir au nautilus cette nouvelle route très raide et par conséquent très pénible nous rapprocha rapidement de la surface de la mer +1753 +partons partons m'écriai-je à l'instant répondit le canadien l'orifice évidé dans la tôle du nautilus fut préalablement fermé et boulonné au moyen d'une clef anglaise dont ned land s'était muni +1754 +cependant ce retour dans les couches supérieures ne fut pas tellement subit que la décompression se fit trop rapidement ce qui aurait pu amener dans notre organisme des désordres graves et déterminer ces lésions internes si fatales aux plongeurs +1755 +cependant la vitesse du nautilus s'accrut sensiblement c'était son élan qu'il prenait ainsi toute sa coque frémissait soudain je poussai un cri un choc eut lieu +1756 +très promptement la lumière reparut et grandit et le soleil déjà bas sur l'horizon la réfraction borda de nouveau les divers objets d'un anneau spectral à dix mètres de profondeur nous marchions au milieu d'un essaim de petits poissons de toute espèce +1757 +ned land était résolu conseil calme moi nerveux me contenant à peine nous passâmes dans la bibliothèque au moment où je poussais la porte qui s'ouvrait sur la cage de l'escalier central j'entendis le panneau supérieur se fermer brusquement +1758 +le capitaine nemo quelques minutes avant que le soleil passât au méridien prit son sextant et observa avec une précision extrême le calme absolu des flots facilitait son opération +1759 +il n'était pas jusqu'à l'ombre des grands oiseaux qui passaient sur nos têtes dont je ne surprisse le rapide effleurement à la surface de la mer en cette occasion je fus témoin de l'un des plus beaux coups de fusil qui ait jamais fait tressaillir les fibres d'un chasseur +1760 +des rascasses et j'arrive aux gades principalement à l'espèce morue que je surpris dans ses eaux de prédilection sur cet inépuisable banc de terre-neuve on peut dire que ces morues sont des poissons de montagnes car terre-neuve n'est qu'une montagne sous-marine +1761 +plus nombreux que les oiseaux dans l'air plus agiles aussi mais aucun gibier aquatique digne d'un coup de fusil ne s'était encore offert à nos regards en ce moment je vis l'arme du capitaine vivement épaulée suivre entre les buissons un objet mobile le coup partit j'entendis un faible sifflement et un animal retomba foudroyé à quelques pas +1762 +le canadien fronçant ses sourcils abaissant ses paupières plissant ses yeux aux angles fixa pendant quelques instants le navire de toute la puissance de son regard +1763 +combien de temps restai-je ainsi plongé dans cet assoupissement je ne pus l'évaluer mais lorsque je me réveillai il me sembla que le soleil s'abaissait vers l'horizon le capitaine nemo s'était déjà relevé et je commençais à me détirer les membres quand une apparition inattendue me remit brusquement sur les pieds +1764 +c'était une inspiration de fou je me retins heureusement et je m'étendis sur mon lit pour apaiser en moi les agitations du corps mes nerfs se calmèrent un peu +1765 +et quand je pensais à ce calme profond des éléments comparé à toutes ces colères qui couvaient dans les flancs de l'imperceptible nautilus je sentais frissonner tout mon être +1766 +je me sentais entraîné dans ce domaine de l'étrange où se mouvait à l'aise l'imagination surmenée d'edgard poe à chaque instant je m'attendais à voir comme le fabuleux gordon pym +1767 +ce n'était pas une misanthropie commune qui avait enfermé dans les flancs du nautilus le capitaine nemo et ses compagnons mais une haine monstrueuse ou sublime que le temps ne pouvait affaiblir +1768 +en ce moment une sourde détonation se fit entendre je regardai le capitaine le capitaine ne bougea pas capitaine dis-je il ne répondit pas je le quittai et montai sur la plate-forme conseil et le canadien m'y avaient précédé +1769 +à quoi tenait sa disposition de l'estomac je ne saurais le dire mais en revanche j'éprouvais une insurmontable envie de dormir ainsi qu'il arrive à tous les plongeurs aussi +1770 +n'en déplaise à monsieur bon fit conseil en secouant l'eau qu'un nouveau boulet avait fait jaillir jusqu'à lui n'en déplaise à monsieur ils ont reconnu le narwal et ils canonnent le narwal +1771 +je voulus fixer dans mon esprit une impression suprême je restai une heure ainsi baigné dans les effluves du plafond lumineux et passant en revue ces trésors resplendissant sous leurs vitrines puis je revins à ma chambre +1772 +la nuit arriva un profond silence régnait à bord la boussole indiquait que le nautilus n'avait pas modifié sa direction j'entendais le battement de son hélice qui frappait les flots avec une rapide régularité +1773 +prit son mouchoir pour l'agiter dans l'air mais il l'avait à peine déployé que terrassé par une main de fer malgré sa force prodigieuse il tombait sur le pont +1774 +il ne quittait pas le vaisseau des yeux son regard d'une extraordinaire intensité semblait l'attirer le fasciner l'entraîner plus sûrement que s'il lui eût donné la remorque +1775 +pas de filaments pas de rubans si minces qu'ils fussent qui ne se tinssent droit comme des tiges de fer les fucus et les lianes se développaient suivant une ligne rigide et perpendiculaire commandée par la densité de l'élément qui les avait produits +1776 +j'étais donc étendu sur le sol et précisément à l'abri d'un buisson de varechs quand relevant la tête j'aperçus d'énormes masses passer bruyamment en jetant des lueurs phosphorescentes +1777 +je l'ignore mais quel qu'il soit il sera coulé avant la nuit en tout cas mieux vaut périr avec lui que de se faire les complices de représailles dont on ne peut pas mesurer l'équité c'est mon avis répondit froidement ned land attendons la nuit +1778 +à quelques pas une monstrueuse araignée de mer haute d'un mètre me regardait de ses yeux louches prête à s'élancer sur moi quoique mon habit de scaphandre fût assez épais pour me défendre contre les morsures de cet animal je ne pus retenir un mouvement d'horreur +1779 +oui cela devait être ainsi et sur toutes les mers sans doute on poursuivait maintenant ce terrible engin de destruction terrible en effet si comme on pouvait le supposer le capitaine nemo employait le nautilus à une oeuvre de vengeance +1780 +toujours avec une vitesse inappréciable toujours au milieu des brumes hyperboréennes toucha-t-il aux pointes du spitzberg aux accores de la nouvelle-zemble parcourut-il ces mers ignorées la mer blanche la mer de kara le golfe de l'obi l'archipel de +1781 +mais je me trompais et au lieu de retourner au nautilus le capitaine nemo continua son audacieuse excursion le sol se déprimait toujours et sa pente s'accusant davantage nous conduisit à de plus grandes profondeurs +1782 +je cite maintenant pour mémoire des bosquiens petits poissons qui accompagnent longtemps les navires dans les mers boréales des ables oxyrhinques spéciaux à l'atlantique septentrional +1783 +quel est ce bâtiment ned à son gréement à la hauteur de ses bas mâts répondit le canadien je parierais pour un navire de guerre puisse-t-il venir sur nous et couler s'il le faut ce damné nautilus +1784 +le vingt-trois juillet le great-eastern n'était plus qu'à huit cents kilomètres de terre-neuve lorsqu'on lui télégraphia d'irlande la nouvelle de l'armistice conclu entre la prusse et l'autriche après sadowa +1785 +les uns vieux et empâtés déjà les autres jeunes et réfléchissant l'éclat de notre fanal sur leurs ferrures et leurs carènes de cuivre parmi eux que de bâtiments perdus corps et biens avec leurs équipages leur monde d'émigrants sur ces points dangereux signalés dans les statistiques le cap race l'île saint paul +1786 +et dès que nous eûmes pénétré sous ses vastes arceaux mes regards furent tout d'abord frappés d'une singulière disposition de leurs ramures disposition que je n'avais encore jamais observée jusqu'alors +1787 +misérable s'écria le capitaine veux-tu donc que je te cloue sur l'éperon du nautilus avant qu'il ne se précipite contre ce navire le capitaine nemo terrible à entendre était plus terrible encore à voir sa face avait pâli sous les spasmes de son coeur qui avait dû cesser de battre un instant ses pupilles s'étaient contractées effroyablement +1788 +et quel bruit autour de notre frêle canot quels mugissements que l'écho répétait à une distance de plusieurs milles quel fracas que celui de ces eaux brisées sur les roches aiguës du fond +1789 +le moment ne pouvait être éloigné où le nautilus attaquant son adversaire mes compagnons et moi nous quitterions pour jamais cet homme que je n'osais juger +1790 +paralysé raidi par l'angoisse les cheveux hérissés l'oeil démesurément ouvert la respiration incomplète sans souffle sans voix je regardais moi aussi une irrésistible attraction me collait à la vitre +1791 +de grands aigles de mer des nuées d'hippocampes semblables aux cavaliers du jeu d'échecs des anguilles s'agitant comme les serpenteaux d'un feu d'artifice des armées de crabes qui fuyaient obliquement en croisant leurs pinces sur leur carapace enfin des troupes de marsouins qui luttaient de rapidité avec le nautilus +1792 +sans doute dans son abordage avec l'abraham lincoln lorsque le canadien le frappa de son harpon le commandant farragut avait reconnu que le narwal était un bateau sous-marin plus dangereux qu'un cétacé surnaturel +1793 +cet instant de repos me parut délicieux il ne nous manquait que le charme de la conversation mais impossible de parler impossible de répondre j'approchai seulement ma grosse tête de cuivre de la tête de conseil +1794 +bientôt le canadien m'annonça que ce bâtiment était un grand vaisseau de guerre à éperon un deux-ponts cuirassé une épaisse fumée noire s'échappait de ses deux cheminées ses voiles serrées se confondaient avec la ligne des vergues +1795 +très heureusement ces voraces animaux y voient mal ils passèrent sans nous apercevoir nous effleurant de leurs nageoires brunâtres et nous échappâmes comme par miracle à ce danger plus grand à coup sûr que la rencontre d'un tigre en pleine forêt +1796 +sa peau d'un brun marron en dessus et argentée en dessous faisait une de ces admirables fourrures si recherchées sur les marchés russes et chinois la finesse et le lustre de son poil lui assuraient une valeur minimum de deux mille francs +1797 +mais je comptais sans une rencontre qui retarda quelque peu notre arrivée j'étais resté d'une vingtaine de pas en arrière lorsque je vis le capitaine nemo revenir brusquement vers moi +1798 +cette rencontre me fit penser que d'autres animaux plus redoutables devaient hanter ces fonds obscurs et que mon scaphandre ne me protégerait pas contre leurs attaques je n'y avais pas songé jusqu'alors et je résolus de me tenir sur mes gardes je supposais d'ailleurs que cette halte marquait le terme de notre promenade +1799 +je dis cent cinquante mètres bien qu'aucun instrument ne me permît d'évaluer cette distance mais je savais que même dans les mers les plus limpides les rayons solaires ne pouvaient pénétrer plus avant or précisément l'obscurité devint profonde aucun objet n'était visible à dix pas je marchais donc en tâtonnant quand je vis briller subitement une lumière blanche assez vive +1800 +je portai un dernier regard vers le vaisseau de guerre qui forçait de vapeur puis je rejoignis ned et conseil nous fuirons m'écriai-je bien fit ned quel est ce navire +1801 +la flore sous-marine m'y parut être assez complète plus riche même qu'elle ne l'eût été sous les zones arctiques ou tropicales où ses produits sont moins nombreux mais pendant quelques minutes je confondis involontairement les règnes entre eux prenant des zoophytes pour des hydrophytes des animaux pour des plantes +1802 +le nautilus dut manoeuvrer adroitement au milieu de ce réseau sous-marin d'ailleurs il ne demeura pas longtemps dans ces parages fréquentés il s'éleva jusque vers le quarante deuxième degré de latitude c'était à la hauteur de saint-jean de terre-neuve et de heart's content où aboutit l'extrémité du câble transatlantique +1803 +une masse énorme sombrait sous les eaux et pour ne rien perdre de son agonie le nautilus descendait dans l'abîme avec elle à dix mètres de moi je vis cette coque entrouverte où l'eau s'enfonçait avec un bruit de tonnerre puis la double ligne des canons et les bastingages +1804 +je ne savais que penser quand près de moi j'entendis le capitaine nemo dire d'une voix lente autrefois ce navire se nommait le marseillais +1805 +sa voix ne parlait plus elle rugissait le corps penché en avant il tordait sous sa main les épaules du canadien puis l'abandonnant et se retournant vers le vaisseau de guerre dont les boulets pleuvaient autour de lui +1806 +mon sang se glaça dans mes veines j'avais reconnu les formidables squales qui nous menaçaient c'était un couple de tintoréas requins terribles à la queue énorme au regard terne et vitreux qui distillent une matière phosphorescente par des trous percés autour de leur museau +1807 +nous nous regardions sans prononcer une parole une stupeur profonde s'était emparée de mon esprit le mouvement de la pensée s'arrêtait en moi je me trouvais dans cet état pénible qui précède l'attente d'une détonation épouvantable j'attendais j'écoutais je ne vivais que par le sens de l'ouïe +1808 +elles étaient très simples la filière qui formait balustrade autour de la plateforme fut abaissée de même les cages du fanal et du timonier rentrèrent dans la coque de manière à l'affleurer seulement +1809 +à trois heures du matin inquiet je montai sur la plateforme le capitaine nemo ne l'avait pas quittée il était debout à l'avant près de son pavillon qu'une légère brise déployait au-dessus de sa tête +1810 +puis l'émotion avec laquelle l'étrange personnage avait prononcé ses dernières paroles ce nom de vengeur dont la signification ne pouvait m'échapper tout se réunissait pour frapper profondément mon esprit +1811 +et cependant l'un de ces boulets coniques frappant normalement la coque du nautilus lui eût été fatal le canadien me dit alors monsieur nous devons tout tenter pour nous tirer de ce mauvais pas faisons des signaux mille diables on comprendra peut-être que nous sommes d'honnêtes gens +1812 +que faisait-il en ce moment j'écoutai à la porte de sa chambre j'entendis un bruit de pas le capitaine nemo était là il ne s'était pas couché à chaque mouvement il me semblait qu'il allait m'apparaître et me demander pourquoi je voulais fuir +1813 +alors le malheureux navire s'enfonça plus rapidement ses hunes chargées de victimes apparurent ensuite des barres pliant sous des grappes d'hommes enfin le sommet de son grand mât puis la masse sombre disparut et avec elle cet équipage de cadavres entraînés par un formidable remous +1814 +on sentait que le même souffle de vengeance animait toutes ces âmes je descendis au moment où un nouveau projectile éraillait encore la coque du nautilus et j'entendis le capitaine s'écrier +1815 +où allait-il au nord ou au sud où fuyait cet homme après cette horrible représaille j'étais rentré dans ma chambre où ned et conseil se tenaient silencieusement j'éprouvais une insurmontable horreur pour le capitaine nemo quoi qu'il eût souffert de la part des hommes il n'avait pas le droit de punir ainsi +1816 +le faisceau de fils conducteurs isolés dans une enveloppe de gutta-percha était protégé par un matelas de matières textiles contenu dans une armature métallique le great eastern reprit la mer le treize juillet dix huit cent soixante six +1817 +quelques-uns rencontraient la surface liquide s'en allaient par ricochet se perdre à des distances considérables mais aucun n'atteignit le nautilus le navire cuirassé n'était plus alors qu'à trois milles malgré sa violente canonnade le capitaine nemo ne paraissait pas sur la plateforme +1818 +le canadien s'élança sur les marches mais je l'arrêtai un sifflement bien connu m'apprenait que l'eau pénétrait dans les réservoirs du bord en effet en peu d'instants le nautilus s'immergea à quelques mètres au-dessous de la surface des flots je compris sa manoeuvre il était trop tard pour agir +1819 +mais ils doivent bien voir m'écriai-je qu'ils ont affaire à des hommes c'est peut-être pour cela répondit ned land en me regardant toute une révélation se fit dans mon esprit sans doute on savait à quoi s'en tenir maintenant sur l'existence du prétendu monstre +1820 +tout ce passé formidable apparut à mes yeux au lieu de rencontrer des amis sur ce navire qui s'approchait nous n'y pouvions trouver que des ennemis sans pitié cependant les boulets se multipliaient autour de nous +1821 +mais relativement léger je sentis la force pénétrante de l'éperon d'acier j'entendis des éraillements des raclements mais le nautilus emporté par sa puissance de propulsion passait au travers de la masse du vaisseau comme l'aiguille du voilier à travers la toile +1822 +c'était une magnifique loutre de mer une enhydre le seul quadrupède qui soit exclusivement marin cette loutre longue d'un mètre cinquante centimètres devait avoir un très grand prix +1823 +la plupart au lieu de feuilles poussaient des lamelles de formes capricieuses circonscrites dans une gamme restreinte de couleurs qui ne comprenait que le rose le carmin le vert l'olivâtre le fauve et le brun +1824 +sous certaines ondulations des lames les vitres s'animaient des rougeurs du soleil levant ce terrible jour du deux juin se levait à cinq heures le loch m'apprit que la vitesse du nautilus se modérait je compris qu'il se laissait approcher +1825 +franchement je n'en pouvais plus quand j'aperçus une vague lueur qui rompait à un demi mille l'obscurité des eaux c'était le fanal du nautilus avant vingt minutes nous devions être à bord et là je respirerais à l'aise car il me semblait que mon réservoir ne fournissait plus qu'un air très pauvre en oxygène +1826 +c'était un albatros de la plus belle espèce admirable spécimen des oiseaux pélagiens notre marche n'avait pas été interrompue par cet incident pendant deux heures nous suivîmes tantôt des plaines sableuses tantôt des prairies de varechs fort pénibles à traverser +1827 +filiformes et fluxueuses qui s'épanouissaient à une hauteur de quinze mètres des bouquets s'acétabules dont les tiges grandissent par le sommet et nombre d'autres plantes pélagiennes toutes dépourvues de fleurs +1828 +à ce moment un boulet frappant obliquement la coque du nautilus sans l'entamer et passant par ricochet près du capitaine alla se perdre en mer le capitaine nemo haussa les épaules puis s'adressant à moi descendez me dit-il d'un ton bref descendez vous et vos compagnons +1829 +une demi-heure après guidés par la traînée électrique nous atteignions le nautilus la porte extérieure était restée ouverte et le capitaine nemo la referma dès que nous fûmes rentrés dans la première cellule +1830 +le vaisseau se tenait à deux mille de nous il s'était rapproché marchant toujours vers cet éclat phosphorescent qui signalait la présence du nautilus je vis ses feux de position vert et rouge et son fanal blanc suspendu au grand étai de la misaine +1831 +ned land et conseil évitaient de me parler par crainte de se trahir à six heures je dînai mais je n'avais pas faim je me forçai à manger malgré mes répugnances ne voulant pas m'affaiblir +1832 +vingt mille lieues sous les mers par jules verne première partie chapitre dix sept une forêt sous-marine nous étions enfin arrivés à la lisière de cette forêt sans doute l'une des plus belles de l'immense domaine du capitaine nemo il la considérait comme étant sienne et s'attribuait sur elle les mêmes droits qu'avaient les premiers hommes aux premiers jours du monde +1833 +mes yeux se fermèrent-ils bientôt derrière leur épaisse vitre et je tombai dans une invincible somnolence que le mouvement de la marche avait seul pu combattre jusqu'alors le capitaine nemo et son robuste compagnon étendus dans ce limpide cristal nous donnaient l'exemple du sommeil +1834 +à cela près qu'elle marchait la tête en bas et les pieds en l'air autre effet à noter c'était le passage des nuages épais qui se formaient et s'évanouissaient rapidement mais en réfléchissant je compris que ces prétendus nuages n'étaient dus qu'à l'épaisseur variable des longues lames de fond et j'apercevais même les moutons écumeux que leur crête brisée multipliait sur les eaux +1835 +ah tu sais qui je suis navire d'une nation maudite s'écria-t-il de sa voix puissante moi je n'ai pas eu besoin de tes couleurs pour te reconnaître regarde je vais te montrer les miennes et le capitaine nemo déploya à l'avant de la plate-forme un pavillon noir semblable à celui qu'il avait déjà planté au pôle sud +1836 +qu'il fût anglais français américain ou russe il était certain qu'il nous accueillerait si nous pouvions gagner son bord monsieur voudra bien se rappeler dit alors conseil que nous avons quelque expérience de la natation il peut se reposer sur moi du soin de le remorquer vers ce navire s'il lui convient de suivre l'ami ned +1837 +de sa main vigoureuse il me courba à terre tandis que son compagnon en faisait autant de conseil tout d'abord je ne sus trop que penser de cette brusque attaque mais je me rassurai en observant que le capitaine se couchait près de moi et demeurait immobile +1838 +mes regards ne quittaient plus le capitaine lui les mains tendues vers la mer considérait d'un oeil ardent la glorieuse épave peut-être ne devais-je jamais savoir qui il était d'où il venait où il allait mais je voyais de plus en plus l'homme se dégager du savant +1839 +le nautilus ne songeait pas à frapper le deux-ponts dans son impénétrable cuirasse mais au-dessous de sa ligne de flottaison là où la carapace métallique ne protège plus le bordé +1840 +devait nécessairement attirer quelques habitants de ces sombres couches mais s'ils nous approchèrent ils se tinrent du moins à une distance regrettable pour des chasseurs plusieurs fois je vis le capitaine nemo s'arrêter et mettre son fusil en joue puis après quelques instants d'observation il se relevait et reprenait sa marche +1841 +curieuse anomalie bizarre élément a dit un spirituel naturaliste où le règne animal fleurit et où le règne végétal ne fleurit pas entre ces divers arbrisseaux grands comme les arbres des zones tempérées +1842 +quand je m'éveillai je vis ned land se pencher sur moi et je l'entendis me dire à voix basse nous allons fuir je me redressai quand fuyons-nous demandai-je +1843 +de zoanthaires et pour compléter l'illusion les poissons mouches volaient de branches en branches comme un essaim de colibris tandis que de jaunes lépisacanthes à la mâchoire hérissée aux écailles aiguës des dactyloptères et des monocentres se levaient sous nos pas semblables à une troupe de bécassines +1844 +j'ai dit que le nautilus s'était écarté dans l'est j'aurais dû dire plus exactement dans le nord-est pendant quelques jours il erra tantôt à la surface des flots tantôt au-dessous au milieu de ces brumes si redoutables aux navigateurs +1845 +je demeurai ainsi jusqu'à six heures du matin sans que le capitaine nemo eût paru m'apercevoir le vaisseau nous restait à un mille et demi et avec les premières lueurs du jour sa canonnade recommença +1846 +les plantes pélagiennes abandonnaient déjà le sol devenu aride qu'un nombre prodigieux d'animaux zoophytes articulés mollusques et poissons y pullulaient encore tout en marchant je pensais que la lumière de nos appareils +1847 +j'allais l'ouvrir quand un soupir du capitaine nemo me cloua sur place je compris qu'il se levait je l'entrevis même car quelques rayons de la bibliothèque éclairée filtraient jusqu'au salon il revint vers moi les bras croisés silencieux glissant plutôt que marchant comme un spectre +1848 +il devait être à peu près trois heures quand nous atteignîmes une étroite vallée creusée entre de hautes parois à pic et située par cent-cinquante mètres de fond grâce à la perfection de nos appareils nous dépassions ainsi de quatre-vingt-dix mètres la limite que la nature semblait avoir imposée jusqu'ici aux excursions sous-marines de l'homme +1849 +le comte avec une sincérité aussi exacte que s'il n'eut point été amoureux dit au prince tout ce qu'il connaissait en cette princesse capable de la lui faire aimer et il avertit aussi madame de monpensier de toutes les choses qu'elle devait faire pour achever de gagner le coeur et l'estime de son mari +1850 +il témoigna à la princesse qu'il appréhendait extrêmement que les premières impressions ne revinssent bientôt et il lui fît comprendre la mortelle douleur qu'il aurait pour leur intérêt commun s'il la voyait un jour changer de sentiments +1851 +voyant d'ailleurs qu'elle ne pouvait épouser le duc de guise et connaissant par sa vertu qu'il était dangereux d'avoir pour beau-frère un homme qu'elle eut souhaité pour mari se résolut enfin de suivre le sentiment de ses proches et conjura monsieur de guise de ne plus apporter d'obstacle à son mariage +1852 +l'amour fit en lui ce qu'il fait en tous les autres il lui donna l'envie de parler et après tous les combats qui ont accoutumé de se faire en pareilles occasions il osa lui dire qu'il l'aimait s'étant bien préparé à essuyer les orages dont la fierté de cette princesse le menaçait +1853 +et il fut bien aise de se voir vengé par les mains de la fortune le duc de guise occupé du désir de venger la mort de son père et peu après rempli de la joie de l'avoir vengée laissa peu à peu éloigner de son âme le soin d'apprendre des nouvelles de la princesse de montpensier +1854 +je ne veux point priver d'une si grande satisfaction une personne que j'adore ni être cause qu'elle cherche des personnes moins fidèles que moi pour se la procurer oui madame si vous le voulez j'irai quérir le duc de guise dès ce soir car il est trop périlleux de le laisser plus long temps où il est et je l'amènerai dans votre appartement +1855 +le duc d'anjou qui était fort galant et fort bien fait ne put voir une fortune si digne de lui sans la souhaiter ardemment il fut touché du même mal que monsieur de guise et feignant toujours des affaires extraordinaires il demeura deux jours à champigni sans être obligé d'y demeurer que par les charmes de madame de montpensier +1856 +pendant tout le chemin elle les entretint agréablement de diverses choses ils ne furent pas moins surpris des charmes de son esprit qu'ils l'avaient été de sa beauté et ils ne purent s'empêcher de lui faire connaitre qu'ils en étaient extraordinairement surpris +1857 +comme sa passion était la plus extraordinaire du monde elle produisit l'effet du monde le plus extraordinaire car elle le fit résoudre de porter à sa maîtresse les lettres de son rival +1858 +enfin le prince de monpensier qui ne croyait pas ce qu'il voyait et qui voulait démêler ce chaos où il venait de tomber adressant la parole au comte d'un ton qui faisait voir qu'il avait encore de l'amitié pour lui +1859 +il lui dit en se modérant le plus qu'il lui fut possible que le duc de guise était à une lieue de champigny et qu'il souhaitait passionnément de la voir la princesse fit un grand cri à cette nouvelle et son embarras ne fut guère moindre que celui du comte son amour lui présenta d'abord la joie qu'elle aurait de voir un homme qu'elle aimait si tendrement +1860 +le comte ayant l'esprit fort doux et fort agréable gagna bientôt l'estime de la princesse de monpensier et en peu de temps elle n'eut pas moins de confiance et d'amitié pour lui qu'en avait le prince son mari +1861 +à peine le duc était hors l'antichambre que le prince ayant enfoncé la porte du passage entra dans la chambre comme un homme possédé de fureur et qui cherchait sur qui la faire éclater mais quand il ne vit que le comte de chabanes et qu'il le vit immobile appuyé sur la table avec un visage où la tristesse était peinte il demeura immobile lui-même +1862 +enfin ils arrivèrent au parc de champigny où ils laissèrent leurs chevaux à l'écuyer du duc de guise et passant par des brèches qui étaient aux murailles ils vinrent dans le parterre le comte de chabanes au milieu de son désespoir avait toujours quelque espérance que la raison reviendrait à la princesse de montpensier +1863 +il s'emporta avec tant de violence en présence même du jeune prince de monpensier qu'il en naquit entre eux une haine qui ne finit qu'avec leur vie mademoiselle de mezieres tourmentée par ses parents d'épouser ce prince +1864 +mais venant à penser que s'il faisait du bruit il serait ouï apparemment du prince de monpensier dont l'appartement donnait sur le même parterre et que tout ce désordre tomberait ensuite sur la personne qu'il aimait le plus sa rage se calma à l'heure même et il acheva de conduire le duc de guise aux pieds de sa princesse +1865 +le duc de guise qui avait beaucoup d'esprit et qui était fort amoureux n'eut besoin de consulter personne pour entendre tout ce que signifiaient les paroles de la princesse il lui répondit avec beaucoup de respect +1866 +il voulut faire convenir le duc de guise qu'il sentait la même chose mais ce duc qui commençait à se faire une affaire sérieuse de son amour n'en voulut rien avouer ces princes s'en retournèrent à loches faisant souvent leur agréable conversation de l'aventure qui leur avait découvert la princesse de montpensier +1867 +la princesse qui n'avait dans la tête que le duc de guise et qui ne trouvait que lui seul digne de l'adorer trouva si mauvais qu'un autre que lui osât penser à elle qu'elle maltraita bien plus le comte de chabanes en cette occasion qu'elle n'avait fait la premiere fois qu'il lui avait parlé de son amour +1868 +si après tout ce que je viens de vous représenter madame votre passion est la plus forte et que vous désiriez voir le duc de guise que ma considération ne vous en empêche point si celle de votre intérêt ne le fait pas +1869 +pour lui en ôter tout soupçon il lui répondit en riant qu'il paraissait lui-même si occupé de la rêverie dont il l'accusait qu'il n'avait pas jugé à-propos de l'interrompre que les beautés de la princesse de monpensier n'étaient pas nouvelles pour lui +1870 +un moment après il se leva lui-même étant inquiet de ce qu'il lui semblait avoir ouï marcher quelqu'un et s'en vint droit à l'appartement de la princesse sa femme qui répondait sur le pont +1871 +son étonnement et sa douleur ne lui permirent pas de répondre la princesse qui était pleine de sa passion et qui trouvait un soulagement extrême à lui en parler ne prît pas garde à son silence et se mit à lui conter jusqu'aux plus petites circonstances de son aventure +1872 +le matin le prince de montpensier allant donner quelques ordres hors de la ville passa dans la rue où était le corps de chabanes il fut d'abord saisi d'étonnement à ce pitoyable spectacle ensuite son amitié se réveillant elle lui donna de la douleur mais le souvenir de l'offense qu'il croyait avoir reçue du comte lui donna enfin de la joie +1873 +elle pensa que sans le rappeler elle n'avait qu'à ne point faire abaisser le pont elle crut qu'elle continuerait dans cette résolution quand l'heure de l'assignation approcha elle ne put résister davantage à l'envie de voir un amant qu'elle croyait si digne d'elle +1874 +la première fois que le ballet se dansa le duc de guise devant que de danser n'ayant pas encore son masque dit quelques mots en passant à la princesse de monpensier elle s'aperçut bien que le prince son mari y avait pris garde ce qui la mit en inquietude +1875 +le duc de guise y demeura avec lui et le prince de monpensier accompagné du comte de chabanes s'en retourna à champigny qui n'était pas fort éloigné de là le duc d'anjou allait souvent visiter les places qu'il faisait fortifier +1876 +une pareille aventure eut donné de l'emportement à un esprit et plus tranquille et moins jaloux aussi mit-elle d'abord l'excès de la rage et de la fureur dans celui du prince il heurta aussitôt à la porte avec impétuosité et criant pour se faire ouvrir il donna la plus cruelle surprise du monde à la princesse au duc de guise et au comte de chabanes +1877 +le duc de guise qui était presque justifié dans son esprit par son mariage le fut entièrement par cette conversation cette belle princesse ne put refuser son coeur à un homme qui l'avait possédé autrefois et qui venait de tout abandonner pour elle +1878 +on travailla à l'exécution de ce dessein avec tant de succès que les parents de mademoiselle de mézières contre les promesses qu'ils avaient faites au cardinal de lorraine se résolurent de la donner en mariage à ce jeune prince toute la maison de guise fut extrêmement surprise de ce procédé mais le duc en fut accablé de douleur +1879 +après que les deux armées se furent fatiguées par beaucoup de petits combats d'un commun consentement on licencia les troupes pour quelque temps le duc d'anjou demeura à loches pour donner ordre à toutes les places qui eussent pu être attaquées +1880 +ce commandement lui fut bien rude il fallut pourtant obéir elle trouva moyen de dire adieu en particulier au duc de guise mais elle se trouva bien embarrassée à lui donner des moyens sûrs pour lui écrire enfin +1881 +à force de disputer et d'approfondir ils trouvèrent qu'il fallait qu'elle se fût trompée dans la ressemblance des habits et qu'elle-même eût appris au duc d'anjou ce qu'elle accusait le duc de guise de lui avoir appris +1882 +la princesse fut d'abord si surprise et si troublée de ce discours qu'elle ne songea pas à l'interrompre mais ensuite étant revenue à elle et commençant à lui répondre le prince de monpensier entra +1883 +mais elles gravèrent dans son coeur un désir de vengeance qu'il travailla toute sa vie à satisfaire dès le soir même le duc d'anjou lui rendit toutes sortes de mauvais offices auprès du roi il lui persuada que jamais madame ne consentirait d'être mariée avec le roi de navarre avec qui on proposait de la marier tant que l'on souffrirait que le duc de guise l'approchât +1884 +pressa la princesse de lui donner une audience particulière pour s'éclaircir des reproches injustes qu'elle lui avait faits il obtint qu'elle se trouverait chez la duchesse de monpensier sa soeur à une heure que cette duchesse n'y serait pas et qu'il pourrait l'entretenir en particulier +1885 +je vais vous surprendre madame lui dit-il et vous déplaire en vous apprenant que j'ai toujours conservé cette passion qui vous a été connue autrefois mais qui s'est si fort augmentée en vous revoyant que ni votre sévérité ni la haine de monsieur le prince de monpensier ni la concurrence du premier prince du royaume ne sauraient lui ôter un moment de sa violence +1886 +de sorte que sans attendre sa réponse il sortit du bal feignant de se trouver mal et s'en alla chez lui rêver à son malheur la princesse de monpensier demeura affligée et troublée comme on se le peut imaginer +1887 +et lui et le duc d'anjou partirent de champigny avec beaucoup de regret ils marchèrent longtemps tous deux dans un profond silence mais enfin le duc d'anjou s'imaginant tout d'un coup que ce qui faisait sa rêverie pouvait bien causer celle du duc de guise lui demanda brusquement s'il pensait aux beautés de la princesse de montpensier +1888 +ce ne fut pas un sujet de si grand divertissement dans champigny le prince de monpensier était mal content de tout ce qui était arrivé sans qu'il en pût dire le sujet il trouvait mauvais que sa femme se fût trouvée dans ce bateau +1889 +chabanes de son côté regardait avec admiration tant de beauté d'esprit et de vertu qui paraissaient en cette jeune princesse et se servant de l'amitié qu'elle lui témoignait pour lui inspirer des sentiments d'une vertu extraordinaire et digne de la grandeur de sa naissance il la rendit en peu de temps une des personnes du monde les plus achevées +1890 +elle lui apprit le juste sujet qu'elle avait de croire qu'il l'avait trahie puisque le duc d'anjou savait ce qu'il ne pouvait avoir appris que de lui le duc de guise ne savait par où se défendre et était aussi embarrassé que la princesse de montpensier à deviner ce qui avait pu découvrir leur intelligence +1891 +prévoyant bien qu'il ne serait pas seul à la trouver belle il eut beaucoup de joie de revoir le comte de chabanes pour qui son amitié n'était point diminuée il lui demanda confidemment des nouvelles de l'esprit et de l'humeur de sa femme qui lui était quasi une personne inconnue par le peu de temps qu'il avait demeuré avec elle +1892 +la considération du roi m'empêche d'éclater mais souvenez-vous que la perte de votre vie sera peut-être la moindre chose dont je punirai quelque jour votre témérité la fierté du duc de guise n'était pas accoutumée à de telles menaces et il ne put néanmoins y répondre parce que le roi qui sortait dans ce moment les appela tous deux +1893 +la fille unique du marquis de mézieres héritière très considérable et par ses grands biens et par l'illustre maison d'anjou dont elle était descendue était promise au duc du maine cadet du duc de guise que l'on a depuis appelé le balafré +1894 +dans le moment qu'il approchait de ce petit passage où était le comte de chabanes la princesse de monpensier qui avait quelque honte de se trouver seule avec le duc de guise pria plusieurs fois le comte d'entrer dans sa chambre +1895 +enfin voulant pousser l'aventure à bout ils firent avancer dans la rivière de leurs gens à cheval le plus avant qu'il se pût pour crier à cette dame que c'était monsieur d'anjou qui eut bien voulu passer de l'autre côté de l'eau et qui priait qu'on le vint prendre cette dame qui était la princesse de montpensier +1896 +le prince son mari ne faisant point de violence pour l'y retenir le duc de guise ne partit pas sans faire entendre à madame de monpensier qu'il était pour elle ce qu'il avait été autrefois et comme sa passion n'avait été sue de personne il lui dit plusieurs fois devant tout le monde sans être entendu que d'elle que son coeur n'était point changé +1897 +il ne put s'empêcher de lui demander quel effet avait produit en elle la vue du duc de guise elle lui apprit qu'elle en avait été troublée par la honte du souvenir de l'inclination qu'elle lui avait autrefois témoignée qu'elle l'avait trouvé beaucoup mieux fait qu'il n'était en ce temps-là que même il lui avait paru qu'il voulait lui persuader qu'il l'aimait encore +1898 +et l'intérêt de son amour lui fit recevoir ce manquement de parole comme un affront insupportable son ressentiment éclata bientôt malgré les réprimandes du cardinal de lorraine et du duc d'aumale ses oncles qui ne voulaient pas s'opiniâtrer à une chose qu'ils voyaient ne pouvoir empêcher +1899 +le pauvre comte de chabanes qui s'était venu cacher dans l'extrémité de l'un des faubourgs de paris pour s'abandonner entièrement à sa douleur fut enveloppé dans la ruine des huguenots les personnes chez qui il s'était retiré l'ayant reconnu et s'étant souvenues qu'on l'avait soupçonné d'être de ce parti le massacrèrent cette même nuit qui fut si funeste à tant de gens +1900 +il ne se passait point de jour qu'elle ne reçût mille marques cachées de la passion de ce duc sans qu'il essayât de lui en parler que lorsqu'il ne pouvait être vu de personne comme elle était bien persuadée de cette passion elle commença nonobstant toutes les résolutions qu'elle avait faites à champigny à sentir dans le fond de son coeur quelque chose de ce qui y avait été autrefois +1901 +il se mit à lui exagérer sa passion et à lui faire comprendre qu'il mourrait infailliblement s'il ne lui faisait obtenir de la princesse la permission de la voir le comte de chabanes lui répondit froidement qu'il dirait à cette princesse tout ce qu'il souhaitait qu'il lui dit et qu'il viendrait lui en rendre réponse +1902 +pendant ce temps l'envie qu'on eut à la cour d'y faire venir les chefs du parti huguenot pour cet horrible dessein qu'on exécuta le jour de la saint-barthélemy fit que le roi pour les mieux tromper éloigna de lui tous les princes de la maison de bourbon et tous ceux de la maison de guise +1903 +ils cachèrent leur amour avec beaucoup de soin le duc de guise qui n'avait pas encore autant d'ambition qu'il en a eu depuis souhaitait ardemment de l'épouser mais la crainte du cardinal de lorraine qui lui tenait lieu de père l'empêchait de se déclarer +1904 +je l'amènerai par le parc donnez ordre seulement à celle de vos femmes à qui vous vous fiez le plus qu'elle baisse précisément à minuit le petit pont-levis qui donne de votre antichambre dans le parterre et ne vous inquiétez pas du reste +1905 +qui était effectivement touché d'amour et de douleur put à peine achever ces paroles et quoi qu'il eût commencé son discours dans un esprit de dépit et de vengeance il s'attendrit en considérant la beauté de la princesse et la perte qu'il faisait en perdant l'espérance d'en être aimé +1906 +il était si absolument maître de lui- même qu'il lui cacha tous ses sentiments il lui témoigna seulement la surprise où il était de voir en elle un si grand changement il espéra d'abord que ce changement qui lui ôtait toute espérance lui ôterait aussi toute sa passion +1907 +la princesse de montpensier de madame de lafayette pendant que la guerre civile déchirait la france sous le règne de charles neuf l'amour ne laissait pas de trouver sa place parmi tant de désordres et d'en causer beaucoup dans son empire +1908 +il s'en excusa toujours et comme elle l'en pressait davantage possedé de rage et de fureur il lui répondit si haut qu'il fût ouï du prince de monpensier mais si confusément que ce prince entendit seulement la voix d'un homme sans distinguer celle du comte +1909 +et elle instruisit une de ses femmes de tout ce qu'il fallait faire pour introduire le duc de guise dans son appartement cependant et ce duc le comte de chabanes approchaient de champigny mais dans un état bien different +1910 +le duc de guise acheva d'en devenir violemment amoureux et voulant par plusieurs raisons tenir sa passion cachée il se résolut de le lui déclarer d'abord afin de s'épargner tous ces commencements qui font toujours naître le bruit et l'éclat +1911 +et ne pouvant se résoudre à le perdre non seulement à cause de l'amitié qu'elle avait pour lui mais aussi par l'intérêt de son amour pour lequel il lui était tout à fait nécessaire elle lui manda qu'elle voulait absolument lui parler encore une fois et après cela qu'elle le laissait libre de faire ce qu'il lui plairait +1912 +le duc de guise ne laissa pas d'entrer dans la salle outré dans le coeur et contre le roi et contre le duc d'anjou mais sa douleur augmenta sa fierté naturelle et par une manière de dépit il s'approcha beaucoup plus de madame qu'il n'avait accoutumé joint que ce que lui avait dit le duc d'anjou de la princesse de montpensier +1913 +le duc d'anjou lui fit la guerre de les avoir si mal conduits et étant arrêtés en ce lieu aussi disposés à la joie qu'ont accoutumé de l'être de jeunes princes ils aperçurent un petit bateau qui était arrêté au milieu de la rivière +1914 +ce que le hasard avait fait pour rassembler ces deux personnes lui semblait de si mauvais augure qu'il pronostiquait aisément que ce commencement de roman ne serait pas sans suite madame de monpensier fit le soir les honneurs de chez elle avec le même agrément qu'elle faisait toutes choses enfin elle ne plut que trop à ses hôtes +1915 +elle fut bien aise de voir par là le pouvoir qu'elle avait sur le duc et elle fut fâchée en même temps de lui avoir fait abandonner une chose aussi avantageuse que le mariage de madame le duc qui voulait au moins que l'amour le récompensa de ce qu'il perdait du côté de la fortune +1916 +la princesse de monpensier continuant toujours son procédé avec lui ne répondait presque pas à ce qu'il lui disait de sa passion et ne considérait toujours en lui que la qualité du meilleur ami du monde sans lui vouloir faire l'honneur de prendre garde à celle d'amant +1917 +entendant dire que le duc d'anjou était là et ne doutant point à la quantité des gens qu'elle voyait au bord de l'eau que ce ne fût lui fit avancer son bateau pour aller du côté où il était sa bonne mine le lui fit bientôt distinguer des autres +1918 +et comme elle n'était pas large ils distinguèrent aisément dans ce bateau trois ou quatre femmes et une entre autres qui leur sembla fort belle qui était habillée magnifiquement et qui regardait avec attention deux hommes qui pêchaient auprès d'elle +1919 +les armées étant remises sur pied tous les princes y retournèrent et le prince de monpensier trouva bon que sa femme s'en vint à paris pour n'être plus si proche des lieux où se faisait la guerre les huguenots assiégèrent la ville de poitiers le duc de guise s'y jeta pour la défendre et il y fît des actions qui suffiraient seules pour rendre glorieuse une autre vie que la sienne +1920 +que le voyant le lendemain comme il se présentait pour entrer au bal chez la reine paré d'un nombre infini de pierreries mais plus paré encore de sa bonne mine il se mit à l'entrée de la porte et lui demanda brusquement où il allait +1921 +un jour qu'il revenait à loches par un chemin peu connu de ceux de sa suite le duc de guise qui se vantait de le savoir se mit à la tête de la troupe pour servir de guide mais après avoir marché quelque temps il s'égara et se trouva sur le bord d'une petite rivière qu'il ne reconnut pas lui-même +1922 +sitôt qu'ils furent dans le bateau le duc d'anjou lui demanda à quoi ils devaient une si agréable rencontre et ce qu'elle faisait au milieu de la rivière elle lui répondit qu'étant partie de champigny avec le prince son mari dans le dessein de le suivre à la chasse s'étant trouvée trop lasse +1923 +il ne pouvait si bien cacher son amour que le prince de monpensier n'en entrevit quelque chose lequel n'étant plus maître de sa jalousie ordonna à la princesse sa femme de s'en aller à champigny +1924 +sur l'embarras où elle s'allait plonger en s'engageant dans une chose qu'elle avait regardée avec tant d'horreur et sur les effroyables malheurs où la jalousie de son mari la pouvait jeter +1925 +la nouvelle alliance de leurs maisons lui donnait occasion de lui parler souvent mais il n'avait pas peu de peine à la guérir de la jalousie que lui donnait la beauté de madame contre laquelle il n'y avait point de serment qui la put rassurer +1926 +la princesse de monpensier trouva le soir dans l'esprit de son mari tout le chagrin imaginable il s'emporta contre elle avec des violences épouvantables et lui défendit de parler jamais au duc de guise elle se retira bien triste dans son appartement et bien occupée des aventures qui lui étaient arrivées ce jour-là +1927 +mais quand elle pensa combien cette action était contraire à sa vertu et qu'elle ne pouvait voir son amant qu'en le faisant entrer la nuit chez elle à l'insu de son mari elle se trouva dans une extrémité épouvantable +1928 +cette jalousie servait à la princesse de monpensier à défendre le reste de son coeur contre les soins du duc de guise qui en avait déjà gagné la plus grande partie le mariage du roi avec la fille de l'empereur maximilien remplit la cour de fêtes et de réjouissances le roi fît un ballet où dansait madame et toutes les princesses +1929 +elle lui fît mille caresses et mille amitié et lui témoigna une impatience extraordinaire de s'entretenir en particulier dont il fut d'abord charmé mais qu'elles furent son étonnement et sa douleur quand il trouva que cette impatience n'allait qu'à lui conter qu'elle était passionnément aimée du duc de guise et qu'elle l'aimait de la même sorte +1930 +le jour suivant elle revit le duc de guise chez la reine mais il ne l'aborda pas et se contenta de sortir un peu après elle pour lui faire voir qu'il n'y avait que faire quand elle n'y était pas +1931 +il arriva auprès d'elle sans savoir ce qu'il devait faire et apprenant que le prince de monpensier était à la chasse il alla droit à l'appartement de la princesse qui le voyant troublé fit retirer aussitôt ses femmes pour savoir le sujet de ce trouble +1932 +ce changement de parti n'ayant point d'autre fondement l'on douta qu'il fut véritable et la reine mère catherine de médicis en eut de si grands soupçons que la guerre étant déclarée par les huguenots elle eut dessein de le faire arrêter mais le prince de monpensier l'en empêcha et emmena chabanes à champigny en s'y en allant avec sa femme +1933 +le duc de guise eut la joie de se pouvoir jeter à ses pieds de lui parler en liberté de sa passion et de lui dire ce qu'il avait souffert de ses soupçons la princesse ne pouvait s'ôter de l'esprit ce que lui avait dit le duc d'anjou quoique le procedé du duc de guise la dût absolument rassurer +1934 +le dernier entendant la voix du prince comprit d'abord qu'il était impossible de l'empêcher de croire qu'il n'y eut quelqu'un dans la chambre de la princesse sa femme et la grandeur de sa passion lui montrant en ce moment que s'il y trouvait le duc de guise madame de monpensier aurait la douleur de le voir tuer à ses yeux +1935 +et ne pouvant plus soutenir la vue des deux personnes qui lui donnaient des mouvements si tristes il tourna la tête de l'autre côté et se laissa tomber sur le lit de sa femme accablé d'une douleur incroyable +1936 +ces assurances consolèrent le comte comme on se le peut imaginer il sentit le mépris des paroles de la princesse dans toute leur étendue et le lendemain la revoyant avec un visage aussi ouvert que de coutume son affliction en redoubla de la moitié le procedé de la princesse ne la diminua pas +1937 +que n'ayant nulle passion pour elle il avait très mal répondu à l'honneur qu'elle lui faisait jusqu'à ce qu'elle lui eut donné quelque espérance de l'épouser qu'à la vérité la grandeur où ce mariage pouvait l'élever l'avait obligé de lui rendre plus de devoirs +1938 +cependant après que le mal de madame de monpensier fut venu au dernier point il commença à diminuer la raison lui revint et se trouvant un peu soulagée par l'absence du prince son mari elle donna quelque espérance de sa vie +1939 +les choses étaient en cet état lorsque la maison de bourbon qui ne pouvait voir qu'avec envie l'élévation de celle de guise s'apercevant de l'avantage qu'elle recevrait de ce mariage se résolut de le lui ôter et d'en profiter elle-même en faisant épouser cette héritière au jeune prince de montpensier +1940 +ce comte avait été si sensible à l'estime et à la confiance de ce jeune prince que contre les engagements qu'il avait avec le prince de condé qui lui faisait espérer des emplois considérables dans le parti des huguenots il se déclara pour les catholiques ne pouvant se résoudre à être opposé en quelque chose à un homme qui lui était si cher +1941 +enfin il en reçut par un gentilhomme du duc de guise et il les lui apporta à l'heure même pour ne lui retarder pas sa joie d'un moment celle qu'elle eut de les recevoir fut extrême +1942 +après avoir bien cherché elle jeta les yeux sur le comte de chabanes qu'elle comptait toujours pour son ami sans considérer qu'il était son amant le duc de guise qui savait à quel point ce comte était ami du prince de monpensier fut épouvanté qu'elle le choisit pour son confident mais elle lui répondit si bien de sa fidélité qu'elle le rassura +1943 +ces paroles prononcées avec une douleur mortelle et avec un air qui marquait son innocence au lieu d'éclaircir le prince de monpensier lui persuadaient de plus en plus qu'il y avait quelque mystère dans cette aventure qu'il ne pouvait deviner +1944 +qu'il s'était accoutumé à en supporter l'éclat du temps qu'elle était destinée à être sa belle-s ur mais qu'il voyait bien que tout le monde n'en était pas si peu ébloui le duc d'anjou lui avoua qu'il n'avait encore rien vu qui lui parût comparable à cette jeune princesse et qu'il sentait bien que sa vue lui pourrait être dangereuse s'il y était souvent exposé +1945 +le comte de chabanes croyant que c'était seulement pour recevoir des lettres du duc de guise l'alla trouver mais il fut extrêmement surpris quand il vit le duc de guise et il n'en fut pas moins affligé ce duc occupé de son dessein ne prit non plus garde à l'embarras du comte que la princesse de monpensier avait fait de son silence lorsqu'elle lui avait conté son amour +1946 +le duc abandonnait son âme à la joie et à tout ce que l'espérance inspire de plus agréable et le comte s'abandonnait à un désespoir et à une rage qui le poussèrent mille fois à donner de son épée au travers du corps de son rival +1947 +et il ne put douter que la princesse sa soeur ne fut le sacrifice qui avait rendu la princesse de monpensier favorable aux voeux de son rival la jalousie le dépit et la rage se joignant à la haine qu'il avait déjà pour lui firent dans son âme tout ce qu'on peut imaginer de plus violent +1948 +et par sa lettre il lui disait un éternel adieu la princesse commença à se repentir d'avoir si peu ménagé un homme sur qui elle avait tant de pouvoir +1949 +et la surprise de trouver et seul et la nuit dans la chambre de sa femme l'homme du monde qu'il aimait le mieux le mit hors d'état de pouvoir parler la princesse était à demi évanouie sur les carreaux et jamais peut-être la fortune ne mit trois personnes en des états si pitoyables +1950 +il se sépara d'elle avec toute la douleur que peut causer l'absence d'une personne que l'on aime passionnément le comte de chabanes qui avait toujours été malade à paris pendant le séjour de la princesse de monpensier à blois sachant qu'elle s'en allait à champigny la fut trouver sur le chemin pour s'en aller avec elle +1951 +cette aventure donna une nouvelle joie à ces jeunes princes et à tous ceux de leur suite elle leur parut une chose de roman les uns disaient au duc de guise qu'il les avait égarés exprès pour leur faire voir cette belle personne les autres qu'il fallait qu'après ce qu'avait fait le hasard il en devint amoureux et le duc d'anjou soutenait que c'était lui qui devait être son amant +1952 +je suis plus malheureux que vous et plus désespéré je ne saurais vous en dire davantage ma mort vous vengera et si vous voulez me la donner tout à l'heure vous me donnerez la seule chose qui peut m'être agréable +1953 +et trouvant la marquise de noirmoutier personne de beaucoup d'esprit et de beauté et qui donnait plus d'espérance que cette princesse il s'y attacha entièrement et l'aima avec une passion démesurée et qui dura jusqu'à sa mort +1954 +le prince étant revenu à la cour où la continuation de la guerre l'appelait le comte demeura seul avec la princesse et continua d'avoir pour elle un respect et une amitié proportionnée à sa qualité et à son mérite +1955 +le duc d'anjou de son côté n'oubliait rien pour lui témoigner son amour en tous les lieux où il la pouvait voir et il la suivait continuellement chez la reine sa mère la princesse sa soeur de qui il était aimé en était traitée avec une rigueur capable de guérir toute autre passion que la sienne +1956 +en arrivant dans la premiere cour de champigny ils trouvèrent le prince de monpensier qui ne faisait que de revenir de la chasse son étonnement fut grand de voir marcher deux hommes à côté de sa femme mais il fut extrême quand s'approchant de plus près il reconnut que c'était le duc d'anjou et le duc de guise +1957 +l'écuyer ne trouva point le comte de chabanes mais il apprit d'autres personnes que la princesse de monpensier était extraordinairement malade l'inquietude du duc de guise fut augmentée par ce que lui dit son écuyer et sans la pouvoir soulager il fut contraint de s'en retourner trouver ses oncles pour ne pas donner de soupçon par un plus long voyage +1958 +la paix ne fit que paraître la guerre recommença aussitôt par le dessein qu'eut le roi de faire arrêter à noyers le prince de condé et l'amiral de châtillon et ce dessein ayant été découvert l'on commença de nouveau les préparatifs de la guerre et le prince de monpensier fut contraint de quitter sa femme pour se rendre où son devoir l'appelait +1959 +c'est trop de n'avoir pu attirer que votre indifférence je ne veux pas y faire succéder la haine en vous importunant plus longtemps de la plus fidèle passion qui fut jamais le duc d'anjou +1960 +cependant quelque peu de bruit qu'ils eussent fait en passant sur le pont le prince de montpensier qui par malheur était éveillé dans ce moment l'entendit et fit lever un de ses valets de chambre pour voir ce que c'était +1961 +la princesse de monpensier apprit cette nouvelle qui ne lui fut pas indifférente et qui lui fit sentir qu'elle prenait plus d'intérêt au duc de guise qu'elle ne pensait monsieur de monpensier son beau-père épousant alors mademoiselle de guise soeur de ce duc +1962 +mais elle l'assura en même temps que rien ne pouvait ébranler la résolution qu'elle avait prise de ne s'engager jamais le comte de chabanes eut bien de la joie d'apprendre cette résolution mais rien ne le pouvait rassurer sur le duc de guise +1963 +il ne put toutefois se refuser le plaisir de lui apprendre qu'il savait le secret de son amour et l'abordant en sortant de la salle où l'on avait dansé c'est trop lui dit-il d'oser lever les yeux jusqu'à ma soeur et de m'ôter ma maîtresse +1964 +enfin dans la suite de leur conversation comme elle lui remontrait qu'il avait eu tort de précipiter son mariage avec la princesse de portien et d'abandonner celui de madame qui lui était si avantageux elle lui dît qu'il pouvait bien juger qu'elle n'en eut eu aucune jalousie puisque le jour du ballet elle même l'avait conjuré de n'avoir des yeux que pour madame +1965 +chabannes le suivit à la cour s'étant entièrement justifié auprès de la reine ce ne fut pas sans une douleur extrême qu'il quitta la princesse qui de son côté demeura fort triste des perils où la guerre allait exposer son mari +1966 +le duc de guise qui était sorti heureusement du parc sans savoir quasi ce qu'il faisait tant il était troublé s'éloigna de champigny de quelques lieues mais il ne put s'éloigner davantage sans savoir des nouvelles de la princesse il s'arrêta dans une forêt et envoya son écuyer pour apprendre du comte de chabanes ce qui était arrivé de cette terrible aventure +1967 +voir sa réputation et le secret de sa vie entre les mains d'un prince qu'elle avait maltraité et apprendre par lui sans pouvoir en douter qu'elle était trompée par son amant étaient des choses peu capables de lui laisser la liberté d'esprit que demandait un lieu destiné à la joie +1968 +quelque temps après voyant le duc d'anjou avec son masque et son habit de maure qui venait pour lui parler troublée de son inquiétude elle crut que c'était encore le duc de guise et s'approchant de lui n'ayez des yeux ce soir que pour madame lui dit-elle je n'en serai point jalouse je vous l'ordonne on m'observe ne m'approchez plus +1969 +elle était contrainte de le voir souvent dans les lieux où les cérémonies des noces les appelaient l'un et l'autre la princesse de monpensier ne pouvant plus souffrir qu'un homme que toute la france croyait amoureux de madame osât lui dire qu'il l'était d'elle et se sentant offensée et quasi affligée de s'être trompée elle-même +1970 +après deux années d'absence la paix étant faite le prince de monpensier revint trouver la princesse sa femme tout couvert de la gloire qu'il avait acquise au siège de paris et à la bataille de saint-denis il fut surpris de voir la beauté de cette princesse dans une si grande perfection et par le sentiment d'une jalousie qui lui était naturelle il en eut quelque chagrin +1971 +mais elle distingua encore plutôt le duc de guise sa vue lui apporta un trouble qui la fit un peu rougir et qui la fit paraître aux yeux de ces princes dans une beauté qu'ils crurent surnaturelle +1972 +l'écuyer du duc de guise lui avait rapporté la vérité en lui disant que madame de monpensier était extrêmement malade car il était vrai que sitôt que ses femmes l'eurent mis dans son lit la fièvre lui prit si violemment et avec des rêveries si horribles que dès le second jour l'on craignit pour sa vie +1973 +il descendit dans la cour il se fît donner des chevaux et s'en alla dans la campagne guidé par son seul désespoir cependant le prince de monpensier qui voyait que la princesse ne revenait point de son évanouissement la laissa entre les mains de ses femmes et se retira dans sa chambre avec une douleur mortelle +1974 +il se consola pourtant un peu dans la pensée que cette princesse ferait quelque réflexion sur ce qu'il faisait pour elle et qu'elle lui en témoignerait de la reconnaissance la trouvant de jour en jour plus rude pour lui par le chagrin qu'elle avait d'ailleurs il prît la liberté de la supplier de penser un peu à ce qu'elle lui faisait souffrir +1975 +le trouble et l'agitation étaient peints sur le visage de la princesse la vue de son mari acheva de l'embarrasser de sorte qu'elle lui en laissa plus entendre que le duc de guise ne lui en venait de dire la reine sortit de son cabinet et le duc se retira pour guérir la jalousie de ce prince +1976 +cette demande si brusque jointe à ce qu'avait déjà remarqué le duc de guise des sentiments du duc d'anjou lui fît voir qu'il serait infailliblement son rival et qu'il lui était très important de ne pas découvrir son amour à ce prince +1977 +cette grande ville était menacée d'un siège par l'armée des huguenots dont le prince de condé était le chef et qui venait de déclarer la guerre au roi pour la seconde fois le prince de monpensier dans sa plus tendre jeunesse avait fait une amitié très particulière avec le comte de chabanes qui était un homme d'un âge beaucoup plus avancé que lui et d'un mérite extraordinaire +1978 +pendant que le prince de monpensier donnait mille coups à la porte il vint au duc de guise qui ne savait quelle résolution prendre et il le mit entre les mains de cette femme de madame de monpensier qui l'avait fait entrer par le pont pour le faire sortir par le même lieu pendant qu'il s'exposerait à la fureur du prince +1979 +il ne put se résoudre à être témoin de leur conversation quoique la princesse lui témoignât le souhaiter et qu'il l'eût bien souhaité lui-même il se retira dans un petit passage qui était du côté de l'appartement du prince de monpensier ayant dans l'esprit les plus tristes pensées qui aient jamais occupé l'esprit d'un amant +1980 +n'était-ce point assez de m'ôter votre coeur et mon honneur sans m'ôter le seul homme qui pouvait me consoler de ces malheurs répondez-moi l'un ou l'autre leur dit-il et éclaircissez-moi d'une aventure que je ne puis croire telle qu'elle me paraît +1981 +il en rejeta adroitement la cause sur la crainte de ne pouvoir recevoir un si grand prince selon sa qualité et comme il l'eût bien souhaité le comte de chabanes avait encore plus de chagrin de voir monsieur de guise auprès de madame de monpensier que monsieur de monpensier n'en avait lui-même +1982 +elle tâcha de le consoler en l'assurant qu'elle ne se souviendrait jamais de ce qu'il venait de lui dire qu'elle ne se persuaderait jamais une chose qui lu était si désavantageuse et qu'elle ne le regarderait jamais que comme son meilleur ami +1983 +la confiance s'augmenta de part et d'autre et à tel point du côté de la princesse de monpensier qu'elle lui apprit l'inclination qu'elle avait eue pour monsieur de guise mais elle lui apprit aussi en même temps qu'elle était presque éteinte et qu'il ne lui en restait que ce qui était nécessaire pour défendre l'entrée de son c ur à une autre inclination et que la vertu se joignant à ce reste d'impression +1984 +enfin sans rien dire d'obligeant au duc de guise elle lui fit revoir mille choses agréables qu'il avait trouvées autrefois en mademoiselle de meziere quoi qu'ils ne se fussent point parlé depuis longtemps ils se trouvèrent accoutumés l'un à l'autre et leurs coeurs se remirent aisément dans un chemin qui ne leur était pas inconnu +1985 +toutes les confidences qu'elle lui faisait sur la tendresse et sur la délicatesse de ses sentiments pour le duc de guise lui faisaient voir le prix du coeur de cette princesse et lui donnaient un vif désir de le posséder +1986 +le tira de l'embarras où il était il s'en alla à paris ne sachant ce qu'il avait à esp��rer ou à craindre du mal de la princesse sa femme il n'y fut pas sitôt arrivé qu'on commença d'attaquer les huguenots en la personne d'un de leurs chefs l'amiral de châtillon et deux jours après l'on fit cet horrible massacre si renommé par toute l'europe +1987 +je ne comprends pas qu'il faille sur le fondement d'une faiblesse dont on a été capable à treize ans avoir l'audace de faire l'amoureux d'une personne comme moi et surtout quand on l'est d'une autre à la vue de toute la cour +1988 +les chefs des huguenots s'étaient retirés à la rochelle le poitou et la saintonge étant dans leur parti la guerre s'y alluma fortement et le roi y rassembla toutes ses troupes le duc d'anjou son frère qui fut depuis henri trois y acquit beaucoup de gloire par plusieurs belles actions et entre autres par la bataille de jarnac où le prince de condé fut tué +1989 +ils arrivèrent bientôt au bord où ils trouvèrent les chevaux et les écuyers de madame de monpensier qui l'attendaient le duc d'anjou et le duc de guise lui aidèrent à monter à cheval où elle se tenait avec une grâce admirable +1990 +la connaissance particulière qu'il avait de sa vertu et de l'inclination qu'elle avait eue pour le duc de guise et surtout ce qu'il devait à l'amitié et à la confiance du prince son mari le comte pensa mourir à ses pieds de honte et de douleur +1991 +ne m'interrompez point je vous prie pour me dire le contraire d'une vérité que je ne sais que trop il vous trompe madame et vous sacrifie à ma soeur comme il vous l'a sacrifiée c'est un homme qui n'est capable que d'ambition +1992 +un jour que le duc de guise la rencontra chez sa soeur un peu éloignée des autres et qu'il lui voulut parler de sa passion elle l'interrompit brusquement et lui dit d'un ton qui marquait sa colère +1993 +elle ne prit pas le soin de la cacher et lui fit avaler à longs traits tout le poison imaginable en lui lisant ces lettres et la réponse tendre et galante qu'elle y faisait il porta cette réponse au gentilhomme avec la même fidélité avec laquelle il avait rendu la lettre à la princesse mais avec plus de douleur +1994 +le duc de guise lui dit qu'elle avait eu l'intention de lui faire ce commandement mais qu'assurément elle ne lui avait pas fait la princesse lui soutint le contraire enfin +1995 +le comte de chabanes pénétré de repentir d'avoir abusé d'une amitié dont il recevait tant de marques et ne trouvant pas qu'il pût jamais réparer ce qu'il venait de faire sortit brusquement de la chambre et passant par l'appartement du prince dont il trouva les portes ouvertes +1996 +l'on est bien faible quand on est amoureux le comte revint et en moins d'une heure la beauté de la princesse de monpensier son esprit et quelques paroles obligeantes le rendirent plus soumis qu'il n'avait jamais été et il lui donna même des lettres du duc de guise qu'il venait de recevoir +1997 +l'extrême jeunesse de cette grande héritière retardait son mariage et cependant le duc de guise qui la voyait souvent et qui voyait en elle les commencements d'une grande beauté en devint amoureux et en fut aimé +1998 +la princesse de monpensier pouvait seule lui disputer le prix de la beauté le duc d'anjou dansait une entrée de maures et le duc de guise avec quatre autres était de son entrée leurs habits étaient tous pareils comme le sont d'ordinaire les habits de ceux qui dansent une même entrée +1999 +ensuite la bataille de moncontour se donna le duc d'anjou après avoir pris saint jean d'angély tomba malade et quitta en même temps l'armée soit par la violence de son mal soit par l'envie qu'il avait de revenir goûter le repos et les douceurs de paris où la présence de la princesse de monpensier n'était pas la moindre raison qui l'attirât +2000 +il y entra seul avec le duc de guise donnant ordre à tous ceux qui les suivaient d'aller passer la rivière à un autre endroit et de les venir joindre à champigny que madame de monpensier leur dit qui n'était qu'à deux lieues de là +2001 +et son désespoir s'augmentant par cette incertitude ôtez-moi la vie vous-même lui dit-il ou donnez moi l'éclaircissement de vos paroles je n'y comprends rien vous devez cet éclaircissement à mon amitié vous le devez à ma modération car tout autre que moi aurait déjà vengé sur votre vie un affront si sensible +2002 +la princesse de monpensier ne répondit point mais elle ne s'éloigna pas et le duc de guise voyant qu'elle lui donnait l'audience qu'il souhaitait lui apprit que sans s'être attiré les bonnes grâces de madame par aucun soin elle l'en avait honoré +2003 +et il eut quelque pensée que dès ce temps-là même il en était amoureux le chagrin que tous ces soupçons lui causèrent donnaient de mauvaises heures à la princesse de monpensier +2004 +la haine qu'il avait pour le dernier se joignant à sa jalousie naturelle lui fit trouver quelque chose de si désagréable à voir ces princes avec sa femme sans savoir comment ils s'y étaient trouvés ni ce qu'ils venaient faire en sa maison qu'il ne put cacher le chagrin qu'il en avait +2005 +la princesse n'était pas capable de répondre et le comte de chabanes ouvrit plusieurs fois la bouche sans pouvoir parler je suis criminel à votre égard lui dit-il enfin et indigne de l'amitié que vous avez eue pour moi mais ce n'est pas de la manière que vous pouvez vous l'imaginer +2006 +le duc sans s'étonner lui dit qu'il venait pour lui rendre ses très humbles services à quoi le roi répliqua qu'il n'avait pas besoin de ceux qu'il lui rendait et se tourna sans le regarder +2007 +quelque temps après la cour s'en allant à blois où la princesse de monpensier la suivit le mariage de madame avec le roi de navarre y fut conclu le duc de guise ne connaissant plus de grandeur ni de bonne fortune que celle d'être aimé de la princesse vit avec joie la conclusion de ce mariage qui l'aurait comblé de douleur dans un autre temps +2008 +toutes ces marques de confiance qui avaient été si chères au comte lui devinrent insupportables il n'osait pourtant le témoigner à la princesse quoiqu'il osât bien la faire souvenir quelquefois de ce qu'il avait eu la hardiesse de lui dire +2009 +le village de drancey occupé depuis vingt-quatre heures seulement ne se trouvait plus occupé à sa gauche et le temps a manqué pour le mettre en état respectable de défense +2010 +signé félix pyat le combat vingt-neuf octobre dix-huit cent soixante-dix il ne s'agissait plus seulement du plan trochu +2011 +l'auteur de cette infâme calomnie n'a pas osé faire connaître son nom il a signé le combat c'est à coup sûr le combat de la prusse contre la france car à défaut d'une balle qui aille au c ur du pays +2012 +avait été arrêtée elle ne savait pourquoi et ceux qui l'avaient prise n'en savaient pas davantage elle tremblait si fort que l'huile tombait tout autour d'elle et arrosait sa robe +2013 +qu'est-ce que cela vous fait que strasbourg périsse puisque vous n'y êtes pas c'était un gros homme de figure régulière et bête carré des épaules bien campé un exemplaire doré sur tranches du grade de colonel +2014 +à ce moment trochu détacha une décoration qu'il portait et la passa à un officier des mobiles bretons ceci est un signal s'écria cipriani le compagnon de flourens +2015 +celui-ci le transmit à félix pyat qui le publia dans le combat aussitôt la nouvelle fut démentie et les presses du combat brisées par les gens de l'ordre mais chaque instant apportait des preuves nouvelles +2016 +répondant d'avance à l'accusation qui devait être formulée après la prise de metz assurant que bazaine ne trahirait jamais c'était sa s ur peut-être fut-il plus lâche que traître le résultat est identique +2017 +une poussée énorme précipite les manifestants sur l'hôtel de ville où les mobiles bretons étaient entassés dans les escaliers +2018 +des acclamations s'élèvent on veut nommer rochebrune général de la garde nationale mais il s'écrie la commune d'abord alors +2019 +les rochers de granit durs comme leurs crânes les landes où s'ébattent les poulpiquets et de danser aux pardons les jours où armor est en fête +2020 +s'adressaient surtout au peuple de paris dans les comités de vigilance et les clubs strasbourg investie le treize août ne s'était pas encore rendue le dix-huit septembre +2021 +la garde nationale se massait devant la grille des placards étaient promenés à travers la foule pas d'armistice la commune résistance à mort vive la république +2022 +quand ayant été conduites dans une vaste salle où il n'y avait que des banquettes on ferma la porte sur nous il y avait déjà deux prisonniers +2023 +enregistré par françoise d la commune par louise michel deuxième partie république du quatre septembre chapitre deux la réforme nationale +2024 +un des premiers actes du comité central fut d'exposer au gouvernement la volonté de paris elle était exprimée en peu de mots sur une affiche rouge qui fut déchirée dans le centre de paris par les gens de l'ordre +2025 +un attentat dont le but était d'exciter à la guerre civile en armant les citoyens les uns contre les autres comprenant séquestration arbitraire et menaces sous conditions +2026 +de là en silence on se dirigea vers l'hôtel de ville nous étions toute une petite armée bon nombre d'institutrices étaient venues +2027 +alors on procéda à notre interrogatoire et comme nous saisissions l'occasion pour exposer notre demande d'armes pour notre bataillon de volontaires l'officier qui ne paraissait pas comprendre s'écria stupidement +2028 +un étudiant appartenant à la manifestation et qui se nommait je crois senart et une vieille femme qui ayant traversé la place en tenant la burette d'huile qu'elle venait d'acheter +2029 +les prussiens continuaient d'avancer ils étaient au point où le chemin de fer cessait de fonctionner pour paris plus près toujours plus près +2030 +un nouveau venu s'élance à la tribune il raconte que le cent sixième bataillon a délivré le gouvernement que l'affiche a menti +2031 +là se réunissaient les délégués des clubs ainsi fut formé le comité central des vingt arrondissements qui à son tour créa dans chaque arrondissement des comités de vigilance formés d'ardents révolutionnaires +2032 +le trente au soir une nouvelle dépêche avouait presque tel qu'il avait été le massacre du bourget le lendemain matin on lisait l'affiche suivante +2033 +à la porte de la mairie un soldat croise la baïonnette constant martin relève le fusil et entre avec ses amis à la salle du conseil méline épouvanté va chercher le maire non moins épouvanté +2034 +quelle que fût l'issue des événements les membres du gouvernement restés à l'hôtel de ville se groupèrent dans l'embrasure d'une fenêtre d'où l'on voyait rangés les hommes du cent sixième bataillon +2035 +rien n'était changé puisque tous les rouages n'avaient que pris des noms nouveaux ils avaient un masque c'était tout les munitions falsifiées les fournitures par écrit le manque de tout ce qui était de première nécessité pour le combat +2036 +lefrançais entre comme un coin au milieu d'eux et le vieux beslay faisant monter sur ses épaules lacour de la chambre syndicale des relieurs le fait passer par une petite fenêtre près de la grande porte +2037 +devant le gouffre à franchir ils refusaient de prendre leur élan ils promettaient juraient contemplaient la situation et y voulaient rester éternellement enfermés avec d'autres sentiments nous aussi nous nous rendions compte +2038 +nous croyons celui de l'opinion le plus efficace elle flétrira comme ils le méritent ces prétendus patriotes dont le métier est de semer les défiances en face de l'ennemi et de ruiner par leurs mensonges l'autorité de ceux qui le combattent +2039 +pendant ce temps quelques membres du gouvernement escomptant la bonne foi de flourens et des gardes nationaux sortirent sous divers prétextes et mirent pour trahir le temps à profit +2040 +qu'on ne rougit pas de lui imputer le maréchal n'a cessé de harceler l'ennemi par de brillantes sorties le général bourbaki a pu s'échapper +2041 +était-ce donc le pouvoir qui changeait ainsi les hommes de septembre eux que nous avons vus fiers devant l'empire étaient pris d'épouvante de la révolution +2042 +on nous délégua andrée léo et moi pour réclamer des armes à notre grand étonnement on nous reçut sans difficulté et nous regardions la demande comme accueillie +2043 +le journal le combat de félix pyat le vingt sept octobre annonçait la reddition de metz la nouvelle disait-il venait de source certaine +2044 +l'officiel du trente et un octobre cité par jules favre dans le premier volume de l'histoire de la défense nationale c'est avec ces flots d'eau bénite de cour que fut avouée la catastrophe +2045 +ce jour-là même strasbourg succombait on parlait beaucoup de l'armée de la loire guillaume disait-on se trouverait pris entre cette armée et une formidable sortie des parisiens +2046 +quelques maires marchaient d'accord avec la population de paris malon aux batignolles clémenceau à montmartre furent ouvertement révolutionnaires +2047 +le gain scandaleux des fournisseurs l'armement insuffisant ne faisaient aucun doute c'était la même chose de l'aveu du ministre de la guerre le seul bataillon complètement armé était celui des employés des ministères +2048 +leurs yeux bleus fixés dans le vague se demandaient si monsieur trochu ne débarrasserait pas bientôt la france des criminels qui y causaient tant de désastre afin qu'il leur fût permis de revoir la mer +2049 +le gaz ayant été éteint pour le guet-apens les bretons baïonnette en avant se glissaient par le souterrain tandis que les bataillons de l'ordre conduits par jules ferry entraient par la grille +2050 +ce matin de bonne heure des masses d'infanterie évaluées à plus de dix-huit-mille hommes se sont présentées de front avec une nombreuse artillerie tandis que d'autres colonnes ont tourné le village venant de dugny et blanc-mesnil +2051 +de premiers délégués furent éconduits avec les ordinaires serments que paris ne serait jamais rendu trochu essaya de parler affirmant qu'il ne restait plus qu'à battre et chasser les prussiens avec le patriotisme et l'union +2052 +comme on était ce jour-là dans paris plus angoissé sentant l'agonie de strasbourg qui blessée bombardée de toutes parts ne voulait pas mourir +2053 +pelletan non plus n'avait pas gardé le silence sur la reddition de metz les autres membres de la défense nationale hypnotisés par leur mauvais génie le nain foutriquet qui rentrait dans paris après avoir préparé la reddition chez tous les souverains de l'europe +2054 +le bourget village en avant de nos lignes qui avait été occupé par nos troupes a été canonné pendant toute la journée d'hier sans succès pour l'ennemi +2055 +la reddition de bazaine fait vrai sûr et certain que le gouvernement de la défense nationale retient par devers lui comme un secret d'état et que nous dénonçons à l'indignation de la france +2056 +alors comme on criait au quatre septembre vive la république on cria au trente et un octobre vive la commune ceux qui le quatre septembre s'étaient dirigés sur la chambre allèrent vers l'hôtel de ville +2057 +l'empire va-t-il donc revenir disaient les naïfs il n'était jamais disparu ses lois n'ont pas cessé encore d'exister elles se sont aggravées même mais le recul des flots rend plus terribles les tempêtes +2058 +blanqui et millière sortirent également le gouvernement n'osant pas d'abord montrer son mépris de la parole donnée le soir même du octobre avait lieu à la bourse une réunion des officiers de la garde nationale +2059 +et la paix reconquise elle ne serait pas la république guerroyeuse agressive aux autres peuples l'internationale remplirait le monde sous la brûlante poussée du germinal social +2060 +elles proposent aux belligérants un armistice qui aurait pour objet la convocation d'une assemblée nationale il est bien entendu qu'un tel armistice devrait avoir pour conditions le ravitaillement proportionné à sa durée pour le pays tout entier +2061 +se sentant deviné trochu regarda autour de lui où les réactionnaires en grand nombre commençaient à se glisser il parut se rassurer +2062 +on finit par se comprendre elle sortit tremblant sur ses jambes essayant de ne pas laisser tomber sa burette dont l'huile continuait à se répandre +2063 +les juges chargés du dossier du trente et un octobre étaient quesenet ancien juge de l'empire henri didier procureur de la république +2064 +nous ne pouvions dit jules favre dans son histoire de la défense nationale retarder la divulgation des deux premières nouvelles l'arrivée de m thiers ayant été annoncée il fallait dire au public ce qu'il allait faire à versailles +2065 +il y en avait de la rue du faubourg du temple que j'ai revues depuis j'y rencontrai pour la première fois madame vincent qui peut-être garda de cette manifestation l'idée de groupements féminins +2066 +la mairie de montmartre avec jaclard dereure lafont pour adjoints de clemenceau fit par instants trembler la réaction elle se rassura bientôt +2067 +le siècle lui-même publia le cinq septembre un article intitulé appel aux audacieux et commençant ainsi à nous les audacieux dans les circonstances difficiles il faut l'intelligence prompte et les hardiesses inconnues +2068 +à une cour martiale voici cette note datée du vingt huit octobre mille huit cent soixante dix le gouvernement a tenu à honneur de respecter la liberté de la presse +2069 +millière à ce moment ayant l'idée d'une trahison probable voulait faire appel aux gardes nationaux des faubourgs mais flourens refusa disant que c'était une défiance inutile la parole étant donnée +2070 +à propos des événements des trois derniers jours comme on criait du dehors tous les officiers à leurs postes un homme tenant une affiche blanche s'élança au bureau +2071 +acclamée dans les faubourgs et bêtement attribuée par le gouvernement à des agents prussiens c'était chez eux une obsession voici cette affiche +2072 +mieux eût valu que tout manquât le provisoire à ses premiers jours n'eût pas entravé l'élan héroïque de paris on aurait pu vaincre encore l'invasion +2073 +se rangeaient les bretons comme lui naïfs et têtus le gardant ainsi qu'ils auraient fait d'une notre-dame dans les landes d'armorique ils attendaient ses ordres mais trochu n'en donna pas +2074 +ceux qui confiants rentrèrent chez eux apprirent le lendemain avec stupeur la nouvelle trahison du gouvernement ferry qui était allé rejoindre picard revint à la tête des colonnes nombreuses qui se rangèrent en bataille +2075 +ne me parlez pas de cette stupidité disait le général guyard en parlant de ceux se chargeant par la culasse il est vrai que les plus mauvais eussent été bons employés dans l'élan du désespoir par des hommes décidés à reconquérir leur liberté +2076 +mais en même temps que les journaux publiaient la marche des prussiens une note officielle donnant le chiffre des approvisionnements rassurait la foule +2077 +ne réglementez plus débarrassez-vous une bonne fois des vieux colliers et des vieilles cordes c'est le conseil que donnait l'autre jour notre ami joigneaux et ce conseil-là c'est le salut le siècle du sept septembre dix huit cent soixante dix +2078 +moins naïf que les autres le capitaine greffier avait arrêté ibos mais trochu jules favre et jules ferry donnant de nouveau leur parole de la nomination de la commune promirent en outre que la liberté serait garantie à tous +2079 +il la fera tant que la force soutiendra le privilège le moment était venu où si les gouvernants eussent tourné contre les révolutionnaires les gueules des canons ils n'en eussent été nullement étonnés +2080 +déposa sa démission sur la table et fut emmené par des révolutionnaires à belleville où disaient-ils on le demandait autour de trochu +2081 +on ne le laissa pas continuer et toujours comme au quatre septembre un seul cri montait jusqu'au ciel la commune vive la commune +2082 +parfois sur le chemin on rencontrait quelque troupeau moutonnier racontant que l'armée prussienne avait manqué être coupée en deux ou trois tronçons je ne sais plus par qui +2083 +et dans la conviction profonde du devoir on demandait des armes que le gouvernement refusait peut-être craignait-il d'armer les révolutionnaires peut-être en manquait-il réellement on avait des promesses c'était tout +2084 +la levée en masse l'accéleration de l'armement le rationnement les signataires étaient avrial beslay briosne chalain combaud +2085 +le cent sixième criant vive la commune on le laissa entrer bientôt quarante mille hommes entourèrent l'hôtel de ville et pour éviter un conflit dit jules ferry les conventions étant faites les compagnies de flourens devaient se retirer +2086 +il y eut bientôt une masse considérable sur les genoux de la statue de strasbourg était ouvert un livre nous y allâmes signer notre engagement volontaire +2087 +dix mille de café trente à quarante mille de viandes salées sans compter l'énorme quantité de denrées que faisaient venir les spéculateurs comptant au centuple le prix +2088 +livrant à l'ennemi une place de guerre que nul avant n'avait pu prendre les forts les munitions cent mille hommes laissant sans défense le nord et l'est +2089 +tous ceux qui la veille avaient été acclamés étaient décrétés d'accusation blanqui millière flourens jaclard vermorel félix pyat lefrançais +2090 +ce qui était depuis le commencement de la guerre et fut pendant tout le temps qu'elle dura la phrase consacrée pour entraver la résistance et arrêter tous les généreux élans +2091 +des volontaires de tibaldi s'y précipitent la porte est ouverte et engloutit la foule tant qu'elle y peut tenir autour de la table dans la grande salle étaient trochu jules favre jules simon +2092 +à qui sévèrement des hommes du peuple demandaient compte de la lâcheté du gouvernement trochu par phrases interrompues de cris indignés +2093 +des farouches tribuns qui combattaient l'empire plus rien ne restait ils étaient entrés comme des écureuils dans la loge où avant eux d'autres couraient tournant inutilement la même roue que d'autres avaient tournée avant eux +2094 +continuaient à nier affolés entre la défaite et la marée populaire une note parut dans le journal officiel annonçant presque qu'il était question de livrer félix pyat +2095 +ou bien déplorant que les officiers français n'eussent pas connu un petit chemin qui les eût menés droit au c ur de l'ennemi d'autres encore ajoutaient nous tenons toutes les routes les trois tronçons c'étaient trois armées allemandes et c'étaient elles qui tenaient toutes les routes +2096 +il remet les sceaux et le coffre-fort aux envoyés de blanqui mais le soir la mairie était reprise flourens était sorti avec le vieux tamisier entre deux haies de soldats +2097 +ils vinrent en foule les audacieux on n'avait pas besoin de les appeler c'était la république bientôt le lent fonctionnement des administrations les mêmes que sous l'empire eut tout paralysé +2098 +edmond adam préfet de police donna sa démission ne voulant pas opérer les arrestations qui lui étaient ordonnées à l'hôtel de ville les mobiles bretons +2099 +le quatre septembre lorsque andrée leo et moi nous parcourions paris une dame nous ayant invités à monter dans sa voiture nous raconta que l'armée était à bout de vivres de munitions de tout +2100 +la foule applaudissait et parfois sentant l'ennemi poussait en clameurs formidables le cri à bas thiers on eût dit qu'elle hurlait à la mort beaucoup de ceux qui avaient été trompés criaient plus fort que les autres trahison trahison +2101 +à nous les jeunes les téméraires les audacieux indisciplinés deviennent nos hommes l'idée et l'action doivent être libres ne vous gênez plus +2102 +en même temps par le souterrain qui allait de la caserne napoléon à l'hôtel de ville arrivaient de nouveaux renforts de mobiles bretons trochu l'avait dit ils allaient monsieur de charette a dit à ceux de chez nous venez tous il faut combattre les loups +2103 +ce doit être un orateur de la réaction on a bien autre chose à faire que de l'écouter oui l'affiche avait menti le gouvernement avait menti paris ne nommait pas sa commune +2104 +qui bien réellement était la volonté de paris des bruits de victoire se répandirent comme sous l'empire annonçant la prochaine arrivée de l'armée de la loire +2105 +son occupation était d'une importance bien secondaire et les bruits qui attribuent de la gravité aux incidents qui viennent d'être exposés sont sans gravité +2106 +guillaume approchait tant mieux paris en sortie torrentielle écraserait l'invasion les armées de province se rejoindraient n'avait-on pas la république +2107 +il n'y avait rien à répondre qu'à le regarder en face comme je disais tout haut le numéro de son képi il comprit peut-être ce qu'il venait de dire et s'en alla +2108 +l'idée nous plut à quelques-uns plutôt quelques-unes car nous étions en majorité des femmes d'obtenir des armes et de partir à travers tout pour aider strasbourg à se défendre ou mourir avec elle +2109 +certain nombre d'hommes qui étaient dans la partie nord du bourget ont été coupés du corps principal et sont restés entre les mains de l'ennemi on n'en connaît pas exactement le nombre il sera précis demain +2110 +quelques gobeurs entraînés par des mouchards continuaient à hurler devant les affiches du gouvernement que c'étaient de fausses dépêches fabriquées par félix pyat rochefort et flourens pour apporter le trouble et l'émeute devant l'ennemi +2111 +l'évacuation du bourget avait été sue à paris dès le matin du trente le soir tout le monde à paris la connaissait l'hésitation n'était permise que pour metz nous n'avions pas un rapport officiel mais malheureusement nous ne pouvions douter +2112 +picard faisait battre le rappel et le cent sixième bataillon de la garde nationale composé entièrement de réactionnaires vint sous la conduite d'ibos dont le courage était digne d'une meilleure cause se ranger à la grille de l'hôtel de ville +2113 +les membres du gouvernement se retirèrent pour délibérer et sur leur demande rochefort consentit à annoncer la nomination de la commune car personne ne les croyait plus il se mit à l'une des fenêtres de l'hôtel de ville fit part à la foule de la promesse du gouvernement +2114 +mais plutôt que de se rendre paris s'allumerait comme jadis moscou des bruits de trahison du gouvernement commençaient à circuler il n'était qu'incapable le pouvoir faisait son uvre éternelle +2115 +notre petit groupe prit la direction de l'hôtel-de-ville en criant à strasbourg à strasbourg des volontaires pour strasbourg à chaque pas venaient de nouveaux manifestants les femmes et les jeunes gens la plupart étudiants dominaient +2116 +il dirige contre ceux qui le défendent une double accusation aussi infâme qu'elle est fausse il affirme que le gouvernement trompe le public en lui cachant d'importantes nouvelles et que le glorieux soldat de metz +2117 +malgré les inconvénients qu'elle peut quelquefois présenter dans une ville assiégée il aurait pu au nom du salut public la supprimer ou la restreindre +2118 +grâce à la forte impression produite en europe par la résistance de paris quatre grandes puissances neutres l'angleterre la suisse l'autriche et l'italie se sont ralliées à une idée commune +2119 +mais elle n'abattra pas notre courage pleine de reconnaissance pour les braves soldats pour la généreuse population qui a combattu pied à pied pour la patrie la ville de paris voudra être digne d'eux elle sera soutenue par leur exemple et par l'espoir de les venger +2120 +c'est le citoyen flourens qui m'a dénoncé pour le salut du peuple le plan bazaine et qui m'a dit le tenir directement du citoyen rochefort membre du gouvernement provisoire de la défense nationale +2121 +millière se rangeant à son avis renvoya son bataillon qui était venu se ranger sur la grève la foule s'était calmée devant l'affiche qu'on placardait annonçant la nomination de la commune par voie d'élection +2122 +au nouvel opéra dont le gros uvre était achevé l'architecte garnier fit forer la couche de béton sur laquelle reposaient les fondations un courant qui descend de montmartre s'en échappa on aurait de l'eau +2123 +la provision de farine réunie à celles des boulangers était de plus de cinq cents mille quintaux il y en avait environ cent mille de riz +2124 +enfin le rapport militaire annonçait dans les termes suivants le désastre et l'abandon du bourget trente octobre une heure et demie du soir +2125 +il nous parut que nous n'avions pas le droit de garder le silence nous aurions donné raison aux calomnies du journal le combat conformément à notre décision l'officiel du trente et un publiait ce qui suit +2126 +les nouvelles des défaites l'incroyable mystère dont le gouvernement avait voulu les couvrir la résolution de ne jamais se rendre et la certitude qu'on se rendait en secret firent l'effet d'un courant glacé +2127 +et ses relations avec la délégation de tours son acceptation d'un commandement important démontrent suffisamment les nouvelles fabriquées que nous livrons à l'indignation de tous les honnêtes gens +2128 +le gouvernement vient d'apprendre la douloureuse nouvelle de la reddition de metz le maréchal bazaine et son armée ont dû se rendre après d'héroïques efforts que le manque de vivres et de munitions ne leur permettait plus de continuer +2129 +depuis le dix-sept août aucune dépêche directe du maréchal bazaine n'a pu franchir les lignes mais nous savons que loin de songer à la félonie +2130 +déposé suivant la chanson et suivant l'histoire aussi chez me duclou son notaire mais encore du plan bazaine lequel consistait à lâcher tout +2131 +paris voulant se défendre veillait lui-même le conseil fédéral de l'internationale siégeait à la corderie du temple +2132 +la confiance est morte au fond des c urs farouches homme tu mens soleil cieux vous mentez soufflez vents de la nuit emportez emportez l'honneur et la vertu cette sombre chimère victor hugo +2133 +on crie vive la commune un gros homme qui attend on ne sait pourquoi sur la place se mêle aux gardes nationaux et cherche à exprimer son opinion il faut toujours des chefs dit-il il faut toujours un gouvernement pour vous mener +2134 +expliqua qu'il avait été avantageux pour la france d'abandonner les places prises la veille par l'armée allemande étant donné les circonstances l'entêté breton continuait quand même lorsque tout à coup il pâlit +2135 +les plus fiers courages devenaient inutiles dans les vieux engrenages de l'empire où sous des noms nouveaux on continuait à moudre les déshérités les prussiens gagnaient du terrain le dix huit septembre ils étaient sous les forts le dix neuf ils s'établissaient au plateau de chatillon +2136 +c'est la fin de la france dit trochu profondément convaincu il comprenait enfin ce que depuis plusieurs heures on ne cessait de lui répéter la déchéance du gouvernement de la défense nationale +2137 +les policiers pouvaient entendre les réflexions des parisiens peu favorables au gouvernement les imbéciles prétendaient que la dépêche était fausse et les gens de l'ordre s'empressaient pour gagner du temps d'appuyer cette opinion insensée +2138 +ce n'était pas l'armée de la loire qui arrivait mais la nouvelle de la défaite du bourget et de la reddition de metz par le maréchal bazaine +2139 +l'évacuation en a été ordonnée pour ne pas compromettre les troupes qui s'y trouvaient le village du bourget ne faisait pas partie de notre système général de défense +2140 +en effet elle venait de rochefort qui imposé par la foule au gouvernement le quatre septembre ne pouvait sans trahir garder le silence et l'avait dit à flourens commandant des bataillons de belleville +2141 +monsieur thiers est arrivé aujourd'hui à paris il s'est transporté sur-le-champ au ministère des affaires étrangères il a rendu compte au gouvernement de sa mission +2142 +précipité dans un volcan en ignition on respirait du feu de la fumée ardente paris qui ne voulait ni se rendre ni être rendu et qui en avait assez des mensonges officiels se leva +2143 +qui en cas désespéré eussent certainement passé avec les autres provisions pour la vie générale les gares les halles tous les monuments étaient remplis +2144 +félix pyat trop soupçonneux mais payé pour l'être et les échappés de juin et de décembre revoyaient les jours qu'ils avaient vécus déjà les révolutionnaires espérant se passer pour vaincre du gouvernement +2145 +ces tristes figurants ne manquent jamais dans toutes les révoltes quelques-uns y apprennent pourquoi il y a des révoltés l'affaire du trente et un octobre fut ainsi libellée par les juges au service de la défense nationale +2146 +au bout de trois ou quatre heures un colonel vint nous interroger mais nous ne voulûmes rien répondre avant que la pauvre vieille eût été mise en liberté sa frayeur et la burette d'huile vacillant dans ses mains témoignaient assez qu'elle n'avait pas manifesté +2147 +on venait de lui passer un papier sur lequel étaient écrites les volontés populaires déchéance du gouvernement la commune résistance à mort pas d'amnistie +2148 +il a mieux aimé en référer à l'opinion publique qui est sa vraie force c'est à elle qu'il dénonce les lignes odieuses qui suivent et qui sont écrites dans le journal le combat dirigé par m félix pyat +2149 +déshonore son pays par une trahison nous donnons à ces deux inventions le démenti le plus net dénoncées à un conseil de guerre elles exposeraient leur fabricateur au châtiment le plus sévère +2150 +comme une haute trahison le maréchal bazaine a envoyé un colonel au roi de prusse pour traiter de la reddition de metz et de la paix au nom de sa majesté l'empereur napoléon trois le combat +2151 +quelques heures plus tard un membre du gouvernement arrivant à l'hôtel de ville nous fit mettre en liberté l'étudiant andrée leo et moi moitié par la force moitié avec des mensonges la manifestation avait été dispersée +2152 +la générale battait dans paris l'affiche c'était le décret de convocation pour le lendemain afin de nommer la commune vive la commune crièrent les gardes nationaux présents +2153 +il émit alors cette idée la même que lullier proposait quelques semaines auparavant que paris investi n'aurait jamais sur un seul point de l'enceinte que quelques milliers d'hommes dont une sortie de deux cent mille pouvait et devait avoir raison +2154 +les courants suivaient la marche vers l'hôtel de ville venant de tous les côtés on bousculait les gobeurs et les mouchards la mer humaine grossissait +2155 +mais plus la situation empirait plus grandissait l'ardeur de la lutte l'élan était si général que tous sentaient le besoin d'en finir +2156 +une dépêche officielle affichée à paris le vingt neuf octobre annonçait avec des précautions infinies la prise du bourget devant le rapport signé schmidt +2157 +dans les parcs le luxembourg le bois de boulogne deux cent mille moutons quarante mille b ufs douze mille porcs entassés mouraient de faim et de tristesse les pauvres bêtes mais donnaient une espérance visible aux yeux de ceux qui s'inquiétaient +2158 +mieux eût valu dit une voix la commune révolutionnaire nommée par la foule qu'importe s'écria rochebrune pourvu qu'elle laisse paris se défendre de l'envahissement +2159 +ils sont prisonniers de guerre cette cruelle issue d'une lutte de près de trois mois causera dans toute la france une profonde et pénible émotion +2160 +journal officiel du gouvernement vingt huit octobre mille huit cent soixante dix le lendemain vingt neuf la déclaration du gouvernement insérée dans le combat était suivie de cette note +2161 +en attendant chacun trouvait du temps pour s'exercer au tir dans les baraques j'y étais pour ma part devenue assez forte ce que nous avons pu constater plus tard aux compagnies de marche de la commune +2162 +que la défense nationale a menti que plus que jamais le plan de trochu réglait la marche et l'ordre des défaites et que paris devait plus que jamais veiller lui-même à n'être pas livré +2163 +étaient déjà arrêtés les prisons s'emplissaient contenant parmi les révolutionnaires bon nombre de pauvres gens arrêtés comme toujours par méprise et qui n'avaient rien fait +2164 +la confiance au gouvernement diminuait de jour en jour on le jugeait incapable comme tout gouvernement du reste mais on comptait sur l'élan de paris +2165 +dès ce moment une rage l'emporta les haleines de l'invisible le grisaient l'horreur noire de ce trou battu d'une averse le jetait à une fureur de destruction +2166 +puis celui du niveau inférieur directement au-dessus du terrain houiller dans un sable jaune d'une finesse de farine coulant avec une fluidité liquide +2167 +lui dans l'armoire prit une veste et une culotte et ils ne se lavèrent pas par crainte de remuer la terrine tous dormaient mais il fallait traverser le couloir étroit où couchait la mère quand ils partirent le malheur voulut qu'ils butèrent contre une chaise +2168 +il y eut un nouveau silence l'allée blanche du canal se déroulait à l'infini tous deux marchaient du même pas étouffé comme retombés chacun dans son isolement au fond de l'horizon l'eau pâle semblait ouvrir le ciel d'une mince trouée de lumière +2169 +et les yeux du machineur allèrent de la jeune fille au camarade tandis qu'il reculait d'un pas avec un geste de brusque abandon quand il y avait une femme dans le coeur d'un homme l'homme était fini il pouvait mourir +2170 +le machineur haussa les épaules il avait le mépris des beaux parleurs des gaillards qui entrent dans la politique comme on entre au barreau pour y gagner des rentes à coups de phrases +2171 +il pleuvait les maladroits perdaient la tête dérangés par la pluie battante ils avaient mis vingt minutes pour en pendre quatre autres la corde cassait ils ne pouvaient achever le quatrième +2172 +neuf heures sonnaient au clocher de montsou et son compagnon ayant dit qu'il rentrait se coucher il ajouta sans même tendre la main eh bien adieu je pars comment tu pars +2173 +ils se turent ils restèrent un moment face à face sans trouver rien autre à se dire alors adieu adieu +2174 +et sa veste sous le bras il descendit doucement sans lampe mesurant la profondeur en comptant les échelles il savait que la cage frottait à trois cent soixante-quatorze mètres contre la cinquième passe du cuvelage inférieur +2175 +c'était une besogne de témérité folle pendant laquelle il manqua vingt fois de culbuter de faire le saut des cent quatre vingts mètres qui le séparaient du fond +2176 +tout de suite il commença par scier un panneau dans la cloison du goyot de manière à communiquer avec le compartiment d'extraction et à l'aide d'allumettes vivement enflammées et éteintes il put se rendre compte de l'état du cuvelage et des réparations récentes qu'on y avait faites +2177 +ah rien ni parents ni femme ni ami rien qui fasse trembler la main le jour où il faudra prendre la vie des autres ou donner le sien étienne s'était arrêté frissonnant sous la nuit fraîche +2178 +oui j'ai vu répondit le machineur eh bien qu'est-ce que tu en penses j'en pense que c'est fini le troupeau redescendra vous êtes tous trop lâches +2179 +la pesée des terrains contre les bois qui faisaient au puits une chemise de charpente les avait-elle tellement renflés à l'intérieur qu'une des cages d'extraction frottait au passage sur une longueur de plus de cinq mètres +2180 +enregistré par fanny germinal par émile zola septième partie chapitre deux le dimanche étienne s'échappa du coron dès la nuit tombée +2181 +pendant cinq minutes rien ne bougea puis il y eut un nouveau craquement et certain cette fois de ne pas s'être trompé il traversa la chambre il envoya les mains dans les ténèbres pour tâter le lit d'en face +2182 +il avait dû empoigner les guides de chêne les madriers où glissaient les cages et suspendu au-dessus du vide il voyageait le long des traverses dont ils étaient reliés de distance en distance +2183 +pendant qu'étienne montait au coron souvarine tourna le dos revint sur la berge du canal et là seul maintenant il marcha sans fin la tête basse si noyé de ténèbres qu'il n'était plus qu'une ombre mouvante de la nuit +2184 +alors devant cette vision de l'éternelle misère le machineur cria d'une voix farouche que si la justice n'était pas possible avec l'homme il fallait que l'homme disparût autant de sociétés pourries autant de massacres jusqu'à l'extermination du dernier être et le silence retomba +2185 +et c'était là que se trouvait le torrent cette mer souterrain la terreur des houillères du nord une mer avec ses tempêtes et ses naufrages une mer ignorée insondable roulant ses flots noirs à plus de trois cents mètres du soleil +2186 +annouchka était tout debout à attendre elle ne me voyait pas elle me cherchait dans la foule je suis monté sur une borne et elle m'a vu nos yeux ne se sont plus quittés quand elle a été morte elle me regardait toujours j'ai agité mon chapeau je suis parti +2187 +je veux travailler c'est mon idée habillons-nous et ne faisons pas de bruit ils s'habillèrent dans les ténèbres avec mille précautions elle secrètement avait préparé la veille ses vêtements de mineur +2188 +jamais il n'y rencontrait personne mais ce jour-là il fut contrarié en voyant venir à lui un homme et sous la pâle lumière des étoiles les deux promeneurs solitaires ne se reconnurent que face à face tiens c'est toi murmura étienne +2189 +aussi refusa-t-il de l'entendre lorsqu'elle s'alarma comprenant qu'il se dévouait pour elle redoutant les mauvaises paroles dont on l'accueillerait à la fosse il se moquait de tout les affiches promettaient le pardon et cela suffisait +2190 +seule la construction des cuvelages de ces pièces de charpente jointes entre elles comme les douves d'un tonneau parvenait à contenir les sources affluentes à isoler les puits au milieu des lacs dont les vagues profondes et obscures en battaient les parois +2191 +on devait chauffer seulement à deux heures pour la reprise du travail d'abord il monta prendre au fond d'une armoire une veste qu'il feignait d'avoir oubliée +2192 +recouche-toi murmura-t-elle je ne veux pas allumer ça réveillerait maman il est l'heure laisse-moi +2193 +sa surprise fut grande en y rencontrant la jeune fille assise l'haleine suspendue éveillée et aux aguets eh bien pourquoi ne réponds tu pas qu'est-ce que tu fais donc elle finit par dire je me lève à cette heure tu te lèves +2194 +une menace d'éboulement et d'inondation la fosse emplie de l'avalanche des terres et du déluge des sources souvarine à cheval dans l'ouverture pratiquée par lui constata une déformation très grave de la cinquième passe du cuvelage +2195 +va-t'en je vais m'habiller et ne dis rien n'est-ce pas si tu veux être gentil mais il demeurait près d'elle il l'avait prise à la taille dans une caresse de chagrin et de pitié +2196 +on s'était connu on avait peiné ensemble ça rend toujours triste l'idée de ne plus se voir tu pars et où vas-tu là-bas je n'en sais rien mais je te reverrai non je ne crois pas +2197 +il ne discuta pas il dit simplement nous sommes loin veux-tu que nous retournions ils revinrent vers le voreux avec lenteur et il ajouta au bout de quelques pas as-tu vu les nouvelles affiches +2198 +les yeux fixés sur la fosse vague dans l'ombre souvarine conclut tranquillement si ça crève les camarades le sauront puisque tu conseilles de redescendre +2199 +elle s'éveilla elle demanda dans l'engourdissement du sommeil hein qui est-ce catherine tremblante s'était arrêtée en serrant violemment la main d'étienne c'est moi ne vous inquiétez pas dit celui-ci j'étouffe je sors respirer un peu bon bon +2200 +eut un geste vague étonné du tremblement de la voix de ce brusque besoin de confidence chez ce garçon impassible d'habitude dans son détachement stoïque des autres et de lui-même il savait seulement que la femme était une maîtresse et qu'on l'avait pendue à moscou +2201 +il avait fallu en fonçant le voreux établir deux cuvelages celui du niveau supérieur dans les sables ébouleux et les argiles blanches qui avoisinent le terrain crétacé fissuré de toutes parts gonflé d'eau comme une éponge +2202 +eh bien donne-moi la main mon vieux bon voyage et sans rancune l'autre lui tendit une main glacée ni ami ni femme adieu pour tout de bon cette fois oui adieu +2203 +il s'acharna au hasard contre le cuvelage tapant où il pouvait à coups de vilebrequin à coups de scie pris du besoin de l'éventrer tout de suite sur sa tête et il y mettait une férocité comme s'il eût joué du couteau dans la peau d'un être vivant qu'il exécrait +2204 +elle nous apportait du pain tous les soirs déguisée en paysanne c'était elle aussi qui avait allumé la mèche parce qu'un homme aurait pu être remarqué j'ai suivi le procès caché dans la foule pendant six longues journées +2205 +il les comptait comme le boucher compte les bêtes à l'entrée de l'abattoir et il était surpris de leur nombre il ne prévoyait pas même dans son pessimisme que ce nombre de lâches pût être si grand la queue s'allongeait toujours il se raidissait très froid les dents serrées les yeux clairs +2206 +un ciel très pur criblé d'étoiles éclairait la terre d'une clarté bleue de crépuscule il descendit vers le canal il suivit lentement la berge en remontant du côté de marchiennes +2207 +dans cette descente des roches parfois des lignes de cassure se produisaient se propageaient lentement jusqu'aux charpentes qu'elles déformaient à la longue en les repoussant à l'intérieur du puits et le grand danger était là +2208 +souvarine hocha la tête sans répondre un instant ils restèrent immobiles puis côte à côte ils repartirent vers marchiennes chacun semblait continuer ses réflexions comme très loin l'un de l'autre +2209 +et il se voyait marié dans une petite maison propre sans autre ambition que de vivre et de mourir là tous les deux du pain le contenterait même s'il n'y en avait que pour un le morceau serait pour elle à quoi bon autre chose est-ce que la vie valait davantage +2210 +il se coulait s'asseyait se renversait simplement arc-bouté sur un coude ou sur un genou dans un tranquille mépris de la mort un souffle l'aurait précipité à trois reprises il se rattrapa dans un frisson +2211 +sans hâte il souffla il rentra dans le goyot des échelles dont il boucha le trou en replaçant le panneau qu'il avait scié c'était assez il ne voulait pas donner l'éveil par un dégât trop grand qu'on aurait tenté de réparer tout de suite +2212 +rentre chez toi je le veux entends-tu mais catherine s'étant approchée il la reconnut elle aussi étienne protestait déclarait qu'il ne laissait à personne le soin de juger sa conduite +2213 +puis elle s'était mise à pleurer tout bas en le prenant à son tour par le cou pour le garder contre elle dans une étreinte désespérée et ils restaient sans autre désir avec le passé de leurs amours malheureuses qu'ils n'avaient pas pu satisfaire était-ce donc à jamais fini +2214 +un vol d'oiseau nocturne au travers des charpentes d'un clocher mais il se calma mécontent de lui est-ce qu'on ne pouvait faire les choses froidement +2215 +sans doute il avait rêvé et il se renfonçait lorsque le bruit recommença c'était un craquement de paillasse l'effort étouffé d'une personne qui se lève alors il s'imagina que catherine se trouvait indisposée +2216 +eh bien n'était-il pas à craindre que le monde nouveau ne repoussât gâté lentement des mêmes injustices les uns malades et les autres gaillards les uns plus adroits plus intelligents s'engraissant de tout et les autres imbéciles et paresseux redevenant des esclaves +2217 +maintenant c'était en lui un tel calme une guérison si complète de ses doutes qu'il s'entêtait en homme sauvé par le hasard et qui avait trouvé enfin l'unique porte à son tourment +2218 +souvarine était demeuré debout près de l'avantage à l'angle de la route depuis une demi-heure il regardait les charbonniers qui retournaient au travail confus dans l'ombre passant avec leur sourd piétinement de troupeau +2219 +mais il tressaillit parmi ces hommes qui défilaient et dont il ne distinguait pas les visages il venait pourtant d'en reconnaître un à sa démarche il s'avança il l'arrêta où vas-tu +2220 +d'abord il tâtait de la main puis il travaillait n'enflammant une allumette que lorsqu'il s'égarait au milieu de ces poutres gluantes après avoir desserré les vis il s'attaqua aux pièces mêmes +2221 +tandis que par les trous et les fentes l'eau qui s'échappait en jets minces l'aveuglait et le trempait d'une pluie glacée deux allumettes s'éteignirent toutes se mouillaient c'était la nuit une profondeur sans fond de ténèbres +2222 +entre calais et valenciennes le fonçage des puits de mine rencontrait des difficultés inouïes pour traverser les masses d'eau séjournant sous terre en nappes immenses au niveau des vallées les plus basses +2223 +mais tous les chefs accueillaient les observations de la même phrase irritée c'était du charbon qu'on voulait on consoliderait mieux plus tard vois-tu que ça crève murmura étienne on serait à la noce +2224 +quand il eut compté cinquante-quatre échelles il tâta de la main il sentit le renflement des pièces de bois c'était là alors avec l'adresse et le sang-froid d'un bon ouvrier qui a longtemps médité sur sa besogne il se mit au travail +2225 +dis c'est toi qu'est-ce que tu as demanda-t-il à voix basse personne ne répondit seuls les ronflements des autres continuaient +2226 +as-tu vu dans le journal le succès de pluchart à paris demanda enfin étienne on l'attendait sur le trottoir on lui a fait une ovation au sortir de cette réunion de belleville oh le voilà lancé malgré son rhume il ira où il voudra désormais +2227 +d'ordinaire les cuvelages tenaient bon sous la pression énorme ils ne redoutaient guère que le tassement des terrains voisins ébranlés par le travail continu des anciennes galeries d'exploitation qui se comblaient +2228 +l'affaire n'avait pas marché raconta souvarine les yeux perdus à présent sur la fuite blanche du canal entre les colonnades bleuies des grands arbres +2229 +nous étions restés quatorze jours au fond d'un trou à miner la voie du chemin de fer et ce n'est pas le train impérial c'est un train de voyageurs qui a sauté alors on a arrêté annouchka +2230 +il la tuerait à la fin cette bête mauvaise du voreux à la gueule toujours ouverte qui avait englouti tant de chair humaine on entendait la morsure de ses outils son échine s'allongeait il rampait descendait remontait se tenant encore par miracle dans un branle continu +2231 +les pièces de bois faisaient ventre en dehors des cadres plusieurs même étaient sorties de leur épaulement des filtrations abondantes des pichoux comme disent les mineurs +2232 +souvarine redevenu silencieux répondait brièvement il avait encore travaillé la veille la cage frottait en effet les machineurs devaient même doubler la vitesse pour passer à cet endroit +2233 +étienne fiévreusement excusa les camarades un homme peut être brave une foule qui meurt de faim est sans force pas à pas ils étaient revenus au voreux +2234 +sans doute il avait juré seulement ce n'était pas une existence d'attendre les bras croisés des choses qui arriveraient dans cent ans peut-être et d'ailleurs des raisons à lui le décidaient souvarine l'avait écouté frémissant il l'empoigna par une épaule il le rejeta vers le coron +2235 +à la même heure étienne qui ne dormait pas s'inquiéta d'un bruit léger dans l'épaisse nuit de la chambre il distinguait le petit souffle des enfants les ronflements de bonnemort et de la maheude tandis que près de lui jeanlin sifflait une note prolongée de flûte +2236 +et je devinais bien qu'elle me disait non de ses grands yeux fixes lorsqu'elle rencontrait les miens il toussa encore le dernier jour sur la place j'étais là +2237 +et devant la masse noire de la fosse il continua il jura de ne jamais redescendre lui mais il pardonnait à ceux qui redescendraient ensuite comme le bruit courait que les charpentiers n'avaient pas eu le temps de réparer le cuvelage il désira savoir était-ce vrai +2238 +par instants il s'arrêtait il comptait les heures au loin lorsque minuit sonna il quitta la berge et se dirigea vers le voreux à ce moment la fosse était vide il n'y rencontra qu'un porion les yeux gros de sommeil +2239 +et souvarine immobile dans les ténèbres suivit du regard étienne et catherine qui entraient au voreux fin du chapitre deux de la septième partie +2240 +c'étaient de grands placards jaunes que la compagnie avait encore fait coller dans la matinée elle s'y montrait plus nette et plus conciliante elle promettait de reprendre le livret des mineurs qui redescendraient le lendemain tout serait oublié le pardon était offert même aux plus compromis +2241 +et lui-même s'étonna d'avoir dit cette chose il avait juré de ne pas redescendre d'où venait donc cette décision brusque sortie de ses lèvres sans qu'il y eût songé sans qu'il l'eût discutée un instant +2242 +sa voix s'embarrassa il fut pris d'un accès de toux comme s'il étranglait deux fois j'ai eu envie de crier de m'élancer par-dessus des têtes pour la rejoindre mais à quoi bon un homme de moins c'est un soldat de moins +2243 +peut-être revit-il en une vision rapide là-bas à moscou sa maîtresse pendue ce dernier lien de sa chair coupé qui l'avait rendu libre de la vie des autres et de la sien il dit simplement va +2244 +c'était notre punition continua durement souvarine nous étions coupables de nous aimer oui cela est bon qu'elle soit morte il naîtra des héros de son sang et moi je n'ai plus de lâcheté au coeur +2245 +cependant le camarade s'entêtait voulait raisonner et il exprimait ses doutes par une hypothèse la vieille société n'existait plus on en avait balayé jusqu'aux miettes +2246 +et le péril grandit encore il avait cherché la clef la pièce qui tenait les autres il s'acharnait contre elle la trouait la sciait l'amincissait pour qu'elle perdît de sa résistance +2247 +puis il tressaillit sans cause comme s'il s'était heurté contre une ombre ses yeux se levèrent sa face apparut très pâle et il dit doucement à son compagnon est-ce que je t'ai conté comment elle est morte qui donc ma femme là-bas en russie +2248 +la bête avait sa blessure au ventre on verrait si elle vivait encore le soir et il avait signé le monde épouvanté saurait qu'elle n'était pas morte de sa belle mort il prit le temps de rouler méthodiquement les outils dans sa veste il remonta les échelles avec lenteur +2249 +elle aimait mieux courir le risque d'être bousculée là-bas par chaval et si sa mère refusait son argent quand elle le lui apporterait eh bien elle était assez grande pour se mettre à part et faire elle-même sa soupe +2250 +des outils un vilebrequin armé de sa mèche une petite scie très forte un marteau et un ciseau se trouvaient roulés dans cette veste puis il repartit mais au lieu de sortir par la baraque il enfila l'étroit couloir qui menait au goyot des échelles +2251 +les maigres mangeant les gras le peuple fort dévorant la blême bourgeoisie mais souvarine s'emporta se répandit sur la bêtise des socialistes qui acceptent darwin cet apôtre de l'inégalité scientifique dont la fameuse sélection n'était bon que pour des philosophes aristocrates +2252 +longtemps la tête basse souvarine marcha sur l'herbe fine si absorbé qu'il suivait l'extrême bord de l'eau avec la tranquille certitude d'un homme endormi rêvant le long des gouttières +2253 +un mouvement considérable se produisait évidemment derrière dans les sables du torrent alors avec son vilebrequin il desserra les vis des équerres de façon à ce qu'une dernière poussée pût les arracher toutes +2254 +elle cependant dénouait ses bras nus je t'en prie laisse alors dans un élan de son coeur il lui dit à l'oreille attends je vais avec toi +2255 +c'était sa promenade favorite un sentier gazonné de deux lieues filant tout droit le long de cette eau géométrique qui se déroulait pareille à un lingot sans fin d'argent fondu +2256 +et la maheude se rendormit catherine n'osait plus bouger enfin elle descendit dans la salle elle partagea une tartine qu'elle avait réservée sur un pain donné par une dame de montsou puis doucement ils refermèrent la porte ils s'en allèrent +2257 +étienne maintenant en était à darwin il en avait lu des fragments résumés et vulgarisés dans un volume à cinq sous et de cette lecture mal comprise il se faisait une idée révolutionnaire du combat pour l'existence +2258 +oui je retourne travailler à la fosse très ému étienne dut s'asseoir au bord de la paillasse pendant que catherine lui expliquait ses raisons elle souffrait trop de vivre ainsi oisive en sentant peser sur elle de continuels regards de reproche +2259 +étienne saisi au lieu de répondre balbutiait tiens tu n'es pas encore parti puis il avoua il retournait à la fosse +2260 +puis quand il fut sorti de la fosse sans être vu l'idée d'aller changer de vêtements ne lui vint même pas trois heures sonnaient il resta planté sur la route il attendit +2261 +il n'écoutait point il la pressait éperdument le coeur noyé d'une tristesse immense un besoin de paix un invincible besoin d'être heureux l'envahissait +2262 +jaillissaient des joints au travers du brandissage d'étoupes goudronnées dont on les garnissait et les charpentiers pressés par le temps s'étaient contentés de poser aux angles des équerres de fer avec une telle insouciance que toutes les vis n'étaient pas mises +2263 +oui j'ai redemandé mon livret je vais ailleurs étienne stupéfait émotionné le regardait c'était après deux heures de promenade qu'il lui disait ça et d'une voix si calme lorsque la seule annonce de cette brusque séparation lui serrait le coeur à lui +2264 +en chemise serrés l'un contre l'autre ils sentaient la chaleur de leur peau nue au bord de cette couche tiède du sommeil de la nuit elle d'un premier mouvement avait essayé de se dégager +2265 +il était fermement persuadé que l'année était de trois cent soixante et cinq jours et un quart malgré la nouvelle philosophie de son temps et que le soleil était au centre du monde +2266 +le grand veneur et tous les autres officiers couraient après lui avec autant d'inquiétude que le premier eunuque après la chienne le grand veneur s'adressa à zadig et lui demanda s'il n'avait point vu passer le cheval du roi +2267 +l'ordre du roi portait que l'étiquette suivante serait inviolablement observée et voici comme les choses se passèrent le premier jour dès que le voluptueux irax fut éveillé +2268 +mais que du pied droit on attendait le jour de la fête solennelle du feu sacré pour savoir quelle secte serait favorisée par zadig l'univers avait les yeux sur ses deux pieds et toute la ville était en agitation et en suspens +2269 +il eut un songe il lui semblait qu'il était couché d'abord sur des herbes sèches parmi lesquelles il y en avait quelques unes de piquantes qui l'incommodaient +2270 +une fille fort riche avait fait une promesse de mariage à deux mages et après avoir reçu quelques mois des instructions de l'un et de l'autre elle se trouva grosse +2271 +il s'éleva une grande dispute sur une loi de zoroastre qui défendait de manger du griffon comment défendre le griffon disaient les uns si cet animal n'existe pas +2272 +on lui donna tous les biens de l'envieux qui l'avait injustement accusé mais zadig les rendit tous et l'envieux ne fut touché que du plaisir de ne pas perdre son bien l'estime du roi s'accrut de jour en jour pour zadig +2273 +elle lui dit ô zadig je vous aimais comme mon époux je vous aime comme celui à qui je dois l'honneur et la vie jamais il n'y eut un coeur plus pénétré que celui de sémire +2274 +parce que vous ne marchez guère ou que vous marchez sur des tapis d'iran ou sur des roses je vous offre la traduction d'un livre d'un ancien sage qui ayant le bonheur de n'avoir rien à faire eut celui de s'amuser à écrire l'histoire de zadig +2275 +enfin outré d'entendre toujours chanter ah combien monseigneur doit être content de lui-même d'entendre toujours dire qu'il avait raison et d'être harangué chaque jour à la même heure +2276 +la dame qui dans ces heureuses circonstances interprétait tout à son avantage s'imagina que cela voulait dire vous êtes plus belle que la reine astarté elle sortit du sérail de zadig avec de très beaux présents +2277 +ils le firent conduire devant l'assemblée du grand desterham qui le condamna au knout et à passer le reste de ses jours en sibérie à peine le jugement fut-il rendu qu'on retrouva le cheval et la chienne +2278 +cependant zadig s'apercevait qu'il avait toujours des distractions quand il donnait des audiences et quand il jugeait il ne savait à quoi les attribuer c'était là sa seule peine +2279 +votre esprit n'emprunte jamais ses agréments des traits de la médisance vous ne dites de mal ni n'en faites malgré la prodigieuse facilité que vous y auriez +2280 +j'ai jugé enfin par les marques que ses fers ont laissées sur des cailloux d'une autre espèce qu'il était ferré d'argent à onze deniers de fin +2281 +qu'il est dangereux de se mettre à la fenêtre et qu'il est difficile d'être heureux dans cette vie +2282 +chapitre un le borgne du temps du roi moabdar il y avait à babylone un jeune homme nommé zadig né avec un beau naturel fortifié par l'éducation +2283 +le bruit des chars qui entraient le soir chez zadig l'importunait le bruit de ses louanges l'irritait davantage il allait quelquefois chez zadig et se mettait à table sans être prié il y corrompait toute la joie de la société comme on dit que les harpies infectent les viandes qu'elles touchent +2284 +le roi ordonna aussitôt qu'on fît venir zadig devant lui et qu'on fît sortir de prison ses deux amis et la belle dame zadig se jeta le visage contre terre aux pieds du roi et de la reine il leur demanda très humblement pardon d'avoir fait de mauvais vers +2285 +il fit sentir à tout le monde le pouvoir sacré des lois et ne fit sentir à personne le poids de sa dignité il ne gêna point les voix du divan et chaque vizir pouvait avoir un avis sans lui déplaire +2286 +voilà un étrange remède dit azora pas plus étrange répondit-il que le sachet du sieur arnoult contre l'apoplexie +2287 +ils voulaient tous deux l'épouser je prendrai pour mon mari dit-elle celui des deux qui m'a mise en état de donner un citoyen à l'empire c'est moi qui ai fait cette bonne oeuvre dit l'un c'est moi qui ai eu cet avantage dit l'autre +2288 +j'ai connu que ce cheval y avait touché et qu'ainsi il avait cinq pieds de haut quant à son mors il doit être d'or à vingt-trois carats car il en a frotté les bossettes contre une pierre que j'ai reconnue être une pierre de touche et dont j'ai fait l'essai +2289 +la reine qui se souvenait de ce qui avait été écrit sur une pièce de la tablette de zadig se la fit apporter on confronta les deux morceaux qui s'ajustaient ensemble parfaitement on lut alors les vers tels que zadig les avait faits +2290 +j'ai été consoler la jeune veuve cosrou qui vient d'élever depuis deux jours un tombeau à son jeune époux auprès du ruisseau qui borde cette prairie +2291 +l'envieux qui resta dans le jardin chercha tant qu'il trouva un morceau de la feuille elle avait été tellement rompue que chaque moitié de vers qui remplissait la ligne faisait un sens +2292 +cette raison jointe à l'extrême mérite du jeune homme détermina enfin la dame après tout dit-elle quand mon mari passera du monde d'hier dans le monde du lendemain sur le pont +2293 +elle alla conter son aventure à l'envieuse qui était son amie intime celle-ci fut cruellement piquée de la préférence il n'a pas daigné seulement dit-elle me rattacher cette jarretière que voici et dont je ne veux plus me servir +2294 +les deux autres chambellans firent de grands éclats de rire des bons mots qu'irax avait dits ou qu'il avait dû dire après dîner on lui répéta la cantate +2295 +il y avait une grande querelle dans babylone qui durait depuis quinze cents années et qui partageait l'empire en deux sectes opiniâtres l'une prétendait qu'il ne fallait jamais entrer dans le temple de mithra que du pied gauche l'autre avait cette coutume en abomination et n'entrait +2296 +la poussière des arbres dans une route étroite qui n'a que sept pieds de large était un peu enlevée à droite et à gauche à trois pieds et demi du milieu de la route +2297 +la dureté du fer l'éclat du diamant et beaucoup d'affinité avec l'or puisqu'il m'est permis de parler devant cette auguste assemblée je vous jure par orosmade que je n'ai jamais vu la chienne respectable de la reine ni le cheval sacré du roi des rois +2298 +le premier satrape rapporta à haute voix les actions qui pouvaient mériter à leurs auteurs ce prix inestimable il ne parla point de la grandeur d'âme avec laquelle zadig avait rendu à l'envieux toute sa fortune +2299 +le maître de musique entra suivi des voix et des violons on chanta une cantate qui dura deux heures et de trois minutes en trois minutes le refrain était +2300 +les plus implacables haines n'ont pas souvent des fondements plus importants cet homme qu'on appelait l'envieux dans babylone voulut perdre zadig parce qu'on l'appelait l'heureux +2301 +les savants le regardaient comme leur oracle les prêtres même avouaient qu'il en savait plus que le vieux archimage yébor on était bien loin alors de lui faire des procès sur les griffons on ne croyait que ce qui lui semblait croyable +2302 +le dîner dura trois heures dès qu'il ouvrit la bouche pour parler le premier chambellan dit il aura raison à peine eut-il prononcé quatre paroles que le second chambellan s'écria il a raison +2303 +tous les juges admirèrent le profond et subtil discernement de zadig la nouvelle en vint jusqu'au roi et à la reine on ne parlait que de zadig dans les antichambres dans la chambre et dans le cabinet +2304 +l'arrosa de ses larmes et s'approcha pour couper le nez à zadig qu'elle trouva tout étendu dans la tombe zadig se relève en tenant son nez d'une main et arrêtant le rasoir de l'autre madame lui dit-il ne criez plus tant contre la jeune cosrou +2305 +à laquelle il disait souvent des choses galantes sans autre intention que celle de les dire la conversation roulait sur une guerre que le roi venait de terminer heureusement contre le prince d'hyrcanie son vassal +2306 +il quitta en pleurant sa maîtresse et courut délivrer sa mère il retourna ensuite vers celle qu'il aimait et la trouva expirante il voulut se tuer sa mère lui remontra qu'elle n'avait que lui pour tout secours et il eut le courage de souffrir la vie +2307 +zadig ou la destinée de voltaire chapitre un approbation je soussigné qui me suis fait passer pour savant et même pour homme d'esprit +2308 +il visita le malade et déclara qu'il perdrait l'oeil il prédit même le jour et l'heure où ce funeste accident devait arriver +2309 +il avait un ami nommé cador qui était un de ces jeunes gens à qui sa femme trouvait plus de probité et de mérite qu'aux autres il le mit dans sa confidence et s'assura autant qu'il le pouvait de sa fidélité par un présent considérable +2310 +zadig commençait à croire qu'il n'est pas si difficile d'être heureux fin des chapitre quatre lu par dave scan +2311 +voici ce qui m'est arrivé je me promenais vers le petit bois où j'ai rencontré depuis le vénérable eunuque et le très illustre grand-veneur j'ai vu sur le sable les traces d'un animal et j'ai jugé aisément que c'étaient celles d'un petit chien +2312 +il se fit moins encenser eut moins de fêtes et fut plus heureux car comme dit le sadder toujours du plaisir n'est pas du plaisir +2313 +elle lui fit entendre que les dieux le punissaient en lui refusant les précieux effets de ce feu sacré par lequel seul l'homme est semblable aux immortels +2314 +il parla avec tant de grâce d'esprit et de raison que le roi et la reine voulurent le revoir il revint et plut encore davantage +2315 +la dame inquiète et empressée fit apporter toutes les essences dont elle se parfumait pour essayer s'il n'y en avait pas quelqu'une qui fût bonne pour le mal de rate +2316 +elle n'était point occupée de son danger elle ne pensait qu'à son cher zadig celui-ci dans le même temps la défendait avec toute la force que donnent la valeur et l'amour +2317 +le roi disait le grand ministre la reine disait l'aimable ministre et tous deux ajoutaient c'eût été grand dommage qu'il eût été pendu +2318 +dit zadig voilà une femme estimable qui aimait véritablement son mari ah reprit azora si vous saviez à quoi elle s'occupait quand je lui ai rendu visite à quoi donc belle azora +2319 +des sillons légers et longs imprimés sur de petites éminences de sable entre les traces des pattes m'ont fait connaître que c'était une chienne dont les mamelles étaient pendantes et qu'ainsi elle avait fait des petits il y a peu de jours +2320 +il trouva ainsi le secret d'expédier le matin les affaires particulières et les générales le reste du jour il s'occupait des embellissements de babylone +2321 +et il osa en dire du bien j'avoue que j'ai vu dans nos histoires des exemples qu'on a payé de son bien une erreur qu'on a cédé sa maîtresse qu'on a préféré une mère à l'objet de son amour +2322 +il est sec et sans génie disaient-ils on ne voit chez lui ni la mer s'enfuir ni les étoiles tomber ni le soleil se fondre comme de la cire il n'a point le bon style oriental +2323 +elle finit par laisser tomber sa jarretière zadig la ramassa avec sa politesse ordinaire mais il ne la rattacha point au genou de la dame et cette petite faute si c'en est une fut la cause des plus horribles infortunes +2324 +quand tu manges donne à manger aux chiens dussent-ils te mordre il était aussi sage qu'on peut l'être car il cherchait à vivre avec des sages +2325 +une pêche y avait été portée d'un arbre voisin par le vent elle était tombée sur un morceau de tablettes à écrire auquel elle s'était collée l'oiseau enleva la pêche et la tablette et les porta sur les genoux du monarque +2326 +etes-vous sujet à cette cruelle maladie lui dit-elle avec compassion elle me met quelquefois au bord du tombeau lui répondit cador et il n'y a qu'un seul remède qui puisse me soulager c'est de m'appliquer sur le côté le nez d'un homme qui soit mort la veille +2327 +il n'imaginait point de faire de la soie avec des toiles d'araignée ni de la porcelaine avec des bouteilles cassées mais il étudia surtout les propriétés des animaux et des plantes et il acquit bientôt une sagacité +2328 +quoique riche et jeune il savait modérer ses passions il n'affectait rien il ne voulait point toujours avoir raison et savait respecter la faiblesse des hommes +2329 +ce jour mémorable venu le roi parut sur son trône environné des grands des mages et des députés de toutes les nations qui venaient à ces jeux où la gloire s'acquérait non par la légèreté des chevaux non par la force du corps mais par la vertu +2330 +elle regretta beaucoup que le grand hermès ne fût pas encore à babylone elle daigna même toucher le côté où cador sentait de si vives douleurs +2331 +mais vous m'avez fait du bien voilà donc de quoi dépendent les destins des hommes mais ajouta-t-il un bonheur si étrange sera peut-être bientôt évanoui +2332 +deux jours après l'abcès perça de lui-même zadig fut guéri parfaitement hermès écrivit un livre où il lui prouva qu'il n'avait pas dû guérir zadig ne le lut point +2333 +l'ami cador un ami vaut mieux que cent prêtres alla trouver le vieux yébor et lui dit vivent le soleil et les griffons gardez-vous bien de punir zadig c'est un saint il a des griffons dans sa basse-cour et il n'en mange point +2334 +quoiqu'on vous loue du soir au matin et que par toutes ces raisons vous soyez en droit de n'avoir pas le sens commun cependant vous avez l'esprit très sage et le goût très fin et je vous ai entendue raisonner mieux que de vieux derviches à longue barbe et à bonnet pointu +2335 +il choisit azora la plus sage et la mieux née de la ville il l'épousa et vécut un mois avec elle dans les douceurs de l'union la plus tendre +2336 +c'est l'aîné qui aime le mieux son père le cadet aime mieux sa soeur c'est à l'aîné qu'appartiennent les trente mille pièces zadig les fit venir tous deux l'un après l'autre il dit à l'aîné +2337 +s'il n'y en a point nous en mangerons encore moins et par là nous obéirons tous à zoroastre un savant qui avait composé treize volumes sur les propriétés du griffon et qui de plus était grand théurgite se hâta d'aller accuser zadig devant un archimage nommé yébor +2338 +il avait dans un faubourg de babylone une maison ornée avec goût où il rassemblait tous les arts et tous les plaisirs dignes d'un honnête homme le matin sa bibliothèque était ouverte à tous les savants le soir sa table l'était à la bonne compagnie mais il connut bientôt combien les savants sont dangereux +2339 +l'occasion de faire du mal se trouve cent fois par jour et celle de faire du bien une fois dans l'année comme dit zoroastre l'envieux alla chez zadig qui se promenait dans ses jardins avec deux amis et une dame +2340 +ils virent venir à eux des hommes armés de sabres et de flèches c'étaient les satellites du jeune orcan neveu d'un ministre à qui les courtisans de son oncle avaient fait accroire que tout lui était permis +2341 +ce que c'est que la substance et l'accident l'abstrait et le concret les monades et l'harmonie préétablie moi dit le second je tâcherai de le rendre juste et digne d'avoir des amis +2342 +la dame pleura se fâcha s'adoucit le souper fut plus long que le dîner on se parla avec plus de confiance +2343 +elle lui jura par mithra par le zenda vesta et par le feu sacré qu'elle avait détesté la conduite de son mari elle lui confia ensuite que ce mari était un jaloux un brutal +2344 +et il chercha son bonheur dans l'étude de la nature rien n'est plus heureux disait-il qu'un philosophe qui lit dans ce grand livre que dieu a mis sous nos yeux les vérités qu'il découvre sont à lui il nourrit et il élève son âme +2345 +jamais homme en place ne fut obligé de donner tant d'audiences aux dames la plupart venaient lui parler des affaires qu'elles n'avaient point pour en avoir une avec lui la femme de l'envieux s'y présenta des premières +2346 +zadig s'écria à quoi tient le bonheur tout me persécute dans ce monde jusqu'aux êtres qui n'existent pas il maudit les savants et ne voulut plus vivre qu'en bonne compagnie +2347 +toutes les belles dames de babylone applaudirent à ce choix car depuis la fondation de l'empire il n'y avait jamais eu de ministre si jeune tous les courtisans furent fâchés l'envieux en eut un crachement de sang et le nez lui enfla prodigieusement +2348 +il faut bien qu'il existe disaient les autres puisque zoroastre ne veut pas qu'on en mange zadig voulut les accorder en leur disant s'il y a des griffons n'en mangeons point +2349 +et quand les principaux mages lui disaient avec une hauteur insultante qu'il avait de mauvais sentiments et que c'était être ennemi de l'état que de croire que le soleil tournait sur lui-même et que l'année avait douze mois il se taisait sans colère et sans dédain +2350 +zadig ayant remercié le roi et la reine alla remercier aussi le perroquet bel oiseau lui dit-il c'est vous qui m'avez sauvé la vie et qui m'avez fait premier ministre la chienne et le cheval de leurs majestés m'avaient fait beaucoup de mal +2351 +on allait aux voix le roi prononçait le jugement on venait à cette solennité des extrémités de la terre le vainqueur recevait des mains du monarque une coupe d'or garnie de pierreries +2352 +je plaignais de lui avec violence et tous mes courtisans m'assuraient que j'étais trop doux c'était à qui me dirait le plus de mal de coreb je demandai à zadig ce qu'il en pensait +2353 +sa blessure était légère elle guérit bientôt zadig était blessé plus dangereusement un coup de flèche reçu près de l'oeil lui avait fait une plaie profonde +2354 +les noirs assuraient que dieu avait en horreur les prières des hommes qui se tournaient vers le couchant d'été zadig ordonna qu'on se tournât comme on voudrait +2355 +et comme j'ai remarqué que le sable était toujours moins creusé par une patte que par les trois autres j'ai compris que la chienne de notre auguste reine était un peu boiteuse si je l'ose dire +2356 +c'était du temps où les arabes et les persans commençaient à écrire des mille et une nuits des mille et un jours et cetera ouloug aimait mieux la lecture de zadig mais les sultanes aimaient mieux les mille et un +2357 +enfin votre âme m'a toujours paru pure comme votre beauté vous avez même un petit fonds de philosophie qui m'a fait croire que vous prendriez plus de goût qu'une autre à cet ouvrage d'un sage +2358 +jamais bouche plus ravissante n'exprima des sentiments plus touchants par ces paroles de feu qu'inspirent le sentiment du plus grand des bienfaits et le transport le plus tendre de l'amour le plus légitime +2359 +il brisa en deux la feuille des tablettes sur laquelle il venait d'écrire et jeta les deux moitiés dans un buisson de roses où on les chercha inutilement une petite pluie survint on regagna la maison +2360 +c'est répondit zadig le cheval qui galope le mieux il a cinq pieds de haut le sabot fort petit il porte une queue de trois pieds et demi de long les bossettes de son mors sont d'or à vingt-trois carats ses fers sont d'argent à onze deniers +2361 +zadig prononça que tu sois son père ou non tu épouseras sa mère il venait tous les jours des plaintes à la cour contre l'itimadoulet de médie nommé irax +2362 +il fallut d'abord payer cette amende après quoi il fut permis à zadig de plaider sa cause au conseil du grand desterham il parla en ces termes étoiles de justice abîmes de science miroirs de vérité qui avez la pesanteur du plomb +2363 +il termina aussi heureusement le grand procès entre les mages blancs et les mages noirs les blancs soutenaient que c'était une impiété de se tourner en priant dieu vers l'orient d'hiver +2364 +ensuite il fit paraître un soldat qui dans la guerre d'hyrcanie avait donné encore un plus grand exemple de générosité des soldats ennemis lui enlevaient sa maîtresse et il la défendait contre eux on vint lui dire que d'autres hyrcaniens enlevaient sa mère à quelques pas de là +2365 +zadig qui avait signalé son courage dans cette courte guerre louait beaucoup le roi et encore plus la dame il prit ses tablettes et écrivit quatre vers qu'il fit sur-le-champ et qu'il donna à lire à cette belle personne +2366 +le prince curieux y lut des mots qui ne formaient aucun sens et qui paraissaient des fins de vers il aimait la poésie et il y a toujours de la ressource avec les princes qui aiment les vers l'aventure de son perroquet le fit rêver +2367 +sémire ne demandait aux dieux que la guérison de son amant ses yeux étaient nuit et jour baignés de larmes elle attendait le moment où ceux de zadig pourraient jouir de ses regards +2368 +il ne prétendait pas en savoir plus que les artistes il les récompensait par des bienfaits et des distinctions et n'était point jaloux en secret de leurs talents le soir il amusait beaucoup le roi et surtout la reine +2369 +les juges furent dans la douloureuse nécessité de réformer leur arrêt mais ils condamnèrent zadig à payer quatre cents onces d'or pour avoir dit qu'il n'avait point vu ce qu'il avait vu +2370 +il faisait représenter des tragédies où l'on pleurait et des comédies où l'on riait ce qui était passé de mode depuis longtemps et ce qu'il fit renaître parce qu'il avait du goût +2371 +je me flatte que vous ne leur ressemblerez pas et que vous serez un vrai ouloug j'espère même que quand vous serez lasse des conversations générales qui ressemblent assez aux mille et un à cela près qu'elles sont moins amusantes +2372 +zadig répondit modestement c'est une chienne et non pas un chien vous avez raison reprit le premier eunuque c'est une épagneule très petite ajouta zadig +2373 +le plus sot des chaldéens et partant le plus fanatique cet homme aurait fait empaler zadig pour la plus grande gloire du soleil et en aurait récité le bréviaire de zoroastre d'un ton plus satisfait +2374 +les colombes ne sont pas plus voluptueuses les tortues ont moins de paresse il ne respirait que la fausse gloire et les faux plaisirs zadig entreprit de le corriger +2375 +il croyait que les lois étaient faites pour secourir les citoyens autant que pour les intimider son principal talent était de démêler la vérité que tous les hommes cherchent à obscurcir +2376 +et le roi lui disait ces paroles recevez ce prix de la générosité et puissent les dieux me donner beaucoup de sujets qui vous ressemblent +2377 +zadig ne se piquait pas d'être bon poète mais il était au désespoir d'être condamné comme criminel de lèse-majesté et de voir qu'on retînt en prison une belle dame et deux amis pour un crime qu'il n'avait pas fait +2378 +mais un abcès survenu à l'oeil blessé fit tout craindre on envoya jusqu'à memphis chercher le grand médecin hermès qui vint avec un nombreux cortège +2379 +zadig entra dans le temple en sautant à pieds joints et il prouva ensuite par un discours éloquent que le dieu du ciel et de la terre qui n'a d'acception de personne ne fait pas plus de cas de la jambe gauche que de la jambe droite +2380 +vis-à-vis de sa maison demeurait arimaze personnage dont la méchante âme était peinte sur sa grossière physionomie il était rongé de fiel et bouffi d'orgueil et pour comble c'était un bel esprit ennuyeux +2381 +d'autres traces en un sens différent qui paraissaient toujours avoir rasé la surface du sable à côté des pattes de devant m'ont appris qu'elle avait les oreilles très longues +2382 +il vit tranquille il ne craint rien des hommes et sa tendre épouse ne vient point lui couper le nez plein de ces idées il se retira dans une maison de campagne sur les bords de l'euphrate +2383 +cette jalousie qui ne venait que de sa vanité lui fit penser qu'il aimait éperdument sémire il voulait l'enlever les ravisseurs la saisirent et dans les emportements de leur violence ils la blessèrent +2384 +que son mérite est extrême que de grâces que de grandeur ah combien monseigneur doit être content de lui-même après l'exécution de la cantate un chambellan lui fit une harangue de trois quarts d'heure +2385 +qui lui découvrait mille différences où les autres hommes ne voient rien que d'uniforme un jour se promenant auprès d'un petit bois il vit accourir à lui un eunuque de la reine suivi de plusieurs officiers qui paraissaient dans la plus grande inquiétude +2386 +et qui couraient çà et là comme des hommes égarés qui cherchent ce qu'ils ont perdu de plus précieux jeune homme lui dit le premier eunuque n'avez-vous point vu le chien de la reine +2387 +par les plus grands forfaits j'ai vu troubler la terre sur le trône affermi le roi sait tout dompter dans la publique paix l'amour seul fait la guerre c'est le seul ennemi qui soit à redouter +2388 +cette première journée lui parut délicieuse il crut que le roi des rois l'honorait selon ses mérites la seconde lui parut moins agréable la troisième fut gênante la quatrième fut insupportable la cinquième fut un supplice +2389 +azora ayant passé deux jours chez une de ses amies à la campagne revint le troisième jour à la maison des domestiques en pleurs lui annoncèrent que son mari était mort subitement +2390 +la reine la babylonienne crut qu'enfin il était revenu à lui-même dans un bon moment et qu'il lui disait ma reine mais zadig toujours très distrait prononça le nom d'astarté +2391 +elle a promis aux dieux dans sa douleur de demeurer auprès de ce tombeau tant que l'eau de ce ruisseau coulerait auprès eh bien +2392 +hélas disait-il j'ai été longtemps couché sur ces herbes sèches et piquantes je suis maintenant sur le lit de roses mais quel sera le serpent +2393 +c'était la coutume à babylone de déclarer solennellement au bout de cinq années celui des citoyens qui avait fait l'action la plus généreuse les grands et les mages étaient les juges le premier satrape chargé du soin de la ville exposait les plus belles actions qui s'étaient passées sous son gouvernement +2394 +il faut que cet homme-là ait prodigieusement d'affaires dans la tête puisqu'il y songe encore même en faisant l'amour il échappa à zadig dans les instants où plusieurs personnes ne disent mot et où d'autres ne prononcent que des paroles sacrées de s'écrier tout d'un coup +2395 +comment pouvez-vous préférer leur disait le sage ouloug des contes qui sont sans raison et qui ne signifient rien c'est précisément pour cela que nous les aimons répondaient les sultanes +2396 +par les plus grands forfaits sur le trône affermi dans la publique paix c'est le seul ennemi l'envieux fut heureux pour la première fois de sa vie +2397 +votre père n'est point mort il est guéri de sa dernière maladie il revient à babylone dieu soit loué répondit le jeune homme mais voilà un tombeau qui m'a coûté bien cher zadig dit ensuite la même chose au cadet +2398 +n'y pensa pas et la femme de l'envieux y pensa beaucoup d'autres dames se présentaient tous les jours les annales secrètes de babylone prétendent qu'il succomba une fois mais qu'il fut tout étonné de jouir sans +2399 +à ce vain bruit de paroles qu'on appelait conversation dans babylone il avait appris dans le premier livre de zoroastre que l'amour-propre est un ballon gonflé de vent dont il sort des tempêtes quand on lui a fait une piqûre +2400 +l'ange asrael lui accordera-t-il moins le passage parce que son nez sera un peu moins long dans la seconde vie que dans la première elle prit donc un rasoir elle alla au tombeau de son époux +2401 +selon la coutume de babylone grand dieu dit-il en lui-même qu'on est à plaindre quand on se promène dans un bois où la chienne de la reine et le cheval du roi ont passé +2402 +oh oh dit la fortunée à l'envieuse vous portez les mêmes jarretières que la reine vous les prenez donc chez la même faiseuse l'envieuse rêva profondément ne répondit rien et alla consulter son mari l'envieux +2403 +mais je n'ai jamais lu qu'un courtisan ait parlé avantageusement d'un ministre disgracié contre qui son souverain était en colère je donne vingt mille pièces d'or à chacun de ceux dont on vient de réciter les actions généreuses mais je donne la coupe à zadig +2404 +on était étonné de voir qu'avec beaucoup d'esprit il n'insultât jamais par des railleries à ces propos si vagues si rompus si tumultueux à ces médisances téméraires à ces décisions ignorantes à ces turlupinades grossières +2405 +n'ayant jamais pu réussir dans le monde il se vengeait par en médire tout riche qu'il était il avait de la peine à rassembler chez lui des flatteurs +2406 +zadig eut la coupe le roi acquit la réputation d'un bon prince qu'il ne garda pas longtemps ce jour fut consacré par des fêtes plus longues que la loi ne le portait +2407 +les juges penchaient pour ce soldat le roi prit la parole et dit son action et celles des autres sont belles mais elles ne m'étonnent point hier zadig en a fait une qui m'a étonné j'avais disgracié depuis quelques jours mon ministre et mon favori corèbe +2408 +à l'égard du cheval du roi des rois vous saurez que me promenant dans les routes de ce bois j'ai aperçu les marques des fers d'un cheval elles étaient toutes à égales distances voilà ai-je dit un cheval qui a un galop parfait +2409 +est la lune du miel et que le second est la lune de l'absinthe il fut quelque temps après obligé de répudier azora qui était devenue trop difficile à vivre +2410 +zadig se contentait d'avoir le style de la raison tout le monde fut pour lui non pas parce qu'il était dans le bon chemin non pas parce qu'il était raisonnable non pas parce qu'il était aimable mais parce qu'il était premier vizir +2411 +cador apaisa l'affaire par le moyen d'une fille d'honneur à laquelle il avait fait un enfant et qui avait beaucoup de crédit dans le collège des mages personne ne fut empalé de quoi plusieurs docteurs murmurèrent et en présagèrent la décadence de babylone +2412 +n'étaient faits par la vanité car en tout il préférait l'être au paraître et par là il s'attirait la considération véritable à laquelle il ne prétendait pas +2413 +on l'admirait et cependant on l'aimait il passait pour le plus fortuné de tous les hommes tout l'empire était rempli de son nom toutes les femmes le lorgnaient tous les citoyens célébraient sa justice +2414 +il rassemblait chez lui les plus honnêtes gens de babylone et les dames les plus aimables il donnait des soupers délicats souvent précédés de concerts et animés par des conversations charmantes dont il avait su bannir l'empressement de montrer de l'esprit +2415 +vous êtes discrète et vous n'êtes point défiante vous êtes douce sans être faible vous êtes bienfaisante avec discernement vous aimez vos amis et vous ne vous faites point d'ennemis +2416 +un prisonnier d'état s'échappa il passa sous les fenêtres de sa maison on interrogea zadig il ne répondit rien mais on lui prouva qu'il avait regardé par la fenêtre il fut condamné pour ce crime à cinq cents onces d'or et il remercia ses juges de leur indulgence +2417 +zadig surtout ne se vantait pas de mépriser les femmes et de les subjuguer il était généreux il ne craignait point d'obliger des ingrats suivant ce grand précepte de zoroastre +2418 +et même un vers d'une plus petite mesure mais par un hasard encore plus étrange ces petits vers se trouvaient former un sens qui contenait les injures les plus horribles contre le roi on y lisait +2419 +il fut écrit d'abord en ancien chaldéen que ni vous ni moi n'entendons on le traduisit en arabe pour amuser le célèbre sultan +2420 +il fait venir les deux mages qu'enseigneras-tu à ton pupille dit-il au premier je lui apprendrai dit le docteur les huit parties d'oraison la dialectique l'astrologie la démonomanie +2421 +son procès lui fut bientôt fait sans qu'on daignât l'entendre lorsqu'il vint recevoir sa sentence l'envieux se trouva sur son passage et lui dit tout haut que ses vers ne valaient rien +2422 +et qu'ensuite il reposait mollement sur un lit de roses dont il sortait un serpent qui le blessait au coeur de sa langue acérée et envenimée +2423 +instruit dans les sciences des anciens chaldéens il n'ignorait pas les principes physiques de la nature tels qu'on les connaissait alors et savait de la métaphysique ce qu'on en a su dans tous les âges c'est-à-dire fort peu de chose +2424 +c'était un grand seigneur dont le fond n'était pas mauvais mais qui était corrompu par la vanité et par la volupté il souffrait rarement qu'on lui parlât et jamais qu'on l'osât contredire les paons ne sont pas plus vains +2425 +ils touchaient au moment fortuné qui allait les unir lorsque se promenant ensemble vers une porte de babylone sous les palmiers qui ornaient le rivage de l'euphrate